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DEUX
CANDIDATURES
L'ACADEMIE FRANÇAISE
BfBLIOTHECA
Otttvu
CHARLES BAUDRLAIR]
en 1861.
A. DE VIGNY
ET
CHARLES BAUDELAIRE
CANDIDATS A
L'ACADÉMIE FRANÇAISE
ETUDE PAR
ETIENNE CHARAVAY
PARIS. CHARAVAY FRERES EDITEURS
5l RUE DE SEINE 5l
1879
Fç
■£4- 1,
A MON AMI
ALFRED BOVET
A ALFRED BOVET
Mon cher Ami,
Ce livre est constitué d'après des documents con-
servés dans votre cabinet. Permettez-moi de le dire,
d'abord parce que c'est faire acte de justice, ensuite
parce qu'en histoire, vous le sav&ç, il faut citer ses
sources. Je vous rends donc grâces d'avoir mis à ma
disposition les correspondances du baron Guiraud et de
Charles Baudelaire avec Alfred de Vigny, et les
curieux vous sauront gré de votre libéralité.
L'étude qui a pour base vos documents est divisée en
deux parties. Dans la première j'ai raconté, d'après
les lettres du baron Guiraud, les vicissitudes diverses
(S*^, VIII "*^g:
de la candidature d'Alfred de Vigny à l'Académie
française, de son élection et de sa réception, restée fa-
meuse. Dans la seconde j'ai exposé les phases bigarres
de la candidature de Charles Baudelaire aux fau-
teuils de Scribe et du Père Lacordaire. La correspon-
dance du candidat avec Alfred de Vigny m'a cette fois
servi de guide. Dans les deux parties, c'est l'Académie
qui est en cause, et les documents publiés nous initient
aux mystères des élections. Ce sont là, dira-t-on, les in-
finiment petits de l'histoire littéraire. Assurément }mais
ces petits côtés ne doivent pas être négligés. Il n'y a
de vrai en histoire que l'anecdote, a dit Mérimée. No-
tre siècle est celui de l'indiscrétion. On veut savoir par
le menu ce qu'ont fait les personnages célèbres; on les
dévoile sans vergogne. Tant pis pour ceux qui ne ga-
gnent pas à être connus! Parfois on crie au scandale.
Que voulez-vous? Quand un homme, par ses actes ou
par ses écrits, devient célèbre, il appartient à l'histoire
et doit s'attendre à être étudié intimement de son vivant
ou après sa mort. Quand on a les avantages de la
célébrité, il faut en subir les inconvénients.
Cette passion d'investigation à outrance a eu, au
moins, pour résultat d'attirer l'attention des érudils et
des historiens sur beaucoup d'objets ou de faits dédai-
gnés jusqu'alors. Avec les bibelots on a reconstitué
CS<§V IX -"^©
l'histoire intime de nos pères ; avec les autographes on
a redressé les erreurs si nombreuses des biographes et
des historiens. Vous, mon cher ami, qui êtes un curieux,
un délicat, vous saveç combien la lecture de certaines
correspondances en apprend davantage sur le carac-
tère et sur la vie d'un personnage que toutes les
biographies du monde. Un chercheur tel que vous
devient le confident des hommes célèbres. Que de côtés
intimes vous ont été révélés, et comme on comprend
mieux les ouvrages d'un écrivain à mesure qu'on con-
naît tnieux sa vie!
Mais c'est peine perdue que d'insister sur une idée
qui vous est si familière. Revenons, si vous le voule^
bien, aux documents que vous m'ave^ communiqués.
J'ai besoin de vous dire combien ces épisodes littéraires
des dernières luttes romantiques m'ont intéressé, com-
bien j'ai pris plaisir à retracer quelques traits de la
sympathique figure du baron Guiraud, si inconnue de
notre génération. J'ai suivi volontiers dans ses excur-
sions académiques, l'auteur i'Éloa; j'ai écouté les
sages conseils et les témoignages d'amitié que le vieux
et encore ardent poète gascon prodiguait au noble
candidat. J'ai vécu, en quelque sorte, dans ce monde
littéraire, si vieilli, si oublié. Puis, brusquement, les
lettres de Baudelaire m'ont rejeté dans les luttes
modernes. Quel singulier homme que ce Baudelaire !
mais, quel esprit rare et pénétrant! quelle intelligence
aiguisée! L'aventure de sa candidature à l'Académie
méritait d'être contée comme un des traits de caractère
les plus bigarres de cet écrivain. J'ai recueilli, de la
bouche même de ceux qui l'ont connu, quelques anec-
dotes qui feront suffisamment sentir cette recherche de
l'horrible, cette affectation malsaine d'étrangeté qui
ont tant nui à la mémoire de Baudelaire. Vous répu-
die^, comme moi, ces tristes défauts, mais vous ave?
l'esprit trop élevé pour ne pas reconnaître le singulier
talent du poète, et les Fleurs du Mal figurent dans
votre bibliothèque de poètes contemporains au-dessous
des œuvres de Lamartine, de Victor Hugo, de Sainte-
Beuve, de Musset et d'Auguste Barbier.
C'en est asseç, mon cher ami. Si vous preneç quelque
ragoût, comme disait Baudelaire, à la lecture de ce
petit ouvrage, ma peine n'aura pas été perdue. Vous
apprécierez, j'espère, les vignettes qui illustrent le
volume et les essais d'innovation réalisés par Fernand
Calmettes , qui nous est cher à tous deux; il vous
montre en tête de cette lettre un des coins de l'île mo-
rose où les anciens hôtels du quai d'Anjou dressent
leurs façades noircies; c'est là que Baudelaire vint
réfugier sa mélancolie. Vous sente^ tout ce qu'il
^^ xi -^g;
y eut d'harmonie entre la vague langueur de ce lieu
solitaire et le cœur désolé du poète. Par sa morne
lenteur, la Seine inspire une tristesse profonde comme
ses eaux; qui dira quelles lugubres rêveries elle suscita
au poète, de quelle morbidesse elle remplit son âme
malade, quelle puissance attractive elle exerça sur ses
sens énervés? C'est que Baudelaire avait un don d'ob-
servation très-vive, et son génie impressionnable ne
se complaisait que dans les visions douloureuses. Tout
autre était Vigny ; constamment enveloppé d'un rayon-
nement idéal, il n'entrevit jarnais qu'un inonde illu-
miné, ennobli par une contemplation supérieure. Cette
puissance d'idéalisme lui rendit inoins pénible la mé-
diocrité de sa demeure. Son instinct de gentilhomme
l'avait conduit près les Champs-Elysées et le fau-
bourg Saint- Honoré, dans le quartier du sport et des
élégances, mais la modicité de son avoir lui imposa
une maison fumeuse, entre le bruit des industries,
l'odeur du restaurant et la poussière du charbonnier.
Il n'en aima pas moins sa vieille maison de la rue des
Écuries-d'Artois; et dans cette retraite, dont vous pour-
rez juger la triste apparence par le dessin qui termine
cette lettre, rien n'altéra la belle sérénité du poète.
J'ai mis à profit aussi, et non pour la première fois,
l'expérience et le savoir littéraires de mon plus vieil
<&*&? xii -*§>g;
ami, Anatole France. Qu'il reçoive ici, lui aussi, mes
sincères remer ciment s. Enfin, je dois à l'amitié et à
l'obligeance de M. Maurice Tourneux le portrait de
Baudelaire que j'ai fait reproduire en héliogravure.
Et maintenant que j'ai rendu grâces à qui de droit,
excusez-moi, mon cher ami, d'avoir abusé ainsi de votre
attention. Retourne^, sans plus tarder, à vos maîtres
bien-aimés, Tœppfer et Dickens, tandis que je vais me
plonger de nouveau dans les chroniques et dans les
documents du quinzième siècle.
ETIENNE CHARAVAY.
PREMIERE PARTIE
PREMIERE PARTIE
L'ACADEMIE FRANÇAISE EN MDCCCXLII
Au commencement de l'an de grâce 1842
l'Académie française comptait trente-neuf
membres, dont les doyens étaient Chateau-
briand, qui partageait sa vie entre le coquet
arrangement de ses Mémoires et l'illustre
amitié de Madame Récamier, et l'historien
Charles de Lacretelle : tous deux avaient été
admis dans le cénacle en 181 1. Les trente-sept
autres académiciens pouvaient être classés
dans les genres littéraires suivants :
Poésie dramatique, neuf membres : Jouy,
l'auteur de Tippoo-Saïb, dont Talma créa le
principal rôle; — Baour-Lormian, si plaisanté
de son vivant, si oublié après sa mort, malgré
ses imitations du Tasse et d'Ossian et son chef-
d'œuvre tragique Omasis, qui le fit considérer
comme un digne successeur de Racine ;
— Alexandre Soumet, le chantre de Jeanne
d'Arc ; — Casimir Delavigne, déjà sur son
déclin; — Charles Brifaut, père de deux tra-
gédies, dont l'une, Ninus II, avait été, en 1814,
un événement littéraire; — le baron Alexandre
Guiraud, tout à la fois élégiaque, tragique et
mystique; — Pierre-Antoine Lebrun, fier des
lauriers déjà secs de sa Marie Stita)%t ; —
Viennet, maçon et pair de France, farouche
adversaire des romantiques ; — Ancelot, deux
fois dramatique, par lui-même et par sa femme.
Comédie, cinq membres : Alexandre Duval,
longtemps fournisseur en vogue des théâtres
et rival de Picard et d'Andrieux ; — Roger,
auteur de X Avocat, un des favoris de la
Restauration \ — Etienne, célèbre par ses
Deux Gendres et par les persécutions qu'il
essuya, comme libéral, sous la Restauration \
— Eugène Scribe, toujours facile, toujours
heureux, et mariant les cousins aux cousines
pour le plus grand plaisir des bourgeoises sen-
timentales ; — Emmanuel Dupaty, vaudevil-
liste, qui avait obtenu, dans un genre plus
grave, un éclatant succès par son poème des
Délateurs.
La poésie pure était représentée par les deux
génies du siècle : Lamartine et Hugo. Puis
venaient Vincent Campenon, un des chantres du
premier Empire, Pongerville, fier, mais étonné
d'avoir eu la hardiesse de traduire un poète
aussi mal pensant que Lucrèce, et Tissot, suc-
cesseur de Delille dans la chaire de poésie latine.
Villemain, Cousin et Guizot, les gloires de la
littérature française dans la première moitié
de ce siècle, étaient, dans l'Académie, avec
Royer-Gollard et Charles Nodier, les sévères
gardiens de la langue.
L'histoire comptait sept représentants : Droz,
qui a étudié la société française sous Louis XVI ;
— Barante, pâle imitateur de Froissart; — le
général Philippe de Ségur , qui a retracé
les horreurs de la campagne de Russie ; —
Adolphe Thiers ; — Salvandy, écrivain politi-
que, dont YHistoire de Pologne sous Sobieski
est traitée avec plus d'éloquence que d'exacti-
tude; — Mignet, l'habile et clair historien de
Philippe II et de Marie Stuart; — le comte
de Sainte-Aulaire, qui s'occupa, avant Cousin,
de l'époque troublée de la Fronde.
La critique littéraire était plus particulière-
ment représentée par l'abbé de Féletz ; l'élo-
quence politique par Dupin aîné et par le comte
Mole; le journalisme par Jay et la science par
Flourens.
Le secrétaire perpétuel était, depuis 183.4,
l'illustre Villemain.
Le dernier élu était le comte de Tocqueville,
Fauteur de la Démocratie en Amérique, qui, le
23 décembre 1841, avait remplacé Lacuée de
Cessac.
Un fauteuil vaquait, celui de Tévêque Frays-
sinous(i), décédé le 12 décembre 1841. Le g jan-
vier 1842 la mort d'Alexandre Duval (2) créa
une seconde vacance. Les compétiteurs ne man-
quaient pas; car s'il était de mode, parmi les
gens de lettres, de se moquer volontiers des
académiciens, on n'en quêtait pas leurs places
avec moins d'ardeur ; tel qui affectait du mépris
pour les immortels séchait de dépit de ne
pouvoir siéger à côté d'eux.
(1) Denis-Antoine-Luc, comte Frayssinous, évêque d'Hermopolis,
grand-maître de l'Université sous la Restauration, né à La Vayssière
(Aveyron), le 9 mai 1765, avait remplacé l'abbé Sicard le 27 juin 1S22.
(2) Alexandre-Vincent Pineux, dit Duval, né à Rennes le 6 avril 1 767,
avait été élu le S octobre 1812 en remplacement de Gabriel Le Gouvé.
j3<^> 8 -=s*S:
CANDIDATURE D'ALFRED DE VIGNY
Il y avait alors, dans le monde littéraire, un
gentilhomme de vieille souche qui, après avoir,
par droit de naissance, servi dans la maison du
Roi, avait quitté l'armée pour raison de santé,
peu avant la révolution de Juillet. Plus propre
à manier la plume que l'épée, il était devenu
homme de lettres et avait, par des œuvres
poétiques remarquables, par des romans de
grand style, par des drames touchants, imposé
à un nom honorable mais obscur une illustra-
tion dont il était fier. Ce poète gentilhomme
s'appelait le comte Alfred de Vigny. Il avait
alors quarante-cinq ans, étant né à Loches, en
Touraine, le 27 mars 1 797 ( 1). Le chantre d'Éloa,
l'auteur de Stello désirait, non sans raison, en-
trer à l'Académie française ; il pensait avoir plu-
(1) Cf. Alfred de Vigny, par Anatole France; Paris, Bachelin-
DeHorenne, 1868,111-1 S. Cette- remarquable étude est une des premières
œuvres de critique littéraire de mon ami, le poète Anatole France. —
Voir aussi le Journal d'un poëte, publié sur les manuscrits d'Alfred
de Vigny par son ami et exécuteur testamentaire, M. Louis Ratis-
bonne; Paris, Michel Lévy, 1867, in-12.
sieurs titres à cet honneur; il était gentilhomme,
et l'Académie, on le sait, aime les hommes bien
nés ; comme poète et comme écrivain, il jouis-
sait d'une réputation distinguée ; ses Œuvres
complètes avaient récemment paru chez Char-
pentier, l'éditeur à la mode, consécration
nouvelle de la célébrité de l'auteur; enfin Vigny
comptait dans l'illustre compagnie des amis
bien chers, Charles Nodier et Victor Hugo,
entre autres. J'allais oublier de dire que le
futur candidat collaborait à la Revue des Deux
Mondes depuis sa fondation, en i83i, et, dès
lors comme aujourd'hui, les écrivains de la
Revue étaient promis à l'immortalité. Plusieurs
amis du comte le pressaient vivement, d'ailleurs,
de se mettre sur les rangs et de commencer ses
visites. Parmi ces amis était le baron Alexandre
Guiraud qui, depuis 1826, siégeait à l'Académie
française, Guiraud, poète tragique, qui ne
connut au théâtre que les succès d'estime, mais
fut le favori des salons de la Restauration et
devint populaire par ses Elégies savoyardes,
S<2* IO "S^
hôtesses obligées de toutes les anthologies. Cet
académicien va remplir dans ce récit un rôle
si considérable, et, d'autre part, il est si oublié
de la génération présente, que je juge utile
d'esquisser rapidement sa biographie :
Pierre-Marie-Jeanne-Thérèse-Alexandre Gui-
raud, né à Limoux (Aude) le 24 décembre 1788,
fils d'un riche fabricant de draps, étudia le droit
à la faculté de Toulouse. Il revint diriger les
manufactures paternelles : ces soins industriels
ne l'empêchèrent pas de cultiver les lettres et
d'obtenir des couronnes poétiques à l'Académie
des jeux floraux. Dès lors la carrière de Guiraud
fut décidée ; le jeune poète abandonna ses ma-
nufactures et vint à Paris en t8i3. Là il
composa trois tragédies, Frédégonde et Bru-
nehaut, Myrrha et Pelage, qui ne furent
jamais représentées. C'est en 1822 qu'il aborda
pour la première fois la scène de l'Odéon, avec
ses Machabées, tragédie en cinq actes et en vers.
Guiraud, esprit religieux, royaliste convaincu,
s'était proposé de défendre dans ses pièces
cg^S*- i i *^g;
la religion, la morale et la légitimité, trop
souvent attaquées.
Les Machabées, qui devaient, dans la pensée
de l'auteur et de ses amis, donner au public
parisien le goût des œuvres sérieuses et saines,
n'obtinrent qu'un succès médiocre (i). Guiraud,
toujours guidé par le désir de contribuer à
l'édification de ses contemporains, répondit à
ses adversaires par la représentation d'une
nouvelle tragédie, le Comte Julien ou l'expia-
tion. Hélas ! malgré certaines qualités de pas-
sion, cette pièce ne fut guère plus goûtée que
la première. On connaît la vogue extraordinaire
des Elégies savoyardes , qui furent suivies
d'une ode intitulée Cadix ou la délivrance de
l'Espagne, des Chants hellènes, des Poèmes et
Chants élégiaques, publiés en i8'23 et en 1824.
L'année suivante, en bon royaliste, il collabora
avec Ancelot et Soumet à un opéra, Pharamond,
triste et éphémère produit officiel que fit naître
(1) Cf. aux Pièces justificatives, n° i, une lettre de Guiraud au
ministre sur cette tragédie des Machabées.
S5^ ] 2 "^&
le sacre de Charles X. Guiraud, nommé che-
valier de la Légion d'honneur, ne tarda pas à
recevoir une consécration plus flatteuse encore
de sa renommée littéraire, par son admission à
l1 Académie française. Il succéda le 1 1 mai 1826
à un gentilhomme de vieille race, au duc
Mathieu de Montmorency, un des fidèles de
Madame Récamier. Deux nouveaux ouvrages,
un poème, le Prêtre, une tragédie, Virginie,
jouée au Théâtre-Français en 1827, furent une
sorte de remerciement du nouvel académicien
à ses collègues. Le 17 mars 1827 Charles X
conféra le titre de baron à celui qui avait célé-
bré son avènement au trône.
La révolution de Juillet frappa douloureu-
sement Guiraud dans ses sentiments les plus
intimes. Il chercha la consolation dans l'étude
et dans la méditation. Il publia tout d'abord un
roman psychologique, Césaire. qui portait ce
sous-titre caractéristique : révélation. Césaire
fut accueilli avec distinction dans les salons
aristocratiques, qui cherchaient dès lors toutes
(&*&* i3 ^s>s
les occasions de marquer leur opposition au
régime nouveau. Deux odes, la Communion du
duc de Bordeaux et les Deux Princes, qui
parurent en i83'2, témoignèrent delà fidélité de
Fauteur à ses principes légitimistes. Cette der-
nière ode avait été inspirée par la mort du duc
deReichstadt. Ensuite Guiraud écrivit, en 1834,
un ouvrage politique, De la vérité dans le
système représentatif, en iS35, un roman
religieux, Flavien, ou Rome au désert, en i836,
des Poésies dédiées à la jeunesse, et, enfin, de
1839 à 1841, une Philosophie catholique de
l'histoire, en trois volumes in-8, du mysticisme
le plus outré (1).
En 1842 Guiraud avait dû retourner dans
son pays pour diriger ses usines, qui avaient
été mal gérées et lui valaient une série d'inter-
minables procès. Quoiqu'il fût, ainsi qu'il le
constatait lui-même, transformé d'académicien
(1) Cf. dans le Journal des Débats, n°s du 19 décembre 1841 et du
6 février 1842, deux articles de Saint-Marc Girardin sur ce livre sin-
gulier, bien digne de l'oubli où il est tombé.
en mécanicien, il ne pouvait oublier les belles-
lettres, dont la culture avait honoré sa vie, et
du château de Villemartin il correspondait avec
ses amis. Malgré ses tragédies il n'avait pas
été hostile au mouvement romantique; il avait
même une certaine sympathie pour quelques-
uns des novateurs et il la témoignait à l'oc-
casion (1). Il aimait le talent et la personne
d'Alfred de Vigny, qu'il engageait fortement à
se présenter à l'Académie, et auquel il adressa,
le 20 janvier 1842, la lettre suivante :
« Vous mettez-vous sur les rangs, cette fois,
mon ami? Ballanche et vous, voilà mes deux
candidats ; la belle prose et la belle poésie :
l'Académie ne perdra rien à la mort de MM. de
Frayssinous et Duval. Ce sera tout profit. Si
vous vous présentez, faites dire à Lamartine,
(1) Cf. pour la biographie du baron Guiraud : L'Institut de France,
par Alfred Potiquet ; Paris, Didier, 187 1, in-8; — Notice biogra-
phique sur la vie et les travaux littéraires du baron Guiraud;
Paris, 1845, in-8 de 1 1 pages; —Journal d'un poète, publié par Louis
Ratisbonne; Paris, Michel Lévy, 1867, in-12; — Discours de récep-
tion de J.-J. Ampère; Paris, 1848, in-4. — Voir aux Pièces justifi-
catives, n° 11, le jugement d'Alfred de Vigny sur Guiraud.
S^^ l5 -=5^
par vos amis de la rue de Grenelle, que ses
candidats de poche passeront peut-être plus
tard, mais qu'ils doivent se ranger devant vous
et Ballanche. Mais surtout, si ma voix vous
est nécessaire, tâchez d'obtenir que vos amis
fassent retarder l'élection jusqu'en avril, après
la réception de M. de Tocqueville (i). Je ne
puis pas sortir de mon volcan plus tôt.
« Entrez donc maintenant, et surtout, pré-
sentez-vous; on n'entre pas dans notre salon
sans cela. Cest presque toujours au plus obstiné.
Quand vous serez introduit, vous trouverez
que ce n'était pas la peine de frapper à la porte
tant de fois. Mais que voulez-vous ? avec tous
les éléments nécessaires pour constituer un
corps important, une sorte de Chambre intellec-
tuelle, nous ne sommes jusqu'ici que d'agréables
discoureurs. Venez donc à notre aide, quelques-
uns, et nous vivifierons un peu ces catacombes
littéraires en y introduisant le jour et le bruit.
(i) La réception de M. de Tocqueville était fixée au 21 avril 1842.
