HISTOIRE
DES MÉTÉORES
Typographie Firmin-Didot. — Mcsnil (Eure>.
.'
*
PV
HISTOIRE
DES MÉTÉORES
ET DES
GRANDS PHÉNOMÈNES
DE LA NATURE,
PAR J. RAMBOSSON,
LAURÉAT DE L'INSTITUT DE FRANCK,
rRO FESSE UR D'ASTRONOMIE ET DE MÉTÉOROLOGIE DE L'ASSOCIATION POLYTECHNIQUE,
OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, ETC.
OUVRAGE ILLUSTRÉ
DE QUATRE-VINGT-DIX GRAVURES, PAR YAN' DARGENT,
ET DE DEUX PLANCHES CHROMOUTIIOGRAPHIQUES,
QUATRIÈME ÉDITION
Revue et augmentée.
PARIS,
LIBEAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C 1 "
IMPRIMEURS DE l/lNSTITUT, RUE JACOB, 56.
1883.
Kçproduçtion et traduction réservées*
LETTRE
DE
M. BABINET A L'AUTEUR.
Mon cher Rambosson,
J'ai parcouru avec le plus grand intérêt les épreuves de votre
ouvrage sur les Météores , et je vous en fais mes sincères félici-
tations.
Cette science, comme vous le dites très bien, n'est encore
qu'à l'état d'ébauche, mais votre méthode, votre travail cons-
ciencieux, contribueront certainement à ses progrès.
Vos observations personnelles en éclairent plusieurs parties,
entre autres celle des ouragans. Vous avez été à même, pen-
dant vos nombreux et lointains voyages, de constater à diverses
reprises "leurs lois si bien formulées maintenant, et que vous
avez grandement contribué à faire connaître par vos commu-
nications à l'Institut.
Vous avez fait un beau et bon livre, qui sera utile non seule-
ment aux gens du monde, mais même aux savants.
Personne plus que moi, qui suis vos efforts incessants de-
puis près de vingt ans, n'est heureux de voir la place hono-
rable que vous avez su vous créer dans la science en dehors
de toute coterie
Votre ami,
Babinet, de l'Institut
Ce 24 août 1868.
Cette lettre du savant éminent , du vulgarisateur incomparable qui
avait bien voulu parcourir les épreuves de notre ouvrage, est main-
tenant pour nous, non seulement un encouragement, mais aussi un
touchant et précieux souvenir d'un maître illustre et regretté.
a
UN MOT AU LECTEUR
■vwvWw.
Les météores et les grands phénomènes de la nature
sont la source des connaissances les plus variées , les plus
curieuses et les plus généralement utiles , aussi bien pour
l'âge mûr que pour l'adolescence.
Ceci est facile à comprendre : les lois qui président aux
grandes manifestations de l'univers sont les mêmes que
celles qui régissent les faits simples et insignifiants , en
apparence, mais d'une haute importance en réalité,
parce qu'ils ont lieu autour de nous, nous pressent en
quelque sorte, nous touchent sans cesse, qu'ils nous in-
téressent dans nos demeures , notre alimentation , nos vô-
tements; en un mot, parce qu'ils influent sur la vie tout
entière de l'homme.
La science des météores est la plus vaste de toutes les
sciences, car elle emprunte à toutes les autres ce qu'elles
ont de plus important : les mathématiques lui fournissent
les statistiques , si fécondes dans leur résultat général ; la
physique lui donne les grandes lois des agents de la
nature, lois qui doivent être le fondement de la météorolo-
viij UN MOT AU LECTEUR.
gie ; l'astronomie est consultée par elle à chaque instant ,
et plusieurs de ses phénomènes resteraient incompréhen-
sibles sans Tintervention de la chimie ; il n'y a pas jusqu'à
l'histoire naturelle qui ne fournisse des données qui ren-
trent nécessairement dans le domaine des météores.
Les progrès de la météorologie sont donc intimement liés
aux proerrès de toutes les autres sciences , c'est pour ainsi
dire une science d'application universelle , la science par
excellence des gens du monde.
En effet, il n'est plus permis à personne d'ignorer ce
que c'est que l'atmosphère, le vent, les nuages , la pluie ,
la neige, la grêle, la foudre , l'arc-en-ciel, etc. Et d'ail-
leurs, quelle science, par son importance et ses générali-
tés, peut contribuer plus que la météorologie au déve-
loppement des facultés de l'intelligence et satisfaire à un
plus haut degré les aspirations de l'âme, pour ceux qui
aiment à chercher Dieu dans ses œuvres?
Nous nous occupons spécialement depuis près de trente
ans, soit comme professeur, soit comme vulgarisateur,
du sujet que nous traitons dans ce volume. Par notre posi-
tion, nous avons été obligé de nous tenir au courant de toutes
les conquêtes de la science; de nombreux et lointains
voyages nous ont également mis à même de faire des ob-
servations personnelles , et de recueillir des faits précieux
qui éclairent une partie de notre travail. Nous avions ainsi
été conduit à terminer à peu près un volume de haute
science météorologique; eh bien, malgré cela, nous le
disons sans peine , nous avons hésité à entreprendre l'ou-
vrage que nous publions aujourd'hui.
Ceux qui savent combien il est difficile de vulgariser
UN MOT AU LECTEUR. îx
la science nous comprendront ; ils connaissent les obstacles
sans nombre que Ton y rencontre.
On ne peut ici, comme dans un travail purement abs-
trait, citer sur la foi des maîtres les mots techniques,
les formules , les locutions , les classifications , les démons-
trations admises, et se contenter d'une intelligente compi-
lation.
Il faut connaître son sujet bien plus profondément, s'en
rendre maître d'une manière bien plus complète, afin de
pouvoir traduire dans un langage qui soit compris de tous,
et sans les faire dévier de leur sens, ces mots techniques, ces
formules, ces locutions, ces démonstrations, etc., et discer-
ner ce qui peut être retranché de ce qui doit être conservé.
Quelques mots maintenant sur le plan que nous avons
suivi :
« L'ensemble complexe des connaissances physiques ap-
pelé la météorologie n'est pas encore constitué à l'état de
science », disait M. Biot, en décembre 1855, dans une dis-
cussion à l'Académie des sciences.
Et M. Regnault ajoutait : « Les premiers principes à
suivre dans les observations ne sont pas même posés et
formulés ; on ne sait pas encore ce qu'il faut observer, com-
ment il faut l'observer, ni où on doit l'observer. »
Après la lecture de ces passages, on ne sera pas étonné
d'apprendre que la méthode ordinaire dans l'exposition
des météores ne repose sur aucun fondement logique.
Jusqu'à ce jour on a divisé les météores en météores
aériens, aqueux, calorifiques, lumineux, électriques et ma-
gnétiques.
Cette classification est tout à fait artificielle et ne repose
UN MOT AU LECTEUR.
pas sur la constitution intime des phénomènes ; car l'élec-
tricité, par exemple, joue un rôle aussi principal dans cer-
tains phénomènes aériens ou aqueux, tels que la formation
des ouragans, des trombes, de la grêle, etc. , que dans les
phénomènes regardés comme spécialement électriques ; de
même, l'air et l'eau ont une grande influence dans la plu-
part des phénomènes qu'on rassemble dans une autre clas-
sification.
Mais une chose certaine, c'est que la chaleur, la lumière,
l'électricité et le magnétisme sont la cause principale de
tous les météores : leur formation est impossible sans l'in-
tervention de ces agents.
Il est donc bien évident que la base naturelle , logique ,
d'un traité de météorologie doit être l'étude de ces agents.
C'est par là que nous commencerons après un aperçu de
l'influence des voyages dans la science , puis nous passe-
rons successivement en revue les grands phénomènes de
la nature dans l'ordre qui nous a paru le plus naturel.
Comme nous changeons ainsi la méthode , l'ordre habi-
tuel admis dans les ouvrages de météorologie, quelque lo-
gique que notre plan nous ait d'abord paru, nous n'aurions
pas osé en faire l'application , si les maîtres illustres qui
font autorité dans l'étude de cette science ne nous y
avaient fortement engagé.
Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé,
c'est-à-dire celui d'intéresser à la science , de lui enlever
ce qu'elle a de trop rebutant , de trop aride , de la faire
aimer tout en répandant des connaissances utiles, nous
avons été obligé de supprimer bien des choses que nous
aurions conservées dans un traité plus abstrait. Cependant
UN MOT AU LECTEUR. xj
cela ne nous a pas empêché d'indiquer les découvertes les
plus récentes et de les faire servir à notre travail. En fai-
sant un livre pour tous , nous sommes obligé d'être simple
et clair, mais cela ne nous défend nullement d'être savant.
Le témoignage de M. Babinet, que nous reproduisons en
tète de cet ouvrage, est bien propre à dissiper les inquiétudes
que nous aurions pu conserver sur les difficultés que nous
avons essayé de vaincre. D'ailleurs, en nous présentant sous
le patronage d'un de nos grands maîtres , nous suivons en
cela l'exemple des anciens , et nous reconnaissons avec
l'un d'eux* qu' « il est doux d'être loué par un homme
qui mérite lui-même de grandes louanges ».
Nous devons ici rendre hommage au beau talent de
M. Yan' Dargent, dont le crayon si connu et si estimé a
su répandre un puissant intérêt dans l'illustration de cet
ouvrage, et même une gracieuse poésie sur des sujets
qui souvent ne le comportent guère.
* Pacuvius, un des plus anciens auteurs latins (fragments).
La première édition de ce livre, qui a été un des premiers traités
méthodiques de météorologie, a grandement contribué à fonder cette
science telle qu'elle est aujourd'hui.
Grâce à la latitude que nous a laissée l'illustre maison qui a bien
voulu éditer cet ouvrage, et à laquelle nous nous empressons de témoi-
gner toute notre gratitude, il nous a été facile de mettre cette quatrième
édition au niveau de tout ce que la science a de plus récent ; nous avons
pu intercaler dans les épreuves les nouvelles météorologiques, même
de 1882, jusqu'au moment du tirage.
HISTOIRE
DES METEORES
CHAPITKE PEEMIER.
LA SCIENCE ET LES VOYAGES
Iniluence des voyages. — Divers aspects que présentent les grands phénomènes
de la nature suivant les lieux d'où on les observe. — Les ouragans sur terre
et sur mer. — Trésor de souvenirs que laissent les voyages.
I.
11 est utile, croyons-nous, de commencer cet ouvrage
par faire ressortir l'importance des voyages pour l'étude
des météores et des grands phénomènes de la nature.
Cela nous sera facile , en rappelant rapidement quelques-
unes des impressions, quelques-uns des souvenirs de nos
lointaines excursions.
Maintenant que les wagons traversent l'espace comme
la flèche rapide, que les navires sillonnent les mers
comme de puissants météores, un jeune homme devrait,
2 LES MÉTÉORES.
à la fin de ses études, dans le but de compléter son édu-
cation , faire le tour du monde comme il eût fait jadis le
tour de l'Europe. Rien ne serait plus propre à dévelop-
per l'intelligence , à agrandir les sentiments, en un mot,
à compléter l'homme.
Il se produit naturellement, dans l'esprit du voyageur,
un travail de généralisation qui fait naître des lumières
inattendues dans ses connaissances acquises , et lui per-
met d'envisager la réalité sous son vrai jour.
« Un voyageur dont la vie est consacrée aux sciences ,
s'il est né sensible aux grandes scènes de la nature, rap-
porte d'une course lointaine et aventureuse, non seule-
ment un trésor de souvenirs , mais un bien plus précieux
encore, une disposition de l'âme à élargir l'horizon, à
contempler dans leurs liaisons mutuelles un grand nombre
d'objets à la fois 1 ».
Que ne donnerait pas un curieux de la nature , pour
■
faire impunément et facilement un voyage dans la lune, ou
dans l'un de ces astres qui étincellent sur nos têtes? Eh
bien ! que de régions de la terre sont aussi inconnues à
la plupart des hommes que ces mondes inaccessibles!
Aussi, que de ravissantes surprises, que de suaves
émotions, que de sensations puissantes et élevées, ne
sont-elles pas réservées à celui qui peut voyager avec in-
telligence ! Et dire qu'il y a des personnes favorisées de la
fortune, en proie au spleen, qui s'ennuient à mourir, et
qui ne songent pas aux enchantements d'un voyage loin-
tain qui leur rendrait la joie et la santé !
Il nous faudrait des volumes si nous voulions parler
i
De Humboldt.
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 3
avec développement des avantages que présentent les
voyages ; contentons-nous d'indiquer les rapports qu'ils
ont avec le sujet qui nous occupe, c'est-à-dire avec les
météores, avec les grands phénomènes de la nature»
IL
Pour bien apprécier l'atmosphère dans laquelle se
passent ces phénomènes, il faut aller respirer Pair à
quelques milliers de lieues de son pays ; c'est alors que
Ton y découvre des trésors de poésie qui, sans cela,
passeraient inaperçus pour nous.
Il semble que cet air nous apporte des nouvelles de
la patrie éloignée, qu'il a été respiré par ceux qui nous
sont chers, qu'il nous transmet leurs touchants souvenirs,
leurs tendres embrassements. Ah ! comme le cœur déborde
à ces pensées, lorsque le soir, quand tout repose, assis au
bord de la mer, on rêve à la terre chérie qui a bercé
notre enfance, et qu'on sent le souffle de la brise qui
nous unit à travers les océans!
Que de considérations attendrissantes ne font pas
naître les flots de mélancolie qui nous oppressent alors !
Et si les illusions même nous soulagent, à plus forte raison
les plus faibles réalités. Il y a en effet quelque chose d'ad-
mirable et de symbolique dans l'atmosphère ; l'air est
constamment présent à toutes les poitrines humaines,
comme Dieu à l'intelligence; il les échauffe, les anime,
les fait palpiter. Vaste mamelle, à laquelle tous les
hommes, et au même instant, puisent un aliment com-
4 LES METEORES.
mun, une vie commune; lien universel et intime, qui
fait qu'aucun homme n'est complètement séparé d'un
autre. Nous sommes tous égaux devant ce banquet
de la nature que nous trouvons à notre entrée dans
la vie, et que nous ne quittons que devant la mort,
deux choses communes et extrêmes qui obligent à se
souvenir que tous les hommes sont frères.
III.
Quel admirable spectacle ne nous présentent pas les
nuages, suivant les régions d'où on les contemple! Nous
n'oublierons jamais la magnificence que nous ont offerte
les cieux des contrées voisines du pôle où se déroulent
en nappes immenses l'opale, le saphir, l'émeraude et le
rubis, et où l'astre du jour, après avoir disparu sous l'ho-
rizon , semble , réduit en poussière , faire éclater partout
sa splendeur sans se montrer nulle part.
On comprend alors que les peuples du Nord aient
placé dans les nuages le sanctuaire des divinités, et
les chants sublimes d'Ossian prennent pour nous une
nouvelle expression.
Les Calédoniens revoyaient partout les morts qu'ils
avaient aimés : ces morts habitaient les nues, ils venaient
visiter en songe ceux qu'ils avaient laissés sur terre, leur
révélaient l'avenir et souvent en présage frôlaient les cor-
des des harpes, faisaient résonner le timbre du bouclier
de la guerre. Dans la patrie d'Ossian, tous étaient des
héros dans les combats, car rien n'ajoute plus à la valeur
Fig. i.
Moyens de transport en usage dans les pays du Nord où les froids sont le plus rigoureux
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 7
naturelle que la croyance à une autre vie : « Et vous,
druides, dit Lucain, la mort, à vous en croire, n'est
que le milieu d'une longue vie. Cette opinion fût-elle
un mensonge, heureux les peuples qu'elle console, ils
ne sont point tourmentés par la crainte du trépas; de là
cette ardeur qui brave le fer, ce courage qui embrasse la
mort, cette honte attachée aux soins d'une vie qui doit
renaître 1 ... \
IV.
Il en est de même de tous les grands phénomènes de la
nature : chacun d'eux présente des beautés particulières
suivant le point de vue d'observation.
Qu'il est radieux l'arc-en-ciel qui couronne nos verts
coteaux! Mais qu'il resplendit aussi d'un nouvel éclat,
lorsqu'il mesure l'étendue de l'Océan en illuminant les
cieux! Ce gage d'alliance, donné aux hommes par le
maître suprême, est surtout doux et consolant pour
le marin ballotté au sein de l'immensité.
Quel prestige les roulements du tonnerre, les sillons
enflammés de la foudre, n'empruntent-ils pas également
de la majesté de l'Océan ! « Te dirai-je les redoutables
phénomènes dont la mer est le théâtre , les bourrasques
subites, les noirs ouragans, les nuits ténébreuses, les
longs éclairs qui sillonnent le ciel , les éclats de la foudre
qui ébranlent le monde? Immense et vaine entreprise
qui tromperait les efforts d'une voix de fer!
1 La Pharsale, Iiv. I er .
8
LES METEORES.
« Si les anciens philosophes, que l'amour de la science
entraîna loin de leur patrie , eussent , comme moi , confié
leurs voiles à tant de souffles divers, quel vaste champ
d'observations se fût ouvert pour eux ! Que de précieuses
découvertes en-
richiraient leurs
écrits! Que de
vérités
utiles
tiendraient au-
jourd'hui la pla-
ce de leurs vains
systèmes 1 ! »
mm
1 Camoèns, Lusia-
des, chant V.
2 Cette gravure
représente le costume
des femmes des ré-
gions du Nord t où les
nuits durent deux et
trois mois. Leur long
vêtement est serré par
les liens du tablier,
d'où pend une bourse
qui contient des ai-
guilles. Sur la tête
elles arrangent le lin
qu'elles filent dans les
rues , et tiennent à la
bouche, pour faire de
la lumière, une ba-
guette de bois qui
brûle à la manière
= d'une bougie.
Fig. 2. — Femme du Nord *,
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 9
V.
Mais ce sont surtout les ouragans nommés cyclo-
*
nés, qu'il faut observer dans ce que Ton peut appeler
leur vraie patrie, c'est-à-dire dans la mer des Indes, si
l'on veut s'en former une juste idée.
Rien de plus grandiose et de plus effrayant à la fois
que ces ouragans.
Lorsque l'hivernage est arrivé, c'est-à-dire la saison la
plus brûlante de ces climats, et qu'un calme sinistre et
inaccoutumé se répand sur la nature , chacun consulte le
ciel, cherche à lire dans la direction des nuages, observe
le vol des oiseaux de mer et interroge le baromètre.
On n'est nullement étonné alors de voir bientôt le ciel
se couvrir de nuages fauves qui portent avec eux la ter-
reur, présage éloquent d'un bouleversement prochain.
La voix du canon ne tarde pas à donner aux navires le
signal d'appareiller, et de s'éloigner des côtes hospita-
lières qui deviendraient bientôt pour eux le récif de
leur naufrage.
Chacun est dans une attente pleine d'inquiétude ; tous
s'interrogent d'un triste regard et se communiquent leurs
funèbres pressentiments.
Dans toutes les habitations, des ordres sont donnés, les
précautions les plus minutieuses sont prises, les troupeaux
sont ramenés des champs, les fruits sont abrités, les portes
et les fenêtres sont doublées de larges planches et con-
solidées par de fortes barres pour résister aux fureurs de
10 LES METEORES.
l'ouragan qui, sans cette précaution, les ferait voler en
éclats. En plein jour, il fait donc nuit dans les maisons,
et Ton travaille à la lumière, en attendant le dénoûment
prochain des convulsions de la nature.
VI.
Je ne me rappelle qu'avec effroi ces moments de deuil
anticipé qui précèdent des scènes terribles.
Enfin, un point s'éclaircit dans le sombre horizon : c'est
le cratère qui indique la venue et la direction du sinistre.
Le signal est donné : en un clin d'oeil la nature est boule-
versée.
Un souffle violent bat la mer, et l'eau est balayée en
poussière; les arbres craquent et se brisent; les champs
de cannes sont renversés, emportés; les constructions
s'écroulent ; au bout de quelques instants succède, à la
végétation la plus luxuriante, la plus vaste désolation.
Dans ces affreux moments, nous avons vu de fiers créoles
verser des larmes, non pour la perte qu'ils venaient de
subir, mais sous rémotion inexprimable que leur fai-
sait éprouver le changement qui s'était opéré à vue d'œil,
et qui avait imprimé aux campagnes les plus fortunées
le plus lugubre aspect.
Ce n'est que quelques jours après le sinistre que l'ho-
rizon revêt tous ses crêpes de deuil. Les branches et les
feuillages qui adhèrent encore aux troncs solides, mais qui
ont été froissés par l'ouragan, jaunissent, et donnent aux
sites enchanteurs qui rappelaient les jardins d'Àrmide un
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 11
aspect d'automne et de mort auquel le regard du créole
n'est pas accoutumé.
Pendant ces crises effroyables, la mer est tellement
brassée que son écume est transportée à plus de trois
quarts de lieue dans les terres. On ne voit plus l'Océan ;
ses eaux sont réduites en poussière que le tourbillon em-
porte avec lui ; mais on entend sa voix terrible comme son
immensité, la vague qui déferle, les cailloux et les rocs
qui se heurtent, un bruit semblable à celui des flammes
qui sortiraient pressées de la gueule d'un four vaste comme
les flancs de l'abîme. Il semble que l'on se trouve au sein
du chaos que féconda l'esprit de Dieu au commencement
des jours.
VIL
C'est principalement au sein des mers qu'il faut as-
sister aux incomparables assauts livrés par l'ouragan :
immenses et terribles rafales qui ont inspiré à Camoëns
ses plus belles pages, sa magnifique allégorie d'Ada-
mastor que je lisais et relisais en doublant le cap de
Bonne-Espérance, comme une évocation au Génie des
tempêtes. On aurait dit qu'Adamastor apparaissait de nou
veau à nos regards étonnés, que son spectre gigantesque,
épouvantable, s'élevait devant nous, que sa voix formi-
dable , sortant des gouffres de la mer ténébreuse , nous
accablait d'horribles imprécations.
Quelle puissante impression ne doit pas éprouver le
jeune soldat intelligent et sensible, lorsque pour ses
12 LES MÉTÉORES.
débuts le champ de bataille se prépare, que les armées
s'ébranlent et que le signal retentissant du combat se fait
entendre !
Il semble que rien ne soit au-dessus de ce moment so-
lennel^ cependant il y a quelque chose de plus gran-
diose, de plus émouvant : c'est un navire aux prises
avec un cyclone au sein de l'Océan.
Là, aucune ivresse : on ne voit pas au vent flotter les
couleurs de la patrie , l'audace et la valeur ne sont pas
inspirées par les airs nationaux et la perspective éblouis-
santé de la gloire. Mais devant soi se présentent les abîmes
solitaires, les entrailles des monstres marins qui apparais-
sent dans toute leur horreur.
J'ai été quelquefois acteur dans ces combats des mers,
et je vais tâcher d'en donner une idée.
VIII.
Nous étions une quinzaine de passagers aux environs
du cap de Bonne-Espérance, sur un magnifique trois-mâts
de quinze à dix-huit cents tonneaux, servi par une tren-
taine de matelots.
Pleins des souvenirs des êtres chers que nous quittions
et des êtres non moins chers que nous allions revoir,
nous nous efforcions de tromper le temps, qui est si long
dans ces circonstances, en nous occupant soit à lire, soit
à pêcher, et, suivant les parages, à contempler les habi-
tants de la mer qui s'offrent au regard : baleines, souffleurs,
requins, dorades aux mille nuances, poissons volants au
Fiff. 3. — Ouragan sur terre et sur mer.
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 15
gris bleu de ciel, damiers aux ailes tachetées, malamocs
aux pieds d'azur semé de vermillon; albatros au duvet
blanc de neige, au vol doux et harmonieux; tous, oiseaux
de mers, compagnons de notre solitude.
Nous admirions surtout les teintes ravissantes et les
formes fantastiques des nuages, les levers et les couchers
de soleil, tableaux pleins de splendeur et les plus majes-
tueux de la nature.
La nuit , souvent privés de sommeil, nous écoutions la
cadence des flots et le vaste silence des espaces sans fin ;
nous contemplions le scintillement des constellations nou-
velles pour nous , et l'onde étincelante , flots d'azur ruis-
selants d'or et de pierreries, semblables à des vêtements
de reine épars, à des débris de cieux étoiles. Nous inter-
rogions les brises légères : peut-être avaient-elles passé
sur des terres chéries, peut-être nous apportaient-elles des
accents connus, des révélations désirées. Il faut être bien
loin de tout ce qui nous est cher pour connaître la puis-
sance des douces et mystérieuses illusions.
Cependant, depuis plusieurs jours, notre horizon s'é-
tait bordé de nuages presque immobiles; un calme sinis-
tre nous accablait; le baromètre baissait continuellement;
le capitaine était inquiet et passait la nuit sur le pont.
Les voyageurs ne se doutaient guère de ce qui les me-
naçait; cependant, comme j'avais subi déjà un grand
nombre de cyclones, que j'avais étudié leurs lois et leurs
signes précurseurs, je comprenais les inquiétudes que
le capitaine me confiait. Tous les navires du nord que
nous rencontrions avaient rentré leurs voiles, ils appré-
hendaient ce qui devait arriver.
16 LES METEORES.
Mais nous , qui étions impatients de faire du chemin ,
nous avions laissé quelques voiles sur nos mâts , afin de
profiter des petites brises qui de temps à autre venaient
errer auprès de notre navire ; voiles neuves et fortes que
l'on met exprès pour résister aux tourmentes du Cap.
IX.
Enfin , dans une après-midi , tout à coup , et au mo-
ment où on y pensait le moins , la voix du capitaine se
fait entendre : un commandement pressé et sinistre est
répété par les matelots, qui volent aux haubans, grimpent
sur les mâts et les huniers; l'ouragan a été aperçu de
loin, il accourt, il nous atteint, il nous secoue comme
l'auraient fait des décharges d'artillerie.
Notre navire est ébranlé jusque dans ses fondements;
l'eau de la mer réduite en pluie fine et pressée nous en-
veloppe comme d'un manteau; bientôt elle nous aveugle
et nous ensevelit sous d'immenses torrents diluviens.
Les voyageurs surpris et éperdus se réfugient à l'entrée
du salon sous une espèce d'auvent, pour être un peu à
l'abri et en même temps pour mesurer l'étendue du
danger.
Nous ne voyons plus ni ciel ni mer: des bruits for-
midables nous assourdissent; les vagues monstrueuses
qui grondent , les craquements du navire , les sifflements
des rafales dans les cordages et les haubans, les rugisse-
ments de la mer au large, les balancements effrayants du
navire à droite, à gauche, en avant, en arrière; les tor-
LA SCIENCE ET LES VOYAGES.
17
rents d'eau qui nous inondent , font que nous ne savons
plus si nous sommes sur ou sous les flots.
Tous les animaux, singes et éperviers que nous avions
en liberté, chiens, porcs, poules, oies, etc., viennent
épouvantes se réfugier auprès de nous, et cherchent à se
cacher dans nos vêtements. — Les cris, les pleurs, les
Fig. 4.
Les naufragés.
prières des passagers, surtout des femmes et des enfants,
se mêlent aux voix des matelots qui répètent les com-
mandements du capitaine; tout cela, dans ce moment su-
prême, emprunte à la tempête, à l'isolement au milieu
des rafales, un accent particulier, sauvage, effrayant.
Enfin, nos matelots, avec l'intrépidité que donne la
présence du danger imminent, luttent contre l'ouragan
18 LES METEORES.
pour atteindre les voiles qui sont encore sur les mats :
ils grimpent et se coulent comme des panthères sur les
vergues. Avec quelle anxiété on les suit du regard! À
chaque instant il semble que la rafale va les précipiter à
la mer, ce qui n'arrive, hélas! que trop souvent.
Incessamment, le cyclone agit avec de nouvelles forces,
et s'engouffrant dans les voiles fait prendre à notre navire
une position presque perpendiculaire, la puissance du
vent dans les voiles faisant équilibre au chargement.
Cependant cette situation ne saurait se prolonger long-
temps : l'angoisse augmente , elle est presque à son com-
ble, lorsque tout à coup un bruit inouï, plus terrible et
plus sinistre que celui de la tempête elle-même, retentit
comme un fracas de tonnerre : ce sont les voiles qui
éclatent, qui sont réduites en charpie et clapotent en-
suite sur les mâts et les vergues, qui se brisent et se
dispersent en mille fragments.
X.
Le navire , qui plonge dans l'eau presque perpendicu-
lairement, se redresse avec toute la puissance que peu-
vent lui donner les" marchandises lourdes dont il re-
gorge : il semble éclater de toutes parts; un frémissement,
une trépidation stridente se communique à toutes ses
paties, à tous les objets qu'il porte et fait éprouvera
tous les passagers un déchirement, une angoisse infinie,
jointe à une terreur suprême.
Tout cela se passe en un instant, et dans cet instant
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 19
I
mille éclairs de pensée et de sentiment remuent l'âme
tout entière, le frisson de la mort glace nos veines;
un cri unique , et presque identique de timbre et d'ex-
pression, s'échappe de toutes les poitrines, cri d'épou-
vante et de suprême détresse, en face d'une mort soudaine
et implacable : expression naturelle qui fait tressaillir
jusqu'aux dernières fibres de l'existence. On vivrait des
siècles que ce cri retentirait encore aux oreilles, en évo-
quant tout le sinistre prélude d'un naufrage au sein des
mers en courroux.
On reste ainsi pendant quelques secondes , offrant ses
dernières pensées à Dieu , car l'on ne doute pas que Ton
ne descende au fond des abîmes ; les terribles balance-
ments que conserve le navire, par suite du déchire-
ment des voiles, les tourbillons d'eau qui empêchent
de rien voir, complètent l'illusion, qui est bien près d'être
la réalité.
Cependant j'étais dans dételles dispositions, que, sans
les scènes déchirantes qui m'environnaient, je crois que
rien n'aurait valu pour moi les âpres jouissances que
m'aurait procurées cet effrayant spectacle.
Avant d'entreprendre ces lointains voyages, j'avais
éprouvé une longue agonie, une de ces agonies qui doublent
les facultés au lieu de les éteindre, et qui m'avait fami-
liarisé avec la mort et forcé de vivre face à face avec elle
pendant de longs mois. Je m'étais habitué à elle , je la
voyais sans trouble et sans inquiétude ; ce calme m'était
devenu si naturel, qu'au sein des tourmentes, lorsque nous
touchions au naufrage, que nous sentions passer sur nos
têtes le souffle de la mort , un léser sourire venait de lui-
20 LES METEORES.
même éclairer mon visage, s'il m'arrivait d'oublier de le
composer par respect pour les douleurs qui m'entouraient.
Lamartine a dit avec raison, en parlant de l'heureuse et
puissante influence des voyages : « Le grand air évapore
seul les grandes douleurs, le changement perpétuel de
lieu guérit les fièvres du cœur comme il coupe les fièvres
du corps f . »
À quelque chose malheur est bon, nous dit la sagesse
des nations; cela a été vrai pour moi, car non seulement
ces voyages ont refait ma santé fatiguée, mais j'ai conservé
de toutes ces épreuves une expérience difficile à acquérir
ailleurs, et un état moral qui convient, il me semble, à
w
l'homme passager sur la terre.
Lorsque je jette un regard sur le passé, j'éprouve, à ma
manière, mais sans y mêler de l'égoïsme, une certaine
volupté exprimée dans ce passage de Lucrèce : <c II est
doux de contempler du rivage les flots soulevés par la
tempête, et le péril d'un malheureux qui lutte contre la
mort : non pas que l'on prenne plaisir à l'infortune d'au-
trui, mais parce que la vue est consolante des maux que
l'on n'éprouve point. Il est doux encore, à l'abri du dan-
ger, de promener ses regards sur deux grandes armées
rangées dans la plaine 2 . »
Homère avait déjà dit : «... Hélas ! l'homme trouve des
charmes même dans ses maux lorsqu'il a beaucoup
souffert et beaucoup erré 3 . »
K Nouvelles Confidences, t. I, page 410.
2 Lucklce, liv. II.
3 Odyssée, ch. XV.
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 21
XL
Outre ces dispositions particulières, j'avais d'autres rai-
sons encore, qui me faisaient prendre un plaisir extrême à
l'examen de ces grands météores, surtout dans mon voyage
de retour.
Par sa disposition et la hauteur de ses montagnes, l'île
de la Réunion présente des facilités exceptionnelles pour
l'étude des ouragans. Leurs lois étaient connues là mieux
peut-être que partout ailleurs ; aussi ai-je pu les étudier
dans leurs détails les plus minutieux, et j'étais heureux
toutes les fois que l'occasion se présentait de faire des
observations nouvelles à leur sujet et de contrôler les eon-
•
naissances acquises.
Ces lois si claires et si bien formulées n'étaient pas
très connues en Europe, et peu après mon retour à
Paris, M. Le Verrier, qui, par sa haute position, par sa
vaste science, par sa vigoureuse initiative, s'était placé
à la tête des études météorologiques, donnait la plus
large publicité à la note suivante : « Les lois des tem-
pêtes ne pourront être connues qu'à la condition de ras-
sembler un nombre immense de documents de tous les
points du globe et de les soumettre à une discussion ap-
profondie. C'est assez dire que ce doit être l'œuvre de
tous. »
Cette note , qui confesse que les lois des ouragans res-
taient à découvrir, n'ayant été relevée par personne, nous
nous sommes déterminé alors à faire quelques communi-
cations à l'Institut sur les lois et les manifestations de ces
22 LES METEORES.
grands phénomènes, qui, à plusieurs reprises avaient toutes
été contrôlées par nous. Nous avons lu à l'Académie des
sciences, dans la séance du 2 mai 1864, un résumé de ces
lois, qui a été inséré dans les Comptes rendus; une
autre note se trouve également dans les Comptes rendus
du 12 novembre 1866.
La lenteur avec laquelle se répandent les lumières in-
tellectuelles est vraiment affligeante : ainsi, même au-
jourd'hui, un bon nombre de capitaines au long cours
ignorent ces lois, et rendent la société victime de leur
ignorance. La chose en est encore à ce point, que Ton
cite comme merveilleux un navire qui échappe, quoi-
que plus ou moins maltraité, de sa lutte avec un cyclone;
tandis que Ton pourrait faire servir ce météore redoutable
à atteindre le but où l'on tend et préserver le navire
de toute avarie.
Les études sur ce sujet sont assez avancées pour que
tout capitaine puisse être rendu responsable des dommages
arrivés au navire dont il a le commandement, par suite
des prises avec un cyclone , car ces dommages pourraient
le plus souvent être évités avec la plus grande facilité.
Nous consacrons dans cet ouvrage un chapitr etrès
succinct à ces grands phénomènes, mais suffisant pour
faire comprendre qu'il y en a peu de mieux connus et de
mieux étudiés.
XII.
Outre cette lumière que les voyages font rejaillir sur les
sciences, combien d'heureux souvenirs ne laissent-ils pas!
!
Fig, 5. — Volcan de la Réunie-
24 LES METEORES.
Il me semble en écrivant ces paees que je visite de nou-
veau la patrie d'Ossian, que les échos des anciens bardes
viennent frapper mon oreille à travers les siècles ; que je
parcours encore ces régions où l'astre du jour se fait pres-
sentir à minuit; que je contemple le météore radieux qui
embrase les pôles de lueurs resplendissantes; que je me
promène en rêveur au milieu de ces villes gracieuses
de la Finlande, aux rues larges, aux maisons propres
que Ton dirait habitées par des femmes à la fois ver-
tueuses et coquettes. Puis, je remonte la Newa, et bien-
tôt j'aperçois la capitale aux dômes d'or et d'azur où res-
pire encore le génie de Pierre le Grand ; je descends ces
régions où les glaces du pôle et les chaleurs torrides sem-
blent se confondre; et puis, hélas! sur mon passage un
vaste cimetière, cimetière d'une nation martyre. Pauvre
Pologne! comme on frissonne en foulant ton sol ! on pleure
et on prie avec tes veuves et tes orphelins! on est op-
pressé, on passe, on passe vite, mais ton souvenir de-
meure comme un deuil et comme une espérance!
Je gravis par la pensée les pentes rapides du cône du
Vésuve; j'entends les effroyables détonations des laves
embrasées, je respire les vapeurs acres et brûlantes qui
s'élèvent dans l'atmosphère radieuse, je me baigne dans
la lumière éblouissante de ces contrées enchanteresses,
je tressaille sous la libre voûte des cieux profonds! La
fournaise mugissante à mes pieds et qui dévore les en-
trailles du globe prépare ma nourriture , et le lacryma-
Christi, né sur les flancs du cratère, s'épanchant en flots
de rubis dans ma coupe agreste, complète en moi l'illu-
sion inspirée par la fable antique , et me fait croire pour
Ass*é,ts/rr- <f*riu //
y /
f/'/
//*,' / 1 %
LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 25
quelques instants que je participe à la table des dieux.
Je me retrouve à sillonner les vastes mers ; je contemple
de nouveau la cime fumante de Ténériffe, qui s'élève au-
dessus des sombres flots avec la majesté d'une reine en
deuil. Que de souvenirs se pressent en ma mémoire ! . . . Je
m'arrête quelques instants à Sainte-Hélène; assis auprès
d'un marbre tumulaire, j'étanche la sueur qui baigne
mon visage fatigué, mon front se penche naturellement
sur ma main, et je m'abîme dans la contemplation du
passé, du présent et de l'avenir, à l'ombre des saules funè-
bres où est venu s'éteindre le plus terrible des météores
humains qui ait paru sur la terre.
Mais déjà nous doublons le cap des Tempêtes, nous
sommes enfermés dans le navire en détresse comme
dans un tombeau abandonné au sein de l'immensité ; le
cyclone rugissant fait éclater nos voiles, les mâts et les hu-
niers volent au loin comme des jouets d'enfant, les vagues
s'élèvent comme des collines et bondissent comme des
béliers. Enfin nous arrivons près de l'Ile-de-France ; la mer
s'apaise, nous revoyons le ciel bleu, et nous saluons avec
enthousiasme les arbres qui ont ombragé Paul et Virginie ;
bientôt nous apercevons un phare immense qui se perd
clans les astres : c'est le volcan de l'île de la Réunion qui
nous donne rendez-vous (fig. S). Salut, île fortunée! salut
à tant d'êtres chers qui respirent sur ton sol embaumé ,
avec lesquels j'ai partagé le pain de l'étranger et par-
ticipé à la coupe de l'amitié !
Comment ne parlerais-je pas avec quelque enthou-
siasme des voyages lointains ! On conserve toujours pour
eux une espèce de nostalgie dès qu'on en a goûté; d'ail-
26 LES METEORES.
leurs, c'est à eux que je me plais à rapporter la plus
grande partie des succès de mes travaux, entre autres
des Colonies françaises, ouvrage auquel l'Académie des
sciences a décerné une de ses hautes récompenses; je
leur dois également une foule d'études et de souvenirs
répandus dans une vingtaine de volumes que j'ai pu-
bliés depuis l'époque où j'ai commencé mes lointaines
pérégrinations sur le globe. Je me fais également un
plaisir de me rappeler que c'est par l'entremise de M. le
baron de Watteville, père, que j'ai dû, dès mes premiers
débuts, une mission scientifique, et je me fais un devoir
de consacrer mes sentiments de profonde reconnaissance
à cet homme éminent, regardé avec justice par les nations
européennes, qui lui ont emprunté ses vues ingénieuses ,
comme le législateur des établissements de bienfaisance.
Les avantages que procurent les voyages scientifiques
sont si considérables à nos yeux, que nous avons cru
devoir consacrer à les faire ressortir, le début de notre
Histoire des Météores. Nous croirions avoir fait une chose
utile, si nous avions contribué ainsi, pour notre part, à
l'élan qui se manifeste partout maintenant pour ce
complément des grandes éducations.
CHAPITRE II.
LES AGENTS DE LA NATURE
EN GENERAL.
De la chaleur. — De la lumière. — De l'électricité. — Du magnétisme
I.
Les météores, les grands phénomènes de la nature
sont principalement produits par la chaleur, la lumière,
l'électricité, le magnétisme, forces auxquelles on a donné,
à cause de leur importance, le nom générique d'agents
de la nature.
Nous ne pouvons donc nous dispenser de parler de
ces forces, et maleréles notions élevées et abstraites que
leur étude présente, nous tâcherons de la mettre à la
portée de tous.
Ces forces sont immenses : elles sont partout, elles agis-
sent partout, et leur nature est restée si mystérieuse
jusqu'à ce jour, que les physiciens, aussi bien que les
philosophes et les théologiens, ne savaient s'il fallait les
regarder comme spirituelles ou matérielles.
28 " LES METEORES.
Dans cette incertitude, et pour plus de facilité dans les
explications des phénomènes auxquels elles donnent
naissance, on les a considérées comme des fluides, fluides
impondérables ou impondérés et fluides incoercibles. On a
abandonné ces dénominations , maintenant qu'elles sont
mieux étudiées.
On les définit ainsi :
Le calorique est l'agent qui produit en nous la sensa-
tion de la chaleur ;
La lumière est l'agent qui produit en nous la sensation
de la vision;
L'électricité est l'agent qui donne à certains corps
frottés la propriété d'attirer les petits corps environ-
nants;
Le magnétisme (magnétisme minéral), est l'agent qui
donne à certains corps , naturellement et sans l'auxiliaire
du frottement, la propriété d'attirer d'autres corps.
On appelle électro-magnétisme l'action réciproque de
l'électricité et du magnétisme .
Aujourd'hui, la science est parvenue à démontrer que
les différences admises jusqu'à ce jour comme essen-
tielles entre les diverses forces de la nature n'existent
pas ; que ces forces ont , au contraire , des liens étroits
de parenté et de filiation; qu'elles peuvent s'engendrer
l'une l'autre, chacune d'elles pouvant se transformer
dans toutes les autres.
Peu de questions sont susceptibles de jeter autant
d'étonnement dans l'esprit humain que les métamor-
phoses de ces diverses forces : elles conduisent aux con-
séquences les plus surprenantes et les plus grandioses.
1
LES AGENTS DE LA NATURE. 29
Il suffit de citer comme exemple une des transforma-
tions les plus simples, pour en faire comprendre toute
l'importance et toute la fécondité.
IL
La chaleur produit de la force mécanique, et la force
mécanique produit de la chaleur.
Là où la chaleur disparaît le mouvement se produit,
et, réciproquement, lorsque le mouvement s'arrête il y a
développement de chaleur. Cette transformation se ma-
nifeste avec une exactitude mathématique.
La chaleur engendrée par un corps qui tombe croît
proportionnellement à la simple hauteur. — Dès que l'on
connaît la vitesse et le poids d'un projectile, on peut donc
calculer sans peine la quantité de chaleur développée
par l'extinction de son mouvement.
Connaissant le poids de la Terre, par exemple, et la
vitesse avec laquelle elle se meut dans l'espace, un simple
calcul doit nous donner la quantité exacte de chaleur qui
se développerait si la Terre était arrêtée brusquement
dans son orbite.
Mayer et Helmholtz ont fait ce calcul, et ils ont trouvé
que la quantité de chaleur engendrée par ce fait suffi-
rait non seulement pour fondre la Terre entière, mais
pour la réduire en grande partie en vapeur.
Ainsi, le seul arrêt brusque de la Terre dans son orbite
amènerait les éléments à l'état de fusion; après extinction
de son mouvement, la Terre irait nécessairement tomber
30
LES METEORES.
sur le Soleil; alors, la chaleur engendrée par celte ren-
contre serait égale à la chaleur développée par la combus-
tion de 5,600 globes de charbon solide égaux en volume
à la Terre. On peut voir sur ce sujet l'excellent ouvrage
de M. Tyndall : la Chaleur, traduit de l'anglais par
M. l'abbé Moigno, sentinelle avancée des découvertes
< M
*
Fig. 7. — Appareil do M. Tyndall pour montrer la chaleur créée
par le travail détruit 1.
scientifiques. Ces calculs peuvent nous donner une idée
des Ilots de lumière imprévue que peut jeter l'étude de
la transformation des forces sur des questions jusqu'à
1 Explication : / est un tube de cuivre, fermé à sa partie inférieure, au-
quel ou peut communiquer un mouvement très rapide de rotation à l'aide
d'une roue à manivelle R et d'une courroie. Si, pendant qu'on fait tourner le
cylindre t avec une grande vitesse, on le serre au moyen d'une pince en boisP,
de manière à déterminer un frottement un peu énergique , ce cylindre s'échauffe
d'une manière très sensible. Pour rendre l'expérience plus frappante, on le
remplit à peu près avec de L'eau, et au bout de quelques instants la vapeur
produite projette le bouchon qui le ferme.
LES AGENTS DE LA NATURE. 31
ce jour restées enveloppées de ténèbres, et dont l'étude
directe serait impossible.
III.
Il n'y a que peu d'années on était loin de soupçonner
que toutes les forces de la nature pouvaient se réduire à
la modification d'une seule et même puissance , et qu'en
dernière analyse les phénomènes auxquels elles donnent
naissance ne sont que des formes diverses du mouvement
imprimé à la matière, à ses particules, à ses molécules, à
ses atomes ou derniers éléments.
On regardait comme bonne, tout au plus, à amuser les
cerveaux malades cette hypothèse qui aujourd'hui de-
vient la réalité.
De même que l'on est arrivé à l'unité pour les forces,
on y arrive également pour les divers éléments. Il est vrai
que la chimie compte un assez grand nombre de corps
simples ; mais parce qu'on n'a pas encore pu lçs décom-
poser et les réduire à un seul, cela ne veut pas dire qu'ils
soient indécomposables.
De grands penseurs et les savants les plus distingués,
croient en effet non seulement à la possibilité, mais à
la très grande probabilité de l'unité de substance pour
tous les corps, c'est-à-dire que tous les corps pour-
raient être formés d'une seule et même substance : il
suffirait qu'ils différassent entre eux par le groupement
des atomes, par la disposition des molécules, d'une ma-
nière analogue à ce que nous offre, par exemple, le
•
32 LES MÉTÉORES.
charbon ordinaire et le diamant, pour présenter les phé-
nomènes les plus divers.
Des faits nombreux viennent à l'appui de cette théorie,
entre autres la doctrine des équivalents et les expériences
les plus récentes sur les atomes et les molécules. Toutes
les recherches de la science tendent maintenant à la dé-
montrer * .
IV.
Ainsi, d'après la science actuelle, une seule substance
matérielle simple universellement répandue, Péther, par
sa condensation, par le groupement varié de ses ato-
mes, produit tous les corps divers que nous connais-
sons.
Une seule force qui pénètre, sature Péther, produit
tous les phénomènes qui frappent nos sens, les divers
phénomènes n'étant que des mouvements produits par
cette force , soumise à des lois rigoureuses et mathéma-
tiques.
Pas un atome ne s'anéantit, pas un mouvement ne se
perd : il y a sans cesse transformation.
Voilà la sublime simplicité où la science arrive!
La science a pour objet la vérité, c'est-à-dire Dieu
même et ses œuvres; il n'est pas étonnant que plus elle
approche de son objet , plus elle découvre de simplicité
et de grandeur. Il est digne de la toute-puissance d'arriver
1 Voir les Lois de la vie et fart de prolonger ses jours, ouvrage couronné
par l'Académie française, dans lequel nous traitons celte question, 1 er partie-,
libr. Firmin-Didot et C lc .
LES AGENTS DE LA NATURE. 33
à ses fins les plus diverses et les plus élevées par les
moyens les plus simples.
Lucrèce était frappé déjà de la diversité des effets que
Ton peut obtenir par un petit nombre de causes, il Tau-
rait été bien davantage s'il avait connu ce que la science
nous révèle aujourd'hui : <c Car, dit-il, les principes à
l'aide desquels ont été construits le ciel, la mer, la
terre, les fleuves et le soleil, sont les mêmes qui, mêlés
avec d'autres et diversement arrangés, ont formé les
grains, les arbres et les animaux. Ne remarques-tu pas,
dans ces vers que tu lis, les mêmes lettres communes à
plusieurs mots? Cependant, les vers et les mots diffèrent
beaucoup, soit par les idées qu'ils présentent, soit par le
son qu'ils font entendre : telle est la différence que met
entre les corps l'arrangement seul des éléments. » Lu-
crèce affectionnait cette comparaison , il l'a répétée aux
X ' A
livres I et II.
Aristote, rendant compte des doctrines de Leucippe et
de Démocrite, rapporte également cette comparaison :
<c Les atomes, dit-il, sont comparés par Leucippe et ses
disciples aux lettres de l'alphabet : avec les mêmes let-
très on peut composer une tragédie ou une comédie :
tout dépend de l'ordre suivant lequel on les arrange * . »
Hâtons-nous de laisser cette partie transcendante de
la science, trop abstraite peut-être pour l'ouvrage qui
nous occupe, et venons à l'élude plus pratique de chacun
des agents de la nature en particulier.
1 De Generatione et Corrttplione.
3
CHAPITEE III.
LA CHALEUR.
Influence de la chaleur sur la vie en général. — Théorie de la chaleur. — Tem-
pérature. — Le froid et le chaud. — Lois de la chaleur. — Corps bons ou
mauvais conducteurs de la chaleur. — Dilatation et contraction. — Nom-
breuses applications. — Nature du feu. — Son origine et son histoire. —
Le corps humain rendu incombustible. — Production artificielle du froid.
i.
La chaleur est seule capable de développer les pre-
miers germes de la vie.
Quand l'hiver a plongé la nature entière dans un état
qui ressemble à la mort, il suffît de la douce tempé-
rature que la saison ramène pour la réveiller et ranimer
toutes les forces engourdies.
Chaque printemps vient, comme le soufile inépuisable
de la divinité , répandre la vie sur notre globe ; sous son
influence, tout s'émeut : nos champs dénudés se couvrent
de verdure et de fleurs, les hôtes sémillants de nos bois
font retentir leurs bruyants concerts , la brise embaumée
36 LES METEORES.
nous apporte ses arômes bienfaisants; tout frémit, tout
bourdonne, tout chante.
Plus on s'approche des pôles et plus on semble s'avan-
cer dans l'empire de la mort ; on finit même par rencontrer
des régions où il n'existe aucune espèce de plantes ni
d'insectes, et qui ne peuvent être habitées que par des
baleines, des ours ou autres créatures capables d'engen-
drer de la chaleur, et de la conserver assez puissamment
pour lutter contre les glaces et les frimas de ces contrées.
La chaleur donne la vie, et la vie développe la cha-
leur; il serait assez difficile de déterminer laquelle est la
cause et laquelle est l'effet; car partout où il y a vie, il y
a plus ou moins de chaleur, et un lien indestructible
unit ensemble ces deux phénomènes.
II.
Deux théories rivales ont partagé les opinions sur la
nature de la chaleur : la théorie matérielle et la théorie
mécanique ou dynamique.
Tout récemment encore, la théorie matérielle ne ren-
contrait que des partisans; elle n'avait pour adversaires
qu'un petit nombre d'hommes éminents.
Elle regarde la chaleur comme étant une sorte de ma-
tière, un fluide subtil, pénétrant intimement les corps, et
qu'elle désigne sous le nom de calorique , pour distinguer
la cause de l'effet, que l'on nomme chaleur. Elle en donne
cette définition : une substance dont l'entrée dans nos corps
causela sensationdu chaad, et sa sortie la sensation du froid.
LA CHALEUa. 37
La théorie mécanique de la chaleur, universellement
admise aujourd'hui, écarte l'idée de matérialité: la chaleur
n'est pas de la matière; c J est un mouvement des dernières
particules, des molécules, des atomes des corps.
Ce mouvement ou la chaleur, se communique sans cesse
d'un corps à un autre et à l'éther, qui le propage à travers
l'espace, en sorte que tous les corps émettent continuelle-
ment de la chaleur en même temps qu'ils en reçoivent du
milieu qui les environne.
Si, par cet échange continuel, ils gagnent plus de cha-
leur qu'ils n'en perdent, leur température s'élève; s'ils en
perdent autant qu'ils en gagnent, leur température reste
stationnaire; et s'ils en perdent plus qu'ils n'en gagnent,
leur température baisse.
Cet agent tend donc sans cesse à se mettre en équilibre;
c'est pour cela que la chaleur des corps renfermés dans une
même enceinte varie , jusqu'à ce que cet équilibre se soit
établi entre eux et entre les parois de l'enceinte. C'est cet
état d'équilibre qu'on désigne sous le nom de température.
11 n'y a pas de corps absolument privés de chaleur; il
n'y a par conséquent pas de corps absolument froids. Les
corps que nous appelons froids, peuvent produire sur des
corps plus froids encore, des phénomènes tout à fait
semblables à ceux que les corps chauds produisent sur
des corps moins chauds.
Le même objet ne variant pas de température peut
donc nous paraître froid dans un moment et chaud dans un
autre , suivant la température extérieure de notre corps.
Nous éprouvons une sensation de chaleur quand, l'hiver,
nous pénétrons dans une cave, tandis que c'est de la
38 LES METEORES.
fraîcheur ou du froid que nous sentons quand nous y pé-
nétrons pendant l'été. Cependant, la température de ces
lieux est à peu près constante ; mais, en hiver, notre corps
extérieurement plus froid reçoit de l'enceinte où il pénètre
plus de chaleur qu'il n'en donne, et, dans l'été, au con-
traire, il en perd plus qu'il n'en gagne.
Si l'on prend un verre d'eau chaude et un verre d'eau
froide, et que Ton mêle une partie de chacun dans un
troisième verre, et qu'ensuite on mette un doigt dans l'eau
froide et un doigt dans l'eau chaude, puis successivement
ces deux doigts dans l'eau mélangée , le doigt qui a été
dans l'eau chaude éprouvera une sensation de froid, et
celui qui a été dans l'eau froide, une sensation de cha-
leur. Ceci suffit pour nous expliquer tous les phénomènes
de température.
III.
Il y a donc un rayonnement calorifique comme il j a
un rayonnement lumineux, et ces rayonnements obéissent
à une même loi.
Les intensités de la chaleur sont en raison inverse des
carrés des distances.
Par exemple, si les distances sont 1, 2, 3, 4, etc., les
quantités de chaleur reçues aux distances 2, 3, 4, etc.,
seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc., moindres qu'à la dis-
tance 1 .
Ce sont les académiciens de Florence qui trouvèrent,
il y a près de deux siècles, que le calorique se réfléchit
LA CHALEUR.
39
comme la lumière, et qu'un miroir concave le concentre
à son foyer. En substituant des boules de neige à des corps
Fig. 8. — Miroirs démontrant les lois de !a réflexion des rayons calorifiques
1
échauffés, ils allèrent même jusqu'à prouver qu'on peut
former des foyers frigorifiques par voie de réflexion.
Mariotte a découvert qu'il existe différentes espèces de
calorique rayonnant ; que celui dont les rayons solaires
sont accompagnés traverse tous les milieux diaphanes aussi
facilement que le fait la lumière; tandis que la chaleur qui
* Si l'on place au foyer f d'un de ces miroirs M, une source de chaleur
telle, par exemple, qu'un panier en treillis de fer, rempli de charbons ardents,
les rayons de chaleur émanés de cette source seront réfléchis parallèlement,
mais lorsqu'ils rencontrent l'autre miroir M' placé en face du premier, ils
viennent converger au foyer f de ce second miroir, et y déterminent une
élévation de température suffisante pour qu'une substance combustible s'y
enflamme promptement.
40 LES METEORES.
émane d'une matière fortement échauffée , mais encore
obscure , ainsi que celle qui se trouve mêlée aux rayons
lumineux d'un corps médiocrement incandescent, sont
arrêtées presque en totalité dans leur trajet au travers
de la lame de verre la plus transparente.
Les ouvriers fondeurs qui ne regardaient la matière
incandescente de leurs fourneaux qu'à travers un verre
de vitre ordinaire, pensant, à l'aide de cet artifice, ar-
rêter seulement la chaleur qui eût brûlé leurs yeux,
avaient donc raison contre les railleries des prétendus
savants.
Plus tard, on découvrit dans la lumière solaire des
rayons calorifiques obscurs dont l'existence ne saurait
être constatée qu'avec le thermomètre, et qui peuvent
être complètement séparés des rayons lumineux à Taide
du prisme.
11 y a donc des corps diaphanes , c'est-à-dire qui sont
traversés par les ravons lumineux, et il v en a qui sont
diatherrnanes , c'est-à-dire traversés par les rayons ca-
lorifiques.
Les mêmes corps n'ont pas toujours ces deux pro-
priétés au même degré : l'eau, par exemple, laisse passer
moins de chaleur que l'huile; un morceau de cristal
d'un décimètre d'épaisseur transmet plus de la moitié
de la chaleur; une lame d'alun très transparente, d'un
millimètre, n'en laisse passer qu'un sixième.
LA CHALEUR. 41
IV.
Il est à remarquer que la chaleur est promptement ,
facilement reçue et transmise par certains corps , tandis
qu'elle ne l'est presque pas par d'autres. Ainsi elle n'é-
chauffe que très peu les surfaces bien polies, elle est réflé-
chie par elles presque en totalité; mais lorsque ces rayons
tombent sur des surfaces ternes ou dépolies, ils sont la
plupart absorbés et échauffent le corps qui les reçoit.
Un miroir métallique, par exemple, renvoie la chaleur
presque entièrement, tandis que si Ton couvre sa sur-
face d'une légère couche de noir de fumée il l'absorbe
promptement.
Une bouilloire d'argent bruni, remplie d'eau et mise
au milieu de charbons ardents, s'échauffe très lente-
ment; mais si l'on expose préalablement sa surface ex-
térieure au-dessus de la fumée , de manière à la noircir,
réchauffement est ensuite très rapide.
Si Ton soumet deux thermomètres, dont les boules
soient revêtues, Tune d'un morceau d'étoffe noire et
l'autre d'un morceau d'étoffe blanche, aux rayons de la
même source de chaleur, le mercure , qui par sa dilata-
tion marque l'augmentation de 'calorique, augmentera
plus rapidement de volume dans le thermomètre dont la
boule est revêtue de l'étoffe noire que dans l'autre.
Si Ton étend sur une surface glacée, sur de la neige
par exemple, exposée aux rayons du soleil, deux couver-
tures, Tune noire et l'autre blanche, la neige diminuera
42 LES METEORES.
sensiblement sous la couverture noire, tandis qu'elle
ne diminuera presque pas sous la blanche.
On voit donc que non seulement la chaleur se répand
à la surface des corps , mais qu'elle pénètre dans leur in-
térieur, et cela en plus ou moins grande quantité et plus
ou moins promptement selon leur nature.
Tous les corps dans lesquels la chaleur se propage
facilement sont appelés bons conducteurs de la chaleur;
ceux dans lesquels elle se propage difficilement sont ap-
pelés mauvais conducteurs.
Les métaux sont de bons conducteurs de la chaleur ;
mais les gaz, les liquides, la porcelaine, la terre à
poterie la conduisent moins bien. Le charbon et les di-
verses espèces de bois lorsqu'ils sont secs, le verre , les
résines, etc., la conduisent moins encore. Mais rien ne
la transmet moins que les substances formées de fila-
ments très fins, de petites écailles ou parcelles qui se
touchent par très peu de points, comme le cuir, la laine
en flocons, la soie en brins, le duvet, etc.
Tout le monde sait qu'on peut faire rougir un mor-
ceau de charbon, même fort court, par une de ses ex-
trémités , et le tenir à la main par l'autre, sans se brûler,
tandis que l'on ne pourrait faire la même chose avec une
tige de fer de même longueur.
Il est un moyen facile et à la portée de tout le monde
d'apprécier la conductibilité de différents corps : en pre-
nant, par exemple, des tiges métalliques parfaitement
égales , en les enduisant de cire à Tune de leurs extré-
mités et les plongeant ensuite dans un bain chaud par
l'extrémité opposée, on voit facilement quelle est la tige
LA CHALEUR.
43
qui fait le plus vite fondre la cire, et par conséquent le
métal qui est le meilleur conducteur du calorique.
Un autre moyen, aussi à la portée de tout le monde,
consiste à chauffer une plaque métallique et à la mettre
isaWiO
*&.
Fig. 9. — Appareil d'in^enhousz pour -comparer la
conductibilité des différents métaux 1.
\
\
<r -} r
{ Cet appareil
consiste dans une
cuve rectangulaire
en laiton munie d'un
manche en bois, et
portant, soudées
dans une de ses pa-
rois, des tiges mé-
talliques de môme
grosseur et de même
longueur. On trempe
toutes ces tiges dans
de la cire fondue,
et on la laisse se
figer Sur leur sur-
face. On remplit en-
suite la cuve d'eau
chaude, et l'on voit
la cire fondre, mais
sa fusion s'étend à
une distance plus ou
moins grande sui-
vant que le corps
est plus ou moins
bon conducteur.
2 La cuve est mon-
tée sur quatre pieds,
et on la chauffe avec
une lampe à alcool
pendant toute la du-
rée de l'expérience.
Les tiges sont plus
longues que dans l'appareil précédent, et afin de pouvoir les espacer assez
pour rendre insensibles les effets du rayonnement, on les a distribuées sur les
deux grandes faces de la cuve, dont le manche est supprimé. L'expérience se
fait ainsi dans de meilleures conditions, et l'on saisit mieux les différences de
conductibilité des métaux et des autres substances avec lesquelles les tiges
peuvent élre faites.
JE.r.
Fig. 10. — Appareil d'Ingenhousz modifié par M. Jamin 2.
44 LES METEORES.
au-dessous du corps à examiner, puis à poser au-dessus
de ce corps le thermomètre. Plus la chaleur met de
temps 4 traverser le corps essayé, plus celui-ci la con-
duit mal. On peut ainsi s'assurer du peu de conductibi-
lité des étoffes de soie, de laine, etc.
L'expérience constate pareillement que les corps qui
se distinguent par un plus grand pouvoir absorhaiît,
possèdent aussi un pouvoir rayonnant plus considérable ;
par conséquent les corps qui s'échauffent le plus vite sont
aussi ceux qui se refroidissent de même.
V.
De ces propriétés résultent une foule d'applications
utiles et intéressantes.
Lors donc qu'un corps est destiné à dépenser de la
chaleur ou à en recevoir, il faut que sa surface soit noir-
cie, dépolie ou recouverte d'un corps qui remplisse ces
conditions; une feuille de papier gris, une toile fine, etc.,
suffisent. S'il est au contraire destiné à recevoir le moins
possible de chaleur et à en perdre le moins possible , il
faut que sa surface ait le plus beau poli ou qu'elle soit
recouverte d'un corps ayant cette propriété.
Il est dangereux de poser les pieds nus sur le carreau,
tandis que le parquet n'offre pas le même inconvé-
nient; et cela parce que les carreaux possèdent une con-
ductibilité capable de produire subitement dans cette
partie du corps un abaissement considérable de tempe-
LA CHALEUR. ' 45
rature; celle propriété n'existe pas au même degré dans
le parquet.
Les poêles qui doivent conserver longtemps la chaleur
sont faits en briques; ceux en tôle s'échauffent vite, mais
se refroidissent de même.
C'est parde que la laine est mauvais conducteur, que
pendant l'été on enveloppe de couvertures de laine fort
épaisses la glace qu'on veut transporter ; ces couvertures
empêchent la chaleur extérieure de parvenir jusqu'à la
glace.
Sous le rapport du calorique, les habits blancs sont
préférables, en toutes saisons, aux habits noirs. En été,
ils absorbent moins la chaleur du soleil, en hiver, ils
rayonnent moins la chaleur du corps.
En multipliant autour d'un corps -chaud les enveloppes
métalliques polies, on retarde considérablement son re-
froidissement ; en plaçant un corps froid dans les mêmes
conditions, il ne reçoit que fort lentement le calorique de
l'extérieur. On a appliqué ces principes à la construction
de vases en fer-blanc, formés de plusieurs enveloppes
concentriques, propres à conserver la température de di-
verses substances , et à transporter de la glace durant
l'été sans en fondre beaucoup.
Pour faire chauffer promptement un liquide on prendra
un vase noirci extérieurement et dépoli; mais, pour le
conserver longtemps chaud, on prendra un vase à surface
polie.
Les vases métalliques destinés à être exposés au feu,
sont munis ordinairement de manches de bois ou de
corne, qui ne propagent point la chaleur.
46 LES METEORES.
Quoique mauvais conducteurs, les liquides s'échauffent
promptement lorsque leur partie inférieure est en contact
avec une surface chaude, car à mesure que la couche li-
quide appliquée immédiatement sur cette surface s'é-
chauffe , son volume augmente et ses parties deviennent
plus légères que les parties supérieures ; alors elles s'élè-
vent et sont remplacées par d'autres, qui ne tardent pas
à éprouver le même effet ; il s'établit ainsi des courants
ascendants et d'autres descendants qu'il est facile de
♦
constater, en introduisant quelques corps légers dans le
liquide, par exemple de la sciure de bois; dans ces mou-
vements, toutes les molécules reçoivent la chaleur du
fond du vase et la répartissent entre elles.
Si, au contraire, la chaleur est communiquée par la
partie supérieure, les couches chaudes dont le poids spé-
cifique est moindre, ne peuvent être déplacées, et la
partie inférieure du vase ne s'échauffe pas. La vaporisa-
tion de l'eau a lieu alors sans être précédée du phéno-
mène de l'ébullition.
Pour la même raison , l'eau des lacs et celle de la mer
offrent souvent une température plus élevée à leur surface
qu'à une certaine profondeur.
Plus mauvais conducteurs que les liquides, les gaz s'é-
chauffent très promptement, en raison aussi de l'extrême
mobilité de leurs molécules, qui fait que chacune vient
successivement se mettre en communication avec la
source de chaleur.
Pour rendre l'air plus mauvais conducteur, il suffit
d'entraver le mouvement de ses molécules au moyen de
corps légers, tels que des plumes, du coton, etc.
LA CHALEUK.
47
Les fourrures, les édredons, les habits ouatés, etc.,
forment des vêtements très chauds quoique légers, parce
que l'air qu'ils emprisonnent , ne pouvant circuler faci-
lement, reste mauvais conducteur de la chaleur.
Voici un tableau présentant la conductibilité et le pou-
voir ravonnant de quetques corps :
Conductibilité.
Or. .
Platine
Argent
Cuivre
Fer
Zinc ,
Etain
Plomb
Marbre
Porcelaine
Terre des fourneaux
(Viennent ensuite le bois et le
charbon.)
1000
981
973
898
374
363
304
180
24
12
11
Pouvoir rayonnant
Noir de fumée
Carbonate de plomb ....
Colle de poisson
Verre
Encre de Chine
Gomme laque
Surface métallique polie. .
100
100
98
91
85
85
72
12
VI.
En pénétrant les corps, la chaleur augmente leur vo-
lume en tous sens : c'est ce que Ton appelle dilatation; et
lorsqu'elle s'en va, ce volume diminue : c'est ce qu'on
appelle contraction.
Les solides se dilatent moins que les liquides, et les
liquides moins que les vapeurs et les gaz.
La dilatation des eaz est uniforme de à 100 desrés
à peu près. Cette régularité de dilatation n'a pas lieu pour
les solides ni pour les liquides, surtout dans les degrés
voisins de leur changement d'état.
4a LES METEORES.
Cependant on remarque la même proportion pour la
dilatation entre le mercure et les gaz secs dans les li-
mites de à 100 degrés, et dans ces mêmes limites la di-
latation des métaux solides est proportionnelle à celle du
mercure.
Les dilatations des autres solides sont généralement
inégales; moindres pour les mêmes différences de tempé-
rature que celles des liquides, et à plus forte raison que
celle des gaz.
Il est facile de démontrer que la chaleur dilate les corps
en tous sens.
Je prends, par exemple, un anneau de fer et une pe-
tite balle de même métal, d'une grosseur telle qu'à la
température ordinaire, elle puisse librement passer dans
cet anneau.
Si je chauffe cette balle, elle ne passera plus dans
l'anneau, quelques soins que l'on prenne de la retourner
en tous sens; elle a donc augmenté de volume. Mais si
je la laisse refroidir, ou que je chauffe aussi l'anneau, elle
pourra de nouveau y passer.
La connaissance de la dilatation et de la contraction
des corps par la chaleur peut être utile dans beaucoup
de circonstances. En voici quelques applications :
LA CHALEUR. 49
VII.
M. Molard a tiré parti de la puissance de contraction
du fer pour rapprocher les murs d'une galerie du Con-
servatoire, qui menaçaient ruine par leur écartement.
Il fit traverser ces deux murs parallèles par de forts
boulons dont les têtes et les écrous s'appuyaient sur de
larges rondelles; il fit chauffer tous ces boulons à la
fois, et pendant qu'ils étaient chauds on serra les
écrous. Cette manœuvre fut répétée plusieurs fois, et la
contraction des boulons, en se refroidissant, eut assez
de force pour redresser les murailles, malgré la charge
des étages supérieurs.
On sait que la marche d'une horloge dépend de la
durée des oscillations du pendule, et celles-ci de la
longueur virtuelle de ce pendule , c'est-à-dire de la dis-
tance de son axe de suspension à son axe d'oscillation.
Or, cette distance se modifie avec la température, qui fait
varier la longueur de la tige. Si l'on veut que le pendule
donne la mesure exacte du temps , il faudra donc cher-
cher à compenser cette dilatation.
On y parvient en composant un pendule de substances
qui se dilatent inégalement pour un même changement
de température, et combinées de manière que les effets de
la dilatation des unes soient corrigés par les effets de
la dilatation des autres , s'effectuant en sens contraire.
Cette compensation est obtenue en multipliant les
châssis et en les combinant pour que leurs effets s'ajoutent
4
50 LES MÉTÉORES.
les uns aux autres. Un assemblage de quatre châssis donne
une compensation assez rigoureuse. Les pendules ainsi
construits se nomment des pendules compensateurs.
On voit quelquefois des barres de fer, scellées par les
deux bouts pendant les grands froids, se courber pen-
dant les grandes chaleurs, par suite de la dilatation. Le
zinc est le plus dilatable de tous les métaux; aussi ne le
fixe-t-on pas par tous les points lorsqu'on l'emploie
comme couverture de maison; on accroche l'une dans
l'autre, au moyen d'un bourrelet fait exprès, les plaques
de zinc; autrement, les changements de température
feraient céder les clous ou ployer le métal.
On doit prendre des précautions pour permettre au
métal de se dilater et de se contracter librement , dans
l'assemblage des cylindres creux en fonte destinés à la
conduite de Peau * ainsi que dans la construction des
rails pour les chemins de fer.
Les ustensiles de verre, les poteries, etc., éclatent
_
lorsqu'on les fait passer brusquement d'une température
à une autre très différente. Un pot de terre chauffé
brusquement et inégalement est bientôt fêlé; un ballon
en verre doit être chauffé par degrés et bien également
partout, pour rester intact ; s'il est trop épais, la chaleur
se communique lentement et inégalement , et il se casse ;
s'il n'est pas d'égale épaisseur, il y a aussi répartition
inégale de chaleur, et par conséquent de dilatation , il se
casse de même. Les vases donc , dans lesquels la cha-
leur se propage avec le plus de facilité, sont les plus ré-
sistants; tels sont parmi les vaisseaux de verre ceux
qui sont les plus minces et qui ont partout à peu près la
LA CHALEUR. 51
même épaisseur, et parmi les poteries celles dont la
matière est plus poreuse. Le charbon que Ton allume
éclate et se fendille jusqu'à ce qu'il soit échauffé tout
à fait ; il suffit de tenir à la main un bâton de soufre
pour produire le même effet. Cela vient de ce que ces
matières étant mauvais conducteurs de la chaleur,
quelques-unes de leurs parties sont beaucoup plus tôt
contractées ou dilatées que les parties voisines , ce qui
détermine une dislocation violente entre les molécules et
un déchirement entre les différentes parties.
vin.
Les lois générales de la dilatation et de la contraction
présentent des exceptions remarquables.
L'eau , par exemple , a moins de volume à 4 degrés
qu'à 3, et moins à 2 qu'à 1, et à liquide beaucoup
moins qu'à solide; en sorte que son maximum de den-
sité se trouve à 4 degrés au-dessus de 0. Ce maximum
de densité de l'eau a une grande importance ; car il a été
adopté pour définir l'unité de poids dans le système mé-
trique. Cette unité, que l'on appelle gramme , a le même
poids qu'un centimètre cube d'eau pure prise à son
maximum de densité.
Cette particularité de dilatation à un degré inférieur
n'appartient pas exclusivement à l'eau , car le fer fondu
le bismuth , le soufre se dilatent aussi au moment de leur
congélation.
52 LES MÉTÉORES.
On explique ces phénomènes par l'arrangement parti-
culier que prennent les molécules pour former la cristal-
lisation.
L'augmentation du volume de l'eau au moment où
elle gèle est une des plus remarquables, et demande
de grandes précautions pour éviter les nombreux acci-
dents qu'elle peut occasionner.
Il est nécessaire, par exemple, à l'approche des ge-
lées, de vider les fontaines, les conduits et les autres
vases exposés à la température de l'air extérieur; sans
cette précaution, ils peuvent être brisés, quelque so-
lides qu'ils soient ; un effet analogue pourrait être pro-
duit parles autres substances dont le volume augmente
au moment de leur solidification.
La force de dilatation de l'eau qui passe à l'état de
glace est énorme. Haies remplit de ce liquide une bombe
qui avait environ un centimètre d'épaisseur. Il ferma
l'ouverture avec un bouchon retenu par une forte presse,
et fit geler le liquide en l'exposant à un froid artificiel
considérable; la^glace n'avait que deux centimètres d'é-
paisseur lorsque la bombe se fendit en trois morceaux.
Les terribles effets de la poudre à canon ne sont dus
qu'à l'expansion subite des gaz à laquelle son inflamma-
tion donne lieu, la vapeur chauffée en vase clos est ca-
pable de produire des effets plus étonnants encore.
Vauban , en comparant la force de la vapeur à celle
de la poudre, a trouvé que 70 kilogrammes d'eau ré-
duite en vapeur pouvaient soulever un poids de 38 mil-
liers; et il faut, ajoute-t-il, près de 130 kilogrammes
de poudre pour produire le même effet.
LA CHALEUR. 53
Les canons, les fusils, les mortiers, etc., sont donc de
véritables machines à vapeur; toute la différence consiste
en ce que le choix des matières à convertir en vapeur
n^exige pas une chaudière, puisque Ton opère , au point
même où Ton a besoin de gaz, leur formation instantanée.
Le courant produit par l'air dilaté de nos foyers en-
traîne avec lui la fumée et tous les produits volatils de
la combustion. Les cheminées à tuyau très étroit sont
moin ssujettes à fumer que les autres, parce que le cou-
rant d'air ascendant s'y trouve plus rapide.
Le courant d'air froid qui se manifeste près des foyers
et qui se précipite avec tant de violence dans la bouche
des poêles est dû à la même cause.
Les bouches de chaleur que Ton adapte aux poêles et
aux cheminées ne sont encore que des courants d'air
chaud produit par la dilatation.
Les vasistas placés dans les salles où se tiennent les
réunions nombreuses sont destinés à renouveler l'air de
ces salles. L'air intérieur, échauffé, et par conséquent
dilaté, s'élève vers la partie supérieure de la salle, se dé-
verse et sort par le vasistas, tandis qu'il se trouve rem-
placé par l'air frais et pur qui arrive du dehors.
C'est aussi sur les propriétés de l'air dilaté que repose
ce que l'on nomme les fourneaux d'appel. Dans plusieurs
mines, on renouvelle l'air des galeries en établissant un
courant semblable à celui de nos cheminées , au moyen
d'un fourneau placé à l'ouverture d'un puits. L'air ex-
térieur pénètre dans les galeries par un autre puits, les
parcourt dans toute leur longueur, et vient se rendre à
l'ouverture du premier.
