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Full text of "Rambosson Histoire Des Meteores 1883"

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HISTOIRE 



DES MÉTÉORES 



Typographie Firmin-Didot. — Mcsnil (Eure>. 




.' 



* 



PV 



HISTOIRE 



DES MÉTÉORES 



ET DES 



GRANDS PHÉNOMÈNES 



DE LA NATURE, 



PAR J. RAMBOSSON, 



LAURÉAT DE L'INSTITUT DE FRANCK, 
rRO FESSE UR D'ASTRONOMIE ET DE MÉTÉOROLOGIE DE L'ASSOCIATION POLYTECHNIQUE, 

OFFICIER DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, ETC. 



OUVRAGE ILLUSTRÉ 

DE QUATRE-VINGT-DIX GRAVURES, PAR YAN' DARGENT, 
ET DE DEUX PLANCHES CHROMOUTIIOGRAPHIQUES, 



QUATRIÈME ÉDITION 



Revue et augmentée. 



PARIS, 

LIBEAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C 1 " 

IMPRIMEURS DE l/lNSTITUT, RUE JACOB, 56. 



1883. 

Kçproduçtion et traduction réservées* 



LETTRE 



DE 



M. BABINET A L'AUTEUR. 



Mon cher Rambosson, 

J'ai parcouru avec le plus grand intérêt les épreuves de votre 
ouvrage sur les Météores , et je vous en fais mes sincères félici- 
tations. 

Cette science, comme vous le dites très bien, n'est encore 
qu'à l'état d'ébauche, mais votre méthode, votre travail cons- 
ciencieux, contribueront certainement à ses progrès. 

Vos observations personnelles en éclairent plusieurs parties, 
entre autres celle des ouragans. Vous avez été à même, pen- 
dant vos nombreux et lointains voyages, de constater à diverses 
reprises "leurs lois si bien formulées maintenant, et que vous 

avez grandement contribué à faire connaître par vos commu- 
nications à l'Institut. 






Vous avez fait un beau et bon livre, qui sera utile non seule- 
ment aux gens du monde, mais même aux savants. 

Personne plus que moi, qui suis vos efforts incessants de- 
puis près de vingt ans, n'est heureux de voir la place hono- 
rable que vous avez su vous créer dans la science en dehors 
de toute coterie 



Votre ami, 



Babinet, de l'Institut 



Ce 24 août 1868. 



Cette lettre du savant éminent , du vulgarisateur incomparable qui 
avait bien voulu parcourir les épreuves de notre ouvrage, est main- 
tenant pour nous, non seulement un encouragement, mais aussi un 
touchant et précieux souvenir d'un maître illustre et regretté. 



a 



UN MOT AU LECTEUR 



■vwvWw. 



Les météores et les grands phénomènes de la nature 
sont la source des connaissances les plus variées , les plus 
curieuses et les plus généralement utiles , aussi bien pour 
l'âge mûr que pour l'adolescence. 

Ceci est facile à comprendre : les lois qui président aux 
grandes manifestations de l'univers sont les mêmes que 
celles qui régissent les faits simples et insignifiants , en 
apparence, mais d'une haute importance en réalité, 
parce qu'ils ont lieu autour de nous, nous pressent en 
quelque sorte, nous touchent sans cesse, qu'ils nous in- 
téressent dans nos demeures , notre alimentation , nos vô- 
tements; en un mot, parce qu'ils influent sur la vie tout 
entière de l'homme. 

La science des météores est la plus vaste de toutes les 
sciences, car elle emprunte à toutes les autres ce qu'elles 
ont de plus important : les mathématiques lui fournissent 
les statistiques , si fécondes dans leur résultat général ; la 
physique lui donne les grandes lois des agents de la 
nature, lois qui doivent être le fondement de la météorolo- 



viij UN MOT AU LECTEUR. 

gie ; l'astronomie est consultée par elle à chaque instant , 
et plusieurs de ses phénomènes resteraient incompréhen- 
sibles sans Tintervention de la chimie ; il n'y a pas jusqu'à 
l'histoire naturelle qui ne fournisse des données qui ren- 
trent nécessairement dans le domaine des météores. 

Les progrès de la météorologie sont donc intimement liés 
aux proerrès de toutes les autres sciences , c'est pour ainsi 
dire une science d'application universelle , la science par 
excellence des gens du monde. 

En effet, il n'est plus permis à personne d'ignorer ce 
que c'est que l'atmosphère, le vent, les nuages , la pluie , 
la neige, la grêle, la foudre , l'arc-en-ciel, etc. Et d'ail- 
leurs, quelle science, par son importance et ses générali- 
tés, peut contribuer plus que la météorologie au déve- 
loppement des facultés de l'intelligence et satisfaire à un 
plus haut degré les aspirations de l'âme, pour ceux qui 
aiment à chercher Dieu dans ses œuvres? 

Nous nous occupons spécialement depuis près de trente 
ans, soit comme professeur, soit comme vulgarisateur, 
du sujet que nous traitons dans ce volume. Par notre posi- 
tion, nous avons été obligé de nous tenir au courant de toutes 
les conquêtes de la science; de nombreux et lointains 
voyages nous ont également mis à même de faire des ob- 
servations personnelles , et de recueillir des faits précieux 
qui éclairent une partie de notre travail. Nous avions ainsi 
été conduit à terminer à peu près un volume de haute 
science météorologique; eh bien, malgré cela, nous le 

disons sans peine , nous avons hésité à entreprendre l'ou- 
vrage que nous publions aujourd'hui. 

Ceux qui savent combien il est difficile de vulgariser 



UN MOT AU LECTEUR. îx 

la science nous comprendront ; ils connaissent les obstacles 
sans nombre que Ton y rencontre. 

On ne peut ici, comme dans un travail purement abs- 
trait, citer sur la foi des maîtres les mots techniques, 
les formules , les locutions , les classifications , les démons- 
trations admises, et se contenter d'une intelligente compi- 
lation. 

Il faut connaître son sujet bien plus profondément, s'en 
rendre maître d'une manière bien plus complète, afin de 
pouvoir traduire dans un langage qui soit compris de tous, 
et sans les faire dévier de leur sens, ces mots techniques, ces 
formules, ces locutions, ces démonstrations, etc., et discer- 
ner ce qui peut être retranché de ce qui doit être conservé. 

Quelques mots maintenant sur le plan que nous avons 
suivi : 

« L'ensemble complexe des connaissances physiques ap- 
pelé la météorologie n'est pas encore constitué à l'état de 
science », disait M. Biot, en décembre 1855, dans une dis- 



cussion à l'Académie des sciences. 

Et M. Regnault ajoutait : « Les premiers principes à 
suivre dans les observations ne sont pas même posés et 
formulés ; on ne sait pas encore ce qu'il faut observer, com- 
ment il faut l'observer, ni où on doit l'observer. » 

Après la lecture de ces passages, on ne sera pas étonné 
d'apprendre que la méthode ordinaire dans l'exposition 
des météores ne repose sur aucun fondement logique. 

Jusqu'à ce jour on a divisé les météores en météores 
aériens, aqueux, calorifiques, lumineux, électriques et ma- 
gnétiques. 

Cette classification est tout à fait artificielle et ne repose 



UN MOT AU LECTEUR. 

pas sur la constitution intime des phénomènes ; car l'élec- 
tricité, par exemple, joue un rôle aussi principal dans cer- 
tains phénomènes aériens ou aqueux, tels que la formation 
des ouragans, des trombes, de la grêle, etc. , que dans les 
phénomènes regardés comme spécialement électriques ; de 
même, l'air et l'eau ont une grande influence dans la plu- 
part des phénomènes qu'on rassemble dans une autre clas- 
sification. 

Mais une chose certaine, c'est que la chaleur, la lumière, 
l'électricité et le magnétisme sont la cause principale de 
tous les météores : leur formation est impossible sans l'in- 
tervention de ces agents. 

Il est donc bien évident que la base naturelle , logique , 
d'un traité de météorologie doit être l'étude de ces agents. 
C'est par là que nous commencerons après un aperçu de 
l'influence des voyages dans la science , puis nous passe- 
rons successivement en revue les grands phénomènes de 
la nature dans l'ordre qui nous a paru le plus naturel. 

Comme nous changeons ainsi la méthode , l'ordre habi- 
tuel admis dans les ouvrages de météorologie, quelque lo- 
gique que notre plan nous ait d'abord paru, nous n'aurions 
pas osé en faire l'application , si les maîtres illustres qui 
font autorité dans l'étude de cette science ne nous y 
avaient fortement engagé. 

Pour atteindre le but que nous nous sommes proposé, 
c'est-à-dire celui d'intéresser à la science , de lui enlever 
ce qu'elle a de trop rebutant , de trop aride , de la faire 
aimer tout en répandant des connaissances utiles, nous 
avons été obligé de supprimer bien des choses que nous 
aurions conservées dans un traité plus abstrait. Cependant 



UN MOT AU LECTEUR. xj 

cela ne nous a pas empêché d'indiquer les découvertes les 
plus récentes et de les faire servir à notre travail. En fai- 
sant un livre pour tous , nous sommes obligé d'être simple 
et clair, mais cela ne nous défend nullement d'être savant. 
Le témoignage de M. Babinet, que nous reproduisons en 
tète de cet ouvrage, est bien propre à dissiper les inquiétudes 
que nous aurions pu conserver sur les difficultés que nous 
avons essayé de vaincre. D'ailleurs, en nous présentant sous 
le patronage d'un de nos grands maîtres , nous suivons en 
cela l'exemple des anciens , et nous reconnaissons avec 
l'un d'eux* qu' « il est doux d'être loué par un homme 
qui mérite lui-même de grandes louanges ». 

Nous devons ici rendre hommage au beau talent de 
M. Yan' Dargent, dont le crayon si connu et si estimé a 
su répandre un puissant intérêt dans l'illustration de cet 
ouvrage, et même une gracieuse poésie sur des sujets 
qui souvent ne le comportent guère. 



* Pacuvius, un des plus anciens auteurs latins (fragments). 



La première édition de ce livre, qui a été un des premiers traités 
méthodiques de météorologie, a grandement contribué à fonder cette 
science telle qu'elle est aujourd'hui. 

Grâce à la latitude que nous a laissée l'illustre maison qui a bien 
voulu éditer cet ouvrage, et à laquelle nous nous empressons de témoi- 
gner toute notre gratitude, il nous a été facile de mettre cette quatrième 
édition au niveau de tout ce que la science a de plus récent ; nous avons 



pu intercaler dans les épreuves les nouvelles météorologiques, même 
de 1882, jusqu'au moment du tirage. 



HISTOIRE 



DES METEORES 



CHAPITKE PEEMIER. 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES 



Iniluence des voyages. — Divers aspects que présentent les grands phénomènes 
de la nature suivant les lieux d'où on les observe. — Les ouragans sur terre 
et sur mer. — Trésor de souvenirs que laissent les voyages. 



I. 



11 est utile, croyons-nous, de commencer cet ouvrage 
par faire ressortir l'importance des voyages pour l'étude 
des météores et des grands phénomènes de la nature. 
Cela nous sera facile , en rappelant rapidement quelques- 
unes des impressions, quelques-uns des souvenirs de nos 
lointaines excursions. 

Maintenant que les wagons traversent l'espace comme 
la flèche rapide, que les navires sillonnent les mers 
comme de puissants météores, un jeune homme devrait, 



2 LES MÉTÉORES. 

à la fin de ses études, dans le but de compléter son édu- 
cation , faire le tour du monde comme il eût fait jadis le 
tour de l'Europe. Rien ne serait plus propre à dévelop- 
per l'intelligence , à agrandir les sentiments, en un mot, 
à compléter l'homme. 

Il se produit naturellement, dans l'esprit du voyageur, 
un travail de généralisation qui fait naître des lumières 
inattendues dans ses connaissances acquises , et lui per- 
met d'envisager la réalité sous son vrai jour. 

« Un voyageur dont la vie est consacrée aux sciences , 
s'il est né sensible aux grandes scènes de la nature, rap- 
porte d'une course lointaine et aventureuse, non seule- 
ment un trésor de souvenirs , mais un bien plus précieux 
encore, une disposition de l'âme à élargir l'horizon, à 
contempler dans leurs liaisons mutuelles un grand nombre 
d'objets à la fois 1 ». 

Que ne donnerait pas un curieux de la nature , pour 

■ 

faire impunément et facilement un voyage dans la lune, ou 
dans l'un de ces astres qui étincellent sur nos têtes? Eh 
bien ! que de régions de la terre sont aussi inconnues à 
la plupart des hommes que ces mondes inaccessibles! 

Aussi, que de ravissantes surprises, que de suaves 
émotions, que de sensations puissantes et élevées, ne 
sont-elles pas réservées à celui qui peut voyager avec in- 
telligence ! Et dire qu'il y a des personnes favorisées de la 
fortune, en proie au spleen, qui s'ennuient à mourir, et 
qui ne songent pas aux enchantements d'un voyage loin- 
tain qui leur rendrait la joie et la santé ! 

Il nous faudrait des volumes si nous voulions parler 



i 



De Humboldt. 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 3 

avec développement des avantages que présentent les 
voyages ; contentons-nous d'indiquer les rapports qu'ils 
ont avec le sujet qui nous occupe, c'est-à-dire avec les 
météores, avec les grands phénomènes de la nature» 



IL 



Pour bien apprécier l'atmosphère dans laquelle se 

passent ces phénomènes, il faut aller respirer Pair à 
quelques milliers de lieues de son pays ; c'est alors que 
Ton y découvre des trésors de poésie qui, sans cela, 
passeraient inaperçus pour nous. 

Il semble que cet air nous apporte des nouvelles de 
la patrie éloignée, qu'il a été respiré par ceux qui nous 
sont chers, qu'il nous transmet leurs touchants souvenirs, 
leurs tendres embrassements. Ah ! comme le cœur déborde 
à ces pensées, lorsque le soir, quand tout repose, assis au 
bord de la mer, on rêve à la terre chérie qui a bercé 
notre enfance, et qu'on sent le souffle de la brise qui 
nous unit à travers les océans! 

Que de considérations attendrissantes ne font pas 
naître les flots de mélancolie qui nous oppressent alors ! 
Et si les illusions même nous soulagent, à plus forte raison 
les plus faibles réalités. Il y a en effet quelque chose d'ad- 
mirable et de symbolique dans l'atmosphère ; l'air est 
constamment présent à toutes les poitrines humaines, 
comme Dieu à l'intelligence; il les échauffe, les anime, 
les fait palpiter. Vaste mamelle, à laquelle tous les 
hommes, et au même instant, puisent un aliment com- 



4 LES METEORES. 

mun, une vie commune; lien universel et intime, qui 
fait qu'aucun homme n'est complètement séparé d'un 
autre. Nous sommes tous égaux devant ce banquet 
de la nature que nous trouvons à notre entrée dans 
la vie, et que nous ne quittons que devant la mort, 
deux choses communes et extrêmes qui obligent à se 
souvenir que tous les hommes sont frères. 



III. 



Quel admirable spectacle ne nous présentent pas les 
nuages, suivant les régions d'où on les contemple! Nous 
n'oublierons jamais la magnificence que nous ont offerte 
les cieux des contrées voisines du pôle où se déroulent 
en nappes immenses l'opale, le saphir, l'émeraude et le 
rubis, et où l'astre du jour, après avoir disparu sous l'ho- 
rizon , semble , réduit en poussière , faire éclater partout 
sa splendeur sans se montrer nulle part. 

On comprend alors que les peuples du Nord aient 
placé dans les nuages le sanctuaire des divinités, et 
les chants sublimes d'Ossian prennent pour nous une 

nouvelle expression. 

Les Calédoniens revoyaient partout les morts qu'ils 
avaient aimés : ces morts habitaient les nues, ils venaient 
visiter en songe ceux qu'ils avaient laissés sur terre, leur 
révélaient l'avenir et souvent en présage frôlaient les cor- 
des des harpes, faisaient résonner le timbre du bouclier 
de la guerre. Dans la patrie d'Ossian, tous étaient des 
héros dans les combats, car rien n'ajoute plus à la valeur 




Fig. i. 

Moyens de transport en usage dans les pays du Nord où les froids sont le plus rigoureux 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 7 

naturelle que la croyance à une autre vie : « Et vous, 
druides, dit Lucain, la mort, à vous en croire, n'est 
que le milieu d'une longue vie. Cette opinion fût-elle 
un mensonge, heureux les peuples qu'elle console, ils 
ne sont point tourmentés par la crainte du trépas; de là 
cette ardeur qui brave le fer, ce courage qui embrasse la 
mort, cette honte attachée aux soins d'une vie qui doit 
renaître 1 ... \ 



IV. 



Il en est de même de tous les grands phénomènes de la 
nature : chacun d'eux présente des beautés particulières 
suivant le point de vue d'observation. 

Qu'il est radieux l'arc-en-ciel qui couronne nos verts 
coteaux! Mais qu'il resplendit aussi d'un nouvel éclat, 
lorsqu'il mesure l'étendue de l'Océan en illuminant les 
cieux! Ce gage d'alliance, donné aux hommes par le 
maître suprême, est surtout doux et consolant pour 
le marin ballotté au sein de l'immensité. 

Quel prestige les roulements du tonnerre, les sillons 
enflammés de la foudre, n'empruntent-ils pas également 
de la majesté de l'Océan ! « Te dirai-je les redoutables 
phénomènes dont la mer est le théâtre , les bourrasques 
subites, les noirs ouragans, les nuits ténébreuses, les 
longs éclairs qui sillonnent le ciel , les éclats de la foudre 
qui ébranlent le monde? Immense et vaine entreprise 
qui tromperait les efforts d'une voix de fer! 

1 La Pharsale, Iiv. I er . 



8 



LES METEORES. 



« Si les anciens philosophes, que l'amour de la science 
entraîna loin de leur patrie , eussent , comme moi , confié 
leurs voiles à tant de souffles divers, quel vaste champ 
d'observations se fût ouvert pour eux ! Que de précieuses 

découvertes en- 
richiraient leurs 
écrits! Que de 




vérités 



utiles 



tiendraient au- 
jourd'hui la pla- 
ce de leurs vains 
systèmes 1 ! » 

mm 



1 Camoèns, Lusia- 
des, chant V. 

2 Cette gravure 
représente le costume 
des femmes des ré- 
gions du Nord t où les 
nuits durent deux et 
trois mois. Leur long 
vêtement est serré par 
les liens du tablier, 
d'où pend une bourse 
qui contient des ai- 
guilles. Sur la tête 

elles arrangent le lin 
qu'elles filent dans les 
rues , et tiennent à la 
bouche, pour faire de 
la lumière, une ba- 
guette de bois qui 
brûle à la manière 



= d'une bougie. 



Fig. 2. — Femme du Nord *, 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 9 



V. 



Mais ce sont surtout les ouragans nommés cyclo- 

* 

nés, qu'il faut observer dans ce que Ton peut appeler 
leur vraie patrie, c'est-à-dire dans la mer des Indes, si 
l'on veut s'en former une juste idée. 

Rien de plus grandiose et de plus effrayant à la fois 

que ces ouragans. 

Lorsque l'hivernage est arrivé, c'est-à-dire la saison la 
plus brûlante de ces climats, et qu'un calme sinistre et 
inaccoutumé se répand sur la nature , chacun consulte le 
ciel, cherche à lire dans la direction des nuages, observe 
le vol des oiseaux de mer et interroge le baromètre. 

On n'est nullement étonné alors de voir bientôt le ciel 
se couvrir de nuages fauves qui portent avec eux la ter- 
reur, présage éloquent d'un bouleversement prochain. 
La voix du canon ne tarde pas à donner aux navires le 
signal d'appareiller, et de s'éloigner des côtes hospita- 
lières qui deviendraient bientôt pour eux le récif de 
leur naufrage. 

Chacun est dans une attente pleine d'inquiétude ; tous 
s'interrogent d'un triste regard et se communiquent leurs 
funèbres pressentiments. 

Dans toutes les habitations, des ordres sont donnés, les 
précautions les plus minutieuses sont prises, les troupeaux 



sont ramenés des champs, les fruits sont abrités, les portes 
et les fenêtres sont doublées de larges planches et con- 
solidées par de fortes barres pour résister aux fureurs de 



10 LES METEORES. 

l'ouragan qui, sans cette précaution, les ferait voler en 
éclats. En plein jour, il fait donc nuit dans les maisons, 
et Ton travaille à la lumière, en attendant le dénoûment 
prochain des convulsions de la nature. 



VI. 



Je ne me rappelle qu'avec effroi ces moments de deuil 
anticipé qui précèdent des scènes terribles. 

Enfin, un point s'éclaircit dans le sombre horizon : c'est 
le cratère qui indique la venue et la direction du sinistre. 
Le signal est donné : en un clin d'oeil la nature est boule- 
versée. 

Un souffle violent bat la mer, et l'eau est balayée en 

poussière; les arbres craquent et se brisent; les champs 
de cannes sont renversés, emportés; les constructions 
s'écroulent ; au bout de quelques instants succède, à la 
végétation la plus luxuriante, la plus vaste désolation. 
Dans ces affreux moments, nous avons vu de fiers créoles 

verser des larmes, non pour la perte qu'ils venaient de 
subir, mais sous rémotion inexprimable que leur fai- 
sait éprouver le changement qui s'était opéré à vue d'œil, 
et qui avait imprimé aux campagnes les plus fortunées 
le plus lugubre aspect. 

Ce n'est que quelques jours après le sinistre que l'ho- 
rizon revêt tous ses crêpes de deuil. Les branches et les 
feuillages qui adhèrent encore aux troncs solides, mais qui 
ont été froissés par l'ouragan, jaunissent, et donnent aux 
sites enchanteurs qui rappelaient les jardins d'Àrmide un 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 11 

aspect d'automne et de mort auquel le regard du créole 

n'est pas accoutumé. 

Pendant ces crises effroyables, la mer est tellement 
brassée que son écume est transportée à plus de trois 
quarts de lieue dans les terres. On ne voit plus l'Océan ; 
ses eaux sont réduites en poussière que le tourbillon em- 
porte avec lui ; mais on entend sa voix terrible comme son 
immensité, la vague qui déferle, les cailloux et les rocs 
qui se heurtent, un bruit semblable à celui des flammes 
qui sortiraient pressées de la gueule d'un four vaste comme 

les flancs de l'abîme. Il semble que l'on se trouve au sein 
du chaos que féconda l'esprit de Dieu au commencement 
des jours. 



VIL 



C'est principalement au sein des mers qu'il faut as- 
sister aux incomparables assauts livrés par l'ouragan : 
immenses et terribles rafales qui ont inspiré à Camoëns 
ses plus belles pages, sa magnifique allégorie d'Ada- 
mastor que je lisais et relisais en doublant le cap de 
Bonne-Espérance, comme une évocation au Génie des 
tempêtes. On aurait dit qu'Adamastor apparaissait de nou 
veau à nos regards étonnés, que son spectre gigantesque, 

épouvantable, s'élevait devant nous, que sa voix formi- 
dable , sortant des gouffres de la mer ténébreuse , nous 
accablait d'horribles imprécations. 

Quelle puissante impression ne doit pas éprouver le 
jeune soldat intelligent et sensible, lorsque pour ses 



12 LES MÉTÉORES. 

débuts le champ de bataille se prépare, que les armées 
s'ébranlent et que le signal retentissant du combat se fait 
entendre ! 

Il semble que rien ne soit au-dessus de ce moment so- 
lennel^ cependant il y a quelque chose de plus gran- 
diose, de plus émouvant : c'est un navire aux prises 
avec un cyclone au sein de l'Océan. 

Là, aucune ivresse : on ne voit pas au vent flotter les 
couleurs de la patrie , l'audace et la valeur ne sont pas 
inspirées par les airs nationaux et la perspective éblouis- 
santé de la gloire. Mais devant soi se présentent les abîmes 
solitaires, les entrailles des monstres marins qui apparais- 
sent dans toute leur horreur. 

J'ai été quelquefois acteur dans ces combats des mers, 
et je vais tâcher d'en donner une idée. 



VIII. 



Nous étions une quinzaine de passagers aux environs 
du cap de Bonne-Espérance, sur un magnifique trois-mâts 
de quinze à dix-huit cents tonneaux, servi par une tren- 
taine de matelots. 

Pleins des souvenirs des êtres chers que nous quittions 
et des êtres non moins chers que nous allions revoir, 
nous nous efforcions de tromper le temps, qui est si long 
dans ces circonstances, en nous occupant soit à lire, soit 
à pêcher, et, suivant les parages, à contempler les habi- 
tants de la mer qui s'offrent au regard : baleines, souffleurs, 
requins, dorades aux mille nuances, poissons volants au 




Fiff. 3. — Ouragan sur terre et sur mer. 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 15 

gris bleu de ciel, damiers aux ailes tachetées, malamocs 
aux pieds d'azur semé de vermillon; albatros au duvet 
blanc de neige, au vol doux et harmonieux; tous, oiseaux 
de mers, compagnons de notre solitude. 

Nous admirions surtout les teintes ravissantes et les 
formes fantastiques des nuages, les levers et les couchers 
de soleil, tableaux pleins de splendeur et les plus majes- 
tueux de la nature. 

La nuit , souvent privés de sommeil, nous écoutions la 
cadence des flots et le vaste silence des espaces sans fin ; 
nous contemplions le scintillement des constellations nou- 
velles pour nous , et l'onde étincelante , flots d'azur ruis- 
selants d'or et de pierreries, semblables à des vêtements 
de reine épars, à des débris de cieux étoiles. Nous inter- 
rogions les brises légères : peut-être avaient-elles passé 
sur des terres chéries, peut-être nous apportaient-elles des 
accents connus, des révélations désirées. Il faut être bien 
loin de tout ce qui nous est cher pour connaître la puis- 
sance des douces et mystérieuses illusions. 

Cependant, depuis plusieurs jours, notre horizon s'é- 
tait bordé de nuages presque immobiles; un calme sinis- 
tre nous accablait; le baromètre baissait continuellement; 
le capitaine était inquiet et passait la nuit sur le pont. 

Les voyageurs ne se doutaient guère de ce qui les me- 
naçait; cependant, comme j'avais subi déjà un grand 
nombre de cyclones, que j'avais étudié leurs lois et leurs 
signes précurseurs, je comprenais les inquiétudes que 
le capitaine me confiait. Tous les navires du nord que 
nous rencontrions avaient rentré leurs voiles, ils appré- 
hendaient ce qui devait arriver. 



16 LES METEORES. 

Mais nous , qui étions impatients de faire du chemin , 
nous avions laissé quelques voiles sur nos mâts , afin de 
profiter des petites brises qui de temps à autre venaient 
errer auprès de notre navire ; voiles neuves et fortes que 
l'on met exprès pour résister aux tourmentes du Cap. 



IX. 



Enfin , dans une après-midi , tout à coup , et au mo- 
ment où on y pensait le moins , la voix du capitaine se 
fait entendre : un commandement pressé et sinistre est 
répété par les matelots, qui volent aux haubans, grimpent 
sur les mâts et les huniers; l'ouragan a été aperçu de 
loin, il accourt, il nous atteint, il nous secoue comme 
l'auraient fait des décharges d'artillerie. 

Notre navire est ébranlé jusque dans ses fondements; 
l'eau de la mer réduite en pluie fine et pressée nous en- 
veloppe comme d'un manteau; bientôt elle nous aveugle 
et nous ensevelit sous d'immenses torrents diluviens. 

Les voyageurs surpris et éperdus se réfugient à l'entrée 

du salon sous une espèce d'auvent, pour être un peu à 

l'abri et en même temps pour mesurer l'étendue du 
danger. 

Nous ne voyons plus ni ciel ni mer: des bruits for- 
midables nous assourdissent; les vagues monstrueuses 
qui grondent , les craquements du navire , les sifflements 
des rafales dans les cordages et les haubans, les rugisse- 
ments de la mer au large, les balancements effrayants du 
navire à droite, à gauche, en avant, en arrière; les tor- 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 



17 



rents d'eau qui nous inondent , font que nous ne savons 
plus si nous sommes sur ou sous les flots. 

Tous les animaux, singes et éperviers que nous avions 
en liberté, chiens, porcs, poules, oies, etc., viennent 
épouvantes se réfugier auprès de nous, et cherchent à se 
cacher dans nos vêtements. — Les cris, les pleurs, les 




Fig. 4. 



Les naufragés. 



prières des passagers, surtout des femmes et des enfants, 
se mêlent aux voix des matelots qui répètent les com- 
mandements du capitaine; tout cela, dans ce moment su- 
prême, emprunte à la tempête, à l'isolement au milieu 
des rafales, un accent particulier, sauvage, effrayant. 

Enfin, nos matelots, avec l'intrépidité que donne la 
présence du danger imminent, luttent contre l'ouragan 



18 LES METEORES. 

pour atteindre les voiles qui sont encore sur les mats : 
ils grimpent et se coulent comme des panthères sur les 
vergues. Avec quelle anxiété on les suit du regard! À 
chaque instant il semble que la rafale va les précipiter à 
la mer, ce qui n'arrive, hélas! que trop souvent. 

Incessamment, le cyclone agit avec de nouvelles forces, 
et s'engouffrant dans les voiles fait prendre à notre navire 
une position presque perpendiculaire, la puissance du 
vent dans les voiles faisant équilibre au chargement. 

Cependant cette situation ne saurait se prolonger long- 
temps : l'angoisse augmente , elle est presque à son com- 
ble, lorsque tout à coup un bruit inouï, plus terrible et 
plus sinistre que celui de la tempête elle-même, retentit 
comme un fracas de tonnerre : ce sont les voiles qui 

éclatent, qui sont réduites en charpie et clapotent en- 
suite sur les mâts et les vergues, qui se brisent et se 
dispersent en mille fragments. 



X. 



Le navire , qui plonge dans l'eau presque perpendicu- 
lairement, se redresse avec toute la puissance que peu- 
vent lui donner les" marchandises lourdes dont il re- 
gorge : il semble éclater de toutes parts; un frémissement, 
une trépidation stridente se communique à toutes ses 
paties, à tous les objets qu'il porte et fait éprouvera 
tous les passagers un déchirement, une angoisse infinie, 
jointe à une terreur suprême. 

Tout cela se passe en un instant, et dans cet instant 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 19 

I 

mille éclairs de pensée et de sentiment remuent l'âme 
tout entière, le frisson de la mort glace nos veines; 
un cri unique , et presque identique de timbre et d'ex- 
pression, s'échappe de toutes les poitrines, cri d'épou- 
vante et de suprême détresse, en face d'une mort soudaine 
et implacable : expression naturelle qui fait tressaillir 
jusqu'aux dernières fibres de l'existence. On vivrait des 
siècles que ce cri retentirait encore aux oreilles, en évo- 
quant tout le sinistre prélude d'un naufrage au sein des 



mers en courroux. 



On reste ainsi pendant quelques secondes , offrant ses 
dernières pensées à Dieu , car l'on ne doute pas que Ton 
ne descende au fond des abîmes ; les terribles balance- 
ments que conserve le navire, par suite du déchire- 
ment des voiles, les tourbillons d'eau qui empêchent 
de rien voir, complètent l'illusion, qui est bien près d'être 
la réalité. 

Cependant j'étais dans dételles dispositions, que, sans 
les scènes déchirantes qui m'environnaient, je crois que 
rien n'aurait valu pour moi les âpres jouissances que 
m'aurait procurées cet effrayant spectacle. 

Avant d'entreprendre ces lointains voyages, j'avais 
éprouvé une longue agonie, une de ces agonies qui doublent 
les facultés au lieu de les éteindre, et qui m'avait fami- 
liarisé avec la mort et forcé de vivre face à face avec elle 
pendant de longs mois. Je m'étais habitué à elle , je la 

voyais sans trouble et sans inquiétude ; ce calme m'était 
devenu si naturel, qu'au sein des tourmentes, lorsque nous 
touchions au naufrage, que nous sentions passer sur nos 
têtes le souffle de la mort , un léser sourire venait de lui- 



20 LES METEORES. 

même éclairer mon visage, s'il m'arrivait d'oublier de le 
composer par respect pour les douleurs qui m'entouraient. 

Lamartine a dit avec raison, en parlant de l'heureuse et 
puissante influence des voyages : « Le grand air évapore 
seul les grandes douleurs, le changement perpétuel de 
lieu guérit les fièvres du cœur comme il coupe les fièvres 
du corps f . » 

À quelque chose malheur est bon, nous dit la sagesse 
des nations; cela a été vrai pour moi, car non seulement 
ces voyages ont refait ma santé fatiguée, mais j'ai conservé 
de toutes ces épreuves une expérience difficile à acquérir 
ailleurs, et un état moral qui convient, il me semble, à 

w 

l'homme passager sur la terre. 

Lorsque je jette un regard sur le passé, j'éprouve, à ma 
manière, mais sans y mêler de l'égoïsme, une certaine 
volupté exprimée dans ce passage de Lucrèce : <c II est 
doux de contempler du rivage les flots soulevés par la 
tempête, et le péril d'un malheureux qui lutte contre la 
mort : non pas que l'on prenne plaisir à l'infortune d'au- 
trui, mais parce que la vue est consolante des maux que 
l'on n'éprouve point. Il est doux encore, à l'abri du dan- 
ger, de promener ses regards sur deux grandes armées 
rangées dans la plaine 2 . » 

Homère avait déjà dit : «... Hélas ! l'homme trouve des 
charmes même dans ses maux lorsqu'il a beaucoup 
souffert et beaucoup erré 3 . » 



K Nouvelles Confidences, t. I, page 410. 

2 Lucklce, liv. II. 

3 Odyssée, ch. XV. 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 21 



XL 



Outre ces dispositions particulières, j'avais d'autres rai- 
sons encore, qui me faisaient prendre un plaisir extrême à 
l'examen de ces grands météores, surtout dans mon voyage 
de retour. 

Par sa disposition et la hauteur de ses montagnes, l'île 
de la Réunion présente des facilités exceptionnelles pour 
l'étude des ouragans. Leurs lois étaient connues là mieux 
peut-être que partout ailleurs ; aussi ai-je pu les étudier 
dans leurs détails les plus minutieux, et j'étais heureux 
toutes les fois que l'occasion se présentait de faire des 
observations nouvelles à leur sujet et de contrôler les eon- 



• 



naissances acquises. 

Ces lois si claires et si bien formulées n'étaient pas 
très connues en Europe, et peu après mon retour à 
Paris, M. Le Verrier, qui, par sa haute position, par sa 
vaste science, par sa vigoureuse initiative, s'était placé 
à la tête des études météorologiques, donnait la plus 
large publicité à la note suivante : « Les lois des tem- 
pêtes ne pourront être connues qu'à la condition de ras- 
sembler un nombre immense de documents de tous les 






points du globe et de les soumettre à une discussion ap- 
profondie. C'est assez dire que ce doit être l'œuvre de 
tous. » 

Cette note , qui confesse que les lois des ouragans res- 
taient à découvrir, n'ayant été relevée par personne, nous 

nous sommes déterminé alors à faire quelques communi- 
cations à l'Institut sur les lois et les manifestations de ces 



22 LES METEORES. 

grands phénomènes, qui, à plusieurs reprises avaient toutes 
été contrôlées par nous. Nous avons lu à l'Académie des 
sciences, dans la séance du 2 mai 1864, un résumé de ces 
lois, qui a été inséré dans les Comptes rendus; une 
autre note se trouve également dans les Comptes rendus 
du 12 novembre 1866. 

La lenteur avec laquelle se répandent les lumières in- 
tellectuelles est vraiment affligeante : ainsi, même au- 
jourd'hui, un bon nombre de capitaines au long cours 
ignorent ces lois, et rendent la société victime de leur 
ignorance. La chose en est encore à ce point, que Ton 
cite comme merveilleux un navire qui échappe, quoi- 
que plus ou moins maltraité, de sa lutte avec un cyclone; 
tandis que Ton pourrait faire servir ce météore redoutable 
à atteindre le but où l'on tend et préserver le navire 
de toute avarie. 

Les études sur ce sujet sont assez avancées pour que 
tout capitaine puisse être rendu responsable des dommages 
arrivés au navire dont il a le commandement, par suite 
des prises avec un cyclone , car ces dommages pourraient 
le plus souvent être évités avec la plus grande facilité. 

Nous consacrons dans cet ouvrage un chapitr etrès 
succinct à ces grands phénomènes, mais suffisant pour 
faire comprendre qu'il y en a peu de mieux connus et de 
mieux étudiés. 



XII. 



Outre cette lumière que les voyages font rejaillir sur les 



sciences, combien d'heureux souvenirs ne laissent-ils pas! 



! 







Fig, 5. — Volcan de la Réunie- 



24 LES METEORES. 

Il me semble en écrivant ces paees que je visite de nou- 
veau la patrie d'Ossian, que les échos des anciens bardes 
viennent frapper mon oreille à travers les siècles ; que je 
parcours encore ces régions où l'astre du jour se fait pres- 
sentir à minuit; que je contemple le météore radieux qui 
embrase les pôles de lueurs resplendissantes; que je me 
promène en rêveur au milieu de ces villes gracieuses 
de la Finlande, aux rues larges, aux maisons propres 
que Ton dirait habitées par des femmes à la fois ver- 
tueuses et coquettes. Puis, je remonte la Newa, et bien- 
tôt j'aperçois la capitale aux dômes d'or et d'azur où res- 
pire encore le génie de Pierre le Grand ; je descends ces 
régions où les glaces du pôle et les chaleurs torrides sem- 
blent se confondre; et puis, hélas! sur mon passage un 
vaste cimetière, cimetière d'une nation martyre. Pauvre 
Pologne! comme on frissonne en foulant ton sol ! on pleure 
et on prie avec tes veuves et tes orphelins! on est op- 
pressé, on passe, on passe vite, mais ton souvenir de- 
meure comme un deuil et comme une espérance! 

Je gravis par la pensée les pentes rapides du cône du 
Vésuve; j'entends les effroyables détonations des laves 
embrasées, je respire les vapeurs acres et brûlantes qui 

s'élèvent dans l'atmosphère radieuse, je me baigne dans 
la lumière éblouissante de ces contrées enchanteresses, 
je tressaille sous la libre voûte des cieux profonds! La 
fournaise mugissante à mes pieds et qui dévore les en- 
trailles du globe prépare ma nourriture , et le lacryma- 
Christi, né sur les flancs du cratère, s'épanchant en flots 
de rubis dans ma coupe agreste, complète en moi l'illu- 
sion inspirée par la fable antique , et me fait croire pour 










Ass*é,ts/rr- <f*riu // 



y / 



f/'/ 



//*,' / 1 % 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 25 

quelques instants que je participe à la table des dieux. 
Je me retrouve à sillonner les vastes mers ; je contemple 
de nouveau la cime fumante de Ténériffe, qui s'élève au- 
dessus des sombres flots avec la majesté d'une reine en 
deuil. Que de souvenirs se pressent en ma mémoire ! . . . Je 
m'arrête quelques instants à Sainte-Hélène; assis auprès 
d'un marbre tumulaire, j'étanche la sueur qui baigne 
mon visage fatigué, mon front se penche naturellement 
sur ma main, et je m'abîme dans la contemplation du 
passé, du présent et de l'avenir, à l'ombre des saules funè- 
bres où est venu s'éteindre le plus terrible des météores 

humains qui ait paru sur la terre. 

Mais déjà nous doublons le cap des Tempêtes, nous 
sommes enfermés dans le navire en détresse comme 
dans un tombeau abandonné au sein de l'immensité ; le 
cyclone rugissant fait éclater nos voiles, les mâts et les hu- 
niers volent au loin comme des jouets d'enfant, les vagues 
s'élèvent comme des collines et bondissent comme des 
béliers. Enfin nous arrivons près de l'Ile-de-France ; la mer 
s'apaise, nous revoyons le ciel bleu, et nous saluons avec 
enthousiasme les arbres qui ont ombragé Paul et Virginie ; 
bientôt nous apercevons un phare immense qui se perd 
clans les astres : c'est le volcan de l'île de la Réunion qui 
nous donne rendez-vous (fig. S). Salut, île fortunée! salut 
à tant d'êtres chers qui respirent sur ton sol embaumé , 
avec lesquels j'ai partagé le pain de l'étranger et par- 
ticipé à la coupe de l'amitié ! 

Comment ne parlerais-je pas avec quelque enthou- 
siasme des voyages lointains ! On conserve toujours pour 
eux une espèce de nostalgie dès qu'on en a goûté; d'ail- 



26 LES METEORES. 

leurs, c'est à eux que je me plais à rapporter la plus 
grande partie des succès de mes travaux, entre autres 
des Colonies françaises, ouvrage auquel l'Académie des 
sciences a décerné une de ses hautes récompenses; je 
leur dois également une foule d'études et de souvenirs 
répandus dans une vingtaine de volumes que j'ai pu- 
bliés depuis l'époque où j'ai commencé mes lointaines 
pérégrinations sur le globe. Je me fais également un 
plaisir de me rappeler que c'est par l'entremise de M. le 
baron de Watteville, père, que j'ai dû, dès mes premiers 
débuts, une mission scientifique, et je me fais un devoir 
de consacrer mes sentiments de profonde reconnaissance 
à cet homme éminent, regardé avec justice par les nations 

européennes, qui lui ont emprunté ses vues ingénieuses , 
comme le législateur des établissements de bienfaisance. 
Les avantages que procurent les voyages scientifiques 
sont si considérables à nos yeux, que nous avons cru 
devoir consacrer à les faire ressortir, le début de notre 
Histoire des Météores. Nous croirions avoir fait une chose 
utile, si nous avions contribué ainsi, pour notre part, à 
l'élan qui se manifeste partout maintenant pour ce 

complément des grandes éducations. 



CHAPITRE II. 



LES AGENTS DE LA NATURE 



EN GENERAL. 



De la chaleur. — De la lumière. — De l'électricité. — Du magnétisme 



I. 



Les météores, les grands phénomènes de la nature 
sont principalement produits par la chaleur, la lumière, 
l'électricité, le magnétisme, forces auxquelles on a donné, 
à cause de leur importance, le nom générique d'agents 

de la nature. 

Nous ne pouvons donc nous dispenser de parler de 
ces forces, et maleréles notions élevées et abstraites que 

leur étude présente, nous tâcherons de la mettre à la 

portée de tous. 

Ces forces sont immenses : elles sont partout, elles agis- 
sent partout, et leur nature est restée si mystérieuse 
jusqu'à ce jour, que les physiciens, aussi bien que les 
philosophes et les théologiens, ne savaient s'il fallait les 
regarder comme spirituelles ou matérielles. 



28 " LES METEORES. 

Dans cette incertitude, et pour plus de facilité dans les 
explications des phénomènes auxquels elles donnent 
naissance, on les a considérées comme des fluides, fluides 

impondérables ou impondérés et fluides incoercibles. On a 
abandonné ces dénominations , maintenant qu'elles sont 
mieux étudiées. 

On les définit ainsi : 

Le calorique est l'agent qui produit en nous la sensa- 
tion de la chaleur ; 

La lumière est l'agent qui produit en nous la sensation 
de la vision; 

L'électricité est l'agent qui donne à certains corps 
frottés la propriété d'attirer les petits corps environ- 
nants; 

Le magnétisme (magnétisme minéral), est l'agent qui 
donne à certains corps , naturellement et sans l'auxiliaire 
du frottement, la propriété d'attirer d'autres corps. 

On appelle électro-magnétisme l'action réciproque de 
l'électricité et du magnétisme . 

Aujourd'hui, la science est parvenue à démontrer que 

les différences admises jusqu'à ce jour comme essen- 
tielles entre les diverses forces de la nature n'existent 

pas ; que ces forces ont , au contraire , des liens étroits 
de parenté et de filiation; qu'elles peuvent s'engendrer 
l'une l'autre, chacune d'elles pouvant se transformer 
dans toutes les autres. 

Peu de questions sont susceptibles de jeter autant 
d'étonnement dans l'esprit humain que les métamor- 
phoses de ces diverses forces : elles conduisent aux con- 
séquences les plus surprenantes et les plus grandioses. 



1 



LES AGENTS DE LA NATURE. 29 

Il suffit de citer comme exemple une des transforma- 
tions les plus simples, pour en faire comprendre toute 
l'importance et toute la fécondité. 



IL 



La chaleur produit de la force mécanique, et la force 
mécanique produit de la chaleur. 

Là où la chaleur disparaît le mouvement se produit, 
et, réciproquement, lorsque le mouvement s'arrête il y a 
développement de chaleur. Cette transformation se ma- 
nifeste avec une exactitude mathématique. 

La chaleur engendrée par un corps qui tombe croît 
proportionnellement à la simple hauteur. — Dès que l'on 
connaît la vitesse et le poids d'un projectile, on peut donc 
calculer sans peine la quantité de chaleur développée 
par l'extinction de son mouvement. 

Connaissant le poids de la Terre, par exemple, et la 



vitesse avec laquelle elle se meut dans l'espace, un simple 
calcul doit nous donner la quantité exacte de chaleur qui 
se développerait si la Terre était arrêtée brusquement 
dans son orbite. 

Mayer et Helmholtz ont fait ce calcul, et ils ont trouvé 
que la quantité de chaleur engendrée par ce fait suffi- 
rait non seulement pour fondre la Terre entière, mais 
pour la réduire en grande partie en vapeur. 

Ainsi, le seul arrêt brusque de la Terre dans son orbite 
amènerait les éléments à l'état de fusion; après extinction 
de son mouvement, la Terre irait nécessairement tomber 



30 



LES METEORES. 



sur le Soleil; alors, la chaleur engendrée par celte ren- 
contre serait égale à la chaleur développée par la combus- 
tion de 5,600 globes de charbon solide égaux en volume 
à la Terre. On peut voir sur ce sujet l'excellent ouvrage 
de M. Tyndall : la Chaleur, traduit de l'anglais par 
M. l'abbé Moigno, sentinelle avancée des découvertes 






< M 




* 



Fig. 7. — Appareil do M. Tyndall pour montrer la chaleur créée 

par le travail détruit 1. 



scientifiques. Ces calculs peuvent nous donner une idée 
des Ilots de lumière imprévue que peut jeter l'étude de 
la transformation des forces sur des questions jusqu'à 



1 Explication : / est un tube de cuivre, fermé à sa partie inférieure, au- 
quel ou peut communiquer un mouvement très rapide de rotation à l'aide 
d'une roue à manivelle R et d'une courroie. Si, pendant qu'on fait tourner le 
cylindre t avec une grande vitesse, on le serre au moyen d'une pince en boisP, 
de manière à déterminer un frottement un peu énergique , ce cylindre s'échauffe 
d'une manière très sensible. Pour rendre l'expérience plus frappante, on le 
remplit à peu près avec de L'eau, et au bout de quelques instants la vapeur 
produite projette le bouchon qui le ferme. 



LES AGENTS DE LA NATURE. 31 

ce jour restées enveloppées de ténèbres, et dont l'étude 
directe serait impossible. 



III. 



Il n'y a que peu d'années on était loin de soupçonner 
que toutes les forces de la nature pouvaient se réduire à 
la modification d'une seule et même puissance , et qu'en 
dernière analyse les phénomènes auxquels elles donnent 

naissance ne sont que des formes diverses du mouvement 
imprimé à la matière, à ses particules, à ses molécules, à 
ses atomes ou derniers éléments. 

On regardait comme bonne, tout au plus, à amuser les 
cerveaux malades cette hypothèse qui aujourd'hui de- 
vient la réalité. 

De même que l'on est arrivé à l'unité pour les forces, 
on y arrive également pour les divers éléments. Il est vrai 
que la chimie compte un assez grand nombre de corps 
simples ; mais parce qu'on n'a pas encore pu lçs décom- 
poser et les réduire à un seul, cela ne veut pas dire qu'ils 
soient indécomposables. 

De grands penseurs et les savants les plus distingués, 
croient en effet non seulement à la possibilité, mais à 
la très grande probabilité de l'unité de substance pour 
tous les corps, c'est-à-dire que tous les corps pour- 
raient être formés d'une seule et même substance : il 
suffirait qu'ils différassent entre eux par le groupement 
des atomes, par la disposition des molécules, d'une ma- 
nière analogue à ce que nous offre, par exemple, le 



• 



32 LES MÉTÉORES. 

charbon ordinaire et le diamant, pour présenter les phé- 
nomènes les plus divers. 

Des faits nombreux viennent à l'appui de cette théorie, 
entre autres la doctrine des équivalents et les expériences 
les plus récentes sur les atomes et les molécules. Toutes 
les recherches de la science tendent maintenant à la dé- 
montrer * . 



IV. 



Ainsi, d'après la science actuelle, une seule substance 
matérielle simple universellement répandue, Péther, par 
sa condensation, par le groupement varié de ses ato- 
mes, produit tous les corps divers que nous connais- 
sons. 

Une seule force qui pénètre, sature Péther, produit 
tous les phénomènes qui frappent nos sens, les divers 
phénomènes n'étant que des mouvements produits par 

cette force , soumise à des lois rigoureuses et mathéma- 

tiques. 

Pas un atome ne s'anéantit, pas un mouvement ne se 
perd : il y a sans cesse transformation. 

Voilà la sublime simplicité où la science arrive! 

La science a pour objet la vérité, c'est-à-dire Dieu 
même et ses œuvres; il n'est pas étonnant que plus elle 
approche de son objet , plus elle découvre de simplicité 
et de grandeur. Il est digne de la toute-puissance d'arriver 

1 Voir les Lois de la vie et fart de prolonger ses jours, ouvrage couronné 
par l'Académie française, dans lequel nous traitons celte question, 1 er partie-, 
libr. Firmin-Didot et C lc . 



LES AGENTS DE LA NATURE. 33 

à ses fins les plus diverses et les plus élevées par les 
moyens les plus simples. 

Lucrèce était frappé déjà de la diversité des effets que 

Ton peut obtenir par un petit nombre de causes, il Tau- 
rait été bien davantage s'il avait connu ce que la science 
nous révèle aujourd'hui : <c Car, dit-il, les principes à 
l'aide desquels ont été construits le ciel, la mer, la 
terre, les fleuves et le soleil, sont les mêmes qui, mêlés 
avec d'autres et diversement arrangés, ont formé les 
grains, les arbres et les animaux. Ne remarques-tu pas, 

dans ces vers que tu lis, les mêmes lettres communes à 
plusieurs mots? Cependant, les vers et les mots diffèrent 
beaucoup, soit par les idées qu'ils présentent, soit par le 
son qu'ils font entendre : telle est la différence que met 
entre les corps l'arrangement seul des éléments. » Lu- 
crèce affectionnait cette comparaison , il l'a répétée aux 

X ' A 

livres I et II. 

Aristote, rendant compte des doctrines de Leucippe et 
de Démocrite, rapporte également cette comparaison : 
<c Les atomes, dit-il, sont comparés par Leucippe et ses 
disciples aux lettres de l'alphabet : avec les mêmes let- 
très on peut composer une tragédie ou une comédie : 
tout dépend de l'ordre suivant lequel on les arrange * . » 

Hâtons-nous de laisser cette partie transcendante de 
la science, trop abstraite peut-être pour l'ouvrage qui 
nous occupe, et venons à l'élude plus pratique de chacun 
des agents de la nature en particulier. 



1 De Generatione et Corrttplione. 



3 



CHAPITEE III. 



LA CHALEUR. 



Influence de la chaleur sur la vie en général. — Théorie de la chaleur. — Tem- 
pérature. — Le froid et le chaud. — Lois de la chaleur. — Corps bons ou 
mauvais conducteurs de la chaleur. — Dilatation et contraction. — Nom- 
breuses applications. — Nature du feu. — Son origine et son histoire. — 
Le corps humain rendu incombustible. — Production artificielle du froid. 



i. 



La chaleur est seule capable de développer les pre- 
miers germes de la vie. 

Quand l'hiver a plongé la nature entière dans un état 
qui ressemble à la mort, il suffît de la douce tempé- 
rature que la saison ramène pour la réveiller et ranimer 
toutes les forces engourdies. 

Chaque printemps vient, comme le soufile inépuisable 
de la divinité , répandre la vie sur notre globe ; sous son 
influence, tout s'émeut : nos champs dénudés se couvrent 
de verdure et de fleurs, les hôtes sémillants de nos bois 
font retentir leurs bruyants concerts , la brise embaumée 



36 LES METEORES. 

nous apporte ses arômes bienfaisants; tout frémit, tout 
bourdonne, tout chante. 

Plus on s'approche des pôles et plus on semble s'avan- 
cer dans l'empire de la mort ; on finit même par rencontrer 
des régions où il n'existe aucune espèce de plantes ni 
d'insectes, et qui ne peuvent être habitées que par des 
baleines, des ours ou autres créatures capables d'engen- 
drer de la chaleur, et de la conserver assez puissamment 
pour lutter contre les glaces et les frimas de ces contrées. 

La chaleur donne la vie, et la vie développe la cha- 
leur; il serait assez difficile de déterminer laquelle est la 
cause et laquelle est l'effet; car partout où il y a vie, il y 
a plus ou moins de chaleur, et un lien indestructible 
unit ensemble ces deux phénomènes. 



II. 



Deux théories rivales ont partagé les opinions sur la 
nature de la chaleur : la théorie matérielle et la théorie 

mécanique ou dynamique. 

Tout récemment encore, la théorie matérielle ne ren- 
contrait que des partisans; elle n'avait pour adversaires 
qu'un petit nombre d'hommes éminents. 

Elle regarde la chaleur comme étant une sorte de ma- 
tière, un fluide subtil, pénétrant intimement les corps, et 
qu'elle désigne sous le nom de calorique , pour distinguer 
la cause de l'effet, que l'on nomme chaleur. Elle en donne 
cette définition : une substance dont l'entrée dans nos corps 
causela sensationdu chaad, et sa sortie la sensation du froid. 



LA CHALEUa. 37 

La théorie mécanique de la chaleur, universellement 

admise aujourd'hui, écarte l'idée de matérialité: la chaleur 
n'est pas de la matière; c J est un mouvement des dernières 
particules, des molécules, des atomes des corps. 

Ce mouvement ou la chaleur, se communique sans cesse 
d'un corps à un autre et à l'éther, qui le propage à travers 
l'espace, en sorte que tous les corps émettent continuelle- 
ment de la chaleur en même temps qu'ils en reçoivent du 

milieu qui les environne. 

Si, par cet échange continuel, ils gagnent plus de cha- 
leur qu'ils n'en perdent, leur température s'élève; s'ils en 
perdent autant qu'ils en gagnent, leur température reste 
stationnaire; et s'ils en perdent plus qu'ils n'en gagnent, 
leur température baisse. 

Cet agent tend donc sans cesse à se mettre en équilibre; 
c'est pour cela que la chaleur des corps renfermés dans une 
même enceinte varie , jusqu'à ce que cet équilibre se soit 
établi entre eux et entre les parois de l'enceinte. C'est cet 
état d'équilibre qu'on désigne sous le nom de température. 

11 n'y a pas de corps absolument privés de chaleur; il 
n'y a par conséquent pas de corps absolument froids. Les 
corps que nous appelons froids, peuvent produire sur des 
corps plus froids encore, des phénomènes tout à fait 
semblables à ceux que les corps chauds produisent sur 
des corps moins chauds. 

Le même objet ne variant pas de température peut 
donc nous paraître froid dans un moment et chaud dans un 
autre , suivant la température extérieure de notre corps. 
Nous éprouvons une sensation de chaleur quand, l'hiver, 
nous pénétrons dans une cave, tandis que c'est de la 



38 LES METEORES. 

fraîcheur ou du froid que nous sentons quand nous y pé- 
nétrons pendant l'été. Cependant, la température de ces 
lieux est à peu près constante ; mais, en hiver, notre corps 
extérieurement plus froid reçoit de l'enceinte où il pénètre 
plus de chaleur qu'il n'en donne, et, dans l'été, au con- 
traire, il en perd plus qu'il n'en gagne. 

Si l'on prend un verre d'eau chaude et un verre d'eau 
froide, et que Ton mêle une partie de chacun dans un 
troisième verre, et qu'ensuite on mette un doigt dans l'eau 
froide et un doigt dans l'eau chaude, puis successivement 
ces deux doigts dans l'eau mélangée , le doigt qui a été 
dans l'eau chaude éprouvera une sensation de froid, et 
celui qui a été dans l'eau froide, une sensation de cha- 



leur. Ceci suffit pour nous expliquer tous les phénomènes 
de température. 



III. 



Il y a donc un rayonnement calorifique comme il j a 
un rayonnement lumineux, et ces rayonnements obéissent 
à une même loi. 

Les intensités de la chaleur sont en raison inverse des 
carrés des distances. 

Par exemple, si les distances sont 1, 2, 3, 4, etc., les 
quantités de chaleur reçues aux distances 2, 3, 4, etc., 
seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc., moindres qu'à la dis- 
tance 1 . 

Ce sont les académiciens de Florence qui trouvèrent, 
il y a près de deux siècles, que le calorique se réfléchit 



LA CHALEUR. 



39 



comme la lumière, et qu'un miroir concave le concentre 

à son foyer. En substituant des boules de neige à des corps 




Fig. 8. — Miroirs démontrant les lois de !a réflexion des rayons calorifiques 



1 



échauffés, ils allèrent même jusqu'à prouver qu'on peut 
former des foyers frigorifiques par voie de réflexion. 

Mariotte a découvert qu'il existe différentes espèces de 
calorique rayonnant ; que celui dont les rayons solaires 
sont accompagnés traverse tous les milieux diaphanes aussi 
facilement que le fait la lumière; tandis que la chaleur qui 



* Si l'on place au foyer f d'un de ces miroirs M, une source de chaleur 
telle, par exemple, qu'un panier en treillis de fer, rempli de charbons ardents, 
les rayons de chaleur émanés de cette source seront réfléchis parallèlement, 
mais lorsqu'ils rencontrent l'autre miroir M' placé en face du premier, ils 
viennent converger au foyer f de ce second miroir, et y déterminent une 
élévation de température suffisante pour qu'une substance combustible s'y 
enflamme promptement. 



40 LES METEORES. 

émane d'une matière fortement échauffée , mais encore 
obscure , ainsi que celle qui se trouve mêlée aux rayons 
lumineux d'un corps médiocrement incandescent, sont 
arrêtées presque en totalité dans leur trajet au travers 
de la lame de verre la plus transparente. 

Les ouvriers fondeurs qui ne regardaient la matière 
incandescente de leurs fourneaux qu'à travers un verre 
de vitre ordinaire, pensant, à l'aide de cet artifice, ar- 
rêter seulement la chaleur qui eût brûlé leurs yeux, 
avaient donc raison contre les railleries des prétendus 
savants. 

Plus tard, on découvrit dans la lumière solaire des 
rayons calorifiques obscurs dont l'existence ne saurait 

être constatée qu'avec le thermomètre, et qui peuvent 
être complètement séparés des rayons lumineux à Taide 
du prisme. 

11 y a donc des corps diaphanes , c'est-à-dire qui sont 
traversés par les ravons lumineux, et il v en a qui sont 
diatherrnanes , c'est-à-dire traversés par les rayons ca- 
lorifiques. 

Les mêmes corps n'ont pas toujours ces deux pro- 
priétés au même degré : l'eau, par exemple, laisse passer 
moins de chaleur que l'huile; un morceau de cristal 
d'un décimètre d'épaisseur transmet plus de la moitié 
de la chaleur; une lame d'alun très transparente, d'un 
millimètre, n'en laisse passer qu'un sixième. 



LA CHALEUR. 41 



IV. 



Il est à remarquer que la chaleur est promptement , 
facilement reçue et transmise par certains corps , tandis 
qu'elle ne l'est presque pas par d'autres. Ainsi elle n'é- 
chauffe que très peu les surfaces bien polies, elle est réflé- 
chie par elles presque en totalité; mais lorsque ces rayons 
tombent sur des surfaces ternes ou dépolies, ils sont la 

plupart absorbés et échauffent le corps qui les reçoit. 

Un miroir métallique, par exemple, renvoie la chaleur 
presque entièrement, tandis que si Ton couvre sa sur- 
face d'une légère couche de noir de fumée il l'absorbe 
promptement. 

Une bouilloire d'argent bruni, remplie d'eau et mise 
au milieu de charbons ardents, s'échauffe très lente- 
ment; mais si l'on expose préalablement sa surface ex- 
térieure au-dessus de la fumée , de manière à la noircir, 
réchauffement est ensuite très rapide. 

Si Ton soumet deux thermomètres, dont les boules 
soient revêtues, Tune d'un morceau d'étoffe noire et 
l'autre d'un morceau d'étoffe blanche, aux rayons de la 
même source de chaleur, le mercure , qui par sa dilata- 
tion marque l'augmentation de 'calorique, augmentera 
plus rapidement de volume dans le thermomètre dont la 
boule est revêtue de l'étoffe noire que dans l'autre. 

Si Ton étend sur une surface glacée, sur de la neige 
par exemple, exposée aux rayons du soleil, deux couver- 
tures, Tune noire et l'autre blanche, la neige diminuera 



42 LES METEORES. 

sensiblement sous la couverture noire, tandis qu'elle 
ne diminuera presque pas sous la blanche. 

On voit donc que non seulement la chaleur se répand 
à la surface des corps , mais qu'elle pénètre dans leur in- 
térieur, et cela en plus ou moins grande quantité et plus 
ou moins promptement selon leur nature. 

Tous les corps dans lesquels la chaleur se propage 
facilement sont appelés bons conducteurs de la chaleur; 
ceux dans lesquels elle se propage difficilement sont ap- 
pelés mauvais conducteurs. 

Les métaux sont de bons conducteurs de la chaleur ; 
mais les gaz, les liquides, la porcelaine, la terre à 
poterie la conduisent moins bien. Le charbon et les di- 
verses espèces de bois lorsqu'ils sont secs, le verre , les 
résines, etc., la conduisent moins encore. Mais rien ne 
la transmet moins que les substances formées de fila- 
ments très fins, de petites écailles ou parcelles qui se 
touchent par très peu de points, comme le cuir, la laine 
en flocons, la soie en brins, le duvet, etc. 

Tout le monde sait qu'on peut faire rougir un mor- 
ceau de charbon, même fort court, par une de ses ex- 
trémités , et le tenir à la main par l'autre, sans se brûler, 

tandis que l'on ne pourrait faire la même chose avec une 
tige de fer de même longueur. 

Il est un moyen facile et à la portée de tout le monde 
d'apprécier la conductibilité de différents corps : en pre- 
nant, par exemple, des tiges métalliques parfaitement 
égales , en les enduisant de cire à Tune de leurs extré- 
mités et les plongeant ensuite dans un bain chaud par 
l'extrémité opposée, on voit facilement quelle est la tige 



LA CHALEUR. 



43 



qui fait le plus vite fondre la cire, et par conséquent le 

métal qui est le meilleur conducteur du calorique. 
Un autre moyen, aussi à la portée de tout le monde, 

consiste à chauffer une plaque métallique et à la mettre 



isaWiO 




*&. 



Fig. 9. — Appareil d'in^enhousz pour -comparer la 
conductibilité des différents métaux 1. 






\ 



\ 



<r -} r 



{ Cet appareil 
consiste dans une 
cuve rectangulaire 
en laiton munie d'un 
manche en bois, et 

portant, soudées 
dans une de ses pa- 
rois, des tiges mé- 
talliques de môme 
grosseur et de même 
longueur. On trempe 
toutes ces tiges dans 
de la cire fondue, 
et on la laisse se 
figer Sur leur sur- 
face. On remplit en- 
suite la cuve d'eau 
chaude, et l'on voit 
la cire fondre, mais 
sa fusion s'étend à 
une distance plus ou 
moins grande sui- 
vant que le corps 
est plus ou moins 
bon conducteur. 

2 La cuve est mon- 
tée sur quatre pieds, 
et on la chauffe avec 
une lampe à alcool 
pendant toute la du- 
rée de l'expérience. 
Les tiges sont plus 

longues que dans l'appareil précédent, et afin de pouvoir les espacer assez 
pour rendre insensibles les effets du rayonnement, on les a distribuées sur les 
deux grandes faces de la cuve, dont le manche est supprimé. L'expérience se 
fait ainsi dans de meilleures conditions, et l'on saisit mieux les différences de 
conductibilité des métaux et des autres substances avec lesquelles les tiges 
peuvent élre faites. 




JE.r. 



Fig. 10. — Appareil d'Ingenhousz modifié par M. Jamin 2. 



44 LES METEORES. 

au-dessous du corps à examiner, puis à poser au-dessus 
de ce corps le thermomètre. Plus la chaleur met de 
temps 4 traverser le corps essayé, plus celui-ci la con- 
duit mal. On peut ainsi s'assurer du peu de conductibi- 
lité des étoffes de soie, de laine, etc. 

L'expérience constate pareillement que les corps qui 
se distinguent par un plus grand pouvoir absorhaiît, 
possèdent aussi un pouvoir rayonnant plus considérable ; 
par conséquent les corps qui s'échauffent le plus vite sont 
aussi ceux qui se refroidissent de même. 



V. 



De ces propriétés résultent une foule d'applications 
utiles et intéressantes. 

Lors donc qu'un corps est destiné à dépenser de la 

chaleur ou à en recevoir, il faut que sa surface soit noir- 

cie, dépolie ou recouverte d'un corps qui remplisse ces 

conditions; une feuille de papier gris, une toile fine, etc., 
suffisent. S'il est au contraire destiné à recevoir le moins 

possible de chaleur et à en perdre le moins possible , il 
faut que sa surface ait le plus beau poli ou qu'elle soit 
recouverte d'un corps ayant cette propriété. 

Il est dangereux de poser les pieds nus sur le carreau, 
tandis que le parquet n'offre pas le même inconvé- 
nient; et cela parce que les carreaux possèdent une con- 
ductibilité capable de produire subitement dans cette 
partie du corps un abaissement considérable de tempe- 



LA CHALEUR. ' 45 

rature; celle propriété n'existe pas au même degré dans 
le parquet. 

Les poêles qui doivent conserver longtemps la chaleur 
sont faits en briques; ceux en tôle s'échauffent vite, mais 
se refroidissent de même. 



C'est parde que la laine est mauvais conducteur, que 
pendant l'été on enveloppe de couvertures de laine fort 
épaisses la glace qu'on veut transporter ; ces couvertures 
empêchent la chaleur extérieure de parvenir jusqu'à la 
glace. 

Sous le rapport du calorique, les habits blancs sont 
préférables, en toutes saisons, aux habits noirs. En été, 
ils absorbent moins la chaleur du soleil, en hiver, ils 
rayonnent moins la chaleur du corps. 

En multipliant autour d'un corps -chaud les enveloppes 
métalliques polies, on retarde considérablement son re- 
froidissement ; en plaçant un corps froid dans les mêmes 
conditions, il ne reçoit que fort lentement le calorique de 
l'extérieur. On a appliqué ces principes à la construction 
de vases en fer-blanc, formés de plusieurs enveloppes 
concentriques, propres à conserver la température de di- 
verses substances , et à transporter de la glace durant 
l'été sans en fondre beaucoup. 

Pour faire chauffer promptement un liquide on prendra 
un vase noirci extérieurement et dépoli; mais, pour le 
conserver longtemps chaud, on prendra un vase à surface 
polie. 

Les vases métalliques destinés à être exposés au feu, 
sont munis ordinairement de manches de bois ou de 
corne, qui ne propagent point la chaleur. 



46 LES METEORES. 

Quoique mauvais conducteurs, les liquides s'échauffent 
promptement lorsque leur partie inférieure est en contact 
avec une surface chaude, car à mesure que la couche li- 
quide appliquée immédiatement sur cette surface s'é- 
chauffe , son volume augmente et ses parties deviennent 
plus légères que les parties supérieures ; alors elles s'élè- 
vent et sont remplacées par d'autres, qui ne tardent pas 
à éprouver le même effet ; il s'établit ainsi des courants 
ascendants et d'autres descendants qu'il est facile de 

♦ 

constater, en introduisant quelques corps légers dans le 
liquide, par exemple de la sciure de bois; dans ces mou- 
vements, toutes les molécules reçoivent la chaleur du 

fond du vase et la répartissent entre elles. 

Si, au contraire, la chaleur est communiquée par la 
partie supérieure, les couches chaudes dont le poids spé- 
cifique est moindre, ne peuvent être déplacées, et la 
partie inférieure du vase ne s'échauffe pas. La vaporisa- 
tion de l'eau a lieu alors sans être précédée du phéno- 
mène de l'ébullition. 

Pour la même raison , l'eau des lacs et celle de la mer 

offrent souvent une température plus élevée à leur surface 
qu'à une certaine profondeur. 

Plus mauvais conducteurs que les liquides, les gaz s'é- 
chauffent très promptement, en raison aussi de l'extrême 
mobilité de leurs molécules, qui fait que chacune vient 
successivement se mettre en communication avec la 
source de chaleur. 

Pour rendre l'air plus mauvais conducteur, il suffit 
d'entraver le mouvement de ses molécules au moyen de 
corps légers, tels que des plumes, du coton, etc. 



LA CHALEUK. 



47 



Les fourrures, les édredons, les habits ouatés, etc., 

forment des vêtements très chauds quoique légers, parce 
que l'air qu'ils emprisonnent , ne pouvant circuler faci- 
lement, reste mauvais conducteur de la chaleur. 

Voici un tableau présentant la conductibilité et le pou- 
voir ravonnant de quetques corps : 



Conductibilité. 



Or. . 

Platine 



Argent 

Cuivre 

Fer 

Zinc , 

Etain 

Plomb 

Marbre 

Porcelaine 

Terre des fourneaux 

(Viennent ensuite le bois et le 

charbon.) 



1000 

981 

973 

898 

374 

363 

304 

180 

24 

12 

11 



Pouvoir rayonnant 

Noir de fumée 

Carbonate de plomb .... 

Colle de poisson 

Verre 

Encre de Chine 

Gomme laque 

Surface métallique polie. . 



100 

100 

98 

91 

85 
85 
72 
12 



VI. 



En pénétrant les corps, la chaleur augmente leur vo- 
lume en tous sens : c'est ce que Ton appelle dilatation; et 
lorsqu'elle s'en va, ce volume diminue : c'est ce qu'on 
appelle contraction. 

Les solides se dilatent moins que les liquides, et les 
liquides moins que les vapeurs et les gaz. 

La dilatation des eaz est uniforme de à 100 desrés 
à peu près. Cette régularité de dilatation n'a pas lieu pour 
les solides ni pour les liquides, surtout dans les degrés 
voisins de leur changement d'état. 



4a LES METEORES. 

Cependant on remarque la même proportion pour la 
dilatation entre le mercure et les gaz secs dans les li- 
mites de à 100 degrés, et dans ces mêmes limites la di- 
latation des métaux solides est proportionnelle à celle du 
mercure. 

Les dilatations des autres solides sont généralement 
inégales; moindres pour les mêmes différences de tempé- 
rature que celles des liquides, et à plus forte raison que 
celle des gaz. 

Il est facile de démontrer que la chaleur dilate les corps 
en tous sens. 

Je prends, par exemple, un anneau de fer et une pe- 
tite balle de même métal, d'une grosseur telle qu'à la 
température ordinaire, elle puisse librement passer dans 

cet anneau. 

Si je chauffe cette balle, elle ne passera plus dans 

l'anneau, quelques soins que l'on prenne de la retourner 

en tous sens; elle a donc augmenté de volume. Mais si 

je la laisse refroidir, ou que je chauffe aussi l'anneau, elle 

pourra de nouveau y passer. 

La connaissance de la dilatation et de la contraction 
des corps par la chaleur peut être utile dans beaucoup 

de circonstances. En voici quelques applications : 



LA CHALEUR. 49 



VII. 



M. Molard a tiré parti de la puissance de contraction 
du fer pour rapprocher les murs d'une galerie du Con- 
servatoire, qui menaçaient ruine par leur écartement. 

Il fit traverser ces deux murs parallèles par de forts 
boulons dont les têtes et les écrous s'appuyaient sur de 
larges rondelles; il fit chauffer tous ces boulons à la 

fois, et pendant qu'ils étaient chauds on serra les 
écrous. Cette manœuvre fut répétée plusieurs fois, et la 
contraction des boulons, en se refroidissant, eut assez 
de force pour redresser les murailles, malgré la charge 
des étages supérieurs. 

On sait que la marche d'une horloge dépend de la 
durée des oscillations du pendule, et celles-ci de la 
longueur virtuelle de ce pendule , c'est-à-dire de la dis- 
tance de son axe de suspension à son axe d'oscillation. 
Or, cette distance se modifie avec la température, qui fait 
varier la longueur de la tige. Si l'on veut que le pendule 
donne la mesure exacte du temps , il faudra donc cher- 
cher à compenser cette dilatation. 

On y parvient en composant un pendule de substances 
qui se dilatent inégalement pour un même changement 
de température, et combinées de manière que les effets de 
la dilatation des unes soient corrigés par les effets de 
la dilatation des autres , s'effectuant en sens contraire. 

Cette compensation est obtenue en multipliant les 
châssis et en les combinant pour que leurs effets s'ajoutent 

4 



50 LES MÉTÉORES. 

les uns aux autres. Un assemblage de quatre châssis donne 

une compensation assez rigoureuse. Les pendules ainsi 

construits se nomment des pendules compensateurs. 

On voit quelquefois des barres de fer, scellées par les 

deux bouts pendant les grands froids, se courber pen- 

dant les grandes chaleurs, par suite de la dilatation. Le 

zinc est le plus dilatable de tous les métaux; aussi ne le 

fixe-t-on pas par tous les points lorsqu'on l'emploie 

comme couverture de maison; on accroche l'une dans 

l'autre, au moyen d'un bourrelet fait exprès, les plaques 

de zinc; autrement, les changements de température 

feraient céder les clous ou ployer le métal. 

On doit prendre des précautions pour permettre au 
métal de se dilater et de se contracter librement , dans 

l'assemblage des cylindres creux en fonte destinés à la 

conduite de Peau * ainsi que dans la construction des 

rails pour les chemins de fer. 

Les ustensiles de verre, les poteries, etc., éclatent 

_ 

lorsqu'on les fait passer brusquement d'une température 
à une autre très différente. Un pot de terre chauffé 
brusquement et inégalement est bientôt fêlé; un ballon 
en verre doit être chauffé par degrés et bien également 
partout, pour rester intact ; s'il est trop épais, la chaleur 
se communique lentement et inégalement , et il se casse ; 
s'il n'est pas d'égale épaisseur, il y a aussi répartition 
inégale de chaleur, et par conséquent de dilatation , il se 
casse de même. Les vases donc , dans lesquels la cha- 
leur se propage avec le plus de facilité, sont les plus ré- 
sistants; tels sont parmi les vaisseaux de verre ceux 
qui sont les plus minces et qui ont partout à peu près la 



LA CHALEUR. 51 

même épaisseur, et parmi les poteries celles dont la 

matière est plus poreuse. Le charbon que Ton allume 
éclate et se fendille jusqu'à ce qu'il soit échauffé tout 
à fait ; il suffit de tenir à la main un bâton de soufre 
pour produire le même effet. Cela vient de ce que ces 
matières étant mauvais conducteurs de la chaleur, 
quelques-unes de leurs parties sont beaucoup plus tôt 
contractées ou dilatées que les parties voisines , ce qui 
détermine une dislocation violente entre les molécules et 
un déchirement entre les différentes parties. 



vin. 



Les lois générales de la dilatation et de la contraction 
présentent des exceptions remarquables. 

L'eau , par exemple , a moins de volume à 4 degrés 
qu'à 3, et moins à 2 qu'à 1, et à liquide beaucoup 
moins qu'à solide; en sorte que son maximum de den- 
sité se trouve à 4 degrés au-dessus de 0. Ce maximum 

de densité de l'eau a une grande importance ; car il a été 
adopté pour définir l'unité de poids dans le système mé- 
trique. Cette unité, que l'on appelle gramme , a le même 
poids qu'un centimètre cube d'eau pure prise à son 
maximum de densité. 

Cette particularité de dilatation à un degré inférieur 
n'appartient pas exclusivement à l'eau , car le fer fondu 
le bismuth , le soufre se dilatent aussi au moment de leur 
congélation. 



52 LES MÉTÉORES. 

On explique ces phénomènes par l'arrangement parti- 
culier que prennent les molécules pour former la cristal- 
lisation. 

L'augmentation du volume de l'eau au moment où 
elle gèle est une des plus remarquables, et demande 
de grandes précautions pour éviter les nombreux acci- 
dents qu'elle peut occasionner. 

Il est nécessaire, par exemple, à l'approche des ge- 
lées, de vider les fontaines, les conduits et les autres 
vases exposés à la température de l'air extérieur; sans 
cette précaution, ils peuvent être brisés, quelque so- 
lides qu'ils soient ; un effet analogue pourrait être pro- 
duit parles autres substances dont le volume augmente 

au moment de leur solidification. 

La force de dilatation de l'eau qui passe à l'état de 
glace est énorme. Haies remplit de ce liquide une bombe 
qui avait environ un centimètre d'épaisseur. Il ferma 
l'ouverture avec un bouchon retenu par une forte presse, 
et fit geler le liquide en l'exposant à un froid artificiel 
considérable; la^glace n'avait que deux centimètres d'é- 
paisseur lorsque la bombe se fendit en trois morceaux. 

Les terribles effets de la poudre à canon ne sont dus 

qu'à l'expansion subite des gaz à laquelle son inflamma- 
tion donne lieu, la vapeur chauffée en vase clos est ca- 
pable de produire des effets plus étonnants encore. 

Vauban , en comparant la force de la vapeur à celle 
de la poudre, a trouvé que 70 kilogrammes d'eau ré- 
duite en vapeur pouvaient soulever un poids de 38 mil- 
liers; et il faut, ajoute-t-il, près de 130 kilogrammes 
de poudre pour produire le même effet. 



LA CHALEUR. 53 

Les canons, les fusils, les mortiers, etc., sont donc de 
véritables machines à vapeur; toute la différence consiste 
en ce que le choix des matières à convertir en vapeur 
n^exige pas une chaudière, puisque Ton opère , au point 
même où Ton a besoin de gaz, leur formation instantanée. 

Le courant produit par l'air dilaté de nos foyers en- 
traîne avec lui la fumée et tous les produits volatils de 
la combustion. Les cheminées à tuyau très étroit sont 
moin ssujettes à fumer que les autres, parce que le cou- 
rant d'air ascendant s'y trouve plus rapide. 

Le courant d'air froid qui se manifeste près des foyers 
et qui se précipite avec tant de violence dans la bouche 
des poêles est dû à la même cause. 

Les bouches de chaleur que Ton adapte aux poêles et 
aux cheminées ne sont encore que des courants d'air 
chaud produit par la dilatation. 

Les vasistas placés dans les salles où se tiennent les 
réunions nombreuses sont destinés à renouveler l'air de 
ces salles. L'air intérieur, échauffé, et par conséquent 
dilaté, s'élève vers la partie supérieure de la salle, se dé- 
verse et sort par le vasistas, tandis qu'il se trouve rem- 
placé par l'air frais et pur qui arrive du dehors. 

