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ANNALES
DE L'INSTITUT PASTEUR
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ANNALES
DE L'INSTITUT PASTEUR
(JOURNAL DE MICROBIOLOGIE)
FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR
ET PUBLIÉES
PAR
| ME DUCEAMUX
MEMBRE DE L'INSTITUT
PROFESSEUR A LA SORBONNE
DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR
Assisté d'un Comité de rédaction composé de
MM. CHAMBERLAND, chef de service à l’Institut Pasteur;
Dr GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine;
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ;
NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ;
À Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur;
Dr VAILLARD, professeur au Val-de-Grâce.
TOME DOUZIÈME
1898
AVEC NEUF PLANCHES
PARIS
MASSON ET Ci, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
DAT?
19m ANNÉE JANVIER 1898 No 1.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES
Par M. MAZÉ
Préparateur à l’Institut Pasteur
SECOND MÉMOIRE
Étude physiologique.
Dans un travail antérieur ‘, j’ai montré que les bacilles des
légumineuses, placés dans un milieu convenable qui rappelle
d'aussi près que possible les conditions naturelles qu'ils trouvent
dans les nodosités, se développent d’une façon surprenante, et
remplissent leur fonetion si importante de la fixation de l'azote
libre de l’atmosphère. La symbiose n’est plus nécessaire pour
expliquer la fixation de l'azote par le microbe des nodosités ;
cette propriété lui appartient en propre. Les conditions qui la
lui assurent sont la présence d’une réserve d’azote combinée
assurant les premières phases de son existence; une dose de
sucre qui ne peut tomber au-dessous de 2 0/0 ; enfin l'accès fa-
cile de l'air. À cette question de la présence de l’air viennent
se rattacher beaucoup d’autres questions que le moment est
venu d'étudier, et dont l’ensemble constitue un commencement
de l’étude physiologique du microbe des nodosités. Nous abor-
derous, dans un troisième mémoire, son étude morphologique.
IT
LES MICROBES DES NODOSITÉS ET L'AIR ATMOSPHÉRIQUE
Nous venons de dire que le bacille des légumineuses est un
microbeessentiellement aérobie. Pour nous faire une idée nelte de
ses besoins d'oxygène, prenons deux ballons plats à deux tubu-
4. Ces Annales, t. XI, p. 44, 1897,
2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
lures munis d'une couche de quelques millimètres de gélose de
même composition que celle qui nous a déjà servi. Ensemençons-
les etplaçons-les en dérivation surle courant d'air dépouillé d’azote
combiné qui circule sur d’autres cultures, après les avoir fait
précéder d’un tube en U rempli de ponce imbibée de potasse,
pour absorber l'acide carbonique de cetair. Isolons maintenant
l'atmosphère des deux vases à l’aide de deux pinces à vis placées
sur les caoutchoucs des deux extrémités. La masse d’air ainsi
confinée est munie d’un manomètre à mercure formé d'un tube
en U presque capillaire, gradué.
L'appareil reste fermé pendant huit jours, à une température
moyenne de 23-24°, Au bout de ce temps on fait une prise d’air
à l’aide d’une trompe de Schlæsing; on la mesure dans une
éprouvelte de Schlæsing, et on étudie sa composition.
Ces manipulations terminées, on a renouvelé l'atmosphère
des cultures à l’aide de la trompe que l’on faisait fonctionner
assez longtemps pour entrainer l'acide carbonique dissous. Puis
on l’a isolée de nouveau et, 64 heures après, on a recommencé
la mème opération afin de se rendre compte de l'absorption
d'oxygène dans une culture en plein développement.
Une troisième analyse a été faite 24 heures après la
seconde.
Voici les résultats en volume rapportés à 100 du gaz, à la
pression 760 et à 0°.
NATURE DES GAZ Îre ANALYSE 2e ANALYSE 3° ANALYSE
MOUECATDOMQUE SR ARR 20,7 18,7 - 8,04
OSYRÈRE Je E ER US 1,8 5,16 13,41
AZOIPEATÉON 2e dise 11,5 78,1% 78,55
Acide carbonique + oxygène... 22,9 21,86 21,45
Les chiffres de ce tableau montrent combien le bacille @es
légum'neuses est avide d'oxygène. En 24 heures, une culture
d'une surface totale d'environ 27 décim. carrés absorbe le tiers du
volume d'oxygène contenu dans une atmosphère confinée de
EME Soit 0 *c.
Considérons maintenant les chiffres de la quatrième ligne
horizontale ; ils sont tous supérieurs au nombre 21 qui repré-
sente la teneur normale de l’air en oxygène; cela veut dire que
le rapport de l'acide carbonique à l’oxygène est toujours supé-
bi à dl din nai té dé néÉ
dat di Le
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 3
rieur à 4 ‘. À côté d’une combustion complèle qui se traduirait
par la mise en liberté d’un volume d’acide carbonique égal au
volume d'oxygène absorbé, il y a une dislocation plus ou moins
avancée de la molécule de saccharose. Les produits intermé-
diaires de cette dislocation ne sont pas constitués par des acides
volatils ou fixes, puisque le milieu conserve sa réaction alcaline ;
ils ne peuvent être que des corps plus ou moins oxydés, quel-
ques-uns volatils, dont la présence se révèle par l'odeur caracté-
ristique des cultures. Les milieux liquides qui se chargent peu à
peu de tous ces produits de la combustion du sucre, deviennent
de plus en plus impropres à la culture du microbe, si on ne prend
pas la précaution de les en débarrasser. Voilà une autre raison
qui explique la supériorité des cultures peu profondes et de
grande surface, au point de vue de la fixation de l’azote atmos-
phérique.
Ce n’est pas tout, nos chiffres comportent encore un ensei-
-gnement : on conçoit que les hydrates de carbone soient épuisés
rapidement par un dégagement aussi abondant d’acide carboni-
que. Évaluons, en effet, la quantité de carbone mise en liberté
au moment de notre dernière prise d'air, c’est-à-dire après
12 jours d'expérience. Cela est très facile, connaissant le volume
de l’atmosphère confinée et la quantité de saccharose introduite
dans la culture.
On trouve ainsi que sur 1347%*,3 de carbone irtroduits dans
la culture sous forme de saccharose, 1055%:"6 sont mis en liberté
à l'état d'acide carbonique.
Ces chiffres nous prouvent qu'une culture du bacille des node-
sités, âgée de 16 à 20 jours, dans laquelle la liqueur de Fehling
ne révèle plus trace de sucre réducteur après inversion préalable,
a perdu la presque totalité du carbone que le saccharose y avait
1: Ce rapport n’est pas, en réalité, aussi éloigné de l’unité que l’indiquent les
calculs ; on ne tient pas compte en effet de l’azote fixé; on sait cependant que
toute diminution d'azote libre se traduit par une augmentation apparente de
CO2+0; mais la différence entre les nombres 79 et 77,5 fournis par la première
analyse, ne provient pas tout entière de l’appauvrissement de l’atmosphère en
azote, car s’il en était ainsi, au bout de huit jours, dans une atmosphère confinée
de 5}. nous obtiendrions un gain d’azote de 70 milligr. Or, en 16 jours, dans un
courant d’air continu, nous n'avons pas obtenu ce résultat, à beaucoup près,
L’excès d'acide carbonique dégagé sur oxygène absorbé se traduit d’ailleurs par
une augmentation constante de pression, indépendante des oscillations baromé-
triques,
4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
apporté. Mais, en échange, ils’y est produit un gain d'azote, et il
s’y est formé une mucosité si abondante que les milieux liqui-
des servant à la culture, en couche mince, sont presque solidifiés.
Dans la fermentation visqueuse des jus sucrés, quelque chose
de semblable se produit; mais l’analogie est toute superficielle,
La matière visqueuse provient d’une sorte de transformation
isomérique du sucre; avec le bacille des nodosités on assiste à
une combustion presque parfaite du saccharose; la mucosité
qu'il fabrique nous apparaît donc comme une substance digne
d'attention, lorsqu'elle se forme abondamment, il y afixalion
d'azote ; lorsqu'elle est absente ou peu abondante, on ne constate
pas de gain d'azote dans les cultures. C’est ce rapprochement que
je voulais mettre en relief : les faits nous l'imposeront encore
plus d’une fois dans le cours de ce travail.
D’après tout ce qui précède, nous voyons que le bacille des
légumineuses est un microbe essentiellement aérobie; l'azote
atmosphérique ne joue dans sa vie qu’un rôle très effacé; une:
fraction très petite seulement est mise en jeu.
M. Laurent a cependant constaté la formation de colonies
dans une atmosphère d’azote pur; cette observation semble en
contradiction avec les faits que nous venons d'exposer, et elle
mérite d’être éludiée.
Prenons pour cela des tubes à essai ordinaires, et soudons
une tubulure à étranglement à l'extrémité fermée; étirons l’autre
extrémité de facon à obtenir une tubulure semblable à la pre-
mière; celle-ci est légèrement inclinée sur l’axe du tube pour
permettre de le pencher lorsqu'il contient quelques centimètres
cubes de gélose. Grâce à ce dispositif, on peut placer ces tubes
les uns à la suite des autres sur un courant d’azole préparé en
faisant agir le nitrite de potassium sur le chlorure d’ammonium
en solution concentrée; le gaz est débarrassé des produits
nitreux et de l’ammoniaque par des flacons laveurs remplis de
potasse et d'acide sulfurique. Les tubes sont adaptés encore
bouillants sur l'appareil purgé d’air par le dégagement de
l'azote.
Puis on attend une demi-heure; au bout de ce temps, la
gélose est solide et froide; on l’ensemence avec deux ou trois
gouttes d’une dilution copieuse de bacilles, et quelques minutes
après, on ferme les deux extrémités à la lampe sur le courant
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. à
d'azote. On ensemence ensuite Les autres tubes les uns après les
autres, et on les scelle à la flamme de la même manière.
_ Ces cultures ont été conservées à la température de la
chambre avec des témoins préparés de la même façon, mais
remplis d'air. Au bout de 5 jours ceux-ci donnent une culture
abondante; les autres ne présentent pas de développement
visible à l'œil nu ; on en sacrifie un et on prend avec une pipette
une goutte de la dilution qui surnage pour l’ensemencer dans
un tube ouvert; celui-ci se couvre de colonies au bout de
3 jours.
Au bout de 15 jours on ouvre deux autres tubes sur lesquels
on ne constate pas non plus trace de développement ; on s’en
sert pour ensemencer des tubes ordinaires; les germes conservés
à l'abri de l'air pendant 15 jours poussent encore énergique-
ment.
On a refait la même expérience avec une nouvelle série de
4 tubes préparés de la même façon; ils ont fourni les mêmes résul-
tats.
Le bacille des légumineuses ne pousse donc pas dans une
atmosphère d'azote pur; M. Laurent n’a sans doute observé la
formation de colonies que parce que son azote, obtenu par
l'oxydation du cuivre porté au rouge, renfermait encore des
traces d'oxygène.
ITE
INFLUENCE DE LA RICHESSE DES MILIEUX EN AZOTE COMBINÉ ET EN
SACCHAROSE SUR LA FIXATION DE L’AZOTÉ LIBRE
Jusqu'ici, nous nous sommes bornés à étudier la fixation de
l’azote libre dans des cultures de composition à peu près
constante. Deux éléments exercent une action prépondérante sur
le résultat final: l’azote combiné et le saccharose ; faisons varier
l’un et l’autre, et cherchons quelle est l'influence de ces varia-
tions sur le gain d’azote.
Dans ce but, mettons en culture 5 ballons plats renfermant
50 c. c. de bouillon de haricots préparé comme plus haut ; comme
6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l’eau du robinet est suffisamment alcaline par elle-même, on
supprime le bicarbonate de soude; on supprime également le
chlorure de sodium qui, à la dose de 5 0/00, paralyse le dévelop-
pement du microbe. Ces ballons contenaientavant l'expérience :
AZOTE SACCHAROSE
NOM {{me,6 481,75
NO ue OS 2
RS ne : 9 8 DD
ARE : 9 2150
nr eco 9 9
Observations sur les cultures. — Le n° 1 se trouble fortement dans les
24 heures. Les n9$ 2 et 3 se développent plus lentement; les microbes
forment une membrane adhérente au fond du vase, visible dès le 2e jour: la
mucosité se développe presque aussi rapidement que dans le n° {, dont le
bouillon est complètement figé au bout de 8-9 jours.
Il n'en est pas de même pour les nos 4 et 5; la membrane de fond ne
devient visibie qu’au 4€ jour, elle apparaît comme une toile d’araignée dont
les mailles irrégulières sont réunies par une membrane extrêmement fine.
Examinée au microscope avec un grossissement de 50, on la voit striée,
dans toutes les directions, de tubes uniformément colorés, lorsqu'on se sert
de colorants basiques ; si on fait agir modérément l'alcool, ces tubes s’éclair-
eissent, et l’on distingue nettement dans leur intérieur de petits baciles
noyés dans une enveloppe de mucosité. Ces tubes présentent des renflements
et des étranglements sur tout leur parcours. Nous aurons encore l’occasion
de les observer daus d’autres circonstances.
Cette membrane s’épaissit lentement, et au bout du vingt et unième jour
de culture, au moment où l'on met fin à l'expérience, le liquide surnageant
est tout à fait dépourvu de viscosité; le microbe présente l'aspect d'un
bacille qui prend bien la couleur.
La culture n° 1 à été arrêtée au dix-neuvième jour; elle pré-
sente tous les caractères des cultures dans lesquelles on constate
une fixation abondante d'azote.
Les cultures n° 2 et 3 présentent des formes ramifiées et
des formes en poires; à part ce caractère, elles ressemblent à la
première, comme aspect, elles ont duré respectivement 21 et
22 jours.
Voici les résultats concernant l’azote et le sucre restant, fournis
par l’analyse: les n° 5 et 6 ne figurent pas dans ce tableau; on
y retrouve tout le sucre primitif à un décigramme près, et le gain
d'azote y a été nul.
dd nc pds e LOL 5 état fi RER EE
r
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES.
ri
Azote final. Azote gagné. Sucre restant. Sucre consommé. Rapport de l'azote gagné
au sucre consommé.
_ Rs 421 [
0 93me£r Dmgr gr 54 1209ngr a —
no 1 23merT A{2merl Ogr,54l 1209m; Le =
+ à D 198 1
sara Res 30! 96 in
no 2 01044 8 0 ,805 1196 SU LA
: à : 150 1
0 94 S 15 0 S70 319.4 —— —
n° 3 A € ,87 1379,4 ER
Eu égard à la durée des cultures, ces résultats sont à peu près
identiques ; ils concordent avec ceux qui nous ont été fournis
par les premières expériences, le rapport de l’azote gagné an
sucre consommé oscille toujours aux environs de 1/100.
Ces chiffres nous montrent en outre que le gain d’azote est
indépendant de lPaspect morphologique du microbe; la culture
n° { ne renferme pas de formes ramifiées, les deux autres con-
tiennent un mélange de bacilles simples et de formes ramifiées,
ou en poires. Le développement de celles-ci a été cependant
plus lent au début; le retard augmente avec la dose de sac-
charose; à partir de 4,5 0/0, le bacille se multiplie encore,
mais la culture reste pauvre; la mucosité ne se forme pas,
et 11 n’y a pas d’azote fixé. Avec 5 et 6 0/0 de sucre, on observe
seulement une légère prolifération de microbe.
Calculons maintenant la relation qui existe entre le sucre
initial et l’azote fournt au microbe avant l'expérience.
Nous avons les {rois rapports suivants :
fe 116 66
ce 17500 — 10 000
98 49
no 2 EEK EE
20 000 10 000
s 98 43
n° 3 > =
29 500 10 000
Si nous prenons la moyenne, nous oblenons le rapport
1/200 en chiffres ronds, ce qui veut dire que les cullures qui
fournissent le meilleur rendement au point de vue de la fixation
de l’azote doivent renfermer, au début, une partie d’azote com-
biné pour 200 de saccharose ; la limite inférieure du sucre étant
2 0/0 et la limite supérieure 4 0/0.
Reprenons maintenant la même expérience en laissant con-
stante la dose de saccharose et en introduisant des doses variables
d'azote combiné.
8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Cet élément est représenté dans les cultures par les chiffres
ROUES 6, CHAOS SOU AEN EGEEE CRT
ils sont entre eux comme les nombre 5, #4, 3, 2, 1; chaque cul-
ture avait recu 1,5 de saccharose; les quatre premières se sont
montrées à peu près aussi actives les unes que les autres au
point de vue de la fixation de l'azote libre; ïe n° 4 s’est développé
plus lentement que les trois autres; le n° 5 a donné une mem-
brane de fond, mince et résistante, mais pas de mucosité ni d’a-
zote fixé : sa teneur en azote inilial estinsuffisante. Nous sommes
donc conduit à assigner comme limite minimum à l'azote com-
biné dans les bouillons de culturele chiffre de 7 milligrammes pour
50 c.c. de liquide; la limite maximum étant naturellement fixée
à 15" environ par les rapports que nous avons établis plus haut.
Voilà les chiffres; quelles conclusions pouvons-nous en tirer?
Ceux qui représentent la limite maximum de saccharose et le
minimum d'azote combiné offrent beaucoup d'intérêt. Dans les
deux cas, lorsque ces chiffres sont dépassés ou ne sont pas atteints,
il n’y a plus de gain d’azote dans les cultures; le développement
se fait mal et la mucosité est toujours absente. Cette substance
ne se rencontre jamais non plus dans les cultures où le bouillon
atteint plusieurs centimètres d'épaisseur et, dans ces conditions,
l'analyse ne révèle aucun enrichissement en azote.
Comme nous avons montré, d'autre part, que la mucosité ne
résulte pas d’une modification allotropique du sucre, nous
sommes conduit à la regarder comme un composé azoté élaboré
par le bacille des légumineuses. Dans la série des transforma-
tions auxquelles le saccharose est soumis, il se forme des com-
posés capables de s’unir à l'azote atmosphérique, grâce à l'énergie
mise en jeu par la dislocation de la molécule de sucre.
Le même phénomène doit se passer dans les tubercules radi-
caux; cependant, on ne trouve pas de mucosilé dans ces forma-
tions. Une goutte d’une émulsion faite avec le contenu d’une
nodosité possède la fluidité d’une goutte d'eau, et s'étale avec
facilité sur une lame de verre. Au contraire, la moindre parcelle
d'une culture sur gélose, prise avec un fil de platine, donne une
consistance visqueuse à la goutte d’eau dans laquelle on la
délaye, et s'étend difficilement sur le verre.
Faut-il en conclure que le bacille des légumineuses ne pro-
duit pas de mucosité lorsqu'il se développe dans le tissu des
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. (
racines ? Cette supposition ne semble pas probable, lorsqu'on voit
un fragment de pulpe de nodosité donner sur gélose sucrée une
quantité appréciable de cette substance au bout de 24 heures à
la température de 24-25°. Si on ne constate pas sa présence dans
les tubercules, c’est sans doute parce qu’elle est entraînée par
la sève à mesure qu’elle se produit, et c’est probablement elle qui
sert de trait d'union entre le microbe et la plante.
Dès que les nodosités apparaissent sur les racines des légu-
mineuses cultivées dans du sable stérile, celles-ci traduisent
l’action bienfaisante de leurs hôtes par une reprise très nette
de la végétation, succédant à une période de souffrance due à la
privation temporaire d’aliment azoté.
MM. Hellriegel et Wilfarth ', qui ont observé les premiers ces
phénomènes, en ont donné une description très nette :
« Ainsi les cultures de légumineuses, en présence de solutions
nutrilives pourvues de nitrates depuis leur sortie de terre jus-
qu'à leur récolte, c’est-à-dire jusqu'à l'épuisement des nitrates
fournis, ont continué à croître sans aucune interruption visible,
tandis que la végétation des cultures privées d'azote marcha pour
ainsi dire, par bonds successifs, à trois époques différentes,
non moins claires que frappantes.
« Dans la première période qui comprend les trois ou quatre
premières semaines de leur existence, pendant lesquelles les
jeunes plantes sont alimentées évidemment par la réserve nutri-
tive de la semence, la croissance fut active et normale. A cette
période en succéda une autre d'interruption complète et d'arrêt
dans la production. Les jeunes plantes perdirent leur fraiche
couleur verte; on voyait les vieilles feuilles périr par résorplion,
tandis que celles qui étaient nouvellement formées poussaient
visiblement plus petites que les premières et fort misérables.
« Enfin, à ce moment, les pois se comportèrent exactement
comme les graminées végétant dans un sol privé d'azote et depuis
longtemps alfamées. La durée de cette période fut très variable
pour chaque plante : chez les unes elle ne fut que de quelques
jours, et chez les autres elle persista pendant plusieurs semaines.
Puis la troisième période suivit presque sans transition; les
plantes reverdirent, et, recommencant à assimiler, eurent une
bonne végétation jusqu’à la fin. »
1. Untersuchungenuber die Stickstoffnährung, Berlin, 1888.
10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Ces observations établissent clairement que la reprise de la
végétation coïncide avec l'apparition des nodosités sur les racines :
mais MM. Hellriegel et Wilfarth ne disposaient d'aucune preuve
matérielle qui leur permit de donner une démonstration rigou-
reuse de ce fait. L'étude des cultures pures du bacille des nodo-
sités ne fit que l’embrouiller davantage; ce microbe se montrait
incapable de fixer de l'azote libre dans les milieux artificiels:
tout au plus se développait-il un peu dans les milieux dépourvus
d'azote combiné, mais toujours sans gain d'azote appréciable.
C’est sur la plante seule qu’il y avait développement, avec fixa-
tion d’azote qui, disait-on, entrait dans les tissus des bacilles
pour les constituer; c’est cet azote des bacilles qu'utilisait la
plante, et les nodosités devenaient ainsi de véritables organes
de réserve. Telle était l'opinion de MM. Beyerinck, Praz-
mowski!', Frank et Laurent.
Les résultats que nous avons obtenus au point de vue de la
fixation de l'azote donnent, de l’observation très exacte de
MM. Hellriegel et Wilfarth, une explication aussi simple que
satisfaisante. Le bacille fabrique, dans certaines conditions de
nutrition hydrocarbonée et azotée, une sève muqueuse et azotée
que le végetal utilise.
Les caractères physiques de cette mucosité concordent bien
avec le rôle que nous lui attribuons : c’estune substance colloïde,
diffusible dans l’eau et susceptible, par conséquent, de servir
d’aliment à un organisme vivant; mais quels sont les caractères
de cette solution muqueuse ? C’est ce dont on peut se faire une
idée en cherchant comment elle traverse les membranes ou les
cloisons poreuses.
Une culture de 50 c. c., renfermant 26 milligrammes d’azote,
étendue de deux fois son volume d’eau distillée, a été filtrée à
travers une bougie Chamberland, sous une pression de 20 c. de
mercure; la bougie plongeait de 2 c. dans l’eau distllée; la
filtration se faisait de l’intérieur vers l'extérieur. Elle a duré
24 heures. La quantité d'azote passée à travers la bougie est
de 286, soit 1/10 de l'azote total.
Une deuxième expérience a été faite avec une culture de
50 c. ce. étendue également de deux fois son volume d’eau; mais
1. Landiwirthsch. Versuchstat., XXXNIII. — Bot. Centralbl., XXXIX.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 11
ce liquide a été placé cette fois dans un dialyseur cylindrique en
papier parcheminé.
L'appareil a été soumis à l’action d’un courant d’eau ordi-
daire pendant 48 heures, et pendant 36 heures à l’action de
l’eau distillée renouvelée toutes les 8 heures, Au bout de ce temps,
Omsr,6 d'azote sur 13,6 ont passé à travers la membrane. Le
contenu du dialyseur a conservé toute sa viscosité et son homo
généité.
On a repris cette expérience avec une culture de 100 c. c.
étendue cette fois de 8 fois son volume d’eau distillée.
Dans le même laps de temps et dans les mèmes conditions
que tout à l'heure, le liquide a perdu 8"£",5 d'azote; avant l’expé-
rience il en renfermait 322,04 ; un quart environ de l’azote Lotal
avait donc traversé la membrane. Le liquide avait perdu toute
sa viscosité ou à peu près; les microbes formaient un dépôt
aggloméré au fond du dialyseur.
Cette dernière expérience prouve que la culture renferme,
à côté de l'azote immobilisé dans le corps des microbes, un com-
posé quaternaire capable de diffuser à travers les membranes.
Cette matière azotée diffuse d'autant mieux qu’elle est plus
étendue ; dans les nodosités elle est donc entrainée facilement
par la sève, et c'est pour celte raison qu’on ne la rencontre
jamais dans ces organes ‘.
Il peut sembler surprenant que dans ces conditions le microbe
qui la produit ne l'utilise pas, et que nous ayons pu voir notre
culture n° 5 (p. 8), qui renfermait au début de l’expérience
3msr,3 d'azote combiné, ne donner qu’un faible développement
sans aucun gain d’azote après 21 jours de durée. On pourrait
croire « priori qu'il suffise de fournir une trace d’aliment azoté,
pour amorcer la culture et permettre au bacille de s’alimenter en
fabriquant son protoplasme aux dépens de l’azote libre, et en con-
sommant les hydrates de carbone qu’on lui a offerts.
1. Le hasard m'a permis cependant de la rencontrer une fois dans des tuber-
cules de pois tardifs, qui étaient encore en pleine végétation au mois de novembre
dernier. À la suite d'un abaissement assez brusque de la température, l’assimi-
lation par la plante s’est ralentie, et la production de mucosité a été supérieure
à la consommation; elle s’est accumulée dans les tubercules, dont la pulpe très
pâteuse, déposée dans une goutte d’eau sur une lame de verre, rend le liquide
très visqueux.
Cette observation confirme, d’une manière éclatante, les déductions que
j'avais déjà formulées.
12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
L'expérience montre pourtant qu’il n’en est rien. Dans une
culture pauvre en azote combiné, le développement est pénible;
les microbes se multiplient, mais ils perdent leur activité vis-à-
vis de l'azote libre; ils ne consomment pas d’hydrate de carbone
ou ils en consomment très peu. Ils n'élaborent pas de mucosité
visible, et n’utilisent pas les quantités insaisissables qu'ils pour-
ralent fabriquer, car ils ne poussent pas.
Les corps quaternaires qui constituent la mucosité doivent
donc nous apparaître comme des produits d'élaboration micro-
bienne, analogues à l'alcool ou à l’acide lactique, qui sont inat-
taquables par les cellules qui les ont produits, mais restent
nutritifs pour d’autres organismes.
De ce que les bacilles vivent péniblement dans les milieux
contenant de faibles quantités d'azote combiné, comme dans
notre expérience n° 5 (p. 8), nous pouvons inférer qu'ils ne
se développeront pas dans des milieux privés d'azote. Cette con-
clusion esten contradiction avec les observations de MM. Franck,
: Prazmowski et Laurent, mais elle est d'accord par contre avec
les résultats de M. Beyerinck, qui a vu le développement des
cultures s'arrêter sur gélose renfermant du sucre et des sels,
dès que la petite quantité d’azote assimilable est épuisée.
Il y a donc lieu de vérifier ces résultats contradictoires. J'ai
pris pour cela deux ballons plats lavés à plusieurs reprises avec
de l’acide sulfurique concentré, puis avec de l’eau ordinaire et
avec de l’eau distillée, quatre ou cinq fois, pour en enlever toute
trace de matière azotée.
Chacun de ces ballons a reçu 50 c. e. de la solution suivante,
faile avec de l’eau distillée et des corps chimiquement purs.
Fauidistillee ere ere EC 1.000
D 'LCCHAROSE MATE En An 20
Phosphate de potassium................ 1
Uhlorurerde SOUMET RE 1
SULLATE Te EL RE RE ET Cr
Dulfaterde MAasnEsIe M CAIREPERC EEE ET
Ehlorire "de Zinc 2 PRE PU
traces
Les deux ballons, bouchés avec des tampons d’amiante, ont
été stérilisés à 120° et ensemencés avec une dilution assez riche
\ À himly 6 Éd
hi date. ts bé en és RUE à à déve at Ld)
Fe
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 13
d’une culture âgée sur gélose, faite avec de l’eau distillée stérile.
Les cultures étaient parcourues par un courant d’air débar-
rassé de tout composé azoté par la méthode employée plus haut.
Au bout de huit jours les solutions sont limpides comme au
début de l'expérience.
Le contenu d’un vase, examiné au microscope après colora-
tion par le bleu de méthylène, ne montre que quelques bacilles
irréguliers, plus ou moins recourbés et prenant mal la couleur:
examinés en goutte suspendue, ces bacilles se montrent immo-
biles.
Ensemencée sur gélose, une goutte du liquide de culture
donnait un développement luxuriant au bout de 3 ou 4 jours.
Le second ballon a été laissé en expérience; mais on a arrêté
la circulation d’air et on a supprimé toute communication avec
l'atmosphère ambiante. Après 28 jours la solution est toujours
limpide; l'examen microscopique et la culture d’épreuve ont
donné les mêmes résultats que la première culture.
La conclusion est nette : la semence avait conservé toute sa
vitalité pendant 28 jours ; mais on n’a pas observé, même au
microscope, la moindre prolifération de cellules.
Il nous reste, pour terminer l’examen des expériences faites
plus haut, à étudier la nature du pseudo-mycélium que l’on
observe dans les nodosités, tout à fait au début de leur dévelop-
pement. Dans une coupe fraiche de jeunes tubercules, cette for-
mation présente l’aspect de tubes réfringents non cloisonnés,
irréguliers; ils décrivent dans lesjeunes cellules un trajet sinueux
et semblent traverser les cloisons sans solution de continuité",
M. Beyerinck les considère comme les restes des filaments
nucléaires désagrégés par l'infection microbienne.
M. Prazmowski en a vu sortir des coccobacilles très fins: il
les regarde comme une forme transitoire du bacille des légumi-
neuses qui en dérive par voie endogène. Aux yeux de M. Laurent
ils ont la même signification; mais pour lui les microbes ne
prennent pas naissance par voie endogène ; ils se forment par
bourgeonnement comme les formes-levures qui se montrent sur
1. Voir à ce sujei les deux belles planches du Mémoire de M. Laurent (ces
Annales, t. V).
14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
le mycélium de certaines espèces de champignons microsco-
piques. M. Prillieux ‘ affirme que ce sont des trainées d’une
mucosité analogue à celle qui se forme dans les cultures.
En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et
Prillieux des faits que nous avons établis, on peut expliquer la
production de ces tubes d’une façon simple. Lorsque le microbe
envahit les tissus des jeunes racines, il progresse surtout par voie
de multiplication; il élabore aussitôt cette substance glaireuse
dans laquelle il reste englobé, et c’est ainsi que s’édifient les
tubes irréguliers qui affectent l'aspect d'un mycélium et con-
servent leur apparence organisée tant que les vaisseaux ne se
sont pas formés dans les jeunes {ubercules; mais lorsque la
circulation de la sève se fait régulièrement dans ces organes, la
mucosilé est entraînée, et les coccobacilles, débarrassés de leur
enveloppe, s’allongent et se ramifient.
Si l’on fait une préparation avec la pulpe d’un jeune tuber-
cule à peine visible à l'œil nu, on ne trouve en effet que des
coccobacilles; cette pulpe ne renferme jamais de fragments
mycéliens, parce que la substance qui les constitue se diffuse
immédiatement dans ie suc cellulaire et dans la goutte d’eau que
l'on dépose sur la lame de verre.
Si ces tubes étaient formés par un être vivant, ils résiste-
raient comme tous les microorganismes à ce mode de prépara-
tion. Ils ne résistent pas mieux aux manipulations qu’exigent
les tissus pour les coupes en séries; on ne peut les soumettre
à d’autres méthodes de coloration que celles que l’on emploie
pour le protoplasme vivant. (Laurenr, {. ç.)
Nous trouvons page 6 une autre preuve de cette interpré-
tation, c’est la formation de tubes analogues dans les cultures
qui renferment une dose exagérée de saccharose; la seule diffé-
rence qu'ils présentent avec le pseudo-mycélium consiste dans
une question de volume. Colorés par la fuchsine de Ziehl, ils ont
l'aspect de gros tubes opaques qui sillonnent dans toutes les
directions la fine membrane qui se forme après eux au fond
du vase de culture. Si on décolore convenablement à l'alcool,
ces tubes deviennent plus transparents, et l’on peut distinguer
nettement les coccobacilles qui les remplissent.
1. Comptes rendus, t. CXI, p. 926.
st tit bn
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 15
IV
LE MICROBE DES NODOSITÉS ET L'AZOTE MINÉRAL
Les nitrates et les sels ammoniacaux constituent des aliments
pour les microbes des nodosités, comme l’ont établi MM. Frank,
Prazmowski, Beyerinck et Laurent.
Le développement est cependant assez médiocre dans les
solutions purement minérales, additionnées de 1 0/00 de sulfate
d'ammonium, même placées en couche mince dans des ballons
plats; les microbes se déposent en cercle dans les parties déclives,
et forment une légère couche pulvérulente, facile à mettre en
suspension. Laliqueurne prend jamais une consistance visqueuse ;
le saccharose se retrouve presque inlact au bout de quinze
jours.
Si on remplace le sel ammoniacal par de l’azotate de sodium
à poids égal, il se forme au bout de quinze jours une membrane
de fond, et le liquide prend une légère viscosité.
La supériorité de l'azote nitrique sur l’azote ammoniacal
s'observe également dans un bouilion formé d'une décoction de
terre additionnée de 3 0/0 de saccharose et de 1 0/00 de sulfate
d’'ammonium ou de nitrale de sodium.
Dans le milieu nitré, le développement se fait régulièrement;
il se forme une membrane assez épaisse; le liquide devient vis-
queux ; le saccharose est consommé, et les cultures accusent un
léger gain d'azote au bout de 30 jours.
Dans le bouillon ammoniacal on observe seulement, pendant
les 4 premiers jours, un dépôt pulvérulent; puis à partir de cette
époque, on voit poindre à la surface de ce dépôt quelques z00-
glées sphériques, d’une couleur blanche, adhérant très peu au
fond du vase et s’étirant par la moindre agitation en longs fila-
ments visqueux ; ces flocons augmentent peu à peu de volume et
se fondent les uns dans les autres ; ils sont constitués par un long
bacille vacuolaire qui donne des cultures ordinaires sur gélose.
Quelque temps après l'apparition des zooglées, on voit se former
une légère membrane; le liquide prend une consistance un peu
visqueuse; mais, après 30 jours de culture, le saccharose a très
peu diminué et le gain d'azote est nul.
«
16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Les 50 c. ec. de décoction de terre qui constituaient les
milieux de culture renfermaient 0"879 d'azote total provenant du :
sol : le bouilloa nitré ne donnait plus de coloration à la diphé-
nylamine à la fin de l'expérience : le milieu ammoniacal se,
colorait très nettement au réactif de Nessler.
L'ammoniaque, même en présence de quelques traces d’azote
organique, constitue donc un aliment très médiocre pour les
microbes des nodosités ; ceux-ci poussent aussi bien dans de l’eau
de terre pure addilionnée de quelques millièmes de saccharose.
Ils se multiplient également dans de la terre stérilisée et
dépourvue de nitrates, mais il semble qu'ils soient incapables
d'enrichir la terre en azote. Voici les résultats que j'ai obtenus
en cullivant les microbes des nodosités dans 50 grammes de terre
sur le fond d’un vase à deux tubulures, constamment traversé
par un courant d'air lent. Cette terre avait été préalablement
lavée pour la débarrasser des nitrates.
L'analyse de l'azote total a fourni les chiffres suivants pour
un gramme de terre bien desséchée à 100°.
Terre avant l'expérience ra NME AE Ter, 05
Terre ensemencée avec le bacille des légumineuses.. 6megr,5
Cette culture a duré trois mois, le bacille avait conservé au
bout de ce temps toutes ses propriétés ; il n’a pas donné de gain
d'azote; mais on ne peut pas considérer ce résultat comme défi-
nitif : l'échantillon de terre qui m'a servi a été pris dans l'enclos
de l'Institut Pasteur; c’est plutôt un véritable terreau. Unsol, pour
s'enrichir en azote sous l'influence des microbes, doit réaliser
d’autres conditions; on les connaît suffisamment maintenant
pour qu'il soit nécessaire d'y insister plus longuement.
De tout ce qui précède, on peut conclure que ces microbes
peuvent vivre dans le sol: on les trouvera surtout très nombreux
dans les sols riches en matières organiques, puisque les nitrates,
loin de paralyser leur développement, peuvent au besoin leur
servir d'aliments.
Les botanistes et les agronomes sont cependant unanimes à
constater que les nodosités sont plus nombreuses et plus grosses
sur les racines des légumineuses qui poussent dans les terres
pauvres. Ils attribuent ce fait à l’action des nitrates; dans les
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 17
sols fertiles où cet engrais suffit à assurer largement l’alimenta-
tion azotée de la plante, celle-ci peut se passer du secours des
microbes et résiste à leur envahissement.
Les mêmes observations peuvent se faire avec des plantes
cultivées dans des solutions nutritives stériles. Il y a même
plus : quelques auteurs ont remarqué que les tubercules radi-
caux exercent une influence contrariante sur le développement
des légumineuses en présence des nitrates *.
On a interprété ces faits de la façon suivante : les légumi-
neuses renferment un composé capable de se combiner aux
nitrates, et d'empêcher ensuite le développement du bacille des
nodosités. (Lauren, oc. cit.) Celui-ci assimilerait également les
nitrates aux dépens de la plante, et par suite la gènerait dans son
développement. (Norsr, loc. cit.)
Nous allons essayer à notre tour d’élucider la question ; mais
auparavant, nous devons établir encore quelques faits nouveaux.
y
ACTION DES RACINES DES LÉGUMINEUSES SUR LES FORMES LIBRES DES
MICROBES DES NODOSITÉS
Les microbes des nodosités sont très mobiles; pour observer
leurs mouvements, il suffit d'examiner, en goutte suspendue,
une culture sur gélose âgée de 4-5 jours, à la température de
25° environ. On les voit doués d’un mouvement de translation
très rapide, qu'ils conservent très longtemps en chambre hu-
mide. Au-dessus de 25°, la mobilité est beaucoup moins
générale; on ne l’observe plus à 30°, ni au-dessous de 15°.
Le bacille des légumineuses est donc capable d’obéir promp-
tement à des actions chimiotaxiques.
A l’origine de mes recherches, j'ai fait un grand nombre
d'inoculations sur des plantes végétant en solutions stériles, dans
le but de vérifier la nature du microbe que j'avais isolé des
1. Nous. Versuchsstationen, 1896. — Scurisaux. Agriculture pratique, 1897.
t-1, nv93.
2
18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tubercules. Je n'ai pas tardé à remarquer que ceux-ci se
forment toujours, non pas sur les racines anciennes, mais sur les
portions de racines qui.se sont développées après l'introduction
des bacilles dans les solutions nutritives. Cette particularité
attira tout de suite mon attention. Essayons d'en découvrir la
cause.
Pour montrer que ce sont les extrémités des racines qui
atürent les microbes des nodosités, prenons 5 jeunes plants de
pois que l’on a fait germer en milieu stérile. Ils ont deux ou
trois feuilles, et leurs racines principales ont en moyenne
15 centimètres de long. Coupons ces racines de façon à supprimer
larégion des poils absorbants, etintroduisons-les sur unelongueur
d'environ 5-6 centimètres dans une dilution de culture pure du
microbe des nodosités, contenue dans une poche de collodion
hermétiquement fermée avec un tampon de la même substance,
bien lavée dans de l’eau distillée. Le liquide de la dilution est
identique à la solution nutritive dans laquelle on fait pousser
les plantes.
Les résultats de cette expérience sont les suivants: toutes
les fois que la portion de racine principale enfermée dans la
poche de collodion donne naissance à des racines latérales,
celles-ci sont couvertes de tubercules, la première n'en porte
jamais, malgréla section qu'on y a pratiquée. Il semble doncque
les parties jeunes des racines et plus particulièrement les régions
pilifères attirent seules les microbes, et que l'infection de la
plante soit provoquée par une substance quelconque qui diffuse
à travers les membranes, à la façon par exemple de la sécrétion
acide des poils absorbants.
L'action attractive des régions pilifères peut encore être mise
en évidence de la façon suivante. Faisons germer quelques
pois à l’abri des microbes et transplantons-les dans la terre,
bien arrosée, lorsqu'ils portent trois ou quatre feuilles; au
bout de trois semaines environ, ils ont donné trois ou quatre
nouvelles feuilles; arrachons-les et examinons leurs racines ;
celles qui étaient formées avant le repiquage ne portent aucun
tubercule ; toutes celles qui se sont développées dans le sol en
sont pourvues.
Ceci étant établi, il y a lieu de se demander quelle est la
substance qui entre en jeu dans ce phénomène de chimiotaxie.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 19
Les hydrates de carbone s'imposent à l'attention en raison
de la place si importante qu'ils tiennent dans Fhistoire des
microbes des nodosités. De plus, on les rencontre dans la sève
de tous les végétaux.
On n’a pas montré jusqu'ici, du moins à ma connaissance,
qu'il s’en élimine aux extrémités des racines. Dès qu'ils se ré-
pandent dans la terre ou dans les solutions nutritives où l'on
fait végéler des plantes, ils deviennent la proie des microbes.
Il faut donc les rechercher dans les milieux stériles où l’on fait
germer des graines.
Prenons quelques lots. de dix semences de vesce de Nar-
bonne bien stérilisées; plaçons-les, dans un vase d'Erlenmever,
sur une couche de coton recouvrant des fragments de verre
immergés dans de l’eau distillée, le tout préalablement stérilisé
à 120°.
Sur ce nombre de récipients, quelques-uns sont toujours con-
taminés par des germes apportés par les graines; on les rejette.
Quand les jeunes plantes ont formé une ou deux feuilles, on
change le liquide des ballons et on le remplace par de l’eau
distillée stérile. On fait cette opération tous les deux ou trois
jours en s’assurant avant chaque prise, par des ensemencements
sur gélose, que les cultures ne sont pas contaminées. On sou-
met au fur et à mesure le liquide recueilli à une ébullition pro-
longée, afin d'être toujours sûr de le conserver à l'abri des
microbes.
Au bout de quinze jours, on a accumulé ainsi un demi-litre
d'eau de germination. Cette eau évaporée à 30 ou 40°, bouillie
avec une goutte d'acide chlorhydrique, et essayée par la liqueur
de Fehling, donne un précipité d’oxydule de cuivre caractéris-
tique de la présence d’hydrates de carbone ‘
1 Je me suis proposé de déterminer par le même procédé la nature de l’acide
mis en liberté par les racines ; dans ce but, j'ai évaporé à sec 200 c. c. d’eau de
germination ; l’extrait a été épuisé par l'éther.
Celui-ci évaporé à son tour laisse au fond de la capsule un enduit liquide
presque imperceptible, fortement acide au papier de tournesol ;"on le redissout
dans de l’eau distillée, on fait agir à l’ébullition de l’oxyde de zinc pur préparé au
laboratoire, on filtre, et on fait évaporer très lentement dans un verre de montre,
à l'abri des poussières. Le récipient se recouvre de fines stries concentriques dans
lesquelles on distingue au microscope de petites aiguilles enchevétrées, caracté-
ristiques du lactate de zinc.
L’extrait épuisé par l'éther, redissous dans deux ou trois centimètres cubes
d'eau distillée, n’est plus acide.
20 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
Nous avons donc le droit de rechercher si les hydrates de
carbone, les plus communs dans le règne végétal, exercent une
action chimiotaxique sur le bacille des légumineuses.
Je me suis servi, pour faire ces recherches, d’un tube à
essai de 20 centimètres de longueur sur
deux de diamètre, divisé en deux comparti-
ments par une cloison en verre; lecomparti-
ment supérieur à 8 centimètres de hauteur,
l’inférieur en a 12. Celui-ci porte une tubu-
lure latérale, de même diamètre que le
tube principal; elle est fixée au-dessous de
la cloison. On la ramène, par une courbure
convenable, dans la position verticale; son
ouverture se trouve dans le même plan que
celle du tube. Un tube capillaire très fin,
d’une longueur de 8 centimètres, fixé à la
cloison au moyen d'une soudure intérieure,
met les deux chambres en communication.
Son extrémité supérieure affleure de quel-
ques millimètres au-dessus de la cloison.
L'autre extrémité porte une courbure dont
la petite branche a 5 millimètres de lon-
gueur. On souffle une ampoule au tiers
inférieur ; elle a un diamètre de 8 à 10 mil-
limètres.
Remplissons cet appareil d’un liquide
stérile, de facon à faire affleurer la surface
libre à une hauteur de 2 centimètresenviron
au-dessus de la cloison. Placons, dans Ja
chambre supérieure, une trace d’un corps soluble convenable-
ment choisi, et laissons tomber dans la chambre inférieure,
par la tubulure latérale, deux gouttes d’une dilution de cul-
ture jeune sur gélose d’un microbe mobile, faite avec un
liquide identique à celui qui remplit l'appareil. Si la substance
qui diffuse à travers la colonne liquide du tube capillaire
exerce une attraction sur les microbes, ceux-ci pénètrent
dans le tube et montent peu à peu dans la chambre supé-
rieure où la concentration du liquide est la plus forte.
Ou pourra y constater leur présence en faisant, à des inter-
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 21
valles de temps plus ou moins espacés, des ensemencements sur
gélose avec des prises de liquide.
L'’ampoule du tube capillaire et la position latérale de son
ouverture inférieure ont pour but d'empêcher le passage
accidentel des microbes dans la partie supérieure du grand
tube, par un entrainement de liquide occasionné soit par les
chocs, soit par une légère dénivellation des deux surfaces libres.
J'ai fait un grand nombre d’essais avec le microbe des
nodosités et les hydrates de carbone. Comme milieu, j'ai
employé de l’eau physiologique, du bouillon de haricots et de
l'eau de terre. C’est ce dernier liquide qui m'a fourni les
meilleurs résultats.
J'ai fait agir le saccharose, le glucose, l’amidon soluble, et
de l’eau distillée stérile dans laquelle avaient germé des
semences de vesce de Narbonne; chacune de ces substances
était répartie dans trois tubes à raison de quatre gouttes d’une
solution à 2°/, dans chaque tube; dans chacun d’eux on
introduisait ensuite deux gouttes d’une dilution, dans de l’eau
de terre, de culture sur gélose âgée de deux jours. On opérait
en même Lemps sur trois tubes témoins qui ne recevaient que
des microbes. Inutile d'ajouter que toutes ces opérations exigent
l'emploi de milieux stériles et des cultures pures. Elles ont été
faites à une tempéralure moyenne de 23-25°.
Deux chiffres permettent d'apprécier l’action exercée par
chacune des substances employées : 1°le temps que les microbes
mettent à franchir une colonne liquide de 8 centimètres ; 2° le
nombre des microbes qui franchissent ce trajet dans un temps
donné. |
Je n’ai employé que le premier procédé, car les hydrates de
carbone favorisent la multiplication des microbes, et la question
de numéralion s’en trouve faussée.
En faisant des prises de semence toutes les quatre heures,
j'ai constaté de celte facon que les tubes qui ont recu du saccha-
rose et du glucose donnent tous régulièrement des ensemence-
ments positifs au bout de 8 heures. — Les tubes témoins ne
donnent des résultats qu'au bout de 12 heures ; ils sont tous
fertiles au bout de 16 heures. Les tubes additionnés d’amidon
soluble ne présentent qu’une légère avance sur les tubes témoins.
Ceux qui ont recu de l'eau de germination accusent générale-
22 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ment un léger retard sur les témoins ; les prises de liquide ne
donnent pas toujours des ensemencements positifs après seize
heures.
En résumé, les résultats sont les suivants : les hydrates de
carbone attirent les microbes des nodosités ; l’eau de germination
semble les repousser.
La raison de cette contradiction n’est pas difficile à découvrir;
l'eau de germinalion est légèrement acide, et, de plus, elle ne
contient que des quantités infinitésimales d’'hydrates de carbone.
Si l’action des acides n'est pas éliminée par la réaction alcaline
des milieux, elle se traduira toujours par un retard très sensible,
ear les acides, employés à raison de deux ou trois gouttes d'une
solution à 1/1000 par tube, suffisent pour conserver la stérilité
du liquide des chambres supérieures pendant plus de 24 heures.
Quelquefois, les prises de semence redeviennent stériles après
avoir donné des résultats positifs. Si l'alcalinité de l’eau de terre,
par exemple, est suffisante pour neutraliser l'acidité de l’eau de
germinalion, on constate encore que les microbes ne parviennent
pas, dans la partie supérieure des tubes, plus vite que dans les
témoins. Il faut donc admettre que les racines des légumineuses
n’émettent pas, abstraction faite des hydrates de carbone, une
substance spécifique capable d’exercer une action chimiotaxique
sur les microbes du sol.
Nous aurions pu étudier aussi l’action de quelques sels, en
particulier des nitrates, car on se rappelle que nous nous sommes
proposé d'expliquer l'influence de ces corps sur la formation
des tubercules radicaux. Mais l'explication découle tout naturel-
lement de ce qui précède. Nous n'avons qu’à nous rappeler le
rôle physiologique des nitrates dans l’organisme des végétaux ;
MM. Lœw! et Olto® ont démontré qu'ils sont utilisés dans les
feuilles principalement et dans tous les organes en voie de déve-
loppement. Ils se combinent aux produits résultant de l’assimi-
lation chlorophyllienne pour former des corps quaternaires.
En nous appuyant sur ces observations, nous pouvons affirmer
que si la plante trouve dans le sol assez de nitrates pour absorber
les hydrates de carbone élaborés par les organes verts, la sève
descendante n’en renfermera que très peu, et, par suite, les poils
1. Compte rendu dans les Annales agronomiques, t. XVI.
2. Ber. d. d. bot. Gesellsch., t. VII.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 923
absorbants n'en perdront pas par diffusion; les microbes du sol
ne seront pas attirés et il ne se formera pas de nodosités. C’est
le cas des terres riches. Les rares tubercules qui peuvent se
développer restent chétifs parce qu’ils sont dépourvus d’aliments
hydrocarbonés. Au contraire, si le sol renferme peu de nitrates,
leshydrates de carbone circulent dans toutes les parties dela plante
parce qu'ils sont en excès sur les aliments azotés; ils parviennent
ainsi vers les extrémités végétatives des racines, et de là se ré-
pandent dans la terre. Les bacilles des légumineuses, attirés par la
présence de cetaliment, envahissentlesrégionspilifères, parceque
c’est dans l'intérieur même des cellules que les liquides sont le
plus riches en hydrates de carbone, car, évidemment, les mêmes
phénomènes que nous avons observés avec nos tubes à chimio-
taxie se passent dans la nature.
Nous voyons donc que la question de la symbiose des légu-
mineuses est réglée d’un bout à l’autre par le jeu naturel et
simple des forces physiques que la vie met continuellement en
action. Les plantes vertes disposent, dans les radiations solaires,
d’ure source d'énergie inépuisable; mais elles ne peuvent
l'utiliser pour triompher de l’inertie de l'azote. On a vu par quel
mécanisme les légumineuses y parviennent; grâce à cette
propriété, elles sont aussi intéressantes au point de vue biolo-
gique qu'au point de vue agricole. Elles peuvent, suivant les
conditions, vivre de la vie indépendante des autres plantes supé-
rieures, ou de la vie saprophyte par l'intermédiaire des bacilles,
ou bien encore des deux simultanément.
Cette dernière remarque nous permet d’aller au-devant d'une
objection qui se présente ici : l'émission d'hydrates de carbone
n’est pas particulière aux légumineuses, car ces composés se
rencontrent dans tous les végétaux; pourquoi n’y a-t-il pas
symbiose avec d’autres plantes? Remarquons que le carac-
tère spécifique des légumineuses ne réside pas dans cette pro-
priété de diffuser des hydrates de carbone, mais bien dans la
faculté d'utiliser directement les composés quaternaires fabriqués
par les microbes des nodosités aux dépens de l'azote libre.
Toutes les plantes privées de cette propriété se conduisent,
vis-à-vis du bacille des nodosités, comme elles se conduisent à
l'égard d'un microbe quelconque; elles se défendent par tous
les moyens dont elles disposent. |
24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
VI
CONCLUSIONS
Les microbes des nodosités fixent l’azote libre sans le
secours de la plante; il suffit pour cela de les placer dans les
conditions les plus favorables à leur développement. Nous avons
montré qu'il faut aérer énergiquement les culiures et introduire
dans les milieux nutritifs une quantité de saccharose qui ne peut
pas être inférieure à 2 0/0.
Le bacille se montre assez exigeant sur la nature de l’azote
organique; la légumine lui convient très bien; elle permet au
bacille d'utiliser le mieux possible l'énergie latente du saccha-
rose en vue de la fixation de l’azote libre. C’est dans ces condi-
tions seulement qu'il se montre capable de faire la synthèse
d’une quantité appréciable de matière azotée.
Le rapport qui existe entre l'azote combiné et le sucre
fourni aux microbes influe sur le résultat final. Celui qui nous
a donné le meilleur rendement est 1/200 ; nous avons plus que
doublé la richesse en azote des milieux de culture; le rapport
de l’azote fixé au sucre consommé est sensiblement supérieur à
1/100. C’est à peu près le rapport qui existe entre l’azote total et
le saccharose dans une betterave à sucre. De cette comparaison,
nous avons pu conclure que la fixation de l’azote libre dans nos
cultures a été à peu près aussi active que dans les nodosités.
Dès le début de nos expériences, notre attention a été vive-
ment frappée par l’abondance de la mucosité qui se forme dans
les cultures; nous avons établi qu’elle ne résulte pas d’une
transformation isomérique du saccharose; nous avons constaté
qu'il y a une relation étroite entre la quantité d’azote fixée et
l’abondance de cette substance dans les cultures ; sa solubilité
dans l’eau, sa propriété de passer à travers les membranes, son
absence dans les nodosités, bien que les bacilles transportés sur
des milieux artificiels en élaborent dans les 24 heures, nous ont
conduit à la considérer comme une matière azotée provenant de
la fixation de l'azote libre, et servant de trait d'union entre
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 25
la plante et son hôte. Pour le microbe, c’est un produit de
désassimilation, et c’est pour cela précisément que le bacille des
nodosités ne peut pas se développer si on ne lui fournit que de
l'azote libre. Pour la plante, au contraire, c'est un élément
directement assimilable.
En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et
Prillieux, nous avons pu établir que le pseudo -mycélium des
Jeunes nodosités n’est pas une forme de transition du microbe
des légumineuses. Il résulte d’une accumulation de mucosité
autour des coccobacilles qui envahissent les cellules, il disparaît
dès que la circulation est assez active pour dissoudre et entrai-
ner cette substance. Ce n’est qu'à partir de ce moment seule-
ment que les formes ramifiées se montrent : nous verrons sous
quelles influences elles naissent, en même temps que nous com-
pléterons, dans un troisième mémoire, l’histoire des microbes
qui pénètrent dans les racines.