(S^s 16 ^^s>
« Adieu, mon ami, cela vaut mieux que mon
confrère, et ne se ressemble pas souvent le
moins du monde. Veuillez faire agréer mes
hommages à Mm0 de Vigny.
« Votre ami affectionné
« Château de Villemartin,près Limoux, 20 jan-
vier 1842. »
Alfred de Vigny posa donc hardiment sa
candidature au fauteuil de Frayssinous, se
réservant, en cas d'échec, de solliciter la place
de Duval. Les autres concurrents étaient le
chancelier Pasquier, Ballanche, auteur d'An-
tigone, et fidèle desservant de Notre-Dame de
l'Abbaye au Bois, fonction qui lui valut, comme
on verra, la faveur de l'Académie, le bibliothé-
caire Vatout, le professeur Patin et un théo-
logien, Guillon, évêque de Maroc (1). Sans plus
(1) Remarquons que tous ces candidats, sauf l'évêque de Maroc,
arrivèrent successivement à l'Académie française, Vatout, le dernier,
élu le ,6 janvier 1848. Vatout, ayant suivi Louis-Philippe en exil et
@^ 17 "*&&
tarder, Vigny commença ses visites académiques,
singulière odyssée où l'amour-propre du poète
eut souvent à souffrir (1). S'il fut justement
touché d'entendre ses propres vers récités par
le vieux Baour-Lormian, aveugle et souriant,
il apprit, dans l'antichambre du philosophe
Royer-Collard, que parfois les vieillards ne
pardonnent pas aux jeunes de les faire oublier.
Eloa, Cinq-Mars, Stello, qu'importait tout
cela à un homme qui disait avec ironie : « Je ne
lis rien de ce qui s'écrit depuis trente ans ! »
Sa visite à Chateaubriand fut peut-être encore
plus cruelle, car là il sut combien redoutables
étaient ses concurrents : « M. Pasquier n'a rien
de commun avec les lettres, avouait l'illustre
vieillard; mais je le connais depuis quarante
-tant mort peu après (3 novembre iS^8), ne prononça pas son dis-
cours de réception. Ce t'ait ne s'était produit encore qu'une fois,
en 1776. pour Coiardeau, et il ne s'est pas renouvelé. Je ne compte
pas. bien entendu, Chateaubriand et M. Emile OUivier qui, pour des
considérations politiques, ne furent pas admis à prononcer de discours
de réception.
(1) Vigny a eu soin de conserver les détails de ses visites. M. Ra-
tisbonne a publié, dans le Journal d'un poète, quelques-unes des
notes de Vigny à ce sujet. Le récit de la visite à Royer-Collard est
des plus piquants. On le trouvera aux Pièces justificatives, n° m.
@*^ 18 ^g;
ans, il voit souvent Madame de Chateaubriand,
il est fort aimable avec nous. . . Oh ! j'y tiens peu,
et je n'irais pas à cette élection si je ne devais
pas voter pour le second fauteuil en même temps
et mon pauvre Ballanche ; il y a soixante ans
que je connais Ballanche. » Que répondre à des
arguments si décisifs ? Vigny dut prévoir dès
lors quel sort lui était réservé, mais il se
piquait d'être soldat, il continua la lutte.
Le 7 février 1842 il se rendit chez M. Thiers,
qu'il trouva en habit noir, dans sa légendaire
maison de la rue Saint-Georges, au milieu
d'objets d'art de toute espèce. Il fut éconduit
avec estime; Thiers était lié pour cette fois
envers le chancelier Pasquier , un confrère
politique, et envers Ballanche, qui l'intéressait
par sa misère. Il n'en promit pas moins à
Vigny sa voix pour les élections suivantes.
Cependant le jour du scrutin approchait : il
était fixé au jeudi 17 février. Le jour consacré
par les anciens à Jupiter a été réservé aux
réunions des membres de l'Académie française,
@^> I9 '^x&
la plus olympienne des Académies. La Revue
des Deux Mondes, dans son numéro du i5 fé-
vrier, recommanda pour l'un des deux sièges
vacants son éminent collaborateur (1). La veille
même de l'élection Cuvillier-Fleury examina
dans le Journal des Débats les titres des can-
didats et consacra deux colonnes au plus jeune,
Alfred de Vigny, « écrivain sérieux, réfléchi et
laborieux, au milieu des plus grands excès de la
littérature facile, poète et penseur profond,
conteur pathétique et entraînant (2). » Rien n'y
fit : au premier tour de scrutin le chancelier Pas-
quier, tout étranger aux lettres qu'il fût, s'assit
majestueusement dans le fauteuil de l'évêque
d'Hermopolis, et le bon Ballanche recueillit la
succession d'Alexandre Duval, plutôt par com-
misération pour son âge et ses maux qu'à cause
de son Antigonefi). Vigny n'obtint que huit voix!
(1) Cf. dans les Pièces justificatives, n° iv, le texte de l'article de la
Revue des Deux Mondes.
(2) Journal des Débats du 16 février 1S42.
(3) II y avait 32 votants et la majorité absolue était de 17. Pour le
fauteuil de Frayssinous le chancelier Pasquier fut élu par 23 voix
£2*^ 20 ■*£>£>
La Repue des Deux Mondes, dans son
numéro du Ier mars 1842, enregistra le
résultat de l'élection dans les termes suivants :
« L'Académie française a nommé les succes-
seurs aux fauteuils laissés vacants par la mort
de M. Frayssinous et de M. Alexandre Duval.
C'est M. le baron Pasquier qui remplace
M. Tévêque d'Hermopolis; c'est M. Ballanche
qui hérite de M. Duval. L'élection de M. Alfred
de Vigny se trouve donc ajournée ; nous espé-
rons toutefois que l'Académie ne laissera pas
longtemps hors de son sein le poëte que des
titres sérieux désignent à son choix, et parmi
les voix qui sont d'avance acquises à l'auteur
de Stello, on peut compter, nous aimons à le
croire, celles des deux nouveaux académiciens. »
Ce même jour (ier mars) mourut Roger,
auteur comique, un des favoris de la Restau-
ration, qui en fit un directeur général des
contre 8 données à Vigny et un bulletin blanc. Pour le fauteuil
d'Alexandre Duval, Ballanche fut élu par 17 voix contre 8 données à
Vatout,2 àVigny et 4 à Patin. (Journal des Débats du iyfévrier 1842.)
postes (i). Nouvelle place vacante, nouvelle
candidature de Vigny , qui , débarrassé du
chancelier, courtisan de la vicomtesse de Cha-
teaubriand, et du pauvre Ballanche, pouvait
espérer un meilleur accueil. Néanmoins un
premier échec avait rendu circonspect le poète,
qui fit part de ses craintes à Guiraud : celui-ci,
tout absorbé qu'il fût par les machines hydrau-
liques et par les procès, lui répondit en ces
termes :
« Votre lettre m'affligerait vivement, mon
cher Alfred, si je n'avais assez bonne idée de nos
confrères, pour ne pas douter un moment de
votre élection (à moins qu'on ne trouve encore
du chancelier dans Vatout). Je ne vois pas qui
Ton peut décemment vous opposer. Au reste
votre admission elle-même ne me consolerait
pas de la tristesse profonde où je suis de ne
pouvoir aller vous servir d'infime parrain. Mais
(i) Jean-François Roger, né à Langres (Haute-Marne) le 17 avril
1776, élu à l'Académie en remplacement de Suard le 2S août 18 17,
mort à Paris le i« mars 1842.
©*^ 22 <^xg>
que voulez-vous ? Le feu de mon incendie est
un vrai feu d'enfer qui ne s'éteint plus ; je souf-
fre là dedans comme un vrai damné. Au lieu
d'être académicien, je suis mécanicien ; je passe
ma vie avec des ouvriers, et mon délassement
est avec mon avoué et des avocats. Il faut que
je reconstruise des usines que je n'aurais jamais
construites, mais que j'avais achetées en état
d'aller, pensant n'avoir jamais besoin de m'en
occuper autrement. Je n'ai, de la vie, été si
malheureux, et vos lettres m'achèvent, Je sens
que je ne remplis pas mon devoir, ni mon vœu.
Ma conscience et mon amitié en souffrent éga-
lement. Mais le boulet que je traine est trop
lourd pour que je m'échappe un seul moment.
La vie a des parties bien amères; cette année,
justement, j'étais en dispositions académiques si
complètes, que j'ai mon appartement au fau-
bourg Saint-Germain qui m'attend depuis six
mois. Mais rien ne me réussit; j'ai eu, il y a
quelques vingt ans, une sorte de veine dont je
n'ai pas su profiter, et depuis, je perds toujours,
i^a*- 23 -=©•=£;
je perds à tout jeu, en tout lieu, et à tout pro-
pos. Aussi je m'applaudis chaque jour davan-
tage d'être devenu bon chrétien ; je ne me serais
jamais assez courageusement résigné sans cela.
Je ne suis pas étonné que tout ce qu'il y a de
distingué parmi nous, vous porte et vous
appelle ; vous leur êtes sympathique en plus
d'un point. J'envie leur bonheur de pouvoir
manifester leur sympathie tandis que je ne puis
que vous faire la confidence de la mienne; et je
sens que ce n'est pas assez, ni pour vous ni pour
moi.
« Adieu, mon cher de Vigny ; plaignez moi;
plaignez moi bien, car j'ai un profond dégoût
de la vie que je mène ici, et le désir que j'aurais
d'être avec vous en ce moment change ce dé-
goût en horreur ; je soupire après la paix et les
loisirs, depuis vingt ans; j'ai cru m'en rappro-
cher au moyen de la vie de famille, mais je
reconnais bien qu'il n'y a de repos et de paix
que là où il n'y a plus de vie ; et le meilleur
souhait qu'on adresse à ceux qui s'en vont, est
<3<ê>- 24 ^>s>
un vœu de repos et de paix. Vous trouverez
ma lettre bien décousue, c'est que mes idées le
sont beaucoup. Je ne sais où me prendre pour
sortir du gouffre où je suis tombé; et je vous
demande en grâce, comme une consolation, la
seule qui puisse me toucher, de réapprendre,
dès le soir même, par deux mots, votre nomi-
nation.
« Soumet, dont je n'avais aucune nouvelle
depuis quatre mois, m'écrit une lettre désespé-
rée et désespérante. Il me parle de vous
donner sa place, si sa voix ne vous est pas
utile. Il paraît bien souffrant (1).
« Adieu, mon ami, je ne suis bon à rien en
ce bas monde, puisque je ne puis servir mes
amis en quelque chose. C'est tout ce qui me
restait à faire maintenant. »
Vigny, toujours inquiet, poursuivit encore
Guiraud de ses doléances , celui-ci lui écrivit
le 20 mars 1842 la lettre suivante :
(1) Alexandre Soumet ne mourut que le 3o mars 1845. (Cf. Jour-
nal d'un poëte, p. 204.)
@»^. 25 '^SsÈ?
« Mais vous aurez plus de i5 voix, mon ami.
Maintenant que le chancelier n'est plus là, tou-
tes les consciences littéraires sont libres. Vous
aurez donc la majorité. Au reste, c'est tout ce
à quoi peut prétendre un homme de lettres dans
notre Académie. Lamartine n'en a pas eu da-
vantage, Chateaubriand, à peine à la deuxième
fois. Et moi aussi, tout infime que j'étais, on
m'a traité avec le même honneur, tandis que les
hommes sans valeur littéraire ne descendent
jamais au-dessous de 22, 24 suffrages. Comme
tout cela est académique ! Maintenant tous mes
vœux tendent à compter dans cette majorité qui
ne peut vous manquer. J'arriverai donc, à moins
d'impossibilité que je n'ose, que je ne veux pas
prévoir. Mais ma présence serait beaucoup plus
certaine si l'Académie, pour se donner le temps
de respirer, après deux élections si soudaines,
renvoyait la vôtre à la fin d'avril. Alors, je
n'aurais qu'à sacrifier la chance d'un procès, et
je hasarderais volontiers une course d'un
mois. Dans ce moment, au contraire, des cons-
tructions hydrauliques, qui n'ont d'autre direc-
teur que moi, touchent à leur fin ; et mon
métier d'architecte et de mécanicien, mon hor-
rible métier de propriétaire d'usines, l'attente
d'une foule d'ouvriers qui ont besoin que mes
fermiers rouvrent leurs ateliers, d'autres affai-
res encore m'attachent par des liens si tenaces
et si nombreux que je ne sais, en vérité, com-
ment je pourrais les briser. J'espérais ma liberté,
un mois plus tôt ; et je l'aurais déjà, si notre
midi n'avait voulu cette année se donner un air
russe ou norvégien qui a dérangé, tout un grand
mois, mes reconstructions. Voilà où j'en suis,
mon ami.
« Obtenez de Nodier, qui vous est tout dé-
voué, qu'il propose à l'Académie de renvoyer
au mois de mai, après les prix de vertu, l'élec-
tion qui reste ; elle y consentira volontiers, et
alors ma voix, mon influence, si faible qu'elle
soit, sont à vous, vous le ^avez bien.
« De toute façon, sitôt que le jour de l'élec-
tion sera fixé, annoncez-le moi, et il faudrait que
@<^ 27 --^g;
les empêchements fussent bien puissants, si je
n'allais vous apporter ma voix.
« A bientôt donc, mon cher confrère, je
vous tends la main d'ici, et plus de vingt vous
la tendront de plus près.
« Bon A. GUIRAUD. »
« Villemartin, 20 mars 1842. »
Si Guiraud ne fut pas, comme Vigny, un
grand poète, il eut, ce me semble, un excellent
caractère et un sens plus pratique. Pourquoi
redouter un échec, puisque les gens de lettres
font toujours antichambre alors que les hommes
sans valeur littéraire, mais bien élevés, entrent
de plain pied ? Je ne sais si cet argument péremp-
toire toucha beaucoup le noble écrivain -, ce-
pendant il recommença les visites officielles.
Guizot, avec son air puritain, lui déclara avoir
des engagements pour le premier tour de scru-
tin et lui promit sa voix au second. Casimir
Delavigne, malade, les pieds sur un tabouret
chauffé intérieurement, le reçut en confrère,
mais allégua sa liaison de collège avec le
S^^s 28 ^*@
professeur Patin. Barante traita le drame de
Chatterton de pièce anti-sociale. Mole parut
à Vigny moqueur et léger (1). Cette dernière
visite avait lieu le 25 avril. Trois jours avant
le poète avait reçu une nouvelle lettre de Gui-
raud, dont voici le texte :
« Mon ami, quand j'ai vu l'élection renvoyée
au 5 mai, j'ai espéré un moment que je pourrais
y prendre part ; et, si le fardeau d'affaires qui
pèse sur moi ne s'aggravait tous les jours au
lieu de s'alléger, je crois vraiment que je serais
parti à la fin du mois. Mais il ne m'est plus
permis déformer des projets \ tous les éléments
que j'ai mis, dans ma philosophie, à la dispo-
sition de Satan, semblent ligués pour justifier
mes indications. Voilà maintenant nos rivières
qui se font de petits Rhônes et nous ravagent
comme de grands fleuves, auxquels il faut un lit
de deux jours. Mes tribulations recommencent
sans cesse. En vérité, je me surprends à dire
(1) Cf. Journal d'un poète, p. 195 et suiv.
quelquefois : où est le galetas ?... à défaut de
palais.
« Je vais écrire , mon ami, mais j'en suis
honteux pour notre Académie; mais vous, que
faites-vous de vos amis de la Revue des Deux
Mondes? Les Cousin, Thiers, etc., qui en sont,
les Mole, les Barante qui les craignent, ne pou-
vez-vous vous assurer leurs suffrages dont ils
doivent se trouver fort embarrassés ?
« Votre modestie vous inspire des craintes
que je ne saurais partager.
« J'ai rencontré cet hiver M. Patin chez
Lamartine, qui me le demanda pour futur con-
frère. C'est, je crois, un professeur spirituel ;
mais il n'a pas fait Stello.
« Je vais raviver en quelques-uns un peu de
zèle ; mais si vous saviez combien peu nous
nous laissons influencer dans nos choix littérai-
res ? quand il s'agit d'un choix politique, c'est
tout autre chose.
« Adieu, mon ami; il est impossible que
Tocqueville et Ballanche ne soient pas pour
rg^a* 3o '=s>=S;•
vous. Si j'avais dix voix à donner, toutes vous
appartiendraient. Maintenant M. Patin !... je
ne dis pas; mais chacun à son rang, à moins
qu'on ne nous octroyé tout le conseil univer-
sitaire.
« Bonne chance, mon ami ; Lamartine peut
beaucoup s'il veut;Mraode Lagrange (i) veut
beaucoup, si elle peut, n'est-ce pas ? Voulez-
vous l'en remercier de ma part ? Adieu en-
core, plaignez-moi beaucoup et pardonnez-moi
un peu. « A. G. »
« Villemartin, 22 avril 1842. »
L'élection était fixée au 4 mai. Outre Vigny,
les candidats étaient Patin, Vatout, Sainte-Beuve
et Edouard Alletz. Le concurrent le plus redou-
table était Patin (2), professeur de poésie latine
à la Sorbonne, humaniste distingué et homme
d'esprit, auteur d'un livre intéressant sur les
(1) Femme du marquis Edouard ue La Grange, membre de l'Insti-
tut, sénateur du second empire, mort récemment.
(2) Henri-Joseph-Guillaume Patin, né à Paris le 21 août 1793,
mort le 19 février 1876, doyen de la Faculté des lettres et secrétaire
perpétuel de l'Académie française.
rg5^ 3l '<&xg>
Tragiques grecs, œuvre unique de son auteur et
qui devait rester telle, ou peu s'en faut. Les élè-
ves de l'École normale, qui se servent beaucoup
de ce livre, ont généralement l'indiscrétion
d'y relever la phrase du chapeau, mémo-
rable exemple de logomachie (i). Mais on peut
être un éminent humaniste sans avoir le don
d'écrire. Que pouvait alors la Revue des Deux
Mondes contre cet universitaire éminent,
ami de collège de Casimir Delavigne, protégé
par tous les adversaires de la littérature dite
romantique et par Lamartine lui-même ? Ce-
pendant la lutte fut vive et l'élection disputée;
Vigny, au premier tour de scrutin, n'obtint
que six voix, tandis que Patin et Vatout en
(i) Cette phrase, qui est une curiosité littéraire, se trouve dans
toutes les éditions des Etudes sur les tragiques grecs. Je l'ai
copiée sur l'édition de 1842 (t. I, p. 114) et je la reproduis fidèlement
comme le plus mémorable exemple de logomachie. Celui seul qui
décrivit put ne pas sentir combien cette phrase est divertissante.
« Disons-le en passant, ce chapeau, fort classique, porté ailleurs
par Oreste et Pylade, arrivant d'un voyage, dont Callimaque a décrit
les larges bords dans des vers conservés, précisément à l'occasion du
passage qui nous occupe, par le scoliaste, que chacun a pu voir
suspendu au cou et s'étalant sur le dos de certains personnages de bas-
reliefs, a fait de la peine à Brumoy, qui l'a remplacé par un parasol. »
@<^< 32 '=s*@
avaient chacun dix, Sainte-Beuve sept, et Alletz
deux. A la quatrième épreuve seulement, Patin
fut élu par vingt et une voix contre neuf don-
nées à Vigny, deux à Vatout, et trois à Sainte-
Beuve (i). C'était là un échec honorable, qui
prouvait au poète qu'il pouvait compter sur la
fidélité de ses amis de l'Académie.
Guiraud, avec sa bonté habituelle, consola
Vigny, auquel il n'avait pu apporter sa voix :
« Vous le dirai-je, mon cher Alfred, j'en
veux moins à l'Académie de son inconcevable
injustice envers vous, pour avoir rendu inutile
le vote que je vous aurais apporté et m'avoir
réservé le plaisir de concourir à votre prochaine
élection.
« Et puis, je lui en veux moins aussi, parce
qu'elle est l'Académie, c'est-à-dire un corps où
(i) Voici, d'après le Journal des Débats du 4 mai 1842, les résul-
tats de l'élection. Il y avait 35 votants, et la majorité absolue était
de 18 voix :
Ier tour : Patin, 10 — Vatout, 10 — Vigny, 6 — Sainte-Beuve, 7 —
Alletz, 2.
2° tour : Patin, i3 — Vatout. 10 — Vigny, 5 — Sainte-Beuve, 7.
3« tour : Patin, i5 — Vatout, 8 — Vigny, 7 — Sainte-Beuve, 5.
4° tour : Patin, 21 — Vatout, 2 — Vigny, 9 — Sainte-Beuve, 3.
:S*^< 33 -^kS>
il y a quelques jeunes membres, mais rien de
jeune dans la vitalité, et où l'intelligence collec-
tive est loin de valoir l'intelligence individuelle.
Au reste nous avons tous fait (Lamartine
compris) le même noviciat. Il n'y a de portes
cochères que pour les hommes sans lettres ;
pour les autres, un très-sévère guichet, et
c'est un honneur d'entrer par là.
« Voyez M. Patin... du premier coup.
M. Pasquier... mais pour Victor Hugo, 4 scru-
tins, pour Berryer , portes de bronze (1).
Consolez-vous donc, mon cher Alfred ; le mal
n'est pas grand, et consolez nous aussi par
quelque belle publication comme vous savez
les faire. Adieu, à bientôt pourtant; mes tribu-
lations tendent à leur fin, et j'en secoue avec
impatience le dernier fardeau.
« Vous trouverai- je à Paris ?
« Vale et me ama.
« Villemartin, 10 mai 1842. » « A. G. »
(1) Berryer attendit encore longtemps : il ne fut élu que le 12 fé-
vrier i852.