54 LES MÉTÉQKES.
IX.
Le feu est le développement simultané de chaleur et
de lumière produit par la combustion des corps dits
combustibles. Pour le physicien ce n'est pas autre chose
qu'un degré de température plus élevé que celui du ca-
lorique sans lumière.
Les anciens regardaient le feu comme un des quatre
éléments. Plusieurs peuples l'adoraient comme une di-
vinité.
Si Ton en croit d'anciennes traditions, il y a eu un temps
où une grande partie du genre humain ne savait ce que
c'était que le feu. Les Égyptiens, les Phéniciens, les Per
ses. les Grecs et plusieurs autres nations avouaient qu'ori
ginairement leurs ancêtres n'en connaissaient pas l'usage
Les habitants des îles Mariannes , découvertes en 1521
n'avaient aucune idée du feu, dit-on; ils furent étrange
ment surpris quand ils en virent , lors de la descente que
Magellan fit parmi eux.
Ils le regardèrent d'abord comme une espèce d'animal
• •
qui s'attachait au bois dont il se nourrissait. Les pre-
miers qui s'en approchèrent de trop près s'étant brûlés
en donnèrent de la crainte aux autres, et n'osèrent plus
le regarder que de loin , de peur, disaient-ils , d'en être
mordus et que ce terrible animal ne les brûlât par sa
violente respiration ; car c'est l'idée qu'ils se formaient de
la flamme et de la chaleur.
La nature offrait cependant aux premiers hommes
Fiff. 11. — Font embrasée
LA CHALEUR. 57
plusieurs indications sur le feu et plusieurs moyens d'en
assurer la découverte.
Sans parler des volcans , on trouve des feux naturels
allumés dans presque tous les pays. Le feu est souvent
occasionné par la fermentation de certaines matières réu-
nies dans un même lieu, par le choc des cailloux et par le
frottement des bois.
Le vent a plus d'une fois embrasé des roseaux et des
forêts : c'est à cette cause que les Phéniciens rappor-
taient la découverte du feu.
On cultive souvent le bambou en haies immenses , au
pourtour des grandes habitations. Ces haies sont ap-
pelées balisages; elles produisent un effet des plus gran-
dioses. Le frottement des grands chaumes qui se heurtent
dans leur épaisseur divergente, et qui, tout considérables
qu'ils sont, n'en demeurent pas moins flexibles, produit
quand la tempête agite les balisages un bruit violent,
singulier et même effrayant lorsqu on l'entend pour la
première fois. Des incendies considérables , au dire des
colons, ont plus d'une fois été produits par le frottement
de ces surfaces sèches et polies (fig. 11 et 12).
« Après avoir vainement cherché pendant plusieurs
mois, et en diverses saisons, des fleurs de bambou pour
enrichir notre herbier, dit Bory de Saint- Vincent , nous
en trouvâmes tout à coup en grande quantité, sur les
pousses d'un balisage, qui avait été l'année précédente,
la proie d'un embrasement attribué au frottement des
bambous. »
Les Chinois disent que Sui-Gin-Schi, un de leurs
souverains, enseigna la manière d'allumer du feu en
58 . LES MÉTÉORES.
frottant fortement deux morceaux de bois et en les fai-
sant tourner l'un sur l'autre. Les Grecs avaient à peu
près la même tradition. C'est encore aujourd'hui la mé-
thode la plus usitée chez les sauvages.
La foudre ne porte que trop souvent la flamme sur la
terre. Les Égyptiens disaient être redevables de la con-
naissance du feu à un accident de cette sorte.
X.
Si donc, il a été un temps où presque tous les hom-
mes étaient privés de l'usage du feu, ce n'est pas que
cet élément ne se manifestât en bien des manières;
mais c'est qu'on ignorait l'art de s'en servir, d'en avoir
à volonté , de le transporter et de le reproduire après
qu'il était éteint. Aussi tous les peuples ont-ils regardé
ceux à qui ils ont cru être redevables de cette découverte
comme les inventeurs des arts, parce qu'en effet il n'y a
presque aucun art qui puisse se passer du feu :
Le feu dilate l'air ; des lacs, des mers profondes
En globules roulants il divise les ondes.
Des êtres qu'il dissout, les uns sont transformés
En légères vapeurs, en globes enflammés;
D'autres réduits en chaux, d'autres réduits en cendre.
Ici, libre en tous sens, il aime à se répandre;
Là, fixé dans les corps en un profond sommeil,
Dune cause imprévue il attend son réveil.
(Deliixe, les Trois règnes.)
Une des choses les plus étonnantes, serait de voir le
corps humain rendu incombustible ; on doit à la science
LA CHALEUR.
59
des expériences très curieuses à ce sujet. En se mouillant
préalablement le doigt avec de l'éther, on éprouvera
une sensation de froid si on le plonge ensuite dans du
plomb fondu. En se mouillant le doigt avec de l'eau, on
Fig. \1- — Incendie clans les campos.
le plonge impunément dans du suif à plus de 300 degrés.
On le trempera de même sans danger dans de l'eau
bouillante, après l'avoir humecté d'éther. On peut éga-
lement plonger la main dans la fonte incandescente,
pourvu qu'on l'ait d'abord mouillée avec une solution
d'acide sulfureux contenant un peu de sel ammoniac.
M. Boutigny, d'Évreux, rapporte à ce sujet des faits
60 LES MÉTÉORES.
extraordinaires, dans son important et remarquable tra-
vail sur l'état sphéroïdal de la matière.
M. Côme, professeur de physique à Laval, et M. Covlet,
ont ainsi coupé des jets de fonte avec les doigts ; ils ont
plongé les mains dans des moules et dans des creusets
remplis de la fonte qui venait de couler d'un wilkinson,
et dont le rayonnement était insupportable, même à une
assez grande distance. M me Covlet, qui assistait à ces ex-
périences, permit à sa fille, enfant de huit à dix ans, de
mettre la main dans un creuset plein de fonte incandes-
cente. Cet essai fut fait impunément.
ce Un Espagnol, Lionetto, dit Jijlia Fontenelle, se
montra à Paris en 1819, et étonna tout le monde par
son insensibilité au contact du feu ; il maniait impuné-
ment une barre de fer rouge, du plomb fondu; il buvait
de l'huile bouillante, etc. »
Pendant que Lionetto était à Naples, le professeur
Sementini remarqua qu'il plaçait sur ses cheveux une
plaque de fer rouge , et qu'on en voyait s'élever aus-
sitôt une vapeur épaisse ; que le même effet était pro-
duit lorsqu'il passait un fer rouge sur la plante du pied,
sur la langue; qu'il buvait environ le tiers d'une cuil-
lerée d'huile bouillante ; qu'il tenait entre ses dents un
fer presque rouge.
Sementini, jaloux de découvrir les procédés de Lio-
netto, fit quelques expériences sur lui-même, et trouva :
1° Qu'au moyen de frictions avec des acides, particu-
lièrement avec l'acide sulfurique étendu d'eau, la peau
devenait insensible à l'action de la chaleur du fer rouge ;
2° Qu'une solution d'alun, évaporée jusqu'à ce qu'elle
LA CHALEUR. 61
devînt spongieuse, était encore plus propre à cet effet,
en l'employant en friction ;
3° Que les parties du corps rendues insensibles, et frot-
tées avec du savon dur, puis lavées, étaient plus insensi-
bles encore; on parvenait, par ce moyen, à se frotter
avec un fer rouge sans qu'un poil de la peau fût brûlé.
Les mêmes préparations faites sur la langue et sur la
bouche produisaient les mêmes résultats.
La cause de cette insensibilité se trouve probablement
dans le peu de conductibilité qu'ont les substances in-
termédiaires pour la chaleur, ou dans l'évaporation de ces
substances que déterminent le fer chaud ou l'huile bouil-
lante; car tout solide qui passe à l'état liquide, ou tout
liquide qui passe à l'état de vapeur, absorbe une quan-
tité étonnante de chaleur.
Ces expériences, du reste, ne sont pas nouvelles; car,
\mbroise Paré, chirurgien de Charles IX, dit avoir rendu
quelques parties de son corps incombustibles par l'emploi
de l'esprit de soufre (acide sulfureux).
XL
Si ces faits sont intéressants, ceux que nous présente
l'étude du froid ne le sont pas moins, nous le verrons
plus loin en parlant de la congélation ; cependant disons
un mot ici du froid obtenu artificiellement.
Dans, une communication à l'Académie des sciences,
Al . Berthelot a fait remarquer que la production artificielle
du froid repose en général sur l'un des trois artifices sui-
62 LES METEORES.
vants, isolés ou réunis dans une même action : 1° trans-
formation d'un solide ou d'un liquide en gaz ; par exem-
ple, la vaporisation de ï'éther, de l'acide sulfureux, du
bicarbonate traité par un acide; 2° liquéfaction d'un
solide au contact d'un liquide; par exemple solution
des sels ou d'un autre solide, acide sulfurique cristallisé
et glacé, etc. ; 3° réaction chimique opérée au sein d'un
liquide avec formation de substance dont la dissolution
absorberait plus de chaleur que celle des composés pri-
mitifs; par exemple, acétates alcalins dissous et acide
tartrique dissous , ou bien formation de corps qui se dé-
composent à mesure au sein de l'eau, tels que les sels
des acides faibles, les sels acides, etc.
M. Berthelot fait observer qu'aucun système n'est sus-
ceptible de produire un refroidissement comparable à
celui d'une masse liquide qui se transforme intégrale-
ment en gaz, comme il est facile de le reconnaître par le
calcul. Par exemple Ï'éther, en se vaporisant, produirait
un abaissement théorique de 192 degrés au-dessous de la
glace fondante, le sulfure de carbone de 530 degrés, l'am-
moniaque liquéfié de 460 degrés, le protoxyde d'azote
de 440 degrés. Mais le refroidissement s'arrête bien au-
dessous de ces termes purement virtuels, et cela dès
que la tension de vapeur du liquide devient si faible,
que le froid produit dans un temps donné est compensé
par le rayonnement ambiant qui réchauffe le système.
En effet, ajoute M. Berthelot, le froid produit par la
vaporisation d'un liquide, même dans le vide, ne permet
guère d'abaisser la température de plus de 60 à 80 degrés
au-dessous du point d'ébullition de ce liquide sous la
LA CHALEUR. 63
pression atmosphérique; on n'est parvenu à 100 degrés
que dans un seul cas jusqu'ici , celui de la congélation de
l'eau dans le vide. Quoi qu'il en soit , ces chiffres , soit
théoriques, soit pratiques , établissent qu'aucun procédé
de refroidissement n'est comparable à la vaporisation;
l'industrie est arrivée pratiquement au même résultat.
Les sources de froid dont nous disposons dans les gaz liqué-
fiés, continue M. Berthelot, n'ont pas dit leur dernier mot ;
par un emploi mieux dirigé des ressources que la théorie
indique, on doit aller beaucoup plus bas qu'on ne Ta fait
jusqu'à présent, et approcher davantage de ce zéro absolu,
que les doctrines actuelles semblent fixer vers 273 degrés
au-dessous de la glace fondante ' .
En effet les prévisions de M. Berthelot n'ont pas tardé
à se vérifier. MM. Cailletet et Raoul Pictet dans leurs expé-
riences sur la liquéfaction des gaz, ont obtenu un froid
quidépase 140 degrés au-dessous de zéro 2 .
Avant de faire connaître ces résultats étonnants à l'Aca-
démie, M. Dumas, l'éminent secrétaire perpétuel , a donné
lecture du passage suivant , extrait des oeuvres de Lavoi-
sier, et qui montre comment l'immortel créateur de la
chimie moderne avait pressenti les faits qui devaient être
réalisés plus tard par Faraday et par ses successeurs :
« ... Considérons un moment ce qui arriverait aux
différentes substances qui composent le globe si la tempé-
rature en était brusquement changée. Supposons, par
exemple, que la Terre se trouvât transportée tout à coup
dans une région beaucoup plus chaude du système solaire,
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1874.
2 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1878, 1 er semestre.
64 LES METEORES.
dans une région, par exemple, où la chaleur habituelle
serait fort supérieure à celle de l'eau bouillante : bientôt
l'eau, tous les liquides susceptibles de se vaporiser à des
degrés voisins de l'eau bouillante, et plusieurs substances
métalliques même, entreraient en expansion et se trans-
formeraient en fluides aériformes, qui deviendraient partie
de l'atmosphère.
_
<c Par un effet contraire, si la terre se trouvait tout à
coup placée dans des régions très froides, par exemple
de Jupiter et de Saturne, l'eau qui forme aujourd'hui nos
fleuves et nos mers, et probablement le grand nombre
des liquides que nous connaissons, se transformeraient en
montagnes solides.... L'air, dans cette supposition, ou du
moins une partie des substances aériformes qui le com-
posent, cesserait sans doute d'exister dans l'état de fluide
invisible , faute d'un degré de chaleur suffisant : il re-
viendrait donc à l'état de liquidité, et ce changement
produirait de nouveaux liquides dont nous n'avons aucune
idée 1 . »
Dans un remarquable éloge historique de Faraday,
M. Dumas rappelle que l'acide carbonique neigeux,
mouillé d'éther, forme un bain à 88 degrés au-dessous de
zéro ; que le protoxyde d'azote liquide se maintient à une
température constante de 90 degrés au-dessous de zéro.
Lorsque l'on active l'évaporation de ces substances en les
plaçant dans le vide, on obtient même un abaissement de
température qui peut atteindre 100 ou HO degrés au-
dessous de la glace fondante.
* Recueil des Mémoires, t. II, p. 804 et suivantes.
LA. CHALEUR. 65
Ces liquides ou ces solides, ainsi refroidis, cautérisent
la peau comme un fer brûlant. Un métal froid que Ton
y plonge produit le bruissement du fer rouge que l'on
trempe dans Peau. Une affusion d'eau froide les trans-
forme tout à coup en gaz , tandis que l'eau se gèle elle-
même avec une vive explosion .
Vraiment, on croirait lire quelque passage des Mille et
une Nuits. M. Dumas ajoute avec raison et avec esprit l
« L'imagination du Dante ne s'est pas élevée au-dessus
de la réalité , et le grand poète de l'Italie aurait trouvé ,
comme on voit, près de nos laboratoires plus d'un trait
digne de prendra place dans la description du neuvième
cercle de l'enfer, à côté de l'épisode d'Ugolin, et d'ajouter
à son horreur. Il est vrai que pour un Florentin, accou-
tumé au plus doux climat, le séjour éternel dans un bain
de glace ordinaire a pu paraître suffisant pour caractéri-
ser la plus dure des peines infligées aux réprouvés. »
CHAPITRE IV.
LA LUMIERE.
Influence de la lumière sur la vie en général. — Théorie de la lumière. — Ses
lois. — Spectre solaire. — Analyse spectrale. — Curieux phénomènes des
interférences.
I.
La lumière présente une affinité bien remarquable
pour la vie. En général, on peut dire que chaque créa-
ture a une vie d'autant plus parfaite qu'elle jouit da-
vantage de la lumière , et il paraît même que la vie n'est
possible que sous son influence, car dans les entrailles
de la terre, dans les cavernes les plus profondes, où règne
une nuit éternelle, on ne rencontre que des corps inor-
ganiques.
Là, rien ne respire, rien ne jouit du sentiment; on
n'y trouve tout au plus que quelques espèces de moisis-
sures ou de lichens qui sont le premier degré de la vé-
gétation et le plus imparfait. On s'aperçoit même , en y
regardant de près , que la plupart de ces plantes équivo-
68 LES METEORES.
ques ne croissent que sur le bois pourri ou dans son voi-
sinage.
Et même, à la surface de la terre, que l'on prive un
végétal ou un animal de la clarté du jour, quelque nour-
riture qu'on lui donne, quelques soins qu'on lui pro-
digue , on le verra successivement perdre sa couleur et
toute sa vigueur, cesser de croître et se rabougrir.
L'homme lui-même, lorsqu'il est privé de la lumière,
devient pâle, mou, débile, et finit par perdre toute son
énergie, comme l'attestent les exemples, malheureuse-
ment trop nombreux, des personnes qui ont été renfer-
mées pendant longtemps dans un cachot, les maladies
qui atteignent les mineurs, les marins de la cale des
navires, et même les ouvriers des manufactures mal
éclairées, les habitants des caves, des rez-de-chaussée
ou des rues étroites.
IL
Peu d'études donnent lieu à plus de surprises que celle
de la lumière.
De même que pour la chaleur, deux hypothèses ont
été émises à son sujet :
Celle de rémission, à laquelle le nom de Newton a
donné pendant longtemps une grande autorité, et celle
des ondulations, dont Descartes est l'auteur, et qui est
généralement adoptée aujourd'hui.
Vhypothhe de l'émission suppose qu'un corps lumineux
lance dans toutes les directions une substance matérielle
LA LUMIÈRE. 69
extrêmement ténue, et tellement subtile qu'on n'en peut
constater ni le poids ni l'impénétrabilité; elle traverse
certains corps sans perdre sa vitesse, mais elle peut être
arrêtée par d'autres.
Des molécules de cette substance venant à rencontrer
l'organe de la vue, une partie pénètre dans l'intérieur,
atteint le fond de l'œil et produit la sensation de la vi-
sion.
Dans Vhypothhe des ondulations, on ne suppose pas
qu'il y ait transport d'un agent matériel à de grandes
distances, mais on admet que les vibrations atomi-
ques mêmes des corps lumineux sont communiquées
aux atomes d'un fluide éthéré répandu partout.
Ces vibrations se propagent à travers le fluide, arri-
vent à l'organe de la vue, qui les transmet au nerf op-
tique. Dans cette hypothèse, la nature et la transmission
de la lumière seraient analogues à la nature et à la trans-
mission de la chaleur.
Les dernières expériences des savants, les études sur
les interférences entre autres , ont rallié tous les esprits à
cette dernière hypothèse.
III.
On sait que la lumière s'affaiblit , ou diminue de force,
d'intensité, à mesure qu'elle s'éloigne du point d'où elle
émane. Cette diminution a lieu en raison directe du
carré de la distance ; par exemple , si les distances sont
1, 2, 3, 4, etc., les quantités de lumière reçue aux
70 LES METEORES.
distances 2, 3, 4, etc., seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc.,
moindres qu'à la distance 1. — L'intensité de la lumière
varie également avec l'inclinaison de la surface qui l'émet .
La lumière se propage avec une vitesse prodigieuse ;
elle parcourt près de 308,000 kilomètres ou environ
77,000 lieues par seconde.
C'est par l'observation des éclipses de Jupiter que
Rœmer, astronome danois, est parvenu à déterminer la
vitesse de la lumière pour la première fois. La lumière
franchit en 8 minutes 13 secondes la distance du soleil
à la terre. Or, on sait que les étoiles les plus rapprochées
de la terre en sont au moins deux cent mille fois plus
éloignées que le soleil : il faut donc plus de trois années
pour que la lumière de ces étoiles arrive jusqu'à nous ;
quant à celle d'un grand nombre de ces astres que nous
pouvons observer, elle doit mettre plusieurs milliers
d'années pour atteindre notre globe .
On n'imaginait pas qu'il fût jamais possible de mesurer
la vitesse de la lumière par des observations terrestres,
lorsque M. Fizeau est venu résoudre cet important pro-
blème.
Les expériences de l'habile physicien ont eu lieu entre
Montmartre etSuresne, points séparés par une distance
de 8 kilomètres et demi. Au moyen d'un procédé delà
plus extrême simplicité, il a démontré que le mouvement
lumineux parcourait le double trajet d'aller et venir, soit
17 kilomètres, en une durée de temps exprimée par un
dix-huit millième de seconde. Ce nombre diffère peu de
celui qu'ont donné les observations anciennes , mais un
certain défaut de netteté dans les images obtenues laisse
LA LUMIÈRE. 71
■
sur cette mesure une incertitude plus grande que celle
des déterminations sur le ciel.
M. Foucault a essayé une nouvelle mesure en 1862,
en employant un miroir tournant. Il a trouvé pour vi-
tesse de la lumière 298,000 kilomètres, ou 74,500 lieues
de 4,000 mètres par seconde. Suivant les données an-
ciennes, cette vitesse serait de 308,000 kilomètres par
seconde. On voit donc qu'il y aurait une assez grande
différence.
Cependant on a adressé quelques objections à cette nou-
velle détermination. L'ingénieux physicien n'a. fait par-
courir à la lumière qu'un espace de 20 mètres , et dans
cette étendue il lui a fait subjr cinq réflexions et tra-
verser un objectif. On a fait remarquer que cet objectif a
pu occasionner une diminution de vitesse, et que d'ail-
leurs personne ne peut même dire quelle est la totalité
des phénomènes qui se passent dans une réflexion ; en un
mot, que toutes ces conditions ne sont pas celles de la
lumière dans l'espace où elle se meut librement ; d'un
autre côté, on n'a pas une confiance absolue dans les di-
visions micrométriques si délicates qu'il a fallu employer.
IV.
*
Lorsqu'on regarde les objets à travers un prisme de
verre, non seulement ils apparaissent considérablement
déplacés par la déviation qu'éprouvent les faisceaux lu-
mineux qui traversent le prisme , mais ornés de bandes
teintes des plus vives couleurs.
72
LES MÉTÉORES.
Si Ton dispose un prisme de telle sorte qu'un faisceau
lumineux tombe obliquement sur l'une de ses faces, et
que l'on reçoive le faisceau émergent sur un écran ou
tableau placé à une distance un peu grande du prisme,
on verra se projeter une image oblongue peinte de mille
couleurs, à laquelle on a donné le nom de spectre soldire.
Fig. 13. — Spectre solaire.
Avant Newton on connaissait bien la loi de la réflexion
et celle de la réfraction ; on savait exécuter des miroirs
brûlants, rapprocher et grossir les objets par la réflexion
de la lumière au travers des lentilles. Cependant la nature
de la lumière était encore inconnue, l'origine des couleurs
était ignorée; on ne doutait pas qu'elles ne fussent pro-
duites par quelque jeu de cet agent; mais personne ne
soupçonnait qu'un rayon de lumière blanche fut composé
M
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(fi
S
LA LUMIÈBB. 73
d'un grand nombre de rayons simples, capables, chacun
à part, de donner une couleur qui lui fût propre :
Avant que de Newton la science profonde
Eût surpris ce mystère et les secrets du monde,
La lumière en faisceaux se montrait à nos yeux ;
Son art décomposa ce tissu radieux,
Et , du prisme magique armant sa main savante,
Développa d'Iris l'écharpe éblouissante.
Dans les mains d'un enfant un globe de savon
Dès longtemps précéda le prisme de Newton,
Et longtemps, sans monter à sa source première,
Un enfant dans ses yeux disséqua la lumière.
Newton seul l'aperçut, tant le progrès de l'art
Est le fruit de l'étude et souvent du hasard.
(Delille.)
Il est sept nuances que Ton distingue parmi toutes les
autres dans la lumière solaire décomposée par le prisme,
et qui pour cette raison ont reçu le nom de couleurs
principales; ce sont, dans leur ordre naturel : le rouge,
V orangé, le jaune, le vert, le bleu, Y indigo, le violet.
Pour expliquer ces phénomènes, on regarde la lu-
mière blanche comme composée d'une infinité de rayons
de différentes couleurs, plus ou moins réfrangibles, qui se
séparent en traversant le prisme.
L'arc-en-ciel est produit d'une manière analogue; ce
sont des gouttelettes d'eau qui remplacent le prisme.
V.
Ce n'est pas seulement la lumière du soleil qui est
susceptible d'être décomposée et de produire un spectre,
mais une lumière quelconque; seulement, il y a ceci de
74 LES METEORES.
particulier, c'est que ces lumières décomposées donnent
des spectres différents.
Ainsi, chaque substance en ignition donne un spectre
qui lui est propre, et sans voir, par exemple, le corps
qui brûle, on peut dire, par la simple inspection du
spectre qu'il produit, et sans crainte de se tromper : C'est
tel corps.
L'or en ignition donne un spectre qui n'est pas celui
de l'argent, et celui que donne l'argent n'est pas le même
que le spectre de tout autre métal.
Il est des métaux qui se ressemblent tellement par
leurs propriétés principales, qu'il serait presque impos-
sible de ne pas les confondre, de ne pas les prendre pour
un seul et même métal par les moyens d'investigations
ordinaires.
Qu'ont fait les métallurgistes? — Une chose bien sim-
pie, ils ont eu recours à l'examen des spectres que don-
nent les métaux en brûlant; en comparant, en analysant
ces spectres, ils n'ont plus eu de doute sur la nature parti-
culière de ces corps. Par ce procédé, ils ont déjà enrichi
la science et l'industrie de quatre nouveaux métaux : le
rubidium, le césium, le thallium, et, tout récemment, le
gallium.
L'analyse spectrale peut donner de fécondes applica-
tions en physiologie et en médecine. Une personne , par
exemple, a-t-elle été empoisonnée, il suffit souvent de
faire brûler une partie de ses chairs ou de ses déjections
et de décomposer par le prisme la lumière produite par
la combustion, pour reconnaître l'élément toxique. C'est
ainsi que M. Lamy, d'après une communication faite à
LA LUMIERE. 75
É
l'Académie des sciences, a reconnu immédiatement le
thallium dans les organes d'animaux morts empoisonnés
par cette substance.
L'analyse spectrale, comme nouvelle méthode d'étude,
fait son entrée triomphante dans toutes les sciences.
L'astronomie entre autres l'a interrogée pour étendre
ses connaissances au delà de milliards de millions de
lieues, et l'analyse spectrale a répondu, dans son lan-
gage naturel, en nous faisant connaître la nature des
astres innombrables qui peuplent l'espace.
Dans un remarquable discours sur l'analyse spectrale ,
prononcé à l'Académie des sciences, Delaunay s'expri-
mait ainsi : « Nous ne sommes qu'au début des recher-
ches que cet instrument nouveau permet d'entreprendre
pour l'étude de la constitution de l'univers; la riche
moisson qu'il nous a déjà fournie peut nous faire pres-
sentir l'importance des résultats que la science est ap-
pelée à en retirer. »
Depuis que ces lignes sont écrites , l'analyse spectrale
n'a cessé d'ajouter révélation sur révélation, mais nous
devons , afin de ne pas trop nous répéter, renvoyer ce
qui regarde la lumière à la partie de notre Histoire des
Astres qui traite de ce sujet 1 .
En faisant lire dans un rayon de lumière la nature du
corps qui le produit, les éléments qui constituent ce corps,
les changements qui s'y opèrent , l'analyse spectrale de-
1 Histoire des Astres ou Astronomie pour tous, par J. Rambosson, librairie
Firmin-Didot et Cie. Cet ouvrage illustré avec le plu» grand soin est adopté par
la commission officiel le près le ministère de l'Instruction publique, pour les
bibliothèques des écoles normales et pour les bibliothèques scolaires des gran-
des localités.
76 LES METEORES.
vient ainsi le messager des astres, le confident des es-
paces infinis, le télégraphe des distances incalculables ,
le révélateur des choses les plus cachées, et même un dé-
nonciateur implacable.
VI.
Les phénomènes que présentent les interférences lumi-
neuses sont des plus curieux, des plus étranges, des plus
incroyables pour ceux qui ne sont pas au courant des
découvertes de l'optique.
Supposons qu'un rayon de lumière solaire vienne
rencontrer directement un écran quelconque, une feuille
de papier blanc, par exemple.
Il va sans dire que la partie du papier que le soleil
frappera sera resplendissante. Mais ce qui paraît in-
croyable , c'est que l'on peut rendre cette partie resplen-
dissante complètement obscure sans toucher au papier,
et sans arrêter ni diminuer le rayon lumineux qui Té-
claire, au contraire, en l'augmentant même.
Le procédé magique qui change ainsi la lumière en
ombre, le jour en nuit, est plus surprenant encore par sa
simplicité que par ses prodigieux effets; ce procédé
consiste à diriger sur le papier, mais par une route lé-
gèrement différente, un second rayon lumineux qui,
pris isolément aussi, l'aurait fortement éclairé.
En se confondant les deux rayons sembleraient devoir
produire une illumination plus vive; eh bien! chose
étrange, cette lumière ajoutée à cette autre lumière
LA LUMIÈRE. 77
produit des ténèbres ! Les mouvements de ces rayons se
neutralisent réciproquement , et la lumière cesse d'éclai-
rer. Cependant, suivant leurs directions, ces rayons lumi-
neux ne se neutralisent quelquefois qu'en partie ; alors
la lumière ne fait que diminuer.
Ces phénomènes curieux, qui anéantissent ou dimi-
nuent la lumière par l'adjonction d'un rayon lumineux,
ont reçu le nom Ôl interférences.
La démonstration expérimentale et complète du fait
des interférences sera toujours le titre principal du doc-
teur Thomas Young à la reconnaissance de la postérité.
Le génie de Fresnel étendit et montra toute la fécon-
dité des principes de Young,
Parmi les mille rayons de nuances et de réfrangibilités
diverses dont la lumière blanche se compose, ceux-là seu-
lement sont susceptibles de se détruire qui possèdent des
couleurs et des réfrangibilités identiques ; ainsi , de quel-
que manière que l'on s'y prenne, un rayon rouge n'anéan-
tira jamais un rayon vert.
Si deux rayons blancs, par exemple, se croisent en un
certain point, il sera possible que, dans la série infinie
de lumières diversement colorées dont ces rayons se eom-
posent, le rouge, par exemple, disparaisse tout seul, et
que le point du croisement paraisse vert ; car le vert, c'est
du blanc moins le rouge.
On ne saurait se défendre de quelque étonnement
quand on apprend pour la première fois que deux
rayons lumineux sont susceptibles de s'entre-détruire ;
que l'obscurité peut résulter de la superposition de deux
lumières; mais cette propriété des rayons une fois cons-
78
LES METEORES.
tatée, n'est-il pas encore plus extraordinaire qu'on puisse
les en priver? que tel rayon la perde momentanément, et
que tel autre, au contraire, en soit privé à tout jamais?
La théorie des interférences, considérée sous ce point de
vue, suivant l'expression d'Arago, semble plutôt le
fruit des rêveries d'un cerveau malade que la consé-
quence sévère, inévitable, d'expériences nombreuses et à
l'abri de toute objection.
V hypothèse des ondulations, pour l'explication des
phénomènes de la lumière , et qui a Descartes pour au-
teur, était déjà généralement admise parles savants, et les
dernières expériences faites sur les interférences ne lais-
sent plus aucun doute sur son exactitude.
Ceux qui aiment à trouver la Bible d'accord avec les
sciences modernes verront donc avec satisfaction que
Moïse nous avait déjà enseigné que la lumière avait été
créée avant les astres qui nous éclairent, ce qui est exact,
puisque la lumière n'est qu'un mode de mouvement.
Tant de merveilles nous élèvent naturellement jusqu'à
l'être des êtres, qui pour éclairer l'univers n'eut besoin
que de ce mot : Que la lumière soit ! et aussitôt la lumière
porta ses rayons étincelants jusqu'aux extrémités des
mondes les plus reculés.
Fig. 14. — Les Saisons (tiré d'un bas-relief, à Rome).
CHAPITKE V.
L'ÉLECTRICITÉ.
Découverte de l'électricité. — Ambre jaune et ambre gris. — Le cbeval de
Sévère et l'âne de Tibère. — Hommes électriques. — Théorie de l'électricité.
— Corps bons et mauvais conducteurs. — Diverses espèces d'électricités. —
Électrisation par influence et par contact. — Transmission électrique. —
Étincelles électriques. — État électrique de l'atmosphère et du globe ter-
restre.
I.
Bien que les grandes applications de l'électricité soient
récentes, la découverte de cet agent date de la plus
haute antiquité. Les phénomènes qu'il présente ont été
observés pour la première fois dans l'ambre jaune , que
les Grecs appelaient électron, d'où est venu le nom ù? élec-
tricité* Le philosophe Thaïes en était si surpris qu'il
croyait que l'ambre était animé.
Il ne faut pas confondre l'ambre jaune avec V ambre
gris : ces deux substances sont très différentes; elles
n'ont guère de commun que la propriété d'être toutes
deux aromatiques.
L'ambre gris est une substance grasse, qui présente
80 LES MÉTÉORES.
une odeur suave et pénétrante ; son parfum a quelque
analogie avec celui du musc ; sa couleur grise est mêlée
de noir et de jaune ; il a la consistance de la cire , et peut
se ramollir comme elle. D'après les opinions les plus
certaines, ce serait dans l'estomac , dans les intestins de
certains cachalots malades , que se formerait cette subs-
tance.
L'ambre jaune, que l'on appelle aussi succin et carabe,
substance dans laquelle on a pour la première fois dé-
couvert les phénomènes électriques , est une résine fos-
sile, diaphane, d'une odeur agréable; elle est sus-
ceptible de recevoir un beau poli, et sert à faire des
ornements de luxe.
Les poètes anciens supposaient que les grains d'ambre
provenaient des larmes des sœurs de Phaéton.
Cette substance paraît être le produit d'un espèce de
conifère antédiluvienne , dont on ne rencontre plus que
les graines et les cônes; elle était primitivement fluide ,
comme le prouvent les insectes et les brins de plantes
qu'elle contient quelquefois.
L'ambre jaune accompagne la lignite dans plusieurs
localités; il existe en assez grande quantité dans les dunes
sablonneuses qui bordent les rivages de la mer Baltique ;
le mouvement des eaux en dépose beaucoup sur la côte.
II.
Revenons maintenant à l'électricité.
On sait que les chevaux, les chiens, les chats, et
L'ÉLECTRICITÉ. 81
quelquefois même les hommes , peuvent devenir électri-
ques au point de jeter des étincelles lorsqu'on les frotte ,
et celte observation est très ancienne.
On lit dans les Extraits de la vie du philosophe Isidore,
écrite par Damascius, que de nombreuses et fortes étin-
celles s'élançaient du cheval de Sévère quand on le ma-
niait , et qu'on remarqua la même chose dans l'âne que
montait Tibère , lorsque ce prince étudiait la rhétorique à
Rhodes ; qu'il partait des étincelles du corps de Balinéris,
père de Théodoric , roi d'Italie ; qu'un phénomène ana-
logue arrivait à Damascius lui-même pendant qu'il met-
tait ou quittait ses vêtements, mais que d'autres fois les
flammes paraissaient fort sensiblement sur ses habits, sans
rien brûler. Il dit aussi avoir vu un homme qui , en se
frottant la tête avec une pièce de drap rude, en faisait
sortir des étincelles et même des flammes.
Le maréchal Vaillant, dans une communication à l'A-
cadémie des sciences, a fait également remarquer que
son corps produisait facilement des étincelles.
« Pendant longtemps, dit-il, surtout de 1818 à 1830,
lorsqu'il faisait un froid vif et sec, ce qu'on appelle un
beau froid, et que je rentrais dans ma modeste chambre,
sans feu, après avoir passé la soirée soit dans un cabinet
de lecture, soit chez des amis, dans des lieux bien
chauffés , surtout lorsque j'avais marché vite et un peu
longtemps, j'étais témoin et sujet d'apparitions électri-
ques que m'ont rappelées celles de New- York.
« Au moment où j'ôtais ma chemise, elle pétillait,
devenait toute lumineuse, une multitude d'étincelles s'en
échappaient de toutes parts, les deux pans se collaient
6
82 LES METEORES.
l'un à l'autre, et restaient appliqués avec une certaine
adhérence. Les premières fois qu'il me fut donné de voir
ce phénomène , je fus plus que surpris , presque effrayé.
A présent, ma chambre à coucher n'est pas davantage
chauffée, mais je ne cours plus. L'hiver a beau être sec ,
l'hiver de l'âge est plus puissant encore; mes vête-
ments intérieurs laissent bien échapper encore quel-
ques étincelles, mais elles sont faibles, rares, peu bril-
lantes , et elles ne pourraient plus me causer le moindre
effroi. »
Tous ces phénomènes sont dus à l'électricité.
III.
Si l'on frotte un disque de verre ou un bâton de résine,
par exemple , et qu'on leur présente ensuite des corps lé-
gers, tels que de la sciure de bois, du papier, etc., ces
corps sont attirés (fig. 15).
Cette puissance d'attraction qui se développe par le
frottement est attribuée à un mouvement que l'on appelle
Y électricité .
L'électricité se trouve non seulement dans le verre et
la résine, mais elle est répandue dans tous les corps, de
quelque nature qu'ils soient, et dans les plus petites par-
ties de chacun.
Cependant le frottement ne met pas cet agent en évi-
dence dans tous les corps; quelques-uns conservent la
propriété attractive développée par le frottement : il&
sont appelés corps mauvais conducteurs de l'électricité,
L'ELECTRICITE.
s; {
parce qu'ils conduisent mal ce mouvement, le gardent,
l'emprisonnent; d'autres perdent la propriété attractive à
mesure qu'elle se développe : ils sont appelés bons con-
jWÏI
Fig. 15. — Attraction électrique.
ducteurs, parce qu'ils permettent à l'électricité de circu-
ler, d'aller dans l'air, dans les corps environnants.
Tous les corps ne sont pas également bons ou mau-
vais conducteurs ; chacun occupe un degré intermédiaire
84 LES METEORES.
entre celui qui Test le plus et celui qui Test le moins.
Le soufre, la soie, les fourrures, le verre/ le cristal
de roche, le diamant et les autres pierres précieuses,
les résines, telles que la gomme laque, la cire à ca-
cheter, sont mauvais conducteurs de l'électricité.
Les métaux, les substances animales et végétales, le
globe terrestre, les liquides en général et la vapeur d'eau
sont de bons conducteurs de l'électricité.
11 est à remarquer que l'humidité rend bons conduc-
teurs tous les corps; ceux que Ton veut électriser par
le frottement ou de toute autre manière, doivent donc
être chauffés préalablement ou séchés d'une manière
quelconque, pour être privés de toute humidité; car l'é-
lectricité se conserve longtemps dans l'air, ou dans un
gaz sec, mais elle se dissipe promptement dans les mêmes
gaz humides.
On sait que les machines électriques sont des instru-
ments destinés à développer de grandes quantités de fluide
électrique; elles se composent principalement : 1° d'un
corps frotté, 2° d'un corps frottant, 3° d'un conducteur
isolé .
Quand une personne monte sur un tabouret isolé, et
qu'elle est mise en communication avec la machine élec-
trique, elle s'électrise en même temps que les conducteurs
de la machine; ses cheveux se hérissent et pétillent;
chargés de la même électricité, ils se repoussent dans tous
les sens. En approchant le doigt de la personne ainsi
électrisée, on peut tirer des étincelles de toutes les parties
de son corps, comme si elle était un conducteur de la ma-
chine électrique.
L'ELECTRICITE
85
IV.
Lorsqu'on veut électriser un corps bon conducteur, on
l'isole, c'est-à-dire qu'on lui donne pour support un
Fig. 1(3. — Tabouret électrique.
corps mauvais conducteur, qui intercepte toute commu-
nication avec de bons conducteurs ; alors l'électricité ,
ne trouvant aucun passage dans les corps environnants,
86
LES METEORES.
demeure comme emprisonnée dans le bon conducteur.
Les mauvais conducteurs que l'on emploie ordinaire-
ment comme isolants sont le verre, la résine commune,
la gomme laque et les fils de soie.
Voici une expérience très remarquable :
Lorsque Ton électrise par le frottement un morceau de
Fig. 17. — Pendule électrique. — Répulsion électriqih
verre, et qu'on lui présente une balle de sureau ou tout
autre corps léger bon conducteur suspendu à un fil
de soie, cette balle est d'abord attirée fortement par le
verre, et dès que, par le contact, il lui a communiqué
son électricité, il la repousse. Si, au lieu d'un morceau
L'ELECTRICITE.
87
de verre, on emploie de la résine, l'effet est le môme.
Mais ce qui est très singulier, c'est que si une balle
repoussée par le verre électrisé est soumise à l'action de
la résine, elle est vivement attirée vers elle, et le verre,
à son tour, attire puissamment la balle qui a été repoussée
par la résine électrisée.
OC
Fig. itf. — Pendule électrique. — Attraction électrique.
Ces phénomènes curieux ont amené les physiciens à
conclure que l'électricité du verre et celle de la résine ne
sont pas identiques, puisque chacune d'elles attire ce que
l'autre repousse.
On appelle électricité vitrée celle qui se développe sur le
88 LES METEORES.
verre ou celle qui lui est identique, et électricité résineuse
celle qui se développe sur la résine ou celle qui lui est
identique; car tous les corps électrisés présentent Tune
ou l'autre de ces deux électricités.
L'électricité vitrée s'appelle aussi électricité positive, et
l'électricité résineuse électricité négative. Ces dernières
dénominations, plus exactes que les premières, viennent
d'un système imaginé par Franklin, où l'on essayait d'ex-
pliquer tous les phénomènes par une seule électricité, que
l'on supposait tantôt en plus, tantôt en moins. Quoique ce
système soit généralement abandonné, on en a conservé
les dénominations, qui indiquent très bien deux propriétés
contraires.
Y.
Cet agent n'agit pas toujours avec la même force ; une
observation attentive et des expériences sûres, ont fait
connaître que les attractions et les répulsions électriques
varient suivant les distances et les quantités d'électricité ,
d'après les deux lois suivantes :
1° Les attractions et les répulsions électriques sont en
raison directe des quantités d'électricité; c'est-à-dire que
s'il y a 2, 3, 4, etc., fois plus d'électricité, les corps se-
ront 2, 3, 4 fois plus attirés ou repoussés.
2° Les attractions et les répulsions électriques sont en
raison inverse du carré des distances; c'est-à-dire que si
la distance est 2, 3 ou 4 fois plus grande, les attractions
et les répulsions seront 4, 9 ou 16 fois moindres.
^ELECTRICITE. 89
Tous les corps de la nature possèdent les deux élec-
tricités combinées en quantité indéfinie ; mais lorsqu'elles
sont réunies en quantités égales, elles composent ce
qu'on appelle Yélectricité neutre, et les corps dans les-
quels existe l'électricité neutre n'ont ni la propriété d'at-
tirer les corps légers, ni celle de les repousser; ils ne
donnent aucun signe d'électricité. Ils sont dits à l'état
neutre ou naturel.
Le frottement ne développe pas toujours la même élec-
tricité dans la même substance; le verre, par exemple,
frotté avec de la laine ou de la soie s'électrise vitreuse-
ment , mais il prend l'électricité résineuse si on le frotte
avec une peau de chat. On devrait donc bannir ces dé-
nominations d'électricité vitrée et résineuse, qui sont tout
à fait impropres.
L'espèce d'électricité que Ton communique à un corps
dépend non seulement d'un corps frottant, mais aussi de
l'état de la surface du corps frotté. On peut, par exem-
ple , donner à une même tige de verre les deux électri-
cités à la fois ; il suffit pour cela qu'elle soit polie à l'une
de ses extrémités et dépolie à l'autre.
Naturellement, on est porté à demander pourquoi dans
tels cas c'est l'une des électricités qui se développe plutôt
que l'autre? mais la science n'est pas encore assez
avancée pour résoudre cette question.
Il n'est sans doute pas nécessaire de faire remarquer
que le corps frottant s'électrise aussi pendant l'opération,
et qu'il contracte toujours l'électricité contraire à celle
qui se manifeste à la surface du corps frotté.
90 LES METEORES.
VI.
On peut éleetriser un corps bon conducteur de deux
manières : par contact et par influence.
On l'électrise par contact en le mettant , après l'avoir
isolé, en communication directe avec un corps déjà élee-
trisé. A l'instant même une partie de l'électricité de celui
qui est électrisé s'écoule dans l'autre et se manifeste à sa
surface.
Mais il n'est pas nécessaire de mettre en contact avec
une source électrique un corps bon conducteur pour l'é-
lectriser ; il suffit de l'en approcher.
Par sa seule présence , la source électrique agit alors
sur l'électricité neutre, la décompose et attire de son côté
l'électricité contraire à la sienne, et repousse de l'autre
côté l'électricité semblable; le corps est alors électrisé par
influence.
Dans ce cas , il n'y a simplement que séparation et
déplacement des agents électriques dans le corps bon
conducteur, il ne reçoit rien de la source et ne lui donne
rien; aussi, si on le soustrait à son influence, en l'éloi-
gnant ou en supprimant la source elle-même, les élec-
tricités séparées se recomposent, et le corps revient à
l'état neutre.
Lorsque cette recomposition s'opère brusquement, les
électricités en se rejoignant éprouvent des mouvements
rapides de translation, et déterminent dans les corps
où cette recomposition a lieu des secousses plus ou
L'ÉLECTRICITÉ. 91
moins violentes, que l'on désigne sous le nom de choc en
retour.
On évite les effets brusques et quelquefois destructeurs
de ce choc en retour, en éloignant peu à peu de la source
électrique le corps électrisé par influence.
Il suffit qu'un corps bon conducteur soit en commu-
nication avec une source électrique par un seul point,
pour que l'électricité se répande immédiatement dans
toute sa surface ; et lorsqu'il est électrisé, il importe peu
qu'on le touche par un point ou par un autre : la perte
qu'il éprouve se fait également sentir dans toute sa surface.
Pour lui enlever toute son électricité, il suffît donc
de le mettre un instant en communication avec le sol,
qui est bon conducteur. C'est pour cela que lorsque
l'on parle de notre globe dans l'intervention des phéno-
mènes électriques, on lui donne le nom de réservoir
commun.
Il n'en est pas de même des' corps mauvais conduc-
teurs, ils ne prennent ou ne perdent de l'électricité que
dans Tétendue de leur contact ; chacun de leurs points
doit être considéré comme indépendant des autres, se
chargeant seul d'électricité, et seul aussi la perdant. Cette
cause permet de charger divers points d'un même pla-
teau de résine d!électricités de différente nature.
La transmission de cet agent dans Tétendue d'un corps
bon conducteur, d'un fil métallique, par exemple, s'o-
père avec une telle rapidité, qu'il a été impossible jus-
qu'à présent d'en calculer la vitesse; il se transporte
m
presque instantanément d'un bout du fil à l'autre.
Tout autour d'une source abondante d'électricité il se
92 LES METEORES.
répand une odeur analogue à celle de l'ail ou du phos-
phore ; on retrouve quelquefois cette odeur dans l'air, à
l'approche d'un violent orage.
La couleur de l'étincelle électrique est ordinairement
bleuâtre et rougeâtre ; mais un fait assez curieux , c'est
que l'électricité s'écoulant d'un corps terminé par une
pointe présente une lumière qui change dans son aspect,
suivant la nature de cette électricité ; si elle est positive ,
elle s'échappe sous forme d'une belle aigrette lumineuse
dont les rayons divergents excitent dans l'air un léger
bruissement: si, au contraire, elle est négative , on n'a-
perçoit qu'un point lumineux à l'extrémité du corps aigu.
Quoique l'on ne soit pas brûlé par la lumière électrique,
il n'en résulte pas qu'elle soit sans chaleur; dans beau-
coup de cas, elle agit comme le feu; ainsi l'étincelle
électrique peut rallumer une bougie qui vient d'être
éteinte, enflammer l'éther, l'alcool, les gaz inflammables,
tels que l'hydrogène, etc.
VII.
M. de la Rive a communiqué à l'Académie des sciences
un important Mémoire sur l'état électrique du globe. Il
fait remarquer que dans l'état normal l'atmosphère est
chargée d'électricité positive , et que cette électricité va en
croissant , à partir de la surface du sol où elle est nulle ,
jusqu'aux plus grandes hauteurs qu'on ait pu atteindre.
Le globe terrestre, par contre, est chargé d'électricité né-
gative; c'est ce que prouvent un grand nombre d'ob-
L'ÉLECTRICITÉ. 93
servations, les unes directes, les autres indirectes; c'est
d'ailleurs la conséquence de la présence de l'électricité po-
sitive dans l'atmosphère, Tune des électricités ne pouvant
se manifester à l'état libre sans qu'une quantité équiva-
lente de l'autre se manifeste également.
À la surface du contact de l'air atmosphérique et de la
partie solide ou liquide du globe terrestre , il existe une
couche d'air à l'état neutre , les deux électricités devant
s'y neutraliser constamment, vu que la cause (probable-
ment souterraine) qui les dégage, agit nécessairement
sans interruption. Cette neutralisation est naturellement
facilitée dans les plaines et au-dessus des mers par l'hu-
midité, toujours plus ou moins considérable, dont y sont
imprégnées les couches d'air en contact avec le sol. Mais
il n'en est pas de même sur les sommets des montagnes
Ht ^B ■
et surtout au haut des pics élevés ; la sécheresse de l'air
doit y rendre la combinaison des deux électricités plus
difficile et leur permettre d'acquérir, à la négative dans le
sol, à la positive dans l'air, un degré de tension passable-
ment énergique. C'est ce que démontre, d'une part, la
forte électricité positive que l'air possède à ces grandes
hauteurs, et d'autre part, l'attraction qu'exercent les
montagnes , en vertu de leur électricité négative , sur les
nuages positifs de l'atmosphère.
Maintenant, que se passera-t-il , se demande M. de la
Rive, si on réunit, par un fil électrique, une plaque
métallique implantée dans le terrain de la plaine avec une
plaque semblable implantée dans le sol d'un lieu élevé?
Comme il y a un écoulement continu de l'électricité
négative du sol vers la positive de l'air, qui produit la
94 LES MÉTÉORES.
couche neutre, il en résulte donc nécessairement un
transport d'électricité négative de haut en bas, ou, ce
qui revient au même, un courant d'électricité positive
ascendant dans le fil conducteur qui réunit deux lieux
inégalement élevés au-dessus de la mer.
On le voit, les phénomènes électriques qui se passent
à la surface de notre globe et dans notre atmosphère sont
passablement complexes. Il y a d'abord un fait général,
savoir, l'accumulation par l'effet des vents alizés , dans
l'atmosphère des régions polaires, de l'électricité positive
dont l'air des régions équatoriales se trouve constamment
chargé par les particules de vapeur aqueuse qui s'y élè-
vent des mers. L'influence de cette électricité positive
accumule et condense près des pôles une grande por-
tion de l'électricité négative que possède la partie solide
du globe , en même temps qu'elle est aussi condensée par
elle. Les décharges plus ou moins fréquentes qui ont lieu
entre ces électricités condensées à travers l'atmosphère ,
donnent naissance aux aurores polaires dont l'apparition
est toujours accompagnée de courants électriques circu-
lant dans le sol ; ces courants manifestent leur présence ,
soit par leur action sur les aiguilles de la boussole , soit
par leur transmission à travers les fils télégraphiques.
Mais, outre le fait général et dominant que rappelle
M. de la Rive, il existe un grand nombre de faits parti-
culiers et locaux, provenant des inégalités de tension dans
la distribution plus ou moins variable de l'électricité , soit
négative, soit positive, dont sont respectivement chargés
le globe terrestre et son atmosphère. Tels sont les orages
ordinaires et tous les phénomènes variés qui les accom-
L'ELECTRICITE. 95
pagnent. L'attraction des nuages par les montagnes, les
effets de phosphorescence qu'ils présentent quelquefois,
tiennent à la môme cause, et il est probable (pie bien
d'autres phénomènes naturels, comme les trombes, par
exemple, ont aussi la môme origine 1 .
On n'est pas étonné de voir l'état atmosphérique du
globe agir puissamment sur les personnes dont le sys-
tème nerveux est très susceptible, lorsque l'on connaît
les relations qui existent entre l'électricité et la vie, et les
perturbations que les changements atmosphériques appor-
tent dans l'état électrique du globe 2 .
1 Comptes rendus de V Académie des Sciences, 18(17, 1 er semestre.
2 Nous exposons dans la Science populaire, 2 e série, t. II, des faits re-
marquables produits par le dégagement électrique de diverses parties du
globe.
^^^■^
Kig. \{). — Zeus et les Géants (tiré d'une gemme napolitaine).
r
CHAPITKE VI.
LE MAGNÉTISME.
Le berger du mont Ida. — La ville de Magnésie. — Pierre d'aimant. — Passage
de Lucrèce. — Anneaux de fer de Platon. — Tombeau de Mahomet. — Ai-
mantation naturelle et artificielle. — Pèles, axe et ligne moyenne des aimants.
— Lois régissant les attractions et les répulsions magnétiques. — Influence
magnétique de la terre. — Fantôme magnétique. — Boussole. — Origine de
l'aiguille aimantée. — Esprit qui indiquait le sud aux Chinois. — Grenouille
ou calamité. — Révolution produite parla boussole dans la navigation. — Dé-
clinaison et inclinaison de l'aiguille aimantée. — Influence des aurores polai-
res, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre et de la foudre
sur les mouvements de l'aiguille aimantée. — Faits curieux.
i.
Selon Pline, c'est le hasard qui fit reconnaître dans
l'aimant la propriété d'attirer le fer. Un berger du mont
Ida, nommé Magnés, ayant enfoncé dans la terre son
bâton armé d'une pointe de fer, ne put l'en retirer.
Étonné, il creuse la terre autour du bâton et le trouve
retenu par un excellent aimant.
On croit cependant plus généralement que le nom latin
de l'aimant, magnes, est dérivé du nom de Magnésie,
7
98
LES METEORES.
ville de Lydie, située au pied du mont Sipyle, où l'aimant
se rencontre en abondance.
« Examinons maintenant, dit Lucrèce, en vertu de
quelle loi naturelle le fer peut être attiré par cette pierre
que les Grecs ont nommée, dans leur langue, magnétique,
du nom des Magnésiens, dans le pays desquels on la trouve :
« Cette pierre est une merveille pour les hommes ;
elle a la propriété de former une chaîne d'anneaux sus-
■
Fig. 20. — Aimantation par influence.
pendus les uns aux autres sans aucun lien. On voit quel-
quefois jusqu'à cinq chaînons et même plus s'abaisser
en ligne droite, flotter au gré de l'air, attachés l'un sous
l'autre et se communiquant mutuellement la vertu attrac-
tive de la pierre, tant la sphère de son activité est éten-
due. » (Liv. VI.)
LE MAGNÉTISME.
1)1)
L'aimant a été regardé pendant longtemps comme une
pierre qui avait la propriété d'attirer le fer, et la trace
de cette opinion s'est conservée dans le langage vul-
gaire, qui le désigne encore par le nom de pierre d'ai-
mant. On aura jugé de cette substance par les particules
Vig. 21. — Faisceau aimanté en fer à cheval.
pierreuses dont elle est souvent mélangée, et qui y sont
purement accidentelles.
On vient de le voir par le passage de Lucrèce, la vertu
attractive que l'aimant exerce sur le fer était connue des
100 LES METEORES.
anciens; ils avaient même remarqué qu'il communique au
fer la propriété d'attirer un autre fer. Dans Ylon , Platon
décrit cette fameuse chaîne d'anneaux de fer suspendus
les uns aux autres, et dont le premier tient à l'aimant;
Lucrèce fait de plus mention de la propagation de la
vertu magnétique au travers des corps les plus durs.
M. Jamin, de l'Institut a mis sous les yeux de l'Aca-
démie 1 , deux puissants aimants : l'un, de dimension
moyenne, pèse 6 kilogrammes et en porte 80; l'autre,
qui est sans contredit le plus puissant qu'on ait jamais
construit, porte environ 500 kilogrammes, avec un poids
dix fois moindre. Voici comment il est construit : Deux
armatures, pesant chacune 16 kilogrammes, placées vis-
à-vis l'une de l'autre, sont fixées solidement par des
brides de cuivre très résistantes; leur largeur est de
11 centimètres; leurs surfaces polaires horizontales, et
dirigées vers le bas, sont à 12 centimètres de distance;
leur épaisseur transversale est de 20 millimètres; elles
sont bien dressées, et reçoivent un contact cubique de
fer doux qui pèse 13 kilogrammes. A partir de ces
surfaces, les armatures s'élèvent, en s'éeartant Tune de
l'autre et en s'amincissant, et se terminent par un bord
tranchant. Elles sont réunies vers le haut par une lame
d'acier de l m ,20, fixée par des vis sur leur surface exté-
rieure, et qui se recourbe librement suivant la forme dé-
terminée par son élasticité. Toutes les autres lames ,
préalablement aimantées, sont mises à l'intérieur de
celle-ci, Tune après l'autre; abandonnées à elles-mêmes,
i Comptes rendus de V Académie des sciences, 1873, 1 er semestre.
LE MAGNETISME. 101
elles se collent l'une à l'autre pendant que leurs extré-
mités appuient sur les armatures. La force portative croît
à mesure que leur nombre augmente.
Cet aimant si extraordinaire est propre à rendre vrai-
semblables bien des fables basées sur la puissance des
substances possédant cet agent physique. D'après une
erreur populaire qui persiste encore, le tombeau de
Mahomet serait un coffre de fer suspendu à la voûte de
la grande mosquée de Médine par un puissant aimant.
On a attribué à l'aimant des propriétés médicales
merveilleuses; on a surtout signalé ses bons effets pour
les maux de dents, la goutte, les maladies eonvul-
sives, etc.
II.
Jusqu'à Coulomb on avait cru que le fer seul était at-
tirable à l'aimant. Ce physicien admit que tous les corps
-
terrestres sont doués de la même propriété, mais à des
degrés inégaux. Il perfectionna la méthode d'aimantation ,
et professa que les phénomènes magnétiques sont dus à
un agent analogue à celui de l'électricité.
On appelle aimants naturels les aimants que l'on ren-
contre dans la nature, et aimants artificiels ceux auxquels
on communique leur propriété.
Pendant longtemps on ne connut pas d'autres subs-
tances magnétiques que le fer et le fer oxydé, dont nous
avons parlé; on sait maintenant que le nickel et le cobalt
sont dans le même cas, et que l'état de mouvement peut
102
LES METEORES.
développer du magnétisme dans la plupart des autres
substances.
L'acier, jouissant de la propriété de recevoir facile-
Fig. -2-2. — Limaille de fer portée par un ai ma ni.
ment et de bien conserver la puissance magnétique,
est la substance que l'on emploie ordinairement pour se
procurer des aimants artificiels.
Si l'on approche un aimant de la limaille de fer, on re-
LE MAGNETISME. 103
marque certains centres d'action vers lesquels la limaille
se dirige de préférence. Ces points prennent le nom de
pôles. Chaque aimant en possède au moins deux, mais
en manifeste souvent un plus grand nombre.
La ligne droite qui passe par les deux pôles d'un ai-
mant s'appelle son axe; on nomme ligne moyenne celle
qui est entre les deux pôles , et sur laquelle la puissance
magnétique paraît nulle. Dans un aimant régulier, la
ligne moyenne partage la longueur de cet aimant en deux
parties égales.
Il est facile de constater l'existence de cette ligne ; il
suffit pour cela de rouler un aimant dans de la limaille
de fer : on apercevra alors un espace, situé entre les
deux pôles et faisant le tour de l'aimant, sur lequel la
limaille n'a pu se fixer, tandis que de part et d'autre
de cet espace les quantités de limaille attirées vont en
augmentant jusqu'aux extrémités. On voit aussi par cette
expérience que la puissance magnétique croît de la ligne
moyenne aux extrémités de l'aimant.
III.
Lorsqu'on suspend horizontalement deux aiguilles ai-
mantées dans un même lieu, à une distance suffisam-
ment grande, elles prennent des directions sensiblement
parallèles.
Mais si l'on présente les extrémités de l'une d'elles
successivement aux deux extrémités de l'autre, on re-
connaîtra que les extrémités des aiguilles qui se dirigent
104 LES METEORES.
vers le même point de l'horizon se repoussent, et que
celles qui se dirigent vers le point opposé s'attirent.
On peut donc formuler la loi suivante : Dans les ai-
mants, les mêmes extrémités ou les mêmes pôles se repous-
sent, et les extrémités ou les pôles contraires s'attirent,
Ces attractions et ces répulsions magnétiques s'affai-
blissent en raison directe du carré des distances; si les
distances sont 1, 2, 3, 4, etc., les attractions et les
répulsions seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc. moin-
dres.
On a donné le nom d'agent magnétique à la cause de
ces attractions et de ces répulsions, et l'on a admis
l'existence de deux agents magnétiques, de même que
Ton a admis l'existence de deux agents électriques, et
comme la terre se comporte dans les phénomènes ma-
gnétiques, ainsi qu'un puissant aimant ayant des cen-
tres d'action situés vers le pôle boréal et vers le pôle
austral, on a appelé l'un de ces agents magnétisme bo-
réal et l'autre magnétisme austral, et les centres d'action
des mêmes agents dans un aimant ont reçu les noms de
pôle boréal et de pôle austral.
Les mêmes pôles se repoussant, il s'ensuit que le
pôle boréal d'un aimant est celui qui se tourne vers le
sud, et le pôle austral celui qui se tourne vers le nord.
L'action que la terre exerce sur un aimant n'ajoute
rien à son poids ; il suffît pour s'en convaincre de peser
une aiguille avant de l'aimanter et après cette opération ,
les deux pesées donneront le même résultat.
La terre, qui est un grand aimant, présente une ligne
moyenne où l'attraction est nulle; on nomme cette ligne
LE MAGNETISME.
105
ét/uatcur magnétique , parce qu'elle partage la terre en
deux hémisphères magnétiques.
Cet équateur ne se confond point avec Péquateur ter-
Fig. 23. — Failli unes magnétiques.
rostre, mais le coupe en plusieurs points ; d'ailleurs il n'est
pas constant.
L'influence de la terre sur les faits d'aimantation peut
s'exercer dans un Grand nombre de circonstances. Si l'on
106 LES METEORES.
prend, par exemple, une aiguille aimantée, et qu'on
l'approche sur son pivot de la pelle ou de la pincette du
foyer, ou de l'espagnolette d'une croisée, on verra le
même pôle attiré par une extrémité de la barre et re-
poussé par. l'autre.
Il serait même difficile de trouver un seul morceau de
fer ou d'acier qui ne donnât des signes semblables de ma-
gnétisme.
Cette aimantation par influence est plus frappante en-
core lorsque, après l'avoir constatée dans une barre de
fer tenue dans une position verticale, on retourne celle-ci
sens dessus dessous ; car alors ses extrémités changent de
pôle en même temps que de position.
On appelle fantôme magnétique, les figures que l'on
obtient en projetant sur une lame de verre, sous laquelle
on a placé un aimant, une poudre magnétique, telle que
de la limaille de fer ou la battiture de ce métal réduite
en poudre. On obtient ces figures dans toute leur beauté
en employant un verre mince, qui favorise l'action de
l'aimant, et en imprimant au verre quelques chocs légers,
qui déterminent des vibrations propres à soustraire mo-
mentanément la limaille à l'action de la pesanteur.
IV.
Une des applications les plus belles et les plus fécondes
en résultats qui aient été faites des propriétés magnéti-
ques, c'est la boussole, guide des navigateurs à travers
les écueils et les tempêtes de l'Océan.
LE MAGNETISME.
107
Cet instrument se compose de deux parties. La première
est une boîte dont le fond est occupé le plus ordinaire-
ment par une plaque de cuivre, sur laquelle sont mar-
qués les points cardinaux et les rumbs des vents ; au centre
s'élève un pivot d'acier poli.
Fig. v i'* — lWmssole de; déclinaison.
La seconde partie de la boussole, et qui en est la partie
essentielle, consiste en une aiguille fine d'acier aimanté,
munie dans son milieu d'une chape (on appelle ainsi une
petite cavité creusée ordinairement dans une pierre d^a-
ij;ate). La chape reçoit la pointe du pivot sur lequel l'ai-
uille peut tourner librement dans une position hori-
zontale.
L'aiguille aimantée fut connue en Chine bien avant
i »
108 LES METEORES.
de l'être en Europe. II résulte de documents authen-
tiques, que plusieurs siècles avant notre ère les Chinois
faisaient déjà usage de cette aiguille pour se diriger sur le
continent.
On lit dans un de leurs ouvrages, qu'un souverain de
ces pays conduisit son armée à travers les montagnes
inexplorées, sans jamais s'écarter de la route, parce qu'il
avait sur son char un esprit qui lui indiquait toujours le
sud.
Le peuple chinois, d'abord confiné au nord, poussa
successivement ses conquêtes dans les contrées du sud.
C'est pourquoi le pôle de l'aiguille aimantée qui se di-
rige vers ce point cardinal dut naturellement et de pré-
férence fixer son attention, puisque indiquait la posi-
tion des pays vers lesquels ce peuple cherchait à étendre
sa domination.
Les premières boussoles ne consistaient qu'en une ai-
guille aimantée, soutenue par un corps flottant à la sur-
face de l'eau dans un vase. Cette boussole grossière était
connue des navigateurs sous le nom de grenouille ou ca-
lamité.
Flavio de Gioa eut l'idée, en 4303, de donner plus de
précision aux indications de l'aiguille aimantée, en la
suspendant sur la pointe d'un pivot fixe. C'est sans doute
ce perfectionnement qui porta quelques-uns à regarder
Gioa comme l'inventeur de la boussole.
De ce perfectionnement date la hardiesse des naviga-
teurs dans leurs entreprises. C'est alors que Christophe
Colomb fait connaître un nouveau monde; que Vasco
de Gama découvre une route nouvelle pour les Indes en
LE MAGNETISME. 109
■
doublant le cap des Tempêtes, qui a changé son nom en
celui de Bonne-Espérance.
Les Français ajoutèrent plus tard à la boussole la rose
des vents, ainsi que le témoigne la fleur de lis qu'on re-
trouve marquant le nord dans les boussoles les plus an-
ciennes.
V.
Une aiguille aimantée, suspendue horizontalement, va à
peu près du nord au sud ; nous disons à peu près , car à
Paris, par exemple, la partie australe de l'aiguille dé-
cline vers l'ouest , et si l'on imagine un plan passant par
les deux pôles de l'aiguille en repos et par le centre de
la terre, ce plan fera avec le méridien terrestre un angle de
22 degrés, qui est ce que l'on appelle la déclinaison de
l'aiguille aimantée pour Paris.
Le plan qui contient ainsi la direction de l'aiguille ho-
rizontale, abandonné librement à l'action magnétique du
globe dans un lieu, se nomme le méridien magnétique de
ce lieu.
Voici la- déclinaison observée à Paris à diverses épo-
ques :
Années 1580
11
degrés
30 secondes Est.
161$
8
—
1663
— —
—
1678
1
degrés
30 secondes Ouest
1700
8
—
10 —
1785
22
—
1821
22
29 —
1835
22
4 —
1864
18
__
57 —
110 LES METEORES.
L'annuaire pour Pan 1868, publié par le bureau des
longitudes, fait remarquer qu'au mois de juin 1865, on a
posé sous le sol du jardin de la Maternité , des tuyaux de
conduite pour le gaz d'éclairage ; que ces tuyaux, qui pas-
sent à trois mètres environ du pilier en pierre qui ser-
vait de support aux boussoles de déclinaison et d'in-
clinaison, exercent une influence très sensible sur les
aiguilles, et qu'il n'est plus possible de compter désor-
mais sur l'exactitude des résultats qui se déduiraient
des observations magnétiques faites dans de telles con-
■
ditions.
La déclinaison observée à Paris n'est pas la même
dans tous les autres lieux de la terre; elle n'est d'ailleurs
point constante dans un même lieu ; occidentale aujour-
d'hui à Paris, elle y a été autrefois orientale comme on
vient de le voir.
Mais ces grandes variations ne s'accomplissent que dans
des temps assez longs, comme des années et même des
siècles, et semblent tenir à un déplacement progressif des
pôles mêmes du globe.
Ce fut Christophe Colomb qui, en 1492, observa pour
la première fois la déclinaison de l'aiguille aimantée,
lorsque poursuivait, à travers l'Océan, la découverte du
nouveau monde. Ce sont les navigateurs hollandais, en
1599, d'après les ordres du prince de Nassau, qui dres-
sèrent les premières tables un peu précises relatives à ce
phénomène important.
Un autre phénomène remarquable, c'est l'inclinaison
de l'aiguille aimantée. En 1576, Robert Norman, cons-
tructeur d'instruments à Londres, avait constaté qu'il
LE MAGNETISME. 111
lui fallait toujours pour maintenir l'aiguille de la bous-
sole dans une position horizontale, après qu'elle avait
reçu la vertu magnétique , ajouter un petit contre-poids
à la partie qui se dirigeait vers le sud , ou diminuer la
masse de l'autre partie. Cette observation lui inspira
l'idée de suspendre une aiguille aimantée par son centre
de gravité même , sans rien ajouter et sans rien ôter à
sa masse.
L'aiguille abandonnée de cette manière à l'action libre
du magnétisme terrestre prit, en se plaçant dans le mé-
ridien magnétique , une position fortement inclinée à
l'horizon. Cette inclinaison est à Paris de 70 degrés en-
viron.
L'inclinaison est d'autant plus grande, que l'on s'ap-
proche davantage des pôles magnétiques du elobe, A ces
pôles mêmes, si l'on pouvait y parvenir, on verrait l'ai-
guille prendre une position verticale; vers l'équateur,
l'inclinaison est nulle.
Dans l'hémisphère boréal , c'est le pôle austral de l'ai-
guille qui s'incline vers la terre; le contraire a lieu dans
l'hémisphère austral. Ces phénomènes sont faciles à pré-
voir quand on sait quel genre d'action les pôles magné-
tiques du globe exercent sur les pôles d'une aiguille.
Outre les variations séculaires, la déclinaison et l'in-
clinaison de l'aiguille aimantée sont soumises , dans
chaque lieu , à des variations périodiques , annuelles et
diurnes, dont les causes ne sont pas mieux connues que
celles des variations séculaires.
112 LES MÉTÉORES.
VI.
Des causes accidentelles font encore subir à l'aiguille
aimantée des variations subites et irrégulières, que Ton
nomme des perturbations .
Plusieurs navires, le vaisseau français Henri-Quatre ,
»
un vaisseau turc, l'Astrologue, le bateau à vapeur la Tré-
bisonde, étaient venus s'échouer tour à tour dans les
environs de Sinope, et chaque fois il fut constaté que
l'accident était dû à des erreurs de marche causées par
de fausses indications des boussoles , dont les aiguilles
avaient subi une déviation anormale.
Une exploration récente et de nombreuses expériences
ont prouvé que le long d'une zone d'environ i 00 kilo-
mètres, ayant pour point central le cap Indje et s'éten-
dant presque jusqu'à Sinope, il existe une mine très
riche de fer, constituée par des rognons enfermés dans
une gangue calcaire, et que l'attraction exercée par cette
masse ferrugineuse, fait réellement subir aux aiguilles des
boussoles une déviation notable.
On appréhende assez ces phénomènes pour s'en préoc-
cuper.
Quand l'atmosphère est claire, près du Spitzberg, les
contours des montagnes sont si bien définis, les contrastes
entre l'ombre et la lumière si frappants , que les naviga-
teurs les plus habitués à juger des distances dans d'autres
contrées se trompent grossièrement et croient, par
exemple, être seulement à quelques encablures de terre
LE MAGNETISME. 113
lors même qu'ils en sont encore éloignés de plusieurs
lieues.
Scoresby explique par cette illusion ce qu'on raconte
de Mogens Herson , qui avait été envoyé par Frédéric II ,
roi de Danemark, à la recherche du Groenland.
Ce navigateur, qui jouissait dans son temps d'une
grande réputation , arriva en vue de la côte, et se croyait
près de l'atteindre; mais, ayant trouvé que plusieurs
heures de marche par un bon vent ne lui avaient pas fait
franchir un espace qu'il supposait très petit, il crut que
des pierres d'aimant situées au fond de la mer retenaient
son navire; pour échapper à ce danger imaginaire, il
vira de bord, et retourna en Danemark sans avoir dé-
barqué.
Dans une lettre au bureau du commerce, le président
de la Société royale de Londres faisait remarquer que de-
puis quelques années, le nombre des vaisseaux cons-
truits en fer dépassait beaucoup celui des vaisseaux
en bois; l'accroissement a été surtout sensible pour les
bâtiments à vapeur qui transportent les voyageurs. Dans
ces vaisseaux on emploie maintenant le fer non seule-
ment dans la construction de la coque, mais encore
dans celle des ponts, des chambres, des mats, des agrès
et de beaucoup d'autres parties pour lesquelles on se
servait encore de bois il n'y a que peu de temps; il.
en est résulté des déviations très considérables des ai-
guilles, qui sont probablement la cause de la perte de
beaucoup de bâtiments en fer que l'on a eu également
à déplorer depuis lors.
8
114 LES METEORES.
VIL
Il est donc important d'avoir recours aux indications
de la science pour corriger ces erreurs.
Entre toutes les causes qui paraissent pouvoir troubler
les mouvements de la boussole, l'aurore boréale est la
plus puissante.
Les éruptions des volcans , les tremblements de terre
et surtout la chute de la foudre dans le voisinage d'une
aiguille aimantée, exercent aussi sur sa direction une
influence plus ou moins sensible.
Quelquefois on a vu la foudre , tombant sur un vais-
seau, détruire ou du moins altérer le magnétisme des
aiguilles de la boussole, et même renverser les pôles,
c'est-à-dire aimanter l'aiguille en sens contraire.
. Les indications trompeuses résultant d'un pareil ren-
versement peuvent devenir funestes aux navigateurs.
Des marins ainsi trompés par les fausses indications de
leurs instruments se sont précipités sur des écueils dont
ils croyaient s'éloigner à toutes voiles .
Si quelquefois l'électricité atmosphérique enlève la
vertu magnétique aux aieuilles qui la possèdent, elle
peut aussi la développer de la manière la plus intense
dans des pièces de fer ou d'acier où elle était auparavant
insensible.
La foudre étant tombée dans la boutique d'un cor-
donnier en Souabe, y aimanta tellement tous ses outils,
que ce pauvre artisan ne pouvait plus s'en servir. II était
LE MAGNETISME
115
sans cesse occupé à débarrasser son marteau, ses tenail-
les, ses tranchets des aiguilles, des clous et des alênes
qu'ils attiraient à eux.
Lorsque le paquebot le New-York arriva de Liverpool,
en mai 1827, après avoir été frappé deux fois de la
foudre, on reconnut que les clous des cloisons et des
panneaux brisés, que les ferrures des mats tombés sur le
pont, que les couteaux et les fourchettes, ainsi que les
pointes d'acier des instruments de mathématiques possé-
daient un magnétisme très prononcé.
Fig. 25. — Construction du navire Argo, d'après un bas-retfef antique.
CHAPITRE VIL
L'ATMOSPHERE
L'air, sa couleur, sa pesanteur. — Expériences diverses. — Pression atmosphé-
rique. — Composition de l'air. — Consommation et altération de l'air. —
Effet de l'air raréfié sur ceux qui le respirent. — Conditions nécessaires pour
parvenir dans les régions élevées avec sécurité. — Les climats chauds et
les climats froids. — Température que peut atteindre l'air confiné.
I.
L'air est ce fluide gazeux qui forme autour du globe
terrestre une enveloppe désignée sous '3 nom d'atmo-
sphere.
Il paraît incolore quand il ne s'étend pas en couche
très épaisse ; mais il est d'un beau bleu vu en masse ; c'est
lui qui forme cette tenture azurée sur laquelle* semblent
étinceler les astres , et que le vulgaire regarde comme
une voûte céleste.
Répandue autour du globe terrestre, cette masse ga-
zeuse joue un rôle très important dans une foule de phé-
nomènes naturels. C'est un immense laboratoire, où se
passent sans cesse les opérations chimiques les plus va-
riées.