Pour le moment, rappelons que nous avons obtenu dans nos
cultures des formations analogues sinon identiques. Rappelons
également que ce pseudo-mycélium ne résiste pas aux procédés
de préparation microscopique employés pour tous les autres
microorganismes. Nous compléterons aussi cette dernière
remarque.
L'utilisation du nitrate par les microbes des nodosités nous
prouve que la rareté des tubercules radicaux sur les racines des
plantes cultivées dans les sols riches en matières azotées n’est
pas due à une influence nocive exercée par ces produits sur le
développement des microbes. Nous avons montré qu’elle est
la conséquence d’une double cause : l’action attractive exercée
par les hydrates de carbone mis en liberté dans la région des
poils absorbants, et l'influence mutuelle que ces composés et les
azolates exercent les uns sur les autres dans les tissus mêmes
de la plante.
PRODUCTION
DE LA
TOXINE DIPHTÉRIQUE
Par M. ze D' Lours MARTIN
Chef de laboratoire à l’Institut Pasteur.
Plus on avance dans l'étude de la production des toxines et
plus on voit que les microbes doivent être cultivés dans des
conditions spéciales qu’il importe de bien déterminer lorsqu'on
veut qu'ils remplissent au maximum leur fonction toxigène.
ÉTUDE DES MILIEUX DE CULTURE
SL. Influence de l'acidité du milieu. — Dans leur premier
mémoire de 1888, MM. Roux et Yersin ‘ obtiennent de la toxine
diphtérique en cultivant le bacille diphtérique dans du bouillon
de veau peptonisé:; ils constatent que le bouillon de culture préa-
lablement alcalin devient acide dans les premiers jours de la
culture et redevient alcalin ensuite. Ils démontrent en outre que
la toxine se forme au moment où l'acidité diminue, et que son
activité augmente en même temps que l’alcalinité.
Ces faits ont été vérifiés par tous les expérimentateurs, qui se
sont toujours guidés sur la marche de l’alcalinité dans la prépa-
ration de la toxine diphtérique.
Celle-ci apparaît d’autant plus vite que le bouillon redevient
plus rapidement alcalin; c’est pour cela que MM. Roux et Yersin
ont essayé de diminuer la période d’acidité, en faisant passer un
courant d’air sur la culture.
Dans tous les travaux parus depuis lors, on a toujours cher-
ché à expliquer et à éviter la production d'acide.
1. Annales de l'Institut Pasteur, décembre 1888.
LL.
min dent dé
ue, LY
:
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 27
M. Spronck! a accuséla qualité des viandes employées ; tandis
que Park et Williams * ont insisté sur l’alcalinisation préalable
des bouillons.
Dans l’étude qui va suivre, je m’efforcerai de préciser et de
compléter les travaux de ces savants, en indiquant de nouvelles
causes qui favorisent la formation de la toxine et en signalant
les circonstances qui la contrarient.
S IF. Influence de l'aération des cultures. — Pour diminuer la
durée de la période d’acidité des cultures du bacille diphtérique,
MM. Roux et Yersin répartissaient le bouillon peptonisé dans
des ballons Fernbach qu'ils ensemençaient et plaçaient à l’étuve
pendant 24 heures.
Lorsque la culture était bien développée, ils mettaient les
tubulures des ballons en communication avec une trompe
aspirante, et de cette façon la culture se trouvait largement
aérée ; on obtenait ainsi facilement en 15 jours des toxines actives,
au dixième, au vingtième ou même au trentième de €. c€.,
pour un cobaye de # à 500 grammes ; tandis qu’il fallait un mois
et plus pour obtenir sans courant d’air, avec le même milieu et
le même microbe, des toxines aussi actives.
MM. Roux et Yersin indiquaient déjà, dans leur 3° mémoire ?,
que les changements dans les réactions sont plus rapides dans
les cullures aérées.
Pour préciser la question, j'ai fait plusieurs expériences qui
toutes démontrent que le courant d’air diminue la période d’aci-
dité, et par suite permet une production plus hâtive de la toxine
lorsque cette période d’acidité existe *,
Du reste, les travailleurs qui, après le Congrès de Budapest,
4. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.
2. The Journal of Experimental Medicine, 1896, p. 1.
3. Annales de l'Institut Pasteur, 1890.
4. Expériences : Prenons deux ballons de même forme, mettons dans chacun
la même quantité du même liquide, faisons passer un courant d’air dans l’un et
laissons l’autre sans courant d’air.
le ballon aéré est alcalin à la phtaléine.
le ballon non aéré n’est pas alcalin à la phtaléine.
Après 7 jours, les deux ballons sont alcalins à la phtaléine. Mais si nous dosons
l’alcalinité, nous voyons que, dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est neutralisé
par 32 c. c. d'acide oxalique normal; dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est
neutralisé par 25 c. c. d’acide oxalique normal.
Voici une autre expérience :
. Prenons un bouillon dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide;
si on ajoute de la glycérine, il y aura production d’acide.5
Après 3 jours
28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ont voulu produire de la toxine diphtérique avec du bouillon
peptonisé, ont en général adopté l’emploi du courant d’air qui
permettait d'obtenir des toxines plus rapidement et surtout plus
régulièrement, Toutefois, en Allemagne, bien des auteurs, avec
Aronson’, ont affirmé que sans courant d’air on pouvait obtenir
rapidement de la bonne toxine.
Cela tenait à ce que dans les milieux qu’ils employaient, le
bacille diphtérique ne donnait pas d'acide ou en donnait peu;
ces auteurs se servaient surtout de solutions peptonisées
d'extraits de viandes.
Il est facile de se convaincre que dans les solutions pepto-
nisées (avec certaines peptones du moins), le bacille diphtérique
pousse sans changer la réaction du milieu. Ce fait très important
n'a pas attiré l'attention autant qu'il le méritait.
MM. Roux et Yersin font passer de l’air sur leurs cultures
pour les rendre plus rapidement alcalines ; mais si nous avons
des milieux où le bacille diphtérique ne donne pas d’acide,
l'emploi du courant d'air sera-t-il encore utile ?
Faisons l'expérience : dansles bouillons qui restent constam-
ment alcalins, la toxine apparaît dès les premiers jours; mais,
même dans ce cas, les cultures aérées deviennent plus rapide-
ment toxiques.
Après 48 heures, on a, dans les cultures aérées, de la toxine
Dans deux ballons ajoutons 1 6/0 de glycérine.
ballon aéré, acidité 8.
ballon non aéré, acidité 29.
Dans deux ballons ajoutons 2 0/0 de glycérine.
( ballon aéré, acidité 12.
| ballon non aéré, acidité 37.
Dans deux ballons ajoutons 5 0/0 de glycérine.
ballon aéré, acidité 19.
ballon non aéré, acidité 45.
On voit que, dans tous les cas, la production d’acide est moindre dans les ballons
aérés que dans les ballons non aérés.
Les expériences de M. Louis Cobbett publiées dans les Annales de l'Institut
Pasteur, t. XI, p. 260 arrivent au même résultat.
Si on ajoute à un bouillon qui ne donne pas d’acide 0,15 0/0 de glucose, l’acide
le produit et l’alcalinité succède à l’acidité après 8 jours.
Dans les ballons aérés, l’alcalinité est de 15.
Dans les ballons non aérés, l’alcalinité est de 4.
Nous ne voyons pas pourquoi l’auteur conclut que l'influence du courant d’air
ne ressort pas clairement de cette expérience; pour la rendre plus probante, il
suffirait d'augmenter la dose de glucose et on aurait un bouillon acide dans les
ballons sans courant d'air.
1. AroNsoN, Wiener Med. Wochenschr. 1894. No 46-48.
Après 48 heures de culture
Après 48 heures de culture
Après 48 heures de culture
PRODUCTION DE LA TOXINE DiPHTÉRIQUE. 29
active au cinquantième, tandis que le liquide des cultures non
aérées tue seulement au dixième. Toutefois, après4 jours, les cul-
tures non aérées contiennent, elles aussi, des toxines actives
au cinquantième.
On voit par cette expérience que l’aération donne un gain de
quelques heures ; cette plus grande rapidité dans la production
des toxines ne compense pas les complications d’appareillage
qu'elle exige.
Mais on sait que la toxine diphtérique s’oxyde facilement ;
l’aération, qui, au début, en facilite la production, détruira en
partie la toxine formée si elle est prolongée; aussi, dès le cin-
quième jour, la toxine diminue dans les cultures aérées , tandis
que cette diminution ne devient réellement appréciable qu'après
le 8° ou le 10° jour dansles cultures non aérées.
La conclusion est donc que l’aération des cultures est utile
lorsqu'on se sert de milieux de cultures dans lesquels le bacille
diphtérique produit des acides ; mais on peut la supprimer lors-
qu'on emploie des milieux qui deviennent rapidement alcalins
ou mieux qui restent toujours alcalins.
C'est de l’obtention de ces milieux que nous allons nous
occuper maintenant.
S IT. Alcalinisation préalable des milieux. — C'est certaine-
ment avec le mémoire de Park et Williams! qu’un grand pro-
grès a été réalisé dans la production des toxines diphtériques.
Avant ces savants, on avait des toxines actives au 1/10 au 1/20
ou au 1/30 de centimètre cube; ils ont obtenu une toxine active
au 1/100 et même au 1/200.
Kossel ?, quelques mois après, fait paraître un travail sur la
production des toxines; ses résultats sont semblables à ceux des
auteurs précédents.
D’après Park et Williams, pour obtenir des toxines très
actives, 1l faut bien alcaliniser les bouillons de culture; voici
du reste leurs conclusions : «Les meilleurs résultatssont obtenus
avec du bouillon qui, après avoir été neutralisé, est additionné
d'environ 7 €. c. de soude normale par litre. »
Pour neutraliser le bouillon, on se sert, comme indicateur, de
1. The Journal of Experimental Medecin, vol. 1, pag. 1.
2. Kossez, Centralblatt für Bact., Abth. I 1896.
30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
la teinture de tournesol ; le mieux est de préparer un tube
témoin contenant de l’eau distillée et de la teinture detournesol
amenés à la teinte sensible; c’est à ce tube témoin qu'on compa-
rera Je tube de bouillon. ”
Si l'on se sert de papier de tournesol, il faut qu'il soit bien
sensibilisé; il est plus sûr de le préparer soi-même.
Quand le bouillon est neutre au tournesol, on doit ajouter,
par litre de bouillon peptonisé à 2 0/0, 7 c. ec. de soude normale.
Autrefois on disait que Île bouillon, pour donner une bonne
toxine, devait être alcalin au tournesol et acide à la phtaléine;
il est facile de se convaincre que l’alcalinité réclamée par Park
et Williams correspond à cette réaction; mais nous devons
savoir gré aux auteurs d’avoir précisé les conditions de lPalcali-
nisation.
Toutefois, si cette règle doit être absolument observée, on ne
peut pas dire, comme Park et Williams, que « l'abondance de
la culture et la production de la toxine dépendent plus de la
réaction du bouillon que de toute autre chose ». En ne tenant
compte que de l’alcalinité du milieu, on a dans les premiers
jours une production d'acide, comme en témoigne le tableau ci-
joint emprunté au mémoire de Park et Williams.
TABLEAU VII
MONTRANT LA RELATION ENTRE LA RÉACTION DU BOUILLON DE CULTURE
ET LA QUANTITÉ DE TOXINE
CULTURES
pÜ ne . ——_— RE rs
3 Oo 3 . : . . . ee . Che
BACILLE N° 8 | Réaction, | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité.
1 0/0 peptone ; lécer : mort en rt en
1° Pep à acide, = acide. Ê , | neutre. mo neutre. _
0 c. c. alcali. . | œdème. 4j. 1/2 40 heur.
1 0/0 peptone, £ lécer 4 mort en mort en *
é. (RER 3 acide. = acide. : alcaline. alcaline. ==
5 c. c. alcali. œdème. 24 heur. 23 heur.
‘
20/0 de peptone, : léger : mort en : mort en é
/ pep À acide. 5 acide. |. . acide. acide. ==
Oc.c. alcali. ædème. > jours. 10 heur.
2 0/0 de peptone, : mort en . mort en 4 mort en À
! PSP : acide. e acide. |, alcaline. alcaline. Cast
5 c. c. alcali. 3 jours. 10 heur. 40 heur.
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 31
Enfin, dans certains cas, on constate des irrégularités dans la
production de la toxine.
Voici des exemples empruntés au mémoire de Park et
Williams :
« Sur 14 lots examinés, dans tous, sauf dans trois, la produc-
tion des toxines est rapide.
« Dans un lot, la culture du bacille et la production de la
toxine ont été extrêmement intéressantes, étant tout à fait
semblable à la description classique donnée par MM. Roux et
Yersin.
« Durant le premier jour, les bacilles ont poussé vigoureu-
sement et une pellicule assez épaisse s’est formée.
« Après 24 heures, la réaction alcaline du début était changée
« en une légère acidité; la culture du bacille diminuant, la pelli-
« cule tombait partiellement au fond du vase de culture et ne se
« reformait pas immédiatement ; ces conditions se maintiennent
« jusqu’au 12° jour où l'acidité commençait à diminuer ; au
« 16° jour, la pellicule était reformée, le bouillon était trouble et
« alcalin.
« [l n’y avait pas de toxine au 12° jour, il y avait de la
« toxine forte au 18e.
« Dans deux autres échantillons, la culture restait acide et i!
« n’y eut pas de toxine formée ‘. »
Lorsqu'on étudie de plus près la production de la toxine
diphtérique, on voit que des bouillons parfaitement alcalinisés
se refusent parfois à donner de la toxine.
Pour éviter ces accidents, il faut supprimer la période
d'acidité. Voyons s’il existe un milieu dans lequel le bacille
diphtérique pousse sans donner d'acide à aucun moment et en
produisant de la toxine.
S IV. Préparation d'un milieu favorable à la production de la torine
diphtérique. — M. Spronck? a indiqué dans son mémoire que,
dans les bouillons d'extraits de viande, le bacille diphtérique ne
donne pas d'acide; malheureusement les extraits de viande ne
se ressemblent pas, et les peptones qu'on y ajoute contiennent
A
4. Je tiens à remercier Mie Williams de l’amabilité avec laquelle elle à bien
voulu me donner une culture de son microbe toxigène (n° 8); c’est ce bacille qui
est désigné dans le cours de ce travail sous le nom de microbe américain.
2. Annales de l'Institut Pasteur, 1895.
32 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR,
quelquefois des produits qui permettent la production d’acide.
Avec ces substances qu’il ne peut fabriquer lui-même, l’expé-
rimentateur n’est jamais sûr du résultat.
Voici un bouillon que tout le monde peut préparer, dans
lequel le bacille ne donne jamais d'acide et cependant pousse
assez abondamment.
Bouillon d'estomac de porc. — C’est une eau peptonisée qu’on
fabrique soi-même avec des estomacs de porcs; ces estomacs,
appelés panses dans le commerce, nous fournissent ce que nous
appellerons pour plus de simplicité le bouillon de panse.
Pour l'obtenir, nous prenons des estomacs de porcs et nous
broyons ou hachons ensemble les tuniques muqueuse et mus-
culaire. Pour éviter autant que possible les variations qui
pourraient survenir par suite de la quantité variable de pepsine
de chaque estomac, nous prenons ordinairement cinq panses,
pour une opération.
Placons ce hachis dans l’eau acidulée à 50°, dans les pro-
portions suivantes :
Hachstd estomac delporc rem Ce ne 200 grammes.
Acide CHOTAYATITUEMDUT: RACE EE 10 —
au A UbD00 ET ER RCE ERA RARE 1000 —
L'eau doit être maintenue à 50°, car à cette température la
pepsine de la muqueuse stomacale digère plus activement les
tissus et les transforme en peptone ‘.
Après 12 heures, l'opération est généralement terminée; on
peul sans inconvénient attendre 24 heures : dans ce milieu très
acide, il ne se développe pas de microbes. Lorsque la digestion
est achevée, on chauffe le bouillon d'estomac de pore à 100,
on détruit ainsi la pepsine en excès; puis on le passe au tamis,
ou mieux on le filtre sur une couche de coton hydrophile peu
épaisse et peu serrée, on chauffe le liquide filtré et on l'alcalinise
au moment où le liquide atteint environ 80°.
Dans le liquide, de gros flocons se forment qui le clarifient.
Après l’alcalinisation, il est utile de filtrer le bouillon sur
4. On peut sans inconvénient, pour améliorer le milieu et l’adapter à certains
microbes, mettre à digérer des organes, par exemple du poumon, des intestins,
du placenta ou des muscles; il y a suffisamment de pepsine pour digérer les
fibres de l'estomac et les autres matières albuminoïdes.
ET it dé mms tuant TMS 9
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39
papier; 1] faut ensuite chauffer à 120°, filtrer sur papier, réparür
dans les vases de culture qu’on stérilise en chauffant 1/4 d'heure
à 4150 !.
Le liquide obtenu par cette auto-digestion de l'estomac est
une véritable solution de peptone, dans laquelle le bacille diphté-
rique se développe bien sans fournir d'acide; la peptone ainsi
préparée donne des résultats plus constants que les peptones
commerciales dont la composition est si variable *.
Avec ce milieu, on obtient de la toxine dont 1/100 de centi-
mèlre cube tue un cobaye de 500 grammes; toutefois, si on lui
ajoute de la macération de viande, la toxine est plus active
encore.
L'addition de 2 grammes d’acide acétique par litre avant
l'alcalinisation rend le milieu plus favorable à la production de
la toxine. Le mélange de bouillon de panse et de macération de
viande est encore préférable.
Il est à désirer que l’on arrive à supprimer tout à fail l'em-
ploi de la viande, dont les inconvénients sont nombreux, comme
nous allons le voir.
Macération de viande. — Tous les expérimentateurs sont d’ac-
cord pour rejeter la viande de cheval qui ne donne pas des résul-
tals aussi réguliers que la viande de bœuf ou de veau. Je me
suis servi surtout de viande de veau. Mais faut-il employer des
viandes très fraîches cu très anciennes ?
C’est M. Spronck qui le premier a eu le mérite d’attirer
l'attention sur ce fait que les bouillons obtenus étaient très
différents suivant l’état de la viande employée. D'après
1. Quelquefois le bouillon de panse est louche; si on chauffe à 1200 cela n’a
pas d’unportance, car le bouillon se clarifie à l’autoclave. Si on veut seulement
chauffer à 100, il faut avoir soin de bien écumer le bouillon comme on écume
un pot-au-feu, puis on le laisse refroidir et on enlève la graisse solide qui sur-
nage. Si, malgré ces précautions, le liquide était louche, on le clarifierait sûrement
en ajoutant, avant de l’alcaliniser, un fragment de chlorure de calcium et immé-
diatement après un morceau de phosphate de soude.
Une pratique meilleure est de chauffer la macération d’estomac de porc tous
les deux jours à 100; après trois ou quatre chauffages, le liquide se clarifie très
facilement.
2. Dans le milieu ainsi préparé, plusieurs microbes se développent bien.
M. Salimbeni s’est assuré que le vibrion cholérique y pousse abondammerit
et y donne la réaction du roth-choléra.
J'ai constaté que le bactérium coli y donne aussi la réaction de l'indol.
Ce milieu peut se préparer d'avance, il est peu coûteux; son usage rendra des
services dans les laboratoires.
D)
34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
M. Spronck ‘, « si la viande est toute fraîche, le bacille diphté-
rique transforme rapidement le milieu alcalin en milieu acide,
ce milieu devient de plus en plus acide et reste acide.
« Si la viande a séjourné quelques jours chez le boucher, elle
contient moins de glucose ; la culture du bacille dans ce milieu
est d’abord acide, mais devient ensuite alcaline comme dans les
expériences de MM. Roux et Yersin.
« Enfin si le boucher fournit une viande ancienne dégageant
une légère odeur, on obtient avec cette viande un milieu très
favorable pour la production d’une toxine aclive, car dans ce
milieu la culture ne devient jamais acide. »
Toutes ces expériences de M. Spronck sont faciles à répéter,
cependant je ne voudrais pas affirmer que les viandes très frai-
ches soient moins favorables à la production des toxines que les
viandes de deux ou trois jours. En effet, M. M. Nicolle ? conseille
d'employer de la viande d’un animal qui vient d’être abattu, pour
obtenir de la bonne toxine.
Comme M. Nicolle, j'ai pu obtenir de la toxine active avec
des viandes très fraîches ; mais à Paris on éprouve de grandes
difficultés pour obtenir de la viande du jour.
Ainsi que l’a dit M. Spronck, avec la viande putréfiée, on a
des cultures qui restent constamment alcalines et poussent bien.
Mais à quel moment faut-il arrêter la putréfaction ? Dans quelles
conditions doit-elle s’opérer? M. Spronck n’a pas donné de
règles fixes, il a simplement indiqué que cette putréfaction
devait détruire les sucres de la viande.
Pour arriver rapidement au même résultat, M. Roux nous a
conseillé d'employer une viande fermentée ; pour cela, il nous
faisait ajouter à la macératicn de viande de la levure et le tout
était porté à l’étuve à 35°; il est facile, toutefois, de se convaincre
qu'il est inutile d'ajouter de la levüre et qu'il suffit de placer la
macération de viande 20 heures à l’étuve à 35°; on obtient avec
cette macéralion un bouillon qui ne donne pas d’acide lorsqu'on
l'ensemence avec du bacille diphtérique.
Ce procédé n’est qu’une modification de celui de Spronck,
mais il est plus simple et plus rapide.
Après de nombreux essais comparatifs, la macération de
1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895.
9. Annales de l’Institut Pasteur, 1896.
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 30
viande faite à la température de 35° s’est toujours montrée supé-
rieure aux autres milieux ; depuis que nous employons ce
procédé, jamäis nous n'avons eu d’acidité dans les cultures.
Toujours le développement du bacille a été abondant et la pro-
duction de la toxine rapide et régulière.
Voici la technique que nous conseillons de suivre : hacher
de la viande de veau, mettre 500 grammes de ce hachis par litre
d’eau et placer le tout à l’étuve à 35° pendant 20 heures ; expri-
mer la viande et, au liquide recueilli, ajouter 5 grammes de sel
marin par litre, peptoniser, alcaliniser et stériliser.
Nous avons déjà dit quel était le meilleur moyen pour alcali-
niser le bouillon, voyons quelle peptone il faut ajouter.
Peptonisation. — Je n’apprendrai rien à personne en disant
que les peptones sortant d’une même fabrique ont rarement la
même composition; j'ai utilisé les échantillons les plus variés.
De tous ces essais, je pourrais conclure qu'il y a des peptones
commerciales qui donnent le plus souvent de fortes Loxines;
mais de temps en temps, même pour les marques les meilleures,
on trouve des échantillons qui ne fournissent plus d'aussi bons
résultats : aussi vaut-il mieux préparer soi-même la solution de
peptone.
Voici comment je procède :
Je prends 1 litre de macération de viande de veau fermentée
à 35° et j'ajoute 5 grammes de sel marin.
A cette macération de viande, je mélange 1 litre de la solution
de peptone déjà alcalinisée, filtrée et préparée commeil a été dit
plus haut avec les estomacs de pores.
Quand on a mélangé par parties égales la macération de
viande à 35° et le bouillon de panse de porc, on chauffe le mélange
à 70° jusqu’à coagulation des matières albuminoïdes, on filtre
sur papier, on alcalinise et on stérilise.
Stérilisation. — Dans tous nos essais, nous avons vu qu'on
obtient un très bon milieu en chauffant ce mélange à 70°, en
l’alcalinisant comme l'indiquent Park et Williams, et en le stéri-
lisant par filtration sur bougie Chamberland.
Jusqu'ici c'est le milieu qui nous a paru le plus satisfaisant.
Cest avec ce milieu que nous avons obtenu des toxines
tuant au 1/500, soit à 0 c. c. 002, les cobayes de 500 grammes.
C’est dans ce milieu que nous ensemençons les microbes
36 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. -
qui donnent une cullure peu abondante ou qui poussent en pro-
fondeur, pour qu'ils s’habituent à pousser en surface. Ils
s'adaptent très vite à ce milieu, s'y régénèrent et font une toxine
active.
Je pourrais citer de nombreuses expériences! qui démontrent
que les milieux chauffés à 120° sont moins bons pour produire
la toxine diphtérique que les milieux chaulfés à 70° et filtrés.
Quand on ne peut pas employer ce procédé, on se trouvera
bien de stériliser les milieux en les chauffant trois fois à 1000.
Disons toutefois que le milieu fabriqué comme nous l'avons
indiqué donne encore de très bons résultats, même lorsqu'il est
chaultfé à 1200.
Les cultures s’y font en voile. Un milieu dans lequel le
bacille diphtérique ne pousse pas facilement en voile, dès le
début, ne convient pas pour la préparation rapide de la toxine.
ÉTUDE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE
SI. Caractères des cultures. — Lorsqu'on ensemence le milieu,
préparé comme nous venons de l'indiquer, avec du bacille diph-
térique, la culture est abondante dès les premières 24 henres et
un voile se forme à la surface. Au commencement du second
jour, le voile est en général continu et assez épais.
Si les bacilles employés ne sont pas encore bien habitués à
vivre en dehors de l’organisme, le voile n’apparait quelquefois
qu'après 36 heures.
Ju microbe qui ne forme pas de voile doit être rejeté.
Quand une culture marche bien, le voile tombe le 3° jour par
lambeaux qui gagnent le fond du vase. En général un nouveau
voile remplace progressivement le premier et s'immerge à son ,
tour. Au 6€ jour, le voile ne se reforme plus.
4. Expérience :
Milieu chauffé à 70, filtré. Milieu chauffé à 1200.
Après 1/10 meurt en 36 heures ( 1/10 /
48 heures 1,50 meurt en 3 jours | 1/50 Ÿ ne meurent pas.
d’étuve, 1/100 meurt en 6 jours | 17100
Aypre ( 1/50 meurt en 4 jours 1/50 meurt en 3 jours.
4 jours 1/100 meurt en 3 jours 1/100 meurt en 3 jours.
d’étuve. l 1/200 meurt en 1à jours | 41/200 ne meurt pas.
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 97
Si nous étudions ja réaction du milieu, nous voyons que
jamais il ne devient acide au tournesol et qu'il est alcalin à la
phtaléine le 2° ou le 3° jour de la culture, au plus tard le 4° jour.
Enfin la production de la toxine est très rapide; on a facile-
ment une toxine active au 1/10 après 30 heures et au 1/50 de
centimètre cube après 48 heures de culture.
Le maximum de toxicité de la culture est atteint du 5° au
1° jour, elle tue alors un cobaye de 500 grammes à la dose de
1/200 de c. c., soit 0 c. c. 005.
Après ce temps, la toxine n’augmente plus dans la culture;
le 10° jour, elle diminue.
Tels sont les résultats obtenus avec le milieu dont nous
avons décrit la préparation, et avec des races de bacilles très
aptes à produire de la toxine.
S IL. Bacilles toxigènes. — Avant le mémoire de Park et de Wil-
liams, on regardait comme un résultat satisfaisant l’obtention
régulière d'une toxine active au 1/20 ou au 1/30 de centimètre
cube. Après que ces auteurs eurent préparé un poison diphté-
rique mortel au 1/200 de centimètre cube, on ne pouvait se
contenter des toxines anciennes,
M'e Williams avait bien voulu me remettre le bacille qui
avait servi à ses expériences et, en me conformant aux indica-
tions des savants américains, je préparai facilement un poison
aussi actif que le leur.
Pendant longtemps, le bacille américain fut le seulà me don-
ner ce résultat: tous les bacilles isolés par moi, culiivés dans des
bouillons préparés comme l'indique nt Park et Williams, don-
naient une toxine beaucoup plus faible.
J'en vins à penser que le bacille de Park et Williams appar-
tenait à une race plus toxigène que nos bacilles ordinaires; cette
idée paraissait d'autant mieux fondée que Park et Williams
eux-mêmes, sur plus de trente échantillons examinés, n'avaient
trouvé aucun autre bacille aussi bon producteur de toxine.
Toutefois, le bacille américain ne donne pas toujours un
poison aussi fort: cultivé dans du bouillon préparé et alcalinisé
comme le veulent Park et Williams, il le rend acide au tournesol
pendant les deux ou trois premiers jours, puis il devient alcalin
à ia phtaléine vers le quatrième jour environ ; c’est à ce moment
que la toxine se forme en abondance. Cependant, il arrive que
38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
certaines cultures se maintiennent acides beaucoup plus long-
temps, et alors la production de la toxine est tardive et moins
considérable.
Le microbe qui vient de ces cultures paraît modifié et, ense-
mencé de nouveau, il produit moins de poison.
Lorsque je me suis servi de bouillon de viande macérée à
39°, additionnée de peptone d'estomac de porc, qui à aucun
moment ne devient acide, ces irrégularités ont disparu.
Il est donc évident que la courte période d'acidité du début
de la culture est nuisible, et qu'elle peut modifier un microbe
aussi bien adapté à la production de la toxine que le bacille amé-
riCain.
À plus forte raison devait-elle agir sur les bacilles que j'iso-
lais des cas de diphtérie à Paris, et qui sont de moins bons
producteurs de toxine.
J'ai donc repris les essais avec le milieu, macération de viande
à 95° et bouillon de panse.
Sur vingt bacilles provenant de la gorge de vingt enfants
diphtériques pris sans choix, (reize me donnèrent des toxines
tuant le cobaye de 500 grammes à moins de 1/100 de centimètre
cube.
Les cultures étaient en tout semblables à celles du bacille
américain.
Pour bien m'assurer que le passage dans un bouillon où le
bacille donne de l’acide modifie rapidement le pouvoir toxigène,
j'ai ensemencé un bacille diphtérique dans du bouillon ordinaire ;
la toxine obtenue était active au 1/10, tandis que le même
bacille, poussé dans le mélange de macération et panse, fournis-
sait en cinq jours une toxine active au 1/50.
La différence s’accentuait encore si on répétait plusieurs fois
de suite les cultures dans ces mêmes milieux.
Ce fait explique bien des échecs, et montre que la fonction
toxigène d’un microbe est fragile.
La production de la toxine ne se faisant pas, ou se faisant
mal, lorsque les milieux deviennent acides, déterminons, si cela
est possible, quels corps favorisent l'acidité des milieux ; cette
étude nous permettra peut-être d'aborder l'influence de ces diffé-
rents produits sur la fonction loxigène.
S LIL. Causes qui favorisent la production d’acidité. — Plusieurs
a AL Le
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39
fois dans son mémoire, M. Spronck attribue l’acidité des cul-
tures diphtériques à la transformation des sucres contenus dans
la viande. MM. Flügge ‘, Roux et Yersin ont indiqué que le
bacille diphtérique donne une acidité plus prononcée dans les
milieux glycérinés que dans les milieux ordinaires.
La viande de cheval, a-t-on dit ?, est moins favorable à la
production de la toxine, parce qu’elle renferme une plus grande
quantité de glycogène.
Le milieu de panse, préparé comme nous l’avons indiqué et
dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide, nous
permettra de distinguer les substances que le bacille diphtérique
transforme en acide.
Avec le docteur Louis Momont, nous avons ajouté divers
sucres au bouillon, à la dose de 5 grammes pour 1,000, et nous
avons noté ceux qui donnaient lieu à la production d’acide; ce
sont :
La glucose, la lévulose, la saccharose, la glycérine, la galac-
tose.
Au contraire, le glycogène, l’amidon, la lactose, la maltose,
la raffinose, l’arabinose, l’érythrite, la dulcite et la mannite ne
provoquent pas l’apparition de l'acidité.
Quand on fait des expériences comparatives, on voit que les
milieux additionnés de lévulose et de glucose sont ceux qui de-
viennent le plus rapidement acides; les milieux à la glycérine et
à la saccharose viennent ensuite, et enfin ceux à la galactose.
Dans le bouillon ordinaire, il y a beaucoup moins de glucose
que dans le milieu panse-glucose, et cependant l'acidité s’y
montre plus rapidement.
L'expérience nous a montré que le glycogène ne modifie pas
la réaction du milieu, ce n’est donc pas le glycogène de la
viande en tant que glycogène qui produit l'acidité.
La viande de cheval n’est donc pas un mauvais milieu parce
qu'elle contient du glycogène, mais sans doute parce que celui-ci,
au cours de l’expérience,se transforme en un corps capable de
donner de l’acide, probablement en glucose.
La raison pour laquelle M. Nicolle obtient de bonne toxine
4, Cité par MM. Roux et Yersin, Annales de l'Institut Pasteur, 1890, 3° mémoire.
2. Smirxow, Berliner klinische Woch, 1895, n° 30. — Nresez, Zeëtschr. für
Fleisch und Milch. Hygiene, 1892.
10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avec de la viande fraîche est que celle-ci renferme du glycogène
non encore devenx glucose.
S IV. Modifications des fonctions toxigènes. Alténuation. — 1
nous est facile maintenant d’étudier l'influence de l'acidité du
milieu sur la fonction toxigène du bacille diphtérique.
Faisons une culture dans du bouillon de panse-lévulose de
aotre bacille le plus toxigène, le bacille américain; et après
48 heures, quand le milieu est franchement acide, ensemençons
un peu de cette première culture dans un second tube contenant
aussi de la panse-lévulose. Au bout de cinq passages, le bacille
reporté dans le milieu le plus favorable à son développement
pousse mal et ne donne un voile qu'après la 48° heure, il produit
encore de la toxine, mais plus tardivement que la culture
témoin.
Si on maintient le bacille américain 20 jours dans le milieu
panse-lévulose et qu'après on le transporte dans un milieu très
favorable à son développement, sa culture est encore complète-
ment modifiée; la culture est mauvaise, avec un voile grêle se
formant vers la fin du 3° jour.
Après 48 heures, un dixième de centimètre cube est inoffensif
pour le cobaye; au même moment une culture témoin donne déjà
une toxine active au 1/50.
Au 5° jour, la culture filtrée tue difficilement au 1/50
de centimètre cube, tandis que les cultures témoins sont actives
au 1/200.
Cette expérience prouve qu’on peut diminuer la propriété
ioxigène du bacille américain, mais il faut laisser séjourner
longtemps ce bacille dans les milieux défavorables; ce bacille est
depuis plus d’un an dans les laboratoires ; ila été sélectionné en
vue d’une production rapide de toxine, et il ne perd que difficile-
ment son pouvoir toxigène.
La diminution du pouvoir toxigène est beaucoup plus mar-
quée lorsqu'on opère sur des microbes venant de la bouche des
enfants.
Lorsqu'on prend de la semence dans une même colonie
poussée sur sérum, provenant directement de la bouche des
enfants, et qu'on la porte dans le milieu panse-lévulose et paral-
lèlement dans le mélange bouillon et panse, on voit qu'après
un séjour de # jours à l’étuve, soit après deux passages dans ces
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 41
milieux, le bacille qui a vécu dans le milieu qui reste alcalin
donne une toxine active au 1/50,tandis que celui qui a passé dans
le milieu qui devient acide fournit une toxine qui ne tue pas tou-
jours au 1/10 de centimètre cube. Cependant les deux échan-
tillons de bacilles font périr dans le même temps des cobayes
auxquels on l’inocule à la même dose.
Lorsqu'on possède un bacille diphtérique très toxigène, il ne
faut donc pas le conserver dans les bouillons où il produit de
l'acide, et le milieu qui nous a paru le meilleur pour conserver
au microbe ses fonctions loxigènes est encore celui que nous
avons indiqué comme milieu de choix pour la production de la
toxine.
C’est donc dans le mélange de macération de viande et de
bouillon de panse chauffé à 70° et filtré sur bougie Chamberland
que nous conservons nos bacilles toxigènes.
Les cultures doivent être placées à l’étuve entre 33° et 35°.
Après 8 jours de culture, les semences sont retirées de
l'étuve et conservées à l’abri de la lumière.
Si, par accident, un bacille s’atténue, il suffit de reprendre
une de ces vieilles cultures, de la rajeunir par deux ensemence-
ments successifs, et on a ainsi une nouvelle souche de bacille
toxigène ; comme l’a très bien indiqué M. Behring', ces vieilles
culturesrajeunies fournissent parfois des microbes trèstoxigènes.
Augmentation du pouvoir toxigène. — Nous venons de voir
qu'un microbe peut perdre en partie ses fonclions toxigènes: ne
peut-on pas remonter le pouvoir toxigène comme on a pu
remonter la virulence?
Examinons rapidement les moyens de remonter la virulence
du bacille diphtérique.
MM. Roux et Yersin * ont signalé l'association du bacille
diphtérique avec le streptocoque.
M. Bardach * a surtout étudié les passages chez le chien.
M. Trumpp ‘ a injecté, en mème temps que le microbe non
virulent, de la toxine diphtérique, et le bacille retiré du point
d’inoculaiion luait le cobaye.
. Deutsche med. Woch., 1893.
. Annales de l'Institut Pasteur, 189,0.
. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 40,
. Cent. f. Bact. XX, page 721.
Re O2 NO
42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
J'ai surtout étudié le passage en sac de collodion dans le
ventre des lapins, d’après la méthode indiquée dans le mémoire
de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni sur le choléra: dès les
premiers passages, un bacille qui ne tuait pas le lapin, mais
tuait le cobaye, a été rendu virulent pour le lapin.
Ce passage en sac de collodion dans le ventre du lapin est
aussi le procédé qui m'a fourni les meilleurs: résultats pour
l'augmentation du pouvoir loxigène.
Avec le bacille tuant beat le cobaye en 24 heures
et donnant seulement une toxine active au 1/10, j'ai pu obtenir
après 6 passages en sac placés dans LE ventre du lapin une
toxine active au 1/50.
De même avec le bacille américain qui donnait, au moment
où j'ai fait les passages, une loxine active au 1/100, j'ai obtenu
une toxine active au 1/500.
Dans tous ces passages en sac dans le ventre du lapin, la
virulence pour le cobaye n’a pas changé.
Le bacille 261 tue depuis 5 ans le cobaye en 24 heures, lors-
qu’on injecte un centimètre cube d’une culture en bouillon âgée
de 24 heures et, cependant, pendant ce temps, son pouvoir toxi-
gène a considérablement varié.
Le bacille américain n° 8 de Park et Williams, dans les mêmes
conditions, tue le cobaye entre 30 et 36 heures, et cependant il a
donné des toxines actives au 1/500 sans augmenter de viru-
lence.
$ V. Bacilles non virulents, mais toxigènes. — En possession
d’un bon milieu de culture permettant au microbe de sécréter
facilement sa toxine, et de plus connaissant comment on doit cul-
tiver un microbe pour lui conserver ses fonctions toxigènes, il
importait de reprendre une expérience tentée autrefois avec de
mauvais milieux.
J'avais cherché au mois de décembre 1895 si un microbe non
virulent * pour le cobaye donnait de la toxine, j'avais sans résul-
tat injecté de 1 à 5 c. c. de culture filtrée.
Et cependant le bacille 261, qui pendantlongtemps a été pour
nous le microbe le plus toxigène, ne tue pasle lapin lorsqu'on in-
. Annales de l'Institut Pasteur, 1896.
: Pour apprécier la virulence d'un bacille, j'injecte à l’animal 1 c. c. d’une
culture de 24 heures.
RO et nd Sn à à tés É
is cmt dé
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 43
jecte 1 c. c. d’uneculture de 24 heures, mais il sécrète une toxine
qui à la dose de 1 c. ce. tue rapidement le lapin.
Il est bien probable que, parmi les bacilles qui ne tuent pas le
cobaye, il en existe cependant qui sécrètent une toxine capable de
tuer cet animal.
Pour faire cette expérience, j'ai pris 7 microbes provenant de
la gorge d’enfants malades, qui ne tuent pas le cobaye lorsqu'on
injecte sous la peau 1 c. c. d’une culture de 24 heures.
J'ai aussi essayé le bacille 261 court qui est un bacille atténué
dérivant du n° 261, bacille très virulent et toxigène. Ge bacille
s'est spontanément atténué et en même temps est devenu très
court.
Ces 8 échantillons injectés sous la peau d’un cobaye ne le
tuent pas.
Un seul, le n° 1, donne del’ædème et unelégèreescarre au point
d'inoculation ; lesautres nedonnentaucunelésionlocale. Etcepen-
dant tous ces microbes produisent de la toxine comme on peut
le voir d’après le tableau suivant :
CULTURE. TOXINE.
NS ne œdème-lég. escarre. 4 ©, c. tue en 30 heures.
Le C — 40 heures.
10
Ne he. Rien. Forces 5 jours.
OS SELS RE Re Rien. ARCICANE— 5 jours.
NOR pe due 1e Rien. INC EN IUPIOUrS:
1 PET ASE ST RENE Rien. À ce. — 94 jours.
N° 6. (261 court)... Rien. AC CIS Jours:
Nr ODA Rien. 1 ©. ©. — 22 jours.
NOR SE (AS ons ras Rien. DC n — 6 jours.
Comme en témoigne le tableau ci dessus *, tous les microbes
essayés ont donné de la toxine.
1. Ce bacille retiré de Gustave Aubry n’est pas virulent, ne donne pas d’acide
dans le bouillon ordinaire et il est court ; ce garçon est entré à l'hôpital un jour
après sa sœur, Germaine Aubry, qui avaitun bacille morphologiquementsemblable ;
mais il était virulent, il produisait une toxine active à 1/50 et donnait de l'acide
dans le bouillon ordinaire.
2. Avec ces mêmes microbes, j'ai fait l'expérience que M. Spronck, dans la
Semaine médicale du 29 septembre 1897, regarde comme décisive pour séparer les
bacilles diphtériques des pseudo-diphtériques.
Le T octobre 1897, à 4 heures du soir, j'ai injecté sous la peau de huit cobayes
is
LS
ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.
Le n° 1 sécrète beaucoup de poison puisque sa loxine tue
en 40 heures à la dose de 1/10 de c. c.
Le n°5 est de beaucoup le moins toxigène, puisqu'il a fallu
24 jours pour tuer un cobaye.
Il est probable qu’on trouvera des microbes moins toxigènes
encore.
Les lésions des cobayes morts rapidement étaient bien celles
de la diphtérie, et je me suis assuré que le sérum antidiphtérique
neulralise ces toxines et empêche les cobayes de mourir.
Cette expérience est pleine d'enseignements. Nombre d’au-
teurs désignent, sous le nom de pseudo-diphtériques,des bacilles
morphologiquement semblables au bacille diphtérique, et qui
n’en dillèrent que par leur manque de virulence pour le cobaye;
au lieu d'admettre avec MM. Roux et Yersin que ces bacilles
sont des races atténuées du bacille diphtérique vrai, ils soutien-
nent qu'ils n’ont rien de commun avec lui.
Sur les huit échantillons de bacilles qui ont servi aux expé-
riences précédentes, sept sont tout à fait inoffensifs pour le co-
baye, ils rentreraient donc dans la catégorie des bacilles pseudo-
diphtériques, et cependant tous donnent de la toxine capable de
tuer les animaux, et de plus le sérum antidiphtérique se montre
le coutre-poison de celte Loxine.
Ces faits suflisent à établir combien est artificielle la dis-
1/2c. c. de sérum préventif au 4/150,000 et antitoxique à 200 unités par centimètre
cube.
Le 8 octobre, à 4 heures du soir, j'ai injecté, sous la peau, 2 c. ec. d’une cul-
ture de 24 ‘heures (j'ai pris 2 ce. c. comme l'indique M. Spronck).
Le 9 octobre
3 heures du matin! 2h. | 6 h. 10 octobre.
LAS EM Eee OEdème ædème|ædème OEdème qui persiste
RSR ES E RES Très léger œdème| Disparait | Rien Rien
DM ee net ‘OElème Lèger | Léger Léger œdème
LR ete Rien Rien | Rien Rien
LR RU AS EPA Très téger œdème| Léger | Léger Rien
6. (261 court)....| Léger œdème | Leger | Léger | Léger œdème, devient dur
HR Ne Mars es .| Léger œdème Léger | Léger Léger œdème
CRETE Léger æœdème Léger | Léger Rien
Pour M. Spronck, un seul bacille serait diphtérique, le n° 4. De beaucoup
e moins diphtérique serait le n° 1, qui cependant donne une toxine active à
1/10 influencée par le sérum.
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 45
tinction absolue que l’on veut trouver entre les bacilles diphté-
riques vrais et les bacilles pseudo-diphtériques.
On a souvent observé que des diphtéries d’allures bénignes
se terminaient par une syncope mortelle : la bactériologie nous
fournit l'explication de ces faits en nous montrant que des mi-
crobes peu virulents peuvent sécréter de la toxine; la sécrétion
sera lente, l’empoisonnement sera moins rapide, mais ses consé-
quences n’en seront pas moins fatales.
Il fauc donc, dans l'intérêt du malade et pour se conformer.
aux faits, cesser d'altacher une grande importance à ces distinc-
tions subtiles de bacilles diphtérique et pseudo-diphtérique, et
regarder comme atteints de diphtérie tous les malades dont
l’exsudat ensemencé fournit sur sérum, en 24 heures, de nom-
breuses colonies de bacilles ayant l’aspect et les réactions colo-
rantes de celui la diphtérie.
En agissant ainsi, le médecin s’évitera de pénibles surprises.
$ VI. Conséquences pour la production du sérum antidiphtérique.
— Quaud on a pu obtenir des toxines très actives, on a pensé
qu'avec ces toxines les propriétés préventives et antiloxiques du
sérum allaient immédiatement augmenter.
Nous allons voir que l’augmentation s’est faite, mais lentement
et progressivement.
Les sérums, au moment où j'ai employé la nouvelle toxine,
étaient, pour l’ensemble des chevaux, préventifs au 1/50000 et
avaient 100 unités antitoxiques.
Sous l’iufluence dela nouvelle toxine, ils sont devenus rapi-
dement préventifs au 1/100000, puis antitoxiques à 150 unités et
enfin à 200 unités par centimètre cube.
Dans un lot de 20 chevaux, on en trouvait d'abord un ou deux
qui se maintenaient à 200 unités; après une nouvelle injection
de toxine, sur 20 chevaux, la moitié donnait un sérum possé-
dant les 200 unités, et finalement huit mois après l’emploi de la
nouvelle toxine, la grande majorité des chevaux possèdent les
200 unités anlitoxiques.
Si on remarque que les nouvelles toxines sont environ dix
fois plus actives que les toxines anciennes, on voit que les sérums
ne se sont pas améliorés dans la même proportion.
Des toxines dix fois plus actives ont permis d'obtenir des
sérums seulement deux fois plus actifs.
46 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
On trouve cependant, dans un lot de chevaux, certains ani-
maux qui, parfois, donnent des sérums préventifs au 1/150000
et antitoxiques à 300 unités. ;
Il faut espérer que, dans la suite, les sérums gagneront et pro-
fiteront plus encore de la grande activité des toxines.
Ces résultats rendront plus facile et plus sûre l'application
de la sérothérapie, et permettront d'abaisser encore la mortalité
de la diphtérie.
de Mb
sect ot ne à te ne
PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 4
1
APPAREIL A FILTRATION POUR FAIRE LES ESSAIS DES TOXINES
En étudiant la toxine diphtérique, j'ai dû souvent faire dans un court espace
de temps un très grand nombre de filtrations. Il m'était difficile d'employer les
appareils en usage dans les laboratoires et j'ai cherché un dispositif plus simple
permettant de filtrer très vite de petites quantités de diverses cultures.
nn —
VROUSSEL.
ar 16
Ce réservoir est formé
Voici la description de l'appareil qui m'a servi :
comme l'indique la figure ci-jointe, il se compose
essentiellement d’un tube à essai enveloppant une bou-
gie Chamberland ; tube et bougie sont placés dans une
chambre à vide, tandis que l'intérieur de la bougie
est en communication avec le liquide à filtrer.
La partie filtrante de l’appareil est constituée par
une bougie Chamberland sans embase dite bougie de
laboratoire; cette bougie est vernissée à l’intérieur et
à l'extérieur sur une longueur de 5 centimètres à partir
de son orifice. Autour de la partie vernissée, on enroule
du coton ordinaire et on adapte la bougie à l'extrémité
d'un tube à essai de façon qu’elle pénètre à frottement
dur.
On peut adapter un certain nombre de bougies à
des tubes à essai de capacité variable suivant les be-
soins ; On à ainsi un appareil commode, peu coûteux,
facile à stériliser et à conserver stérile,
Il faut avoir soin de ne pas stériliser l’appareil à
l’autoclave, car pendant la stérilisation l’eau se con-
denserait dans les tubes et le liquide après filtration se
diluerait dans cette eau condensée; pour éviter cet
inconvénient, il faut stériliser le petit appareil dans
le four à flamber.
On doit au préalable boucher avec du coton l’ori-
fice de la bougie Chamberland; avec cette précau-
tion, l’intérieur de la bougie et tout l'appareil pour-
ront rester stériles aussi longtemps que les tubes
flambés.
Quand on a stérilisé un certain nombre de bougies
réunies à leurs tubes, il est facile de faire autant
‘d’essais qu’on a de tubes et cela très rapidement,
Lorsqu'on veut filtrer, on prend un de ces appa-
reils stérilisé d’avance, on enlève le coton qui ferme
l’or fice de la bougie et on met l’intérieur en communi-
cation avec un réservoir qui contient le liquide à fil-
trer.
par une boule de verre ouverte à l'un de ses pôles et
soudée par le pôle opposé à un tube de verre qui s’engage dans l’orifice de la
bougie ; un bouchon de caoutchouc perforé sert à fixer le tube du réservoir à
cet orifice.
Il faut avoir bien soin de faire pénétrer de force le bouchon de caoutchouc
dans l’intérieur de la bougie pour que celle-ci soit bien fixée au réservoir. Le
réservoir peut servir à plusieurs filtrations, il suffit de prendre la précaution de
le passer à l’eau bouillante à chaque changement de bougie. ,
Lorsqu'on a réuni la bougie à son réservoir, on place tout l'appareil dans un
tube de verre ; ce tube-manchon est fermé à l’une de ses extrémités, ouvert à
Pautre ; mais cette ouverture doit être obturée par un bouchon de caoutchouc
48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
perforé en son centre,(ce trou livre passage au tube du réservoir qui va s'enga-
ser dans la bougie. Ce gros bouchon B doit se placer entre la boule de verre du
réservoir et le petit bouchon à qui fixe le tube du réservoir à l’orifice de la
bougie.
Le manchon porte en outre une tubulure latérale par où on peut faire le vide
dans son intérieur et par conséquent dans l’intérieur du tube à essai, la commn-
nication s’établissant au travers du coton qui fixe la bougie au tube à essai.
Il est prudent de garnir avec du coton le culot du tube-manchon; car il peut
arriver que le tube à essai quitte sa bougie ou que la bougie quitte le réservoir ;
cet accident ne se produit pas si la bougie entre à frottement dur dans le tube à
essai ou si le petit bouchon est bien fixé à l’orifice du tube, mais avec la précau-
tion que nous indiquons, alors même qu'il se produirait, cet accident resterait
sans importance.
Quand la filtration est terminée, on enlève la bougie de l’intérieur du tube à
essai, elle est aussitôt remplacée par ie tampon de coton d’un gros tube flambé ;
grâce à cette précaution, on peut conserver le liquide filtré sans le transvaser.
La bougie qui a servi à la filtration doit être placée dans l’eau bouillante ou
dans l’autoclave pour être désinfectée.
Les bougies qui servent le plus souvent ont une longueur de 15 centimètres;
comme elles sont vernissées sur 5 centimètres, 40 centimètres sont utillsés pour
la filtration.
Avec ces bougies on filtre en moins de 5 minutes 50 centimètres cubes de
toxine. Si on place dans le réservoir exactement 50 centimètres cubes de culture,
on recueille dans le tube à essai 45 à 47 centimètres cubes de liquide.
Si lon veut employer ce filtre pour essayer de petites quantités de liquides
organiques, on voit que pour 10 centimètres cubes de sérum mis dans le réser-
voir, le filtre laisse passer 7 centimètres cubes, la perte est donc de 3 centimètres
cubes.
Dans le cas où on serait obligé de filtrer de très petites quantités de liquide,
il suffirait, pour éviter l'absorption jar les parois de la bougie, de diminuer sa
partie filtrante et de la reduire à 5 ou même à 2 centimètres.
CONTRIBUTION
A L'ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE
Par HENRI POTTEVIN
(Travail fait au Laboratoire de Chimie biologique à l’Institut Pasteur.)
INTRODUCTION
Un grand nombre de microbes produisent de l'acide lactique
aux dépens des sucres ; mais de même que nous réservons le
nom de ferments alcooliques aux êtres qui dédoublent le sucre
en alcool et acide carbonique de façon que la somme des deux
produits représente à quelques centièmes près le poids du sucre
détruit, de mème nous appellerons ferments lactiques ceux qui
transforment intégralement le sucre en acide Jactique à quelques
centièmes près. Ces ferments, dont le premier a été décrit par
Pasteur, ont été étudiés par Lister, par Richet, par Kayser : leur
histoire est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler
ici. Les autres êtres qui donnent aussi de l'acide lactique en
fournissent des quantités variables dont le poids ne correspond
parfois qu’à une très faible partie de celui du sucre consommé.
D'une façon générale on peut dire que les ferments lactiques
produisent de l’acide inactif; les autres microbes desacides actifs.
Nencki avait pensé qu'un même microbe fournissait toujours
le même acide et que celte propriété pouvait servir à le caracté-
riser d’une façon certaine; nous savons aujourd'hui qu’il n’en
est rien. M, Péré a montré que telle espèce de B. coli qui, cultivée
sur glucose, donne de l'acide droit, fournit de l’acide inactif quand
elle agit sur la lévulose; elle est pourtant capable de donner,
même avec la lévulose, de l'acide droit, il suffit pour cela qu'on
lui rende la vie pénible en remplaçant, dans le milieu de culture,
la peptone par un sel ammoniacal; dans ce cas, le microbe parait
vivre sur le racémale en attaquant de préférence l’acide gauche.
M. Péré a montré qu'il en est réellement ainsi en faisant
LA
+
D0 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
agir le B. coli sur le lactate de chaux : celui-ci est facilement
attaqué, mais tandis que dans les solutions de peptone les deux
isomères disparaissent avec une vitesse égale, en sorte que Île
résidu est toujours de l'acide inactif, dans celles où la peptone
est remplacée par un mélange de phosphate et de sulfate d’am-
moniaque l'acide droit est détruit le premier, et la différence
est d'autant plus accusée que la proportion des sels ammoniacaux
présents dans Ja culture est plus réduite.