<3*$±s 34 "§>©
La prochaine vacance ne se produisit que le
24 novembre 1 843 par la mort de Vincent Cam-
penon (1). Cette fois la victoire paraissait
certaine : il s'agissait d'un poète, médiocre, à la
vérité ; il était juste qu'on le remplaçât par un
poète meilleur. Peu après, le 1 1 décembre,
Casimir Delavigne s'éteignit, après de longues
souffrances. Deux places libres : c'était une
chance favorable de plus. C'est ce que pensa
Vigny, qui, pour la troisième fois, recommença
les visites. Je ne connais les détails que de
celle qu'il fit au chancelier Pasquier, son pre-
mier et heureux adversaire. Le poète a vanté le
charme de la conversation fine et spirituelle de
l'homme d'État. « C'est, s'écrie-t-il, la vieillesse
la plus jeune que j'aie vue (2) ! »
Alfred de Vigny, fatigué de cette lutte, aigri
de son insuccès, en était arrivé à douter de ses
amis ; il somma, en quelque sorte, Guiraud de
(1) François-Nicolas- Vincent Campenon, né à la Guadeloupe le
29 mars 1772, élu le 10 juin i8i3 en remplacement de l'abbé Delille,
mort à Villecresne (Seine-et-Oise) le 24 novembre 1843.
(2) Journal d'un poète, p. 200.
@<^ 35 ^^g>
lui apporter sa voix. L'excellent académicien
lui reprocha doucement ses injurieux soupçons,
lui annonça son arrivée prochaine et l'engagea
fortement à disposer son armée.
« Je ne croyais pas, mon cher de Vigny,
qu'il vous fallût presqu'un procès verbal dû-
ment signé et paraphé, pour vous convaincre
de la durée de ma vieille amitié et du désir que
j'ai de resserrer officiellement notre confrater-
nité littéraire. Mon affection et l'estime que
j'ai pour votre talent m'engagent tout autant à
vous, croyez-le bien, que toutes mes lettres.
Je désire donc que vous entriez dans notre cé-
nacle et j'espère, pour l'honneur du corps, que
ce sera bientôt. Mais je dois vous dire en même
temps que les mêmes motifs, qui m'attachent
à vous, m'intéressent, tout aussi vivement, en
faveur d'un de nos amis communs, et que je
porte la même ardeur à préparer son admis-
sion qu'à assurer la vôtre (i). Mon bonheur
(i) Il s'agit probablement de Sainte-Beuve.
cs*^ 36 -s>@
serait si complet si vos deux noms venaient
réparer nos deux pertes, que je n'ose l'espérer,
ce qui ne m'empêchera pas de travailler de mon
mieux, si j'arrive à temps.
« Pour arriver, j'use de tous les moyens. Je
présente requête sur requête ; je me ruine en
papiers timbrés, et j'ai enfin obtenu que je se-
rais jugé le 9 ou le 10 par urgence. Je serai
donc probablement le 18 (jeudi) à Paris. Vous
voyez que mon absentéisme n'est pas volon-
taire, et que je ne m'épargne pas pour le faire
cesser. Et vous ne savez pas que je laisse à Mont-
pellier une autre affaire à juger qui nécessitera
un voyage au mois de mars. Ce sont les étin-
celles de mon incendie qui ont allumé tous ces
procès presqu'aussi interminables que ceux de
votre Angleterre.
« J'arriverai donc, mon ami, j'arriverai....
mais sera-ce pour me faire battre ? Je le crains,
car l'université est puissante à l'Académie.
Elle se venge des échecs que lui font subir les
évêques. Nous sommes menacés de devenir un
collège et non plus une Académie. Nous som-
mes bien cependant déjà assez pédants comme
ça. Disposez toujours votre armée, avec ardeur,
mais avec précaution et douceur ; je me per-
mets de vous le recommander, parce que je
désire votre succès, et que je tiendrais cette
fois (par essai) de compter parmi les vain-
queurs.
« Adieu, mon ami, confrère ou non. J'ai-
merais mieux au reste que vous fussiez chargé
de parler de Campenon que de Lavigne. Ce
serait plus aisé et plus consciencieux.
« Veuillez faire agréer mes hommages res-
pectueux à M,ue de Vigny, et parlez de moi à
tous ceux de nos amis qui n'ont pas oublié
mon nom. « Bon A. G. »
« Villemartin, 28 décembre 1843. »
Il y avait cinq concurrents pour les deux
fauteuils vacants, à savoir : Alfred de Vigny,
Saint-Marc Girardin, Sainte-Beuve, Emile
Deschamps et Vatout. L'élection n'était pas
encore faite quand mourut Charles Nodier
<3*^, 38 ^^s>
(27 janvier 1844). La perte de cet écrivain fut
un deuil pour le monde lettré : Vigny, qui
avait dès longtemps été l'ami de Nodier, la res-
sentit cruellement. « Hélas ! s'écria-t-il, il ne
s'était pas trompé ; il ne devait pas m'apporter
sa voix (1). »
Le 8 février 1844, le poète Campenon fut
remplacé, comme Roger, par un universitaire,
Saint-Marc Girardin, spirituel, comme Patin,
et, qui plus est, homme politique. Au premier
tour de scrutin, dix-huit voix assurèrent le
triomphe de Saint-Marc, tandis que Vigny et
Deschamps obtenaient, l'un sept voix et l'autre
huit (2).
Pour le fauteuil de Casimir Delavigne, la
lutte fut des plus vives. Il y eut, chose rare, sept
tours de scrutin ! et au septième, Sainte-Beuve
(1) Journal d'un poète, p. 202.
f2) Il y avait 34 votants et la majorité absolue était de 18. Saint-
Marc Girardin obtint 18 voix contre 7 données à Alfred de Vigny,
8 à Deschamps et 1 à Vatout. {Journal des Débats du 9 février 1844.)
— Emile Deschamps, qui obtint cette fois plus de voix que Vigny, ne
put jamais, malgré son talent poétique et ses illustres amitiés, parve-
nir à l'Académie.
et Vatout obtinrent chacun seize voix, et
Vigny trois seulement. Aucun des candidats
n'ayant pu réunir les dix-huit voix requises
pour la majorité absolue, l'élection fut ren-
voyée au 14 mars, jour fixé pour le remplace-
ment de Charles Nodier (1) .
Le peu de voix obtenues par Vigny ne
devait guère encourager le candidat, mais, avec
une constance digne d'un ancien officier de la mai-
son du Roi, il maintint sa candidature aux fau-
teuils de Casimir Delavigne et de Nodier. Quatre
nouveaux concurrents avaient surgi : Prosper
Mérimée, l'impeccable auteur de tant de livres
sans phrases ; Casimir Bonjour, auteur dra-
matique ; Aimé Martin, l'éditeur de Bernardin
(1) Voici le tableau des sept tours de scrutin :
i«r tour : Sainte-Beuve, 14 — Vatout, 11 —Vigny, 7 — Des-
champs, 3.
2» tour : Sainte-Beuve, i5 —Vatout, i3 — Vigny, 7.
3e tour : Sainte-Beuve, 17 —Vatout, r3 — Vigny, 5.
4e tour: Sainte-Beuve, 17 — Vatout, i5 — Vigny, 2 — Des-
champs, 1.
5<> tour : Sainte-Beuve, 17 — Vatout, 16 — Vigny, 2.
6° tour : Sainte-Beuve, 17 — Vatout, i5 — Vigny, 3.
7« tour : Sainte-Beuve, 16 — Vatout; 16 — Vigny, 3.
{Journal des Débats du g février 1844.)
c?^ 40 '%*©
de Saint-Pierre, dont il avait épousé la veuve ;
et Onésime Leroy, littérateur peu connu.
Le 14 mars 1844, vingt et une voix élurent,
au second tour de scrutin, Sainte-Beuve en
remplacement de Casimir Delavigne (1). Il ne
fallut pas moins de sept épreuves pour assurer
à Mérimée le fauteuil de Charles Nodier (2).
Vigny n'obtint qu'un nombre de voix infime,
mais, malgré ce nouvel insuccès, il dut applau-
(1) Il y avait 36 votants et la majorité absolue était de 19 voix. Au
premier tour de scrutin Sainte-Beuve obtint 17 voix contre 11 don-
nées à Vatout, 7 â Vigny et 1 à Onésime Leroy. Au second tour il eut
21 voix contre 12 à Vatout et 3 à Vigny. {Journal des Débats du
i5 mars 1844.)
(2) Le Journal des Débats nous a conservé les détails de cette
lutte acharnée :
i<"- tour : Mérimée, 10 — Bonjour, 7 — A. Martin, 7 — Va-
tout, 5 — Vigny, 4 — Deschamps, 2 — O. Leroy, 1.
2« tour : Mérimée, 11 — Bonjour, 10 — A. Martin, 4 — Vatout, 6 —
Vigny, 5.
3e tour : Mérimée, i3 — Bonjour, 12 —A. Martin, 4 —Vatout, 5 —
Vigny, 2.
40 tour : Mérimée, 14 — Bonjour, i5 — A. Martin, 1 — Vatout, 2 —
Vigny, 4.
5° tour : Mérimée, 17 — Bonjour, 14 — Vigny, 5.
6» tour : Mérimée, 18 — Bonjour, ic — Vigny, 3.
7» tour: Mérimée, 19 — Bonjour, i3 — Vigny, |.
On le voit, Mérimée obtint péniblement la majorité absolue. Vigny
eut, jusqu'au bout, ses fidèles. Casimir Bonjour, qui tint si longuement
Mérimée en échec et arriva, cette fois, si près du but, ne fit jamais
partie de l'Académie.
dir au double choix de l'Académie. C'était en
effet un honneur pour l'illustre compagnie et
un véritable triomphe pour les lettres que
l'élection de ces deux écrivains de race, dont la
réputation, déjà si solide, devait grandir encore
après leur mort.
D'ailleurs le terme des mésaventures acadé-
miques de Vigny approchait. Il semblait pour
ainsi dire convenu d'avance que l'auteur
d'Éloa serait élu, dès qu'une place serait
vacante. C'était l'opinion de la Repue des Deux
Mondes qui, dans son numéro du 1 5 mars 1844,
annonça en ces termes flatteurs la nomination
de ses deux éminents collaborateurs :
« L'Académie française a nommé aujour-
d'hui MM. Sainte-Beuve et Prosper Mérimée
aux fauteuils laissés vacants par la mort de
Casimir Delavigne et de Charles Nodier ; ce
sont là d'heureux choix. Nous, surtout, nous
avons à nous féliciter de voir l'Académie appe-
ler dans son sein deux de nos amis et collabo-
rateurs. A la première vacance, M. Alfred de
s^. 42 -<$>&
Vigny sera admis, nous l'espérons, et le
concours des nouveaux élus ne manquera pas
à une candidature qui réunit tant de titres
glorieux et incontestables. »
ÉLECTION ET DISCOURS DE RÉCEPTION
D'ALFRED DE VIGNY
Pendant une année aucune vacance ne se
produisit. Le i3 mars 1845 mourut Etienne,
auteur des Deux Gendres, conteur sous l'Empire
et journaliste sous la Restauration. C'était un
esprit moyen, un écrivain de peu de style.
Il fut l'objet de persécutions à sa taille,
c'est-à-dire de tracasseries. On le raya de l'Aca-
démie. Cela lui donna de l'importance; le petit
c3*^ 4-3 -^g;
homme, victime de cette petite proscription,
devint tout doucement un personnage et
s'épanouit au soleil de Juillet; mais il était déjà
trop mûr, caduc.
La Revue des Deux Mondes, dans son nu-
méro du i5 avril 1845, rappela, en ces ter-
mes, la candidature de son noble collaborateur,
le comte Alfred de Vigny :
« L'élection du successeur de M. Etienne à
l'Académie française ne tardera pas à avoir lieu ;
nous n'avons pas besoin de dire qu'entre les
candidats qui se présentent, nos sympathies
sont acquises à l'auteur âCÉloa et de Stello :
nous sommes heureux de nous rencontrer ici
avec le public. La nomination de M. Alfred de
Vigny paraît d'ailleurs assurée ; on peut félici-
ter d'avance l'Académie. Par l'éclat que son
nom a jeté dans la moderne école, par l'incon-
testable distinction de ses livres, parle caractère
réservé et sérieux de son beau talent, qui fait
si heureusement contraste avec la dispersion
d'aujourd'hui, M. de Vigny mérite à tous
égards un titre littéraire que l'illustre com-
pagnie ne saurait lui refuser plus longtemps
sans injustice. »
Vigny avait pour concurrents l'auteur dra-
matique Empis et l'aimable poète Emile Des-
champs. Le 8 mai il fut élu par 20 voix contre
10 données à Empis et 4 à Deschamps. Il
n'y eut qu'un tour de scrutin, comme si l'Aca-
démie avait voulu en quelque sorte faire oublier
au poète sa longue attente (1).
Alfred de Vigny avait alors quarante-huit
ans. C'était un homme de lettres, dans la meil-
leure acception du mot. Il n'appartenait ni à
l'Université ni à l'administration : il était resté
étranger à la politique active et ne collaborait
à aucun journal quotidien. L'héritage paternel
lui avait assuré le droit de méditer à son gré
son œuvre, de l'accomplir, de la parfaire.
Jamais Vigny n'avait connu l'impérieuse néces-
(1) Journal des Débats du 9 mai 1845. — Le 8 mai, Vitet avait été
élu, au second tour de scrutin, en remplacement de Soumet, par
20 voix contre 14 données à Victor Leclerc.
site de livrer à un éditeur impatient un travail
trop hâtif. Il écrivait, non par métier, mais par
goût et à loisir, et il avait conquis une gloire
discrète, mais solide. Guiraud enviait juste-
ment cette noble indépendance dont jouissait
son ami, et il avait compris que l'admission de
cet écrivain de race dans l'Académie serait un
triomphe pour le monde lettré. En effet, Télec-
tion de Vigny, exempte de toute cabale et de
tout esprit de parti, fut bien accueillie.
A peine un académicien est-il élu qu'il est
obligé de s'occuper de son discours de récep-
tion. Il lui faut étudier la vie et les œuvres de
son prédécesseur, qui souvent jusqu'alors lui
avaient été peu familières. Il ne doit pas
oublier que c'est un éloge que la Compagnie
exige de lui. Que d'écueils à éviter pour conten-
ter à la fois l'Académie, à laquelle on appar-
tient désormais, les parents et les amis du
défunt auquel on succède, le public, auquel on
doit compte des principes professés jusqu'ici, et
sa propre conscience, souvent révoltée contre
ces convenances diverses ! Vigny fut soumis à
toutes ces épreuves. Il écrivit son discours de
réception et le prononça au sein de l'Académie
le 29 janvier 1846.
Au début de son discours, Vigny, selon
l'usage, remercia ses collègues de l'avoir admis
parmi eux, en des termes qui montraient com-
bien le poète avait désiré cet honneur et com-
bien il en avait été heureux.
« Il y a, dans la vie de chaque homme,
disait-il, une époque où il est bon qu'il s'arrête,
comme au milieu de son chemin, et considère,
dans un moment de repos et de préparation à
des entreprises nouvelles, s'il a laissé derrière
lui sur sa route une pierre qui soit digne de
rester debout et de marquer son passage ; de
quel point il est parti, quels voyageurs l'avaient
précédé, desquels il fut accompagné, desquels
il sera suivi.
« Ce moment d'arrêt est aujourd'hui venu
pour moi ; votre libre élection l'a marqué ; et
la sobriété de mes ambitions, le calme et la sim-
plicité de ma vie me permettent de vous redire,
messieurs, avec justice et en toute conscience,
les paroles de l'un de vos devanciers, de ce
moraliste profond qui disait en entrant à
l'Académie française, il y a cent soixante ans :
« Cette place parmi vous, il n'y a ny poste,
« ny crédit, ny richesses, ny authorité, ni fa-
« veur qui ayent peu vous plier à me la
« donner, je n'ay rien de toutes ces choses.
« Mes oeuvres ont été toute la médiation que
« j'ai employée et que vous avez receùe. Quel
« moyen de me repentir jamais d'avoir es-
« crit ? »
Ensuite il prit le ton de trop haut, perdit
pied et devint chimérique. L'auteur à'Eloa n'é-
tait pas homme à suivre terre à terre le bon
monsieur Etienne. Le sujet voulait de la
finesse, un ton de belle humeur, et pour agré-
ments quelques citations de La Fontaine; Vigny
n'avait rien de cela à son service.
Après avoir tracé un tableau emphatique et
vague des deux races qui composent, selon lui,
<3*^s 48 -«5*2;
la famille intellectuelle, et dont les types sont
le Penseur, « possesseur durable de l'admi-
ration », et l'Improvisateur, « ce dominateur
rapide des volontés et des opinions publi-
ques », il esquissa la vie de son prédécesseur.
Il montra Etienne, « allié à la modération
armée », défendant Lyon en 1793, puis, à l'é-
poque du Directoire, composant des vaudevilles,
sous la protection de l'illustre tragédienne
Clairon qui lui légua sa bibliothèque, « comme
à Voltaire enfant Ninon avait légué la sienne. »
Il passa en revue toutes ces œuvres, souvent
inspirées par les circonstances, témoignant
d'une plume facile, vaudevilles, impromptus,
opéras comiques, et arriva enfin aux Deux
Gendres, comédie de caractère, qui établit la
réputation dramatique de son auteur. Il men-
tionna seulement la bruyante accusation de
plagiat qui suivit l'éclatant succès des Deux
Gendres, mais il parla longuement de Ylntri-
gante. Cette comédie, représentée au château de
Saint-Cloud, en 181 3, bafouait les mariages
imposés par la Cour, et critiquait par consé-
quent les actes de Napoléon. Celui-ci s'em-
pressa d'interdire la représentation de Y In-
trigante. Vigny, à cette occasion, peignit,
sous les plus sombres couleurs, le souverain et
sa cour.
« Grâce à la fortune de la France, s'écria-t-il,
les temps sont déjà bien loin de ces rudesses
du pouvoir absolu, qui ne renaîtront jamais
sans doute, et que la gloire même ne saurait
absoudre. Les générations auxquelles j'appar-
tiens, et qui depuis l'adolescence n'ont respiré
que l'air de la liberté parlementaire, ont déjà
peine à croire qu'on ait pu supporter la
pesanteur de l'autre. »
Après avoir ainsi caractérisé l'Empire, il
étudia, dans Etienne, le publiciste libéral,
luttant contre les hommes de la Restauration et
exclu par eux de l'Académie, et il termina
par l'apologie de l'école romantique (i).
(1) Voir, aux Pièces justificatives, n° v, le fragment du discours
de Vigny qui concerne les Romantiques.
ca^s* 5o ~_-
Le vieux comte Mole, directeur de l'Aca-
démie au moment de la mort d'Etienne,
répondit à Vigny. Plus homme d'État que litté-
rateur, tour à tour ministre de Napoléon Ie'-,
de Louis XVIII et de Louis-Philippe, il était
resté fidèle au souvenir de «on premier
maître, et il avait eu peu de sympathie pour
les novateurs littéraires. C'était donc une male-
chance pour Vigny, royaliste et romantique,
d'avoir à subir l'éloge d'un tel adversaire.
D'ailleurs, le discours du comte Mole ne fut
qu'ironie et dédain. Après avoir, suivant l'ha-
bitude des vieillards, payé son tribut de regrets
au passé, toujours si préférable au présent,
Mole, citant avec perfidie une phrase que
Vigny avait écrite mais qu'il avait cru devoir
retirer, s'appliqua à venger l'Empire des atta-
ques du récipiendaire. Avec quel dédain il
reprocha au poète de n'avoir pas parlé de Cha-
teaubriand ! Avec quelle justesse cette fois il le
blâma d'avoir, dans Cinq-Mars, fait bon mar-
ché de la vérité historique et glorifié un étourdi
^ 5 1
ambitieux aux dépens du cardinal de Richelieu !
Sur ce point le vieil homme d'État avait beau
jeu contre le poète rêveur. Puis, après avoir
attaqué la doctrine exposée dans Stella, tout
en louant, par exception, la création pleine
d'art et de charme de Ketty Bell, ce qui témoi-
gnait d'un goût assez frais chez un vieillard usé
par les affaires, il termina en reprochant
à Vigny d'avoir, dans les préface- de ses tra-
ductions du Maure et du Marchand de
Venise, prodigué a Racine et aux écrivains
de son école de dédaigneuses rigueurs, et il
exprima le vœu de voir cesser enfin la lutte
entre les classiques et les romantiques. Le
vieux comte avait encore raison à cet égard :
la rancune de Vigny contre Racine est vraiment
puérile.
Jamais, de mémoire d'académicien, pareil
réquisitoire n'avait été prononcé contre un
récipiendaire. La coutume de faire approuver
d'avance, par une commission, les deux dis-
cours, semblait devoir prévenir un tel scan-
dale. Vigny a eu soin de nous apprendre
que, devant la commission, le discours de
M. Mole lui fut escamoté (i). Le mot est
vague.
Il ne semble pas que la critique fût favorable
au poète. Sainte-Beuve, en rendant compte,
dans le numéro du i°r février 1846 de la
Revue des Deux Mondes, de la récente solen-
nité académique, analysa le discours de son nou-
veau collègue, « le plus long qui ait été pro-
noncé », et reprocha très-finement à Vigny d'a-
voir loué Etienne autrement que de raison. « Il
l'a loué, disait-il, à côté et au-dessus, pour ainsi
dire; il l'a, en un mot, transfiguré.... son élé-
vation, encore une fois, l'a trompé ; sa haute
fantaisie a prêté des lueurs à un sujet très-réel. »
Puis il excusa les attaques du comte Mole, sur-
tout alors que ce dernier expliqua les retards que
l'Académie met dans certains choix et l'espèce
de quarantaine que paraissent subir au seuil
(1) Journal d'un poète, p. 207. — Vigny (p. 208) prétend que le
comte Mole a été l'exécuteur d'une vengeance politique.
certaines renommées (i). Enfin Sainte-Beuve
applaudit au désir exprimé par Mole de voir
cesser la guerre entre les romantiques et les
classiques. Les romantiques, fort ignorants,
menaient mal la campagne, depuis longtemps;
Saànte-Beuve avait pris possession, comme
critique, au-dessus de ces querelles.
Vigny, déjà justement blessé des reproches
publics dont l'avait accablé le comte Mole, ne
dut pas être consolé par l'article acéré de
Sainte-Beuve. Il refusa, tout d'abord, d'être,
selon ru sage, présenté au Roi par Mole. Il
expliqua son refus à Thiers et à Mignet en ces
termes : « J'ai voulu répondre par une marque
publique de mécontentement à un accueil scan-
daleux, acerbe, fait en public le 29 janvier (2) ».
