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Full text of "Sens Interdit Sans Interdit"

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La Corned i@theque 




Sens Interdit 



Sans Interdit 



Jean-Pierre Martinez 



www . comedi atheque . com 



Sens Interdit - Sans Interdit 

Comedie a sketchs - Deux personnages par saynete - Distribution variable 



I - La et au-dela 
2 - Salle d'attente 

3 - Blanc 

4 - Ca ne veut rien dire 

5 - L'homme a l'oreille coupee 

6 - L'addition 

7 - A l'oeil 

8 - Les mous du PAF 

9 - Au feu 

10 - Compteur 

II - Autoderision 

12 - Un champ de mines 

13 - A l'unisson 

14 - Le journal 
15 - Visite 

16 - Vacance 

17 - Paitre 

18 - Les auteurs de nos jours 

19 - Georges 

20 -JC 

21 - La valise 

22 - La route 



Ce texte est offert gracieusement a la lecture. 
Avant toute exploitation publique, profess ionne He ou amateur, 
vous devez obtenir I'autorisation de la SACb ■ www.sacd.fr 



1 - La et au-dela 

Un personnage seul en scene. II attend et ne sait pas quoi faire. 

In - Excusez-moi... II y a quelqu'un ? 

Apres un temps, une voix off lui repond. 

Off -Non... 

In -Ah, ok, je... Bon... 

// attend encore un instant. 

In - Je suis desole de vous deranger, mais... Ca fait deja un petit moment que j'attends et... 

Off-Oui... 

In - Enfin, j'ai un peu perdu la notion du temps... Je suis la depuis que... Enfin, vous savez... Et je 
me demandais si... 

Off-Oui... 

In - Est-ce que je suis... au paradis... ou en enfer ? 

Off - A votre avis ? 

In - Le purgatoire ? 

Off -Non. 

In - Les limbes ? 

Off (etonne) - Les limbes ? 

Le personnage parait desempare. 

In - Mais alors ou ? 

Off -Nulle part. 

In-Nulle part? 

Off -Nulle part. 

In - Mais... jusqu'a quand ? 

Off - Jusqu'a ce que ga commence. 

In - Alors ga n'a pas encore commence ? 

Off -Non. 

In (semblant comprendre) - Ah, d'accord... 

Un temps pendant lequel il tente d'assimiler cette information. 

In - Mais qu'est-ce qui n'a pas encore commence ? 



Off - Je peux vous poser une question, moi aussi ? 

In-Oui... 

Off - Qu'est-ce que vous foutez la ? 

Air interloque de celui qui est la. 

In - Alors ga, je... J'ai completement oublie... 

Off - Mais vous etes qui ? 

In - Franchement... Je n'en ai aucune idee... 

Un temps. 

Off - Alors ga va pouvoir commencer. 

Noir. 

2 - Salle d'attente 

Elle est la. II entre. 

Lui (avec une amabilite convenue) - Bonsoir. 

Elle (simplement polie) - Bonsoir... 

// fait les cent pas en examinant les lieux, un peu gene. 

Lui - Vous avez rendez-vous a quelle heure ? 

Elle - Je suis un peu en avance... 

Un temps. 

Lui - Vous n'avez vu personne ? 

Elle -Non. 

Lui - Bon... 

Un temps. 

Lui - C'est mon premier rendez-vous... Elle est comment...? 

Elle -Elle? 

Lui - C'etait une femme, au telephone... 

Air dubitatif de la femme, qui ne repond pas. 

Elle - lis sont peut-etre deux... 

Lui - Alors pour vous aussi, c'est... la premiere fois. 



Elle ne repond pas. 

Lui - Oh... Un homme ou une femme... Le principal, c'est qu'ils soient competents... 

Sourire un peu force de la femme. Et nouveau silence embarrasse. 

Lui - Je peux vous ceder ma place, si ca vous arrange... Comme vous etiez la avant moi... 

Elle (froidement) - Je ne pense pas que ce soit une bonne idee. 

Lui - Pardon... Je vous laisse tranquille... C'est parce que je suis un peu nerveux... 

La femme semble culpabiliser de I'avoir rembarre. 

Elle - Moi aussi, je suis nerveuse... J'ai horreur d'attendre... 

Lui - C'est pour ca que vous arrivez en avance a vos rendez-vous... 

La femme se demande comment elle doit le prendre. Iljette un regard vers une pendule qui peut 
rester imaginaire. 

Lui - C'est la premiere fois que je vois une pendule dans une salle d'attente... 

// regarde sa montre. 

Lui - lis ont oublie de la remettre a I'heure... 

La femme ne prete guere attention a ces propos. 

Lui - C'est bizarre... de mettre dans une salle d'attente une pendule qui n'est meme pas a 
I'heure... Remarquez, eux non plus, ne sont jamais a I'heure, alors... 

Un temps. 

Lui - Qa doit faire partie du jeu... 

Elle- Quel jeu ? 

Lui - De nous faire attendre, comme ca... Ce n'est pas pour rien qu'on nous appelle des 
patients... 

Un temps. 

Lui (inquiet) - Vous n'avez pas entendu quelque chose ? 

Elle -Non... 

// va vers la porte par laquelle il est entre et actionne la poignee, sans parvenir a I'ouvrir. 

Lui - Fermee... 

Elle (tres inquiete) - Fermee ? Vous voulez dire... a clef ? 

Lui - Cette fois, on ne peut plus reculer... 

// va vers la porte situee de I'autre cote, qu'on suppose etre celle du cabinet, et tente d'actionner 
la poignee, sans plus de resultat. II se retourne vers la femme. 



Lui - Fermee aussi... 

La femme prend conscience de la situation et commence a paniquer. 

Elle - Pourquoi ils nous ont enfermes comme ga ? Je suis claustrophobe... 

// voudrait bien la reconforter, mais commence a etre tres inquiet lui aussi. 
La femme regarde autour d'elle, paniquee. 

Elle - II n'y a aucune fenetre... On va mourir etouffes... 

Lui (prenant sur lui) - Mais non, voyons... Et puis on a nos telephones portables...! 

Elle - Je n'ai pas de telephone portable... 

Lui - Mais moi, si ! 

// sort son telephone portable et tente de composer un numero, mais dechante bientot. 

Lui - Mince, je n'ai plus de batterie... (Tentant de rester confiant, malgre tout) Mais il doit bien y 
avoir une prise quelque part... 

lis se mettent a chercher tous les deux, d'abord debout, puis a genoux. 

Elle - Je ne vois rien... Et vous ? 

Lui (depuis le derriere du canape) - Non... Ah si... 

// se releve et brandit quelque chose. 

Lui - J'ai trouve un preservatif... 

Elle - Vous croyez vraiment que c'est le moment ? 

Lui - Excusez-moi... 

Elle - Alors qu'est-ce qu'on fait ? 

Lui - Pour I'instant, a part attendre... Ils vont peut-etre revenir... 

lis se calment un instant, resignes. 

Elle - Pourquoi vous etes venu, vous ? 

// la regarde, un peu pris de court. 

Elle - Excusez-moi... D'ailleurs, moi non plus, je ne sais pas tres bien ce que je fais la... Mais 
c'est une raison suffisante pour etre venue, non...? Je veux dire, de ne pas savoir ce qu'on fait 
la... 

Elle semble au bord de I'evanouissement. 

Lui - Allongez-vous... 

Elle s'apprete a s'allonger, comme surle divan d'un psy, mais a soudain un mouvement de recul. 

Elle - C'est vous ? 

6 



Lui - Comment ca, moi ? 

Elle - Alors tout ga, c'est une mise en scene pour me destabiliser ? 

Lui - Je vous proposals seulement de vous allonger un peu, pour vous reposer... 

Elle - Excusez-moi, je commence a delirer... 

La femme regarde la pendule et semble comprendre quelque chose 

Elle - Mais, j'y repense... Ce n'est pas hier soir, qu'on changeait d'heure ? 

Lui -Si... 

Elle - J'ai completement oublie d'avancer ma montre ! 

Lui - Et alors ? 

Elle - Alors j'ai une heure de retard ! Moi qui pensais etre en avance ! Voila pourquoi mon psy est 
deja parti ! II a du fermer les portes en partant, en pensant qu'il n'y avait plus personne... 

Lui - Votre psy...? On n'est pas dans un cabinet dentaire ? 

Elle - Le dentiste, c'est en face... 

Lui -Non ? 

Elle -Ah, si ! 

II porte brusquement sa main a sajoue. 

Lui (avec une grimace de douleur) - Aouh...! Ca y est, c'est reparti... 

Elle-Quoi ? 

Lui - Ma dent de sagesse ! C'est pour ga que je suis venu ! 

Elle - Vous, au moins, vous savez pourquoi vous etes la... 

Lui - Oui, enfin... Venir chez un psychanalyste pour se faire oter une dent de sagesse... 

Elle - C'est son nom qui a du vous induire en erreur... 

Lui - Son nom...? 

Elle - Le Docteur Adam... C'est vrai qu'on peut confondre... 

// la regarde sans comprendre. 

Elle - A Dents ! On pense plutot a un dentiste... 

Lui - Je n'avais jamais pense a ca... Et la dentiste...? 

Elle - C'est moi... 

Lui - Pardon...? 



Elle - On peut-etre dentiste et avoir besoin d'un psy, vous savez... C'est rare, mais... Ca peut 
arriver... 

Lui - Mais alors... vous allez pouvoirfaire quelque chose pour moi... 

Elle (interloquee) - C'est que... Je ne suis pas dans mon cabinet... Je n'ai pas mes instruments... 

Elle semble se raviser. 

Elle - Faites voir... 

// ouvre la bouche et elle regarde. 

Elle - Ah, oui, c'est tres enflamme... Et ca bouge deja pas mal. Peut-etre qu'en tirant un peu 
dessus. 

Lui - Aie !!! (II referme la bouche) Vous etes sur que vous etes dentiste ? 

Elle (blessee) - Vous me prenez pour une affabulatrice, c'est ga... Alors pour vous, parce qu'on 
va voir un psy, on est completement fou... 

Lui - Mais pas du tout... C'est juste que... Vous m'avez fait mal, c'est tout... 

Elle - Eh oui... C'est ce que j'entends toute la journee, figurez-vous. Vous m'avez fait mal... 
Comme si je leur faisais mal par plaisir... 

// se tient la joue. 

Lui - Pourquoi on appelle ga des dents de sagesse, au juste...? 

Elle - Parce qu'elles poussent a I'age de raison, j'imagine... 

Lui - Alors pourquoi faut-il absolument que ga fasse un mal de chien, les dents de sagesse, au 
point qu'on soit oblige de se les faire enlever...? 

Elle - Vous etes vraiment psy...? 

Lui - On peut etre psy et avoir mal aux dents, vous savez... Excusez-moi d'insister, mais... Vous 
etes sure qu'on n'est pas dans un cabinet dentaire...? 

Elle - Alors je serai enfermee dans ma propre salle d'attente, en pensant que je suis dans un 
cabinet de psy...? Vous me prenez vraiment pour une folle ! 

Silence. 

Lui - En meme temps, il n'y a rien qui ressemble autant a une salle d'attente qu'une autre salle 
d'attente... Et la pendule n'a pas ete remise a I'heure... Comme votre montre... 