Nous sommes donc amené à considérer que les ferments
producteurs d’acide lactique commencent tous par donner aux
dépens du sucre de l’acide inactif ; les uns, capables de détruire
cetacide, brülent, avec des vitesses variables selon les conditions
de la culture, chacun des deux isomères, et aboutissent ainsi à
des résidus actifs: les autres, les ferments lactiques, hors
d'état de consommer l'acide lactique, laissent intact celui qu'ils
ont une fois formé. Tout ce que nous savons sur les caractères
généraux, communs aux microbes qui composent chacune des
espèces artificiellement définies ainsi, confirme cette manière
de voir. Les ferments lactiques ensemencés dans une solution
de peptone additionnée de lactate de chaux restent sans action
appréciable sur le sel : ils sont fragiles, perdent facilement leur
pouvoir ferment. M. Richet a montré qu'ils étaient très difficiles
au point de vue de l’azote alimentaire, ils se refusent à vivre
dans les milieux privés de matière albuminoïde en solution. Les
autres ferments sont au contraire des agents de combustion
énergiques, peu difficiles sur les conditions de la culture, s’ac-
commodant bien des milieux à azote ammoniacal ; il semble que
les ferments lactiques dérivent d’eux par atténuation.
Dans les travaux que j'ai eu l’occasion de citer précédemment,
M. Péré s'était proposé de rechercher s’il existe des relations de
structure moléculaire entre un acide lactique et le sucre dont il
dérive. De pareilles relations, si nous en connaïssions, en nous
montrant quels sont les groupements atomiques de la molé-
cule sucrée qui se retrouvent dans la molécule acide, nous
permettraient de fixer sur quel point de la première s’est portée
l’action du ferment et à quel acte chimique précis cette action
peut être ramenée. Le mécanisme de la fermentation lactique
serait éclairci, et ce que j'ai dit de son ubiquité indique quel
serait l'intérêt physiologique d’une semblable trouvaille. D'ail-
RÉ
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D
leurs, à mesure que nous pénétrons plus avant la chimie des
cellules vivantes, nous nous apercevons davantage que partout
entrent en jeu les mêmes forces soumises aux mêmes lois, et
que le bénéfice de toute notion nouvelle s'étend bien au delà du
cas particulier à l’occasion duquel elle a été acquise. Dans
l’ordre d'idées qui nous occupe, M. Duclaux a introduit dans la
science des faits singulièrement suggestifs : nous savons par
ses travaux quelle parenté étroite existe entre les phénomènes
de décomposition des sucres sous l'influence des ferments et
sous l’action de la lumière solaire. Exposé au soleil en solution
alcalinisée par l’eau de chaux, le glucose est détruit avec pro-
duction d'alcool et d’acide carbonique ; si on se sert pour alcali-
niser de la solution sucrée d’hydrate de baryte au lieu de chaux,
on obtient de l'acide lactique; dans ces conditions le mal-
tose a donné de l'acide droit, le lévulose de l'acide gauche,
le sucre interverti de l'acide inactif par compensation. Nous
voyons que le groupement atomique qui dans la molécule de
sucre commande par sa position, d’après nos idées actuelles,
le sens du pouvoir rotatoire, se conserve dans la molécule
d'acide. Malheureusement les faits recueillis jusqu'ici ne
semblent pas indiquer qu'il en soit de même dans les fermenta-
tions; M. Péré nous a appris qu'un même sucre lévogyre pou-
vait donner naissance indistinctement à de l’acide droit ou à de
l'acide gauche, suivant que l'azote introduit dans le milieu de
culture est à l’état de peptone ou d'’ammoniaque. Malgré ces
résultals peu encourageants, j'ai pensé que la question valait la
peine d’être reprise sur nouveaux frais. Il est à remarquer que
toutes les expériences faites jusqu'ici dans celte voie l’ont été
avec des ferments produisant peu d'acide lactique; dans l'exposé
que nous venons de faire, nous avons été amené à considérer cet
acide comme le résidu d’une double opération, donnant d’abord
aux dépens du sucre une forte proportion d'acide, puis détruisant
partiellement l'acide ainsi formé; il ne faut pas trop nous étonner
que le résultat de la seconde intervention ne présente pas avec
le sucre initial des relations étroites. Si de pareilles relations
existent, il semble naturel de les chercher en s'adressant à des
ferments lactiques vrais qui nous laissent l'acide tel qu'ils l'ont
une fois produit aux dépens du sucre : c'est le but que je me suis
proposé dans le présent travail.
92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
[l
FERMENTATION DES SUCRES
Pour me procurer un ferment lactique, j'ai abandonné
Fétuve, sans stérilisation préalable, du jus d'oignons additionné
de 10 0/0 de glucose; ce jus se peuple rapidement d’une infinité
de microbes parmi lesquels les ferments lactiques dominent;
ceux-ci ont été isolés par la méthode des dilutions en liquide.
Le ferment qui fait l'objet de cette étude est un bâtonnet
immobile: dans les cultures il se présente isolé ou réuni en
chainettes d'une dizaine d'articles au plus. Il pousse à 35° dans
le lait qu'il coagule en 24 heures environ, dans l’eau de tou-
raillons sucrée : son milieu d'élection est le jus d'oignons addi-
tionné de 0,5 0/0 de peptone. Il ne pousse que très pénible-
ment sur les mêmes milieux solidifiés par la gélatine ou la
gélose.
À la température de 23°, la culture est plus lente qu'à 35%,
mais se fait encore ; à 40° elle est très pénible, au-dessus il n’y a
pas de développement.
Dans l’eau peptonisée à plus de 2 gr. par litre, le ferment se
développe bien : il envahit toute la masse du liquide qui devient
d’abord légèrement acide, puis à la longue très légèrement
alcalin : l'acide volatil qui prend naissance a été étudié par la
méthode des distillations fractionnées: c’est de l'acide acétique
pur : dans un liquide à 2 0/0 de peptone, il ne s’en trouve jamais
plus de 0,2 par litre. L’extraction à l’éther en présence d'un
excès d'acide sulfurique ne m'a jamais permis de constater la
production d'acide lactique.
Action sur les sucres. — Les cultures ont été faites à 35° dars
l’eau peptonisée en présence d'un excès de carbonate de chaux.
Pour la recherche des acides fixes, le liquide de culture con-
centré à consistance de sirop était additionné d’une quantité
d'acide sulfurique juste suflisante pour précipiter Be chaux et
épuisé par l’éther.
Le meilleur procédé pour caractériser et différencier les
acides lactiques est l’étude de leurs sels de zinc: ces sels très
solubles dans l’eau chaude, peu solubles dans l’eau froide, sont
faciles à obtenir purs cristallisés en helles aiguilles.
A PS OO I ENT TS
|
Û
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D3
Le sel de l'acide inactif cristallise avec 3 molécules d’eau :
CSH'°0Zn + 3H°0. Les sels actifs cristallisent avec deux mo-
lécules seulement: C'H'°0fZn + 2H°0. — Tous ces sels perdent
leur eau de cristallisation par un chauffage de 1 heure à 1600.
La perte d’eau correspond à 18,1 0/0 pour le sel inactif, à
42,9 0/0 pour les sels actifs.
Le sel de zinc de l'acide droit dévie à gauche, celui de l'acide
gauche dévie à droite.
Le pouvoir rotatoire du lactate lévogyre varie avec la
concentration de la solution observée, 1l diminue quand la con-
centration augmente; 1l est de — 8° 5, d’après Wislicenus, pour
les solutions contenant de 4 à 5 0/0 de sel.
Pour la recherche des acides volatils, j’ai eu recours à la
méthode de distillation fractionnée de M. Duclaux.
Lorsque, la nature des acides étant connue, il s’est agi sim-
plement d’en suivre les variations quantitalives au cours d'une
fermentation, je me suis contenté de doser la chaux dissoute et
les acides volatils ; j'ai calculé l'acide lactique par différence.
Pour le dosage de la chaux en solution, le procédé suivant est
très rapide et donne des résullats exacts.
50 e.c. du liquide à essayer sont disposés dans un vase de
Bohème au-dessus d’un bec Bunsen, additionnés de quelques
gouttes d'une solution de phénol-phtaléine et portés à l’ébulli-
tion; dans le liquide bouillant, on verse goutte à goutte, en
agitant constamment, une solution titrée de carbonate de potasse,
il se forme du carbonate de chaux qui se précipite et un sel neutre
de potasse qui reste en solution; quand toute la chaux a été
précipitée, l’addition d’une nouvelle quantité de CO*K? rend le
liquide alcalin. De la quantité de carbonate employée, on déduit
la quantité de chaux dissoute. Lorsque la coloration du liquide
ne masque pas la couleur rouge de la phtaléine, ce qu’il est
toujours facile de réaliser par une dilution convenable, le
procédé est très exact.
Je prépare deux solutions, l’une de lactate de chaux pur contenant en
100 e.c. 2 gr. 002 d'acide lactique et l’autre de carbonate de potasse
à 3,6 0/0 :
90 c.c. de la sol. de lactate sont précipités par. 14,1 de la sol. CO?K?
25 — — + 95 c.c. eau dist... 7,0 —
10 — — + 40 ee 12,9 —
ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
©
CS
Lactose. — J'ai employé du lactose obtenu pur par des cris-
tallisations successives dans l’eau, il possédait un pouvoir rota-
toire de 55°,1 à 20°.
Des ballons contenant chacun :
BAUER RON ee LIL OPEN RE AR 200
PO DIONE ET bite rush Rectree rte LR ELEC 2
L'ACEOS ER Re ser eue ee Ne CET RL 8,86
Carhonate der ChAUXE. Ne ER I 12
sont ensemencés et mis à 350. Au bout de 24 heures ils sont le siège d’un
dégagement actif d'acide carbonique ; en prélevant de temps à autre un
ballon, on obtient :
Durée de la ferment. Sucre cons. Ac. fixe. Ac. vol.
3 jours 4,66 4,4 0,10
D Jours 6,52 6,2 0,14
12 jours 8,86 8,5 0,16
D'un bout à l’autre de la fermentation, l'acide volatil a été de l'acide
formique.
Le contenu de trois ballons pris au 12e jour a été mélangé : l'acide fixe
extrait à l’éther. On a obtenu :
SUCRE GENS OMR EL: bi Le ntm vremeratenet 26,58
Acide MIRE EE nie ot Elena D CEE 26,0
Acidemolati{ac dormi) er he sine eperete 0,5
L'acide après l’évaporation de l’éther a été transformé en sel de zinc
celui-ci purifié par 2 cristallisations a donné : ;
Perte d’eau à 1600 0/0 de sel...... RAR C es
D 10/0 1de sel anhydre "1 musritene 5e: O8
RASE UE 10 NT AR AE PAR TN ER PRES NE LR Inactif.
L’acide est de l'acide inactif.
IL est à remarquer que l'acide volatil de la culture, qui était
de l'acide acétique lorsque le ferment se développait dans la
peptone seule, devient de l'acide formique lorsqu'il est produit
aux dépens du sucre ! :
L’acide lactique obtenu représente 97,7 0/0 du sucre détruit ;
il est bien produit uniquement aux dépens du sucre et non de la
4. Dans toutes les expériences rapportées ultérieurement, l'acide volatil sera,
sauf indication contraire, exprimé en acide formique.
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE, 5 1)
peptone ou des impuretés que celle-ci peut apporter avec elle,
car l'augmentation de la teneur en peptone n’augmente pas la
quantité d'acide fixe, tandis que l'addition d’un certain poids de
sucre détermine la formation d’un poids exactement correspon-
dant d'acide lactique.
Trois ballons ont reçu chacun 200 c. ce. d'une solution de lactose à 5,01 0/0,
du carbonate de chaux, et en outre
Le’bpallon, DST. 2 grammes de peplone.
— MER Re ARR Le HUE — —
— MR etes emer ce 10 — —
Après 15 jours de séjour à l’étuve, les ballons ont été repris. Le sucre
avait disparu de tous. Les quantités d'acide formé étaient :
Ac. fixe, Ac. vol.
. RS RE A AN dur ee 9,8 0,18
RP 1e NU NU 9,5 0,20
Re RER RE un Rene ire 9,5 0,25
L'acide volatil est de l'acide formique dans les trois ballons.
Trois ballons ont reçu chacun du carbonate de chaux, 200 c, c. d’une
solution contenant 4 0/0 de peptone et en plus :
Dans JeDalont IE er ee M nue 7,6 de lactose.
— RAT SR ER CE 3,8 —
— AN RE RO AR RE EE 1,6 —
Les ballons ensemencés et mis à l’étuve ont donné au bout de 15 jours, .
le sucre ayant entièrement disparu de tous :
Ac, fixe, Ac, vol,
AR A iQ te ROUE 0,14
CR TR De te RC nn x RE 00 0,11
PAR Re an TIR divine 1,5 0,09
Si, au lieu de diminuer la proportion de sucre comme dans
l'expérience précédente, on diminue la proportion de peptone, la
culture devient traïînante, la proportion d'acide volatil produit
augmente, et la nature de l’acide lactique est modifiée.
Trois ballons ont reçu chacun 100 c.c. d’une solution de lactose conte-
nant 5,12 de sucre, du carbonate de chaux et les quantités de peptone sui-
vantes :
Ballon SRE on de DE Are cc 1,0
Et TES ER RE 4m PR RL De PEU ONE 0,5
tn ME SC ME NA RE SR RSR Eat 0,2
Après deux mois de séjour à l’étuve, ils ont donné :
6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Sucre restant. Ac. fixe Ac. vol. Ac. vol. 0/0 d'ac. fixe.
LATE 0 5,0 0,1 2,0
IIS EE CSS 0 4,2 0,45 10,7
TIR YARIS 4,2 0,5 0,07 14.0
L'acide du ballon I est de l’acide inactif.
Le sel de zinc obtenu avec l'acide du ballon II a donné :
l gramme de sel dissous dans l’eau de façon à faire 25 c. c. a donné une
rotation gauche de — 10’ au tube de 20 centimètres.
Le sel est un mélange de lactate inactif et de sarcolactate.
Aïinsi done, en diminuant la proportion de peptone, nous
déterminons la production d’un acide actif, sans que le ferment
perde pour cela ses qualités de ferment lactique vrai, puisque
l'acide obtenu représente 82 0/0 du sucre détruit.
Pour bien mettre ces faits en évidence, il y aurait lieu de
reprendre l'expérience avec des doses comprises entre celle du
ballon II et celle du ballon IT : je ne l'ai pas fait parce que j'ai
retrouvé, en étudiant les autres sucres, toujours le même phé-
nomène très nettement. Ê
Saccharose. — Le saccharose mis à fermenter en présence de
1 0/0 de peptone se comporte comme le lactose.
10,1 grammes ont donné après 15 jours :
SUCTE ETUI See AC A EE TN ET EPS RARE 10,1
AEIAe RCLIQUE ANTENNES PARA RE 9,8
ACTE NO] RER EE EE A SERRE CARRE 0,12
L'acide est inactif.
Un essai de fermentation en présence de 5 0/0 de saccharose
et de 0,8 0/0 de peptone, ne m'a pas donné d'acide lactique en
quantité appréciable.
Maltose. — J'ai employé du maltose industriel purifié par des
cristallisations dans l'alcool.
Son pouvoir rotatoire était « = + 140,0.
Quatre ballons ont recu chacun 200 c. c. d’une solution
sucrée contenant 112",40 de maltose, du carbonate de chaux et
en outre :
Ballon Lire ER RP 2 gr, de peptone.
LL RE TE A en de à drone qe 1 —
SE 1 PR à 022 7 ae 0,8 —
tale dt ditétetieute dus di détient dE dde OS SE D Se D
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. x
Dans les ballons [ et II la fermentation, très rapide au début, a paru ter-
minée vers le dixième jour. Les 4 ballons repris au bout de { mois ont
donné :
Sucre cons. Ac. fixe Ac. vol.
ILE RSS 14,4 10,8 0,14
NOUS RON 11,4 10,6 0,16
IT ACER 9,6 9,2 »
ER den 3,4 S 0 A OL
Le contenu des deux ballons I et II mélangé a donné de l'acide inactif.
Le ballon IV a fourni un sel de Zn donnant :
Pentescire aus AGO PAR EN Re Es 12,8
/n6N0/0 dersellanhydres 2.508. stade 32,9
0,936 dissous en 25 c. c. d’eau. Rot. 20 ce. ce. — 00,63
COUV TO DECO NE RAR Re — 805
L'acide est de l’acide droit.
Nous voyons très nettement, dans le cas présent, quele ferment
qui donne en présence d’une certaine dose de peptone de l'acide
inactif, donne avec une dose à peine plus faible de l'acide droit :
nous devons remarquer aussi que le poids d'acide obtenu repré-
sente 88 0/0 du poids du sucre consommé : il ne saurait être
question ici de la formation d’un racémate dédoublé par une
action ultérieure du ferment. Le corps actif est formé directe-
ment aux dépens du maltose.
Nous allons retrouver le même fait d’une façon constante en
étudiant les sucres à six atomes de carbone.
Glucose. — J'ai employé un glucose pur du commerce.
10", 0 de glucose ont donné au bout de ! mois:
Gluc. cons. Ac. lact, Ac. vol. Rot. sel. Za
En prés. 1 0/0 pept. 10,0 SET 0,13 Inactif,
0,5 100 009 8 2045 -N Inactif,
0,4 CA CARE
0,3 29 2,4 GA A8 20
Sucre interverti. — 115,2 de sucre interverti ont donné après
14 jours, en présence de 1 0/0 de peptone :
Lee SAME ARRERRRE ROUEN EE CORRE !
Acide volatil
L’acide est inactif.
Galactose. — J'ai employé un galactose pur du commerce. Le
pouvoir rotatoire évalué en mesurant la rotalion sur une solu-
58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tion à 5 0/0, le sucre étant dosé par réduction, est de 829,4 à 17°.
92,2 de galactose ont donné au bout de cinq semaines :
Suc. cons. Ac. lact. Ac. vol. Rot. sel. zinc.
En prés. 10/0 pept. 9,2 8,9 0,1% Inactif.
0,5 6.9 6,7 0,14
0,4 4,9 4,6 0,12 = /80,9
Mannose. — 100 grammes de poudre de corozo délayés
daus 500 c. c. d’eau additionnée de 16 c. c. d’acide sulfurique à
66° B, ont été maintenus à l’autoclave à 120° pendant 1 heure; la
masse étant refroidie et le liquide filtré, j'ai fait subir au résidu
deux fois encore le même traitement, l’ensemble des liquides
acides saturé par le carbonate de chaux, décoloré par le noir
animal, est limpide, à peu près incolore, il contient une quantité
de sucre qui, évaluée comme mannose, représente 465,5, avec un
pouvoir rotatoire de + 12°,8. Le sucre est donc du mannose pur.
8,96 de mannose ont donné au bout de un mois :
SUC. CONS. FAC ICE, NCEVOI. R. sel. Zn
En prés. 1 0/0 pept. 8,96 8,5 0,21 Inactif.
0,5 4,4 4,06 0,12 = 00
Ainsi lorsque, l'aliment azoté étant abondant, la culture est
facile, le ferment donne avec tous les sucres étudiés indistinc-
tement de l’acide inactif; si l’azote devient rare, la culture est
pénible et nous aboutissons dans tous les cas à de l’acide droit.
Il apparaît bien clairement que ce n’est pas de la constitution
stéréochimique du sucre que dépend la nature de l’acide, mais
bien des conditions de vie qui sont faites au ferment: pour com-
pléter cette notion, il y avait lieu d'examiner si, quand on gêne
la culture de différentes façons, en changeant la nature de l’azote
alimentaire, en élevant la température, en ajoutant des antisep-
tiques, on obtiendrait des résultats analogues à ceux que donne
la diminution de la dose de peptone. J'ai vainement essayé de
substituer à la peptone les sels ammoniacaux, tartrate, succinate,
nitrate ou l’asparagine, le ferment n’a pas poussé.
J'ai dit que la température optima pour le ferment était vers
390; à 400 le développement se fait encore, mais très pénible-
ment; dans ces conditions, 12#,5 de lactose dissous dans l’eau
peptonisée à 1 0/0 ont donné après six semaines :
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D9
SUCRE COMORES 2 eu ve dus 0 8 A UE Noa M Coien DO
DORE TA Rein ue vie bts 9 0e TES 2,6
OR ATERES e an LE ou be veste use CRT 0,4
Le sel de zinc de l’acide a donné :
DRE GATE NSIOTENRERNRS NO RER ER 15,4
RAU0/0ide’Selanhydre rer Meet 33,
AGrdiss sen 290; Crea Rat. 29520 nie. — 00,4
L’acide obtenu est un mélange de droit et d’inactif.
Un certain nombre de ballons contenant du carbonate de
chaux et 200 c. c. d’une solution à 1 0/0 de peptone et 4:",02 0/0
de lactose, ont reçu des doses croissantes d'acide phénique, ils
ont été ensemencés et mis à 35°: au bout de un mois et demi, ils
ont donné :
Suc. cons. Ac. lact. R. sel. Zn.
En prés. de 2 gr. p. lit. dephén. 0 0
1 — 5,95 5,1 — 80,4.
0 — 8,04 7,87 Inactif.
Il
FERMENTATION DES ALCOOLS POLYATOMIQUES
Les sucres sont pour notre ferment des aliments de digestion
facile ; si les conditions de la culture sont bonnes par ailleurs, ils
sont rapidement consommés; il n’en est pas de même des alcools
polyatomiques : ceux du moins que j'ai étudiés, la mannite, la
glycérine, la dulcite sont d’une digestion extrèmement pénible.
Dans l’eau peptonisée à 1 0/0, le ferment se développe bien,
envahissant la totalité du liquide qui devient uniformément
trouble. Dans le même milieu additionné de 5 0/0 de mannite, la
culture se fait lentement; elle est en grumeaux qui restent dépo-
sés au fond du balion : si on les agite, ils se répandent dans le
liquide sans produire de trouble véritable. Dans les solutions
peptonisées à 1 0/0, la destruction des alcools polyatomiques est
lente, elle ne donne jamais lieu à un dégagement visible d'acide
carbonique. On ne gagne rien à augmenter la dose de peptone
qui a pu être portée à 2 0/0 et 5 0/0 sans que l’action devienne
60 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
plus rapide. La proportion d'acide volatil obtenu est ici bien
plus considérable qu'avec les sucres, etil se forme en outre une
quantité notable d'alcool éthylique.
Mannite. — Des ballons contenant chacun 5 grammes de
mannite dissous dans 100 c. c. d’eau peptonisée à 1 0/0 ont
donné:
Act. lact. Ac. vol. Alcool
APres MAIOULS ENTER 1,45 0,2 0,6
Aprés mois 2, 0 0,3 0,8
APLES LS MNOISS- LE CRAN 4, D 0,6 0,4
L’acide obtenu était toujours de l’acide droit.
On obtient une destruction un peu plus rapide de la mannite
en remplaçant l’eau peptonisée par le jus d'oignons additionné
de 0,5 0/0 de peptone. 100 grammes de mannite, mis à fermenter
dans ces conditions, ont donné après deux mois et demi :
ATCOO MER IIQUE LEA AE ENS PERNE oi
ACC ACER as cs den LOU MERE te Re »,0
AGide or iqUe SEE RPE TEASER RE UN 4;9
Acide lacÜque re. mie RE ARTE Ce 62,1
L’acide était de l'acide droit.
Dulcite. — 30 grammes de duleite mis à fermenter à 35°, dans
600 c. ce. d’eau peptonisée à 1 0/0, ont donné au bout de 1 mois:
ATCOOMÉ RNA SEE ALES EEE RUN Fee 4
AGIde ROFQUE: ST EN MARNE IS RAR ER EE 1,74
Acide-Hlactique 221407 7,83
Acide droit.
Glycérine. — 25 grammes de glycérine ont été mis en fermen-
tation dans 500 c. ec. d’eau peptonisée à 1 0/0 : le ballon a été
repris au bout de deux mois; dans 50 ce. c. de liquide, j'ai dosé la
glycérine non attaquée; dans le reste j’ai dosé les acides; j'ai
trouvé :
Glycérine consommer PE ANr ERP
6)
Acide 1actique PERRET EE ER EEE 3,2
Acide Tormique ERPMELEMAMER
Acide droit.
ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. 61
IT
ACTION SUR QUELQUES ACIDES ORGANIQUES
Le ferment que nous venons d'étudier est sans action sur le
lactate de chaux. Des cultures en eau peptonisée à 5 0/0 de
lactose, abandonnées à l'étude pendant plus d'un an, ont donné
à l'analyse la même quantité d'acide fixe que les cultures sem-
blables analysées 15 jours après l’ensemencement. Deux essais
faits, l’un dans du jus d’oignon additionné de 1/2 0/0 de peptone
et de 5 0/0 de lactate de chaux pur, l’autre dans une solution de
lactate de chaux pur à 2 0/0 additionnée de peptone aux doses
de 1 : 0,5 : 0,3 0/0, laissés trois mois à l'étude, ne m'ont permis
de constater aucune attaque du lactate de chaux: pourtant, dans
tous ces liquides, le ferment s'était développé.
Je n’ai pu constater l’attaque ni du succinate de chaux, ni
des tartrates de chaux de magnésie ou d’ammoniaque : par
contre, le malate de chaux est attaqué avec facilité.
Ensemencé dans une solution de peptone à 2 0/0 additionnée
de 5 0/0 de malate neutre de chaux, le ferment se développe rapi-
dement et, au bout de quelques jours, le liquide est le siège d’un
dégagement gazeux très aclif.
100 grammes de malate de chaux, correspondant à 64%',4
d'acide malique, ont donné après 1 mois de culture, le dégage-
x
ment gazeux étant arrêté depuis plusieurs jours déjà :
AlCO0ÉtTR Ye EE NE A fente eus 5,28
Aide ACÉTIQUE SEE. ae En ln te coins « 10,3
ETC O LME SE D ee ou sie sine D à derele sta 16,2
Acide carbonique restant à l’état de carbonate de
CR A ht Lune de rue aGioeRRe PS0
Tout l’acide malique a disparu, et il ne reste dans la culture
ni acide lactique, ni aucun autre acide fixe, car la chaux en solu-
tion correspond à celle qui sature les acides acétique et for-
mique, et d'autre part le résidu insoluble qui reste au fond du
ballon dissous dans l'acide acétique donne de l’acétate de chaux
sans mélange.
ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(æp)
[ES
CONCLUSIONS
Il résulte de l'étude que nous venons de faire :
1° Qu'un ferment lactique peut, tout en conservant ses
qualités de ferment lactique vrai, donner naissance à l’acide
actif, celui-ci représentant plus de 80 0/0 du sucre détruit;
20 Que la nature de l'acide n’est sous la dépendance directe
ni de la fonction chimique, ni de la constitution de l’hydrate de
carbone dont il dérive ; elle dépend d’un ensemble complexe de
facteurs. J'ai montré qu’un certain nombre d'influences qui
aboutissent à un ralentissement de la culture, la diminution de
l'azote alimentaire, une température élevée, l'addition d’antisep-
tiques, la résistance plus grande de l'aliment hydrocarboné
déterminaient toutes la production du même acide droit; peut-
être en est-il d’autres qui nous conduiraient à l'acide gauche.
Dans des questions aussi complexes, il faut accumuler patiem-
ment les faits et avant tout se garder des généralisations hâtives.
PE
FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES
PAR LE COLI-BACILLE DU NOURRISSON
Par M. A. PÉRÉ
Pharmacien-major de {re classe.
Travail du laboratoire de Chimie biologique, à l'Institut Pasteur.
L'étude biologique des microorganismes a depuis longtemps
révélé l'existence de types de transition entre des êtres nette-
ment séparés par leurs caractères : c’est ainsi que les mucors,
les myrolevures sont venus prendre leur place naturelle entre
les mucédinées et les levures ‘. Cette notion ne s’est que lente-
ment fait jour, parce qu’elle heurtait certaines habitudes d'esprit
et paraissait hostile à tout essai de classification morphologique.
Il a fallu pourtant l’accepter, et même, quand on a appliqué les
méthodes qui l’avaient fournie à l'étude des groupes qui, à un
premier examen, avaient paru consliluer une espèce bien déter-
minée, on s’est souvent aperçu que celte espèce sortait un peu
ou même totalement disloquée de cette étude plus approfondie
de ses caractères biologiques.
Par ce côté, rien n’est plus édifiant que l’étude du Bacterium
coli commune. Tant que l’on se borna, pour déterminer ce mi-
crobe, à l’observation de ses caractères morphologiques et de
l'aspect de ses cultures sur les divers milieux, on put le consi-
dérer comme formant uue espèce déterminée, et même soutenir
l'hypothèse de son identité avec le bacille typhique ; mais la
discussion s’éteignit dès que l’on s’avisa de recourir aux carac-
tères biologiques : il fallut alors reconnaître, non seulement que
ces deux microbes ne sont pas identiques, mais encore que le
B. coli ne constitue pas un type unique, que ses propriétés
varient suivant son origine, comme s’il était en continuelle
évolution.
4. Ducraux. Chimie biologique.
64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Pour n’envisager qu’un seul des attributs du B. coli, celui
de faire de l’acide lactique droit en partant du glucose, à l’in-
verse du bacille typhique qui fait de l’acide lactique gauche,
Van Ermengen à reconnu que parmi plusieurs échantillons
soumis à son étude, les uns faisaient de l’acide lactique droit,
les autres de l’acide lactique gauche. J'ai déjà cherché à m’ex-
pliquer ces divergences ‘ : j'ai reconnu que le coli-bacille de
l'homme, lorsqu'il provient de l'intestin de l'adulte, fait tou-
jours de l’acide lactique gauche avec le glucose; mais qu'il
fait, lorsqu'il provient de l'intestin du nourrisson, ou de l'acide
lactique droit ou de l’acide lactique gauche, suivant la nature de
l'azote alimentaire.
D’autres contradictions subsistent : plusieurs observateurs
accordent au B. coli la propriété, que d’autres lui refusent, de
faire fermenter certains corps sucrés, tels que le saccharose, la
olycérine. Comme je le montrerai, ces contradictions ne sont
qu'apparentes.
Mais en entreprenant ces nouvelles recherches, j'avais sur-
tout en vue de réunir quelques faits sur une question que je
m'étais déjà posée *, et qui me semble encore d'actualité, bien
que M. Kayser * et M. Pottevin ‘ l’aient enrichie de documents
d'un haut intérêt, à savoir quelles relations peuvent exister
entre la structure moléculaire de l’acide lactique produit par un
ferment donné et la structure moléculaire du sucre générateur,
ou la quantité et la qualité de l’azote alimentaire, ou les condi-
tions générales de la fermentation. Les faits consignés dans
cette note ne me semblent pas faire tous double emploi avec
ceux qui nous sont déjà connus. J'appellerai plus particulière-
ment l’attention sur le suivant : c’est qu’un même ferment peut,
en partant d'un même sucre, laisser de l'acide lactique inactif,
ou de l’acide droit, ou de l’acide gauche, ou un mélange non
compensé des deux stéréo-isomères.
1. Société de biologie, mai 1896.
2, Ces Annales, t. VII, Formation des acides lactiques isomériques.
2. Ces Annales, t. VIII, Contribution à la fermentation lactique.
4. Contribution à l'étude de la fermentation lactique, ce volume p. 49.
FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS.
65
Dans une première série d'expériences, j'ai mis en œuvre
les divers sucres et alcools polyatomiques dans des conditions de
culture absolument identiques.
Voici la composition de ces liquides de culture :
LIQUIDE A !
Sucre ou alcool polyatomique.... 10 grammes.
LS CN RENE RER PET 3 — pour 200 c. c.
Carbonate de.chaux:::. 1.7... 6 —
Après stérilisation, ces liquides recevaient la valeur d’une
anse de platine d’une culture sur bouillon âgée de 6 jours.
semence provenait des selles d’un nourrisson âgé d'un mois.
température d’incubation était de 38°.
a
La
J'ai exprimé les résultats par le poids du lactate de zinc obtenu,
sa teneur en eau de cristallisation, et son action sur la lumière
polarisée.
Dextrose. — Durée de la fermentation : # à 5 jours.
Pdurlacta te deze DURÉE 2 Scene Monroe ue 4,157 gr
DR = UV NAN ARC RSR PRE RARE AURA EE 3047! !
Après 24 heures, la solution a laissé déposer 0,2144% de
cristallisé qui a donné :
Éertedienu AGO RS A EN DS sata me te 16,04
a OS Pan yes RE TELE RENE 0 dure sas 33.20
Le sel obtenu par l’évaporation du liquide filtré a donné :
Pertesdieda4160040/022%. 7... 12 EM RRMER eh 14,16
ADO OF SORMEEUTEE.: 2. EE ERA A 7. 39,14
sel
1. Dans toutes ces expériences, la solution du sel de zinc total était ramenée à
20 c. c; l'observation au polarimètre se faisait à la température de 20° et au tube
de 2 décimètres. — Je rappellerai que les lactates actifs de zinc renferment
12,90 0/0 d’eau et le lactate inactif 18,18 0/0,
66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Nous retrouvons donc un mélange d’acide lactique inactif et
d'acide lactique droit, soit que l’acide droit et l’acide gauche
prennent naissance concurremment et en proportions inégales,
soit plulôt que la formation primitive d’acide inactif s’accom-
pagne, dans le protoplasma cellulaire, du dédoublement de cet
acide par l’attaque plus prononcée du côté gauche de sa molécule
racémique.
Mannose. — Durée de la fermentation : 10 jours.
bédu selde ZINC Pur Er ten eee Le 1,738 gr.
Perle d'eau fé24000 0/0 RE AS nr caen 18,06
710070 du sel an Ryder PAT PARC RE 39,26
Acide lactique inactif.
Galactose. — Durée de la fermentation : 10 jours.
Padussel ide 71nC DURE ee ME ER EP ee 1,015 gr.
PCTE MEANS TODOr 70 ESA TENNIS 18,10
Acide lactique inactif.
Sucre interverti. — Durée de la fermentation : 9 à 10 jours.
Pdusel ide ZINC pure: OR Rte Reis 1,615 gr,
Perte idieau 8 4000, 0/0 M RL RER dore 18,04
Acide lactique inactif.
Ces trois fermentations aboutissent à l’acide inactif, soit que la
quantité d'acide lactique retrouvée représente la quantité totale
de l’acide lactique formé dans le protoplasma, soit que l'acide
lactique, primitivement formé, subisse une attaque parallèle et
d’égale intensité par les deux côtés de sa molécule racémique.
Arabinose. — Durée de la fermentation : 13 jours.
SolUtION TOUS ele INE NE RE ET CENTRE + 14
Nous voyons apparaitre ici l'acide lactique gauche en petite
quantité.
Saccharose. — Durée de la fermentation : 6 jours.
Ptduseldezine pure APN ERREUR TEE 1,950 gr.
1067. [al RCE RE RER EEE — 0088!
Perte d'eau à 1600, 0/02 HR 0 RE RME OR Ce 13,62
7Zn0:10/0.dusel anhydre., 54 RAA RERSERARSR M 33,20
e
NP) « POUR ner 14 bé) RS
- Tape a
T'ON
FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 67
Acide lactique droit.
Il ne se dépose pas spontanément de cristaux, comme dans le
cas du dextrose. Néanmoins la proportion d’eau un peu élevée
permet d'assurer que l'acide droit est mêlé d’une faible propor-
tion d'acide gauche.
Lactose. — Durée de la fermentation : 41 à 12 jours.
PAU Sel dé Ain parie ML RL Res D Lee 0,460 gr.
CRETE CL OO PR RE RNA de . + 804!’
Acide lactique gauche.
Mannite. — Durée de la fermentation : 12 jours,
Pedusel de zine Durée ni cit ne SERRE TE ET 0,652 gr.
ane on do en pomagee don don + 8010
HÉRADEAURE LOUP JOEL De dan ed eee noue 12,94
PUDSU/URduselanRydre re Ste MUR 32,90
Acide lactique gauche.
Dulcite. — Durée de la fermentation : 16 jours.
Bolton sel TC ZIRC @— 2e IQ + 1#
Acide lactique gauche.
Glycérine. — Durée de la fermentation : 15 jours.
DOLHIOM Id SEL dE ARC G —= 2.4 ua sans + 22°
Acide lactique gauche.
Ainsi, parmi tous ces corps sucrés, les uns produisent de
l'acide inactif (mannose, galactose, sucre interverti) ; d’autres de
l'acide droit (dextrose, saccharose) ; les autres de l'acide gauche
(arabinose, lactose, alcools polyatomiques) ; et cela, par l’action
d’un mème ferment et dans des conditions de culture identiques
pour tous, puisque les liquides mis en fermentation ne différaient
entre eux que par la nature du corps ternaire. Il est bien vrai-
semblable, vu la petite proportion d’acide lactique retrouvée et
les formes stéréo-isomériques différentes qu’il affecte, sans qu’il
nous soit possible de relier ces formes à la structure moléculaire
du corps générateur, que les acides actifs ne dérivent point direc-
tement des divers sucres, mais procèdent d’une fermentation
68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
secondaire qui atteindrait l'acide inactif primitivement formé :
hypothèse raffermie par le fait que ce microbe, comme je lai
montré ailleurs, peut attaquer et dédoubler le lactate de chaux.
Les résullats ci-dessus permettentun curieux rapprochement
entre la structure de l’acide lactique formé et la résistance que
le sucre générateur oppose à l’action dislocatrice du ferment :
les sucres dont la destruction est très rapide nous donnent de
l'acide droit; ceux qui fermentent moins vite nous donnent de
l'acide inactif; enfin l’acide gauche provient de ceux qui résis-
tent le mieux à l’action du rent IL est dès lors bien évident
que la structure de l'acide lactique engendré estliée à des raisons
de l’ordre purement physiologique, en particulier à la valeur
alimentaire des divers corps sucrés, et non d’une manière
directe à la structure stéréo-chimique de ces sucres.
Il est aussi à noter que les proportions d'acide gauche sont
minimes, dans les fermentations lentes où il se produit, en regard
des proportions d'acide inactif ou d'acide droit, dans les fermen-
tations plus rapides qui leur donnent naissance. Il semblerait que
le microbe, effectuant difficilement l'attaque de l'aliment ternaire
qu'on lui a offert, poursuit d'autant plus énergiquement l’atta-
que de l’acide lactique formé dans la réaction initiale ; le choix
entre les deux aliments, sucre ou alcool et acide lactique, se trou-
vant moins marqué dans les fermentations lentes que dans les
fermentations rapides.
En outre des différences de quantité, ce coli-bacille présente,
avec le ferment lactique de M. Pottevin, des différences de qua-
lité extrémement intéressantes : à inverse du premier, celui-ci
donne de l’acide droit avec les sucres dont l'attaque lui est diffi-
cile; avec les divers sucres, il ne donne que deux acides lacti-
ques, le droit et l’inactif, alors que le coli-bacille peut aboutir
aux trois acides stéréo-isomériques.
Je ferai remarquer, en dernier lieu, que le coli-bacille du
nourrisson attaque le saccharose, la dulcite et la glycérine, ce
que ne peut faire le coli-bacille de l’adulte : c’est peut-être à
la différence dans l’origine des germes étudiés qu'il faudrait attri-
buer les divergences dans les résultats obtenus par divers obser-
vateurs, dans leur étude du Bact. coli commune.
M Ex ROVER T TO ro x:
FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 69
Il
A la suite de ces données se présente naturellement à l’esprit
cette hypothèse que tout sucre, saccharose, dextrose, mannose,
qui donne de l'acide lactique droit ou de l’acide inactif dans les
conditions de fermentation indiquées ci-dessus, que j’appellerai
normales, pourra nous conduire à l'acide lactique gauche, si, par
quelque artifice de culture, nous rendons son attaque plus diffi-
cile, et sa fermentation plus lente. J’ai donc fait quelques expé-
riences sur ces trois sucres, en modifiant les conditions de la
fermentation, soit par l’addition d’antiseptiques, soit par l’abais-
sement de la température, soit par une diminution de l'azote ali-
mentaire ou par la substitution de l'azote minéral à l’azote
organique.
Saccharose. — 1. Le liquide A est additionné de 1 pour 1000
de phénol :
Pda tte deze DURE eue cure eneeceses 1,506 gr.
CL SIRET RS RE en — 60,11
Acide lactique droit.
Rien n’est donc changé dans les résultats; mais il faut dire
que si la fermentation débute plus tard que la fermentation nor-
male, elle se poursuit, une fois mise en train, avec une grande
régularité et la mème vitesse. Il est possible qu'il se fasse parmi
les germes une véritable sélection, les moins vigoureux ne pou-
vant s'adapter à ces conditions d'existence.
2. Le liquide A est maintenu à 25°,
SolUtIondUSelderZIN CRE NME RL IE ae
Acide lactique droit ‘.
3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu’elle
était dans le liquide A.
La fermentation s'arrête avant que le sucre soit ne
détruit.
4. Je dois signaler ici la formation d’acide succinique € en proportion no table
alors que la fermentation normale du sucre de canne n’en fournit pas; mais la
fermentation du lactose et des alcools polyatomiques en donnait de petites
quantités,
70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Solution di sel de INC RARE ER œ— — 99
Acide lactique droit.
4. Sels ammoniacaux, en place de peptone. Le sucre n’est”
pas attaqué.
Nous obtenons donc toujours de l’acide lactique droit, comme
dans les conditions normales de culture : le saccharose s’est
montré rebelle à toute influence modificatrice.
Nous allons voir qu’il n’en est pas de même avec le dextrose,
bien que ce sucre se comporte comme le saccharose dans les
conditions normales de culture.
Dextrose. — 1. Température : 25°. Liquide A.
Pure ec POELE EP RRENOREERE 1,5024 gr.
D PRO RRE IG) IDE AE PILES EE A RE + 30,37
Hanide cristallisation 20/0 RER EN ee 45,76
290./0/0/du sel'nliydire Rare TA TER ANS 33,1
Nous sommes en présence d’un mélange des acides stéréo-
isomères, mais ici la proportion d'acide gauche l'emporte,
contrairement à ce quis’est produit dans la fermentation normale.
2. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu'elle
était dans le liquide A.
SOIUTONn ANSE IAAeIZ INC MREERPRREERR e & — a
Acide lactique gauche.
La fermentation s’est arrêtée alors que le liquide renfermait
encore de notables proportions du sucre.
3. Sels ammoniacaux, en place de peptone.
Pardi sel de wine DUTIAÉ NET SPA PA 0,5964 gr.
ie D OA ER EE ed TER ee 2020)
pauvde*cristallisation 40/0 RER NES Re 12,82
Acide lactique gauche.
Toutes les influences modificatrices mises en jeu nous ont
conduit à l'acide lactique gauche. Voyons à présent ce que nous
donne la mannose.
4, Sulfate d’ammoniaque............ 9 orammes
Phosphate d’ammoniaque........ 2 — pour 200e de liquide
Carbonatetdenchaux PME OS:
nt as tte de ne de
sde ot eu Dubai Éd ed Sa SR On TT OO te ds
nttetlel sd rhin dat des:
FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES. 71
Mannose. — 1. La composition du liquide de culture ne diffère
de celle du liquide A que par l'addition de 5/10000 de phénol.
ER IRAN EL DUT HAE. LL à Re 1,4756 gr.
OR (Ge DER PES LIU LI UT — 60,7
Bau/derenstalhsation. 0/04.7::.,.,..2. 10 LR 13,12
Acide lactique droit.
2. Température : 25°. Liquide À.
D duESBIN dE Zn CS DUT ARCS VUE AR ne 1,9246 gr.
ER RL EU Da M NS En ce da —- 50,32
Hausdesonstalisation 00e mener 13,50
Acide lactique droit mêlé de traces d’acide gauche.
3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0.
La solution de lactate laisse déposer spontanément des
cristaux renfermant 17,08 0/0 d’eau.
Solutions derlactate devzinc iItrée. M A & — — 8!
Léger excès d’acide lactique droit.
4. Seis ammoniacaux, en place de peptone.
URSS ZINC PULTILÉ DE RS En een tis 0,762
CORRE ARS (ORDRES CNE RERO NE Res NN + 70
Bandes cristallisation 0/O ne Re EE REA Er re 12,76
Acide lactique gauche.
Il est très intéressant de remarquer que les trois sucres mis
à l'épreuve ne reconnaissent pas de la même manière les diverses
influences que j'ai fait agir : tandis que le saccharose s’est
montréindifférent à ces influences, à ne considérer, bien entendu,
que la structure de l'acide lactique engendré, la dextrose leur
obéit toujours dans le même sens, faisant de l’acide gauche sitôt
que nous modifions les conditions de la fermentation. Quant
au mannose, il réagit diversement sous les influences diverses,
faisant tantôt de l’acide droit, tantôt de l’acide gauche, alors
qu'il donne de l’acide inactif dans la fermentation normale.
Rien ne saurait montrer avec plus de netteté l’absence de
toute relation directeentre lastructure du sucre générateur et celle
de l'acide lactique formé, ni mettre plus clairement en évidence
12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
les relations étroites qui existent entre la structure de l’acide
lactique produit et les conditions générales de la fermentation.
Comme on le voit, le ferment de M. Pottevin, qui donne
deux acides lactiques (droit et inactif) avec les divers corps
sucrés, suivant la nature du sucre mis en fermentation, peut
aussi donner les deux mêmes acides lactiques avec un même
sucre; de même notre coli-bacille, qui fait les 3 acides lactiques
stévéo-isomériques avec les divers corps sucrés, peut faire aussi
ces trois acides lactiques avec un même sucre.
REVUES ET ANALYSES
RAPPORT
PRÉSENTÉ AU NOM DE LA SOUS-COMMISSION DE L'HYGIÈNE
À LA COMMISSION EXTRA PARLEMENTAIRE
du Monopole de l’Alcool.
Par M. DUCLAUX. !
MESSIEURS,
Votre Sous-Commission de l'hygiène s’est uniquement préoccupée,
dans ses premières séances, de ce qu’on pourrait appeler le côté phy-
siologique du problème de l'alcoolisme. Tous les projets de monopole
ou de rectification publiés jusqu'ici visent avant tout une réforme
hygiénique: c’est la valeur morale et sociale qu’on leur supposait sous
ce rapport, bien plus que leur incertaine valeur fiscale, qui leur a fait
rapidement tant et de si chauds partisans. Il a paru à votre Sous-
Commission qu’elle se devait et qu’elle vous devait d’attirer l'attention
du public sur le degré de solidité de ces espérances hygiéniques, de
dresser le bilan de ce qu’on pouvait attendre, dans cette voie, des mesu-
res proposées, d'indiquer les barrières naturelles devant lesquelles
toute action législative devient impuissante, bref, d'établir les princi-
1. A la suite de la présentation de divers projets de monopole de l'alcool, une
commission extra parlementaire a été nommée pour l'étude des questions scien-
tifiques et industrielles que soulevaient ces projets. Après avoir tenu quelques
séances, cette commission a nommé deux sous-commissions, l’une dite de
l'hygiène, l'autre dite des voies et moyens. La première a clôturé provisoirement
ses travaux par l’adoption du rapport que voici.
En publiant ce rapport, qui date du mois d'avril dernier, je crois devoir
faire observer qu'il représente les idées de la Sous-Commission, présidée par
M. Ribot, qui l’a accepté à l’'unaminité. Mais il ne va pas jusqu” au bout des mien-
nes. On y retrouvera pourtant quelques-unes de celles que je soutiens depuis long-
temps dans ces Annales, et qui sont revêtues aujourd'hui de toute l’autorité de
la Sous-Commission.
74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
pes dont les pouvoirs publics ne peuvent faire autrement que de s’ins-
pirer, sous peine d’échouer dans leur œuvre.
Tout d’abord une question préliminaire s’est posée devant elle.
Avait-elle le droit, au nom des principes, de proscrire l'alcool sous
toutes ses formes, même sous celle de vin, de bière, de cidre? Il lui a
paru que cet ostracisme absolu n’était pas autorisé. Le vin a une
histoire hygiénique remplie de vicissitudes. Les vieux médecins le
prônaient. IL était encore très en honneur il y a quarante ans. On en
médit aujourd’hui, C’est peut-être qu'en moyenne il est plus mauvais
qu’autrefois et qu’il y entre moins de raisin. Mais ce qui prouve que
ce n’est pas là la seule cause, c’est que beaucoup des médecins qui
proscrivent le vin rouge acceptent le vin blanc, qui est encore plus
facile à falsifier. Quoi qu’il en soit, il y a contre le vin un courant
d'opinion, provoqué par les mauvais vins, mais qu'il serait injuste
d'étendre aux bons. Une Commission, instituée en juillet 1895 auprès
du Ministère de l’Instruction publique, et dont faisait partie notre col-
lègue le docteur Lancereaux, a été bien inspirée de dire que « l’usage
modéré des boissons fermentées produit une légère stimulation du
système nerveux. Le cidre détermine une augmentation de la sécré-
tion urinaire ; la bière à petites doses excite la faim; le vin agit plus
particulièrement comme stimulant ». Mise en présence de la même
question, votre Sous-Commission a cru devoir être encore plus pru-
dente ; elle n’a pas voulu parler des avantages de la consommation du
vin, de la bière, du cidre, du poiré; elle a seulement exprimé l'opinion
que leur usage modéré est sans inconvénient.
Il est entendu que le terme modéré n’est pas défini, parce qu’il n’est
pas définissable. Il faudrait faire entrer dans sa définition à la fois celle
du vin et celle du consommateur, et cela n’est pas possible. Mais cha-
que consommateur sait ce que représente pour lui une dose modérée,
et tout ce qu’a voulu faire la Sous-Commission est de tranquilliser ce
consommateur sur les suites prochaines ou éloignées de son penchant,
à la condition qu’il se modère. Elle y est autorisée au nom de la
science qui ne nous montre dans le vin et la bière bien préparés aucun
principe nocif, au nom de l’expérience qui pendant des siècles a témoi-
gné que l’usage modéré de ces boissons était inoffensif, au nom de
l'intérêt agricole des cultures qui aboutissent au vin, à la bière et au
cidre, au nom enfin (mais je mets cette considération en dernier lieu)
du danger qu’il y a à se montrer intransigeant dans une affaire, même
quand on la traite au nom des principes. Il faut accorder quelque
chose au consommateur quand on veut obtenir de lui quelque chose.
Ce premier point établi, le terrain était déblayé. L'alcool se présente
à la consommation non seulement dans les boissons fermentées, mais
aussi dans les eaux-de-vie qu’on en retire, ou bien encore dans les fleg-
REVUES ET ANALYSES. 75
mes provenant de la distillation des moûts fermentés de betteraves,
de grains et de fruits de diverse nature. Dans ces flegmes et eaux-de-
vie, l'alcool est à un degré de concentration qui en change l'effet sur
l'organisme, Il est absorbé plus rapidement dans l’estomac, passe en
plus grande abondance dans la circulation générale, et l'effet d'exci-
tation qu'il amène lorsqu'il est en petite quantité augmente et peut
devenir dangereux lorsque cet effet est porté trop haut chez celui qui
s’enivre, ou lorsqu'il se répète trop souvent chez celui qui prend l’ha-
bitude de l’alcool. Or toute sensation, même la plus agréable, même
la plus utile, lorsqu'elle est trop exaltée, devient un danger. Il en est
de même pour l'excitation alcoolique qui, même produite au moyen
d'alcool tout à fait pur, est nuisible à la santé, dès qu’elle devient
trop violente ou trop fréquente. :
Ce n’est pas tout : les flegmes et eaux-de-vie contiennent tous, en
proportions variables, des aldéhydes, des alcools supérieurs et d’au-
tres produits provenant soit des fermentations variées dont le moùt
a été le siège, soit des matières premières qui ont servi à les obtenir.
Toutes ces substances, que nous appelons du nom impropre d'impu-
relés, sont toxiques, bien plus toxiques à volume égal que l’alcool.
C’est ce que nous ont montré, les premières, les belles expériences de
MM. Laborde et Magnan, et ce qui a été confirmé depuis par une foule
de physiologistes. Le danger propre de ces substances s’ajoute au dan-
ger de l'alcool qui les a entraînées avec lui, de sorte qu'il y a plus
d'inconvénients à boire un alcool chargé d’impuretés qu’un alcool au
même degré qui n’en contiendrait pas.
C'est de cette conséquence très juste que sont partis tous les projets
qui visent à résoudre hygiéniquement le problème de l’alcoolisme en
améliorant la rectification. Supprimons ces impuretés, ont-ils dit, et
nous obtiendrons un alcool à peu près inoffensif, que le consommateur
pourra absorber et l’État vendre en grandes quantités, et qui enrichira
le Trésor sans appauvrir la race. Ce serait l’idéal. Mais votre Sous-
Commission était obligée de s’en tenir aux réalités.
Ellea d’abord établi comme principe qu’il n’y a aucun alcool distillé
quisoithygiénique, et qu’au delà d’une certaine limite l’alcool éthylique
le plus pur devient dangereux. Cette limite est, il est vrai, assez élevée
pour lui, plus élevée que pour les autres alcools et les substances quali-
fiées d’impuretés. Mais il a paru inutile de la fixer, parce que l’alcoo!
tout à fait pur est imbuvable. Le consommateur ne le recherche ou
ne l’accepte qu’accompagné de quelques-unes de ces impuretés qui lui
donnent son goût, son parfum ou son cachet: de sorte que si en recti-
fiant l'alcool on le rend plus inoffensif, on lui enlève d’un autre côté sa
clientèle.
De bons esprits ont pensé qu'il y avait là une solution, et qu'en ne
76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
donnant aux consommateurs que de l'alcool purifié et par là peu agréable
à boire, on les corrigerait de ce goût. C’est évidemment là une illusion.
Il faudrait un gouvernement singulièrement fort pour imposer un
goût au public, et une police singulièrement vigilante pour empêcher
ce public de faire rentrer dans la consommation les impuretés donton
voudrait le priver, ou de les remplacer par d’autres tout aussi dan-
gereuses. L'expérience a du reste montré qu’en Suisse il a fallu rendre
aux consommateurs le goût de fusel, d'alcool de pomme de terre,
auquel ils étaient habitués dans leur alcool, Ils le réclamaient comme
électeurs, comme clients, et comme logiciens, car pourquoi leur refuser
les éléments de sapidité qu’on concédait aux buveurs de kirsch ou de
cognac authentique.
Aucun alcool, même le plus cher, n’est en effet exempt de ces impu-
retés. Elles varient de l’un à l’autre en qualité eten quantité, sont, de
l’un à l’autre, plus ou moins dangereuses à raison de cette double cause
de variation; mais elles existent partout, parce qu'elles ne peuvent être
absentes nulle part. On ne peut songer à les faire disparaitre, et par
suite le problème de l’alcoolisme n’est pas un problème de perfection-
nement dans la rectification. D'ailleurs ceux-là mêmes qui préconisent
cette solution n’ont jamais songé à en faire une solution générale. Ils
ne songent nullement à rectifier les kirschs, les cognacs, les rhums et
en général les eaux-de-vie de marque. Ils proposent de rectifier seule-
ment les eaux-de-vie de betteraves ou de grains, ce qu’on appelle
d'ordinaire les alcools d'industrie.