Il résista à toutes les sollicitations, même à
celles de son ami Guiraud. Sur ces entrefaites
l'Académie renouvela son bureau le ier avril :
(1) Cf. aux Pièces justificatives, n° vi. le passage de Sainte-Beuve
à ce sujet.
(2) Journal d'un poète, p. 206.
:g?^ 54 '=g*g:
elle élut le comte Mole directeur, et Vitet chan-
celier. En apprenant cette élection, Vigny
s'écria : « Ainsi l'Académie a montré qu'elle
soutenait M. Mole et me blâmait, en le nom-
mant directeur (1). » Il s'abstint de siéger
aux séances particulières jusqu'au icr juillet,
jour où prirent fin les fonctions de son adver-
saire. Il avait, dès le 14 juin, été reçu par
Louis-Philippe, qui, par des compliments
mérités, s'attacha à faire sentir au nouvel acadé-
micien combien il se souciait peu de soutenir la
conduite de son ancien ministre (2).
Vigny fut, dès lors, assidu aux séances de
l'Académie. Il encourageait volontiers les jeu-
nes talents, et, voulant l'honneur des lettres,
il s'efforçait d'élire le plus haut possible (3).
De cruelles soutfrances sur la fin de sa vie
affectèrent son humeur, naturellement triste,
(1) Jourjialdjinpoéte, p. 208. — Vigny avait obtenu deux voix
pour les fonctions de chancelier.
(2) Journal d'un poète, p. 21?.
(3) Ce sont les termes dont Vigny se sert en parlant de l'élection
d'Ampère. (Journal d'un poète, p. 2i.i.>)
cg5^ 55 ^i>©
et, comme on l'a dit, il ne sortit plus de sa
tour d'ivoire. Mais il conserva intact son amour
des lettres. Sans avoir beaucoup de sentiment
critique, sans savoir au juste, il faut le dire,
ce que valaient les vers qu'on lui soumettait, il
se montrait gravement affectueux. Jamais un
écrivain, quelque inconnu qu'il fût, ne sollicita
en vain ses conseils et son appui. Je vais en
citer un exemple notable.
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SECONDE PARTIE
SECONDE PARTIE
"---
LES CANDIDATS EN MDCCCLXI
A la fin de Tannée 1861, deux fauteuils
vaquaient à l'Académie française, celui de
Scribe, mort le 20 février, et celui de Lacor-
daire, décédé le 2 1 novembre. Les compétiteurs
étaient nombreux : MM. Autran , Camille
Doucet, Belmontet, Jules Lacroix, Gozlan,
Geruzez, Guvillier-Fleury, Mazères, Octave
<3<^> 6o- ^g^g;
Feuillet, Léon Halevy, Albert de Broglie,
de Carné, avaient posé leur candidature. Au-
cun de ces écrivains ne s'imposait par la célé-
brité, mais presque tous étaient estimés à des
titres qu'il est bon de rappeler :
Autran , originaire de cette ville de Mar-
seille, qui avait fourni déjà à l'Académie plu-
sieurs membres, dont deux vivaient encore et
comptaient parmi les plus illustres, Thiers et
Mignet, cultivait la poésie. En 1848, sa Fille
d'Eschyle lui avait valu un prix de l'Académie,
et le poète couronné en même temps que lui,
Emile Augier, était devenu, depuis 1857, le
collègue de ses juges. Combien peu de lauréats
obtiennent cette insigne faveur ! Autran, riche
et indépendant, employait une vie calme et
heureuse à composer des poèmes et à les pu-
blier, et sa seule ambition était d'être acadé-
micien (1).
(1) Autran (Joseph- Antoine), né à Marseille en juin i8i3, fut élu
membre de l'Académie le 7 mai 1868 en remplacement de Ponsard,
et mourut dans sa ville natale le 6 mars 1877. Il a eu pour succes-
seur M. Victorien Satdou.
Camille Doucet, poète dramatique, auteur
de la Considération, connu surtout par ses
fonctions de chef de la division des beaux-arts
au ministère d'État (1). Lettré d'un esprit fin,
d'un caractère bienveillant, il avait mis son
influence administrative au service des gens de
lettres avec tant de grâce et de délicatesse, qu'il
avait conquis de nombreuses et illustres ami-
tiés. Comme candidat, on pouvait lui objecter
ses fonctions qui l'attachaient au gouvernement
impérial, peu en faveur, on le sait, auprès de
l'Académie.
Louis Belmontet (2), jadis poète patriote,
lauréat des Jeux floraux, maintenant chantre de
la dynastie napoléonienne et député officiel. Il
rappelait, dans sa lettre à l'Académie, qu'il
avait, en 182g, écrit avec Alexandre Soumet
Une fête sons Néron; mais son nom n'était que
(1) Doucet (Charles-Camille), ne à Paris le 16 mai 1812, fut élu
le 6 avril i865 en remplacement d'Alfred de Vigny. Il a été nommé
secrétaire perpétuel de l'Académie, en 1876, après la mort de Patin.
(2) Belmontet (Louis), né à Montauban en 1799. Il est encore
vivant; la chute de l'Empire lui a enlevé son mandat de député ; il
n'en continue pas moins à faire des vers en l'honneur de la dynastie
tombée, mais il semble avoir renoncé à l'Académie.
trop connu par des vers burlesques comme
celui-ci :
Le vrai feu d'artifice est d'être magnanime.
Jules Lacroix (1), romancier et auteur dra-
matique, émule de Léon Halevy, un de ses
compétiteurs. Il avait imité en beaux vers le
Macbeth de Shakespeare et Y Œdipe-Roi de
Sophocle, et l'Académie l'avait couronné, en
1847, pour sa traduction des Satires de Juvê-
nal et de Perse. C'était un lauréat qui voulait
devenir à son tour un juge.
Léon Gozlan (2), originaire de Marseille,
comme Autran, auteur de nombreux romans
et drames. Doué d'une prodigieuse fécondité,
il méritait, à ce titre, de succéder à Scribe.
De plus il avait de l'esprit à outrance, et
les personnages de ses romans s'abandon-
nent à des gaîtés terribles, témoin Aristide
Froissard.
(1) Lacroix (Jules), né à Paris le 7 mai 1809. Il se console, par le
culte constant des lettres, des échecs qu'il a subis à l'Académie.
(2) Gozlan (Léon), né à Marseille le ie>- septembre i8o3, mort à
Paris le 14 septembre 1866. Il ne fit jamais partie de l'Académie.
Eugène Geruzez (i), universitaire de mé-
rite, suppléant de Villemain pendant dix-neuf
ans, et actuellement secrétaire de la faculté des
Lettres. Son Cours de philosophie, son His-
toire de l'Éloquence politique et religieuse en
France aux XIVe, XV0 et XVIe siècles, son
Histoire de la littérature française, lui don-
naient le droit de siéger à côté de Patin et de
Saint-Marc Girardin.
Guvillier-Fleury, ex-précepteur des princes
d'Orléans, humaniste distingué, publiciste re-
marquable, apportait, comme bagage littéraire,
deux volumes d'études d'histoire et de cri-
tique (2). A ceux qui auraient trouvé ce ba-
gage un peu mince, on aurait pu citer l'exemple
de M. Silvestre de Sacy, qui tint à honneur,
dans son discours de réception, de déclarer
qu'il était, avant tout, un journaliste, et que
(1) Geruzez (Nicolas-Eugène), né à Reims le 6 janvier 1799, mort
à Paris le 29 mai 1 86 5, sans avoir pu parvenir à l'Académie.
(2) Cuvillier-Fleury (Auguste-Alfred), né à Paris le iS mars 1802.
a été élu membre de l'Académie le 12 avril 1SÔ6 en remplacement de
Dupin aîné.
l'Académie l'avait admis comme tel. M. Cu-
villier-Fleury était le critique du Journal des
Débats. Combien de fois il avait apprécié dans
cette feuille les mérites divers des candidats
à cette Académie, dont il sollicitait depuis
si longtemps les suffrages! que d'heureux
succès et que d'échecs il avait enregis-
trés !
Mazères, fécond auteur dramatique, jadis
pourvoyeur des théâtres de genre (i). Pauvre
Mazères! Sous Louis-Philippe il avait dû céder
la place à son collaborateur Empis (2). Ce
dernier, à la vérité, avait été directeur de la Co-
médie-Française, mais, au point de vue litté-
raire, Empis et Mazères étaient inséparables.
Empis, après des candidatures réitérées, força
(1) Mazères (Edouard-Joseph-Ennemond), né à Paris le ir septem-
bre 1796, mort dans la même ville en mars 1866. Outre ses nombreuses
collaborations avec Picard, Scribe et Empis, il a donné au Théâtre-
Français, en 1826, une comédie, le Jeune mari, qui est restée au
répertoire. En i858 il a réuni en trois -olumes ses meilleures pièces
sous le titre de Comédies et souvenirs.
(2) Empis ( Adolphe-Dominique-Florent-Joseph Simonis ) . né à
Paris le 29 mars 1795, mort à Bellevue le 11 décembre 1868. Il avait
été élu à l'Académie le 11 février 1817 au fauteuil de Jouy. 11 a été
remplacé par M. Auguste Barbier, l'auteur des ïambes.
les portes de l'Académie en 1847. C'était main-
tenant le tour de Mazères. Hélas ! la révolution
de Février changea les courants et les influences.
En vain Mazères fit valoir ses titres. Pouvait-il
ne pas suivre la destinée de son ami, de son
collaborateur, de cet autre lui-même? Empis
ne lui tendait-il pas les bras ? L'Académie resta
sourde à ces prières. Parfois, dans les scrutins,
quelques voix, parmi lesquelles celle d'Empis
peut-être, s'égaraient sur le vieil auteur dra-
matique. Vaine consolation. Mazères mourut
sans avoir vu son ambition satisfaite. Les deux
amis se suivirent de près dans la mort; une
égale obscurité les recouvre tous deux. Mazères
est vengé! entre les deux collaborateurs, notre
génération ne sait pas distinguer l'académicien
de celui qui ne le fat pas.
Octave Feuillet, esprit d'une distinction raf-
finée, auteur de romans et de comédies senti-
mentals (1). Que de larmes féminines avait
(1) Feuillet (Octave), né à Saint-Lô le 10 août 1821, fut élu à
l'Académie en remplacement de Scribe le 3 avril 1862.
@^v 66 -^g;
fait couler, à la lecture et au théâtre, le
Romaji d'un jeune homme pauvre! Le tempé-
rament essentiellement nerveux de l'écrivain
communiquait à ses ouvrages une teinte mé-
lancolique qui impressionnait vivement les
femmes. Dans les salons, dans les châteaux, à
la cour, on raffolait de ses romans; ses prover-
bes, comme ceux d'Alfred de Musset, son
inimitable modèle, ravissaient les invités de
Fontainebleau ou de Compiègne; en un mot,
c'était le romancier à la mode.
Léon Halevy (i), poète tragique, frère puîné
de l'auteur de la Juive, avait été, dans sa jeu-
nesse, le plus fidèle disciple de Saint-Simon,
qu'il assista à son lit de mort, en 1825. Il avait
débuté dans la littérature par une traduction
des Odes d'Horace et avait ensuite donné au
théâtre le C\ar Démétrius et Luther. Ses imi-
tations d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide
avaient obtenu le suffrage des lettrés; l'Aca-
(1) Halevy (Léon), né à Paris le 14 février 1S02. Il semble avoir
renoncé aux honneurs académiques.
<3*^, 67 «^g?
demie française avait couronné ses fables :
pourquoi repousserait-elle un lauréat, un vété-
ran de la littérature?
Le prince Albert de Broglie, alors âgé de
quarante ans, fils d'un parlementaire illustre,
avait été promis, dès sa jeunesse, aux honneurs
politiques et littéraires (1). Il ne pouvait, sous
un régime adverse, ambitionner que les der-
niers. Après de brillants débuts dans la Revue
des Deux Mondes, en 1848, il devint le colla-
borateur assidu du Correspondant. Son His-
toire de VÉglise et de l'Empire romain au
IVe siècle et ses études sur Julien l'Apostat et
Théodose le Grand lui avaient assigné une
place honorable parmi les écrivains catholiques
de l'école de Montalembert. Le prince Albert
de Broglie avait montré, dans ces ouvrages, un
esprit élevé et des tendances libérales, glorieux
apanage de sa famille. C'était au fauteuil du
Père Lacordaire, un de ses maîtres littéraires,
(1) Broglie (Jacques-Victor-Albert de), né à Paris le i3 juin 182 1 .
On sait que depuis les honneurs politiques ne lui ont pas manqué.
6
qu'il aspirait, non sans de grandes chances de
réussite.
Le comte Louis de Carné (i), Breton de
vieille souche, avait, jusqu'en 1848, suivi la car-
rière diplomatique. Dès lors, il s'était adonné
aux études historiques, qui avaient, au temps
de sa vie publique, charmé ses loisirs. Ses Vues
sur l'Histoire contemporaine, son livre Du
gouvernement représentatif en France et en
Angleterre, ses Etudes sur les fondateurs de
limité française, le rattachaient à l'école reli-
gieuse de Montalembert et à Técole politique
de Guizot.
Tels étaient les compétiteurs aux deux fau-
teuils vacants, quand le secrétaire perpétuel de
l'Académie, le vénérable Villemain, reçut une
lettre signée Charles Baudelaire, par laquelle
ce littérateur posait sa candidature. Quel sou-
rire de dédain et de pitié dut alors animer la
face malicieuse du secrétaire! Et lorsqu'il com-
(1) Carné-Marcein (Louis-Marie, comte de), né à Quimper le
17 février 1804, succéda à Biot le 23 avril i863, et mourut le
1 1 février 1876. Il a été remplacé par M. Charles Blanc.
muniqua à ses collègues cette lettre inattendue,
chacun de croire à une mystification. Quel
était cet audacieux qui prétendait ajouter son
nom obscur à cette liste déjà trop longue de
noms célèbres et honorés? La plupart des aca-
démiciens ne le connaissaient point. D'autres
disaient que c'était un jeune homme, un pré-
tendu poète, un original sans talent, un écri-
vain condamné pour outrage à la morale publi-
que. Suffisait-il donc, pour prétendre à la
palme, d'avoir été cité dans le cabinet d'un
juge d'instruction et tancé vertement par le
magistrat ? Pouvait-on passer des brasseries
du quartier latin jusques sous la coupole de
l'Institut? Que dirait le buste de Royer-
Collard ? Le classique Viennet leva les yeux
au ciel en murmurant le mot de romantique,
qui, pour lui, résumait toutes les audaces et
toutes les ignominies. Seul, Sainte-Beuve con-
naissait le nouveau candidat, mais il n'était
pas moins surpris que ses collègues de cette
folle tentative. Bref, la lettre de Baudelaire
&&r 7° "^©
alla augmenter, dans les cartons des archives
de l'Académie, le volumineux dossier des can-
didatures mort-nées.
i|f,j {'Vf
CHARLES BAUDELAIRE
Charles-Pierre Baudelaire, né à Paris, rue
Hautefeuille, le 21 avril 1821, était fils d'un
professeur de l'Université, ancien ami de Ca-
banis et de Condorcet. Il était jeune encore
lorsqu'il perdit son père, et il fut destiné à la
carrière commerciale. Son génie naturel l'en-
traînait vers la littérature. Pour le détourner de
cette voie funeste, autant que pour lui donner
le goût et la pratique du commerce, sa famille
l'envoya visiter les mers de l'Inde, l'île Mau-
rice, l'île Bourbon et Madagascar (1). De ce
long voyage, Baudelaire revint poète, et ses
vers témoignèrent des visions merveilleuses que
la nature des tropiques, les constellations
inconnues aux Européens et l'étrange beauté
des femmes de couleur avaient imprimées dans
son esprit. Il avait alors vingt et un ans et pou-
vait jouir de sa liberté et de sa fortune. Il
abandonna le commerce et ses avantages, et se
livra sans réserve aux lettres. En 1843, il alla
se loger, quai d'Anjou, en l'hôtel Pimodan,
auquel le séjour de Théophile Gautier a donné
une célébrité nouvelle. Là, dans un appartement
exigu, situé sous les combles, il rassemblait ses
amis, étonnés des bizarreries de son langage etde
ses opinions, qui étaient en parfaite harmonie,
d'ailleurs, avec son mobilier et son costume.
Sa chambre à coucher, qui lui servait de cabi-
net de travail, était tapissée sur les murs et au
plafond d'un papier rouge et noir, et éclairée
(1) Cf. la notice que Théophile Gautier a consacrée à Charles
Baudelaire, en tête de l'édition des Fleurs du Mal, publiée chez
Michel Lévy, 1869, in-12.
par une seule fenêtre, « dont les carreaux,
jusqu'aux pénultièmes inclusivement, étaient
dépolis, afin de ne voir que le ciel, » disait-il (1).
C'est là qu'il composa la plupart des poésies
qu'il publia plus tard.
Baudelaire s'adonna bientôt à la critique
artistique. Il rendit compte des Salons de 1845
et de 1846. Il loua Eugène Delacroix et atta-
qua Horace Vernet et Ary Scheffer. Il aimait
le grand David et fut un des premiers à re-
mettre en lumière les petits maîtres de la Ré-
volution : Fragonard, Carie Vernet, De Bu-
court (2).
En même temps, il collaborait au Corsaire-
Satan, revue littéraire qui a servi aux débuts
de Murger, de Champfleury, de Théodore de
Banville, d'Edouard Plouvier, de Charles de
la Rounat, d'Alexandre Weill, etc. C'est alors
qu'il se lia intimement a/ec Banville, Champ-
fleury et Asselineau.
(1) Cf. Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre, par Charles
Asselineau; Paris, A. Lemerre, 1869, in-12, p. 5 à 8.
(2) «., p 16 à 22.
^"^ 73 s^g;
En 1848, Baudelaire fut chargé d'aller diri-
riger à Dijon un journal gouvernemental.
L'entreprise avorta, car le journal de Baude-
laire, dès le second numéro, devint un journal
d'opposition.
En 1849, Théophile Gautier rencontra Bau-
delaire, à l'hôtel Pimodan, chez le peintre
Fernand Boissard, dans un grand salon
Louis XIV, où avaient lieu les séances du
fameux club des Haschichiens (1). De là cette
sympathie et cette amitié qui unirent toujours
le maître et le disciple.
Baudelaire publia, en i85o, quelques poésies
dans le Magasin des familles, mais une pas-
sion nouvelle le saisit tout entier. Il lut les
contes d'Edgar Poç et en fut enthousiasmé. Il
résolut aussitôt de faire connaître aux lettrés
du vieux monde le génie fantastique qu'avait
enfanté le nouveau. Tour à tour, il publia des
œuvres séparées de Poe, puis une étude sur
Edgar Poe, sa Vie et ses Œuvres, et enfin en
(O V. notice de Théophile Gautier sur Baudelaire.
<3<^ 74 '"©*©
i855, une traduction des Contes, dans le Pays.
Cette traduction, faite avec amour, avait toute
la saveur d'une oeuvre originale; en France,
elle fut accueillie favorablement; en Angleterre,
elle valut à Baudelaire les éloges les plus flat-
teurs et une juste réputation (i).
Baudelaire cherchait avec ardeur des ren-
seignements sur Poë : rien de ce qui intéressait
son héros ne lui était indifférent. Il désirait
avoir de Poë le portrait le plus parfait et le
plus véritable. La lettre suivante en fait foi :
« Monsieur, me dire qu'on aime si bien
Edgar Poë, c'est m'adresser la plus douce des
flatteries, puisque c'est me dire qu'on me ressem-
ble. Je vous réponds donc avec empressement.
« Je crois que vous avez eu tort d'acheter
les morceaux en question. Je prépare depuis
longtemps une belle édition dans laquelle je
ne mettrai pas le livre de philosophie, Eurêka,
lequel doit paraître dans la collection Lévy,
à 3 francs; et dans cette édition je mettrai les
(i) Charles Baudelaire, par Ch. Asselineau, p. 3ç et suiv.
<&*Sis 75 ■^g>
morceaux inédits. D'ailleurs, je vous avais
averti qu'ils étaient fort mal imprimés, par-
ticulièrement VAnge du Bi\arre, où non-seu-
lement l'orthographe figurative, volontaire-
ment absurde, n'a pas été suivie, mais encore
où ont été sautés des lignes entières et des
mots, ce qui rend les phrases inintelligibles.
Il y a aussi des fautes dans la Genèse d'un
Poëme.
« Si je réussis, comme j'ai tout lieu de l'es-
pérer, à monter cette affaire, nous nous y met-
trons Thiver prochain ; cela fera probablement
un grand in-8° de 800 pages.
« Il y aura deux portraits, l'un, qui est en
tête de l'édition posthume des oeuvres de Poë
(chez Redfield , New-York) , reproduction
d'une peinture qui était chez Grisevold; ce
Grisevold est l'auteur américain chargé de
mettre en ordre les papiers de Poë', et qui non-
seulement s'est si mal acquitté de sa tâche,
mais encore a diffamé son ami défunt en tête
de l'édition; — l'autre, qui orne l'édition grand
s=<à* 76 "&&
in-8° illustrée des poésies, édition de Londres.
Mes collections ne sont pas à Paris, je ne me
souviens plus du nom de l'éditeur.
« Il y a d'autres éditions et aussi d'autres
portraits; mais ils ne sont jamais que la
reproduction plus ou moins altérée de ces deux
portraits types.
« Si je réussis à faire mon entreprise, je les
ferai reproduire avec un soin parfait. L'un
(édition américaine) représente Poë avec la
physionomie connue du gentleman : pas de
moustaches, — des favoris; — le col de la
chemise relevé. Une prodigieuse distinction.
