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TERRE-SAINTE
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(MPRlMfiRlfi L. TOirSON ET C", A SAINT GEKMAIN.
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g
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TERRE-SAINTE
CONSTANTIN TISCHENDORF
AVEC LES SOUVENIRS
DU PELERINAGE DE S. A. I. LE GRAND-DDC CONSTANTIN
PARIS
C. REINWALD, LIBRAIRE-fiDITEUR
15, RUE OES sa]nts-p6res, 45
SAINT-PETERSBOURG, CHEZ JACQUES ISSAKOFF
1868
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A SON ALTESSE IMPfiRIALE
LA GRANDE-DUCHKSSE
ALEXANDRA JOSEPHOWNA
HOMMAGE DU PKOFOND KESPKCT
DB L'AUTEUK
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TERRE-SAINTE
I
LA TRAVERS^E
Se voir transports, en huit jours, de la temperature
hyperboreenne de Janvier aux douces haleines du mois de
mai d'Allemagne est un fait qui m6rite toujours d'etre re-
marque. Si, en mSme temps, on est pass6 d'une partie du
monde dans une autre et qu'un rapide steamer vous ait fait
franchir la MediterranSe, le fait n'en est que plus complet
et plus interessant.
Le 9 Janvier 1859, lorsque je quittai, dans la matinee, la
capitale de TAutriche et arrivai le soir a Trieste, Thiver
semblait vouloir conserver son caractere allemand. Quoique
j'eusse rencontre peu de neige dans ce trajet, et particu-
lierement sur le Semmering, dont les hauteurs brillaient
depuis peu des merveilleuses constructions d'un chemin de
fer de montagne sans pareil, les vitres gelSes de nos wa-
gons el les sifllements feroces de la bora sur ces majes-
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i T£RR£-SAtNTE
tueuses Partes de VOrient nous faisaient oublier que nous
6tions en vue des c6tes de lltalie. Ces symptdmes ne per-
mettaient gufere de compter sur une heureuse travers^e,
et Tespoir en devint encore plus incertain lorsque, r^pon-
dant aux questions pleines de sollicitude du directeur du
Lloyd sur le temps quil avait eu, le capitaine, arrivant des
c6tes d'Afrique, prononca le mot : cattivissimo.
Le 11, je m'embarquai sur le Calcutta^ Tun des plus forts
steamers du Lloyd faisant le service direct d'Alexandrie.
II y avait encore d'autres Allemands parmi les passagers,
et Telement germanique 6tait de plus represente par cent
mille 6cus neufs de Therese, qu'une maison de banque
israelite exp6diait a Tetranger. Nous commencames la tra-
vers6e de I'Adriatique par un temps serein. Longtemps
les regards des voyageurs resterent fix6s sur le ravissant
tableau de la ville, deployee en amphitheatre et continuee
h gauche par de jolies maisons de campagne sem6es sur les
hauteurs, tandis que les montagnes de Tlstrie I'encadraient
a droite. Longtemps enfm le ciel nous demeura propice,
et jusqu'a Corfou, que nous atteignimes le 13, nous eiimes
une mer limpide comme une glace et rarement agitee par
de forts courants.
Aprfes avoir mouill6 devant Tile grecque et remis au com-
missaire anglais Gladstone les d6p6ches envoyees par le
cabinet de Londres, nous reciimes d'excellentes becasses
et d'autres friandises pour notre table. Nous ne manquames
pas non plus d'echanger pour quelques heures le plancher
mobile du navire centre le sol ferme de File. Quoique por-
tant les traces du souffle de I'automne, le paysage 6tait
encore tr6s-beau» et par ses palmiers et ses magnifiques
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LA TRAVERSfiE 3
cactus semblait fait pour offrir aux voyageurs arrivant des
ftpres contr6es du Nord un avant-goM des heureux pays
du Midi. Non loin de \k brillait la ville grecque, anim^e par
la solennit6 du jour de Tan tombant sur cette journ^e.
Dans les premieres heures de Tapr^s-midi nous passftmes
les pittoresques lies loniennes, et avant que les 6toiles du
soir vinssent se refl6ter dans les ondes bleues, nous Ion*
gelimes Saiirte-Maure, avec ses falaises escarp^es de calcaire
rougelitre sur lesquelles une riche imagination pretend re-
trouver les traces du sang de Tinfortunee Sapho. Bientdt
la nuit ^tendit sur nos t6tes des nuages menaoants qui
firent disparaitre tons les charmes de la travers^e pour ceux
qui ne trouvent aucun attrait dans les tempgtes et les or a*
ges, et dans la matinee du 16 seulement nous jetftmes
Pancre dans le port d6sir6 d'Alexandrie.
La compensation de cette p^nible travers^e ne se fit pas
attendre. L'antique et c^lfebre cit6 d'Alexandrie, rajeunie
par M6h6met-Ali, s'oflfrait a nos regards ; le port fourmillait
de navires europ6ens et asiatiques saluant de leurs pavilions ; *
on apercevait m6me la flotte 6gyptienne. A peine notre
vapeur 6tait-il arr6t6 que des Arabes, aussi officieux qu'a-
vides de bakchich (pourboire), envahirent notre tillac,
s'empar^rent h Tenvi des bagages et les emportdrent sur
leurs dos avec les passagers. Ge z^le tumultueux nous^ifi^k
k la douane, qui de son cdte'^iSiit faire honneur pai^^^
senza disturharla k un bakchich m6rit6 ; de la nous nous
rendimes, les uns en voiture, les autres k ftne, par les rues
6troites d'un quartier arabe en mines, a la grande et magni-
fique place d'Europe. C'^tait un dimanche ; on le reconnais-
sait aux habits de f6te des Franks qui traversaient la place,
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4 tERRE-SAlNTE
et aux drapeaux nationaux flottant sur de petites tourelies
au-dessus des toils en lerrasse des edifices consulaires
dont elle est entour^e ; je ne lardai meme pas a entendre
les cloches de T^glise grecque et de T^glise anglaise, sur-
prise solennelle pour tous ceux qui savent a quel point cette
manifestation du culte chretien avait 616 s^verement prohi-
b6e depuis tant de si^cles par le fanatisme musulman.
La temperature d'Alexandrie ne pouvait manquer de
faire la meiiieure impression sur les voyageurs arrivant
d'Europe; le 16 Janvier, le thermom^tre marquait 13 degrfe
Reaumur. Quant aux habitants de la ville, ils se plaignaient
de la fraicheur de leur hiver.
En regardant des fenStres du grand hdtel d'Orient> tenu
par un Wurtembergeois, rien ne m'^tonna autant que les
cinquante voitures h Teurop^enne qui stationnaient sur la
place, avec des cochers noirs ou bruns. C'etait la preuve
la plus palpable des progr^s des moeurs europ6ennes a
Alexandrie depuis vingt ans. II y a quinze ans, lorsque je
me mettais aux fenStres du m6me hdtel, un equipage de ce
genre faisait rarement partie du luxe consulaire ; les cha-
meaux et les ftnes n'avaient alors a redouter aucune con-
currence de ce genre. D^s 1853, cette concurrence avait
surgi; mais un nombre d'equipages a Teuropeenne tel que
Ton en voit a present chaque jour sur la place aurait peut-
6tre sufB pour TEgypte entiere. Sous ce rapport, le Caire
n'est pas rest6 en arrifere d' Alexandrie ; on y voit aussi a
chaque instant, dans le quartier frank, d'^legants equi-
pages a un et deux chevaux. Et cependant il n'existe pas
de moyen de transport moins fait pour les rues g6n^rale-
ment 6lroiles et toutes non pav6es du Gaire; en effet, tant
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LA TRAVERSfiE 8
que le jour dure, elles fourmillent d'hommes de toutes
couleurs et de ious costumes, de femmes et d'enfants ; de
chameaux charges de marchandises; d'innombrnbles files
d'Snes qu'un zele sanitaire emploie constamment a leur
arrosage ; de troupeaux de chevres et de moutons ; de petits
chariots a deux roues et d'autres vehicuies; enfln d'une
masse de chiens erranls. II est done indispensable de faire
preceder chaque voiture d'un coureur pour lui frayer, k
coups de fouet ou de baton, un passage dans la foule, et
malgre cela, il arrive encore des accidents, qui prouvent
que les moeurs europ6ennes s'imposent a TOrient, sans
aucun egard pour les circonstances locales.
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II
ALEXANDRIE
Parlerai-je d'Alexandrie avant d'aller plus loin ? Pour la
plupart des voyageurs, — lorsqu'ils ne poursuivent pas des
int^rfits de commerce, qui sont largement repr6sent6s dans
celte ville, comme pour rappeler vivement que le monde
ancien^ du temps d'Auguste et de ses successeurs, y avait
sa principale place de commerce et le centre des relations
de TEurope avec TArabie et I'lnde, — Alexandrie n'est que
Tavant-poste du Cairo, cette m^tropole de la vie 6gyptienne.
Aussi leur curiosite se contente d'une course a la colonne
de Pompee, puis aux aiguilles de Gl^op^tre et y ajoute tout
au plus une visite aux catacombes. Ces monuments sont
eflfectivement tres-remarquables. La colonne de Pomp6e,
dont Tinscription grecque nous apprend qu'elle a 616 erigee
par le prefet Publius en I'honneur de Diocl6tien, vers la
fin du III' sifecle, n'ayant par consequent rien de com-
mun avec Pompee quoiqu'elle en porte le nom, s'61eve soli-
tairement vers le centre de Tancienne cite qui avait plu-
sieurs heures de circonference, sur un mamelon sablonneux
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ALEXANDRIE 7
et desert ; un cimeti^re mahom^tan s'6tend k ses pieds. Elle
est de granit roux foncS mouchetS et a pr6s de cent pieds
de haut, dont soixante-treize pour le monolithe qui en forme
le fM. II existe peu de monuments au monde qui puissent
lui etre compares. Toutefois, la magnifique colonile d'A*
lexandre, en granit rouge de Finlande, 6rig6e devant le
palais d'hiver de Saint-P6tersbourg, la surpasse en hauteur
et en diamfetre. Les deux ob^lisques, ^galement en granit
rouge, qui portent le nom de Cleoplitre, briliferent dans le
temps devant le palais de Cesar, mais ce ne fut que leur
seconde destination, car ils se trouvaient primitivement
a H61iopolis, Tantique et c^lebre cite que le prophete J6-
remie nomme la ville des obelisques. Les noms de Tholh-
raes III et de Ramses le Grand, qu'ils portent dans des
cartouches hieroglyphiques, lies font remonter a deux mille
ans avant Tere chretienne. Au demeurant, ils sent depuis
longtemps la propriete d'Europ^ens, car Mehemet-Ali a
fait don aux Fran^ais de celui qui est debout, et aux Anglais
de celui qui git sur le sol; aussiest-il fort extraordinaire
que ni Tune ni Tautre de ces puissances n'ait pris jusqu'ici
aucune mesure pour enlever ces tresors. Les catacombes,
galeries de sepulcres souterrains creus^s dans le roc et dont
quelques parties sent admirables par leur distribution et
leurs ornements, temoignent pleinement, par leur vaste
itendue encore insondee, de la grandeur de Tepoque a la-
quelle elles appartiennent.
Outre ces trois vestiges si connus d'une des plus magni-
fiques et des plus memorables villes du monde, on voit de
temps en temps s'y r^veiller d'autres souvenirs d'une anti-
quite reculee. De meme que la ville actuelle est nee des
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8 TERRE-SAINTE
ruines de raneienne> en ce sens que pas un de ses grands
Edifices n'a 6t6 construit sans qu'on y ait employ^ des
masses d'anciennes pier res deterrees, de fragments de
colonnes de marbre, de statues ou de monuments; de bri-
ques antiques, et mfeme des pans entiers de murailles : ainsi>
en creusant de nouvelles fondations, voit-on constamment
encore sortir de ce sol forme de debris quelques restes de
monuments et m6me des Edifices entiers. En 1859, par
exemple, j'ai vu de cette maniere les vastes ruines d'une
^glise grecque, couvertes d'une legere couche de sable et
dont les murs etaient ornes de nombreuses scenes bibliques.
Six ans auparavant, j'avais eu sotis les yeux une decouverte
encore plus int^ressante a mon avis. En creusant les fonde-
ments d'une ecole grecque, entre le couvent grec et le con-
sulat de Grece, on avait mis au jour les fondements complets
d'nn edifice paraissant appartenir a Tantiquite. Les murs,
en briques du Nil , mis a decouvert a une grande profon-
deur, avaient des dimensions tout a fait extraordinaires et
etaient d'une solidite telle qu'on ne pouvait les demolir
qu'au moyen de la mine. A Tinterieur, au milieu de chapi-
teaux, de fragments de frises et autres debris, on trouvait
d'assez grands morceaux de colonnes de marbre ; une entre
autres, en porphyre, mesurait dix-huit pieds de long sur
quatre de diamfetre. On se demandait naturellement avec
curiosity a quel palais antique avaient appartenu ces ruines,
et Ton 6tait porte a les attribuer a la c61ebre bibliothfeque
d'Alexandrie. Quoique cette hypothese fiit assez proble-
matique, elle n'en rendait pas moins v6n6rables ces restes
qui venaient ^voquer les plus chers souvenirs d'Alexandrie.
Ces souvenirs ne se raltachent-ils pas a ce culte du genie
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ALEXANDRIE 9
qui, soutenu par la munificence de princes 6clair6s, a con-
duit a fonder la plus vaste bibIioth6que dont Thistoire fasse
mention, et a conserver ainsi les productions de tant d'es-
prits superieurs? Ne se r^pporlent-elles point enfln a ces
temps oil la revelation chr6tienne transflgura ce culte et
mit un brillant flambeau a la main d'hommes inspires qui
travaillaient a son service.? Non • seulement ces morts
dimperissable m6moire planent au-dessus de ces mines,
mais encore leurs pensees, leurs recherches, leurs travaux
pour la verity stimulent les generations avides de s'instruire.
G'est ainsi que les h6ros de la pens^e, avec leurs dons si
modestes, leurs victoires si paisibles, survivent aux cites et
aux nations les plus puissantes et les plus glorieuses.
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Ill
AV CAIRE
Dans la matinee du 18 Janvier, la plupart des passagers
du vapeur du Lloyd se retrouvaient reunis sur le chemin de
fer du Caire, et nous efimes le complement des jouissances
printaniferes qu'Alexandrie ne nous avail pas encore toutes
donn6es. A mesure que nous approchions du Gaire, le ciel
se d6gageait de plus en plus de ses nuages et lorsque, vers
quatre heures, les pyramides, monuments imperissables de
celte terre des merveilles, s'oflfrirent a nos regards ravis, le
soleil dardait sur nos tfiles avec I'ardeur du mois de juin en
Allemagne; le thermometre marquait prfes de 20 degres
Reaumur.
Quinze ans plus tdt, J'avais fait le m6me voyage sur une
modeste barque du Nil; avec un vent des plus favorables,
j'en avais atteint le but en quatre jours. En 1850, par bateau
a vapeur et au temps de la baisse des eaux, il m'avait fallu
de vingt-quatre k trente heures. Maintenanl on pourrait
faire ce trajet en cinq heures, sans les temps d'arrfit qui
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AU GAIRE U
absorbent plusieurs heures, car en £gypte on ne regarde
pas au temps.
Sur tout le trajet du rail-way entre le lac Mar^otis et le
canal, le paysage est encore nu et n'est amm6 que par de
nombreuxh6rons et autresoiseaux aquatiques. Mais aussitdt
que nous eClmes atteint pr6s de Kafr-S6jat la rive gauche de
la branche du Nil de Rosette, nous nous trouvfimes au mi«
lieu d'un printemps rempli de parfums et peuplS d'une mul«
tituded'oiseaux divers. Aux champs dor^s de coksa, auxlins
en fleur succ^daient de grasses prairies et d'opulentes luzef^
nes, ou de vastes plaines ondulantes d'orge et de froment.
G'est k cette station, embellie quelques mois plus tard par
Tach^vement de la construction du pent sur le Nil, qu'Stait
arriv6 il y a deux ans Taccldent du chemin de fer, ou
des wagons tomberent k reculons dans le Nil, et oil plu-
sieurs grands personnages, entre autres un fr^re du vice-
roi, perdirent la vie. Un de nos compagnons de voyage, qui
avait 6te temoin de I'accident, 6tait convaincu qu'il 6tait
dA & la malveillance. De pareils faits donnent a un pays de
la couleur locale. En g^n^ral, pourtant, le chemin de fer
d'figypte est rarement le theatre d'accidenls, malgr6 Tin-
souciance qui domine dans toute son administration. II est
vrai que la vitesse des trains est fort moder^e.
G'est ^galement k cette station que se trouve le restau-
rant privilegi6du chemin de fer. Je le mentionne parce qu'il
se fait remarquer par le manque d'6gards, ^galement pri-
vil6gi6 k ce qu'il parait, de son entrepreneur, quoiqu'une
partie des gar^ons et la femme m6me de celui-ci soient
allemands. Un m^ocre dejeuner k table d'hdte, sans
un verre de vin ni de biere, est taxe chez lui a 5 shillings
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12 TERRE-SAINTE
ou 1 thaler 2/3. C'est ainsi qu'en Egypte les Europeens, ou
Franks, exploitent leurs privileges. Aussi n'est-il pas elon-
nant de voir d'habiles speculateurs y rfiver et mfime y
r^aliser la decmiverte de monts d'or. Encore le moyen
ci-dessus est-il consid^re corame Tun des plus honorables ;
le tresor du vice-roi connait bien d'autres modes d'extor-
sion.
Si de ce repas coiiteux nous revenons a la suite du
voyage, nous y retrouvons le spectacle ravissant de con-
trees de plus en plus fertiles. Non loin de Kafr-Sejat,
nous traversames la ville c61ebre de Tanta , bien connue
par ses foires, et comme il s'y en tenait une dans le moment,
nous rencontrions, entre les villages couleur d'argile et
qu'on ne pent reconnaitre qu'a leurs minarets, de longues
tiles de fellahs qui en revenaient les uns a pied, d'autres a
kne et quelques-uns sur des chameaux. Plus loin, nous pas-
sames devant le palais du vice-roi a Benha, devenu triste-
ment celebre par la mort subite d' Abbas-Pacha. II est hors
de doute que ce prince qui, contrairement a ses predeces-
seurs et a son successeur actuel, prpfessait autant d'estirae
pour ses sujets indigenes qu'il eprouvait d'eloignement pour
le charlatanisme des Europ6ens donneurs de conseils, a et6
assassin^ par deux mamelouks venus de Constantinople.
Son palais a ete completement pill6 et est encore aban-
donn6. Un des flls de la victime a du moins exerc6 des
represailles centre les deux assassins eux-memes, en leur
envoyant a Stamboul un poignard assure de ses coups. >
Vers cinq heures du soir, nous atteignimes la ville aux
innombrables et sveltes minarets ; elle s'6tendait en grande
partie k notre droite , tandis qu'a gauche nous avions le
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An cairf: 13
desert qui est born6 par Heliopolis et conduit a Suez, mais
que traverse ^galement le chemin de fer. Entre la viile et
le desert, la vue etait borate par le bianc Mokattam , sur
lequel, h I'endroit ou il domine la eit6, s'elfefent la citadelle
et la mosquee d'albaire de M^hemet-Ali; non loin du pied
de la montagne surgissent du sein de la ville des morts ies
tours rondes de la sepulture des kalifes, tours dont la
forme imile celle d'un turban.
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IV
PREPARATIFS DU VOYAGE AU SINAI
Je ne m'accordai pas la satisfaction de visiter le Gaire, ni
de faire aucune excursion dans ses environs si attrayants,
tant j'avais hate d'arriver au Sinai. Sans me rendre bien
compte k moi-meme de ce qui m'arrachait aux paisibles
travaux de ma patrie auxquels m'attachaient puissamment
et des r^sultats d6j^ obtenus et les conqufites de precedents
voyages de decouvertes, je me laissais aller a cet entraine-
ment comme emporte par une force irresistible. Nonobstant
les deux visiles que je leur avais deja faites, le Sinai et son
monastere s'offraient avant tout a mes yeux comme un but
qui m'appelait et m'attirait a lui. L'ardeur de mes aspira-
tions avait encore augment6 depuis que j'avais lu qu*un
de mes savants amis d'Oxford, envoy6 en Orient par le
gouvernement anglais avec une mission semblable k la
mienne, avait neglig6 de visiter le Sinai, en alleguant posi-
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PrAPARATIPS DU voyage AtJ SINAI IS
tivement que les recherches ant^rieures devaient avoir tout
6puis6*.
Je m'occupai done immediatementdespr^paratifs de mon
voyage au Sinai; la dur6e de la marche dans le desert oil
il est situe n6cessitait certaines mesures a prendre, pour
lesquelles mon experience me fut fort utile. Je pris a
mon service un drogman et un cuisinier, j'achetai une belle
tente, de la vaisselle, des ustensiles de cuisine et enfin des
provisions de bouche pour moi et ma suite. Le consul g6n6-
ral de Russie me donna tons les papiers ofiBciels n6cessaires.
Mais je rencontrai un obstacle dans ce qui semblait au
contraire devoir faciliter mon voyage; je veux parler
du chemin de fer ouvert depuis deux mois entre le Cairo
et Suez. Un ^quipement a\)ssi considerable que celui
dont j'avais besoin pouvait difiBcilement etre transports
CQmme bagage de passager, surtout avec un tarif aussi
eleve que celui de cette voie ferree; d'un autre cdte les
veritables facteurs d*un voyage au desert, c'est-a-dire les
chameaux escortes des Bedouins, que j'avais et6 habitue a
trouver campes devant la porte des hotels, ne pouvaient
plus se louer au Cairo, mais seulement sur les cdtes de
la mer Rouge, a Suez, petite ville encore entierement privee
du confort que Ton trouve au Cairo. Pour sortir d'incerti-
tude a ce dernier egard j'adressai, deux jours a Tavance,
une dep6che t61egraphique a Tagent consulaire de Russie
i. « AprSs la yisite d'on paldographe et d'un critiqne anssi Eminent que le
docteor Tischendorf , sans parler de celles de beaacoup d'autres hommes de
lettres, rien ne pourrait justifier Tespoir de faire au Sinai quelque d^couverte
qui aurait echappe a leurs yeux si exerc^s. » Voyez Rapport au gouvernemmt
deS. M, la reine, sur les manuserits grees encore existanU dans les biblioth^
ques d'Orient, par H.-O. Goxe (Londres, 1858).
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16 TERREl-SAIiNTt:
a Suez, tandis que la premiere de ces difiScuIt^s fut levee
avec beaucoup de bienveillance par Nubar-Bey, chef du
chemin de fer 6gyptien, que j^avais connu ant6rieurement
comme premier drogman du vice-roi. J'eus un autre d^sa-
gr6ment qu'il me fallut bien supporter. Aveugl6 a Taspect
de quelques pieces d'or que je lui avais confiees pour faire
diverses acquisitions, Tltalien que j'avais engage comme
cuisinier s'enivra aussitdt et dans son ivresse se laissa
entrainer a de tels excfes qu'ils le conduisirent tout droit en
prison, au Cairo, oil il dut roster au lieu de parlir pouii
Suez. Je me vis done r6duit a renoncer, pendant le voyage,
aux jouissances pour lesquelles j'avais compt6 sur ses
talents culinaires.
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A SUEZ ET AYOUN-MOUSA
Le vapeur m'avait amene pour la seconde fois en
figypte le deuxieme dimanche apres TEpiphanie; dans la
matinee du troisieme dimanche, 23 Janvier, j'entrepris mon
nouveau voyage au Sinai. Autant 6tait ennuyeux le voyage
du Cairo a Suez sur le naoire du desert , qui ne prenait
pas moins do cinq jours, et memo lorsqu'un dne bon trotteur
le ramenail a la dur^e de vingt-quatre heures, autant il
offre d'agr^ment, maintenant qu'on peut Tacconaplir en
cinq ou six lieures sur les ailes de la vapeur. Si Ton y perd
le sentiment du desert, Toeil au moins en conserve Timpres-
sion, ridee. Lesmontagnes qui bornent Thorizon de Touest
a Test sur la droite, particuli^rement dans la derniere
moitie du trajet, oflfrent au regard de sombres silhouettes
et des formes sauvages, contrastant d'une maniere frap-
pante avec les sables unis de la plaine.
L'etablissement de cette voie ferree a offert de grandes
difflcultes, moins par Tinclinaison du sol, qui commence par
s'elever Ires-sensiblement pour reJescendre ensuite vers la
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18 TERRE-SAINTE
mer, que par la finesse et la mobilite des sables que les vents
du sud soulevent frequemment et viennent amonceler sur
la voie. II n'^tait pas moins malaise d'approvisionner d'eau
et de charbon un chemin de ce genre a travers le desert.
La marche de notre train eut ete assez reguliere, si les
temps d'arret, qui n'avaient d'autre but que d'alimenter la
locomotive, n'eussent ete regies fort arbitrairement. Nubar-
Bey, dont j'ai parle plus haut, se trouvait dans ce train avec
plusieurs ingenieurs et rien ne se faisait que sur un signe
de sa part. Des tas de charbon gisaient, a Torientale, tout a
fait pres des rails au point de pouvoir etre rases au passage;
il n'y avait pas encore de gardiens le longde la voie.
Prfes de Suez, nous trouvSimes une multitude d'Arabes
occupes a etablir un embranchement a travers les bas-fonds
de la c6te, afin qu'on put d6barquer directement les mar-
chandises venant d'outre-mer. Tandisque ces pauvres gens
portaient sur la tete des corbeilles lourdement chargees
— on n'apercevait guere d'autres moyens de transport —
chaque groupe de dix ou vingt ouvriers etait accompagne
d'un surveillant dont le baton ne manquait pas de se faire
sentir aux paresseux. C'etait, dit-on, la seule monnaie dont
on payat les travaux de ces ouvriers indigenes, en sus de la
chetive nourriture qui leur est donnee. Mais pour 6galiser les
comptes, des monceaux d'or et d'argent sont devores par
les agents europeens. C'est ainsi que, sous un rapport du
moins, en d6pit des tendances nationales d'Abbas-Pacha, on
voit reparaitre le systeme de Mehemet-Ali.
Le gerant du consulat de Russie, M. Constantin Costa,
que j'avais d^ja eu Toccasion de connaitre chez son pere, a
mes deux pr6c6dents voyages en 1844 et 1853, comme un
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A SUEZ ET AYOUN-MOUSA 19
habile interprete des langues orientales, m'accueillit a la
gare avec la nouvelle f u'il avail deja fait pour mon voyage
au desert des arrangements avantageux avec des Bedouins
du Sinai, qui s'etaient heureusement trouves dans le voisi-
nage. Avant de conclure le contrat d'apres lequel chacun
des six chameaux devait etre paye 150 piastres, au cours
de 116 piastres par napoleon d'or (en 1844 je n'avais paye
que 120 piastres pour tout le trajet a partir du Cairo), le
consul jugea qu'il serait utile de faire enjoindre par le gou-
verneur de Suez au scheik bedouin qui devait me conduire
une rigoureusefidelitedansraccomplissement deson devoir.
En consequence nous all^mes, dans la matinee du 24 Janvier,
faire visite, dans ce but, a Selim-Pacha, ancien compagnon
d'armes de Mehemet-Ali et d'lbrahim-Pacha. Nonobstant sa
haute dignite, il portait, quand 11 nous recut dans son
grand salon, une vieille capote de soldat, qui aurait eu
besoin de reparations en maints endroits. Dans sa conver-
sation, toutefois, il sut parler des antiquites de la Syrie, de
Petra, la merveilleuse vHle des rochers, et mfime des sources
thermales de la mer Tiberiade. Quant au percement de
I'isthme, il n'entretenait pas a cet egard de bien vivos espc-
rances. II pensait que, m6me si Ton obtenait le firman et
que Ton reunit les fonds necessaires a Tentreprise, on man-
querait d'ouvriers, par suite, disait-il, de Tinquietant et
incessant depeuplement de TEgypte. Ayant fait appeler
notre scheik, il lui signifia sev^rement, et en le tenant k
distance respectueuse, qu'il y allait de sa tdte s'il m'arri-
vait le moindre mal. < Si tu ne m'apportes pas, lui dit en
» terminant le gouverneur, une lettre de ton maitre consta-
t tant qu'il a 6t6 content de toi, je fais emmener tes femmes
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» et tes enfants et tu ne remettras plus les pieds dans les
» murs de Suez. » A la suite de tellls instructions il va de
soi que le scheik, en allant comme en revenant^ car je me
servis ^galement de lui au retour, ne n6gligea aucun de ses
devoirs. Au demeurant, le voyage du desert ne presenta
absolument aucun danger : nous n'y rencontr&mes pas plus
de Bedouins hostiles que de b6tes f6roces.
J'avais eu Tintention de passer a gu6 sur un dromadaire *,
dans le milieu du jour, lebras de mer septentrional, comme
je Tavais deja fait ant^rieurement ; toutefois, la violence du
vent du sud qui soujBQait en ce moment rendant Tentreprise
moins sfire, je me d6cidai a faire passer de cette mani^re
les chameaux non charges, et de men cdte je me rendis sur
la cdte asiatique en barque, accompagne de Taimable con-
sul. Ce court trajet d'une partie du monde a Tautre fut
marqu6 par une aventure qui menaga d'avoir les plus tris-
tes cons6quences. N6gligents comme ils le sont toujours,
les B6douins n'avaient pas choisi le moment favorable pour
le passage du gu6. Lorsque nous arrivftmes, a une heure,
nous ne trouv^mes que trois chameaux sur le rivage ; les
autres 6taient a une certaine distance, au milieu de I'eau, et
le flot toujours montant les gagnait de plus en plus. Les
chameliers, montes sur leurs bfites, ne parvenaient pas k
les faire bouger de place. Au bout de deux heures, on avait
presque perdu tout espoir de sauver soit les chameaux dont
on ne voyait plus que la tfete, soit leurs conducteurs, lors-
i. En £gypte, la difference entre les dromadaires et les chameanx se borne
k ce que la taille des premiers est plus ^lancde, ce qui les rend plus propres k
des courses rapides qu*aa transport de pesants fardeaux. Dans ma carayane
j'ayais toujours un ou deux dromadaires. Tous ces chameaux n'ayaient qu'une
bosse. A
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A SUEZ ET AYOUN-MOUSA 21
qu'un jeune gar^on arabe bien d^coupl6 proposa d'aller les
chercher a la nage et de ramener les chameaux en les tirant
par leur licou et nageant devant eux. Onlui promit un bak-
chich de 9 piastres par chameau qu'il ram^nerait, le cha-
melier etant sous-entendu. Son proced6 r6ussit : les cha-
meaux le suivirent quand ils le virent nager devant, et ils
arriverent heureusement au bord. Nous perdlmes ainsi la
derniere scene d'une representation en miniature de la ca-
tastrophe de Pharaon.
Les chameaux furent bientdt charges; mais dans cette
journ^e on ne pouvait gu^re depasser Ayoun-Mousa, situe k
un pen plus de deux heures de marche. Le consul Costa y
possede un beau jardin de palmiers, riche aussi en legumes,
avec une malson d'habitation agrandie et embellie par
AbbasPacha depuis que je m'y 6tais arret6 en 1853 pour
la derniere fois. En effet, dans sa pr6f6rence enthousiasle
pour le d6sert, Abbas-Pacha avail choisi ce Heu comme s6-
jour d'6te pour son harem, oil un accouchement etait
attendu. II etait convenu avec le propri6taire qu'i la suite
de ce sejour, tons les embellissements qui auraient et6 faits
a sa demeure lui seraient laisses a titre de pr6sent. Ainsi,
toutes les femmes du harem arriverent a Suez en voitures
a quatre chevaux, pour aller occuper le lendemain dans le
desert leur residence d'6te. Mais dans la nuit m6me, un
expres leur apporta, a leur grande surprise, Tordre de re-
venir immediatement. Elles n'apprirent que plus tard le
motif de ce contre-ordre : Abbas Pacha avait 6t6 etrangl6
par deux mamelouks.
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VI
VOYAGE DANS LE DESERT
Le soleil se couchait lorsque nous atteignimes Ayoun-
Mousa qui, avec ses palmiers, ses tamarix et ses nebeks,
s'offrait a nos regards comme un etroit rideau de verdure
bordant gracieusement les sables p^les du d6sert. Ce lieu,
oil Ton a plante r^cemment plusieurs beaux jardins, em-
prunte son nom de Sources de Mo'ise a un grand nombre de
sources creus6es dans le sable, dans une clrconscription
pen ^tendue, ou Ton pourrait encore en trouver d'autres.
Leurs eaux ont d'ordinaire un fort arriere-goiit de soufre,
mais il en est aussi qui plaisent exlrdmement aux Be-
douins et aux chameaux. La tradition lie ces sources au
souvenir de Moise. Get endroit pourrait effeclivement 6tre
le lieu ou, avant ses longues peregrinations dans le d6sert,
il fit halte avec son peuple si miraculeusement preserve des
dangers de Tennemi et des flols, et d'une voix entliousiaste
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VOYAGE DANS LE DESERT S3
entonna cet hymne de reconnaissance et de joie (Exode, xv)
sur les « exploits de Tfiternel, le grand guerrier, qui a pr6-
• cipite dans la mer les chevaux et les chariots. » Le sou-
venir imperissable de cette grande oeuvre du Seigneur
donne la premiere consecration a tout nouveau voyage au
Sinai, et la pensee qu'apres trois mille ans nous pouvions
suivre les traces de cette peregrination merveilleuse, si
evidemment dirigee par la main de Dieu et si riche en con-
sequence , n'etait pas le moindre honneur de notre propre
voyage.
Mes Bedouins, a qui d'aulres id6es tenaient sans doute plus
a coeur, flrent pour eux et leurs chameaux d'amples pro-
visions de la meilleure eau des Sources de Moise. Na-
guere j'en avais fait autant, mais cette fois j'emportais,
comme un des plus precieux tresors du voyage, deux ton-
neaux d'eau du Nil amenee a M. Costa par le chemin de
fer.
Dans la matinee du 25 Janvier, apres avoir re^u du jardi-
nier deM. Costa, qui est en memo temps le gardien de sa pro-
priete, un magnifique bouquet de roses a cent feuilles du
jardin d'Ayoun-Mousa, je montai a chameau et penetrai dans
le desert qui s'etendait majestueusement devant nos yeux.
Sur notre droite, a Touest, derriere le miroir bleu fence de
la mer Rouge, nous apercevions sur la terre d'Afrique le
f^pnt severe du Djebel-Atakah, tandis que T horizon etait
bor«e a gauche, a une grande distance, par la longue chaine,
d'un blanc roux, du Djebel-er-Rahah. Si le peuple dlsrael
a jadis joui de la m6me vue, il aura pu y trouver le tableau
de son passe si sombre, dont le separaient les vagues bleues,
tandis qu'a i'orient I'aurore de ia Terre promise lui sou-
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n TERRE-SAINTE
riait. Aussitdt que nous efimes perdu de vue Ayoun-
Mousa, nous n'efimes plus devant nous, comme en arri^re,
que ie sable p^le et leger du desert, dont les vastes plaines
n'etaient accident6es ca et 1^ que par de faibles ondulations
et parquelques maigres broussailles.
La premiere journee, nousparcouriimes une plainearide,
couverte en grande partie de cailloux de gres et dont les petits
T3i\ins{wadis) descendant des montagnes orientales dans la
mer, ne se dislinguaient que par d'elroites lignes d'arbris-
seaux sans une seule source. A quatre heures de Tapres-
midi, je fis halle et ordonnai de dresser la tente k rentr6e
du wadi Saddr, dont la vegetation est bien plus riche pres
de la mer, ainsi que j'avais pu m'en assurer en 1844, car
j'y avais m6me vu un bouquet de tamiarix; toutefois, 11 ne
s'y trouve pas non plus de source. — A quatre heures, le
thermom^re marquait 18 degr^s Reaumur. Les jours
suivants, j'observai a peu pr6s la mftme temperature;
toutefois, la chaleur diminuait sensiblement a mesure que
nous avancions dans la region montagneuse du Sinai, et
dans les deux premieres journees de fevrier je n'avais plus
que 2 a 3 degres R6aumur» a sept heures du matin, der*
rifere les murs du monastere du Sinai.
Le 26 Janvier, je traversal le large vyradi Wardan, dont
la source nommee Abou-Souveirah se trouve prfes de la mer
et fort loin de la route sup6rieure que je suivais ; plus tarci
je passai le wadi el-Amarah, qui est beaucoup moins im-
portant. A la tombee de la null, nous nous trouvlimes au
milieu de collines arides et blanchatres. Peu d'instants
avant, en passant pres d'un roc s'elevant a drolte de la route
comme une pierre milliaire antique, au pied d'unecolline
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VOYAGE DANS LE DESERT 28
calcaire, j'elais descendu de chamcau pour aller visiter la
celebre source d'Howara. Elle est situ6e a quelques pas a gau-
che du chemin, sur une de ces collines de gypse auxquelles
cet endroit se reconnait, et elle donne beaucoup d'eau dans
un large bassin circulaire. Pres de la source gisaient quel-
ques morceaux de sulfate de chaux cristallise. Non loin de
la se trouvent deux bosquets toufifus de palmiers et quel-
ques bouquets de roseaux. Je gofitai Teau et fus tr^s-sur-
pris d'en trouver le goiit moins fort et moins amer qu'en
1853. Cette amelioration provenait sans doute de pluies
abondantes, qui, r6cemment tombees, avaient 61ev6 de
quelques pieds le niveau de la source. Je remplis une
bouteille de cette eau, afin de pouvoir Tanalyser a loisir a
mon retour dans mes foyers. D'apr^s mes observations
anterieures, la pesanleur desagr^able particuliere aux,
eaux d'Howara les distingue tres-clairement de la saveur
douce et laiteuse de la plupart des sources de ce desert.
Pres d'aucune des sources qui suivent, le sol n'oflfre
un caractere aussi salin qu'en ce lieu. Comme en 1853,
au pas regulier des chameaux, j'evaluai a quinze ou seize
heures de marche la distance entre Ayoun-Mousa et cette
source.
Je ne puis mettre en doute que cette source d'Howara ne
soit, — ainsi qu'il est generalement admis, mais non sans
quelque opposition depuis Burckhardt, — la premiere
que Moise rencontra dans le desert, apres y avoir err6 pen-
dant trois jours avec tout son peuple. Et Us marcherent
trois jours dans le desert, dit le texte sacre (Exode, xv, 22,
et suivants), et ils ne trouverent point d*eau. lis revin-'
rent alors a Mara^ mais ils ne purent en boire les eauXy parce
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26 TERRE-SAINTE
qu'elles etaient tres-ameres. Tres-probablement le peuple
d'Israel avail suivi celte meme route superieure comme
etant la plus courte a travers cette partie du desert et etait
arrive ainsi, a la fin de sa troisieme journee, a cette source
amere salute par tant de murmures. Jusqu'a ce jour, on
n'a pu expliquer d'une maniere satisfaisanle comment Moise
a converti ces eaux en une boisson douce et agreable en y
jetant du bois.
Sans m'arreter davantage, je me hatai de poursuivre ma
route, et au bout de deux heures j'atteignis Tentree du wadi
Gharandel, landis qu'il y a encore une heure de marche
jusqu'a la region de ses sources. Je passai la nuit la, berce
par le murmure des palmiers et des tamarix. Aussi souvent
que j'ai visite et parcouru cette ravissante vallee , ce qui
m'est arrive pour la cinquieme et la sixieme fois dans ce
voyage, j'ai eprouve la conviction que c'est d'elje qu'il est
question dans la Bible (Exode, xv, 27), lorsqu'il est dit :
Les enfants d'Isra'el vinrent a Elim ou il y avait douze
sources et soixante et dix palmiers^ et Us y camperent aiipres
des eaux. Quelle delicieuse impression fait toujours cette
vallee de Gharandel sur tons ceux qui viennent de franchir
Tespace desole qui la separe d' Ayoun-Mousa ! Ce large wadi
a une etendue de deux heures de marche du nord-est au
sud-ouest; pittoresquement enloure Qa et la de murailles
calcaires, il offre, comparativement au desert, une ve-
getation luxuriante. Dans un rayon d'une lieue, j'y
comptai plus de trente palmiers, tant grands et beaux
arbres que bouquets de buissons. De hauls et forts tamarix
y ferment en quelques endroils des bosquets, dont le sol
possede aussi sa flore; j'y ai surtout remarque a la fin de
N
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 27
f(6vrier une jolie espece de lis. L'eau de cette valine, que j*ai
vu souvent couler h pleins ruisseaux , m'a toujours paru
bonne; k mon premier voyage au Sinai, en mai 1844, j'en
avals beaucoup bu, par une chaleur 6crasante de 30 degres
Reaumur; sa legere saveur laiteuse ne la rendait que plus
agreable. Pour confondre les eaux du Gharandel avec les
eaux ameres de Tficriture, comme on a eflfectivement tenl6
de le faire dans ces derniers temps, il faut avoir le talent
de rendre le doux amer et Tamer doux. On pourrait plutdt
mettre au mfime rang que le Gharandel le wadi Ouseit et le
wadi Taijibeh, quoique ni Tune ni Tautre de ces vallees ne
soient aussi riches que la premiere en sources et en v6g6ta-
tion. De plus, Gharandel conserve Ta vantage d'etre la pre-
miere oasis d^licieuse formant la limite du desert de sables
arides. II parait toutefois que Ton ne doit pas consid6rer le
pays d'filim de Moise comme ne formant qu'une seule valine,
car Elim et le Sinai sent present6s comme les deux princi-
pales stations du voyage des Israelites, et il n'est parle que
du desert de Sin comme se trouvant entre elles (Exode,
XVI, 1). De plus, on doit supposer que Tarmee israelite,
dont TEcriture evalue la force a un million, a sans doute fait
un long sejour dans le pays d'Elim.
Le 27, je quittai le wadi Gharandel et traversal les trois
wadis importants nommes Ouseit, Thai et Taijibeh. Le site
de ce dernier est tout a fait pittoresque. Devant nous, de
trois cdtes, la vue etait bornee par des falaises de gres en
terrasses dont les couches inferieures etaient d'un blanc bru-
nStreplus ou moins fonce et les assises superieures d'un brun
rougeatre et sombre. Entre ces escarpements s'etendait la
vallee, dont le sol blanchatre et salin est sillonne de course
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i8 TERRE-SAINTE
d'eau et d61icieusement orn6 d'un bosquet de tamarix que
surmontent les couronnes de quelques palmiers.
Vers quatre heures du soir, apres huit heures de marche,
je campai pr^s de la mer, a Ras-Z61ime. Cecampement rap-
pelle aussi un souvenir de Moise; en eflfel, Isi relation
detaillee du quatrifeme livre de Moise (Nombres, xxxiii, 10)
rapporte « qu'en partant d'Elim Us allerent camper prhs de la
mer Rouge, i En raison des montagnes escarp^es qui, avec
leurs contre-forts rocheux, arrivent jusqu'au bond de la mer,
et au pied desquelles il ne reste qu'un 6troit sentier, et encore
pendant le reflux seulement, les Israelites n'avaienl proba-
blement pu suivre aucune autre route que celle encore usitee
d 'ordinaire. Si, comme il est probable, le nom de Ras-
Zelime vient de celui de Tantique filim, il en resulterait
que tout le groupe des fertiles wadis de Gharandel a
Taijibeh formait, au temps de Moise, un grand tout por-
tant le nom de pays d'filim.
Quoique la soir6e ffit un peu fralche, je me hasardai k
ffiter, par un bain dans la mer Rouge, mon retour k ce cam-
pement solitaire. Fabri en avait fait autant dans le voisinage
d'Ayoun-Mousa ; pour Tamusement du lecteur, je citerai les
observations qu'il fait a cette occasion : <c Apres le bain,
» dit-il, nous recueilllmes sur le rivage beaucoup de coquil-
B lages curieuxet d'un corail blanc qui croit abondamment
» en ce lieu et sous des formes diverses. La mer Rouge est
i un bras de la mer qui entoure le monde entier; elle
^ s'etend a travers le pays arabe; ses eaux sent sem-
x> blables a celles de TOcean, mais plus salves. Autour de la
» mer Rouge les montagnes et le sol ont une teinte rou-
)> ge&tre, et c'est de la qu'elle a pris le nom de mer Rouge;
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VOYAdE DANS LE DfeSERT 29
]> il croit aussi du bois rouge dans le voisinage, toutefois
» Teau n'est pas rouge *. »
De ce point, ou commence evidemment le desert de Sin
de la Bible, deux routes principales conduisent au Sinai, la
route superieure et la route inf6rieure, toutes deux egale-
ment riches en souvenirs antiques et en beautes telles que
le desert pent en offrir. La route superieure, qui se dirige
a Test, remonte d'abord le wadi Taijibeh et longe ensuite
le wadi Hamr ; la route de I'ouest, au contraire, suit le ri-
vage en partant de Ras-Zeiime, et au bout de quelques heures
rentre dans la region des montagnes d'ou Ton atteint les val-
ines si remarquables de Mokatteb et de Fairan. Tandis que la
route inferieure est embellie par ces deux vallees et par celle
de Serbal, la route de Test se distingue parliculiferement par
le Sarbout-el-Chadem. En 1853, j'avais suivi cette derni^re
avec mon ami Grant, et depuis le wadi Souwak, a travers
des ravins et d'abruptes escarpements, j'avais gravi la mon-
tagne rocheuse ou Niebuhr avait decouvert sa magnifique
n^cropoleegyptienne. Ce mot rend en eflfet la seule impression
qu'eprouve au prenaier moment le spectateur sans preven-
tion, car ce lieu est surtout remarquable par des monuments
de six k huit pieds de haut, des sUles, portant des hiero-
glyphes et ressenablant a des pierres tumulaires. On y
trouve aussi les restes d'un temple taill6 dans le roc,
des chambres souterraines, des colonnes entieres ou par
fragments. Le tout est rassemble, en grande partie du
i. Dans cette mdme annde 1483 naqnit Raphael, qui, dans nne des pre-
midres oeuvres de sa jeunesse, reprdsentant le passage de la mer Rouge par les
Hebreux, a effeciivement pemt les eaux rouges. Le savant chapelain d'Ulm
n'aurait done pa9 accepts cette manidre de voir.
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30 TERRE-SAlNTE
moins, dans un grand carre long forme par des amas de
pierres provenant evidemment d'une antique enceinte de
muraiiles. D'apres les inscriptions hieroglyphiques, Lepsius
et plusieurs autres egyptologues sont d'opinion qu'on adorait
en ce lieu la deesse egyptienne Hathor, comme souveraine
de la contree du cuivre. Cette assertion est encore confirmee
par les grands monticules de scories que Lepsius a decou-
verts le premier derriere les mines du temple. II en resulte
que Tensemble si remarquable de ces lieux sacres se ratta-
chait a Texploitation des antiques mines de cuivre du voisi-
nage et que la fonte du minerai avait lieu sur les hauteurs
dela montagne, exposees a lous vents. Les noms de rois
trouves sur les steles appartiennent au deuxieme et au troi-
sieme millier d'annees avantl'erechretienne ; ils remontent
ainsi jusqu'a Tepoque de Temigration de Moise. Nous foulions
done un sol qui, dans une antiquit6 reculee, avait ete le
theatre d'une riche activite, dont les pierres avaient servi
pendant des siecles aux dieux et aux hommes, ainsi que le
racontent de mysterieuses inscriptions. Toutefois, depuis
plus de deux mille ans, c'est le silence de la mort qui plane
sur ce terrain. Au milieu de ces monuments aux formes
bizarres, la vue des montagnes de cuivre, d'une teinte
plus ou moins foncee et d'un aspect sauvage et lugubre,
nous faisait eprouver une impression mysterieuse lorsque
le soleil, deja couche, les eclairait encore de ses derniers
reflets.
Cette fois je suivis la route inferieure. Peu apres que nous
etimes quitte le campement au bord de la mer, Timposant
DJebel-Dhafary se montra sur noire gauche, tandis qu'a
notre droite, au dela de la mer azur^e, les montagnes
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VOYAGE DANS LE DESERT 3i
d'Egypte surgissaient des vapeurs pourprees du matin.
Ainsi I'Afriqiie et TAsie se font face avec leurs deserts et
leurs chaines de montagnes comme si, nues, elles voulaient
s'appeler reciproquement en champ clos. Mais le magnifique
miroir de la mer les separe comme une majestueuse parole
de reconciliation. Apres avoir laisse bien loin derriere
nous le Djebel-Dhafary, a la sortie du wadi Nasb, nous
entrames de nouveau dans un sentier montagneux qui ser-
pente pendant longtemps entre des blocs sauvages de ro-
chers epars, pour la plupart de gres; dans ses nom-
breux meandres ce sentier forme quelquefois des vallees
encaissees qui ne manquent ni de buissons ni d'arbres ; on
y trouve aussi des acacias a gomme et en quelques endroits
des coloquintes couleur citron, mais qui n*etaient pas man-
geables et tromperent notre attente. Les sites rocheux et
les groupes de rochers, de formes et de couleurs tout a
fait pittoresques, attirent constamment le regard et sem-
blent les produits d'une puissante et inepuisable imagi-
nation.
Vers midi, nous atteignimes le wadi Mokatteb, qui a
recu le nom de vallee ecrite a cause des nombreuses
inscriptions que Ton trouve sur ses parois de roche.
Gomparee a la precedente, cette vallee, longue de
plusieurs lieues, a un aspect beaucoup plus imposant :
elle est en general bien plus large et bornee de meme
par des montagnes rocheuses au nord et au midi. La
route des caravanes longe le c6te droit ou du sud. Tandis
qu'au nord, a une heure de marche de nous, la vallee etait
bornee par de hautes montagnes, a notre droite se trouvait
une chaine de rochers de gres peu elev6s dont le versant,
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a fKRHE-SAlNtE
s'61evant quelquefois a vingt et trente pieds, offre au
voyageur un lieu de repos ombrage fort agr6able k ren-
contrer. On trouve aussi dans la valine des blocs isol6s de
rochers portant, comme les falaises des montagnes, de
nombreuses inscriptions grossierement taillees dans le
grfes; il s'y mfile des images de chameaux, d'lines, des
representations de pelils combats, comme par exemple une
lutte entre deux archers, et des dessins sans art du memo
genre.
Lorsqu'en 530 Cosmas, allant visiter les Indes, ob-
serva ces inscriptions monumentales , ne possedant pas
de clef pour les dechiffrer, il ne pouvait guere s'empd-
cher de les attribuer aux Hebreux. Dans son opinion,
apres avoir re(ju les tables de la loi, les enfants d*Israel
avaient consacre leurs loisirs a s'exercer dans Tart d'ecrire.
Des Juifs qu'il avait questionnes a ce sujet lui dirent que
ces inscriptions ne contenaient que des noms de voyageurs
avec celui de leur pays et la date de leur passage. II sem-
blerait done que la gent voyageuse avait voulu laisser un
souvenir dans ces lieux, ainsi que les voyageurs du temps
de Cosmas avaient d6ja Thabitude de le faire dans les
hfltelleries. Depuis le xvii® siecle un grand nombre de ceux
qui ont fait le voyage du Sinai ont parle de ces inscriptions ;
plus tard, et particulierement depuis 1753, Tevfique irlan-
dais Clayton avait promis une forte somme pour s'en pro-
curer une*copie, et plusieurs copies en avaient 6t6 publiees.
On pensait alors qu'il y avait 1^ d'importants 6claircis-
sements sur TAncien Testament ; c'est pour cette raison
qu'un 6v^ue avait propose un prix de 500 livres sterling.
Depuis quelques dizaines d'annees Tint^rfit n'a fait qu'aug-
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 33
menter : des copies plus exactes et plus completes de ces
inscriptions ont el6 obtenues; leurs caract6res singuliers
ont ete 6tudi6s d'une maniere plus approfondie. Toutefois
Topinion qui les attribue au passage de Moise a toujours
ses partisans, en Angleterre du moins ou la pi6t6 s'en est
emparee*. Les savants allemands, au contraire, ont et6
amenes par de serieuses recherches a de tout autres r^sul-
tals. Les inscriptions n'en conservent pas moins un
grand interfit, quoiqu'elles n'aient plus rien de commun
avec la marche du peuple de Moise, et qu'elles ne remon-
tent point aux Sges pharaoniques auxquels appartiennent
les monuments hieroglyphiques de Sarbout-el-Khadem et
du wadi Maghara, situes non loin de la.
Comme les caracteres de ces inscriptions tiennent le
milieu entre le syriaque estrangel et le kqufique ou arabe
ancien , k cdte de Thypothese qu'ils appartiennent a un
dialecte arabe (de Credner, 1841, et Tuch, 1849) s'el6ve
celle qui les attribue a Tidiome aramaique (de Beer, 1840,
et Levy, 1860). La derniere parait Temporter sur Tautre.
Selon elle, ils ont pour auteurs des Nabalheens qui, des
repoque de la souverainete de Babylone et plus encore
depuis sa decadence, quitterent la Mesopotamie, leur patrie,
etemigrerenten grandes masses vers Touest. Ils s'etablirent
ia, entre la mer Morte et la contree orientale du Jourdain
d'une part, et les deux golfes de la mer Rouge de Tautre,
1. Voici quelqaes exemples des interpretations donndes par un ministre an-
glican nomme Forj^ter : • Le peuple, poussani comme un 4ne, excite Moise k
ia colore. — Le peuple, Ane sauvage, rempli deau » et ainsi de suite. En
toat etat de cause, cela ne laisse pas que d'etre une trds-singulidre Voix du
peuple dltrael sortant des rockers du Sinai, comme se nomme le livre de
Forster. Au demeurant les goi^ts difforent en ces mali^res.
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34 TfiRRE-SAINTE
et des le iv* sifecle avant Jesus-Christ ils y avaient solide-
ment 6tabli leur domination. Le langage qu'ils apport^rent
6tait un idiome aramaique, qui ne put rester tout a fait
stranger a Tinfluence de la langue locale de TArabie P6-
tr^. Ils ont laiss^, ordinairement en moins grand nombre,
dans les passages conduisant de Test et de I'ouest au mont
Sinai, des inscriptions semblables a celles du wadi Mokat*
teb et des valines du voisinage. Les principales, apres
eelle du wadi Mokatteb, sont celles du Serbal et de la
montagne 6crite prfes de Tor.
Si Ton se demande ensuite Toccasion, le but de ces ins-
criptions, je partage Tavis de Tuch : elles sont des souve-
nirs laisses par de pieux pelerins , non par des Chretiens
nabath^ens se rendant a I'antique montagne de la loi,
comme Ta pens6 Beer d'apres Burckhardt et autres, mais par
des gens allant a leurs f6tes paiennes nationales. II est de la
plus grande probability que le Serbal, dont les cinq ou sept
majeslueuses cimes pouvaient representor les trdnes du
soleil , de la lune et des cing planetes , 6tait le centre
du culte des etoiles. Au pied du Serbal se trouve le wadi
Feiran, bois sacri des palmiers; le wadi Mokatteb y touche
presque imm6diatement ; de la vient qu^en ce lieu, ou il
parait que les tables de la loi furent 6rigees par rfilemel
lui-mSme, on trouve une plus grande abondance de me^
mento de pelerins sabeens se rendant au Serbal. Nous
disons de memento, car ces inscriptions ne consistent guere
que dans des mols tels que ceux-ci : Qu*il soil gard4 un bon
souvenir de tel ou tel ; que tel ou tel demeure en ben^
diction t
En ce qui concerne la date de ces inscriptions, elles pa-
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VOYAGE DANS LB DESERT 35
raissent provenir des siecles les plus rapprochds de Jfeus-
Christ, ayant et apr6s.
On pourrait plus facilement Clever des objections centre
le commeaeement de cette p^iode que centre la fin, h
moins que, comme ie veut Levy, ranalogie de caractferes
des medailles nabatheennes du n* siecle avant notre ere,
recemrtient decouvertes a P^tra, ne donne pr6cisement celte
date initiale *■ . Mais les caract^res des monnaies ne permettent
pas des conclusions d^cisives k Tegard des inscriptions sur
pierre et surtout de celles du Sinai. Nonobstant toules les
preuves fournies par les comparaisons, ©n pourrait loujours
substituer le ni^ si^le au n", lorsque d'autres considerations
viendraient a Tappui d*une epoque plus recul^e. L'6poque
finale des inscriptions se manifesto sur les rochers d'une ma-
niere particuliere en ceque des noms chr6tiens ecrits en ca-
racteres grecs commencent a s'y mfiler aux noms naba-
tMens, ecrits quelquefois eux-m6mes en caracteres grecs et
m6me en certains lieux dans les deux langues. G'est noni-
mement a la fln du u* siecle de Tere chretienne, epoque k
laquelle la puissance des Nabatheens fut an^antie par les
Remains, oudu moins au commencement du m^ que les noms
Chretiens apparaissent pour la premifere fois sur le Sinai; des
Chretiens persecutes s'y refugient de TEgypte dans cet asile
du d6sert ou un siecle plus tard les anachor^tes Chretiens
possederent une de leurs plus florissantes residences et
m6me une ville chretienne. Les rochers eux-mfimes t^moi-
gnent de Thostilite avec laquelle se rencontrerent rel6ment
Chretien et rel6ment paien. On en trouve notamment une
i. Vayez ZffiUchr. der deutieh. morgenl Qet. iSOO, III, p. 400.
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36 tERRE-SAlNtE
preuve dans le wadiMokalteb ou, a cdt6 de plusieurs noms
Chretiens, enlre autres d'un diacre Job et comme s'y rap-
portant, on lit : Mauvaise canaille. Mot, le soldat, je Vecris de
ma main. On doit 6videmn[ient attribuer k I'^Iement Chre-
tien ces croix aflfectant eflfeetivement la forme chr6tienne,
comme aussi la croix monogrammatique^ si rapproch6e
de la croix egyptienne h anse (Henkelkreuz), et peut-etre
m6me d'origine 6gypto-chretienne. Ce qui caract6rise plus
particulierement cet element inlroduit plus tard dans les
inscriptions, c'^st de voir une main chr6tienne donner,
dans son zele pieux, la forme d'une croix a un signe naba -
th6en en y ajoutant un trait, sans s'embarrasser du sens
des caracteres.
D'apres ces explications, je n'ai pas besoin de chercher a
peindre Timpression que produisent sur les pelerins ac-
tuels les inscriptions du wadi Mokatteb. La spontaneite,
roriginalit6 de ces inscriptions en accroit encore la valour.
Ce n'est pas le crayon d'un ecrivain exerc6 qui s'est eter-
nise sur ces roches, mais la main du voyageur lui-m6me
qui Ta fait de son mieux. Notre epoque, qui a lev6 lant de
voiles, a aussi port6 la lumiere dans les tenebres qui cou-
vraient cette vall6e aux inscriptions. Nous y voyons appa-
raitre k travers tant de si^cles les noms d'un Asou» d'un
Obeidou, d'un Ambrou, d'un Gozachou, d'un Boreiou, qui
s'oflfrent a noire souvenir graves de leurs propres mains.
Tandis que les annales du grand peuple auquel ils appar-
tenaient sont plong^es dans une profonde obscurite, ces ro-
chers du desert s'animent et deviennenl d'eloquentes pages
d'hisloire.
Mais hftlons-nous de quitter les roclies parlantes du wadi
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 37
Mokatteb pour nous reposer dans la valine de Feiran, qui
le suit imm6diatement, comme je I'ai dit plus haul. On
pourrait dire : \k !e pass6 revit par ses souvenirs; ici fleurit
le present, — si la valine de Feiran n'occupait pas elle-m6me
sa place dans la m^moire du pass6. Mais ce sent d'abord
sa magniflque vegetation et son site ravissant qui excitent
Tadmiration du voyageur et arrfetent ses pas.
Dans la soiree du 28 Janvier, j'avais atteint la sortie du
wadi Mokatteb. line colline de grfes s'elfeve entre cette
valine et le wadi Feiran, qui suit au nord-est la direction
orientale de notre route. Ce rocher parait entraver la reu-
nion des deux wadis, mais au lieu de cela, le wadi Feiran
tourne tout a coup au sud et court avec son torrent d'hiver
directement jusqu*^ la mer.
Apres notre entree dans le wadi Feiran, nous chemi-
names a travers une plaine rocheuse, ca et \h sem^e de
tamarix et de buissons divers parmi lesquels on voyait
aussi des acacias a gomme, et bornee des deux cdtes par
des chalnes granitiques. Nous marchions k dos de cha-
meau depuis sept heures du matin, lorsque dans la pre-
miere heure de Tapres-midi nous apercdmes une oasis de
palmiers arrosee par un clair ruisseau descendant des mon-
tagnes. Ce tableau nous annon^ait le paradis de ce desert,
mais il nous fallut encore une heure de marche pour Tat-
teindre. En y arrivant je fls dresser ma tente a Tombre de
hauts palmiers et non loin du ruisseau. Pres de la se trou-
vaient quelques huttes d'Arabes qui avaient attire mon
scheik Nazar beaucoup plus que les cimes ombreuses des
palmiers, car il y poss^dait plusieurs ami§ auxquels il 6tait
fort attache, ainsi qu'un certain nombre de datliers dont
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38 TERRE-SAINTE
la r^calte ne fornviit pas une des moindfes portions de son
reYenu.
Pendant que !e cuisinier me pr^parait une poule au
riz, j'allai me promenef dans la valine. Sur une etendue de
deux heures de marche elle court de I'ouest a I'est, n'ayant
guere plus de dix minutes de large. Dans cet espace, elle
se pr^sente comme un magniftque tableau encadr^. Un
epais bosquet de palmiers, d'une vigoureuse v^g^tation, y
ser pente en moetleux detours entre de colossales murgilles
de porphyre et de granit dont les limites sombres d'un
gris rouge et brun, quelquefois mfeme d'un rouge sang, con-
trastent aussi admirablement avec le vert tapis des pal-
miers qu'avec la voCite azuree du ciel, 6tendue sur le tout
d'une chaine a Tautre. En lui-m6me, ce fond de palfniers
r^unit le charme a la majeste; mais les hautes et in^bran-
lables murailles qui Tentourent avec rudesse ajoutent une
impression imposante au sentiment qu'il inspire. Pendant
ma promenade, ^ Tapprochedu soir, j'eus aussi le plaisir
d'entendre quelques chantres ail^s, dont Tun approche de
notre rossignol. Ses douces et m^lancoliques roulades r6-
veillferent moins en moi le regret de la patrie absente que
le d6sir de pouvoir faire partageraux 6tres chers h mon
coeur les jouissances de cet instant, qui m'a laiss6 un sou-
venir ineffagable.
Les enfants du desert k qui un sort heureux a
donne cette vallee pour patrie ont encore d'autres motifs
de Tapprecier. La culture si lucrative des dattes ne
forme pas son unique richesse; le tabac et le chanvre,
destine a la preparation de I'enivrant haschisch, sont
aussi diligemment cultives dans Jes bosquets de dat-
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VOYAGE DANS LE B^SERT 30
tiers ; il faut y joindre les amandiers et les figuiers, les Gran-
gers et les grenadiers, et particuli^rement I'arbre nomm6
nibekoMsittSri, dont les baies rondes et rouge&tres, grosses
eomme une noisette, sent nourrissantes et d'un %(M agr^able.
Gette fertility de la valI6e ne doit pas 6tre uniquement
attribute a Tabondance de ses eaux, qui la distingue au de-
meurantde tous les autreswadis de la p^ninsule; on en
trouve aussi la cause dans une esp^ce particuli^re de d6pdts
trte-f6condants que son sol reooit et qui se manifestent
quelquefois, sous des formes tr^s-extraordinaires, en nom-
breux mamelons argileux, d'une centaine de pieds de haut
et plus, dont abondent la moiti6 orientale de la valine de
Feiran et le wadi Scheik qui la suit. II serait certainement
plus int^ressant etplus ^difiant de pouvoir ajouter foi aux
traditions du vi^ siecle. Elles altribuent le clair ruisseau de
la montagne du wadi Feiran a la puissante baguette de
Moise, et font honneur de la fertility de la valine a cette eau
miraculeuse.
Le wadi Feiran est peupl^ d'un assez grand nombre de
fomilles arabes qui habitent, sous les palmiers, des huttes
basses et de la construction la plus simple; ces huttes mi-
serables n'ont qu'un rez-de-chauss6e, et consistent en pieces
protegees par des parois assez mal bftties, en bois ou en
pierre, avec une toiture faite de clayonnage et de branches
de palmier. Un ou deux jardins se distinguent par des cons-
tructions un peu moins primitives; Linant-Bey, lec6Iebre
ing6nieur et savant fran^ais, en possede un, od il vient du
Caire passer I'^te. Le monast6re du Sinai a aussi plusieurs
possessions dans la valine, qui sont habitues et cultivees par
ses serfs b^ouins.
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10 TERRE-SAINTE
Toutefois, du sein de ce riant tableau, plein de vie et
de prosp6rit6, surgissent encore les souvenirs sombres
ou brillants d'un passe de plusieurs mille ans. A Ten-
tr^e occidentale de la valine, Toeil du voyageur est
frapp6, du c6l6 du nord, par de nombreuses .mines situ6es
k peu de distance les unes des autres sur le penchant de
deux collines, derrifere les palmiers. De m6me, un mamelon
isol6, qui precede le d6tile ou se trouve le bois de palmiers,
est couronn6 par les ruines d'un grand 6difice qui en couvre
tout le sommet; vis-a-vis de ce mamelon, au nord comme
au sud, on apercjoit aussi des edifices en mine. De nombreux
restes d'anciennes habitations des longtemps abandonn^es,
et aussi de sepultures, sont encore disperses dans le d^fil^
comme sur les montagnes avoisinantes.
Si nous nous demandons h quelle epoque se rapportent
ces ruines, les sources historiques nous fournissent trois
p6riodes pendant lesquelles a existe en ce Heu une ville nom-
m6e Faran. D'abord Ptol^m^e nous parle d'une cit6 de
Faran au ii* sifecle. Divers manuscrits et monuments du
iv^ si^cle nous apprennent ensuile que la ville chr6tienne
de Faran y florissait avec un conseil et un si6ge episcopal ;
plusieurs de ses 6v6ques, du v® au vii« siecle, nous sont
eonnus.Enfin,rhistorien arabeMakrizi parle, avant la fin du
XV' sifecle, d'une ville amalecite, ainsi mahom^tane ou tout
au moins non chr6tienne, nomm^e Faran. Les ruines que
nous avonsdevant les yeux paraissent done devoir 6tre attri-
butes d'abord a la ville amalecite du xv' si6cle. Toutefois il
est plus que probable que ces derniers Faranites, dont
Edrisi fait mention dfes le xii® siecle, avaient employ^ beau-
coup plus d' edifices antiques qu'ils n'en avaient construit de
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 41
nouveaux, hypothfese veriflee pap les recherches plus atten-
lives faites dans quelques ruines isolees. Les restes qu'on y
a trouv6s appartenaient a la ville 6piscopaIe chretienne, de
m6me qu'a present encore une 6glise et un cloitre se
distinguent des maisons d'habilalion. Le cloitre ^tait
situ6 pres de la colline orienlale avec un des deux groupes
de maisons, sur une eminence isolee. J'y montai el y jouis
d'un magnifique point de vue. II est probable que le grand
edifice donl il est question plus haul, situe sur le mamelon
isole a Tentr^e occidentale de la vallee, etait le palais de Te-
veque. II dominait la ville qui s'6tendait au nord-est devant
lui et il avail en face au sud, a deux heures de marche seu-
lement, le Serbal avec ses cimes gigantesques, menac^ante^
comme un grand malheur.
Rien ne nous apprend comment il se fait que cette ville
chretienne et 6piscopale, qui avail surgi de si bonne heure
dansle desert du Sinai, comme un flambeau dans les ombres
de la morl, soil lomb6e en decadence au bout de quelques
siecles; le fait est d'autanl plus surprenant que le convent
de Sainte-Catherine au Sinai s'est parfaitemenl conserve
depuis le vi^ siecle, 6poque de sa fondalion par Tempereur
Justinien. II est assez a pr^sunier que, par la position qu'il
avail prise centre Teglise imperiale de Byzance dans les
querelles du monothelisme (c'est-a-dire, les querelles au
sujel de I'unite de la volenti divine et humaine dans
le Christ) el par la condamnation qui en avail et6 la
suite, Theodore, le dernier evfeque de Faran donl les an-
nates ecclesiastiques fassent mention, altira la chute de eel
ev6ch6. On ne peul admettre que le convent de Justinien, au
Sinai, ail supplanle I'evSche de Faran, sans que la ville elle-
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4J TERRE-SAINTE
m6me ait 6t6 soumise a une d6vastation hostile; or, dfes le
VI® siecle les pr61ats Theonas et Photius prennent leur litre
du mont Sinai el de Teglise de Faran. Au contraire on
comprend facilement qu'apres la chute de cetle derniere le
couvent du Sinai ait pris une plus grande importance hie-
rarchique.
Quelque extraordinaire que soil le fait, nous savons
encore moins comment la ville paienne de Faran, dont parle
Ptolemee, etait devenue chretienne. Les persecutions des
Chretiens en Egypte, et les emigrations qui en ont 6t6 la
suite, peuvent y avoir puissamment contribu6. De plus,. la
population paienne qui s'y trouvait etablie n'etait probable-
ment pas fort nombreuse, ainsi que le donne a penser
Texpression m6me de Plol6m6e.