118 LES METEORES.
Après avoirreeu, sous forme de vapeur, les eaux de la
terre, ce vaste réservoir va les déposer sur le sommet des
montagnes , d'où elles redescendent en ruisseaux ou en
torrents. Il transporte à des distances prodigieuses le
pollen et la graine des végétaux, et les œufs de beaucoup
d'animaux. Enfin, il entretient la végétation dans les
plantes et la respiration chez les animaux :
C'est là, dans l'éternel et grand laboratoire,
Que, sans cesse essayant mille combinaisons,
Récipient commun de tant d'exhalaisons ,
La nature distille , et dissout, et mélange,
Décompose, construit, fond, désordonné, arrange
Ces innombrables corps l'un sur l'autre portés;
Quelques-uns suspendus, d'autres précipités;
Des soufres et des sels fait l'analyse immense ;
Des trois règnes divers enlève la substance ;
Les œufs de l'animal et la graine des fruits.
Et leur premier principe et leurs derniers produits,
Et la vie et la mort , et les feux et les ondes ,
Et dans ce grand chaos recompose les mondes.
(Delille.)
L'air est sans odeur et sans saveur; il est pesant;
1 litre d'air à la température de zéro et sous la pression de
m ,76, c'est-à-dire pris au niveau de la mer (car à mesure
que l'on 's'élève l'air devient moins dense, plus léger),
pèse 1^,29.
L'air a passé longtemps pour un élément impondéra-
ble, et c'est seulement depuis le commencement du dix-
septième siècle qu'on a pu mesurer l'épaisseur de la
couche d'air qui enveloppe le globe, et s'assurer de la
pesanteur de ce fluide.
Boire au moyen du chalumeau paraît un enfantillage.
i
'
L'ATMOSPHERE. 119
P
C'est néanmoins à cet enfantillage qu'on doit la décou-
verte des pompes, dont l'usage est si commode. En prin-
cipe, une pompe n'est qu'un tuyau dont une extrémité
plonge dans l'eau , et dont l'autre est munie d'un appareil
qui y fait le vide, comme on le fait en aspirant dans le
chalumeau; on peut ainsi élever l'eau à 10 mètres, si le
vide est bien fait.
II.
La pesanteur de l'air fut découverte par Galilée , vers
l'an 1640, en cherchant la cause qui pouvait déterminer
l'ascension de l'eau dans les corps de pompe vides, et l'y
maintenir à une hauteur à peu près constante de 10 m ,50
environ au-dessus de son niveau extérieur.
Galilée avança que ce phénomène n'était dû qu'au
poids de l'air, qui, pressant sur» la surface du liquide, le
forçait de s'élever dans le corps de pompe jusqu'à ce que
le poids de l'eau fit équilibre au poids de l'air.
Torricelli, disciple de Galilée, voulut savoir quel effet
produirait la même cause sur un liquide d'une densité dif-
férente de celle de l'eau. Il prit du mercure, qui est environ
quatorze fois plus pesant que l'eau : si l'explication de Ga-
lilée sur l'ascension de l'eau dans les pompes était exacte,
le mercure ne devait s'élever dans le vide qu'à une hau-
teur quatorze fois moindre. L'expérience vérifia cette
prévision ; la pesanteur de l'air fut généralement reconnue.
Pascal s'assura ensuite que la pesanteur de l'atmos-
phère diminuait avec le nombre de ses couches. En 1646,
120 LES METEORES.
un baromètre transporté sur le sommet du Puy-de-Dôme
subit un abaissement de 8 centimètres.
Depuis l'invention de la machine pneumatique, rien
n'est plus facile à démontrer que l'air et tous les gaz sont
soumis à l'action de la pesanteur, aussi bien que les so-
lides et les liquides.
Il suffit pour cela de peser un ballon avant et après y
avoir fait le vide ; on obtient ainsi une différence de poids
sensible, qui est le poids de l'air.
On peut s'assurer de cette manière que l'air pèse envi-
ron 770 fois moins que l'eau, c'est-à-dire que 770 litres
d'air pèsent J kilogramme, ou qu'ils ont le même poids
que 1 litre d'eau.
III.
Si l'air avait partout la même densité qu'à la surface de
la terre, il s'en faudrait bien que l'atmosphère eût la hau-
teur de quinze à vingt lieues, qu'on lui attribue; c'est à peine
si elle s'élèverait à deux lieues ; car à la surface de la terre
l'air étant 770 fois moins dense ou moins lourd que l'eau,
en prenant 10 mètres pour la hauteur de la colonne d'eau
qui fait équilibre au poids de la colonne atmosphérique
de la même base, celle-ci n'aurait que 770 fois 10 mètres
ou 7,700 mètres de hauteur, ce qui, comme on le voit,
ne ferait pas même deux lieues.
Les couches supérieures de l'air, pesant de tout leur
poids sur les couches inférieures, leur donnent des den-
sités proportionnelles aux pressions qu'elles éprouvent;
*
,\
.
-
,
•V
't.
■
' y
L'ATMOSPHÈRE. 121
la densité de Pair va donc en décroissant de la surface de
la terre aux limites de l'atmosphère ; c'est ce que démon-
tre l'expérience de Pascal que nous venons de citer.
Le bien-être que le voyageur éprouve au sommet
des montagnes provient de la raréfaction de l'air sur
ces hauteurs. La poitrine , moins comprimée , se dilate ,
la respiration devient plus facile ; il semble que la vie
circule plus librement dans tous les membres.
Cependant , à une trop grande élévation ce bien-être
fait place à des faiblesses, à des vertiges. L'élasticité
des fluides intérieurs, qui n'est plus suffisamment contre-
balancée par la pression extérieure, peut déterminer des
hémorragies dangereuses.
•
IV.
D'après la pesanteur connue de l'air, si nous voulons
évaluer la somme des pressions que la masse atmosphé-
rique exerce sur la surface du globe, nous trouverons, en
réduisant celle-ci en centimètres carrés, que la terre sup-
porte une pression, un poids en kilogrammes représenté
par i suivi de vingt zéros, c'est-à-dire 100 quintillions de
kilogrammes.
La surface du corps humain, étant moyennement de
7/4 de mètre carré, supporte , en vertu des pressions que
l'air exerce comme les liquides tout autour des corps qui
y sont plongés, une somme de pression égale à 17,500
kilogrammes environ.
122 LES METEORES.
Le corps résiste à cette force par la réaction égale et
opposée des fluides intérieurs qu'il contient ; il n'éprouve
ainsi dans les mouvements aucune gêne sensible de la
part de la pression de l'air.
Lorsque l'on plonge en nageant , il n'est pas rare que
l'on ait deux ou trois mètres d'eau sur la tête ; cependant
on les supporte très-bien. Les couches inférieures et la-
térales font équilibre aux couches supérieures et neutra-
lisent un poids qui, de prime abord paraîtrait assez puis-
sant pour écraser le nageur» *
De même que l'eau fait surnager les corps plus légers
qu'elle, l'air fait élever ceux qui sont moins pesants que
lui; c'est sur cette propriété qu'est fondée l'invention des
aérostats, qui, chargés d'un gaz plus léger, montent jus-
qu'à ce qu'ils trouvent un air assez raréfié pour leur faire
équilibre.
La légèreté de l'air chauffé produit dans le tuyau de
nos cheminées ce courant ascensionnel qui nous débar-
rasse de la fumée incommode du foyer. La même cause
produit un courant semblable dans les ventilateurs à feu
et dans les fourneaux d'appel, qui nous donnent des
moyens efficaces de renouveler et de purifier Pair des
lieux infectés , des mines, des salles de spectacle, des fa-
briques insalubres, dçs hôpitaux, etc.
L'élasticité de l'air est utilisée dans les fusils à vent
pour lancer des projectiles ; la plus fameuse machine de
ce genre est le fusil à air de M. Perrot, l'ingénieux inven-
teur de la perrotine qui sert à colorer lés indiennes.
Depuis un temps immémorial, le commerce et la na-
vigation ont mis à contribution des courants atmosphé-
L'ATMOSPHÈRE. 123
riques produits par la mobilité extrême de l'air, pour faire
mouvoir les vastes maisons flottantes qui sillonnent les
mers.
V.
Les anciens croyaient que l'air était un corps simple,
un des quatre éléments admis alors. Ce furent les expé-
. riences publiées en 1630 par Jean Rey, médecin, né à Bu-
gneen Périgord, qui mirent sur la voie de sa composition.
Brun, apothicaire à Bergerac, ayant trouvé que rétain
augmentait de poids dans la calcination, en demanda la
cause à Jean Rey, qui répondit que ce phénomène était
dû à une absorption d'air.
Ce ne fut, cependant, qu'un siècle et demi plus tard
que Bayen tira cette découverte de l'oubli, et prépara les
travaux du célèbre Lavoisier et autres savants chimistes,
qui découvrirent que l'air est un mélange composé de
deux gaz qui paraissent simples.
Les expériences les plus exactes ont démontré que l'air,
est composé, à quelque hauteur que ce soit et sur tous les
points du globe, de vingt et une parties d'oxygène et de
soixante-dix-neuf parties d'azote; il renferme, en outre,
quelques dix millièmes d'acide carbonique et une quan-
tité variable de vapeur d'eau.
M. Dumas, notre éminent chimiste, s'exprimait ainsi
dans l'une des dernières séances de l'Académie des scien-
ces : « Les expériences de M. J. Reiset, par leur nombre
124 LES MÉTÉORES.
leur précision, l'importance des volumes sur lesquels elles
ont porté, les années mêmes qui les séparent, ont établi
d'une manière définitive, deux vérités dont l'histoire du
globe aura désormais à tenir compte : la première, c'est
que la proportion de l'acide carbonique dans l'air varie à
peine; la seconde, qu'elle s'éloigne peu de trois dix mil-
lièmes en volumes \ »
Il ajoute que ces résultats sont pleinement confirmés
par les travaux des savants les plus spéciaux.
S'il y avait une plus grande proportion d'oxygène dans
l'air, la vie serait plus active et toutes sortes de désor-
dres s'ensuivraient dans notre organisation :
Sur nous, comme l'esprit d'une liqueur active ,
L'un deux exercerait une action trop vive ;
L'autre serait mortel, et de nos faibles corps
Ses dormantes vapeurs détruiraient les ressorts.*
(Delille.)
Dans les circonstances ordinaires, l'eau dissout envi-
ron la trentième partie de son volume d'air. Lorsqu'il est
en dissolution, il n'offre plus la même composition; il
renferme 0,32 d'oxygène à peu près pour 0,68 d'azote,
tandis qu'on trouve dans l'air libre 0,21 d'oxygène et
0,79 d'azote. Cette différence tient principalement à
l'inégale solubilité des deux gaz.
L'air contenu en dissolution dans l'eau reprend son état
ordinaire quand l'eau se congèle ou entre en ébullition.
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1882, 1 er semestre.
L'ATMOSPHERE. 125
VI.
L'atmosphère est continuellement agitée ; les courants
excités par la chaleur, par les vents, par les phénomènes
électriques, en mêlent et en confondent sans cesse les
diverses couches. C'est donc la masse générale qui devrait
être altérée, pour que l'analyse pût indiquer des diffé-
rences d'une époque à une autre.
Mais cette masse est énorme. Si nous pouvions mettre
l'atmosphère tout entière dans un ballon et suspendre
celui-ci à une balance , il faudrait , pour lui faire équi-
libre, mettre dans le plateau opposé 581,000 cubes de
cuivre de 1 kilomètre de côté.
Si l'on suppose maintenant, avec quelques savants ex-
périmentateurs, que chaque homme consomme 1 kilo-
gramme d'oxygène par jour, qu'il y ait un milliard
d'hommes sur la terre, et que, par l'effet de la respiration
des animaux ou par la putréfaction des matières organi-
ques, cette consommation attribuée aux hommes soit qua-
druplée; dans cette hypothèse exagérée, au bout d'un
siècle, tout le genre humain réuni et trois fois son équi-
valent n'auraient absorbé qu'une quantité d'oxygène
éeale à la pesanteur de 1 S ou 16 cubes de cuivre de 1 ki-
lomètre de côté. L'air en renferme près de 134,000.
C'est faire une supposition infiniment supérieure à la
réalité, de prétendre que les animaux qui peuplent la
surface de la terre puissent, en un siècle, souiller l'air au
point de lui ôter la huit-millième partie de l'oxygène que
la nature y a déposé.
126 LES MÉTÉORES.
Parmi les causes d'altération de l'air non renouvelé ,
la principale est la respiration de l'homme et des ani-
maux. Suivant les expériences de quelques savants,
l'homme consomme par heure 177 litres d'air, dont
l'oxygène se trouve en totalité converti en acide car-
bonique.
En admettant que l'air soit vicié quand il a perdu le
tiers de son oxygène, on voit que la consommation d'un
homme serait de 537 litres d'air par heure, 13 mètres
cubes par vingt-quatre heures.
Suivant M. Dumas, ces chiffres seraient exagérés, la
quantité d'air vicié par homme ne s'élèverait dans les
vingt-quatre heures qu'à 8 mètres cubes.
Il est d'ailleurs à remarquer que la transpiration cu-
tanée et la transpiration pulmonaire paraissent avoir une
9
influence prononcée sur l'altération de l'air non renouvelé,
à cause des matières animales entraînées par la vapeur
aqueuse exhalée. Ces matières doivent avoir une action
nuisible, soit par elles-mêmes, soit par l'effet de la fer-
mentation putride qui s'y développe en présence de
l'oxygène de l'air.
VII.
Les effets de l'air raréfié des montagnes varient princi-
palement suivant l'âge et l'état de santé des individus.
Chez tous la circulation et la respiration s'accélèrent, mais
dans des proportions diverses.
Au grand plateau, dans la chaîne du mont Blanc, à
I/ATMOSniiïRI'].
127
3,910 mètres au-dessus du niveau de la mer, de Saussure
et ses guides souffrirent d'essoufflement, et ne purent se
livrer pendant quelques minutes au moindre exercice.
A mesure que l'on s'élève, il devient nécessaire de sus-
pendre le mouvement à des intervalles de moins en moins
éloignés. Dans l'immobilité, on n'éprouve aucune gène
de la respiration; on peut causer sans plus de fatigue que
dans la plaine, bien que Ton soit naturellement entraîné
Fig. -2H. — Oiseau sous la cloche de la machine pneumatique
à parler plus haut; on peut même fumer sans la moindre
peine; mais on ne peut courir ou marcher, surtout en
montant, plus de quelques instants.
Souvent aussi un trouble des fonctions digestives, ana-
logue au mal de mer, se manifeste d'une manière plus ou
moins grave, suivant les individus; il comprend toutes
les phases, depuis la simple diminution de l'appétit jus-
qu'au vomissement.
On peut reproduire ces phénomènes à volonté chez
128 LES METEORES.
un animal placé sous la cloche de la machine pneuma-
tique (fig. 28).
Il est cependant à remarquer que les fatigues de toutes
sortes et la privation de sommeil, conditions inséparables
de ces voyages, entrent nécessairement pour quelque chose
dans les phénomènes physiologiques qu'on y observe.
Par un séjour prolongé, on s'acclimate et Ton cesse de
souffrir de cet air rare. Il y a des villes et des villages dans
le haut Pérou, situés à 3,900 et 4,350 mètres d'altitude.
L'accélération que la respiration subit dans un air rare,
s'explique facilement par la moindre quantité d'oxygène
que chaque inspiration introduit dans les poumons ; un
air encore plus rare produirait la mort par asphyxie.
Ainsi , deux choses principales sont à craindre dans les
excursions à de grandes hauteurs : l'asphyxie par le
manque d'air, et les congestions par la diminution de la
pression atmosphérique.
Il est vrai que les oiseaux s'élèvent impunément jusque
dans les régions où l'air est beaucoup plus raréfié que
sur la terre; mais ils sont organisés de manière à pouvoir
rétablir sans cesse l'équilibre entre l'air et leurs fluides
intérieurs. L'air ne pénètre pas seulement dans leurs
poumons; leur cavité abdominale, leurs os même en
sont remplis; et selon qu'ils s'élèvent ou s'abaissent
dans l'atmosphère, ils peuvent, par la fréquence et Té-
tendue plus ou moins grande de leurs inspirations, rem-
plir ou vider plus ou moins complètement leurs cellules
aériennes.
L'homme ne possédant pas cette faculté, ne pourra
parcourir avec sécurité les régions élevées de l'atmosphère,
L'ATMOSPHÈRE. 129
qu'à l'aide d'appareils qui lui fourniront tout à la fois une
pression et une respiration artificielles ; quelques inven-
teurs déjà sont en bonne voie pour cette ingénieuse réali-
sation.
VIII.
On a essayé de purifier Pair au moyen du charbon.
Une des propriétés les plus curieuses du charbon de
bois, et que tout le monde connaît, est celle d'absorber
une grande quantité de gaz; il est pour les gaz ce que l'é-
ponge est pour l'eau : il peut en absorber jusqu'à quatre-
vingt-dix fois son volume; c'est ce qui le rend propre à
désinfecter les matières en putréfaction.
Par suite d'observations qui lui sont propres, M. Sten-
house, membre de la Société royale de Londres, a cons-
truit une sorte de filtre à air, propre à désinfecter ce fluide
élastique. Ce filtre peut être employé pour l'assainis-
sement des habitations, des navires, des bouches d'é-
goût, etc. 11 consiste en une couche mince de charbon
pulvérisé, enfermé entre deux toiles métalliques.
Un de ces appareils a été établi dans la salle d'audience ,
à Mansion-House, où l'air, puisé dans une rue fort étroite,
était tellement vicié par des émanations provenant de plu-
sieurs causes voisines d'infection qu'on ne cessait de
s'en plaindre. Or, depuis que l'air du ventilateur tra-
verse le filtre, l'atmosphère de la salle est complètement
purifiée.
M. Stenhouse a de même appliqué ce principe à la
9
130 LES METEOBES.
fabrication de masques munis de filtres de charbon, et
destinés à purifier l'air avant son arrivée dans les pou-
mons.
IX.
Sous l'influence d'une atmosphère très chaude toutes
les fonctions perdent leur énergie, les facultés morales et
intellectuelles languissent. Sous le ciel brûlant des tro-
piques l'esprit n'est pas moins énervé que le corps.
L'homme retrouve son énergie dans les climats moins
chauds, tels que les contrées méridionales de l'Europe.
Les climats très froids sont aussi défavorables à l'intel-
ligence que les climats très chauds. Sous un ciel moins
sévère, dans les contrées septentrionales de l'Europe,
par exemple, les facultés intellectuelles renaissent; mais
elles sont remarquables par d'autres qualités que celles
qui caractérisent l'intelligence de l'habitant du Midi.
Dans les contrées chaudes et marécageuses , où la ma-
tière végétale morte est exposée à l'action de la chaleur
et de l'humidité, surtout à l'embouchure des grands
fleuves, sur le littoral des golfes qui reçoivent un grand
nombre de torrents , en un mot dans toutes les localités
où les eaux douces viennent se mélanger avec les eaux
salées, on remarque de funestes influences sur la salu-
brité générale du pays.
Entre les tropiques , de semblables localités sont très
communes, et l'on a constaté que c'est toujours après
l'époque des pluies, lorsque le sol commence à se dessé-
L'ATMOSPHERE.
131
cher, que l'insalubrité s'y manifeste. Dans les steppes de
Saint-Martin, à Test de Santa-Fé de Bogota, les fièvres se
déclarent chaque année régulièrement après la saison
pluvieuse; il suffit alors qu'un habitant des montagnes
Fig. 29. — Paysage iiitcrlropic.il
descende dans la plaine pour tomber malade presque à
l'instant môme.
Sous la zonetorride, un défrichement est un combat à
mort entre l'homme et la végétation; la première colonie
qui prétend conquérir la forêt vierge languit et s'éteint.
X.
M. Babinet a présenté à l'Académie une note intéres-
sante sur la température que peut atteindre l'air confiné :
132 LES METEORES.
« La chaleur des rayons solaires, dit-il, passe au tra-
vers de Pair transparent; mais la chaleur obscure des
corps terrestres traverse en bien moins grande quantité
Pair et les vitres.
a Saussure, pour s'assurer que les rayons du soleil
sont bien plus chauds dans les régions supérieures de l'at-
mosphère qu'à la surface de la terre, plaçait un ther-
momètre dans une boîte noircie intérieurement et cou-
verte de plusieurs glaces ou vitres. Le thermomètre, ainsi
.1
renfermé, montait plus haut au sommet des montagnes
que dans la plaine. Au cap de Bonne-Espérance en 1837,
sir John Herschel, en plaçant une boîte noircie recouverte
d'une seule vitre sans mastic, sous un châssis vitré de
jardinier, a obtenu des températures bien supérieures à
celles de l'eau bouillante. En peu de temps, des œufs, des
fruits et une forte étuvée de viande et de légumes (en fran-
çais, un bœuf à la mode), furent cuits et mangés à la
grande satisfaction de nombreux convives.
ce Avis à ceux qui , comme dans PÉgypte , vivent sous
les rayons d'un soleil ardent , que sir John Herschel ap-
pelle clair de soleil. »
Dans un ouvrage des plus intéressants, IL Mouchot
vient d'exposer un moyen pratique de recueillir et d'uti-
liser directement les rayons solaires au profit de Pagricul-
ture et de l'industrie. Déjà il a obtenu de beaux résultats
qui ont eu la sanction des hommes compétents. Il s'est
occupé avec le même succès de la cuisson au soleil de la
viande, des légumes et du pain, etc.
Pendant le courant de l'année 1875, il a soumis à
l'Académie des sciences la suite des applications indus-
L'ATMOSPHÈRE. 133
trielles que Ton peut obtenir de la chaleur solaire; les en-
couragements qui lui arrivent de points très éloignés , lui
sont un nouveau témoignage que leur importance est
vivement sentie de tous ceux qui vivent sous un cli-
mat brûlant. Dans le courant de 1876, il a présenté à
la même Académie, un appareil qui permet d'utiliser la
chaleur solaire pour porter des liquides à l'ébullition , et
faire cuire des aliments dans l'espace d'une demi-heure 1 .
Les alambics solaires ont également fourni d'excel-
lents résultats. Munis de miroirs de moins d'un demi-
mètre carré, ils portaient trois litres de vin à Tébullition
en moins d'une demi-heure, et donnaient une eau dévie
fine, franche de tout mauvais goût. Le récepteur solaire
du Trocadéro qui a fonctionné pour la première fois le
2 septembre 1878, a porté, en une demi-heure, 70 litres
d'eau à l'ébullition 9 .
Comptes rendus de l 'Académie des sciences, séance du 2 octobre 1876.
2 ïbid. 1878, 2 rae semestre.
CHAPITRE VIII.
LES VENTS.
4
Le vent. — Sa nature* — Division des vents chez les Grecs. — Vents représen-
tés sur la tour d'Andronicus , à Athènes. — Changement de la rose des vents
chez les Romains. — Sa forme actuelle. — Vents alizés, moussons. — Courants
inférieurs et courants supérieurs. — Théorie des vents. — Brises de terres et
brises de mer. — Fait curieux observé à l'île de la Barbade. — Des vents
singuliers. — L'harmattan, le simoun ou samiel, le chamsin, le sirocco. —
>
Phénomènes étranges que présente le vent de Pas dans l'Ariège.
I.
Que de pensées, que de sentiments divers ne fait pas
naître le souffle des vents! Ils passent sur les vastes
champs des morts et emportent avec eux les miasmes em-
poisonnés ; ils caressent les fleurs nouvellement écloses,
et nous embaument de leurs suaves parfums. Ils éclatent
pour la joie, ils gémissent sous les soupirs de la douleur;
ils reçoivent indifféremment les cris de détresse ou les
136 LES MÉTÉORES.
chants de triomphe; ils sont également les messagers
du deuil et de l'allégresse. Voici quelques vers dont Pau-
teur nous est inconnu , mais qui expriment bien ces rôles
variés :
Dieu ! que le vent d'hiver est sombre !
Qu'il gémit tristement ce soir !
Est-ce le frôlement d'une ombre
Qui près de moi viendrait s'asseoir?
Seriez-vous donc , vastes rafales ,
Un écho de l'âme des morts !
Vos gémissements dans les salles
Sembleraient traîner un remords.
9
Àuriez-vous doue, dans la nuit sombre ,
Soufflé sur le vaisseau qui sombre
Et dispersé sur ses débris
Son peuple de marins? Les âmes
Des corps engloutis sous les lam es
Pleurent -elles sous ces lambris?
Des mers , ô lugubre puissance ,
Que tu fais gémir de sanglots !
Dans un seul soupir tu rassemble
Les bruits recueillis en passant.
Je prête l'oreille : il me semble
Entendre le choc du brisant ,
La voix du récif et du gouffre ,
La plainte de l'âme qui souffre
Fantôme des landiers déserts ,
Les cris des discordes civiles ,
Dont les flots râlent dans nos villes ,
Comme la vague au bord des mers.
Combien de fois , bise homicide ,
Ton souffle a-t-il flétri les jours
De la vierge belle et candide ,
Rose des premières amours,
Quand au sortir du bal folâtre
Tu glissas sur son front d'albâtre ,
LES VENTS. 137
Éteignant son regard si beau ;
Ton baiser glaça son épaule ,
Et tu viens balancer le saule
Qui s'effeuille sur son tombeau ?
II.
Le vent est un mouvement plus ou moins rapide d'une
masse d'air qui se transporte d'un lieu dans un autre, ce
qui se présente toutes les fois que l'équilibre de l'atmo-
sphère est rompu.
Lucrèce décrit ainsi le vent :
... « Il est des corps que l'œil n'aperçoit pas et dont
toutefois la raison reconnaît l'existence. Tel est le vent ,
dont la fureur terrible soulève les ondes, submerge les
lourds vaisseaux et disperse les nuages; souvent en tour-
billons rapides, il s'élance dans les plaines qu'il jonche
de la dépouille des plus grands arbres : son souffle des-
tructeur tourmente la cime des monts, et fait bouillonner
l'Océan avec un affreux murmure. Quoique invisible, le
vent est donc un corps puisqu'il balaye à la fois le ciel ,
la terre et la mer, et parsème l'air de leurs débris. »
Les vents soufflent dans tous les sens, horizontalement,
verticalement, obliquement; ils tournent sur eux-mêmes,
se croisent et s'entre-choquent ; mais leur direction la
plus ordinaire est parallèle à la terre.
Les progrès de l'art nautique eurent bientôt amené la
4 Lucrèce , liv. 1 er .
138
LES METEORES.
connaissance de la théorie des vents, car ils jouent un
rôle fort important dans la navigation.
Les Grecs ne distinguaient d'abord que deux vents : le
Boreas, qui renfermait tous les vents soufflant de la
bande du nord ou du demi-cercle compris entre l'occi-
dent et l'orient équinoxial, dans l'espace de 180 degrés;
et le Notos, qui comprenait tous les
vents qui partaient de la bande du
sud, dans toute l'étendue de l'au-
Fig. 30. — Borée.
(Chapiteau antique.)
tre moitié de l'horizon.
Ils distinguèrent ensuite les
vents qui souillaient des quatre
points cardinaux, et, divisant l'ho-
rizon en portions égales de 90 de-
grés chacune , ils nommèrent Boreas , les vents du nord ;
Euros ou Apheliotes, les vents de Test; Notos, les vents
du sud; Zep/iiros , les vents de
l'ouest.
Du temps d'Homère on avait
déjà ajouté quatre vents secondai-
res qui tiraient leurs noms de ceux
entre lesquels ils étaient placés;
on les appelait : le 1><>reas-Euros,
le Notos- Apheliotes , VArgestes-Notos et le Zephiros-Boreas.
Fig. 31. — Notus.
(Chapiteau antique.)
III.
Cinq à six siècles avant l'ère chrétienne, on fixa les
vents secondaires aux orients et aux occidents solsticiaux;
LES VENTS.
139
la plupart des noms furent changés ou disposes autre-
ment qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors, et Ton se trouva
forcé de donner à la rose des vents des divisions égales ;
de sorte qu'à mesure que Ton avançait vers le midi, re-
tendue des vents d'est et d'ouest se resserrait, tandis que
ceux du nord et du midi embrassaient un plus grand es-
pace; le contraire avait lieu lorsqu'on se portait vers le
septentrion. Les vents représentés sur la célèbre tour d'An-
dronicus Gyrrhest, à Athènes (fig. 32), laquelle subsiste
encore et dont parle Vitruve, pa-
raissent appartenir à ce système.
Vers le temps d'Alexandre ,
on ajouta quatre nouveaux vents
à la rose des vents qui fut adop-
tée pendant plusieurs siècles par
les navigateurs grecs et romains ;
mais sous le règne d'Auguste ,
les Romains ayant étendu leurs
conquêtes dans la Germanie,
jusqu'à l'Elbe, au 54 e degré de
latitude, et, dans l'Egypte, jus- Fi - M - - T em P ie des vents, ou
J uo L 7 ° horloge d'Anriromcus Cyrrhest,
qu'au tropique, reconnurent les à Athènes,
inconvénients des roses divisées d'après les levers et les
couchers solsticiaux, parce que dans l'intervalle de ces
contrées, les amplitudes variant de 40°30', les vents d'est
et d'ouest finissaient par prendre beaucoup trop d'espace
et se confondaient vers ceux du nord et du sud ; ils aban-
donnèrent cette méthode, qui n'était plus supportable,
et divisèrent la rose en vingt-quatre parties de 1 5 degrés
chacune.
140
LES METEORES
Maintenant on partage l'horizon en trente-deux parties
appelées rhumbs ou aires des vents, que Ton obtient en
divisant en deux parties égales chacun des cadrans
formés par les points cardinaux, et l'on désigne ces di-
visions intermédiaires par les réunions des points cardi-
naux entre lesquels elles sont comprises. On procède
Fig. 33. — Les vents personnifiés. (Bas-relief antique.)
ensuite de la môme façon à l'égard de ces dernières
divisions, que l'on partage en deux, adoptant le même
système de nomenclature.
Ce n'est qu'en avançant vers la mer équinoxiale que
on rencontre dans les vents une constance, une régula-
rité qui se prête à l'observation. Dans ces contrées, ils
soufflent toute l'année dans la même direction, et trans-
portent doucement et sans violence les navires de la cote
de l'ancien monde à celle du nouveau.
LES VENTS. 141
Ce sont ces vents qui portent les noms de vents géné-
raux j de vents alizés, et qui remplissaient d'étonnement
et d'inquiétude les compagnons de Christophe Colomb; la
direction constante de ces vents semblait leur barrer à ja-
mais le retour.
La différence de température entre le jour et la nuit dé-
termine les brises journalières, soit sur les côtes ou à Tin-
térieur des continents, et la différence de température
entre les saisons extrêmes détermine les moussons , que
l'on pourrait à juste titre appeler brises des saisons :
Les saisons à leur tour, dans leur vicissitude ,
Nous ramènent un air ou plus doux ou plus rude ,
Et les vents inconstants , en dépit des climats ,
Redoublent les chaleurs ainsi que les frimas,
(Delille.)
Pour expliquer le phénomène des vents, il importe
avant tout de faire connaître de quelle manière se com-
portent deux portions contiguës de l'atmosphère , si elles
viennent à êlre inégalement chauffées. Nous prendrons
principalement pour quide un excellent mémoire de
Fr. Arago.
Franklin imagina de promener une chandelle à toutes
les hauteurs de la porte de communication de deux sal-
les contiguës et inégalement chauffées.
Dans le bas, la flamme indiquait un courant dirigé de
la salle froide vers la salle chaude ; dans le haut de la
porte, la flamme, s'inclinant en sens inverse, signalait
un courant dirigé de la salle chaude vers la salle froide ;
et à une certaine hauteur, entre ces deux positions ex-
142 LES METEORES.
trêmes, l'air semblait stationnaire. On peut faire facile-
ment cette expérience avec une feuille de papier ou un
autre corps léger et flexible , et on obtiendra le même ré-
sultat.
II se passe quelque chose d'analogue à la surface de la
terre. Lorsqu'il y a une cause d'échauffement en f un de
ses points, la colonne d'air superposée s'élève, un cou-
rant inférieur se dirige vers la partie chaude , et la co-
lonne d'air échauffée fournit un courant supérieur ayant
un mouvement inverse.
On peut ainsi facilement expliquer ce que l'on appelle
les brises de mer et les brises de terre.
Tous les jours, à partir de neuf ou dix heures du ma-
- ■
tin , il s'élève sur le bord de la mer un vent soufflant de
la surface liquide vers la terre ; ce vent , qui est la brise
de mer, rafraîchit l'atmosphère pendant la plus grande
partie de la journée , jusque vers les cinq ou six heures
du soir.
A partir de neuf heures du matin , la température de la
côte commence à dépasser la température moyenne, qui
est toujours à peu près celle de la mer; l'air qui repose
sur celle-ci souffle vers la terre ; mais après neuf heures
du soir, au contraire, la température de la côte est re-
tombée au-dessous de la moyenne; l'air reflue de la terre
vers la mer.
Ainsi, à la brise de mer du matin succède chaque
jour, après quelques heures de calme, la brise du soir
ou de terre. Les marins profitent de ces deux vents pour
entrer dans les ports ou pour en sortir.
Ces brises ne se font sentir qu'à une petite distance des
LES VENTS. 143
côtes ; elles sont remplacées en mer par les moussons , qui
soufflent six mois dans un sens et six mois dans l'autre.
Dans r hémisphère boréal, la mousson de printemps
commence en avril, et la mousson d'automne en octobre;
dans l'hémisphère austral, où les saisons sont contraires,
la mousson d'automne commence en avril, et la mousson
de printemps en octobre.
Il règne un calme plus ou moins prolongé entre les deux
moussons contraires; cette période est féconde en tem-
pêtes et dangereuse pour la navigation.
IV.
D'après l'expérience , très simple et à la portée de tout
le monde, que nous avons indiquée, relativement aux
phénomènes qui ont lieu lorsqu'on présente tour à tour
un corps léger et flexible à différentes hauteurs de deux
airs de températures dissemblables, il résulte que les vents
alizés ne se manifestent que sous l'influence d'un courant
supérieur. Plusieurs observations en ont, en effet, donné
la preuve; c'est ce que nous allons voir.
Dans la soirée du 30 avril 1812, on entendit pendant
quelques instants, à File de la Barbade, des explosions
tellement semblables aux décharges de plusieurs pièces
de gros calibre , que la garnison du château Sainte-Anne
resta sous les armes toute la nuit.
Le lendemain matin, l or mai, l'horizon de la mer à
l'orient était clair et bien découpé ; mais immédiatement
au-dessus on apercevait un nuage noir, qui couvrait déjà
144 LES METEORES.
le reste du ciel, et qui bientôt après se répandit dans la
partie où commençait à poindre la lumière du crépuscule.
Dans les appartements, l'obscurité devint telle qu'il était
impossible de distinguer la place des fenêtres; en plein
air, plusieurs personnes ne purent voir ni les arbres à
côté desquels elles se trouvaient, ni les contours des mai-
sons voisines, ni même des mouchoirs blancs placés à
15 centimètres des yeux.
Ce phénomène était occasionné par la chute d'une
grande quantité de poudre volcanique provenant de l'é-
ruption d'un volcan de l'île de Saint- Vincent, et qui con-
tenait, d'après une analyse du docteur Thomson, 91 par-
ties de silice et d'alumine, 8 de calcaire et 1 d'oxyde de fer.
t Cette pluie d'un nouveau genre et l'obscurité qui en
était la conséquence ne cessèrent qu'entre midi et une
heure; mais plusieurs fois depuis le matin on avait re-
marqué, en s'aidant d'une lanterne, comme des es-
pèces d'averses intermittentes pendant lesquelles la
poussière tombait en plus grande abondance.
Les arbres d'un bois flexible ployaient sous le faix ; le
bruit que les branches des autres arbres faisaient en se
cassant contrastait d'une manière frappante avec le
calme parfait de l'atmosphère; les cannes à sucre furent
totalement renversées, enfin toute l'île se trouva couverte
d'une couche de cendre verdâtre de 3 centimètres d'é-
paisseur.
L'île de Saint-Vincent étant de 80 kilomètres plus occi-
dentale que la Barbade, et les vents alizés dans ces pa-
rages, particulièrement en avril et mai, soufflant uni-
formément et sans interruption de Test , avec une légère
LES VENTS. 145
déviation vers le nord , il faut donc admettre que le vol-
can de Saint- Vincent avait projeté l'immense quantité de
poussière qui tomba sur la Barbade et les mers voisines,
jusqu'à une hauteur où les vents alizés ne se faisaient pas
sentir, mais dans laquelle régnait même un courant dia-
métralement opposé , et que cette propagation ne put
avoir lieu que par l'effet du contre-courant supérieur.
Le capitaine Basile Hall a observé que dans la région
des vents alizés les nuages très élevés marchent conti-
nuellement dans une direction opposée à celle du vent
inférieur; et dans le mois d'août 1820 il trouva au som-
met du pic de Ténériffe un vent du sud-ouest, c'est-à-
dire un vent directement opposé au vent alizé qui souf-
flait à la surface de la terre. M. de Humboldt fit une
observation analogue sur la même montagne.
Les phénomènes des courants opposés étaient d'ailleurs
bien connus des anciens : ce Ne vois-tu pas , dit Lucrèce,
les nuages eux-mêmes, poussés par des vents contraires,
suivre, les uns en bas, les autres en haut, des directions
opposées f ? »
V.
La direction générale des vents inférieurs nous est in-
diquée par les girouettes, et celle des courants supérieurs
par la marche des nuages. Dans la marine, on désigne
les vents par leur direction ou par la partie du vaisseau
qu'ils frappent directement : Avoir vent en poupe, c'est
4 Luckèce, liv. V.
10
146 LES MÉTÉORES.
avoir vent arrière; avoir vent debout, c'est avoir le vent
contraire à la route que Ton veut suivre. On appelle vent
d'amont, vent de terre, celui qui vient de terre; vent de
mer, celui qui vient du large , etc. On divise aussi les
vents par leur vitesse relative ; de là douze nuances ou
gradations qui ont chacune leur dénomination particu-
lière : calme, presque calme, brise légère, petite brise, jolie
brise, bonne brise, vent frais, grand vent, vent impétueux,
coup de vent, tempête et ouragan .
Les instruments destinés à mesurer la force et la vitesse
des vents s'appellent anémomètres. On nomme vent à
peine sensible celui qui parcourt par seconde m ,5; vent
modéré, celui qui parcourt 2 mètres; vent fort, de 10 à
20 mètres; tempête, de 22 à 27 mètres; ouragan, de 36
à 45 mètres.
L'observateur qui veut déterminer la rapidité de la
marche d'un ouragan se voit réduit à jeter dans Pair des
corps légers et à les suivre de l'œil , la montre à la main ,
jusqu'au moment où ils atteignent divers objets situés à
des distances connues.
Il est plus facile de déterminer la vitesse du vent lors-
que le ciel est parsemé seulement de quelques gros nua-
ges, car alors leur ombre parcourt sur la terre en quelques
secondes, un espace à fort peu près égal à celui dont ils
se sont déplacés.
VI.
Les vents extraordinaires qui se font sentir sur les côtes
de Guinée, sur celles de Barbarie, en Egypte, dans l'A-
LES VENTS. 147
rabie, dans la Syrie, dans les steppes de la Russie mé-
ridionale et même jusqu'en Italie, sont dus à la tempéra-
ture de 1 intérieur de l'Afrique.
Ces vents, accompagnés de circonstances étranges,
sont connus sous les noms d'harmattan, de simoun ou
samiel, de chamsin, etc.
L'harmattan souffle trois ou quatre fois par saison,
de Fintérieur de l'Afrique vers l'océan Atlantique; la
durée de ce vent, qui n'a qu'une force modérée, est
ordinairement d'un ou deux jours, quelquefois de cinq ou
six. Lorsqu'il souffle, il s'élève toujours iin brouillard
d'une espèce particulière, et assez épais pour ne donner
passage à midi qu'à quelques rayons du soleil.
Les particules dont ce brouillard est formé se déposent
sur le gazon , sur les feuilles des arbres et sur la peau des
nègres, de telle sorte que tout alors paraît blanc.
Le caractère le plus tranché de ce vent est son extrême
sécheresse. Lorsqu'il a quelque durée, les branches des
orangers, des citronniers, etc., se dessèchent et meurent;
les reliures des livres, même de ceux qui sont placés dans
des malles bien fermées et recouverts de linge, se cour-
bent comme si elles avaient été exposées à un grand feu ;
les panneaux des portes et des fenêtres , les meubles dans
les appartements , craquent et souvent se fendent.
Les yeux, les lèvres, le palais de ceux qui sont soumis
à son influence deviennent secs et douloureux, et s'il dure
quatre ou cinq jours, il fait peler les mains et la face.
Pour prévenir ces accidents, on se frotte tout le corps avec
de la graisse :
148 LES METEORES.
Il souffle : tout se fane et tout se décolore ;
La fleur craint de s'ouvrir et le bouton d'éclore ,
Le midi de ses feux enflamme le matin ,
La terre est sans rosée et le ciel est d'airain;
Les monts sont dépouillés ; de la plaine béante ,
La soif implore en Tain une eau rafraîchissante.
A peine avec effort la nymphe du ruisseau
De ses cheveux tordus tire une goutte d'eau.
Plus d'amour, plus de chant; le coursier, moins superbe
En vain, d'un sol brûlé, sollicite un brin d'herbe.
Le cerf au pied léger repose au fond des bois.
Partout l'air accablant pèse de tout son poids ;
L'homme même succombe , et son âme affaissée
Sent défaillir sa force et mourir sa pensée.
(Delille,)
Malgré ces terribles effets, il paraît que ce vent n'est
pas du tout pestilentiel ; au contraire , les fièvres inter-
mittentes, par exemple, sont radicalement guéries au
premier souffle de l'harmattan ; ceux qui sont affaiblis par
les saignées abondantes que l'on pratique dans ces climats
recouvrent bientôt leur force; les fièvres épidémiques
disparaissent, et, chose singulière, l'infection ne peut
être communiquée pendant qu'il règne, même par l'art.
Mathieu Dobson rapporte qu'en 1770 il y avait àNhv-
dah un bâtiment anglais chargé de plus de trois cents
nègres ; la petite vérole s'étant déclarée chez quelques-
uns de ses esclaves , le propriétaire se décida à l'inoculer
aux autres.
Tous ceux chez lesquels on pratiqua F opération avant
le souffle de l'harmattan gagnèrent la maladie; soixante-
dix furent inoculés le deuxième jour après que l'harmattan
avait commencé à se faire sentir, et aucun n'eut ni maladie
Fis. 3*. — Ouragan dans le déî
LES VENTS. 151
ni éruption. Quelques semaines après le souffle de l'har-
mattan, ces mêmes individus prirent la petite vérole,
soit naturellement , soit artificiellement , et pendant cette
seconde éruption, ce vent ayant recommencé, il guérit
les soixante-neuf esclaves qui en étaient attaqués.
VIL
Le simoun ou samiel, vent violent et empoisonné du
désert, vient du sud-est (fig. 33). Des tourbillons, des
espèces de trombes , se joignent fréquemment à ce vent ,
et enlèvent dans les airs, jusqu'à une grande hauteur,
des masses de sable qui donnent à l'atmosphère une cou-
leur rouge, jaune oranse et même bleuâtre, suivant Tes-
pèce de teinte du terrain :
Ainsi, de l'air troublé les tourbillons mouvants
Livrent au loin la terre au ravage des vents.
Et qui ne sait comment leurs fougueuses haleines
Des déserts africains tourmentent les arènes ,
Enterrent, en grondant, les kiosques, les hameaux,
La riche caravane et ses nombreux chameaux?...
Que dis-je? Quelquefois, sur une armée entière
L'affreux orage roule une mer de poussière;
La nature se venge, ei dans d'affreux déserts
Abîme ces guerriers, l'effroi de l'univers.
(Delille.)
« Ce vent, dit M. d'Abbadie, arrive sans signe pré-
curseur, comme d'un four béant qui vomirait toute sa
chaleur. Le patient chameau met alors sa tête contre le
152 LES METEORES.
sol pour chercher de la fraîcheur même sur la terre em-
brasée ; les plus hardis parmi les indigènes s'affaissent avec
désespoir, et la prostration de toutes les forces est si subite
et si complète en rase campagne, qu'il m'a été impossible
de soulever un petit thermomètre placé à portée , pour
apprendre du moins la température de ce vent étrange ,
que la science n'a pas encore expliqué. Il avait duré cinq
minutes : on assure que les hommes et même les bêtes
meurent s'il se prolonge pendant un quart d'heure 1 . »
Burckhardt trouva, en 1813, que pendant le simoun
à Esné, dans la haute Egypte, le thermomètre montait à
l'ombre jusqu'à 49° 4 centigrades. Cette chaleur exces-
sive ne dure qu'un quart d'heure ; aussitôt que la pous-
sière s'abat, le thermomètre baisse. Une des raisons qui
font que les voyageurs appréhendent beaucoup ce vent,
c'est qu'il dessèche les outres dans lesquelles les caravanes
portent leur eau. Burckhardt, en allant deTor à Suez, vit
une outre perdre en une matinée le tiers de son eau , par
suite de Tévaporation qu'occasionna le simoun.
Le chamsin dure cinquante jours, ainsi que l'indique
son nom dans la langue du pays; il commence environ
vingt-cinq jours avant Péquinoxe du printemps, pour
finir vingt-cinq jours après ; il est très remarquable par sa
température élevée.
VIII.
Le sirocco d'Italie et le solano d'Espagne sont les prin-
1 Climat des rivages de la mer Bouge.
LES VENTS. 153
cipaux vents qui soufflent sur l'Europe : ils jettent les ha-
bitante dans un grand état de langueur, par la chaleur
énervante qu'ils apportent avec eux.
M. Fabre pense que le sirocco, ce vent si sec en Afri-
que, et qui rend visible la fine poussière dont il est
chargé, enlève, en traversant la mer, une quantité con-
sidérable de vapeur, arrive avec cette vapeur pénétrée
de la chaleur qu'il a partagée avec elle, jusqu'à nos mon-
tagnes du Centre , de l'Est et du Midi , et là donne lieu à
d'immenses effluves, soit par l'eau qu'il abandonne en
se refroidissant, soit par la fusion de neige qu'il pro-
voque. Aussi ce météore lui parait-il être surtout redou-
table à l'entrée et à l'issue de l'hiver quand il rencontre
sur les Alpes, les Cévennes et les Pyrénées, des neiges
molles dont il entraîne de grandes quantités à la fois. Il est
moins à craindre en plein été, quand la température
de nos contrées du nord s'est élevée et que la saison a fait
écouler les neiges qui ne sont pas éternelles.
Le mistral est le vent le plus redoutable de la Mé-
diterranée; c'est pendant l'hiver et l'automne qu'il souffle
avec le plus d'impétuosité, surtout après les pluies d'orage;
il apparaît d'abord par rafales, mais bientôt il prend le
dessus; en quelques heures, il a desséché le sol et fait
disparaître toutes les vapeurs de l'atmosphère. Le froid
qu'entretiennent les glaces des Alpes, la condensation
des volumes d'air qu'elles supportent, la dilatation de l'air
qui repose sur des terrains susceptibles d'être échauffés,
l'évaporation des eaux de la Méditerranée sont proba-
blement la cause du mistral.
Dans un ouvrage qui renferme une foule d' observa-
154 LES METEORES.
tions justes et perspicaces, 11. Ambroise Firmin-Didot, de
l'Institut, s'exprime ainsi : « La violence extrême du
vent , qui roulait des torrents de poussière, ne me permit
pas de m'arrêter pour examiner Farc-de-triomphe cons-
truit en pierre à Orange, et élevé, dit-on, en l'honneur
de Marius. Ce vent, appelé mistral par les Provençaux,
est le même que le cercius dont parlent les auteurs
anciens. Auguste, lors de son séjour dans les Gaules,
érigea un temple à cette étranee divinité. Les habitants
de Narbonne, et ceux de plusieurs endroits de la Provence
le nomment encore cers. Aulu-Gelle a dit que ce vent
II
renversait et les hommes et les chars ; il produit encore
aujourd'hui les mêmes effets 1 . »
IV.
Puisque nous parlons de vents singuliers, nous résume-
rons un passage des Mémoires pour V histoire naturelle du
Languedoc, par M. Astruc, qui donne une idée des étran-
ges influences que peuvent avoir sur l'atmosphère les di-
verses modifications du sol.
Dans un vallon assez étroit , et un peu éloigné de Mi-
repoix, est situé le village de Blaud. A quelques centaines
de pas de ce village s'élève le Puy-du-Till, percé de plu-
sieurs cavités très profondes que Ton appelle dans le
pays des barènes. Ces soupiraux émettent un vent très
frais qui a plusieurs particularités, et que l'on connaît à
* Notes rf'wn voyage fait dans le Levant en 1816 et 1817, p. 10.
LES VENTS. 155
Blaud sous le nom de vent de Pas. Ce vent souffle sur toute la
vallée jusqu'à trois cents mètres au delà du village, d'abord
dans la direction de l'ouest , ensuite dans celle du nord-
ouest, à cause de la courbure du vallon. Il ne se repose
jamais, mais il se ralentit souvent et passe par tous les
degrés de force. On l'a vu déraciner des arbres, et
d'autres fois on ne Ta senti qu'à peine, même en se plaçant
devant les soupiraux. En été, et lorsque le temps est serein,
il tombe sur la vallée avec la plus erande force ; mais en
hiver, et dans les temps nébuleux et pluvieux, il s'adoucit
♦
et épargne les habitants du canton. Comme les oiseaux de
nuit, il reste dans les sombres cavernes durant le jour,
mais à peine le soleil commence-t-il à baisser qu'il se
fait sentir; il augmente avec l'obscurité, souffle toute la
nuit et cède enfin à la lumière renaissante. Quand il n'est
pas en fureur, c'est un hôte a&réable pour les paysans
de Blaud ; il rafraîchit en été leur vallon ; les soupiraux
par lesquels il sort sont leurs glacières ; les bouteilles de vin
y deviennent fraîches comme dans la glace ; ils attendent,
le soir, l'arrivée du vent pour vanner leur blé, et en hiver
ce vent écarte, par son souffle tempéré, la gelée blanche
de leur territoire ; il entretient en général pendant toute
l'année dans ce vallon une température à peu près égale;
bienfait précieux dans une province où un froid très vif
succède tout à coup à de grandes chaleurs. Le petit val-
lon sur lequel le vent de Pas domine, et qu'il a pris
pour ainsi dire sous sa -protection , est un des plus heu-
reux districts de la France. Le terrain y abonde en fruits;
on y connaît peu les infirmités, et l'on y vit quelquefois
un siècle et même davantage.
15G
LES METEORES.
Voici ce que Ton peut dire en peu de mots sur la cause de
ce phénomène : les eaux du vallon se jettent dans un gouffre
que les paysans nomment VEntonnadou, et qui commu-
nique certainement avec les cavités du mont duTill, puis-
qu'on a vu de la paille ou des morceaux de liège , qu'on
avait jetés dans ce gouffre, ressortir avec le vent des sou-
piraux de la montagne. Les vapeurs de ces eaux, après
*
avoir circulé dans les cavités, produisent le vent du Pas,
modifié d'après la température de l'intérieur et du dehors.
Fig. 33. — Zéphyre (tiré d'un bas-relief antique).
CHAPITRE IX.
MÉTÉORES AQUEUX.
Formation des brouillards , des nuages ; différentes espèces de nuages : cirrus,
cumulus, stratus, etc. — Nuages au sommet des montagnes ; suspension des
nuages dans l'atmosphère ; formation subite de nuages dans un ciel serein. —
De la pluie : pluies de sang, de soufre, dépoussière, de graines et d'animaux.
Du serein ; de la rosée; de la glace ; du givre ou gelée blanche ; du verglas ; de
la neige ; du grésil. — Observation relative à la température des hivers. —
De la grêle. — Comment se forment les grêlons; expériences de M. l'abbé
Sanna-Solaro; comment dans nos saisons et les climats chauds se produit le
froid qui forme les grêlons. — Théories de la grêle les plus récentes. — Cu-
rieux transport de la chaleur.
I
De l'humidité de Pair et de la variation de la tempéra-
ture naissent un grand nombre de météores très curieux,
qui nous frappent à peine, parce qu'ils se présentent fré-
quemment à nos observations, mais qui n'en sont pas
moins admirables par leur production et par leurs effets.
Tels sont les brouillards, les nuages, la pluie, le serein,
la rosée, la glace, la neige, la grêle.
La vapeur d'eau, qui se condense en subissant un abais-
sement de température, forme le brouillard. Cette espèce
de fumée humide qui s'élève d'un vase d'eau chaude est
158
LES METEORES.
un véritable brouillard, dont la nature ne diffère nulle-
ment des brouillards élevés sur les mers , les lacs , les ri-
vières.
Au moment de la formation de la vapeur d'eau , si la
¥ig. 3«. — Brouillard d'horizon tranchant sur le soleil.
température de l'air est plus basse que celle de la vapeur,
celle-ci se condense par le refroidissement et apparaît
sous forme de brouillard.
Toutes les fois qu'un air chargé de vapeur rencontre un
corps dont la température est moindre que la sienne, il
en est de même.
METEORES AQUEUX. 159
Telle est la cause des brouillards que Ton rencontre
fréquemment sur les rivières, pendant Tété, après une
pluie d'orage; l'air, saturé d'humidité, est plus chaud
que la surface de l'eau , et dès qu'il approche des lieux
où la fraîcheur de la rivière se fait sentir, la vapeur
d'eau qu'il contient se condense et devient visible.
On peut de môme expliquer pourquoi l'haleine ternit
une glace, pourquoi pendant l'été, une bouteille sortant
de la cave se couvre de vapeur condensée.
II.
Les nuages sont des amas de brouillards plus ou moins
épais, suspendus à diverses hauteurs dans l'atmosphère,
quelquefois immobiles, souvent emportés par des cou-
rants d'air ou par des vents impétueux. Les brouillards
qui se forment à la surface de la terre ou dans les airs ,
deviennent des nuages lorsqu'ils sont rassemblés et en-
traînés par les vents sans être dispersés.
La forme , l'apparence et la disposition des nuages pa-
raissent si variées, qu'il semble difficile d'établir entre
eux une classification; cependant on les a ramenés à trois
types principaux : les cirrus, les cumulus et les stratus
(fig. 36).
On donne aux différentes modifications de ces nuages
les dénominations de cirro-cumulus , cirro-stratus , cirro-
cumulo-stratus ou nimbus, nuages orageux et pluvieux.
Les cirrus se composent les filaments déliés, dont l'en-
semble présen te l'aspect , tantôt d'un pinceau, tantôt de
160 LES METEORES.
cheveux crépus, tantôt d'un réseau délié; ces nuages
sont appelés queues de chat par les marins, et sont sou-
vent d'un mauvais présage, surtout dans la mer des Indes
pendant l'hivernage; ils annoncent parfois l'apparition
de ces terribles ouragans qui entraînent dans leur course
la désolation et la mort.
Les cumulus, ou nuages d'été, se montrent ordinaire-
ment sous la forme de demi-sphères reposant sur une
base horizontale. Quelquefois ces nuages s'entassent les
uns sur les autres, et forment à l'horizon des groupes
considérables ressemblant de loin à d'immenses monta-
gnes couvertes de neige.
Les stratus se composent de bandes horizontales, qui
se forment ordinairement au coucher du soleil, pour
disparaître à son lever.
Dans les jours d'été, où le ciel est couvert de cumulus,
vers le soir les nuages s'aplatissent et se transforment
en stratus qui redeviennent cumulus au lever du soleil.
Les cumulus peuvent donc être considérés comme des
nuages de jour et les stratus comme des nuages de
nuit.
Les nimbus présentent des formes tellement mélangées
que l'on n'en reconnaît aucune; ils sont comme des
brouillards épais.
Lorsque les nuages sont bien caractérisés, il est facile
de les distinguer les uns des autres; mais il arrive sou-
vent qu'ils changent d'état : il devient alors difficile de
les classer d'une manière certaine.
L'aspect des nuages dépend de certaines modifications
atmosphériques et fournit des indications précieuses sur
Fig. 37
stratus,
Diverses espèces de nuages
cumulus, -'"C*- cirrus,
uimhiis.
MÉTÉORES AQUEUX. 163
les changements de temps à venir. Ces changements sont
soumis à des lois qui ne nous sont encore que très peu
connues; cependant rien ne se produit dans la nature par
l'effet du hasard, et c'est en étudiant avec persévérance
ces phénomènes que nous pourrons faire quelques pas
dans la connaissance des lois qui les régissent.
III.
Le fait de la suspension des nuages dans l'atmosphère
a, de tout temps, étonné les hommes.
Il est, en effet, difficile de comprendre comment ces
masses immenses, qui se résolvent en torrents de pluie,
peuvent rester suspendues au sein des airs.
On avait supposé d'abord que les vésicules qui consti-
tuent des nuages étaient remplies d'un gaz moins dense
que l'air atmosphérique, et que chacun de ces petits
corps se trouvait dans le cas d'un aérostat rempli d'hy-
drogène ; mais l'analyse chimique est venue détruire cette
explication , en montrant qu'il n'y avait dans les nuages
aucun gaz différent de l'air ordinaire.
D'après Fresnel, Tair interposé entre les vésicules d'un
nuage se trouverait réuni par une sorte d'action capil-
laire, de manière à former avec toute la vapeur vésicu-
laire comme un même ensemble flottant au milieu de
l'air environnant; les rayons solaires, rencontrant un
nuage, ont plus d'action pour échauffer cette masse
qu'ils n'en ont pour échauffer une quantité d'air parfai-
tement transparent, dans lequel il ne se fait aucune ré*
1G4 LES MÉTÉORES.
flexion ; il en résulterait donc que le nuage se trouve-
rait dans le même cas que les montgolfières,
lesquelles on produit une dilatation au moyen d'un foyer
de chaleur.
ce Toutes ces suppositions sont inutiles , dit M. l'abbé
Raillard; la suspension des nuages s'explique tout natu-
rellement par l'état de division extrême dans lequel se
trouve l'eau disséminée dans l'air, sous la forme de glo-
bules liquides très petits, ou de cristaux de glace très
fins 1 . »
IV.
M. Rozet, qui a spécialement étudié la formation des
nuages, s'exprime ainsi, dans son excellent Traité de la
pluie en Europe :
«Le 2i mai 1850, à Orange, j'ai eu un très bel
exemple de la formation des nuages par le refroidis-
sement de certaines régions; il avait beaucoup plu la nuit
précédente; au lever du soleil, les flancs du mont Ventoux,
depuis le sommet jusque vers le milieu des pentes, étaient
couverts de neige ainsi que plusieurs montagnes voisines
d'une altitude de 1,000 à 1,400 mètres. Vers huit heures
du matin, à Orange, le thermomètre marquait 17 degrés
au-dessus de zéro; des cumulus blanchâtres, isolés, s'é-
levant du fond des vallées, disparaissaient, parvenus à
une certaine hauteur; mais autour du Ventoux et de toutes
les montagnes couvertes de neise, les nuases blanchà-
i Cours de chimie générale, par MM. Pelouze et Frémy, 3 e édition, p. 241.
METEORES AQUEUX. 1G5
1res, plus nombreux, se groupaient, et vers dix heures
ils formaient des masses floconneuses séparées les unes
des autres, qui cachaient ces montagnes. A deux heures
du soir le thermomètre marquait 21 degrés au-dessus
de zéro, par un temps calme; les rayons solaires avaient
entièrement dissipé ces masses de nuages, et la neige
des montagnes était fondue.
« Ces faits sont une nouvelle preuve que la vapeur
d'eau contenue dans l'atmosphère passe de l'état in-
visible ou moléculaire à "l'état visible ou vésiculaire,
dans une région, toutes les fois que la température de
cette région vient à s'abaisser d'une certaine quantité de
degrés, les nuages résultent ensuite de la vapeur vésicu-
laire produite.
De Saussure dit, dans son Essai sur l'hygrométrie :
ce Arrêté par un vent pluvieux sur la cime ou le pen-
chant de quelques montagnes, je cherchais à épier la for-
mation des nuages que je voyais naître presque à chaque
instant sur les forêts ou sur les prairies situées au-des-
sous de moi. Nul brouillard ne couvrait leur surface,
l'air qui les environnait était parfaitement net et trans-
parent; mais tout à coup, tantôt ici, tantôt là, il pa-
raissait quelques-uns de ces nuages, sans que jamais je
pusse saisir le commencement de la formation; dans une
place que mon œil venait de quitter, où deux secondes
avant il n'en existait pas, j'en voyais tout à coup un déjà
grand. »
Kaemtz fait remarquer que lorsque Ton considère de
loin une chaîne de montagnes on voit souvent un
nuage attaché à chaque sommet , tandis que les interval-
igi;
LES MÉTÉORES.
les sont parfai-
tement clairs.
Cette apparition
persiste pendant
des heures et
souvent
pen-
Fig. 38. — Nuages du sommeilles montagnes.
dant des jours
entiers ; cepen-
dant cette im-
mobilité n'est
qu'apparente ,
car sur le som-
met il règne sou-
vent un vent
violent, qui con-
dense les va-
peurs à mesure
qu'elles s'élè-
vent des flancs
des montagnes:
lorsqu'elles s'é-
loignent des
sommets , elles
ne tardent pas
à se dissiper.
Dans un au-
tre passage, le
môme auteur
dit : « Lorsque
le ciel est cou-
METEORES AQUEUX. 167
vert, on remarque souvent sur le penchant des monta-
gnes un brouillard local n'occupant qu'un petit espace ;
ce brouillard se dissipe bientôt pour reparaître. J'ai pu
analyser une fois, près de Wiesbaden, les circonstances
de ce phénomène : après une forte pluie qui avait pé-
nétré le sol, les nuages s'entr'ouvrirent , le soleil parut,
et je vis une colonne de brouillards s'élever constamment
du même point. Or, j'y courus; c'était une prairie fau-
chée, entourée de pâturages couverts d'une herbe haute,
qui , s' échauffant moins que la surface fauchée , donnait
lieu à une évaporation moins active. »
Les nuages nous paraissent distribués dans l'atmos-
phère à des hauteurs différentes, et d'après les obser-
vations de plusieurs météorologistes nous devons ad-
mettre qu'il existe des nuages à environ 12,000 mètres
au-dessus de la surface de la terre.
De la cime du mont Blanc on aperçoit des nuages qui
paraissent encore aussi élevés que ceux que l'on voit de
la plaine.
Tout le monde connaît l'ascension célèbre de Gay-
Lussac, à 7,00.0 mètres de hauteur; il vojait encore au-
dessus de sa tête des nuages qu'il n'évaluait pas à
moins de 5,000 mètres de distance.
Cependant la plus grande partie des nuages se trou-
vent à une hauteur d'à peu près 3,000 mètres.
V.
Là pluie est le résultat d'une condensation assez forte
1G8 LES METEORES.
de la vapeur d'eau formant les nuages , pour que les mo-
lécules de cette vapeur se réunissent en gouttes et tom-
bent sur la terre.
La quantité d'eau qui tombe en pluie varie selon les
climats. En général, elle est beaucoup moins forte à me-
sure que l'on s'éloigne de l'équafeur et du voisinage de
la mer, quoique les jours pluvieux soient en plus grand
nombre à mesure que Ton s'avance vers le nord.
A Paris, année commune, la quantité d'eau de pluie
est de 53 centimètres, c'est-à-dire autant qu'il en faudrait
pour couvrir la terre à 53 centimètres de hauteur, si
toute celle qui tombe dans l'année était réunie. A Saint-
Domingue cette quantité est de 308 centimètres, ce qui
fait à peu près six fois autant.
Dans les pays tempérés les jours de pluie sont très va-
riables ; entre les tropiques , au contraire , les pluies re-
viennent aux mêmes époques de l'année, et durent de
trois à six mois. C'est à elles que l'on doit attribuer les
débordements périodiques du Nil , du Gange , du fleuve
^ «
des Amazones et de tous les fleuves, en général, de la
zone torride.
Écoutons avec quelle richesse d'idées, de grâce d'ex-
pressions, Lucrèce nous décrit les pluies vivifiantes : « Ces
pluies que l'air fécond verse à grands flots dans le sein
de notre mère commune et paraissent perdues; mais par
elles la terre se couvre de moissons , les arbres reverdis-
sent, leur cime s'élève, leurs rameaux se courbent sous
le poids des fruits. Les puies fournissent des aliments aux
hommes et aux animaux; de là cette jeunesse floris-
santé qui peuple nos villes; ce nouvel essaim d'oiseaux
MÉTÉORES AQUEUX. 169
qui dans les bois chantent sous la feuillée , et ces trou-
peaux qui reposent dans les riants pâturages leurs mem-
bres fatigués d'embonpoint, tandis que des ruisseaux d'un
lait pur s'échappent de leurs mamelles gonflées; enivrés
de cette douce liqueur, les tendres agneaux s'égayent sur
le gazon et essayent entre eux mille jeux folâtres. Les
corps ne sont donc pas anéantis en disparaissant à nos
yeux : la nature, de leurs débris, forme de nouveaux
êtres, et ce n'est que par la mort des uns qu'elle accorde
la vie aux autres ' . »
On désigne sous le nom de grains des pluies de courte
durée, accompagnées ordinairement de bourrasques d'au-
tant plus dangereuses pour la navigation qu'elles sur-
prennent les navires au milieu du calme ou de faibles
brises (fig. 39).
VI.
Les historiens anciens rapportent que des pluies de
sang sont venues quelquefois porter chez tout un peuple
l'épouvante et la consternation. Ces pluies n'ont point dis-
paru avec la superstitieuse antiquité, elles ne sont même
pas très rares; mais leur couleur sanguine n'est plus
qu'un phénomène dû, tout simplement, à une matière
colorante que le nuage tenait en suspension. Ces pluies
extraordinaires n'affectent pas toujours la couleur rouge,
quelquefois même ce n'est qu'une chute de poussière
sans eau. Mais quelle est la cause qui peut placer ces
substances, souvent métalliques, au sein de l'atmosphère.'
->
i Lucrèce, liv. I, v.
170
LES METEORES.
( )n a pensé que la plupart pourraient bien avoir la même
origine que les aérolithes; cependant la puissance du
vent est bien suffisante pour balayer, à la surface de la
terre, des amas de substances diverses, et pour les em-
porter à de grandes hauteurs dans les airs. A l'appui de
Fis. 39. — Grain.
cette dernière opinion, on cite un fait assez curieux, ar-
rive en Perse. Non loin du mont Ararat, au mois d'a-
vril 1827, il tomba une pluie de grains qui , en quelques
endroits, couvrit la terre d'une couche de 1G centimè-
tres dVpaisseur. Les moutons en mangèrent d'abord, e
METEORES AQUEUX. 171
les hommes s'enhardirent ensuite à en faire un pain, qui
fut trouvé très passable. Quelques échantillons de cette
graine, envoyés à Paris par notre ambassadeur en Russie,
furent reconnus pour appartenir à la famille des lichens ,
genre de plantes qui , sous forme de pellicules, s'étendent
sur les arbres, sur la surface des monuments et des ro-
chers. La couleur sombre des vieux édifices de Paris est
due à un lichen microscopique.
Souvent aussi les vents transportent à plusieurs cen-
taines de lieues des cendres volcaniques ou la poussière
des déserts.
Les pluies de poudre jaunâtre ressemblant beaucoup
à du soufre pulvérisé arrivent principalement au mois de
mai, et dans les pays où se trouvent des forêts de pins et
de sapins. Ces arbres fleurissent au mois de mai, leurs
fleurs se composent de chatons très serrés; un seul cha-
ton contient plus d'un million de grains de pollen : ce
pollen, ou cette poussière de fleurs dont chaque grain me-
sure à peine un centième de millimètre de diamètre , a
une odeur résineuse et s'enflamme facilement. Les vents
la soulèvent, la chassent au loin, elle tombe ensuite sur
la terre mêlée à la pluie, et produit ce que l'on prend
généralement pour des pluies de soufre.
Dans les temps d'orage on a vu des phénomènes plus
extraordinaires encore, comme des pluies de crapauds,
de grenouilles, de poissons. Ces pluies d'un nouveau genre
s'expliquent par l'action des trombes aspirant l'eau d'une
mare ou d'un vivier avec ses menus habitants, qu'elle ré-
pand dans les endroits où elle vient se dissiper.
172 LES METEORES.
VIL
Le serein, du latin serenus, clair, est une petite pluie
fine qui tombe quelquefois à la chute du jour sans être
produite par des nuages.
Dans nos climats, ce phénomène se manifeste seule-
ment pendant l'été, et presque toujours au coucher du
soleil. On l'observe surtout dans les vallées et les plaines
basses, à une petite distance des lacs et des rivières: il
est beaucoup plus rare sur les lieux élevés.
Pendant la chaleur du jour, tous les corps humides
donnent une grande quantité de vapeur d'eau, qui se ré-
pand dans Pair sans en troubler la transparence. Mais
lorsque le soleil disparaît au-dessous de l'horizon, la tem-
pérature de Pair atmosphérique baisse de plus en plus;
la vapeur alors se condense en partie, selon le degré de
refroidissement, et cette condensation produit le serein.
On peut considérer le serein comme le commencement
du phénomène de la rosée.
La rosée est produite par la vapeur d'eau contenue
dans l'air et condensée par son contact avec les corps
suffisamment refroidis.
La terre, échauffée pendant le jour par les feux du so-
leil , rayonne pendant la nuit vers les espaces célestes
une partie de la chaleur qu'elle avait reçue ; il en est de
même des végétaux et des différents objets placés à la
surface du globe. Cette déperdition de chaleur peut être
telle que la température de ces corps devienne plus basse
METEORES AQUEUX. ; 173
que celle de Pair environnant , la vapeur d'eau contenue
dans l'air, se trouvant alors en contact avec des corps
suffisamment refroidis, se condense et se dépose à leur
surface.
Pour que la rosée puisse se produire, il faut que le
ciel soit serein. S'il est couvert, les nuages réfléchissent
vers le sol la chaleur que la terre leur envoie , et mettent
ainsi obstacle à son refroidissement.
Une légère agitation dans Pair qui renouvelle les cou-
ches à mesure qu'elles passent à l'état de saturation par
leur contact avec la surface de la terre, favorise encore
singulièrement la formation de la rosée: un vent violent
l'empêcherait de se former.
La rosée ne se répand pas également partout; il y a
des corps qu'elle semble éviter, tels que les corps polis.
Il en est d'autres sur lesquels elle semble se reposer de
préférence : les corps ternes et dépolis, par exemple. Cela
tient à ce que tous les corps ne se refroidissent pas au
même degré; ceux qui se refroidissent davantage con-
densent plus de vapeur, et se couvrent par conséquent
d'une rosée plus abondante.
La rosée se remarque principalement pendant les belles
nuits d'été; elle remplit l'air d'une délicieuse fraîcheur, et
se rassemble en gouttelettes sur les feuilles des plantes
et dans la corolle des fleurs; aux premiers rayons du so-
leil levant cette rosée se transforme en vapeur, et remonte
en partie dans l'atmosphère d'où elle était descendue.
174 LES METEORES,
VIII.
La glace est de Peau à Pétat solide. L'eau prend cette
forme à un abaissement de température qui commence à
zéro et au-dessous ; cependant lorsqu'elle est parfaitement
tranquille , on peut quelquefois la faire descendre à plu-
sieurs degrés au-dessous de zéro avant qu'elle se solidifie.
Les rivières ne se cèlent que par un froid de 7 à 8 desrés
au-dessous de zéro et persistant.
L'eau en se congelant augmente considérablement de
volume ; c'est pour cela que la glace est plus légère que
Peau.
Par l'effet de cette augmentation de volume , on a vu
des canons de fer très épais, remplis d'eau et exposés à
la gelée, éclater en plusieurs endroits. Lorsque Peau qui
s'infiltre dans les fissures des rochers vient à se congeler,
elle fend quelquefois des masses énormes de pierre , d'où
le dicton : // ghle à pierre fendre. C'est ainsi que l'on peut
expliquer les dégradations qu'éprouvent les pierres de
taille, les tuyaux de conduite, les corps de pompe, etc.,
par l'effet des fortes gelées.
M. Boussingault a exposé à l'Académie des sciences
de nouvelles expériences sur la congélation de Peau. Il
rappelle que la force avec laquelle Peau tend à se dilater
pendant la congélation est considérable, puisqu'elle
doit être égale à la pression qu'il faudrait exercer sur un
morceau de glace pour en diminuer le volume de 0,08.
Cette force d'expansion est capable de briser les enve-
loppes les plus résistantes. Les académiciens de Florence,
METEORES AQUEUX. 175
en exposant à un froid intense une sphère de cuivre rem plie
d'eau, en déterminèrent la rupture, bien que l'épaisseur du
métal fût de 67 centièmes de pouce, Huyghens, en 1667,
fit éclater en deux endroits par l'effet de la congélation
de l'eau, un canon de fer ayant un doigt d'épaisseur.
M. Boussingault a voulu reproduire ces expériences
devenues classiques, en essayant de faire congeler l'eau
dans un cylindre d'un métal doué d'une ténacité bien su-
périeure à celle du fer; un canon d'acier, par exemple,
supportant, môme sous de faibles épaisseurs de parois,
une pression de plusieurs centaines d'atmosphères, dans
les épreuves réglementaires que l'artillerie fait subir aux
canons de fusils.
Nombre d'expériences furent faites par le savant phy-
sicien, et l'acier offrit une résistance suffisante pour qu'il
pût constater, conformément à la prévision théorique, que
l'eau enfermée dans le canon conservait l'état liquide,
malgré l'abaissement de la température , et cela par suite
de l'obstacle opposé à la dilatation qui accompagne son
refroidissement à. partir de plus de 4° 1. Dans l'une de ces
expériences, le thermomètre était descendu à 24 degrés
au-dessous de 0, cependant l'eau avait échappé à la cou-
délation , ce que l'on a reconnu à la mobilité d'une bille
d'acier enfermée dans le canon. Mais lorsque l'on pro-
céda à l'ouverture du canon, à peine eut-on commencé
à dévisser le couvercle que l'on vit surgir une légère
végétation de givre, l'eau gela instantanément, aussitôt
que la pression qu'elle supportait fut supprimée. En chauf-
fant le canon de manière à détruire l'adhérence, l'on en
retira un cylindre de glace d'une grande transparence.
176 LES METEORES.
Dans Taxe de ce cylindre, il v avait une rangée de très
petites bulles d'air 1 .
Pendant l'hiver de 1740, qui fut très long et très rigou-
reux , on construisit à Saint-Pétersbourg un palais de
glace, de 18 mètres de longueur, sur 6 de largeur et 7 de
hauteur; l'architecture en était élégante et régulière.
Pour cette construction on prit dans la Neva des blocs
qui avaient près d'un mètre d'épaisseur; on les tailla et
on y sculpta des ornements, et lorsqu'ils furent en place,
on les arrosa, en dehors, d'eau colorée, qui se congela sur-
le-châmp, et forma ainsi des espèces de stalactites très
variées.
On fit également six canons et deux mortiers avec leurs
affûts entièrement de glace; on les chargea, avec 125
grammes de poudre, un boulet d'étoupe et un de fonte
par-dessus. L'épreuve s'en fit en présence de toute la
cour ; le boulet alla percer à 50 mètres une planche d'en-
viron 5 centimètres d'épaisseur;, le canon n'éclata point,
bien qu'il n'eût pas plus de 10 centimètres d'épaisseur.