Elle (fermement) - Le dentiste, c'est a droite, et le psy a gauche ! 

Lui - Bon, bon... 

Pour se donner une contenance, il parcourt la piece et se plante devant une reproduction de 
tableau (qui peut rester imaginaire). 

Lui - Le Cri... Un grand classique des salles d'attente... Qa marche aussi bien pour les dentistes 
que pour les psychanalystes... 



8 



Elle - Oui... J'ai le meme dans ma salle d'attente... (Elle le regarde, prise d'un doute, fouille dans 
sa poche et en sort une clef) Je vais quand meme verifier... J'ai la clef de mon cabinet dans ma 
poche... (Elle se dirige vers la porte et I'ouvre sans difficulte) Vous me suivez, Docteur...? On va 
s'occuper de cette dent de sagesse... 

// la regarde, interloque. Noir. 



3 -Blanc 

Deux personnages (hommes ou femmes), regardant peut-etre une affiche. 

Un - Blanc... Drole de nom... 

Deux - Ca inspire confiance. Blanc... Ca fait penser a une marque de lessive... 

Un - Ouais... Mais quand on se presente aux elections... "Votez Blanc"... Comme slogan pour se 
faire elire, y'a mieux, non ? 

Deux - En meme temps, comme il n'a pas de programme tres defini... 

Un - Tu crois qu'il peut etre elu... 

Deux - II incarne parfaitement les aspirations de la majorite silencieuse... Ca peut lui permettre 
de mobiliser les abstentionnistes. Et puis il a la tete de Monsieur Toutlemonde... Les gens se 
reconnaissent en lui... Ca les rassure... 

Un - Mais qu'est-ce qu'il va faire, s'il arrive au pouvoir ? 

Deux - Ah, ca, il a clairement annonce la couleur. Rien ! Et il a jure que cette fois, les promesses 
electorates seront tenues. 

Un - Mais alors pourquoi il se presente, exactement ? 

Deux - Pour faire triompher ses idees ! 

Un - Ses idees...? 

Deux - II milite depuis des annees pour que le vote blanc soit reconnu comme un vote a part 
entiere... Comme il n'a pas obtenu satisfaction, il a decide de se presenter lui-meme... C'est vrai 
que c'est assez courageux. Au moins, il va au bout de sa demarche... 

Un - Et toi, qu'est-ce que t'en penses ? 

Deux - Je suis partage... 

Un - Tu vas t'abstenir ? 

Deux - C'est ce que je fais depuis des annees, mais la... Ce serait une facon de cautionner ses 
idees... Non, je suis encore indecis... 

Un - Je suis un peu du meme avis que toi... Aujourd'hui, quand on a des vraies convictions... 
C'est difficile de pas etre recupere... 

Noir 



4 - Ca ne veut rien dire 

Un homme et une femme. 

Homme - Je me demande si mon patron n'est pas en train d'essayer de me virer. 

Femme - Non... 

Homme - Quand je le croise dans les couloirs, il ne me dit plus bonjour. Avant on dejeunait 
ensemble au moins une fois par semaine... 

Femme - Oh, ga ne veut rien dire, hein... II est peut-etre deborde. Ou alors, il fait un regime. 

Homme - Je ne sais pas... II s'est mis a me vouvoyer. Alors que jusque la, il me tutoyait. 

Femme - Oh, ga ne veut rien dire, hein... C'est plutot une marque de respect, non ? Ca montre 
qu'il vous prend au serieux. 

Homme - Quand meme... II vient de me retirer un gros dossier dont je m'occupais, pour le refiler 
au type qu'il vient d'embaucher... 

Femme - Oh, ca ne veut rien dire, hein... II ne veut pas que ses employes soient surmenes, c'est 
tout a son honneur. C'est surement pour ca qu'il a recrute quelqu'un pour vous epauler. 

Homme - Ouais... Ben alors la, je ne suis plus surmene du tout. En fait, depuis une semaine, je 
n'ai plus aucun dossier a m'occuper. On me les a tous retires les uns apres les autres. 

Femme - Oh, ga ne veut rien dire, hein... II veut peut-etre que vous soyez completement 
disponible pour la prochaine mission tres importante qu'il aura a vous confier... 

Homme - Je ne suis pas sur. J'avais un grand bureau au dernier etage, juste a cote du sien. 
Maintenant, on m'a installe au sous-sol, dans une piece sans fenetre. C'est au nouveau, 
justement, que le patron a refile mon bureau... 

Femme - Oh, ga ne veut rien dire, hein... Et puis au moins, vous ne I'avez plus sur le dos toute la 
journee. Vous etes plus independant... 

Homme - Ah, oui, la, c'est sur. Je peux faire ce que veux. Je ne regois pas une visite de la 
journee. Je passe mon temps a jouer a des jeux en ligne sur mon ordinateur. Enfin j'ai arrete. On 
m'a coupe I'acces a internet hier... 

Femme - Oh, ga ne veut rien dire, hein... Les fournisseurs d'acces, c'est souvent en panne, c'est 
connu. 

Homme - Le pire, c'est que je me demande s'il ne couche pas avec ma femme. 

Femme - Non...? 

Homme - Je ne sais pas... Hier, vers trois heures de I'apres-midi, je I'ai vue sortir d'un petit hotel 
avec lui... Vous me direz que ga ne veut rien dire... 

Femme - Mmm... La, c'est peut-etre un signe, quand meme... 

Noir. 



10 



5 - L'homme a I'oreille coupee 

Deux personnages. 

Vincent - Tu sais pourquoi Van Gogh s'est coupe I'oreille ? 

Paul -Qui ? 

Vincent - Van Gogh ! 

Paul - Le peintre ? 

Vincent - Pourquoi ? Tu connais un Van Gogh qui serait coiffeur, charcutier ou coureur cycliste ? 

Paul - Non... 

Vincent - Bizarre, quand meme... 

Paul - Qu'il n'y ait aucun charcutier qui s'appelle Van Gogh ? 

Vincent - De se couper I'oreille ! 

Paul - Pourquoi il a fait ca ? 

Vincent - C'est ce que je viens de te demander... 

Paul - Et comment je le saurais ? 

Vincent - II paraTt qu'il I'a offerte a Gauguin, emballee dans du papier journal. 

Paul - II aurait mieux fait de I'offrir a Beethoven. 

Vincent - Beethoven n'etait pas peintre. 

Paul - Non. Mais il etait sourd. Tu n'as pas lu les pieces de Roland Dubillard ? 

Vincent - Non... 

Paul - Remarque, il n'a pas vendu une toile de son vivant. 

Vincent - S'il ecrivait des pieces de theatre. 

Paul - Van Gogh ! C'est peut-etre pour ga qu'il s'est coupe I'oreille. 

Vincent - Par depit ? 

Paul - C'est vrai que je ne connais personne qui ait tente de se suicider en se tranchant I'oreille... 

Vincent - II a peut-etre essaye de se trancher la gorge, il a rate son coup, et c'est I'oreille qui a 
tout pris. II y a des gens maladroits. 

Paul - Et il aurait invente tout ga pour eviter de passer pour un manchot ? Un peu tire par les 
cheveux, non ? 

Vincent - D'ailleurs Van Gogh n'etait pas encore ne quand Beethoven est mort. Je ne vois pas 
comment il aurait pu lui donner son oreille... 



11 



Paul - Ou alors il s'est coupe en se rasant. Et apres on en a fait tout un fromage, parce que 
c'etait Van Gogh. 

Vincent - Moi, quand je me coupe I'oreille, personne n'en parle... 

Paul - C'est pas mal, ses tableaux, mais bon... Est-ce que ca vaut vraiment ce que ga coute ? 

Vincent - Si personne ne lui achetait de toiles de son vivant, ce n'est peut-etre pas par hasard. 

Paul - C'est surement eux qui avaient raison. Van Gogh, ga ne vaut pas un clou. Le clou pour 
accrocher le tableau... 

Vincent - Ni la corde pour le pendre. 

Paul - II s'est pendu ? 

Vincent - Qui ? 

Paul- Van Gogh ! 

Vincent - Non, pourquoi ? 

Paul - Laisse tomber... 

Vincent - Et Beethoven ? Les gens lui achetaient sa musique, de son vivant ? 

Paul - Ouais, mais bon, Beethoven... II faisait plutot de la musique classique... 

Vincent - Ca se vend toujours, la musique classique. 

Paul - C'est jamais tres a la mode, mais du coup ga vieillit moins vite. 

Vincent - C'est ce que je dis toujours a ma femme. Le classique, c'est indemodable. 

Paul - Mais Van Gogh... 

Vincent - Qa vieillit mal. 

Paul - Comme Picasso. 

Vincent - Qui adorait la corrida... 

Paul - C'est normal, il etait espagnol. 

Vincent - On dit que finalement, c'est peut-etre Gauguin qui lui aurait coupe I'oreille, a Van Gogh. 
D'un coup d'epee... C'est meme pour ga qu'il se serait taille, a Tahiti. 

Paul - Gauguin aussi aimait la corrida ? 

Vincent - Pourquoi ? II y a des corridas, a Tahiti ? 

Paul - A cause de I'oreille ! Et de I'epee... 

Vincent - Tu crois que dans un moment de folie, Gauguin, se prenant pour Picasso, aurait pu 
confondre Van Gogh avec un taureau...? 

Paul - Gauguin n'etait pas fou. C'est Van Gogh, qui I'etait. 

12 



Vincent - La preuve, il s'est suicide... 

Paul - On peut se suicider sans etre fou... 

Vincent - II s'est tire une balle dans les champs. 

Paul - II ne s'est pas tire une balle dans le cceur ? 

Vincent - Si, dans les champs. Avec les corbeaux. C'est meme le dernier tableau qu'il a peint. 

Paul - Et sur le tableau, on voit Van Gogh se suicider ? 

Vincent - On voit juste les corbeaux qui lui tournent autour. 

Paul - Comme des vautours... 

Vincent - lis sentent ces choses la... C'est I'instinct... Tu sais que ca vit tres longtemps... 

Paul - Les vautours ? 

Vincent - Les corbeaux ! 

Paul - Plus longtemps qu'un artiste peintre, en tout cas... 

Vincent - Ca depend. Regarde Picasso. II a vecu jusqu'a pres de cent ans. 

Paul - Bon, c'est pas le tout, mais j'ai du boulot. Qu'est-ce que je te fais, aujourd'hui, Vincent...? 

Vincent - Comme d'habitude, Paul. 

Paul - Bien degage derriere les oreilles ? 

Vincent - Pas trop quand meme... 

Paul - Disons que je te laisse les oreilles. 

Vincent - Voila. 

Paul - Mais si je dois en couper une, tu preferes que je te laisse laquelle ? 

Vincent - Quelle oreille il s'etait coupee, Van Gogh ? 

Paul - La gauche. 

Vincent - Bon ben laisse-moi la droite, alors... Si je veux avoir une chance de passer a la 
posterite. Tu as le journal ? 

Paul - Pour emballer ton oreille ? 

Vincent - Pour le lire... 

Paul - Si je te coupe une oreille, tu crois que ce sera dans le journal ? 

Vincent - Non... 