Mais toutes ces reminiscences nous retiennent encore fort
loin de Thistoire primitive du bois de palmiers. C'est en ce
lieu que Moise et Israel onl combattu centre Amalec et son
peuple. II est probable que ce peuple y a eu Tune de
ses residences. D'apres Diodore* et d'autres, dont les
recits sent corrobores par les inscriptions mentionnees plus
haul, le bois de palmiers et le majestueux Serbal nous ap-
paraissent, mille ans plus tard , comme le centre d*un
1. En parlant du Bois de Palmiers, Diodore vante sa ricbesse en sources
froides comme de la neige, sources qui le couvrent d'une fralche verdure et
le rendent charmant et fertile. Sa magnificence au milieu d'un d(}sert inha-
bite le fait considerer comme un lieu saint par les barbares. II y existe depuis
I'antiquite un autel en pierre dure, portant une inscription en caract6res
anciens et inconnus. Un homme et une femme y consacraient leur vie en-
ti6re au service divin. Les habitants y atteignent un 4ge trds-avancd. Tons
les einq ans on c^ldbre dans ce bois une f^te a laquelle les gens des envi-
rons accourent de tons c6tes pour offrir des chame,aux bien nourris en h^ca-
tombe aux dieux du bois, et en m6me temps pour remporter dans leurs
foyers de I'eau de ses sources qui passe pour sacree.
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 43
culle paien et nommtoent de celui des dieux des Sab^ns,
de sorte qu'ils avaient cerlainement ce caractfere bien ante*
rieurement au in"" sifecle avant J6sus*Christ, sans que les
maigres annates de cette ^poque en fassent mention.
Quel pass6 git enfoui sous T^ternelle verdure de ce bois
de palmiers ! Le nuage d'idoiairie dont il avait 6t6 couvert
est pepc6 par les brillants rayons de deux r6v61aiions.
Reconverts d'une vie nouvelle et florissanle, ces rochers, ces
ruines nous racontent 6Ioquemment les antiques combats
de la foi et de la superstition.
Nous ne pouvons toutefois quitter ie wadi Feiran sans nous
6tre un instant rapproches du Serbal, qui en domine de
trfes-haut les palmiers comme le prince du d6sert &n par
le CrMeur lui-m6me. Entre lui, au sens le plus strict, et la
vallee des palmiers, s'interposent plusieurs montagnes de
granit, ou du moins des branches avanc^es, s^par^es les
unes des autres par des gorges , et appartenant primiti*
vement au Serbal. Le plus large et le plus long de ces
d^fil^s commence au pied de la cotline sur laquelle nous
avons cru retrouver Tancien palais episcopal; il porte
le nom de wadi Aleiat. Par ce wadi, qui ne se retr^cit
en defil6 qu'au bout d'une heure de marche, on arrive
en deux heures au pied du Serbal et de la au plus haut
sommet de la montagne elle-mfeme, qui se terminepar cinq
sommit^s abruptes de granit ou de porphyre, en forme de
quilles*. Le pied exerce du voyageur inlr^pide peut 6gale-
ment gravir les autres cimes : ainsi, la plus haute de toutes
i. D'aprte les observations baromdtriqnes de Ruppell, Faltitude absolae cle
la cime la plus ^ley^e est de 6,342 pieds de Paris.
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44 TERRESAINTE
les cinq, qui est la seconde en venanl de Touesf ou la qua-
trifeme en venant de Test, a 6t6 escalad6e pap Ruppell en
1831, et par Lepsius en 1845. II est difficile depeindre Tas-
pect imposant et grandiose qu'offrent, dans une pareille
ascension, ces montagnes avec leurs gorges sauvages et
leurs teintes si flamboyantes. Ce qui surprend le plus, c'est
de trouver dans ces regions montagneuses, en apparence
steriles et toutefois non depourvues d'eau, une vegetation
vigoureuse, comme des t figuiers se propageant avec exu-
berance, » et meme une oasis de palmiers, de buissons
fleuris et de planles odoriferantes. Celte oasis, vallon en-
caisse entre deux hauts rochers, possede aussi un ancien
cloltre Chretien. La transition des grottes d'anachorete, que
Ton trouve aussi sur le Serbal, a I'habitation plus confor-
table d'un cloitre n'6tait pas trop brusque lorsque ce dernier
se trouvait dans une pareille situation. Get asile de recueil-
lement chretien d6pendait egalement de la ville episcopale
de Faran; au moins, il ne peut servir de preuve que la
montagne elle-meme fiit pour les Chretiens un objet de ve-
neration. Le caractere sacre qu'elle doit avoir possede
depuis Tantiquite aux yeux des enfants indigfenes du desert
se manifesto au contraire d'une maniere decisive. Les ins-
criptions auxquelles on a donn6 le nom de sinaitiques,
d'apres la signification chretienne qui leur ^tait attribute,
se trouvent en abondance sur une multitude de rochers et
jusqu'aux cimes les plus escarpees que Ton puisse gravir;
et elles ne sont nullemont les monuments uniques de Tatta-
chement dont le Serbal etait Tobjet pour les populations
non chretiennes. H existe jusqu'a present, au sommet d'une
des cimes form^es d'enormes blocs de porphyre, « un enclos
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VOYAGE DANS LE DESERT 4^
circulaire en pierres des champs amoncelees, et d'aulres avec
des marches, » qui y conduisent*. Lorsque Ruppell y arriva,
le Bedouin qui i'accompagnait 6ta ses sandales comme en
un lieu saint, s'approcha du cercle avec veneration et fit sa
priere dans son enceinte. 11 raconta plus tarda Ruppell qu il
avait fait deux fois, en ce lieu, le sacrifice d'un mouton,
fun pour la naissance de son fils, fautre pour sa propre
guerison d'une maladie^. De meme Burckhardt, qui gravit
en 1816 « leplus oriental » des pics qui ressemble a une ai-
guille d'enbas, raconte avoir trouv6surson sommet, au mi-
lieu d'un plateau de cinquante pasdecirconference, un cercle
d'environ douze pas de diametre form6 par de petites
pierres amoncel6es a la hauteur de deux pieds^. 11 ajoute
qu'un des « lieiix de priere » des sommets moins eleves porte
dans le pays le nom de el Monadjeei se fait remarquer par
le tombeau d'un scheik, oil I'on vient souvent en pelerinage
offrir des sacrifices *. 11 existe en outre, non-seulement sur
les cimes du Serbal, mais encore dans les parties inferieures
de la monlagne, d'autres monuments du meme genre et
lieux en grande veneration jusqu*a ce moment parmi les
Bedouins. Aussi ont-ils une grande repugnance a laisserles
« infideles » gravir leur moot sacre, ainsi qu'en temoigne
Burckhardt d'apres sa propre experience ^.
Tout interessantes et instructives que soient deja ces
4. Voyez Die Erdkunde, par Ritter, t. XIV, 3« lir., p. 704, d'aprds les
voyages de Ruppell.
2. Voyez Ritter, loco citato, p. 704.
3. Voyez Ritter, loco cilalo, p. 698.
4. Ibidem, p. 700.
5. Ritler, loco citato, p. 701, d'apr6s Burckhardt, t. II, p. 949 et suiv., 971
et suiv.
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46 TERttE-SAlNTE
considerations, des redierches plus approfondies restent
encore possibles et desirables. Ces recherches conflrme-
raient tr6s-probablement le resultat auquel sont ^galement
arrives, malgr^ certains scrupules philologiques , des
hommes profondement versus dans la connaissance des
langues semitiquesen expliquant son nom : c'est que, dans
le mont Serbal, nous avons devant lesyeux cette monlagne
de Baal que, dans une haute antiquity, les peuples enfants
entouraient d'un voile de mystere et de )a sainte terreur
qu'inspire la majesty divine.
A Test, la limite du wadi Feiran est positivement mar-
quee par une majeslueuse porte de rochers, el Bueb; cette
porte correspond au mamelon place en travers de Tentree
occidentale de la valiee des palmiers avec les mines d'un
palais : car c'est entre les deux que s'etend le magniflque
bois de palmiers. Toutefois , nous avions atleint les der-
niers de ces arbres une demi-heure avant d'arriver au
deflie oriental , et ils avaient ete remplaces par les tama-
rix, toujours verts* egalement , et qui, j usque-la, ne se
rencontraient qu'isoiement dans la valiee; sur ce point, ils
se groupent en une riche for6t dont les suaves parfums et
Tombre rafraichissante nous aocompagnerent jusqu'S Tissue
du wadi.
Pres de ce bois de tamarix nous trouvftmes ces monti-
cules d'argile ou de glaise jaunlitre, de formes bizarres et
de iOO k 200 pieds de haut, dont il a ete question ci-dessus.
Au premier aspect, on est tente de les prendre pour des
mines de chStteaux et de temples de Tantiquite la plus re-
cuiee, plutot que pour des couches alluviales. Qa et la, ils
s^appuient sur des escarpemenls de porphyre rougefttre
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VOYAGE DANS LE DISSERT 47
ou sur aes rochers de granit gris, vein6 de bleu ou
de brun, ce qui produit un contraste extraordinaire de coa-
leurs.
Le beau bois de tamarix ou de tarfa, peuple d'arbres
61ev6s el vigoureux, continue encore jusqu'a une certain©
distance au dela du Bueb, ou conamence le wadi Scheik;
puis il reparait dans toute son admirable magnificence vers
le milieu de cette valine, c'est-^-dire h environ cinq heures
de marche de distance au nord-est du Bueb. L^ nous avoni
atteint la patrie de la manne. En effet, c'est dans ce bois
de tamarix du wadi Scheik, long d'une heure de marche,
que Ton recueille encore annuellement la manne quand les
pluies n'ont pas trop manqu6. Je me suis assure par ma
propre experience dans la valine de Feiran que la manne ne
se produit que dans le wadi Scheik, ainsi qu'on me Tavait
d'abord annonc6. En eflfet, lorsqueje visitai les deuxvallees
h la fln de mai et au commencement de juin 1844, je re-
marquai que les tamarix de la premiere exhalaient k
la v^rit^ une forte odeur de manne, mais n*offraient point
le ph6nomene, observe par moi quelques jours auparavant
dans le wadi Scheik^ de perles brillantes pendant comme
de nombreuses gouttes de ros^e k beaucoup de rameaux.
Toutefois, d'apr^s Seetzen et d'autres observateurs, la pe-
ninsule du Sinai possede encore d'autres vallees riches en
tamarix produisant de la manne, mais nulle part en aussi
grande abondance que le wadi Scheik, qui, par cette raison,
a mfeme re(ju dans sa partie occidentale le nom de wadi
Tarfa. Un fait remarquable a cet egard, c'est que, hors de
la p6ninsule du Sinai, les memes tamarix croissent parfaite-
ment en divers lieux, comme d'apr^s Burckhardt en Nubie^
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48 TERRE-SAINTE
dans plusieurs parties de TArabie, sur I'Euphrate, dans le
Hedjas , mais ne donnent de la manne que dans le desert
du Sinai.
Dans cette contree, la manne se produit en sue epaissi,
comme du miel, qui pend, sous la forme de perles de rosee,
aux branchages ou rameaux, et non aux feuilles du tamarix
qui ressembie au thuya. La chaleur du soleil la fait fondre
et tomber sur le sol ordinairement convert de feuilles seches
que Ton pourrait comparer aux aiguilles des conifferes. Dans
le courant du mois de juin et de juillet elle est recueillie
dans des outres par les Bedouins et les serfs demi-bedouins
du monastere, qui la ramassent sur la terre comme sur les
branches des arbres. Les moines la transvasent ensuite
dans de petites boites de fer-blanc, que les pelerins du
Sinai remportent frequemment dans leurs foyers , comme
Tavait fait Felix Fabri des Tannee 1843 ^ La recolte de la
manne n'etant pas fort abondante^, cette substance est
consideree comme precieuse et se vend assez cher, lorsque
les Bedouins ne la consomment point eux-memes. Dans ce
1 . En 1844, ou j'avais ou le bonheur assez rare pour les voyageurs allant
au Sinai de traverser le desert au commencement de la saison de U manne,
j'avais rapporie chez moi, dans une boite de fer-blanc, plusieurs rameaux
charges de leurs gouttes de manne. La couleur blanche et brillante de ces
gouttes n'avait pas tard6 a se changer en une teinte brundtre. Ces rameaux,
que je conserve encore, ont toujours de pelites masses de subsiance brune
et collante, ainsi qu'une forte odeur de manne. lie plus, j'avais rapport^
aussi du monast^re du Sinai de petites boites de fer-blanc pleines de
manne. Cette manne, formant une substance epaisse et molle, coule len-
tement quand on renverse la boite et s'est parfaiiement conservtJe. Dans mes
deux derniers voyages, j'ai traverse la vallee de Scheik trop t6t (a la fin de
fevrier, en 1853, et au commencement du mfime mois, en 1859 ) pour pouvoir
faire de nouveiie» observations sur la production de la manne.
2. BurckharJt tivalue a ciuq ou six cents livres la recolte annuelle, ce qui
est tropdlev^ pour la recolte actuelle, mfime lorsqu'elle est bonne; toulefois
Wellsted la porte mdme a sept cents livres anglaises dans les bonnes anuses*
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 49
dernier cas, on s'en sert pour les pains aplatis et non sal6s
que Ton cuit chaque jour, emploi auquel sa douceur sem-
blable a celle du miel la rend tres-convenable.
On s'est fort peu inquiete dans les premiers sifecles de la ma-
niere dont cette manne se produit. A la date de 1483, Felix
Fabri, le chapelain d'Ulm, rapporte que la manne, pain du
ciel, continue a tomber aux mois d'aout et de septembre
dans les gorges et les vallees de la montagne sainte. a C'est
une rosee, » dit-il [loco citato^ p. 143 et suiv.), « sucr6e,
6paisse et coloree co'mme le miel, qui pend aux feuilles et
a rherbe comme de petits grains de coriandre. Les moines
etles Arabes la recueillent, et quand elle estrassembl6e,
elle prend la consistance de la resine , mais conserve sa
douceur. » U la compare meme a la manne des Hebreux;
mais celle-ci, quoiqu'elle tombat sous la meme forme, avait
plusieurs qualites surnaturelles , tandis que la manne ac-
tuelle est naturelle. Dans le desert, en eflfet, toute ros6e est
here comme du sel, ou douce comme du miel ; la ros6e du
mont Sinai est si epaisse et si substantielle que Ton peut la
saisir et la conserver. En 1697*, le chanoine francais Mor-
rison dit que « le Dieu d'Israel a voulu perpetuer a jamais
en ces lieux le miracle ancien, car il laisse encore pleuvoir
annuellement la nnanne dans les mois les plus chauds de
juillet et d'aoflt. Elle est blanche comme la neige, consiste
en gouttes grosses comme un petit pois et on la mange sur
le pain ; froide, elle se coagule comme de la cire. » II la
consid6rait comme la mfeme manne dont Israel avait 6te
nourri ; celle-ci avait le m6me goflt, et si on la mangeait
i. Voyez Ritter, DU Erdkunde, t. XIV, 3« livr., p. 667.
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50 TERRE-SAINTE
avec plus d'avidit6 qu'a present, cela tenait uniquement au
besoin et h la faim.
Les naturalistes ne se sont occup^s de cette question que
dans ces derniers temps, et le premier de tous, Ehrenberg,
en a p6netr6 le mystere en 1823. II a decouvert que la
manne provient de la piqflre d'un insecte. Get animal ,
espece de cochenille de trois lignes de long seulement, fait
aux rameaux d^licats de Tarbre ou de I'arbuste une petite
blessure invisible a I'oeil nu et par laquelle, h la suite des
pluies, suinle la s6ve clairequi s'epaissit peu a peu. D'apres
cette explication du ph^nomene, ainsi que Michaelis I'avait
dej^ presume, en 1761 , dans ses Questions a Niebuhr et i son
compagnon, la manne du Sinai a beaucoup d'analogie avec
celle de nos pharmaciens qui provient de la piqiire du frene
a fleurs, et que Ton recueiile dans le midi de TEurope, par-
ticulierement en Calabre. II reste bien encore a la v6ril6
quelques incertitudes a cet 6gard ; toutefois, d'apr^s les re-
cherches d'Ehrenberg, il est hors de doute que Tinsecte et
le lamarix sont les deux facteurs de la manne.
Si Ton se demande quelle analogic pent exister entre la
manne actuelle et le pain du ciel des H6breux, la question
ne laisse pas que d'oflfrir des difflcult^s. Ehrenberg lui-
m6me est d'avis que Texpression mosaique : il pleut de la
manne f elle tombe du ciel *, est justiflee en ce sens que jus-
1. Voyez Exode, chap, xvi, 13, 14 : « Au matin, il y eut une couche de
ros^ k I'entour du camp. Et cette couche de ros^e ^tant ^vanouie, yoici sur
le desert une petite chose ronde, menue comme de la gel^e blanche sur la
terre. » Nombres, xi, 9 : « Et quand la rosee tombait la nuit sur le camp, la
manne descendait dessus. » Plus haut, c'est-^-dire Kxode , xvi, 4, on lit :
« Alors TEternel dit k Moise : Void, je vais vous faire pleuvoir des cieux du
pain. » D'ou Texpression du psaume (lxxviii, 24) : « Et qu'il eut fait pleuvoir
la manne sur eux. »
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VOYAGE DANS LE DESERT 51
qu'^ present la manne tombe goutle k goutte de rextr6mit6
sup6rieure des rameaux de Tarbre k manne dont la hauteur
s'el^ve jusqu'^ vingt pieds. Sans compter tous les details
miraculeux que rapporte la relation de Moise au sujet de
la manne, il reste a savoir si Tindication d'Ehrenberg
nous conduit surement de la manne produite par un in-
secte a la nourriture celeste de Moise. Dans tous les cas,
on ne peut arguer de Tinsuffisance actuelle de la production,
car il serait possible de Taugmenter infiniment sans beau-
coup de peine et m6me de lui faire prendre des proportions
merveilleuses. Que si Ton veut ecarter absolument toute
analogic entre le present et T^poque biblique, on est retenu
par cetle circonstance que la manne se trouve actuellement
dans les lieux m6mes ou Israel se nourrissajt de la sienne, —
c'est-a-dire dans le desert de Sin , entre Elim et le Sinai,
d'oii le peuple de Dieu se rendit k Raphidim*, — et qu'elle
s'y trouve d'une mani^re toute speciale et sans qu aucune au-
tre conlr6e 6galement riche en tamarix offre rien de sem-
blable^, ainsi qu'il a ete dit plus haut. La saison m6me
ou la manne de Moise commeuQa de tomber — les pre-
miers jours de mai — coincide remarquablement avec le
commencement de la saison actuelle de la manne. Hitter,
homme d'un coeur aussi croyant que d*une intelligence lu-
cide et d'un vasle savoir, s'exprime a cet 6gard d'une ma-
1. Voyez Exode, xvi, 1 et suiv. ; xtii, 1.
S. On ne pent nier que pareiUe chose n'arriye encore, ni qae, par la d^con-
rerte d'Ehrenberg, la manne da fr6ae k flears de Calabre n'ait trouv^ son
analogie. Hitter lui-m^me, loeo citato, p. 682 et suiv., rapporte plasieurs faits
a ce snjeU
3. D'apr6s rEzode, chap, xvi, 1, 1'arriv^ dans le d^rt de .Sin tombe sor
le « qainzi^me jour du second mois aprds qu'ils furent sortis da pays
d'£gypte » a T^poque de la Pdque.
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32 TERRE-SAINTE
niereparfaile. En rapprochant plusieurs particularites *, il se
range completement a Topinion que ia noanne actuelle est de-
cldement en rapports avec celle de la Bible. Selon lui, en
pr6sence d'expressions telles que celle de la pluie de noanne,
il faut r6fl6chirque,nonobstant les progr^sdes sciences na-
tu relies, nous n'avons acquis nous-m6mes que depuis fort peu
de temps Texplication du phenomfene (V. loco citato, p. 679),
tandis que les Bedouins continuenl jusqu'a present a faire
pleuvoir la manne, et que memo Flavins Josfephe partage
cette noaniere de voir, car il 6crit que par la gr&ce du Tout-
Puissant la m6me nourriture continue a pleuvoir sur le Sinai,
dans les lieux mfemes ou fut donnee la loi (p. 680) 2;
toutefois, malgre toutes les analogies et les explications, le
miracle qui nous y est transmis n'en demeure pas moins
merveilleux. En m6me temps il defend, en s'appuyant sur
les etudes de Hengstenberg, une foule de commentaires du
texte sacre, d'apres lesquels il n'est pas dit que la pluie de
manne ait continue journellement pendant quarante ans, ni
qu'elle ait form6 la nourriture unique du peuple.
Quoique loin d'etre complete, cette longue exposition des
opinions de Bitter prouve du moins a quel point I'auteur
de cette esquisse de voyage est d'accord avec lui. Nous
croyons devoir ajouter seulement que Topinion precitee de
Morrison reste fondee pour ceux qui conservent encore
i. Voyez loco citato, p. 681 et suir. 11 prend tout particulidrement en consi-
deration ce passage de I'Exode, ilvi, 31 : « Et elle etait comme de la semence
de coriandre, et blanche, et avait le goi]Lt de pain au miel. •
2. Jos^phe, Ant. Jud., Z, i, 6, dit positivement de la manne qn^elle pleut
(uerat) encore jusqu* a present. Philon, dans la Vie de MoUe, croit aussi que la
manne celeste ^tait une pluie miraculeuse, mais il ne parle point de la conti-
nuation du ph^nom^ne.
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VOYAGE DANS LE DESERT 53
quelques scrupules sur la question de savoir si la produc-
tion actuelft de la manne pent 6tre compl6tement identifi^e
avec le pain celeste mentionne avec tant de solennit^ par
le Sauveur lui-meme *. En tout etat de cause, la manne de
nos jours doit toujours 6tre consider^e comme un souvenir
sacre des merveilles accomplies par le Seigneur pour son
peuple de predilection, lors m6me que nous ne pourriofis
controler personnellement celles-ci, quant a leur nature
intime.
Si nous poursuivons la route du Sinai par le wadi Scheik,
a une heure de marche au dela des arbres tarfa riches en
manne, a un endroit ou le passage se retrecit, nos regards
sent emerveilles a Taspect de deux murs de granit brun
rouge, vein6 debleu noiratre, polis et brillanls, s'elevant
des deux cdtes a plusieurs centaines de pieds. Entre le
wadi Moka tteb et le Sinai, ces montagnes antediluviennes
offrent plusieurs portes de rochers d'un aspect grandiose ;
mais aucune d'elles ne produit une impression aussi pro-
fonde que celle-ci. En ce lieu, le pelerin du Sinai est saisi
d'un pieux eflfroi, car il lui semble franchir le seuil qur le
conduit dans la demeure d'un maitre tout-puissant pour qui
les forces de la nature, comme des esprits tributaires, ont
eleve ces imperissables murailles. Quand on a passe ces
portes, on voit se developper un veritable amphithe&tre,
joyeusement emaille de gazon, de plantes et d'arbustes.
Quelques roches isolees y sent dispersees Qk et la ; Tune
d'elles porte le nom de chaise de Mo'ise, ou plus exactement
de lit de repos du seigneur Moise. Si parfois les Bedouins
1. Evangile selon saint Jean, vi, 49, 50.
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64 TERRE-SAINTE
substituent ie nom de Mahomet h cetui de Moise *, c*est
que la tradition chrelienne et la tradition mu^ulmane se
touchent sur ce point. La premiere de ces deux denomina-
tions tient sans doute a ce que ce lieu 6tait Raphidim, soil
que Ton entende par chaise de Moise le sommet de la colUne
sur lequel se tenait Moise avec la verge de Dieu dans sa
main ^ pendant le combat centre Hamalek, ou que ce flit le
lieu oil son beau-pere Jethro, de Madian, lui ramena sa
femme et ses enfants, et lui donna de sages conseils ^. De
mfime que' par la marche de son dromadaire sur le Sinai,
Dj^bei-Mousa , le grand prophete, entre en concurrence
avec les souvenirs de Moise, les Bedouins font aussi asseoir
leur Mahomet sur la chaise de Moise. Mais ce qui est plus
remarquable, c'est que celte tradition de Raphidim, con-
serv6e parmi les Bedouins, ne paralt pas denude de fonde-
menls devant des recherches scientifiques plus sevferes, car
Robinson * entre autres en parle avec favour. En tout cas,
il est a noter qu'a mes yeux le terrain parait tout a fait
propre a servir de champ de bataille a de semblables com-
battants du d6sert.
L'amphitheatre se ferme apres dix minutes de marche
environ; les montagnes antediluviennes se retirent des deux
c6t^s ; mais, plus loin, la route nous ofifre les pics majes-
tueux du groupe sinaitique. Ainsi les portes sent derriere
nous, et nous avons devant les yeux la montagne de Dieu,
le trdne de Jehovah.
i. Voyez Ritter, loco Htato, p. 648.
2. Exode, XVII, 9.
3. Exode, i et suiv.
4. Voyez Palastina^ etc., f. i, p. 198 et suiv.
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VOYAGE DANS LE DfiSERT »8
A deux heures de marche environ avant d'arriver au pied
de ces v6n6rables rochers et en mfime temps au monastftre
de Sainte-Catherine, nous rencontrftmes le sanctuaire le
plus sacr6 du desert, le tombeau du prophfete ou scheik
Saleh. Pour les Bedouins, cet antique monument vient im-
m^diatement apres la montagne de Moise, qu'ils consid^
rent aussi comme sacr^e ; le wadi Scheik en tire mfime
son nom, car Saleh est le scheik de tons les scheiks. Si,
dans Torigine, ce personnage sacr6 n'etait pas le grand pro-
phfete Saleh dont il est parl6 dans le Koran, il en a pris le
rang pen a pen aux yeux des generations qui se sont suivies;
et maintenant son tombeau est devenu comme un sanctuaire
central pour les Bedouins, qui s'y rendent anniiellement en
pfelerinage et y celebrent leur grande fSte. Comme j'ai
personnellement assists a une de ces solennites k mon pre-
mier voyage, circonstance qui se rencontre rarement, je
me permets d'en rappeler id le souvenir en quelques mots.
Le 23 mai 1844, vers midi, tandis que je me trouvais
sous ma tente, plusieurs troupes de Bedouins, hommes,
femmes et enfants, montes sur des dromadaires richement
harnachfis, passerent non loin de mon campement, accom-
pagn6s de troupeaux de moutons et faisant entendre au loin
leurs chants joyeux. Ces gens se rendaient a la ftte de Saleh.
Quelques scheiks entrerent dans ma tente et m'invitferent
instamment a y prendre part; je leur promis de m'y arre-
ter quelques instants h mon passage. Lorsque je m'appro-
chai peu de temps aprfes de la tente du banquet, les scheiks
vinrent au-devant de moi jusqu'a trente pas, et leurs ami-
cales invitations, reit^rees avec instances, ne me permirent
point d'y resistor. J'entrai avec eux dans la grande tente
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M TERRE-SAINTE
commune et pris place au milieu de quarante a cinquante
chefs. La tente n'6tait fermee que de deux cdtes ; vers le
nord on apercevait les troupeaux, les chameaux et les dro-
madaires; au sud brillait un feu sur lequel on pr^parait
activement le cafe. Comme amphitryon principal figurait
le prince ou premier des chefs, homme d'une haute stature,
a traits vigoureux, ayant des yeux bruns et une barbe
noire. 11 6lait coiffe d'un turban blanc avec un fez rouge ;
un long vfetement d'etoffe de laine legere le couvrait jus-
qu'aux pieds, qui 6taient nus. Sur la mfime ligne que cette
tente, il y en avait plusieurs autres plus petites, dont Ten-
tr6e elait fermee par des tapis et ou se tenaient les femmes
et les enfants.
On m'offrit une tasse de cafe, suivie d une seconde, ainsi
qu'a tons les autres personnages assis en cercle, puis on
alluma les pipes et la conversation s'anima.
Au bout d'une heure on fit solennellement le tour du
tombeau, consistant en une petite maison en pierres, situee
au sommet d'un mamelon rocheux, k quarante pas en
arriere des feux du campement, et qui avait evidemment
6te crepie a neuf pour cette fiJte. Les femmes, pudique-
ment voil6es, marchaient en t6te de cette procession, qui
gravit la colline au son de leur chant oriental si connu, fit
le tour du tombeau et flnit par y pen^trer ; la, les femmes
priferent pendant quelques minutes prfes du tombeau du
saint, convert d'une etofife verte dans laquelle sont tisses
des versets du Goran. De jeunes gardens conduisaient les
agneaux du sacrifice, au nombre de cinquante environ ; au
haulde la colline, on leur coupa quelques polls sur le front,
qui fut I6gferement 6corche, puis on les tua au bas du mon-
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VOYAGE DANS LB DfiSERT 57
ticule, on les pendit aux tentes pour les d6pouillep de leurs
toisons et on les hacha en morceaux avec de grands cou*
teaux en forme de glaive.
Pendant que Ton preparait le repas, il y eut une course
de dromadaires que les femmes animferent de leurs oris
joyeux derrifere leurs tentures. Apres la course, dont un
orage de montagne accompagna la fin de son fracas, vint
le banquet; toute la viande etait boulUie, sans aucune
exception. Les convives se reunirent par groupes de quatre
a six; on y apporta les viandes dans un baquet de
bois et on les servit sur des peaux d'agneau. Chacun
.'prenait sa part et la mangeait avec les instruments dont
Tavait done notre m6re Nature ; je fis comme les autres.
Ce mets fut suivi d'un pilau de farine d'orge avec fort peu
d'assaisonnement. Pour boisson, nous eflmes d'excellente
eau. Tel fut le regal de ces rois du desert a Tune de leurs
grandes ffetes annuelles ; on comprend facilement qu'aucun
d'eux n'en rapporte la goutte.
Une danse des femmes devait avoir lieu apr^s le repas;
mais comme I'orage continuait avec un redoublement de
violence, il fallut y renoncer.
Je quittai le campement le lendemain matin; toutefois, la
f6te continua probablement plus longtemps, et je presume
quele pfelerinage des Bedouins a la cime du Sinai, qui eut
liefl huit jours plus tard, d'apres mes notes, Ten marqua la fin.
Apres celte excursion au wadi Scheik, a ses tamarix
manniferes, a ses portes de rocher^ et a son lieu saint ,
retournons au point ou il commence, a Touest. En eflfet, je
ne traversal, a ce voyage, le wadi Scheik que le 7 favrier,
en retournant en Egyple, tandis que, le 30 Janvier, j'avais
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58 TERRE-SAINTE
pris la route du Sinai, la plus courte, mais la plus penible.
Aprfes avoir laiss6 derrifere nous el Bueb, rochers qui ter-
minent le wadi Feiran, notre route nous fit d'abord passer
devant Tentr^e occidentale du wadi Scheik, qui de la forme
une courbe s'etendant fort loin au nord-est, et nous con-
duisit dans le wadi Selaf, qui court au sud-est. Ce dernier,
dont la longueur est de six heures de marche, est un des
plus interessants du desert du Sinai; il le cede a peine a
aucun autre pour la vari6te de ses rochers, et quoi-
qu'il ne possMe point de palmiers, la v^g^tation de ce
wadi est si riche, que deux tribus de Bedouins s'y sent
etablies avec leurs tentes noires. En passant devant ces
villages de tentes qui se transportent sans grandes difficul-
tes d'une valine a Tautre, il etait difficile de se refuser aux
invitations amicales de leurs scheiks ; mais comme il me
semblait possible d'arriver au monastere dans cette journee,
qui etait un dimanche, Je ne pus accorder a mon escorte
que le temps de les saluer en passant, ce qu'ils Brent avec
une grande cordialite, en s'embrassant a plusieurs reprises
comme des freres.
Avant d'entamer la t^che principale de cette journee de ^
marche, le passage du Nakb el Haouwy, nous en eflmes un
avant-goflt en descendant un 6troit sen tier fort abondam-
ment seme de roches des plus genantes. Enfln, a deux
heures de I'aprfes-midi, nous etions au pied du celebre/co/
des vents lui-m6me. C'est vainement que Ton a cher-
che a representor ce passage comme une nouvelle route
de montagne ouverte dans le but de plaire au monas-
tere, c«r des inscriptions sinailiques dispersees sur ses ro-
phers dans toute Tetendue de ce passage (en 1853 j'en ai
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VOYAGE DANS LE DfiSERT 5d
compt6 sept) en font remonter Texistence at Temploi a
plusieurs sifecles avant la fondation du monast^re de Justi-
nien ! Que Tart ait cohcouru a rendre praticable ce passage
sur ou a travers la montagne, cela est ppouve par plusieurs
points du desert de rochers oil un chemin a ete trace, Le
col iui-m6me en offre une preuve directe. Des deux cdt6s
s'61ancent dans les airs d'imposantes masses de rocbers
antediluviens, crevass6s de toute part. Tandis qu'^ gauche
nous avions un precipice qui s'enfoncait par place a une
assez gpande ppofondeur, le sentier passait sur la saillie
inferieure d'un entassement de roches granitiques s'ele-
vant h une hauteur de plus de cinq cents pieds. Ce sen-
tiar escarp6 s'61eve par une infinite de detours entre les
roches roulees. Les chameaux de somrae doivent d^ployer
autant de vigueur que d'intelligence pour Tescalader heu-
reusement avec leur charge ; souvent leurs conducteurs
sent obliges de les guider et de les assister dans cette tftche
ardue. Vers le milieu du col le chemin devient meilleur; le
precipice a gauche s'est presque nivele et ne forme plus que
le lit sauvage et romantique d'un torrent qui descend
annuellement des monlagnes et apporte les eaux fertilisantes
aux valines qui Tattendent avec impatience. En atteignant
ce point a quatre heures etdemiedeTapres-midi, j'acc^dai
au desir de mes Bedouins de faire halte, car nous ne pou-
vions nous exposer h 6tre surpris par Tobscurit^ dans un
chemin si difficile. Notre campement au milieu de cette so-
litude 61ev6e des rochers fut rendu praticable par la ren-
contre d'une petite plate-forme sablonneuse juste assez
grande pour y dresser la tente. Les chameaux trouvferent
aussi pour se restaurer quelques buissons croissant parmi
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60 TERRE-SAINTE
les rochers. Nous ne (iimes pas importunes par les habitants
ennemis de Thomme que peuvent renfermer ces abimes ;
seulement de nombreux vols d'aigles planaient au-dessus
des cimes, et nous semblions avoir egare notre campement
dans la region de leurs aires.
Le 31 Janvier, a sept heures du matin, nous continuftmes
notre route a travers les rochers, qui, dans leur partie orien-
tale, perdirent de plus en plus leur forme abrupte. Lorsque
la vallee commenca a se developper a nos regards, nous
vimes s'^lever a peu de distance, dans Tazur d'un ciel sans
nuages, la majestueuse montagnede granit sur laquelle Israe-
lite, Chretien et musulman celebrent jusqu'a present le souve-
nir de la loi r6velee. D aucun autre c6le elle ne pent produire
surlepelerin une impression aussi puissante. — Bientdt nous
atteignimes la vaste plaine de Rahah elle-m6me, d'oii surgit,
a une hauteur de deux mille pieds au moins dans son escar-
pement, cette cime septentrionale et denudee de la chaine
du Sinai que Ton nomme commun^ment le mont Horeb. A
sa droile on apergoit k la lisiere du d6sert de sable deux
points verts detaches, formes par deux jardinsappartenant
au monastere. A gauche nous apparait bientdt, hardiment
jete dans une gorge etroite et construit comme une forte-
resse entre deux monlagnes de granit, le monastere de
Sainte-Catherine. L'eternelle verdure des cypres qui sur-
montent les murs de son jardin semblait un message de
bienvenue a notre adresse. Apres avoir franchi la plaine de
Rahah sur la gauche, en avant de la large ouverture du
wadi Scheik, nous entr^mes dans le wadi Schueib, qui
court en forme de gorge dans la direction du sud-est, et a
dix heures nous arrivftmes au monastere de Sainle-Cathe-
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VOYAGE DANS LE DJ^SERt 6i
rine. A Tappel r6pet6 de quelques Djeb6liyeh, serfs du mo-
nastere, la grande porte situee a trente pieds de haut
s'ouvrit et une corde en descendit pour recevoir mes
lettres. L'admission des hdtes h Tinterieup se fait de la
m&me maniere, car on les hisse au moyen d'une traverse
sur laquelle ils s'assoient au bas de la corde. Toutefois,
pour honorer la mission imperiale dont j'6tais charge, I'eco-
nome du monastere rempla^ant le prieur parut inopine-
ment et, me prenant par le bras, me fit entrer dans le
paisible et amical asile par une porte qui s'ouvre rarement.
Mon drogman et mes bagages eflfectuerent seuls I'ascension
aerienne.
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VII
LE MONASTERE DU SINAI
L'elranger qui, pour la troisieme fois depuis quinze ans,
arrivait de si loin au monastere, y re^ut Taccueil le plus
cordial de ses anciens amis, et particulierement du digne
et savant Cyrille. Celui-ci me raconta que, depuis mon der-
nier voyage, il avait suivi avec un vif int6ret mes travaux
sur la litt6rature th^ologique et avait souvent obtenu, de
voyageurs anglais et autres, des details circonslancies a ce su-
jet. Dionysios, le superieup (Sixaw?) du monastere, consid6rait
ma mission actuelle de la part de mon imperial protecteur
comme une direction du Seigneur pour le salut de TEglise. II
esp6rait et desirait, me dit-il textuellement, me voir appotler
de nouvelles lumiferes et de nouvelles autorites a Tappui
de la v6rite divine. Je fus surpris et touche de ce mot du
digne prieur, qui en disait peut-6lre plus qu'il ne pensait
lui-m6me.
Apres une pareille reception, il ne me fut pas difficile de
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9
5"
I
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LE MONASTfiRE DU SINAI 63
me considerer comme chez moi. Je m'^tablis dans la mSme
chambre spacieuse et hospitali^re que j'avais deux fois oc-
cupee au second etage de Taile occidentale , vis-^-vis de
celle dans laquelle se trouve la porte aerienne ; le naonas-
tere peut heberger un grand nombre de voyageurs, mais
en ce moment je m'y trouvais seul. Lorsque je sortais de
ma chambre sur la galerie qui regnait k cdt6, j'avais de-
vant les yeux, au-dessus des murailles du cloitre, une mon-
tagne de granit d'un miilier de pieds d'elevalion , dont la
cime est surmontee de plusieurs croix. Elle porte le nom de
montagne de la Croix ou du Monastere, par la raison que
jadis un monaslfere en couronnait le sommet.
L'edifice du monastere de Sainte-Gatherine est grandiose
et forme un carre long. Ses murs,hauts dequarante a
cinquante pieds, sent principalement construits en grands
blocs de granit. L'interieur, formant une sorte de labyrin-
Ihe, est divise en plusieurs cours, autour desquelles sent
dispos6es, tant au rez-de-chaussee qu'aux deux stages dont
il estsurmont6, les cellules, les chapelles, les bibliotheques,
plusieurs ateliers, un petit arsenal, les logements des voya-
geurs et autres bdlimenls analogues. Ses etages sent de
hauteur inegale; presquepartoutilsontdesgaleriesapiliers
de bois sur la cour ; quelques constructions depassent en-
core le second et sont appliquees immediatement aux soli-
des .murailles du convent, comme des nids d'hirondelles.
Souvent, pendant mon sejour, je monlais sur la large mu-
raille du nord, d*ou j'avais, par-dessus le jardin, une belle
perspective jusqu'a la plaine sablonneuse de Rahah et aux
rochers voisins.
II y a, dans les cours, des Ireilles, des arbres isoles et ,
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g4 TERRE-SAINTE
ai6me des parterres de fleurs, puis surtout deux excellenls
puits, a Tun desquels on a donne le nom de Moise en rai-
son de sa haute antiquite.
Des batiments du monastere on communique, du c6te du
nord, avec son grand jardin, par un passage souterrain de
vingt a trente pieds de long. Ce jardin est en terrasses et
abondamment pourvu d'eau tres-fraiche. Outre ses majes-
tueux cypres, qui nous avaient salues de loin , ii est riche
en beaux arbres fruitiers qui fournissent au monastere des
oranges et des citrons, des amandes et des figues, des
grenades, des abricots, des pommes, des poires, etc., etc.
Pres de ces arbres et sous leurs ombrages on cultive cer-
tains legumes, de la salade qui fut servie a ma table des les
premiers jour's de fevrier, et des haricots.
Les moines ont prepar6 leur derniere demeure au milieu
de ce beau verger. On y voit nommement un edifice a moi-
tid souterrain, deslin6 a renfermer les ossements de tons
les habitants decodes du monastere, soit pretres, soit lai-
ques. Ces ossements y sont classes par bras, jambes, c6tes,
cr&nes, etc., etc., et deposes dans deux caveaux.
En rentrant du verger dans le monastere, jetons un coup
d'oeil sur la vie et les habitudes des moines. Leurs cellules
sont etroites et denuees de toute espece de luxe. Leur lit,
qui sort en mfeme temps de si6ge, est un mur de deux pieds
de haut, 61ev6 dans un.coin et formant un divan, reconvert
d'une natte ou couverture. Ajoutez-y une chaise de bois,
mais point de table, et une ouverture dans la muraille, sans
croisee. Cette simplicite est en harmonic avec toute la ma-
niere de vivre des moines, qui leur est prescrite par la r6gle
severe de saint Basile. Us sont vetus d'une robe simple de
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LE MONASTilRE DU SINAI* 65
laine grossi^re, ray^e brun et blanc ^ L'usage dela viande
leur est compl^teroent interdit; le lait et les oeufs durs
sont d6ja des mets exlraordinaires ; la plus grande partie
de Tannee exige une nourriture de carfeme, consistant en
poisson sec, soupe aux herbes, olives, haricots, et telle que
quand on n'y est pas habitue, mgme sans &lve gdt^, on a
de la peine a y prendre goflt. Outre le pain, dont on pre-
pare au monastere diverses qualiles, le seul aliment habi-
tuel qui procure aux moines un plaisir gastronomique,
c'est le vin de dattes, boisson dont les voyageurs delicats
sont eux-mfimes loin de faire fi, surtout lorsqu'on y joint
un morceau de ce pain du Sinai, fait de dattes et d'amandes
pressees ensemble, que Ton prepare ^galement au mo-
nastere de Sainte-Catherine.
Aux appels solennels a la priere qui se font constamment
entendre partout, Fetranger se rend facilement compte que
la journee com me la nuit est entierement consacree aux
exercices religieux par les habitants du monastere; ces
appels se font, dans les jours ouvrables, en frappant h grand
bruit sur un bloc de granit ou sur une planche, et les di-
manches et fi^tes par le son des cloches. Ces pieuses habi-
tudes se reconnaissent aussi au nombre de chapelles qui,
depuis quelque temps, depasse mSme celui des moines, re-
duit a vingt. L'6glise principale, en forme de basilique, si-
tuee dans une grande cour, tranche sur la simplicity de
ces chapelles. Sa toiture de plomb est soutenue par un dou-
1. D'apr^ Lepsius (Rilter, loco citato, p. 6i4), ces v^tements sont
fournis aux moines par le yice-roi d'^gypte, et ils sont tenus en honneur par
les mnsulmans, par la raison que Mahomet portait lui-m6me an froc sem-
blable.
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66 TEHRE-SAINTK
ble rang de piliers de granit, entre lesquels sont plac^es les
stalles du choeur. Son pav6 de marbre est orn6 de mosai-
ques, et ses murailles, de nombreuses images de saints
vfetus d'or et de coiileurs bigarr6es. Dans une niche au-
dessus de I'autel, eclair6 d'une multitude de lampes, se
trouve la Transfiguration de Notre-Seigneur avec Elie et
Moise, magnifique tableau en mosaique, accompagne, des
deux cdles, de bustes des fondateurs du convent, Tem-
pereur Justinien et son epouse Theodora. Au dire des
eonnaisseurs, ce beau travail, ainsi que le choeur oil il
se trouve, date de la fondation mfime du monastere, tan-
dis que d'autres parties de T^glise ont et6 Tobjet de res-
taurations posterieures. II en resulterait que, dans Torigine,
le couvent lui-meme (ou peut-etre Teglise seulement?)
aurait porte le nom de la Transfiguration ; toutefois, on
pent prouver que celui de Sainte-Calherine lui a ete sub-
stituedepuis plusieurs siecles, et ce dernier se trouvait sur
les pains d'Eucharistie qui m'ont ete souvent apportes. Ce
changement remonte fort probablement a T^poque ou les
reUques de cette sainte ont 6te deposees dans T^ghse ; il
est vrai que, d'apres la tradition du monastere, cet evene-
ment coincide avec sa fondation m6me. Jusqu'a present ces
reliques sont en grande veneration *. Comme elles sont
placees immediatement au-dessous du tableau de la Trans-
figuration, ce tableau a malheureusement a souffrir de la fu-
mee de Tencens qui brflle constamment en Thonneur de la
sainte. Peu s'en est fallu que cette 6glise n'ait egalement
i. Ritter, loco citato, p. 620 et suiv., rapporte, d'apr^s Mabillon, qu'en 1027
saint Simeon en avail rapports quelques fragments en France, a Richard 11,
due de Normandie.
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LE MONASTfiRE DU SINAI 67
et6 le lieu de repos d'une souveraine russe, Timp^ra trice
Anne ; elie s'y trouve du moins representee en grandeur
naturelle sur le couvercle d'un sarcophage d'argent, quoi-
que le corps n'ait pas suivi le sarcophage qui avail ete en-
voye a Tavance.
Le lieu le plus sacr6 de cetle eglise est la chapelle
du Buisson-Ardent, situee derrifere I'autel. On ne pent
y pen6trer qu'apres avoir 6te sa chaussure, en comme-
moration de Taverlissement donn6 a Moise : Ote ta chaus-
sure de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te trouves est
une terre sainte. C'est precisement cet endroit sacre
que Ton croit avoir retrouve dans cette chapelle. Cette
hypothfese n'est pas un fruit tardif de la tradition
monastique; c'est elle, au contraire, qui a inspire la
veneration de ce lieu aux premiers anachoretes du Sinai.
En effet, d'apres la relation que le moine de Ganope Am-
monius fait du massacre des ermites du Sinai par les
Sarrasins, en 370, il existait exactement en cet endroit une
eglise et une tour qui servaient de centre de reunion aux
pieux cenobites.
En sortant de Tantique eglise de la Transfiguration dans
la cour, le pelerin est frappe d'une surprise que partagera
sans doute le lecteur : vis-a-vis de Peglise se trouve une
belle mosquee dont le croissant s'eleve, a cdte de la croix,
au-dessus des murs du convent. L'epoque de sa fondation est
indecise ; les preuves certaines que Von a de son existence
auxiv®siecled6mententla supposition qui la fait construire
au xv^ siecle pour ^paiser le sultan Selim, le conquerant de
rfigypte, dont le favori, jeune pr6tre grec, avait trouv6 la
mort au lieu de la guerison qu'il etait venu chercher au
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68 TERRE-jSAINTE ,
monastfere. D'aprfes un autre r^cit tout aussi peu croyable,
Mahomet lui-meme serait venu au couvent et en ^change
de la construction de cette mosqu6e lui aurait laisse un
imposant firman; quoi qu'il en soit, ce monument de
tolerance a servi a detourner du couvent les menaces
des musulmans. Dans les derniers temps Abbas-Pacha y
etait venu prier. En outre, le monastere a non seulement
des rapports avec la caravane annuelie de la Mecque, mais
encore il entrelient des relations constantes avec les habi-
tants musulmans du desert et particulierement avec les
tribus de Bedouins qui portent le titre de defenseurs
(ghafire) du couvent. De plus il possede plusieurs centaines
de serfs dont les moines font remonter la possession origi-
naire Sun don de Justinien. Le monastere les emploie partout
a son service, par exemple, a la culture de ses jardins dans
le voisinage du Sinai comme au loin, et il les entretient.
II est a remarquer qu'un tres-petit nombre d'entre eux
ont conserve la religion chretienne qu'ils professaient tous
dans Torigine, tandis que la majorite a pass6 a Tisla-
misme.
Au nombre des salles du monastere nous avons nomme
plus haut les bibliotheques. Je dois donner k ce sujet quel-
ques details au lecteur. Trois pieces 61oign6es Tune de Tautre
ont droits cette appellation. La plus petite, situ^eau rez-
de-chauss6e et servant autrefois de chapelle, contient une
centaine de volumes, imprimes pour la plupart, et r6gulie-
rement ranges sur des rayons. Non loin de la, au premier,
se trouve la salle k laquelle appartient a proprement parler
le titre de bibliothfeque du monastere. Une inscription an-
tique dont la porte est surmontee la nomme laxpeTov ^u^^^,
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LE MONASTfeRE DU SINAI 69
c'est-a-dire Lieu de guerison de Vdme ou Pharmacie spirit
tuelle. II est aussi rare de trouver parmi les moines quel-
que &me malade ayant besoin de recourip a cette phar-
macie, que parmi les autres habitants du desert, dont
la sante est en general si florissante, quelque individu
tente de recourir aux pharmacies des villes. Toutefois le
fr6re Cyrille, du Mont-Athos , — qui habite depuis une
vingtaine d'annees le monastere en qualite de professeur
et de bibliothecaire, qui en ecrit les annales, et a orne
nombre de portes et de murailles des produits de sa muse,
— s'est aussi charge de mettre en ordre autant qu'il le
pouvait les livres qu'elle conlient. Le catalogue qu'il
en a dresse compte 1500 numeros parmi lesquels figu-
rent indistinctement les manuscrits et les ouvrages impri-
mes. Le nombre des manuscrits peut s'elever a environ 500 ;
outre les manuscrits grecs, qui s'y trouvent en majorite, il
y en a d'arabes, de syriens, d'armeniens, de georgiensetde
slavons. La plupart d'entre eux appartiennent k la theo-
logic : ce sont soit des copies du texte de la Bible, destinees
a la lecture dans les egiises, soit des ouvrages patris-
tiques ou liturgiques. Si de pareils travaux sont peu
du goftt des moines de nos jours, ils constatent Texistence
passee d'une epoque oil les cellules elaient le theatre
d'etudes s6rieuses. Toutefois, quelques-uns de ces manus-
crits peuvent n'avoir pas ete ecrits dans le monastere, mais
apportes par des pelerins; une partie d'entre eux pro-
venaient probablement des convents abandonn^s ou de-
truits du voisinage. II est impossible de connaitre le
nombre de ceux qui, dans le cours des derniers siecles^ ont
ete emportes de ce monastfere et des autres convents de
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70 TERRE-SAINTE
I'Orient en Europe, ou an^antis par suite de I'ignorance et
derincurie^
La troisifeme pifece portant Je nom de bibliothfeque sert
aussi de sacristie ou de depot pour les ornements sacerdo-
taux et les vases sacr6s. Outre les anciens livres de lecture
d'eglise et autres ouvrages analogues de liturgie, dont elle
possede une riche collection, elle contient aussi la majeure
partie des manuscrits bibliques et patristiques du genre de
ceux dont il a 6te fait mention ci-dessus ; depuis des siecles,
en vertu d'un usage consacr6, elle s'enrichit de Th^ritage
des 6v£ques. G'est aussi dans cette salle que Ton conserve
le magniflque exemplaire manuscrit des 6vangiles dont les
voyageurs ont souvent parle. Il contient le commencement
de r6vangile selon saint Jean et estecrit tout entier sur le
plus beau parchemin blanc, en lettres d'or, dont le caractere,
qui tient le milieu entre les lettres onciales primitives et
les plus r^centes, indique le vii* ou le viii® siecle. Le texte,
ecrit des deux cdt6s et sur deux colonnes, est precede de plu-
sieurs feuilles (au nombre de sept, si je ne me trompe) ornees
de belles miniatures qui representent, — outre les quatre
evang^listes, — le Sauveur, la vierge Marie et saint Pierre.
Au sujet de cette derniere image, le venerable sketiophylax
ou tr^sorier ne partageait pas mon opinion et voulait y voir,
non le saint Pierre de TEvangile, mais un personnage du
1. Je me permettrai de citer un fait de ma propre experience. J'ai tenu
entre mes mains un manuscrit qui fourmiilait de gros vers bien nourris,
tandis qu'un autre, appuye a la muraille, etait devenu tellement compacle
qu'il pouvait passer pour p(5trifie. Ajoutez a cela la pernicieuse habitude de
livrer aux flammes tons les debris de manuscrit qui paraissent inutiles, usage
mentionn^ entre autres par le major Macdonald, voyageur anglais. (Voyez
Fregelles, Additions to the fourth volume of the introduction to the Holy
Scriptures, etc., p. 775.)
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LE MONASTERE hU SlNAl* 74
mSme nom, post^rieur a ceiui-la, par la raison que ie port
et la coupe de la barbe de cette image ne convenaient pas
au premier. Moins bien que la barbe, le bon vieiilard com-
prehait le texle, dont a sa grande surprise je lui lus
quelques lignes. D'apres les traditions du monastere, ce
manuscril est consid6re comrae un don que lui aurait fait
un empereur Theodose. Si Ton entend par la le troisieme
empereur de ce nom, qui regna pendant peu de temps au
commencement du viii® siecle, tout ancienne qu'elle soit,
cette tradition pourrait etre fond6e; en effet, la rare beaute
de cette oeuvre en fait un objet tout a fait digne de la muni-
ficence imperiale. Quant a la valeur critique de son texte,
elle est minime, a en juger par les passages qui ont ete
examines, et va de pair avec celle des nombreux manuscrit§
des evangiles du vii^ siecle que nous possedons jusqu'a
present. Toutefois, comme ses caracteres d'or et ses mi-
niatures sont parfaitement conserves, ce manuscrit n'en
forme pas moins un des tresors du monastere de Sainte-
Catherine ; aux yeux des connaisseurs c'est mdme un objet
aussi precieux et aussi sacre que les reliques dont le cou-
vent porte le nom.
Mais quittons ces deux reliques seculaires qu'entourent
les magnificences de Tart et la gloire du martyre, pour une
autre dont Taustere beaut6 naturelle est transfiguree par
les souvenirs celebres de generation en generation depuis
quatre .mille ans. La montagne au pied de laquelle est situe
le monastere de Sainte-Catherine a-t-elle sa pareille au
monde? Aucune autre est-elle inscrite en traits aussi pro-
fonds dans les annates de I'histoire et dans les coeurs des
peuples ?
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VIII
LE SINAI
Le 3 f6vrier, je me disposai a executer Tascension du
Sinai, pour la troisieme fois dans Tespace de quinze ans.
Cette ascension, du moins dans sa premiere et plus grande
moiti^, estdevenue plus commode depuis quelque temps. Ins-
pire par un pieux enthousiasme et un attachement passionne
pour le desert, le dernier vice-roi d'Egypte, Abbas-Pacha,
avait concu la pensee bardie de se construire un palais d'6t6
sur Tune des cimes voisines de la montagne de Moise. Dans
ce but, en tournant la monl6e escarpee suivie par les pele-
rins, il avait fait pratiquer avec beaucoup de talent et
d'immenses travaux une route carrossable pour des voitures
a deux chevaux. Les pelerins suivent maintenant pour
monter au Sinai cette route qui a 2,000 pieds de long
et s'eleve k 1,500 pieds. Quant au palais, la construction
en est rest6e inachev6e. Une vision que le vice-roi a
eue un jour en descendant la montagne sainte en voiture
Ta efifray6 et d6tourne de cette entreprise ; ce qui avait
ete construit des murs existe encore, et des hauteurs on les
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LE SINAi' 73
aper^oit parmi les cimes de rochers. A la suite de cette
effrayante vision, le pacha entreprit une nouvelie construc-
tion au bas de la montagne, pres du monastere, mais peu de
temps apr6s il fut assassine dans son chateau de Benha.
Les grands approvisionnements de materiaux de construc-
tion qui avaient et6 rassembles sont devenus par la suite la
propriete du convent.
Le detour que fait la route actuelle, plus commode,
soustrait maintenant aux regsirds des pelerins plusieurs
points de Tancien sentier montant a travers une gorge
etroite, points qu'un passe recule avait rendus ven6ra-
bles. De ce nombre sont la source de Saint-Sangarius, a
environ vingt minutes de marche au-dessus du monastere,
et une chapelle situ^e a vingt-cinq minutes plus haut, et
qui avait ete consacree en memoire d'une apparition lib6-
ratrice de la sainte Vierge a un Ikonomos au moment oiiles
moines ^taient sur le point d'abandonner le convent en
proieala vermine. II faut encore citer deux portails en
pierre commandant Tetroit sentier, dont le premier est
surmonte d'une croix ; ils peuvent fetre consid6res comme
ayant servi de marques aux stations des pieux pelerinages
aux siecles pass6s.
A la hauteur d'environ 1500 pieds au-dessus du monas-
tery on arrive au point de jonction dela route avecTancien
sentier ; et Ton atteint un plateau eleve, dont la verdure,
richBment arros6e par des sources dont les eaux se reunis-
sent dans un bassin de pierre, et un cypres au feuillage
fonce, forment une riante oasis au milieu de ces rochers
arides. Ce cypres, vieux et fort, quoique elance et d'une
grande hauteur, est signale depuis longtemps comme le
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74 TERRE-SAINTE
seul arbre existant sur }e Sinai; non loia de la se trouve un
rocher, que la main des pelerins a convert de nombreuses
inscriptions arabes. De mfeme qu'ils rapportaient autrefois
dans leurs foyers quelques rameaux toujours verts de ce
cypres, ils y joignent maintenant des souvenirs de granit ;
en effet, la construction de cette route princiere a nois au
jour, surtout dans un espace d une denii-heure de marche
avant d'arriver au plateau, d'innombrables et belles den-
drites dans le granit rouge ; je n'en avais vu de semblables,
et encore en petit nombre, que sur la route occidentale
qui descend a la vallee de Ledja.
Ce plateau elev6 n'est pas seulement un lieu de repos
agr6able pour le voyageur fatigue de I'ascension; il pent
encore servir a determiner la configuration du massif du
mont Sinai. De deux cdtes, a Test et a Touest, il forme le
point central entre le wadi Schueib, et Tel Ledja, dont le
premier, a Test, possede le monastere de Sainte-Gatherine,
tandis que Tautre, a Touest, a le monastfere des quarante
martyrs, el Arbain. De ce point, au nord et au midi, sur-
gissent comme d*une base commune les deux pics de granit,
dont celui du nord porte le nom de mont Horeb, et celui du
sud, celui de Djebel-Mousa ou montagne deMoise.
Ceux des lecteurs qui ont connaissance des discussions
soulevees depuis une vingtaine d'annees au sujet du
Sinai, se souviendront que ces deux cimes se disputent
la gloire d'etre le lieu oil Moise recut I9 loi revelee.
Ed. Robinson, leprofesseur de New- York, dont les observa-
tions pour tout ce qui se rapporte aux localites de la Terre-
Sainte jouissent a juste titre d'une haute estime, se prononee
en faveur de la cime septentrionale, en se fondant sur son
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IE SINAI 7>
voyage de 1838 ; de fort ancieqnes traditions, adoptees par
beaucoup d'observateurs recents, parlent pour la cime du
midi. Eu egard a la proximite de ces deux sommets d'un
m^rne massif, on pourrait considerer cette dispute comme
une querelle entre freres. Prelendre que la tradition etablit
avecuneclarte parfaite la distinction entre ces deux som-
mets, c'est admettre a priori qu'elle nous est parvenuesans
interruption depuis Torigine. La hardiesse de cette asser-
tion saute aux yeux, et s*il etait possible de trouver dans les
localites memos un temoignage positif centre le sommet
traditionnel de Moise, Tautorite de la tradition serait im-
puissante a renverser une pareille rectification; mais, noys
le disons d'avance, de pareilles preuves sent ditHciles a
trouver. En tout 6tat de cause, il est juste d'abord de suivre
la tradition, tout en la soumettant a un exameri critique.
Portons done nos pas du cypres et des sources plus loin
vers le midi, et a dix minutes de marche nousy trouverons
une assez chetive construction accompagnant deux cha-
pelles creusees dans le roc et dediees aux prophetes Elie et
Elisee. Comme TEcriture (I Rois, xix, 8) dit formellement
qu'en fuyant la reine idolatre Jezabel, qui voulait lemettre
a mort, I51ie marcha Jusqu'a Horeb, la montagne de Dieu^
Templacement des chapelles traditionnelles doit etre consi-
dere comme faisant partie du mont Horeb. II en est ainsi,
au dire des moines, qui donnent le nom d'Horeb a tout le
plateau eleve, tandis que, d'apres les guides de Seetzen
en 1807, ils ne designaient comme le veritable Horeb que
la cime du nord. La chapelle d'Elie se trouvant au pied du
Djebel-Mousa, il en resulte qu'il y a evidemment beaucoup
d'arbitraire dans Temploi que Ton fait actuellement des
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76 TERRE-SAINTE
noms d'Horeb et de Sinai. Au temps de Fabri, au conlraire,
la montagne portait le nom de Sinai' jusqu'au plateau ; la
commenoait le mont Horeb, form6 alors par le sonamet du
midi et non par celui du nord. La situation de la chapelle
d'Elie etait indiquee par cette denomination, qui, d'apres
Burckhardt, coincide avec les traditions des musulmans*.
A present encore, les deux noms sont alternativement
employes, comme dans TEcriture sainte, ou tantdt le
mont Horeb (comme dans le Deuteronome), tantdt le Sinai
est d^signe comme le lieu ou Dieu a donne la loi. II a
d'autant moins 616 possible de parvenir jamais a fixer les
rapports reciproques de ces deux denominations, que, d'aprfes
la nature m6me de ces montagnes, leurs sommets detaches
ont tantdt regu des noms speciaux, tantdt et6 consideres
comme faisant partie d*un tout. Autant qu'on pent la suivre,
la tradition n'a loutefois pas vacille sur le point oil Dieu a
donne sa loi ; d'apres la denomination primitive, c'est le
sommet du midi qui portait le nom d'Horeb, et c'est cette
montagne que TElcriture sainte designe comme le theatre
de la revelation ; posterieurement, d'apres les faits, on la
nomma Djebel-Mousa ou montagne de Moise, et de la est
venue la confusion au sujet du nom d'Horeb.
Retournons maintenant a la chapelle d'Elie, qui n'a plus
rien de la « belle eglise » du temps passe. II n'existe naturelle-
ment aucune preuve que la grotte etroite qu'elle renferme
ait ete designee comme lieu de refuge au grand zelateur
du Dieu des armees ; mais, ainsi que Ton en a souvent fait
la remarque, ses alentours offrent un veritable commen-
1. Voyez Ritter, loco citato, p. 571 et572.
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LE SINAI 77
taire du passage de la Bible (I Rois, xiv, 8 et suiv.) qui d6-
crit la scene de la revelation au prophete. La marque de la
venue du Seigneur, le vent impitueux qui fendait les mon-
tagnes et brisait les rochers, a laisse son souvenir dans les ro-
chers brises et d6chires que ce lieu offre a nos regards. Se
h6rissant dans un desQrdre sauvage et romantique, ils sont
epars ca et la comme les mines d'un gigantesque chMeau-
fort qu'un signe du Tout-Puissant aurait renverse.
En trente ou quarante minutes nous arrivftmes de la
chapelle a la cime denudee du Sinai, qui a 700 pieds
d'elevation *. Le spectacle qui s'offre de tous cdtfe aux re-
gards n'a peut-etre pas son pareil au monde. C'est la plus
sublime, la plus grandiose solitude derochers; des mon-
tagnes de granit, heriss6es de pics sauvages et d^chirees de
fissures irregulieres, se dressent devant nous presque de
tous cdtes a des distances de plusieurs milles, sans que la
vegetation y penetre par un bois, un champ, une prairie
verdoyante, ni que le ruban argente d*un torrent adoucisse
le tableau. C'est un spectacle saisissant, plein d'horreur et
en mfeme temps de majesty. Rien n'y fleurit, ni ne s'y fane,
marquant ainsi le cours des saisons ; on dirait que le temps
y est rest6 immobile, que le passe s'y impose au present
avec toute la puissance d'un grand ev6nement, inviolable et
sacre. C'est done ici, nous toiSmes-nous involontairement,
1. Si noas ajoutons a ce chiffre la hautear du col et celle de la cha-
pelle d'filie, la cime da Sinai s'^l^ve a 2,200 ou 2,300 pieds de Paris au-
dessus du monastdre, lequel, de son c6t^, est a plus de 4,700 piedd au-dessus
du niveau de lamer. D'aprds les mesurages barometriques de Hnppell, I'alti-
tude absolue de la cime du mont Sinai est de 7,033 pieds de Paris; ceux de
Russegger lui en donnenl 7,0 j7. Ce dernier evaluc k 8,168 pieds I'allitude du
Djebel-Calherine. Pour la hauteur du Serbal, voir plus haut la note page 43.
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78 TERftE-SAINTE
qu'au milieu des tonnerres et des Eclairs le Seigneur a
donn6 sa loi I On dirait que les inflexibles comraanderaenls
sont encore graves par un burin d'acier sur ces rochers. De
pieuses mains avaient erige, au sommet du Sinai', deuxcha-
pelles, une chr6lienne et une musulmane, dont on voit encore
les mines. Mais la piete n'a pas besoin de ce stimulant ; la
montagne ellemfeme apparait comme un autel, imp^rissa-
ble monument 6rig6 par la main du Tres-Haut. Dans le
cours de milliers d'ann6es, d'innombrables pfelerins, accou-
rus de tons les pays du monde, sont venus sur cette mon-
tagne admirer et prier; isra^lites, Chretiens et musulmans,
ecartant les barrieres qui les separent, y trouvent un lieu
commun d'adoration. Chose merveilleuse ! La voix de la loi,
avec ses avertissements et ses menaces s6veres, telle qu'elle
a retenti aux oreilles de tons, est restee claire* et precieuse
pour tous, tandis que la voix des c6Iestes promesses de sa-
lut a fait naitre de desastreux mdlentendus et de tristes
discordes parmi les peuples.
A Touest, par-dessus toutes ces masses de rochers bizar-
rement entass6es, mon regard planait jusques au loin-
tain desert, dont la surface blanchfttre s'^tend vers Suez ; k
Test brillait avec sa douce lueur bleue le golfe d'Akaba.
Ainsi la mer et le desert encadrent le pinacle du temple de
rochers sur lequel nous nous trouvions. La montagne de
Sainte-Gatherine, dont le sommet est plus 61ev6, bornait la
vue au midi ; mais du sud au sud-ouest notre cime est en-
touree par la vallee de Sebaiyeh, dont la plaine, circonscrite
par un amphitheatre, repose imm6diatement audessous
d'elle. Le Sinai devient ici une personniflcalion palpable.
La cime elle-m6me, formee d'un immense bloc de granit,
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LE SINAI* 79
offre un plateau d'environ soixante pas de circonf6rence ;
au nord-est se trouve la chapelle de Moise, dont les so-
lides murailles de granit renferment un interieur d'une
entiere simplicite ; loutefois des fragments de marbre, de-
bris d'ornements, trahissent Tancienne somptuosite de sa
construction. A environ vingt pas, au sud-estde la chapelle
et plus bas, se trouve une petite mosquee avec une citerne
creusee dans le roc ; meme a la findu mois de naai de 1844,
cette citerne contenait encore de Teau fraiche. Outre ce
sanctuaire, les musulmans venerent Tempreinle du pied
du chameau de leur prophete, qui se trouve sur un rocher,
a quelques centaines de pieds au-dessous du sommet de la
montagne, entre ce sommet ef la chapelle d'Elie ; les Arabes
baisent ce signe avec la mfeme devotion que le font les Chre-
tiens pour Tempreinte du pied de Notre-Seigneur Jesus-
Christ, au lieu de son ascension, sur le mont des Oliviers.
Une singuliere legende veut que Mahomet ait escalade le
Sinai en faisant les modestes fonctions de chamelier avant
sa vocation de prophete; on dit qu'il amenait des approvi-
sionnements au monastfere *.
Avant de quitter la cime de la montagne a laquelle se lie
1. Cette legende confirme I'idee que Fempreinte provient du pied du cha-
meau du prophete ; robservation des lieux y conduit egalement. Burckhardt
a suhslitue par erreur le prophete lui-m6me au chameuu. Ailleurs encore,
comme sur la montagne de la pri^re (Arafat), pres de la Mecque, on ventre un
vestige semblable du chameau du prophete. Ce genre de reiique etait egale-
ment en honneur en dehors du christianisme et du mahometinme. Dans i'an-
tiquite, line empreinte du pied d'Hercule Sardo avait (ait donner a I'lle de
Sardaigne le nom d'Ichnousa (tie de Tempreinte du pied). Tarse se yantait
d'une empreinte du pied de Persee; dans Tile de Gey Ian, sur lepic d'Adam,
on montre encore une empreinte du pied de Bouddha, tres-vener^e comme
preuve de son ascension au ciel.
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80 TERRE-SAINTE
le souvenir de la loi r6v616e et pap consequent de Toeuvre la
plus impoplante de Dieii sur la terra, une question s4m-
posea nous : Foulons-nous effeclivement lerocsurlequel se
tenait Moise lorsque Dieu conclut alliance avec le peuple
eiu ? Nous Savons que cetle opinion s'appuie sur la tradi-
tion; les diilerents lieux memorables que nous avons vus en
t6moignent aussi; mais il s'agit de savoir jusqu'a quelle
6poque remonte cetle tradition, car son authenticity de-
pend de son anliquite. Nous r6pondrons d'abord qu'au
temps de Justinien on se faisait en general du Sinai abso-
lument la meme id6e qu'a present. En efifet, Procope, le
confident el le secretaire intime de Tempereur, Tatteste po-
sitivement dans son ouvrage sur les constructions de Justi-
nien ^ II rapporle que, dans sa bienveillance pour les moi-
nes du Sinai, qui elaient les meilleurs des hommes et
passaient leur vie a se preparer constamment a la mort,
Tempereur avait bati une eglise consacree a la Mere de
Dieu ; toutefois il ne Tavait pas erig^e au sommet de la
montagne, mais beaucoup plus bas, par la raison qu'un
fracas incessant et d'autres phenomenes extraordinaires ne
permettent a personne de passer la nuit sur le sommet.
G'est, dit-on, sur ce point que Moise re^ut la loi de Dieu.