C'est aussi sur les propriétés de l'air dilaté que repose 
ce que l'on nomme les fourneaux d'appel. Dans plusieurs 
mines, on renouvelle l'air des galeries en établissant un 
courant semblable à celui de nos cheminées , au moyen 
d'un fourneau placé à l'ouverture d'un puits. L'air ex- 
térieur pénètre dans les galeries par un autre puits, les 
parcourt dans toute leur longueur, et vient se rendre à 
l'ouverture du premier. 



54 LES MÉTÉQKES. 



IX. 



Le feu est le développement simultané de chaleur et 
de lumière produit par la combustion des corps dits 
combustibles. Pour le physicien ce n'est pas autre chose 
qu'un degré de température plus élevé que celui du ca- 
lorique sans lumière. 

Les anciens regardaient le feu comme un des quatre 
éléments. Plusieurs peuples l'adoraient comme une di- 
vinité. 

Si Ton en croit d'anciennes traditions, il y a eu un temps 
où une grande partie du genre humain ne savait ce que 
c'était que le feu. Les Égyptiens, les Phéniciens, les Per 
ses. les Grecs et plusieurs autres nations avouaient qu'ori 
ginairement leurs ancêtres n'en connaissaient pas l'usage 

Les habitants des îles Mariannes , découvertes en 1521 
n'avaient aucune idée du feu, dit-on; ils furent étrange 
ment surpris quand ils en virent , lors de la descente que 
Magellan fit parmi eux. 

Ils le regardèrent d'abord comme une espèce d'animal 



• • 



qui s'attachait au bois dont il se nourrissait. Les pre- 
miers qui s'en approchèrent de trop près s'étant brûlés 
en donnèrent de la crainte aux autres, et n'osèrent plus 
le regarder que de loin , de peur, disaient-ils , d'en être 
mordus et que ce terrible animal ne les brûlât par sa 
violente respiration ; car c'est l'idée qu'ils se formaient de 
la flamme et de la chaleur. 

La nature offrait cependant aux premiers hommes 




Fiff. 11. — Font embrasée 



LA CHALEUR. 57 

plusieurs indications sur le feu et plusieurs moyens d'en 
assurer la découverte. 

Sans parler des volcans , on trouve des feux naturels 
allumés dans presque tous les pays. Le feu est souvent 
occasionné par la fermentation de certaines matières réu- 
nies dans un même lieu, par le choc des cailloux et par le 
frottement des bois. 

Le vent a plus d'une fois embrasé des roseaux et des 
forêts : c'est à cette cause que les Phéniciens rappor- 
taient la découverte du feu. 

On cultive souvent le bambou en haies immenses , au 
pourtour des grandes habitations. Ces haies sont ap- 
pelées balisages; elles produisent un effet des plus gran- 
dioses. Le frottement des grands chaumes qui se heurtent 
dans leur épaisseur divergente, et qui, tout considérables 
qu'ils sont, n'en demeurent pas moins flexibles, produit 
quand la tempête agite les balisages un bruit violent, 
singulier et même effrayant lorsqu on l'entend pour la 
première fois. Des incendies considérables , au dire des 
colons, ont plus d'une fois été produits par le frottement 
de ces surfaces sèches et polies (fig. 11 et 12). 

« Après avoir vainement cherché pendant plusieurs 
mois, et en diverses saisons, des fleurs de bambou pour 
enrichir notre herbier, dit Bory de Saint- Vincent , nous 
en trouvâmes tout à coup en grande quantité, sur les 
pousses d'un balisage, qui avait été l'année précédente, 
la proie d'un embrasement attribué au frottement des 
bambous. » 

Les Chinois disent que Sui-Gin-Schi, un de leurs 
souverains, enseigna la manière d'allumer du feu en 



58 . LES MÉTÉORES. 

frottant fortement deux morceaux de bois et en les fai- 
sant tourner l'un sur l'autre. Les Grecs avaient à peu 
près la même tradition. C'est encore aujourd'hui la mé- 
thode la plus usitée chez les sauvages. 

La foudre ne porte que trop souvent la flamme sur la 
terre. Les Égyptiens disaient être redevables de la con- 
naissance du feu à un accident de cette sorte. 



X. 



Si donc, il a été un temps où presque tous les hom- 
mes étaient privés de l'usage du feu, ce n'est pas que 
cet élément ne se manifestât en bien des manières; 
mais c'est qu'on ignorait l'art de s'en servir, d'en avoir 
à volonté , de le transporter et de le reproduire après 
qu'il était éteint. Aussi tous les peuples ont-ils regardé 
ceux à qui ils ont cru être redevables de cette découverte 
comme les inventeurs des arts, parce qu'en effet il n'y a 
presque aucun art qui puisse se passer du feu : 

Le feu dilate l'air ; des lacs, des mers profondes 

En globules roulants il divise les ondes. 

Des êtres qu'il dissout, les uns sont transformés 

En légères vapeurs, en globes enflammés; 

D'autres réduits en chaux, d'autres réduits en cendre. 

Ici, libre en tous sens, il aime à se répandre; 

Là, fixé dans les corps en un profond sommeil, 

Dune cause imprévue il attend son réveil. 

(Deliixe, les Trois règnes.) 

Une des choses les plus étonnantes, serait de voir le 
corps humain rendu incombustible ; on doit à la science 



LA CHALEUR. 



59 



des expériences très curieuses à ce sujet. En se mouillant 
préalablement le doigt avec de l'éther, on éprouvera 
une sensation de froid si on le plonge ensuite dans du 
plomb fondu. En se mouillant le doigt avec de l'eau, on 




Fig. \1- — Incendie clans les campos. 



le plonge impunément dans du suif à plus de 300 degrés. 
On le trempera de même sans danger dans de l'eau 
bouillante, après l'avoir humecté d'éther. On peut éga- 
lement plonger la main dans la fonte incandescente, 
pourvu qu'on l'ait d'abord mouillée avec une solution 
d'acide sulfureux contenant un peu de sel ammoniac. 
M. Boutigny, d'Évreux, rapporte à ce sujet des faits 



60 LES MÉTÉORES. 

extraordinaires, dans son important et remarquable tra- 
vail sur l'état sphéroïdal de la matière. 

M. Côme, professeur de physique à Laval, et M. Covlet, 
ont ainsi coupé des jets de fonte avec les doigts ; ils ont 
plongé les mains dans des moules et dans des creusets 
remplis de la fonte qui venait de couler d'un wilkinson, 
et dont le rayonnement était insupportable, même à une 
assez grande distance. M me Covlet, qui assistait à ces ex- 
périences, permit à sa fille, enfant de huit à dix ans, de 
mettre la main dans un creuset plein de fonte incandes- 
cente. Cet essai fut fait impunément. 

ce Un Espagnol, Lionetto, dit Jijlia Fontenelle, se 
montra à Paris en 1819, et étonna tout le monde par 
son insensibilité au contact du feu ; il maniait impuné- 
ment une barre de fer rouge, du plomb fondu; il buvait 
de l'huile bouillante, etc. » 

Pendant que Lionetto était à Naples, le professeur 
Sementini remarqua qu'il plaçait sur ses cheveux une 
plaque de fer rouge , et qu'on en voyait s'élever aus- 
sitôt une vapeur épaisse ; que le même effet était pro- 
duit lorsqu'il passait un fer rouge sur la plante du pied, 
sur la langue; qu'il buvait environ le tiers d'une cuil- 

lerée d'huile bouillante ; qu'il tenait entre ses dents un 
fer presque rouge. 

Sementini, jaloux de découvrir les procédés de Lio- 
netto, fit quelques expériences sur lui-même, et trouva : 

1° Qu'au moyen de frictions avec des acides, particu- 
lièrement avec l'acide sulfurique étendu d'eau, la peau 
devenait insensible à l'action de la chaleur du fer rouge ; 

2° Qu'une solution d'alun, évaporée jusqu'à ce qu'elle 



LA CHALEUR. 61 

devînt spongieuse, était encore plus propre à cet effet, 
en l'employant en friction ; 

3° Que les parties du corps rendues insensibles, et frot- 
tées avec du savon dur, puis lavées, étaient plus insensi- 
bles encore; on parvenait, par ce moyen, à se frotter 



avec un fer rouge sans qu'un poil de la peau fût brûlé. 

Les mêmes préparations faites sur la langue et sur la 
bouche produisaient les mêmes résultats. 

La cause de cette insensibilité se trouve probablement 
dans le peu de conductibilité qu'ont les substances in- 
termédiaires pour la chaleur, ou dans l'évaporation de ces 
substances que déterminent le fer chaud ou l'huile bouil- 
lante; car tout solide qui passe à l'état liquide, ou tout 
liquide qui passe à l'état de vapeur, absorbe une quan- 
tité étonnante de chaleur. 

Ces expériences, du reste, ne sont pas nouvelles; car, 
\mbroise Paré, chirurgien de Charles IX, dit avoir rendu 
quelques parties de son corps incombustibles par l'emploi 
de l'esprit de soufre (acide sulfureux). 



XL 



Si ces faits sont intéressants, ceux que nous présente 
l'étude du froid ne le sont pas moins, nous le verrons 
plus loin en parlant de la congélation ; cependant disons 
un mot ici du froid obtenu artificiellement. 

Dans, une communication à l'Académie des sciences, 
Al . Berthelot a fait remarquer que la production artificielle 
du froid repose en général sur l'un des trois artifices sui- 



62 LES METEORES. 

vants, isolés ou réunis dans une même action : 1° trans- 
formation d'un solide ou d'un liquide en gaz ; par exem- 
ple, la vaporisation de ï'éther, de l'acide sulfureux, du 
bicarbonate traité par un acide; 2° liquéfaction d'un 
solide au contact d'un liquide; par exemple solution 
des sels ou d'un autre solide, acide sulfurique cristallisé 
et glacé, etc. ; 3° réaction chimique opérée au sein d'un 
liquide avec formation de substance dont la dissolution 
absorberait plus de chaleur que celle des composés pri- 
mitifs; par exemple, acétates alcalins dissous et acide 
tartrique dissous , ou bien formation de corps qui se dé- 
composent à mesure au sein de l'eau, tels que les sels 
des acides faibles, les sels acides, etc. 

M. Berthelot fait observer qu'aucun système n'est sus- 
ceptible de produire un refroidissement comparable à 
celui d'une masse liquide qui se transforme intégrale- 
ment en gaz, comme il est facile de le reconnaître par le 
calcul. Par exemple Ï'éther, en se vaporisant, produirait 
un abaissement théorique de 192 degrés au-dessous de la 
glace fondante, le sulfure de carbone de 530 degrés, l'am- 



moniaque liquéfié de 460 degrés, le protoxyde d'azote 
de 440 degrés. Mais le refroidissement s'arrête bien au- 
dessous de ces termes purement virtuels, et cela dès 
que la tension de vapeur du liquide devient si faible, 
que le froid produit dans un temps donné est compensé 
par le rayonnement ambiant qui réchauffe le système. 
En effet, ajoute M. Berthelot, le froid produit par la 
vaporisation d'un liquide, même dans le vide, ne permet 
guère d'abaisser la température de plus de 60 à 80 degrés 
au-dessous du point d'ébullition de ce liquide sous la 



LA CHALEUR. 63 

pression atmosphérique; on n'est parvenu à 100 degrés 
que dans un seul cas jusqu'ici , celui de la congélation de 
l'eau dans le vide. Quoi qu'il en soit , ces chiffres , soit 
théoriques, soit pratiques , établissent qu'aucun procédé 
de refroidissement n'est comparable à la vaporisation; 
l'industrie est arrivée pratiquement au même résultat. 
Les sources de froid dont nous disposons dans les gaz liqué- 
fiés, continue M. Berthelot, n'ont pas dit leur dernier mot ; 
par un emploi mieux dirigé des ressources que la théorie 
indique, on doit aller beaucoup plus bas qu'on ne Ta fait 
jusqu'à présent, et approcher davantage de ce zéro absolu, 
que les doctrines actuelles semblent fixer vers 273 degrés 
au-dessous de la glace fondante ' . 

En effet les prévisions de M. Berthelot n'ont pas tardé 
à se vérifier. MM. Cailletet et Raoul Pictet dans leurs expé- 
riences sur la liquéfaction des gaz, ont obtenu un froid 
quidépase 140 degrés au-dessous de zéro 2 . 

Avant de faire connaître ces résultats étonnants à l'Aca- 
démie, M. Dumas, l'éminent secrétaire perpétuel , a donné 
lecture du passage suivant , extrait des oeuvres de Lavoi- 
sier, et qui montre comment l'immortel créateur de la 
chimie moderne avait pressenti les faits qui devaient être 
réalisés plus tard par Faraday et par ses successeurs : 

« ... Considérons un moment ce qui arriverait aux 
différentes substances qui composent le globe si la tempé- 
rature en était brusquement changée. Supposons, par 
exemple, que la Terre se trouvât transportée tout à coup 
dans une région beaucoup plus chaude du système solaire, 

1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1874. 

2 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1878, 1 er semestre. 



64 LES METEORES. 

dans une région, par exemple, où la chaleur habituelle 
serait fort supérieure à celle de l'eau bouillante : bientôt 
l'eau, tous les liquides susceptibles de se vaporiser à des 
degrés voisins de l'eau bouillante, et plusieurs substances 
métalliques même, entreraient en expansion et se trans- 
formeraient en fluides aériformes, qui deviendraient partie 
de l'atmosphère. 

_ 

<c Par un effet contraire, si la terre se trouvait tout à 
coup placée dans des régions très froides, par exemple 
de Jupiter et de Saturne, l'eau qui forme aujourd'hui nos 
fleuves et nos mers, et probablement le grand nombre 
des liquides que nous connaissons, se transformeraient en 
montagnes solides.... L'air, dans cette supposition, ou du 
moins une partie des substances aériformes qui le com- 
posent, cesserait sans doute d'exister dans l'état de fluide 
invisible , faute d'un degré de chaleur suffisant : il re- 
viendrait donc à l'état de liquidité, et ce changement 
produirait de nouveaux liquides dont nous n'avons aucune 
idée 1 . » 

Dans un remarquable éloge historique de Faraday, 
M. Dumas rappelle que l'acide carbonique neigeux, 
mouillé d'éther, forme un bain à 88 degrés au-dessous de 
zéro ; que le protoxyde d'azote liquide se maintient à une 
température constante de 90 degrés au-dessous de zéro. 
Lorsque l'on active l'évaporation de ces substances en les 
plaçant dans le vide, on obtient même un abaissement de 
température qui peut atteindre 100 ou HO degrés au- 
dessous de la glace fondante. 



* Recueil des Mémoires, t. II, p. 804 et suivantes. 



LA. CHALEUR. 65 

Ces liquides ou ces solides, ainsi refroidis, cautérisent 
la peau comme un fer brûlant. Un métal froid que Ton 
y plonge produit le bruissement du fer rouge que l'on 
trempe dans Peau. Une affusion d'eau froide les trans- 
forme tout à coup en gaz , tandis que l'eau se gèle elle- 
même avec une vive explosion . 

Vraiment, on croirait lire quelque passage des Mille et 
une Nuits. M. Dumas ajoute avec raison et avec esprit l 
« L'imagination du Dante ne s'est pas élevée au-dessus 
de la réalité , et le grand poète de l'Italie aurait trouvé , 

comme on voit, près de nos laboratoires plus d'un trait 
digne de prendra place dans la description du neuvième 
cercle de l'enfer, à côté de l'épisode d'Ugolin, et d'ajouter 
à son horreur. Il est vrai que pour un Florentin, accou- 
tumé au plus doux climat, le séjour éternel dans un bain 
de glace ordinaire a pu paraître suffisant pour caractéri- 
ser la plus dure des peines infligées aux réprouvés. » 







CHAPITRE IV. 



LA LUMIERE. 



Influence de la lumière sur la vie en général. — Théorie de la lumière. — Ses 
lois. — Spectre solaire. — Analyse spectrale. — Curieux phénomènes des 
interférences. 



I. 



La lumière présente une affinité bien remarquable 
pour la vie. En général, on peut dire que chaque créa- 
ture a une vie d'autant plus parfaite qu'elle jouit da- 
vantage de la lumière , et il paraît même que la vie n'est 
possible que sous son influence, car dans les entrailles 
de la terre, dans les cavernes les plus profondes, où règne 
une nuit éternelle, on ne rencontre que des corps inor- 
ganiques. 

Là, rien ne respire, rien ne jouit du sentiment; on 
n'y trouve tout au plus que quelques espèces de moisis- 
sures ou de lichens qui sont le premier degré de la vé- 
gétation et le plus imparfait. On s'aperçoit même , en y 

regardant de près , que la plupart de ces plantes équivo- 



68 LES METEORES. 

ques ne croissent que sur le bois pourri ou dans son voi- 
sinage. 

Et même, à la surface de la terre, que l'on prive un 
végétal ou un animal de la clarté du jour, quelque nour- 
riture qu'on lui donne, quelques soins qu'on lui pro- 
digue , on le verra successivement perdre sa couleur et 
toute sa vigueur, cesser de croître et se rabougrir. 
L'homme lui-même, lorsqu'il est privé de la lumière, 
devient pâle, mou, débile, et finit par perdre toute son 
énergie, comme l'attestent les exemples, malheureuse- 
ment trop nombreux, des personnes qui ont été renfer- 
mées pendant longtemps dans un cachot, les maladies 
qui atteignent les mineurs, les marins de la cale des 
navires, et même les ouvriers des manufactures mal 
éclairées, les habitants des caves, des rez-de-chaussée 
ou des rues étroites. 



IL 



Peu d'études donnent lieu à plus de surprises que celle 
de la lumière. 

De même que pour la chaleur, deux hypothèses ont 
été émises à son sujet : 

Celle de rémission, à laquelle le nom de Newton a 
donné pendant longtemps une grande autorité, et celle 
des ondulations, dont Descartes est l'auteur, et qui est 
généralement adoptée aujourd'hui. 

Vhypothhe de l'émission suppose qu'un corps lumineux 
lance dans toutes les directions une substance matérielle 



LA LUMIÈRE. 69 

extrêmement ténue, et tellement subtile qu'on n'en peut 
constater ni le poids ni l'impénétrabilité; elle traverse 
certains corps sans perdre sa vitesse, mais elle peut être 
arrêtée par d'autres. 

Des molécules de cette substance venant à rencontrer 
l'organe de la vue, une partie pénètre dans l'intérieur, 
atteint le fond de l'œil et produit la sensation de la vi- 
sion. 

Dans Vhypothhe des ondulations, on ne suppose pas 
qu'il y ait transport d'un agent matériel à de grandes 
distances, mais on admet que les vibrations atomi- 
ques mêmes des corps lumineux sont communiquées 
aux atomes d'un fluide éthéré répandu partout. 

Ces vibrations se propagent à travers le fluide, arri- 
vent à l'organe de la vue, qui les transmet au nerf op- 



tique. Dans cette hypothèse, la nature et la transmission 
de la lumière seraient analogues à la nature et à la trans- 
mission de la chaleur. 

Les dernières expériences des savants, les études sur 
les interférences entre autres , ont rallié tous les esprits à 
cette dernière hypothèse. 



III. 



On sait que la lumière s'affaiblit , ou diminue de force, 
d'intensité, à mesure qu'elle s'éloigne du point d'où elle 
émane. Cette diminution a lieu en raison directe du 

carré de la distance ; par exemple , si les distances sont 
1, 2, 3, 4, etc., les quantités de lumière reçue aux 



70 LES METEORES. 

distances 2, 3, 4, etc., seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc., 
moindres qu'à la distance 1. — L'intensité de la lumière 
varie également avec l'inclinaison de la surface qui l'émet . 

La lumière se propage avec une vitesse prodigieuse ; 
elle parcourt près de 308,000 kilomètres ou environ 
77,000 lieues par seconde. 

C'est par l'observation des éclipses de Jupiter que 
Rœmer, astronome danois, est parvenu à déterminer la 
vitesse de la lumière pour la première fois. La lumière 
franchit en 8 minutes 13 secondes la distance du soleil 






à la terre. Or, on sait que les étoiles les plus rapprochées 
de la terre en sont au moins deux cent mille fois plus 
éloignées que le soleil : il faut donc plus de trois années 
pour que la lumière de ces étoiles arrive jusqu'à nous ; 
quant à celle d'un grand nombre de ces astres que nous 
pouvons observer, elle doit mettre plusieurs milliers 
d'années pour atteindre notre globe . 

On n'imaginait pas qu'il fût jamais possible de mesurer 
la vitesse de la lumière par des observations terrestres, 
lorsque M. Fizeau est venu résoudre cet important pro- 
blème. 

Les expériences de l'habile physicien ont eu lieu entre 
Montmartre etSuresne, points séparés par une distance 
de 8 kilomètres et demi. Au moyen d'un procédé delà 
plus extrême simplicité, il a démontré que le mouvement 
lumineux parcourait le double trajet d'aller et venir, soit 
17 kilomètres, en une durée de temps exprimée par un 
dix-huit millième de seconde. Ce nombre diffère peu de 
celui qu'ont donné les observations anciennes , mais un 
certain défaut de netteté dans les images obtenues laisse 



LA LUMIÈRE. 71 

■ 

sur cette mesure une incertitude plus grande que celle 
des déterminations sur le ciel. 

M. Foucault a essayé une nouvelle mesure en 1862, 
en employant un miroir tournant. Il a trouvé pour vi- 
tesse de la lumière 298,000 kilomètres, ou 74,500 lieues 
de 4,000 mètres par seconde. Suivant les données an- 

ciennes, cette vitesse serait de 308,000 kilomètres par 
seconde. On voit donc qu'il y aurait une assez grande 
différence. 

Cependant on a adressé quelques objections à cette nou- 
velle détermination. L'ingénieux physicien n'a. fait par- 
courir à la lumière qu'un espace de 20 mètres , et dans 
cette étendue il lui a fait subjr cinq réflexions et tra- 
verser un objectif. On a fait remarquer que cet objectif a 
pu occasionner une diminution de vitesse, et que d'ail- 
leurs personne ne peut même dire quelle est la totalité 
des phénomènes qui se passent dans une réflexion ; en un 
mot, que toutes ces conditions ne sont pas celles de la 
lumière dans l'espace où elle se meut librement ; d'un 
autre côté, on n'a pas une confiance absolue dans les di- 
visions micrométriques si délicates qu'il a fallu employer. 



IV. 



* 

Lorsqu'on regarde les objets à travers un prisme de 
verre, non seulement ils apparaissent considérablement 
déplacés par la déviation qu'éprouvent les faisceaux lu- 
mineux qui traversent le prisme , mais ornés de bandes 
teintes des plus vives couleurs. 



72 



LES MÉTÉORES. 



Si Ton dispose un prisme de telle sorte qu'un faisceau 
lumineux tombe obliquement sur l'une de ses faces, et 
que l'on reçoive le faisceau émergent sur un écran ou 
tableau placé à une distance un peu grande du prisme, 
on verra se projeter une image oblongue peinte de mille 
couleurs, à laquelle on a donné le nom de spectre soldire. 



Fig. 13. — Spectre solaire. 




Avant Newton on connaissait bien la loi de la réflexion 
et celle de la réfraction ; on savait exécuter des miroirs 
brûlants, rapprocher et grossir les objets par la réflexion 
de la lumière au travers des lentilles. Cependant la nature 
de la lumière était encore inconnue, l'origine des couleurs 
était ignorée; on ne doutait pas qu'elles ne fussent pro- 
duites par quelque jeu de cet agent; mais personne ne 
soupçonnait qu'un rayon de lumière blanche fut composé 



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LA LUMIÈBB. 73 

d'un grand nombre de rayons simples, capables, chacun 
à part, de donner une couleur qui lui fût propre : 



Avant que de Newton la science profonde 

Eût surpris ce mystère et les secrets du monde, 

La lumière en faisceaux se montrait à nos yeux ; 

Son art décomposa ce tissu radieux, 

Et , du prisme magique armant sa main savante, 

Développa d'Iris l'écharpe éblouissante. 

Dans les mains d'un enfant un globe de savon 

Dès longtemps précéda le prisme de Newton, 

Et longtemps, sans monter à sa source première, 

Un enfant dans ses yeux disséqua la lumière. 

Newton seul l'aperçut, tant le progrès de l'art 

Est le fruit de l'étude et souvent du hasard. 

(Delille.) 



Il est sept nuances que Ton distingue parmi toutes les 
autres dans la lumière solaire décomposée par le prisme, 
et qui pour cette raison ont reçu le nom de couleurs 
principales; ce sont, dans leur ordre naturel : le rouge, 
V orangé, le jaune, le vert, le bleu, Y indigo, le violet. 

Pour expliquer ces phénomènes, on regarde la lu- 
mière blanche comme composée d'une infinité de rayons 
de différentes couleurs, plus ou moins réfrangibles, qui se 
séparent en traversant le prisme. 

L'arc-en-ciel est produit d'une manière analogue; ce 
sont des gouttelettes d'eau qui remplacent le prisme. 



V. 



Ce n'est pas seulement la lumière du soleil qui est 
susceptible d'être décomposée et de produire un spectre, 
mais une lumière quelconque; seulement, il y a ceci de 



74 LES METEORES. 

particulier, c'est que ces lumières décomposées donnent 
des spectres différents. 

Ainsi, chaque substance en ignition donne un spectre 
qui lui est propre, et sans voir, par exemple, le corps 
qui brûle, on peut dire, par la simple inspection du 
spectre qu'il produit, et sans crainte de se tromper : C'est 
tel corps. 

L'or en ignition donne un spectre qui n'est pas celui 
de l'argent, et celui que donne l'argent n'est pas le même 
que le spectre de tout autre métal. 

Il est des métaux qui se ressemblent tellement par 
leurs propriétés principales, qu'il serait presque impos- 
sible de ne pas les confondre, de ne pas les prendre pour 

un seul et même métal par les moyens d'investigations 

ordinaires. 

Qu'ont fait les métallurgistes? — Une chose bien sim- 
pie, ils ont eu recours à l'examen des spectres que don- 
nent les métaux en brûlant; en comparant, en analysant 
ces spectres, ils n'ont plus eu de doute sur la nature parti- 
culière de ces corps. Par ce procédé, ils ont déjà enrichi 
la science et l'industrie de quatre nouveaux métaux : le 
rubidium, le césium, le thallium, et, tout récemment, le 

gallium. 

L'analyse spectrale peut donner de fécondes applica- 
tions en physiologie et en médecine. Une personne , par 
exemple, a-t-elle été empoisonnée, il suffit souvent de 
faire brûler une partie de ses chairs ou de ses déjections 



et de décomposer par le prisme la lumière produite par 
la combustion, pour reconnaître l'élément toxique. C'est 
ainsi que M. Lamy, d'après une communication faite à 



LA LUMIERE. 75 

É 

l'Académie des sciences, a reconnu immédiatement le 
thallium dans les organes d'animaux morts empoisonnés 
par cette substance. 

L'analyse spectrale, comme nouvelle méthode d'étude, 
fait son entrée triomphante dans toutes les sciences. 
L'astronomie entre autres l'a interrogée pour étendre 
ses connaissances au delà de milliards de millions de 
lieues, et l'analyse spectrale a répondu, dans son lan- 
gage naturel, en nous faisant connaître la nature des 
astres innombrables qui peuplent l'espace. 

Dans un remarquable discours sur l'analyse spectrale , 
prononcé à l'Académie des sciences, Delaunay s'expri- 
mait ainsi : « Nous ne sommes qu'au début des recher- 
ches que cet instrument nouveau permet d'entreprendre 
pour l'étude de la constitution de l'univers; la riche 
moisson qu'il nous a déjà fournie peut nous faire pres- 
sentir l'importance des résultats que la science est ap- 
pelée à en retirer. » 

Depuis que ces lignes sont écrites , l'analyse spectrale 
n'a cessé d'ajouter révélation sur révélation, mais nous 
devons , afin de ne pas trop nous répéter, renvoyer ce 
qui regarde la lumière à la partie de notre Histoire des 
Astres qui traite de ce sujet 1 . 

En faisant lire dans un rayon de lumière la nature du 
corps qui le produit, les éléments qui constituent ce corps, 
les changements qui s'y opèrent , l'analyse spectrale de- 

1 Histoire des Astres ou Astronomie pour tous, par J. Rambosson, librairie 
Firmin-Didot et Cie. Cet ouvrage illustré avec le plu» grand soin est adopté par 
la commission officiel le près le ministère de l'Instruction publique, pour les 
bibliothèques des écoles normales et pour les bibliothèques scolaires des gran- 
des localités. 



76 LES METEORES. 

vient ainsi le messager des astres, le confident des es- 
paces infinis, le télégraphe des distances incalculables , 
le révélateur des choses les plus cachées, et même un dé- 
nonciateur implacable. 



VI. 



Les phénomènes que présentent les interférences lumi- 
neuses sont des plus curieux, des plus étranges, des plus 
incroyables pour ceux qui ne sont pas au courant des 
découvertes de l'optique. 

Supposons qu'un rayon de lumière solaire vienne 
rencontrer directement un écran quelconque, une feuille 
de papier blanc, par exemple. 

Il va sans dire que la partie du papier que le soleil 
frappera sera resplendissante. Mais ce qui paraît in- 
croyable , c'est que l'on peut rendre cette partie resplen- 
dissante complètement obscure sans toucher au papier, 
et sans arrêter ni diminuer le rayon lumineux qui Té- 
claire, au contraire, en l'augmentant même. 

Le procédé magique qui change ainsi la lumière en 

ombre, le jour en nuit, est plus surprenant encore par sa 
simplicité que par ses prodigieux effets; ce procédé 
consiste à diriger sur le papier, mais par une route lé- 
gèrement différente, un second rayon lumineux qui, 
pris isolément aussi, l'aurait fortement éclairé. 

En se confondant les deux rayons sembleraient devoir 
produire une illumination plus vive; eh bien! chose 
étrange, cette lumière ajoutée à cette autre lumière 



LA LUMIÈRE. 77 

produit des ténèbres ! Les mouvements de ces rayons se 
neutralisent réciproquement , et la lumière cesse d'éclai- 
rer. Cependant, suivant leurs directions, ces rayons lumi- 
neux ne se neutralisent quelquefois qu'en partie ; alors 
la lumière ne fait que diminuer. 

Ces phénomènes curieux, qui anéantissent ou dimi- 
nuent la lumière par l'adjonction d'un rayon lumineux, 
ont reçu le nom Ôl interférences. 

La démonstration expérimentale et complète du fait 
des interférences sera toujours le titre principal du doc- 
teur Thomas Young à la reconnaissance de la postérité. 

Le génie de Fresnel étendit et montra toute la fécon- 
dité des principes de Young, 

Parmi les mille rayons de nuances et de réfrangibilités 
diverses dont la lumière blanche se compose, ceux-là seu- 
lement sont susceptibles de se détruire qui possèdent des 
couleurs et des réfrangibilités identiques ; ainsi , de quel- 
que manière que l'on s'y prenne, un rayon rouge n'anéan- 
tira jamais un rayon vert. 

Si deux rayons blancs, par exemple, se croisent en un 
certain point, il sera possible que, dans la série infinie 
de lumières diversement colorées dont ces rayons se eom- 
posent, le rouge, par exemple, disparaisse tout seul, et 
que le point du croisement paraisse vert ; car le vert, c'est 
du blanc moins le rouge. 

On ne saurait se défendre de quelque étonnement 
quand on apprend pour la première fois que deux 
rayons lumineux sont susceptibles de s'entre-détruire ; 
que l'obscurité peut résulter de la superposition de deux 
lumières; mais cette propriété des rayons une fois cons- 



78 



LES METEORES. 



tatée, n'est-il pas encore plus extraordinaire qu'on puisse 
les en priver? que tel rayon la perde momentanément, et 
que tel autre, au contraire, en soit privé à tout jamais? 
La théorie des interférences, considérée sous ce point de 
vue, suivant l'expression d'Arago, semble plutôt le 
fruit des rêveries d'un cerveau malade que la consé- 
quence sévère, inévitable, d'expériences nombreuses et à 
l'abri de toute objection. 

V hypothèse des ondulations, pour l'explication des 
phénomènes de la lumière , et qui a Descartes pour au- 
teur, était déjà généralement admise parles savants, et les 
dernières expériences faites sur les interférences ne lais- 
sent plus aucun doute sur son exactitude. 

Ceux qui aiment à trouver la Bible d'accord avec les 
sciences modernes verront donc avec satisfaction que 
Moïse nous avait déjà enseigné que la lumière avait été 
créée avant les astres qui nous éclairent, ce qui est exact, 
puisque la lumière n'est qu'un mode de mouvement. 

Tant de merveilles nous élèvent naturellement jusqu'à 
l'être des êtres, qui pour éclairer l'univers n'eut besoin 
que de ce mot : Que la lumière soit ! et aussitôt la lumière 
porta ses rayons étincelants jusqu'aux extrémités des 
mondes les plus reculés. 




Fig. 14. — Les Saisons (tiré d'un bas-relief, à Rome). 



CHAPITKE V. 



L'ÉLECTRICITÉ. 



Découverte de l'électricité. — Ambre jaune et ambre gris. — Le cbeval de 
Sévère et l'âne de Tibère. — Hommes électriques. — Théorie de l'électricité. 
— Corps bons et mauvais conducteurs. — Diverses espèces d'électricités. — 
Électrisation par influence et par contact. — Transmission électrique. — 
Étincelles électriques. — État électrique de l'atmosphère et du globe ter- 
restre. 



I. 



Bien que les grandes applications de l'électricité soient 

récentes, la découverte de cet agent date de la plus 
haute antiquité. Les phénomènes qu'il présente ont été 
observés pour la première fois dans l'ambre jaune , que 
les Grecs appelaient électron, d'où est venu le nom ù? élec- 
tricité* Le philosophe Thaïes en était si surpris qu'il 
croyait que l'ambre était animé. 

Il ne faut pas confondre l'ambre jaune avec V ambre 
gris : ces deux substances sont très différentes; elles 
n'ont guère de commun que la propriété d'être toutes 
deux aromatiques. 

L'ambre gris est une substance grasse, qui présente 



80 LES MÉTÉORES. 

une odeur suave et pénétrante ; son parfum a quelque 
analogie avec celui du musc ; sa couleur grise est mêlée 
de noir et de jaune ; il a la consistance de la cire , et peut 
se ramollir comme elle. D'après les opinions les plus 
certaines, ce serait dans l'estomac , dans les intestins de 
certains cachalots malades , que se formerait cette subs- 
tance. 

L'ambre jaune, que l'on appelle aussi succin et carabe, 
substance dans laquelle on a pour la première fois dé- 
couvert les phénomènes électriques , est une résine fos- 
sile, diaphane, d'une odeur agréable; elle est sus- 
ceptible de recevoir un beau poli, et sert à faire des 
ornements de luxe. 

Les poètes anciens supposaient que les grains d'ambre 

provenaient des larmes des sœurs de Phaéton. 

Cette substance paraît être le produit d'un espèce de 
conifère antédiluvienne , dont on ne rencontre plus que 
les graines et les cônes; elle était primitivement fluide , 
comme le prouvent les insectes et les brins de plantes 
qu'elle contient quelquefois. 

L'ambre jaune accompagne la lignite dans plusieurs 
localités; il existe en assez grande quantité dans les dunes 
sablonneuses qui bordent les rivages de la mer Baltique ; 
le mouvement des eaux en dépose beaucoup sur la côte. 



II. 



Revenons maintenant à l'électricité. 

On sait que les chevaux, les chiens, les chats, et 



L'ÉLECTRICITÉ. 81 

quelquefois même les hommes , peuvent devenir électri- 
ques au point de jeter des étincelles lorsqu'on les frotte , 
et celte observation est très ancienne. 

On lit dans les Extraits de la vie du philosophe Isidore, 

écrite par Damascius, que de nombreuses et fortes étin- 
celles s'élançaient du cheval de Sévère quand on le ma- 
niait , et qu'on remarqua la même chose dans l'âne que 
montait Tibère , lorsque ce prince étudiait la rhétorique à 
Rhodes ; qu'il partait des étincelles du corps de Balinéris, 
père de Théodoric , roi d'Italie ; qu'un phénomène ana- 
logue arrivait à Damascius lui-même pendant qu'il met- 
tait ou quittait ses vêtements, mais que d'autres fois les 
flammes paraissaient fort sensiblement sur ses habits, sans 
rien brûler. Il dit aussi avoir vu un homme qui , en se 
frottant la tête avec une pièce de drap rude, en faisait 
sortir des étincelles et même des flammes. 

Le maréchal Vaillant, dans une communication à l'A- 
cadémie des sciences, a fait également remarquer que 
son corps produisait facilement des étincelles. 

« Pendant longtemps, dit-il, surtout de 1818 à 1830, 
lorsqu'il faisait un froid vif et sec, ce qu'on appelle un 
beau froid, et que je rentrais dans ma modeste chambre, 
sans feu, après avoir passé la soirée soit dans un cabinet 
de lecture, soit chez des amis, dans des lieux bien 
chauffés , surtout lorsque j'avais marché vite et un peu 
longtemps, j'étais témoin et sujet d'apparitions électri- 
ques que m'ont rappelées celles de New- York. 

« Au moment où j'ôtais ma chemise, elle pétillait, 
devenait toute lumineuse, une multitude d'étincelles s'en 
échappaient de toutes parts, les deux pans se collaient 

6 



82 LES METEORES. 

l'un à l'autre, et restaient appliqués avec une certaine 
adhérence. Les premières fois qu'il me fut donné de voir 
ce phénomène , je fus plus que surpris , presque effrayé. 

A présent, ma chambre à coucher n'est pas davantage 
chauffée, mais je ne cours plus. L'hiver a beau être sec , 
l'hiver de l'âge est plus puissant encore; mes vête- 
ments intérieurs laissent bien échapper encore quel- 
ques étincelles, mais elles sont faibles, rares, peu bril- 
lantes , et elles ne pourraient plus me causer le moindre 
effroi. » 

Tous ces phénomènes sont dus à l'électricité. 



III. 



Si l'on frotte un disque de verre ou un bâton de résine, 
par exemple , et qu'on leur présente ensuite des corps lé- 
gers, tels que de la sciure de bois, du papier, etc., ces 
corps sont attirés (fig. 15). 

Cette puissance d'attraction qui se développe par le 
frottement est attribuée à un mouvement que l'on appelle 

Y électricité . 

L'électricité se trouve non seulement dans le verre et 
la résine, mais elle est répandue dans tous les corps, de 
quelque nature qu'ils soient, et dans les plus petites par- 
ties de chacun. 

Cependant le frottement ne met pas cet agent en évi- 
dence dans tous les corps; quelques-uns conservent la 
propriété attractive développée par le frottement : il& 
sont appelés corps mauvais conducteurs de l'électricité, 



L'ELECTRICITE. 



s; { 



parce qu'ils conduisent mal ce mouvement, le gardent, 
l'emprisonnent; d'autres perdent la propriété attractive à 
mesure qu'elle se développe : ils sont appelés bons con- 



jWÏI 




Fig. 15. — Attraction électrique. 



ducteurs, parce qu'ils permettent à l'électricité de circu- 
ler, d'aller dans l'air, dans les corps environnants. 

Tous les corps ne sont pas également bons ou mau- 
vais conducteurs ; chacun occupe un degré intermédiaire 



84 LES METEORES. 

entre celui qui Test le plus et celui qui Test le moins. 

Le soufre, la soie, les fourrures, le verre/ le cristal 
de roche, le diamant et les autres pierres précieuses, 
les résines, telles que la gomme laque, la cire à ca- 
cheter, sont mauvais conducteurs de l'électricité. 

Les métaux, les substances animales et végétales, le 
globe terrestre, les liquides en général et la vapeur d'eau 
sont de bons conducteurs de l'électricité. 

11 est à remarquer que l'humidité rend bons conduc- 
teurs tous les corps; ceux que Ton veut électriser par 
le frottement ou de toute autre manière, doivent donc 
être chauffés préalablement ou séchés d'une manière 
quelconque, pour être privés de toute humidité; car l'é- 
lectricité se conserve longtemps dans l'air, ou dans un 
gaz sec, mais elle se dissipe promptement dans les mêmes 
gaz humides. 

On sait que les machines électriques sont des instru- 
ments destinés à développer de grandes quantités de fluide 
électrique; elles se composent principalement : 1° d'un 
corps frotté, 2° d'un corps frottant, 3° d'un conducteur 
isolé . 

Quand une personne monte sur un tabouret isolé, et 
qu'elle est mise en communication avec la machine élec- 
trique, elle s'électrise en même temps que les conducteurs 
de la machine; ses cheveux se hérissent et pétillent; 
chargés de la même électricité, ils se repoussent dans tous 
les sens. En approchant le doigt de la personne ainsi 
électrisée, on peut tirer des étincelles de toutes les parties 
de son corps, comme si elle était un conducteur de la ma- 
chine électrique. 



L'ELECTRICITE 



85 



IV. 



Lorsqu'on veut électriser un corps bon conducteur, on 
l'isole, c'est-à-dire qu'on lui donne pour support un 




Fig. 1(3. — Tabouret électrique. 



corps mauvais conducteur, qui intercepte toute commu- 
nication avec de bons conducteurs ; alors l'électricité , 
ne trouvant aucun passage dans les corps environnants, 



86 



LES METEORES. 



demeure comme emprisonnée dans le bon conducteur. 
Les mauvais conducteurs que l'on emploie ordinaire- 
ment comme isolants sont le verre, la résine commune, 
la gomme laque et les fils de soie. 

Voici une expérience très remarquable : 

Lorsque Ton électrise par le frottement un morceau de 




Fig. 17. — Pendule électrique. — Répulsion électriqih 



verre, et qu'on lui présente une balle de sureau ou tout 
autre corps léger bon conducteur suspendu à un fil 
de soie, cette balle est d'abord attirée fortement par le 
verre, et dès que, par le contact, il lui a communiqué 
son électricité, il la repousse. Si, au lieu d'un morceau 



L'ELECTRICITE. 



87 



de verre, on emploie de la résine, l'effet est le môme. 
Mais ce qui est très singulier, c'est que si une balle 
repoussée par le verre électrisé est soumise à l'action de 
la résine, elle est vivement attirée vers elle, et le verre, 
à son tour, attire puissamment la balle qui a été repoussée 
par la résine électrisée. 









OC 




Fig. itf. — Pendule électrique. — Attraction électrique. 



Ces phénomènes curieux ont amené les physiciens à 
conclure que l'électricité du verre et celle de la résine ne 
sont pas identiques, puisque chacune d'elles attire ce que 
l'autre repousse. 

On appelle électricité vitrée celle qui se développe sur le 



88 LES METEORES. 

verre ou celle qui lui est identique, et électricité résineuse 
celle qui se développe sur la résine ou celle qui lui est 
identique; car tous les corps électrisés présentent Tune 
ou l'autre de ces deux électricités. 

L'électricité vitrée s'appelle aussi électricité positive, et 
l'électricité résineuse électricité négative. Ces dernières 
dénominations, plus exactes que les premières, viennent 
d'un système imaginé par Franklin, où l'on essayait d'ex- 
pliquer tous les phénomènes par une seule électricité, que 
l'on supposait tantôt en plus, tantôt en moins. Quoique ce 
système soit généralement abandonné, on en a conservé 
les dénominations, qui indiquent très bien deux propriétés 
contraires. 



Y. 



Cet agent n'agit pas toujours avec la même force ; une 
observation attentive et des expériences sûres, ont fait 
connaître que les attractions et les répulsions électriques 
varient suivant les distances et les quantités d'électricité , 

d'après les deux lois suivantes : 

1° Les attractions et les répulsions électriques sont en 
raison directe des quantités d'électricité; c'est-à-dire que 
s'il y a 2, 3, 4, etc., fois plus d'électricité, les corps se- 
ront 2, 3, 4 fois plus attirés ou repoussés. 

2° Les attractions et les répulsions électriques sont en 
raison inverse du carré des distances; c'est-à-dire que si 
la distance est 2, 3 ou 4 fois plus grande, les attractions 
et les répulsions seront 4, 9 ou 16 fois moindres. 



^ELECTRICITE. 89 

Tous les corps de la nature possèdent les deux élec- 
tricités combinées en quantité indéfinie ; mais lorsqu'elles 
sont réunies en quantités égales, elles composent ce 
qu'on appelle Yélectricité neutre, et les corps dans les- 
quels existe l'électricité neutre n'ont ni la propriété d'at- 
tirer les corps légers, ni celle de les repousser; ils ne 
donnent aucun signe d'électricité. Ils sont dits à l'état 
neutre ou naturel. 

Le frottement ne développe pas toujours la même élec- 
tricité dans la même substance; le verre, par exemple, 

frotté avec de la laine ou de la soie s'électrise vitreuse- 
ment , mais il prend l'électricité résineuse si on le frotte 
avec une peau de chat. On devrait donc bannir ces dé- 
nominations d'électricité vitrée et résineuse, qui sont tout 
à fait impropres. 

L'espèce d'électricité que Ton communique à un corps 
dépend non seulement d'un corps frottant, mais aussi de 
l'état de la surface du corps frotté. On peut, par exem- 
ple , donner à une même tige de verre les deux électri- 
cités à la fois ; il suffit pour cela qu'elle soit polie à l'une 
de ses extrémités et dépolie à l'autre. 

Naturellement, on est porté à demander pourquoi dans 
tels cas c'est l'une des électricités qui se développe plutôt 
que l'autre? mais la science n'est pas encore assez 
avancée pour résoudre cette question. 

Il n'est sans doute pas nécessaire de faire remarquer 
que le corps frottant s'électrise aussi pendant l'opération, 
et qu'il contracte toujours l'électricité contraire à celle 
qui se manifeste à la surface du corps frotté. 



90 LES METEORES. 



VI. 



On peut éleetriser un corps bon conducteur de deux 
manières : par contact et par influence. 

On l'électrise par contact en le mettant , après l'avoir 
isolé, en communication directe avec un corps déjà élee- 
trisé. A l'instant même une partie de l'électricité de celui 
qui est électrisé s'écoule dans l'autre et se manifeste à sa 
surface. 

Mais il n'est pas nécessaire de mettre en contact avec 
une source électrique un corps bon conducteur pour l'é- 
lectriser ; il suffit de l'en approcher. 

Par sa seule présence , la source électrique agit alors 
sur l'électricité neutre, la décompose et attire de son côté 
l'électricité contraire à la sienne, et repousse de l'autre 
côté l'électricité semblable; le corps est alors électrisé par 
influence. 

Dans ce cas , il n'y a simplement que séparation et 

déplacement des agents électriques dans le corps bon 
conducteur, il ne reçoit rien de la source et ne lui donne 
rien; aussi, si on le soustrait à son influence, en l'éloi- 
gnant ou en supprimant la source elle-même, les élec- 
tricités séparées se recomposent, et le corps revient à 
l'état neutre. 

Lorsque cette recomposition s'opère brusquement, les 
électricités en se rejoignant éprouvent des mouvements 
rapides de translation, et déterminent dans les corps 
où cette recomposition a lieu des secousses plus ou 



L'ÉLECTRICITÉ. 91 

moins violentes, que l'on désigne sous le nom de choc en 

retour. 

On évite les effets brusques et quelquefois destructeurs 

de ce choc en retour, en éloignant peu à peu de la source 

électrique le corps électrisé par influence. 

Il suffit qu'un corps bon conducteur soit en commu- 
nication avec une source électrique par un seul point, 
pour que l'électricité se répande immédiatement dans 
toute sa surface ; et lorsqu'il est électrisé, il importe peu 
qu'on le touche par un point ou par un autre : la perte 
qu'il éprouve se fait également sentir dans toute sa surface. 

Pour lui enlever toute son électricité, il suffît donc 
de le mettre un instant en communication avec le sol, 
qui est bon conducteur. C'est pour cela que lorsque 
l'on parle de notre globe dans l'intervention des phéno- 
mènes électriques, on lui donne le nom de réservoir 
commun. 

Il n'en est pas de même des' corps mauvais conduc- 
teurs, ils ne prennent ou ne perdent de l'électricité que 
dans Tétendue de leur contact ; chacun de leurs points 
doit être considéré comme indépendant des autres, se 
chargeant seul d'électricité, et seul aussi la perdant. Cette 
cause permet de charger divers points d'un même pla- 
teau de résine d!électricités de différente nature. 

La transmission de cet agent dans Tétendue d'un corps 
bon conducteur, d'un fil métallique, par exemple, s'o- 
père avec une telle rapidité, qu'il a été impossible jus- 
qu'à présent d'en calculer la vitesse; il se transporte 

m 

presque instantanément d'un bout du fil à l'autre. 
Tout autour d'une source abondante d'électricité il se 



92 LES METEORES. 

répand une odeur analogue à celle de l'ail ou du phos- 
phore ; on retrouve quelquefois cette odeur dans l'air, à 
l'approche d'un violent orage. 

La couleur de l'étincelle électrique est ordinairement 
bleuâtre et rougeâtre ; mais un fait assez curieux , c'est 
que l'électricité s'écoulant d'un corps terminé par une 
pointe présente une lumière qui change dans son aspect, 
suivant la nature de cette électricité ; si elle est positive , 
elle s'échappe sous forme d'une belle aigrette lumineuse 
dont les rayons divergents excitent dans l'air un léger 
bruissement: si, au contraire, elle est négative , on n'a- 
perçoit qu'un point lumineux à l'extrémité du corps aigu. 

Quoique l'on ne soit pas brûlé par la lumière électrique, 
il n'en résulte pas qu'elle soit sans chaleur; dans beau- 
coup de cas, elle agit comme le feu; ainsi l'étincelle 
électrique peut rallumer une bougie qui vient d'être 
éteinte, enflammer l'éther, l'alcool, les gaz inflammables, 
tels que l'hydrogène, etc. 



VII. 



M. de la Rive a communiqué à l'Académie des sciences 
un important Mémoire sur l'état électrique du globe. Il 
fait remarquer que dans l'état normal l'atmosphère est 
chargée d'électricité positive , et que cette électricité va en 
croissant , à partir de la surface du sol où elle est nulle , 
jusqu'aux plus grandes hauteurs qu'on ait pu atteindre. 
Le globe terrestre, par contre, est chargé d'électricité né- 
gative; c'est ce que prouvent un grand nombre d'ob- 



L'ÉLECTRICITÉ. 93 

servations, les unes directes, les autres indirectes; c'est 
d'ailleurs la conséquence de la présence de l'électricité po- 
sitive dans l'atmosphère, Tune des électricités ne pouvant 
se manifester à l'état libre sans qu'une quantité équiva- 
lente de l'autre se manifeste également. 

À la surface du contact de l'air atmosphérique et de la 
partie solide ou liquide du globe terrestre , il existe une 
couche d'air à l'état neutre , les deux électricités devant 
s'y neutraliser constamment, vu que la cause (probable- 
ment souterraine) qui les dégage, agit nécessairement 
sans interruption. Cette neutralisation est naturellement 
facilitée dans les plaines et au-dessus des mers par l'hu- 
midité, toujours plus ou moins considérable, dont y sont 
imprégnées les couches d'air en contact avec le sol. Mais 
il n'en est pas de même sur les sommets des montagnes 

Ht ^B ■ 

et surtout au haut des pics élevés ; la sécheresse de l'air 
doit y rendre la combinaison des deux électricités plus 
difficile et leur permettre d'acquérir, à la négative dans le 
sol, à la positive dans l'air, un degré de tension passable- 
ment énergique. C'est ce que démontre, d'une part, la 
forte électricité positive que l'air possède à ces grandes 
hauteurs, et d'autre part, l'attraction qu'exercent les 
montagnes , en vertu de leur électricité négative , sur les 
nuages positifs de l'atmosphère. 

Maintenant, que se passera-t-il , se demande M. de la 
Rive, si on réunit, par un fil électrique, une plaque 
métallique implantée dans le terrain de la plaine avec une 
plaque semblable implantée dans le sol d'un lieu élevé? 
Comme il y a un écoulement continu de l'électricité 
négative du sol vers la positive de l'air, qui produit la 



94 LES MÉTÉORES. 

couche neutre, il en résulte donc nécessairement un 
transport d'électricité négative de haut en bas, ou, ce 
qui revient au même, un courant d'électricité positive 
ascendant dans le fil conducteur qui réunit deux lieux 
inégalement élevés au-dessus de la mer. 

On le voit, les phénomènes électriques qui se passent 
à la surface de notre globe et dans notre atmosphère sont 
passablement complexes. Il y a d'abord un fait général, 
savoir, l'accumulation par l'effet des vents alizés , dans 
l'atmosphère des régions polaires, de l'électricité positive 
dont l'air des régions équatoriales se trouve constamment 
chargé par les particules de vapeur aqueuse qui s'y élè- 
vent des mers. L'influence de cette électricité positive 

accumule et condense près des pôles une grande por- 
tion de l'électricité négative que possède la partie solide 
du globe , en même temps qu'elle est aussi condensée par 
elle. Les décharges plus ou moins fréquentes qui ont lieu 
entre ces électricités condensées à travers l'atmosphère , 
donnent naissance aux aurores polaires dont l'apparition 
est toujours accompagnée de courants électriques circu- 
lant dans le sol ; ces courants manifestent leur présence , 
soit par leur action sur les aiguilles de la boussole , soit 

par leur transmission à travers les fils télégraphiques. 
Mais, outre le fait général et dominant que rappelle 
M. de la Rive, il existe un grand nombre de faits parti- 
culiers et locaux, provenant des inégalités de tension dans 
la distribution plus ou moins variable de l'électricité , soit 
négative, soit positive, dont sont respectivement chargés 

le globe terrestre et son atmosphère. Tels sont les orages 
ordinaires et tous les phénomènes variés qui les accom- 



L'ELECTRICITE. 95 

pagnent. L'attraction des nuages par les montagnes, les 
effets de phosphorescence qu'ils présentent quelquefois, 

tiennent à la môme cause, et il est probable (pie bien 
d'autres phénomènes naturels, comme les trombes, par 
exemple, ont aussi la môme origine 1 . 

On n'est pas étonné de voir l'état atmosphérique du 
globe agir puissamment sur les personnes dont le sys- 
tème nerveux est très susceptible, lorsque l'on connaît 
les relations qui existent entre l'électricité et la vie, et les 
perturbations que les changements atmosphériques appor- 
tent dans l'état électrique du globe 2 . 



1 Comptes rendus de V Académie des Sciences, 18(17, 1 er semestre. 

2 Nous exposons dans la Science populaire, 2 e série, t. II, des faits re- 
marquables produits par le dégagement électrique de diverses parties du 
globe. 



^^^■^ 



Kig. \{). — Zeus et les Géants (tiré d'une gemme napolitaine). 



r 



CHAPITKE VI. 



LE MAGNÉTISME. 



Le berger du mont Ida. — La ville de Magnésie. — Pierre d'aimant. — Passage 
de Lucrèce. — Anneaux de fer de Platon. — Tombeau de Mahomet. — Ai- 
mantation naturelle et artificielle. — Pèles, axe et ligne moyenne des aimants. 
— Lois régissant les attractions et les répulsions magnétiques. — Influence 
magnétique de la terre. — Fantôme magnétique. — Boussole. — Origine de 
l'aiguille aimantée. — Esprit qui indiquait le sud aux Chinois. — Grenouille 
ou calamité. — Révolution produite parla boussole dans la navigation. — Dé- 
clinaison et inclinaison de l'aiguille aimantée. — Influence des aurores polai- 
res, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre et de la foudre 
sur les mouvements de l'aiguille aimantée. — Faits curieux. 



i. 



Selon Pline, c'est le hasard qui fit reconnaître dans 
l'aimant la propriété d'attirer le fer. Un berger du mont 

Ida, nommé Magnés, ayant enfoncé dans la terre son 

bâton armé d'une pointe de fer, ne put l'en retirer. 

Étonné, il creuse la terre autour du bâton et le trouve 

retenu par un excellent aimant. 

On croit cependant plus généralement que le nom latin 

de l'aimant, magnes, est dérivé du nom de Magnésie, 

7 



98 



LES METEORES. 



ville de Lydie, située au pied du mont Sipyle, où l'aimant 
se rencontre en abondance. 

« Examinons maintenant, dit Lucrèce, en vertu de 
quelle loi naturelle le fer peut être attiré par cette pierre 
que les Grecs ont nommée, dans leur langue, magnétique, 
du nom des Magnésiens, dans le pays desquels on la trouve : 

« Cette pierre est une merveille pour les hommes ; 
elle a la propriété de former une chaîne d'anneaux sus- 



■ 




Fig. 20. — Aimantation par influence. 



pendus les uns aux autres sans aucun lien. On voit quel- 
quefois jusqu'à cinq chaînons et même plus s'abaisser 
en ligne droite, flotter au gré de l'air, attachés l'un sous 
l'autre et se communiquant mutuellement la vertu attrac- 
tive de la pierre, tant la sphère de son activité est éten- 
due. » (Liv. VI.) 



LE MAGNÉTISME. 



1)1) 



L'aimant a été regardé pendant longtemps comme une 
pierre qui avait la propriété d'attirer le fer, et la trace 
de cette opinion s'est conservée dans le langage vul- 
gaire, qui le désigne encore par le nom de pierre d'ai- 
mant. On aura jugé de cette substance par les particules 




Vig. 21. — Faisceau aimanté en fer à cheval. 

pierreuses dont elle est souvent mélangée, et qui y sont 
purement accidentelles. 

On vient de le voir par le passage de Lucrèce, la vertu 
attractive que l'aimant exerce sur le fer était connue des 



100 LES METEORES. 

anciens; ils avaient même remarqué qu'il communique au 
fer la propriété d'attirer un autre fer. Dans Ylon , Platon 
décrit cette fameuse chaîne d'anneaux de fer suspendus 
les uns aux autres, et dont le premier tient à l'aimant; 
Lucrèce fait de plus mention de la propagation de la 
vertu magnétique au travers des corps les plus durs. 

M. Jamin, de l'Institut a mis sous les yeux de l'Aca- 
démie 1 , deux puissants aimants : l'un, de dimension 
moyenne, pèse 6 kilogrammes et en porte 80; l'autre, 
qui est sans contredit le plus puissant qu'on ait jamais 
construit, porte environ 500 kilogrammes, avec un poids 
dix fois moindre. Voici comment il est construit : Deux 

armatures, pesant chacune 16 kilogrammes, placées vis- 
à-vis l'une de l'autre, sont fixées solidement par des 
brides de cuivre très résistantes; leur largeur est de 
11 centimètres; leurs surfaces polaires horizontales, et 
dirigées vers le bas, sont à 12 centimètres de distance; 
leur épaisseur transversale est de 20 millimètres; elles 
sont bien dressées, et reçoivent un contact cubique de 
fer doux qui pèse 13 kilogrammes. A partir de ces 
surfaces, les armatures s'élèvent, en s'éeartant Tune de 
l'autre et en s'amincissant, et se terminent par un bord 
tranchant. Elles sont réunies vers le haut par une lame 
d'acier de l m ,20, fixée par des vis sur leur surface exté- 
rieure, et qui se recourbe librement suivant la forme dé- 
terminée par son élasticité. Toutes les autres lames , 
préalablement aimantées, sont mises à l'intérieur de 
celle-ci, Tune après l'autre; abandonnées à elles-mêmes, 



i Comptes rendus de V Académie des sciences, 1873, 1 er semestre. 



LE MAGNETISME. 101 

elles se collent l'une à l'autre pendant que leurs extré- 
mités appuient sur les armatures. La force portative croît 
à mesure que leur nombre augmente. 

Cet aimant si extraordinaire est propre à rendre vrai- 
semblables bien des fables basées sur la puissance des 
substances possédant cet agent physique. D'après une 
erreur populaire qui persiste encore, le tombeau de 
Mahomet serait un coffre de fer suspendu à la voûte de 
la grande mosquée de Médine par un puissant aimant. 

On a attribué à l'aimant des propriétés médicales 

merveilleuses; on a surtout signalé ses bons effets pour 
les maux de dents, la goutte, les maladies eonvul- 
sives, etc. 



II. 



Jusqu'à Coulomb on avait cru que le fer seul était at- 
tirable à l'aimant. Ce physicien admit que tous les corps 

- 

terrestres sont doués de la même propriété, mais à des 
degrés inégaux. Il perfectionna la méthode d'aimantation , 
et professa que les phénomènes magnétiques sont dus à 
un agent analogue à celui de l'électricité. 

On appelle aimants naturels les aimants que l'on ren- 
contre dans la nature, et aimants artificiels ceux auxquels 
on communique leur propriété. 

Pendant longtemps on ne connut pas d'autres subs- 
tances magnétiques que le fer et le fer oxydé, dont nous 
avons parlé; on sait maintenant que le nickel et le cobalt 
sont dans le même cas, et que l'état de mouvement peut 



102 



LES METEORES. 



développer du magnétisme dans la plupart des autres 

substances. 

L'acier, jouissant de la propriété de recevoir facile- 




Fig. -2-2. — Limaille de fer portée par un ai ma ni. 



ment et de bien conserver la puissance magnétique, 
est la substance que l'on emploie ordinairement pour se 
procurer des aimants artificiels. 

Si l'on approche un aimant de la limaille de fer, on re- 



LE MAGNETISME. 103 

marque certains centres d'action vers lesquels la limaille 
se dirige de préférence. Ces points prennent le nom de 
pôles. Chaque aimant en possède au moins deux, mais 
en manifeste souvent un plus grand nombre. 

La ligne droite qui passe par les deux pôles d'un ai- 
mant s'appelle son axe; on nomme ligne moyenne celle 
qui est entre les deux pôles , et sur laquelle la puissance 
magnétique paraît nulle. Dans un aimant régulier, la 

ligne moyenne partage la longueur de cet aimant en deux 

parties égales. 

Il est facile de constater l'existence de cette ligne ; il 
suffit pour cela de rouler un aimant dans de la limaille 
de fer : on apercevra alors un espace, situé entre les 
deux pôles et faisant le tour de l'aimant, sur lequel la 
limaille n'a pu se fixer, tandis que de part et d'autre 
de cet espace les quantités de limaille attirées vont en 
augmentant jusqu'aux extrémités. On voit aussi par cette 
expérience que la puissance magnétique croît de la ligne 
moyenne aux extrémités de l'aimant. 



III. 



Lorsqu'on suspend horizontalement deux aiguilles ai- 
mantées dans un même lieu, à une distance suffisam- 
ment grande, elles prennent des directions sensiblement 
parallèles. 

Mais si l'on présente les extrémités de l'une d'elles 
successivement aux deux extrémités de l'autre, on re- 
connaîtra que les extrémités des aiguilles qui se dirigent 



104 LES METEORES. 

vers le même point de l'horizon se repoussent, et que 
celles qui se dirigent vers le point opposé s'attirent. 

On peut donc formuler la loi suivante : Dans les ai- 
mants, les mêmes extrémités ou les mêmes pôles se repous- 
sent, et les extrémités ou les pôles contraires s'attirent, 

Ces attractions et ces répulsions magnétiques s'affai- 
blissent en raison directe du carré des distances; si les 
distances sont 1, 2, 3, 4, etc., les attractions et les 
répulsions seront 4 fois, 9 fois, 16 fois, etc. moin- 
dres. 

On a donné le nom d'agent magnétique à la cause de 
ces attractions et de ces répulsions, et l'on a admis 
l'existence de deux agents magnétiques, de même que 
Ton a admis l'existence de deux agents électriques, et 
comme la terre se comporte dans les phénomènes ma- 
gnétiques, ainsi qu'un puissant aimant ayant des cen- 
tres d'action situés vers le pôle boréal et vers le pôle 
austral, on a appelé l'un de ces agents magnétisme bo- 



réal et l'autre magnétisme austral, et les centres d'action 
des mêmes agents dans un aimant ont reçu les noms de 
pôle boréal et de pôle austral. 

Les mêmes pôles se repoussant, il s'ensuit que le 
pôle boréal d'un aimant est celui qui se tourne vers le 
sud, et le pôle austral celui qui se tourne vers le nord. 

L'action que la terre exerce sur un aimant n'ajoute 
rien à son poids ; il suffît pour s'en convaincre de peser 
une aiguille avant de l'aimanter et après cette opération , 
les deux pesées donneront le même résultat. 

La terre, qui est un grand aimant, présente une ligne 
moyenne où l'attraction est nulle; on nomme cette ligne 



LE MAGNETISME. 



105 



ét/uatcur magnétique , parce qu'elle partage la terre en 
deux hémisphères magnétiques. 

Cet équateur ne se confond point avec Péquateur ter- 




Fig. 23. — Failli unes magnétiques. 



rostre, mais le coupe en plusieurs points ; d'ailleurs il n'est 
pas constant. 

L'influence de la terre sur les faits d'aimantation peut 
s'exercer dans un Grand nombre de circonstances. Si l'on 



106 LES METEORES. 

prend, par exemple, une aiguille aimantée, et qu'on 
l'approche sur son pivot de la pelle ou de la pincette du 
foyer, ou de l'espagnolette d'une croisée, on verra le 
même pôle attiré par une extrémité de la barre et re- 
poussé par. l'autre. 

Il serait même difficile de trouver un seul morceau de 
fer ou d'acier qui ne donnât des signes semblables de ma- 
gnétisme. 

Cette aimantation par influence est plus frappante en- 
core lorsque, après l'avoir constatée dans une barre de 
fer tenue dans une position verticale, on retourne celle-ci 
sens dessus dessous ; car alors ses extrémités changent de 
pôle en même temps que de position. 

On appelle fantôme magnétique, les figures que l'on 

obtient en projetant sur une lame de verre, sous laquelle 
on a placé un aimant, une poudre magnétique, telle que 
de la limaille de fer ou la battiture de ce métal réduite 
en poudre. On obtient ces figures dans toute leur beauté 
en employant un verre mince, qui favorise l'action de 
l'aimant, et en imprimant au verre quelques chocs légers, 
qui déterminent des vibrations propres à soustraire mo- 
mentanément la limaille à l'action de la pesanteur. 



IV. 



Une des applications les plus belles et les plus fécondes 
en résultats qui aient été faites des propriétés magnéti- 
ques, c'est la boussole, guide des navigateurs à travers 
les écueils et les tempêtes de l'Océan. 



LE MAGNETISME. 



107 



Cet instrument se compose de deux parties. La première 
est une boîte dont le fond est occupé le plus ordinaire- 
ment par une plaque de cuivre, sur laquelle sont mar- 
qués les points cardinaux et les rumbs des vents ; au centre 
s'élève un pivot d'acier poli. 




Fig. v i'* — lWmssole de; déclinaison. 



La seconde partie de la boussole, et qui en est la partie 
essentielle, consiste en une aiguille fine d'acier aimanté, 
munie dans son milieu d'une chape (on appelle ainsi une 
petite cavité creusée ordinairement dans une pierre d^a- 
ij;ate). La chape reçoit la pointe du pivot sur lequel l'ai- 
uille peut tourner librement dans une position hori- 
zontale. 

L'aiguille aimantée fut connue en Chine bien avant 



i » 



108 LES METEORES. 

de l'être en Europe. II résulte de documents authen- 
tiques, que plusieurs siècles avant notre ère les Chinois 
faisaient déjà usage de cette aiguille pour se diriger sur le 
continent. 

On lit dans un de leurs ouvrages, qu'un souverain de 
ces pays conduisit son armée à travers les montagnes 
inexplorées, sans jamais s'écarter de la route, parce qu'il 
avait sur son char un esprit qui lui indiquait toujours le 
sud. 

Le peuple chinois, d'abord confiné au nord, poussa 
successivement ses conquêtes dans les contrées du sud. 
C'est pourquoi le pôle de l'aiguille aimantée qui se di- 
rige vers ce point cardinal dut naturellement et de pré- 
férence fixer son attention, puisque indiquait la posi- 
tion des pays vers lesquels ce peuple cherchait à étendre 
sa domination. 

Les premières boussoles ne consistaient qu'en une ai- 
guille aimantée, soutenue par un corps flottant à la sur- 
face de l'eau dans un vase. Cette boussole grossière était 
connue des navigateurs sous le nom de grenouille ou ca- 
lamité. 

Flavio de Gioa eut l'idée, en 4303, de donner plus de 
précision aux indications de l'aiguille aimantée, en la 
suspendant sur la pointe d'un pivot fixe. C'est sans doute 
ce perfectionnement qui porta quelques-uns à regarder 
Gioa comme l'inventeur de la boussole. 

De ce perfectionnement date la hardiesse des naviga- 
teurs dans leurs entreprises. C'est alors que Christophe 
Colomb fait connaître un nouveau monde; que Vasco 
de Gama découvre une route nouvelle pour les Indes en 



LE MAGNETISME. 109 

■ 

doublant le cap des Tempêtes, qui a changé son nom en 

celui de Bonne-Espérance. 

Les Français ajoutèrent plus tard à la boussole la rose 
des vents, ainsi que le témoigne la fleur de lis qu'on re- 
trouve marquant le nord dans les boussoles les plus an- 
ciennes. 



V. 



Une aiguille aimantée, suspendue horizontalement, va à 
peu près du nord au sud ; nous disons à peu près , car à 
Paris, par exemple, la partie australe de l'aiguille dé- 
cline vers l'ouest , et si l'on imagine un plan passant par 
les deux pôles de l'aiguille en repos et par le centre de 
la terre, ce plan fera avec le méridien terrestre un angle de 
22 degrés, qui est ce que l'on appelle la déclinaison de 
l'aiguille aimantée pour Paris. 

Le plan qui contient ainsi la direction de l'aiguille ho- 
rizontale, abandonné librement à l'action magnétique du 
globe dans un lieu, se nomme le méridien magnétique de 
ce lieu. 

Voici la- déclinaison observée à Paris à diverses épo- 
ques : 



Années 1580 


11 


degrés 


30 secondes Est. 


161$ 


8 


— 




1663 





— — 


— 


1678 


1 


degrés 


30 secondes Ouest 


1700 


8 


— 


10 — 


1785 


22 


— 




1821 


22 




29 — 


1835 


22 





4 — 


1864 


18 


__ 


57 — 



110 LES METEORES. 

L'annuaire pour Pan 1868, publié par le bureau des 
longitudes, fait remarquer qu'au mois de juin 1865, on a 
posé sous le sol du jardin de la Maternité , des tuyaux de 
conduite pour le gaz d'éclairage ; que ces tuyaux, qui pas- 
sent à trois mètres environ du pilier en pierre qui ser- 
vait de support aux boussoles de déclinaison et d'in- 
clinaison, exercent une influence très sensible sur les 
aiguilles, et qu'il n'est plus possible de compter désor- 
mais sur l'exactitude des résultats qui se déduiraient 
des observations magnétiques faites dans de telles con- 

■ 

ditions. 

La déclinaison observée à Paris n'est pas la même 
dans tous les autres lieux de la terre; elle n'est d'ailleurs 

point constante dans un même lieu ; occidentale aujour- 
d'hui à Paris, elle y a été autrefois orientale comme on 
vient de le voir. 

Mais ces grandes variations ne s'accomplissent que dans 
des temps assez longs, comme des années et même des 
siècles, et semblent tenir à un déplacement progressif des 
pôles mêmes du globe. 

Ce fut Christophe Colomb qui, en 1492, observa pour 
la première fois la déclinaison de l'aiguille aimantée, 

lorsque poursuivait, à travers l'Océan, la découverte du 
nouveau monde. Ce sont les navigateurs hollandais, en 
1599, d'après les ordres du prince de Nassau, qui dres- 
sèrent les premières tables un peu précises relatives à ce 
phénomène important. 

Un autre phénomène remarquable, c'est l'inclinaison 
de l'aiguille aimantée. En 1576, Robert Norman, cons- 
tructeur d'instruments à Londres, avait constaté qu'il 



LE MAGNETISME. 111 

lui fallait toujours pour maintenir l'aiguille de la bous- 
sole dans une position horizontale, après qu'elle avait 
reçu la vertu magnétique , ajouter un petit contre-poids 
à la partie qui se dirigeait vers le sud , ou diminuer la 
masse de l'autre partie. Cette observation lui inspira 
l'idée de suspendre une aiguille aimantée par son centre 
de gravité même , sans rien ajouter et sans rien ôter à 
sa masse. 

L'aiguille abandonnée de cette manière à l'action libre 
du magnétisme terrestre prit, en se plaçant dans le mé- 
ridien magnétique , une position fortement inclinée à 
l'horizon. Cette inclinaison est à Paris de 70 degrés en- 
viron. 

L'inclinaison est d'autant plus grande, que l'on s'ap- 
proche davantage des pôles magnétiques du elobe, A ces 

pôles mêmes, si l'on pouvait y parvenir, on verrait l'ai- 
guille prendre une position verticale; vers l'équateur, 
l'inclinaison est nulle. 

Dans l'hémisphère boréal , c'est le pôle austral de l'ai- 
guille qui s'incline vers la terre; le contraire a lieu dans 

l'hémisphère austral. Ces phénomènes sont faciles à pré- 
voir quand on sait quel genre d'action les pôles magné- 
tiques du globe exercent sur les pôles d'une aiguille. 

Outre les variations séculaires, la déclinaison et l'in- 
clinaison de l'aiguille aimantée sont soumises , dans 
chaque lieu , à des variations périodiques , annuelles et 
diurnes, dont les causes ne sont pas mieux connues que 
celles des variations séculaires. 



112 LES MÉTÉORES. 



VI. 



Des causes accidentelles font encore subir à l'aiguille 
aimantée des variations subites et irrégulières, que Ton 
nomme des perturbations . 

Plusieurs navires, le vaisseau français Henri-Quatre , 



» 



un vaisseau turc, l'Astrologue, le bateau à vapeur la Tré- 
bisonde, étaient venus s'échouer tour à tour dans les 
environs de Sinope, et chaque fois il fut constaté que 
l'accident était dû à des erreurs de marche causées par 
de fausses indications des boussoles , dont les aiguilles 

avaient subi une déviation anormale. 

Une exploration récente et de nombreuses expériences 
ont prouvé que le long d'une zone d'environ i 00 kilo- 
mètres, ayant pour point central le cap Indje et s'éten- 
dant presque jusqu'à Sinope, il existe une mine très 
riche de fer, constituée par des rognons enfermés dans 
une gangue calcaire, et que l'attraction exercée par cette 
masse ferrugineuse, fait réellement subir aux aiguilles des 
boussoles une déviation notable. 

On appréhende assez ces phénomènes pour s'en préoc- 
cuper. 

Quand l'atmosphère est claire, près du Spitzberg, les 
contours des montagnes sont si bien définis, les contrastes 
entre l'ombre et la lumière si frappants , que les naviga- 
teurs les plus habitués à juger des distances dans d'autres 
contrées se trompent grossièrement et croient, par 
exemple, être seulement à quelques encablures de terre 



LE MAGNETISME. 113 

lors même qu'ils en sont encore éloignés de plusieurs 
lieues. 

Scoresby explique par cette illusion ce qu'on raconte 
de Mogens Herson , qui avait été envoyé par Frédéric II , 
roi de Danemark, à la recherche du Groenland. 

Ce navigateur, qui jouissait dans son temps d'une 
grande réputation , arriva en vue de la côte, et se croyait 
près de l'atteindre; mais, ayant trouvé que plusieurs 
heures de marche par un bon vent ne lui avaient pas fait 

franchir un espace qu'il supposait très petit, il crut que 

des pierres d'aimant situées au fond de la mer retenaient 



son navire; pour échapper à ce danger imaginaire, il 

vira de bord, et retourna en Danemark sans avoir dé- 
barqué. 

Dans une lettre au bureau du commerce, le président 
de la Société royale de Londres faisait remarquer que de- 
puis quelques années, le nombre des vaisseaux cons- 
truits en fer dépassait beaucoup celui des vaisseaux 
en bois; l'accroissement a été surtout sensible pour les 
bâtiments à vapeur qui transportent les voyageurs. Dans 
ces vaisseaux on emploie maintenant le fer non seule- 
ment dans la construction de la coque, mais encore 
dans celle des ponts, des chambres, des mats, des agrès 
et de beaucoup d'autres parties pour lesquelles on se 
servait encore de bois il n'y a que peu de temps; il. 

en est résulté des déviations très considérables des ai- 
guilles, qui sont probablement la cause de la perte de 
beaucoup de bâtiments en fer que l'on a eu également 
à déplorer depuis lors. 



8 



114 LES METEORES. 



VIL 



Il est donc important d'avoir recours aux indications 
de la science pour corriger ces erreurs. 

Entre toutes les causes qui paraissent pouvoir troubler 
les mouvements de la boussole, l'aurore boréale est la 
plus puissante. 

Les éruptions des volcans , les tremblements de terre 
et surtout la chute de la foudre dans le voisinage d'une 
aiguille aimantée, exercent aussi sur sa direction une 
influence plus ou moins sensible. 

Quelquefois on a vu la foudre , tombant sur un vais- 
seau, détruire ou du moins altérer le magnétisme des 
aiguilles de la boussole, et même renverser les pôles, 
c'est-à-dire aimanter l'aiguille en sens contraire. 
. Les indications trompeuses résultant d'un pareil ren- 
versement peuvent devenir funestes aux navigateurs. 

Des marins ainsi trompés par les fausses indications de 
leurs instruments se sont précipités sur des écueils dont 
ils croyaient s'éloigner à toutes voiles . 

Si quelquefois l'électricité atmosphérique enlève la 
vertu magnétique aux aieuilles qui la possèdent, elle 
peut aussi la développer de la manière la plus intense 
dans des pièces de fer ou d'acier où elle était auparavant 
insensible. 

La foudre étant tombée dans la boutique d'un cor- 

donnier en Souabe, y aimanta tellement tous ses outils, 
que ce pauvre artisan ne pouvait plus s'en servir. II était 



LE MAGNETISME 



115 



sans cesse occupé à débarrasser son marteau, ses tenail- 
les, ses tranchets des aiguilles, des clous et des alênes 
qu'ils attiraient à eux. 

Lorsque le paquebot le New-York arriva de Liverpool, 
en mai 1827, après avoir été frappé deux fois de la 
foudre, on reconnut que les clous des cloisons et des 
panneaux brisés, que les ferrures des mats tombés sur le 
pont, que les couteaux et les fourchettes, ainsi que les 
pointes d'acier des instruments de mathématiques possé- 
daient un magnétisme très prononcé. 




Fig. 25. — Construction du navire Argo, d'après un bas-retfef antique. 



CHAPITRE VIL 



L'ATMOSPHERE 



L'air, sa couleur, sa pesanteur. — Expériences diverses. — Pression atmosphé- 
rique. — Composition de l'air. — Consommation et altération de l'air. — 
Effet de l'air raréfié sur ceux qui le respirent. — Conditions nécessaires pour 
parvenir dans les régions élevées avec sécurité. — Les climats chauds et 
les climats froids. — Température que peut atteindre l'air confiné. 



I. 



L'air est ce fluide gazeux qui forme autour du globe 
terrestre une enveloppe désignée sous '3 nom d'atmo- 
sphere. 

Il paraît incolore quand il ne s'étend pas en couche 
très épaisse ; mais il est d'un beau bleu vu en masse ; c'est 
lui qui forme cette tenture azurée sur laquelle* semblent 
étinceler les astres , et que le vulgaire regarde comme 

une voûte céleste. 