Paul - Et si je te coupe les deux. 

Vincent - Pas forcement... 



13 



Paul - Et si je te coupe les deux oreilles et la queue ? 

Vincent - En Espagne, peut-etre... 

Noir. 

6 - L'addition 

Elle est assise seule a une table de restaurant, les yeux dans le vague. II arrive d'un pas decide, 
sans la regarder, griffonnant deja quelque chose sur son carnet de commande. 

Lui (avec un entrain un peu survoltee) - Les moules farcies, ca vous a plu ? C'est la speciality du 
chef... 

Elle (sinistre) - Moi c'etait le plat du jour. Le lapin... 

Lui (sans se demonter) - Alors, pour la petite dame, qu'est-ce que ce sera pour terminer ? Un 
petit dessert ? Un petit cafe ? L'addition ? 

Elle (le regardant avec intensite) - II n'y a rien de plus deprimant que de manger seule au 
restaurant... 

Lui (pour garder sa contenance, mais un peu perturbe) - Un petit digestif ? 

Elle - Surtout pour une femme... 

Lui - Marie-Brizard ? Cointreau ? Grand-Marnier ? 

Elle - Manger dans un grand restaurant, c'est un peu comme faire I'amour, vous comprenez ? 

Lui (trouble) - Une liqueur de bonne femme, quoi... 

Elle - Techniquement, seule ou a plusieurs, ga se termine a peu pres de la meme fagon. Et 
pourtant, c'est quand meme mieux a deux, non...? 

Lui - Une petite tisane...? 

Elle - On n'est meme pas oblige de parler, hein ? Pas plus au lit qu'a table. Quelques banalites 
suffisent. Je ne sais pas, moi... Passe-moi le beurre... 

Lui - Saveur du Soir ? Nuit Tranquille ? 

Elle (pleine de sollicitude) - Vous ne voulez vraiment pas vous asseoir ? 

Lui - C'est a dire que... 

Elle - Pour vous non plus, ga ne doit pas etre facile. Je me trompe ? 

Lui - Ma foi... 

Elle - Non pas que je meprise votre metier, hein ? Mais repasser les plats, comme ca, et puis 
repartir. Sans meme pouvoir gouter... Vous avez mange, au moins ? 

Lui - Pas encore... 

Elle - Vous avez faim ? 



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Lui - Mon Dieu, je... 

Elle (lui tendant la paniere) - Prenez au moins un morceau de pain. 

Lui - Je ne sais pas si... 

Elle - Vous avez quand meme droit a une minute de pause... 

Elle se leve et, avec autorite, elle lui fait signe de s'asseoir. II s'execute. 

Lui - C'est vrai que... apres le coup de feu de midi, j'ai toujours un petit coup de pompe... 

Elle se rassied en face de lui. 

Elle (souriant) - Voila, comme ga on est deux. 

// se met a macher son pain sec. 

Elle - Un peu de beurre ? Qa glissera mieux... 

Lui - Merci. 

// prend le beurre et commence a tartiner. 

Elle - Vous savez ce que me disait ma grand-mere ? 

// ne sait visiblement pas. 

Elle - L'appetit est le meilleur des condiments. 

// semble penetre par la haute teneur philosophique de cette reflexion. 

Lui - C'est vrai... 

Elle - Quand on a faim, une simple tartine... 

Lui (soupirant) - Qa me rappelle mon enfance... Les tartines que ma mere me donnait pour le 
gouter... Avec du beurre sale... Je suis ne en Bretagne... 

Elle (avenante) - Vous voulez un peu de sel pour mettre dessus ? 

Elle lui tend la saliere. II hesite puis la prend, et met un peu de sel sur sa tartine. Elle le regarde 
manger avec un airattendri. 

Elle - C'est bon, hein ? 

Lui - Pour moi, ga vaut le caviar, vous savez... 

Elle - C'est ce que j'ai pris en entree... Le caviar... C'est vrai que c'est sale aussi... Surtout 
I'addition... 

// sourit et continue a macher. Elle le regarde encore un instant avec un air apaise. 

Elle - Qa m'a fait du bien de parler un peu avec vous. 

Elle se leve, et lui lance un regard plein de reconnaissance. 

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Elle - Merci, vraiment... 

Elle met son manteau. 

Elle (souriant) - La prochaine fois, c'est moi qui vous invite. 

Lui - Merci... 

Elle s'en va, en lui faisant un petit signe avant de sortir. 

II reste assis la, un peu largue, en continuant a macher sa tartine tout en revassant. 

Un autre homme (ou une autre femme) arrive, probablement le patron (ou la patronne). II (ou 

elle) regarde successivement sans comprendre le serveur assis a table, et la porte par laquelle la 

cliente vient de sortir. 

Noir. 

7-AI'oeil 

Un homme entre dans un magasin ou II est accueilli par une vendeuse. 

Femme - Vous voulez voir quelque chose ? 

Homme - Je vais regarder. 

Femme - Qa ne coute rien de jeter un coup d'ceil. 

Homme - Je vais voir. 

Femme - Je regarde si je vois quelque chose pour vous... 

Elle cherche quelque chose et lui tend. 

Femme - Regardez voir. 

Homme - Ce n'est pas un peu voyant ? 

Femme - Regardez-moi. 

Homme - Vous me voyez avec ga ? 

Femme - Faut voir sur soi. Regardez-vous. 

Homme - C'est tout vu. 

Femme - C'est vous qui voyez. Vous voulez voir autre chose ? 

Homme - Je vais continuer a regarder. 

// regarde autre chose. 

Homme - Je ne vois pas le prix. 

Femme - Regardez sur I'etiquette. 

Homme - Je ne vois rien. 

Femme - II ne faut pas regarder a la depense, croyez-moi. 



16 



Homme - Je vais revoir le premier. 

Femme - Tenez, regardez. Vous voyez ? 

Homme - Ah, oui, je me vois quand meme mieux avec ca. 

// la regarde. 

Homme - On ne s'est pas deja vu quelque part ? 

Femme - Je ne vois pas... 

Homme - Laissez-moi vous regarder, c'est quoi votre nom ? 

Femme - Ca ne vous regarde pas. 

Homme - On pourrait se revoir. 

Femme - Voyez-vous ga. 

Homme - Vous voyez ce que je veux dire... 

Femme - Non mais tu m'as bien regardee ? Tu t'es vu ? Tu ne me regardes meme pas, 
d'accord ? 

Homme - Je vois... 

Femme - Je vous laisse continuer a regarder. 

Homme - Je crois que j'en ai assez vu. 

Femme -Voyeur ! 

Homme - Alors au revoir ? 

Femme - C'est ga, va te faire voir. 

Homme - Qa ne coute rien de regarder... 

Femme - Eh ben regarde-moi bien, parce que tu n'es pas pret de me revoir. 

Homme - Qui vivra verra. 

Femme - Allez, je t'ai assez vu. 

Elle le pousse dehors. 

Homme - Allons voyons... 

// sort. 

Femme - Faudrait quand meme voir a voir. 

Noir. 



17 



8 - Les mous du PAF 

Marc-Antoine, le president de TF2, debarque dans le bureau de Donald, son vice-president, tres 
occupe a lire L'Equipe. 

Marc-Antoine - Vous avez vu ca, Donald ? Notre audience a encore baisse ! 

Donald - Oui, je sais, Marc-Antoine... 

Marc-Antoine - Que France 1 fasse systematiquement un meilleur score que nous, passe 
encore. Mais si ca continue, on va passer derriere Arte... 

Donald - Oui... 

Marc-Antoine - Dites-moi franchement, Donald... 

Donald - Oui, Marc-Antoine...? 

Marc-Antoine - Ca vous vient d'ou, ce nom a la con ? C'est un pseudo ? 

Donald - Non... 

Marc-Antoine - Qui serait assez con pour prendre un pseudo pareil... Ca a du etre dur a porter, 
non ? Surtout quand vous etiez gosse... 

Donald - Mon Dieu... 

Marc-Antoine - Bon, revenons a nos moutons... Je veux dire a nos menageres de moins de 
cinquante ans. C'est du a quoi, cette erosion reguliere de notre audience ? Et quand je dis, 
erosion... On est en train de couler a pic, Donald ! 

Donald - On pourrait changer le responsable des programmes...? Et remettre a sa place celui 
qu'on a vire il y a six mois...? II est a la fiction, maintenant... 

Marc-Antoine - Nous sommes sur le Titanic, Donald, et tout ce que vous nous proposez, c'est de 
changer de transat ? Je ne comprends pas. Pourtant, on a supprime la publicite. 

Donald - Justement... 

Marc-Antoine - Justement quoi ? 

Donald - La publicite, c'est le seul true que les gens regardaient encore sur TF2. Alors forcement, 
maintenant qu'on I'a supprimee, I'audience chute... lis vont regarder la pub sur France 1... 

Marc-Antoine - Et nos fictions a la frangaise ? Qui ont fait la reputation de notre chaTne et qui 
s'exportent dans le monde entier ! 

Donald lui lance un regard signifiant que la, il exagere un peu. 

Marc-Antoine - Bon, je pensais surtout a la partie extreme orientale du Benelux... Le 
Luxembourg, si vous preferez... Mais ne me dites pas qu'avant la suppression de la pub, 
personne ne regardait deja plus les series de TF2 ? 

Donald - Oui... Pour patienter entre deux plages publicitaires... 

Marc-Antoine - Dites-moi la verite, pour une fois... 

Donald - Je peux vous parler franchement ? 



18 



Marc-Antoine - Je ne vous ai pas embauche pour ca, c'est vrai, mais I'heure est grave. 

Donald - A force de vouloir faire des series consensuelles, on a fini par inventer les series 
invisibles. En tout cas inregardables. On voulait que nos fictions ne derangent personne, elles 
ont fini par emmerder tout le monde... Vous les regardez, vous ? 

Marc-Antoine - Je suis paye pour ca... 

Donald - Voila... Mais on ne peut pas payer des millions de telespectateurs pour regarder nos 
fictions... 

Marc-Antoine - Et dire que si j'etais ne trente ans plus tot j'aurais pu diriger I'ORTF... Pourtant, 
les auteurs sont tres encadres, aujourd'hui, je ne comprends pas. 

Donald - C'est sur... Pour un auteur qui ecrit, on paye six conseillers de programmes pour lui dire 
que ce qu'il ecrit c'est de la merde... 

Marc-Antoine - Alors quel est le probleme ? 

Donald - Prenez la comedie, par exemple. C'est tres difficile de faire rire un conseiller de 
programmes. Alors en faire rire six de la meme chose, vous imaginez un peu... 

Marc-Antoine - Et ils viennent d'ou tous ces conseillers ? 

Donald - Qa on n'a jamais su... Quand une vache pond une bouse, sait-on d'ou viennent les 
mouches ? 

Marc-Antoine - II faut absolument qu'on trouve quelque chose tout de suite pour remonter la 
pente, Donald. Qu'est-ce que les gens regardent encore a la tele a part la pub ? 

Donald - Le foot... Mais on a rate I'achat des droits cette annee.. On n'a plus les moyens... Avec 
la suppression de la pub... On a pu se payer les Jeux Olympiques d'Hiver, mais apparemment, le 
tir a la carabine a plomb sur patins a glace n'a pas encore trouve son public en France... 