Au pied de la montagne le m6me empereur a construit un
grand chateau fort et un excellent posle miiitaire pour ga-
rantir la Palestine de toute incursion de la part des Sarrasins
du desert.
^ Quand mSme cette relation disposerait a penser que la
forteresse imp6riale destinee k des soldats est peu k pen
1 . nipl xTioptaTtov touffTiviavou, 5, 8. Ed. Hoeschel, 1607, p. 51 .
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LE SINAi 81
devenue le monastfere fortifl6 actuel des moines du Sinai *,
la localite mSme n'en est pas moins determinee d'une ma-
niere certaine, et en m6me temps se trouve confirmee la
tradition au sujet de la montagne de Moise, au pied de
laquelle la forteresse avait 6t6 bfttie. D'aprfes toutes les
probabilites, I'eglise dedi^e h la sainte Vierge avait 6t6
construite sur le plateau du mont Horeb. Le lecleup aura
sans doute remarque Texaclitude avec laquelle les loca-
lites du Sinai dont il a 6le question plus haut r^pondent
aux expressions de Procope, qui distingue la situation de
Teglise beaucoup plus bos que la cime (la distance est de
700 pieds) de celle du chftteau-fort aupied de la montagne.
Apres de tels lemoignages, on ne pent 6videmment plus
pretendre que la tradition n'ait pass6 d'autres montagnes
de la peninsule sina'itique au Djebel-Mousa qu'a la suite des
constructions elevees par Justinien ^. Nous avons encore,
1. Toutefois, il est beaucoup plus probable qu'en parlant de T^difice, Pro-
cope n'en a rapporte qu'une des destinations, et il n'est pas difficile d'en
d^couvrir une seconde. En effet, le contexte et les expressions m^mes ne per-
mettent pas de n'y voir qu'un posle miliiaire. d*autant plus que le but de
soustraire la Palestine k la convoitise des Sarrasins est difficilement plus exact
que celui de proteger les moines, qui est signale par Eutychius. Si nous
sommes dans le vrai, la construction de T^giise dediee a la sainte Vierge
sur la montagne n*exclut point celle d'une autre ^glise dans I'interieur de la
forteresse. Ou bien pretend rait-on que I'eglise du monastdre, qui dans son
etat actuel ofiTre des preuves multiples de son origine, aurait et^ falsifi^e
a dessein? — On verra plus loin la relation d' Eutychius.
2. Qu'on juge d'apr^s ceia ce que dit Lepsius dans ses Briefe aut jEgypten,
JEihiwpien und der Halbinsel des Sinai, p. 4')0 : c Le l^gat de Justinien
trouva convenable de placer son chdteau-fort dans cette position s6re et de
construire dans le m^me lieu une ^glise pour les ermites ^tablis aux environs.
On concoit que ee fait seul aurait suffi pour y attirer beaucoup de nouveaux
anachor^tes, et pour determiner la position de la montagne de la loi si elle
n'avait pas ete connue anterieurement. • Ainsi, ctiose incomprehensible, Tau-
teur ne lient aucun compie du temoignage irrefutable de Procope. II en agit
de me me un peu plus haut^ p. 426, oi!i il dit : « II est certain qu*a la
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82 TERRE-SAIiME
pour dfiterminep I'^poque de ces constructions *, d'autres
sources qui, dans les passages en rapport avec la question
qui nous occupe, sont moins qu'aucune autre susceptibles
d'etre soup^onn^es d'arbitraire historique ou d'invention.
Nous voulons parler des relations laissees par Ammonius, le
moine de Canope, et par Termite Nilus, des sanglauts massa-
cres des anachoretes du Sinai par les Sarrasins, dont le pre-
mier eut lieu en 370 et I'autre vingt ans plus tard*. On y
voit que les ermites frequentaient avec predilection le lieu
oil 9 du sein d'un buisson ardent, s'6tait fait entendre
Tappel de Dieu a Moise ; on les nommait par cette raison
les saints du buisson, et Nilus descendit de la montagne
pour les visiter. II est question 6galement d*une 6glise
qui leur servait de lieu de prifere, ainsi que d'une tour
fortifiee qui 6tait situ6e dans le voisinage de Teglise con-
slruite elle-m6me, probablement, juste au-dessus du buis-
son ardent. Ces details n'offrent pas I'ombre d'un motif
suite de la construction de Tdglise snr le Djdbel-Mousa, dans le yi« sidcle,
la croyance qu'elle avait 616 6T'\g6e sur le lieu m^me de la re?t^lalion de la
loi a eu pour r^suKat, peu a peu, depuis le x* si^cle, de d^placer et de
reculer de plusieurs journees de marche vers le sud le point central histo^
rique de la p^ninsule, point qui, auparavant, colncidait incontestablement
avec la ville de Pharan et son bois de palmiers, centre g^ographique
natural, b
Lepsius raisonne de m^me au sujet du Nakb el Haouwi, dont il dit, p. 417 :
« II est hors de doute que ce hardi sentier n'a 6t6 trac^. qu'aprds la construc-
tion du monast^re, afin d'ouvrir une communication plus directe avec la ville
de Pharan, ou Ton ne pouvait arriver auparavant qu'en faisant un long ddtour
par le wadi (^' Scheik. » Toutefois les inscriptions sinaftiques que Ton trouve
sur plusieurs points de ce col (et dont deux avaient ddji 6l6 observdes par
Robinson) t^moignent avec une pleine autorit^ centre cette mani^re de voir.
I. Juslinien a rdgn6 de 527 k 565.
S. Le recit d'Ammonius a ^t^ publid par Combefis, Paris, 1660, dans son
lllustrium Christi martyrum lecti triumphi, vetustit Grcecorum monumentis
eomignati, p. 88 ^ 132; celui de Nilus dans : Nili opp. quadam, publid par
Possinus. Paris, 1639, p. 1 a 126.
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LE SINA'i 83
de supposer ici une invention. lis ne mentionnent point
H616ne comme fondalrice de Teglise et de la tour ; ils ne
cherchent pas a ^tablir un rapprochement avec les construc-
tions de Justinien par une description plus detaillee des lo-
calites; ils se produisent tout nalurellement, et sont amends
par la marche de r6v6nement ou du r6cit. Mais ils apparais-
sent comme le premier anneau de la chainedes temoignages
en favour du Sinai actuel, car I'emplacement du buisson
ardent est encore de nos jours en grande veneration au
monastere. L'itineraire aventureux d'Antonin , tres-pro-
blematiquement transfere du vi' au xi® siecle, parle aussl
d'une source renferm6e dans le monastere et pr€JS de laquelle
Moise avait vu le buisson ardent.
Des recits detach6s, qui nous ont 6te conserves, parlent
des ermites du Sinai ant6rieurement a ceux de Simmonius
et de Nilus *, comme par exemple de Sylvain, de I'abbe
Joseph de Peluse, de Tabbe Neira ou Nater, qui devint
plus tard evfique de Faran. Quoique ces recits ne con-
tiennent aucune d6signation circonstanci6e de locality, il
n'en est pas moins hors de doute qu'ils ne donnent h suppo-
ser aucun autre mont Sinai que celui qui nous est design6
depuis la derniere moiti6 du iv® siecle. II est egalement
digne d'int^rfit que des cette epoque reculee Telablisse-
ment d'ermites sur le Sinai est rapporte par les pieux pfele-
rinsqui s'y rendaient.
Toutefois, un savant ouvrage, contemporain de Toeuvre
de Procope, semble 6tablir au moins une tradition nouvelle
du Sinai a cote de celle que le premier donne si positivement. '
i. Voyez Gotelier, Eccles. grcec. Monumenta, I. I; Apophthegmaia Patrum,
p. 338 it 712.
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84 TERRE-SAINTE
Dans cette oeuvre, intilul^e Topographie chrStienne, Cosmas,
le voyageur dans llnde, parle de la marche des Israelites
dans le desert. U leur fait passer la mer k Kiysma, et
comple ensuiteleurs stations : les palmiers (ce qui s'accorde
avec Ayoun-Mousa), le desert de Sour, Merra, Elim. 11
reconnait de nouveau ce dernier endroit dans Raithou qui
correspond 6videmment a Tor*. La, dit-il, lepeuple dlsrael,
qui jusqu'alors avait eu la mer a sa droite, lui tourna le dos
et s'enfonf^a dans les terres, ou la manne tomba du ciel
entre Elim et le Sinai; il se rendit ensuite a Raphidim,
que Tauteur relrouve a Faran. La, par suite du manque
d'eau, Moise, accompagne des anciens, gravit le mont
Choreb ou Sinai, situe a 6,000 pas de Faran, et en fit
jaillir une source avec sa verge. C'est la qu'eut lieu la
r6v61ation de la loi et que le tabernacle fut construit.
Enfin , Cosmas cite comme temoignage de ces grands
6v6nements la multitude d'inscriptions sur les rochers
par lesquelles, aprfes avoir regu la loi ecrite, les Israe-
lites, pendant leur sejour de quarante annees, erige-
rent un monument et un temoignage centre les gen-
tils ^
D'apres ce qui precede, Cosmas avait sans aucun doute
pris le Serbal pour le Sinai; toutefois, on ne sait s'il a
suivi en cela une ancienne tradition ou ses propres Etudes,
tandis que Tinfluence de ces dernieres se trahit evi-
demment dans sa theorie au sujet des inscriptions. Si
r^trange idee de placer Elim a Raithou ou Tor lui a et6
i . Adopter ane autre version avec Ritter serait s'^lever contre tons les te-
moignages.
2. Yoyez Monlfaucon, Collect, nov, Patrum, il, p. 195 et suiv., et p. 205.
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LE SINAI 85
fournie par une tradition — le traile d'Ammonius la con-
flrme — il parait en avoir fait d'autant plus la confusion
avec lo Sinai qu'il avait deja, pour confondre Raphidim
avec Faran, les donn^es d'Eusebe et de Jerdme qui Ta
suivi. II adaple aussi d'une maniere singuliere son Elim
traditionnel au chernin suivi par Israel. A Tappui de cette
maniere de voir semblent venir les temoignages de Pro-
cope et autres dej^ cites, qui s'elevent decidement cen-
tre Topinion isolee de Gosmas, lequel ne cite aucune autre
localite. En supposant que jusqu'au milieu du vi® siecle la
tradition eat effectivement et6 pour le Serbal avec Faran, il
serait incomprehensible qu'ils eussent ete completement
supplantes depuis par une montagne jusqu'alors aban-
donnee a son aridite i. On ne comprendrait pas davan-
tage que, pour les constructions qui, d'apres le temoi-
gnage positif de son historiographe, se rattachaient a la
sainte montagne de la loi, Justinien se soit trompe, et cela
nonobstant sa connaissance personnelle du bois de palmiers
de Faran. II est naturel au contraire qu'un Alexandrin,
conduit aux Indes par ses int6rets commerciaux, et plus
tard au monastere par un zele pieux, ait 6te trompe par
d'obscures traditions, et ait pris pour le Sinai le majestueux
Serbal avec son bois de palmiers que distinguait mfime
la ville chretienne, d'autant plus que les merveilleuses
inscriptions que portaient les rochers paraissaient en offrir
la preuve la plus forte. Ces circonslances feraient mfime
1. C'est precisement par ce motif que Lepsius s'est attache a fonder la subs-
titution uniquement sur Timportance croibsante des constructions de Justinien,
oubliant que ces constructions ayaient eu pour mobile la tradition ddj^
existante.
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86 TERHE-SAINTE
comprendre la formation d'une antique tradition en faveup
du Serbal a c6t6 d'une tradition encore plusancienne*.
Un ouvrage historique arabe du x^ siecle, les Annales
d'Eutychius ou Said ben Batrik, confirment pleinement tous
les tenioignages qui nous sont restes du iv^ au vr sjecle, a
I'exception de celui de Cosmas 2. D'apres Eutychius, les
moines du Sinai avaient sollicit6 de Tempereur Justinien
la construction d'un monastere fortifie, afin d'assurer leur
securit6. Jusqu'alors, ils vivaient disperses sur les mon-
tagnes et dans les valines voisines du buisson d'ou le
Seigneur avait parle a Moise. Au-dessus de ce buisson ils
avaient une grosse tour, qui existait encore du temps
d'Eutychius, et ou se trouvait la chapelle de la Vierge. Les
moines se r6fugiaient dans cette tour aussitot qu'ils etaient
menaces de quelque danger. Eutychius rapporte plus loin
qu'a la suite de leur demarche Justinien fit construire, par
un legat, une eglise a Kolzum, un monastere a Rayeh (pro-
bablement Raithou ou Tor) et un autre sur le Sinai. En ce
qui concerne ce dernier, il dit qu'en raison du manque d'eau,
on ne Tavait pas construit sur la montagne, comme on en
avait d'abord eu le projet, mais a ses pieds, pres du buis-
son en un lieu resserre entre deux montagnes, et qu'on y
avait renferme la tour. Le legat avait 6rige une 6glise sur
la montagne mfime, a Tendroit oil Moise avait re^u la loi ^.
1. Cette double maniSre de voir au sujet du Sina'i offrirait alors une ana-
logie avec les traditions concernant le pays d'^lim, pour lequel, outre Rai-
thou ou Tor, d6s le vi« sidcle, VlUneraire d'Antonin (XLI, Act. SS,^ Mai, II)
indique dej^ Garandel, Surandela.
2. Nous suivons ici Hobinson qui, dans les temps modernes, a -le premier
^luoid^ la question. Voyez 1. 1, p. 433.
3. Eutychius parte en m^me temps des esclaves dent Justinien fit don an
monastdre. D'aprds lui, cent esclaves romains, avec leurs femmes et leurs
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LE SINAI 87
Ges details, donn6s par Eutychius, peuvent certainement
6tre admis pour completer le recit de Procope, sans soule-
ver le reproche d'arbitraire ni de manque de critique.
J'ai ainsi cherch6, autant que le permettait le caractfere
de ces souvenirs de voyage, a elucider convenablement
Tautorile traditionnelle du Sinai actuel, en combattant nom-
m6ment les hypotheses recentes, principalement soute-
nues par Lepsius, qui attribuent au Serbal la gloire d'avoir
ete la montagne de Moise. L'etude approfondie des lieux et
celle de TEcriture sainte doit encore donner plus de poids
au r^sultat que nous avons obtenu; nous n*y consacrerons
toutefois que quelques instants.
Robinson raconte que sur la cime du Sinai il a eu un
sentiment de mecompte. II n'est pas le seul qui ait eprouve
ce d^sappointement. Toutefois, plusieurs autres obser-
vateurs ont ressenti une impression toute diff6rente. Avant
tout, on se demande s'il existe, au-dessous ou en avant de
la cime du Sinai sur laquelle on se trouve, un emplacement
d'oii le peuple dlsrael ait pu assister, ainsi que le rapporte
VExode, au spectacle sublime de la revelation. Un emplace-
ment de ce genre a 6te recemment reconnu en effet dans la
plaine de Sebaiyeh, qui n'avait pas encore ete sufflsamment
expIor6e sous ce point de vue. On avait bien remarque de-
puis longtemps qu'elle est situee immediatement au-dessous
de la cime couronnee par la chapelle et la mosquee; dans la
relation de mon voyage de 1844, j'avais moi-m6me fait ob-
server a quel point cetle plaine etait propre a une pareille
ehfants, et cent autres esclaves d'figypte furent donnes au couvent par
Tempereur; ils furent ^tablis hors de la montagne, et enrent pour mission
de defendre et de servir le monast^re.
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8S TERRE-SAINTE
scene; qu'elle justifiait aussi Texpression de toucher la
montagne, car le Sinai s'en 61eve avec un tel escarpe-
ment que , de sa base au sommet , il semble ne former
qu'un tout. A propos des expressions et le peuple s'arr4ta
au pied de la montagne, je fis observer qu'il est rare de se
trouver aussi litt^ralement au pied d'une montagne que dans
cette plaine au pied du Sinai, d*ou Ton aper^oit le sommet
de granit a une elevation d'environ 2,000 pieds. Ce qui.
paraissail d'abord embarrassant a ele ecarle par des ob-
servations plus recentes. En effet, une communication
convenable entre le grand campement dans le wadi es
Scheik et le theatre de la revelation, communication qu'exi-
geaient les mots : Mo'ise conduisit le peuple du camp avrdevant
de Dieu^ ne semblait pas exister, mais on Fa maintenant
trouv^e dansle wadi Sebaiyeh, large de 5 a 600 pieds, qui
s'etend de la plaine du merae nom au wadi es Scheik, sur
une 6tendue d'une petite heure de marche. En venant du
wadi, on apercjoit la cime du Sinai longtemps avant d'ar-
river a la plaine. Celle-ci a 12,000 pieds de long sur 14 a
1,800 pieds de large. De plus, le peuple pouvait encore
utiliser les hauteurs contigues qui s'elevent en amphithea-
tre. Nous ne cherchons point le grand campement du peuple
dans le lieu qui fut le theatre de la revelation, et en cela
nous nous tenons k la lettre du texte sacre. En effet, il
est dit que Moise conduisit le peuple hors du camp au-de-
vant du Seigneur. De plus, pendant son sejour en haut,
sur la montagne, Moise a da 6tre soustrait aux regards du
peuple, ce que fait pr6sumer la fabrication du veau d'or,
— € ils ne savaient ce qui 4tait arrive a ce Mom *, » — ainsi
1. Exode, xxxii, 1.
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LE SINAI 89
que la circonstance qu*en descendant de la montagne avec
Josue, Moi'se n'aper^^ut le veau d'or et le peuple dansant
que « lorsqu'il fut rapprochi du camp *. »
Apr6s tout, le Sinai de la tradition trouve un appui essen-
tiel dans la configuration m6me des lieux ; ces derniers r6-
pondent si compl^tement au texte de FEcriture que nous
serions tent6 de croire que la tradition, que Ton pent suivre
en remontant jusqu'au iv** siecle, prend sa source a une
epoque infiniment plus ancienne et repose elle-mSme sur
les souvenirs du peuple errant, rapportes par ses amis ma-
dianites 6lablis dans le desert. Cela parait d'autant plus
probable, que pour cette hypothese on a moins besoin de re-
courir a I'arbitraire. Quand on se tient sur le sommet du
Sinai (ainsi que je Tai fait remarquer ailleurs), on comprend
tout ce qui le distingue des autres pics du m6me groupe.
Ce n'est pas une hauteur qui domine son entourage de
maniere a attirer et fixer Tattention d'un investigateur in-
decis ; mais il repose et trdne au milieu d'une nature su-
blime, comme un sancluaire separ6 de tout ce qui est pro-
fane.
D'apres sa position, le sommet situe au nord du Sinai et
quiportele nom d'Horeb pour rait a la veril6 entrer en
concurrence. La plaine d'Er-Rahah parait un emplace-
ment excellent pour le campement du grand peuple, et
la cime de THoreb, que les Arabes nomment Es-Sufsafeh,
la domine de sa haute et solennelle figure. Mais a cela s'op-
posent plusieurs circonstances : cette cime est d'un acces
fort difficile; pour Tatteindre il faut non pas monter, mais
1. Exode, xxxH, 15 et suiv.
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90 TERBE-SAINTE
escalader continueltement des hauteurs escarpees ; enfin,
de son sommet, Moise aurait constamment pu apercevoir le
camp. Comme pourtant de pareils motifs auraient 6te de
peu de poids si le choix du Sinai avail ete facultalif dans
les temps anciens , le fait que cet imposant theatre n'a
pas el6 consacre par I'opinion est une preuve nouvelle que
la tradition regnante remonte a la plus haute antiquite.
La question de localite qui vient d'etre discutee a, comme
on sail, la plus grande connexite avec celle qui se rapporte
a Raphidim. Dans ces derniers temps on a place de prefe-
rence ce pays dans la valleedeFeiran, ainsi que I'avaient fait
Eusebe et Jer6me, tandis que Robinson, comme je Tai dit
plus haut, le trouve sur un point de la valine de Scheik.
Le probleme est difficile a resoudre. Identifier le torrent du
wadi Feiran avec la source miraculeuse qui a jailli du ro^
cher est une assertion qui repose sur des fondements assez
peu solides. II 6tait difficile que le peuple pHl d^sesperer
de trouverun peu d'eau potable dans cette riche forfetde
palmiers, surtout quand on pense a la premiere oasis occi-
dentale d'El-Hessue, ou Teau ne jaillit pas a la virile main-
tenant d'une maniere 6tonnante, mais se perd dans une
fente de rochers. Et si Ton fait valoir que ce fut precise-
ment pour cette perle du desert, dont il se considerait
comme le possesseur, qu'Amalek entra en hoslilites avec
Israel, il ne faut pas oublier le passage du Deuteronome
(xxv, 18) oil il est dit, en parlant des Amalecites : « Rap-
pelle-toi comment il fattaqua dans le chemin et te chargea
en queue, frappant les faibles qui te suivaient. • Voir dans
ce passage une double attaque serait positivement faire
violence aux mots. Cette citation du Deuteronome, jointe
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LE SINAI 9i
a rhypoth^se de I'^tablissement des Amal^cites dans le
Feiran, serait beaucoup plus favorable a un Raphidim
dans la valine de Scheik, qui suit la vallee de Feiran.
De plus Raphidim est d6signe comme voisin du mont
Horeb, ce qui serait incompatible avec T^loignement ou ii
se trouvait du lieu ou a et6 donnee la loi, s'il en 6tait separ6
par une distance telle que celle qui s^pare le wadi Feiran
de notre Sinai. Pr6cis6ment par cette raison le place-
ment de Raphidim dans cette vallee a Aii avoir pour con-
sequence la confusion du Serbai avec le Sinai, quoique tout
a fait contrairement k la relation de Moise, ou il est dit :
« 11$ itaient sortis de Raphidim et voulaient se rendre dans
le desert du Sinat et ils camperent dans ce desert, vis-a-vis
de la montagne *. » Est-ce que le Raphidim des Amal6cites
etait en Madian? Pour 6tre consequent, Eusfebe Taffirme
eflfectivement. Comment alors concilier le fait que Jethro
soit grand-prdtre en Madian, et qu'Amalec vienne I'atta-
quer? Dans le premier, nous reconnaissons un fldelegar-
dien de la foi en Jehova, de la foi de son ancfitre Abra-
ham; c'est chez lui, son beau-pere, que Moise avait
form6 le grand et saint projet de la delivrance du peuple;
c'est de lui qu'il fut salue en Raphidim par ces mots :
« Maintenant je vois que le Seigneur est plus grand que tous
les dieux. » Dans Amalec, au contraire, nous trouvons un
ennemi iur6 du Seigneur, qui pour cela veut « effaccr sa
m^moire de dessous les deux. »
Comme Teau a jailli d'un « rocher de I'Horeb » frapp6
par la verge de Moise *, ainsi i'ange est apparu a Moise
1. £xode,xix, 1, 2.
2. Exode, XVII, 6.
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92 TERRE-SAINTE
dans le buisson ardent, alors qu'ii ^tait alI6 avec les
troupeaux de son beau-pere jusqu'i la « montagne de Dieu,
en Horeb *. » Tout cela se serai t passe sur le territoire *
d'Amalec? Le Serbal, sanctuaire de Baal, — le grand dieu
du soleil, dont le eulte etait probablement aussi repandu
dfes lors qu'il le fut un millier d'annees plus tard, — le Ser- .
bal serait devenu le trfine de Tfiternel, duDieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob? Quelle que soit I'obscurite qui regno
et que la nature des choses doit laisser subsister au sujet
des voies par lesquelles le Seigneur a conduit Israel a Ira-
vers le desert, celte combinaison, malgre toute la sagacite
de ses defenseurs les plus r^cents, est une des plus mal-
heureuses qui ait jamais €16 inventee dans le but d'elucider
la question.
Si, avec Robinson, nous plagons Raphidim dans le wadi
Scheik, a environ une heure de marche de Taromatique
et fertile vallee des arbres de Tarfa, on pourrait sans
grande difficult^ admettre que les montagnes rocheuses du
pays et celles des alentours aient porte le nom generique
d'Horeb, tandis que celui de Sinai avait une signification
plus restreinle. De mdme que le Serbal dans le pays d'A-
malec, THoreb et le Sinai pouvaient d6ja alors 6tre con-
sidt^res comme une sainle montagne dans le pays des
Madianites. C'est en Madian que le « Seigneur qui est
grand par-dessus tous les dieux » fut adore; c'est en Madian
qu'il choisit le messager qu'il envoya a Israel; c'est en
Madian que, par Tentremise du meme fidele serviteur, il a
donn6 la loi qui est devenue pour tous les peuples de la
terre une lumiere inextinguible.
1. Exode, III, 1.
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IX
DECOUVERTE DE LA BIBLE
Lorsqu'apres quatre ann6es de recherches de documents
dans les biblioth^ques europ^ennes, je visitai pour la pre-
miere fois, en mai 1844, le monastere de Sainte-Cathe-
rine, j'etais guide par Tesperance de trouver dans son
antique enceinte, rest6e intacte depuis sa construction par
Justinien, quelques tr^sors pour les etudes bibliques. Getle
esperance ne fut pas de^ue. Au milieu de la bibliolheque,
dont les livres et manuscrits etaient ranges sur des rayons
tout a Tentour, se trouvait une corbeille remplie de d6bris
de vieux manuscrits en partie d6terior(5s ; deux corbeilles
semblables avaient d6ja et6 jet6es au feu. A ma tres-
grande surprise, j'y d^couvris plusieurs fragments d'un
manuscrit grec de la Bible sur parchemin, dans lequel je
reconnus imm^diatement un des plus anciens qui existent.
La cession d'une partie de ce manuscrit ne fut pas diiScile
a obtenir, et je recommandai de mieux conserver ce qui
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94 TERRE-SAINTE
en restait, me proposant d'en faire {'acquisition par la
suite, projetqueje ne pouvaispas mettre pour le moment
a execution. A mon retour dans ma patrie, je publiai, —
avec le nom du roi Frederic-Auguste de Saxe, Tauguste
protecteup de mes recherches, — un facsimile lithogra-
phie de ce fragment, comma etant probablement le plus
ancien des manuscrits grecs sur parchemin qui fat parvenu
jusqu'a nous. Mes demarches au sujet de la partie de ce
manuscrit qui 6tait restee au monastere etant demeurees
ensuite sans resultat, je me proposai d'aller moi-m6me en
prendre une copie au convent pour la publier, et dans ce
but i*entrepris un second voyage en Orient en 1853. Pen- .
dant mon deuxieme sejour au monastere du Sinai, j'eus
lieu de penser que le tresor avait ete envoye en Europe
dans rintervalle. N'en ayant plus entendu parler, je jugeai
convenable de faire entrer dans un ouvrage plus etendu,
compose de d6couvertes analogues^ ce que j'en avais copi6
en 1844 et conserve dans le plus grand secret. J'y fis en
meme temps allusion a la part que j'avais prise a la conser-
vation des autres restes du precieux manuscrit, en quelque
lieu qu'ils se trouvassent.
Malgr6 tout, je me sentais attir6 k un nouveau voyage au
Sinai. Je voulais commencer par li, dans les con trees de
i'Orient, de longues recherches dont j'avais 616 charge par
le gouvernement imperial de Russie a la suite de mes propo-
sitions. La protection sp6ciale d' Alexandre II et de S. M.
rimperatrice m'accompagnait. A mon troisieme sejour au
monastere de Sainle-Galherine, j'avais d6j& consacre plu*
sieurs journ^es k Texamen de ses bibliothdques. Apr^
avoir ex6cut6, le 3 f^vrier, Tascension du mont Sinai» j'expe-
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D^GOUYERTE DE LA BIBLE 95
diai de bonne heure, dans la matinee du 4» un serviteur du
monast^re appartenant a la tribu des Dj6b61iyeh pour cher-
cher mes Bedouins qui se trouvaient dans le desert auprfes
de leurs chameaux et leur ordonner de se preparer pour
mon retour que j'avais flx6 au 7. Dans Tapr^s-midi du 4,
j*avais fait une excursion a la plaine de Sebaiyeh, ac-
compagne du savant ikonomos (econome) du monast^re,
et comme j'avais fait don au couvent de quelques exem-
plaires de mon edition de Leipzig des textes grecs de TAn-
cien et du NOuveau Testament, notre conversation avail
roule sur cet ouvrage et particuliferement sur le texte de
TAncien Testament. En revenant au monastere, a la tom-
bee de la nuit, T^conome m'invita a venir prendre quel-
ques rafralchissements dans sa cellule. Pendant cette colla-
tion, il me dit que lui aussi possedait un Septante ^, et en
m6me temps il alia prendre dans un coin un manuscrit en-
veloppe de drap rouge, qu*il posa sur la table. Je d6ployai
le drap, et a ma grande stupefaction, je reconnus les pr6-
cieuses reliques que j'avais tirees de la fameuse corbeille
en 1844. Le volume des feuilles que j'avais sous les yeux
(elles n'etaient pas relives) indiquaitimmediatement qu'elles
ne se bornaient pas a contenir des fragments de TAncien
Testament. Mon 6tonnement s'accrut en les feuilletant
a la hftte, car j'y remarquai le commencement et la fin
du Nouveau Testament et meme Tepitre de Barnabas.
Outre Teconome j'6tais encore entoure de plusieurs autres
moines, qui furent t6moins de ma joyeuse surprise, mais
1. On appelle ordinairement ainsi le texte grec ordinaire de TAncien Testa-
ment, d'apr^s les soixaote-dix c61dbres interprdtes d'Alexandrie.
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96 TERRE-SAINTfi
qui pouvaient diflicilement comprendre ce dontil s'agissait.
Je demandai la permission d'emporter dans ma chambre
le drap et tout ce qu'ii contenait, pour en faire un examen
plus approfondi; I'excellent pere-econome> fils spiriluel de
Gyrille, comme il se nommait lui-meme, y consentit avec
empressement.
Lorsque je fus seul dans ma chambre, je pus enfin me
livrer k Timpression irresistible de cetle d^couverte : j'avais
la conviction que le Seigneur avait mis entre mes mains
un tresor inappreciable, un document de la plus haute
importance pour TEglise et pour la science. Mes esperances
les plus hardies etaient de beaucoup surpass6es. Au milieu
de remotion profonde ou me plongeait ce merveilleux
ev^nement, je sentis poindre dans mon esprit cette ques-
tion : Le Pasteur ne pourrait-il pas se trouver ici, comme
Barnabas ? D6ja je me reprochais cette ingrate pens^e
en presence de cette abondance de richesses, lorsque mon
regard s'arrela machinalement sur une feuille assez effacee.
J'en lus le titre et j'en fus eflfraye, car c'etait le Pasteur.
Comment depeindre ce que je ressentis !
J'examinai alors ce que contenaient veritablement ces
feuilles, dont le nombre etait de 346 et le format des
plus grands. Outre les vingt-deux livres de TAncien Testa-
ment, pour la plupart complets, entre autres les Prophetes,
les livres de poisie et ce que Ton nomme les Apocryphesy tout
le Nouveau Testament s'y trouvait sans la moindre lacune ;
de plus, toute V^pitre de Barnabas et la premiere par-
tie du Pasteur d'Hermas. Comme il m'eflt et6 impossible
de fermer Toeil, je me mis imm6diatement , malgre le
froid, h copier Tepltre de Barnabas k la pftle clarte de
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DfiCOUVERTE DE LA BIBLE. 97
ma lampe, m'enivrant par avance de la joie de doter le
monde chr6tien de cette oeuvre v^n^rable, dont la premiere
moitie n'etait connue jusqu'ici que par line traduction latine
des plus d6rectueuses, et la derniere que par des manuscrits
grecs modernes et par consequent peu digges de foi, Et
cependant, aux ii* et m® siecles, TEglise 6tait tres-disposee
h placer au mfime rang que les epltres des ap6tres Pierre et
Paul cette piece qui dpns tous les cas porte anssi lo nom
d'unapotre. Outre Tepitrede Barnabas, je copiai,au monas-
lere mfime, les fragments du Pasteur, oeuvre qui jouit
d'autant de credit qu'elle, et dont le texte original etait
considere comme entierement perdu jusqu'a Tannee 1855
que le fameux grec Simonides le rapporta du mont Athos a
Leipzig, partie en copie, partie en trois feuilles de manus-
crit sur papier du xiv® siecle. Plusieurs circonstances
m'avaient porte a penser que ce texte, corrompu en beau-
coup d'endroits, n'etait aulre chose qu'une traduction
datant du moyen Sge, executee d'apres une traduction
latine; le texte antique du Sinai ne tarda pas a me prouver
Tinexactitude de cette hypothese, du moinsen ce qui con-
cerne Tensemble de I'ouvrage.
Le lendemain, 5 fevrier, de grand matin, je communi-
quai au pere-6conome mes vues au sujet de ce manuscrit.
En raison de la repugnance du monastfere a se dessaisir de
ses manuscrits, mes voeux se bornaient a tirer une copie
parfaitement exacte de la totalite de ce texte, depuis
le commencement jusqu'a la fin. 11 contenait environ
120,000 lignes courtes, qu'il avait fallu plus d'une annee
pour ecrire au iv® siecle, malgre toule rhabilet^ des calli-
graphes d'Alexandrie. Rien n'etait prepare pour entre-
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98 TERRE-SAINTE
prendre imm^diatement ee travail au monastfere mfime.
D'un autre cdte, contrairement a Tavis des autres freres,
le Skeuophylax s'opposait formellement a ce que j'empor-
tasse le texte en partant, et le nianuscrit appartenait a sa
bibliolhfeque^ contenant les heritages des evSques et le
d6pdt des vases sacr^s du monastere, d'ou il etait pass6
dans la cellule de r^conome. A la suite de la nouvelle,
recue le lendemain de mon arrivee au monastfere, que
rarchevfeque centenaire Constantios etait mort a Constan-
tinople, le prieur, dont la decision eflt 6te preponderante,
etait parti le 3 fevrier pour le Cairo, d'ou il devait se ren-
dre a Constantinople avec les autres chefs de la commu-
naute du Sinai pour I'election d'un nouvel archevfeque.
Dans ces circonstances il ne me restait autre chose a
faire que de retourner en toute h&te au Cairo, afin d'y
trouver encore, s'il etait possible, les chefs du monastere
avant leur depart pour Constantinople, et de leur sou-
met tre la question. Pour le. cas oil Tenvoi de roriginai
au Cairo serait impossible, je me proposais de revenir au
plus t6t au convent et d'y faire un sejour de plusieurs
mois.
Le 7 fevrier, le scheik Nazar revint en effet, d'apres
Tordre qui lui en avait ete donne, camper sous les murs du
monastere avec ses gens et ses chameaux, pour m'accom-
pagner au retour. Les vents violents qui, pendant les
journees et les nulls pr6cedenles, s'engouffraient avec
imp6tuosit6 dans les montagnes etjusquedans le monas-
tere, s'etaient apaises dans cette matinee et Tazur du ciel,
libie de nuages, promeltait un voyage heureux. Le drapeau
russe, arbore sur le convent, honora mon depart, et un
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D^GOUVERTE DE LA BIBLE 99
saiut t\r6 a la (iigme intention du Iiaut de la plate-forme fut
repute par les nombreux echos des montagnes. Plusieurs
des fr^res , enlre autres le savant Cyrille et le p6re-
^conome, voulurent absolument accompagner leur hdte
jusqu'a la plaine de Rahah.G'est ainsi que, plein'd*^motion
et de gratitude, je quittai pour la troisifeme fois le Sinai et
son monastere.
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NEGOCIATIONS ET TRAVAUX AU CAIRfi
Du lundi 7 au samedi 12 fevrier, je parcourus la route
du monastere a Suez. Du wadi Zaddr j'avais expedi6 un
de mes gens en avant pour heler une barque du rivage
africain, afin de traverser le bras de mer. La barque arriva
au rivage asiatique peu d'instants avant nous et nous deposa
a Suez a deux heures de rapres-midi. Le depart imm^diat
pour le Cairo etant impossible, je profltai, jusqu'au lende-
main dimanche apres-midi, de Thospitalite du consul de
Russie, toujours si serviable. Toutefois, vers minuit, la lo-
comotive nous avait fait franchir le desert d'Egypte.
Des ie lundi, dans la matinee, je visitai la maison mere
des moines du Sinai. A ma grande satisfaction j'y trouvai
encore le prieur; au moment oil il elait pret a partir, il
avait recu de ses freres de Constantinople Tavis que le d^sir
de proceder a Telection au Cairo I'avait emport6. Je pr6-
sentai ma demantle. Nous Texaminerons, fut la r^ponse.
Toutefois, apres avoir pris lecture des lettres dont Cyrille
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NfiGOCIATIONS ET TRAVAUX AU CAIRE 101
et l*econome m'avaient charge, le prieur consentit a ex-
pedier immediatement a dromadaire un de ses scheiks
les plus surs au monastere, en le cliargeant d'en rapporler
lui-meme le manuscrit aussi promptement que possible.
Anime par la promesse d*un bon bakchich, le scheik quilta
le Cairo dans la soiree du m6me jour.
Quelque invraisemblable que le fait paraisse, cette veri-
table eslafette accomplit eflfeclivemenl ce qu'elle s'etait
propose : dans Tespace de neuf jours ce scheik franchit
deux fois les deserts d'Elgyple et d' Arabic, et revint au
Cairo, porleur du precieux tresor, le 23 Kvrier. Dans la
matinee du 24, le prieur, accompagn6 de son vicaire, se
presenlait au consulat de Russie, ne m'ayant pas trouv6
chez moi, pour me montrer le paquel apport^ par la poste
au dromadaire. Nous convinmes que je prendrais immediate-
ment plusieurs cahiers de huit feuilles (I'antique manuscrit
avait originairement et6 partage en cahiers de ce genre
nommes quaternions), et ainsi de suite jusqu'ace que j'eusse
entre les mains la copie complete du manuscrit.
Pendant deux mois entiers je restai a Thdtel des Pyra-
•raides, en rapport constant, par les fenfetres, avec tout le mou-
vement de rEsb6kieh,dans cette ville si anim6e et si bigar-
ree,mais personnellement enchaine k mon immense travail.
Pour en faciliter la partie materielle, j'eus recoups a Tassis-
tance de deux compatriotes, un m^decin et un pharma-
cien, qui ^crivaient sous mes yeux ; mais je ne pouvais m'en
remettre a personne pour la responsabilite de Texactitude
de la copie, qui d^pendait uniquement de ma propre et
s6vere revision. Sans parler d'un grand nombre de pages
devenues excessivement pftles a la suite de tnnt de si^cles,
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102 TKRRE-SAINTE
ia plus grande difficulle fut de retablir tous les passages
du lexte original qui avaient 616 alt6r6s par d'anciens
correcteurs. Ges passages sont si multiplies que sur quel-
ques-unes des trois cent quarante-six feuilles il s'en ren-
contre plus de cent. La diversite des 6critures de ces chan-
gements, qui remontent cependant a plus d'un millier
d'ann6es, fait reconnaitre Toeuvre de six correcteurs au
moins, dont souvent Tun a corrige dans son sens les correc-
tions d'un autre.
La moiti6 de la copie etait h peine termin6e que, sur une
observation fortuite de raa part, un n6gociant allemand du
Gaire, aucourant des affaires consulaires, amena un jeune sa-
vant anglais au couvent, pour tui procurer I'occasion de voir
ce rare manuserit. Y 6tant arriv6 moi-mdme pcu d'instanls
apris, on m'apprit qu'une tentative de faire vendre ce tr6sor
avait 6i6 faite et que m6me on en avait offert un prix. Je
n'aurais pas 6t6 embarrass^ de r6pondre> mais le noble
prienr d6c)ara que le monast^re aimerait mveifx faire pre-
sent de sa Bible k Tempereur Alexandre, pratecteur et d6-
fMweiP de rfiglige orthodoxe, que de T^changer contre(\)r
anglais. II s'entend de soi-nn6noe que je ne n6gtigeai rien
po«r encourager cette disposition (je me propose de revenir
sur ee sujet). L'int6r6t inattendo qu'inspirait ma d6eouverte
me ditermifta tontefois a ne pas en retarder plus tengtem^ps
Tannoncc au public *.
1. Elle eut lien dans une lettre au minittre d'6tat de Falkenstein, dat^e du
Gaire, le 19 mars, et qai n'a 4t6 pubii^e que dans (e n* 3i du suppf^ment
s«i«nlifiqi|e de la Gaz§tt€ de Leipzig 4» iM9.
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XI
EXPLICATIONS
Mais qu'est-ce done qui donne k cette d^couverte, a ce
maouscrit une importance si extraordinaire? L'un oul'autre
de mes lecteurs pourrait interrompre par cette question le
r^cit d^taill6 de sa decouverte et de son Elaboration. Un
patriarche grec pouvait m6me r6pondre, avec un me-
lange d'ironie et de naivel6, lorsqu'on lui vantait Timpor-
tance de mes recherches en 1844, par cette observation :
« Nous poss^dons deja depuis longtemps les 6vangiles et les
epilres des apAtres; qu'avonsnous besoin de plus? » Nous
poss6don$ a la v6rit6 depuis longfemps ces terits sacris;
ils nous ont 6t6 conserves par les copies qui en ont 6l&
constamment faiies depuis le i^' sifecle. Mais, comrae une
copie etait faite sur une autre copie, le texte courait risque,
on le coraprend facilement, de subir certaines alterations,
Gela pouvait arriver, en partie par la negligence, Tinin-
telligence ou Tignorance des copistes, d*autant plus que
dans les anciens manuscrits les caraet^es se suivaient
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104 TERRE-SAINTE
sans separation des mots et sans ponctuation ; en partie par
zfele intempestif pour corriger quelques expressions, com-
pleter quelques r^cits, faire disparaltre quelques contradic-
tions apparentes. Or Thistoire nous prouve que ce ne sont
pas la de simples hypotheses, des inquietudes denuees de
fondement. En eflfet, les bibliothfeques du monde chretien
possedent prfes de mille exemplaires antiques d'un plus ou
moins grand nombre de livres du Nouveau Testament en
grec, pour nous borner en ce moment a cc dernier, ainsi
qu'un nombre considerable d'anciennes traductions manus-
crites de ce lexte en syrien, en copte, en latin, en goth,
et il en est r^sulte une si grande variety dans le texte m6me,
qu'un tres-petit nombre de versets sont rest^s complete-
ment identiques, tandis que certains versets offrent jusqu'a
dix variantes et plus, portant moins a la verite sur le fond
que sur la forme de leur r6daclion. La multiplication des
manuscrits par la presse, a dater du xvi® siecle, n'a rien
chang6 h cet 6tat de choses, par la raison que leur impres-
sion ^tait ex6cutee tantdt d'aprfes un seul manuscrit, tantdt
d'aprfes plusieurs, souvent meme sous la direction d'hommes
peu propres a cooperer au progres de la question et jamais
avec Tapprobation d'une autorite d6cisive. Apres avoir, dans
le XVI* sifecle et les suivants, par ignorance plut6t que par
conviction, donn6 la preference au texte des manuscrits les
plus recents qui offraient entre eux le plus de conformite,
on en est venu, de nos jours, a rendre le premier rang aux
documents antiques et depuis une quinzaine d'annees on
.1 commenc6 a repandre le texte de ces derniers. L'auteur
de ces esquisses de voyage a lui-mfeme travaill6 dans ce
sens depuis 1839; par sept Elaborations consEcutives il a
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EXPLICATIONS 105
cherche a obtenir Tapprobalion de ses principes au moyen
de vingt mille exemplaires du Nouveau Testament en grec,
enrichis d'un plus ou moins grand nombre de notes critiques
d6taillees. II etait guide dans ce travail par la convic-
tion que dans le livre le plus saint et le plus influent du
monde, ou la chretiente trouve la regie la plus sublime de
sa foi et de sa vie, rien n'est indifferent ni indigne de
I'etude la plus approfondie, mSrae sous le rapport des
formes et des tournures de langage. L'examen critique des
textes ne pent 6videmment avoir d'autre but que de purger
TEcriture sainte de toutes alterations et additions, et de la
ramener autant que possible a Tetat dans lequel elle etait
sortie de la main de ses auteurs inspires. Dans cetle oeuvre,
trois manuscrits que Ton fait remonter aux iv® et v® si^cles
sont reconnus comme guides principaux : le celebre ma-
nuscrit du Vatican , celui de Londres nomme Alexandrin et
celui de Paris nomm6 Palimpseste * d'Ephrem le Syrien.
Toutefois, aucun de ces manuscrits n'est complet : celui de
Paris ne contient que la plus grande moiti6 du Nouveau Tes-
tament ; il manque a celui de Londres la presque totality du
premier 6vangile, deux chapitres du quatrifeme et la ma-
jeure partie de la deuxifeme 6pitre de saint Paul aux Corin-
Ihiens; dans le manuscrit du Vatican, le plusancien et le
i . Un palimpseste est un manuscrit dont le texte original, dcrit sur par-
chemin, a 6i6 enleve aa moyen de lavages, d'un grattageou d'aatres op^ratiois
aoftlogues, et remplac^ par un autre texte 6cTii sur la surface satin^e de nou-
veau. Le manuscrit de Paris avait 6i6 d'abord ecrit au \* siftcle, et contenait la
Bible, qui fut remplac^e au xii«sidcle par des oeuvres d'Ephrem le Syrien.
En 1840 et 1841 jje dechiffrai, k un tr6s-petit nombre d'exceptions prdi, le
texte primitif qui avait ete efface dans le xii« si6clc, et que des precedes
chimiques avaient fait reparattre huit ans auparavant. J'ai obtenu le m^me
r^sultat avec plusieurs autres palimpsestes sans recourir aux agents chi'
miques.
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106 TERBE-SAINTE
plus important des trois, il manque quatre 6pltres enti^res
ainsi que les derniers chapitres de T^pltre aux H^breux et
TApocalypse.
Maintenant survient le fait mervcilleux de la decouvcrte
d'un maouscrit qui, non-seulement remonte k la mgme anti-
quite que le plus ancien de ces trois codices, celui du Vatican,
mais encore est le seul d*entre eux et m6me de tous ceux
remontant a mille ans qui soit complet. Son texte se rap-
proche aussi le plus de celui du Vatican; mais, en beau-
coup d'eodroits, contrairement a ce dernier comme a la plu-
partdes autres, il nous conserve fid^lement cerlaines lemons
a I'appui desquelles nous avons les t^moignages des plus
anciens Peres de I'Elgtise et des premiers traducteursJl est
dair que la totalite du texte emprunte une grande autorite
a cette eirconstance. Quoiqu'ii ne soit nullement exempt des
fautes de co[Mstes, ni de eelles qui resultaient du manque de
critique avec lequel on trailait ri^criture sainte dans les
premiers siecles, il n'en est pas moins, si Ton y adjoint
les documents antiques ayant le plus d'analogie avec lui,
la base g^n^rale la plus digne de confiance pour toutes les
recfaercbes scientifiques sur le texte sacr^. En effet il
corrobore de la maoiere la plus solide les principes que
kfi travaux les plus r^eents ont plac6s au premier plan;
dans des milliers de passages, il donne une stlrete durable
au texte nouveliement adopte d'apr^s les plus anciens t6-
moigna^es; dans beaucoup d'autres il fait triompher la
* Ie?ott veritable. Quil ne porte prejudice k aucun ensei-
gnement de la v6rit6 6vang^lique et de la foi sanctifianie,
nonobstant les modifications qu'il fait subir a certains pas-
sages du lexle sacre, voila un resultat de la decouvetle
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EXPLICATIONS m
d'une arme si puissante pour la critique sacr6e, r^sultat
qui n'est point indifferent pour ceux qui, lout en con-
servant la foi de leurs pferes, croient a la 16gitimit6 des
recherches scientiflques.
Nous n'en dirons pas davantage au sujet du Nouveau
Testament. Nous ajouterons, en ce qui concerne TAncien,
qu'il en est de meme de Tetat critique de son texlegrec,
dont la haute importance pour la chretiente consiste avanl
tout dans Temploi que les auteurs 6vangeliques et aposto-
liques en ont fait.
II a dijk ete parle plus haut de Tepitre de Barnabas et
des fragments d'Herroas, qui sirffiraient k eux seuls pour
donner un prix inestimable au manuscrit du Sinai.
Nous rapporterons un seul exemple de Tiraportance dc ce
manuscrit en dehors de son influence pour la restitution du
veritable texte de rEcriture Sainte. On sait qu'il existe plu-
sieurs manieres de voir au sujet de Tantiquite de nos evan-
giles et de Tepoque de leur reconnaissance par TEglise; on
les fait d^pendre de preference des plus anciens ecrits Chre-
tiens ou Ton trouve des temoignages rendus aux 6vangiles.
Dans la portion de Tepitre de Barnabas que Ton ne posse-
dait Jusqu'ici qu'en latin, le passage : II y a beaucoup d^ap-
peles, mais peu d'e'lus excitait depuis longtemps une at-
tention particulifere. M6me en n'admettant pas I'apdtre
Barnabas comme auteur de Tepitre, ce passage etait con-
sid6r6 comme le plus ancien temoignage a Tappui du
premier evangile, quoiqu'il fCit possible que cette expres-
sion de Notre-Seigneur eiit ete conservee par la tradition
verbale. Cette derni^re hypothese etait renvers6e par les
mots comme il est ecrity qui precedaient la citation, mais
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108 TERIiK-SAINTE
on atfribuait ces mo's, avec beaucoup de probability, au
traducteur. En effet, comment pouvait-on, d^s le premier
quart du ii* sifecle, 6poque a laquelle T^pitre doit avoir 6t6
ecrite, rapporler un passage de saint Matthieu avec la mfime
formule qui dans la bouche du Sauveur et des Ap6tres ne
s'applique qu'au canon de TAncien Testament? Et cepen-
dant, le manuscrit du Sinai nous apporte la preuve que les
mots latins en question appartiennent bien effectivement k
Tauteur de Tepitre, et non a un traducteur venu plus tard.
Voila une admirable preuve que, contrairement a toutes les
hypotheses des investigateurs n^gatifs, notre evangile de
saint Matthieu existait des le premier quart du ii« sifecle,
qu*il 6tait non-seulement connu, mais qu'il avait dans TE-
glise une autorit^ canonique.
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XII
LES PYRAMIDES £T L£ SPHINX
Au Caire, I'antique cit£ des kalifes, si riche en souvenirs,
roeil du voyageur ne d^couvre rien de plus imposant et de
plus beau que la vue dont on jouit de la citadelle. Celle-ci
s'eleve sur une des hauteurs du Mokatlam, au sud-est de la
ville; sa fontaine de Youssouf, taill^e dans le roc, pres du
palais de Saladin, renoonte aux temps les plus recul6s; mais
son principal joyau, c'est la superbe mosquee en alb&tre de
M6hemet-Ali. Au-dessous d'elle s'etend la « Mer du Monde »,
ce dedale d'edifices aux couleurs sombres, entrecoup6 par
un grand nombre de places et de jardins avec de magnifi-
ques bouquets de palmiers, et par les niinarets barioles qui
dominent tout leur entourage. Derriere la ville, les rives du
fleuve sacr6 ressortent avec leur verdure ardente; elles en-
tourent de ce cdte la vieille ville comme d'une ceinture
d'immortelle esp^rance; elles marquent aussi la linoite entre
la vie et la mort : car imm^diatement aprfes elles commen-
cent les p&les collines de sable du desert, ces collines de
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110 TERRE-SAINTE
sable qui, dans le cours des si6cles, ont enseveli taut de
vies. Mais du sein de cette region du silence et de la mort
s'6levent fiferement vers Tazur fonc6 du ciel les imp^rissables
pyramides, temoins silencieux et pourtant ^loquents d'un
pass6 d6ja bien 6loigne. C'est sup elles que le regard s'ar-
pfete le plus longtemps. Quand elles se montrent ainsi de
loin, k tpavers le voile 16gep de I'aip du d6sert, on s'imagine
qu'on va lire les mysteres de Tantiquit^, il senoble qu'on
doive prfetep Topeille k des accents lointains, on se sent
attire par une puissance magique. Aussi conserve-t-on dans
la m^nooire leur inopression fidfele, longtemps aprfes qu'elles
ont disparu a nos regards.
Nul etranger venu, pour visiter Tfigypte, de la patrie de
Tobservalion et de la pens6e ne s'arrfitera au Cairo sans
faire une excursion aux pyramides. Elles ferment des grou-
pes au bord du desert qui s'etendent du nord au sud, non
loin des rives du Nil. Aux groupes qui tirent leur nom des
villages d'Abousir, Sakara, Dachour, etc., le voyageur pr6-
ffere depuis longtemps celui de Gizeh. La se dressent fra-
ternellement, Tune pres de Tautre, ces trois constructions
colossales que, dans le v° siecle avant J.-C, Herodote attri-
buait deja a Cheops, Chephren et Mikerinos (d'apres les
monuments : Choufou, Chafra, Menkera) . La pyramide de
Cheops est la plus grande : elle mesure, depuis son socle
naturel de rocher, qui est en grande partie dans le
sable, jusqu'a son sommet actuellement us6, 421 pieds,
de sorte qu'originairement elle a dii avoir 500 pieds
y compris le socle, et d^passer ainsi de beaucoup le
plus haut monument de TEurope, la cath6drale de Stras-
bourg, qui compte 438 pieds d'elcvntion. La pyramide
\
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LES PYRAMIDES ET LE SPHINX 111
de Gh^hren est a peu pres de ia m6me hauteur, tandis
que celle de Myk6rinos est de moiti6 plus petite. On a
rendu accessible Tinterieur de toutes trois, mais les visiles
se bornent generalement k la plus grande. La m6me, ie
chemin malaise, soulerrain, ne conduit qu'i des chambres
desertes creusees dans le roc, et dont Tair itouflte paralt
convenir aux seules chauves-souris.
Une de ces chambres est a 600 pieds au^dessous de
la pointe de la pyramide ; deux autres, situ^es beaucoup
moins bas, sent d^sign^es comme celles du roi et de la reine.
La derniere a 20 pieds de haut et de large, sur une lon-
gueur de 30 pieds. Elle renferme encore le sarcophage
en granit oix la momie de Cheops avait repos6 pr6s de quatre
mille ans lorsque le calife Mamoun vint la troubler en 820,
pour chercher des tr^sors royaux qu'il ne trouva point.
11 vaut beaucoup moins la peine de visiter Tinterieur
de ce colosse de pierre — qui mesure 90 millions de
pieds cubes — que de monter, au risque du vertige, jus-
qu'a son sommet. Les pierres de taille de nummulite
calcaire, recouvertes il y a quelques mille ans de marbre
poli, mais maintenant complelement mises ^ nu et faisant
saillie d'un pied, ferment deux cent six hautes marches;
on monte par la jusqu'a la plate- forme qui pent recevoir vingt
personnes. De ce point 61eve on jouit d'une vue des plus re-
marquables : au nord et au nord-est, la fertile vallee du Nil,
et la ville des kalifes appuyee a la large parol jaun&tre du
Mokattam; a Test, de Tautre c6te du Nil, e* plus encore k
Touest, le desert, d'un rouge clair et 6blouissant ; au sud,
la forSt de Mitrahenny avec ses palmiers d'un vert sombre,
et au pied de cette foret les mines de Memphis ; pres de \h
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I
at TERRE-SAINTE
les nombreuses pyramides du sud, rest6es plus pr6s de la
m6tropole que celles de Gizeh.
Quand nous redescendons du sommet du colossal mauso-
16e, dont la construction remonterait, d'aprfes les plus r6-
centes recherches, au iv^ millier d'ann6es avant J.-CCest-
i-dire plus de mille ans avant Abraham, le cimetifere qui s'6-
tend imm^diatement au pied de la pyramide nous invite a le
parcourir. Les « demeures eternelles > qu'il contient sont
les unes en forme de monticules de pierres de taille avec
des parois pyramidales, — de sorte que les niches-chapelles
fun6raires se trouvent au-dessus de la terre et les chambres
des morts proprement dites seules au-dessous ; — les
autres creus6es horizontalement dans le rocher naturel.
Toutes ont Tentree a Test, du c6t6 ou se leve le dieu Soleil,
mais le mort lui-m6me est couche vers Toccident. Un coup
d'oeil dans ces tombeaux est une lecon instructive sur le
passe recule de I'Egypte. Tandis que les puissants monar-
ques se const ruisaient dans les pyramides, a la sueur de
milliersde leurs sujels et pendant le cours d'un long regne,
un sepulcre qui devait durer d'immenses periodes, ceux
qui les entouraient pendant la vie, prfitres et prophetes,
conseillers et savants, amis et serviteurs, se sont group^s
autour d'eux dans de superbes cavernes que le temps a
6galement dpargnees. « Favoris du roi r>, tel est leur titre
commun ; aussi sont-ils restes jusqu'a la mort fideles a leur
maitre. Les inscriptions, souvcnt en diverses couleurs, des
chapelles sepulcrales rappellent les nombreux titres des
defunts. On voit par 1^ que la cour egyptienne d'il y a cinq
ou six mille ans aimait autant les distinctions honoriPique^
que le premier fitat venu de TAIlemagne actuelle. Outre les
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I
LES PTRAMIDES ET LE SPHINX 113
inscriptions, les morts sont reprfeentes en relief sur la
paroi nue de granit ; on y a joint en ecriture et en images
.lesoffrandes qui leur etaient apport^es lors de certaines
fetes. Enfin sur ces mfemes murailles de rocher se deroulent
devant nos yeux les images les plus varices de la vie de
ces temps recul6s : on y voit representes Tagriculture, la
chasse, la peche, les metiers industriels et les occupations
domestiques. Nous n'examinerons d'un pen plus pres qu'un
seul de ces sepulcres, celui que les Anglais ont appele le
s6pulcre des Nombres. Un « savant du palais », qui avail
pour femme une « prophetesse favorite du roi », et pour fils
trois f scribes », Ta construit pour lui et sa famille. Des
differentes peintures qui decorent les murs, la plus int^res-
spnte est celle ou il apparait lui-m6me avec sa figure majes-
tueuse, appuye sur un b&lon, un cjiien a ses cdtes, et en-
toure de ses richesses patriarcales. Pour plus de sdret^, a
cflte des diflferents troupeaux est inscrit leur chififre ; nous
apprenons ainsi que ce savant du palais, nomme Chafraanch,
possedait huit cent Irenle-cinq boeufs, deux cent vingt va-
ches, deux mille deux cent trente-cinq chevres, sept cent
soixante Sines et neuf cent soixante-quatorze moutons. La
coutume de gratifier de tels biens les savants est, comme
on sait, tombee en desuetude; plus d'un d'entre eux ne
possede pas memo cette unique vache « qui le fournirait de
beurre. »
Au sud-est de notre groupe de pyramides et de leur
champ des morts, nous sommes attires de nouveau par un
ancien monument de pierre, tres-admire, et contemporain
des pyramides, puisqu'on y a lu le nom de Chafra, construc-
teur de la seconde pyramide. Pour la plupart des visiteurs
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114 TERRE-SAINTB
elle est malheureusement ensablee en tres-grande partie;
seuls, Gaviglia en 1817, plus tard Lepsius et enfm Mariette
ont fait enlever le sable qui la cachait et reussi, notam-
ment le savanl fran^ais, k 6tudier de pres le secret de sa
construction. Ce que j'en ai vu se borne a la I6te et au cou
du sphinx, qui repr^sente ledieu Soleil. La beaul6 tant ce-
Jebr^e de la figure g6ante est gravement compromise par
la perte du nez. Dans le monument tout entier, la nature
et Tart se sent donne la main. Le rocher naturel a servi k
former un immense sphinx. Tandis que le corps et le cou
ont subi peu de transformation, c'est la t6te qui a reclam6
surtout le talent du sculpteur. Lorsqu'on degagea pour la
premifere fois le colosse des masses de sable, on decouvrit,
entre les deux pattes etendues vers Torient, un petit temple,
devant lequel se trouvaient deux lions, places sur des
slocles, ainsi qu'un troisieme regardant entre les deux vers
Tentree. Depuis Textremite des pattes jusqu'a la naissance
dela queue, lesdernieres mesuresont indique 172 pieds.
D'apres les decouvertes de Mariette, il y a encore, au
sud du « Lionde la Nuit », comme les Arabes Tappellent,
un superbe temple, des galeries et des salles, entoures
— rapporte Brugsch, un.t6moin oculaire — de murailles
cycloptennes de syenite et d'albatre. C'etait vraisembla-
blement le centre du culte de la divinity symbolisee d'une
facon si grandiose.
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il
XIll
L£ S^RAPJ^UM
L'examen du sphinx nous a deja fait rencontrer I'homme
dont le nom se rattache aux decouvertes monumentales les
plus importantes faites depuis un siecle sur le sol de Tfi-
gypte. La plus remarquable de toutes eut lieu en no-
vembre 1851 aux environs de Sakara, qui se trouve a deux
lieues au sud des grandes pyramides de Gizeh. Au lieu de
mes visiles plus recentes, je me permets de decrire celle
que je fis en avril 1853, un an et demi apres la decouverle,
avec le celebre egyptologue Brugsch.
Months sur des ftnes, nous partimes de TEsbekieh k
sept heures et demie du matin. Lorsque nous passftmes
pres des hautes mines de la Babylone egyptienne, les
nuages de poussiere nous prouverent toujours plus claire-
ment que nous avions un compagnon tres-desagreable dans
le chamsin, ce vent du sud qui, pendant nos mois de prin-
t(;mps, est une des plaies d'Egypte. Tant que nous fflmes
dans les limites de la culture, il resta pourtant tolerable.
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116 TERRE-SAINTE
Quand nous ettnes passe le Nil et laiss6 derriere nous
Gizeh, nous Iraversames une grande et belle forfet. De Ih,
notre route nous conduisit par des prairies vertes et pleines
de fleurs; des hues et des chevaux, des chevres et des cha-
meaux fourrageaient dans de superbe trefle; les champs,
plantes surtout d'orge, de froment, 6taient converts d'une
moisson doree. Au bout d'environ quatre heures de che-
min, nous eflmes atteint le bord du desert. Dans Tespace de
Irols quarts de lieue environ qui nous separait encore des
fouilles, nous comprimes parfaitement comment le sable en-
vahisseur pent engloulir des monuments colossaux et meme
des villes entieres. Nous avancions dans une atmosphere
^touflfee et accablante, ne voyant qu'a quelques pas devant
nous; plusieurs pyramides devenaient mfime momentan6-
ment invisibles. Apr^s une course aussi fatiganle, avec
quelle joie ne quitlSmes-nous pas le dos de nos montures
pour entrer dans la demeure de Mariette. Cetle maison ira-
provisee dans le desert est elle-m6me une curiosite; elle est
b&tie uniquement d'anciennes briques et de pierres calcaires
qui ont fait partie du S6rap6um.
Mariette nous re^ut de la fa^on la plus aimable ; Brugsch,
qui lui avait deja fait plusieurs visites pleines d'interfet
scientifique, etait pour lui un ami et un hole loujours
bienvenu; moi-meme j'avais fait precis^ment sa con-
naissance a Paris, au musee egyptien, a la direction du-
quel il apparlenait. A ma grande surprise, il me presenta
— honneur immerilel — la traduction anglaise de mon
Voyage en Orient, qui faisait partie de sa bibliothe{|ue du
desert, neccssairemcnt limilee a un petit nombre de vo*
lumes. Presque toulc Tapres-midi le chamsin nous for^a de
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LE S£RAP£UM 117
pester a Tabri des murailles de pierre. Nous nous conten-
tames d*entrer en rampant dans quelques-uns des tombeaux
souterrains, dont mon savant compagnon avait d^ji etudi6
les parois de marbre couveptes de hieroglyphes et d'eld-
gantes figures, — et de visiter les magnificences des maga-
sins que Mariette a etablis dans les anciennes salles creusees
dans le roc. Mais apres le coucher du soleil, je pus admirer
la plus int^ressante des d6couverlps de Mariette.
Nous primes' un chemin qui descendait obliquement; k
nos pieds le roc, dans lequel il 6tait pratique, dtait convert
d'un sable epais, tandis que des deux cdtes s'61evaient des
murs de pierre calcaire. Sur ses parois, on a trouv6 des cen-
taines de steles (tablettes de forme allong6e) avec des inscrip-
tions hieroglyphiques etdemotiques. Bientdt nous nous trou-
vSmes devant un portique de pierres de taille s'ouvrant a
Torient, et porlant de nombreuses inscriptions d'6criture d6-
motique en encres rouge et noire. Ce portique conduit a un
grandiose Edifice souterrain. Nous entrdmes d'abord dans un
vestibule dont les murs,maintenant nus, portaient des steles
^crites, semblables a celles que nous venons de mentionner.
Deux entrees menent de la dans de grandes galeries,
larges de seize pieds et presque aussi hautes. Aprfes 6tre
entr6s dans celle de droite et y avoir marche quelque
temps, nous renconlrames au milieu du chemin quelque
chose qui avait Fair d'un grossier bloc de granit ; examine
de plus pres, il se trouva 61 re un grand sarcophage capr6,
haut de 7 pieds et large de 6 environ , devant lequel se
trouvait son couvercle, de 3 pieds de haut. Pen aprfes,
nous remarqu&mes, des deux cdt^sdela longue galerie^des
caveaux voutes ou des niches contenant de gigantesques
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118 TERRE-SAINTfi
sarcophages. Mariette ayant illuming ces caveaux, ils fai-
saient une impression magique, fantastique : nous nous sen-
lions au milieu des mysteres de l*ancienne figypte. Les
vofttes Ial6rales, hautes d'une vingtaine de pieds et larges
de 16, sent de piusieurs pieds plus basses que la galerie,
de sorte que Ton doit descendre pour visiter les sarco-
phages. Le nombre de tous ceux que Ton a Irouves s'eleve
a Irenle et un ; ils sont pour la plupart en granit d'un vert
fonc6 et ont une couverlure polie et brillanie comme une
glace ; un seul, le plus grand, est de granit rougefttre et ta-
chete. Leur hauteur et leur largeur sont d'environ 7 pieds,
leur longueur de 12. A Texception de quelques-uns qui
sont en ma^onnerie, chaque sarcophage est d'un seul
bloc; il en est de mfeme du couvercle haul de 3 pieds,
qu'on a trouve, pour la plupart des sarcophages, deplac6
de 2 pieds de sa position primitive et permettant de jeler
un coup d'oeil dans Tinl^rieur. II y a la une trace de fouilles
anciennes et probablement anteriejjres au christianisme,
trace a laquelle viennent se joindre les las de pierres mis
sur les sarcophages et a cole, en signe de mepris. Ces re-
cherches n'ont pu manquer d'avoir un heureux resultat;
aussi n'a-t-on plus rien Irouve dans les sarcophages qui ait
quelque valeur, si ce n'esl des os d'Apis. Dans deux d'entre
eux seulement, qui n'avaient pas ele ouverts, Mariette a eu
le bonheur de mettre la main sur un yrai Iresor, desanciens
bijoux. Nous n'en avons rien vu nous-mfeme; ils avaient 616
deja exp6dies a Paris, ou deux des plus beaux sarcophages
devaient les suivre. Un petit nombre de ces cercueils sont
orn6s de caract^res hi^roglyphiques, comme par exemple
celui ou Ton a lu le nom de Gambyse ; ainsi les renseigne-
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LE S£RAP£UM 119
ments les plus pr^cieux fournis par cette d^couverte vien-
nent des steles^ dont le texte d^taiil^ rendra possible de
determiner, depuis Ramses le Grand au xv« siecle avant
notre 6re jusqu'a Tepoque des Ptolem6es, les periodes
completes des Apis. Comme il faut compter vingt-cinq
ans pour chacune de ces dernieres, les trente et un cer-
cueils qu'on a trouves embrassent pres de huit cents ans.
L'importance de ce s^pulcre des Apis, qui s'est ouvert
tout d'un coup apres tant de siecles pour parler avec una
telle eloquence, s'explique par la connaissance de I'antique
culte consacre a TApis. Le taureau auquel on rendait des
honneurs divins passait pour le repr^sentant d'Osiris lui-
meme. Tune des divinites les plus venerees, le « seigneur
des tombeaux », comme on Tappelle de preference; on pen-
sait sans doute que T^me d'Osiris avait etabli sa demeure
dans un taureau semblable. Le boauf Apis 6tait elu parmi
toiUte sa race, devait etre de couleur noire, avoir un carre
blanc sur le front et divers autres signes importants lui ser-
vant de litres de credit. Sa naissance etait entour^e de le-
gendes ; la vache, sa m^re, avait et6, disait-on, fecondee
par la lune. Sa decouverte etait un grand evenement natio-
nal, auquel se rattachaient des fetes brillantes. Dans son
temple, il etait soigne et garde avec une religieuse venera-
tion ; on riionorait surtout par des sacrifices de taureaux
rouges; mais au bout des vingt-cinq ans que sa vie ne de-
vait pas depasser, en rapport avec la periode lunaire de
25 ans, les pretres le noyaient dans un puils sacre. On ce-
16brait alors les fun^railles solennelles du naort regrette, et
le souverain d'Egypte lui elevait dam k sauctuaire souter-
rain un splendide sarcophage.
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IJO TERRE-SAINTE
On peut supposer, d'apres ce qui precede, que le lieu
de la sepulture communiquait avec le temple oil I'Apis (Osir-
Apis) 6tait ador6 ; en effet, la decouverte de Mariette ne se
borne pas aux tombeaux ; ils ne ferment qu'une partie du
S6rap6um mis au jour par lui. Une grande muraille carr^e,
qu'on avait fort bien remarquee avant Mariette, mais
sans savoir ce que c'etait, — entoure a la fois le temple et le
sepulcre. Une allee de sphinx conduit a son entree orientale,
qui est* la principale. Strabon trouva deja cette allee en
grande partie remplie de sable ; pres de dix-neuf cents ans
aprfes lui, la notice qu'il en a laissee a ete pour Mariette
la clef de ce tresor cache dans le desert. On trouve, outre
les sphinx, des panthferes montees par des enfanls, ainsi
que beaucoup de choses interessantes et precieuses qui en-
richissent les mus6es egyptiens. Au nombre des plus belles
reliques, Mariette compte une statue d'Apis taillee par une
main Ires-habile dans la pierre calcaire. Des signes sacres,
de couleur noire, ornaient encore son corps, et elle por-
tait des inscriptions demotiques. Avant notrevisite, elleavait
deja fait le voyage de Paris. Des diverses pieces du Sera-
p6um que j'ai vues moi-meme, je mentionnerai encore la
salle « bleue », sur les murs de laquelle est represent6e
une procession offrant un sacrifice a TApis. Les couleurs qui
y sent employees, nommement le noir, le rouge et le bleu,
se sent si parfaitement conservees qu'aucun observateur ne
supposerait que le pinceau les a deposees 1^ il y a des mil-
liers d'ann6es.