Il est certain qu’il y a un progrès à accomplir de ce côté, et qu'on
pourrait chercher à assurer davantage la pureté des alcools provenant
non seulement de l'industrie, mais aussi des bouilleurs de cru.
Contrairement à ce qu’on croit d'ordinaire, il n'y a aucune supério-
rité des uns sur les autres. Les fermentations industrielles donnent
parfois des alcools très impurs, mais que la rectification purifie. Par
contre, les fermentations faites chez les bouilleurs de cru donnent
parfois des alcools impurs que la simple distillation à laquelle ils sont
soumis n’améliore pas, et quand ces bouilleurs de cru deviennent à
leur tour des bouilleurs de cuit et font de l’alcool de betteraves
ou de pommes de terre, leur alcool est beaucoup plus mauvais que
l'alcool industriel. Un contrôle hygiénique qui arrêterait des l’origine
ou empècherait de circuler un alcool contenant au delà d’un certain
minimum d’impuretés serait un bienfait.
Mais autant il est sage d'espérer une amélioration de ce côté,
autant il serait vain d'espérer qu’elle sera considérable; car d’un
côté, les impuretés, de quelque nature qu’elles soient, ne peuvent être
totalement éliminées dès qu’une catégorie de consommateurs les
recherche ; de l’autre, dès qu’elles atteignent une certaine proportion,
REVUES ET ANALYSES. 14
elles deviennent intolérables pour l'immense majorité des consom-
mateurs. C’est entre ces deux barrières naturelles que l'action légis-
tive doit se mouvoir, si elle ne veut pas se briser contre plus fort
qu'elle.
Or, dans ces limites, il est facile de faire le départ de l’action
nocive due aux impuretés et de l’action nocive due à l'alcool qui leur
sert d’excipient. On trouve alors qu'il y a disproportion évidente entre
ces deux actions nocives. Les substances qui constituent les impuretés
sont chacune individuellement un poison plus actif que l'alcool,
80 fois plus actif par exemple pour le furfurol. Mais, amenées à l’état
de dilution tolérable pour le consommateur, elles tombent, comme
nocivité, au-dessous de lalcool qui les contient. C’est ainsi par
exemple, que pour absorber dans un rhum la quantité de furfurol
capable de le tuer par injection dans les veines, un consommateur
devrait boire un demi-mètre cube de liquide: il serait mort par
l'alcool longtemps avant de l’ètre par le furfurol consommé.
Votre Sous-Commission a cru nécessaire de traduire cette notion
scientifique en disant que « dans les alcools livrés à la consommation,
même les plus mal rectifiés, l’action nocive des impuretés est loin
d’égaler l’action nocive de l’alcool qui les contient »,
La question ainsi réglée du côté des impuretés naturelles des
alcools de distillation, la Sous-Commission avait devant elle les impu-
retés artificielles et ajoutées, les bouquets, les essences, les sauces, les
ingrédients divers qui servent à préparer les absinthes, bitters, ver-
mouts, apéritifs, etautres boissons d’avantetaprèslesrenas. Envisagées
dans leur ensemble, ces substances sont beaucoup plus dangereuses,
à l’état pur, que les impuretés naturelles. C’est ce qu'ont démontré
les expériences de tous les physiologistes. Votre Sous-Commission a
été d'accord avec tous ceux qui l'ont précédée dans l'étude de cette
question, en affirmant une fois de plus que «le danger est beaucoup
plus grand avec les essences, bouquets et autres ingrédients artificiels
qu’on ajoute à l’alcool pour en faire les vermouts, apéritifs, absinthes
du commerce. L’action nocive de ces substances, même lorsqu'elles
sont les plus pures et les mieux choisies, peut augmenter dans une
large mesure l’action nocive de l’alcoo! qui les contient ».
La dernière partie de cette proposition répond à une préoccupation
qui existe chez un grand nombre d'hygiénistes, et dont on trouve
trace dans tous les projets de réforme du régime des alcools, Presque
tous, sinon tous, renoncent à proscrire par exemple labsinthe : ils
considèrent comme impossible cette œuvre hygiénique au premier
chef, et comme ils sentent bien qu’ils pratiquent ainsi un énorme
accroc dans les principes dont ils s'inspirent, ils se sauvent de cette
difficulté en disant qu’on cherchera des substances moins dangereuses
18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
que l’absinthe pour faire de l’absinthe, et qu’au besoin on les deman-
dera à l’Académie de médecine,
Cette Académie, quelle que soit l'illustration de ses membres, sera
sûrement fort embarrassée le jour où elle aura à répondre à cette
demande. Elle dira sans doute, en se tenant à son tour sur le terrain
des principes, qu’elle ne connait pas plus parmi les essences et
bouquets que parmi les alcools supérieurs de substance qui soit
agréable au consommateur sans être périlleuse pour lui, point de
plaisir qui ne devienne un danger si on en abuse, et qu’en particulier
si elle peut enseigner, à la rigueur, à verdir de l’orgeat, elle n’ensei-
gnera pas pour cela à en faire de l’absinthe. Il n’y a donc qu’à répéter,
à ce sujet, ce que nous disions au sujet des impuretés naturelles des
alcools : il est souhaitable qu’un contrôle hygiénique survienne pour
empêcher les fabrications trop éhontées de ces boissons à bouquets
ou à essences, bien que ce contrôle soit destiné à se heurter à de
plus grandes difficultés qu’au sujet de l’alcool ; mais de ce côté-là
encore, il n’y à pas grand’chose à espérer au point de vue hygiénique;
car «on ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût,
capable de donner à l’alcool pur une des saveurs réclamées par le
consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan-
gereuse pour qui la consomme habituellement. »
Ceci est la 6® proposition votée par la Sous-Commission, et elle
termine l’exposé des principes. La 7° proposition tire de ces principes
leurs premières conséquences pratiques, et on va y retrouver, conden-
sées et résumées, quelques-unes des conclusions rencontrées plus haut.
« En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhaitable
de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus inoffensifs
possible ; mais on ne peut espérer trouver la solution du problème de
l'alcoolisme dans l'amélioration de ces produits.
« En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des
bouquets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé
publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindre
l'usage; on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients
qui servent à les fabriquer, mais on n’en connaît pas qui satisfassent
à la fois le consommateur, et soieni sans action nocive sur ses
organes. »
Dans toutes les directions, c’est donc toujours la même loi qu’on
rencontre : le plaisir engendre l’abus, et l’abus fait naïtre le danger. IL
y a au fond de ce problème de l'alcoolisme, une question de physiologie
qui domine la question de législation. Contre ce fonctionnement physio-
logique, ni l'individu ni la société ne sont désarmés, mais à la condition
d'avoir appris à le bien connaitre. L’individu peut se surveiller et
faire intervenir sa contrainte morale; la société peut, par l’éduca-
REVUES ET ANALYSES. 17
tion, rendre chez lui l'exercice de la volonté plus facile et plus libre,
diminuer autour de lui les occasions de tentation en diminuant le
nombre des cabarets, etc. Mais discuter ces moyens serait empiéter
sur le domaine de la Sous-Commission des voies et moyens. Pour le
moment, la Sous-Commission d'hygiène ne peut que lui renvoyer, à
titre documentaire, le résultat de ses délibérations, qu’elle a terminées
par la proposition suivante qui les résume :
« Toute réforme qui veut être hygiénique doit donc s’attacher,
d’abord et surtout, à diminuer la quantité d’alcool consommé, et en
second lieu à en améliorer la qualité. »
Si on revient maintenant sur l’ensemble de ces propositions, qui
sont surtout d'ordre théorique, et si on les confronte avec les divers
projets de monopole présentés jusqu’à ce jour, on peut voir que la
conclusion de cette comparaison est la suivante :
La Sous-Commission conclut qu’il y a quelque chose à gagner au
point de vue de l'hygiène à assurer la purification des alcools d’alambic.
Divers projets de monopole visent le même but, mais latéralement,
et on peut l’atteindre sans aucun monopole.
La Sous-Commission conclut plus fortement encore contre les bois-
sons à bouquets et à essences. Les divers projets de monopole accep-
tent l’absinthe, et émettent seulement l’espérance illusoire qu’on
arrivera à en fabriquer d'hygiénique; à ce point de vue, votre Sous-
Commission ne peut se rallier à aucun d’eux.
La Sous-Commission conclut enfin qu’il faut essayer de restreindre
le plus possible le nombre des buveurs. Tout monopole rêve au con-
traire de l’augmenter, et cela par la force des choses, et malgré toute
législation. A ce point de vue, votre Sous-Commission considérerait tout
monopole comme funeste au point de vue de l’hygiène, car il n'existe
pas d’alcool hygiénique, si bien purifié ou si bien cuisiné qu'il soit.
CONCLUSIONS.
À, — L'alcool, lorsqu'il est consommé à l’état de vin, de bière, de
cidre, de poiré, etc.., est une substance dont l’usage modéré est sans
inconvénients lorsque ces boissons sont bien préparées.
9. — Aucun alcool distillé n’est hygiénique, et, au delà d’une cer-
taine limite, l’alcool le plus pur devient dangereux.
3. — Les impuretés naturelles qui accompagnent à la distillation
l'alcool! de fermentationajoutent leur danger propre au dangerde l’alcool
qui les contient.
4. — Dans les alcools livrés à la consommation, même les plus
mal rectifiés, l'action nocive des impuretés est loin d’égaler l’action
nocive de l’alcoo!l qui les contient,
80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
5. — Le danger est beaucoup plus grand avec les essences, bouquets
et autres ingrédients artificiels qu’on ajoute à l'alcool pour en faire les
vermouts, apéritifs, absinthes du commerce, etc. L'action nocive de
ces substances, même lorqu’elles sont les plus pures et les mieux choi-
sies, peut augmenter dans une large mesure l’action nocive de l'alcool
qui les contient.
6. — On ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût,
capable de donner à l'alcool pur une des saveurs réclamées par le
consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan-
gereuse pour qui la consomme habituellement.
7. — En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhai-
table de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus
inofensifs possible; mais on ne peut espérer trouver la solution du
problème de l'alcoolisme dans l’amélioration de ces produits.
En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des bou-
quets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé
publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindré l'usage ;
on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients qui ser-
vent à les fabriquer; mais on n’en connaît pas qui satisfassent à la fois
le consommateur et soient sans action nocive sur ses organes.
8. — Toute réforme qui veut être hygiénique doit s'attacher d’abord
et surtout à diminuer la quantité d'alcool consommé, et en second lieu
à en améliorer la qualité.
—— ——————— — ————
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux, — Imprimerie E. Charaire.
49me ANNÉE FÉVRIER 1898 No 2.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
RECHERCHES
SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES
Par EL. METCHNIKOFF
DEUXIÈME MÉMOIRE
INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LA TOXINE TÉTANIQUE
Les recherches résumées dans mon premier mémoire sur les
toxines (ces Annales, novembre 1897, p. 801) m'ont amené à
étudier d’une façon plus détaillée les phénomènes qui se passent
dans l’organisme des sauropsidés en général, et des poules en
particulier, après injection de la toxine tétanique.
Dans le courant de ces expériences, faites pendant les deux
dernières années, j'ai eu souvent occasion d'étudier l’action
tétanigène sur des souris auxquelles j'avais injecté en même
temps ou peu de temps auparavant des fragments du cerveau et
de la moelle épinière de tortues et de poules; comme je l’ai dit
dans mon premier mémoire, je n'ai observé aucune action anti-
toxique de ces organes.
Comme cette constatation semble être en désaccord avec les
faits, si intéressants, découverts tout récemment par MM. Was-
sermann et Takaki', et comme d'un autre côté ces faits promet-
taient de jeter une vive lumière sur la question de la produc-
tion de l’antitoxine, je me me suis mis à étudier l'influence du
système nerveux central sur la toxine du tétanos.
1. Berliner Hlinische Wochenschr., 1898, n° 1,
82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans le but d’élucider l’apparente contradiction entre les
résultats de MM. Wassermann et Takaki, obtenus surtout avec le
cerveau de cobaye, et les miens, obtenus avec les centres ner-”
veux des tortues et des poules, j’ai d’abord étudié comparative-
ment l'influence du système nerveux central de ces diverses
espèces animales sur la toxine télanique.
J'ai pu d’abord confirmer l’expérience fondamentale et si
intéressante de MM. Wassermann et Takaki : le cerveau de cobaye,
broyé avec de l’eau stérile ou avec de la solution physiologique
de chlorure de sodium, et injecté en mélange avec des doses plu-
sieurs fois mortelles de toxine tétanique, préserve contre le téta-
nos les animaux les plus sensibles, comme le cobaye et la souris.
Des doses minimes de cerveau exercent déjà une action mani-
feste, et, par exemple, 8 milligrammes de cerveau de cobaye
normal peuvent suffire pour préserver des souris contre la dose
sûrement mortelle (pour des souris non traitées) de toxine téta-
nique.
Le cerveau de cobaye produit cette action antitoxique non
seulement chez la souris, mais aussi chez le cobaye.
Même le cerveau, prélevé sur des animaux atteints de tétanos
mortel, manifeste son action contre la toxine tétanique dans le
cas où on l’injecte en mélange avec celle-ci à des animaux neufs.
Ainsi 36 milligrammes de cerveau, retirés à un cobaye en plein
tétanos généralisé, ont préservé une jeune souris blanche contre
le tétanos mortel. Des constatations analogues ont été faites pour
le cerveau des souris tétaniques.
Eh bien, tandis que le cerveau de ces rongeurs, doués d’une
sensibilité extraordinaire pour le tétanos, agit d’une façon si
remarquable, les centres nerveux des animaux réfractaires ou
très peu sensibles au tétanos n’exercent aucune action antitéta-
nique, ou bien cette action n’est que très peu appréciable.
La moelle épinière des tortues (Cistudo lutaria et Testudo
pusilla), injectée à des souris en mélange avec des doses faibles
de toxine tétanique, non seulement n'empêche pas le tétanos
mortel de se produire, mais même n’amène aucun retard dans
la marche et l’issue de la maladie. Le cerveau de ces reptiles
ralentit l'apparition du tétanos, sans empêcher son développe-
ment, ni la mort.
Les centres nerveux de la poule, animal incomparablement
INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 33
moins sensible au tétanos que le cobaye ou la souris, exercent
une action faible sur le tétanos des souris. [ci encore la moelle
épinière est inefficace, tandis que le cerveau, s'il n'empêche pas
le développement du tétanos, ralentit au moins la marche de la
maladie et transforme un tétanos aigu et mortel en une maladie
chronique et guérissable. Et encore, pour obtenir cet effet, il ne
faut se servir que de doses faibles de toxine, amenant la mort
des témoins en trois à cinq jours au moins. Ces faits expliquent
pourquoi, dans mes expériences de ces dernières années, je n’ai
pas pusaisir l'effet antitétanique des centres nerveux des saurop-
sidés étudiés.
Des données que je viens de résumer on pourrait conclure
que l’action antitétanique des centres nerveux n’a rien à faire
avec l’immunité des espèces animales qui fournissent la matière
cérébrale, mais serait plutôt en rapport avec la réceptivité pour
le tétanos. Plus un animal est sensible à la toxine tétanique,
plus ses centres nerveux seraient eflicaces contre ce poison.
Dans l'intention de vérifier cette hypothèse, je me suis adressé
à des grenouilles, animaux très sensibles pour le tétanos. Il est
vrai qu'à des températures basses, les grenouilles ne contractent
cette maladie qu'avec des doses considérables de toxine, mais
à 37° (ou à peu près) il suffit de doses très petites pour amener
chez elles Le tétanos mortel. Ainsi toutes mes tentatives pour
vacciner des grenouilles contre la toxine tétanique ont échoué
à cause de la grande sensibilité de ces batraciens vis-à-vis du
tétanos.
Eh bien, le cerveau des grenouilles (Rana fusca) est d’une inef-
ficacité absolue contre la toxine tétanique, injectée en même
temps que lui à des souris.
Il résulte donc de mes expériences que l’action antitétanique
des centres nerveux est un privilège des mammifères. La poule
a des centres nerveux beaucoup moins efficaces; les tortues ne
produisent qu’un effet très faible; les grenouilles ne manifestent
aucune action antitétanique.
On arrive à cette conclusion que le fait découvert par
MM. Wassermann et Takaki ne peut nullement étre utilisé pour expli-
quer l'immunité naturelle contre le tétanos. Déjà les données anté-
rieures ont démontré que cette immunité ne pouvait être attribuée
à une action antitoxique du sang. Celles que nous venons de
84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
résumer prouvent qu'elle ne peut non plus trouver son explica-
tion dans une action antitoxique des centres nerveux. La thèse,
exposée dans mon premier mémoire, que l’immunilé naturelle ne
dépend pas du pouvoir antitoxique, se trouve donc corroborée.
Mais peut-être l’immunité acquise pourrait-elle être réduite
à l’action antitétanique des centres nerveux des animaux vacci-
nés contre le tétanos? Des expériences inédites de MM. Roux et
Vaillard sur leslapins immunisés, ainsi que mes propres recher-
ches sur les poules, dont le sang était devénu antitoxique à la
suite d’injections de toxine tétanique, ne plaidaient pas en faveur
de cette hypothèse. Mais, comme le problème est en général très
délicat et compliqué, il était nécessaire de chercher des faits
nouveaux, capables de l’élucider autant que possible.
Comme les éléments qui produisent l’antitoxine peuvent en
même temps renfermer des dépôts de toxine ou au moins de
toxoïdes d'Ehrlich, ces substances pourraient masquer l’action
antitétanique des centres nerveux des animaux injectés avec
de fortes quantités de toxine tétanique. Voilà pourquoi il est
devenu très important de faire des études comparatives du pou-
voir antitoxique des humeurs et des centres nerveux d'animaux
immunisés qui, depuis une période de temps suffisamment
longue, n'avaient pas reçu d’injections toxiques. C’est ce que
nous avons tâché de réaliser.
Parmi nos poules, traitées avec de la toxine tétanique, il s’en
est trouvée une dont le sang était encore sensiblement anti-
toxique, bien que la poule n’eût plus reçu de toxine depuis près de
huit mois (239 jours). Une partie des hémisphères du cerveau
a été enlevée à l’animal vivant, dans le but d'étudier le
pouvoir antitétanique de cet orgare, comparé à la propriété anti-
toxique du sang. Cette expérience a démontré que le sang était
plus antitétanique que le cerveau. Aïnsi par exemple, 10 centi-
grammes de ce dernier n'ont pas empêché le tétanos, tandis que
6 centigrammes de sang élaient suffisants pour préserver une
souris. L’injection de mélange d’une dose de toxine tétanique
faiblement mortelle (en 5 et 6 jours), avec 0,05 gramme de cer-
veau n’a pas empêché une souris de mourir en même temps
que le témoin. Et cependant cette quantité de cerveau d’une
poule normale est déjà quelquefois capable d'exercer une cer-
laine influence (quoique faible) sur la marche du tétanos.
[INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 85
L'opération d’ablation d’une partie du cerveau, comme c’est
larègle, a été bien supportée par la poule. Le lendemain il s’est
produit une leucocytose notable, et le sang, retiré deux jours
après l’ablation d’une partie des hémisphères, s’est montré plus
antitoxique qu'auparavant. Trois centigrammes de sang entier
ont suffi pour empêcher le tétanos de se produire chez une sou-
ris. Son pouvoir antitétanique a donc doublé.
La poule opérée a été gardée pendant 17 jours, après quoi
elle a été sacrifiée, dans l'intention d'étudier la propriété anti-
toxique de ses organes. Cette fois le sang a été trouvé moins
antitétanique que le surlendemain de l'opération, et même moins
actif qu'avant celle-ci. 3 centigrammes n’empêchaient plus le
développementdutétanos, et même la dose double (0,06 gramme)
n'était pas suffisante pour préserver les souris d’une façon
complète; elles prirent un léger tétanos, duquel elles guérirent
facilement. |
Le cerveau s'est montré au contraire plus efficace qu’aupara-
vant. Les doses employées étaient, il est vrai, incapables d’em-
pècher le tétanos; mais elles amenaient un certain ralentissement
dans la marche de la maladie. Le pouvoir antitétanique du
cerveau s’est montré égal à celui du sang entier. Par contre, la
moelle épinière n’a pas manifesté d'action antitoxique à des
doses correspondantes aux doses actives du sang et du cerveau.
De tous les'autres organes internes (muscles, foie, rate,
reins, moelle des os, ovaire), l'ovaire, composé d’ovules jeunes,
ne renfermant que du vitellus blanc, s’est montré le plus efti-
cace. Dix centigrammes de ce vitellus ont préservé d’une façon
complète la souris contre {a dose de tétanine, mortelle en trois
ou quatre jours. Les ovules ont donc été plus antitétaniques que
la moelle épinière.
Les faits que je viens de résumer ne permettent pas de voir
dans les centres nerveux la source unique ni principale de
l’antitoxine tétanique, chez la poule traitée par la toxine. Si tél
était le cas, on ne comprend pas pourquoi le sang, liquide
renfermant beaucoup plus d’eau que les systèmes nerveux, pré-
senterait un pouvoir antitétanique égal ou même plus fort que
le cerveau et la moelle épinière.
Comme, dans l'expérience que je viens citer, 1l s’est présenté
cet inconvénient que la propriété antitoxique du sang n'avait
86 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
été que peu marquée, je me suis adressé à un cobaye vacciné,
chez lequel le pouvoir antitétanique des humeurs était plus
prononcé, el qui, sous d’autres rapports aussi, présentait de.
grands avantages pour l’expérimentation.
Il s’agit d'un cobaye vacciné contre le tétanos en 1895, et
qui a reçu sa dernière injection de toxine il y a déjà presque
deux ans (exactement depuis 23 mois et 12 jours avant l’opé-
ration). Malgré ce long laps de temps, son sang a encore été
si nettement antitoxique, que deux dix millièmes de c. c. empè-
chaient le tétanos mortel (qui tuait les témoins en 3 ou 4 jours),
et des doses un peu plus élevées préservaient complètement
contre le tétanos.
Dans le but d'étudier l’action antitoxique des liquides de
l'organisme (pour lacomparer ensuite avec celle des organes), j’ai
provoqué chez le cobaye en question une exsudation péritonéale,
à l’aide d’une injection de 10 c. c. de solution physiologique de
NaCI. Vingt-deux heures après j'ai retiré un exsudat opaque,
renfermant 118,000 ieucocytes par m. m. c. {dont 46 0/0 de gros
mononucléaires). Son pouvoir antitélanique s’est montré au
moins deux fois plus fort que celui du sang entier : 0,0002 ce. c.
empêchaient le tétanos de se développer, tandis qu'avec
0,0001 ce. ©. les souris ne prenaient qu'un tétanos des plus
légers, duquel elles guérissaient au bout de quelques jours.
Trois jours après, il a été fait une nouvelle prise de l’exsudat
péritonéal. Gette fois-ci il était purement hémorragique, ne
renfermait que 43,800 leucocytes dans 1 m. m. c. et, au point
de vue de la propriété antitétanique, il se comportait tout à fait
comme le sang entier dont j'ai déjà parlé.
Le lendemain de la dernière prise de l’exsudat péritonéal,
il a été retiré un peu de substance des hémisphères du
cerveau, opération qui a été bien supportée par le cobaye. La
masse cérébrale extraite a été broyée avec de la solution physio-
logique de NaCI, stérilisée et inoculée dans la cuisse de souris
blanches, mélangée avec la toxine tétanique. Injecté à toute une
série de souris, le cerveau s’est montré notablement moins
antitétanique que le sang et l’exsudat péritonéal. Pour préserver
une souris du tétanos, il fallait lui introduire une quantité de
cerveau 25 fois plus forte (0,005 gramme) que celle d’exsudat
péritonéal. La moitié de cette dose (0,0025 gr.) n’empèchait pas
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INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 87
encore le développement manifeste du tétanos avec une quantité
de toxine qui tuait les témoins en 3-4 jours. Avec des doses de
cerveau qui correspondaient à des quantités de sang sûrement et
entièrement antitoxiques (0,0003-0,0006 gr.) les souris pre-
naient un fort tétanos chronique, tandis que les quantités de
matière cérébrale, auxquelles correspondaient des doses efficaces
de l’exsudat péritonéal (0,00015 gr.) ne faisaient que retarder la
mort de deux jours.
Comme les cobayes résistent souvent moins bien à l’ablation
cérébrale que les poules, le mien, quoique bien rétabli et en bon
élat, a été sacrifié deux jours après l'extraction d’une partie des
hémisphères.
En fait d'humeurs, on a étudié le sang entier (renfermant
18,200 leucocytes dans 1 m. m. c.), l’exsudat péritonéal hémor-
ragique (avec 25,400 leucocytes dans 4 m. m. c., dont 28 0/0 de
gros mononucléaires) et le liquide du péricarde (avec 4,500 leu-
cocytes, dont #7 0/0 de macrophages). Les deux premiers
liquides se sont montrés de force antitétanique pareille, mais
plus active que n’a été le sang avant l’ablation du cerveau. Il
s’est produit après celle-ci un accroissement du pouvoir anti-
toxique, semblable à celui du sang de la poule. Avec 0,00012 c. c.
de sang ou de l’exsudat péritonéal, le tétanos n’était pas complè-
tement empêché, mais présentait une forme très légère et passa-
gère. Même une dose deux fois moindre (0,00006 c. c.), incapable
d'empêcher le tétanos grave, amenait cependant la guérison
définitive. Le liquide péricardique a manifesté une efficacité sen-
siblement plus faible que les deux autres liquides, mais il
empêchait le tétanos grave et mortel même à la dose de
0,00012 c. c.
En outre des centres nerveux (cerveau et moelle épinière), Le
pouvoir antitétanique a été étudié avec le foie, la rate, la moelle
des os, le rein et les capsules surrénales.
Le cerveau et la moelle épinière ont manifesté une propriété
antitoxique égale, et notablement plus faible que le sang et les
autres liquides de l’organisme. Même 0,0019 grammes de cer-
veau et 0,0018 grammes de moelle n’ont pas empèché le dévelop-
pement d’un tétanos fort avec des doses de toxine qui ne tuaient
les témoins qu’en 4 à 5 jours 1/2.
Malgré l'injection de 0,00095 grammes de cerveau, la souris
88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
est morte de tétanos avec un retard de deux jours, et la souris
qui a reçu la moitié de cette dose de cerveau (0,00047 grammes),
est morte du tétanos avant son témoin.
Les centres nerveux ont donc présenté un pouvoir antitéta-
nique dix fois plus faible que le sang et l’exsudat péritonéal.
Comme le cobaye a été sacrifié par la saignée à blanc, les
organes internes ne renfermaient pas beaucoup de sang. Et
cependant tous ceux que j'ai examinés ont manifesté une action
antitétanique plus forte que les centres nerveux, mais moindre
que les liquides; c’est le rein qui s’est montré le plus antitoxique
parmi les viscères, ce qui correspond aux données établies par
M. Dzierzgowski ‘ pour des chevaux immunisés contre la
toxine diphtérique.
Le foie a présenté une antitoxicité à peu près quatre fois plus
forte que les centres nerveux. La rate et la moelle des os se sont
montrés au contraire être les viscères les moins antfitétaniques.
Le cobaye, dont je viens de résumer l’histoire, nous fournit
des renseignements encore plus précis que ceux que nous avait
donnés la poule. Nous sommes conduit à cette conclusion que
les centres nerveux, même dans des conditions particulièrement
favorables, ne se présentent pas comme le foyer de production ou le
lieu de dépôt d’antitoxine, qui de là passerait dans le sang et les autres
humeurs de l'organisme.
Pour M. Wassermann et un grand nombre des savants qui
ont analysé son travail, il paraît naturel d'admettre que la pro-
priété antitoxique de la matière des centres nerveux corres-
pond à la même propriété existant dans ces organes à l’état
normal. Et cependant il est impossible d'accepter cette manière
de voir. Déjà au moment des publications de MM. Wassermann
et Takaki, M. Roux est arrivé à cette conclusion, basée sur un
travail sur le tétanos céphalique, exécuté par M. Worax dans son
laboratoire, que les choses doivent se passer d'une façon bien
différente lorsque la toxine tétanique pénètre dans le cerveau normal,
et lorsqu'elle est introduite dans l'organisme avec de la substance
cérébrale broyée. En effet, M. Morax a pu constater que la
toxine télanique, injectée dans le cerveau, produit invariable-
ment le tétanos cérébral, même si l’on n’introduit que la dose
minimale mortelle pour un lapin par injection sous-cutanée.
1. Archiv f. exper. Pathologie 1897. F.38, p. 211.
INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 89
Les faits rapportés dans ce mémoire corroborent cette
manière de voir. Ainsi, les animaux en plein tétanos fournis-
sent une substance cérébrale, dont une petite quantité suffit
pour préserver du tétanos des animaux neufs. Le cerveau d'un
cobaye, incapable de protéger contre la dose simplement mor-
telle de la toxine tétanique lorsqu'il se trouve dans ces condi-
tions naturelles, suffit pour préserver au moins dix cobayes,
qui le reçoivent broyé, en mélange avec la même dose de
toxine tétanique. Les expériences de M. Marie, publiées dans ce
même numéro des Awnales, dans lesquelles une partie du cer-
veau, prélevée sur un lapin et injectée au même animal avec la
dose mortelle de toxine tétanique, le préserve contre le
tétanos, amènent à la même conclusion. Il se produit donc dans
cette immunité artificielle, conférée par les centres nerveux,
quelque chose d’analogue avec ce qui se passe pour la propriété
bactéricide du sang des rats. Ces rongeurs prennent facilement le
charbon, inoculé sous la peau; la maladie devient sûrement
mortelle et n’est nullement empêchée par toute la masse du
sang de l'animal. Mais lorsqu'on introduit avec la bactéridie un
peu de sang retiré à un rat, celui-ci résiste au charbon.
Dans cet exemple d’immunité artificielle, conférée par du
sang d'un animal sensible au charbon, il s’agit d’une propriété
bactéricide très accusée, exercée par le sang de l'organisme,
vis-à-vis de la bactéridie. En est-il de même pour l’immunité
contre le tétanos, produite avec la substance cérébrale? Cette
substance, impuissante pour empêcher le tétanos, lorsqu'elle
se trouve dans ces conditions naturelles, serait-elle capable de
détruire la toxine tétanique, lorsqu'elle est broyée et mélangée
avec celle-ci ? Cette supposition doit être rejetée en présence du
fait que l'émulsion de matière cérébrale de cobaye est plus
active pour la souris que pour le cobaye. En effet, si l'on injecte
dans la cuisse de ces deux espèces de rongeurs les mêmes
mélanges de substance cérébrale avec la toxine tétanique, on
constate que le létanos est plus facilement empêché chez la
souris que chez le cobaye. La toxine tétanique n'est donc pas
détruite pur la masse cérébrale broyée, et l'efficacité de celle-ci doit
être attribuée à l'intervention de l'organisme même.
Lorsqu'on examine les phénomènes qui se produisent dans
l'organisme qui a reçu de la toxine tétanique seule ou bien
90 , ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
additionnée de substance cérébrale, on trouve une grande
différence dans les deux cas. On peut la constater dans n’im-
porte quelle région de l'organisme, mais c’est la chambre anté-
rieure de l'œil des lapins qui se prête le mieux à ce genre
d'observation. À la suite d’une injection de toxine tétanique
seule, l'œil conserve son état normal ou à peu près, la réaction
étant insignifiante. Lorsque au contraire on introduit dans la
chambre antérieure la même toxine avec un peu de substance
cérébrale broyée, on voit se produire une inflammation intense
qui amène un hypopyon. Cette réaction est beaucoup plus forte
que celle qu'on obtient après l'injection de la substance céré-
brale seule.
Le mélange de toxine tétanique et de masse cérébrale
provoque done une réaction inflammatoire considérable dans
l'œil, comme dans les tissus de la cuisse ou ailleurs encore, et
cette réaction amène une quantité de leucocytes. Or, depuis
longtemps on a remarqué que ces cellules, si aptes à saisir et
détruire les microbes, sont aussi capables d’absorber des sub-
stances toxiques.
Dans mon rapport sur J'immunité, présenté au congrès de
Budapest en 1894, j'ai insisté sur ce fait que les phagocytes
réagissent non seulement contre les microbes, mais aussi contre
les poisons.
Dans le mémoire sur le choléra, publié par MM. Roux,
Salimbeni et nous-même ?, il a été question de ce rôle des
leucocytes dans la péritouite cholérique expérimentale, et il a
été exprimé cette idée que les leucocytes, saisissant les vibrions,
digèrent en même temps les microbes et « la toxine qu’ils con-
tiennent ». Ce rôle des phagocytes, dirigé contre les poisons,
devient de plus en plus évident, et il est extrêmement probable
qu'il s'exerce aussi dans le cas de l’immunité artificielle contre
le tétanos conférée par la masse des centres nerveux. Nous espé-
rons dans un mémoire prochain revenir sur cette question qui
présente un intérêt général.
4. Ces Annales, 1894, pp. 719 et 721.
2. Ces Annales, 1896, p. 272.
veucdei hemtéimnc di difcatinas ét os died Diese tit
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RECHERCHES
SUR LEN © PROPRIÉTES ANTITÉTANIQUES »
DES CENTRES NERVEUX DE L'ANIMAL SAIN
Par Le Dr A. MARIE,
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)
Dans un travail antérieur ‘, nous avions entrepris autrefois
une série d'expériences sur le sort de la toxine tétanique injectée
chez différents animaux; dans aucun cas, nous n'avions pu
déceler trace du poison dans aucun des organes du corps, en par-
ticulier ni dans l’encéphale ni dans le moelle épinière.
La découverte récente de Wassermann ? sur « l’action anti-
tétanique des centres nerveux » chez l’animal sain explique ces
résultats négatifs. On sait en quoi consiste l'expérience de Was-
sermann. Si dans une émulsion d'éléments du cerveau ou de
la moelle d’un animal sain, on incorpore la dose de toxine téta-
nique mortelle, on pourra injecter ce mélange à une souris,
sans qu’elle prenne le tétanos, dont mourra la souris témoin qui
a reçu la même dose de toxine seule.
Les mammifères, aptes à contracter le télanos ; quelques
oiseaux, dont le pigeon, qui sont également sensibles à la
toxine, présentent cette propriété intéressante de leurs centres
nerveux.
Nous allons relater ici quelques expériences pour lesquelles
nous avons opéré sur le lapin.
Ayant trituré et dilué le cerveau entier d’un lapin normal
dans 20 c. c. d’eau physiologique stérile, on pratique les trois
inoculations suivantes :
1° À un lapin de 2 kilos on injecte sous la peau 1/4 de
1. A. Mare, Recherches sur la toxine tétanique. (Annales de l’Institut Pas-
teur, juillet 1897.)
2. WassenmanN et Takaxr, Ueber eine neue Art von künstlicher Immunität.
Ueber Tetanus-Antitoxische Eigenschaften des normalen Centralnervensystem
(Berliner klin. Woch., 3 janvier 1898.)
92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
milligramme d’une toxine tétanique dont la dose minima
mortelle pour cet auimal est 1/10 de milligramme ;
20 On inocule un lapin de même poids avec un mélange de
4/4 de milligramme de toxine et de 1 c. c. de l’émulsion du
cerveau d’un lapin neuf;
3° Un troisième reçoit 1/4 de milligramme de toxine addi-
tionné de # c. c. de émulsion.
Or, tandis que le témoin prend un télanos rapide auquel il
succombe le 4° jour, le dernier lapin n'offre aucun signe de la
maladie. Quant au n° 2, il présente des symplômes télaniques lé-
gers auxquels 1l succombe seulement 20 jours après l’inoculation.
Ainsi done, une petite quantité d’une macération de cerveau
frais a suffi pour empècher l’action d’une dose 2 fois 1/2 plus
forte que la dose minima mortelle de toxine tétanique.
La moelle épinière, d’après les recherches de Wassermann,
possède « un pouvoir antitétanique de moitié moins fort que le
cerveau ».
Si l’on cherche à se rendre compte des « propriétés antitéta-
niques » des différentes parties de l’encéphale d’un mouton, par
exemple, on constate en effet que celles qui sont des prolonge-
ments de la moelle sont moins actives.
Un lapin, inoculé avec 1/10 de milligramme de toxine téta-
nique dilué dans 1 c. ce. d'une macération des pyramides bul-
baires, présente des signes légers de tétanos; le témoin suc-
combe au 6° jour.
D'autre part, le ( pouvoir antitétanique » de la substance
grise varie suivant sa provenance : les cellules des ganglions
centraux sont beaucoup moins actives que celles de l'écorce
cérébrale.
Si on inocule à un lapin 1 c. c. d’une émulsion des corps
opto-striés du mouton, additionné de la dose minima mortelle
de toxine, l'animal présentera une légère contracture de la
patte inoculée.
Les cellules de l'écorce cérébrale sont même tellement ac-
tives, qu'il en suffit de quantités minimes pour préserver l’ani-
mal du tétanos.
On peut réaliser l’expérience de façon à montrer que ses
propres cellules cérébrales sont capables de prévenir l’appari-
tion du tétanos chez l’animal lui-même,
PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 93
On prend 3 lapins : le premier subit la résection de toute la
zone post-rolandique de son hémisphère droit; la partie sec-
tionnée est laissée en place. Il reçoit ensuite 1/10 de milli-
gramme de toxine tétanique sous la peau.
Un deuxième subit la même opération, avec cette différence
qu'on enlève la portion cérébrale réséquée ; il reçoit également
la dose minima mortelle de toxine. Enfin on injecte au 3° lapin
la même portion réséquée de son propre hémisphère droit, tri-
turée, et additionnée de 1/10 de milligramme de toxine.
Les deux premiers lapins témoins prennent en même temps
un tétanos auquel ils succombent ; le dernier, au contraire,
n'offre aucun signe tétanique et survit.
Or, la quantité de matière cérébrale réséquée ne dépassait
pas 25 à 30 centigrammes ; de plus, elle n’était pas composée
exclusivément des cellules corticales, mais comprenait aussi les
fibres blanches sous-jacentes. Enfin, comme nos dilutions ont
toujours été faites dans la proportion d’une partie de substance
nerveuse pour deux parties d’eau physiologique, on peut donc
affirmer que les cellules de l'écorce cérébrale peuvent, à un
haut degré, prévenir le développement du tétanos.
L'expérience devient encore plus frappante si on la compare
à ce qui se passe quand on injecte sous la peau, ou même dans
l’encéphale, la toxine tétanique. Dans ces cas, on sait que la
même dose provoque le tétanos ; par conséquent, tandis que
dans les conditions ordinaires d’inoculation, le cerveau tout
entier est incapable de protéger l'ammal contre l'action tétanisante
de la toxine libre, au contraire, une parcelle de ce même cerveau suf-
fra pour le garantir du tétanos, pourvu que la toxine injectée ait
été préalablement incorporée et firée à quelques cellules cérébrales.
Nous verrons en effet plus loin que cette fixation artificielle
de la toxine sur les éléments nerveux est la condition sine qua
non de la réussite de l'expérience de Wassermann.
Mais, auparavant, revenons à nos expériences antérieures ;
d’après elles la moelle et l’encéphale d'animaux tétanisés peuvent
être broyés et injectés à des souris sans que ces dernières pré-
sentent la moindre contraction tétanique. Il n’en faudrait pas
conclure que la toxine n’est pas localisée dans les centres ner-
yeux; au contraire, elle s’y trouve si bien fixée, si solidement
retenue, qu'il est impossible de l’y déceler, en employant le seul
94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
procédé à notre disposition. Il faudrait la séparer des cellules
qui la retiennent, et c’est actuellement au-dessus de nos moyens.
Même en admettant que la toxine se trouve localisée en un point
de la moelle épinière, nous ne faisons que réaliser l'expérience
de Wassermann en broyant et en injectant la moelle tout entière,
puisque du même coup nous inoculons de nouvelles quantités de
substance nerveuse qui vont achever de retenir et de fixer soli-
dement la toxine que nous voulions précisément mettre en
liberté dans le corps de la souris.
IT en est de même pour l’encéphale. Nous ferons remarquer
ici, à propos du cerveau, la contradiction, signalée par Wasser-
mann et vérifiée par nous, entre le peu d'importance des phéno-
mènes cérébraux dans le tétanos et l’action préservatrice si
intense des grandes cellules de l'écorce cérébrale.
Tout intéressant que soit ce fait, constaté par Wassermann,
de ce qu'il appelle ( l’action antitétanique du système nerveux
central », chez les animaux sains, une analyse plus soignée du
phénomène nous montre combien il serait dangereux d’en faire
une fonction d'une substance identique à l’antitoxine, celle qui se
forme dans le sérum au cours de l’immunité artificielle.
Telle est cependant la déclaration de Wassermann. « La
préservation du tétanos, dit-il, s'effectue dans un cas comme
dans l’autre : elle reste efficace non seulement tant que la
substance préservante circule dans l’organisme, mais encore
plus tard, comme dans l’immunité antitoxique. Et mes expé-
riences donnent ainsi un nouvel appui à la théorie d'Ehrlich,
d'après laquelle l’antitoxine tétanique se formerait aux dépens
des parties élémentaires de la moelle épinière‘. » Wassermann
fait 1ci allusion aux expériences qui lui ont permis de prévenir
l'intoxication télanique en injectant une émulsion d'organes
nerveux 24 heures avant la toxine, ou même d'empêcher le
tétanos chez des animaux en leur injectant de l’émulsion ner-
veuse quelques heures après la toxine tétanique.
Et cependant, il suffit, comme nous allons le voir, d’inter-
vertr, de façon en apparence minime, les facteurs de l’expé-
rience, pour obtenir un résultat totalement différeut.
Trois lapins de même poids reçoivent, l’un dans une patte
antérieure, l’autre dans le flanc, le troisième sous la peau du dos,
4. WAssERMANN, loc, cût,
°
PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 95
la même quantité de la même émulsion de cerveau frais de lapin.
De plus, en même temps, ilsreçoivent tous les trois au même point,
c’est-à-dire sous la peau de la patte droite postérieure, 1/10 de
milligramme, dose minima mortelle de toxine tétanique.
Or ces trois lapins prennent le tétanos et en meurent le même
jour que le témoin. Si, en se plaçant au point de vue de la
théorie de Wassermann, on objecte que le contenu des cellules
nerveuses à un pouvoir de diffusion plus lent que la toxine, on
peut citer cette autre expérience dans laquelle l'injection de
cerveau a été faite, d'un côté du corps, 24 heures avant l'inocu-
lation de la toxine de l’autre côté, et l'animal a néanmoins pré-
senté un télanos mortel.
Il a donc suffi d’une très légère modification dans les facteurs
de l’expérimentation pour changer du tout au tout le résultat.
Voilà qui montre donc qu'onne saurait, en aucune facon, inter -
préler l'expérience de Wassermann dans le sens d’une fonction anti-
toxique, au sens vrai du mot.
Il suffira de rappeler ce qui se passe quand on expérimente
avec le sérum antitélanique; si on injecte,en même temps, de la
toxine dans une paite, et dans l’autre du sérum, l'animal pré-
sente tout d’abord quelques signes légers de tétanos, mais ils
ne tardent pas à se dissiper complètement, dès que le sérum a
pu effectuer sa diffusion dans l’organisme.
De cette analyse de l'expérience de Wassermann, dont il
serait prématuré de vouloir donner dès maintenant une inter-
prétation, on peut déjà conclure qu'une action de contact, entre les
éléments nerveux et la toxine tétanique, est indispensable à la réussite
du phénomène.
À
LOIS GÉNÉRALES DE L'ACTION DES DIASTASES
Par E. DUCLAUX.
Dans leur action sur les substances qu’elles transforment, les
diastases obéissent à des lois générales que nous avons intérêt
à connaître, et qui, jusqu'ici, sont restées un peu confuses. Cette
question a été en eflet beaucoup étudiée, mais on ne peut pas
dire qu’elle soit résolue. Elle est hérissée en ce moment de solu-
tions contradictoires entre lesquelles il nous faudra choisir, si
nous voulons faire autre chose que de les enregistrer avec rési-
gnation ou indifférence. Or ce choix est difficile. Nous aurons,
pour nous guider, d'abord la confiance qu’il y a une loi, et que
par conséquent toutes les expériences qui se traduisent par une
courbe irrégulière ou en zigzag ont été troublées par des causes
d'erreur inconnues et sont à rejeter. Nous pourrons en éliminer
d'autres dont l’auteur ne s'est pas suflisamment mis en garde
contre des influences latérales qu'il ignorait ou dédaignait, et
que nous savons aujourd'hui être très puissantes, celle de la
lumière par exemple, ou celle des microbes. Il se trouve que,
celte ventilation faite, il reste peu de chose sur le crible, mais il
en reste assez pour pouvoir établir un commencement de théorie
de l’action des diastases : c'est ce que je voudrais essayer de
montrer.
Comparaison avec l'action des acides. — Étiminons d’abord une
assimilalion, qui a été souvent faite, entre l’action des diastases et
celle des acides. Sous le prétexte que les acides et les diastases
sont souvent capables de produire les mêmes transformations et
leur donnent la même allure, on a parfois appliqué, sans autre
formalité, aux actions diastasiques, les lois trouvées pour l’action
des acides. Celles qui président à l’interversion du sucre sont
par exemple assez bien connues par les travaux de Wilhelmy (1),
d'Ostwald (2) et d’autres savants. On les a considérées comme
DE L'ACTION DES DIASTASES 97
représentant aussi l’action de la sucrase. Il importe de repousser
de suite cette assimilation.
Étudions pour cela ce qu’il serait juste d'appeler la loi de
Wilhelmy. Elle revient à ceci. La quantité de sucre qui s’inter-
vertit à chaque instant dans une solution sucrée traitée par un
acide est proportionnelle à la quantité de sucre présente à
l'instant considéré. Cela veut dire que si la quantité de sucre
présent devient double, la quantité de sucre intervertie dans
l'unité de temps deviendra double aussi, alors qu’on laisse
constantes les autres conditions de l'expérience, nature du milieu,
température et dose d'acide. La quantité de sucre intervertie dans
l'unité de temps, ou la vitesse de la réaction, augmente donc propor-
tionnellement à la quantité de sucre pour une même dose d'acide. Get
acide proporlionne son effort au travail à accomplir, et, théo-
riquement, dans les mêmes conditions d’acidité et à la même
température, des solutions sucrées différentes s’intervertissent
dans le même temps, quelle que soit leur richesse en sucre.
Voilà la notion exposée en langage ordinaire. Le langage
mathématique permet de lui donner plus de précision et de la
pousser plus loin. Soit S la quantité de sucre existant à l’origine
dans un volume connu, par exemple dans 100 c. c. d’une liqueur
qu'on intervertit par l’action d’un acide. Soit s la quantité qui
existe encore au bout d’un temps {, compté à partir du commen-
cement de l'expérience, qui est supposée s’accomplir constamment
à la même température. La loi de Wilhelmy nous dit que la
variation As du sucre pendant le temps Af est proportionnelle às.
Si le temps Af est suffisamment court, elle est aussi propor-
tionnelle à At, de sorte qu'on peut écrire, en faisant précéder la
variation As du signe —, pour montrer que la quantité de sucre
diminue lorsque le temps augmente,
AS —UNSAT
où m est la quantité de sucre qui s’intervertirait, dans l’unité de
temps, dans une solution sucrée contenant l’unité de poids de
sucre dans le volume pris pour unité, et cela dans les mêmes
conditions de milieu, de température, et d’acidité, que celles de
l'expérience. On tire de là, facilement, en désignant par | le
logarithme népérien
lo ji ab (D
98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
C étant une constante qu'on détermine facilement en écrivant
qu’à l’origine de l'expérience, pour {= o, la liqueur contenait S
de sucre. On a donc
| SU
S
d'où, 1S—I1S=IS= mr
On voit tout de suite, sur cette valeur de £, que toutes les
phases de l’hydrolysation de solutions sucrées inégalement
concentrées s’accompliront dans le même temps, que par
exemple elles mettront toutes le même temps à s’intervertir à
moitié, c’est-à-dire à arriver au moment où
LI
On aura en effet,
S 1
——=2etlt—=—1]2
S m
Toutes ces réactions marcheront donc du même pas, et,
commencées en même temps, se finiront au même moment : c’est
ce que nous avons vu plus haut. Mais nous pouvons en plus, ici,
mesurer la valeur de m, en évaluant le temps que met une
dissolution sucrée à s’intervertir à moitié par exemple. On a
alors
M— 12
t
et l'expérience montre en effet que cette valeur de » est indépen-
dante de la quantité de sucre, lorsque l'acidité est la même. De
là une première conclusion qui a pu servir d'argument pour
rapprocher les acides des diastases : les solutions de sucre jes
plus concentrées peuvent être interverties par des quantités
relativement très faibles d'acide. Les acides jouissent donc de la
puissance d'action quasi indéfinie que possèdent les diastases.
D'autres expériences ont montré que la valeur de m croît à
peu près proportionnellement à la concentration de l’acide, c’est-
à-dire à la quantité d'acide contenue dans l’unité de volume,
L'unité de mesure la plus commode dans la pratique, pour évaluer
la concentration, est la solution d’une quantité d’acide égale à son
poids moléculaire évalué en grammes, dans uu litre d’eau. Des
DE L'ACTION DES DIASTASES. 99
concentrations égales correspondent à des volumes égaux d’eau
de chaux ou d’un autre alcali nécessaires pour la saturation, On
trouve alors que la valeur de » croît un peu plus vite que la
concentration pour les acides forts, un peu plus lentement pour
les acides faibles.
En admettant une proportionnalité exacte, on peut écrire
m — na, expression dans laquelle « représente la concentra-
tion de l’acide évaluée comme plus haut, en grammes-molécules,
et n représente la quantité de sucre qu'intervertirait dans l’unité
de temps, et dans les conditions de l'expérience, dans une solu-
tion contenant l’unité de poids de sucre par unité de volume,
l’unité de concentration de l'acide employé.
Cette quantité n est ce qu'on nomme la constante d’inversion.
Ostwald l’a déterminée en faisant agir, à 250,10 c. c. de solutions
normales de divers acides sur 10 c. c. de solutions contenant de
30 à 40 °/, de sucre. Voici les valeurs numériques de » pour quel-
ques acides, et leurs rapports avec celle de l’acide chlorhydrique
supposée égale à 100, et prise comme terme de comparaison.
Acide bromhydrique .... 24.4 111.4 Aclde diglycolique....... DOME
—Mchlüriqué 2... 226 -103:5 — méthylglycolique.. 0.40 41,8
— chlorhydrique...., 21.9 100 » CLIQUE ee SDF SE LENT
ROIITIQUE res ctce 21.9 400 » — glycérique......... DR STE
— éthylsulfurique ... 21.9 100 » IONIQUE CL 0.54 1.5
— ethylsulfonique... 19.9 91.2 — méthylacétique.... 0.30 4.4
— trichloracétique .. 16,5 75.4 — éthylglycolique.... 0.30 14.4
— sulfurique ........ 10536 ,— glycolique......... 0.28 1.3
— dichloracétique... DOTE Al AIR ne me e OEM
+ — oxalique ........ : 4,0 18.6 —_ lactique 1202003 0225051
— pyrotartrique..... 1,42 6.5 — oxyisobutyrique.., 0.23 4.1
— phosphorique..... 4.36 6.2 — succinique ........ 01288075
— monochloracétique 1.06 6.2 en ATCUDUE pe 0.09 0.4
— arsénique......... 1.05 4.8 — isobutyrique....... 0070
— malonique.......: 0.67 3.1
On voit que les constantes d’inversion sont très variables avec
les divers acides, et même que le caractère minéral ou organique
joue un rôle assez effacé. L’acide sulfurique vient par exemple
après l’acide trichloracétique, et l’acide phosphorique après l'acide
oxalique. L’acide acétique se montre d'autant plus puissant,
d'un autre côté, qu’on introduit davantage de chlore dans sa
molécule, et, en moyenne, les acides organiques sont moins
actifs que les acides minéraux. Coneluons donc de ce qui pré-
cède que si les divers acides ont pour caractère commun de ne
100 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
pas tenir compte du poids de sucre présent et de l’intervertir
dans le même temps, quelle que soit sa quantité, ils diffèrent
beaucoup entre eux par l'activité qu'ils mettent à ce travail, et
letemps qu'ils y consacrent. Ce sont donc là des forces qui sont
très différentes de celles que nous connaissons et que nous
sommes habitués à manier. D’ordinaire, deux forces qui produi-
sent le même effet mécanique dans le même temps sont dites
égales. Deux quantités du même acide, qui intervertissent
dans le même temps des quantités très inégales de sucre,
peuvent aussi êlre égales pondéralement. Deux quantités de
deux acides différents peuvent être égales au point de vue
pondéral ou quant au nombre des molécules, et cependant se
montrer très inégales au point de l’interversion. Telles sont, en
laissant pour le moment de côté l'influence de la température,
les lois générales de l’interversion par les acides.
Condition d’une étude précise des diastases. — Si nous voulons
maintenant comparer l’action des diastases à celle des acides,
la première condition est de s'adresser aux actions diastasiques
faciles à mesurer avec précision. Cette condition en élimine un
grand nombre, toutes celles, par exemple, qui s'adressent à la
fibrine, àl’albumine, à la cellulose, bref, aux matières dont la
composition initiale n’est pas bien connue, et dont par suite les
transformations nous échappent. L’amidon est mieux connu dans
sa nature; on connaît assez bien aussi le maltose et la dextrine
qui proviennent de ses transformations sous l’action de l’amylase.
Mais les divers amidons ne se ressemblent pas, et les diverses
parties d’un même granule d’amidon ne se ressemblent pas
davantage, comme l’a montré Guérin-Varry, il y a 60 ans. Cette
circonstance élimine aussi, dans une certaine mesure, l’action
del’amylase. Avec des diastases coagulantes, la marche de l’ac-
tion est impossible à étudier. Les diastases oxydantes sont en-
core trop mal connues. Il ne reste guère que les diastases qui,
comme l’émulsine, donnent des dislocations dont les termes
sont connus et faciles à étudier. Mieux encore, la sucrasese prête
à une recherche précise, parce qu’on sait préparer du sucre pur,
dont peut suivre la transformation, soit au moyen de la bqueur
de Fehling, soit au polarimètre.Cette étude a précisément été faite
d’une façon très soigneuse, par MM. O’Sullivan et Tompson (3),
DE L'ACTION DES DIASTASES. 101
dont nous n'accepterons pas toutes les conclusions, mais dont
les déterminations numériques méritent toute confiance.