Marc-Antoine - Le foot ? Eh ben voila ! On n'a qu'a remplacer dans nos fictions les comediens 
par des footballeurs. 

Donald - Des footballeurs ? 

Marc-Antoine s'empare de L'Equipe qui traine surle bureau de Donald. 

Marc-Antoine - Tenez ! Celui-la, par exemple... 

Donald (sceptique) - II n'a pas marque beaucoup de buts cette saison... 

Marc-Antoine - Pourquoi est-ce qu'il voudrait faire I'acteur sinon ? 

Donald (indecis) - Je ne sais pas... 

Marc-Antoine - Si vous avez une meilleure idee... Je vous paye pour ga, non ? 

Donald reflechit. 

Donald - Et si au lieu de nous epuiser a lutter contre la concurrence de France 1, on allait au bout 
de notre ligne editoriale ? 

Marc-Antoine - Je ne savais pas qu'on en avait une... 

19 



Donald - On arrete la fiction ! On montre la tele en train de se faire ! On pourrait appeler ga 
Telesurveillance, par exemple. On filme directement I'auteur en train d'ecrire et de 
s'autocensurer. Les six conseillers de programmes en train de ne pas rire aux blagues qu'il n'a 
pas ose faire. Le degre ultime de la telerealite ! Le degre zero de la tele, pour paraphraser 
Barthes... 

Marc-Antoine - Vous voulez dire Barthes, le gardien de but...? En voila un qu'on pourrait 
recuperer dans notre equipe. II a pris sa retraite, non ? 

Donald - Si vous y tenez... 

Marc-Antoine - Excellent, Donald, excellent ! J'ai toujours pense que vous n'etiez pas un Mickey 
(II he a sa propre blague) Vous voyez, moi aussi je sais rire, quand je veux. Qa commence 
quand ? 

Donald - Quoi ? 

Marc-Antoine - Telesurveillance ! 

Donald montre les cameras de surveillance. 

Donald - Qa deja commence... 

Noir. 

9 - Au feu 

Deux femmes, a la terrasse d'un cafe, commandent a un serveur (off). 

Elle 1 - Un deca, s'il vous plaTt. Avec une sucrette, comme d'habitude... 

Elle 2 - Oh et puis tiens, je vais prendre un capuccino, moi ! Je reprendrai mon regime demain... 

Elle 2 apergoit deux hommes, cote public, et se remaquille avec excitation. Elle 1, morose, est 
plongee dans ses pensees. 

Elle 1 - Tu crois en Dieu, toi ? 

Elle 2 (emoustillee) - Qa depend des jours. Mais en voyant ces pompiers, la, je crois que je viens 
de retrouver la foi... 

Elle 1 (inquiete) - II y a le feu quelque part ? 

Elle 2 - En face de nous... lis viennent de s'asseoir... Tu ne les as pas vus ? 

Elle 1 (essayant de voir en plissant les yeux) - Non, je ne vois rien... 

Elle 2 (essayant d'etre un peu discrete) - La, tous les deux habilles pareils, coiffes en brosse 
avec leurs chemisettes bleues. Qa doit etre la tenue d'ete... 

Elle 1 - Comment tu sais que c'est des pompiers ? 

Elle 2 - Mais... c'est marque dessus ! Sur leurs petits polos, tu ne vois pas ? Pompiers 
Volontaires ! 

Elle 1 - Ah, oui, peut-etre... Tiens, il faut que je rachete des lentilles, moi. 

20 



Elle2-Des lentilles...? 

Elle 1 - J'ai I'impression que je vois un peu trouble... 

Elle 2 - Eh ben moi, je les vois super net... Et je peux te dire que tu perds quelque chose... 

Elle 1 (regardant Elle 2) - Meme toi, je te vois un peu trouble... Pourtant, t'es tout pres de moi... 
(Inquiete) Je ne suis pas deja presbyte... 

Elle 2 - lis sont tout bronzes, tu as vu ? Mais ils ont I'air un peu fatigues, non...? 

Elle 1 - Je me suis toujours demande pourquoi on appelait ga des lentilles... 

Elle 2 - Peut-etre qu'ils reviennent de mission... (Avec emphase) Guerriers sales et fourbus, 
ayant risque leur vie au feu, mais avec le sentiment du devoir accompli... 

Elle 1 - C'est vrai, ca n'a pas grand rapport avec des lentilles... 

Elle 2 (exaltee, joignant le geste a la parole) - Je les imagine, avec leur enorme lance a incendie 
dans la main, en train d'essayer d'eteindre un brasier pendant toute la nuit... 

Elle 1 - C'est peut-etre parce qu'on doit les laisser tremper toute la nuit. Comme les lentilles, 
justement... 

Elle 2 regarde Elle 1, se demandant de quoi elle lui parle. 

Elle 2 - Je comprends pourquoi nos fils revent de devenir pompier... 

Elle 1 - Ou alors, j'ai oublie de les mettre... 

Elle 2 (soupirant) - Ils ne nous voient meme pas, dis done... 

Elle 1 - Je vais tout de meme verifier... 

Elle 1 se touche un ceil avec le doigt. 

Elle 2 - C'est dingue... On dirait qu'une fois mariee, on est moins visibles. Et alors apres une ou 
deux grossesses, on devient completement transparentes... 

Elle 1 -Ah, non, pourtant j'ai bien... 

Elle 2 - Et voila... Ils s'en vont... 

Elle 1 - Oh, c'est pas possible ! 

Elle 2 - Mais si, je te jure, regarde ! 

Elle 1 (horrifiee) - Je ne me suis quand meme pas mis les deux dans le meme ceil...!?! 

Elle 2 regarde Elle 1, interloquee. On entend une sirene de pompiers. 

Elle 2 - Mais qu'est-ce qu'il fout, lui, avec mon capuccino...? Faut que je retourne bosser, moi... 

Elle 1 - Qa va, il n'y a pas le feu... 

Noir. 

21 



10 - Compteur 

Un personnage est la, debout mais courbe. On sonne. II va ouvrir, toujours courbe. 

Deux (off) - Bonjour ! C'est pour les compteurs. 

Un - Entrez, je vous attendais. 

Le deuxieme apparait, courbe lui aussi. 

Un - C'est par la, suivez-moi. Faites attention, le plafond est tres bas. 

Deux - Ne vous inquietez pas, j'ai I'habitude. 

Le deuxieme suit le premier jusqu'a un endroit de la scene. 

Un - Voila, alors la c'est I'eau. 

Le deuxieme note le chiffre sur un calepin. 

Deux - Tres bien... 

Le premier repart suiviparle deuxieme jusqu'a un autre endroit. 

Un - Ca c'est I'electricite... 

Le deuxieme note le chiffre sur un calepin. 

Deux - Parfait... 

Le premier repart suiviparle deuxieme jusqu'a un autre endroit. 

Un - La ga doit etre le gaz. 

Deux - Mmm... 

Le deuxieme note le chiffre sur son calepin. 

Deux - Ah, votre consommation est en baisse ce mois-ci. II faut dire qu'on a eu un hiver tres 
doux. 

Un - II faut bien que le rechauffement climatique ait quelques avantages quand meme... 

Le premier repart suivi par le deuxieme vers un dernier endroit. 

Un - Et voila le compteur d'oxygene... 

Deux - Tres bien... 

Le deuxieme regarde le compteur avec un air desapprobateur. 

Deux - Ah, alors la, en revanche, vous avez explose votre forfait ! (II se tourne vers I'autre) 
Qu'est-ce qui s'est passe, Monsieur Dumortier ? 

Un - Je ne sais pas... C'est vrai que j'ai tendance a etre un peu essouffle, en ce moment, quand 
je fais mon footing... Sur mon tapis roulant... 



22 



Deux - II faut arreter de faire de I'exercice, Monsieur Dumortier... C'est peut-etre bon pour la 
sante, mais ce n'est pas bon pour le porte-monnaie... 

Un - Surtout que I'oxygene a encore augmente, ce mois-ci... 

Deux - Vous n'avez pas une fuite, au moins ? 

Un - Je ne crois pas... 

// note le chiffre sur un calepin. 

Deux - Vous devriez peut-etre rabaisser encore un peu le plafond... II y aurait moins de 
deperdition, croyez moi... 

Un - C'est a dire qu'avec mon dos... 

Deux - Ah, c'est vous qui voyez, hein... 

Le deuxieme sort un terminal de carte de paiement. 

Deux - Alors... Cheque ? Carte bleue ? 

Un - C'est a dire que... Qa ne pourrait pas attendre un peu ? C'est que ma retraite, elle, elle 
aurait plutot tendance a baisser... 

Deux - Ah, oui, mais Monsieur Dumortier... Vous me mettez dans I'embarras, la... 

Un - Je pourrais payer en deux fois... 

Deux - Ah, oui, mais ca, ce n'est pas possible, Monsieur Dumortier... Vous comprenez, si tout le 
monde faisait comme vous... 

Le premier ne sait pas quoi repondre. L'autre est visiblement dans I'embarras. 

Deux - Bon... On va dire que je n'ai pas pu relever les compteurs parce que vous etiez sorti, et je 
repasse la semaine prochaine, d'accord ? 

Un - D'accord... Mais si vous pouviez plutot repasser dans une quinzaine... 

Deux - Monsieur Dumortier... II ne faut pas exagerer, non plus ! Et puis vous imaginez... Si on 
etait oblige de vous couper I'oxygene, vous savez ce que ga veut dire... 

Un - II ne me resterait plus que le gaz. 

Deux - Si vous avez paye la facture... 

Le deuxieme donne malgre tout une tape amicale dans le dos du premier pour dedramatiser 
avant de prendre conge. 

Deux - Allez, ne vous en faites, Monsieur Dumortier... Je repasse le mois prochain, d'accord ? 
Mais c'est la derniere fois, hein ? 

Un - Merci... 

Deux - Et d'ici, la, fini I'exercice ! Et puis essayez de ne pas respirer aussi souvent, bon sang ! Je 
ne sais pas moi... Une fois sur deux, c'est largement suffisant, non ? Quand on a des problemes 
de fin de mois, il faut savoir se serrer un peu la ceinture... II suffit de remonter la ceinture au 
niveau des poumons... 

23 



Le premier lui repond par un sourire resigne, et s'apprete a le raccompagner a la porte. 

Un - Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin. Et autant economiser votre 
souffle... 

L'autre s'arrete et ils se serrent la main. 

Deux - Allez, au revoir, Monsieur Dumortier... Et pensez a ce que je vous ai dit... Un plafond 
rabaisse de trente centimetres, c'est dix pour cent de consommation d'oxygene en moins... Vous 
n'avez pas ecoute notre derniere campagne d'information a la tele ? 

Un - Merci... (Le deuxieme s'en va, et le premier reste seul) Je crois que je ferai mieux d'eteindre 
aussi la lumiere... 

Noir. 



11 - Autoderision 

Un homme a cote d'un autre, lis regardent quelque chose devant eux. 

Un - C'est quoi, comme voiture ? 

Deux - Mercedes. 

Un -Ah, ouais. 

Deux - On m'a pique I'etoile. Au debut je la faisais remettre. Et puis j'ai laisse tomber. On me la 
pique a chaque fois. 

