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Full text of "L'Égypte et le canal de Suez"

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NUMÉRIQUE 



L'Égypte et le canal de 

Suez, par Mme la 
Ctesse Drohojowska 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 



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Jkfl^ BIBLIOTHÈQUE 

^^^J NUMÉRIQUE 



Oallica 



Drohojowska, Antoinette-Joséphine-Françoise-Anne (1822-189.?). L'Égypte et le canal de Suez, par Mme la Ctesse Drohojowska. 1870. 



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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 




L'EGYPTE 



UT 




CANAL DE SUEZ 



ROMAN D'UNE MATÉRIALISTE 



iu-18 jésus de 252 page* 3 tV. » 



MA M KL DES BIliLIOPHILES 

Qt, in-8* à 2 colonnes de 3U0 pages, pa- 
pier ordinaire. . . . , 1Û » 

tir. papier de Hollande 25 » 

*,et oufrage destiné à paraître chaque année en un fort volume rec- 
tifiera certaines erreurs échappée* au célèbre lu Mm graphe Brunei, w 
donnera la description d'auteurs et d éditions inconnus ou peu recherchés 
jusqu'à ce jour. 

Nous comptons, & cette époque où la bibliographie renferme dans ses 
rangs de nombreux et savants adeptes, sur leur bienvj^llante et active 
coopération. Nous serons heureux d'indiquer les sources d'où nous ueu- 
di'ou« nos diiL-uiuems, 



Achat, vente et échange de bibliothèques, 
livres, manuscrits, & ; rédaction de catalogues, 

expertises, commission, &* 



Versailles. — Crïtk. imprimeur de la PréiacUire, 




Egypte 



ET 



DE 



M*- la Comtesse DROHOJOWSKA 





PARIS 

A. LAPORTE, ÉDITEUR, 

Librairie une I eu ne et modernt 

46 ? BOULEVARD HAUSSMANN, 46 
DEHAliltit LE NOUVEL OPÉRA* 



PREMIÈRE PARTIE 

L'ÉGYPTE 



I 

L'Egypte ancienne 



I. — Les Pharaons 

« L'Egypte a été le berceau de la civilisation, 
ou plutôt elle s'était civilisée longtemps avant que 
la plupart des autres peuples eussent même ap- 
paru sur la scène du monde. Les prodigieux monu- 
ments qui en couvrent le sol et qui gardent encore 
en partie le secret qui leur a été confié dans de* 
temps ignorés de l'histoire, attestent du moins 
d'une manière incontestable que TÉgypte a été 
glorieuse et puissante h une époque où l'Europe 
n'était pas née. » 



- 2 L'EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Ses premiers habitants lui vinrent de l'Ethio- 
pie et elle fut d'abord gouvernée par les dieux du 
premier, du second et du troisième ordre, c'est-à- 
dire par les prêtres de ces fausses divinités. 

C'est dans cette période que lurent bâties les 
villes célèbres de Thèbes , de This et d'Eléphan- 
tine. Dès lors étaient déjà connus et pratiqués en 
Egypte les arts précieux de l'écriture, de la mu? 
sique et de l'astronomie ; l'agriculture y était en 
honneur et les cérémonies religieuses y étaient 
entourées d'une grande pompe. Tout en un mot 
indiquait un peuple avancé déjà dans les voies de 
la civilisation. 

Menés ou Misraïm substitua le pouvoir royal 
à ce gouvernement théocratique et fut le fonda- 
teur de la première des vingt-six dynasties qui 

* 

devaient gouverner l'Egypte, dont la configura- 
tion et l'étendue étaient loin du reste d'être alors 
ce que nous la voyons aujourd'hui. Le Nil et la 
mer couvraien t de leurs eaux le sol presque en en- 
tier, sauf dans la ïhébaïde (ou Haute-Egypte) 
c'était la seule partie du pays qui nous occupe, qui 
fût habitée. 

Menés, le premier, entreprit de disputer le sol 
aux eaux du tlcuvc. Il <'ii détourna le cours et 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 3 

dessécha un vaste emplacement où il jeta les fon- 

3 i 

déments de Memphis. 

On ne saurait préciser la date de cet événement; 
mais il est certain qu'il précéda de plusieurs siè- 
cles la fondation de Babylone et de Ninive. 

Une longue suite de rois se succédèrent sur le 
trône de Memphis, ajoutant chacun à la grandeur 
et à la prospérité de la monarchie. 

La Basse-Egypte conquise degré par degré et 
grdce aux travaux des princes, imitateurs et con- 
tinuateurs de Menés, le disputa bientôt à la Haute- 
Egypte eu richesse et en monuments. Diospolis et 

Tanis y acquirent une grande célébrité. 

C'est là que les cois de la dix-septième dynastie, 
dits rois pasteurs, (hyksos) établirent le siège de 
leur puissance. 

Sous le régné du quatrième des princes de cette 
dynastie, Joseph, fils de Jacob, fut amené en 
Egypte : on sait comment, monté du rang d'esclave 
à la dignité de premier ministre, il mérita le titre 
de sauveur de l'Egypte. 

On sait aussi comment il établit dans la terre 
de Gessen son père et ses frères qui y furent la 
souche du peuple de Dieu. 

Cependant les rois ou Pharaon? rie la Thébaïde 



4 LÉGYI'TE ET LE CANAL DE SUEZ. 



étant parvenus à chasser les Pharaons-Pasteurs de 
la Moyenne et de la liasse-Egypte, reconstituèrent 
à leur profit, une monarchie unique. 

Sous cette dix-huitième dynastie, l'Egypte de- 
vait monter à l'apogée de la puissance, de la gloire 
et de la richesse. 

Ecoutons sur cette brillante période, eu que 
rapporte le savant égyptologue Champollion : 
tf Alors, dit-il, existaient des communications sui- 
vies et régulières entre l'empire égyptien et celui 
de l'Inde. Le commerce avait une grande activité 
entre ces deux puissances, et les découvertes qu'où 
lait journellement dans les lombeaux de Thèbes. 
de toiles de fabrique indienne, de meubles en bor- 
de l'Inde et de pierres dures taillées venant cer- 
tainement de l'Inde, ne laissent aucune espèce de 
doute sur le commerce que l'antique Egypte en- 
tretenait avec l'Inde, à une époque où tous les 
peuples européens et une grande partie des Asia- 
tiques était encore tout-à-fait barbare. Il est im- 
possible d'ailleurs d'expliquer le nombre et la 
magnificence des anciens monuments d"Egypd . 
sans trouver dans l'antique prospérité commer- 
ciale de ce pays la principale source des immense- 
richesses dépensées pour les produire. Ainsi, il 



l'kgypte et le canal de suez. 5 

est, bien démontré que Memphis et Thèbes furent 
le premier centre du commerce, avant que Baby- 
lone, Tyr, Sidon, Alexandrie, Tadmor (Palmyre) 
et Bagdad, villes toutes du voisinage de l'Egypte, 
héritassent successivement de ce bel et important 
privilège. 

« Quant à l'état intérieur de l'Egypte à cette 
grande époque, tout prouve que la politique, les 
arts et les sciences y étaient portés à un très- 
haut deoré d'avancement. 

« Le pays était partagé en trente-six provinces 
ou gouvernements administrés par dos fonetion- 
naires de divers degrés, d'après un code complet 

de lois écrites. 
« La population s'élevait, en totalité, à cinq mil- 

■ 

lions au moins, et sept au plus. Une partie de cette 
population spécialement vouée à l'étude des scien- 
ces et aux progrès des arts, était chargée en 
outre des cérémonies du culte, de l'administra- 
tion de la justice, de 1 établissement et de la levée 
des impôts, invariablement fixés d'après la nature 
et l'étendue de chaque portion de propriété me- 
surée d'avance, et de toutes les branches de l'ad- 
ministration civile. C'était la partie instruite et , 
savante de la nation : on l'appelait la classrsacerrlo- 



* 



0. L ÉGYPJ'E ET LE CANAL DE SUEZ. 

talc. Les principales fonctions de cette caste étaient 
exercées ou au moins dirigées par des membres 
• le la famille royale. 

« Une autre partie de la nation égyptienne 
était spécialement destinée à veiller au repos inté- 
rieur et à la défense extérieure du pays. C'est dans 
ces familles nombreuses, dotées et entretenues 
aux frais de l'Etat et qui formaient la caste mili- 
taire, que s'opéraient les conscript ions et les levées 
i le soldats. Elles entretenaient régulièrement l'ar- 
mée égyptienne sur le pied de cent quatre-vingt 
mille hommes. La première, mais la plus petite 
division de cette armée était exercée à combattre 
sur des chars à deux chevaux ; c'était la cavale- 
rie de l'époque, la cavalerie proprement dite 

* 

n'existait pas alors en Egypte. Le reste formait des 
corps de fantassins de différentes armes, savoir : 
les soldats de ligne, armés d'une cuirasse, d'un 
bouclier, d'un lance et d'une épée, et les troupes 
légères, les archers, les frondeurs et les corps ar- 
més de haches ou de fauii de bataille. Les trou- 
pes exercées à des manœuvres régulières, mar- 
chaient et se mouvaient en ligne, par légions et 
par compagnies. Leurs évolutions s'exécutaient 
au son du tambour et de la trompette, 



■ 



l/ EGYPTE ET T.E CANAL DE SUEZ. 1 

« Le roi déléguait, pour l'ordinaire le comman- 
dement des différents corps à des princes de sa 
famille. 

« La troisième classe de la population formait la 
caste agricole. Ses membres donnaient tous leurs 
soins à la culture des terres, soit comme proprié- 
taires, soit comme fermiers. Les produits leur 
appartenaient en propre; on prélevait seulement 
une portion destiuée à l'entretien du roi et à l'en- 
tretien des castes sacerdotale et militaire; cela for- 
mait le principal et. le plus certain des revenus 
de l'Etat. 

■ 

« D'après les anciens historiens, on doit éva- 
luer le revenu annuel des Pharaons, y compris les 

■ 

tributs payés par les nations étrangères, de G à 700 
millions au moins de notre monnaie. 

« Les artisans, les ouvriers de toute espèce et 
les marchands composaient la quatrième classe de 
la nation : c'était la vaste, industrielle, soumise à 
un impôt proportionnel, et contribuant ainsi par 
ses travaux à la richesse et auN charges île l'Etal . 

« Les travaux de cette caste élevèrent l'Egypte 
à son plus haut point de prospérité. Tous les genres 
d'industrie furent, en effet, pratiqués par les an- 
riens Egyptiens, et leur commerce avec les autres 



8 j/égypte et le Canal de suez. 

nations plus ou moins avancées qui formaient le 
monde civilisé de col te époque, avait pris un grand 
développement. 

t 

« L'Egypte faisait alors du superflu de ses pro- 
duits en grains un commerce régulier et fort 
étendu. Elle tirait de grands profits de ses bestiaux 
et. de ses chevaux. Elle fournissait le monde de 
ses toiles de lin et de ses tissus de coton égalant 
en perfection et en finesse tout ce que l'industrie 
de l'Inde et de l'Europe exécute aujourd'hui de 
plus parfait. Les métaux, dont l'Egypte ne ren- 
ferme aucune mine, mais qu'elle tirait des pays 
tributaires ou d'échanges avantageux avec les na- 
tions indépendantes, sortaient de ses ateliers, tra- 

■ 

vaillés sous diverses formes et changés soit en 
armes, en instruments, en ustensiles ; soit en ob- 
jets de luxe et de parure recherchés à l'envi par 
tous les peuples voisins. Elle exportait annuelle- 
ment une masse considérable de poteries de tout 
genre, ainsi que les innombrables produits de 
ses ateliers de verrerie et d'émaillerie, arts que 
les Égyptiens avaient portés au plus haut point 
de perfection. Elle approvisionnait enfin les na- 
tions voisines de papyrus ou papier formé des 
pellicules intérieures d'une plante qui a cessé de- 



l'Egypte kt le canal de suez, 9 

puis quelques siècles d'exister en Egypte. Les 
anciens Arabes nommaient cette plante berd t elle 
croissait principalement dans les endroits maré- 
cageux, et sa culture était une source de richesses 
pour ceux qui habitaient les rives des anciens lacs 
de Bourlos et de Menzaleh ou Tanis. 

« Les Égyptiens n'avaient point un système 
monétaire semblable au nôtre, Us avaient pour 
le petit commerce intérieur une monnaie de con- 
vention, mais pour les transactions considérables, 
ils payaient en anneaux d'or pur d'un certain 
poids et d'un certain diamètre, ou en anneaux d'ar- 
gent d'un titre et d'un poids également fixes. 

« Quant à l'état de la marine à cette époque re- 
culée, plusieurs notions essentielles nous man- 
quent encore. Nous savons cependant que l'Egypte 
avait une marine militaire composée de grandes 
galères marchant à la fois à la rame et à la 
voile ; on doit présumer que la marine marchande 
avait pris un certain essor, quoi qu'il soit à peu 
près certain que le commerce et la navigation de 
long cours étaient faits, en qualité de courtiers, 
par un petit peuple tributaire de l'Egypte et dont 
les principales villes furent Sour, Saïde . Beyrouth 
et Acre. ' 

t. 



10 l'ÊGYPTE et le canal de suez, 

« Le bien-être intérieur de l'Egypte était fondé 
sur le vaste développement de son agriculture et 
de son industrie. On découvre à chaque instant 
dans les tombeaux de Thèbes et de Sakkarah des 
objets d'un travail perfectionné démontrant que 
ce peuple connaissait toutes les aisances de la vie 
et toutes les jouissances du luxe. Aucune nation 
ancienne ou moderne n'a porté plus loin que les 
vieux Egyptiens la grandeur et la somptuosité des 
édifices, le goût et la recherche dans les meubles, 
les ustensiles, le costume et la décoration. 

« Telle fut l 'Egypte à sa plus haute période de 
splendeur connue. Cette prospérité date de l'époque 
des derniers rois de la dix-huitième dynastie, à 
laquelle appartient Rhamsès-le-grand ou Sésos- 
Iris. Les sages et nombreuses institutions 'le ce 
souverain, terrible à ses ennemis, doux et modéré 
à ses sujets, en assurèrent la durée. 

« Ses successeurs jouirent en paix du fruit de ses 
travaux et conservèrent en grande partie ses con- 
quêtes. Le quatrième d'entre eux, nommé Rharn- 
sès-Meiamoum, prince guerrier et ambitieux, les 
étendit encore davantage; son règne entier fut une 
suite d'entreprises heureuses contre les nations les 
plus puissantes de l'Asie. Ce roi bâtit le beau 



l'ég-yptiï et le canal de suez. H 

palais de Métinet-Habuo à Thèbes, sur les murailles 
duquel on voit encore sculptées et peintes toutes 
les campagnes de ce Pharaon en Asie, les batailles 
qu'il a livrées sur terre et sur mer, le siège et la 
prise de plusieurs villes, enfin les cérémonies de 
son triomphe au retour de ses lointaines expédi- 
tions. 

« Les Pharaons qui régnèrent après lui, firent 
jouir l'Egypte d'un long repos. Pendant ce temps 
d'une tranquillité profonde l'Egypte, tout en lais- 
sant s'assoupir l'esprit guerrier et conquérant qui 
t'avait dominée sous les précédentes dynasties, dut 
nécessairement perfectionner son régime intérieur 
et avancer progressivement ses arts et son indus- 
trie. Mais sa domination extérieure se rétrécit de 
siècle en siècle à cause des progrès de la civi- 
lisation qui s'étaient effectués dans plusieurs 
de ces contrées par leur liaison même avec 
l'Egypte ; celle-ci ne pouvaitplus les contenir sous 
sa dépendance que par un déplacement de for- 
ces militaires excessif et hors de toute pro- 
portion. 

« Un nouveau monde politique s'était en effet 
formé autour de l'Egypte. Les peuples delà Perse 
réunis en un seul corps de nation, menaçaient 



1*2 . i/kgvpte et i-e canaC de suez. 

déjà les grands royaumes unis de Ninive et de 
Babylone; ceux-ci après avoir dépouillé l'Egypte 
d'importantes branches de commerce, lui dispu- 
taient la possession de la Syrie et so servaient 
des peuples et des tribus arabes pour inquiéter 
les frontières de leur ancienne dominatrice. Dans 
ce conflit les Phéniciens, ces courtiers naturels 
du commerce des puissances rivales, passaient 
d'un parti à l'autre, suivant l'intérêt du mo- 
ment. 

« Cette lutte fut longue et soutenue : il ne s'agis- 
sait de rien moins que de 1 existence commer- 
ciale de l'un ou de l'autre de ces puissants em- 
pires. < V." ~ T 

« Les expéditions militaires du Pharaon 
Chéchonk I er et celles de son fils, Osorkon I er , qui 
parcoururent l'Asie occidentale, maintinrent peu- 
i lant quelque temps la suprématie de l'Egypte qui 
eut pu jouir longtemps du fruit de ses victoires, si 
une invasion des Ethiopiens ou Abyssins n'eut sou- 
dain tourné toute son attention du côté du midi. Ses 
efforts furent inutiles. Sabacon, roi des Ethiopiens, 
s'empara de la Nubie et passa la dernière cataracte 
avec une armée grossie de tous les peuples barbares 
de l'Afrique. L'Egypte succomba, après une lutte 



p 



i/ÉGYPTK ET LE CANAL DE SUEZ. 13 

dans laquelle périt son Pharaon Boc-Hor, le Boc- 
choris des Grecs. » (1) 

Sabaeon, fondateur de la vingt-cinquième dy- 
nastie, amena en Egypte, avec la domination étran- 
gère, un temps d'arrêt dans la civilisation et la 
prospérité de ce pays. 

Cinquante ans s'écoulèrent ainsi après lesquels 
un prêtre nommé Sethos parvint à réveiller dans le 
cœur du peuple le sentimen t du patriotisme. Les bar- 
bares furent chassés, et après quelque temps d'incer- 

■ 

titude et de division, le roi Psammétieus I er (de la 
vingt-sixième dynastie) consolida le pouvoir royal 
et, pendant un règne de quarante ans, rendit a 

* 

l'Egypte sa splendeur passée. 

Il ouvrit les portes de son empire aux marchands 
étrangers et en particulier aux Grecs, et il rendit 
à la navigation égyptienne l'essor qu'avait arrêté 
la domination barbare. 

(1) ChampoUion a emprunté les détails de ce brillant 
tableau aux témoins authentiques de la période mêmp 
à laquelle il se rapporte. « Ce sont, en effet, les hiéro- 
glyphes interprétés par lui qui ont fourni tous ces ren- 
seignements incontestables. » Ajoutons que « les dé- 
couvertes que chaque jour amène ne font que confirmer 
ces renseignements. » 

■ 



14 L EGYPTE ET 1.15 CANAL DE SUEZ. 

Xéchao, son fils, continua cette heureuse impul- 
sion; selon Hérodote, il équipa une flotte qui alla 
reconnaître les côtes de l'Afrique dont elle fît le 
tour. : y^rà , >lq - 

L'histoire attribue aussi à ce prince la gloire 
d'avoir fait reprendre les travaux du canal de 
communication entre la Méditerranée et la mer 
Roii^e, commencé, dit-on, par Sésostris. 

Cependant la caste militaire que Psamméticus 
avait mécontentée, précipita du trône NéVhao et 
donna le sceptre à Amasis. 

La conquête de l'Assyrie par Gyrus, qui sur- 
vint sur ces entrefaites, en détournant de l'Egypte 
l'attention du roi de Babylone, permit à Ama- 
sis de concentrer toute son attention sur le com- 
merce et la prospérité intérieure de ses états. 
Son règne de quarante-deux ans fut paisible et 
heureux: l'industrie, la civilisation, la fortune 
publique, tout revint à une prospérité inconnue 
depuis la dernière invasion éthiopienne. 

Mais lorsque Babylone fut tombée sous les coup- 
de Cyrus, Amasis jugea que l'antique puissance 

r 

de l'Egypte qu'il avait eu un instant l'espoir de 
réédifier allait s'écrouler. Du moins eut-il le bon- 
heur de ne point assister à la ruine de son trône. 



l'égypte et le canal de suez. 15 

I 

Il mourut au moment où les années du grand 
conquérant de l'Asie s'ébranlaient pour envahir- 
la terre des Pharaons. 



16 



l.EGYPTE ET I.E C.AN.-W. DE sn-7. 



II. — Les Satrapes. — Les Lapides, 

Sous la conduite de Cambyse, les Perses se 
présentèrent en 525 (avant J.-C.) devant Péluse, 
clef de l'Egypte. Une célèbre bataille illustra ce 
lieu: les Egyptiens défendirent leur indépendance 
avec un grand courage ; mais accablés par le nombre 
ils furent vaincus. Cambyse marcha sur Memphi s 
et sur Thèbes dont il saccagea les monuments : 
puis, comme saisi du vertige, il se jeta dans le désert 
d'Ammondont les sables dévorèrent son armée. 

i 

Mais l'Egypte n'en était pas moins conquise. 
Livrée aux satrapes qui la gouvernèrent au nom 
du roi de Perse, elle vit dégénérer les arts, qui 
avaient fait sa fortune et sa gloire; les traditions 
scientifiques, qui la plaçaient à la tête de la civili- 
sation, s'altérèrent et se perdirent ; les campagnes 
disputées an lleuve et à la mer se dépeuplèrent, 
et les plus opulentes cités devinrent désertes. 
Cette ère de désordre et de rapine ne dura pas 
moins de deux siècles. 

On ne doit donc pas s'étonner si lorsque, pré- 
cédépar la renommée de son génie et de sa gloire. 



l/ÊGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 17 

Alexandre parut en Egypte, il y fut accueilli 
comme un sauveur. 

Nul cependant ne pouvait prévoir, nul n'eût osé 
rêver la splendeur de la période qu'allait ouvrir 
h l'antique terre des Pharaons, l'invasion grecque. 

« Pendant son règne trop court, mais si merveil- 
leusement rempli, Alexandre, dit dans un récent 
et remarquable travail un écrivain contempo- 
rain (1), conçut et commença à exécuter d'immen- 
ses projets destinés, s'ils eussent tous abouti, à 
transformer tout d'un coup la face du monde 

« L'Egypte devait être la première à profiter de 
cette transformation qui, pour avoir été interrom- 
pue par la mort subite du grand roi, n'en a pas 
moins, à partir de cette époque, progressé rapide- 
ment. La reconnaissance des côtes de la mer Ery- 
thrée jusqu'aux embouchures del'Euphrate; recon- 
naissance accomplie delà manière la plus intelli- 
gente et la plus heureuse par Néarqueàla tête d'une 
flotte nombreuse; les premières relations commer- 
ciales par mer entre l'Inde et l'Egypte; un essai de 
communication régulière avec les côtes de l'Afrique 
septentrionale jusqu'aux colonnes d'Hercule ; l' ex- 

(1). Histoire de l'isthme de Suez, par Olivier Ritt. 



t 



18 l'kCiYPTE et le canal de suez, 

tension des échanges avec toutes les contrées médi- 
terranéennes ; la fondation d'Alexandrie et les 
grands travaux projetés pour relier cette ville à la 
mer Rouge : tout' indique les espérances qu'Aie- 

» r * 

xandre fondait sur la position de l'Egypte qui était, 
dans sa pensée, l'entrepôt naturel à la fois de 
3 'Orient et de l'Occident. 

<c Par une heureuse exception, l'Egypte n'eût pas 
spécialement a souffrir des luttes engagées entre tes 
généraux qui se partagèrent l'empire d'Alexandre. 
Cette tranquillité relative, elle la dut à ce quePto- 
léméeen la recevant en partage, comprit la valeur 
de son lot et fit preuve, pour le conserver, de la 
plus sage modération. » 

L'Egypte redevint donc sous les Ptolémées la 
principale puissance commerciale et maritime 
du monde; les arts et les sciences y reprennent 
un éclat qui atteint en splendeur, si elle ne la 
surpasse, cette période brillante dont Champollion 
nous traçait, quelques pages plus haut, un trop ra- 
pide tableau... Enfin les travaux des géographes 
et des navigateurs y créent partout de nouveaux 
débouchés; des villes et des ports, des canaux et 
des routes surgissent comme par enchantement 
sur le sol de lu patrie régénérée, tandis que ses en- 



l'égypte et le canal de suez. 19 

fants vont jeter leurs comptoirs commerciaux ou 
leurs colonies militaires sur les côtes de la nier 
Rouge, dans le golfe Persique et jusque dans la 
mer des Indes. 

Mais où se montre la supériorité de l'époque des 
Ptolémées sur les époques antérieures, c'est dans 
la forme et dans la puissance nouvelle que les pro- 
grès scientifiques de ce temps donnent à la cana- 
lisation. 

Cette source de richesse et do grandeur acquise 
à l'Egypte depuis les temps les plus reculés, mais • 
demeurée jusqu'alors à un état de simplicité t oute 
primitive et qu'arrêtaient les plus légers obstacles, 
se développa tout à coup au moyen de barrages 
ou écluses rudimentaires formée de poutres su- 
perposées et mobiles. Bien loi le canal de Néchao 
et celui qu'avait plus tard creusé Darius, et qui, 
élargi et recreusé par Ptolémée-Philadelpho, 
prit le nom de cunal des Ptolémées, mirent enfin en 
communication , malgré là différence des ni- 
veaux, d'une part, la branche pélusiaque du Nil 
tvec le golfe Hèroopolite (ou lacs Amers), au 
■•entre de l'isthme de Péluse: d'autre part, le 
golfe Hèroopolite avec la mer Rouge. 

Par malheur, la fin de cette race des Lagides 



20 l'ÉPtYPTE et le canal de subz. 

qui avait si glorieuse mont débuté, fut marquée 
par une série presque continuelle de rivalités 
armées entre les branches collatérales qui souil- 

r 

lèrent le sol de l'Egypte de complots, de meurtre 
et de guerre, sans gloire ot sans issues. 

Ou arrive ainsi à la trop célèbre Cléopâtre, qui 
après avoir enlevé la couronne à son frère Ptolé- 
mée, et, après s'être débarrassé par le poison d'un 

i 

autre frère, resta souveraine maîtresse de l'Egypte; 
Avec elle finit la race des Ptoléinées et l'indé- 
pendance de leur empire. 

Dès lors et pendant six siècles, l'histoire de la 
terre des Pharaons, réduite en provinces romaines, 
se confond avec celle de la métropole. 

Lors de la division de l'empire romain, elle de- 
vint une des provinces de l'empire d'Orient el 
releva de Byzance. 

Les désordres et les crimes qui marquèrent le 
cours de cette dernière période, eurent leur contre- 
coup en Egypte, qui depuis longtemps était fati- 
guée des intrigues et des exactions de ses domi- 
nateurs, lorsque se présenta tout à coup à elle un 
maître nouveau. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SLLZ. 



2\ 



III. — Les Califes. 

■ 

C'était Amrou, lieutenant du deuxième succes- 
seur de Mahomet, le calife Omar. Memphis, que 

i 

les historiens ont appelée la Babylone d'Egypte, 
fut attaquée la première; elle capitula sans essayer 
même de se défendre. 

Alexandrie, qu Amrou alla assiéger ensuite, 
résista vaillamment; l'armée musulmane n'y en- 
tra qu'après quatorze mois de siège. 

On a accusé Amrou d'avoir, irrité de cette 
longue résistance, usé de représailles et entre 
autres actes de colère et de vandalisme, fait in- 
cendie i' la précieuse bibliothèque d'Alexandrie. 

i 

« Le fait, disent les historiens modernes, parait 
controuvé. Il serait dans tous les cas en contra- 
diction avec la sagesse éclairée de l'administra- 
tion d'-Amrou en Egypte, » et avec l'admiration 
et la sympathie que ce beau pays inspira immé- 
diatement à ce célèbre conquérant. 

Nos lecteurs en auront la preuve, s'ils veulent 
bien lire le rapport suivant, adressé par Amrou 



ÏZ L EGV'PTE HT LE CANAL DE SCEZ. 

lui-même au ealiic Omar, eu réponse à une lettre 
de ce prince, lui demandant une description 
exacte de la contrée dont il venait d'enrichir 
l'empire des fils de Mahomet. 

« prince des fidèles, imagine un désert aride 
« et une campagne magnilique, au milieu de 
« deux montagnes, dont l une a la forme d'um- 
« colline de sable et l'autre du ventre d'un ehe- 
« val étique ou du dos d'un chameau. Voilà 
« l'Egypte ! 

« Toutes ses productions et ses richesses vien - 
« nent d'un fleuve béni qui coule avec majesté 
« au milieu. Le moment de la crue et de la re- 
<f traite des eaux y est aussi réglé que le lever du 
« soleil et de la lune. 11 y a une époque de l'année 
« où toutes les sources de l'univers viennen t payer 
« à ce roi des lleuves, le tribut auquel la Provi- 
« dence les assujettit (Hivers lui. Alors, les eaux 
« augmentent, sortent de leur lii, et couvrent 

« toute la surface de l'Egypte, pour y déposer un 
« limon productif. Il n'y a plus de commun ica- 
« tions d'un village a l'autre que par le moyen 
« de barques légères, aussi nombreuses que les 
« feuilles du palmier. Lorsqu arrive en lin le mo- 
« ment où les eaux cessent d'être nécessaires à la 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. Î3 

« fertilité du sol, le 11 cuve docile rentre dans les 
« bornes que la nature lui a prescrites, afin que 
« les hommes puissent recueillir les trésors qu'il 
« a déposés dans le sein de la terre. Alors, ce peu- 
« pie protégé du ciel, ouvre légèrement la terre, 
« à laquelle il confie les semences dont il attend 
« la fécondité de Celui qui fait .croître et mûrir 
« les moissons. 

« Bientôt le germe se développe, la tige s'élève, 
« l'épi se forme par le secours d'une rosée qui 
« supplée aux pluies , pour entretenir le suc 
« nourricier dont le sol est imprégné. La mois- 
« son mûrit proniptement ; mais aussitôt à la 
« plus abondante fertilité succède une stérilité 

r 

« complète. Et ainsi, ô prince des lidèles. l'Egypte 
« offre tour à tour aux regards, l'image d'un dé- 
" sert poudreux, d'une plaine liquide et moirée 
<r d argent, d'un marécage noir et limoneux, 
« d une prairie verte et ondoyante, d'un parterre 
« de fleurs variées et d'un guéret couvert de 
« moissons jaunissantes. 