Expériences de MM. 0’Sullivan et Tompson. — Pour étudier la
rapidité de l’action de la sucrase sur le sucre de canne, on com-
mençait par faire dissoudre celui-ci dans l’eau chaude, qu’on lais-
sait ensuite refroidir à la température à laquelle on voulait
opérer. Cette liqueur sucrée, convenablement acidulée, était en-
suite mélangée rapidement à une solution de sucrase préalable-
ment portée à la mème température. L’interversion commencait,
Pour en suivre la marche, on prélevait une certaine quantité de
liquide qu'on versait immédiatement dans un verre contenant
une goutte d’une solution concentrée de potasse ou de soude,
cela suffit pour arrêter l’inversion. Deux points sont à signaler
dans ce mode opératoire : en premier lieu, la dose d’acide sulfu-
rique ajoutée n’était pas quelconque; c’était celle qui donnait au
phénomène son maximum d'activité, et on la déterminait par une
opération préliminaire. En second lieu, la lecture au polarimètre
ne se faisait qu'après avoir laissé un quart d'heure de repos au
liquide alcalinisé. Ces deux précautions opératoires ont de l’im-
portance, mais pour des raisons que nous n’avons pas à déve-
lopper ici.
Cette méthode permettait donc de déterminer divers points
102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de la courbe d'inversion. MM. O'Sullivan et Tompson ont
recommencé l'expérience à diverses températures, en présence
de quantités variables de sucrase. Ils ont fait varier aussi la
concentration de la liqueur sucrée, la dose d’acide, etc. Ils ont
toujours trouvé que la courbe obtenue, rapportée à deux axes
dont l’un mesurait les quantités de sucre, et l’autre les temps,
était une logarithmique, et pouvait s’appliquer presque exacte-
ment sur une logarithmique théorique (fig. 1) tracée avec la
condition de ne coïncider avec la courbe expérimentale qu’en
deux points, au départ, et en un point quelconque du parcours.
Quand la coïncidence avait lieu en ces deux points, elle avait
lieu partout.
MM. O’Sullivan et Tompson ont vu quelque chose de plus,
c’est que toutes les courbes obtenues, ramenées à la même
échelle, c’est-à-dire amenées à coïncider au départ et en un
point de leur parcours, s’appliquaient aussi les unes sur Îles
autres, ce qui prouve que la loi du phénomène est toujours la
même, quelles que soient les circonstances de milieu et de tempé-
rature, à la condition seule que toutes ces circonstances soient
maintenues constantes pendant la durée du phénomène.
Toutes ces propriétés, découvertes par l'expérience, s’accor-
daient très bien avec les propriétés théoriques de la courbe que
fournit la loi de Wilhelmy :
1 1
re = le
m S
Cette courbe est une logarithmique, bien définie quand on
donne la valeur de S pour { — o, c’est-à-dire le point de départ
de la courbe, et un autre point, c’est-à-dire la valeur de { pour
S : à
une valeur connue de —, ce qui permet de connaître #. On com-
S
prend donc que O’Sullivan et Tompson aient considéré leurs
expériences comme confirmatives du raisonnement qui nous à
conduit plus haut à cette équation, et en aient présenté comme
démontré le point de départ,à savoir que l’action de la diastase est,
toutes choses égales d’ailleurs, proportionnelle à la quantité de
sucre présent dans la liqueur, et croît ou décroît avec elle.
Expériences de Duclaux.— C'était l'assimilation complète avec
l'action des acides. Mais nous avons un autre moyen, moins dé-
DE L'ACTION DES DIASTASES. 103
tourné que l’étude de la courbe, de savoir si cette assimilation est
possible. Mettons, comme je l'avais déjà fait en 1883 (4), une
même quantité de sucrase, 20 milligrammes par exemple, dans
100 c. e. de solutions contenant 10, 20 et 40 0/0 de sucre, et expo-
sons le tout à une température de 37° : nous observerons que,
pendant les premières heures de l’action, les quantités de sucre
interverti dans l’unité de temps ne seront pas du tout, comme
dans le cas des acides, inégales, et proportionnelles aux nom-
bres 1, 2 et 4, c’est-à-dire aux quantités de sucre présentes
dans la liqueur. Elles seront au contraire égales, à quelques
milligrammes près, ce qui prouve qu'une quantité déterminée
de sucrase produit son effet, toujours le même, sans se préoccu-
per, comme les acides, de la quantité de sucre présente autour
d'elle, et agit comme une force constante qui, pendant un temps
donné, ne peut produire qu'un travail déterminé.
Il est vrai qu’elle n’accomplit pas toujours le même travail.
Dans les liqueurs ci-dessus, il y a, au bout de quatre heures à
31°, environ 5 grammes de sucre interverti. Si on avait mis la
même quantité de diastase dans 100 c. c. de liquide ne contenant
que 5 gr. de sucre, on aurait trouvé un résidu assez notable après
le même temps; c’est que, pour une cause que nous aurons à élu-
dier, l’action se ralentit à mesure qu'elle se complète. Mais, au
début, elle marche du même pas, quelle que soit la quantité de
sucre présente, et par conséquent n’est pas proportionnelle à la
quantité de sucre, comme l'avaient trop hâtivement conclu
MM. O’Sullivan et Tompson.
Expériences de Dubourg. — Ge n’est pas seulement la sucrase
qui se comporte ainsi. M. Dubourg (5) a retrouvé les mêmes
propriétés pour l’amylase de l’urine. En la mettant en contact
avec de l’empois d’amidon à 50°, et en mesurant après 2 heu-
res et après 24 heures les quantités de glucose formées, il a
trouvé les chiffres suivants, exprimés en grammes, pour des
quantités d’amidon ailant croissant comme les nombres de la
première colonne.
104 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Quantités Glucose Glucose
d'amidon apr. 2h. apr. 24 heures
| gr. 0,34 1,71
ge 0,33 1,73
gi 0,34 1,70
RES 0,32 1,72
re 0,36 1,70
Re 0,30 1,75
10 0,37 1,72
La constance de ces nombres est remarquable en ce qu’elle
se maintient pour deux intervalles de temps pendant lesquels
l’action a été en se ralentissant de plus en plus, et ici encore
nous trouvons qu'une quantité déterminée d’amylase produit
toujours le même effet, quelle que soit la quantité d’amidon avec
laquelle on la met en contact.
Il faut donc renoncer à l'hypothèse qui a servi de base aux
calculs de MM. O’Sullivan et Tompson, et qui semblait vérifiée
par leurs résultats. Il faut accepter leur conclusion, parce qu’elle
est conforme à l'expérience, et repousser leurs prémisses, parce
qu’elles sont en contradiction avec elle. La chaîne du raisonne-
ment se rompt donc quelque part, et ce point de rupture est
facile à signaler. C’est quand MM. O’Sullivan et Tompson ad-
mettent que, seule, leur hypothèse conduit à une logarithmique.
En réalité, beaucoup d’autres hypothèses conduisent à des cour-
bes de même forme. Pour choisir entre elles, il faut opérer à
l'inverse de MM. O’Sullivan et Tompson ; il faut les soumettre
d'abord à l'expérience, puis les introduire dans une équation, si
l'expérience les justifie, et chercher si elles conduisent à une lo-
garithmique.
Réaction des produits formés sur l'action de la diastase. —- Une
diastase qui hydrolyserait dans un temps donné une quantité
constante de sucre, comme nous ont paru le faire, au début de
l’action, les diastases étudiées plus haut, donnerait une réaction
régulière : la quantité de sucre irait par exemple en décroissant
proportionnellement au temps, et la réaction serait terminée au
bout d’un temps facile à calculer, étant connue la quantité m de
sucre, qu'intervertit, dans l'unité de temps, et dans les conditions
de l’expérience, la quantité de diastase sur laquelle on opère. Dans
un temps /, la quantité de sucre interverti serait m t, et siS était
DE L'ACTION DES DIASTASES. 105
la quantité de sucre initiale, la réaction serait terminée au bout
d’un temps T tel qu'on ait S —m T, d'où
S
m
L'expérience est entièrement en désaccord avec cette conclu-
sion. La réaction n’est jamais celle qui résulte de cette hypo-
thèse ; très active au début, elle se ralentit toujours à la fin, et
le temps de l’action est toujours beaucoup plus long que celui
qui résulte de l'équation que nous venons d'écrire.
Il faut donc qu’à l’action uniforme de la diastase se super-
pose une action retardatrice. Comme on s'attache à ne troubler en
rien le phénomène, on ne voit guère, « priori, d'autre cause
perturbatrice que celle qui pourrait provenir des produits de la
réaction. Essayons donc par l'expérience si ces produits ont
une action réellement retardatrice.
Il n’y a pour cela qu’à faire, avec la même quantité de dias-
tase et dans ies mêmes conditions de température et de milieu,
deux expériences comparatives, dont l’une ne contiendra que
la matière sur laquelle la diastase doit agir, et l’autre cette
matière additionnée des produits auxquels donne lieu la réaction.
Si ceux-ci ont une action retardatrice, la seconde transforma-
tion devra s’accomplir plus lentement que la première.
Or, c'est toujours ce qui arrive, et non seulement ce fait a
été observé depuis longtemps, mais il a été tout de suite rap-
porté à sa véritable cause. Payen (6) avait remarqué que l’action
de la diastase sur l’empois d’amidon, qui, en général, ne se ter-
mine pas et s'arrête à un niveau déterminé, allait beaucoup
plus loin lorsqu'on faisait disparaître peu à peu, en le soumet-
tant à une fermentation alcoolique, le maltose formé. Payen ne
se préoccupait pas, dans son explication, de l’action possible de
la levure, et son interprétation a pu être légitimement contestée
par MM. O'Sullivan et Kieldahl. Mais elle est exacte dans ses
traits généraux, ainsi que l’ont montré les expériences de
M. Lindet.
Dans un moût de grains, saccharifié à refus par la diastase,
ce savant ajoute, à 62°, la quantité de chlorhydrate de phényl-
hydrazine et d’acétate de soude nécessaire pour précipiter non
seulement le maltose déjà formé, mais encore tout celui qui
pourrait provenir de la saccharification ultérieure du résidu que
106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
la première digestion à laissé inattaqué. La moitié environ de
ce résidu disparaît dans ces conditions nouvelles.
Dans une autre expérience portant aussi sur un moût sac-
charilié à refus, on divise les liquides en deux parties égales
dans lesquelles on précipite des quantités inégales de maltose
par la phénylhydrazine. En ajoutant à ces deux moitiés des
quantités égales de diastase, on voit la saccharification reprendre
dans les deux, et marcher plus vite et aller plus loin dans celui
dans lequel on a précipité le plus de maltose.
En s’adressant à des substances plus faciles à faire dispa-
raître d’une liqueur que les glucoses, on rencontre les mêmes
résultats. Ainsi, par exemple, dans l’action de l’émulsine sur la
salicine, 1l se forme de la saligénine qui est soluble dans l’éther,
et qu’on peut enlever en agitant avec ce réactif le liquide dias-
tasifère. De même pour l'alcool coniférylique produit par l’ac-
tion de l’'émulsine sur la coniférine. Il existe sur ce point deux
expériences de Tammann (10). Dans l’une, de la salicine, mise
à 26° en présence d’émulsine, avait été hydrolysée dans la pro-
portion de 83 0/0 et ne dépassait pas ce chiffre; on agite le
liquide avec un tiers de son volume d’éther, pour enlever la
saligénine. 24 heures après, la totalité de la salicine avait dis-
paru. Dans une autre expérience, faite toujours à 26°, la pro-
portion de coniférine hydrolysée, qui n’avait pu dépasser 42 0/0,
a atteint en 24 heures le chiffre 60 0/0, à la suite d’un traite-
ment à l’éther.
On peut, du reste, au lieu d’enlever les matières produites
par la réaction, ce qui l’active, ajouter à l’avance ces matières
préparées ailleurs, ce qui la retarde. Toutes ces expériences
aboutissent à la même conclusion : c’est que les produits de là
réaction ont une influence retardatrice.
Comme ils augmentent naturellement à mesure que la réac-
tion avance, leur influence augmente aussi, et nous sommes
naturellement conduits à nous demander si ce n’est pas à cette
influence retardatrice qu'est dù le retard croissant de la réaction,
et la lenteur qu’elle met toujours à se terminer. Nous pouvons
même aller plus loin et remarquer que l'introduction de cette
force retardatrice doit nous conduire à la même courbe loga-
rithmique que celle sur laquelle MM. O’Sullivan et Tompson
ont appuyé leur argumentation,
4
DE L'ACTION DES DIASTASES. 107
Traçons en effet (fig. 2) la courbe représentative de la loi de
décroissance du sucre en prenant comme abscisses les temps
écoulés depuis le commencement de l'expérience, et pour ordon-
nées les quantités de saccharose encore présentes à chaque
instant. La courbe part du point $, représentatif de la quantité de
saccharose initiale, s’abaisse ensuite, rapidement d'abord, plus
lentement vers la fin de l’action. À un moment quelconque T, la
quantité de saccharose non encore transformé est TM — $, et
la quantité de sucre déjà interverti peut être représentée par
MI=S—$: cela posé, la loi de la courbe, si c’est une loga-
rithbmique, est que la décroissance MN de l’ordonnée, quand on
passe du temps T au temps T,, est proportionnelle à la longueur
de cette ordonnée, ce qui veut dire, en revenant aux notions
concrètes, que la diminution dans la quantité de saccharose
est proportionnelle à la quantité de saccharose présent dans
la liqueur. C’est donc, dans cette conception, l'influence
décroissante des quantités de sucre non transformé qui com-
mande la forme de la courbe. Or, cette influence retardatrice
pourrait être remplacée par l’influence retardatrice des quantités
croissantes de sucre interverti, car, la somme MT + MI étant
constante, la loi de décroissance de MT est la même que la
loi de croissance de MI. La logarithmique tracée expérimentale-
ment par MM. O’Sullivan et Tompson s’accommode donc tout
108 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
aussi bien de la première conception que de la seconde, qui
a l'avantage d'être seule d'accord avec l'expérience.
Le langage mathématique permet de préciser ces notions-
générales, et nous allons pouvoir arriver, en prenant toujours
l'expérience pour guide, à une formule de l’action des dias-
tases, autre que celle que nous avons donnée plus haut pour les
acides et plus d'accord avec les faits.
Soit à intervertir une solution sucrée contenant une quan-
titéS de saccharose par unité de volume. Appelons » la quantité
de sucre que transformerait, dans l'unité de temps, dans les
conditions et à la température de l’expérience, la quantité de
sucrase employée. Nous savons qu’au début de l'expérience,
lorsque l'influence des produits de la réaction est nulle ou encore
faible, l’action a tous les caractères d’une action constante, et que
les quantités de sucre interverti sont les mêmes pendant le
même temps, quelle que soit la quantité de sucre. Nous pouvons
alors écrire que la diminution — As de la quantité de sucre, si
elle ne dépendait que de l’action de la diastase, serait propor-
tionnelle au Lemps, et qu’on aurait
— AS — 1m Al.
L'influence des produits de la réaction est retardatrice, et
intervient pour diminuer la quantité m, qui sans cela serait
constante, d’une fraction croissante avec la quantité (S—s) de
sucre interverti, et qu'on peut, dans une première approxima-
tion, lui supposer proportionnelle. En appelant » un facteur
qui dépend non de $S, mais des conditions extérieures qu'on
maintient constantes, et qu’on peut dès lors supposer aussi
constant, au moins dans une même expérience, la quantité »
est donc diminuée de la quantité mn(S—s), et devient
m— mn(S —s) = m [1—n(S —s)|
On a donc, si nos hypothèses sont exactes,
— AS = m [1 — n (S —s)]At.
Ici, une première vérification s'impose. Si cette équation est
exacte, As devient égal à zéro, ce qui veut dire que la réaction
s'arrête lorsqu'on a
1=n(S—S) 0);
s il
d'où S —.$ ——
n
DE L'ACTION DES DIASTASES. 109
Ceci revient à dire que dans aucune expérience d'interversion
de sucre, la quantité de sucre interverti ne pourrait dépasser un
certain nombre =. Cette conclusion est entièrement en désac-
cord avec la réalité. L'expérience apprend en effet, comme nous
l'avons vu, que toute interversion commencée se termine, si 6n
lui en laisse le temps. Il y », il est vrai, des transformations dias-
tasiques qui ne sont jamais complètes. Mais l'expérience apprend
à leur sujetqu’elles s’arrêtent, non pas lorsque la quantité absolue
de matière transformée est constante, comme le voudrait l’équa-
tion ci-dessus, mais lorsque la proportion de matière transformée
est constante, ce qui est tout différent.
Je ne prendrai pas d'exemple dans l’action diastasique la
plus connue sous ce rapport, celle de l’amylase sur l'empois
d’amidon, parce que les conditions de l’action sont un peu trop
complexes. Mais on peut en demander à l’action de l’émulsine
sur divers glucosides. Je trouve par exemple, dans le travail de
Tammann visé plus haut, des chiffres qui ont été recueillis pour
un autre objet, mais qui n’en sont que plus probants pour la
thèse que je soutiens. Tammann a fait agir, à 46°, une même
quantité d'émulsine sur des quantités de salicine croissantes
comme les nombres 1, 2, 4, 8 et 16, et a trouvé que, au bout de
16 heures et de 24 heures, Les proportions de salicine hydrolysée
alteignaient les chiffres suivants
Salicine Salicine hydrolysée
CC —— -
employée ap. 16 heures. ap. 24 heures
0,188 94,2 0/0 94,2 0/0
0,376 94,4 94,3
0,752 94,4 94,3
0,503 94.5 94,4
3,007 94,4 94,4
L'action ne s'arrête donc pas lorsqu'il y a une quantité cons-
tante, mais une proportion constante de salicine décomposée.
Comme c’est la même quantité d'émulsine qui a agi partout, elle
était certainement en excès dans les solutions de salicine les
plus pauvres, mais l’action n’a pas été poussée pour cela plus
loin. Mèmes conclusions pour des solutions de coniférine qui ont
été traitées par l'émulsine.
110 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Coniférine Coniférine hydrolysée
a a. SA
employée. ap. 16 heures. ap. 24 heures,
0,377 42,3 42,3
0,500 42,0 42,0 ù
Ce sont donc les proportions qui paraissent jouer, quand il
s’agit des diastases, le rôle que jouent les quantités absolues
quand il s’agit des acides. C’est là une notion qui peut paraître
étrange, et nous fait sortir de nos habitudes d'esprit. Mais si l’ex-
périence l’impose, ilfaudra bien s'y habituer. Nous sommes con-
firmés dans cette vue en nous rappelant l'expérience de p. 103,
dans laquelle nous avons vu que la même quantité de sucrase,
qui donnait 5 grammes de sucre interverti en # heures dans des
solutions contenant 10, 20, 40 grammes de sucre, en donnait
moins dans une solution qui n’en contenait que 5 grammes dans
A \ . S—s$ . 5
le même volume. C’est que la proportion Tu sucreinterverti
au sucre initial était plus considérable dans cette dernière solu-
tion que dans les autres. Nous sommes donc conduits par l'ex-
périence à modifier notre première conception, et à remplacer,
dans l'équation écrite plus haut, la quantité S — s par la fraction
S—$
et àécrire
S —5
— AS = M (r- }se
Cette fois, il y a concordance avec l'expérience. La réaction s’ar-
rête lorsque
Le
S
Ds 1
d’où RE =
D n
1—n —11
et la valeur de n est même facile à calculer, on à en effet, pour
l'émulsine et la salicine
1 94,4
ee 5 29 ot 6
: 700 a OÙ 1,06
De même pour l'émulsine et la coniférine
{ 42
——— d'où n = 2,39
n 100 ons s
Enfin pour les réactions qui, comme celles de la sucrase sur le
saccharose, se terminent toujours, on a s—0, d'où n = 1.
DE L'ACTION DES DIASTASES. 114
Ici se présente une remarque intéressante. Pour ces réactions,
c’est-à-dire quand n— 1, l'expression de Af se simplifie, et devient.
— AS — pr
S
Si on la compare avec l'expression correspondante écrite
plus haut au sujet de l’action des acides, on voit qu’elles ne dif-
fèrent que par l'introduction du rapport Z. La diminution de
la quantité desucre dans le temps A f n’est donc pas proportion
nelle à la quantité absolue de sucre, comme dans le cas des
acides, mais proportionnelle à la proportion de sucre dans la
liqueur. Par suite nous n’aurons pas, comme dans le cas des
acides, des actions qui s’accompliront dans le même temps,
quelle que soit la dose de sucre, mais des actions qui, étantd' au-
tant plus lentes à chaque instant que les quantités de sucre sont
plus fortes, iront en augmentant de durée proportionnellement à
la dose de suere.
On peut du reste préciser cette notion et la généraliser en se
servant du calcul, qui permet, par des voies simples et régulières,
de passer de l'équation écrite ci-dessus, et qui exprime une rela-
tion entre des quantités infiniment petites, à l'expression des
valeursfinies de $S et de {. On a en effet, en appelant comme plus
haut s la quantité de sucre non encore transformé au temps £.
È ea ñ o— mni
[mn S
PSE
et mn 1 HE
S
On voit, dans ces équations, d’abord que nous aboutissons,
comme nous pouvions nous y attendre, à une logarithmique
comme avec l'hypothèse de MM. O’Sullivan et Tompson. Dans le
cas où # —1, la dernière équation peut s’écrire
S S
bL=—] —
m S
et ne diffère de celle que nous avons écrite plus haut (p. 98) que
par l'apparition du facteur $, qui n’existait pas dans le cas de l’ac-
tion des acides, et qui nous assure qu'ici la durée de l’action croît
proportionnellement à la quantité de sucre. D'une manière géné-
rale, si on a plusieurs actions diastasiques marchant parallèlement
112 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dans les mêmes conditions avec des quantités égales de dias-
tases et des quantités différentes de sucre, les temps nécessaires
=
à = : S — S z
pour arriver à des proportions égales Rp de sucre transformé :
seront proportionnels aux quantités de sucre présentes, et il en
sera de même naturellement pour les durées totales de l’action.
Il est à remarquer que les durées de l’action totale sont
toujours données comme infinies par le calcul, qu'il s'agisse
des acides ou des diastases. Comme, dans une logarithmique, la
diminution de l’ordonnée est toujours proportionnelle à l’or-
donnée, elle ne se réduitjamais à zéro. La courbe est asymptote
à l'axe des x, et ne le rencontre qu’à l'infini. Mais pratique-
ment la réaclion est terminée quand nos méthodes analytiques
deviennent incapables d'en apprécier le progrès, et par consé-
quent, pratiquement, la transformation a toujours une fin.
Mesure des constantes m et n. — Nous sommes donc arrivés à
des équations qui nous permettent de comparer à chaque
instant les nombres que fournit l'expérience à ceux que fournit
le calcul, et par conséquent de voir siles hypothèses que nous
avons introduites dans cette étude sont d'accord avec les
réalités.
Elles se rapportent toutes aux valeurs données à m» et à n.
Voyons comment on peut calculer ces constantes dans chaque
expérience. Pour n, la chose est déjà faite. Nous savons qu'il
suffit d'étudier la réaction lorsqu'elle est à terme, c’est-à-dire
lorsqu'elle est arrivée à lalimite qu’elle ne peut pas dépasser, dans
les conditions de température et de milieu dans lesquelles on
opère. La valeur de n est égale à 1 dans toutes les actions
qui s’achèvent, et plus grande que l’unité dans toutes celles
qui aboutissent à une limite. C’est donc l’action terminée qui
nous donne »; c’est l’action à ses débuts qui va nous donner "”.
Considérons en effet l’action à ses débuts, au moment où le
facteur n (S —s) est encore négligeable. Pendant quelque temps
l'action progresse proportionnellement au temps, et on a
— AsS—=mAt
La valeur de »%» a, dans ces conditions, une représentation géo-
métrique très simple. Soit en effet S A (fig. 3) la courbe de l’inter-
DE L'ACTION DES DIASTASES. 113
version. Dire que l’ordonnée diminue proportionnellement au
temps, c'est dire qu’à l’origine, sur une certaine longueur 8 M, la
courbe se confond avec une ligne droite S T. On voit alors que
AS S S
M = — -
Ab, : sM
en appelant « l'angle de la droite ST avec l’axe des temps. Il
est d'ailleurs évident que la droite ST est la tangente à la
courbe, à son origine. Nous arrivons donc à celte conclusion
que la valeur du cofficient m, qui, seul, dans l'équation de la
= {ÿ à
À
Â
\
à
|
|
i
|
|
|
\ K |
a
Û RRNCIT LETTRE TIRE OUI LE DE
Fig, 3.
logarithmique, mesure l’action de la diastase, est la langeñte de
l’angle que fait avec l'axe des temps la tangente à l’origine de la
courbe d’interversion.
Le tracé empirique d'une tangente comporte toujours beati
coup d'incertitude, surtout sur une courbe déterminée par points.
Il arrive heureusement, d'ordinaire, que la courbe se confond
assez longtemps avec sa tangente pour qu’on puisse déterminer
deux ou plusieurs points du parcours commun, cé qui revient à
dire que l’action à ses débuts reste proportionnelle au temps
pendant une période suffisante pour que l’on puisse faire plü-
sieurs déterminations. Si elles sont concordantes, c’est-à-dire si
elles s’'échelonnent sur une même droite, le tracé de cette droite
sera facile. On sera d’ailleurs averti du moment où interviert
8
114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l'influence perturbatrice des produits de la réaction par celui où
la courbe se détachera nettement de la tangente à l’origine.
On trouve, disséminées dans divers mémoires, même dans .
ceux qui ne lescherchaient pas, des preuves de cette proportion-
nalité de l’action au temps. Mayer (14) et moi(4) l'avons, je crois,
observée les premiers indépendamment l’un de l’autre. Mayer
s’est servi d’une solution très étendue de sucrase, qu'il a
mélangée à une solution de sucre de canne à 10 0/0. On a déter-
miné immédiatement, puis à divers intervalles, les quantités
totales de sucre interverti, et on en a déduit les quantités de
sucre interverti par heure pendant chacun des intervalles con-
sidérés. L'expérience a donné les chiffres suivants :
Sucre interverti pour 100
Temps entotalité — par heure
0 1 »
4 heure 1:60 »
17 h. 1/2 18,2 1,0
22 h.1/2 23,4 1,0
44 D. 39,8 0,8
95 h. 66,2 0,5
120 h. 74,4 0,33
145 h. 83,2 0,33
On voit que, pendant les 20 premières heures, la quantité de
sucreinterverti par heure està peu près constante, et que la propor-
tionnalité n’existe plus dès qu'il y a environ 25 0/0 du sucre inter-
terverti. J'avais trouvé de mon côté que la limite était 8 0/0 pour
des solutions à 30 et 40 0/0 de sucre. Mais l'important n'est pas
le moment où la proportionnalité cesse, c’est qu’elle existe pen-
dant une durée assez longue, pour qu'on puisse faire plusieurs
observations concordantes propres à assurer la valeur de m.
Nous pouvons trouver, dans le mémoire cité d'O’Sullivan et
Tompson, un autre exemple, intéressant parce que la transforma-
tion y a été rapide. Les nombres qui suiventse rapportent à l’in-
version, à 150,5, d’une solution à 20 0/0 de saccharose, convena-
blement acidulée. Le tableau donne les intervalles des prises et
les proportions de sucre interverti.
DE L'ACTION DES DIASTASES. 115
Au début 0, 0/0 de sucre interverti
ap. » minutes 3,1 —
15 — 9,8 —
30 — 19,2 _.
DT — 33,6 —
90 — 45,8 —
120 — 58, ——
150 — 67,4 _
210 — 79,8 —
240 — 84,4 —
270 — 87,3 —
430 — 95,1 —
1470 — 99,2 —
48 heures 100,0 —
Nous avons donné la série à peu près complète des détermina-
tions comme exemple d'une étude bien faite, et pour montrer
qu'une action qui marche vite à ses débuts peut être longue à se
terminer. Pour le moment, nous ne prenons de ces chiffres que
les premiers, qui montrent que pendant la première demi-heure, et
jusqu’à ce qu’il y ait eu environ 20 0/0 de sucre interverti, l’action
a été à peu près proportionnelle au temps.
La quantité de sucre intervertie par minute dans les condi-
tions de l'expérience qui précède, ou la valeur de m, est facile
à calculer. La liqueur contenait par 100 c. c. 20 grammes de
saccharose dont 3,1 0/0, soit 0 gr. 62, ont été intervertis pendant
116 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
les 5 premières minutes ; cela donne 0 gr. 124 par minute. On
trouverait de même 0 gr. 13 pour le premier quart d’heure,
0 gr. 128 pour la première demi-heure. Puis les nombres
décroissent de plus en plus, mais ils sont assez bien déterminés
pour celte première période. Nous pouvons donc désormais
tabler sur une détermination assez précise de la valeur de m.
Elle est ici égale à 0 gr. 127:
Influence de la quantité de diastase. — En simplifiant, comme
nous venons de le faire, l’étude de l’action d’une diastase, et en
la réduisant à celle de l’inclinaison d’une droite sur l’axe des
temps, nous allons pouvoir rendre intuitives quelques notions
importantes que le calcul viendra du reste confirmer.
Soit S T (fig 4) la tangente à l’origine dela courbe d’interver-
sion d’une quantité OS de la saccharose. Le point T auquel elle
vient couper l'axe des temps est la durée { qu’aurait le phénomène
s’il n’était pas troublé par l’intervention des produits de la réac-
tion, et s’il marchait constamment avec sa vitesse originelle. On
a en eflet
Imaginons maintenant que, sans rien changer à la température
et aux conditions de l'expérience, nous ayons opéré sur un
poids de sucre double, dissous dans la même quantité deliquide
ctavec la même quantité de diastase. Notre courbe partira d’un
point plus élevé S’, tel que OS = 2 OS. Etcomme l’action d’une
diastase au départ ne dépend que des conditions extérieures,
qui sont restées les mêmes, et non de la dose de sucre, quiseule
a varié, la tangente à l’origine aura même inclinaison que la
première, et viendra rencontrer. l'axe du temps à une distance
OT’ = 2 OT. Ceci, remarquons-le, n’esi pas un fait nouveau,
c'est une autre forme de la notion que l’action d’une diastase ne
dépend pas de la quautité de sucre.
Mais imaginons maintenant que nous ayons doublé la quan-
tité de diastase en même temps que celle du sucre. Dans ce cas,
nous pouvons supposer que nous avons mis, dans le même volume
de dissolvant inerte, deux doses de sucre et de diastase égales à
celles de la première expérience. Nous avons donc deux actions
parallèles, confondues dans le même milieu, et si nous admet-
DE L'ACTION DES DIASTASES. 117
tons, ce qui est très vraisemblable, qu’elles ne s’influencent pas
l'une l’autre, chacune d’elles, et par conséquent l’action totale
doit s’accomplir dans le même temps { que précédemment. L’in-
clinaison au départ de la tangente à l’origine doit donc être telle
qu'elle vienne passer par le point T. Ce sera la droite ST.
Donc, en doublant, pour une même quantité OS'de sucre, la quan-
tité de diastase, nous avons réduit à moitié le temps de l’action, et
doublé la valeur de m, car tout à l'heure, pour S'T', nous avions
M — ur = {x
OT
et nous avons pour ST
Anar
S £
M = —> = 2m, ou bien {gx = 2{Aa.
OF À 4
Pour des quantités égales de sucre, la valeur de # double
donc quand la quantité de diastase devient double. En généra-
lisant, on voit que » est proportionnel à la quantité de diastase,
et qu’en appelant mäâintenant a la quantité de sucre que peut in-
terverür, dans les conditions et à la température de l’expérience,
une unité de poids ou de volume, arbitrairement choisie, de la
diastase employée, une quantité d de cette diastase, évaluée au
moyen de cette unilé, en intervertira la quantité «d. On aura donc:
m = «ad
et pendant le commencement de l'action, de même que pendant
toute sa durée quand l’action perturbatrice des produits de la
réaction n'intervient pas, on a
SRE
en appelant S la quantité de sucre tranus'ormée pendant la pé-
riode à laquelle s'applique la loi de proportionnalité signalée
plus haut. Pendant cette période, le produit de la quantité de
diastase d par la durée t{ de l’action est donc constant pour des
quantités égales de malière transformée.
Généralisation de ces résultats. — J'ai dit plus haut que j'avais
particularisé mon raisonnement pour le rendre plus simple et
plus intuitif. Mais je n’ai pas besoin de dire qu’on arrive à des
conclusions analogues ou identiques, en étudiant non plus la
{angente à l’origine, mais la courbe elle- -même, Le coeflicient
angulaire de la tangente à l’origine de la courbe RE ounVEQN
27 2:
118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ss; (1 et)
n
est en effet», comme nous pouvions nous y attendre, pour {—0. -.
Quant au temps de l’action, donné par l'équation :
S 1
[
t
on peut avoir avec lui des relations plus générales que celles
que nows avons tirées tout à l'heure, mais d'accord avec elles.
On voit en effet que, pour diverses interversions faites avec des
quantités inégales de sucre et de diastase, à la seule condition
—5$
S
a, en appelant A une constante
Les durées d’action qui correspondent à des progrès égaux
dans la marche de l’action sont donc proportionnels aux quantités
de sucre pour les mêmes quantités de diastase; ils sont en raison
inverse des quantités de diastase pour les mêmes quantités de
sucre. Ceci revient à dire que si on faitmarcher simultanément,
et dans les mêmes conditions, plusieurs actions diastasiques avec
des quantités égales de diastase et des quantités inégales de
sucre, On pourra, au lieu de mesurer le temps total de l’action,
ce qui est long et parfois difficile, se contenter de mesurer le
ätemps au bout duquel une fraction quelconque de l’action est
ccomplie, ce qui simplifie et facilite les mesures. Dans leurs
recherches sur la sucrase, MM. O0’ Sullivan et Tompson ont choisi
le moment où la rotation de la liqueur, d’abord droite, passe par
le zéro en devenant négative. Ce terme correspond, ainsi qu'il
est facile de le calculer, à l’interversion de 74,1 0/0 du sucre
présent, et on pourra faire, en prenant cette finite et ce terme de
comparaison, toutes les évaluations de » que nous faisions plus
haut en comparant entre elles les inclinaisons des tangentes à
l’origine sur l’axe du temps.
S : ce
que la valeur de soit la même, et que # soit constant, on
Vérifications expérimentales. — Nous sommes donc maintenant
en possession de quelques conclusions théoriques établies sur
nos hypothèses, et des moyens de les contrôler. Essayons cette
DE L'ACTION DES DIASTASES. 119
véritication. Le nombre des expériences faites dans cette direc-
tion est malheureusement très restreint. Ce n’est pas qu’il n’en
ait été fait beaucoup. Mais ou bien elles pèchent par défaut de
comparabilité, ou bien elles ont été faites avec une méconnais-
sance complète des conditions qui pouvaient les rendre pro-
bantes.
C'est ainsi par exemple que Tammann {10) ne pouvait rien
trouver en cherchant une relation entre la quantité de diastase
et la quantité de substance hydrolysée à la fin de la réaction.
D'abord, le caractère essentiel des diastases est de pousser à
bout l’action qu'elles produisent, quelle que soit leur quantité,
si on leur en donne le temps. De ce côté-là, par conséquent,
le terrain de l’étude était mal choisi. Puis, en revenant à nos
formules, si » dépend de la quantité de diastase, la quantité de
substance intacte à la fin de la réaction dépend de #, qui n'a
avec » aucune relation nécessaire, et on comprend l’incohérence
des résultats obtenus par Tammann. D’autres mémoires se prè-
teraient à des critiques pareilles. Quand on a fait cette ventila-
tion nécessaire, il ne reste plus que quelques expériences, assez
probantes cependant pour qu’il ne reste aucun doute sur l’exac-
titude des lois posées ci-dessus.
Influence de la quantite de sucre. — Chose curieuse, c’est la
plus facile à étudier, celle qui relie le temps de quantités égales
d'action, ou de l’action totale, aux quantités de sucre, qui est
la plus mal appuyée par l’expérience. Barth (11) a trouvé, en
faisant agir de la sucrase sur du saccharose, des nombres irré-
guliers qui, au lieu de suivre une marche régulière à mesure
qu'augmentait la quantité de sucre, passaient par un maximum.
Peut-être ne s’est-il pas assez méfié des légères doses d’alcali que le
sucre apporte dans les solutions, et qui, lorsqu'on prend des
liqueurs concentrées, peuvent devenir assez fortes pour troubler
l’action de la diastase.
En somme, je ne connais pas d'expérience dans laquelle on
ait mis, dans des conditions tout à fait comparables, une même
quantité de sucrase en présence de quantités inégales de sucre,
et où on ait noté une proportionnalité entre la dose de sucre et
la durée des réactions. Tout ce qu'on peut affirmer, comme
résultant de toutes les expériences faites, c’est que la durée de
120 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
la réaction n’est pas indépendante de la quantité de sucre, comme
dans le cas des acides, mais augmente avec lui.
Heureusement, cette loi de proportionnalité n’estaulre chose,
ainsi que nous l'avons vu, qu’une autre forme d’un fait bien
établi, je veux dire l'égalité entre les quantités de sucre inter-
verti que donne dans le même temps, au début de l'expérience,
la même quantité de sucrase dans des solutions de sucre inégale-
meut concentrées. La tangente au départ des diverses courbes
d'interversion a la même inclinaison sur l’axe des temps, et doit
venir le rencontrer à des distances de l’origine proportionnelle
aux quantités de sucre initiales. D'un autre côté, sin est constant
à une même température, comme nous allons le montrer lout à
l'heure, la loi qui se vérifie pour les tangentes à l’origine doit se
vérifier aussi pour les courbes réelles d’interversion, de sorte que
nous pouvons considérer la loi comme sûre.
Influence de la quantité de diastase. — Cette influence a été
beaucoup étudiée, mais pas toujours dans des conditions qui
rendent l'étude fructueuse. Brucke a fait, par exemple, agir sur
de la fibrine des quantités différentes de suc gastrique; mais
il est difficile de trouver, dans ce cas, une mesure de l’action
qui se produit. De même, Schwarzer a fait agir du malt sur de
l'empois, et a employé, comme critérium du degré d'avancement
de l'action, l'iode qui, comme on le sait, est un réactif infi-
dèle. Cohnheim a été mieux inspiré en recourant à la mesure de
la quantité de glucose formé. C’est à Paschutin (12) qu’on doit
la première démonstration d’une proportionnalité à peu près
exacte entre les quantités de diastase et les quantités d'action
dans le même temps.
Il a fait agir des quantités différentes de salive sur une solu-
tion sucrée, et a trouvé les nombres suivants :
Salive employée. Sucre produit.
0,25 e:/c. 0,40 grammes.
à 0,50 — Dani
ON & 2 1,21 É
1,00 — 4,55 ——
LODETES Adi
D,00 — 2,97 —
On voit que tant que l’action reste à ses débuts, la quantité
DE L'ACTION DES DIASTASES., 124
de sucre produit reste proportionnelle à la quantité de diastase.
Cette loi ne se vérifie pas pour toute la durée de la réaction,
mais nous savons qu’elle ne peut plus être vraie dès qu'inter-
vient l’action perturbatrice des produits formés. Ce qu'il faut
alors comparer, ce ne sont pas les quantités d'action pendant le
même temps, mais les durées de quantités d’action égales. C'est
pour avoir oublié cette notion essentielle que Kjeldahl, Mayer,
ont échoué dans leurs tentatives pour mettre en évidence cette
proportionnalité. C’est parce que MM. O’Sullivan et Tompson
avaient adopté le mode d'évaluation signalé plus haut qu'ils ont
pu vérifier la loi dans des limites beaucoup plus étendues,
Ils ont en effet mesuré, aux températures de 15°,5 et de 56°,5,
les durées nécessaires pour qu'une solution de sucre arrive au
zéro dans l'appareil de polarisation, en présence de quantités
variables de sucrase. Ce passage par le zéro correspond, nous
l'avons dit, à l’interversion de 74 0/0 du sucre, Voici les nom-
bres qu'ils ont obtenus : en A, ce sont les nombres bruts, éva-
lués en minutes; en B, on trouve les produits des deux nombres
qui représentent la quantité de sucrase et la durée de l'action.
Les solutions sucrées étaient acidulées de façon à donner
l'action la plus rapide possible,
Température. Sucrase. A B
450,5 0,15 grammes, 283 minutes. 424,5
» » 0,45 — 94,8 — 426,6
» » 1,50 - 30,7 — 460,5
560,5 0,0345 — 157,6 — ; 54,4
» » 0,0722 — °_ 74,8 — | 24,0
On voit que, surtout pour la lempérature de 56°, le produit
mt de la quantité de diastase par la quantité d'action est con-
stant. Or, quand, comme dans ce cas, il y a eu intervention des
produits de la réaction sur sa marche, il faut, d’après l'équation
1
S —5$
S
QE Il
1—n
S
pour que le produit mt soit constant pour des quantités .
d'action égale, que n le soit aussi. Voilà donc vérifiées deux des
hypothèses sur lesquelles nous avons basé toutes nos déduc-
tions.
122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Étude de la présure. — Cette proportionnalité inverse entre
la dose de diastase et la quantité d'action se vérifie très bien
aussi, etsans tant de difficultés, pour la présure : elle se vérifie-
rait sûrement aussi pour les autres diastases coagulantes, parce
que, avec elles, les produits de la réaction ne peuvent l’entra-
ver, puisqu'ils prennent l’état solide. La difficulté est de trouver
un terme défini à la réaction. Avec le lait, on y arrive assez fa-
cilement quand on le coagule dans des tubes à essai ou des flacons
allongés. Le lait forme, une fois coagulé, une masse solide qui
reste adhérente au vase quand on le renverse. Dans un vase
plat, le moment de la coagulation peut être aussi exactement
apprécié en enfonçant dans la masse la lame d’un couteau ou le
doigt. La boutonnière formée doit avoir des lèvres nettement
coupées, et le liquide qui s’y réunit doit être transparent. Quand
on opère à température constante, et qu'on ajoute à du lait des
quantités inégales de présure, on obtient pour la durée de la
coagulation des chiffres variables dont l'expérience suivante
donne une idée.
Dans mes expériences (15), la présure employée était de la
présure de Hansen, de Copenhague. On en a mis la même
quantité, 1 c. c., dans les volumes de lait indiqués, en c. c.,
dans la première colonne. La seconde donne les durées de coa-
gulation de ces mélanges divers à la température de 360,5. La
troisième donne le produit mt de la proportion de diastase par
le temps de coagulation.
Valeurs de m. T. de coagulation. Produit mt.
1/24,000 240 minutes. 100
1/12,000 1 7 Ne 275
1/8,000 Dre 266
1/6,000 21.30" 970
1/4,000 15 266
1/3,000 EL 275
1/2,000 7.30" 266
1/1,500 6.20" 240
1/500 4.20" 120
1/230 3.30" 80
1/175 3.20" 40
On voit que la loi se vérifie bien pour des volumes de lait
compris entre 2,000 et 12,000 fois le volume de présure, mais
qu’en decà et au-delà de ces limites, elle cesse d’être exacte. Cela
à
DE L'ACTION DES DIASTASES. 123
tient à des causes diverses connues sur lesquelles je revien-
drai. Pour le moment, ce qui doit nous frapper, c'est que la loi
se vérilie d’une façon aussi précise pour une action diastasique
aussi différente de celle des diastases hydrolysantes,
Lœærcher (13) est arrivé aux mêmes résultats en ajoutant à
du lait des solutions étendues de présure, employées aux doses
de 0,01 c.c. à lc. c., dans 10 c. c. de lait chauffé et maintenu
à 37°. Voici les nombres obtenus rangés en série. La série de
gauche est obtenue avec des proportions de présure décuples
de celle de droite, et on a calculé pour chacune des expériences
le produit mt.
Doses de Temps de Produit Doses de Temps de Produit
présure coagul. mt présure coagul, mt
OOc'e: non obs. OMC. c: 43 430
0,02 245 min. 490 0,2 24,5 190
0,03 155 465 0,3 16 480
0,04 126,5 , 485 0,4 12,5 500
0,05 92 460 0,5 10 200
0,06 78 468 0,6 8,79 525
0,07 69,95 485 0,7 8,46 561
0,08 63 d04 0,8 7,9 600
0,09 56 204 0,9 6,7 603
0,10 43 430 1,0 6 600
Il y a dans ces nombres des irrégularités singulières, le phé-
nomène étant certainement régulier et continu, mais on voil
encore que, dans la zone moyenne, pour des proportions de pré-
sure qui ne sont ni trop fortes ni trop faibles, la loise vérifie bien,
Expériences de O’Sullivan. — Nous pouvons enfin donner une
vérification en bloc de la formule générale
LASER LA NES
HET, Giue Er
S
en recourant à des expériences de O’Sullivan (1) faites dans des
conditions où on ne pouvait pas s'attendre, «a priori, à voir une
telle loi apparaître. Ce savant a observé, et c’est un point sur
lequel nous reviendrons, qu’une levure de Bass fraiche et saine,
mise en suspension dans l’eau, n’ylaisse pastranssuder de sucrase,
ou presque pas. Mise en contact avec une solution de sucre, elle
l’intervertit pourtant, et même avec quelque rapidité ; mais cette
interversion est un phénomène intracellulaire, ou au moins ne
124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
s’accomplit qu’au contact de la cellule, car si on filtre le mélange
avec assez de soin pour qu'aucun globule de levure ne traverse
le filtre, toute interversion s'arrête dans le liquide filtré, Il ne
contient donc pas de sucrase soluble. De plus, pendant les pre-
mières heures du contact de la levure et du sucre, il n’y a pas
d'alcool produit. On peut donc admettre que tout se passe comme
si, en introduisant de la levure dans de l’eau sucrée, on yintrodui-
sait autant de centres d'action diastasique qu'il y a de cellules.
En maintenant celles-ci en suspension par un courant d’air, qu’on
peut du reste remplacer par un courant d'acide carbonique, on
assure leur égale répartition dans le liquide et l'homogénéité du
système. La levure hydrolyse peu à peu le sucre à l’aide de ladias-
tase toute faite qu’elle contient, et ne semble pas en fabriquer
de nouvelle dans un liquide où elle ne rencontre que du sucre.
Quoi qu'il en soit, on voit apparaitre, dans ces conditions nouvel-
les et singulières, la loi écrite plus haut.
Elle se simplifie en ce que, pour le sucre etlasucrase, la valeur
de »,comme nous l’avons vu, est égale à l’unité. On à donc l’équa-
tion
Chose curieuse, M. O’Sullivan ne songeait pas à vérifier cette
formule dans ses essais, mais bien la formule
à laquelle le conduisait sa se du phénomène (p.102). Il a
donc mesuré, à divers intervalles, {,$, s, et de ces mesures il a tiré
les valeurs do m. Dans sa Ro et d’après sa formule, ces
valeurs eussent dû croître avec la proportion de levure, et être
indépendantes des doses de sucre comme elles le sont dans le
cas des acides. Il trouve au contraire, et il remarque lui-même
qu’elles varient en raison inverse des quantités de sucre, la quan-
tité de levure étant la même, de sorte qu’on a
m
M! = T
C'est donc en réalité la formule que nous avons proposée qui
ressort de l’expérience, et non celle de O’Sullivan.
Pour donner une idée de l’approximation avec laquelle elle
se vérifie, nous allons citer les résultats de deux expériences
DE L'ACTION DES DIASTASES. 195
comparatives faites avec la même levure, mise en contact avec
des solutions de sucre à destitres variés : 5, 10, 20, 30 0/0. Dans
chacune de ces liqueurs, on mettait 0 gr. 5 et 1 gramme de levure,
qu'on maintenait en suspension à l’aide d’un courant d’air. Au
bout de 30, 60, 120 minutes, on prélevait un échantillon qu’on
étudiait au polarimètre. On avait donc pour chaque cas #, S, s, et
on en tirait, pour chaque expérience, trois valeurs assez concor-
dantes de #'
l
M = =
i l
C’est la moyenne de ces valeurs de »#' qui est donnée ci-de:-
sous pour les 3 liqueurs sucrées additionnées de 0 gr. 5 et de
Î gramme de levure.
Séries Sucre Levure Valeur de #»’ Valeur de m5 — m
30/0 Ogr5 : 0,0027 0,000135
Leur, 0,0057 0,00028
| J0o/o O5 0,0013 0,000130
\ ur, 0,0026 0,00026
Lao, O0#,5 0,0007 0,000 140
A gr, 0,0012 0,00024
30 0/5 Ow5 0,00035 0,000105
| Le. 0,0006 0,00018
5 0/0 Ogr,8 0,0045 0,00922
X )100/0 Ow,8 0,0022 0,00022
Ü200/) Ow,8 0,0010 0,00020
On voit que ia loi apparaît nettement au travers de la com-
plicalion de l'expérience et de la délicatesse des mesures, La
quantité m croit proporlionnellement à la quantité de levure
ou de diastase, La vérification est moins bonne pour les solu-
tions sucrées à 30 0/0. Mais O’Sullivan remarque que pour
cette concentration, la cellule de levure se contracte et réduit son
volume de 1/5 environ. En outre la liqueur est visqueuse. Il
n'est donc pas étonnant que l’action diastasique faiblisse dans ce
cas. Ce qui est étonnant, © est qu’une loi faite el écrite pour une
réaction entre des subtances solubles se retrouve aussi exacte
pour une réaclion où entrent des cellules vivantes, Ceci nous
prouve que tout ce qui précède est vrai, non seulement dans le
domaine de la chimie, mais dans celui de la physiologie, et qu'il
y a des échanges cellulaires qui peuvent se comporter comme des
réaclions purement chimiques.
126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Expériences de Moritz et Glendinning. — Enfin, je signalerai
une, dernière conséquence, d'accord à la fois avec la théorie et
avec l’expérience. Supposons que dans une action diastasique.
où # est plus grand que l'unité, et où la valeur maximum de
S — s est donnée comme plus haut, par l'expression :
SE SEM
S n
on ajoute, une fois la réaction arrêtée à ce terme, une
quantité nouvelle de la substance transformable par la diastase.
Ilest clair que la réaction va reprendre, et que la portion T
ajoutée va se transformer jusqu’à ce qu’il en reste une quantité
finale { telle que :
T—t 1
Æ n
de sorte que la réaction s’arrêtera de nouveau à son terme
initial, si on maintient constantes les conditions dans lesquelles
elle s’accomplit du commencement à la fin. On a donc ici le fait
curieux d’une diastase qui reste inerte aussi longtemps qu’on
voudra, dans la première partie de l'expérience, alors qu’il reste
encore la quantité s de matière à transformer, et qui recommence
à agir lorsqu'on lui donne à digérer de nouvelle matière en
tout analogue à s.
C'est au moins ce qui résulte de nos formules. Or la réalité
du fait résulte d’une foule d'observations déjà faites, parmi
lesquelles je relèverai comme les plus concluantes celles de
MM. Moritz et Glendinning sur la saccharification de l’amidon.
Une fois cette saccharification à terme à une température quel-
conque, par exemple 52°, ils la partagent en deux moitiés dont
l’une est réservée pour l’analyse. Dans l’autre, ils mettent une
quantité d'empois d’amidon égale à celle qu’elle contenait pri-
mitivement, et recommencent la saccharification à 52. Il n’y a
de diastase que la moitié de celle qui existe primitivement, et
qui semblait inerte. La saccharification recommence pourtant.
Au bout de 2 heures on opère sur ce second liquide comme sur
le premier, c’est-à-dire avec le quart de la diastase initiale, et
le quart de l’empois d’amidon initial. Les saccharifications
deviennent de plus en plus lentes, car la diastase travaille de
plus en plus en présence des produits de son action, mais elles
aboutissent au même terme, ainsi que le montrent les chiffres
DE L'ACTION DES DIASTASES. 127
suivants, qui sont les pouvoirs réducteurs de la matière en
solution dans les liquides, rapportés à ce qu’ils seraient si cette
malière était du dextrose. Toutes les corrections ont été faites
pour le sucre apporté par le malt, et les autres petites causes
d'erreur du procédé opératoire :
RLEACONVEESIO Ie R Pr sue M need 48,7
2e — (faite avec la première). 48,6
3e — (faite avec la seconde)... 48,4
En résumé, il m'a paru que les formules que je propose
comprenaient et expliquaient tous les faits connus. Elles sont
en outre assez simples, malgré leur complication apparente, et
en outre elles reposent sur des notions faciles à saisir. C’est
pour cela que je les propose avec confiance aux savants que
préoccupent les difficiles questions de diastase, qui ont englobé
l'étude des toxines et des venins, et n’en sont devenues que
plus urgentes à résoudre.
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LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES
Par M. MAZÉ
Préparateur à l’Institut Pasteur.
TROISIÈME MÉMOIRE
DEUXIÈME PARTIE
Morphologie du microbe des nodosités.
Dans le cours des recherches déjà publiées', qui ont surtout
porté sur le côté chimique de la fixation de l’azote, je n’ai ren-
contré pendant longtemps que la forme bacillaire mobile des
microbes des nodosités. Les auteurs ont décrit des formes‘rami-
fiées, des formes en étoile associées aux bacilles. Je ne les ai
vues apparaître qu’en présence d’un taux élevé de chlorure de
sodium ou d’une dose exagérée de saccharose. Ce caractère
accidentel semble traduire des conditions de développement
défavorables.
Je me suis proposé de préciser ces conditions et d'essayer en
même temps d'obtenir les formes en poire que l’on rencontre
dans les nodosités de trèfle. Dans ce but, j'ai eu recours : 1° à
l’action de la chaleur ; 2° aux milieux acides. |
Action de la chaleur. — M. Laurent à fixé à 30° la limite du
développement des microbes des nodosités. Cependant, si on fait
des ensemencements abondants, ils poussent encore àf35° sur
gélose * ; ils s'habituent même assez vile à cette température.
Si on réensemence toutes les 48 heures les cultures
exposées pendant quelques jours à 35°, on observe, dès le
deuxième passage, dans les cultures âgées de 24 heures, de
nombreux bacilles pourvus de bourgeons latéraux; ces ramifi-
cations disparaissent dans les cultures âgées de 3 jours, lorsque
la mucosité est déjà abondante.
1. Ces Annales, février 1897 et janvier 1898.
2. La gélose dont il est question dans toute la derniére partie de ce travail a
été faite avec du bouillon de haricots additionné de 3.0/0 dé sactharose,
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 129
A partir du deuxième passage, les formes rameuses deviennent
de plus en plus nombreuses; elles diminuent ensuite et dispa-
raissent complètement lorsque le microbe s’est adapté à la tempé-
rature de 35°. C’est dans les cultures de 24 heures qu’elles sont
le plus nombreuses. Les figures 1 et 2, PI. IT, donnent une
idée de leur richesse et de leur abondance. Comme on le voit, les
bacilles s’allongent et forment un grand nombre de bourgeons;
si on dilue un peu de ces cultures riches en formes ramifiées -
dans de l’eau physiologique ou du bouillon de haricots stérile,
on les voit se désagréger rapidement et donner naissance, par
voie de division transversale, à des éléments simples. La fig. 3,
PI. IL, représente deux de ces formes à deux stades différents
de division. Les rameaux prennent naissance et grandissent
comme les bourgeons ordinaires; il n’y a donc pas, chez les
microbes des nodosités, de division longitudinale.