Un - Cette idee de mettre des etoiles meme sur les voitures... C'est bien un true allemand. 

Deux - Je me demande bien ce qu'ils en foutent. 

Un-Qui? 

Deux - De toutes ces etoiles ! Ils en font la collection, ou quoi ? 

Un - D'un autre cote, il vaut mieux qu'ils vous piquent I'etoile, et qu'ils vous laissent la voiture. 
Moi, ma bagnole, elle n'avait pas d'etoile. On me I'a volee I'annee derniere. Alors j'ai rachete 
celle-la. D'occase... 

Un temps. 

Un - Et vous en etes content ? 

Deux - C'est solide. 

Un - C'est pas tres beau. 

Deux - C'est allemand. 

Un - C'est une bonne marque. 

Deux - C'est Mercedes. 

Un - Ouais. 



24 



Deux - On sait ce qu'on achete. 

Un - Et on sait ce qu'on a. 

Deux - La qualite allemande, quoi. 

Un - Mmm... 

Un temps. 

Deux - Et la votre, c'est quoi ? 

Un - Je n'ai jamais su. 

Deux - Pardon ? 

Un - Le type a qui je I'ai achetee m'a dit que c'etait une Renault. C'etait pas marque dessus. Mais 
au garage, ils m'ont dit que non. 

Deux - Mais alors qu'est-ce que c'est ? 

Un - Ils ne savent pas. 

Deux - Merde ! 

Un - Sinon, elle marche bien. Une vidange de temps en temps. Heureusement, parce que pour 
les pieces detachees... Quand on ne connaTt pas la marque. 

Deux -Ah, ouais... 

Un - Ouais... C'est une voiture nee de marque inconnue, quoi. On m'a dit qu'elle avait peut-etre 
ete fabriquee dans un pays de I'Est. Ou en Chine. En Israel peut-etre. Par un fabriquant qui 
aurait disparu depuis. Ou qui aurait change de nom. Comme les juifs pendant la guerre, voyez ? 

Deux - Mais qu'est-ce qui est marque sur la carte grise ? 

Un - Renault. 

Deux - Mais e'en est pas une... 

Un - Fallait bien lui donner un nom. Un etat civil, comme qui dirait. La faire adopter, quoi. Parce 
que sinon, elle est en regie, et tout. C'est une voiture, hein ! Enfin, ca roule quoi. C'est juste 
qu'elle est de marque inconnue. 

Deux - Et elle date de quand ? 

Un - Ben, on ne sait pas trop non plus. Une trentaine d'annees, peut-etre. Avant la chute du mur, 
en tout cas. 

Deux - Quel mur ? 

Un - Ben on ne sait pas, justement. Le mur de Berlin, peut-etre. Ou la grande muraille de Chine. 
Allez savoir... 

Deux - La grande muraille de Chine s'est ecroulee ? 

Un - Faudrait faire une datation. Au carbone 14. Directement a la sortie du tuyau d'echappement. 

25 



Deux - Elle n'a pas de pot catalytique... 

Un - Pas de ceintures de securite, non plus, vous pensez bien. Mais comme c'est considere 
comme une voiture de collection, j'ai le droit de rouler avec quand meme. Sinon, c'est une bonne 
voiture. 

Deux - Et elle marche a quoi ? 

Un - Moi, j'y mets du fioul domestique. Mais peut-etre que ga marcherait avec autre chose. Je 
n'ai jamais essaye. 

Deux - Merde... 

Un temps. 

Un - Et la votre, vous etes vraiment sur que c'est une Mercedes ? 

L 'autre le regarde un peu inquiet. 

Un - Non, je veux dire, comme il n'y a pas I'etoile... 

Un temps. 

Un - Vous avez les papiers, au moins ? 

Noir. 

12 - Un champ de mines 

Deux paysans (homme et/ou femme) contemplent quelque chose qu'on ne voit pas, situe au loin, 
derriere les spectateurs. lis parlent eventuellement avec un accent regional (au choix). 

Un - Qu'est-ce qu'ils font, la ? 

Deux - ParaTt qu'ils vont restaurer le chateau... 

Un - Le chateau ? C'te mine ? 

Deux - ParaTt que c'est un monument historique... 

Un - Un monument ? C'tas de gravats ? 

Deux - ParaTt que c'etait un chateau fort, au Moyen Age... Meme que Louis XVI y aurait dormi 
juste avant de se faire assassiner par Ravaillac. 

Un - Et comment que tu sais ca, toi ? 

Deux - Ben je I'ai lu dans le journal. 

Un - Merde alors ! Et ils vont le reconstruire ? 

Deux - C'est a cause du plan de relance de I'economie... 

Un - Batir des chateaux forts pour aider les agriculteurs... Ils feraient mieux de construire des 
chateaux d'eau... 



26 



Deux - C'est un true qui vient d'en haut... De Bruxelles... 

Silence pour digerer cette information, lis continuent de contempler les mines. 

Un - C'est pas tes vaches qui sont la devant ? 

Deux - Si. 

Un - Et pis c'est ton champ. 

Deux - Dame oui. 

Un - Et ta ferme, elle est pas loin non plus... 

Deux - Je vais etre aux premieres loges, c'est sur... 

lis continuent a regarder. 

Un - Et c'est quoi, c'te cabane, qu'ils ont deja mis la ? 

Deux - Ben c'est une guerite. Pour les gardes, quand il pleut. 

Un - Les gardes ? 

Deux - Les gardes beiges. 

Un - C'est pas des gardes suisses ? 

Deux - J'te dis c'est un projet europeen ! La Suisse, elle fait pas partie de I'Europe, si ? 

Un - Et pourquoi qu'ils ont besoin de garder ces ruines tout d'un coup ? C'est pas des vaches. 
Depuis le temps qu'elles sont la, elles ne vont pas s'en aller toutes seules... 

Deux - En attendant le debut du chantier ! C'est que ga va couter des milliards, ces travaux. Qa 
va durer des annees. Je ne sais pas si je serais encore la dans ma ferme pour profiter de la vue 
sur le chateau... 

Un - En tout cas, tu vas bien profiter de la vue sur les travaux... 

Nouveau silence. 

Deux - ParaTt qu'ils vont faire un jardin, devant. Un potager medieval... 

Un - Un jardin medieval ? C'est quoi ca ? 

Deux - Avec des legumes d'epoque, des conneries comme ca. Des cucurbitacees... 

Un - Des cucurbitacees... Alors c'est ga la nouvelle politique agricole commune...? 

Nouvelle contemplation. 

Un - lis vont arracher les poteaux electriques... 

Deux - Pourquoi done ? 

Un - Avec les cucurbitacees medievales, ca va jurer. 

Deux - Tu crois ? 



27 



Un - Au Moyen Age, y'avait pas de poteaux electriques. Y'en avait deja pas du temps de ton 
arriere grand-pere. 

Silence. 

Un - C'est pas les poteaux qui amenent I'electricite jusqu'a ta ferme ? 

Deux - Je pense bien, oui... J'ai eu assez de mal a convaincre EDF de me les remettre debout 
apres la grande tempete de Tan deux mille. 

Un temps. 

Un - J'ai comme I'impression que tu vas bientot retourner au Moyen Age, toi aussi... lis ne font 
pas encore envoye le costume, non ? 

Tefe de I'autre... 

Noir. 

13 -A I'unisson 

Deux personnages (hommes ou femmes) se croisent. 

Un - Bonjour. 

Deux - Bonsoir. 

Chacun semble intrigue par le comportement de I'autre. 

Un - Bonjoir. 

Deux - Bonsour. 

Un - Je peux vous aider ? 

Deux - Vous avez besoin d'un renseignement ? 

Un - II ne comprend rien. 

Deux - II a I'air un peu abruti. 

Un - Vous m'entendez ? 

Deux - Qu'est-ce qu'il dit ? 

Un - Vous parlez frangais ? 

Deux - Do you speak french ? 

Un - A donde vas ? 

Deux - Quo vadis ? 

Un - II n'est surement pas du coin. 

Deux - II ne doit pas etre de la region. 



28 



Un - C'est peut-etre une langue regionale. 

Deux - On dirait du patois. 

Un - Vous avez un probleme ? 

Deux - Vous etes sur que ca va ? 

Un - Ah, oui, il a un serieux probleme. 

Deux - Non, visiblement ga ne va pas. 

Un - Vous cherchez quelque chose ? 

Deux - Vous avez perdu quelqu'un ? 

Un - Ou alors, c'est un defaut d'elocution. 

Deux - Je devrais peut-etre lui ecrire sur un papier. 

Un - Vous avez un crayon ? 

Deux - Vous avez une feuille ? 

Un - On dirait qu'il va se trouver mal. 

Deux - II faudrait peut-etre que j'appelle un medecin. 

Un - Vous voulez que j'appelle le SAMU ? 

Deux - Je ferais mieux de telephoner aux pompiers. 

Un - II a I'air completement paume. 

Deux - II est peut-etre un peu derange. 

Un - Ah, oui, il fait pitie a voir. 

Deux - Le pauvre, je n'aimerais pas a etre a sa place. 

Un - Vous voulez que je vous conduise quelque part, je suis en voiture ? 

Deux - Heureusement qu'il est a pied, il n'est pas en etat de conduire. 

Un - Bon, je crois que ce n'est pas la peine d'insister. 

Deux - II vaut peut-etre mieux que je le laisse tranquille. 

Un - Vous etes sur que ca va aller ? 

Deux - Vous allez pouvoir vous debrouiller tout seul ? 

Un - Qu'est-ce que je peux y faire ? 

Deux - J'aimerais bien faire quelque chose, mais quoi ? 

Un - Bon ben.. Au revoir. 



29 



Deux - Alors euh... Au plaisir. 

Un - C'est ga... Au pleuvoir. 

Deux - Allez... Arrosoir. 

lis hesitent encore a s'en aller, chacun etant un peu inquiet pour I' autre. 

Deux - Hein ? 

Un - Deux? 

Deux - Un. 

Un - Deux. 

lis s'en vont chacun de leur cote au pas cadence. 

Deux - Un. 

Un - Deux. 

Deux - Un. 

Un - Deux... 

lis font un tour de scene, se rejoignent et sortent ensemble, toujours en cadence. 

Noir. 

14 - Le journal 

Deux personnages assis sur un banc. 

Un - Vous avez lu le journal, ce matin ? 

Deux - Non, qu'est-ce qui se passe ? 

Un - Je ne sais pas. J'ai resilie mon abonnement. 

Deux - D'habitude, il y en a toujours un qui trame sur un banc. 

Un - Ou dans une poubelle. 

Deux - Meme le journal de la veille. 

Un - On n'est pas presse. 

Deux - On n'a pas besoin de nouvelles fraTches. 

Un - On est a la retraite. 

Deux - On veut juste savoir ce qui se passe. 

Un - II se passerait quelque chose, on ne serait pas au courant. 

30 



Deux - Heureusement qu'il y a la tele. 

Un temps. 

Un - Vous avez regarde la tele, hier soir ? 

Deux - Mon antenne est tombee du toit avec la derniere tempete. 

Un - Moi j'ai encore mon antenne. C'est ma tele qui est en panne. 