L'autre (édition des poésies, de Londres) est
fait d1après une épreuve daguerrienne. Ici, il
est à la française : moustaches, pas de favoris,
col rabattu. — Dans les deux, un front énorme
en largeur comme en hauteur ; Pair très-
pensif, avec une bouche souriante. Malgré
l'immense force masculine du haut de la tête,
c'est, en somme, une figure très-féminine. Les
yeux sont vastes, très-beaux et très-rêveurs.
®"<^ 77 *%*€>
— Je crois qu'il sera utile de donner les
deux.
« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de
mes sentiments les plus distingués,
Cette lettre fut adressée, le i3 juillet 1860, à
« monsieur Alfred Guichon, 54, rue de Lis-
bonne, à Paris. »
Encouragé par l'accueil bienveillant que le
public lettré avait fait aux traductions des
Contes de Poe, Baudelaire, sollicité par ses
amis, se décida à publier ses poésies, dont il
avait, en i85o, montré à Asselineau le manu-
scrit, magnifiquement copié par un calligraphe
et relié en deux volumes, dorés sur tranche.
Dès 1 855, il avait adopté le titre de Fleurs
du Mal, sous lequel il fit imprimer son recueil
de poésies. Son ami, A. Poulet-Malassis, esprit
fin et délicat, fut l'éditeur de ce livre, qui parut
en 1857. Les Fleurs du Mal excitèrent l'ad-
miration chez les uns, la colère chez les autres.
Plusieurs pièces furent dénoncées comme at-
tentatoires à la morale publique et déférées au
parquet. Baudelaire, à qui les situations étran-
ges ne déplaisaient pas, accueillit, sans trop de
chagrin, les bruits de poursuite. « Vous savez
que je suis cité en police correctionnelle? »
disait-il dans tous les cafés littéraires. Les petits
journaux répandirent la nouvelle, et il n'est pas
impossible que tout ce bruit ait hâté la vigi-
lance du parquet. Le juge d'instruction de-
manda entre autres choses au poète ce qu'il
entendait par les magistrats curieux. Il y a, en
effet, dans une des pièces les plus remarquables
des Fleurs du Mal, des strophes à une belle
femme assassinée et dont la tête repose dans
une coupe « comme une renoncule. » Le poète
s'écrie :
« Loin du monde railleur, loin de la foule impure,
« Loin des magistrats curieux,
« Dors en paix, dors en paix, étrange créature,
« Dans ton tombeau rmstérieux. »
Baudelaire affirma que le crime, qu'il avait
voulu dérober à la justice, était d'une nature
®<â^ 79 /^S>
totalement idéale, et le juge d'instruction, qui
était un galant homme et un homme d'esprit,
se tint satisfait sur ce point et traita l'homme
de lettres avec courtoisie.
Toutefois, Baudelaire dut comparaître de-
vant le tribunal de la police correctionnelle, qui
ordonna la suppression des pièces dénoncées.
Baudelaire, tout en protestant contre cette
décision, accepta sans peine la célébrité qu'une
affaire de ce genre lui avait naturellement atti-
rée. Successivement, il publia le Salon de i85 g,
une notice sur Théophile Gautier, le poète im-
peccable, auquel il avait dédié ses Fleurs du
Mal, les Caricaturistes français et étrangers,
les Poèmes en prose, des études sur Constantin
Guys et sur Eugène Delacroix, et les Paradis
artificiels. De plus, sa traduction d'Edgar Poë
paraissait en volumes.
Il avait alors quarante ans. Son visage
glabre, son front poli et ravagé, sa bouche
contractée, sa toilette correcte mais singulière,
concouraient à lui donner cet air de dan-
dysme satanique qu'il affectionnait beaucoup.
Il se plaisait à étouffer sa réputation de vrai
poète sous une sorte de célébrité beaucoup
moins enviable. Il voulait, avant tout, effrayer
et surprendre le bourgeois. « Avez- vous mangé
de la cervelle de petit enfant ? disait-il un jour
à un honnête fonctionnaire. Mangez-en. Cela
ressemble à des cerneaux et c'est excellent. »
Une autre fois, dans la salle commune d'un
restaurant fréquenté par des provinciaux, il
commença, à haute voix, un récit en ces ter-
mes : « Après avoir assassiné mon pauvre
père... » Il réussit et eut de son vivant même
sa légende. C'est ainsi qu'un journaliste ra-
conta, sur la foi d'un petit poème en prose
tout à fait allégorique, que M. Baudelaire fai-
sait monter les vitriers dans sa chambre,
pour avoir ensuite le plaisir de les culbuter du
haut en bas de l'escalier a"\ec leur fragile mar-
chandise.
C'est après s'être fait, avec beaucoup de soin
et d'efforts, la réputation de manger les petits
enfants, que Baudelaire présenta sa candida-
ture à l'Académie, où ses livres étaient tout à
fait inconnus. Fort du suffrage de ses maîtres
et de ses pairs, et peu soucieux du jugement
des bourgeois, il se croyait digne de faire
partie de l'Académie des littérateurs, et sol-
licitait le fauteuil de Scribe. Quoi de plus
simple à ses yeux? Et cependant cette démar-
che, que l'Académie ne prit pas au sérieux,
fut unanimement blâmée par la presse. Les
amis du candidat l'accusèrent de sacrifier sa
dignité, de faire alliance avec les Philistins;
ses ennemis le traitèrent de présomptueux, de
fou, d'impertinent; les indifférents mentionnè-
rent à peine son nom parmi les compétiteurs.
A vrai dire, quelque sympathie, quelque admi-
ration qu'on ait pour le talent poétique de Bau-
delaire, il faut reconnaître que nul n'était
moins propre à réunir les suffrages de l'Aca-
démie, qui ne pardonne pas aisément d'avoir
eu maille à partir avec la police correctionnelle.
Avant tout, l'Académie exige de ceux qui la
0<ïïs 82 ^*©
sollicitent d'avoir respecté dans leurs œuvres
la morale et de posséder cette tenue décente
qu'ont les gens bien élevés. Il faut être de bonne
compagnie; les titres littéraires viennent en-
suite. Eh bien ! avoir écrit les Fleurs du
Mal, dont le titre, à lui seul, appelait sur le
livre la réprobation des gens bien pensants,
avoir été considéré par les magistrats de son
pays comme un auteur immoral, et oser se pré-
senter à T Académie, quelle illusion, ou plutôt
quelle impertinence!
Baudelaire, peu ému des critiques de la
presse, commença ses visites : il fut bien ac-
cueilli par Lamartine et par M. de Sacy, traité
avec hauteur et dédain par Villemain et par
Viennet. Ce dernier lui adressa cette phrase
restée fameuse : « Il n'y a que cinq genres,
monsieur! la tragédie, la comédie, la poésie
épique, la satire... et lu poésie fugitive, qui
comprend la fable, où j'excelle! (1) »
Il avait pourtant un ami à l'Académie.
(1) L'Amateur d'autographes, n» 202, p. 144.
C3<^ 83 ^*g;
Sainte-Beuve, vieillissant, se sentait un faible
pour les jeunes écrivains qui, tels que Feydeau,
les frères de Goncourt, Flaubert et Baudelaire,
lui semblaient pleins de nouveauté et de cu-
riosité. Il aimait se rajeunir avec eux, et les
propos vifs ne lui déplaisaient pas. Baudelaire
avait dîné plusieurs fois dans la petite maison
de la rue du Mont-Parnasse, et sa conversation
fine et rare avait vivement intéressé le vieux cri-
tique, toujours en éveil. Mais Sainte-Beuve,
dont l'autorité était considérable dans le public
lettré, n'avait pas d'influence à l'Académie, où
il n'allait plus guère. Il ne pouvait rien, de ce
côté, pour ses jeunes amis. Il avait un sens
trop juste des choses pour ne pas désapprouver
la tentative de Baudelaire.
Toutefois, Baudelaire s'obstina, et on vit le
moins traditionnel des écrivains poursuivre
l'accomplissement des formalités traditionnel-
les. Il continua ses visites. Il songea à Alfred
de Vigny, dont le suffrage, qui était celui d'un
poète, devait lui être particulièrement précieux.
^*© 84 ■^^s>
L'auteur des Fleurs du Mal n'avait peut-être
pas une admiration spéciale pour l'auteur
d'Éloa, qu'il devait trouver un peu trop pur.
Cette nuance est utile cà marquer au moment
où les deux poètes entrent en relations. Vigny
était alors malade dans son appartement de la
rue des Écuries-d'Artois, et le candidat, crai-
gnant d'être importun, adressa la lettre sui-
vante à l'illustre académicien :
« Monsieur,
« Pendant de bien nombreuses années, j'ai
désiré vous être présenté, comme à un de nos
plus chers maîtres. Ma candidature à l'Acadé-
mie française me fournissait un prétexte pour
me présenter moi-même chez vous dans ces
derniers jours. Seulement j'ai appris votre état
de souffrance, et j'ai cru devoir m'abstenir, par
discrétion. Hier, cependant, M. Patin m'a dit
que vous éprouviez une amélioration sensible,
et alors je me suis décidé à venir vous fatiguer
quelques minutes de ma personne.
« Je vous en prie vivement, congédiez-moi,
tout de suite et sans cérémonie, si vous crai-
gnez qu'une visite, si brève qu'elle soit, ne
vous fatigue, fût-ce celle d'un de vos plus fer-
vents et dévoués admirateurs.
« CH. BAUDELAIRE. »
La réponse de Vigny fut favorable : Baude-
laire se rendit chez le maître, qui l'accueillit
avec sa bonté accoutumée. Vigny, depuis long-
temps souffrant, ne connaissait que de nom
l'auteur des Fleurs du Mal et ses œuvres. Il
lui demanda donc de lui envoyer ses livres,
afin de pouvoir juger du mérite du candidat.
Baudelaire accéda à ce légitime désir, et il
accompagna l'envoi de ses productions de la
lettre suivante, écrite sous l'émotion de sa
récente visite :
« Monsieur,
« Je suis rentré chez moi tout étourdi de
votre bonté, et comme je tiens vivement à être
connu de vous, je vous envoie quelque chose
de plus que ce que vous m'avez demandé.
« Dans les deux brochures (Richard Wag-
@^ 86 --^g:
ner, Théophile Gautier), vous trouverez quel-
ques pages qui vous plairont.
« Voici les Paradis, auxquels j'ai la fai-
blesse d'attribuer quelque importance. La pre-
mière partie est entièrement de moi. La seconde
est l'analyse du livre de de Quincey, auquel
j'ai ajouté par-ci par-là quelques idées qui me
sont personnelles; mais avec une grande mo-
destie.
« Voici les Fleurs, le dernier exemplaire sur
bon papier. La vérité est qu'il vous était des-
tiné depuis très-longtemps. Tous les anciens
poèmes sont remaniés. Tous les nouveaux, je
les marque au crayon à la table des matières.
Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est
qu'on reconnaisse qu'il n'est pas un pur album
et qu'il a un commencement et une fin. Tous
les poèmes nouveaux ont été faits pour être
adaptés à un cadre singulier que j'avais choisi.
« J'ajoute un vieux numéro de revue et où
vous trouverez un commencement de tentative
nouvelle, qui peut-être vous intéressera. Jules
<3<^ 87 ^*g;
Janin et Sainte-Beuve y ont trouvé quelque
ragoût. Quant aux articles sur les beaux-arts et
la littérature, je n'en ai pas un seul sous la main.
« Si je peux dénicher un exemplaire de la
vieille édition des Fleurs, je vous l'enverrai.
« Enfin, voici les poésies de Poë. Je ne vous
recommande rien; tout est également intéres-
sant. Ne me rendez pas ce volume; je possède
un second exemplaire.
« Monsieur, je vous remercie de nouveau
pour la manière charmante dont vous m'avez
accueilli. Quelque grande que fût l'idée que je
m'étais faite de vous, je ne m'y attendais pas.
Vous êtes une preuve nouvelle qu'un vaste
talent implique toujours une grande bonté et
une exquise indulgence.
« CHARLES BAUDELAIRE.
« 22, rue d'Amsterdam. »
Cette dernière lettre a dû être écrite vers le
milieu de décembre 186 r. Baudelaire jouait
sérieusement son rôle de candidat. Il conti-
nuait ses visites et faisait agir ses amis, témoin
^^, 88 "^g;
ce billet au crayon qu'il adressa, vers cette
époque, à son ami Charles Asselineau :
« Mon cher ami,
« Tâchez de savoir, non pas si je peux met-
tre Emile Augier de mon bord (je crois cela
impossible), mais si je puis me présenter chez
lui avec sécurité, c'est-à-dire sans me manquer
à moi-même.
« Est-il lié avec Ponsard ?
« Croyez-vous que je pourrais, sans indis-
crétion et avec chances, prier Janin de dire
quelques mots de mon affaire ?.
« Tout à vous,
« C. B., 22, rue d'Amsterdam. »
« Vous savez qu'il (Augier) a changé d'a-
dresse. »
On sait qu'Emile Augier, un des maîtres de
l'école du bon sens, avait été peu ménagé par
Baudelaire et ses amis, mais c'était Ponsard
qui avait été l'objet des railleries les plus amè-
res et les plus assidues. Boileau et Racine ne
se moquèrent pas d'un meilleur cœur de la
0*^,. 89 -*®*g;
perruque de Chapelain. Aussi voit-on Baude-
laire demander avec quelque effroi si l'auteur
d'Agnès de Mêranie est lié avec l'auteur de la
Cigu'ê. Et «îjuand on songe que Ponsard et
Augier étaient, comme poètes, beaucoup plus
voisins du candidat que les autres académi-
ciens, on voit dans quelle entreprise chimé-
rique s'était jeté cet homme extraordinaire.
Si paradoxal qu'il fût, il éprouva quelque
découragement. Toutefois, cette incroyable
aventure fut inopinément soutenue par un
académicien, dans le Constitutionnel. Un arti-
cle de Sainte-Beuve, publié le 20 janvier 1862,
et consacré à un examen des divers candidats,
traitait Baudelaire sérieusement, avec sympa-
thie, avec estime, et le grand critique semblait
choisir Baudelaire pour son candidat, sans se
faire, d'ailleurs, aucune illusion sur le résultat
du vote. Il parla avec politesse de tous les con-
currents, réserva Baudelaire pour la bonne
bouche et lui consacra les lignes suivantes,
qui n'ont rien de banal :
« On s'est demandé d'abord si M. Baude-
laire, en se présentant, voulait faire une niche
à l'Académie, et une épigramme, s'il ne pré-
tendait point l'avertir par là qu'il était bien
temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poè'te et
cet écrivain si distingué et si habile dans tous
les genres de diction, Théophile Gautier, son
maître. On a eu à apprendre, à épeler le nom
de M. Baudelaire à plus d'un membre de
l'Académie qui ignorait totalement son exis-
tence. Il n'est pas si aisé qu'on le croirait de
prouver à des académiciens politiques et hom-
mes d'État comme quoi il y a, dans les Fleurs
du Mal, des pièces très-remarquables vraiment
pour le talent et pour l'art; de leur expliquer
que, dans les petits poëmes en prose de l'auteur,
le Vieux Saltimbanque et les Veuves sont deux
bijoux, et qu'en somme, M. Baudelaire a trouvé
moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue
de terre, réputée inhabitable, et par delà les
confins du romantisme connu, un kiosque
bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet
et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poë, où Ton
récite des sonnets exquis, où l'on s'enivre avec
le haschich pour en raisonner après, où l'on
prend de l'opium et mille drogues abomina-
bles dans des tasses d'une porcelaine achevée.
Ce singulier kiosque fait en marqueterie, d'une
originalité concertée et composite, qui depuis
quelque temps attire les regards à la pointe
extrême du Kamtschaska romantique, j'ap-
pelle cela la folie de Baudelaire. L'auteur est
content d'avoir fait quelque chose d'impossible,
là où on ne croyait pas que personne pût aller.
Est-ce à dire, maintenant et quand on a tout
expliqué de son mieux à de respectables con-
frères un peu étonnés, que toutes ces curiosités,
ces ragoûts et ces raffinements leur semblent
des titres pour l'Académie, et l'auteur lui-
même a-t-il pu sérieusement se le persua-
der ? Ce qui est certain, c'est que Baudelaire
gagne à être vu, que là où l'on s'attendait
à voir entrer un homme étrange, excentrique,
on se trouve en présence d'un candidat poli,
respectueux, exemplaire, d'un gentil garçon,
fin de langage et tout à fait classique dans les
formes (1). »
Cet article ne modifiait pas le fond des
choses, mais il prêtait un appui public à Bau-
delaire, qui reprit courage. Et, comme si son
idée n'était pas encore assez étrange, extraor-
dinaire, bizarre, il la modifia. Il renonça au
fauteuil de Scribe et brigua celui du Père
Lacordaire! Il se hâta de faire part sérieuse-
ment à Sainte-Beuve et à Alfred de Vigny de
cette prodigieuse imagination. La lettre qu'il
écrivit à ce dernier, le 26 janvier 1862, est
d'une gravité exemplaire :
« Monsieur,
« Je suis bien persuadé que vous ne m'avez
pas cru capable d'oublier un instant votre
admirable accueil, ni la permission que vous
m'avez donnée de compter sur vos conseils.
Dans la fin de décembre et au commencement
de ce mois, j'ai fait quelques efforts inutiles
1) Nouveaux lundis, t. I, p. 397.
Cr^s- 93 "g*g;
pour trouver quelques-uns de ces messieurs
que je tenais vivement à voir, MM. Sandeau,
de Sacy, Ponsard, Saint-Marc Girardin, Le-
gouvé. Puis, je me suis senti repris par mes
névralgies périodiques [mes seuls titres auprès
de M. Viennet)\ puis par une grosse douleur
morale, une de celles qui ne veulent pas être
dites (comme disent les Anglais); puis par un
accident physique; puis, enfin, par l'impérieuse
nécessité de travailler. En voilà plus qu'il n'en
faut pour expliquer le découragement dans
une tentative aussi paradoxale que la mienne.
Cependant je vais m'y remettre activement. Je
possède maintenant un nombre suffisant
d'exemplaires de mon petit bagage littéraire
pour en faire quelques hommages.
'< Je consacrerai tout le commencement de
février à mes visites.
« Tout bien considéré, je ne suis pas fâché
d'avoir tant lambiné; cela m'a permis de réflé-
chir sur une foule de choses que je ne connais-
sais guère.
®*^ 94 'x>©
« Avant de prendre une décision définitive,
j'ai voulu avoir votre avis. Selon votre réponse,
j'écrirai, avant mercredi, une lettre à M. Ville-
main, destinée à être communiquée à MM. de
l'Académie.
« Cette lettre, d'une forme un peu aban-
donnée, comme peut l'être celle d'un novice,
dira en substance que, à défaut d'une res-
semblance complète entre les ouvrages du
défunt et ceux du candidat, l'enthousiasme
du dernier me parait une raison suffisante
d'option, dans le cas de deux fauteuils va-
cants ;
« Que, d'après cette théorie, le candidat le
plus parfait qu'on puisse supposer devrait
s'abstenir, s'il ne trouvait pas dans la vie et
les ouvrages du défunt autre chose que des
motifs d'admiration raisonnée, c est-à-dire
la sympathie et l'enthousiasme;
« Que, le père Lacordaire excitant en moi
cette sympathie, non-seulement par la valeur
des choses qu'il a dites, mais aussi par la
®^S^ 95 "^xg5
beauté dont il les a revêtues, et se présentant
à l'imagination non-seulement avec le carac-
tère chrétien, mais aussi avec la couleur
romantique (j'arrangerai cela autrement),^
prie M. Villemain d'instruire ses collègues
que fopte pour le fauteuil du père Lacor-
daire.
« Par ce moyen, il me semble que je gagne
quelques jours de plus; que je pourrai peut-
être, me trouvant seul en face de M. de Broglie,
puisque Philarète Chasles se retire, obtenir
quelques voix <ï hommes de lettres.
« Et enfin, le sentiment et l'instinct me
persuadent qu'il faut toujours se conduire uto-
piquement, c'est-à-dire comme si on était sûr
d'être élu, quand même on est certain de ne
pas l'être.
« La première fois que je parlai de mon
projet à Sainte-Beuve, il me dit, en riant :
« C'est fort bien, je reconnais votre caractère ;
votre tentative ne m'étonne pas; je parierais
que, pour compléter votre audace, vous allez
opter pour le fauteuil de Lacordaire. » En
vérité , c'était mon intention ; mais cette
plaisanterie me déconcerta, et je craignis
de paraître trop excentrique, surtout aux yeux
des gens qui ne me connaissent pas du tout.
« Si je voulais pousser ma démonstration de
la nécessité de sympathie jusqu'à l'extrême
rigueur, je composerais une étude critique et
biographique sur le père Lacordaire, et je la
ferais imprimer au moment de la réception du
candidat; mais c'est là une gageure de prodi-
gue, et il suffit qu'il y ait dans ce projet un
peu d'impertinence pour que je le repousse.
« Je ne prendrai pas de décision avant
d'avoir reçu votre avis. Je dois vous dire que
j'ai écrit une lettre à peu près analogue à mon
excellent ami Sainte-Beuve, et que j'attends
également une réponse de lui.
« J'ai été sérieusement malade, mais, ab-
straction faite de la santé , de la paresse,
du travail et de plusieurs autres considéra-
tions, j'éprouvais un certain embarras à me
retrouver devant vous, après vous avoir en-
voyé mes livres.
« Songez, monsieur, à ce que peuvent être,
pour nous autres littérateurs de quarante ans,
ceux qui ont instruit, amusé, charmé notre
jeunesse, nos maîtres, enfin !
« Vous n'avez peut-être pas deviné la raison
pour laquelle je vous ai adressé un petit jour-
nal contenant quelques vers de moi : c'était
simplement à cause d'un sonnet sur un certain
coucher de soleil, où j'avais essayé d'exprimer
ma piété !
« Parlez-moi sans façon, je vous en prie,
car, dans des matières dont j'ai si peu l'expé-
rience, il n'y aurait pas de honte pour moi
à mal raisonner.
« Je vous prie d'agréer, monsieur, une fois
de plus, l'expression de ma gratitude et de ma
sympathie toute dévouée.
« CHARLES BAUDELAIRE
« 22, rue d'Amsterdam.