Répandue autour du globe terrestre, cette masse ga- 
zeuse joue un rôle très important dans une foule de phé- 
nomènes naturels. C'est un immense laboratoire, où se 
passent sans cesse les opérations chimiques les plus va- 
riées. 



118 LES METEORES. 

Après avoirreeu, sous forme de vapeur, les eaux de la 
terre, ce vaste réservoir va les déposer sur le sommet des 
montagnes , d'où elles redescendent en ruisseaux ou en 
torrents. Il transporte à des distances prodigieuses le 
pollen et la graine des végétaux, et les œufs de beaucoup 
d'animaux. Enfin, il entretient la végétation dans les 
plantes et la respiration chez les animaux : 



C'est là, dans l'éternel et grand laboratoire, 
Que, sans cesse essayant mille combinaisons, 

Récipient commun de tant d'exhalaisons , 
La nature distille , et dissout, et mélange, 
Décompose, construit, fond, désordonné, arrange 
Ces innombrables corps l'un sur l'autre portés; 
Quelques-uns suspendus, d'autres précipités; 
Des soufres et des sels fait l'analyse immense ; 
Des trois règnes divers enlève la substance ; 

Les œufs de l'animal et la graine des fruits. 
Et leur premier principe et leurs derniers produits, 
Et la vie et la mort , et les feux et les ondes , 
Et dans ce grand chaos recompose les mondes. 

(Delille.) 



L'air est sans odeur et sans saveur; il est pesant; 
1 litre d'air à la température de zéro et sous la pression de 
m ,76, c'est-à-dire pris au niveau de la mer (car à mesure 
que l'on 's'élève l'air devient moins dense, plus léger), 
pèse 1^,29. 

L'air a passé longtemps pour un élément impondéra- 
ble, et c'est seulement depuis le commencement du dix- 
septième siècle qu'on a pu mesurer l'épaisseur de la 
couche d'air qui enveloppe le globe, et s'assurer de la 
pesanteur de ce fluide. 

Boire au moyen du chalumeau paraît un enfantillage. 




i 









' 



L'ATMOSPHERE. 119 

P 

C'est néanmoins à cet enfantillage qu'on doit la décou- 
verte des pompes, dont l'usage est si commode. En prin- 
cipe, une pompe n'est qu'un tuyau dont une extrémité 
plonge dans l'eau , et dont l'autre est munie d'un appareil 
qui y fait le vide, comme on le fait en aspirant dans le 
chalumeau; on peut ainsi élever l'eau à 10 mètres, si le 
vide est bien fait. 



II. 



La pesanteur de l'air fut découverte par Galilée , vers 
l'an 1640, en cherchant la cause qui pouvait déterminer 
l'ascension de l'eau dans les corps de pompe vides, et l'y 
maintenir à une hauteur à peu près constante de 10 m ,50 
environ au-dessus de son niveau extérieur. 

Galilée avança que ce phénomène n'était dû qu'au 
poids de l'air, qui, pressant sur» la surface du liquide, le 
forçait de s'élever dans le corps de pompe jusqu'à ce que 
le poids de l'eau fit équilibre au poids de l'air. 

Torricelli, disciple de Galilée, voulut savoir quel effet 
produirait la même cause sur un liquide d'une densité dif- 
férente de celle de l'eau. Il prit du mercure, qui est environ 
quatorze fois plus pesant que l'eau : si l'explication de Ga- 
lilée sur l'ascension de l'eau dans les pompes était exacte, 
le mercure ne devait s'élever dans le vide qu'à une hau- 
teur quatorze fois moindre. L'expérience vérifia cette 
prévision ; la pesanteur de l'air fut généralement reconnue. 

Pascal s'assura ensuite que la pesanteur de l'atmos- 
phère diminuait avec le nombre de ses couches. En 1646, 



120 LES METEORES. 

un baromètre transporté sur le sommet du Puy-de-Dôme 
subit un abaissement de 8 centimètres. 

Depuis l'invention de la machine pneumatique, rien 
n'est plus facile à démontrer que l'air et tous les gaz sont 
soumis à l'action de la pesanteur, aussi bien que les so- 
lides et les liquides. 

Il suffit pour cela de peser un ballon avant et après y 
avoir fait le vide ; on obtient ainsi une différence de poids 
sensible, qui est le poids de l'air. 

On peut s'assurer de cette manière que l'air pèse envi- 
ron 770 fois moins que l'eau, c'est-à-dire que 770 litres 
d'air pèsent J kilogramme, ou qu'ils ont le même poids 
que 1 litre d'eau. 



III. 



Si l'air avait partout la même densité qu'à la surface de 
la terre, il s'en faudrait bien que l'atmosphère eût la hau- 
teur de quinze à vingt lieues, qu'on lui attribue; c'est à peine 
si elle s'élèverait à deux lieues ; car à la surface de la terre 
l'air étant 770 fois moins dense ou moins lourd que l'eau, 

en prenant 10 mètres pour la hauteur de la colonne d'eau 
qui fait équilibre au poids de la colonne atmosphérique 
de la même base, celle-ci n'aurait que 770 fois 10 mètres 
ou 7,700 mètres de hauteur, ce qui, comme on le voit, 
ne ferait pas même deux lieues. 

Les couches supérieures de l'air, pesant de tout leur 
poids sur les couches inférieures, leur donnent des den- 
sités proportionnelles aux pressions qu'elles éprouvent; 



* 



,\ 




. 



- 






, 



•V 






't. 



■ 






' y 






















L'ATMOSPHÈRE. 121 

la densité de Pair va donc en décroissant de la surface de 
la terre aux limites de l'atmosphère ; c'est ce que démon- 

tre l'expérience de Pascal que nous venons de citer. 

Le bien-être que le voyageur éprouve au sommet 
des montagnes provient de la raréfaction de l'air sur 
ces hauteurs. La poitrine , moins comprimée , se dilate , 
la respiration devient plus facile ; il semble que la vie 
circule plus librement dans tous les membres. 

Cependant , à une trop grande élévation ce bien-être 
fait place à des faiblesses, à des vertiges. L'élasticité 
des fluides intérieurs, qui n'est plus suffisamment contre- 
balancée par la pression extérieure, peut déterminer des 
hémorragies dangereuses. 



• 



IV. 



D'après la pesanteur connue de l'air, si nous voulons 
évaluer la somme des pressions que la masse atmosphé- 
rique exerce sur la surface du globe, nous trouverons, en 
réduisant celle-ci en centimètres carrés, que la terre sup- 
porte une pression, un poids en kilogrammes représenté 
par i suivi de vingt zéros, c'est-à-dire 100 quintillions de 
kilogrammes. 

La surface du corps humain, étant moyennement de 
7/4 de mètre carré, supporte , en vertu des pressions que 
l'air exerce comme les liquides tout autour des corps qui 
y sont plongés, une somme de pression égale à 17,500 
kilogrammes environ. 



122 LES METEORES. 

Le corps résiste à cette force par la réaction égale et 
opposée des fluides intérieurs qu'il contient ; il n'éprouve 
ainsi dans les mouvements aucune gêne sensible de la 
part de la pression de l'air. 

Lorsque l'on plonge en nageant , il n'est pas rare que 
l'on ait deux ou trois mètres d'eau sur la tête ; cependant 
on les supporte très-bien. Les couches inférieures et la- 
térales font équilibre aux couches supérieures et neutra- 
lisent un poids qui, de prime abord paraîtrait assez puis- 
sant pour écraser le nageur» * 

De même que l'eau fait surnager les corps plus légers 
qu'elle, l'air fait élever ceux qui sont moins pesants que 
lui; c'est sur cette propriété qu'est fondée l'invention des 
aérostats, qui, chargés d'un gaz plus léger, montent jus- 
qu'à ce qu'ils trouvent un air assez raréfié pour leur faire 
équilibre. 

La légèreté de l'air chauffé produit dans le tuyau de 
nos cheminées ce courant ascensionnel qui nous débar- 
rasse de la fumée incommode du foyer. La même cause 
produit un courant semblable dans les ventilateurs à feu 
et dans les fourneaux d'appel, qui nous donnent des 
moyens efficaces de renouveler et de purifier Pair des 

lieux infectés , des mines, des salles de spectacle, des fa- 
briques insalubres, dçs hôpitaux, etc. 

L'élasticité de l'air est utilisée dans les fusils à vent 
pour lancer des projectiles ; la plus fameuse machine de 
ce genre est le fusil à air de M. Perrot, l'ingénieux inven- 
teur de la perrotine qui sert à colorer lés indiennes. 

Depuis un temps immémorial, le commerce et la na- 
vigation ont mis à contribution des courants atmosphé- 



L'ATMOSPHÈRE. 123 

riques produits par la mobilité extrême de l'air, pour faire 
mouvoir les vastes maisons flottantes qui sillonnent les 



mers. 



V. 



Les anciens croyaient que l'air était un corps simple, 

un des quatre éléments admis alors. Ce furent les expé- 

. riences publiées en 1630 par Jean Rey, médecin, né à Bu- 

gneen Périgord, qui mirent sur la voie de sa composition. 

Brun, apothicaire à Bergerac, ayant trouvé que rétain 

augmentait de poids dans la calcination, en demanda la 

cause à Jean Rey, qui répondit que ce phénomène était 
dû à une absorption d'air. 

Ce ne fut, cependant, qu'un siècle et demi plus tard 
que Bayen tira cette découverte de l'oubli, et prépara les 
travaux du célèbre Lavoisier et autres savants chimistes, 
qui découvrirent que l'air est un mélange composé de 
deux gaz qui paraissent simples. 

Les expériences les plus exactes ont démontré que l'air, 
est composé, à quelque hauteur que ce soit et sur tous les 
points du globe, de vingt et une parties d'oxygène et de 
soixante-dix-neuf parties d'azote; il renferme, en outre, 
quelques dix millièmes d'acide carbonique et une quan- 
tité variable de vapeur d'eau. 

M. Dumas, notre éminent chimiste, s'exprimait ainsi 
dans l'une des dernières séances de l'Académie des scien- 
ces : « Les expériences de M. J. Reiset, par leur nombre 



124 LES MÉTÉORES. 

leur précision, l'importance des volumes sur lesquels elles 

ont porté, les années mêmes qui les séparent, ont établi 

d'une manière définitive, deux vérités dont l'histoire du 

globe aura désormais à tenir compte : la première, c'est 

que la proportion de l'acide carbonique dans l'air varie à 

peine; la seconde, qu'elle s'éloigne peu de trois dix mil- 
lièmes en volumes \ » 

Il ajoute que ces résultats sont pleinement confirmés 
par les travaux des savants les plus spéciaux. 

S'il y avait une plus grande proportion d'oxygène dans 
l'air, la vie serait plus active et toutes sortes de désor- 
dres s'ensuivraient dans notre organisation : 



Sur nous, comme l'esprit d'une liqueur active , 
L'un deux exercerait une action trop vive ; 

L'autre serait mortel, et de nos faibles corps 
Ses dormantes vapeurs détruiraient les ressorts.* 

(Delille.) 



Dans les circonstances ordinaires, l'eau dissout envi- 
ron la trentième partie de son volume d'air. Lorsqu'il est 
en dissolution, il n'offre plus la même composition; il 
renferme 0,32 d'oxygène à peu près pour 0,68 d'azote, 
tandis qu'on trouve dans l'air libre 0,21 d'oxygène et 
0,79 d'azote. Cette différence tient principalement à 
l'inégale solubilité des deux gaz. 

L'air contenu en dissolution dans l'eau reprend son état 

ordinaire quand l'eau se congèle ou entre en ébullition. 

1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1882, 1 er semestre. 



L'ATMOSPHERE. 125 



VI. 



L'atmosphère est continuellement agitée ; les courants 
excités par la chaleur, par les vents, par les phénomènes 
électriques, en mêlent et en confondent sans cesse les 
diverses couches. C'est donc la masse générale qui devrait 
être altérée, pour que l'analyse pût indiquer des diffé- 
rences d'une époque à une autre. 

Mais cette masse est énorme. Si nous pouvions mettre 
l'atmosphère tout entière dans un ballon et suspendre 
celui-ci à une balance , il faudrait , pour lui faire équi- 
libre, mettre dans le plateau opposé 581,000 cubes de 
cuivre de 1 kilomètre de côté. 

Si l'on suppose maintenant, avec quelques savants ex- 
périmentateurs, que chaque homme consomme 1 kilo- 
gramme d'oxygène par jour, qu'il y ait un milliard 
d'hommes sur la terre, et que, par l'effet de la respiration 
des animaux ou par la putréfaction des matières organi- 
ques, cette consommation attribuée aux hommes soit qua- 
druplée; dans cette hypothèse exagérée, au bout d'un 
siècle, tout le genre humain réuni et trois fois son équi- 
valent n'auraient absorbé qu'une quantité d'oxygène 
éeale à la pesanteur de 1 S ou 16 cubes de cuivre de 1 ki- 
lomètre de côté. L'air en renferme près de 134,000. 

C'est faire une supposition infiniment supérieure à la 
réalité, de prétendre que les animaux qui peuplent la 
surface de la terre puissent, en un siècle, souiller l'air au 
point de lui ôter la huit-millième partie de l'oxygène que 
la nature y a déposé. 



126 LES MÉTÉORES. 

Parmi les causes d'altération de l'air non renouvelé , 
la principale est la respiration de l'homme et des ani- 
maux. Suivant les expériences de quelques savants, 
l'homme consomme par heure 177 litres d'air, dont 
l'oxygène se trouve en totalité converti en acide car- 
bonique. 

En admettant que l'air soit vicié quand il a perdu le 
tiers de son oxygène, on voit que la consommation d'un 
homme serait de 537 litres d'air par heure, 13 mètres 
cubes par vingt-quatre heures. 

Suivant M. Dumas, ces chiffres seraient exagérés, la 
quantité d'air vicié par homme ne s'élèverait dans les 
vingt-quatre heures qu'à 8 mètres cubes. 

Il est d'ailleurs à remarquer que la transpiration cu- 
tanée et la transpiration pulmonaire paraissent avoir une 

9 

influence prononcée sur l'altération de l'air non renouvelé, 
à cause des matières animales entraînées par la vapeur 
aqueuse exhalée. Ces matières doivent avoir une action 
nuisible, soit par elles-mêmes, soit par l'effet de la fer- 
mentation putride qui s'y développe en présence de 
l'oxygène de l'air. 



VII. 



Les effets de l'air raréfié des montagnes varient princi- 
palement suivant l'âge et l'état de santé des individus. 
Chez tous la circulation et la respiration s'accélèrent, mais 
dans des proportions diverses. 

Au grand plateau, dans la chaîne du mont Blanc, à 



I/ATMOSniiïRI']. 



127 



3,910 mètres au-dessus du niveau de la mer, de Saussure 
et ses guides souffrirent d'essoufflement, et ne purent se 
livrer pendant quelques minutes au moindre exercice. 

A mesure que l'on s'élève, il devient nécessaire de sus- 
pendre le mouvement à des intervalles de moins en moins 
éloignés. Dans l'immobilité, on n'éprouve aucune gène 
de la respiration; on peut causer sans plus de fatigue que 
dans la plaine, bien que Ton soit naturellement entraîné 




Fig. -2H. — Oiseau sous la cloche de la machine pneumatique 



à parler plus haut; on peut même fumer sans la moindre 
peine; mais on ne peut courir ou marcher, surtout en 
montant, plus de quelques instants. 

Souvent aussi un trouble des fonctions digestives, ana- 
logue au mal de mer, se manifeste d'une manière plus ou 
moins grave, suivant les individus; il comprend toutes 
les phases, depuis la simple diminution de l'appétit jus- 
qu'au vomissement. 

On peut reproduire ces phénomènes à volonté chez 



128 LES METEORES. 

un animal placé sous la cloche de la machine pneuma- 
tique (fig. 28). 

Il est cependant à remarquer que les fatigues de toutes 
sortes et la privation de sommeil, conditions inséparables 
de ces voyages, entrent nécessairement pour quelque chose 
dans les phénomènes physiologiques qu'on y observe. 
Par un séjour prolongé, on s'acclimate et Ton cesse de 



souffrir de cet air rare. Il y a des villes et des villages dans 
le haut Pérou, situés à 3,900 et 4,350 mètres d'altitude. 

L'accélération que la respiration subit dans un air rare, 
s'explique facilement par la moindre quantité d'oxygène 
que chaque inspiration introduit dans les poumons ; un 
air encore plus rare produirait la mort par asphyxie. 

Ainsi , deux choses principales sont à craindre dans les 
excursions à de grandes hauteurs : l'asphyxie par le 
manque d'air, et les congestions par la diminution de la 
pression atmosphérique. 

Il est vrai que les oiseaux s'élèvent impunément jusque 
dans les régions où l'air est beaucoup plus raréfié que 
sur la terre; mais ils sont organisés de manière à pouvoir 
rétablir sans cesse l'équilibre entre l'air et leurs fluides 
intérieurs. L'air ne pénètre pas seulement dans leurs 

poumons; leur cavité abdominale, leurs os même en 
sont remplis; et selon qu'ils s'élèvent ou s'abaissent 
dans l'atmosphère, ils peuvent, par la fréquence et Té- 
tendue plus ou moins grande de leurs inspirations, rem- 
plir ou vider plus ou moins complètement leurs cellules 
aériennes. 

L'homme ne possédant pas cette faculté, ne pourra 
parcourir avec sécurité les régions élevées de l'atmosphère, 



L'ATMOSPHÈRE. 129 

qu'à l'aide d'appareils qui lui fourniront tout à la fois une 
pression et une respiration artificielles ; quelques inven- 
teurs déjà sont en bonne voie pour cette ingénieuse réali- 
sation. 



VIII. 



On a essayé de purifier Pair au moyen du charbon. 

Une des propriétés les plus curieuses du charbon de 
bois, et que tout le monde connaît, est celle d'absorber 
une grande quantité de gaz; il est pour les gaz ce que l'é- 
ponge est pour l'eau : il peut en absorber jusqu'à quatre- 
vingt-dix fois son volume; c'est ce qui le rend propre à 
désinfecter les matières en putréfaction. 

Par suite d'observations qui lui sont propres, M. Sten- 
house, membre de la Société royale de Londres, a cons- 
truit une sorte de filtre à air, propre à désinfecter ce fluide 
élastique. Ce filtre peut être employé pour l'assainis- 
sement des habitations, des navires, des bouches d'é- 
goût, etc. 11 consiste en une couche mince de charbon 
pulvérisé, enfermé entre deux toiles métalliques. 

Un de ces appareils a été établi dans la salle d'audience , 
à Mansion-House, où l'air, puisé dans une rue fort étroite, 
était tellement vicié par des émanations provenant de plu- 
sieurs causes voisines d'infection qu'on ne cessait de 
s'en plaindre. Or, depuis que l'air du ventilateur tra- 
verse le filtre, l'atmosphère de la salle est complètement 
purifiée. 

M. Stenhouse a de même appliqué ce principe à la 

9 



130 LES METEOBES. 

fabrication de masques munis de filtres de charbon, et 

destinés à purifier l'air avant son arrivée dans les pou- 
mons. 



IX. 



Sous l'influence d'une atmosphère très chaude toutes 
les fonctions perdent leur énergie, les facultés morales et 
intellectuelles languissent. Sous le ciel brûlant des tro- 
piques l'esprit n'est pas moins énervé que le corps. 
L'homme retrouve son énergie dans les climats moins 
chauds, tels que les contrées méridionales de l'Europe. 

Les climats très froids sont aussi défavorables à l'intel- 
ligence que les climats très chauds. Sous un ciel moins 
sévère, dans les contrées septentrionales de l'Europe, 
par exemple, les facultés intellectuelles renaissent; mais 
elles sont remarquables par d'autres qualités que celles 
qui caractérisent l'intelligence de l'habitant du Midi. 

Dans les contrées chaudes et marécageuses , où la ma- 
tière végétale morte est exposée à l'action de la chaleur 
et de l'humidité, surtout à l'embouchure des grands 
fleuves, sur le littoral des golfes qui reçoivent un grand 
nombre de torrents , en un mot dans toutes les localités 
où les eaux douces viennent se mélanger avec les eaux 
salées, on remarque de funestes influences sur la salu- 
brité générale du pays. 

Entre les tropiques , de semblables localités sont très 
communes, et l'on a constaté que c'est toujours après 
l'époque des pluies, lorsque le sol commence à se dessé- 



L'ATMOSPHERE. 



131 



cher, que l'insalubrité s'y manifeste. Dans les steppes de 
Saint-Martin, à Test de Santa-Fé de Bogota, les fièvres se 
déclarent chaque année régulièrement après la saison 
pluvieuse; il suffit alors qu'un habitant des montagnes 




Fig. 29. — Paysage iiitcrlropic.il 



descende dans la plaine pour tomber malade presque à 
l'instant môme. 

Sous la zonetorride, un défrichement est un combat à 
mort entre l'homme et la végétation; la première colonie 
qui prétend conquérir la forêt vierge languit et s'éteint. 



X. 



M. Babinet a présenté à l'Académie une note intéres- 
sante sur la température que peut atteindre l'air confiné : 



132 LES METEORES. 

« La chaleur des rayons solaires, dit-il, passe au tra- 
vers de Pair transparent; mais la chaleur obscure des 
corps terrestres traverse en bien moins grande quantité 
Pair et les vitres. 

a Saussure, pour s'assurer que les rayons du soleil 
sont bien plus chauds dans les régions supérieures de l'at- 
mosphère qu'à la surface de la terre, plaçait un ther- 
momètre dans une boîte noircie intérieurement et cou- 
verte de plusieurs glaces ou vitres. Le thermomètre, ainsi 

.1 

renfermé, montait plus haut au sommet des montagnes 
que dans la plaine. Au cap de Bonne-Espérance en 1837, 
sir John Herschel, en plaçant une boîte noircie recouverte 
d'une seule vitre sans mastic, sous un châssis vitré de 
jardinier, a obtenu des températures bien supérieures à 

celles de l'eau bouillante. En peu de temps, des œufs, des 
fruits et une forte étuvée de viande et de légumes (en fran- 
çais, un bœuf à la mode), furent cuits et mangés à la 
grande satisfaction de nombreux convives. 

ce Avis à ceux qui , comme dans PÉgypte , vivent sous 
les rayons d'un soleil ardent , que sir John Herschel ap- 
pelle clair de soleil. » 

Dans un ouvrage des plus intéressants, IL Mouchot 
vient d'exposer un moyen pratique de recueillir et d'uti- 
liser directement les rayons solaires au profit de Pagricul- 
ture et de l'industrie. Déjà il a obtenu de beaux résultats 
qui ont eu la sanction des hommes compétents. Il s'est 
occupé avec le même succès de la cuisson au soleil de la 
viande, des légumes et du pain, etc. 

Pendant le courant de l'année 1875, il a soumis à 
l'Académie des sciences la suite des applications indus- 



L'ATMOSPHÈRE. 133 

trielles que Ton peut obtenir de la chaleur solaire; les en- 
couragements qui lui arrivent de points très éloignés , lui 
sont un nouveau témoignage que leur importance est 
vivement sentie de tous ceux qui vivent sous un cli- 
mat brûlant. Dans le courant de 1876, il a présenté à 
la même Académie, un appareil qui permet d'utiliser la 
chaleur solaire pour porter des liquides à l'ébullition , et 
faire cuire des aliments dans l'espace d'une demi-heure 1 . 
Les alambics solaires ont également fourni d'excel- 
lents résultats. Munis de miroirs de moins d'un demi- 
mètre carré, ils portaient trois litres de vin à Tébullition 
en moins d'une demi-heure, et donnaient une eau dévie 

fine, franche de tout mauvais goût. Le récepteur solaire 
du Trocadéro qui a fonctionné pour la première fois le 
2 septembre 1878, a porté, en une demi-heure, 70 litres 
d'eau à l'ébullition 9 . 






Comptes rendus de l 'Académie des sciences, séance du 2 octobre 1876. 
2 ïbid. 1878, 2 rae semestre. 



CHAPITRE VIII. 



LES VENTS. 



4 

Le vent. — Sa nature* — Division des vents chez les Grecs. — Vents représen- 
tés sur la tour d'Andronicus , à Athènes. — Changement de la rose des vents 
chez les Romains. — Sa forme actuelle. — Vents alizés, moussons. — Courants 
inférieurs et courants supérieurs. — Théorie des vents. — Brises de terres et 

brises de mer. — Fait curieux observé à l'île de la Barbade. — Des vents 
singuliers. — L'harmattan, le simoun ou samiel, le chamsin, le sirocco. — 

> 

Phénomènes étranges que présente le vent de Pas dans l'Ariège. 



I. 



Que de pensées, que de sentiments divers ne fait pas 
naître le souffle des vents! Ils passent sur les vastes 
champs des morts et emportent avec eux les miasmes em- 
poisonnés ; ils caressent les fleurs nouvellement écloses, 
et nous embaument de leurs suaves parfums. Ils éclatent 
pour la joie, ils gémissent sous les soupirs de la douleur; 
ils reçoivent indifféremment les cris de détresse ou les 



136 LES MÉTÉORES. 

chants de triomphe; ils sont également les messagers 
du deuil et de l'allégresse. Voici quelques vers dont Pau- 
teur nous est inconnu , mais qui expriment bien ces rôles 

variés : 



Dieu ! que le vent d'hiver est sombre ! 
Qu'il gémit tristement ce soir ! 
Est-ce le frôlement d'une ombre 
Qui près de moi viendrait s'asseoir? 
Seriez-vous donc , vastes rafales , 
Un écho de l'âme des morts ! 
Vos gémissements dans les salles 
Sembleraient traîner un remords. 

9 

Àuriez-vous doue, dans la nuit sombre , 
Soufflé sur le vaisseau qui sombre 

Et dispersé sur ses débris 

Son peuple de marins? Les âmes 
Des corps engloutis sous les lam es 
Pleurent -elles sous ces lambris? 
Des mers , ô lugubre puissance , 
Que tu fais gémir de sanglots ! 



Dans un seul soupir tu rassemble 
Les bruits recueillis en passant. 
Je prête l'oreille : il me semble 

Entendre le choc du brisant , 

La voix du récif et du gouffre , 
La plainte de l'âme qui souffre 
Fantôme des landiers déserts , 
Les cris des discordes civiles , 
Dont les flots râlent dans nos villes , 
Comme la vague au bord des mers. 
Combien de fois , bise homicide , 
Ton souffle a-t-il flétri les jours 
De la vierge belle et candide , 
Rose des premières amours, 
Quand au sortir du bal folâtre 
Tu glissas sur son front d'albâtre , 



LES VENTS. 137 



Éteignant son regard si beau ; 
Ton baiser glaça son épaule , 
Et tu viens balancer le saule 
Qui s'effeuille sur son tombeau ? 



II. 



Le vent est un mouvement plus ou moins rapide d'une 
masse d'air qui se transporte d'un lieu dans un autre, ce 

qui se présente toutes les fois que l'équilibre de l'atmo- 
sphère est rompu. 

Lucrèce décrit ainsi le vent : 

... « Il est des corps que l'œil n'aperçoit pas et dont 
toutefois la raison reconnaît l'existence. Tel est le vent , 
dont la fureur terrible soulève les ondes, submerge les 
lourds vaisseaux et disperse les nuages; souvent en tour- 
billons rapides, il s'élance dans les plaines qu'il jonche 
de la dépouille des plus grands arbres : son souffle des- 
tructeur tourmente la cime des monts, et fait bouillonner 
l'Océan avec un affreux murmure. Quoique invisible, le 
vent est donc un corps puisqu'il balaye à la fois le ciel , 
la terre et la mer, et parsème l'air de leurs débris. » 

Les vents soufflent dans tous les sens, horizontalement, 
verticalement, obliquement; ils tournent sur eux-mêmes, 
se croisent et s'entre-choquent ; mais leur direction la 
plus ordinaire est parallèle à la terre. 

Les progrès de l'art nautique eurent bientôt amené la 



4 Lucrèce , liv. 1 er . 



138 



LES METEORES. 



connaissance de la théorie des vents, car ils jouent un 
rôle fort important dans la navigation. 

Les Grecs ne distinguaient d'abord que deux vents : le 
Boreas, qui renfermait tous les vents soufflant de la 
bande du nord ou du demi-cercle compris entre l'occi- 
dent et l'orient équinoxial, dans l'espace de 180 degrés; 

et le Notos, qui comprenait tous les 
vents qui partaient de la bande du 
sud, dans toute l'étendue de l'au- 




Fig. 30. — Borée. 
(Chapiteau antique.) 



tre moitié de l'horizon. 

Ils distinguèrent ensuite les 
vents qui souillaient des quatre 
points cardinaux, et, divisant l'ho- 
rizon en portions égales de 90 de- 
grés chacune , ils nommèrent Boreas , les vents du nord ; 
Euros ou Apheliotes, les vents de Test; Notos, les vents 

du sud; Zep/iiros , les vents de 
l'ouest. 

Du temps d'Homère on avait 




déjà ajouté quatre vents secondai- 
res qui tiraient leurs noms de ceux 
entre lesquels ils étaient placés; 
on les appelait : le 1><>reas-Euros, 
le Notos- Apheliotes , VArgestes-Notos et le Zephiros-Boreas. 



Fig. 31. — Notus. 
(Chapiteau antique.) 



III. 



Cinq à six siècles avant l'ère chrétienne, on fixa les 
vents secondaires aux orients et aux occidents solsticiaux; 



LES VENTS. 



139 



la plupart des noms furent changés ou disposes autre- 
ment qu'ils ne l'avaient été jusqu'alors, et Ton se trouva 
forcé de donner à la rose des vents des divisions égales ; 
de sorte qu'à mesure que Ton avançait vers le midi, re- 
tendue des vents d'est et d'ouest se resserrait, tandis que 
ceux du nord et du midi embrassaient un plus grand es- 
pace; le contraire avait lieu lorsqu'on se portait vers le 
septentrion. Les vents représentés sur la célèbre tour d'An- 
dronicus Gyrrhest, à Athènes (fig. 32), laquelle subsiste 
encore et dont parle Vitruve, pa- 
raissent appartenir à ce système. 
Vers le temps d'Alexandre , 
on ajouta quatre nouveaux vents 
à la rose des vents qui fut adop- 
tée pendant plusieurs siècles par 
les navigateurs grecs et romains ; 

mais sous le règne d'Auguste , 
les Romains ayant étendu leurs 
conquêtes dans la Germanie, 
jusqu'à l'Elbe, au 54 e degré de 
latitude, et, dans l'Egypte, jus- Fi - M - - T em P ie des vents, ou 

J uo L 7 ° horloge d'Anriromcus Cyrrhest, 

qu'au tropique, reconnurent les à Athènes, 

inconvénients des roses divisées d'après les levers et les 
couchers solsticiaux, parce que dans l'intervalle de ces 
contrées, les amplitudes variant de 40°30', les vents d'est 
et d'ouest finissaient par prendre beaucoup trop d'espace 
et se confondaient vers ceux du nord et du sud ; ils aban- 
donnèrent cette méthode, qui n'était plus supportable, 
et divisèrent la rose en vingt-quatre parties de 1 5 degrés 
chacune. 




140 



LES METEORES 



Maintenant on partage l'horizon en trente-deux parties 
appelées rhumbs ou aires des vents, que Ton obtient en 
divisant en deux parties égales chacun des cadrans 
formés par les points cardinaux, et l'on désigne ces di- 
visions intermédiaires par les réunions des points cardi- 
naux entre lesquels elles sont comprises. On procède 




Fig. 33. — Les vents personnifiés. (Bas-relief antique.) 



ensuite de la môme façon à l'égard de ces dernières 
divisions, que l'on partage en deux, adoptant le même 
système de nomenclature. 

Ce n'est qu'en avançant vers la mer équinoxiale que 
on rencontre dans les vents une constance, une régula- 
rité qui se prête à l'observation. Dans ces contrées, ils 
soufflent toute l'année dans la même direction, et trans- 
portent doucement et sans violence les navires de la cote 
de l'ancien monde à celle du nouveau. 



LES VENTS. 141 

Ce sont ces vents qui portent les noms de vents géné- 
raux j de vents alizés, et qui remplissaient d'étonnement 
et d'inquiétude les compagnons de Christophe Colomb; la 

direction constante de ces vents semblait leur barrer à ja- 
mais le retour. 

La différence de température entre le jour et la nuit dé- 
termine les brises journalières, soit sur les côtes ou à Tin- 
térieur des continents, et la différence de température 
entre les saisons extrêmes détermine les moussons , que 
l'on pourrait à juste titre appeler brises des saisons : 



Les saisons à leur tour, dans leur vicissitude , 

Nous ramènent un air ou plus doux ou plus rude , 

Et les vents inconstants , en dépit des climats , 

Redoublent les chaleurs ainsi que les frimas, 

(Delille.) 



Pour expliquer le phénomène des vents, il importe 

avant tout de faire connaître de quelle manière se com- 
portent deux portions contiguës de l'atmosphère , si elles 

viennent à êlre inégalement chauffées. Nous prendrons 

principalement pour quide un excellent mémoire de 

Fr. Arago. 

Franklin imagina de promener une chandelle à toutes 
les hauteurs de la porte de communication de deux sal- 
les contiguës et inégalement chauffées. 

Dans le bas, la flamme indiquait un courant dirigé de 
la salle froide vers la salle chaude ; dans le haut de la 
porte, la flamme, s'inclinant en sens inverse, signalait 
un courant dirigé de la salle chaude vers la salle froide ; 
et à une certaine hauteur, entre ces deux positions ex- 



142 LES METEORES. 

trêmes, l'air semblait stationnaire. On peut faire facile- 
ment cette expérience avec une feuille de papier ou un 
autre corps léger et flexible , et on obtiendra le même ré- 
sultat. 

II se passe quelque chose d'analogue à la surface de la 
terre. Lorsqu'il y a une cause d'échauffement en f un de 
ses points, la colonne d'air superposée s'élève, un cou- 
rant inférieur se dirige vers la partie chaude , et la co- 
lonne d'air échauffée fournit un courant supérieur ayant 
un mouvement inverse. 

On peut ainsi facilement expliquer ce que l'on appelle 
les brises de mer et les brises de terre. 

Tous les jours, à partir de neuf ou dix heures du ma- 

- ■ 

tin , il s'élève sur le bord de la mer un vent soufflant de 
la surface liquide vers la terre ; ce vent , qui est la brise 
de mer, rafraîchit l'atmosphère pendant la plus grande 
partie de la journée , jusque vers les cinq ou six heures 
du soir. 

A partir de neuf heures du matin , la température de la 
côte commence à dépasser la température moyenne, qui 
est toujours à peu près celle de la mer; l'air qui repose 
sur celle-ci souffle vers la terre ; mais après neuf heures 

du soir, au contraire, la température de la côte est re- 
tombée au-dessous de la moyenne; l'air reflue de la terre 
vers la mer. 

Ainsi, à la brise de mer du matin succède chaque 
jour, après quelques heures de calme, la brise du soir 
ou de terre. Les marins profitent de ces deux vents pour 
entrer dans les ports ou pour en sortir. 

Ces brises ne se font sentir qu'à une petite distance des 



LES VENTS. 143 

côtes ; elles sont remplacées en mer par les moussons , qui 
soufflent six mois dans un sens et six mois dans l'autre. 

Dans r hémisphère boréal, la mousson de printemps 
commence en avril, et la mousson d'automne en octobre; 
dans l'hémisphère austral, où les saisons sont contraires, 
la mousson d'automne commence en avril, et la mousson 



de printemps en octobre. 

Il règne un calme plus ou moins prolongé entre les deux 
moussons contraires; cette période est féconde en tem- 
pêtes et dangereuse pour la navigation. 



IV. 



D'après l'expérience , très simple et à la portée de tout 
le monde, que nous avons indiquée, relativement aux 
phénomènes qui ont lieu lorsqu'on présente tour à tour 
un corps léger et flexible à différentes hauteurs de deux 
airs de températures dissemblables, il résulte que les vents 
alizés ne se manifestent que sous l'influence d'un courant 
supérieur. Plusieurs observations en ont, en effet, donné 
la preuve; c'est ce que nous allons voir. 

Dans la soirée du 30 avril 1812, on entendit pendant 
quelques instants, à File de la Barbade, des explosions 
tellement semblables aux décharges de plusieurs pièces 
de gros calibre , que la garnison du château Sainte-Anne 
resta sous les armes toute la nuit. 

Le lendemain matin, l or mai, l'horizon de la mer à 



l'orient était clair et bien découpé ; mais immédiatement 
au-dessus on apercevait un nuage noir, qui couvrait déjà 



144 LES METEORES. 

le reste du ciel, et qui bientôt après se répandit dans la 
partie où commençait à poindre la lumière du crépuscule. 

Dans les appartements, l'obscurité devint telle qu'il était 
impossible de distinguer la place des fenêtres; en plein 
air, plusieurs personnes ne purent voir ni les arbres à 
côté desquels elles se trouvaient, ni les contours des mai- 
sons voisines, ni même des mouchoirs blancs placés à 
15 centimètres des yeux. 

Ce phénomène était occasionné par la chute d'une 
grande quantité de poudre volcanique provenant de l'é- 
ruption d'un volcan de l'île de Saint- Vincent, et qui con- 






tenait, d'après une analyse du docteur Thomson, 91 par- 
ties de silice et d'alumine, 8 de calcaire et 1 d'oxyde de fer. 
t Cette pluie d'un nouveau genre et l'obscurité qui en 
était la conséquence ne cessèrent qu'entre midi et une 
heure; mais plusieurs fois depuis le matin on avait re- 
marqué, en s'aidant d'une lanterne, comme des es- 
pèces d'averses intermittentes pendant lesquelles la 
poussière tombait en plus grande abondance. 

Les arbres d'un bois flexible ployaient sous le faix ; le 
bruit que les branches des autres arbres faisaient en se 

cassant contrastait d'une manière frappante avec le 

calme parfait de l'atmosphère; les cannes à sucre furent 
totalement renversées, enfin toute l'île se trouva couverte 
d'une couche de cendre verdâtre de 3 centimètres d'é- 
paisseur. 

L'île de Saint-Vincent étant de 80 kilomètres plus occi- 
dentale que la Barbade, et les vents alizés dans ces pa- 
rages, particulièrement en avril et mai, soufflant uni- 
formément et sans interruption de Test , avec une légère 



LES VENTS. 145 

déviation vers le nord , il faut donc admettre que le vol- 
can de Saint- Vincent avait projeté l'immense quantité de 
poussière qui tomba sur la Barbade et les mers voisines, 

jusqu'à une hauteur où les vents alizés ne se faisaient pas 
sentir, mais dans laquelle régnait même un courant dia- 
métralement opposé , et que cette propagation ne put 
avoir lieu que par l'effet du contre-courant supérieur. 
Le capitaine Basile Hall a observé que dans la région 

des vents alizés les nuages très élevés marchent conti- 
nuellement dans une direction opposée à celle du vent 

inférieur; et dans le mois d'août 1820 il trouva au som- 
met du pic de Ténériffe un vent du sud-ouest, c'est-à- 
dire un vent directement opposé au vent alizé qui souf- 
flait à la surface de la terre. M. de Humboldt fit une 
observation analogue sur la même montagne. 

Les phénomènes des courants opposés étaient d'ailleurs 
bien connus des anciens : ce Ne vois-tu pas , dit Lucrèce, 
les nuages eux-mêmes, poussés par des vents contraires, 
suivre, les uns en bas, les autres en haut, des directions 
opposées f ? » 



V. 



La direction générale des vents inférieurs nous est in- 
diquée par les girouettes, et celle des courants supérieurs 
par la marche des nuages. Dans la marine, on désigne 
les vents par leur direction ou par la partie du vaisseau 
qu'ils frappent directement : Avoir vent en poupe, c'est 



4 Luckèce, liv. V. 



10 



146 LES MÉTÉORES. 

avoir vent arrière; avoir vent debout, c'est avoir le vent 
contraire à la route que Ton veut suivre. On appelle vent 
d'amont, vent de terre, celui qui vient de terre; vent de 
mer, celui qui vient du large , etc. On divise aussi les 
vents par leur vitesse relative ; de là douze nuances ou 
gradations qui ont chacune leur dénomination particu- 
lière : calme, presque calme, brise légère, petite brise, jolie 
brise, bonne brise, vent frais, grand vent, vent impétueux, 
coup de vent, tempête et ouragan . 

Les instruments destinés à mesurer la force et la vitesse 
des vents s'appellent anémomètres. On nomme vent à 
peine sensible celui qui parcourt par seconde m ,5; vent 
modéré, celui qui parcourt 2 mètres; vent fort, de 10 à 

20 mètres; tempête, de 22 à 27 mètres; ouragan, de 36 
à 45 mètres. 

L'observateur qui veut déterminer la rapidité de la 
marche d'un ouragan se voit réduit à jeter dans Pair des 
corps légers et à les suivre de l'œil , la montre à la main , 
jusqu'au moment où ils atteignent divers objets situés à 
des distances connues. 

Il est plus facile de déterminer la vitesse du vent lors- 
que le ciel est parsemé seulement de quelques gros nua- 
ges, car alors leur ombre parcourt sur la terre en quelques 
secondes, un espace à fort peu près égal à celui dont ils 
se sont déplacés. 



VI. 



Les vents extraordinaires qui se font sentir sur les côtes 
de Guinée, sur celles de Barbarie, en Egypte, dans l'A- 



LES VENTS. 147 

rabie, dans la Syrie, dans les steppes de la Russie mé- 
ridionale et même jusqu'en Italie, sont dus à la tempéra- 
ture de 1 intérieur de l'Afrique. 

Ces vents, accompagnés de circonstances étranges, 
sont connus sous les noms d'harmattan, de simoun ou 
samiel, de chamsin, etc. 

L'harmattan souffle trois ou quatre fois par saison, 
de Fintérieur de l'Afrique vers l'océan Atlantique; la 
durée de ce vent, qui n'a qu'une force modérée, est 
ordinairement d'un ou deux jours, quelquefois de cinq ou 
six. Lorsqu'il souffle, il s'élève toujours iin brouillard 
d'une espèce particulière, et assez épais pour ne donner 
passage à midi qu'à quelques rayons du soleil. 

Les particules dont ce brouillard est formé se déposent 
sur le gazon , sur les feuilles des arbres et sur la peau des 
nègres, de telle sorte que tout alors paraît blanc. 

Le caractère le plus tranché de ce vent est son extrême 
sécheresse. Lorsqu'il a quelque durée, les branches des 
orangers, des citronniers, etc., se dessèchent et meurent; 
les reliures des livres, même de ceux qui sont placés dans 
des malles bien fermées et recouverts de linge, se cour- 
bent comme si elles avaient été exposées à un grand feu ; 
les panneaux des portes et des fenêtres , les meubles dans 
les appartements , craquent et souvent se fendent. 

Les yeux, les lèvres, le palais de ceux qui sont soumis 

à son influence deviennent secs et douloureux, et s'il dure 
quatre ou cinq jours, il fait peler les mains et la face. 
Pour prévenir ces accidents, on se frotte tout le corps avec 
de la graisse : 



148 LES METEORES. 

Il souffle : tout se fane et tout se décolore ; 
La fleur craint de s'ouvrir et le bouton d'éclore , 
Le midi de ses feux enflamme le matin , 
La terre est sans rosée et le ciel est d'airain; 
Les monts sont dépouillés ; de la plaine béante , 
La soif implore en Tain une eau rafraîchissante. 

A peine avec effort la nymphe du ruisseau 
De ses cheveux tordus tire une goutte d'eau. 
Plus d'amour, plus de chant; le coursier, moins superbe 
En vain, d'un sol brûlé, sollicite un brin d'herbe. 
Le cerf au pied léger repose au fond des bois. 
Partout l'air accablant pèse de tout son poids ; 
L'homme même succombe , et son âme affaissée 
Sent défaillir sa force et mourir sa pensée. 

(Delille,) 



Malgré ces terribles effets, il paraît que ce vent n'est 
pas du tout pestilentiel ; au contraire , les fièvres inter- 
mittentes, par exemple, sont radicalement guéries au 
premier souffle de l'harmattan ; ceux qui sont affaiblis par 
les saignées abondantes que l'on pratique dans ces climats 
recouvrent bientôt leur force; les fièvres épidémiques 
disparaissent, et, chose singulière, l'infection ne peut 

être communiquée pendant qu'il règne, même par l'art. 
Mathieu Dobson rapporte qu'en 1770 il y avait àNhv- 

dah un bâtiment anglais chargé de plus de trois cents 

nègres ; la petite vérole s'étant déclarée chez quelques- 

uns de ses esclaves , le propriétaire se décida à l'inoculer 

aux autres. 

Tous ceux chez lesquels on pratiqua F opération avant 

le souffle de l'harmattan gagnèrent la maladie; soixante- 

dix furent inoculés le deuxième jour après que l'harmattan 

avait commencé à se faire sentir, et aucun n'eut ni maladie 




Fis. 3*. — Ouragan dans le déî 



LES VENTS. 151 



ni éruption. Quelques semaines après le souffle de l'har- 
mattan, ces mêmes individus prirent la petite vérole, 
soit naturellement , soit artificiellement , et pendant cette 
seconde éruption, ce vent ayant recommencé, il guérit 
les soixante-neuf esclaves qui en étaient attaqués. 



VIL 



Le simoun ou samiel, vent violent et empoisonné du 
désert, vient du sud-est (fig. 33). Des tourbillons, des 
espèces de trombes , se joignent fréquemment à ce vent , 
et enlèvent dans les airs, jusqu'à une grande hauteur, 
des masses de sable qui donnent à l'atmosphère une cou- 
leur rouge, jaune oranse et même bleuâtre, suivant Tes- 
pèce de teinte du terrain : 



Ainsi, de l'air troublé les tourbillons mouvants 
Livrent au loin la terre au ravage des vents. 

Et qui ne sait comment leurs fougueuses haleines 
Des déserts africains tourmentent les arènes , 
Enterrent, en grondant, les kiosques, les hameaux, 
La riche caravane et ses nombreux chameaux?... 






Que dis-je? Quelquefois, sur une armée entière 
L'affreux orage roule une mer de poussière; 
La nature se venge, ei dans d'affreux déserts 
Abîme ces guerriers, l'effroi de l'univers. 

(Delille.) 



« Ce vent, dit M. d'Abbadie, arrive sans signe pré- 
curseur, comme d'un four béant qui vomirait toute sa 
chaleur. Le patient chameau met alors sa tête contre le 



152 LES METEORES. 

sol pour chercher de la fraîcheur même sur la terre em- 
brasée ; les plus hardis parmi les indigènes s'affaissent avec 
désespoir, et la prostration de toutes les forces est si subite 
et si complète en rase campagne, qu'il m'a été impossible 
de soulever un petit thermomètre placé à portée , pour 
apprendre du moins la température de ce vent étrange , 
que la science n'a pas encore expliqué. Il avait duré cinq 
minutes : on assure que les hommes et même les bêtes 
meurent s'il se prolonge pendant un quart d'heure 1 . » 

Burckhardt trouva, en 1813, que pendant le simoun 
à Esné, dans la haute Egypte, le thermomètre montait à 
l'ombre jusqu'à 49° 4 centigrades. Cette chaleur exces- 
sive ne dure qu'un quart d'heure ; aussitôt que la pous- 
sière s'abat, le thermomètre baisse. Une des raisons qui 
font que les voyageurs appréhendent beaucoup ce vent, 
c'est qu'il dessèche les outres dans lesquelles les caravanes 
portent leur eau. Burckhardt, en allant deTor à Suez, vit 
une outre perdre en une matinée le tiers de son eau , par 
suite de Tévaporation qu'occasionna le simoun. 

Le chamsin dure cinquante jours, ainsi que l'indique 
son nom dans la langue du pays; il commence environ 
vingt-cinq jours avant Péquinoxe du printemps, pour 



finir vingt-cinq jours après ; il est très remarquable par sa 
température élevée. 



VIII. 



Le sirocco d'Italie et le solano d'Espagne sont les prin- 



1 Climat des rivages de la mer Bouge. 



LES VENTS. 153 

cipaux vents qui soufflent sur l'Europe : ils jettent les ha- 
bitante dans un grand état de langueur, par la chaleur 
énervante qu'ils apportent avec eux. 

M. Fabre pense que le sirocco, ce vent si sec en Afri- 
que, et qui rend visible la fine poussière dont il est 
chargé, enlève, en traversant la mer, une quantité con- 
sidérable de vapeur, arrive avec cette vapeur pénétrée 
de la chaleur qu'il a partagée avec elle, jusqu'à nos mon- 
tagnes du Centre , de l'Est et du Midi , et là donne lieu à 
d'immenses effluves, soit par l'eau qu'il abandonne en 
se refroidissant, soit par la fusion de neige qu'il pro- 
voque. Aussi ce météore lui parait-il être surtout redou- 
table à l'entrée et à l'issue de l'hiver quand il rencontre 
sur les Alpes, les Cévennes et les Pyrénées, des neiges 
molles dont il entraîne de grandes quantités à la fois. Il est 
moins à craindre en plein été, quand la température 
de nos contrées du nord s'est élevée et que la saison a fait 
écouler les neiges qui ne sont pas éternelles. 

Le mistral est le vent le plus redoutable de la Mé- 
diterranée; c'est pendant l'hiver et l'automne qu'il souffle 
avec le plus d'impétuosité, surtout après les pluies d'orage; 
il apparaît d'abord par rafales, mais bientôt il prend le 
dessus; en quelques heures, il a desséché le sol et fait 
disparaître toutes les vapeurs de l'atmosphère. Le froid 
qu'entretiennent les glaces des Alpes, la condensation 
des volumes d'air qu'elles supportent, la dilatation de l'air 
qui repose sur des terrains susceptibles d'être échauffés, 
l'évaporation des eaux de la Méditerranée sont proba- 
blement la cause du mistral. 

Dans un ouvrage qui renferme une foule d' observa- 



154 LES METEORES. 

tions justes et perspicaces, 11. Ambroise Firmin-Didot, de 
l'Institut, s'exprime ainsi : « La violence extrême du 
vent , qui roulait des torrents de poussière, ne me permit 
pas de m'arrêter pour examiner Farc-de-triomphe cons- 
truit en pierre à Orange, et élevé, dit-on, en l'honneur 
de Marius. Ce vent, appelé mistral par les Provençaux, 
est le même que le cercius dont parlent les auteurs 
anciens. Auguste, lors de son séjour dans les Gaules, 
érigea un temple à cette étranee divinité. Les habitants 
de Narbonne, et ceux de plusieurs endroits de la Provence 
le nomment encore cers. Aulu-Gelle a dit que ce vent 

II 

renversait et les hommes et les chars ; il produit encore 
aujourd'hui les mêmes effets 1 . » 



IV. 



Puisque nous parlons de vents singuliers, nous résume- 
rons un passage des Mémoires pour V histoire naturelle du 
Languedoc, par M. Astruc, qui donne une idée des étran- 
ges influences que peuvent avoir sur l'atmosphère les di- 
verses modifications du sol. 

Dans un vallon assez étroit , et un peu éloigné de Mi- 
repoix, est situé le village de Blaud. A quelques centaines 
de pas de ce village s'élève le Puy-du-Till, percé de plu- 
sieurs cavités très profondes que Ton appelle dans le 
pays des barènes. Ces soupiraux émettent un vent très 
frais qui a plusieurs particularités, et que l'on connaît à 



* Notes rf'wn voyage fait dans le Levant en 1816 et 1817, p. 10. 



LES VENTS. 155 

Blaud sous le nom de vent de Pas. Ce vent souffle sur toute la 
vallée jusqu'à trois cents mètres au delà du village, d'abord 
dans la direction de l'ouest , ensuite dans celle du nord- 
ouest, à cause de la courbure du vallon. Il ne se repose 
jamais, mais il se ralentit souvent et passe par tous les 
degrés de force. On l'a vu déraciner des arbres, et 
d'autres fois on ne Ta senti qu'à peine, même en se plaçant 
devant les soupiraux. En été, et lorsque le temps est serein, 
il tombe sur la vallée avec la plus erande force ; mais en 

hiver, et dans les temps nébuleux et pluvieux, il s'adoucit 

♦ 

et épargne les habitants du canton. Comme les oiseaux de 
nuit, il reste dans les sombres cavernes durant le jour, 
mais à peine le soleil commence-t-il à baisser qu'il se 
fait sentir; il augmente avec l'obscurité, souffle toute la 
nuit et cède enfin à la lumière renaissante. Quand il n'est 
pas en fureur, c'est un hôte a&réable pour les paysans 
de Blaud ; il rafraîchit en été leur vallon ; les soupiraux 
par lesquels il sort sont leurs glacières ; les bouteilles de vin 
y deviennent fraîches comme dans la glace ; ils attendent, 
le soir, l'arrivée du vent pour vanner leur blé, et en hiver 
ce vent écarte, par son souffle tempéré, la gelée blanche 
de leur territoire ; il entretient en général pendant toute 
l'année dans ce vallon une température à peu près égale; 
bienfait précieux dans une province où un froid très vif 
succède tout à coup à de grandes chaleurs. Le petit val- 
lon sur lequel le vent de Pas domine, et qu'il a pris 
pour ainsi dire sous sa -protection , est un des plus heu- 
reux districts de la France. Le terrain y abonde en fruits; 
on y connaît peu les infirmités, et l'on y vit quelquefois 
un siècle et même davantage. 



15G 



LES METEORES. 



Voici ce que Ton peut dire en peu de mots sur la cause de 
ce phénomène : les eaux du vallon se jettent dans un gouffre 
que les paysans nomment VEntonnadou, et qui commu- 
nique certainement avec les cavités du mont duTill, puis- 
qu'on a vu de la paille ou des morceaux de liège , qu'on 
avait jetés dans ce gouffre, ressortir avec le vent des sou- 
piraux de la montagne. Les vapeurs de ces eaux, après 

* 

avoir circulé dans les cavités, produisent le vent du Pas, 
modifié d'après la température de l'intérieur et du dehors. 




Fig. 33. — Zéphyre (tiré d'un bas-relief antique). 



CHAPITRE IX. 



MÉTÉORES AQUEUX. 



Formation des brouillards , des nuages ; différentes espèces de nuages : cirrus, 
cumulus, stratus, etc. — Nuages au sommet des montagnes ; suspension des 

nuages dans l'atmosphère ; formation subite de nuages dans un ciel serein. — 
De la pluie : pluies de sang, de soufre, dépoussière, de graines et d'animaux. 
Du serein ; de la rosée; de la glace ; du givre ou gelée blanche ; du verglas ; de 
la neige ; du grésil. — Observation relative à la température des hivers. — 
De la grêle. — Comment se forment les grêlons; expériences de M. l'abbé 
Sanna-Solaro; comment dans nos saisons et les climats chauds se produit le 
froid qui forme les grêlons. — Théories de la grêle les plus récentes. — Cu- 
rieux transport de la chaleur. 



I 



De l'humidité de Pair et de la variation de la tempéra- 

ture naissent un grand nombre de météores très curieux, 
qui nous frappent à peine, parce qu'ils se présentent fré- 
quemment à nos observations, mais qui n'en sont pas 
moins admirables par leur production et par leurs effets. 
Tels sont les brouillards, les nuages, la pluie, le serein, 
la rosée, la glace, la neige, la grêle. 

La vapeur d'eau, qui se condense en subissant un abais- 
sement de température, forme le brouillard. Cette espèce 
de fumée humide qui s'élève d'un vase d'eau chaude est 



158 



LES METEORES. 



un véritable brouillard, dont la nature ne diffère nulle- 
ment des brouillards élevés sur les mers , les lacs , les ri- 
vières. 

Au moment de la formation de la vapeur d'eau , si la 




¥ig. 3«. — Brouillard d'horizon tranchant sur le soleil. 



température de l'air est plus basse que celle de la vapeur, 

celle-ci se condense par le refroidissement et apparaît 
sous forme de brouillard. 

Toutes les fois qu'un air chargé de vapeur rencontre un 
corps dont la température est moindre que la sienne, il 
en est de même. 



METEORES AQUEUX. 159 

Telle est la cause des brouillards que Ton rencontre 
fréquemment sur les rivières, pendant Tété, après une 
pluie d'orage; l'air, saturé d'humidité, est plus chaud 

que la surface de l'eau , et dès qu'il approche des lieux 
où la fraîcheur de la rivière se fait sentir, la vapeur 

d'eau qu'il contient se condense et devient visible. 

On peut de môme expliquer pourquoi l'haleine ternit 
une glace, pourquoi pendant l'été, une bouteille sortant 
de la cave se couvre de vapeur condensée. 



II. 



Les nuages sont des amas de brouillards plus ou moins 
épais, suspendus à diverses hauteurs dans l'atmosphère, 
quelquefois immobiles, souvent emportés par des cou- 
rants d'air ou par des vents impétueux. Les brouillards 
qui se forment à la surface de la terre ou dans les airs , 
deviennent des nuages lorsqu'ils sont rassemblés et en- 
traînés par les vents sans être dispersés. 

La forme , l'apparence et la disposition des nuages pa- 
raissent si variées, qu'il semble difficile d'établir entre 
eux une classification; cependant on les a ramenés à trois 
types principaux : les cirrus, les cumulus et les stratus 

(fig. 36). 

On donne aux différentes modifications de ces nuages 

les dénominations de cirro-cumulus , cirro-stratus , cirro- 
cumulo-stratus ou nimbus, nuages orageux et pluvieux. 
Les cirrus se composent les filaments déliés, dont l'en- 
semble présen te l'aspect , tantôt d'un pinceau, tantôt de 



160 LES METEORES. 

cheveux crépus, tantôt d'un réseau délié; ces nuages 
sont appelés queues de chat par les marins, et sont sou- 
vent d'un mauvais présage, surtout dans la mer des Indes 
pendant l'hivernage; ils annoncent parfois l'apparition 
de ces terribles ouragans qui entraînent dans leur course 
la désolation et la mort. 

Les cumulus, ou nuages d'été, se montrent ordinaire- 
ment sous la forme de demi-sphères reposant sur une 
base horizontale. Quelquefois ces nuages s'entassent les 
uns sur les autres, et forment à l'horizon des groupes 
considérables ressemblant de loin à d'immenses monta- 
gnes couvertes de neige. 

Les stratus se composent de bandes horizontales, qui 
se forment ordinairement au coucher du soleil, pour 

disparaître à son lever. 

Dans les jours d'été, où le ciel est couvert de cumulus, 
vers le soir les nuages s'aplatissent et se transforment 
en stratus qui redeviennent cumulus au lever du soleil. 

Les cumulus peuvent donc être considérés comme des 
nuages de jour et les stratus comme des nuages de 
nuit. 

Les nimbus présentent des formes tellement mélangées 

que l'on n'en reconnaît aucune; ils sont comme des 
brouillards épais. 

Lorsque les nuages sont bien caractérisés, il est facile 
de les distinguer les uns des autres; mais il arrive sou- 
vent qu'ils changent d'état : il devient alors difficile de 
les classer d'une manière certaine. 

L'aspect des nuages dépend de certaines modifications 
atmosphériques et fournit des indications précieuses sur 




Fig. 37 

stratus, 



Diverses espèces de nuages 
cumulus, -'"C*- cirrus, 



uimhiis. 



MÉTÉORES AQUEUX. 163 

les changements de temps à venir. Ces changements sont 
soumis à des lois qui ne nous sont encore que très peu 

connues; cependant rien ne se produit dans la nature par 

l'effet du hasard, et c'est en étudiant avec persévérance 
ces phénomènes que nous pourrons faire quelques pas 
dans la connaissance des lois qui les régissent. 



III. 



Le fait de la suspension des nuages dans l'atmosphère 
a, de tout temps, étonné les hommes. 

Il est, en effet, difficile de comprendre comment ces 
masses immenses, qui se résolvent en torrents de pluie, 
peuvent rester suspendues au sein des airs. 

On avait supposé d'abord que les vésicules qui consti- 
tuent des nuages étaient remplies d'un gaz moins dense 
que l'air atmosphérique, et que chacun de ces petits 
corps se trouvait dans le cas d'un aérostat rempli d'hy- 
drogène ; mais l'analyse chimique est venue détruire cette 
explication , en montrant qu'il n'y avait dans les nuages 
aucun gaz différent de l'air ordinaire. 

D'après Fresnel, Tair interposé entre les vésicules d'un 
nuage se trouverait réuni par une sorte d'action capil- 
laire, de manière à former avec toute la vapeur vésicu- 
laire comme un même ensemble flottant au milieu de 
l'air environnant; les rayons solaires, rencontrant un 
nuage, ont plus d'action pour échauffer cette masse 
qu'ils n'en ont pour échauffer une quantité d'air parfai- 
tement transparent, dans lequel il ne se fait aucune ré* 




1G4 LES MÉTÉORES. 

flexion ; il en résulterait donc que le nuage se trouve- 
rait dans le même cas que les montgolfières, 
lesquelles on produit une dilatation au moyen d'un foyer 
de chaleur. 

ce Toutes ces suppositions sont inutiles , dit M. l'abbé 
Raillard; la suspension des nuages s'explique tout natu- 
rellement par l'état de division extrême dans lequel se 
trouve l'eau disséminée dans l'air, sous la forme de glo- 
bules liquides très petits, ou de cristaux de glace très 
fins 1 . » 



IV. 



M. Rozet, qui a spécialement étudié la formation des 
nuages, s'exprime ainsi, dans son excellent Traité de la 
pluie en Europe : 

«Le 2i mai 1850, à Orange, j'ai eu un très bel 
exemple de la formation des nuages par le refroidis- 
sement de certaines régions; il avait beaucoup plu la nuit 
précédente; au lever du soleil, les flancs du mont Ventoux, 
depuis le sommet jusque vers le milieu des pentes, étaient 
couverts de neige ainsi que plusieurs montagnes voisines 
d'une altitude de 1,000 à 1,400 mètres. Vers huit heures 
du matin, à Orange, le thermomètre marquait 17 degrés 
au-dessus de zéro; des cumulus blanchâtres, isolés, s'é- 
levant du fond des vallées, disparaissaient, parvenus à 
une certaine hauteur; mais autour du Ventoux et de toutes 
les montagnes couvertes de neise, les nuases blanchà- 



i Cours de chimie générale, par MM. Pelouze et Frémy, 3 e édition, p. 241. 



METEORES AQUEUX. 1G5 

1res, plus nombreux, se groupaient, et vers dix heures 

ils formaient des masses floconneuses séparées les unes 

des autres, qui cachaient ces montagnes. A deux heures 

du soir le thermomètre marquait 21 degrés au-dessus 

de zéro, par un temps calme; les rayons solaires avaient 

entièrement dissipé ces masses de nuages, et la neige 

des montagnes était fondue. 

« Ces faits sont une nouvelle preuve que la vapeur 

d'eau contenue dans l'atmosphère passe de l'état in- 
visible ou moléculaire à "l'état visible ou vésiculaire, 

dans une région, toutes les fois que la température de 
cette région vient à s'abaisser d'une certaine quantité de 
degrés, les nuages résultent ensuite de la vapeur vésicu- 
laire produite. 
De Saussure dit, dans son Essai sur l'hygrométrie : 
ce Arrêté par un vent pluvieux sur la cime ou le pen- 
chant de quelques montagnes, je cherchais à épier la for- 
mation des nuages que je voyais naître presque à chaque 
instant sur les forêts ou sur les prairies situées au-des- 
sous de moi. Nul brouillard ne couvrait leur surface, 
l'air qui les environnait était parfaitement net et trans- 
parent; mais tout à coup, tantôt ici, tantôt là, il pa- 
raissait quelques-uns de ces nuages, sans que jamais je 
pusse saisir le commencement de la formation; dans une 
place que mon œil venait de quitter, où deux secondes 
avant il n'en existait pas, j'en voyais tout à coup un déjà 

grand. » 

Kaemtz fait remarquer que lorsque Ton considère de 
loin une chaîne de montagnes on voit souvent un 
nuage attaché à chaque sommet , tandis que les interval- 



igi; 



LES MÉTÉORES. 







les sont parfai- 
tement clairs. 
Cette apparition 
persiste pendant 
des heures et 



souvent 



pen- 



Fig. 38. — Nuages du sommeilles montagnes. 



dant des jours 
entiers ; cepen- 
dant cette im- 
mobilité n'est 
qu'apparente , 
car sur le som- 
met il règne sou- 
vent un vent 

violent, qui con- 
dense les va- 
peurs à mesure 
qu'elles s'élè- 
vent des flancs 
des montagnes: 

lorsqu'elles s'é- 
loignent des 

sommets , elles 
ne tardent pas 
à se dissiper. 

Dans un au- 
tre passage, le 

môme auteur 
dit : « Lorsque 
le ciel est cou- 



METEORES AQUEUX. 167 

vert, on remarque souvent sur le penchant des monta- 
gnes un brouillard local n'occupant qu'un petit espace ; 
ce brouillard se dissipe bientôt pour reparaître. J'ai pu 
analyser une fois, près de Wiesbaden, les circonstances 
de ce phénomène : après une forte pluie qui avait pé- 
nétré le sol, les nuages s'entr'ouvrirent , le soleil parut, 
et je vis une colonne de brouillards s'élever constamment 
du même point. Or, j'y courus; c'était une prairie fau- 
chée, entourée de pâturages couverts d'une herbe haute, 

qui , s' échauffant moins que la surface fauchée , donnait 
lieu à une évaporation moins active. » 

Les nuages nous paraissent distribués dans l'atmos- 
phère à des hauteurs différentes, et d'après les obser- 
vations de plusieurs météorologistes nous devons ad- 
mettre qu'il existe des nuages à environ 12,000 mètres 
au-dessus de la surface de la terre. 

De la cime du mont Blanc on aperçoit des nuages qui 
paraissent encore aussi élevés que ceux que l'on voit de 
la plaine. 

Tout le monde connaît l'ascension célèbre de Gay- 
Lussac, à 7,00.0 mètres de hauteur; il vojait encore au- 
dessus de sa tête des nuages qu'il n'évaluait pas à 
moins de 5,000 mètres de distance. 

Cependant la plus grande partie des nuages se trou- 
vent à une hauteur d'à peu près 3,000 mètres. 



V. 



Là pluie est le résultat d'une condensation assez forte 



1G8 LES METEORES. 

de la vapeur d'eau formant les nuages , pour que les mo- 
lécules de cette vapeur se réunissent en gouttes et tom- 
bent sur la terre. 

La quantité d'eau qui tombe en pluie varie selon les 
climats. En général, elle est beaucoup moins forte à me- 
sure que l'on s'éloigne de l'équafeur et du voisinage de 
la mer, quoique les jours pluvieux soient en plus grand 
nombre à mesure que Ton s'avance vers le nord. 

A Paris, année commune, la quantité d'eau de pluie 
est de 53 centimètres, c'est-à-dire autant qu'il en faudrait 
pour couvrir la terre à 53 centimètres de hauteur, si 
toute celle qui tombe dans l'année était réunie. A Saint- 
Domingue cette quantité est de 308 centimètres, ce qui 
fait à peu près six fois autant. 

Dans les pays tempérés les jours de pluie sont très va- 
riables ; entre les tropiques , au contraire , les pluies re- 
viennent aux mêmes époques de l'année, et durent de 
trois à six mois. C'est à elles que l'on doit attribuer les 
débordements périodiques du Nil , du Gange , du fleuve 

^ « 

des Amazones et de tous les fleuves, en général, de la 
zone torride. 

Écoutons avec quelle richesse d'idées, de grâce d'ex- 
pressions, Lucrèce nous décrit les pluies vivifiantes : « Ces 
pluies que l'air fécond verse à grands flots dans le sein 
de notre mère commune et paraissent perdues; mais par 
elles la terre se couvre de moissons , les arbres reverdis- 
sent, leur cime s'élève, leurs rameaux se courbent sous 
le poids des fruits. Les puies fournissent des aliments aux 
hommes et aux animaux; de là cette jeunesse floris- 
santé qui peuple nos villes; ce nouvel essaim d'oiseaux 



MÉTÉORES AQUEUX. 169 

qui dans les bois chantent sous la feuillée , et ces trou- 
peaux qui reposent dans les riants pâturages leurs mem- 
bres fatigués d'embonpoint, tandis que des ruisseaux d'un 
lait pur s'échappent de leurs mamelles gonflées; enivrés 
de cette douce liqueur, les tendres agneaux s'égayent sur 



le gazon et essayent entre eux mille jeux folâtres. Les 
corps ne sont donc pas anéantis en disparaissant à nos 
yeux : la nature, de leurs débris, forme de nouveaux 
êtres, et ce n'est que par la mort des uns qu'elle accorde 
la vie aux autres ' . » 

On désigne sous le nom de grains des pluies de courte 
durée, accompagnées ordinairement de bourrasques d'au- 
tant plus dangereuses pour la navigation qu'elles sur- 
prennent les navires au milieu du calme ou de faibles 
brises (fig. 39). 



VI. 



Les historiens anciens rapportent que des pluies de 
sang sont venues quelquefois porter chez tout un peuple 
l'épouvante et la consternation. Ces pluies n'ont point dis- 
paru avec la superstitieuse antiquité, elles ne sont même 
pas très rares; mais leur couleur sanguine n'est plus 
qu'un phénomène dû, tout simplement, à une matière 
colorante que le nuage tenait en suspension. Ces pluies 
extraordinaires n'affectent pas toujours la couleur rouge, 
quelquefois même ce n'est qu'une chute de poussière 
sans eau. Mais quelle est la cause qui peut placer ces 
substances, souvent métalliques, au sein de l'atmosphère.' 



-> 



i Lucrèce, liv. I, v. 



170 



LES METEORES. 



( )n a pensé que la plupart pourraient bien avoir la même 
origine que les aérolithes; cependant la puissance du 
vent est bien suffisante pour balayer, à la surface de la 
terre, des amas de substances diverses, et pour les em- 
porter à de grandes hauteurs dans les airs. A l'appui de 




Fis. 39. — Grain. 



cette dernière opinion, on cite un fait assez curieux, ar- 
rive en Perse. Non loin du mont Ararat, au mois d'a- 
vril 1827, il tomba une pluie de grains qui , en quelques 
endroits, couvrit la terre d'une couche de 1G centimè- 
tres dVpaisseur. Les moutons en mangèrent d'abord, e 



METEORES AQUEUX. 171 

les hommes s'enhardirent ensuite à en faire un pain, qui 
fut trouvé très passable. Quelques échantillons de cette 
graine, envoyés à Paris par notre ambassadeur en Russie, 
furent reconnus pour appartenir à la famille des lichens , 
genre de plantes qui , sous forme de pellicules, s'étendent 
sur les arbres, sur la surface des monuments et des ro- 
chers. La couleur sombre des vieux édifices de Paris est 
due à un lichen microscopique. 

Souvent aussi les vents transportent à plusieurs cen- 
taines de lieues des cendres volcaniques ou la poussière 

des déserts. 

Les pluies de poudre jaunâtre ressemblant beaucoup 
à du soufre pulvérisé arrivent principalement au mois de 
mai, et dans les pays où se trouvent des forêts de pins et 
de sapins. Ces arbres fleurissent au mois de mai, leurs 
fleurs se composent de chatons très serrés; un seul cha- 
ton contient plus d'un million de grains de pollen : ce 
pollen, ou cette poussière de fleurs dont chaque grain me- 
sure à peine un centième de millimètre de diamètre , a 
une odeur résineuse et s'enflamme facilement. Les vents 
la soulèvent, la chassent au loin, elle tombe ensuite sur 
la terre mêlée à la pluie, et produit ce que l'on prend 
généralement pour des pluies de soufre. 

Dans les temps d'orage on a vu des phénomènes plus 

extraordinaires encore, comme des pluies de crapauds, 

de grenouilles, de poissons. Ces pluies d'un nouveau genre 

s'expliquent par l'action des trombes aspirant l'eau d'une 
mare ou d'un vivier avec ses menus habitants, qu'elle ré- 

pand dans les endroits où elle vient se dissiper. 



172 LES METEORES. 



VIL 



Le serein, du latin serenus, clair, est une petite pluie 
fine qui tombe quelquefois à la chute du jour sans être 
produite par des nuages. 

Dans nos climats, ce phénomène se manifeste seule- 
ment pendant l'été, et presque toujours au coucher du 
soleil. On l'observe surtout dans les vallées et les plaines 
basses, à une petite distance des lacs et des rivières: il 
est beaucoup plus rare sur les lieux élevés. 

Pendant la chaleur du jour, tous les corps humides 
donnent une grande quantité de vapeur d'eau, qui se ré- 
pand dans Pair sans en troubler la transparence. Mais 
lorsque le soleil disparaît au-dessous de l'horizon, la tem- 
pérature de Pair atmosphérique baisse de plus en plus; 
la vapeur alors se condense en partie, selon le degré de 
refroidissement, et cette condensation produit le serein. 

On peut considérer le serein comme le commencement 

du phénomène de la rosée. 

La rosée est produite par la vapeur d'eau contenue 

dans l'air et condensée par son contact avec les corps 
suffisamment refroidis. 

La terre, échauffée pendant le jour par les feux du so- 
leil , rayonne pendant la nuit vers les espaces célestes 
une partie de la chaleur qu'elle avait reçue ; il en est de 
même des végétaux et des différents objets placés à la 
surface du globe. Cette déperdition de chaleur peut être 
telle que la température de ces corps devienne plus basse 



METEORES AQUEUX. ; 173 

que celle de Pair environnant , la vapeur d'eau contenue 
dans l'air, se trouvant alors en contact avec des corps 

suffisamment refroidis, se condense et se dépose à leur 

surface. 

Pour que la rosée puisse se produire, il faut que le 
ciel soit serein. S'il est couvert, les nuages réfléchissent 
vers le sol la chaleur que la terre leur envoie , et mettent 
ainsi obstacle à son refroidissement. 

Une légère agitation dans Pair qui renouvelle les cou- 

ches à mesure qu'elles passent à l'état de saturation par 

leur contact avec la surface de la terre, favorise encore 
singulièrement la formation de la rosée: un vent violent 
l'empêcherait de se former. 

La rosée ne se répand pas également partout; il y a 
des corps qu'elle semble éviter, tels que les corps polis. 
Il en est d'autres sur lesquels elle semble se reposer de 
préférence : les corps ternes et dépolis, par exemple. Cela 
tient à ce que tous les corps ne se refroidissent pas au 
même degré; ceux qui se refroidissent davantage con- 
densent plus de vapeur, et se couvrent par conséquent 
d'une rosée plus abondante. 

La rosée se remarque principalement pendant les belles 
nuits d'été; elle remplit l'air d'une délicieuse fraîcheur, et 
se rassemble en gouttelettes sur les feuilles des plantes 
et dans la corolle des fleurs; aux premiers rayons du so- 
leil levant cette rosée se transforme en vapeur, et remonte 
en partie dans l'atmosphère d'où elle était descendue. 



174 LES METEORES, 



VIII. 



La glace est de Peau à Pétat solide. L'eau prend cette 
forme à un abaissement de température qui commence à 
zéro et au-dessous ; cependant lorsqu'elle est parfaitement 
tranquille , on peut quelquefois la faire descendre à plu- 
sieurs degrés au-dessous de zéro avant qu'elle se solidifie. 
Les rivières ne se cèlent que par un froid de 7 à 8 desrés 
au-dessous de zéro et persistant. 

L'eau en se congelant augmente considérablement de 
volume ; c'est pour cela que la glace est plus légère que 
Peau. 

Par l'effet de cette augmentation de volume , on a vu 
des canons de fer très épais, remplis d'eau et exposés à 
la gelée, éclater en plusieurs endroits. Lorsque Peau qui 
s'infiltre dans les fissures des rochers vient à se congeler, 
elle fend quelquefois des masses énormes de pierre , d'où 
le dicton : // ghle à pierre fendre. C'est ainsi que l'on peut 

expliquer les dégradations qu'éprouvent les pierres de 
taille, les tuyaux de conduite, les corps de pompe, etc., 

par l'effet des fortes gelées. 

M. Boussingault a exposé à l'Académie des sciences 
de nouvelles expériences sur la congélation de Peau. Il 
rappelle que la force avec laquelle Peau tend à se dilater 
pendant la congélation est considérable, puisqu'elle 
doit être égale à la pression qu'il faudrait exercer sur un 
morceau de glace pour en diminuer le volume de 0,08. 
Cette force d'expansion est capable de briser les enve- 
loppes les plus résistantes. Les académiciens de Florence, 



METEORES AQUEUX. 175 

en exposant à un froid intense une sphère de cuivre rem plie 
d'eau, en déterminèrent la rupture, bien que l'épaisseur du 
métal fût de 67 centièmes de pouce, Huyghens, en 1667, 
fit éclater en deux endroits par l'effet de la congélation 
de l'eau, un canon de fer ayant un doigt d'épaisseur. 

M. Boussingault a voulu reproduire ces expériences 
devenues classiques, en essayant de faire congeler l'eau 
dans un cylindre d'un métal doué d'une ténacité bien su- 
périeure à celle du fer; un canon d'acier, par exemple, 
supportant, môme sous de faibles épaisseurs de parois, 
une pression de plusieurs centaines d'atmosphères, dans 
les épreuves réglementaires que l'artillerie fait subir aux 
canons de fusils. 

Nombre d'expériences furent faites par le savant phy- 
sicien, et l'acier offrit une résistance suffisante pour qu'il 
pût constater, conformément à la prévision théorique, que 
l'eau enfermée dans le canon conservait l'état liquide, 
malgré l'abaissement de la température , et cela par suite 
de l'obstacle opposé à la dilatation qui accompagne son 
refroidissement à. partir de plus de 4° 1. Dans l'une de ces 
expériences, le thermomètre était descendu à 24 degrés 
au-dessous de 0, cependant l'eau avait échappé à la cou- 
délation , ce que l'on a reconnu à la mobilité d'une bille 

d'acier enfermée dans le canon. Mais lorsque l'on pro- 
céda à l'ouverture du canon, à peine eut-on commencé 
à dévisser le couvercle que l'on vit surgir une légère 
végétation de givre, l'eau gela instantanément, aussitôt 
que la pression qu'elle supportait fut supprimée. En chauf- 
fant le canon de manière à détruire l'adhérence, l'on en 
retira un cylindre de glace d'une grande transparence. 



176 LES METEORES. 

Dans Taxe de ce cylindre, il v avait une rangée de très 
petites bulles d'air 1 . 

Pendant l'hiver de 1740, qui fut très long et très rigou- 
reux , on construisit à Saint-Pétersbourg un palais de 
glace, de 18 mètres de longueur, sur 6 de largeur et 7 de 
hauteur; l'architecture en était élégante et régulière. 

Pour cette construction on prit dans la Neva des blocs 
qui avaient près d'un mètre d'épaisseur; on les tailla et 
on y sculpta des ornements, et lorsqu'ils furent en place, 
on les arrosa, en dehors, d'eau colorée, qui se congela sur- 
le-châmp, et forma ainsi des espèces de stalactites très 
variées. 

On fit également six canons et deux mortiers avec leurs 
affûts entièrement de glace; on les chargea, avec 125 
grammes de poudre, un boulet d'étoupe et un de fonte 
par-dessus. L'épreuve s'en fit en présence de toute la 
cour ; le boulet alla percer à 50 mètres une planche d'en- 
viron 5 centimètres d'épaisseur;, le canon n'éclata point, 
bien qu'il n'eût pas plus de 10 centimètres d'épaisseur. 