Deux - lis sont peut-etre en greve. 

Un - La tele ? Comment savoir, on ne peut plus la regarder. 

Deux - Le journal ! lis sont peut-etre en greve. 

Un - D'habitude, il y en avait toujours un qui tramait sur un banc. 

Deux - C'est pour ga que j'ai resilie mon abonnement. 

Un -Vous aussi ? 

Deux - Mais si tout le monde a fait comme nous. 

Un - C'est la mort de la presse. 

Deux - Plus de journaux abandonnes sur les bancs. 

Un - On ne va plus du tout savoir ce qui se passe. 

Deux - Au Moyen Age, il n'y avait pas de journaux. 

Un - Et les gens ne s'en portaient pas plus mal. 

Deux - lis ne savaient pas lire. 

Un - Et puis allez savoir si c'est vrai, tout ce qu'on raconte dans les journaux. 

Deux - Des fois ils exagerent un peu, c'est sur. 

Un - Quand ils parlent de I'Amerique, par exemple. 

Deux - L'Amerique ? 

Un - Vous y etes deja alle, vous, en Amerique ? 

Deux - Non. 

Un - Alors comment on peut etre sur que ga existe vraiment, I'Amerique ? 

lis meditent un instant cette pensee. 

Deux - Et si Christophe Colomb n'avait rien trouve du tout ? 

Un - Et si Christophe Colomb n'avait jamais existe ? 

Deux - Et si il n'y avait rien du tout de I'autre cote de la mer ? 



31 



Un - Et s'il n'y avait pas de mer ? (L'autre le regarde un peu etonne quand meme) Vous avez 
deja vu la mer, vous ? 

Deux - Ah, oui, quand meme. Enfin a la tele. Quand j'avais encore I'antenne. 

Un - Admettons. Mais comment savoir ce qu'il y a de l'autre cote des mers ? 

Deux - Et si la terre etait vraiment plate ? 

Un - Comment savoir ce qui se passe vraiment dans le monde ? 

Deux - Ou meme en France. 

Un - Ou meme au-dela du peripherique. 

Deux - Ou meme dans ce pare. 

Un - Ou meme ici. 

L'autre le regarde, un peu interloque. 

Deux - Ici, on le saurait, non ? 

Un - Justement. On n'a pas besoin de lire le journal pour ca. 

Deux - Et ce qui se passe ailleurs, entre nous... 

Un - Comment le savoir vraiment ? 

Deux - Comment en etre sur ? 

Un - Pas en lisant le journal, en tout cas. 

Un temps. Le regard du deuxieme est attire par quelque chose a ses pieds. II ramasse une feuille 
de journal chiffonnee en boule, et la deplie. 

Un - Qu'est-ce que e'est ? 

Deux - Une page de journal. 

Un - Quelle rubrique ? 

Deux - Les faits divers. 

Un - Et alors ? 

L'autre lui lance un regard stupefait. 

Deux - On parle de nous. 

Un - Qa ne veut pas dire qu'on existe vraiment. 

L'autre revient a sa page de journal. 

Deux - lis disent qu'on est mort. 

Un - Morts ? 

32 



Deux - Moi en tombant du toit en essayant de reparer mon antenne, vous electrocute en bricolant 
votre tele. 

Un-Mort... 

Deux - C'est dans le journal. 

Un - En meme temps... 

Deux - Comment savoir si c'est vrai ? 

Noir. 

15-Visite 

Deux personnages arrivent la mine preoccupee. lis gardent un moment le silence. 

Un - Alors ? Tu I'as trouve comment ? 

Deux - Franchement, je m'attendais a pire... 

Un-Oui. 

Nouveau silence. 

Un - Pire ? 

Deux - Je ne sais pas... C'est vrai qu'il est tres diminue, mais bon... Au moins, il nous a parle... 

Un-Oui... 

Un temps. 

Un - Qu'est-ce qu'il a dit, au juste ? 

Deux - Je ne suis pas sur d'avoir tres bien compris... Quelque chose comme... Aaa... Eee... 
Ououou... En-en-en... 

Un - Oui... C'est ce que j'ai compris aussi... 

Deux - II a un peu de mal avec les consonnes... 

Un-Oui. 

Deux - Enfin, il avait quand meme I'air content de nous voir. 

Un temps. 

Un - Qa me fait de la peine de le voir comme ca... 

Deux - On etait tres proches de lui... 

Un - Je I'aimais beaucoup. 

Deux - Lui aussi, je crois qu'il nous aimait beaucoup. 

Un - On etait tres proches. 



33 



Silence. 

Un - Tu crois vraiment qu'il nous reconnaTt ? 

Deux - Ah, oui, quand meme ! 

Un - Quand on est arrive, il a tourne la tete de I'autre cote... 

Deux - Ca doit etre un reflexe... Je ne suis pas sur qu'il controle tous ses mouvements, tu sais... 

Un - J'avais I'impression qu'il essayait de nous dire quelque chose... 

Deux - II voulait peut-etre nous remercier de notre visite... 

Un - Mmm... 

Le deuxieme pose une main reconfortante sur I'epaule du premier. 

Deux - II va falloir y aller. On reviendra le voir... 

Un-Oui... 

lis commencent a s'en aller. 

Un - Je me demande si je n'ai pas compris ce qu'il essayait de nous dire, tout a I'heure, 
finalement... 

Deux - II a dit quelque chose ? 

Un - Tu sais : Aa... Ee... Ouou... En-en... 

Deux - Ah, ga... Et alors ? 

Un - A... E... Ou... En... Tu rajoutes quelques consonnes... Ca ressemble beaucoup a... Allez 
vous en... 

Deux - Tu crois...? 

Un - Ca ressemble... 

Deux - Mmm... En tout cas, il avait I'air content de nous voir... 

Un-Oui... 

Deux - Allez, on reviendra... 

Noir 

16 - Vacance 

Deux personnages. 

Un - Alors, c'etait comment, la-bas ? 

Deux - Ah, oui, c'etait... Mais alors c'etait loin ! 

34 



Un-Loin ? 

Deux - Ah, non, vraiment, je ne pensais pas que c'etait aussi loin. 

Un - Mais c'etait bien ? 

Deux - Ah, oui, c'etait... Mais c'etait tenement petit ! 

Un - Mais il y avait la mer ? 

Deux - Ah, oui, la mer ! Mais alors minuscule. 

Un - Mais il y avait une plage quand meme ? 

Deux - Ah, une plage, oui. Mais alors un monde... 

Un - Sur la plage ? 

Deux - Sur la plage, dans la mer, partout... C'est tenement petit. 

Un - Et il a fait beau ? 

Deux - Un temps... Magnifique. Mais alors un vent ! 

Un- Un vent...? 

Deux - A decorner les escargots. 

Un - Et il y a en beaucoup par la-bas ? 

Deux - Des escargots ? Aucun ! A cause du vent, surement... 

Un - Et on y mange bien ? 

Deux - Tres bien ! Enfin, mieux qu'on ne pourrait s'y attendre... 

Un - Et qu'est-ce qu'on y mange ? 

Deux - Un peu de tout. 

Un - Pas des escargots, en tout cas. 

Deux - Ca, il ne faut pas aller la-bas pour manger des escargots. 

Un-Oui... 

Deux - Des escargots de mer, a la rigueur... 

Un - Mmm... 

Deux - Si on arrive a en trouver... 

Un-Oui... 

Deux - Mais la mer est tenement minuscule... 

Un - Mmm... 

35 



Deux - Et comme I'eau n'est pas tres salee. 

Un-Ah, tiens...? 

Deux - Je ne suis pas sur que les escargots de mer s'y plairaient beaucoup. 

Un - Surement pas... 

Deux - Les grenouilles, peut-etre... 

Un - Les grenouilles ? 

Deux - Enfin, je veux dire... des grenouilles de mer. Si ca existait... 

Un - Et il y a beaucoup de choses a faire, sur place ? 

Deux - Ouh, la ! On en a vite fait le tour... C'est tenement petit... Non, il faut aller la-bas pour se 
reposer. Parce que pour le reste... 

Un - Tu es repose, alors ? 

Deux - Completement epuise. Avec le decalage horaire. C'est qu'il y a presque 24 heures de 
decalage avec ici. 

Un - Ah, oui, quand meme... 

Deux - Non, mais franchement, c'etait tres bien. Tres bien. Ca, j'y retournerais volontiers... 

Un - Ah, ben tu vois, ga me donne envie d'y aller faire un tour, moi aussi. 

Deux - D'un autre cote, est-ce que ga vaut vraiment le coup d'aller aussi loin. Dans un pays aussi 
petit. 

Un - II faut bien partir quelque part. 

Deux - Non, I'annee prochaine, je pensais plutot faire Le Lichtenstein. 

Un - C'est petit aussi. 

Deux - Oui... Mais c'est moins loin. 

Un - Mais il n'y a pas la mer... 

Deux -Ah, oui ? 

Un - Ou alors une toute petite... et pas tres salee. 

lis restent un instant immobile en silence. 

Deux - Tu sais a quoi je pensais ? 

Un - Non. 

Deux - Comme la terre tourne... 

Un-Oui. 

Deux - Si nous on arrivait a rester immobiles suffisamment longtemps... 



36 



Un-Oui. 

Deux - Non mais vraiment immobiles... 

Un - Mmm... 

Deux - Au-dessus du sol, je veux dire, en se raccrochant a quelque chose... 

Un-Oui. 

Deux - Que les pieds ne touchent pas par terre, quoi. 

Un - Et alors ? 

Deux - Alors douze heures apres, on serait en Chine. 

L'autre le regarde, stupefait. 

Un - Et vingt-quatre heures apres on serait revenus ici. 

Deux - On aurait fait le tour du monde. 

Le temps de mesurer toutes les implications de cette decouverte. 

Deux - Mais il faudrait encore trouver quelque chose a quoi se raccrocher... 

Un - Ouais... 

Noir 

17-PaTtre 

Elle et lui sont assis I'un a cote de l'autre, plutot desceuvres. II machouille ce qui semble etre un 
chewing-gum. Elle tourne son regard vers lui. 

Elle - Ca va ? 

Lui - Tres bien, pourquoi ? 

Elle - Je ne sais pas... On dirait que tu rumines quelque chose... 

Lui - Ah, oui. (Un temps) C'est du foin... 

£V/e le regarde etonnee, mais ne dit hen. Un temps. II se leve. 

Lui - J'irai bien faire un tour jusqu'au pare, pour changer un peu. 

Elle - Bon... Si tu passes par la boucherie, tu pourras prendre deux cotes de pore ? Je les ferai 
ce soir a la poele avec du riz. 

Lui - Non. 

Elle - Pardon ? 

Lui - Ah, c'est vrai, je ne t'ai pas dit ? Je suis devenu herbivore. 

37 



Elle encaisse le coup. 

Elle - Ben prends qu'une cote de pore, alors... Tu pourras toujours manger le riz. 

Lui - Le riz ? 

Elle - Si tu a decide de devenir vegetarien... 

Lui - Ah, non, mais je n'ai pas dit vegetarien. J'ai dit herbivore. 

Un temps. 

Elle - Bon... Ben tu n'as qu'a prendre une salade, alors... 