Un autre usage de la glace qui au premier coup d'œil
paraît encore plus extraordinaire, c'est celui qu'imagina
d'en faire un physicien anglais, en 1763. Il tailla un mor-
ceau de glace en lentille de plus de 3 mètres de diamètre
et de 15 centimètres d'épaisseur. Il l'exposa aux rayons
du soleil, et il enflamma, à plus de 2 mètres de dis-
tance, de la poudre, du papier et d'autres substances
combustibles.
Il est curieux de voir que l'on pourrait mettre le feu à
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 13/1.
MÉTÉORES AQUEUX. 177
un magasin à. poudre à l'aide d'un morceau de glace.
En Sibérie, on fait des fenêtres de glace en coupant les
glaçons d'une certaine grandeur et épaisseur, comme des
carreaux de verre , et en les appliquant aux cadres ou aux
ouvertures auxquels ils sont destinés. Ces glaçons ne se
fondent pas, quoique la chambre soit fort échauffée, parce
que Pair extérieur en maintient toujours la consistance.
En hiver, les vitres se couvrent de elace au dedans et
non pas au dehors. Ceci s'explique facilement : l'air de
l'appartement, étant plus chaud que l'air extérieur, laisse
retomber les vapeurs qu'il contient; ces vapeurs s'at-
tachent aux vitres, et, pendant la nuit, l'air se refroidis-
sant elles se gèlent et forment ces belles ramifications
que tout le monde connaît.
IX.
Le givre ou la gelée blanche, que l'on nomme aussi fri-
mas, n'est que la rosée congelée sur les corps, descendus,
par le refroidissement de la nuit, à la température de la
glace. Le givre s'observe dans nos climats, pendant les
fraîches matinées du printemps et de l'automne.
Le verglas est une couche de glace, unie, mince et
transparente , formée par la pluie congelée sur le sol à
mesure qu'elle tombe. Il se produit lorsque l'air est assez
chaud pour donner naissance à la pluie, et le sol assez
froid pour congeler cette pluie au moment où elle touche
la terre.
Cependant, une nouvelle théorie a été émise dans le
12
178 LES METEORES.
courant de ces dernières années. M. E. Nouel en a réclamé
la priorité dans une lettre adressée à l'Académie des
sciences et présentée par M. de Saint- Venant, de l'Institut :
« Dans une Note sur la théorie du givre et du verglas ,
imprimée au tome XI (1 863) , de Y Annuaire de la Société
météorologique de France , page 26 , dit-il , j'ai fait voir
que les grands verglas ne sont pas dus, comme on le
croyait, à une pluie au-dessus de zéro, se gelant en partie
par son contact avec des objets dont la température est
inférieure à zéro, mais qu'ils prennent naissance par suite
d'une pluie à plusieurs degrés au-dessous de zéro, en surfu-
sion , tombant à travers une atmosphère au-dessous de
zéro et se congelant à la surface des objets, d'une manière
continue , par l'effet de la température ambiante.
« Cette théorie a reçu une confirmation éclatante cet
hiver, et cela à deux reprises différentes , à Vendôme 4 ».
La neige est de la vapeur d'eau congelée qui tombe sur
la terre des régions élevées de l'atmosphère, sous forme
de flocons légers de différentes grosseurs et présentant
des figures variées et symétriques.
Le grésil présente de petites aiguilles de glace pressées
et entrelacées, formant des espèces de pelotes assez dures
et quelquefois enveloppées d'une couche de glace trans-
parente. II est très commun dans nos climats pendant les
giboulées de mars et d'avril.
M. Marta-Beker a présenté à l'Académie des sciences ,
\ à l'occasion des gelées printanières , une note intéres-
sante au point de vue agricole et météorologique. Il y
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences f I er semestre 1879.
MÉTÉORES AQUEUX. 179
a deux causes de gelées printanières , dit -il, Tune la
plus ordinaire, appelée gelée blanche, est due au rayon-
nement vers les espaces célestes; l'autre, plus rare,
est amenée par des courants polaires. La gelée blanche
provient de la congélation de la rosée. On sait que la
rosée n'est autre chose que l'humidité atmosphérique
condensée. Elle se forme sur les végétaux, par les nuits
fraîches et sereines, aux dépens du calorique des plantes,
qui se refroidissent par l'effet du rayonnement vers un
ciel pur et froid. Si le thermomètre continue à descendre
de zéro à deux degrés plus bas, la rosée se congèle, et
les bourgeons rudimentaires , encore si tendres aux pre-
miers jours du printemps, sont plus ou moins altérés. Un
nuage de fumée, le moindre abri suffisent pour empêcher
ou diminuer le rayonnement. Les chaleurs précoces font
alors redouter la gelée, en activant trop la végétation et
en amenant des orages qui peuvent refroidir assez Tat-
mosphère pour attirer un désastre sur les récoltes.
Les gelées blanches sévissent spécialement sur les plaines
horizontales et basses, parce qu'elles offrent directement
toute leur surface au ciel, tandis que les coteaux ne
présentent que la projection de cette surface , projection
réduite en raison de la pente; de plus, les plaines basses
étant en général plus humides que les coteaux, il s'y joint
un effet plus grand de vaporisation qui augmente l'in-
tensité du refroidissement. Il n'en est pas de môme de
la seconde espèce de gelées ; elles frappent les hauteurs
comme les plaines et même davantage. Ces gelées sont
provoquées par des courants atmosphériques qui font
naître un froid pénétrant de 3 à 4 degrés au-dessous de
180 LES METEOKES.
zéro; il atteint vignes, noyers, arbres fruitiers, légumes,
seigles , en un mot toutes les plantes précoces. Comme ce
courant polaire et glacial court à travers notre atmosphère
de même qu'un fleuve démesurément grossi, il saisit les
flancs des coteaux plus rudement encore que les sols
bas, par-dessus lesquels ils passe parfois sans laisser de
traces fâcheuses.
M. Marta-Beker ajoute une observation relative à la
température des hivers , dont la rigueur ou la douceur lui
paraissent dépendre uniquement d'une question de séche-
resse ou d'humidité de l'air, lequel peut être très sec,
même à l'état brumeux. D'une part, il y a un fait de rayon-
nement d'autant plus prononcé que le ciel est plus pur,
plus dégagé et qui peut être atténué par l'interposition de
nuages ; ce qui explique pourquoi , le même jour, à des
distances peu considérables , le thermomètre accuse sou-
vent des différences de froid de plus de dix degrés. D'au-
tre part , l'atmosphère absorbant d'autant plus de chaleur
solaire qu'elle est plus humide, il est naturel que des
hivers très froids coïncident avec une extrême sécheresse
de l'air, comme on Ta vu en 1870 et 1871. Ainsi, plus
l'air est sec et pur, moins il absorbe de chaleur solaire ,
et plus il se refroidit par rayonnement. Dans ces circons-
tances , l'hiver est nécessairement rigoureux , et les
dernières vapeurs d'eau en suspension se précipitent en
flocons de neige , au début de chaque recrudescence
de froid. C'est le manteau protecteur que la Providence
a étendu au moment opportun sur la Terre 1 .
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1873.
MÉTÉORES AQUEUX. 181
X.
Les savants sont parvenus à produire dans leur ca-
binet, et à volonté, un grand nombre des phénomènes
que nous présente l'univers. Avantage immense, qui per-
met de les étudier, de les observer à loisir et de se rendre
compte de la marche mystérieuse qui produit leur dé-
veloppement. M. l'abbé Sanna-Solaro a ainsi forcé la
nature à faire de la grêle quand bon nous semble.
La formation de ce météore était à l'état de problème ;
aucune solution satisfaisante n'en avait été donnée; on l'ex-
pliquait par des hypothèses qui s'évanouissent devant les
expériences de la science. Le savant physicien dont nous
parlons a produit ce météore sous nos yeux ; on a surpris
la nature sur le fait , en sorte que Ton peut maintenant
donner de ce phénomène, qui était très obscur, une théorie
parfaitement exacte, fondée sur l'observation.
Jusqu'à présent on croyait que la grêle commençait
par un petit point, par un petit noyau, et que des couches
successives finissaient par produire des grêlons plus ou
moins gros.
Cette hypothèse laisse sans explication les différents
phénomènes qui accompagnent ce météore.
Les grêlons se produisent presque instantanément, à
peu près tels qu'ils sont au moment de leur chute ; la
congélation commence par l'extérieur du grêlon , et va
ainsi de la circonférence au centre.
L'enveloppe extérieure s'étant formée , la partie du li-
quide qui lui fait contact se refroidit, des bulles d'air se
182
LES METEORES.
dégagent et convergent vers le centre. Il en résulte une
pression à laquelle la croûte finit par céder. La secousse
détermine la congélation d'une couche nouvelle formée
de deux parties distinctes : Tune privée de bulles d'air, et
pour cela transparente; l'autre opaque, par cela môme
que les bulles d'air s'y trouvent réunies. Ce phénomène
se reproduit à chaque congélation successive (fig. 40).
Fig. 40. — Coupe de différents grêlons.
Si les gréions atteignent le sol avant leur complète con-
gélation, leur centre pourra être liquide ou contenir à la
fois des bulles d'air, de l'eau et des filets de glace. Ce
dernier cas aura lieu lorsque le liquide intérieur se re-
froidira très lentement, car les filets de glace ne se mon-
trent dans l'eau qu'en pareilles circonstances.
Si la congélation s'achève brusquement, le noyau sera
de la blancheur de la neige. Si le froid qui saisit les masses
d'eau est intense, la croûte sera plus épaisse et plus so-
lide; la pression intérieure causée par la dilatation du li-
quide pourra augmenter de telle sorte qu'elle fasse voler
METEORES AQUEUX.
183
les grêlons en éclat, surtout au moment où la congéla-
tion s'achève. Ceci peut expliquer pourquoi des grêlons
tombent en forme de pyramide, et en même temps ces
bruits particuliers que l'on entend quelquefois, comme
précurseurs d'une chute de grêle.
XI.
M. l'abbé Sanna-Solaro a fait de la grêle en présence
des membres de l'Académie des sciences, avec un ap-
pareil très simple que, grâce à son obligeance, nous
avons pu faire fonctionner nous-même, et que chacun
Fig. 41. — Formation des grêlons; appareil de M. Sanna-Solaro.
peut facilement se procurer. 11 consiste dans un vase
contenant un mélange réfrigérant de 17 degrés au-dessous
de zéro; on suspend dans ce mélange un petit ballon
en caoutchouc à peu près de la grandeur des grêlons
que Ton veut produire, contenant plus ou moins d'eau.
Après quelques instants, on obtient un grêlon artificiel
tout formé, parfaitement semblable aux grêlons naturels,
184 LES METEORES.
mais présentant un nombre de couches plus grand , ce qui
prouve que le froid qui produit les grêlons naturels est
bien plus intense que celui de 17 degrés au-dessous de zéro.
Deux choses restent à expliquer : la première com-
ment se forment dans l'atmosphère les masses liquides
qui doivent se changer en grêlons ; la seconde , comment
dans les saisons et les pays chauds se produit le froid qui
saisit les masses et en congèle plus ou moins brusque-
ment toute la surface jusqu'à une certaine profondeur.
L'ingénieux auteur explique la première par la réac-
tion de l'électricité sur un nuage à l'instant où elle s'en
échappe , et la deuxième par l'extension subite qui suit
la réaction.
Voici à peu près comment il s'exprime : Soit un nuage
orageux chargé d'électricité; cet agent, au moment
où il atteint son maximum de tension , doit s'échapper.
En s'échappant il exerce sur le nuage une réaction vio-
lente qui produit la contraction ; mais ce mouvement est
nécessairement suivi d'une réaction contraire, qui produit
la dilatation du nuage, de la vapeur, de l'air, et qui doit
donner naissance à une évaporation rapide , et par là
même à une perte de calorique plus ou moins considé-
rable, d'où la congélation de toute la surface à une plus
ou moins grande profondeur.
Lorsque le froid n'est pas assez intense pour congeler
les masses d'eau , elles tombent à l'état liquide ; ce qui
nous explique pourquoi les premières gouttes de pluie
des orages sont ordinairement les plus grosses , et pour-
quoi de prodigieuses quantités d'eau tombent immédia-
tement après un coup de tonnerre.
METEORES AQUEUX. 185
Les faits viennent à l'appui de cette théorie.
M. Beudant dit d'une grêle observée par lui en 1848 :
« Un coup de tonnerre éclata, et presque aussitôt le
nombre des grêlons devint beaucoup plus considérable . »
M. Élie deBeaumont, parlant de la grêle qu'il observa
en 1837 : « Trois coups de tonnerre d'une force moyenne
sont survenus pendant l'averse ; chacun d'eux a donné
lieu à un redoublement assez marqué dans la chute des
grêlons, »
M. Tessier, en parlant de l'endroit où il observa la grêle
qui ravagea la France en 1788 : « La grêle suivit de près
l'éclair et le coup de tonnerre. »
M. l'abbé Sanna-Solaro ne serait sans doute pas embar-
rassé pour citer un grand nombre de faits que tout le
monde a pu observer.
Dans cette théorie, il n'est pas nécessaire de supposer
la présence de deux nuages , qui souvent n'existent pas ,
ou de deux vents contraires, etc., et on comprend pour-
quoi la grêle tombe dans nos climats pendant l'été et aux
heures les plus chaudes du jour, puisque alors l'air est
plus sec et la tension électrique plus considérable.
XII.
Pendant Tannée 1875, un grand nombre de com-
munications sur la grêle ont été faites à l'Académie des
sciences, principalement par M. Faye, Péminent astro-
nome, et dans lesquelles la théorie de M. Sanna-Solaro a
été indirectement plus ou moins combattue. M. Faye
180 LES MÉTÉORES.
i
croit que la formation des grêlons est successive et non
pas instantanée ; il attribue la cause générale des orages à
grêle à rabaissement brusque d'un courant froid supé-
rieur dans les couches inférieures , chaudes et humides.
MM. Renou, Planté, Solvay et plusieurs autres savants
ont pris part à la discussion de la théorie de ce météore 1
et M. l'abbé Raillard vient de publier une savante étude
sur ce sujet 2 ; mais nous devons attendre que l'ac-
cord des savants se soit un peu mieux dessiné avant de
développer ici avec quelque étendue les théories nouvelles
qui se font jour.
Terminons cette revue des météores aqueux par un
passage d'un remarquable article publié par le R. P.
Secchi dans les Études religieuses, historiques et litté-
r aires.
Il fait d'abord remarquer que la circulation de l'atmos-
phère, déjà si puissante et si merveilleuse en elle-même,
le devient davantage quand on la considère dans ses rap-
ports avec la vie animale sur les continents. Sans le voile
de nuages et sans les pluies bienfaisantes qui régnent
dans les contrées tropicales, toute la zone torride serait
embrasée et les régions polaires éternellement glacées;
la vie serait confinée dans les espaces insignifiants des
zones tempérées. Mais , par une admirable propriété phy-
sique de la vapeur d'eau, une immense quantité de cha-
leur est transportée des tropiques aux régions polaires,
de telle sorte que, restant insensible dans les lieux où
elle passe, elle ne fait sentir son effet utile qu'au point
K Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875.
2 Les Mondes scientifiques, 1875, 14 octobre.
MÉTÉORES AQUEUX. 187
de départ et au point d'arrivée. Là, Peau enlève en se
vaporisant la chaleur qui serait en excès ; ici , en se con-
densant, elle restitue ce qu'elle a pris à d'autres régions
et empêche un abaissement excessif de température.
<c Pour bien comprendre ce jeu merveilleux de l'at-
mosphère et ce voyage que fait la chaleur, dit l'illustre
savant, il faut se rappeler quelques notions de physique.
<c Tout le monde sait que l'eau en s'évaporant ab-
sorbe de la chaleur ; c'est pour cela qu'on arrose les rues,
afin de les rafraîchir. Le calorique absorbé par l'eau,
dans cette évaporation , est si considérable , qu'il pour-
rait élever à l'ébullition une quantité d'eau cinq fois plus
grande que la quantité évaporée. Ce calorique n'est pas
perdu : il se conserve tout entier dans la vapeur, à l'état
que les physiciens appellent latent, et en effet il re-
paraît toutes les fois que la vapeur se condense. On sait
les avantages que l'industrie tire de ces alternatives pour
le chauffage dans les usines.
« Or il est facile , d'après ce principe , de calculer la
quantité de calorique échangé annuellement entre les ré-
gions équatoriales , polaires et tempérées. Il résulte des
observations atmosphériques que dans la zone torride
A * jm
l'évaporation peut s'estimer égale à une couche d'eau
d'au moins 5 mètres de hauteur. Admettons que 2 de
.ces mètres retombent sur place à l'état de pluie, de
sorte qu'il en reste 3 pour les autres parties du globe. La
surface sur laquelle s'opère cette évaporation est évaluée
à 70 millions de milles géographiques carrés : de sorte
que la masse d'eau évaporée s'élève à 721 trillions de
mètres cubes (721,000,000,000,000). On peut démon-
188 LES MÉTÉORES.
trer que la quantité énorme de chaleur qui produit cet
effet pourrait fondre six millions de milles géographiques
cubes de fer, c'est-à-dire une masse dont le volume éga-
lerait plusieurs fois celui du massif des Alpes.
« Telle est l'immense quantité de chaleur qui , chaque
année , se transporte de l'équateur aux pôles en passant
dans les régions intermédiaires , sans être aperçue même
des savants, et dans un véritable incoqnito. Ce n'est pas
tout. L'eau en se congelant émet une dernière quantité
de chaleur qui contribue à mitiger les climats polaires.
Ainsi les pluies et les neiges n'ont pas seulement pour
but d'arroser la terre, mais aussi de distribuer la cha-
leur et de tempérer la rigueur du froid dans les saisons
hivernales. C'est un fait bien connu que les hivers plu-
vieux ne sont jamais les plus froids.
ce Sans cette précieuse propriété que possède la va-
* XX IX
peur d'eau de voyager à l'état latent, notre atmosphère
acquerrait une température de fournaise, et la vie serait
impossible. Quoique les physiciens ne soient pas disposés
à étudier les causes finales , ils ne sauraient cependant
méconnaître, dans l'énorme capacité de l'eau pour la
chaleur latente que contient sa vapeur, une de ces dis-
positions bienfaisantes de la création par lesquelles son
auteur, à l'aide d'une loi très simple, a pourvu à la pro-
duction d'une infinité d'effets, que seule une sagesse
infinie pouvait prévoir. »
CHAPITKE X.
LA MER ET LES MARÉES.
Poésie de la mer. — Salure de ses eaux. — Leurs couleurs. — Cuivre, argent
et or qu'elles contiennent. — Leur phosphorescence. — Les marées. — Le
premier des Grecs qui fit attention & la cause de ce phénomène. — Passage
de Lucain et d'un hymne à Silvio Pellico. — Influence de la lune et du soleil
sur les eaux. — Théorie des marées. — Marées solaires et marées lunaires.
ê
— Hauteur que les marées pourraient atteindre dans la lune. — Barre de
flot. — Utilité des marées.
I.
Quelle magnifique poésie dans les phénomènes que
nous présente la mer!
La mer ! partout la mer ! Des flots , des flots encor !
L'oiseau fatigue en vain son inégal essor ;
Ici des flots , là-bas des ondes ;
Toujours des flots sans fin par des flots repousses-,
L'œil ne voit que des flots dans l'abîme entassés
Rouler sous les vagues profondes.
Parfois de grands poissons à fleur d'eau voyageant
Font reluire au soleil leurs nageoires d'argent
Ou l'azur de leurs larges queues.
La mer semble un troupeau secouant sa toison :
Mais un cercle d'airain ferme au loin l'horizon;
Le ciel bleu se môle aux eaux bleues.
(Victor llico.)
Les eaux des mystérieux abîmes qui couvrent la plus
190
LES METEORES.
grande partie de notre globe sont fortement salées, amères
et nauséabondes. Pour expliquer leur salure, on a sup-
posé qu'à l'époque où les eaux couvraient toute la terre ,
elles ont dissous des masses de sel situées à la surface du
Fig. 42. — Pliarc à l'entrée d'une baie.
globe; on l'attribue également à des bancs inépuisables
de sel que renfermait l'Océan.
II.
L'eau de la mer, transparente et incolore lorsqu'on
l'observe en petite quantité, présente, vue dans ses pro-
LA MER ET LES MARÉES. 191
fondeurs, des couleurs variées. Ce n'était pas une de nos
moindres distractions, lorsque nous parcourions l'Océan ,
d'étudier la diversité de ces teintes. Tantôt elles sont d'un
bleu d'azur qui défie les plus beaux saphirs; d'autres
fois, d'un vert qui ressemble à de l'émeraude liquide,
l'œil ne se lasse paé de regarder le sillon éblouissant
que trace alors le navire. Puis elles passent par toutes les
nuances que l'on peut imaginer entre ces deux teintes
principales : bleu sombre, bleu gris, vert bleu, vert
jaunâtre, vert sombre, vert gris, etc.; cette dernière
couleur est surtout remarquable dans toute la largeur du
banc des Aiguilles.
Jusqu'ici l'explication que l'on donnait de la cause de
ces teintes diverses laissait beaucoup à désirer, mais on
s'est assuré qu'elles sont produites par les matières que
les eaux de l'Océan tiennent en suspension , suivant les
parages.
On a mis en évidence la présence dans l'eau de l'O-
céan d'une assez grande quantité de cuivre, pour que l'on
puisse affirmer que la couleur bleue intense que pré-
sente la mer dans certains parages est due à un composé
ammoniacal de cuivre , et la couleur verte à du chlorure
de cuivre.
M. Septimus Piesse a suspendu aux flancs d'un ba-
teau à vapeur qui fait le trajet de Marseille en Corse et
en Sardaigne, un sac rempli de clous et de tournure de
fer, et après quelques voyages, lorsque le sac fut rapporté
■
au laboratoire, on constata qu'une notable quantité de
cuivre s'était précipitée à la surface du métal.
Par unmoyen analogue, parla suspension dans de l'eau
192 LES METEORES.
de merde cuivre en grain, MM. Durocher etMalaguti y
ont constaté la présence d'une quantité appréciable d'ar-
gent. M. Tuli, en Amérique, a répété l'expérience des sa-
vants français, et il est arrivé, de son côté, à cette con-
clusion, que l'Océan contient au moins deux millions de
tonnes ou deux billions de kilogrammes d'argent : parta-
gés entre tous les hommes, cela ferait 400 francs par tête.
L'or se trouve également dans les mers. Il est démontré
que tous les fleuves, et le Rhin en particulier, charrient ce
précieux métal. Notre Seine elle-même est aurifère; M. de
Sussex faisait remarquer que lorsque Ton fait fondre
dans des creusets, pour la préparation du verre, du sable
de Seine, pris au Bas-Meudon, et qu'après la fusion on
polit la surface intérieure du fond des creusets brisés, on
y aperçoit non seulement des parcelles , mais de petites
pépites d'or.
III.
Le phénomène de la phosphorescence de la mer est
un des plus beaux que l'on puisse contempler. Lorsqu'il
se manifeste dans toute sa splendeur, la surface de l'abîme
rivalise de magniflceneeavee les cieux étoiles. Cette phos-
phorescence des flots est produite soit par des débris
d'animaux marins, soit par des animalcules, de petits mol-
lusques qui fourmillent à la surface des eaux, principale-
ment par la noctiluca miliaris. M. Phipson a fait observer
qu'un certain nombre de ces animalcules se trouvent em-
prisonnés dans les vêtements de laine après les bains de
mer, et y rencontrent assez d'humidité pour y vivre un
LA MER ET LES MAIIÉES
103
jour ou deux. Il est bien connu qu'ils ne donnent de la
lumière que lorsqu'ils se contractent; or, c'est ce qu'ils
font quand on remue les vêtements, ou quand on passe
le doigt dessus, môme plusieurs heures après qu'ils ont
été suspendus pour sécher. Maison ne se baigne pas ton-
i ij, r . 43. — Mer calme
jours dans une eau chargée de ces animalcules, et alors
1rs vêtements ne deviennent pas lumineux le soir.
IV.
Un des phénomènes les plus grandioses que nous pré-
sente la mer, ce sont les marées. On appelle ainsi le
mouvement alternatif et journalier de l'Océan couvrant et
abandonnant successivement le rivage. Dans l'espace de
2i heures 19 minutes, ses eaux se portent et se reportent
13
194 LES METEORES.
deux fois de Féquateur vers les pôles et des pôles vers
l'équateur.
Les eaux montent d'abord pendant environ six heures;
elles inondent alors les rivages et se précipitent dans l'in-
térieur des fleuves , jusqu'à de grandes distances de leur
embouchure.
Après être parvenues à leur plus grande hauteur, elles
restent quelques instants en repos, un quart d'heure en-
viron ; peu à peu elles descendent et se retirent des terres
qu'elles avaient envahies; ce second mouvement dure
aussi à peu près six heures; lorsqu'elles sont arrivées à
leur plus basse dépression , elles restent quelques instants
en repos, puis recommencent leur mouvement alternatif.
Le flux y que l'on appelle aussi marée montante, est le
mouvement des eaux vers les pôles; le reflux, que l'on
appelle aussi marée descendante, est le retour des eaux
vers l'équateur.
V.
Le premier des Grecs qui fit attention à la cause des
marées futPythéasde Marseille, qui vivait environ trois
cent vingt ans avant notre ère. Il disait que la pleine lune
produit le flux et son décours le reflux. Il ne se trompait
pas en les attribuant à la lune,, mais il était loin d'en
connaître la véritable cause.
i
Newton , le premier, démontra les relations des marées
avec les autres phénomènes de la gravitation universelle.
Lucain, dans sa Pharsale, en parlant des côtes maritimes
de la France, s'exprime ainsi sur le phénomène des* ma-
LA MER ET LES MARÉES. 195
rées : « La même joie se répandit sur ce rivage que la
terre et la mer semblent se disputer quand le vaste Océan
l'inonde et l'abandonne tour à tour. Est-ce l'Océan lui-
même qui de l'extrémité de Taxe roule ses vagues et les
ramène? est-ce le retour périodique de l'astre de la nuit
qui les foule sur son passage ? est-ce le soleil qui les attire
pour alimenter ses flammes? est-ce lui qui pompe la mer
et qui l'élève jusqu'aux cieux ? Sondez ce mystère , vous
qu'agite le soin d'observer le travail du monde. Pour moi
à qui les Dieux t'ont cachée, cause puissante de ce grand
mouvement, je veux t'ignorer toujours. » (Liv. II.)
Newton et Laplace ont cherché, fait remarquer M. Ba-
binet, et, au grand honneur de l'esprit humain, ils ont
trouvé.
La lune passant successivement au-dessus de chaque
point de l'Océan, en vertu des lois de l'attraction, en
attire les eaux qui sont d'une mobilité extrême. On ne
peut plus méconnaître maintenant l'action que cet astre
exerce en vertu des lois de l'attraction sur ce grand et ma-
jestueux phénomène de la nature.
Un poète inconnu a délicieusement exprimé cette in-
fluence dans un hymne à Silvio Pellico :
« Astre solitaire , aérien , paisible astre d'argent ,
6 Lune! comme une blanche voile, tu navigues à travers
le firmament,* et, comme une douce amie, dans ta course
antique, tu suis au ciel la marche de la Terre.
« La Terre, si ton disque limpide se rapproche d'elle,
la Terre te sent venir, palpite et gonfle ses mers; peut-
être est-ce une noble émotion, telle que l'aspect d'un
ami en éveille dans un cœur mortel ! »
i
196 LES METEORES.
VI.
On a reconnu :
1° Que les eaux de l'Océan s'élèvent successivement
dans chaque endroit où la lune passe ;
2° Que la Méditerranée n'a point d'autre marée que
celle qui lui est communiquée par l'Océan au détroit de
Gibraltar, parce que la lune ne passe jamais perpendi-
culairement sur elle;
3° Que le flux et le reflux retardent, comme la lune,
de trois quarts d'heure chaque jour;
4° Que les marées ne reviennent à la même heure qu'au
bout d'environ trente jours, ce qui est précisément le
temps qui s'écoule d'une nouvelle lune à l'autre;
5° Que les marées sont toujours plus hautes lorsque
la lune est à sa moindre distance de la terre ;
6° Qu'aux pleines et aux nouvelles lunes, les marées
sont plus grandes, parce qu'alors, le soleil joignant son
attraction à celle de la lune, les eaux de la mer se
trouvent plus fortement attirées; tandis qu'à l'époque des
quadratures ou quartiers, les marées sont plus faibles,
le soleil détruisant environ un tiers de l'effet de l'attrac-
tion de la lune.
VII.
Lorsque la lune passe d'aplomb sur une partie de l'O-
céan, les eaux de cette partie, attirées par l'attraction de
cet astre, s'élèvent, et comme cette attraction agit en sens
contraire de celle de la terre les eaux situées de chaque
LA MER ET LES MAREES.
197
coté du globe, éprouvant une action oblique de la
part de la lune, augmentent
de pesanteur et tendent plus
fortement vers le centre de IHlg
la terre. En môme temps,
les parties de la mer dia-
métralement opposées au jj
point attiré par la lune, étant
moins attirées par cet astre
que le centre de la terre,
parce qu'elles en sont plus
éloignées, se portent moins
vers cet astre que le centre
de la terre, ce qui permet à
la mer de s'élever aussi du
coté opposé à la lune, et à
l'Océan de présenter le phé-
nomène des marées dans
deux hémisphères opposés
(fig. -ti).
La force attractive que le |
soleil exerce sur la terre,
quoique trois fois moindre
que celle de la lune, suffit
cependant pour produire un
flux et un reflux.
On peut donc distinguer
deux sortes de marées : les
marées solaires et les ma- Fi g . 4*. - phénomène des marées.
rées lunaires.
198 LES METEORES.
L'astre du jour élève les mers à midi et à minuit,
heures de son passage au méridien, et les laisse, au con-
traire , s'abaisser à dix heures du matin et à dix heures
du soir.
Deux fois le mois, aux syzygies, ces deux sortes de
marées s'accordent dans leurs directions et se réduisent à
une seule, parce qu'alors le soleil attire les eaux du même
côté , dans le même sens que la lune , et produit un effet
commun avec elle; tandis qu'aux quadratures, comme
nous l'avons fait remarquer, le soleil, par sa position per-
pendiculaire à celle de la lune, contrarie l'action de cet
astre ; en sorte que les marées sont plus petites aux pre-
miers et aux derniers quartiers, et plus grandes aux
pleines et aux nouvelles lunes.
VIII.
Le point le plus élevé de la marée ne se trouve pas
précisément au-dessous de la lune, mais toujours à quel-
que distance vers l'orient , et cette distance n'excède ja-
mais 15 degrés.
Les eaux de l'Océan n'obéissent pas tout à coup à Pat-
traction qui les soulève ; leur état d'inertie s'y oppose et
les empêche de suivre subitement la marche de l'astre
qui agît sur elles.
C'est pour cette raison qu'elles n'atteignent pas leur
plus haut point d'élévation au moment même où l'attrac-
tion lunaire est parvenue à sa plus grande force, mais
seulement quelque temps après.
LA MER ET LES MAREES. 199
Non seulement l'attraction solaire contrarie celle de la
lune, mais la résistance et le balancement des eaux, le
frottement des côtes et les anfractuosités du rivage , sont
autant d'obstacles qui retardent la haute marée.
Au cap de Bonne- Espérance , par exemple, ce retard
est de deux heures et demie ; mais à Dunkerque et à Dou-
vres il est de douze heures, parce qu'il faut tout ce temps
à l'Océan pour traverser la Manche et le Pas-de-Calais, et
se répandre sur les côtes. Le flux et le reflux n'en sont
cependant pas moins réguliers.
IX.
L'élévation plus ou moins grande des eaux dépend
non seulement de l'attraction , mais encore de la nature
du fond et du bord de la mer.
La marée sera sans doute plus grande dans un canal
où les eaux resserrées trouveront pour s'élever une fa-
cilité qu'elles n'ont pas sur un rivage plus vaste et plus
découvert.
A Saint-Malo, sur la Manche, les marées sont quel-
quefois de 15 à 18 mètres; au nord du golfe de Gascogne
et à Brest, sur les côtes, elles ne vont guère qu'à 7 ou 8
mètres; à l'île Sainte-Hélène leur plus grande hauteur
n'est que de 1 mètre. A l'île de la Réunion et dans les
autres îles de la grande mer du Sud, à peine ont-elles
35 centimètres.
A l'entrée de la Garonne, on remarque que le flux
dure sept heures, et le reflux seulement cinq; cette dif-
200 LES METEORES.
férence est attribuée au cours du fleuve dont le courant
descend contre la direction du flux et favorise, au con-
traire, le reflux.
Les vents apportent aussi leur influence sur ce phé-
nomène. Si le souffle d'un grand vent a lieu dans la
direction de la marée, les eaux s'élèveront plus haut que
dans un temps calme ; mais si l'action du vent agit dans
un sens opposé , le contraire aura lieu.
La marée varie en hauteur d'un jour à l'autre sur le
même rivage. Elle augmente pendant huit jours, puis
diminue pendant le même laps de temps ; de sorte que ,
deux fois le mois, il y a deux hautes marées à un inter-
valle de quinze jours, et deux basses marées également
distantes entre elles; et deux fois Fan, à l'équinoxe
du printemps et à celui d'automne, on remarque deux
marées beaucoup plus élevées que toutes les autres.
Newton a calculé que , s'il y a des mers dans la lune ,
l'attraction de la terre doit y occasionner une marée de
30 mètres de hauteur, tandis que dans la plupart des
lieux, l'attraction de la lune n'élève l'eau de notre terre
qu'à la hauteur de 4 mètres.
X.
Les rivages et le bassin de la Seine offrent dans les
parages de Quillebœuf un redoutable phénomène des
marées; c'est ce qu'on appelle, aux pleines et aux nou-
velles lunes des équinoxes , la barre de flot.
Le lecteur me saura gré de laisser parler ici M. Ba-
LA MER ET LES MAREES. 201
■
binet, de l'Institut , qui a depuis plus de quarante ans
étudié ces grandioses phénomènes que nous présente la
nature.
ce Ce mouvement tout à fait extraordinaire des eaux
de la mer, immense dans son développement, capricieux
par l'influence des localités, des vents, et surtout par
l'état variable du fond du lit du fleuve, a fait l'objet des
longues recherches que je viens aujourd'hui développer
devant vous. Voyons d'abord ce que c'est que la barre
de flot. Tandis qu'en général , et même à l'extrême em-
bouchure de la Seine, au Havre, à Honfleur, à Berville,
la mer, à l'instant du flux, monte par degrés insensi-
bles et s'élève graduellement, on voit, au contraire,
dans la portion du lit du fleuve, au-dessous et au-dessus
de Quillebœuf , le premier flot se précipiter en immense
cataracte, formant une vague roulante, haute comme
les constructions du rivage, occupant le fleuve dans
toute sa largeur, de 10 à H kilomètres, renversant
tout sur son passage, et remplissant instantanément le
vaste bassin de la Seine.
<c Rien de plus majestueux que cette formidable vague,
si rapidement mobile. Dès qu'elle s'est brisée contre les
quais de Quillebœuf, qu'elle inonde de ses rejaillisse-
ments, elle s'engage, en remontant, dans le lit plus
étroit du fleuve , qui court alors vers sa source avec la
rapidité d'un cheval au galop. Les navires échoués,
incapables de résister à l'assaut d'une vague si furieuse ,
sont ce qu'on appelle en perdition. Les prairies des bords,
rongées et délayées par le courant, se mettent, suivant,
une autre expression locale, en fonte, et disparaissent.
202 LES METEORES,
Successivement le lit du fleuve se déplace de plusieurs
kilomètres de Tune à l'autre des falaises qui le dominent ;
enfin les bancs de sable et de vase du fond sont agités
et mobilisés comme les vagues de la surface. Rien de
plus étonnant que ces redoutables barres de flots obser-
vées sous les rayons du jour le plus pur, au milieu du
calme le plus complet, et dans l'absence de tout in-
dice de vent, de tempête, ou d'orale de foudre.
« Les bruits les plus assourdissants annoncent et ac-
compagnent ces grandes crises de la nature, préparées
par une cause éminemment silencieuse : V attraction uni-
verselle. Homère, le grand peintre de la nature, sem-
blerait avoir été témoin de pareils phénomènes lorsqu'il
en écrivait la fidèle description que voici :
ce Telle aux embouchures d'un fleuve, qui court guidé
<c par Jupiter, la vague immense mugit contre le cou-
ce rant, tandis que les rives escarpées retentissent au
« loin du fracas de la mer que le fleuve repousse loin de
ce son lit. »
XI.
Un grand avantage que nous procure le flux , c'est de
pousser l'eau de la mer dans les fleuves, et de rendre
leur lit assez profond pour qu'ils soient capables d'amener
jusqu'aux portes des grandes villes les marchandises dont
le transport serait sans cela beaucoup plus difficile, et
quelquefois même impossible.
Les vaisseaux attendent ces courants d'eau pour arriver
LA MER ET LES MAREES. 203
dans les rades sans toucher le fond ou pour s'engager
sans péril dans le lit des rivières.
Les marées empêchent aussi que la mer, qui est le
réceptacle où vont se rendre toutes les immondices du
globe, ne vienne à croupir par un trop grand repos, ce
qui arriverait infailliblement si le balancement perpétuel
que les marées excitent ne purifiait les eaux, en disper-
sant partout le sel que la mer produit abondamment, et
ne détruisait les matières dont la putréfaction pourrait
être funeste aux habitants de la terre.
Les agitations perpétuelles et alternatives de ce vaste
amas d'eau qui enveloppe la terre sont bien propres à
nous rappeler celles par lesquelles la vie est sans cesse
troublée. L'homme est ballotté. sur un fleuve incons-
tant et rapide, admirablement décrit dans ces vers de
Métastase dont nous donnons la traduction libre :
ce De la mer l'onde divisée baigne la ville et la cam-
pagne; elle va, passagère en fleuve, prisonnière en fon-
taine, toujours murmurant, toujours gémissant, jusqu'à
ce qu'enfin elle retourne à la mer, à la mer d'où elle
naquit, et qui alimente son cours, et où, après avoir
longtemps erré, elle espère trouver le repos. »
CHAPITRE XI.
MER POLAIRE.
Mer libre pleine de vie et de chaleur au centre des glaces polaire». — Impor-
tance de la météorologie des mers. — Courants marins. — Bouteilles flottan-
tes, — Harmonie dans la direction des vents et des eaux. — Poussière des
déserts de l'Afrique couvrant les voiles des navires à plus de deux cents
lieues. — Influence des courants sur les traversées et sur la température du
globe. — Grands fleuves océaniques d'eau chaude. — Courants de surface des
régions b) pcrboréennes. — Hivernage à l'île Beechcy. — Courants salés dans
les eaux douces de la mer de Baftin. — Courants sous-marins. — Blocs de
glace flottants. — Curieuse relation entre les courants de surface et les cou-
rants sous-marins. — Transformation des courants au centre des régions
arctiques. — Banc de brume signalé par le lieutement Haven. Exploration
du docteur Kane. — Il découvre la mer libre au centre des glaces polaires. —
Voyage de M. Nordenskiold. — Nouveau jour qu'il jette sur ces contrées. —
Bancs de glaces. — Faits intéressant nos climats.
I
Une des plus surprenantes découvertes qui se soient ja-
faites, est certainement celle d'une mer libre, pleine
de vie et de chaleur, au centre des glaces polaires.
On admire avec raison les prodigieux calculs qui ont
206 LES MÉTÉORES.
permis aux savants, du fond de leur cabinet, de lire
dans les cieux, de deviner des astres inconnus, et de
fixer eux-mêmes le puissant objectif qui devait surprendre
le globe immense dans la route invariable que lui ont
assignée les lois du Créateur. Cependant les importantes
données de la météorologie des mers, qui ont conduit à
la découverte qui nous occupe, ont quelque chose peut-
être de plus imposant encore.
C'est un fait connu de tout le monde que , dans les
régions équatoriales , les eaux de toutes les mers sont
poussées à l'ouest par un mouvement incessant, qui dans
l'Atlantique les porte vers l'Amérique tropicale. Ce vaste
courant de 30 degrés de largeur, dont 20 degrés au nord
et 10 degrés au sud, vient se briser contre les rivages du
nouveau monde. Ces eaux forment un circuit continu de
l'Afrique au Mexique, avec retour au point de départ.
Les bouteilles flottantes que les marins jettent à la mer,
avec l'indication du lieu et de la date du jour où elles
ont été confiées à l'Océan , ont appris que ce trajet de
■
20,000 à 30,000 kilomètres s'opérait en trois ans et demi
environ.
Les vents suivent à peu près la même marche que les
eaux ; c'est-à-dire qu'entre les tropiques soufflent les vents
d'est, appelés vents alizés , qui portent l'atmosphère
d'Afrique en Amérique, comme le courant tropical y porte
aussi les eaux. Nous étions à plus de 200 lieues de l'A-
frique lorsque ces vents couvraient les voiles de notre
navire, affrété pour la mer des Indes, d'une poussière
extrêmement fine et roussâtre qu'ils emportaient avec eux
des vastes déserts de l'intérieur.
MER POLAIRE. 207
Entre les Etats-Unis et l'Europe, de même que le cou-
rant porte la mer vers Test , de même aussi les contre-
courants des alizés soufflent vers l'Europe, d'où il résulte
une traversée beaucoup plus rapide des États-Unis en
France et en Angleterre que d'Europe aux États-Unis;
car dans ce dernier cas on a le vent et le courant con-
traires, lesquels favorisent les trajets du nouveau monde
vers l'ancien.
Les courants conservent l'excès de la chaleur qu'ils
doivent à leur origine tropicale , et c'est là un des grands
moyens que la nature met en œuvre pour tempérer notre
globe, en portant ainsi, par le moyen des eaux, vers des
régions plus septentrionales, la chaleur que le soleil verse
entre les tropiques. A mesure que les courants s'avan-
cent, ils perdent de leur chaleur en la distribuant à l'at-
mosphère et aux mers qu'ils traversent, jusqu'à ce que,
revenant sous les zones tropicales, ils se pénètrent de
nouveau d'une chaleur qu'ils reportent sous d'autres la-
titudes.
Chaque localité du milieu de la France, par exemple,
possède une température plus élevée qu'aucun autre point
du globe situé à la même distance de l'équateur, tandis
qu'en Amérique le Labrador et le Canada, qui font le
pendant de l'Angleterre et de la France, sont presque des
contrées polaires, où les fleuves gèlent des mois entiers.
Lorsque les navigateurs, le thermomètre à la main,
traversent les mers, ils reconnaissent à ces chaleurs les
grands courants océaniques d'eau chaude, qui n'ont d'au-
tres rivages que les eaux froides qu'ils sillonnent et qui,
revenant sur eux-mêmes, forment comme un fleuve sans
208 LES METEORES.
fin. Outre les grands courants, il y en a beaucoup de secon-
daires ; nous en avons observé un très grand nombre en
parcourant les mers jusqu'aux îles Tristan, qui se trouvent
à quelques centaines de lieues au delà du cap de Bonne-
Espérance; on reconnaît facilement ces courants à la
simple vue : ils forment une espèce de vaste ruban qui
miroite d'une manière particulière sur le reste de l'Océan,
et toujours ils impriment une certaine dérivation aux
navires qui les traversent.
IL
C'est à l'étude de ces courants que l'on doit l'étrange
découverte d'une mer libre dans les glaces polaires. Nous
ne pouvons mieux faire ici que de résumer M. Julien ,
qui a fait sur ce sujet un remarquable rapport à la Société
géographique de Paris.
Grâce aux nombreuses et importantes découvertes qui
ont été le résultat des expéditions successives envoyées,
pendant plusieurs années, à la recherche de sir John
Franklin, on possède aujourd'hui des notions assez pré-
cises sur les courants de surface de ces régions hyperbo-
réennes. Celui qui sort du détroit de Behring s'infléchit
au nord-est, longe les îles de Banks et de Melville, et
pénètre dans les détroits de Barrow et de Lancastre, pour
venir se mêler aux grandes eaux de la baie de Baffin, qui
descendent vers l'Atlantique à travers le détroit de Davis.
Pendant leur hivernage dans les mers polaires, les
navires V Intrépide et leliésolu dérivèrent constamment vers
MER POLAIRE. 209
l'est, avec le banc de glace sur lequel ils furent plus tard
abandonnés. C'est en dérivant également vers l'est et vers
le sud que le lieutenant Haven franchit un espace de
près de trois cents lieues, entraîné avec la banquise au
milieu de laquelle il était enfermé. Enfin, c'est toujours
en suivant la même direction, et toujours retenu avec son
navire parmi les glaces flottantes, que le capitaine Mac-
Clintock parcourut pendant un de ces derniers hivers
plus de onze cents milles , à partir du nord de la petite
île Beechey premier lieu d'hivernage où l'on a retrouvé
des tombes et des débris appartenant aux malheureux
compagnons de Franklin. .
Les courants qui descendent ainsi des régions voisines
des pôles n'entraînent avec eux que des eaux complète-
ment salées; les observations du lieutenant Haven ne
laissent aucun doute à cet égard. Malgré leur mélange
avec les eaux douces qu'ils rencontrent dans la mer de
Badin, ils conservent encore jusque dans le détroit de
Davis plus de la moitié des matières solubles dont sont
chargées les eaux ordinaires de l'Océan. Quelles sont donc
alors les inépuisables sources de sel auxquelles s'alimen-
tent ces puissants courants, dont l'origine nous est encore
inconnue, et que nous rencontrons au nord du soixante-
quinzième et même au-dessus du quatre-vingtième paral-
lèle? Si par une voie sous-marine de retour il ne s'éta-
blit pas un mélange direct avec l'Océan , il devient tout
à fait impossible d'expliquer non seulement cette conti-
nuelle formation de sel , mais encore la présence même
des eaux polaires, qui ne cessent de se déverser avec
une constante vitesse dans le bassin de l'Atlantique.
H
210 LES MÉTÉORES.
III.
Ces observations nous conduisent logiquement à ad-
mettre l'existence d'un contre-courant sous-marin remon-
tant au nord, justement au-dessus du flot polaire qui
s'échappe dans la direction opposée entre l'Amérique et
le Groenland. On pourrait objecter peut-être que les
masses énormes de sel qui nous arrivent continuellement
du pôle y ont été apportées par les courants de surface
qui doublent le cap Nord ou par ceux qui pénètrent à
travers le détroit de Behring ; mais la nature elle-même
se charge de répondre : elle nous donne à cet égard des
indications infaillibles, qui révèlent et qui accusent très
nettement au-dessus de la mer les mouvements et les
changements de direction qui s'accomplissent dans les
couches les plus profondes. Ce sont les blocs flottants, les
montagnes de glace que les navigateurs rencontrent quel-
quefois remontant du sud au nord le détroit de Davis ,
et refoulant avec force autour d'eux les courants de sur-
face qui semblent vainement s'opposer à leur marche.
Leur tête ne s'élève pas au delà de quelques centaines de
pieds; mais leur base, sept fois plus enfoncée dans les
eaux, subit entièrement l'impulsion des contre-courants
qui dominent entièrement dans les régions iuférieures.
Il existe donc, dans la partie septentrionale de l'océan
Atlantique, une voie sous-marine d'écoulement analogue
à la grande artère de communication que le parcours des
baleines nous a fait reconnaître tout le long des côtes de
MER POLAIRE. 211
l'Amérique méridionale. Ici, comme dans l'hémisphère
austral, les eaux qui l'alimentent sont chaudes et pe-
santes. Ce sont les eaux des zones tropicales, qui, sur-
chargées de tous les sels abandonnés par Pévaporation ,
tendent constamment, malgré leur température élevée, à
descendre des couches voisines de la surface, pour aller,
dans les régions les plus profondes, remplacer les couches
plus froides mais plus légères. Grâce au mauvais état de
conductibilité du milieu qui les environné, ces
ainsi alourdies peuvent se maintenir à un degré station-
nais, et conserver pendant longtemps les trésors de cha-
leur qu'elles ont mission de transporter et de répandre
dans les contrées les plus lointaines. Telles sont les condi-
tions dans lesquelles se trouvent les courants sous-marins
qui remontent au nord, en traversant le détroit de Davis
et la baie de Baffin pour se jeter au sein de la mer Glaciale.
Puisque le bassin polaire ne possède dans toute son
étendue qu'une seule issue pour laisser écouler les eaux
qui arrivent du sud, il doit nécessairement exister au
centre des régions arctiques, dans les environs mêmes
du pôle, un lieu de renversement et de transformation où
les contre-courants sous-marins cessent de s'élever au
nord, gagnent les couches supérieures, et retournent vers
l'Atlantique en formant les courants de surface.
On peut évaluer approximativement les proportions de
l'énorme volume d'eau qui se trouve ainsi déplacé dans
ce mouvement alternatif du pôle vers l'Océan. 11 suffit
d'observer les masses considérables de glace que la mer
de Baffin et le détroit de Davis charrient périodiquement
jusqu'au grand banc de Terre-Neuve. La seule banquise
212 LES METEORES.
qui fit parcourir au lieutenant Haven près de 300 lieues
vers le sud embrassait une superficie de 300 milles carrés
environ. En estimant à 2 m ,30 seulement son épaisseur
moyenne, c'était donc un poids de 20 billions de tonnes
que la mer Glaciale renvoyait d'un seul bloc et à un seul
moment de l'année vers l'océan Atlantique. Les plus
grands fleuves du monde ne nous apparaissent que comme
de bien faibles ruisseaux, comparés à cet immense cours
d'eau qui maintient de l'une à l'autre mer un constant
équilibre et une communication directe et réciproque.
II devient dès lors aisé de prévoir quelle peut être l'in-
fluence exercée sur l'ensemble des régions polaires par
les réservoirs de chaleur que les eaux équatoriales ne
cessent d'y entretenir, à travers les canaux d'une pareille
circulation sous-marine.
L'étude des lignes isothermes, on le sait, a placé lès
deux pôles du froid maximum sur le 80 e degré de lati-
tude, l'un au nord de la Sibérie, l'autre au nord de l'A-
mérique. Pour le premier la température moyenne se
maintient à lo, et pour le second à 20 degrés au-dessous
de zéro. On comprend alors combien doit être grand le
rayonnement calorique qui se manifeste au centre même
des régions arctiques, au point de renversement et de
transformation pour les eaux équatoriales qui remontent
à la surface. La différence de température de ces points
doit déterminer la formation de nuages et d'épaisses va-
peurs, qui ne peuvent manquer d'établir un singulier
contraste avec les horizons uniformes et désolés de glaces
éternelles.
Fig. 'ào. — Attaque de morses.
MER POLAIRE. 215
IV.
Telles sont les dernières conclusions auxquelles on est
parvenu , n'ayant que la science seule pour guide , et tel
est aussi le sens de toutes les instructions que reçurent
de nos jours les hardis navigateurs qui se disputèrent
le dangereux honneur des missions d'exploration et des
expéditions envoyées à la recherche de sir John Franklin.
L'idée de rencontrer une mer libre au centre même de
la zone polaire est sans doute une idée de nature à vive-
ment frapper l'imagination et à découvrir à l'esprit tout
un monde nouveau de conjectures et de rêves. Où vont
en effet ces nuées d'oiseaux que Ton voit chaque année
émigrer, vers le Nord, abandonnant les bords de la rivière
de Mackenzie, pour disparaître à l'horizon vers les ré-
gions septentrionales? L'instinct qui les dirige ne peut
être trompeur. Ne sont-ils pas certains de trouver un ciel
plus clément, et ne sont-ils pas sûrs de trouver un abri
derrière cette infranchissable barrière que nous offrent,
à nous , les abords de ces inhospitalières contrées ?
La baleine elle-même, la prudente baleine, traquée de
toutes parts, semble avoir rencontré au delà de cette
ceinture de glaces un cercle inaccessible à l'homme, où
elle peut déposer en paix le fruit de ses amours. C'est
dans une pareille mer libre, au centre de l'océan Àus-
tral , que le romancier américain Edgard Poe a placé sa
mystérieuse histoire de Gordon Pym, et la fantastique
apparition de son grand spectre blanc, se dessinant au
21G
LES METEORES.
milieu des effluves bleuâtres de l'électricité du pôle né-
gatif. Sous le voile de la fiction, il a su recueillir et ré-
sumer les idées qui couvent et qui se propagent, pour
ainsi dire, à l'état latent, jusqu'au moment où une ren-
contre subite, une découverte imprévue les fait jaillir à
l'état de lumière et de vérité.
Fig. 46. — Baleine franche.
Le lieutenant Haven, le premier, a signalé à l'extré-
mité du détroit de Wellington l'apparition permanente
d'un épais banc de brume, flottant entre les îles Cor-
nouailles et la terre inconnue qui s'étend vers le nord
Depuis quelques années les expéditions au pôle arctique
se sont succédé sans relâche. Des deux cotés de l'Ame-
rique, des navires, partis de l'occident et de l'orient,
MER POLAIRE. 217
s'avancent vers un but unique, et s'engagent hardiment
dans un labyrinthe de glaces, en laissant se renfermer der-
rière eux la formidable barrière qui ne leur a présenté
qu'une trompeuse issue. Les progrès sont bien lents, les
déceptions nombreuses, les souffrances infinies. En un
court espace de temps, les sinistres se renouvellent; près
de dix bâtiments ont été abandonnés ou perdus dans leur
prison de glaces. N'importe ! On avance sans cesse! Rien
n'arrête l'élan de ces intrépides explorateurs; rien ne
ralentit l'ardeur de ces martyrs de la science et de l'hu-
manité !
V.
En mai 1853, le docteur Kane part de nouveau de New-
York avec toute l'expérience qu'il a pu acquérir dans une
précédente expédition. C'est droit au nord qu'il marche;
c'est par l'extrémité même de la mer de Baffin qu'il faut
attaquer la banquise, et poursuivre la route que vient
déjà de parcourir avec quelque succès son prédécesseur
Inglefield. Dans cette direction, en effet, il réussit à pé-
nétrer dans le détroit de Smith, et, glissant avec son na-
vire entre les récifs et les glaces amoncelées, il parvient à
s'élever, au milieu des écueils, jusqu'à la hauteur du
soixante-dix-neuvième degré de latitude nord. Pendant
deux ans, il affronte en ce point les rigueurs de ces formi-
dables hivers où la nuit dure cent vingt jours, et où la
température s'abaisse jusqu'à la congélation du mercure
et de l'alcool.
218
LES METEORES.
Pendant les quelques mois, trop rapides, d'un été gla-
cial, il poursuit dans toutes les directions ses explora -
Fijj. il. — Homme du Nord, d'après une estampe du seizième siècle
tions et ses recherches; comme il l'avait prévu, il cons-
tate que la mer de Bafïin court directement au nord , entre
,MER POLAIRE. 219
le Groenland et les nouvelles terres qui ont reçu le nom
de Louis-Napoléon, Après des privations sans nombre et
des souffrances dont le récit seul épouvante, il arrive,
en se traînant, au pied d'une infranchissable barrière
hérissée d'aiguilles menaçantes et de glaçons amoncelés.
C'est un rempart contre lequel semblent devoir se briser
tous les efforts des hommes , c'est le cercle de Y Enfer de
Dante.
Mais sur la droite s'entr'ouvre une brèche étroite, pro-
fonde, tortueuse. Il y pénètre, il la franchit!
Etrange et merveilleux est alors le tableau qui s'offre
à ses yeux ! En un instant il touche à la réalisation de ses
rêves.
La mer, la mer libre et sans bornes s'étend enfin tout
à coup devant lui ! Pas une terre en face ! pas un glaçon
à l'horizon! Les bords resserrés du long détroit de Smith,
qu'il a suivis pendant 80 milles, s'élargissent subitement
et limitent, en fuyant à Test et à l'ouest, l'immense nappe
à reflets verdâtres dont les flots soulevés par la brise
viennent rouler jusqu'à ses pieds. Des phoques, des loups
marins, des nuées d'oiseaux de mer couvrent le rivage.
Partout la vie, partout l'influence d'une bienfaisante cha-
leur rayonnant du sein de cet océan inconnu. C'est bien
le vaste réservoir alimenté par les eaux tièdes que l'At-
lantique abandonne au courant sous-marin du détroit
de Davis. Le flux et le reflux périodiques que l'on y ob-
serve indiquent suffisamment d'ailleurs la profondeur de
son lit et l'immense étendue de ses bords.
Appréciant, au point de vue scientifique, l'importance
que peut avoir la découverte de la partie la plus mysté-
220 LES METEORES*
rieuse de notre globe , la Société géographique de Paris
décerna le premier de ses prix à l'intrépide explorateur
de l'océan Arctique. Malheureusement, ce sympathique
hommage n'a pu être qu'un laurier funèbre, qu'une
couronne sur un cercueil. Le docteur Kane avait succombé
à la Havane, le 16 février 1817, à une maladie contrac-
tée au milieu des glaces ; on n'affronte pas impunément
d'aussi longues souffrances et d'aussi fortes émotions.
Nous Rajouterons rien à cet extrait du beau travail
de M. Julien; nous ferons seulement remarquer que l'on
ne sait ce qu'il faut le plus admirer ici, entre la science,
qui a prévu l'existence de cette mer libre au milieu des
glaces polaires, et l'habile et courageux explorateur qui
l'a découverte.
De nouvelles expéditions se préparent pour aller ex-
plorer ces régions encore pleines de mystères pour nous :
nous ne saurions trop encourager les entreprises diri-
gées en ce sens, car, en dehors de l'intérêt scientifique
qu'elles présentent, nous trouvons que c'est une des
gloires de l'humanité de posséder des natures généreu-
ses qui préfèrent au doux repos les orageuses perspec-
tives, dans l'intention de doter le monde de découvertes
utiles; c'est d'ailleurs l'indice d'une àme élevée que cet
attrait pour les sensations ineffables que procurent le
péril et l'inconnu lorsqu'un but louable s'y rattache.
C'est l'ivresse du savant, du héros, du martyr! sainte
ivresse, qui élève le niveau moral des âmes.
MER POLAIRE. 221
VI.
Les voyages de M. Nordenskiôld, jettent un nouveau
jour sur ces contrées.
En communiquant à l'Académie des sciences la rela-
tion sommaire de l'expédition scientifique à la Nouvelle-
Zemble, de juin à août 1875, par le hardi voyageur,
M. Daubrée de l'Institut donne l'extrait suivant d'une
lettre qui nous paraît d'une haute importance pour la
navigation. Il fait remarquer que cette expédition n'a
pas seulement une valeur scientifique, mais qu'en exé-
cutant aussi rapidement le trajet de la Norvège à la Sibé-
rie, le courageux investigateur a, suivant l'expression
de sa lettre : <c atteint le but que les grandes nations
maritimes hollandaise, anglaise et russe, ont vainement
cherché pendant des siècles, et cela, parce que Ton choi-
sissait une saison inopportune pour la navigation dans ces
mers. Quant à moi, dit en terminant M. Nordenskiôld,
c'est ma conviction bien arrêtée , qu'une nouvelle route
de commerce a été ouverte, fait dont l'importance frap-
pera les yeux de quiconque marquera d'une couleur
spéciale, sur une carte de l'Asie, ces vastes pays où
les fleuves Obi, Irtisch et Ieniseï, forment avec leurs af-
fluents, autant de grandes voies de communication. »
Des dépêches russes, ajoute M. Daubrée, ont en effet
appris l'enthousiasme qu'avait excité à Jenisseick l'arri-
vée du hardi voyageur suédois 1 .
i
Comptes rendus de V Académie des sciences, novembre 1875.
222 LES METEORES.
Dans une nouvelle communication, M. Daubrée nous
apprend que M. Nordenskiôld et ses compagnons firent
une halte à une station de pêche dans le petit détroit formé
par les îles Binchowski, archipel situé dans les bouches du
Teniseï entre 69 degrés 4 et 70 à. La saison de la pêche
était passée, et l'endroit était par conséquent désert mais
ravissant. Le 28 août, ils passèrent avec leurs canots entre
plusieurs îles couvertes d'une végétation luxuriante et ter-
minées du côté du fleuve en terrasses taillées à pic, d'où
s'étaient détachés d'énormes blocs de tourbe. Le passade
suivant est important à noter :
« Nous étions encore beaucoup au nord du cercle po-
laire : comme bien des personnes s'imaginent que cette
contrée est un grand désert couvert de glace et de neige ,
ou avec une végétation très minime de mousse, il faut
remarquer que tel n'est point le cas. Au contraire, comme
je viens de le dire, nous ne vîmes, en remontant le Ieniseï,
de neige qu'à un seul endroit, dans une anfractuosité
très profonde ; surtout sur les îlots que les eaux du fleuve
inondent au printemps, la végétation était telle, que j'ai
rarement vu quelque chose de pareil. »
Voici principalement qui intéresse l'avenir et qu'on ne
lira pas sans quelque surprise :
« La fertilité de la terre, l'immense étendue des prai-
ries et la richesse en herbes excita déjà ici l'envie d'un
de nos baleiniers, propriétaire de quelques lambeaux de
terre dans les montagnes les plus septentrionales de la
Norwège. Il trouvait que le bon Dieu avait donné un
bien beau pays « au Russe » , et il fut tout étonné de ne pas
voir des bestiaux paître ou des faulx couper l'herbe. Nous
MER POLAIRE. 223
étions tous les jours témoins d'un étonnement qui aug-
mentait à mesure que nous avancions vers les énormes
forêts vierges de la région de Tourouschank, ou vers les
plaines presque inhabitées et couvertes d'une terre noire
(tchernosem) profonde, de l'autre côté de Krasnojarsk.
Leur fertilité pouvant être comparée à celle des meilleures
parties de la Scanie, et leur étendue dépassait celle de
toute la péninsule Scandinave, Cette appréciation, faite
par un véritable cultivateur, même sans éducation, ne
doit pas être sans intérêt, quand il s'agit de juger l'im-
portance future de la Sibérie.
« Ainsi, quoiqu'une partie de ces contrées se trouve
au nord du cercle polaire, on y voit, je crois, les plus
vastes et les plus magnifiques forêts de l'ancien conti-
nent. Au sud de la région forestière proprement dite se
trouvent des plaines sans pierres et couvertes de la terre
la plus fertile; elles s'étendent à plusieurs centaines de
milles et elles n'attendent que la charrue pour livrer les
moissons les plus abondantes, »
Pendant ce curieux et important voyage d'investiga-
tion, la partie purement scientifique n'a pas été négligée :
MM. Lundstrôm et Struxberg, courageux compagnons de
M. Nordenskiuld, ont fait une riche collection sur la nature
de la Sibérie 1 .
VIL
Les courants d'air frais du printemps , si fort appré-
hendés de nos cultivateurs, peuvent être produits par des
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences ', décembre 1875.
224
LES METEORES.
montagnes de glace qui se détachent des régions polaires
et viennent se fondre lentement dans nos climats plus
doux en suivant les courants maritimes; ils ne sont
pas toujours sans dangers pour les navigateurs. Nous
croyons devoir citer la curieuse relation suivante :
-« Deux bancs de glace, dit la Gazette de Montréal (\ 87 4),
I if- v " ■ ■ - % |S» ? - m\^
Fig. -48. — Montagnes de glace des pôles
sont venus à la côte cet été et ont pris position à l'entrée
du port. L'un était magnifique d'aspect ; son sommet cré-
nelé s'élevait à près de 35 mètres au-dessus de l'eau,
avec une couronne de tourelles et de flèches tout à fait
fantastiques. Il avait près de trois fois la dimension de
l'abbaye de Westminster. L'autre était oblonget de son
sommet s'inclinait par une pente graduelle jusqu'à la mer.
C ^/r*> ,r>
MER POLAIRE. 225
ce Ces deux banquises provenaient des glaciers du Groen-
land, qui poussent constamment leurs fronts de glace vers
l'Océan jusqu'à ce que, avancés en mer à une cer-
taine profondeur, des fragments se détachent et soient
emportés par le courant arctique. Ces blocs ont été pro-
bablement formés il y a des siècles, à des centaines de
milles des côtes, dans les vallées solitaires et désolées des
montagnes du Groenland, par la neige compacte qui
se dissout d'abord partiellement et se congèle ensuite par
la pression des masses accumulées, sous la forme de ri-
vières de glaces qui descendent jusqu'à la côte, d'où elles
sont expulsées à l'état de banquises.
« Ces deux blocs de glaces, venus à la côte, y sont restés
pendant plus de quinze jours. Le plus grand a commencé
à éprouver les effets d'une atmosphère plus douce, des
ruisseaux coulent le long de ses flancs; un lac s'est
formé sur son large sommet; plusieurs de ses tourelles
se sont écroulées tout d'un coup dans l'Océan; le long
de la surface on pouvait distinguer des fissures; et
enfin , avec un bruit semblable à celui du tonnerre , il
s'est brisé en mille fragments et a couvert l'Océan de ses
épaves comme dans un naufrage.
« L'autre bloc était d'une plus grande solidité; il a
mieux résisté à la chaleur, mais, dans une grande marée,
le vent soufflant de terre, il a repris sa route vers la pleine
mer pour continuer son voyage jusqu'à ce qu'il disparaisse
dans le cours dissolvant du Gulf-Stream. Il n'est pas rare
de voir des quartiers de rocs enchâssés dans les banquises
détachées des montagnes arctiques. »
Un éminent écrivain et sagace observateur, duquel on
15
226 LES METEORES.
peut dire ce que Macrobe disait de Virgile : ce Virgile qui
ne commet jamais d'erreur en matière de science, » s'ex-
prime ainsi : ce Un filet d'eau, découlant d'une nappe de
neige, se fraye un passage dans leurs blocs de granit :
une vague opiniâtre sape leurs fondements ; un rayon de
soleil les pénètre; un coup de vent les ébranle. Le ton-
nerre n'éclate pas dans cette froide atmosphère du Spitz-
berg; mais, lorsque ces énormes murs de glace se déta-
chent de leur enceinte; ils s'écroulent dans les flots avec
le fracas du tonnerre, et du broiement de leurs débris
s'élève un tourbillon de poussière pareil à la fumée d'un
incendie allumé par la foudre ' . »
4 X. Marmier, de l'Académie française, les Fiancés du Spitiberg, ch. XIII.
CHAPITEE XII.
LES TROMBES
Typhon des Grecs. — Passage de Pline. — Ty-fong des Chinois. — Trombe
sous un ciel sombre ou sous un ciel serein. — Décharnés de canon pour rom-
pre les trombes. — Plusieurs faits curieux. — Analogie des effets produits
par les trombes et par la foudre. — Tornados. — Les trombes à l'Académie
des sciences pendant les années 1875 et 1876.
I.
Une trombe est un tourbillon rapide, parcourant sou-
vent une grande étendue de pays, en tournoyant avec
un bruit que Ton peut quelquefois comparer à celui d'une
voiture pesante roulant sur un chemin pavé.
On nomme trombes d'air celles qui ont lieu sur la terre,
trombes marines celles qui apparaissent sur les mers, et
trombes d'eau celles qui se dressent au-dessus des lacs
et des rivières. On donne aussi quelquefois aux trombes
les noms de typhons et de syphons.
Aucune partie du globe n^est à l'abri de ce redoutable
phénomène. Tantôt il absorbe les eaux de l'Océan,
entraîne et fracasse les vaisseaux qu'il rencontre sur son
passage; tantôt il dessèche les lacs et les étangs, soulève
228 LES MÉTÉORES.
des masses d'eau énormes, creuse dans le sol des excava-
tions profondes, renverse les maisons, déracine les plus
gros arbres, les transporte à des distances considérables,
et couvre de leurs débris et d'un déluge d'eau le terrain
sur lequel il vient à éclater.
Les globes de feu et les éclairs qui s'échappent sou-
vent du sein de ces tourbillons attestent certainement que
l'électricité y joue un grand rôle.
Les Grecs, qui avaient l'art de tout poétiser, firent du
typhon un géant affreux, formé de vapeurs condensées,
que Junon fit sortir de la terre en la frappant de sa main,
dans un moment de fureur jalouse. Les bras de ce monstre
s'étendaient du levant au couchant, sa tête touchait aux
nues, ses yeux étaient enflammés et sa bouche vomis-
sait des torrents de feu ; il était porté par des ailes noires,
couvertes de serpents qui faisaient entendre [des siffle-
ments aigus; il avait pour pieds deux dragons énormes.
Ce monstre, qui effrayait les dieux eux-mêmes, est le
type de ces météores désastreux qui s'étendent de l'orient
à l'occident, dont la tête se perd dans les nues et les
pieds dans la mer, et qui vomissent la foudre, la grêle et
des torrents de pluie*
II.
Pline décrit ainsi les trombes (chap. XLIX et L du
second livre de son Histoire naturelle) :
« Passons aux souffles qui s'élèvent subitement, et qui
sortis, comme nous l'avons dit, des flancs de la terre,
LES TROMBES.
229
y sont repousses de la région des nuages, en s'en enve-
loppant et en prenant plusieurs formes, chemin faisant.
Vagabonds et rapides comme des torrents, ils produi-
Fiff. 50. — Trombe sur lerre
sent, au rapport de plusieurs auteurs que nous avons
déjà cités, des tonnerres et des éclairs. Si leur trop grand
poids, accélérant leur chute, vient à crever une nue
230 liES METEORES.
•chargée de vapeurs sèches, il en résulte une tempête que
les Grecs momment ecnéphias; si, roulés dans un cercle
moins vaste ils rompent la bue sans faire jaillir d'é-
clairs ou de foudres, ils forment un tourbillon appelé
typhon , c'est-à-dire une nue qui crève en jetant de l'eau
autour d'elle. Ce typhon entraîne avec lui des glaçons qu'il
en détache , les roule , les tourne à son gré ; son poids s'en
augmente , sa chute s'en accélère , et sa rotation rapide
le porte de lieu en lieu. Nul fléau n'est plus fatal aux
navigateurs ; non seulement il fracasse les antennes , mais
les vaisseaux mêmes, en les tordant. Le vinaigre, na-
turellement très froid, répandu à sa rencontre, offre un
petit remède à un si grand mal. Le typhon, en tom-
bant, se relève par l'effet du choc même, et, pompant
ce qu'il trouve à l'instant de la répercussion, il l'enlève
et le reporte dans la région supérieure. »
On voit que l'imagination et la fantaisie tiennent beau-
coup de place dans cette description des trombes par
Pline.
ce Camôens, dans les Lusiades, nous en donne une
splendide description :
ce J'ai vu... non, mes yeux ne m'ont point trompé;
j'ai vu se former sur nos têtes un nuage épais qui , par
un large tube, aspirait les eaux profondes de l'Océan.
« Le tube à sa naissance n'était qu'une légère va-
peur rassemblée par les vents; elle voltigeait à la sur-
face de Peau. Bientôt elle s'agite en tourbillon, et, sans
quitter les flots, s'élève en long tuyau jusqu'aux cieux,
semblable au métal obéissant qui s'arrondit et s'allonge
sous la main de l'ouvrier.
LES TROMBES, 231
ce Substance aérienne, elle échappe quelque temps à
la vue ; mais à mesure qu'elle absorbe les vagues elle se
gonfle, et sa grosseur surpasse la grosseur des mâts.
Elle suit en se balançant les ondulations des flots: un
«» 7
nuage la couronne , et dans ses vastes flancs engloutit les
eaux qu'elle aspire.
<sc Telle on voit l'avide sangsue s'attacher aux lèvres
de Tanimal imprudent qui se désaltère au bord d'une
claire fontaine. Brûlée d'une soif ardente, enivrée du
sang de sa victime , elle grossit , s'étend et grossit encore.
Telle se gonfle l'humide colonne , tel s'élargit et s'étend
son énorme chapiteau.
« Tout à coup la trombe dévorante se sépare des
flots , et retombe en torrents de pluie sur la plaine liquide.
Elle rend aux ondes les ondes qu'elle a prises , mais elle
les rend pures et dépouillées de*la saveur du sel »
Cette brillante description indique que ce phénomène
avait été bien étudié par le poète portugais.
III.
Pendant une après-midi, près de l'équateur, M. Rous-
sel, capitaine du liegina-Cœli , navire sur lequel est ar-
rivée cette fameuse révolte de noirs dont tous les jour-
naux ont parlé, attira mon attention sur des vapeurs qui
s'élevaient de la mer, sous la forme d'entonnoir, pour en
rejoindre d'autres qui, sous la même forme, semblaient
descendre des nues, en sorte que le tout avait l'aspect
d'une colonne se renflant progressivement aux deux ex-
trémités; vers le tiers de la hauteur, plus près de la mer
232 LES MÉTÉOKES.
que des nuages, il semblait y avoir solution de conti-
nuité. — J'aurais bien désiré d'être à même d'observer
ce phénomène dans tous ses détails, mais il était trop
éloigné de nous pour cela, et je n'ai pas eu d'occasion
plus favorable.
Après avoir décrit quelques trombes, observées pen-
dant son deuxième voyage dans l'atmosphère austral,
Cook s'exprime ainsi : ... « Quelques-unes de ces trombes
semblaient par intervalles être stationnaires ; d'autres fois
elles paraissaient avoir un mouvement de progression vif
mais inégal, et toujours en ligne courbe, tantôt d'un
côté, tantôt d'un autre; de sorte que nous remarquâmes
une ou deux fois qu'elles se croisaient. D'après le mou-
vement d'ascension de l'oiseau (un oiseau qui avait
été emprisonné par la trombe), et plusieurs autres cir-
constances, il est clair que des tourbillons produisaient
ces trombes, que l'eau y était portée avec violence
vers le haut, et qu'elle ne descendait pas des nuages,
ainsi qu'on l'a prétendu dans la suite. Elle se manifeste
d'abord par la violente agitation et l'élévation de l'eau :
un instant après vous voyez une colonne ronde qui se
détache des nuages placés au-dessus, et qui, en ap-
parence , descend jusqu'à ce qu'elle se rejoigne à l'eau
agitée. Je dis en apparence, parce que je crois que cette
descente, n'est pas réelle, mais que l'eau agitée qui est
au-dessus a déjà formé le tube , et qu'il est, en s'élevant,
trop petit et trop mince pour être d'abord aperçu. Quand
ce tube est formé ou qu'il devient visible , son diamètre
apparent augmente; et il prend assez de grandeur; il
diminue ensuite , et enfin il se brise ou devient invisible
LES TROMBES.
l\",;>,
vers la partie inférieure. Bientôt après, la mer reprend
son état naturel, et les nuages attirent peu à peu le
tube; jusqu'à ce qu'il soit entièrement dissipé. Le même
Fig. 51. — Trombe sur la nier.
tube a quelquefois une direction verticale et d'autres fois
une direction courbe ou inclinée. Quand la dernière
trombe s'évanouit il y eut un éclair sans explosion. »
234 LES MÉTÉORES.
Dans PÉcho du monde savant, tome I er , page 176,
M. Page s'exprime ainsi :
<c Un jour nous naviguions sur les côtes d'Espagne,
non loin du cap de Sate , prêts à le doubler pour nous
lancer dans le détroit de Gibraltar; le baromètre était
fort haut : il marquait 29 pouces; la brise était incer-
taine, l'ait sec et chaud, et de temps en temps des ra-
fales descendaient des montagnes; le ciel était de ce bril-
lant azur qu'on ne rencontre que sous le climat de l'An-
dalousie. Tout à coup une violente agitation se manifesta
dans l'atmosphère ; le vent roula sur nos têtes avec un
bruit semblable à celui d'une forêt agitée par la tempête
et nous nous trouvâmes presque instantanément enve-
loppés de trombes. A droite, à gauche, devant, der-
rière , nous en comptâmes sept de diverses grandeurs ,
toutes s'élevant de la surface de la mer et montant en
cône renversé , dont le sommet était d'abord tangent à
l'eau, et la base vaguement terminée dans l'air. »
Le même auteur cite le brick de guerre français le
Zèbre, qui fut surpris par une trombe de cette espèce,
en allant de Toulon à Navarin. Son action fut si rapide
que l'officier n'eut pas le temps de faire retirer les voiles;
elle était forte, elle emporta deux mats de hune, jeta
quelques gouttes d'eau sur le pont, et un instant après
laissa tomber le brick dans un calme plat. .