Le second jour de notre s6jour chez Mariette, le cham-
sin 6tait heureusement tomb6. Nous partimes done a che-
val de bon matin pour le village de Mitrahenny, construit
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LE S£RAP£UM 121
sur les ruines ensablees de Memphis. A une demi-heure du
temple de Serapis qui est, du reste, plus prfes d* Abousir que
de Sakara, nous arrivamesa ce dernier village, donl le nom
est derive de « Sakar », surnom d'Osiris.Une muraille, au-
pres de laquelle nous passJimes, — elle appartenait a la de-
meure du scheik de Sakara — etait toute construite en
belles pierres antiques avec des inscriptions hieroglyphiques
et des figures dont mon compagnon prit aussildt quelques
copies. Dans le bois de palmierset d'acacias deMitrahenny,
a trois quarts de lieue de Sakara, nous rencontrftmes des
fouilles que la Sociele geologique de Londres faisait prati-
quer sous la direction du savant armenien H6k6kyan-Bey.
Autour du campement anglais, se trouvaient ranges des ob-
jets qu'on avait deterres : statues et debris de statues,
fragments de colonnes, pi6destaux, etc. , la plupart en gra-
nit ; on remarquait en particulier un beau reste de statue
d'albatre. Un grand nombre de ces objets portaient des
inscriptions hieroglyphiques ou demotiques ; sur la poitrine
de la statue d'un prfetre ou d'un scribe royal, selon le nom
qui lui est donne sur le monument m6me,Brugsch decouvrit
un calendrier des fiStes 6tonnamment complet.Brugsch attrir
bue toutesces statues a I'^poque de Ramses le Grand, dont le
colosse est au centre de ces fouilles. Quant a ce colosse lui-
mfime, d^couvert il y a quelques dizaines d'annees par Cavi-
glia et Sloane, on s'arrete devant lui dans une admiration
toujours nouvelle. II est 6tendu 1^ dans la for6t de palmiers,
dans le m6rae pli de terrain ou il a ete trouv^, un des cdt6s
de la figure tourn6 centre terre. II est fait d'un seul morceau
de fine pierre calcaire, et mesure encore, bien que les pieds
manquent, quarante pieds de longueur. Ce n'est pas seule*
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in TERRE-SAINTE
ment la grandeur de la statue qui captive le spectateur, c'est
encore Texpression du visage. Les noms Merits en hiero-
glyphessur la ceinture et sur le pectoral ne laissent aucun
doule a cet 6gard : c'est bien le grand Ramses, le celfebre
roi guerrier que les Grecs nommaient Sesostris. Et, chose
remarquable I Herodote, comme plus tard Diodore, fait lui-
meme mention de celte colossale statue que nous avons re-
trouvee. Les deux historiens rapportent que le roi Sesostris
61eva a Memphis devant le temple de Ptah, qu'ils appellent
Hephestos, deux statues de pierre hautes de trente cou-
dees, et quatre autres de vingt coudees, representant les
premieres sa femme et lui, les dernieres ses quatre fils. II
est extrfemement vraisemblable que nous avons sous les
yeux Tun de ces six colosses, savoir Tun des deux plus
grands. On a aussi trouve dans le voisinage des fragments
des autres ; on pent egalement les rattacher aux monuments
du temple consacre a Ptah. Mais le zele scientifique ne se
contentera pas encore de cela : il s*aglt en effet du temple le
plus ancien que connaisse Thistoire, puisque Herodote lui-
mfeme lie a sa construction un nom qui flotte dans le vague
des temps les plus recules, celui de ce M6nes que nos egyp-
tologues placent au cinquieme millenaire avant notre ere. Au
resle, si le plan forme avec le consentement du vice-roi
de transporter la statue de Ramses en Angleterre se reali-
sait, Londres s'cnrichirait d'une veritable merveille.
Apres notre retourchez Mariette, nous pratiquimes nous-
rafemes une petite fouille, pour chercher non des colosses,
mais des momies d'ibis. Pres d'Abousir, il se trouve en ef-
fet, avec beaucoup d'autres tombeaux, des momies d'oi-
3eaux sacres. Le travail qui consiste a deterrer ces momies
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LE s£rap£um in
n'est pas precisement agreable. Nous entr^mes tous deux,
— Brugsch devant, arme d'une lumiere, moi derriere, —
dans Tallee souterraine ou les urnes de terre contenant les
momies d'ibis sont empilees a perte de vue. II n'est pas dif-
ficile de trouver des cruches qui ne soient pas encore ou-
vertes, quoique les fragments de celles qui sont brisees
couvrent le sol de ce lieu ou un enfant pent a peine se tenir
debout . Mais parmi vingt a trenle urnes que Ton casse, il en est
une a peine dont on puisse transporter le contenu. Ce que
la plupart contiennent s'emiette et forme une poussiere
noire, de sorte que le soulerrain a peine eclaire se changea
bienlfit pour nous en une cheminee pleine de suie, Cepen-
dant, aubout dequelques heures, nous en avions trouveplu-
sieurs qui etaient capables et dignes d'etre transporlees.
Ces momies d'ibis nous rappellent une ancienne coutume
religieuse des Egyptiens, qui peut se comparer a Tusage de
la messe des morts chez les catholiques. On chargeait les
pretresde presenter, pour des morts bienaimes, uneofifrande
auxdieux, nommement a Osiris. Cette ofifrande consistaita
placer dans les catacombes une cruche avec une momie d*ibis.
Les couvertures de lin, dans lesquelles la momie est envelop-
p6e, indiquent par leur diversite, par leur valeur inegale, le
rang des personnes en Thonneur desquelles elle a ete depo-
see, ou encore le plus ou moins de liberalite de la famille.
On a de plus fait Tobservation que, dans un certain nombre
de cruches, Tenveloppe de toile, qui a d'ordinaire la forme
d'un pain de sucre avec la pointe aplatie, recouvre un petit
baton occupant la place de Tibis. On a cru d'aborc^que c'e-
taient de fausses momies d'ibis, de fabrication r^cente. Mais
une semblable imitation eut ete certainement plus coilteuse
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124 TERRE-SAINTB
et plus difficile pour les Bedouins que la d^couverte de mo-
mies aulhentiques. La tricherie doit 6lre probablement mise
sur le compte des prfetres 6gyptiens qui pouvaient avoir
souvent a faire de telles oflfrandes sans posseder Toiseau iie-
cessaire. SHIs osaient faire d'un baton une momie et le
mettre sous ce titre dans la cruche qu'ils ferrnaient soigneu-
semenl, ils pouvaient dormirtranquilles. Leur fraude pieuse
ne devait venir au jour que maintenant, au bout de plusieurs
milliers d'annees.
Apres que Mariette eut enrichi avec une rare lib^ralite
ma petite collection d'antiquites d'un certain nombre de
fragments de papyrus grecs, qu'on avail trouves dans les
environs et qu'on lui avail apport6s, je repris le mfime
jour la route du Cairo, oi^i mon &ne infatigable, trottant ou
galopant sans relkche, me ramena en trois heures et demie.
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XIV
HELIOPOUS
Aprfes les excursions faites h Touest du Caire, nous de-
vons mentionner brievement celles du nord-est. Revenus
de Memphis et des admirables monuments qui I'avoisinent,
allons maintenant a H61iopolis. Comme la Mitrahenny s'e-
leve avec ses huttes et ses palmiers sur les temples- et les
palais ecroules sous les sables, ici il en est de mfirae de
Matarieh ; seulement ce dernier endroit a su conserver
quelque chose de plus de la riche vegetation de I'Egypte.
Matarieh est a peine a deux lieues du Cairo; le chemin
nous fait passer a cdte de TAbbassiyeh, ce beau chateau
qu' Abbas-Pacha a bati pres de la montagne Rouge, entre le
desert et une contree toute parfumee de fleurs. Apres avoir
depasse les prairies ornees d'allees d'acacias et de tamaris,
et les champs converts de riches moissons, nous descendons
pres du jardin ou se trouve le fameux obelisque d'Helio-
polis. Les quatre c6les de ce monolithe, qui a 60 pieds de
haut, sent converts d'hieroglyphes ; seulement des colonies
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It6 TERRE-SAINTE
d'insecles se sont ^tablies sup deux des c6tes, et Icur epais
filet a completement enseveli lesvieilles inscriptions. Les pop.
tions encore visibles du texte attribuent la construction du
monument ^ Sesourtesen P', que i'^gyptologie d'aujourd'hui
place au me millenaire et Wilkinson au xviii* siecle avanl J.-C.
Voili done le seul t^moin de la gloire de cette cite qui pendant
des centaines et des millieps d'ann6es a ete le centpe bril-
lant de la culture, de la sagesse et de la piete egyptiennes,
et dont les murs — malgre les devastations causees papNabu.
cadnetsap et Cambyse, les executeups des menaces ppophe-
tiques — ont vu venip des pelepins avides de science, tels que
Platon et Epatosthene. Dans cet obelisque elle a, il faut le
dipe, laiss6 a la postepite un monument dignc de sa penom-
mee. Selon toute vpaisemblance, il se tpouvait jadis devant
le celebre temple du Soleil, desservi pap ce ppfitpe Potiphepa
qui donna sa fllle Asnath en mapiage a Joseph, le favopi de
Phapaon. Comme, d'appes le lemoignage d'Abd-Allatif, le
poptail mfime du temple, avec un gpand nombpe d'inscpip-
tions, existait encope au moyen Sge, ainsi que beaucoup
d'autpes monuments, on pent comptcp poup toute cette
constpuclion dispapue sup une pesuppection analogue a celle
du Sepapeum. En attendant, quelques beaux fpagments en
mapbpe ont ete du moins pemis au joup, papmi lesquels
deux linteaux de popte chapges d'inscpiptions du xvii* sifecle
avant Tepe chpetienne, avec une apchitpave aptislement tra-
vaillee et une patte de lion appaptenant a Tun des nombreux
sphinx qui decopaient autpefois la poute du temple.
Mais Matarieh consepve un autpe peste, un souvenir vi-
vant des sanctuaipes detpuits de Tancien dieu Soleil. C'est
la cel^bpe Source du Soleil, a laquelle le temple et la ville
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H£LIOPOLIS lt7
doivent peut-6lre leup existence. Au moyen lige, — comme
cela ressort d'Edrisi au xii® siecle et d'Aboulfeda au xiv* —
toute la localite portait le nom d*Ain-Chems, qui pouvait
avoir remplace depuis longlemps celui de Beth-Ghems,
MaisoH du Soleily employe par Jeremie *. Cette source tant
glorifiee par le culte ^gyptien des la plus haute antiquity,
la legende chr6tienne s'en est pourtant emparee de bonne
heure; car le recit d'apres lequel elle aurait jailli sur
Tordre du divin enfant pour desalt6rer ses parents est d6ja
indique dans Tevangile syro-arabe de TEnfance*. Recem-
ment seulement, au respect de son eau fralche et bien^
faisante, exprime par beaucoup de voyageurs, a succ6d6
la prose de Tindustrie egyptienne. On ne ^e contenta
plus, comme precedemment (depuis 1483), d'etaler pres
du courant des roues a puiser Teau, mues par des buffles ;
on placa ces roues jusqu'a la source meme.
De la source, nous n'avons que quelques pas a faire pour
arriver a cette autre relique de la tradition chretienne,
aussi estimee que la precedente et en rapport intime avec
elle : ce sycomore a Tombre duquel la sainle famille d(Ht
avoir trouve repos et s^curite lors de sa fuite en Egypte.
L'evangile de TEnfance se borne encore a mentionner ce
fait, tandis qu'ailleurs et dans la tradition orale il s'est
1. A A!n-Chems se rattache aussi le nom de Matarieh (eau fraiche?).
Comme ce nom aauel se lit deja dans VEvangile de VEnfanee en syro-arabe
{Ad sycomorum illam digressi sunt, qxuB hodie Matarea vacatur, chap. xxiy.
Voir mes ilvangiles apoeryphes, pag. 184), il remonte plus haut que le
XII* siecle. Mais probablement il ne d^signa d*abord que le sycomore par
rapporl a la source qui etait a cdt^.
2. Le passage cite poursuit immddiatement ainsi : et produxit dominus
Jesut fontem in Malarea, in quo hera Maria stibueulam (lange, camisole) ejui
lavit, •
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iSd TERRE-SAINTE
conserv6 avec les plus riches ornements. Ce grand figuier-
miirier qui porle encore chaque annee son fruit, une esp^ce
particuliere de figue, est une vraie curiosit6. Trois puis-
santes racines donnent naissance a cinq fortes branches ,
dont deux seulement continuent, forniant neanmoins un
arbre d'une grosseur rare. Les cinq branches principales
ont a leur origine 10 pieds de circonference. Toute Tappa-
rence de cet arbre montre qu'il est vieux de plusieurs
siecles. Or, Fabri le designant deja comme un t trfesgrand
et gros » et t tres-vieux figuier , » dans le tronc * duquel
brdlaient « deux lampes allumees en Thonneur de la sainte
Vierge, » il pent fort bien avoir inaintenant le double au moins
de rage qu'i) avait alors ; le livre syro-arabe de FEnfance
suppose en eflfet que le sycomore est connu, et Ton ne pent
guere admettre qu'il y en eCit un second qui meritat cette
mention.
Ce m6me arbre se trouvait, du temps de Fabri, dans le
jardin de baumiers dont, longtemps avant les descriptions
des voyageurs du moyen age, notre livre de legendes orien-
tales attribue Torigine au pouvoir miraculeux de Tenfant de
Dieu^. Aujourd'hui encore il est au milieu d'un magnifique
jardin, oil, a la place des arbustes a baume, le pficher et
Tabricotier, Toranger et le limonier, et les plus belles roses
a cent feuilles fleurissaient en repandant leur parfum des le
milieu de fevrier.
i. D'aprfts le recit de Thevenot, I'autre moitid du tronc, indiqud comme
creux depuis des sidcles, s'est rompue en 1656.
2. Ex sudors autem domini Jesu, quem ilia ibi sparsit, baUamum in ilia
regione provenii.
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XV
SUITE DES NEGOCIATIONS DU CAlliE
J'ai deja mentionne les bonnes dispositions qu'on m'avail
exprinf)^es au couvenl du Sinai a regard de Tempereur
Alexandre. Pendant le cours de mes relations avec les peli-
gieux, je census, en effet, la vive esperance que la proposition
du don du manuscrit serait faite par le nouvel archevgque,
d^s qu'il serait nomm^, et par les deputes. L'election eut lieu
la semaine de Piques; malgr^ une certaine opposition de la
part du haut clerg^, Tunanimit^ de&voix se porta sur un ar-
chimandrite du nom de Cyrille, arrive de Constantinople,
un homme qui paraissait legitinaer par ses talents, son exp^
p^rience, son caractere, la reconnmandaiion que lui avait
donn6e le defunl archevfique. Lorsque, peu apr^s Telection,
feus riionneur de le voir chez moi ainsi que plusieurs
prieurs, j'appris avec etonnennent que la donation medit^e
ne pouvait pas avoir lieu avant que Tarchevfique eilt roQU
sa consecration du patriarche de Jerusalem et sa recon-
naissance de la Sublime-Porte et du vice-roi d'figypte. Je
vis la une preiive de Timportance que le nouvel archevfique
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i30 TERRE-SAINTE
attachait a ce que ses decisions, ind^pendantes de toute
puissance superieure, a regard des propri^t^s du couvent
datassentde sa reconnaissance complete et officielle. Comme
on me dit en mSme temps qu'il fallait tout au plus trois
mois pour accomplir ces forma!it6s, j'eus bientdt pris la
resolution de m'occuper sans retard des autres objets de la
mission qui m'etait confiee. II est vrai que ma revision de
la copie d6ja faite n'6tait pas tout & fait termin^e > mais le
desir de rejoindre h Jerusalem le grand-due Conslantin
m'engageait a me h&ter. Lorsqu'il m'avait recu au mois
d'octobre precedent au chateau d'Allenbourg et m'avait
exprim^ le plus bienveillant int^rSt pour mon enlreprise ,
il considerait au moins comme possible que son voyage s'6-
tendit jusqu'en Terre-Sainte. Or, depuis quelque temps, les
journaux m'apporlaient des indications dans le m^me sens«
Mais avant mon depart du Caire> le patriarche d'Alexan-
drie, prelat d'une culture distingu6e, m'apprit, en me ren-
dant ma visite, que ie sultan avait mis un bateau a vapeur
a la disposition du patriarche de Jerusalem pour aller rece-
voir Son AKesse imperiale a son entree dans la ville sainte.
D'apresces nouvelles, je pensais, selou toute apparency
arriver plus aisoiULMit trop tard que trop tdt.
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XVI
DEPART ET QUAHA.M AINK
Au nombre des plus grandes plaies de rOrient, il faul
mettre non^sealemeat la peste qui ravaj^e les villes el les
contrees, mais encore ce qu'on a inveate pour lacombaltre:
la quaranlatne. En effet, cette insliluiion, certainement
salutaire et necessaire en son temps , se maintient avec
toute sa rigidite dans les moments ou Tid^e m6me d'nne
epidemie ne se legitime pas et ne trouve des defenseurs
que chez les charlatans au courant des habitudes de la spe-
culation orientale. La quarantaine infligee alors sur les
cdtes asiatiques de la Mediterranee a tout ce qui sortail
d'Egypte 6tait de cette nature. Pendant qu'au Gaire, a
Alexandrie et dans les environs de ces villes, la sante etait •
parfaite, tout ce qui venait de la, bommes, b^tail et mar-
chandises, n'en devaH pas moins &ive traite sur la cdte
turque comme etant soupconn6 de peste. Cette absurde
mesure avait pour consequence de paralyser singuli^re-
ment le commerce entre I'Egypte et la Turquic. Lc Lloyil
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131 TEHRE-SaINTE
autrichien et les autres soci6tes europeennes de bateaux a
vapeup ue servaient plus comme a I'ordinaire d'interm6-
diaire a ce trafic ; il elait abandonne a quelques bateaux
turcs qui faisaienl de temps en temps la travers^e, el dont
deux terribles catastrophes mettaient hors de doute le peu
de sOrete. Comme une telle conduite de la part des autorit^s
sanitaires de la Tupquie nuit suptout aux intepets eupo-
peens, nommemenf aux voyageups venant d'Eupope , on a
le dpoit de demandep si les ambassades de Constantinople
sent tpop occupees ou Ipop negligentes pour gapantip leups
nationaux du topt que leup fait Tapbitpaipe tupc.
L'espoip que la quarantaine sypienne allait cessep s'6tait
deja pepandu en Egypte dans les mois d'avpil et de maps ;
il 6tait naturel de prendpe en consideration le gpand nombpe
de pelepins se pendant de tout pays a Jepusalem. La mal-
heupeuse ppecaulion n'en continuait pas moins; seulementa
la fln d'avpil I'inspecteup g^nepal de la quapantaine de Cons-
tantinople paput a Alexandpie et, voyant que Tetat sanitaipe
etait si excellent , il fit espepop le ppompt petablissement
des communications.
Sup ces entpefaites, je chepchai vainement a Alexandpie,
au commencement de mai, un bateau allant a Jaffa. Ce-
pendant, comme je trouvai tpois compagnons de voyage,
un genepal pusse, un lieutenant de hussapds ppussien et un
gentleman americain, la compagnie tupque mit un bateau a
vapeup a notpe disposition, pour un prix eleve, il est vrai,
et dans Tesperance que la bonne occasion tenterait plu-
sieups autpes personnes. Elle ne se tpompait pas dans son
attente. En effet, lopsque, le 5 mai au matin, nous mon-
iSmes SUP notre bateau, nous le tpouvftmes deja occupe pap
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DEPART ET QUARANTAINE I33
une cinquantaine de passagers, au nombre desquels il y
avail des prMres juifs et mahoinetans, ainsi que des moines
grecs et latins. Le capitaine Hassan-Bey, un Turc pur sang,
s'appuyant sur son experience, considerait celte rencontre
comme le signe precurseur d'une mauvaise traversee. Inde-
pendamment de cela, la mer ou nous naviguions etait faile
pour nous rappeler Jonas, car c'est precisement k Jaffa que
le prophete s'etail embarque quanjj il fut jete a Teau par
les malelots pour apaiser les flots courrouces. Pourtant
noire traversee s'eflFectua heureusement; malgre sa mau-
vaise reputation , le port de Jaffa 6tait parfaitement calme
a notre arriv6e, de sorle que nous pumes quitter la cabine
lurque des le 6 apres midi. Comme le soleil allait se coucher,
tous se pressaient sur les nacelles de debarquement. La ndtre
etait surchargee. Les gens de Tequipage s'arrangerent, selon
leur habitude, de telle sorte que nous, les trois chr6tiens et
Franks, — le general restait sur le bateau — nous fflmes
forces de defrayer la societe turquo en payant au moms
trois lois plus qu il ne fallait; en effel, ils ne nous laisserent
descendre a terre que lorsque nous leur eilmes jete les ecus
sonnants. Cela nous rappela que nous etions en pays bar-
bare ; car, a la nuit tombanle, nous etions complelement a la
mcrci de ces hommes dans leur frfele embarcation. En outre,
il nous fallut nous laisser porter, ainsi que nos bagages, sur
le dos des bateliers pour alleindre le sec.
Quand nous sentimes enfm la terre sous nos pieds, nous
ne trouvames d'autre porte ouverte pour nous offrir Thos-
pitalite que celle de la quarantaine. Ce lugubre edifice
forme un earre ; au milieu une cour avec de miserables plan-
tations el une fontaine ; tout autour les chambres graodes
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134 TERUE-SAINTE
et petites, qui ressembient plutdt a des 6tables qu'k une
liBbitation. Dans la plupart, les meublcs font totalement
d6faut; In mienne seulement, designee par le gardien
comme la pin bella, possedait une table de bois. Outre cela,
sa bellezza se bornait a sa petitesse, trois fenetres qu'il
vaudrait raleux appeler des soupiraux, une niche dans le
mur et une pinnche elevee d'un cdt6. Les femmes de notre
society — grecques, russes et juives — se trouvaient dans
une position particulierement lamentable. Les gardiens de
la quarantaine avaient positivement I'air de mendiants ;
leur costume n'^tait que quelques guenilles dont ils se lais-
saient sans scrupule arracher un lambeau, et ils portaient
pour arme ofBcielle un gourdin. On ne vit paraitre que dans
les dernieps jours le gardien en chef, un peu mieux mis
que ses subordonn^s. Tout commerce avec le dehors 6tait
soumis ^ des formalit^s ridicules. La faculte de manger a
sa faim etait bien laissee achacun; mais elie suppl6ait au
luxe de la table. Nous dumes passer pr^s d'une semaine
dans cette captivite; pendant ce temps le m6decin, un
Franoais, se montra deux fois ; la seconde fois. Tun des
motifs de sa visile etait de nous presenter son compte. Si
quelqu'un arrivait dans un tel lieu avec des dispositions
maladives, — et combien ais6ment cela n'est-il pas le cas
aprfes une travers6e fatigante I — il pourrait diflGicilement
dtre plac6 dans des conditions plusd6favorabIes ; quand aux
voyageurs bien portants, ils doivent se f^liciter de sortir
sains et saufs d'un endroit aussi sale et aussi malsain. Dans
un precedent voyage, j'avais d6jft subi une de ces quaran-
taioes orientates et menace le m6decin de porter plainte
auppte de Tautoril^ superieure. II me repondit qu'il en
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DfiPART ET QUARANTAINE 135
etail bien aise et encore plus si ma plainle avail du succes;
mais, ajouta-t-il, on s'est deja plaint frequemment sans le
rnoindre resultat.
Mentionnons encore un incident comique. Un tcossais
trouvant au coucher du soleil la porte ouverle et non gardee,
il sortit et se promena pendant un quart d'heure sur le bord
de la mer. Les gardiens s'en apergurent alors et le firent
rentrer. La chose fut rapportee au gouverneur do Jaffa ; il
envoya incontinent dans la quarantaine une troupe de soldats
pour s'enquerir du delit. Bien que rofiicier du detachement
parflt comprendre le ridicule de Taffaire, toutes les portes
n'en furent pas moins des lurs occupees par des militaires,
d'autant plus que precedemment deja, un Juif ayant repondu
par un coup a unemalhonnetete d'un des gardiens caract6-
fis6s ci-dessus, une plainte avait 6t6 port6e a la mfime liaute
juridiction sur les « violences » des habitants de la quaran-
taine.
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XVII
VOYAGE A JERUSALEM — LE GRAND-DUC CONSTANTIN
ET SON ENTREE
Mats passons de ce spectacle desagreable k un tableau
plus riant. Le 10 mai, peu apres midi, nous aper^ftmes a
I'horizon les m^ts de deux frigates qui venaient du nord, et,
selon toute apparence, de Grece. Comme leur apparition fut
imm6diatement saluee par les drapeaux du consulal russe
et des autres consulats de Jaffa, il ne restait aucun doute.
Elles anrienaient sur les rives de la Terre-Sainte I'hdte
augusteattendu depuis longtemps : le grand-due Gonstantin.
Lorsque les deux frigates, auxquelles se joignit plus tard
un vaisseau de ligne, eurent jete Tancre, une barque con-
•sulaire s'aventura, k travers les flots soulev6s, vers celle
qui portait le pavilion de I'anDiraute. G'etaient les consuls
de Jerusalem et de Jaffa et le consul general de Syrie qui se
hlitaient d'aller souhaiter la bien venue au noble arrivant.
Une heure plus tard, malgr6 I'agitation de la noer, qui, il
faut le dire, est rarement paisible devant Jaffa, le grand-
due et la grande-duchesse, accompagn^s de leur fils ain6
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VOYAGE A JERUSALEM 137
Nicolas, descendirent a terre. A leur arrivee sup le quai, ou
la population s'6tait portee en masse, its furent accueillis
par i'archevfique de Petra, comme vicaire du patriar-
che, ainsi que par le caimacan de Jaffa et le comman-
dant de la garnison. Au milieu des flots de la foule, ils se
rendirent dans la cathedrale grecque pour y entendre un
Te Deum, puis ils prirent possession des pieces qu'on leur
avail preparees dans le monastere grec, k la porte duquel
Cyrille, sup6rieur de la mission que la Russie avail fondee
depuis peu a Jerusalem, les attendait pour une salutation
solennelle. Non-seulement les consuls russes, mais tous les
autres consuls el les notables de Jaffa furent re^us le soir,
apres le repas.
La quarantaine contrastait avec la ville anim^e et en ftte.
Le m6contentement que nous eprouvions a etre retenus
derriere ses murs etait encore accru par le spectacle que
nous avions sous les yeux. Nous n'avions pas manque de
faire comprendre h Tautorite sanitaire, par Tinterm^diaire
des consuls anglais et prussiens, I'absurdite de sa conduite ;
cependant nous n'atteignimes la fin de notre captivity que
le matin du H, et par une faveur speciale. En effet, en
depit de cet emprisonnement, j'avais aussi salu6 des le 10
au soir Tarriv^e du grand-due en Terre-Sainte. Je lui avais
adresse d'Alexandrie a Jerusalem une lettre annon^ant la
d^couverte que j'avais faite au Sinai. Le consul de cette
ville pr^senta mon ecrit a la reception du soir ; le prince en
ressentit une vive joie. N*etait-ce pas, en effet, une coinci-
dence remarquable? Son arrivee en Terre-Sainte etait saluee
par la nouvelle inattendue que la mission scientifique, entre-
prise sous ses auspices, avail eu pour resultat la trouvaille
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138 TERRE-SAINTB
du plus ancien et plus important document biblique ! Comme
h rouverture de ma missive le vice-consul de Jaflfa avait
aononee en meme temps mon sejour k la quarantaine, ilap-
parut le 11 mai de bonne heure avee un message du grand-
due pour moi, et une heure apres arriva le medecin pour
nous od;royer notre liberty.
Grftce a la bienveillante sdlicitude du vice-consul prus-
sien, Arm^nien aise, nous obtinmes mdme tons les quatre
— c'est-a-dire le lieutenant prussien, rAm6ricain, I'Ecos-
sais et moi — encore un cheval, quatre mulcts et un ane
pour nous rendre sans retard a Jerusalem. Apr^ une abon-
daiite distribution de bakchichs a tous ceux qui nous avaient
rendu quelque service, nous partimes sur nos montures a
neuf heures du matin, avec pres de 20® Reaumur, pour
traverser lariante contr6e qui avoisine Jaffa. Entre des haies
de figuiers-cactus devenues comme des murailles vivantes,
et derrifere lesquelles on voyait partout des grenades d'un
rouge de feu, ainsi que des orangers, des citronniers char-
ge de fruits dor6s, nous atteignimes la fameuse plaine de
Saron, c616br6e par le proph6te Esaie et par le Cantique
des cantiques. Ses roses et ses lis ^taient deja fletris, mais
de tous lesc6tes Tceil 6tait r^joui par une vemlurefraicheet
pleine de fletu^, et par de magniflques champs de bie; le
long du chasnin et au loin, pres des villages composes il est
vrai presque uniquement de cabanes de terre glaise ou de
pierre, il ne manquait pas non plus d'oliviers et de figuiers.
Yaacnir, qai est sans doute un reste de Tantique residence
de Gazer, celebredans Jes annates de la guerre ; Beit-Dedjan
dontle nom rappelle Dagon^, 4'ancienneidoledes Philistins;
Sarafend, qui 6tait, au vr sitele, le si6ge d'un 6v6que, se
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VOYAGE A JERUSALEM I3«
Irouvaient sur noire route. Par contre, nous n'6tions saJu6s
que de loin, du haul d'une cdline au nord, par cette Lydde
oil Pierre guerit En6e, et oil saint Georges, le vainqueur du
dragon, mourut martyr sous Diocletien. II ne reste aujour-
d'hui quequelques ruines pour raconter ses nombreux sou-
venirs.
Lorsqu'il ful environ midi, nous apercfimes devant nous
la pointe de la celebre vieille tour qui est prfes de Ramleh ;
j'y 6tais monte, quinze ans auparavant, pour jeter de cette
hauteur un premier regard sur la chalne des montagnes de
Juda qui s'616ve a Test escarpee et d6serte. Bientdt aussi
nous vimes briller, a travers des bosquets d'un vert fono6,
les minarets de la ville dans laquelle, depuis les Groisades
au moins, les yeux de la piet6 reconnaissent rArimath6e
biblique, patrie de celui qui ensevelit le Seigneur dans son
propre s^pulcre ; eHe est habitue par mille Chretiens. Vers
une heure nous nous arretftmes au portail du convent latiti
qui porte le nom de Nicoddme.
Apres avoir joui de quelques heures de repos dans cette
paisible et hospitalifere demeure, nous poursuivimes notre
route. Dans les rues de la ville nous rencontrames des
, groupes de gens v6tu8 de leurs habits de f6te, en Thonneur
d'un cortege plus sotennel que n'6tait le ndtre ; et a peine
avions-nous atteint la pleine campagne que nous vim:es, a
pen de distance devant nous, la caravane du grand -due
fatsant le m^me chemin.^Partte k sept heures de Jaffa, etie
s'elait repos^e pemiant les heures les plus chaudes du jour
au convent grec de Ramleh — oil une grande tente avait
6te tendue pour les illustres hdtes — et venait de quitter
la ville peu avant nous, vers quatre heures. Une trfes-belle
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140 TEHRE-SAINTE
troupe de cavaliers formait la t6te de la caravane. En avant
jon voyait a cheval Parchevfique de P6lra en costume sacer-
dotal, le caimacan de Jaflfa et le commandant de la garni-
son de cette ville, suivi d'un d6tachement de troupes regii-
lieres et de Bachi-Bozouks, dont on voyait briller les armes
et les uniformes barioles. Le prince imperial montait un
cheval de noble race arabe, que le pacha gouverneur de
Jerusalem avait envoye a Jaflfa a sa rencontre. La grande-du-
chesse se servait d'une litifere turque envoyee egalement parle
pacha : cette litiere, ressemblant a une voiture, etait portee
par deux mulcts que conduisaient deux Arabes ; en outre,
quatorze hommes de Tequipage du grand amiral formaient
Tescorte personnelle de la princesse. Les femmes de sa
suite avaient des chaises a porteurs ordinaires, a Texception
de la jeune comtesse Kamarofsky qui etait h cheval. Le
petit prince de dix ans, le grand-due Nicolas, montait un
cheval dont la selle — present de la reine de Grece — avait
la forme d'un fauteuil. Le cortege du grand - due pouvait
compter une centaine de cavaliers. Nous nommerons le con-
seiiler d'Elat Mansouroff, qui avait la direction du voyage,
le medecin llaurowitz, un des plus fiddles serviteurs de son
maitre, le conseiller intimeGolownin, personnalite serieuse,
le mar^chal de la cour Tschitscherin accompagn6 de sa
femme, le contre-amiral Istomim, le capitaine de vaisseau
baron Taube avec huit autres oflQciers de Tescadre, les
trois adjudants Lissianski, Likhatchofif, baron Boye, les deux
gouverneurs du jeune prince, baron Mirbach et Gorkovenko,
le secretaire de la legation athenienne, tres-verse dans la
connaissance des langues, Koumani, les consuls russes de
Syrie, de Jerusalem, de Jaflfa. Une grande partie de ces
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VOYAGE A JERUSALEM |4l
cavaliers portaient de 16gers vfitements d'6t6 de couleur
blanche, et des casquettes blanches de marin comme le
grand-due, sur les 6paules duquel flottait de plus un bour-
nous Wane, souvenir de son precedent voyage h Alger. La
caravane se terminait parune troupe d'infanterie; c'^taient
trois cents horames de Tescadre, tons vfitus du costume blanc
des marins, avec des carabines Minie sur I'epaule, un tam-
bour au milieu. Fidele a un voeu qu'il avait fait, le brave
aumdnier du grand-due allait a pied pendant tout le p6le-
rinage dans la Terre-Sainte.
S'^tendant devant nos yeux en une longue ligne a tra-
vers les champs , cette caravane pr6sentait un charmant
coup d'ceil. Bien que la grande route des pelerins conduise,
chaque ann^e, des milliers de personnes de contrees plus
ou moins eloignees vers le meme but v6n6re, elle n'en avait
probablement pas vu de semblable depuis les Croisades. Le
souvenir de ces dernieres, decet admirable 61an d*un grand
patriotisme chrelien, s'6veilla involontairement dans mop
hme.
11 y avait environ trois lieures que nous 6tions sortis de
Ramleh, lorsque nous passSmes pres de deux localites re-
marquables, dont Tune etait situee tout prfes de notre che-
min, i'autre a vingt minutes de distance. Les vastes mines
que nous apercevions sur une hauteur considerable por-
tent depuis des siecles le nom de Latroun ou Gastellum
Latronis, les moines du moyen Sge ayant voulu y retrouver
la patrie du majfaiteur gracie sur la croix. Eiles pretendent
avec plus de raison a Thonneur de glorieux souvenirs des
Macchabees; et m&me les sept pyramides funeraires de
Simon, « visibles de la mer, >» peiiveiit bien avoir etela.
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142 TERRE-SAINTE
A celte antique renommee les Grois^sen ajoutj^nt une nou-
velle, en choisissant ce lieu pour leur dernier campement
avant d'arriver sous ies murs de J6rusalem. Un souvenir
non moins important se rattache aux autres mines qui sont
moins renmrquables en elles-m^mes. Elles viennent de la
ville d'Emmaiis 6galement connue par Ies Macchab^es et
nomm^ plus tard Nicopolis; d'apr^ la plus ancienne tra-
dition, appuy6e par Eus^be et J^rdme, elles rappellent done
la rencontre miraculeuse du Christ ressuscit^ avec Ies deux
disciples. Bien qu'on soit frapp6 de la distance considerable
de Jerusalem, peut-6tre ce trait s^accorde-t-il pourtant avec
Luc lui-mSme^.
Mettons enfin au nombre des grands souvenirs dans le
cercle desquels nous ^tions entres ce cri de Josu6 trioin-
phant : « Lune, arr6te-toi sur la vall6e d'Ajalon ; » car
cette vallee avec son village Yalo n'6tait qu'i une petite
distance de nous, au nord-est.
Nous avions atteint la montagne de Juda : nous nous en
apercevions a noire route qui devenait toujours plus inegale
et raboteuse. Aux approches de la nuit, nous eQmes k tra-
verser un long espace de terrain tellement pierreux que
I'on aurait pu douter d'6tre dans le chemin parcouru ebaque
annee par tant de milliers de p6lerins. Tantdt des brous-
sailles et des racines , tantdt des quartiers de roe et des
pierres reulantes s'opposaient a notre passage ; )e sol d6-
chire par Ies eaux de la montagne rendait la prudence
n6cessaii*e a chaque pas. S'il en 6tait ainsi pour chaque
4. Dans Lnc^ xxnr, i3» le Codex Sinaitieug et d*aatres avCorii^s tr^s-an-
ciennes indiquent 160 sUdes au lieu de 60.
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VOYAGE A JI^RUSALfiM 143
cavalier en particulier, combien plus pour celte grande
caravane , si diversement compost. La lone s'6tait lev^ ,
mais son disque 6troit ne r6pandait qu'uoe faible lumidre.
Pour lui venir en aide» on avail allum^ un grand nombre de
torches, qui produisaient un effet des plus pittoresques.
Toutes ies fois que la caravane s'arrSiait, ce qui avail lieu
fr^quemment , des Bachi-Bozouks arriraieni au galop en
traversant le taillis qui bordait le chemin.
En sortant de Ramleb, la grande-duchesse ^lait mont^e
sur un cheval turc ; lorsque plqs tard eUe Techangiea, avec
le jeune prince, pour la litiere port6e par des muietoy oette
litifere fut soutenue et appuy^e par quatre bommes^ a eauae
du peu de s6curite de la route. Le grand-due lui^n^^me ehe-
vauchait pr6s de la ; il admirait Tintrepidite de sa compagne
dans Ies endroits Ies plus ditScik^ de cet effrayant seotier
de p^lerins .
II ^tait plus de neuf heures quand nous atteignlmes notre
6tape de la journ^. Au milieu de cette contree bois^e et
pierreuse nous avions atleint un plateau — le point le plus
6Iev6 de cette montagne — oh queiques cabanes portent
I'antique nom de Saris^ deja roentionne par Ies Septante.
On y avait prepare un nombre consider abledetentes grandes
et petites ou la caravane devait trouver un abri pour la
nuit. Je n'apercus pas Ies cabanes du village, qui a 6t6, il
est vrai, detruit il y a bientdt trente ans par Ibrahim-Pacba ;
probablement elles ire se trouvaient pas dans notre voisi^
nage immediat. En revanche, nous rencontrftmes la beau-
coup de chameaux et de mulcts, envoys en avant avec un
bagage considerable. Des mesures furent bientdt prises pour
reslaurer Ies voyageurs tr^s-fatigu6s d'un tel voyage; mais
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144 TRRRE-SAINTE
ce qui nous fit le plus de bien, ce fut le repos mfime, bien
que notre couche, du moins la mienne, pQt me faire trouver
conrortable celle de la quarantaine.
II me rested mentionner encore une surprise particuliere.
Le grand-due 6tait h peine entr6 dans sa tente pour la nuil
quil vit paraltre devant lui Moustapha-Abou-Ghoch, dont
le nom etait jadis la terreur de tous les voyageurs dans ce
pays. II venait tout arme, mais, on le conQoit, simplement
pour temoigner son respect el sa soumission.
Lorsque le matin fut la» nous vimes que nous ^tions
campus dans un site tres-romantique. Des coilines ar-
rondies, plant6esd*oliviers, de caroubiers, depetits ch6nes
a epines, de gen^vriers, caract6risaient le paysage. Ce-
pendant tous quitterent tres-volontiers les lenles de
bonne heure ; les yeux et les coeurs etaient tournes vers
Jerusalem.
Des six heures, toute la troupe se remit en marche. Quel-
que riant que fAt le paysage, notre chemin n'elait pas tout
a fait infid^le au caraclere qu'il avail eu la veille au soir.
Peu apres notre d6part, le visiteur nocturne, Moustapha-
Abou-Ghoch, vint a cheval au-devant du grand-due pour
implorer de lui I'honneur d'une visile dans sa forleresse.
Get homme est actuellement le chef principal des Bedouins
de la Palestine, et comme tel, vu les circonstances de ce
pays barbare, il jouit d'une consideration princifere. Son
frere el son a'ieul out su mettre leurs noms parmi les plus
redoulables de la contree et en faire la terreur de tous les
pfelerins. Moustapha — qui est encore un homme de belle
apparence, avec une expression d'cnergie dans sa tenue et
sur ses traits — marcha un certain temps sur leurs traces.
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VOYAGE A JERUSALEM i45
II raclieta son pere des galores en fournissant a Ibrahim-
Pacha mille hommes de troupes auxihaires ; plus tard il
subit lui-mfeme la prison et i'exil jusqu'a ce que, en 1851, il
rentra en triomphe : il prefera d6s lors d'echanger le pillage
de grand chemin centre les arts de la paix, T^pee centre la
bfeche. Nous pumes nous en convaincre de nos propresyeux
en passant pres de sa residence. Elle se distingue en eflfet
parde belles plantations d'oliviers, de figuiers, de vigne, etc. ;
elle possede aussi une mosquee et plusieurs maisons en
pierre, ph6nonifene rare dans la contree. Du reste, le grand-
due et sa femme ne d^daignerent pas de descendre pour un
quart d'heure chez le chef bedouin, qui de son c6l6, suivant
la coutume des salons orientaux, fit oflfrir du cafe, des pipes
et des confitures.
Du chateau situe sur une eminence le chemin conduit
dans une vallee ou se trouvent encore des mines conside-
rables ; ce sent des murs ayant appartenu k une eglise du
moyen Sge. Du fond de la vallee le chertiin remonte sur la
hauteur, d'ou nous eumes de rechef a descendre par un
sentier escarpe et pierreux. Avant de le prendre, je refus
la nouvelle que le grand-due, apprenant que J'etais dans la
caravane, d6sirait me parler. II ne m'elait pas facile de
repondre a ce desir, vu qu avec ma monture peu reguliere-
ment harnachee — qui, il est vrai, etait parfaitement en
harmonic avec son cavalier equipe a la mode des Bedouins —
je faisais partie de Tarrieregarde, tandis que le prince sur
son bouillant cheval arabe etait a la tSte de la caravane.
Cependant la tentative que je fis pour inspirer a mon ani-
mal, sur une si mauvaise route, un z^le inaccoutum6 eut a
mon grand 6tonnement un si heureux succes que j'arrivai
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146 TEtlRE-SAINTfi
a Coulonieh presque en m6me temps que Tavant- garde.
Coulonieh est plac6 au pied du sentier de montagne que j'ai
d6ja nomm6, dans une ravissante valine plant^e de grena-
diers et d'orangers et traversee par un ruisseau ou David
le jeune berger est, dit-on, alle chercher les pierres que sa
fronde devait lancer au front du geant philistin. Dans cette
vallee, un grand Granger tout fleuria cdte du ruisseau mur-
murant oflfrait un refuge tres-tentatif sous son ombre ; le
grand-due s'y arrfeta avec son medecin et I'archev6que de
Petra. J'y vins moi-mfeme et fus rcQU par lui de la maniere
la plus gracieuse. Bientflt apres, la grande-duchesse parut
aussi presde la ; le prince lui annonga avecbeaucoup d'aflfa-
bilit6 comment la caravane s'elait accrue; elle prit alors
egalement place a Tombre de Tarbre odorant et convert de
fleurs.
Une des premieres paroles du grand-due fut pour me de-
mander ce qui en etait de la fin de Tevangile de saint Marc
dans la Bible du Sinai. Cette demande me surprit au plus
hautdegr6; septmois auparavant, au chateau d'Altenbourg,
J'avais indiqueau grand-due ce passage avecplusieurs autres
pour caracteriser mes travaux critiques sur le texte. Je pus
maintenant lui r^pondre que le manuscrit du Sinai conflr-
mait pleinement ma maniere de voir. A cette occasion le
grand-due 6mit un jugement qui semblait provenir du maitre
du college de la Trinit6 a Cambridge, le ceiebre critique
anglais du siecle dernier, plutfit que d'un prince russe.
La caravane s'6tait a peine remise en marche depuis une
demi^heure dans les sentiers raboteux de la montagne, lors-
qu'on vit venir a la rencontre de la famille grand-ducale le
patriarche grec de Jerusalem* venerable vieillard aux che-
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VOYAGE A JERUSALEM 147
veux argentfo, et Surreya-Pacha, gouveroeup de la pro*-
vince, tous deux avec une escorte. Le grand-due descendit
de cheval en rafime temps que le patriarche, qui le benit et
s'^cria: < Beni soil celui qui vienl au nom du Seigneur I >
L^-dessus il salua et b^nit la grande-duchesse. Un peu plus
tard les nobles pelerins rencontrerent le patriarche arm6-
nien, TevSque de Syrie, le clerge copte et abyssin.
Sur ces entrefaites naidi approchait et la journee etait
chaude. Nous apercevions d^ja a Test les murailles grises de
la cite sainle, a Tarriere-plan le monl des Oliviers que donoi-
nait dans le lointain la chalne bleue des montagoes de
Moab, lorsque nous trouv&mes sur notre chemin trois tentes
^lev^es pour les ceremonies de la reception. Au moment ou
le grand-due en uniforme d'amiral russe avec le cordon bleu
de Saint-Andr6, la princesse k son bras et derriere lui le
jeune prince conduit par son gouverneur, entra dans la
tente ouverte du pacha, qui xesplendissait de Teclat des
uniformes, les petits canons postes a cdte se mirent a faire
feu, la troupe de parade pr^senta les armes, les tambours
battirent aux champs, les trompettes sonnferent. Le pacha
pr^senta le corps diplomatique, compost des consuls d'An-
gleterre, de France, d'Autriche, de Prusse el d'Espagne,
ainsi que les premiers ulemas de Jerusalem. L'6v6que angli-
can Gobat s'etait joint au corps diplomatique.
Plus prfes de la ville s'etait place le clerge Israelite avec
une petite tente d'etoffes brOch^es d'or ; pour cette occasion
extraordinaire il n'avait pas voulu rester en arri^re.
Mais le public le plus nombreux pour souhaiter la bien-
venue aux illustres voyageurs n'6tait pas le public ofDciel,
celui des tentes. Depuis une demi-beure d^Ja^ notre cara-
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148 TERRE-SAINTE
vane s'6tail considerablement accrue par de nombreux pfele-
rinsde P&ques, des Russes surlout, venus a notre rencontre.
II etait touchant de voir les yeux brillants de joie, souvent
niouill6s de larmes, de ces derniers; quel bonheur n'eprou-
vaient-ils pas a voir, a saluer au terme de leur pieux pele-
rinage le couple grand-ducal pouss6 par le meme besoin du
coeur. Beaucoup de femmes jetaient a Tenvi des fleurs a la
grande-duch'esse et voulaient en joncher le chemin. Mais la
place leur manquait desormais; car apres notre depart des
tentes nous fflmes entoures des deux c6les par des foules
6paisses, portant des costumes de toute sorte. Les turbans
de toutes les formes et de toules les couleurs, Chretiens,
juifs, mahometans, le chapeau franpais lui-m6me et la toque
polonaise garnie de zibeline, formaient une surface com^
pacte. De nombreux groupes de femmes, en longs vfetements
blancs et voil6es selon Tusage, avaient occupe les hauteurs
a notre gauche. Des cris de joie interrompaient souvent la
musique militaire, dont les forces furent mises a Tepreuve,
car depuis les tentes jusqu'a la porte de Jaffa des soldats
turcs firent la haie. Derriere cette haie, les nobles pelerins,
alorstous a cheval, avaient encore pour escorte Tequipage
russe.
Arriv6 a la porte, le grand-due, malgr6 le concours extraor-
dinaire de la population, descendit de cheval ainsi que la
grande-duchesse et le jeune prince, pour entrer dans la
ville sainte a pied, selon Tantique et pieuse coutume. Le
sol 6tait jonch6 de feuilles de roses et asperge d*eaux de sen-
teur. Le couple grand-ducal fut saisi d'une profonde Amo-
tion ; des larmes brillaient dans leurs yeux a tous deux.
A leur entr6e, Tevfeque russe, qui 6tait revenu en hate
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VOYAGE A JERUSALEM 149
de Jaffa a Jerusalem, se presenta entour6 de son clerg^ et
les reQut avec la croix et Teau benite. Dans la ville m6me,
partoul ou le cortege devait passer, chaque nf)ur, chaque
toil, chaque fendtre, toutes les plus petiles places dispo-
nibles etaient occupees par des spectateurs; tous les visages
resplendissaient et les cris de Joie ne cessaient pas. Une
salve de la citadelle, Tantique « Tour de David, » avait si-
gnale Tentree des voyageurs dans I'enceinte de Jerusalem ;
elle se repeta a leur entree dans I'^glise du Saint-Sepulcre.
Car suivant le d6sir du prince le cortege se rendit directe-
ment a cette eglise, qui etait illuminee par des milliers de
flambeaux et de lampes.
Sous le portail se tenait d6ja le patriarche grec tout res-
plendissant d'or et de pierreries, avec le haut clerge revfetu
de son superbe costume. Le v6n6rable vieillard, plein d'6-
motion, souhaita encore une fois la bienvenue aux trois
membres de la famille imperiale, « protectrice de la sainte
figlise que caracterise la foi a la divine Trinite; » il rappela
en meme temps les bienfaits que TEglise orthodoxe, nom-
m6ment a Jerusalem, devait a Tempereur Nicolas. Apres
cette salutation, il conduisit les illustres pfelerins aux deux
endroits les plus sacres de la terre, a celui ou la pSleur de
la mort a convert le front du R6dempteur crucifie, et au
Saint-Sepulcre, pendant que la principale eglise grecque
faisait retentir un solennel Te Deum.
Ajouterai-je encore un mot au sujet de cette entree dans
Tantique cite de Dieu ? Si elle a 6te si joyeuse et si grandiose
qu'aucun prince europ6en depuis les Croisades n'en a pro-
bablement eu de semblable, ce caractere exceptionnel avait
d'autant plus d'importance qu'il provenait du concours de
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iW TERRE-SAINTE
causes multiples et tres-diverses. Le grand*duc n^avait nul-
lement proYoqu6 ces manifestations. « Faire son entree k
Jerusalem dans le silence et la priere, » voila ce qui eOt et6
beaucoup plus selon son coeur, comme il le disait encore le
lendemain dans un cercle intime. Ainsi Ton tint compte
du desir des autres plutdt que du sien propre, et I'entree du
frere du czar fut Toccasion d'exprimer les plus vivos sym-
pathies. Elle a, j'en suis convaincu, eveille dans plus d'un
coeur ce souhait : Puisse-t-elle presager une autre entree,
d'importance plus durable! Je saisegalementque beaucoup
d'autres personnes la considerferent , avec tout ce qui s'y
rattachait , comme significative deja pour Tavenir de la
ville sainte. Ceci pent expliquer la reserve qui d'un c6t6 du
moins fut oppos6e a la joie universelle. Le differend qui
depuis tant de si^cles separe des freres en la foi n'aurait-il
pas dii renoncer a toute expression, m6me muette, prfes du
Saint-Sepulcre, lors de cette entree solennelle! L'islamisme
lui-m6me eflt desesperfe de son avenir.
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^
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XVIII
SEJOUR DE LA FAMILLE GRAND-DUCALE A JERUSALEM
L'enlree solennelle eut lieu en plein midi ; aussi avec
tous ses cdtes edifiants fut-elle fatigante a un haut degre,
comme durent s'en convaincre tous ceux qui y prirenl part.
Lorsque quelques heures de repos eurent succede a Tepui-
sement, alors seulement nous eumes complelement cons-
cience de cette idee : Nous sommes a Jerusalem 1 Comment
se soustraire a la puissance de ce sentiment, pourvu qu'on
ait apporle quelque interet pour cette ville du salut el des
douleurs, pleine de gr&ce et de gloire plus qu'aucune autre
au monde, mais aussi frapp6e de la plus lourde malediction,
de la plus profonde souffrance I La brillante lumiere qui a
brille en Sion Tavait elevee jusqu'au ciel ; mais maintenant
elle est assise sous le sac et la cendre, depuis qu'elle a me-
prise les larmes de Celui qui si souvent a voulu rassembler
ses enfants comme une poule rassemble ses poussins sous
ses ailes. Son Elevation et son abaissement ont tous deux
6galement sanctifie Jerusalem^ et Tont placee au-dessus de
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i5« TERRE-SAINTE
toutes les villes de la lerre; ses pierres son' devenues d1m-
p6rissables t6moins des fails redempteurs et des ch&liments
divjns ; elles racontent depuis des milliers d'ann6es les voies
de Dieu pour le salut de rhumanit6, et elles en parleront k
toutes les generations futures. Et pour qui ce iangage
aurait-il plus d'eloquence que pour un coeur chretien?Tous
les pays sans doute ont entendu la predication de la croix
dressee sur Golgotha, et les paroles d'6ternelle paix qu'une
bouche divine a prononcees dans ces niurs : toujours est-il
que nous tressaillons de joie, eomme autrefois le chantre
inspire, lorsque nos pieds foulent ton sol sacre, 6 Jerusalem !
Toujours est-il que nous sommes saisis d'une emotion indes-
criptible en conlemplant de nos yeux les endroils oh a regn6
David Toint du Seigneur, ou les prophetes ont parl6 sous le
souffle de Dieu, oil le Sauveur a march6 parrai les enfants
des hommes, ou il a accompli et scelle de son sang la redemp-
tion du monde.
C'est sans doute sous Tempire de telles impressions que,
le jour mSme, dans le silence de la soiree, le couple impe-
rial retourna au Saint-Sepulcre. Si h midi ils avaient eu une
brillante escorte d'ecclesiastiques et de laiques, cettefois-ci
ils etaient seuls. Et comment le coeur plein de reconnais-
sance et de prieres pourrait-il trouver autrement satisfaction
dans ce sanctuaire !
LE 13 MAI
Nous avons dit precedemment que le patriarche de Jeru-
salem s'etait empresse de venir, sur un bateau a vapeur du
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JERUSALEM 153
sullan , de Constantinople » sa residence habituelle , pour
recevoir Leurs Altesses dans la ville sainte. II 6tait porteur
d'une lettre du sultan qu'il remit au grand-due le 13 mai k
midi. Ainsi le prince russe , qui compte aussi parmi ses
anc6tres les empereurs byzantinsS recevait a Jerusalem,
d ) la main du pr61at orthodoxe, la bienvenue du padichah
ture dans les fitats de ce dernier. Le grand-due adressa au
patriarche ses remerciements pour rexcellent arrangement
des appartements du patriarcat en Thonneur des visiteurs ;
il lui exprima aussi son contentement de voir r^gner une
si bonne harmonieentre sa saintete et la mission de I'Eglise
russe a Jerusalem. La grande-duchesse, presente k Ten-
trevue, rejouit visiblement le digne vieillard en I'entre-
tenant des vivos sympathies de son mari pour les Grecs
d'Orient.
Un quart d'heure aprfes le depart du patriarche, le grand-
due et la grande-duchesse lui firent I'honneur de lui rendre
sa visite ; le grand-due lui remit de la part de I'empereur
Alexandre une croix magnifique, orn6e de pierres pr^cieuses
de grand prix.
A deux heures aptfes midi Leiirs Altesses imperiales
re^urent au patriarcat T^vSque de Melitopolis avec les
membres de la mission russe.
Deux heures plus tard elles entrepiirent, accompagntes
de leur suite et a pied, leur premier pelerinage h travers la
ville. 11 s'agissait d'abord de suivre la voie douloureuse, dont
on parle tant et qu'on a si souvent imitee en Europe. On ne
1. Od sait qu'Ivan Vassiljdvitch ^pousa en i472, ayec le concoursda pape
Sixte IV, la princesse Sophie, uniqae rejeton de la maison de Constanlin Pa<
l«iologne, le dernier empereur byzantin.
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iU TERRE-SAINTE
peut pourta0t pm dire qu*elle soil c^lebre d^uis une haute
aatiquite a Jerusalem ; ce n'est que pendant les Groisades
que Ton parait avoir raviv^ avec tant de zele les souvenirs
du cheinin qui conduisit h Golgotha le roi des Juifs con-^
damn6. Mais des le xv® si^cle nous trouvons, avec les pre*
miers recits qui le concernent, le chiffre des pas d'une sta-
tion a Tautre : pour la premiere fois chez Gumpenberg en
1449, puis chez Tucher en 1479. Depuis lors la via sancta
ou via crucis^ ou — comme on la nomme de preference au-r
jourd'hui — la via dolorosa, devint un des endroits les plus
fr^quentes et les plus ven6r6s ; au xvn^ siecle par exemple,
d'apres le t^moignage du pfere Surius (1647), les francis-
cains la parcouraient reguliferement tons les vendredis, nu-
piedset en procession.
Sortant du patriarcat grec prfes de T^glise du Saint-
Sepulcre, nous suivimes la direction de Touest a Test, et
nous efimes a descendre , tandis que le chemin lui-m^me
avec ses stations se dirige de Test a I'ouest et monte la
plupart du temps, Le point de depart a Test est forme par
le preloire, ou la Maison de Pilate, a laquelle se relieTarc
de VEcce Homo. On distingue de plus les places ou Jesus
portant sa croix tomba pour la premiere, pour la deuxieme,
pour la troisifeme fois ; ou Marie apercut sa t6le couronnee
d'^pines; ou la pieuse Veronique demeurait et ou elle essuya
avec un linge la sueur du Seigneur — il en resulta sur ce
linge la c61ebre image qui opere des miracles * ; — ou le
i. La Idgende du linge qui regut rempreinte du visage du Christ est beau-
coup plus ancienne que celle de la maison de Veronique. Sous le litre de
Vindicta Salvatoris, j'ai joint, d'apres des manuscrits latins, un recit 1^-dessus
It mon Edition des Evangelia apocrypha (Leipzig, 1853). Cetle anecdote a
aussi iie traitde en anglo-saxon. Voir p. lxxxi de cet ouvrage. Elle remonte,
comme on peut le prouver, a plus de miile ans en arridre.
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JERUSALEM «K
Sauvetir eo»soIa et exhm^ta les filles d^l6es de Jerusalem;
ofi Simon de Cyrfene fut charg6 de la croix , etc. En y
comprenant ia descente de la croix et la mise au tombeau,
on atteint le chiifre de quatorze stations.
Un inter6t particulier se raltache aux deux premieres que
nous avons nomm6es, les dernieres auxquelles nous arri-
Y^mes ; Tare de VEcce Homo et la Maison de Pilate. Get arc
traverse en biais la via dolorosa; les vieilles pierres qui
ferment sa voute sont masquees par une crepissure plus
recente ; en outre, dans le mur qui en fait le couronnement,
on a pratique une chambre avec deux fenfitres grillees qui
regardent a Torient.
On concoit aisement qu'un pareil reste de Tantiquite
pr^te pr^cis^ment aux opinions les plus divergentes. Tandis
que les uns pensaient que Pilate a adrosse au peuple ameul6
son Edee Homo * a travers ce meme grillage , les autres ,
s'appuyant sur la critique, ne pouvaient y voir autre chose
qu'un de ces objets, tr6s-insignifiants en eux-mfemes, aux-
quels rimagination des moines du moyen &ge a seule pret6
de rimportance. Les d^couvertes faites inopin^ment peu
apres notre visile n'bnt pas du tout confirme Topinion qui
refuse k ce monument une haute antiquite. En effet, en
entreprenant une construction pr^s de la, des catholiques
frangais ecartferent des mines informes et degagferent le
cdte nord de Tare ; il apparut alors « dans cet ouvrage incon^
testablement remain , » comme s'exprime Rosen * , une
seconde voiite d'une hauteur moindre. L'iman de la petite
mosqu^e elev6e en ce lieu assura a ce judicieux observateur
i. t Yoici rbommet » Jean, xiz, 5.
2. Yoyez Zeitschrift der Deutuh-morgenl Gesellschaft, i860, xiy, p. 605.
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m TERRR-SAINTE
qu'il y avait eu au sud une voflte semblable ; mais comme
elle endommageait Tint^rieur de la mosquee, on la demolit
il y a quarante ans. Si tout ceci legitime d^ja Topinion que
Tare de VEcce Homo vient d'un arc de triomphe remain
d'Aelia Capitolina, Texamen attentif du terrain auquel on
s'est Iivr6 a cette occasion autour du monument a conduit
h d'autres conclusions encore. On a trouve en eflfet, i 4 ou
5 pieds au-dessous du niveau de la route, un pav6 compos6
de grandes dalles en substance calcaire — longues, en
moyenne, de 4 pieds, larges de 2 1/2 et 6paisses de 2. —
Ce pav6 s'avance a environ 36 pieds au nord de la route,
tandis qu'au sud el dans les autres directions on n'a pas
suivi plus loin son 6tendue. II est possible que ce superbe
pav6 ait &16 6tabli expres pour Tare de Iriomphe, bien que
la dimension qu'il faudrait admettre dans ce cas fOt de nature
a surprendre. II faudrait en eflfet qu'elle fflt 6gale au nord
et au sud. Mais n'est-il pas legitime de penser retrouver ici
le Pave ou Gabbatha de saint Jean*, qui a pu 6tre utilise
pour Pare de triomphe? M^me sans partager ce sentiment,
on pent penser que ce Gabbatha 6tait analogue au pave
qu'on vient de retrouver. Mais le voyageur italien Si-
goli (1384), et Fabri (1485) transportaient deja Gabbatha k
cette place ; probablement le pave, encore en vue, avait
depuis longtemps conduit a cette idee. Elle est appuyee en
outre par le fait que, d'apres la tradition et des recherches
historico-topographiques, le pretoire n'en etait qu'a une
petite distance. Qui oserait se prononcer dans de semblables
i. • Quand done Pilate eut entenda cette parole, il mena Jesus dehors et
s*assit dans le tribunal au lieu appeld le Pave, et en h^breu Gabbatha. •
Jean, xix, i3.
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JERUSALEM 157
as ? Tout au moins ces fouilies r^centes rendront en-
rich pMs circonspects ceux qui aiment a douter des antiqui-
i^&lpaditionnelles de Jerusalem ; cependant si quelqu'un vou-
lait hasarder d'en tirer cette consequence 6difiante qu'une
lumiere nouvelle nous est accord^e sur les circonstances de
Jerusalem se rapportant a la vie du Seigneur, cette opinion
aurait aulant de droits que Tavis oppose.
De Fare de YEcce Homo nous parvinmes en cinquante pas
environ a la Maison de Pilate. Ce grand bStiment, qui donne
rimpression de la desolation, servait precedemment de
demeure au pacha ; depuis vingt ans on en a fait une ca-
serne. II vaut surtout la peine de monter sur son toit en
terrasse : d'aucun autre point on n'a une aussi belle vue sur
le grand sanctuaire de Tislam, la mosquee h laquelle Omar
a laiss6 son nom et qui avec sa splendide coupole brille de
toutes les couleurs, ainsi que sur la place quiTenloure, ornee
d'arbres, de magnifiques cypres surtout, de fontaines, de
chapelles et de monuments funeraires. A Tangle nord-ouest
s'eleve le batiment lui-m6me. De quel droit le nom de Pilate
s y raltache-t-il ? A cette question on fait une double r^ponse.
Ce que nous avons maintenant devant les yeux n'a certaine-
ment rien a faire avec le palais du proconsul. Mais que la
forteresse Antonia avec la residence du gouverneur remain
ait occup6 precis6ment cet emplacement, sur une plus
grande elendue, cela est extrfemement probable*. A la fin
du xu® siecle, la tradition s'est prononcee en faveur de cet
endroit, comme cela ressort du remarquable livre La citez
i. Voir, apr6s d'autres, comme Kraflft (p. 133), Touvrage de Gust. Unnih,
oro^ de nombreux plans el intitule : Das alls JerutaUm und seine Bauwerke,
Langeofiaiza, 1861.
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m TERRE-SAINTE
deJenisakm^, qui remonte i 1187. Le pfelei
y fait-il d6ja allusion en 334 ? Le texte peu
n6raire ne permet pas de s'en rendre bie
serait pas 6tonnant qu'^ cetle epoque, malgr6 les transfor-
mations qui avaient eu lieu, un monument aussi important
que la citadelle se fit conserve dans la memoire des habi-
tants du pays.
Apres avoir vu et le pretoire traditionnel, et, vis-a-vis, la
chapelle franciscaine de la Fustigation, nous entrSmes dans
Tantique ^glise dfi Sainte-Anne, recemment relevee d'un etat
ti'abandon et de d^labrement. Elle a derriere elle un pass6
riche, mais en grande partie peu 6difiant. Elle a 6t6 fondle
vraisemblablen^ent peu apres les temps d'H61ene ; il etait
naturel de consacrer une eglisedans Jerusalem christianis^e
a la mere de Marie, a cette Anne que le Proiivangile altribu6
a Jacques avail deja glorifiee au ii^ siecle. A partir des Croi-
sades les pelerins en font r6gulierement mention comme
d'une basilique v6n6ree. Depuis que la femme de Baldouin,
forcee par son royal epoux de prendre le voile, fut entree
au couvent de Sainte-Anne, une florissanle corporation de
b^nedictines vint augmenter la renommee de Teglise. Mais
^ei 6clat du cloitre et de Teglise fut de courte duree; car,
peu apres Tentree de Saladin, en \ 187, ils furent remplaoes
par une mosquee et une 6cole mahometane qui acquit de la
reputation. On se servit sans les detruire des pieces sacrees
auxyeux des cliretiens ; malgre cechangement, la profonde
chapelle souterraine consider6e comme le lieu de naissance
de la Vierge, resta en particulier un but de pelerinage pen-
i. Schuiz, dans sa Jeruiokm (i84S), a imprime ce livre entier avec des
notes instructiyes.
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J^RUSALEU m
dant les si^cles suivants. Dans leurs r^cits toulefois les p^le^
rins font entendre bien des plaintes sur la profanation dc
Tancienne abbaye de Sainte-Anne; ainsi, d'aprfes le voya-
geur francais Salignac, un vieux mahonj^lan y demeurait,
en 1522, avec les soixante femmes de son barem. Dans des
tenaps plus rapproches on ne parait pas m&me en avoir fail
un tel usage, de sorte que les debris s'entasserent de plus
en plus tout autour. Le sultan precedent a dfl trouver d'au-
tant plus facile, a la suite de la guerre de Crim6e, d'en faire
present a son allie chretien des bords de la Seine. Par la
promulgation du dogme de rimmacul^e conception de la
mere du Sauveur (1854), le nom de sainte Anne — objet
de ce miracle reconnu si tard officiellement par Rome —
avail passe au premier rang des saints de TEglise catho-
lique*. Napoleon III temoigna la vivacil6 de sa sympathie
en sugg^rant au sultan Tidee de restituer la vieille ^glise
de Sainte-Anne, pour laquelle les Croises franks avaient eu
un interSt tout particulier. Le sultan acquiesca h ce voeu
avec une grande bonne volonte par un firman en date du
29 octobre 1856 j peu de jours apres, le consul fran^ais pre-
nait solennellement possession de Tedifice, el sur des autels
portatifs on offrail de nouveau le sacrifice de la messe aprfes
une interruption de sept siecles.
Le consul de France , M. de Barrere, — en apparence
i. Que ce dogme apparaisse pour la premiSre fois dans un vieux livre
d'£)yangiles apocryphes, ecrit en latin, c'est ce qui, k ma ronnaissance, n'a
pas encore ete reniarque. Voir 1^-dessus mesEvangelia apocrypha, 11 y est ra-
cont^, p. b9, que Joachim, rentrant des montagnes aprds une longue absence,
avec les troupeaux, Anne le reQoil a la porte d'Or avec ces paroles : Vidua
eram, etecce jam non sum\ sterilis eram, et eca jam concepi, (De quatre ms-
nuscrits^ un seul a ecbang^ le dernier mot contre concipiam.)
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i60 TERRE-SAINTE
presque plus artiste que diplomate — fit au grand -due,
pendant celte visile, Jes honneurs de l'6glise. Les differentes
parties (nef, bas-c6les, choeur), en pierres de taille et vofl-
tees, rappellent encore qu'elles ont appartenu a un bel Edi-
fice Chretien. L'architecture, en style ogival, occupa Toeil
exerce du grand-due. Les murs, surlout dans le haul, ont
conserve mainte trace des anciennes peinlures qui, d'apres
les descriptions du moyen Sge, representaient les recits
relatifsa la naissance de la Vierge Marie*. Nous descen-
dimes aussi dans Tendroit le plus sacrede T^glise, lagrotte
ou Marie est nee, et le consul nous oflfrit mfeme en souvenir
de petits fragments qui se detachaient du rocher. Un peu
plus haul que cette caverne, il s'en trouve une autre dans
laquelle, selon des pelerins du moyen Sge comme Fabri
(p. 54), Joachim et Anne ont 6te enterres. Toute Teglise
pr^sente a la munificence de son nouvel et imperial posses-
seur une excellente occasion de s'exercer; sans doute il
ne tardera pas a entreprendre la restauration de cet antique
et interessant monument.