« Béni soit le Créateur de tant de merveilles. 

« Trois choses, ô prince des fidèles, contribue- 
nt ront essentiellement à la prospérité de l'Egypte : 
« la première de ne point adopter légèrement les 



24 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

« projets inventés par l'avidité fiscale et tendant 
« à une augmentation d'impôts ; la seconde, 
« d'employer le tiers des revenus i\ 1 "entretien des 
« canaux, des ponts et des digues; la troisième, 
« tic ne lever l'impôt qu'en nature sur les fruits 
« que la terre produil. 

»< balut! »> 

Les sages conseils d Auii'ou ne furent pas ton- 
jours suivis, et parmi les nombreux lieutenants 
que les califes envoyèrent en Egypte, plus d'un 
pressura le peuple et abusa de sou rapide pou- 
voir (1). * . , • 

D'autre part, les révolutions qui tour à Lour 
placèrent à la tète des Musulmans, les Abassides 
et plus tard li's Faliinitcs, eurent chacun leur 
écho dans cette partie si importante de l'empire 
des califes (2). 

(1) Les califes avaient soin de change auvent Icuiv 
lieutenants en Egypte, de crainte qu'une longue auto- 
rité leur inspirât des pensées d'usurpation. 

(2) Presque dûs le début de l'islamisme trois famil- 
les se disputèrent l'autorité. Le second successeur de 
Mohamet, Moa\via, i Tétait autre qu'un usurpateur : il 
s'était empare du pouvoir en détrônant Ali, le gendre 
du prophète- % ' , 

Une autre famille, celle des Abassides, descendant 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 25 

Puis vinrent la puissance et les querelles des 
deux milices éthiopienne et turque ; on sait corn- 

* 

d'Abbas, oncle de Mahomet, vint à son tour, représen- 
téc par Aboul-Abbas, s'emparer du pouvoir. Voulant 
rompre avec les souvenirs du passé, les califes abassi- 
des abandonnèrent Damas, et fondèrent sur la rive 
droite du Tigre une nouvelle capitale qui devint la cité 
ta plus importante des Musulmans. Cette ville était la 
fameuse Bagdad, ([ui eut bientôt jusqu'à 800,000 ha- 
bitants. Une autre famille jouissait aussi d'une grande 
influence et formait un troisième parti, séparé des au- 
tres par les intérêts, par les opinions et par la diffé- 
rence dans les pratiques religieuses, car toute division 
dans la société islamique se traduit surtout par les scis- 
sions dans les crovances et dans les cérémonies du 
culte. Cette troisième famille descendait de Fatime, la 
hlle du prophète, et on l'appelait fatimite. — Pour éta- 
blir une ligne de démarcation visible pour tous, elle 
avait adopté exclusivement la couleur verte, tandis que 

les Ommiades portaient la blanche et les Abassides, la 
noire. ; > 

Si, les Abassides dominaient en Asie, les Ommiades 
avaient conservé tout leur prestige en Occident. Aboul- 
Abbas, premier calife abasside, eut recours à la plus 
odieuse trahison pour anéantir le parti contraire. Sous 
le prétexte spécieux do terminer toute dispute, il invita 
les princes ommiades à un festin à Damas et les fit 
égorger sans pitié. Un seul membre de cette malheu- 



/ 



26 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

nient cette dernière triompha et demeura maî- 
tresse absolue de l'empire. 
Cette dernière période nous conduit à l'époque 

§ 

des croisades, époque gui, en faisant de l'Egypte 
le théâtre de luttes héroïques, rendit à ce pays 
une partie de son importance passée. 

C'est là en effet crue l'armée d' Amaury, chef des 
croisés, rencontra celle de Nour-ed-dyn, prince 
puissant de Syrie ; Salah-ed-dyn (Saladin) , lieute- 
nant de Nour-ed-dyn commandait les forces de 
l'Islam ; il traita avec Amurat, se déclara indépen- 
dant et fonda la dynastie des Ayoubites. 

A la conquête de l'Egypte, point de départ de sa 
fortune, Saladin ajouta successivement la Syrie, 
la Mésopotamie et l'Arabie ; toutefois il conserva 
pour capitale le Caire, que Bjouhar, lieutenant des 
califes, avait fait bâtir deux siècles auparavant et 
qu'il embellit et fortifia» 

rcuse famille échappa ù la mort, il se retira en Afrique 
et trouva enfin un refuge à Tubar, ville assez impor- 
tante alors et dont il ne reste aujourd'hui que quelques 
ruines, non loin de Tlemcen. — Ce jeune homme, cet 
enfant presque, devait illustrer son nom et sh race; il 
devait, jeune encore, scinder définitivement l'empire 
mahométan en fondant le califat de Cordouo. Ce fut 
le célèbre Abdérame. 



l'égypte et le canal de suez. 27 

L'empire de Saladin fut partagé à sa mort en- 
îi-e ses trois fils, et l'Egypte échut à Malek-el-azir 
auquel succédèrent Malek-el-adel, Suffert-el- 
dyn, Malek-el-amel et Malek-el-salek, sous le rè- 
gne duquel le roi saint Louis entrepôt l'avant- 
dernière croisade. 

En apprenant que les-croisés au lieu de se diri- 
ger vers la Syrie avaient débarqué au nombre 
de 50,000 devant les boucbes du Nil, Malek-el- 

■ 

salek accourut défendre ses JEtats. Il périt dans un 
sanglant combat; son fils Timran-Chab lui sue- 

\ Ce fut ce dernier prince qui gagna la célèbre 
bataille où saint Louis fut fait prisonnier. 

11 jouit peu de son triomphe : Les chefs de son 
armée le massacrèrent à l'issue d'un festin; avec 
lui s "éteignit la dynastie fondée par Saladin, dynas- 
tie sous bi quelle l'Egypte avait reconquis une par- 
lie de son importance et de sa prospérité passée. 



28 l'égypte et le canal de suez, 

r\*. — I >i:s Mameluks. 

La milice triomphante fonda sous le nom de 
Mameluks-bahritcs, une dynastie qui gouverna 
l'Egypte pendant plus d'un siècle, et à laquelle 
succéda, en I.'J84,la dynastie des Mameluks-circas- 
siens appelés an trône, comme les précédents, par 
nue révolution militaire. 

Cette dynastie se composa également d une sé- 
rie d'émirs turbulents qui se disputaient l'auto- 
rité et provoquaient d'ordinaire par des moyens 
sanglants les vacances don! ils prolitaient. 

La conquête de l'Egypte par Sélim, successeur 
de ttajazol mit fin à la dvnastie des Ciivassiens; 
mais non pas à la puissance des Mameluks qui, au 
nombre de vingt-quatre, furent nommés bnjs ou 
commandants des provinces. Toutefois au-dessus 
du leur fut créé le pouvoir central et supérieur 
dun pacha ou vice-roi. 

Mais redoutant que ce pacha qui devait conte- 
nir l'ambition du bey et de la milice, ne se servît 
un jour de l'étendue de son pouvoir pour se dé- 
clarer indépendant. Sélim. qui du reste, en s'em- 



Ji KlïYPTtë KT LE CANAL UK SUEZ. !• 

parant do l'Egypte, avait en vue bien, moins un 
agrandissement de territoire que la conquête 
du titre d'héritier et de lieutenant de Mahomet 
que s'attribuaient les héritiers des Abassadides, 
imaginad établir un contre-poids réciproque entre 

10.. V 

ces deux autorités, dont il prévoyait les intrigues 
ambitieuses ; et pour cela il attribua aux beys,aux 
corps de milice et aux principaux ulémas du pa- 
chalik. le droit de contrôler les actes du pacha et 
de le révoquer de ses fonctions, au cas où son 
administration ne serait pas régulière. 

Cette mesure était aussi impolitique que dan- 
gereuse. Elle devait ruiner promptement la domi- 
nation de la Sublime-Porte en Egypte. 

;s-beys , en effet , ne se firent 





point faute d'user de ce droit de destitution, au 
moyen duquel ils recouvraient en quelque sorte 
la souveraineté que le sort des armes leur avait 
fait perdre. 

Les révocations de pachas se succédèrent sans 
être jamais discutées par le gouvernement de la 
Porte. Les beys envoyaient à Gonstantinople les 
pièces qui constataient les actes vrais ou suppo- 
sés du pacha. Ces pièces étaient signées par eux 
d'abord et ensuite par quelques officiers du corps 



•> 



ff 

30 l/ÉftYPTE ET LE CANAL DE SUEZ, 

de milice et par quelques ulémas complaisants. 
Sur la réception de ce dossier, le grand seigneur 
n'hésitait jamais à nommer un nouveau pacha. 

Quant an tribut fixé par Sélim, comme équiva- 
lent de la partie des contributions qui devaient re- 
venir au gouvernement de la Porte, il fut d'abord 
envoyé chaque année à Constantinople avec un 
grand appareil, puis il y eut des retards, des 
tiraillements ; enfin il cessa complètement d'être 
payé. <u 

Il serait trop long d'indiquer ici l'interminable 
nomenclature des pachas égyptiens, hommes sans 
importance d'ailleurs, et dont le principal souri 
était de s'indemniser par toutes les voies possibles 
du présent magnifique que leur avait coûté leur 
investiture. 

N'osant compter sur une longue autorité, ils se 
hâtaient d'arriver à la fortune, et leurs exactions 
ne servaient que trop de prétexte aux beys pour 
les accuser et les déposer, aussitôt qu'ils pouvaient, 
craindre de leur voir prendre quelque autorité 
réelle. 

Bientôt l 'influence administrative de ces souve- 
rains de passage s'effaça complètement; ils ne 
turent plus qui» des automates aux ordres des beys. 



1/ EGYPTE HT LE CANAL DE SUEZ. 31 

Tel était l'état des choses au moment où éclata 
le conflit avec la France, à la suite duquel eut lieu 
l'expédition de 1798, 

C'est à ce moment que nous ferons commencer 
la deuxième partie de notre récit que, sans tenir 
compte des divisions ordinaires de l'histoire, nous 
, avons intitulée l'Egypte moderne. 



If 

L'Égypte moderne. 



I. — Expédition française oh Î798. 

A l'époque où nous sommes arrivés il était doue 

constaté : 1 

1° Que la Porte ottomane n'avait pas l'ombre 
«l'autorité effective en Egypte ; 

2° Que le pacha n'y était que le premier esclave 
des beys ; 

3° Que la Porte n'en retirait pas le moindre re- 
venu; " ' ^ ' : r 

4° Qu'elle n'y jouissait d'aucun droit réel de 
souveraineté, car les beys y disposaient à leur 
gré et à leur profit de toutes les terres. 

Un tel état de choses devait nécessairement être 
fatal aux Européens que le commerce attirait en 
Egypte. Les Français qui d'il bord a raient joui sur 
ce point de 1" Afrique comme sur les côtes barba- 
resques de certains privilèges, étaient devenus de- 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 33 

puis 1760, c'est-à-dire depuis l'avènement au pou- 
voir d'Ali-bey, l'objet de vexations particulières, 
Voici ce qui s'était passé. 
Tant que les pachas possédèrent en Egypte un 
semblant d'autoritr, les heys et les corps de milice 
vécurent dans une union apparente. Mais lorsque 
le pacha eut penlu jusqn au dernier rayonnement 
de ce prestige qui avait suppléé aux yeux des 
foules à l'autorité réelle, la discorde se mit entre 
eux. Ils se disputèrent le pouvoir ; les beys triom- 
phèrent enfin, et l'un d'eux ayant rallié les autres 
sous son autorité, se déclara indépendant de la Porte 
à laquelle il résista les armes à la main, et se fil 
nommerparle chérif delà Mecque, sultan d'Egypte. 

C'était Ali-bey, musulman fanatique et par 
suite ennemi de tout ce qui portait le nom chré- 
lien. Ali-bey, comme les orientaux au temps des 
croisades, faisait-il du royaume de France la 
personnification du grand principe chrétien î 
Toujours est-il qu'il avait voué à notre nation 
une haine particulière, haine qui se manifestai! 
non - seulemen I dans la manière hautaine ei 
extravagante dont, à plusieurs .reprises, il traita 
nos consuls, mais encore dans sa conduite envers 
notre pavillon el nos nationaux. 



■ 



34 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Il exigeait de nos négociants des fournitures à 
des prix ruineux, et leur empruntait des sommes 
qu'il ne leur rendait jamais; il en extorquait par 
force ou par ruse des présents considérables; en- 
fin il fit perdre à une de nos maisons de com- 
merce le montant d' une année de fournitures s ele- 
vaut à la somme, alors énorme, de 300,000 francs. 

or 

Les successeurs d'Ali eurent plus de modération 
dans leurs rapports avec notre commerce ; toutefois 

h 

la France eut à se plaindre gravement de leur 
uouvernement. 

Mais le rÔMin 1 îr plus désastreux pour nos in- 
térêts commerciaux et pour la dignité de notre 
pavillon fut celui de Mourad-bey et d'Ibiahim-bey 
qui, amenés simultanément au pouvoir, se parta- 
gèrent l'autorité. 

Stimulés S3.ll S doute dans leurs exactions nar 

l'exemple des pirates barbaresques qui tenaient 
sous l'oppression les navires et le commerce mé- 
diterranéen, les beys exercèrent dans les mêmes 
pârages lii plus odieuse tyrannie; toutes les na- 
tions de l'Europe eurent à se plaindre d'eux et la 
France surtout se vit sérieusement olfensée dans 
son honneur et compromise dans ses intérêts. " 
Un instant ou se crut débarrassé «les deux 



f 



l'Egypte et le canal de suez 



35 



tyrans qui, chassés de l'Egypte par une expédition 
envoyée de Gonstantinople contre eux en 1786, fu- 
rent remplacés par Ïsmaïl-Bey, prince juste et 
éclairé. 

Cette trêve ne fut pas de longue durée : en 1790 
Mourad et Ibrahim rentrèrent au Caire, et leurs 
dépradations recommencèrent. 

La France s'émut des pétitions, des mémoires 
furent adressés au Directoire dès Tannée 1795 ; 
une enquête fut ordonnée et bientôt une expédi- 
tion fut résolue. 

On sait comment, partie de Toulon, sans savoir 
où son général, le jeune et populaire vainqueur 
d'Italie, la conduisait, l'expédition après avoir 
enlevé Malte en passant, arriva, devant Alexanr 
drie au commencement de juillet 1798. 

Après s'être emparé de la ville, Bonaparte battit 
lavant-garde des Mameluks à Chébreis, détrui- 
sit leur flottille du Nil, s'avança vers le Caire et. 
le 24 juillet, gagna la célèbre bataille des Pyra- 
mides. * ï • î 

Le lendemain, notre armée triomphante taisait 
son entrée au Caire. 

Moins heureuse que notre armée de terre, 
notre Hotte, surprise dans la baie d'Àboukir, par 



36 



l'égypte et le CANAL DE SI Et 



Nelson, succombait avec gloirç, accablée sous les 
forces ennemies. 

Bonaparte cependant se hâtait d'assurer la sta- 
bilité de sa conquête par une sage organisation 
du pays. Il respectait les croyances, les mœurs 
des habitants, qui l'appelaient « le favori d'Allah; » 
il établissait un système d'impôts, perçus comme 

auparavan t à l'aide des coptes. En même temps il 
s'occupait d'assurer le bien-être de ses soldats et 

il établissait dans un des plus vastes palais du 

Caire « cet institut d'Egypte, dont les membres, 

Monge, Bertholet, Fourier, Dolmieu, Larrey, 

Geoffroy Saint-Hilaire, etc., commencèrent à 

conquérir à la science cette contrée mystérieuse 

qui n'a révélé ses secrets que depuis le jour où 

le génie de la France y a passé. » 

Au milieu de ces travaux la nouvelle du dé- 

sastre d'Aboukir vint surprendre Bonaparte. 

C'était un irréparable malheur, par suite duquel 

r 

l'expédition d'Egypte, qui devait nous donner 
l'empire de la Méditerranée, où nous avions 
maintenant quatre des positions les plus impor- 
tantes : Toulon, Malte, Corfou et Alexandrie, 
netuit plus qu'une aventure au lieu d'être le 
commencement d'une grande chose. 



LEGM'JK ET LE CANAL DE SUEZ. 37 

Ici se déroule une des plus belles pages de 
notre histoire et peut-être de l'histoire moderne. 

« Nous étions comme emprisonnés dans notre 
conquête, et sous la pression de l'Angleterre la 
Porte se déclarait contre nous. 

« — Eh ! bien, dit Bonaparte à ses soldats, il 
faut mourir ici, ou en sortir grands comme les 

■ 

anciens. 

« Et il écrivait à Kléber qu'il avait laissé à 
Alexandrie : 

« — Ceci nous obligera à l'aire de plus grandes 
choses que nous n'en voulions l'aire. Il Tant nous 
tenir prêts. 

« Kléber répondit : 

■ 

« Oui, il faut faire de grandes choses ; je pré- 
pare mes facultés. 

« Bonaparte commença par achever Loccupa- 
l ion de tout le pays. Une révolte ayant éclaté au 
Caire fl), il la comprima avec rigueur, 
, « Desaix, le sultan juste, connue l'appelaient 
les Arabes, lancé à la poursuite de Mourad- 
bey, s'était déjà emparé de la Thébaïdc, et se ; 
régiments campaient près des cataractes de 

(l) Octobre 171)8. 



38 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Syèue, aux dernières limites du monde romain. 
« Bonaparte, sûr désormais de. sa conquête, 

v 

s'avança vers la Syrie d'où il eut pu couvrir 
1 Egypte et menacer à son gré Constantinople ou 
l'Inde (l). Il réussit d'abord, s'empara de Gaza 
et de Jaiîa où nos soldats prirent le germe de la 
peste, et dispersa à la bataille du Mont-Thabor (2) 
une grande armée turque. Mais au siège de Saint- 
Jean d'Acre tout son génie échoua, faute de 

♦ 

moyens matériels, contre le courage des Turcs et 
la ténacité de l'amiral anglais Sidney-Smith, le 
mémo dont il a dit souvent plus tard : « — Cet 
homme m'a fait manquer ma fortune. » 

« N'ayant ni munitions, ni grosse artillerie, il 
ne put ouvrir do bref luis praticables, et après 
soixante jours de tranchées oL huit assauts meur- 
triers il dut ramener en Egypte son armée épui- 
sée de fatigues et décimée par la peste (3). » 

La, de nouvèlles luttes l'attendaient : « Un 
imposteur qui se faisait appeler l'ange El-Modhy, 
tâchait de soulever le Delta. Bonaparte en eut 
bien vite raison. Une (lotte anglaise avait débar- 

(ï) Février 1799. 

(2) 16 avril. 

(3) 20 mai. ,; " 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 30 

que à Àboukir dix-huit mille; janissaires; il les 
jeta à la mer (1). C'est après cette brillante action 
mie Kléber s'écria dans un élan d'enthousiasme : 
(c — Général, vous êtes grand comme le monde! 

r 

« L'armée d'Egypte n'avait plus rien à craindre, 
mais elle n'avait plus rien à faire. Cette inaction 
pesait à Bonaparte. Quand il apprit qu'une se- 
conde coalition s'était formée, que l'Italie était 
perdue, que la France allait être envahie, il remît 
le commandement à Kléber et montant sur une 
frégate, franchit audacieusement toute la Médi- 
terranée au milieu des croisières anglaises. 

« Le 8 octobre, il débarquait à Fréjus... » 

Pendant ce temps, Kléber se montrait fidèle 
dépositaire de la gloire de nos armes : Une année 
turque commandée par le grand vizir envahit 
l'Egypte ; Kléber la rejoint à Héliopolis (2). Le* 
ennemis étaient au nombre de soixante mille. 
Notre armée comptait à peine douze mille com- 
battants. La victoire néanmoins ne fut pas un 
instant incertaine, et plus libre que jamais, après 
ce nouveau triomphe, de se livrer à la paisible 

(1) U juillet. 

(2) 20 mars 1800. 



■ 



il) l/ÉOYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

administration du pays, 'Klébcr s'attachait à faire 

9 

pénétrer dans les mœurs et les usages de l'Egypte 
le bienfait de la civilisation occidentale, lorsqu'il 
tomba sous le fer d un assassin venu de Syrie (l). 

Le commandement passa aux mains du géné- 
ral Menou. brave soldat, mais chef irrésolu, qui 
ne sut ni s'opposer au débarquement d'une année 
anglaise, ni la rejeter hors de l'Egypte. Après la 
défaite de Canapé (2), il dut céder aux Anglais 
le Caire et Alexandrie et signer une capitulation 
par laquelle il s'engageait à rentrer en France 
avec ses soldats. 

La campagne d'Egypte linit ainsi ,:>;, après une 
occupation de trois ans et trois mois. Elle lai> 
sait pour résultats positifs, avec les admirable.- 
travaux des savants qui avaient accompagné 
l'expédition, les germes d une renaissance égyp- 
tienne. 

Favoriser cette renaissance dans l'intérêt de la 
sécurité et do l'équilibre du inonde, telle a toujours 
été depuis cette époque, et telle est encore la poli- 
tique de la France. 

0) H juin 1800. 

(2) 9 avril 1801. 

(3) 15 octobre 1801. 



I.'KCVPTK ET Uî B&N.M. DR ST'RZ. 'il 

Mais, bien que pressé de poursuivre notre récit, 
nous ne pouvons passer sons silence un des. 

H 

épisodes de la campagne d'Egypte qui se rattache 
tout particulièrement au but principal de notre 
travail: le percement de l'isthme de Suez. 

Parmi les questions que devaient examiner les 
savants attachés à l'expédition française, il en 
était une dont Bonaparte voulut commencer per- 
sonnellement l'étude, persuadé qu'il était de son 
immense importance. C'était la question du per- 
cement de l'isthme. La première reconnaissance 
dn tracé du canal de jonction faillit même coûter 
la vie ati jeune général. 

Bonaparte partit du Caire le 24 décembre 17VI8. 
accompagné de plusieurs officiers généraux et 
des principaux membres de la Commission scien- 
tifique. On arriva à. Suez le 2(i et on s'occupa 
immédiatement de l'examen des lieux; on tenait 
avant tout à retrouver les vestiges du canal qui 
avait mis autrefois en communication la mer 
Rouge et les lacs Amers. Or, « en rentrant d une 
de ces explorations, la petite caravane surprise 
par la nuit, arriva, pendant la marée montante, 
au point où elle crut avoir passé à gué le matin, 
et elle s'engagea dans les lagunes recouvertes par 



n i/ÉGYTPE ET LE CANAL DE SUEZ. 

la mer. Déjà le cheval du général en chef a perdu 
pied et se débat dans le sable mou vaut qui va 
l'engloutir, quand nu des cavaliers de l'escorte 
se précipite, l'enlève vigoureusement par la bride 
et le forçant à s'élancer au galop, sauve Bona- 
parte du danger qui le menace. » 

Après avoir relevé l'ancienne trace du canal de 
la mer Houge aux lacs Amers, l'expédition revint 
au Gain; et fit dans la vallée de rOnaddy-Tou- 
milat (l'ancienne terre de Gessen), le même travail 
pour la partie du canal qui reliait autrefois le Ni! 
aux lacs Amers. 

Bonaparte qui avait dirigé lui-inéme ces diverses 
explorations, chargea alors M. Lepère, ingé- 
nieur en chef et diree Leur-général des ponts et 
chaussées, d'étudier le terrain et de dresserun pro- 
jet de canal pour le passage aussi direct que pos- 

sible des navires de la Méditerranée dans la mer 
Rouge. 

Les travaux de M . Lepère et de ses collabora- 
teurs durèrent trente-neuf mois et furent accom- 
pagnés de difficultés et de périls de toute sorte. 
« Plus d'une fois le manque d'eau douce etle défaut 
d'approvisionnements forcèrent la petite brigade des 
opérateurs de quitter à la hâte ledésertsous peinede 



J 



I 



l'égypte et le canal de st'ez. 48 

mort. N'ayant que des moyens de transport et des 
abris insuffisants , ils furent tout le temps exposés 
aux plus rudes fatigues. Enfin leur isolement sur 
la frontière peu sûre de l'Egypte et do la Syrie et 
leur éloignement de tout centre important des 
troupes françaises, avec une centaine de soldats 
pour toute garde, rendirent leur situation des plus 
précaires... » 

C'est à ces causes défavorables que l'on doit sans 
doute attribuer l'erreur capitale qui se trouve 
dans les appréciations fort justes et fort complètes 
d'ailleurs de M. Lepère : son rapport conciliai l 
«i ne la mer Rouge étant de neuf mètres plus èlevh 
que la Méditerranée, en unissant les deux mers 
ou s'exposait à amener de redoul; tbles malheurs ( 1 ) . 

(1) Cette opinion erronée depuis longtemps accrédi- 
te en Europe aussi bien qu'en Orient, «levait être plus 
tard une des objections les plus sérieuses opposées à 
M . de Lessops. 



l'éc.ypte et le canal de suez. 



IT. — Mkhémet-Ali. 

t 

Le départ dos Français laissait on Egypte le 
champ libre aux Mameluks d'une part et d'autre 
part aux Turcs et aux Anglais. Un nouveau compé- 
titeur surgit bientôt, donl les talents, T énergie et 
surtout la persévérance ne devaient pas tarder à 
dominer la situation. 

Nous avons nommé Méhémet-AIi. 

Né en 17G9 à la Cavale en Roumélie (Macédoine) 
Méhémet-AIi se plaisait à faire 1 remarquer que du 
même âge que Napoléon, il était compatriote d'A- 
lexandre. Ce double hasard de la naissance ne de- 
vait pas être le seul rapport qu'il pût revendiquer 
avec- ces deux héros. Lui aussi était destiné à orga- 

T 

niser un puissant Etat et à unir La bravoure du 
"conquérant à la sagesse du législateur. 

Coïncidence étrange! c'est à la France ou plutôt 
à un agent français en Egypte, à M. Mathieu de 
Lessops, père de celui qui, soixante ans plus tard, 
devait jeter un si grand éclat sur le règne de son 
tils et de son petit-fils, que Méhémet-AIi dut l'ori- 
gine de sa haute fortune. 

Alors en effet que Méhémet-AIi n'était encore 



I.'KfiYPTÏï ET LE CANAL DE ST'EZ. -V*) 

que le chef de quelques centaines d Albanais, le 
comte Mathieu de Lesseps envoyé en Egypte comme 
consul de France, après le traité d'Amiens, fut si 
frappé du caractère à la fois résolu et politique de 
ce chef, qu'il écrivit à son gouvernement: « Le 

bimbachi Méhémet-Ali me semble, parmi lous 
les chefs du pays, le seul capable de vaincre 
l'anarchie qui désole et ruine l'Egypte. » 

Ce jugement communiqué au comte Sébas- 
tiani, alors ambassadeur à Constantinople, .diri- 
gea, assure- t-on, le choix du Sultan, qui éleva 

4 ■ ■ 

Méhémet-Ali à la dignité de Pacha d'Egypte, 

La lutte s'ouvrit aussitôt entre les Mameluks 
et. le nouveau pacha. Ap] télés par la milice, les 
Anglais se présentèrent devant Alexandrie (1), 
mais ils ne purent débarquer, grâce à l'activité et 
à l'éii orgie déployées par Méhémet-Ali. 

Les Mameluks ne se tinrent pas pour découra- 
gés par ce brillant succès du nouveau vice-roi. 
Méhémet-Ali ne triompha de leur longue résis- 
tance que par la ruine complète de ses ennemis 
et après plusieurs années de luttes et d'efforts (2), 



(l) 1807. 

">> l-Vvrior ISU. 



( 



46 i/ÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

La paix régnait enfin en Egypte et le. pacha 
appliquait tonte la puissance de son génie à déve 
lopper les éléments de prospérité si longtemps 
étouffés par les exactions d'un despotisme arbi- 
traire et par les déchirements de In guerre civile, 
lorsque le Sultan l'appela en Arabie pour y dé- 
fendre la ville sainte» de l'islamisme contre les 
Waabites (1) qui s'en étaient emparés. Méhémct- 
Ali triompha de ces sectaires et envoya à Gons- 
lantinople leur chef Abdallah que le Snllan ht dé- 
capiter. 

f 

De retour en Egypte le pacha reprit son œuvre : 
Tl encouragea l'agriculture , les arts , enrégi- 
menta des nègres et des fellahs, les façonna à la 
discipline et à la tactique européenne, fit la con- 
quête de la Haute-Nubie, du Sennaar, du Kordofan 

* 

e t de 1 ' E th i op i e j u sq u aux fron tières de l' Ah y s s i n i e . 

Des ordres du Sultan interrompirent cette pé- 
riode de conquête et d'organisation tout à la fois. 
Les troupes égyptiennes durent aller soumettre 
les Grecs révoltés. 

Le canon de Navarin arivia Ibrahim-Pacha, 
tiis de Méhémet-Ali, dans L'accomplissement de 

■ 

T) Secte musulmane. 



i 



l'éiîypte et tJS canal de suez. 47 • 

* 

cet ordre, et ce fui uu bonheur pour l'Egypte: 
« L'émancipation de la Grèce ne tarda pas en effet 
ii enrichir Alexandrie par le développement du 
commerce et de la marine hellénique. » 
Sur ces entrefaites cependant surgit entre la 

t 

Porte et le pacha d'Egypte des motifs de plainte 
et de rupture. 

Le sultan s'était engagé, en récompense des ser- 
vices de Méhémet-Ali en Arabie et en Grèce, à 

t 

ajouter au pachalik d'Egypte le gouvernement 
du district d'Acre , mais au moment de remplir 
sa promesse il craignit sans doute de rendre 
trop puissant un lieutenant déjà redoutable, et 

r 

non-seulement il chercha les moyens d'en élu- 
der l'accomplissement, mais encore, à l'occasion 
de différends survenus entre le pacha d'Acre et 
Méhéniet-Ali, la Porte refusa de faire justice à ce 
dernier. 