« Il est très dangereux pour un vaisseau , dit Dampier,
de se trouver au-dessous d'une trombe au moment où
elle se rompt ; c'est pourquoi nous nous efforcions toujours „
de nous tenir à distance, lorsque cela était possible. Mais
à cause du grand calme qui nous empêchait de fuir,
LES TROMBES. 235
nous avons été plusieurs fois dans un grand danger ; car
le temps est ordinairement très calme tout autour, à l'ex-
ception de la place sur laquelle elle agit. C'est pourquoi
les marins, lorsqu'ils voient une trombe s'avancer sans
avoir aucun moyen de l'éviter, font feu dessus de leurs
plus grosses pièces pour la rompre par le milieu. »
IV.
Le 6 septembre 1814, le capitaine Napier, comman-
dant le vaisseau Erne, aperçut une trombe à la distance
de trois encablures ; le vent soufflait successivement dans
des directions variables ; la trombe au moment de sa pre-
mière apparition semblait avoir le diamètre d'une bar-
rique; sa forme était cylindrique, et l'eau de la mer s'y
élevait avec rapidité ; le vent l'entraînait vers le sud. Par-
venue à la distance d'un mille du bâtiment, elle s'arrêta
pendant plusieurs minutes ; lorsqu'elle commença de nou-
veau à marcher, sa course était dirigée du sud au nord ,
c'est-à-dire en sens contraire du vent qui soufflait. Comme
ce mouvement l'amenait directement sur le bâtiment, le
capitaine Napier eut recours à l'expédient recommandé
par tous les marins , c'est-à-dire qu'il fit tirer plusieurs
coups de canon sur le météore. Un boulet l'ayant tra-
versé à peu de distance de la base, au tiers de la hau-
teur totale, la trombe parut coupée horizontalement en
deux parties , et chacun des segments flotta ça et là in-
certain , comme agité successivement par des vents op-
posés. Au bout d'une minute , les deux parties se réu-
236 LES MÉTÉORES.
nirent pour quelques instants ; le phénomène se dissipa
ensuite tout à fait , et l'immense nuage noir qui lui suc-
céda laissa tomber un torrent de pluie.
M. Baussard, lieutenant de frégate, étant au nord de
File de Cuba , dit qu'une trombe et le nuage qu'elle servait
à former paraissant chassés par un petit vent frais du
nord-est , quelques vaisseaux de l'armée qui s'en appro-
chèrent tirèrent sur cette trombe plusieurs coups de
canon à boulet qui firent un très bon effet, puisqu'ils in-
terrompirent le cours de l'eau de la mer, qui s'élevait par
un tournoiement rapide. Alors la trombe devint plus
faible par le bas , et bientôt après , elle se sépara de sa
base, et le bouillonnement disparut, y agitation intestine
paraissait se faire de bas en haut, avec régularité, et
acheva, en se dissipant entièrement, de former le nuage
qui couvrit tout l'horizon. Ensuite le tonnerre, qui avait
commencé à gronder, devint plus fort; la foudre éclata
sur un vaisseau espagnol de l'escadre du général Cor-
dova; immédiatement après, l'air se refroidit sensible-
ment par l'abondance de la pluie qui tomba pendant plus
d'une heure.
V.
En général , l'eau des trombes marines est douce comme
de l'eau de pluie. Camôens fait remarquer avec étonne-
ment cette particularité.
Entre autres faits à l'appui , on peut citer celui du ca-
pitaine Melling, de Boston, qui, dans un voyage aux
LES TROMBES. 237
Indes occidentales, au mois d'août, sur le soir d'un jour
très chaud, vit une trombe aborder le vaisseau qu'il
montait, et qui, en deux ou trois secondes, traversa
dans sa largeur l'arrière du bâtiment pendant qu'il y
était. Un déluge d'eau lui tomba sur le corps et le ren-
versa; il fut obligé de s'accrocher aux premiers objets
qu'il put embrasser pour n'être pas entraîné par-dessus
le bord, ce dont il avait une grande frayeur. Mais la
trombe, qui faisait un bruit semblable à un rugissement,
ayant dépassé l'autre bord, fut mise en communication
avec la mer. L'eau de la trombe lui était entrée par le
nez et la bouche; il en but malgré lui, et la trouva
très douce et nullement salée.
Quelquefois des trombes ont transporté des personnes
d'un lieu à un autre, sans leur faire de mal. « Une nuée
extrêmement épaisse, et fort basse, dit l'abbé Richard,
poussée par un vent du nord , couvrit la surface du sol
sur lequel est placé le bourg de Mirabeau* Différents tour-
billons se formèrent en môme temps dans cette masse
noire chargée de vapeurs épaisses ; il en sortit de la grêle,
le tonnerre se fit entendre, les arbres et les haies furent
arrachés, l'eau de la petite rivière de Mirabeau fut trans-
portée à plus de soixante pas de son lit, qui resta à sec
pendant ce temps ; deux hommes qui se trouvèrent en-
veloppés dans un des tourbillons furent portés assez loin
sans qu'il leur arrivât rien de fâcheux... Un jeune pâtre
fut enlevé plus haut et rejeté au bord de la rivière
sans que sa chute fût violente ; le tourbillon qui l'avait
emporté le posa à l'endroit où il cessa d'agir... Toute
la fureur du météore se dissipa dans l'espace d'une
238 LES METEOKES.
lieue de longueur, sur une demi-lieue de largeur 1 . »
« Dans les endroits où passa cette trombe, dit le père
Boscovich, en parlant de la trombe d'Àrezzo, sa queue
traça dans les champs de blé un chemin si parfaitement
droit qu'il semblait fait par des moissonneurs. Non seu-
lement elle a ravagé le blé, mais encore elle a amassé
dans cet endroit une quantité de sable et de terre presque
jusqu'à la hauteur d'un homme.
<c Dans un endroit appelé Faltona, elle déracina en
ligne droite quatre cents châtaigniers, et les transporta
très loin. Deux jeunes bergers qui s'étaient réfugiés sous
l'un de ces arbres furent emportés avec lui à la hauteur
d'un coup de pistolet, et renversés à terre, sans lésion
grave; ailleurs, quatre oies furent enlevées, et une d'elles
alla tomber sur la tête d'un cavalier. »
VI.
Quelquefois on a vu des contrées se couvrir presque
instantanément d'un grand nombre de petits animaux. Les
trombes ne sont pas étrangères à ce phénomène. Voici
un fait singulier :
« Le 13 septembre 1835, une trombe a ravagé les
communes de Caux, canton de Couché, et de Champa-
gné-Saint-Hilaire. Sa marche a été du sud-ouest au nord-
est, et elle y a causé des dégâts ; plusieurs arbres ont été
arrachés et brisés, des maisons ont été renversées. Dans
la dernière commune, elle a enlevé toute l'eau d'une mare
1 L'abbé Richaud, Hist. nat. de l'air et des météores, t. VI, § 625.
LES TROMBES. 239
et tous les poissons qu'elle contenait; elle a été les rejeter
à une lieue et demie de là, au grand étonnement des per-
sonnes témoins de cette pluie ichthyologique \ »
Un des effets les plus remarquables des trombes est le
clivage des bois en lattes minces et allongées, ou en fila-
ments représentant une sorte de balai. Cet effet est sans
doute produit par le passage de l'électricité, qui élève la
température de la sève. Ceci est facile à comprendre : si
le courant est quelque peu persistant, il élèvera la
température de la sève , dont la tension brisera en lattes
ou en fragments plus fins encore tout le ligneux du tronc,
à l'endroit où il était le plus serré. Souvent, la décharge
étant insuffisante, on ne trouve qu'une ou deux lanières
arrachées, un arbre fendu en deux ou en quatre, ou
enfin en un grand nombre de parties.
Les vieux bois, comme les bois de charpente bien
abrités et bien secs, qui ne sont plus conducteurs de Té-
lectricité, ne sont jamais clivés en lattes. Lorsque, par une
circonstance particulière et dépendante du lieu où ils sont
placés, la foudre les frappe en masse suffisante, ils sont
marqués par des signes de carbonisation et non de cli-
vage: le bois moins sec que ces vieux bois peut donner un
■
peu d'écoulement à l'électricité et offrir un effet moyen .
On appelle tornados , des tempêtes très violentes , mais
très courtes, elles existent à peine vingt minutes ; elles
paraissent être un intermédiaire entre la trombe et le
cyclone. En peu d'instants le vent souffle successivement
de tous les points de l'horizon, et il semble que ce soit la
1 Mauduyt, Écho du monde savant, 1835, numéros 90 et 83.
240 LES METEORES.
conséquence d'une accumulation de nuages dont on ne
sent les dangereux effets qu'au moment où ils passent au
zénith du lieu d'observation. Le plus souvent succèdent
la pluie et l'orage. On peut consulter sur ce sujet un
excellent travail de M. le docteur Borius 1 .
Homère paraît avoir parfaitement étudié ces phéno-
mènes : ce Lui-même (Hector), hors des rangs s'élance
plein de courage et tombe dans la mêlée. Telle la tempête,
bondissant du haut des nuages, soulève les sombres flots
de la haute mer 2 . »
VIL
La théorie des trombes a été vivement discutée à l'A-
cadémie des sciences pendant l'année 1875 par M. Faye
et d'autres savants éminents. À l'occasion de la trombe
de Hallsbery, M. Fave donne le résumé des conclusions
éparses dans ses nombreux Mémoires, à peu près en ces
termes : 1° Les mouvements giratoires à axe vertical se
produisent dans l'atmosphère aux dépens des inéga-
lités de vitesse des grands courants horizontaux; c'est
un phénomène général, semblable mécaniquement aux
tourbillons de nos cours d'eau. 2° Les mouvements tour-
billonnâmes à axe non vertical , ne sont pas persistants
et de forme géométrique comme les premiers, ils tendent
9
à se détruire à mesure qu'ils se forment. 3° Les mouve-
ments giratoires à axe vertical , connus sous les noms de
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 2 tf semeslre.
2 Iliade, chap. XI.
LES TROMBES. 241
trombes , de tornados et de cyclones, sont de même nature
et ne diffèrent que par leur dimension, leur durée et
l'étendue de leur parcours. 4° C'est par eux seuls que les
couches supérieures sont mises momentanément en rap-
port électrique avec les inférieures; ils constituent en
outre un organe essentiel de la circulation aérienne de
l'eau dans sa partie descendante; au sein des mouvements
tournants et dans la vaste ouverture de leur entonnoir,
les cirrhus entraînés descendent et donnent naissance,
dans les couches moins élevées, aux grands phénomènes
de la pluie, des orages et de la grêle. 5° Ces mouvements
tournants à axe vertical ne sont pas particuliers à notre
globe; ils jouent un grand rôle sur d'autres astres;
on les retrouve sur le soleil, et ils y opèrent sur la plus
grande échelle. Le rôle considérable qu'ils y jouent est
dû à la rotation toute spéciale de cet astre; il explique
les principaux phénomènes de sa surface; mais leur
nature mécanique étant absolument la même que sur
notre globe , l'étude des mouvements giratoires du soleil
peut servir, tout aussi bien , et parfois même beaucoup
mieux que l'étude des mouvements giratoires de notre at-
mosphère , à l'avancement de la mécanique des fluides et
de la météorologie 1 .
Dans la même séance académique, M. Planté a commu-
niqué d'importantes expériences, desquelles il croit pou-
voir conclure « que les trombes sont de puissants effets
électrodynamiques, produits par les forces combinées de
l'électricité atmosphérique et du magnétisme terrestre. »
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 1 er semestre.
16
242 LES MÉTÉOKES.
La théorie de M. Faye a été vivement combattue par
des savants éminents, entre autres par MM. Peslin, Reye,
etc., qui sont loin d'être d'accord avec l'éminent as-
tronome, mais nous ne pouvons ici entrer dans les débats
auxquels cette question a donné lieu ; d'ailleurs la dis-
cussion continue.
CHAPITEE XIII.
LES OURAGANS.
Les ouragans dans la mer des Indes. — Le Génie des tempêtes. — Découverte
des lois des ouragans. — Description scientifique des ouragans. — Lieux où
ils prennent naissance. — Leur commencement et leur fin. — Leur étendue
et leur violence. — Modifications qu'ils peuvent subir par les obstacles qu'ils
rencontrent. — Hauteur qu'ils peuvent atteindre. — Saison des ouragans.
— Ce que doit faire un navire pour éviter toute avarie. — Signes précur-
seurs des ouragans. — Utiles indications données par le baromètre. — Dé-
fense de la loi des tempêtes par M. Faye.
I.
Jusqu'à nos jours les ouragans ont porté la désolation
et la mort parmi les nombreux navires qui sillonnent
l'Océan, principalement dans la mer des Indes. Il est bien
difficile en effet de doubler le cap de Bonne-Espérance
sans ressentir leur terrible puissance; aussi, les pre-
miers navigateurs Favaient-ils nommé justement le Cap
des Tempêtes, et Camônes a consacré ce promontoire
élevé à Adamastor, dans sa superbe allégorie, que tout
voyageur instruit est obligé de se rappeler lorsqu'il
arrive dans ces parages ; pour moi, je ne puis exprimer
avec quelle émotion je les relisais en présence de ces
lieux célèbres :
244 LES METEORES.
« La nuit promenait en silence son char étoile; nos
vaisseaux fendaient paisiblement les ondes ; assis sur la
proue, nos guerriers veillaient, lorsqu'un sombre nuage
oui obscurcit les airs se montre au-dessus de nos têtes et
jette l'effroi dans nos cœurs.
« La mer ténébreuse faisait entendre au loin un bruit
semblable à celui des flots qui se brisent contre les ro-
chers. Dieu puissant! m'écriai-je, de quel malheur som-
mes-nous menacés? Quel prodige effrayant vont nous
offrir ce climat et cette mer? C'est ici plus qu'une tempête.
<c Je finissais à peine , un spectre immense , épouvan-
table, s'élève devant nous. Son attitude est menaçante,
son air farouche, son teint pâle, sa barbe épaisse et fan-
geuse. Sa chevelure est chargée de terre et de gravier;
ses lèvres sont noires, ses dents livides; sous de noirs
sourcils, ses yeux roulent étincelants.
« Sa taille égalait en hauteur ce prodigieux colosse
autrefois l'oreueil de Rhodes et Fétonnement de l'univers.
—
Il parle ; sa voix formidable semble sortir des gouffres de
la mer. À son aspect, à ses terribles accents, nos cheveux
se hérissent ; un frisson d'horreur nous saisit et nous glace,
ce peuple ! s'écrie-t-il , le plus audacieux de tous les
peuples! Il n'est donc plus de barrière qui vous arrête?
Indomptables guerriers, navigateurs infatigables, vous
osez pénétrer dans ces vastes mers dont je suis l'éternel
gardien , dans ces mers sacrées qu'une nef étrangère ne
profana jamais !
« Vous arrachez à la nature des secrets que ni la science
ni le génie n'avaient pu encore lui ravir! Eh bien, mor-
tels téméraires, apprenez les fléaux qui vous attendent
/ ./'i.nùY *t"<
' rS S/,' f ' e 'S*. '
LES OURAGANS. 245
s>ï cette plage orageuse et sur les terres lointaines que
vous soumettrez par la guerre*
« Malheur aux navires assez hardis pour s'avancer sur
vos traces! Je déchaînerai contre eux les vents et les tem-
pêtes. Malheur à la flotte qui la première après la vôtre
viendra braver mon pouvoir! A peine aura-t-elle paru
sur mes ondes, qu'elle sera frappée, dispersée, abîmée
dans les flots.
ce Avec elle périra le navigateur impie qui, dans sa
course vagabonde, aperçut mon inviolable demeure et
vous révéla mon existence. Et ce terrible châtiment ne
sera que le prélude des malheurs que l'avenir vous pré-
pare. Si j'ai su lire au livre des destins, chaque année ra-
mènera pour vous de nouveaux désastres ; la mort sera le
moindre de vos maux.
<c II continuait ses horribles prédictions. — Qui es-tu,
monstre? lui dis-je, en m'élançant vers lui. Quel démon
vient de nous parler par ta bouche? L'affreux géant jette
sur moi un regard sinistre. Ses lèvres hideuses se sépa-
rent avec effort et laissent échapper un cri terrible. Il me
répond enfin d'une voix sourde et courroucée :
<c Je suis le génie des tempêtes ; j'anime ce vaste pro-
montoire que les Ptolémée, les Strabon, les Pline et les
Pomponius, qu'aucune génération passée n'a connu. Je
termine ici la terre africaine, à cette cime qui regarde le
pôle antarctique, et qui, jusqu'à ce jour voilée aux yeux
des mortels, s'indigne en ce moment de votre audace.
« De ma chair desséchée, de mes os convertis en rocher»
246 LES METEORES.
les dieux , les inflexibles dieux ont formé le vaste pro-
montoire qui avance au milieu de ces vastes ondes; et
pour accroître mes tourments , pour insulter à ma dou-
leur, Thétis vient chaque jour me presser de son humide
ceinture.
<c A ces mots, il laissa tomber un torrent de larmes, et
disparut. Avec lui s'évanouit la nuée ténébreuse; et la
mer sembla pousser un lone gémissement ' . »
IL
Notre savant illustre, M. Chevreul, le doyen des savants
de tous les pays ou plutôt le doyen des étudiants, comme
il se plaît à s'appeler souvent avec un fin sourire , vient
de faire une communication à l'Académie des sciences
(séance du 28 août 1882), d'une haute importance au
point de vue de l'histoire des météores et qui a vivement
captivé l'attention de tous. Il est juste de dire que la
Société nationale d'agriculture en a eu les prémices.
On sait que les lois des cyclones, de ces vastes et terri-
blés ouragans qui se manifestent spécialement dans la
mer des Indes, sont maintenant bien connues.
Ces météores sont d'immenses tourbillons d'un diamètre
plus ou moins grand; il peut atteindre trois ou quatre
cents lieues. La force du vent augmente de tous les points
de la circonférence jusqu'à une certaine distance du centre
où règne un calme d'une étendue variable. Ces tourbillons
1 Les Lusiades. chant V.
LES OURAGANS.
247
suivent une direction opposée pour chaque hémisphère,
mais à peu près constante pour chacun d'eux. Les oura-
gans ne sont donc que de vastes trombes, dont le diamè-
Fig. 53. — Ouragan.
tre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces derniers
temps d'apercevoir l'ensemble.
Connaissant leurs lois, un capitaine de navire peut par-
faitement, non seulement éviter les affreux sinistres qui
en résultaient habituellement autrefois, mais encore se ser-
vir de leur terrible puissance pour arriver à ses fins, et
bien plus, leur direction une fois constatée on peut dé-
crire la trajectoire qu'ils suivront et prédire leur arrivée
dans tel ou tel lieu.
248 LES MÉTÉORES.
La découverte de leurs lois est donc un bienfait in es-
timable pour les marins et pour tous ; chaque nation est
heureuse d'enregister la part qui revient à leurs savants
dans cette magnifique conquête de l'intelligence.
Or, d'après la communication de M. Chevreul, le
premier qui aurait découvert ces lois ne serait pas un des
observateurs auxquels on les attribue généralement, mais
un créole de notre île de la Réunion, île éminemment
française. Ce créole s'appelait Joseph Hubert, homme
d'une haute intelligence et d'un dévouement sans borne
pour son pays. Ses papiers, ses notes, ses mémoires ont
été religieusement conservés par son fils, M. Eaubel
Hubert, et publiés par M. Emile Trouette, conseiller privé
du gouverneur de la Réunion, qui, dans un sentiment
patriotique que tout le monde comprend, a intéressé
M. Chevreul à cette publication. L'ouvrage a été soumis
à M. Faye, notre éminent astronome, qui a consigné
son appréciation dans une lettre que nous croyons de-
voir reproduire ici.
« Mon cher et très respecté confrère,
« Vous avez bien voulu me demander mon avis sur
Fopinon qui attribue à Hubert la première idée de la loi
du cyclone. — Après avoir pris connaissance des docu-
ments contenus dans le livre que vous m'avez apporté à
l'académie lundi dernier, je tiens pour certain que Hubert
avait, dès avant 1788 reconnu le caractère gyratoire des
cyclones, et qu'il les assimilait à des trombes gigantes-
ques.
LES OURAGANS. 249
« Ces idées n'ont surgi en Angleterre que plus tard ,
en 1801, à en juger par les écrits peu connus d'un cer-
tain colonel Copper, au service de la Compagnie des
Indes, Les mêmes documents montrent qu'en 1818,
Hubert était arrivé à la forme complète et correcte qui
exprime le double mouvement de gyration et de trans-
lation des cyclones, longtemps avant Dove, par consé-
quent , dont les travaux sur les ouragans sont postérieurs
de dix ans.
« Pour moi, si j'ai occasion jamais de revenir sur ces
questions, je me croirai obligé de rendre justice à qui de
droit, c'est-à-dire à cet ingénieux observateur qui le pre-
mier a su reconnaître, dans les plus effroyables tempêtes
qui sévissaient sur son île, les lois d'une géométrie si re-
marquable, lois qui ont servi de base à tout ce qui a été
écrit plus tard sur ce sujet.
<c Je saisis cette occasion, mon cher confrère , de vous
offrir l'expression de mes sentiments de profond res-
pect 1 . »
Nous avons nous-mêmes parcouru cet ouvrage que l'on
a bien voulu nous communiquer avec une complaisance
empressée à la Société nationale d'Agriculture; nous
avons été frappé des observations si curieuses et si im-
portantes de Joseph Hubert,
L'île de la Réunion est admirablement située pour les
observations météorologiques et astronomiques. Elle se
trouve sur le passage des ouragans de la mer des Indes
qui portent bien souvent la désolation dans son sein. 11
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1882, 2 me semestre.
250 LES METEORES.
n'est pas étonnant que ces terribles fléaux aient attiré
l'attention des habitants de ces pays d'ailleurs si fortunés,
et que ce soit un de leurs enfants qui, avant tous, en ait
déterminé les lois.
Grâce aux journaux exacts des navigateurs, on a
pu comparer des milliers de faits, s'élever aux lois qui
régissent ces terribles phénomènes, les développer, et
doner ensuite des règles sûres pour éviter leurs coups
redoutables.
Indiquons succinctement les principaux observateurs
qui ont étudié ce sujet :
Copper. Des vents et des moussons, Londres, 1801.
Copper, le premier jusqu'ici, était regardé comme ayant
constaté la rotation des ouragans à Madras, sur la côte
de Coromandel, sur celle du Malabar et dans l'océan In-
dien du Sud.
Redfield a fait insérer plusieurs articles dans le Nanti-
cal Magazine et dans un journal de New- York de 1831 à
1848. — C'est le premier savant qui a constaté la rotation
des tempêtes sur les côtes d'Amérique et leur mouvement
progressif.
Iieid en 1838 publia l'ouvrage On the Lato of storms
(des Lois des tempêtes) ; c'est lui qui confirma par les
faits ce que M. Redfield avait théoriquement indiqué,
savoir que dans l'hémisphère sud les tempêtes tournent
dans un sens contraire à celui de l'hémisphère nord.
— Reid est le premier qui donna des règles pratiques
pour fuir les cyclones vent arrière, selon les circons-
tances, ou même tirer parti des ouragans en naviguant
autour d'eux sans les traverser.
LES OURAGANS. 251
Piddington a donné dix-huit mémoires sur diverses
tempêtes dans le Journal de la Société asiatique du Ben-
gale, vol. in-8° (1839) et vol. in-18 (1849). — II a écrit
ensuite le Guide du marin (1848, l ro édition), qui résume
les lois des tempêtes dans toutes les parties du monde,
ainsi qu'un autre ouvrage, intitulé Guide pour les ou-
ragans de la Chine et de l'Inde, qui a eu le plus grand
succès. — M. Piddington, président de la cour mari-
time de Calcutta, a mis dans ces ouvrages à peu près
tout ce que Ton connaît sur les ouragans, et indique les
règles à suivre pour ne pas être victime de ces redouta-
bles météores.
Bousquet a publié la Science des tempêtes, ou Guide
du navigateur, à l'île Maurice, en 1849; Keller a fait
paraître à Paris son livre Des ouragans , tornados,
typhons et tempêtes. — On pourrait citer beaucoup d'au-
tres savants qui ont également contribué au développe-
ment et à la vulgarisation des lois des ouragans : tels sont
MM. Evans, en Amérique; Dove, à Berlin; Brewsier, à
Edimbourg ; Erpy, en Amérique (Boston) ; Alex. Thom et
Ryder, en Angleterre ; van Delden, en Hollande, etc., etc.
III.
Ainsi, on le voit, nombre de savants ont fait une étude
spéciale, approfondie et minutieuse des lois des ouragans,
et des moyens de prévenir les fureurs dévastatrices de ces
terribles météores, et les ont formulés avec une exactitude
parfaite. Ces lois et ces moyens sont très simples et à la
252 LES METEORES.
portée de l'intelligence de tout le monde, seulement il est
bien regrettable qu'ils ne soient pas assez connus.
J'ai pu être frappé de cela plus qu'un autre, car ayant
demeuré assez longtemps à Pile de la Réunion, j'ai vu
souvent se produire des désastres maritimes que l'on
aurait pu facilement éviter.
Je fus heureux de pouvoir contribuer à vulgariser des
notions de la plus haute importance. J'ouvris avec em-
pressement les colonnes du journal la Malle, que j'ai
été fonder à l'île de la Réunion , à toutes les questions de
science; je donnai en prime, à mes abonnés, la carte
sur l'ouragan du 26 février 1860, de M. Bridet, capitaine
de port, qui s'occupait activement de ce sujet, et je m'em-
pressai de publier dans mon établissement de typogra-
phie et de donner également en prime V Élude des oura-
gans de l'hémisphère austral (1861), ouvrage dans lequel
M. Bridet a résumé les principaux travaux des savants
qui avaient précédemment étudié ces grands phénomènes,
en ajoutant des faits à l'appui des lois déjà connues * .
Dans ces contrées éloignées, j'avais le précieux avan-
1 Ouvrage in-4°, d'environ 200 pages, avec dessin de M. Roussin, artiste
distingué. Pour toutes les raisons que nous venons de dire , c'est cet ouvrage
plutôt que ceux énumérés ci-dessus , que nous avons suivi dans les passages
qui résument les lois des ouragans, en nous servant, comme cela se fait ha-
bituellement dans ce genre de travail, des expressions et des formules de
l'auteur lorsqu'elles concourent au but que l'on se propose. Dans le numéro
du 17 février 1869 du Moniteur de Vile de la Réunion, M. Bridet s'est plaint
de ce que nous n'avions pas indiqué ses travaux ; nous les avons au contraire
non seulement signalés, mais toujours loués sans réserve (voir l re édit. (1869),
p. 225, 240, 250), et à la page 22 nous renvoyons au mémoire que nous avons
lu à l'Académie des sciences le 2 mai 1864, en tête duquel nous avons mis le
passage suivant : « Pendant mon voyage dans la mer des Indes, j'ai pu observer
au moins une dizaine de ces terribles ouragans qui portent la désolation sur
leur passage: j'ai recueilli nombre de renseignements de la part de capitaines
LES OURAGANS. 253
lage de partager la vie de famille avec M. Ch. Desbas-
sayns, vénérable créole de quatre-vingts ans. Rien de
ce qui pouvait intéresser son cher pays ne lui était étran-
er. Il connaissait parfaitement les phénomènes qui pré-
cèdent, accompagnent et suivent les cyclones, et lors-
que ces grands météores s'annonçaient, il m'en faisait
remarquer les signes précurseurs ; nous les suivions dans
leur marche en étudiant leur influence sur la nature et
sur les instruments que nous oflre la science.
Avec un guide aussi excellent, j'ai pu constater la
justesse et contrôler plusieurs fois les lois les plus mi-
nutieuses de ces vastes tourbillons, et je trouvais un
nouvel intérêt lorsque, pour remplacer sa main trem-
blante, il m'invitait à prendre la plume pour écrire, sous
sa dictée, des notes que M. Bridet ne dédaignait pas de
lui demander.
expérimentés, d'anciens créoles, et par- dessus tout j'ai pu profiter des travaux
et de l'expérience de M. Bridet, capitaine de port à l'île de la Réunion, savant
aussi actif qu'intelligent. J'ai eu l'avantage de publier ses importants travaux,
qui résument tous les autres et dont j'ai pu contrôler la justesse dans mon
établissement typographique de la colonie. Ce sont eux principalement qui
m'ont servi de guide dans le mémoire dont je donne ici l'extrait. » (Comptes
rendus de V Académie des sciences, t. LVH, p. 802.) Nous avons plusieurs fois
reproduit ce mémoire plus ou moins modifié, mais toujours en rendant justice
à M. Bridet et en donnant à ses travaux les éloges qu'ils méritent. S'il n'en
était pas ainsi, personne plus que nous ne tiendrait à réparer une omission, car
nous voulons non seulement être juste, mais nous tenons, lorsque cela nous est
possible, à être utile et agréable aux personnes avec lesquelles nous sommes en
relation. D'un autre côté, plusieurs de mes honorables confrères, en rendant
comple de la l w édition de notre Histoire des Météores avec une bienveillance
dont nous leur sommes profondément reconnaissant, ont semblé attribuer à
M. Bridet la découverte des lois des ouragans (voir entre ^autres le Siècle du
12 octobre 1868, et le Moniteur scientifique du 1 er janvier 1869). La nomencla-
ture des principaux ouvrages que nous venons d'indiquer, et qui ont paru
avant les Études de M. Bridet, et les explications que nous donnons, feront
sans doute disparaître tout malentendu.
254 LES MÉTÉORES.
J'ai pu également, ballotté sur les vagues orageuses,
contrôler dans d'autres circonstances ces lois si bien
établies, et en constater la justesse. À mon retour à Pa-
ris , continuant à suivre le mouvement scientifique , c'é-
tait avec un profond regret que j'apprenais les nom-
breux désastres qui ne cessaient de se produire en mer,
et qu'il eût été possible d'éviter en se soumettant aux
indications les plus simples de la science et que des
savants de premier ordre semblaient encore ignorer. J'ai
donc continué à donner aux phénomènes et aux lois
des tempêtes toute la publicité qui était en mon pou-
voir, en prenant pour guide VÉtude des ouragans de
P hémisphère austral, dont voici un résumé :
IV.
Les ouragans ou cyclones sont de vastes tourbillons, de
plus ou moins grand diamètre, dans lesquels la force du
vent augmente de tous les points de la circonférence jus-
qu'à une certaine distance du centre, où règne un calme
d'une étendue variable.
Ces tourbillons suivent une direction opposée pour
chaque hémisphère, mais à peu près constante dans
chacun d'eux.
Les ouragans ne sont donc que de vastes trombes, dont
le diamètre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces
derniers temps d'apercevoir l'ensemble.
Les lois des ouragans sont générales, et les mêmes
pour les deux hémisphères; seulement, et même comme
conséquence de ces lois, le mouvement de rotation ne se
LES OURAGANS. 255
fait pas dans le même sens, et le mouvement de trans-
lation ne s'opère pas dans la même direction pour l'un
et pour l'autre hémisphère.
Au centre du cyclone, où règne un calme complet des
airs, la mer est cependant horriblement agitée.
Dans cet espace de calme il n'existe pas de nuage;
le soleil resplendit, les astres reparaissent, et l'on croit
au retour du beau temps, on s'abandonne à une entière
sécurité alors que Ton est de tous côtés entouré par
une vaste ceinture d'orages et de rafales terribles, aux
atteintes desquels on ne saurait échapper.
Tout autour de ce calme central , le mouvement rota-
toire a la même énergie , et cette énergie est poussée au
plus haut point ; dans aucune autre partie de l'ouragan
elle n'est aussi forte. Par conséquent , lorsqu'on arrive à
cette région du centre, on passe de la tempête la plus
violente au calme le plus complet, et réciproquement lors-
qu'on la quitte, on passe du calme le plus complet à la
tempête la plus violente; mais alors les rafales soufflent
dans une direction tout à fait opposée à celles qui ont
précédé le calme ; ce qui doit être, puisque leur mouve-
ment est circulaire (fig. 54.)
On sera peut-être étonné de voir que les rafales sont
plus violentes à la circonférence qui détermine le calme
central , que sur les bords du cyclone. Il est en effet tout
naturel de supposer que l'énergie des rafales étant la con-
séquence de la vitesse du mouvement rotatoire, on dût
trouver les vents plus violents sur les bords extrêmes du
tourbillon, puisque les molécules aériennes paraissent par-
courir une plus grande circonférence dans le même temps.
256
LES MÉTÉORES.
Si le météore était un corps solide, toutes ses parties,
il est vrai, obéiraient simultanément au mouvement pro-
\enantdu centre, et la plus grande vitesse se trouverait
au point le plus éloigné de ce centre. Mais par leur état
NORD duÀ MONDE
Vexit
SUDdu
MONDE
Fig. 54. — Mouvement circulaire du cyclone
de fluidité les molécules glissent les unes sur les autres ,
sans pouvoir céder immédiatement à l'impulsion qui leur
est communiquée, et la vitesse de rotation va ainsi en sens
inverse, c'est-à-dire en augmentant depuis les bords ex-
LES OURAGANS.
257
trêmes du phénomène jusqu'au calme central, à la limite
duquel se rencontrent les plus violentes rafales.
La première zone centrale, qui constitue véritablement
l'ouragan, et pendant le passage de laquelle ont lieu tous
les désastres, n'a guère plus de 250 milles de diamètre,
quelles que soient les limites extrêmes auxquelles attei-
gne le phénomène, car sa puissance n'est pas propor-
tionnelle à son étendue.
Fîg. 53. — Mouvement du cyclone sur sa parabole.
La vitesse de rotation qui anime les ouragans est très
variable : c'est elle qui constitue principalement la vio-
lence du tourbillon et qui en fait, pour les lieux qu'il ren-
contre et les navires sur lesquels il frappe, un ouragan ,
un coup de vent, ou une simple bourrasque.
Lorsque le cyclone est un ouragan véritable, on estime
que les molécules d'air tournent autour du centre avec
une vitesse de 123 à 150 milles à l'heure, vitesse qui ex-
plique suffisamment les ravages et les désastres produits
par le passage de ce terrible météore.
17
258 LES METEORES,
V.
Le tourbillon prend généralement naissance par une
latitude de S à 10 degrés.
Une fois formé, il se met en marche, dans les mers du
Sud, de soii point d'origine vers le sud-ouest du monde,
continuant dans cette direction jusqu'à ce qu'il ait
atteint une certaine latitude , pour reprendre une nou-
velle direction vers le sud-est, et former ainsi une para-
bole dont les deux branches s'écartent plus ou moins
l'une de l'autre.
La différence de densité des diverses couches atmos-
phériques qu'il traverse, le mouvement rotatoire lui-
même, doivent imprimer au cyclone un mouvement
oscillatoire ; il en résulte qu'au lieu de décrire une para-
bole régulière, la course du cyclone figure plutôt une
spirale, s'enroulant autour de la parabole, dans le genre
de celle indiquée figure 52. 11 est évident que cette figure
n'est pas orientée pour indiquer la direction du cyclone;
elle représente seulement le mode de translation , comme
d'ailleurs le dit la légende.
Les navires qui se trouvent près du centre du météore
sont nécessairement soumis à son action oscillante, qui
tour à tour les fait entrer dans le calme central et les re-
jette sur le bord voisin; de là ces rafales terribles aux-
quelles succède un calme plus ou moins complet. Cela
explique également comment des navires ont vu le vent
faire plusieurs fois et très rapidement le tour du compas.
LES OURAGANS. 259
Les sautes de vent subites et effroyables que Ton con-
sidérait autrefois comme l'essence des ouragans, typhons,
tornados, etc., ne peuvent donc se présenter et ne s'of-
frent en effet que pour ceux qui se trouvent directement,
ou à très peu près, sur le parcours du centre d'un cyclone.
Le cyclone contient en lui-même le germe de sa des-
truction prochaine : à mesure qu'il avance , il touche à
des régions plus froides que celles du point de départ;
les vapeurs qu'il contient se condensent en pluies torren-
tielles ; l'électricité, cause principale du cyclone, se dégage
à grands courants; l'équilibre qui existait est rompu, et
la force centrifuge, n'étant plus contre-balancée, permet
au météore de s'étendre en d'immenses proportions.
Il perd alors en violence ce qu'il gagne en étendue :
au point de départ, quelques milles le mesurent; mais il
en embrasse des centaines au moment où, l'équilibre
des forces étant rompu, le météore s'affaisse sur lui-même,
effet qui se produit généralement par une latitude de 30
à 35 degrés dans les régions du Sud, pendant l'hivernage.
Plus les dégagements électriques sont rapides, plus
vite le météore disparaît; aussi arrive-t-il quelquefois
qu'un cyclone termine sa course sans atteindre ces lati-
tudes élevées, et sans accomplir la seconde branche de
sa parabole, qui alors reste incomplète.
Avant même que le cyclone touche à sa fin, ses bords
extérieurs sont souvent accompagnés de pluies torren-
tielles et de décharges électriques puissantes, car la ré-
sistance que l'atmosphère oppose à sa translation, fait que
les molécules libres s'écoulent à l'arrière et sur les côtés,
et en se condensant donnent lieu à ces phénomènes.
260 LES METEORES.
Ainsi, les décharges électriques et les pluies abon-
dantes annoncent la cessation d'un ouragan , ou le pas-
sage du centre au loin ; mais il faut remarquer que tous
les cyclones n'en sont pas accompagnés.
VI.
Entre 5 et 10 degrés de latitude et 75 et 100 de longi-
tude, alors qu'un cyclone est très près du point d'origine,
on a reconnu que la vitesse de translation est assez faible
et varie de 1 à 5 milles à l'heure , augmentant à me-
sure que la latitude augmente et que la longitude di-
minue, c'est-à-dire à mesure que l'ouragan s'avance
vers l'ouest.
De 15 à 25 degrés de latitude et de 40 à 75 de longi-
tude, la vitesse de translation varie entre 5 milles et
10 milles; elle a été trouvée en moyenne de 8,5 milles
entre Maurice et la Réunion.
Par les latitudes plus élevées, où l'ouragan accomplit
sa course vers le sud-est, la vitesse de translation aug-
mente encore, et peut être supposée de 12 à 18 milles.
Dès que le cyclone est en marche, il projette au loin
de vastes sillons circulaires sur la surface des mers, il
chasse devant lui les couches d'eau qui se trouvent sur
son passage, et produit ainsi un courant dans le sens du
mouvement de translation ; courant qui entraîne, pendant
un temps toujours trop long, les navires qui ont eu le
malheur de se plonger au centre même du cyclone,
auquel ils ont alors la plus grande peine à échapper. Ce
Fig. 56. — Orages au pied des moi
LES OURAGANS. 263
courant possède une vitesse de 1 à 2 milles à l'heure dans
la direction que suit le cyclone.
Les plus grands cyclones ne sont pas toujours les plus
terribles; ici la force n'est pas proportionnelle à la gran-
deur.
On a pu constater, par exemple, que le cyclone de fé-
vrier 1860, à l'île de la Réunion, a fait sentir son action
dans une étendue de plus de 800 milles, et on pourrait
citer de nombreux exemples d'ouragans n'ayant pas eu
une étendue aussi considérable, quoiqu'ils aient été tout
aussi désastreux.
Il n'y a donc aucune règle à établir quant à l'étendue
de ces météores comparée à leur violence.
Leur diamètre est très variable. Assez restreint à leur
origine, c'est-à-dire par 5 ou 10 degrés de latitude, il va
en augmentant à mesure que la course du phénomène le
rapproche des lieux où il se termine, c'est-à-dire par 30
ou 35 degrés de latitude, variant ainsi pour le même cy-
clone depuis le commencement jusqu'à la fin de sa course.
Néanmoins, on peut admettre qu'assez généralement
à l'oricine le diamètre des cyclones n'excède euère 200
à 300 milles, au milieu de leur course 400 à 500 milles,
et à la fin 500 à 600 milles; mais ce ne sont là que des
chiffres approximatifs, qui rencontrent très souvent des
exceptions.
VIL
Dans un pays de montagnes élevées, comme à l'île de
264 LES MÉTÉORES.
la Réunion, on a pu facilement étudier si le cyclone ainsi
que sa marche sont modifiés par la rencontre de ces
obstacles naturels.
La course générale n'en est influencée en aucune ma-
nière.
On a des exemples nombreux de cyclones ayant frappé
la Réunion , et qui plus loin sévissaient à bord des na-
vires sans qu'on pût remarquer la moindre altération soit
dans la vitesse de rotation , soit dans la manière dont les
vents sont orientés.
Le 15 et le 16 février 1861, par exemple, la colonie de
Maurice était frappée par un cyclone dont la course se diri-
geait à peu près au milieu du canal qui sépare les deux îles
sœurs , plus près cependant de Maurice que de la Réunion.
Le 16 et le 17 la Réunion était atteinte à son tour, en
même temps que le navire Y Alfred et Marie, qui, à 30
milles à l'est de Pile, traversait le centre de l'ouragan,
en éprouvant un intervalle de calme de douze heures.
Deux jours après, le 19, deux navires français étaient
frappés, le Buron et le Saint- Mat hur in; ce dernier
particulièrement, passait à travers le centre par la la-
titude de 20° 20', et longitude de 55° 35' est, et res-
sentait comme Y Alfred et Marie une accalmie de douze
heures.
Voilà donc un cyclone que l'on a pu suivre pendant
une étendue de plus de 400 milles sans constater aucune
altération dans sa nature.
Ainsi, les terres élevées sur lesquelles passe un oura-
gan ne l'arrêtent pas dans sa course et ne modifient pas
sa masse tourbillonnante; cependant elles donnent lieu,
LES OURAGANS. 265
sur les côtes, à des modifications très remarquables dans
la direction des vents, surtout lorsqu'elles sont dominées
par de hautes montagnes.
Il faut donc tenir grand compte de ces causes d'alté-
ration, lorsque l'on étudie les divers phénomènes que pré-
sente un cyclone auquel on est soumis, et Ton doit bien
se garder de s'en rapporter exclusivement à la direction
qu'affectent les rafales; c'est surtout la chasse des nuages
qu'il est nécessaire de surveiller avec soin : autrement, on
pourrait attribuer à d'autres causes qu'aux véritables les
accalmies qui se présentent, et les variations du vent, qui
ne donnent plus alors à ceux qui sont à terre une idée
exacte de la course du météore.
VIII.
Une autre question également des plus intéressantes, et
que l'on a pu de même parfaitement résoudre à l'île de
la Réunion, est celle de la hauteur à laquelle peuvent se
faire sentir les cyclones.
Il arrive souvent que les cyclones ne dépassent pas le
sommet des montagnes qui dominent la Réunion, et il se
produit alors certains phénomènes très curieux pour un
observateur.
Ainsi, dans l'ouragan de février 1861 , les cumulus et
les nimbus chassaient lentement, et faisaient déjà présu-
mer que la hauteur du cyclone n'était pas plus consi-
dérable que celle des montagnes qui formaient écran,
et qui n'ont pas permis aux rafales d'atteindre certains
266 LES METEORES.
quartiers. Cependant on en a observé quelques-uns un
peu plus élevés que les montagnes de l'île.
Ainsi, les cyclones n'ont guère plus de 3,000 à 4,000
mètres de hauteur au-dessus de l'horizon, souvent même
ils n'atteignent pas 3,000 mètres, et si la rencontre d'une
terre n'altère ni leur course ni leur nature, elle donne
lieu sur les côtes, comme nous venons de le dire, à des
modifications très remarquables dans la direction des
vents, surtout quand cette terre est dominée par de
hautes montagnes.
La saison pendant laquelle se développent les ouragans
dans l'hémisphère sud, de l'équateur aux tropiques, est
■
généralement comprise entre les mois de décembre et d'a-
vril inclusivement; il y a donc cinq mois de surveillance
incessante pour les marins qui naviguent dans ces parages.
Ces cinq mois ne sont pas également redoutables, et le
élevé des cyclones observés nous apprend que c'est
dans le mois de février qu'on en a constaté le plus grand
nombre; vient ensuite le mois de mars, puis le mois
de janvier, le mois d'avril, enfin celui de décembre.
Quelques cyclones se font sentir dans les autres mois
de Tannée, en mai, juin, septembre, octobre et novembre,
mais ils sont
Dans les mois de la belle saison, ce n'est qu'exception-
nellement que les cyclones atteignent les longitudes de
Maurice et de la Réunion; ils inclinent généralement
vers 65 et 80 degrés de longitude, se rapprochent des
deux îles, qui ne sont sérieusement menacées que dans
les mois de janvier, février et mars. — Durant l'hiver-
nage, les cyclones se courbent en général et décrivent
i
LES OURAGANS. 267
leur seconde branche par une latitude moindre que celle
du cap de Bonne-Espérance, et cette saison si redoutable
pour Maurice et la Réunion est au contraire la plus favo-
rable pour doubler le cap des Tempêtes.
On peut donc être sans crainte à la Réunion, du com-
mencement de mai au commencement de décembre; il
faut remonter à Tannée 1779 pour trouver un cyclone
un peu violent, le 17 mai. Mais il n'en est pas de même
pour les bâtiments qui naviguent au sud de Téquateur.
Quel que soit le mois de Tannée dans lequel on se trouve
à la mer dans ces parages, on doit toujours surveiller les
indices qui dénotent la présence d'un cyclone, afin de
ne pas se laisser surprendre.
IX.
Il est évident, d'après les lois des cyclones que nous
venons d'exposer, que la position la plus fâcheuse pour
un navire par rapport à Touragan est celle qui le con-
duit au centre, et c'est à s'en éloigner que doivent tendre
tous les efforts d'un capitaine.
On comprend donc combien il est important de pou-
voir connaître à chaque instant où est situé ce point re-
doutable; car cette connaissance acquise, il n'est pas un
marin qui ne sache à quelle manœuvre il doit recourir
pour se soustraire au danger.
Cependant, rien de plus facile que de reconnaître ce
centre. Plusieurs moyens se présentent à nous, mais nous
allons en indiquer un des plus simples.
268 LES MÉTÉORES.
On se place dans la direction du vent qui souffle, de ma-
nière à lui faire face et à en être frappé en 'plein visage.
Dans cette position, d'après les lois du cyclone, le centre
de l'ouragan se trouve toujours sur la gauche de l'obser-
vateur, à 90 degrés de la direction du vent. II est clair
qu'en étendant le bras gauche horizontalement et pa-
rallèlement à la surface du corps, on indiquera immé-
diatement la position de ce centre * .
Cette méthode pratique, et qui ne souffre aucune ex-
ception, est si facile à retenir et à exécuter, qu'il ne
peut plus être permis à un marin d'ignorer où se trouve
le centre fatal, qu'il faut fuir à tout prix.
Il serait presque superflu d'indiquer aux marins ce
qu'ils ont à faire pour éviter un danger dont la direc-
tion est connue. Le centre du cyclone est absolument
comme un récif, un haut fond, un péril quelconque,
d'un autre genre il est vrai que ceux dont nos cartes
fourmillent, parce qu'il se meut, mais cependant pas plus
à craindre et pas plus difficile à éviter dès qu'il est connu.
X.
La science est donc arrivée au point de se jouer im-
1 Le Nautkal magazine de décembre 1846, page 651 , indique un procédé
qui permet d'arriver au même résultat sans qu'il soit nécessaire de recevoir le
vent en pleine ligure. En voici la traduction : « Tournez le dos au vent : si
vous êtes par une latitude nord, le centre sera à votre main gauche ; mais si
vous êtes par une latitude sud, le centre sera à votre droite ; dans les deux cas
il sera sur une ligne à angle droit de la direction où vous regardez. »
J. R.
LES OURAGANS. 269
punément avec un navire, au milieu de ces phénomènes
terribles, sans l'exposer à de sérieuses avaries.
Pour un bâtiment à vapeur, toujours maître de sa ma-
nœuvre, fait remarquer très judicieusement M. Bridet,
il n'est plus d'ouragan possible. Sans doute il peut être
enveloppé dans le tourbillon et y rencontrer de violentes
.
bourrasques; mais plus de ces rafales terribles, plus
de ces sautes de vent qui l'exposent ainsi que ceux qui
le montent à une perte presque certaine.
Pour un capitaine instruit, un ouragan n'est plus qu'une
trombe ordinaire, autour de laquelle il circule, s'en écar-
tant ou s'en approchant selon que cela lui est utile.
Tout est prévu par lui : il sait d'avance quelle variation
le vent doit présenter, quelle sera la violence des rafales,
et il est sûr de n'être jamais fatalement entraîné au mi-
lieu de ce centre si dangereux, toujours la cause de dé-
sastres inévitables.
Non seulement le bâtiment n'a rien à craindre de ces
ouragans jusqu'ici si redoutables, mais ils peuvent, au
contraire, devenir pour lui un auxiliaire important.
Méprisant leur fureur, un capitaine peut aller chercher
des vents favorables à sa route, et s'il ne lui est pas pos-
sible d'anéantir la puissance dévastatrice qui le menace,
du moins peut-il, en la contournant, faire servir sa vio-
lence à le conduire au point de destination qui lui est as-
signé.
Un navire à voiles, il est vrai, n'est pas aussi libre
dans ses mouvements. Le capitaine qui le commande
peut être surpris par des calmes avant la venue de la
tempête, et se trouver ainsi obligé de subir en partie le
270 LES MÉTÉORES.
cyclone, auquel rien n'a pu le soustraire; il ne lui est pas
toujours possible de se transporter là où il sait trouver
des vents favorables à sa route, mais la science est assez
avancée pour qu'il soit assuré, s'il est fidèle à ses indi-
cations, d'épargner à son navire les avaries désastreuses
qui ont trop souvent jusqu'ici affligé la grande famille
I M «
maritime.
XI.
C'est non seulement les lois des tempêtes, qui sont par-
faitement connues, mais aussi les indices, qui peuvent
éclairer le navigateur et le prévenir lorsqu'il est menacé
d'un de ces phénomènes redoutables.
Cinq ou six jours avant qu'un cyclone fasse sentir ses
atteintes, des cirrhus se montrent au ciel, le couvrent de
longues gerbes déliées d'un effet original. Ces nuages,
qui sont généralement considérés comme signe de vent
dans tous les pays, sont les premiers avant-coureurs des
ouragans.
Les cirrhus sont fréquents dans la saison de Y hiver-
nage ; ils sont si bien l'annonce d'une perturbation atmo-
sphérique qu'ils ne se manifestent jamais à la Réunion dans
les mois de la belle saison; aussi chaque fois qu'ils se
montrent au ciel doit-on les regarder comme un aver-
tissement de surveiller les instruments, ainsi que tous les
indices qui peuvent être fournis par les éléments.
Un peu plus tard ces cirrhus sont moins accentués;
ils se transforment en une espèce d'atmosphère blan-
Fig. 57. — Vagues se brisant au ri
LES OURAGANS. 273
châtre, laiteuse, qui produit les halos solaires et lunaires
si fréquemment observés alors; ou bien encore, ils se
transforment en cirro-cumulus, qui donnent au ciel cette
apparence que l'on a désignée sous le nom de ciel pom-
mêlé.
Puis les cumulus se présentent, ne laissant apercevoir
qu'à de rares intervalles les cirrus supérieurs; et enfin,
vingt-quatre ou trente-six heures avant les premières
rafales, une couche épaisse de cumulo-nimbus se con-
centre à l'horizon, qui se charge de plus en plus et
prend un aspect menaçant.
Bientôt quelques nimbus bas et fuyant avec rapidité
ne laissent plus aucun doute sur la proximité de la tem-
pête, dont quelques heures à peine nous séparent; alors
il faut se hâter et prendre, si ce n'est déjà fait, toutes
les précautions que conseille la prudence la plus minu-
tieuse.
XII.
La mer grossit, et de longues houles font pressentir la
direction d'où viendront les premières rafales, quarante-
huit heures et souvent soixante-douze heures avant que
l'ouragan se déclare. A mesure que le cyclone s'approche,
la mer devient de plus en plus grosse, et annonce le
terrible danger qui s'avance.
A l'île de la Réunion, un très fort courant agit sur les
navires mouillés sur les rades, et indique déjà à peu près
■de quel côté menace le cyclone dont on a reconnu l'exis-
18
274 LES METEORES.
tence; les longues houles qui régnent au large viennent
en grondant battre la plage et mettent en mouvement cette
masse innombrable de galets qui entourent Pile.
Puis le ras de marée se déclare. Cette coïncidence
du ras de marée avec le cyclone est très remarquable ; il
n'est pas d'exemple d'un ouragan ayant frappé la Réu-
nion sans qu'il ait été précédé d'an phénomène de cette
nature. Dès que l'on voit grossir la mer, on peut être as-
suré qu'il existe une perturbation dans le voisinage.
Quelques jours avant l'ouragan , au moment du lever
et du coucher du soleil, les nuages se colorent en un
rouge orangé qui se reflète sur la mer, et cette colora-
tion nous fait assister à ces spectacles si brillants et si
magnifiques, qui imposent un profond sentiment d'ad-
miration à ceux qui ne se doutent pas de l'imminence
du danger que révèle ce ravissant tableau.
A mesure que le cyclone s'approche cette teinte rou-
geâtre prend une couleur plus prononcée et tirant sur le
rouge cuivré; puis un bandeau noirâtre et épais s'étend
du nord-est au sud-est, répandant sur le ciel un aspect
sinistre. Les têtes de cumulus sont d'un rouge cuivré,
donnant à la mer et à tous les objets qui sont à terre
un reflet analogue, qui fait paraître l'atmosphère comme
embrasée d'un éclat métallique.
Le cyclone est proche.
Quant au vent qui règne en ce moment, il ne peut
donner aucun indice sur la marche probable de l'ou-
ragan.
Au milieu du calme qui précède la plupart du temps
ce redoutable phénomène, l'influence de la terre fait
LES OURAGANS. 275
naître de folles brises , des courants d'air variant de tous
côtés, sans indication précise sur la direction future des
premières rafales.
L'étude de la marche des nuages peut donner lieu à
quelques prévisions certaines; mais si l'on ne veut pas
s'exposer à des erreurs , il ne faut avoir égard qu'à ceux
qui passent au zénith , c'est-à-dire droit au-dessus de la
tête de l'observateur, car il est très difficile, à moins
d'une crande habitude, de reconnaître la direction vraie
que suivent des nuages un peu éloignés.
Tous les oiseaux de mer se rallient en grande hûte, et
vont dans les terres chercher un abri contre les fureurs
d'une tempête qu'ils pressentent, afin d'échapper à la
mort qui les frapperait probablement au large.
Pendant que les éléments se troublent et que la Pro-
vidence envoie ainsi des avertissements à ceux qui sont
M
menacés, les instruments sortis de la main des hommes
viennent à leur tour apporter leur contingent de lu-
mière, et on les voit suspendre leur marche régulière
d'une manière assez significative pour un observateur
attentif.
XIII.
Les ouragans font d'autant plus baisser le baromètre
qu'ils sont plus violents.
Il est bien évident que si tous les cyclones étaient d'une
égale intensité, et présentaient la même diminution de
pression au centre, le baromètre descendrait pour tous au
276 LES MÉTÉORES.
même point , et l'on verrait alors de la circonférence au
centre une baisse progressive, constamment la même,
et la hauteur pourrait indiquer d'une manière certaine
à quelle distance est le centre du météore.
Le cyclone dont le centre a passé sur Pile de la Réu-
nion en 1859 n'a fait baisser le baromètre qu'au mi-
nimum de 749, tandis que ceux de 1818 et 1860 l'ont
fait baisser à 714 et 710.
Mais on comprend qu'un cyclone de grand diamètre
qui ne ferait pas baisser le baromètre plus qu'un cy-
clone moindre influera sur cet instrument bien avant ce
dernier.
La hauteur du baromètre ne peut donc pas donner la
distance exacte à laquelle on se trouve du centre.
Le baromètre ne baisse d'une manière marquée et
continue qu'au moment où l'ouragan véritable s'est dé-
claré, c'est-à-dire sur une étendue du phénomène com-
prenant 250 milles environ ; le mouvement barométrique
par heure doit être alors à peu près le même pour tous
les ouragans.
Voici des indications renfermant des variations baro-
métriques pouvant s'appliquer à peu près également
aux ouragans de grand et de petit diamètre, et donner
une mesure approximative de la distance au centre de
l'ouragan par la baisse barométrique en une heure :
Baisse en une heure. Distance au centre
mm 3 24 heures.
0—5 21
0—6 18
0—7 15
LES OURAGANS. 277
Baisse en une heure. Distance au centre,
i mm 14 heures.
1—5 9
2 — 6
3 — 3
4 — 5
Ce moyen de reconnaître la distance au centre, par la
baisse barométrique en une heure, ne peut servir queu-
tant qu'on se trouve sur le passage de ce centre ou tout
auprès de son parcours; si Ton en est un peu éloigné,
la baisse moyenne par heure n'est plus la même, et on
ne peut pas en conclure la distance.
Mais une chose reconnue, c'est que le minimum de
la hauteur barométrique se trouve toujours au centre de
l'ouragan, et par conséquent que le baromètre baisse
d'autant plus que l'on se rapproche de ce point central.
Ce seul indice est excessivement précieux pour le na-
vigateur, puisqu'il peut connaître , rien que par le mou-
vement du baromètre, si la route suivie le rapproche ou
l'éloigné du centre dangereux. Cet instrument lui indique
donc à coup sûr s'il doit ou non modifier la manœuvre
qu'il a adoptée.
Il résulte de la comparaison d'un grand nombre de
cyclones que la baisse barométrique peut être considérée ,
en moyenne, comme étant de mm ,8 à l mm , soixante-
douze heures avant que l'ouragan commence à frapper, et
de l mm ,5 quarante-huit heures auparavant : c'est-à-dire
que si la hauteur moyenne ordinaire est de 760, le ba-
romètre marquera 7o9 soixante-douze heures avant les
premières rafales, et que quarante-huit heures aupara-
278 • LES METEORES.
vant il aura marqué 758 à 757,5; dans les vingt-quatre
heures qui précèdent l'ouragan, la baisse atteint 2™? 1 à
2 mm ,5, et le baromètre marque 755,5 à 755; enfin,
au moment des violentes rafales, il est à 751 ou 750
environ.
Ce mouvement de baisse dans le baromètre n'est à peu
près régulier que lorsque le cyclone s'avance droit sur le
lieu de l'observation, car s'il passe au nord ou au sud, à
quelque distance, la dernière baisse de 5 millimètres se
réduit le plus souvent à 3 et même à 2 millimètres*
Il est de même nécessaire de faire remarquer que la
baisse indiquée commômoyenne, en vingt-quatre heures,
ne peut être constatée que par un observateur qui reste
en place, et non par un navire dont la route peut rap-
procher d'un ouragan, et précipiter ainsi l'altération due
au mouvement du météore.
XIV.
À l'île de la Réunion , c'est au moins quatre jours d'a-
vance que la première perturbation barométrique se re-
marque à l'approche d'un ouragan; et comme dans ces
parages l'on accorde au météore une vitesse de tfansla-
tion de 150 à 200 milles en moyenne par vingt-quatre
heures, on voit qu'il est alors à une distance de 800 à 900
milles lorsque le baromètre révèle sa présence.
La marée diurne barométrique continue à se faire
sentir; mais, douze heures au moins avant les premières
rafales , on observe une altération sensible dans ce phé-
LES OURAGANS. 279
nomène; le baromètre baisse alors, même à l'heure du
•
maximum.
On ne doit pas oublier que l'oscillation diurne atteint
en temps ordinaire l mm ,5; si donc on ne la constate pas
ou qu'on lui reconnaisse une diminution, c'est évidem-
ment comme si le baromètre avait baissé d'autant; c'est
là un indice remarquable, et qui s'offre presque toujours,
annonçant ainsi d'une manière certaine la venue très
prochaine de l'ouragan.
L'examen du baromètre a fait reconnaître à M. Bride t
un fait général et qui n'est pas sans importance : c'est
que si Ton tient compte du nombre d'heures que cet ins-
trument met à baisser de 5 à 6 millimètres au-dessous
de la hauteur qu'il indique au moment où sa dépression
est bien réellement prononcée , c'est presque exactement
après le même nombre d'heures que l'on se trouvera au
centre de l'ouragan.
Supposons, par exemple, que la hauteur du baro-
mètre, avant que les apparences du temps annoncent
clairement rapproche d'un ouragan , soit 757, et que cet
instrument, ayant commencé à baisser d'une manière
continue, ait mis vingt heures pour arriver à 752 ou 751 ;
ce sera à peu près vingt heures plus tard que l'on enregis-
trera le point minimum du baromètre , et qu'on se trou-
vera par conséquent au centre du cyclone.
Cette remarque fait connaître approximativement quel
sera le diamètre ainsi que la durée de l'ouragan , en ad-
mettant que L'on passe par le centre; si la première partie
est de vingt heures, par exemple, la seconde pourra être
de quatorze à seize heures , car la seconde moitié de l'oura-
280 LES MÉTÉORES.
gan après le passage du centre, comme déjà nous Pavons
fait remarquer, est toujours plus courte que la première.
La lenteur de la baisse barométrique indique aussi que
la vitesse de translation du météore est peu rapide; mais
dans ce cas , comme dans celui d'un grand diamètre , cela
indique toujours que la durée de la tempête sera plus
considérable que dans les circonstances ordinaires. Ces
approximations sur la durée d'un ouragan n'ont de va-
leur que lorsque le météore passe directement sur le lieu
de l'observation , et non pas s'il voyage à quelque dis-
tance au nord ou au sud.
A l'approche de l'ouragan, un calme stupéfiant accom-
pagné d'un air chaud et étouffant, règne pendant vingt-
quatre heures; on dirait que la nature recueille toutes
ses forces pour accomplir l'œuvre de dévastation qui va
marquer le passage du funeste météore.
Ce calme précurseur doit donc être considéré comme
de très mauvais augure et faire redouter une convulsion
terrible.
11 arrive presque toujours que le thermomètre se tient
à une hauteur plus grande que la moyenne ordinaire,
dans les quarante-huit et vingt-quatre heures qui précè-
dent les premières rafales.
XV.
Quelle que soit la marche suivie par l'ouragan, on est
au point le plus rapproché du centre dès que le baromètre
commence à osciller et que son mouvement de baisse
LES OURAGANS. 281
s'arrête. Alors, pendant deux ou trois heures, on voit
cet instrument monter et baisser à chaque demi-heure,
sans avoir de mouvement prononcé, soit en hausse soit
en baisse.
C'est un signe presque certain que Ton se trouve le
plus près du centre ; que la plus grande violence a été
ressentie et que les rafales ne vont plus désormais aller
qu'en diminuant; cet indice rassurant doit ramener
l'espoir et la confiance chez tous ceux dont les intérêts
étaient si cruellement menacés.
Lorsque après le passage bien constaté d'un cyclone
dans le voisinage, on voit le baromètre s'arrêter dans son
mouvement de hausse, on peut être à peu près sûr
qu'une seconde perturbation s'avance, et si l'on recon-
naît positivement l'existence d'un nouveau cyclone, il est
permis de faire quelques suppositions sur sa course pro-
bable, car il est reconnu que les cyclones simultanés sui-
vent des routes distinctes qui ne se confondent que très
rarement.
La baisse barométrique totale est d'autant plus grande
que la raréfaction centrale est plus complète, et cette
raréfaction elle-même, produite en grande partie parla
force centrifuge, s'augmente en raison de l'accroissement
du mouvement rotatoire qui fait la violence des rafales.
Le baromètre baisse donc à mesure que la violence du
vent est plus intense, et les ouragans les plus désastreux
sont aussi ceux qui l'influencent davantage.
282 LES METEORES.
XVI.
M. Faye, de l'Institut, a publié une importante notice :
Défense de la loi des tempêtes, qui se termine ainsi : « Les
tourbillons ont joué jadis un grand rôle dans nos con-
ceptions générales de l'univers. Tombés dans le discrédit
par une réaction bien naturelle contre une idée fausse ,
ils ont été trop complètement oubliés; aussi, lorsqu'on
reconnut, bien plus tard, un caractère gyratoire dans les
grands mouvements de l'atmosphère, s'est-on efforcé
d'un commun accord de les rattacher à des causes toutes
différentes. Entre temps, les géomètres semblaient les
reléguer parmi les mouvements tumultueux où il n'y a
rien à chercher. On voit maintenant que les mouvements
de l'ordre cyclonique constituent réellement une vaste série
de phénomènes réguliers et stables, dont les perturbations
elles-mêmes affectent une allure géométrique. Cette série ,
qui commence aux simples tourbillons de nos cours d'eau ,
comprend les plus curieux et les plus effrayants phéno-
mènes de notre atmosphère, les mouvements grandioses
que l'observation nous a révélés sur le soleil , et s'étend
peut-être jusqu'aux nébuleuses, où le télescope gigan-
tesque de lord Rosse a mis en évidence une structure tour-
billonnaire bien accusée. Rien ne serait donc plus utile
que de faire rentrer la théorie de ces mouvements dans
le domaine de la mécanique rationnelle. Pour cela, le
premier pas à faire était d'en chercher empiriquement
LES OURAGANS. 283
les lois : c'est ce qu'ont acccompli, il y a trente ans, les
éminents auteurs de la loi des tempêtes*. »
Dans le chapitre précédent, nous avons donné les con-
clusions principales des nombreux Mémoires de réminent
astronome, sur les mouvements tourbillonnaires en gé-
néral.
Ces phénomènes continuent à être étudiés avec une
grande préoccupation; de nombreux mémoires qui les
concernent plus ou moins sont adressés à l'Académie des
sciences. Dans ces derniers temps, nous avons spécia-
lement remarqué un intéressant travail de M. Virlet
d'Aoust : Observation sur la théorie générale des trombes 2 ;
une savante étude de M. Bouquet de la Grye Sur les
effets des tourbillons observés dans tes cours d'eau*; et
un Rapport détaillé sur les tornados observés aux États-
Unis, par le général Hazen \ Mais les éléments du pro-
blème ne nous paraissent pas encore assez complets pour
expliquer tous les détails de ces phénomènes si gran-
dioses.
1 Annuaire du Bureau des longitudes, 1876.
2 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 13 novembre 1876.
3 Ibid., 23 octobre 1876.
4 Académies des sciences, octobre 1882.
■
CHAPITRE XIV.
L'ARC-EN-CIEL
Formation de l'arc-en ciel. — Arc-en-ciel solaire. — Arc-en-ciel lunaire
I.
En parlant de la lumière (ch. IV), nous avons fait re-
marquer que si l'on dispose un prisme de telle sorte
qu'un faisceau de lumière tombe obliquement sur l'une de
ses faces, et que Ton reçoive le faisceau émergent sur un
écran ou tableau placé à une certaine distance du prisme;
on voit se projeter une image oblongue peinte de mille
couleurs, à laquelle on adonné
le nom de spectre solaire.
L'arc-en-ciel se manifeste
d'une manière analogue; ce
sont des gouttelettes d'eau qui
produisent l'effet du prisme.
Le brillant météore aux ma-
gnifiques Couleurs, qui pour « ? ig.58.-Iris(tiréd'un;va S cantique).
nous est le signe d'une alliance sacrée entre le ciel et
286 LES MÉTÉORES.
la terre, paraissait à des peuples païens digne de parer
une déesse ; ils y voyaient la trace laissée par Iris , mes-
sagère des dieux.
Ce météore se produit lorsque la lumière du soleil,
venant à tomber sur un nuage qui se résout en pluie,
éprouve de la part des gouttes d'eau des réfractions qui
la décomposent.
Ces rayons , amenés, par une réflexion subie dans l'in-
térieur même de la goutte d'eau, à l'œil d'un spectateur
qui tourne le dos au soleil, y produisent la sensation d'un
arc formé de bandes colorées; ces bandes offrent les
mêmes nuances que le spectre solaire, et dans le même
ordre : la bande rouge étant extérieure à Tare, et la bande
violette intérieure.
On aperçoit quelquefois un second arc, qui enveloppe
le précédent et dont les bandes sont rangées dans un
ordre inverse; il est produit par des rayons colorés qui
ont subi deux réfractions dans l'intérieur des gouttes d'eau
avant d'arriver à l'œil de l'observateur.
On peut produire des arcs-en-ciel en jetant de Peau ,
en l'air, de manière qu'elle s'éparpille; les jets d'eau,
les cascades, la rosée qui humecte les prairies, nous of-
frent aussi ce phénomène lorsque l'on est placé conve-
nablement pour l'observer, c'est-à-dire lorsque les gout-
telettes étant éclairées par les rayons du soleil , on les
regarde d'une certaine distance, en tournant le dos à cet
astre .
M. l'abbé Raillard croit que le principe des interfé-
rences joue dans l'arc-en-ciel le rôle principal, et il expli-
que par ce principe non seulement les phases de Tare-
L'ARC-EN-CIEL. 287
en-ciel, mais aussi beaucoup de phénomènes analogues;
nous regrettons de ne pouvoir développer ici la théorie
de l'ingénieux météorologiste * .
IL
La lumière de la lune peut de même produire un arc-
en-ciel, surtout quand elle est pleine, et qu'elle brille de
tout son éclat; mais les couleurs en sont toujours pâles
et fauves.
Ce phénomène, moins brillant que Parc-en-ciel solaire,
et beaucoup plus rare, est dû, comme lui, à la réfrac-
tion de la lumière. La lune empruntant son éclat du
soleil, les rayons qu'elle nous envoie, affaiblis par la ré-
flexion qu'ils ont éprouvée à sa surface, n'ont pas assez
d'intensité pour produire nettement la séparation des cou-
leurs; et quand ils ont été réfractés par les globules de
pluie, ils reviennent à l'œil confondus en un faisceau blanc.
L'arc-en-ciel lunaire offre pourtant quelquefois les
mêmes couleurs que l'autre , mais elles sont toujours plus
faibles, et ne se produisent d'ailleurs distinctement que
quand la lune est pleine.
Aristote, qui dit avoir le premier remarqué l'arc-en-
ciel lunaire, ajoute qu'on ne l'aperçoit que lors de la
pleine lune ; c'est «une assertion purement gratuite , et dont
l'expérience a démontré la fausseté.
1 Voir ta Lumière, par John Tyndall; Appendice sur l 'arc-en-ciel , par
l'abbé Raillard.
288
LES METEORES.
Ainsi, parmi plusieurs exemples d'arcs-en-ciel lunaires
mentionnés dans divers recueils scientifiques, les Tran-
sactions philosophiques en citent un observé en 1710,
lorsque la lune était demi-pleine.
On lit dans le Guillaume Tell de Schiller :
« Ali! voyez! regardez là-bas! ne voyez-vous rien ?
Fig.
59. — Arc-iiii-ciol
— Quoi donc? Oui, un arc-en-ciel de nuit!
— C'est la lumière de la lune qui le forme.
— C'est un phénomène rare et extraordinaire ! Bien
des gens n'ont jamais vu cela.
Il est double , voyez , il y en a un plus pâle au-dessus.
Une barque s'avance juste au-dessous.
ARC-EN-CIEL. 289
C'est Stauffacher avec son canot; cet homme loyal
ne se fait pas longtemps attendre. »
IL Martin de Brettes vient de communiquer à l'Aca-
démie des sciences l'observation détaillée d'un arc-en-ciel
lunaire observé à la Roche, commune de Saint-Just
(Haute- Vienne) : « La couleur de l'arc, dit-il, était vert
jaunâtre, tirant extérieurement sur le rouge et intérieu-
rement sur le violet. Ces couleurs extrêmes étaient peu
apparentes, et ne devenaient visibles que lorsque l'obser-
vateur avait regardé avec attention Tarc-en-ciel pendant
quelques instants.
« Cet arc-en-ciel lunaire était enveloppé par un se-
cond, distant d'environ 5 degrés; mais on ne distin-
guait dans ce second arc que la couleur vert jaunâtre ,
et encore partiellement et en regardant avec attention 1 . »
A l'île de la Réunion, où le ciel est si pur, où les nuits
sont si resplendissantes, j'ai été à même d'observer quel-
quefois des arcs-en-ciel lunaires d'une grande netteté.
La cause du phénomène étant connue, on conçoit
d'ailleurs, a priori, que les phases diverses de la lune ne
peuvent influer que sur son intensité.
\
Comptes rendus de V Académie des sciences, 1876, 2 e semestre.
19
CHAPITEE XV.
LE MIRAGE.
Le mirage à* l'île de la Réunion et à l'île Maurice. — Habileté des créoles dans
l'observation de ces phénomènes. — Faits étranges que me racontait M. Ch .
Desbassayns à l'île de la Réunion. — Le Mirage dans le midi de l'Italie. — La
fata Morgana. — Mirage dont l'armée de la Basse-Egypte fut le jouet. —
Explication donnée par Monge. — Observations faites pendant l'expédition
qui précéda le traité de la Tafna. — Des flamants pris pour des cavaliers
arabes. — Mirage extraordinaire observé dernièrement à l'île Ténériffe. —
Phénomènes de mirage que l'on peut facilement constater à Paris. — Remar-
quables phénomènes consistant dans l'exhaussement des objets. — Théorie du
mirage.
I.
Un des phénomènes les plus curieux que puissent pré-
senter les jeux de la lumière, c'est bien le mirage, qui
nous fait voir dans le ciel, dans les nuages, dans l'espace,
à la surface des monts ou des plaines, des pays enchan-
tés, des apparences féeriques.
C'est dans les îles aux montagnes escarpées, sous l'é-
quateur surtout, que ce phénomène est remarquable, et
cela se comprend. Le mirage étant produit par la réfrac-
tion et la réflexion des rayons lumineux qu'occasionnent
les couches d'air de différentes densités, aucun site ne
292 LES METEORES.
peut être plus propre à cela que ces îles qui présentent à
leur base des chaleurs tropicales , et dans leur région éle-
vée les glaces de l'hiver.
C'est ce qui arrive à l'île de la Réunion , à File de Té-
nériffe, et même dans beaucoup d'autres îles dont les
montagnes sont moins élevées.
Dans les longues et délicieuses soirées que je passais
sous la varangue de la Rivière-des-Pluies, chez> M. Ch.
Desbassayns, à l'île de la Réunion, le vénérable vieil-
lard me racontait sous ce rapport des faits extraordi-
naires, qui surprennent ceux-là mêmes qui sont habitués
aux phénomènes de la science.
Il me disait que d'anciens créoles étaient devenus tel-
lement habiles à découvrir les phénomènes du mirage,
qu'ils arrivaient par ces phénomènes à savoir tout ce qui
se passait de tant soit peu important en mer.
C'est surtout avant que la vapeur sillonnât les flots, et
avant que les lois des vents alizés fussent assez connues
pour que les navires pussent s'abandonner à leur direc-
tion, que les créoles se livraient à cette étude.
Alors les colonies lointaines étaient rarement visitées,
et l'arrivée d'un navire était pour elles une bonne fortune.