De Teglise de Sainle-Annenous n'efiimesque quelques pas
jusqu'a la porte de Saint -fitienne. Avant de la traverser,
nous nous detournSmes legerement vers le sud pour visiter
la piscine de Bethesda. Elle est situ6e prfes de la muraille nord
de Tenceinte du temple et touche presque egalement la
muraille orientale de la ville, dont elle n'est separee que par
une 6lroite ruelle. Les murs qui Tentourenl portent , au
nord et au sud> des maisons. Elle mesure dans sa plus grande
i. Ces representations paraissent avoir concordd parfaitement avecle recucil
d'Evangiles cite plus baut.
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JERUSALEM 161
6tendue 360 pieds anglais de I'est a Touest, sur une largeur
de 130 pieds du nord au sud. Sa profondeur est d'environ
80 pieds. A Tangle du cote du sud on voit en bas deux
voutes de 12 a 19 pieds de largeur. Elles contiennent,
comme tout le earre de Tetang, des decombres amoncel^s
sur lesquels croissent non-seulement de Therbe et desbrous-
sailles, mais encore de pelits grenadiers; Tun de ceux-ci
portait justement de belles fleurs. Nous ^tions en presence
d'un des principaux objets de contestation de la topographic
de Jerusalem. Le grand-due, mis au courant de ces ques-
tions par Tetude attentive d'un grand nombre d'ouvrages
sur Jerusalem*, etait tres- decide a voir dans Tendroit
ou nous nous trouvions le lieu de grdce — c'est le sens de
Bethesda — qui d'apres le Nouveau Testament attirait tant
de malades. II combattil mon opinion qui en faisait un foss6
des fortifications. II alleguait les murs reconverts, comme
on le constate encore en quelques places, d'un mortier fait
pour I'eau et de petites pierres. Ce genre de construction
met hors de doute que c'etait un reservoir d'eau, ce qui, il
est vrai, n'est pas inconciliable avec I'idee d'un fosse. Les
voutes a Tangle sud-ouest furent, on le sait, prises de tres-
bonne heure pour le Bethesda biblique, bien qu'elles
n'aient probablement servi qu'a la construction des maisons
au-dessus ; on dit meme qu'elles sont ce qui resle des cinq
portiques mentionnes par saint Jean (v. 1 et suivants) comme
ayant appartenu a Tetang miraculeux. Mais ce qui contredit
positivement cette assertion, c'est T6tendue de Tune de ces
1. Parmi les ouvrages anglais il distinguait avec raison le livre de Williams.
l\ n'avait pas neglige Mislin lui-m6me, en d^pit des invectives que le pr^lat
catholique prodigue aux autres confessions.
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162 TEa«E SAINTE
voutes, qu'on a mesuree jusqu'a 100 pieds de profondeur,
en etant loin d'en avoir atteint rextremit6 *; c'est en outre
le fait que ces voutes ont dil etre anciennement traversees
par les eaux du bassin, ce qui ne cadre pas avec la narration
biblique. Du reste la valeur de la tradition concernant ce
Bethesda diminue singulierement par la certitude que dans
des siecles anterieurs un autre etang a eu la m6me reputa-
tion. Au commencement du xii® siecle les Franks en ont
relrouve un devant Teglise de Sainte-Anne. Probablement
il a ete identifie avec le notre pres de Tenceinte du temple
des le iv^ siecle (par le Pelerin de Bordeaux, comme aussi
dans VOnomastikon par Eusebe et Jerdmej , considere comme
Petang t d'un rouge de sang » par opposition au t reser-
voir d'eau pluviale » , et comme tel tenu deja alors pour la
piscine biblique ou s'operaient les guerisons.
Apres un coup d'oeil rapide Jete sur le Bethesda tradi-
tionnel, nous retournames vers h porte de Saint-Etienne,
A Texterieur, deux paires de lions, sculptes en bas-relief
dans la pierre et trahissant un gout oriental, y attirent
Tattention. Salon une tradition, ils remontent a Soliman et
rappellent une vision qui rempecha de detruire la ville
sainte, comme il en avait forme le dessein. Quant au nom
de la porte — elle en a encore plusieurs autres, Chretiens
et mahometans, — il vient de ce que le premier martyr
y passa, dit-on, lorsqu'il fut conduit a la lapidation; on
montre le theatre m6me de son supplice non loin de la ,
prfes de la route qui descend a la vallee de Josaphat. Lorsque
nous eumes fait ce chemin, le couple grand ducal fut re^u par
1. Voir Robinson (II, 75), que nous buivons gen(iraiement pour nos me-
iturts.
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Jl^RUSALEM iC3
le patriarche de Jerusalem accompagne de son haut clerge,
et conduit par lui, par quarante-sept larges degres de
marbre, dans I'eglise du Tombeau de Marie, creusee en forme
de grotte a c6te du jardin de Gethse'mane, pour y entendre
un solennel Te Deum. La tradition que Marie a dans cet en-
droitdelavallee de Josaphat son tombeau, c'est-a-dire un
cenotaphe, remonte certainement a une haute antiquite
chretienne *. Le sepulcre venere, en forme de sarcophage,
recouvert d'une plaque de marbre blanc veine de noir, se
trouve lui-meme dans une petite chapelle carree dans la
portion orientale de Teglise en croix, la oil le rocher forme
un mur naturel. On y rend egalement des honneurs aux
tombeaux des parents de Marie et a celui de Joseph, places
dans deux niches ou chapelles, a peu pres au milieu des
marches de marbre a Test et a Touest.
L'eglise, avecunbeau portail en style ogival mod^re, de-
nonce une antique origine. Au vif siecle, Teveque fran^ais
Arcoulf en fait positivement mention; quant a savoirsiles
allusions encore plus anciennes a une eglise de Gethsemane
(la premiere remonte a Jerome) s'y rapportent, c'est ce
qui est difficile. Elle a du reste ete ravagee bien des fois ;
la construction la plus durable a ete celle qui fut executee
1. 11 est question de son enterrement interrompu par des prodiges dans un
vieil ^crit grec que j'ai public pour la premiere fois, d'apres un grand nombre
de manuscrits disperses dans les bibliotheques europeenues, au troisieme vo-
lume de mes Libri Novi Testamenti apocryyhi. La traclation dejci connue de
la m^me mati6re en latin et en arabe n'a qu'une place tres-secondaire ac6iedu
te\te grec. Dans ce dernier il est dit, d'apres un document de Munich, que les
ap6lres deposerent le corps A Gethsemane dans un sepulcre neuf tailledans le
roc. On enteudit alors pendant trois jours relentir lesvoix. d'anges invisibles
ctilebrant les louanges du divin fils de la Vierge. Lorsque ces voix se turent, les
ap6tres s'apergurent que la sainte depouille avail el^ enlev^e au paradis. Dans
plusieurs i'^res de ri:.glise on rencontre des traditions identiquesou analogue^.
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164 TERRE-SAINTE
au XII® siecle par k reine franque Mel6sendis, et c'est a
celIe-1^ que parait remonter ce qui est debout aujourd'hui.
Mais ce qui donne a Teglise ua interfit tout a fait extraor-
dinaire, c'est la veneration dont elle est entouree par les
mahom^tans. II y a plusieurs siecles qu'ils en ont trans-
forme une partie en mosquee. Maintenant ils y possedent
bien encore une niche pour la priere, cependant le spec-
tacle touchant de Chretiens et de sectateurs du prophete
adorant dans le meme sanctuaire est devenu une ra-
rete.
Apresle Te Deum, qui resonna admirablement sous les
vofltes sonores et eclair^es par une magnifique lumiere ,
nous visitSmes lejardin des Oliviers. Quand je le vis en 1844,
alors que son terrain a peu pres carre, mesurant environ
150 pieds de chaque cote, et en grande partie nu et
aride, n'etait entoure que d'un enclos de pierres peu eleve,
il faisait a mon avis une meilleure impression qu'a present.
Depuisdix ans, en efifet, les franciscains en ont environne
la partie principale, celle qui contient les huit oliviers,
d'une haute et tbrte muraille qui en fait leur propriete par-
ticuliere ; ils ont aussi entoure ces huit arbres venerables
d'un superbe parterre de fleurs. Les bons peres donnerent
a la grande-duchesse de magnifiques bouquets , tandis que
des rameaux des oliviers etaient offerts avec une modera-
tion legitime. Gethsemane est . du nombre des endroits de
Jerusalem dont Tauthenticite ne permet guere le doute,
lors meme qu'on ne pourrait pas en determiner a un pied
pr6s la situation et Tetendue. Le Pelerin de Bordeaux de
Tannee 334 mentionne du moins le rocher situe au pied du
mont des Oliviers, a c6te de vignes, et pres duquel Judas
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JERUSALEM 165
Iscariot trahit J6sus *. Eusebe et Jer6me le d^signent ega-
lement comme se trouvant au pied du mont des Oliviers.
Meme sans decrire plus exactement la localite, — auc.une
raison ne les y appelait — ils ne pouvaient avoir en vue
que celle qui, depuis Helfene et Constantin, a ete remarquee
par les pelerins. Or il est tres-probable qu'au commence-
ment du IV® siecle elle etait connue par une tradition remon-
tant a Tepoque des 6venements eux-m6mes, vu que les
donnees de TEcriture sainte concordent parfaitement avec
le Gethsemane traditionnel. De Gethsemane les augustes
pelerins allerent a cheval, et nous avec eux, sur le mont des
Oliviers, c'est-a-dire sur la cime du milieu qui porte specia-
lement ce nom ; elle mesure environ 200 pieds au-dessus
de Jerusalem et 500 au-dessus du lit du Cedron. Notre but
prochain etait le lieu, venere des les temps les plus anciens,
de Tascension de Jesus-Christ. La premiere mention qu'on
en trouve remonte au commencement du iv® siecle ^, et le
premier empereur chretien et sa mere le consacrerent les
premiers par I'erection d'une eglise, de sorte qu'elle est
honoree, depuis plus de quinze cents ans,par la devotion des
pelerins. Des diflferentes constructions qui dans ce long
espace de temps ont entoure de leurs murs et de leurs
ornements la place de FAscension, il ne reste plus que des
murailles qui entourent une cour et qui ont probablement
appartenu en noajeure partie au temple octogone construit
par les crois6s. Dans Tenceinte des murailles ou au milieu
i. Un bloc de pierre marque encore aujourd'hui cet endroit fatal, comme
du reste tous les details du recit des evang^listes sur Gelhs^mand ont 6x6 fix6
localement par la tradition.
2. Elle se trouve en effet dans la Demonstratio evangelica (vi, 18) d'Eus6be,
composde probablement en 315 environ.
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166 TERRE-SAINTE
de la cour s'^l^ve une petite chapelle sans ornements et
egalement octogone. On y voit, non loin de la portepar
laquelle le jour y penetre, une pierre calcaire d'un blanc
jaun&tre avec un enfoncement qui represente un pied droit
d'homme dirige vers le midi. Dans cette empreinte d'un
pied sur la pierre dure on croit posseder un souvenir de
Tascension du Seigneur; aussi la tient-on en tres-grand
honneur. Cependant les anciens recits remontant jusqu'a la
fin du IV® si^cle contiennent des divergences ; selon eux la
marque du pied a ete imprimee d'abord dans le sable (ar^na) ,
ou dans la terre {calcati Deo pulveris perenne documentum),
tandis quedepuis le xii*' siecle seulement, on Ta vu dans la
pierre ; il est done au moins Ires-douteux qu Helene ait eu
sous les yeux la relique actuelle. Pour Toeil du critique celle-ci
ne pent done etre qu'un moyen de rendre sensible le mira-
culeux evenement ; la piete naive tient au contraire a son
habitude tant de fois s6culaire, et baise avec un profond
respect Tempreinte attribuee au pied du divin Ressuscite.
Cela eut lieu aussi de la part des membres de I'Eglise grec-
que, selon la coutume qui y prevaut a Tegard des saintes
reliques, lors de la visite des princes russes que Tarcheveque
de Petra accompagnait.
Apres avoir quitte la chapelle, qui a servi longtemps de
mosquee et appartient encore a la devotion mahometane
comme a celle des Chretiens, nous montames tout a edte
sur le minaret, debris, dit-on, d'une ancienne mosquee. La
vue qu'offre ce minaret, point le plus el eve du mont des
Oliviers, sur les environs dans toutes les directions Tont
rendu depuis longtemps celebre parmi les pelerins. Nous
avons devant nous, comme un livre ouvert plein des plus
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JERUSALEM 167
memorables tableaux, TAncien et le Nouveau Testament
avec rhistoire de la Terre-Sainte ; I'oeil et Tame ne peuvent
se rassasier de ce spectacle. Les temps anciens nous appa-
raissent dans leur grandeur solennelle a travers les; brumes
du passe; nous assistons aux luttes des heros du peuple elu
contre les ennemis de Dieu ; mais nous cherchons toujours en
vain la palme infletrissable de la victoire, la paix. Le regard
embrasse a I'ouest toute la ville sainte, telle qu*elle s'etend
paisiblement avec ses coupoles et ses toits en terrasse, avec
ses minarets et ses tours, sur le mont de Sion et sur les
hauteurs de Touest et du nord, derriere la grande enceinte
de Morija qui occupe le premier plan : la s'eleve ficrement,
sur le terrain du sanctuaire bSti par Salomon, la brillante
mosquee, comme le monument d'un triomphe. A cote d'elle
au sud, ombragee par de sombres cypres, se trouve cette
autre mosquee, El-Aksa, dont I'aspect trahit incontinent
I'ancienne basilique chretienne de I'empereur Justinien.
L'oeil de Tobservateur decouvre bientot les lieux saints de
la ville qui lui sent plus familiers. Les hautes tours de la
citadelle de David, en face de nous a Touest, peuvent nous
servir de guide. Un peu au nord on apergoit avec sa double
coupole, a c6te du clocher triste et silencieux, Teglise du
Saint-Sepulcre, entre deux minarets ; du haut de Tun des
deux, la voix du muezzin, convoquant pour la priere,
retentit regulierenient dans la ville muette. Si nous detour-
nons nos yeux de ce sanctuaire, le plus antique et le plus
considerable que les Chretiens aient a Jerusalem, pour les
reporter sur la forteresse de David encore plus ancienne,
nous rencontrons tres-pres de la, a Test, le plus recent et
de Tavis de plusieurs le plus insignifiant de tous, Teglise
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168 TERRE-SAhNTE
protestante du Christ, construite avec une noble simplicity.
Derriere les murs de la ville s'6tendent a Touest devant la
portede Jafifa des collines peu elev6es,quibordentrhorizon
et au dela desquelles le voyageur cherche le chemin de sa
lointaine patrie. Au sud le regard erre jusqu'aux montagnes
qui entourent Thekoa et Bethlehem ; on remarque surtout
dans son isolement le mont des Franks {Frankenberg)^
regarde depuis le xv® siecle comme le dernier retranche-
ment des guerriers franks, et,d'apres des investigations plus
recentes, comme le lieu ou etaient la forteresse et le sepulcre
du tyran Herode, a environ une heure au sud de Bethlehem ;
tandis qu'a peu pres a la meme distance au nord de Beth-
lehem, sur une legere Eminence, se trouve le convent d'Elie.
Plus pres nous avons le-^ont du Scandale (Berg des Aerger-
nisses) et meme les premieres maisons de Siloam. Au nord
nous sommes surtout captives par le sommet le plus eleve
de la contree, auquel les souvenirs du prophete Samuel
ont fait donner le nom de Nebi Samwil : il est identique
sans doute avec Mitspa, ce lieu de rassemblement pour le
peuple criant au ciel centre Toppression paienne au com-
mencement de la revolte des Macchabees *. — Tournons-
nous enfin vers le levant. Dans les environs immediats nous
ne pouvons pas suivre jusqu'a son terme le chemin qui con-
duit a Bethanie, la ville de Lazare, car il est cache par des
hauteurs; en revanche nos regards embrassent d'autant
mieux le desert qui s'etend tout ouvert a TOrient avec ses
collines depouillees, et s'abaisse toujours davantage. Dans
ce desert etait, au nord du point ou nous nous trouvions,
i. I Macch, III, 46 tq.
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Jl^RUSALEM 169
Jericho, la c61febre ville des palmes, et au sud s'eleve, au
bord du lugubre ravin du Gedron, le vieux raonastere de
San Saba bravant le temps du haul de son rocher. Dans un
lointain profond, nous apercevons cet imperissable monu-
ment de la Providence divine erige dans les anciens temps
bibliques, la mer Morte, dont Textremit^ nord brille de sa
magnifique couleur bleue, tandis que plus au nord encore
un etroit ruban vert sur le sol blanchatre du desert marque
le cours du Jourdain.Derriere le Jordan et la mer se dressent
chauves et sans couleur les hautes montagnes de Moab.
La est aussi le Pisga * ; c'est du Nebo, Tune de ses cimes,
que TEternel fit voir a son serviteur Moise Canaan, la terre
de la promesse, puis lui commanda de mourir « parcequ'il
avait peche ^. » Nous avons done h Test la promesse, a
I'ouest Taccomplissement. Mais mfime sur cette terre de
Taccomplissement a passe depuis longtemps le pied du juge,
« parce qu'elle aussi, elle a peche. » Et combien de traces des
chatiments divins, infliges au nouvel Israel lui-meme, se
pressent devant nos yeux dans cette seule contree I Vrai-
ment, en aucun lieu du monde, les jugements de Dieu ne se
presentent a Tame avec plus de vivaciteque sur le mont des
Oliviers, sur lequel Tesprit prophetique vit resplendir les
derniers jours. Car, s'ecrie Zacharie, « I'Eternel se tiendra
debout sur ses pieds sur la montagne des Oliviers — et la
i. Deutdr., XXXIV, i.
2. Deut^r., xxxii, 49 sg. « Monte sur cette montagne d'Abarim, sur le mont
N^bo, qui est au pays de Moab, vis-a-vis de J^rico ; puis regarde le pays de
Canaan, que je donne aux enfants d'Israei pour le posseder. Et tu mourras
sur la montagne sur laquelle tu montes — comrae Aaron ton fr^re est mort
sur la montagne de Hor - parce que vous avez peche centre moi — car tu
verras vis-^-vis de toi le pays que je donne aux enfants d'Israei, mais tu n'y
entreras point. »
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i70 TERRE-SAINTE
montagne des Oliviers se fendra par le milieu de I'orient h
Toccident. »
Le lecteur ne nous demandera pas si nous avons 6prouv6
avec vivacity toutesces impressions, lorsque nous visitames
le minaret en compagnie du grand-due. Ma plume a resum6
ici tout ce qui s'est passe dans mon esprit lors de mes
diverses visiles. Quand les illustres pelerins voulurent jouir
le 13 mai de ce rare spectacle, il fut abrege par un vent
violent qui regnait sur la hauteur, peu avant le coucher du
soleil. Les tenebres avaient deja envelopp6 la ville lorsque
nous y rentrftmes.
LE i4 MAI
La matinee fut consacree depuis dix heures a une messe
solennelle dans Teglise du Saint-Sepulcre. Cel^bree en
Golgotha par Cyrille, eveque de M^litopolis, et lesecclesias-
tiques attaches a la mission de Russie, cette messe eut un
caractere national qui se rev^lait entre autres par les voix
belles et sonores des chanteurs russes. Le prince et la prin-
cesse, tons deux connaisseurs en fait de musique, surent
tres-bien apprecier cela. Le roc naturel, se monlrant der-
riere le revetement de marbre, fit beaucoup d'impression
sur le grand-due et fortifla sa conviction de Tauthenticite
de ce lieu.
Apres le service Leurs Altesses imperiales regurent tous
les archeveques etev6ques du patriarcat de Jerusalem, ainsi
que le m^tropoiitain Agathangelos de C^phalonie, qui avait
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JERUSALEM 474
longtemps dirig6, en Crim^e, le couvent de Balaclava. Aux
Grecs succederent les Latins, c'est-a-dire les mfimes fran-
ciscains, ces fideles et constants representants de TOccident
Chretien, du moins de TOccident catholique remain a Jeru-
salem depuis les croisades.
Dans le courant de Tapres-midi on visita les eglises et
les convents de plusieurs confessions autres que la grecque.
Les augustes pelerins se rendirent d'abord dans Veglise du
Christ, allemande et anglicane a la fois. Avant de nous
approcher de cette jolie et simple maison de priere, je dois
faire observer que son existence est en elle-meme un fait
important. L'active mission juive de Londres avait bien
envoye toujours depuis 1820 quelques ministres isol6s a
Jerusalem ; des missionnaires deTAm^rique du Nord,qui ne
confondent pas le zele de la foi avec le desir de conversions,
y avaient de memo annonce la parole du salut : mais de ces
commencements d'une activite et d'une representation du
protestantisme dans la cite de David jusqu'a Terection de
Teglise protestante de Sion il y avait encore un grand pas.
11 fallutque Tidee de fonder a Jerusalem un eveche anglican
se presentat k I'espritdu noble Frederic-Guillaume IV, que
sous Tinfluence de Bunsen elle fftt embrassee avec ardeur
par les theologiens et la souveraine de TAngleterre, enfm
executee par les Allemands et les Anglais avec generosite et
bonne harmonic, pour qu'on put songer serieusement a
entreprendre la construction d'une 6glise protestante sur le
terrain achete deja en 1838 a Tinstigation de I'infati gable
Nicolayson(natifdu Schleswig). Le premier eveque anglican,
nomme Alexandre (Alexandre Wolf, du grand-duch6 de
Posen), arriva a Jerusalem en Janvier 1842 et posa le 28 fe-
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172 TERRE-SAINTE
vpier de ia m6me ann^e, en Saint-Jacques*, la premifere
pierre de T^glise du Christ. Apres plusieurs interruptions
involontaires, elle futterminee au commencement de 1849,
et le 21 fevrier consacr^e par le nouvel evfique Gobat, que le
vieux et digne missionnaire Nicolayson secondait encore
vaillamment. Avec celte eglise le protestantisme, sous sa
forme allemande et anglaise, a pris soiidement pied pour la
premiere fois dans la ville sainte ; I'eglise qui professe
Tevangile sans hierarchic et sans prescriptions humaines
avait, nous parait-il, un double droit a s'etablir dans le lieu
meme qui fut le berceau du christianisme.
Ce temple, qui a coflte une somme assez forte, — on parle
d'environ 150,000 Ihalers, — est un edifice simple mais digne,
construit dans le style gothique. Calcule de fagon a contenir
quatre a cinq cents personnes, il a la forme d'une croix et
mesure 65 pieds de long sur 55 de large. Ses murs sent en
pierres de taille de calcaire blanc ; le toit auquel il manque une
tour est convert de grandes tuiles, par-dessus lesquelles il y
a encore des plaques de fer-blanc. La couverture de la nef
consiste en belles poutres brunes de bois de noyer ; le choeur
au contraire est vodte. Sous la galerie qui porta Torgue se
Irouve leportail.Lorsqu'on entre, le regard rencontre imme-
diatement le choeur et la chaire,qui sent au fond. Des deux
c6t6s du choeur et au-dessus de Tautel se font remarquer les
deux tablettes de granit noir et brillant sur lesquelles sent
graves en hebreu et en lettres d'or les dix commandements,
le symbole des Ap6tres et I'oraison dominicale. Get ornement
1. Gette designation du qnartier des Arm^niens et des Syrians provient de
ThypothSse que c'est 1^ que Jacques (le Majeur) a ^te d^capitd par ordre
d'H^rode,
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JERUSALEM 173
est caracteristique , car ii indique la tendance de la amission
juive ; il n'y a guere que les Israelites de naissance qui
puissent y trouver de Tedification. L'eveque Gobat, natif
de la Suisse, a derriere lui une carriere riche d'exp6-
riences et de services rendus. Apres avoir fait avec
un grand devouement deux voyages missionnaires en
Abyssinie, et pendant plusieurs annees exerce une activite
scientifique dans les etablissements de mission de Malte, il a
ete choisi en 1846 par Fr^deric-GuillaumelVpoursucceder,
dans la direction de Toeuvre protestante de Jerusalem , a
Alexandre, mort de bonne heure. Un tel homme, aussi dis-
tingue par sa perseverance et par son tact chretien que par
ses fortes etudes, etait fait pour attirer I'attention du grand-
due. Aussi le prince ne manqua-t-il pas d'interroger l'eveque
anglican sur les questions dogmatiques et ecclesiastiques,
par exemple sur la notion reformee de la sainte cene.
De Teglise du Christ, le grand-due se rendit au convent
armenien de Saint- Jacques ^ situe pres de la. Ce monastere
avec ses dependances est sans contestation le plus grand
de Jerusalem, probablement aussi le plus riche. Le pa-
triarche, dont les predecesseurs remontent au commence-
ment du XIV® siecle, y occupe la position d'un prince, etant
dans son diocese independant de toute autoriteeccl^siastique
sauf le katholikos ; * cinq eveques et un nombreux clerge
habitent la avec lui. Les salles destinees aux pelerins sont
trfespropreset, assure-t-on, d'une telle dimension que plu-
sieurs milliers de personnes peuvent y loger. Les jardins du
convent sont aussi beaux qu'etendus ; Tun d'entre eux se
i, Tel est ie litre du chef de TEglise armenienne qui reside k Edjmiadzdn.
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174 TERRE-SAINTE
distingiie par des pins et des cypres fort eleves, ainsi que
par un bois d'oliviers. L'eglise forme le plus grand contraste
avec celle que nous venons de quitter. On ne peut guere la
surpasser en magnificence ; un tel luxe parait au goOt severe
des Occidentaux propre a distraire la devotion plutot qu'a la
favoriser. Le porche est deja orn6 avec profusion de fresques
representant des scenes de Thistoire biblique. Le roi et
le chantre du mont de Sion, David, dont la fete est celebree
dans ce convent, ne manque pas de se retrouver dans ces
peintures murales avec sa couronne et sa harpe. Le monas-
tere lui-meme y est represente. Mais c'est la nef qui nous
surprend par une veritable galerie de tableaux a I'huile qui
en ornent les murs ; ils sont pour la plupart consacres a de
sanglantes scenes de martyre. Ils sont sans doute surpasses,
au point de vue du gout, par plusieurs autres oeuvres d'art
incorporees au convent par une main prodigue : les magni-
flques arabesques de la grille doree, les mosaiques de marbre
de toutes couleurs, ainsi que les ouvrages analogues en
ivoire et en ecaille. Les deux derniers ornent les portes qui
conduisent au tresor et a la chapelle sepulcrale de Saint-
Jacques. Le choeur, couronne d'une haute coupole, contient
la representation des precedents superieurs de i'eglise, a
commencer par Jacques qui, on le sait, est honore par toute
rfiglise armenienne comma Pierre par les catholiques. Un
trdne dore est destine a ce patriarche invisible, entre le
choeur et la nef, tandis que le patriarche visible en occupe
un plus modeste a c6te. Les oeufs d'autruche suspendus
devant Fautel a des cordons de sole rouge rappellent Tusage
des mosquees. Les reliques de Jacques, considerees com me
le plus grand tresor du monastere, consistent nommement
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JERUSALEM 175
en la main et la t6te du martyr decapite ; ces deux objets,
reconverts d'or, furent pr^sentes a la veneration des nobles
pelerins.
Apres etre entrees pour quelques minutes dans I'appar-
tement du patriarche, qui les re^ut avee les plus grandes
prevenances, Leurs Altesses imperiales visiterent encore les
cachots du Christ chez Anne et Caiphe, lieux egalement con-
serves et veneres par les Armeniens. lis appartiennent Tun
et I'autre aux deux petits couvents voisins ; celui d'Anne au
convent des religieuses dont la petite eglise a pour seul
objet sacre le cachot du Messie, Dans Tautre eglise qui porte
le nom du Redempteur, une pierre recouverte de chaux et
de porcelaine, et employee comme autel, partage avec le
second cachot du Messie Tattention et la veneration du
voyageur ; elle passe pour avoir ete a Tentr^e du sepulcre de
Jesus, et ainsi pour etre la pierre qui en formait la porte et
que range a roulee. En consequence on la nomme aussi la
pierre de TAnge. Dans la cour du monastere se trouvent les
tombeaux des patriarches armeniens de Jerusalem.
Gette pretendue maison de Caiphe est deja sur le Sion
au dela de la porte, bien que le couvent des nonnes situe en
deca ne soit qu'a deux cents pas environ de Tautre.
En allant du couvent armenien des nonnes a la porte, nous
passames pres des cabanes des Lepreux. G'est une triste
colonic, au dedans comme au dehors. Au premier abord on
croit voir un coin convert de grossieres pierres de construc-
tion qui y auraient 6te jetees, mais on reconnait bientfit les
arrangements pris pour les rendre habitables. Seize cabanes
placees a c6t6 et derriere les unes des autres forment ce
quartier separe. A hauteur d'homme, ou bien a un ou deux
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176 TERRE-SAINTE
pieds plus haul, elles sont construites en pierres mal assem-
blies et recouvertes de terre'et de Families; elles sont
ouvertes du c6t6 de la muraille de la ville. Les infortunes
qui les habitent — trente a peu pres, tant Chretiens que
mahometans, plutdt hommes que femmes — n'ont de rela-
tions qu'entre eux ; ils sont soumis a peu de lois, cependant
Tun d'eux est regarde comme leur scheik. Quelle que
soit la crainte qu'on eprouve a Tapproche de ces pauvres
malades completement abandonn^s par les medecins, ils
sont pourtant reduils a recourir pour tous leurs besoins a la
mendieite. Du reste ce mal, plus ou moins declare, ne se
borne pas a ceux qui sont parques ici ; les juifs eux-m6mes,
d'apres le docteur Tobler *, n'en sont pas epargnes,
comme on Ta souvent pretendu : seulement on se cache
plut6t, si possible, derriere les murs de la famille que
dans ce lugubre asile.
Lorsque nous retournons sur le sommet du mont de Sion,
il se presente a nous sur le premier plan maint objet inte-
ressant qui parle d'un passe plus ou moins eloigne. Jetons
d'abord un coup d'oeil sur les nombreux cimetieres Chretiens.
L'armenien, le latin et le grec se suivent, non sans murs
de separation. Un peu au sud du cimetiere grec on en a
ouvert un americain en 1838, et dix ans plus tard Talle-
mand-anglican qui, malgre son peu d'anciennele, contient
deja des tombes bien connues. A c6i6 de Teveque Alexandre
je mentionnerai un savant distingue, I'infortun^ docteur
Schultz, premier consul de Prusse a Jerusalem. Tandis que
ces quatre cimetieres occupent Tangle nord-ouest de la mon-
1. Voir Denkblaetter aus Jenualem, p. 413.
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jfinUSALKM 177
tagne, du tombeau de David h la muraille de la ville, I'alle-
mand-anglican est place a une petite distance au sud-ouest
du pretendu seputere royal. La haute veneration dont les
mahonfi^tans entourent ce sepulcre rend etonnante la tole-
rance avec laquelle on laisse toutes les confessions chre-
tiennes enterrer leurs morts pres de la. Et ce n'est pas
simplenfient de la veneration, c'est une reserve toute par-
ticuliere que les mahometans observent a Fegard de ce
monument consacr6 par le souvenir de David ; des Chretiens
n'ont obtenu que dans des cas trfes-rares la permission d'y
entrer. Les princes russes furent au benefice d'une de ces
exceptions. Le vaste bStiment dans lequel le tombeau de
David est cache avec soin se rattache a une des eglises
chretiennes les plus anciennes et dont Torigine remonte
memo plus haut qu'Heiene, bien qu'elle ait ete plus tard
atlribuee a la pieuse mere de Constantin. On glorifiait par
cette eglise la salle ou les apotres s'etaient retires a leur
retour du mont des Oliviers apr^s Tascension de leur maitre,
cette f chambre haute ou ils perseveraient tous d'un commun
accord dans la priere et dans Toraison*, > et ou des inspira-
tions posterieures ont transports encore d'autres saints sou-
venirs, ainsi la cene, le lavement des pieds, feffusion du
Saint-Esprit, la derniere heure de Marie. Apres toutes les
vicissitudes traversSes par la t sqinte eglise mere de Sion »
11 reste encore le coenaculum ou salle de la communion,
espace desert qui se trouve entre des murs de pierre sous
une voflte porlee par des colonnes ; une niche pr?tiqu6e
dans la muraille orientale y sert a certains moments d'autel
i. Actes, I, 13, 14.
IS
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178 TERRE-SAINTE
pour la messe, tandis qu'uD autre vers le sud indique aux
sectateurs de Mahomet la direction de la Mecque.
Au-dessous de cette salle de priere, dont le c6te occidental
est couronne par un minaret, se trouve le mysterieux torn-
beau de David. Une porte de fer a deux battants conduit k
une chambre petite mais somptueuse. On voit la un grand
sarcophage en pierre, dont la forme, comrae on Pa tres-bien
dit, est celle d'un catafalque. La pierre est recouverte par
de pesantes etoffes de soie verte avec beaucoup de brode-
ries d'or et une lable de velours sur laquelle sont brodes de
grands caracteres arabes en or. Au-dessus du sarcophage
il descend du plafond un baldaquin egalement de lourde
soie et raye de diverses couleurs. Les murailles sont rev6-
tues de pierres de porcelaine bleue avec des arabesques de
fleurs, et le sol d'un tapis de couleur. Que nous ayons la le
veritable tombeau de David, il n'y faut naturellement pas
songer ; on pourrait plutot y voir le monument expiatoire
d'Herode. On n'a peut-etre eu d'autre intention qued'elever
a David par ce catafalque un monument commemoratif, bien
que la piet6 islamite, qui s'y attribuait un droit exclusif.
Tail pris pour la tombe meme. II est pourtant possible que
cette chambre ne soit que la chapelle du tombeau souter-
rain ; car a Tun de ses c6t6s se trouve' une porte recouverte
de velours brode en argent et marquee par deux cande-
labres d'argent allum^s, qui doit conduire plus bas. Un
regard jete sur cette porte nous conserva au moins Tillusion
que le sepulcre royal se trouvait dans le voisinage. Apr6s
les t6nebres qui ont regn6 pendant des si^cles sur sa situa-
tion, cette proximity serait toujours quelque chose. Une
circonstance doit cependant pousser a de nouvelles re-
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JERUSALEM 179
cherches : c'est la decouverte d'un escalier de pierre con-
duisant plus haul et plus bas> decouverte occasionnee par
les travaux d'etablissement du cimetiet'e protestant et de
r^cole Episcopate a c6te. Peut-6tre trouverait-on de Tinat-
tendu au lieu de ce qu'on chercherait. Le moment viendra
certainement pour ces fouilles qui sont, il est vrai, toujour^
difficiles.
A noire retour par la porte de Sion nous fimes encore
une courte visile au cotwent syrien, que d6signe une croix
sur son portail, et a sa petite eglise orn^e de IMmage dfe
saint Georges, On dit qu'il est construit a la place oil Marie,
mere de Jean Marc, habitait et oil elle regut Pierre lors-
qu'un ange Tout fait sortir de prison pendant la nuit *.
LE 15 MAI
A neuf heures du matin, Leurs Altesses imperiales se
rendirent a Teglise du Saint-Sepulcre, pour une messe dou-
blement solennelle, puisque le patriarche la cel6brait en
personne, avec le metropolitain de Petra, les archeveques
de Lydde et de Bethlehem, et I'eveque russe de Melitopolis.
L'eclat repandu dans ce lieu par des cierges d'une grosseur
exceptionnelle places sur des candelabres dores, et par d in-
nombrables lampes, Etait eelipsE par la magnificence que
ces prelals deployerent pour cette messe du dimanche. La
mitre du patriarche paraissait pouvoir rivaliser de valeur avec
les couronnes royales; sur sa poitrine resplendissaient une
1. Aetes, xii» 12 iq.
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180 tehAe-sainte
quantity de decorations, grandes comme la main, en bril-
lants et en email, parmi lesquelles on distinguail le recent
present imperial. Apres lui, celui qui portait le plus riche
costume etait Tevfeque russe. Par un singulier contraste,
avec toute cette pompe, nous apercevions, juste au-dessus
de nos t6tes , la celebre coupole qui avec ses ouvertures
b^antes representait la grande question orientale, toujours
sans solution, et regardait Tassembl^e d'un air moitie accu-
sateur, moitie menacant. Peut-elre devrais-je dire plutdt :
d'un air de priere et d'exliortation, puisque le secours6tait
si pres. Le grand-due et la grande-duchesse — le premier
toujours en simple habit de voyage — etaient debout a
r entree de la chapelle de I'Ange et tenaient a la main des
croix d'or ou etaient caches des morceaux de la croix du
Christ, presents offerts aux illustres voyageurs. Les prieres
pour la famille imp6riale occuperent une place marquante
dans le service. La consecration des el6ments et la com-
munion du patriarche et des eveques ie terminerent au
bout de deux heures a peu pres.
Dans le courant de la journee le grand-due recut le pa-
triarche catholique remain Yalerga. Le haut dignitaire,
dont Taspect trahit encore beaucoup de jeunesse, n'avait
nullement oublie que six millions de ses coreligionnaires vi-
vent sous le sceptre de la Russie.
A quatre heures de Tapres-midi on entreprit le tour de
la ville. Mais avant d'en sortir nous mont^mes sur la citadelle
de David on tour de David. On appelleainsi non pas tant la
citadelle entiere que Tune de ses fortes tours carrees. Elle
est a Tangle nord-est de ['ensemble et se distingue des
quatre autres tours, qui peuvent avoh'ete detruites et reba-
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JERUSALEM m
ties plusieups fois, par les grandes pierres de taille avecdes
bords en mortaise de 8 a 12 pieds de long, sur 4 environ de
haul et de large, qui ferment ses constructions inferieures
jusqu'a une hauteur de 40 a SO pieds. Ces antiques construc-
tions n'ont pas simplement fait reconnaitre le hippicus
d'Herode ^pargne par Titus vainqueur en temoignage pour
les armes romaines, mais elles rendent probable qu'Herode
avait deja utilise de plus anciens bStiments, datant peut-
6tre de David. La position de toute la citadelle, qui domine
la montagne et la ville, ne laisse aucun doute que des Tori-
gine le point le plus fort de Jerusalem, par consequent la
forteresse de David aussi, n'ait 6te la. Celui qui monte avec
cette conviction sur la tour, dont'des travaux modernes ont
double la hauteur, n'a nul besoin de curiosit6s douteuses
pour se transporter en esprit dans ce passe h^braique, qui
nous a transmis avec le recit des saintes guerres du peuple
61u, les imperissables monuments de Tinspiration religieuse
de ses rois el de ses prophetes.
La celebre chambre secrete de la tour de David ne s'ou-
vrit pas pour notre visite ; comme cela arrive si souvent en
Orient, on n'en trouva pas tout de suite la clef, et le grand-
due n'attendit pas le r^sultat des perquisitions. Mais du 1
haut de la plate-forme nous jouimes d'une admirable vue
sur la ville et les montagnes environnantes. Jerusalem est
riche en beaux points de vue; beaucoup de ses toits en ter-
rasse en offrent; mais apres la montagne des Oliviers, celui
de la citadelle est le plus remarquable : le regard s'^tend
de la, si ce n'est jusqu'a THoreb et au Thabor, qu'une ima-
gination bardie croit apercevoir, du moins du cdte du sud-
estjusqu'a une ligne de la mer Morte au pied des mon-
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182 TERHE-SAINTE
tagnes de Moab. Pour moi, je fus attir6 surtout par des
objets plus rapproches, comme Tetang d'Ezechias ou des
Patriarches avec son tranquille miroir apparaissant entre
les hautes muraiiles des maisons.
Devant la porte de Jaffa, qui n'est qu'a quelques pas au
nord de la citadelle, la troupe des pelerins monta a cheval
et se dirigea au nord, vers la porte de Damas. L'espacequi
s'etend entre ces deux portes est jusqu'ici passablement
desert. A notre gauche ou au nord-ouest, k plusde 900pieds
de la porte, est VEtang de Mamilla ou de Guihon, a Tentree
de la valine de Hinnom qui longe la colline de Sion. De
Test k Touest sa longueur est de 300 pieds sur une largeur
de pres de 200 ; ses parois-en pierre, construites avoQ du
mortier et pourvues dans les coins de degres mal conser-
ves, ont une hauteur de 20 pieds. C'est tr6s-probablement
I'elang superieur nomme par Esaie, tandis qu'un autre,
situ6 un peu au sud au-dessous de la porte de Jaffa dans
la memo vallee de Hinnom et qui porte aujourd'hui le nom
de Birket-es-Sultan, serait Tetang inferieur, Ce dernier
regoit ses eaux, autant qu'on a pu s'en rendre compte, uni-
quement de la pluie que les hauteurs environnantes envoient
dans ce lieu. Par un canal il entretient Tetang d'Ez^chias
3U des Patriarches, entre la porte de Jaffa et Teglise du
Saint-Sepulcre. Autour de Tetang de Mamilla les maho-
miitans ont etabli des sepultures.*
Le grand-due me designa une petite elevation, sur la-
quelle nous mont^mes, plus pres de la porte de Jaffa que da
celle de Damas, comme le terrain choisi pour les construc-
tions que la Russie venait de decider. II s'y joignit bientdt
un autre emplacement avec un bosquet d'oliviers plus pres
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JERUSALEM 183
de la porte de Damas. Le sultan ajouta en present aa ter-
rain achet6 un morceau de la place d'armes de la garnison.
On a dfes lors appris en Europe qu'il se construit la devant
les portes de Jerusalem une nouvelle ville, egalement pro-
t^g^e par des murs. La premiere pierre de T^glise
d'Alexandre fut posee en 1860, a Tanniversaire de Tempe-
reur Alexandre II; un palais Episcopal, de vasles habi-
tations pour les pelerins, et d'autres constructions utiles
s'elevent a cdt6. Tout cela a eu pour premifere origine la pa-
role inspiree de la fille de ce Speransky dans lequel les an-
nates de la Russie ont une de leurs plus memorables figures,
Eminent par le talent, le caractere et le m6rite, et dont Tin-
trigue, Tarme meurtriere de Tenvie, a fait un martyr. II en
rdsulta dans tons les cercles de Tfiglise russe un tel esprit
de sacrifice pour les interSts du pelerin russe, « qui s'en va
d^poser humblement au pied du Golgotha ses souffrances,
ses douleurs, ses esp^rances et sa foi *, » qu'on mit des
millions de roubles a la disposition du grand-due Constantm :
fait qui meritait bien un monument aussi durable de grati-
tude que la construction d'une ville pour les pelerins, tout
k cdte des sanctuaires de Sion et de Golgotha.
La porte de Damas de la muraille septentrionale fut le
point qui captiva ensuite notre attention. Son nom arabeest
plus caracteristique : porte aux Colonnes; il se rapporte aux
colonnes elancees qui soutiennent la voGte en ogive au-dessus
de laquelle s'eleve le chapiteau cr^nele. Elle passe avec
raison pour la plus belle des portes de Jerusalem, et elle a
ordinairement Thonneur de servir au nouveau pacha pour
1. Les pelerim russes a Jerusalem^ par madame de Bagreef-Sp^ransky,
1,77.
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184 TEURE-SAINTE
son entree. Bien que sous sa forme actuelle elle ne paraisse
pas fort antique, elle doit occuper la place de la porte de
Naplouse, deja mentionnte au iv« sifecle, — nom qui lui est
encore donn6 a elle-meme, — et de la porte d'Etienne *
souvent nommee dans les siecles suivants. Quand on veut
remonter plus haut que le iv® siecle, on rencontre une
grande diflQculte dans le fait que precisement au nord de la
villa la situation des aneiens murs est tres-douteuse. Pour-
tant, entre la porte de Damas et Tangle nord-est des murs
actuels, le rocher haut de 20 a 30 pieds est en beaucoup
d'endroits tellement frappant que la nature m6me y designe
clairement la direction de la muraille. Cette circonslance,
rai)prochee des mines colossales d'antiques fondements a
Tangle nord-ouest pres du convent latin de Salvalor, a
quelques centaines de pas de la porte de Damas, est tres-
favorable a Thypothese d'aprfes laquelle le mur nord actual
correspond a la troisieme muraille de Josepha, c'est-a-dire k
celle qui fut 61ev6e par Herode.
A notre gauche nous avions pres de la porte de Damas,
a la distance d'une dizaina de niinutes au nord, cet admira-
ble et fameux caveau sepulcral qui porte le nom de torn-
beaux des Rois — identique probablement avec les sepulcres
de la famille royale d'Herode, desquels il est fait mention
au premier siecle de Tare chretienne. On ne voit pas ces
tombeaux de loin, car le rocher dans lequel ils sont prati-
ques na domine pas son entourage.
Beaucoup plus pres, a deux cents pas de nous peut-6tre,
dans la m6me direction, nous avions une autre construction
i. L'ancienne tradition pla^ait done de ce c^t^ la lapidation du premier
martyr chrelien.
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JERUSALEM 185
dans le rocher : la grotte de Jerimie — c'est ainsi qu'on ia
nomme — est beaucoup plus mysterieuse quant a sa desti-
nation primitive et ses destinies post^rieures que les tom-
beaux des Rois. II est evident qu'elle est une carrifere tres-
ancienne qui a probablement fourni des materiaux pour les
Edifices des temps les plus recules. On ne pent non plus
meconnaitre qu'elle a servi de sepulcre, sur quoi Ton a
fonde la supposition qu'Herode ou Alexandre Jann6e y avait
6t6 enseveli. On peut en 6tre revenu plus tard h utiliser la
carriere, et avoir ainsi nui aux tombes qui s'y seraient
trouvees. La 16gende d'apr^s laquelle le proph6te J6r6mie
y aurait compost ses Lamentations ne se rencontre que
dans les siecles qui suivirent les Croisades. Des siecles plus
tard, les morts recommencerent a en faire leur demeure, et
les pieux Chretiens dont on parte au xv* si^cle furent suivis
des mahom^tans qui conservent aujourd'hui cet usage,
surtout sur ou derriere les hautes parois de rocher que des
ceremonies religieuses animent assez frequemment.
Presque en face de cette grotte, a plus de 100 pas a Test
de la porte de Damas, s'ouvrp dans le roc qui porte les mu-
railles de la ville cette immense caverne dont la d6couverte
a et6 faite il y a une quinzaine d'annees par le chien d'un
Americain, un dogue qui se mit a gratter la terre en cet
cndroit. On y a reconnu la caverne du Coton^ dont on parte
dej& au moyen Sge (HOI) et au xve siecle. Elle est un excel-
lent argument en faveur de cette assertion de Tacite que
Jerusalem se trouve sur des montagnes minxes ^. Elle est
1. Tacit., hutor., v, I'l. Cavati sub terra montet, ce qui est dit, il est vrai,
a Toccasion du temple, mais ne parait pas s'appliqucr uniqucment a cet
edifice.
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IM TEERE.SAINTE
sans aueun doute ro&uvre de Thomme, bien que ia nature
ait puenfournir les premiers 616ments. Les galeries creusees
dans ie roc s'etendent dans diverses directions, surtout au
sud-est; on fixe leur longueur a 644 pieds en ligne droite;
sur oet espace elles descendent de 100 pieds environ. La
largeur est variable. Pour ne pas mettre en danger la ville
oonstruite au-dessus, on a laiss^ des colonnes naturelles. A
Tune des parois du rocher se trouve un bassin dans lequel
46goutte une eau amere. II n'y a pas de communication avec
le Baram-es-Cberif ou avecle Morija, comme on pourrait le
penser; Textr^mite orientale des allees taillees dans le roc
est encore a plusieurs centaines de pas de Tangle nord^
ouest du Haraiix. On eprouve une vive impression en entrant
a la clarte douteuse des chaadelles dans cet antique atelier
souterrain ou se preparait la construction des maisons,
des temples, des foptifications : il semble qu'on penetre un
des mysteres du monde aneien, et pourtant memo ici nous
ignorons encore plus que nous ne cpmprenons. II ne s'y
trouve naturellement pas des reliques bien remarquables ;
cependant on y rencontre des ossements, parmi lesquels
des squelettes humains, probablement temoins longtemps
piuets de crimes inconnus. Comme les caveaux funeraires
des pyramides de Gizeh, ces souterrains deserts de Jerusalem
ne paraissent liabites par aucun etre vivant bors les chau-
ves-rsouris.
Aprds 6tre sortis par Tetroite ouverture de la caverne du
Goton, nous passons pres de la porte d'Herode ou porte des
Fleurs, des longtemps muree, poursuivant notre route vers
Fangle nord-est de la muraille de la ville : la nous attend
d'un .lir souriant el gracieux le mont des Oliviers, ce tenioin
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JI^BUSALEM 187
fiddle 4e& milliers ^'^nn^esi qui out pas^6 sur Jerusa^
lem et sp^ci^tlement des souvenirs de la vie du Sauveur,
Au&si le regard duvoyageur ne ae rassasie-t-i] pas de
sa vue. II y croit encore des oliviers, rarement r^uni* en
groupe, m6I6s avec des figuiers, des terebinthes et d'aulpes
arbres ; ca et la un champ de ble ; a sa base les construe-?
lions dont nous avons pdrl6, et sur sa cime le minaret qui
rappelle T Ascension. Du point ou nous somines, nous distin-
guons mieux sa forme et ses trois sonmiets; le sommet
central $e separo en particulier de celui du nord, Kareni-?
es-Sejad, plus connu des Chretiens sous le noru de GaliMe
ou de Viri Galilaei (hommes. galileens) : alkision peu
heureuse aux rapports de Jesus avec ses disciple&galUeen&
et au?^ anges en velement blanc qui leur app^rurent apres.
Tascension de leur maitre. Aq nord de cette ciqae, derriere
les tombeaux. des Rois et ceux des Juges, Toeil rencontre le
Scopus devenu un veritable observatoire par les camper
ments de Cestius et de Tite; Alexandre le Grand lui-meme
dans sa campagne centre Jerusalem observa de la la cite
sainte.
La vallee de Josaphat, appelee aussi, prob^lement
d'aprfes ses beaux ombrages, vallee du Cedron (vallee som-
bre ou noire), s'ouvre au nord-ouest derriere les sepulcres
des Rois et s'etend sur un espace de trois quarts dMieure
jusqu'a rextremit6 orientale du val de Hinnom pres de la
fontaine de Job. Nous y cherchons le torrent du Cedron;
mais rhistoire seule le connait. II y a bien encore des
places denudees par de violentes pluies, et Ton reconnalt le
lit de la riviere, utilise en partie pour Tagriculture; mais
a aucun moment de Tannee un ruisseau n'y coule. Les deux
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188 TERRE-S\INTE
ponts jel6s jadis sur le C6dpon, celui d'en haul prfes de
Geths6man4, celui d'en bas ppfes du monument d'Absalon,
ne servant plus qu'i raccourcir la route pour traverser le
j^ ravin.
{ Nous profitames de cette course autour des murailles pour
en examiner de plus pres les maleriaux. Juste entre la
porte d'Etienne, k cinquante pas de Tangle nord-est, et la
porte d'Or, on remarque dans les soubassements de la mu-
raille, qui appartient ici tout ensemble h Tenceinte du tem-
ple et a la ville, des pierres colossales trahissant une anti-
quite extraordinaire et remontant sans doute plus haut que
notre fere. Cette hypothese ne paraissait pas acceptable au
grand-due ; il la croyait contredite par la parole adressee
par le Sauveur a ses disciples en presence des batiments
du temple : « II ne restera ici pierre sur pierre qui ne soit
renvers^e > *. Selon moi cette prophetic s'est accomplie de
la fa^on la plus saisissante^ alors memequ'il serait reste ces
pierres de toutes ces magnificences. Elles sont demeurees
debout comme le seul survivant d'une balaille des temps
antiques pour montrer aux generations les plus feloignees
quelles oeuvres immenses de la puissance et de Tindustrie
humaines ont et6 r6duites en poudre par la malediction du
Seigneur. On voit au sud et non loin de la porte d'Etienne
des pierres de mur de iO a 20 pieds de longueur ; la plus
grande a m6me plus de 22 pieds de long sur 5 de large et
environ 3 de haul. Cela se repete a un degre superieur
encore a Tangle sud-est : la muraillc, qui n'a que 44 pieds
pres de la porte d'Etienne, s'eleve la, par suite de Tinegalite
i. Matth, xziv, ^; Marc, xiii, 2; Luc, xix, 44.
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JERUSALEM 1^9
du sol, jusqu'i 88 pieds. On n'y compte pas moins de quinze
rang^es de ces pierres gigantesques; leur longueur est de
16 a 23 pieds de Paris sur 3, 4 et m6me 6pieds de hauteur. _]
Arretons-nous un moment k la porte d'Or : elle 6tait vrai-"^
semblablement dor6e autrefois, en souvenir peut-etre de
Tancienne porte du temple, 6galement recouverte d'or, qui
occupait la mdme place *. La porte actuelle ne parail pas
remonter plus haut que i'Aelia Capilolina d'Adrien ; son
style romainen est une preuve sufBsante ^. Bien que mur6e
probablement peu apres les Croisades, on se rend encore
bien compte de la beaute de sa construction, nommement
a ses doubles arches exterieures et a des chapiteaux dont
les colonnes manquent, comme aux magnifiques colonnes
qui sent a Tinterieur et qu*on nous montra plus tard lors
de notre visite a la mosqu6e d'Omar. D'apres la tradition
chretienne, le Seigneur a fait par celte porte son entree so-
lennelle le dimanchedes Rameaux; les evangiles ^ racon-
tent en effet qu'ii venait de Bethanie et du mont des
Oliviers, et qu'il se rendit incontinent au temple. Aussi,
sous les rois franks, en souvenir de cette entr6e, la grande
procession passait par la m6me porte. On r^pfete apres les
musulmans qu'ils ont rendu la porte d'Or — appelee par
eux « porte Eternelle » ou « porte de la Gr^ce » — h jamais
i. Conf. JosSphe, De hello jud., \, v, 3, oA il est parld de neaf portes qui
dtaient « recouvertes d'or et d'argent lout aulour. »
2. I.es plus anciennes mentions que nous connaissions de cette porte se
trouvent dans I'evangile latin du pseudo-Matthieu (p. 59 de men recueil), et
dans VEvang4ium de nativUate Marice (p. 108 ibidem), oil la rencontre de
Joachim, revenant chez lui avec Anne, b^nie par lange, est plac^e k la porte
d'Or. Le Protevangile grec, au contraire, ne designe pas d'une fagon plus pre-
cise la porte de la rencontre.
3. Matth., XXI, 12; Marc, xi, 11; Luc, xix, 45»
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190 TERRE-SAINTE
inaccessible, parce qu'ils avaient une frayetir superstitfeu^e
que les ennemis y enlrassent, surtout le vendredi, k Theiire
de la priere dans la mosquee.
Si de la porle d'Or nous regardons dans la vallee les lieux
sacrfe pour les Chretiens, nous avons k hotre gauche, au
nord^ Teglise s6pulcrale de Marie et Gethseman6. En Facfe
de nous s'eleve sur le sommet du mont des Oliviers la cha-
pelle de T Ascension. A nos pieds nous voyons un lieu db
sepulture mahom6tan, orne de monuments funebres qui
attirent I'attention* Nous en renconlrons un autre beau-
coup plus 6tendu, mais plus modeste et avec de sim-
ples pierres plates, plus bas, au pied de la montagne des
Oliviers et vis-&-vis de Tangle sud-est de la muraille : c'est
le plus grand cimeti^re juif. Les indigenes israelites se sont
choisi la une derniere demeure entre eel les de leurs ancfi-
tres. Car audessusde cecimetiere et derriere lui, k envirori
200 pas du c6t6 du sud-est, se trouvent les < tombeaux ded
prophetes : » c'est un ancien cimetiere juif, creuse de
main d'homme en chambres et galeries, separ6es les uneS
des autres par des piliers naturels, dans lecoeur d'une roch6
calcaire tendre etgris clair ; il s'y joint encore un labyrinthe
form6 ^galeraent d'allees et de chambres sdpulcrales, mais
moins r6guliferement construit. Tout a c6t6 du cimetiere le
ravin est d^core de ces quatre rcmarquables monuments de
rocher si souvent nommes et decrits depuis quinze cents
ans; les deux qui sont monolithes portent d'ordinaire les
noms d'Absalon et de Zacharie, tandis que les deux autres,
creus^s dans le roc, sont li6s au souvenir de Josaphat el
de Jacob. Gependant ce n'est pas seulement a cause de ce
double voisinage que la communaule Israelite reunit ses
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Jf^RUSALEM m
morts dans ce lieu ; la raison en est bien plutdt dans oes
paroles du propbete Joel (3, 7, 17) d'apr^s lesquelles
rfiternel assemblera lous les peuples pour les juger dans la
vallee de Josapbat. Comme sur bien d'autres points, les mu*
sulmans ont adople ici la croyance juive : selon eux leuf '
propbete s'assi6ra au dernier jour comme Juge de toutes les
ftmes sur une colonne qui s'eleve de 3 pieds au-dessus de
la muraille entre la porte d'Or et Tangle sud-est, sur la
limite du cimetifere mabometan dont nous avons parl^.
Ces monuments de rocber, converts d'anciens noms bibli*
ques, captiverenta un baut degre ^attention du grand^duc;
surtout les deux monolitbes, dont le plus caract^ristique
est celui qui rappelle la revolte du fils de David. De trois
cfites — nord, est et sud — il est born6 par le rocber na-
ture!, qui, a Test et au sud, n'est 61oign6du monument que
de 8 a 9 pieds. La partie inferieure du monument lui-mdme
est taillee dans ce rocber sous la forme d'un d6 ; il a
20 pieds de baut, comme le rocber, et mesure 19 pieds
carres. De cbaque cdte sont deux demi-colonnes et deux
quarts de colonnes orn6s de cbapiteaux ioniques et s'appuyant
sur des pilastres. Ces colonnes supportent une frise ornee
de triglypbes, de roses et de gouttes. Sur le d6 monolitbe
repose d'abord un couronnement carr6, baut de 5 pieds
environ et form6 d'un petit nombre de morceaux; surce
couronnement s'en 61eve encore un autre cylindrique et de
meme bauteur a peu pres, d^core en baut d'une sorto de
turban. Enfin sur le cylindre est plac6 un edne compos6
d'un double soubassement, puisd'uneseule pierred*environ
10 pieds de baut, ressemblant ^ une clocbe et assez elanc^e^
dont la pointe* entour^e d'une couronne, porle une fleur
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191 terre-sainth:
ouverte. Dans son ensemble le monument, haut d'a peu
prfes 45 pieds, fait encore, en d6pit de sa deterioration et
des broussailles qui y croissent en quelques endroits, une
trfes-bonne impression, Timpression qu'il solennise digne-
ment la memoire de quelque prince. Les trois ouvertures ou
trous qui conduisent dans Tint^rieur n'y font voir que des
monceaux de pierres, comme il en existe aussi en dehors
par suite de Thabitude, qui remonte a plusieurs sifecles en
arriere et qu'on trouve surtout chez les musulmans, de
maudire la memoire du fils rebelle en jetant des pierres sur
ou dans son tombeau.
Quant a nommer avec certitude le grand personnage
dont ce monument devait conserver le souvenir, c'est ce
que personne ne pourra. La position et la distance de la
ville * permettent toujours de soutenir que nous avons I^
reellement « la Main d'Absalon, » ce « monument de mar-
bre » qu'il se construisit sous ce nom < dans la vallee royale,
a deux stades de J6susalem ' ; joignez-y le fait que selon
toute apparence ce monument d'Absalon etait encore debout
du temps de Josephe et que cet historien ne parte pas d'au-
tres monuments, tandis qu'en 334 deja — 250 ans a peine
apr^s Josephe — il n'y avait la d'autres monuments que les
nolres, reconnus deja comme fort anciens. Dans cette tra-
dition si vacillante, le premier represenlant de Topinion
commun^ment adoptee de nos jours est un israelite,
Benjamin de Tud61a, au milieu du xii® siecle ; le P^lerin de
Bordeaux, au contraire, attribue au prophete Esaie et au roi
i. Le mont des Oliviers est, d'&prds Josdphe, a « cinq stades » de Jdrusalem.
2. Voir Josdphe, Ant, Jud,, VI1» x, 3. Lh, premiere mention s'en trouve
dej^ II Sam., xviii, 18.
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JI^RUSALEM |f).1
Ez^chias les deux magnifiques mausol^es dont ii parte le
premier, et dont il designe Tun comme un veritable mono-
lithe. Cetle explication de I'an 334, dans laquelle le nom
d'Esaie prend probablement la place de celui d'Absalon,
ppouve du moins qu'on croyait d6j4 alors ces monuments
vieux de mille ans, quoique les connaisseurs ne trouvent
pas les 616menls grecs-romains de Tarchitecture en parfait
accord avec cette hypothese.
Quant au style, le monument qui est au sud du groupc,
et qui porte le nom de Zacharie, est dans ses grands traits
en harmonic avec celui d'Absalon. Au lieu de Zacharie, le
Pfelerin de Bordeaux nomme le roi Ezechias ; e'est peut-6tre
au vii« siecle (dans Gregoire de Tours) que Zacharie,
« assassin^ entre le temple et Tautel » et consid6r6 tantdt
comme le fils de Barachie, tantflt comme le fils de Jehojadah *,
en recueillit la succession; cette opinion n'en manque pas
moins de toute base serieuse. Ce monument est complete-
ment massif et monolithe. II est taille tout entier dans la
parol de rocher qui I'entoure a Test et au sud, et il en
atteint la hauteur : 31 pieds. Sa partie inferieure ressem-
ble beaucoup a celle du monument d'Absalon. Elle a la
forme cubique, mesure de chaque cflte 17 pieds et a
19 pieds de haut. Les qualre cdtes sont masques par des
demi-colonnes, des quarts de colonnes, des piliers rectan-
gulaires; les chapiteaux appartiennent a Tordre ionien.
Mais le couronnement est moins orn6 que dans Tautre mo*
nument, et a la place du cflne s*6lh\e une pyramide carree
de 12 pieds de haut avec une pointe obtuse.
1. Lac, XI, 51; Matth., zxiu, 35; 11 Chron., xxiv, 21 [tq,; Protevang. Joe.,
XXIII, 24; Jvisdphe, De h$llojud., IV, v, 4.
13
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494 TKRRE-SAINTK
Pres de la paroi nord, k cdl6 dece monument pyramidal,
s'eleve le troisi^me, auquel on a donn6 le nom de tombeau
de Jacob ou cavernede Jacob. Dans la paroi de rocher elle-
mdme, ainsi que dans la murailie sud de la caverne de Jacob,
une ouverture conduit a un passage long de 24 pieds et
dirig6 vers le nord ; par ce passage on arrive, en monlant
trois marches, dans une vaste salle carree qui s'ouvre a
Touest a vingt pieds au-dessus du fondement de rocher, et
a laquelle des colonnes rondes, hautes de 7 pieds et pour-
vues de chapileauxdoriques, forment avec deux pilastres un
Elegant portail.Gelte salle introduit dans trois pieces situees
a Torient ; de celle du milieu dependent deux autres cham-
bresau nord etau sud. Lestombes qui se trouvent dans ces
chambres ne laissenl aucun doute sur la destination primi-
tive de ces constructions ; d'autre part, selon la tradition,
I'apolre Jacques, apres Tarrestation de sonmaitre, y aurait
cherche un refuge.
Tout au nord enfm, mais immediatement derriere le mo-
nument d'Absalon, c'est-a-dire pres de Tangle nord-est de
la paroi de rocher qui borde ce dernier, nous rencontrons
la grotte qu'on designe du nom de sepulcre de Josaphat.
L'entree, surmont6e d'un antique pignon triangulaire, est
presque obstru6e par les decombres. Elle conduit a des
chambres taillees irregulierement dans le roc et dont les
parois portent encore les traces de peintures a fresque.
Toutefois les pierres sepulcrales et les ornemenls qui s'y
trouvent ne remontent pas a Tantiquile ; les Juifs actuels
ont encore I'habilude d'y ensevelir les morls. D'un autre
cole il est Ires-vraisemblable qu'il y avait la jadisune cha-
pelle chrelienne, dontil est fait expressement mention sous
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JERUSALEM «9»
le nom de chapelle de Jacques au temps des Croisades. II est
certainement possible que ce ne soit IS que I'emploi post6-
rieurd'une construction plus ancienne qu'on aurait modifi^e.
Aprfes avoir quitte les tombeaux avec leur entourage
pierreux et d6sole, nous longeftmes vers le sud la gorge du
C^dron et saluames le riant paysage qui s'6tend au-dessous
du village de Silouan. Pr^s du commencement du village,
au-*dessous des derni^res maisons du cdle nord, vis-ji-vis de
la vieille porte occidentale du Fumier, maintenant rendue k
sa destination primitive, — celte porte forme la limite de la
muraille commune h la ville et a Tenceinle du temple — se
trouve la source de SiloS, appelee depuis longtemps source
de la vierge Marie parceque celleci, selon une antique tra-
dition, y a Iav6 les langes de I'enfant J6sus. On descend a la
source, qui est situ6e environ 20 pieds plus bas, par deux
rampes separ^es au milieu par un palier, et comptant 18 et 14
marches ; puis un court canal taille dans la roche calcaire
conduit en quelques pas au bassin proprement dit. Le grand-
due lui-m^me admit que nous etions vraiment a la fameuse
source de Siloe ; les recherches faites par Tobler, a la suite de
Robinson, paraissent justifier parfaitoment cette hypothfese.
Depuis qu'Esaie (viii, 6) a mentionn6 • les eaux de Siloe qui
coulent doucement, » elles ont ete sans cesse nommees et
c61ebr6es. Le prophfete de la Mecque n'en a-t-il pas fait lui-
mfime une des sources du paradis ! La chaleur dont nous
souffrions d^ja au mois de mai pendant notre voyage faisait
ressortir agr6ablement la temperature dont on jouissait
prfes de la source. Le grand-due se pencha vers le courant
et gouta avec nous I'eau de SiIo6, qui nous parut agr6able,
douce et as^ez fraiche.
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i9tf TERRE-SAINTE
Le caraclere le plus frappant de cette source, c'est cer*
tainement la crue et la decroissance subites et inexpliqu^es
de ses eaux. Ou a observe recemment et a plusieurs reprises
ce phenomene, et Ton serait porte a en faire deriver celui
qui est attribue dans T^vangile de saint Jean au reservoir
de Bethesda.
Laissant toujours a notre gauche le village de Silouan »
pittoresquement place sur la colline avec ses anciennes
cavernes, servant autrefois 4e tombeaux, et ses maisons aux
toits plats, nous parvinmes en quelques centaines de pas
k Vetang de Siloi. II est enlretenu par uii bassin qui se trouve
sous la roche creuse, a Tissue du vallon des Fromagers et
de la pointe sud du Morija , et qu'un tunnel souterrain, tra<
verse par la route, r^unit a Tetang. Ce reservoir, souvent
visits, a ete longtemps pris pour la source de Siloe elle-
mfime; raais Terreur ressort du fait qu'il forme le point
extreme d'un canal creus6 a travers le rocher et qui com-
mence a la source de Siloe ou de Marie, dont nous avons
parle tout a Theure. Robinson et Tobler sont parvenus, non
sans beaucoup de peine, a parcourir en rampant ce canal
si remarquableet longtemps peu remarque; en le mesurant
on lui trouva, vu ses nombreux detours, 1,750 pieds an-
glais de longueur, tandis que sur la terre la distance de la
source a Tetang n'est que de H a 1,200. Nous ne trouvftmes,
comme cela arrive souvent, que peu d'eau dans Tetang; ou
paraissait I'avoir employee surtout a arroser lesjardins avoi-
I. Remarquons en passant que les mots qu'on lit ordinairement, ch. v,
y. 3 et 4 : « qui atlendaient le mouvement de I'eau. Gar un ange descendait,
en un certain temps, dans le reservoir el en troublait I'cau ; et le premier, etc.* ,
d'apr^s les plus anciens documents, ne sont pas dcrits de la main de saint
Jean.
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JERUSALEM 197
sinanls. Quant k nous, nous avions a Tesprit cet aveugle-n6
qui, par Tordre du Sauveur, lava dans ce reservoir ses yeux
malades et s'en retourna voyant clair. II est superflu d'a-
jouler que ce miracle a eu pour consequence de donner
pour toujours aux eaux de Silo6 un pieux interfet pour les
Chretiens.
Imm^diatement derriere T^tang, au sud, s'^tendent les
ravissanls jardins, pleins d'arbres et de fruits, qu'il rafral-
cliit de son eau ; on pent les consid6rer com me les succes-
seurs des anciens jardins royaux qui elaient a la mfime
place. Pres de la so trouve aussi, sur une terrasse et appuy6
par des pierres, le grand et superbe miirier sous lequel,
d'apres la legende, le prophfete Esai'e a subi le martyre. On
le mentionne expressement depuis le xvi* siecle, et alors
d6jJ 11 passait pour fort vieux ; neanmoins sa reputation ne
parait pas remonter beaucoup plus haut, bien que des pre-
miers siecles de notre ere nous vienne la tradition qu'Esaie,
apres avoir ele scie, fut enterr6 sous un chfine, pres de la
source de Roguel ( « sous le chSne de Roguel j> ). Gette source
de Roguel semble 6tre la fontaine qui porte ordinairement
le nom de N6hemie ou de Job (de Joab dans la bouche des
Juifs). Profonde et Ires-abondante , elle est entouree de
batiments anciens et modernes, et se trouve imm^diate-
ment derriere les jardins, c'est-a-dire la ou la vallee du
Cedron commence a serpenter entre la montagne du S^an-
dale et le mont du Mauvais-Conseil. Le souvenir des sacri-
fices offerts a Moloch par Salomon se rattache i la premifere
de ces montagnes; quant a la dernifere, silu^e juste en face
de la hauteur de Sion avec le tombeau de David au sud, la
tradition y place la residence de Caiphe ainsi que le manvais
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Ids TKRHE-SAliNTK
eonseil auquel on s'arrfela contre 1^ Sauveur. 11 estcertaine-
ment beaucoup plus probable que sur le versant nord-est de
la m6me montagne, ou au cdte sud du val de Hinnom, se
trouve ce champ du Potier ou champ du Sang, achete pour
trente pieces d'argent, et destine a la sepulture des etrangers.