Méhémet-Ali vit dans ce fait l'indice d'une dé- 
faveur prochaine, et, sans laisser à l'intrigue qui 
se tramait contre lui, le "temps d'éclater, il résolut 
de se fa ire justice lui-même. 

Six mille déserteurs égyptiens étaient déjà à la 
solde du pacha d'Acre. Il lui écrivit pour les récla- 
mer, ajouta n t. brièvement que s'il ne leur taisait 



48 i/ÉOVPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

repasser immédiatement la frontière «il irait les 
prendre avec un homme de plus!» 

Le pacha d'Acre n'ayant pas répondu à cette 
juste réclamation, Méhémet-Ali réalisa sa menace. 

Soixante mille hommes sous le commandement 
d'Ibrahim- Pacha franchirent la frontière de Syrie 
et allèrent attaquer Saint-Jean d'Acre, après s'être 
emparé de Gaza et de Jaffa. 

La ville fut emportée d'assaut (1) après six mois 
de siège ; quatorze cents Egyptiens périrent sur la 
brèche, et la garnison réduite à quatre cents 
hommes, obtint une capitulation honorable. 

Abdallah fut embarqué pour Alexandrie, où 
Méhémet-Ali le reçut avec les plus grands égards. 

A la nouvelle de cet événement la Porte s'émut : 
une armée turque fut dirigée sur la Syrie en 
même temps que la flotte des "Dardanelles rece- 
vait l'ordre de lever l'ancre et de se porter sur les 
côtes d'Egypte. 

Méhémet-Ali, objet de cet armement et déclaré 
rebelle, continuait de protester de sa soumission à 
la Porte. Pendant ce temps [brahim marchait de 

* 

victoire en victoire. Les Egyptiens mieux orgaui- 



1; '21 mai 1*:V.\ 



I/ÉfiVPTE ET I-E CANAL DE SUEZ. 4 9 

sés, mieux armés, mieux disciplinés que les 
troupes turques semblaient infatigables et invinci- 
Mes. La prise de Damas, la bataille de Homs sui- 
vie de la prise de la ville du même nom, la prise 
d'Alep et la bataille du défilé de Beyian-Boghosi 
anéantirent l'année d'Hussein-Pacha. 

Les Egyptiens pouvaient alors tout espérer, tout 
tenter; le génie do Méhémet-Ali lui fit compren- 
dre que le parti le plus sage était relui de la mo- 
dération, et une trêve tacite vint suspendre les 
hostilités. 

L'escadre turque était bloquée par l'escadre 

* É * - 

égyptienne à Marmorizza; un ordre du puissant 

r 

pacha d'Egypte eut été le signal de sa destruction. 
Mais tset ordre, Méhémet-Ali no le voulut point 
ilonne] 1 . « Ceux qui ont vécu alors dans l'intimité 
île ce prince savent combien était loin de sa pen- 
sée l'idée qu'on lui a si gratuitement prêtée, de 
fonder un empire arabe. Il n'avait d'autre ambi- 
tion que de créer au midi de l'empire ottoman 
une force capable de compenser l'allaiblisseraent 
graduel des provinces du nord; d'empêcher ou au 
moins de retarder une décadence qui déjà pa- 
raissait être imminente , de se faire, en un mot. 
le soutien de son suzerain. 



l'égyptb et lk canal de suez 

(( Aussi à ceux qui le félicitaient du triomphe 
des Arabes commandés par Ibrahim sur les Turcs: 
— Ce sont les officiers plus que les soldats, disait- 
il, qui gagnent les batailles; or, les officiers de 
mon armée sont turcs, comme je le suis moi- 
même. » 

Et il poussait avec activité les négociations 

avec la Porte. La France s'était portée médiatrice, 
et le sultan paraissait incliner à un accommode- 
ment; mais m politique anglaise se mit au travers 
de ces dispositions pacifiques. 
Hussein- Pacha, le vaincu de lloms et de Bey- 

lan fut remplacé par le grand-visir Reschid- Pacha, 
et une nouvelle armée de soixante mille hommes 
l'ut envoyée en Syrie. Ibrahim-Pacha n'avait âVôc 
lui que vingt mille combattants. Les deux armées 
se rencontrèrent près de la ville de Koniah el le 
triomphe du fils de Méhémet- Ali fut complet fl). 

Ce fut là le dernier épisode de la campagne de 
Syrie. 

L'armée égyptienne n'était qu'à six jours de 
marche du Bosphore; toutes les populations si» 
déclaraient pour elle, et il n'y avait plus de trou- 
Ci) 2\ décembre 1832. 



1 



l/ËCYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. S l 

pes turques qui pussent arrêter sa marche. L'oc- 
casion eut donc été belle si Méhémet-Ali avait eu 
l'intention de détrôner le sultan; mais sa con- 
duite montra bien que telle n'avait jamais été sa 
pensée: il envoya l'ordre à son fils de s'arrêter et 
de cesser les hostilités. 

Quelques jours plus tard il accédait aux propo- 
sitions du sultan, déclarées justes par les puissances 
médiatrices (1), Par ce traité dit paix de kuîayê, 
du nom de l'endroit où se trouvaient Ibrahim et son 
armée au moment où il fut signé (2). Méhémet- 
Ali se reconnut vassal de la Porte et s'engagea, 
en gardant la Syrie, à payer exactement la con- 
tribution annuelle consentie précédemment par 
les pachas de cette province. 

Méhémet-Ali en se montrant très-exact à exé- 
cuter les conditions de ce traité, apporta toute 
l'activité de son esprit essentiellement organisa- 
teur, à créer une administration régulière dans ses 
nouveaux états. 

Peut-être l'autorité militaire qui y resta en per- 
manence, y'déploya-t-elle une sévérité trop grande. 
Toujours est-il que dès le début il se manifesta 

(1) La France, l'Autriche et la Russie. 
1) U mai 1833. 



■ 



52 l'kgypti: et le canal de suez. 

dans la population syrienne des germes de mé- 
contentement qui ne tardèrent pas à se dévelop- 
per, exploités ([ii ils furent bientôt par les adver- 
saires de la puissance égyptienne. 

Le gouvernement anglais après avoir fait tous 
ses efforts pour empêcher la signature du traité 
de Kutayé, n'avait jamais cessé d'agir sur le 
sultan pour ramener à rompre avec Méhémet- 
Ali qui, disait-il à toute occasion: « devait être 
débusqué du terrai)) menaçant sa)' leijurt il s'était 
placé. j> 

La Porte tint bon pendant sept ans contre tous 
les conseils et toutes les insinuations ; les menées 
malveillantes des ennemis du pacha devaient 
toutefois aboutir. La Syrie vit nne ibis encore une 
armée turque arriver sur son territoire pour y 
être ba t tue par Ibrabim-Paeha (1 ) . 

Sur ces entrefaites une armée anglaisé débar- 
qua en Syrie et s'empara de Beyroutet de Saint- 
Jean d'Acre pendant que des agents secrets sou- 
levaient les montagnards du Liban contre l'ad- 
ministration égyptienne. 

Ibrahim évacua la Syrie et rentra en Egypte. 

T. Bataille do Nozib, 1839. - 

V 1 ~N 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 5 S 

I 

De nouvelles négociations auxquelles cette fois prit 
part l'Angleterre, s'ouvrirent alors entre la France, 
1 Autriche, la Russie, la Prusse et la Turquie. Ces. 
négociations n'aboutiront pas tout d'abord; la 
France faisait de l'hérédité et de la conservation 
del'Egyptedans la famille de Méhémet-Ali la coir 
dit ion fondamentale de iout traité. Los puissances 
prétendirent décider la question sans le concours 
delà France, qui déclara qu'elle interviendrait par 
les armes si l'hérédité n'était pas accordée. Plu- 
sieursrédactionsdecettecondition furent proposées, - 
mais aucune ne garantissait assez clairement les 
droits do Méhémet-Ali et de sa famille pour sa- 
lisfaire le gouvernement français. 

La Porte dut enfin, accepter cette rédaction 
claire et formelle : « Quand le gouvernement de 
« l'Egypte sera vacant, il passera du fils aîné au 
« fils aîné, dans la ligne directe masculine des 
« fds et descendants de Méhémet-Ali (i). » 

Toutefois le pachalik de Syrie avait été rétabli, et 
la puissance extérieureduvice-roid'Egypto se trou- 
vait ainsi bien diminuée : « Méhémet-Ali comprit 

(1) Hatti-chérif donné par le sultan on juin 18-51 n 
accepté et garanti par le? cinq grandes puissances do 
l'Europe. 



I 

h'i L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

que l'Egypte, dont la prospérité était désormais 
liée à celle de sa famille, devait, dans son propre 
intérêt et dans l'intérêt commun de l'empire otto- 
man, concen trer tous ses ettbrts et toutes ses ressour- 
ces sur elle-même. Il consacra h cette politique 
la fin de sa carrière en se montrant le vassal 
dévoué du sultan, et il la légua à ses successeurs. 
Les événements de la dernière guerre (l) ont dé- 
montré que l'œuvre de Méhémet-Ali était un des 
principaux éléments de vitalité pour l'empire otto- 
man. La France a droit de se féliciter d'v avoir 

m 

contribué. Ni l'Egypte, ni la Turquie ne doivent 
l'oublier. » 

Cependant l'Egypte proprement dite ne formait 
pas seule l'apanage que le traité de 1841 assurait 
à la famille du vice-roi sous la souveraineté de la 
Porte. . . '-•]('••/-. 

Le même hatti-chérif, qui détachait de l'Egypte 
les provinces conquises par Méh émet- Ali, c'est-à- 
dire l'Arabie et la Syrie, y joignait de vastes pro- 
vinces à l'intérieur de l'Afrique : La Nubie, le 
Kordofan, le Senuaaret les pays situés aux en- 
virons du point de jonction du Nil bleu et du 

I 

f \) La guerre dp Crimée. 



* 



L EGYPTE ET LE CAXAL DE SUEZ. 55 

• 

Nil blanc avec le fleuve qui féconde l'Egypte, 
Tel est encore aujourd'hui le territoire sur 
lequel s'étend l'autorité du khédive. 

Ce territoire a été divisé par Méhémet-Ali lui- 
même en soixante-quatre départements, non com- 
pris les provinces du Soudan ( 1 ) et les villes du 

(1) On appelle Soudan les quatre provinces que l'É- 
gypte possède en Nulue et qui sont : le Dongolah, le 
lterber, le Sennaar et le Kordofan. Les trois premières 
ont été conquises en 1820 ; la quatrième, quelques an- 
nées plus tard. Le Soudan est une dépendance extrô- 
moment importante de l'Egypte. 11 a plus de quatre- 
vingt-quatre mille lieues carrées de surface et au mo- 
ment où les Égyptiens s'en sont emparés il comptait 
plus de cinq-cent mille habitants. 

Toutefois et. malgré celle importance, les premières 
expéditions qui y furent envoyées eurent plutôt le ca- 
ractère de razzias impitoyables que celui d'une conquête 
à stabiliser. On semblait n'avoir pour but que quelques- f 
unes de ces chasses à l'homme que Ton organise 
annuellement dans l'intérieur de l'Afrique pour acqué- 
rir des esclaves et enrichir les chefs de tribus par le pil- 
lage; aussi aboutirent-elles à la ruine, à la dépopulation 
du pays, et furent-elles signalées par de sanglants épi' 

sodés (*); , s4 «ij.-j'i; iv i 

Il était réservé à Mohammed-Saïd de réparer cette 

*; \*:mn\ ces épisodes, nous voulons en ci for un : la mort 



■ 



5 ( i 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



Caire, do Damielte ot do Rosette qui ont une ad- 
ministration à part. 

Découragé ou aigri par la lutte qu'il avait eu à 
soutenir contre l\Vu aie terre et son influence, 

faute ot d'organiser sur de larges et solides hases les 
provinces du Soudan. 

d'Ismaïl-Paeha, lils de Méhémet~Àli, et commandant do la 
première expédition cmoyée dans le Soudan. 

« La race de Méhémet-Àli est bravo : Ismaïl-Paelia 
qui d'ailleurs se montrait administrateur inhabile et sans 
entrailles, eut bientôt conquis les trois provinces de Don- 
golah, de Berber et de Sennaar. Son père qui Humais 
beaucoup, m> lui avait demanda que deux choses à son 
départ pour le. Soudan : de l'argent et des hommes. Is- 
maïl- Pacha n'imagina pas quil ont d'autres devoirs a 
remplir que d'exécuter ces ordres. 

« Des lamilles entières furent enlevées et conduites à 
Syèin 1 , oit Méhémet-Àli formait alors (1820) le noyau d'une 
armée qu'on disciplinait à l'européenne. Ce fut d'ailleurs 
un trait de génie du réformateur de TKgypte d'aller cher- 
cher dans l'intérieur de l'Afrique des soldats obéissants 
et exempts de préjugés pour remplacer une soldatesque 
fanatique. Mais que de misères individuelles causent sou* 
vent l'exécution des plus grands et des plus beaux des- 
seins»«*« * m 

'[„ L'esprit de révolte se propagea dans le Soudan. La 
contrée -n'avait pas encore été assez foulée pour que toute 
énergie fut éteinte parmi ses populations; Leur douceur 
et leur soumission naturelle tirent place à. l'exaspération 
et au désir rt*> la vengeance. Eli* 1 * résolurent de se délivrer 



L ÊtrVPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 57 

MiMiémet-Ali sembla vouloir rompre avec la civi- 
lisation occidentale à laquelle il setait montré 
favorable jusqu'alors ; « il laissa tomber une à 

une les institutions qu'il lui avait empruntées, » 
et ne s'occupa plus qu'à consolider son gouver- 
nement. 11 mourut eu !8U. .• =r : 

par un coup d'éclat, d'une tyrannie devenue insuppor- 
table* u ■ *,it>c tii 

« Le complot, qui fut celui de touLun peuple, resta se- 
cret, et Ismaïl-Pacha confiant dans sa force et sa supério^ 
rité, ne soupçonna même pas forage qui allait bientôt fon- 
dre sur sa tête. 

« 11 poursuivit sans relâche son système d'exactions, et 
ne prit aucune précaution contre une race qu'iî méprisait ; 
aussi favorisa-t-il par cette insouciance le succès de la 
conspiration. 

« Un jour, il partit avec une assez faible escorte pour 
aller, à quelques journées au sud de Sennaar, lever des 
contributions dans un district déjà ruiné par le pavement 
d'impôts antérieurs. À peine y eût-il assis son camp qu'il 
lit venir les chefs du pays et leur intima Tordre de lui 
fournir dans un très-court délai, mille mesures de blé, 
mille charges de bois, mille chameaux, mille chevaux et 
d'autres produil s calculés par mille, sans égard pour la 
nature ou l'étendue des ressources de la population. 

« Les habitants, feussent-ils voulu, n'auraient pas pu 
sans doute exécuter strictement cet ordre peu raisonnable. 
Us prirent donc conseil d'une situation véritablement dé- 
sespérée. 

« Le soir de ce jour, tsmad-Pacha se trouvait dans sa 
tente avec les officiers qui l'avaient accompagné, lorsque 
les habitants furent aperçus venant à la file déposer au- 



58 L* EGYPTE ET LE CANAL I.E SUEZ. 

Ibrahim-Pacha avait précédé son père dans la 
tombe, et aux termes de la loi fixant le mode 

F i 

d'hérédité du pachalik d'Egypte, Abbas-Pacha, 
lils d'Ibrahim, succéda à son aïeul Méhémet- Ali. 

Nous ne nous arrêterons pas sur le règne d' Ab- 
bas-Pacha. 

tour de la Lente du bois dont ils formèrent un huche i 
circulaire à quelque distance. Ismaïl sortit et questionna 
un cheT qui répondit: 

« — C'est une partie du tribut de la contrée et comme 
il n'existe pas de magasins, les habitants viennent dépo- 
ser à tespîods les produits que tu as exigés* 

« Satisfait de cette explication plausible, Ismaïl ne poussa 
pas plus loin l'enquête, et la nuit vernie, après un souper 
achevé en compagnie de sa suite, le pacha s'endormit 
ainsi que tous les siens* 

« C'est r instant qu'avaient fixé les révoltés. Ils mirent 
le feu aux tas de bois qu'ils avaient apportés et en môme 
temps ils lancèrent des torches incandescentes contre la 
tente. Les Egyptiens réveillés en sursaut se virent envi- 
ronnés d'un cercle brûlant. Chacun d'eux vivement éclairé 
dans cette ceinture de feu devinrent le but de flèches lan- 
cées par les nègres qui se tenaient dans l'obscurité, en 
dehors du cercle enflammé. Ceux qui essayèrent de le 
franchir se virent rejetés sur les bûchers à coups de lances ; 
d'autres furent asphyxiés par la fumée ; la plupart brû- 
lés vifs. Ismaïl périt avec ses compagnons, victime comme 
eux de cette vengeance infernale* • < 

« Quand Méhémet-Âli àpprit cette mort tragique, il 
éprouva autant de colère que de douleur, et il chargea sou 
gendre Méliémet-Bey, d'aller à la tête d'une nouvelle ar- 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



59 



Ce fut, disent les historiens, un vrai prince 
de l'ancien Orient; un despote au cœur trop peu 
énergique pour avoir fait beaucoup de mal, à 
l'esprit trop rétrograde pour avoir fait aucun 
bien/ • 

L'œuvre de Méhémet-Ali resta stationnaire 

■ 

sous le règne de son petit-fils, et si elle ne périt 
pas, il faut l'attribuer moins encore à la puis- 
sante impulsion qu'elle avait reçue qu'à la fai- 
blesse d'Abbas-Pacha qui n'osant point rompre 
avec les Etats européens, se vit contraint de subir 
en une foute de circonstances l'heureuse pression 
des représentants de ces Etats. 

niée, exercer dans le pays insurgé des représailles impi- 
toyables. On ne saurait comparer le passage de ce géné- 
ral dans le Sennaar qu'à une invasion de ces barbares 
qui, à certaines époques de l'histoire, se sont rués sur 
l'Europe civilisée, et n'y ont laissé qu'un sol l'amant, des 
cadavres et des ruines. Ici les envahisseurs étaient les ci- 
vilisés et les envahis étaient les barbares. Mais les pre- 
miers agirent comme autrefois les bandes d'Attila : aucun 
fléau, aucune trombe, aucun tremblement de terre, au- 

r 

cune inondation n'auraient exercé de tels ravages. Tout 
fut brûlé, tout fut détruit ; bon nombre d'habitants péri- 
rent dans des supplices raffinés; beaucoup furent vendus 
comme esclaves et beaucoup s'en luirent. Le pays n'a ja- 
mais pu se remettre de cette terrible exécution... » 

Paul Merruau. — L'Egypte contemporaine. 



60 LEMTTIî ET LE CANAL DE SUEZ. 

■ 

Sa mort (1) laissa arriver au pouvoir un prince 
digne de reprendre et de poursuivre les prnjets.de 
Méhémet-Ali; ce prince était Mohammed-Saïd. 



(1) Juillet 1854. 



■ 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SlEZ. 61 

III. — Muhammed-Saïu. 

Plus jeune de neuf années qu'Abbas- Pacha son 
neveu et prédécesseur, Mohannnecl-Saïd était né 
en 182?. Il arrivait donc au jxmvoir dans la vi- 

* * 

gueur de l'âge et de la force. Elevé en Egypte par 
des professeurs français (1), il avait puisé dans 

I :> Muliammed-Saïd était le quatrième iils de Méhé- 
tuet-AIi. Sa mère, circassienne de naissance, femme 
d'un caractère élevé et énergique, se dévoua toute en- 
tière à l'éducation de son unique enfant. L'instruction, 
que comporte la première éducation en Turquie fut 
ainsi donnée avec autant de sollicitude que de dévoue- 
ment au jeune prince qui fut ensuite confié aux soins 
d'un Français, Kœnig-Bey, dont plusieurs années de 
professoral au mllége île Djiliad-Alibad , au Caire, 
avait mis en lumière le mérite au double point de vue 
intellectuel et moral. Kœniir-Ucy, — qui fut plus tard 
secrétaire des commandements de Saïd- Pacha,— exerça 
dès lors la plus heureuse influence sur le caractère et 
l'intelligence du jeune prince qui, sous sa direction, 
fit de rapides progrès dans l'étude de la langue fran* 
caise, de l'histoire et des sciences mathématiques et 
physiques, principalement dans leur application à l'art 
militaire. 

S 



I 



62 LEftYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

une instruction solide et dans une éducation li- 
bérale, le goût de la civilisai ion européenne et dct- 

sentiments de justice et de clémence fort rares 
jusqu'alors riiez les princes orientaux. 

Plein de respect et de vénération pour le génie 
et les vues élevées de Méhémet-Ali, il ne se fai- 
sait point illusion cependant sur ce qu'il pouvait y 

avoir à compléter et même à réforincrdnns l'œuvre 

de ce prince. Mohamined-Saïd qui n'était pas des- 
tiné à exercer le pouvoir souverain, dut, croyons- 
nous, à cette circonstance une partie des qualités 
éminentes qui en ont fait un des grands princes 
de notre temps, et à coup sur un des souverains 
les plus remarquables qu'aura jamais l'Egypte. 

Destiné à régner il eut reçu une éducation toute 
autre qui l'eût peut-éire entraîné plus tard dans 
cette voie de prévention et de crainte, à l'endroit 
de la civilisation européenne, dont Méhémet-Ali 
malgré lotit son génie, ne sut pas assez s'affran- 
i lin* 

Du reste, hàtons-nous d'ajouter qu une intelli- 
gence supérieure et une nature d'élite vinrent ici 
merveilleusement en aide à l'éducation. 

Mohammed-Saïd avait à peine seize ans lors- 
qu un écrivain qui certes ne pouvait prévoir les 

✓ 



U ÉfrYPTE ET %m CANAL DE SUEZ. 03 

hautes destinées réservées à ce prince, disait de 
lui : « Sou éducation s'est faite en mer, destiné 
qu'il est depuis le berceau au commandement na- 
val. Ce jeune homme a développé de bonne heure 
une aptitude singulière. Entouré à son bord d'en- 
fants de sou Age, tous pris dans la classe du peu- 
ple, nourri et élevé comme eux, il rappelle sous 
un rapport le jeune Sésostris à qui son père avait 
donné pour condisciples des Egyptiens de tous 
rangs, nés le même jour que lui et qui furent 
pendant toutes ses expéditions ses compagnons 
vaillants et fidèles. » 

Mohammed-Saïdlui aussi, sut s'attacher dès ces 
années de la jeunesse où les affections sont si vraies 
et si sincères, des cœurs dévoués et fidèles, non- 
seulement parmi les camarades de son âge, mais 
parmi surtout les professeurs et les étrangers de 
distinction qui l'approchèrent pendant cette pre- 
• mière période de sa vie. C'est là que plus tard il 
a trouvé ses meilleurs conseillers et les plus zélés 
collaborateurs de ses travaux. 

Pour ne citer qu'un nom et un souvenir, nous 
dirons que c'est à une de ces liaisons de jeunesse 
qu'il faut faire remonter l'amitié qui n'a cessé 
<J exister en tre ce princeet M. Ferdinand de Lesseps, 



r,' ( l'égvpte et le canal de suez, 

et qui a donné naissance à la plus grande concep- 
tion que notre siècle, si fécond en merveilles, ait 
vu se réaliser. Certes une œuvre de ce genre suffît 
à illustrer un règne. Ce n'est pas cependant la 
seule gloire qui, dans la postérité la plus reculée, 
s'attachera, aussi bien qu'aujourd'hui, au nom de 

Mohammed-Saïd . 

Mais remontons au début de ce règne si glo- 
rieux pour la vieille Egypte : Mohammed-Saïd était 
grand-amiral de la Hotte, quand . le i:> juillet 
1854, il fut appelé au troue parla mort d'Ahhas- 

Pacha. " ■I-'il 

Quelques tentatives de révolte, inspirées par 
le parti fanatique et rétrograde dirigé par le 
vieux kiaiah, Elfy-Bey, furent promptement et 
facilement étouffées; et le nouveau vice-roi, sou- 
verain du pays sans contestation, reconnu par tou- 
tes les puissances qui n'ignoraient ni ses tendan- 
ces libérales, ni les qualités de sa haute intellH 
gence, se rendit immédiatement à Constantinople 
pour y faire hommage de son investiture au Sui- 

tan, son suzerain. 

Saïd-Pai'ha reçut de la Porte l'accueil le plus 
sympathique. Il sut gagner la confiance de tous 
les membres influents du Divan. Les sentiments 



j/ EGYPTE ET LE CANAL DE SI'EZ. 65 

de fidélité dont il venait témoigner furent au sur- 
plus mis de suite à l'épreuve. 

La guerre qui avait éclaté l'année précédente 
entre la Turquie et la Russie était encore à son 
début ; Abbas-Parha avait prêté au Sultan le con- 
cours de ses soldats et de ses marins. Les navires 
égyptiens avaient partagé le sort de la flotte otto- 
mane, détruite à Sinope par l'amiral Nachimow, 1 
et les bataillons du vice-roi avaient héroïquement 
défendu Silis trie. La position de la Turquie était 
critique ; de nouveaux renfor! s étaient nécessaires : 
Mohammed-Saut, dès son retour à Alexandrie, 
se Inl ta d'équiper et d'expédier un nouveau con- 
tingent de dix mille hommes qui , pendant 
toute la campagne de Crimée et particulièrement 
à Kupatoria, figurèrent avec honneur près des 
troupes françaises et anglaises. Ce contingent fut, 
pendant toute la durée de son service, entretenu 
et soldé par le Trésor égyptien. 

En même temps, Mohammed-Saïd consacrait 
tous ses efforts à apporter de réelles améliorations 
dans le gouvernement qui lui était échu. 
• Ainsi, il n'hésita pas à accorder amnistie pleine cl 
entière à Elfy-Bey et à toutes les personnes com- 
promises dans sa tentative de résistance. Celle 



I - 

I 

66 i/kgyjpte et le canal de suez. 

preuve de concorde et de conciliation était d'un 
heureux présage pour l'avenir. 

Une des traditions les plus anciennes de 
l'Orient a pour objet d'éloigner le souverain du 
détail de l'administration, et c'est là peut-être là 
principale cause de l'état de décadence où sont 
tombées les nations asiatiques. Les abus d'auto- 
rité, les exactions de toutes sortes exercées par cette 
foule de fonctionnaires qui dépendent, il est vrai, 
du pouvoir souverain, lequel, à son gré, les nomme 
ou les révoque, mais dont les fonctions s'exer- 
cent sans contrôle et avec un arbitraire et une cu- 
pidité d'autant plus âpre, que le caprice de celui 
qui leur a donné leur emploi pouvant le leur re- 
tirer le lendemain, ils ont hâte d'assurer leur for- 
tune ; voilà la plaie la plus profonde des sociétés 
musulmanes. 

Mohammed-Saïd l avait dès longtemps compris, 
et ce fut de ce côté que, dès son avènement au pou- 
voir, il porta toute son attention ; son premier 
soin fut de se mettre en contact direct avec ses 
sujets afin de faire profiter tous les rangs sociaux 
de ses bonnes intentions. 

Pour cela il réforma entièrement l'organisation 
administrative, et voulu tqucnon-seulementtout»^ 



h ÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 67 

les affaires de l'Etat, mais jusqu'aux plus humbles 
suppliques des simples particuliers, tout passât 
sous ses yeux. 

Travailleur infatigable, chaque matin il lisait 
ou se faisait lire par ses secrétaires tous les rap- 
ports, tous les documents, tous les placets qu'on 
lui adressait, indiquant lui-même le sens dans 
lequel il fallait y répondre, et s'assurant chaque 
soir que ces réponses avaient été faites selon ses 
prescriptions. 

Deux points surtout portaient singulièrement à 
l'arbitraire et la tyrannie exercée par les fonction- 
naires de tous grades : la perception des impôts 
et la levée des contingents militaires. 

C'est sur ces deux points que s'exerça tout 
d'abord l'esprit de justice et la fermeté de carac- 
tère de Mohammed-Saïd. Tout était à innover en 
cette matière; Méhémet-Ali lui-même n'avait 
jamais songé à modifier l'antique usage du pays, 
et il était évident que toucher à cette source iné- 
puisable de richesses pour les fonctionnaires de 
tous grades de l'empire égyptien, c'était s'exposer . 
à soulever contre soi les plus violenls orales. 

Voici comment on avait cou lu me de procéder : 
« Le vice-roi avait-il besoin de soldats, l'ordre de 



08 i/kcyptk et le canal de ptez. 

i 

lever îles hommes était transmis par les gou- 
verneurs de provinces aux chefs de villages, et. 
ceux-ci désignaient sans contrôle et sans appel 
les fellahs qui devaient marcher pour rejoindre 
Le drapeau. Pouvoir exorbitant dans un pays 
surtout où la corruption règne comme un des 
fruits naturels d'une longue oppression ! 
, « Ceux que les chefs de villages désignaient 
pour le service militaire étaient surtout ceux qui 
ne pouvaient pas payer pour être exemptés. Il va 
sans dire que les fils de cheiks échappaient tou- 
jours à la nécessité de porter le mousquet. » 

On n'agissait pas avec plus de justice pour la 
levée des impôts: Le cheik-el-beled indiquait ceux 
qui devaient être principalement poursuivis, ceux 
qui devaient abandonner au fisc leurs bestiaux, 
unique propriété du fellah, dernière ressource de 
la culture de son champ. La cupidité, l'immunité, 
toutes les passions trouvaient à se satisfaire par 
l'exercice d'une telle autorité... Quand il s'agissait 
des corvées d'hommes, des emprunts de chevaux, 
d'ânes, de chameaux demandés par le gouverne- 

t m m 

ment, le cheik choisissait les hommes, désignait où 
il fallait prendre les animaux. Bref il était sultan 
dans son village, et comment n'aurait-il pas abus/' 



t/égypte et le canal de suez. GO 

de ce pouvoir absolu... Quelques cheiks, il est vrai, 
se distinguaient par un esprit de justice au moins 
relatif; ils s'intéressaient à la prospérité de leur 
village; ils prenaient à cœur les intérêts de leurs 
administrés, mais c'était le petit nombre, c'était 
l'exception. 