Il leur apportait non seulement les provisions tant dési-
rées, mais aussi les nouvelles des pays éloignés, presque
la seule chose qui les rattachait au reste du monde. L'é-
tranger était reçu, choyé, aimé, traité comme un être ex-
ceptionnel; toutes les familles se le disputaient, et souvent
même on avait recours au sort pour connaître les foyers
favorisés auxquels l'étranger viendrait successivement
s'asseoir; aussi l'hospitalité empressée, large et bienveil-
LE MIRAGE. 293
*
lante du créole était-elle passée en proverbe, comme
l'hospitalité antique et patriarcale. Il est tout naturel de
la voir diminuer en même temps que les circonstances qui
la favorisaient.
Il n'y a donc rien d'étonnant que des individus de haute
intelligence comme les créoles, qui se faisaient une spé-
cialité et la principale occupation de leur vie de chercher
dans les phénomènes du mirage l'objet de leurs espérances
et de leur attente, soient arrivés à quelque chose de sur-
prenant en ce genre.
M. Ch. Desbassayns me disait que des individus étaient
devenus tellement habiles, qu'on venait les consulter des
différents points de la colonie, surtout dans les moments
de détresse, pour savoir ce qui se passait au loin dans la
mer, et si la crainte devait faire place à l'espoir.
Il me raconta qu'un créole de l'Ile de France aperçut
un jour dans les airs un navire d'une forme extraor-
dinaire , et tel qu'on n'en avait jamais vu ; entre autres
particularités, il avait quatre grands mâts. Il en fit une
fidèle description aux personnes du pays; et quel ne fut
pas Tétonnement de tous lorsque, quelques jours après,
ils virent aborder ce même navire!
Depuis que les bâtiments du monde entier se donnent
rendez-vous dans les îles fortunées de la mer des Indes,
les colons sont moins intéressés à découvrir ainsi ce qui
se passe au loin et à connaître d'avance les navires qui
viennent les visiter; aussi ont-ils perdu cette étonnante
faculté de découvrir les moindres phénomènes du mirage.
A cette époque déjà éloignée , les nues, le ciel et l'air
devaient paraître aux créoles , mieux qu'aux bardes de
294 LES MÉTÉOBES.
l'Ecosse, peuplés d'esprits tulélaires dont les visites bien-
faisantes leur apportaient l'espérance et le bonheur.
II.
Dans les Harmonies de la nature, de Bernardin de Saint-
Pierre, on trouve quelques passages qui viennent à l'ap-
pui des assertions précédentes. Il parle d'un homme qui
avait trouvé le secret d'annoncer l'arrivée des vaisseaux ,
lorsqu'ils étaient encore à 60 ou 80 lieues du port, et
même plus loin. Il en avait fait l'expérience nombre de
fois à l'Ile de France, devant plusieurs témoins qui avaient
signé son mémoire :
« J'ai pensé, dit Bernardin de Saint-Pierre, que cet
observateur avait pu , dans quelques circonstances favo-
rables et communes dans le ciel des tropiques, avoir la
vue des vaisseaux éloignés par la réflexion des nuages.
<sc Ce qui me confirme dans cette idée, c'est un phé-
nomène qui m'a été raconté par notre célèbre peintre
*
Vernet, mon ami.
« Étant dans sa jeunesse en Italie , il se livrait parti-
culièrement à l'étude du ciel, plus intéressante sans doute
que celle de l'antique , puisque c'est des sources de la
lumière que partent les couleurs et les perspectives
aériennes qui font le charme des tableaux ainsi que de la
nature; Vernet, pour en fixer les variations, avait imaginé
de peindre sur les feuillets d'un livre toutes les nuances
de chaque couleur principale et de les marquer de diffé-
rents numéros.
Fig. 60 — Mirage à l'île de France (vaisseau
LE MIKAGE. 297
ce Lorsqu'il dessinait un ciel, après avoir esquissé les
plans et les formes des nuages, il en notait rapidement les
teintes fugitives sur son tableau avec des chiffres corres-
pondant à ceux de son livre, et les colorait ensuite à loisir.
« Un jour, il fut bien surpris d'apercevoir dans les
cieux la forme d'une ville renversée; il en distinguait
parfaitement les clochers, les tours, les maisons. Il se
hâta de dessiner ce phénomène, et résolut d'en connaître
la cause; il s'achemina, suivant le même rhumb de vent,
dans les montagnes. Mais quelle fut sa surprise de trouver
à sept lieues de là la ville dont il avait vu le spectre dans
les cieux et dont il avait le dessin dans son portefeuille ! »
Les prodiges de la fata Morgana, si célèbre dans la
Sicile et l'Italie méridionale, ne sont qu'un effet de mi-
rage. A certains moments on voit dans les airs des ruines,
des colonnes, des châteaux, des palais, et une foule
d'objets qui semblent se déplacer, et qui changent d'as-
pect à chaque instant. Toute cette féerie est une repré-
sentation d'objets terrestres invisibles dans l'état ordi-
naire de l'atmosphère, et qui deviennent apparents et
mobiles quand les rayons de la lumière qu'ils envoient se
meuvent en ligne courbe dans des couches d'inégales
densités.
Le célèbre voyageur anglais Swinburne en donne la
description d'après le père Angellucini, qui, se trouvant
à Rescio, en fut témoin oculaire :
« La mer, dit-il, qui baigne les côtes de la Sicile s'en-
flamma tout à coup et parut, dans une étendue de dix
milles, semblable à une chaîne de montagnes d'une teinte
obscure, tandis que les eaux du rivage de Calabre de-
298 LES METEORES.
vinrent tout à fait unies comme un miroir bien poli et
appuyé contre ce rideau de collines. Sur cette glace on
voyait se peindre en clair-obscur une suite de plusieurs
milliers de pilastres , tous égaux en hauteur, en distance,
en degré de lumière et d'ombre. Un instant après , ces
pilastres se transformèrent en arcades semblables aux
aqueducs de Rome. Sur le haut de ces arcades régnait
une longue corniche surmontée d'une multitude de châ-
teaux, qui bientôt se transformèrent en simples tours;
celles-ci devinrent des colonnades, puis des rangées de
fenêtres, et enfin des arbres semblables à des pins et à
des cyprès, tous d'une égale élévation.
III.
Toute Parmée française , dans les plaines de la basse
Egypte, fut témoin des phénomènes de mirage les plus
remarquables.
Fatigués par des marches forcées sous un soleil brû-
lant, dans une atmosphère étouffante et chargée de sable,
baignés de sueur et tourmentés par une soif ardente, les
soldats croyaient tout à coup apercevoir devant eux un
lac immense dont les eaux transparentes réfléchissaient
les collines lointaines, des arbres, des villages; mais à
mesure qu'ils avançaient vers ces bords tant désirés , le
lac enchanté fuyait devant eux, ne laissant qu'un sable
dessécHé à la place de sa nappe humide.
Les savants qui faisaient partie de l'expédition furent
quelque temps, comme toute Parmée, le jouet de cette
LE MIRAGE. 299
cruelle illusion; mais Monge en eut bientôt découvert et
expliqué la cause. Les couches inférieures de l'atmos-
phère, échauffées par le sable, prennent des densités qui
vont en décroissant, à mesure qu'elles sont plus voisines
du sol. Les rayons lumineux partant d'un point élevé et
pénétrant dans ces couches passent sans cesse d'un mi-
lieu plus dense dans un milieu moins dense ; l'obliquité
de leur incidence sur les couches successives va donc en
augmentant de plus en plus. Enfin, ils rencontrent une
couche sur laquelle ils subissent la réflexion totale, et
produisent pour l'œil qu'ils rencontrent une image par
réflexion.
M. le docteur Bonnafont, pendant l'expédition qui
précéda le traité de la Tafna, a fait quelques observations
qu'il a ensuite adressées à l'Académie des sciences , et
qui présentent un grand intérêt scientifique :
« L'expédition, partie d'Oran le 15 mai 1837, dit-il,
bivouaqua le soir au village de Mézerguin, le 16 à Bré-
déah, et le 17 nous quittâmes le camp à cinq heures du
matin (temps très beau, vent nord-ouest, frais, 16 de-
grés centigrades de chaleur) . À huit heures, nous aper-
çûmes, d'une petite hauteur, une immense surface
blanche miroitant au soleil , et connue sous le nom de
Lac salé, lequel n'a pas moins de quatre à cinq lieues de
long et une lieue à une lieue et demie de large, occupant
*
une direction de l'est à l'ouest.
« L'armée, arrivant du côté nord, fit sa grande halte
à neuf heures, sur le bord du lac, lequel ne présenta à tous
ceux qui occupaient le côté nord autre chose qu'une
couche blanche, comme neigeuse, qui couvrait toute la
300 LES MÉTÉORES.
surface du sol. Cette couche était produite par la cris-
tallisation du sel dont la terre est imprégnée, lequel,
dissous par les pluies torrentielles qui tombent en hiver,
se dépose à la surface du sol quand les chaleurs ont été
assez fortes pour produire l'évaporation de l'eau. Mais
tous ceux qui, comme moi, occupaient l'extrémité occi-
dentale du lac et faisaient ainsi face au soleil purent re-
marquer le phénomène suivant : à la distance d'un kilo-
mètre environ, on apercevait des ondulations pareilles à
celles d'un liquide, et toute la partie du lac située au delà
ressemblait à une petite mer agitée par une brise très
fraîche, et pourtant il n'y a pas d'eau.
« Au moment où le corps expéditionnaire allait se re-
mettre en marche, il se produisit un autre phénomène,
digne d'être noté, mais aperçu seulement du même point
de la rive qui faisait face au soleil. Un troupeau de fla-
mants, échassiers fort communs dans cette province, dé-
fila sur la rive sud-est, à six kilomètres de distance. Ces
volatiles, à mesure qu'ils quittaient le sol pour marcher
sur la surface du lac, prenaient des dimensions telles,
qu'ils ressemblaient, à s'y méprendre, à des cavaliers
arabes défilant en ordre. L'illusion fut un instant si com-
plète, que le général en chef, Bugeaud, dépêcha un spahis
en éclaireur. Ce cavalier traversa le lac en ligne droite ;
mais, arrivé au point où les ondulations commençaient à
se produire, les jambes du cheval prirent insensiblement
de telles dimensions en hauteur, que cheval et cavalier
semblaient être supportés par un animal fantastique ayant
plusieurs mètres de hauteur, et se jouant au milieu des
flots qui semblaient le submerger. Tout le monde con-
LE MIRAGE. 301
templait ce phénomène curieux, lorsqu'un épais nuage,
interceptant les rayons du soleil , fit disparaître ces effets
d'optique et rétablit la réalité de tous les objets.
« L'armée continua sa marche sur Tlemcen et la Tafna,
mais en revenant de ce dernier point pour rentrer à Oran,
je reçus Tordre de suivre le l or de ligne, qui allait cam-
per, jusqu'à la ratification du traité conclu avec Abd-el-
Kader, à Aïn-Ambria, situé à peu de distance du lac salé
de Dréhan. Le 8 juin, mon ambulance plantait ses tentes
à côté de ce lac, sur lequel, pendant un campement de dix
à douze jours, j'ai pu observer de nouveaux effets de mi-
rage. Ainsi, tous les matins, la surface du lac était re-
couverte d'une couche légèrement nébuleuse qui avait un
mètre de hauteur, et assez transparente pour laisser dis-
tinguer les objets à une grande distance. De sept heu-
res et demie à huit heures du matin , on pouvait par-
courir le lac en tous sens, sans rien remarquer de particu-
lier ; mais à cette heure, si l'on regardait du côté du soleil,
on voyait les ondulations commencer toujours à un kilo-
mètre de distance, et à mesure que le soleil montait
l'eau semblait aussi se rapprocher du côté du levant,
tandis que du côté du couchant la surface du lac ne
présentait rien de particulier.
« Quand le soleil arrivait au méridien, et que ses
rayons tombaient perpendiculairement sur le sol , tout à
coup la scène changeait; les ondulations aqueuses enva-
hissaient tous les côtés du lac et ressemblaient aux vagues
de la marée montante, menaçant de submerger l'obser-
vateur, placé au milieu. Dès que le soleil s'éloignait du
méridien, les effets du mirage disparaissaient du côté du
302 LES MÉTÉORES.
levant, pour se rapprocher très faiblement du côté du
couchant. Souvent même ils manquaient complètement
de ce côté.
<x Parfois il se produisait un autre effet, qui devint
bientôt un sujet de récréation pour les militaires. Si, pen-
dant que le soleil était à l'est, le vent soufflait du côté
opposé, on projetait sur le lac un petit corps léger, sus-
ceptible d'être entraîné par le vent : il était curieux de
le voir grossir à mesure qu'il s'éloignait , et dès que le
vent lui avait fait atteindre les ondulations, il affectait
tout à coup la forme d'une petite nacelle, dont l'agitation
au-dessus des vagues était en raison des secousses que
lui donnait le vent. Ce qui réussissait le mieux, c'étaient
des tètes de chardon , qui obéissaient plus facilement à
la plus légère brise; alors l'illusion était complète. Dans
la matinée du 18 juin, par une température de 26 degrés
centigrades, une brise un peu forte de l'orient, et une
couche nébuleuse qui commençait à dissiper la chaleur,
nous lançâmes, à huit heures et demie du matin, un cer-
tain nombre de têtes de chardon; et dès que le vent les
eut poussées jusqu'au point où les ondulations se produi-
saient, elles offrirent tout à coup le spectacle curieux
d'une flottille en désordre. Les nacelles semblaient se
heurter les unes contre les autres, et puis, poussées par
le vent jusqu'à une très grande distance, elles disparu-
rent complètement, comme si elles avaient sombré. »
Il est à remarquer que les effets de mirage décrits par
M. Bonnafont appartiennent plutôt aux lois de la réfrac-
tion qu'à celles de la réflexion des rayons lumineux.
LE MIRAGE. 303
IV.
On lit dans une lettre datée de l'île de Ténériffe le
récit d'une ascension sur le pic par quelques savants por-
tugais, qui révèle un fait de réfraction terrestre des plus
extraordinaires. Nous en empruntons un extrait au Cour-
rier des sciences :
« Les savants dont il est question, étant parvenus à la
cime du volcan, qui ressemble à une énorme pyramide,
et qui a une hauteur de près de 2,000 mètres au-dessus
du niveau de la mer, ne furent pas peu surpris d'aperce-
voir, au lever du soleil, des terres se développant sur
certains points de l'horizon, et formant une masse qui ne
pouvait évidemment appartenir qu'à un continent. L'ar-
chipel des îles Canaries était en quelque sorte à leurs
pieds; il n'y avait donc pas lieu de confondre les terres
qui apparaissaient à l'horizon avec celles du groupe des
Canaries, quelle que fût la distance qui les séparât.
« C'étaient donc des terres autres que celles des îles
Fortunées qui se montraient à leurs regards étonnés, et
ce n'étaient en effet ni plus ni moins que les montagnes
Apalaches de l'Amérique que l'on apercevait du haut de
cet observatoire colossal. Le doute n'était plus permis,
d'après le calcul fait par un des voyageurs qui connaissait
cette partie de l'Amérique; et tous de s'extasier devant
ce spectacle grandiose, qui leur offrait la vue du con-
tinent américain à plus de 1,000 lieues. Ce spectacle était
dû à un mirage des plus merveilleux. Les effets de cette
réfraction extraordinaire sont produits par le vent hu-
304
LES METEORES.
mide de Pouest-sud-ouest qui règne dans cette partie de
l'Océan. Ce jeu des réfractions terrestres, dont les plié-
nomènes sont d'ailleurs très connus, se révélait là, pour
Fis. 61. — Mirage.
la première fois peut-être, dans des proportions vrai-
ment extraordinaires, et qui paraîtront incroyables quand
on saura que de la cime d'une montagne élevée comme le
pic de Ténériffe l'œil ne peut embrasser qu'une surface
de 5,700 lieues carrées, et que le rayon visuel de l'ho-
rizon du pic s'étend à peine à une distance de 50 lieues.
LE MIRAGE. * 305
Or, apercevoir les Apalaches de l'Amérique, situées à
1,000 lieues, était assurément le plus émouvant et le
plus merveilleux résultat de réfraction qui jamais se fût
produit.
« Les montagnes Apalaches dont nous avons parlé,
connues aussi sous le nom d'Alleghany , sont situées dans
l'Amérique du Nord, et s'étendent des frontières de la
Géorgie au cap méridional de l'embouchure du Saint-Lau-
rent. Cette chaîne se dirige du sud-ouest au nord-est. Sa
longueur est de 1,600 kilomètres, et elle forme une
masse non interrompue , dont les points les plus élevés
sont de 800 mètres environ. Leur distance du rivage de
l'Océan est de 80 kilomètres. »
V.
M. Bigourdan a lu, il y a quelques années, à l'Académie
des sciences, un long et intéressant jnémoire sur des
phénomènes de mirage observés à Paris, dont voici le
résumé :
Le soubassement sud-ouest de la Bourse de Paris, que
l'auteur appelle le mur méridional.' est formé d'un mur
vertical en pierre de taille, sans aucune partie saillante,
dans une étendue d'environ 78 mètres. Lorsque, entre
midi et. trois ou quatre heures, ce mur est frappé par les
rayons solaires, il présente les phénomènes du mirage avec
une grande intensité. Si un observateur place son œil un
peu en avant du prolongement du mur, il voit sa surface
disparaître tout à coup , et un peu en avant de la sur-
20
306 LES MÉTÉORES.
face il aperçoit une mince couche d'air, plus ou moins
agitée, qui a la propriété de réfléchir tous les objets qui
sont près du mur ou de son prolongement; ainsi la cor-
niche qui surmonte le soubassement se réfléchit si exac-
tement, qu'au premier abord on croit que l'image fait
partie de l'objet. Si une personne appuie sa tête sur ce
mur, un peu loin de l'observateur, une grande partie
de la tête de cette personne, et quelquefois son corps
tout entier, se mire sur la mince couche d'air comme dans
un miroir. L'image est un peu tremblante et déformée ;
mais si l'air est un peu agité, on distingue facilement tous
les traits et toutes les parties du vêtement. A la défor-
mation près, l'image paraît aussi brillante et aussi nette
que le corps lui-même.
Le mirage se manifeste aussi très bien sur les murs des
fortifications de Paris, surtout du côté du sud. Quoique
ces murs ne soient couverts d'aucun enduit et qu'ils
soient formés avec de la pierre meulière, dont la surface
présente beaucoup d'irrégularités, cependant, comme la
forme générale en est plane et que Ton y trouve des fonds
de 150 mètres de longueur, deux personnes ayant un
œil appliqué près de ces murs, à 100 ou 150 mètres de
distance , aperçoivent très bien l'image Tune de l'autre
réfléchie chacune sur la mince couche d'air chaud qui
monte le long de ces murs lorsque le soleil est un peu
brillant et qu'il fait peu de vent. Si l'on choisit les murs
dans le prolongement desquels on peut voir au loin la
campagne, et si l'on observe avec une lunette les images
réfléchies, on peut voir jusqu'à des arbres entiers avec
leurs branches et leurs feuilles. Si le prolongement de la
LE MIRAGE. 307
muraille rencontre une route fréquentée, on distingue
très bien, à la lunette, les images réfléchies des passants,
des chevaux et des voitures, lorsqu'ils se présentent près
du prolongement du mur.
À un degré plus ou moins intense, ces phénomènes
ont lieu tous les jours, ou du moins toutes les fois que le
soleil éclaire les murs des fortifications, depuis deux ou
trois heures.
Le mirage se manifeste à Paris dans beaucoup d'en-
droits d'une manière permanente, l'hiver et l'été , la
nuit et le jour* Lorsque le soleil brille avec un certain
éclat, on peut l'observer très facilement sur toutes les
surfaces planes d'une certaine étendue exposées au soleil,
sur les parapets des quais, sur les trottoirs, sur les mar-
ches des églises, etc.
VI.
M. Paris a étudié un phénomène de mirage consis-
tant dans l'exhaussement et non dans le renversement
des objets qui se montraient à lui au-dessus des dunes
d'Aigues-Mortes,
Après avoir observé quelques instants, il vit sur sa
droite des groupes d'arbres se mettre en mouvement,
leur image s'allonger, se doubler de hauteur, puis s'élancer
avec la rapidité de la pensée vers un nuage qui se for-
mait au-dessus , et avec une rapidité non moins grande
redescendre renversée, et aller rejoindre l'image infé-
rieure au milieu de la distance qui séparait leurs bases.
508 LES MÉTÉORES.
L'une de ces bases était derrière les dunes, l'autre était
soudée au nuage. Toutes ces opérations n'pnt pas duré
plus d'une seconde*
Un vide à parois verticales séparait les deux groupes;
il persistait malgré l'ascension des images, gardant la
même largeur; c'étaient alors deux gigantesques murs de
verdure. Et comme le nuage passait vers la gauche,
il jetait comme un pont de vapeur sur cet abîme. Ce nuage
était venu de la haute mer ; sa largeur était faible , sa
teinte et sa consistance étaient celles d'un nimbus ; il était
probablement la reproduction du sol. Il se propageait de
droite à gauche, et partout au-dessous de lui s'élevaient
des images nouvelles, montant comme les premières, et,
comme elles, redescendant renversées. Ces images étaient
celles des objets que M. Paris voyait d'habitude derrière
les dunes et d'autres qui lui étaient inconnues ; des mas-
sifs d'arbres, des arbres épars, des habitations. Dans
l'intervalle de deux minutes, le nuage représentant le sol
avait parcouru un horizon de o,6Q0 mètres, et dans ce
court espace de temps quarante objets environ ont repro-
duit leur image.
Le phénomène s'est ensuite établi sur toute la ligne.
Le nuage formait en haut un nouvel horizon , qui servait
de cadre supérieur au tableau, comme les dunes for-
maient le cadre inférieur. L'étendue était de 10 degrés
35 minutes; la hauteur de 4 minutes. Ce tableau était
des plus variés. Les groupes d'arbres, terminés en
pointe , figuraient deux pyramides réunies par leurs
sommets ; les massifs , plus compacts , ressemblaient à
des prismes. Les arbres isolés montraient leurs colonnes,
LE MIRAGE. 309
ou déliées et homogènes, ou formées de nœuds irréguliers;
le plus souvent c'étaient des berceaux de verdure, et l'as-
pect général était celui d'objets disposés pour une fête*
La teinte des arbres était brune , comme aussi celle des
nuages ; celle des bâtiments éclairés par les derniers rayons
du soleil était d'un jaune-orange éclatant, et les ondula-
tions y étaient si fortes, qu'ils paraissaient enflammés*
Toutes ces images étaient dans une continuelle agi-
tation ; elles montaient et descendaient comme si elles
avaient été élastiques et tirées en même temps par les
deux bouts, s'allongeant et se contractant sans relâche.
pendant la demi-heure que dura le phénomène. Dans ce
mouvement incessant, la forme variait à chaque seconde,
et souvent, le vide du centre venant à se remplir, au lieu
de deux pyramides effilées , on voyait une masse colos-
sale. Ce dernier effet était surtout apparent sur les mai-
sons, plus fortement éclairées.
Vers le milieu de la ligne, un autre effet se prononçait.
Il y a, à la distance de 8 kilomètres des dunes, le ha-
meau des salines de Pécaï. M. Paris n'en voyait d'ordi-
naire que les sommets d'un bâtiment et de deux hautes
cheminées d'usine ; dès le commencement du phénomène,
le hameau s'est relevé légèrement , et l'une des maisons
a semblé jeter des flammes. Bientôt il se porta tout en-
tier sur le nuage , gardant sa position droite , alors que
toutes les imagés à droite et à gauche étaient renversées
et immobiles ; au milieu du mouvement général qui per-
sistait à ses côtés, sa lumière était tranquille comme à
la fin d'un beau jour d'été ; on pouvait y compter neuf
bâtiments entre les deux grandes cheminées.
310 LES MÉTÉORES.
Du milieu des images des arbres, M. Paris vit sur la
droite sortir de l'horizon deux colonnes blanches élevées
d'environ 3 minutes; elles marchèrent l'une vers l'autre,
se joignirent et se séparèrent : c'étaient deux voiles de na-
vire qui , d'après toutes les circonstances , étaient sur la
mer des Bouches-du-Rhône, à 10 kilomètres en arrière
des dunes; leur image était droite.
Le phénomène dura une demi-heure ; mais les formes
ne restèrent pas les mêmes. Outre les variations pro-
duites par l'agitation des images, un changement total
s'opérait quelquefois.
Après une demi-heure de cette seconde apparition , le
nuage disparut, les images supérieures s'effacèrent, les
deux voiles s'évanouirent de même; tout rentra dans
l'ordre accoutumé , sauf le hameau, qui descendait len-
tement, toujours dans sa position droite; la nuit arriva,
qu'il n'avait pas encore rejoint l'horizon.
VII.
Tous ces phénomènes de mirage sont faciles à com-
prendre ; ils sont dus aux lois de la réfraction et de la ré-
flexion de la lumière.
Dans un milieu diaphane homogène , c'est-à-dire ayant
partout les mêmes propriétés et au même degré, la
lumière se propage toujours en ligne droite; mais lors-
qu'elle arrive à la surface d'un corps diaphane ou trans-
parent, une partie se réfléchit et une autre partie pé-
nètre dans le corps en éprouvant une déviation à laquelle
ou a donné le nom de réfraction.
LE MIRAGE. 311
Ce changement de direction est facile à constater par
l'expérience suivante.
Si l'on met une pièce de monnaie djans un vase vide ,
à parois opaques, de manière que, placé à une cer-
taine distance, on puisse à peine en apercevoir le bord,
et si Ton y verse ensuite de Peau, à mesure que le ni-
veau s'élèvera, la pièce semblera s'avancer vers le côté
opposé du vase, et bientôt, sans changer de position,
on l'apercevra tout entière.
Il faut donc que la lumière ne vienne pas en droite
ligne de la pièce vers l'œil ; il est en effet facile de cons-
tater qu'elle se propage en ligne droite dans l'eau , et en
ligne droite dans l'air; mais elle se brise en s'inclinant
sur la surface liquide , en passant de l'eau dans l'air.
C'est pour la même raison qu'un bâton droit, plongé
en partie dans l'eau, parait brisé à la surface du liquide,
et que, de quelque manière que l'on regarde un objet
placé au fond d'un bassin rempli d'eau, cet objet et le
fond du bassin lui-même semblent toujours moins éloi-
gnés de l'œil de l'observateur qu'ils ne le sont en réalité.
Ce n'est pas seulement en passant de l'eau dans l'air
ou de l'air dans l'eau que les rayons lumineux se bri-
sent; mais cela a généralement lieu toutes les fois qu'ils
passent d'un milieu transparent dans un autre. Ordinai-
rement les milieux les plus denses sont aussi les plus ré-
fringents, c'est-à-dire ceux qui, toutes choses égales
d'ailleurs, font subir à la lumière de plus fortes dévia-
tions; cependant il y a des exceptions.
Pour que deux milieux aient une différence d'homosé-
néilé capable de produire les phénomènes de réfraction*
v
312
LES METEORES.
il n'est pas nécessaire qu'ils soient de nature différente;
une simple différence de densité dans les parties d'un
même milieu suffit pour le diviser en milieux hétéro-
gènes par rapport à la lumière.
Fiff. <i-2. — Phénomènes do réfraction.
Les différentes couches de l'air ayant toutes des den-
sités différentes, il en résulte que la lumière du soleil ne
nous arrive jamais en ligne droite, et que nous ne voyons
jamais cet astre au lieu où il est en réalité. Les mêmes il-
lusions se reproduisent dans nos observations sur les étoiles
LE MIRAGE. 313
ou sur les corps très éloignés. Ainsi tous les astres nous
présentent des phénomènes de mirage par réfraction.
En traversant les couches successives de l'atmosphère ,
la lumière ne rencontre pas de changement brusque de
densité, elle ne se brise pas non plus brusquement,
comme, par exemple, en passant de Pair dans l'eau ou
dans le verre; elle suit une ligne courbe au lieu d'une
ligne brisée. La réfraction que la lumière des astres
éprouve en traversant les couches successives de l'atmo-
sphère , nous fait jouir plus longtemps de leur présence
sur l'horizon , car elle avance leur lever et retarde leur
coucher. C'est à cette réfraction que nous devons l'aurore
qui précède l'éclat du jour, et le crépuscule qui précède
les ténèbres de la nuit,
La lumière qui vient de parcourir un milieu réfringent,
et qui se présente pour passer dans un autre moins ré-
fringent, s'arrête quelquefois à la surface de séparation
des deux milieux, y subit une réflexion totale et repasse
dans le milieu déjà parcouru. Ce singulier phénomène
a lieu toutes les fois que les rayons se présentent sous
une trop grande obliquité à la surface d'émersion.
Les phénomènes de réflexion totale et de réfraction
dont nous venons de parler expliquent toutes les variétés
des faits magiques connus sous le nom de mirage.
CHAPITRE XVI.
HALOS, PARHÉLIES, PARASÉLENE.
On appelle halos les cercles lumineux et concentriques ,
assez souvent colorés, qui apparaissent autour du so-
leil et de la lune.
La formation des halos est due à la lumière réfractée
par des particules glacées, suspendues dans les hautes
régions de l'atmosphère.
On peut produire en petit , et artificiellement , ce phéno-
mène , et le voir en regardant une bougie, soit à travers la
vapeur qui s'élève d'un vase contenant de l'eau chaude ,
soit à travers un vitrage sur lequel s'est déposée une
certaine couche d'humidité.
Les parhélies, du grec para, auprès de, et hélios, so-
leil, sont l'apparition simultanée de plusieurs soleils,
images fantastiques du soleil véritable, réunies entre
elles par des arcs brillants.
Ce singulier météore est attribué à de la lumière ré-
fléchie par les mêmes particules de glace qui produisent
les halos.
On donne le nom de parasélhie (fig. 60), du grec para ,
316
LES MÉTÉORES.
auprès de, et sélériè, lune, à l'apparition simultanée de
plusieurs lunes; ces phénomènes sont dus à une réflexion
Fig. 63.
ParascIiMic.
de lumière analogue à celle qui a lieu dans les parhélies
et dans les halos.
CHAPITRE XVII.
LA FOUDRE.
Analogie de l'électricité et de la foudre. — Curieuse expérience faite à Marly-
la -Ville. — Cerf-yolant électrique. — Production de la foudre, de l'éclair et du
tonnerre. — Gomment peut- on apprécier la distance de la foudre? — Fou-
droiement direct et par le choc en retour. — Terribles effets de la foudre. —
Statistique des accidents de la foudre en France. — Action foudroyante de
l'homme récemment foudroyé. — Répartition des coups de foudre sur diverses
espèces d'arbres.
I.
Plusieurs physiciens avaient déjà soupçonné que l'élec-
tricité pourrait bien être la cause de la foudre , lorsque
Franklin , après avoir reconnu que les corps bons con-
ducteurs, terminés en pointe , donnaient lieu à un écoule-
ment si facile de cet agent, qu'il est impossible de les
charger d'électricité, proposa d'élever en l'air une verge
de fer, terminée en pointe aiguë, pour étudier l'analogie
qu'elle pouvait présenter avec la foudre.
Un Français , nommé Dalibard, fut un des premiers qui
mit l'idée de Franklin à exécution. Il fit construire à
Marly-la- Ville , en 1752, sur un monticule, une cabane
au-dessus de laquelle il fixa , dans un gâteau de résine ,
318
LES METEORES.
une barre de fer de 13 à 1 i mètres de hauteur, pointue
par le haut.
A deux heures vingt
minutes, il s'éleva un
orage au-dessus du lieu
où était la barre, le curé
deMarly s'y transporta,
approcha le doigt de la
barre et tira des étin-
celles très fortes.
Cette expérience dan-
gereuse , qui coûta la
vie à Richmann, fut con-
firmée de toutes parts;
§5 on observa même que le
nuage pouvait être déjà
fort loin sans que la
barre cessât d'être élec-
trisée. M. Delor, habile
physicien, tira des étin-
celles à Paris, le nuage
étant au-dessus de Vin-
cennes , c'est-à-dire au
moins à deux lieues de
lui.
Peu de temps après
| la première expérience,
deux autres physiciens,
de Roma et Charles, ima-
Fi* a>*. - Expérience à Maiiy-ia-viiie. ginèrent d'envoyer vers
LA FOUDRE. 319
le nuage même un cerf-volant armé d'une pointe mé-
tallique, et dont la corde, entrelacée avec un fil de métal
bon conducteur, était terminée par un cordon de soie ,
de façon à isoler la personne qui la tenait.
Cet appareil donna spontanément des jets de lumière
de 3 mètres de longueur, accompagnés d'un bruit sem-
blable à celui d'un coup de pistolet.
On voit encore au Conservatoire des arts et métiers le
tabouret vernissé qui supportait le fil du cerf-volant ; il est
comme grillé par l'électricité qui ruisselait à l'entour en
cascades de feu.
Ces expériences démontrèrent non seulement l'identité
de la foudre et de l'électricité, en faisant voir que les
nuages orageux agissent comme une machine électrique
sur les corps bons conducteurs , mais aussi que tous les
nuages ne possèdent pas la même électricité, que les uns
sont électrisés positivement et les autres négativement.
II.
Il est facile maintenant de comprendre les phénomènes
que nous présente la foudre : deux nuages chargés d'une
même électricité doivent se repousser; et, au contraire,
ils s'attireront s'ils sont chargés d'électricités différentes.
Ces attractions et ces répulsions entrent sans doute pour
beaucoup dans les mouvements extraordinaires et les
grandes agitations que Ton remarque dans le ciel au mo-
ment des orages.
Lorsque deux nuages chargés d'électricités contraires
320 * LES MÉTÉORES.
*
viennent à se rencontrer, ils s'attirent mutuellement , et,
arrivés à une certaine distance, leurs électricités s'élan-
cent Tune vers l'autre pour se combiner ; cette combinai-
son est ce qu'on appelle la foudre : de là cette immense
étincelle que l'on appelle éclair 9 et cette détonation qui
suit Téclair et à laquelle on a donné le nom de tonnerre.
On voit souvent l'éclair fendre la nue et sillonner une
grande étendue du ciel qu'on a estimée être quelquefois
de plus d'une lieue ; la trace qu'elle laisse est presque tou-
jours en zigzags, ainsi que l'étincelle électrique produite
par une forte décharge.
Le tonnerre est causé par une violente agitation de
l'air qui se trouve sur le passage de l'électricité. Les
roulements prolongés sont dus principalement au trajet
de Téclair à travers les différentes couches d'air qui ne
reçoivent pas la même impulsion , parce qu'elles ne sont
pas à la même température ni au même degré de séche-
resse ou d'humidité. Il arrive souvent que le tonnerre
est répété et prolongé par les échos des forêts, des mon-
tagnes ou des nuages; cependant, en général, c'est la
durée de l'éclair qui détermine la durée du tonnerre.
Le tonnerre ne se fait généralement entendre qu'un
temps plus ou moins long après l'apparition de l'éclair ;
cela tient à ce que le son se propage beaucoup moins
vite que la lumière. Plus il s'écoule de temps entre l'ap-
parition de l'éclair et le bruit du tonnerre , plus le nuage
orageux est éloigné.
Ces phénomènes étaient bien connus des anciens : « Mais
l'oreille, ditLucrèce, n'entend le son du tonnerre que quand
l'œil a aperçu l'éclair, parce que les simulacres qui frap-
tC
Fig. 65. — Éclairs arborescent-
LA FOUDRE. 323
pent l'ouïe vont plus lentement que ceux qui excitent la
vue, une expérience t'en convaincra. Regarde de loin le
bûcheron trancher avec la hache le superflu des rameaux,
tu verras le coup avant d'en entendre le son; de même,
l'impression de l'éclair se fait sentir plus tôt que celle du
tonnerre, quoique le bruit parte en même temps que la
lumière et qu'ils soient l'un et l'autre produits par la
même cause et nés du même choc. » (Liv. VI.)
On peut mesurer Téloignement du nuage orageux par
le temps écoulé entre l'éclair et le tonnerre. Chaque se-
conde, que Ton peut facilement compter par les batte-
menls du pouls, représente une distance de 340 mètres.
Une fois que l'éclair a brillé , il n'y a plus de danger,
puisque l'effet de la foudre est produit.
Le plus souvent la foudre éclate au milieu des airs
sans occasionner aucun ravage sur la terre ; mais il n'en
est pas toujours ainsi.
III.
On distingue deux sortes de foudroiement, le foudroie»
ment direct et le foudroiement par le choc en retour.
Lorsqu'un nuage orageux s'approche assez près d'un
point quelconque de la surface de la terre pour y déter-
miner une forte accumulation .d'électricité , la recomposi-
tion des deux électricités peut s'opérer entre le nuage et
le point influencé. On dit alors que ce point est foudroyé
directement ou , comme le vulgaire , que la foudre est tom-
bée sur ce point, quoique en réalité rien ne soit tombé;
324 LES METEORES.
il n'y a eu que recomposition des fluides électriques.
4
4
Le point influencé par le nuage orageux vient-il à être
soustrait instantanément à ce nuaee, alors les deux élec-
tricités séparées sur ce point reviennent l'une vers l'autre
avec violence, et se recomposent brusquement. C'est ce
qu'on appelle le choc en retour, deuxième espèce de fou-
droiement.
Les éminences, le sommet des montagnes, les arbres,
les clochers , et en général les édifices élevés , sont frap-
pés de préférence , parce qu'ils sont plus rapprochés des
nuages orageux; on sait que l'action de l'électricité a
lieu, toutes choses égales d'ailleurs, en raison inverse du
carré des distances.
Cependant la nature du sol , son état de sécheresse ou
d'humidité , la conductibilité des matières qui composent
les différentes couches de terrain , sont des éléments qui
déterminent quelquefois l'explosion de la foudre sur un
point moins élevé plutôt que sur un autre plus élevé.
Le choc en retour est moins violent dans ses effets que
le choc direct , il ne produit point de combustion ; mais
il est certain que les hommes et les animaux peuvent en
être frappés de mort. On ne remarque alors sur eux ni
brûlures, ni plaies, ni fractures, en un mot aucune
trace de l'agent électrique , au lieu que le foudroiement
direct présente ordinairement ces caractères.
■
Le foudroiement direct est donc le plus terrible. Alors
la foudre , lorsqu'elle est en communication avec le sol ,
se manifeste par un ou plusieurs trous plus ou moins pro-
fonds; la terre en est remuée et bouleversée ; les arbres en
sont quelquefois fendus et brisés , ou marqués de la cime
LA FOUDRE, 325
au pied par un sillon de plusieurs centimètres de pro-
fondeur.
Lorsqu'elle éclate sur des charpentes séchées par le
temps , sur des toits de chaume , la foudre y met ordinaire-
ment le feu et produit un incendie; souvent elle trans-
porte au loin des objets d'un poids considérable , arrache
des barres de fer de leurs scellements , fond et volatilise les
métaux, déplace et renverse les meubles. Elle amène
souvent des accidents bizarres; on la voit délaisser
un objet qui se trouve sur son passage pour en aller
chercher un autre qui est à l'écart et caché, comme un
clou, un morceau de métal au milieu d'une maçonnerie.
Les divers degrés de conductibilité des corps suffisent
pour expliquer ces préférences.
IV.
Jetons un coup d'œil général sur ces phénomènes,
bien propres à étonner.
Le 6 août 1809, à Swinton, la foudre tombe sur une
maison; elle arrache de ses fondements un mur de
1 mètre d'épaisseur et de 4 mètres environ de hauteur, le
soulève et le transporte, sans le renverser, à quelques pas
plus loin. Ce raur se composait d'environ 7,000 briques
et pesait près de 26 tonnes. — En 1723, la foudre brise
un arbre dans la forêt de Nemours ; les deux fragments de
la souche avaient l'un 5 et l'autre 7 mètres de long ;
quatre hommes n'auraient pas soulevé le premier, la
foudre le jeta cependant à 15 mètres de distance.
326 LES METEORES»
Ces phénomènes de transport sont fréquents ; mais une
chose très curieuse , c'est que la foudre , dans son passage ,
s'identifie, pour ainsi dire, avec certains corps. Nobili
a observé sur des pierres foudroyées des couches de
sulfure de fer; la foudre s'était emparée chemin fai-
sant de ce sulfure, et l'avait ainsi transporté. On a ob-
servé le même effet sur des arbres foudroyés.
En 1 707 , la foudre tomba dans un moulin , sur une
grosse chaîne en fer qui servait à hisser le blé ; les an-
neaux se fondirent et furent soudés l'un à l'autre , de ma-
nière que la chaîne devint une barre de fer.
On rencontre des traces de fusion par la foudre à peu
près partout. Au sommet du mont Blanc, Saussure a
trouvé des masses d'amphibole schisteux recouvertes de
gouttes et de bulles noirâtres évidemment vitreuses, de
la grosseur d'un grain de chanvre. Ayant comparé ces
bulles avec d'autres qui recouvraient des briques frap-
pées de la foudre , il n'eut pas de peine à en reconnaître
l'identité.
Sur la plus haute cime du Toluca, près de Mexico,
MM. de Humboldt et Bonpland ont constaté que la sur-
face du rocher el Frayle était vitrifiée et que la foudre
avait passé par là. C'est encore au passage de la foudre
que l'on doit rapporter l'origine des fulgurites ou tubes
fulminaires qu'on découvre dans les sables.
Avec l'électricité on peut aimanter le fer. Quand la
foudre frappe les barres de fer d'un édifice , ces barres
sont aimantées. Sur mer, les effets magnétiques sont plus
sensibles encore : l'aimantation des aiguilles de la bous-
sole peut être dérangée, comme aussi la marche des
LA FOUDRE. 327
chronomètres. Dans son voyage de 1824, le capitaine
Duperré a pu s'assurer de ce dernier fait.
Le passage de l'électricité dans un nuage donne nais-
sance à de l'ozone ; il se fait aussi une combinaison d'azote
et d'oxygène, d'où résulte de l'acide nitrique, qui à son
tour forme des nitrates. Les eaux qui tombent alors sur
la terre en sont plus ou moins imprégnées.
L'orage fait tourner le pain , le lait , la bière nouvelle ;
mais ces effets sont amenés plutôt par la chaleur de l'air
que par les décharges électriques.
Qn remarque que les individus tués par la foudre sont
rapidement envahis par la putréfaction.
Cela tient à ce que, dans ce genre de mort, le système
vasculaire est surtout atteint; il est crevé par la foudre,
et tous les liquides du corps humain sont mélangés. L'é-
lectricité agit surtout sur le système nerveux; aussi la
plupart des individus que la foudre a frappés sans les tuer
demeurent-ils paralysés.
V.
Au nombre des effets les plus extraordinaires de la foudre
il faut ranger sans contredit les empreintes d'images terres-
tres qu'elle grave sur les objets foudroyés. De nombreux
exemples en ont été rapportés à différentes époques , et
M. Pœy , directeur de l'observatoire météorologique de la
Havane , a présenté à l'Académie des sciences de Paris un
certain nombre de ces spécimens; nous lui en emprun-
tons quelques-uns qui pourront intéresser nos lecteurs.
328 LES METEORES.
■
La première mention de ce singulier phénomène de
la foudre se trouve dans les Pères de l'Église, qui le ci-
tent d'une manière formelle, comme s'étant manifesté,
vers Tan 360 de notre ère, sur le corps et sur les vête-
ments des hommes occupés à la reconstruction du temple
de Jérusalem. Ces pères, contemporains de l'empereur
Julien, sont saint Ambroise, saint Jean Chrysostome et
saint Grégoire de Nazianze,
Comme les Juifs se préparaient à poser les fondements
du temple, il arriva un tremblement de terre précédé
de tourbillons de vent, de tempête et de foudre, suivi de
globes de feu qui sortirent des entrailles de la terre. Les
ouvriers s'étant réfugiés dans une église catholique voi-
sine , la foudre éclata de nouveau , et des croix se trou-
vèrent imprimées sur le corps et sur les vêtements des
ouvriers et des personnes présentes. Ces croix étaient obs-
cures le jour, brillantes et radiantes la nuit.
Chose remarquable, on a retrouvé, à une époque plus
moderne , une formation analogue de croix par Faction
de la foudre. Casaubon raconte qu'environ quinze ans
avant Tannée 1510, la cathédrale de Wells, dans le So-
mersetshire (Angleterre), fut foudroyée, et que l'on
trouva des croix dessinées sur le corps de ceux qui se
trouvaient dans l'église. L'évêque en avait une sur le bras ,
d'autres présentaient ce signe sur l'épaule, sur la poitrine,
sur le dos. Ces croix avaient été imprimées sur le corps
à travers le linge et les vêtements.
Une troisième formation de croix a eu lieu à l'époque
de l'éruption du Vésuve en 1660; elle est signalée par
le père Kircher.
LA FOUDRE.
329
On a trouve d'autres impressions de la foudre non
moins surprenantes que les précédentes. La foudre
étant tombée, le 18 juillet 1689, sur l'église de Saint-
Sauveur à Lagny, elle imprima en un instant, sur la
nappe de l'autel, les paroles de la consécration qui se
trouvaient sur le canon, à commencer de celles-ci : Qui
Fisc. 66. — Éclair divise et radié.
pridie quam pateretur, etc. , jusqu'à ces autres inclusive-
ment : Hœc (/uotiescumque feceritis , in met memoriam fa-
cietis; n'ayant omis que les paroles que Ton a l'habitude
d'écrire en caractères plus saillants que les autres, et qui
étaient en lettres rouges sur le carton.
En 178G, Leroy, membre de l'Académie des sciences
330 LES METEORES.
de Paris , dit que Franklin lui avait plusieurs fois répété
qu'il y avait quarante ans un homme se tenait sur
le bas d'une porte, pendant un orage, lorsque la foudre
tomba sur un arbre vis-à-vis de lui, et que, par une es-
pèce de prodige , on trouva ensuite la contre-épreuve de
cet arbre sur la poitrine de cet homme.
En 1825, la foudre tomba sur le brigantin II Buon
Servo, à l'ancre dans la baie d'Àrmiero; un matelot assis
au pied du mât de misaine fut tué, et on remarqua sur
son dos une trace légère , jaune et noire , qui partait de
son cou et se terminait aux reins, et là était imprimé un
fer à cheval parfaitement distinct et de la même grandeur
que celui cloué sur le mât.
Le mât de misaine d'un autre brigantin fut foudroyé
dans la rade deZante; on vit sous la mamelle qauche d'un
marinier, qui avait été tué, un numéro 44, que tous ses
camarades attestèrent ne pas exister auparavant. Ces deux
chiffres, grands, bien formés, avec un point au milieu,
étaient parfaitement semblables au numéro en métal atta-
ché à un agrès du bâtiment, placé entre le mât et le lit du
marin, qui était endormi lorsqu'il fut foudroyé.
En 1836, la foudre tomba près de Zante, et tua un
jeune homme. Le cadavre avait au milieu de l'épaule
droite six cercles qui conservaient la couleur de chair,
tandis que le reste du corps était noirâtre. Ces cercles ,
dessinés les uns à la suite des autres, se touchaient en un
point. Ils étaient de trois grandeurs différentes, corres-
pondant exactement à celles des pièces de monnaie d'or
que le jeune homme avait du côté de sa ceinture.
En 1811, un magistrat du département d'Inde-et-Loire
LA FOUDRE. 331
fut frappé de la foudre. On remarqua avec surprise qu'il
avait sur la poitrine des taches qui ressemblaient parfai-
tement à des feuilles de peuplier. Ces marques s'effacè-
rent graduellement à mesure que la circulation se rétablit.
En 1847, M me Moraza, de Lugano , assise près d'une
fenêtre pendant un orage , éprouva une commotion dont
on ne dit pas qu'elle ressentit de mauvais effets; mais une
fleur, qui se trouva dans le courant électrique, fut des-
sinée parfaitement sur sa jambe , et cette image s'y con-
serva le reste de ses jours.
A Cuba, le 24 juillet 1852, la foudre tomba, dans une
plantation de café de Saint- Vincent , sur un palmier, et
grava sur les feuilles sèches l'image des pins d'alentour,
aussi parfaitement que si elle avait été exécutée avec un
burin.
V Intelligence 9 journal des États-Unis d'Amérique , si-
gnalait le fait suivant, en 1853 : Une jeune fille se trou-
vait devant une fenêtre en face d'un arbre; après une
décharge électrique, l'image entière de l'arbre fut re-
produite sur son corps.
« J'ai cent fois entendu raconter dans mon enfance,
ditRaspail, un fait de ce genre dont tout le pays avait
pu être témoin. Un enfant était monté sur un peuplier
d'Italie , pour y dénicher un nid d'oiseaux ; la foudre
éclate et jette l'enfant sur le sol ; ce pauvre malheureux-
portait sur la poitrine le décalque du peuplier, sur un ra-
meau duquel on distinguait fort bien le nid et l'oiseau
tant convoité. »
Il n'y a que peu de temps, plusieurs journaux ont rap-
porté qu'une femme de Seine-et-Marne s'était réfugiée
•
332 LES METEORES.
avec sa vache sous un arbre, au moment où un violent
orage éclatait. Tout à coup une forte détonation se fît
entendre; la Vache fut tuée par la foudre, et sa gardienne
resta étendue sans mouvement sur le sol. On reconnut
qu'elle vivait encore, et des soins empressés lui rendi-
rent le sentiment de l'existence. Mais, chose singulière,
en écartant ses vêtements pour la secourir, on aperçut
parfaitement gravée sur sa poitrine l'image de la vache
frappée à côté d'elle.
VI.
Dans l'état actuel de nos connaissances, il est difficile
d'avancer une théorie qui puisse rendre compte d'une
manière entièrement satisfaisante de toutes les circons-
tances qui accompagnent la formation de ces singulières
impressions de la foudre.
Cependant il est croyable qu'elles ont le plus grand
rapport de cause et d'effet avec des impressions ana-
logues obtenues à l'aide des rayons solaires, comme dans
la photographie ordinaire , ou à l'aide de la décharge
électrique d'une batterie, ou encore par une action thermo-
électrique, comme dans le cas des images électriques ob-
tenues parMoser, Riess, Carsten, Grove, Fox-Talbot et
d'autres savants.
Dans toutes ces impressions électriques, ainsi que dans
celles de la foudre, le corps qui reçoit l'empreinte éprouve
une modification moléculaire plus ou moins prononcée.
Il y a en outre transport de matière pondérable détachée
LA FOUDRE. 333
du premier conducteur et portée sur le second conducteur,
où la foudre se neutralise, en d'autres termes, du pôle
positif au pôle négatif, comme dans les opérations de
galvanoplastie.
VII.
Nos lecteurs seront peut-être curieux de connaître
le danger réel auquel on est exposé en présence de la
foudre. Voici une statistique qui pourra leur en donner
une idée :
Il résulte d'une noteprésentée à l'Académie des sciences,
par M. le docteur Boudin, les renseignements qui suivent
sur des accidents de la foudre , et qui ne sont pas sans
intérêt. Dans la période comprise entre les années 1835
et 1803, c'est-à-dire en vingt-neuf années , on a compté
en France 2,238 personnes tuées raide par la foudre. Le
maximum annuel a été de 111 , le minimum de 48; mais
si l'on joint le nombre des blessés à celui des morts, le
nombre total des victimes de la foudre dépasse 6,700,
et la moyenne par an est de 230. Les personnes du
sexe féminin paraissent beaucoup plus à Pabri des at-
teintes du fluide que celles du sexe masculin : ainsi sur
880 victimes frappées de 1854 à 1803, il n'y en a que
233, moins du tiers, appartenant au premier sexe. Et
ce qui tendrait à prouver qu'il v a là une immunité par-
ticulière , celle des vêtements de soie par exemple , c'est
que dans plusieurs cas la foudre, en tombant sur des
334
LES METEORES.
groupes de personnes des deux sexes, a frappé particu-
lièrement les individus du sexe masculin.
L'auteur de cette curieuse statistique cite deux per-
sonnes qui ont été frappées plusieurs fois , dans leur vie,
par le feu du ciel. Circonstance bizarre! l'une d'elles a été
visitée trois fois par la foudre , dans des logements diffê-
Fig. G7. — Diverses sortes d'éclairs simples.
renls. Sur 0,71 i personnes foudroyées, un quart envi-
ron l'ont été sous des arbres, de sorte que si l'effet est la
conséquence de cette situation , contre laquelle les phy-
siciens recommandent de se prémunir, près de 1 ,700 per-
sonnes auraient pu éviter la mort ou de graves blessures
en évitant le voisinage des arbres pendant l'orage. Les
LA FOUDRE. 335
victimes de la foudre ne se répartissent pas également
sur toutes les régions de la France, et les départements
montagneux : la Lozère, la Haute-Loire, les Hautes-Alpes,
la Haute-Savoie, occupent le premier degré de l'échelle,
tandis que les plus épargnés sont plutôt des pays de
plaaies : la Manche, l'Orne, l'Eure, la Seine, le Calvados.
M. Boudin a également adressé à l'Académie une
nouvelle note, tendant à démontrer l'action foudroyante
de l'homme récemment foudroyé. Voici deux observations
qu'il rapporte :
La première est relative à un homme qui, le 30 juin
1834, fut tué par la foudre, près du Jardin des plantes,
à Paris, et dont le corps resta pendant quelque temps
exposé à une pluie battante. Après l'orage, deux soldats
qui voulurent enlever le cadavre reçurent chacun un choc
violent au moment où ils le touchèrent.
Dans la seconde observation; deux artilleurs chargés
de relever deux poteaux du télégraphe électrique qui
avaient été renversés, le 8 septembre 1858, par un orage,
à Zara (DalmatieJ, ayant saisi, deux heures après l'o-
rage, le fil conducteur, éprouvèrent d'abord de légères
secousses, puis furent tout à coup terrassés ; tous deux
avaient les mains brûlées. L'un ne donnait même plus
aucun signe de vie ; l'autre , en essayant de se relever,
retomba immédiatement en touchant du coude un de
ses camarades accouru à ses cris. Ce dernier, terrassé à
son tour, éprouva des accidents nerveux divers , et son
bras présenta une brûlure de la peau à l'endroit même
où il avait été touché.
336 LES METEORES.
VIII.
M. Tourde a présenté à l'Académie des sciences une
note intéressante sur le cas de foudre arrivé le 13 juillet
1869 à 6 h. 45 du soir, au pont de Kehl. Nous la résume-
rons en quelques mots et nous ferons ressortir une parti-
cularité qui donne un enseignement spécial.
Un marronnier d'une faible élévation a été foudrové au
voisinage d'un édifice portant un paratonnerre, près du
fleuve et des grandes masses métalliques du pont du che-
min de fer. Rien n'explique la prédilection de la foudre
pour cet arbre, semblable à ceux de la même rangée, si
ce n'est la présence des trois militaires assis au-dessous
et qui portaient des objets en métal.
La foudre est venue de haut en bas, sous forme d'un
sillon lumineux, elle a effleuré l'arbre, laissant de^faibles
traces aux feuilles el au pied du tronc. Les trois militaires,
assis sur un banc placé sous l'arbre , ont été renversés en
même temps ; l'un est mort sur le coup , le second en
quelques minutes et le troisième a survécu.
Les vêtements des hommes foudroyés offrent des déchi-
rures irrégulières, les unes avec brûlures, les autres sans
trace de combustion. La foudre a frappé de haut |en bas
les deux militaires qui ont succombé, perçant la visière
du schako et brûlant les cheveux et les poils de lai face ;
chez l'un , le fluide électrique a longé le côté gauche du
corps et est sorti par le fourreau du sabre; chez l'autre,
il a sillonné le côté droit et il s'est échappé par la chaus-
LA FOUDRE, 337
sure, dont une quinzaine de clous étaient arrachés. Le
militaire survivant a été touché de côté, à la partie infé-
rieure du tronc; l'étincelle, quittant le fourreau du sabre
de son voisin , a frappé le couteau placé dans la poche
du pantalon , a contusionné en ce point la cuisse , et , tra-
çant en arrière un long sillon, a rejoint à gauche le four-
reau de sabre, qui porte quelque trace de fusion.
Aucune lésion mécanique n'expliquait la mort; les
caractères anatomiques étaient ceux d'une asphyxie,
moins prononcée chez l'homme qui avait péri instantané-
ment. La membrane du tympan a été brisée chez l'une
des victimes , sans doute par suite du refoulement de l'air
au moment de la détonation; la rigidité cadavérique a
été prompte et générale.
Une chose assez remarquable , c'est que le survivant ,
ayant repris connaissance, ne savait pas qu'il avait été
foudroyé. Plusieurs faits analogues ont déjà été remarqués :
ainsi , M. Deschamps rapporte que le docteur Franklin fit
passer un choc électrique au travers du cerveau de six
hommes, ils tombèrent tous à l'instant sans connaissance.
Leurs muscles furent subitement relâchés, et leur chute
ne fut précédée d'aucune titubation , d'aucun signa pré-
curseur de chancellement. Ils affirmèrent n'avoir ressenti
aucun coup, ni vu ni entendu l'étincelle. L'état de mort
apparente se dissipa graduellement : il serait devenu
définUif si le choc eût été d'une plus grande intensité \
Ainsi, on peut passer de ce monde dans l'autre sans en
avoir aucun pressentiment, sans transition, sans avoir
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1869.
22
338 LES METEORES.
un instant la conscience que le moment suprême de la
mort est là.
IX.
M. Colladon a présenté à l'Académie un mémoire concer-
nant les effets de la foudre sur les arbres. Il reconnaît
que chaque espèce d'arbres présente des lésions ayant
des caractères spéciaux. Pour quelques espèces, pour les
peupliers, par exemple, les parties les plus élevées et les
plus jeunes ne sont nullement altérées par de violents
coups de foudre ; les lésions se manifestent habituellement
sur la partie inférieure du tronc, dont le bois, moins bon
conducteur de l'électricité, subit seul des altérations par
le passage du courant. C'est là seulement que l'on voit des
places dénudées d'aubier et d'écorce : ce qui a donné lieu
au préjugé très répandu d'arbres frappés au milieu, au
tiers ou au quart de leur hauteur. Il peut arriver qu'un
arbre très bon conducteur de l'électricité ne présente
aucune lésion apparente , à la suite d'un très violent coup
de foudre.
Dans la plupart des cas, la foudre ne frappe pas un
point unique de l'arbre, mais elle s'étale sur la totalité des
branches supérieures ou latérales; quelquefois elle frappe
simultanément le sommet de plusieurs arbres contigus
et se dissémine sur une très grande quantité de feuilles
et de rameaux. M. Colladon démontre par plusieurs faits
bien caractérisés que , en général , chaque branche située
dans la partie élevée de l'arbre, recueille et transmet au
LA FOUDRE. 339
tronc son contingent de fluide électrique , qui vient gros-
sir le courant principal auquel le tronc sert de conduc-
teur.
Les traces ou les sillons en hélice qui se remarquent
quelquefois sur des arbres foudroyés , et assez fréquem-
ment sur les chênes, prennent cette direction hélicoï-
dale par suite de la tendance du courant électrique à
suivre la longueur des cellules qui constituent le jeune
bois, seul bon conducteur de l'électricité. Lorsque la
foudre frappe des vignes , formées de ceps tous égaux en
hauteur et très régulièrement espacés, comme on en voit
un grand nombre dans la vallée du Léman , la surface
frappée est à fort peu près un cercle régulier et bien défini.
L'action plus forte du centre décroît en se rapprochant de
la circonférence; là elle cesse subitement, et au delà du
cercle on n'aperçoit aucune souche atteinte. Dans l'inté-
rieur il n'y a ni anneaux, ni séparations '.
A une réunion de la Société philosophique de Man-
chester, M. Sidebotham a également parlé des effets de la
foudre sur les différentes espèces d'arbres. Il a recueilli un
certain nombre de cas, et il a été surpris de trouver que
les hêtres avaient échappé aux coups de la foudre d'une
manière remarquable , et à un point qui permettrait de
dire que jamais un hêtre n'a été foudroyé.
Dans 28 cas d'arbres foudroyés en Angleterre, on a
remarqué que les coups se répartissaient de la manière
suivante sur les diverses espèces :
Chênes, 9; peupliers, 7; érables, 4; saules, 3; mar-
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872.
340 LES METEORES.
ronnier d'Inde , 1 ; marronnier, 1 ; noyer, 1 ; aubé-
pine, 1 ; orme, 1.
A l'occasion de cette communication, M. Biney fait
remarquer avec raison que les foudroiements sont en gé-
néral déterminés par la nature du terrain. C'est ce qui
fait que dans certaines localités les orages sont plus dé-
sastreux que dans d'autres. Le hêtre croît généralement
sur un terrain sec et sablonneux; de tels terrains sont
mauvais conducteurs de l'électricité, et par conséquent
moins sujets que les terrains humides à recevoir les dé-
charges de la foudre : on peut expliquer ainsi l'espèce
d'immunité dont paraît jouir le hêtre.
La frayeur que cause la foudre a poussé de bonne heure
à chercher les moyens de s'en garantir. On s'est succes-
sivement revêtu de certaines peaux , on s'est couvert la
tête de laurier, on a tiré le canon, sonné les cloches,
moyen plus propre à attirer la foudre qu'à l'éloigner;
on a enfin interrogé la science . qui nous a donné les
paratonnerres. Étudions ces curieux instruments.
CHAPITKE XVIII.
LES PARATONNERRES.
Distribution de l'électricité dans les corps. — Influence de la forme des corps sur
la distribution de l'électricité. — Pouvoir des pointes. — Parties essentielles
du paratonnerre. — Comment il décharge les nuages orageux. — Résumé des
rapports qui ont été faits à l'Académie des sciences sur le paratonnerre depuis
son origine. — Substances et sites qui attirent plus particulièrement la foudre,
— Règles fondamentales pour la construction d'un bon paratonnerre. — Éten-
due qu'il protège. — Paratonnerre chinois. — Paratonnerre pour les navires.
I.
L'électricité à l'état neutre est uniformément répandue
dans la masse des corps ; mais il n'en est pas de même
de l'électricité à l'état libre, etfr alors elle possède une
puissance répulsive qui tend sans cesse à la disperser
jusqu'à ce qu'elle trouve un obstacle qui l'arrête.
C'est pour cela qu'une fois développé dans les corps,
le mouvement électrique se hâte de gagner la surface,
et s'y accumule avec plus ou moins d'abondance.
Cette couche électrique est maintenue à la surface
des corps par l'influence seule de l'atmosphère. La
preuve se trouve en ce qu'il devient impossible de
342 LES MÉTÉORES.
charger un corps bon conducteur si on le place dans le
vide produit par la machine pneumatique; car, dans ce
cas, l'électricité que l'on développe s'échappe aussitôt
sous la forme d'aigrettes lumineuses.
La force électrique fait donc un effort continuel pour
vaincre l'influence atmosphérique; et Ton désigne cet
effort sous le nom de force de tension de Y électricité. Cette
tension peut être comparée à celle qu'exercent les fluides
pondérables contre les parois des vases qui les contien-
nent : quand les parois sont résistantes , le fluide est re-
tenu; mais si elles sont trop faibles, elles cèdent à la
pression, et le fluide s'épanche. II en est de même de
l'électricité ; lorsque sa tension est assez puissante pour
rompre l'influence de l'atmosphère , qui fait l'office des
parois d'un vase, elle se propage à travers l'espace.
La distribution de cet agent à la surface des corps dé-
pend considérablement de leur forme : si le corps est
sphérique, il résulte des propriétés mêmes de sa surface
que le mouvement électrique s'y distribue uniformément,
et présente partout la même puissance.
Si le corps a une forme allongée, terminée en pointe,
l'accumulation et la tension électriques augmentent pro-
portionnellement à mesure que l'on approche de l'ex-
trémité effilée,
La tension de l'électricité devient extrême au bout d'une
pointe aiguë : la résistance de l'atmosphère est insuf-
fisante pour la retenir, et le chargement d'un corps
bon conducteur ainsi terminé devient impossible.
En physique, on appelle pouvoir des pointes cette pro-
priété qu'elles ont de faciliter l'écoulement de l'électricité ;
LES PARATONNERRES. 343
c'est à ce pouvoir des pointes que les appareils destinés à
préserver les édifices des coups de la foudre doivent leur
puissance.
II.
Un paratonnerre se compose d'une tige de fer se ter-
minant en pointe par une de ses extrémités, et commu-
niquant avec le sol par un conducteur. Ce conducteur est
une longue barre ou corde aussi en fer. Voici, d'après les
rapports faits à l'Académie des sciences sur ce sujet, les
notions les plus indispensables à connaître.
La commission nommée en 1855 conseille de terminer
le haut des paratonnerres par un cylindre de 2 centi-
mètres de diamètre sur 20 à 25 centimètres de longueur
totale ; le sommet doit en être aminci, afin de former un
cône de 3 à 4 centimètres de hauteur. Ce cylindre est
ajusté à vis sur l'extrémité de la tige de fer du paraton-
nerre pour en faire le prolongement.
Le conducteur doit être adapté à la tige par une très
bonne soudure à rétain, et aller se perdre dans une nappe
souterraine qui laisse un libre cours à l'électricité , telle,
par exemple, que celle des puits du voisinage qui ne ta-
rissent jamais et qui conservent au moins 50 centimètres
de hauteur dans les saisons les plus défavorables.
De loin en loin il sera nécessaire de reconnaître l'état
du fer immergé, car il y a certaines eaux qui pourraient
peut-être le corroder trop profondément dans une pé-
riode de quatre ou cinq années. 11 faudra donc défaire la
344 LES METEOBES.
dernière des soudures qui se trouve hors du puits , et
avoir préparé les moyens mécaniques convenables pour
enlever le conducteur et amener au jour son extrémité
inférieure.
On sait qu'aucune peinture ne compromet les fonctions
électriques d'un paratonnerre ; ainsi , on peut appliquer
sur la tige et sur le conducteur les enduits les plus pro-
pres à le conserver, en exceptant toutefois la portion im-
mergée, qui doit rester en communication immédiate
avec l'eau du puits,
La commission chargée d'étudier l'établissement des
paratonnerres des édifices municipaux de Paris trouve
inutiles les pointes en platine et adopte, pour placer au
sommet de chaque tige, une flèche en cuivre rouge pur,
d'environ 50 centimètres de longueur, terminée sui-
vant un cône dont l'angle au sommet sera de 15°
avec la verticale, soit de 30° pour l'angle total. La tige
doit être en fer forgé , d'une seule longueur, polygonale
ou légèrement conique , et autant que possible galvani-
sée en zinc; mais sous aucun prétexte elle ne devra être
peinte l .
Cette dernière clause, comme on le voit, n'est pas
d'accord avec les indications de la commission académi-
que de 1855.
Dans une note présentée à l'Académie des sciences par
M. le général Morin, M. Saint-Edme rappelle que, dans
le principe, Franklin voulait que les tiges fussent d'un seul
métal; c'est par suite de la rapide oxydation du fer que
1 Les Mondes scientifiques, 19 avril 1875.
LES PARATONNERRES. 345
les commissions successives ont dû penser à modifier la
nature de l'extrémité de la tige. Il croit qu'il est possible
de revenir à l'idée première, maintenant que Ton sait re-
couvrir le fer d'un métal, le nickel, qui formera à sa sur-
face un véritable vernis protecteur contre l'oxydation, et
possédant la conductibilité nécessaire * .
Voyons maintenant les phénomènes qui ont lieu, entre
le paratonnerre et le nuage orageux. Lorsqu'un nuage
orageux passe au-dessus du paratonnerre, l'électricité
neutre du métal se trouve décomposée par influence , et
cette décomposition s'étend jusqu'au sol par le moyen du
conducteur.
Il se produit alors à la pointe de l'appareil un écoule-
ment continu de l'électricité contraire à celle du nuage,
qui va recomposer sans secousse une partie de l'électricité
de celui-ci et lui ôte ainsi le pouvoir de nuire.
Si l'électricité du nuage n'est pas suffisamment décom-
posée, et que la foudre éclate, c'est par le cône du cylindre
qu'elle pénètre dans la tige et le conducteur, et qu'elle
va se neutraliser dans la nappe souterraine , sans causer
de dommage à l'édifice que le paratonnerre protège.
III.
Dans un important rapport , la section de physique de
l'Académie des sciences fait remarquer qu'autrefois, pour
les constructions ordinaires, l'emploi des métaux était
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, novembre 1875.
346 LES METEORES.
restreint presque exclusivement aux faîtages, aux gout-
tières, aux tirants de consolidation ; ce n'était que bien
rarement, et comme par exception , que l'on rencontrait
soit une charpente de fer, soit une couverture de plomb,
de cuivre ou de zinc, tandis que maintenant le métal
prédomine déplus en plus; on le met partout, et, ce qui
est un point important, on le met en grande superficie et
en grandes masses : couvertures de métal, charpentes de
métal, poutres de métal, croisées de métal, et quelque-
fois murailles de métal. Alors les nuages orageux décom-
posent, par influence, des quantités d'électricité décuples
de celles qu'ils auraient décomposées sur les corps moins
bons conducteurs, comme l'ardoise ou la brique, le bois,
la pierre, le plâtre, le mortier et tous les anciens maté-
riaux de construction. Ce nouveau système réalise donc
sur une grande échelle ce que Ton attribuait d'abord
au paratonnerre, c'est-à-dire la propriété d'attirer la
foudre.
Quand l'objection s'appliquait au paratonnerre, elle
n'avait qu'une apparence de vérité; car il est vrai que le
paratonnerre attire la foudre, mais il est vrai aussi qu'o-
béissant aux lois qu'elle a reçues, celle-ci lui arrive, en
général, sans bruit, sans éclat, et toujours infailliblement
domptée et docile, ayant perdu toute sa puissance origi-
nelle de destruction. Quand l'objection, au contraire,
s'applique à ces amas de substances métalliques qui en-
trent dans nos constructions actuelles, elle n'est pas spé-
cieuse, elle est juste, profondément juste, fondée sur les
lois les mieux établies; ces constructions attirent, en
effet, la foudre, et rendent ses coups plus désastreux.
LES PARATONNERRES. 347
IV,
Pour se faire une idée juste de toutes les causes qui
concourent à Pexplosion de la foudre , il ne faut pas con-
sidérer seulement les constructions ni les objets qui s'é-
lèvent au-dessus du sol ; il faut tenir compte encore du
sol lui-même et de toutes les substances qui le constituent,
+
depuis sa surface jusqu'à de grandes profondeurs dans
les entrailles de la terre. Un sol aride, composé d'une
couche mince de terre végétale sous laquelle se trouvent
d'épaisses formations de sable sec, de calcaire ou de
granit, n'attire pas la foudre, parce qu 1 il n'est pas con-
ducteur de l'électricité ; s'il est exposé à ses coups , ce
n'est qu'accidentellement, après les pluies qui ont im-
bibé sa surface. Là, les bâtiments participent jusqu'à un
certain point au privilège du sol, à moins qu'ils ne soient
construits dans le nouveau système et qu'ils n'occupent
une étendue assez considérable. Mais sous ce sol aride et
sec y a-t-il , à plusieurs dizaines de mètres de profondeur,
de grands gisements métalliques, de vastes cavernes,
des nappes d'eau ou seulement des fontaines abondantes,
les nuages orageux exercent leur action sur ces matières
conductrices , la foudre est attirée , elle éclate en fran-
chissant l'intervalle; la croûte sèche n'est pas un obs-
tacle insurmontable; elle peut être percée, fouillée, fon-
due, à peu près comme l'est une couche de vernis par
l'étincelle électrique. Alors malheur aux constructions
qui se trouvent sur son passage ! Fussent-elles de pierre
348 LES METEORES.
ou de bois, elles sont brisées comme le reste, à moins
qu'elles n'aient à opposer pour défense un paratonnerre
bien établi.
Si ces couches humides ou métalliques se trouvent ca-
chées à des profondeurs plus grandes, le danger de l'ex-
plosion diminue pour deux causes : d'une part, l'enveloppe
qui les couvre devient difficile à traverser; d'une autre
part, l'action des nuages s'affaiblit par l'augmentation
de la distance. On peut citer en preuve les vallées étroites
qui ont quelques centaines de mètres de profondeur; la
foudre n'y pénètre jamais; elle peut frapper les crêtes
des collines, mais il est sans exemple qu'elle soit des-
cendue jusqu'aux habitations, aux arbres ou aux ruis-
seaux qui occupent les parties basses. Ces faits constants
donnent en quelque sorte la mesure de l'accroissement
de distance aux nuages, nécessaire pour être à l'abri du
danger.
V.
11 importe de bien remarquer que jamais la foudre ne
s'élance au hasard : son point de départ et son point d'ar-
rivée, qu'ils soient simples ou multiples, se trouvent mar-
qués d'abord par un point de tension électrique, et au
moment de l'explosion le sillon de feu qui les unit, al-
lant à la fois de l'un à l'autre, commence en même temps
par ses deux extrémités. Les herbes, les buissons, les
arbres même, sont des objets trop petits pour la foudre;
ils ne peuvent pas être son but. S'ils sont frappés, c'est
LES PARATONNERRES. 349
parce qu'il y a au-dessous d'eux des masses conductrices
m
plus étendues, qui sont le but caché d'attraction, qui
reçoivent au large l'influence et déterminent l'explosion.
Ainsi les lieux les plus exposés sont les lieux qui ,
étant les plus rapprochés des nuages, sont en même
temps découverts, humides et bons conducteurs; les
arbres élevés sur les sommets des coteaux sont soumis à
la première condition , les vaisseaux au milieu de la mer
sont soumis à la seconde, et il se peut trouver à une
hauteur moyenne des localités qui tiennent assez de Tune
et de l'autre pour recevoir à la fois les coups les plus
fréquents et les plus terribles, car le coup d'un même
nuage orageux peut être fort ou faible, suivant l'étendue
grande ou petite du corps conducteur qui le fait éclater.
VI.
Le cercle de protection qu'il est permis d'attribuer à
un paratonnerre n'est pas fixé d'une manière absolue;
quelques anciennes observations paraissent avoir constaté
des coups de foudre sur des parties de bâtiment qui se
trouvaient à une distance de la tige égale à trois ou quatre
fois sa hauteur au-dessous de leur niveau. En consé-
quence, à la fin du siècle dernier, c'était une opinion
généralement reçue que le cercle de protection du para-
tonnerre n'avait pour rayon que deux fois la hau-
teur de la tige. L'instruction de 1823, ayant trouvé cette
pratique établie, a cru devoir l'adopter. Cependant elle
y apporte quelques restrictions : par exemple, en ce qui
350 LES MÉTÉOKES.
regarde les paratonnerres des clochers, elle admet, s'ils
s'élèvent à 30 mètres au-dessus du comble des églises,
que pour ces combles le rayon du cercle de protection
se réduit à 30 mètres au lieu de 60.
Il importe cependant de remarquer que ces règles,
bien qu'elles soient appliquées depuis longtemps, repo-
sent sur des bases où il entre beaucoup d'arbitraire ; sans
les condamner, il ne faudrait pas leur attribuer une valeur
qn'elles sont loin d'avoir.
Ne suffirait-il pas, en effet, que d'époque en époque
elles fussent ainsi admises traditionnellement, et de eon-
?
fiance, pour que Ton se crût dispensé de les soumettre à
quelque contrôle , pour que l'on négligeât de faire sur ce
point des observations qui pourraient se présenter, et qui
fourniraient à la science des documents qui manquent
presque complètement!