Tout pres de la on tire encore aujourd'hui de la terre glaise
pour les potiers. Le grand cimetiere 6tabli en ce mfeme en-
droit, prfes d'une paroi de rocher, et uni a de plus anciennes
cavernes sepulcrales dans le roc vif, a servi, si ce n'est ante-
rieurement, du moins dans les derniers siecles, de lieu de
sepulture a maint pelerin qui, dans la Jerusalem terrestre,
a trouve le chemin de la celeste. Mais sur le memo penchant
de la montagne, devant Hakeldama, et de la plus a I'ouest,
pres des parois de rocher qui bordent la vallee de Hinnom
et ses oliviers, on rencontre encore beaucoup d'autres s6-
pulcres qui datent en partie de I'antiquite judaique.
Lorsque nous fflmes a deux ou trois cents pas de la porte
de Jaffa, le chemin nous fit passer pres d'un 6tang complete-
ment desseche.qui a ete etabli k Taide des parois de rocher
de Test et de I'ouest, et d'une digue elevee au nord et au
sud; il compte 230 pas de long sur 100 de large. Quoiqu'il
soit diflficile de determiner son ancien nom, il demeure tres-
probable quMI vient de temps tres-recules. 11 s'appelle au-
jourd'hui Birket-es-Soultan en Thonneur du sultan Soliman-
Ibn-Selim qui, sur le temoignage d'une inscription arabe, a
fail, de 1520 a 1526, restaurer I'^tang pour la derniere fois.
En 1177, au contraire, il avait 6te nomme elang de Germa-
nus, d'apres un Germanus, Frank qui merita de la re-
connaissance en s'occupant des eaux de la ville de Jeru-
salem.
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JERUSALEM m
LE 16 MAI
Le grand-due avait projet^ pour ce jour-la de visiter Beth-
lehem, mais une indisposition ayant la veille au soir saiai la
grandeduchesse, il se decida pour San Saba. Les nouveaux
preparalifs qu'il fallut faire nous empecherent de partir
avant neuf heures du matin. La course, qui dura trois heures
a cheval, tomba done en plein dans le milieu d^une journee
de mai dont nous sentimes toute la chaleur dans ee d6sert
de sable, de pierres et de montagnes nues. La caravane,
eseortee de nombreux kawasses du pacha, avail tres-
bon air. Le jeune prince, Sge de dix ans, 6tait aussi avee
nous a cheval ; il a donne a cette occasion la preuve de son
courage et de son habilete d'ecuyer.
Malgre le caractere d6sole du passage que notre cherain
traversal lorsque nous eiimes atteint derriere les eaux de
Siloe et de Roguel les limites du terrain cultive, le change-
menl frequent des monts et des vallees nous offrit pourtant
plus d'un point de vue plus agreable ; deux fois aussi nous
rencontr^mes les tentes noires de Bedouins^ dans Tune des-
quelles on nous donna a boire du lail qui nous fit grand
plaisir; mais surtout la gorge, profonde et grisrougeMre
du Cedron, dont nos montures gravirent avee peine, du cdt6
du sud, les rochers escarpfis, proteges sur un certain espace
par une muraille, exer^ait avee toute son horreur un singu-
lier altrait sur nous. Une famille de chacals sortit devant
nous d'une grotte au has des rochers du cflt6 nord, et non
loin de la, nous apercumes encore d'autres animaux analo-
gues mais noirs : cela faisait partie de la couleur locale. Quant
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100 TKKRK-SALNTK
aux ours el aux lions, que depuis I'epoque de Daniel les
jeunes bergers combattaienl victorieusement dans les gorges
de celte solitude*, on enchercheraitvainementaujourd'hui.
Au milieu des impressions d'une affreuse solitude retentit
soudain le bruit des cloches; ce fut d'un effet profondement
saisissant. Ge son pur el argenlin nous adressait dans le
silence du desert une solennelle bienvenue avant que nous
pussions apercevoir encore une tour, un mur du convent.
Gependant peu de minutes apres nous eOmes devant les
yeux le memorable monastere qui surplombe Tabime
comme un nid colossal place dans le rocher, et qui, avec
ses fortes murailles, couronn6es des deux cdt^s par de
hautes tours, descend la montagne comme par de nombreux
degres.
Le venerable patriarche de Jerusalem etait air6 avec ses
deux vicaires et Teveque russe de Melitopolis a la ren-
contre du grand-due; il s'avan^a vers lui en pronon-
cant des paroles de benediction et I'accompagna, en des-
cendant le large escalier de pierre, par le grand portail qui
s'ouvre rarement, dans ce respectable asile de la piete, de
la contemplation, des pers6verantes 6tudes. Nous entrftmes
immediatement dan^ la principale eglise du convent qui,
malgre tout e sa simplicite , possede pourtant en abondance
des tableaux dans le go6t russe et greco-russe. En Thonneur
de la visite du grand-due, on avail expose les reliques du
convent, nommement plusieurs cr&nes provenanlde martyrs
et auxquels on attribue m6me une puissance miraculeuse.
Lorsque le grand-due se fut retire dans les appartements
I. Voir I Sam., xvii, 34 «g.; Sirach, xlvii, 3.
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JERUSALEM 501
du monast^re, qui brillaienl par une proprete surprenanfe,
il saisit le moment favorable pour me presenter au patriar-
che et lui recommander la mission scienlifique qui m'avait
ete confiee par Sa Majeste imperiale. A cette occasion il lui
fit connaitre avec la plus grande bienveillance ma decou-
verte du Sinai. Le patriarche nous repondit en nous parlant
d'un tres ancien manuscrit, encore plus pr^cieux, selon lui,
des evangiles de Ladakia ; on le pretendait trouve dans le
tombeau de Barnabas. Des Anglais, disait-on, en avaient
offert des milliers de livres sterling. Bien que je n'eusse pas
de details plus exacts sur ce rare tr^sor, je ne pus retenir
Texpression de mon incredulite et la supposition qu'on avait
pu se tromper faute de connaissance, comme cela arrive si
frequemment a Tegard des vieux manuscrits grecs.
Pendant le banquet qui eut lieu peu apres, je donnai au
patriarche des nouvelles des trois jeunes diacres pleins de
talent qui etudient a ses frais a Leipzig. Le grand-due lui
ayant demande comment il encourageait ainsi les 6tudes de
jeunes eccl6sias!iques grecs k Leipzig, le gatriarche repli-
qua qu'il avait surtout en vue leur d6veloppement philoso-
phique.
Le grand-due manifestait le plaisir qu'il 6prouverait
si je reussissais a faire une bonne trouvaille parmi les
anciens manuscrits tandis qu'il 6tait encore au convent.
L'heure n*6tait pas favorable, c'etait imm6diatement apres
diner et la temperature etait elevee : je cherchai neanmoins
sans retard a m'acquitter de cette tache. Accompagn6 de
Tevfeque russe, je montai par une echelle dans un petit
cabinet de I'eglise principale ; lors de ma premiere visite en
1844, j'y avais vu enfasses un certain nombre de manus-
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mi TKSRK-SAINTK
cpits, mdlis il est vrai h loate sorte d'imprim^s. Au bout
d'une demiheure de recherches, j'avais trouv6 trois ma-
nuscrits palimpsestes, que nous porlftmes au grand -due
dans sa chambre k sa grande satisfaction. Le prince avait
dej^ vu des fragments palimpsestes, cependant il 4couta
avec int^rfit, ainsi que sa suite, les explications que je ratta-
cliai a ces manuscrits^ Le plus int^ressant ^tait celui que,
deux ans plus tdt, Coxe, le savant biblioth^caire d'Oxford,
avait remarqu6 et sur lequel il avait donn6 quelques mots
d'explications dans son • Report to Her Majesty's Govern-
ment '. » A ma demande, je pus Temporler a J6rusalem
pour r^tudier plus a loisir.
Nous visitftmes ensuite le couvent. Le centre du vaste
batimenl est form6 par une plate-forme spacieuse et pav6e
de larges pierres, qui se trouve a plusieurs cents pieds au-
dessous des tours plac^es tres-haut. Au milieu s'61eve une
chapelle octogone avec une coupole; c'est la chapelle
funfebre de saint Saba, qnoiqu'elle ne renferme plus ses os.
Malgre cette lacune, le inonast^re a dans la personne de
son fondateur un bel exemple de pi6t6 ; le saint eut une
excellente occasion de manifester son z^ie et son intrepidity
lors des troubles dogmaliques qui au commencement du
\V sifecle mirent en danger I'empire byzantin lui-m6me. Il
fit du couvent le siege de Torthodoxie, qui consistait essen-
tiellement alors h conserver la double nature du Christ; la
i. lior>qae six mois plas tard, It Zarsko-S^lo, j'eus rbonneur de presenter
a Lours Majestes imperiales les plas remarquabies munuscrits que j'avais
recueillU en Orient sous leurs gracieux auspices, I'empereur Alexandre 8*intd-
ressa si Yivement aux douse r>aiiaipsestes qu'ii les prit chacun sdpar^ment k la
main, cherchant k en d^cliiffrer les caractdres en partie trds-p&ies.
|. Voir l&'dessns mes Anecdofa sai^9 et profane, p. 9^4. iSOi,
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JEHUSALEM 109
g6nereuse protection de Tempereur Justinien envers la mo*
nastere tint k cette circonstance.
Sous la plate- forme il y a des tombes pour les fr6res.
Des crftnes de martyrs de cette centime sont entasses
dans une petite 6glise k cdt6 de la chapelle de saint Saba,
derri^re un grillage de fer. On le sait, aucun autre desert
n'a vu fleurir davantage Tenthousiasrae des anachor^tcs
pendant les premiers si^cles de TEglise; mais aussi aucun
n'a vu plus souvent des scenes sanglantes fondre sur la
troupe de ses religieux. Et ceci est vrai, non-seulement des
anachoretes proprement dits, mais encore des moines qui
leur succedferent ; ceux-ci 6changferent seulement les ca-
vernes des rochers centre les murs du convent. Car malgre
la forte construction dont San Saba fut surlout redevable a
Justinien, le monastere n'6tait nullement a Tabri de toute
attaque. Les deux plus violentes, qui coAt^rent la vie a un
grand nombre de ses habitants, tombent sur Fannee 614,
au moment ou les Perses devastaient sous Gliosro^s la
Palestine, et en 812, lorsque sous les fils d6sunis de Haroun-
er-Rachid, le fanatisme arabe cherchait tant de victimes en
Terre-Sainte.
On conserve au convent maint autre souvenir d'anciens
martyrs et de saints. Parmi ces demiers il faul citer avec
distinction Jean de Damas qui, apres avoir sous le nom
d'Al-Mansour occupe un poste 61ev6 au service du kalilSe, se
retira en 730 dans une cellule deee couventet y composa,
au milieu d'autres travaux d'erudition, son 6crit, encore
souvent employe, sur la veritable foi. On montre sa cellule,
et ses ossements sont conserves dans le monastere. Si Ton
avait su conserver en m^me tem;>s la bfbliotheque du savant
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SOI TERnE-SAlNTE
religieux ou m6me un seul de ses livres, savoir son manus-
critdu grand ouvraged*Ir6neecontreles heresies, on aiirait
sauv6 une des plus pr6cieuses reliques de la science chr6-
tienne. II est vrai que le goflt du temps a change du tout
au tout.
On a 6tabli sur quelques terrasses de jolis jardinets,
dont il a fallu aller chercher la terre au loin. L'un d'entre
eux est m6me orn6 d'un palmier toujours vert. Quel char-
mant spectacle au sein de cctte aride solitude! Pour dominer
la contree il nous faut monter sur Tune des tours : le regard
embrasse de la cette contree d6solee, ce vestibule de la mer
Morte, tout pr6t a servir de refuge et comme de patrie a un
mysticisme sombre, asc^tique et misanthrope.
Nous desirions pour notre retour que les rayons du soleil
eussent perdu de leur ardeur, cependant nous ne pouvions
pas attendre la nuit. Vers cinq heures nous quittSmes le
couvent; a huit heures nous atteignimes la ville sainte a la
Faible clarl6 de la lune.
LE 17 MAI
Pendant les premieres heures de la matin6e le grand-due
visita deux couvents — celui des Copies et celui des Abyssins
— auxquels le g6n6reux present que le prince leur fit
remettre apr^s son depart, par le consulat russe, dut etre
particulierement agreable. Le premier, pauvre et sans appa-
I'ence, est consacre a saint Georges qui jouit d'unegrande
consideration dans toute T^glise copte; il possMeune triste
curiosity, savoir : une cellule deslin6e aux alien^s, oi une
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JI^UUSALEM 105
chalne et un carcan de Fer attendent le malheureux^
Le cloilre abyssin, consistant en cellules ou maisonnettes
s^parees aulour d'une cour ouverte, louche a la partie nord-
est de Teglise du Saint-S6pulcre ou au Katholikon et a la
chapelle d'H61ene. Des moines y sont 6tablis ainsi que quel-
ques nonnes; ces derni&res s'occupent des travaux de
manage. Celle congregation de frferes et de soeurs, avec ses
vfitements de couleur sombre el la pauvrete evidente du
couvent el du genre de vie, frappe par le conlrastc le visi-
teur qui vienl des monasteres grecs, armeniens et latins.
Dans Tapres midi le grand -due fit don au metropolitain
de Petra et a Tarchevfeque de Lydde, tons deux vicairesdu
palriarche, de pr^cieuses croix qui se placenl sur la poitrine
el qu'on appelle panhagies. U oiGfrit aussi a Surreya-Pacha
1 ordre imperial de Stanislas de premiere classe.
A cinq heures, accompagnes par le pacha luimSme, nous
visiiames le Haram-es-Cherif, ce qui fut un evenemenl pour
Jerusalem, grace au fanatisme, qui interdit d'ordinaire
Tentree de ce sanctuaire, le plus grand que possede Tislam
apres ceux de la Mecque el de Medine. La veille, ledocteur
Busch de Leipzig m'avait exprime le desir que je demandasse
pour lui au grand-due la permission de se joindre au cor-
tege. Non-seulement le grand-due Taccorda avec la plus
grande bienveillance, mais encore il t6moigna le d6sir que
tons ceux qui voudraient s'y joindre le tissent sans emp^che-
menl : liberty d'autant plus precieuse, que lors des pr^ce-
I. Les fous sont traitds parfois do la m^me manidre chez ies mahom^tans.
Un jour j'en rencontrai un, entre ie Cairo et Boulak, avec une chatne qui lui
passait devant la bonche. G'dtait affreiix. On legitimait ce traitement en disant
que cot infortune ayait dans sa folio maudit le prophSte, et qu'il fallait Tem-
pdchcr de recommencer.
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X
906 TERRR-SAINTE
dentes visiles princiftres on avalt timidement limits le cor-
tege. On fit cette fois un usage trfes-6tendu de cetle autorisa-
tion; il y eut peul-etredes centalnes de personnes, tant pe-
lerins chr6tiens que Chretiens indigenes, qui a la suite des
princes de Russie foulerent le sal de ces lieux mysterieux.
II est vrai qu'il en resulta> dans les passages etroits et h I'en-
tr6e de la mosqu^ed'Omar, une pressedes plus desagr^ables :
elle pouvait provenir du sentiment qu'on jouissait d'un fruit
d6fendu, ou aussi de la crainie qu'au moment decisif
des gardiens musulmans ne vinssent encore barrer le
passage. Ceci n'etait nullement dans les intentions de Tauto-
rit6 superieure ; je vis a plusieurs reprises comment le pacha
r6prima personnellement avec le plus grand soin toule
impolitesse de la part des soldats prepos^s a la garde du
bon ordre. Pour moi, je m'etais confie au bras protecteur
de Tevfeque russe, qui inspirait le respect, non-seulement
par son costume eccI6siastique orn6 de croix sur la poitrine,
mais par deux kawasses marchant en grand uniforme devant
lui. Nous n'en fflmes pas moins une fois tellement enve-
lopp6s dans le tourbillon qu'il y eut lieu de craindre tout
au moins pour les ornements sacerdotaux de mon com-
pagnon.
Lorsque d'une allee obscure a Tangle nord-ouest du
Haram — par laquelle on avait maladroitement fait passer
le cortege — nous sortimes en plein air, nous nous trou-
vftmes reellement dans Tenceinte du temple. Cette place, un
carr6 long, avec un sensible affaissement vers le sudest,
s'etend du nord au sud sur un espace de 1500 pieds —
100 plus loin a Touest qu*a Test; — sa largeur de Test a
Touest mesure environ 1,000 pieds, et ici encore il y a une
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JERUSALEM '.07
centaine de pieds de plus au nord qu'au sud. Au nord et a
I'ouest la limite est form^e par diverses constructions
arabes escarpees, mais de hauteur inegale ; elles renferment
la residence du pacha, des logemenls pour des derviches
et des employes de la mosquee, puis des 6coles et des
auberges pour les pelerins ; cependant, a Tangle nord-ouest
on voit, servant de mur» ce rocher naturel haut de 25 pieds
qui a porle jadis une parlie de la forteresse Antonia, cons-
truite principalement pour la defense du temple. Sur tout le
cdt^ oriental au contraire et aussi sur une grande parlie du
cdt6 meridional^ la muraille de la ville, qui a encore pr^-
cis6ment la les parlies les plus antiques, sert en meme
temps de mur au Haram, et vue du dedans elle semble
beaucoup moins haute qu'a Texterieur, du cdte de la mon-
tagne.
La grande place a des ouvertures au nord, a I'ouest et au
sud; le cdte occidental, qui en a le plus, en compte huit.
Les deux qu'on distingue encore dans la muraille orientale,
et dont Tune est la celebre porte d*Or, sont depuis long-
temps murees et hors d'usage.
Dans Tenceinte s'eleve une plate-forme paveede dalles de
marbre bleuStre, et sur la plate-forme, du cdte de sa moiti6
sud-ouest, le dome de la Roche. — Le terrain passable-
ment inegal qui entoure la plate-forme de marbre a une
vegetation abondante, mais nullement exuberante : des
pavols surtout raontrent leur t6te rouge au milieu de Therbe
et des d6combres; on voit disperses (ja et la des bouquets
de cactus, des oliviers, des cypres; ces derniers, grands et
vieux, ornent particulieremenl les environs de la mosquee
d'Aksa. Ajoutons-y plusieurs fontaines recouvertes, une
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^
20i TERRK-SAINTE
chapelle et de nombreuses tombes, parmi lesquelles se dis-
tingue celle de Fatime, la fille du prophfete.
Du terrain general du Haram — qui malgre sa saintete sert
souvent de theatre aux jeux des enfanls des 6coles voisines
— monlons sur la plate-fornne qui mesure 550 pieds du nord
au sud, et 450 de i'ouest a Test. Huit larges escaliers de
pierre, d'un nombre inegal de marches, conduisent des di-
vers cdtes a Tesplanade. Ces escaliers sont ornes en haul
de Yofites reposant sur des piliers et formant une sorte de
vestibule. Lorsqu'on monte a ee lieu sacr6, T^tiquette des
mosquees demande que la chaussure franque soit 6tee ou
recouverte par les souliers de cuir des Turcs. Les princes
russes eux-memes se les laisserent mettre; la troupe des
pelerins se soumit egalement a Tusage sous I'uneou Tautre
de ses formes; cependant ceux qui s'en affranchirent ne
furent nuUemenl inquietes.
La mosquee elle-mfime est un batiment magnifique et tou-
jours admirable, malgr6 quelques signes isoles de vetuste.
II se compose de deux etages. Le premier forme un parfait
octogone, avec 536 pieds de circonference, ce qui donne a
chaque cdt6 67 pieds. Le rez-de-chaussee est form6 par des
dalles de marbre de couleur claire, au-dessus desquelles sont
de hautes fenfitres k ogive en verre de toutes couleurs ; les
pilastres qui les scparent sont reconverts de tuiles de faience
bleu fonce el vertes, ou rouges et blanches. Chaque cdte a
sept de ces fenetres, ou six, la septieme 6tant quatre fois
remplac6e par une porte; — ainsi tout I'etage inferieur en
cotnpte cinquante-deux. Des versets du Goran, ecrits en beaux
grands caracteres dor6s au-dessus des fenfitres, courent tout
autour; ils ornent la frise des huit murailles. Cette frise, qui
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JERUSALEM 209
sert en meme temps de parapet, depasse de quelques pieds le
toit de plomb de I'octogone, toil qui des bordsau milieu monte
insensiblement. Ici s'eleve I'etage superieur de la mosquee;
c'est une coupole gracieuse, s'appuyant sur un soubasseinent
cj lindrique et couverte de plaques de plomb de couleur noire ;
tout en haut, au bout d'une pcrche faconnee, un croissant
dont les cornes se rejoignent par leur extremite resplendit
au loin. La hauteur totale de la mosquee est evaluee a plus
de 100 pieds, dont plus de la moitie revient a la partie
inferieure; le diametre de la coupole mesure 40 pieds envi-
ron. La mosquee brille d'un eclat tout particulier quand les
rayons du soleil lombent sur ses murailles et sont renvoyes .
par les brillantes tuiles de toutes les couleurs.
Apres avoir jete ainsi un coup d'oeil sur Texterieur, en-
trons dans Tinterieur de la mosquee et foulons-en le sol de
marbre reconvert de tapis. Remarquons seulement aupara-
vantqu'elle a quatre portes, placees selon les quatre points
cardinaux et qui sedistinguent par des portiques reposant
sur descolonnes de marbre et de porphyre artistement tra-
vaillees. La porte de Test, par ou nous passons, a re^u le
nom de David ; celle du nord, pour laquelle on a une venera-
tion particuliere, s'appelle la porte du Ciel. La mosquee
fait reellement J'effet d'une maison de Dicu; la lumiere, qui
passe uniquement par les vitraux colories, niais dontTeclat
est magiquement amorti, me rappelait un demi-jour sem-
blabledans Tadmirable cathedrale gothique de Fribourg en
Brisgau. Aulour de la rotonde du milieu courent deuxran-
gees de colonnes. La rangee exterieure, du cote des murs
de marbre blanc, est formee par seize belles colonnes de
marbre de couleur avec des cliapileaux corinthiens et par
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210 TEHHE-SAJNTE
huitpiliers vis-a-vis des angles de la muraille. Au-dessusdu
leger et 616gant entablement qu'ils supporlent se trouvcnt
— chose 6tonnante — des vofltesen plein cintre se terminant
insensiblement en pointe et correspondanl a Tespace enire
les colonnes et les piliers. La rang^e int6rieurc est formee
par douze colonnes semblables, corinlhiennes et antiques,
avec qualre piliers dont chacun est place aprfes trois colon-
lies. Au-dessus se relrouvent des voiitcs comme les pre-
mieres. Le tapis qui recouvre Tespace d*une dizaine de pas
enlre les deux rangs de colonnes est uni, mais divise en
divers champs avec de riches ornemenlsd'or ; des lustres et
des lanlerties bariol^es y sonl suspendues. Audessus de la
rangee interieurc de colonnes s'eleve le ddme, construit en
bois. On y voit briller sur un fond vert une masse d'arabcs-
ques en stuc, chargees de dorurcs ; des sentences du Goran
en grandes lettres d'or couient aussi a Tinterieur autour de
la coupole.
Sous cetle coupole est le principal tresor de la mosquee,
celui qui lui a donne son nom. Des deux colonnades,
nous passons dcvant une grille de fer dore. De Tautre
c6l6 de cette grille s'elcve le rocher naturel, a environ
5 piods au-dessus du pave de marbre, ce qui lui donne
une elevation de 10 a 12 -pieds au-dcssus du rocher qui
foimc le sol de la mosquee. La longueur du bloc de cal-
caire gris clair pent montcr a 40 picds ; sa largeur est un
peu moins considerable *. II a une forme passablement irre-
guliere; la parlie superieure ne presente pas une surface
unie et fait pluldt I'impression d'un fragment colossal gros-
1. L' estimation de Barclay (p. 497), 60 pieds de long et 55 pieds de large,
est certaincment exug^rep.
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JitRUSALRM m
sierement taille. 1i est ordinairement couvert d'une lourde
6toffe de soie cramoisie et d*un vert chatoyant ; lorsde notre
visite cetle couverture avail 616 a moiti6 enlev6e, afin que
nous pussions mieux voir.
Mais ce morceau de rocher n'est pas tout. Au-dessous de
lui s'ouvre « la noble caverne des musulmans, » a laquelle
on descend par plusieurs escaliers de pierre sur le cdte
oriental. Cette grolle — un carre irregulier, longde 15
a 20 pieds de chaque c6te, haut de 7 a 8 pieds — est
bornee a rext6rieur par des parois, qui en certains en-
droits consistent non dans ie rocher, mais dans une mu-
raille : aussi le musulman pretend-il, toujours conformement
a sa tradition, que le bloc de rocher Iui-ni6me, sans ses appuis
artificiels,serait suspendu en Tair. Dansles murs, plusieurs
niches sont consacr6es a des fetres vener6s ; deux d'entre
dies, reconnaissables a de petiles plaques de marbre, por-
tent les noms de David et de Salomon. Une ouverture ronde,
de 3 pieds de circonf6rence, au milieu du rocher qui sert
de plafond, communique avecle ddme. Enfin dansle milieu
de la caverne nous rencontrons une plaque de marbre bariol6
scellee dans le sol de rocher ; lorsqu'on la touche avec un
baton, un son sourd prouve qu'elle a au-dessous d'elle un
autre espace vide. Ce profond jsouterrain est nomme par les
mahom6tans Bir-Arouah, Puits des Ames ; on croit qu'il
forme Tentree du sejour des morts et que c'est par la qu'on
se met en rapports avec eux.
Apr6s avoir donn6 une idee de cet objet de la'profonde ve-
neration des musulmans, il nous reste a nous demander si
nousavons affaire a un produit de Tart moderneoua une re-
lique des temps anciens. Sansaucun doule cest un monu-
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ii^ TEtlUE-SAlNtK
menl de la plus haute anliquite, et peut-elre la pierrc la plus
remarquable et la plus sacrce du monde; elle n'a pas etc seu-
lement celebree avcc exageration par Timagination orienlalc,
maiselle possede reellement una iniportante hisloire. En ef-
I'et, on ne peut guere meconnaitre que cette pierre a forme il
y a trois mille ans cette aire d'Arafna (Arauiia, Arnan, Or-
nan) le Jebusien qui, apres que I'ange du Seigneur s'y fut
arrete, fut achetee par David pour y clever un autel *, ct
dont Salomon fit le point de depart ou le centre de la cons-
truction du temple ^. Qu'un souvenir sacre encore plus an-
tique s'y rallache, c'est du moinsce qu'afflrmeJosephe, dV
pres lequel le sacrifice d'Isaac a ete prepare a cette meme
place ^. Cette donnee, qui au premier abord semble ne
s'appuyer que sur Tancienne tradition juive, se trouve pla-
cee sur un terrain historique par le fait que I'Ecriture* in-
dique positivement la montagne de Morija comme le theatre
de cette scene du sacrifice ; aussi par cet evenement le niont
qui devait porter le temple pai-ait avoir rcQu sa premiere
consecration.
Quant a Taire d'Arafna, en la reconnaissant on n'a fait
que confirmer les observations des pelerins du temps des
Croisades, par exemple de Fulcher, chapelain de Baldouin.
Geux-ci, de leur cote, suivaient la tradition juive, qui, selon
toute probabilite, s'etait conservee sans interruption et tres-
fidelement. Car lorsque le Pelerin de Bordeaux (334) men-
•
1. II Sam., XXI v% 16 sq.; I Ghron., xxii, i5, sq.
2. II Chron., iii,l : « Salomon commenca done de batir la maison de Tl^ter-
nel a Jerusalem, sur la montagne de Morija, qui avail ^t^ montree a David,
son p^re, au lieu que David avail prepare dans I'aire d'Ornan Jeb jsien. »
3. Jos^phe, Antiq., VII, xiii, 4.
4. G'^n«y<;'', xxii, ? s</.
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4EEIUSALEM 213
tionne la pierre trouee ou percee, non loin des statues d*A-
drien elevees sur la place du temple — pierre a laquelle les
Israelites faisaient un pelerinage annuel pour Toindre, en
poussant des lamentations et en dechirant leurs vetements,
— ils designent manifestement cette meme pierre; elle
ctait aux yeux des Juifs, si cruellement chasses de leur
patrie, le vestige sacre de leur temple, et ils avaient, proba-
blementdepuisConstantin seulement,l'autorisation, achetee
. a prix d'argent, d'y pleurer la mine du sanctuaire de
Jehovah *.
Quant a savoir si Salomon a construit le lieu tres-saint
lui-m6me precisement a la place de Tancienne aire, c'est
ce qui reste douteux; c'est toutefois vraisemblable.L'etablis-
sement des cavernes a une epoque tres-reculee, probable-
ment motive par d'anciennes citernes, re^oit une lumiere
surprenante d'un passage de Josephe^. Selon cet auteur,
apres la mine de Jerusalem, le tyran Simon, ayant vaine-
ment cherche a s'enfuir par des passages soulerrains, sur-
git subitement de terre, en vetements blancs et pourpres, sur
I'emplacement du temple, — terme parlequel il faut,nous
semble-t-il (avec Rosen, ibid,, p. 618), entendre le lieu eleve
ou se trouvait le sanctuaire proprement dit. Aux jours de
1. Conf. surtout Hieron, in Zephan, I, 15, et Robinson, I, 39i. Du reste,
cet interessant privilege dut, lorsque la pierre eut et6 comprise dans la mos-
quee, ^tre transfere a d'autres lieux. En effet, depuis longtemps deja les la-
mentations des Juifs se font pr6s de la muraille occidentale de I'enceinte du
temple, a deux cents pas de i'angle sud-ouest, et a peine a une double dis-
tance de la grande mosquee. A cette place, les Juifs de Jerusalem, ayant sous
les yeux de colossales pierres de la muraille, repandent encore maintenant,
chaque vendredi et d'autres jours aussi, leur coeur devant le Dieu de leurs
peres et r^citent avec des accents profondement tristes et saisissants des
psaumes de penitence.
2. Josdphe, De hello jud., \[\, ji, 2.
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^
JU TliURE-SAlN?*;
Conslantin, les Chretiens, pour lesquels la destruction du
temple juif, pr^dile par le Seigneur, 6tait une si grande
satisfaction, n'ont certainement accorde aucune distinction
h cette pierre. En revanche, Omar parait deja (depuis 636)
Tavoir enfermee dans sa grande mosqu6e carree, d'ou
elle passa dans Tedifice plus restreint, mais infiniment
plus beau, du kalife Abd-el-Melik (de 686 a 693), dans cet
Edifice qui est encore aujourd*liui Tobjet de notre admi-
ration.
A ces explications historiques nous n'ajouterons plus que
la reflexion suivante : la forme actuelle du rocher laisse
fort bien reconnaitre I'aire avec une haute surface en pente et
une citerne au-dessous ; il laut sans doute mettre en ligne
de compte bien des alterations * apportees par la nouvelle des-
tination et par I'arbitraire posterieur *. Si nous voulions main-
tenant y ajouter toutes ies inventions de la legende, nous
aurions trop a puiser dans les sources juives, chretienncs et
mahometanes. Ainsi, d'apres le Talmud, c'est cette [)ierre
qui a servi a creer le monde ; ce serait des lors pour elle un
role modeste que d'avoir porte Tarche de Talliance. Le fond
de la tradition musulmane, c'est que le prophete, en priere,
est mont6 au ciel sur cette pierre. Mais, comme a Tap-
proche du paradis elle se mit a pousser des cris de joie,
Mahomet lui ordonna de se taire et de s'en retourner. La-
dessus elle n'est pas tombee tout a fait jusqu'a terre, mais
s'est maintenue en Tair a quelques pieds au-dessus du sol.
1. Conf. Rosen, ibid.. 618.
2. Conf. Tobler, I, 539. Du temps des Franks on en hrisait des morceaux
ponr les emporter, aa grand scandale des musulmans. Un fragment est par-
venu, dit-on, k Constantinople^ un autre en Russie, ou il aurait ete litterale-
ment paye au poids de Tor.
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JERUSALEM 215
Les traces des pieds de Mahomet el des doigts des anges
qui la tenaient altestent le miracle de cette ascension par-
tagee avec ic prophfete. Plus tard, la vue de ce rocher sus-
pendu a porte malheur a des Cerames eflfrayees, aussi Ic
sultan S6lim y fitil mettre des appuis. — En face de cc
tissu de fables orientales, cette memorable pierre est deve-
nue pour les froids Occidentaux une pierre de scandale,
en ce sens qu'avcc une prctendue sagacite, mais en r6alite
sans critique, its lui ont denie tout caractere historique.
Quittons enfin le dome du Rocher pour jouir enccwe
de ce que la bienveillance du gouvemement turc permit
encore de voir au grand-due et a la troupe nombreuse
qui lui faisait escorte. Ne nous arrfilons pas a la cou-
poie a Chaines (Kettenkuppel) qui, a Test de la grande
raosquee de Sakhra, s'appuie sur une double ligne de belles
et sveltes colonnes, et semble nne copie de sa celebre voi-
sine; descendons plutdt les deg.es de marbre du cdte du
sud, et passant pres d'un groupe de superbes cypres, ache-
minons-nous vers la mosquee d'El-Aksa. Son nom : « la plus
eloignee, ^ se rapportc a reloignement de la Mecque et de
Medine, et appartenait originairement a tout le ilaram-es-
Cherif.
Nous entrons non dans toiutes les^ mosquees reunies id en
un certain ensemble, mais seulement dans celle qui porte
specialementle nom d*Aksa, et dont la forme est celle d'une
basilique. Sa longueur, du nord au sud, est de 280 pieds,
sa largeur de 180. Copforipement k la division en une mfet
trois bas cdtes de chaque cdt6, son mur septentrional mar-
que par trois parvis compte sept portes. EUe est imposanle
par la richesse de ses colonnes et de ses pilastres de m^v\>v <^
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216 TKRRK-SAINTK
au-dessus desquels s'elfevenl de hnules voutes ogivales, sup-
portant le toil plat et enbois. La diversile des colonnes rend
vraisemblable la supposition qu'elles proviennent en partie
de baiiments plus anciens, et ont ete restaurees par Tart
des Sarrasins. A Textremite de la nef s'eleve, sur quatre
piliers, avec une voiite richement decoree, le dome qui,
entre plusieurs mihrabs, possedeunechairearlistement tra-
vaillee et une sorle d'autel de marbre bariole. Les vitraux
colories de la coupole laissent tomber sur le choeur une lu-
raiere douce et agreable.
On s'est dcmande, il y a quelques annees, si cet edifice
remonte a une eglise chretienne, a celle qui, selon Pro-
cope 1, a ete construite avec magnificence par Justinien
en rhonneur de la Mfere de Dieu , sur un emplacement
eminent, mais qu'on dut agrandir par des voutes destinees
a supporter les constructions. Cetle question a ete discutre
entre les deux savants auxquels on doit le plus pour In (o-
pographie de la Terre-Sainte.
En effet, lorsque Robinson se fut prononce pour riiflirma-
tive, Tobler soutint^nergiquement la negative. Sans que je
m'arroge le droit de decider ici, on me permettra de dire
. que je ne puis abandonner la premiere opinion. Baronius
releve le manque de clarte du recit d'ailleurs circonslancie
deProcope; cependant il faut tenir fermement aux points
de ressemblance, car la tradition chretienne du moyen age
a deja sa racine dans cette explication; de plus c'est avec
raison qu'Antonin de Plaisance (en 600 environ) met cette
6glise en rapport avec la basilique de Marie, et memo I'an-
1. Ilepl )CTiap.aT(t>v 'louanviav&y, V. 6.
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Jh'aUSALEM 217
cienne designation de * portiquede Salomon », — conservee
par les Jnifs pour le nneme balimenf, — sort a conflrmer ce
sentinient.
Lorsque nous eflnnes quitle TAksa et recouvre le droit de
porter nos chaussures franques, le scheik de la mosquee
nous engagea a descendre, a Test, dans une ouverture du
sol conduisanl aux celebres voutes souterraines qui soulien-
nent I'edifice. Nous fumes surpris de ces colossaux piliers
Carres en grandes pierres de taille, reeouverts d'arcs re-
mains. Naturellement cela ne nous initia pas plus aux mys-
leresdecetle construction grandiose qued^autres voyageurs
qui y penetrerent encore plus avant. Chose curieuse, on
repete toujours la vieille et mauvaise plaisanterie des ecu-
ries de Salomon. Comme ces voutes se prolongent sans doute
sous la mosquee d'Aksa, on pout y voir iin argument de
faitenfaveur de Tasserlion deProcope ausujet de la remar-
quable eglise de Justinien dont nous venons de parler ; en
revanche, si les constructeurs de Tempereur ont deja
Irouve ces travaux souterrains, evidemment etablis pour
egaliser la surface de la montagne, cette combinaison con-
Iredit le texte de Procope.
Le scheik nous fit encore remarquer dans le mur, n Tangle
sud, une niche designee comme le berceau de Jostis. On
ne peul pas reprocher aux musulmans de ne pas payer Icur
tribut au goilt fabuleiix des reliques qui caracterise les
Chretiens orientaux. On nous fit encore mettre le pied
dans la ported'Or muree. Puis nous quitlames ce lieu sacre
en jetant un coup d'oeil sur le mont des Oliviers qui regarde
amicalement par-dessus ses murs.
La rapidite de cette visite, la foule qui nous pressail, \(\
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218 TERRE-SAINTE
diversite et la nouveaute des objets, lout cela n etait guere
propre a 6veiller dans Vkxne les s^rieux souvenirs qui, de-
puis trois ou quatre milleans, se rattachent a ce lieu. Quelle
que soil la gloire qui, depuis Salomon, a entoure cette maison
de Dieu et rejailli sur le peuple 61u, plus grandes encore
sent les scenes de terreur et de desolation dont furent te-
raoins ces murs si souvent relev^s de leurs ruines, et le
temple m6me change en mare de sang. Et par quel les
transformalion$ passa le culte sur cette montagne depuis
qu'Abraham, sur Tordre du Seigneur, la choisit pourl'aulel
du sacrifice f Avant que des ddmes chr6tiens s'elevassent
sur sa cime, les mains de conqu6rants paiens avaient deja
construit un temple k Jupiter a Tendroit des cherubins re-
duils en poudre et sur les cendres des sacrificateurs. Le
dome Chretien fut bientdt remplac6 par la mosqu^e, et,
apres avoir ete pour un peu de temps supprimee par la
croix yictorieuse du moy^ age, eJle s'est conserv6e paisi-
blemenl depuis six siecles jusqu'a ce jour.
Nous n'avoiis pas le droit de dire avec les enfants d'Israel :
Helas ! Seigneur, jusques a qn^iid ? Nous ne Tavons plus, du
moins depuis la canonnade de Saint-Jean d'Acreet la guerre
de Crimee. Gependant, en disant adieu au Haram, je ne
pouvais reprimer cette pens6e : De quel 6clat brillera un
jour la croix chretienae i la place du croissant t
LE i8 MAI
A sept heures du matin, tegrand-Juc, la grande-dwhe^
et le prince Nicolas 6taient dej^ prfets a partir. II s'agissait
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JERUSALEM S19
(I'une des courses les plus attrayantes de Jerusalem, celle
de Bethlehem, Quel enfant ignore que c'est de celte petile
ville que s'est levee I'etoile de Jacob, la grande lumiere
venant 6clairer tons Ics peuples dans ronibre de la niorl I
Mais longtenops d^ja avant la naissance du Seigneur, Belli-
lehem etait riche en renomm^e; depuis longtemps elle
n'elait nullement la plus petite p9rn)i les princes de Juda ;
car elle avail donne au peuple d'Israel son heros et son roi,
son sage et son psalmiste, elle avail 6(e mille ans aupara-
vanl le lieu natal de David. Et naille ans plus Idt le palriarche
Jacob se rendait a Bethlehem ; alors, h « quelque petit es(»ajee
de pays » de cette localite, la belle Rachel enfanta a son
epoux son Benoni (flis de ma douleur), — pour lui, son
Beiijamin (flls de la droite ou de la joie), — et Jacob lui
eleva la meme un lOHibeau *. Ces sowvanips nous aecam-
pagnoient. N'y eflt-il la ni couvents ni 6gUses pwr diriger
redification, ces souvenirs sont assez gra,ads et assez eleyes
pour dresser aux yeux de la pi^te comme un d6me sacre
au-dessus des murs et des campagnes de Bethlehem
Nous sorlimes de la ville par la porte de Jaffa, que Ton
nonmie aussi porte de Bethlehem. De la valine de CnM^bon,
— ou nous examin&noes, pr^s ^e T.^apg (Jessi^he da SmI-
(an, les voutes inferieures encore existantes de Tancien
aqueduc de Salomon,^— nous arriv^mes, en passant pr^ du
mofit du Mauvais-Conseil,dan$ uae^raade plaine, £1-Bakah
(le champ), o£i Ton a voulu relrouver la plaine de M-
phaim *, rendue celebre par les combats de David centre
les Philistins. A travers la plaine d'El-$faki^« tou^rs fer^
1. Gendse, zxxv, 16 sq.
9. Conf. II Sam., v, 18 *^.
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220 TKRRK-SAINTK
tile ct ayaiiL a sun entree des jardins el des raaisonsde cam-
pagne modernes, notre chemin conduit au monasUre d'Slie,
qui, du haut de sa colline, a cinquante pas a peine a Test de
la route, nous sourit avecses liautes murailles blanches. La
fondation de ce couvent remonte a une grande antiquite clire-
tienne, bien qu'il soitposterieurausiecIed'Helcne;toutefois
Toriginede son nom demeure obscure. La tradition leratta-
che sans scrupule au prophete lillie, comme on pent le prou-
ver depuis le temps des Croisades; plus tard elle y relia
m6me toute sorle de souvenirs personnels de la vie du pro-
phete. D'autre part, on montrait encore il y a deux cents
anSjdansTeglisedu couvent, la tombed'un mctropolitainde
Bethlehem, nomme filie, fondateur du fnonastere. Ainsi le
rapport avec le prophete ne parait pas primitif, a moins
que le fondateur n'ait consacre le couvent a celui dont il
portait lui-meme le nom. De belles plantations d'oliviers
ornent les environs.
Nous perdons bienlot Jerusalem dc vue. Le chemin s'en-
fonce et dcvient pierreux et desole jusqu'a ce que nous ap-
[)rochions du but; nous rencontrons alors de nouveaux
bouquets d'arbres. lis commencent deja au tomheau de Ra-
chely a un quart d'heure de Bethlehem, a notre droite. Cost
un petit monument en maQonnerie blanche , avec une
coupole; depuis 1841, a Tinstigation de Moise Monte-
fiore, il a ete encore agrandi par la construction d'un ves-
tibule de la m6me hauteur a peu pres et passablement
etendu. Dans Tinterieur du sepulcre est un sarcophage
compose de plusieurs grosses pierres*. Aussi peu ce tom-
i. Voir Schwarz, Doi Heilige Land, p. 81, 1852. II rapporle aussi (ju'on de
couvrit, il y a environ 40 ans, a une peiite dislance du monument, une grott
extraordinairement profonde.
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JliRUSALEiM in
beau remonle a une antiquite reculee, autant toutefois sa
position correspond a celle du monument elevc par Jacob.
Et comme la distance indiqueedans VOnomastikon au jv^sie-
cle, — cinq milles de Jerusalem, un mille de Bethlehem,
— Concorde parfaitement, cette localite doit avoir ete tixee
tres-tot par un monument, si meme I'edifice primitif a tra-
verse maintes transformations dans ie cours de milliers
d'annees. Au reste celui d'aujourd'hui, que les juifs el
les mahometans v^nerent en commun, appartient de
nouveau, depuis vingt a trente ans, aux juifs, qui n'ont
eu besoin d'aucuh document pour legitimer leurs pre-
tentions a cet heritage; du moins ils ont re^u une clef de
la grille. Les pierres tumulaires turques a Tentour du se-
pulcre temoignent de la veneration particuliere des rau-
sulmans.
Lorsque nous descendimes la derniere colline avant la
charmante petite ville, le grand-due, qui avait mis pied a
Icrre et donnait le br^s a la princesse, senlit se presser
dans son esprit les souvenirs de son enfance; il se rejouis-
sait du fond du coeur de voir desespropres yeux ce Beth-
lehem qui dans Theureuse et solennelle nuit de Noel avait
sou vent flotle devant son ame. L'aspect de ce bourg ne
pent manquer de produire un effet semblable sur quiconque
a derriere soi une enfance pieusement passee. G'est comme
si au milieu de I'annee leg cloches de Noel retentissaient
soudain, faisant revivre — avec Tannonce du grand mys-
tere de la fete eternellement nouvelle de I'lmmanite ra-
clietee — le souvenir de tant d'heures benies, cheres a
notre coeur.
Precisement, quand on arrive de Jerusalem, Bethlehem
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i}2 TKRRR-SAINTE
se pr^seiilebien, quoiqu'on en ait une plus belle vue encore
en venant d' Hebron. Le voili devant nous sur ses deux col-
lines, relives par un col de peu d'^tendue — Tune a Test,
Taulre a Touest. — La premifere incline vers le nordd'ou nous
venons nous-mfemes. De ce c6te, d^s bois d'oliviers et de
figuiers ferment le premier plan, derriere lequel on voit la
petite ville oonstruite en pierres calcaires grises san^ toils
en coupole. A Test et au sud, nous sommes salues de loin
par des montagnes desertes et nues. La colline orientale
porte a son extremity nord les b&timents du couvent avec
la grande eglise en forme de croix. Tandis que la ville elle-
mSme n'a plus de murailles, ces b^timents forment vis-a-
vis d'elle, a Test et a louest, une sorte d'ensemble fortifie.
Leur plus belle apparence est ducdte nord,oule cloitre latin
domine le penchant de la montagne de ses contreboutants
massifs et en terrasses; au-dessous est une fertile vallee.
Quand la caravane du grand-due approcha du monast^re,
elle fut accueillie par le son solennel des cloclies. Bientot le
palriarche de Jerusalem et Teveque russe Cyrille, suivis de
leur clerg6, apparurent pour recevoir les illustres pelerins.
Apres les avoir tout de suite introduits dans Teglise, ils y
celebrerent la messe devant le grand autel qui appartient
aux Grecs. Pendant cette solennite, trop fatigante imme-
diatement aprfes une chevauchee matinale de deux heures,
le grand-due se trouva tout a coiip indispos6; heureusement
cela ne dura pas.
Le grand autel que nous venons de nommer est dans
le choeur de la basilique ; de toute Teglise, on ne se sert
depuis longtemps pour le service divin que de ce choeur,
et de la pierre baptismale de marbre rouge qui se
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JfiRUSALKM 2^3
trouve dans la nef. La nef abandonnee est vasle et d'une
construction grandiose ; du choeur, qu'une nouvelle paroi se-
pare, elle mesure 170piedsjusqu'au vestibule; sa largeur est
a peu prfes aussi considerable. De chaque e6t6 elle a deux
rangs de colonnes de marbre diapre, hautes de ISpieds, avec
des chapiteaux corinthiens. Chacune des quatre rangeesest
form^e par douze de ces colonnes ; cellps^ci portent un
ctage superieur dont les parois inferieures nouvellement
nettoy^es laissent voir des traces nornbreuses de peintures
et inscriptions antiques et belles — 'gi'ecques surtoul. Au-
dessus, chacun des longs cdtes, nord et sud, possede dix
grandes fenfitres cintrees. Sur les parois dcces fenStreson
voit maintenant reparaitre Tancienne mosaique dor. Le
plafond forme d'un poulrage de bois, probablement de cy-
pres, n'est pas laid, malgre sa simplicite. Le toit 6galement
en bois est reconvert de plomb.
De la nef rentrons dans le chceur tourne vers le levant.
Lc grand autel grcc qui est au milieu fait de cette portion
du batiment une catli6drale grecque de dimensions res-
Ireintes, mais tres-orn6e. Les deux choeurs Iat6raux parais-
sent hors d' usage; de celui du sud, ou s'6l6ve un autel de
la Circoncision, un escalier mene au convent grec; celui du
nord avec un autel des trois Rois a une porte sur Teglise
latine de Sainte-Gatherine ; celle-ci touche par son cdt6
scplentrional au convent latin dont le cloitre (Kreuzgang)
seul la separe a Touest.
Deux escaliers de marbre — Tun au sud> de treize mar^
ches, I'autre de seize au nord — conduisent du choeur cen-
tral aux fameux sanctuaires de Bethlehem : Id grotte de la
Nalivite et les salles souteriaines qui y sont annexees. On
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.221 TKRUE-SAINTK
descend d'abord, par Tun ou Tautredes escaliers, dans la
chapelle de la Nativite', qui occupe au-dessous du choeur une
position assez eentrale. Elle a 38 pieds de long de I'est a
I'ouest, 12 pieds de large et 9 de haul. Son sol est convert
de dalles de marbre blanc veine, ses parois sonl de nieme
masquees par du marbre et des etolTes de soie. De grandes
lampes suspendues an plafond eclairent cette enceinte. Au
milieu de Pespace qui separe les deux escaliers au c6te est
de la chapelle, nous nous trouvons devant une niche haute
de 8 pieds, large de 4, avec un autel arrondi par le bas.
Au-dessous de cet autel, une plaque de marbre porte un
resplendissant soleil d'argent et de jaspe, avec quatorzc
rayons, et cette inscription tout aulour : Hie de virgme
Maria Jesus Christus naius est, A quelques pas seulemenl
plus au sud, une colonnede marbre isolee supporte la voule
el forme Tangle nord de la chapelle de la Creche. Gelle-ci,
carree et siluee plus bas, contient une creche en marbre,
longue de 3 pieds, large d'un pied, profonde d'un demi-
pied. Au sud-ouest, du cote oppose a la chapelle de la
Cr^ehe — devant laqucUe brulent trois grands candelabres
evidemmentsymboliques — estun autel dedie a TAdoration
des Mages. Des peintures a I'huile, se rapportant aux faits
de riiistoire sainle dont ces chapelles consacrent le souve-
nir, decorent les murailles.
Les autres pieces souterraines sont situees au nord du
centre. Nous penelrons d'abord — en sortant de la chapelle
de la Nativile, par un corridor taille dans le roc, a I'occi-
dent — dans la chapelle de Joseph asec un autel i Test, puis
dans la chapelle des Innocents avec un autel du meme c6te,
en face d'une colonne qui souticnt la voule. Sous cet autel,
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JERUSALEM 225
une porte basse et grillee permet de jeter un coup d'oeil
dansunecaverne naturelle, de 12 pieds d'etendue, que Ton
donne pour la sepulture des enfanls mis a mort par H6rode.
Ces deux ehapelles, siluees Tune derriere Tautre, peuvent
elre considerees comme constituant un lout; tandis que les
autres, qui suivent la chapelle des Innocents, correspondent
les unes avec les autres et forment une aile occidentale, a
laquelle, du c6te du nord, une allee, parlant de T^glise latine
de Sainte-Catherine, conduit directement. Nous y rencon-
Irons d'abord un modeste autel, dedi^ a Eusebe de Gremone;
d'apres une tradition tardive, le saint serait enterre au-
dessous. Plus a Touest, deux chambres creusees dans le roc
sont surtout consacrees a la memoire de saint Jerdme, le
celebre exegete et critique du iv^ siecle. On designe celle
du nord comme son studoriiim, la cellule ouiletudiait; celle
du sud comme son sepulcre. Vis-a-vis de I'autel du Sepul-
cre (a Test), se trouve un monument semblable, considere
comme la lombe de ces nobles Romaines, mere et fille, qui
furent en relation avec le grand docteur de Stridon, quit-
terent en consequence les pompes et le luxe des palais, afm
de vivre dans une cellule de Bethlehem pour Tetude se-
rieuse de la sainte ficriture, les exercices de la piete, le
service de TEglise, les souvenirs de la Terre-Sainte, et de
mourir dans le Seigneur.
Des peintures a Thuile, executees sur le rocher, animent
ces grotteset illustrent I'histoire que la tradition leur attri-
bue; relevons comme particulierement bien reussie la
representation des deux femmes, dont leur saint ami et
leur maitre fameuxa rendu la memoire imperissable; on les
voit glorifi6es et entourees d'anges.
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22J TERRE-SAINTK
En revenant de ces chapelles — extremity ribrd-ouest
des dependences de celle de la Nativite — nous monlons
par vingllrois marches a I'^glise laline de Sainte-Catkerinej
longue do 100 pieds (de Test a Touest) et large de 20, qui,
outre d'excellentes peinlures, se distingue aussi par un
orgue.
Nous avons essaye d'indiquer tous les endroits sacres
qui attirent k Bethl6hem Tattention du pelerin chr^tien,
api'es qu'ila mis le pied dans un des trois convents — grec,
armenien ou latin — etroilement unis a la basilique.
Comme le couple grand-ducal, d'innombrables pelerins,
grands ou petits selon le monde, savants ou ignorants, ont,
pendant les deux milliers d'ann6es de notre fere, visits avec
emotion ces lieux auxquels se rattache directement le plus
grand eveneniient de I'histoire : Tincarnation du Fils de Dieu
dans riiumanite. Le sentiment de cette communion avec
tant de milliers de chr6tiens suffira a bien des personnes
pour augmenter leur devotion, par la conviction que ces
localites ont re^u des fails eux-memes leur ineffacable
consecration. N'en avons-nous pas, d'ailleurs, une garantie
suflisanledansle nom de Jerome, cedefenseur infatigable de
la verite,ce savant sagace qui, il yapresdequinzecentsans,
iipres toutes les experiences de sa vie agitee, ne connaissait
|)as de plus grand bonheur que de prier et de travailler en
vue du lieu de naissance de son Sauveur? II fit egalement
creuser son tombeau dans le rocher, tout pres de cette
place, pour ne pas s'en 6Ioigner a sa mort plus que pen-
dant les t rente dernieres annces de sa vie. En effet ces
localiles n'ont point a redouter le regard de la science.
On le sait, le nouveau soleil qui, avec la conversion de
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JERUSALEM 227
Constanlin, se leva sur TOrient, illumina de ses rayons,
d'une faQon toute particuliere, les souvenirs de la vie du
Seigneur conserves par la Terre^Sainle. Le lieu de nais-
sance a Bethlehem et la place de FAscension sur le mont
des Oliviers, tous deux formant deja le but des plus z6les
pelerinages, furent consacres, des 326 environ, par une
eglise que conslruisit la pieuse mere de Tempereur ; Cons-
lantin lui-meme fit executer, bienlot apres, les superbes
edifices du Golgotha et du Sainl-Sepulcre, et ajouta des
embellissemenls aux creations de sa mere, morte sur ces
entrefaites *, dans un age avance. Mais si nous reclier-
chons les plus anciennes preuves de I'authenticite du lieu
venere a Bethlehem, la tradition nous fait remonter beau-
coup plus haut que le siecle d'Helene; car ses premiers
representants sont Justin Martyr et I'auteur du Protevangile,
tous deux au milieu du u® siecle. Justin mentionne la « ca-
verne de la naissance pres du hameau de Bethlehem, »
tandis que le Protevangile donne une description detaillee
de ce qui s'esl passe dans la grotte ; iis laissent ainsi d'au-
tant moins de doute qu'on avait alors en vue une localit6
determin6e, saint Luc n'ayant pas parle d'une caverne
dans son evangile. Au temoignage de Justin succede celui
d'Origene. Selon Origene, non-seulement on montrait de
son temps a Bethlehem la caverne de la naissance avec la
creche, mais encore la renommee en etait repandue, meme
parmi les habitants non Chretiens de la contree. Or, comme
de Justin a Origene on ne pent admettre aucune variation
de la tradition quant a la localite, il est egalement certain
i. Ainsi le rapporte un temoin oculaire, Eus6be, dans sa biographic de
Constanlin, iii, 42, 43; comparer aussi ce qui precede, en particulier in, 41.
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218 TERRE-SAINTE
qu'un sifecle apres Origfene Helene glorifia bien la meme
place que Ton connaissait et venerait du temps de celui-ci.
II ressort done de louV cela le fait extraordinaire que le
lieu nalal du Seigneur a Bethlehem est indique deja dans
la premiere moilie du u^ siecle. Mais il nous reste encore
a savoir si la grotte de la Nativite du ii* siecle se concilie
avecrevangilede saint Luc, compose environ soixante ou
soixanle-dixansavantlaPremiereApologiede Justin (139). II
y est dit seulement (Luc, ii, 7) que, faule de place dansl'ho-
tellerie de Bethlehem, Marie deposa dans une creche sonfils
premier-ne. Bien que Lucneparlepas d'une grotte, et qu'il
cutpu nommer la grotte aussi bien que Tetable, nous n'avons
pourtant nullementle droit d'exclurela premiere au profit
de la seconde; car des grottes dans les rochers pouvaient
scrvir assez souvent d'etablcs en Palestine, comme c'est
encore le cas aujourd'hui. Justin reunit deja la creche et la
caverne, sans ajouter une syllabe d'explication *.
L'evangeliste n'a pas ecrit davantage le mot d'ctable,
mais son lexte fait voir qu'il s'agit de I'etable de I'hotellerie.
L*indication du fait que le nouveau-ne dut etre mis dans la
creche sufflt a Luc pour designer parfaitement la situation.
Joignez a cela la coincidence de la creche et des bergers aux
champs. Au surplus, ce qui a certainement contribue a faire
attacher de I'importance a la caverne, c'est la prophetic
1. Le Prot4vangile apocryphe, au contraire, neglige compl^lement la cr6che,
et rapporte toule ceUe sc6ne beaucoup pins libremenl. C'est dans les extraits
latins post^rieurs de cet e^crit qu'apparaissent pour la premiere fois • le boeuf
et I'Ane » en adoration devanl le divin enfant. Conf. suTiout Pseudo-Malthwus,
c. XIV (dans mes Evang. apocr ), ou. du rcste, probablement d'apr^s la con-
ception occidentale, la grotte et i'etable sont separees. Marie ne quilta la grotte
pour CLtrer dans Tetable que le troisiiiiae jour npres ses couches.
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JERUSALEM 229
d'Esaie (xxxiii, 16), traduite ainsi par lesSeptante : (c Ilhabi-
tera dans une haute caverne de rochers. » Justin fait deja
ce rapprochement explicite.
Jetons niaintenant un rapide coup d'oeil sur Thistoire de
la grotle de la Nativite, depuis I'epoque d'Helene. Selon
toute apparence, sa premiere construction a laisse long-
temps des traces. Sur Tordre de Justinien, elle auraitete,
au bout de deux cents ans, detruite et remplacee par un edi-
tice encoreplus brillant, aencroirelcsannalesarabesd'Euty-
chius, qui datent de quatre cents ans apres Justinien. Tou-
tefois celte assertion, accompagnee de details etranges,
meritc peudeconfiance.Procope, dans son ouvrage sur les
batiments elevesparson imperial protecteur, parlelongue-
ment des eglises et des monasteres construits partout aux
frais de celui-ci en Palestine; au sujet de Bethlehem m6me,
ilrapporte que Tempereur en a releve la muraille, ainsi que
le convent de Fabbe Jean : mais il n'a pas dit un mot d'une
oglise batie au lieu de la naissance. Et pourtant, cette der-
niere eut da etre mentionnee avant tout autre edifice, puis-
qu'elle n'a ete possible que par le sacrifice d'un monument
respecte de la munificence du premier empereur chretien
et de sa mere. Quant a la question de savoir si Ton doit
admettre, sur la foi des annalcs d'Eulychius, que Justiiiien
fit au moins restaurer et embellir Teglise du iv*" siecle, je
n'ose pas la trancher.
Jusqu'au vii^ siecle nous ne trouvons aucun nom parti-
culier donn6 a Teglise de Bethlehem , ni par Eusebe ni
par Socrate ou Sozomene; mais dans la seconde moitie de
ce siecle, nous apprenons par Tevfeque Arcoulf qu'elle
portaitle nom de Marie. A c6te de cette designation, sou-
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230 TERBE-SAINTE
vent rep6tee plus lard, nous la voyons porter aussi le nom
de Nolre-Daine ou de la Mere de Dieu; on I'appelle meme :
eglise de la Creche.
Au temps de la domination franque, elle fut I'objet d'une
distinction remarquable : le jour de Noel de I'an 1101,
Baldouin F fut couronn6 dans ses murs. Dans le mfeme
siecle, en 1169, la main ginereuse de I'empereur Emma-
nuel Comnene s'occupa, selon le moine grec Phocas, de
r6"lise de Bethlehem. En remarquant que I'empereur orna
tout le temple d'une mosaique d'or, et que les latins y pla-
cerent par reconnaissance plusieurs images de I'empereur,
cetauteur fait suffisamment voir que cette « re6dification »
de I'eglise n'est point une construction nouvelle, qui, du reste,
soixante-huitansapresle couronnementde Baldouin etdans
des circonstanees paisibles, ne semble nullement motiv6e.
Jusqu'a quel point I'eglise de Bethlehem a-t-elle souffert
lors de la reprise de la Terre-Sainte par les Sarrasins ? C'est
cc qu'il est difficile de determiner d'apres la notice du Chro-
nikon d'Olhon de Saint-Blaise. Gependant les inscriptions
laissees par les pelerins aux xiv« et xv« siecles t6moignent
centre I'idee d'une destruction , tout en contenant des
plaintes sur des plaques de marbre enlevees et d'autres de-
predations qu'aurait subies le venerable monument. En re •
vanche, il est parle d'une imporlante reparation entreprise
a la fin du xv« siecle, et pour laquelle il fallul I'autorisalion
du Grand Seigneur. II s'agissait surlout de refaire complete-
ment le toit qui tombait en ruines; Philippe, due de Bour-
gogne, envoya pour cela le bois, et Edouard IV, roi d'An-
gleterre, le plomb» tandis que des ouvriers venitiens ex6cu-
terentle travail.
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JI^.RUSALEM 231
Pres de deux siecles plus tard il s'eleVa de nouvelles
plaintes sur des violences qui avaient endommag^ le bail-
ment, principalement la toiture ; par malheur la faute en re-
tombait en grande parlie sur les moines, qui avaient par
exemple livre aux Turcs, lors de la guerre centre Candie (de-
puis 1645), les plaques de plorab du toit pour en fondre des
balles. Le mal fut repare cetle fois aux frais des grecs, el la
consecration du temple restaure fiit celebree egalement par
le patriarche Dositheus, en 1672, lorsqiie le synode oiHho-
doxe siegea a Jerusalem centre Cyrille-Lucar, Tanii des
dogmes calvinistes.
La reparation la plus recente eut lieu en 1842, en suite
d'un firman, et on la doit encore a Tinitiative des grecs.
Aussi tout le sanctuaire est-il depuis longtemps beaucoup
plus entre les mains des grecs qu'entre celles des latins,
dont les armeniens sent moins rapproch^s que de^ grecs.
On ne Tignore pas, Teglise de Bethlehem etait itttimemefit
mfelee aux questions litigieuses qui furent debaltues entre
la Russie et la Sublime-Porte avant qu*eclatat la gueri*e de
Grimee. Le document eman6 du sultan, a la date du 5 mai
1853, pronon^a au fond en favour des pretentions russes,
en d^cidant entre autres que la clef donn^e peu auparavaht
aux latins impliquait simplement un droit de passage et
non un droit de propri^te. Relativement a la grolte de la
naissance, on devait en rester strictement sur le pied du
passe, ce qui concordait egalement avec les pretentions des
Russes. Aujourd'hui encore les grecs sont avec \es artii^-
niens les maitres de la grotte, tandis que les latins ne pos-
sedent que la chapelle de la Crfeche a quetqu^s fWS de !a.
A la decision que nous venous de rappeler le firman joint
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232 TEHRE-SAINTE
la mention de Tetoile sous I'autel de la cpverne de la Nali-
vite. 11 y est dit qu'ellea ele faile sur le modele de celle dis-
parue subitement en 1847, et que le padischah Ta donnee a
la nation chretienne comme un souvenir solennel, sans que
par la la position respective des confessions en ait ele chan-
gee en quoi que ce soit. Mais naturellement, au sujet de ces
lieux saints comme sur d'autres points, la question orien-
tale n'est pas encore resolue, la chretiente europeenne
ayant depuis des siecles, a Tegard de leur possession, des
rapports tres-compliques avec la Turquie ; la paix n'y regno
done pas plus qu'auparavant entre les latins et les grecs.
Les frottements personnels et journaliers des deux partis
font eclater sans cesse des divisions penibles. Quant au
gouvernement turc, si on veut le regarder comme ayant
des droits dans TOrient chretien, il est evidemment le
moins coupable; il a montr6 recemment* encore combien il
desire la paix, en autorisant et favorisant les constructions
russes a Jerusalem. Cette bienveillance merite d'autant plus
d'etre relevee que ces constructions formaient un des points
principaux (art. 5) dans le projet de traite de Menschikoff;
on se rappelle que les scrupules touchant sa signature
amenferent le depart des envoyes imperiaux et Touverlure
des hostilites. Mais le droit historique a subi trop de trans-
formations essentielles depuis quinze cents ans, pour pou-
voir placer entre de grandes puissances europeennes une
lettre decisive et obligatoire. Au milieu de ces conflits il
n'y a que ceci de clair : Tinfatigable hostilite des Chretiens,
pr6cis6ment a Pendroit ou se rattachent les souvenirs les
plus sacr6s de la chretiente, donne aux musulmans la plus
i. Geci ^tait ^crit en 1862.
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JERUSALEM 233
triste impression du d^chirement de TEurope chretienne.
L'illuslre voyageuse que j'avais riionneur d'accompagner
s'etait completement faite a Fidee que Jerusalem doit deve-
nir une ville federale pour toute la chrelienle. Mais com-
bien, dans son etat actuel, la eile sainte est encore loin
d'un tel ideal, d'un tel patriolisme.evangelique*^!
Je termine cette digression. Elle ne se legitimait pas
ici, en ce sens que la visite du grand-due en Terre-Sainle
avait deja bien loin derriere elle les sons de la trompette
guerriere, et que, partout ou il porlait ses pas, il ne ren-
contrail que des salutations pacifiques.
Mais il nous reste encore a dire si la grotle de la Nativity
a reellement I'air autlienlique. Nous avons deja consi-
dere jusqu'a quel point elle s'accorde avec les expressions
normalives de I'Ecriture, ainsi que la haute anliquite de la
tradition. On se demande seulement si la localite s'est fide-
lement conservee depuis le ii^ siecle. Des i echerches recentes
ont fait douter que nous ayons encore devant les yeux une
grolte naturelle; d'autre part on a afGrme que du temps
i. Je ne puis ici quft r^peter ce que j'ai dit dans mon Voyage en Orient, II,
142 : « Cela me parait hors de doute, il faudrait aujourd'hui moins de plumes
qu'il n'a fallu jaJis d'epees pour obtenir ce que voulaient les Croises. Mais a
qui Jerusalem doil-elle echeoir en partage? Telle est la question delicate. Ce
qui est le pis peut-^tre, c'est que la jalousie parliculiere prevaut >ut la sainte
cause de IVnsemble. Voici ce qui est clair: Jerusalem doit^tre chreiienne. Et
maintenant, pour dviter toutes les querelles de familie au sujet de cet heri-
tage coramun, il faudrait declarer Jerusalem ville federale des chreliens et ville
libre sous la protection des puissances chr^tiennes. Ce serait une oeuvre digne
de noire si^cle; ce serait un grand pas do fait vers cette union des coeurs dont
on a tant parle. Quel avenir pourrait en rdsulter pour toute rEglise! La triste
(^troilesse des confessions chretiennes en Orient disparaltrait aux rayons de la
nouvelle vie que repandraient les troupes enthousiastes des p61erins euro-
peens. A Jerusalem le ihristianismo recouvrerait son unite; les peuples s'as-
sembleraient la comme des troupeaux jusqu'alors disperses; il y relenlirait
r^vangile d'une universelle paix de r^glise. »
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234 TKRKE-SAINTE
d'lbrahim-Pacha le rocher a ete d^couverl . En tous cas il est
h regreller qu'au respect pour la saintete du lieu ne se soil
pas joint le desir de conserver la simplicite naturelle
qui en constitue la vraie beaute. Comme, au conlraire,
des Torigine on s'est plu a embellir cette grotte par
des travaux et de somplueux ornements, son etat primitif
peut avoir ele modifle de bonne heure par un faux zele ; les
recits du vii® siecle qui parlent d'une demi-caverne, ceux du
viii® qui parlent d*une maison carree dans le rocher, con-
flrment cette supposition. Neanmoins nous n'avons pas de
raison de douter de Tidentite essentiellc de notre grotle
et de celle qui a ete veneree des le commencement par de
pieux pfelerins, bien que les divers lieux sacres qui s'y rat-
tachent paraissent avoir ete places librement* et qu'en
particulier certains souvenirs secondaires, comme ceux do
saint Jerdme Iui-m6me, ne presenlent pas une pleine certi-
tude historique.
Pres de Bethlehem remarquons le champ des Bergers ou
le grand-due se rendit apres midi. II se irouve a environ
vingt minutes a I'est au-dessous des murs du monastere, et
est entoure d'une double muraille; sa plus belle parure
consiste en oliviers. Le mur interieur environne la grotte
soulerraine des Bergers, longue de 30 pieds et large de 20,
a laquelle on descend par vingt et une marches. La chapelle
qui s'y trouve a probablement possede autrefois de plus
riches ernements que de mauvaises images sur bois. Notre
guide grec nous rendit attentifs a des restes de mosaiqut
sur le sol ; mais ils etaient tellement endommages qu'on se
rendait a peine compte de ce que c'etait.