« Dimanche, 26 janvier 62. »
Les réponses ne se firent pas attendre,
témoignage nouveau de l'estime réelle que ces
deux grands écrivains professaient pour le
candidat. Sainte-Beuve, qui venait d'écrire
l'article reproduit plus haut, dissuada Bau-
delaire de cette antithèse Lacordaire, qui cho-
querait l'Académie, et il exprima son opinion
avec la malice et la brusquerie qui faisaient
le fond de son caractère :
« Ce 26 janvier 1862.
« Mon cher enfant,
« Je suis charmé de votre remercîment; j'en
étais même un peu inquiet, je vous l'avoue, car,
en chatouillant, on n'est jamais sûr de ne pas
trop gratter. — Je ne vous conseille pas de
poser par une lettre cette antithèse Lacordaire.
Je crois qu'il vaudrait mieux laisser les choses
comme elles sont, sans plus écrire. Mais ce choix
exprès du père LacordaL e, le catholique-roman-
tique, paraît excessif et choquant, ce que votre
bon goût de candidat ne veut pas faire (1). »
(1) Correspondance de Sainte-Beuve, 1. 1, p. 282.
(g*^ 99 ^s©
Certes, Baudelaire avait du goût, mais il
aimait, sinon choquer son monde, du moins
le surprendre et l'étonner. Et, à cet égard, Van-
tithese Lacordaire était un coup de maître.
Alfred de Vigny, dont l'esprit grave et triste
n'était nullement ouvert à la plaisanterie, prit
au sérieux la nouvelle fantaisie de Baudelaire
et lui écrivit la lettre suivante (i) :
« Lundi, 27 janvier 1862.
« Depuis le 3o décembre, Monsieur, j'ai été
très-souffrant et presque toujours au lit.
« Là je vous ai lu et relu, et j'ai besoin de
vous dire combien de ces Fleurs sont pour moi
des Fleurs du Bien et me charment (2). Combien
aussi je vous trouve injuste envers ce bouquet
souvent si délicieusement parfumé de printan-
nières odeurs, pour lui avoir imposé ce titre
indigne de lui, et combien je vous en veux de
l'avoir empoisonné par je ne sais quelles éma-
(1) Cette lettre a été publiée pour la première fois, en 1870, par
M. Charles Asselineau dans Y Amateur d'autographes, n° 202, p. 143.
Je la reproduis ici d'après la minute d'Alfred de Vigny.
(2) Cf. lettre de Sainte-Beuve sur les Fleurs du Mal aux Pièces
justificatives, n° VII.
8
«
Œ*^, ioo ■<^S>
nations du cimetière d'Hamlet. Si votre santé
vous permet de venir voir comment je m'y
prends pour cacher les blessures de la mienne,
venez mercredi, 2g, à 4 heures. Vous saurez,
vous verrez, vous toucherez comment je vous
ai lu; mais ce que vous ne saurez pas, c'est
avec quel plaisir je lis à d'autres, à des poètes,
les véritables beautés de vos vers encore trop
peu appréciés et trop légèrement jugés.
« Vous m'aviez dit que votre lettre officielle-
ment académique était envoyée; c'était, à mes
yeux, une faute, et je vous l'ai dit, mais elle
était irréparable. Je me résignais à vous voir
égaré dans le labyrinthe. A présent que vous
m'écrivez que ce n'est qu'un projet, je vous con-
seille de ne pas écrire un mot qui ait pour but
de vous faire inscrire comme candidat à aucun
des fauteuils vacants.
« J'aurai le temps de vous en dire les raisons
très-sérieuses, et vous les comprendrez. On se
méprend presque toujours sur soi. Sans vous
connaître encore, il me semble qu'en beaucoup
S*3* ioi ^*g;
de choses, vous ne vous prenez pas assez au
sérieux vous-même.
« Ne jetez pas ainsi au hazard votre nom,
votre rare talent, vos actions, vos lettres et vos
propos ; et surtout venite ad me.
Baudelaire avait du moins réussi, puisqu'il
amenait deux académiciens des plus illustres à
raisonner tout au long sur son étonnante fan-
taisie. Cependant, le jeudi 6 février 1862, les
académiciens se réunirent pour élire un succes-
seur à Scribe. Jamais on n'avait vu une si grande
quantité de candidats. La lutte fut longue; il
n'y eut pas moins de treize tours de scru-
tin (1). MM. Camille Doucet et Autran obtin-
rent au dernier tour chacun douze voix, mais
sans réunir la majorité absolue , trois voix
(1) Cf. Journal des Débats du 7 février 1862 et le numéro vin des
Pièces justificatives.
@<^ IO>
s'étant portées sur M. Cuvillier-Fleury et une
sur M. Octave Feuillet. L'Académie, fatiguée
de ces votes inutiles, renvoya l'élection à deux
mois.
Cette séance fut un avertissement pour Bau-
delaire, dont le nom ne fut même pas pro-
noncé. Trois jours après, Sainte-Beuve appuya
de nouveau sur les raisons qu'il avait déjà expo-
sées à son jeune ami :
« Ce 9 février 1862.
« Cher ami,
« Je suis bien muet avec vous, c'est que je
suis bien bavard avec le public.
« Je vous ai dit, raisonnablement, qu'il n'y
avait rien à faire selon moi. Votre candidature
n'a pas été mal prise par le public; on a été
assez bien — et même fort bien — dans la presse.
« Laissez l'Académie pour ce qu'elle est,
plus surprise que choquée, et ne la choquez
pas en revenant à la charge au sujet d'un mort
comme Lacordaire. Vous êtes un homme de
mesure et vous devez sentir cela. »
O^, io3 --^g;
Cette fois, Baudelaire, dont la position
était intenable, battit en retraite. Il déféra
aux sages conseils qui lui étaient donnés, et
il écrivit au secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie une lettre de désistement, conçue dans
des termes si modestes et si polis, que sa lec-
ture fut accueillie avec sympathie par les aca-
démiciens. Sainte-Beuve en avertit aussitôt le
poète par ce billet du i5 février 1862 :
« Ce i5 février 1862.
« Mon cher ami,
« Votre lettre a été lue avant-hier ; votre désis-
tement n'a pas déplu ; mais, quand on a lu votre
dernière phrase de remercîment, conçue en ter-
mes si modestes et si polis, on a dit tout haut :
Très-bien ! Ainsi vous avez laissé de vous une
bonne impression : n'est-ce donc rien ?
« Tout à vous. »
Ainsi, cette affaire de candidature, qui tour-
nait à la mystification, fut inopinément dénouée
par un acte de courtoisie. Tout est bien qui finit
bien.
îg*^, IO4 <^xg>
Baudelaire se piquait de politesse et, de toutes
ses prétentions, celle au bon ton n'était pas la
plus déplacée. Il se montra attentif, empressé,
délicat, dans sa correspondance avec Alfred de
Vigny. Une lettre, qu'il lui adressa pendant la
période de compétition, ne sent pas trop le can-
didat. Pourtant cette épître, accompagnant Par-
ticle de Sainte-Beuve, pouvait prêter, sans trop
d'indiscrétion, à des développements person-
nels. Cette lettre, qu'on va lire, présente, dans
son aspect même, une particularité qui n'est
pas insignifiante. Elle est coupée et comme
hachée d'alinéas très-courts. Beaucoup de mots
y sont soulignés (1). Or, les médecins aliénis-
tes ont remarqué que, dans la première phase
des affections mentales, le malade ne peut écrire
sans éprouver le besoin de mettre les mots en
vedette, de les détacher et de les souligner. Il y
a donc là comme un premier indice, bien léger
encore, du trouble cérébral qui devait bientôt
(1) Cette observation s'applique aussi à la lettre du 26 janvier 1862,
où Baudelaire développa son antithèse Lacordaire. Des phrases
entières y sont soulignées.
@*^ io5 "^*g;
perturber définitivement la rare intelligence
de Charles Baudelaire. Je reproduis cette
lettre :
«. Monsieur,
« Voici le terrible article Sainte-Beuve , le
manifeste.
« Voici, en outre, deux sixains d'excellentes
ballades de Th. de Banville, qui certainement
vous intéresseront.
« Je puis bien, sans honte, mettre des son-
nets dans le Boulevard, puisqu'un poète
tel que Banville veut bien m'y tenir com-
pagnie.
« Tous les effroyables compliments dont
vous avez bien voulu accabler mes vers me
donnent à craindre pour mes élucubrations en
prose. Mais vous m'avez donné la soif de votre
sympathie.
« On s'oublie si bien à côté de vous, Mon-
sieur, que j'ai négligé hier de vous parler de la
bonne aie et de la mauvaise aie. Puisque vous
voulez essayer de ce régime, défiez-vous comme
50*^ io6 -^g^g;
de la peste (ce n'est point exagérer ; j'en ai été
malade] de toute bouteille portant l'étiquette
Harris. C'est un affreux empoisonneur.
« Bien qu'Allsopp et Bass soient de bons
fabricants (Bass surtout), il faut bien se défier
de même de leurs étiquettes, parce qu'il doit
exister des contrefacteurs. Le plus raisonnable
est de vous adresser à Fun des deux endroits
honnêtes que je vais vous indiquer et de prendre
leur aie de confiance.
« Rue de Rivoli, presque auprès de la place
de la Concorde, un nommé Gough, qui tient un
bureau de locations d'appartements, et vend
en même temps des vins espagnols et des bières
avec des liqueurs anglaises.
« Pais, à deux pas de chez moi, sans doute
au 26, rue d'Amsterdam, à la taverne Saint-
Austin. Il ne faut pas la confondre avec une
autre taverne qui la précède et qui est tenue par
des Allemands; bière et porter y sont excellents
et à bon marché.
« Je crois que Gough vend aussi de très-
o*^. 107 •"§>©
vieille aie, outre ses aies ordinaires, mais elle
est d'une force extrême.
« Vous ne trouverez pas mauvais, n'est-ce
pas ? que je m'ingère dans ces petits détails qui
intéressent votre hygiène et que je vous fasse
part de mon expérience parisienne.
« Votre bien dévoué et bien reconnaissant,
« CHARLES BAUDELAIRE. »
« Il m'est, pour le moment, impossible de
retrouver le Corbeau avec la méthode de com-
position qui lui sert de commentaire. »
Il parait, d'après cette lettre, que Baudelaire
joignit au numéro du Constitutionnel un nu-
méro d'un journal plus obscur, le Boulevard,
fondé par Carjat et ouvert aux poètes de la
nouvelle école. Théodore de Banville, qui de-
venait un maître, donna en effet à cette feuille
littéraire de jolies ballades, publiées depuis en
volume et mises en musique par M. Cresson-
nois. Ces petits présents de Baudelaire mar-
quaient une déférence que l'auteur d'Éloa s'était
attirée par son âge, par sa gloire un peu effacée
•*^g: 108 '^5@
mais pure, et aussi par l'accueil courtois qu'il
avait fait aux premiers envois de l'auteur des
Fleurs du Mal. Baudelaire, perspicace et soup-
çonneux, ne devait pas se croire tout à fait
compris par le poète chaste et vieilli. Ces Fleurs
du Mal, qui seraient mieux appelées des Fleurs
du Bien, n'étaient en somme qu'un madrigal
un peu fade. Parler de la sorte, était-ce vrai-
ment louer le plus satanique des poètes ? En
tous cas les compliments de Vigny étaient,
quoi qu'en dît Baudelaire, plus doux qu'ef-
froyables.
Après quelques cérémonies, Baudelaire (le
lecteur l'a vu) chevauche son dada et le voilà
parti à travers les champs de la gastronomie.
Il passe toutes les bières en revue, et disserte
sur l'aie et le porter avec une science longue-
ment acquise dans ces brasseries où il avait
usé son talent et sa vie. Il ne s'en tint pas
à ces considérations et envoya un autre jour
à l'académicien malade un second billet culi-
naire :
@^ 109 ^>=©
« Monsieur,
« Je vous ai vu souffrir, et j'y pense souvent.
Un de mes amis, dont V estomac est dans un
état fort triste, m'a dit que Guerre, le pâtis-
sier anglais, dont la maison fait le coin de la
rue Castiglione et de la rue de Rivoli, fait des
gelées de viande combinées avec un vin très-
chaud, Madère ou Xérès sans doute, que les
estomacs les plus désolés digèrent facilement
et avec plaisir! C'est une espèce de confiture
de viande au vin, plus substantielle et nourris-
sante qu'un repas composé.
« J'ai présumé que ce document méritait de
vous être transmis.
« Votre bien dévoué
« CHARLES BAUDELAIRE. »
Nous sommes touchés de voir le charitable
Baudelaire préconiser à son ancien en poésie
les gelées combinées avec un vin très-chaud,
mais, en songeant que Vigny était alors affecté
d'un cancer à l'estomac, on peut trouver
quelque affectation à ce luxe d'hygiène. L'abbé
@<^ no ^^s>
Grisel, dont parle Voltaire, était du moins plus
logique
De prêcher l'abstinence à qui ne peut manger.
Baudelaire était coutumier du fait. N'avait-
il pas envoyé, deux ans auparavant, du pain
d'épices à son maître Sainte-Beuve (i) ?
Les goûts gastronomiques étaient invétérés
chez Baudelaire, qui réagissait par des théories
culinaires contre les affectations éthérées des
poètes de i83o. Sa Fanfarlo, publiée dès 1847
dans le bulletin de la Société des gens de let-
tres, contient une théorie très-explicite du
« système d'alimentation nécessaire aux na-
tures d'élite. » On y parle avec mépris de
viandes niaises et de poissons fades; on y vante
le bataillon lourd et serré des Bourgogne; on
y exalte les viandes qui saignent et les vins
qui charrient l'ivresse; il y est dit que la truffe,
(1) Ce fait résulte de la lettre suivante, écrite, le 3 juillet 1860, par
Sainte-Beuve à Baudelaire :
« J'ai goûté le pain d'épice à l'angélique. J'y ai reconnu votre bonne
grâce et votre gâterie habituelle ; vous êtes un friand et vous m'avez
traité comme tel. Hélas! je suis peut-être un peu plus glouton que
vous ne me croyez. » {Correspondance de Sainte-Beuve, t. I, p. 256.)
cette végétation sourde et mystérieuse de
Gybèle, fait la distinction du monde ancien et
du moderne. Enfin, on conclut par la nécessité
d'appeler toute la pharmacie de la nature au
secours de la cuisine.
On dîne entre académiciens, mais on disserte
peu sur les mets. La science culinaire n'est pas
un titre aux yeux des quarante. Ni Grimod de
la Reynière, ni Brillât-Savarin, ni cet illustre
écrivain-pâtissier, qui considérait la pâtisserie
comme une des branches principales de l'ar-
chitecture, ni ce pieux maître queux qui dédia
son livre à la sainte Vierge, ni même Alexan-
dre Dumas, auteur du Grand dictionnaire de
cuisine, ne furent accueillis par les académi-
ciens, qui estiment, dit-on, un dîner entre gens
d'esprit, mais qui veulent laisser à leur maître
d'hôtel un genre de gloire et d'immortalité.
Le fauteuil de Scribe resta vacant (i), comme
(ij Le 3 avril 1S62 eut lieu la nouvelle élection : MM. Cuvillier-
Fleury, Autran et Léon Halevy ayant retiré leur candidature,
MM. Camille Doucet et Octave Feuillet restèrent seuls en présence.
C'est le second qui fut élu par 21 voix contre 10 données à son com-
pétiteur. (Cf. Journal des Débats du 4 avril 1862.)
CS*^ 112 •-§*©
nous l'avons vu ; il n'en fut pas de même de
celui du Père Lacordaire. Le 20 février 1862,
le prince Albert de Broglie fut élu, au premier
tour de scrutin, en remplacement de i'illustre
dominicain dont Baudelaire se flattait de pro-
noncer l'éloge (1).
L'année suivante, le 17 septembre 1 863,
Alfred de Vigny, drapé avec une affectation
bienséante dans son manteau militaire, mourut
avec ce stoïcisme tranquille qui lui avait inspiré
les magnifiques vers de la Mort du loup :
A voir le peu qu'on est sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand : tout le reste est faiblesse.
Baudelaire ne renouvela pas sa tentative
académique. L'effort qu'il avait tenté et que
j'ai suivi avec l'attention minutieuse que mérite
le travail singulier d'une rare intelligence,
témoigne déjà, il faut le reconnaître, d'une
tension et d'un trouble dans les facultés intel-
lectuelles. L'étrange candidat était, en effet,
prédisposé à une affection qui frappe trop sou-
(1) Le prince de Broglie, seul candidat, obtint 22 voix. Il y eut
sept billets blancs. (Cf. Journal des Débats du 21 février 1862.)
vent les gens de lettres, dont le cerveau est
surmené. Il mourut à Paris, le 3i août 1867,
des suites d'une hémiplégie, qui avait détruit
en lui tout moyen d'expression, sans abolir sa
faculté de comprendre. Un pareil état comporte
une quantité de tortures qu'il est à peine pos-
sible d'imaginer. Je puis citer un petit fait qui
caractérise bien la longue agonie du poète.
Baudelaire, alors paralysé et aphasique, ne
donnant plus aucun signe d'intelligence, reçut,
dans la maison de santé où il était gardé, la
visite de deux personnes. Une d'elles se mit à
converser, sans tenir compte de la présence du
malade, et parla de Sainte-Beuve avec mal-
veillance. Baudelaire essaya vainement de lui
exprimer son mécontentement. L'impuissance
le rendit furieux et il tenta de frapper de son
bâton de paralytique l'homme qui l'avait blessé
dans son affection et dans sa sympathie.
Claude Bernard peint avec puissance, dans
une de ses magnifiques leçons sur le curare,
les effroyables tortures de l'homme qui, atteint
par une goutte du poison indien, assiste,
dans la plénitude de son intelligence, à son
anéantissement total. Cette suprême angoisse
dure quelques minutes; l'hémiplégique l'é-
prouve pendant des mois et des mois. Baude-
laire a assez payé ses affectations de vice, ses
recherches de célébrité malsaine, son goût tout
littéraire des méchancetés et des crimes; son
œuvre nous reste; elle est belle jusque dans
ses parties gâtées ; elle abonde en vers délicats
ou magnifiques; elle témoigne d'une parfaite
probité littéraire. C'est l'œuvre d'un poète
exquis, profond, auquel personne ne peut être
comparé. Admirons la beauté livide des Fleurs
du Mal, sachant qu'il n'y a pas de beau absolu,
et qu'en art comme dans la vie la santé par-
faite est une vaine entité.
Ce serait une injustice et une erreur de
conclure de ces épisodes académiques et de
beaucoup d'autres, plus connus, que l'Académie
française, comme on l'a dit plus spirituellement
qu'exactement, accueille dans son sein beaucoup
d'hommes célèbres, même des littérateurs.
Depuis i634 jusqu'à nos jours, la liste des aca-
démiciens présente un tableau assez complet
de la littérature française, et, parmi les maîtres,
si les omissions sont parfois éclatantes, du
moins ne sont-elles pas nombreuses. Il ne faut
pas oublier que l'Académie est une réunion de
gens de bonne compagnie, cultivant, aimant ou
protégeant les belles-lettres. Elle n'est pas et
n'a jamais été étrangère à l'esprit de parti, à la
coterie ; mais quelle société ne mérite un pareil
reproche ? Elle a souvent fait faire antichambre
à des hommes d'une renommée éclatante, tandis
qu'elle accueillait du premier coup des person-
nalités de moindre valeur. L'Académie n'est
pas bruyante et fuit volontiers l'éclat ; aussi
n'admet-elle que tardivement les penseurs et les
novateurs. Ceux-ci, d'ailleurs, ne la courtisent
guère, quand ils n'affectent pas pour elle du
9
îg5^ 116 ^xg>
dédain. En somme, au dix-neuvième siècle, la
plupart de ceux qui ont cultivé les lettres ont
fait partie de l'Académie. Les chefs de l'école
romantique, sauf Balzac et Gautier, y ont été
admis. Telle qu'elle est encore aujourd'hui,
l'Académie française est la première société
littéraire du monde.
PIECES JUSTIFICATIVES
PIEGES JUSTIFICATIVES
I. LETTRE SUR LES MACHABEES
Cette lettre du baron Guiraud fut adressée le 3o juin
1822 au ministre de la maison du Roi, à l'occasion de la
représentation à l'Odéon de la tragédie des Machabées :
« Monseigneur,
« Puisque les grandes occupations de votre Excel-
lence ne me permettent pas de l'entretenir, je viens lui
faire part d'une des principales observations que j'avais
à lui communiquer.
« On m'a remis, de l'administration, une note d'excé-
dant de billets donnés aux deux premières représen-
tations. Cette note, déduction faite de plusieurs erreurs,
doit être réduite à 1000 fr. environ; ce qui fait sup-
poser que j'ai donné, à chacune de ces deux représen-
CS=<§^ I20 *&*&
tations, i5o billets de plus que je ne le devais. J'avoue
qu'en comparant cette modique quantité de billets
donne's à celle qu'on donne à tous les théâtres pour
soutenir un ouvrage nouveau, je suis peut-être fâché
de ne pas l'avoir dépassée encore, dans mon intérêt
et par conséquent dans ceux du théâtre. Mais mon
caractère répugne à tous les genres de charlatanerie,
et j'ai cédé le moins que j'ai pu à un usage devenu
une nécessité. Je me trouvais, d'ailleurs, dans une posi-
tion particulière.
« Je savais que mon sujet était repoussé par tout le
parti libéral, qui n'est pas sans influence au parterre
de l'Odéon, et qu'il était d'une haute importance pour
moi d'opposer à une malveillance prononcée d'avance
une masse d'amis capable de la contenir. L'expérience
prouva, à la première représentation, que je ne m'étais
pas trompé. A la seconde il fallait réparer les fautes
commises par les acteurs à la première et imposer en
quelque sorte au public avec quelques modifications
une situation dramatique qu'il avait hautement repous-
sée. Cent cinquante billets distribués sur une salle si
vaste n'étaient pas de trop pour cela. Une fois que le
succès a été établi, au lieu de donner un excédant de
billets, je n'ai pas même fait usage de ceux que j'ai le
droit de donner ; et, à la représentation d'hier 29, sur
24 billets de droits je ne crois pas en avoir donné 10.