La commission n'admet qu'avec ces réserves , faute de
données assez nombreuses et assez certaines, ces règles
reçues sur la grandeur du cercle qu'un paratonnerre pro-
tège autour de lui ; elles ne peuvent d'ailleurs pas être
générales et absolues; elles dépendent d'une foule de cir-
constances, et particulièrement des matériaux qui en-
trent dans les constructions; par exemple, le rayon du
cercle de protection ne peut pas être aussi grand pour un
édifice dont les couvertures ou les combles sont en métal,
que pour un édifice qui n'aurait dans ses parties supé-
rieures que du bois , de la tuile ou de l'ardoise ; dans ce
dernier cas la portion active du nuage orageux, quoique
notablement plus éloignée du paratonnerre que de la
couverture, exerce cependant sur le paratonnerre une
LES PARATONNERRES. 351
action plus vive, tandis que dans le premier cas ces
deux actions doivent être à peu près égales pour une dis-
tance égale.
M. Perrot, savant distingué, a fait d'ingénieuses expé-
riences pour vérifier de nouveau les lois de l'électricité.
II fait remarquer que l'on rendrait Faction du paratonnerre
beaucoup plus efficace en armant son extrémité supé-
rieure d'une couronne de pointes; que ces pointes multi-
ples, tout en augmentant considérablement la quantité
d'électricité fournie par le paratonnerre dans un temps
donné, auraient l'avantage de diviser le flux. Chacune
d'elles ne serait ainsi traversée que par un courant trop
faible pour la fondre , même par les orages les plus vio-
lents.
VII.
Il y a quelques années, M. Babinet, de l'Institut, a
présenté à F Académie des sciences, de la part de M. Mar-
chai, de Lunéville, la figure d'un des appareils qui, en
Chine, accompagnent toujours les flèches aiguës qui cou-
ronnent les tours nombreuses de ce pays, où chaque ville
a la sienne.
Suivant l'auteur, les chaînes qui accompagnent la
flèche, et qui, partant de son pied, vont rejoindre les
angles saillants de la tour, sont de vrais conducteurs de
l'agent électrique, dont l'expérience peut avoir fait recon-
naître l'efficacité à un peuple bien plus observateur que
théoricien.
352 LES METEORES.
Il a remarqué que dans la construction des tours chi-
noises il n'entre point de substances métalliques, pas
plus que dans leurs maisons et leurs palais. L'appareil
des chaînes offre donc une sorte d'enveloppe conductrice
qui préserve la tour de l'introduction de l'électricité.
Ces tours, d'ailleurs, n'ont jamais été frappées de la
foudre. La fameuse tour de porcelaine de Nankin a quinze
siècles d'existence.
»
M. Marchai rapproche la construction chinoise de la
méthode italienne, qui consiste à consolider les flèches par
des haubans métalliques allant se fixer aux angles du bâ-
timent; il ajoute que la flèche de l'appareil chinois se
termine en flamme dorée, et, par suite, conductrice.
•VIII
M. Harris s'occupe, depuis près de quarante ans, de
la destruction des vaisseaux par la foudre. 11 a recueilli
sur ce sujet un grand nombre de documents qu'il a adres-
sés, il y a quelques années, au conseil d'amirauté. La
chambre des lords et la chambre des communes, après
un examen approfondi, en ont ordonné l'impression.
On trouve , dans cet ouvrage , plus de deux cents cas
de navires de la marine militaire anglaise et de la marine
marchande frappés et endommagés par la foudre, classés
méthodiquement, de manière à donner à l'ensemble un
caractère tout à la fois scientifique et pratique.
M. Harris rappelle qu'aune certaine époque, dans un
temps de guerre , vingt frégates et dix corvettes ont été
.
^'///' ï
/ /s///, v s* //, < / Sf/// /// s ,
LES PARATONNERRES. 353
tellement avariées par des coups de foudre, qu'elles
étaient impropres au service. Dans le huitième de ces cas,
le feu avait pris aux mâts, aux voiles, etc.
Il rapporte que , sur cinquante-quatre navires mar-
chands frappés par la foudre, dix-huit ont été complè-
tement perdus.
Les paratonnerres qu'il propose pour éviter ces mal-
heurs consistent en de longs conducteurs fixés dans les
mâts et à la coque des vaisseaux. Dans cette disposition ,
la foudre ne peut arriver dans la mer par un chemin plus
facile que celui qui lui est offert par les conducteurs du
paratonnerre. Depuis près de trente ans, aucun navire
de la marine royale pourvu d'un paratonnerre établi
d'après les principes de l'auteur n'a été endommagé par
la foudre.
Voici un fait qui vient donner une nouvelle impor-
tance à ce système :
Une dépêche officielle du vice-amiral sir William
Martin , commandant en chef de la flotte anglaise dans
la Méditerranée, annonçait que , dans la nuit du 20 sep-
tembre 1863, le vaisseau de Sa Majesté le London avait
été frappé de la foudre pendant une très forte tempête.
Les étincelles électriques s'élançaient à la fois de plusieurs
points des lames conductrices. Le choc fut terrible ; tous les
matelots du bord éprouvèrent la même sensation que s'ils
avaient été assaillis par un violent tremblement de terre. Et
cependant, à l'exception de quelques clous arrachés, cette
explosion formidablo ne causa aucun désastre. C'est que
le London, de 90 canons, est armé du paratonnerre et
des admirables conducteurs continus de M. Harris. Une
23
354 , LES MÉTÉORES.
fois entré dans l'ensemble des lames métalliques , le fluide
électrique les traverse sans tendance aucune à en sortir,
et s'écoule dans la mer par la quille, sans rien détruire.
Presque dans les mêmes parages, en 1839, le vaisseau
de Sa Majesté le Rodney , de 90 canons , fut aussi atteint
par la foudre ; il n'était armé malheureusement que des
anciens paratonnerres à chaînes : M. Harris n'avait pas
encore fait adopter ses conducteurs; aussi le Rodney
fut-il tout en feu pendant vingt minutes. Son grand mât
et son grand hunier furent brisés; son grand mât de
perroquet fut réduit en poussière qui flottait à la surface
de la mer; deux hommes de l'équipage furent tués sur
le coup, et le navire fut obligé de rester en réparation
deux mois entiers dans le port de Malte. Ce coup de
foudre coûta au trésor 250,000 francs! M. Harris a
donc grandement mérité de son pays en mettant la ma-
rine royale anglaise , d'une manière presque absolue , à
l'abri de ces terribles accidents dont les suites sont es-
comptées si chèrement.
IX.
Sur les navires qui ne suivent pas le système de
M. Harris, le paratonnerre est mis en communication
avec la mer par le moyen d'une chaîne conductrice.
Lorsque l'orage paraît éloigné, on retire la chaîne de la
mer, on la laisse traîner sur le pont, on la décroche
même quelquefois du paratonnerre, et lorsque l'orage
arrive, on la remet quand on y pense et quand on a le
LES PARATONNERRES. 355
temps, car dans certains parages Forage arrive tout à
coup sans se faire annoncer; on paraît s'en soucier fort
peu , et même , ce qui est incroyable , quand le moment
est venu où la foudre se fait craindre , on ne prend au-
cune précaution pour que le conducteur soit isolé, ce qui
est d'une incurie sans nom ou d'une ignorance absolue,
car alors le paratonnerre devient très dangereux, et at-
tire la foudre sur le navire plutôt que de l'en préserver.
Je me suis trouvé plusieurs fois au milieu des plus
grands orages de l'Océan , aux environs du cap de Bonne-
Espérance surtout, étonné de voir le conducteur en com-
munication avec le navire , je fis quelques observations
et j'eus mille peines à faire comprendre au marin qui
lançait la chaîne à la mer, qu'il fallait l'isoler du navire.
Après quelques moments de réflexion , il se souvint qu'il
manquait en effet quelques petits instruments ; il alla les
chercher, et c'étaient justement les supports isolants. Je
pensais que ce navire faisait exception sous ce rapport.
Je pris des informations et je me suis convaincu qu'il en
est à peu près de même sur la plupart des bâtiments
marchands.
Il vaudrait donc mieux , dans l'état actuel des choses ,
qu'il n'y eût pas de paratonnerre sur le plus grand nombre
de ces navires , à moins que l'on n'adopte le système de
M. Harris: le conducteur étant fixé constamment à tra-
M
vers le mât, on n'a plus rien à craindre de l'ignorance ou
de l'incurie.
I
*
/,
S. S * ' ■ ' ' S'?, s
CHAPITRE XIX.
FEU SAINT-ELME, OU FEU SAINT-NICOLAS.
On appelle feu Saint-Elme un météore lumineux pro-
duit par l'électricité, et qui se manifeste quelquefois en
mer par un temps d'orage, surtout vers la fin d'une
tempête. Il se présente sous forme de flamme ou de va-
peur lumineuse, voltigeant sur les navires, aux extré-
mités des vergues et des mâts.
Tous ceux qui ont fait quelque long voyage en mer
peuvent dire avec Camôens : ce J'ai vu des feux brillants
s'élever du sein des tempêtes, et d'un cercle de lumière
environner nos mâts, heureux présage d'un calme pro-
chain; le matelot battu par l'orage les prend pour des
génies secourables qui ramènent la paix sur la terre*. »
Les anciens nommaient ces feux Castor et Pollux :
Tel et de môme éclate aux yeux des matelots
Ce feu qui leur est cher et qu'au fort des orages
Les mats électrisés attirent des nuages;
Qui roule ou se jouant, que son brillant essort
Fit appeler Hélène , et Pollux et Castor.
(Rosset, l'Agriculture.)
1 Les Lusiade$i ch. V.
358
Les météores.
Ces feux, amis des matelots, eurent à leurs yeux dès la
plus haute antiquité quelque chose de sacré.
Lorsque les Argonautes levèrent l'ancre du promon-
toire de Sigée, il s'éleva une violente tempête, durant
laquelle des flammes légères parurent, dit-on, sur la
tête de Castor et de Pollux ; et comme le calme suivit de
près cette apparition, les deux héros furent regardés
comme des divinités secourables. On les invoqua dans la
suite sous le nom de Dioscures, c'est-à-dire fils de Ju-
piter, et toutes les fois que ces flammes brillaient sur les
vaisseaux on croyait que c'était Castor et Pollux qui ve-
naient au secours des navigateurs.
Si, au lieu de deux ,il n'en paraissait qu'un, ce n'était
plus une marque de beau temps; on l'appelait Hélène;
alors on le regardait comme le présage infaillible d'une
tempête prochaine.
A Castor et Pollux nos matelots ont substitué saint
Nicolas et saint Elme.
u
CHAPITKE XX.
AURORES POLAIRES.
Aurore polaire. — Sa nature. — Description de ce phénomène paraissant dans
toule sa splendeur. — Couronne boréale. — Hauteur des aurores boréales. —
Aurores boréales pendant le siège de Paris. — Aurore boréale du 4 février 1872.
— Aurore boréale de jour. — Causes des aurores boréales. — Influence de ces
phénomènes sur l'aiguille aimantée et sur le télégraphe électrique. — Bruits
caractéristiques qu'ils produisent. — Aurore australe. — Les aurores boréales
regardées comme des signes de la colère céleste. — Faits curieux.
I.
V aurore polaire est un phénomène lumineux, qui
paraît dans le ciel, la nuit principalement, et vers les
pôles, ce qui le fait aussi appeler lumière polaire; les
anciens le connaissaient sous le nom de torche ardente.
On l'a appelé aurore boréale en premier lieu, parce
qu'on Ta d'abord observé du côté du nord ou de la partie
boréale du ciel, et que sa lumière, lorsqu'on est proche
de rhorizon, ressemble à celle du point du jour, ou de
l'aurore :
... Le Nord , dans ses vastes domaines ,
Contient de la clarté les plus beaux phénomènes.
360 LES METEORES.
Et qui ne connaît pas, dans ces climats glacés,
Ces feux par qui du jour les feux sont remplacés?
Là le pôle, entouré de montagnes de neige,
Conserve de ses nuits le brillant privilège,
Ces immenses clartés, ces feux éblouissants,
Au sein de l'ombre obscure, au loin resplendissants,
Qui même avec les cieux , où le jour prend naissance,
Rivalisent de luxe et de magnificence.
(De LILLE.)
On aperçoit rarement dans nos climats ce météore
splendide, mais assez souvent dans les pays plus voisins
du pôle arctique : en Laponie, en Norvège, en Islande,
en Sibérie, où il rompt la monotonie des longues nuits
hyperboréennes. On peut dire avec raison que l'aurore
boréale est le soleil de ces contrées. Ces météores corn-
mencent à se montrer vers le 45 e degré de latitude en-
viron; à partir de là ils deviennent plus nombreux à
mesure que Ton avance vers le pôle.
Ils se montrent fréquemment dans toutes les saisons et
sous toutes les formes; souvent bas et tranquilles, éten-
dus sur l'horizon comme un nuage ou comme une fumée
légère, ayant la forme d'un arceau plein qui comprend
plusieurs arcs, alternativement obscurs et lumineux, de
différentes teintes de lumière et de couleurs.
Les aurores boréales sont plus fréquentes à l'époque des
équinoxes; cependant ou n'a pu encore leur assigner une
périodicité régulière.
II.
Quand ce phénomène doit déployer toute sa richesse
ÉtâvùàÊÏ&M
Fig. 70. — Aurore polaire.
AURORES POLAIRES. 3G3
et toute sa splendeur, on commence après la chute du
jour à distinguer une lueur confuse vers le nord; bientôt
des jets de lumière s'élèvent au-dessus de l'horizon; ils
sont larges', diffus et irréguliers.
Après ces apparences, qui sont comme le prélude du
phénomène , on voit à de grandes distances deux vastes
colonnes de feu, Tune à l'orient, l'autre à l'occident, qui
montent lentement au-dessus de l'horizon.
Pendant qu'elles s'élèvent avec des vitesses inégales et
variables , elles changent sans cesse de couleur et d'as-
pect; des traits de feu plus vifs ou plus sombres en sillon-
nent la longueur ou les enveloppent tortueusement; leur
.
couleur passe du jaune au vert foncé ou au pourpre étin-
celant.
Enfin, les sommets de ces deux colonnes s'inclinent, se
penchent l'un* vers l'autre, et se réunissent pour former
un arc ou plutôt une voûte de feu d'une immense étendue.
Quand cette voûte est formée , elle se soutient majes-
tueusement dans le ciel pendant des heures entières.
L'espace sombre qu'elle enferme est traversé d'instant
en instant par des lueurs diffuses et diversement colo-
rées, et dans l'arc même on distingue incessamment des
traits de feu d'un vif éclat qui s'élancent au dehors, sillon-
nent le ciel comme des fusées étincelantes qui passent au
delà du zénith , et vont se concentrer dans un petit espace
« •
à peu près circulaire, que l'on appelle la couronne de
l'aurore boréale.
Dans les couronnes boréales , les courbes se forment et
se déroulent comme les plis et les replis d'un serpent; les
rayons se colorent, la base est d'un rouge de sang clair,
364
LES METEORES.
le milieu d'un vert-émeraude pale, le reste conserve sa
teinte lumineuse jaune clair (fig. 66).
De nouveaux arcs se succèdent à l'horizon : on en a
compté jusqu'à neuf; ils se serrent les uns lés autres et
vont disparaître vers le sud. Quelquefois la masse des
Fig. 71.
Couronne boréale
rayons paraît venir du sud, et, se réunissant avec ceux du
nord, ces rayons donnent la véritable couronne boréale,
ayant une forme elliptique, rarement circulaire.
Dès que cette couronne est formée, le phénomène est
complet. On le contemple alors dans toute sa majesté :
Ils glissent en reflets, s échappent en lingots,
Ou d'une mer de feu roulent au loin les Ilots,
AURORES POLAIRES. 3G5
Ici blanchit l'argent et là jaunit l'opale.
Là se mêle à l'azur la pourpre orientale ;
Tantôt en arc immense ils prennent leur essor,
Boulent en chars brûlants, flottent en drapeau d'or,
S'élancent quelquefois en colonnes superbes,
S'entassent en rochers ou jaillissent en gerbes,
Et variant le jeu de leurs reflets divers,
De leur pompe changeante étonnent ces déserts.
(Delille.)
Après quelques heures, et d'autres fois après quelques
instants, la lumière s'affaiblit peu à peu, les fusées ou les
jets deviennent moins vifs et moins fréquents, la couronne
s'efface, et bientôt l'on n'aperçoit plus que des lueurs
incertaines qui se déplacent et disparaissent insensible-
ment.
Les aurores boréales ne sont pas circonscrites à notre
atmosphère, car un de ces phénomènes ayant été vu à
Saint-Pétersbourg, à Naples, à Rome, à Lisbonne et même
à Cadix, et dans les lieux, intermédiaires, M. de Mairan ,
dans son Traité de V aurore boréale, trouve que cette au-
rore était éloignée de la terre, en ligne verticale, au moins
de cinquante-sept lieues, et probablement beaucoup plus.
Il estime que ces sortes de phénomènes ont ordinairement
entre cent et trois cents lieues d'élévation.
III.
Pendant le siège de Paris par l'armée prussienne, les
deux aurores boréales du mois d'octobre ont répandu une
366 LES METEORES.
profonde émotion. Laissons la parole à l'éminent se-
crétaire perpétuel de l'Académie des sciences :
« Dès le commencement de la nuit, à la première ap-
parition, une lueur se remarquait au nord, et, peu à peu,
le ciel s'éclairait d'une nuance rose, qui en envahissait
la moitié. De temps à autre s'élançaient des rayons co-
lorés, presque toujours d'un rouge de sang très intense,
tandis que se montraient, çà et là, au-dessus de Paris,
des plaques rouges, sanglantes aussi. Au moment où le
phénomène touchait à son terme , et quand le ciel s'as-
sombrissait déjà, on vit , tout d'un coup , la couleur rouge
resplendir encore d'un effrayant éclat. Le lendemain,
l'apparition recommençait avec une intensité un peu
moindre et laissait voir des irradiations blanches, lu-
mineuses, dont le centre était placé vers la constellation
de Pégase; traduisant les impressions de leur âme, les
uns en comparaient l'aspect à une gloire, les autres à
une croix. Parmi les habitants de Paris, il en est peu que
ces phénomènes n'aient saisis de crainte, et à qui, dès
l'abord, ils n'aient inspiré la pensée qu'une grande
chine incendiaire était mise en jeu pour forcer les mu-
railles ou pour démoraliser leurs défenseurs. Il en est
peu qui, voyant qu'il s'agissait seulement d'une aurore
boréale d'une espèce rare , n'aient cherché alors quels
pronostics heureux ou malheureux pouvait en tirer
leur patriotisme ému 1 . »
L'aurore boréale qui est venue s'épanouir et briller
d'un vif éclat sur notre horizon, le 4 février 1872, est la
1 M. Dumas (de l'Institut), Éloge historique d'Auguste de la Rive.
AURORES POLAIRES. 367
plus belle que Ton ait vue jusqu'ici en Europe» Elle a
commencé vers les cinq heures du soir et s'est terminée
vers les deux heures du matin. Elle a été également visible
en Asie, en Afrique et en Amérique, M. Fron, qui Ta ob-
servée à l'Observatoire de Paris, dit, dans sa note à l'Aca-
démie des sciences, que, vers six heures du soir, les varia-
lions de l'aiguille aimantée étaient telles que la lecture en
était impossible; l'aiguille d'inclinaison avait atteint au
minimum 65 degrés et demi environ. Vers les neuf heures,
les mouvements de l'aiguille de déclinaison sont très bi-
zarres. L'aiguille semble hésiter pour s'avancer dans
une direction, elle tâtonne pour ainsi dire, puis tout à
coup avance de quelques divisions, hésite de nouveau,
pour repartir dans la même direction. A d'autres mo-
ments de la soirée, l'aiguille parcourt à peine une di-
vision de l'échelle, mais elle est animée d'un mouvement
vibratoire très rapide. Cette aurore a été visible dans
une partie très considérable de l'Europe; les nouvelles
reçues à l'Observatoire des stations météorologiques mon-
trent qu'elle s'est étendue sur l'Angleterre, la Belgique,
l'Italie, l'Espagne, la Turquie; tous les renseignements
n'étaient cependant pas encore parvenus. Des dépêches
annonçant des perturbations magnétiques et des pertur-
bations sur les lignes électriques ont également été
adressées. D'après une dépêche de M. le directeur des
lignes télégraphiques, la perturbation s'est fait sentir à
partir de trois heures trente minutes, d'abord sur les li-
gnes de l'Est, Allemagne, Autriche; vers quatre heures,
les lignes de la Suisse étaient atteintes, et le phénomène
s'est rapproché successivement de Paris, en passant par
368 LES METEORES.
la Suisse, par Besançon et par Dijon; à cinq heures, les
lils des environs de Paris étaient également influencés 1 .
Le câble transatlantique de Brest à Duxbury, dit
M. Tarry, a été parcouru par de forts courants, sautant
brusquement d'un sens à l'autre.
IV.
" Les apparitions bien constatées d'aurores boréales de
jour étant très peu nombreuses, nous donnons, d'après
M. Arago, la description d'un de ces phénomènes ob-
servé par le R. P. Patrick Graham à Aberfoyle, dans le
comté de Perth, en Ecosse. *
<c Le 10 février 1799, vers trois heures et demie du
soir, le soleil était encore éloigné de son coucher de plus
d'une heure, et il brillait faiblement à travers une at-
mosphère couleur de plomb, lorsque j'aperçus un halo
autour de l'astre.
« Pendant que j'observais ce phénomène, l'hémisphère
visible fut envahi en totalité par ce qui me parut au pre-
mier aspect une vapeur légère et pâle.
« Cette vapeur était disposée en bandes longitudinales,
se levant de l'ouest et s'étendant vers l'est en passant par
le zénith.
« En étudiant cette apparence plus attentivement, je
reconnus qu'elle provenait d'une véritable aurore boréale ;
j'apereus , en effet , les divers phénomènes qui caracté-
\
Comptes rendus de l'Académie des sctences y 1872, 1 er semestre.
AURORES POLAIRES.
360
risent le météore quand on l'observe de nuit, si ce n'est
qu'il était pale et sans couleur.
« Les jets de matières électriques, s'élançant très vi-
siblement d'un nuage situé vers l'ouest, éprouvaient une
certaine diffusion, convergeaient vers le zénith, et diver-
eaient au delà vers tous les points de l'horizon. Les cor-
(Y
Pig. 72. — Arcs réguliers d'aurore boréale.
ruscations étaient aussi instantanées et aussi distinctement
perceptibles que pendant la nuit.
« Cette apparence dura plus de vingt minutes; elle s'af-
faiblit ensuite graduellement, et fit place à des vapeurs
légères dispersées çà et là , lesquelles au coucher du so-
leil se répandirent sur tout le firmament. La nuit suivante,
je ne parvins pas à découvrir la plus légère trace d'au-
rore boréale. »
24
370 LES MÉTÉORES.
V.
De toutes les hypothèses imaginées pour expliquer les
aurores boréales, la plus Généralement admise est celle qui
en attribue la cause au magnétisme , avec les phénomènes
duquel elle offre beaucoup de rapport; le sommet de
Parc de l'aurore boréale se trouve toujours sur le méri-
dien magnétique du lieu de l'observation, ou du moins ne
semble pas s'en écarter d'une manière sensible, et la
couronne se trouve toujours sur le prolongement de l'ai-
guille d'inclinaison.
L'aurore boréale déransre de leurs positions ordinaires
l'aiguille de déclinaison et l'aiguille d'inclinaison, et elle
produit ces changements même aux lieux d'où elle ne
peut être vue.
En général, dès le matin du jour où ce phénomène
doit se montrer dans quelque région des pôles, l'aiguille
de déclinaison de Paris dévie à l'occident, et le soir à
l'orient. Àrago avait annoncé cette observation dès Tan-
née 1825. Ainsi, le dérangement de l'aiguille de Paris
peut indiquer les aurores boréales qui se font voir aux
Lapons, aux Groënlandais et à tous les habitants des
régions polaires.
Le 29 mars 1826, Arago observa des mouvements inac-
coutumes dans l'aiguille magnétique; ces mouvements
lui firent supposer la présence d'une aurore boréale sous.
de plus hautes latitudes; sa conjecture fut pleinement
justifiée, car Dalton observait au même moment à Man-
chester ce phénomène lumineux des pôles.
AURORES POLAIRES. 371
M. Higton, ingénieur télégraphique, a signalé à propos
d'une aurore boréale une action très vive exercée sur
le télégraphe électrique .
« Un télégraphe, dit-il, passant à travers le Watford
tunnel (un tunnel de 1,600 mètres de long, et dont les
. fils se prolongent jusqu'à 400 mètres d'un côté et jus-
qu'à 800 mètres de l'autre), a été mis hors de service
pendant trois heures,
« L'aimant a constamment été rejeté du même côté.
Une telle action de l'aurore boréale est ordinaire. Elle
s'est quelquefois manifestée pendant lé jour, quand l'au-
rore n'était pas visible, et dans un cas j'ai pu suivre son
action à partir de Northampton , à travers Shepstone, Pe-
terborough , sur la route du télégraphe de l'Est jusqu'à
Londres. »
VI.
Franklin avait déjà émis l'idée, il y a environ un siècle,
que les aurores boréales étaient dues à des décharges
d'électricité entre la terre et l'atmosphère. De La Rive,
mettant à profit toutes les observations et toutes les
découvertes dont la science s'est enrichie depuis Franklin,
est parvenu , par une suite de recherches nombreuses ,
dont les premières datent de 1849, à établir sur des fon-
déments solides la théorie électrique de l'aurore boréale.
Il a constaté, comme fait acquis, qu'il y a presque
toujours production simultanée d'une aurore australe et
d'une aurore boréale; et que l'apparition d'une aurore
polaire est toujours accompagnée de perturbations dans
372 LES METEORES.
la direction des aiguilles des boussoles, et de la produc-
tion de courants électriques dans les fils télégraphiques.
Au moyen de ces données et des notions qu'on possède
sur l'état électrique de la terre et de l'atmosphère, de
La Rive a réussi à démontrer que les aurores polaires de-
vaient être attribuées à des décharges s'opérant dans le
voisinage des deux pôles terrestres, entre l'électricité né-
gative de la terre et l'électricité positive de l'atmosphère.
Ce n'est pas tout : les apparences lumineuses des au-
rores polaires, l'influence sur elles du magnétisme ter-
restre restaient à expliquer. De La Rive y est parvenu ,
en examinant de près l'effet lumineux des décharges
électriques à travers des gaz très raréfiés, soit secs, soit
chargés de vapeurs aqueuses à différentes températures,
et en étudiant, au moyen d'électro-aimants très puissants,
l'influence du magnétisme sur ces décharges. Il a ainsi
réussi à reproduire en petit toutes les apparences des au-
rores polaires jusque dans leurs moindres détails, soit
sous le rapport de leur teinte lumineuse, soit sous celui
de leur forme et de leur mouvement.
Après avoir étudié et reproduit, l'un après l'autre, les
phénomènes et les apparences qui accompagnent et ca-
ractérisent les aurores dans la nature , de La Rive a ima-
giné un appareil qui en donne la représentation complète
et exacte.
« D'accord avec la plupart des physiciens, dit-il, je
persiste à considérer les aurores polaires comme un phéno-
mène qui se passe dans l'atmosphère. Je n'en voudrais, au
besoin , pour preuve que la remarque faite par M. Biot ,
à l'occasion des aurores qu'il avait observées en 1817
AURORES POLAIRES. . 373
aux îles Shetland, que l'aurore ne se déplace jamais
par rapport à l'observateur, tandis que si elle était un
phénomène cosmique, elle ne suivrait pas le mouvement
de rotation du globe terrestre. C'est ce qu'observe aussi
M. Fron, qui attribue, comme je l'ai toujours fait, Tau-
rore boréale à l'électricité provenant des régions équa-
■
toriales où la nappe ascendante se partage entre les
deux contre-alisés, l'un marchant vers le nord, l'autre
marchant vers le sud; ce qui donne l'explication de la
simultanéité des aurores polaires, ainsi que celle des
perturbations électriques et magnétiques qui les accom-
pagnent dans les deux hémisphères 1 . »
La théorie électrique des aurores boréales part d'un
fait incontestable, dit de La Rive : « C'est que l'atmos-
phère est chargée d'électricité positive dont l'intensité
va en augmentant à mesure qu'on s'élève, et que la terre
elle-même est chargée d'électricité négative, et cela quelle
que soit la cause de ce dégagement d'électricité. Cela
admis, il est facile de comprendre que ces deux électri-
cités tendent constamment à se réunir d'une part par
l'intermédiaire du globe terrestre, d'autre part par l'in-
termédiaire des couches supérieures de l'atmosphère avec
l'aide des vents contre-alisés , et que cette réunion , qui
a lieu dans les régions polaires, est accompagnée , quand
l'électricité a un certain degré d'intensité, d'actions per-
turbatrices sur l'aieuille aimantée et de la circulation
de courants électriques dans les fils télégraphiques, en
même temps que d'effets lumineux dans l'atmosphère,
4
Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872, 1 er semestre.
374 LES MÉTÉORES.
effets dont l'apparence est plus ou moins modifiée par
l'action du magnétisme terrestre 1 . »
VII.
M . l'abbé Raillard, dans une ingénieuse théorie, établit
une communauté d'origine entre les aurores boréales,
les étoiles filantes et les comètes. Voici un passage im-
portant que nous devons citer : « Je crois être le pre-
mier et le seul qui ait émis cette idée, dit-il, et je l'ai
formulée dès le commencement de l'année 1839 dans
une note qui a été communiquée par Arago à l'Acadé-
mie... Pour rattacher les aurores boréales aux comètes
et aux étoiles filantes, je suppose que les aurores bo-
réales sont produites par des nuages cosmiques dans un
état de ténuité extrême , qui sont traversés par la terre ,
qui s'électrisent et deviennent lumineux dans le voisinage
et sous l'influence des pôles magnétiques terrestres. Mais
le trait de ressemblance le plus saillant qui existe, selon
moi , entre les aurores boréales et les comètes , c'est que
celles-ci, comme les premières, ont une lumière propre,
du moins en très grande partie, et que cette lumière des
comètes est électrique comme la lumière des aurores bo-
réales, et comme celle qui rend visible la matière extrê-
mement raréfiée des tubes de Geissler traversés par un
courant. La seule différence entre la lumière des auro-
res boréales et celle des comètes, serait que la première
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872, 1 er semestre.
AURORES POLAIRES. 375
aurait sa cause dans l'induction magnétique de la terre,
tandis que la seconde serait produite par la puissante
induction magnétique du soleil. En effet, les radiations
de la lumière des aurores boréales s'orientent et con-
vergent vers les pôles magnétiques terrestres, de même
que les queues des comètes sont toujours opposées au
soleil et dirigées dans le sens de ses rayons , la phos-
phorescence de ces queues trouvant dans le noyau
simple ou multiple des comètes, une cause d'excitation,
une sorte d'amorce permanente, et Ton aurait ainsi
une explication naturelle de cette particularité singu-
lière du mouvement de toutes les comètes à queues,
tandis que les astronomes avaient fait jusqu'ici de vains
efforts pour l'expliquer d'une manière satisfaisante*. »
De son côté, M. Silbermann, l'habile préparateur du
collège de France, communique à l'Académie des sciences
un important mémoire, accompagné de dessins à l'appui,
duquel on peut déduire : 1° une théorie des aurores bo-
réales et australes , fondée sur l'existence de marées at-
mosphériques ; 2° l'indication, à l'aide des aurores, de
l'existence d'essaims d'étoiles filantes à proximité du
globe terrestre. Nous y remarquons principalement les
passages suivants :
1° Les aurores boréales s'annoncent par les mêmes
signes que les orages : baisse barométrique, hausse ther-
momélrique, sentiment de prostration, odeurs nauséa-
bondes quand c'est une aurore colorée qui se prépare;
elles s'annoncent également par l'existence d'une vapeur
' Les Mondes scientifiques, 1867 ; t. XIII.
376 LES METEORES.
rutilante au bas des nubécules sombres aurorifères, sem-
blable à celle qui colore le bas des nuées orageuses;
2° Les aurores coïncident toujours avec l'existence de
deux vents superposés à directions rectangulaires; la
surface de séparation des deux vents est la base des phé-
nomènes lumineux. Les nombreux et intéressants détails
que rapporte l'habile observateur viennent confirmer
les vues théoriques qu'il a présentées dans plusieurs
communications f .
On- voit que Ton est loin d'être complètement d'accord
sur la théorie de ces magnifiques et grandioses phéno-
mènes, bien que l'électricité et le magnétisme y jouent
.le rôle principal.
vin.
Il paraît que les aurores boréales produisent quelque-
fois un certain bruit caractéristique. #
« Je n'ai jamais pu parvenir, dit de Saussure , à en-
tendre aucun bruit particulier, même pendant les au-
rores boréales les plus grandes et les plus vives, à Skye,
où régnait le plus grand calme et le plus profond silence.
<( Cependant, j'ai recueilli dans les îles Shetland de
nombreux témoignages à cet égard, d'autant plus remar-
quables qu'ils étaient entièrement spontanés et nullement
influencés par aucune question préalable de ma part.
a Des personnes de diverses conditions et états, et ha-
bitant des districts très éloignés dans ces îles , ont été
unanimes à dire que lorsque l'aurore boréale est forte ,
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1872, I e * semestre.
AURORES POLAIRES.
377
elle est accompagnée d'un bruit qu'ils qat tous également
et unanimement comparé à celui d'un van lorsqu'on
vanne le blé. »
Wargentin rapporte, dans le quinzième volume des
Transactions de Suéde, que deux de ses élèves, le doc-
1
'
FiK- T;{. — Aurore boréale du 31 octobre 1853.
*
teur Gisler et M. Helland, qui avaient longtemps habité
le nord de ce royaume, firent à l'Académie de Stockholm
un rapport dont voici les principaux passages :
« La matière des aurores boréales descend quelquefois
si bas, qu'elle touche le sol; au sommet des hautes
montagnes, elle produit sur le visage des voyageurs un
eflet analogue à celui du vent.
378 LES METEORES.
m
« J'ai souvent entendu le bruit des aurores , ajoute le
docteur Gisler, ce bruit ressemble à celui d'un fort vent
ou au bruissement que font quelques matières chimiques
dans l'acte de leur décomposition... J'ai cru souvent
trouver que le nuage avait l'odeur de fumée ou de sel
brûlé... »
Les paysans de Norvège lui apprirent qu'il s'élevait
quelquefois du sol un brouillard froid , d'un blanc ver-
dâtre, qui obscurcissait le ciel, quoiqu'il n'empêchât pas
de voir les montagnes de loin ; ce brouillard , à la fin , don-
nait naissance à une aurore boréale.
Cook rapporte quelques observations (Vaurores ans-
traies, et, avant ce navigateur, Frazer, doublant le
cap Horn, en 1712, en avait aperçu une à travers les
brouillards, si communs sous ces latitudes. Depuis lors
ce phénomène a été observé par beaucoup de naviga-
teurs.
IX.
Les aurores boréales sont très rarement aperçues dans
les pays un peu méridionaux, comme la France. On ne
peut y voir que celles dont les flammes s'élancent au loin
dans les régions du ciel, et brillent comme des poutres,
des colonnes, des javelots embrasés; et souvent il s'é-
coule des années en grand nombre entre deux de ces au-
rores imposantes. La précédente est oubliée lorsqu'il en
paraît une autre.
Aussi les aurores, ainsi que les comètes, étaient-elles
regardées comme des signes de la colère céleste, des
AURORES POLAIRES. 379
précurseurs d'aventures sinistres, dont chacun faisait
l'application d'après les rêves de son imagination, ses
désirs ou ses craintes :
Longtemps Terreur les crut, dans ces âpres climats,
Le reflet des glaçons , des neiges , des frimas ,
Des esprits sulfureux exhalés de la terre,
Qui présageaient la mort, la discorde ou la guerre,
Et jusque sur leur trône épouvantaient les rois.
(De LILLE.)
Accoutumés à ce spectacle, effrayant pour les peuples
du Midi, les Lapons, les Groënlandais , les Kamtscha-
dales n'en sont point émus. Les Groënlandais, qui font
jouer aux boules les âmes heureuses dans leurs champs
Élysées , croient que ces grandes scènes de la nature sont
les danses de ces mêmes âmes.
L'aurore boréale a été observée par les anciens. Pline
veut sans doute désigner ce phénomène quand il parle
en ces termes :
« On voit, dit-il , des torches , des lampes ardentes , des
lances, des poutres enflammées dans toute leur longueur.
On voit encore, et rien n'est d'un plus terrible présage,
un incendie qui semble tomber sur la terre en pluie de
sang, ainsi qu'il arriva la troisième année de la cent sep-
tième olympiade, lorsque Philippe travaillait à soumettre
la Grèce. »
Dans un autre endroit, il dit « qu'on a vu des armées
dans le ciel ; qu'elles ont paru se choquer, qu'on a en-
tendu le bruit des armes et le son des trompettes. ».
Vers la fin du seizième siècle , à la suite de quelques
aurores boréales , des troupes de dix à douze mille péni-
380
LES METEORES.
tents allèrent en pèlerinage à Notre-Dame de Reims et de
Liesse , pour signes vus au ciel et feux en l'air.
Des villages, avec leurs seigneurs, viennent faire leurs
prières et leurs offrandes à la grande église de Paris, émus,
dit le Journal d'Benri III, à faire tels pénitentiaux voya-
ges pour les mêmes objets.
Les chroniqueurs du moyen âge parlent d'armées
sanglantes aperçues au ciel, comme d'un présage de
grands fléaux. Gassendi vit le premier ce phénomène
avec les yeux d'un philosophe; il l'observa plusieurs fois,
et notamment le 12 septembre 1621. Ce fut alors qu'il
décrivit le météore et lui donna le nom à.' aurore boréale.
CHAPITEE XXI.
LES TREMBLEMENTS DE TERRE.
Des tremblements de terre en général. — Leurs causes. — Tremblement
de terre extraordinaire. — Leurs signes précurseurs.
I.
On sait que les tremblements de terre consistent dans
des secousses , plus ou moins fortes , qui affectent la partie
supérieure de la croûte solide du globe. Suivant l'opi-
nion la plus répandue aujourd'hui, ils sont dus à la
fluidité centrale déterminée par la chaleur.
Les variations de température qui résultent de l'in-
fluence des saisons ne se font sentir qu'à une très faible
distance dans l'intérieur de la terre; la température du
sol est à une petite profondeur, variable suivant les lieux,
égale à la température moyenne de la localité.
Mais au-dessous de cette température moyenne la cha-
leur s'accroît successivement à mesure que l'on descend ,
et le résultat des observations faites jusqu'ici donne
un accroissement de 1 degré par chaque 33 mètres de
profondeur, ou à peu près.
382 LES MÉTÉOEES.
Il résulte de là que vers 3 kilomètres au-dessous du
point de la température stationnaire on doit trouver déjà
100 degrés, c'est-à-dire la température de Peau bouil-
lante ; et que si la loi se continuait régulièrement , on au-
rait à 20 kilomètres 666 degrés, température à laquelle
beaucoup de silicates sont en fusion.
I
Vers le centre de la terre, c'est-à-dire à 6,400 kilo-
mètres, on aurait une température de 200,000 degrés,
dont nous ne pouvons nous faire aucune idée , et qui se-
rait capable non seulement de fondre , mais encore de
volatiliser tous les corps. Il n'est cependant guère pro-
bable que la chaleur s'accroisse toujours uniformément;
il est à croire que bientôt il se fait un équilibre général,
et qu'à une profondeur de 150 à 200 kilomètres il s'é-
tablit une température uniforme de 3,000 à 4,000 de-
grés , la plus forte que nous puissions produire et à la-
quelle rien ne résiste. Dans une récente communication
à PAcadémie des sciences, M. Pabbé Raillard, savant
météorologiste, évalue cette température à 5,000 degrés.
Ainsi, il est très probable que l'intérieur de la terre
est fluide, et que sa surface seule, sur une épaisseur de
20 kilomètres, présente une écorce solide.
A mesure que la masse intérieure continue à se re-
froidir et à augmenter Pépaisseur de Penveloppe solide
du globe, une partie de la matière tend à se décomposer
et à passer à l'état gazeux. Ces gaz cherchent sans cesse
une issue, poussés de place en place par l'inégalité de
la pression le long des parois, probablement fort irré-
gulières, des surfaces intérieures.
Lorsque, par leur accumulation , ils ont acquis une
LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 383
force expansive suffisante pour déchirer leur enveloppe,
ou qu'ils ont pu se faire jour jusqu'à quelque bouche
volcanique , ils entraînent avec eux , sous forme de laves,
une portion de la matière dont ils sont entourés, et
l'éruption met fin au tremblement de terre.
II.
Il est en effet constaté que les volcans sont liés d'une
manière intime à ces phénomènes.
Un des plus terribles, celui qui renversa Lima en 1548,
fut terminé par l'ouverture de quatre volcans. En 1759,
dans les environs de Pouzzoles, après deux ans de se-
cousses et de bruits souterrains presque continuels, le
sol se crevassa, vomit une quantité de flammes et de va-
peurs; une ouverture lança pendant sept jours tant de
cendres et de scories, que le lac Lucrin fut en partie com-
blé, et qu'il se forma sur les bords une montagne, le
Monte Nuovo. haute de 142 mètres.
Au Mexique, en 1759, on vit se produire de la même
manière le volcan de Jorullo. En 1815, tout l'Archipel
fut agité par de violents tremblements de terre, à la suite
desquels un volcan, le Sumlava, fit irruption.
La mer participe le plus souvent au mouvement de la
terre; on Ta vue s'élever à de grandes hauteurs, d'autres
fois se retirer précipitamment, revenir ensuite avec vio-
lence et détruire tout ce qui se trouvait sur son passage.
Le plus ordinairement l'atmosphère reste tranquille.
Les rapports des commandants des stations navales
384
LES METEORES.
dans l'archipel de l'océan Pacifique contiennent le récit
du phénomène merveilleux qui suit : Une ondulation,
une immense ride de l'Océan 9 provoquée par le terrible
tremblement de terre qui a eu lieu en 18G8 sur les côtes du
Pérou, a parcouru par bonds précipités le tiers du tour du
Fi*f. 74.
San Salvador, ville de Guatemala, ruinée en i&'i't par un tremblement
de terre.
globe. Sa longueur était de plus de 8,000 mètres; sa hau-
teur de 25 mètres; sa vitesse était de 183 mètres par se-
conde, soit Go8 kilomètres par heure. Le tremblement
de terre ayant eu lieu le 13 août, c'est le lo août que là
montagne d'eau est venue frapper avec fracas les cotes de
la Nouvelle-Hollande; en route, elle avait heurté les nom-
LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 385
breuses îles de l'immense archipel de l'océan Pacifique ;
sur chaque île elle a laissé des traces de son passage.
Elle était précédée d'une oscillation sous-marine lointaine;
elle s'annonçait par un grand bruissement de vagues aux
abords des terres; puis furieuse, amoncelée, menaçante,
elle se brisait sur les côtes, inondait les parties basses, fai-
sait crouler les rochers et passait plus rapide encore après
avoir été arrêtée sur sa route. Et sur l'immense surface
de l'océan Pacifique, cette vague gigantesque , qui avait
plus de deux lieues de longueur, était invisible. Les na-
vires qui étaient hors .de son action ne l'ont pas même
soupçonnée. A peine ont-ils senti un mouvement ondu-
latoire qui les soulevait d'une manière imperceptible.
III.
Le tremblement de terre qui a donné lieu à cette vague
monstre est un des plus vastes et des plus terrifiants que
l'on ait jamais vus. Voici quelques détails que nous em-
pruntons aux journaux américains, principalement au
Messager franco-américain, qui nous en a donné le récit
navrant : « Le 13 août 1868, le Pérou a été mis à la plus
rude épreuve que ce pays infortuné eût jamais éprouvée.
D'une extrémité à l'autre de la république , un épouvan-
table tremblement de terre s'est fait sentir. Vers cinq
heures du soir, on a entendu tout à coup un bruit
sourd qui allait sans cesse en augmentant. Quelques se-
condes plus tard, la terre a commencé à se mouvoir avec
une rapidité de plus en plus grande. La secousse a duré
25
386 LES METEORES.
4 ou 5 minutes; elle s'est terminée par un choc d'une
violence extraordinaire, capable de renverser les édifices
les plus solidement construits.
« Ainsi qu'il arrive fréquemment, le tremblement de
terre a été accompagné d'un raz-de-marée. Dans toutes
les baies , dans toutes les rades , les eaux se sont retirées
brusquement vers le large , comme si elles allaient laisser
le littoral à sec ; puis, sous la forme d'une vague, s'avan-
çant avec une rapidité vertigineuse, comme un mur mobile,
elles sont venues s'abattre sur les côtes. Dans tous les
ports que ne protègent pas des hauteurs, les magasins,
les églises, les maisons ont été renversés parles eaux.
Les navires ancrés près de la rive se sont vus engloutis
ou jetés au milieu des terres par la force irrésistible des
vagues. Les habitants, enfin, surpris par la chute des
murs ou par l'invasion des eaux, ont péri par centaines.
« Le nombre des villes péruviennes qui ont été détruites
est de onze, ce sont : Arequipa, Arica, Moquëgua, Iqui-
que, Sama, Lacumba, Nasca, lia, Chala, Mejillones et
Pisugua , auxquelles il faut ajouter un grand nombre de
villages isolés. Il est impossible d'évaluer le nombre des
victimes, mais on suppose que deux mille personnes
ont péri. A Iquique seulement, la mer en a englouti six
cents. Les pertes s'élèvent à plus de 300 millions de
piastres. Les seuls bâtiments de la douane à Iquique et à
Arica contenaient pour 8 millions de piastres de marchan-
dises. Ils sont complètement détruits.
« A Lima, on a éprouvé aussi une très forte secousse,
qui a duré trois minutes et demie. Au lieu d'être vertical,
comme dans les tremblements de terre antérieurs, le mou-
t
LES TREMBLEMENTS DE TERRE.
387
veinent était horizontal, et par conséquent très dangereux.
À rapproche du danger, la foule s'est précipitée dans les
rues; le&plazas se sont remplies d'hommes, de femmes,
d'enfants éplorés. Les hautes tours de la cathédrale se ba-
lançaient de droite à gauche comme les mats d'un navire
-z~#
~ :'A
Fig. ";;. — Lisbonne après le tremblement de terre de i~v>
pendant une tempête. Les maisons tremblaient comme les
feuilles d'un arbre sous l'action du vent. Mais les murs ont
résisté à cet ébranlement général. Lima n'a pas de dégâts
sérieux à déplorer. »
Les journaux de Panama contenaient les lugubres et
38S LES METEORES.
curieux détails suivants : « AÀrica, on a assisté à un spec-
tacle à la fois horrible et effrayant. Pendant le tremble-
ment de terre , les personnes qui s'étaient réfugiées au
sud de la ville ont vu tout à coup le sol s'entr'ouvrir, et
plus de cinq cents momies en sortir lentement en longues
files parallèles à la mer. Toutes ces momies avaient une
position identique , les mains jointes au-dessous du men-
ton , les genoux relevés et les pieds soutenant le corps
desséché. Jamais, dans une circonstance si critique, on
n'avait vu plus terrible apparition.
« Cette apparition peut toutefois s'expliquer autrement
que par un miracle. A l'endroit où les momies sont sorties
du sol se trouvait un cimetière qui a toujours eu la répu-
tation de momifier les corps, et qui est abandonné depuis
un siècle. Les cadavres que la terre a rejetés sont ceux
d'Indiens morts depuis la conquête espagnole, mais enter-
rés à la mode indienne. »
IV.
Les tremblements de terre peuvent être annoncés par
plusieurs indices : la sortie des reptiles qui habitent sous
terre, l'agitation des eaux, le tarissement des sources,
les mouvements extraordinaires des oiseaux, etc., sont,
comme pour les éruptions volcaniques, les signes certains
des agitations que la terre va éprouver.
Souvent ils sont précédés par des bruits sourds, qui se
propagent sans direction déterminée; en 1746, ils an-
noncèrent la destruction de Lima ; les habitants eurent le
LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 389
É
temps de se sauver dans la campagne. Un bruit semblable
à celui de plusieurs chars roulant sur un pont de pierre,
dit Spallanzani, préluda au tremblement de terre qui dé-
truisit Messine en 1755; rien cependant n'annonça celui
qui bouleversa Lisbonne la même année.
Dans une note à l'Académie des sciences, M. Audrand
faisait remarquer que chaque fois qu'un tremblement de
terre a lieu, il est à présumer qu'une inondation se sera
produite quelque part. Chaque fois qu'un fleuve déborde
et inonde ses rives par des crues soudaines, il faut tenir
pour certain , d'après lui , qu'un tremblement de terre
se sera manifesté en même temps dans quelque région.
Quelques savants rattachent à l'état sphéroïdal de la
masse incandescente du globe la cause des tremblements
de terre et des éruptions volcaniques.
Chacun a remarqué que lorsque l'on répand de légères
I
gouttes d'eau sur un fer rouge, cette eau se réduit en
petites boules et sautille sur le fer, c'est ce qu'on appelle
l'eau à l'état sphéroïdal, et l'on dit qu'un corps est à l'état
sphéroïdal lorsqu'il présente un phénomène analogue.
Cet état est une quatrième modification de la matière,
spécialement étudiée par M. Boutigny, d'Évreux, qui a
publié un volume plein de riches aperçus et de consé-
• M, SL ^
quences fécondes sur cette nouvelle branche delà science.
Si dans une chaudière, par exemple, on fait passer
de l'eau à l'état sphéroïdal, et si l'on en verse tout à coup
quelques grammes de plus, l'eau s'étale dans la chau-
dière, et s'évapore presque instantanément; ou bien si,
au lieu de verser de l'eau, on éteint le feu, la chaudière
se refroidit, elle perd la force répulsive, l'eau revient à
390 LES METEORES.
l'état liquide ordinaire, et s'évapore en faisant explosion,
Telle est la cause probable du plus grand nombre d'ex-
plosions des chaudières à vapeur.
Dans l'état sphéroïdal, on peut donc produire des ex-
plosions à volonté, de deux manières : en établissant le
contact entre les sphéroïdes et les parois de la chaudière,
par l'adjonction subite de quelques grammes d'eau , ou
en refroidissant la chaudière par la cessation du feu.
Dans les deux cas, les sphéroïdes mouillent les parois
de la chaudière, et l'équilibre de chaleur reparaît.
D'après ces phénomènes, si Ton admet, avec la plu-
part des géologues, que la masse du globe est encore
incandescente, on peut également supposer que cette
masse incandescente existe à l'état sphéroïdal , puisque
tous les corps sont susceptibles de prendre cet état lors-
qu'ils sont soumis à une haute température.
La lune ou le soleil, en attirant les sphéroïdes incan-
descents, peuvent déterminer le contact de leurs noyaux
avec les parois internes de l'écorce solide du globe , ré-
tablir ainsi l'équilibre de chaleur et déterminer l'explo-
sion qui produit les tremblements de terre et les volcans.
CHAPITRE XXII.
LES VOLCANS.
Ile Vulcanie. — Phénomènes qui annoncent et accompagnent les volcans. —
Salses. — Situation des foyers des volcans. — Causes des éruptions volca-
niques. Fumée, cendres et laves lancées par les volcans. — Le Vésuve,
mort de Pline, destruction de Pompéï, d'Herculanum et de Stabie. — Phé-
nomènes curieux produits par l'Etna, leStromboli, l'HécIa et le Grand-Brûlé.
— Eruptions de 1812 et de 1860. — Filaments de verre lancés sur les lieux,
environnants. — La place Candide à l'île de la Ré union.—» Description des prin-
cipaux phénomènes qui ont accompagné l'éruption du 19 mars 1860. — Vi-
tesse des laves incandescentes. — Répartition des volcans. — Montagnes em-
brasées présentant des phénomènes analogues à ceux des volcans. — Exemples
curieux. — Volcans sous-marins. — Formation des îles. — Réapparition de
l'île Ferdinandea.
I.
Anciennement on nommait Vulcanie une des îles Èo-
liennes, près de la Sicile. Cette île est couverte de rochers
dont le sommet vomissait des tourbillons de flamme et
de fumée. C'est là que les poètes ont placé la demeure
ordinaire de Vulcain, dont elle a pris le nom, car on
l'pppelle encore aujourd'hui Volcano, d'où est venu le
nom de volcan appliqué à toutes les montagnes qui jet-
tent du feu.
392
LES METEORES.
Les éruptions volcaniques s'annoncent ordinairement
par des bruits souterrains et par l'apparition de la fumée
qui sort du cratère; peu à peu ces bruits redoublent, la
terre tremble, la fumée s'épaissit, s'élève en colonne, et
sa partie supérieure forme une cime touffue et épanouie
ou se disperse dans les airs en épais nuages qui couvrent
de ténèbres toute la contrée d'alentour.
liientot ces colonnes et ces nuages sont traversés par
Fîg. 76. — Volcano et volcanello.
des sables embrasés et des matières incandescentes, qui
sortent du volcan avec explosion, s'élèvent rapidement
dans les airs à de grandes hauteurs, et retombent en-
suite sous la forme d'une pluie de cendres ou de
pierres.
C'est alors qu'au milieu de ces convulsions s'échap-
pent des torrents d'un liquide rouge de feu, qui sillon-
nent les lianes de la montagne, surmontent tous les
obstacles, renversent toutes les barrières, et ne s'arrê-
LES VOLCANS.
303
tent que lorsque le refroidissement des matières leur a
fait perdre leur fluidité.
.
w
Fig. "7. — Éruption vaseuse.
Il existe aussi des volcans nommés salses, dont les
éruptions sont constamment vaseuses, quoique précédées
394 LES METEORES.
d'ailleurs des mêmes phénomènes que présentent les
autres volcans.
II.
Il résulte des connaissances acquises jusqu'à ce jour
que les foyers des volcans doivent être situés à de grandes
. profondeurs au-dessous de toutes les masses minérales
connues; cela est indiqué par la position immédiate de
plusieurs cratères sur les roches les plus anciennes , et
par les fragments de ces mêmes roches qui sont souvent
rejetés par les éruptions. D'ailleurs les produits des érup-
tions sont composés de substances qui entrent toutes
dans la composition des roches inférieures.
On admet généralement que la cause des éruptions vol-
caniques est le grand phénomène général du refroidis-
sement du globe, dont la croûte solide pèse sur la ma-
tière en fusion qui se trouve au-dessous d'elle et la force
à s'échapper par les ouvertures volcaniques. L'arrivée de
Peau de la mer dans les cavités où se trouve la lave, Pac-
cumulation des feux souterrains sur certains points , etc.,
concourent à la production de ces grands phénomènes.
II est très important de remarquer, pour Pexplication
des phénomènes et de la théorie de notre globe, que les
matières lancées par les bouches volcaniques sont sensi-
blement de même nature, de même composition.
La fumée est en grande partie composée de vapeurs
aqueuses, chargées de gaz sulfureux, d'hydrogène, d'acide
carbonique et d'une certaine quantité d'azote. Elle dé-
truit la végétation des contrées sur lesquelles elle passe.
LES VOLCANS.
3«.>:>
Les cendres sont pulvérulentes, grises et très iines;
c'est la matière des laves dans un état de division extrême;
elles font pâte avec l'eau, prennent une certaine consis-
tance et donnent ce que l'on appelle le tuf volcanique .
Fig. 78. — Eruption vaseuse.
Lorsqu'elles sont emportées dans l'air par des courants
de gaz, elles forment d'épais nuages qui obscurcissent le
ciel. En 179 i, à l'époque d'une éruption du Vésuve,
on ne pouvait marcher en plein jour sans un flambeau
à la main, à quatre lieues de distance.
396 LES METEORES.
En 472, les cendres de ce volcan allèrent tomber jus-
qu'à Constantinople, à deux cent cinquante lieues.
Dans l'intérieur du cratère , la lave est à l'état de fu-
sion. En 1783, on a pu voir dans le cratère du Vésuve
une matière fondue bouillonnant continuellement avec
violence, de l'intérieur de laquelle montaient de gros
jets s'élevant jusqu'à dix ou douze mètres de hauteur.
Dans le Stromboli , la lave remplit souvent le cratère ;
elle présente alors l'aspect du bronze fondu; elle s'abaisse
et s'élève par oscillations, dont les plus grandes ne dé-
passent pas dix mètres ; en montant, la surface se tumé-
fie; il s'y forme de grosses bulles qui détonent forte-
ment en crevant et donnent naissance à un jet de ma-
tière fondue. La lave descend en silence , mais elle monte
avec un bruit semblable à celui d'un liquide qui s'ex-
travase par une ouverture.
Spallanzani descendit dans le cratère de l'Etna en 1788;
il vit au fond la lave en fusion bouillonnant légèrement ;
elle montait et descendait ; les pierres que l'on y jetait
frappaient comme si elles fussent tombées sur de la pâte.
III.
Les volcans peuvent être rangés en deux classes : les
volcans centraux et les chaînes volcaniques.
Les volcans centraux forment le centre d'un grand
nombre d'éruptions qui ont eu lieu autour d'eux dans tous
les sens, d'une manière régulière.
Les volcans qui forment les chaînes volcaniques se
i*Bus*l*rii 4W
C
S <** </,
/<s .
LES VOLCANS. 397
trouvent le plus souvent à peu de distance les uns des
autres, dans une même direction; on en compte quelque-
fois vingt, trente et peut-être un plus grand nombre.
En Europe il n'existe qu'un petit nombre de volcans
brûlants, dont voici les principaux :
L'Etna , qui s'élève sur les côtes de la Sicile jusqu'à
une hauteur de 4,300 mètres.
Les anciens le regardaient comme une des plus hautes
montagnes de la terre; il est cité parPindare, qui vivait en
l'an 449 avant Jésus-Christ, comme un volcan enflammé;
ses éruptions se perdent dans la nuit des temps les plus
reculés; l'une des plus importantes est celle de 1669, qui
ravagea Catane, et donna naissance au Monte Rosso, dont
la base a plus de quarante lieues de circonférence.
De grandes éruptions volcaniques, accompagnées de
tremblements de terre, ont répandu la désolation en Is-
lande. M. le ministre de l'instruction publique a adressé
à l'Académie des sciences un important document sur ce
sujet. Dans la nuit du 28 au 29 mars 1875, il était tombé
au Seydisfiord de la neige en même temps qu'un peu de
cendres. Vers neuf heures du matin le ciel s'obscurcit
complètement au point que Ton aurait pu se croire dans
une des nuits les plus obscures de l'automne; il tomba
alors une quantité considérable de neige et de cendres
jusque vers midi, heure à laquelle le soleil commença à
s'éclaicir ; sur plusieurs points la couche de cendres a
atteint de 20 à 25 centimètres d'épaisseur. Les habitants
des districts les plus éprouvés ont fait évacuer tous leurs
chevaux et leurs moutons sur les contrées méridionales
de l'Ile qui ont été épargnées par le fléau.
398 LES METEORES.
Cependant, on craint que de graves maladies ne
m
viennent à se déclarer parmi les moutons , les chevaux et
les bœufs, par suite de la quantité de cendres volcaniques
qu'ils absorbent avec les herbages : on assure qu'une
grande partie des habitants de Fljotsdal et de Fellna,
ainsi que ceux du nord de Jokuldal, sont dans l'intention
d'émigrer en Amérique; car il ne paraît pas possible de
faire produire la terre dans ces contrées, pendant un
certain nombre d'années. Il n'y a d'espoir que dans des
pluies abondantes et durables, qui auraient pour résul-
tat de débarrasser le sol de la plus grande partie des cen-
dres qui le couvrent. Les habitants de toutes les contrées
qui ont souffert seront nécessairement dans l'obligation
de vendre ou d'abattre leurs bestiaux , les marchands du
pays ne veulent ni ne peuvent acheter une si grande
quantité de bétail, et il parait absolument nécessaire
qu'on fasse venir, au mois de septembre, à Bernfiord,
Eskefiord , Seydisfiord , et même Vopnafiord , si cela est
possible, quelques vapeurs qui achèteraient les moutons,
les chevaux et les bœufs que les paysans sont obligés
de vendre; ce serait le seul moyen de procurer à ceux-
ci l'argent nécessaire pour acheter plus tard d'autres
bestiaux et reprendre leur industrie f .
M. Daubrée a présenté à l'Académie un échantillon de
poussière grise extrêmement fine, tombée avec la neige en
Suède et en Norvège, provenant des éruptions d'Islande.
Au moyen du microscope on y reconnaît des grains frag-
mentaires et transparents, les uns incolores, les autres
1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 2 e semestre.
LES VOLCANS. 399
plus ou moins colorés en jaune brunâtre. Ce sont des
fragments de ponce bien caractérisés; il est peu de grains
qui atteignent deux dixièmes de millimètre dans leur plus
grande dimension ; beaucoup n'ont que deux centièmes
à trois centièmes de millimètre.
M. Daubrée rappelle que de nombreux exemples
témoignent du transport dans l'atmosphère, jusqu'à de
grandes distances , de cendres volcaniques , de sables et
de poussières diverses.
La cendre de l'incendie de la ville de Chicago est
arrivée aux Açores le quatrième jour après le commen-
cement de la catastrophe; en même temps, on avait
senti une odeur empyreumatique qui avait fait dire aux
Açoriens que quelques grandes forêts brûlaient proba-
blement sur le continent américain. Le célèbre brouillard
sec qui, en 1783, couvrit pendant trois mois presque
toute l'Europe, après avoir d'abord paru à Copenhague,
où il persista cent vingt-six jours, avait pour cause une
éruption de l'Islande ainsi qu'on l'apprit plus tard. En
septembre 1845, un transport de même origine, mais
beaucoup moins considérable, fut constaté aux îles
Shetland et aux Orcades. M. Descloizeaux a observé lui-
même cette poussière aux Orcades en revenant d'Islande;
on voyait sur les navires et sur la mer une poussière
rouge que l'on avait d'abord prise pour de la cendre
de tourbe ' .
1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1875, 1 er semestre.
400 LES METEORES.
IV.
Le Vésuve, pris dans son ensemble, offre une masse
conique, isolée, s'élevant, au milieu d'une vaste plaine, à
1,200 mètres au-dessus de la mer de Naples. Il ^'est
éteint et rallumé à plusieurs reprises.
Vitruve et Diodore de Sicile, qui écrivaient du temps
d'Auguste, disent, d'après les témoignages historiques,
que le Vésuve avait anciennement vomi des feux comme
l'Etna.
Ce volcan se rouvrit l'an 79 après Jésus-Christ, le
24 août. Cette éruption ensevelit les villes d'Herculanum,
de Pompéi et de Stabie. On sait que Pline le naturaliste
périt victime de la vive curiosité que cet imposant phé-
nomène lui avait inspirée.
Pline le jeune écrivant à Tacite, sur ce sujet émouvant,
s'exprime ainsi : «... Cependant, de plusieurs endroits du
Vésuve on voyait briller de larges flammes et un vaste
embrasement , dont les ténèbres augmentaient l'éclat.
Pour calmer la frayeur de ses hôtes, mon oncle leur
disait que c'étaient des maisons de campasne abandon-
nées au feu par les paysans effrayés. Ensuite il se livra
au repos et dormit d'un profond sommeil ; car on enten-
dait de la porte le bruit de sa respiration, que sa corpu-
lence rendait forte et retentissante. Cependant la cour
par où Ton entrait dans son appartement commençait à
s'encombrer tellement de cendres et de pierres, que s'il y
fût resté plus longtemps il lui eût été impossible de
sortir. On l'éveille. Il sort, et va rejoindre Pomponianus
r4.
Fi*. 80. — Mort de Pline.
LES VOLCANS. 403
et les autres qui avaient veillé. Ils tiennent conseil et
délibèrent s'ils se renfermeront dans la maison , ou s'ils
erreront dans la campagne, car les maisons étaient
tellement ébranlées par les effroyables tremblements de
terre qui se succédaient qu'elles semblaient arrachées de
leurs fondements, poussées dans tous les sens, puis ra-
menées à leur place. D'un autre côté, on avait à craindre,
hors de la ville, la chute des pierres, quoiqu'elles fussent
légères et minées par le feu. De ces périls on choisit le
dernier... Ils attachent donc avec des toiles des oreillers
sur leurs têtes; c'était une sorte d'abri contre les pierres
qui tombaient.
« Le jour recommençait ailleurs , mais autour d'eux
régnait toujours la nuit la plus épaisse et la plus sombre,
sillonnée cependant par des lueurs et des feux de toute
espèce. On voulut s'approcher du rivage pour examiner
si la mer permettait quelque tentative : mais on la trouva
toujours orageuse et contraire. Là, mon oncle se coucha
sur un drap étendu, demanda de l'eau froide et en but
deux fois. Bientôt des flammes et une odeur de soufre
qui en annonçait l'approche mirent tout le monde en fuite
et forcèrent mon oncle à se lever. Il se lève , appuyé sur
deux jeunes esclaves , et au même instant il tombe
mort 1 . »
On trouve dans le bel ouvrage de M. de Lagrèze des dé-
tails du plus vif intérêt sur ces événements si grandioses
et si tragiques; nous lui empruntons deux gravures : la
mort de Pline et Pompéi à vol d'oiseau 8 .
1 Traduction de Cabaret-Dupaty.
2 Pompéi, les Catacombes, VAlhambra, librairie de Firmin-Didol et Cie.
404 LES METEORES.
Le Vésuve resta enflammé pendant un millier d'années ;
plus tard il parut s'être complètement éteint; un taillis et
de petits lacs* se formèrent dans l'intérieur du cratère.
V,
Dans un travail des plus intéressants et qui résume
parfaitement une grande partie du drame effrayant qui
nous occupe, M. Victor Fournel s'exprime ainsi ;
« Le seul témoignage complet et authentique qui reste
de l'éruption du Vésuve en 79 est la lettre de Pline le
jeune, dont M, Beulé relate et discute tous les renseigne-
ments. Il est bien fâcheux qu'en ramassant le corps de
Pline l'ancien on n'ait pas songé à recueillir les tablettes
sur lesquelles il avait inscrit ses observations : sans doute
les explications scientifiques de l'illustre naturaliste eus-
sent été fort sujettes à caution, mais quel document pré-
cieux n'auraient pas fourni à l'historien ses observations
matérielles !
« En déterminant, autant que possible, les dates exactes
et les caractères particuliers des diverses phases de l'érup-
tion, M. Beulé établit que le principal agent mortel
fut, non la pluie de cendres, mais l'émission des gaz
acides sulfureux ou carbonique, émanés de ces coulées
de laves et de pierres ou des fissures du sol. C'est la
seule manière d'expliquer la mort de Pline l'ancien , qui
périt en voulant se coucher à terre ; la seule aussi d'ex-
pliquer comment un si grand nombre de Pompéiens,
en dehors de ceux qui avaient péri victimes du tremble-
Fig. 8!. — Pompé! à vol d'oiseau (Restauration).
LES VOLCANS. 40?
ment de terre et écrasés sous les ruines , ou qui ont été
murés vifs dans leurs retraites par les déjections volca-
niques, sont tombés foudroyés sur tous les chemins. Les
pierres ponces lancées par le volcan étaient poreuses et
légères : on pouvait s'en garantir assez facilement, ainsi
que des cendres, en se couvrant la tête d'un voile et
d'oreillers. Iiensevelissement de Pompéi n'a pas été d'ail-
leurs si rapide et si complet qu'il pût, comme on le croit
vulgairement, surprendre chacun à son travail ou à son
plaisir, sans lui laisser le loisir de la fuite.
ce Pompéi ne fut alors qu'à demi enterrée, sous une
couche d'environ quatre mètres de pierres ponces, re-
couverte d'un mètre de cendres. Les étages supérieurs
dépassaient le niveau; mais les survivants, au lieu de
déblayer leur ville, ne songèrent qu'à la fouiller. Les
maisons de Pompéi portent de nombreuses traces de
ces fouilles, qui les ont souvent dépouillées de tout ce
qu'elles contenaient de précieux. Plus tard, lorsqu'une
Pompéi nouvelle, plus humble et plus pauvre, s'éleva
sur un territoire voisin, que possédait le municipe et
qu'avait épargné l'éruption, les Pompéiens se servirent
de leur ancienne ville comme d'une carrière , où ils al-
laient prendre tous les matériaux dont ils avaient besoin.
Elle ne fut complètement enterrée que par des érup-
tions postérieures. Puis l'herbe et l'oubli poussèrent sur
son emplacement, comme sur une tombe, jusqu'en 1748,
où les découvertes d'un paysan amenèrent enfin le com-
mencement des fouilles, mais sans que l'ingénieur chargé
de cette tâche, pas plus que ses contemporains, se dou-
tassent alors qu'il s'agissait de Pompéi.
408 LES METEORES.
« On sait le résultat merveilleux qu'elles ont donné :
il eût été plus complet encore sans les causes que nous
venons de dire. Pompéi, d'ailleurs, était surtout une ville
de commerce et de plaisir; c'était aussi une ville nouvelle,
car elle avait été renversée seize ans auparavant par
un tremblement de terre , précurseur de l'effroyable
convulsion qui allait anéantir la cité rapidement reeons-
truite. M. Beulé estime que toutes les découvertes impor-
tantes y ont été faites, car les parties déblayées compren-
nent les bains, le forum , les théâtres et les monuments.
Il croit donc qu'il serait urgent de transporter désormais
à Herculanum le principal effort des explorations. »
VI.
L'éruption la plus mémorable qui ait eu lieu ensuite
s'est faite en 1822, du 24 au 28 octobre. Pendant les douze
jours suivants elle ne fut pas interrompue, sans avoir
toutefois la violence des quatre premières journées. Les
détonations à l'intérieur du volcan furent si fortes, que par *
le seul effet des vibrations de l'air les plafonds des salles
se crevassèrent dans le palais de Portici. L'atmosphère
des villages voisins était complètement remplie de cen-
dres, et vers le milieu du jour toute la contrée resta pion-
gée plusieurs heures dans l'obscurité la plus profonde;
on allait dans les rues avec des lanternes.
Le Vésuve a lancé des pierres cubant environ un mètre
à 1,200 mètres de hauteur au-dessus du cratère, hauteur
égale à celle de la montagne. On dit que le Cotopaxi a
LES VOLCANS.
H-i)
porté à trois lieues une pierre d'environ cent mètres
cubes.
Ces régions fécondes en prodiges sont dignes de la cu-
riosité des voyageurs, surtout de ceux qui aiment les
terribles beautés. Aussi me suis-je empressé de faire
l'ascension du Vésuve à mon passage à Naples, le 30 avril
fïLMft
Fiff. H-2. — Cratères du Vésuve
18(55, et de voir par moi-même toutes les particularités
de ce célèbre volcan.
Je pris un excellent guide à Portici; il attira mon at-
tention sur les choses les plus remarquables; il me lit
avancer près d'une large galerie de laquelle sortait une
fumée chaude et sulfureuse : en prêtant l'oreille à son ou-
verture, on entendait la lave bouillonner au fond des
410 LES MÉTÉORES.
abîmes avec un bruit vaste et effrayant semblable à des
tonnerres continus.
Le Vésuve avait donné le signal d'une nouvelle guerre,
et, quoique déjà un peu apaisé, il vomissait encore plu-
sieurs fois par minute des flammes, des laves embra-
sées, et lançait vers le ciel les éclairs de sa bouche reten-
tissante, comme des décharges répétées de grosses pièces
d'artillerie.
A peine étions-nous à l'abri des projectiles sur les
bords du cirque; cependant nous nous y assîmes pour
déjeuner. Mon guide fit cuire des œufs sous la cendre
brûlante, et des Napolitains complaisants vinrent nous
offrir du vin de Lacryma-Christi qui avait pris naissance
sur les flancs mêmes de la montagne.
Les îles Éoliennes ou de Lipari sont remarquables par
les masses de matières gazeuses ou de vapeurs qu'elles
vomissent dans l'atmosphère . LeStromboli, volcan cen-
tral du groupe, est un cône d'une forme très régulière et
bien déterminée, que les navigateurs ont surnommé de-
puis longtemps le phare de la Méditerranée. Ce volcan
jette continuellement des flammes, mais avec cette parti-
cularité singulière que, depuis deux mille ans, il n'a pas
fait d'éruption proprement dite 1 .
i Nous devons à M. J. À. Barrai d'excellentes cartes des volcans et des
montagnes. Peu de savants ont rendu autant de services à la météorologie
naissante et à l'astronomie que M. Barrai; il a communiqué de nombreux et
importants mémoires à l'Académie des sciences, que Ton retrouve en partie
dans les œuvres d'Arago , qui ont été publiées d'après l'ordre de l'illustre aca-
démicien sous son habile direction ; nous y avons spécialement remarqué les
observations météorologiques faites pendant ses voyages aéronautiques; des
mémoires sur les eaux de pluies, le magnétisme de rotation; l'influence des
LES VOLCANS. 411
VII.
On ne connaît pas de volcan proprement dit situé
sur le continent africain , mais les îles rangées dans sa
dépendance en renferment un grand nombre, dont les
principaux sont :
El Pico, dans l'île del Pico, du groupe des Açores;
Le Fuego , dans l'île du même nom , appartenant à
l'archipel du cap Vert;
Le pic de Teyde ou de Téîiériffe. Avec quelle émotion
4
j'ai contemplé ce mont superbe, couronné de sombres
vapeurs, s'élevant du sein des mers avec la majesté d'une
reine en deuil! lui dont l'histoire avait captivé mon
enfance, et que j'entrevoyais dans mes rêves bien long-
temps avant qu'il se présentât à ma vue !
-, *■
Le Grand-Brûlé, dans l'île de la Réunion. On l'aperçoit
à trente lieues du sein des flots ; son sommet est presque
toujours couronné de sombres nuages, comme celui du
pic de Ténériffe ; le point culminant de l'île, le Pilon des
Neiges , a 3,069 mètres au-dessus du niveau de la mer;
\e Piton de Fournaise, volcan en activité, a 2,200 mètres.
taches solaires sur la température ; les tables des comètes , des hivers et des
étés mémorables, des températures maxima et minima extrêmes, de la congé-
lation des grands fleuves, etc., etc. ; mémoires incessamment reproduits, sou-
vent sans indication de sources. Nous sommes heureux de pouvoir signaler
ici, au moins en partie, les importants travaux de ce savant éminent.
412 LES METEORES.
VIII.
J'ai présenté en 1862, à l'Académie des sciences , un ta-
bleau marquant les différents âges de ce volcan et l'as-
pect qu'il présente depuis la fameuse éruption de 1800, à
laquelle j'ai assisté. J'ai fait accompagner ce tableau d'un
texte qui donne les détails scientifiques des phénomènes
les plus intéressants qui se sont manifestés dans cette
dernière crise.
En voici un résumé succinct :
L'éruption qui s'est produite à la Réunion le 27 fé-
vrier 1812 donna lieu à trois courants de laves, qui s'ou-
vrirent un passage dans le haut de la montagne , un peu
au-dessous du véritable cratère. L'un de ces courants
n'atteignit la mer que le 9 mars. Quelque temps après
l'explosion, il tomba sur un grand nombre de points de
l'île une pluie composée de cendres noirâtres et de longs
fils de verre flexibles, semblables à des cheveux d'or.
Hamilton dit avoir trouvé de semblables filaments vi-
treux , mêlés aux cendres dont l'atmosphère de Naples
était obscurcie durant l'éruption du Vésuve de 1779.
L'éruption de mars 1800 a lancé, comme en 1812,
des filaments de verre sur les lieux qui l'environnaient;
et pendant plusieurs nuits on remarquait, de Saint-
Denis , en regardant du côté du Grand-Brûlé, un horizon
d'un rouge sombre, semblable à celui produit par un
vaste incendie. Les promeneurs qui allaient respirer l'air
frais du soir sur le rivage du côté de la place Candide
LES VOLCANS. 413
ont pu parfaitement observer ce phénomène, qui pa-
raissait plus intense encore lorsque des nuages , faisant
l'office de vastes écrans, réfléchissaient la lumière.