Ce champ des Bergers I'^'a pas ete comme d'aiitres
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JERUSALEM 235
lieux sacres detourne par les pompes de Tart ou du culte
du souvenir auquel il est dedie. Combien de pieux pele-
rins auront eleve ici avec emotion leurs yeux au ciel, vers
cet endroit d'ou, dans une nuit benie, les voix angeliques
firent entendre pour la premiere fois a la lerre ce Gloria in
excelsis que depuis lors des millions de croyants ont con-
serve dans leur coeur, et qui, de siecle en si^cle, a chaque
fete de Noel, remonte de la terre aux cieux comme le plus
bel hymne de louange de I'humanite rachet6e I
Nous ne visilSmes pas la grotte du Laitou de la Madone,
situee a une centaine de pas de Textremite orientale du
bourg. C'est une caverne glaiseuse, grise et humide, dans
la pierre calcaire; elle degoulte de • lait de la lune » ou
€ de la montagne » dont la vertu miraculeuse, rattachee au
nomde Marie, a acquis unegrande renommee. Cette grotte
est organisee pour le culte.
Mais nous ne devons pas negliger la ville elle-m6me. Elle
a, on le sait, echange avec le temps son ancien nom de
Bethlehem, maison du pain (Brothausen), conlre celui de
Bethlahem, mai^oM de la chair (Fleischhausen). Quelle signi-
fication ces deux noms ont acquisel Le Fils de Dieu, qui dit
de lui-meme : Je suis lepain de vie, — celui dont il est ecrit :
Et la parole a 4te faite chair et elle a habitSparmi nouSy — est
ne dans cette petite ville. Mais abstraction faite de cette
interpretation chretienne et gnostique, le bien-etre indi-
que par ces deux noms n'a pas tout k fait disparu de cet
endroit, bien qu'a diverses reprises la tranquillize y ait ele
troublee. En effet, la guerre a eclate bien des fois sur
Bethlehem, le plus gravement en 1099 et en 1489, et les
Bethiehemites eux-memes montrerent leurs dispositions
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236 TERRK-SAIMK
belliqueuses non-seulement contre leurs voisins d*Hebron,
mais encore par de sanglantes rixes dans Tenceinte de leurs
propres murailles. La population chrelienne y predominait
pourtant depuis plusieurs siecles. Tandis qu'anciennement
elle consislait surtout en chreliens orientaux, syriens et
armeniens, les latins et les grecs forment aujourd'hui la
majorite: ils comptent ensemble plus de 2,500 ames, a
cote de 200 armeniens. En revanche le nombre des musul-
mans, completement chasses sous Ibrahim-Pacha, est
estime actuellement a 300. II n'y a plus de murailles d'en-
ceinte avec des portes, comme il en existait deja du temps
de Ruth, Taieule de David — car Booz se rendit a la porie
et y conclut son mariage devant les anciensde la cite. Les
Bethleh^mites, gensd'une race robuste, sont d'autant plus
autorises a porter constammcnt des armes pour la defense
de leur ville contre les Bedouins du desert qui n'est pas
eloigne. Cependant les travaux et les arts de la paix sont
florissants au milieu d'eux. Outre de nombreux metiers, ils
s'occupent des champs, de la vigne, des troupeaux et des
abeilles. A cote des maisons, une quantite de cabanes ser-
vent a cuire lepain. On compl6terait aujourd'hui facilement
les provisions que le jeune David porta a ses freres au camp
ou il accepts le combat contre le geant philistin : des epis
rdtis, dix pains et dix fromages, ces derniers pour le capi-
taine *. On cultivait deja alors les raisins : nous le voyons
par les presents avec lesquels le mfeme jeune homrne fut
envoye au roi Saiil en qualite de joueur de harpe 2. Rele-
vons encore un trait de Tactivite des Bethlehemites. Cast
1. I. Sam., XVII, 17 sq^
2. 1. Sam., XVI, 20.
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jfiRUSALKM 237
(le leurs mains que sortent la plupart de ces jolis souvenirs
que depuis des siecles les pelerins rapportent de Jerusalem
dans leur patrie : coquilles de nacre ornees de sujets bibli-
ques, chapelels, croix, ouvrages de loute sorle en nacre,
en corail, en asphalte ou en bois d'olivier, etc.
Dans les dernieres heures de Fapres-midi, un Te Deum
russe, celebre dans la grolle de la Nativite, solennisa le de-
part du grand-due et de la grande-ducliesse de I'eglise de-
diee a Marie et de Bethlehem. Apres avoir ete salues a leur
passage par les cloches du couvent d'Elie et s'etre arrfites
quelques minutes dans ses murs, ils rentrerent a Jerusalem
comme la nuit etait deja tombee.
LE 19 MAI
A dix heures, le palriarche, assiste de six eveques et de
douze prelres, dit une mcsso solennelle dans I'eglise de ia
Resurrection. II y joignit une messe pour Tame de feu Tem-
pereur Nicolas. L'Eglise grecque celebre ce jour-la le sou-
venir de la croix qui apparut dans le ciel a Constantin le
Grand, premier empereur chretien. L'eveque Gyrille, dont le
nom rappelle cet autre Gyrille, eveque de Jerusalem du
temps de Constantin, y trouva une occasion naturelle
d'adresser une benediction particuliere au grand-due Gons-
tantin de Russie. Le prince de son cote reunit le soir au
patriarcat ces hauts dignitaires, y compris le patriarche
armenien.
Mais auparavant il visita encore Bethanie. Assise sur une
extremite inferieure de la mor)tagne des Oiiviers, elle est a
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JI38 TERRE-SAIKTE
un quart d'heure du sommet et a une demi - heure de la
muraille orientale de la ville. Le grand ev6nement auquel
a assisle ce pelit village, et qui lui a assigneune place dans
riiistoire du Redempteur, domioe tout son passe ; il lui a
donn6 non-seulement un nouveau nom il y a plus de mille
ans, mais encore une imperissable consecration. Cette con-
secration a traverse les ages, bien que les 6glises et les
couvents eleves et ornes par la devotion chrelienne soient
depuis longtemps disparus ou tombes en ruine. Trois
objets altirent principalement Tattenlion des voyageurs
dans la patrie de ce Lazare (de la le nom de Lazarium,
El'Asariyeh) que Jesus ressuscita. Sur une hauteur rocheuse
au sud-ouest du village s'eleveiit de hautes ruines de murail-
les ; leurs grosses pierres de taille, longues de 5 a 6 pieds,
indiquent une antiquite reculee, et appartenaient probable-
ment au bMiment achete en H38 par la reine franque
Melesendis pour la fondation de son monastere. Ayant ete
considerees alors comme le chateau de la famille de Lazare,
elles en ont conserve le nom.
Avant d'aller voir le sepulcre de Lazare, nous avons a
mentionner a Test du village, a une cenlaine de pas du
tombeau, la pierre oil la tradition place la rencontre du
Sauveur avec Marthe et leur entretien (Jean, ii, 20 sq,).
Cetle pierre a aussi son histoire; on la montre depuis les
Croisades.
Le sepulcre enfm se trouve a I'ouest du village. 11 a une
ouverture carree du cote du nord. On descend par vingt-six
marches dans une piece voiitee , assez elevee , pratiquee
dans le roc; une imperceptible saillie de la muraille y sert
d'autel. De la deux degres tres-malcomraodes par leur hau-
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JERUSALEM 239
leur conduisent encore plus bas, dans une aulre chambre
plus petite, qui mesure environ 7 pieds de chaque c6te.
C'est la,' dit-on, que le cadavre de Lazare avait ete enseveli.
Chretiens et mahometans reverent a I'envi cette place. Telle
qu'elle existe maintenant, elle est loin de faire Timpression
du tombeau primitif de Lazare; le recit de saint Jean con-
tredit manifestement son authenticite *. Gependant il ne
faut pas oublier que Tentree actuelle avec I'escalier n'a ete
etablie qu'au milieu du xvi® siecle, et qu'auparavant il y en
avait une autre a Test. Une 6glise changee en mosquee depuis
H87 renfermait le tombeau avec une chapelle souterraine.
Cette eglise-mosquee touche encore aujourd'hui la caverne.
Les possesseurs musulmans devenant toujours moins dis-
poses a permeltre aux Chretiens d'y entrer, Touverture ac-
tuelle fut pratiquee comme pis-aller. A quel point la grotte
actuelle a-t-elle ete jadis en rapport avec I'eglise, c'est ce
qu'on n'a pas encore examine avec soin. Elle presente dans
sa partie inferieure plus de magonnerie que de rocher; il
est vrai que le roc pent etre reconvert par la magonnerie;
ce n'est qu'apres de serieuses recherches qu'on saura si le
tombeau de Lazare, deja mentionne par le Pelerin de Bor-
deaux, est tout a fait identique avec celui qu'on voit au-
jourd'hui. Tel qu'il etait alors, il se pent qu'il repondit
mieux aux r^cits bibliques.
Tout le village, avec lesnombreuxarbres — ce sont surtout
des oliviers, des figuiers , des muriers — qui ombragent ses
1. Jean, II, 38 «g. : « Jesus vint au sepulcre. C'etait une grotle ct on
avait mis uno pierre dessus. Jesus die : Otez la pierre. Martha lui dit : Sei •
j^neur, il sent deja Us dt^rent la pierre du lieu ou le mort etait coucbe
Quand il eut dit cela, il cria a haute voix : Lazare, sors de la. Et le mort
sortit, ayant les mains et les pieds lies de bandes, » etc.
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2i0 TERRE-SAINTE
maisons et de loin lescachent h Tocil dii voyageur, faitune
impression douce et rianle.
LE 20 MAI
Pen d'heures apres le diner des patriarches le couple
grand-ducal se rendil a un service de nuit, a une messe
que le patriarche de Jerusalem c6lebra au Saint-Sepulcre a
deux heures apres minuit. Lorsqu'elle fut lern)inee,il intro-
duisit les pieux pelerins dans le sanctuaire de la cathe-
drale, ou sont conservees les reliques de Marie-Madeleine,
de saint Gonstanlin, de saint Basile et de sainte Alexandra;
le prelat poussa le devouement envers les nobles pelerins
jusqu'a leur en donncrdes morceaux, que le grand-due fit
plus tard reunir dans une chasse pr6cieuse pour les garder
pieusement dans sa famille.
Pendant Tapres-midi le prince entreprit une excursion
dans le voisinage occidental de Jerusalem. Directement a
Touest de la porte de Jaffa notre route nous fit passer
par une hauteur rocheuse , de sorte que le chemin
ordinaire resta a notre droite, c'est-a-dire au nord. Au
bout d'une demi-heure un grand bStiment monastique
se presenla a notre vue; il contient au milieu une egiise
considerable, que surmonte un clocher russe perce a
jour. G'etait le convent de la Sainte - Croix y jadis entre
les mains des Georgiens , aujourd'hui la propriele du
patriarcat grec. II y a quelques annees, ce dernier le fit si
radicalement restaurer, agrandir et embellir qu'il ne rap-
pellc plus du tout la forme negligee que j'avais vue en 1844.
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J£BUSALEM '2U
La roulc mfime qui y conduit a el6 repar^e a grands frais h
Teurep^enne. Aprfes avoir ^te longtemps un poste presque
.'ibandonn6, auquel le produit de ses vastes plantations d'o-
llviers 6tait m6me enlev6 en majeure partie, ce monastfere
a mainlenant reQU une haute destination ; car il est le ^iege
d*une academic spirituelle de T^glise grecque orieniale, si
Ton peut nommer ainsi un s^minaire avec des ^coles qui y
sont raltachees. Par la fondation de ce centre d'eludes le pa-
triarcat de Jerusalem a commence k compter avec les exi-
gences du temps present, que lui avait rappel^es le synode
russe. Ce superbe monast^re, orne de salies tres-agr^ablesa
habiter et de belles terrasses, ne pouvail manquer. de faire
le meilleur efFet sur le grand-due- Remarquons surtout la
bibliotheque : non-seulement elle est pourvue d'un grand
nombre d'ouvrages imprimes anciens et modernes, maison
y voit encore une collection ou mieux un reste de vieux
manuscrils. Ces manuscrits etaient demeures passablement
etrangers aux deux jeunes et savants professeursquis'occu-
pent de la bibliotheque, Coxe, Terudit biblioth6caire d'Ox-
ford, exposa leur contenuen 1858; toutefois il parait quon
ne lui a montr6 qu'une petite partie des manuscrits, vu qu'il
n'en a consigneque neuf; il est vraique les mss. georgicns,
qui sont avec les grecs, 6taient en dehors de son contrdle.
Mes propres recherches , malgre la hate que je dus y
mettre, furent beaucoup plus fructueuses : j eusenparticu-
lier la joie de d^couvrir plusieurs palimpsesles, soit en grec,
soit en ancien georgien, sur lesquels j'ai deja donne ailleurs
des details ^
Le convent ayant un livre de souvenir pour ses visiteurs,
1. Voir me&Aneedota sacra et profana. Ed. U, p. 224 sq. 1861.
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242 TERKE-SAINTE
le grand-due y 6crivit son nom en caractfepes arabes.
C'est ce que n'avait probablement encore fait *aucun prince
russe ou europeen. On en trouverait encore plus difficile-
ment un autre qui parlSt aussi facilement le turc. Surreya-
Pacha n'ignorait pas le fran^is; mais le grand-due pa-
raissait lui parler turc avec au moins aulant de facility.
Le prince avait fix6 le soir avant son depart de Jerusalem
pour recevoir le corps diplomatique avec Tev^que Gobat ;
le patriarche latin Valerga 6tait aussi invite. Parmi les
hdtes les plus estimes comptait le consul Rosen, qui repre-
sente avec autant de tact que de science la patrie allemande
dans la ville sainte ; aussi jouitil de tons c6tes d*une grande
confiance.
LE 2i MAI
De bonne heure les nobles pelerins renouvel^rent Texcur-
sion du mont des Oliviers. lis voulaient de la, le jour de leur
depart de la cite sainte, repaitre encore leurs yeux et leur
coeurdece magnifique spectacle. Ilsavaient pen^tre dans
les sanctuaircs de Jerusalem, mfeme dans le Haram-es-
Cherif et dans ses myslerieuses mosquees ; ils avaient vu
les licux pleirls de souvenirs qui se trouvent autour de ses
murailles; ilss'elaient avancesjusqu'aBelhl6hem, Bethanie,
San Saba. Ils purent done jouir avec d'autant plus de con-
naissance de cause du riche panorama de cette montagne,
temoin depuis les jours d'Abraham d*evenements si consi-
derables, d'evenements qui onl amene sur Thumanite le
salut et la malediction. Quand ilsfurent descendus dans les
champs dc Gelhs^mane, ils entrerent encore dans la grotte
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Jerusalem 2i3
funeraire de Marie, ou I'evfeque Cyrille dit la niesse et dont
les chantres russes flrent encore une fois retentir les vo6tes
admirablement sonores de leurs accords qui elevaient i'^me
vers le ciel.
A quatre heures de i'apres-midi ils se rendirent dans
i'eglise du Saint-Sepulcre, oil un solennel Te Deum pr6ta une
voix a riiymne de reconnaissance de leurs propres coeurs.
En proie a une profonde emotion, ils quilterent ces lieux
sacres et sortirent incontinent de la ville par la porte de
Jaffa. Les canons de la forteresse tonnerent a leur depart,
et la garnison turque formait au loin la haie sur la route.
Les deux patriarches grec et armenien les accompa-
gnaient, ainsi que le pacha gouverneur avec le grand
cordon russe. On remarquait de plus le meme concours de
population que dix jours auparavant, lors de rarrivee,
La premiere nuit se passa dans la maison d'Abou-Ghoch,
la deuxieme au convent grec de Jaffa. De la les nobles voya-
geurs monterent, le 23, sur la fregate Gromoboi, ornce du
drapeau amiral.
Saint Jerdme a excellemment ecrit a Paul in us, qui ne
pouvait pas aller a Jerusalem : « La porte du ciel est ouverle
egalement sur la Bretagne et sur Jerusalem. Toutefois le
tresor de pr6cieux et incomparables souvenirs, tresor que
les Smes pieuses conservent d'un pelerinage a Jerusalem,
demeurera incontestable, Non Hierosolymis fuisse, sed Hie-
rosolymis bene fuisse laudandum est (tout depend de la ma-
niere dont on a visite Jerusalem). » Voila ce qu'ecrit dans
la meme lettre le saint homme qui s'estimait heureux d'etre
rapproche apres sa mort comme dans sa vie dc la groltede
la Nativite a Bethleliem.
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XIX
Avant nion depart de Jerusalem, je voulais ajouter ici
bien des remarques, par exemple sur les circonstances de
r^veche aiiglican et les excellents etablissemenls qu'il a
cr66s. Faute de temps, je suis force d'y renoncer. Je me
permettrai seulement de consaerer de courtes considera-
tions au centre des lieux saints de Jerusalem.
En entrant a Jerusalem par la porle de Jaffa, nous avons
deux quartiers dela ville a notre droite au sud, deux aulres
a notre gauche au nord. Les deux premiers sont les quar-
tiers arm6nien et juif, dont celui-la est situe a Touest, celui-
ci a Test; les deux autres sont celui des chr6tiens a Touesl,
celui des musulmans a Test *. Au milieu du quartier Chre-
tien, ainsi que dans la portion nord-ouest de la ville, s'eleve
Teglise du Saint-Sepulcre, ou, comme les grecs la nomment
i. La population de Jerusalem peat monter aux chiffres suivants : Israe-
lites, 8 a 9,000; mahom^tans (ciyils et militaires), 6 a 7,000; grecs, plus de
2,000; catholiques romains, y eompris un petit nombre de grecs unis, 1,000
environ; armeniens el autres Chretiens orientaux, 6 ou 7,000; protestants, a
pe ( prds SOO. Le total est done de 19 k iO,000.
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L'tGLISE DU SAINT-SEPULCRE 245
d'ordinaire, I'eglise de la Resurrection. En suivant la rue
du sud, nous arrivons par une porte basse sur la place de
Teglise, situ6e plus bas que la rue. Cette place, auparavant
un vestibule a colonnes dont il reste encore des debris,
forme un carr6 et est pav6e de larges dalles. A Touest, a
c6te de Tentree de Teglise, se trouve la ruine du clocher du
moyen Sge. Nous 5vons devant nous deux portaijs en
ogive elancee ; ce sont les seuls de T^glise ; encore Tun des
deux esl-il mure, et Tautre ouvre seul ses deux lourds bat-
tants entre d'elegants faisceaux de colonnes en vert antique
eten porphyre.
A notre entree, quelques pas droit devant nous nous con-
duisent k une longue dalle de marbre d'un rouge clair, en-
touree d'un grillage et 6clair6e de tons cdt6s : c'est ce qu'on
appelle la pierre de TOnction, Quelques pas plus loin, nous
sommesau centre detout Tedifice, et en mdme temps, se-
lon une antique et singuliere tradition, au centre du globe
terrestre. Le batiment forme un carr6 allonge dont les grands
cdles courent de I'ouest a Test, et sont termines a Touest
comme a Test par des demi-cercles. Ces deux demi-cercles
ont au-dessus d'eux une coupole; celle de Touest, ia plus
grande, domine le Saint-Sepulcre; celle de Test la cath6-
dralequiappartientaux grecs et qui porte le nom de Kalho-
likon.
Lecarre longferme par les demi-cercles comme un double
fer a cheval a au sud et au nord un batiment annexe, d'une
forme analogue. Celui du nord, presque compl6tement adosse
a la moitie occidentale de Pedifice principal, ne renferme
rien quo T^glise catholique latine. Celui du sud au contraire,
h droite et a gauche de notre entree eta peu pres au milieu
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246 TERBE-SAINTE
du grand bfttiment, contient au cdt6 droit et oriental la
colline rocheuse de Golgotha avec un toit plat au-dessus,
tandis que le cdl6 gauche appartient au culte arm6-
nien.
Le Mtiment principal poss^de enfin une longue aile
orientale : c'est la portion souterraine de T^glise. Elle est
consacr^e particuii^rement a la decouverte de la croix et a
la menf)oire de la pieuse Helene, mere de Constanlin. Une
coupole de hauteur moderee, mais depassant pourtant le
toit de Golgotha, la couronne.
II ressort de ces indications que le celfebre monument ne
forme pas un tout symetrique, qu'au contraire il provient
de la r6union artificielle et penible de diff^rentes localites.
II est 6galement prouv6 par la qu'on a pr6fere conserver
les lieux flx6s par les constructions de Gonstantin et, mal-
gr6 le manque d unit6 et de proportion, les enfermer dans
une mfeme muraille, plutdt que de batir une seule eglise
aux formes harmoniques, au mepris de la fidelite histori-
que. En outre, cet assemblage remonte aux Groisades. Car
tel le sanctuaire existait dans la moiti6 du xii® siecle, tel,
malgr6 plusieurs devastations et le terrible incendie de
1808, il a ete restaure et subsisle encore aujourd'hui. Ge
qui avait 6t6 construit a cette place avant les Groisades fut
souvent depuis Gonstantin modifle et d6truit. Mais la con-
struction primitive de Gonstantin, ouvrage vraiment impe-
rial, consistait en deux ou trois edifices. Une 6glise s'elevait
en demi-cercle au-dessus du Saint-S6pulcre, autour duquel
douze colonnes 6taient placees pour representor le college
apostolique. Une autre 6glise de dimensions beaucoup plus
considerables ^t ornee de magniflques colonnes de marbre
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L*EGL1SE DU SAINT-SIlPULGRE 247
etaiL consacree a Golgotha ou au hienheureux sigiie de la.
croix. Enfin, entre les deux temples, le d6me et la basili-
que, il y avail une grande place pavee et unie comme un
miroir, que des colonnades enlouraient de trois c6tes. Un
regard jete sur le plan du batirnent acluel fera recojinailre
immediatement que ie dfime du sepulcre etait a Touest el la
l^asilique de la croix vis-a-vis a Test. II est tres-invraisem-
blable que les deux plus importanls lieux sacr^s, auxquels
ces deux eglises elaienl consacr^es, aient ele Iransferes
depuis lors dans un endroil essenliellemenl different *.
Apres celle orientation generale dans I'eglise acluelle du
Saint-Sepulcre,jelons encore un rapide coup d'oeil dans ses
trois parlies principales.
A Touesl nous avons devant nous le d6me dedi6 speciale-
ilient au Saint-Sepiilcre, la ou ce ddme s'ouvre a Touest, vis-
a-vis de la basilique grecque. Seize grands piliers s'elevent
en un cercle ouvert a Tesl seulemenl ; ils sont reunis par
de doubles arcades placees Tune sur I'autre, a Texception
des quatre piliers de Test, dont deux soul a noire gauche et
deux a noire droite. En haul est la coupole qui continue les
arcades par des niches en forme de fenfires dans les parois
inferieures. Uneouverlure ronde, pratiquee dans le milieu de
la couverlurede cuivre et garuied'un fin treillis,laissetomber
la lumiere sur le Saint-S6pulcre qui se trouve directement
au-dessous. En effel, a Tint^rieur de la rotonde aux piliers
s'offre a jious^ une petite chapelle oblongue, ornee richement
a rexl6rieur de colonnes et de demi-pilastres, et pr6s de
i. Eus6be noas a laiss^ une description exacte de I'^difice de GoQstantin, aju
troisiSme livre de la biographic decet empereur..,Volr HI, 33 sq. Imm^«liate-
ment avant, il rapporte la propre lettre de Gonstantin a I'ev^que Mtkarius, de
Jdrusalem, au sujei de la construction.
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2i8 TERRE-SAINTE
laquelle s'^leve une tourelle en forme de coupole. Devanl
rentr6e il y a des deux cdtes des bancs de marbre; a cdte
d'eux brdilent de gros cierges sur de grands candelabres
d'argent. Au-dessus s'etend en raontant obliquement du
toil de la chapelle une toile servant d'abri et representant
une double bannifere. Cela fornoe une sorte de vestibule
pour la chapelle. Nous entrons de la par la premiere porle
dans un espace ferme, de 17 pieds de long et de 10 de
large, au milieu duquel se trouve un fragment de rocher,
reste, suivant la tradition, de la pierre qui ^tait plac^e de-
vant le sepulcre du Christ et que Tange enleva *. Get endroit
en a pris le nom de chapelle de TAnge. Dans ses parois se
Irouvent des ouvertures par oil le cel^bre feu grec de Paques
est presents a la multitude qui Tattend. En passant par la
chapelle de TAnge, qui correspond k la portion anterieure
d'un ancien tombeau juif, nous parvenons par une entree
basse et etroite (4 pieds de haut, 2 de large) dans la grotle
du S6pulcre ou chapelle du Sepulcre au sens ie plus slrict.
Elle a environ 7 pieds de longueur, 6 de largeur et 8 de
hauteur. Ses parois sent rev6tues de marbre blanc. Au
c6t6 nord, a droite en entrant, occupant la moitie de toute
la grotte, est le tombeau lui-meme, dont toutefois on ne
voit k rext6rieur et d'en haut que le revfitement de marbre.
La plaque de marbre qui forme le couvercle est fen due en
deux. Du plafond ouvert au milieu pendent de nombreuses
lampes d'argent et d'or, presents de hauts personnages. De
petites niches dans la paroi contiennent des flambeaux et
d'el6gants vases de fleurs.
i. Nous trouTons d6jk, en 348, dans Cyrille, de Jdrnsalem, la premiere
inentioii de cette pierre, dont le blue actuel, apr^ mainte p^rip<ftie du destiii,
ne pent^tre^idemmentqu'un fragment.
^
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L'^GLISE DU SAINT-SfiPULCRE 140
A Texl^pieur, au c6t6 occidental de ce sanctuaire, est une
pelile et pauvre chapelle pour les Copies. En face de cette
chapelle, ainsi plus a I'ouest, se trouve la chapelle plusch6-
live encore des Syriens ; nous passons de 1^, par une porte pra-
tiquee au sud, dans une ^Iroite piece ou (a Texception de la
parol orientate qui appartient a la rotonde aux piliers) le ro-
cher naturel nous entoure de touscdles et s'^tendau-dessus
denos tfites. Dans ce rocher se Irouvent deux niches s6pul-
cralescreus^eshorizontalemenldansla paroietdeux tombcs
verticales dans le sol. A Toppose de ces dernieres, les
tombes horizonlales sont d'accord avec les ancicns usages
des Juifs en ce qui concerne les sepultures; elles mesurent
5 pieds 1/2 de long sur 1 1/2 de large et 2 1/2 de haut.
Pr6s de la pierre de TOnction, ainsi au sud-ouest, un
escalier dedix-huit marches nous fait monter en Golgotha; un
autre de treize marches est pratique au nord-ouest. La nous
nous trouvons sur une plate-forme voiit^e, de 40 pieds de long
sur 21 de large, partag^e en deux chapelles support^es par
des colonnes de marbre et reuni'es par un arc ouvert. Celle
du nord est la chapelle du Cruciliement. Sous un grand autel
a Test on montre, derrifere un grillage, le roc naturel avec
les trois trous en forme de croix, dont celui du milieu se
distingue par une plaque d argent avec une inscription
grecque. A cdle, en 6cartant une plaque de marbre elroite
et allong6e, on voit dans le rocher une profonde fenteallant
^ de Fouest a Test. La chapelle meridionale occupe, dit-on,
Tendroit ou avant I'erection de la croix le corps du Seigneur
fut assujetti sur le bois. Droit au-dessous de Golgotha et de
la chapelle du Grucifiement, estun espace qui porte le nom
de notre pfere Adam : nous y retrouvons une portion infe-
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250 TERBE-SAINTE
ricuredu rocherde Golgotha avec la mfime fente, qui appa-
rait ici plus horizontale. Devant la cbapelle d'Adam deux
bancs de pierre designent la place ou ont ete jadis les cer-
cueils de Godefroy et de Baldouin.
Nous descendons enfin derriere le choeur des grecs par
vingt-huitdegr€s dans la chapelle souterraine. A 12 piedsau-
dessous du sol de la cathedrale grecque, nous Irouvons
Tautel d*Heleneet celuidu brigand repentant. Au sud-est
de tous deux, Ireize autres marches conduisent k Tendroit oil
la decouverte de la croix a son aulel ; il est a 22 pieds au-
dessous de I'eglise grecque.
Quelle est done Tauthenticite de ces localites, parliculiere-
ment de celles qu'on designe comme Golgotha et le Saint-Se-
pulcre? On pent examiner dans le but de verification si la cha-
pelle du lombeau, sous le revelement de marbre, consiste reel-
lement en roc naturel; on sedemande egalcment si sous la
dalle de marbre il y a bien une tombeoule Seigneur ait pu
6tre couche. Ces deux' questions sont legitimes et peuvent
certainement se resoudre par des recherches locales. Mais
a supposer que cet examen n'aboutit pas a un resultat favo-
rable a Tauthenticite — soit que les parois de rocher ne se
trouvassent plus, ce qui n'est nuUement prouve, soit que le
lombeau ne repondit pas aux anciens modeles des Israelites,
cequi ne Test pas davantage — il ne faut pasoublier que le
fanatisme a, d'apres des temoignages anciens et tresexpli-
cites, bouleverse a plusieurs reprises ces lieux memes *.
i^ lis ont ete ravages avanl le grand incendie de 1808, a cinq reprises,
dans les ann^es 614, 036. 9r)9, 1010, 1024. La premiere de ces destructions,
6oas Gliosrods, la quatridme sous le kalife dgyptien El-Hakem, et la cinquieme
;60u;b les Cbarisnoiens, ont ^te, d'aprds la tradition, les pl«s teiribles.
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L'EGLISE DU SAINT-SfiPULCRE 2Sl
En outre, des le commencement on a beaucoup moins
songe a en conserver Tetat primitif qu'a rembellir*par des
constructions successives. Quant aux lacunesque de rigou-
reuses recherches pourraient presenter aujourd'hui, elles
sont comblees par les descriplions plus anciennes. Celle
d'ArcouIf a la fin du vii® siecle, par exemple, met hors de
doute Tetroite maison, creus6edansle rocher,qui setrouvait
au milieu dela rotonde et n'etait revetue de marbre qu'exte-
rieurement. 11 y a ceci de clair, c'est que la localite etait •
rocheuse et propre pour des sepulcres ; car h quelques pas
seulement de la nous entrons encore aujourd'hui dans le
tombeau pratique dans le roc de la chapelle syrienne,
L'opinion qu'on a, au iv° siecle, imagine une tombe tout a
c6te etqu'on Ta creusee par speculation, n'a sans doule etc
serieusement soutenue par personne.
Pour Golgotha la critique negative ne trouve pas non
plus une meilleure issue. Ici, ou \e vandalisme renconlrait
un terrain plus defavorable, bien qu'on parle aussi de de-
vastations, nous avons encore devant les Jtox une colline
j^ocheuse. L'id6e qu'elle a ete elevee de main d'homme
. trahit, si elle est serieuse, Texces de la/antaisie dans la nega-
tion. Comme malgre tant de ravages toutes les apparences
t^moignent dans le sens oppose, une telle critique suppose,
un colossal chef-d'oeuvre de fraude pie ; on pourrait lui •
appliquer ce qu'on a dit de certaines enflications de mira-
cles, c'est gu'elles sont plus etonnantes que le miracle lui-
m6me *. Si de la diversite des indications sur la grandeur
1. Quand le Pdlerin <le Bordeaux mentionne le petit mont de Golgatha
(monticvlus Golgaifia)^ Jer6me le rocher de la Croix {crucis rupes), Rufin le
rocher de Golgatha {Golgathana rupes), ils auraient natureUemedt ^t^ tous
ensorceies par I'artiate construcieur.
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«»1 TKRRE-SAINTE
de ia fente de rocher on a conclu qu'elleau moins 6taitarti-
ficielle, — ce qui n'est pas mon jugement, — cela ne (ou-
che pas Tauthenticite de la colline rocheuse. On ne doit pas
non plus attacher de consequence aux trois trous de la croix.
II est plus important de savoir si, du temps de Christ,
ces localit6s ^taient au del^ de la porte et des murs de la
ville, comme I'ficrilure i'exige. Cette recherche pr6sente, il
est vrai, elle aussi, de grandes difBcult^s. Toulesles foisque
pour de nouvelles constructions dans Jerusalem on creuse
jusqu'^ Tancien rocher, on decouvre ruines sur mines, de-
bris sur debris dans Pindestruclible cil6 de David, pourlant
si souvent d6lruife. Qui pent montrer la sans indecision les
restes de mur qui, depuis 1800 ans, font partie des con-
structions de la ville? N^anmoins nous avons d'excellents
points d'altache pour determiner la direction de celte niu-
raille, quoique jusqu'ici ils aient servi plutdt a favoriser qu'a
calmer le desaccord des opinions.
Notre principale source pour la connaissance des an-
ciennes mur^jttpsde Jerusalem est Josephe, dans ses livres
sur la guerre des juifs, a laquelle il avyit assiste k la suite de
Titus, et sur les antiquit^s judaiques. Du temps des terri - •
bles attaques des Remains, Jerusalem avait trois murs. Mais
comme le troisifeme n'a 6le ajoute que quelques ann6es
aprfes la mort de Christ, par le roi Agrippa, il ne resle que
les deux plus aniens pour le moment du crucifiemenl.
Le premier, ouvrage des premiers rois, entourait au sud
^ au nord Sion et la ville de Sion ; il 6tait court el oblique
au nord, long et arrondi au sud. Le second ne concernait
que la partie septentrionale de la ville. Or, comme Golgotha
et le s^.pulcre sent au nord de Sion, la question qui nous
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L'fiGLISE DU SAlNT-SfiPULCRE 2o3
Gccupe prend cette forme plus precise : ce mur septen-
trional, le deuxieme de Josephe, 6tait41 a Touest ou a I'est
de Golgotha ? S'il 6tait a I'ouest, il enfermait le Golgotha
actuel dans la ville; celui-ci n'aurait plus alors aucune
pretention a Tauthenticite. S'il etait a Test, Golgotha
restait en dehors; il pourrait done 6tre le veritable Gol-
gotha.
Josephe dit que ce mur partait de la muraille oblique du
nord, et il precise la place en question, en Pappelant la porte
Gennath (Genath), tandis qu41 fait partir le premier et le
troisieme mur de la tour Hippicus. Comme THippicus existe
encore en bonne partie S on se demande k quelle distance
ladite porte s'en trouvait a Test. II n'est pas probable
qu'elle ftlt tout pres de THippicus, car Jo^phe n'en dit pas
un mot. Cette indication eftt 6t6 pourtant toute naturelle,
vu qu'il dit tout a cdte : Le premier mur partait de I'Hip-
picus, le troisieme mur partait de THippicus. Nous appre-
iions en outre par Josephe qu'Herode construisit dans la
muraille septentrionale, a cdte de THippicus, deux autres*
tours encore, « se distinguant en grandeur, magnificence
et solidile de toutes les autres du monde '. » Comme Herode
avail evidemment en vue la securite de la ville, en parti-
culier la defense de sa propre residence^situee non loin de
la au sud, les deux tours ne peuvent pas s'fitre trouvees
dans Tancienne muraille a rendroit ou celle-ci 6tait d6ji
enveloppee par le second mur. ^Ris si ces deux tours
etaientaToccidentdu commencement du second mur, ce qui
Concorde avec Tordre des operations du siege sous Titus, la
i . Voir plus haul, p. 180.
^. De Bello judaico, V, iv, 3.
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234 TERRK-SAINTE
portede sortie de cette muraille doit avoir 616 au sud-est de
Golgotha, non au sudouest.
Quant au nom de cette porte chez Josephe, on a souvent
dout6 si Jos6phe Ta veritablement ecrit Gennath (Genath)*.
Krafft a essay6 de le transformer en Goatli, mais sans s'ap-
puyersurdes documents valables. Le m6me savant n'est pas
plus autorise a identifier la colline souillee {colline de la
Mort) nommee Goatha par Jeremie (31, 39) avec le Golgo-
tha du Nouveau Testament ; ce dernier, d'aprfes cette hypo-
th6se, aurait servi aux executions depuis les temps anciens.
On le pent du reste guere mettre en doute que le nom
dc Golgotha ne vint de la forme de la colline : cela ressort
des expressions de Luc qui la nomme directement et exclu-
sivement « le Cp||pe, » et de Texplication ajoutee par les
autres evangelistes : < place du Crane. » Probablement cela
a contribue a la formation de Tancienne tradition ecrite
au n® siecle, puis diversement developpee, savoir qu'au lieu
de la sepulture du « second Adam » etait enterre le crane
*du « premier Adam. »
L'etang situe au sud-ouestde Teglise du tombeau, — laquelle
parmi ses nombreuses denominations (conime 6tang du Pa-
triarche, du Saint-Sepulcre, du Bain), a rcQU aussi depuis deux
siecles celle d'E^hias, et que Ton considfere depuis peu
plul6t comme Tancien etang des Amandes , — ne pent
revendiquer aucun poids dans cette circoYistance, vu la
grande incertitude de son rapport avec Tepoque anterieure
au christianisme. Mais ce qui merite toute I'attention, c'est
la reuiarque faite tout recemment que la deuxieme muraille
1. Ce nom signifie porle des Jardins. Elle pouvait, en eflfet, fort bien con-
duireci des jardinsau nord de Sion.
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L*SGLISE DU SAINT-SliPULGRE 255
de Josephe, celle du nord, n'est iiuUement identique avec
I'ancienne * muraille d*Ezechias, qui doit avoir entoure le
veritable etang d'fiz^chias, mats bien avec celle qui apres
la destruction de la premiere au second sifecle avant J.-C.
fut ex6cutee par les Macchab6es en vue de buts speciaux *.
Par Tetude plus exacle de cette construction des Maccha-
bee^, surtout d'apres les renseignements de Josephe, on a
acquis une nouvelle confirmation que le Golgotha actue) se
trouvait au temps de Titus en dehors de cette muraille.
On pent encore faire observer ici qu'en creusant les fon-
dations des constructions russes, a Test de Teglise du tom-
beau, on mil au jour les restes d'une muraille juive, qui
parurent aux yeux des connaisseurs pouvoir etre compares
a ceux, tant admires, de la mm*aille d'enceinte du temple.
Le deuxieme mur de Josephe, cherche avec tant de soin,
n'est-il done pas sorti aussi de ses mines pour jeter de son
c6te un mot dans le savant debat? II est a esperer que lors
de cette importante d^couverte les observations scrupu-
leuses n'ont pas fait defaut.
Des considerations topographiques et historiques, passons
a la tradition. Ses jugements sont aussi puissants qu'equi-i
voques. Ses developpements exuberants, et dedaignant si*
souvent toute saine critique, lui ont fait une plus mauvaise
reputation qu'elle ne le merite. On oublie que dans ce que
nous nommons I'histoire il y a si peu de chose outre les
traditions ! On ne se rend pas compte non plus qu'il est
bien plus facile de mettre en doute des fails historiques
que de les comprendre. Chose etrange, on regarde deja la
1. Voir 11 Chron., xxxii, 2 sq.
2. I. Macch./x, 10 sq.; Jos.. Antiq. Jud , XI H. ii, 1,5, 11.
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256 TERRE-SAINTE
predilection pour le doute et la negation comme une preuve
de sagacity, tandis que celui qui pour les choses certaines
ne triomphe pas de ses doutes trahit un esprit tout aussi
born6 que celui qui croit k Tabsurde. II est bien loin de ma
pens^e d'appliquer ces paroles a de savants investigateurs
qui sont arrives h d'autres resultats que moi, mais en dehors
de la science s6rieuse, elles trouvent encore un vaste champ
d'application.
Quant a la tradition du Saint-S6pulcre, on parait lui avoir
fait tort de divers cdtes en s'occupant beaucoup plus de pieces
dont la valeur probante est extremement legere qu'en
examinant avec soin le texte original d'Eusebe. Depuis sur-
tout que Chateaubriand s'est mis k la tSte des h6ros de la
tradition, son genre frangais el catholique a seduit et en-
train6. On ne doute guere que les localit^s saintes;, telles
qu'ellos subsistent maintenant, ne soient aussi authentiques
que celles qu'a gloritiees la munificence du premier empe-
reur chr6tien, ou en d'autres termes que Tauthenticit^ des
lieux saints actuels ne depende de cette question : Les bati-
ments de Constantin ont-ils ete elev6s a la place du s6pul-
ere authenlique et du veritable Golgotha? En consequence,
nous avons avant tout a etudier avec le plus grand soin le
r6cit d'Eus^be sur ce point special.
Eusebe rapporle dans sa biographic de Constantin (III,
25 sq.) que Tempereur entreprit en Palestine une oeuvre
memorable, considerant comme son devoir de rendre glo-
rieux et venerable aux yeux de tous Tendroit de la resurrec-
tion du Seigneur. II ne prit pas cette resolution sans le con-
cours de Dieu (ouxdOwO, mais pousse par le Seigneur lui-
m^me. En effet, — c'est ainsi qu'il continue, — des hommes
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L*15GLISE nu SATNT-SfiPULCRE 257
impies, ou plutdt toule la race des demons agissant par eux,
s'6tait eflforc^e de livrer a Fobscurit^ et a I'oubli ce divin
monument de Timmortalite. lis avaient entrepris d'enlever
compl^tement cette caverne du Sauveur (ou plut6t caverne
du salut a la vue des hommes, pensant assez stupidement
ensevelir ainsi la virile elle-mfime. lis avaient done, avee
de grands efforts, convert lout cet emplacement d'uneepaisse
couche de terre et mis un pav6 par-dessus, puis enfln
eleve un veritable tombeau des ftmes, un repaire pour le
culte immonde d' Aphrodite. Car ils ne pensaient 6tre sOrs
d'avoir atteint leur but que lorsqu'ils auraient recouvert
d'une telle ignominie la grotto du Sauveur. Quoique le
Seigneur eflt depuis bien des ann^es 6clair6 de sa lumif^re
les coeurs des hommes, ces puissances impies subsistferent
en effet longtemps. Aucun prefet, aucun general, aucun em-
pereur precedent ne se rencontra pour effacer cette honte.
II elait reserve de le faire a Tempereur cheri de Dieu. Rem-
pli de Tesprit divin, il ne put supporter de voir que ledit
endroit fflt tellement profane, tellement deshonor^ par la
ruse des ennemis, et livr6 ainsi k Toubli ; il ne voulut pas
non plus c6der k la malice des auteurs de cette profana-
tion : c'est pourquoi il implora le secours de Dieu et ordonna
la purification. Car, pensait-il, il devait glorifier cette mfime
place qui avait ete deshonoree.Sildlapresle decretdeTem-
pereur, ces ouvrages de la tromperie furent precipit^s du
haul en bas, les constructions menteuses furent renvers6es
avec les idoles et les demons. Mais le zele de Tempe-
reur ne s'arrfeta pas la, il fit emporter aussi loin que
possible les mines de bois et de pierre. Et non content
encore de cela, il fit, plein d*une ardeur divine, creu-
47
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258 tEtlRE-SAINtE
ser tres-profond6ment et enlever la terre profanee par les
demons. En allant toujours plus profond, on mil a nu le sol
inferieur; en mfeme lemps le lieu tr6s-saint de la resurrec-
tion du Sauveur fut par la rendu a la vue eontre loule espe-
rance. Apres ces resullats, Tempereur prit imm6diatement
les mesures necessaire^ pour orner la grolte du Sauveur
d'une maison de pierre digne de Dieu et de la magnificence
imperiale.
Voici ce qui ressort incontestablemenl de ce recit : tout
le monde se rappelait que le sepulcre etait enterre sous une
montagne artificielle, porlant a son sommet des Mtiments
consacr^s au culte de Venus. On a dit arbitrairement et
conlrairement au texle qu'il en ressort seulement ceci : une
idole, elev6e a la place que Gonstantin declare etre eelle du
tombeau, a ete menlionnee comme se trouvant reelleraent au-
dessusdu sepulcre *. Pour ajouter formellenient un mot d'une
tradition, apres avoir rapporte si positivement et avec tant
de details la tradition imprimee dans ces outrages, Eusebe
aurait du pr6voir precisement le malentendu dont ses paroles
ont ete Toccasion. Nous voyons un rapport evident entre les
constructions paiennes et le fait qu'avant le siecle de Gons-
tantin les Chretiens allaient deja en pelerinage a la grotte
de laNativite a Bethlehem et a la place del' Ascension sur le
mont des Oliviers, mais non pas au tombeau de Jerusalem,
tandis que des le iip siecle des exercices de devotion avaient
lieu sur les tombes des martyrs. La construction avait atteint
son but : elle avail degoflt6 les Chretiens, et avait complete-
i. ComparezHobinsoii. II, 280. De mt^medans \e^ Neuere Bihl Forschungen,
p. 336.
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L'fiGLlSE DU SAINT-SfiPULCRE SJ)9
ment detouroe leur piete de rattachement a cette loealite.
Du reste, le t^moignage d^Eusebe est appuye par le texte
de la lettre imp6riale a Makarius : elle parle du long
espace de temps pendant lequel le monument de la
plus sainte souffram^e a et6 cacl*6 sous terre*, et rappelle
la honteuse idole que Gonstantin a enlevee par Tordre de
Dieu.
On a fait valoir contre Texistence d'une tradition de ces
temps-1^ la direction providentielle et Tinspiration divine
relev^es par la lettre de Gonstantin et par Eusdbe. Mais on
oubliait que le miracle, d'apres les expressions precises du
texte, se rapporte a la conservation et a la decouverte du
monument de ia Resurrection, nullement a la reconnaissance
de I'endroit. Geci est vrai de T^crit de Gonstantin aussi
bien que de la narration d'Eusebe. Dans cette demi^re la
loealite est manifestement supposee(iu, 25], et Tintention
de Tempereur de la remettre en honneur, de Torner d*une
maison de pierre, est rapportee expressement a Texhorta-
tion du Sauveur.
II est trfes-remarquable en outre qu'Eusebe ne contienne
pasun mot sur la decouverte de Golgotha. Le z61e fanatique
des paiens avail trouve a se satisfaire sur le sepulcre tant
venere par les Chretiens. G'est lui qu'il s'agissait d'ense-
velir dans la nuit de Toubli. Quant a Golgotha, on ne pou
vait guere avoir une semblable intention, bien qu'il ait pu,
comme voisin du s6pulcre, 6tre frappe des mfimes t^moi-
gnages de mepris. Gomme objet de respect, il parait avoir
6galement et6 d'abord beaucoup moins consid^re que le
1. Ceci n*a pas etd remarqut^ par Hobinson Voir 11, 279,
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J60 TEBHE-SAINTE
tombeau. Un seul passage d'Eus6be, dans son Pan6-
gy pique (ix, 7) , peut se rapporter au fait que Golgotha
ait ete compris dans les constructions de Consiantin.
Mais la mSme il est dit simplement qu'outre la grande
maison de priere autoiir de la tombe du Sauveur un
tentiple a 616 61ev6 en I'honneur de la croix, signe du salut.
Par la mfime raison, il n'y a aucune contradiction entre
Eusfebe et J6r6me qui parle de deux idoles, Tune sur le lieu
de la Resurrection, Tautre sur Golgotha. On ne pourrait voir
cette contradiction qu'en ce que Jerdme place la statue de
Y6nus sur Golgotha et celle de Jupiter sur le s6pulcre,
tandis que suivant Eusebe le culte de V6nus avait lieu
sur le tombeau reconvert. Mais Eusfebe lui-m6me (3, 26,
a la fin) donne a entendre qu'il y avait plusieurs idoles,
lorsqu*il raconte la destruction des bfttiments paiens. Si
Sozomfene (n, 1) a raison en rapportant que, quand on
construisit ceux-ci, Golgotha et le tombeau furent en-
toures d'une muraille commune, il 6tait bien facile a un
historien forc6 de se confter a la tradition verbale de
confondre les idoles qui avaient ete en de^k de la muraille.
Quand Jerdme dit en outre que depuis Adrien jusqu'a
Gonstantin, pendant une periode d'environ cent quatre-
vingts ans, le culte paien s'est celebre, ce n'est la qu'un
simple complement du recit d'Eusebe. II faut-bien remarquer
dans celui-ci la mention reileree de la longue existence des
idoles. Leur etablissement pouvait difficilement, suivant
le cours des evenements historiques, se placer a une
autre epoque qu'a celle ou Tempereur Adrien romanisa
Jerusalem.
Le premier narrateur apres Eusebe, le Pelerin de Bor-
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L'EGLISE D{] SAlNT-StPULCRE 261
deaux, est tout a fait d*accord avec lui dans la maniere dont
il s'exprime sur le sepulcre et Golgotha. II ecrit en effet :
A main gauche (sup la route de Sion a la porte de Naplouse)
se Irouve la colline de Golgotha ou le Seigneur a 6te cpu-
cifie. A un jet de pierre est la grotte ou il fut enterre et
ressuscita le troisieme jour. La mfeme une basilique d'une
admirable beaute vient d'etre construite sur Tordre de
Tempereur Constantin.
II est au plus haut degre incpoyable que dans les premiers
siecles le moindre doute, la plus l^gfere obscurite ait jamais
r^gne sur la situation de Golgotha, sans qu'il ait fallu pour
cela une succession non interrompue d'evfeques ou quelque
autre circonstance favorable, ou qu'il faille encore aujour-
d'hui une habile demonstration. Or avec Golgotha la posi-
tion du tombeau etait en meme temps donnee : tons deux
se soutenaient et se compl^taient reciproquement, comme
le confirme la mention faife par Sozomfene de la muraille
commune.
On a pretendu quelquefois que Tune des dewx localites, la
tombe ou Golgotha, doit 6tre inauthentique a cause de leur
rapprochement; mais il suffit, pour s'6clairer, d'un coup
d'oeil jete sur les passages des evangiles ou il est question
du sepulcre. Jean dit express6ment (ix, 41) : « Or il y avail
un jardin au lieu ou il avait et6 crucifl6; et dans ce jardin
un sepulcre neuf. » Les suppositions nepeuvent rien centre
cette asseKion. Cette proximity est indiqu6e par Jean,
immediatement apres les mots que nous venons de citer,
comme la raison pour laquelle le corps fut d^pos^ \h : « a
cause de la preparation des Juifs, parce que le s6pulcre 6tait
proche. »
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Wt TERRE-SAINTE
On esfc dispense par la d'eloigner la sepulcre d'u»
homme noble ccminie Joseph, du lieu des supplices publics.
Si Golgotha avail r^ellement ete identique avec ce lieu
des supplices, dans un sens plus ou moins etendu, —
hypothese que nous avons deja combattue — la singula -
rite du choix de remplacement , si nous voulions en voir,
retomberait SUP le riche conseiUerd'Arimathee, qui a lui-
mdme etabli le sepulcre la, non sur ceux qui ont construit
Teglise.
Sans vouloir reproduire ici les developpements du
reeit d'Eusebe et quelques anciennes traditions plus
etendues, comme celle de la d6eouverte de la croix par
Helene, nous rappellerons seulement les paroles qui sui-
vent dans Eusebe la communication de la lettre imp^riale.
li y est dit qu'autour du Saint-Sepulcre la npuvelle Je-
rusalem a el6 batie «- vis-a-vis de Tancienne, » t en
ace de Tancienne. » 11 est juste de supposer que les
nommes d'alors les plus verses dans les ficritures, un
Eusebe, un Cyrille, un J6r8me, savaient aussi bien que
nous que Golgotha et le tombeau etaient situes en dehors
(le Tanci^ne ville. En outre, ce qui pousse encore a
admettre qu'on reconnaissait a cette epoque Tancien
mur septeotrional, c'est que les troi« puissantes tours
d'H6rode, situdes pres de Textr^mite de la muraille,
avaient et6 6pargn^es lors de la destruction par Titus.
Gependant ici aussi Texpression employee par Eusebe
n'aoquiert to»te sa valeur que si derriere Golgotha la
rauraille ext6pieure de Tancienne ville 6tait encore visible.
Gomme depifis^ lors on a plus construit et d^moh en cet^
endroit qu'en aucun autre de Jerusalem, il en r^sulie (fiie
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L'fiGLISE DU SAINT-SfiPULCRE 263
les Testes de ce mur sont devenus pour les hommes de notre
temps fort difficiles a decouvrir.
Tels sont les resultats des recherches que nous avons
faites a diverses reprises sur la question de Tauthenticite
du Saint-Sepulcre. Nous les livrons au bienveillant lecteur
pour quMl prononce lui-meme. II fut un temps ou c'etait une
chose dangereuse que d'exprimer des doutes ou des ne-
gations sur celte question si int^ressante de la topographie
de la Terre-Sainte. Ce temps est bien loin derriere nous.
Depuis que la foi d'autorite a passe de mode sur des points
beaucoup plus importants, bien des personnes trouvent tout
naturel que le tombeau du Christ a Jerusalem, qui attire
encore chaque ann6e des quatre points cardinaux des le-
gions de fervents pelerins, — soit, comme tant d'autres
objets presentes a Tadoralion des fideles, une invention des
moines. Bien que cetle opinion ne soit pas precis^ment celle
des savants d'Europe et d'Amerique qui ont serieusement
examine cette question, la negation n'est pourtant plus du
tout dangereuse. II y a plus. Une conclusion negative parait
aux yeux du gros public plus a la hauteur de la science de
notre epoque que la conclusion affirmative ; la derniere est
suspecte de pieux parti pris. L'auteur de ces esquisses de
voyage n'a guere Thonneur de s'fitre rendu, par ses travaux
critiques , suspect en ce^ sens. Ce n'est certainement
pas un avantage pour Texamen que de transporter la
question sur le terrain religieux, qui ne lui convient
pas. La foi chr6tienne n'est nullement d^pendante de
l'authenticit6 des lieux saints de Jerusalem. Un homme
qui a montr6 sa stricte croyance th^ologique dans ses
recherches si^r Tharmonie des evangiles n'en est pas
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2(54 TERRE-SAINTE
moins a la t6le de ceux qui soutiennent Tinauthenticit^ du
Sainl-S6pulcre. Quelles que soient les objections qu'on ait
h faire h la justesse de ses conclusions, fonder sur celles-
ci une accusation centre son orthodoxie serait une enlre-
prise d^loyale. Mais il ne serait pas moins d^loyal de sus-
pecler la conviction de ceux qui defendent , avec nous,
Tauthenticite.
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XX
JAFFA, BEIROUT, LADAKIA, SMYRNE
Le jeudi apres la Pentecdte, le 14 juin, dans le courant. de
Taprfes-midi, je partis a cheval pour JalTa, accompagned'un
drogman. Apres trois bonnes heures de route nous attei-
gnimes Abou-Ghoch ; comme cela 4tait devenu la mode de-
puis peu, nous pass&mes la nuit dans la demeure de Tancien
chef de brigands. Apres avoir remis la leltre consulaire qui
me recommandait, je pris place a ses c6les dans une salle
spacieuse, mais assez sombre, tandis qu'en face de nous
etaient accroupis, lu pipe a la bouche, plusieurs Arabes qui
profitaient egalement de Thospitalit^ d'Abou-Ghoch. Tandis
qu'il faisait servir le caf6 et qu'il dtait sa pipe de sa bouche
pour me la presenter, je fis au bandit converti quelques
compliments merites. II s'interessait vivement a la guerre
d'ltalie ; il s'informa de la cause et du but du combat, des
forces des deux partis, de la position prise par les autres
puissances, notamment par la Russie, et me demands si la
Turquie serait entralnee a prendre part aux hostilit^s. A la
fin de cat entretien politique il se retira, laissant ses hdtes
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266 TERRE-SAINTE
a leur deslinee. U avail deja fait apporter des couvertures
et des coussins pour former ma couche. On devine que cette
hospitalite laissait a desirer sur bien des points ; j'aurais de
beaucoup prefere coucher dans mon ancienne tenle du de-
sert; mais il faut compter aussi I'honneur pour quelque
chose. Lorsque, quelques semaines auparavant, la famille
grand-ducale avail passe de meme la nuit chez Abou-
Ghoch, il avail a la verite mis a la disposition de ses nobles
hdtes d'autres pieces que la salle commune de reception.
De grand matin nous nous remimes eh route; le ciel etait
convert de sombres nuages, el en efifet une pluie legere
nous surpril plusieurs fois. Ce phenomene, exlremement
rare en Terre-Sainle dans cette saison, s'elait presente deja
quinze jours avant a Jerusalem; des Juifs verses dans la
connaissance des Ecrilures pensaient que cela n'etait guere
arriv6 depuis les temps du prophete Samuel : alors egale-
ment il avail plu pendant la moissondesorges. Qu'esl-ce que
le « calendrier de cent ans » a cote d'un pareil calendrier !
Les champs et les campagnesautour d'Abou-Ghoch ofifraient
encore, au milieu de juin, le meme rianl aspect qu'au milieu
de mai : preuve que le guerrier el le brigand mal fame etait
deVenu un zele et habile colon. — Deux petites heures
apres noire depart nous traversftmes le meme bois pierreux
oil cinq semaines auparavant la caravanedu grand-due avail
pass6 de nuil. Meme de jour le cliemin etait assez penible.
La pluie ayanl rendu les pierres glissantes, il n'etail guere
possible d'empecher nos chevaux de lomber. Peu avant
midi nous alteignimes Ramleh. L'ardeur du soleil me fit
faire une longue halte dans le monastere latin deNicodeme,
ou la naive tradition du moyen hge place la visile nocturne
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JAFFA, BEIROUT, LADAKIA, SMYHNE 2<J7
de cet ami du Seigneur. Nous eumes encore trois pleines
heures de route jusqu'a Jaffa ; la contree que nous traver-
sions est au nombre des plus ferliles et des mieux cullivees
de la Judee.
A peine h Jaffa, nous recflmes la nouvelle que le vapeur
russe, au lieu de partir dans la soiree, n'etait pas encore
arrive. La mer, il est vr?i, etait si agitee que le retard se
comprenait dans des eaux aussi mal fam6es. Le lendemain
encore le bateau ne vint pas; ce n'est que le 17 au matin
qu'il apparut dans le port, pour repartir deja a midi pour
Smyrna. La Pallas — c'est ainsi qu'il s'appelait — n'^tait
pas bon voilier : elle ne faisait que 6 ou 7 milles a Theure;
mais on pouvait d'autant plus sflrement s'y confier, ainsi
qu'a son capitaine. Ces bateaux russes ont pris une inge-
nieuse mesure de precaution : outre plusieurs appareils de
natation pour les individus seuls, iis menent avec eux une
grande barque recouverte de caoutchouc, que les vagues ne
peuvent pas engloutir. On appreciait d'autant plus alors une
telle prudence que de graves accidents venaient d'arriver
aux deux vapeurs turos entre Alexandrie et Constantinople.
L'un, qui portait le nom de Kars, s'etait perdu corps et
biens; a« nombre des centaines de passagers se troiivarent
plusieurs Europeens, en particulier un diplomate, un comte
autriehien. Quant a Tautre, qui s'appelait Silistria, on ne
parvint a en sauver qu'un certain nombre de passagers;
mais^ ce secours apport6 par des Turcs etrangers au vapeur
offrit lui-m6me une affreuse image de depravation. En
voici un trait : le commandant de la barque de sauretage
compta soigneusement les sommes d'or qu'on lui jctatt'
avant de recevoir les victimesde la catastrophe, qui flot-
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268 TEBRE-SAINTE
taient entre la vie et la mort. J'ignore si ia diplomatie euro-
p6enne a oblenu un chfttiment exemplaire de toutes les hor-
reurs commises dans cette circonstance, pour autant que
cela 6tait possible — le capitaine lui m6me ^tait parmi ies
morts. Mais personne ne pouvait douter que ces ev^nements
eux-m6mes ne fussent dus a la negligence et a Tignorance
des capitaines. Sur la mer Rouge 4eux semblables malheurs
avaient atteinl le pavilion turc.
Dfes le soir du 17 Juin, notre bSliment s'arreta pres de
Haifa. Nous avions devant les yeux et tout pres de nous la
cime du Garmel qui s'avance audacieusement dans la mer,
et ies constructions monastiques qui la couronnent. Quinze
ans auparavant j'y passai un jour et une nuit au convent
latin ; au soulagement corporel que m*apporta la main des
religieux se joignaient les impressions ineffaoables de
Taspect de la mer qui s'etend la a perte de vue. Avant
tons les autres noms de Tantiquite celui d'Elie est inscrit
sur cette montagne. Puisse Tesprit du prophfete qui atlen-
drit autrefois par ses prieres les nuees du ciel attendrir
maintenant les coeurs endurcis des Orientaux t
Au matin du 18, nous nous arr^t&mes devant le splendide
Beirout. Sur les hauteurs au sud de la ville, les b&timents
pleins de gofit eleves au milieu des bosquets et des jardins
pr6sentaient un ravissant spectacle. Ge sont surtout les
habitations des consuls europeens et d' autres Franks qui
jouissent ici toute I'ann^e des campagnes comme Saint-
Germain, par exempli, en offre aux Parisiens pendant la
belle saison. Derriere la ville s'^leve le majestueux Liban.
Le pinceau du peintre chercherait vainement un arri^re-
plan plus grandiose. L'oeil du voyageur ne peut cependant
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JAFFA, BEIROUT, LADAKIA, SMYRNE «d9
voir de la les cedres du Liban c61ebres par le psalmiste; un
beau bois de cfedres se trouve sur les hauteurs seplentrio-
nales, k deux ou trois journees de Beirout. En revanche
nous saluiimes sur un sommet quelques bandes de neiges
eternelles. Cependant ce n'est pas de \k que lui vient,
eomme on pourrait le supposer, le nom de montagne
< blanche ; » car I'imposante pente de la montagne a tout
entiere un v^tement blanc, provenant du calcaire blan-
chdlre dont elle se compose. Ce penchant de la montagne
n'en a pas moins etc diversement cullive. Un nombre inflni
de villages construits en terrasse le couvrent, sans qu*on
puisse les apercevoir de la mer. Le c6te de la mer porte des
traces d'antiquite, surtout a Tendroit ou le sol rocheux
forme un haut quai naturel. La sont couchees a cdte d'an-
ciens restes de mur une masse considerable de colonnes
plus ou moins mutilees, en partie dans Teau, en partie en
dehors. Qui pourrait deviner la destination qu'elles ont cue
autrefois? D'autrcs colonnes antiques et belles, parmi les-
quelles plusieursde granit, setrouventaussidans I'enceinte
de la ville. Mais ce qui donne a Beirout son importance, ce
sont moins ses vieux souvenirs que son r6le actuel. II a
avant tout une importance commerciale en etant le centre
du commerce de la Syrie avec TEurope, et en renouvelant
ainsi Tanciennerenommee du Berytos des Pheniciens. Apres
le commerce vient la science : elle est representee par une
societe savante avec une bibliotheque, et par une presse
arabe tres-active qui a deja rendu maint precieux service a
la litterature arabe. En troisieme lieu, Beirout est devenu
depuis] longtemps le siege de la mission proteslante des
Etats-Unis, qui a eu des succes assez imporlants en parti-
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«70 TERRE-SAIf«TE
culier parmi les nombreux maronites de cepays. La presse
que nous venons de mentionner est sa cr6ation et s'emplaie
surtout h son service : ainsi se montre une fois de plus le
lien intime qui unit le protestantisme et la science. A cdte de
cette mission am6ricaine, un pasteur evangelique allemand,
envoys par le Jerusalemsverein de Berlin, exerce depuis plu-
sieups annees une activite benie au milieu d'une congrega-
tion allemande et frangaise.
En dinant, le capitaine et moi, chez ie consul g^n^ral de
Russie, nous Times la connaissance d'un pacha r6sidant a
Beirout comme commandant militaire ; il se distinguait de ses
semblables non-seulement par son expression ouverte et
loyale, mais encore par les heureux essais qu'il avait faits
dans la peinture de paysage. 11 feuilleta avec grand interfet
les esquisses que le consul g^n^ral avait tracees dans son
voyage en Chine. Ce dernier me raconta que sa famille
etait originaire de Saxe; mais son pere avait deja ete au
service de la Russie et avait eu le bonheur de decouvrir des
mines d'or dans TOural.
Par suite d'une reparation devenue subitement necessairc
a la chaudiere, la Pallas ne quitta que le dimanche vers
midi le port de Beirout. Le soir meme nous abordames a
Tripoli, oil Tagent du consulat et du bateau k vapeur regut
les passagers le mieux possible. La ville possede de vieilles
mines et des environs enchanteurs.
Le matin du 20 juin, nous nous arrfitftraes devant
Ladakia, Tancienne Laodicee. Ge n'est pas celle que TApo-
calypse de saint Jean a rendue celfebre par une des lettres
adressees aux sept eglises ; en revanche elle est devenue
fameuse dans toul TOrient actuel par son excellent labac.
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JAFFA, BEIROUT, LADAKIA, SMYRNE 271
Cette Ladakia mMnteressait moi-m6me d'une fa^on toute
particuliere. Peut-etre vous souvient-il, ami lecleur, de la
communication par laquelle le patriarche de Jerusalem re-
pondit, a San Saba, a la nouvelle que le grand-due lui donna
de la trouvaille du Sinai *. Le precieux manuscrit biblique
devait etre la propriete de cette m6me Ladakia devant la-
quelle nous avions jete Tanere. Au reste, la communication
du patriarche n'etait nullement isolee : depuis longtemps
des ouvrages scientiflques ont donne des notices sur le codex
de Ladakia; Scholz(1823) et Coxe (1858) ont en parliculier
ecrit la-dessus. Un archimandrite de Jerusalem avait assure
au premier quil avait vua Kadakia I'autographe de Matthieu ;
ce manuscrit, disait-il, avait preserve le couvent de Lada-
kia, oil il avait toujours ete, de beaucoup de malheurs.
Scholz ajoutait de son c6te : « Probablement les moines se
tpompent ici de cinq cents ans. » A notre avis, la valeur du
document serait restee dans ce cas assez grande encore. Le
bibliothecaire d'Oxford mentionna la chose dans son rap-
port officiel sur les manuscrits grecs d'Orient^; on lui avait
indique le codex comme ecrit en lettres onciales, contenant
lesquatre evangiles, et etant le seul qui eiit de la valeur
dans toute la contree. Le missionnaire americain de Sidon
lui avait expressement affirme qu'on avait mainte foistenle
de I'acheter, mais toujours vainement. A ma grande satis-
faction, je fus moi-meme en etat de m'assurer exactement
de ce qui en etait quant aux louanges des patriarches et a la
mysierieuse tradition.
Lorsque nous fumes descendus dans les elegants appar-
1. Voir plus haul, p. 201.
2. Report to Her Majesty's government, etc , p. 17.
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272 TERRE-SAINTE
tements du consulat russe, r6v6que grec y fut invite pour
nous voir. Pour repondre a mon d^sir, il envoys immediate-
ment deux prfetres et deux diacres chercher le manuscrit.
On I'apporta avee une veritable solennit6, prec6d6 de deux
flambeaux j en le recevant, 1 evfique le baisa. Ma propre
observation eoncorda tr6s-peu avec eette veneration; je.ne
fus pas de^u, car je m'etais. d6fl6 de tous les bruils a ce
sujet. Ce manuscrit, relie en velours rouge, n'^tait rien
autre qu'un livre d*6vangiles fait pour Tusage de Teglise, ce
qu'on appelle un A}angelistarium^ ecrit avec les minuscules
ordinaires — pas trop petites — du xii^ siecle; il ne peut pas
pretendre a la moindre valeur scientifique, on en possede
au moins une centaine de pareils dans les bibliotheques de
rOrient et de TOccident. Je trouvai cruel de faire descen-
dre r^.vfique et son clerge du ciel de leurs illusions; aussi
je me bornai a indiquer que Vhge du manuscrit pouvait 6tre
de sept cents ans, et a exprimer le voeu qu'ils pussent le
garder et Temployer fidelement. L'eveque t6moignait un
respect parliculier a un nora en chifTre qui 6tait ecrit au mi-
lieu du livre, sur la marge superieure d'une page du texte.
1! devait designer un empereur Theodose , et servir de
preuve qu'une main imperiale avait ecrit le livre*, ce qui,
il est vrai, se rapporte a une tradition differente de celie
du tombeau de Barnabas. Cette tradition partage la credi-
bilite de Tautre ; du moins la main de Tempereur aurait dfl
dans ce cas avoir imite a s'y meprendre, par anticipation,
Tecriture du premier copisle venu du xii* siecle. Mais les
grands esprits, on le sait bien, devancent leur temps !....
i. Ou ecrit dant Ic livre et fait usage de celui-ci.
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JAFFA, BEIROUT, LADAKfA, SMYRNE 273
Abstraction faite de la tradition aventureuse des moines,
j*avais sous les yeux une nouvelle preuve de Tincroyable
ignorance dans la paleographie et dans la critique diploma-
tique. Mais qu'est-ce qui pourrait encore paraitre incroyable
apres le succes des fraudes de Simonides au sujet des pa-
limpsesles, a Leipzig et a Berlin, fraudes qui venaient de
se poursuivre sur le sol anglais avec des papyrus bibli-
ques* I
L'evfique me conla ensuite a quelles injustices les Chre-
tiens de son diocese etaient constamment exposes. Au mi-
lieu de ceite oppression , toutes ses esp6rances etaient
tournees vers la Russie; le recent voyage du grand-due
Gonstantin n'avait pas manque de faire sur lui une grande
impression. Le rccit de ces vexations n'etait malheureuse-
ment pas exagere. Quand apres la solennelle visite du ma-
nuscrit nous eumes fait une promenade a cheval jusqu'a la
ravissante campagne du consul russe, les personnes les plus
competentes me rapporlerent la des fails tout recenls a
1. 11 est facile de confondre mon nom avec celui deM. Dindorf, professeur
a Leipzig : de let vient une confusion qu'on a faite dans des cercles etoign^s de
FAUemagne, et qui m'attribuait un r61e tr^speu flalteur. Je dirai done en pas-
sant, a I'bonneur de layerite,que — tandisqueles sayan ts qu'on trompaitse son t
heroes des semaines et des mois dans leur illusion, et que Ton annonQait deja
de pretentieuses publications a I'aide des faux palimpsestes — j'ai au contraire
reconnu au premier coup d'oeil et prouve tout de suite la fausset^ des feuilles
qu'on me presentait des deux palimpsestes {Uranios et Her mas). A I'lieure
rafime ou j'appris que le premier devait 6tre acliete a Berlin pour 5,000 tha-
lers, somme dont la moitie avail deja ete payee, je telegraphiai la nouvelle de
lufourberie a Alex, de Humboldt, en I'ecrivant en mdme. temps k MM. Pertz
et Boeckh. Des details plus circonstancids sur celte affaire se trouvent consi-
«;nes dans Tecrit intitule : EnthuUungen uber den Simonides- Dindorfsdien
Cranios. ZweiUy zu einem Geschichtsabriss iiber Sinonides, den Hermastext
und das Leipzig- Berliner Palimpsest erweiterte.sowie mil Berichten und pa-
Idographischen Erliiulerungen Prof. Tlschendorfs und Anderer vermehrle
Auftage. Von Alex. Lykurfjos. Leipzig, 1856,
18
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274 TERRB-SAINTE
faire dresser les cheveux. Un m^moire coliectif du consuiat
sur ces proc^d^s, dat6 du 25 fevrier 1859, me fut envoy^
pour que je le copiasse et en profltasse, ce dont je ne me
suis pas fait faute. Qualre mois s'^taient ecoules depuis ie
m^moire, et aucune reparation ne s*en 6tait suivie; au con-
Iraire, rimpudence des employes turcs vis-a-vis des sujels
Chretiens, y compris les agents consuiaires, n'avait fait que
s'accroitre.