Un autre usage de la glace qui au premier coup d'œil 
paraît encore plus extraordinaire, c'est celui qu'imagina 
d'en faire un physicien anglais, en 1763. Il tailla un mor- 
ceau de glace en lentille de plus de 3 mètres de diamètre 
et de 15 centimètres d'épaisseur. Il l'exposa aux rayons 
du soleil, et il enflamma, à plus de 2 mètres de dis- 
tance, de la poudre, du papier et d'autres substances 
combustibles. 

Il est curieux de voir que l'on pourrait mettre le feu à 



1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 13/1. 



MÉTÉORES AQUEUX. 177 

un magasin à. poudre à l'aide d'un morceau de glace. 

En Sibérie, on fait des fenêtres de glace en coupant les 
glaçons d'une certaine grandeur et épaisseur, comme des 
carreaux de verre , et en les appliquant aux cadres ou aux 
ouvertures auxquels ils sont destinés. Ces glaçons ne se 
fondent pas, quoique la chambre soit fort échauffée, parce 
que Pair extérieur en maintient toujours la consistance. 

En hiver, les vitres se couvrent de elace au dedans et 
non pas au dehors. Ceci s'explique facilement : l'air de 

l'appartement, étant plus chaud que l'air extérieur, laisse 

retomber les vapeurs qu'il contient; ces vapeurs s'at- 
tachent aux vitres, et, pendant la nuit, l'air se refroidis- 
sant elles se gèlent et forment ces belles ramifications 
que tout le monde connaît. 



IX. 



Le givre ou la gelée blanche, que l'on nomme aussi fri- 
mas, n'est que la rosée congelée sur les corps, descendus, 
par le refroidissement de la nuit, à la température de la 
glace. Le givre s'observe dans nos climats, pendant les 
fraîches matinées du printemps et de l'automne. 

Le verglas est une couche de glace, unie, mince et 

transparente , formée par la pluie congelée sur le sol à 

mesure qu'elle tombe. Il se produit lorsque l'air est assez 

chaud pour donner naissance à la pluie, et le sol assez 

froid pour congeler cette pluie au moment où elle touche 

la terre. 

Cependant, une nouvelle théorie a été émise dans le 

12 



178 LES METEORES. 

courant de ces dernières années. M. E. Nouel en a réclamé 
la priorité dans une lettre adressée à l'Académie des 
sciences et présentée par M. de Saint- Venant, de l'Institut : 
« Dans une Note sur la théorie du givre et du verglas , 
imprimée au tome XI (1 863) , de Y Annuaire de la Société 
météorologique de France , page 26 , dit-il , j'ai fait voir 
que les grands verglas ne sont pas dus, comme on le 
croyait, à une pluie au-dessus de zéro, se gelant en partie 
par son contact avec des objets dont la température est 
inférieure à zéro, mais qu'ils prennent naissance par suite 
d'une pluie à plusieurs degrés au-dessous de zéro, en surfu- 

sion , tombant à travers une atmosphère au-dessous de 
zéro et se congelant à la surface des objets, d'une manière 
continue , par l'effet de la température ambiante. 

« Cette théorie a reçu une confirmation éclatante cet 
hiver, et cela à deux reprises différentes , à Vendôme 4 ». 

La neige est de la vapeur d'eau congelée qui tombe sur 
la terre des régions élevées de l'atmosphère, sous forme 
de flocons légers de différentes grosseurs et présentant 
des figures variées et symétriques. 



Le grésil présente de petites aiguilles de glace pressées 

et entrelacées, formant des espèces de pelotes assez dures 
et quelquefois enveloppées d'une couche de glace trans- 
parente. II est très commun dans nos climats pendant les 
giboulées de mars et d'avril. 

M. Marta-Beker a présenté à l'Académie des sciences , 
\ à l'occasion des gelées printanières , une note intéres- 
sante au point de vue agricole et météorologique. Il y 



1 Comptes rendus de l'Académie des sciences f I er semestre 1879. 



MÉTÉORES AQUEUX. 179 

a deux causes de gelées printanières , dit -il, Tune la 
plus ordinaire, appelée gelée blanche, est due au rayon- 
nement vers les espaces célestes; l'autre, plus rare, 
est amenée par des courants polaires. La gelée blanche 
provient de la congélation de la rosée. On sait que la 
rosée n'est autre chose que l'humidité atmosphérique 
condensée. Elle se forme sur les végétaux, par les nuits 
fraîches et sereines, aux dépens du calorique des plantes, 
qui se refroidissent par l'effet du rayonnement vers un 

ciel pur et froid. Si le thermomètre continue à descendre 
de zéro à deux degrés plus bas, la rosée se congèle, et 

les bourgeons rudimentaires , encore si tendres aux pre- 
miers jours du printemps, sont plus ou moins altérés. Un 
nuage de fumée, le moindre abri suffisent pour empêcher 
ou diminuer le rayonnement. Les chaleurs précoces font 
alors redouter la gelée, en activant trop la végétation et 
en amenant des orages qui peuvent refroidir assez Tat- 
mosphère pour attirer un désastre sur les récoltes. 

Les gelées blanches sévissent spécialement sur les plaines 
horizontales et basses, parce qu'elles offrent directement 
toute leur surface au ciel, tandis que les coteaux ne 
présentent que la projection de cette surface , projection 
réduite en raison de la pente; de plus, les plaines basses 
étant en général plus humides que les coteaux, il s'y joint 
un effet plus grand de vaporisation qui augmente l'in- 
tensité du refroidissement. Il n'en est pas de môme de 
la seconde espèce de gelées ; elles frappent les hauteurs 
comme les plaines et même davantage. Ces gelées sont 
provoquées par des courants atmosphériques qui font 
naître un froid pénétrant de 3 à 4 degrés au-dessous de 



180 LES METEOKES. 

zéro; il atteint vignes, noyers, arbres fruitiers, légumes, 
seigles , en un mot toutes les plantes précoces. Comme ce 
courant polaire et glacial court à travers notre atmosphère 
de même qu'un fleuve démesurément grossi, il saisit les 
flancs des coteaux plus rudement encore que les sols 
bas, par-dessus lesquels ils passe parfois sans laisser de 
traces fâcheuses. 

M. Marta-Beker ajoute une observation relative à la 
température des hivers , dont la rigueur ou la douceur lui 
paraissent dépendre uniquement d'une question de séche- 
resse ou d'humidité de l'air, lequel peut être très sec, 
même à l'état brumeux. D'une part, il y a un fait de rayon- 
nement d'autant plus prononcé que le ciel est plus pur, 
plus dégagé et qui peut être atténué par l'interposition de 

nuages ; ce qui explique pourquoi , le même jour, à des 
distances peu considérables , le thermomètre accuse sou- 
vent des différences de froid de plus de dix degrés. D'au- 
tre part , l'atmosphère absorbant d'autant plus de chaleur 

solaire qu'elle est plus humide, il est naturel que des 
hivers très froids coïncident avec une extrême sécheresse 
de l'air, comme on Ta vu en 1870 et 1871. Ainsi, plus 

l'air est sec et pur, moins il absorbe de chaleur solaire , 
et plus il se refroidit par rayonnement. Dans ces circons- 
tances , l'hiver est nécessairement rigoureux , et les 
dernières vapeurs d'eau en suspension se précipitent en 
flocons de neige , au début de chaque recrudescence 
de froid. C'est le manteau protecteur que la Providence 
a étendu au moment opportun sur la Terre 1 . 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1873. 



MÉTÉORES AQUEUX. 181 



X. 



Les savants sont parvenus à produire dans leur ca- 
binet, et à volonté, un grand nombre des phénomènes 
que nous présente l'univers. Avantage immense, qui per- 
met de les étudier, de les observer à loisir et de se rendre 
compte de la marche mystérieuse qui produit leur dé- 
veloppement. M. l'abbé Sanna-Solaro a ainsi forcé la 

nature à faire de la grêle quand bon nous semble. 

La formation de ce météore était à l'état de problème ; 
aucune solution satisfaisante n'en avait été donnée; on l'ex- 
pliquait par des hypothèses qui s'évanouissent devant les 
expériences de la science. Le savant physicien dont nous 
parlons a produit ce météore sous nos yeux ; on a surpris 
la nature sur le fait , en sorte que Ton peut maintenant 
donner de ce phénomène, qui était très obscur, une théorie 
parfaitement exacte, fondée sur l'observation. 

Jusqu'à présent on croyait que la grêle commençait 
par un petit point, par un petit noyau, et que des couches 
successives finissaient par produire des grêlons plus ou 

moins gros. 

Cette hypothèse laisse sans explication les différents 
phénomènes qui accompagnent ce météore. 

Les grêlons se produisent presque instantanément, à 

peu près tels qu'ils sont au moment de leur chute ; la 
congélation commence par l'extérieur du grêlon , et va 

ainsi de la circonférence au centre. 

L'enveloppe extérieure s'étant formée , la partie du li- 
quide qui lui fait contact se refroidit, des bulles d'air se 



182 



LES METEORES. 



dégagent et convergent vers le centre. Il en résulte une 
pression à laquelle la croûte finit par céder. La secousse 
détermine la congélation d'une couche nouvelle formée 
de deux parties distinctes : Tune privée de bulles d'air, et 
pour cela transparente; l'autre opaque, par cela môme 
que les bulles d'air s'y trouvent réunies. Ce phénomène 
se reproduit à chaque congélation successive (fig. 40). 






Fig. 40. — Coupe de différents grêlons. 



Si les gréions atteignent le sol avant leur complète con- 
gélation, leur centre pourra être liquide ou contenir à la 
fois des bulles d'air, de l'eau et des filets de glace. Ce 
dernier cas aura lieu lorsque le liquide intérieur se re- 
froidira très lentement, car les filets de glace ne se mon- 
trent dans l'eau qu'en pareilles circonstances. 

Si la congélation s'achève brusquement, le noyau sera 
de la blancheur de la neige. Si le froid qui saisit les masses 
d'eau est intense, la croûte sera plus épaisse et plus so- 
lide; la pression intérieure causée par la dilatation du li- 
quide pourra augmenter de telle sorte qu'elle fasse voler 



METEORES AQUEUX. 



183 



les grêlons en éclat, surtout au moment où la congéla- 
tion s'achève. Ceci peut expliquer pourquoi des grêlons 
tombent en forme de pyramide, et en même temps ces 

bruits particuliers que l'on entend quelquefois, comme 
précurseurs d'une chute de grêle. 



XI. 



M. l'abbé Sanna-Solaro a fait de la grêle en présence 
des membres de l'Académie des sciences, avec un ap- 
pareil très simple que, grâce à son obligeance, nous 
avons pu faire fonctionner nous-même, et que chacun 




Fig. 41. — Formation des grêlons; appareil de M. Sanna-Solaro. 



peut facilement se procurer. 11 consiste dans un vase 
contenant un mélange réfrigérant de 17 degrés au-dessous 
de zéro; on suspend dans ce mélange un petit ballon 
en caoutchouc à peu près de la grandeur des grêlons 
que Ton veut produire, contenant plus ou moins d'eau. 
Après quelques instants, on obtient un grêlon artificiel 
tout formé, parfaitement semblable aux grêlons naturels, 



184 LES METEORES. 

mais présentant un nombre de couches plus grand , ce qui 
prouve que le froid qui produit les grêlons naturels est 
bien plus intense que celui de 17 degrés au-dessous de zéro. 

Deux choses restent à expliquer : la première com- 
ment se forment dans l'atmosphère les masses liquides 
qui doivent se changer en grêlons ; la seconde , comment 
dans les saisons et les pays chauds se produit le froid qui 
saisit les masses et en congèle plus ou moins brusque- 
ment toute la surface jusqu'à une certaine profondeur. 

L'ingénieux auteur explique la première par la réac- 

tion de l'électricité sur un nuage à l'instant où elle s'en 

échappe , et la deuxième par l'extension subite qui suit 
la réaction. 

Voici à peu près comment il s'exprime : Soit un nuage 
orageux chargé d'électricité; cet agent, au moment 
où il atteint son maximum de tension , doit s'échapper. 
En s'échappant il exerce sur le nuage une réaction vio- 
lente qui produit la contraction ; mais ce mouvement est 
nécessairement suivi d'une réaction contraire, qui produit 
la dilatation du nuage, de la vapeur, de l'air, et qui doit 
donner naissance à une évaporation rapide , et par là 

même à une perte de calorique plus ou moins considé- 
rable, d'où la congélation de toute la surface à une plus 
ou moins grande profondeur. 

Lorsque le froid n'est pas assez intense pour congeler 
les masses d'eau , elles tombent à l'état liquide ; ce qui 
nous explique pourquoi les premières gouttes de pluie 

des orages sont ordinairement les plus grosses , et pour- 
quoi de prodigieuses quantités d'eau tombent immédia- 
tement après un coup de tonnerre. 



METEORES AQUEUX. 185 

Les faits viennent à l'appui de cette théorie. 

M. Beudant dit d'une grêle observée par lui en 1848 : 

« Un coup de tonnerre éclata, et presque aussitôt le 
nombre des grêlons devint beaucoup plus considérable . » 

M. Élie deBeaumont, parlant de la grêle qu'il observa 

en 1837 : « Trois coups de tonnerre d'une force moyenne 

sont survenus pendant l'averse ; chacun d'eux a donné 

lieu à un redoublement assez marqué dans la chute des 

grêlons, » 

M. Tessier, en parlant de l'endroit où il observa la grêle 

qui ravagea la France en 1788 : « La grêle suivit de près 
l'éclair et le coup de tonnerre. » 

M. l'abbé Sanna-Solaro ne serait sans doute pas embar- 

rassé pour citer un grand nombre de faits que tout le 
monde a pu observer. 

Dans cette théorie, il n'est pas nécessaire de supposer 
la présence de deux nuages , qui souvent n'existent pas , 
ou de deux vents contraires, etc., et on comprend pour- 
quoi la grêle tombe dans nos climats pendant l'été et aux 
heures les plus chaudes du jour, puisque alors l'air est 
plus sec et la tension électrique plus considérable. 



XII. 



Pendant Tannée 1875, un grand nombre de com- 
munications sur la grêle ont été faites à l'Académie des 
sciences, principalement par M. Faye, Péminent astro- 
nome, et dans lesquelles la théorie de M. Sanna-Solaro a 
été indirectement plus ou moins combattue. M. Faye 



180 LES MÉTÉORES. 

i 

croit que la formation des grêlons est successive et non 

pas instantanée ; il attribue la cause générale des orages à 
grêle à rabaissement brusque d'un courant froid supé- 
rieur dans les couches inférieures , chaudes et humides. 
MM. Renou, Planté, Solvay et plusieurs autres savants 
ont pris part à la discussion de la théorie de ce météore 1 
et M. l'abbé Raillard vient de publier une savante étude 
sur ce sujet 2 ; mais nous devons attendre que l'ac- 
cord des savants se soit un peu mieux dessiné avant de 
développer ici avec quelque étendue les théories nouvelles 
qui se font jour. 

Terminons cette revue des météores aqueux par un 
passage d'un remarquable article publié par le R. P. 

Secchi dans les Études religieuses, historiques et litté- 
r aires. 

Il fait d'abord remarquer que la circulation de l'atmos- 
phère, déjà si puissante et si merveilleuse en elle-même, 
le devient davantage quand on la considère dans ses rap- 
ports avec la vie animale sur les continents. Sans le voile 
de nuages et sans les pluies bienfaisantes qui régnent 

dans les contrées tropicales, toute la zone torride serait 
embrasée et les régions polaires éternellement glacées; 

la vie serait confinée dans les espaces insignifiants des 
zones tempérées. Mais , par une admirable propriété phy- 
sique de la vapeur d'eau, une immense quantité de cha- 
leur est transportée des tropiques aux régions polaires, 
de telle sorte que, restant insensible dans les lieux où 
elle passe, elle ne fait sentir son effet utile qu'au point 

K Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875. 
2 Les Mondes scientifiques, 1875, 14 octobre. 



MÉTÉORES AQUEUX. 187 

de départ et au point d'arrivée. Là, Peau enlève en se 
vaporisant la chaleur qui serait en excès ; ici , en se con- 
densant, elle restitue ce qu'elle a pris à d'autres régions 

et empêche un abaissement excessif de température. 

<c Pour bien comprendre ce jeu merveilleux de l'at- 
mosphère et ce voyage que fait la chaleur, dit l'illustre 
savant, il faut se rappeler quelques notions de physique. 

<c Tout le monde sait que l'eau en s'évaporant ab- 
sorbe de la chaleur ; c'est pour cela qu'on arrose les rues, 

afin de les rafraîchir. Le calorique absorbé par l'eau, 
dans cette évaporation , est si considérable , qu'il pour- 
rait élever à l'ébullition une quantité d'eau cinq fois plus 
grande que la quantité évaporée. Ce calorique n'est pas 
perdu : il se conserve tout entier dans la vapeur, à l'état 
que les physiciens appellent latent, et en effet il re- 
paraît toutes les fois que la vapeur se condense. On sait 
les avantages que l'industrie tire de ces alternatives pour 
le chauffage dans les usines. 

« Or il est facile , d'après ce principe , de calculer la 
quantité de calorique échangé annuellement entre les ré- 
gions équatoriales , polaires et tempérées. Il résulte des 
observations atmosphériques que dans la zone torride 

A * jm 

l'évaporation peut s'estimer égale à une couche d'eau 
d'au moins 5 mètres de hauteur. Admettons que 2 de 
.ces mètres retombent sur place à l'état de pluie, de 
sorte qu'il en reste 3 pour les autres parties du globe. La 
surface sur laquelle s'opère cette évaporation est évaluée 
à 70 millions de milles géographiques carrés : de sorte 
que la masse d'eau évaporée s'élève à 721 trillions de 
mètres cubes (721,000,000,000,000). On peut démon- 



188 LES MÉTÉORES. 

trer que la quantité énorme de chaleur qui produit cet 
effet pourrait fondre six millions de milles géographiques 
cubes de fer, c'est-à-dire une masse dont le volume éga- 
lerait plusieurs fois celui du massif des Alpes. 

« Telle est l'immense quantité de chaleur qui , chaque 
année , se transporte de l'équateur aux pôles en passant 
dans les régions intermédiaires , sans être aperçue même 
des savants, et dans un véritable incoqnito. Ce n'est pas 
tout. L'eau en se congelant émet une dernière quantité 
de chaleur qui contribue à mitiger les climats polaires. 
Ainsi les pluies et les neiges n'ont pas seulement pour 
but d'arroser la terre, mais aussi de distribuer la cha- 
leur et de tempérer la rigueur du froid dans les saisons 

hivernales. C'est un fait bien connu que les hivers plu- 
vieux ne sont jamais les plus froids. 

ce Sans cette précieuse propriété que possède la va- 

* XX IX 

peur d'eau de voyager à l'état latent, notre atmosphère 
acquerrait une température de fournaise, et la vie serait 
impossible. Quoique les physiciens ne soient pas disposés 
à étudier les causes finales , ils ne sauraient cependant 
méconnaître, dans l'énorme capacité de l'eau pour la 
chaleur latente que contient sa vapeur, une de ces dis- 
positions bienfaisantes de la création par lesquelles son 
auteur, à l'aide d'une loi très simple, a pourvu à la pro- 
duction d'une infinité d'effets, que seule une sagesse 
infinie pouvait prévoir. » 



CHAPITKE X. 



LA MER ET LES MARÉES. 



Poésie de la mer. — Salure de ses eaux. — Leurs couleurs. — Cuivre, argent 
et or qu'elles contiennent. — Leur phosphorescence. — Les marées. — Le 
premier des Grecs qui fit attention & la cause de ce phénomène. — Passage 
de Lucain et d'un hymne à Silvio Pellico. — Influence de la lune et du soleil 

sur les eaux. — Théorie des marées. — Marées solaires et marées lunaires. 

ê 

— Hauteur que les marées pourraient atteindre dans la lune. — Barre de 

flot. — Utilité des marées. 



I. 

Quelle magnifique poésie dans les phénomènes que 
nous présente la mer! 

La mer ! partout la mer ! Des flots , des flots encor ! 
L'oiseau fatigue en vain son inégal essor ; 
Ici des flots , là-bas des ondes ; 
Toujours des flots sans fin par des flots repousses-, 
L'œil ne voit que des flots dans l'abîme entassés 
Rouler sous les vagues profondes. 

Parfois de grands poissons à fleur d'eau voyageant 
Font reluire au soleil leurs nageoires d'argent 

Ou l'azur de leurs larges queues. 
La mer semble un troupeau secouant sa toison : 
Mais un cercle d'airain ferme au loin l'horizon; 

Le ciel bleu se môle aux eaux bleues. 

(Victor llico.) 

Les eaux des mystérieux abîmes qui couvrent la plus 



190 



LES METEORES. 



grande partie de notre globe sont fortement salées, amères 
et nauséabondes. Pour expliquer leur salure, on a sup- 
posé qu'à l'époque où les eaux couvraient toute la terre , 
elles ont dissous des masses de sel situées à la surface du 




Fig. 42. — Pliarc à l'entrée d'une baie. 



globe; on l'attribue également à des bancs inépuisables 
de sel que renfermait l'Océan. 



II. 



L'eau de la mer, transparente et incolore lorsqu'on 
l'observe en petite quantité, présente, vue dans ses pro- 



LA MER ET LES MARÉES. 191 

fondeurs, des couleurs variées. Ce n'était pas une de nos 
moindres distractions, lorsque nous parcourions l'Océan , 
d'étudier la diversité de ces teintes. Tantôt elles sont d'un 
bleu d'azur qui défie les plus beaux saphirs; d'autres 
fois, d'un vert qui ressemble à de l'émeraude liquide, 
l'œil ne se lasse paé de regarder le sillon éblouissant 
que trace alors le navire. Puis elles passent par toutes les 
nuances que l'on peut imaginer entre ces deux teintes 
principales : bleu sombre, bleu gris, vert bleu, vert 
jaunâtre, vert sombre, vert gris, etc.; cette dernière 

couleur est surtout remarquable dans toute la largeur du 

banc des Aiguilles. 

Jusqu'ici l'explication que l'on donnait de la cause de 
ces teintes diverses laissait beaucoup à désirer, mais on 
s'est assuré qu'elles sont produites par les matières que 
les eaux de l'Océan tiennent en suspension , suivant les 
parages. 

On a mis en évidence la présence dans l'eau de l'O- 
céan d'une assez grande quantité de cuivre, pour que l'on 
puisse affirmer que la couleur bleue intense que pré- 
sente la mer dans certains parages est due à un composé 
ammoniacal de cuivre , et la couleur verte à du chlorure 

de cuivre. 

M. Septimus Piesse a suspendu aux flancs d'un ba- 
teau à vapeur qui fait le trajet de Marseille en Corse et 
en Sardaigne, un sac rempli de clous et de tournure de 
fer, et après quelques voyages, lorsque le sac fut rapporté 



■ 

au laboratoire, on constata qu'une notable quantité de 
cuivre s'était précipitée à la surface du métal. 

Par unmoyen analogue, parla suspension dans de l'eau 



192 LES METEORES. 

de merde cuivre en grain, MM. Durocher etMalaguti y 
ont constaté la présence d'une quantité appréciable d'ar- 
gent. M. Tuli, en Amérique, a répété l'expérience des sa- 
vants français, et il est arrivé, de son côté, à cette con- 
clusion, que l'Océan contient au moins deux millions de 
tonnes ou deux billions de kilogrammes d'argent : parta- 
gés entre tous les hommes, cela ferait 400 francs par tête. 
L'or se trouve également dans les mers. Il est démontré 
que tous les fleuves, et le Rhin en particulier, charrient ce 
précieux métal. Notre Seine elle-même est aurifère; M. de 
Sussex faisait remarquer que lorsque Ton fait fondre 
dans des creusets, pour la préparation du verre, du sable 
de Seine, pris au Bas-Meudon, et qu'après la fusion on 
polit la surface intérieure du fond des creusets brisés, on 
y aperçoit non seulement des parcelles , mais de petites 

pépites d'or. 



III. 



Le phénomène de la phosphorescence de la mer est 
un des plus beaux que l'on puisse contempler. Lorsqu'il 
se manifeste dans toute sa splendeur, la surface de l'abîme 
rivalise de magniflceneeavee les cieux étoiles. Cette phos- 
phorescence des flots est produite soit par des débris 
d'animaux marins, soit par des animalcules, de petits mol- 
lusques qui fourmillent à la surface des eaux, principale- 
ment par la noctiluca miliaris. M. Phipson a fait observer 
qu'un certain nombre de ces animalcules se trouvent em- 
prisonnés dans les vêtements de laine après les bains de 
mer, et y rencontrent assez d'humidité pour y vivre un 



LA MER ET LES MAIIÉES 



103 



jour ou deux. Il est bien connu qu'ils ne donnent de la 
lumière que lorsqu'ils se contractent; or, c'est ce qu'ils 
font quand on remue les vêtements, ou quand on passe 
le doigt dessus, môme plusieurs heures après qu'ils ont 
été suspendus pour sécher. Maison ne se baigne pas ton- 




i ij, r . 43. — Mer calme 



jours dans une eau chargée de ces animalcules, et alors 
1rs vêtements ne deviennent pas lumineux le soir. 



IV. 



Un des phénomènes les plus grandioses que nous pré- 
sente la mer, ce sont les marées. On appelle ainsi le 
mouvement alternatif et journalier de l'Océan couvrant et 
abandonnant successivement le rivage. Dans l'espace de 
2i heures 19 minutes, ses eaux se portent et se reportent 

13 



194 LES METEORES. 

deux fois de Féquateur vers les pôles et des pôles vers 
l'équateur. 

Les eaux montent d'abord pendant environ six heures; 
elles inondent alors les rivages et se précipitent dans l'in- 
térieur des fleuves , jusqu'à de grandes distances de leur 
embouchure. 

Après être parvenues à leur plus grande hauteur, elles 
restent quelques instants en repos, un quart d'heure en- 
viron ; peu à peu elles descendent et se retirent des terres 
qu'elles avaient envahies; ce second mouvement dure 
aussi à peu près six heures; lorsqu'elles sont arrivées à 
leur plus basse dépression , elles restent quelques instants 
en repos, puis recommencent leur mouvement alternatif. 

Le flux y que l'on appelle aussi marée montante, est le 
mouvement des eaux vers les pôles; le reflux, que l'on 
appelle aussi marée descendante, est le retour des eaux 
vers l'équateur. 



V. 



Le premier des Grecs qui fit attention à la cause des 

marées futPythéasde Marseille, qui vivait environ trois 
cent vingt ans avant notre ère. Il disait que la pleine lune 
produit le flux et son décours le reflux. Il ne se trompait 
pas en les attribuant à la lune,, mais il était loin d'en 
connaître la véritable cause. 

i 

Newton , le premier, démontra les relations des marées 

avec les autres phénomènes de la gravitation universelle. 

Lucain, dans sa Pharsale, en parlant des côtes maritimes 

de la France, s'exprime ainsi sur le phénomène des* ma- 



LA MER ET LES MARÉES. 195 

rées : « La même joie se répandit sur ce rivage que la 
terre et la mer semblent se disputer quand le vaste Océan 

l'inonde et l'abandonne tour à tour. Est-ce l'Océan lui- 
même qui de l'extrémité de Taxe roule ses vagues et les 
ramène? est-ce le retour périodique de l'astre de la nuit 
qui les foule sur son passage ? est-ce le soleil qui les attire 
pour alimenter ses flammes? est-ce lui qui pompe la mer 
et qui l'élève jusqu'aux cieux ? Sondez ce mystère , vous 
qu'agite le soin d'observer le travail du monde. Pour moi 
à qui les Dieux t'ont cachée, cause puissante de ce grand 

mouvement, je veux t'ignorer toujours. » (Liv. II.) 
Newton et Laplace ont cherché, fait remarquer M. Ba- 

binet, et, au grand honneur de l'esprit humain, ils ont 

trouvé. 

La lune passant successivement au-dessus de chaque 

point de l'Océan, en vertu des lois de l'attraction, en 

attire les eaux qui sont d'une mobilité extrême. On ne 
peut plus méconnaître maintenant l'action que cet astre 
exerce en vertu des lois de l'attraction sur ce grand et ma- 
jestueux phénomène de la nature. 

Un poète inconnu a délicieusement exprimé cette in- 
fluence dans un hymne à Silvio Pellico : 

« Astre solitaire , aérien , paisible astre d'argent , 
6 Lune! comme une blanche voile, tu navigues à travers 
le firmament,* et, comme une douce amie, dans ta course 
antique, tu suis au ciel la marche de la Terre. 

« La Terre, si ton disque limpide se rapproche d'elle, 
la Terre te sent venir, palpite et gonfle ses mers; peut- 
être est-ce une noble émotion, telle que l'aspect d'un 
ami en éveille dans un cœur mortel ! » 



i 



196 LES METEORES. 



VI. 



On a reconnu : 

1° Que les eaux de l'Océan s'élèvent successivement 
dans chaque endroit où la lune passe ; 

2° Que la Méditerranée n'a point d'autre marée que 



celle qui lui est communiquée par l'Océan au détroit de 
Gibraltar, parce que la lune ne passe jamais perpendi- 
culairement sur elle; 

3° Que le flux et le reflux retardent, comme la lune, 
de trois quarts d'heure chaque jour; 

4° Que les marées ne reviennent à la même heure qu'au 
bout d'environ trente jours, ce qui est précisément le 
temps qui s'écoule d'une nouvelle lune à l'autre; 

5° Que les marées sont toujours plus hautes lorsque 
la lune est à sa moindre distance de la terre ; 

6° Qu'aux pleines et aux nouvelles lunes, les marées 
sont plus grandes, parce qu'alors, le soleil joignant son 
attraction à celle de la lune, les eaux de la mer se 

trouvent plus fortement attirées; tandis qu'à l'époque des 
quadratures ou quartiers, les marées sont plus faibles, 
le soleil détruisant environ un tiers de l'effet de l'attrac- 
tion de la lune. 



VII. 



Lorsque la lune passe d'aplomb sur une partie de l'O- 
céan, les eaux de cette partie, attirées par l'attraction de 
cet astre, s'élèvent, et comme cette attraction agit en sens 
contraire de celle de la terre les eaux situées de chaque 



LA MER ET LES MAREES. 



197 



coté du globe, éprouvant une action oblique de la 
part de la lune, augmentent 
de pesanteur et tendent plus 
fortement vers le centre de IHlg 
la terre. En môme temps, 
les parties de la mer dia- 
métralement opposées au jj 
point attiré par la lune, étant 
moins attirées par cet astre 
que le centre de la terre, 
parce qu'elles en sont plus 
éloignées, se portent moins 

vers cet astre que le centre 
de la terre, ce qui permet à 
la mer de s'élever aussi du 



coté opposé à la lune, et à 
l'Océan de présenter le phé- 
nomène des marées dans 
deux hémisphères opposés 

(fig. -ti). 

La force attractive que le | 

soleil exerce sur la terre, 

quoique trois fois moindre 

que celle de la lune, suffit 
cependant pour produire un 
flux et un reflux. 

On peut donc distinguer 

deux sortes de marées : les 

marées solaires et les ma- Fi g . 4*. - phénomène des marées. 

rées lunaires. 




198 LES METEORES. 

L'astre du jour élève les mers à midi et à minuit, 
heures de son passage au méridien, et les laisse, au con- 
traire , s'abaisser à dix heures du matin et à dix heures 
du soir. 

Deux fois le mois, aux syzygies, ces deux sortes de 
marées s'accordent dans leurs directions et se réduisent à 
une seule, parce qu'alors le soleil attire les eaux du même 
côté , dans le même sens que la lune , et produit un effet 
commun avec elle; tandis qu'aux quadratures, comme 
nous l'avons fait remarquer, le soleil, par sa position per- 
pendiculaire à celle de la lune, contrarie l'action de cet 
astre ; en sorte que les marées sont plus petites aux pre- 
miers et aux derniers quartiers, et plus grandes aux 
pleines et aux nouvelles lunes. 



VIII. 



Le point le plus élevé de la marée ne se trouve pas 
précisément au-dessous de la lune, mais toujours à quel- 
que distance vers l'orient , et cette distance n'excède ja- 
mais 15 degrés. 

Les eaux de l'Océan n'obéissent pas tout à coup à Pat- 
traction qui les soulève ; leur état d'inertie s'y oppose et 
les empêche de suivre subitement la marche de l'astre 
qui agît sur elles. 

C'est pour cette raison qu'elles n'atteignent pas leur 
plus haut point d'élévation au moment même où l'attrac- 
tion lunaire est parvenue à sa plus grande force, mais 
seulement quelque temps après. 



LA MER ET LES MAREES. 199 

Non seulement l'attraction solaire contrarie celle de la 
lune, mais la résistance et le balancement des eaux, le 
frottement des côtes et les anfractuosités du rivage , sont 
autant d'obstacles qui retardent la haute marée. 

Au cap de Bonne- Espérance , par exemple, ce retard 
est de deux heures et demie ; mais à Dunkerque et à Dou- 
vres il est de douze heures, parce qu'il faut tout ce temps 
à l'Océan pour traverser la Manche et le Pas-de-Calais, et 
se répandre sur les côtes. Le flux et le reflux n'en sont 
cependant pas moins réguliers. 



IX. 



L'élévation plus ou moins grande des eaux dépend 
non seulement de l'attraction , mais encore de la nature 
du fond et du bord de la mer. 

La marée sera sans doute plus grande dans un canal 
où les eaux resserrées trouveront pour s'élever une fa- 
cilité qu'elles n'ont pas sur un rivage plus vaste et plus 
découvert. 

A Saint-Malo, sur la Manche, les marées sont quel- 
quefois de 15 à 18 mètres; au nord du golfe de Gascogne 
et à Brest, sur les côtes, elles ne vont guère qu'à 7 ou 8 
mètres; à l'île Sainte-Hélène leur plus grande hauteur 
n'est que de 1 mètre. A l'île de la Réunion et dans les 
autres îles de la grande mer du Sud, à peine ont-elles 
35 centimètres. 

A l'entrée de la Garonne, on remarque que le flux 
dure sept heures, et le reflux seulement cinq; cette dif- 



200 LES METEORES. 

férence est attribuée au cours du fleuve dont le courant 
descend contre la direction du flux et favorise, au con- 
traire, le reflux. 

Les vents apportent aussi leur influence sur ce phé- 
nomène. Si le souffle d'un grand vent a lieu dans la 
direction de la marée, les eaux s'élèveront plus haut que 
dans un temps calme ; mais si l'action du vent agit dans 
un sens opposé , le contraire aura lieu. 

La marée varie en hauteur d'un jour à l'autre sur le 
même rivage. Elle augmente pendant huit jours, puis 
diminue pendant le même laps de temps ; de sorte que , 
deux fois le mois, il y a deux hautes marées à un inter- 
valle de quinze jours, et deux basses marées également 
distantes entre elles; et deux fois Fan, à l'équinoxe 
du printemps et à celui d'automne, on remarque deux 
marées beaucoup plus élevées que toutes les autres. 

Newton a calculé que , s'il y a des mers dans la lune , 
l'attraction de la terre doit y occasionner une marée de 
30 mètres de hauteur, tandis que dans la plupart des 
lieux, l'attraction de la lune n'élève l'eau de notre terre 
qu'à la hauteur de 4 mètres. 



X. 



Les rivages et le bassin de la Seine offrent dans les 
parages de Quillebœuf un redoutable phénomène des 
marées; c'est ce qu'on appelle, aux pleines et aux nou- 
velles lunes des équinoxes , la barre de flot. 

Le lecteur me saura gré de laisser parler ici M. Ba- 



LA MER ET LES MAREES. 201 

■ 

binet, de l'Institut , qui a depuis plus de quarante ans 
étudié ces grandioses phénomènes que nous présente la 

nature. 

ce Ce mouvement tout à fait extraordinaire des eaux 
de la mer, immense dans son développement, capricieux 
par l'influence des localités, des vents, et surtout par 
l'état variable du fond du lit du fleuve, a fait l'objet des 
longues recherches que je viens aujourd'hui développer 
devant vous. Voyons d'abord ce que c'est que la barre 
de flot. Tandis qu'en général , et même à l'extrême em- 
bouchure de la Seine, au Havre, à Honfleur, à Berville, 
la mer, à l'instant du flux, monte par degrés insensi- 
bles et s'élève graduellement, on voit, au contraire, 
dans la portion du lit du fleuve, au-dessous et au-dessus 
de Quillebœuf , le premier flot se précipiter en immense 
cataracte, formant une vague roulante, haute comme 
les constructions du rivage, occupant le fleuve dans 
toute sa largeur, de 10 à H kilomètres, renversant 
tout sur son passage, et remplissant instantanément le 
vaste bassin de la Seine. 

<c Rien de plus majestueux que cette formidable vague, 
si rapidement mobile. Dès qu'elle s'est brisée contre les 
quais de Quillebœuf, qu'elle inonde de ses rejaillisse- 
ments, elle s'engage, en remontant, dans le lit plus 

étroit du fleuve , qui court alors vers sa source avec la 
rapidité d'un cheval au galop. Les navires échoués, 
incapables de résister à l'assaut d'une vague si furieuse , 
sont ce qu'on appelle en perdition. Les prairies des bords, 
rongées et délayées par le courant, se mettent, suivant, 
une autre expression locale, en fonte, et disparaissent. 



202 LES METEORES, 

Successivement le lit du fleuve se déplace de plusieurs 
kilomètres de Tune à l'autre des falaises qui le dominent ; 
enfin les bancs de sable et de vase du fond sont agités 
et mobilisés comme les vagues de la surface. Rien de 
plus étonnant que ces redoutables barres de flots obser- 
vées sous les rayons du jour le plus pur, au milieu du 
calme le plus complet, et dans l'absence de tout in- 
dice de vent, de tempête, ou d'orale de foudre. 

« Les bruits les plus assourdissants annoncent et ac- 
compagnent ces grandes crises de la nature, préparées 
par une cause éminemment silencieuse : V attraction uni- 
verselle. Homère, le grand peintre de la nature, sem- 
blerait avoir été témoin de pareils phénomènes lorsqu'il 
en écrivait la fidèle description que voici : 

ce Telle aux embouchures d'un fleuve, qui court guidé 
<c par Jupiter, la vague immense mugit contre le cou- 
ce rant, tandis que les rives escarpées retentissent au 
« loin du fracas de la mer que le fleuve repousse loin de 
ce son lit. » 



XI. 



Un grand avantage que nous procure le flux , c'est de 

pousser l'eau de la mer dans les fleuves, et de rendre 

leur lit assez profond pour qu'ils soient capables d'amener 

jusqu'aux portes des grandes villes les marchandises dont 

le transport serait sans cela beaucoup plus difficile, et 

quelquefois même impossible. 

Les vaisseaux attendent ces courants d'eau pour arriver 



LA MER ET LES MAREES. 203 

dans les rades sans toucher le fond ou pour s'engager 
sans péril dans le lit des rivières. 

Les marées empêchent aussi que la mer, qui est le 
réceptacle où vont se rendre toutes les immondices du 
globe, ne vienne à croupir par un trop grand repos, ce 
qui arriverait infailliblement si le balancement perpétuel 
que les marées excitent ne purifiait les eaux, en disper- 
sant partout le sel que la mer produit abondamment, et 
ne détruisait les matières dont la putréfaction pourrait 
être funeste aux habitants de la terre. 

Les agitations perpétuelles et alternatives de ce vaste 
amas d'eau qui enveloppe la terre sont bien propres à 
nous rappeler celles par lesquelles la vie est sans cesse 
troublée. L'homme est ballotté. sur un fleuve incons- 
tant et rapide, admirablement décrit dans ces vers de 
Métastase dont nous donnons la traduction libre : 

ce De la mer l'onde divisée baigne la ville et la cam- 
pagne; elle va, passagère en fleuve, prisonnière en fon- 
taine, toujours murmurant, toujours gémissant, jusqu'à 
ce qu'enfin elle retourne à la mer, à la mer d'où elle 
naquit, et qui alimente son cours, et où, après avoir 
longtemps erré, elle espère trouver le repos. » 




CHAPITRE XI. 



MER POLAIRE. 



Mer libre pleine de vie et de chaleur au centre des glaces polaire». — Impor- 
tance de la météorologie des mers. — Courants marins. — Bouteilles flottan- 
tes, — Harmonie dans la direction des vents et des eaux. — Poussière des 
déserts de l'Afrique couvrant les voiles des navires à plus de deux cents 
lieues. — Influence des courants sur les traversées et sur la température du 
globe. — Grands fleuves océaniques d'eau chaude. — Courants de surface des 
régions b) pcrboréennes. — Hivernage à l'île Beechcy. — Courants salés dans 
les eaux douces de la mer de Baftin. — Courants sous-marins. — Blocs de 
glace flottants. — Curieuse relation entre les courants de surface et les cou- 
rants sous-marins. — Transformation des courants au centre des régions 
arctiques. — Banc de brume signalé par le lieutement Haven. Exploration 
du docteur Kane. — Il découvre la mer libre au centre des glaces polaires. — 
Voyage de M. Nordenskiold. — Nouveau jour qu'il jette sur ces contrées. — 
Bancs de glaces. — Faits intéressant nos climats. 



I 



Une des plus surprenantes découvertes qui se soient ja- 
faites, est certainement celle d'une mer libre, pleine 
de vie et de chaleur, au centre des glaces polaires. 
On admire avec raison les prodigieux calculs qui ont 



206 LES MÉTÉORES. 

permis aux savants, du fond de leur cabinet, de lire 
dans les cieux, de deviner des astres inconnus, et de 
fixer eux-mêmes le puissant objectif qui devait surprendre 
le globe immense dans la route invariable que lui ont 
assignée les lois du Créateur. Cependant les importantes 
données de la météorologie des mers, qui ont conduit à 
la découverte qui nous occupe, ont quelque chose peut- 
être de plus imposant encore. 

C'est un fait connu de tout le monde que , dans les 
régions équatoriales , les eaux de toutes les mers sont 
poussées à l'ouest par un mouvement incessant, qui dans 
l'Atlantique les porte vers l'Amérique tropicale. Ce vaste 
courant de 30 degrés de largeur, dont 20 degrés au nord 
et 10 degrés au sud, vient se briser contre les rivages du 
nouveau monde. Ces eaux forment un circuit continu de 
l'Afrique au Mexique, avec retour au point de départ. 

Les bouteilles flottantes que les marins jettent à la mer, 
avec l'indication du lieu et de la date du jour où elles 
ont été confiées à l'Océan , ont appris que ce trajet de 

■ 

20,000 à 30,000 kilomètres s'opérait en trois ans et demi 
environ. 

Les vents suivent à peu près la même marche que les 
eaux ; c'est-à-dire qu'entre les tropiques soufflent les vents 
d'est, appelés vents alizés , qui portent l'atmosphère 
d'Afrique en Amérique, comme le courant tropical y porte 
aussi les eaux. Nous étions à plus de 200 lieues de l'A- 
frique lorsque ces vents couvraient les voiles de notre 
navire, affrété pour la mer des Indes, d'une poussière 
extrêmement fine et roussâtre qu'ils emportaient avec eux 
des vastes déserts de l'intérieur. 



MER POLAIRE. 207 

Entre les Etats-Unis et l'Europe, de même que le cou- 
rant porte la mer vers Test , de même aussi les contre- 
courants des alizés soufflent vers l'Europe, d'où il résulte 
une traversée beaucoup plus rapide des États-Unis en 
France et en Angleterre que d'Europe aux États-Unis; 
car dans ce dernier cas on a le vent et le courant con- 
traires, lesquels favorisent les trajets du nouveau monde 
vers l'ancien. 

Les courants conservent l'excès de la chaleur qu'ils 

doivent à leur origine tropicale , et c'est là un des grands 

moyens que la nature met en œuvre pour tempérer notre 
globe, en portant ainsi, par le moyen des eaux, vers des 
régions plus septentrionales, la chaleur que le soleil verse 
entre les tropiques. A mesure que les courants s'avan- 
cent, ils perdent de leur chaleur en la distribuant à l'at- 
mosphère et aux mers qu'ils traversent, jusqu'à ce que, 
revenant sous les zones tropicales, ils se pénètrent de 
nouveau d'une chaleur qu'ils reportent sous d'autres la- 
titudes. 

Chaque localité du milieu de la France, par exemple, 
possède une température plus élevée qu'aucun autre point 
du globe situé à la même distance de l'équateur, tandis 
qu'en Amérique le Labrador et le Canada, qui font le 
pendant de l'Angleterre et de la France, sont presque des 
contrées polaires, où les fleuves gèlent des mois entiers. 

Lorsque les navigateurs, le thermomètre à la main, 
traversent les mers, ils reconnaissent à ces chaleurs les 
grands courants océaniques d'eau chaude, qui n'ont d'au- 
tres rivages que les eaux froides qu'ils sillonnent et qui, 
revenant sur eux-mêmes, forment comme un fleuve sans 



208 LES METEORES. 

fin. Outre les grands courants, il y en a beaucoup de secon- 
daires ; nous en avons observé un très grand nombre en 
parcourant les mers jusqu'aux îles Tristan, qui se trouvent 
à quelques centaines de lieues au delà du cap de Bonne- 
Espérance; on reconnaît facilement ces courants à la 
simple vue : ils forment une espèce de vaste ruban qui 
miroite d'une manière particulière sur le reste de l'Océan, 
et toujours ils impriment une certaine dérivation aux 
navires qui les traversent. 



IL 



C'est à l'étude de ces courants que l'on doit l'étrange 
découverte d'une mer libre dans les glaces polaires. Nous 
ne pouvons mieux faire ici que de résumer M. Julien , 
qui a fait sur ce sujet un remarquable rapport à la Société 
géographique de Paris. 

Grâce aux nombreuses et importantes découvertes qui 
ont été le résultat des expéditions successives envoyées, 
pendant plusieurs années, à la recherche de sir John 
Franklin, on possède aujourd'hui des notions assez pré- 
cises sur les courants de surface de ces régions hyperbo- 
réennes. Celui qui sort du détroit de Behring s'infléchit 
au nord-est, longe les îles de Banks et de Melville, et 
pénètre dans les détroits de Barrow et de Lancastre, pour 

venir se mêler aux grandes eaux de la baie de Baffin, qui 

descendent vers l'Atlantique à travers le détroit de Davis. 

Pendant leur hivernage dans les mers polaires, les 

navires V Intrépide et leliésolu dérivèrent constamment vers 



MER POLAIRE. 209 

l'est, avec le banc de glace sur lequel ils furent plus tard 
abandonnés. C'est en dérivant également vers l'est et vers 
le sud que le lieutenant Haven franchit un espace de 
près de trois cents lieues, entraîné avec la banquise au 
milieu de laquelle il était enfermé. Enfin, c'est toujours 
en suivant la même direction, et toujours retenu avec son 



navire parmi les glaces flottantes, que le capitaine Mac- 



Clintock parcourut pendant un de ces derniers hivers 
plus de onze cents milles , à partir du nord de la petite 

île Beechey premier lieu d'hivernage où l'on a retrouvé 

des tombes et des débris appartenant aux malheureux 

compagnons de Franklin. . 

Les courants qui descendent ainsi des régions voisines 
des pôles n'entraînent avec eux que des eaux complète- 
ment salées; les observations du lieutenant Haven ne 
laissent aucun doute à cet égard. Malgré leur mélange 
avec les eaux douces qu'ils rencontrent dans la mer de 
Badin, ils conservent encore jusque dans le détroit de 
Davis plus de la moitié des matières solubles dont sont 
chargées les eaux ordinaires de l'Océan. Quelles sont donc 
alors les inépuisables sources de sel auxquelles s'alimen- 
tent ces puissants courants, dont l'origine nous est encore 

inconnue, et que nous rencontrons au nord du soixante- 
quinzième et même au-dessus du quatre-vingtième paral- 
lèle? Si par une voie sous-marine de retour il ne s'éta- 

blit pas un mélange direct avec l'Océan , il devient tout 
à fait impossible d'expliquer non seulement cette conti- 
nuelle formation de sel , mais encore la présence même 
des eaux polaires, qui ne cessent de se déverser avec 
une constante vitesse dans le bassin de l'Atlantique. 

H 



210 LES MÉTÉORES. 



III. 



Ces observations nous conduisent logiquement à ad- 
mettre l'existence d'un contre-courant sous-marin remon- 
tant au nord, justement au-dessus du flot polaire qui 
s'échappe dans la direction opposée entre l'Amérique et 
le Groenland. On pourrait objecter peut-être que les 
masses énormes de sel qui nous arrivent continuellement 
du pôle y ont été apportées par les courants de surface 
qui doublent le cap Nord ou par ceux qui pénètrent à 
travers le détroit de Behring ; mais la nature elle-même 
se charge de répondre : elle nous donne à cet égard des 
indications infaillibles, qui révèlent et qui accusent très 
nettement au-dessus de la mer les mouvements et les 
changements de direction qui s'accomplissent dans les 
couches les plus profondes. Ce sont les blocs flottants, les 
montagnes de glace que les navigateurs rencontrent quel- 
quefois remontant du sud au nord le détroit de Davis , 
et refoulant avec force autour d'eux les courants de sur- 
face qui semblent vainement s'opposer à leur marche. 
Leur tête ne s'élève pas au delà de quelques centaines de 
pieds; mais leur base, sept fois plus enfoncée dans les 
eaux, subit entièrement l'impulsion des contre-courants 
qui dominent entièrement dans les régions iuférieures. 

Il existe donc, dans la partie septentrionale de l'océan 
Atlantique, une voie sous-marine d'écoulement analogue 
à la grande artère de communication que le parcours des 
baleines nous a fait reconnaître tout le long des côtes de 



MER POLAIRE. 211 

l'Amérique méridionale. Ici, comme dans l'hémisphère 
austral, les eaux qui l'alimentent sont chaudes et pe- 
santes. Ce sont les eaux des zones tropicales, qui, sur- 
chargées de tous les sels abandonnés par Pévaporation , 
tendent constamment, malgré leur température élevée, à 
descendre des couches voisines de la surface, pour aller, 
dans les régions les plus profondes, remplacer les couches 
plus froides mais plus légères. Grâce au mauvais état de 
conductibilité du milieu qui les environné, ces 
ainsi alourdies peuvent se maintenir à un degré station- 
nais, et conserver pendant longtemps les trésors de cha- 
leur qu'elles ont mission de transporter et de répandre 

dans les contrées les plus lointaines. Telles sont les condi- 
tions dans lesquelles se trouvent les courants sous-marins 
qui remontent au nord, en traversant le détroit de Davis 
et la baie de Baffin pour se jeter au sein de la mer Glaciale. 

Puisque le bassin polaire ne possède dans toute son 
étendue qu'une seule issue pour laisser écouler les eaux 
qui arrivent du sud, il doit nécessairement exister au 
centre des régions arctiques, dans les environs mêmes 
du pôle, un lieu de renversement et de transformation où 
les contre-courants sous-marins cessent de s'élever au 
nord, gagnent les couches supérieures, et retournent vers 
l'Atlantique en formant les courants de surface. 

On peut évaluer approximativement les proportions de 
l'énorme volume d'eau qui se trouve ainsi déplacé dans 
ce mouvement alternatif du pôle vers l'Océan. 11 suffit 
d'observer les masses considérables de glace que la mer 
de Baffin et le détroit de Davis charrient périodiquement 
jusqu'au grand banc de Terre-Neuve. La seule banquise 



212 LES METEORES. 

qui fit parcourir au lieutenant Haven près de 300 lieues 
vers le sud embrassait une superficie de 300 milles carrés 
environ. En estimant à 2 m ,30 seulement son épaisseur 
moyenne, c'était donc un poids de 20 billions de tonnes 
que la mer Glaciale renvoyait d'un seul bloc et à un seul 
moment de l'année vers l'océan Atlantique. Les plus 
grands fleuves du monde ne nous apparaissent que comme 
de bien faibles ruisseaux, comparés à cet immense cours 
d'eau qui maintient de l'une à l'autre mer un constant 
équilibre et une communication directe et réciproque. 

II devient dès lors aisé de prévoir quelle peut être l'in- 
fluence exercée sur l'ensemble des régions polaires par 
les réservoirs de chaleur que les eaux équatoriales ne 
cessent d'y entretenir, à travers les canaux d'une pareille 

circulation sous-marine. 

L'étude des lignes isothermes, on le sait, a placé lès 
deux pôles du froid maximum sur le 80 e degré de lati- 
tude, l'un au nord de la Sibérie, l'autre au nord de l'A- 
mérique. Pour le premier la température moyenne se 
maintient à lo, et pour le second à 20 degrés au-dessous 
de zéro. On comprend alors combien doit être grand le 

rayonnement calorique qui se manifeste au centre même 
des régions arctiques, au point de renversement et de 
transformation pour les eaux équatoriales qui remontent 
à la surface. La différence de température de ces points 
doit déterminer la formation de nuages et d'épaisses va- 
peurs, qui ne peuvent manquer d'établir un singulier 
contraste avec les horizons uniformes et désolés de glaces 
éternelles. 




Fig. 'ào. — Attaque de morses. 



MER POLAIRE. 215 



IV. 



Telles sont les dernières conclusions auxquelles on est 
parvenu , n'ayant que la science seule pour guide , et tel 
est aussi le sens de toutes les instructions que reçurent 
de nos jours les hardis navigateurs qui se disputèrent 
le dangereux honneur des missions d'exploration et des 

expéditions envoyées à la recherche de sir John Franklin. 
L'idée de rencontrer une mer libre au centre même de 

la zone polaire est sans doute une idée de nature à vive- 
ment frapper l'imagination et à découvrir à l'esprit tout 
un monde nouveau de conjectures et de rêves. Où vont 
en effet ces nuées d'oiseaux que Ton voit chaque année 
émigrer, vers le Nord, abandonnant les bords de la rivière 
de Mackenzie, pour disparaître à l'horizon vers les ré- 
gions septentrionales? L'instinct qui les dirige ne peut 
être trompeur. Ne sont-ils pas certains de trouver un ciel 
plus clément, et ne sont-ils pas sûrs de trouver un abri 
derrière cette infranchissable barrière que nous offrent, 
à nous , les abords de ces inhospitalières contrées ? 

La baleine elle-même, la prudente baleine, traquée de 
toutes parts, semble avoir rencontré au delà de cette 
ceinture de glaces un cercle inaccessible à l'homme, où 
elle peut déposer en paix le fruit de ses amours. C'est 
dans une pareille mer libre, au centre de l'océan Àus- 
tral , que le romancier américain Edgard Poe a placé sa 
mystérieuse histoire de Gordon Pym, et la fantastique 
apparition de son grand spectre blanc, se dessinant au 



21G 



LES METEORES. 



milieu des effluves bleuâtres de l'électricité du pôle né- 
gatif. Sous le voile de la fiction, il a su recueillir et ré- 
sumer les idées qui couvent et qui se propagent, pour 
ainsi dire, à l'état latent, jusqu'au moment où une ren- 
contre subite, une découverte imprévue les fait jaillir à 



l'état de lumière et de vérité. 




Fig. 46. — Baleine franche. 



Le lieutenant Haven, le premier, a signalé à l'extré- 
mité du détroit de Wellington l'apparition permanente 
d'un épais banc de brume, flottant entre les îles Cor- 
nouailles et la terre inconnue qui s'étend vers le nord 
Depuis quelques années les expéditions au pôle arctique 
se sont succédé sans relâche. Des deux cotés de l'Ame- 
rique, des navires, partis de l'occident et de l'orient, 



MER POLAIRE. 217 

s'avancent vers un but unique, et s'engagent hardiment 
dans un labyrinthe de glaces, en laissant se renfermer der- 
rière eux la formidable barrière qui ne leur a présenté 
qu'une trompeuse issue. Les progrès sont bien lents, les 
déceptions nombreuses, les souffrances infinies. En un 
court espace de temps, les sinistres se renouvellent; près 
de dix bâtiments ont été abandonnés ou perdus dans leur 
prison de glaces. N'importe ! On avance sans cesse! Rien 
n'arrête l'élan de ces intrépides explorateurs; rien ne 

ralentit l'ardeur de ces martyrs de la science et de l'hu- 
manité ! 



V. 



En mai 1853, le docteur Kane part de nouveau de New- 
York avec toute l'expérience qu'il a pu acquérir dans une 
précédente expédition. C'est droit au nord qu'il marche; 
c'est par l'extrémité même de la mer de Baffin qu'il faut 
attaquer la banquise, et poursuivre la route que vient 
déjà de parcourir avec quelque succès son prédécesseur 
Inglefield. Dans cette direction, en effet, il réussit à pé- 
nétrer dans le détroit de Smith, et, glissant avec son na- 
vire entre les récifs et les glaces amoncelées, il parvient à 
s'élever, au milieu des écueils, jusqu'à la hauteur du 
soixante-dix-neuvième degré de latitude nord. Pendant 
deux ans, il affronte en ce point les rigueurs de ces formi- 
dables hivers où la nuit dure cent vingt jours, et où la 
température s'abaisse jusqu'à la congélation du mercure 
et de l'alcool. 



218 



LES METEORES. 



Pendant les quelques mois, trop rapides, d'un été gla- 
cial, il poursuit dans toutes les directions ses explora - 




Fijj. il. — Homme du Nord, d'après une estampe du seizième siècle 



tions et ses recherches; comme il l'avait prévu, il cons- 
tate que la mer de Bafïin court directement au nord , entre 



,MER POLAIRE. 219 

le Groenland et les nouvelles terres qui ont reçu le nom 
de Louis-Napoléon, Après des privations sans nombre et 
des souffrances dont le récit seul épouvante, il arrive, 
en se traînant, au pied d'une infranchissable barrière 
hérissée d'aiguilles menaçantes et de glaçons amoncelés. 
C'est un rempart contre lequel semblent devoir se briser 
tous les efforts des hommes , c'est le cercle de Y Enfer de 

Dante. 

Mais sur la droite s'entr'ouvre une brèche étroite, pro- 
fonde, tortueuse. Il y pénètre, il la franchit! 

Etrange et merveilleux est alors le tableau qui s'offre 
à ses yeux ! En un instant il touche à la réalisation de ses 
rêves. 

La mer, la mer libre et sans bornes s'étend enfin tout 
à coup devant lui ! Pas une terre en face ! pas un glaçon 
à l'horizon! Les bords resserrés du long détroit de Smith, 
qu'il a suivis pendant 80 milles, s'élargissent subitement 
et limitent, en fuyant à Test et à l'ouest, l'immense nappe 
à reflets verdâtres dont les flots soulevés par la brise 
viennent rouler jusqu'à ses pieds. Des phoques, des loups 
marins, des nuées d'oiseaux de mer couvrent le rivage. 
Partout la vie, partout l'influence d'une bienfaisante cha- 
leur rayonnant du sein de cet océan inconnu. C'est bien 
le vaste réservoir alimenté par les eaux tièdes que l'At- 
lantique abandonne au courant sous-marin du détroit 
de Davis. Le flux et le reflux périodiques que l'on y ob- 
serve indiquent suffisamment d'ailleurs la profondeur de 
son lit et l'immense étendue de ses bords. 

Appréciant, au point de vue scientifique, l'importance 
que peut avoir la découverte de la partie la plus mysté- 



220 LES METEORES* 

rieuse de notre globe , la Société géographique de Paris 
décerna le premier de ses prix à l'intrépide explorateur 
de l'océan Arctique. Malheureusement, ce sympathique 
hommage n'a pu être qu'un laurier funèbre, qu'une 
couronne sur un cercueil. Le docteur Kane avait succombé 
à la Havane, le 16 février 1817, à une maladie contrac- 
tée au milieu des glaces ; on n'affronte pas impunément 
d'aussi longues souffrances et d'aussi fortes émotions. 
Nous Rajouterons rien à cet extrait du beau travail 

de M. Julien; nous ferons seulement remarquer que l'on 
ne sait ce qu'il faut le plus admirer ici, entre la science, 
qui a prévu l'existence de cette mer libre au milieu des 
glaces polaires, et l'habile et courageux explorateur qui 
l'a découverte. 

De nouvelles expéditions se préparent pour aller ex- 
plorer ces régions encore pleines de mystères pour nous : 
nous ne saurions trop encourager les entreprises diri- 
gées en ce sens, car, en dehors de l'intérêt scientifique 
qu'elles présentent, nous trouvons que c'est une des 
gloires de l'humanité de posséder des natures généreu- 
ses qui préfèrent au doux repos les orageuses perspec- 
tives, dans l'intention de doter le monde de découvertes 

utiles; c'est d'ailleurs l'indice d'une àme élevée que cet 
attrait pour les sensations ineffables que procurent le 
péril et l'inconnu lorsqu'un but louable s'y rattache. 
C'est l'ivresse du savant, du héros, du martyr! sainte 
ivresse, qui élève le niveau moral des âmes. 



MER POLAIRE. 221 



VI. 



Les voyages de M. Nordenskiôld, jettent un nouveau 
jour sur ces contrées. 

En communiquant à l'Académie des sciences la rela- 
tion sommaire de l'expédition scientifique à la Nouvelle- 
Zemble, de juin à août 1875, par le hardi voyageur, 
M. Daubrée de l'Institut donne l'extrait suivant d'une 
lettre qui nous paraît d'une haute importance pour la 
navigation. Il fait remarquer que cette expédition n'a 
pas seulement une valeur scientifique, mais qu'en exé- 
cutant aussi rapidement le trajet de la Norvège à la Sibé- 
rie, le courageux investigateur a, suivant l'expression 
de sa lettre : <c atteint le but que les grandes nations 
maritimes hollandaise, anglaise et russe, ont vainement 
cherché pendant des siècles, et cela, parce que Ton choi- 
sissait une saison inopportune pour la navigation dans ces 
mers. Quant à moi, dit en terminant M. Nordenskiôld, 
c'est ma conviction bien arrêtée , qu'une nouvelle route 
de commerce a été ouverte, fait dont l'importance frap- 
pera les yeux de quiconque marquera d'une couleur 
spéciale, sur une carte de l'Asie, ces vastes pays où 
les fleuves Obi, Irtisch et Ieniseï, forment avec leurs af- 
fluents, autant de grandes voies de communication. » 

Des dépêches russes, ajoute M. Daubrée, ont en effet 
appris l'enthousiasme qu'avait excité à Jenisseick l'arri- 
vée du hardi voyageur suédois 1 . 



i 



Comptes rendus de V Académie des sciences, novembre 1875. 



222 LES METEORES. 

Dans une nouvelle communication, M. Daubrée nous 
apprend que M. Nordenskiôld et ses compagnons firent 
une halte à une station de pêche dans le petit détroit formé 
par les îles Binchowski, archipel situé dans les bouches du 
Teniseï entre 69 degrés 4 et 70 à. La saison de la pêche 
était passée, et l'endroit était par conséquent désert mais 
ravissant. Le 28 août, ils passèrent avec leurs canots entre 
plusieurs îles couvertes d'une végétation luxuriante et ter- 
minées du côté du fleuve en terrasses taillées à pic, d'où 
s'étaient détachés d'énormes blocs de tourbe. Le passade 
suivant est important à noter : 

« Nous étions encore beaucoup au nord du cercle po- 
laire : comme bien des personnes s'imaginent que cette 
contrée est un grand désert couvert de glace et de neige , 

ou avec une végétation très minime de mousse, il faut 
remarquer que tel n'est point le cas. Au contraire, comme 
je viens de le dire, nous ne vîmes, en remontant le Ieniseï, 
de neige qu'à un seul endroit, dans une anfractuosité 
très profonde ; surtout sur les îlots que les eaux du fleuve 
inondent au printemps, la végétation était telle, que j'ai 
rarement vu quelque chose de pareil. » 

Voici principalement qui intéresse l'avenir et qu'on ne 
lira pas sans quelque surprise : 

« La fertilité de la terre, l'immense étendue des prai- 
ries et la richesse en herbes excita déjà ici l'envie d'un 
de nos baleiniers, propriétaire de quelques lambeaux de 
terre dans les montagnes les plus septentrionales de la 
Norwège. Il trouvait que le bon Dieu avait donné un 
bien beau pays « au Russe » , et il fut tout étonné de ne pas 
voir des bestiaux paître ou des faulx couper l'herbe. Nous 



MER POLAIRE. 223 

étions tous les jours témoins d'un étonnement qui aug- 
mentait à mesure que nous avancions vers les énormes 
forêts vierges de la région de Tourouschank, ou vers les 
plaines presque inhabitées et couvertes d'une terre noire 
(tchernosem) profonde, de l'autre côté de Krasnojarsk. 
Leur fertilité pouvant être comparée à celle des meilleures 
parties de la Scanie, et leur étendue dépassait celle de 
toute la péninsule Scandinave, Cette appréciation, faite 
par un véritable cultivateur, même sans éducation, ne 

doit pas être sans intérêt, quand il s'agit de juger l'im- 

portance future de la Sibérie. 

« Ainsi, quoiqu'une partie de ces contrées se trouve 
au nord du cercle polaire, on y voit, je crois, les plus 






vastes et les plus magnifiques forêts de l'ancien conti- 
nent. Au sud de la région forestière proprement dite se 
trouvent des plaines sans pierres et couvertes de la terre 
la plus fertile; elles s'étendent à plusieurs centaines de 
milles et elles n'attendent que la charrue pour livrer les 
moissons les plus abondantes, » 

Pendant ce curieux et important voyage d'investiga- 
tion, la partie purement scientifique n'a pas été négligée : 
MM. Lundstrôm et Struxberg, courageux compagnons de 
M. Nordenskiuld, ont fait une riche collection sur la nature 
de la Sibérie 1 . 



VIL 



Les courants d'air frais du printemps , si fort appré- 
hendés de nos cultivateurs, peuvent être produits par des 

1 Comptes rendus de l'Académie des sciences ', décembre 1875. 



224 



LES METEORES. 



montagnes de glace qui se détachent des régions polaires 
et viennent se fondre lentement dans nos climats plus 
doux en suivant les courants maritimes; ils ne sont 
pas toujours sans dangers pour les navigateurs. Nous 
croyons devoir citer la curieuse relation suivante : 
-« Deux bancs de glace, dit la Gazette de Montréal (\ 87 4), 









I if- v " ■ ■ - % |S» ? - m\^ 








Fig. -48. — Montagnes de glace des pôles 



sont venus à la côte cet été et ont pris position à l'entrée 
du port. L'un était magnifique d'aspect ; son sommet cré- 
nelé s'élevait à près de 35 mètres au-dessus de l'eau, 
avec une couronne de tourelles et de flèches tout à fait 
fantastiques. Il avait près de trois fois la dimension de 
l'abbaye de Westminster. L'autre était oblonget de son 
sommet s'inclinait par une pente graduelle jusqu'à la mer. 




C ^/r*> ,r> 



MER POLAIRE. 225 

ce Ces deux banquises provenaient des glaciers du Groen- 
land, qui poussent constamment leurs fronts de glace vers 
l'Océan jusqu'à ce que, avancés en mer à une cer- 
taine profondeur, des fragments se détachent et soient 
emportés par le courant arctique. Ces blocs ont été pro- 
bablement formés il y a des siècles, à des centaines de 
milles des côtes, dans les vallées solitaires et désolées des 
montagnes du Groenland, par la neige compacte qui 
se dissout d'abord partiellement et se congèle ensuite par 
la pression des masses accumulées, sous la forme de ri- 
vières de glaces qui descendent jusqu'à la côte, d'où elles 
sont expulsées à l'état de banquises. 

« Ces deux blocs de glaces, venus à la côte, y sont restés 
pendant plus de quinze jours. Le plus grand a commencé 
à éprouver les effets d'une atmosphère plus douce, des 
ruisseaux coulent le long de ses flancs; un lac s'est 
formé sur son large sommet; plusieurs de ses tourelles 
se sont écroulées tout d'un coup dans l'Océan; le long 
de la surface on pouvait distinguer des fissures; et 
enfin , avec un bruit semblable à celui du tonnerre , il 
s'est brisé en mille fragments et a couvert l'Océan de ses 
épaves comme dans un naufrage. 

« L'autre bloc était d'une plus grande solidité; il a 
mieux résisté à la chaleur, mais, dans une grande marée, 
le vent soufflant de terre, il a repris sa route vers la pleine 
mer pour continuer son voyage jusqu'à ce qu'il disparaisse 
dans le cours dissolvant du Gulf-Stream. Il n'est pas rare 
de voir des quartiers de rocs enchâssés dans les banquises 
détachées des montagnes arctiques. » 

Un éminent écrivain et sagace observateur, duquel on 

15 



226 LES METEORES. 

peut dire ce que Macrobe disait de Virgile : ce Virgile qui 
ne commet jamais d'erreur en matière de science, » s'ex- 
prime ainsi : ce Un filet d'eau, découlant d'une nappe de 
neige, se fraye un passage dans leurs blocs de granit : 
une vague opiniâtre sape leurs fondements ; un rayon de 
soleil les pénètre; un coup de vent les ébranle. Le ton- 
nerre n'éclate pas dans cette froide atmosphère du Spitz- 
berg; mais, lorsque ces énormes murs de glace se déta- 
chent de leur enceinte; ils s'écroulent dans les flots avec 
le fracas du tonnerre, et du broiement de leurs débris 
s'élève un tourbillon de poussière pareil à la fumée d'un 
incendie allumé par la foudre ' . » 

4 X. Marmier, de l'Académie française, les Fiancés du Spitiberg, ch. XIII. 



CHAPITEE XII. 



LES TROMBES 



Typhon des Grecs. — Passage de Pline. — Ty-fong des Chinois. — Trombe 
sous un ciel sombre ou sous un ciel serein. — Décharnés de canon pour rom- 
pre les trombes. — Plusieurs faits curieux. — Analogie des effets produits 
par les trombes et par la foudre. — Tornados. — Les trombes à l'Académie 
des sciences pendant les années 1875 et 1876. 



I. 



Une trombe est un tourbillon rapide, parcourant sou- 
vent une grande étendue de pays, en tournoyant avec 
un bruit que Ton peut quelquefois comparer à celui d'une 
voiture pesante roulant sur un chemin pavé. 

On nomme trombes d'air celles qui ont lieu sur la terre, 
trombes marines celles qui apparaissent sur les mers, et 
trombes d'eau celles qui se dressent au-dessus des lacs 
et des rivières. On donne aussi quelquefois aux trombes 
les noms de typhons et de syphons. 

Aucune partie du globe n^est à l'abri de ce redoutable 
phénomène. Tantôt il absorbe les eaux de l'Océan, 
entraîne et fracasse les vaisseaux qu'il rencontre sur son 
passage; tantôt il dessèche les lacs et les étangs, soulève 



228 LES MÉTÉORES. 

des masses d'eau énormes, creuse dans le sol des excava- 
tions profondes, renverse les maisons, déracine les plus 
gros arbres, les transporte à des distances considérables, 
et couvre de leurs débris et d'un déluge d'eau le terrain 
sur lequel il vient à éclater. 

Les globes de feu et les éclairs qui s'échappent sou- 
vent du sein de ces tourbillons attestent certainement que 
l'électricité y joue un grand rôle. 

Les Grecs, qui avaient l'art de tout poétiser, firent du 
typhon un géant affreux, formé de vapeurs condensées, 
que Junon fit sortir de la terre en la frappant de sa main, 
dans un moment de fureur jalouse. Les bras de ce monstre 
s'étendaient du levant au couchant, sa tête touchait aux 
nues, ses yeux étaient enflammés et sa bouche vomis- 
sait des torrents de feu ; il était porté par des ailes noires, 
couvertes de serpents qui faisaient entendre [des siffle- 
ments aigus; il avait pour pieds deux dragons énormes. 
Ce monstre, qui effrayait les dieux eux-mêmes, est le 
type de ces météores désastreux qui s'étendent de l'orient 
à l'occident, dont la tête se perd dans les nues et les 
pieds dans la mer, et qui vomissent la foudre, la grêle et 
des torrents de pluie* 



II. 



Pline décrit ainsi les trombes (chap. XLIX et L du 
second livre de son Histoire naturelle) : 

« Passons aux souffles qui s'élèvent subitement, et qui 
sortis, comme nous l'avons dit, des flancs de la terre, 



LES TROMBES. 



229 



y sont repousses de la région des nuages, en s'en enve- 
loppant et en prenant plusieurs formes, chemin faisant. 

Vagabonds et rapides comme des torrents, ils produi- 




Fiff. 50. — Trombe sur lerre 



sent, au rapport de plusieurs auteurs que nous avons 
déjà cités, des tonnerres et des éclairs. Si leur trop grand 
poids, accélérant leur chute, vient à crever une nue 



230 liES METEORES. 

•chargée de vapeurs sèches, il en résulte une tempête que 
les Grecs momment ecnéphias; si, roulés dans un cercle 
moins vaste ils rompent la bue sans faire jaillir d'é- 
clairs ou de foudres, ils forment un tourbillon appelé 
typhon , c'est-à-dire une nue qui crève en jetant de l'eau 
autour d'elle. Ce typhon entraîne avec lui des glaçons qu'il 
en détache , les roule , les tourne à son gré ; son poids s'en 
augmente , sa chute s'en accélère , et sa rotation rapide 
le porte de lieu en lieu. Nul fléau n'est plus fatal aux 
navigateurs ; non seulement il fracasse les antennes , mais 
les vaisseaux mêmes, en les tordant. Le vinaigre, na- 
turellement très froid, répandu à sa rencontre, offre un 
petit remède à un si grand mal. Le typhon, en tom- 
bant, se relève par l'effet du choc même, et, pompant 
ce qu'il trouve à l'instant de la répercussion, il l'enlève 
et le reporte dans la région supérieure. » 

On voit que l'imagination et la fantaisie tiennent beau- 
coup de place dans cette description des trombes par 

Pline. 

ce Camôens, dans les Lusiades, nous en donne une 
splendide description : 

ce J'ai vu... non, mes yeux ne m'ont point trompé; 

j'ai vu se former sur nos têtes un nuage épais qui , par 
un large tube, aspirait les eaux profondes de l'Océan. 
« Le tube à sa naissance n'était qu'une légère va- 
peur rassemblée par les vents; elle voltigeait à la sur- 
face de Peau. Bientôt elle s'agite en tourbillon, et, sans 
quitter les flots, s'élève en long tuyau jusqu'aux cieux, 
semblable au métal obéissant qui s'arrondit et s'allonge 
sous la main de l'ouvrier. 



LES TROMBES, 231 

ce Substance aérienne, elle échappe quelque temps à 
la vue ; mais à mesure qu'elle absorbe les vagues elle se 
gonfle, et sa grosseur surpasse la grosseur des mâts. 
Elle suit en se balançant les ondulations des flots: un 

«» 7 

nuage la couronne , et dans ses vastes flancs engloutit les 
eaux qu'elle aspire. 

<sc Telle on voit l'avide sangsue s'attacher aux lèvres 
de Tanimal imprudent qui se désaltère au bord d'une 
claire fontaine. Brûlée d'une soif ardente, enivrée du 
sang de sa victime , elle grossit , s'étend et grossit encore. 

Telle se gonfle l'humide colonne , tel s'élargit et s'étend 
son énorme chapiteau. 

« Tout à coup la trombe dévorante se sépare des 
flots , et retombe en torrents de pluie sur la plaine liquide. 
Elle rend aux ondes les ondes qu'elle a prises , mais elle 
les rend pures et dépouillées de*la saveur du sel » 

Cette brillante description indique que ce phénomène 
avait été bien étudié par le poète portugais. 



III. 



Pendant une après-midi, près de l'équateur, M. Rous- 
sel, capitaine du liegina-Cœli , navire sur lequel est ar- 
rivée cette fameuse révolte de noirs dont tous les jour- 
naux ont parlé, attira mon attention sur des vapeurs qui 
s'élevaient de la mer, sous la forme d'entonnoir, pour en 
rejoindre d'autres qui, sous la même forme, semblaient 
descendre des nues, en sorte que le tout avait l'aspect 
d'une colonne se renflant progressivement aux deux ex- 
trémités; vers le tiers de la hauteur, plus près de la mer 



232 LES MÉTÉOKES. 

que des nuages, il semblait y avoir solution de conti- 
nuité. — J'aurais bien désiré d'être à même d'observer 
ce phénomène dans tous ses détails, mais il était trop 
éloigné de nous pour cela, et je n'ai pas eu d'occasion 

plus favorable. 

Après avoir décrit quelques trombes, observées pen- 
dant son deuxième voyage dans l'atmosphère austral, 
Cook s'exprime ainsi : ... « Quelques-unes de ces trombes 
semblaient par intervalles être stationnaires ; d'autres fois 
elles paraissaient avoir un mouvement de progression vif 
mais inégal, et toujours en ligne courbe, tantôt d'un 
côté, tantôt d'un autre; de sorte que nous remarquâmes 
une ou deux fois qu'elles se croisaient. D'après le mou- 
vement d'ascension de l'oiseau (un oiseau qui avait 
été emprisonné par la trombe), et plusieurs autres cir- 
constances, il est clair que des tourbillons produisaient 
ces trombes, que l'eau y était portée avec violence 
vers le haut, et qu'elle ne descendait pas des nuages, 
ainsi qu'on l'a prétendu dans la suite. Elle se manifeste 
d'abord par la violente agitation et l'élévation de l'eau : 
un instant après vous voyez une colonne ronde qui se 
détache des nuages placés au-dessus, et qui, en ap- 
parence , descend jusqu'à ce qu'elle se rejoigne à l'eau 

agitée. Je dis en apparence, parce que je crois que cette 

descente, n'est pas réelle, mais que l'eau agitée qui est 
au-dessus a déjà formé le tube , et qu'il est, en s'élevant, 
trop petit et trop mince pour être d'abord aperçu. Quand 
ce tube est formé ou qu'il devient visible , son diamètre 
apparent augmente; et il prend assez de grandeur; il 
diminue ensuite , et enfin il se brise ou devient invisible 



LES TROMBES. 



l\",;>, 



vers la partie inférieure. Bientôt après, la mer reprend 
son état naturel, et les nuages attirent peu à peu le 
tube; jusqu'à ce qu'il soit entièrement dissipé. Le même 




Fig. 51. — Trombe sur la nier. 



tube a quelquefois une direction verticale et d'autres fois 
une direction courbe ou inclinée. Quand la dernière 
trombe s'évanouit il y eut un éclair sans explosion. » 



234 LES MÉTÉORES. 

Dans PÉcho du monde savant, tome I er , page 176, 
M. Page s'exprime ainsi : 

<c Un jour nous naviguions sur les côtes d'Espagne, 
non loin du cap de Sate , prêts à le doubler pour nous 
lancer dans le détroit de Gibraltar; le baromètre était 
fort haut : il marquait 29 pouces; la brise était incer- 
taine, l'ait sec et chaud, et de temps en temps des ra- 
fales descendaient des montagnes; le ciel était de ce bril- 
lant azur qu'on ne rencontre que sous le climat de l'An- 
dalousie. Tout à coup une violente agitation se manifesta 
dans l'atmosphère ; le vent roula sur nos têtes avec un 
bruit semblable à celui d'une forêt agitée par la tempête 
et nous nous trouvâmes presque instantanément enve- 
loppés de trombes. A droite, à gauche, devant, der- 
rière , nous en comptâmes sept de diverses grandeurs , 
toutes s'élevant de la surface de la mer et montant en 
cône renversé , dont le sommet était d'abord tangent à 
l'eau, et la base vaguement terminée dans l'air. » 

Le même auteur cite le brick de guerre français le 
Zèbre, qui fut surpris par une trombe de cette espèce, 
en allant de Toulon à Navarin. Son action fut si rapide 



que l'officier n'eut pas le temps de faire retirer les voiles; 
elle était forte, elle emporta deux mats de hune, jeta 
quelques gouttes d'eau sur le pont, et un instant après 

laissa tomber le brick dans un calme plat. . 