Lui - Pas la peine. Je brouterai un carre de pelouse au pare. 

Elle - La pelouse... 

Lui - Je me suis toujours senti proches des vaches... II y a un moment dans la vie ou on eprouve 
le besoin de mettre son comportement en conformite avec ses idees. Tu comprends ? 

Elle - J'essaie... 

Lui - Non, mais je dis les vaches... J'aurais pu dire les moutons, les girafes ou les gazelles... 

Elle- Ah, oui... 

Lui - Les herbivores, quoi... Tu ne veux pas m'accompagner ? 

Elle - Ou ca ? 

Lui - Au pare ! 

Elle - Tu veux m'envoyer paTtre ? 

Lui - Tu as quelque chose de plus urgent a faire ? 

Elle -Non. 

Lui - II a beaucoup plu la semaine derniere. Je suis passe devant tout a I'heure, I'herbe est 
magnifique, tu verras. Profitons-en avant qu'elle soit pietinee par les promeneurs. Avec ce beau 
temps, il va y avoir un monde cet apres-midi. Je t'assure, il vaut mieux y aller maintenant. 

Elle - Ok, je mets mon manteau. 

// met une moumoute fagon peau de mouton. 

Lui - Ce n'est pas trop voyant ? 

Elle - Meueueuh.... non. (Elle enfile un manteau genre peau de vache). Et moi, ca va ? 

Lui - Meeeeeeeee... oui. 

lis sortent. 

Elle - Je n'aurais peut-etre pas du mettre une jupe... II faudra se mettre a quatre pattes ? 

Noir. 



38 



18 - Les auteurs de nos jours 

Deux personnages debout les bras ballants. 

Un - Tu vois, a I'heure qu'il est, on devrait etre en train jouer. 

Deux - Et on est plante la, et on ne sait pas quoi dire. 

Un - Et on ne sait pas quoi faire, et on ne sait pas ou se mettre. 

Deux - II n'a pas laisse de mots, pas meme une ou deux lettres ? 

Un - Ca ne le ferait pas revenir, mais on saurait quoi dire. 

Deux - Et on saurait quoi faire, on saurait quoi ressentir. 

Un - II nous laisse la comme ca, juste avec un grand vide. 

Deux - Pourquoi il a fait ca ? La peur de faire un bide ? 

Un - II a pense a quoi ? Pas a tous ses amis. 

Deux - Regarde, ils sont tous la, tous a attendre assis. 

Un - Ils attendent nos repliques, mais qu'est-ce qu'on pourrait dire ? 

Deux - Rien. On n'a rien a dire. 

Un - Puisqu'on n'a pas la piece. 

Un - Puisqu'il ne I'a pas ecrite. 

Deux - Puisqu'il est mort hier. 

Un - D'une gastroenterite. 

L 'autre le regarde etonne. 

Deux - D'une gastroenterite ? 

Un - J'ai dit ga pour la rime. 

Deux - C'etait une piece en vers ? 

Un - Je ne sais pas. A quoi ga rime... 

Deux - On n'est pas auteurs, nous, et pas acteurs non plus. 

Deux - On ne sait pas quoi vous dire, on est juste venu. 

Un - Deux personnages en deuil, et des rimes orphelines. 

Un temps. 

Un - Maintenant on devrait saluer, et se faire applaudir. 



39 



Deux - Ou bien se faire siffler, et se faire insulter. 

Un - Mais au moins on saurait. 

Deux - Si c'etait une bonne piece, ou alors un navet. 

Un - Un tabac ou un four. 

Deux - Mais on ne saura jamais. 

Un - Non, vraiment, c'est trop triste. 

Deux - Les auteurs de nos jours sont vraiment des fumistes. 

Noir. 

19 - Georges 

// est la, assis sur une chaise, desceuvre. Elle arrive, couverte d'un impermeable fagon inspecteur 
de police, trop grand pour elle. 

Elle - Quelqu'un s'appelle Georges, ici ? 

Surpris, il regarde autour de lui. Puis vers la salle. 

Lui - Je ne sais pas... Probablement, oui... 

Elle (suspicieuse) - Probablement ? 

Lui - Pas moi, en tout cas. Enfin je ne crois pas... 

Un temps, pendant lequel elle semble hesiter. 

Elle - Et qu'est-ce que vous lui voulez, a Georges ? 

// encaisse le coup, destabilise. 

Lui - Euh... C'est moi, qui devrait dire ga, non ? 

Elle - Ah, oui...? Et pourquoi ca...? 

Lui - C'est vous qui cherchez Georges. 

Elle -Oui. 

Lui - Done c'est a moi de repondre : Et qu'est-ce que vous lui voulez, a Georges ? Sinon, ca n'a 
pas de sens... 

Elle parait elle aussi destabilisee. 

Elle - Vous avez raison... L'auteur devait encore etre bourre quand il a ecrit ca... 

Lui - II a du sauter une ligne. 

Elle - Se melanger les crayons dans ses personnages. 

Lui - Surtout qu'ils n'ont meme pas de noms. 

40 



Elle - Et puis cet impermeable est beaucoup trop grand pour moi. 

Elle enleve son impermeable et lui tend, decouvrant en dessous une tenue similaire a la sienne. 
II se leve et en file I'impermeable. II lui va parfaitement. Elle s'assied a sa place surla chaise. 

Elle - Et qu'est-ce que vous lui voulez a Georges ? 

Lui (parlant aussi de I'impermeable) - Ah, oui, la ga va tout de suite mieux... 

Elle - Vous n'avez pas repondu a ma question. 

Lui (entrant dans son nouveau role) - Les questions, ici, c'est moi qui les pose, d'accord ? 

Elle - D'accord. 

Silence. II semble a court de questions. 

Elle -Mors? 

Lui - Alors quoi ? 

Elle - A propos de Georges... 

Lui - Georges... Mmm... Ce ne serait pas lui, par hasard ? 

Elle -Qui? 

Lui - L'auteur ! 

Elle - L'auteur ? Georges ? Ah, je ne crois pas, non... 

Lui - Et pourquoi ca ? 

Elle - Mais parce que... Parce que c'est un auteur anonyme. Du debut du vingtieme. 

Lui - C'est rare, non, les auteurs anonymes du vingtieme. 

Elle - Et pourquoi ca ? 

Lui - Les auteurs anonymes, c'est plutot au Moyen Age. Aujourd'hui, on a quand meme des 
moyens pour les retrouver, les auteurs. Les empreintes genetiques, tout ga. Le fichier des 
delinquants litteraires. Un auteur anonyme du vingtieme, ca n'a pas de sens... 

Elle reflechit un moment. 

Elle - Du vingtieme... Du vingtieme arrondissement ! Le debut du vingtieme. Du cote de Nation. 
Un auteur anonyme du debut du vingtieme arrondissement. 

Lui -Ah, oui... 

Elle - Ben oui. 

Lui - Oui, la, ca ne m'etonne qu'a moitie. 

Elle - Et pourquoi ca ? 



41 



Lui - Les auteurs celebres habitent plutot le sixieme ou le septieme arrondissement. Faut avoir 
les moyens. Dans le dix-neuvieme et le vingtieme, forcement, il n'y a que les anonymes. Et il 
ressemble a quoi, cet auteur ? 

Elle - Georges ? 

Lui - Georges, si vous voulez. 

Elle - Pourquoi voulez-vous savoir a quoi il ressemble ? 

Lui - Au cas ou je le verrai. 

Elle - Alors vous voudriez que je vous donne son signalement ? 

Lui - Pour le reconnaTtre... 

Elle - Tres bien. Vous avez de quoi noter ? 

// sort de la poche de I'impermeable un carnet et un crayon. 

Lui - Je vous ecoute... 

Elle - Georges se fait appeler Georges. Mais a I'evidence, c'est un nom d'emprunt. Un pseudo, si 
vous preferez. 

Lui - Je vois... Un nom de code. 

Elle - Personne ne connaTt le vrai nom de Georges. En fait, la seule chose qu'on sait a propos de 
Georges, c'est qu'il ne s'appelle pas Georges. Alors quant a savoir a quoi il ressemble... 

// griffonne sur son carnet. 

Lui - Tres bien, je vous remercie pour ces precieuses informations... 

Elle - Vous avez vraiment ecrit ca ? 

Lui - J'ai fait mieux... Regardez... 

// lui tend le carnet. 

Elle - Un portrait-robot...? 

Elle regarde le dessin. 

Elle - Mais... Pourquoi avez-vous dessine un chien ? 

Lui - Je... Je ne sais dessiner que les chiens... Mais avouez que c'est tres ressemblant, non...? 

Elle - Oui... C'est a s'y meprendre... 

Lui - Et puis ce n'est pas un simple chien... C'est un chien policier... 

Elle - Mmm... 

Lui - Le chien est le plus fidele compagnon de I'homme. Croyez-moi, un chien ne vous decevra 
jamais. 

Elle -Vous avezfini ? 

42 



Lui-Quoi? 

Elle - Votre enquete ! 

Lui - Pour I'instant, oui. Mais je vous demande de rester a la disposition de la police... 

Elle - Quelle police ? 

Lui - Garamond, Helvetica, Times, New Roman... Vous n'avez que I'embarras du choix... 

Un temps. 

Elle - Et pourquoi est-ce qu'on le recherche, ce Georges, exactement. 

Lui - Desole mais ga, meme si je le savais, je ne pourrais pas vous le dire. 

Elle - Je vois... 

Lui - Vous avez bien de la chance. 

Elle - Alors je peux m'en aller ? 

Lui - Pour aller ou ? 

Elle - Je ne sais pas... Par la... 

Lui - Tres bien, alors disons que... je vous prends en filature. 

lis s'appretent a sortir. 

Elle - Et vous etes vraiment sur qu'il existe ? 

Lui -Qui? 

Elle - Georges ! 

Lui - Bien sur ! 

Elle - On ne sait quand meme pas grand chose sur lui. 

Lui - On sait deja qu'il ne s'appelle pas Georges... 

Elle -Oui. 

Lui - C'est un debut. 

lis sortent. Noir. 

20 -JC 

J est la, desceuvre et absent. C arrive cote jardin, et prend un air interloque. 

C (theatral) - Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe, ici...? 

Semblant sortir de sa torpeur, J regarde C avec un etonnement mele d 'indifference. 

43 



J - II se passe quelque chose ? 

C - Qu'est-ce qui se passe ? 

J - Qu'est-ce qui pourrait bien se passer ? 

C - Je ne sais pas... puisque je vous le demande. 

J - Vous etes arrivee et... 

C - J'ai eu I'impression d'interrompre quelque chose... 

J - Qu'est-ce que vous auriez bien pu interrompre ? 

C - Rien. 

J - C'est deja quelque chose. 

C-Quoi? 

J - Surgir comme ca... De nulle part... Et m'interrompre... Alors que je ne faisais rien. 

C - Vous insinuez que c'est moi qui ai fait quelque chose ? 

J - Non ? 

Un temps. 

C - Bon, et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? 

J - Je ne sais pas. On attend de voir ce qui se passe. 

C-Quoi? 

J - Qu'il arrive quelque chose... 

C - Quelque chose ? 

J - Ou quelqu'un... 