Mohammed- S aï d coupa le mal dans sa racine. 
A la désignation du chcik il substitua, pour la levée 
contingent militaire, le tour de rôle réglé 
d'après la date des naissances, et il remplaça les - 

■ 

contributions arbitrai renient levées, par un impôt 
déterminé selon des bases fixes et rigoureuse- 
ment inscrites sur des registres à souches et à 
quittances, à la façon européenne . Enfin les 
corvées furent régularisées et taxées, et la con- 
fiscation d'animaux au profit du gouvernement 
supprimée. 

Cette importante réforme administrative ac- 
complie, restait à modifier le gouvernement cen- 
tral. Mohammed-Saïd ne craignit pas de limiter 
volontairement l'étendue de son propre pouvoir 
en établissant un contrôle public sur l'usage des 
revenus de l'Etat, dont les lois de l'Egypte 
attribuent au vice-roi la libre et entière dispo- 
sition. • . 



70 L ÉKYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

i 

A cet elfet il créa un conseil d'Etat avant mis- 
sion de discuter les décrets d'intérêt général 
avant leur présentation à la signature du vice- 
roi. Le pouvoir de cette assemblée n'est, comme 
on pourrait le penser, eu égard aux mœurs de 
l'Orient, nullement fictif ; il s'est très-nettement 
accusé en plusieurs occasions, par le rejet des 
projets à elle soumis sur on 1 1*0 du pacha. 

Un ministère des finances où fonctionne une 
comptabilité sérieuse, mit un terme aux malver- 
sations, aux gaspilla 1:08 et en partie à la véna- 
lité qui sont la grande plaie des gouvernements 
orientaux , et qui ont si longtemps ernpiVhé 
1 Egypte d'entrer dans la voie prospère où elle 
m arche aujourd'hui à grands pas. 

La création de deux autres ministères, de Tinté- 
rieur et de la guerre, acheva cette réorganisa- 
tion centrale. 

Un préfet fut nommé dans chaque départe- 
ment et les cheiks-el-beled ou chefs de villages 
eurent, ainsi que nous l avons déjà vu, leurs attri- 
butions modifiées et régularisées. 

Ce qui frappe surtout dans toutes ces réformes 
c'est, ainsi que nous [l'avons déjà fait ressortir, le 
soin jaloux avec lequel Mohammed-Saïd s'est 



I 



4 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. "il 

efforcé d écarter tout intermédiaire nuisible entre 
lui et le peuple, et d'attaquer cette autorité ty- 
rannique qui, jusqu'à lui, se rencontrait à tous les 
degrés de la hiérarchie administrative. 

'Mais la victoire la plus importante qu'il ait 
remportée sur l'ancien état de choses , c'est le 
droit obtenu du Sultan pour les pachas d'Egypte 
de nommer eux-mêmes, non-seulenient le grand 
cadi ou chef suprême de la justice qui était 
nommé ou plutôt qui achetait sa charge à Cons- 
tantinople, mais encordes juges jusqu'alors à la 
nomination du grand-cadi. 

Par cette organisation le service judiciaire 
échappait entièrement à la direction et au con- 
trôle du gouvernement ; de plus le grand cadi 
payant sa charge fort cher, ne trouvait rien de 
mieux que de se la faire rembourser par les juges 
qu'il nommait ; ceux-ci, à leur tour, demandaient 
à 1« bourse des plaideurs un dédommagement qui 
influençait trop souvent la loyauté de leurs juge- 
ments. Le scandale de ces marchés entre juges 
et plaideurs était arrivé à son comble, ou plutôt à 
peine y avait-il scandale, tellement cette façon de 
rendre la justice était passée dans les mœurs pu- 
bliques, et cela sans que le gouvernement y pût 



■ 





72 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

rien, puisqu'il n'avait aucun moyen d'action sur 
la magistrature à quel degré qu'elle appartint. 

Aujourd'hui et grâce à Mohammed-Saïd, il 
n'en est plus ainsi. Nommés par le vice-roi. les 
juges sont révocables par lui au moindre abus de 

leur autorité, au moindre déni de justice. 

L'organisation du service militaire n'a pas subi 
une transformation moins radicale. 

r 

Jusqu'à notre temps, l'Egypte n'avait jamais en 
d'armée nationale. La création du Nizam, ou 
armée régulière recrutée parmi les habitants du 
pays eut sans contredit soulevé l'Egypte et ren- 
versé un gouvernement moins fort que celui de 
Méhémet-Ali. 

i 

C'est que « les Egyptiens en qualité de peuple 
cultivateur, sont très-casaniers. Ils aiment le 
champ près duquel ils sont nés, alors même 

qu'ils le cultiveraient pour autrui ; ils aiment leur 
misérable hutte de boue qu'on prendrait pour une 

■ 

ruche et qui est aussi nue, aussi sale, aussi déso- 
lée au dedans qu'au dehors ; ils aiment surtout 
le Nil et ils ne comprennent pas qu'on puisse vivre 
heureux loin de ce fleuve nourricier. Aussi quel- 
que dure que fût l'oppression sous laquelle ils 

r 

gémissaient, alors que l'Egypte gouvernée par 



l'ÉOYPTK ET LE CàXàL DE SUEZ. ïô 

I 

une milice féodale, les Mameluks, était la proie 
de ces mercenaires belliqueux, peufc-être eussent- 
ils préféré se laisser éternellement fouler par des 
maîtres ignorants, brutaux, et avides, plutôt que 

4 

de prendre les armes pour former une armée na- 
tionale. » . -j 
Si, à ces motifs de répugnance, on ajoute l'ar- 
bitraire et la violence avec laquelle se fit, dès le 
début, le recrutement; si on se souvient du peu de 
soin de Méhémet-Ali et de ses officiers pour le 
bien-être et rnùine pour la vie du soldat; si on 
calcule ce que dut coûter d'hommes cette longue 
période de guerres, et ce que durent amener de 
déplacements tant de conquêtes lointaines; si 
enfin ou tient compte des rigueurs nécessitées 
par les désertions des premiers contingents (I), 
on est en droit de s'étonner de la bravoure et de 
la discipline de troupes composées ainsi par force 
et on se demande ce que pourra l'armée égyp- 
tienne maintenant qu'elle se recru te au sein d'une 

(1) Pour éviter ces désertions on chargeait les recrues 
de liens et d'entraves et c'était sous bonne escorte et 
en véritables prisonniers qu'on les envoyait rejotnd Tr- 
ieur? drapeaux le plus loin possible de leurs foyers, afin 
rie les dépayser plus complètement. 



Ï4 > L'Èl.Yi J TE ET LE CÀÎïAL 1>E SUEZ. 

population libre et dans des conditions toutes 
différentes . 

Non-seulemen t, en effet, Mohammed- Saïd a mo- 
difié le mode de recrutement et l'a rendu popu- 

# 

laire en y introduisant l'esprit de justice et une 
égalité sévère ; mais encore il a modifié l'organi- 
sation militaire elle-même. 

Dans le principe, la durée du service militaire 
était illimitée. Les hommes appelés sous les dra- 
peaux et transportés, le plus souvent, en Arabie et 
en Syrie, ne pouvaient que bien rarement donner 
de leurs nouvelles. Ils disparaissaient donc pour 
toujours du foyer domestique, où leur départ fai- 
sait entrer la douleur et la misère ; car on les 
appelait à tout âge, l'homme marié, le père de 
famille, aussi bien que le jeune garçon. 

Saïd-Pacha, à l'exemple de ce qui a lieu en 
Europe, a voulu faire de son armée une grande 
école où, sous l'empire de la règle et de T obéis- 

t 

sance, chaque Egyptien vient à son tour « puiser 
ces notions générales des hommes et des choses 
qui facilitent la diffusion de la civilisation et qu'ils 
n'eussent jamais obtenues dans l'enceinte de leur 
village. » En poursuivant ce but ce prince a réa- 
lisé une grande pensée patriotique et obéi à un géné- 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 75 

reux sentiment d'humanité. Le service militaire 
n'enlèvera plus que temporairement le soldat à la 
famille et les hasards de la guerre ne raviront 
plus qu'accidentellement des citoyens à la patrie. 

Les jeunes gens sont enrôlés au sortir de 
l'enfance (i). Leur condition est non-seulement 
supportable, mais infiniment meilleure que celle 
ir l'habitant des campagnes. En temps de paix, 
le service n'a rien de pénible, la discipline rien 
d'oppressif (2). La durée du temps à passer au 
service ne dépasse guère une année en moyenne. 
En gardant si peu de temps les jeunes soldats 
sous les drapeaux, le khédive a pour but de dé- 
truire le principal préjugé, qui rendait si odieux 
le service militaire aux Egyptiens, cest-à-dire la 
croyance généralement répandue, qu'un homme 
enrôlé dans l'armée était à jamais perdu pour sou 
village et pour sa famille. 

(1) L'âge de la conscription est fixé <> soizo uns. C'csl 
pour l'Egyptien le moment de la plus grande vigueur 
physique et du plus complet déveleppeinent intellectuel. 

(2) Mohammed -Saïd a reconnu aux soldats égyptiens * 
le droit de professer publiquement le christianisme et 
leur a garanti toute la liberté qui leur est due pour 
l'accomplissement de leurs devoirs religieux. 



~iC> LÉOVPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Mais, pour arriver à organiser la conscription 
sur les bases que nous venons d'indiquer , il a 
fallu créer en Egypte un état civil qui permît de 
connaître exactement le nombre et la date des 
naissances. 

Or, pour qui connaît les mœurs arabes, ce fait 
qui nous paraît si simple, est un immense triom- 
phe remporté sur les coutumes ou plutôt sur la 
routine de ces peuples. 

• Disons que, pour obtenir ce résultat, il a fallu 
organiser un service de femmes qui sont chargées 
de passer dans les maisons pour y faire le relevé 
des naissances. On n'aurait pu sans cela parvenir 
à en avoir connaissance. 

. Quant aux décès, ils sont contrôlés par des au* 
torités ad hoc dans les villes, et, dans les cam- 
pagnes, par les cheics de village. 

En matière d'agriculture et de commerce Moham- 
med-Saïd a suivi une marche diamétralement 
opposée à celle adoptée par Méhérnet-Ali (1). Le 

(1) « Est-ce à dire, se demande ici un des historiens 

* 

contemporains de l'Egypte (*) que la conduite de Mo* 

(*) M. Paul Merruau dont le savant ouvrage l'Egypte 
contemporaine nous a été d'un grand secours dans cette 
partie de notre travail. 



* 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUE». " 1 

fondateur de sa race avait établi partout le mono- 
pôle de l'Etat; Saïd-Pacha, au contraire, a inau- 
guré dans toutes les branches de l'industrie et du 
négoce aussi bien que dans la division et la pos- 
session même du sol, le régime de la liberté 
qu'étend et développe aujourd'hui a\w, succès son 
successeur, Ismaïl-Pacha. 

Non content d'accorder au cultivateur le droit 
de -posséder le sol qu'il exploite, de l'augmenter ou 
de l'aliéner à son gré et enfin de disposer de sa 

hammed-Saïd comporte le blâme de celle de Méhémet- 
Ali? Nullement... Saïd-Pajma n'a fait, à notre avis, que 
compléter avec discernement l'œuvre du fondateur de 
sa race. Quand celui-ci prit en main l'administration 
de l'Êgypte ruinée et découragée, il comprit que la li- 
berté serait une nourriture trop forte, un air trop vit' 
pour l'agriculture et le commerce agonisants ; il les 
soigna en malades qui eussent péri, si on les eut aban- 
donnés à la simple opération de la nature... La guéri- 
son devait être rapide et complète. L'agriculture sur les 
bords du Nil ayant été, dès l'antiquité, pratiquée avec 
intelligence et avec fruit, le commerce ne demandant 
qu'à renaître dans un pays où la production est infini- 
ment plus abondante que la consommation, l'Egypte a 
pu être soustraite au régime restrictif qui lui avait été 
imposé, non «seulement sans danger, mais avec un grand 
proBt. h 

) 



7* 



I, Éf.YPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



récolte, Mohammed- Saïd a supprimé toutes les 
douanes intérieures, aboli tous les droits exor- 
bitants et les règlements arbitraires qui entra- 
vaien t la navigation ( 1 ) . 
Pendant que la uoble terre des Pharaons recou- 

m 

(I) Unique propriétaire du sol, Méhémet-Àli en 
était aussi Tunique cultivateur et le commerce des pro- 
duits du sol était tout entier en ses mains. •< En cela, 
d'ailleurs, il n'avait rien innové, s'il était simplement 
mis au lieu et place du Sultan, lequel était désintéressé 
par un tribut régulièrement payé- * 

Le système du monopole commercial adopté par ce 
prince se liait à un système de culture que lui-même 
se réservait le droit de diriger et qui comprenait la to- 
talité du sol. Chaque année il décidait quelle culture 
devait être spécialement développée, c'était tantôt le riz, 
tantôt le blé, tantôt l'indigo et le coton. Alors et sur son 
ordre telle ou telle zone était dévolue à tel ou tel pro- 
duit. v r f ... riij],, ; , tfjjtfMo ÂÎ ïoïî« nf r; ràfiÉÉÉ 

Quant au cultivateur, fécondant de ses sueurs un sol 

qui ne lui appartenait pas, il n'avait ni le choix du 
genre de culture imposé à la terre, ni la disposition de 
la récolte en provenant. Cette récolte faite, le produit 
en était porté dans les magasins de l'État. Une partie 
servait à acquitter la contribution foncière à laquelle 
était soumis chaque paysan comme s'il eut été proprié- 
taire du sol ; 1p m*to <Hait acheté aa compte du gou- 



^ l'égypte et le canal de sîjez. 79 

vrait ainsi, grâce à l'habile et paternelle adminis- 
tration d'un grand prince, les principaux éléments 
de son antique prospérité, le percement de l'isthme 
de Suez qui promet lait de lui rendre son impor- 
tance géographique et commerciale, se poursui- 

Él 

vernement qui, seul, pouvait faire le commerce extérieur. 

DJaprès ce que nous avons dit de la cupidité et de l'ar- 
bitraire des fonctionnaires de cette époque la fraude 
-'opérait sur une grande échelle. Tous les produits ap- 
portés dans les magasins de l'État étaient dépréciés par 
l'agent chargé de les recevoir. On trompait tes cultiva- 
teurs par une fausse appréciation de la qualité et des 
prix courants de, la denrée ; on le trompait encore sur 
le poids. Il y avait deux sortes de poids, les uns à l'en- 
trée des produits en magasin, les autres à leur sortie. 
Les premiers servaient à peser les marchandises pré- 
^nti V>>, les autres à peser les marchandises qu'on livrait 
en payement de la partie de la récolte achetée par l'ad- 
ministration, car, le gouvernement payait en nature et 
c'était un excellent moyen d'écouler à des prix très- 
élevés les produits des manufactures que Môhémet-AU 
cherchait à créer. 

Un semblable système supprimait complètement la 
propriété et, par suite, maintenait toute une classe de 
la société dans la dépendance et la misère; mais le 
temps n'était pas venu pour le souverain de l'Egypte 
de se préoccuper de ce détail : avant de penser à assu- 

I 



* 



yU LÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

vait avec vigueur et succès (1), Moliamnied-Saïd 
pouvait donc se croire près d'atteindre le double 
but qu'il poursuivait, lorsque la mort vint le frap- 
per dans la vigueur de l'âge et dans la plénitude 
de la force. 

rer le bonheur de ses habitants, Mêhémet-Àli avait à 
assurer la grandeur et même, à vrai dire, l'existence de 
l'Kgypte !... Le reste devait être l'œuvre de ses succes- 
seurs et ils n'ont point failli à cette mission d'organisa- 
tion et de développement civilisateur. 

(1) « L'histoire ne saurait passer sous silence les 
grands travaux d'utilité publique que Mohammed-Saïd 
a fait entreprendre, qu'il a protégés ou patronnés. C'est 
sous son administration qu'on a continué les travaux 
du barrage du Nil commencés par Méhémet-Àli, et 
que se sont exécutés la prolongation du chemin de fer 
du Delta au Caire et du Caire k la mer Rouge, le che- 
min de fer de Tantah à Samanoud, l'embranchement 
de Benha à Zagazig. L'Egypte lui doit le balisage et 
l'éclairage du port d'Alexandrie, le curage du canal 
Mahmoudiéh avec route latérale, l'établissement du 
télégraphe électrique sous-marin qui relie l'Egypte à 
l'Europe, la création de la Compagnie maritime de la 
Medjidieh. etc., etc. » 



111 

L'Egypte contemporaine. 



Ism ail- Pacha. 

Mohammed-Saïd était mort dan s la nuit du 17 au 
18 janvier 1863, après quelques mois de souffrances 
qui, bien que fort pénibles pour ce prince, n'ins- 
piraient à personne d'inquiétudes sérieuses. Dans 
les derniers temps s'était même manifestée une 
amélioration sensible. 

Le 18 janvier, S. A. Ismaïl-Paeha, neveu de 
Mohammed- Saïd était proclamé vice-roi d'Egypte. 

Ce prince, né au Caire, en 1830, esL le second 
des trois fils d'Ibrahim, le vainqueur de Konieh et 
de Nézib et le petit-fils do Méh émet-Ali. Il a suc- 
cédé à son oncle en vertu du fîrman de 1841, ré- 
glant l'ordre de la succession au trône d'Egypte 
entre les héritiers de Méhémet-Ali. 

Après avoir fait une partie de ses études à Paris, 
à l'Ecole égyptienne, et avoir suivi avec distinc- 



32 L EGYPTE ET LE oANAL DE SUEZ. 

tion les cours de l'Ecole d'état-major, Ismaïl-Pa- 

- 

cha, de retour dans son pays, en 1849, était resté, 
quoique partageant en tout les vues libérales de 
son oncle, en dehors des actes du gouvernement, 
pour s'occuper pins particulièrement de l'admi- 
nistration de ses domaines. Aimant l'agriculture 
qui fait la fortune tic l'Egypte, il s'est toujours 
montré bon administrateur en même temps qui 1 
financier habile et intègre. 

« En 1855, S. A. Ismaïl-Pacha était venu de 
nouveau en France, chargé par Mohainmed-Saïd 
d'une mission confidentielle . Re tournan t en Egypte 
il s'était arrêté à Rome pour porter au pape des 
présents magnifiques et une lettre authographe du 

vire- roi. 

« Vivant à l'écart des coteries et dans une digne 
et sage réserve que commandaient les défiances 
habituelles de l'Orient à son titre d'héritier pré- 
somptif, son Altesse a été cependant, à deux re- 
prises différentes, à même de moutrer au pays ce 
qu'il pouvait espérer d'Eîlo dans un moment don- 
né. Une première fois, Ismaïl-Pacha fut chargé de 
l'intérim du gouvernement pendant que Saïd- 
Pacha procédait à une excursion en Arabie ; une 
seconde fois, en 1862. il tint les rênes de l'Étal 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 83 

pendant plusieurs mois, alors que Saïd-Pacha vi- 
sitait la France et l'Angleterre. 

<c Aussi son avènement au trône s'est-il effectué 
sans aucune secousse pour l'Egypte (1). » 

Cependant la mort de Mohammed-Saïd allait 
placer son successeur dans une position fort dé- 
licate, eu égard à l'ache vement du canal de jonc- 
tion des deux mers. 

Sous l'influence de l'Angleterre la Porte était à 
l'affût d'un prétexte qui lui permit d'interrompre 
les travaux du percement de l'isthme ; ce prétexte, 
l'avènement du nouveau khédive le lui offrit. 

Ismaïl I er , en effet, s'était engagé à abolir la 

r 

corvée dans ses Etats, aussitôt qu'il arriverait au 
pouvoir ; on s'appuya sur cet engagement pour 

exiger la suppression des contingents de travail- 
leurs fellahs que son prédécesseur avait mis au 
service de la Compagnie jusqu'à l'achèvement des 
travaux de l'isthme. 

C'était la ruine d'une entreprise qulsmaïl I er , 
aussi bien que Mohammed-Saïd , considérait 
comme l'œuvre capitale de son règne et comme le 
gage assuré de la grandeur à venir de l'Egypte. 

(1) L'isthme de Suez, journal de V Union des deux Mers. 
février 1863. 



* 



SI L* EGYPTE et le canal de suez. 

Nous dirons ailleurs comment la prudente fer- 
meté de M. de Lesseps para à ce danger. 

Ce qu'il nous importe d'établir ici c'est que le 
motif qui servit de prétexte à cette décision était 
tout à l'honneur du nouveau khédive. 

De corvéable à merci qu'il était auparavant le 
fellah égyptien était devenu sous le gouvernement 
de Mohammed- S; ul corvéable salarié, si l'on peu! 
ainsi parler, c'est-à-dire que forcé de remplir une 
tâche, il était du moins rétribué pour son travail. 
Ismaïl I er complétait cette œuvre d'amélioration : 
du corvéable salarié, il faisait un travailleur libre. 

La sollicitude de ce prince pour le peuple dont 
lesdestinées lui sont confiées, ne s'est point bornée 
à cette importante réforme sociale, et dès le début 
de son règne on l'a vu s'occuper avec une infati- 
gable ardeur de toutes les branches d'industrie 
et d'administration inaugurées par son prédéces- 
seur. 

L'Egypte a continué à se transformer rapide- 
ment. Les voies ferrées se multiplient, les villes, 
sans compter celles que le percement de l'isthme 
a fait surgir comme par enchantement, ont prib 
un aspect nouveau, et l'agriculture en particulier 
est dans une voie de progrès telle que. au dire des 



> 



ï/ EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 85 

voyageurs qui n avaient pas vu l'Egypte depuis 
quelques années et que l'inauguration du canal 
maritime y appelaient naguère, le pays n'est pas 
reconnaissante. 

Comme Mohammed-Saïd , Ismaïl I er a adopté 
en économie politique le système de la liberté de 
commerce; comme lui aussi, il aime son peuple, 
s'occupe d'assurer le bien-être de tous et s'attache 

à développer le patriotisme et l'esprit militaire do 
la nation. 

Le corps d'élite formé par Saïd-Paeha est l'ob- 
jet de ses soins particuliers. La plupart des offi- 
ciers ont été faire en France leur éducation mili- 
taire et le corps entier composé d'hommes de 
choix tous fort jeunes, forment une réunion de 
types indigènes qui font l'admiration des Euro- 
péens. Tous les voyageurs sont unanimes à recon- 
naître que la race égyptienne est remarquable par 
l'élégance des formes, l'élasticité des membres et 
la rapidité de l'allure ; aussi les chasseurs égyptiens 
n'ont-iis pas de rivaux en Orient, pour la tenue, 
la physionomie générale et l'ensemble des mou- 
vements. 

L'Algérie seule a le privilège de former des 
corps indigènes qui réunissent à un même degré 



I 

* I 

8G LEGYPTE ET LE CANAL DE SVV.Z, 

la précision et la discipline des troupes euro- 
péennes et les qualités particulières au guerrier 
arabe. 

Le khédive aime ces troupes qui font honneur à 
son armée, comme tout souverain aime ses sol- 
dats d'élite « pour leur utilité d'abord et ensuite 
parce qu'en les voyant on conçoit plus prompte- 
ment une idée favorable du pays auquel ils appar- 
tiennent. » 

Mais ce qui est surtout pour Ismaïl I er l'objet 
d'une attention particulière, c'est renseignement 
de la jeunesse. Los écoles se multiplient chaque 
jour, des méthodes meilleures y sont introduites, 
l'instruction, en un mot , est encouragée avec une 
sollicitude et une intelligence dos besoins des 
populations orientales qui ne peuvent manquer de 

m 

faire avancer rapidement l'Egypte dans la voie 
de progrès où elle est entrée. 

Or, si l'on tient compte de l'esprit de routine 
où, jusqu'à ce jour, est demeuré l'enseignement 
musulman, lequel est entièrement fermé au pro- 
grès, hostile à toute idée, à toute invention mo- 
derne, se limitant à la lecture d'une certaine 
quantité de versets du Coran, appris par cœur et 
reproduits par l'écriture. « on estimera qu'il a 



i 



' L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 87 

fallu uno grande force de volonté à Méhémet- 

Ali et à ses successeurs, pour rompre avec ces 

vieilles traditions, et importer sur le vieux sol de 

l'Egypte rajeunie, le savoir moderne, et l'y entre- 

# 

tenir à grands frais. » 

Uno autre réforme non moins importante et 

non moins délicate, est en ce moment à l'étude. 
Nous voulons parler de la réforme judiciaire 

commencée par Mohammed-Saïd, au point de vue 

t 

des rapports entre l'Etat et la magistrature du 
pays et étendue par le khédive actuel à la légis- 
lation elle-même en matières civiles et crimi- 
nelles. 

Il y avait là une foule de difficultés à écarter, 
et des intérêts plus nombreux encore à ménager, 
par suite delà multiplicité des juridictions appar- 
tenant les unes aux autorités consulaires, les au- 
tres au gouvernement. 

Les désordres les plus graves éclataient tous 
les jours dans le sein de cette société. Ils étaient 
arrivés à ce degré d'intensité que tout le monde 
reconnaissait la nécessité d'y porter un remède. 
Dans ces circonstances, le gouvernement égyptien 
résolut de s'adresser aux gouvernements étran- 
gers, et de leur demander de se mettre d'accord 



88 l'égtpte et le canal de suez. 

avec lui pour réaliser une réforme de nature 
à satisfaire tous les intérêts engagés, et à 
mettre un terme à une situation devenue in toi é- 
rable. 

Une commission internationale fut nommée à 
la suite de cette démarche. Ses délibérations se 
sont prolongées du 28 octobre 1809 au 17 jan- 
vier 1870, et elle a conclu à la nécessité de 
promptes réformes. 

« La Commission a donc adopté en principe le 
projet d'une juridiction unique en Egypte. Des 
tribunaux de première instance et une cour 
d'appel seront institués à Alexandrie, au Caire, 
et à Zagazig ou à Tsmaïlia. 

« Il sera créé une cour de révision, les magis- 
trats européens seront partout en majorité. Les 

langues officielles seront : la langue du pays, le 
français et l'italien. 

« Une question longuement débattue a été celle 
de la nomination et du choix des juges ; il a été 
décidé que cette nomination appartiendrait au 
gouvernement égyptien. » 

Le conflit toujours menaçant entre le sultan et 
le khédive, laissera-t-il à Ismaïl- Pacha, la possi- 
. bilité de mener aussi rapidement qu'il paraît le 



. l'égypte et le canal DE SUEZ. 89 

désirer, cette œuvre importante entre toutes (1), à 
bonne fin? 

Telle est la question que se pose en ce moment 
l'Europe, et. bien que tout fasse présumer qu'elle 

(1) Pour donner une idée à nos lecteurs de cette im- 
portance, nous croyons ne pouvoir mieux faire que de 
reproduire ici l'article suivant publié par le journal La 

janvier dernier. 

«Alexandrie, le 18 janvier 187U. 

« Quoiqu'il advienne du projet des membres de la 
Commission internationale on ne peut former qu'un 
vœu, c'est que la justice acquiert ici l'unité qui lui man- 
que, et cela, non-seulement dans l'intérêt de la fortune 
des Européens, mais aussi en vue de leur sécurité per- 
sonnelle. 

'«Ainsi, à Alexandrie, par suite de la multiplicité des 
juridictions, l'impunité semblait acquise à certaines 
bandes composées de Grecs, de Maltais, de Dahnat.es. 
etc., à qui Ton attribue la plupart des crimes commis 
dans ces derniers temps. . 

« Déjà le mois passé, un fait d'une audace inouïe 
avait jeté le trouble parmi la population européenne du 
Caire. 

« Six hommes très-bien mis étaient entrés, vers sept 
heures du soir, dans le plus élégant café de la ville. Les 
consommateurs abondaient. Deux de ces hommes res- 
tent en sentinelle an rez-de-chaussée. Les quatre autre* 



r 



90 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ 



se résoudra par l'a ff innative, on se rend compte 
cependant jusqu'à un certain point que quelques 
craintes aient pu circuler à cet égard dans le 
monde politique. 

montent au premier étage, où se tient une roulette. Ils 
pénètrent dans la salle de jeu. Là, le révolver au poing, 
ils ajuste ni et menacent les joueurs et les banquiers de 
la roulette. 

« Personne ne bouge. Les quatre voleurs se jettent 
sur les enjeux qui pouvaient représenter une somme de 
2 ou 3,000 francs, et qui se trouvaient entassés sur un 
grand plat en métal. Ils saisissent le plat al cherchenl 
à le vider dans leurs poches. Un des employés de la 
roulette a l'idée de donner un coup de poing dans le plat* 
Ce qui reste d'or tombe et va rouler sur le plancher et 
jusque dans l'escalier. Les voleurs ne se déconcertent 
pas: ils redescendent tranquillement, sortent du café 
sans être inquiétés, tant était grande la stupeur et aussi 
la crainte des revolvers! Ullima ratio revolver. 

« Hâtons-nous d'ajouter que, grâce à l'activité de la 
police du Caire, les six hardis coquins ont été bientôt 
mis sous la main de la justice, 

« À Alexandrie, c'est autre chose. Vous allez en ju- 
ger. *" r ; - ' • u '* ' vv>^. ; ï r :/ , Vfl|&J 

« L(a semaine dernière, un Anglais, traversant la place 
des Consuls, donne à un pauvre petit mendiant arabe 
une pièce de monnaie valant 2 fr. 50. Un Grec de mau- 
vaise mine passait ou même moment. Il surprend le* 



L EGYPTE ET LE %y$AL DE SUEZ. 91 

Pour le .gouvernement ottoman, en effet, « la 

t 

possession de l'Egypte n'est pas seulement une 
question d'une importance exceptionnelle, c'est 
une question capitale, une question vitale. 

mouvement de générosité do l'Anglais. Celui-ci parti, 
le Grec se jette sur l'enfant et. veut lui arracher les deux 
schellings; le petit résiste; le Grec le frappe d'un coup 
de couteau et le tue. 