« Il est très dangereux pour un vaisseau , dit Dampier, 
de se trouver au-dessous d'une trombe au moment où 
elle se rompt ; c'est pourquoi nous nous efforcions toujours „ 
de nous tenir à distance, lorsque cela était possible. Mais 
à cause du grand calme qui nous empêchait de fuir, 



LES TROMBES. 235 

nous avons été plusieurs fois dans un grand danger ; car 
le temps est ordinairement très calme tout autour, à l'ex- 

ception de la place sur laquelle elle agit. C'est pourquoi 
les marins, lorsqu'ils voient une trombe s'avancer sans 
avoir aucun moyen de l'éviter, font feu dessus de leurs 
plus grosses pièces pour la rompre par le milieu. » 



IV. 



Le 6 septembre 1814, le capitaine Napier, comman- 
dant le vaisseau Erne, aperçut une trombe à la distance 
de trois encablures ; le vent soufflait successivement dans 
des directions variables ; la trombe au moment de sa pre- 
mière apparition semblait avoir le diamètre d'une bar- 
rique; sa forme était cylindrique, et l'eau de la mer s'y 
élevait avec rapidité ; le vent l'entraînait vers le sud. Par- 
venue à la distance d'un mille du bâtiment, elle s'arrêta 
pendant plusieurs minutes ; lorsqu'elle commença de nou- 
veau à marcher, sa course était dirigée du sud au nord , 
c'est-à-dire en sens contraire du vent qui soufflait. Comme 
ce mouvement l'amenait directement sur le bâtiment, le 
capitaine Napier eut recours à l'expédient recommandé 
par tous les marins , c'est-à-dire qu'il fit tirer plusieurs 
coups de canon sur le météore. Un boulet l'ayant tra- 
versé à peu de distance de la base, au tiers de la hau- 
teur totale, la trombe parut coupée horizontalement en 
deux parties , et chacun des segments flotta ça et là in- 
certain , comme agité successivement par des vents op- 
posés. Au bout d'une minute , les deux parties se réu- 



236 LES MÉTÉORES. 

nirent pour quelques instants ; le phénomène se dissipa 
ensuite tout à fait , et l'immense nuage noir qui lui suc- 
céda laissa tomber un torrent de pluie. 

M. Baussard, lieutenant de frégate, étant au nord de 
File de Cuba , dit qu'une trombe et le nuage qu'elle servait 
à former paraissant chassés par un petit vent frais du 
nord-est , quelques vaisseaux de l'armée qui s'en appro- 
chèrent tirèrent sur cette trombe plusieurs coups de 
canon à boulet qui firent un très bon effet, puisqu'ils in- 
terrompirent le cours de l'eau de la mer, qui s'élevait par 
un tournoiement rapide. Alors la trombe devint plus 
faible par le bas , et bientôt après , elle se sépara de sa 
base, et le bouillonnement disparut, y agitation intestine 
paraissait se faire de bas en haut, avec régularité, et 
acheva, en se dissipant entièrement, de former le nuage 
qui couvrit tout l'horizon. Ensuite le tonnerre, qui avait 
commencé à gronder, devint plus fort; la foudre éclata 
sur un vaisseau espagnol de l'escadre du général Cor- 
dova; immédiatement après, l'air se refroidit sensible- 
ment par l'abondance de la pluie qui tomba pendant plus 
d'une heure. 



V. 



En général , l'eau des trombes marines est douce comme 
de l'eau de pluie. Camôens fait remarquer avec étonne- 
ment cette particularité. 

Entre autres faits à l'appui , on peut citer celui du ca- 
pitaine Melling, de Boston, qui, dans un voyage aux 



LES TROMBES. 237 

Indes occidentales, au mois d'août, sur le soir d'un jour 

très chaud, vit une trombe aborder le vaisseau qu'il 
montait, et qui, en deux ou trois secondes, traversa 
dans sa largeur l'arrière du bâtiment pendant qu'il y 
était. Un déluge d'eau lui tomba sur le corps et le ren- 
versa; il fut obligé de s'accrocher aux premiers objets 
qu'il put embrasser pour n'être pas entraîné par-dessus 
le bord, ce dont il avait une grande frayeur. Mais la 
trombe, qui faisait un bruit semblable à un rugissement, 

ayant dépassé l'autre bord, fut mise en communication 

avec la mer. L'eau de la trombe lui était entrée par le 
nez et la bouche; il en but malgré lui, et la trouva 
très douce et nullement salée. 

Quelquefois des trombes ont transporté des personnes 
d'un lieu à un autre, sans leur faire de mal. « Une nuée 
extrêmement épaisse, et fort basse, dit l'abbé Richard, 
poussée par un vent du nord , couvrit la surface du sol 
sur lequel est placé le bourg de Mirabeau* Différents tour- 
billons se formèrent en môme temps dans cette masse 
noire chargée de vapeurs épaisses ; il en sortit de la grêle, 
le tonnerre se fit entendre, les arbres et les haies furent 
arrachés, l'eau de la petite rivière de Mirabeau fut trans- 
portée à plus de soixante pas de son lit, qui resta à sec 
pendant ce temps ; deux hommes qui se trouvèrent en- 
veloppés dans un des tourbillons furent portés assez loin 
sans qu'il leur arrivât rien de fâcheux... Un jeune pâtre 
fut enlevé plus haut et rejeté au bord de la rivière 
sans que sa chute fût violente ; le tourbillon qui l'avait 
emporté le posa à l'endroit où il cessa d'agir... Toute 
la fureur du météore se dissipa dans l'espace d'une 



238 LES METEOKES. 

lieue de longueur, sur une demi-lieue de largeur 1 . » 
« Dans les endroits où passa cette trombe, dit le père 
Boscovich, en parlant de la trombe d'Àrezzo, sa queue 
traça dans les champs de blé un chemin si parfaitement 
droit qu'il semblait fait par des moissonneurs. Non seu- 
lement elle a ravagé le blé, mais encore elle a amassé 
dans cet endroit une quantité de sable et de terre presque 
jusqu'à la hauteur d'un homme. 

<c Dans un endroit appelé Faltona, elle déracina en 
ligne droite quatre cents châtaigniers, et les transporta 
très loin. Deux jeunes bergers qui s'étaient réfugiés sous 
l'un de ces arbres furent emportés avec lui à la hauteur 

d'un coup de pistolet, et renversés à terre, sans lésion 
grave; ailleurs, quatre oies furent enlevées, et une d'elles 
alla tomber sur la tête d'un cavalier. » 



VI. 



Quelquefois on a vu des contrées se couvrir presque 
instantanément d'un grand nombre de petits animaux. Les 
trombes ne sont pas étrangères à ce phénomène. Voici 
un fait singulier : 

« Le 13 septembre 1835, une trombe a ravagé les 
communes de Caux, canton de Couché, et de Champa- 

gné-Saint-Hilaire. Sa marche a été du sud-ouest au nord- 
est, et elle y a causé des dégâts ; plusieurs arbres ont été 
arrachés et brisés, des maisons ont été renversées. Dans 
la dernière commune, elle a enlevé toute l'eau d'une mare 

1 L'abbé Richaud, Hist. nat. de l'air et des météores, t. VI, § 625. 



LES TROMBES. 239 

et tous les poissons qu'elle contenait; elle a été les rejeter 
à une lieue et demie de là, au grand étonnement des per- 
sonnes témoins de cette pluie ichthyologique \ » 

Un des effets les plus remarquables des trombes est le 
clivage des bois en lattes minces et allongées, ou en fila- 
ments représentant une sorte de balai. Cet effet est sans 
doute produit par le passage de l'électricité, qui élève la 
température de la sève. Ceci est facile à comprendre : si 
le courant est quelque peu persistant, il élèvera la 
température de la sève , dont la tension brisera en lattes 

ou en fragments plus fins encore tout le ligneux du tronc, 
à l'endroit où il était le plus serré. Souvent, la décharge 
étant insuffisante, on ne trouve qu'une ou deux lanières 
arrachées, un arbre fendu en deux ou en quatre, ou 
enfin en un grand nombre de parties. 

Les vieux bois, comme les bois de charpente bien 
abrités et bien secs, qui ne sont plus conducteurs de Té- 
lectricité, ne sont jamais clivés en lattes. Lorsque, par une 
circonstance particulière et dépendante du lieu où ils sont 
placés, la foudre les frappe en masse suffisante, ils sont 
marqués par des signes de carbonisation et non de cli- 
vage: le bois moins sec que ces vieux bois peut donner un 

■ 

peu d'écoulement à l'électricité et offrir un effet moyen . 

On appelle tornados , des tempêtes très violentes , mais 

très courtes, elles existent à peine vingt minutes ; elles 

paraissent être un intermédiaire entre la trombe et le 
cyclone. En peu d'instants le vent souffle successivement 
de tous les points de l'horizon, et il semble que ce soit la 



1 Mauduyt, Écho du monde savant, 1835, numéros 90 et 83. 



240 LES METEORES. 

conséquence d'une accumulation de nuages dont on ne 
sent les dangereux effets qu'au moment où ils passent au 
zénith du lieu d'observation. Le plus souvent succèdent 
la pluie et l'orage. On peut consulter sur ce sujet un 
excellent travail de M. le docteur Borius 1 . 

Homère paraît avoir parfaitement étudié ces phéno- 
mènes : ce Lui-même (Hector), hors des rangs s'élance 
plein de courage et tombe dans la mêlée. Telle la tempête, 
bondissant du haut des nuages, soulève les sombres flots 
de la haute mer 2 . » 



VIL 



La théorie des trombes a été vivement discutée à l'A- 
cadémie des sciences pendant l'année 1875 par M. Faye 
et d'autres savants éminents. À l'occasion de la trombe 
de Hallsbery, M. Fave donne le résumé des conclusions 
éparses dans ses nombreux Mémoires, à peu près en ces 
termes : 1° Les mouvements giratoires à axe vertical se 



produisent dans l'atmosphère aux dépens des inéga- 
lités de vitesse des grands courants horizontaux; c'est 

un phénomène général, semblable mécaniquement aux 
tourbillons de nos cours d'eau. 2° Les mouvements tour- 
billonnâmes à axe non vertical , ne sont pas persistants 
et de forme géométrique comme les premiers, ils tendent 

9 

à se détruire à mesure qu'ils se forment. 3° Les mouve- 
ments giratoires à axe vertical , connus sous les noms de 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 2 tf semeslre. 

2 Iliade, chap. XI. 



LES TROMBES. 241 

trombes , de tornados et de cyclones, sont de même nature 
et ne diffèrent que par leur dimension, leur durée et 
l'étendue de leur parcours. 4° C'est par eux seuls que les 
couches supérieures sont mises momentanément en rap- 
port électrique avec les inférieures; ils constituent en 
outre un organe essentiel de la circulation aérienne de 
l'eau dans sa partie descendante; au sein des mouvements 
tournants et dans la vaste ouverture de leur entonnoir, 

les cirrhus entraînés descendent et donnent naissance, 
dans les couches moins élevées, aux grands phénomènes 

de la pluie, des orages et de la grêle. 5° Ces mouvements 
tournants à axe vertical ne sont pas particuliers à notre 
globe; ils jouent un grand rôle sur d'autres astres; 
on les retrouve sur le soleil, et ils y opèrent sur la plus 
grande échelle. Le rôle considérable qu'ils y jouent est 
dû à la rotation toute spéciale de cet astre; il explique 
les principaux phénomènes de sa surface; mais leur 
nature mécanique étant absolument la même que sur 
notre globe , l'étude des mouvements giratoires du soleil 
peut servir, tout aussi bien , et parfois même beaucoup 
mieux que l'étude des mouvements giratoires de notre at- 
mosphère , à l'avancement de la mécanique des fluides et 
de la météorologie 1 . 

Dans la même séance académique, M. Planté a commu- 
niqué d'importantes expériences, desquelles il croit pou- 
voir conclure « que les trombes sont de puissants effets 
électrodynamiques, produits par les forces combinées de 
l'électricité atmosphérique et du magnétisme terrestre. » 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 1 er semestre. 

16 



242 LES MÉTÉOKES. 

La théorie de M. Faye a été vivement combattue par 
des savants éminents, entre autres par MM. Peslin, Reye, 
etc., qui sont loin d'être d'accord avec l'éminent as- 
tronome, mais nous ne pouvons ici entrer dans les débats 
auxquels cette question a donné lieu ; d'ailleurs la dis- 
cussion continue. 



CHAPITEE XIII. 



LES OURAGANS. 



Les ouragans dans la mer des Indes. — Le Génie des tempêtes. — Découverte 
des lois des ouragans. — Description scientifique des ouragans. — Lieux où 

ils prennent naissance. — Leur commencement et leur fin. — Leur étendue 
et leur violence. — Modifications qu'ils peuvent subir par les obstacles qu'ils 
rencontrent. — Hauteur qu'ils peuvent atteindre. — Saison des ouragans. 
— Ce que doit faire un navire pour éviter toute avarie. — Signes précur- 
seurs des ouragans. — Utiles indications données par le baromètre. — Dé- 
fense de la loi des tempêtes par M. Faye. 



I. 



Jusqu'à nos jours les ouragans ont porté la désolation 
et la mort parmi les nombreux navires qui sillonnent 
l'Océan, principalement dans la mer des Indes. Il est bien 
difficile en effet de doubler le cap de Bonne-Espérance 
sans ressentir leur terrible puissance; aussi, les pre- 
miers navigateurs Favaient-ils nommé justement le Cap 
des Tempêtes, et Camônes a consacré ce promontoire 
élevé à Adamastor, dans sa superbe allégorie, que tout 
voyageur instruit est obligé de se rappeler lorsqu'il 
arrive dans ces parages ; pour moi, je ne puis exprimer 
avec quelle émotion je les relisais en présence de ces 

lieux célèbres : 



244 LES METEORES. 

« La nuit promenait en silence son char étoile; nos 
vaisseaux fendaient paisiblement les ondes ; assis sur la 
proue, nos guerriers veillaient, lorsqu'un sombre nuage 

oui obscurcit les airs se montre au-dessus de nos têtes et 
jette l'effroi dans nos cœurs. 

« La mer ténébreuse faisait entendre au loin un bruit 
semblable à celui des flots qui se brisent contre les ro- 
chers. Dieu puissant! m'écriai-je, de quel malheur som- 
mes-nous menacés? Quel prodige effrayant vont nous 
offrir ce climat et cette mer? C'est ici plus qu'une tempête. 

<c Je finissais à peine , un spectre immense , épouvan- 
table, s'élève devant nous. Son attitude est menaçante, 
son air farouche, son teint pâle, sa barbe épaisse et fan- 
geuse. Sa chevelure est chargée de terre et de gravier; 
ses lèvres sont noires, ses dents livides; sous de noirs 
sourcils, ses yeux roulent étincelants. 

« Sa taille égalait en hauteur ce prodigieux colosse 
autrefois l'oreueil de Rhodes et Fétonnement de l'univers. 



— 



Il parle ; sa voix formidable semble sortir des gouffres de 

la mer. À son aspect, à ses terribles accents, nos cheveux 

se hérissent ; un frisson d'horreur nous saisit et nous glace, 
ce peuple ! s'écrie-t-il , le plus audacieux de tous les 

peuples! Il n'est donc plus de barrière qui vous arrête? 
Indomptables guerriers, navigateurs infatigables, vous 
osez pénétrer dans ces vastes mers dont je suis l'éternel 
gardien , dans ces mers sacrées qu'une nef étrangère ne 
profana jamais ! 

« Vous arrachez à la nature des secrets que ni la science 
ni le génie n'avaient pu encore lui ravir! Eh bien, mor- 
tels téméraires, apprenez les fléaux qui vous attendent 




/ ./'i.nùY *t"< 






' rS S/,' f ' e 'S*. ' 



LES OURAGANS. 245 

s>ï cette plage orageuse et sur les terres lointaines que 
vous soumettrez par la guerre* 

« Malheur aux navires assez hardis pour s'avancer sur 
vos traces! Je déchaînerai contre eux les vents et les tem- 
pêtes. Malheur à la flotte qui la première après la vôtre 
viendra braver mon pouvoir! A peine aura-t-elle paru 
sur mes ondes, qu'elle sera frappée, dispersée, abîmée 
dans les flots. 

ce Avec elle périra le navigateur impie qui, dans sa 
course vagabonde, aperçut mon inviolable demeure et 
vous révéla mon existence. Et ce terrible châtiment ne 

sera que le prélude des malheurs que l'avenir vous pré- 
pare. Si j'ai su lire au livre des destins, chaque année ra- 
mènera pour vous de nouveaux désastres ; la mort sera le 
moindre de vos maux. 



<c II continuait ses horribles prédictions. — Qui es-tu, 
monstre? lui dis-je, en m'élançant vers lui. Quel démon 
vient de nous parler par ta bouche? L'affreux géant jette 
sur moi un regard sinistre. Ses lèvres hideuses se sépa- 
rent avec effort et laissent échapper un cri terrible. Il me 
répond enfin d'une voix sourde et courroucée : 

<c Je suis le génie des tempêtes ; j'anime ce vaste pro- 
montoire que les Ptolémée, les Strabon, les Pline et les 
Pomponius, qu'aucune génération passée n'a connu. Je 
termine ici la terre africaine, à cette cime qui regarde le 
pôle antarctique, et qui, jusqu'à ce jour voilée aux yeux 
des mortels, s'indigne en ce moment de votre audace. 

« De ma chair desséchée, de mes os convertis en rocher» 



246 LES METEORES. 

les dieux , les inflexibles dieux ont formé le vaste pro- 
montoire qui avance au milieu de ces vastes ondes; et 
pour accroître mes tourments , pour insulter à ma dou- 
leur, Thétis vient chaque jour me presser de son humide 
ceinture. 

<c A ces mots, il laissa tomber un torrent de larmes, et 
disparut. Avec lui s'évanouit la nuée ténébreuse; et la 
mer sembla pousser un lone gémissement ' . » 



IL 



Notre savant illustre, M. Chevreul, le doyen des savants 

de tous les pays ou plutôt le doyen des étudiants, comme 

il se plaît à s'appeler souvent avec un fin sourire , vient 
de faire une communication à l'Académie des sciences 
(séance du 28 août 1882), d'une haute importance au 
point de vue de l'histoire des météores et qui a vivement 
captivé l'attention de tous. Il est juste de dire que la 
Société nationale d'agriculture en a eu les prémices. 

On sait que les lois des cyclones, de ces vastes et terri- 
blés ouragans qui se manifestent spécialement dans la 

mer des Indes, sont maintenant bien connues. 

Ces météores sont d'immenses tourbillons d'un diamètre 
plus ou moins grand; il peut atteindre trois ou quatre 
cents lieues. La force du vent augmente de tous les points 
de la circonférence jusqu'à une certaine distance du centre 
où règne un calme d'une étendue variable. Ces tourbillons 



1 Les Lusiades. chant V. 



LES OURAGANS. 



247 



suivent une direction opposée pour chaque hémisphère, 
mais à peu près constante pour chacun d'eux. Les oura- 
gans ne sont donc que de vastes trombes, dont le diamè- 




Fig. 53. — Ouragan. 



tre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces derniers 
temps d'apercevoir l'ensemble. 

Connaissant leurs lois, un capitaine de navire peut par- 
faitement, non seulement éviter les affreux sinistres qui 
en résultaient habituellement autrefois, mais encore se ser- 
vir de leur terrible puissance pour arriver à ses fins, et 
bien plus, leur direction une fois constatée on peut dé- 
crire la trajectoire qu'ils suivront et prédire leur arrivée 
dans tel ou tel lieu. 



248 LES MÉTÉORES. 

La découverte de leurs lois est donc un bienfait in es- 
timable pour les marins et pour tous ; chaque nation est 
heureuse d'enregister la part qui revient à leurs savants 
dans cette magnifique conquête de l'intelligence. 

Or, d'après la communication de M. Chevreul, le 
premier qui aurait découvert ces lois ne serait pas un des 
observateurs auxquels on les attribue généralement, mais 
un créole de notre île de la Réunion, île éminemment 
française. Ce créole s'appelait Joseph Hubert, homme 
d'une haute intelligence et d'un dévouement sans borne 
pour son pays. Ses papiers, ses notes, ses mémoires ont 
été religieusement conservés par son fils, M. Eaubel 
Hubert, et publiés par M. Emile Trouette, conseiller privé 
du gouverneur de la Réunion, qui, dans un sentiment 
patriotique que tout le monde comprend, a intéressé 
M. Chevreul à cette publication. L'ouvrage a été soumis 
à M. Faye, notre éminent astronome, qui a consigné 
son appréciation dans une lettre que nous croyons de- 
voir reproduire ici. 



« Mon cher et très respecté confrère, 



« Vous avez bien voulu me demander mon avis sur 
Fopinon qui attribue à Hubert la première idée de la loi 
du cyclone. — Après avoir pris connaissance des docu- 
ments contenus dans le livre que vous m'avez apporté à 
l'académie lundi dernier, je tiens pour certain que Hubert 
avait, dès avant 1788 reconnu le caractère gyratoire des 
cyclones, et qu'il les assimilait à des trombes gigantes- 
ques. 



LES OURAGANS. 249 

« Ces idées n'ont surgi en Angleterre que plus tard , 
en 1801, à en juger par les écrits peu connus d'un cer- 
tain colonel Copper, au service de la Compagnie des 
Indes, Les mêmes documents montrent qu'en 1818, 
Hubert était arrivé à la forme complète et correcte qui 
exprime le double mouvement de gyration et de trans- 
lation des cyclones, longtemps avant Dove, par consé- 
quent , dont les travaux sur les ouragans sont postérieurs 
de dix ans. 

« Pour moi, si j'ai occasion jamais de revenir sur ces 
questions, je me croirai obligé de rendre justice à qui de 
droit, c'est-à-dire à cet ingénieux observateur qui le pre- 
mier a su reconnaître, dans les plus effroyables tempêtes 

qui sévissaient sur son île, les lois d'une géométrie si re- 
marquable, lois qui ont servi de base à tout ce qui a été 
écrit plus tard sur ce sujet. 

<c Je saisis cette occasion, mon cher confrère , de vous 
offrir l'expression de mes sentiments de profond res- 
pect 1 . » 

Nous avons nous-mêmes parcouru cet ouvrage que l'on 

a bien voulu nous communiquer avec une complaisance 

empressée à la Société nationale d'Agriculture; nous 

avons été frappé des observations si curieuses et si im- 
portantes de Joseph Hubert, 

L'île de la Réunion est admirablement située pour les 
observations météorologiques et astronomiques. Elle se 
trouve sur le passage des ouragans de la mer des Indes 
qui portent bien souvent la désolation dans son sein. 11 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1882, 2 me semestre. 



250 LES METEORES. 

n'est pas étonnant que ces terribles fléaux aient attiré 
l'attention des habitants de ces pays d'ailleurs si fortunés, 
et que ce soit un de leurs enfants qui, avant tous, en ait 
déterminé les lois. 

Grâce aux journaux exacts des navigateurs, on a 
pu comparer des milliers de faits, s'élever aux lois qui 
régissent ces terribles phénomènes, les développer, et 
doner ensuite des règles sûres pour éviter leurs coups 
redoutables. 

Indiquons succinctement les principaux observateurs 
qui ont étudié ce sujet : 

Copper. Des vents et des moussons, Londres, 1801. 
Copper, le premier jusqu'ici, était regardé comme ayant 
constaté la rotation des ouragans à Madras, sur la côte 
de Coromandel, sur celle du Malabar et dans l'océan In- 
dien du Sud. 

Redfield a fait insérer plusieurs articles dans le Nanti- 
cal Magazine et dans un journal de New- York de 1831 à 
1848. — C'est le premier savant qui a constaté la rotation 
des tempêtes sur les côtes d'Amérique et leur mouvement 
progressif. 

Iieid en 1838 publia l'ouvrage On the Lato of storms 

(des Lois des tempêtes) ; c'est lui qui confirma par les 
faits ce que M. Redfield avait théoriquement indiqué, 
savoir que dans l'hémisphère sud les tempêtes tournent 
dans un sens contraire à celui de l'hémisphère nord. 
— Reid est le premier qui donna des règles pratiques 
pour fuir les cyclones vent arrière, selon les circons- 
tances, ou même tirer parti des ouragans en naviguant 
autour d'eux sans les traverser. 



LES OURAGANS. 251 

Piddington a donné dix-huit mémoires sur diverses 
tempêtes dans le Journal de la Société asiatique du Ben- 
gale, vol. in-8° (1839) et vol. in-18 (1849). — II a écrit 
ensuite le Guide du marin (1848, l ro édition), qui résume 
les lois des tempêtes dans toutes les parties du monde, 
ainsi qu'un autre ouvrage, intitulé Guide pour les ou- 
ragans de la Chine et de l'Inde, qui a eu le plus grand 
succès. — M. Piddington, président de la cour mari- 
time de Calcutta, a mis dans ces ouvrages à peu près 
tout ce que Ton connaît sur les ouragans, et indique les 
règles à suivre pour ne pas être victime de ces redouta- 
bles météores. 

Bousquet a publié la Science des tempêtes, ou Guide 
du navigateur, à l'île Maurice, en 1849; Keller a fait 
paraître à Paris son livre Des ouragans , tornados, 
typhons et tempêtes. — On pourrait citer beaucoup d'au- 
tres savants qui ont également contribué au développe- 
ment et à la vulgarisation des lois des ouragans : tels sont 

MM. Evans, en Amérique; Dove, à Berlin; Brewsier, à 
Edimbourg ; Erpy, en Amérique (Boston) ; Alex. Thom et 
Ryder, en Angleterre ; van Delden, en Hollande, etc., etc. 



III. 



Ainsi, on le voit, nombre de savants ont fait une étude 
spéciale, approfondie et minutieuse des lois des ouragans, 
et des moyens de prévenir les fureurs dévastatrices de ces 
terribles météores, et les ont formulés avec une exactitude 
parfaite. Ces lois et ces moyens sont très simples et à la 



252 LES METEORES. 

portée de l'intelligence de tout le monde, seulement il est 
bien regrettable qu'ils ne soient pas assez connus. 
J'ai pu être frappé de cela plus qu'un autre, car ayant 



demeuré assez longtemps à Pile de la Réunion, j'ai vu 
souvent se produire des désastres maritimes que l'on 
aurait pu facilement éviter. 

Je fus heureux de pouvoir contribuer à vulgariser des 
notions de la plus haute importance. J'ouvris avec em- 
pressement les colonnes du journal la Malle, que j'ai 
été fonder à l'île de la Réunion , à toutes les questions de 
science; je donnai en prime, à mes abonnés, la carte 
sur l'ouragan du 26 février 1860, de M. Bridet, capitaine 
de port, qui s'occupait activement de ce sujet, et je m'em- 
pressai de publier dans mon établissement de typogra- 
phie et de donner également en prime V Élude des oura- 
gans de l'hémisphère austral (1861), ouvrage dans lequel 

M. Bridet a résumé les principaux travaux des savants 
qui avaient précédemment étudié ces grands phénomènes, 
en ajoutant des faits à l'appui des lois déjà connues * . 
Dans ces contrées éloignées, j'avais le précieux avan- 



1 Ouvrage in-4°, d'environ 200 pages, avec dessin de M. Roussin, artiste 

distingué. Pour toutes les raisons que nous venons de dire , c'est cet ouvrage 
plutôt que ceux énumérés ci-dessus , que nous avons suivi dans les passages 
qui résument les lois des ouragans, en nous servant, comme cela se fait ha- 
bituellement dans ce genre de travail, des expressions et des formules de 
l'auteur lorsqu'elles concourent au but que l'on se propose. Dans le numéro 
du 17 février 1869 du Moniteur de Vile de la Réunion, M. Bridet s'est plaint 
de ce que nous n'avions pas indiqué ses travaux ; nous les avons au contraire 
non seulement signalés, mais toujours loués sans réserve (voir l re édit. (1869), 
p. 225, 240, 250), et à la page 22 nous renvoyons au mémoire que nous avons 
lu à l'Académie des sciences le 2 mai 1864, en tête duquel nous avons mis le 
passage suivant : « Pendant mon voyage dans la mer des Indes, j'ai pu observer 
au moins une dizaine de ces terribles ouragans qui portent la désolation sur 
leur passage: j'ai recueilli nombre de renseignements de la part de capitaines 



LES OURAGANS. 253 

lage de partager la vie de famille avec M. Ch. Desbas- 
sayns, vénérable créole de quatre-vingts ans. Rien de 
ce qui pouvait intéresser son cher pays ne lui était étran- 
er. Il connaissait parfaitement les phénomènes qui pré- 
cèdent, accompagnent et suivent les cyclones, et lors- 
que ces grands météores s'annonçaient, il m'en faisait 
remarquer les signes précurseurs ; nous les suivions dans 
leur marche en étudiant leur influence sur la nature et 
sur les instruments que nous oflre la science. 

Avec un guide aussi excellent, j'ai pu constater la 

justesse et contrôler plusieurs fois les lois les plus mi- 
nutieuses de ces vastes tourbillons, et je trouvais un 
nouvel intérêt lorsque, pour remplacer sa main trem- 
blante, il m'invitait à prendre la plume pour écrire, sous 
sa dictée, des notes que M. Bridet ne dédaignait pas de 
lui demander. 



expérimentés, d'anciens créoles, et par- dessus tout j'ai pu profiter des travaux 
et de l'expérience de M. Bridet, capitaine de port à l'île de la Réunion, savant 
aussi actif qu'intelligent. J'ai eu l'avantage de publier ses importants travaux, 
qui résument tous les autres et dont j'ai pu contrôler la justesse dans mon 
établissement typographique de la colonie. Ce sont eux principalement qui 
m'ont servi de guide dans le mémoire dont je donne ici l'extrait. » (Comptes 
rendus de V Académie des sciences, t. LVH, p. 802.) Nous avons plusieurs fois 
reproduit ce mémoire plus ou moins modifié, mais toujours en rendant justice 
à M. Bridet et en donnant à ses travaux les éloges qu'ils méritent. S'il n'en 
était pas ainsi, personne plus que nous ne tiendrait à réparer une omission, car 
nous voulons non seulement être juste, mais nous tenons, lorsque cela nous est 
possible, à être utile et agréable aux personnes avec lesquelles nous sommes en 
relation. D'un autre côté, plusieurs de mes honorables confrères, en rendant 
comple de la l w édition de notre Histoire des Météores avec une bienveillance 
dont nous leur sommes profondément reconnaissant, ont semblé attribuer à 
M. Bridet la découverte des lois des ouragans (voir entre ^autres le Siècle du 
12 octobre 1868, et le Moniteur scientifique du 1 er janvier 1869). La nomencla- 
ture des principaux ouvrages que nous venons d'indiquer, et qui ont paru 
avant les Études de M. Bridet, et les explications que nous donnons, feront 
sans doute disparaître tout malentendu. 



254 LES MÉTÉORES. 

J'ai pu également, ballotté sur les vagues orageuses, 
contrôler dans d'autres circonstances ces lois si bien 
établies, et en constater la justesse. À mon retour à Pa- 
ris , continuant à suivre le mouvement scientifique , c'é- 
tait avec un profond regret que j'apprenais les nom- 
breux désastres qui ne cessaient de se produire en mer, 
et qu'il eût été possible d'éviter en se soumettant aux 
indications les plus simples de la science et que des 
savants de premier ordre semblaient encore ignorer. J'ai 
donc continué à donner aux phénomènes et aux lois 
des tempêtes toute la publicité qui était en mon pou- 
voir, en prenant pour guide VÉtude des ouragans de 
P hémisphère austral, dont voici un résumé : 



IV. 



Les ouragans ou cyclones sont de vastes tourbillons, de 
plus ou moins grand diamètre, dans lesquels la force du 
vent augmente de tous les points de la circonférence jus- 
qu'à une certaine distance du centre, où règne un calme 

d'une étendue variable. 

Ces tourbillons suivent une direction opposée pour 

chaque hémisphère, mais à peu près constante dans 

chacun d'eux. 

Les ouragans ne sont donc que de vastes trombes, dont 
le diamètre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces 
derniers temps d'apercevoir l'ensemble. 

Les lois des ouragans sont générales, et les mêmes 
pour les deux hémisphères; seulement, et même comme 
conséquence de ces lois, le mouvement de rotation ne se 



LES OURAGANS. 255 

fait pas dans le même sens, et le mouvement de trans- 
lation ne s'opère pas dans la même direction pour l'un 
et pour l'autre hémisphère. 

Au centre du cyclone, où règne un calme complet des 
airs, la mer est cependant horriblement agitée. 

Dans cet espace de calme il n'existe pas de nuage; 
le soleil resplendit, les astres reparaissent, et l'on croit 
au retour du beau temps, on s'abandonne à une entière 
sécurité alors que Ton est de tous côtés entouré par 

une vaste ceinture d'orages et de rafales terribles, aux 
atteintes desquels on ne saurait échapper. 

Tout autour de ce calme central , le mouvement rota- 

toire a la même énergie , et cette énergie est poussée au 
plus haut point ; dans aucune autre partie de l'ouragan 
elle n'est aussi forte. Par conséquent , lorsqu'on arrive à 
cette région du centre, on passe de la tempête la plus 
violente au calme le plus complet, et réciproquement lors- 
qu'on la quitte, on passe du calme le plus complet à la 
tempête la plus violente; mais alors les rafales soufflent 
dans une direction tout à fait opposée à celles qui ont 

précédé le calme ; ce qui doit être, puisque leur mouve- 
ment est circulaire (fig. 54.) 

On sera peut-être étonné de voir que les rafales sont 
plus violentes à la circonférence qui détermine le calme 
central , que sur les bords du cyclone. Il est en effet tout 
naturel de supposer que l'énergie des rafales étant la con- 
séquence de la vitesse du mouvement rotatoire, on dût 
trouver les vents plus violents sur les bords extrêmes du 
tourbillon, puisque les molécules aériennes paraissent par- 
courir une plus grande circonférence dans le même temps. 



256 



LES MÉTÉORES. 



Si le météore était un corps solide, toutes ses parties, 
il est vrai, obéiraient simultanément au mouvement pro- 
\enantdu centre, et la plus grande vitesse se trouverait 
au point le plus éloigné de ce centre. Mais par leur état 



NORD duÀ MONDE 




Vexit 
SUDdu 




MONDE 



Fig. 54. — Mouvement circulaire du cyclone 



de fluidité les molécules glissent les unes sur les autres , 
sans pouvoir céder immédiatement à l'impulsion qui leur 
est communiquée, et la vitesse de rotation va ainsi en sens 
inverse, c'est-à-dire en augmentant depuis les bords ex- 



LES OURAGANS. 



257 



trêmes du phénomène jusqu'au calme central, à la limite 
duquel se rencontrent les plus violentes rafales. 

La première zone centrale, qui constitue véritablement 
l'ouragan, et pendant le passage de laquelle ont lieu tous 
les désastres, n'a guère plus de 250 milles de diamètre, 
quelles que soient les limites extrêmes auxquelles attei- 
gne le phénomène, car sa puissance n'est pas propor- 
tionnelle à son étendue. 




Fîg. 53. — Mouvement du cyclone sur sa parabole. 



La vitesse de rotation qui anime les ouragans est très 
variable : c'est elle qui constitue principalement la vio- 
lence du tourbillon et qui en fait, pour les lieux qu'il ren- 
contre et les navires sur lesquels il frappe, un ouragan , 
un coup de vent, ou une simple bourrasque. 

Lorsque le cyclone est un ouragan véritable, on estime 
que les molécules d'air tournent autour du centre avec 
une vitesse de 123 à 150 milles à l'heure, vitesse qui ex- 
plique suffisamment les ravages et les désastres produits 
par le passage de ce terrible météore. 



17 



258 LES METEORES, 



V. 



Le tourbillon prend généralement naissance par une 
latitude de S à 10 degrés. 

Une fois formé, il se met en marche, dans les mers du 
Sud, de soii point d'origine vers le sud-ouest du monde, 
continuant dans cette direction jusqu'à ce qu'il ait 
atteint une certaine latitude , pour reprendre une nou- 
velle direction vers le sud-est, et former ainsi une para- 
bole dont les deux branches s'écartent plus ou moins 
l'une de l'autre. 

La différence de densité des diverses couches atmos- 
phériques qu'il traverse, le mouvement rotatoire lui- 
même, doivent imprimer au cyclone un mouvement 
oscillatoire ; il en résulte qu'au lieu de décrire une para- 
bole régulière, la course du cyclone figure plutôt une 
spirale, s'enroulant autour de la parabole, dans le genre 
de celle indiquée figure 52. 11 est évident que cette figure 

n'est pas orientée pour indiquer la direction du cyclone; 
elle représente seulement le mode de translation , comme 
d'ailleurs le dit la légende. 

Les navires qui se trouvent près du centre du météore 
sont nécessairement soumis à son action oscillante, qui 

tour à tour les fait entrer dans le calme central et les re- 
jette sur le bord voisin; de là ces rafales terribles aux- 
quelles succède un calme plus ou moins complet. Cela 
explique également comment des navires ont vu le vent 
faire plusieurs fois et très rapidement le tour du compas. 



LES OURAGANS. 259 

Les sautes de vent subites et effroyables que Ton con- 
sidérait autrefois comme l'essence des ouragans, typhons, 
tornados, etc., ne peuvent donc se présenter et ne s'of- 
frent en effet que pour ceux qui se trouvent directement, 
ou à très peu près, sur le parcours du centre d'un cyclone. 

Le cyclone contient en lui-même le germe de sa des- 
truction prochaine : à mesure qu'il avance , il touche à 
des régions plus froides que celles du point de départ; 
les vapeurs qu'il contient se condensent en pluies torren- 
tielles ; l'électricité, cause principale du cyclone, se dégage 

à grands courants; l'équilibre qui existait est rompu, et 
la force centrifuge, n'étant plus contre-balancée, permet 
au météore de s'étendre en d'immenses proportions. 

Il perd alors en violence ce qu'il gagne en étendue : 
au point de départ, quelques milles le mesurent; mais il 
en embrasse des centaines au moment où, l'équilibre 
des forces étant rompu, le météore s'affaisse sur lui-même, 
effet qui se produit généralement par une latitude de 30 
à 35 degrés dans les régions du Sud, pendant l'hivernage. 

Plus les dégagements électriques sont rapides, plus 
vite le météore disparaît; aussi arrive-t-il quelquefois 
qu'un cyclone termine sa course sans atteindre ces lati- 
tudes élevées, et sans accomplir la seconde branche de 



sa parabole, qui alors reste incomplète. 

Avant même que le cyclone touche à sa fin, ses bords 
extérieurs sont souvent accompagnés de pluies torren- 
tielles et de décharges électriques puissantes, car la ré- 
sistance que l'atmosphère oppose à sa translation, fait que 
les molécules libres s'écoulent à l'arrière et sur les côtés, 
et en se condensant donnent lieu à ces phénomènes. 



260 LES METEORES. 

Ainsi, les décharges électriques et les pluies abon- 
dantes annoncent la cessation d'un ouragan , ou le pas- 
sage du centre au loin ; mais il faut remarquer que tous 



les cyclones n'en sont pas accompagnés. 



VI. 



Entre 5 et 10 degrés de latitude et 75 et 100 de longi- 
tude, alors qu'un cyclone est très près du point d'origine, 
on a reconnu que la vitesse de translation est assez faible 
et varie de 1 à 5 milles à l'heure , augmentant à me- 
sure que la latitude augmente et que la longitude di- 
minue, c'est-à-dire à mesure que l'ouragan s'avance 

vers l'ouest. 

De 15 à 25 degrés de latitude et de 40 à 75 de longi- 
tude, la vitesse de translation varie entre 5 milles et 
10 milles; elle a été trouvée en moyenne de 8,5 milles 
entre Maurice et la Réunion. 

Par les latitudes plus élevées, où l'ouragan accomplit 
sa course vers le sud-est, la vitesse de translation aug- 

mente encore, et peut être supposée de 12 à 18 milles. 
Dès que le cyclone est en marche, il projette au loin 
de vastes sillons circulaires sur la surface des mers, il 
chasse devant lui les couches d'eau qui se trouvent sur 
son passage, et produit ainsi un courant dans le sens du 
mouvement de translation ; courant qui entraîne, pendant 
un temps toujours trop long, les navires qui ont eu le 
malheur de se plonger au centre même du cyclone, 
auquel ils ont alors la plus grande peine à échapper. Ce 




Fig. 56. — Orages au pied des moi 



LES OURAGANS. 263 

courant possède une vitesse de 1 à 2 milles à l'heure dans 
la direction que suit le cyclone. 

Les plus grands cyclones ne sont pas toujours les plus 
terribles; ici la force n'est pas proportionnelle à la gran- 
deur. 

On a pu constater, par exemple, que le cyclone de fé- 
vrier 1860, à l'île de la Réunion, a fait sentir son action 
dans une étendue de plus de 800 milles, et on pourrait 
citer de nombreux exemples d'ouragans n'ayant pas eu 



une étendue aussi considérable, quoiqu'ils aient été tout 
aussi désastreux. 

Il n'y a donc aucune règle à établir quant à l'étendue 
de ces météores comparée à leur violence. 

Leur diamètre est très variable. Assez restreint à leur 
origine, c'est-à-dire par 5 ou 10 degrés de latitude, il va 
en augmentant à mesure que la course du phénomène le 
rapproche des lieux où il se termine, c'est-à-dire par 30 
ou 35 degrés de latitude, variant ainsi pour le même cy- 
clone depuis le commencement jusqu'à la fin de sa course. 

Néanmoins, on peut admettre qu'assez généralement 
à l'oricine le diamètre des cyclones n'excède euère 200 
à 300 milles, au milieu de leur course 400 à 500 milles, 
et à la fin 500 à 600 milles; mais ce ne sont là que des 
chiffres approximatifs, qui rencontrent très souvent des 
exceptions. 



VIL 



Dans un pays de montagnes élevées, comme à l'île de 



264 LES MÉTÉORES. 

la Réunion, on a pu facilement étudier si le cyclone ainsi 
que sa marche sont modifiés par la rencontre de ces 
obstacles naturels. 

La course générale n'en est influencée en aucune ma- 



nière. 



On a des exemples nombreux de cyclones ayant frappé 
la Réunion , et qui plus loin sévissaient à bord des na- 
vires sans qu'on pût remarquer la moindre altération soit 
dans la vitesse de rotation , soit dans la manière dont les 
vents sont orientés. 

Le 15 et le 16 février 1861, par exemple, la colonie de 
Maurice était frappée par un cyclone dont la course se diri- 
geait à peu près au milieu du canal qui sépare les deux îles 
sœurs , plus près cependant de Maurice que de la Réunion. 

Le 16 et le 17 la Réunion était atteinte à son tour, en 
même temps que le navire Y Alfred et Marie, qui, à 30 
milles à l'est de Pile, traversait le centre de l'ouragan, 
en éprouvant un intervalle de calme de douze heures. 

Deux jours après, le 19, deux navires français étaient 

frappés, le Buron et le Saint- Mat hur in; ce dernier 

particulièrement, passait à travers le centre par la la- 
titude de 20° 20', et longitude de 55° 35' est, et res- 

sentait comme Y Alfred et Marie une accalmie de douze 
heures. 

Voilà donc un cyclone que l'on a pu suivre pendant 
une étendue de plus de 400 milles sans constater aucune 
altération dans sa nature. 

Ainsi, les terres élevées sur lesquelles passe un oura- 
gan ne l'arrêtent pas dans sa course et ne modifient pas 
sa masse tourbillonnante; cependant elles donnent lieu, 



LES OURAGANS. 265 

sur les côtes, à des modifications très remarquables dans 
la direction des vents, surtout lorsqu'elles sont dominées 
par de hautes montagnes. 

Il faut donc tenir grand compte de ces causes d'alté- 
ration, lorsque l'on étudie les divers phénomènes que pré- 
sente un cyclone auquel on est soumis, et Ton doit bien 
se garder de s'en rapporter exclusivement à la direction 
qu'affectent les rafales; c'est surtout la chasse des nuages 
qu'il est nécessaire de surveiller avec soin : autrement, on 
pourrait attribuer à d'autres causes qu'aux véritables les 
accalmies qui se présentent, et les variations du vent, qui 
ne donnent plus alors à ceux qui sont à terre une idée 
exacte de la course du météore. 



VIII. 



Une autre question également des plus intéressantes, et 
que l'on a pu de même parfaitement résoudre à l'île de 
la Réunion, est celle de la hauteur à laquelle peuvent se 
faire sentir les cyclones. 

Il arrive souvent que les cyclones ne dépassent pas le 

sommet des montagnes qui dominent la Réunion, et il se 

produit alors certains phénomènes très curieux pour un 
observateur. 

Ainsi, dans l'ouragan de février 1861 , les cumulus et 
les nimbus chassaient lentement, et faisaient déjà présu- 
mer que la hauteur du cyclone n'était pas plus consi- 
dérable que celle des montagnes qui formaient écran, 
et qui n'ont pas permis aux rafales d'atteindre certains 



266 LES METEORES. 

quartiers. Cependant on en a observé quelques-uns un 
peu plus élevés que les montagnes de l'île. 

Ainsi, les cyclones n'ont guère plus de 3,000 à 4,000 
mètres de hauteur au-dessus de l'horizon, souvent même 
ils n'atteignent pas 3,000 mètres, et si la rencontre d'une 
terre n'altère ni leur course ni leur nature, elle donne 
lieu sur les côtes, comme nous venons de le dire, à des 
modifications très remarquables dans la direction des 
vents, surtout quand cette terre est dominée par de 
hautes montagnes. 

La saison pendant laquelle se développent les ouragans 
dans l'hémisphère sud, de l'équateur aux tropiques, est 

■ 

généralement comprise entre les mois de décembre et d'a- 
vril inclusivement; il y a donc cinq mois de surveillance 
incessante pour les marins qui naviguent dans ces parages. 
Ces cinq mois ne sont pas également redoutables, et le 
élevé des cyclones observés nous apprend que c'est 
dans le mois de février qu'on en a constaté le plus grand 
nombre; vient ensuite le mois de mars, puis le mois 
de janvier, le mois d'avril, enfin celui de décembre. 

Quelques cyclones se font sentir dans les autres mois 
de Tannée, en mai, juin, septembre, octobre et novembre, 
mais ils sont 

Dans les mois de la belle saison, ce n'est qu'exception- 
nellement que les cyclones atteignent les longitudes de 
Maurice et de la Réunion; ils inclinent généralement 
vers 65 et 80 degrés de longitude, se rapprochent des 
deux îles, qui ne sont sérieusement menacées que dans 
les mois de janvier, février et mars. — Durant l'hiver- 
nage, les cyclones se courbent en général et décrivent 



i 



LES OURAGANS. 267 

leur seconde branche par une latitude moindre que celle 

du cap de Bonne-Espérance, et cette saison si redoutable 
pour Maurice et la Réunion est au contraire la plus favo- 
rable pour doubler le cap des Tempêtes. 

On peut donc être sans crainte à la Réunion, du com- 
mencement de mai au commencement de décembre; il 
faut remonter à Tannée 1779 pour trouver un cyclone 
un peu violent, le 17 mai. Mais il n'en est pas de même 
pour les bâtiments qui naviguent au sud de Téquateur. 

Quel que soit le mois de Tannée dans lequel on se trouve 
à la mer dans ces parages, on doit toujours surveiller les 
indices qui dénotent la présence d'un cyclone, afin de 

ne pas se laisser surprendre. 



IX. 



Il est évident, d'après les lois des cyclones que nous 
venons d'exposer, que la position la plus fâcheuse pour 
un navire par rapport à Touragan est celle qui le con- 
duit au centre, et c'est à s'en éloigner que doivent tendre 
tous les efforts d'un capitaine. 

On comprend donc combien il est important de pou- 
voir connaître à chaque instant où est situé ce point re- 
doutable; car cette connaissance acquise, il n'est pas un 
marin qui ne sache à quelle manœuvre il doit recourir 
pour se soustraire au danger. 

Cependant, rien de plus facile que de reconnaître ce 
centre. Plusieurs moyens se présentent à nous, mais nous 
allons en indiquer un des plus simples. 



268 LES MÉTÉORES. 

On se place dans la direction du vent qui souffle, de ma- 
nière à lui faire face et à en être frappé en 'plein visage. 
Dans cette position, d'après les lois du cyclone, le centre 
de l'ouragan se trouve toujours sur la gauche de l'obser- 
vateur, à 90 degrés de la direction du vent. II est clair 
qu'en étendant le bras gauche horizontalement et pa- 
rallèlement à la surface du corps, on indiquera immé- 
diatement la position de ce centre * . 

Cette méthode pratique, et qui ne souffre aucune ex- 
ception, est si facile à retenir et à exécuter, qu'il ne 
peut plus être permis à un marin d'ignorer où se trouve 
le centre fatal, qu'il faut fuir à tout prix. 

Il serait presque superflu d'indiquer aux marins ce 
qu'ils ont à faire pour éviter un danger dont la direc- 
tion est connue. Le centre du cyclone est absolument 
comme un récif, un haut fond, un péril quelconque, 
d'un autre genre il est vrai que ceux dont nos cartes 
fourmillent, parce qu'il se meut, mais cependant pas plus 
à craindre et pas plus difficile à éviter dès qu'il est connu. 



X. 



La science est donc arrivée au point de se jouer im- 



1 Le Nautkal magazine de décembre 1846, page 651 , indique un procédé 
qui permet d'arriver au même résultat sans qu'il soit nécessaire de recevoir le 
vent en pleine ligure. En voici la traduction : « Tournez le dos au vent : si 
vous êtes par une latitude nord, le centre sera à votre main gauche ; mais si 
vous êtes par une latitude sud, le centre sera à votre droite ; dans les deux cas 
il sera sur une ligne à angle droit de la direction où vous regardez. » 

J. R. 



LES OURAGANS. 269 

punément avec un navire, au milieu de ces phénomènes 
terribles, sans l'exposer à de sérieuses avaries. 

Pour un bâtiment à vapeur, toujours maître de sa ma- 
nœuvre, fait remarquer très judicieusement M. Bridet, 
il n'est plus d'ouragan possible. Sans doute il peut être 
enveloppé dans le tourbillon et y rencontrer de violentes 



. 



bourrasques; mais plus de ces rafales terribles, plus 
de ces sautes de vent qui l'exposent ainsi que ceux qui 

le montent à une perte presque certaine. 

Pour un capitaine instruit, un ouragan n'est plus qu'une 
trombe ordinaire, autour de laquelle il circule, s'en écar- 
tant ou s'en approchant selon que cela lui est utile. 

Tout est prévu par lui : il sait d'avance quelle variation 
le vent doit présenter, quelle sera la violence des rafales, 
et il est sûr de n'être jamais fatalement entraîné au mi- 
lieu de ce centre si dangereux, toujours la cause de dé- 
sastres inévitables. 

Non seulement le bâtiment n'a rien à craindre de ces 
ouragans jusqu'ici si redoutables, mais ils peuvent, au 
contraire, devenir pour lui un auxiliaire important. 

Méprisant leur fureur, un capitaine peut aller chercher 
des vents favorables à sa route, et s'il ne lui est pas pos- 
sible d'anéantir la puissance dévastatrice qui le menace, 
du moins peut-il, en la contournant, faire servir sa vio- 
lence à le conduire au point de destination qui lui est as- 
signé. 

Un navire à voiles, il est vrai, n'est pas aussi libre 
dans ses mouvements. Le capitaine qui le commande 
peut être surpris par des calmes avant la venue de la 
tempête, et se trouver ainsi obligé de subir en partie le 



270 LES MÉTÉORES. 

cyclone, auquel rien n'a pu le soustraire; il ne lui est pas 
toujours possible de se transporter là où il sait trouver 
des vents favorables à sa route, mais la science est assez 
avancée pour qu'il soit assuré, s'il est fidèle à ses indi- 
cations, d'épargner à son navire les avaries désastreuses 
qui ont trop souvent jusqu'ici affligé la grande famille 



I M « 



maritime. 



XI. 



C'est non seulement les lois des tempêtes, qui sont par- 
faitement connues, mais aussi les indices, qui peuvent 
éclairer le navigateur et le prévenir lorsqu'il est menacé 
d'un de ces phénomènes redoutables. 

Cinq ou six jours avant qu'un cyclone fasse sentir ses 
atteintes, des cirrhus se montrent au ciel, le couvrent de 
longues gerbes déliées d'un effet original. Ces nuages, 
qui sont généralement considérés comme signe de vent 
dans tous les pays, sont les premiers avant-coureurs des 
ouragans. 

Les cirrhus sont fréquents dans la saison de Y hiver- 
nage ; ils sont si bien l'annonce d'une perturbation atmo- 
sphérique qu'ils ne se manifestent jamais à la Réunion dans 
les mois de la belle saison; aussi chaque fois qu'ils se 
montrent au ciel doit-on les regarder comme un aver- 
tissement de surveiller les instruments, ainsi que tous les 
indices qui peuvent être fournis par les éléments. 

Un peu plus tard ces cirrhus sont moins accentués; 
ils se transforment en une espèce d'atmosphère blan- 




Fig. 57. — Vagues se brisant au ri 



LES OURAGANS. 273 

châtre, laiteuse, qui produit les halos solaires et lunaires 
si fréquemment observés alors; ou bien encore, ils se 

transforment en cirro-cumulus, qui donnent au ciel cette 
apparence que l'on a désignée sous le nom de ciel pom- 
mêlé. 

Puis les cumulus se présentent, ne laissant apercevoir 
qu'à de rares intervalles les cirrus supérieurs; et enfin, 
vingt-quatre ou trente-six heures avant les premières 
rafales, une couche épaisse de cumulo-nimbus se con- 
centre à l'horizon, qui se charge de plus en plus et 

prend un aspect menaçant. 

Bientôt quelques nimbus bas et fuyant avec rapidité 
ne laissent plus aucun doute sur la proximité de la tem- 
pête, dont quelques heures à peine nous séparent; alors 
il faut se hâter et prendre, si ce n'est déjà fait, toutes 
les précautions que conseille la prudence la plus minu- 
tieuse. 



XII. 



La mer grossit, et de longues houles font pressentir la 
direction d'où viendront les premières rafales, quarante- 
huit heures et souvent soixante-douze heures avant que 
l'ouragan se déclare. A mesure que le cyclone s'approche, 
la mer devient de plus en plus grosse, et annonce le 
terrible danger qui s'avance. 

A l'île de la Réunion, un très fort courant agit sur les 
navires mouillés sur les rades, et indique déjà à peu près 
■de quel côté menace le cyclone dont on a reconnu l'exis- 

18 



274 LES METEORES. 

tence; les longues houles qui régnent au large viennent 
en grondant battre la plage et mettent en mouvement cette 
masse innombrable de galets qui entourent Pile. 

Puis le ras de marée se déclare. Cette coïncidence 
du ras de marée avec le cyclone est très remarquable ; il 
n'est pas d'exemple d'un ouragan ayant frappé la Réu- 
nion sans qu'il ait été précédé d'an phénomène de cette 
nature. Dès que l'on voit grossir la mer, on peut être as- 
suré qu'il existe une perturbation dans le voisinage. 

Quelques jours avant l'ouragan , au moment du lever 
et du coucher du soleil, les nuages se colorent en un 
rouge orangé qui se reflète sur la mer, et cette colora- 
tion nous fait assister à ces spectacles si brillants et si 
magnifiques, qui imposent un profond sentiment d'ad- 
miration à ceux qui ne se doutent pas de l'imminence 
du danger que révèle ce ravissant tableau. 

A mesure que le cyclone s'approche cette teinte rou- 
geâtre prend une couleur plus prononcée et tirant sur le 
rouge cuivré; puis un bandeau noirâtre et épais s'étend 
du nord-est au sud-est, répandant sur le ciel un aspect 
sinistre. Les têtes de cumulus sont d'un rouge cuivré, 
donnant à la mer et à tous les objets qui sont à terre 

un reflet analogue, qui fait paraître l'atmosphère comme 
embrasée d'un éclat métallique. 

Le cyclone est proche. 

Quant au vent qui règne en ce moment, il ne peut 
donner aucun indice sur la marche probable de l'ou- 
ragan. 

Au milieu du calme qui précède la plupart du temps 
ce redoutable phénomène, l'influence de la terre fait 



LES OURAGANS. 275 

naître de folles brises , des courants d'air variant de tous 

côtés, sans indication précise sur la direction future des 
premières rafales. 

L'étude de la marche des nuages peut donner lieu à 

quelques prévisions certaines; mais si l'on ne veut pas 

s'exposer à des erreurs , il ne faut avoir égard qu'à ceux 

qui passent au zénith , c'est-à-dire droit au-dessus de la 

tête de l'observateur, car il est très difficile, à moins 

d'une crande habitude, de reconnaître la direction vraie 

que suivent des nuages un peu éloignés. 

Tous les oiseaux de mer se rallient en grande hûte, et 

vont dans les terres chercher un abri contre les fureurs 
d'une tempête qu'ils pressentent, afin d'échapper à la 
mort qui les frapperait probablement au large. 

Pendant que les éléments se troublent et que la Pro- 
vidence envoie ainsi des avertissements à ceux qui sont 

M 

menacés, les instruments sortis de la main des hommes 
viennent à leur tour apporter leur contingent de lu- 
mière, et on les voit suspendre leur marche régulière 
d'une manière assez significative pour un observateur 
attentif. 



XIII. 



Les ouragans font d'autant plus baisser le baromètre 
qu'ils sont plus violents. 

Il est bien évident que si tous les cyclones étaient d'une 
égale intensité, et présentaient la même diminution de 
pression au centre, le baromètre descendrait pour tous au 



276 LES MÉTÉORES. 

même point , et l'on verrait alors de la circonférence au 
centre une baisse progressive, constamment la même, 
et la hauteur pourrait indiquer d'une manière certaine 
à quelle distance est le centre du météore. 

Le cyclone dont le centre a passé sur Pile de la Réu- 
nion en 1859 n'a fait baisser le baromètre qu'au mi- 
nimum de 749, tandis que ceux de 1818 et 1860 l'ont 
fait baisser à 714 et 710. 

Mais on comprend qu'un cyclone de grand diamètre 
qui ne ferait pas baisser le baromètre plus qu'un cy- 
clone moindre influera sur cet instrument bien avant ce 

dernier. 
La hauteur du baromètre ne peut donc pas donner la 

distance exacte à laquelle on se trouve du centre. 

Le baromètre ne baisse d'une manière marquée et 
continue qu'au moment où l'ouragan véritable s'est dé- 
claré, c'est-à-dire sur une étendue du phénomène com- 
prenant 250 milles environ ; le mouvement barométrique 



par heure doit être alors à peu près le même pour tous 
les ouragans. 

Voici des indications renfermant des variations baro- 
métriques pouvant s'appliquer à peu près également 
aux ouragans de grand et de petit diamètre, et donner 
une mesure approximative de la distance au centre de 
l'ouragan par la baisse barométrique en une heure : 



Baisse en une heure. Distance au centre 
mm 3 24 heures. 

0—5 21 

0—6 18 

0—7 15 



LES OURAGANS. 277 



Baisse en une heure. Distance au centre, 
i mm 14 heures. 

1—5 9 

2 — 6 

3 — 3 

4 — 5 



Ce moyen de reconnaître la distance au centre, par la 
baisse barométrique en une heure, ne peut servir queu- 
tant qu'on se trouve sur le passage de ce centre ou tout 

auprès de son parcours; si Ton en est un peu éloigné, 

la baisse moyenne par heure n'est plus la même, et on 
ne peut pas en conclure la distance. 

Mais une chose reconnue, c'est que le minimum de 
la hauteur barométrique se trouve toujours au centre de 
l'ouragan, et par conséquent que le baromètre baisse 
d'autant plus que l'on se rapproche de ce point central. 

Ce seul indice est excessivement précieux pour le na- 
vigateur, puisqu'il peut connaître , rien que par le mou- 
vement du baromètre, si la route suivie le rapproche ou 
l'éloigné du centre dangereux. Cet instrument lui indique 
donc à coup sûr s'il doit ou non modifier la manœuvre 
qu'il a adoptée. 

Il résulte de la comparaison d'un grand nombre de 
cyclones que la baisse barométrique peut être considérée , 
en moyenne, comme étant de mm ,8 à l mm , soixante- 
douze heures avant que l'ouragan commence à frapper, et 
de l mm ,5 quarante-huit heures auparavant : c'est-à-dire 
que si la hauteur moyenne ordinaire est de 760, le ba- 
romètre marquera 7o9 soixante-douze heures avant les 
premières rafales, et que quarante-huit heures aupara- 



278 • LES METEORES. 

vant il aura marqué 758 à 757,5; dans les vingt-quatre 

heures qui précèdent l'ouragan, la baisse atteint 2™? 1 à 

2 mm ,5, et le baromètre marque 755,5 à 755; enfin, 
au moment des violentes rafales, il est à 751 ou 750 
environ. 

Ce mouvement de baisse dans le baromètre n'est à peu 
près régulier que lorsque le cyclone s'avance droit sur le 
lieu de l'observation, car s'il passe au nord ou au sud, à 
quelque distance, la dernière baisse de 5 millimètres se 
réduit le plus souvent à 3 et même à 2 millimètres* 

Il est de même nécessaire de faire remarquer que la 
baisse indiquée commômoyenne, en vingt-quatre heures, 
ne peut être constatée que par un observateur qui reste 
en place, et non par un navire dont la route peut rap- 
procher d'un ouragan, et précipiter ainsi l'altération due 
au mouvement du météore. 



XIV. 



À l'île de la Réunion , c'est au moins quatre jours d'a- 
vance que la première perturbation barométrique se re- 
marque à l'approche d'un ouragan; et comme dans ces 
parages l'on accorde au météore une vitesse de tfansla- 
tion de 150 à 200 milles en moyenne par vingt-quatre 
heures, on voit qu'il est alors à une distance de 800 à 900 
milles lorsque le baromètre révèle sa présence. 

La marée diurne barométrique continue à se faire 
sentir; mais, douze heures au moins avant les premières 
rafales , on observe une altération sensible dans ce phé- 



LES OURAGANS. 279 

nomène; le baromètre baisse alors, même à l'heure du 



• 



maximum. 



On ne doit pas oublier que l'oscillation diurne atteint 
en temps ordinaire l mm ,5; si donc on ne la constate pas 
ou qu'on lui reconnaisse une diminution, c'est évidem- 
ment comme si le baromètre avait baissé d'autant; c'est 
là un indice remarquable, et qui s'offre presque toujours, 
annonçant ainsi d'une manière certaine la venue très 
prochaine de l'ouragan. 

L'examen du baromètre a fait reconnaître à M. Bride t 
un fait général et qui n'est pas sans importance : c'est 
que si Ton tient compte du nombre d'heures que cet ins- 
trument met à baisser de 5 à 6 millimètres au-dessous 
de la hauteur qu'il indique au moment où sa dépression 
est bien réellement prononcée , c'est presque exactement 
après le même nombre d'heures que l'on se trouvera au 
centre de l'ouragan. 

Supposons, par exemple, que la hauteur du baro- 
mètre, avant que les apparences du temps annoncent 
clairement rapproche d'un ouragan , soit 757, et que cet 
instrument, ayant commencé à baisser d'une manière 
continue, ait mis vingt heures pour arriver à 752 ou 751 ; 
ce sera à peu près vingt heures plus tard que l'on enregis- 
trera le point minimum du baromètre , et qu'on se trou- 
vera par conséquent au centre du cyclone. 

Cette remarque fait connaître approximativement quel 
sera le diamètre ainsi que la durée de l'ouragan , en ad- 
mettant que L'on passe par le centre; si la première partie 
est de vingt heures, par exemple, la seconde pourra être 
de quatorze à seize heures , car la seconde moitié de l'oura- 



280 LES MÉTÉORES. 

gan après le passage du centre, comme déjà nous Pavons 
fait remarquer, est toujours plus courte que la première. 
La lenteur de la baisse barométrique indique aussi que 
la vitesse de translation du météore est peu rapide; mais 
dans ce cas , comme dans celui d'un grand diamètre , cela 
indique toujours que la durée de la tempête sera plus 
considérable que dans les circonstances ordinaires. Ces 
approximations sur la durée d'un ouragan n'ont de va- 
leur que lorsque le météore passe directement sur le lieu 
de l'observation , et non pas s'il voyage à quelque dis- 
tance au nord ou au sud. 

A l'approche de l'ouragan, un calme stupéfiant accom- 
pagné d'un air chaud et étouffant, règne pendant vingt- 
quatre heures; on dirait que la nature recueille toutes 
ses forces pour accomplir l'œuvre de dévastation qui va 
marquer le passage du funeste météore. 

Ce calme précurseur doit donc être considéré comme 
de très mauvais augure et faire redouter une convulsion 
terrible. 

11 arrive presque toujours que le thermomètre se tient 
à une hauteur plus grande que la moyenne ordinaire, 
dans les quarante-huit et vingt-quatre heures qui précè- 
dent les premières rafales. 



XV. 



Quelle que soit la marche suivie par l'ouragan, on est 
au point le plus rapproché du centre dès que le baromètre 
commence à osciller et que son mouvement de baisse 



LES OURAGANS. 281 

s'arrête. Alors, pendant deux ou trois heures, on voit 
cet instrument monter et baisser à chaque demi-heure, 
sans avoir de mouvement prononcé, soit en hausse soit 
en baisse. 

C'est un signe presque certain que Ton se trouve le 
plus près du centre ; que la plus grande violence a été 
ressentie et que les rafales ne vont plus désormais aller 
qu'en diminuant; cet indice rassurant doit ramener 

l'espoir et la confiance chez tous ceux dont les intérêts 
étaient si cruellement menacés. 

Lorsque après le passage bien constaté d'un cyclone 
dans le voisinage, on voit le baromètre s'arrêter dans son 
mouvement de hausse, on peut être à peu près sûr 
qu'une seconde perturbation s'avance, et si l'on recon- 
naît positivement l'existence d'un nouveau cyclone, il est 
permis de faire quelques suppositions sur sa course pro- 
bable, car il est reconnu que les cyclones simultanés sui- 
vent des routes distinctes qui ne se confondent que très 
rarement. 

La baisse barométrique totale est d'autant plus grande 
que la raréfaction centrale est plus complète, et cette 
raréfaction elle-même, produite en grande partie parla 
force centrifuge, s'augmente en raison de l'accroissement 
du mouvement rotatoire qui fait la violence des rafales. 
Le baromètre baisse donc à mesure que la violence du 
vent est plus intense, et les ouragans les plus désastreux 
sont aussi ceux qui l'influencent davantage. 



282 LES METEORES. 



XVI. 



M. Faye, de l'Institut, a publié une importante notice : 
Défense de la loi des tempêtes, qui se termine ainsi : « Les 
tourbillons ont joué jadis un grand rôle dans nos con- 
ceptions générales de l'univers. Tombés dans le discrédit 
par une réaction bien naturelle contre une idée fausse , 
ils ont été trop complètement oubliés; aussi, lorsqu'on 
reconnut, bien plus tard, un caractère gyratoire dans les 
grands mouvements de l'atmosphère, s'est-on efforcé 
d'un commun accord de les rattacher à des causes toutes 
différentes. Entre temps, les géomètres semblaient les 
reléguer parmi les mouvements tumultueux où il n'y a 
rien à chercher. On voit maintenant que les mouvements 
de l'ordre cyclonique constituent réellement une vaste série 
de phénomènes réguliers et stables, dont les perturbations 
elles-mêmes affectent une allure géométrique. Cette série , 
qui commence aux simples tourbillons de nos cours d'eau , 
comprend les plus curieux et les plus effrayants phéno- 
mènes de notre atmosphère, les mouvements grandioses 
que l'observation nous a révélés sur le soleil , et s'étend 
peut-être jusqu'aux nébuleuses, où le télescope gigan- 
tesque de lord Rosse a mis en évidence une structure tour- 
billonnaire bien accusée. Rien ne serait donc plus utile 
que de faire rentrer la théorie de ces mouvements dans 
le domaine de la mécanique rationnelle. Pour cela, le 
premier pas à faire était d'en chercher empiriquement 



LES OURAGANS. 283 

les lois : c'est ce qu'ont acccompli, il y a trente ans, les 
éminents auteurs de la loi des tempêtes*. » 

Dans le chapitre précédent, nous avons donné les con- 
clusions principales des nombreux Mémoires de réminent 
astronome, sur les mouvements tourbillonnaires en gé- 
néral. 

Ces phénomènes continuent à être étudiés avec une 
grande préoccupation; de nombreux mémoires qui les 
concernent plus ou moins sont adressés à l'Académie des 
sciences. Dans ces derniers temps, nous avons spécia- 
lement remarqué un intéressant travail de M. Virlet 

d'Aoust : Observation sur la théorie générale des trombes 2 ; 
une savante étude de M. Bouquet de la Grye Sur les 
effets des tourbillons observés dans tes cours d'eau*; et 
un Rapport détaillé sur les tornados observés aux États- 
Unis, par le général Hazen \ Mais les éléments du pro- 
blème ne nous paraissent pas encore assez complets pour 
expliquer tous les détails de ces phénomènes si gran- 
dioses. 



1 Annuaire du Bureau des longitudes, 1876. 

2 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 13 novembre 1876. 

3 Ibid., 23 octobre 1876. 

4 Académies des sciences, octobre 1882. 



■ 



CHAPITRE XIV. 



L'ARC-EN-CIEL 



Formation de l'arc-en ciel. — Arc-en-ciel solaire. — Arc-en-ciel lunaire 



I. 



En parlant de la lumière (ch. IV), nous avons fait re- 
marquer que si l'on dispose un prisme de telle sorte 
qu'un faisceau de lumière tombe obliquement sur l'une de 
ses faces, et que Ton reçoive le faisceau émergent sur un 
écran ou tableau placé à une certaine distance du prisme; 
on voit se projeter une image oblongue peinte de mille 
couleurs, à laquelle on adonné 
le nom de spectre solaire. 

L'arc-en-ciel se manifeste 

d'une manière analogue; ce 

sont des gouttelettes d'eau qui 

produisent l'effet du prisme. 

Le brillant météore aux ma- 
gnifiques Couleurs, qui pour « ? ig.58.-Iris(tiréd'un;va S cantique). 

nous est le signe d'une alliance sacrée entre le ciel et 




286 LES MÉTÉORES. 

la terre, paraissait à des peuples païens digne de parer 
une déesse ; ils y voyaient la trace laissée par Iris , mes- 
sagère des dieux. 

Ce météore se produit lorsque la lumière du soleil, 
venant à tomber sur un nuage qui se résout en pluie, 
éprouve de la part des gouttes d'eau des réfractions qui 
la décomposent. 

Ces rayons , amenés, par une réflexion subie dans l'in- 
térieur même de la goutte d'eau, à l'œil d'un spectateur 
qui tourne le dos au soleil, y produisent la sensation d'un 
arc formé de bandes colorées; ces bandes offrent les 
mêmes nuances que le spectre solaire, et dans le même 
ordre : la bande rouge étant extérieure à Tare, et la bande 
violette intérieure. 

On aperçoit quelquefois un second arc, qui enveloppe 
le précédent et dont les bandes sont rangées dans un 
ordre inverse; il est produit par des rayons colorés qui 
ont subi deux réfractions dans l'intérieur des gouttes d'eau 

avant d'arriver à l'œil de l'observateur. 

On peut produire des arcs-en-ciel en jetant de Peau , 

en l'air, de manière qu'elle s'éparpille; les jets d'eau, 
les cascades, la rosée qui humecte les prairies, nous of- 
frent aussi ce phénomène lorsque l'on est placé conve- 
nablement pour l'observer, c'est-à-dire lorsque les gout- 
telettes étant éclairées par les rayons du soleil , on les 
regarde d'une certaine distance, en tournant le dos à cet 
astre . 

M. l'abbé Raillard croit que le principe des interfé- 
rences joue dans l'arc-en-ciel le rôle principal, et il expli- 
que par ce principe non seulement les phases de Tare- 



L'ARC-EN-CIEL. 287 

en-ciel, mais aussi beaucoup de phénomènes analogues; 
nous regrettons de ne pouvoir développer ici la théorie 
de l'ingénieux météorologiste * . 



IL 



La lumière de la lune peut de même produire un arc- 
en-ciel, surtout quand elle est pleine, et qu'elle brille de 

tout son éclat; mais les couleurs en sont toujours pâles 

et fauves. 

Ce phénomène, moins brillant que Parc-en-ciel solaire, 
et beaucoup plus rare, est dû, comme lui, à la réfrac- 
tion de la lumière. La lune empruntant son éclat du 
soleil, les rayons qu'elle nous envoie, affaiblis par la ré- 
flexion qu'ils ont éprouvée à sa surface, n'ont pas assez 
d'intensité pour produire nettement la séparation des cou- 
leurs; et quand ils ont été réfractés par les globules de 
pluie, ils reviennent à l'œil confondus en un faisceau blanc. 

L'arc-en-ciel lunaire offre pourtant quelquefois les 
mêmes couleurs que l'autre , mais elles sont toujours plus 
faibles, et ne se produisent d'ailleurs distinctement que 

quand la lune est pleine. 

Aristote, qui dit avoir le premier remarqué l'arc-en- 
ciel lunaire, ajoute qu'on ne l'aperçoit que lors de la 
pleine lune ; c'est «une assertion purement gratuite , et dont 
l'expérience a démontré la fausseté. 



1 Voir ta Lumière, par John Tyndall; Appendice sur l 'arc-en-ciel , par 

l'abbé Raillard. 



288 



LES METEORES. 



Ainsi, parmi plusieurs exemples d'arcs-en-ciel lunaires 
mentionnés dans divers recueils scientifiques, les Tran- 
sactions philosophiques en citent un observé en 1710, 
lorsque la lune était demi-pleine. 

On lit dans le Guillaume Tell de Schiller : 

« Ali! voyez! regardez là-bas! ne voyez-vous rien ? 




Fig. 



59. — Arc-iiii-ciol 



— Quoi donc? Oui, un arc-en-ciel de nuit! 

— C'est la lumière de la lune qui le forme. 

— C'est un phénomène rare et extraordinaire ! Bien 
des gens n'ont jamais vu cela. 

Il est double , voyez , il y en a un plus pâle au-dessus. 
Une barque s'avance juste au-dessous. 



ARC-EN-CIEL. 289 

C'est Stauffacher avec son canot; cet homme loyal 

ne se fait pas longtemps attendre. » 

IL Martin de Brettes vient de communiquer à l'Aca- 
démie des sciences l'observation détaillée d'un arc-en-ciel 
lunaire observé à la Roche, commune de Saint-Just 
(Haute- Vienne) : « La couleur de l'arc, dit-il, était vert 
jaunâtre, tirant extérieurement sur le rouge et intérieu- 
rement sur le violet. Ces couleurs extrêmes étaient peu 
apparentes, et ne devenaient visibles que lorsque l'obser- 
vateur avait regardé avec attention Tarc-en-ciel pendant 
quelques instants. 

« Cet arc-en-ciel lunaire était enveloppé par un se- 
cond, distant d'environ 5 degrés; mais on ne distin- 
guait dans ce second arc que la couleur vert jaunâtre , 
et encore partiellement et en regardant avec attention 1 . » 

A l'île de la Réunion, où le ciel est si pur, où les nuits 
sont si resplendissantes, j'ai été à même d'observer quel- 
quefois des arcs-en-ciel lunaires d'une grande netteté. 

La cause du phénomène étant connue, on conçoit 
d'ailleurs, a priori, que les phases diverses de la lune ne 
peuvent influer que sur son intensité. 



\ 



Comptes rendus de V Académie des sciences, 1876, 2 e semestre. 



19 



CHAPITEE XV. 



LE MIRAGE. 



Le mirage à* l'île de la Réunion et à l'île Maurice. — Habileté des créoles dans 
l'observation de ces phénomènes. — Faits étranges que me racontait M. Ch . 

Desbassayns à l'île de la Réunion. — Le Mirage dans le midi de l'Italie. — La 

fata Morgana. — Mirage dont l'armée de la Basse-Egypte fut le jouet. — 

Explication donnée par Monge. — Observations faites pendant l'expédition 

qui précéda le traité de la Tafna. — Des flamants pris pour des cavaliers 

arabes. — Mirage extraordinaire observé dernièrement à l'île Ténériffe. — 

Phénomènes de mirage que l'on peut facilement constater à Paris. — Remar- 

quables phénomènes consistant dans l'exhaussement des objets. — Théorie du 

mirage. 



I. 



Un des phénomènes les plus curieux que puissent pré- 
senter les jeux de la lumière, c'est bien le mirage, qui 
nous fait voir dans le ciel, dans les nuages, dans l'espace, 
à la surface des monts ou des plaines, des pays enchan- 
tés, des apparences féeriques. 

C'est dans les îles aux montagnes escarpées, sous l'é- 
quateur surtout, que ce phénomène est remarquable, et 
cela se comprend. Le mirage étant produit par la réfrac- 
tion et la réflexion des rayons lumineux qu'occasionnent 
les couches d'air de différentes densités, aucun site ne 



292 LES METEORES. 

peut être plus propre à cela que ces îles qui présentent à 
leur base des chaleurs tropicales , et dans leur région éle- 
vée les glaces de l'hiver. 

C'est ce qui arrive à l'île de la Réunion , à File de Té- 
nériffe, et même dans beaucoup d'autres îles dont les 
montagnes sont moins élevées. 

Dans les longues et délicieuses soirées que je passais 
sous la varangue de la Rivière-des-Pluies, chez> M. Ch. 
Desbassayns, à l'île de la Réunion, le vénérable vieil- 
lard me racontait sous ce rapport des faits extraordi- 
naires, qui surprennent ceux-là mêmes qui sont habitués 
aux phénomènes de la science. 

Il me disait que d'anciens créoles étaient devenus tel- 
lement habiles à découvrir les phénomènes du mirage, 
qu'ils arrivaient par ces phénomènes à savoir tout ce qui 

se passait de tant soit peu important en mer. 

C'est surtout avant que la vapeur sillonnât les flots, et 
avant que les lois des vents alizés fussent assez connues 
pour que les navires pussent s'abandonner à leur direc- 
tion, que les créoles se livraient à cette étude. 