Apres avoir pass^ toute ia journ^e dans cette campagne,
au milieu d'entretiens animus et de r^cr^tions champMres,
— un veau gras fut tu6 en notre honneur et rdti a la
broche sous nos yeux — nous remontdmes en bateau lors-
que le soir arriva, et nous continudmes a longer la cdte
asiatique. Les deux stations suivantes, Alexandrette et
Mersina, avec Alep et Antioche k Tarrifereplan, n'ont
acquis quelque importance que recemment, par les services
multiplies de bateaux a vapeur. Ces deux iocalites sont en
mauvais renom a cause des fievres qui y regnent; pour
rendre moins pernicieuses les exhalaisons du sol, on a eta-
bli a Alexandrette plusieurs habitations a quelques pieds
au-dessus du sol, de sorte que les habitants doivent y mon-
ter par des escaliers ou des echelles. Nous jet&mes Tancre
le 24 devant Rhodes, le 25 devant Chios, apres' avoir vu
Tile de Syme, palrie d'Aristote et de ce Simonides, — le
miserable et habile fabricant de vieux manuscrits, — dont
pendant un an ,on venait de parler plus que d'Aristote.
Enfln, au bout d'une travers6e de dix jours, nous entrAmes,
le 26 au matin, dans le magnifique port de Smyrne.
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XX r
EXCURSION A PATMOS
Apres trois jours de repos, j'entrepris une course de deux
jours a cheva! k Scala Nuova, ou, — selon Texpression plus
habituelle des Grecs qui habitant cette ville, — ii la nou-
velle Ephese. La route y conduit a travers une contp6e fer-
tile, mais laiss^e en grande partie d6serte. Pour la surety
et la commodite du voyageur, on rencontre toutes les deux
heures des cabanes de gardiens, ou Ton pcut avoir un verre
d'eau, une tasse de caf6 et un narghileh (pipe a eau des
Turcs). Cependanf au bout de sept a huit heures de chemin,
comme il commen^^ait a faire nuit, nous apei'^^times une
belle maison de campagne, entour^e de b&tinnenfs conside-
rables. Apprenant que le proprietaire, un Anglais du nom
de Whitehall, y 6tait, je me dirigeai sur cette habitation et
fus re^u hospitalierement. Depuis trois ans M. Whitehall,
qui s'6tait distingu6 dans la guerre de Crimfie en partici-
pant au soin des blesses et k Tapprovisionnement des
troupes, avait achet6 la, pour 2000 livres sterUng (50,000 fr.)»
un terrain de quatre a cinq lieues d'etendue> afin de le
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^
276 TERRE-SAINTE
cultiver. Ce terrain reunit de grands avantages; il possede
en parliculier des sources abondantes. Une sorte de cha-
teau qui se construit sur la hauteur doit devenir le centre
du commerce et peutetre celui d'une colonic europeenne.
A environ deux heures au sud-est de la maison de campa-
gne est la propriety qui, il y a quelques annees encore,
apparlenait a M. de Lamarline. La colonisation tentee en
cet endroit a eu beaucoup a soufTrir des circonstances de-
favorables; en particulicr, I'air malsain qui y souffle a
co<it6 la vie a plusieurs colons fran^ais et a fait fuir les
autres.
Le 30 juin, de grand matin, je quittai ce « Traveller's
Rest. » La matinee etait vaporeuse, bien qu'aucune rosee
ne briliat sur les champs. Parmi les buissons fleuris qui
formaient parfois de vraies forets tout autour de nous, se
trouvaient de longs espaces couverts de myrtes sauvages.
Aux environs de Smyrne, nous avions rencontre de superbe
oleandre; nous en trouv&mes plus rarement dans la seconde
moiti6 du chemin. 11 y avait une multitude d'oiseaux;
d'epaisses troupes de moineaux sont une des plaies du pays;
on aime mieux rencontrer les cigognes , que nous vimes
souvent se promener en nombreuses societes dans les prai-
ries. Presque partoul, jusqu'a qualre lieues de distance, le
sol temoignait des travaux agronomiques de M. Whitehall.
Les troupeaux vigoureux et magnifiques, ou se trouvaient
enlre autres des buffles et des chameaux, auraient fait les
delices des paysans allemands.
Vers onze heures, la montagne, qui jusqu'alors avait
borne le chemin a Touest a noire droite, s'eloignait de plus
en plus; il s*ouvrait devant nous une vaste plaine avec une
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EXCUKSIOiN A PATMOS 277
chaine do motUagnes pen elevees a Test . nous arrivions aiix
ruines d'^phese. L'apolre qui a manie mieux que tout autre
lepee conquerante de Tesprit fonda ici Tun des centres de
sa puissante activite; peu apres Paul, ce fut le disciple
bien-aime qui, en verilable eveque, conduisitici letroupeau
du Seigneur aux sources de la vie. II reste moins aujour-
d'hui de Tantique el celebre ville de Diane, avec ses su-
perbes monuments classiques, que des souvenirs chreliens,
quoique ceux-ci aussi, comme c'est souvent le cas en Orient,
aient ete converts du masque mahometan.
Parmi les autres constructions, au pied de la forteresse, J
dont les ruines sont regardees comme provenant de la do- '
mination de Timour-Tamerlan, se distingue Teglise consa-
cree a la memoire de saint Jean, et elev^e, dit-on, sur son
tombeau. Elle appartient certainement aux plus belles de
rOrient. Des colonnes de porphyre, en partie debout, en
partie couchees, en dedans des murailles riches en raarbre,
qui sont encore conservees, temoignent de Tancienne
splendour de cet 6difice. Ces colonnes, dont plusieurs peu-
vent avoir deja orne le temple de Diane, sont de granit gris
tachete et de di verses autres pierres. Lorsque la cloche des
Chretiens se tut devant le cri de victoire des sectateurs du
proph^te, cette eglise servit de mosquee; mais les adjonc-
tions musulmanes furent en harmonic avec la pompe de la
maison du Dieu des Chretiens. Maintenant tout service di-
vin a cess6 dans son enceinte abandonnee; d'exuberantes
broussailles ont crii autour des colonnes renvers^es, et les
oiseaux de proie nichent sur les murs desoles. D'apres une
pieuse legende, qu'Augustin lui-meme rappelle, Jean n'est
point tombe en poussiere dans sa tombe, il y est simple-
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278 TEURE-SAJNTE
ment endormi; une source mugissante a cdte ^t^H cense?
provenir du coeur de Tapdlre de Tamour, Si cette source a
dfes longtemps lari, Tapdtre n'a pas cesse de vivre : il vit
noD dans sop sepulcre d'Ephese^ mais dans les coeurs de
toute la chr6lienl6, qui doil a son eyangile ies plus eclalants
t^moignages rendus au Redempleur du monde.
Une heure environ apres avoir quitt6 ces mines et le vil-
lage d'Ajasaluk (<5tYto; Iwawri;), habil6 en majeure parlie par
des Gipecs fort actifs, nous chevauchions sur les bords du
paisible et majestueux Kaystros; trois heures plus tard,
apres avoir longe le rivage de la mer, nous atteignimes la
nouvelle fiphese, sous les rayons d'un soleil accablant. J'y
trouvai un accueil hospitalier , dans la memo noaison
d'Alexaki , qui m'avait re^y quinze ans auparavant ;
s^ulemept au pfere enleve par uqe mort pr^matur^e
avait siicc6d6 le flis comme consul de Russie et d'Angler
terre.
Le soir m6me, nous louames, pour une excursion de dix
jours a Patmos et retour, un des plus grands bateaux,
nonom^ kajik, dont le capitaine, un Grec, 6tait connu au
coqsulat comme un homme sAr.
II n'6tait gu6re plus de cinq heures du iqalin lorsque je
mqnt^i avec mon drogman sur ce kajik, dont le capitaine
et quatre hommes formaient tout ^equipage. Aussi long-
temps que nous eflme^ la terre ferme a notr? gauche et,
ce qui a^riva deux ou trois heures apr6s notr? depart. Tile
de,S.amos a noire droite, le bateau fut parraitement a meme
de supporter les couranls; mais il elait beaucoup moinsde
force k alfronter la pleine n\er, sur laquelle il ressemblait
a une bajlc leg^re. II me revenait sans ccsse a la memoire
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EXCURSION A PATMOS 279
ces vers ou Horace cel^bre I'audaee du premier navrga-
teur :
Illi robur et aes triplex
circa pectus erat, qui fragilem truci
commisit pelago ratem
primus
(Od, I, 3)
Neanmoiiis, vers six heures du soir, lorsque les nwuve-
rnents du bateau devinrent plus mod6res et que je levai
les yeux, voici, Patmos etail devant moi. Je ne pouvais me
meprendre sur son monastere qui, semblable a une forte-
resse,. s'eleve sur la hauteur. II fallut pourlant encore pres
d*une heure avant que nous pussions noettre pied k lerre.
La bale du port de Patmos est d'une grandeur extraordi-
naire ; les promontoires nous forcerent a bien des detours
pour faire enfin voile avec le vent favorable sur le lieu du
debarquement.
L'employe de sante arrive depuis plusieurs mois de Cons-
tantinople avait recemment enipeche un bateau a va[)eur
russe de debarquer parce qu'il venait de Tripoli, confon-
dant ainsi le Tripoli asiatique entre Beirout et Alexan-
drette avec le Tripoli africain ou regnait la pe^e. Mais
depuis le 30 mai, jour oii les pelerins grand-ducaux avaient
visile File apres leur depart de Jerusalem, il avait appris
le respect pour tout ce que couvre le pavilion russe; it
m'accompagna a travers la ville basse jusqu'au pied des hau-
teurs assez escarpees qui portent le convent et la ville
haute. Ne trouvant pas de mulcts, je dus faire a pied, a la
sueur de mon visage, le chemin tr^s-fetigant, qui dura
une heure. Le sup6rieur m'accueillit trcs-amicalement et
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280 TERUE-SAINTK
aprfes avoir lu a la lueur douleuse d'une lampe les lettres que
je lui remis, il me fit indiquer une vaste charabre, cclle que
quinze ans auparavant, a ma premiere visile, occupait le
prieur d'alors.
Les pr6cieux manuscrits de la bibliotheque m'avaient attire
la pour la seconde fois; en leur consacrant celte fois huit
jours, je me convainquis de nouveau de la grande richesse
de cette collection en manuscrits d*une haute antiquito. A
Texceplion d'un seul du xi® siecle, — qui contient plusieurs
livres de Diodore de Sicile, avec plusieurs ameliorations de
leur texte et un passage qui manque dans toules les edi-
tions* — ils appartiennenl tons a la litterature chretienne ;
seulement on se rappelle fort bien que le celebre Platon
d'Oxford, manuscrit dat6 de la fin du ix® siecle, a 6te enleve
de la bibliotheque de Patmos. Parmi les textes bibliques
brille un Job du vni« siecle avec un grand nombre d'images
en majeure partie bien conservees. Eni'honneur exclusif de
ce manuscrit lord Dufferin etait venu a Patmos pen avant
moi dans son yacht a vapeur. Cependant la bibliotheque a
encore plus dimportance pour la patristique que pour le
texte sacr^. Je copiai un travail exegctiquede Tillustre Pere
de rifiglise Origfene sur les Proverbes ; il n'etait connu que
par un des derniers ouvrages du cardinal Mai, encore avec
beaucoup de fauteset de lacunes^. Cette bibliotheque m'of-
fril aussi un secours de grande valeur pour une edition
critiqiie d'un ouvrage tres-remarquable, faisant parlie de
I'apocalyptique du commencement du ii^ siecle et inti-
1. J'ai fait sans retard iiuprimer ce precieux petit supplement dans la
Notitia ediiionis codicis Sinaiiich etc. 1861.
2. J'ajoutai toute cette copie a la Notitia ^ dont je viens de parler. Elle s'y
trouve p. 76-122.
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EXCURSION A PATMOS 281
tule : Les Testaments des douze Patriarches. Outre ces tra-
vaux, je dus encore a la bienveillance chaque jour grandis-
sante de I'eveque d'autres choses provenant en partie des
manuscrits deteriores parletennps et mis pour cela de c6le.
On venait juslement de commencer un excellent catalogue,
ainsi que la publication des anciens documents les plus in-
teressants du monastere. Le savant bibliothecaire Sakke-
liori, qui en etait charg6, au sein de Tile solitaire de Sainl-
Jean, se fera ainsi connaitre par un ouvrage qui sera
apprecie et accueilli avec joie de tout le monde civilise.
Le couvent fut cree au xi* siecle, sous le gouvernemcni
et la favour particuliere delempereur Alexis Comnene, par
un moine du monastere de Latros, pres de Milet, nomme
Christodoulos, distingu6 sans doute par sa piete et scrieu-
sement desireux que sa fondation fut pourvue de manus-
crits. Christodoulos ne rencontra alors aucun habitant dans
Tile, raais bien une statue de marbre de Diane, dont le culte
y avail jadis regne; sa premiere oeuvre missionnaire con-
sists a la briser. On me montra, en outre, comme un pre-
sent d'Alexis Comnene, un buste tres-expressif de Jean
dans son age avance.
En dehors memo du couvent deSaint-Jean, I'ile presenle
assez de souvenirs interessants. Je Tai nommee tout a
rheure rUe de Saint-Jean, Qui ne sait en effet que, suivant
les premieres pages de TApocalypse, le jour du Seigneur, le
Seigneur a sacr6 son voyant,le prophetechretien,danscette
meme Patmos? En outre, selon la tradition des premiers
siecles, parfaitement reconnue par Eus6be et Jer6me, le
meme prophete, vieillard et eveque d'Ephese, fut exile pen-
dant longtemps a Patmos par Domitien,ce qui jetle de la lu-
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282 TERRE-SAIiNTK
mifere sur le commencement de TApocalypse. La memoire
de Jean forme encore aujourd'hui le centre de la vie reli-
gieuse de Tile. On se considere pour ainsi dire comme une
colonic de Saint-Jean ; son souvenir n'est nulle part celebre
plus souvent et avec plus de ferveur. La grotte de rocher con-
sid6r6e comme ^habitation de Papdtre lorsque la Revelation
lui futadressee a fete arrangee en petite eglise, ou plusieurs
fois Tannee se tient un service commfemoratif de cet evene-
ment *.
La population, qui monte h 4000 ames environ, est in-
cessamment encouragee a une vie pieuse, par le fait que
le couvent de Saint-Jean possede en un certain sens la
domination sur Tile entiere^ habitee uniquement par des
Chretiens grecs ; les premiers etablissements de lai'ques se
firent deja sous sa dependance positive au xi* et au xii® sie-
cle, et aujourd^hui encore le monastere paye a la Porte la
plus grande partie du tribut de Tile, comme il tire les
principaux revenus du pays, outre ses possessions exte-
rieures, a Samos, en Crete, a Santorin, etc. Tous les freres
du couvent, depuis Tev^quejusquaux sous-diacres, sontori-
ginaires de Patmos: chaque famille regarde comme un hon-
neur et un avantage d'avoir un reprfesentant au monastere.
II en resuiteque les families elles-mfimes sent plus intime-
ment li6es entre elles que ce n'est le cas ailleurs. Cehi est
d'autant plus necessaire que, les chefs de famille 6tant ap-
peles assez souvent par leurs affaires particulieres ou par le
service du gouvernementgrec a des absences prolongees,
1. L'e&il de Jean k Patmos est egalement atteste par les tr^s-anciens Actes
de Jean, oayrage gnostique qui a paru pour la premiere fois dans nos Acta
apostoloruin apoerypka. 1851.
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EXCURSION A PATMOS 283
les femmes restent seules a Patmos. Ces femmes solitaires
cultivent avec predilection le bas tricot6, et le succes cou-
ronne leurs travaux ; car les excellents bas de fil, confee-
tionnesdespropres mains deshabitantesdePalmos, formenl
Tunique specialile commerciale de File. Outre cette activite
domestique, elles se distinguent par leur aimable modestie.
Sans 6tre d'une beaute frappante, elles ont une fraicheur de
teint, une grace dans les traits, une naivete d'exprcssion,
qui ne peuvent passer inapercues d'aucun etranger. J'ai le
regret de ne pouvoir d^crire leur costume et surtout leur
coiffure particuliere; mais tous deux font une agreable
impression.
Un jour. Tun des pr^tres me conduisit chez sa soeur, do»t
la charmante fille de quinze ans etait depuis peu heureuse
fiancee. Dans la belle salle de reception etaient suspendus
des tableaux a Thuile de maitres hollandais i on en trouve
un certain nombre dans Tile et ils proviennent des prece-
dents rapports avec la HoUande. Selon Tusage, la mere et
la fille oflfrirent a leur hdte divers mets sucres ; et quaqd ie
partis, la flanc6e, sur un signe de son oncle, me versa en si
graude abondaace de Todorante eau de rose sur la tete» le
visage et les v^tements, qu'on pouvait y voir une distinc-
tion speciale.
Lorsque quin;ze ans auparavant je visitai Tile pour quel-
ques heures, j'y fis la connaissance de deux jolies soBurs
dont il a ete question au 2® volume de mon Voyage en Orient.
Je les retrouvai toutes deux cette fois ; Tune, nommee Tha-
lie, 6tait environn^e d'une. florissante troupe d'enfants,
L'autre muse avait aussi autour d'elle quantite de gar-*
50ns et de filles. On voit par la que la population de Tile
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284 TERRE-SAINTF
no risque pas pour le nioinent de s'eteindre. Et a la bene-
diction qui repose sur les femmes insulaires viennent se
joindre les plus heureuses circonstances elimaleriques, qui
permettent a Tile de se passer d'un m6decin.
La vue la plus belle est celle dont on jouit des toils du
monastere. De tous cdles brille Fazur foncede la mer, dont
la vaste et belle etendue n'est inlerrompue que par quel-
ques rochers solitaires. Un regard jet6 sur le pays'ne revele
pas une grande fertilite; les pierres de plusieurs penchants
de la montagne ont un caractere volcanique prononce;
mais il ne manque pas non plus de champs et de jardins,
oil Ton cultive entre autres Tolive, la figue, Torange, le
citron, la grenade.
Pendant une partie de mon sejour a Patmos, les flots
furent agites par des vents si violents qu'aucun bateau n'osa
se hasarder hors du port. Je saluai avec d'autant plus de
joie, avec mon capitaine, le repos sabbatique qui le samedi,
jour fixe pour mon depart, etait r^pandu sur les flots.
L'eveque et tous ceux des freres avec lesquels j'avais ele en
relation m'accompagnerent avec une vraie fraternite, a
une iTeurdr matinale, jusqu'au pied de la montagne, ou le
bateau m'attendait. Avant que j'y montasse, Thalie m'en-
voya encore, malgre le peu de fleurs que renferme Tile, un
grand et superbe bouquet. Je quittai la chere lie de Saint-
Jean en pensant que je ne reverrais probablement aucun de
ces amis qui m*avaient re^u si hospitalierement et si affec-
tueusement, mais aussi avec la certitude qu'un souvenir
cordial et reconnaissant m'y reporterafr^ouvent encore.
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XXII
UNE HEUBEUSE TROUVAILLE A SMYRNE
Les tr^sors manuscrits qu'independamment du Codex
Sinaiticus je reussis a decouvrir et a rapporter a Peters-
bourg peuvent pretendre, pour une bonne part, a fetre mis
au nombre des plus heureux resultais dc semblables
recherches. J'en ai rendu un comple public au jugement des
connaisseurs *. Bien loin d'atlribuer ces resultats a mon
propre merile, je dois me prosterner dans la poussiere et
adorer la main qui a conserve dans des coins paisibles et
recules ces legs de la haute antiquite chretienne, pour
qu'ils fussent mis en lumiere par la science d'aujourd'hui. Je
desire donncr un cxemple des heureuses rencontres don t je
fus I'objet. II nous conduira a Smyrne d'ou, comme on le
sait, les plus beaux et les plus excellents fruits nous par-
viennent tons les ans, mais qui a ma connaissance n'avait
depuis des sieclcs jamais enrichi nos bibliotheques.
1. Get ecril porte le litre suivunl : Nolilia editiunis codicis bibliorum Sinai-
lid auspiciis imperalo^is Alexandii 11 susceptce. Accedil caialogus cudwum
nuper ex orienle retropolin pcilutorurn, etc. Lipsia-, 1860.
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>^^ TERRE-SAINTE
Ma premiere sortie a Smyrne avant le voyage de Patmos
(levait 6tre pour le v6n6rable consul general de Russie. Par
erreur j'entrai, au lieu du russe,dans le consulat autrichien.
Lorsque mon erreur s'expliqua, je me trouvais deja en pre-
sence de M. de Steindl. Dans le courant de la conversation
il me fll connaltre qu'il y avail dans une eglise grecque de
la ville un vieux manuscrit dont personne n'avait pu dire
le contenu et la valeur. J'acceptai avec reconnaissance sa
proposition de me faire conduire le lendcmain pour examiner
cet ecrit. Or il se trouva que c'etait un manuscrit grec du
XI® siecle, contenant le Pentateuque, el, si mon souvenir est
exact, les livres historiques qui suivent immediatement. 11
se distinguait surtout par de jolies et riombreuses peintures,
comme on en trouve en petit nombre sur quelques parche-
mins de cette epoque. Plusieurs des chefs de la communaut6
grecque assistaient a cet examen et je leur donnai toutes les
explications qu'ils souhaitaient.
Lorsque je fus, quinze jours plus lard, revenu de Patmos,
Texcellent ecclesiastique de la jeuue eglise evang^lique
allemande de Smyrne me conduisit dans le pensionnat de la
maison des diaconesses; cette pension est tres-bien dirrgee,
tres-recherch6e et visibiement benie. Les jeunes filles y
passaient precisement leurs examens annuels, et plusieurs
des exercices, en particulier ceux de musique executes sur
trois pianos par six Aleves, meritaient la louange et Tadmi-
ration. Au retour, notre chemin nous fit passer prfes de
Tcglise ott 6tait ce manuscrit grec. Un des chefs dej^ nommes
vint a ma rencontre pour me consulter sur un autre manus-
crit qu'il portait sous le bras. En Touvrant, je reconnus a ma
grande surprise un codex grec du ix^ siecle en onciales,
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UNE HKUREUSE TROUVAILLE A SiMYRNE 3887
contenant les quatre evangiles. L'6tomiemerit qirun docu-
ment biblique si rare et si precieux piit se reveler a moi
soudainement, pendant une promenade dans les rues de
Smyrne, m'accompagna chez moi, ainsi que le desir d'utiliser
tout de suite ce manuscrit pour la science, et mfime, s'il
m'etait possible, de Tacquerir pour la collection dont j'elais
charge de haut lieu.
Le lendemain matin je fis la premiere demarche, en com-
pagnie d'un commercant allemand, M. Louis Meyer, doilt
J'etais siir. J'appris alors que le manuscrit 6tait la propriety
d'un parliculier; son acquisition en semblait d'aulant plus
facile. Je Tempruntai pour Texaminer de pluspres. Con-
tirme par cet examen dans ma premiere appreciation de la
haute valour du manuscrit, qui etait presque complel, je lis
faire par un ami de nouvelles demarches. J'6tais pret a con-
sacrer a cot achat une somme considerable; mais si le pre-
cieux metal n'exer(?ait pas sa puissance ordinaire d*attrac-
tion, je voulais engager le possesseur a faire don du
manuscrit a Tempereur de Russie. Je vis bientdt qu'il n'y
avait rien a attendre du premier moyen : le possesseur'
apparlenait aux plus riches families grecques de Smyrne.
Quant au second moyen, I'espoir du succes qu'il pouvait
offrir etait diminue par le fait que, depuis un si^cle, le ma-
nuscrit etail devenu un tresor de famille. La pieuse maitresse
de la maison, peu soucieuse de son contenu, en avait fait
une precieuse relique, et lui avait a ce titre assigne une
place sur sa table de prifere. La pieuse femme avait voix
preponderante dans !c chapitre, et sa decision ne fut pas
favorable a ma proposition. Mais cette memo femme 6tait
aussi mere; elle avait un flis unique. Le coeur maternel
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288 TERRE-SAINTK
etait dispos6 6 renomcer au tresor, pourvu que I'heritier
presomptifdu manuscrit fut considere comme ledonaleur
et que ce sacrifice de la piete fflt honore de la bienveillance
imperiale. Le jeune homme, qui jouissait de la meilleure
reputation, etait alors en Angleterre. Autant que je pouvais
en juger, il n'y avail rien d'impraticable dans cette propo-
sition; inais sa realisation fut encore Ii6e a Tacceptalion
expresse du fiis absent. Comme cette acceptation ne pou-
vait arriver avanl trois semaines, et que le proverbe :
Interim fit aliquid, se realise trop facilement d'une fagon
d6sagreabie lors d'un pareii retard, j'eus de la peine, le soir
du jour oil cet arrangement eut ete imaging, — c'etait le
(juatrieme jour apres la renconlre dans la rue — a quitter le
port de Smyrne.
Jedois rappelericique, plusieurs annees avant, un savant
grec consulte sur ce manuscrit lui avait refuse positivement
loule valeur scientifique. Tel est I'autre c6te du defaut de
connaissances paleographiques. A Ladakia Tignorance a
conduit a venerer un ecrit insignifiant, ici a m^priser une
perle. La derniere forme est la plus frequente, elle a eu
souvent des suites plus facheuses que dans le cas actuel.
La marche de mes affaires au Caire m'engagea, centre
mes intentions et mes calculs,a partir le 10 aoftt pour Cons-
tantinople. Lorsque le 13 nous jetames Tancre dans le
port de Smyrne, le terme fixe pour la reponse d'Angleterre
etait justement arriv6. En effet le jour meme, un dimanche,
la famille avait re(?u la leltre attendue, et le lendemain
matin je fus surpris de la fa^on la plus agr^able par la
nouvelle que je pouvais prendre le manuscrit. Le soir, le
vapeur rcpailit dc Smyrne; il comptait parmi les bagages
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UNE HEUREUSE TROUVAILLE A SMYRNE 289
des passagers ce livre d'evangiles, dge de mille ans, qui peu
de mois apres' fut recu avec tant de faveur par Tempereur
de Russia, at qui a eurichi la bibiiotheque publique de Saint-
P6tarsbourg.
Parmi les documents du texte original des ^vangiles, dont
le nombre total s'eleve a huit cents environ, la litterature
chr^tienne ne poss^dait jusque-lli que huit manuscrits aussi
complets et aussi anciens que celui-la ; encore sont-ils dis-
perses dans les metropoles de la science. Quatre seulement,
de la mSme etendue, remontent encore quelques si6cles plus
haut. Au nombre des premiers brille en premifere ligne le
Codex Sinaiticus ; parmi les premiers le huiti6me est done
dA ^galement k mes recherches en Orient.
i^
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XXIII
L AFFAIRE DU CODEX SINAITICUS
VOYAGE A CONSTANTINOPLE
Lors de mon d6part du Caire aux premiers jours de mai,
on m'avait fait esperer qu'au bout de trois mois ies freres
du monastere ayant droit de vote seraient miirs pour une
deliberation au sujet du don projete du manuscrit sinaitique.
En consequence, je me retrouvais au Cairo avant la fin de
juillet. Mais sur ces entrefaites Ies circonstances s'^taient
modifi^es colitre mes souhaits et mon attente. Le haut
pr^lat qui devait, selon Tantique usage, donner la conse-
cration a Tarchevftque du Sinai avait eleve des objections
centre la validit6 de la r6cente Election. Aussi la reconnais-
sance oflicielle n'avait-elie ete obtenue ni de la Sublime
Porte, ni du vice-roi d*Egypte. L*aflfaire du Codex Sinaiticus
dut en supporter le contre-coup ; le convent n'etait pas dans
Ies conditions favorables a une donation reguliere. Cinq
d616gues du monastfere, parmi lesquels le prieur qui m'avait
rcQU au Sinai, 6taient depuis des mois a Constantinople
pour faire reconnaitre par la Sublime Porte comma par le
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LE CODKX SINAITIGUS 291
patriarche la pleine 16galit6 de Telection de leur arche-
vfeque. Le nouvel elu lui-mftme 6lait trop noble pour
recourir a d'autres moyens qu'ji son bon droit
Dans ces circonstances si compliqu6es, le meilleur parti a
prendre me parut d'aller aussi dans la capitale turque pour
voir de mes yeux quelle tournure prenait la juste cause des
moines du Sinai. Accompagn6 de tons les voeux et des
benedictions du couvent, je repartis pour la seconde fois
d'^gypte et debarquai le 17 aoM a Constantinople.
Le jour mfime un vapeur turc me fit traverser le Bosphore,
la plus magnifique route de mer qui soit dans le monde, et
me conduisit a Boujoukd6r6. J'y devins quelques jours plus
tard rhdte du prince Lobanow, qui unit un goM eclair^
pour les arts et un grand zele pour la science a Tamabilite
du caractere et a I'habilete dans la diplomatic.
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XXIV
SOUVENIRS DE LA VISITE GRAND-DUCALE A CONSTANTINOPLE
VISITE DE LA GRANDE-DUCHESSE AU HAREM DU SULTAN
Au lieu de ceder h la tentation d'augmenler le nombre,
d^ja si considerable, des descriptions de Fin^puisable Cons-
tantinople, je prefereajouteraux souvenirs du voyage grand-
ducal en Terre-Sainte quelques indications de ceque virent
les illustres voyageurs a la cour du sultan. Je compte pour
cetterapide esquisse sur Tindulgence du lecteur.
Partie de Jaffa le 23 mai, la flottille du grand-due visita
Beirout et Smyrne. Entre ces deux villes elle toucha Rhodes,
pendant deux siecles siege des nobles chevaliers de Saint-
Jean; Patmos, la paisible et charmante He de Jean; Samos,
patrie de Pythagore, ou s'elevent encore les mines de la
forteresse du trop lieureux Polycrate; Chios, celebre par son
vin, immortelle par son Homere. Apres ce beau voyage,
heureusement accompli dans TArchipel grec, elle passa
devant les rives de Troie et enlrale6 juin par le detroitdes
Dardanelles dans les eaux de Constantinople. L^, depuis le
premier moment jusqu'an dernier, le padischah entoura ses
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CONSTANTINOPLE 293
nobles hdtes d'attentions piH)babIement inconnues jus-
qu alors a la cour turque. II semblait que Tetiquette du
Grand Seigneur fiit tout a fait supprimee pour cette visite.
Lorsque le tonnerre des batteries et des vaisseaux de
guerre eut salu6 Tescadre, que de plus Fuad-Pacha, mi-
nistre des affaires etrangeres, et Tamiral Meh6met-Ali-Pacha
eurent paru a bord du Gromoboi^ LL. AA. II. descendirent
pour quelques minutes au kiosque de Tophana ou le sultan
s'etait rendu pour leur souhaiter la bien venue. Jl recut
ses lidles au bas de Fescalier du pavilion. Ce kiosque, ainsi
que celui de Therapiaet le chateau d'Emirghian auborddu
Bosphore, fut laisse au grand-due pour son usage exclusif.
Le lendemain matin seulement, le grand-due echangea la
fregate centre ledit chateau, dont les appartements avaient
ete magnifiquement amenages ; Kiamil-Bey, introducteur
des ambassadeurs, et Tamiral M6hemet-Pacha Ty repurent
et resterent attaches a sa personne. Mais le jour m^me dans
Tapres-midi, le sultan lui-meme vint surprendre le couple
grand-ducal. Apres avoir demande a la grande-duchesse si
elle trouvait de son goM les arrangements qui avaient 6t6
faits en son honneur, il lui annonce a I'avance une invitation
a un diner dans son harem.
Les musiciens particuliers du sultan devaient jouer regu-
lierement a Emirghian pendant les repas ; leur repertoire se
partageait entre des morceaux europeens et des morceaux
turcs.
Le jour suivant, mercredi, LL. AA. II. regurent le grand-
vizir et d'autres hauts dignitaires turcs, ainsi que le corps
diplomatique; lejeudi, les trois patriarches grecs de Cons-
tantinople, de Jerusalem et d'Antioche, avec les 6v6ques
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294 T£HRE-SA1NTE
membres du saint-synode; de m^me le haul cierg6 arm6-
nien, son kalholikos en t6te. Une beure plus tard vinrent
les dames du corps diplomatique. Dans Tintervalle on avait
remis au grand-due, de la part du sultan, les insignes en
diamants du Medjidi^, et k la grande-duchesse un bracelet
6galement en diamants avec une grande 6meraude au mi-
lieu, orn6 de cette inscription : Jadiguiar (souvenir).
La premifere course k Stamboul ful pour TAja-Sophia, cette
perle des 6glises conslruile par Justinien, toujours sdre de
I'admiration de tons les voyageurs. Les r^centes restaura-
tions n'ont fait que rebausser Timposante impression qu'elle
produit.
Le jeudi, on rendit au sultan sa visite ; de magniflques
equipages faits expr^s furent mis a la disposition de la
grande-duchesse. Imm6diatement aprfes, les nobles voya-
geurs, months sur des che vaux richement caparaconn^s,firent
une promenade dans la ville ; un bataillon de la garde les
escortaitdes deux c6l6s.
Le vendredi, Kiamil-Bey apporta a la grande-duchesse
pour le lendemain Tinvitation a diner dans le harem impe-
rial. G'6tait probablement la premiere invitation de ce genre
depuis Tetablissement d'un harem du Grand-Seigneur a
(Constantinople. Depuis I'exception que le sultan Achmed
fit en 1718 pour la spiriluelle lady Montagu, qu'il estimait
lui-mgme particulierement, sans doute nul pied etranger
n'a foul6 le sol dece harem.
Le samedi a six heures apres-midi, S. A. 1. se rendit a
rinvitation, tandis qu'en m6me temps le grand-due allait
avec son escorte dans les appartements du sultan pour un
diner auquel le corps diplomatique etait aussi convi6. Le
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CONSTANTliNOPLE 205
sultan lui-m6mey'ftit rertplac6 selon Tusage par le ministre
des affaires 6trangeres, Fuad-Pacha.
L'honneur extraordinaire que le sultan faisait par cette
invitation a la grande-duchesse Alexandra exigeait qu'elle
fflt en costume de gala. Le harem imperial, auquel Teclat
du luxe et la grandeur paraissent inseparables, ne devait-il
pas recevoir a cette occasion la premiere impression d'une
princesse europ6enne, d'une princesse imp^riale de Rus-
sief EUeapparut. done dans la plus riche toilette, etince-
lante de rubis, de perles el de diamants, et decoreeen outre
du grand cordon de Sainte-Catherine *.
Un violent orage venait de se d^charger, lorsque les
nobles h6tes du sultan se rendirent dans un excellent kajik,
present de sa part, de TEmirghian a la residence grand-sei-
gneuriale de Beschiktasch ou se deploie le plus grand luxe.
Sa Majeste turque attendait au bas de Tescalier du palais;
rhymne national russe salua Tarrivee des invites, Fuad-
Pacha et d'autres ministres s'avanc&rent jusqu'au kajik.
L'escalier que nous venous de mentionner conduit d'abord
a un vestibule soutenu par des colonnes et dont toute la
1. Supposant que cela interessera plusieurs de nos lectrices, j'ajoute ici
une descriplion plus exacte de cette magnifique toilette : « Son Altesse Jm-
periaie portait une robe avec une grande jape en dentelles blanches recou-
vrant une jupe bleue relevee a la Pompadour, qui tombait sur une autre jupe
blanche formant des colonnes de dentelles, posees sur des rubans bleu clair.
Chaque couture du corsage ^tait recouverte de rubis, turquoises et diamants.
Des ^toiles en turquoises et diamants, posees a petite distance sur une large
tresse de cheveux, formaient une aureole, derri^re laquelle etail pos^ en forme
de couronne un diadSme en rubis et diamants. Sur le chignon de la tresse
etaient poshes encore des branches de rubis et de diamants retombant comme
en pluie sur la nuque. Sur le cou Son Altesse Imp^riale portait de gros cha-
tons et quatre longs rangs de perles retombaient jusqu'a la ceinture du corsage,
couyert tout entier de broches de rubis, diamants et turquoises. Les noeuds de
la jupe Pompadour etaient retenus par de gros chatons. »
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296 TERRE-SAINTE
coupole est recouverte de vitraux rouges. La lumiere
qu'elle laisse tomber sur les degr^s de marbre et sur le ves-
tibule 6bIouissant de blancheur produit un efifet magique.
La vaste saile d'audience, orn^e avee la plus grande ri-
chesse et le meilleur goftt, — et dont le lustre 6tincelant de
dix mille flammes a ^t^ admir^, h Paris, il y a quelques
ann^es, — 6tait dejJi occup6e par le corps diplomatique.
Apr^s un court arrdt dans cette salle, le sultan conduisit
la grande-duchesse , accompagn6e de son fils Nicolas,
ag6 de dix ans, de la comtesse Kamarofsky et de M"** de
Tschitscherin, dans la salle du trdne oii les grandes dames
turques etaient rassembl6es.
Le sultan presenta d'abord sa soeur et ses filles, sultanes
de naissance, puis ses propres femmes portant le titre de
codifies, et ses quatre fils. Indiquant du doigt une porte, il
ajouta : Void, madame, le harem — et disparut. II se rendit
de son c6l6 a son diner solitaire, auquel le condamne tous
les jours I'etiquette; aucune de ses femmes n'a jamais par-
tag6 son repaSy ou n'y a m^me assists.
A la parole du sultan, les appartements secrets furent
affranchis de leur inviolable sceau, et la grande-duchesse
entra dans le harem. La grande-mattresse des ceremonies,
directrice de tout le sanctuaire *, ouvrail la marche ; la sul-
tane-soeur suivait la grande-duchesse. Deux Armeniennes,
parlant le turc avec une egale facilite que le francais, tra-
duisaient tous les entretiens. Avec Tentr^e dans le harem
commenca une promenade a travers une infinite de chambres
auxquellesleverre blendes fenfetresprfetaitunairmysterieux.
La population du harem, qu'on estime a deux mille per-
1. Le Qom de harem )ai-in6me signifie iocri.
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LE HAREM 297
sonnes et qui se compose en bonne partie de Grecques et
d'Armeniennes, 4tait a peu prfes r^unie en entier dans ces
appartements tout orientaux. Elle ne pouvait manquer de
produire I'effet d'un monde de f€es sur I'esprit des visiteurs
etrangers. Mais I'apparition de ceux-ci n'^tait pas moins
^tonnante auxyeux des favorites et des esclavesdii sultan, si
s6v6rement exclues du monde et de la vie exterieure. La cu-
riosity de ces Orientales luttait incessamment avec leur
respect; mais malgre ce respect, elles nepouvaient s'em-
p6cher de se presser de tous cdt^s aufour de la grande-
duchesse, dont la beauts comme I'^clat princier 6tait faite
pour leur imposer.
On'parvint enfm dans unevaste et magnifiquesalle, 06 Tin-
croyable etait realise; on yvoyait la plus belle troupe demu-
sique militaire. Leur uniforme consistait en habits rouges ri-
chement bord^s d'or et en pantalons blancs; leur tfete etait
coiffee du fez rouge avec le gland d'or. A la premiere surprise
de trouver de gais soldats au milieu de ce sanctuaire femi-
nin en succ^da une seconde, lorsqu'il fut constats que ces
beaux musiciens etaient d'habiles fiiles du harem.
A cdte de cette salle on en trouvait une autre, oti une
table elegante etait servie tout a fait k la mode europ6enne.
La grande-duchesse prit place a la droite de la soeur du
sultan, le jeune prince a la gauche de celle-ci. A droite de
la grande-duchesse s'assit la premiere cadine, belle Gircas-
sienne dont Tapparence florissante ne trahissait pas du tout
un ftge d'environ quarante ans. Sa beauts se faisait d'autant
plus remarquer que dans le grand nombre des femmes et des
jeunes flUes pr^sentes aucune ne pouvait rivaliser avec elle,
excepte Tune des fiUes du sultan ; pour beaucoup d'autres
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»8 TERRE-SAINTE
afu contraire l'6c!at dd printcmps de la Vie n'avait 6videm-
ment jamais brille, ou bi6n il s'6tait deji fan6. La seconde
femme du sultan, la mfere de Mourad-Eflfendi, Tain^ des
princes, prit place k cdt6 du grand- due Nicolas. La gratide-
mattresse des c6r6monies et les quatre filles du sultan
s'assirent 6galement a table, ainsi que les deux dames
d'honneur de la grande-duchesse. La toilette turque avail
d6ploy6 le plus grand luxe de diamants; on voyait en par-
ticulier resplendir au petit doigt des princesses un enorme
solitaire.
La grattde-maitresse des ceremonies s'acquitte de deux
hautes fonctions dans sa sphere d'activite : elle a la tache
de gouverner tout le petit etat et celie de pourvoir les places
vacantes. Le premier de ses devoirs n'esl pas facile malgre
Tabsence de d^mocrates ; des arbres a fleurs plantes si prfes
les uns des aulres se brisent trop souvent reciproquement
les branches. Son second pouvoir est uni a une responsabilite
manifesto ; car elle a 6galementa faire accepter en haut lieu
les femmes qu'elle choisit pour le sultan. En d^pit de cette
responsabilite, elle exprima largement a la grande-duchesse,
par rintermediaire d'un interprete, son vif regret que la
princesse fflt d6jk mariee ; car autrement elle Teftt infailli-
blement choisie pour le sultan comme la plus belle des
femmes qu'elle eftt jamais vue. La grande-duchesse ne fut
pas embarrassee pour sa r6ponse : elle r^pliqua qu'elle etait
au contraire tres*heureuse d'etre marine, ayant un mari
qu'elle aimait beaucoup. Cette parole cordiale trouva de
Techo. Naturellement la grande-duchesse elle-meme offrait
aux femmes ravies — et sans crainte de concurrence, — le
plusbelet le plus agreable sujet d'entrelien. Savoisine laCir-
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LE HARKM 299
cassienne i'appelait la perle des princesses et se fSIicitait,
ainsi que les autres grandes dames turques, que le sultan
!ui eftt permis par exception, precisement k elie, de visiter
son harem.
Pendant le festin les nombreuses esclaves — nommees
specialement ainsi, bien qu'elles occupent des rangs tres-
divers, et soient capables du plus haut avancement — entre-
rent a tour dans la salle a manger; elles etaient toutes
vfitues de blanc ; plusieurs, pour completer le tableau du
harem, portaient dans leurs bras de tout petits enfants.
Elles ne se contenlerent pas de regarder a une distance
respectueuse; elles approch^rent au conlraire, Tune apres
Tautre, de la grande-duchesse, en lui demandant Tautori-
sation de la regarder tout a leur aise. Leur hardiesse alia
plus loin vis-a-vis des dames d'honneur de la grande-du-
chesse : sans doute pour se convaincre que celles-ci avaient
chair et os, elles se permirent de les toucher du bout des
doigls.
Les autres grandes dames elles-mfimes reconquirent pen-
dant le repas toute leur gaiety. Le diner 6tait en m6me
temps un examen pour elles. Depuis quinze jours elles s'6-
taient etudiees a se servir de couteaux et de fourchettes,
ce qui 6tait tout h fait en dehors de leurs habitudes. Aussi
montraient-elles avec une joie enfanline ces nouveaux et
etincelants instruments aux servantes et aux spectatrices
qui etaient a Tarriere-plan. Mais I'examen eut une facheuse
issue : lesd61icatessesqu'ellesdevaientembrochertombaient
presque sans exception sous la table. La grande-duchesse
eut cependant a prior longtemps ces dames pour les decider
a remplacer cette importation etrangere par leur propre
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300 TERRE-SAINTE
coutume. Quand elies s'y r^solurent, leur adresse dans Tem-
ploi des instruments naturels fut aussi 6tonnante aux yeux
des hdtes russes que leur mesavenlure avait eU evidente
dans le domaine de I'art.
Le caractere gastronomique du diner se partagea entre
rOrient et I'Occident; il y avait une serie europeenneet
une s6rie turque de mets. Les derniers aussi etaient tres-
savoureux, a rexception des divers plats sucres.
Les services rendus a table aux grandes dames turques
par leurs subordonn6es (§taient des genres les plus divers.
Elles leur dtaient leurs gants, les 6ventaient, leur lavaient
les mains, 6piaient sans cesse leurs moindres signes.
La musique de table satisfit pleinement le godt europ^en ;
elle executa entre autres des motifs de I'op^ra de Mozart :
FEnUvement du sirail. Elle se fit entendre sans une seule
pause pendant toute la duree du repas. Du reste elle n'^tait
pas seule a retentir dans le bosquet de fleurs ; il n'y man-
quait pas de voix qui faisaient plus que gazouiller.
Depuis un certain temps deja on servait, mais les con-
vives ne mangeaient plus, et le spectacle qu'on se donnait
reciproquement avait pris decidement la premiere place,
lorsque la grande-maitresse des ceremonies demanda a la
grande*duchesse s'il fallait faire cesser le service. Celte pro-
position ayant6teaccueillie avec grand plaisir, la haute com-
pagnie se leva de table et se rendit dans la sallede musique,
qui 6tait plus spacieuse. La un choeur de jeunes fliles en
blanc ouvrit les danses nationales devant la grande-duchesse,
qui s'^tait assise a la fendtre avec les princesses. Pendant
ces danses un violent coup de tonnerre fit trembler soudain
les vitres et les coeurs. La foudre etait tomb^e juste au-
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LE HAREM 301
dessous des fenfetres, sur le petit vapeup russe le Pruth,
construit tout en fer, avec lequel les ofBciers de la frigate
6taient venus au diner imperial. L^evenement harmonisait
avec le caract^re extraordinaire de cette journ^e; par bon-
heur aucun homme de I'^quipage n^en fut la victime.
Une demiheure apr^s on annon^a que le sultan allait
bientdt paraitre pour reprendre ses illustres hdtes. S. M.
s'arrfeta de nouveau dans la salle du trdne ou les princesses
acconnpagnerent la grande-duchesse et son fils. Elle fit ses
adieux et rentra au bras du sultan dans la salle d'audience
oil 6taient rassembl6s tous les convives de la journee. Le
sultan reconduisit jusqu'au bas de Tescalier le couple grand-
ducal. Le ciel s'etait 6clairci; la lune argentee se mirait
dans les flots limpides d'un bleu fonc6, et eclairait d'une
lueur magique les rives du Bosphore si souvent chanties
par les poetes. Comme on naviguait centre le courant, on
n'atteignit qu'au bout d'une heure et demie, vers minuit,
le chateau d'Emirghian.
Dans son z6le infatigable a f^ter ses nobles hdtes, le
sultan avait choisi le lundi suivant pour une nouvelle ex-
ception inouie dans les annales du s^rail. Le couple grand-
ducal avec le jeune prince se rendit en kajik sans aucune
escorte aux Eaux-Dauces d'Asie. La le sultan les attendait
dans le jardin devant le kiosque; il 6tait egalement seul.
II ne se servit pas m6me d'un interprete, etant parfaitement
maitre de la langue francaise. Apres leur avoir fait exami-
ner dans ses details le ravissant petit palais que la grande-
duchesse compara a une bonbonniere, il les conduisit k un
dejeuner servi pour quatre personnes ; le sultan prit done
son repas lout seul avec ses trois nobles convives. G'est la
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302 TERRE-SAINTE
premifere fois, parait-il, qu'il faisait partie d'une soci6t6 a
table. II savait manier la fourchelte europ^enne; on s'aper-
cevait pourtant qu'elle n'etait pas pour lui d'un usage jour-
nalter. La grande-duchesse ayant fait la remarque que ses
hdtes n'ignoraieut pas les grandes exceptions faites en leur
honneur : < J'en suis heureux, repliqua-t-il en fran^ais,
» cela sera un souvenir pour la vie pour moi. »
II avait ordonne pour le soir un spectacle de gala. Le
theatre, non loin de Beschiktasch, est de tr^s-bon goiit et
en harmonie avec le luxe de la cour imperiale. Le sultan
etait seul dans sa loge avec le couple grand-ducal. Dans
toute la salle on ne voyait d'autres femmes que la grande-
duchesse et madame de Tschitsch^rin. La grande-duchesse
ayant demand^ si les sultanes ne paraitraient pas, il
commanda a Tinstant qu'elles vinssent; mais derrierel'^-
paisse grille d'or de leur loge on n'apercevait d'elles guere
autre chose que leurs bijoux 6tincelants. La representation
consista en un pot-pourri ; elle s'ouvrit par un acte d'Her-
nani et se tormina par une pantomime turque. Le sultan
fut excessivement gai et causant ; au trfes-grand etonne-
ment de ses Turcs, qui dans ces circonstances exception -
nelles oserent diriger sur la loge imperiale leurs regards
curieux, il 6clala plusieurs fois de rire.
Quand dans la conversation on toucha le sujet de la poly-
gamic, il ne fit rien moins que I'apologie de cette coutume.
II dit en tout autant de termes a la grande-duchesse:
« Yoila, le grand-due est heureux; car il n'a qu'une femme,
i qui est belle et bonne. Nous autres Turcs, nous avons
» beaucoup de femmes, mais elles sont toutes laides. »
11 approuva aussi la mode europeenne qui permet aux fem-
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CONSTANTINOPLE 303
mes d'accompagner leurs maris en voyage, et dit a la
grande-duchesse : t Vous 6tes heureuse, madame, parce
que vous avez pu accompagner votre auguste mari dans
» ses voyages. » Au nombre des bons voeux qu'i! adressa
k ses hdtes fut celui que leurs enfants leur donnassent de
la satisfaction.
A Tissue du spectacle, il presenta encore une fois les
princesses a la grande-duchesse, et, en Tabsence des inter-
pretes armeniennes, il fit lui-meme Tofflce de trucheman.
Lors des adieux deflnitifs, qui eurent lieu le lendemain a
Beschiktasch, le sultan presenta encore a ses hdtes son
frere, qui devait monter apr^s lui sur le trdne. Le grand -
due s'6tant enquis de lui au theatre, le sultan ne voulut pas
laisser sans y repondre le voeu qu'il supposait au fond de
cette question, bien que, comme on sait, Th^ritler pre-
somptif de la couronne reste en Turquie cache loin des re-
gards de tons. II Tintroduisit aupres du grand-due avec ces
paroles : « Je suis heureux de vous presenter mon frere,
» avec lequel je suis aussi lie que I'est Votre Altesse imp6-
» riale avec son frere Tempereur de Russie. »
Le menie jour, 14 juillet, les nobles voyageurs quitterent
le Bosphore ; le bateau a vapeur le Wladimir les conduisit
en trois jours a traven^ la mer Noire, a Nikolayeflf, ou,
apr^s neuf mois d'absence, au terme d'un superbe voyage,
riche en faits interessants, ils foul6rent de nouveau le sol de
la patrie.
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XXV
AU BUT
Les chers d6put6s de la corporation sinaitique s'6taient
6tablis dans le couventsuccursale deFanar; its atlendaient
de jour en jour depuis des mois, de la part du grand-vizir
et de Fuad-Pacha, entre les mains desquels ^tait leur af-
faire, une juste decision de leur juste cause. D'un autre
cdt^, I'opposition faite par les hauts dignitaires eccl6siasti-
ques 6tait tres-prononc^e, et moins I'affaire pouvait passer
inaper^ue, plus elle devait 6tre p6nible pour le gouver-
nement turc. Gelui-ci, tout en sachant tr6s-bien appr^cier
le droit des Sinaites, reposant sur des documents Merits et
historiques, n'osait pourtant pas prononcer d^finitivement
contre la protestation du patriarche, qui jouit d'une
haute consideration. II pensait, — comme jadis le pen-
sait Gallion , proconsul remain en Achaie, dans les con-
flits du grand apdtre des gentils avec les principaux Juifs,
— qu'il ne convient pas au pouvoir civil d'intervenir dans
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AM B;UT 30")
les difif6rends spirituels*. Spectacle remarquable, caracle-
ristique a plusd'un 6gard et plein d'enseignements !
Vu r^troile relation qui existait entre mon propre projet
et le retablissement de la paix du monastfere, je ne poii-
vais pas etre un speclateur indifferent. Au bout de cinq se-
maines, il nesemblait rester plus rien a faire dans rinl6ret
du convent qued'engager lenoble prelat attaque avenirlui-
ra6me a Constantinople pour deraander la solution du debat
a I'ensemble du saint-synode, compos6 de patriarches ,
d'archev^ques et d'ev6ques. Ce conseil, cette nouvelle voie
ne m'ouvrait pas a moi-m6me la perspective d'une decision
prompte. J'avais 6crit en Allemagne, a la date du 15 mars ' :
a Gonfiant en la haute bienveillance imp6riale acquise a
notre entreprise, je crois pouvoir faire esperer au monde
savant que le manuscrit pa rait ra tres-prochainement et
d'une faQon digne d'un tel tresor. » J'ajoutais qu'on avait
altendu trois siecles la publication du manuscrit du Vati-
can, mais qu'on n'attendrait peut-6tre que trois ans la pu-
blication de celui du Sinai. Tout cela concordait peu avec
Parr6t survenu.
J'imaginai alors un biais. II consistait a proposer au mo-
nasterede me remettre immediatement le manuscrit, dans
la double intentioo que je le portasse a Petersbourg, et que
je le publiasse sous la protection de Tempereur. Le prince
Lobanow approuva et appuya ce plan. L'^crit compose
dans ce but partait de Tintention evidente de faire don du
manuscrit, mais il tenait pleinement compte des circons-
I. Actes des apdtrei, xwui, 15.
i. Voir WUsemehaftliche Heilage zur Leipz. Zeitung, 1889, Nr. 31.
20
^
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306 TERRE-SAINTE
tances : il disait que, dans le cas oil des faits impr^vus
viendraient s'opposer k la donation, roriginal serait rendu
au couvent apr^s I'usage susmentionne.
Je quittai done Constantinople le 22 septembre, et le 27
j'6tais de retour au Gaire. Le m6me soir je saluais les amis
au monaslere. Le nouvel archevSque 6tait h peine r^tabli
d'une grave maladie. Avec beaucoup de letlres, je lui remis
le papier concernant ma proposition. EUe fut accueillie
selon mes souhaits, et d^s le 28 au matin, les prieurs et les
freres rassembl6s d6poserent entre mes mains le pr^cieux
manuscrit. Un document sign6 par rooi ^tablit que celte
remise avait pour but la publication du texte, de la manidre
que nous avons expliquee en detail.
J'avais r6ussi autanl que cela 6tait possible. Le tr^sor
que j'emportais pouvait 6tre tout de suite, comme le devoir
Texigeait, expos6 de la fagon la plus sflre au grand jour de
la science. Ma gratitude pour la confiance du couvent fut
d'autant plus vive qu'on avait appris a Constantinople et
au Cairo Timportance qu'aVait a mes yeux le Codex Sinai-
ticus. En pr6tant ainsi les mains, sans reserve et de si bon
coBur, a la publication immediate et exacte du plus antique
t6moin parvenu jusqu'a nous de Teternelle parole du salut,
onmontrale plus noble interfet pour les progr^s de la science
chretienne.
Plus d'une raison me commandait de donner un r^cit aussi
circonstancie du cours de cette affaire. On y trouvera la
preuve que le nouvel archevfeque, non encore install^, a et6
bien loin de d^passer sa competence pour favoriser ses pro-
pres int^r^ls, comme en eflfet, quelques mois apres son ar-
rivee personnelle a Constantinople, son droit fut reconnu
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t AU BUT 307
d'une mani^re ^clatante par la consecration que lui donna
le saint-synode meme.
Un mois apres avoir quitte le sol egyptien, le 19 novem-
bre, j'eus Thonneur, k Zarsko-S61o, de presenter le ma-
nuscrit a Leurs Majestes imp6riales. Avant la fin de la
meme annee je me mis, sous la tres-haute protection du
czar, a preparer une imitation si exacte de Toriginal
qu'on n'en avait jamais entrepris de semblable. A cetle edi-
tion diplomatique et critique, — dont Timmense diflQcull6,
provenant des milliers et des milliers d'anciennes correc-
tions, rend indispensable Texamen incessant du texte lui-
m6me, — doit succ6der aussitdt que possible une traduction
aliemandede la portion qui contient le Nouveau Testament.
L'int6ret general pourrait-ii manquer pour une traduction
fidele du document de la Revelation selon les plus vieux
manuscrils que la providence divine nous ait conserves?
Elle fournira en meme temps une mesure pour eprouver
les textes r^pandus dans les diverses eglises. Si parfois
I'esprit de parti a parle de Bibles falsiflees mises entre les
mains du peuple, il ne sera pas difficile dejuger ce reproche
d'apres la plus haute autorit6 historique, d'apr^s cette bulle
d'or de la science des textes. Elle rendra un temoignage in-
corruptible a la verite, qui seule est certaine de triompher.
Pi^
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TABLE DES MATIflRES
{. La Travers^b. — De Trieste a Alexandrie par Corfou. Le dimanche
a Alexandrie. Progr6s des nioeurs europ^ennes 1
II. Alexandrie. — La colonne de Poinpee. Les Aiguilles de Cl^opdtre.
Les catacombes. Huines docouvertes dans le sol. Hestes pr^lendus
de la biblioth^que d'Alexandrie , b
IlL Au Cairw. — Le cheiiiin de fer. La station de Kafr-Sejat. Le palais
deBenha 10
IV. Preparatips du voyage au SiNA'i. — Divers arrangements 14
V. A Suez bt Ayoun Mohsa. — Le clicmin de fer du desert. Accord
avec des Bedouins. S^lim-Pacha. Aventure maritime. Gampagne du
consul Costa et souvenir d'Abbas- Pacha 17
VI VoYAGK DANS LE DESERT.— SoTurces dc Moise. Route d'lsrael k travers
la mer Rouge. Wadi Saddr. Wadi Wardan. Source d'Howara (p. 25).
WadiGharandel, I'ancien Elim (p. 26). Wadi Taijibeh (p. 27). Ras-
Zelime (p. 28). Sarboul-el-Cliadem (p. 29). Wadi Mokatteb et ses
remarquables inscriptions (p. 31-3/ ). Wadi Feiran avec ses mines
et ses souvunirs (p. 37-43). Le Serbal, I'ancien mont de Baal
(p. 4347). Wadi Scheik et les lamarix. La maime miiaculeuse des
Israelites el la manne actuelle (p. 47-53*). Raphidim. Le pro-
ph6le Saleh, son lombeau et sa f6te annuelle (p. 54-57). Wadi S^laf.
Nakb el Hauwy (col des Vents). Plaine de Rahah. Arriv^e au cou-
vent (p. 58-61) 22
Vli. Le monastere du Sixai. — Salutation du prieur. Distribution et
organisation du couvent. La belle eglise principale avee la cbapeile
du Buisson-Ardent. La mosquee du monast^re. Les biblioth^ques el
leurs manuscrits. L'Evangeliarium en leltres d'or 62
1. Voir CompU$ rendus hebdomadaires des seances de I'AcadSmie des scteuces,
Paris, 1861, 2' semeslre, no 14. M. fierihelel y donne des obserTaiions tres-curieuses sur
la nature chimique de la manne du Sinai.
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3iO TABLE DES MATIERES
VIII. Lk SiNAl. — Ascension par la route d' Abbas-Pacha. Les noms
d'Horeb et de Sinu. La cbapelle d'filie. Le sommet du Sinai. Vue.
Trace du pied du chameau de Mahomet. Sur I'authenticitd du Sinai
traditionnel, en tenant compte du rdcit de Procope touchant les
constructions de Justinien, ainsi que des Merits de Nilus, Gosmas et
Eutychius (p. 79-87). Confirmation de nos r^sultals par I'^lude
des localitds et du texte biblique. Horeb et Dj^bel-Mousa (p. 87-92) . 72
IX. D^couvERTE DE LA BiBLE. — Yoyages de 1844 et de 1853. La sur-
prise du 4 f^vrier. Un premier regard sur le contenu du manuscrit.
Barnabas et Hermas. N^gociations Depart prdcipit^ 93
X. Negociations ET TRAVAUx Au Gaire. — L'cstafette. La copie 100
XI. Explications. — Conservation du texte sacr^ par les copies. Corrup-
tion du texte primitif dans le cours de seize siecles. Le texte im-
prim^ d'ordinaire et la rdforme tentde. Les principaux facteurs
qu'on avait jusqu'alors pour une rdforme de ce genre. Position
pr^eminente du manuscrit sinaitique. — Exemple de son impor-
tance pour rhistoire du canon 103
XII. Les Pyramides et le Sphinx. — Les pyramides de Gizchet le champ
des morts situ^ pr^s de 1^. — Le sphinx colossal 109
XIII. Lb S^rap^um. — D^couvertes de Mariette. Les sarcophages des
Apis. Honneurs rendus k I'Apis. Les fouilles de Memphis. Le colosse
de llams^s. Les momies d'ibis 115
XIV. H^liopolis. — Ob^lisque de S^sourt^sen I. La Source du Soleil.
Le vieux sycomore du jardin des baumiers 125
XV. Suite DES negociations au Caire. — Election du nouvel arche-
vfique du Sinai 129
XVI. DjSpart et quarantaine. — La peur de la peste et ses conse-
quences. Voyage a Jaffa sur un vapeur turc. Details sur le manque
de confort et les mesures ridicules de la quarantaine 13i
XVII. Voyage a Jerusalem. — Le grand -dug Gonstantin et son en-
tree. — Arrivde du grand-due a Jaffa. La nouvelle de la trouvaille
de Sinai. Delivrance de la quarantaine et depart pour Ramleh. La
caravane grand-ducale. Les ruines de Latron et de Nicopolis, ou
Emmaiis. Entree boisee et pierreuse. Le campement de Saris.
Moustapha-Abou-Ghoch. Halte sous Toranger. Question du grand-
due au sujet du manuscrit sinaitique. Premieres salutations du
patriarche de Jerusalem et de Surreya-PacJha. Trois tentes de rd-
ception. La multitude. Reception a la porte de Tdglise du Saint-
Sdpulcre. Reflexion finale 136
XVIII. Si^JOUR de la famillb grand-pug ale a Jerusalek (p. 151). —
Impression de Jerusalem. Visite au Saint-S6pulcre dans la soirde. 151
Le 13 mat. — Le patriarche. (<a Via Dolorosa. L'arc de TEcce Homo
et le pav^. La Maison de Pilate. L'dglise de Sainte-Anne et le dogme
de rimmacul^ Conception de la vierge Marie. La piscine de Be-
thesda. La porte de Saint-titienne. L'eglise sepulcrale de Marie.
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TABLK DES MATIftKES 311
Geths^mani. Le Mont des Oliriers et la cbapelle de TAscension. La
vue du Minaret 152
Le 14 mai.^ Messe russe en Golgotha. L'eglise anglicane et allemande
da Christ. Le convent armenien de Saint- Jacques. Les cachots da
Christ. Les cabanes des L^preux. Les cimetidres Chretiens de Sion.
Le Coenaculum. Le tombeau de David. Le convent syrien 170
Le 15 mat. — Messe c^I^br^e par le patriarche devant le Saint-S^-
pulcre. La tour de David. L'dt mg de Mamilla. Le terrain pour les
constructions russes. La porte de Damas. La grotte de Jer^mie. La
caverne du coton. Les cimes du mont des Oliviers. La vallt^e du
Cddron. Pierres colossales d'antiques murailles. La porte d'or. Les
sepulcres et les monuments de rocher de la valine de Josaphat. Les
deux monolithes qui portent les noms d'Absalon et de Zacharie.
La caverne de Jacob et le s^pulcre de Josnphat. La source et I'dtang
de Silo^. Le canal. Le millrier d'Esaie Le champ du sang. Birket-
es-Soulton 179
Le 16 mai, — Course h San Saba. Kntretiens avec le patriarche. D^-
couvertes de palimpsestes. Saint Saba. Les cr&nes des martyrs. Jean
de Damas 199
Le 17 mat, — Le convent des Copies et celui des Abyssins. Visite du
Haram-es-Ch^rif. Troupe nombreuse de p^lerins. Le terrain du
temple. Le ddme de la Roche k I'exterieur et k I'inttJrieur. Le rocher
sacre Ja pierre la plus remarquable du monde, avec la noble caverne
des musulmans. La mosqu^e d' El-Aksa et son rapport avec la
basilique de Justinian. Voiites et colonnades sou terrain es. Le her-
ceau de Jdsus. Consideration finale 204
Le IS mai, — A Bethlehem. Le convent d'^lie. Le tombeau de Rachel.
Aspect de Bethldhem. Les diffdrentes portions de Teglise : lanef,le
choeur, la cbapelle de la Nativity, la chapelle de la Creche; studorium
et sepulcre de Jdr6me. Inscription fun^bre consacree par lui a sainte
Paula. La grotte de la Nativild venerde dSs Tantiquitf^, et son rap-
port avec le rdcit ^vangelique. Histoire des constructions. D^bat an
sujet des lieux saints. La question de I'authenticit^ de la caverne de
la Nativity. Le champ des Bergers. La petite ville de Bethlehem,
son histoire et son etat actuel 218
Le 19 mai. — Anniversaire de Tapparition de la croix. B^thanie. Le
sepulcre de Lazare 237
Le 20 mai. — Service de nuit dans I'dglise du Saint-S^pulcre. Le con-
vent de la Sai te-Croix, acaddmie de T^glise grecque. Decouverte
de palimpsestes dans la bibliothSque 240
Le 21 mai. — Nouvelle visite an Mont des Oliviers. Depart de Jeru-
salem. Ce que J^rdme dit de la visite de la ville sainte 242
XIX. L'EGLISE DD Saint-S6pulcrb. — Le Saint-Sepulcre. — Des-
cription de r^glise dans ses diverses parties (p. 244-250). Examen
direct de I'emplacement du Sdpulcre et de Golgotha (p. 250-252).
Direction des anciennes murailles. La porte Gennath. Le nom de
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3!2 TABLE DES MXTIERES
Golgotha. L'^lang.d'fiidcliias. La muraille des Macchab^es. Les restes
de mur r^cemment decouverts (p. 252-255). La preuve tiree de la
tradition. Citation exacie d'Rusdbe. Tradition imprimde dans les
constructions d^risoires. La direction providentielle ne touche
pas la tradition. Golgotha jamais oubli^ ni cacht^. Les idoles
d'Adrien. Relation de Golgotha et du St^pulcre. La nouvelle Jeru-
salem en face de I'ancienne, d'apr6s Kus6be. Reflexion finale 244
XX. Jaffa, Bbiro(it.Ladakia,Smyrne. — Nuit passee chez Abou-Ghoch.
Ins^curil^ des vapeurs lures Arrivee a Beirout. Antiquitcs et impor-
tance actuelle de Beiroul. Un jour k Ladakia. Illusion sur I'F.van-
geliarium Notes sur les faux palimpsestes de Simonides. Persecu-
tions fanatiques dos chrt^tienspar lesTurcs dans les temps modernes,
suivant des actes consulaires 265
XXI. KxcuRSiON A Pathos. — Course a cheval de Smyrna a Seala Nuuva
par tiph^se. Travcrsee. Les precieux manuscrits du convent de Saint-
Jean. Souvenirs de Jean. Circonstances et usages de TJle 275
XXIL Une heureuse trouvaille a Smtrne. — Des rdsultats gen(^raux
de mes recberches de manuscrits. Le manuscrit biblique de I'eglise
grecque de Smyrne. Le livre d*evangiles ^ge de mille ans 285
XXIIL L'afpaire du Codex Sinaiticds. — Voyagk a Constantinople 290
XXIV. Souvenirs de la visits grand-dugale a Constantinople. —
ViSITE de la GRANDE -DUCHKSSE AU HAREM DU SULTAN. - Voyage et
arrivee a Constantinople. Les premiers jours. Invitation a diner
dans le harem du Grand-Seigncur. Gala. Reception a Beschiklasch
et presentation dans la salle du tr6ne. Promenade dans les appar-
tements et surprise militaire. La table. La grandi'-niailrcsse des
ceremonies et le compliment qu'elle fit. Curiosite des esclaves.
Couteaux et fourchetles. Danse et coup de tonnerre. Reiour. Dd-
jeuner exceplionnel du sultan.Speclacle.Le sultan et la polygamie.
L'heritier du trdne de Turquie 292
XXV. Au BUT. — Complications au sujet de I'election. Solution. La
remise du manuscrit. Sa publication. Travail allemaiid sur le
Nouveau Testament 304
IMPItlMERlE I. ., ^©^tNOM ET ('•v A~rftj|^*^T- OK R M A IN
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Digit!
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