Action des acides. — Les microbes ne se cultivent pas dans le
bouillon de haricot additionné de 1/1000 d'acide tartrique; les
germes déposés dans ce milieu ne se régénèrent plus au bout de
2 à 3 semaines, lorsqu'on les transporte sur des milieux alcalins.
Ils se développent sur gélose additionnée de 1 0/00 d'acide
tartrique ou oxalique ‘, à condition, toutefois, d’ensemencer très
abondamment. Dès la première culture sur ce milieu, les bacilles
donnent naissance à des formes en poire, à la température de la
chambre; leur contenu est vacuolaire, leur diamètre atteint 2-3 u,
quelquefois plus (fig. 2, PI. I).
Ces métamorphoses sont générales lorsque l’ensemencement
est pauvre; mais si on transporte beaucoup de mucosité, la
transformation est limitée à la minorité des microbes; dans le
premier cas, le développement s’arrête au bout de 3 ou 4 jours
et les formes en poire persistent dans la culture, tandis qu’elles
sont passagères lorsque la mucosité envahit toute la surface.
Si on combine l’action de la température de 35° avec l’in-
fluence des milieux acides, les résultats sont diflérents : les
bacilles s’allongent, se renflent en chapelets et se ramifient. Tous
se transforment; il est impossible de trouver dans les cultures
un bacille normal; l'organisme qu’on obtient ainsi présente la
4. L’acidité n’atteint pas le chiffre de 1/1000, car la gélose étant préparée
avec une eau légèrement calcaire, une partie de l’acide se trouve neutralisée.
9
430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
plus grande analogie avec des fragments de mycélium âgé d’une
culture d’oospora (fig. 3, PL. TI).
Mais il est impossible de fixer ces formes ; elles disparaissent au.
bout de quelques jours dans la culture même, lorsque la mucosité
devient assez abondante; si on les transporte sur gélose alcaline,
elles se désagrègent très vite, et au bout de 24 heures on obtient
un bacille typique, chez lequel rien ne trahit les modifications que
ses ancêtres ont subies.
On obtient encore des formes analogues à celles de la fig. 5,
PI. I, lorsqu'on ensemence sur de la gélose de viande pepto-
nisée un microbe habitué au bouillon de haricots sucré.
Rien n’est donc plus facile que d'obtenir sur des milieux
artificiels des formes aussi variées que celles que l’on rencontre
dans les nodosités. On ne peut pas attribuer celles-ci à l’action
d’une température exagérée, mais il est clair qu’elles s'expliquent
par l’influence de l'acidité de la sève.
La plante n’exerce aucune action spécifique en dehors de
celle des acides; j'ai déjà dit que les microbes pénètrent dans
les racines sous forme de coccobacilles (V. p. 13); ils y conser-
vent cet état tant que la sève ne circule pas en abondance dans
le tubercule; mais lorsque les vaisseaux sont formés dans cette
région, le liquide nourricier dissout la mucosité protectrice qui
englobe les microbes; à partir de ce moment, ils nagent dans
un liquide acide constamment renouvelé, et c’est alors que les
formes rameuses apparaissent; elles persistent aussi longtemps
que dure la vie dans ces régions.
Autres formes physiologiques. — L'histoire morphologique des
microbes des nodosités ne se borne pas à ce que je viens d’ex-
poser. Pour observer les formes si variées que je viens de
décrire, il faut faire usage de cultures récemment tirées de la
pulpe de jeunes tubercules. Les cultures d’origine ancienne
présentent aussi un certain nombre de particularités intéres-
santes que je vais passer maintenant en revue.
J'ai montré que le microbe des légumineuses ne se déve-
loppe pas dans une atmosphère d'azote pur; il y conserve
cependant assez longtemps sa vitalité; et si, au bout de 15 jours
ou 3 semaines, on le reprend dans les tubes scellés pour l’ense-
mencer sur des tubes ordinaires, il donne de petites colonies
grisätres, constituées par une forme à peu près ronde, de très
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 131
petit diamètre. En goutte suspendue, ces microbes se présentent
soit à l’état isolé, soit réunis par deux ou disposés en chaînes.
Ce résultat, obtenu dans une première expérience, laissait
place au doute; il a été vérifié immédiatement dans une autre
expérience faite avec des cultures dont la pureté avait été préa-
lablement contrôlée.
La forme ronde a repris son aspect primitif au bout de
quelques passages sur gélose, mais je n’ai pas réussi à lui faire
produire de mucosité. Avec les cultures récentes on n’obtient
pas ces transformations. Ensemencées dans une atmosphère
d'azote, elles se comportent comme les cultures d'origine
ancienne; mais les germes repris dans les tubes fermés, plusieurs
semaines plus tard, ont conservé leurs propriétés caractéris-
tiques.
Ceci prouve que les cultures entretenues par des rajeunis-
sements répétés se différencient peu à peu sur milieux artificiels.
Si on en prend une appartenant à la même série que celles
qui ont servi dans l’expérience précédente, et si on l’ensemence
de façon à obtenir des colonies séparées, voici ce qu’on observe :
au bout de deux ou trois jours, on voit apparaitre une série de
colonies blanches, nacrées, étalées sur le milieu; elles atteignent
facilement3-4 millimètres de diamètre. Puis,un à deux jours après,
une autre série de colonies se forme; celles-ci sont plus proémi-
nentes, légèrement jaunâtres; leur diamètre reste toujours infé-
rieur à celui despremières.Les deux espèces de colonies renferment
deux bacilles qu'il est impossible de distinguer lorsqu'ils sont
intimement mélangés; mais quand on est prévenu, on remarque
que les colonies jaunâtres sont constituées par un microbe dont
le contenu présente de petites vacuoles.
Ensemencés séparément, ces deux bacilles ne fabriquent pas
de mucosité; si on les associe, ils donnent des cultures caracté-
ristiques. Dans un même tube, des colonies séparées conservent
_l’aspect de colonies de microbes banaux; si deux d’entre elles
empiètent l’une sur l’autre, la mucosité se forme en cet endroit,
et au bout de quelques jours elle envahit toute la culture, Il est
donc impossible de considérer l’une ou l’autre de ces formes
comme une impureté.
Les cultures sur pomme de terre permettent de pousser la
transformation encore plus loin, à condition, toujours, de se
132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
servir de cultures d’origine ancienne : sur un fragment de
pomme de terre ensemencé depuis quatre semaines, on ne trouve
plus que des formes rondes. On peut suivre au microscope
l’évolution des bacilles ; on les voit s’allonger et se diviser peu
à peu en articles courts qui deviennent indépendants les uus
des autres; si on ensemence des tubes de gélose avant que la
transformation ne soit complète, et si on s’arrange de façon à
obtenir des colonies séparées, on peut, à un moment donné,
observer des colonies de formes rondes et des colonies de formes
bacillaires.
En ensemençant séparément sur pomme de terre les deux
bacilles que nous avons isolés précédemment, on les voit évoluer
tous deux vers la forme ronde.
Les cultures issues des colonies provenant directement des
nodosités, et conservées pendant huit mois, peuvent être rajeu-
nies au bout de ce temps; elles montrent les mêmes transfor-
mations. L’une de ces cultures m'a fourni une forme ronde et
un bacille qui, ensemencés à part, ne fabriquent pas de mucosité;
si on les associe, ils donnent des cultures tout à fait ty-
piques.
Propriétés physiologiques des formes précédentes. — Les propriétés
physiologiques des microbes des nodosités ne sont pas plus
stables que leurs caractères morphologiques. Le bacille des
légumineuses, au moment où on l’isole des tubercules, ne
iquéfie pas la gélatine; les formes rondes qui en dérivent la
Miquéfient très rapidement, les formes bacillaires très lentement;
les microbes ne troublent pas la gélatine peptonisée; ils se réu-
nissent au fond des tubes et forment un dépôt floconneux.
Leur action sur l’azote libre ou combiné est également inté-
ressante. Pour l’étudier, jai eu recours aux deux formes extraites
des cultures que j'ai conservées pendant huit mois sans les
rajeunir; ces deux microbes sont très différenciés, et, de plus,
lorsqu'on les associe, ils exercent l’un sur l’autre une influence
très remarquable.
La forme bacillaire avait acquis spontanément, pendant la
belle saison, la propriété de produire de la mucosité ; pour cette
raison, j'ai fait deux séries d'expériences correspondant à deux
états différents de ce microbe. J'ai adopté le dispositif que j'ai
déjà utilisé plusieurs fois.
NODOSITÉS DES LEGUMINEUSES. 133
On a mis en expérience six ballons de culture renfermant
chacun 50 c. c. de bouillon de haricots.
Le ballon no 4 a été ensemencé avec la forme ronde.
— no 2 — _ la forme bacillaire primitive ‘.
— n° 3 -— — les deux formes précédentes.
— n° 4 — — la forme ronde.
— n° 5 — — la forme bacillaire active.
— n° 6 — — la forme ronde et la forme active.
Le tableau ci-dessous résume les résultats obtenus:
Cultures Durée des cult. S. initial Sucrefinal S.consommé Az. final Az.initial Azote gagné
no A4jours A500mgr 1{{Amgr 38Omer ABmer,8 A9mer, — 3mer,7
n° 2 14 id. 891 609 il id. — 2,4
n° 3 14 id. 797,9 625 21,7 id. + 2,2
n° 4 29 1750 1578 172 169 154 + 0,8
n° 5 25 id. 921 823 99 id. + 2,2
n° 6 25 id. 1128 627 9,5 id. + 2,4
Les chiffres fournis par les n° 1, 2, 3, qui constituent la pre-
mière série, sont très instructifs. Dans les deux premières cul-
tures il s’est produit une déperdition d'azote; on est donc ici en
présence de ferments de la matière azotée; ce caractère est d'au
tant plus prononcé que l’on se rapproche davantage de la forme
ronde. La consommation de saccharose est à peu près inverse-
ment proportionnelle à la perte d’azote; celui-ci se dégage à
l'état gazeux; des barboteurs à acide sulfurique convenablement
placés sur le courant d’air ne retiennent pas de trace d'ammo-
niaque.
Lorsque les deux formes microbiennes sont associées, les
résultats sont bien différents; en 14 jours, dans un milieu trop
riche en azote initial, il s’est produit un gain de 2,2 d'azote.
L’aspect des cultures concorde bien avec ces chiffres; les va-
ses n° let 2 renferment un bouillon très fluide; les microbes
forment un dépôt pulvérulent qui se réunit dans les parties les
plus déclives du fond. Le contenu du n° 3 esttrès épais, très riche
en mucosité.
Dans la deuxième série, le n° 4 a conservé safluidité jusqu’au
4. J’appelle forme bacillaire primitive celle qui ne produit pas de mucosité,
tandis que l’expression forme active correspond à l’état sous lequel elle en donne.
134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
20° jour. A partir de ce moment il est devenu visqueux ; ce chan-
gement dans l'aspect de la culture a coïncidé avec l’évolution
de la forme ronde vers la forme bacillaire. Lorsqu'on a mis fin-
à cette expérience, les tubes de gélose ensemencés avec le con-
tenu du ballon montraient au microscope deux bacilles mobiles,
légèrement différenciés ; incapables de produire de la mucosité
lorsqu'ils sont séparés, ils en élaborent lorsqu'ils sont associés.
De plus, ces microbes ne provoquent plus de déperdition d’azote.
Cette évolution vers la forme bacillaire active s’est faite sous
l'influence d’une température favorable et d’une aération très
active, car pendant ce temps, les formes conservées sur gélose
ne se sont pas transformées. Il faut noter également l'influence
de la composition du milieu de culture, très pauvre en azote com-
biné et très riche en saccharose.
Les chiffres relatifs au gain d'azote correspondent assez
exactement, dans les deux autres cultures, aux propriétés des
microbes qu’elles renferment. Le n° 2 a consommé plus de sac-
charose pour produire à peu près le même travail, l’association
de deux formes exerce donc encore une influence sensible sur le
résultat final.
À ces deux séries d'expériences correspondent deux séries
d'inoculations faites sur des vesces de Narbonne ‘; les résultats
obtenus dans cette voie reproduisent assez fidèlement ceux que
l'analyse vient de fournir.
1. Cette légumineuse donne des nodosités 9 à 12 jours après l’inoculation. La
graine est de la grosseur du pois le plus volumineux. Le testa, plus dur, permet
de faire agir pius longtemps le sublimé et d'obtenir une stérilisation plus rigou-
reuse sans s’exposer à endommager l'embryon.
Comme mes recherches ont nécessité l'emploi d'un grand nombre de plantes
poussant dans des solutions nutritives stériles, je donnerai ici le mode opéra-
toire auquel je me suis arrêté.
Pour la stérilisation, j'ai eu recours au procédé ordinaire qui consiste: 1° en
lavages préalables à l’eau stérile; 2 séjour d’un quart d’heure dans le sublimé
acide au 1/100, en récipient stérile; 3° 4 à 5 lavages à l'eau stérile en ballons sté-
riles.
Les semences ainsi préparées sont réparties dans des tubes de 20 centimètres
de longueur sur 2 de diamètre et remplis au 1/3 de leur hauteur d’eau distillée;
ces tubes sont munis de deux tampons de coton; l’un, assez lâche, repose surl’eau
dans laquelle il est immergé en partie; l’autre, plus serré, remplit le rôle ordi-
naire des tampons de coton. Le tube ainsi préparé est stérilisé à 120°; pour met-
tre la graine en germination, on la dépose avec une pince flambée sur le tampon
de coton intérieur.
Au bout de 48 heures à la température de la chambre, en été, la racine sort ;
elle traverse facilement le tampon de coton et va baigner dans l'eau distillée,
pendant que la tige occupe le compartiment supérieur du tube; celle-ci peut
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 135
La forme ronde et la forme bacillaire inoculées séparément
ne donnent pas de tubercules. Il n’y a rien sur les racines qui
rappelle les formations de cette nature ; mais les bacilles culti-
vent-dans le feutrage des poils absorbants ; ils forment ainsi une
gaine persistante qui entoure le corps de la racine et la grossit
beaucoup; on y trouve au microscope un bacille très fin, mobile,
identique au point de vue de la forme à celui que l’on observe
dans les jeunes nodosités à peine visibles à l’œil nu.
Ea fixant et en colorant la préparation, on voit, dans l’en-
chevêtrement des poils absorbants, desfilaments fortement colo-
rés ; en les décolorant modérément par l'alcool, on leur donne
de la transparence et l’on peut distinguer nettement le bacille
qu'ils renferment. La figure 6, PI. I, représente un de ces
filaments muqueux à un grossissement de 100 D avec quelques
fragments de poils absorbants ; ils sont identiques à ceux de la
figure 4 de la même planche, et comme eux ils ne diffèrent que
par le volume du pseudo-mycélium qu’on observe dans les
jeunes nodosités.
Les racines des plantes rente avec. les deux formes
microbiennes associées portent de très nombreuses nodosités ;
celles-ci renferment des bacilles ramifiés ; elles sont aussi
volumineuses que celles que produisent, dans les mêmes condi-
tions, les microbes sortant de la pulpe des tubercules.
La seconde série d’inoculations a donné des résultats iden-
tiques aux précédents ; celte fois, par conséquent, l'harmonie
n’est pas si complète avec les indications de la chimie. La
forme bacillaire active est encore impuissante à produire des
nodosités.
Une question s'impose maintenant à la suite de toutes ces
expériences qui se confirment mutuellement. Les microbes des
acquérir une longueur de 7 à 8 cm. et développer deux ou trois feuilles, étiolées
naturellement.
Lorsqu'il y a contamination, la graine a apporté des germes qui sont surtout
des spores de moisissures, de mucors principalement; les penicilliums et les
aspergillus sont plus rares; les microbes constituent l’exception. S'il y a des im-
puretés, la plante se développe mal et périt le plus souvent; dans les tubes sté-
riles, l’eau reste parfaitement limpide et les racines sont d’un blanc d'ivoire, Lors-
qu'on a bien choisi ses graines, la contamination n’attéint pas plus du 1/20 des
plantes en germination.
Quand la tige a T à 8 centimètres de longueur, on transporte la jeune plante
dans un récipient stérile muni d’une solution nutritive, en prenant toutes les pré-
cautions pour opérer ce transfert d’une manière aseptique,
136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
nodosités appartiennent-ils à deux espèces bacillaires, ou bien
toutes ces formes résultent-elles d’une évolution graduelle d’une
seule et même espèce ?
Il semble bien, par ce qui précède, qu'on se trouve en pré-
sence de deux espèces. Rien ne permet d'affirmer que lorsqu'on
part d’une colonie obtenue avecun microbe sortant d’une nodo-
sité, on ne prend pas, à son insu, les deux espèces simultané-
ment ; elle peuvent se confondre longtemps par leurs caractères
morphologiques, puis se différencier sous l’influence des agents
de transformation ; et ce n’est qu’au moment où leurs caractères
sont suffisamment distincts qu’on s’aperçoit qu'il y a en réalité
deux espèces de formes et de propriétés bien tranchées,
comme on l’a vu.
En observant attentivement le passage des formes rameuses
des nodosités à la forme bacillaire des cultures, on remarque que
les premières sont des colonies et non des individus. M. Franck
avait déjà observé que chacune de ces formes met successive-
ment en liberté plusieurs coccobacilles mobiles. Voici ce que
j'ai vu à mon tour : les formes ramifiées des tubercules, trans-
portées sur des tubes de gélose, se gonflent en une petite série
de vésicules séparées par des étranglements qui prennent bien
la couleur (fig. 4, PI. I). Les vésicules ne se colorent pas ; ce
sont des vacuoles dilatées par les courants osmotiques dus au
changement de milieu ; elles se résorbent ou éclatent ; les gra-
nules protoplasmiques, mis en liberté, donnent naïssance à
autant de bacilles mobiles. Nous devons donc considérer ces
formes complexes comme des agrégats d'individus, et rien ne
prouve a priori que ces colonies ne soient pas formées par deux
espèces microbiennes.
Il est vrai que si nous regardons à l’autre extrémité de la
chaîne que nous connaissons déjà, nous trouvons encore qu'elle
se ferme par ia forme ronde qui serait également commune aux
deux espèces.
Pour arriver à donner une solution nette de cette question,
j'ai cherché dans une autre voie. J'ai transformé à la tempéra-
ture de 35° des cultures d’origine très récente, par une série de
réensemencements effectués toutes les 48 heures sur gélose
acide. Ces cullures, conservées ensuite à la température de la
chambre sur milieu alcalin, donnent, au bout de 15 jours,
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 137
deux sortes de colonies; les unes normales, les autres blanches,
nacrées, luisantes; ensemencées séparément et portées brusque-
ment sur gélose acide à la température de 35°, elles donnent les
unes et les autres des formes ramifiées.
Inoculées séparément ou ensemble, elles produisent dans
tous les cas, au bout de 12 à 15 jours, de nombreux tuber-
cules radicaux. On ne peut plus admettre après tous ces pas-
sages que chacune des colonies séparées dans la suite soit
formée par deux germes d'espèces différentes. Il faut donc
considérer toutes les variétés de microbes qui ont été examinées
jusqu'ici comme des modifications d’une espèce unique.
Conclusions. — La série de faits que je viens d’exposer
entraîne un certain nombre de conclusions.
Ce qui frappe tout d’abord, c’est la variété des formes que
l'on peut obtenir sur les milieux artificiels ; mais il faut se hâter
d'ajouter que, dans l’intérieur même des nodosités, ils’ opère des
transformations analogues.
Lorsqu'on examine le contenu de ces organes épuisés, on ne
trouve plus que des formes bacillaires ou des formes rondes
qui n’offrent aucune parenté apparente avec les microbes rami-
fiés si caractéristiques des jeunes tubercules. M. Laurent les
considère comme des formes saprophytes du sol attirées dans
ces régions par l’abondance de la nourriture. Elles donnent, en
effet, très rarement, des tubercules par inoculation et, de plus,
leurs cultures ne présentent plus les caractères des bacilles ty-
piques. Comme les expériences précédentes montrent que le
microbe des nodosités peut perdre toutes les propriétés qu'on
est convenu de regarder comme caractéristiques, on peut, en
groupant les faits épars dans la première partie de ce travail,
donner une interprétation des transformations qui ont leur
siège dans les tubercules mêmes.
J'ai déjà montré comment se fait l'infection, comment
naissent et disparaissent les tubes muqueux, et sous quelles
influences les formes rameuses succèdent aux coccobaeilies. Si
on reprend maintenant les tubercules à un âge plus avancé, on
assiste à leur épuisement graduel par le retrait de la sève. Mais
avec la disparition du liquide nourricier, l'acidité cesse égale-
ment son action. Les microbes peuvent faire retour à la forme
simple, et commeils ne reçoivent plus d'aliments tout préparés,
138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ils s'adaptent aux nouvelles conditions d'existence qui leur sont
faites. De ferments des matières hydrocarbonées, ils deviennent
ferments des matières azotées, et, de fixateurs d'azote libre, ils
deviennent consommateurs d'azote. Ils sont alors capables de
vivre dans la terre à l’état de microbes saprophytes, et à partir
de ce moment, ils se confondent avec la plupart des microorga-
nismes qui la peuplent.
VII
LES MICROBES DES NODOSITÉS DANS LE SOL
Personne à ma connaissance n’a isolé directement le bacille
des nodosités du sol. M. Laurent a observé des kystes dans les
vieux tubercules; il n’a pas réussi à les faire germer; d’après lui
ils persistent dans la terre et germent sur le passage des racines,
à la faveur des actions chimiotaxiques exercées par les poils
absorbants. Pour M. Nobbe, il existe dans le sol une forme
neutre, capable de s’adapter à la longue à une espèce de légu-
mineuses, et de donner ainsi des races susceptibles d’envahir
plus particulièrement une espèce ou un genre déterminés.
Le chapitre précédent renferme des faits qui serontun guide
précieux dans la recherche des formes libres du sol.
Pour orienter mes investigations, j'ai ensemencé une trace
de délayure de terre sur une série de douze tubes. Parmi toutes
les colonies que j'ai obtenues ainsi, aucune ne présentait les
caractères du bacille des légumineuses. Ce résultat était prévu ;
car au moment où les débris de tubercules radicaux se disso-
cient dans la terre, l’évolution des microbes est si avancée qu'il
est, je le répète, impossible de les caractériser.
J’ai pris alors deux échantillons de terre; l’un À, à la surface ;
l’autre B, à 20-95 centimètres de profondeur. Après en avoir dilué
quelques décigrammes dans de l’eau stérile, j'ai introduit deux
ou trois €, c. de chacune des délayures dans deux récipients où
végélaient, à l'abri des microbes, deux jeunes plants de vesce de
Narbonne. En même temps, j'ai ensemencé deux séries de huit
tubes de gélose avec les mêmes délayures.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 139
Parmi ces tubes, j’en ai choisi deux (un dans chaque série),
ceux qui renfermaient le plus de colonies microbiennes, tout en
étant exempts de moisissures vulgaires, et, sans me soucier
d'isoler les espèces, je les ai ensemencées toutes à la fois sur de
nouveaux tubes, de façon à faire un grand nombre de passages.
On devine aisément que cette opération a pour but de provoquer,
par l'association des formes inégalement différenciées, une
évolution rapide vers le stade caractéristique, De plus, il est
bien évident que si le microbe qu'on se propose d'isoler se trouve
dans les cultures, loin de succomber dans cette sélection forcée,
il prendra plutôt le dessus sur les espèces antagonistes, puisqu'il
se trouve dans les conditions les plus favorables à son dévelop-
pement.
Au début de ces manipulations, les deux cultures A etB étaient
constituées par une couche glaireuse, peu abondante, mais elles
ont acquis au bout de quelques semaines un développement
luxuriant.
A 35°, sur gélose acide, elles ne produisent pas de formes
rameuses après 48 heures d’étuve. Si on les abandonne ensuite
à la température de la chambre pendant 6 jours, on découvre au
microscope, avec un peu de patience, quelques bourgeons bien
caractérisés. D'autre part, l'aspect des cultures est assez encou-
rageant, et si l'on ne peut pas affirmer déjà qu’elles renferment
le microbe cherché, le doute n’est plus possible lorsque les nodo-
sités se sont montrées sur les deux plantes inoculées.
La culture A présente un aspect variable suivant son âge.
Durant les deux ou trois premiers jours, la gélose est couverte
d'un enduit sec qui rappelle un peu l’aspect du subtilis, Vers le
quatrième jour, la surface devient humide, et une mucosité
pâteuse et grisâtre coule au fond des tubes lorsqu'on les main-
tient debout.
Dans le mucus on ne distingue àu microscope qu'un bacille
court, mobile, tandis qu'avant l'apparition de cette substance,
on ne trouve pour ainsi dire que de gros filaments bactériens
complètement sporulés.
La culture B ne présente pas le même aspect; la mucosité
s y développe dès les premiers jours; elle est plus abondante
que dans la culture A; elle est égaiement plus hyaline et plus
épaisse; elle ne renferme que des bacilles et des formes rondes.
140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il s’agit maintenant d'isoler les espèces qui peuplent ces cul-
tures, et d'y caractériser, si possible, le microbe des nodosités.
La culture À m'a fourni trois espèces : deux bactéries sporo-
gènes et un bacille représenté sur six tubes par trois colonies; les
colonies de bactéries sont beaucoup plus nombreuses; l’une
d'elles, que j'appelle «4, présente un aspect particulier ; elle s'étend
à la surface de la gélose, en donnant des arborescences tout à
fait comparables à celles que l’eau congelée forme snr les vitres.
L'autre bactérie donne des colonies riches et chagrinées,; elle
n'oflre aucun intérêt.
Le bacille forme des colonies proéminentes, pâteuses, qui
s’étalent en vieillissant ; je l'appelle b.
La culture B renferme un plus grand nombre d'espèces; je
n’en ai conservé qu'une seule, €, un bacille très mobile assez
semblable comme aspect au microbe des nodosités.
Les microbes a et b attirent l’attention par la régularité avec
laquelle ils se succèdent dans la culture ; j’ai déjà dit que la bac-
térie apparaît la première, envahit tout le tube, et donne des
spores ; puis le bacille b se développe à son tour, et dans la cul-
ture de huit jours, il semble qu’il soit seul; on ne trouve plus
ni spores ni bactéries. En séparant les espèces contenues dans
une culture âgée, afin d’être plus sûr d'obtenir les microbes pro-
ducteurs de mucosité, je n’ai obtenu que 3 colonies de bacille b.
Ceci m'a fait penser que la bactérie & doit présenter un stade
bacillaire qui ne serait autre que 6.
Pour établir les relations qui existent entre ces deux formes,
j'ai isolé à nouveau la bactérie & du sol. Rien n’est plus facile :
cette bactérie est très répandue à la surface de la terre arable ; et
comme elle se reconnaît facilement à son mode de développe-
ment, on l’obtient à l’état de pureté au bout de sept ou huit jours.
Voici comment : on prend un fragment de colonie, on le dépose
au milieu d'un tube de gélose. En moins de 48 heures, la bac-
térie s'est propagée à plus de 2 centimètres du point d’origine ;
on détache un fragment périphérique qu’on dépose sur un
autre tube. En répétant cette opération trois ou quatre fois, on
est parfaitement sûr d’avoir éliminé toutes les impuretés. En
culture pure, la bactérie « donne de longs filaments qui
rayonnent en tout sens, se croisent et se groupent en faisceaux
visibles à l'œil nu, légèrement proéminents etadhérant fortement
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. A4
à la gélose ; des filaments diffus et nuageux pénètrent dans le
substratum et l’envahissent lentement. Au bout de 2# heures,
les filaments les plus âgés renferment déjà des spores. Après
3 à 4 jours, ces spores germent en donnant naissance à des
filaments analogues aux premiers, mais plus courts et plus gros,
la culture revêt alors un aspect humide et se laisse détacher
assez facileme.t de sa gélose. Cette seconde génération sporule
très lentement à son tour, et les spores une fois formées se con-
servent indéfiniment. Ce n’est pas là le seul processus de
reproduction que les formes courtes présentent. Au bout de
quinze jours on voit poindre un peu partout de petites colonies
laiteuses qui augmentent de volume ; elles sont fournies par un
bacille court, noyé dans une mucosité abondante. Si on ense-
mence une parcelle de ces colonies, on n’obtient que la forme
bactérienne et le processus recommence.
On peut l'activer par la chaleur, par l'emploi des milieux
acides placés à 35°, etaussi par la concurrence vitale, comme cela
se passait dans la culture A.
Les formes courtes, avant de se résoudre en coccobacilles, pré-
seutent dans chaque article une, deux ou trois condensations
protoplasmiques, suivant la rapidité de la transformation. Ces
granulations absorbent peu à peu la masse de Ja bactérie,et, une
fois indépendantes, elles se reproduisent sur place en donnant des
colonies laiteuses.
La fig. 9, PLIT, représente cette évolution, et la fig. 6, PL. F,
reproduit les coccobacilles libres.
La forme bacillaire ne se fixe qu’à la longue,et c’est pour
cela, précisément, que les colonies du bacille b étaient si rares
alors qu’on s'attendait à n’obtenir qu’elles. Le bacille b est en
effet le stade dissocié et mobile de la bactérie 4. En partant d’une
culture pure de cette dernière, on arrive à obtenir en huit jours
des cultures identiques comme aspect à celles que l'on obtient
en ensemençant directement le bacille b. Dans les deux cas la
mucosité est abondante, d’une couleur rosée quandelle estépaisse,
et virant au rouge orangé par la dessiccation ‘.
4. Donnons en passant les caractères que présente la bactérie & sur quelques
milieux de culture. Ce qui précède se rapporte à la gélose de haricots.
Sur gélose de viande, elle est beaucoup plus stable.
Dans les bouillons, elle forme des zooglées hyalines qui restent longtemps en
suspension dans le liquide. Au bout de plusieurs semaines, elles se désagrègent
142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Ceci étant établi, nos investigations se borneront désormais
à identifier les deux bacilles b et c avec le microbe des nodosités.
Tous deux produisent une mucosité abondante, légèrement
lactescente avec b, et très hyaline avec c : le plus souvent, la muco-
sité fabriquée par le bacille authentique est intermédiaire entre
les deux. On sait en outre que celui-ci ne liqu‘fie pas la géla-
tine, qu'il possède un stade ramifié qui apparaît dans des condi-
tions déterminées, qu'il fixe de l’azote dans les milieux de cul-
ture, et enfin qu'il produit des tubercules par inoculation aux
légumineuses.
Voyons si les bacilles b et c possèdent ces propriétés.
Culture sur gélatine. — b liquéfie la gélatine d’une facon
irrégulière; si on l’ensemence en stries, il se développe une
trainée grisâtre très proéminente; quelquefois des excavations
se forment sur son trajet ; leurs bords sont taillés à pic, la li-
quéfaclion ne se généralise jamais.
ec ne liquéfie pas la gélatine.
Formes ramifiées. — L'action de la température de 35° est
sans action sur les microbes betc:;ils s’y habituent très facile-
ment, et se développent aussi abondamment et plus vite qu’à
la température de la chambre.
Lorsqu'on fait usage, à 35°, de gélose additionnée de
1/1000 d'acide tartrique ou d’acide oxalique, le bacille b forme
des filaments composés généralement de deux segments dont
les extrémités paraissent vides et ne prennent pas la couleur.
Pour observer les formes ramifiées, il faut examiner des cultures
de 24 heures ; elles sont alors constituées par des colonies sèches,
aplaties, très minces, comme de légères écailles ; elles renferment
des bâtonnets enchevêtrés présentant souvent des renflements
et des ramifications très nettes.
Au bout de 48 heures, les filaments commencent à se seg-
menter en boules, et à partir de ce moment la mucosité se
forme ; dans les cultures de 3 à 4 jours on ne trouve plus de
formes longues et ramifiées.
et tombent au fond des récipients en formant un dépôt pulvérulent, renfermant
des bacilles fins et des spores.
Elle liquéfie énergiquement la gélatine, et se comporte ensuite dans le liquide
comme dans les bouillons,
Elle ne coagule pas le lait; elle se développe trés bien sur pomme de terre
glycérinée, mais perd son aspect particulier : elle forme un épais enduit glaireux.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 143
Le bacille € s’est montré complètement réfractaire à cette
transformation; j'ai fait une série de trente réensemencements
successifs, d'abord toutes Les 24 heures, puis à huit heures d’in-
tervalle ; à aucun moment il n’a présenté de formes rameuses ;
J'ai arrosé des cultures âgées de huit heures avec quelques
gouttes d'acide oxalique au 1/300; il n’en a pas trahi la moindre
gène dans son développement.
Les microbes présentaient cependant des modifications assez
prononcées vers le quinzième passage : quelques-uns avaient la
forme de point d'exclamation ; leur contenu, d’une manière gé-
nérale, était granuleux et vacuolaire. Le 15° passage a servi à
ensemencer un tube de gélose alcaline; la culture a été
conservée à la température de la chambre. Le 30° passage a été
exposé à la température de 35° pendant 30 jours, puis ense-
mencé sur milieu alcalin et conservé à la température de la
chambre. Nous le retrouverons plus loin.
Fixation de l'azote libre. — Pour étudier le pouvoir fixateur
des bacilles b et c vis-à-vis de l’azote libre, j’ai employé la mé-
thode habituelle. Le tableau suivant contient le résumé des
résultats obtenus :
Désignation des cultures. Sucre initial. Sucre consommé. Az. init. Az. final, Az. gagné.
mgr. mgr. mgr. mer. mer.
No 1 (b) 1500 » 19,5 22,8 3,3
2 (c) id, » 19,5 25,5 6,0
3 (b) 1750 585 7,1 7,4 0,4
4 (c) id. 1376 7,1 10 2,9
5 (b+c) id. 1307 7,1 13,4 6,3
Les cultures n° 1 et 2 ont été beaucoup plus actives que les
n' 3 et 4. L’explication se trouve peut-être dans la composition
des bouillons; ce qui montre d’ailleurs que le second n’est pas
favorable, c’est l'apparition des spores dans le n° 3. Par contre
les deux formes associées doublent la quantité d'azote initial ;
ceci prouve que les deux microbes s’influencent favorablement,
à l'instar des formes différenciées des microbes des nodosités.
L'aspect des cultures concorde bien avec ces résultats, d’après
ce que l'on sait des relations de la mucosité avec l'azote gagné.
Dans le vase n° 5, le bouillon est littéralement gélatinisé.
Inoculation des plantes. — Jusqu'ici, il n’y a pas concordance
complète entre les caractères du bacille € et ceux du microbe
144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
des nodosités: b seul répond à toutes les exigences; c possède
à un haut degré la faculté de fixer l’azote libre, mais il ne pro-
duit pas de formes rameuses. L’inoculation des plantes va tran-.
cher la question.
J'ai inoculé les formes microbiennes suivantes en employant
encore des vesces de Narbonne végétant en milieu stérile ;
1° Bactérie a ; 2° bacille b ; 3° bacille c;. 4° a + b;: 5 a +c;
6°c+b. Les plants inoculés avec (c + b) seuls ont donné des
résultats positifs, qui ont été confirmés immédiatement après par
une nouvelle série d'expériences.
Si on rapproche ces résultats de ceux qu’on a obtenus avec
les formes différenciées du bacille authentique, on saisit facile-
ment l'harmonie qui existe entre eux; et comme on a déjà éta-
bli que les variétés de microbes, étudiées dans le chapitre précé-
dent, appartiennent à une espèce unique, on est en droit de
conclure que les deux microbes b et « constituent aussi deux
formes différentes des microbes des nodosités.
On connaît donc maintenant la forme de résistance de ce
microbe: c’est la bactérie 4; mais, à côté de cette forme de résis-
tance, il y en a d’autres qui vivent à l’état de liberté dans le
sol, comme des microbes saprophytes; le bacille c est de ce
nombre. Comme c’est lui qui se rapprochait le plus de la
forme typique, parmi toutes les espèces qui peuplaient la cul-
ture B, c’est à lui que j’ai donné la préférence dans mes démon-
strations. Il se peut que toutes les autres espèces qui poussaient
à côté de c soient distinctes du microbe des nodosités. Néan-
moins il existait dans cette culture un ensemble d'espèces qui
s’influençaient d’une manière favorable. Aucune des espèces
associées ne donnait en culture pure un développement compa-
rable à celui qu’atteignait la culture B, et le bacille c lui-même
n'a fourni ce résuitat qu’à la suite d’un grand nombre de pas-
sages sur gélose.
La bactérie « est un microbe immobile; elle est incapable
d'obéir aux actions chimiotaxiques exercées par la racine des
légumineuses; elle ne s'implante pas sur ces organes; ce sont
les formes libres et mobiles seules qui produisent l'infection des
plantes.
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 145
IX
LES MICROBES DES NODOSITÉS POSSÈDENT UNE FORME O0SPORA
J'ai montré comment la bactérie & passe au stade bacillaire b.
J'ai insisté sur ce fait, que le bacille b ne se fixe que lentement;
lorsque celui-ci affecte la forme ramifiée ou lorsque le microbe
des nodosités subit les mêmes transformations, on assiste encore à
un commencement d'évolution vers une forme ignorée. On ne
peut pas dire que ces éléments ramilfiés représentent un stade de
souffrance, puisqu'ils sont la règle dans les tubercules radicaux.
Quelle peut être cette forme jusqu'ici purement hypothétique? Si
on regarde les figures 2 et 3, PI. L et les figures 1 et 2, PL IT, on
voit que les organismes qu’elles représentent offrent la plus
grande analogie avec les fragments dissociés d’un mycélium âgé
d’oospora; je n'ai pas réussi à conserver et à fixer ces formes
dans mes cultures; mais elles se sont développées elles-mêmes
spontanément dans la culture faite avec le 15° passage du
bacille c, conservée à la température de la chambre (voir p. 143).
Au bout de deux mois, cette culture, placée horizontalement,
portait à la surface de la mucosité‘ quatre petits amas d’une
poussière d’un gris cendré, accompagnés d’un grand nombre
d'autres particules presque invisibles de la même substance,
réparties surtout autour des taches principales.
Je n’aipas eu de peine à reconnaître la forme oospora avec
son mode de sporulation en chapelets. Dans la masse de la mu-
cosité, on trouvait un grand nombre de microbes en voie de
transformation; les uns allongés seulement, les autres présen-
tant déjà plusieurs rameaux et formant quelquefois des paquets
enchevêtrés (fig. 10, PI. D.
En présence de ce résultat, qui m'a surpris, étant donné
l'échec auquel je m'étais heurté, précisément avec le bacille €,
dans la recherche des formes ramiliées, je me suis empressé de
1. Cette substance se dessèche très lentement; lorsqu'on ineline les tubes, elle
s'étale uniformément sur la gélose et la protège contre la dessiccation, pendant
cinq ou six mois, même dans les tubes fermés simplement au coton.
10
146 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
reprendre la culture de ce microbe sur milieux acides, mais cette
fois à la température de 39-400, |
Dès le premier essai, j'ai obtenu en 24 heures un résultat
comparable à celui que m'a fourni le bacille des légumineuses.
La ramification devient générale au bout de deux ou trois pas-
sages : les microbes ramifiés forment des amas zoogléiques qui
se conservent assez longtemps dans la mucosité, mais ils dis-
paraissent toujours; ils tranchent nettement sur le reste de la
préparation, parce que les éléments qui les constituent sont plus
gros, se cclorent mieux que les bacilles simples.
En somme, on voit que le bacille c possède aussi la faculté
d'évoluer vers la forme oospora; mais on ne peut fixer celle-ci
qu'à la condition d’épuiser complètement les générations suc-
cessives qui prennent naissance dans une série de réensemence-
ments répétés un très grand nombre de fois dans un temps très
court, et dans les conditions les plus défavorables pour le stade
que l’on veut transformer.
La culture issue du 30° passage n’a pas présenté ces transfor-
mations. Elle avait été conservée, je le répète, pendant 30 jours
à 390, sur milieu acide; la culture était déjà desséchée au mo-
ment où elle a été rajeunie.
La forme oospora, que j’ai obtenue ainsi, présente à peu près
les caractères de l'espèce qui a été décrite dans ces Annales,
t. VI, par MM. Sauvageau et Radais; elle pousse très bien sur
gélose de bouillon de haricots neutre ou alcaline, additionnée
de 3 0/0 de sucre, elle donne des conidies à partir du 4° jour à la
température de la chambre. Elle se cultive très bien sur gélose
de viande peptonisée; mais, dans ces conditions, elle ne produit
pas de spores. Elle se développe d’une façon luxuriante sur
pomme de terre glycérinée, en donnant des spores à partir du
4 jour; la pomme de terre verdit d'abord, puis brunit.
L’oospora partage cette préférence marquée pour la pomme
de terre glycérinée avec la bactérie a etles bacilles b et c; ceux-
ci surtout produisent une couche glaireuse extrêmement
épaisse et des dépôts très abondants:; le microbe retiré des nodo-
sités est plus exigeant; il pousse mal sur pomme de terre ordi-
naire etencore plus mal sur pomme de terre glycérinée.
La pomme de terre n’est pas d’ailleurs le seul milieu qui
établisse une démarcation entre le bacille extrait de la plante et
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 147
les microbes b et « qui proviennent directement de la terre; le
premier ne pousse pas sur gélose de viande peptonisée ni dans le
bouillon de viande; tandis que b et ce s'y cultivent bien,
sans toutefois produire de mucus; dans le bouillon, ils forment
des voiles où le microscope montre des formes ramifiées nom-
breuses; secs et écailleux avec b, ces voiles sont plus gras avec c.
Nous devons maintenant identifier par un autre procédé la
bactérie &, la forme oospora et la forme caractéristique des mi-
crobes des nodosités, en les ramenant à trois microbes identiques,
au point de vue de la forme et des propriétés physiologiques.
Le genre oospora renferme plusieurs espèces parasites. Sans
rien préjuger des propriétés pathogènes de celle que j'ai obtenue,
il est permis de supposer qu’elle pourra s’acclimater dans l’or-
ganisme des animaux, surtout si on la met à l’abri des phago-
cytes par le procédé de culture en sac préconisé par MM. Roux,
Metchnikolif et Salimbeni (Annales de VI. P.t. XT).
Le microbe des nodosités, bien qu'’essentiellement aérobie,
ne meurt pas vite, lorsqu'on le prive d’air; comme il peut,
d’autre part, évoluer vers un stade saprophyte, il est permis
d'espérer qu'il résistera également à ce procédé de culture. La
bactérie «a supportera également cette épreuve en raison de son
caractère exclusivement saprophyte.
Pour ménager autant que possible la transition entre la vie
aérobie et la vie anaérobie, il suffira d’'alterner la culture en
bouillon avec les passages dans le péritoine, qui ne devront pas
durer plus de deux ou trois jours.
Les microbes des nodosités ont été cultivés dans le péritoine
du lapin, la bactérie & ou le bacille b qui en provient directe-
ment, et la forme oospora, dans celui du cobaye.
On a ensemencé le contenu de chaque sac dans du bouillon
de haricots et de viande, et sur des tubes de gélose de même
nature. Les cultures placées 24 heures à 35° étaient examinées
au microscope avant de faire le passage suivant. Enfin, pour
s'assurer que les sacs étaient demeurés intacts, on ensemençait
un tube de gélose avec l’exsudat contenu dans la fausse
membrane qui se forme autour du sac.
Le premier passage a duré 48 heures, À l'œil nu, il était
mpossible de distinguer à l’aspect du bouillon le moindre
développement dans les sacs.
148 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le bacille b avait évolué vers la forme ramifiée, représentée
dans la fig. 7, PI. IT.
Le microbe des nodosités présentait des formes renflées, des
formes irrégulières dont quelques-unes ramifiées.
L'oospora, qui avait été ensemencé à l’état de mycélium!, est
représenté par quelques fragments de tubes vides à côté desquels
on observe quelques formes rondes groupées par deux.
Les milieux liquides ensemencés avec ces trois formes se
troublent au bout de 24 heures. En goutte suspendue, on ne
trouve qu'une forme à peu près ronde, isolée, ou groupée par
deux, ou réunie en chaînes.
Les milieux solides présentent les mêmes microbes qui
poussent assez abondamment. Au bout de trois semaines, la
forme oospora apparaît, représentée par 3 colonies; le microbe
des nodosités donne immédiatement quelques colonies de bac-
téries a, reconnaissables à leur mode de développement si carac-
téristique ; les filaments produisent des spores au bout de trois
jours ; il y a donc eu un retour brusque vers le stade sporulé;
cette transformation ne s’est jamais produite dans mes cultures
ordinaires. Par contre, aucune colonie ne rappelle par son
aspect celles du bacille typique.
Toutes ces formes de transition disparaissent au bout du
troisième passage en sac, et, à partir de ce moment, les trois cul-
tures sont identiques sur les mêmes milieux de culture, bien
que les microbes aient passé par deux espèces animales et à
des époques différentes.
La forme commune aux trois microbes est une forme ronde
d’une finesse extrème; les grains ont un diamètre de 0,45 à
0,47y., ils sont isolés ou groupés par deux ou même réunis en
petites chaînes.
Tous trois forment un enduit très mince sur les milieux
solides, bleuâtre par transparence et gris par réflexion.
Ils troublent uniformément le bouillon, puis se déposent au
bout de trois ou quatre jours en formant un amas visqueux qui
s'élève en fils par l'agitation.
1. Les spores ne germent pas dans les sacs mêmes après un mois de séjour
dans le péritoine. Si on les reprend dans le sac pour les ensemencer sur des
tubes de gélose de viande, elles germent et donnent exclusivement des colonies
d’oospora qui produisent des spores au bout de huit à dix jours; on a vu
qu'avant ce passage elles ne sporulaient pas sur ce milieu.
\
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 149
Ils liquéfient la gélatine sans la troubler.
Ils coagulent éuergiquement le lait; le coagulum se rétracte
et se sépare du sérum.
Ils acidifient tous les bouillons sans dégagement de gaz,
même dans les bouillons lactosés. Si on les additionne d’un peu
de carbonate de chaux, les bulles se forment au bout de trois ou
quatre heures.
La réaction acide des bouillons permet de pousser plus
loin l'identification en déterminant la nature et la quantité des
acides qui prennent naissance dans des milieux de compositon
variable.
Voici les résultats obtenus avec trois bouillons différents :
BOUILLON DE VIANDÉ BOUILLON DE HARICOT BOUILLON DE HARICOT
NATURE là 1,5/100 de peptone. à 3/100 de lactose. à 3/100 de sucre.
—
|
lactique
acétique
formique
DES
MICROBES
Aciditè
lactique
acétique.
acétique.
formique
2
2
L-1
= s
= =
2 =
2 =
= =
L=] =
L— =
S
<
Bacille des
0,05
nod.
Bacille b. 2,5 | 2,05 15 ids, #0 30 | 0,04 0.06
Oospora. DC 1 2 2 5 id. 0,34 |traces. ,27 |traces.
Comme on le voit, les trois microbes, placés dans les mêmes
conditions, produisent les mêmes acides à peu près dans les
mêmes proportions.
Propriétés pathogènes des trois formes microbiennes. — Xci encore
les résultats concordent. Les petits lapins de 1,000 grammes, ino-
culés sous la peau ou dans le péritoine, meurent au bout d’un
temps variant de 10 jours à 3 semaines. L’inoculation sous-
cutanée est toujours suivie d’un abcès qui évolue lentement.
Le sang ne renferme jamais de microbes; on en trouve tou-
jours dans l’exsudat péritonéal qui est assez abondant. Les
cultures fournies par cet exsudat possèdent les mêmes carac-
tères que les cultures qui ont servi aux inoculations.
Un lapin de 1,000 grammes, inoculé sous la peau avec 1 c.c.
d’une culture en bouillon faite avec le contenu du premier sac
150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ensemencé avec le microbe des nodosités, est mort au bout de
3 semaines. L’exsudat péritonéal, aspiré à l’aide d’une pipette
à travers la paroi abdominale, ensemencé sur un tube de gélose,
a donné une culture qui renferMait quelques colonies d’oospora
à côté de colonies nombreuses dues à la forme ronde. Le con-
tenu du même sac a déjà donné la bactérie 4: on a donc retrouvé,
en partant du bacille authentique des légumineuses, les deux
formes que l’on a déjà obtenues avec les microbes retirés du sol.
Mais les stades sporogènes sont très instables dans les conditions
où nous avons opéré. Il faut les saisir au bon moment.
Ainsi, en résumé, les microbes des nodosités présentent une
succession de générations alternantes qui rappellent assez
exactement le mode de développement d’un grand nombre de
végétaux et d'animaux inférieurs.
La bactérie a est répandue dans le sol, surtout à la surface;
on la rencontre de préférence en hiver et au printemps; pour la
forme oospora c’est l'inverse: celle-ci est très rare en hiver et
très commune à la fin de l’été. C’est ainsi par exemple qu’au
mois de septembre, sur un total de 169 colonies des différentes
espèces microbiennes qui ont poussé sur six tubes de gélose de
haricots ensemencés avec une trace de délayure de terre, j'ai
compté une colonie de bactéries a, et 43 colonies appartenant à
deux ou trois espèces d’oospora. Ce résultat, vérifié immédiate-
ment après, avec des tubes de gélose de viande, s'est confirmé
rigoureusement. Sans accorder à ces chiffres plus d'importance
qu'ils n’en comportent, il est permis de dire toutefois que la
succession des saisons exerce une certaine influence sur les
formes sporogènes du microbe des nodosités. Les spores endo-
gènes, plus résistantes aux intempéries, sont surtout communes
en hiver, tandis que les conidies, qui constituent d'excellents
agents de dissémination, se rencontrent principalement en été.
C’est là, on le sait, une loi très générale chez les champignons
microscopiques.
La réaction de Gram appliquée aux microbes des nodosités. — La
méthode de coloration de Gram est employée couramment pour
caractériser les espèces microbiennes; elle ne s’applique pas aux
différentes formes des microbes des nodosités. Ainsi, les
microbes contenus dans les tubercules, colorés par le violet
d'Ehrlich, et traités ensuite par la solution de Gram, ne se déco-
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 151
lorent pas complètement par l'alcool. Au bout de deux passages
sur gélose, ils se décolorent complètement.
Le bacille b prend le Gram plus ou moins bien; le bacille c
ne le prend pas; toutes les formes rondes le prennent, ainsi que
quelques formes bacillaires cullivées sur pomme de terre, au
moment où elles évoluent vers la forme ronde; les autres
bacilles différenciés ne le prennent pas. Les deux formes
sporogènes le prennent.
Les formes ramifiées obtenues avec le bacille c le prennent
également; cependant la décoloration est partielle; sur un même
filament, les parties renflées restent colorées pendant que tout le
reste se décolore.
Des deux formes bacillaires issues de la forme ronde, culture
n° 3, tableau p. 133, l’une se décolore complètement, l’autre par-
tiellement.
X
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Pour résumer les conclusions de ce travail, il nous suffira
d'exposer brièvement l’histoire du bacille des légumineuses, telle
que nous venons de l’établir.
Les formes libres du sol, attirées sur las racines des légumi-
neuses par l'intermédiaire des hydrates de carbone diffusés dans
la région des poils absorbants, pénètrent dans les tissus à l’état
de coccobacilles, et provoquent la formation d’un méristème qui
donne naissance aux tubercules.
Tant que les vaisseaux ne sont pas formés, ces coccobacilles
restent englobés dans une matière glaireuse qui simule l'aspect
d’un mycélium. Plus tard, lorsque la sève circule dans les
tubercules, la mucosité est emportée Dans toutes les régions de
la plante ; les bacilles sont alors exposés à l’action permanente
des acides dissous dans le suc végétal ; ils réagissent contre
cette influence en formant des ramifications. Le pseudo-mycé-
lium ne constitue pas un organisme vivant, une forme de
transition du microbe des nodosités ; les observations que nous
avons faites dans le cours de ce travail (p. 6 et 135) confirment
la conclusion que nous avons exposée (p. 13), où ne peut pas
152: ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
retrouver ces tubes muqueux, ni dans la pulpe des nodosités
broyées sur une lame, n1 dans les coupes colorées par les cou-
leurs d’aniline ; il n’en serait pas de même si la forme d'infection”
était la bactérie a ou la forme oospora, ces deux microorganismes
résistant à tous les réactifs colorants aussi bien d’ailleurs qu'aux
manipulations nécessitées par la préparation des inclusions pour
les coupes en série.
Lorsque la plante arrive au terme de son évolution, Îles
nodosités privées de sève et d'aliments se vident en partie ;
elles ne renferment plus que des formes simples qui ne sont
pas des formes banales du sol, mais des microbes issus du
bacille typique, possédant des propriétés nouvelles et capables
de vivre en liberté dans le sol.
La fixation de l’azote libre se fait dans les cultures artificielles
aussi bien que dans les nodosités ; elle est là comme ici le
résultat d’une synthèse qui se fait aux dépens de l’énergie mise
en jeu par la combustion des hydrates de carbone.
Toutes les formes si variées qui se rencontrent dans la
nature peuvent s’obtenir dans les milieux artificiels en faisant
agir convenablement l’action des acides et de la chaleur; les
milieux peptonisés produisent les mêmes résultats ; on les
obtient encore en exagérant la richesse en sucre ou en composés
minéraux alimentaires.
Les bacilles récemment isolés des nodosités conservent la
propriété de produire de nouveaux tubercules par inoculation ;
les formes différenciées dans le sens de la vie saprophyte la
perdent peu à peu; mais le travail qu'une seule de ces formes
est incapable de produire, deux formes associées peuvent
l’accomplir ; cette influence de l’association est tout à fait nette,
aussi bien dans la production des nodosités sur les racines que
dans la fixation de l’azote libre dans les cultures.
C’est évidemment grâce à cette propriété que les formes
saprophytes du sol parviennent à se fixer sur les racines et à
former des tubercules ; nous n’avons pas réussi à isoler de la
terre un microbe capable par lui-même de produire des nodosités.
On ne peut pas eninférer qu'il n’en existe pas à aucune époque
de l’année; ceux que nous avons obtenus ont été isolés au
commencement du printemps.