Alors les colonies lointaines étaient rarement visitées, 
et l'arrivée d'un navire était pour elles une bonne fortune. 
Il leur apportait non seulement les provisions tant dési- 
rées, mais aussi les nouvelles des pays éloignés, presque 
la seule chose qui les rattachait au reste du monde. L'é- 
tranger était reçu, choyé, aimé, traité comme un être ex- 
ceptionnel; toutes les familles se le disputaient, et souvent 
même on avait recours au sort pour connaître les foyers 
favorisés auxquels l'étranger viendrait successivement 
s'asseoir; aussi l'hospitalité empressée, large et bienveil- 



LE MIRAGE. 293 



* 



lante du créole était-elle passée en proverbe, comme 
l'hospitalité antique et patriarcale. Il est tout naturel de 
la voir diminuer en même temps que les circonstances qui 
la favorisaient. 

Il n'y a donc rien d'étonnant que des individus de haute 
intelligence comme les créoles, qui se faisaient une spé- 
cialité et la principale occupation de leur vie de chercher 
dans les phénomènes du mirage l'objet de leurs espérances 

et de leur attente, soient arrivés à quelque chose de sur- 
prenant en ce genre. 

M. Ch. Desbassayns me disait que des individus étaient 
devenus tellement habiles, qu'on venait les consulter des 
différents points de la colonie, surtout dans les moments 
de détresse, pour savoir ce qui se passait au loin dans la 
mer, et si la crainte devait faire place à l'espoir. 

Il me raconta qu'un créole de l'Ile de France aperçut 
un jour dans les airs un navire d'une forme extraor- 
dinaire , et tel qu'on n'en avait jamais vu ; entre autres 
particularités, il avait quatre grands mâts. Il en fit une 
fidèle description aux personnes du pays; et quel ne fut 
pas Tétonnement de tous lorsque, quelques jours après, 
ils virent aborder ce même navire! 

Depuis que les bâtiments du monde entier se donnent 
rendez-vous dans les îles fortunées de la mer des Indes, 
les colons sont moins intéressés à découvrir ainsi ce qui 
se passe au loin et à connaître d'avance les navires qui 
viennent les visiter; aussi ont-ils perdu cette étonnante 
faculté de découvrir les moindres phénomènes du mirage. 

A cette époque déjà éloignée , les nues, le ciel et l'air 
devaient paraître aux créoles , mieux qu'aux bardes de 



294 LES MÉTÉOBES. 

l'Ecosse, peuplés d'esprits tulélaires dont les visites bien- 
faisantes leur apportaient l'espérance et le bonheur. 



II. 



Dans les Harmonies de la nature, de Bernardin de Saint- 
Pierre, on trouve quelques passages qui viennent à l'ap- 
pui des assertions précédentes. Il parle d'un homme qui 
avait trouvé le secret d'annoncer l'arrivée des vaisseaux , 
lorsqu'ils étaient encore à 60 ou 80 lieues du port, et 
même plus loin. Il en avait fait l'expérience nombre de 
fois à l'Ile de France, devant plusieurs témoins qui avaient 

signé son mémoire : 

« J'ai pensé, dit Bernardin de Saint-Pierre, que cet 
observateur avait pu , dans quelques circonstances favo- 
rables et communes dans le ciel des tropiques, avoir la 
vue des vaisseaux éloignés par la réflexion des nuages. 

<sc Ce qui me confirme dans cette idée, c'est un phé- 
nomène qui m'a été raconté par notre célèbre peintre 

* 

Vernet, mon ami. 

« Étant dans sa jeunesse en Italie , il se livrait parti- 

culièrement à l'étude du ciel, plus intéressante sans doute 
que celle de l'antique , puisque c'est des sources de la 
lumière que partent les couleurs et les perspectives 
aériennes qui font le charme des tableaux ainsi que de la 
nature; Vernet, pour en fixer les variations, avait imaginé 
de peindre sur les feuillets d'un livre toutes les nuances 
de chaque couleur principale et de les marquer de diffé- 
rents numéros. 




Fig. 60 — Mirage à l'île de France (vaisseau 



LE MIKAGE. 297 

ce Lorsqu'il dessinait un ciel, après avoir esquissé les 

plans et les formes des nuages, il en notait rapidement les 
teintes fugitives sur son tableau avec des chiffres corres- 
pondant à ceux de son livre, et les colorait ensuite à loisir. 
« Un jour, il fut bien surpris d'apercevoir dans les 
cieux la forme d'une ville renversée; il en distinguait 
parfaitement les clochers, les tours, les maisons. Il se 
hâta de dessiner ce phénomène, et résolut d'en connaître 
la cause; il s'achemina, suivant le même rhumb de vent, 
dans les montagnes. Mais quelle fut sa surprise de trouver 

à sept lieues de là la ville dont il avait vu le spectre dans 
les cieux et dont il avait le dessin dans son portefeuille ! » 

Les prodiges de la fata Morgana, si célèbre dans la 
Sicile et l'Italie méridionale, ne sont qu'un effet de mi- 
rage. A certains moments on voit dans les airs des ruines, 
des colonnes, des châteaux, des palais, et une foule 
d'objets qui semblent se déplacer, et qui changent d'as- 
pect à chaque instant. Toute cette féerie est une repré- 
sentation d'objets terrestres invisibles dans l'état ordi- 
naire de l'atmosphère, et qui deviennent apparents et 
mobiles quand les rayons de la lumière qu'ils envoient se 
meuvent en ligne courbe dans des couches d'inégales 
densités. 

Le célèbre voyageur anglais Swinburne en donne la 
description d'après le père Angellucini, qui, se trouvant 
à Rescio, en fut témoin oculaire : 



« La mer, dit-il, qui baigne les côtes de la Sicile s'en- 
flamma tout à coup et parut, dans une étendue de dix 
milles, semblable à une chaîne de montagnes d'une teinte 
obscure, tandis que les eaux du rivage de Calabre de- 



298 LES METEORES. 

vinrent tout à fait unies comme un miroir bien poli et 
appuyé contre ce rideau de collines. Sur cette glace on 
voyait se peindre en clair-obscur une suite de plusieurs 
milliers de pilastres , tous égaux en hauteur, en distance, 
en degré de lumière et d'ombre. Un instant après , ces 
pilastres se transformèrent en arcades semblables aux 
aqueducs de Rome. Sur le haut de ces arcades régnait 
une longue corniche surmontée d'une multitude de châ- 
teaux, qui bientôt se transformèrent en simples tours; 
celles-ci devinrent des colonnades, puis des rangées de 
fenêtres, et enfin des arbres semblables à des pins et à 
des cyprès, tous d'une égale élévation. 



III. 



Toute Parmée française , dans les plaines de la basse 
Egypte, fut témoin des phénomènes de mirage les plus 
remarquables. 

Fatigués par des marches forcées sous un soleil brû- 
lant, dans une atmosphère étouffante et chargée de sable, 
baignés de sueur et tourmentés par une soif ardente, les 
soldats croyaient tout à coup apercevoir devant eux un 
lac immense dont les eaux transparentes réfléchissaient 
les collines lointaines, des arbres, des villages; mais à 
mesure qu'ils avançaient vers ces bords tant désirés , le 
lac enchanté fuyait devant eux, ne laissant qu'un sable 
dessécHé à la place de sa nappe humide. 

Les savants qui faisaient partie de l'expédition furent 
quelque temps, comme toute Parmée, le jouet de cette 



LE MIRAGE. 299 

cruelle illusion; mais Monge en eut bientôt découvert et 
expliqué la cause. Les couches inférieures de l'atmos- 
phère, échauffées par le sable, prennent des densités qui 
vont en décroissant, à mesure qu'elles sont plus voisines 
du sol. Les rayons lumineux partant d'un point élevé et 
pénétrant dans ces couches passent sans cesse d'un mi- 
lieu plus dense dans un milieu moins dense ; l'obliquité 
de leur incidence sur les couches successives va donc en 
augmentant de plus en plus. Enfin, ils rencontrent une 
couche sur laquelle ils subissent la réflexion totale, et 

produisent pour l'œil qu'ils rencontrent une image par 

réflexion. 

M. le docteur Bonnafont, pendant l'expédition qui 
précéda le traité de la Tafna, a fait quelques observations 
qu'il a ensuite adressées à l'Académie des sciences , et 
qui présentent un grand intérêt scientifique : 

« L'expédition, partie d'Oran le 15 mai 1837, dit-il, 
bivouaqua le soir au village de Mézerguin, le 16 à Bré- 
déah, et le 17 nous quittâmes le camp à cinq heures du 
matin (temps très beau, vent nord-ouest, frais, 16 de- 
grés centigrades de chaleur) . À huit heures, nous aper- 
çûmes, d'une petite hauteur, une immense surface 
blanche miroitant au soleil , et connue sous le nom de 
Lac salé, lequel n'a pas moins de quatre à cinq lieues de 
long et une lieue à une lieue et demie de large, occupant 

* 

une direction de l'est à l'ouest. 

« L'armée, arrivant du côté nord, fit sa grande halte 
à neuf heures, sur le bord du lac, lequel ne présenta à tous 
ceux qui occupaient le côté nord autre chose qu'une 
couche blanche, comme neigeuse, qui couvrait toute la 



300 LES MÉTÉORES. 

surface du sol. Cette couche était produite par la cris- 
tallisation du sel dont la terre est imprégnée, lequel, 
dissous par les pluies torrentielles qui tombent en hiver, 
se dépose à la surface du sol quand les chaleurs ont été 
assez fortes pour produire l'évaporation de l'eau. Mais 
tous ceux qui, comme moi, occupaient l'extrémité occi- 
dentale du lac et faisaient ainsi face au soleil purent re- 
marquer le phénomène suivant : à la distance d'un kilo- 
mètre environ, on apercevait des ondulations pareilles à 
celles d'un liquide, et toute la partie du lac située au delà 
ressemblait à une petite mer agitée par une brise très 
fraîche, et pourtant il n'y a pas d'eau. 

« Au moment où le corps expéditionnaire allait se re- 
mettre en marche, il se produisit un autre phénomène, 
digne d'être noté, mais aperçu seulement du même point 
de la rive qui faisait face au soleil. Un troupeau de fla- 
mants, échassiers fort communs dans cette province, dé- 
fila sur la rive sud-est, à six kilomètres de distance. Ces 
volatiles, à mesure qu'ils quittaient le sol pour marcher 
sur la surface du lac, prenaient des dimensions telles, 

qu'ils ressemblaient, à s'y méprendre, à des cavaliers 
arabes défilant en ordre. L'illusion fut un instant si com- 
plète, que le général en chef, Bugeaud, dépêcha un spahis 
en éclaireur. Ce cavalier traversa le lac en ligne droite ; 
mais, arrivé au point où les ondulations commençaient à 
se produire, les jambes du cheval prirent insensiblement 
de telles dimensions en hauteur, que cheval et cavalier 
semblaient être supportés par un animal fantastique ayant 
plusieurs mètres de hauteur, et se jouant au milieu des 
flots qui semblaient le submerger. Tout le monde con- 



LE MIRAGE. 301 

templait ce phénomène curieux, lorsqu'un épais nuage, 
interceptant les rayons du soleil , fit disparaître ces effets 

d'optique et rétablit la réalité de tous les objets. 

« L'armée continua sa marche sur Tlemcen et la Tafna, 
mais en revenant de ce dernier point pour rentrer à Oran, 

je reçus Tordre de suivre le l or de ligne, qui allait cam- 
per, jusqu'à la ratification du traité conclu avec Abd-el- 
Kader, à Aïn-Ambria, situé à peu de distance du lac salé 
de Dréhan. Le 8 juin, mon ambulance plantait ses tentes 
à côté de ce lac, sur lequel, pendant un campement de dix 
à douze jours, j'ai pu observer de nouveaux effets de mi- 
rage. Ainsi, tous les matins, la surface du lac était re- 
couverte d'une couche légèrement nébuleuse qui avait un 
mètre de hauteur, et assez transparente pour laisser dis- 
tinguer les objets à une grande distance. De sept heu- 
res et demie à huit heures du matin , on pouvait par- 
courir le lac en tous sens, sans rien remarquer de particu- 
lier ; mais à cette heure, si l'on regardait du côté du soleil, 
on voyait les ondulations commencer toujours à un kilo- 
mètre de distance, et à mesure que le soleil montait 



l'eau semblait aussi se rapprocher du côté du levant, 
tandis que du côté du couchant la surface du lac ne 
présentait rien de particulier. 

« Quand le soleil arrivait au méridien, et que ses 
rayons tombaient perpendiculairement sur le sol , tout à 
coup la scène changeait; les ondulations aqueuses enva- 
hissaient tous les côtés du lac et ressemblaient aux vagues 
de la marée montante, menaçant de submerger l'obser- 
vateur, placé au milieu. Dès que le soleil s'éloignait du 
méridien, les effets du mirage disparaissaient du côté du 



302 LES MÉTÉORES. 

levant, pour se rapprocher très faiblement du côté du 
couchant. Souvent même ils manquaient complètement 

de ce côté. 

<x Parfois il se produisait un autre effet, qui devint 
bientôt un sujet de récréation pour les militaires. Si, pen- 
dant que le soleil était à l'est, le vent soufflait du côté 
opposé, on projetait sur le lac un petit corps léger, sus- 
ceptible d'être entraîné par le vent : il était curieux de 
le voir grossir à mesure qu'il s'éloignait , et dès que le 
vent lui avait fait atteindre les ondulations, il affectait 
tout à coup la forme d'une petite nacelle, dont l'agitation 
au-dessus des vagues était en raison des secousses que 
lui donnait le vent. Ce qui réussissait le mieux, c'étaient 
des tètes de chardon , qui obéissaient plus facilement à 
la plus légère brise; alors l'illusion était complète. Dans 
la matinée du 18 juin, par une température de 26 degrés 
centigrades, une brise un peu forte de l'orient, et une 
couche nébuleuse qui commençait à dissiper la chaleur, 
nous lançâmes, à huit heures et demie du matin, un cer- 
tain nombre de têtes de chardon; et dès que le vent les 

eut poussées jusqu'au point où les ondulations se produi- 
saient, elles offrirent tout à coup le spectacle curieux 

d'une flottille en désordre. Les nacelles semblaient se 
heurter les unes contre les autres, et puis, poussées par 
le vent jusqu'à une très grande distance, elles disparu- 
rent complètement, comme si elles avaient sombré. » 

Il est à remarquer que les effets de mirage décrits par 
M. Bonnafont appartiennent plutôt aux lois de la réfrac- 
tion qu'à celles de la réflexion des rayons lumineux. 



LE MIRAGE. 303 



IV. 



On lit dans une lettre datée de l'île de Ténériffe le 
récit d'une ascension sur le pic par quelques savants por- 
tugais, qui révèle un fait de réfraction terrestre des plus 
extraordinaires. Nous en empruntons un extrait au Cour- 
rier des sciences : 

« Les savants dont il est question, étant parvenus à la 
cime du volcan, qui ressemble à une énorme pyramide, 
et qui a une hauteur de près de 2,000 mètres au-dessus 
du niveau de la mer, ne furent pas peu surpris d'aperce- 
voir, au lever du soleil, des terres se développant sur 
certains points de l'horizon, et formant une masse qui ne 
pouvait évidemment appartenir qu'à un continent. L'ar- 
chipel des îles Canaries était en quelque sorte à leurs 
pieds; il n'y avait donc pas lieu de confondre les terres 
qui apparaissaient à l'horizon avec celles du groupe des 
Canaries, quelle que fût la distance qui les séparât. 

« C'étaient donc des terres autres que celles des îles 
Fortunées qui se montraient à leurs regards étonnés, et 
ce n'étaient en effet ni plus ni moins que les montagnes 
Apalaches de l'Amérique que l'on apercevait du haut de 
cet observatoire colossal. Le doute n'était plus permis, 
d'après le calcul fait par un des voyageurs qui connaissait 
cette partie de l'Amérique; et tous de s'extasier devant 
ce spectacle grandiose, qui leur offrait la vue du con- 
tinent américain à plus de 1,000 lieues. Ce spectacle était 
dû à un mirage des plus merveilleux. Les effets de cette 
réfraction extraordinaire sont produits par le vent hu- 



304 



LES METEORES. 



mide de Pouest-sud-ouest qui règne dans cette partie de 
l'Océan. Ce jeu des réfractions terrestres, dont les plié- 
nomènes sont d'ailleurs très connus, se révélait là, pour 




Fis. 61. — Mirage. 



la première fois peut-être, dans des proportions vrai- 
ment extraordinaires, et qui paraîtront incroyables quand 
on saura que de la cime d'une montagne élevée comme le 
pic de Ténériffe l'œil ne peut embrasser qu'une surface 
de 5,700 lieues carrées, et que le rayon visuel de l'ho- 
rizon du pic s'étend à peine à une distance de 50 lieues. 



LE MIRAGE. * 305 

Or, apercevoir les Apalaches de l'Amérique, situées à 
1,000 lieues, était assurément le plus émouvant et le 
plus merveilleux résultat de réfraction qui jamais se fût 
produit. 

« Les montagnes Apalaches dont nous avons parlé, 
connues aussi sous le nom d'Alleghany , sont situées dans 
l'Amérique du Nord, et s'étendent des frontières de la 
Géorgie au cap méridional de l'embouchure du Saint-Lau- 
rent. Cette chaîne se dirige du sud-ouest au nord-est. Sa 
longueur est de 1,600 kilomètres, et elle forme une 
masse non interrompue , dont les points les plus élevés 
sont de 800 mètres environ. Leur distance du rivage de 
l'Océan est de 80 kilomètres. » 



V. 



M. Bigourdan a lu, il y a quelques années, à l'Académie 
des sciences, un long et intéressant jnémoire sur des 
phénomènes de mirage observés à Paris, dont voici le 
résumé : 

Le soubassement sud-ouest de la Bourse de Paris, que 

l'auteur appelle le mur méridional.' est formé d'un mur 

vertical en pierre de taille, sans aucune partie saillante, 
dans une étendue d'environ 78 mètres. Lorsque, entre 
midi et. trois ou quatre heures, ce mur est frappé par les 

rayons solaires, il présente les phénomènes du mirage avec 
une grande intensité. Si un observateur place son œil un 
peu en avant du prolongement du mur, il voit sa surface 

disparaître tout à coup , et un peu en avant de la sur- 

20 



306 LES MÉTÉORES. 

face il aperçoit une mince couche d'air, plus ou moins 
agitée, qui a la propriété de réfléchir tous les objets qui 
sont près du mur ou de son prolongement; ainsi la cor- 
niche qui surmonte le soubassement se réfléchit si exac- 
tement, qu'au premier abord on croit que l'image fait 
partie de l'objet. Si une personne appuie sa tête sur ce 
mur, un peu loin de l'observateur, une grande partie 

de la tête de cette personne, et quelquefois son corps 
tout entier, se mire sur la mince couche d'air comme dans 
un miroir. L'image est un peu tremblante et déformée ; 
mais si l'air est un peu agité, on distingue facilement tous 
les traits et toutes les parties du vêtement. A la défor- 
mation près, l'image paraît aussi brillante et aussi nette 

que le corps lui-même. 

Le mirage se manifeste aussi très bien sur les murs des 
fortifications de Paris, surtout du côté du sud. Quoique 
ces murs ne soient couverts d'aucun enduit et qu'ils 
soient formés avec de la pierre meulière, dont la surface 
présente beaucoup d'irrégularités, cependant, comme la 
forme générale en est plane et que Ton y trouve des fonds 
de 150 mètres de longueur, deux personnes ayant un 
œil appliqué près de ces murs, à 100 ou 150 mètres de 
distance , aperçoivent très bien l'image Tune de l'autre 
réfléchie chacune sur la mince couche d'air chaud qui 
monte le long de ces murs lorsque le soleil est un peu 
brillant et qu'il fait peu de vent. Si l'on choisit les murs 
dans le prolongement desquels on peut voir au loin la 
campagne, et si l'on observe avec une lunette les images 
réfléchies, on peut voir jusqu'à des arbres entiers avec 
leurs branches et leurs feuilles. Si le prolongement de la 



LE MIRAGE. 307 

muraille rencontre une route fréquentée, on distingue 
très bien, à la lunette, les images réfléchies des passants, 
des chevaux et des voitures, lorsqu'ils se présentent près 
du prolongement du mur. 

À un degré plus ou moins intense, ces phénomènes 
ont lieu tous les jours, ou du moins toutes les fois que le 
soleil éclaire les murs des fortifications, depuis deux ou 
trois heures. 

Le mirage se manifeste à Paris dans beaucoup d'en- 
droits d'une manière permanente, l'hiver et l'été , la 

nuit et le jour* Lorsque le soleil brille avec un certain 
éclat, on peut l'observer très facilement sur toutes les 
surfaces planes d'une certaine étendue exposées au soleil, 
sur les parapets des quais, sur les trottoirs, sur les mar- 
ches des églises, etc. 



VI. 





M. Paris a étudié un phénomène de mirage consis- 
tant dans l'exhaussement et non dans le renversement 
des objets qui se montraient à lui au-dessus des dunes 
d'Aigues-Mortes, 

Après avoir observé quelques instants, il vit sur sa 
droite des groupes d'arbres se mettre en mouvement, 
leur image s'allonger, se doubler de hauteur, puis s'élancer 
avec la rapidité de la pensée vers un nuage qui se for- 
mait au-dessus , et avec une rapidité non moins grande 
redescendre renversée, et aller rejoindre l'image infé- 
rieure au milieu de la distance qui séparait leurs bases. 



508 LES MÉTÉORES. 

L'une de ces bases était derrière les dunes, l'autre était 
soudée au nuage. Toutes ces opérations n'pnt pas duré 
plus d'une seconde* 

Un vide à parois verticales séparait les deux groupes; 
il persistait malgré l'ascension des images, gardant la 
même largeur; c'étaient alors deux gigantesques murs de 
verdure. Et comme le nuage passait vers la gauche, 
il jetait comme un pont de vapeur sur cet abîme. Ce nuage 
était venu de la haute mer ; sa largeur était faible , sa 
teinte et sa consistance étaient celles d'un nimbus ; il était 
probablement la reproduction du sol. Il se propageait de 
droite à gauche, et partout au-dessous de lui s'élevaient 
des images nouvelles, montant comme les premières, et, 
comme elles, redescendant renversées. Ces images étaient 
celles des objets que M. Paris voyait d'habitude derrière 
les dunes et d'autres qui lui étaient inconnues ; des mas- 
sifs d'arbres, des arbres épars, des habitations. Dans 
l'intervalle de deux minutes, le nuage représentant le sol 
avait parcouru un horizon de o,6Q0 mètres, et dans ce 
court espace de temps quarante objets environ ont repro- 
duit leur image. 

Le phénomène s'est ensuite établi sur toute la ligne. 
Le nuage formait en haut un nouvel horizon , qui servait 
de cadre supérieur au tableau, comme les dunes for- 
maient le cadre inférieur. L'étendue était de 10 degrés 
35 minutes; la hauteur de 4 minutes. Ce tableau était 
des plus variés. Les groupes d'arbres, terminés en 
pointe , figuraient deux pyramides réunies par leurs 
sommets ; les massifs , plus compacts , ressemblaient à 
des prismes. Les arbres isolés montraient leurs colonnes, 



LE MIRAGE. 309 

ou déliées et homogènes, ou formées de nœuds irréguliers; 
le plus souvent c'étaient des berceaux de verdure, et l'as- 
pect général était celui d'objets disposés pour une fête* 
La teinte des arbres était brune , comme aussi celle des 
nuages ; celle des bâtiments éclairés par les derniers rayons 
du soleil était d'un jaune-orange éclatant, et les ondula- 
tions y étaient si fortes, qu'ils paraissaient enflammés* 
Toutes ces images étaient dans une continuelle agi- 
tation ; elles montaient et descendaient comme si elles 

avaient été élastiques et tirées en même temps par les 
deux bouts, s'allongeant et se contractant sans relâche. 

pendant la demi-heure que dura le phénomène. Dans ce 
mouvement incessant, la forme variait à chaque seconde, 
et souvent, le vide du centre venant à se remplir, au lieu 
de deux pyramides effilées , on voyait une masse colos- 
sale. Ce dernier effet était surtout apparent sur les mai- 
sons, plus fortement éclairées. 

Vers le milieu de la ligne, un autre effet se prononçait. 
Il y a, à la distance de 8 kilomètres des dunes, le ha- 
meau des salines de Pécaï. M. Paris n'en voyait d'ordi- 
naire que les sommets d'un bâtiment et de deux hautes 
cheminées d'usine ; dès le commencement du phénomène, 
le hameau s'est relevé légèrement , et l'une des maisons 
a semblé jeter des flammes. Bientôt il se porta tout en- 
tier sur le nuage , gardant sa position droite , alors que 
toutes les imagés à droite et à gauche étaient renversées 
et immobiles ; au milieu du mouvement général qui per- 
sistait à ses côtés, sa lumière était tranquille comme à 
la fin d'un beau jour d'été ; on pouvait y compter neuf 
bâtiments entre les deux grandes cheminées. 



310 LES MÉTÉORES. 

Du milieu des images des arbres, M. Paris vit sur la 
droite sortir de l'horizon deux colonnes blanches élevées 
d'environ 3 minutes; elles marchèrent l'une vers l'autre, 
se joignirent et se séparèrent : c'étaient deux voiles de na- 
vire qui , d'après toutes les circonstances , étaient sur la 
mer des Bouches-du-Rhône, à 10 kilomètres en arrière 
des dunes; leur image était droite. 

Le phénomène dura une demi-heure ; mais les formes 
ne restèrent pas les mêmes. Outre les variations pro- 
duites par l'agitation des images, un changement total 
s'opérait quelquefois. 

Après une demi-heure de cette seconde apparition , le 
nuage disparut, les images supérieures s'effacèrent, les 
deux voiles s'évanouirent de même; tout rentra dans 
l'ordre accoutumé , sauf le hameau, qui descendait len- 
tement, toujours dans sa position droite; la nuit arriva, 
qu'il n'avait pas encore rejoint l'horizon. 



VII. 



Tous ces phénomènes de mirage sont faciles à com- 
prendre ; ils sont dus aux lois de la réfraction et de la ré- 
flexion de la lumière. 

Dans un milieu diaphane homogène , c'est-à-dire ayant 
partout les mêmes propriétés et au même degré, la 
lumière se propage toujours en ligne droite; mais lors- 
qu'elle arrive à la surface d'un corps diaphane ou trans- 
parent, une partie se réfléchit et une autre partie pé- 
nètre dans le corps en éprouvant une déviation à laquelle 
ou a donné le nom de réfraction. 



LE MIRAGE. 311 

Ce changement de direction est facile à constater par 
l'expérience suivante. 

Si l'on met une pièce de monnaie djans un vase vide , 
à parois opaques, de manière que, placé à une cer- 
taine distance, on puisse à peine en apercevoir le bord, 
et si Ton y verse ensuite de Peau, à mesure que le ni- 
veau s'élèvera, la pièce semblera s'avancer vers le côté 
opposé du vase, et bientôt, sans changer de position, 
on l'apercevra tout entière. 

Il faut donc que la lumière ne vienne pas en droite 
ligne de la pièce vers l'œil ; il est en effet facile de cons- 
tater qu'elle se propage en ligne droite dans l'eau , et en 
ligne droite dans l'air; mais elle se brise en s'inclinant 
sur la surface liquide , en passant de l'eau dans l'air. 

C'est pour la même raison qu'un bâton droit, plongé 
en partie dans l'eau, parait brisé à la surface du liquide, 
et que, de quelque manière que l'on regarde un objet 
placé au fond d'un bassin rempli d'eau, cet objet et le 
fond du bassin lui-même semblent toujours moins éloi- 
gnés de l'œil de l'observateur qu'ils ne le sont en réalité. 

Ce n'est pas seulement en passant de l'eau dans l'air 
ou de l'air dans l'eau que les rayons lumineux se bri- 
sent; mais cela a généralement lieu toutes les fois qu'ils 
passent d'un milieu transparent dans un autre. Ordinai- 
rement les milieux les plus denses sont aussi les plus ré- 
fringents, c'est-à-dire ceux qui, toutes choses égales 
d'ailleurs, font subir à la lumière de plus fortes dévia- 
tions; cependant il y a des exceptions. 

Pour que deux milieux aient une différence d'homosé- 
néilé capable de produire les phénomènes de réfraction* 



v 



312 



LES METEORES. 



il n'est pas nécessaire qu'ils soient de nature différente; 
une simple différence de densité dans les parties d'un 
même milieu suffit pour le diviser en milieux hétéro- 
gènes par rapport à la lumière. 




Fiff. <i-2. — Phénomènes do réfraction. 



Les différentes couches de l'air ayant toutes des den- 
sités différentes, il en résulte que la lumière du soleil ne 
nous arrive jamais en ligne droite, et que nous ne voyons 
jamais cet astre au lieu où il est en réalité. Les mêmes il- 
lusions se reproduisent dans nos observations sur les étoiles 



LE MIRAGE. 313 

ou sur les corps très éloignés. Ainsi tous les astres nous 
présentent des phénomènes de mirage par réfraction. 

En traversant les couches successives de l'atmosphère , 
la lumière ne rencontre pas de changement brusque de 
densité, elle ne se brise pas non plus brusquement, 
comme, par exemple, en passant de Pair dans l'eau ou 



dans le verre; elle suit une ligne courbe au lieu d'une 
ligne brisée. La réfraction que la lumière des astres 
éprouve en traversant les couches successives de l'atmo- 
sphère , nous fait jouir plus longtemps de leur présence 
sur l'horizon , car elle avance leur lever et retarde leur 
coucher. C'est à cette réfraction que nous devons l'aurore 
qui précède l'éclat du jour, et le crépuscule qui précède 
les ténèbres de la nuit, 

La lumière qui vient de parcourir un milieu réfringent, 
et qui se présente pour passer dans un autre moins ré- 
fringent, s'arrête quelquefois à la surface de séparation 
des deux milieux, y subit une réflexion totale et repasse 
dans le milieu déjà parcouru. Ce singulier phénomène 
a lieu toutes les fois que les rayons se présentent sous 
une trop grande obliquité à la surface d'émersion. 

Les phénomènes de réflexion totale et de réfraction 
dont nous venons de parler expliquent toutes les variétés 
des faits magiques connus sous le nom de mirage. 



CHAPITRE XVI. 



HALOS, PARHÉLIES, PARASÉLENE. 



On appelle halos les cercles lumineux et concentriques , 
assez souvent colorés, qui apparaissent autour du so- 
leil et de la lune. 

La formation des halos est due à la lumière réfractée 
par des particules glacées, suspendues dans les hautes 
régions de l'atmosphère. 

On peut produire en petit , et artificiellement , ce phéno- 
mène , et le voir en regardant une bougie, soit à travers la 
vapeur qui s'élève d'un vase contenant de l'eau chaude , 
soit à travers un vitrage sur lequel s'est déposée une 
certaine couche d'humidité. 

Les parhélies, du grec para, auprès de, et hélios, so- 
leil, sont l'apparition simultanée de plusieurs soleils, 
images fantastiques du soleil véritable, réunies entre 
elles par des arcs brillants. 

Ce singulier météore est attribué à de la lumière ré- 
fléchie par les mêmes particules de glace qui produisent 
les halos. 

On donne le nom de parasélhie (fig. 60), du grec para , 



316 



LES MÉTÉORES. 



auprès de, et sélériè, lune, à l'apparition simultanée de 
plusieurs lunes; ces phénomènes sont dus à une réflexion 




Fig. 63. 



ParascIiMic. 



de lumière analogue à celle qui a lieu dans les parhélies 
et dans les halos. 



CHAPITRE XVII. 



LA FOUDRE. 



Analogie de l'électricité et de la foudre. — Curieuse expérience faite à Marly- 
la -Ville. — Cerf-yolant électrique. — Production de la foudre, de l'éclair et du 
tonnerre. — Gomment peut- on apprécier la distance de la foudre? — Fou- 
droiement direct et par le choc en retour. — Terribles effets de la foudre. — 
Statistique des accidents de la foudre en France. — Action foudroyante de 
l'homme récemment foudroyé. — Répartition des coups de foudre sur diverses 
espèces d'arbres. 



I. 



Plusieurs physiciens avaient déjà soupçonné que l'élec- 
tricité pourrait bien être la cause de la foudre , lorsque 
Franklin , après avoir reconnu que les corps bons con- 
ducteurs, terminés en pointe , donnaient lieu à un écoule- 
ment si facile de cet agent, qu'il est impossible de les 
charger d'électricité, proposa d'élever en l'air une verge 
de fer, terminée en pointe aiguë, pour étudier l'analogie 
qu'elle pouvait présenter avec la foudre. 

Un Français , nommé Dalibard, fut un des premiers qui 
mit l'idée de Franklin à exécution. Il fit construire à 
Marly-la- Ville , en 1752, sur un monticule, une cabane 
au-dessus de laquelle il fixa , dans un gâteau de résine , 



318 



LES METEORES. 



une barre de fer de 13 à 1 i mètres de hauteur, pointue 

par le haut. 

A deux heures vingt 
minutes, il s'éleva un 
orage au-dessus du lieu 
où était la barre, le curé 
deMarly s'y transporta, 
approcha le doigt de la 
barre et tira des étin- 
celles très fortes. 

Cette expérience dan- 
gereuse , qui coûta la 
vie à Richmann, fut con- 
firmée de toutes parts; 
§5 on observa même que le 
nuage pouvait être déjà 
fort loin sans que la 
barre cessât d'être élec- 
trisée. M. Delor, habile 
physicien, tira des étin- 
celles à Paris, le nuage 
étant au-dessus de Vin- 
cennes , c'est-à-dire au 
moins à deux lieues de 
lui. 

Peu de temps après 

| la première expérience, 

deux autres physiciens, 

de Roma et Charles, ima- 

Fi* a>*. - Expérience à Maiiy-ia-viiie. ginèrent d'envoyer vers 




LA FOUDRE. 319 

le nuage même un cerf-volant armé d'une pointe mé- 
tallique, et dont la corde, entrelacée avec un fil de métal 
bon conducteur, était terminée par un cordon de soie , 
de façon à isoler la personne qui la tenait. 

Cet appareil donna spontanément des jets de lumière 
de 3 mètres de longueur, accompagnés d'un bruit sem- 
blable à celui d'un coup de pistolet. 

On voit encore au Conservatoire des arts et métiers le 
tabouret vernissé qui supportait le fil du cerf-volant ; il est 

comme grillé par l'électricité qui ruisselait à l'entour en 
cascades de feu. 

Ces expériences démontrèrent non seulement l'identité 
de la foudre et de l'électricité, en faisant voir que les 
nuages orageux agissent comme une machine électrique 
sur les corps bons conducteurs , mais aussi que tous les 
nuages ne possèdent pas la même électricité, que les uns 
sont électrisés positivement et les autres négativement. 



II. 



Il est facile maintenant de comprendre les phénomènes 
que nous présente la foudre : deux nuages chargés d'une 
même électricité doivent se repousser; et, au contraire, 
ils s'attireront s'ils sont chargés d'électricités différentes. 
Ces attractions et ces répulsions entrent sans doute pour 
beaucoup dans les mouvements extraordinaires et les 
grandes agitations que Ton remarque dans le ciel au mo- 
ment des orages. 

Lorsque deux nuages chargés d'électricités contraires 



320 * LES MÉTÉORES. 

* 

viennent à se rencontrer, ils s'attirent mutuellement , et, 
arrivés à une certaine distance, leurs électricités s'élan- 
cent Tune vers l'autre pour se combiner ; cette combinai- 
son est ce qu'on appelle la foudre : de là cette immense 
étincelle que l'on appelle éclair 9 et cette détonation qui 
suit Téclair et à laquelle on a donné le nom de tonnerre. 

On voit souvent l'éclair fendre la nue et sillonner une 
grande étendue du ciel qu'on a estimée être quelquefois 
de plus d'une lieue ; la trace qu'elle laisse est presque tou- 
jours en zigzags, ainsi que l'étincelle électrique produite 
par une forte décharge. 

Le tonnerre est causé par une violente agitation de 
l'air qui se trouve sur le passage de l'électricité. Les 
roulements prolongés sont dus principalement au trajet 
de Téclair à travers les différentes couches d'air qui ne 
reçoivent pas la même impulsion , parce qu'elles ne sont 
pas à la même température ni au même degré de séche- 
resse ou d'humidité. Il arrive souvent que le tonnerre 
est répété et prolongé par les échos des forêts, des mon- 
tagnes ou des nuages; cependant, en général, c'est la 
durée de l'éclair qui détermine la durée du tonnerre. 

Le tonnerre ne se fait généralement entendre qu'un 
temps plus ou moins long après l'apparition de l'éclair ; 
cela tient à ce que le son se propage beaucoup moins 
vite que la lumière. Plus il s'écoule de temps entre l'ap- 
parition de l'éclair et le bruit du tonnerre , plus le nuage 
orageux est éloigné. 

Ces phénomènes étaient bien connus des anciens : « Mais 
l'oreille, ditLucrèce, n'entend le son du tonnerre que quand 
l'œil a aperçu l'éclair, parce que les simulacres qui frap- 



tC 




Fig. 65. — Éclairs arborescent- 



LA FOUDRE. 323 

pent l'ouïe vont plus lentement que ceux qui excitent la 
vue, une expérience t'en convaincra. Regarde de loin le 
bûcheron trancher avec la hache le superflu des rameaux, 

tu verras le coup avant d'en entendre le son; de même, 
l'impression de l'éclair se fait sentir plus tôt que celle du 
tonnerre, quoique le bruit parte en même temps que la 
lumière et qu'ils soient l'un et l'autre produits par la 
même cause et nés du même choc. » (Liv. VI.) 

On peut mesurer Téloignement du nuage orageux par 
le temps écoulé entre l'éclair et le tonnerre. Chaque se- 
conde, que Ton peut facilement compter par les batte- 
menls du pouls, représente une distance de 340 mètres. 
Une fois que l'éclair a brillé , il n'y a plus de danger, 
puisque l'effet de la foudre est produit. 

Le plus souvent la foudre éclate au milieu des airs 
sans occasionner aucun ravage sur la terre ; mais il n'en 
est pas toujours ainsi. 



III. 



On distingue deux sortes de foudroiement, le foudroie» 
ment direct et le foudroiement par le choc en retour. 

Lorsqu'un nuage orageux s'approche assez près d'un 
point quelconque de la surface de la terre pour y déter- 
miner une forte accumulation .d'électricité , la recomposi- 
tion des deux électricités peut s'opérer entre le nuage et 
le point influencé. On dit alors que ce point est foudroyé 
directement ou , comme le vulgaire , que la foudre est tom- 
bée sur ce point, quoique en réalité rien ne soit tombé; 



324 LES METEORES. 

il n'y a eu que recomposition des fluides électriques. 

4 

4 

Le point influencé par le nuage orageux vient-il à être 
soustrait instantanément à ce nuaee, alors les deux élec- 
tricités séparées sur ce point reviennent l'une vers l'autre 
avec violence, et se recomposent brusquement. C'est ce 
qu'on appelle le choc en retour, deuxième espèce de fou- 
droiement. 

Les éminences, le sommet des montagnes, les arbres, 
les clochers , et en général les édifices élevés , sont frap- 
pés de préférence , parce qu'ils sont plus rapprochés des 
nuages orageux; on sait que l'action de l'électricité a 
lieu, toutes choses égales d'ailleurs, en raison inverse du 
carré des distances. 

Cependant la nature du sol , son état de sécheresse ou 
d'humidité , la conductibilité des matières qui composent 
les différentes couches de terrain , sont des éléments qui 
déterminent quelquefois l'explosion de la foudre sur un 
point moins élevé plutôt que sur un autre plus élevé. 

Le choc en retour est moins violent dans ses effets que 
le choc direct , il ne produit point de combustion ; mais 

il est certain que les hommes et les animaux peuvent en 
être frappés de mort. On ne remarque alors sur eux ni 
brûlures, ni plaies, ni fractures, en un mot aucune 
trace de l'agent électrique , au lieu que le foudroiement 
direct présente ordinairement ces caractères. 

■ 

Le foudroiement direct est donc le plus terrible. Alors 
la foudre , lorsqu'elle est en communication avec le sol , 
se manifeste par un ou plusieurs trous plus ou moins pro- 
fonds; la terre en est remuée et bouleversée ; les arbres en 
sont quelquefois fendus et brisés , ou marqués de la cime 



LA FOUDRE, 325 

au pied par un sillon de plusieurs centimètres de pro- 

fondeur. 

Lorsqu'elle éclate sur des charpentes séchées par le 
temps , sur des toits de chaume , la foudre y met ordinaire- 
ment le feu et produit un incendie; souvent elle trans- 
porte au loin des objets d'un poids considérable , arrache 
des barres de fer de leurs scellements , fond et volatilise les 
métaux, déplace et renverse les meubles. Elle amène 
souvent des accidents bizarres; on la voit délaisser 
un objet qui se trouve sur son passage pour en aller 

chercher un autre qui est à l'écart et caché, comme un 
clou, un morceau de métal au milieu d'une maçonnerie. 
Les divers degrés de conductibilité des corps suffisent 
pour expliquer ces préférences. 



IV. 



Jetons un coup d'œil général sur ces phénomènes, 
bien propres à étonner. 

Le 6 août 1809, à Swinton, la foudre tombe sur une 
maison; elle arrache de ses fondements un mur de 
1 mètre d'épaisseur et de 4 mètres environ de hauteur, le 
soulève et le transporte, sans le renverser, à quelques pas 
plus loin. Ce raur se composait d'environ 7,000 briques 
et pesait près de 26 tonnes. — En 1723, la foudre brise 
un arbre dans la forêt de Nemours ; les deux fragments de 
la souche avaient l'un 5 et l'autre 7 mètres de long ; 
quatre hommes n'auraient pas soulevé le premier, la 
foudre le jeta cependant à 15 mètres de distance. 



326 LES METEORES» 

Ces phénomènes de transport sont fréquents ; mais une 
chose très curieuse , c'est que la foudre , dans son passage , 
s'identifie, pour ainsi dire, avec certains corps. Nobili 
a observé sur des pierres foudroyées des couches de 
sulfure de fer; la foudre s'était emparée chemin fai- 
sant de ce sulfure, et l'avait ainsi transporté. On a ob- 
servé le même effet sur des arbres foudroyés. 

En 1 707 , la foudre tomba dans un moulin , sur une 
grosse chaîne en fer qui servait à hisser le blé ; les an- 
neaux se fondirent et furent soudés l'un à l'autre , de ma- 
nière que la chaîne devint une barre de fer. 

On rencontre des traces de fusion par la foudre à peu 
près partout. Au sommet du mont Blanc, Saussure a 
trouvé des masses d'amphibole schisteux recouvertes de 
gouttes et de bulles noirâtres évidemment vitreuses, de 
la grosseur d'un grain de chanvre. Ayant comparé ces 
bulles avec d'autres qui recouvraient des briques frap- 
pées de la foudre , il n'eut pas de peine à en reconnaître 
l'identité. 

Sur la plus haute cime du Toluca, près de Mexico, 
MM. de Humboldt et Bonpland ont constaté que la sur- 
face du rocher el Frayle était vitrifiée et que la foudre 
avait passé par là. C'est encore au passage de la foudre 
que l'on doit rapporter l'origine des fulgurites ou tubes 
fulminaires qu'on découvre dans les sables. 

Avec l'électricité on peut aimanter le fer. Quand la 
foudre frappe les barres de fer d'un édifice , ces barres 
sont aimantées. Sur mer, les effets magnétiques sont plus 
sensibles encore : l'aimantation des aiguilles de la bous- 
sole peut être dérangée, comme aussi la marche des 



LA FOUDRE. 327 

chronomètres. Dans son voyage de 1824, le capitaine 
Duperré a pu s'assurer de ce dernier fait. 

Le passage de l'électricité dans un nuage donne nais- 
sance à de l'ozone ; il se fait aussi une combinaison d'azote 
et d'oxygène, d'où résulte de l'acide nitrique, qui à son 
tour forme des nitrates. Les eaux qui tombent alors sur 
la terre en sont plus ou moins imprégnées. 

L'orage fait tourner le pain , le lait , la bière nouvelle ; 
mais ces effets sont amenés plutôt par la chaleur de l'air 
que par les décharges électriques. 

Qn remarque que les individus tués par la foudre sont 
rapidement envahis par la putréfaction. 

Cela tient à ce que, dans ce genre de mort, le système 
vasculaire est surtout atteint; il est crevé par la foudre, 
et tous les liquides du corps humain sont mélangés. L'é- 
lectricité agit surtout sur le système nerveux; aussi la 
plupart des individus que la foudre a frappés sans les tuer 
demeurent-ils paralysés. 



V. 



Au nombre des effets les plus extraordinaires de la foudre 
il faut ranger sans contredit les empreintes d'images terres- 
tres qu'elle grave sur les objets foudroyés. De nombreux 
exemples en ont été rapportés à différentes époques , et 
M. Pœy , directeur de l'observatoire météorologique de la 
Havane , a présenté à l'Académie des sciences de Paris un 
certain nombre de ces spécimens; nous lui en emprun- 
tons quelques-uns qui pourront intéresser nos lecteurs. 



328 LES METEORES. 

■ 

La première mention de ce singulier phénomène de 
la foudre se trouve dans les Pères de l'Église, qui le ci- 
tent d'une manière formelle, comme s'étant manifesté, 
vers Tan 360 de notre ère, sur le corps et sur les vête- 
ments des hommes occupés à la reconstruction du temple 
de Jérusalem. Ces pères, contemporains de l'empereur 
Julien, sont saint Ambroise, saint Jean Chrysostome et 
saint Grégoire de Nazianze, 

Comme les Juifs se préparaient à poser les fondements 
du temple, il arriva un tremblement de terre précédé 
de tourbillons de vent, de tempête et de foudre, suivi de 
globes de feu qui sortirent des entrailles de la terre. Les 
ouvriers s'étant réfugiés dans une église catholique voi- 
sine , la foudre éclata de nouveau , et des croix se trou- 
vèrent imprimées sur le corps et sur les vêtements des 
ouvriers et des personnes présentes. Ces croix étaient obs- 
cures le jour, brillantes et radiantes la nuit. 

Chose remarquable, on a retrouvé, à une époque plus 
moderne , une formation analogue de croix par Faction 
de la foudre. Casaubon raconte qu'environ quinze ans 
avant Tannée 1510, la cathédrale de Wells, dans le So- 
mersetshire (Angleterre), fut foudroyée, et que l'on 
trouva des croix dessinées sur le corps de ceux qui se 
trouvaient dans l'église. L'évêque en avait une sur le bras , 
d'autres présentaient ce signe sur l'épaule, sur la poitrine, 
sur le dos. Ces croix avaient été imprimées sur le corps 
à travers le linge et les vêtements. 

Une troisième formation de croix a eu lieu à l'époque 
de l'éruption du Vésuve en 1660; elle est signalée par 
le père Kircher. 



LA FOUDRE. 



329 



On a trouve d'autres impressions de la foudre non 
moins surprenantes que les précédentes. La foudre 
étant tombée, le 18 juillet 1689, sur l'église de Saint- 
Sauveur à Lagny, elle imprima en un instant, sur la 
nappe de l'autel, les paroles de la consécration qui se 
trouvaient sur le canon, à commencer de celles-ci : Qui 











Fisc. 66. — Éclair divise et radié. 



pridie quam pateretur, etc. , jusqu'à ces autres inclusive- 
ment : Hœc (/uotiescumque feceritis , in met memoriam fa- 
cietis; n'ayant omis que les paroles que Ton a l'habitude 
d'écrire en caractères plus saillants que les autres, et qui 
étaient en lettres rouges sur le carton. 

En 178G, Leroy, membre de l'Académie des sciences 



330 LES METEORES. 

de Paris , dit que Franklin lui avait plusieurs fois répété 
qu'il y avait quarante ans un homme se tenait sur 
le bas d'une porte, pendant un orage, lorsque la foudre 
tomba sur un arbre vis-à-vis de lui, et que, par une es- 
pèce de prodige , on trouva ensuite la contre-épreuve de 
cet arbre sur la poitrine de cet homme. 

En 1825, la foudre tomba sur le brigantin II Buon 
Servo, à l'ancre dans la baie d'Àrmiero; un matelot assis 
au pied du mât de misaine fut tué, et on remarqua sur 
son dos une trace légère , jaune et noire , qui partait de 
son cou et se terminait aux reins, et là était imprimé un 
fer à cheval parfaitement distinct et de la même grandeur 
que celui cloué sur le mât. 

Le mât de misaine d'un autre brigantin fut foudroyé 
dans la rade deZante; on vit sous la mamelle qauche d'un 
marinier, qui avait été tué, un numéro 44, que tous ses 
camarades attestèrent ne pas exister auparavant. Ces deux 
chiffres, grands, bien formés, avec un point au milieu, 
étaient parfaitement semblables au numéro en métal atta- 
ché à un agrès du bâtiment, placé entre le mât et le lit du 
marin, qui était endormi lorsqu'il fut foudroyé. 

En 1836, la foudre tomba près de Zante, et tua un 

jeune homme. Le cadavre avait au milieu de l'épaule 
droite six cercles qui conservaient la couleur de chair, 
tandis que le reste du corps était noirâtre. Ces cercles , 
dessinés les uns à la suite des autres, se touchaient en un 
point. Ils étaient de trois grandeurs différentes, corres- 
pondant exactement à celles des pièces de monnaie d'or 
que le jeune homme avait du côté de sa ceinture. 

En 1811, un magistrat du département d'Inde-et-Loire 



LA FOUDRE. 331 

fut frappé de la foudre. On remarqua avec surprise qu'il 
avait sur la poitrine des taches qui ressemblaient parfai- 
tement à des feuilles de peuplier. Ces marques s'effacè- 
rent graduellement à mesure que la circulation se rétablit. 
En 1847, M me Moraza, de Lugano , assise près d'une 
fenêtre pendant un orage , éprouva une commotion dont 
on ne dit pas qu'elle ressentit de mauvais effets; mais une 
fleur, qui se trouva dans le courant électrique, fut des- 
sinée parfaitement sur sa jambe , et cette image s'y con- 
serva le reste de ses jours. 

A Cuba, le 24 juillet 1852, la foudre tomba, dans une 
plantation de café de Saint- Vincent , sur un palmier, et 
grava sur les feuilles sèches l'image des pins d'alentour, 
aussi parfaitement que si elle avait été exécutée avec un 
burin. 

V Intelligence 9 journal des États-Unis d'Amérique , si- 
gnalait le fait suivant, en 1853 : Une jeune fille se trou- 
vait devant une fenêtre en face d'un arbre; après une 
décharge électrique, l'image entière de l'arbre fut re- 
produite sur son corps. 

« J'ai cent fois entendu raconter dans mon enfance, 
ditRaspail, un fait de ce genre dont tout le pays avait 
pu être témoin. Un enfant était monté sur un peuplier 
d'Italie , pour y dénicher un nid d'oiseaux ; la foudre 
éclate et jette l'enfant sur le sol ; ce pauvre malheureux- 
portait sur la poitrine le décalque du peuplier, sur un ra- 
meau duquel on distinguait fort bien le nid et l'oiseau 
tant convoité. » 

Il n'y a que peu de temps, plusieurs journaux ont rap- 
porté qu'une femme de Seine-et-Marne s'était réfugiée 



• 



332 LES METEORES. 

avec sa vache sous un arbre, au moment où un violent 
orage éclatait. Tout à coup une forte détonation se fît 
entendre; la Vache fut tuée par la foudre, et sa gardienne 
resta étendue sans mouvement sur le sol. On reconnut 
qu'elle vivait encore, et des soins empressés lui rendi- 
rent le sentiment de l'existence. Mais, chose singulière, 
en écartant ses vêtements pour la secourir, on aperçut 
parfaitement gravée sur sa poitrine l'image de la vache 
frappée à côté d'elle. 



VI. 



Dans l'état actuel de nos connaissances, il est difficile 
d'avancer une théorie qui puisse rendre compte d'une 
manière entièrement satisfaisante de toutes les circons- 
tances qui accompagnent la formation de ces singulières 
impressions de la foudre. 

Cependant il est croyable qu'elles ont le plus grand 
rapport de cause et d'effet avec des impressions ana- 
logues obtenues à l'aide des rayons solaires, comme dans 
la photographie ordinaire , ou à l'aide de la décharge 
électrique d'une batterie, ou encore par une action thermo- 
électrique, comme dans le cas des images électriques ob- 
tenues parMoser, Riess, Carsten, Grove, Fox-Talbot et 
d'autres savants. 

Dans toutes ces impressions électriques, ainsi que dans 
celles de la foudre, le corps qui reçoit l'empreinte éprouve 
une modification moléculaire plus ou moins prononcée. 
Il y a en outre transport de matière pondérable détachée 



LA FOUDRE. 333 

du premier conducteur et portée sur le second conducteur, 
où la foudre se neutralise, en d'autres termes, du pôle 
positif au pôle négatif, comme dans les opérations de 
galvanoplastie. 



VII. 



Nos lecteurs seront peut-être curieux de connaître 
le danger réel auquel on est exposé en présence de la 
foudre. Voici une statistique qui pourra leur en donner 
une idée : 

Il résulte d'une noteprésentée à l'Académie des sciences, 
par M. le docteur Boudin, les renseignements qui suivent 
sur des accidents de la foudre , et qui ne sont pas sans 
intérêt. Dans la période comprise entre les années 1835 
et 1803, c'est-à-dire en vingt-neuf années , on a compté 
en France 2,238 personnes tuées raide par la foudre. Le 
maximum annuel a été de 111 , le minimum de 48; mais 
si l'on joint le nombre des blessés à celui des morts, le 
nombre total des victimes de la foudre dépasse 6,700, 
et la moyenne par an est de 230. Les personnes du 
sexe féminin paraissent beaucoup plus à Pabri des at- 
teintes du fluide que celles du sexe masculin : ainsi sur 
880 victimes frappées de 1854 à 1803, il n'y en a que 
233, moins du tiers, appartenant au premier sexe. Et 
ce qui tendrait à prouver qu'il v a là une immunité par- 
ticulière , celle des vêtements de soie par exemple , c'est 
que dans plusieurs cas la foudre, en tombant sur des 



334 



LES METEORES. 



groupes de personnes des deux sexes, a frappé particu- 
lièrement les individus du sexe masculin. 

L'auteur de cette curieuse statistique cite deux per- 
sonnes qui ont été frappées plusieurs fois , dans leur vie, 
par le feu du ciel. Circonstance bizarre! l'une d'elles a été 
visitée trois fois par la foudre , dans des logements diffê- 




Fig. G7. — Diverses sortes d'éclairs simples. 



renls. Sur 0,71 i personnes foudroyées, un quart envi- 
ron l'ont été sous des arbres, de sorte que si l'effet est la 
conséquence de cette situation , contre laquelle les phy- 
siciens recommandent de se prémunir, près de 1 ,700 per- 
sonnes auraient pu éviter la mort ou de graves blessures 
en évitant le voisinage des arbres pendant l'orage. Les 



LA FOUDRE. 335 

victimes de la foudre ne se répartissent pas également 

sur toutes les régions de la France, et les départements 
montagneux : la Lozère, la Haute-Loire, les Hautes-Alpes, 

la Haute-Savoie, occupent le premier degré de l'échelle, 

tandis que les plus épargnés sont plutôt des pays de 

plaaies : la Manche, l'Orne, l'Eure, la Seine, le Calvados. 

M. Boudin a également adressé à l'Académie une 

nouvelle note, tendant à démontrer l'action foudroyante 

de l'homme récemment foudroyé. Voici deux observations 

qu'il rapporte : 

La première est relative à un homme qui, le 30 juin 
1834, fut tué par la foudre, près du Jardin des plantes, 
à Paris, et dont le corps resta pendant quelque temps 
exposé à une pluie battante. Après l'orage, deux soldats 
qui voulurent enlever le cadavre reçurent chacun un choc 
violent au moment où ils le touchèrent. 

Dans la seconde observation; deux artilleurs chargés 
de relever deux poteaux du télégraphe électrique qui 
avaient été renversés, le 8 septembre 1858, par un orage, 
à Zara (DalmatieJ, ayant saisi, deux heures après l'o- 
rage, le fil conducteur, éprouvèrent d'abord de légères 
secousses, puis furent tout à coup terrassés ; tous deux 
avaient les mains brûlées. L'un ne donnait même plus 
aucun signe de vie ; l'autre , en essayant de se relever, 
retomba immédiatement en touchant du coude un de 
ses camarades accouru à ses cris. Ce dernier, terrassé à 
son tour, éprouva des accidents nerveux divers , et son 
bras présenta une brûlure de la peau à l'endroit même 
où il avait été touché. 



336 LES METEORES. 



VIII. 



M. Tourde a présenté à l'Académie des sciences une 
note intéressante sur le cas de foudre arrivé le 13 juillet 
1869 à 6 h. 45 du soir, au pont de Kehl. Nous la résume- 
rons en quelques mots et nous ferons ressortir une parti- 
cularité qui donne un enseignement spécial. 

Un marronnier d'une faible élévation a été foudrové au 
voisinage d'un édifice portant un paratonnerre, près du 
fleuve et des grandes masses métalliques du pont du che- 
min de fer. Rien n'explique la prédilection de la foudre 
pour cet arbre, semblable à ceux de la même rangée, si 
ce n'est la présence des trois militaires assis au-dessous 
et qui portaient des objets en métal. 

La foudre est venue de haut en bas, sous forme d'un 
sillon lumineux, elle a effleuré l'arbre, laissant de^faibles 
traces aux feuilles el au pied du tronc. Les trois militaires, 
assis sur un banc placé sous l'arbre , ont été renversés en 
même temps ; l'un est mort sur le coup , le second en 

quelques minutes et le troisième a survécu. 

Les vêtements des hommes foudroyés offrent des déchi- 
rures irrégulières, les unes avec brûlures, les autres sans 
trace de combustion. La foudre a frappé de haut |en bas 
les deux militaires qui ont succombé, perçant la visière 
du schako et brûlant les cheveux et les poils de lai face ; 
chez l'un , le fluide électrique a longé le côté gauche du 
corps et est sorti par le fourreau du sabre; chez l'autre, 
il a sillonné le côté droit et il s'est échappé par la chaus- 



LA FOUDRE, 337 

sure, dont une quinzaine de clous étaient arrachés. Le 
militaire survivant a été touché de côté, à la partie infé- 
rieure du tronc; l'étincelle, quittant le fourreau du sabre 
de son voisin , a frappé le couteau placé dans la poche 
du pantalon , a contusionné en ce point la cuisse , et , tra- 



çant en arrière un long sillon, a rejoint à gauche le four- 
reau de sabre, qui porte quelque trace de fusion. 

Aucune lésion mécanique n'expliquait la mort; les 
caractères anatomiques étaient ceux d'une asphyxie, 
moins prononcée chez l'homme qui avait péri instantané- 
ment. La membrane du tympan a été brisée chez l'une 
des victimes , sans doute par suite du refoulement de l'air 
au moment de la détonation; la rigidité cadavérique a 
été prompte et générale. 

Une chose assez remarquable , c'est que le survivant , 
ayant repris connaissance, ne savait pas qu'il avait été 
foudroyé. Plusieurs faits analogues ont déjà été remarqués : 
ainsi , M. Deschamps rapporte que le docteur Franklin fit 
passer un choc électrique au travers du cerveau de six 
hommes, ils tombèrent tous à l'instant sans connaissance. 
Leurs muscles furent subitement relâchés, et leur chute 
ne fut précédée d'aucune titubation , d'aucun signa pré- 
curseur de chancellement. Ils affirmèrent n'avoir ressenti 
aucun coup, ni vu ni entendu l'étincelle. L'état de mort 
apparente se dissipa graduellement : il serait devenu 
définUif si le choc eût été d'une plus grande intensité \ 

Ainsi, on peut passer de ce monde dans l'autre sans en 
avoir aucun pressentiment, sans transition, sans avoir 



1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1869. 

22 



338 LES METEORES. 

un instant la conscience que le moment suprême de la 

mort est là. 



IX. 



M. Colladon a présenté à l'Académie un mémoire concer- 
nant les effets de la foudre sur les arbres. Il reconnaît 
que chaque espèce d'arbres présente des lésions ayant 
des caractères spéciaux. Pour quelques espèces, pour les 
peupliers, par exemple, les parties les plus élevées et les 
plus jeunes ne sont nullement altérées par de violents 
coups de foudre ; les lésions se manifestent habituellement 
sur la partie inférieure du tronc, dont le bois, moins bon 
conducteur de l'électricité, subit seul des altérations par 

le passage du courant. C'est là seulement que l'on voit des 
places dénudées d'aubier et d'écorce : ce qui a donné lieu 
au préjugé très répandu d'arbres frappés au milieu, au 

tiers ou au quart de leur hauteur. Il peut arriver qu'un 

arbre très bon conducteur de l'électricité ne présente 

aucune lésion apparente , à la suite d'un très violent coup 
de foudre. 

Dans la plupart des cas, la foudre ne frappe pas un 

point unique de l'arbre, mais elle s'étale sur la totalité des 
branches supérieures ou latérales; quelquefois elle frappe 
simultanément le sommet de plusieurs arbres contigus 
et se dissémine sur une très grande quantité de feuilles 
et de rameaux. M. Colladon démontre par plusieurs faits 
bien caractérisés que , en général , chaque branche située 
dans la partie élevée de l'arbre, recueille et transmet au 



LA FOUDRE. 339 

tronc son contingent de fluide électrique , qui vient gros- 
sir le courant principal auquel le tronc sert de conduc- 
teur. 

Les traces ou les sillons en hélice qui se remarquent 
quelquefois sur des arbres foudroyés , et assez fréquem- 
ment sur les chênes, prennent cette direction hélicoï- 
dale par suite de la tendance du courant électrique à 
suivre la longueur des cellules qui constituent le jeune 

bois, seul bon conducteur de l'électricité. Lorsque la 
foudre frappe des vignes , formées de ceps tous égaux en 

hauteur et très régulièrement espacés, comme on en voit 
un grand nombre dans la vallée du Léman , la surface 
frappée est à fort peu près un cercle régulier et bien défini. 
L'action plus forte du centre décroît en se rapprochant de 
la circonférence; là elle cesse subitement, et au delà du 
cercle on n'aperçoit aucune souche atteinte. Dans l'inté- 
rieur il n'y a ni anneaux, ni séparations '. 

A une réunion de la Société philosophique de Man- 
chester, M. Sidebotham a également parlé des effets de la 
foudre sur les différentes espèces d'arbres. Il a recueilli un 
certain nombre de cas, et il a été surpris de trouver que 
les hêtres avaient échappé aux coups de la foudre d'une 
manière remarquable , et à un point qui permettrait de 
dire que jamais un hêtre n'a été foudroyé. 

Dans 28 cas d'arbres foudroyés en Angleterre, on a 
remarqué que les coups se répartissaient de la manière 
suivante sur les diverses espèces : 

Chênes, 9; peupliers, 7; érables, 4; saules, 3; mar- 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872. 



340 LES METEORES. 

ronnier d'Inde , 1 ; marronnier, 1 ; noyer, 1 ; aubé- 
pine, 1 ; orme, 1. 

A l'occasion de cette communication, M. Biney fait 
remarquer avec raison que les foudroiements sont en gé- 
néral déterminés par la nature du terrain. C'est ce qui 
fait que dans certaines localités les orages sont plus dé- 
sastreux que dans d'autres. Le hêtre croît généralement 
sur un terrain sec et sablonneux; de tels terrains sont 
mauvais conducteurs de l'électricité, et par conséquent 
moins sujets que les terrains humides à recevoir les dé- 
charges de la foudre : on peut expliquer ainsi l'espèce 
d'immunité dont paraît jouir le hêtre. 

La frayeur que cause la foudre a poussé de bonne heure 
à chercher les moyens de s'en garantir. On s'est succes- 
sivement revêtu de certaines peaux , on s'est couvert la 
tête de laurier, on a tiré le canon, sonné les cloches, 
moyen plus propre à attirer la foudre qu'à l'éloigner; 
on a enfin interrogé la science . qui nous a donné les 
paratonnerres. Étudions ces curieux instruments. 



CHAPITKE XVIII. 



LES PARATONNERRES. 



Distribution de l'électricité dans les corps. — Influence de la forme des corps sur 
la distribution de l'électricité. — Pouvoir des pointes. — Parties essentielles 
du paratonnerre. — Comment il décharge les nuages orageux. — Résumé des 
rapports qui ont été faits à l'Académie des sciences sur le paratonnerre depuis 
son origine. — Substances et sites qui attirent plus particulièrement la foudre, 
— Règles fondamentales pour la construction d'un bon paratonnerre. — Éten- 
due qu'il protège. — Paratonnerre chinois. — Paratonnerre pour les navires. 



I. 



L'électricité à l'état neutre est uniformément répandue 
dans la masse des corps ; mais il n'en est pas de même 
de l'électricité à l'état libre, etfr alors elle possède une 
puissance répulsive qui tend sans cesse à la disperser 
jusqu'à ce qu'elle trouve un obstacle qui l'arrête. 

C'est pour cela qu'une fois développé dans les corps, 
le mouvement électrique se hâte de gagner la surface, 
et s'y accumule avec plus ou moins d'abondance. 

Cette couche électrique est maintenue à la surface 
des corps par l'influence seule de l'atmosphère. La 
preuve se trouve en ce qu'il devient impossible de 



342 LES MÉTÉORES. 

charger un corps bon conducteur si on le place dans le 
vide produit par la machine pneumatique; car, dans ce 
cas, l'électricité que l'on développe s'échappe aussitôt 
sous la forme d'aigrettes lumineuses. 

La force électrique fait donc un effort continuel pour 
vaincre l'influence atmosphérique; et Ton désigne cet 
effort sous le nom de force de tension de Y électricité. Cette 
tension peut être comparée à celle qu'exercent les fluides 
pondérables contre les parois des vases qui les contien- 
nent : quand les parois sont résistantes , le fluide est re- 
tenu; mais si elles sont trop faibles, elles cèdent à la 
pression, et le fluide s'épanche. II en est de même de 
l'électricité ; lorsque sa tension est assez puissante pour 

rompre l'influence de l'atmosphère , qui fait l'office des 
parois d'un vase, elle se propage à travers l'espace. 

La distribution de cet agent à la surface des corps dé- 
pend considérablement de leur forme : si le corps est 
sphérique, il résulte des propriétés mêmes de sa surface 
que le mouvement électrique s'y distribue uniformément, 
et présente partout la même puissance. 

Si le corps a une forme allongée, terminée en pointe, 

l'accumulation et la tension électriques augmentent pro- 



portionnellement à mesure que l'on approche de l'ex- 
trémité effilée, 

La tension de l'électricité devient extrême au bout d'une 
pointe aiguë : la résistance de l'atmosphère est insuf- 
fisante pour la retenir, et le chargement d'un corps 
bon conducteur ainsi terminé devient impossible. 

En physique, on appelle pouvoir des pointes cette pro- 

priété qu'elles ont de faciliter l'écoulement de l'électricité ; 



LES PARATONNERRES. 343 

c'est à ce pouvoir des pointes que les appareils destinés à 
préserver les édifices des coups de la foudre doivent leur 

puissance. 



II. 



Un paratonnerre se compose d'une tige de fer se ter- 
minant en pointe par une de ses extrémités, et commu- 
niquant avec le sol par un conducteur. Ce conducteur est 
une longue barre ou corde aussi en fer. Voici, d'après les 
rapports faits à l'Académie des sciences sur ce sujet, les 
notions les plus indispensables à connaître. 

La commission nommée en 1855 conseille de terminer 
le haut des paratonnerres par un cylindre de 2 centi- 
mètres de diamètre sur 20 à 25 centimètres de longueur 
totale ; le sommet doit en être aminci, afin de former un 
cône de 3 à 4 centimètres de hauteur. Ce cylindre est 
ajusté à vis sur l'extrémité de la tige de fer du paraton- 
nerre pour en faire le prolongement. 

Le conducteur doit être adapté à la tige par une très 
bonne soudure à rétain, et aller se perdre dans une nappe 
souterraine qui laisse un libre cours à l'électricité , telle, 
par exemple, que celle des puits du voisinage qui ne ta- 
rissent jamais et qui conservent au moins 50 centimètres 
de hauteur dans les saisons les plus défavorables. 

De loin en loin il sera nécessaire de reconnaître l'état 
du fer immergé, car il y a certaines eaux qui pourraient 
peut-être le corroder trop profondément dans une pé- 
riode de quatre ou cinq années. 11 faudra donc défaire la 



344 LES METEOBES. 

dernière des soudures qui se trouve hors du puits , et 
avoir préparé les moyens mécaniques convenables pour 
enlever le conducteur et amener au jour son extrémité 
inférieure. 

On sait qu'aucune peinture ne compromet les fonctions 
électriques d'un paratonnerre ; ainsi , on peut appliquer 
sur la tige et sur le conducteur les enduits les plus pro- 
pres à le conserver, en exceptant toutefois la portion im- 
mergée, qui doit rester en communication immédiate 

avec l'eau du puits, 

La commission chargée d'étudier l'établissement des 
paratonnerres des édifices municipaux de Paris trouve 
inutiles les pointes en platine et adopte, pour placer au 

sommet de chaque tige, une flèche en cuivre rouge pur, 
d'environ 50 centimètres de longueur, terminée sui- 
vant un cône dont l'angle au sommet sera de 15° 
avec la verticale, soit de 30° pour l'angle total. La tige 
doit être en fer forgé , d'une seule longueur, polygonale 
ou légèrement conique , et autant que possible galvani- 
sée en zinc; mais sous aucun prétexte elle ne devra être 
peinte l . 

Cette dernière clause, comme on le voit, n'est pas 

d'accord avec les indications de la commission académi- 
que de 1855. 

Dans une note présentée à l'Académie des sciences par 
M. le général Morin, M. Saint-Edme rappelle que, dans 
le principe, Franklin voulait que les tiges fussent d'un seul 
métal; c'est par suite de la rapide oxydation du fer que 



1 Les Mondes scientifiques, 19 avril 1875. 



LES PARATONNERRES. 345 

les commissions successives ont dû penser à modifier la 
nature de l'extrémité de la tige. Il croit qu'il est possible 

de revenir à l'idée première, maintenant que Ton sait re- 
couvrir le fer d'un métal, le nickel, qui formera à sa sur- 
face un véritable vernis protecteur contre l'oxydation, et 
possédant la conductibilité nécessaire * . 

Voyons maintenant les phénomènes qui ont lieu, entre 
le paratonnerre et le nuage orageux. Lorsqu'un nuage 
orageux passe au-dessus du paratonnerre, l'électricité 

neutre du métal se trouve décomposée par influence , et 
cette décomposition s'étend jusqu'au sol par le moyen du 
conducteur. 

Il se produit alors à la pointe de l'appareil un écoule- 
ment continu de l'électricité contraire à celle du nuage, 
qui va recomposer sans secousse une partie de l'électricité 
de celui-ci et lui ôte ainsi le pouvoir de nuire. 

Si l'électricité du nuage n'est pas suffisamment décom- 
posée, et que la foudre éclate, c'est par le cône du cylindre 
qu'elle pénètre dans la tige et le conducteur, et qu'elle 
va se neutraliser dans la nappe souterraine , sans causer 
de dommage à l'édifice que le paratonnerre protège. 



III. 



Dans un important rapport , la section de physique de 
l'Académie des sciences fait remarquer qu'autrefois, pour 
les constructions ordinaires, l'emploi des métaux était 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, novembre 1875. 



346 LES METEORES. 

restreint presque exclusivement aux faîtages, aux gout- 
tières, aux tirants de consolidation ; ce n'était que bien 
rarement, et comme par exception , que l'on rencontrait 
soit une charpente de fer, soit une couverture de plomb, 
de cuivre ou de zinc, tandis que maintenant le métal 
prédomine déplus en plus; on le met partout, et, ce qui 
est un point important, on le met en grande superficie et 
en grandes masses : couvertures de métal, charpentes de 
métal, poutres de métal, croisées de métal, et quelque- 
fois murailles de métal. Alors les nuages orageux décom- 
posent, par influence, des quantités d'électricité décuples 
de celles qu'ils auraient décomposées sur les corps moins 
bons conducteurs, comme l'ardoise ou la brique, le bois, 
la pierre, le plâtre, le mortier et tous les anciens maté- 
riaux de construction. Ce nouveau système réalise donc 
sur une grande échelle ce que Ton attribuait d'abord 
au paratonnerre, c'est-à-dire la propriété d'attirer la 
foudre. 

Quand l'objection s'appliquait au paratonnerre, elle 
n'avait qu'une apparence de vérité; car il est vrai que le 

paratonnerre attire la foudre, mais il est vrai aussi qu'o- 
béissant aux lois qu'elle a reçues, celle-ci lui arrive, en 
général, sans bruit, sans éclat, et toujours infailliblement 
domptée et docile, ayant perdu toute sa puissance origi- 
nelle de destruction. Quand l'objection, au contraire, 

s'applique à ces amas de substances métalliques qui en- 
trent dans nos constructions actuelles, elle n'est pas spé- 
cieuse, elle est juste, profondément juste, fondée sur les 
lois les mieux établies; ces constructions attirent, en 
effet, la foudre, et rendent ses coups plus désastreux. 



LES PARATONNERRES. 347 



IV, 



Pour se faire une idée juste de toutes les causes qui 
concourent à Pexplosion de la foudre , il ne faut pas con- 
sidérer seulement les constructions ni les objets qui s'é- 
lèvent au-dessus du sol ; il faut tenir compte encore du 
sol lui-même et de toutes les substances qui le constituent, 

+ 

depuis sa surface jusqu'à de grandes profondeurs dans 
les entrailles de la terre. Un sol aride, composé d'une 

couche mince de terre végétale sous laquelle se trouvent 
d'épaisses formations de sable sec, de calcaire ou de 
granit, n'attire pas la foudre, parce qu 1 il n'est pas con- 
ducteur de l'électricité ; s'il est exposé à ses coups , ce 
n'est qu'accidentellement, après les pluies qui ont im- 
bibé sa surface. Là, les bâtiments participent jusqu'à un 
certain point au privilège du sol, à moins qu'ils ne soient 
construits dans le nouveau système et qu'ils n'occupent 

une étendue assez considérable. Mais sous ce sol aride et 
sec y a-t-il , à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, 
de grands gisements métalliques, de vastes cavernes, 

des nappes d'eau ou seulement des fontaines abondantes, 
les nuages orageux exercent leur action sur ces matières 
conductrices , la foudre est attirée , elle éclate en fran- 
chissant l'intervalle; la croûte sèche n'est pas un obs- 
tacle insurmontable; elle peut être percée, fouillée, fon- 
due, à peu près comme l'est une couche de vernis par 
l'étincelle électrique. Alors malheur aux constructions 
qui se trouvent sur son passage ! Fussent-elles de pierre 



348 LES METEORES. 

ou de bois, elles sont brisées comme le reste, à moins 
qu'elles n'aient à opposer pour défense un paratonnerre 
bien établi. 

Si ces couches humides ou métalliques se trouvent ca- 
chées à des profondeurs plus grandes, le danger de l'ex- 
plosion diminue pour deux causes : d'une part, l'enveloppe 
qui les couvre devient difficile à traverser; d'une autre 
part, l'action des nuages s'affaiblit par l'augmentation 

de la distance. On peut citer en preuve les vallées étroites 
qui ont quelques centaines de mètres de profondeur; la 
foudre n'y pénètre jamais; elle peut frapper les crêtes 
des collines, mais il est sans exemple qu'elle soit des- 



cendue jusqu'aux habitations, aux arbres ou aux ruis- 
seaux qui occupent les parties basses. Ces faits constants 
donnent en quelque sorte la mesure de l'accroissement 
de distance aux nuages, nécessaire pour être à l'abri du 
danger. 



V. 



11 importe de bien remarquer que jamais la foudre ne 
s'élance au hasard : son point de départ et son point d'ar- 
rivée, qu'ils soient simples ou multiples, se trouvent mar- 
qués d'abord par un point de tension électrique, et au 
moment de l'explosion le sillon de feu qui les unit, al- 
lant à la fois de l'un à l'autre, commence en même temps 
par ses deux extrémités. Les herbes, les buissons, les 
arbres même, sont des objets trop petits pour la foudre; 
ils ne peuvent pas être son but. S'ils sont frappés, c'est 



LES PARATONNERRES. 349 

parce qu'il y a au-dessous d'eux des masses conductrices 

m 

plus étendues, qui sont le but caché d'attraction, qui 
reçoivent au large l'influence et déterminent l'explosion. 
Ainsi les lieux les plus exposés sont les lieux qui , 
étant les plus rapprochés des nuages, sont en même 
temps découverts, humides et bons conducteurs; les 
arbres élevés sur les sommets des coteaux sont soumis à 
la première condition , les vaisseaux au milieu de la mer 
sont soumis à la seconde, et il se peut trouver à une 

hauteur moyenne des localités qui tiennent assez de Tune 

et de l'autre pour recevoir à la fois les coups les plus 
fréquents et les plus terribles, car le coup d'un même 
nuage orageux peut être fort ou faible, suivant l'étendue 
grande ou petite du corps conducteur qui le fait éclater. 



VI. 



Le cercle de protection qu'il est permis d'attribuer à 
un paratonnerre n'est pas fixé d'une manière absolue; 
quelques anciennes observations paraissent avoir constaté 
des coups de foudre sur des parties de bâtiment qui se 

trouvaient à une distance de la tige égale à trois ou quatre 
fois sa hauteur au-dessous de leur niveau. En consé- 
quence, à la fin du siècle dernier, c'était une opinion 
généralement reçue que le cercle de protection du para- 
tonnerre n'avait pour rayon que deux fois la hau- 
teur de la tige. L'instruction de 1823, ayant trouvé cette 
pratique établie, a cru devoir l'adopter. Cependant elle 
y apporte quelques restrictions : par exemple, en ce qui 



350 LES MÉTÉOKES. 

regarde les paratonnerres des clochers, elle admet, s'ils 
s'élèvent à 30 mètres au-dessus du comble des églises, 
que pour ces combles le rayon du cercle de protection 

se réduit à 30 mètres au lieu de 60. 

Il importe cependant de remarquer que ces règles, 
bien qu'elles soient appliquées depuis longtemps, repo- 
sent sur des bases où il entre beaucoup d'arbitraire ; sans 
les condamner, il ne faudrait pas leur attribuer une valeur 
qn'elles sont loin d'avoir. 

Ne suffirait-il pas, en effet, que d'époque en époque 
elles fussent ainsi admises traditionnellement, et de eon- 



? 



fiance, pour que Ton se crût dispensé de les soumettre à 
quelque contrôle , pour que l'on négligeât de faire sur ce 
point des observations qui pourraient se présenter, et qui 
fourniraient à la science des documents qui manquent 
presque complètement! 