« Ce que j'ai fait, Monseigneur, aux deux premières
c^s* 121 ^s>=g;
représentations, a donc e'té une chose indispensable et
l'administration, au lieu de m'en blâmer, doit m'en
remercier, puisque en assurant mon succès j'ai assuré
ses recettes. Et, comme je n'ai qu'un dixième sur elle,
elle tire de ce que j'ai l'ait dix fois plus d'avantage que
moi. Remarquez d'ailleurs, Monseigneur, que rien n'a
été perdu, puisqu'aucun billet payant n'a été refusé et
qu'il y avait encore de la place dans la salle.
« J'ajouterai à toutes ces observations qui me parais-
sent si justes une dernière, qui a bien son importance.
C'est que le premier théâtre français, pour assurer le
succès de pièces que le gouvernement ne doit pas trop
approuver, use bien plus largement que moi des
moyens que j'ai employés ; que plus de 800 billets sont
donnés chaque jour pour Régulus; et qu'enfin il ne
serait peut-être pas convenable de présenter à un
public hostile une pièce religieuse sans la soutenir un
peu par quelques-uns des avantages que les autres
employent si libéralement pour les ouvrages que
protège leur parti.
« Toutes ces considérations me font espérer que
votre Excellence m'accordera sans difficulté la demande
que je lui fais d'annuller la note d'excédent qui m'a
été remise. S'il en était autrement, il y aurait vrai-
ment trop de désavantage à composer des ouvrages
qui renferment de saines doctrines et à les faire
jouer à l'Odéon. Je n'en ferais jamais dans un autre
C5^S* 122 -"S*©
sens parce que ma conscience me le défendrait, mais
j'aimerais mieux ne plus en faire du tout. Mais comme
la justice de votre Excellence et la protection qu'elle
accorde aux lettres me sont bien connues, j'ose compter
sur une décision prompte et favorable, et c'est dans
cet espoir que j'ai l'honneur d'être avec respect
« de votre Excellence,
« le très-humble et très-obéissant serviteur.
« A. DE GUIRAUD.
« Ce 3o juin 1822. » « rue Saint-Honoré, 341. »
Cette lettre de Guiraud nous initie à tous les
mystères d'une première représentation. Rien ne
manque au tableau : la distribution des billets de
faveur aux amis qui doivent protéger la pièce contre
les cabales du parti libéral, la lutte, la victoire, à la
seconde représentation seulement, et enfin la note des
frais présentée à l'auteur. N'est-ce pas là une comédie
plus amusante que la tragédie qui en fut l'objet ?
II. JUGEMENT DE VIGNY SUR GUIRAUD
Le baron Guiraud mourut le 24 février 1847. Alfred
de Vigny fut très-affiigé de la perte de ce fidèle ami
qui l'avait si vaillamment porté à l'Académie ; il
tS^- I 20 "§zg>
écrivit à ce sujet les lignes suivantes qu'a révélées la
publication du Journal d'un poète (p. 212) :
« Guiraud. Sa mort, presque subite, a beaucoup
attristé l'Académie. J'ai particulièrement été fort affligé
de ne pouvoir siéger près de lui, comme je me l'étais
promis et comme il s'en réjouissait avec moi. Une
opération, maladroitement faite par un chirurgien, l'a
tué.
« C'était un homme qui tenait de l'écureuil par sa
vivacité, et il semblait toujours tourner dans sa cage.
Ses cheveux rouges, son parler vif, gascon, pétulant,
embrouillé, lui donnaient l'air d'avoir moins d'esprit
qu'il n'en avait en effet, parce qu'il perdait la tête dans
la discussion et s'emportait à tout moment hors des
rails de la conversation. Mais très-sensible, très-bon,
très-spirituel, doué d'un sens poétique très-élevé : c'est
une perte très-grande pour le pays et pour le corps. »
III. VISITE DE VIGNY A RO YE R-COLLARD
Voici le récit de cette singulière visite, tel qu'on le
trouve dans le Journal d'un poète (Paris, Michel Lévy,
1867, in-12, p. 1 83 et suiv.) :
« Dimanche, 3o janvier 1842. — En descendant de
voiture, j'ai fait porter ma carte de visite à M. Royer-
Collard par une femme qui était seule dans l'anti-
chambre. Presque à l'instant est venu un pauvre
vieillard, rouge au nez et au menton, la tête chargée
d'une vieille perruque noire, et enveloppé de la robe de
chambre de Géronte, avec la serviette au col du léga-
taireuniversel. Voici mot pour mot notre conversation :
(Il était debout et appuyé à demi contre le mur).
« r.-c. — Monsieur, je vous demande bien pardon,
mais je suis en affaire, et ne puis avoir l'honneur de
vous recevoir; j'ai là mon médecin.
« a. de v. — Monsieur, dites-moi un jour où je
puisse vous trouver seul, et je reviendrai.
« r.-c. — Monsieur, si c'est seulement la visite obli-
gée, je la tiens comme faite.
« a. de v. — Et moi, Monsieur, comme reçue, si vous
voulez ; mais j'aurais été bien aise de savoir votre
opinion sur ma candidature.
« r.-c. — Mon opinion est que vous n'avez pas de
chances... (Avec un certain air qu'il veut rendre iro-
nique et insolent) Chances ! N'est-ce pas comme cela
qu'on parle à présent?
« a. de v. — Je ne sais pas comment on parle à pré-
sent: je sais seulement comment je parle et comment
vous parlez dans ce moment-ci.
« r.-c. — D'ailleurs, j'aurais besoin de savoir de vous-
même quels sont vos ouvrages.
O*^- 125 '=©*©
« a. de v. — Vous ne le saurez jamais de moi-même,
si vous ne le savez déjà par la voix publique. Ne vous
est-il jamais arrivé de lire les journaux?
« r.-c. — Jamais.
« a. de v. — Et, comme vous n'allez jamais au
théâtre, les pièces jouées un an ou deux ans de suite
aux Français et les livres imprimés à sept ou huit
éditions vous sont également inconnus ?
« r.-c. — Oui, Monsieur; je ne lis rien de ce qui
s'écrit depuis trente ans; je l'ai déjà dit à un autre. (Il
voulait parler de Victor Hugo.)
« a. de v. (en prenant son manteau pour sortir et le
jetant négligemment sur son épaule). — Dès lors,
Monsieur, comment pouvez-vous donner votre voix, si
ce n'est d'après l'opinion d'un autre?
« r.-c. (interdit et s'enveloppant dans sa robe de
malade imaginaire). — Je la donne, je la donne....
Je vais aux élections ; je ne peux pas vous dire com-
ment je la donne, mais je la donne enfin.
« a. de v. — L'Académie doit être surprise qu'on
donne sa voix sur des œuvres qu'on n'a pas lues.
« r.-c. — Oh! l'Académie, elle est bonne personne,
elle, très-bonne, très-bonne. Je l'ai déjà dit à d'autres,
je suis dans un âge où l'on ne lit plus, mais où l'on
relit les anciens ouvrages.
« a. de v. — Puisque vous ne lisez pas, vous écri-
vez sans doute beaucoup ?
■£*&> I2Ô "^^S
« r.-c. — Je n'écris pas non plus, je relis.
« a. de v. — J'en suis fâché; je pourrais vous lire.
« r.-c. — Je relis, je relis.
« a. de v. — Mais vous ne savez pas s'il n'y a pas
des ouvrages modernes bons à relire, ayant pris cette
coutume de ne rien lire.
« r.-c. (assez mal à Taise). — Oh! c'est possible,
Monsieur, c'est vraiment très-possible.
« a. de v. (marchant vers la porte et mettant son
manteau). — Monsieur, il fait assez froid dans votre
antichambre pour que je ne veuille pas vous y retenir
longtemps; j'ai peu l'habitude de cette chambre-là.
« r.-c. — Monsieur, je vous fais mes excuses de vous
y recevoir.
« a. de v. — N'importe, Monsieur, c'est une fois
pour toutes. Vous n'attendez pas, je pense, que je vous
fasse connaître mes œuvres : vous les découvrirez dans
votre quartier ou en Russie, dans les traductions russes
ou allemandes, sans que je vous dise : « Mes enfants
sont charmants », comme le hibou de La Fontaine.
(Ici Alfred de Vigny ouvre la porte, Royer-Collard
le suivant toujours.)
« r.-c. (pour revenir sur ses paroles). — Eh! mais je
crois qu'il y aura deux élections.
« a. de v. — Monsieur, je n'en sais absolument rien.
« r.-c. — Si vous ne le savez pas, comment le
saurais-je?
®^ 127 ^*g>
« a. de v. — Parce que vous êtes de l'Académie et
que je n'en suis pas; je sais seulement que je me pré-
sente au fauteuil de M. Frayssinous.
« r.-c. — Et quelles autres personnes?
« a. de v. — Je n'en sais rien, Monsieur, et ne dois
pas le savoir.
(Ici il lui tourne le dos, remet son chapeau et sort
sans le saluer , tandis que Royer-Collard reste tenant
la porte et disant : « Monsieur, j'ai bien l'honneur de
vous saluer. »)
IV. ARTICLE DE LA REVUE DES DEUX MONDES
« La bibliothèque Charpentier vient de s'enrichir des
œuvres complètes de M. Alfred de Vigny. On ne peut
douter que cette publication ne trouve bon accueil
chez les nombreux amis de ce talent délicat et fin.
Nous ne reviendrons pas sur des oeuvres que nous
avons souvent appréciées ; pourtant, à une époque
où le sentiment de l'art sérieux tend à s'altérer
et à se perdre, il n'est pas inutile peut-être de signaler
encore une fois les qualités communes aux productions
trop rares de M. de Vigny : l'élévation soutenue delà
pensée et la sévère pureté du style. C'est jeudi prochain
®*^ 128 '<&x&
que l'Académie française doit nommer les successeurs
aux sièges laissés vacants par la mort de MM. Frays-
sinous et Duval. On sait que M. de Vigny est au nombre
des candidats pour la succession de l'évêque d'Hermo-
polis. Il a prévenu l'Académie que, dans le cas où il ne
serait point nommé au fauteuil de M. Frayssinous, il
se reporterait candidat pour celui de M. Duval. On
s'étonnerait à bon droit qu'une de ces deux successions
ne fût point offerte par l'Académie française à l'auteur
de Cinq-Mars et de Stello. »
V. HISTORIQUE DU ROMANTISME PAR VIGNY
« Depuis peu d'années la paix régnait avec la restau-
ration. Tout semblait pour longtemps immobile. Il se
trouva quelques hommes très-jeunes alors, épars, in-
connus l'un à l'autre, qui méditaient une poésie nou-
velle. — Chacun d'eux, dans le silence, avait senti sa
mission dans son cœur. Aucun d'eux ne sortit de sa
retraite que son oeuvre ne fût déjà formée. Lorsqu'ils
se virent mutuellement, ils marchèrent l'un vers l'autre,
se reconnurent pour frères et se donnèrent la main.
Ils se parlèrent, s'étonnèrent d'avoir senti, dans les
mêmes temps, le même besoin d'innovation et de
cS^^y 129 -^g;
l'avoir conçu dans des inventions et des formes totale-
ment diverses. Ils se confièrent leurs idées d'abord,
puis leurs sentiments et (comment s'en e'tonnerait-on?)
éprouvèrent l'un pour l'autre une amitié qui dure
encore aujourd'hui. Ensuite chacun se retira et suivit
sa destinée. Depuis ces jours de calme, ils n'ont cessé
d'alterner leurs écrits ou leurs chants. Sépare's par le
cours même de la vie et ses diversions imprévues, s'ils
se rencontraient, c'était pour s'encourager, par un
mot, à la lutte éternelle des idées contre l'indifférence
et contre l'esprit fatal de retardement qui engourdit
les plus ardentes nations dans les temps où il ne se
trouve personne qui leur donne une salutaire secousse.
Leurs œuvres se multiplièrent. Dans ce champ libre
nouvellement conquis, chacun prit la voie où l'appe-
lait l'idéal qu'il poursuivait et qu'il voyait marcher
devant lui. Soit que les uns aient donné leurs soins au
coloris et à la forme pittoresque, aux nouveautés et au
renouvellement du rhythme, soit que d'autres, épris à
la fois des détails savants de l'élocution et des formes
du dessin le plus pur, aient aimé par-dessus tout à
renfermer dans leurs compositions l'examen des ques-
tions sociales et des doctrines psychologiques et spiri-
tualistes, il n'en est pas moins vrai que, tout en conser-
vant leur physionomie particulière et leur caractère
individuel, ils marchèrent tous du même pas, vers le
même but, et que leur rénovation fut complète sur tous
<g^ i3o -^^
les points. — Le nom qui lui fut donné était depuis
longtemps français et puisé dans les origines de notre
langue romane; il avait toujours exprimé le sentiment
mélancolique produit dans l'âme par les aspects de
la nature et des grandes ruines, par la majesté des
horizons et les bruits indéfinissables des belles soli-
tudes.
« La poésie épique, lyrique, élégiaque, le théâtre, le
roman reprirent une nouvelle vie et entrèrent dans des
voies, où la France n'avait pas encore posé le pied. Le
style qui s'affaissait fut raffermi. — Tous les genres
d'écrits se transformèrent, toutes les armures furent
retrempées; il n'est pas jusqu'à l'histoire, et même la
chaire sacrée, qui n'aient reçu et gardé cette em-
preinte.
« Les arts ont ressenti profondément cette commo-
tion électrique. L'architecture, la sculpture, se sont
émues et ont frémi sous des formes neuves ; la peinture
s'est colorée d'une autre lumière; la musique, sous ce
souffle ardent, a fait entendre des harmonies plus
larges et plus puissantes.
« A ces marques certaines le pays a reconnu et pro-
clamé par ses sympathies l'avènement d'une école
nouvelle. En effet, dans les œuvres de l'art, tout ce qui
passionne aujourd'hui la nation a puisé la vie à ses
sources. Il est arrivé que ceux qui semblaient combattre
l'innovation prenaient involontairement sa marche, et
c c ■> 1 3 1 '^=©
lors même que des réactions ont été tentées, elles n'ont
eu quelque succès qu'à la condition d'emprunter les
plus essentielles de ses formes. Il appartient à l'histoire
des lettres de constater la formation et l'influence des
grandes écoles. Il serait ingrat de les nier, injuste et
presque coupable de s'efforcer d'en effacer la trace ;
car, ainsi que les couches du globe sont les monu-
ments de la nature et marquent ses époques de for-
mation successive, de même et aussi clairement dans
la vie intellectuelle de l'humanité, les grandes écoles
de poésie et de philosophie ont marqué les degrés de
ce que j'oserai appeler : l'échelle continue des idées.
Votre sagesse, Messieurs, a su ne point se laisser
éblouir et entraîner tout d'abord par les applaudisse-
ments et les transports publics, et elle a voulu attendre
que le temps les eût prolongés et confirmés. Mais
aussi, sans tenir compte des vaines attaques, des déno-
minations puériles, des critiques violentes, et considé-
rant sans doute que les excommunications littéraires
ne sont pas toutes infaillibles, vous avez reçu lentement
et à de longs intervalles les hommes qui, les pre-
miers, avaient ouvert les écluses à des eaux régénéra-
trices. »
C2=^ 1 J 2 -"^g!
VI. ARTICLE DE SAINTE-BEUVE
« M. de Vigny avait provoqué cette sorte d'explica-
tion en indiquant expressément lui-même (je ne veux
pas dire en accusant) la lenteur qui ne permettait à
l'Académie de se recruter parmi les générations nou-
velles qu'à de longs intervalles. Et ici, il me semble
qu'il n'a pas rendu entière justice à l'Académie. Depuis,
en effet, que l'ancienne barrière a été forcée par l'en-
trée décisive de M. Victor Hugo, je ne vois pas que le
groupe des écrivains plus ou moins novateurs ait tant
à se plaindre, et, pour ne citer que les derniers élus,
qu'est-ce donc que M. de Rémusat, M. Vitet, M. Méri-
mée, sinon des représentants eux-mêmes, et des plus
distingués, de ces générations auxquelles M. de Vigny
ne les croit point étrangers sans doute? Ce n'est donc
plus à de grands intervalles, mais en sorte coup sur
coup, que l'Académie leur a ouvert ses rangs.
«Elle est tout à fait hors de cause, et on n'en saurait
faire qu'une question de préséance entre eux. »
VII. LETTRE DE SAINTE-BEUVE
Il est intéressant de rapprocher de la lettre de
Vigny celle de Sainte-Beuve à Baudelaire sur le même
®^ 1 3 3 '^*&
sujet. Tout ce que l'auteur de Joseph Delorme dit à
l'auteur des Fleurs du Mal est d'un goût parfait.
Je donne, d'après l'original qui est entre les mains
de M. Bovet, cette lettre qui, d'ailleurs, n'est pas
inédite. Elle figure dans la Correspondance publiée
par M. C. Lévy :
« Mon cher ami, « Ce 20.
« J'ai reçu votre joli volume, et j'ai à vous remercier
d'abord des mots aimables dont vous l'avez accompa-
gné ; vous m'avez depuis longtemps accoutumé à vos
bons et fidèles sentimens à mon égard. Je connaissais
quelques-uns de vos vers pour les avoir lus dans divers
recueils ; réunis, ils font un tout autre effet. Vous dire
que cet effet général est triste ne saurait vous étonner ;
c'est ce que vous avez voulu. Vous dire que [vous]
n'avez reculé, en rassemblant vos fleurs, devant aucune
sorte d'image et de couleur, si effrayante et affligeante
qu'elle fût, vous le savez mieux que moi ; c'est ce que
vous avez voulu encore. Vous êtes bien un poète de
l'école de l'art, et il y aurait à l'occasion de ce livre,
si l'on parlait entre soi, beaucoup de remarques à faire.
Vous êtes, vous aussi, de ceux qui cherchent de la
poésie partout ; et comme, avant vous, d'autres l'avaient
cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes diffé-
rentes, comme on vous avait peu laissé d'espace,
comme les champs terrestres et célestes étaient à peu
près tous moissonnés et que, depuis trente ans et plus,
s2^ 1 34 ^^s>
les lyriques, sous toutes les formes, sont à l'œuvre,
venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, j'imagine :
« Eh! bien, j'en trouverai encore de la poésie, et j'en
« trouverai là où nul ne s'était avisé de la cueillir et
« de l'exprimer. » Et vous avez pris l'enfer, vous vous
êtes fait diable, vous avez voulu arracher leurs secrets
aux démons de la nuit. En faisant cela avec subtilité,
avec raffinement, avec un talent curieux et un abandon
quasi précieux d'expression, en perlant le détail, en
pétrarquisant sur l'horrible, vous avez l'air de vous
être joué ; vous avez pourtant souffert, vous vous êtes
rongé à promener vos ennuis, vos cauchemars, vos
tortures morales ; vous avez dû beaucoup souffrir, mon
cher enfant. Cette tristesse particulière, qui ressort de
vos pages et où je reconnais le dernier symptôme d'une
génération malade dont les aînés nous sont très-
connus, est aussi ce qui vous sera compté.
« Vous dites quelque part, en marquant le réveil
spirituel qui se fait le matin après les nuits mal passées,
que lorsque l'aube blanche et vermeille se montre tout
à coup, apparaît en compagnie de l'Idéal rongeur, à
ce moment, par une sorte d'expiation vengeresse,
« dans la brute assoupk un ange se réveille! »
C'est cet ange que j'invoque en vous et qu'il faut culti-
ver. Que si vous l'eussiez fait intervenir un peu plus
souvent, en deux ou trois endroits bien distincts, cela
eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que
<s<^ 1 3 5 '^*g5
tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et
tous ces bizarres entrelacements où s'est lasse'e votre
fantaisie, parussent dans leur vrai jour, c'est-à-dire à
demi dispersés déjà et prêts à s'enfuir devant la lumière.
Votre livre alors eût offert comme une tentation de
saint Antoine au moment où l'aube approche et où
l'on sent qu'elle va cesser.
« C'est ainsi que je me le figure et que je le com-
prends. Il faut le moins qu'on peut se citer en exemple,
mais nous aussi, il y a trente ans, nous avons cherche'
de la poésie là où nous avons pu. Bien des champs
aussi étaient déjà moissonnés, et les plus beaux lauriers
étaient coupés. Je me rappelle dans quelle situation
douloureuse d'esprit et d'âme j'ai fait Joseph Delorme,
et je suis encore étonné, quand il m'arrive (ce qui
m'arrive rarement ) de rouvrir ce petit volume, de ce
que j'ai osé y dire, y exprimer. Mais, en obéissant à
l'impulsion et au progrès naturel de mes sentiments,
j'ai écrit l'année suivante un recueil, bien imparfait
encore, mais animé d'une inspiration douce et plus
pure, les Consolations, et, grâce à ce simple dévelop-
pement en mieux, on m'a à peu près pardonné.
« Laissez-moi vous donner un conseil qui surpren-
drait ceux qui ne vous connaissent pas : vous vous
défiez trop de la passion, c'est chez vous une théorie.
Vous accordez trop à l'esprit, à la combinaison.
Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir
®<&. 1 36 '^g>
comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop
commun ; vous aurez toujours assez, dans votre finesse
d'expression, de quoi vous distinguer.
« Je ne veux pas non plus paraître plus prude à vos
yeux que je ne suis. J'aime plus d'une pièce de votre
volume, les Tristesses de la Lune, par exemple, joli
sonnet qui semble de quelque poète anglais contem-
porain de la jeunesse de Shakspeare. Il n'est pas
jusqu'à ces stances à celle qui est trop gaie, qui ne me
semblent exquises d'exécution. Pourquoi cette pièce
n'est-elle pas en latin ou plutôt en grec et comprise
dans la section des Erotica de l'Anthologie} Le savant
Brunck l'aurait recueillie dans ses Analecta veterum
Poetarum ; le président Bouhier et La Monnoye, c'est-
à-dire des hommes d'autorité et de mœurs graves
( castissimœ vitœ mornmque integerrimorum) l'auraient
commentée sans honte, et nous y mettrions le signet
pour les amateurs, Tange Chlo'ên semel arrogantem...