Les formes indépendantes des microbes des nodosités
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 153
représentent un stade dissocié d’un végétal qui possède en outre
deux formes sporogènes ; l’une, la bactérie 4, donne des spores
endogènes, l’autre est un oospora et donne des conidies. Ces
deux derniers stades se rencontrent de préférence à la surface
du sol; la bactérie & est très répandue en hiver, la forme oospora
se rencontre surtout à la fin de l'été. Ce mode de développement
pourrait bien être plus répandu dans le monde des microbes
qu'on ne se l’imagine; l’évolution de ces êtres serait ainsi sem-
blable à celle d’un grand nombre de végétaux et d'animaux infé-
rieurs.
Le microbe des légumineuses est pathogène pour quelques
espèces animales ; il affecte dans l’organisme une forme à peu
près ronde d’un diamètre très réduit ; elle a une tendance à se
mettre en chaîne.
154 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
EXPLICATION DES PLANCHES
PLANCHE I
Fig. 1. — Microbes extraits de la pulpe des nodosités et transformés par
un séjour de 24 heures sur gélose au bouillon de haricots à 3 0/0 de sucre.
Une forme ramifiée donne naissance à plusieurs coccobacilles séparés par
des vésicules qui se résorbent rapidement. Les vésicules se produisent sous
l'influence des courants osmotiques provoqués par le changement d'habitat
des microbes. G — 1,200 D.
Fig. 2. — Formes en poires obtenues sur gélose de viande peptonisée, les
portions incolores représentent des vacuoles. G = 1,200 D.
Fig. 3. — Formes ramifiées et renflées obtenues à 350 sur gélose acide;
elles ressemblent aux formes dissociées des filaments âgés d’oospora.
— 1,200 D:
Fig. 4. — Tubes muqueux formés dans une culture de bouillon de
haricots à 6 0/0 de saccharose, traversant une portion de membrane.
G = 1200 D.
Fig, 5. — Les mêmes à un grossissement plus faible, 500 D environ.
Fig. 6. — Tubes muqueux formés dans le feutrage des poils absorbants,
obtenus avec un bacille qui ne donne plus de mucosité. — L'intérieur de ce
tube est rempli de coccobacilles comme le tube de la fig. 4.
Les filaments foncés sont des fragments de poils absorbants. G — 100 D.
Fig. 7. — Aspect d'une culture sur plaque de gélose de la bactérie, vue
à l'œil nu.
Fig. 8. — La même à un grossissement de 100 D. Toutes les bactéries sont
transformées en spores.
Fig.9. — Forme courte de bactérie c se transformant en coccobacilles.
Ceux-ci restent disposés en files dans l’intérieur du filament qui se colore de
plus en plus mal. Les coccobacilles se reproduisent et forment des zooglée
enfermées dans une capsule commune.
Fig. 10. — Culture du bacille a évoluant vers la forme oospora; les fila-
ments n'ont pas encore donné de conidies.
PLANCHE II
Fig. 1. — Forme ramifiée du bacille des nodosités obtenues sur gélose
alcaline à 350. G — 1,200 D.
Fig. 2. — Portion obtenue avec la même préparation, montrant les
NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 155
formes ramifiées groupées par l’évaporation du liquide sur la lame de verre
G— 1,200 D.
Fig, 3 — Formes ramifiées de la même culture se résolvant en bacilles.
après un séjour de quelques heures en milieu liquide à 250. G = 1,200 D.
Fig. 4 — Bactérie a. Culture âgée, sur pomme de terre glycérinée.
G = 1,900 D.
Fig. 5. — Spores de la bactérie & obtenues sur gélose au bouillon de
haricot, G = 1,000 D.
Fig.6.— Bactérie a se transformant en coccobacilles. Culture diluée dans
de l’eau distillée. G = 1,200 D.
Fig. 7. — Formé ramifiée obtenue à 350 sur gélose acide avec le cocco-
bacille issu de la bactérie. G = 1,200 D.
Fig.8. — Fragment de colonie jeune d’oospora. G = 1,000 D.
Fig. 9. — Forme commune à la bactérie a, au microbe des nodosités, et
à la forme oospora, obtenue par des passages en sac de collodion dans le
péritoine des animaux. G — 1,200 D.
REVUES ET ANALYSES
QUE SAVONS-NOUS DE L'ORIGINE DES SACCHAROMYCES ?
Par M. Azs. KLocker ET H. SCHIONNING
(Travaux du laboratoire de Carlsberg, t. IV, 1896.)
Voici une analyse qui attend depuis longtemps sur le marbre, comme
on dit dans les imprimeries. Elle a trait à une question sur laquelle les
Annales sont souvent revenues, celle de l’origine des levures. Doit-on
considérer ces levures comme formant une espèce indépendante, ou
ont-elles une relation génétique avec quelque autre végétal microscopi-
que auquel on pourrait les rattacher?
Nousavons, il ya deux ans, publié le résumé d’un travail de M. Juhler
qui, répondant à cette question, faisait dériver la levure d’un asper-
gillus qui sert de temps immémorial, au Japon, pour faire fermenter
le riz, et auquel on à donné, à raison de ce fait, le nom d’aspergillus
oryzæ. Semé dans certaines conditions, ce végétal donnerait des formes
bourgeonnantes capables de produire une fermentation alcoolique.
Cette conclusion de Juhler, appuyée par Jorgensen et par Sorel, fut
bientôt contestée par Wehmer, et par les auteurs du mémoire que nous
analysons. Une polémique s’ensuivit, polémique dont le mémoire
résume, non sans entrain, les diverses péripéties. Peut-être même met-
il un peu trop d’insistance à reprocher aux savants qui se sont occupés
de ce sujet leurs erreurs et leurs contradictions. Qui n’a pas commis
d’erreurs? Et qu'importe du moment qu’elles sont redressées ? La science
est une quêteuse à domicile : chaque jour elle fait le départ des pièces
fausses qu’elle a reçues et ne garde nulle rancune à ceux de qui elle
les tient, à la condition que ce ne soit pas chez eux une habitude.
Quant aux contradictions, lorsqu'elles sont, chez un savant, le rem-
placement d’un mauvais sou par un bon, au lieu de l’en gronder, elle
doit lui en savoir gré.
Les détails de la polémique résumée par MM. Klôcker et Schiünning
n’ont du reste plus qu'un intérêt historique et rétrospectif, et il suffira,
e
REVUES ET ANALYSES 157
pour ceux que la question intéresserait, d'emprunter au mémoire que
j'analyse la bibliographie du sujet. Mais il est curieux d’envisager
cette discussion au point de vue philosophique : on y voit combien
les questions de fait s’embrouillent lorsqu'on les mélange de questions
de mot.
Ici la question de fait était simple, relativement. Historiquement
et scientifiquement, elle se posait de la façon suivante : Connaït-on
un végétal microscopique capable de donner, dans certaines conditions
d'existence, et à la suite de changements survenant dans la forme et
dans les fonctions de quelques-uns de ses éléments, des cellules indéfi-
niment bourgeonnantes, à la façon de la levure, et capables comme elle
de produire des fermentations alcooliques.
Cette question, remarquons-le, estune question de fait, indépendante
de toute classification. On la complique dès qu’on y introduit la bo-
tanique. Hansen, par exemple, à été conduit par ses études soigneuses
à attribuer une grande importance à la formation des spores dans les
levures, et à séparer celles qui en donnent et qu’il appelle des saccharo-
myces, de celles qui n’en donnent jamais, et qu'il appelle des non-sac-
charomyces. C’est son droit, et cette division, intéressante au point de
vue botanique, eût peut-être été utile si elle avait été acceptée par tous.
Comme elle ne s’imposait pas, comme elle disloquait ce monde des
levures, si intéressant au point de vue scientifique et industriel, en
laissant parmi les saccharomyces authentiques les mycodermes du vin,
incapables de produire une fermentationrégulière, et en rangeant parmi
les non-saccharomyces la levure apiculée qui est une levure véritable,
beaucoup de savants se sont cru le droit de dédaigner la spore comme
moyen de classification, de continuer à appeler saccharomyces toutes
les levures capables de produire une fermentation, de sorte que les
savants se sont mis à parler deux langues différentes, et que la ques-
tion de fait s’est compliquée d’une question de mots qui ne pouvait que
l'obscurcir.
Toutes les discussions, même les plus confuses, finissent pourtant
par s’éclaircir dès qu’on les aborde par l’expérience,c’est-à-dire dès
qu’on revient aux faits. Naturellement on a cherché tout d’abord à
faire dériver les levures des moisissures pourvues d’un mycélium,
comme laspergillus orizæ. Ce qu’on cherchait était d'établir des tran-
sitions, de faire dériver des levures de la transformation des filaments
mycéliens, puis de faire dériver des mycéliums d’abord, des moisis-
sures complètes ensuite, des ensemencements de levure.
C'est un des adversaires de la thèse de Juhler qui a le premier
reussi à produire aux dépens d'une levure un mycélium typique.
Hansen, en étudiant le saccharomyces Ludwigii, trouvé par Ludwig
dans une exsudation muqueuse d’un chêne, a trouvé que cette levure
158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
et un certain nombre d’autres peuvent donner des filaments cylin-
driques et rameux qui en font de vrais mycéliums. Mais jamais la
transformation n’est allée plus loin, et, réduit à ces termes, l'argument
était insuffisant pour démontrer une relation génétique entre la levure :
et un champignon supérieur.
Les preuves fournies par Juhler, Jürgensen, étaient de sens inverse.
En ensemençant dans certaines conditions de l’aspergillus orizæ en
semences pures, on voyait des filaments mycéliens devenir des levures,
et Sorel avait ajouté que l’ensemencement de levures pures sur du riz
cuit à la vapeur donnait de nouveau de l’aspergillus. MM. Klôcker et
Schionning ont répété sous toutes leurs formes les essais précédents,
avec la seule précaution de prendre des semences pures, et n’ont pu
retrouver les mêmes faits. Il y a dans l’aspergillus orizæ, tel qu’il est
fourni par l’industrie, une levure et un aspergillus; quand on les
ensemence sur certains milieux, c'est l’aspergillus qui se développe
seul. Sur d’autres, c’est la levure. Mais il n’y a aucune relation géné-
lique entre l’un et l’autre.
Cette thèse est acceptée de tous les savants qui ont depuis étudié
ce sujet. M. Kayser, qui l’a étudiée dans mon laboratoire de l’Institut
agronomique, l’accepte aussi pleinement, et MM. Jürgensen et Juhler
n’y contredisent plus.
MM. Klôcker et Schionning sont allés plus loin. Ils ont voulu voir
si des levures ne pouvaient pas provenir de formes telles que le
dematium, le cladosporium herbarum, dont la parenté avec les levures
est soupconnée depuis longtemps. Ici la réponse est moins topique.
En opérant purement, on n’ajamais vu naître de saccharomyces formant
des endospores, quelle que fût la variété des conditions offertes au
dematium : cultures pures en milieux divers, ou sur les fruits mûrs et
non mûrs, en nature libre ou dans des serres. Des fruits qu’on met à
l'abri des insectes ou des poussières extérieures, en les enfermant
dans des vases, des flacons, des cages de verre, au moment où
ils ne sont pas encore mûrs, portent, à leur maturité, des dema-
tium et des cladusporium en abondance, mais ne donnent pas de
saccharomyces authentiques, de quelque façon qu'on les traite. Il y
avait, au contraire, fréquemment des saccharomyces sur les fruits non
enfermés.
Rappelons-nous ici que la question de savoir s'il y a des saccha-
romyces vrais n'est intéressante qu'au point de vue de la classification.
Mais la vraie question, importante au point de vue génétique, c’est
s’il naît aux dépens des cellules de dematium on de cladosporium, de
formes bourgeonnantes, sporifères ou non, capables de devenir
des ferments alcooliques. Si, comme tout le doit faire croire, MM. Klüc-
ker et Schionning suivent la classification de Hansen et appellent snc-
PPS EE PE
REVUES ET ANALYSES 159
charomyces les seules levures à endospores, ils ont répondu à la pre-
mière question, mais non à la seconde.
Enfin, ils ont essayé, toujours sans sucéès, de provoquer des trans-
formations de saccharomyces en champignons supérieurs, en les
mettant, autant que possible, dans des conditions identiques à celles
qui leur sont faites dans la nature. Tout ce travail, poursuivi avec un
soin et une constance digne d’éloges, aboutit done à une conclusion
négative, mais qui n’en est pas moins importante, c'est que les sac-
charomyces doivent jusqu’à nouvel ordre être considérés comme des
organismes indépendants.
Ducraux.
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(Centralbl. [. Bakt., Parasitenk. u. Infektionskr., 2te Abth. 1896, nos 6/7,
p. 185.)
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux, — Imprimerie E. Charaire.
19me ANNÉE MARS 1898 N° 3.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGEUTINÉE
Par M. CHaARrces NICOLLE
Chef du laboratoire de bactériologie de l’École de médecine de Rouen.
De nombreux travaux ont été déjà publiés sur l’agglutina-
tion des microbes. La médecine, grâce à M. Widal, en a retiré
une de ses méthodes de diagnostic les plus précieuses. Et
cependant la nature intime du phénomène nous échappeencore.
Notre ignorance vient sans douteen grande partie de ce fait
que la plupart des expérimentateurs qui ont cherché la solution
de la question ont étudié soit les conditions de la réaction, soit
le sérum actif, c’est-à-dire la substance agglutinante, et que, sauf
de rares exceptions, ils ont laissé de côté la substance passive
de l’agglutination, e’est-à-dire la substance agglutinée. Nous
pensons que la connaissance de celle-ci pourra seule donner la
clef du problème. C’est dans ce but que nous avons entrepris les
quelques recherches dont l’exposé va suivre.
L'historique de nos connaissances sur la substance agglu-
tinée sera court. Longtemps on s’est contenté d'étudier l’action”
du sérum des animaux infectés ou immunisés sur les cultures
de microbes vivants. Les microbes morts réagissent cependant
aussi bien qu'eux. M. Bordet ‘ l'a montré le premier pour les
vibrions cholériques tués par le chloroforme. Même constata-
tion a été faite plus tard par MM. Widal et Sicard * sur les cul-
1. Borper, ces Annales, avril 1896, page 208.
2. Wipaz Er Sicanp, Bulletin de l'Académie de médecine, 29 septembre 1896;
Société de biologie, séance du 30 janvier 1897.
11
162 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tures du bacille typhique tuées par la chaleur ou par l’addition
de quelques gouttes de formol. M. Van de Velde ‘ a confirmé
depuis ces résultats, et montré que le thymol, le chloroforme,
l'acide phénique, l'éther, le bichlorure de mercure, ajoutés à
dose antiseptique aux cultures du bacille d'Eberth, n’'empèchaient
point leur agglutination par le sérum des malades atteints de
fièvre typhoïde. On a même préconisé l'emploi de cultures mortes
pour la pratique du séro-diagnostic lorsque l'éloignement d’un
laboratoire ne permet point l’usage de cultures vivantes et
récentes, loujours préférables.
La propriété qu'ont les microbes de s’agglutiner sous lac-
tion du sérum actif n’est donc point une propriété vitale, puisque
la mort ne la fait point disparaître.
Il fut ensuite démontré que la substance agglutinable pou-
vait diffuser du corps du microbe dans le bouillon de culture.
La preuve en fut donnée d’abord indirectement par MM. Widal
et Sicard”, Lévy et Bruns *, qui firent naître la propriété agglu-
tinante dans le sérum d'animaux inoculés avec des cultures
filtrées de bacille typhique ; puis directement par M. R. Kraus',
qui détermina la production d’amas dans les cultures filtrées de
divers microorganismes.
Le travail de M. Kraus est le plus important de ceux que
nous avons à passer en revue : il montre que le phénomène de
l’agelulination ne nécessite point la présence des corps micro-
biens, qu'il peut être facilement obtenu par l’action d’un sérum
actif sur les cultures filtrées du vibrion cholérique, du bacille
typhique et du bacille de la peste. Cette réaction est spécifique;
elle n’est donnée par aucun autre sérum. Par contre, les cultures
du bacille de la diphtérie ne s’agglutinent point sous l’action du
sérum antidiphtérique.
M. Kraus ne dit pas avoir examiné au microscope le produit
de l’agglutination ; il ne donne point de détails précis sur le
degré des pouvoirs agglutinants des sérums employés par lui,
pas plus que sur l’âge des cultures filtrées dont il s’est servi. Il
serait injuste néanmoins de ne point reconnaître la valeur de
1. Vax DE VeLne, Académie royale de médecine de Belgique, 27 mars 4897.
2. Wipaz Et Sicarp, Ces Annales.
3. Lévy Er Bruns, Berliner klinische Wochenschrift, 1897, n° 23.
4. R. Kraus, A. Æ. Gesellschaft der Aerste in Wien, 30 April 1897; et
Wiener klinische Wochenschrift, 42 August 1897, n° 32, page 736.
4
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 163
son travail. Nos recherches entreprises presque concurremment
avec les siennes viennent les confirmer en grande partie.
Notons encore, pour être complet dans cet historique des
travaux qui ont trait à la substance agglutinée, les premières
observations de M. Gruber expliquant l’agglutination des mi-
crobes par le gonflement de leur membrane d’enveloppe. Cette
interprétation du phénomène n’a été soutenue depuis que par
M. Roger ' à propos de l’agglutination de loïdium albicans.
Enfin, M. Malvoz *, dans son article sur l’agglutination des mi-
crobes par les substances chimiques, fait en passant quelques
remarques qui concernent la substance agglutinée.
Nos recherches ont porté principalement sur trois microbes,
le bacterium coli, le bacille typhique et le vibrion de Massaouah.
Elles ont été conduites de la même manière pour chacun d’eux, et
ont abouti à des résultats presque identiques. Aussi ne les
exposerons-nous en détail que pour l’un d’eux, le bacterium coli,
dont la substance agglutinée se prête un peu mieux à l'étude,
pour des raisons que nous verrons plus loin.
LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACTERIUM COLI
Conditions des expériences et réaction de contrloe. — La substance
agglutinée d’un microbe (on pourrait dire tout aussi bien agglu-
tinable) ne peut être mise en évidence que par l’action qu’a sur
elle un sérum doué du pouvoir agglutinant. Nous devions donc
tout d’abord nous procurer un sérum actif vis-à vis du bacterium
coli. Nous l'avons obtenu facilement par l’inoculation répétée de
cultures vivantes de 24 lieures, en bouillon de viande pepto-
nisée, au lapin.
Les inoculations ont été faites sous la peau : les doses ont été
de 1 à 2 centimètres cubes, à 5 à 10 jours d'intervalle. En un
mois et demi l’animal a reçu 141 c. c. de culture; il a été sacrifié, et
son sang recueilli aussitôt après la mort, par ponction dans l’oreil-
lette droite. Nous avons obtenu ainsi par le repos quelques c. c.
d’un sérum parfaitement limpide, dont la stérilité a été éprouvée
1. Rocer, Revue générale des sciences, 1896.
2. Mazvoz, Ces Annales, juillet 1897, page 582.
164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
par le séjour à l'étuve pendant 48 heures, et qui nous a servi pour
toutes nos expériences !,
L'échantillon de bacterium coli dont nous avons fait usage
provient de l’Institut Pasteur, et a été entretenu dans notre labo-
ratoire par des cultures successives depuis plus de deux ans.
Nous nous sommes assuré tout d’abord que notre sérum
n'avait aucune action agglutinante sur les cultures de bacille
typhique, baaille de la psittacose, vibrion de Massaouah, et d’un
grand nombre de variétés de bacterium coli des eaux.
Notre bacterium colin’est sensible ni à l’action du sérum normal
d'homme ou de lapin, ni à celle du sérum de lapins infectés avec
des cultures de bacille typhique ou de vibrion de Massaouah.
Action du coli-sérum sur les cultures vivantes ou stérilisées de
bacterium coli. Mensuration de son pouvoir agglutinant. — Nous
avons fait agir notre colisérum sur des cultures jeunes de bacte-
rium coli et solution peptonisée. L'emploi de cette solution évite
la production d’amas spontanés dans les cultures *. Lorsqu’à
10 gouttes d'une culture de 24 heures dans ce milieu, on ajoute
1 goutte de sérum, l’agglutination se produit instantanément.
Au microscope, les amas microbiens sont de dimensions très
grandes : il n'existe pour ainsi dire aucun microbe isolé entre eux ;
ceux qu'on y voit par exception sont toujours immobiles. Les
corps des microbes formant ces amas sont comme fondus
ensemble, très différents en cela des microbes qu'on rencontre
dans les amas spontanés des cultures et qui sont en contact
plus ou moins étroit, mais jamais confondus.
La mensuration du pouvoir agglutinant de notre sérum, pra-
tiquésuivant la méthode de M. Widal, c’est-à-dire par le procédé
extemporané, montre que son activité est de 1 pour 15,000;
une goutte de sérum agglutine quinze mille gouttes de culture.
À cette dilution, le phénomène demande généralement une
demi-heure : à 1/5000, la réaction est presque instantanée.
Des cultures du même âge stérilisées soit par quelques
gouttes de formol, soit par le chauffage à 58°, se montrent à peu
près aussi sensibles à l’action du sérum que les cultures vivantes.
1. Ce même sérum nous sert, dans la pratique courante du laboratoire, à recon-
naître les diverses variétés de Z. coli et de bacilles coliformes isolés des eaux,
2, C. Nicoue et A. Haripré, Sérodiagnostic de la fièvre typhoïde. Presse médi-
cale, 25 juillet 1896.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 165
Action du colisérum sur les cultures filtrées de bacterium coli. —
Afin de nous procurer des cultures de bacterium coli riche en sub-
stance agglutinée, nous avons suivi à peu près la méthode indi-
quée par Sanarelli pour la production de ses soi-disant toxines
typhique et colique. Nous avons ensemencé notre bacterium
coli dans du bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1°/,;
nous avons laissé notre culture un mois à l’étuve; elle a ensuite
été distribuée dans des ballons qu'on a fermés à la lampe, portés
pendant six jours une heure à 60 degrés, puis abandonnés deux
mois à la température du laboratoire. Le produit ainsi obtenu,
qui correspond à une macéralion de corps de microbes, a été
ensuite filtré sur le filtre Chamberland. Il se présente sous
l'aspect d’un liquide un peu foncé, sa réaction est fortement acide.
Sa stérilité a été constatée en portant pendant 48 heures à l’étuve
les flacons qui le contenaient.
Si, dans un tube à essai stérile, on met dix gouttes de ce
bouillon filtré, puis qu’on y ajoute une goutte de notre colisérum
et qu'on abandonne le tube à la température ordinaire du labo-
ratoire, on ne note la production d'aucun phénomène pendant les
heures qui suivent; le lendemain, parfois, il se montre un léger
dépôt au fond du tube, mais il n’y faut point compter. A l’étuve
(à 37°) au contraire, au bout d'un temps variable, rarement avant
4 à 5 heures, toujours après 15 à 20 heures, on constate à l'œil
nu la présence de grains dans le liquide. Ces grains sont souvent
réunis au fond du tube, mais la plus légère agitation les fait
flotter dans le bouillon. Ils sont identiques comme aspect avec
les grains formés par des microbes agglutinés: même coloration
grisâtre, même légèreté, mème apparence floconneuse ; ils sont
seulement d’un volume un peu moindre. C’est là la réaction qui
a été décrite pour la première fois par Kraus sur les cultures fil-
trées de vibrions cholériques, puis constatée également par lui
pour le bacille typhique et celui de la peste.
A l'examen microscopique, que Kraus n’a point pratiqué (et
qu'il est indispensable de faire, nous verrons tout à l'heure
pourquoi), on constate la présence d’amas plus petits certaine-
ment que ceux qu’on obtiendrait par l’action de notre sérum à
1/10 sur des cultures de bacterium coli (ils sont énormes); mais
d’un volume sensiblement égal à ceux que l’on constate dans la
moyenne des cas, par l'addition d’une goutte de sérum de malade
166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
atteint de fièvre typhoïde à dix, à vingt gouttes de culture de
bacille typhique. Ces amas sont absolument semblables à des amas
microbiens ; 1 serait impossible, si l’on n'était prévenu, de les en
distinguer. Ils sont brillants, irréguliers, comme composés de
particules séparées, vaguement arrondies ou ovalaires, d'aspect
granuleux, mais soudées et comme fondues entre elles. On
jurerait qu’il s’agit de microbes accolés; et lorsqu'on à bien
comparé ensemble un amas microbien et un amas de substance
agglutinée, on a l'impression que, dans le premier cas, les
microbes sont fondus entre eux par la coalescence de leur
substance.
Entre ces amas de substance agglutinée, il en est de plus
petits, quelquefois de si petits qu'on les dirait formés par la
réunion de quelques unités microbiennes.
Pour bien étudier ces détails, il suffit de se servir du dia-
phragme ; il est inutile de pratiquer une coloration. La substance
agglutinée se laisse cependant facilement teindre par les solu-
tions colorantes employées ordinairement dans les laboratoires
(fuchsine de Ziehl étendue, surtout). L'aspect est le même; mais
la coloration est plutôt nuisible qu'utile. La matière agglutinée
ne se colore point par la méthode de Gram.
La production d’amas dans les cultures glycérinées filtrées
est un phénomène des plus nets ; il importe cependant de signa-
ler une cause d'erreur due à ce que, parfois, dans le four à
flamber, le coton qui ferme les tubes se carbonise en partie; il se
forme alors dans l’intérieur du tube un léger dépôt de particules
carbonisées qui, lorsqu'on y verse le liquide à examiner, donnent
lieu à la production de petits amas. Il faut, par conséquent, ne
se servir que de tubes irréprochablement propres, et toujours
pratiquer l'examen microscopique qui ne permet point la moindre
confusion entre ces faux amas et les vrais.
Cette réaction est absolument spécifique : la culture filtrée mise à
l’étuve sans addition de colisérum reste limpide; on n’observe
point non plus la formation d’amas en remplaçant le colisérum
par un des sérums suivants : sérum de lapin normal, de lapin
infecté avec le bacille typhique ou le vibrion de Massaouah,
sérums d'individus divers atteints ou non de fièvre typhoïde,
et adressés au laboratoire pour la recherche de la réaction
de Widal.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 167
La production d’amas demande dans ces conditions généra-
lement 15 à 20 heures. On peut la mettre en évidence d’une
façon plus rapide et plus frappante, en ajoutant au liquide filtré
une substance solide insoluble à l’état de fractionnement infini-
tésimal, des cultures d’un autre microbe par exemple, et en
faisant l’essai avec notre sérum non à l’étuve, ce qui serait
impossible à cause du développement probable du microbe
ajouté, mais à la température ordinaire du laboratoire.
L'expérience réussit parfaitement. On peut, soit ensemencer
le bouillon glycériné filtré de bacterium coli avec un autre mi-
crobe (bacille typhique, bacille de la psittacose, proteus) en y
ajoutant, si l’on veut (cela est préférable), un peu de bouillon
neuf, puis après quelques heures de séjour à l’étuve, alors que la
culture devient apparente, faire agir dessus le colisérum;
soit faire un mélange extemporané à parties égales du bouillon
filtré et de la culture du microbe choisi, puis y ajouter le sérum,
toujours dans la proportion de 1/10. Dans ces conditions, en
une demi-heure généralement, quelquefois plus vite, l’aggluti-
nation est visible à l'œil nu; les grains sont légers, floconneux;
au bout de quelques heures ils se déposent au fond du tube, la
clarification est complète. Au microscope, on voit que les mi-
crobes ajoutés sont agglutinés en amas; s’il s’agit d’un microbe
mobile, il est immobilisé. Si l’on a fait choix du bacille typhique
ou du baaille de la psitlacose, identiques au point de vue mor-
phologique au bacterium coli, les amas qu'ils forment ne
sauraient être distingués de ceux que formeraient dans des
conditions identiques les bactéries du colon. On remarque tou-
jours le même aspect de fusion des corps microbiens entre eux,
Il semble que les microbes ajoutés aient été comme collés par
la substance agglutinée du bacterium coli, et il est impossible
au microscope de distinguer dans ces amas ce qui est le microbe
étranger et ce qui est la substance agglutinée du bacterium coli,
Voici le résumé de quelques-unes de ces expériences, qui ont
toutes été répétées un grand nombre de fois, en raison même de
la singularité du phénomène.
{. Nous avons noté dans nos expériences que le B. coti ne pousse point dans
son bouillon de macération filtré; le bacille de la psittacose y pousse très bien et
très vite (5 heures); ls bacille typhique, le proteus y poussent peu et lentement.
Si on ajoute à ce produit une quantité égale de bouillon neuf, ces trois microbes
et le B. coli lui-même s’y développent abondamment,
168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Bouillon glycériné filtré de B. coli et bouillon neuf à parties égales,
ensemencés avec du bacille typhique. Le mélange est laissé 20 heures à
l'étuve, puis additionné de colisérum à 1/10. Au bout de quelques minutes
l'agglutination devient nette à l'œil nu. Contrôle au microscope.
Même expérience avec le proteus, avec le bacille de la psittacose : pour
ce dernier les résultats sont un peu moins nets.
Mélange extemporané à parties égales d’une culture de 24 heures de
bacille typhique et du bouillon glycériné filtré de B. coli. Addition de coli-
sérum à 1/10. Agglutination rapide; clarification complète en 24 heures.
— Contrôle au microscope.
Même mélange mis pendant 1 heure à l’étuve avant l'addition du sérum.
Réaction identique, pas plus marquée.
Même expérience avec le proteus et le bacille de la psittacose; formation
d’amas, toujours plus lente avec ce dernier.
Mêmes résultats avec des cultures mortes de ces microbes ajoutées au
bouillon filtré.
Il est à noter que le bacille typhique, qui a ainsi acquis la
propriété d'emprunt de s’agglutiner sous l'influence du colisérum,
est resté tout aussi sensible vis-à-vis du sérum typhique qu’un
échantillon neuf.
Il n’est point nécessaire, pour mettre en évidence ce phéno-
mène, d'employer des corps de microbes vivants ou morts : on
peut les remplacer par une substance inorganique en poussière
très fine, du talc par exemple. Pour faire cette expérience, à
quelques c. c. de bouillon glycériné filtré de B. coli,
on ajoute une pincée de poudre de tale, on agite, on laisse quel-
ques instants en contact, et on filtre sur du papier. Le mélange
filtré présente absolument l'aspect d’une culture peu abondante
de bacille typhique ou de B. coh : même trouble général, mêmes
ondes soyeuses par agitation. Au microscope, les particules de
talc sont visibles sous forme de petits corpsirréguliers, brillants,
bien isolés les uns des autres. Si, à ce liquide, on ajoute du
colisérum à la dose &e 1/10, l’agglutination se montre à la tempé-
rature ordinaire en 1/2 heure à 3/4 d'heure; il est complet et le
liquide clarifié par le dépôt des amas en 24 heures. Au micros-
cope, les particules de talc se montrent agelomérées en îlots de
volume irrégulier, il n’existe plus pour ainsi dire de particules
isolées entre eux. C’est à peine si, avec attention, on peut dis-
tinguer qu'il ne s’agit point là d’amas microbiens.
Le bouillon filtré contenant du talc non additionné de sérum,
abondonné à lui-même, ne donne jamais d’amas à l’œil nu ou au
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE, 169
microscope; au bout d’un certain temps le tale se dépose sur
les parois et au fond du tube, sous forme d’une couche fine et
pulvérulente que l'agitation ne parvient point à en détacher. Les
amas déterminés par l'addition du colisérum sont au contraire
bien séparés les uns des autres, légers et flottants dans le liquide
dès qu'on agite le tube.
L'addition de sérums autres que notre colisérum n’a jamais
donné lieu à la production de ce phénomène.
Si curieuse que soit cette réaction, elle ne saurait comporter
d'application pratique ; lorsqu'on voudra rechercher si un sérum
fournit des propriétés agglutinantes vis-à-vis du B. coli, il sera
_ préférable de s'adresser à des cultures vivantes et récentes.
Le bouillon glycériné filtré qui nous a servi dans ces expé-
riences était acide, avons-nous dit, et représentait le produit d’une
macération prolongée de corps de microbes. Nous avons recher-
ché si dans un bouillon de culture de réaction alcaline l’aggluti-
nation pouvait également être mise en évidence. Nous avons
préparé à cet effet un bouillon de viande peptonisée légèrement
alcalin, que nous avons ensemencé avec une culture de B, coli,
laissée à l’étuve un mois, puis filtrée. Les expériences précédentes
répélées avec ce liquide ont donné des résultats comparables à
ceux obtenus avec le bouillon glycériné filtré. Voici le tableau
résumé des trois expériences les plus typiques. La stérilité du
produit filtré avait été préalablement vérifiée.
Bouillon alcalin filtré, d’un mois, additionné d’ure goutte pour dix de coli-
sérum, puis mis à l’étuve pendant 24 heures. Au bout de ce temps, présence
de grains abondants dans le liquide. Contrôle au microscope.
Mélange du même liquide filtré à parties égales avec une cullure de 24
heures en bouillon de bacille typhique, additionnée d’une goutte pour dix de
colisérum — agglutination nette à la température du laboratoire en une
heure, clarification totale en 24 heures — Contrôle au microscope.
Même liquide avec poudre de tale, traité par le sérum à 1/10. Mêmes
résultats.
Ces expériences nous ayant montré la présence constante de la
substance agglutinée dans des cultures anciennes, quelle qu’en
soit la réaction, nous nous sommes demandé si cette substance
existait également en quantité appréciable dans des cultures plus
jeunes. A cet effet, une culture de B, coli en bouillon de viande
peptonisé légèrement alcalin a été faite, puis filtrée au bout de
170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
48 heures de séjour à l’étuve. Voici quels ont été les résultats des
principales expériences faites avec ce produit :
La
Bouillon alcalin filtré de 48 heures, additionné d’une goutte pour dix de
colisérum laissé à l’étuve 24 heures. Présence d'amas douteux à l'œil nu;
au microscope res amas se montrent très nombreux, mais bien plus petits
que ceux obtenus avec des cultures plus vieilles.
Bouillon alealin de 48 heures mélangé à parties égales avec une culture
de bacille typhique de 24 heures, puis additionné d’une goutte pour dix de
colisérum — agglutination nette à l'œil nu en une heure à la température du
laboratoire. — Contrôle au microscope.
Les cultures filtrées de B. coli, anciennes ou récentes, alca-
lines ou acides, contiennent donc une substance spécifique qu'ag-
glutine et rend visible le colisérum. L’agglutination est
d'autant plus rapide et plus marquée que là culture filtrée est
plus ancienne.
Action du colisérum sur les corps de microbes lavés. — En pré-
sence de ces résultats, il était indiqué de rechercher si des corps
de microbes lavés assez longtemps dans l’eau distillée, pour
qu'on püt être sûr que tout le liquide dans lequel ils s'étaient
développés fût enlevé, se laissaient encore agglutiner par le
colisérum. Malvoz ayant lavé longtemps à l’eau des corps de
microbes (il opérait sur le bacille typhique) vit que ces bacilles
s'agelutinaient moins bien. Cet auteur n'indique point quel était
l’âge de ses cultures. Or, c’est là le point important. Les corps
de microbes lavés réagissent d’une façon tout à fait différente
suivant qu’ils proviennent d’une culture jeune ou ancienne.
Pour nous procurer de ces microbes lavés, nous avons filtré
sur filtre Chamberland des cultures en bouillon ordinaire de
B. coli d’âges différents, puis nous avons fait passer sur le filtre
une quantité d’eau distillée égale à 10 fois la quantité de bouil-
lon filtré. On raclait ensuite la bougie, et les corps de microbes
ainsi obtenus étaient émuisionnés dans de l’eau distillée. Voici
les résultats donnés par l'addition du colisérum à 1/10 à ces
émulsions :
Les corps de microbes provenant de cultures jeunes (2 à 3
jours) s'agglutinent à peu près aussi vite que le feraient des cul-
tures ordinaires. Les corps de microbes provenant de cultures
âgées (25 à 30 jours) ne s'agglutinent plus ou bien né le font
qu'avec une extrême lenteur. La raison de cette différence nous
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 171
est révélée parl’examen microscopique de ces corps de microbes.
Ceux qui proviennent de cultures jeunes sont presque tous bien
vivants et mobiles, ceux qui viennent des cultures âgées sont
désagrégés, déformés, morts pour la plupart; quelques-uns
seulement ont conservé leur forme et quelques mouvements
lents.
Action du colisérum sur le liquide de macération filtré des corps
de microbes. — En faisant macérer dans de l’eau distillée à basse
température des corps de microbes lavés, provenant de cultures
jeunes, puis en filtrant le produit, on obtient un liquide clair
qui s’agglutine légèrement par l'addition de colisérum à 1/10.
De tout ce qui précède nous pouvons déjà conclure que le
corps du B. coli, vivant ou mort, contient une substance agglu-
tinable qui diffuse peu à peu dans le bouillon de culture, et
que l’addition de colisérum précipite sous forme d’amas, abso-
lument comme elle précipiterail le baclerium coli en cultures.
La production de cette substance paraît liée à la désagrégation
des corps de microbes ; elle est d'autant plus abondante dans le
liquide que la culture est plus vieille et par conséquent les
microbes plus dégénérés.
Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures
du B. coli, quelles que soient les conditions de cette culture et le milieu
employé. — Nous nous sommes demandé si cette substance agglu-
tinée du B. coli se rencontrait d’une façon constante dans les
cultures de ce microbe et s’il n’était point possible, en variant
les conditions de la culture et le milieu lui-même, d'obtenir
des bactéries du colon légitimes, bien vivantes, ne contenant
plus cette substance, et par conséquentne s'agglutinant plus. On
comprend la portée très grande qu’aurait eu une pareille consta-
tation.
Nous avons cultivé le B. coli sur un très grand nombre de
milieux naturels ou artificiels : bouillon de viande avec ou sans
peptone, solution peptonisée, solution de syntonine, bouillon
phéniqué, gélose ou gélatine peptonisées avec ou sans viande,
gélatine sans peptone, pomme de terre, milieu d’'Elsner, milieux
artificiels de Péré’; milieu d'Uschinsky modifié par Fran-
1. Les milieux de Péré essayés ont été : milieu À : lactate d'ammoniaque 20;
phosphate de potasse 2,5; phosphate de soude 2, 5 ; sulfate de magnésie, 1, 95;
Chlorure de sodium 1, 5; Eau 1 000 — Ze même milieu avec de la dextrine à la
172 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.
kel”, milieu de Calpaldi et Proskauer ?. Sur tous ces milieux, le
B. coli a poussé plus ou moins abondamment suivant les cas, et
dans toutes les cultures il s’est agglutiné presque instantanément
par l'addition du colisérum. Les cultures en solution de syn-
tonine, (parapeptone) et sur gélatine à l’eau (sans peptone et sans
viande) ont seules demandé quelques instants avant de s’aggelu-
üner, et il est à remarquer que ces cultures létaient remarqua-
blement pauvres; or, les microbes s’agglutinent tous d'autant
plus rapidement que leur culture est plus abondante.
Nous avons également recherché l'influence que pouvait
avoir la température à laquelle la culture est faite. Cette
influence est nulle. Le B. coli cultivé à la température ordinaire
du laboratoire ou à l’étuve à 42 s’agglutine aussi bien que
celui qui s’est développé à 37° (en tenant compte toujours de
l’abondance de la cuiture).
Les cultures anaérobies se montrentaussi sensibles que celles
faites en présence de l’air.
En résumé, toutes les fois que le B. coli pousse sur un milieu
de culture, il est sensible à l’action du colisérum. La substance
agglutinée paraît donc faire partie intégrante du microbe.
Actions de quelques agents physiques et chimiques sur la substance
agglutinée du B. coli. — I était intéressant de rechercher quelle
action pouvaient avoir sur la substance agglutinée divers agents
physiques et chimiques.
1° Chaleur. — Nous avons d’abord étudié l’action de Ja
chaleur. Des cultures de B. coli de 24 heures, en bouillon de
viande légèrement alcalin, ont été portées pendant vingt minutes
à des températures variant de 10 en 10 degrés, depuis 60° jus-
qu'à 1400. Les résultats ont été les suivants. A 60°, 70°, 80°,
l’agglutination se produit presque instantanément après addi-
tion du colisérum; à 90° et 100° il est encore très rapide; à
115°, 1209, 130°il ne se montre qu’au bout de quelques minutes ;
à 1400 il faut attendre 3/4 d'heure avant de le constater. Nous
place du lactate d’ammoniaque. Milieu B. : lactate de soude 20; phosphate
double d’ammoniaque et de soude ; sulfate d’ammoniaque 2 ; phosphate de potasse
neutre 1; sulfate de magnésie 1; chlorure de sodium {; eau 4 000 — Ze méme
avec de la dextrine à la place du lactate de soude.
1. Formule de ce milieu : eau 1 000; chlorure de sodium 5; biphosphate de
potasse 2 ; asparagine 4; lactate d'ammoniaque 6.
2. Formule : Eau 100; asparagine 0, 2; mannite 0, 02; sulfate de magnésie
0, 01 ;chlorure de calcium 0, 02; phosphate de potasse 0,02; chlorure de sodium 0,02.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 173
n'avons point cherché l’action de températures plus hautes.
A partir de 120°, le bouillon se trouble à l’autoclave et fonce; il
s’y forme des flocons abondants (à 140° ils sont en quantité
particulièrement grande), on s’en débarrasse avant d'ajouter le
sérum en filtrant la culture sur un papier à filtre épais.
Ilest indispensable de rechercher la réaction agglutinante
sur les cultures chauffées aussitôt que possible après leur
exposition à la chaleur: si l’on attendait quelques jours, la
réaction serait bien plus lente à se produire, probablement
parce que la substance agglutinable tend à quitter le corps
des microbes désagrégés par la chaleur et à se répandre dans le
liquide.
Des corps de microbes provenant d’une culture jeune, émul-
sionnés dans de l’eau distillée et exposés ensuite à des tempéra-
tures variées, se comportent exactement comme les cultures. A
1409, l’agglutination est peut-être encore plus tardive, mais elle
se montre d'une façon constante. Nous avions fait ces expé-
riences dans le but de rechercher si la réaction ou la nature du
milieu de culture pouvaient avoir une action sur la résistance
de la subtance agglutinée à la chaleur.
Les cultures en bouillon filtrées se comportent de même.
Nous avons exposé vingt minutes à 115° des tubes contenant
notre bouillon glycériné filtré. Le mélange de dix gouttes de ce
liquide filtré avec une goutte de colisérum mis à l’étuve pendant
vingt-quatre heures s’agglutine à peu près aussi nettement que
si le bouillon glycériné n'avait pas été chauffé. — La même
expérience répétée avec du talc donne une agglutination nette
en une heure à la température ordinaire, et une clarification
complète en vingt-quatre heures. — Mème résultat avec un
mélange de bouillon glycériné filtré et chauffé, el d’une culture
de bacille typhique de vingt-quatre heures. La substance agglu-
tinée du B. coli est donc très résistante à la chaleur.
20 Froid. — Dans un mélange refrigérant nous avons placé
de petits tubes contenant une culture en bouillon peptonisé de
bacterium coli et des corps jeunes de microbes en émulsion
dans l’eau distillée. La température, de — 6°, a été main-
tenue 5 heures environ. Le bouillon ne s’est point congelé,
l’émulsion de microbes a rapidement fait prise. L’addition d’une
goutte de sérum à dix de bouillon donne une agglutination
174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
immédiate; la réaction est un peu plus lente avec l’émulsion
de microbes.
3° Insolation. — Une culture en solution de peptone de bacte-
rium coli exposée deux heures au soleil (de 11 heures à 1 heure,
en décembre) donne une agglutination immédiate par l'addition
de sérum.
4° Dessiccation. — Une culture est filtrée sur papier à filtrer
épais qui retient à sa surface une bonne partie des corps de
microbes. Le papier est séché à l’étuve à 37°, puis abandonné
huit jours à la température du laboratoire. Il est ensuite mis à
macérer dans de l’eau distillée : le liquide de macération est fil-
tré sur papier (pour le débarrasser des particules en suspension
nombreuses) ; il s’agglutine rapidement par le sérum à 1/10.
Bo Age de la culture. — Une culture de bacterium coli sur
pomme de terre, de plus de deux ans d'âge et morte, retrouvée
dans un coin du laboratoire, présente encore à sa partie infé-
rieure quelques gouttes d’eau tenant en suspension un grand
nombre de corps de microbes désagrégés. L’addition d’une
goutte de colisérum à dix gouttes de ce liquide épais en provc-
que l’agglutination presque immédiate.
6° Substances chimiques. — De ces diverses expériences on
peut conclure que la substance agglutinable du B. coli est très
résistante aux divers agents physiques. On sait déjà que l'addi-
tion de certaines substances antiseptiques ne gêne en rien
l'agglutination des cultures du bacille typhique : formol, chloro-
forme, thymol, etc. Nous nous sommes assurés qu’il en était de
même pour le bacterium coli. Par contre, un certain nombre de
corps chimiques précipitent les cultures de ces microbes.
M. Malvoz les a étudiés en détail; comme il n’est nullement
démontré que la substance précipitée dans ce cas soit identique
à la substance qu’agglutine le sérum, nous avons laissé de côté
ce point de la question.
Solubilité de la substance agglutinée du bacterium coli dans l’eau,
l'alcool absolu, l'éther. — La substance agglutinée du B. coh est
soluble, cela ressort des expériences que nous avons décrites
plus haut, dans le bouillon alcalin neutre ou acide et dans l’eau.
— Nous avons recherché si elle était soluble dans l’alcool
absolu et l’éther. Dans ce but nous avons filtré sur papier à
filtre épais des cultures jeunes de bacterium coli. Le papier
Lu st amis
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 175
x
à filtre a été ensuite séché pendant quelques heures à l’étuve
à 31°, puis découpé en petits morceaux que nous avons laissé
macérer quarante-huit heures les uns dans l'alcool absolu, les
autres dans l’éther. Le liquide de macération a ensuite été
décanté : les couches superlicielles ont été distribuées dans de
petits tubes bouchés, qui ont été placés dans un centrifuseur
pendant 5 heures, de manière à débarrasser le liquide des pro-
duits solides (corps de microbes et autres) qui auraient pu y
persister. Les couches supérieures de ce liquide ont ensuite été
transvasées et mises à évaporer dans une étuve à 20°. Le léger
dépôt laissé par l’évaporation a été dissous dans du bouillon
faiblement alcalin et celui-ci filtré sur papier : nous. avons
obtenu ainsi un liquide tout à fait clair auquel nous avons
ajouté notre sérum actif à la dose de 1/10. Les tubes où le
mélange avait été fait ont été abandonnés à une basse tempé-
rature pendant quarante-huit heures (leur non stérilité empè-
chait de les mettre à l’étuve). Au bout de ce temps des amas très
nets étaient apparus dans le bouillon. Examinés au micros-
cope, ces amas se montrent identiques à ceux observés avec des
cultures simplement filtrées et très analogues aussi à des amas
microbiens.
La solubilité paraît égale dans lalcool absolu et l’éther.
Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum d'un animal
sous l'influence des injections de substance agglutinée. — MM. Widal
et Sicard, puis Levy et Bruns, ont montré les premiers qu’en
inoculant aux animaux des cultures stérilisées ou fillrées de
bacille typhique, on déterminait l'apparition de la propriété
agglulinante dans leur sérum: ce pouvoir agglutinant se montre
plus lentement et toujours à un degré plus faible que lorsqu'on
inocule à ces animaux des cultures vivantes.
Nous avons repris ces expériences en nous servant comme
liquide d’inoculation de notre bouillon glycériné filtré de B.
coli. Un lapin a reçu en injections sous-cutanées dix-huit
cent. cubes de ce liquide chauffé au préalable à 4150, en sept
jours. Il est sacrifié au bout de ce temps, il présente des
altérations rénales manifestes et son urine est très trouble.
La mensuration du pouvoir agglutinant du sérum de cet animal
montre qu'ilest de 1/25 environ; son urine est active à 1/10,
Nous avons répété avec le sérum de cet animal les expériences
176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
décrites plus haut sur l’action du colisérum sur les cultures
filtrées de bacterium coli avec ou sans addition de tale : l’agglu-
tination est plus lente à se montrer, mais se produit d’une’
manière constante,
Un autre lapin ayant reçu les mêmes doses du liquide glycé-
riné chauffé à 115° et présentant un sérum actif à peu près au
même degré, reçut ensuite, en 15 jours, 15 c. c. de la même
culture filtrée non chauffée. — Le pouvoir agglutinant de son
sérum monta rapidement à 1/400.
Ces expériences démontrent que c’est sous l'influence de la
substance agelutinée qu’apparaît le pouvoir agglutinant du
sérum. — Lorsque cette substance est altérée par le chauffage,
le pouvoir agglutinant est plus faible.
De mème qu'une culture vivante s’agglutine toujours mieux
sous l'influence du sérum qu’une culture stérilisée ou filtrée,
les inoculations de cultures vivantes déterminent plus rapide-
ment et à un degré plus élevé l'apparition du pouvoir agglu-
üinant dans le sérum que celles de ces mêmes cultures stérilisées
ou filtrées. |
Nous avons recherché dans l'urine de nos lapins la présence
de la matière agglutinée, mais sans la déceler; l’urine au con-
traire, comme nous l’avons vu plus haut, acquiert rapidement,
comme le sérum, des propriétés agglutinantes.
LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACILLE TYPHIQUE
Les détails dans lesquels nous sommes entrés à propos de
l'étude de la substance agglutinée du B. coli vont nous permettre
d’aller un peu plus vite dans l'exposé de nos recherches sur la
substance agglutinée du bacille typhique. Un certain nombre
d'expériences avaient été faites d’ailleurs sur celle-ci, antérieure-
ment aux nôtres.
Conditions des expériences et réactions de contrôle. — Le sérum
agglutinant dont nous avons fait usage est le sérum d’un lapin
infecté avec des cultures jeunes en bouillon de viande peptonisée
de bacille typhique. En quatre mois, ce lapin a reçu 45 c. c.
de cultures sous la peau. — Nous l'avons sacrifié et par ponc-
tion du cœur nous avons obtenu une quantité notable de sang
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 177
qui nous à donné par le repos les quelques c. c. de sérum
nécessaires à nos expériences. La stérilité de ce sérum a
été éprouvée par son séjour à l’étuve pendant 48 heures,
L'essai en a été fait tout d’abord sur une culture jeune
de bacille typhique en bouillon pour la mensuration de
son pouvoir agglutinant. Ce pouvoir est de 1/8000; il est
à peu près égal quand on fait agir le sérum sur des cultures
stérilisées récemment par l'addition de quelques gouttes de
formol. Ce sérum est dépourvu d’action agglutinante sur le
bacterium coli, le bacille de la psittacose, et sur un certain
nombre de coliformes isolés par nous des eaux.
Le bacille typhique qui nous a servi pour nos expériences et
pour la préparation de ce sérum est un bacille typhique légitime,
isolé de la rate d’un typhique, et servant dans notre laboratoire
à la pratique du sérodiagnostic de la fièvre typhoïde.
Nous avons répété un certain nombre de nos expériences en
employant, à la place de notre sérum de lapin, divers échantil-
lons de sérum provenant d'individus aiteints de fièvre typhoïde.
Les résultats ont toujours été les mêmes.
Action du sérum typhique sur les cultures filtrées du bacille.
— Nos premières recherches ont été failes sur une culture
en bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1 0/0, filtrée
sur bougie Chamberland après un mois de séjour à l’étuve. Ce
produit, dont la stérilité a été tout d’abord éprouvée parun séjour à
l’étuve pendant 24 heures, est fortement acide. Il est très analo-
gue au bouillon glycériné filtré qui nous a servi pour l’étude du
bacterium coli : il représente cependant le produit d'une macé-
ration moins complète des corps microbiens.
Si, à dix gouttes de ce liquide, on ajoute une goutte du sérum
actif et qu’on mette le mélange à l’étuve, on constale quelque-
fois après 5-6 heures, toujours après 24 heures, la présence de
petits grains dans le liquide. Au microscope, ces amas sont très
nets, identiques à des amas microbiens. Kraus qui a, le pre-
mier, constaté cette réaction, l’a décrite comme très variable
dans son intensité, quelquefois très lente à se produire, pouvant
même faire défaut. Il croit que ces variations, dont la cause
véritable lui échappe, peuvent être attribuées aux différences de
virulence, de toxicité, d’alcalinité ou d’âce des cultures.
Nous avons eu pour notre part des résullats constants, et nos
12
178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
cultures n'étaient n1 virulentes, ni toxiques. La réaction au
tournesol ne paraît point non plus jouer de rôle dans la produc-
iion ou l'intensité du phénomène. Un bouillon alcalin filtré se
comporte exactement comme notre bouillon glycériné acide
(nous l’avons déjà vu pour le B. coli, nous le reverrons tout à
l'heure pour le bacille cholérique). Il est à noter que Kraus ne
nous donne ni l’âge exact de ses cultures filtrées, ni le degré
d'activité de son sérum. C’est probablement là la cause des dif-
férences observées par lui, et que nous n'avons pas retrouvées,
nous servant dans toutes nos expériences d’un sérum actif tou-
jours le même et de vieilles cultures. Nous verrons plus loin
que des cultures jeunes filtrées donnent une réaction moins
nette.
L'expérience faite avec du talc en suspension dans le liquide
filtré, additionné de sérum à 1/10, donne, à la température ordi-
naire, une agglutination faible au boutde quelques heures, des plus
évidentes én 24 heures. Un mélange à parties égales du liquide
filtré et d’une culture jeune de bacterium coli est agglutiné par
le sérum à 1/10 en une demi-heure à la température ordinaire ;
le lendemain la réaction est entièrement disparue, le B. coli
s'étant développé dans le milieu de culture.
Des expériences de contrôle faites avec le liquide filtré et le
tale, ou bien du B. coli sans addition de sérum, n’ont point donné
lieu à la formation d’amas à l'œil nu ou au microscope. Par
contre, le sérum d’un malade atteint de fièvre typhoïde, actif à
1/300, a agglutiné en moins d’une demi-heure un mélange de
culture de bacterium coli et de notre liquide glycériné filtré.
Avec une culture de bacille typhique en bouillon légèrement
alcaline, d’un mois, filtrée, nous avons eu des résultats analogues.
Voici le résumé des expériences les plus typiques faites avec ce
produit : |
Ge liquide filtré additionné à 1/10 de sérum actif : agglutination en
24 heures à l’étuve.
Même liquide tenant en suspension du talc additionné à 1/10 de sérum :
agglutination débutant après quelques heures à la température du labora-
toire.
Même liquide mélangé avec une culture de B. coli à parties égales
additionné de sérum à 1/10 : agglutination en une heure à la tempé-
rature ordinaire ; la réaction devient moins nelte ensuite, puis disparaît par
suite du développement du B. coli.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 179
La réaction du liquide ne joue done aucun rôle dans la pro-
duction du phénomène,
Avec une culture jeune de 3 jours, en bouillon simple légère-
ment alcalin, filtrée, la réaction existe, mais plus faible, comme
le montre le tableau de nos expériences qui suit :
Bouillon alcalin de trois jours filtré, additionné de sérum typhique à 4/10,
et mis à l’étuve : agglutination légère après 24 heures. Le même liquide
tenant en suspension du tale et additionné de sérum à 1/10 ne donne à la
température du laboratoire que des amas très petits, au bout de plusieurs
heures.