La commission n'admet qu'avec ces réserves , faute de 
données assez nombreuses et assez certaines, ces règles 
reçues sur la grandeur du cercle qu'un paratonnerre pro- 
tège autour de lui ; elles ne peuvent d'ailleurs pas être 
générales et absolues; elles dépendent d'une foule de cir- 
constances, et particulièrement des matériaux qui en- 
trent dans les constructions; par exemple, le rayon du 
cercle de protection ne peut pas être aussi grand pour un 
édifice dont les couvertures ou les combles sont en métal, 
que pour un édifice qui n'aurait dans ses parties supé- 
rieures que du bois , de la tuile ou de l'ardoise ; dans ce 
dernier cas la portion active du nuage orageux, quoique 
notablement plus éloignée du paratonnerre que de la 
couverture, exerce cependant sur le paratonnerre une 



LES PARATONNERRES. 351 

action plus vive, tandis que dans le premier cas ces 
deux actions doivent être à peu près égales pour une dis- 
tance égale. 

M. Perrot, savant distingué, a fait d'ingénieuses expé- 
riences pour vérifier de nouveau les lois de l'électricité. 
II fait remarquer que l'on rendrait Faction du paratonnerre 
beaucoup plus efficace en armant son extrémité supé- 
rieure d'une couronne de pointes; que ces pointes multi- 
ples, tout en augmentant considérablement la quantité 
d'électricité fournie par le paratonnerre dans un temps 

donné, auraient l'avantage de diviser le flux. Chacune 
d'elles ne serait ainsi traversée que par un courant trop 

faible pour la fondre , même par les orages les plus vio- 
lents. 



VII. 



Il y a quelques années, M. Babinet, de l'Institut, a 
présenté à F Académie des sciences, de la part de M. Mar- 
chai, de Lunéville, la figure d'un des appareils qui, en 



Chine, accompagnent toujours les flèches aiguës qui cou- 
ronnent les tours nombreuses de ce pays, où chaque ville 

a la sienne. 

Suivant l'auteur, les chaînes qui accompagnent la 
flèche, et qui, partant de son pied, vont rejoindre les 
angles saillants de la tour, sont de vrais conducteurs de 
l'agent électrique, dont l'expérience peut avoir fait recon- 
naître l'efficacité à un peuple bien plus observateur que 

théoricien. 



352 LES METEORES. 

Il a remarqué que dans la construction des tours chi- 
noises il n'entre point de substances métalliques, pas 
plus que dans leurs maisons et leurs palais. L'appareil 
des chaînes offre donc une sorte d'enveloppe conductrice 
qui préserve la tour de l'introduction de l'électricité. 

Ces tours, d'ailleurs, n'ont jamais été frappées de la 
foudre. La fameuse tour de porcelaine de Nankin a quinze 
siècles d'existence. 



» 



M. Marchai rapproche la construction chinoise de la 
méthode italienne, qui consiste à consolider les flèches par 
des haubans métalliques allant se fixer aux angles du bâ- 
timent; il ajoute que la flèche de l'appareil chinois se 
termine en flamme dorée, et, par suite, conductrice. 



•VIII 



M. Harris s'occupe, depuis près de quarante ans, de 
la destruction des vaisseaux par la foudre. 11 a recueilli 
sur ce sujet un grand nombre de documents qu'il a adres- 
sés, il y a quelques années, au conseil d'amirauté. La 
chambre des lords et la chambre des communes, après 

un examen approfondi, en ont ordonné l'impression. 

On trouve , dans cet ouvrage , plus de deux cents cas 
de navires de la marine militaire anglaise et de la marine 
marchande frappés et endommagés par la foudre, classés 
méthodiquement, de manière à donner à l'ensemble un 
caractère tout à la fois scientifique et pratique. 

M. Harris rappelle qu'aune certaine époque, dans un 
temps de guerre , vingt frégates et dix corvettes ont été 




. 




^'///' ï 



/ /s///, v s* //, < / Sf/// /// s , 



LES PARATONNERRES. 353 

tellement avariées par des coups de foudre, qu'elles 
étaient impropres au service. Dans le huitième de ces cas, 
le feu avait pris aux mâts, aux voiles, etc. 

Il rapporte que , sur cinquante-quatre navires mar- 
chands frappés par la foudre, dix-huit ont été complè- 
tement perdus. 

Les paratonnerres qu'il propose pour éviter ces mal- 
heurs consistent en de longs conducteurs fixés dans les 
mâts et à la coque des vaisseaux. Dans cette disposition , 
la foudre ne peut arriver dans la mer par un chemin plus 
facile que celui qui lui est offert par les conducteurs du 

paratonnerre. Depuis près de trente ans, aucun navire 
de la marine royale pourvu d'un paratonnerre établi 
d'après les principes de l'auteur n'a été endommagé par 
la foudre. 

Voici un fait qui vient donner une nouvelle impor- 
tance à ce système : 

Une dépêche officielle du vice-amiral sir William 
Martin , commandant en chef de la flotte anglaise dans 
la Méditerranée, annonçait que , dans la nuit du 20 sep- 
tembre 1863, le vaisseau de Sa Majesté le London avait 
été frappé de la foudre pendant une très forte tempête. 
Les étincelles électriques s'élançaient à la fois de plusieurs 
points des lames conductrices. Le choc fut terrible ; tous les 
matelots du bord éprouvèrent la même sensation que s'ils 
avaient été assaillis par un violent tremblement de terre. Et 
cependant, à l'exception de quelques clous arrachés, cette 
explosion formidablo ne causa aucun désastre. C'est que 
le London, de 90 canons, est armé du paratonnerre et 
des admirables conducteurs continus de M. Harris. Une 

23 



354 , LES MÉTÉORES. 

fois entré dans l'ensemble des lames métalliques , le fluide 
électrique les traverse sans tendance aucune à en sortir, 
et s'écoule dans la mer par la quille, sans rien détruire. 
Presque dans les mêmes parages, en 1839, le vaisseau 
de Sa Majesté le Rodney , de 90 canons , fut aussi atteint 
par la foudre ; il n'était armé malheureusement que des 
anciens paratonnerres à chaînes : M. Harris n'avait pas 
encore fait adopter ses conducteurs; aussi le Rodney 
fut-il tout en feu pendant vingt minutes. Son grand mât 
et son grand hunier furent brisés; son grand mât de 
perroquet fut réduit en poussière qui flottait à la surface 
de la mer; deux hommes de l'équipage furent tués sur 

le coup, et le navire fut obligé de rester en réparation 
deux mois entiers dans le port de Malte. Ce coup de 
foudre coûta au trésor 250,000 francs! M. Harris a 
donc grandement mérité de son pays en mettant la ma- 
rine royale anglaise , d'une manière presque absolue , à 
l'abri de ces terribles accidents dont les suites sont es- 
comptées si chèrement. 



IX. 



Sur les navires qui ne suivent pas le système de 
M. Harris, le paratonnerre est mis en communication 
avec la mer par le moyen d'une chaîne conductrice. 
Lorsque l'orage paraît éloigné, on retire la chaîne de la 
mer, on la laisse traîner sur le pont, on la décroche 
même quelquefois du paratonnerre, et lorsque l'orage 
arrive, on la remet quand on y pense et quand on a le 



LES PARATONNERRES. 355 

temps, car dans certains parages Forage arrive tout à 
coup sans se faire annoncer; on paraît s'en soucier fort 
peu , et même , ce qui est incroyable , quand le moment 
est venu où la foudre se fait craindre , on ne prend au- 
cune précaution pour que le conducteur soit isolé, ce qui 
est d'une incurie sans nom ou d'une ignorance absolue, 
car alors le paratonnerre devient très dangereux, et at- 
tire la foudre sur le navire plutôt que de l'en préserver. 

Je me suis trouvé plusieurs fois au milieu des plus 
grands orages de l'Océan , aux environs du cap de Bonne- 
Espérance surtout, étonné de voir le conducteur en com- 
munication avec le navire , je fis quelques observations 
et j'eus mille peines à faire comprendre au marin qui 
lançait la chaîne à la mer, qu'il fallait l'isoler du navire. 
Après quelques moments de réflexion , il se souvint qu'il 
manquait en effet quelques petits instruments ; il alla les 
chercher, et c'étaient justement les supports isolants. Je 
pensais que ce navire faisait exception sous ce rapport. 
Je pris des informations et je me suis convaincu qu'il en 
est à peu près de même sur la plupart des bâtiments 
marchands. 

Il vaudrait donc mieux , dans l'état actuel des choses , 
qu'il n'y eût pas de paratonnerre sur le plus grand nombre 
de ces navires , à moins que l'on n'adopte le système de 
M. Harris: le conducteur étant fixé constamment à tra- 

M 

vers le mât, on n'a plus rien à craindre de l'ignorance ou 
de l'incurie. 















I 














* 



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S. S * ' ■ ' ' S'?, s 










CHAPITRE XIX. 



FEU SAINT-ELME, OU FEU SAINT-NICOLAS. 



On appelle feu Saint-Elme un météore lumineux pro- 
duit par l'électricité, et qui se manifeste quelquefois en 
mer par un temps d'orage, surtout vers la fin d'une 
tempête. Il se présente sous forme de flamme ou de va- 
peur lumineuse, voltigeant sur les navires, aux extré- 
mités des vergues et des mâts. 

Tous ceux qui ont fait quelque long voyage en mer 
peuvent dire avec Camôens : ce J'ai vu des feux brillants 
s'élever du sein des tempêtes, et d'un cercle de lumière 
environner nos mâts, heureux présage d'un calme pro- 
chain; le matelot battu par l'orage les prend pour des 

génies secourables qui ramènent la paix sur la terre*. » 
Les anciens nommaient ces feux Castor et Pollux : 



Tel et de môme éclate aux yeux des matelots 
Ce feu qui leur est cher et qu'au fort des orages 
Les mats électrisés attirent des nuages; 
Qui roule ou se jouant, que son brillant essort 
Fit appeler Hélène , et Pollux et Castor. 



(Rosset, l'Agriculture.) 



1 Les Lusiade$i ch. V. 



358 



Les météores. 



Ces feux, amis des matelots, eurent à leurs yeux dès la 
plus haute antiquité quelque chose de sacré. 

Lorsque les Argonautes levèrent l'ancre du promon- 
toire de Sigée, il s'éleva une violente tempête, durant 
laquelle des flammes légères parurent, dit-on, sur la 
tête de Castor et de Pollux ; et comme le calme suivit de 
près cette apparition, les deux héros furent regardés 
comme des divinités secourables. On les invoqua dans la 
suite sous le nom de Dioscures, c'est-à-dire fils de Ju- 
piter, et toutes les fois que ces flammes brillaient sur les 
vaisseaux on croyait que c'était Castor et Pollux qui ve- 
naient au secours des navigateurs. 

Si, au lieu de deux ,il n'en paraissait qu'un, ce n'était 
plus une marque de beau temps; on l'appelait Hélène; 
alors on le regardait comme le présage infaillible d'une 
tempête prochaine. 

A Castor et Pollux nos matelots ont substitué saint 
Nicolas et saint Elme. 



u 



CHAPITKE XX. 



AURORES POLAIRES. 



Aurore polaire. — Sa nature. — Description de ce phénomène paraissant dans 
toule sa splendeur. — Couronne boréale. — Hauteur des aurores boréales. — 
Aurores boréales pendant le siège de Paris. — Aurore boréale du 4 février 1872. 
— Aurore boréale de jour. — Causes des aurores boréales. — Influence de ces 
phénomènes sur l'aiguille aimantée et sur le télégraphe électrique. — Bruits 
caractéristiques qu'ils produisent. — Aurore australe. — Les aurores boréales 
regardées comme des signes de la colère céleste. — Faits curieux. 



I. 



V aurore polaire est un phénomène lumineux, qui 
paraît dans le ciel, la nuit principalement, et vers les 
pôles, ce qui le fait aussi appeler lumière polaire; les 
anciens le connaissaient sous le nom de torche ardente. 

On l'a appelé aurore boréale en premier lieu, parce 
qu'on Ta d'abord observé du côté du nord ou de la partie 
boréale du ciel, et que sa lumière, lorsqu'on est proche 
de rhorizon, ressemble à celle du point du jour, ou de 
l'aurore : 



... Le Nord , dans ses vastes domaines , 
Contient de la clarté les plus beaux phénomènes. 



360 LES METEORES. 

Et qui ne connaît pas, dans ces climats glacés, 
Ces feux par qui du jour les feux sont remplacés? 
Là le pôle, entouré de montagnes de neige, 
Conserve de ses nuits le brillant privilège, 
Ces immenses clartés, ces feux éblouissants, 
Au sein de l'ombre obscure, au loin resplendissants, 
Qui même avec les cieux , où le jour prend naissance, 
Rivalisent de luxe et de magnificence. 

(De LILLE.) 

On aperçoit rarement dans nos climats ce météore 
splendide, mais assez souvent dans les pays plus voisins 
du pôle arctique : en Laponie, en Norvège, en Islande, 
en Sibérie, où il rompt la monotonie des longues nuits 
hyperboréennes. On peut dire avec raison que l'aurore 
boréale est le soleil de ces contrées. Ces météores corn- 
mencent à se montrer vers le 45 e degré de latitude en- 
viron; à partir de là ils deviennent plus nombreux à 
mesure que Ton avance vers le pôle. 

Ils se montrent fréquemment dans toutes les saisons et 
sous toutes les formes; souvent bas et tranquilles, éten- 
dus sur l'horizon comme un nuage ou comme une fumée 
légère, ayant la forme d'un arceau plein qui comprend 

plusieurs arcs, alternativement obscurs et lumineux, de 
différentes teintes de lumière et de couleurs. 

Les aurores boréales sont plus fréquentes à l'époque des 
équinoxes; cependant ou n'a pu encore leur assigner une 
périodicité régulière. 



II. 



Quand ce phénomène doit déployer toute sa richesse 




ÉtâvùàÊÏ&M 





Fig. 70. — Aurore polaire. 



AURORES POLAIRES. 3G3 

et toute sa splendeur, on commence après la chute du 
jour à distinguer une lueur confuse vers le nord; bientôt 
des jets de lumière s'élèvent au-dessus de l'horizon; ils 
sont larges', diffus et irréguliers. 

Après ces apparences, qui sont comme le prélude du 
phénomène , on voit à de grandes distances deux vastes 
colonnes de feu, Tune à l'orient, l'autre à l'occident, qui 
montent lentement au-dessus de l'horizon. 

Pendant qu'elles s'élèvent avec des vitesses inégales et 
variables , elles changent sans cesse de couleur et d'as- 
pect; des traits de feu plus vifs ou plus sombres en sillon- 
nent la longueur ou les enveloppent tortueusement; leur 



. 



couleur passe du jaune au vert foncé ou au pourpre étin- 
celant. 

Enfin, les sommets de ces deux colonnes s'inclinent, se 
penchent l'un* vers l'autre, et se réunissent pour former 
un arc ou plutôt une voûte de feu d'une immense étendue. 

Quand cette voûte est formée , elle se soutient majes- 
tueusement dans le ciel pendant des heures entières. 
L'espace sombre qu'elle enferme est traversé d'instant 
en instant par des lueurs diffuses et diversement colo- 
rées, et dans l'arc même on distingue incessamment des 
traits de feu d'un vif éclat qui s'élancent au dehors, sillon- 
nent le ciel comme des fusées étincelantes qui passent au 
delà du zénith , et vont se concentrer dans un petit espace 



« • 



à peu près circulaire, que l'on appelle la couronne de 
l'aurore boréale. 

Dans les couronnes boréales , les courbes se forment et 
se déroulent comme les plis et les replis d'un serpent; les 
rayons se colorent, la base est d'un rouge de sang clair, 



364 



LES METEORES. 



le milieu d'un vert-émeraude pale, le reste conserve sa 
teinte lumineuse jaune clair (fig. 66). 

De nouveaux arcs se succèdent à l'horizon : on en a 
compté jusqu'à neuf; ils se serrent les uns lés autres et 
vont disparaître vers le sud. Quelquefois la masse des 




Fig. 71. 



Couronne boréale 



rayons paraît venir du sud, et, se réunissant avec ceux du 
nord, ces rayons donnent la véritable couronne boréale, 
ayant une forme elliptique, rarement circulaire. 

Dès que cette couronne est formée, le phénomène est 
complet. On le contemple alors dans toute sa majesté : 

Ils glissent en reflets, s échappent en lingots, 
Ou d'une mer de feu roulent au loin les Ilots, 



AURORES POLAIRES. 3G5 

Ici blanchit l'argent et là jaunit l'opale. 
Là se mêle à l'azur la pourpre orientale ; 

Tantôt en arc immense ils prennent leur essor, 
Boulent en chars brûlants, flottent en drapeau d'or, 
S'élancent quelquefois en colonnes superbes, 
S'entassent en rochers ou jaillissent en gerbes, 
Et variant le jeu de leurs reflets divers, 
De leur pompe changeante étonnent ces déserts. 

(Delille.) 



Après quelques heures, et d'autres fois après quelques 
instants, la lumière s'affaiblit peu à peu, les fusées ou les 
jets deviennent moins vifs et moins fréquents, la couronne 
s'efface, et bientôt l'on n'aperçoit plus que des lueurs 
incertaines qui se déplacent et disparaissent insensible- 
ment. 

Les aurores boréales ne sont pas circonscrites à notre 
atmosphère, car un de ces phénomènes ayant été vu à 
Saint-Pétersbourg, à Naples, à Rome, à Lisbonne et même 
à Cadix, et dans les lieux, intermédiaires, M. de Mairan , 
dans son Traité de V aurore boréale, trouve que cette au- 
rore était éloignée de la terre, en ligne verticale, au moins 
de cinquante-sept lieues, et probablement beaucoup plus. 
Il estime que ces sortes de phénomènes ont ordinairement 
entre cent et trois cents lieues d'élévation. 



III. 



Pendant le siège de Paris par l'armée prussienne, les 
deux aurores boréales du mois d'octobre ont répandu une 



366 LES METEORES. 

profonde émotion. Laissons la parole à l'éminent se- 
crétaire perpétuel de l'Académie des sciences : 

« Dès le commencement de la nuit, à la première ap- 
parition, une lueur se remarquait au nord, et, peu à peu, 
le ciel s'éclairait d'une nuance rose, qui en envahissait 
la moitié. De temps à autre s'élançaient des rayons co- 
lorés, presque toujours d'un rouge de sang très intense, 
tandis que se montraient, çà et là, au-dessus de Paris, 
des plaques rouges, sanglantes aussi. Au moment où le 
phénomène touchait à son terme , et quand le ciel s'as- 
sombrissait déjà, on vit , tout d'un coup , la couleur rouge 
resplendir encore d'un effrayant éclat. Le lendemain, 
l'apparition recommençait avec une intensité un peu 
moindre et laissait voir des irradiations blanches, lu- 
mineuses, dont le centre était placé vers la constellation 
de Pégase; traduisant les impressions de leur âme, les 
uns en comparaient l'aspect à une gloire, les autres à 
une croix. Parmi les habitants de Paris, il en est peu que 
ces phénomènes n'aient saisis de crainte, et à qui, dès 
l'abord, ils n'aient inspiré la pensée qu'une grande 

chine incendiaire était mise en jeu pour forcer les mu- 
railles ou pour démoraliser leurs défenseurs. Il en est 

peu qui, voyant qu'il s'agissait seulement d'une aurore 

boréale d'une espèce rare , n'aient cherché alors quels 

pronostics heureux ou malheureux pouvait en tirer 

leur patriotisme ému 1 . » 

L'aurore boréale qui est venue s'épanouir et briller 

d'un vif éclat sur notre horizon, le 4 février 1872, est la 



1 M. Dumas (de l'Institut), Éloge historique d'Auguste de la Rive. 



AURORES POLAIRES. 367 

plus belle que Ton ait vue jusqu'ici en Europe» Elle a 
commencé vers les cinq heures du soir et s'est terminée 
vers les deux heures du matin. Elle a été également visible 
en Asie, en Afrique et en Amérique, M. Fron, qui Ta ob- 
servée à l'Observatoire de Paris, dit, dans sa note à l'Aca- 
démie des sciences, que, vers six heures du soir, les varia- 
lions de l'aiguille aimantée étaient telles que la lecture en 
était impossible; l'aiguille d'inclinaison avait atteint au 
minimum 65 degrés et demi environ. Vers les neuf heures, 
les mouvements de l'aiguille de déclinaison sont très bi- 
zarres. L'aiguille semble hésiter pour s'avancer dans 
une direction, elle tâtonne pour ainsi dire, puis tout à 
coup avance de quelques divisions, hésite de nouveau, 
pour repartir dans la même direction. A d'autres mo- 
ments de la soirée, l'aiguille parcourt à peine une di- 
vision de l'échelle, mais elle est animée d'un mouvement 
vibratoire très rapide. Cette aurore a été visible dans 
une partie très considérable de l'Europe; les nouvelles 
reçues à l'Observatoire des stations météorologiques mon- 
trent qu'elle s'est étendue sur l'Angleterre, la Belgique, 
l'Italie, l'Espagne, la Turquie; tous les renseignements 
n'étaient cependant pas encore parvenus. Des dépêches 
annonçant des perturbations magnétiques et des pertur- 
bations sur les lignes électriques ont également été 
adressées. D'après une dépêche de M. le directeur des 
lignes télégraphiques, la perturbation s'est fait sentir à 
partir de trois heures trente minutes, d'abord sur les li- 
gnes de l'Est, Allemagne, Autriche; vers quatre heures, 
les lignes de la Suisse étaient atteintes, et le phénomène 
s'est rapproché successivement de Paris, en passant par 



368 LES METEORES. 

la Suisse, par Besançon et par Dijon; à cinq heures, les 
lils des environs de Paris étaient également influencés 1 . 
Le câble transatlantique de Brest à Duxbury, dit 
M. Tarry, a été parcouru par de forts courants, sautant 
brusquement d'un sens à l'autre. 



IV. 



" Les apparitions bien constatées d'aurores boréales de 
jour étant très peu nombreuses, nous donnons, d'après 
M. Arago, la description d'un de ces phénomènes ob- 
servé par le R. P. Patrick Graham à Aberfoyle, dans le 



comté de Perth, en Ecosse. * 

<c Le 10 février 1799, vers trois heures et demie du 
soir, le soleil était encore éloigné de son coucher de plus 
d'une heure, et il brillait faiblement à travers une at- 
mosphère couleur de plomb, lorsque j'aperçus un halo 
autour de l'astre. 

« Pendant que j'observais ce phénomène, l'hémisphère 
visible fut envahi en totalité par ce qui me parut au pre- 
mier aspect une vapeur légère et pâle. 

« Cette vapeur était disposée en bandes longitudinales, 
se levant de l'ouest et s'étendant vers l'est en passant par 

le zénith. 

« En étudiant cette apparence plus attentivement, je 
reconnus qu'elle provenait d'une véritable aurore boréale ; 
j'apereus , en effet , les divers phénomènes qui caracté- 



\ 



Comptes rendus de l'Académie des sctences y 1872, 1 er semestre. 



AURORES POLAIRES. 



360 



risent le météore quand on l'observe de nuit, si ce n'est 
qu'il était pale et sans couleur. 

« Les jets de matières électriques, s'élançant très vi- 
siblement d'un nuage situé vers l'ouest, éprouvaient une 
certaine diffusion, convergeaient vers le zénith, et diver- 
eaient au delà vers tous les points de l'horizon. Les cor- 



(Y 




Pig. 72. — Arcs réguliers d'aurore boréale. 



ruscations étaient aussi instantanées et aussi distinctement 
perceptibles que pendant la nuit. 

« Cette apparence dura plus de vingt minutes; elle s'af- 
faiblit ensuite graduellement, et fit place à des vapeurs 
légères dispersées çà et là , lesquelles au coucher du so- 
leil se répandirent sur tout le firmament. La nuit suivante, 
je ne parvins pas à découvrir la plus légère trace d'au- 
rore boréale. » 



24 



370 LES MÉTÉORES. 



V. 



De toutes les hypothèses imaginées pour expliquer les 
aurores boréales, la plus Généralement admise est celle qui 
en attribue la cause au magnétisme , avec les phénomènes 
duquel elle offre beaucoup de rapport; le sommet de 
Parc de l'aurore boréale se trouve toujours sur le méri- 
dien magnétique du lieu de l'observation, ou du moins ne 

semble pas s'en écarter d'une manière sensible, et la 
couronne se trouve toujours sur le prolongement de l'ai- 
guille d'inclinaison. 

L'aurore boréale déransre de leurs positions ordinaires 
l'aiguille de déclinaison et l'aiguille d'inclinaison, et elle 
produit ces changements même aux lieux d'où elle ne 
peut être vue. 

En général, dès le matin du jour où ce phénomène 
doit se montrer dans quelque région des pôles, l'aiguille 
de déclinaison de Paris dévie à l'occident, et le soir à 
l'orient. Àrago avait annoncé cette observation dès Tan- 
née 1825. Ainsi, le dérangement de l'aiguille de Paris 
peut indiquer les aurores boréales qui se font voir aux 

Lapons, aux Groënlandais et à tous les habitants des 
régions polaires. 

Le 29 mars 1826, Arago observa des mouvements inac- 
coutumes dans l'aiguille magnétique; ces mouvements 
lui firent supposer la présence d'une aurore boréale sous. 
de plus hautes latitudes; sa conjecture fut pleinement 
justifiée, car Dalton observait au même moment à Man- 
chester ce phénomène lumineux des pôles. 



AURORES POLAIRES. 371 

M. Higton, ingénieur télégraphique, a signalé à propos 
d'une aurore boréale une action très vive exercée sur 
le télégraphe électrique . 

« Un télégraphe, dit-il, passant à travers le Watford 
tunnel (un tunnel de 1,600 mètres de long, et dont les 
. fils se prolongent jusqu'à 400 mètres d'un côté et jus- 
qu'à 800 mètres de l'autre), a été mis hors de service 
pendant trois heures, 

« L'aimant a constamment été rejeté du même côté. 
Une telle action de l'aurore boréale est ordinaire. Elle 
s'est quelquefois manifestée pendant lé jour, quand l'au- 
rore n'était pas visible, et dans un cas j'ai pu suivre son 
action à partir de Northampton , à travers Shepstone, Pe- 
terborough , sur la route du télégraphe de l'Est jusqu'à 

Londres. » 



VI. 



Franklin avait déjà émis l'idée, il y a environ un siècle, 
que les aurores boréales étaient dues à des décharges 
d'électricité entre la terre et l'atmosphère. De La Rive, 
mettant à profit toutes les observations et toutes les 
découvertes dont la science s'est enrichie depuis Franklin, 
est parvenu , par une suite de recherches nombreuses , 
dont les premières datent de 1849, à établir sur des fon- 
déments solides la théorie électrique de l'aurore boréale. 

Il a constaté, comme fait acquis, qu'il y a presque 
toujours production simultanée d'une aurore australe et 
d'une aurore boréale; et que l'apparition d'une aurore 
polaire est toujours accompagnée de perturbations dans 



372 LES METEORES. 

la direction des aiguilles des boussoles, et de la produc- 
tion de courants électriques dans les fils télégraphiques. 

Au moyen de ces données et des notions qu'on possède 
sur l'état électrique de la terre et de l'atmosphère, de 
La Rive a réussi à démontrer que les aurores polaires de- 
vaient être attribuées à des décharges s'opérant dans le 
voisinage des deux pôles terrestres, entre l'électricité né- 
gative de la terre et l'électricité positive de l'atmosphère. 

Ce n'est pas tout : les apparences lumineuses des au- 
rores polaires, l'influence sur elles du magnétisme ter- 
restre restaient à expliquer. De La Rive y est parvenu , 
en examinant de près l'effet lumineux des décharges 
électriques à travers des gaz très raréfiés, soit secs, soit 

chargés de vapeurs aqueuses à différentes températures, 
et en étudiant, au moyen d'électro-aimants très puissants, 
l'influence du magnétisme sur ces décharges. Il a ainsi 
réussi à reproduire en petit toutes les apparences des au- 
rores polaires jusque dans leurs moindres détails, soit 
sous le rapport de leur teinte lumineuse, soit sous celui 
de leur forme et de leur mouvement. 

Après avoir étudié et reproduit, l'un après l'autre, les 
phénomènes et les apparences qui accompagnent et ca- 
ractérisent les aurores dans la nature , de La Rive a ima- 
giné un appareil qui en donne la représentation complète 
et exacte. 

« D'accord avec la plupart des physiciens, dit-il, je 
persiste à considérer les aurores polaires comme un phéno- 
mène qui se passe dans l'atmosphère. Je n'en voudrais, au 
besoin , pour preuve que la remarque faite par M. Biot , 

à l'occasion des aurores qu'il avait observées en 1817 



AURORES POLAIRES. . 373 

aux îles Shetland, que l'aurore ne se déplace jamais 
par rapport à l'observateur, tandis que si elle était un 
phénomène cosmique, elle ne suivrait pas le mouvement 
de rotation du globe terrestre. C'est ce qu'observe aussi 
M. Fron, qui attribue, comme je l'ai toujours fait, Tau- 
rore boréale à l'électricité provenant des régions équa- 

■ 

toriales où la nappe ascendante se partage entre les 
deux contre-alisés, l'un marchant vers le nord, l'autre 
marchant vers le sud; ce qui donne l'explication de la 
simultanéité des aurores polaires, ainsi que celle des 
perturbations électriques et magnétiques qui les accom- 
pagnent dans les deux hémisphères 1 . » 

La théorie électrique des aurores boréales part d'un 
fait incontestable, dit de La Rive : « C'est que l'atmos- 
phère est chargée d'électricité positive dont l'intensité 
va en augmentant à mesure qu'on s'élève, et que la terre 
elle-même est chargée d'électricité négative, et cela quelle 
que soit la cause de ce dégagement d'électricité. Cela 
admis, il est facile de comprendre que ces deux électri- 
cités tendent constamment à se réunir d'une part par 
l'intermédiaire du globe terrestre, d'autre part par l'in- 
termédiaire des couches supérieures de l'atmosphère avec 
l'aide des vents contre-alisés , et que cette réunion , qui 
a lieu dans les régions polaires, est accompagnée , quand 
l'électricité a un certain degré d'intensité, d'actions per- 
turbatrices sur l'aieuille aimantée et de la circulation 
de courants électriques dans les fils télégraphiques, en 
même temps que d'effets lumineux dans l'atmosphère, 



4 



Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872, 1 er semestre. 



374 LES MÉTÉORES. 

effets dont l'apparence est plus ou moins modifiée par 
l'action du magnétisme terrestre 1 . » 



VII. 



M . l'abbé Raillard, dans une ingénieuse théorie, établit 
une communauté d'origine entre les aurores boréales, 
les étoiles filantes et les comètes. Voici un passage im- 
portant que nous devons citer : « Je crois être le pre- 
mier et le seul qui ait émis cette idée, dit-il, et je l'ai 
formulée dès le commencement de l'année 1839 dans 
une note qui a été communiquée par Arago à l'Acadé- 
mie... Pour rattacher les aurores boréales aux comètes 

et aux étoiles filantes, je suppose que les aurores bo- 
réales sont produites par des nuages cosmiques dans un 
état de ténuité extrême , qui sont traversés par la terre , 
qui s'électrisent et deviennent lumineux dans le voisinage 
et sous l'influence des pôles magnétiques terrestres. Mais 
le trait de ressemblance le plus saillant qui existe, selon 
moi , entre les aurores boréales et les comètes , c'est que 
celles-ci, comme les premières, ont une lumière propre, 
du moins en très grande partie, et que cette lumière des 
comètes est électrique comme la lumière des aurores bo- 
réales, et comme celle qui rend visible la matière extrê- 
mement raréfiée des tubes de Geissler traversés par un 

courant. La seule différence entre la lumière des auro- 
res boréales et celle des comètes, serait que la première 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872, 1 er semestre. 



AURORES POLAIRES. 375 

aurait sa cause dans l'induction magnétique de la terre, 
tandis que la seconde serait produite par la puissante 
induction magnétique du soleil. En effet, les radiations 
de la lumière des aurores boréales s'orientent et con- 
vergent vers les pôles magnétiques terrestres, de même 
que les queues des comètes sont toujours opposées au 
soleil et dirigées dans le sens de ses rayons , la phos- 
phorescence de ces queues trouvant dans le noyau 
simple ou multiple des comètes, une cause d'excitation, 

une sorte d'amorce permanente, et Ton aurait ainsi 

une explication naturelle de cette particularité singu- 
lière du mouvement de toutes les comètes à queues, 
tandis que les astronomes avaient fait jusqu'ici de vains 
efforts pour l'expliquer d'une manière satisfaisante*. » 

De son côté, M. Silbermann, l'habile préparateur du 
collège de France, communique à l'Académie des sciences 
un important mémoire, accompagné de dessins à l'appui, 
duquel on peut déduire : 1° une théorie des aurores bo- 
réales et australes , fondée sur l'existence de marées at- 
mosphériques ; 2° l'indication, à l'aide des aurores, de 
l'existence d'essaims d'étoiles filantes à proximité du 
globe terrestre. Nous y remarquons principalement les 
passages suivants : 

1° Les aurores boréales s'annoncent par les mêmes 
signes que les orages : baisse barométrique, hausse ther- 
momélrique, sentiment de prostration, odeurs nauséa- 
bondes quand c'est une aurore colorée qui se prépare; 
elles s'annoncent également par l'existence d'une vapeur 



' Les Mondes scientifiques, 1867 ; t. XIII. 



376 LES METEORES. 

rutilante au bas des nubécules sombres aurorifères, sem- 
blable à celle qui colore le bas des nuées orageuses; 

2° Les aurores coïncident toujours avec l'existence de 
deux vents superposés à directions rectangulaires; la 
surface de séparation des deux vents est la base des phé- 
nomènes lumineux. Les nombreux et intéressants détails 
que rapporte l'habile observateur viennent confirmer 
les vues théoriques qu'il a présentées dans plusieurs 
communications f . 

On- voit que Ton est loin d'être complètement d'accord 
sur la théorie de ces magnifiques et grandioses phéno- 
mènes, bien que l'électricité et le magnétisme y jouent 
.le rôle principal. 



vin. 



Il paraît que les aurores boréales produisent quelque- 
fois un certain bruit caractéristique. # 

« Je n'ai jamais pu parvenir, dit de Saussure , à en- 
tendre aucun bruit particulier, même pendant les au- 
rores boréales les plus grandes et les plus vives, à Skye, 
où régnait le plus grand calme et le plus profond silence. 

<( Cependant, j'ai recueilli dans les îles Shetland de 
nombreux témoignages à cet égard, d'autant plus remar- 
quables qu'ils étaient entièrement spontanés et nullement 
influencés par aucune question préalable de ma part. 

a Des personnes de diverses conditions et états, et ha- 
bitant des districts très éloignés dans ces îles , ont été 
unanimes à dire que lorsque l'aurore boréale est forte , 

1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1872, I e * semestre. 



AURORES POLAIRES. 



377 



elle est accompagnée d'un bruit qu'ils qat tous également 

et unanimement comparé à celui d'un van lorsqu'on 

vanne le blé. » 

Wargentin rapporte, dans le quinzième volume des 

Transactions de Suéde, que deux de ses élèves, le doc- 













1 



' 









FiK- T;{. — Aurore boréale du 31 octobre 1853. 



* 

teur Gisler et M. Helland, qui avaient longtemps habité 

le nord de ce royaume, firent à l'Académie de Stockholm 
un rapport dont voici les principaux passages : 

« La matière des aurores boréales descend quelquefois 
si bas, qu'elle touche le sol; au sommet des hautes 
montagnes, elle produit sur le visage des voyageurs un 
eflet analogue à celui du vent. 



378 LES METEORES. 



m 

« J'ai souvent entendu le bruit des aurores , ajoute le 
docteur Gisler, ce bruit ressemble à celui d'un fort vent 
ou au bruissement que font quelques matières chimiques 
dans l'acte de leur décomposition... J'ai cru souvent 
trouver que le nuage avait l'odeur de fumée ou de sel 
brûlé... » 

Les paysans de Norvège lui apprirent qu'il s'élevait 
quelquefois du sol un brouillard froid , d'un blanc ver- 
dâtre, qui obscurcissait le ciel, quoiqu'il n'empêchât pas 
de voir les montagnes de loin ; ce brouillard , à la fin , don- 
nait naissance à une aurore boréale. 

Cook rapporte quelques observations (Vaurores ans- 
traies, et, avant ce navigateur, Frazer, doublant le 
cap Horn, en 1712, en avait aperçu une à travers les 
brouillards, si communs sous ces latitudes. Depuis lors 
ce phénomène a été observé par beaucoup de naviga- 

teurs. 



IX. 



Les aurores boréales sont très rarement aperçues dans 
les pays un peu méridionaux, comme la France. On ne 

peut y voir que celles dont les flammes s'élancent au loin 
dans les régions du ciel, et brillent comme des poutres, 
des colonnes, des javelots embrasés; et souvent il s'é- 
coule des années en grand nombre entre deux de ces au- 
rores imposantes. La précédente est oubliée lorsqu'il en 

paraît une autre. 

Aussi les aurores, ainsi que les comètes, étaient-elles 
regardées comme des signes de la colère céleste, des 



AURORES POLAIRES. 379 

précurseurs d'aventures sinistres, dont chacun faisait 
l'application d'après les rêves de son imagination, ses 
désirs ou ses craintes : 



Longtemps Terreur les crut, dans ces âpres climats, 
Le reflet des glaçons , des neiges , des frimas , 
Des esprits sulfureux exhalés de la terre, 
Qui présageaient la mort, la discorde ou la guerre, 
Et jusque sur leur trône épouvantaient les rois. 

(De LILLE.) 



Accoutumés à ce spectacle, effrayant pour les peuples 
du Midi, les Lapons, les Groënlandais , les Kamtscha- 

dales n'en sont point émus. Les Groënlandais, qui font 
jouer aux boules les âmes heureuses dans leurs champs 
Élysées , croient que ces grandes scènes de la nature sont 

les danses de ces mêmes âmes. 

L'aurore boréale a été observée par les anciens. Pline 
veut sans doute désigner ce phénomène quand il parle 
en ces termes : 

« On voit, dit-il , des torches , des lampes ardentes , des 
lances, des poutres enflammées dans toute leur longueur. 
On voit encore, et rien n'est d'un plus terrible présage, 
un incendie qui semble tomber sur la terre en pluie de 
sang, ainsi qu'il arriva la troisième année de la cent sep- 
tième olympiade, lorsque Philippe travaillait à soumettre 
la Grèce. » 

Dans un autre endroit, il dit « qu'on a vu des armées 
dans le ciel ; qu'elles ont paru se choquer, qu'on a en- 
tendu le bruit des armes et le son des trompettes. ». 

Vers la fin du seizième siècle , à la suite de quelques 
aurores boréales , des troupes de dix à douze mille péni- 



380 



LES METEORES. 



tents allèrent en pèlerinage à Notre-Dame de Reims et de 
Liesse , pour signes vus au ciel et feux en l'air. 

Des villages, avec leurs seigneurs, viennent faire leurs 
prières et leurs offrandes à la grande église de Paris, émus, 
dit le Journal d'Benri III, à faire tels pénitentiaux voya- 
ges pour les mêmes objets. 

Les chroniqueurs du moyen âge parlent d'armées 
sanglantes aperçues au ciel, comme d'un présage de 
grands fléaux. Gassendi vit le premier ce phénomène 
avec les yeux d'un philosophe; il l'observa plusieurs fois, 
et notamment le 12 septembre 1621. Ce fut alors qu'il 
décrivit le météore et lui donna le nom à.' aurore boréale. 



CHAPITEE XXI. 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 



Des tremblements de terre en général. — Leurs causes. — Tremblement 

de terre extraordinaire. — Leurs signes précurseurs. 



I. 



On sait que les tremblements de terre consistent dans 
des secousses , plus ou moins fortes , qui affectent la partie 
supérieure de la croûte solide du globe. Suivant l'opi- 
nion la plus répandue aujourd'hui, ils sont dus à la 
fluidité centrale déterminée par la chaleur. 

Les variations de température qui résultent de l'in- 
fluence des saisons ne se font sentir qu'à une très faible 
distance dans l'intérieur de la terre; la température du 
sol est à une petite profondeur, variable suivant les lieux, 
égale à la température moyenne de la localité. 

Mais au-dessous de cette température moyenne la cha- 
leur s'accroît successivement à mesure que l'on descend , 
et le résultat des observations faites jusqu'ici donne 
un accroissement de 1 degré par chaque 33 mètres de 
profondeur, ou à peu près. 



382 LES MÉTÉOEES. 

Il résulte de là que vers 3 kilomètres au-dessous du 
point de la température stationnaire on doit trouver déjà 
100 degrés, c'est-à-dire la température de Peau bouil- 
lante ; et que si la loi se continuait régulièrement , on au- 
rait à 20 kilomètres 666 degrés, température à laquelle 
beaucoup de silicates sont en fusion. 

I 

Vers le centre de la terre, c'est-à-dire à 6,400 kilo- 
mètres, on aurait une température de 200,000 degrés, 
dont nous ne pouvons nous faire aucune idée , et qui se- 
rait capable non seulement de fondre , mais encore de 
volatiliser tous les corps. Il n'est cependant guère pro- 
bable que la chaleur s'accroisse toujours uniformément; 
il est à croire que bientôt il se fait un équilibre général, 

et qu'à une profondeur de 150 à 200 kilomètres il s'é- 
tablit une température uniforme de 3,000 à 4,000 de- 
grés , la plus forte que nous puissions produire et à la- 
quelle rien ne résiste. Dans une récente communication 
à PAcadémie des sciences, M. Pabbé Raillard, savant 
météorologiste, évalue cette température à 5,000 degrés. 
Ainsi, il est très probable que l'intérieur de la terre 
est fluide, et que sa surface seule, sur une épaisseur de 

20 kilomètres, présente une écorce solide. 

A mesure que la masse intérieure continue à se re- 
froidir et à augmenter Pépaisseur de Penveloppe solide 
du globe, une partie de la matière tend à se décomposer 
et à passer à l'état gazeux. Ces gaz cherchent sans cesse 
une issue, poussés de place en place par l'inégalité de 
la pression le long des parois, probablement fort irré- 
gulières, des surfaces intérieures. 

Lorsque, par leur accumulation , ils ont acquis une 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 383 

force expansive suffisante pour déchirer leur enveloppe, 
ou qu'ils ont pu se faire jour jusqu'à quelque bouche 
volcanique , ils entraînent avec eux , sous forme de laves, 
une portion de la matière dont ils sont entourés, et 
l'éruption met fin au tremblement de terre. 



II. 



Il est en effet constaté que les volcans sont liés d'une 
manière intime à ces phénomènes. 

Un des plus terribles, celui qui renversa Lima en 1548, 
fut terminé par l'ouverture de quatre volcans. En 1759, 
dans les environs de Pouzzoles, après deux ans de se- 
cousses et de bruits souterrains presque continuels, le 
sol se crevassa, vomit une quantité de flammes et de va- 
peurs; une ouverture lança pendant sept jours tant de 
cendres et de scories, que le lac Lucrin fut en partie com- 
blé, et qu'il se forma sur les bords une montagne, le 
Monte Nuovo. haute de 142 mètres. 

Au Mexique, en 1759, on vit se produire de la même 
manière le volcan de Jorullo. En 1815, tout l'Archipel 
fut agité par de violents tremblements de terre, à la suite 
desquels un volcan, le Sumlava, fit irruption. 

La mer participe le plus souvent au mouvement de la 
terre; on Ta vue s'élever à de grandes hauteurs, d'autres 
fois se retirer précipitamment, revenir ensuite avec vio- 
lence et détruire tout ce qui se trouvait sur son passage. 
Le plus ordinairement l'atmosphère reste tranquille. 

Les rapports des commandants des stations navales 



384 



LES METEORES. 



dans l'archipel de l'océan Pacifique contiennent le récit 
du phénomène merveilleux qui suit : Une ondulation, 
une immense ride de l'Océan 9 provoquée par le terrible 
tremblement de terre qui a eu lieu en 18G8 sur les côtes du 
Pérou, a parcouru par bonds précipités le tiers du tour du 




Fi*f. 74. 



San Salvador, ville de Guatemala, ruinée en i&'i't par un tremblement 

de terre. 



globe. Sa longueur était de plus de 8,000 mètres; sa hau- 
teur de 25 mètres; sa vitesse était de 183 mètres par se- 
conde, soit Go8 kilomètres par heure. Le tremblement 
de terre ayant eu lieu le 13 août, c'est le lo août que là 
montagne d'eau est venue frapper avec fracas les cotes de 
la Nouvelle-Hollande; en route, elle avait heurté les nom- 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 385 

breuses îles de l'immense archipel de l'océan Pacifique ; 
sur chaque île elle a laissé des traces de son passage. 
Elle était précédée d'une oscillation sous-marine lointaine; 
elle s'annonçait par un grand bruissement de vagues aux 
abords des terres; puis furieuse, amoncelée, menaçante, 
elle se brisait sur les côtes, inondait les parties basses, fai- 
sait crouler les rochers et passait plus rapide encore après 
avoir été arrêtée sur sa route. Et sur l'immense surface 
de l'océan Pacifique, cette vague gigantesque , qui avait 
plus de deux lieues de longueur, était invisible. Les na- 
vires qui étaient hors .de son action ne l'ont pas même 
soupçonnée. A peine ont-ils senti un mouvement ondu- 
latoire qui les soulevait d'une manière imperceptible. 



III. 



Le tremblement de terre qui a donné lieu à cette vague 
monstre est un des plus vastes et des plus terrifiants que 
l'on ait jamais vus. Voici quelques détails que nous em- 
pruntons aux journaux américains, principalement au 
Messager franco-américain, qui nous en a donné le récit 

navrant : « Le 13 août 1868, le Pérou a été mis à la plus 
rude épreuve que ce pays infortuné eût jamais éprouvée. 
D'une extrémité à l'autre de la république , un épouvan- 
table tremblement de terre s'est fait sentir. Vers cinq 
heures du soir, on a entendu tout à coup un bruit 
sourd qui allait sans cesse en augmentant. Quelques se- 
condes plus tard, la terre a commencé à se mouvoir avec 
une rapidité de plus en plus grande. La secousse a duré 

25 



386 LES METEORES. 

4 ou 5 minutes; elle s'est terminée par un choc d'une 
violence extraordinaire, capable de renverser les édifices 
les plus solidement construits. 

« Ainsi qu'il arrive fréquemment, le tremblement de 
terre a été accompagné d'un raz-de-marée. Dans toutes 
les baies , dans toutes les rades , les eaux se sont retirées 
brusquement vers le large , comme si elles allaient laisser 
le littoral à sec ; puis, sous la forme d'une vague, s'avan- 
çant avec une rapidité vertigineuse, comme un mur mobile, 
elles sont venues s'abattre sur les côtes. Dans tous les 
ports que ne protègent pas des hauteurs, les magasins, 
les églises, les maisons ont été renversés parles eaux. 
Les navires ancrés près de la rive se sont vus engloutis 

ou jetés au milieu des terres par la force irrésistible des 
vagues. Les habitants, enfin, surpris par la chute des 
murs ou par l'invasion des eaux, ont péri par centaines. 

« Le nombre des villes péruviennes qui ont été détruites 
est de onze, ce sont : Arequipa, Arica, Moquëgua, Iqui- 
que, Sama, Lacumba, Nasca, lia, Chala, Mejillones et 
Pisugua , auxquelles il faut ajouter un grand nombre de 
villages isolés. Il est impossible d'évaluer le nombre des 
victimes, mais on suppose que deux mille personnes 
ont péri. A Iquique seulement, la mer en a englouti six 
cents. Les pertes s'élèvent à plus de 300 millions de 
piastres. Les seuls bâtiments de la douane à Iquique et à 
Arica contenaient pour 8 millions de piastres de marchan- 
dises. Ils sont complètement détruits. 

« A Lima, on a éprouvé aussi une très forte secousse, 
qui a duré trois minutes et demie. Au lieu d'être vertical, 

comme dans les tremblements de terre antérieurs, le mou- 



t 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 



387 



veinent était horizontal, et par conséquent très dangereux. 
À rapproche du danger, la foule s'est précipitée dans les 
rues; le&plazas se sont remplies d'hommes, de femmes, 
d'enfants éplorés. Les hautes tours de la cathédrale se ba- 
lançaient de droite à gauche comme les mats d'un navire 





-z~# 



~ :'A 



Fig. ";;. — Lisbonne après le tremblement de terre de i~v> 



pendant une tempête. Les maisons tremblaient comme les 
feuilles d'un arbre sous l'action du vent. Mais les murs ont 
résisté à cet ébranlement général. Lima n'a pas de dégâts 
sérieux à déplorer. » 

Les journaux de Panama contenaient les lugubres et 



38S LES METEORES. 

curieux détails suivants : « AÀrica, on a assisté à un spec- 
tacle à la fois horrible et effrayant. Pendant le tremble- 
ment de terre , les personnes qui s'étaient réfugiées au 
sud de la ville ont vu tout à coup le sol s'entr'ouvrir, et 
plus de cinq cents momies en sortir lentement en longues 
files parallèles à la mer. Toutes ces momies avaient une 
position identique , les mains jointes au-dessous du men- 
ton , les genoux relevés et les pieds soutenant le corps 
desséché. Jamais, dans une circonstance si critique, on 
n'avait vu plus terrible apparition. 

« Cette apparition peut toutefois s'expliquer autrement 
que par un miracle. A l'endroit où les momies sont sorties 
du sol se trouvait un cimetière qui a toujours eu la répu- 
tation de momifier les corps, et qui est abandonné depuis 
un siècle. Les cadavres que la terre a rejetés sont ceux 
d'Indiens morts depuis la conquête espagnole, mais enter- 
rés à la mode indienne. » 



IV. 



Les tremblements de terre peuvent être annoncés par 
plusieurs indices : la sortie des reptiles qui habitent sous 
terre, l'agitation des eaux, le tarissement des sources, 
les mouvements extraordinaires des oiseaux, etc., sont, 
comme pour les éruptions volcaniques, les signes certains 
des agitations que la terre va éprouver. 

Souvent ils sont précédés par des bruits sourds, qui se 
propagent sans direction déterminée; en 1746, ils an- 
noncèrent la destruction de Lima ; les habitants eurent le 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE. 389 

É 

temps de se sauver dans la campagne. Un bruit semblable 
à celui de plusieurs chars roulant sur un pont de pierre, 
dit Spallanzani, préluda au tremblement de terre qui dé- 
truisit Messine en 1755; rien cependant n'annonça celui 
qui bouleversa Lisbonne la même année. 

Dans une note à l'Académie des sciences, M. Audrand 
faisait remarquer que chaque fois qu'un tremblement de 
terre a lieu, il est à présumer qu'une inondation se sera 
produite quelque part. Chaque fois qu'un fleuve déborde 
et inonde ses rives par des crues soudaines, il faut tenir 

pour certain , d'après lui , qu'un tremblement de terre 
se sera manifesté en même temps dans quelque région. 

Quelques savants rattachent à l'état sphéroïdal de la 
masse incandescente du globe la cause des tremblements 
de terre et des éruptions volcaniques. 

Chacun a remarqué que lorsque l'on répand de légères 

I 

gouttes d'eau sur un fer rouge, cette eau se réduit en 
petites boules et sautille sur le fer, c'est ce qu'on appelle 
l'eau à l'état sphéroïdal, et l'on dit qu'un corps est à l'état 
sphéroïdal lorsqu'il présente un phénomène analogue. 
Cet état est une quatrième modification de la matière, 
spécialement étudiée par M. Boutigny, d'Évreux, qui a 
publié un volume plein de riches aperçus et de consé- 

• M, SL ^ 

quences fécondes sur cette nouvelle branche delà science. 
Si dans une chaudière, par exemple, on fait passer 
de l'eau à l'état sphéroïdal, et si l'on en verse tout à coup 
quelques grammes de plus, l'eau s'étale dans la chau- 
dière, et s'évapore presque instantanément; ou bien si, 
au lieu de verser de l'eau, on éteint le feu, la chaudière 
se refroidit, elle perd la force répulsive, l'eau revient à 



390 LES METEORES. 

l'état liquide ordinaire, et s'évapore en faisant explosion, 
Telle est la cause probable du plus grand nombre d'ex- 
plosions des chaudières à vapeur. 

Dans l'état sphéroïdal, on peut donc produire des ex- 
plosions à volonté, de deux manières : en établissant le 
contact entre les sphéroïdes et les parois de la chaudière, 
par l'adjonction subite de quelques grammes d'eau , ou 
en refroidissant la chaudière par la cessation du feu. 

Dans les deux cas, les sphéroïdes mouillent les parois 
de la chaudière, et l'équilibre de chaleur reparaît. 

D'après ces phénomènes, si Ton admet, avec la plu- 
part des géologues, que la masse du globe est encore 
incandescente, on peut également supposer que cette 
masse incandescente existe à l'état sphéroïdal , puisque 
tous les corps sont susceptibles de prendre cet état lors- 
qu'ils sont soumis à une haute température. 

La lune ou le soleil, en attirant les sphéroïdes incan- 
descents, peuvent déterminer le contact de leurs noyaux 
avec les parois internes de l'écorce solide du globe , ré- 
tablir ainsi l'équilibre de chaleur et déterminer l'explo- 
sion qui produit les tremblements de terre et les volcans. 



CHAPITRE XXII. 



LES VOLCANS. 



Ile Vulcanie. — Phénomènes qui annoncent et accompagnent les volcans. — 
Salses. — Situation des foyers des volcans. — Causes des éruptions volca- 
niques. Fumée, cendres et laves lancées par les volcans. — Le Vésuve, 
mort de Pline, destruction de Pompéï, d'Herculanum et de Stabie. — Phé- 
nomènes curieux produits par l'Etna, leStromboli, l'HécIa et le Grand-Brûlé. 
— Eruptions de 1812 et de 1860. — Filaments de verre lancés sur les lieux, 
environnants. — La place Candide à l'île de la Ré union.—» Description des prin- 
cipaux phénomènes qui ont accompagné l'éruption du 19 mars 1860. — Vi- 
tesse des laves incandescentes. — Répartition des volcans. — Montagnes em- 
brasées présentant des phénomènes analogues à ceux des volcans. — Exemples 
curieux. — Volcans sous-marins. — Formation des îles. — Réapparition de 
l'île Ferdinandea. 



I. 



Anciennement on nommait Vulcanie une des îles Èo- 
liennes, près de la Sicile. Cette île est couverte de rochers 
dont le sommet vomissait des tourbillons de flamme et 
de fumée. C'est là que les poètes ont placé la demeure 
ordinaire de Vulcain, dont elle a pris le nom, car on 
l'pppelle encore aujourd'hui Volcano, d'où est venu le 
nom de volcan appliqué à toutes les montagnes qui jet- 
tent du feu. 



392 



LES METEORES. 



Les éruptions volcaniques s'annoncent ordinairement 
par des bruits souterrains et par l'apparition de la fumée 
qui sort du cratère; peu à peu ces bruits redoublent, la 
terre tremble, la fumée s'épaissit, s'élève en colonne, et 
sa partie supérieure forme une cime touffue et épanouie 
ou se disperse dans les airs en épais nuages qui couvrent 
de ténèbres toute la contrée d'alentour. 

liientot ces colonnes et ces nuages sont traversés par 




Fîg. 76. — Volcano et volcanello. 



des sables embrasés et des matières incandescentes, qui 
sortent du volcan avec explosion, s'élèvent rapidement 
dans les airs à de grandes hauteurs, et retombent en- 
suite sous la forme d'une pluie de cendres ou de 
pierres. 

C'est alors qu'au milieu de ces convulsions s'échap- 
pent des torrents d'un liquide rouge de feu, qui sillon- 
nent les lianes de la montagne, surmontent tous les 
obstacles, renversent toutes les barrières, et ne s'arrê- 



LES VOLCANS. 



303 



tent que lorsque le refroidissement des matières leur a 
fait perdre leur fluidité. 



. 



w 




Fig. "7. — Éruption vaseuse. 



Il existe aussi des volcans nommés salses, dont les 
éruptions sont constamment vaseuses, quoique précédées 



394 LES METEORES. 

d'ailleurs des mêmes phénomènes que présentent les 
autres volcans. 



II. 



Il résulte des connaissances acquises jusqu'à ce jour 
que les foyers des volcans doivent être situés à de grandes 
. profondeurs au-dessous de toutes les masses minérales 
connues; cela est indiqué par la position immédiate de 
plusieurs cratères sur les roches les plus anciennes , et 
par les fragments de ces mêmes roches qui sont souvent 
rejetés par les éruptions. D'ailleurs les produits des érup- 
tions sont composés de substances qui entrent toutes 
dans la composition des roches inférieures. 

On admet généralement que la cause des éruptions vol- 
caniques est le grand phénomène général du refroidis- 
sement du globe, dont la croûte solide pèse sur la ma- 
tière en fusion qui se trouve au-dessous d'elle et la force 
à s'échapper par les ouvertures volcaniques. L'arrivée de 
Peau de la mer dans les cavités où se trouve la lave, Pac- 
cumulation des feux souterrains sur certains points , etc., 
concourent à la production de ces grands phénomènes. 

II est très important de remarquer, pour Pexplication 
des phénomènes et de la théorie de notre globe, que les 
matières lancées par les bouches volcaniques sont sensi- 
blement de même nature, de même composition. 

La fumée est en grande partie composée de vapeurs 
aqueuses, chargées de gaz sulfureux, d'hydrogène, d'acide 
carbonique et d'une certaine quantité d'azote. Elle dé- 
truit la végétation des contrées sur lesquelles elle passe. 



LES VOLCANS. 



3«.>:> 



Les cendres sont pulvérulentes, grises et très iines; 
c'est la matière des laves dans un état de division extrême; 
elles font pâte avec l'eau, prennent une certaine consis- 
tance et donnent ce que l'on appelle le tuf volcanique . 




Fig. 78. — Eruption vaseuse. 



Lorsqu'elles sont emportées dans l'air par des courants 
de gaz, elles forment d'épais nuages qui obscurcissent le 
ciel. En 179 i, à l'époque d'une éruption du Vésuve, 
on ne pouvait marcher en plein jour sans un flambeau 
à la main, à quatre lieues de distance. 



396 LES METEORES. 

En 472, les cendres de ce volcan allèrent tomber jus- 
qu'à Constantinople, à deux cent cinquante lieues. 

Dans l'intérieur du cratère , la lave est à l'état de fu- 
sion. En 1783, on a pu voir dans le cratère du Vésuve 
une matière fondue bouillonnant continuellement avec 
violence, de l'intérieur de laquelle montaient de gros 
jets s'élevant jusqu'à dix ou douze mètres de hauteur. 

Dans le Stromboli , la lave remplit souvent le cratère ; 
elle présente alors l'aspect du bronze fondu; elle s'abaisse 



et s'élève par oscillations, dont les plus grandes ne dé- 
passent pas dix mètres ; en montant, la surface se tumé- 
fie; il s'y forme de grosses bulles qui détonent forte- 
ment en crevant et donnent naissance à un jet de ma- 
tière fondue. La lave descend en silence , mais elle monte 
avec un bruit semblable à celui d'un liquide qui s'ex- 
travase par une ouverture. 

Spallanzani descendit dans le cratère de l'Etna en 1788; 
il vit au fond la lave en fusion bouillonnant légèrement ; 
elle montait et descendait ; les pierres que l'on y jetait 
frappaient comme si elles fussent tombées sur de la pâte. 



III. 



Les volcans peuvent être rangés en deux classes : les 
volcans centraux et les chaînes volcaniques. 

Les volcans centraux forment le centre d'un grand 
nombre d'éruptions qui ont eu lieu autour d'eux dans tous 
les sens, d'une manière régulière. 

Les volcans qui forment les chaînes volcaniques se 








i*Bus*l*rii 4W 



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S <** </, 



/<s . 



LES VOLCANS. 397 



trouvent le plus souvent à peu de distance les uns des 
autres, dans une même direction; on en compte quelque- 
fois vingt, trente et peut-être un plus grand nombre. 

En Europe il n'existe qu'un petit nombre de volcans 
brûlants, dont voici les principaux : 

L'Etna , qui s'élève sur les côtes de la Sicile jusqu'à 
une hauteur de 4,300 mètres. 

Les anciens le regardaient comme une des plus hautes 
montagnes de la terre; il est cité parPindare, qui vivait en 

l'an 449 avant Jésus-Christ, comme un volcan enflammé; 

ses éruptions se perdent dans la nuit des temps les plus 
reculés; l'une des plus importantes est celle de 1669, qui 
ravagea Catane, et donna naissance au Monte Rosso, dont 
la base a plus de quarante lieues de circonférence. 

De grandes éruptions volcaniques, accompagnées de 
tremblements de terre, ont répandu la désolation en Is- 
lande. M. le ministre de l'instruction publique a adressé 
à l'Académie des sciences un important document sur ce 
sujet. Dans la nuit du 28 au 29 mars 1875, il était tombé 
au Seydisfiord de la neige en même temps qu'un peu de 
cendres. Vers neuf heures du matin le ciel s'obscurcit 
complètement au point que Ton aurait pu se croire dans 
une des nuits les plus obscures de l'automne; il tomba 
alors une quantité considérable de neige et de cendres 
jusque vers midi, heure à laquelle le soleil commença à 
s'éclaicir ; sur plusieurs points la couche de cendres a 
atteint de 20 à 25 centimètres d'épaisseur. Les habitants 
des districts les plus éprouvés ont fait évacuer tous leurs 
chevaux et leurs moutons sur les contrées méridionales 
de l'Ile qui ont été épargnées par le fléau. 



398 LES METEORES. 

Cependant, on craint que de graves maladies ne 

m 

viennent à se déclarer parmi les moutons , les chevaux et 
les bœufs, par suite de la quantité de cendres volcaniques 
qu'ils absorbent avec les herbages : on assure qu'une 
grande partie des habitants de Fljotsdal et de Fellna, 
ainsi que ceux du nord de Jokuldal, sont dans l'intention 
d'émigrer en Amérique; car il ne paraît pas possible de 
faire produire la terre dans ces contrées, pendant un 
certain nombre d'années. Il n'y a d'espoir que dans des 
pluies abondantes et durables, qui auraient pour résul- 
tat de débarrasser le sol de la plus grande partie des cen- 
dres qui le couvrent. Les habitants de toutes les contrées 
qui ont souffert seront nécessairement dans l'obligation 
de vendre ou d'abattre leurs bestiaux , les marchands du 
pays ne veulent ni ne peuvent acheter une si grande 
quantité de bétail, et il parait absolument nécessaire 
qu'on fasse venir, au mois de septembre, à Bernfiord, 
Eskefiord , Seydisfiord , et même Vopnafiord , si cela est 
possible, quelques vapeurs qui achèteraient les moutons, 
les chevaux et les bœufs que les paysans sont obligés 
de vendre; ce serait le seul moyen de procurer à ceux- 
ci l'argent nécessaire pour acheter plus tard d'autres 
bestiaux et reprendre leur industrie f . 

M. Daubrée a présenté à l'Académie un échantillon de 
poussière grise extrêmement fine, tombée avec la neige en 
Suède et en Norvège, provenant des éruptions d'Islande. 
Au moyen du microscope on y reconnaît des grains frag- 
mentaires et transparents, les uns incolores, les autres 



1 Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 2 e semestre. 



LES VOLCANS. 399 

plus ou moins colorés en jaune brunâtre. Ce sont des 
fragments de ponce bien caractérisés; il est peu de grains 
qui atteignent deux dixièmes de millimètre dans leur plus 



grande dimension ; beaucoup n'ont que deux centièmes 
à trois centièmes de millimètre. 

M. Daubrée rappelle que de nombreux exemples 
témoignent du transport dans l'atmosphère, jusqu'à de 
grandes distances , de cendres volcaniques , de sables et 
de poussières diverses. 

La cendre de l'incendie de la ville de Chicago est 
arrivée aux Açores le quatrième jour après le commen- 
cement de la catastrophe; en même temps, on avait 

senti une odeur empyreumatique qui avait fait dire aux 
Açoriens que quelques grandes forêts brûlaient proba- 
blement sur le continent américain. Le célèbre brouillard 
sec qui, en 1783, couvrit pendant trois mois presque 
toute l'Europe, après avoir d'abord paru à Copenhague, 
où il persista cent vingt-six jours, avait pour cause une 
éruption de l'Islande ainsi qu'on l'apprit plus tard. En 
septembre 1845, un transport de même origine, mais 
beaucoup moins considérable, fut constaté aux îles 
Shetland et aux Orcades. M. Descloizeaux a observé lui- 
même cette poussière aux Orcades en revenant d'Islande; 
on voyait sur les navires et sur la mer une poussière 
rouge que l'on avait d'abord prise pour de la cendre 
de tourbe ' . 



1 Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1875, 1 er semestre. 



400 LES METEORES. 



IV. 



Le Vésuve, pris dans son ensemble, offre une masse 
conique, isolée, s'élevant, au milieu d'une vaste plaine, à 
1,200 mètres au-dessus de la mer de Naples. Il ^'est 
éteint et rallumé à plusieurs reprises. 

Vitruve et Diodore de Sicile, qui écrivaient du temps 
d'Auguste, disent, d'après les témoignages historiques, 
que le Vésuve avait anciennement vomi des feux comme 
l'Etna. 

Ce volcan se rouvrit l'an 79 après Jésus-Christ, le 
24 août. Cette éruption ensevelit les villes d'Herculanum, 
de Pompéi et de Stabie. On sait que Pline le naturaliste 
périt victime de la vive curiosité que cet imposant phé- 
nomène lui avait inspirée. 

Pline le jeune écrivant à Tacite, sur ce sujet émouvant, 
s'exprime ainsi : «... Cependant, de plusieurs endroits du 
Vésuve on voyait briller de larges flammes et un vaste 
embrasement , dont les ténèbres augmentaient l'éclat. 
Pour calmer la frayeur de ses hôtes, mon oncle leur 

disait que c'étaient des maisons de campasne abandon- 

nées au feu par les paysans effrayés. Ensuite il se livra 
au repos et dormit d'un profond sommeil ; car on enten- 
dait de la porte le bruit de sa respiration, que sa corpu- 
lence rendait forte et retentissante. Cependant la cour 
par où Ton entrait dans son appartement commençait à 
s'encombrer tellement de cendres et de pierres, que s'il y 
fût resté plus longtemps il lui eût été impossible de 
sortir. On l'éveille. Il sort, et va rejoindre Pomponianus 



r4. 




Fi*. 80. — Mort de Pline. 



LES VOLCANS. 403 

et les autres qui avaient veillé. Ils tiennent conseil et 
délibèrent s'ils se renfermeront dans la maison , ou s'ils 
erreront dans la campagne, car les maisons étaient 
tellement ébranlées par les effroyables tremblements de 
terre qui se succédaient qu'elles semblaient arrachées de 
leurs fondements, poussées dans tous les sens, puis ra- 
menées à leur place. D'un autre côté, on avait à craindre, 
hors de la ville, la chute des pierres, quoiqu'elles fussent 
légères et minées par le feu. De ces périls on choisit le 
dernier... Ils attachent donc avec des toiles des oreillers 

sur leurs têtes; c'était une sorte d'abri contre les pierres 
qui tombaient. 

« Le jour recommençait ailleurs , mais autour d'eux 
régnait toujours la nuit la plus épaisse et la plus sombre, 
sillonnée cependant par des lueurs et des feux de toute 
espèce. On voulut s'approcher du rivage pour examiner 
si la mer permettait quelque tentative : mais on la trouva 
toujours orageuse et contraire. Là, mon oncle se coucha 
sur un drap étendu, demanda de l'eau froide et en but 
deux fois. Bientôt des flammes et une odeur de soufre 
qui en annonçait l'approche mirent tout le monde en fuite 
et forcèrent mon oncle à se lever. Il se lève , appuyé sur 
deux jeunes esclaves , et au même instant il tombe 
mort 1 . » 

On trouve dans le bel ouvrage de M. de Lagrèze des dé- 
tails du plus vif intérêt sur ces événements si grandioses 
et si tragiques; nous lui empruntons deux gravures : la 
mort de Pline et Pompéi à vol d'oiseau 8 . 

1 Traduction de Cabaret-Dupaty. 

2 Pompéi, les Catacombes, VAlhambra, librairie de Firmin-Didol et Cie. 



404 LES METEORES. 

Le Vésuve resta enflammé pendant un millier d'années ; 
plus tard il parut s'être complètement éteint; un taillis et 
de petits lacs* se formèrent dans l'intérieur du cratère. 



V, 



Dans un travail des plus intéressants et qui résume 
parfaitement une grande partie du drame effrayant qui 
nous occupe, M. Victor Fournel s'exprime ainsi ; 

« Le seul témoignage complet et authentique qui reste 
de l'éruption du Vésuve en 79 est la lettre de Pline le 
jeune, dont M, Beulé relate et discute tous les renseigne- 

ments. Il est bien fâcheux qu'en ramassant le corps de 
Pline l'ancien on n'ait pas songé à recueillir les tablettes 
sur lesquelles il avait inscrit ses observations : sans doute 
les explications scientifiques de l'illustre naturaliste eus- 
sent été fort sujettes à caution, mais quel document pré- 
cieux n'auraient pas fourni à l'historien ses observations 
matérielles ! 

« En déterminant, autant que possible, les dates exactes 
et les caractères particuliers des diverses phases de l'érup- 

tion, M. Beulé établit que le principal agent mortel 

fut, non la pluie de cendres, mais l'émission des gaz 

acides sulfureux ou carbonique, émanés de ces coulées 

de laves et de pierres ou des fissures du sol. C'est la 
seule manière d'expliquer la mort de Pline l'ancien , qui 
périt en voulant se coucher à terre ; la seule aussi d'ex- 
pliquer comment un si grand nombre de Pompéiens, 
en dehors de ceux qui avaient péri victimes du tremble- 




Fig. 8!. — Pompé! à vol d'oiseau (Restauration). 



LES VOLCANS. 40? 

ment de terre et écrasés sous les ruines , ou qui ont été 
murés vifs dans leurs retraites par les déjections volca- 
niques, sont tombés foudroyés sur tous les chemins. Les 

pierres ponces lancées par le volcan étaient poreuses et 
légères : on pouvait s'en garantir assez facilement, ainsi 
que des cendres, en se couvrant la tête d'un voile et 
d'oreillers. Iiensevelissement de Pompéi n'a pas été d'ail- 
leurs si rapide et si complet qu'il pût, comme on le croit 
vulgairement, surprendre chacun à son travail ou à son 
plaisir, sans lui laisser le loisir de la fuite. 

ce Pompéi ne fut alors qu'à demi enterrée, sous une 
couche d'environ quatre mètres de pierres ponces, re- 
couverte d'un mètre de cendres. Les étages supérieurs 
dépassaient le niveau; mais les survivants, au lieu de 
déblayer leur ville, ne songèrent qu'à la fouiller. Les 
maisons de Pompéi portent de nombreuses traces de 
ces fouilles, qui les ont souvent dépouillées de tout ce 
qu'elles contenaient de précieux. Plus tard, lorsqu'une 
Pompéi nouvelle, plus humble et plus pauvre, s'éleva 
sur un territoire voisin, que possédait le municipe et 
qu'avait épargné l'éruption, les Pompéiens se servirent 
de leur ancienne ville comme d'une carrière , où ils al- 
laient prendre tous les matériaux dont ils avaient besoin. 
Elle ne fut complètement enterrée que par des érup- 
tions postérieures. Puis l'herbe et l'oubli poussèrent sur 
son emplacement, comme sur une tombe, jusqu'en 1748, 
où les découvertes d'un paysan amenèrent enfin le com- 
mencement des fouilles, mais sans que l'ingénieur chargé 
de cette tâche, pas plus que ses contemporains, se dou- 
tassent alors qu'il s'agissait de Pompéi. 



408 LES METEORES. 

« On sait le résultat merveilleux qu'elles ont donné : 
il eût été plus complet encore sans les causes que nous 
venons de dire. Pompéi, d'ailleurs, était surtout une ville 
de commerce et de plaisir; c'était aussi une ville nouvelle, 
car elle avait été renversée seize ans auparavant par 
un tremblement de terre , précurseur de l'effroyable 
convulsion qui allait anéantir la cité rapidement reeons- 
truite. M. Beulé estime que toutes les découvertes impor- 
tantes y ont été faites, car les parties déblayées compren- 
nent les bains, le forum , les théâtres et les monuments. 
Il croit donc qu'il serait urgent de transporter désormais 
à Herculanum le principal effort des explorations. » 



VI. 



L'éruption la plus mémorable qui ait eu lieu ensuite 
s'est faite en 1822, du 24 au 28 octobre. Pendant les douze 
jours suivants elle ne fut pas interrompue, sans avoir 
toutefois la violence des quatre premières journées. Les 
détonations à l'intérieur du volcan furent si fortes, que par * 
le seul effet des vibrations de l'air les plafonds des salles 

se crevassèrent dans le palais de Portici. L'atmosphère 
des villages voisins était complètement remplie de cen- 
dres, et vers le milieu du jour toute la contrée resta pion- 
gée plusieurs heures dans l'obscurité la plus profonde; 
on allait dans les rues avec des lanternes. 

Le Vésuve a lancé des pierres cubant environ un mètre 
à 1,200 mètres de hauteur au-dessus du cratère, hauteur 
égale à celle de la montagne. On dit que le Cotopaxi a 



LES VOLCANS. 



H-i) 



porté à trois lieues une pierre d'environ cent mètres 

cubes. 

Ces régions fécondes en prodiges sont dignes de la cu- 
riosité des voyageurs, surtout de ceux qui aiment les 
terribles beautés. Aussi me suis-je empressé de faire 
l'ascension du Vésuve à mon passage à Naples, le 30 avril 




fïLMft 



Fiff. H-2. — Cratères du Vésuve 



18(55, et de voir par moi-même toutes les particularités 
de ce célèbre volcan. 

Je pris un excellent guide à Portici; il attira mon at- 
tention sur les choses les plus remarquables; il me lit 
avancer près d'une large galerie de laquelle sortait une 
fumée chaude et sulfureuse : en prêtant l'oreille à son ou- 
verture, on entendait la lave bouillonner au fond des 



410 LES MÉTÉORES. 

abîmes avec un bruit vaste et effrayant semblable à des 

tonnerres continus. 

Le Vésuve avait donné le signal d'une nouvelle guerre, 
et, quoique déjà un peu apaisé, il vomissait encore plu- 
sieurs fois par minute des flammes, des laves embra- 
sées, et lançait vers le ciel les éclairs de sa bouche reten- 
tissante, comme des décharges répétées de grosses pièces 
d'artillerie. 

A peine étions-nous à l'abri des projectiles sur les 
bords du cirque; cependant nous nous y assîmes pour 
déjeuner. Mon guide fit cuire des œufs sous la cendre 
brûlante, et des Napolitains complaisants vinrent nous 
offrir du vin de Lacryma-Christi qui avait pris naissance 
sur les flancs mêmes de la montagne. 

Les îles Éoliennes ou de Lipari sont remarquables par 
les masses de matières gazeuses ou de vapeurs qu'elles 
vomissent dans l'atmosphère . LeStromboli, volcan cen- 
tral du groupe, est un cône d'une forme très régulière et 
bien déterminée, que les navigateurs ont surnommé de- 
puis longtemps le phare de la Méditerranée. Ce volcan 

jette continuellement des flammes, mais avec cette parti- 
cularité singulière que, depuis deux mille ans, il n'a pas 

fait d'éruption proprement dite 1 . 



i Nous devons à M. J. À. Barrai d'excellentes cartes des volcans et des 
montagnes. Peu de savants ont rendu autant de services à la météorologie 
naissante et à l'astronomie que M. Barrai; il a communiqué de nombreux et 
importants mémoires à l'Académie des sciences, que Ton retrouve en partie 
dans les œuvres d'Arago , qui ont été publiées d'après l'ordre de l'illustre aca- 
démicien sous son habile direction ; nous y avons spécialement remarqué les 
observations météorologiques faites pendant ses voyages aéronautiques; des 
mémoires sur les eaux de pluies, le magnétisme de rotation; l'influence des 



LES VOLCANS. 411 



VII. 



On ne connaît pas de volcan proprement dit situé 
sur le continent africain , mais les îles rangées dans sa 
dépendance en renferment un grand nombre, dont les 
principaux sont : 

El Pico, dans l'île del Pico, du groupe des Açores; 

Le Fuego , dans l'île du même nom , appartenant à 
l'archipel du cap Vert; 

Le pic de Teyde ou de Téîiériffe. Avec quelle émotion 

4 

j'ai contemplé ce mont superbe, couronné de sombres 
vapeurs, s'élevant du sein des mers avec la majesté d'une 
reine en deuil! lui dont l'histoire avait captivé mon 
enfance, et que j'entrevoyais dans mes rêves bien long- 
temps avant qu'il se présentât à ma vue ! 

-, *■ 

Le Grand-Brûlé, dans l'île de la Réunion. On l'aperçoit 
à trente lieues du sein des flots ; son sommet est presque 
toujours couronné de sombres nuages, comme celui du 
pic de Ténériffe ; le point culminant de l'île, le Pilon des 
Neiges , a 3,069 mètres au-dessus du niveau de la mer; 
\e Piton de Fournaise, volcan en activité, a 2,200 mètres. 



taches solaires sur la température ; les tables des comètes , des hivers et des 
étés mémorables, des températures maxima et minima extrêmes, de la congé- 
lation des grands fleuves, etc., etc. ; mémoires incessamment reproduits, sou- 
vent sans indication de sources. Nous sommes heureux de pouvoir signaler 
ici, au moins en partie, les importants travaux de ce savant éminent. 



412 LES METEORES. 



VIII. 



J'ai présenté en 1862, à l'Académie des sciences , un ta- 
bleau marquant les différents âges de ce volcan et l'as- 
pect qu'il présente depuis la fameuse éruption de 1800, à 
laquelle j'ai assisté. J'ai fait accompagner ce tableau d'un 
texte qui donne les détails scientifiques des phénomènes 
les plus intéressants qui se sont manifestés dans cette 

dernière crise. 

En voici un résumé succinct : 

L'éruption qui s'est produite à la Réunion le 27 fé- 
vrier 1812 donna lieu à trois courants de laves, qui s'ou- 
vrirent un passage dans le haut de la montagne , un peu 
au-dessous du véritable cratère. L'un de ces courants 
n'atteignit la mer que le 9 mars. Quelque temps après 
l'explosion, il tomba sur un grand nombre de points de 
l'île une pluie composée de cendres noirâtres et de longs 
fils de verre flexibles, semblables à des cheveux d'or. 
Hamilton dit avoir trouvé de semblables filaments vi- 
treux , mêlés aux cendres dont l'atmosphère de Naples 

était obscurcie durant l'éruption du Vésuve de 1779. 
L'éruption de mars 1800 a lancé, comme en 1812, 
des filaments de verre sur les lieux qui l'environnaient; 
et pendant plusieurs nuits on remarquait, de Saint- 
Denis , en regardant du côté du Grand-Brûlé, un horizon 
d'un rouge sombre, semblable à celui produit par un 
vaste incendie. Les promeneurs qui allaient respirer l'air 
frais du soir sur le rivage du côté de la place Candide 



LES VOLCANS. 413 

ont pu parfaitement observer ce phénomène, qui pa- 
raissait plus intense encore lorsque des nuages , faisant 

l'office de vastes écrans, réfléchissaient la lumière. 