La place Candide est dans une situation délicieuse , au
bord de la mer. Qu'il fait bon , le soir, sur cette place ,
toujours émaillée de verts gazons , où l'on va prendre un
bain d'air qui pénètre dans tous les pores, à travers les
vêtements de toile blanche du promeneur ! C'est là aussi
que se trouve le cirque où vont se distraire les élégantes
créoles, et où ont lieu le dimanche les danses pittores-
ques des nègres.
À quelque distance se trouve le cimetière, que battent
les flots jour et nuit, et qu'ombrage une allée de filaos,
arbre le plus gracieux du monde, et qui rappelle le
sapin et le saule-pleureur ; ses feuilles longues, pressées,
cylindriques et 'fines comme des cheveux, penchent vers
la terre, et la brise qui les fouette chante mélodieuse-
ment d'une voix qu'on recherche toujours dès qu'on Ta
entendue une fois.
Ce cimetière est une espèce de miniature des champs de
repos de toutes les nations ; il y a en effet des monuments
de tous les ordres, de tous les styles, des inscriptions
dans toutes les langues. Il est difficile de retenir quelques
larmes en lisant des épitaphes telles que celle-ci : « Ici
repose un tel... Sa mère le pleure à travers l'Océan. » Il
est impossible de dire , sur ce point marqué au milieu de
la mer des Indes, l'impression que font ces tombeaux qui
recèlent les derniers restes de ceux qui appartiennent à
notre patrie, et qui sont nés sur cette terre éloignée et
chérie où respirent tant d'êtres qui nous sont chers.
414 LES MÉTÉORES,
C'est de ces lieux qu'on allait admirer le superbe phéno-
mène que présentait le volcan en activité.
IX.
Notre ami M. Hugoulin s'est immédiatement trans-
porté au point de l'éruption, et a pu constater les faits
les plus intéressants; nous le suivrons dans le résumé
suivant :
Le 19 mars 1860, à huit heures et demie du soir, un
roulement sourd, mais fort bruyant, s'est fait entendre
dans toutes les localités voisines du Grand-Brûlé. Ce bruit
était partout comparable à celui que ferait une charrette
pesamment chargée d'objets de fer. C'est là l'impression
commune qu'ont éprouvée dès l'abord tous les observa-
teurs. Ce bruit produisait une certaine vibration du sol ;
il n'y avait pas tremblement de terre proprement dit,
mais la trépidation était assez forte pour faire osciller
les meubles et les ustensiles.
Une épaisse colonne de fumée grisâtre s'est élancée per-
pendiculairement dans l'espace , du sommet de la mon-
tagne du volcan, dans la partie voisine du Piton de
Crac. Cette colonne paraissait avoir plus de 100 mètres
à la base; elle a été en s'agrandissant à son sommet,
de manière à former un nuage épais, qui s'est étendu
en deux sens presque opposés, donnant ainsi nais-
sance à deux, nuages distincts. L'un a pris la direction
nord-est, vers le bourg de Sainte-Rose; il a empê-
ché les observateurs de cette localité d'apercevoir
LES VOLCANS.
415
l'autre nuage,
qui a marché ■ppll
dans la direc-
tion sud-est,
vers Saint-Phi-
lippe.
Toute la
masse de la co- 1
lonne était il-
lu
minée par
une quantité
considérable
de points en
vive ignition ,
qui éclataient
ensuite en
mille gerbes
resplendissan- |
tes, comme un
bouquet de feu
d'artifice. Des ï
masses énor-
mes de roches
incandescen -
tes la sillon-
naient aussi
?
et éclataient |
ensuite, avec
un bruit sem- ,
blable à des
Fig. 83. — Explosion volcanique
416 LES METEORES.
détonations de mousqueterie, en fragments lumineux.
Ce phénomène n'a duré que quelques instants , l'obs-
curité l'a remplacé; mais les deux nuages formés par
l'éruption ont continué leur route en deux sens opposés
avec la force d'impulsion première qui leur avait été sans
doute communiquée par l'explosion volcanique, car le
calme le plus parfait régnait dans l'atmosphère. Ces deux
nuages ont fini par se dissoudre en une pluie de cendres
qui a couvert toutes les localités environnantes , à plus
de sept lieues de rayon du centre volcanique. La cendre
provenant du nuage qui s'est dirigé vers Saint-Philippe
est grise, elle est aussi fine que la farine de blé. Celle de
Sainte-Rose est grenue comme de la poudre de chasse,
et ressemble assez au sable de la rivière de l'Est; elle
en diffère en ce qu'elle n'a pas, comme celui-ci, des
fragments cristallins et brillants. Le sol a été partout
jonché de ces cendres, les plantes en ont été entiè-
rement couvertes, et cette pluie a été générale, de-
puis l'extrémité sud de la commune de Saint-Philippe
jusqu'à quelques kilomètres de la ville de Saint-Benoît.
A 16 milles en mer, le trois-mats la Marie-Élisa, qui
venait au mouillage de Sainte-Rose , et dont le capitaine
a été l'un des observateurs favorisés, a eu son pont
entièrement couvert de cendres.
La plupart des familles ont évacué leur case à la
hâte, emportant leurs objets les plus précieux. Une heure
après l'éruption, toute la nature avait repris son calme
habituel, et Ton n'apercevait plus que la lueur que ré-
pand le volcan depuis longtemps.
Les laves incandescentes varient beaucoup de vitesse :
LES VOLCANS. 417
celle du volcan de la Réunion a employé dix jours entiers
pour franchir, sur un terrain incliné , la petite distance
du cratère à la mer. M. de Buch a vu, en 1805, un tor-
rent de laves sortir du sommet du Vésuve et atteindre
le bord de la mer à 7,000 mètres du point de départ en
trois heures. Les laves de l'Etna emploient, dans les ter-
rains plats de la Sicile , des journées entières pour s'a-
vancer de quelques mètres. La couche superficielle est
quelquefois figée et en repos, tandis que la masse centrale
incandescente et fluide coule encore.
X.
Il existe une cinquantaine de volcans en Amérique ;
les plus remarquables sont ceux de Jorrullo de Gua-
temala, qui a 4,000 mètres de hauteur; de Pichincha,
élevé de près de 5,000 mètres; de Cotopaxi, qui s'élève à
5,750 mètres, et celui de PAntisana f qui en atteint
6,000.
L'Asie et l'Océanie présentent un grand nombre de
volcans en activité.
On compte 205 volcans brûlants ; \ 07 sont situés dans
les îles, et 98 dans les continents, à proximité des côtes.
■
Cette position des volcans en activité dans le voisinage
de la mer, quoique étant un fait déjà assez remarquable
par lui-même, le devient encore davantage lorsque l'on
considère les phénomènes qui ont eu lieu à Santorin,
aux Açores, sur les côtes d'Islande, lesquels ne doivent
27
418 LES METEORES.
laisser aucun doute sur l'existence des volcans sous-rna-
rins .
Un nouvel îlot volcanique s'est produit en 1866 dans
l'intérieur du vaste cratère qui constitue la rade de
Santorin (fig. 78). M. Lenormant a fait remarquer que ce
nouvel îlot se trouve précisément à la place où, suivant
Cassiodore, Georges le Syncelle et Pline, on vit naître
en l'an 19 de notre ère, à la suite d'un tremblement
de terre , une petite île qui fut nommée « la Divine » et
qui disparut au bout de quelque temps, mais pour repa-
raître au milieu des mêmes circonstances, et encore
pour peu de mois, au printemps de l'an 60. Depuis
cette époque elle ne semble pas s'être montrée de nou-
veau, mais les environs du point où elle vient de re-
venir au jour étaient demeurés le théâtre d'une action
volcanique permanente, qui paraît avoir pris dans les
dernières années une intensité toute particulière.
Une note de M. Gorceix, à l'Académie des sciences,
résume les phénomènes dont le volcan de Santorin a été
le siège. Après cinq ans d'activité, ce volcan est de nou-
veau rentré dans une période de repos, dont, depuis un
siècle et demi , il venait de sortir en 1 866 pour la première
fois.
Au mois d'octobre 1871, il ne se produisait déjà plus
d'éruptions; le sommet du cratère, recouvert de gros
blocs de lave, présente le même aspect que celui de 1707.
Quelques fumées s'en échappent encore, mais elles sont
presque complètement de vapeur d'eau venant se con-
denser au milieu des cendres qui couvrent le cône. Ce-
pendant, en quelques points, l'activité volcanique se mani-
Fis. 84. — Volcans de Santon
LES VOLCANS. 421
feste toujours, mais légèrement. L'éruption paraît donc
être entrée dans sa dernière phase 1 .
XI.
La terre comptait beaucoup de volcans qui se sont
éteints, et dont l'existence n'est prouvée que par les traces
de leurs dévastations. Peut-être aucun pays n'en présente-
t-il plus que la France, et n'est-il plus intéressant à étu-
dier sous ce rapport. Plusieurs de nos départements du
centre sont couverts de laves vomies par ces volcans,
dont l'origine est antérieure aux temps historiques.
Il existe, surtout dans l'Auvergne, des montagnes
d'où sortaient jadis des torrents de matières liquéfiées.
Ce pays présente de toutes parts d'anciens volcans et
des matières rejetées qui ont revêtu les formes les plus
singulières. Trois chaînes de montagnes, les monts
Dôme, Dore, et Cantal, sont volcaniques. Si Ton comptait
toutes celles qui paraissent avoir jeté autrefois des feux
ou des laves ou qui ont été volcanisées, on en trouve-
rait au moins cent cinquante.
Les volcans de France étaient trop nombreux pour avoir
l'énergie de l'Etna ou du Vésuve, qui sont isolés; au-
cune des montagnes de France n'a jeté plus d'une seule
coulée de laves; au mont Dore et au Cantal les coulées
ont été si peu considérables, qu'elles n'ont pas même at-
teint le pied des montagnes. Serait-ce la retraite des eaux
qui aurait fait cesser les éruptions? On l'ignore. La
a - * — *. _ * .
Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872.
422 LES METEORES.
fumée et les vapeurs méphitiques qui s'exhalent aujour-
d'hui encore de quelques anciens volcans, surtout dans
les temps humides, font voir qu'il reste toujours quelque
aliment dans le foyer de ces anciennes fournaises ; c'est ce
que prouvent également les sources chaudes qui jaillis-
sent en Auvergne, au milieu des montagnes volcanisées.
Lorsque les siècles ont passé sur les éruptions volcani-
ques, les pays volcanisés offrent les spectacles les plus
singuliers et les plus attachants que l'on puisse imaginer.
Les chaînes et les plateaux de laves durcies, les coulées
dont on peut suivre l'ancienne direction, depuis les bou-
ches du cratère jusqu'au bas des montagnes , les assem-
blages bizarres de piliers et de prismes qui se déploient
majestueusement en superbes colonnades sur le bord des
rivières , ou qui étonnent la vue par les positions hardies
qu'ils affectent sur les pentes des montagnes; les rochers
caleioés sur place par l'ardeur des feux volcaniques , les
pavés naturels, qu'on appelle ailleurs des pavés de géants,
enfin les boules énormes qu'on voit disposées dans quel-
ques contrées; toutes ces productions étranges sont au-
tant de monuments qui rappellent les volcans et les effets
des feux souterrains.
M. Desmarets a publié des cartes sur lesquelles il a
tracé la marche de chacun d'eux et a marqué la limite
où ils se sont arrêtés. Il fixe trois époques à ces anciens
volcans; les plus modernes ressemblent à ceux qui sont
enflammés, hors le feu, qu'ils ne vomissent plus. Leur
cratère est distinct, bordé de scories; les laves qu'ils ont
jetées forment des courants continus et moulés sur les
inégalités du terrain.
LES VOLCANS. 423
Dans ceux de Pépoque moyenne, le cratère commence
à s'effacer, les scories sont devenues pulvérulentes, les
eaux ont creusé de profonds vallons dans les laves , et
celles-ci se trouvent souvent par là suspendues au som-
met des collines.
Enfin, les plus anciens de tous n'ont laissé ni cratère
ni scories, et leurs laves sont recouvertes de couches
nombreuses de pierres ou bien elles y sont mêlées.
XII.
Plusieurs montagnes embrasées présentent quelquefois
des phénomènes analogues à ceux des volcans, lors
même qu'elles n'ont aucun rapport avec eux. Des mon-
tagnes, composées de houille ou d'autres matières com-
bustibles auxquelles le feu a été communiqué, se consu-
ment lentement et ne présentent ni laves ni cratère.
Voici un exemple de ce genre, qui se trouve dans le dé-
partement de PAveyron :
Pendant longtemps, dit un ingénieur du département,
on a regardé cet incendie comme un événement mal-
heureux qui consumait la houille et bouleversait le
sol; mais ensuite parmi les débris on a remarqué des
masses riches en sulfate d'alumine et en alun tout formé :
alors on a élevé une usine; une exploitation floris-
santé s'est établie dans des lieux qui ne présentaient
que la triste image de la dévastation, le silence et la sté-
rilité; on a arraché les produits du feu, et on a reconnu
424 LES MÉTÉORES.
que l'incendie de la houille procurait une source inépui-
sable de richesses, et l'aliment d'une branche importante
d'industrie dans un pays qui était dépourvu auparavant
de toute espèce de manufacture.
L'embrasement des houillères , qui s'étendent sous les
deux tiers du département de l'Aveyron , donne une si
grande abondance d'alun que toute la France pourrait en
être pourvue. Ces houillères sont recouvertes et soutenues
par un schiste argileux et tendre rempli de pyrites de fer.
L'humidité qui pénètre à travers ce schiste jusqu'au
charbon de terre, cause quelquefois une fermentation qui
finit par un incendie.
Le soufre sublimé provenant des vapeurs sulfureuses
et de divers gaz, qui se développent dans l'embrase-
ment, vient couvrir les parois des fentes et des gerçures;
les acides agissent sur les rochers qui touchent aux bancs
de houille, et les décomposent; il se forme des cristaux
alumineux; la silice, le feldspath, etc., subissent une
dernière fusion, et l'on voit naître des émaux, des
morceaux de fer, des espèces de porcelaine, enfin des
matières fondues et colorées des plus belles teintes.
C'est dans le canton d'Aubin qu'il va le plus d'in-
cendies souterrains et le plus d'alun. Deux montagnes,
celles de Fontaynes et de Buègne, y sont surtout en proie
au feu dévastateur.
La première a environ cent trente mètres de hauteur.
A mi-côte, on voit une grande crevasse, de forme ellip-
tique, qui renferme dix-huit petits cratères groupés sur
trois points. Pendant le jour, le feu n'est pas visible;
mais dans l'obscurité de la nuit tout le gouffre paraît être
LES VOLCANS. 425
en flammes, spectacle effrayant pour ceux qui ne sont
pas familiarisés avec ce phénomène. En approchant de
ce brasier naturel, on sent la terre résonner sous ses pas.
Si , bravant la fumée et la forte chaleur qu'on éprouve à
la plante des pieds, on s'avance jusqu'au-dessus des sou-
piraux, l'œil plonge dans des gouffres de braise ardente.
Les bâtons qu'on y enfonce sont au bout de quelques
minutes enflammés et souvent consumés. Lorsqu'on
élargit l'orifice, la colonne de fumée grossit, et des ai-
grettes de feu s'élancent hors de la crevasse. Quoique
l'incendie gagne déjà la partie supérieure de la montagne,
en suivant le gisement de la houille, le sommet en est
cependant cultivé; il y a même, à cent pas de distance
du foyer, un hameau dont les habitants sont élevés et
familiarisés avec le danger. Ils vivent sans inquiétude,
quoique le terrain au-dessous de leur jardin ait de pro-
fondes gerçures où la chaleur est si vive qu'on ne peut
y enfoncer la main. Les caves et les rez-de-chaussée sont
souvent remplis de fumée.
Cet embrasement dure depuis des siècles , mais en di-
minuant de force. André Thevet , écrivain du seizième
siècle, dit que de son temps les flammes s'élançaient hors
de la montagne toutes les fois qu'il pleuvait, ce qui n'ar-
rive plus aujourd'hui; mais on assure que ce phénomène
a failli se renouveler par l'imprudence des proprié-
taires, qui, croyant parvenir à éteindre le feu en fai-
sant conduire dans ces souterrains l'eau des ruisseaux,
ne furent pas peu surpris d'en augmenter l'intensité, au
point de produire des éruptions de pierres et de matières
enflammées.
426 LES METEORES.
Les eaux qui coulent au pied de ces montagnes»
participent en partie de la nature du terrain. Celles de
Cranzac ont de douze à trente-cinq degrés de chaleur. Les
sources de Fontaynes et de la Salle sont presque aussi
chaudes, et fournissent des étuves naturelles, pourvu
qu'on creuse un réservoir pour les recueillir, Quelques-
unes de ces sources sont chargées d'alun ; d'autres sont
imprégnées de cuivre.
XIII.
On a vu souvent des éruptions volcaniques se produire
au milieu des eaux et donner naissance à des îles qui
n'ont presque toujours eu qu'une courte existence.
Les îles peuvent être formées par le simple abais-
sèment des eaux qui met à découvert le sommet des
montagnes sous-marines, d'autres fois par F effort des
vague squi coupent une langue de terre joignant une
presqu'île au continent. L'Angleterre était jadis attachée
au sol de la France : les courants qui venaient du nord-
est entre l'Allemagne et l'Angleterre, et du sud-ouest
entre la Bretagne et la chaîne des montagnes de Cor-
nouaiile, corrodaient continuellement de part et d'autre
l'isthme qui réunissait l'Angleterre à la France et lui ont
fait succéder le canal qui porte le nom de pas de Calais.
Beaucoup d'autres îles passent pour avoir été jadis jointes
au continent voisin : la Sicile à l'Italie, Sumatra à la
pointe de Malacca, etc.
LES VOLCANS. 427
Des îles flottantes se font quelquefois remarquer sur
les lacs, les marais ou les rivières. Parmi les plus célèbres
en ce genre, on cite celles du Mississipi et celles du lac
deChelco au Mexique; elles sont cultivées et produisent
des arbres, des légumes et des fleurs. On visitait autre-
fois la Motte-Tremblante y aujourd'hui détruite, dans le
lac Menteyer (Hautes -Alpes). On voit encore des îles
flottantes dans les marais qui entourent Saint-Omer, et à
Tivoli, en Italie, dans un petit lac voisin des thermes
d' Agrippa. m
Quelques îles ont été formées subitement par les vol-
cans sous-marins; mais, composées de matières incohé-
rentes, elles ne peuvent généralement résister longtemps
-
à l'action des flots et ne tardent pas à disparaître. En
1831 on vit s'élever de cette manière l'île Ferdinandea,
ikô\ on vu s eiever ue cène manière rue reruinanuea,
près de Malte, qui, abîmée peu de temps après, reparut
en 1834 pour disparaître de nouveau et reparaître en
MQCIA
J864.
XIV.
Les éruptions sous-marines qui donnent naissance à
ces îles éphémères sont assez fréquentes. M. Adolphe Cou-
sin, ancien capitaine du Regina Cœli, a donné la rela-
tion d'un phénomène curieux dont il a été témoin sur ce
navire, qui m'a conduit dans la mer des Indes, et qui
est devenu fameux par la révolte de plusieurs centaines
de noirs à son bord ; on y remarque encore les coups de
hache et les balles qui ont frappé les mâts et les vergues.
428 LES MÉTÉORES.
<c Le 30 décembre 1856, à quatre heures du matin, di-
sait-il dans une note envoyée à l'Académie des sciences,
nous entendîmes un petit bruit sourd, assez semblable à ce-
lui d'un orage lointain. Ce bruit cessa et reprit. A quatre
heures quinze minutes , nous éprouvâmes subitement
de fortes secousses ; le navire se mit à trembler violem-
ment, environ deux minutes; la barre du gouvernail
jouait dans les mains du timonier, sans qu'on pût la re-
tenir; les jambes flageolaient; on distinguait à peine le
son de la voix; Ces secousses étaient accompagnées d'un
bruit assez fort, semblable à celui que produisent plu-
sieurs feuilles de métal frappées l'une contre l'autre. »
Il faisait dans ce moment un temps superbe, petite
brise du sud; la mer était plate; le navire filait quatre
nœuds, avec les bonnettes des deux bords; l'obscurité n'a
pas permis de voir si l'eau de la mer éprouvait des bouil-
lonnements; un seau d'eau puisée le long du bord a fait
reconnaître qu'elle n'avait point changé de température.
Le navire était alors par 0° 10' latitude sud, et 2° 35' Ion-
gitude ouest; il avait un sillage constant de trois à quatre
milles à l'heure.
De petites secousses se firent encore sentir jusqu'à huit
heures du matin, accompagnées du même bruit sourd,
.mais de plus en plus éloigné; le bruit cessa tout à fait
vers quatre heures du soir.
Le capitaine du Godavery a fait, à la même heure et
dans les mêmes parages, la même observation : oc J'ai eu
sous la ligne , dit-il, un tremblement de terre par 20 de-
grés ouest, qui dura environ dix minutes; la mer belle,
jolie brise, toutes voiles dehors; le navire fut fortement
LES VOLCANS. 429
secoué sans avoir aucune espèce d'avarie. Ce tremblement
de terre eut lieu le 30 décembre 1836, à quatre heures
du matin. »
L'observation de ce phénomène, éprouvé à la même
heure et dans les mômes circonstances atmosphériques,
est très remarquable.
Lors de la découverte de l'île de Madère , les Portugais
de Puerto-Santo racontaient comme une vérité constante,
qu'au sud-ouest de l'île on voyait sans cesse des ténèbres
impénétrables qui s'élevaient de la mer jusqu'au ciel,
et qu'elles étaient accompagnées d'un bruit effrayant, qui
venait de quelque cause inconnue.
Comme on n'osait encore s'éloigner de terre, faute
d'astrolabe et d'autres instruments dont l'invention est
postérieure, et qu'il était presque impossible, après avoir
perdu de vue les côtes, d'y retourner sans un secours
providentiel, cette profonde obscurité, attribuée à des
causes inconnues, épouvantait les matelots et donnait lieu
à toutes sortes de conjectures dignes des Mille et mie Nuits.
Les phénomènes qui effrayaient ces parages n'étaient
autre chose que des volcans sous-marins qui ont boule-
versé ces mers à diverses époques.
CHAPITKE XXIII.
LE GRISOU.
Explosions du grisou. — Moyens de les prévenir. — Aérophore. — Curieux
et importants rapports qui existent entre ces explosions et les ouragans.
i.
Le feu grisou, fléau épouvantable, la terreur des ou-
vriers des mines de houille, est produit par l'inflam-
mation accidentelle, avec explosion, du gaz hydrogène
carboné analogue à notre gaz d'éclairage, qui a lieu
très souvent dans les mines, principalement dans les
houillères , où elle cause de terribles désastres.
Ce gaz, se dégageant de la houille , sort par d'innombra-
bles petites fissures, se répand au milieu de l'air, en-
vahit les galeries des mines, et s'enflamme lorsqu'il est en
grande quantité et qu'il rencontre une température suf-
fisamment élevée. Lorsqu'il s'enflamme, il se fait un grand
vide par la combustion; l'air arrive aussitôt pour remplir
ce vide dans les galeries, avec une telle force qu n il ren-
verse les mineurs et les écrase contre les parois de la mine.
Les accidents produits par le grisou étaient bien plus
432 ' LES MÉTÉORES.
nombreux avant qu'un célèbre chimiste, Humphry
Davy, eût imaginé d'envelopper les lampes des mineurs
d'un tissu métallique qui, sans intercepter la lumière et
l'air, empêche la flamme de se communiquer au dehors.
La lampe de Davy, que l'on appelle aussi lampe de sûreté
et lampe des mineurs, se compose d'une lampe à huile or-
dinaire, enveloppée dans une espèce de cage en gaze mé-
tallique. Lorsque cette lampe se trouve au milieu d'une
atmosphère de grisou , l'explosion n'a lieu qu'au sein de
la cage, parce que la toile métallique refroidit assez la
flamme produite par l'explosion pour qu'elle ne se pro-
page pas au dehors.
Ordinairement on fixe sur la mèche des lampes de sû-
reté plusieurs fils de platine roulés en spirale, qui restent
encore incandescents après que la lampe s'est éteinte par
l'effet de l'explosion, et qui répandent une lueur assez
vive pour guider le mineur dans l'obscurité et l'avertir
de prendre la fuite.
L'invention de ces lampes, qui rendent aux mineurs un
service inappréciable, date de 1815; leur construction a
été perfectionnée par MM. Robert, Muesclet, Dumesnil,
Combes, etc.
Uaérophore, appareil inventé par M. Denayrouse, au-
quel l'Académie des sciences vient de décerner un de
ses prix , est appelé à venir grandement en aide aux mi-
neurs. Il a pour but de munir d'une atmosphère indé-
pendante du milieu dans lequel elles sont plongées , les
personnes exposées aux influences de l'air vicié. Il se
compose principalement d'un réservoir en tôle d'acier
qui est chargé d'air atmosphérique à la pression de 25
LE GRISOU. 433
à 30 atmosphères , et qui , au moyen de régulateurs in-
génieux, agissant automatiquement, débite l'air atmos-
phérique sous une faible pression et à la convenance
de l'opérateur. Un tube en caoutchouc fait communi-
quer le réservoir avec la bouche et se termine par un
appendice, appelé ferme-bouche, qui s'applique exacte-
ment sur les lèvres et les gencives; un système parti-
culier de deux soupapes assure le jeu régulier de la
respiration .
L'appareil complet peut être placé sur les épaules à
la manière d'un sac militaire, dont il possède à peu près
la forme et le poids. Tout a été prévu dans cette ingé-
nieuse invention : l'air comprimé alimente une lampe
de sûreté ; des lunettes destinées à protéger les yeux et
un tuyau acoustique lui donnent tous les avantages dé-
♦
sirables. Des directeurs de houillères et des ingénieurs en
ont constaté l'utilité; il fonctionne en ce moment pour
le sauvetage des épaves du Magenta ' .
IL
M. Gairaud a adressé à 1* Académie une note dans la-
quelle il propose de faire dégager dans les galeries plu-
sieurs étincelles au moyen de l'appareil de M. Ruhmkorff;
s'il y a détonation, le gaz sera détruit; si, au contraire,
après plusieurs reprises, la détonation n'a pas lieu, on
peut être en sûreté.
* Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 27 décembre.
28
434 LES MÉTÉORES.
M. Élie de Beaumont fait remarquer que l'utilité de
ces détonations n'est pas quelque chose de nouveau pour
les hommes qui travaillent dans les mines sujettes au
grisou. On y a surtout recours après l'interruption des
travaux pour le repos du dimanche, l'accumulation du
gaz en quantité double rendant alors les explosions plus
redoutables. Des ouvriers, rampant sur le sol des gale-
ries, portent vers les parties supérieures où s'amasse le
grisou des lumières ajustées au bout de longues gaules,
et le font détoner; au moyen de ces précautions et de
quelques autres qu'a indiquées l'expérience, ces hommes,
que Ton désigne communément, à cause de leurs fonc-
tions, sous le nom de canonniers ou de pénitents, ne
courent pas autant de risques qu'on pourrait d'abord
le supposer.
En 1856, M. Dobson a communiqué à l'Académie des
sciences un important mémoire, que Ton peut regarder
encore comme à Tordre du jour, sur le rapport qui existe
entre les explosions de gaz dans les houillères et les
cyclones ou ouragans circulaires.
Dans ce mémoire , l'auteur fait remarquer que la vi-
tesse et la quantité de dégagement du grisou dépendent,
toutes choses égales d'ailleurs, de la densité ou de la pres-
sion atmosphérique; le dégagement est plus grand quand
la pression est moindre , et réciproquement.
La proportion de gaz carboné ou grisou contenue dans
l'atmosphère des galeries n'atteint jamais un chiffre dé-
terminé sans qu'il y ait danger d'explosion, de sorte
qu'il faut absolument maintenir un certain rapport entre
la vitesse de ventilation et l'écoulement gazeux à l'inté-
Fig. 85. — Le pénitent.
LE GRISOU. 437
rieur des galeries, si Ton veut être assuré que l'atmos-
phère de la houillère n'atteindra pas la limite à laquelle
elle commence à devenir explosible.
Le but du travail de M. Dobson est donc de montrer
l'influence qu'exercent les fluctuations extraordinaires de
la pression et de la température atmosphérique, pour
troubler l'équilibre dont il vient d'être question , entre
l'infection par l'envahissement du eaz et la purification
par la ventilation.
III.
•
Ces fluctuations météorologiques peuvent contribuer
do deux manières à rendre explosive l'atmosphère des
houillères.
1° Pendant la période de temps relativement calme ou
sereine, lorsque la colonne de mercure reste durant
plusieurs jours à une grande hauteur, à 763 millimètres
environ , l'écoulement habituel du gaz se trouve arrêté
par la haute densité de l'air, et sa tension augmente
à l'intérieur des fissures. Mais si à cette période de pres-
sion atmosphérique élevée succède une diminution
brusque de pression, indiquée par un abaissement consi-
dérable de la colonne barométrique, le gaz, délivré tout
à coup de la pression atmosphérique qui le refoulait à
l'intérieur, peut s'échapper en assez grande abondance
pour rendre impuissants les moyens ordinaires de ven-
tilation.
2° Même en supposant que le mécanisme de la venti-
438 LES METEORES.
latioifne soit pas changé, et que l'écoulement du eaz à
l'intérieur de la mine soit constant en vitesse et en quan-
tité, il est évident que la ventilation efficace, ou l'effet
utile de la ventilation, varie en raison inverse de la tem-
pérature de l'air extérieur ; car l'efficacité de la ventilation
dépend principalement de la différence de température
entre l'air extérieur et l'air intérieur des galeries.
Une élévation considérable de température de l'air
extérieur peut donc empêcher l'effet de la ventilation , ou
le rendre impuissant à aspirer la même quantité de gaz
que dans l'état normal. La proportion de grisou augmente
alors, et l'atmosphère de la mine devient explosible.
Il est donc certain, a priori, que l'explosion est toujours
à redouter lorsque le baromètre descend ou que le ther-
momètre monte subitement.
IV.
La comparaison ou le rapprochement des faits d'explo-
sion avec les données météorologiques confirme pleine-
ment ces conclusions théoriques.
Voulant mettre rigoureusement en évidence les rela-
tions entre les explosions d'une part , entre les diminu-
tions de pression et les élévations de température de
l'autre, M. Dobson a construit un tableau, pour dix an-
nées, qui permet d'embrasser d'un seul regard, pour un
jour quelconque , les variations de pression et de tempé-
rature, et les cas d'explosion plus ou moins fréquents;
ce rapprochement très simple suffit pour constater qu'il
LE GRISOU. 439
est très peu d'explosions qui ne soient accompagnées,
ou plutôt précédées des deux ou de l'une au moins des
circonstances signalées par M. Dobson, comme favorisant
Pécoulement du grisou, c'est-à-dire de la diminution
brusque de la pression de l'air ou de l'élévation brusque
de la température.
Un cas très remarquable qui vient à l'appui de cette
assertion est le passage sur l'Angleterre de l'ouragan
de 1854, dont la marche a été habilement tracée par
M. Liais, et qui s'est terminé par une tempête sur la mer
Noire. Cet ouragan a été signalé par cinq explosions,
arrivées coup sur coup dans cinq mines différentes et
en quatre jours, c'est-à-dire pendant la durée de la
grande dépression du niveau barométrique causée par
l'ouragan.
Les ouvriers mineurs de France et d'Angleterre ont
remarqué depuis longtemps que les gaz inflammables sor-
taient en plus grande abondance des fissures des couches
et tendaient davantage à envahir les galeries lorsque le
baromètre était très bas ou que le vent soufflait plus
chaud du sud ou du sud-ouest. On trouve ces observa-
tions consignées à plusieurs reprises dans les rapports
présentés aux chambres des lords et des communes, en
1834, 1852, 1853, 1854, etc., par les sous-comités
chargés des enquêtes sur les accidents des houillères.
44a LES MÉTEOKES.
V,
Il est un phénomène météorologique sur lequel
M. Dobson appelle avec raison l'attention d'une manière
tout à fait spéciale, parce qu'il se rattache d'une façon
plus particulière encore et plus constante aux explosions
des mines : ce sont les cyclones ou ouraeans circulaires.
C'est au centre du cyclone que se trouve la plus grande
dépression barométrique; on comprend que lorsque ce
centre passe sur le lieu occupé par une houillère, il doit
amener et la sortie plus abondante du grisou et l'explosi-
bilité de l'air des galeries.
Les observations de M. Dobson viennent à l'appui des
lois des tempêtes que j'ai exposées avec détail dans le
chapitre des ouragans.
On a pu constater que les ouragans obéissent à des
influences invariables, qui ont permis de formuler leurs
lois, lois générales pour les deux hémisphères. Elles se
réduisent aux deux principes suivants , que nous rap-
pelons :
1° Les ouragans sont des tourbillons de plus ou moins
erand diamètre, dans lesquels la force du vent augmente
de tous les points de la circonférence jusqu'au centre, où
règne un calme d'une étendue et d'une durée variable.
2° Les tourbillons suivent une direction variable pour
chaque hémisphère, mais à peu près constante pour
chacun d'eux.
Les ouragans ne sont donc que de vastes trombes dont
LE GRISOU. 441
le diamètre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces
derniers temps d'apercevoir l'ensemble.
La dépression du baromètre augmente progressive-
ment depuis les premières manifestations de l'ouragan
jusqu'au centre, où il atteint le minimum de hauteur. On
conçoit que ce phénomène puisse être intimement lié aux
explosions des eaz dans les houillères.
Les conclusions pratiques que l'on peut tirer des re-
cherches de M. Dobson et des lois des ouragans sont les
suivantes :
1° Il est aussi nécessaire pour le mineur que pour le
marin de consulter avec soin le baromètre et le thermo-
mètre.
2° Les précautions à prendre, si Ton fait descendre les
mineurs dans les mines au moment où le baromètre est
très bas ou le thermomètre très haut, doivent être exces-
sives. Il vaudrait mieux peut-être suspendre le travail.
3° Des observations barométriques et thermométriques
' faites à l'ouverture des puits des mines, à des intervalles
réguliers suffisamment rapprochés, présentent un grand
intérêt, ou plutôt sont tellement nécessaires, que les ad-
ministrations devraient les imposer.
CHAPITRE XXIV.
LE FEU FOLLET.
Nature du feu follet. — Croyance légendaire. — Esprit follet
Le feu follet est une flamme errante et légère produite
par les émanations de gaz hydrogène phosphore qui s'é-
lève des endroits marécageux , des lieux où des matières
animales et végétales se décomposent , tels que dans les
marais, les cimetières, les voiries, et qui s'enflamme
spontanément à une petite distance du point d'où cette
flamme se déeaee.
*!
L'ignorance des véritables causes qui produisent ces
flammes légères a donné lieu à toutes sortes de contes et
de frayeurs superstitieuses.
Leur nom a été emprunté à des lutins familiers appelés
esprits follets. D'après les superstitions qui existent encore
dans nos campagnes à ce sujet , les esprits follets passent
pour plus malins que malfaisants : ils se plaisent à égarer
les passants, à effrayer les voyageurs, et à tourmenter
444 LES MÉTÉORES.
les personnes craintives ; mais ils obéissent avec docilité
à ceux qui savent leur commander, ils leur rendent même
de bons offices et se font leurs serviteurs empressés. Les
feuoo follets sont censés être allumés par ces lutins, qui les
font briller çà et là afin d'égarer le voyageur.
F ta,
80. — Feux follets.
CHAPITRE XXV.
LES ÉTOILES FILANTES 1 .
Bolides, étoiles filantes, aérolilhes. — Leur apparition, leur composition, leur
forme, leur pesanteur. — Histoire des principaux aérolithes. — Cybèle et le so-
leil adorés sous /orme d'aérolithes. — Les savants modernes et les aérolithes.
— Hardiesse de Chladni. — Pluie d'aérolithes en 1 803 : délégation de M. Biot
pour la constater. — Hypothèses proposées pour expliquer ces phénomènes.
— Surprenante découverte : deux comètes périodiques intimement liées aux
flux d'éloiles filantes. — Vitesse des aérolithes ; leur apparition périodique. —
Distinction à faire entre les étoiles sporadiques et les étoiles filantes périodi-
ques. — Jours et mois dans lesquels le nombre des étoiles filantes est le
plus considérable. — Influence de la précession sur leur apparition. — Les
étoiles filantes chez les Chinois.
I.
On nomme bolides des corps qui semblent enflammés,
et qui se meuvent dans le ciel avec une excessive rapi-
dité ; ils sont connus vulgairement sous le nom d'éloiles
filantes; on les nomme aussi aérolithes , météorites, etc.
Pendant leur course dans l'espace , les bolides lancent
1 Ce sujet fait également partie de l'astronomie ; nous l'avons traité dans
notre Histoire des Astres, 2 e édition. On trouve dans cet ouvrage les développe-
ments qui feraient ici un double emploi.
448 LES METEORES.
quelquefois des étincelles et laissent derrière eux une
traînée brillante.
Il arrive souvent qu'ils disparaissent sans qu'on re-
marque d'autres phénomènes ; mais ils peuvent être ac-
compagnés de détonations aussi fortes que celle d'un coup
de canon , se terminant par un sifflement et par la chute
de projectiles.
Ces projectiles sont composés des mêmes principes chi-
miques et à peuprès dans les mêmes proportions.
On y trouve du soufre , de la silice, de la magnésie, du
fer, du nickel, du manganèse et du chrome. Il est impor-
tant de faire remarquer que le fer et le nickel sont à l'état
métallique , ce qui n'a lieu dans aucune des agrégations
minérales que l'on rencontre à la surface de la terre.
Il résulte de plusieurs centaines d'analyses , dues aux
chimistes les plus éminents, dit M. Daubrée, que les mé-
téorites n'ont présenté aucun corps simple étranger à notre
globe. Les éléments que Ton y a reconnus avec certitude
jusqu'à présent sont au nombre de vingt-deux. Les voici
à peu près suivant l'ordre décroissant de leur importance :
le fer, le magnésium , le silicium , Y oxygène, le nickel, le
cobalt, le chrome, le manganèse, le titane, Yétain, le cui-
vre, Y aluminium , le potassium, le sodium, le calcium ,
Y arsenic, le phosphore, Y azote, le soufre, le chlore, le
carbone et Y hydrogène. Il est très remarquable que les
trois corps qui prédominent dans l'ensemble des météori-
tes, le fer, le silicium et Y oxygène, sont aussi ceux qui
prédominent dans notre globe 1 .
4
Étude récente sur les météorites, page 56
LES ÉTOILES FILANTES. 449
En général, les aérolithes offrent une grande régularité
de forme ; leurs angles nombreux sont souvent émoussés
par la fusion, et leur surface est recouverte d'une sorte
d'émail métallique noirâtre , dont l'épaisseur dépasse ra-
rement un millimètre. A l'instant de leur chute, ils ont
une température élevée; leur pesanteur varie depuis
quelques grammes jusqu'à plusieurs centaines de kilo-
grammes.
Celui que Pallas trouva en Sibérie est estimé peser
800 kilogrammes. Dans le Brésil il y en a un qui, dit-
on, pèse 700 kilogrammes, et un autre, trouvé sur les
bords delà Plata, pèserait plus de 50, 000 kilogrammes.
Les aérolithes furent connus dès la plus haute antiquité ;
Ànaxagore les fait tomber du soleil , et suivant lui cet
astre ne serait qu'un immense aérolithe.
Du temps de ce philosophe, une pierre noirâtre , de la di-
mension d'un char, tomba près du fleuve iEsos-Potamos,
en Thrace. C'est le premier phénomène de ce genre dont
les historiens aient fait mention. Cette pierre se voyait
encore dans le même lieu du temps de Vespasien.
Des projectiles du même genre se trouvaient dans le
gymnase d'Abydos, et dans la ville de Canondria, en
Macédoine. Pline dit avoir vu une de ces pierres tomber
dans la campagne des Vocontiens, dans la Gaule Narbon-
naise. Cybèle était adorée en Galatie, sous la forme d'une
pierre tombée du ciel; à Émèse, en Syrie, le Soleil re-
cevait un culte semblable sous la même forme.
Dans l'importante monographie sur les météorites que
nous avons citée, M. Daubrée s'exprime ainsi : « Lorsqu'on
réfléchit au nombre des météorites que la Terre voit tous
29
450 LES METEORES.
les ans, on. est disposé à admettre qu'il en est tombé aussi
durant les immenses laps de temps pendant lesquels se
sont formés les terrains stratifiés, et dans le bassin même
de l'Océan, où ils se déposaient. Cependant, bien que ces
terrains aient été fouillés maintes fois, on n'y a jamais
mentionné rien d'analogue aux pierres météoriques.
« Ce fait, très remarquable, s'explique peut-être,
conformément aux résultats d'expériences que j'ai com-
mencées depuis un certain temps, par la facilité avec
laquelle ces pierres disparaissent à la suite de leur
oxydation sous l'influence de l'eau, et de la désagréga-
tion qui en est la conséquence 1 . »
Lorsque je revenais de la mer des Indes , un magni-
fique bolide, dont le diamètre apparent était à peu près
égal à celui de la Lune, tomba non loin de notre na-
vire 2 . Nous ne pouvons que mentionner ici la chute
de poussière cosmique dont nous parlons avec détail dans
notre Histoire des Astres.
II.
Pendant longtemps les savants, ne pouvant expliquer
le phénomène des aérolithes, se refusèrent à y croire. Ce
1 Étude récente sur les météorites, page 8,
2 Dans notre Histoire des Astres, ou Astronomie pour tous, ouvrage adopté
par la commission officielle près le ministère de l'Instruction publique pour les
bibliothèques des écoles normales, etc., nous donnons une gravure représentant
cette chute, fi<$. 57 ; nous avons également fait représenter la chute unique et bien
remarquable d'un bolide en fusion observé au-dessus delà ville d'Athènes, fig. 56.
Nous consacrons deux planches en couleurs, pour les importantes et ingénieuses
observations de M. Silbermann, du collège de France.
LES ÉTOILES FILANTES. 451
fut seulement en 1794 que Chladni osa se ranger ouver-
tement du côté de la prétendue superstition populaire; il
tenta de démontrer que cette superstition , comme tant
d'autres, n'était point sans fondement. Et lorsque, le
26 avril 1803 , une pluie de pierres des plus remarqua-
bles vint à tomber en plein jour sur la petite ville de
Laigle, en Normandie, l'Institut nomma une commission
qui se rendit sur les lieux, et dont le rapport ne laissa
aucun doute sur la réalité des aérolithes.
C'est Biot qui fut délégué par l'Académie des sciences
pour aller étudier l'authenticité et la nature de ce phéno-
mène; mais il paraissait encore si étrange, même au
sein de la compagnie la plus familière avec les nou-
veautés delà science, que plusieurs membres nevou-
laient pas qu'elle s'occupât publiquement de cette affaire,
craignant qu'elle n'y compromît sa dignité. La Place se
décida cependant à passer par-dessus ces hésitations , et
le rapport que fit M. Biot démontra parfaitement l'à-
propos et l'efficacité de sa mission.
Pour expliquer ce phénomène, on proposa les hypo-
thèses suivantes :
1° On supposa d'abord que les aérolithes étaient,
comme la pluie ou la grêle, de véritables météores qui se
formaient dans l'atmosphère par voie d'agrégation.
Quoique très simple en apparence, cette hypothèse est
très invraisemblable. Aucun des principes constituant les
pierres météoriques ne se trouve dans l'atmosphère; il
faudrait, de plus, que ces principes y fussent à l'état
gazeux et en assez grande quantité pour donner nais-
sance à des pierres de plusieurs quintaux ou à des mil-
452
LES METEORES.
liers de pierres de grosseurs différentes. Si les aérolithes
se formaient dans l'atmosphère, ils obéiraient aux lois
de la pesanteur et tomberaient en ligne droite, ce qui
n'est pas, car ils ont dans leur chute une vitesse de trans-
lation horizontale qui paraît être plus grande que celle
qui entraîne notre planète dans son mouvement autour
du soleil.
Fig. 87. — Étoile filante.
2° La Place pensait que les aérolithes peuvent tirer
leur origine des éruptions de quelques volcans de la
lune.
La lune n'étant point entourée d'une atmosphère résis-
tante, il est permis d'admettre qu'une pierre peut être
lancée avec assez de force par un de ses volcans pour
sortir de la sphère d'attraction de ce satellite et entrer
dans celle de la terre. Il ne faudrait pour cela qu'une
LES ETOILES FILANTES. 543
vitesse égale à cinq fois et demie celle d'un boulet de
canon.
Cette hypothèse explique la direction oblique que les
aérolithes suivent dans leur chute; car, une fois la limite
de l'attraction de la lune dépassée, la pierre lancée de-
vient un satellite de la terre, et, par suite des perturba-
tions qu'elle éprouve, finit par tomber à sa surface.
3° Chladni admit que les aérolithes étaient des frag-
ments de planète ou même de petites planètes qui. en
circulant dans l'espace, étaient entrées dans l'atmosphère
terrestre, y avaient perdu graduellement leur vitesse par
l'effet de la résistance de l'air, et venaient enfin tomber
à la surface de la terre.
Cette hypothèse, qui fait des aérolithes des astéroïdes,
ou petites planètes, nom donné autrefois à Cérès, Pallas,
Junon et Vesta, circulant par milliards autour du soleil,
et ne devenant visibles qu'au moment où elles pénètrent
dans notre atmosphère et s'y enflamment, peut expliquer
la plupart des circonstances qui précèdent et qui accom-
pagnent la chute des pierres météoriques.
M. St. Meunier, qui a fait une étude toute spéciale de
la nature des météorites, dit, après avoir exposé les prin-
cipes auxquels il est arrivé : a II en résulte, toute hypo-
thèse mise à part, que les météorites dérivent d'un astre,
aujourd'hui désagrégé, dont ils constituent les débris 1 . y>
A Comptes rendus de V 'Académie des sciences, 2 e semestre 1870. — Voir éga-
lement le Ciel géologique, du même auteur, où ses idées sont développées.
454 LES METEORES.
III.
Les astronomes ne sont parvenus que récemment à cons-
tater l'origine vraie des étoiles filantes, de manière à pou-
voir abandonner les anciennes théories, basées sur des
suppositions. On s'est assuré que, dans sa course rapide,
la terre s'élance comme un boulet immense au milieu
d'anneaux mouvants de mitraille qui circulent sans cesse
dans des ellipses déterminées; vrais fleuves sans com-
mencement et sans fin, qui roulent des projectiles célestes,
en coupant en plusieurs points la route invisible que
parcourt la terre autour de l'astre du jour.
En traversant ces fleuves d'un nouveau genre , la terre
est criblée par des milliers de petites planètes qui s'abat-
tent à sa surface , et sa puissance attractive en entraîne
un grand nombre , qui lui font cortège en tournant au-
tour d'elles, pendant plus ou moins longtemps, comme
des lunes imperceptibles, pour la rejoindre à un moment
donné, en tombant sous la forme d'étoiles filantes.
Ces phénomènes ont un caractère bien grandiose,
bien imposant, et propre à surprendre ceux qui s'initient
à leur secret pour la première fois*
Mais voici qui est plus grandiose et plus surprenant
encore : la connaissance approfondie des lois admirables
qui régissent notre système planétaire fait jaillir des lu-
mières inattendues sur ces phénomènes, et, comme con-
séquences rigoureuses, elle nous apprend comment ces
essaims de petits astres ont été attirés près de nous , et
LES ETOILES FILANTES.
455
v
la date récente de leur apparition dans les espaces que
nous parcourons.
La découverte vrai- H
ment extraordinaire de
deux comètes périodi-
ques intimement liées
aux flux d'étoiles (ilan-
m
tes d'août et de no-
vembre donne à la
question de ces météo-
res une face nouvelle.
Les astronomes s'ac-
cordaient généralement
à regarder les étoiles
filantes comme appar-
tenant à des anneaux
continus ou à des es-
saims de matière cos-
mique circulant au-
tour du soleil, lorsque
M. Schiaparelli a eu la
pensée de déterminer
les éléments paraboli-
ques du flux du 11 août,
tout comme s'il s'était
agi d'une comète ve-
nant des profondeurs
de l'espace; 'il a conclu
que ce flux devait être Fig. 88. - Étoile niante.
étranger au système solaire. Dans son remarquable rapport
i
456 LES MÉTÉORES.
sur le prix d'astronomie, le 1 8 mai 1 868, M. Delaunay fait
observer que M. Sehiaparelli, à qui a été décernée la mé-
daillede la fondation Lalande, <c a ouvert une voie toute
nouvelle , qui doit conduire les astronomes aux consé-
quences les plus importantes relativement à la constitu-
tion de l'univers. » Quelque temps après, M. Le Verrier,
en se fondant sur le mouvement rétrograde des étoiles
de novembre, est arrivé aux mêmes conclusions que
M. Sehiaparelli.
Ainsi, M. Sehiaparelli d'abord et M. Le Verrier en-
suite sont parvenus, par des voies différentes , à la même
conclusion; pour eux les étoiles fdantes proviennent de
la désagrégation de vastes amas de matière cosmique, pé-
nétrant dans notre svstème à la manière des comètes , et
subissant ensuite une désagrégation totale sous Faction
perturbatrice du soleil ou d'une grosse planète. Il en ré-
sulterait , d'après eux, la dispersion de ces matériaux le
long de l'orbite décrite par le centre de gravité primitif
de l'amas, dispersion qui finirait même avec le temps par
constituer un véritable anneau.
Deux découvertes faites coup sur coup par M. Schiapa-
relli et M. Peters, sur les deux orbites dont nous venons
de parler, ont frappé de surprise le monde savant. A
peine étaient-elles obtenues, qu'on y remarqua une éton-
nante coïncidence; on y reconnut trait pour trait les
orbites, récemment calculées par M. Oppolzer, de la
grande comète de 1862 et de la première comète de
1866.
On admet donc que ces deux amas cosmiques conte-
naient chacun une comète à leur entrée dans notre sys-
LES ETOILES FILANTES. 457
tème, comètes qui auraient échappé à la dissolution com-
plète des amas primitifs, tout en continuant à décrire la
même orbite que les matériaux dispersés. Cependant, il
semble que l'on ne peut des faits connus, tirer aucune
conclusion relative à l'identité bu à la différence de la
matière des comètes avec les essaims d'étoiles filantes.
Les relations entre les comètes et les étoiles filantes
avaient déjà été devinées par Chladni, en 1819, et la né-
cessité de fortes excentricités dans leurs orbites, reconnue
par M. Newton, en 1806.
Pour compléter ces données, nous devons ajouter ici
les lignes suivantes de M. l'abbé Raillard, l'un de nos
météorologistes les plus ingénieux, et les plus modestes
tout à la fois. « La date du 25 au 27 novembre est celle
du retour périodique d'un essaim d'étoiles filantes ana-
logue à celui des Perséides du mois d'août, mais qui
n'arrive pas tous les ans comme ce dernier. Je l'avais
déjà observé plusieurs fois. Le P. Denza l'a également
observé cette année à Moncalieri, où il a été accompagné
d'une aurore boréale. Il y en a encore un du 8 au 14
décembre, et un autre vers le 7 janvier. J'ai observé
celui-ci en 1830; il était accompagné d'une très belle au-
rore boréale. De là m'est venue l'idée que les aurores
boréales, les étoiles filantes et les comètes avaient une
origine commune, et j'ai communiqué cette idée à l'A-
cadémie des sciences dans une note que je lui ai adressée
en janvier 1839, c'est-à-dire environ trente ans avant
que M. Schiaparelli ait fait son travail sur la coïncidence
desjsssaims d'étoiles filantes et des comètes, mais où il
n'est pas question d'aurores boréales. Je suis revenu
458 LES METEORES.
bien des fois, depuis, sur mon idée, dans le Cosmos,
dans la Revue photographique et dans les Mondes * . »
IV.
Dans l'importante communication à l'Académie des
sciences dont nous venons de parler, M. Le Verrier fait
observer que M. Newton, de New-Haven, parlant des flux
d'étoiles filantes observés depuis Tan 902, et dont les
chroniqueurs nous ont gardé le souvenir, a fixé à trente-
trois ans et un quart la durée d'une période du phéno-
mène de novembre.
La discontinuité du phénomène montre qu'il n'est pas
dû à la présence d'un anneau d'astéroïdes que la terre
rencontrerait, mais bien à l'existence d'un essaim se
mouvant dans des orbites très voisines les unes des au-
tres , et qui à notre époque viennent couper l'écliptique
vers le 13 novembre.
L'essaim que nous considérons pourrait n'être pas de
la même date que notre système et être pourtant fort
ancien; mais il v a heu de supposer qu'il est beaucoup
plus nouveau.
On ne peut qu'être frappé de cette circonstance , que
l'essaim de novembre s'étend jusqu'à l'orbite d'Uranus et
fort peu au delà; d'autant plus que ces orbites se coupent
à fort peu près en un point situé après le passage de l'es-
1 Les Mondes scientifiques, 5 décembre 1872.
LES ETOILES FILANTES. 459
saim à son aphélie, et au-dessus du plan de l'écliptique.
Or, Uranus et l'essaim n'ont pu se trouver simultané-
ment en ce point, c'est-à-dire dans le voisinage du nœud
de l'orbite, plus tôt qu'en l'année 126; mais au com-
mencement de cette année Fessai m a pu s'approcher
d'Uranus : alors l'action de cette planète a été capable
de le jeter dans Forbite qu'il parcourt aujourd'hui , de
même que Jupiter nous avait donné la comète de 1770.
Ainsi tous les phénomènes observés peuvent être ex-
pliqués par la présence d'un essaim globulaire , jeté par
Uranus en l'année 126 de notre ère, dans Forbite que les
observations assignent à l'essaim auquel sont dus de
nos jours les astéroïdes de novembre.
Les étoiles périodiques du 10 août, dues à un anneau
complet, puisque le phénomène revient chaque année,
reçoivent une explication pareille. Seulement le phéno-
mené est plus ancien ; l'anneau ayant eu le temps de se for-
mer, il n'est pas possible de se livrer à son égard à une
étude du même genre que sur celui de novembre; la
continuité annuelle du phénomène ne permet pas d'en
établir la période avec assez de certitude.
Les communications de M. l'abbé Raillard, de M. Schia-
parelli et de M. Le Verrier jettent assez de lumière sur
la théorie des étoiles filantes pour la dégager complète-
ment des hypothèses.
V.
On distingue les étoiles sporadiques, qui apparaissent
460 LES METEORES.
toute l'année à raison de 10 ou 11 environ par heure,
dans toutes les directions imaginables, puis les étoiles
filantes périodiques, qui apparaissent par essaims, vers
les 9, 10 et 11 août, avec une régularité bien remar-
quable depuis 1842; enfin, les étoiles périodiques de no-
vembre, dont les maxima se déplacent irrégulièrement
d'une année à l'autre.
Chaque année le nombre des étoiles filantes va en crois-
sant, à partir de la fin de juillet ; cependant ce sont les 9,10
et 1 1 août qu'il est le plus marqué. Le maximum a lieu
vers le 1 ; mais tantôt ce maximum est très marqué parce
que le nombre des météores est double ou triple presque
subitement ce jour-là; d'autres fois il est moins sensible,
en sorte que les observateurs non prévenus ou gênés par
des nuages pourraient prendre le 9 ou le 11 indiffé-
remment pour la date du point culminant de l'appari-
tion. Des discordances d'un ou de deux jours doivent donc
être considérées comme très admissibles, quand il s'a-
gira d'observations anciennes.
Si l'on peut négliger la précession pendant le cours de
_^
quelques années , cela n'est plus permis dans l'examen
des siècles antérieurs. Si le phénomène du 10 août ré-
pond à un même point de l'orbite terrestre, sa date
devra diminuer d'un jour à chaque période de 71 an-
nées 6 dixièmes, comptées dans le passé; en sorte que
716 ans, par exemple, avant l'époque actuelle le phé-
nomène a dû arriver vers le 31 juillet.
Les annales chinoises citent une apparition le 5 août
1451 ; le calcul indique le 4 août. Elles mentionnent
d'autres apparitions analogues entre le 25 et le 30 août,
LES ETOILES FILANTES. 461
dans les années 924-933, à une époque où le maxi-
mum a dû tomber le 28, et d'autres encore de 821 à
841, toujours du 24 au 30, alors que le maximum de-
vait coïncider avec le 27.
Ainsi, avec les siècles le phénomène remonte le cours
des dates, et avance d'un demi-mois en mille ans, pré-
cisément comme le ferait l'arrivée de la terre à un point
fixe de l'écliptique. La seule conclusion que Ton puisse
tirer d'un pareil fait, c'est que l'anneau d'astéroïdes
vient couper l'orbite terrestre par un point sensiblement
invariable, qui a aujourd'hui pour longitude 318 degrés,
et que les choses se passent ainsi depuis un millier d'an-
nées. Les variations d'intensité des phénomènes , recon-
nues récemment, n'offrent d'ailleurs aucune difficulté. En
admettant vingt ans, par exemple, pour la période de
la variation d'intensité, le phénomène s'expliquerait par
une inégale densité de l'anneau , combinée avec une dif-
férence d'un vingtième entre le temps de sa rotation et
la durée de l'année.
Il n'en est pas de même du phénomène de novembre;
les apparitions célèbres de 1799 et de 1833 ont bien
eu lieu du 12 au 13, mais les autres ne se sont guère
présentées à la même époque ; elles arrivent du 26 oc-
tobre au 16 novembre , et même elles ont presque totale-
ment disparu aujourd'hui.
Il serait injuste, en parlant des étoiles filantes, de ne
pas rappeler que c'est à M. Coulvier- Gravier, dont la
science déplore la perte récente puissamment aidé par
son collaborateur et gendre, M. Chapelas, que Ton
doit les observations les plus suivies et les plus intelli-
462 LES METEORES.
centes, depuis nombre d'années, sur ces météores et les
bases scientifiques des phénomènes dont nous avons parlé
dans ce chapitre. Les communications importantes et
multipliées insérées dans les Comptes rendus de F Académie
des sciences, dues à ces observateurs infatigables, et
auxquelles on sera toujours obligé d'avoir recours pour
l'étude de ces phénomènes , formeraient des volumes
considérables si elles étaient réunies en corps d'ouvrage 1 .
* Voir notre Histoire des Astres, chap. XV.
F I IS\
TABLE
DES FIGURES.
CHROMOLITHOGRAPHIES.
Page*.
Àrc-en-ciel de nuit .... Frontispice. Spectres -divers ,
Pages.
72
PLANCHES EN TAILLE-DOUCE.
Tombeau de Napoléon 25
Delille 119
Pascal 120
■
Iles de glace près des pôles. . . . 225
CamOes 245
Le palais impérial de Yédo 356
La cour impériale à Ummera-
poura 353
Cratère du Krabla 397
GRAVURES SUR BOIS.
Aimantation par influence
Appareil d'Ingenhousz pour com-
parer la conductibilité des diffé-
rents métaux
Appareil d'Ingenhousz modifié par
M. Jamin
Appareil de M. Tyndall pour mon-
trer la chaleur créée par le tra-
vail détruit
Arc-en-ciel
Arcs réguliers d'aurore boréale.
Attaque de morses
Attraction électrique
Aurore boréale du 31 octobre
1853
Aurore polaire
Baleine franche
96
43
43
30
288
369
213
83
377
361
216
Borée (chapiteau antique) 138
Brouillard d'horizon tranchant
sur le soleil 1 58
Boussole de déclinaison 107
Cratère du Vésuve 409
Construction du navire Argo,
d'après un bas-relief antique. 115
Couronne boréale 364
Coupe de différents gréions. '. . . . 182
Diverses espèces de nuages. .... 161
Diverses sortes d'éclairs sim-
ples 334
Éclairs arborescents 321
Éclair divisé et radié 329
Éruptions vaseuses 393 et 395
Étoiles filantes 452 et 455
Expérience à Marly-la-Ville.... 318
4G4
TABLE DES FIGURES.
Explosion volcanique 415
Faisceau aimanté en fer à cheval . 99
Fantômes magnétiques 105
Femme du Nord 8
Feux follets 445
Forêt embrasée 55
Formation des gréions, appareil
de M. Sanna-Solaro 183
Grain 170
Homme du Nord, d'après une
estampe du seizième siècle... 218
Incendie dans les pampas 59
Iris (tirée d'un vase antique). . . . 285
Le pénitent 435
Les Saisons (tiré d'un bas-relief,
à Rome) 78
Les vents personnifiés (bas-relief
antique) 140
Limaille de fer portée par un ai-
mant. 102
Lisbonne après le tremblement
de terre de 1755 387
Mer calme. 193
Mirage à l'île de France (vaisseau
à quatre mâts) 295
Mirage 304
Miroirs démontrant les lois de la
réflexion des rayons calori-
fiques 39
Montagne de glace des pôles. . . . 224
Mort de Pline 401
Mouvement circulaire du cyclone 256
Mouvement du cyclone sur sa
parabole 257
Moyens de transport en usage
dans les pa\s du Nord où les
Pages.
froids sont les plus rigoureux. 5
Naufragés 17
Notus (chapiteau antique) 138
Nuages au sommet des montagnes 166
Oiseau sous la cloche de la ma-
chine pneumatique 127
Ouragan 247
— dans le désert 149
— sur terre et sur mer. . . 13
Orages au pied des montagnes. . . 26 1
Parasélène 316
Paysage inter tropical 431
Pendule électrique. — Attraction
électrique 87
— Répulsion électrique. . . 86
Phare à l'entrée d'une baie 190
Phénomène des marées 197
Phénomènes de réfraction 312
Pompéiàvol d'oiseau (restaura-
tion 405
San Salvador, ville de Guatemala
ruinée en 1854 par un tremble-
ment de terre 384
Spectre solaire 72
Tabouret électrique 85
Temple des vents ou horloge d'An-
dronicus Cyrrhest, à Athènes, 139
Trombe sur la mer 233
— sur terre 229
Vagues se brisant au rivage.» . . 270
Volcano et volcanello 392
Volcan de la Réunion 23
— deSantorin 419
Zéphyre (tiré d'un bas-relief anti-
que) 156
Zeus et les géants 19
FIN DE LA T\BLE DES FIGURES.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Lettre de M. Babinet (de l'Institut) à l'auteur v
Un mot au lecteur vu
CHAPITRE I er .
LA SCIENCE ET LES VOYAGES.
Influence des voyages. — Divers aspects que présentent les grands phéno-
mènes de la nature suivant les lieux d'où on les observe. — Les oura
gans sur terre et sur mer. — Trésor de souvenirs que laissent les
voyages
1
CHAPITRE II.
LES AGENTS DE LA NATURE EN GÉNÉRAL.
De la chaleur. — De la lumière. — De l'électricité. — Du magnétisme. . 27
CHAPITRE III.
LA CHALEUR.
Influence de la chaleur sur la vie en général. — Théorie de la chaleur. —
Température. — Le froid et le chaud. — Lois de la chaleur. — Corps
bons ou mauvais conducteurs de la chaleur. — Dilatation et contrac-
tion. — Nombreuses applications. — Nature du feu, — Son origine et
son histoire. — Le corps humain rendu incombustible. — Production
artificielle du froid. . * 35
CHAPITRE IV.
LA LUMIERE.
Influence de la lumière sur la vie en général. — Théorie de la lumière.
— Ses lois. — Spectre solaire. — Analyse spectrale — Curieux phéno-
mènes des interférences 67
30
4C6 TABLE
CHAPITRE V.
L'ÉLECTRICITÉ.
Pagres,
Découverte de l'électricité. — Ambre jaune et ambre gris. — Le cheval
de Sévère et l'âne de Tibère. — Hommes électriques. — Théories de l'é-
lectricité. — Corps bons et mauvais conducteurs. — Diverses espèces
d'électricités. — Électrisalion par influence et par contact. — Trans-
mission électrique. — Étincelles électriques. — État électrique de
l'atmosphère et du globe terrestre , 79
CHAPITRE VI.
LE MAGNETISME.
Le berger du mont Ida. — La ville de Magnésie. — Pierre d'aimant. —
Passage de Lucrèce. — Anneaux de fer de Platon. — Tombeau de
Mahomet. — Aimantation naturelle et artificielle. — Pôle, axe et ligne
moyenne des aimants. — Lois régissant les attractions et les répulsions
magnétiques. — Influence magnétique de la terre. — Fantôme magné-
tique. — Boussole. — Origine de l'aiguille aimantée. — Esprit qui in-
diquait le sud aux Chinois. — Grenouille ou calamité. — Révolution
produite par la boussole dans la navigation. - — Déclinaison et inclinaison
de l'aiguille aimantée. — Influence des aurores polaires , des éruptions
volcaniques, des tremblements de terre et de la foudre sur les mou-
vements de l'aiguille aimantée. — Faits curieux 97
CHAPITRE VII.
L'ATMOSPHÈRE.
L'air, sa couleur, sa pesanteur. — Expériences diverses. — Pression at-
mosphérique. — Composition de l'air. — Consommation et altération
de l'air. — Effet de l'air raréfié sur ceux qui le respirent, — Conditions
nécessaires pour parcourir les régions élevées avec sécurité. — Les
climats chauds et les climats froids. — Température que peut atteindre
l'air confiné 117
CHAPITRE VIII.
LES VENTS.
Le vent. — Sa nature. — Division des vents chez les Grecs. — Vents re-
présentés sur la tour d'Andronicus à Athènes. — Changement de la rose
des vents chez les Romains. — Sa forme actuelle. — Vents alizés, mous-
DES MATIÈRES. 467
Pages.
sons. — Courants inférieurs et courants supérieurs. — Théorie des
vents. — Brises de terre et brises de mer. — Fait curieux observé à l'Ile
de la Barbade. — Des vents singuliers. — L'harmattan, le simoun ou
samiel, le chamsin, le sirocco. — Phénomènes étranges que présente
le vent de Pas dans l'Ariège 135
CHAPITRE IX.
* MÉTÉORES AQUEUX.
Formation des brouillards, des nuages, différentes espèces de nuages :
cirrus, cumulus, stratus, etc. — Nuages au sommet des montagnes;
suspension des nuages dans l'atmosphère; formation subite de nuages
dans un ciel serein. — De la pluie : pluies de sang, de soufre, de pous-
sière, de graines et d'animaux ; du serein ; de la rosée ; de la glace ; du
givre ou golée blanche; du verglas; de la neige ; du grésil. — Observa-
tion relative à la température des hivers. — De la grêle. — Comment
se forment les gréions ; expériences de M. l'abbé Sanna-Solaro ; com-
ment dans nos saisons et les climats chauds se produit le froid qui
forme les gréions. — Théories de la grêle les plus récentes. — Curieux
transport de la chaleur 157
CHAPITRE X.
LA MER ET LES MARÉES.
Poésie de la mer. — Salure de ses eaux. — Leurs couleurs. — Cuivre,
argent et or qu'elles contiennent. — Leur phosphorescence. — Les
marées. — Le premier des Grecs qui fil attention à la cause de ces phé-
nomènes. — Passage de Lucain et d'un hymne à Silvio Pellico. — In-
fluence de la lune et du soleil sur les eaux. — Théorie des marées. —
Marées solaires et marées lunaires. — Hauteur que les marées pour-
raient atteindre dans la lune. — Barre de flot. — Utilité des marées. 189
CHAPITRE XI.
MER POLAIRE.
Mer libre pleine de vie et de chaleur au centre des glaces polaires. —
Importance de la météorologie des mers. — Courants marins. — Bou-
teilles flottantes. — Harmonie dans la direction des vents et des eaux.
— Poussière des déserts de l'Afrique couvrant les voiles des navires
à plus de deux cents lieues. — Influence des courants sur les traver-
sées et sur la température du globe. — Grands fleuves océaniques d'eau
chaude. — Courants de surface des régions hyperboréennes. — Hiver-
468 TABLE
Pages.
nage à l'île Beechey. — Courants salés dans les eaux douces de la mer
de Baffin. — Courants sous-marins. — Blocs de glace llottants. — Cu-
rieuse relation entre les courants de surface et les courants sous-marins.
— Transformation des courants au centre des régions arctiques. —
Banc de brume signalé par le lieutenant Haven. Exploration du doc-
teur Kane. — Il découvre la mer libre au centre des glaces polaires.
Voyage de M. Nordenskiold. — Nouveau jour qu'il jette sur ces con-
trées. — Bancs de glaces. — Faits intéressant nos climats 205
CHAPITRE XII.
LES TROMBES. '
Typhon des Grecs. — Passage de Pline. — Ty«fong des Chinois. —
Trombe sous un ciel sombre ou sous un ciel serein. — Décharges de
canon pour rompre les trombes. — Plusieurs faits curieux. — Analogie
des effets produits par les trombes et par la foudre. — Tornades. —
Les trombes à l'Académie des sciences pendant les années 1875 et 1876. 227
CHAPITRE XIII.
LES OURAGANS.
Les ouragans dans la mer des Indes. — Le génie des tempêtes. — Dé-
couvertes des lois des ouragans. — Description scientifique des oura-
gans — Lieux où ils prennent naissance. — Leur commencement et
leur fin. — Leur étendue et leur violence. — Modifications qu'ils peu-
vent subir par les obstacles qu'ils rencontrent. — Hauteur qu'ils peuvent
atteindre. — Saison des ouragans. — Ce que doit faire un navire pour
éviter toute avarie. — Signes précurseurs des ouragans. — Utiles in-
dications données par le baromètre. — Défense de la loi des tempêtes
par M. Faye 243
CHAPITRE XIV.
L'ARC-EN-CIEL.
Formation de l'arc-en-ciel Arc-en-ciel solaire. — Arc-en-ciel lunaire. 285
CHAPITRE XV
LE MIRAGE.
Le mirage à l'île de la Réunion et à l'île Maurice. — Habileté des créoles
dans l'observation de ces phénomènes. — Faits étranges que me racontait
M. Ch. Desbassajns à l'île de la Réunion. — Le mirage dans le midi de
DES MATIÈRES. 469
Pages.
l'Italie. — La fa ta Morgana Mirage dont l'armée de la Basse-Egypte
fut le jouet. — Explication donnée par Monge. — Observations faites
pendant l'expédition qui précéda le traité de la Tafna. — Des flamants
(oiseaux) pris pour des cavaliers arabes. — Mirage extraordinaire ob-
servé dernièrement à l'île Ténériffe. — Phénomènes de mirage que l'on
£ peut facilement constater à Paris. — Remarquables phénomènes consis-
tant dans l'exhaussement des objets. — Théorie du mirage 291
CHAPITRE XVI.
/ «
HALOS, PARHELIES, PARASELENE.
Formation des halos. — Images fantastiques ou parhélies et parasélène. 315
CHAPITRE XVII.
LA FOUDRE.
Analogie de l'électricité et de la foudre. — Curieuse expérience faite à
Marly-la- Ville. — Cerf- volant électrique. — Production de la foudre, de
l'éclair et du tonnerre. — Comment peut-on apprécier la distance de
la foudre? — Foudroiement direct et par le choc en retour. — Terribles
effets de la foudre, — Statistique des accidents de la foudre en France.
— Action foudroyante de l'homme récemment foudroyé. — Répartition
des coups de foudre sur diverses espèces d'arbres 317
CHAPITRE XVIII
LES PARATONNERRES.
Distribution de l'électricité dans les corps. — Influence de la forme des
corps sur la distribution de l'électricité. — Pouvoir des pointes. — Par-
ties essentielles du paratonnerre. — Comment il décharge les nuages
orageux. — Résumé des rapports qui ont été faits à l'Académie des
sciences sur le paratonnerre depuis son origine. — Substance et sites
qui attirent plus particulièrement la foudre. — Règles fondamentales
pour la construction d'un bon paratonnerre. — Étendue qu'il protège. —
Paratonnerre chinois» — Paratonnerre pour les navires 341
CHAPITRE XIX.
FEU SAINT-ELME, OU FEU SAINT-NICOLAS.
Explication de ce phénomène. — Son nom dans l'antiquité 357
470 TABLE
CHAPITRE XX.
AURORES POLAIRES.
Page».
Aurore polaire. — Sa nature. — Description de ce phénomène paraissant
dans toute sa splendeur, — Couronne boréale. — Hauteur des aurores
boréales. — Aurores boréales pendant le siège de Paris. — Aurore béorale
du 4 février 1872. — Aurore boréale de jour. — Causes des aurores bo-
réales. — Influence de ces phénomènes sur l'aiguille aimantée et sur le
télégraphe électrique. — Bruits caractéristiques qu'ils produisent. —
Aurore australe. — Les aurores boréales regardées comme des signes de
la colère céleste. — Faits curieux 359
CHAPITRE XXI.
LES TREMBLEMENTS DE TERRE»
Des tremblements de terre en général. — Leurs causes. — Tremble-
ment de terre extraordinaire. — Leurs signes précurseurs 381
CHAPITRE XXII.
LES VOLCANS.
Ile Vulcanic. — Phénomènes qui annoncent et accompagnent les vol-
cans. — Salses. — Situation des foyers des volcans, — Causes des
éruptions volcaniques. — Fumée, cendres et laves lancées par les vol-
cans. — Le Vésuve, mort de Pline, destruction de Pompéi, d'Hercu-
lanum et de Stabie. — Phénomènes curieux produits par l'Etna , le
Stromboli, l'Hécla et le Grand-Brûlé. — Éruptions de 1812 et de 1860.
— Filaments de verre lancés sur les lieux environnants. — La place Can-
dide à l'île de la Réunion. — Description des principaux phénomènes qui
ont accompagné l'éruption du 19 mars 1860. — Vitesse des laves in-
candescentes. — Répartition des volcans. — Montagnes embrasées pré-
sentant des phénomènes analogues à ceux des volcans. — Exemples cu-
rieux. — Volcans sous-marins. — Formation des îles. — Réapparition de
l'île Ferdinandea 391
CHAPITRE XXIII.
LE GRISOU.
Explosions du grisou. — Moyens de les prévenir. — Aérophore. — Cu-
rieux et importants rapports qui existent entre ces explosions et les
ouragans 431
DES MATIÈRES. 471
CHAPITRE XXIV.
LE FEU FOLLET.
Pages.
Nature du feu follet. — Croyance légendaire. — Esprit follet 443
CHAPITRE XXV.
LES ETOILES FILANTES
Bolides, étoiles filantes, aérolithes. — Leur apparition, leur composition,
leur forme, leur pesanteur. — Histoire des principaux aérolithes. —
Cybèle et le soleil adorés sous forme d'aérolithes. — Les savants mo-
dernes et les aréolithes. — Hardiesse de C h lad ni. — Pluie d'aréolilhes
en 1803 : délégation de M. Biot pour la constater. — Hypothèses propo-
sées pour expliquer ces phénomènes. — Surprenante découverte : deux
comètes périodiques intimement liées aux flux d'étoiles filantes. — Vitesse
des aérolithes: leur apparition périodique. — Distinction à faire entre
les étoiles sporadiqucs et les étoiles filantes périodiques. — Jours et
mois dans lesquels le nombre des étoiles filantes est le plus considérable.
— Influence de la précession sur leur apparition. — Les étoiles filantes
' °z les Chinois 447
FIN DE LA TABLE DES MATIERES
HISTOIRE
DES MÉTÉORES
Typographie Firmin-Didot. — Mcsnil (Eure>.