« Cela se passait en plein jour. La foule se tenait à 
distance; mais elle était émue, indignée. Le Grec, après 
avoir pris la pièce de monnaie du pauvre petit mort, s'en 
va, et rentre dans sa maison, un chenil, au fond d'un 
quartier perdu. 

« Surviennent quelques cawas. On leur explique le 
crime. L'un de? soldats prend l'enfant dans ses bras et 
l'emporte. Les autres restent pour obtenir des indica- 
tions sur le meurtrier et sur le lieu de sa retraite. Si- 
lence général. Alors un Italien ayant l'apparence d'un 
ouvrier, se risque, et dit que si les cawas répondent de 
lui, il les conduira à l 'endroit où il suppose que Tassas- 
sin a dû se réfugier. Les cawas acceptent. 

« L'Italien les cl irise sans hésitation* Au bout de 
vingt minutes de marches et de contre-marches à tra- 
vers des ruelles désertes, il leur montre une masure iso- 
lée et leur dit: C'est là. 

« Les cawas s'avancent. Un homme paraît: c'est l'as- 
sassin. 11 a un fusil à la main. Sans attendre ni somma- 
tion, ni attaque, il ajuste, fait feu et étend un cawas 



1 

L EGYPTE jst le canal de suez. 



« En effet, le sultan n'étend son autorité sur la 
masse des musulmans orthodoxes, il n'est le eoni- 

i 

mandeur des croyants qu'à titre de successeur des 
califes et de protecteur des villes saintes. Or, 

raide-mort. Les autres ripostent, À son tour, le meur- 
trier est mortellement atteint. Voyant cela, l'Italien se 
^ uve. 

« Le lendemain avait lieu l'enterrement du Grec. 
Trente des sien* raccompagnaient, farouches et armés 
de couteaux, do pistolets et de tromblons. En les voyant 
passer, personne ne disait mot. Le dénonciateur se ca- 
chait dans la foute et regardait curieusement. Si bien 
dissimulé qu'il fût, les Grecs le découvrirent, 

« Aussitôt, sur un geste de l'un deux, le convoi s'ar- 
rête. On dépose sur le sol \i\ bière qu'on portait à dos 
d'hommes. Les Grecs se montrent le pauvre diable dl- 
talien qui détale à toutes jambes : la chasse commence. 

« Le fugitif perdait du terrain. La maison du consulat 
d'Angleterre s'offre à lui, il sV réfugie en toute ha te. 
Les Grecs y pénètrent à sa suite. 

« Le consulat est gardé par des cawas. Ceux-ci, voyant 
une irruption à main armée, veulent s'y opposer. Les 
Grecs font feu. Les cawas ripostent. Alors, baruffe gé- 
néral, comme on dit ici. De part et d'autre, coups et 
blessures. La police locale arrive: les Grecs, ne se trou- 
vant plus en nombre, se sauvent, et on ne peut plus 
mettre la main sur personne, pas même sur le mort 
qui avait disparu. 



L ÉLi-VriK ET Lli GANAL DE SU£Z. 



93 



comment a-t-il obtenu ce double titre? Par la cou- 
quête de l'Egypte accomplie en 1517. 

Ce que Sélim T er allait chercher sur la vieille 
I erre des Pharaons, c'était bien moins une ex- 

• i 

m 

« Le coup ayant été commis par dos Grecs, les cou- 
pables appartenaient de droit à la juridiction de leur 
consul. , - * 

< Mais cet échappatoire n'était point du goût du consul 
anglais, qui ne plaisante, à ce qu'il paraît, pas plus que 
notre consul de France* Il a réclamé les drôles qui, dit* 
il, en violant son domicile consulaire, ont outragé le sol 
an dais lui-même. 

« En attendant que le consul d'Angleterre obtienne sa- 
tisfaction, et il l'aura malgré les résistances du consul 
grec, le vice-roi a, d'un trait de plume, changé toute sa 
haute police, tant au Caire qu'à Alexandrie. Les nou- 
veaux fonctionnaires se sont fait consigner par lespriu- 
cipales puissances européennes les pouvoirs nécessaires 
pour déroger momentanément aux dispositions capitu- 
lâmes, dans l'intérêt de l'ordre et de la sécurité publi- 
cité. 7 |' 9 >\\<\?v • rt • •> >ft *^ï£)tiÈâ K ~ J '«W* 

« Munis de ces pouvoirs, ils guettaient l'occasion de 

frapper un grand coup. 

« On avait signalé que plusieurs des meurtriers com- 
promis dans les dernières affaires se réunissaient au café 
Marcellus, à la tombée de la nuit. Il y a trois jours, le 
chef de la police de sûreté d'Alexandrie, un Français 
nommé Bresse, depuis longtemps au service de l'Egypte, 



94 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

tension de territoire tjne le droit de parler, au 
nom du prophète, au monde musulman et de 
devenir son vicaire sur la terre. 
« Ce privilège appartenait alors depuis plusieurs 

* 

siècles aux sultans du l'Egypte qui ne régnaient 
qu'au nom des derniers califes de la maison 
d'Abbas. Sélim en leur succédant se donna comme 
héritier de leurs droits; il prit le titre vénéré de 
serviteur et de protecteur des villes saintes; il se 
fit désigner comme tel dans les prières publiques, 

prit avec lui quelques cawas deconiiance/etse rendit au 
café désigné. Il y avait nombreuse société* Sur les ta- 
bles, à côté des verres et des cartes, on voyait de longs 
couteaux et des pistolets. 

« Bresse paraît ; il s'avance vers le plus mal famé de 
la bande. Il le saisit au collet. A ce moment un coup 
de feu est dirigé contre Bresse et le manque* À cette 
attaque, les cawas qui avaient chacun leur homme dési- 
gné à Pavanée, tirent avec ensemble et précision, et jet- 
tent en même temps sur le carreau l'écume des assas- 
sins d'Alexandrie. 

« Bresse risquait sa vie. Le vice-roi vient de le nom- 
mer caïmacan, grade qui équivaut à celui de lieutenant- 
colonel. » 

i Qu'on juge après cela, si les circonstances actuelles 
doivent faire désirer l'unification rte la législation!» 



- >, V 
L ÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 95 

reçut des ehérifs de la Mecque les clefs de la 
Kasba et, du dernier Abâsside, l'étendard du pro- 
phète! » viJ l) ini 

Ceci suffirait à expliquer les appréhensions du 
gouvernement ottoman à l'endroit du développe- 
ment rapide de l'Egypte. D'autres motifs de crainte 
si 1 rattachent à la, position nouvelle faite à ce pays 
par le percement de l'isthme de Suez. 

Ce grand événement, en effet, augmentera 
encore l'ascendant naturel de l'Egypte sur les 
pays voisins. Il lui donnera des villes nouvelles 
sur le chemin de l'Arabie, et, en ce pays, une pré- 
pondérance plus grande ; il aura pour résultats 
d'accroître dans de grandes proportions ses forces 
maritimes, de lui assigner dans le pèlerinage de 
la Mecque un rôle de plus en plus grand, et de 

mettre pour ainsi dire à sa discrétion le territoire 
de l'Hedjaz, sacré pour les musulmans. » 

Mais en dépit de ces causes d'agrandissement ci 
de progrès la crainte que Injonction des deux mers 
favorise l'indépendance de l'Egypte, crainte ex- 
ploitée par les adversaires de M. de Lesseps au dé- 
but de son entreprise et que semble réveiller 
1* inauguration du canal maritime, est- elle fondée? 

Non, affirment des écrivains compétents; bien 



96 l'égvpte et le canal de suez. 

loin de favoriser les projets d'indépendance que 

r 

pourraient avoir conçu les pachas d'Egypte, le ca- 
nal de Suez serait au contraire un empêchement 
a la réalisation de ces projets. 

« La position de l'Egypte, en effet, est réglée par 
des traités que l'Europe a garantis. Cette position 
ne pourrait changer que par la volonté de toutes 
les puissances. Ce n'est pas un canal de plus ou 
de moins qui peut arrêter la marche d'une armée. 
Mais lorsque ce canal est situé de telle sorte qu'en 
l'occupant, l'Europe se trouve placée de manière 
à remplir avec une autorité irrésistible le rôle de 
médiateur, il donne une nouvelle garantie que les 
traités acceptés par toutes ces puissances ne pour- 
ront être révisés en ce qui touche les rapports du 

r 

suzerain et de l'Etat vassal que du consentement 
et sur le contrôle des mêmes puissances (1). » 

Nous nous arrêtons à cette dernière considéra- 
tion, et nous y voyons pour la dynastie de Méhé- 
met-Ali une garantie de paix et de sécurité qui 
lui permettra de continuer et de développer sans 
obstacle l'œuvre de civilisation qu'elle a si glorieu- 
sement entreprise. 

Cl) Viiyijyk contemporaine. M. Paul Merruau. 



# 



DEUXIEME PARTIE 

LTSTHME DE SUEZ 



I 

Suez. 

« Le désert ! l'horizon d'une morne rougeur ; 
Prison sans murs, qui marche avec le voyageur ; 
Point d*arbres, un sol noir, quelque vautour qui plane; 
L'hyène qui, de loin., guette lu caravane ; 
Et parfois le simoun, horrible et furieux, 
Soulevant l'Océan des sables jusqu'aux cieux 
Ici rien n'aime l'homme et rien ne le redoute. 
Rien ne distrait les veux, rien ne charme la route; 
Cependant en ce lieu fatal et désolé 
L'homme régnait jadis... Il s'en est exilé (1). 

Telle était, — il y a moins de dix ans, entre 
Suez sur la mer Rouge et l'antique Péluse sur 

(1) Cette langue de terre, disait, il y a quelques années, 
un écrivain célèbre, était autrefois vivifiée par la présence 
et l'industrie de lMiomfhe^Uiais elle ne présente plus 
aujourd'hui qu'une rtuai^ solitude qu\ttristent encore 



98 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

la Méditerranée, cette bande de terre de trente 
lieues à peine, que sillonnent aujourd'hui les 
vaisseaux des deux mondes; imperceptible bar- 
rière pour l'œil qui la cherche sur la carte du 
monde ; région fameuse pour la pensée qu'éclaire 
le souvenir des hommes et des choses qui pen- 
dant tant de siècles se sont passés en cet étroit 
espace ; terre illustre mitre toutes pour quicon- 
que évoque les brillantes images des destinées 
qui lui sont promises, maintenant que servant 
de passage et de lien entre les deux mers, elle 
relie 1 Occident à l'Orient. 

Cette terre plongée dans un sommeil qu'avait 
allourdi la succession de longs siècles écoulés, et 
qui semblait être le prélude de la mort, s'est ré- 

les ruines de la vie qui n'est plus. On y trouve d'espace 
on espace, des cadavres de villes, des débris de monu- 
ments. 

... La plus grande, la plus intéressante de ces ruines, 
c'est le canal des Pharaons, dont le lit se creuse encore 
visible aujourd'hui, après des années d'abandon. Cette 
vaste plaine, silencieuse comme la mort, se tache de 
loin en loin de quelques broussailles, de quelques ar- 
bustes rabougris. Là où le vieux Nil apporte un peu de 

ses eaux douces et de son limon vivifiant, là seulement 
verdoie une végétation qui rappelle l'Afrique. 



». 



• 1 
L JÉSGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 99 

veillée de sa profonde léthargie ; elle a secoué son 
linceul ; « des cadavres de ses villes évanouies » 
sont sorties des villes nouvelles ; « les débris de 
ses monuments » ont servi de base à des monu- 
ments non moins grandioses encore que ceux du 
passé ; il n'est pas jusqu'au « canal des Pharaons » 
qui n'ait vu se creuser à ses côtés une voie plus 
large et plus profonde ! La terre de Gessen a reven-' 
diqué son antique renommée, et a reconquis sa 
place dans l'histoire du monde. 

Quel? sont les illustres promoteurs de cette 
œuvre, une des plus glorieuses de notre siècle, si 
fécond cependant en grandes œuvres et en auda- 
cieuses entreprises. 

Le poète va nous répondre : 

L'un est jeune et de noble attitude. 

Sérieux, attentif, comme son compagnon, 
Il gouverne l'Êgypte et Saïd est son nom. 
L'autre sur qui les ans ont pesé davantage, 
A la douce énergie et le calme d'un sage ; 
On sent qu'il est. de ceux qui ne reculent pas, 
Et qui marchent au but sans dévier d'un pas. 
De Lesseps ! nom qu'attend au bout de la carrière. 
La gloire impartiale ainsi que la lumière. (1) 

(1) M. le vicomte de Bornier: IHsthmëde Suez, poëme 
couronné pnr F A endémie française. 



100 L'jÈftVPTK et le canal uk sleï. 

Mais quittons le présent, et la Bible à la 

main, remontons le cours des âges. Il n'est pas 
un seul point de la terre qui nous occupe, qui ne 
nous rappelle et ne nous confirme les récits du 
saint livre. Abraham, Joseph, Jacob, Moïse ont 
partout, ici laissé l'indélébile empreinte de leur 
passage. 

Abraham, durant sdn séjour en Egypte, s'éta- 
blit à Memphis; il dut doue traverser l'isthme au 
moins à deux reprises. 

Jacob, appelé par Joseph, son lils, à la cour du 
pharaon Aménophis, se rendit à Rhamsès et 
passa sur les bords du lac Timsah, un dos trois, 
lacs traversés i>ar le canal de Suez. 

Enfin la concession de la terre de Gesscn fixa 
les Hébreux dans la contrée qui nous occupe ; là 
s'écoulèrent l'enfance et la jeunesse du libérateur 
du peuplé de Dieu ; là, s'accomplirenl les premiers 
actes de sa carrière prédestinée. 

M. de Lesseps s'exprime ainsi au sujet du tou- 
chant épisode de l'exposition de Moïse sur les 
eaux : « Quelques géographes, dit-il, ont placé 
le berceau de Moïse en face de Memphis où le 
Nil est très-profond et très-rapide. Us n'ont pas 
songé que jamais une mère n'aurait exposé son 



l'kgyptk et le canal de suez. toi 

fils là où le courant l'aurait sûrement emporté. 

« Moïse a dû être exposé dans la branche tani- 
tique, près du lac Menzaleh et devant l'ancienne 
ville de Tsan, voisine de la vallée de Gessen. Les 
récentes découvertes de M. Mariette ont constaté 
que c'était la résidence des rois pasteurs appelés 
hycsos. Le nom de sos signifie en langue éthio- 
pienne pasteur et je pense que suez vient de sos. 
Ainsi la terre de Gessen qui, en hébreux, veut dire 
terre des pâturages, ne serait que la traduction 

de sos. !; 

« Moïse a donc été sauvé sur une des branches 
du Nil prise pour le Nil. Aujourd'hui encore les 
Arabes, comme la Bible, appellent Nil toutes les 
branches du fleuve, tous les grands canaux qui en 
dérivent. Ainsi, lorsque la Bible dit que Moïse a 
été sauvé du Nil, ce passage s'accorde parfaite- 
ment avec les dernières découvertes qui constatent 

■ 

que la capitale où résidaient les Pharaons èAnh 
■ Tsan, plus tard Tanis et Avaris, située à peu près 
à dix lieues de Port-Saïd, entrée de notre canal 
sur la Méditerranée. 

« Au pied des ruines de cette ville coule l'an- 
cienne branche tanitique qui maintenant se jette 

dans le lac Menzaleh mu lieu de se jeter dans la 

. 6. 



[02 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Méditerranée, son embouchure ayant été oblitérée. 
On voit sur ses bords, près de Tsan, comme autre- 
fois, des roseaux nombreux, et l'on comprend que 
c'est dans cet endroit qu'a dû s'arrêter le berceau 
de Moïse, ainsi que le dit la Bible, dont les descrip- 
tions sont toujours exactes. » 

Si des récits de l'Ancien Testament nous pas- 
sons à ceux du Nouveau, nous trouverons l'isthme 
de Suez tout embaumé du souvenir de la sainte 
famille. 

Les Arabes en effet montrent près du lac de 
Timsah, la place où Jésus, Marie et Joseph firent 
halte, alors qui 1 fuyant la persécution d'Hérode, 
ils venaient chercher un asile en Egypte: « Jésus 
enfant, selon la remarque de M. de Lesseps, sé- 
journa ainsi près de l'endroit même où Moïse 
avait été sauvé des eaux. » 

t 

Plus tard quand l'Eglise naissante jeta tant 
d'éclat sur la terre des Pharaons, quand les dé- 
serts de l'Egypte virent naître et se développer 
l'esprit cénobitique, l'antique terre de Gessen ne 
dut pas demeurer en arrière; et ces lieux qui tout 
imprégnés encore du souvenir d'un premier sau- 
veurvenu à l'Egypte de la terre de Chanaan, avaient 
joui de la divine présence du Sauveur du monde, 



l'égyptk et le canal de suez. 103 

ne lurent pas sans recevoir la visite de pieux pè- 
lerins et sans donner asile à de fervents anacho- 
rètes. :*w» «fc ; %% a ? 3 * m oajr 
' Dans ce désert que viennent de rendre au mou- 
vement et à la vie le génie et la j>ersévérance 
d'un Français, tout parle donc d'un passé qui 
appartient au monde chrétien tout entier. Et à ce 
point de vue, plus encore qu'à relui des intérêts 
commerciaux et industriels des nations, c'est un 
spectacle grandiose et imposant que de voir, après 
des siècles de silence et d'abandon, cette terre 

■ 

oubliée renaître à la fécondité et devenir le ren- 
dez-vous et le point central, où se rencontreront 
et se donneront la main tous les peuples du 

monde ! (1) 

t 

(1) « Comme affaire financière — disait, il y a quel- 
ques années, un savant écrivain (*) — le percement de 
l'isthme de Suez est une fort belle opération ; mais il 
faut l'envisager de plus haut* Une abréviation de trois 
mille lieues dans la traversée d'Europe aux mers d'Asie 
no représente pas seulement une activité commerciale 
doublée, un fret diminué de moitié et l'intérêt du capi- 
tal général augmenté en raison de l'augmentation du 
nombre des voyages: elle représente surtout une diffu- 

(*) M. Paul Merruan . Y Egypte contemporaine* 



UH l/ÉOYPTR ET I/B CANAÏ. DE SUEZ. 

s ion des lumières et de la civilisation occidentale dans 
une partie du monde "où l'Europe n'a accès aujourd'hui 
que rarement et difficilement ; elle annonce l'émanci- 
pation morale et intellectuelle de centaines de millions, 
de créatures humaines. L'Afrique occidentale va se 
trouver sur le passage habituel de la navigation. Lp 
commerce ne tnrdera pas a exploiter des régions qui 
lui sont maintenant fermées. Cette mer Rouge qu'on a 
cherché à représenter comme inhospitalière, sera bien- 
tôt parcourue en tous sens par des bateaux à vapeur. 
C'est une «>re nouvelle qui s'ouvre pour l'Oripnt. 



I 



l'kgyptr ET r.E CANAL de suez, 105 

, H. — Ismaïlia et Port-Saïd. 

C'est dans une dépression longitudinale que 
Corme de Suez à Péluse, entre les rivages de la 
mer Kouge et de la Méditerranée, la rencontre 
de deux plaines dont l'une remonte vers la Syrie 
et l'autre vers la vallée du Nil, qu'a été creusé le 
canal qui unit les deux mers. 

Sur son parcours, ce canal rencontre trois larges 
bassins qu'il traverse : ce sont les lacs Amers, le 
lac Timsah et le lac Menzaleh. 

Situés à cinq lieues de Suez, les lacs Amers, 
dont la superficie est de trois-cent trente millions 
de mètres carrés, étaient depuis longtemps à sec; 
mais outre l'assurance qu'en donnait la tradition, 
le témoignage même du sol ne permettait pas 
île douter que cet immence bassin eût été autre- 
fois rempli par les eaux de la mer que la main de 
l'homme y a ramenées, afin de s'en servir comme 
d'un modérateur qui permet de tenir le canal 
ouvert sans écluses, et d'éviter pourtant qu'un 
courant trop fort ne s'y établisse et ne nuise à 
la navigation tout en rlégrarlnnt les berges du 
canalt .ooi<?>nu^i?fïîî 1 s/ijcjs!) nrp XfiSiwjô^çxxx 



lOt; I.'lV.YPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Le lac Timsah est situé à distance à peu près 
égale des deux extrémités de l'isthme; sa surface 
couvre 2, 000. hectares de terrain. Le Nil dans ses 
plus grandes crues y jette le trop plein de ses eaux 
et féconde ses rivages que couvre une brillante 
végétation. La nature a creusé le fond de ce lac 
bien au-dessous du niveau de la Méditerranée. Il 
offrait donc toutes sortes de facilités pour la créa- 
tion d'un port intérieur et d'un point de jonction 
où la grande navigation put se relier à la naviga- 
tion fluviale. 

Ce port intérieur a été créé, et, où naguère ré- 
gnaient la solitude et le silence, s'élève une ville 
déjà importante, et qui, dans un avenir prochain, 
sera un des principaux centres commerciaux 
du monde. C'est Ismaïlia dont la rade merveil- 
leuse et le climat enchanteur feront bientôt, au 
milieu de ce pays d'une fécondité sans égale, le 
premier port de repos et de ravitaillement du 

11 

monde, i 

La ville se présente aux yeux ravis comme une 
véritable oasis. Toutes les maisons sont envelop- 
pées par un rempart de verdure. Cette particula- 
rité donne à l'ensemble de la ville un air de calme 
mystérieux qui captive l'imagination. 



L ÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 107 

Ismaïlia mérite donc vraiment ie titre qui lui 
a été donné de Merveille du désert. 

La proximité de Zagazig, — le trajet en chemin 
de fer est deux heures à peine, — lui fournit, au 
point de vue du commerce égyptien, une fort 
grande importance; et, sous ie rapport agricole, 
les belles cultures qui longent le chemin de fer 
depuis Zagazig jusqu'au sortir de la vallée de 
l'Ouady (terre de Gessen), ne sauraient manquer, 
dans un avenir prochain, de conquérir le désert et 
de se continuer des deux côtés du canal. 

La situa Lion d'Ismaïlia est donc à tous égards 
admirablement choisie. Voisine de Zagazig où 
arrivent tous les cotons et autres produits de 
l'Egypte, elle communique avec le vaste réseau 
des voies de navigation fluviale par un canal d'eau ' 
douce suffisant pour tous les transports sur les 
barques indigènes qui vont se décharger directe- 
ment à bord des plus grands navires à l'ancre 
dans le lac Timsah. 

Du port d 'Ismaïlia. — aussi profond et spacieux 
que la petite rade de Toulon, — on se rend immé- 
diatement dans la Méditerranée ou dans la mer 
Rouge. Et quand on songe que ce port qui com- 
munique ainsi avec deux mers, est situé à HO kilo- 



108 LÉGYPTË ET LE CANAL DE HUEZ. 

mètres dans les terres, n'y a-t-il pas lieu de s éton- 
ner et d'admirer?... (i) 

Le troisième réservoir d'eau, ie lac Menzaleh 
borde la Méditerranée au golfe de Péluse dont il 
n'est- séparé que par un long ruban de terre, large 
rte cent a mil -cinquante mètres au plus. « Ce lac 
dont le fond est desséché autour de Péluse, s'étend 
à Test sur dix ou douze lieues jusqu'à Damiette. Il 
communique à la mer par des coupures naturelles 
qui servent d'issue aux eaux du Nil dans les 

(l) Quoique née d'hier — ait AL Élie Sorin (*) — 
ismaïiia semble avoir conscience de ses futures destinées. 
Elle se donne dès maintenant dos allures de capitale. 
Port-Saïd est la ville du travail rude et sévère ; Ismaïiia 
est la ville de l'élégance; c'est elle qui, la première, in- 
troduit dans T isthme les raffinements de la vie euro- 
péenne. 

Elle a de gracieux chùlets qui semblent apportés des 
environs de Paris et qui dominent les belles eaux du 
lac; elle a des magasins uù se mêlent en de fantaisistes 
étalages les produits du goût français et ceux du goût 
oriental. Elle a déjà des promenades avec des arbres, 
et sur sa plage est installé un établissement de bains 
de mer... Le temps est proche où Ton ira passer l'hiver 
a Ismaïiia, ainsi qu'on va le passer à Nice ou à Monaco* 

(*)Suez, Histoire de la jonction des doux Mers. 



L l'XYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 109 

grandes crues et qui laissent pénétrer celles de 
la mer alternativement quand le niveau du fleuve 
est abaissé. » 

\ 1 

Le canal de Suez traverse ces trois lacs qu'on 
dirait échelonnés exprès par la nature pour le re- 
cevoir, et c'est on sortant de celui de Mcnzaloh 
qu'il débouche dans la Méditerranée. En ce lieu 
la place d'une ville était marquée; elle s'y est 
élevée d'elle-même et par la force des choses: ce 
point, il y a moins de dix ans, ignoré du monde, 
s'appelle aujourd'hui Port-Saïd (1). 

En attendant qu'il fallut un port de station aux 

bâtiments entrant dans le canal, il fallait un quar- 
tier général aux ingénieurs qui allaient entre- 
prendre le percement de l'isthme; il fallait un 
entrepôt pour recevoir les machines venant de 
l'Europe. Ce triple besoin, a donné naissance dès 
les premiers jours des travaux, à la ville qui nous 
occupe et a déterminé sa forme et son aspect. 
Port-Saïd, en effet. « est un bassin entouré de 
chantiers. (2) » 

(1) Un juste hommage de reconnaissance pour le 
prince qui a doté l'Egypte du canal de Suez, a imposé 
spontanément ce nom à la ville naissante. 

(2) * Quand nous lisons dans les historiens anciens 

7 



* 

111» L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

Partout éclate le mouvement et l'activité ; par- 
tout là variété de couleur, la physionomie de vie 
maritime et de cité ouvrière en même temps. Des 

ion laines publiques réparties dans les différents 
quartiers sont continuellement entourées de grou- 
pes d'hommes, de femmes et d'enfants aux cos- 
tumes de vingt pays divers. 
Voici le quartier européen qu'un espace vide 

de 200 à 300 mètres sépare du village arabe, dont 
les longues lignes de petits logements construits 

le récit de la fondation d'une ville, ils nous parlent tout 
d'abord de l'enceinte fortifiée qu'on a élevée autour de 
ses limites, de la citadelle ou du Gapitole qui s'est dressé 
sur son point culminant, comme le symbole de sa future 
[iuissance. Ainsi se sont passées les choses à Port-Saïd. 
Dès le premier jour, on lui a donne des remparts contre 
l'ennemi qui la menaçait : — on a bâti des jetées dans 
la mer. On lui a donné, en guise de citadelle, une tour 
lumineuse qui appelât à elle le^ navigateurs et lui fil 
une garnison de navires : — on a bâti un phare. 

« Jetées, phares, bassins, scieries,' tout ce que peut 
construire l'art de l'ingénieur et tout ce qui lui sert à 
construire, voilà Port-Saïd : une ville-atelier; elle est 
subitement issue du désert et elle a servi à le refouler. » 
M. Élie Sorin: Siwz ; histoire de la jonction des deux 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 111 

on pisé, en bois, ou nattes, en briques, conduisent 
jusqu'au bout du quais dont le développement 
n'a pas moins de deux kilomètres. 

Voici la maison dos religieuses du Bon-Pas- 
teur d'Angers avec sa gracieuse chapelle, son vaste 
promenoir et les classes propres et aérées où ces 
dignes religieuses instruisent tout un essaim do 
jeunes filles. 

Voici encore un couvent, c'est celui des Pères 
franciscains, dits de la Terre-Sainte ; ees dignes 
fils de saint François tiennent l'école dos petits 
garçons. Près do là, la chapelle catholique élève 
son clocher carré au-dessus des constructions en- 
vironnantes, connue pour rappeler sans cosse à 
La ruche toujours grossissante qui s'agite autour 
d'elle y qu'il y a d'autres besoins que ceux du corps, 
d'autres intérêts que ceux qui se rapportent à la 
fortune et aux jouissances de la vie! 

i 



112 L EGYPTE ET LE CANAL DL SUEZ. 

III. — Un précédent a utiliser. 

* Mais ce n'était pas assez que l'Europe prodiguât 
ses savants ingénieurs, ses admirables machines, 
toutes les ressources, en un mot, de la science et 
de l'industrie; il lai lait qu'une armée de travail- 
leurs vint donner le mouvement et la vie à ces 
puissants moyens d'action. 

Or, pour ces ateliers immenses et liors de toutes 
proportions avec ce que nous voyons en Europe, 
d'immenses approvisionnements étaient néces- 
saires. 1*0111' tout ce que l'on peut acheter, cette 
question d approvisionnements n'avait rien qui 
pût effrayer ni arrêter les promoteurs de cette 
gigantesque entreprise ; mais il était un objet 
de première nécessité, que la nature seule peut 
procurer, et qui faisait absolument défaut dans 
l'isthme; nous voulons parler de l'eau potable. 

Avant donc {pie de commencer l'œuvre elle- 
même, il fallait aviser au moyen d'amener de l'eau 

I 

douce sur les lieux où se faisaient les (r;i\;ui\ du 



Ïi'kOYPTK ET LE CANAL DE SUEZ. 113 

canal maritime (I) ; le succès de l'entreprise on 
dépendait. 

Un précédent existait d'ailleurs en Egypte qui 

(1) « Au début des travaux — en 1860— sur les rives du 
lac Menzaleh on se procurait l'eau douce dans quelques 
puits isolés ou en la faisant venir de Damiette, ou en. 
core en distillant l'eau saine de la mer ou du lac. La tonne 
(l'eau douce apportée de Damiette, coûtait 5 francs; la 
tonne distillée à Port-Saïd en coûtait 25, — Ces diffi- 
cultés, cette élévation de prix ne pouvaient qu'augmen- 
ter à mesure qu'on avançait vers l'intérieur de l'isthme. 
L'entreprise devait être singulièrement retardée 9 
peut-être manquée à jamais par ce fâcheux état de 
choses. — A Suez la situation était pire : on ne vivait, 
une partie de Tannée, que de l'eau conservée dans des 
caisses de 1er que le chemin de fer apportait* L'eau i\ 
moitié salubre était le privilège des riches. Les pau- 
vres s'abreuvaient comme ils le pouvaient et mou- 
raient de soif. » ! 

tën 1SI12, on écrivait de Kantara, centre, | cette épo- 
que, des travaux du canal maritime. 