C - Quelqu'un...? Et d'ou est-ce qu'il pourrait venir ? 

J - Je n'arrive jamais a me souvenir... (Hesitant) Cote cour, ou cote jardin... 

C - Mais si, c'est tres simple... Regardez. (Se positionnant dos public) Cote Jardin d'Eden... et 
cote Cour des Miracles. JC. 

J-JC...? 

C - Jardin, Cour... JC... Jesus Christ ! 

J -Ah, oui... 

Un temps, pendant lequel il ne se passe rien. 

J - Vous avez raison... II vaut mieux qu'on se separe... 



44 



J sort cote cour. C prend la meme attitude desceuvree et absente que J au debut de la scene. Au 
bout d'un moment, J surgit cote jardin. 

J (theatral) - Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe, ici...? 

Semblant sortir de sa torpeur, C regarde J avec etonnement. Puis un vague souvenir semble lui 
revenir. 

C - Vous allez rire, mais je vous attendais... 

J - Comme le messie. 

C - Mais pas de ce cote la... 

Noir. 

21 - La valise 

Un personnage arrive, une valise a la main, devant une table derriere laquelle se tient un autre 
personnage. 

Un - Bonjour, je suis bien aux objets trouves ? 

Deux - Oui. 

Un - Je me suis perdu en venant. 

Deux - C'est pour un depot alors ? 

Un - Non, un retrait, plutot. 

Deux - Qu'est-ce que vous avez perdu ? 

Un - Voyons voir... (II sort un papier et lit) J'ai perdu ma virginite, tres jeune. J'ai perdu toutes 
mes illusions, a peu pres en meme temps. J'ai perdu la foi et huit kilos. J'ai perdu mon sang froid 
et pas mal d'argent. J'ai perdu mon travail et I'appetit. J'ai perdu mon temps avant de perdre la 
tete. J'ai perdu ma dignite et les pedales. J'ai perdu le nord et j'ai perdu le sommeil. J'ai perdu 
ma joie de vivre avec mes dernieres esperances. Ettout recemmentj'ai perdu la memoire. 

Deux- Ah, oui. 

Un - J'ai meme perdu ma femme avant hier. 

Deux- Mais perdu... 

Un - Une petite blonde un peu boulotte, avec un ruban rouge autour du poignet. On ne vous 
I'aurait pas rapportee, par hasard ? 

Deux - Un ruban rouge ? 

Un - C'etait pour la reconnaTtre, justement. Je fais ga avec les valises, aussi, quand je prends 
I'avion. Mais ga ne m'a pas empeche de la perdre. 

Deux - Vous avez perdu une valise ? Parce que ga on en a plein, vous savez ! Qu'est-ce qu'il y 
avait dans votre valise ? 

Un - Quelle valise ? 

45 



Deux - Celle que vous avez perdue. 

Un - Je n'ai pas perdu de valise. Au contraire. (Montrant sa valise) J'en ai trouve une. 

Deux - Qu'est-ce qu'il y a dans cette valise ? 

Un - Rien. Enfin, je crois. Je n'ai pas reussi a I'ouvrir. Je pensais la remplir avec tout ce que vous 
allez me rendre. 

Deux - Ah, oui, mais si elle n'est pas a vous, cette valise... Vous etes sur qu'elle n'est pas a 
vous ? II y a un ruban rouge autour de la poignee. 

Un -Ah, oui, tiens... 

Deux - Vous etes sur que vous n'etes pas marie avec une valise ? 

Un- Ah, oui ! 

Deux - Remarquez, si vous saviez le nombre de valises qu'on a ici avec un ruban rouge autour 
de la poignee. 

Un - Et pour ma femme ? 

Deux - Desole, mais meme si quelqu'un la retrouve, je ne crois pas que c'est ici qu'il la 
rapporterait. Elle etait en un seul morceau ? 

Un - Pourquoi cette question ? 

Deux - Je ne sais pas moi... En plusieurs morceaux, une petite femme, meme un peu boulotte, 
peut tenir dans une ou deux valises... Le probleme c'est que des valises, ici, on en a beaucoup. 
Et le plus souvent, on ne prend meme pas la peine de les ouvrir pour voir ce qu'il y a dedans. 

Un - Vraiment ? 

Deux - Surtout lorsqu'elles sont fermees a clef. 

Un -Ah, oui. 

Deux - Alors non, bien sur, je ne peux pas vous garantir a cent pour cent qu'on n'a pas ici une 
femme ou deux reparties en trois ou quatre valises de taille normale ou une ou deux grandes 
malles. 

Un - Je vois. 

Deux - J'essaie seulement de vous dire que si votre femme est ici, c'est probablement en 
plusieurs morceaux. 

Un - Et pour le reste ? 

Deux - Le reste ? (Un temps) Ah, oui, mais... non. La, ga ne va pas etre possible. 

Un - Pourquoi ga ? 

Deux - Mais... parce qu'on est en sous-effectif, voila pourquoi ! 

Un-Ah... 

46 



Deux - Si ga ne tenait qu'a moi, vous pensez bien. Mais c'est que je suis tout seul, ici. Pour les 
depots et pour les retraits. Alors maintenant qu'on a supprime un fonctionnaire sur deux... 

Un-Oui? 

Deux - Eh bien... Un jour on fait les retraits, et le lendemain les depots. 

Un - Et aujourd'hui c'est les depots. 

Deux - Voila, ce n'est vraiment pas de chance. Mais revenez done demain, ma collegue 
s'occupera de vous. 

Un- Bon... 

Deux - Vous ne voulez vraiment pas me laisser votre valise ? Ca je peux m'en occuper... 

Un - Bon ... Tenez... Je la recupererai demain... 

Deux - Celle-la ou une autre... Quelle importance... Puisqu'elle est vide de toute facon... 

Un - Bon, alors je repasse demain... 

Deux - Essayez de ne pas vous perdre cette fois... Maintenant vous savez comment nous 
trouver... 

Le premier personnage tend sa valise au second, qui la prend avec un effort visible. 

Deux - Eh ben dites-moi, pour une valise vide, elle pese comme un ane mort. 

Le premier s'en va. Le second examine la valise. 

Deux - Fermee a clef... (II range la valise dans un coin) Allez savoir ce qu'il peut bien y avoir la 
dedans encore... 

Noir. 

22 - La route 

Deux personnages au bord d'une route. Le premier a le pouce leve pour faire du stop. 

Un - C'est calme. 

Deux-Oui. 

Un - Pas beaucoup de passage 

Deux- Non. 

Un - Je commence a avoir une crampe. (II baisse le pouce) Elle va ou cette route ? 

Deux - De quel cote ? 

Un - Je ne sais pas. De ce cote-la. 

Deux - II n'y a pas de panneau ? 

47 



Un - Je n'en vois pas. 

Deux - Et de I'autre cote ? 

Un - Non plus. (Un temps) C'est con, tu ne trouves pas ? 

Deux-Quoi ? 

Un - On est la, au bord de la route, on ne sait pas ou elle va. 

Deux - La route, je ne sais pas ou elle va, mais nous on va nulle part. 

Un - Ouais... II n'y a pas beaucoup de circulation. (Un temps) Si on changeait de cote ? 

Deux - Pourquoi faire ? 

Un - Pour aller par la ? 

Deux - Tu veux aller par la ? 

Un - Pourquoi pas ? II n'y a pas de voitures qui vont par ici. 

Deux - II n'y a pas de voitures qui vont par la non plus. 

Un - On n'a qu'a se mettre chacun d'un cote. 

Deux - Pour quoi faire ? 

Un - Ca doublera nos chances. 

Deux - Nos chances de quoi ? 

Un - Nos chances de ne pas rester ici. Tu as envie de rester ici, toi, sur le bord de la 
route ? 

Deux- Non. 

Un - Bon... Qui est-ce qui traverse ? 

Deux - Vas-y, toi. C'est toi qui as eu I'idee. . . 

Un - Ok. 

Deux - Fais attention en traversant. 

Le premier traverse pour aller de I'autre cote de la route. Long silence. 

Deux - Mors ? 

Un - C'est calme aussi de ce cote-la. 

Deux - Et si une voiture arrive ? 

48 



Un - Et qu'elle s'arrete, tu veux dire ? 

Deux - Et qu'elle s'arrete. 

Un - De quel cote ? 

Deux - Je ne sais pas. D'un cote ou de I'autre. 

Un - Eh ben on monte dedans. 

Deux - Tous les deux ? 

Un - Qu'est-ce que t'en penses ? 

Deux - Je ne sais pas. 

Un - Si on se separe, ga doublera nos chances. 

Deux - Nos chances de quoi ? 

Un - Qu'une voiture s'arrete. 

Deux - Mais alors on n'ira pas dans le meme sens ? 

Un - II n'y a pas de voiture de toute fagon... 

Deux - Je trouve que c'etait mieux avant. 

Un-Quoi? 

Deux - On etait ensemble. 

Un - Ensemble ? 

Deux - Du meme cote. On pouvait discuter. 

Un - Discuter de quoi ? 

Deux - Pour passer le temps. En attendant qu'une voiture s'arrete. 

Un - Bon ben tu n'as qu'a traverser aussi. 

Le deuxieme traverse et va rejoindre le premier. Silence. On attend un bruit de voiture qui 
se rapproche. 

Deux - Merde, elle va de I'autre cote. 

Un - Si tu n'avais pas traverse... 

Deux - Tu serais reste tout seul, au bord de la route, et moi je serai parti par la. 

Un -Ouais... 

49 



Deux - Peut-etre que les voitures ne passent que dans un seul sens. 

Un - Quel sens ? 

Deux - C'est peut-etre une route a sens unique. Peut-etre que du cote ou on est 
maintenant, c'est un sens interdit. 

Un - Tu crois ? 

Deux - On n'a jamais vu une voiture passer dans ce sens la. 

Un - Alors qu'est-ce qu'on fait ? On retourne de I'autre cote ? 

Silence. 

Deux - Ce n'est pas si mal, ici. 

Un - S'il n'y avait pas cette route. 

Deux - II n'y a pas beaucoup de circulation. 

Un - Non... C'est calme. 

Noir. 



50 



Scenariste et auteur de theatre, Jean-Pierre Martinez a ecrit une vingtaine 
de comedies regulierement montees en France et a I'etranger : 

Bed & Breakfast 

Breves du Temps Perdu 

Cafe des Sports 

Le Bocal 

Un Cercueil pour Deux 

Le Comptoir 

Les Copains d'Avant 

Le Coucou 

Elle et Lui 

Eurostar 

Happy Hour 

Un Mariage sur Deux 

Les Monoblogues 

Morts de Rire 

Quatre Etoiles 

Photo de Famille 

Sens Interdit - Sans Interdit 

Une Soiree d'Enfer 

Strip Poker 

Les Touristes 

Vendredi 13 



Toutes les pieces de Jean-Pierre Martinez 

sont librement telechargeables sur 

www, comediathegue. com 



Ce texte est protege par les lois relatives au droit de propriete 

intellectuelle. Toute contrefagon est passible d'une condamnation 

allant jusqu'a 300 000 euros et 3 ans de prison. 



Paris - Novembre 201 1 

© La Comedi@theque - ISBN 979-10-90908-05-5 

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