« Mais, encore une fois, il ne s'agit pas de cela ni de
compliments. J'ai plutôt envie de gronder; et si je me
promenais avec vous au bord de la mer, le long d'une
falaise, sans prétendre à faire le mentor, je tâcherais
de vous donner un croc en jambe, mon cher ami, et
■de vous jeter brusquement à l'eau pour que vous, qui
savez nager, vous alliez désormais sous le soleil et en
plein courant.
« TOUt à VOUS (( SAINTE-BEUVE. »
s^a- 1.37 ^x&
VIII. ÉLECTION DE FÉVRIER MDCCCLXII
Voici, d'après le Journal des Débats du 7 février 1862,
le résultat des treize scrutins pour l'élection d'un aca-
démicien en remplacement de Scribe :
Il y avait 28 membres votants ; la majorité absolue
était de 1 5 voix.
ior scrutin : M. Autran, 8; — M. Camille Doucet,
7; — M. Cuvillier-Fleury 6; — M. Mazères, 4; —
M. Octave Feuillet, 2; — M. Geruzez. 1.
20 scrutin : M. Camille Doucet, 11; — M. Doucet, 8;
— M. Cuvillier-Fleury, 7 ; — M. Mazères, 1 ; —
M. Feuillet, 1.
3e scrutin : M. Doucet, 10; — M. Autran, 9; —
M. Cuvillier-Fleury, 7; — M. Feuillet, 1 ; — M. Ma-
zères, 1.
40 scrutin : M. Doucet, 10; — M. Autran, 9; —
M. Cuvillier-Fleury, 8; — M. Feuillet, 1.
5° scrutin : M. Doucet, 11 ; — M. Autran, 9; —
M. Cuvillier-Fleury, 7 ; — M. Feuillet, 1.
6° scrutin : M. Doucet, 11 ; — M. Autran, 10; —
M. Cuvillier-Fleury, 5; — M. Feuillet, 1 ; — M. Geru-
zez, i.]
70 scrutin : M. Doucet, 11 ; — M. Autran, 10; —
M. Cuvillier-Fleury, 6; — M. Feuillet, 1.
8° scrutin : M. Doucet, 12; — M. Autran, 9; —
M. Cuvillier-Fleury, 6: — M. Feuillet, 1.
1 3 8 ^x®
9° scrutin : M. Doucet, ii; — M. Autran, io;
M. Cuvillier-Fleury, 6 ; — M. Feuillet, i.
io° scrutin : M. Doucet, 12 ; — M. Autran, 12;
M. Cuvillier-Fleury, 3 ; — M. Feuillet, 1.
ii° scrutin : M. Doucet, 14; M. Autran, 11 ;
M. Cuvillier-Fleury, 3.
12° scrutin : M. Doucet, 14; — M. Autran, 12;
M. Cuvillier-Fleury, 2.
i3° scrutin : M. Doucet, i3 ; — M. Autran, 11 ;
M. Cuvillier-Fleury, 4.
.
TABLES
TABLES
1. TABLE DES CHAPITRES
Lettre-Préface vt
L'Académie française en 1842 3
Candidature d'Alfred de Vigny 8
Election et discours de réception d'Alfred de Vigny. . 42
Les candidats en 18b 1 59
Charles Baudelaire 70
Pièces justificatives 119
@<^ 142 "g*©
II. TABLE ANALYTIQUE
ACADÉMIE FRANÇAISE. Son état en 1842, 3 et suiv. —
Jugement de Guiraud sur elle, i5. — Ne donne que la
majorité aux hommes de lettres, 25. — Les discours de
réception, 45. — Considération à son sujet, 1 14.
ALLETZ (Edouard). Candidat à l'Académie, 3o.
ANCELOT. Membre de l'Académie en 1842, 4.
ASSELINEAU (Charles). Ami de Baudelaire, 72. — Billet
de Baudelaire à lui adressé, 88.
AUGIER (Emile). Baudelaire demande à Asselineau s'il
doit rendre visite à cet académicien, 88. — Peu ménagé
par Baudelaire et ses amis, 88.
AUTRAN (Joseph). Candidat à l'Académie, 60. — Obtient
douze voix pour le fauteuil de Scribe, 10 1.
BALLANCHE (P.-Ant.). Candidat à l'Académie, 14, 16.
— Est élu en remplacement d'Alexandre Duval, 19.
BANVILLE (Théodore de). Ami de Baudelaire, 72. —
Écrit dans le Boulevard, 107.
BAOUR-LORMIAN. Membre de l'Académie en 1842,4.—
Reçoit la visite de Vigny, 17.
BARANTE (le baron de). Membre de l'Académie en 1842,
6. — Reçoit la visite de Vigny, 28.
BAUDELAIRE (Charles). Pose sa candidature au fauteuil
de Scribe, 68. — Sa biographie, 70 à 80. — Fait ses vi-
sites académiques, 82. — Ami de Sainte-Beuve, 83. —
Lettre à Vigny, 84. — Visite et nouvelle lettre à Vi-
gny, 85. — Billet à Asselineau, 88. — Loué par Sainte-
Beuve dans un article, 8g et 90. — Veut opter pour le
fauteuil du Père Lacordaire et informe de ce projet
@^ 143 '^>S>
Sainte-Beuve et Vigny, 92. — Lettre de Sainte-Beuve à
lui adressée, 98. — Lettre de Vigny à lui adressée, 99.
— N'obtient aucune voix dans une élection pour le fau-
teuil de Scribe, 102. — Lettre de Sainte-Beuve à lui
adressée, 102. — Se désiste de sa candidature, io3. —
Ce désistement est accepté avec faveur par l'Académie,
io3. — Lettres à Vigny, io5, 109. — Envoie du pain
d'épice à Sainte-Beuve, 110. — Est frappé de folie,
112. — Lettre de Sainte-Beuve à lui adressée sur les
Fleurs du Mal, 1 33.
BELMONTET (Louis). Candidat à l'Académie, 61.
BONJOUR (Casimir). Candidat à l'Académie, 3g.
BOVET (M. Alfred). Possède les originaux des documents
publiés dans ce volume, vu.
BRIFAUT (Charles). Membre de l'Académie en 1842, 4.
BROGLIE (Albert de). Candidat à l'Académie, 67. — Élu
en remplacement du Père Lacordaire, 112.
CAMPENON (Vincent). Membre de l'Académie en 1842, 5.
— Sa mort, 34. — Est remplacé par Saint-Marc Girar-
din, 38.
CARJAT (Etienne). Directeur du journal le Boulevard, 107.
CARNÉ (le comte Louis de). Candidat à l'Académie, 68.
CHAMPFLEURY (Jules). Ami de Baudelaire, 72.
CHATEAUBRIAND (le vicomte de). Doyen de TAcadémie
en 1842, 3. — Reçoit la visite de Vigny, 17.
COUSIN (Victor). Membre de l'Académie en 1842, 5.
CUVILLIER-FLEURY (A.-A.). Examine dans le Journal
des Débats les titres académiques de Vigny, 19. — Can-
didat à l'Académie, 63. — Obtient deux voix pour le
fauteuil de Scribe, 102.
®*^ 144 "^>^
DELAVIGXE (Casimir). Membre de l'Académie en 1842, 4.
— Reçoit la visite de Vigny, 27. — Sa mort, 34. — On
procède à son remplacement, mais aucun candidat n'ob-
tient la majorité, 38. — Est remplacé par Sainte-
Beuve, 40.
DESCHAMPS (Emile). Candidat à l'Académie, 37, 44.
DOUCET (Camille). Candidat à l'Académie, 61. — Obtient
douze voix pour le fauteuil de Scribe, 101.
DROZ. Membre de l'Académie en 1842, 6.
DUPATY (Emmanuel). Membre de l'Académie en 1842,5.
DUPIN aîné. Membre de l'Académie en 1842, 6.
DU VAL (Alexandre). Membre de l'Académie en 1S42, 4. —
Sa mort, 7. — Est remplacé par Ballanche, 19.
EMPIS (Ad. -Dom. -Florent. -Jos.). Candidat à l'Académie, 44.
— Collaborateur de Mazères, G4.
ETIENNE. Membre de l'Académie en 1842, 5. — Sa mort, 42.
— Son éloge par Vigny, 47.
FÉLETZ (l'abbé de). Membre de l'Académie en 1842, 6.
FEUILLET (Octave). Candidat à l'Académie, 65. — Obtient
une voix pour le fauteuil de Scribe, 102. — Élu en rem-
placement de Scribe, m.
FLOURENS. Membre de l'Académie en 1842, 6.
FRANCE (M. Anatole). Biographe d'Alfred de Vigny, 8.
FRAYSSINOUS (Denis-Ant.-I.uc). Son fauteuil est va-
cant, 7. — Est remplacé par le chancelier Pasquier, 19.
GAUTIER (Théophile). Habite l'hôtel Pimodan, 71. — Se
lie avec Baudelaire, 73.
GERUZEZ (Eugène). Candidat à l'Académie, 63.
GOZLAN (Léon). Candidat à l'Académie, 62.
cs*^ 145 -^g;
GUILLON (l'abbé). Candidat à l'Académie, 16.
GUIRAUD (le baron Alexandre). Membre de l'Académie en
1842, 4. — Ami d'Alfred de Vigny, 9. — Sa biographie,
10. — Lettres de lui à Vigny, 14, 21, 28, 32, 35. — Let-
tre au ministre sur sa tragédie des Machabées, 1 ig. — Sa
mort, 122. — Jugé par Vigny, 122.
GUIZOT. Membre de l'Académie en 1842, 5. — Reçoit la
visite de Vigny, 27.
HALEVY (Léon). Candidat à TAcadémie, 66.
HUGO (Victor). Membre de TAcadémie en 1842, 5.
JAY. Membre de l'Académie en 1842, 6.
JOURNAL DES DÉBATS. Donne le résultat des scrutins
académiques, i3j.
JOUY. Membre de l'Académie en 1842, 4.
LACORDAIRE (le Père). Sa mort, 5g. — Baudelaire aspire
à le remplacer à l'Académie et exprime sa sympathie pour
l'illustre dominicain, g4. — Remplacé par le prince Al-
bert de Broglie, 112.
LACRETELLE (Charles de). Un des doyens de l'Académie
en 1842, 3.
LACROIX (Jules). Candidat à l'Académie, 62.
LAMARTINE (A. de). Membre de TAcadémie en 1842, 5. —
Cité dans une lettre de Guiraud, 14. — Reçoit la visite
de Baudelaire, 82.
LEBRUN (P.-Ant.). Membre de TAcadémie en 1842, 4.
LEROY (Onésime). Candidat à TAcadémie, 40.
MARTIN (Aimé). Candidat à TAcadémie, 3g.
MAZÈRES(Ed.). Candidat à TAcadémie, 64.
MÉRIMÉE (Prosper). Pose sa candidature à TAcadémie, 3g.
.^-^ 146 "^g-
— Élu membre de l'Académie en remplacement de No-
dier, 40.
MIGNET. Membre de l'Académie en 1842, 6.
MOLE (le comte). Membre de TAcadémie en 1842, 6. — Ré-
pond au discours de réception de Vigny, 5o. — Est élu
directeur de l'Académie, 54.
NODIER (Charles). Membre de l'Académie en 1842, 6. —
Sa mort, 3j. — Remplacé par Mérimée, 40.
PASQUIER (le duc). Candidat à l'Académie, 16. — Est élu
en remplacement de Frayssinous, 19. — Reçoit la visite
de Vigny, 34.
PATIN (H.-Jos.-Guill.). Candidate l'Académie, 16. — Jugé
par Guiraud, 29. — Candidat pour la seconde fois, 3o.
— Sa fameuse phrase du chapeau, 3i. — Est élu en rem-
placement de Roger, 32.
PIMODAN (hôtel). Habité par Théophile Gautier et par
Baudelaire, 71.
POE (Edgard). Ses œuvres sont traduites par Baudelaire, y3.
— Lettre de Baudelaire sur ses portraits, 74.
PONGERVILLE. Membre de l'Académie en 1842, 5.
PONSARD (Fr.). Baudelaire demande si cet académicien
est lié avec Augier, 88. — Raillé amèrement par Baude-
laire et ses amis, 88.
POULET-MALASSIS (Aug.). Éditeur des Fleurs du Mal, 77.
RATISBONNE (M. Louis). Exécuteur testamentaire de
Vigny, 8. — A publié le Journal d'un poète, d'où sont
tirées les pièces justificatives n°« II, p. 122, et III, p. 123.
REVUE DES DEUX MONDES. A pour collaborateur Al-
fred de Vigny, 9. — Annonce l'élection du chancelier
Pasquier et de Ballanche, 20. — Annonce l'élection de
cs^s=- 147 ^Sxë>
Sainte-Beuve et de Mérimée, 41. — Recommande Vigny
pour le fauteuil d'Etienne, 43. — Apprécie le discours
de réception de Vigny, 52. — Article sur Vigny, 127.
ROGER (J.-F.). Membre de l'Académie en 1842, 5. —Sa
mort, 20. — Est remplacé par Patin, 32.
ROYER-COLLARD (P. -P.)- Membre de l'Académie en
1842, 6. — Reçoit la visite de Vigny, 17. — Récit de la
visite que lui fit Vigny, 123.
SACY (Silvestre de). Reçoit la visite de Baudelaire, 82.
SAINT-MARC GIRARDIN. Candidat à l'Académie, 37. —
Est élu en remplacement de Campenon, 38.
SAINTE-AULAIRE (le comte de). Membre de l'Académie
en 1842, 6.
SAINTE-BEUVE (Ch.-Aug.). Candidat à l'Académie, 3o, 37.
— N'obtient pas la majorité pour remplacer Delavigne,
38. — Elu membre de l'Académie en remplacement de
C. Delavigne, 40. — Apprécie dans la Revue des Deux
Mondes le discours de réception de Vigny, 52. — Ami
de Baudelaire, 83. — Consacre un article aux candidats
et particulièrement à Baudelaire, 8g et 90. — Dissuade
Baudelaire de briguer le fauteuil du Père Lacordaire,
98. — Ecrit de nouveau à Baudelaire, 102, io3. — Reçoit
de Baudelaire un présent de pain d'épice, no. — Article
sur Vigny, i32. — Lettre à Baudelaire sur les Fleurs
du Mal, i32.
SALVANDY (N. de). Membre de l'Académie en 1842, 6.
SCRIBE (Eugène). Membre de l'Académie en 1842, 5. — Sa
mort, 5g. — Election inutile pour le remplacer, 101. —
Remplacé par M. Octave Feuillet, ni.
SÉGUR (Philippe de). Membre de l'Académie en 1842, 6.
n
S*Sx 148 '^g:
SOUMET (Alexandre). Membre de l'Académie en 1842, 4.
— Est souffrant, 24. — Remplacé par Vitet, 44.
THIERS (Adolphe). Membre de l'Académie en 1842, 6. —
Reçoit la visite de Vigny, 18.
TISSOT. Membre de l'Académie en 1842, 5.
TOCQUEVILLE (Alexis de). Membre de l'Académie en
1842, 6.
TOURNEUX (M. Maurice). Fournit le portrait reproduit
dans le volume, xn.
VATOUT. Candidat à l'Académie, 16, 3o, 37.
VIENNET (P.-Guill.). Membre de l'Académie en 1842, 4.
— Reçoit la visite de Baudelaire, 82.
VIGNY (Alfred de). Se présente à l'Académie, 8. — Lettre
de Guiraud à lui adressée, 14. — Fait ses visites, 17. —
Cuvillier-Fleury examine ses titres, 19. — Échoue contre
le chancelier Pasquier et Ballanche, 19. — Se présente
pour remplacer Roger, 21. — Lettre de Guiraud à lui
adressée, 21. — Recommence ses visites, 27. — Lettre
de Guiraud à lui adressée, 28. — Echoue contre Patin,
3i. — Lettre de Guiraud à lui adressée, 32. — Aspire
aux fauteuils de Campenon et de Casimir Delavigne, 34.
— Lettre de Guiraud à lui adressée, 35. — Echoue
contre Saint-Marc Girardin, 38. — Échoue contre Sainte-
Beuve et Mérimée, 40. — Recommandé par la Revue
des Deux Mondes pour le fauteuil d'Etienne, 43. — Est
élu en remplacement d'Etienne, 44. — Prononce son
discours de réception, 46. — Subit une verte réponse
du comte Mole, 5o. — Refuse d'être présenté au Roi
par le comte Mole, 53. — Est reçu par Louis-Philippe,
34. — Lettres de Baudelaire à lui adressées, 84, 85,
92. — Lettre à Baudelaire, 99. — Lettres de Baudelaire
à lui adressées, io5, 109. — A un cancer à l'estomac,
10g. — Sa mort, 112. — Fragment de son discours de
réception, 125.
VILLEMAIN (Abel). Membre de l'Académie en 1842, 5.—
Secrétaire perpétuel, 6. — Reçoit la visite de Baude-
laire, 82.
VITET (L.). Elu membre de l'Académie en remplacement
de Soumet, 44. — Élu chancelier de l'Académie, 54.
III. TABLE DES ILLUSTRATIONS
Vue de l'hôtel Pimodan, ancien hôtel de Lauzun,
situé quai d'Anjou, n° 17; au fond, le pont Marie. . vu
Vue de la maison habitée par Alfred de Vigny, rue des
Ecuries -d'Artois, n° 6 xn
Frontispisce représentant une figure allégorique de
l'Académie française; elle tient la couronne d'oli-
vier et la branche de chêne. Cette figure est inspirée
de l'allégorie que Rcettiers composa en 1747, comme
un hommage à l'Académie française, avec la légende :
non una fronde coronat. Ce n'est pas, il est vrai, la
devise officielle de cette Académie, qui n'a pas craint
de graver sur son sceau et sur ses jetons l'orgueil-
leuse légende : A L'IMMORTALITÉ (voir Histoire
de l'Académie française, par Pellisson et d'Olivet,
édition Ch. Rivet, p. 56). Bien que Chamfort {Des
Académies, Paris, i79i,in-8°, p. 7) ait essayé de jus-
tifier ce téméraire défi jeté aux siècles futurs par des
lettrés dont la plupart sont oubliés de leur vivant
même, nous avons préféré l'autre devise, plus mo-
deste, parce qu'elle a, selon nous, le mérite d'évoquer
l'une des plus belles traditions antiques. Non una
fronde coronat nous rappelle le mode de couronne-
ment usité dans les luttes de l'Agon Capitolinus fondé
en l'an 186 par Domitien. Le vainqueur au concours
de poésie grecque et latine recevait de la main de
l'Empereur une couronne faite de feuilles de chêne
et d'olivier, mixta quercus oliva, suivant l'expres-
sion de Stace (Silves, V, 3, 23 1). C'était au Capi-
tole qu'était distribuée cette récompense, ardemment
disputée par les plus grands poètes. L'institution
de la couronne capitoline (capitolina quercus, Juvé-
nal, VI, 387), survécut à la destruction de l'Empire
et eut un haut prestige dans l'Italie du moyen âge.
C'est toujours au Capitole qu'un sénateur romain
couronnait du double feuillage le plus estimé des
poètes, et Boccace, dans la Vie de Dante, raconte
quelle gloire ce fut pour l'exilé florentin d'obtenir
cette suprême récompense; Pétrarque aussi la reçut
en 1341, comme un témoignage de l'admiration de
ses contemporains. L'olivier était consacré à Minerve
et le chêne à Jupiter. Il nous a semblé que les deux
feuillages convenaient bien à l'Académie française,
qui a pris pour inspiratrice la déesse de la Sagesse
et qui a choisi pour ses réunions le jour réservé au
maître des dieux. Il nous a plu de voir cette sou-
veraine compagnie perpétuer la noble institution
du couronnement capitolin en unissant le chêne et
le laurier sur le front de ses élus.
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Vue de l'Institut et du pont des Arts : dans le fond, le
pont Neuf et la Cité 3
Vue de la fontaine située au fond de la seconde cour
de l'Institut : dans la niche, un buste de Minerve,
sculpté par Bosio le fils 7
Signature du baron Guiraud 16
Vue du puits situé dans la troisième cour de l'Institut. 42
Vue de la salle où l'Académie tient ses séances publi-
ques : au fond, la table du président et de ses asses-
seurs; à droite et à gauche, les bancs en hémicycle
où siègent les académiciens; au centre, le petit bu-
reau semi-lunaire auquel vient prendre place tout
académicien qui fait une lecture publique. — Dans
les séances solennelles de réception, le récipiendaire
et le directeur qui lui répond ne quittent pas leurs
bancs pour prononcer leurs discours 55
Vue de l'Institut 5g
Vue de la coupole de l'Institut dans l'axe de la rue
Mazarine : à droite, la porte qui donne accès à la troi-
sième cour du palais 70
Signature de Charles Baudelaire 77
Signature d'Alfred de Vigny 101
Vue de la salle où l'Académie française tient ses
séances particulières; la table en fera cheval autour
de laquelle se groupent les immortels est entourée
des quarante fauteuils : au centre, à gauche, on voit
le bureau où siège le directeur entre le chancelier et
le secrétaire perpétuel ; devant ce bureau, la petite
table réservée à l'académicien qui fait une communi-
cation à ses collègues 116
Médaillon orné de la tête symbolique de lAcadémie
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française; de chaque côté, des guirlandes de chêne
et d'olivier no.
Médaillon représentant, sur une couronne, la chouette,
attribut de Minerve ; en légende : Non una fronde
coronat i38
Portrait d'Alfred de Vigny 1 53
Les petites vignettes semées dans le texte sont empruntées
au symbolisme académique.
ALFRED DE VIGNY
I M P R I M E
CL. MOTTEROZ
PARIS
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottawa
Date due
CE
00393 62 fff b
'
CE PQ 2474
•Z5C4 1879
C02 CHARAVAY,
ACC# 1228479
El A. DE VIGNY