« Ce qui est le plus difficile a assurer, c'est le service 
de l'eau douce. Le canal reliant Gassassine à Timsah a 
bien été mis en eau, mais son extrémité se trouve à une 
dizaine de kilomètres d'El-Guisr. Comme de plus, tes 
hommes sont répartis sur une longueur de 32 kilomè- 
tres depuis El-Guisr jusqu'à Kantara, la dislanee 
moyenne pour apporter l'eau douce dépasse 30 kilomè- 



114 



I. KIIYPTR ET LE CANAL DE SUEZ . 



démontrait l'importance au double point de vue de 
l'humanité et des intérêts de l'œuvre, de s'occuper 
m van t t ontes choses, non-seulement de la subsis- 
tance des ouvriers, mais de leur assurer un bien- 
être relatif et aussi complet que possible. 

très. C'est tout ce qu'un chameau peut l'aire, si on veut 
le ménager pour un long travail. 

« Donc pour apporter l'eau, la décharger et revenir 
chercher un nouvel approvisionnement, il faut deux ■ 
journées de marche. 

■ i 

« La charge du chameau ne saurait dépasser !T>o 
kilogrammes pour de pareilles courses dans 1rs sables. 
En retranchant de ce chiffre, le poids du harnachement 
et des barils, reste 12r> kilogrammes utiles, soit 125 li- 
tres d'eau. Cola représente l'approvisionnement de 25 
lu mimes par jour, pour tous les usages, plus la ration 
de trois ou quatre animaux attachés a T équipe. 

« Pour nos vinsl milte travailleurs, il faut donc huit 
cents chameaux arrivant et s'en retournant chaque 
jour ; seize cent rien que pour le service de l'eau 
douce ! . . . 

Nous avons calculé que la dépense journalière 
de ce service est de 8,000 francs, et nous n'espérons pas 
que la situation change avant quelques mois!... » His* 
taire de Visihmè de Suez. Olivier Ritt. 

On comprend combien il était urgent de presser les 
travaux du canal d eau douce. 



1 



l'kCiYpte î:t le canal nrc sri-z. 115 

C'était on 1819, Méhémet-Ali voulant creuser 
un canal d'irrigation dans la branche de Ro- 
sette, entre le village d'Àtfeh et Alexandrie, 
consacra plusieurs années à ce travail et y occupa 
trois cent mille fellahs. « Malheureusement on 
ne prit pour leur bien-être, et même pour leur sub- 
sistance, aucune des précautions qu 'exige l'huma- 
nité. On négligea de former des approvisionne- 
ments de vivres sur les lieux; l'eau manqua en 
vingt endroits sur l'étendue de vingt lieues que 
parcourt le canal. Puis l'excès de la fa ligue, les 
mauvais traitements engendrèrent des maladies 
qui emportèrent les ouvriers par milliers. Dans 
l'espace de dix mois, il en périt douze mille dont 
les ossements gisent sous les chemins de hallage 
qu'on a élevés des deux côtés du canal (1). 

Une seule chose étonne, c'est que la mortalité 
n'ait pas été plus grande encore, alors que tant de 
négligence et tant de dédain pour la vie humaine 
avaient signalé ce travail. 

Méhémet-Ali, dans la poursuite de ses vastes 
desseins, comptait pour peu les instruments qu'il 

(1) Ces chemins de hallage ont &tê remplacés, il y a 
uno dizaine <1*anmVs, par une hoilo routp. 



110 LÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

I 

employait. Et ce qui chez lui n'était que l'iniperfec 
tion d'un esprit supérieur, dévouait riiez les subal- 
ternes une cruauté froide et réfléchie. Les autori- 
tés chargées de l'exécution du canal imposaient 
aux malheureux paysans uu labeur au-dessus de 
leurs forces. De l'aube du jour à la nuit close les 
ouvriers étaient au travail et la moindre négli- 
gence était aussitôt punie par des coups de bâton. 

« Le canal Mahmoudieh fut fait. Il avait coûté 
cher: environ 7,500,000 fr., sans compter les 
hommes sacrifiés ; mais une grande pensée avait 
été réalisée ; un nouvel élément de prospérité était 

t 

acquis à l'Egypte... » 

Par malheur, le limon fertilisant que le Nil char- 
rie en si grande quantité, ne tarda pas à obstruer 
le lit du canal, et quand Méhémet-Ali mourut, la 
navigation y était devenue singulièrement difficile. 

Abbas-Pacha n'était pas homme à tenter une 
entreprise telle que le curage de cette impor- 
tante voie de navigation : « le canal continua 
donc à s'envaser . et quand Mohannned-Saïd 

F 

arriva au gouvernement de l'Egypte, le mal était 
devenu si grand q u il fallait nécessairement y por- 
ter un remède immédiat, ou renoncer à utili- 
ser désormais un ouvrage qui avait coûté tant 



l'égypte et le CANAL DE SUEZ. 117 

de peines, tant chargent et tant de bras. (1) » 
Le khédive n'hésita pas. Les ingénieurs ayant 
calculé que soixante-cinq mille hommes étaient 
nécessaires pour déplacer dans l'espace d'un mois 
de travail, la quantité de vase amassée dans le lit 
du canal, ordre fut envoyé aux provinces de four- 
nir ce nombre de travailleurs. 
Aulieu de soixante-cinq mille hommes, les pro- 

T * 

vinces en envoyèrent cent quinze mMle ! Moham- 
mcd-Saïd, recueillait ainsi dès le commencement 
de son règne, les fruits de son esprit de justice : 
Il possédait la confiance du peuple l 

Cette confiance comment la jus tifïa-t-il ? En pre- 
nant des mesures d'approvisionnement,d'hygiène, 
cl par-dessus tout de loyale justice, qui prou- 
vèrent au monde qu'on peut employer en Egypte 
des centaines de mille hommes à un travail d'uti- 
lité publique, non-seulement sans qu'il en résulte 
aucun accident, mais encore avec profit pour tous. 

Tel est le précédent dont nous avons parlé. 
C'était tout h la fois un stimulant pour ne rien 
négliger de ce qui pouvait, assurer la subsistance 
des travailleurs, et un gage de succès. 

([) UÉgypte contemporaine par M. Paul Merruau. 

m 

i m 



118 l'Egypte et le canal dk suez. 
IV. — Règlement pour les travailleurs 

INDIGÈNES. 

Un acte do concession en date du 30 novem- 
bre 1854, avait donné à M. de Lesseps pouvoir 
exclusif & l'effet de constituer et diriger une com- 
pagnie universelle pour le percement de l'isthme 
de Suez. 

Le 5 janvier 1856, Mohammed-Saïd complétai! 
cet acte de concession par un cahier des charges 
pour la construction et l'exploitation du orand canal 
maritime de Suez et dépendances. Sous cette der- 
nière date, et en lui en vo vaut le cahier des 
charges, le khédive écrivait à M. de Lesseps en 
ces termes : 

A mon dévoué ami de haute naissance et de rang élevé. 

Monsieur Ferdinand de Lesseps, 

« La concession accordée à la Compagnie uni- 
« verselle du canal de Suez devant être ratifiée 
« par S. M. I. le Sultan, je vous remets cette 
« copie authentique, afin que vous puissiez 
« constituer ladite Compagnie. 



l'êgypte et le canal de SUEZ. 119 

« Quant aux travaux relatifs au percement de 
<( l'isthme, elle pourra les exécuter elle-même 
« aussitôt que l'autorisation de la Sublime-Porte 
« m'aura été accordée. » 

Mais avant même que cette autorisation eut 
été accordée, le khédive se préoccupa de garantir 
à ceux de ses sujets qui seraient appelés à con- 
courir aux travaux gigantesques de l'œuvre de 
M. de Lesseps, les bons traitements que lui-même 
; i vai t assurés aux travaille u rs du canal d'Alex a n d vie. 

Le 20 juillet 1850, il signait à cet effet un firman 
soigneusement étudié par lui. Ce firman, le voici : 

Règlement pour les ouvriers fellahs qu'emploiera 
la Compagnie de l'isthme de Suez. 

Nous, Mohammed-Saïf 1 - Pacha, vice-roi d'Egypte, 
voulant assurer l'exécution des I nivaux du canal 
maritime de Suez, pourvoir au bon traitement des 
ouvriers égyptiens qui y seront employés et 
veiller en même temps aux intérêts des culti- 
vateurs, propriétaires et entrepreneurs du pays, 
avons établi de concert avec M. Ferdinand dt i 
Lesseps, comme président-fondateur de la Com- 
pagnie universelle du dit canal les dispositions 
suivantes : 



120 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

1° Les ouvriers qui seront employés aux tra- 
vaux de la Compagnie seront fournis par le gou- 
vernement égyptien d'après les demandes des 
ingénieurs en chef et suivant les besoins. 

2° La paye allouée aux ouvriers sera fixée, sui- 
vant les prix payés en moyenne pour les travaux 
des particuliers, à la somme de deux piastres et 
demie à trois piastres par jour, non compris les 
rations qui seront délivrées en nature par la 
compagnie pour Ta valeur d'une piastre. Les ou- 
vriers au-dessous de douze ans ne recevront qu'une 
piastre, mais ration entière. 

Les rations en nature seront délivrées par jour 
ou tous les deux ou trois jours à l'avance et, dans 
le cas où l'on serait assuré que les ouvriers qui en 
feront la demande, seront en état de pourvoir à 
leur nourriture, la ration leur sera donnée en 
argent. 

La paye en argent aura lieu toutes les semaines. 
• Cependant la Compagnie ne comptera, pendant le 
premier mois, que la moitié de La paye, jusqu'à ee 
qu'elle ait accumulé une réserve de quinze jours 
de solde, après quoi la paye entière sera délivrée 
aux ouvriers. 
Le soin de fournir fte i'eav potable es abondance) 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 121 

pour tous les besoins des ouvriers est à la charge 
de la Compagnie. 

3 B La tâche journalière imposée aux ouvriers ne 
dépassera pas celle qui est fixée dans l'admi- 
nistrât ion dos ponts-et-chaussées en Egypte, et 
qui a été adoptée- dans les grands travaux de 
canalisation exécutés en ces dernières années. 

•Le nombre des ouvriers employés sera désigné 
en prenant en considération les époques des tra- 
vaux agricoles. 

4° La police des chantiers sera faite par les 
officiers et agents du gouvernement, sous les 
ordres et suivant les instructions des ingénieurs 
en chef, conformément à un règlement spécial 
qui recevra notre approbation. 

5° Les ouvriers qui n'auront pas rempli leur 
tâche, seront soumis à une diminution de solde 
qui n'ira pas au delà du tiers et qui sera pro- 
portionnée au déficit de l'ouvrage commandé . 
Ceux qui déserteront perdront, par ce seul fait, les * 
quinze jours de solde en réserve; le montant en 
sera versé à la caisse de l'hôpital, dont il va être 
parlé. 

Les ouvriers qui apporteraient des troubles 
dans les chantiers, seront également privés des 



i 



122 l'éoypte et lk canal de stjez. 

quinze jours de solde en réserve. Ils seront en 
outre passibles d'une amende qui sera versée à 
la caisse de l'hôpital. 

6° La Compagnie sera tenue d'abriter les ouvriers 
soit sous des tentes, soitdans des hangars ou niai- 
sons convenables. Elle entretiendra un hôpital ri 
des ambulances avec tout le personnel et tout le 
matériel nécessaires pour traiter les malades à ses 
irais. 

7° Les frais de voyage des ouvriers engagé! et 
de leurs familles, depuis le lieu de leur départ 
jusqu'à leur arrivée sur les chantiers, seront à la 
charge de la Compagnie. 

Chaque malade recevra à l'hôpital, dans les am- 
bulances, oui iv les soins que réclamera son étal, 
une paye d'un piastre et demie pendant tout le 
temps qu'il ne pourra travailler. 

8° Les ouvriers d'art, tels que maçons, charpen- 
tiers, tailleurs de pierres, forgerons, etc., rece- 
•vront la paye que le gouvernement est dans l'usage 
de leur allouer pour ses travaux, outre la ration 
de vivres ou sa valeur. 

4 

9° Lorsque des militaires appartenant au service 
actif seront employés aux travaux, la Compagnie 
déboursera pour chacun d'eux, à titre de haute 



l'écypte et le CANAL ÛË SUEZ. 123 

p;iye, do solde ordinaire ou d'entretien, une somme 
égale à la paye des ouvriers civils • . . 



Nos ingénieurs, Linant-Bey et Mougil-Bey, que 
nous mettons à la disposition de la Compagnie 
pour la direction et la conduite des travaux, auront 
la surveillance supérieure des ouvriers et s'enten- 
dront avee-ladmmi strate tir délégué de la Compa- 
gnie pour aplanir les difficultés qui pourraient 
survenir dans l'exécution du présent décret. 

Fait à Alexandrie, le 20 juillet Î856. 

Disons de suite, que grâce à la paternelle solli- 
citude qui avait dicté ce règlement et à la loyale 
exactitude avec laquelle il fut exécuté, aucune 
contestation sérieuse n'a été soumise à cet arbi- 
trage nommé d'avance par le khédive. 



i 



ïîA l'égypte et le canal de suez. 



V. — Les fellahs. 

Avant de passer outre, quelques détails récla- 
ment leur place sur ces ouvriers fellahs, dont le 
nom que nous avons plusieurs fois prononcé 
noussanêmes dans les pages qui précédent a si 
souvent été redit en Europe pendant les six der- 
nières années qui viennent de s'écouler. 

«Le peuple égyptien, affirme un écrivain compé- 
tent, mérite à tous égards la sollicitude dont il es l 
l'objet de la part de ses souverains. » 1 

Le christianisme a laissé en ce pays de fortes ra- 
cines et ceux-là même qui sont les plus exacts à 
suivre la loi de Mahomet ont au fond du cœur je 
ne sais quels sentiments secrets , quel souvenir 
qui les tient à l'abri des excès de fanatisme et 
d'intolérance (i) qui partout ailleurs caractérisent 

(1) La population chrétienne des diverses sectes dé- 
passe en Egypte le chiffre de deux-cent-soixante mille 
individus. Bien que la religion musulmane ait dans ce 
pays de fervents adeptes, les chrétiens n'y ont jamais 
été persécutés; le gouvernement n'y a jamais proscrit 
leurs croyances; seulement il ne leur donnait pas lasanc- 



LKf.YPTK ET LE CANAL Dtë SUEZ . 



les populations musulmanes et les gardent en parti- 
culier de ce fatalisme qui a si tristement précipité 
l'Orient dans l'état de décadence où nous le 
voyons plongé. 

On peut affirmer sans crainte que par ses qua- 
lités comme par ses défauts naturels, — abstrac- 
tion d'une reconnaissance publique, et les tenaient pour 
dégradantes; ce qui suffisait ù placer les chrétiens dans 
une situation d'infériorité et presque d' asservisse- 
ment. 

V 

Méhémet-Àli, le premier, se servit indistinctement 
de toutes les capacités qui pouvaient lui être utiles sans 
acception de foi religieuse. Encore cependant eut-il 
soin de réserver exclusivement les hauts emplois à des 
musulmans, i 

Saïd-Pacha, et après lui, S. À. lsmaïl I er se sont mon- 
trés plus libéraux. Bien que réguliers et môme austères 
dans la pratique du culte musulman, ils ont appelé au 
service de l'Etat, sans acception de religion, tous ceux 
qu'ils en ont jugés dignes et capables et ils ont accordé 
à tous une complète liberté dans l'exercice de leur 

Culte, (x. 

Get esprit de tolérance a éclaté dans toute sa force 
lors des cérémonies religieuses qui ont signalé la pré- 
sence de l'Impératrice et des princes chrétiens à 
l'ouverture du canal de Sue/.; mais depuis longtemps 
ce même esprit s'était montré dans plusieurs occasions 



s 



I 



126 L ÉfiTPTK ET LE CANAL DE SUEZ. 

tion faite de la cupidité qui est un vice artificiel, — 
la population des fellahs d'Egypte a une grande 
analogie avec colle de nos campagnes. Plaeôe 
dans les mêmes conditions, tirée de son igno- 
rance, elle nous ressemble bien plus encore. 

(Test ainsi que l'enfance du fils do Mohammed a été 
confiée aux soins d'une chrétienne; c'est ainsi encore 
quVn toutes circonstances, ce prince s'est più à accor- 
der des faveur^ spéciales aux sœurs de charité établies 
à Alexandrie, où elles se vouent avec cette abnégation 
et ce zèle qui distinguent leur ordre, à l'instruction et 
au soulagement des pauvres. 

Mais la preuve la plus éloquente se trouve dans le 
choix d'un chrétien fait par Saïd- Pacha pour gouverner 
le Soudan. 

Avant munie que le percement de l'isthme eut im- 
porté sur le sol égyptien une colonie nombreuse de 
rlirétiens d'Europe, uft-^yageur fendait cotte justice 
au khédive et à son peuple ; « au Caire, nous avons vu 
célébrer publiquement l'office divin d'après le rite ca- 
tholique, sans troubles, sans gardes, au milieu d'une po- 
pulation gravement curieuse, mais nullement hostile.* 

Ismaïl-Pacha continue cette même ligne de conduite 
et se montre de plus en plus favorable aux œuvres du 
catholicisme en Egypte. 

Ajoutons à la gloire du catholicisme qu'il rend am- ' 

r 

plement à L'Egypte, en services de tontes sortes, ce qu'il 



r 



■ 



L'ÉfîYPTR ET Mï H.AWL DE SÏÏEZ. 127 

On accuse les fellahs d'être une race légère ei 
cupide; il y a du vrai dans ces reproches, mais ce 
double défaut tient plus peut-être à l'état de dé- 
pondance et d'oppression où a vécu pendant des . 
siècles ce peuple, qu'à sou caractère munie. 

reçoit en appui et en bienveillance de la part de son 
souverain. 

Un écrivain qu'on ne taxera certes pas de partialité 
en ce qui touche aux ordres religieux, confirmait na- 
guère cette appréciation: « N'oublions pas, dit M, Ch. 
Sauves tre (*) les immenses services que rendent dans 

■ 

tout l'Orient ~ et en particulier eu Kgypte — les frères 
des écoles chrétiennes et les sœurs de Saint- Vincent 
de Paul. 

« Grâce aux premiers, la langue française est répan- 
due dans tous ces pays et y est devenue d'un usage 
presque général, » 

Grâce aux secondes, les enfants , les malades, tous 
ceux qui souffrent, connaissent et bénissent le nom et 
la charité de la France; et, bienfait plus signalé encore, 
les jeunes filles reçoivent, dans une éducation que la 
société musulmane ne saurait leur donner, le germe 
de la véritable vie morale qui ressuscitera l'Orient : 
le sentiment de la famille, la dignité de la femme, le 
dévouement de la mère, le respect du foyer, 

'*) Opinion nationale dn 18 novembre 1800. 



128 l/ÉfîYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

On ajoute qu'ils n'ont pas consience de leur pro- 
pre dignité etqu'ils manquent de ce respect de soi- 
même qui est le trait distinctif des grandes na- 
tions. On les voit en effet tendre la main sans honte 
et poursuivre les- voyageurs de leurs sollicitations 
importunes sans se laisser rebuter par les admo- 
nestations les plus humiliantes. On les voit cour- 
bés sous une discipline' dégradante, recevoir un 
châtiment corporel sans y attacher aucune idée 
d'infamie... Mais tout cela ne s'explique-t-il pas 
par l'état de dépendance où ils ont été tenus si 
longtemps... 

S'il y a lieu de s'étonner, c'est nous semble-t-il 
qu'en dépit de cet asservissement ils aient — à 
côté de ces défauts que beaucoup dépeuples libres 
n'évitent pas complètement, — conservé des 
qualités qui les rendent vraiment remarquables, 
et les placent en tête des autres peuples orientaux . 

t 

Si en effet « l'Egyptien est léger et oublieux 
comme on l'assure, il est intelligent, il a la 
compréhension vive et prompte. Il est actif ; 
sur le champ qu'il cultive il n'y a pas de travaux 
si pénibles qui puissent déconcerter sa patience, 
épuiser sa force vraiment herculéenne... Il faut le 
voir charger sur ses épaules des fardeaux énormes 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 129 

et s'avancer ensuite d'un pas élastique qui con- 
traste avec la lourde marche de nos porteurs d'Eu- 
rope. Et quand il s'agit de remuer la terre, quel 
peuple pourrait montrer plus de dextérité et de 
promptitude. » 

Mais ce qui, entre tout, met en lumière l'in- 
telligence, la vigueur et le bon vouloir des fellahs 
pour l'exécution des entreprises les plus gigan- 
tesques, c'est le rôle qu'ils ont pris dans le per- 
cement de l'isthme de Suez ! 

Les Européens appelés les premiers à ce rude 
travail se découragèrent vite. Lorsque le climat 
dévorant n'usait pas leurs forces, la nostalgie les 
poussait à la désertion, et il fallut bien reconnaître 
que les populations indigènes pouvaient seules 
permettre d'attendre le résultat qu'on pour- 
suivait. 

Alors des ouvriers grecs, dalmates, arméniens, 
furent recrutés de toutes parts sans que leur 
nombre — et peut-être leur force et leur énergie, 
fussent en rapport avec la tâche à remplir. 

Toute l'espérance du succès va donc se con- 
centrer sur ces pauvres fellahs, sur ces corvéables 
si peu connus, et par suite, si injustement 
méprisés en Europe, où on ne les croyait capables 



i 



130 LÉOYPTE KT LE CANAL DE .SUEZ. ' 

de travail que sous la pression de la force, et grâce 
à l'cuiploi du fouet... 

Nous venons de dire comment plusieurs entre- 
prises précédentes avaient déjà prouvé combien 
ils étaient loin do mériter cette réputation, pour 
peu qu'on prît soin de stimuler leur zèle, et de 
gagner leur confiance en assurant leur salaire et 
ens'occupant de leur bien-être et de leurs intérêts. 
L'œuvre nouvelle à laquelle ils allaient prendre 
une si large part — car il faut bien l'avouer, dans 
l' accomplissement de ces travaux qui préparent à 
l'Egypte de si belles destinées, c'est leur énergie, 
leur patience, leur sobriété, qui ont permis de 
vaincre tous les obstacles — devait cnliu réba- 
biliter aux yeux du inonde, toute une classe 
d'hommes à laquelle Mohammed- Saïd a eu la 
gloire d'être le premier à rendre justice et à 

accorder pro tection e t app 1 1 i . 

Encore uu trait à l'honneur du caractère na- 
tional des populations égyptiennes : 

Les fellahs ne sont pas seulement d'intelligents 
ouvriers, de rudes travailleurs, ce sont encore de 
vaillants et hardis soldats, dont l'obéissance à la 
discipline militaire," la solidité et le courage 
devant L'ennemi ont été*, ainsi une nous l'avons 



LÉGYl'TE ET LE CANAL DE SUEZ. 131 

déjà fait remarquer, brillamment prouves dans les 
campagnes d'Arabie et de Syrie sous Méhémet- 
Ali et plus récemment encore dans la défense de 
Silistrie et dans celle d'Eupatoria. 



j 4 I I 



loi LÉfiYPTE ET LE G AN AL DE SUEZ. 



VI. — La vapeur et les machines. 

Le curage du canal de Mamoudieb. travail pro- 
digieux, si on met en regard les difficultés de 
l'entreprise, la simplicité toute primitive du ma- 
tériel (1), et la promptitude de l'exécution, avait 
été fait avec les seules forces de l'homme ; des 
masses inouïes de sahlc et de vase avaient été 
remuées, déplacées à la main. 

Pour le percement de 1 isthme de Suez , les 
4'orces de l'homme ne devaient pas être mises 
seules en jeu ; les foires mécaniques allaient leur 
venir en aide et cela avec une puissance qu'on ne 
leur avait point encore connue. 

De véritables esclaves de fer et d'airain de- 
vaient être créés pour coopérer à cette œuvre de 

(i) Les cent quinze mille hommes employés à ce 
travail furent divisés en contingents dont les places 
furent marquées par îles poteaux. On lit aux ouvriers 
une distribution d'outils : une pioche par cinq hommes. 
L'un maniait l'outil ; un second chargeait les paniers ; 
les trois autres transportaient en courant le contenu 
à l'endroit où le vice-roi avait décidé rétablissement 
d'une route. 



l'égypte et LE CANAL JJE SUEZ. . 13o 

géaut et rivaliser avec les bras et la vigueur d'une 
armée de travailleurs infatigables. 

Entrepris un demi-siècle plutôt, alors que la 
puissance de la vapeur avait à peine dit son 
premier mot, le percement de l'isthme de Suez 
eut épuisé les forces de plusieurs générations 
d'hommes, peut-être même eut-il été impossible. 

Arrêtons-nous donc un instant, pour étudier 
comment s'est réalisée cette transformation appor- 
tée à notre temps dans le travail de l'homme par 
la science mécanique. j 

Interrogé dans une enquête sur la définition à 
donner aux machines, un ouvrier anglais répon- 
dit : « Tout ce qui, au-delà des dents et des 
ongles, sert à travailler est une machine. » 

Cet ouvrier se trompait : « Les dents et les ongles 
sont eux-mêmes des machines, comme chacun 
de nôs membres qui sont des leviers. On pourrait 
tout au plus distinguer des machines naturelles 
et des machines artificielles; mais c'est là une 
distinction sans importance. La main est la plus 
admirable des machines : les outils qu'elle manie 
sont aussi des machines, et les machinos-outilsno 
sont que des outils puissants mis en mouvement 
par une force plus énergique que celle de l'homme. 

8 

i 



134 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

« L'outil est destiné à modifier dans s;i forme, 
ses dimensions ou sou aspect, un fragment quel- 
conque de matière. Les outils se sont perfection- 
nés comme le langage. D'abord grossiers et in- 
formes comme la pierre du chemin, comme le 
silex naturel, ils étaient tout à la fois les armes, 
les ustensiles et les outils do l'homme primitif. 
Plus tard, ils furent de silex poli, usé de manière 
à présenter des arêtes tranchantes , taillé en 
forme de hache, de flèche ou de couteau. Ceux-ci 
à leur tour cédèrent la place àdes outils de bronze 
nui seront remplacés par des outils de 1er et 
d'acier. 

«... Tant qu'on ne fit usage que d'outils tenus 
à la main, on ne travailla les grandes pièces mé- 
talliques qu'en petit nombre; aussi les premières 
machines à vapeur renferment-elles un certain 
nombre d'organes en bois et les transformations 
de mouvements sont-elles limitées. Un outillage 
plus complet et plus puissant pouvait seul per- 
mettre de travailler de grandes pièces et de réali- 
ser d'autres moyens de transmission que le balan- 
cier; d'autre part, la vapeur seule oflraitune force 
suffisante, et d'un emploi facile pour manier un 
outil plus énergique» On s'explique ainsi com- 



J • 

I 

L'ÉGYPTE et le canal DE SUEZ. 135 

ment la vapeur a été la cause directe et indirecte 
de la création des inachines-outils : La force de 
l'homme est remplacée par la vapeur et sa main 
par une machine. C'est tout à la fois la puissance, 
la régularité, la continuité, et l'amplitude des 
mouvements. » 

Or, jamais avons -nous dit les machines, ces 
doigts de fer et ces ongles d'acier auxquels rien 
ne résiste, n'avaient montré une plus formidable 
résistance qu'à l'isthme de Suez. Si la science ne 
nous avait accoutumé aux surprises de ses inces- 
sants progrès, nous croirions pouvoir affirmer qu'à 

■ 

cette occasion a été fait le suprême effort, a été 
dit le dernier mot de la vapeur appliquée à l'in- 
dustrie. 

Et cependant jamais appareil destiné à une 
œuvre aussi considérable ne présenta un ensem- 
ble plus simple ; c'est là ce qui étonne surtout la 
pensée :« Drague, longs-couloirs, élévateurs, cha- 
lands-flotteurs, gaharres à clapets latéraux. Kieu 
t le plus !.. 

« Mais ces appareil s construits dans un but spé- 
cial d'après des plans combinés en vue des condi- 
tions dans lesquelles il s'agissait d'opérer, sont des 
machines types qui n'ont pas de précédent analo- 



13C L Éf.YPTE F.T LE CANAL DE SUEZ. 

gue et qui serviront de modèle si jamais, sur un 
autre point du globe, l'art de l'ingénieur renou- 
velle une semblable entreprise. » 

« Parlons d'abord de la drague : véritable navire 
de fer portant et logeant une énorme machine à 
vapeur elle fait, dirigée par quatorze hommes (1) 
le travail qu'un millier de terrassiers ferait à 
peine ; elle remue en dix heures quinze cents 
mètres cubes, trois mille de kilogrammes !... que 
ses lourds godets apportent incessamment au 
long-couloir. » 

Ce long-couloir est ainsi décrit par M. de 
Lesseps lui-même : « Figurez-vous une fois et 
demie la longueur de la colonne Vendôme coupée 
par le milieu, appliquée au haut de la drague par 
un bout, déversant au loin par l'autre le produit du 
dragage et formant au milieu du canal comnn- 

un pont volant. 

« Les dragues pourvues de cet appareil et cons- 
truites de manière à l'utiliser ne déversent pas les 
déblais comnn" 1 le font les dragues ordinaires, dans 

(43 Le chef dragueur, le mécanicien, trois hommes 
atudu'-s à la machine, plus huit; hommes d'équipage 
et un mousse. 



I 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 137 

des bateaux qui viennent les accoster. Elles amè- 
nent les déblais directement sur les berges, et cela 
à des distances de 00 à 70 mètres. 