La place Candide est dans une situation délicieuse , au 
bord de la mer. Qu'il fait bon , le soir, sur cette place , 
toujours émaillée de verts gazons , où l'on va prendre un 
bain d'air qui pénètre dans tous les pores, à travers les 
vêtements de toile blanche du promeneur ! C'est là aussi 

que se trouve le cirque où vont se distraire les élégantes 
créoles, et où ont lieu le dimanche les danses pittores- 
ques des nègres. 

À quelque distance se trouve le cimetière, que battent 
les flots jour et nuit, et qu'ombrage une allée de filaos, 
arbre le plus gracieux du monde, et qui rappelle le 
sapin et le saule-pleureur ; ses feuilles longues, pressées, 
cylindriques et 'fines comme des cheveux, penchent vers 
la terre, et la brise qui les fouette chante mélodieuse- 
ment d'une voix qu'on recherche toujours dès qu'on Ta 
entendue une fois. 

Ce cimetière est une espèce de miniature des champs de 
repos de toutes les nations ; il y a en effet des monuments 
de tous les ordres, de tous les styles, des inscriptions 
dans toutes les langues. Il est difficile de retenir quelques 
larmes en lisant des épitaphes telles que celle-ci : « Ici 
repose un tel... Sa mère le pleure à travers l'Océan. » Il 
est impossible de dire , sur ce point marqué au milieu de 
la mer des Indes, l'impression que font ces tombeaux qui 
recèlent les derniers restes de ceux qui appartiennent à 
notre patrie, et qui sont nés sur cette terre éloignée et 
chérie où respirent tant d'êtres qui nous sont chers. 



414 LES MÉTÉORES, 

C'est de ces lieux qu'on allait admirer le superbe phéno- 
mène que présentait le volcan en activité. 



IX. 



Notre ami M. Hugoulin s'est immédiatement trans- 
porté au point de l'éruption, et a pu constater les faits 
les plus intéressants; nous le suivrons dans le résumé 

suivant : 

Le 19 mars 1860, à huit heures et demie du soir, un 
roulement sourd, mais fort bruyant, s'est fait entendre 
dans toutes les localités voisines du Grand-Brûlé. Ce bruit 
était partout comparable à celui que ferait une charrette 
pesamment chargée d'objets de fer. C'est là l'impression 
commune qu'ont éprouvée dès l'abord tous les observa- 
teurs. Ce bruit produisait une certaine vibration du sol ; 
il n'y avait pas tremblement de terre proprement dit, 
mais la trépidation était assez forte pour faire osciller 
les meubles et les ustensiles. 

Une épaisse colonne de fumée grisâtre s'est élancée per- 
pendiculairement dans l'espace , du sommet de la mon- 
tagne du volcan, dans la partie voisine du Piton de 
Crac. Cette colonne paraissait avoir plus de 100 mètres 
à la base; elle a été en s'agrandissant à son sommet, 
de manière à former un nuage épais, qui s'est étendu 
en deux sens presque opposés, donnant ainsi nais- 
sance à deux, nuages distincts. L'un a pris la direction 
nord-est, vers le bourg de Sainte-Rose; il a empê- 
ché les observateurs de cette localité d'apercevoir 



LES VOLCANS. 



415 



l'autre nuage, 
qui a marché ■ppll 
dans la direc- 
tion sud-est, 

vers Saint-Phi- 
lippe. 

Toute la 
masse de la co- 1 
lonne était il- 



lu 



minée par 



une quantité 
considérable 
de points en 
vive ignition , 
qui éclataient 
ensuite en 
mille gerbes 
resplendissan- | 
tes, comme un 
bouquet de feu 
d'artifice. Des ï 
masses énor- 
mes de roches 
incandescen - 

tes la sillon- 



naient aussi 



? 



et éclataient | 
ensuite, avec 
un bruit sem- , 
blable à des 




Fig. 83. — Explosion volcanique 



416 LES METEORES. 

détonations de mousqueterie, en fragments lumineux. 
Ce phénomène n'a duré que quelques instants , l'obs- 
curité l'a remplacé; mais les deux nuages formés par 
l'éruption ont continué leur route en deux sens opposés 
avec la force d'impulsion première qui leur avait été sans 
doute communiquée par l'explosion volcanique, car le 
calme le plus parfait régnait dans l'atmosphère. Ces deux 
nuages ont fini par se dissoudre en une pluie de cendres 
qui a couvert toutes les localités environnantes , à plus 
de sept lieues de rayon du centre volcanique. La cendre 
provenant du nuage qui s'est dirigé vers Saint-Philippe 
est grise, elle est aussi fine que la farine de blé. Celle de 
Sainte-Rose est grenue comme de la poudre de chasse, 
et ressemble assez au sable de la rivière de l'Est; elle 
en diffère en ce qu'elle n'a pas, comme celui-ci, des 

fragments cristallins et brillants. Le sol a été partout 
jonché de ces cendres, les plantes en ont été entiè- 
rement couvertes, et cette pluie a été générale, de- 
puis l'extrémité sud de la commune de Saint-Philippe 
jusqu'à quelques kilomètres de la ville de Saint-Benoît. 

A 16 milles en mer, le trois-mats la Marie-Élisa, qui 
venait au mouillage de Sainte-Rose , et dont le capitaine 

a été l'un des observateurs favorisés, a eu son pont 
entièrement couvert de cendres. 

La plupart des familles ont évacué leur case à la 
hâte, emportant leurs objets les plus précieux. Une heure 
après l'éruption, toute la nature avait repris son calme 
habituel, et Ton n'apercevait plus que la lueur que ré- 
pand le volcan depuis longtemps. 

Les laves incandescentes varient beaucoup de vitesse : 



LES VOLCANS. 417 

celle du volcan de la Réunion a employé dix jours entiers 
pour franchir, sur un terrain incliné , la petite distance 
du cratère à la mer. M. de Buch a vu, en 1805, un tor- 
rent de laves sortir du sommet du Vésuve et atteindre 
le bord de la mer à 7,000 mètres du point de départ en 
trois heures. Les laves de l'Etna emploient, dans les ter- 
rains plats de la Sicile , des journées entières pour s'a- 
vancer de quelques mètres. La couche superficielle est 
quelquefois figée et en repos, tandis que la masse centrale 
incandescente et fluide coule encore. 



X. 



Il existe une cinquantaine de volcans en Amérique ; 
les plus remarquables sont ceux de Jorrullo de Gua- 
temala, qui a 4,000 mètres de hauteur; de Pichincha, 
élevé de près de 5,000 mètres; de Cotopaxi, qui s'élève à 

5,750 mètres, et celui de PAntisana f qui en atteint 
6,000. 

L'Asie et l'Océanie présentent un grand nombre de 
volcans en activité. 

On compte 205 volcans brûlants ; \ 07 sont situés dans 
les îles, et 98 dans les continents, à proximité des côtes. 

■ 

Cette position des volcans en activité dans le voisinage 
de la mer, quoique étant un fait déjà assez remarquable 
par lui-même, le devient encore davantage lorsque l'on 
considère les phénomènes qui ont eu lieu à Santorin, 
aux Açores, sur les côtes d'Islande, lesquels ne doivent 

27 



418 LES METEORES. 

laisser aucun doute sur l'existence des volcans sous-rna- 

rins . 

Un nouvel îlot volcanique s'est produit en 1866 dans 
l'intérieur du vaste cratère qui constitue la rade de 
Santorin (fig. 78). M. Lenormant a fait remarquer que ce 
nouvel îlot se trouve précisément à la place où, suivant 
Cassiodore, Georges le Syncelle et Pline, on vit naître 
en l'an 19 de notre ère, à la suite d'un tremblement 
de terre , une petite île qui fut nommée « la Divine » et 
qui disparut au bout de quelque temps, mais pour repa- 
raître au milieu des mêmes circonstances, et encore 
pour peu de mois, au printemps de l'an 60. Depuis 
cette époque elle ne semble pas s'être montrée de nou- 
veau, mais les environs du point où elle vient de re- 
venir au jour étaient demeurés le théâtre d'une action 
volcanique permanente, qui paraît avoir pris dans les 
dernières années une intensité toute particulière. 

Une note de M. Gorceix, à l'Académie des sciences, 
résume les phénomènes dont le volcan de Santorin a été 
le siège. Après cinq ans d'activité, ce volcan est de nou- 
veau rentré dans une période de repos, dont, depuis un 
siècle et demi , il venait de sortir en 1 866 pour la première 
fois. 

Au mois d'octobre 1871, il ne se produisait déjà plus 
d'éruptions; le sommet du cratère, recouvert de gros 
blocs de lave, présente le même aspect que celui de 1707. 
Quelques fumées s'en échappent encore, mais elles sont 
presque complètement de vapeur d'eau venant se con- 
denser au milieu des cendres qui couvrent le cône. Ce- 
pendant, en quelques points, l'activité volcanique se mani- 




Fis. 84. — Volcans de Santon 



LES VOLCANS. 421 

feste toujours, mais légèrement. L'éruption paraît donc 
être entrée dans sa dernière phase 1 . 



XI. 



La terre comptait beaucoup de volcans qui se sont 
éteints, et dont l'existence n'est prouvée que par les traces 
de leurs dévastations. Peut-être aucun pays n'en présente- 
t-il plus que la France, et n'est-il plus intéressant à étu- 
dier sous ce rapport. Plusieurs de nos départements du 
centre sont couverts de laves vomies par ces volcans, 
dont l'origine est antérieure aux temps historiques. 

Il existe, surtout dans l'Auvergne, des montagnes 
d'où sortaient jadis des torrents de matières liquéfiées. 

Ce pays présente de toutes parts d'anciens volcans et 
des matières rejetées qui ont revêtu les formes les plus 
singulières. Trois chaînes de montagnes, les monts 
Dôme, Dore, et Cantal, sont volcaniques. Si Ton comptait 
toutes celles qui paraissent avoir jeté autrefois des feux 
ou des laves ou qui ont été volcanisées, on en trouve- 
rait au moins cent cinquante. 

Les volcans de France étaient trop nombreux pour avoir 
l'énergie de l'Etna ou du Vésuve, qui sont isolés; au- 
cune des montagnes de France n'a jeté plus d'une seule 
coulée de laves; au mont Dore et au Cantal les coulées 
ont été si peu considérables, qu'elles n'ont pas même at- 
teint le pied des montagnes. Serait-ce la retraite des eaux 
qui aurait fait cesser les éruptions? On l'ignore. La 



a - * — *. _ * . 



Comptes rendus de V Académie des sciences, 1872. 



422 LES METEORES. 

fumée et les vapeurs méphitiques qui s'exhalent aujour- 
d'hui encore de quelques anciens volcans, surtout dans 
les temps humides, font voir qu'il reste toujours quelque 
aliment dans le foyer de ces anciennes fournaises ; c'est ce 
que prouvent également les sources chaudes qui jaillis- 
sent en Auvergne, au milieu des montagnes volcanisées. 
Lorsque les siècles ont passé sur les éruptions volcani- 
ques, les pays volcanisés offrent les spectacles les plus 
singuliers et les plus attachants que l'on puisse imaginer. 
Les chaînes et les plateaux de laves durcies, les coulées 
dont on peut suivre l'ancienne direction, depuis les bou- 
ches du cratère jusqu'au bas des montagnes , les assem- 
blages bizarres de piliers et de prismes qui se déploient 
majestueusement en superbes colonnades sur le bord des 
rivières , ou qui étonnent la vue par les positions hardies 

qu'ils affectent sur les pentes des montagnes; les rochers 

caleioés sur place par l'ardeur des feux volcaniques , les 
pavés naturels, qu'on appelle ailleurs des pavés de géants, 
enfin les boules énormes qu'on voit disposées dans quel- 
ques contrées; toutes ces productions étranges sont au- 
tant de monuments qui rappellent les volcans et les effets 

des feux souterrains. 

M. Desmarets a publié des cartes sur lesquelles il a 

tracé la marche de chacun d'eux et a marqué la limite 
où ils se sont arrêtés. Il fixe trois époques à ces anciens 
volcans; les plus modernes ressemblent à ceux qui sont 
enflammés, hors le feu, qu'ils ne vomissent plus. Leur 
cratère est distinct, bordé de scories; les laves qu'ils ont 
jetées forment des courants continus et moulés sur les 
inégalités du terrain. 



LES VOLCANS. 423 

Dans ceux de Pépoque moyenne, le cratère commence 
à s'effacer, les scories sont devenues pulvérulentes, les 
eaux ont creusé de profonds vallons dans les laves , et 
celles-ci se trouvent souvent par là suspendues au som- 
met des collines. 

Enfin, les plus anciens de tous n'ont laissé ni cratère 
ni scories, et leurs laves sont recouvertes de couches 
nombreuses de pierres ou bien elles y sont mêlées. 



XII. 



Plusieurs montagnes embrasées présentent quelquefois 
des phénomènes analogues à ceux des volcans, lors 
même qu'elles n'ont aucun rapport avec eux. Des mon- 
tagnes, composées de houille ou d'autres matières com- 
bustibles auxquelles le feu a été communiqué, se consu- 
ment lentement et ne présentent ni laves ni cratère. 
Voici un exemple de ce genre, qui se trouve dans le dé- 
partement de PAveyron : 

Pendant longtemps, dit un ingénieur du département, 
on a regardé cet incendie comme un événement mal- 
heureux qui consumait la houille et bouleversait le 
sol; mais ensuite parmi les débris on a remarqué des 
masses riches en sulfate d'alumine et en alun tout formé : 
alors on a élevé une usine; une exploitation floris- 
santé s'est établie dans des lieux qui ne présentaient 
que la triste image de la dévastation, le silence et la sté- 
rilité; on a arraché les produits du feu, et on a reconnu 



424 LES MÉTÉORES. 

que l'incendie de la houille procurait une source inépui- 
sable de richesses, et l'aliment d'une branche importante 
d'industrie dans un pays qui était dépourvu auparavant 
de toute espèce de manufacture. 

L'embrasement des houillères , qui s'étendent sous les 
deux tiers du département de l'Aveyron , donne une si 
grande abondance d'alun que toute la France pourrait en 
être pourvue. Ces houillères sont recouvertes et soutenues 
par un schiste argileux et tendre rempli de pyrites de fer. 

L'humidité qui pénètre à travers ce schiste jusqu'au 
charbon de terre, cause quelquefois une fermentation qui 
finit par un incendie. 

Le soufre sublimé provenant des vapeurs sulfureuses 
et de divers gaz, qui se développent dans l'embrase- 
ment, vient couvrir les parois des fentes et des gerçures; 
les acides agissent sur les rochers qui touchent aux bancs 
de houille, et les décomposent; il se forme des cristaux 
alumineux; la silice, le feldspath, etc., subissent une 
dernière fusion, et l'on voit naître des émaux, des 
morceaux de fer, des espèces de porcelaine, enfin des 
matières fondues et colorées des plus belles teintes. 

C'est dans le canton d'Aubin qu'il va le plus d'in- 

cendies souterrains et le plus d'alun. Deux montagnes, 
celles de Fontaynes et de Buègne, y sont surtout en proie 
au feu dévastateur. 

La première a environ cent trente mètres de hauteur. 
A mi-côte, on voit une grande crevasse, de forme ellip- 
tique, qui renferme dix-huit petits cratères groupés sur 
trois points. Pendant le jour, le feu n'est pas visible; 
mais dans l'obscurité de la nuit tout le gouffre paraît être 



LES VOLCANS. 425 

en flammes, spectacle effrayant pour ceux qui ne sont 
pas familiarisés avec ce phénomène. En approchant de 
ce brasier naturel, on sent la terre résonner sous ses pas. 
Si , bravant la fumée et la forte chaleur qu'on éprouve à 
la plante des pieds, on s'avance jusqu'au-dessus des sou- 
piraux, l'œil plonge dans des gouffres de braise ardente. 
Les bâtons qu'on y enfonce sont au bout de quelques 
minutes enflammés et souvent consumés. Lorsqu'on 
élargit l'orifice, la colonne de fumée grossit, et des ai- 
grettes de feu s'élancent hors de la crevasse. Quoique 
l'incendie gagne déjà la partie supérieure de la montagne, 

en suivant le gisement de la houille, le sommet en est 
cependant cultivé; il y a même, à cent pas de distance 
du foyer, un hameau dont les habitants sont élevés et 
familiarisés avec le danger. Ils vivent sans inquiétude, 
quoique le terrain au-dessous de leur jardin ait de pro- 
fondes gerçures où la chaleur est si vive qu'on ne peut 
y enfoncer la main. Les caves et les rez-de-chaussée sont 
souvent remplis de fumée. 

Cet embrasement dure depuis des siècles , mais en di- 
minuant de force. André Thevet , écrivain du seizième 
siècle, dit que de son temps les flammes s'élançaient hors 
de la montagne toutes les fois qu'il pleuvait, ce qui n'ar- 
rive plus aujourd'hui; mais on assure que ce phénomène 
a failli se renouveler par l'imprudence des proprié- 
taires, qui, croyant parvenir à éteindre le feu en fai- 
sant conduire dans ces souterrains l'eau des ruisseaux, 
ne furent pas peu surpris d'en augmenter l'intensité, au 
point de produire des éruptions de pierres et de matières 
enflammées. 



426 LES METEORES. 

Les eaux qui coulent au pied de ces montagnes» 
participent en partie de la nature du terrain. Celles de 
Cranzac ont de douze à trente-cinq degrés de chaleur. Les 



sources de Fontaynes et de la Salle sont presque aussi 
chaudes, et fournissent des étuves naturelles, pourvu 
qu'on creuse un réservoir pour les recueillir, Quelques- 
unes de ces sources sont chargées d'alun ; d'autres sont 
imprégnées de cuivre. 



XIII. 



On a vu souvent des éruptions volcaniques se produire 
au milieu des eaux et donner naissance à des îles qui 

n'ont presque toujours eu qu'une courte existence. 

Les îles peuvent être formées par le simple abais- 
sèment des eaux qui met à découvert le sommet des 
montagnes sous-marines, d'autres fois par F effort des 
vague squi coupent une langue de terre joignant une 

presqu'île au continent. L'Angleterre était jadis attachée 
au sol de la France : les courants qui venaient du nord- 
est entre l'Allemagne et l'Angleterre, et du sud-ouest 
entre la Bretagne et la chaîne des montagnes de Cor- 
nouaiile, corrodaient continuellement de part et d'autre 
l'isthme qui réunissait l'Angleterre à la France et lui ont 
fait succéder le canal qui porte le nom de pas de Calais. 
Beaucoup d'autres îles passent pour avoir été jadis jointes 
au continent voisin : la Sicile à l'Italie, Sumatra à la 
pointe de Malacca, etc. 



LES VOLCANS. 427 

Des îles flottantes se font quelquefois remarquer sur 
les lacs, les marais ou les rivières. Parmi les plus célèbres 

en ce genre, on cite celles du Mississipi et celles du lac 

deChelco au Mexique; elles sont cultivées et produisent 
des arbres, des légumes et des fleurs. On visitait autre- 
fois la Motte-Tremblante y aujourd'hui détruite, dans le 
lac Menteyer (Hautes -Alpes). On voit encore des îles 
flottantes dans les marais qui entourent Saint-Omer, et à 
Tivoli, en Italie, dans un petit lac voisin des thermes 

d' Agrippa. m 

Quelques îles ont été formées subitement par les vol- 
cans sous-marins; mais, composées de matières incohé- 
rentes, elles ne peuvent généralement résister longtemps 



- 



à l'action des flots et ne tardent pas à disparaître. En 
1831 on vit s'élever de cette manière l'île Ferdinandea, 



ikô\ on vu s eiever ue cène manière rue reruinanuea, 

près de Malte, qui, abîmée peu de temps après, reparut 
en 1834 pour disparaître de nouveau et reparaître en 

MQCIA 



J864. 



XIV. 



Les éruptions sous-marines qui donnent naissance à 
ces îles éphémères sont assez fréquentes. M. Adolphe Cou- 
sin, ancien capitaine du Regina Cœli, a donné la rela- 
tion d'un phénomène curieux dont il a été témoin sur ce 
navire, qui m'a conduit dans la mer des Indes, et qui 
est devenu fameux par la révolte de plusieurs centaines 
de noirs à son bord ; on y remarque encore les coups de 
hache et les balles qui ont frappé les mâts et les vergues. 



428 LES MÉTÉORES. 

<c Le 30 décembre 1856, à quatre heures du matin, di- 
sait-il dans une note envoyée à l'Académie des sciences, 
nous entendîmes un petit bruit sourd, assez semblable à ce- 
lui d'un orage lointain. Ce bruit cessa et reprit. A quatre 
heures quinze minutes , nous éprouvâmes subitement 
de fortes secousses ; le navire se mit à trembler violem- 



ment, environ deux minutes; la barre du gouvernail 
jouait dans les mains du timonier, sans qu'on pût la re- 
tenir; les jambes flageolaient; on distinguait à peine le 
son de la voix; Ces secousses étaient accompagnées d'un 
bruit assez fort, semblable à celui que produisent plu- 
sieurs feuilles de métal frappées l'une contre l'autre. » 

Il faisait dans ce moment un temps superbe, petite 
brise du sud; la mer était plate; le navire filait quatre 
nœuds, avec les bonnettes des deux bords; l'obscurité n'a 
pas permis de voir si l'eau de la mer éprouvait des bouil- 
lonnements; un seau d'eau puisée le long du bord a fait 

reconnaître qu'elle n'avait point changé de température. 
Le navire était alors par 0° 10' latitude sud, et 2° 35' Ion- 
gitude ouest; il avait un sillage constant de trois à quatre 
milles à l'heure. 

De petites secousses se firent encore sentir jusqu'à huit 
heures du matin, accompagnées du même bruit sourd, 

.mais de plus en plus éloigné; le bruit cessa tout à fait 
vers quatre heures du soir. 

Le capitaine du Godavery a fait, à la même heure et 
dans les mêmes parages, la même observation : oc J'ai eu 
sous la ligne , dit-il, un tremblement de terre par 20 de- 
grés ouest, qui dura environ dix minutes; la mer belle, 
jolie brise, toutes voiles dehors; le navire fut fortement 



LES VOLCANS. 429 

secoué sans avoir aucune espèce d'avarie. Ce tremblement 
de terre eut lieu le 30 décembre 1836, à quatre heures 
du matin. » 

L'observation de ce phénomène, éprouvé à la même 
heure et dans les mômes circonstances atmosphériques, 
est très remarquable. 

Lors de la découverte de l'île de Madère , les Portugais 
de Puerto-Santo racontaient comme une vérité constante, 
qu'au sud-ouest de l'île on voyait sans cesse des ténèbres 
impénétrables qui s'élevaient de la mer jusqu'au ciel, 

et qu'elles étaient accompagnées d'un bruit effrayant, qui 
venait de quelque cause inconnue. 

Comme on n'osait encore s'éloigner de terre, faute 
d'astrolabe et d'autres instruments dont l'invention est 
postérieure, et qu'il était presque impossible, après avoir 
perdu de vue les côtes, d'y retourner sans un secours 
providentiel, cette profonde obscurité, attribuée à des 
causes inconnues, épouvantait les matelots et donnait lieu 
à toutes sortes de conjectures dignes des Mille et mie Nuits. 

Les phénomènes qui effrayaient ces parages n'étaient 
autre chose que des volcans sous-marins qui ont boule- 
versé ces mers à diverses époques. 



CHAPITKE XXIII. 



LE GRISOU. 



Explosions du grisou. — Moyens de les prévenir. — Aérophore. — Curieux 
et importants rapports qui existent entre ces explosions et les ouragans. 



i. 



Le feu grisou, fléau épouvantable, la terreur des ou- 
vriers des mines de houille, est produit par l'inflam- 
mation accidentelle, avec explosion, du gaz hydrogène 
carboné analogue à notre gaz d'éclairage, qui a lieu 
très souvent dans les mines, principalement dans les 
houillères , où elle cause de terribles désastres. 

Ce gaz, se dégageant de la houille , sort par d'innombra- 
bles petites fissures, se répand au milieu de l'air, en- 
vahit les galeries des mines, et s'enflamme lorsqu'il est en 
grande quantité et qu'il rencontre une température suf- 
fisamment élevée. Lorsqu'il s'enflamme, il se fait un grand 
vide par la combustion; l'air arrive aussitôt pour remplir 
ce vide dans les galeries, avec une telle force qu n il ren- 
verse les mineurs et les écrase contre les parois de la mine. 

Les accidents produits par le grisou étaient bien plus 



432 ' LES MÉTÉORES. 

nombreux avant qu'un célèbre chimiste, Humphry 
Davy, eût imaginé d'envelopper les lampes des mineurs 
d'un tissu métallique qui, sans intercepter la lumière et 
l'air, empêche la flamme de se communiquer au dehors. 

La lampe de Davy, que l'on appelle aussi lampe de sûreté 
et lampe des mineurs, se compose d'une lampe à huile or- 
dinaire, enveloppée dans une espèce de cage en gaze mé- 
tallique. Lorsque cette lampe se trouve au milieu d'une 
atmosphère de grisou , l'explosion n'a lieu qu'au sein de 
la cage, parce que la toile métallique refroidit assez la 
flamme produite par l'explosion pour qu'elle ne se pro- 
page pas au dehors. 

Ordinairement on fixe sur la mèche des lampes de sû- 
reté plusieurs fils de platine roulés en spirale, qui restent 
encore incandescents après que la lampe s'est éteinte par 
l'effet de l'explosion, et qui répandent une lueur assez 
vive pour guider le mineur dans l'obscurité et l'avertir 
de prendre la fuite. 

L'invention de ces lampes, qui rendent aux mineurs un 

service inappréciable, date de 1815; leur construction a 

été perfectionnée par MM. Robert, Muesclet, Dumesnil, 
Combes, etc. 

Uaérophore, appareil inventé par M. Denayrouse, au- 
quel l'Académie des sciences vient de décerner un de 
ses prix , est appelé à venir grandement en aide aux mi- 
neurs. Il a pour but de munir d'une atmosphère indé- 
pendante du milieu dans lequel elles sont plongées , les 
personnes exposées aux influences de l'air vicié. Il se 
compose principalement d'un réservoir en tôle d'acier 
qui est chargé d'air atmosphérique à la pression de 25 



LE GRISOU. 433 

à 30 atmosphères , et qui , au moyen de régulateurs in- 
génieux, agissant automatiquement, débite l'air atmos- 
phérique sous une faible pression et à la convenance 
de l'opérateur. Un tube en caoutchouc fait communi- 
quer le réservoir avec la bouche et se termine par un 
appendice, appelé ferme-bouche, qui s'applique exacte- 
ment sur les lèvres et les gencives; un système parti- 
culier de deux soupapes assure le jeu régulier de la 
respiration . 

L'appareil complet peut être placé sur les épaules à 
la manière d'un sac militaire, dont il possède à peu près 
la forme et le poids. Tout a été prévu dans cette ingé- 
nieuse invention : l'air comprimé alimente une lampe 
de sûreté ; des lunettes destinées à protéger les yeux et 
un tuyau acoustique lui donnent tous les avantages dé- 

♦ 

sirables. Des directeurs de houillères et des ingénieurs en 
ont constaté l'utilité; il fonctionne en ce moment pour 
le sauvetage des épaves du Magenta ' . 



IL 



M. Gairaud a adressé à 1* Académie une note dans la- 
quelle il propose de faire dégager dans les galeries plu- 
sieurs étincelles au moyen de l'appareil de M. Ruhmkorff; 
s'il y a détonation, le gaz sera détruit; si, au contraire, 
après plusieurs reprises, la détonation n'a pas lieu, on 
peut être en sûreté. 



* Comptes rendus de V Académie des sciences, 1875, 27 décembre. 

28 



434 LES MÉTÉORES. 

M. Élie de Beaumont fait remarquer que l'utilité de 
ces détonations n'est pas quelque chose de nouveau pour 
les hommes qui travaillent dans les mines sujettes au 
grisou. On y a surtout recours après l'interruption des 
travaux pour le repos du dimanche, l'accumulation du 
gaz en quantité double rendant alors les explosions plus 
redoutables. Des ouvriers, rampant sur le sol des gale- 
ries, portent vers les parties supérieures où s'amasse le 
grisou des lumières ajustées au bout de longues gaules, 
et le font détoner; au moyen de ces précautions et de 
quelques autres qu'a indiquées l'expérience, ces hommes, 
que Ton désigne communément, à cause de leurs fonc- 
tions, sous le nom de canonniers ou de pénitents, ne 
courent pas autant de risques qu'on pourrait d'abord 
le supposer. 

En 1856, M. Dobson a communiqué à l'Académie des 
sciences un important mémoire, que Ton peut regarder 
encore comme à Tordre du jour, sur le rapport qui existe 
entre les explosions de gaz dans les houillères et les 
cyclones ou ouragans circulaires. 

Dans ce mémoire , l'auteur fait remarquer que la vi- 
tesse et la quantité de dégagement du grisou dépendent, 

toutes choses égales d'ailleurs, de la densité ou de la pres- 
sion atmosphérique; le dégagement est plus grand quand 
la pression est moindre , et réciproquement. 

La proportion de gaz carboné ou grisou contenue dans 
l'atmosphère des galeries n'atteint jamais un chiffre dé- 
terminé sans qu'il y ait danger d'explosion, de sorte 
qu'il faut absolument maintenir un certain rapport entre 
la vitesse de ventilation et l'écoulement gazeux à l'inté- 




Fig. 85. — Le pénitent. 



LE GRISOU. 437 

rieur des galeries, si Ton veut être assuré que l'atmos- 
phère de la houillère n'atteindra pas la limite à laquelle 
elle commence à devenir explosible. 

Le but du travail de M. Dobson est donc de montrer 
l'influence qu'exercent les fluctuations extraordinaires de 
la pression et de la température atmosphérique, pour 
troubler l'équilibre dont il vient d'être question , entre 
l'infection par l'envahissement du eaz et la purification 
par la ventilation. 



III. 



• 



Ces fluctuations météorologiques peuvent contribuer 
do deux manières à rendre explosive l'atmosphère des 
houillères. 

1° Pendant la période de temps relativement calme ou 
sereine, lorsque la colonne de mercure reste durant 
plusieurs jours à une grande hauteur, à 763 millimètres 
environ , l'écoulement habituel du gaz se trouve arrêté 
par la haute densité de l'air, et sa tension augmente 
à l'intérieur des fissures. Mais si à cette période de pres- 
sion atmosphérique élevée succède une diminution 
brusque de pression, indiquée par un abaissement consi- 
dérable de la colonne barométrique, le gaz, délivré tout 
à coup de la pression atmosphérique qui le refoulait à 
l'intérieur, peut s'échapper en assez grande abondance 
pour rendre impuissants les moyens ordinaires de ven- 
tilation. 

2° Même en supposant que le mécanisme de la venti- 



438 LES METEORES. 

latioifne soit pas changé, et que l'écoulement du eaz à 
l'intérieur de la mine soit constant en vitesse et en quan- 
tité, il est évident que la ventilation efficace, ou l'effet 
utile de la ventilation, varie en raison inverse de la tem- 
pérature de l'air extérieur ; car l'efficacité de la ventilation 
dépend principalement de la différence de température 
entre l'air extérieur et l'air intérieur des galeries. 

Une élévation considérable de température de l'air 
extérieur peut donc empêcher l'effet de la ventilation , ou 
le rendre impuissant à aspirer la même quantité de gaz 
que dans l'état normal. La proportion de grisou augmente 

alors, et l'atmosphère de la mine devient explosible. 

Il est donc certain, a priori, que l'explosion est toujours 
à redouter lorsque le baromètre descend ou que le ther- 
momètre monte subitement. 



IV. 



La comparaison ou le rapprochement des faits d'explo- 
sion avec les données météorologiques confirme pleine- 
ment ces conclusions théoriques. 

Voulant mettre rigoureusement en évidence les rela- 
tions entre les explosions d'une part , entre les diminu- 
tions de pression et les élévations de température de 
l'autre, M. Dobson a construit un tableau, pour dix an- 
nées, qui permet d'embrasser d'un seul regard, pour un 

jour quelconque , les variations de pression et de tempé- 
rature, et les cas d'explosion plus ou moins fréquents; 
ce rapprochement très simple suffit pour constater qu'il 



LE GRISOU. 439 

est très peu d'explosions qui ne soient accompagnées, 
ou plutôt précédées des deux ou de l'une au moins des 
circonstances signalées par M. Dobson, comme favorisant 
Pécoulement du grisou, c'est-à-dire de la diminution 
brusque de la pression de l'air ou de l'élévation brusque 
de la température. 

Un cas très remarquable qui vient à l'appui de cette 
assertion est le passage sur l'Angleterre de l'ouragan 
de 1854, dont la marche a été habilement tracée par 
M. Liais, et qui s'est terminé par une tempête sur la mer 
Noire. Cet ouragan a été signalé par cinq explosions, 
arrivées coup sur coup dans cinq mines différentes et 
en quatre jours, c'est-à-dire pendant la durée de la 
grande dépression du niveau barométrique causée par 
l'ouragan. 

Les ouvriers mineurs de France et d'Angleterre ont 
remarqué depuis longtemps que les gaz inflammables sor- 
taient en plus grande abondance des fissures des couches 
et tendaient davantage à envahir les galeries lorsque le 
baromètre était très bas ou que le vent soufflait plus 
chaud du sud ou du sud-ouest. On trouve ces observa- 
tions consignées à plusieurs reprises dans les rapports 
présentés aux chambres des lords et des communes, en 
1834, 1852, 1853, 1854, etc., par les sous-comités 
chargés des enquêtes sur les accidents des houillères. 



44a LES MÉTEOKES. 



V, 



Il est un phénomène météorologique sur lequel 
M. Dobson appelle avec raison l'attention d'une manière 
tout à fait spéciale, parce qu'il se rattache d'une façon 
plus particulière encore et plus constante aux explosions 
des mines : ce sont les cyclones ou ouraeans circulaires. 

C'est au centre du cyclone que se trouve la plus grande 
dépression barométrique; on comprend que lorsque ce 
centre passe sur le lieu occupé par une houillère, il doit 
amener et la sortie plus abondante du grisou et l'explosi- 
bilité de l'air des galeries. 

Les observations de M. Dobson viennent à l'appui des 
lois des tempêtes que j'ai exposées avec détail dans le 

chapitre des ouragans. 

On a pu constater que les ouragans obéissent à des 
influences invariables, qui ont permis de formuler leurs 
lois, lois générales pour les deux hémisphères. Elles se 
réduisent aux deux principes suivants , que nous rap- 
pelons : 

1° Les ouragans sont des tourbillons de plus ou moins 
erand diamètre, dans lesquels la force du vent augmente 
de tous les points de la circonférence jusqu'au centre, où 
règne un calme d'une étendue et d'une durée variable. 

2° Les tourbillons suivent une direction variable pour 
chaque hémisphère, mais à peu près constante pour 
chacun d'eux. 

Les ouragans ne sont donc que de vastes trombes dont 



LE GRISOU. 441 

le diamètre considérable n'avait pas permis jusqu'à ces 
derniers temps d'apercevoir l'ensemble. 

La dépression du baromètre augmente progressive- 
ment depuis les premières manifestations de l'ouragan 
jusqu'au centre, où il atteint le minimum de hauteur. On 
conçoit que ce phénomène puisse être intimement lié aux 
explosions des eaz dans les houillères. 






Les conclusions pratiques que l'on peut tirer des re- 
cherches de M. Dobson et des lois des ouragans sont les 
suivantes : 

1° Il est aussi nécessaire pour le mineur que pour le 

marin de consulter avec soin le baromètre et le thermo- 
mètre. 

2° Les précautions à prendre, si Ton fait descendre les 
mineurs dans les mines au moment où le baromètre est 
très bas ou le thermomètre très haut, doivent être exces- 
sives. Il vaudrait mieux peut-être suspendre le travail. 

3° Des observations barométriques et thermométriques 
' faites à l'ouverture des puits des mines, à des intervalles 
réguliers suffisamment rapprochés, présentent un grand 
intérêt, ou plutôt sont tellement nécessaires, que les ad- 
ministrations devraient les imposer. 



CHAPITRE XXIV. 



LE FEU FOLLET. 



Nature du feu follet. — Croyance légendaire. — Esprit follet 



Le feu follet est une flamme errante et légère produite 
par les émanations de gaz hydrogène phosphore qui s'é- 
lève des endroits marécageux , des lieux où des matières 
animales et végétales se décomposent , tels que dans les 
marais, les cimetières, les voiries, et qui s'enflamme 
spontanément à une petite distance du point d'où cette 
flamme se déeaee. 






*! 



L'ignorance des véritables causes qui produisent ces 
flammes légères a donné lieu à toutes sortes de contes et 
de frayeurs superstitieuses. 

Leur nom a été emprunté à des lutins familiers appelés 
esprits follets. D'après les superstitions qui existent encore 
dans nos campagnes à ce sujet , les esprits follets passent 
pour plus malins que malfaisants : ils se plaisent à égarer 
les passants, à effrayer les voyageurs, et à tourmenter 



444 LES MÉTÉORES. 

les personnes craintives ; mais ils obéissent avec docilité 
à ceux qui savent leur commander, ils leur rendent même 
de bons offices et se font leurs serviteurs empressés. Les 
feuoo follets sont censés être allumés par ces lutins, qui les 
font briller çà et là afin d'égarer le voyageur. 







F ta, 



80. — Feux follets. 



CHAPITRE XXV. 



LES ÉTOILES FILANTES 1 . 



Bolides, étoiles filantes, aérolilhes. — Leur apparition, leur composition, leur 
forme, leur pesanteur. — Histoire des principaux aérolithes. — Cybèle et le so- 
leil adorés sous /orme d'aérolithes. — Les savants modernes et les aérolithes. 

— Hardiesse de Chladni. — Pluie d'aérolithes en 1 803 : délégation de M. Biot 
pour la constater. — Hypothèses proposées pour expliquer ces phénomènes. 

— Surprenante découverte : deux comètes périodiques intimement liées aux 
flux d'éloiles filantes. — Vitesse des aérolithes ; leur apparition périodique. — 
Distinction à faire entre les étoiles sporadiques et les étoiles filantes périodi- 
ques. — Jours et mois dans lesquels le nombre des étoiles filantes est le 
plus considérable. — Influence de la précession sur leur apparition. — Les 
étoiles filantes chez les Chinois. 



I. 



On nomme bolides des corps qui semblent enflammés, 
et qui se meuvent dans le ciel avec une excessive rapi- 
dité ; ils sont connus vulgairement sous le nom d'éloiles 
filantes; on les nomme aussi aérolithes , météorites, etc. 

Pendant leur course dans l'espace , les bolides lancent 



1 Ce sujet fait également partie de l'astronomie ; nous l'avons traité dans 
notre Histoire des Astres, 2 e édition. On trouve dans cet ouvrage les développe- 
ments qui feraient ici un double emploi. 



448 LES METEORES. 

quelquefois des étincelles et laissent derrière eux une 

traînée brillante. 

Il arrive souvent qu'ils disparaissent sans qu'on re- 
marque d'autres phénomènes ; mais ils peuvent être ac- 
compagnés de détonations aussi fortes que celle d'un coup 

de canon , se terminant par un sifflement et par la chute 

de projectiles. 

Ces projectiles sont composés des mêmes principes chi- 
miques et à peuprès dans les mêmes proportions. 

On y trouve du soufre , de la silice, de la magnésie, du 
fer, du nickel, du manganèse et du chrome. Il est impor- 
tant de faire remarquer que le fer et le nickel sont à l'état 
métallique , ce qui n'a lieu dans aucune des agrégations 
minérales que l'on rencontre à la surface de la terre. 

Il résulte de plusieurs centaines d'analyses , dues aux 
chimistes les plus éminents, dit M. Daubrée, que les mé- 
téorites n'ont présenté aucun corps simple étranger à notre 
globe. Les éléments que Ton y a reconnus avec certitude 
jusqu'à présent sont au nombre de vingt-deux. Les voici 
à peu près suivant l'ordre décroissant de leur importance : 
le fer, le magnésium , le silicium , Y oxygène, le nickel, le 
cobalt, le chrome, le manganèse, le titane, Yétain, le cui- 
vre, Y aluminium , le potassium, le sodium, le calcium , 
Y arsenic, le phosphore, Y azote, le soufre, le chlore, le 
carbone et Y hydrogène. Il est très remarquable que les 
trois corps qui prédominent dans l'ensemble des météori- 
tes, le fer, le silicium et Y oxygène, sont aussi ceux qui 
prédominent dans notre globe 1 . 



4 



Étude récente sur les météorites, page 56 



LES ÉTOILES FILANTES. 449 

En général, les aérolithes offrent une grande régularité 
de forme ; leurs angles nombreux sont souvent émoussés 
par la fusion, et leur surface est recouverte d'une sorte 
d'émail métallique noirâtre , dont l'épaisseur dépasse ra- 
rement un millimètre. A l'instant de leur chute, ils ont 
une température élevée; leur pesanteur varie depuis 
quelques grammes jusqu'à plusieurs centaines de kilo- 
grammes. 

Celui que Pallas trouva en Sibérie est estimé peser 

800 kilogrammes. Dans le Brésil il y en a un qui, dit- 
on, pèse 700 kilogrammes, et un autre, trouvé sur les 
bords delà Plata, pèserait plus de 50, 000 kilogrammes. 
Les aérolithes furent connus dès la plus haute antiquité ; 

Ànaxagore les fait tomber du soleil , et suivant lui cet 
astre ne serait qu'un immense aérolithe. 

Du temps de ce philosophe, une pierre noirâtre , de la di- 
mension d'un char, tomba près du fleuve iEsos-Potamos, 
en Thrace. C'est le premier phénomène de ce genre dont 
les historiens aient fait mention. Cette pierre se voyait 
encore dans le même lieu du temps de Vespasien. 

Des projectiles du même genre se trouvaient dans le 
gymnase d'Abydos, et dans la ville de Canondria, en 
Macédoine. Pline dit avoir vu une de ces pierres tomber 
dans la campagne des Vocontiens, dans la Gaule Narbon- 
naise. Cybèle était adorée en Galatie, sous la forme d'une 
pierre tombée du ciel; à Émèse, en Syrie, le Soleil re- 
cevait un culte semblable sous la même forme. 

Dans l'importante monographie sur les météorites que 
nous avons citée, M. Daubrée s'exprime ainsi : « Lorsqu'on 
réfléchit au nombre des météorites que la Terre voit tous 

29 



450 LES METEORES. 

les ans, on. est disposé à admettre qu'il en est tombé aussi 
durant les immenses laps de temps pendant lesquels se 
sont formés les terrains stratifiés, et dans le bassin même 
de l'Océan, où ils se déposaient. Cependant, bien que ces 
terrains aient été fouillés maintes fois, on n'y a jamais 
mentionné rien d'analogue aux pierres météoriques. 

« Ce fait, très remarquable, s'explique peut-être, 
conformément aux résultats d'expériences que j'ai com- 
mencées depuis un certain temps, par la facilité avec 
laquelle ces pierres disparaissent à la suite de leur 
oxydation sous l'influence de l'eau, et de la désagréga- 

tion qui en est la conséquence 1 . » 

Lorsque je revenais de la mer des Indes , un magni- 
fique bolide, dont le diamètre apparent était à peu près 

égal à celui de la Lune, tomba non loin de notre na- 
vire 2 . Nous ne pouvons que mentionner ici la chute 
de poussière cosmique dont nous parlons avec détail dans 
notre Histoire des Astres. 



II. 



Pendant longtemps les savants, ne pouvant expliquer 
le phénomène des aérolithes, se refusèrent à y croire. Ce 

1 Étude récente sur les météorites, page 8, 

2 Dans notre Histoire des Astres, ou Astronomie pour tous, ouvrage adopté 
par la commission officielle près le ministère de l'Instruction publique pour les 
bibliothèques des écoles normales, etc., nous donnons une gravure représentant 
cette chute, fi<$. 57 ; nous avons également fait représenter la chute unique et bien 
remarquable d'un bolide en fusion observé au-dessus delà ville d'Athènes, fig. 56. 
Nous consacrons deux planches en couleurs, pour les importantes et ingénieuses 
observations de M. Silbermann, du collège de France. 



LES ÉTOILES FILANTES. 451 

fut seulement en 1794 que Chladni osa se ranger ouver- 
tement du côté de la prétendue superstition populaire; il 
tenta de démontrer que cette superstition , comme tant 

d'autres, n'était point sans fondement. Et lorsque, le 
26 avril 1803 , une pluie de pierres des plus remarqua- 
bles vint à tomber en plein jour sur la petite ville de 
Laigle, en Normandie, l'Institut nomma une commission 
qui se rendit sur les lieux, et dont le rapport ne laissa 
aucun doute sur la réalité des aérolithes. 

C'est Biot qui fut délégué par l'Académie des sciences 
pour aller étudier l'authenticité et la nature de ce phéno- 
mène; mais il paraissait encore si étrange, même au 
sein de la compagnie la plus familière avec les nou- 
veautés delà science, que plusieurs membres nevou- 
laient pas qu'elle s'occupât publiquement de cette affaire, 
craignant qu'elle n'y compromît sa dignité. La Place se 
décida cependant à passer par-dessus ces hésitations , et 
le rapport que fit M. Biot démontra parfaitement l'à- 
propos et l'efficacité de sa mission. 

Pour expliquer ce phénomène, on proposa les hypo- 
thèses suivantes : 

1° On supposa d'abord que les aérolithes étaient, 
comme la pluie ou la grêle, de véritables météores qui se 
formaient dans l'atmosphère par voie d'agrégation. 

Quoique très simple en apparence, cette hypothèse est 
très invraisemblable. Aucun des principes constituant les 
pierres météoriques ne se trouve dans l'atmosphère; il 
faudrait, de plus, que ces principes y fussent à l'état 
gazeux et en assez grande quantité pour donner nais- 
sance à des pierres de plusieurs quintaux ou à des mil- 



452 



LES METEORES. 



liers de pierres de grosseurs différentes. Si les aérolithes 
se formaient dans l'atmosphère, ils obéiraient aux lois 
de la pesanteur et tomberaient en ligne droite, ce qui 
n'est pas, car ils ont dans leur chute une vitesse de trans- 
lation horizontale qui paraît être plus grande que celle 
qui entraîne notre planète dans son mouvement autour 
du soleil. 







Fig. 87. — Étoile filante. 



2° La Place pensait que les aérolithes peuvent tirer 
leur origine des éruptions de quelques volcans de la 
lune. 

La lune n'étant point entourée d'une atmosphère résis- 
tante, il est permis d'admettre qu'une pierre peut être 
lancée avec assez de force par un de ses volcans pour 
sortir de la sphère d'attraction de ce satellite et entrer 
dans celle de la terre. Il ne faudrait pour cela qu'une 



LES ETOILES FILANTES. 543 

vitesse égale à cinq fois et demie celle d'un boulet de 
canon. 

Cette hypothèse explique la direction oblique que les 
aérolithes suivent dans leur chute; car, une fois la limite 
de l'attraction de la lune dépassée, la pierre lancée de- 
vient un satellite de la terre, et, par suite des perturba- 
tions qu'elle éprouve, finit par tomber à sa surface. 

3° Chladni admit que les aérolithes étaient des frag- 
ments de planète ou même de petites planètes qui. en 
circulant dans l'espace, étaient entrées dans l'atmosphère 

terrestre, y avaient perdu graduellement leur vitesse par 
l'effet de la résistance de l'air, et venaient enfin tomber 
à la surface de la terre. 

Cette hypothèse, qui fait des aérolithes des astéroïdes, 
ou petites planètes, nom donné autrefois à Cérès, Pallas, 
Junon et Vesta, circulant par milliards autour du soleil, 
et ne devenant visibles qu'au moment où elles pénètrent 
dans notre atmosphère et s'y enflamment, peut expliquer 
la plupart des circonstances qui précèdent et qui accom- 
pagnent la chute des pierres météoriques. 

M. St. Meunier, qui a fait une étude toute spéciale de 
la nature des météorites, dit, après avoir exposé les prin- 
cipes auxquels il est arrivé : a II en résulte, toute hypo- 
thèse mise à part, que les météorites dérivent d'un astre, 
aujourd'hui désagrégé, dont ils constituent les débris 1 . y> 



A Comptes rendus de V 'Académie des sciences, 2 e semestre 1870. — Voir éga- 
lement le Ciel géologique, du même auteur, où ses idées sont développées. 



454 LES METEORES. 



III. 



Les astronomes ne sont parvenus que récemment à cons- 
tater l'origine vraie des étoiles filantes, de manière à pou- 
voir abandonner les anciennes théories, basées sur des 
suppositions. On s'est assuré que, dans sa course rapide, 
la terre s'élance comme un boulet immense au milieu 
d'anneaux mouvants de mitraille qui circulent sans cesse 
dans des ellipses déterminées; vrais fleuves sans com- 
mencement et sans fin, qui roulent des projectiles célestes, 
en coupant en plusieurs points la route invisible que 
parcourt la terre autour de l'astre du jour. 

En traversant ces fleuves d'un nouveau genre , la terre 
est criblée par des milliers de petites planètes qui s'abat- 
tent à sa surface , et sa puissance attractive en entraîne 
un grand nombre , qui lui font cortège en tournant au- 
tour d'elles, pendant plus ou moins longtemps, comme 
des lunes imperceptibles, pour la rejoindre à un moment 
donné, en tombant sous la forme d'étoiles filantes. 

Ces phénomènes ont un caractère bien grandiose, 
bien imposant, et propre à surprendre ceux qui s'initient 
à leur secret pour la première fois* 

Mais voici qui est plus grandiose et plus surprenant 
encore : la connaissance approfondie des lois admirables 
qui régissent notre système planétaire fait jaillir des lu- 
mières inattendues sur ces phénomènes, et, comme con- 
séquences rigoureuses, elle nous apprend comment ces 
essaims de petits astres ont été attirés près de nous , et 



LES ETOILES FILANTES. 



455 



v 



la date récente de leur apparition dans les espaces que 
nous parcourons. 

La découverte vrai- H 
ment extraordinaire de 
deux comètes périodi- 
ques intimement liées 
aux flux d'étoiles (ilan- 

m 

tes d'août et de no- 
vembre donne à la 
question de ces météo- 
res une face nouvelle. 
Les astronomes s'ac- 
cordaient généralement 
à regarder les étoiles 
filantes comme appar- 
tenant à des anneaux 
continus ou à des es- 



saims de matière cos- 
mique circulant au- 
tour du soleil, lorsque 
M. Schiaparelli a eu la 

pensée de déterminer 
les éléments paraboli- 
ques du flux du 11 août, 
tout comme s'il s'était 
agi d'une comète ve- 
nant des profondeurs 

de l'espace; 'il a conclu 

que ce flux devait être Fig. 88. - Étoile niante. 

étranger au système solaire. Dans son remarquable rapport 



i 




456 LES MÉTÉORES. 

sur le prix d'astronomie, le 1 8 mai 1 868, M. Delaunay fait 
observer que M. Sehiaparelli, à qui a été décernée la mé- 
daillede la fondation Lalande, <c a ouvert une voie toute 
nouvelle , qui doit conduire les astronomes aux consé- 
quences les plus importantes relativement à la constitu- 
tion de l'univers. » Quelque temps après, M. Le Verrier, 
en se fondant sur le mouvement rétrograde des étoiles 
de novembre, est arrivé aux mêmes conclusions que 
M. Sehiaparelli. 

Ainsi, M. Sehiaparelli d'abord et M. Le Verrier en- 
suite sont parvenus, par des voies différentes , à la même 
conclusion; pour eux les étoiles fdantes proviennent de 
la désagrégation de vastes amas de matière cosmique, pé- 
nétrant dans notre svstème à la manière des comètes , et 
subissant ensuite une désagrégation totale sous Faction 
perturbatrice du soleil ou d'une grosse planète. Il en ré- 
sulterait , d'après eux, la dispersion de ces matériaux le 
long de l'orbite décrite par le centre de gravité primitif 
de l'amas, dispersion qui finirait même avec le temps par 
constituer un véritable anneau. 

Deux découvertes faites coup sur coup par M. Schiapa- 
relli et M. Peters, sur les deux orbites dont nous venons 
de parler, ont frappé de surprise le monde savant. A 
peine étaient-elles obtenues, qu'on y remarqua une éton- 
nante coïncidence; on y reconnut trait pour trait les 
orbites, récemment calculées par M. Oppolzer, de la 
grande comète de 1862 et de la première comète de 
1866. 

On admet donc que ces deux amas cosmiques conte- 
naient chacun une comète à leur entrée dans notre sys- 



LES ETOILES FILANTES. 457 

tème, comètes qui auraient échappé à la dissolution com- 
plète des amas primitifs, tout en continuant à décrire la 
même orbite que les matériaux dispersés. Cependant, il 
semble que l'on ne peut des faits connus, tirer aucune 
conclusion relative à l'identité bu à la différence de la 
matière des comètes avec les essaims d'étoiles filantes. 

Les relations entre les comètes et les étoiles filantes 
avaient déjà été devinées par Chladni, en 1819, et la né- 
cessité de fortes excentricités dans leurs orbites, reconnue 
par M. Newton, en 1806. 

Pour compléter ces données, nous devons ajouter ici 
les lignes suivantes de M. l'abbé Raillard, l'un de nos 
météorologistes les plus ingénieux, et les plus modestes 
tout à la fois. « La date du 25 au 27 novembre est celle 
du retour périodique d'un essaim d'étoiles filantes ana- 
logue à celui des Perséides du mois d'août, mais qui 
n'arrive pas tous les ans comme ce dernier. Je l'avais 
déjà observé plusieurs fois. Le P. Denza l'a également 
observé cette année à Moncalieri, où il a été accompagné 
d'une aurore boréale. Il y en a encore un du 8 au 14 
décembre, et un autre vers le 7 janvier. J'ai observé 
celui-ci en 1830; il était accompagné d'une très belle au- 
rore boréale. De là m'est venue l'idée que les aurores 
boréales, les étoiles filantes et les comètes avaient une 
origine commune, et j'ai communiqué cette idée à l'A- 
cadémie des sciences dans une note que je lui ai adressée 
en janvier 1839, c'est-à-dire environ trente ans avant 
que M. Schiaparelli ait fait son travail sur la coïncidence 
desjsssaims d'étoiles filantes et des comètes, mais où il 
n'est pas question d'aurores boréales. Je suis revenu 



458 LES METEORES. 

bien des fois, depuis, sur mon idée, dans le Cosmos, 
dans la Revue photographique et dans les Mondes * . » 



IV. 



Dans l'importante communication à l'Académie des 
sciences dont nous venons de parler, M. Le Verrier fait 
observer que M. Newton, de New-Haven, parlant des flux 
d'étoiles filantes observés depuis Tan 902, et dont les 
chroniqueurs nous ont gardé le souvenir, a fixé à trente- 
trois ans et un quart la durée d'une période du phéno- 
mène de novembre. 

La discontinuité du phénomène montre qu'il n'est pas 
dû à la présence d'un anneau d'astéroïdes que la terre 
rencontrerait, mais bien à l'existence d'un essaim se 
mouvant dans des orbites très voisines les unes des au- 
tres , et qui à notre époque viennent couper l'écliptique 
vers le 13 novembre. 

L'essaim que nous considérons pourrait n'être pas de 
la même date que notre système et être pourtant fort 

ancien; mais il v a heu de supposer qu'il est beaucoup 
plus nouveau. 

On ne peut qu'être frappé de cette circonstance , que 
l'essaim de novembre s'étend jusqu'à l'orbite d'Uranus et 
fort peu au delà; d'autant plus que ces orbites se coupent 
à fort peu près en un point situé après le passage de l'es- 



1 Les Mondes scientifiques, 5 décembre 1872. 



LES ETOILES FILANTES. 459 

saim à son aphélie, et au-dessus du plan de l'écliptique. 

Or, Uranus et l'essaim n'ont pu se trouver simultané- 
ment en ce point, c'est-à-dire dans le voisinage du nœud 

de l'orbite, plus tôt qu'en l'année 126; mais au com- 
mencement de cette année Fessai m a pu s'approcher 
d'Uranus : alors l'action de cette planète a été capable 
de le jeter dans Forbite qu'il parcourt aujourd'hui , de 
même que Jupiter nous avait donné la comète de 1770. 
Ainsi tous les phénomènes observés peuvent être ex- 
pliqués par la présence d'un essaim globulaire , jeté par 
Uranus en l'année 126 de notre ère, dans Forbite que les 

observations assignent à l'essaim auquel sont dus de 

nos jours les astéroïdes de novembre. 

Les étoiles périodiques du 10 août, dues à un anneau 
complet, puisque le phénomène revient chaque année, 
reçoivent une explication pareille. Seulement le phéno- 
mené est plus ancien ; l'anneau ayant eu le temps de se for- 
mer, il n'est pas possible de se livrer à son égard à une 
étude du même genre que sur celui de novembre; la 
continuité annuelle du phénomène ne permet pas d'en 
établir la période avec assez de certitude. 

Les communications de M. l'abbé Raillard, de M. Schia- 
parelli et de M. Le Verrier jettent assez de lumière sur 
la théorie des étoiles filantes pour la dégager complète- 
ment des hypothèses. 



V. 



On distingue les étoiles sporadiques, qui apparaissent 



460 LES METEORES. 

toute l'année à raison de 10 ou 11 environ par heure, 
dans toutes les directions imaginables, puis les étoiles 
filantes périodiques, qui apparaissent par essaims, vers 
les 9, 10 et 11 août, avec une régularité bien remar- 
quable depuis 1842; enfin, les étoiles périodiques de no- 
vembre, dont les maxima se déplacent irrégulièrement 
d'une année à l'autre. 

Chaque année le nombre des étoiles filantes va en crois- 
sant, à partir de la fin de juillet ; cependant ce sont les 9,10 
et 1 1 août qu'il est le plus marqué. Le maximum a lieu 
vers le 1 ; mais tantôt ce maximum est très marqué parce 
que le nombre des météores est double ou triple presque 
subitement ce jour-là; d'autres fois il est moins sensible, 
en sorte que les observateurs non prévenus ou gênés par 
des nuages pourraient prendre le 9 ou le 11 indiffé- 
remment pour la date du point culminant de l'appari- 
tion. Des discordances d'un ou de deux jours doivent donc 
être considérées comme très admissibles, quand il s'a- 
gira d'observations anciennes. 

Si l'on peut négliger la précession pendant le cours de 



_^ 



quelques années , cela n'est plus permis dans l'examen 
des siècles antérieurs. Si le phénomène du 10 août ré- 
pond à un même point de l'orbite terrestre, sa date 



devra diminuer d'un jour à chaque période de 71 an- 
nées 6 dixièmes, comptées dans le passé; en sorte que 
716 ans, par exemple, avant l'époque actuelle le phé- 
nomène a dû arriver vers le 31 juillet. 

Les annales chinoises citent une apparition le 5 août 
1451 ; le calcul indique le 4 août. Elles mentionnent 
d'autres apparitions analogues entre le 25 et le 30 août, 



LES ETOILES FILANTES. 461 

dans les années 924-933, à une époque où le maxi- 
mum a dû tomber le 28, et d'autres encore de 821 à 
841, toujours du 24 au 30, alors que le maximum de- 
vait coïncider avec le 27. 

Ainsi, avec les siècles le phénomène remonte le cours 
des dates, et avance d'un demi-mois en mille ans, pré- 
cisément comme le ferait l'arrivée de la terre à un point 
fixe de l'écliptique. La seule conclusion que Ton puisse 
tirer d'un pareil fait, c'est que l'anneau d'astéroïdes 

vient couper l'orbite terrestre par un point sensiblement 
invariable, qui a aujourd'hui pour longitude 318 degrés, 
et que les choses se passent ainsi depuis un millier d'an- 
nées. Les variations d'intensité des phénomènes , recon- 
nues récemment, n'offrent d'ailleurs aucune difficulté. En 
admettant vingt ans, par exemple, pour la période de 
la variation d'intensité, le phénomène s'expliquerait par 
une inégale densité de l'anneau , combinée avec une dif- 
férence d'un vingtième entre le temps de sa rotation et 
la durée de l'année. 

Il n'en est pas de même du phénomène de novembre; 
les apparitions célèbres de 1799 et de 1833 ont bien 
eu lieu du 12 au 13, mais les autres ne se sont guère 
présentées à la même époque ; elles arrivent du 26 oc- 
tobre au 16 novembre , et même elles ont presque totale- 
ment disparu aujourd'hui. 

Il serait injuste, en parlant des étoiles filantes, de ne 
pas rappeler que c'est à M. Coulvier- Gravier, dont la 
science déplore la perte récente puissamment aidé par 
son collaborateur et gendre, M. Chapelas, que Ton 
doit les observations les plus suivies et les plus intelli- 



462 LES METEORES. 

centes, depuis nombre d'années, sur ces météores et les 
bases scientifiques des phénomènes dont nous avons parlé 
dans ce chapitre. Les communications importantes et 
multipliées insérées dans les Comptes rendus de F Académie 

des sciences, dues à ces observateurs infatigables, et 
auxquelles on sera toujours obligé d'avoir recours pour 
l'étude de ces phénomènes , formeraient des volumes 
considérables si elles étaient réunies en corps d'ouvrage 1 . 



* Voir notre Histoire des Astres, chap. XV. 



F I IS\ 



TABLE 



DES FIGURES. 



CHROMOLITHOGRAPHIES. 

Page*. 

Àrc-en-ciel de nuit .... Frontispice. Spectres -divers , 



Pages. 

72 



PLANCHES EN TAILLE-DOUCE. 



Tombeau de Napoléon 25 

Delille 119 

Pascal 120 

■ 

Iles de glace près des pôles. . . . 225 

CamOes 245 



Le palais impérial de Yédo 356 

La cour impériale à Ummera- 

poura 353 

Cratère du Krabla 397 



GRAVURES SUR BOIS. 



Aimantation par influence 

Appareil d'Ingenhousz pour com- 
parer la conductibilité des diffé- 
rents métaux 

Appareil d'Ingenhousz modifié par 
M. Jamin 

Appareil de M. Tyndall pour mon- 
trer la chaleur créée par le tra- 
vail détruit 

Arc-en-ciel 

Arcs réguliers d'aurore boréale. 

Attaque de morses 

Attraction électrique 

Aurore boréale du 31 octobre 
1853 

Aurore polaire 

Baleine franche 



96 



43 



43 



30 

288 
369 
213 

83 



377 
361 

216 



Borée (chapiteau antique) 138 

Brouillard d'horizon tranchant 

sur le soleil 1 58 

Boussole de déclinaison 107 

Cratère du Vésuve 409 

Construction du navire Argo, 

d'après un bas-relief antique. 115 

Couronne boréale 364 

Coupe de différents gréions. '. . . . 182 
Diverses espèces de nuages. .... 161 
Diverses sortes d'éclairs sim- 
ples 334 

Éclairs arborescents 321 

Éclair divisé et radié 329 

Éruptions vaseuses 393 et 395 

Étoiles filantes 452 et 455 

Expérience à Marly-la-Ville.... 318 



4G4 



TABLE DES FIGURES. 



Explosion volcanique 415 

Faisceau aimanté en fer à cheval . 99 

Fantômes magnétiques 105 

Femme du Nord 8 

Feux follets 445 

Forêt embrasée 55 

Formation des gréions, appareil 

de M. Sanna-Solaro 183 

Grain 170 

Homme du Nord, d'après une 

estampe du seizième siècle... 218 

Incendie dans les pampas 59 

Iris (tirée d'un vase antique). . . . 285 

Le pénitent 435 

Les Saisons (tiré d'un bas-relief, 

à Rome) 78 

Les vents personnifiés (bas-relief 

antique) 140 

Limaille de fer portée par un ai- 
mant. 102 

Lisbonne après le tremblement 

de terre de 1755 387 

Mer calme. 193 

Mirage à l'île de France (vaisseau 

à quatre mâts) 295 

Mirage 304 

Miroirs démontrant les lois de la 
réflexion des rayons calori- 
fiques 39 

Montagne de glace des pôles. . . . 224 

Mort de Pline 401 

Mouvement circulaire du cyclone 256 
Mouvement du cyclone sur sa 

parabole 257 

Moyens de transport en usage 

dans les pa\s du Nord où les 



Pages. 

froids sont les plus rigoureux. 5 

Naufragés 17 

Notus (chapiteau antique) 138 

Nuages au sommet des montagnes 166 
Oiseau sous la cloche de la ma- 
chine pneumatique 127 

Ouragan 247 

— dans le désert 149 

— sur terre et sur mer. . . 13 

Orages au pied des montagnes. . . 26 1 

Parasélène 316 

Paysage inter tropical 431 

Pendule électrique. — Attraction 

électrique 87 

— Répulsion électrique. . . 86 

Phare à l'entrée d'une baie 190 

Phénomène des marées 197 

Phénomènes de réfraction 312 

Pompéiàvol d'oiseau (restaura- 
tion 405 

San Salvador, ville de Guatemala 
ruinée en 1854 par un tremble- 
ment de terre 384 

Spectre solaire 72 

Tabouret électrique 85 

Temple des vents ou horloge d'An- 

dronicus Cyrrhest, à Athènes, 139 

Trombe sur la mer 233 

— sur terre 229 

Vagues se brisant au rivage.» . . 270 

Volcano et volcanello 392 

Volcan de la Réunion 23 

— deSantorin 419 

Zéphyre (tiré d'un bas-relief anti- 
que) 156 

Zeus et les géants 19 



FIN DE LA T\BLE DES FIGURES. 



TABLE DES MATIÈRES. 



Pages. 

Lettre de M. Babinet (de l'Institut) à l'auteur v 

Un mot au lecteur vu 



CHAPITRE I er . 



LA SCIENCE ET LES VOYAGES. 



Influence des voyages. — Divers aspects que présentent les grands phéno- 
mènes de la nature suivant les lieux d'où on les observe. — Les oura 
gans sur terre et sur mer. — Trésor de souvenirs que laissent les 
voyages 



1 



CHAPITRE II. 

LES AGENTS DE LA NATURE EN GÉNÉRAL. 

De la chaleur. — De la lumière. — De l'électricité. — Du magnétisme. . 27 



CHAPITRE III. 



LA CHALEUR. 



Influence de la chaleur sur la vie en général. — Théorie de la chaleur. — 
Température. — Le froid et le chaud. — Lois de la chaleur. — Corps 
bons ou mauvais conducteurs de la chaleur. — Dilatation et contrac- 
tion. — Nombreuses applications. — Nature du feu, — Son origine et 
son histoire. — Le corps humain rendu incombustible. — Production 
artificielle du froid. . * 35 



CHAPITRE IV. 



LA LUMIERE. 



Influence de la lumière sur la vie en général. — Théorie de la lumière. 
— Ses lois. — Spectre solaire. — Analyse spectrale — Curieux phéno- 
mènes des interférences 67 

30 



4C6 TABLE 



CHAPITRE V. 

L'ÉLECTRICITÉ. 

Pagres, 

Découverte de l'électricité. — Ambre jaune et ambre gris. — Le cheval 
de Sévère et l'âne de Tibère. — Hommes électriques. — Théories de l'é- 
lectricité. — Corps bons et mauvais conducteurs. — Diverses espèces 
d'électricités. — Électrisalion par influence et par contact. — Trans- 
mission électrique. — Étincelles électriques. — État électrique de 
l'atmosphère et du globe terrestre , 79 



CHAPITRE VI. 



LE MAGNETISME. 



Le berger du mont Ida. — La ville de Magnésie. — Pierre d'aimant. — 
Passage de Lucrèce. — Anneaux de fer de Platon. — Tombeau de 
Mahomet. — Aimantation naturelle et artificielle. — Pôle, axe et ligne 
moyenne des aimants. — Lois régissant les attractions et les répulsions 

magnétiques. — Influence magnétique de la terre. — Fantôme magné- 
tique. — Boussole. — Origine de l'aiguille aimantée. — Esprit qui in- 
diquait le sud aux Chinois. — Grenouille ou calamité. — Révolution 
produite par la boussole dans la navigation. - — Déclinaison et inclinaison 
de l'aiguille aimantée. — Influence des aurores polaires , des éruptions 
volcaniques, des tremblements de terre et de la foudre sur les mou- 
vements de l'aiguille aimantée. — Faits curieux 97 



CHAPITRE VII. 



L'ATMOSPHÈRE. 

L'air, sa couleur, sa pesanteur. — Expériences diverses. — Pression at- 
mosphérique. — Composition de l'air. — Consommation et altération 
de l'air. — Effet de l'air raréfié sur ceux qui le respirent, — Conditions 
nécessaires pour parcourir les régions élevées avec sécurité. — Les 
climats chauds et les climats froids. — Température que peut atteindre 
l'air confiné 117 



CHAPITRE VIII. 



LES VENTS. 

Le vent. — Sa nature. — Division des vents chez les Grecs. — Vents re- 
présentés sur la tour d'Andronicus à Athènes. — Changement de la rose 
des vents chez les Romains. — Sa forme actuelle. — Vents alizés, mous- 



DES MATIÈRES. 467 

Pages. 

sons. — Courants inférieurs et courants supérieurs. — Théorie des 
vents. — Brises de terre et brises de mer. — Fait curieux observé à l'Ile 
de la Barbade. — Des vents singuliers. — L'harmattan, le simoun ou 
samiel, le chamsin, le sirocco. — Phénomènes étranges que présente 
le vent de Pas dans l'Ariège 135 



CHAPITRE IX. 

* MÉTÉORES AQUEUX. 

Formation des brouillards, des nuages, différentes espèces de nuages : 

cirrus, cumulus, stratus, etc. — Nuages au sommet des montagnes; 

suspension des nuages dans l'atmosphère; formation subite de nuages 

dans un ciel serein. — De la pluie : pluies de sang, de soufre, de pous- 
sière, de graines et d'animaux ; du serein ; de la rosée ; de la glace ; du 

givre ou golée blanche; du verglas; de la neige ; du grésil. — Observa- 
tion relative à la température des hivers. — De la grêle. — Comment 
se forment les gréions ; expériences de M. l'abbé Sanna-Solaro ; com- 
ment dans nos saisons et les climats chauds se produit le froid qui 
forme les gréions. — Théories de la grêle les plus récentes. — Curieux 

transport de la chaleur 157 



CHAPITRE X. 

LA MER ET LES MARÉES. 

Poésie de la mer. — Salure de ses eaux. — Leurs couleurs. — Cuivre, 
argent et or qu'elles contiennent. — Leur phosphorescence. — Les 
marées. — Le premier des Grecs qui fil attention à la cause de ces phé- 
nomènes. — Passage de Lucain et d'un hymne à Silvio Pellico. — In- 
fluence de la lune et du soleil sur les eaux. — Théorie des marées. — 
Marées solaires et marées lunaires. — Hauteur que les marées pour- 
raient atteindre dans la lune. — Barre de flot. — Utilité des marées. 189 



CHAPITRE XI. 



MER POLAIRE. 



Mer libre pleine de vie et de chaleur au centre des glaces polaires. — 
Importance de la météorologie des mers. — Courants marins. — Bou- 
teilles flottantes. — Harmonie dans la direction des vents et des eaux. 
— Poussière des déserts de l'Afrique couvrant les voiles des navires 
à plus de deux cents lieues. — Influence des courants sur les traver- 
sées et sur la température du globe. — Grands fleuves océaniques d'eau 
chaude. — Courants de surface des régions hyperboréennes. — Hiver- 



468 TABLE 

Pages. 

nage à l'île Beechey. — Courants salés dans les eaux douces de la mer 
de Baffin. — Courants sous-marins. — Blocs de glace llottants. — Cu- 
rieuse relation entre les courants de surface et les courants sous-marins. 
— Transformation des courants au centre des régions arctiques. — 
Banc de brume signalé par le lieutenant Haven. Exploration du doc- 
teur Kane. — Il découvre la mer libre au centre des glaces polaires. 
Voyage de M. Nordenskiold. — Nouveau jour qu'il jette sur ces con- 
trées. — Bancs de glaces. — Faits intéressant nos climats 205 



CHAPITRE XII. 



LES TROMBES. ' 

Typhon des Grecs. — Passage de Pline. — Ty«fong des Chinois. — 
Trombe sous un ciel sombre ou sous un ciel serein. — Décharges de 
canon pour rompre les trombes. — Plusieurs faits curieux. — Analogie 
des effets produits par les trombes et par la foudre. — Tornades. — 
Les trombes à l'Académie des sciences pendant les années 1875 et 1876. 227 



CHAPITRE XIII. 



LES OURAGANS. 

Les ouragans dans la mer des Indes. — Le génie des tempêtes. — Dé- 
couvertes des lois des ouragans. — Description scientifique des oura- 
gans — Lieux où ils prennent naissance. — Leur commencement et 
leur fin. — Leur étendue et leur violence. — Modifications qu'ils peu- 
vent subir par les obstacles qu'ils rencontrent. — Hauteur qu'ils peuvent 
atteindre. — Saison des ouragans. — Ce que doit faire un navire pour 
éviter toute avarie. — Signes précurseurs des ouragans. — Utiles in- 
dications données par le baromètre. — Défense de la loi des tempêtes 
par M. Faye 243 



CHAPITRE XIV. 



L'ARC-EN-CIEL. 

Formation de l'arc-en-ciel Arc-en-ciel solaire. — Arc-en-ciel lunaire. 285 



CHAPITRE XV 



LE MIRAGE. 

Le mirage à l'île de la Réunion et à l'île Maurice. — Habileté des créoles 
dans l'observation de ces phénomènes. — Faits étranges que me racontait 
M. Ch. Desbassajns à l'île de la Réunion. — Le mirage dans le midi de 



DES MATIÈRES. 469 

Pages. 

l'Italie. — La fa ta Morgana Mirage dont l'armée de la Basse-Egypte 

fut le jouet. — Explication donnée par Monge. — Observations faites 

pendant l'expédition qui précéda le traité de la Tafna. — Des flamants 
(oiseaux) pris pour des cavaliers arabes. — Mirage extraordinaire ob- 
servé dernièrement à l'île Ténériffe. — Phénomènes de mirage que l'on 
£ peut facilement constater à Paris. — Remarquables phénomènes consis- 
tant dans l'exhaussement des objets. — Théorie du mirage 291 



CHAPITRE XVI. 



/ « 



HALOS, PARHELIES, PARASELENE. 

Formation des halos. — Images fantastiques ou parhélies et parasélène. 315 



CHAPITRE XVII. 



LA FOUDRE. 

Analogie de l'électricité et de la foudre. — Curieuse expérience faite à 
Marly-la- Ville. — Cerf- volant électrique. — Production de la foudre, de 
l'éclair et du tonnerre. — Comment peut-on apprécier la distance de 
la foudre? — Foudroiement direct et par le choc en retour. — Terribles 
effets de la foudre, — Statistique des accidents de la foudre en France. 
— Action foudroyante de l'homme récemment foudroyé. — Répartition 
des coups de foudre sur diverses espèces d'arbres 317 



CHAPITRE XVIII 



LES PARATONNERRES. 

Distribution de l'électricité dans les corps. — Influence de la forme des 
corps sur la distribution de l'électricité. — Pouvoir des pointes. — Par- 
ties essentielles du paratonnerre. — Comment il décharge les nuages 
orageux. — Résumé des rapports qui ont été faits à l'Académie des 
sciences sur le paratonnerre depuis son origine. — Substance et sites 
qui attirent plus particulièrement la foudre. — Règles fondamentales 
pour la construction d'un bon paratonnerre. — Étendue qu'il protège. — 
Paratonnerre chinois» — Paratonnerre pour les navires 341 



CHAPITRE XIX. 



FEU SAINT-ELME, OU FEU SAINT-NICOLAS. 

Explication de ce phénomène. — Son nom dans l'antiquité 357 



470 TABLE 



CHAPITRE XX. 

AURORES POLAIRES. 

Page». 

Aurore polaire. — Sa nature. — Description de ce phénomène paraissant 
dans toute sa splendeur, — Couronne boréale. — Hauteur des aurores 
boréales. — Aurores boréales pendant le siège de Paris. — Aurore béorale 
du 4 février 1872. — Aurore boréale de jour. — Causes des aurores bo- 
réales. — Influence de ces phénomènes sur l'aiguille aimantée et sur le 
télégraphe électrique. — Bruits caractéristiques qu'ils produisent. — 
Aurore australe. — Les aurores boréales regardées comme des signes de 
la colère céleste. — Faits curieux 359 



CHAPITRE XXI. 



LES TREMBLEMENTS DE TERRE» 



Des tremblements de terre en général. — Leurs causes. — Tremble- 
ment de terre extraordinaire. — Leurs signes précurseurs 381 



CHAPITRE XXII. 



LES VOLCANS. 

Ile Vulcanic. — Phénomènes qui annoncent et accompagnent les vol- 
cans. — Salses. — Situation des foyers des volcans, — Causes des 
éruptions volcaniques. — Fumée, cendres et laves lancées par les vol- 
cans. — Le Vésuve, mort de Pline, destruction de Pompéi, d'Hercu- 
lanum et de Stabie. — Phénomènes curieux produits par l'Etna , le 
Stromboli, l'Hécla et le Grand-Brûlé. — Éruptions de 1812 et de 1860. 
— Filaments de verre lancés sur les lieux environnants. — La place Can- 
dide à l'île de la Réunion. — Description des principaux phénomènes qui 
ont accompagné l'éruption du 19 mars 1860. — Vitesse des laves in- 
candescentes. — Répartition des volcans. — Montagnes embrasées pré- 
sentant des phénomènes analogues à ceux des volcans. — Exemples cu- 
rieux. — Volcans sous-marins. — Formation des îles. — Réapparition de 
l'île Ferdinandea 391 



CHAPITRE XXIII. 



LE GRISOU. 



Explosions du grisou. — Moyens de les prévenir. — Aérophore. — Cu- 
rieux et importants rapports qui existent entre ces explosions et les 
ouragans 431 



DES MATIÈRES. 471 



CHAPITRE XXIV. 

LE FEU FOLLET. 

Pages. 

Nature du feu follet. — Croyance légendaire. — Esprit follet 443 



CHAPITRE XXV. 



LES ETOILES FILANTES 



Bolides, étoiles filantes, aérolithes. — Leur apparition, leur composition, 
leur forme, leur pesanteur. — Histoire des principaux aérolithes. — 
Cybèle et le soleil adorés sous forme d'aérolithes. — Les savants mo- 
dernes et les aréolithes. — Hardiesse de C h lad ni. — Pluie d'aréolilhes 
en 1803 : délégation de M. Biot pour la constater. — Hypothèses propo- 
sées pour expliquer ces phénomènes. — Surprenante découverte : deux 
comètes périodiques intimement liées aux flux d'étoiles filantes. — Vitesse 
des aérolithes: leur apparition périodique. — Distinction à faire entre 
les étoiles sporadiqucs et les étoiles filantes périodiques. — Jours et 
mois dans lesquels le nombre des étoiles filantes est le plus considérable. 
— Influence de la précession sur leur apparition. — Les étoiles filantes 
' °z les Chinois 447 



FIN DE LA TABLE DES MATIERES 



HISTOIRE 



DES MÉTÉORES 



Typographie Firmin-Didot. — Mcsnil (Eure>.