« Cet appareil est une des plus heureuses inno- 
vations parmi celles que notre entreprise ait fait 
naître, et le spectateur le plus indifférent comme 
l'ingénieur le plus expérimenté, est vivement 
frappé par la vue de cette immense machine, qui 
creusant le milieu du canal, verse au-delà de ses 
bords des torrents d'eau et de terre... » 

Pour juger de l'ensemble de ce travail, il faut 
gravir les quatre étages de l'escalier de fer con- 
duisant à la lanterne qui couronne la charpente 
de ladrague. « Arrivé au plus haut palier, on se sent 
pris de vertige en face de la majestueuse grandeur 
de cet ensemble de mouvements d'une précision 
admirable et d'une force irrésistible, se mêlant 
au grondement des roues, au^grincement des 
chaînes, aux trépidations imprimées à l'appareil 
chaque fois que les godets laissent tomber leur 
contenu dans le couloir, au tremblement profond 
qui secoue toute la drague quand le couteau d'un 
godet, après une énergique morsure, arrache du 
fond du canal une pleine charge de matière sableuse 
ou quelque énorme pierre perdue dans la masse.» 

8. 

f 



138 l'êgypte et le kanal de suez. 

L'élévateur esL un long biiti formé de deux pou- 
tres en fer reliées et soutenues par un treillis de 
fer ; cet appareil repose sur un solide charriot à 
huit roues que l'on fait circuler sur des rails le 
long des talus, pour y recevoir les wagons chargés 
do terre que lui amènent les chalantls. les élever et 
les déverser aux lieux où ils doivent régulariser le 
sommet des tertres. 

m 

Enfin, les chalands-flotteurs et les gaharres à cla- 
pets complètent par un attirail naval, d'une grande 
perfection, l'attirail terrestre que nous venons de 
décrire (1). 

Tels sont les immenses préparatifs faits on vin» 

(1) Dès le moment où les chantiers fonction nère ni 
d'un bout à Pautre de la ligne avec tout leur matériel 
installé, Pensemble de ce matériel comprit une force de 
22,000 chevaux-vapeur. 

Pour mieux taire comprendre rimpurtanre de ce 
chiffre, nous allons évaluer combien de bras d'hommes 
il représente* 

En tenant compte de la différence de sol et de climat, 
on estime ({ne le rendement de deux millions de mètres 
cubes de déblais correspond à un rendement; de deux 
millions cinq cent mille mètres cubes en Europe; soit 
80,000 métros cubes par jour représentant le travail de 
4O}0ÔQ hommes en cas de transport à moins de 35 mètres 



LÏîfiYITH ET LE CANAL DE SUEZ. 139 

d'une entreprise que beaucoup de gens traitaient 
de rêve et d'utopie et dont M. de Les seps était 
peut-être le seul à envisager sans crainte l'issue. 
Nous nous trompons, un autre esprit ferme et 
persévérant, lu khédive n'éprouvait ni hésitation, 
ni inquiétude. La confiance de M. Lesseps l'avait 
gagné ; il avait foi dans le succès. Peut-être cepen- 
dant n osait-il le rêver aussi complet et aussi 
prompt qu'il l'a été. 

de distance et celui d'un nombre double avec un trans- 
port plus éloigné. 

Si on ajoute à ces chiffres les obstacles imprévus, 
les infiltrations d'eau, les écoulements, etc.. ,on se 
trouve en [irésonce d'éventualités et de besoins qui 
doublent presque la main-d'œuvre ; ce n'est donc pas 
i,rop d'évaluer à cent cinquante mille le nombre d'hom- 
mes dont la présence aurait été nécessaire pour réaliser 
le travail fait par les machines avec l'aide d'un nombre 
oiïoctu de douze mille ouvriers, nombre qui, à dater 
du moment où In matériel a été complet dans les chan- 
tiers du canal maritime, n'y a jamais été déliassé. 



140 



L EGYPTE ET LE CANAL DE S F M. 



VII. — Commencement des travaux. — Le 

CANAL D EAU DOUCE s 

Une société financière s'était formée ; tout était 
prêt, on n'attendait plus que le signal qui devait 
mettre en mouvement l'armée pacifique prête à 
envahir l'isthme de Suez, non pour y porter le fer 
de la conquête, mais pour lui ouvrir des destinées 
merveilleuses et toutes pacifiques. 

Ce signal, nous l'avons dit, c'est le Sultan 
qui devait le donner. À titre de suzerain de 
l'Egypte il lui appartenait en cil et de confirme]' 
ou d'infirmer les concessions faites à M. de Les- 
seps par le khédive. 

Or, ici devait se faire sentir la malveillance ja- 
louse d'une puissance rivale de la France ; l'An- 
gleterre effrayée de l'ascendant que devait nous 
assurer en Orient le succès d'une œuvre aussi pro- 
digieuse et, menacée, pensait-elle, dans son omni- 
potence dans l'Inde par la facilité de eoinmunica- 
tions ouvertes au reste de l'Europe par la voie 
nouvelle, fit tous ses efforts pour faire échouer le 
percement de l'isthme. 



* 



L'éOVPTE V.T LE CANAL DE SUEZ. 141 

Il ne fallut rien moins que la rare persévérance 
de M. de Lesseps pour déjouer ce mauvais vou- 
loir, ri K* f>f^ v - j t «>vHK 

La Sublime-Porte, influencée par l'Angleterre, 

semblait craindre d'autre part de fortifier un vas- 
sal déjà trop puissant à son gré , en faisant de 
1 Egypte la route de l'Inde, c'est-à-dire le lieu de 
passage et l'entrepôt d'un commerce immense (1), 

(1) Le journal ries 'Débats — 26 novembre 1857 — 
appréciait ainsi le mouvement commercial qui déjà se 
manifestait à. Suez sous l'influence de la puissante ad- 
ministration de Mohammed-Saïd : « Chameaux et bar- 
ques arabes, tout cet attirail décrépit de la tradition 
musulmane menace ou plutôt promet de disparaître 
avant qu'il soit longtemps devant trois puissants agents 
du progrès : rétablissement de la navigation à la va- 
peur sur la mer Rouge qui, vivement encouragée par 
le pacha commencera, dit-on, dans peu de mois son 
œuvre ; l'achèvement du chemin de fer du Caire, 
et s'il plaît à Dieu — malgré l'Angleterre. — l'ouver- 
ture du canal de Suez. On conçoit que pour les barques 
chétives non pontées et misérablement armées des 
marchands d'Arabie, la mer Rouge n'ait guère été 
jusqu'ici qu'une nier hérissée de difficultés et de dan- 
gers : de bons bateaux à vapeur, commandés par d'ha- 
biles ca pitaines, franchiront aisément en quelques jours 
l'espace qu'on a toujours mis plusieurs semaines et soir 



142 



l/ÉfiYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



Ici nous devons revenir de que Iquespas c ti arrière : 
M. de Lesseps qui s'était rendu à Gonstantinople 
où il pensait n'avoir à remplir qu'une simple for- 
malité, se trouva donc en présence de difficultés 
sérieuses; le gouvernement et le sultan lui-même 
témoignaient d'une apparente lionne volonté . 
mais sir Stratford de Retcliffe, ambassadeur d'Au- 
gle terre opposait son veto et il était aisé de juger 
([u on n'aurait pas facilement raison de cet obstacle. 
Pensant avec justesse, q^i f ainsi posée ,1a (question 

vent plusieurs mois à parcourir. Si le gouvernement 
égyptien qui se montre animé des intentions les plus 
éclairées, Veille soigneusement h ce que les tarifs de la 
navigation comme ceux du chemin do for soient mode- 
rés, il assurera à l'Egypte, indépendamment du com- 
merce de l'Yémen, de THedjaz, de 1* Arabie, de i'Adra- 
maùt, tout le trafic, depuis quelques temps en rapides 
progrès, de la côte des Saumaiis, de Zanzibar, de So- 
fala, de Mozambique, de î'Abyssinie, du Soudan, du 
Darfour, en un mot de toute l'Afrique orientale, 
dont les relations s'effectuent en grande partie par 
le Cap : et Suez, aujourd'hui pauvre et triste bour- 
gade située au fond d'une sorte d'impasse, deviendra 
certainement l'un des centres importants du monde 
commercial (*). 

(*) On sait comment rexpéricnrn Q justifié ce jugement. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 143 

était devenue européenne, M. de Lcsseps au lieu 
d'insister auprès de la Sublime- Porte, prit le parti 
de porter sa cause devant le tribunal des grandes 
puissances. 

« La période de discussion commença. Elle fut 
menée avecbeaucoup d'ardeur etune grande abon- 
dance de bonnes raisons. Les adversaires du pro- 
jet qui se rencontraient surtout en Angleterre, ne 
trouvaient à opposer à l'exécution du canal que 
quatre objections, variées à l'infini dans la forme 
et dans les détails, mais toujours les mêmes. Ils 
disaient: 

« 1° Que le projet était inexécutable et chimé- 
rique ; 

« 2° Que fût-il mis à exécution, les produits 
du canal seraient insuffisants à compenser les frais 

■ 

que son percement aurait coûtés; 

« 3° Que cette entreprise, si elle aboutissait, 
tendrait à séparer l'Egypte de la Turquie et 
mettrait le premier de ces deux pays en état de 
se rendre indépendant de l'autre; 

« 4° Que l'ouverture de l'isthme était une me- 
nace pour reinpire Anglo-Indien et, qu'au point, 
de vue politique, il causerait un grand préjudice 
aux intérêts de la Grande-Bretagne. * 



14 i L ÉLfVPTK KT I.E CANAL DIS SUEZ. 

« Pas une de ces assertions ne soutenait l'exa- 
men; » (l) el cependant il se trouva, même en 
France, une foule d'esprits éclairés qui s'enga- 
gèrent dans la discussion et firent tous leurs 
efforts pour combattre une entreprise si glorieuse 
pour notre siècle. 

Mais grâce à Dieu, M. de Lesseps est une de 
ces natures dont on peut dire qu'elles sont « iné- 
branlables comme le roc»; il accepta la lutte et ne 
se retira de l'arène qu'après avoir réduit ses 
adversaires à l'impuissance. 

Une commission internationale de savants et 
d'ingénieurs formée par ses soins, se rendit sur 
les lieux afin d'explorer le désert de Suez et de 
déterminer les difficultés réelles que pourraient 
rencontrer les travailleurs. 

Pendant ce temps, il faisait appel aux prin- 
cipaux représentants du commerce maritime an- 
glais, qui se déclaraient en faveur du projet. 

Lord Palmerston intervint alors; la presse 
anglaise , influencée par sa décision, apporta 
dans la question une violence qui eut à coup 
sûr fait hésiter un jouteur moins sur de lui- 

i 

i M + Kmi Merruau, \ Egypte contemporaine. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 145 

même que M. de Lesseps. Pour toute réponse 
aux diatribes, aux menaces dont il était l'objet, 
il se borna à presser de tout son pouvoir les tra- 
vaux de la Commission (1). 

Après une longue étude, et à la suite d'obser- 
vations faites sur tous les points où pouvaient 
surgir quelques difficultés, la Commission « dé- 
clara solennellement que l'exécution du canal 
entre les deux mers était non-seulement possible, 
mais facile. » 

Cette décision fut, — après examen approfondi 
des travaux qui l'avaient dictée, — approuvée par 
l'Académie des sciences de Paris, et les principaux 
corps savants de l'Europe lui donnèrent leur 
adhésion (2). 

(1) Cette commission se composait d'ingénieurs hol- 
landais, anglais, espagnols, autrichiens, prussiens, sardes 
et français. Elle comprenait en outre des marins 
français et anglais et un ingénieur hydrographe de ta 
marine française. i 

(2) Parmi les sociétés savantes qui accueillirent avec 
la faveur la plus empressée le projet de percement de 
l'isthme de Suez, nous citerons, outre l'Académie de : - 
sciences que nous venons de nommer et qui, à deux 
reprises différentes et à l'unanimité donna son appro- 
bation aux communications qui lui furent faites par 

g 



L46 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



La Turquie se décida alors à autoriser les tra- 
vaux de la Compagnie universelle. 

Lord Palmerston ne se tint pas pour battu; 
après s'être oublié jusqu'à formuler, à la tribune 
du parlement anglais, des paroles outrageantes 
pour M. de Lesseps, insultes qui provoquèrent 
l'indignation de l'Europe entière — le grand mi- 
nistre anglais se rejeta sur la raillerie : «Lesseps, 
répétait-il à tout propos, se précipite avec lafuria 
française ; mais il manquera de souffle chemin 
faisant. » • V 1 ~* : 

M. le baron Charles Dupin, des études préparatoires 
l'a i ï os à ce sujet. Nous citerons, disons-nous, en France, 
V Académie française qui, après avoir félicité M. de 
Lesscps de. sa courageuse initiative, choisit pour 
concours de poésie le percement de l isthme de Suez (*), 
la Société impériale de géographie, la Société d^acclimata- 
Hon et le Cojigrès scientifique. A l'étranger : Les Sociétés 
économiques de lîarcelone et de Madrid ; VAvadémir 
royale de Turin ; Y Académie des sciences de Naples ; 
VJnstilut de Venise ; V Académie des sciences d'Amster- 
dam ; la Société scientifique de Harlem ; V Académie im- 

(*) Le prix de ce concours fut remporté en 18G1, par M. 
le vicomte Henri de Bornier. C'està ce remarquable poème 
%'uo nous avons emprunté les beaux vers cités an com- 
mencement de cette second»- partir «le nuire travail. 



Ij EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. f 4*î 

Bien qu'il n'ait point vu Je succès complet 
de l'œuvre, lord Palmerston a assez vécu cepen- 
dant pour ne pouvoir douter du résultat. 

Ce n'est pas que l'Angleterre se soit tenue dès 
l'abord pour vaincue. Loin delà : lorsqu'eu 1863, 
la mort vint ravir à l'entreprise celui qui, après 
M. (Te Lesseps, en avait été le plus ardent propa- 
gateur, Mohamed-Saïd, elle reprit ses intrigues 
et obtint du gouvernement de la Sublime-Porte, 
deux décisions qui devaient porter un coup mortel 
au percement de l'isthme : « Le sultan exigea que 

pénale et royale des sciences (Autriche); 1 Académie impé- 
riale et royale de géographie (Autriche), et entin la Société 
impériale de géographie de Saint-Pétersbourg. 

L'intérêt témoigné par le commerce en faveur de la 
grande entreprise de M. de Lesseps fut plus vif encore, 
dit l'auteur auquel nous empruntons ces détails, que 
celui que manifestaient si unanimement 1ns représen- 
tants de la science, « De toutes parts , le* chambres de 
commerce, les conseils provinciaux, les grandes com- 
pagnies maritimes l'appuyèrent de leurs encourage- 
ments. Pour ne parler que de la France, les conseils 
généraux consultés répondirent par soixante-et-six 
votes favorables et cinquante-deux chambres de com- 
merce sur cinquante-quatre, donnèrent un avis con- 
forme. » 



r 



1 18 L EliVPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

le nouveau vice-roi Ismaïl-Pacha retirât de 
i'islhiiic son contingent de Fellahs ; il l'obligea 
en outre de résilier la concession du canal d'eau 
douce et des terrains environnants. » 

C'était la ruine de la Compagnie et L'anéan- 
tissement de L'entreprise. 

En face d'un péril si grand et si inattendu, 
M. de Les seps ne perdit rien de sa fermeté et de 
sa confiance. IL eu appela aux tribunaux ; Nubar- 
Pacha vint à Paris soutenir les prétentions du 
gouvernement égyptien qui, au foud avait le plus 
vif désir d'être forcé de remplir ses engagements, 
et qui en conséquence accepta avec empressement 
l'arbitrage de l'Empereur des Français. 

« Dès lors 1 Angleterre était vaincue : elle 
n'avait plus qu'à s'incliner deva n t le fait accompli, 
en attendant l'heure d'en profiter. » 



L EGYPTE ET I.E CANAL DE SUEZ. 



VIN. — M. Ferdinand de Lesseps. 

Nos lecteurs ne s'attendent pas à ce que nous 
les fassions assister à la marche de celte œuvre 

• * * 

gigantesque qui nous saisirait d'admiration et tic 
surprise, si nous en lisions le récit dans l'histoire 
de l'antiquité, et que notre temps a vu s'accomplir 
sans trop d etonnement, accoutumé qu'il est aux 
audaces de la science moderne. 

Il nous suffit d'avoir indiqué dans quelles con- 
ditions s'est produite l'idée-mère de cette noble 
entreprise; quel appui elle a rencontré chez un 
grand prince et chez son successeur, quels élé- 
ments de réussite lui sont venus en aide, et, d'une 
autre part, quels obstacles lui ont été suscités et 
comment elle les a surmontés. 

Arrivant tout à l'heure au résultat obtenu, nous 
montrerons les deux mers se rencontrant et nié- 

* 

huit leurs eaux sous les yeux attentifs de plusieurs 

jff ■ 

souverains et des délégués de la science, des 
lettres et de l'industrie du monde civilisé. 

F 

Mais entre ces deux récits, ou plutôt entre les 
deux parties d'un même récit auquel il ne manque 



150 l/ÉGYPTK ET LE CANAL DE SUEZ, 

que la voix inspirée d'un poète pour prendre les 
vastes proportions d'une admirable épopée, il 
nous semble qu'il est de toute justice de faire 
halte un instant pour esquisser le portrait de celui 
qui en est le principal héros. 

Né à Versailles, le 19 novembre 1806, M. Fer- 
dinand de Lesseps devait voir surgir, de toutes 
parts, autour de son enfance, des exemples et des 
impressions de nature à développer en lui le goût 
des grandes entreprises et à fortifier l'esprit d'éner- 
gie et de persévérance qui, dès le berceau, fut le 
trait saillant de son caractère. 

C'était le temps, en effet, où les bulletins jour- 
naliers de nos victoires allumaient, avant l'âge 
dans un cœur d'enfant, lus ardeurs du patrio- 
tisme et la fièvre de la gloire ; le temps où les 
jeunes générations croyaient tout possible au 
génie de la France aussi bien qu'à son épée. 

Le jeune Ferdinand de Lesseps trouvait en outre 
au foyer même de la famille, un aliment de nature 
à entretenir et à développer' sans cesse ce puissant 
enthousiasme, qui devait survivre en lui aux en- 
traînements de la première, jeunesse M l'accom- 
pagner pendant tout le cours de sa vie. 

Les traditions d'honneur, do courage, de ta- 



- 



t 



l'égypte et us canal de SUEZ. 151 

■ 

lent, abondaient autour de lui, et son intelligence 
s'éveilla aux récits de nobles entreprises accom- 
plies par des hommes de son sang et de son nom. 

C'est ainsi , par exemple , que parti avec La- 
peyronse pour le voyage de circumnavigation où 
l'illustre explorateur trouva la mort, un Lesseps (i) 
fut l'unique des compagnons de l'infortuné navi- 
gateur qui revi,t la France, à laquelle il rapporta 
les seuls documents que nous possédions sur 

a 

cette expédition. 

11 s'était séparé de Lapcyrouso sur les côtes du 
Kamchatka et avait traverséen traineaules steppes 
glacés de l'Asie jusqu'à Saint-Pétersbourg, où il 
était arrivé après deux années d'aventures péril- 
leuses. 

Sou frère, le comte Mathieu de Lesseps, père de 
celui dont nous essayons d'esquisser la vie, avait 
suivi la carrière diplomatique. Tour à tour repré- 
sentant de la Franco nu Maroc, en Egypte, en 
Espagne, il avait eu, lui aussi, maintes occasions 
i de lutter contre les difficultés el de déployer cette 
' fermeté qui semble héréditaire dans cette famille. 
Les antécédents du père, les services rendus et 

(]) M. H.'ivtliclomy <l»* ï>sseps. 



152 L'ÉCtYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 1 

les souvenirs laissés par lui dans la carrière diplo- 
matique, décidèrent de l'avenir du fils. 

Dès les premières années du gouvernement de 
Juillet, nous le trouvons consul en Egypte, où, 
quoique bien jeune encore, il est clnr-c de l in- 
térim du consulat général. 

g 

En 1834, la peste sévit en Egypte avec une 
violence inouie.Les Européens résidant à Alexan- 
drie sont frappés de stupeur et préparent d'au- 
tant plus de victimes au fléau , qu'ils essaient 
moins de réagir contre l'épouvante qui les domine. 

Seul peut-être au milieu de cette panique du 
premier moment, un homme, un Français, envi- 
sage le péril sans effroi. Il fait plus, il lutte corps 
â corps contre le terrible fléau - il dispute, il arra- 
che à la mort ses victimes, en leur remontant le 
moral, en leur rendant le courage et 1m résigna- 
tion. ■' ' . - : ^ r f IÇ Jï l *p|PWé?i4f jvtsfà 

Cet homme, c'est M. Ferdinand de Lesseps ! 

Sur ces entrefaites, un conflit est sur le point 
d'éclater entre le sultan et le vice-roi: le jeune 
représentant de la France, par son esprit de con- 
ciliation et de prudence, rétablit fichons rapports 
entre les deux princes. 

Et par ce double service, il soutient noblement 



l'kcypte et r.E canal ru: suez. j:>:î 

la réputation laissée dans le pays par son père à 
qui les circonstances avaient permis de contribuer 
h l'élévation de Méhémet-Ali au pouvoir. 

Dès ce moment la sympathie du khédive pour 
le jeune diplomate, sympathie jusqu'alors basée 
sur l'amitié qu'il avait vouée au comte Mathieu, 
s'appuya sur une estime personnelle, sur une re- 
connaissance directe, si l'on peut ainsi parler, et 
des liens d'intimité et dé confiance, qui nedevaient 
jamais s'affaiblir, s'établirent entrela jeune famille 
du vice-roi et M. Ferdinand de Lesseps. 

Un changement de résidence qui devait le faire 
marcher pas à pas sur les traces de son père, 
appela en 1833, M. de Lesseps en Espagne. 

Le bombardement de Barcelone, en 1842, à la 
suite de troubles politiques, le trouve consul dans 
cette ville et met pleinement eti lumière le géné- 
reux dévouement de l'homme privé et. l'énergique 
fermeté du fonctionnaire. 

Intervenant avec autant d'habileté que d'à-pro- 
pos il sut pourvoir à la sûreté do ses nationaux et 

i 

sauvegarder leurs intérêts. 

Là ne se bornèrent pas ses soins : après avoir 
fait donner asile à bord des navires français aux 
Espagnols dont la vie était cil péril, il sauva par 

9. 



K"i4 i/kiiypti: p:t lh caîvat. ue suez. 

d'heureuses démarches la ville d'un désastre com- 
plet. Cette conduite lui valut les témoignages les 
plus spontanés et les plus précieux de la reconnais- 
sance et de l'admiration générale. 

L'évêque de Barcelone lui adressa des remercie- 
ments publics au nom de son église et des fidèles 
de son diocèse. 

La Chambre de commerce de ki même ville 
commanda sa statue en marbre et lui vota des 
remerciements ; les résidents français lui firent 
frapper une médaille. 

Ces témoignages de juste gratitude trouvèrent 
un écho sur tous les points de l'Europe : plusieurs 
chambres de commerce, notamment celle de Mar- 
seille, lui votèrent une adresse. Les gouverne- 
ments étrangers dont il avait sauvegardé les natio- 
naux le firent remercier par voie diplomatique 
et pour la plupart lui conférèrent les insignes de 
leurs ordres ; en lin le gouvernement français le 
nomma officier de la Légion d'honneur et échan- 
gea son titre de consul contre celui de consul gé- 
néral, tout en le maintenant à ce même poste de 
Barcelone, où il venait de jeter un si yrand éclat 
sur le drapeau de la France devenu par ses soins 
l'étendard du la conciliation et de la paix. 



L KftYPTE ET LE CANAL^ DE SUEZ. 1 155 

Une brillante carrière devait suivre de si beaux 
débuts ; en effet, envoyé par le gouvernement pro- 
visoire de 1848, à Madrid, comme ministre pléni- 
potentiaire, et chargé bientôt après d'une mission 

■ 

conciliatrice à Rome, M . de Lesseps semblait desti- 
né à quelque poste diplomatique de premier ordre, 
lorsque un désaccord survenu entre lui et le .gou- 
vernement français, sur la conduite à tenir vis-à- 
vis la République romaine ayant donné lieu à son 
rappel, il demanda sa mise en disponibilité. Bien- 
tôt après il renonçait définitivement à la vie po- 
litique et reportait toute l'activité de sa pensée 
sur un projet dont la première idée remontait, 
paraît-il, à son arrivée en Egypte, en 1831. 

Ce projet, que l'ingénieur Lepère avait déclaré 
irréalisable etqui avait fait sourire plus tard, lorsque 
le chef des saints simoniens, le célèbre père En fan- 
lin en avait émis l'idée, avait pour but de corriger eu 
quelque sorte un oubli de la nature, en faisant dispa- 
raître unedes deux barrières placées sur la ceinture 
maritime qui entoure le globe de l'ouest à l'est ( 1 ) . 

(1) La seconde de ces barrières, l'isthme de Panama 
entre les deux Amériques, va, paraît-il, bientôt dispa- 
raître à son tour. Dès lors le problème de la circum- 
navigation du globe sera entièrement résolu. 



Ijfi I.'ÉfiVPTK ET I.E CANAL DE 3UBZ, 

Après cinq années ainsi employées à de laborieu- 
ses études, un de ces coups de la Providence qui, 
au moment où on s'y attend le moins, se plaît à 
intervenir et à faciliter l'exécution de plans aux- 
quels elle semblait étrangère bien qu'elle les eut 
inspirés et éclairés en secret, vint ménager à 
M. de Lesseps la réalisation de ce qu'il n'avait 
guère jusqu'alors pu considérer que comme un 
beau rêve. 

Tant qu'Abbas-Pacha était pacha d'Egypte, 
une œuvre comme 'celle qu'il méditait était, en 
effet, impossible. 

Or, non-seulement 1 avènement de Mohamed- 
Saïd au trône modifiait la situation, mais encore 
un des premiers actes du nouveau Khédive eut 
pour résultat d'aplanir les voies devant M. do 

Lesseps. 

• Mohamed-Saïd désireux de s'appuyer sur les 
amis de sa jeunesse et de puiser, dans leur expé- 
rience de la civilisation de l'Europe, les moyens 
de travailler à la prospérité de son peuple, avait 
tout d'abord pensé à M. de Lesseps et l'appelait 
auprès de lui. 

M. de Lesseps se rendit avec empressement à 
cette flatteuse invitation, et mettant à profit l'in- 



I 



J. ÉOYPTE ET LE CANAL DE SIEZ. 157 

timité de ses rapports avec le prince, il sut lui 
inspirer ses convictions au sujet de la possibi- 
lité du percement de l'isthme de Suez. 

Mohamed-Saïd ne perdit pas de temps: appor- 
tant dans l'exécution de l'œuvre dont il compre- 
nait ln grandeur el l'opportunité, toute l'activité 
de son Caractère, il eut stimulé au besoin l'ardeur 

p 

de M. de Lesseps. 

Sur sa demande un mémoire lui fut présenté, 
le 15 novembre 1854; quinze jours plus tard il si- 
gnait au Caire le premier firman et concession 
dont nous avons parlé précédemment. 

L'action était engagée ; nos lecteurs ont vu M. 
de Lesseps à l'œuvre; ils applaudiront tout à 
l'heure h son triomphe. 

Il ne nous reste pour terminer qu'à choisir au 
hasard, pour les reproduire ici, quelques traits ty- 
piques du portrait que nous avons cherché à es- 
quisser. 

« M. de Lesseps est diplomate, ingénieur, ora- 
teur, homme d'action en même temps que pen- 
seur et homme d'étude. Sa physionomie révèle 
ses multiples qualités : le front un peu fuyant 
indique la tendance à l'imagination, aux hardies 
conceptions qui tiennent du rêve ; mais le reste 



158 j/kgyptk et lk canal hk suez. 

du visage révèle une fermeté et une précision de 
volonté qui prouvent que le rêve peut se réaliser. 
Le nez est fortement arqué, indice de l'énergie 
militante. Les yeux, petits, noirs, étincèlent, et 
leur regard exprime la finesse sans que la fran- 
chise en soit exclue. La chevelure et les mous- 
taches blanches donnent à l'ensemble de cette 
tête un aspect martial. » 

Le caractère dominant du génie de M . de Les- 
seps, ce qui a fait sa force et assuré son succès, 
c'est la simplicité et la vérité. « Son éloquence, 
en effet, consiste surtout dans le naturel avec le- 
quel il exprime de grandes choses ; l'auditoire est 
saisi, entraîné par ce constraste. M. de Lesseps 
possède le grand talent de provoquer 1rs applau- 
dissements avec un mot, un chiffre. En Franco, 
en Angleterre, il a remué des milliers d'hommes 
par la seule éloquence de l'exactitude. Il y a des 
questions qui passionnent d'autant plus qu'elles 
sont présentées avec plus de vérité. » M » 

Mais c'est en Egypte surtout que son ascendant 
se montre dans toute sa puissance, s'exerce dans 
toute son étendue. 

Les Arabes l'entourent d'une sorte de culte : 
« Quand ils le voient passer enveloppé d un 



L EGYPTE i-T LE CANAL DE SUEZ, 159 

burnous et monté sur son dromadaire blanc, ani - 
mal presque fantastique, il leur semble qu'Allah 
a suscité cet homme pour les mener vers une con- 
quête qu'ils ne comprennent qu'à demi, mais dont 
ils parlent avec étounement sous leurs tentes » 



TROISIÈME PARTIE 



•loivr/rio^i des deux mer». 



T. — Le premier coup ni? pioche. 

Un témoin oculaire écrivait de Port-Saïd le 
24 avril 1850: « Me voici arrivé depuis hier... Notre 
traversée n'a pas été trop agitée. Le capitaine avait, 
déjà fait la route et n'a pas hésité, pour se diriger 
vers la terre, juste au point voulu. Et il y a à cela 
un certain mérite, car la plage très-basse ne se 
distingue pas de loin. Les abords de Port-Saïd 
sont indiqués seulement par une petite tour avec 
un mât qu'on appelle le signal Larousse... On dit 
que nous ne sommes pas très-loin de l'a u tique 
Prluse qui a eu jusqu'à cent mille habitants... dont 
il ne* reste plus un seul. Il y a aussi à une dis- 
tance de deux heures, à l'ouest dans la Menzaleh, 
un îlot couvert de monceaux de briques provenant 
des ruines de Tennis. 11 paraît que ca était une 



162 l'ÉGYPTF. ET LE CANAL LiF STT/. 

grande cité, voii*e même un évêché au xi e ou xn* 
siècle. Je le veux bien, mais ce qu'il y a de certain, 
c'est qu'on n'y trouve plus que les briques en 
question. 

« Si du moins on s'empresse de nous en cons- 
truire des maisons, il y aura un peu de consolation; 
mais pour l'heure, nous sommes sous la tente et 
.c'est tout ce qu'il y a de moins confortable... Dé- 
barqué hier à midi j'ai été comme asphyxié en pé- 
nétrant dans mon logement de toile. Après six 
heures de terrible soleil j'ai été saisi l\ l'arrivée de 
la nuit par une humidité subi le . A minuit j'ai jeté 
sur moi toute ma défroque, mes couvertures ne 
suffisant pas à me réchat iilei \ Enfin, sur les deux , 
heures du matin, ne pouvant *plus résister à l'en- 
gourdissement, j'ai dû me lever pour me livrer à 
un exercice violent. Je prends mes chaussures 
dans l'obscurité, j'y mets le pied, j'entends un cra- 
quement et je suis pincé jusqu'au sang. J'allume... 
«les centaines de petits crabes se promenaient au- 
tour de mon lit. Quanta la tente, son dôme s etaril 
infléchi sous le poids delà rosée. Je m'y ferai ; 
niais ce premier essai m'a un peu ébranlé (1). 

* 

(l) Nous reproduisons cette description, afin que nos 

■ 



1 



h EGYPTE ET LE CANAL DR SUEZ. 163 

« . . . Demain on doit se réunir sur la plage de 
Port-Saïd pour donner le premier coup de 

pioche 

« A après-demain le récit de cette solennité. » 



26 avril 1859. 

«La manifestation annoncée a eu lieu. Je dia 
manifestation, parce qu'il me paraît évident, que 
M. de Lesseps a eu surtout pour but de montrer 
:i tous les intéressés qu'il ne veut rien négliger 
pour donner suite à son magnifique projet. Quant 
à constituer dès à présent un chantier véritable, 
nous ne sommes ni assez bien outillés ni assez 
nombreux, bien que, indépeni la minent d'une 
ilizaine d'Européens on ait réuni de cent à cent- 
vingt ouvriers indigènes. 

« Au surplus, si notre groupe était comme perdu 
dans l'immensité, le cadre même de la scène et 
l'idée de la grandeur de fjœuvre à accomplir ont 

lecteurs puissent comparer un établissement au début 
avec l'état de prospérité et de développement de l'isthme 
au moment où nous écrivons. 



104 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUE/. 

prêté à l'acte d'hier une solennité que ne saurait 
oublier aucun fin ceux qui ont été appelés à y 
assister. 

« ... M. de Lesseps a fait déployer le drapeau 
égyptien à la tête de la tranchée jalonnée sur 
le tracé du canal maritime, et nous a dit quelques 
mots d'une voix émue. On sentait qu'il avait con- 
science de l'immensité de sa tâche: mais en même 
temps l'énergique bonté empreinte sur son visage 
dissipait toute inquiétude. Chacun^ h son exemple, 
a commencé à creuser la tranchée où passeront 
un jour les grands navires faisant le voyage entre 
l'Occident et l'extrême Orient. 

« ...Avec la plus ferme confiance dans le succès 
définitif je n'ai jamais eu comme aujourd'hui le 
sentiment du gigantesque effort qu il faudra dé- 
ployer pour transformer, en un port, la lagune où 
l'on nous a réunis et pour creuser dans le désert qui 
nous sépare de la mer Rouge. Si nos chefs n'en 
sont pas effrayés, nous devons conserver notre 
calme ; je ne me sens pus du tout disposé au dé- 
couragement, seulement je vois surgir des diffi- 
cultés dont je ne me doutais pas. 

« Nous allons rester bien peu dans notre cam- 
pement avec un petit approvisionncmentde vivres. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 1 bô 

de l'eau dans des barriques et des outils. On nous 
occupera d'abord à ériger un phare... On doit aussi 
nous envoyer du bois pour faire un baraquement. » 

Tels furent les modestes débuts de cette entre- 
prise dont les résultats complets, rapides, éton- 
nent à bon droit le inonde!... * 



1 t>t> l'ÉOYPTE et le canal de suez. 



II. — Arrivée de la Méditerranée au lac 

Timsah. 

Moins do ijiiaLrc aimées plu^ Lard lr même cor 
respondaut écrivait : 

KMiuirs. H novembre 1862* 

« Unbeau spectacle en ce moment c'est celui des 
chantiers depuis le kilomètre 68 jusqu'au lac Tim- 
sah. Tous les ouvriers ont été massés sur ces huit 
kilomètres. Afin d'avoir terminé le IN de ce mois, 
jour lixé pour l'arrivée de la Méditerranée au lac, 
on travaille sans interruption jour el nuit, les équi- 
pes se relayant continuellement. 

«... On ne peut se faire une idée de Telle t pro- 
duit par mu* vingtaine de mille hommes sur nu 
pareil chantier. De jour, la large tranchée vigou- 
reusement éclairée par le soleil, qui rend éblouis- 
sant l'écî.'d du sable, paraît comme nue l'onr- 
millière humaine. Incessamment de longues files 
d'hommes montent les berges escarpées le long ■ les 
madriers, sur lesquels on a disposé des lattes en 



L KliVFTK ET LE CANAL DE SUEZ. 167 

travers pour figurer des marches, et vont jeter au- 
delà de la crête à 25 mètres de hauteur, le cou-, 
tenu de leur couffins , d'autres redescendent 
avec leurs paniers vides. Au fond du profil 
les hommes les plus forts piochent le sol avec 
leur l'as* , tandis que d'autres remplissent les 
couffins qu'on leur apporte. Pas un ne chôme... 

«La nuit ce tableau est encore plus saississan t 
s'il estpossiMe. Des centaines de Maehallahs dis- 
posés le long des berges éclairent la tranchée à 
la lueur de ces torches de bois gras qu'avivent 
continuellement des gardiens spéciaux. Les tra- 
vailleurs avec l'eurs corps bronzés et leurs vête- 
ments blancs ou bleus semblent une légion fan- 
tastique. Leur activité est d'autant plus grande 
que la température est fraîche et que le travail 
est mieux payé. De temps à autre quelque sur- 
veillant mi I.- rin'-iks du village entonnent un 
chant rythmé que répètent les porteurs en caden- 
cant leurs mouvements... » 

Et pour cadre à ce magnifique tableau, on a un 
panorama splendide : 

« Au nord et à l'ouest, le désert descendant à 
perte de vue du plateau sur lequel se détache El- 
(jriiisr, avec sa mosquée légère, ses toits blancs et 



1138 L EGYPTE ET LE CANAL DE SllîZ. 

sa chapelle coquette (S) ; à l'est, la tranchée dis- 
paraissant d'abord à pic sous les pieds, puis se 
montrant plus loin de biais, avec ^es rampes cou- 
vertes d'ouvriers; au sud, la nappe desséchée du 

* s. 

lac Timsah, noire de limon du Nil, tapissée de 
toulïes vertes et bordée de dunes à l'arête sinueuse. 

■ 

Au-delà, sur deux plans nettement accusés, la 
silhouette du mont Geneffe et de 1 Altaka. 

(1) Reconnaissant la nécessité d'avoir sur place des 
prêtres des trois cuites représentés sur les chantiers, 
M. de Lesseps a toujours eu soin que les grands cam- 
pements aient une chapelle catholique, une chapelle 
grecque et une mosquée, construites par la Compagnie* 
et desservies à ses frais. Là est peut-être le véritable 

secret de la manière vraiment merveilleuse duut 1rs 
travaux ont été dirigés et exécuté*. En effet, outre les 
pratiques de chaque culte qui étaient ainsi exactement 
assurées, les mariages, les baptêmes, les soins spiri- 
tuels à donner aux malades, les derniers devoirs à 
rendre aux morts, entretenaient dans cette population 
mobile une régularité de mœurs et des sentiments de 
famille qui en faisaient disparaître les inconvénients 
d'ordinaire attachés aux nombreuses agglomérations 
rie travailleurs. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 169 

o 19 novembre ISG'2. v 

« La fétc d'hior est île celles qui font époque... 

« Dès l'avant- veille les visiteurs arrivaient de 
toutes parts. Un train spécial gracieusement mis 
par le vice-roi à la disposition de M. de Lesseps 
a transporté du Caire à Zagazi ses invités. 

« Dès huit heures du matin, le 18, on s'est mis 
en marche vers le kiosque du chantier/VI. Voitures 
attelées de chevaux, chameaux, dromadaires, bau- 
dets ; tout avait été mis en réquisition, ce qui n'em- 
pêchait pas que le nombre des piétons, avançant 
péniblement sur la roule sablonneuse, tut encore 
considérable. Mais chacun était trop animé pour 
s'arrêter à de pareilles déceptions... 

«Le kiosque et ainsi qu'un large espace réservé 
devant sa façade nord étaient entourés de mats 
vénitiens aux banderolles de toutes couleurs. Ou 
entrait dans l'enceinte par un arc de triomphe orné 
de bannières et de branches de palmier. Sur le 
flanc est de la hauteur et bordant le sommet de 
la berge, une estrade couverte d une tente aux 
montants enlacés de palmes et de drapeaux qui 

10 



■ 



170 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

■ 

avait été préparée pour les autorités et pour les 
dames venues en assez grand nombre. 

« Au pied du talus, le chemin de hallage était 
encombré d'une masse compacte d'ouvriers euro- 
péens et indigènes. Quelques-uns se tenaieni 
par un miracle d'équilibre le long de la pente 
abrupte de la berge. 

« Sur un terre-plein méuaué entre le lac etleseaux 
de la Méditerranée (introduites depuis deux jours 
dans la tranchée) le chef de la religion de l'Egypte 

t 

à côté de TEvêque catholique et des Pères de la 
Terre-Sainte mêlés à des ulémas du Caire, étaient 
prêts à appeler ensemble la bénédiction du Ciel 
sur l'œuvre dont un des premiers succès allait 
s'affirmer solennellement. Le délégué du vice-roi 
à la tête d'un groupe d'officiers, représentait son 
souverain dont jusqu'au dernier moment on avait 
espéré la présence. 

«Monté sur le barrage, M. de Lesseps comman- 
dait aux ouvriers chargés de couper cet obstacle. 
Je me rappelais la scène du premier coup de pio- 
che. L'émotion de notre président était aussi 
grande. Malgré son empire sur lui-même, son 
visage était pâle; mais il exprimait cette fois 
un légitime orgueil. S'il avait eu de terribles 



L'EGYPTE ht le canal de SUEZ. 1 7 1 

luttes à soutenir, sa victoire n'en était que plus 
éclatante. 

« Au nom do sou Altesse Mohammed-Saïd, dit- 
il, je commande que les eaux de la Méditerranée 

m 

soient introduites dans le lac Timsah, avec la 
grâce de Dieu ! . . . » 

«A ces mots les pioches s'abaissent: en un ins- 
tant un sillon est creusé au centre des barrages et 
les hommes n'ont que le temps de se retirer sur 
la berge. Déjà l'eau se précipite en bouillonnant, 
élargit violemment l'ouverture qu'on lui a livrée, 
fouille, entraîne le sable et, rompant le reste de la 
digue, dépasse l'extrémité du seuil pour aller cou- 
vrir d'une nappe écumeuse les bords du bassin 
qu'elle doit remplir un joui 1 . 

«... De ma vie je n'oublierai cette journée où 
la mer, ramenée par la main de l'homme, a repris 
possession de son lit abandonné depuis tant d'an- 

« Du Port-Saïd jusqu'au lac Timsah, sur 75 ki- 
lomètres de parcours dans l'intérieur de l'Isthme 
une première passe du canal maritime était en eau 



172 L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 



III. — "Entrée de la Méditerranée dans les 

lacs Amers. 

Ismaïlia. 1î mars 1809. 

La population tout entière, — fonctionnaires, 
agents, ouvriers, industriels Arabes et Européens. 

se presse aux abords du chemin de fer prêt à 
saluer par ses vivats son Altesse Ismaïl I er venant 
pour la première fois dans l'isthme de Suez. 

« D'autres, dit le savant auteur auquel nous 
avons emprunti les deux tableaux i [ni précèdent ( I ), 
— d'autres ont pris soin de décrire sous l'impres- 
sion du moment les incidents de cette visite, les 
mille banderolles flottant au vent, les arcs de 
triomphes, les trophées d instruments de travail. 

les cantates et les fanfares.., tout le cortège enfin 
des fêtes improvisées à chaque étape de l'excur- 
sion, sur les chantiers du canal. v 

«Quant à nous, c'est un autre souvenir que nous 
voulons évoquer. 
« Il est peu de travaux humains, surtout à notre 

(1) M. Olivior Hitf. Histoire de t'isthme de Sur;, 



\ 

ï/ÉOYPTE ET LK C.ANÀI. DE SUEZ. 173 

époque marquée par les plus admirables progrès, 
qui n'aient leurs similaires en quelque point du 
globe. Avoir vu l'un suffit le plus souvent pour 
apprécier les autres. Mais un des côtés earacté- 
ris tiques de l'œuvre du percement de Suez, c'est 
qu'elle n'a pas eu de précédent, et qu'il a toujours 
été impossible de s'en faire une j uste idée sans 
avoir assisté à son exécution. 

« De là tant d'attaques , plus tard regrettées, 
dont elle a été l'objet ; de là aussi tant de chaleu- 
reuses admirations que sa vue a excitées. 

« Les sympathies des premiers temps s'expri- 
maient en encouragements chaque jour plus 
accentués: les incrédulités ignorantes ou systé- 
matiques avaient successivement cédé à l'évi- 
dence. 11 n'était plus le temps où toute une grande 
nation hésitait à se prononcer, en présence d'une 
opposition ministérielle qui s'était peut-être taci- 
tement condamnée elle-même. 

Toute l'Europe avait envoyé durant les 

quatre dernières années surtout, ses représentants 
les plus distingués dans l'isthme, dont la visite 
était devenue le complément obligé du péleri- 

g 

nage aux merveilles de l'Egypte, et l'étape in- 
diquée des voyages vers l'extrême Orient. 

10. 



— 



- 



174 l/ÉfiYPTK F.T LE l'ÏAN'AL DE SUEZ. 

« Quels devaient donc être les sentiments du 
khédive Ismaïl I er en venant lui-même se rendre 
compte des progrès de l'œuvre ? Ce n'était pas 
seulement un grand travail qu'il allait contem- 
pler : c'était le désert vaincu et refoulé ; c'était 
la vie apportée au milieu du sable; c'était une 
nouvelle province tirée du néant et conquise à 
ses Etats ; c'était la revanche qui s apprêtait par 
une grande victoire pacifique des défaites essuyées 
par les Turcs lors de l'établissement des Portu- 
gais dans l'Inde; c'était enfin, réalisé dans toute 
sa splendeur, le rêve de Néchao, de Darius, de 
Ptoléniée, de Trajan, d'Adrien, de Soliman, de 
Bonaparte , de Méhémet-Ali. 

« Mais ce que nous voulons rappeler ici, c'est 
la solennité présidée par le khédive : l'inaugura- 
tion du pertuis- déversoir destiné au remplissage 
du bassin des lacs Amers par l'eau de la Médi- 
terranée. 

« Après trois journées consacrées à l'examen de 
tous les chantiers, depuis Ismaïlia jusqu'à Port- 
Saïd, Son Altesse, s'embarquam sur un bateau à 
vapeur escorté par toute une flotille chargée de 
monde, traverse le lac Timsah et pénètre dans 
les tranchées de Toussoum et du Sérapéum. Le 



r 



J, BGYPTE ET LE CANAL \W. SUEZ. 175 

flanc des berges porte les traces profondes du 
bouleversement causé par l'abaissement subit du 
plan de l'eau douce jusqu'au niveau de la mer et 
le flot qui vient baigner leur pied rejette comme 
une écume diaprée, le corps de milliers de pois- 
sons, victimes de ce mariage insolite du Nil avec 
la Méditerranée. 

« Un débarcadère construit auprès du pertuis- 
déversoir, conduit à une estrade décorée de pal- 
mes et (le drapeaux, faisant face au canal d'intro- 
duction dans le bassin des lacs Amers, et d'où 
l'on aperçoit le déversoir dans tout son dévelop- k 
pement. 

« La passerelle pavoisée de l'ouvrage est garnie 
d'ouvriers , chargés de lever les poutrelles- 
aiguilles, pour livrer passage à l'eau. 

v A un signal donné par In prince, la première 
poutrelle de la travée centrale est dégagée. Un 
jet s'élance en sifflant par l'ouverture. Les autres 
poutrelles sont lovées à leur tour et le jet devient 
une gerbe, puis une cascade. Deux, trois, quatre, 
dix, vingt travées s'ouvrent encore ; le Ilot gagne 
de proche en proche, jaillit de toutes parts autour 
des rocs tapissant le chenal et augmente inces- 
samment de vitesse. Enfin, les cinq cents aiguilles 



17*1 l/ÙCVPTE KT I.K CANAL DE SUEZ. 

sont levées : la nappe d'eau rapidement grossie 
est devenue un irrésistible torrent qui passe en 
mugissant et qui se changeant plus bas en un 
fleuve couvert de flocons de sel, s'écoule vers le 
centre du bassin des lacs Amers... 

« Après avoir contemplé quelque temps cet 
émouvant spectacle, le khédive revient au Séra- 
péum,'et, avant départir pour le Caire, laisse le té- 
légramme suivant, adressé à Nuhar-Paeha . à Pari s . 

i 

» Sérapôum, 18 mars 1869, 1 heure du soir. 

« Je viens de visiter le parcours du canal et 
« j'ai assisté ;'t l'enfivt' des eaux de la Méditerra- 
« née dans les lacs Amers. Je rentre au Caire 
« plein d'admiration pour ce grand œuvre et de 
« confiance dans son prompt achèvement. 

Le même jour le président de la Compagnie qui 
avait télégraphié l'événement à sa Majesté l'Em- 
pereur Napoléon [II, recevait cette réponse : 

L'Empereur des Français à M. de Lesseps. 

Paris, 18 mars 1869, 5 heures 35 minutes du soir. 

« J'apprends avec plaisir l'heureux résultat de 
votre entreprise. L'Impératrice joint ses félicita- 
tions aux miennes. » « Napoléon. » 



L EGYPTE ET LE CANAL DE PUEZ. 177 

t 



TV. — Inauguration m? canal maritime. 

Voici vomie la dernière période de la lutte : le 
canal maritime destiné à relier la mer Rouge à la 
Méditerranée est entièrement creusé ; l'eau y a 
pris son niveau définitif, un hosphore créé de 
mains d'hommes est ouvert aux plus grands na- 
vires de toutes les nations du globe. 

Il ne reste plus qu'à inaugurer avec éclat cet 
admirable triomnlie de la volonté, de la science et 
du travail. Et pour rendre hommage à l'homme 
qui a snserôé cette grande œuvre, aux princes qui 
l'ont comprise et protégée, à l'année de vaillants 
combattants qui l'a réalisée, ce n'est pas trop que 
de convier les représentants de l'Europe entière ! 

Les invités du Khédive étaient, donc nombreux 
et choisis parmi l'élite delà société contemporaine. 
Les sciences, les arts, les lettres y étaient digne- 
ment représentés, et la terre des Pharaons pouvait 
à bon droit s'enorgueillir, en voyant ces manda- 
taires de 1m civilisation uioderne accourus de tous 
les points de l'Occident, pour assister au réveil de 
son antique gloire. 



178 LEfîYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

La généreuse hospitalité du Khédive avait pré-* 
paré à ses invités une réception réellement prin- 
cière. Impossible d'imaginer un accueil plus gra- 
cieux, plus attentif; impossible de mieux respecter 
lalibcrté de ses hôtes tout en veillant sans cesse sur 
leur bien-être et en devançant tous leurs désirs. 
Depuis leurs premiers pas sur le sol égyptien j us- 
qu'à l'instant de leur départ, rien de ce qui foiirluiii 
à leurs commodités et même à leurs plaisirs n'a été 
négligé. Dans tous les pays de l'Europe on parlera 
longtemps des prévenances délicates et de la somp- 
tueuse magnificence des princes et des peuples de 
l'Orient, naguère encore si hostiles à tout ce qui 
portait le nom chrétien (i). 

Mais arrivons sans plus tarder au jour fixé 

(1) La renaissance commencée par la France et con- 
tinuée d'une façon si glorieuse par Méhémet-Ali et ses 
.successeurs est — ainsi qLie le fait observer un dos in- 
vités Ou khédive — trop manifeste pour ne pas frapper 
les yeux les moins disposés à voir. Ceci explique pour- 
quoi le vice-roi a multiplié ses invitations et convié l'Eu- 
rope à venir en Égypte. Si forte qu'ait pu être la dé- 
pense, le pays a trop à gagner à ce qu'on le connaisse, 
pour que l'argent que quelques-uns prétendent avoir 
été jeté par les fenêtres, ne se trouve pas plus tard avoir 
Ht' un bon placement... 



LÉCiYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 179 

pour les fêtes de l'inauguration et cédons la plume 
à un des témoins oculaires. 

Ismaïlia, 18 novembre 1869. 

« Hier, suivant le programmerons les bâtiments 
* qui devaient figurer dans là fête d inauguration 
se sont mis en marche et sont entrés l'un après 
l'autre dans le canal. 

« L\4 important l'impératrice Eugénie, lus yachts 
de l'empereur d'Autriche, du prince de Prusse 
et des autres souverains ouvraient la marche. 

« Le P cluse venait à leur suite, et après lui les 
autres navires au nombre total de trente, formant 
trois divisions. C'était un spectacle imposant de 
voir cette escadre filer dans un ordre parfait, par 
le plus beau temps du monde et sous un ciel 
splendide. 

» « On ne saurait imaginer la joie, la confiance, 
\ enthousiasme qui éclataient de toutes parts; on se 
félicitait, on se serrait les mains, des vivats et 
des hourra hs frénétiques retentissaient jusqu'au 
fond du désert. M. de Lesseps était à bord de 
L'Aigle et ses deux fils à bord du yacht de l'empe- 
reur d'Autriche... » 
Le défilé dans le canal a duré deux jours. 



I 

/ 



180 l'égypte et le canal de suez. 

Le matin du second jour l'Aigle faisait son en- 
trée à dix heures du matin dans lu magnifique 
port de Suez, au bruit de l'artillerie et aux accla- 
mations de la foule. L escadre tout entière est 
venue se ranger à sa suite 

L'impératrice reçue à Suez avec l'enthousiasme , 
que sa présence a excitée partout, a donné là, 
comme dans toutes les villes de l'Orient, oii elle a 
fait admirer en elle le charme de la charité chré- 
tienne, sa première pensée à ceux qui souffrent : 
sa première visite a été pour l'hôpital où sa pré- 
sence est venue, connue un rayon de soleil, con- 
soler et encourager les pauvres malades. 

Constatons ici avec tous les témoins, des fêtes 
dont nous cherchons à esquisser rapidement l'en- 
semble. — Constatons qu'au milieu de ce con- 
cours de toutes les nations du monde civilisé et 

en présence d'un des plus imposants spectacles 
qu'il puisse être donné aux hommes de contem- 
pler; l'impératrice Eugénie a été pour jious, 
Européens, aussi bien qu'indigènes, l'objet d'un in- 
térét particulier. On se redisait les services qu'elle 
a rendus à l'œuvre du canal, et l'appui énergique 
quelle a su donner a M. de Lesseps, au moment 
où le gouvernement français lui-même semblait 



l' EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 181 

indécis. Sa présence à cette fête paraissait toute 
naturelle à. ceux qui sont au courant des vicissi- 
tudes qu'a subies l'entreprise, et c'est avec l'effusion 
d'une vive et profonde reconnaissance qu'elle él ni t 
partout acclamée... » 

Grâce à l'Impératrice l'art français était présent 
non seulement par ses représentants, mais par ses 
œuvres mêmes à cette belle fête, et il y était pour 
se faire l'organe d'un sentiment tout patrioti- 
que : la reconnaissance et l'admiration de la 
France poui- celui qui a attaché l'impérissable mé- 
moire de notre génie national au percement de 
l'isthme de Suez et en a fait une oeuvre française. 

m- 

Par une délicate attention, l'Impératrice avait 
commandé d'avance et fait exécuter presque en 
secret un magnifique vase d'orfèvrerie qu'elle a 
offert elle-même à M. de Lesseps, comme souve- 
nir du moment où s'est définitivement réalisée 
l'œuvre immense due à son initiative. 

1 î hm l do plus beau n'était encore sorti des ate- 
liers des deux habiles artistes (1) choisis par \\m- 
pèratrice pour exécuter cettocoupe. C'osfunoœuviv 
parfaite qui. défiant feule concurrence étrangère, 

'1 MM/F&nnièi'o* frères. 



182. LÉGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 

suffirait à elle seule pour établir la supério- 
rité de la France sur toutes les autres nations 
modernes dans l'art de l'orfèvrerie (1). 

Mais « l'Egypte, elle aussi, a excellé dans le 
travail des métaux précieux, — il y de cela quelque 
chose comme trois à quatre mille ans. — A son 
tour aujourd'hui la terre des Pharaons a pu saluer 
l'art français dans toute sa splendeur. » 

La religion enfin n'est pas demeurée muette 

■ 

(I) La donnée de cette coupe est toute allégorique. 
Au vase lui-même les artistes ont attribué la forme 
d'une nef antique. Deux figures sont assises à la poupe, 
elles symbolisent la science et l'industrie, ces deux 
puissances toutes modernes dont les efforts réunis de- 
vaient seuls rendre possible la réalisation d'une œuvre 
vraiment gigantesque. 

Derrière elles, debout au gouvernail, tenant un flam- 
beau à la main, surgit la rayonnante figure de la civi- 
lisation moderne. 

À l'avant, couchée sur la poupe s'élance la renommée 
embouchant sa trompette sonore et se rattachant à un 
trophée du plus beau style que surmonte la couronne 
impériale. 

Enfin sur les flancs de la nef se déroulent deux pe- 
tits bas-reliefs d'une finesse extrême représentant d'un 
côté les travaux du percement de l'isthme, de l'autre 
le moment où se rencontrent les flots des deux mers. 



L EGYPTE ET LE CANAL DE SUEZ. 183 

en cette grande 'solennité. Elle a été la première 
à célébrer le succès de l'entreprise dont elle avait 
béni les débuts et accompagné la marche ; elle a 
emprunté en cette occasion la voix éloquente et 
sympathique de Monseigneur Bauër, Téminent 
orateur de Notre-Dame ut des Tuileries. (1) ' 

(1) Au moment où nous écrivons ces lignes, Monsei- 
gneur Bauër qui, au lieu de rentrer en France après 
l'inauguration du canal, était reparti de Suez pour le 
Caire avec l'intention de visiter la Haute-Egypte à- la 
tète d'une nouvelle troupe d'excursionnistes vient de 
parcourir en pèlerin les solitudes de la Thébaïde 
célébrant les saints mystères sur les autels depuis 
si longtemps abandonn^eù^leslîéièbrèrent les grands 
anachorètes de rÉgyp^^réfciUanv^après des siècles 
de silence, les écnes^-ae leur* solitudes, aux accents 
bénis de la lithurgie-eâth;plique. 

- ^ FIN. ' ' ■ \ 




TABLE DES MATIÈRES 



PREMIÈRE PARTIE. 
L'Égypte. 

I. 

I.'kUYfTE ANCIENNE. 

' • -7 

ïN^es î^araôn^/; * i 

IL Les'satrap'ës, les Lapides. — Domination ro- 

III, Les califes 21 

IV. Les Mameluks 28 

IL 

l/ÈGYPTE MODERNE* 

L Expédition française de 1798 32 

IL Métiômet-Ali . . 44 

111. Mohammed-Saïd b! 

111. 

LïîGYPTE CONTEMPORAINE, 

Ïsmaïl-Pacha T , . 81 




18C 



TABLE DES MATIÈRES. 



DEUX I KM E PARTIE. 



L'isthme de Suez, 



L Suez 

IL Ismaïlia et Port-Stud 



Pages. 
97 
105 



III. Un précédent à utiliser . . , . 112 

IV. Règlement pour les travailleurs indigène. , . 118 

V. Les Fellahs. . - . - 124 

VL La vapeur et les machines. . * 132 

VIL Commencement des travaux. — Canal d eau 

flntifp 1 'ifl 

VIII. M, Ferdinand de Lesseps 149 



L Le premier coup de pioche 162 

IL Arrivée de la Méditerranée au lac de Timsab. 16G 

IIL Entrée de la Méditerranée dans les lacs Amers. 172 

IV. Inauguration du canal maritime 177 



TROISIÈME PARTIE. 



Jonction des deux mers 



Versailles, — Imprimerie Cr£té, 




i 



PREMIÈRE PARTIE. 
I. 



Pages. 

I. Les Pharaons 

II. Les satrapes, les Lagides.- Domination romaine 

III. Les califes 

IV. Les Mameluks 

IL 

I. Expédition française de 1798 

II. Méhémet-Ali 

III. Mohammed-Saïd 

Ml. 

Ismaïl-Pacha 
DEUXIÈME PARTIE. 

I. Suez 

II. Ismaïlia et Port-Saïd 

III. Un précédent à utiliser 

IV. Règlement pour les travailleurs indigènes 

V. Les Fellahs 

VI. La vapeur et les machines 

VII. Commencement des travaux. - Canal d'eau douce 

VIII. M. Ferdinand de Lesseps 
TROISIÈME PARTIE. 

I. Le premier coup de pioche 

II. Arrivée de la Méditerranée au lac de 

III. Entrée de la Méditerranée dans les lacs Amers 

IV. Inauguration du canal maritime