Un mélange de ce liquide à partie égale avec une culture de B. coli, addi-
tionné d’une goutte de sérum pour dix, donne une agglutination très faible
à la température ordinaire au bout de plusieurs heures, nulle le lendemain,
le B. coli s'étant développé.
Ce sont là des résultats comparables à ceux que nous avons
notés pour le B. coli. La substance agglutinée du bacille typhique
diffuse dès les premiers jours de la culture, du corps des microbes
dansle liquide; maiselle y est alors très peu abondante, Sonabon-
dance croît à mesure que la culture vieillit ; elle reste toujours
moindre dans les cultures de bacille typhique que dans celles de
bacterium coli, parce que ce microbe se développe toujours bien
davantage en bouillon que le bacille d'Eberth.
Les réactions de la culture filtrée de bacille typhique sous
l'influence de sérum actif sont spécifiques. — Kraus avait déjà fait
voir que ces cultures filtrées ne s’agglutinaient point par l’action
des sérums suivants : sérum d'homme ou de cheval sain, sérum
anticholérique et anticolique de chèvre, sérum antidiphtérique
et antistreptococcique de cheval. Nous avons de même obtenu
des résultats négatifs avec des sérums normaux d'homme et de
lapin, et le sérum de lapin infecté avec des cultures de bacterium
coli et de vibrion de Massouah.
Action du sérum typhique sur les corps des microbes lavés. — Les
résultats soni les mêmes que ceux observés avec le B. coli. Des
corps de bacilles typhiques provenant d’une culture en bouillon
de 24 heures, lavéssur un filtre à l’eau distillée, puis émulsionnés,
s’agglulinent rapidement par l’action du sérum. Au contraire, des
corps microbiens provenant d'une culture âgée d’un mois, et
traités de même, ne s’agglutinent point ou bien ne le font qu'avec
une extrème lenteur. L'examen microscopique montre dans le
180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
premier cas des bacilles vivants et mobiles, dans le second,
presque uniquement des corps microbiens dégénérés.
Action du sérum typhique sur une macération filtrée de corps de
microbes. — Kraus ayant fait macérer dans de l’eau distillée des
corps de bacilles typhiques pris sur une culture sur gélose, puis
ayant filtré le liquide, vit qu'il s’y formait des amas par l'addition
de sérum. Nous avons obtenu des résultats analogues avec une
macération filtrée de bacterium coli. Nous n’avons point répété
cette expérience pour le bacille typhique.
Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du
bacille typhique. — Nous avons répété pour le bacille typhique les
expériences déjà rapportées à propos du bacterium coli. En de-
hors des milieux de culture employés ordinairement daus les
laboratoires, nous avons fait usage des milieux artificiels de
Péré. Nous avons également varié la température de culture.
Toutes les fois que le bacille typhique s’est développé dans nos
milieux, il s’est montré sensible à l’agglutination par le sérum.
Celle-ci est d'autant plus rapide et d'autant plus complète que la
culture microbienne est plus abondante.
Action de quelques agents physiques et chimiques sur la substance
agglutinée du bacille typhique. F
1° Chaleur. — M. Widal avait déjà noté que des cultures de
bacille d'Éberth portées une demi-heure à trois quarts d'heure à
des températures intermédiaires entre 57° (où la culture est
stérilisée en 5 minutes) et 60°, s’agglutinaient aussi rapidement
que des cultures vivantes ; mais qu’un séjour de même durée de
10° à 100° leur faisaient perdre en partie ou totalité cette pro-
priété. Avec un sérum très actif, il obtenait encore des amas,
mais ceux-ci étaient petits et lents à se former.
Nous avons repris ces expériences en nous servant de cultures
de 24 heures en solution de peptone, que nous avons exposées
pendant un quart d'heure à des températures diverses.
Nos résultats se rapprochent sensiblement de ceux de M. Widal.
Une température comprise entre 57° et 65° ne paraît'avoir
aucune action empêchante ou retardante sur l’agglutination de
la culture. Entre 75° et 85°, on note un retard de quelques
minutes. À 95°, la réaction ne devient évidente qu'après dix
minutes; à 100° elle demande vingt minutes pour se produire.
Une culture chauffée à 115° donne avec notre sérum une aggluti-
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 181
nation lente (3/4 d'heure) et les amas restent toujours petits. Au-
dessus de 115°, l’agglutination manque, ou bien est si lente et
si inconstante qu'il est impossible de compter sur sa production.
En employant à la place de bouillon alcalin une émulsion
dans l’eau distillée de corps de microbes jeunes et lavés, nous
avons obtenu des résultats analogues.
20 Froid. — Une température de — 6° agissant pendant cinq
heures sur des cultures en bouillon ou sur une émulsion de corps
de microbes jeunes, retarde de quelques minutes à peine l'appa-
rition d’amas sous l'influence du sérum.
3° Insolation. — Deux heures d'exposition à la lumière solaire
se montrent sans action sur la production du phénomène,
4° Dessiccation. — Des corps de bacilles typhiques filtrés sur
un papier à filtre, puis séchés à 37°, exposés pendant huit jours à
la température du laboratoire, et émulsionnés dans de l’eau dis-
tillée, s’agelutinent très rapidement par l’addition de notre sérum.
5° Addition d'antiseptiques. — L'’addition d'acide phénique à
1/1000 au bouillon de culture n'empêche point le développe-
ment du bacille typhique, et celui-ci conserve toute sa sensibi-
lité vis-à-vis du sérum agglutinant. Ce fait a été signalé par
nous dès le mois d’août 1896 ‘. Nous avons même à cette époque
préconisé l’addition d’acide phénique à cette dose aux cultures
en bouillon, dans la pratique du séro-diagnostic, lorsqu'on n’est
point bien sûr de la stérilité du sérum et qu'on veut faire la
réaction à l’étuve par le procédé lent. Cette précaution est géné-
ralement inutile, le procédé extemporané donnant presque tou-
jours en peu de temps une certitude. M. Van de Velde à
montré depuis que l'addition d'acide phénique à dose antiseptique
n’empêchait point la production du phénomène.
L’addition de formol aux cultures, à la dose de trois gouttes
de la solution du commerce pour 150 de culture, jouit de la
même propriété ; MM. Widal et Sicard ont proposé une modi-
fication du séro-diagnostic basée sur cette constatation, et con-
sistant dans l’emploi de cultures ainsi tuées et restées cependant
sensibles au sérum typhique. Ce procédé peut rendre des
services en dehors des laboratoires, iorsqu’on ne peut se procurer
des cultures vivantes, toujours infiniment préférables, Dans
4. ©. Nicozee et À. Hauipxé, Normandie inédicale, 45 août 1896.
182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
leurs expériences, MM. Widal et Sicard ont vu s’agglutiner très
rapidement, sous l’action du sérum de malades atteints de fièvre
typhoïde, des cultures stérilisées par l’emploi du formol depuis
cinq mois.
Des constatations analogues ont été faites par M. Van de
Velde en ajoutant aux cultures du bacille d'Éberth du chloro-
forme, de l’éther, du sublimé à dose antiseptique.
La substance agglutinée du bacille typhique est donc très
résistante aux agents physiques et antiseptiques ; elle ne paraît
point cependant jouir d’une résistance tout à fait égale à celle
du B. coli. Ce n’est sans doute là qu'une apparence tenant à ce
que, dans tous nos milieux de culture, le B. coli pousse plus
abondamment que le bacille typhique, et que par là même il
produit plus de substance agglutinable.
Solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans
l'eau, l'alcool absolu, l'éther. — Des expériences identiques à celles
que nous avons décrites à propos du B. coli nous ont montré la
solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans
alcool absolu et l’éther. Les amas obtenus par dissolution du
produit évaporé dans le bouillon sont identiques à des amas
microbiens.
Nous savions déjà la solubilité de cette substance dans l’eau
et le bouillon légèrement alcalin ou acide.
Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum des animaux
sous l'influence de l'inoculation de la substance agglutinée du bacille
typhique. — Nous avons inoculé à deux lapins sous la peau,
de nos cultures de bacille typhique en bouillon glycériné, d’un
mois, filtrées et chauffées au préalable à 1159. A cette tempé-
rature, nous le savons, la substance agglutinée n’est plus que
difficilement mise en évidence. Nos animaux, après avoir reçu
en douze jours 26 c. c. de ce produit, n’ont présenté qu'un
pouvoir agglutinant des plus faibles. et même douteux (1/10)
de leur sérum. L'inoculation ultérieure de 19c.e. du même
liquide non chauffé, en vingt-cinq jours, a déterminé l'appa-
rition d’un pouvoir agglutinant des plus manifestes.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 183
LA SUBSTANCE .AGGLUTINÉE DE VIBRION DE MASSAOUAH
Nous serons encore plus bref dans l’exposé de nos recherches
sur la substance agglutinée du vibrion de Massaouah. Il nous
paraît en effet inutile d’accumuler les redites, nos expériences
ayant été identiques et leurs résultats comparables.
Conditions des expériences et réactions de contrôle. — Le sérum
qui nous a servi comme réactif est celui d’un lapin ayant reçu
sous la peau, en 40 jours, 4 c. c. de culture en bouillon peptonisé,
de vingt-quatre heures, du vibrion de Massaouah. Ce microbe, que
nousavonsreçu de l’Institut Pasteur, étant très pathogène,a dû être
inoculé tout d’abord à dose faible : un 1/10 de e. c. Nous nous
sommes arrêtés quand nous avons atteint la dose de 1 c. c.
Le sérum de notre lapin, essayé sur une culture sur gélose du
même microorganisme délayée dans de l’eau disullée (pour
éviter les amas que donne en bouillon le voile du vibrion parsa
désagrégation), s’est montré actif à 1/1000. A cette dilution,
trois quarts d'heure sont nécessaires pour la formation des
amas. Au titre de 1/250, ce sérum provoque une agglutination
immédiate. C’est donc par rapport à nos sérums colique et
typhique un sérum d'activité faible.
Nous nous sommes assurés tout d’abord que nos cultures de
vibrion de Massaouah n'étaient agglutinées par aucun autre
sérum que celui que nous avons préparé, et que notre sérum ne
jouissait d'aucun pouvoir agglutinant vis-à-vis d’autres micro-
organismes.
Action du sérum vibrionien sur les cultures filirées du vibrion de Mas-
saouah. — Une culture de vibrion de Massaouah a été faite en
bouillon glycériné à 1 0/0 et filtrée après 19 jours de séjour
à l’étuve. Nous avons répété sur le liquide de filtration, dont la
stérilité avait été préalablement vérifiée, les expériences déjà
décrites à propos du B. coli et du bacille typhique. Nous
avons obtenu des résultats identiques, comme l’indiquele résumé
ci-joint de nos principales expériences :
Bouillon glycériné, filtré, additionné d’une goutte pour dix de sérum,
puis mis à l’étuve : au bout de 24 heures des amas sont bien visibles dans
le liquide ; ils sont identiques à des amas microbiens et se colorent bien par
184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR
la fuschine de Zieh] diluée. (C'est l'expérience faite pour la première fois par
Kraus sur un vibrion cholérique différent de celui de Massaouah.)
Même liquide tenant des corpuscules de talc en suspension additionné
de sérum à même dose et abandonné à la température du laboratoire :
apparition des amas au bout d'une heure,
Mélange à parties égales de ce liquide et d'une culture de B. coli de
24 heures, addition de sérum : même résultat.
Ces réactions sont spécifiques, aucun autre sérum n’a cette
action sur les cultures filtrées du vibrion de Massaouah.
Action du sérum vibrionien sur les corps de microbes lavés. —
Des corps de vibrions, provenant d’une culture en bouillon simple
de 24 heures, lavés sur un filtre à l’eau distillée, puis émulsion-
nés dans l’eau, s’agglutinent immédiatement sous l'influence du
sérum actif. Une culture en bouillon glycériné, âgée d’un mois,
traitée de la même facon, donne encore une agglutination ra-
pide. Au microscope on remarque dans ce cas que les vibrions
sont encore en général animés de mouvements rapides. Cette
résistance des vibrions explique pourquoi les cultures âgées de
Massaouah se laissent encore agglutiner facilement, tandis qu'il
n'en est point absolument de même pour celles de B. coli ou
de bacille typhique moins résistants.
Action du sérum vibrionien sur une macération de corps de vibrions.
— Celle expérience a été faite par Kraus avec des cultures
sur gélose, délayées dans l’eau, soumises à une pression
de 300 atmosphères, puis filtrées. L’agglutination s’est montrée
sous l'influence du sérum. Il s'agissait dans cette expérience,
que nous n'avons point répétée, d’un vibrion autre que celui de
Massaouah.
Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du
vibrion de Massaouah quel que soit le milieu de culture employé. —
Nous avons cultivé le vibrion de Massaouah sur tous les milieux
employés généralement dans les laboratoires, et dans quelques
milieux artificiels : solution de syntonine, milieu B de Péré,
liquide de Capaldi et Proskauer. Partout où le vibrion cholérique
se développe, il se laisse agglutiner par le sérum.
Action de quelques agents physiques. 1° Chaleur. — Une culture
en bouillon peptonisé légèrement alcalin, portée un quart
d'heure à 100°, s’agglutine encore très facilement; si la cul-
ture est laissée le même temps à 115°, elle n’est plus aggluti-
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 185
née que lentement par le sérum et les amas sont très petits.
20 Froid. — Une température de — 6° maintenue pendant
5 heures retarde manifestement l’agglutination d’une culture en
bouillon du vibrion de Massaouah : il faut attendre 1/2 heure, et
encore plus s’il s’agit d’une émulsion du même microbe dans l'eau.
3° Pression. — Nous avons vu plus haut que, dans ses expé-
riences, M. Kraus avait soumis à une pression de 300 atmo-
sphères une macération de corps de vibrions d'une espèce
différente du vibrion de Massaouah sans leur faire perdre pour
cela la propriété de s’agglutiner sous l’action du sérum actif.
Solubilité de la substance agglutinée du vibrion de Massaoual
dans quelques liquides. — Cette substance est soluble dans l’eau,
le bouillon neutre, alcalin ou acide, l'alcool absolu et l’éther.
LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DE CERTAINS AUTRES MICROBES
Le B. coli, le bacille typhique, le vibrion de Massaouah ne
sont point les seuls microbes dont les cultures se laissent agglu-
tiner par l’action du sérum des animaux infectés par eux. Un
certain nombre d’autres microorganismes sont dans le même cas:
le séro-diagnostic de quelques maladies autres que la fièvre
- typhoïde et les colibacilloses, paraît dès aujourd'hui possible. Il
est a priori certain que tous les microbes qui se laissent agglu-
tiner doivent celte propriété à la présence, dans leur corps,
d'une substance agglutinable analogue comme propriétés à celle
que nous venons de décrire pour le bacille typhique, le vibrion
de Massaouah et le B. coli.
Nous possédons déjà, sur l'existence de cette substance dans
les cultures de deux autres microorganismes, quelques notions
dues à M. Kraus, qui a montré que les cultures filtrées d’un
vibrion cholérique (de la race de Koch sans doute) et du bacille
de la peste, donnaient par l’addilion des sérums homologues de
petits amas, après 24 heures de séjour à l’étuve. Ces réactions
sont tout aussi spécifiques que celles que présentent les cultures
vivantes de ces microbes.
Cependant toutes les cultures microbiennes ne se iaissent
point agglutiner sous l’action du sérum des animaux infectés
par elles. Le phénomène de l’agglutination n’est donc point un
186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
phénomène constant. Un certain nombre de preuves en ont été
déjà apportées. Nous en donnerons deux nouveaux exemples.
Depuis quatre mois, dans notre laboratoire, M. le D' Hébert
inocule régulièrement des cultures de divers échantillons de
bacille de Friedlænder, isolés par nous des angines ou de l’eau,
à des lapins par toutes les voies: sous-cutanée, intraveineuse,
intrapéritonéale. Suivant la virulence ou les doses inoculées, les
animaux sont plus ou moins malades: un certain nombre
d’entre eux ont présenté des suppurations localisées quiontguéri.
La résistance de ces animaux au bacille de Friedlænder est
aujourd'hui très grande; ils peuvent supporter sans grand
malaise l’inoculation de doses vraiment considérables de cultures
vivantes dans le péritoine. Jamais le sérum de ces animaux n’a
présenté le moindre pouvoir agglutinant vis-à-vis des cultures
du bacille inoculé.
M. Nicolas (de Lyon) a décrit l'agelutination des cultures du
bacille diphtérique sous l'influence du sérum antidiphtérique de
cheval‘. Seul le sérum thérapeutique de cet animal et celui des
individus traités par lui aurait cette propriété. Il n’en a jamais
constaté l'existence dans le sérum d'animaux de laboratoire,
infectés soit avec des cultures vivantes, soit avec de la toxine
diphtérique; pas plus d’ailleurs que dans celui des enfants
atteints de diphtérie et non encore inoculés. Sa conclusion est .
qu'on ne peut parler de séro-diagnostic pour la diphtérie.
Nous avons repris en partie les expériences de M. Nicolas.
Nous basant sur les résultats obtenus par lui, nous espérions, par
des inoculations répétées de cultures chauffées à 65°, et par
conséquent devenues peu toxiques, délerminer la production du
pouvoir agglutinant dans leur sérum. Le pouvoir agglutinant
chez les animaux infectés avec des cultures de B. coli, bacille
typhique ou vibrion cholérique, étant lié à l’inoculation des corps
microbiens, nous avions lieu de croire qu’il en était de même
pour le bacille diphtérique : c’est pourquoi nous nous étions
efforcé de nous débarrasser de la présence de la toxine qui rend
les inoculations répétées dangereuses.
Nos expériences ont été faites sur un nombre assez impor-
tant d'animaux. En voici le résumé :
4. J. Nrcoras, Société de biologie, 30 janvier 1897.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 187
À un premier lot de lapins nous avons inoculé des cultures du bacille
diphtérique chauffées à 65° pendant 1/2 heure; à un second lot, de la toxine
préparée par nous et active à 1/30 de centimètre cube, chauffée également
à 65°; à un troisième lot, des corps de bacilles diphtériques recueillis sur
un filtre, dilués dans du bouillon stérile et chauffés à 600,
A un premier lot de rats blancs (animaux réfractaires) de la toxine
diphtérique non chauffée; à un second lot, de la toxine chauffée à 65°; à un
troisième lot, des corps de microbes chauffés à 600
Il nous paraît inutile de donner le détail de nos expériences,
étant donné le résultal négatif qu’elles ont eu. Le bacille diphté-
rique employé par nous est l'échantillon qui sert à l’Institut
Pasteur pour la préparation du sérum antidiphtérique et qui est
connu sous le nom de bacille américain. — Nos inoculations ont
été poursuivies pendant trois mois avec la plus grande prudence,
Nous avons eu cependant une mortalité de 1/3 sur nos lapins;
un seul rat est mort (il recevait de la toxire non chauffée). Nos
animaux avaientacquis à la fin une résistance extrêmement con-
sidérable. Jamais le sérum d'aucun d'entre eux n'a présenté de pou-
voir agglutinant vis-à-vis de l'échantillon de bacille diphtérique
employé, que les cultures d’épreuve aient été faites en bouillon
ou aient consisté en une émulsion dans l’eau distillée de cultures
sur sérum coagulé.
Nous avons en même temps recherché l’action agglutinante
du sérum avtidiphtérique de l’Institut Pasteur et de celui préparé
par nous à notre laboratoire sur les cultures du bacille améri-
cain. Nous n'avons point noté d’agglutination réelle, soit que le
mélange de culture et de sérum à 1/10 ait été porté à l’étuve, soit
qu'il ait élé laissé à la température du laboratoire. Au bout de
24 à 48 heures il se-fait souvent un dépôt au fond du tube, mais
ce dépôt n'a rien de spécifique; nous l'avons obtenu avec d'autres
sérums, en particulier avec notre sérum lyphique de lapin; au
microscope il n’y a point d’amas agelutinés; les microbes qui
forment les petits amas, constants d’ailleurs dans toute culture
diphtérique, sont toujours bien nettement distincts les uns des
autres, jamais confondus.
La race de bacille diphtérique sur laquelle nous avons
expérimenté ne se laisse donc point agglutiner par le sérum
homologue.
Ce fait ne paraît point lui être spécial; car M. Kraus avait
188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
déjà noté que le sérum antidiphtérique (de cheval), dont il
faisait usage dans ses expériences, ne provoquait jamais la pro-
duction d’amas dans les cultures filtrées du bacille diphérique,:
après vingt-quatre heures de séjour à l’étuve.
RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS
Le corps de certains [microbes (Bacterium coli, bacille typhi-
que, vibrion de Massaouah, etc.) renferme une substance parti-
culière : substance agglutinée ou agglutinable, à l'existence de
laquelle est liée la production du phénomène de l’agglutination
des microbes.
Ces microbes vivants, les mêmes microbes tués par la chaleur
ou par l'addition de certaines substances antiseptiques, réagissent
sensiblement de la même manière.
Leur culture filtrée, traitée par le sérum, donne également
lieu à la production d’amas bien visibles à l'œil nu et tout à fait
identiques au microscope avec des amas microbiens, dontils pré-
sentent les réactions vis-à-vis des matières colorantes. — Ce
phénomène, pour lequel le séjour à l’étuve pendant quinze à vingt
heures est généralement nécessaire, est constant quand on em-
ploie des cultures filtrées d’un certain âge; il se montre déjà
très nettement, quoique à un degré plus faible, quand on se sert
de cultures de quelques jours.
Pour le mettre en évidence d’une façon plus rapide et plus
sensible, on peut ajouter au liquide filtré de la poudre de tale, ou
bien une culture jeune d’un autre microbe : l’agglutination par
le sérum se produit alors généralement en trois quarts d'heure
à la température du laboratoire.
Ces réactions sont spécifiques ; aucun autre sérum que le
sérum homologue ne les donne.
Les corps de microbes lavés à l’eau distillée, quand ils pro-
viennent d’une culture jeune, s’agglutinent rapidement par le
sérum ; ils ne réagissent que lentement et faiblement si la cul-
ture est vieille. |
Le liquide de macération des corps de microbes (jeunes),
fillré, se comporte comme le bouillon de culture filtré,
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 189
Ces diverses réactions ne sauraient être préconisées pour la
pratique du séro-diagnostic ‘des maladies ; l'emploi de cultures
vivantes et récentes est toujours préférable.
La présence de la substance aggiutinée dans le corps du mi-
crobe est un fait constant, quelles que soient les conditions dans
lesquelles la culture à été faite et le milieu de culture employé;
la substance agglutinée fait partie intégrante de la constitution
du microbe.
La substance agglutinée est très résistante aux divers agents
physiques tels que la chaleur, le froid, la lumière solaire, une
haute pression, la dessiccation. Celle du bacteriwm coli paraît un
peu plus résistante, par cette seule raison probablement que les
cultures de ce microbe étant toujours très riches dans les milieux
de culture, la substance agglutinée s’y rencontre par là même
toujours en très grande abondance.
L’addition d’un certain nombre de substances antiseptiques
aux cuitures n'empêche point la production du phénomène,
La substance agglutinée est soluble dans l’eau, dans les liqui-
des alcalins ou manifestement acides; elle est soluble également
dans l’alcool absolu et dans l’éther.
La production du pouvoir agglutinant dans le sérum d’un
animal infecté par un microbe est liée à l’inoculation de la subs-
tance agglutinée. Les causes qui l’affaiblissent ou la détruisent
dans le liquide inoculé empêchent ou retardent l’apparition du
pouvoir agglutinant dans le sérum de l’animal. Mais de même
que rien ne vaut comme réactif passif de l’agglutination une cul-
ture vivante et récente, pour la production d’un pouvoir agglu-
tinant rapide et puissant rien n’égale l’inoculation de la culture
vivante.
Au début de sa vie, le corps du microbe contient senl la subs-
tance agglutinée. Il en fait la synthèse aux dépens des matériaux
nutritifs qui lui sont offerts ; ce n’est que plus tard, lorsqu'il se
désagrège, que cette substance passe dans le liquide.
La nature de la substance agglutinée ne nous est point encore
connue. Sa composition chimique est sans doute très complexe.
M. Kraus aurait trouvé au produit de précipitation par le sérum
des cultures filtrées de vibrions cholériques les caractères des
peptones et des alcali-albumines. Cela est bien vague.
La production de la substance agglutinée n’est en rapport ni
190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avec la virulence, ni avec la toxicité des cultures employées. Le
bacille typhique et le bacterium coli qui nous ont servi dans.
nos expériences sont à peu près dépourvus de virulence et Lota-
lement de toxicité.
En ce qui regarde spécialement la substance agglutinée du
bacille typhique, elle diffère essentiellement de la toxine ty-
phique soluble décrite par M. Chantemesse ‘ : loin de disparaître
à la longue du bouillon quand celui-ci vieillit, elle y devient plus
abondante ; elle n’est point sensible à l’air, à la lumière, à l’aci-
dification de la culture comme l’est la toxine typhique. Elle se
sépare enfin de toutes les toxines microbiennes connues par sa
solubilité dans l'alcool absolu, qui précipite celles-ci des liquides
où elles existent. La présence du pouvoir agglutinant dans le
sang ne saurait donc par là même être le signe d’une intoxi-
cation.
Ce qui caractérise la substance agglutinée, c’est la propriété
qu’elle présente de s’agglomérer en amas et d’agglomérer avec
elle, sous l'influence du sérum actif, Les corps qui la contiennent
ou qui sont en suspension dans le liquide où elle se trouve*.
Dans ce bouillon filtré, la substance agglutinée qui était en
dissolution devient visible à l’œil nu et au microscope sous
forme d’amas; il semble que le sérum agisse sur elle en la
rendant insoluble. Les amas qu’elle donne sont formés comme
de grains agrégés les uns aux autres, et plus ou moins confondus
ensemble; ils donnent exactement la même impression au mi-
croscope que des amas microbiens. L'aspect est identique, si l’on
fait agir le sérum sur la substance agglutinée, extraite par
l’éther ou l'alcool du corps des microbes, et dissoute à nouveau
dans le bouillon.
La substance agglutinée siège dans la couche externe du mi-
crobe. En effet, quand on ensemence un microbe agglutinable
dans du bouillon stérile additionné de sérum homologue, ce mi-
crobe s’y développe toujours bien. La seule particularité qui
empêche cette culture d’être identique à une culture en bouillon
ordinaire, c’est qu'au fur et à mesure qu'un microbe nouveau se
1. Cuanremesse, Société de biologie, 23 janvier 1897.
2. Si on fait ce mélange de cultures vivantes de bacille typhique et de Z. coli
en proportions égales, puis qu’on ajoute l’un ou l’autre des deux sérums homo-
logues, la Zotalité des microbes est agglutinée; il n'y a plus un seul microbe
mobile entre les amas.
RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 191
forme, sa couche externe subit l'influence du sérum actif, se
gonfle, devient apparente et se soude à la couche externe des
individus voisins. Notre opinion sur la nature intime du phéno-
mène de l’agglutination se rapproche donc tout à fait de celle
émise par Gruber qui le premier constata le phénomène et que,
seul, M. Roger a défendue après lui. Nous pensons que l’agglu-
tination consiste dans la coagulation et la coalescence des couches ex-
ternes des microbes agglutinables sous l'influence du sérum agglu-
tinant.
Nous arrivons donc, d’après nos expériences, à considérer
l’agelutination des microbes comme un phénomène purement
passif. La virulence, la toxicité, la vie, la conservation de la forme
des microbes n’y jouent aucun rôle; le microbe réagit passivement
vis-à-vis du sérum actif par la substance agglutinée de sa
couche externe.
La présence de la substance agglutinée sur le corps des
microbes n’est point, nous l’avons vu, un phénomène constant,
certains en contiennent, d'autres en sont dépourvus. — Il n’est
donc point étonnant que le pouvoir agglulinant d’un sérum,
pouvoir quiest la conséquence de l'imprégnation de l’organisme
par la substance agglutinée, n’ait rien à voir avec l’immunité de
celui-ci vis-à-vis des microbes ou de leurs poisons. Il n’a rien de
commun non plus avec le pouvoir bactéricide, quoiqu'on les ait
pendant longtempsconfondus; le pouvoir bactéricide est d’ailleurs
détruit à 60°, et cette température est sans action sur le pouvoir
agglutinant!, très résistant à la chaleur, de même que la substance
agelutinée de laquelle il procède.
Le pouvoir agglutinant n’est même point à proprement
parler un signe d'infection, puisqu’un microbe dépourvu de toute
virulence, une culture filtrée peuvent le faire naître par leur
inoculation. Il est la simple signature du passage dans l'organisme
de la substance agglutinée spécifique.
1. C. Nicozce et A. Hazrpré, Presse médicale, 25 juillet 1896.
Rouen, 31 janvier 1898,
LA
DESTRUCTION DES MICROBES DANS LE TISSU SOUS-CUTAN
DES ANIMAUX HYPERVACCINÉS
Par LE Dr A. T. SALIMBENTI
Préparateur à l’Institut Pasteur.
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)
! Grâce aux recherches nombreuses et persévérantes de ces
dernières années, de remarquables progrès ont été réalisés dans
nos connaissances sur la question de l’immunité.
L'immunité doit être désormais envisagée à deux points de
vue différents : immunité contre les microbes, immunité contre
les toxines. Le mécanisme biologique de l’immunité antitoxique
nous est encore inconnu ; pour la plupart, les auteurs admettent
que, pour les animaux sensibles à l’action d’une toxine, il est
en rapport avec la propriété antitoxique des humeurs. Par contre,
le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse est assez bien connu
et en parfail accord avec la théorie cellulaire. Cette théorie,
généralement admise, est encore contestée par ceux qui attri-
buent aux substances bactéricides des humeurs le rôle principal
dans la défense de l'organisme contre les microbes. C’est ainsi
que M. Pfeiffer‘ revenait, l’année dernière, sur la question,
qu'on croyait définitivement jugée, de l’immunité contre le
vibrion cholérique, le bacille d'Eberth et le bacterium coli. Contrai-
rement aux résultats obtenus par M. Metchnikoff* et M. Mesnil’,
qui opéraient sur des animaux activement et passivement immu-
nisés, il affirmait que lorsqu'on opère sur des animaux hyper-
vaccinés, on peut observer le phénomène de Pfeiffer sous ia
peau aussi bien que dans le péritoine, que l'intervention leuco-
4. Deutsche med. Wochenschr., 1897.
2. Ces Annales, juin 1895.
3. Ces Annales, juin 1896.
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 193
cylaire dans ce cas ne se fait pas d’une façon appréciable et ne
Joue aucun rôle important.
La seule réaction locale observée consiste en un œdème léger
et très passager qui se forme à l’endroit de l'injection ; sous l'in-
fluence des bactériolysines qui se trouvent dans le liquide d'œdème;
les microbes sont d'abord immobilisés, puis transformés en
boules et dissous.
Presque en même temps, M. Bebhring!, qui reconnaît dans les
cas ordinaires l'importance de l'intervention leucocytaire dans
le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse, affirmait que, quand
on opère sur des animaux hypervaccinés, si l’on fait des expé-
riences bien précises, aucun phénomène exsudatif ni phagocy-
taire ne s’observe à la suite d’une injection de microbes vivants
sous la peau.
« Nous devons admettre, écrit-l, que les corps de microbes
se dissolvent de la même façon qu'un corps organique,introduit
sous une forme facile à digérer, s’assimile dans l'organisme de
l'individu qui l’a ingéré. Si, chez les animaux immunisés, après
l'injection des microbes vivants, des phénomènes exsudatifs et
phagocytaires se produisent encore, cela veut dire que l’immu-
nité antitoxique n’est pas suffisante. La toxine qui n’est pas
complètement neutralisée irrite les tissus, détermine la forma-
tion d’un exsudat, etdans l’exsudat on peut rencontrer des cellules
qui englobent les microbes (Metchnikoff) et d’autres substances
qui agissent directement sur eux {bactériolysines de Pfeiffer, agglu-
tinines de Gruber). »
Bien que les faits avancés d’une façon si affirmative par
MM. Pfeiffer et Behring fussent en complet désaccord avec un
certain nombre de faits bien constatés et généralement acceptés
sur le mécanisme de la destruction des microbes chez les ani-
maux activement et passivement immunisés, par le fait que leurs
expériences avaient été faitessur des animaux arrivés au plus haut
degré d’immunité, il aurait été difficile de les infirmer « proori.
Nous avons repris ces expériences et nous avons étudié la
destruction du vibrion cholérique, du bacille diphtérique et du
streptocoque sous la peau des animaux hypervaccinés.
Pour nous mettre dans les conditions les plus favorables à
1. Article Zmmunités dans le Eulenburg Real-Encyclopædie, 3e édition, 1897.
13
194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
lPaction des humeurs, nous nous sommes adressé aux grands
animaux, les chevaux, chez lesquels on peut arriver à un degré
d'immunité impossible à atteindre avec les petits animaux de
laboratoire. Inutile de dire que parmiles nombreux échantillons
de chevaux hypervaccinés qu’on peut trouver à l’Institut Pasteur,
nous avons choisi ceux qui, au moment de nos expériences, don-
naientles sérums les plus actifs.
-__ Abordons maintenant les résultats des expériences que nous
avons faites et donnons d’abord, sur la technique employée,
quelques détails absolument indispensables.
La dose de virus injecté dans nos nombreuses expériences
était la même: une demi-culture de 24 heures sur gélose
diluée dans 4 c. c. d’eau physiologique stérile, pour le vibrion
cholérique ; 2 c. c. de culture de 24 heures en bouillon pep-
tonisé pour la diphtérie; 2 c. c. de culture de 24 heures dans
le milieu de Marmorek pour le streptocoque. Les prises d’ex-
sudat pendant les 12-14 premières heures après l'injection ont
été faites toutes les deux heures; à partir de 14 heures jusqu’au
moment de la disparition complète de toute réaction locale,
deux fois par jour.
Toutes les fois qu’on pique avec un tube de verre effilé pour
obtenir quelques gouttes d’exsudat, on lacère très facilement des
capillaires et on détermine des petites hémorragies.
Or, M. Metchnikoff' a démontré que la présence du sang dans
le liquide d'œdème peut conférer à celui-ci des propriétés bacté-
ricides très énergiques qu'il ne possède pas à lui tout seul : le
vibrion cholérique, par exemple, qui ne se transforme jamais
en boules dans l’œdème sous-cutané formé à l'endroit de
l'injection chez les animaux activement ou passivement immu-
uisés, peut présenter celte transformation toutes les fois que,
soit en faisant l’injection, soit en faisant des prises d’exsudat, on
lèse des capillaires.
De même, l’œdème provoqué par ralentissement de la cir-
culalion chez un animal immunisé, qui est incapable, lorsqu'il
est mis à vitro au contact des vibrions, de déterminer leur trans-
1. Ces Annales, juin 1895.
MICROBES CHEZÂLES ANIMAUX HYPERVACCINES. 195
formation en boules, peut, comme l'a démontré M. Bordet!,
acquérir cette propriété lorsqu'il est mélangé à une trace de
sang du même animal.
Il fallait donc, dans notre cas, éviter le mélange du sang
avec le liquide d'œdème, et avoir en même temps des prises
d'exsudat assez nombreuses et rapprochées, pour pouvoir suivre
pas à pas les modifications que subissent les microbes injectés.
Pour cela, dans les diverses expériences que nous avons
faites, nous nous sommes arrangé de façon que, si par exemple
dans {a première, les prises d’exsudat étaient faites au bout de
1 heure et de 10 heures, dans la seconde, on les faisait au bout
de 2 et 44 heures, et ainsi de suite ; en opérant exactement dans
les mêmes conditions, c’est-à-dire avec le même microbe et
sur le même animal, les résultats en sont parfaitement com-
parables.
Encore une question de détail sur laquelle nous croyons
indispensable d’insister. Les microbes injectés sous la peau des
animaux hypervaccinés restent localisés à l’endroit de l’injec-
tion; tout autour du foyer microbien se forme un œdème : déjà
une demi-heure à À heure après l'injection, les mailles du tissu
conjonctif sous-cutané en sont complètement gorgées. Quand
on fait des prises d'exsudat à ce moment-là, si l’on n’a pas eu
soin de bien limiter par un artifice quelconque l'endroit précis
où l'injection des microbes a eu lieu, il est extrêmement difficile
de les retrouver. On tombe la plupart du temps à côté, et on
retire alors un liquide tout à fait clair et transparent : l'examen
microscopique de ce liquide pratiqué soit en goutte pendante,
soit sur des préparations colorées, ne révèle traces ni de mi-
crobes ni de cellules ; les ensemencements sur gélose restent
la plupart stériles ; exceptionnellement on observe le développe-
ment de quelques rares colonies.
De là une cause d'erreur dont il faut se garder avec soin.
# +
R£ECHERCHES SUR LE BACILLE DIPHTÉRIQUE, — Pour nos expériences
sur ie bacille diphtérique, nous nous sommes servi d’un échan-
tillon isolé par M. Park et M'e Williams, connu sous le nom
1. Ces Annales, juin 1895.
196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de microbe américain, et obligeamment mis à notre disposition
par M. Martin. Ce microbe tue un cobaye de 400-500 grammes
à la dose de 1/10 de c. c. d’une culture de 24 heures sur
bouillon peptonisé, et donne une toxine capable de tuer un
cobaye de la même taille à la dose de 1/500 de c. c.
Le cheval que nous avons employé pour nos recherches, qui
remontent au mois de mai 1897, était en voie de vaccination
depuis le 25 octobre 1894. Il avait reçu en 97 injections
13,093 c. c. de toxine, et donnait un sérum qui possédait
150,000 unités préventives et 250 unités antitoxiques.
L’injection des microbes a été toujours pratiquée sous la peau
de l’encolure. Déjà une demi-heure après, on constate une
petite tuméf:ction à l'endroit de l’injection, tuméfaction qui
augmente peu à peu pendant les premières 6-8 heures, et qui
diminue ensuite assez rapidement.
Au bout de 24 heures, les phénomènes locaux qu'on peut
constater par l’observation directe ont presque complètement
. disparu; il ne reste qu’une toute petite tuméfaction qui disparaît
complètement en deux ou trois jours.
L’exsudat retiré une demi-heure après l’injection renferme
des microbes qui, soit à l’état frais, soit sur des préparations
colorées, ne présentent aucun changement ni dans leur forme,
ni dans leur réaction vis-à-vis des matières colorantes.
On remarque déjà quelques leucocytes ; dès le coñmence-
ment, les polynucléaires apparaissent en proportion bien plus
considérable que les mononucléaires et les lymphocytes. Quel-
ques cellules renferment déjà des microbes, mais la plupart sont
vides. Le nombre des leucocytes augmente progressivement, et
dans les exsudats retirés au bout de 2 à 4 heures, on
en trouve des quantités considérables. La phagocytose, com-
mencée presque aussitôt après l'injection, se poursuit activement,
et elle est complète au bout de 6 heures : à ce moment, on ne
trouve plus guère de microbes extra-cellulaires, et le nombre de
leucocytes augmente toujours. Ce sont en grande majorité des
polynucléaires: il y a très peu de mononucléaires, pas de lympho-
cytes. La plupart renferment des microbes ; il y en a qui en sont
complètement remplis et présentent parfois des aspects très
caractéristiques. Ils ont acquis un volume double de celui des
cellules vides qui se trouvent à côté d’eux ; il y en a qui présen-
Fr.
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINES. 197
tent une forme parfaitement ronde ou ovale : la substance chro-
matique du noyau est repoussée vers la périphérie; elle se pré-
sente sous forme de deux bandes assez minces aux deux
extrémités opposées de la cellule ; au milieu, une espèce de
grande vacuole remplie de microbes.
À partir du moment où la phagocytose est complète, la lutte
entre l'organisme et les microbes est finie : ceux-ci une fois
englobés périssent et se dissolvent de la façon bien connue
dans l’intérieur des cellules.
Tant que nous avons trouvé des microbes libres, nous n'avons
pas pu constater, soit à l’état frais, soit sur des préparations colo-
rées, aucun changement ni dans leur forme ni dans leur
aspect général : les microbes libres et les microbes contenus
dans l’intérieur des cellules réagissaient de la même façon aux
matières colorantes employées (bleu de Kuhne, méthode de
Gram, etc.). |
A chaque prise d’exsudat, nous faisions des ensemencements
sur sérum coagulé et dans le bouillon peptonisé ; en même temps
une gouttelette d’exsudat était mise en chambre humide à 37°.
Les ensememcements sur les milieux artificiels ont donné
des cultures jusqu'à 40, et une fois même 54 heures après l'in
jection. Le développement des microbes dans les gouttes pen-
dantes se faisait toujours assez péniblement, sauf pour les gouttes
préparées avec les exsudats retirés jusqu’à 2 heures après l’in-
jection, qui se présentaient complètement remplies de microbes
au bout de 24 heures de séjour à l’étuve à 37°. A partir de 10 à
12 heures après l'injection, les gouttes d’exsudats restaient
complètement stériles. Examinées au microscope après un
séjour de 24 heures au thermostat à 37°, on voit par-c1 par-là, à
côté des cellules encore bien conservées et qui renferment des
microbes, des cellules en voie de destruction, quelques bacilles
libres et quelques petits amas de microbes parfois enveloppés
dans un magma protoplasmique; en laissant plus longtemps
à l’étuve, le nombre des microbes n’augmente pas. Nous ne
pouvons donc pas considérer ces formes extracellulaires comme
un commencement de culture: il ne s’agit que de microbes mis
en liberté par un certain nombre de leucocytes qui se sont
détruits. Ensemencés sur le sérum coagulé ou dans le bouillon
peptonisé, après 24 heures et même 48 heures de séjour à .
198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l’étuve, ces microbes donnent une culture ; par conséquent, au
moins un certain nombre d’entre eux sont encore vivants.
Nous avons d'autre part constaté qu'ils peuvent très bien se
développer dans les gouttes préparées avec des exsudalts retirés
pendant les 2 premières heures après l’injection, exsudats
encore relativement pauvres en cellules.
Ilest donc logique de conclure que c’est la présence d’une
quantité considérable de cellules et de produits mis en liberté
par la destruction d’un certain nombre d’entre elles qui empêche
le développement des microbes.
Dans le cas du bacille diphtérique sous la peau des animaux
hypervaccinés, il est vraiment surprenant de constater la rapidité
avec laquelle la leucocytose et la phagocytose s'effectuent.
Les cellules, comme nous l'avons vu, commencent à appa-
raitre très peu de temps après l'injection, et la phagocytose
commencée aussitôt est complète au bout de 6 heures ; on trouve
encore à ce moment un nombre de cellules deux ou trois fois
plus grand qu'il n'aurait fallu pour englober les microbes injec-
tés, et la plupart restent par conséquent vides.
Pour étudier ce phénomène de plus près, dans une expé-
rience, nous avons injecté 1/2 c. c. de culture sous la peau de
l'oreille de notre cheval, et au bout d’une heure nous avons coupé
le morceau d'oreille correspondant qui, convenablement fixé et
durci, nous a servi à faire des coupes que nous avons colorées
au carmin aluné d’abord, et ensuite par la méthode de Gram.
Sur les coupes, nous avons pu constater que les microbes
restent localisés à l'endroit de l'injection, et qu’on ne les retrouve ni
dans les capillaires ni dans les vaissaux lymphatiques qui se
trouvent tout autour ; à travers Les petites veines, les capillaires
sanguins etles lymphatiques, s'effectue une diapédèse de globules
blancs très intense; les lymphatiques spécialement sont telle-
ment remplis de globules blancs qu’ils présentent l’aspect de
vrais cordons cellulaires. Nous avons en outre pu constater que
cette diapédèse, contrairement aux affirmations de la plupart
des auteurs, s’effectue aussi à travers les petites artères. Sur
une série de coupes, nous avons pu suivre une artér'ole avec
ses trois tuniques bien développées ; elle se trouvait située
presque à égale distance entre le cartilage de l'oreille et le foyer
* microbien ; la moitié de l’artériole qui se trouvait vers le carti-
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 199
lage était remplie de globules rouges; l’autre moitié qui se trou-
vait du côté des microbes était complètement remplie de leuco-
cytes qui,.en grande quantité, se trouvaient faufilés le long des
fibres musculaires de la tunique moyenne, et avaient déjà traver-
sés en partie la tunique externe. Guidés par leur sensibilité chi-
mio-tactique, ils ne se trompent pas et se portent là où ils sont
appelés à accomplir leur fonction.
k
* *
RECHERCHES SUR LE VIBRION CHOLÉRIQUE. — Le cheval dont nous
nous sommes servi pour étudier la destruction du vibrion cho-
lérique dans le tissu sous-cutané était en voie de vaccination
depuis 14 mois, et il avait reçu en 37 injections 189 cultures sur
gélose de vibrions vivants très virulents de la Prusse orientale, en
partie sous la peau, en partie dans le péritoine. Au moment de
nos expériences, il donnait un sérum capable, à la dose de 1/20 de
millig., de préserver un cobaye de 250 gr. contre l'injection d’une
dose de vibrions trois fois mortelle pour un cobaye témoin ;
1/50 de millig. de ce même sérum provoquait l’agglutination de
1/10 de culture de 24 heures, de vibrions sur gélose, diluée dans
1 c. c. d’eau physiologique stérile.
La destruction des vibrions sous la peau des cobayes neufs,
activement et passivement immunisés, a été déjà l’objet de recher-
ches très nombreuses, et nos expériences nous ont permis de
confirmer l'exactitude des conclusions auxquelles sont arrivés
à ce propos M. Cantacuzène ‘, M. Metchnikoff * et M. Mesnil *,
A la suite d’une injection de vibrions vivants sous la peau
de notre cheval hypervacciné, jamais nous n'avons pu constater
leur transformation en boules en dehors des cellules. Si l’on suit
pour ainsi dire minute par minute ce qui se passe depuis le
moment de l'injection jusqu'au moment de la disparition com-
plète de toute réaction locale, voici ce qu'on peut observer.
Presque immédiatement après l'injection, immobilisation des
vibrions, qui est complète au bout d’une demi-heure ; puis après
ce laps de temps, apparition des leucocytes dont le nombre va
4. Canracuzexe. Recherches sur le mode de destruction du vibrion cholérique.
Paris, Steinheil, 4894.
2. Ces Annales, loc. cit.
3. Ces Annales, loc, cit.
200 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
en augmentant graduellement ; dès lors, la phagocytose com-
mence et se poursuit activement. Au bout de dix à douze heures,
tous les microbes sont dans l’intérieur des cellules. Dans les
premières cellules qui apparaissent, on remarque quelques lym-
phocytes; bientôt, on ne trouve plus que des mononucléaires et
des polynucléaires.
Les vibrions englobés par les polynucléaires se transforment en
boules très rapidement, et au bout de 5 à 6 heures tous ont subi
celte transformation ; les vibrions englobés par les mononucléaires
ne se transforment jamais en boules, et mème 24 et 36 heures
après l'injection, on retrouve dans leur intérieur des vibrions
ayant conservé leur forme. C’est là un fait nouveau que j'ai pu
vérifier dans toutes mes expériences.
Comme pour la diphtérie, à chaque prise d’exsudat, nous
avons fait des ensemencements sur les milieux de culture ordi-
naires (eau peptonisée, gélose) ; en même temps, nous mettions
à l’étuve, en chambre humide, des gouttelettes d’exsudat. Tous
les ensemencements faits avec des prises d’exsudat dans les
48 premières heures qui ont suivi le moment de l'injection ont
toujours donné des résultats positifs. Après 48 heures, l’exsudat
ensemencé ne donne plus de culture. Les gouttes suspendues
préparées avec des exsudats prélevés dans les six premières
heures donnent toujours au bout de 24 heures des cuitures abon-
dantes : cependant si, en retirant l’exsudat, on détermine une
petite hémorragie dans les gouttes préparées avec de l’exsudat
renfermant du sang, on observe la transformation rapide en
boules de microbes encore libres, et les gouttes restent stériles.
Si, dans les gouttes préparées avec des exsudats ne renfer-
mant pas de sang, on suit attentivement au microscope le déve-
loppement des microbes, on voit que les vibrions contenus dans
les polynucléaires et transformés en boules ne se développent
jamais, et que les cultures proviennent exclusivement des
vibrions libres où contenus dans l’intérieur des mononucléaires.
Les gouttes, préparées avec des exsudats retirés à partir de
la dixième heure après l'injection, restent en général stériles.
Exceptionnellement on voit des vibrions ayant conservé leur
forme se développer encore dans l’intérieur des mononucléaires ;
mais la culture s'arrête là. Dans les gouttes qui restent stériles,
les vibrions périssent assez rapidement, et déjà après 20-24 heures
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 201
de séjour à 37°, leur ensemencement sur la gélose et même dans
l’eau peptonisée ne donne pas de culture.
Le liquide d'ædème qui se forme pendant les premières heures
qui suivent l'injection et qu’on peut retirer facilement pur,
c’est-à-dire sans microbes ni cellules, possède des propriétés
spéciales. Mélangé in vitro à une émulsion de vibrions, cet
œdème les agglutine très rapidement, mais il est incapable à lui
tout seul de les transformer en boules. Une trace de vibrions
ensemencée dans une gouttelette de ce liquide s’y développe
abondamment : les microbes poussent réunis en amas. Latrans-
formation en boules dans le liquide d’œdème peut cependant
être obtenue si l’on ajoute, au mélange des vibrions et du liquide
d'œdème, une trace de sang ou de sérum du même animal ou
d'un animal neuf, même d'espèce différente.
Ces mêmes propriétés avaient été reconnues par M. Metchni-
koff' et par M. Bordet* dans l’œdème passif provoqué, par
ralentissement de la circulation, chez les lapins et les cobayes
vaccinés.
Nous pouvons donc conclure que, contrairement à l'opinion
de M. Pfeiffer, 4 transformation en boules et la destruction des
vibrions injectés sous la peau des animaux hypervaccinés s'opère dans
l’intérieur des leucocytes ; et que dans le cas de l'injection sous-
cutanée la transformation en boules des vibrions a lieu seulement
dans l'intérieur des leucocytes polynucléaires.
RECHERCHES SUR LE STREPTOCOQUE. —- Pour le bacille diphtérique
et le vibrion cholérique, les phénomènes qui suivent l'injection
de ces microbes dans le tissu sous-cutané des animaux respec-
tivement hypervaccinés sont relativement assez simples, se
succèdent rapidement et avec une grande régularité. Pour le
streptocoque, l'étude est plus délicate, les phénomènes appa-
raissent plus complexes, et seule une observation minutieuse et
suivie permet de les interpréter.
Nous avons employé pour nos recherches un échantillon de
streptocoque très virulent, obligeamment mis à notre disposition
4. Ces Annales, loc. cit.
2, Ces Annales, loc. cit.
202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
par M. Marmorek. A la dose de 1/100,000 c. ce. de culture de
24 heures dans le milieu bouillon-ascite, ce microbe tuait sûre-
ment, par injection sous-cutanée, un lapin de 2 kgr. en 20-
26 heures. Le cheval, sur lequel nos expériences ont été faites,
avait reçu pendant 26 mois et en 38 injections 4,825 c. c. de
culture vivante du même microbe ; son sérum, à la dose de 1 c. c.,
était capable de préserver un lapin contre l'injection d’une quan-
té de microbes 100 fois mortelle -pour un lapin neuf de la
même taille ; il était, en plus, légèrement antitoxique.
Quand on songe aux difficultés que présente la vaccina-
tion des animaux contre le streptocoque, on doit reconnaître
que ce cheval était arrivé à un des plus hauts degrés d’immu-
nité atteints jusqu’à présent, et il se trouvait relativement dans
les conditions les meilleures pour nos recherches.
La réaction locale, qui se manifeste à la suite d'une injection
sous-cutanée de 2 c. c. de culture de 24 heures, est beaucoup
plus intense et beaucoup plus prolongée que celle que nous
observions dans le cas du bacille diphtérique et du vibrion cho-
lérique. L’œdème au point d’inoculation, déjà considérable au
bout de 2-4 heures, va en augmentant pendant toute la première
journée. A partir de ce moment, il diminue graduellement et
lentement jusqu’à ce qu'il ne reste plus, 50-60 heures après
l'injection, qu'un point empâté simulant un petit abcès, mais
qui, cependant, n’aboutit pas à une vraie suppuration. Au bout
de 8-10 jours seulement, toute réaction locale a disparu.
Pendant les 6-8 premières heures qui suivent l'injection, les
microbes restent libres dans l’exsudat, sous forme d'articles
isolés, de diplocoques ou de courtes chaïînettes. Les rares leuco-
cytes qu'on trouve à ce moment ne renferment qu'exception-
nellement des microbes. Mais la réaction cellulaire, lente à
débuter, marche ensuite avec rapidité dans les heures qui
suivent, et 10-14 heures après l’inoculation, la quantité de cellules
est déjà très considérable ; les mononucléaires sont proporlionnel-
lement plus nombreux que les polynucléaires. Malgré la présence
de cellules en grande quantité, la plupart des microbes sont
encore libres; ceux qui sont englobés se trouvent surtout dans
l'intérieur des mononucléaires. C’est seulement 20-24 heures
après l'injection que la phagocytose peut être considérée comme
complète et c’est alors que l’œdème commence à diminuer.
4
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 203
Le nombre de phagocytes, à ce moment, est beaucoup plus
considérable que celui qui est nécessaire à l’englobement total
des microbes ; les mononucléaires sont toujours plus nombreux
et englobent la presque totalité des microbes : quelques poly-
nucléaires renferment aussi des microbes, mais la plupart sont
vides.
Ce qui frappe, c’est la quantité de microbes contenus dans
l'intérieur de chaque mononucléaire. Il y en a qui en sont com-
plètement remplis; les microbes forment une masse centrale
dans une sorte de grosse vacuole; le protoplasma et le noyau de
la cellule, qui a doublé de volume, sont refoulés à la périphé-
rie. Les polynucléaires qui renferment des microbes n'en ont
absorbé que quelques-uns, et leur aspect reste le même. Mais,
après cette première période de phagocytose qui est, autant qu’on
peut l’affirmer, complète, au bout de 30-36 heures après l’injec-
tion, on constate de nouveau l'apparition d’un nombre assez
considérable de microbes libres, en partie uniformément répandus
dans l’exsudat en articles isolés, en diplocoques ou en courtes
chainettes, en partie réunis en petits amas et entourés d’une
zone protoplasmique. On constate en même temps que les pha-
gocytes mononucléaires, renfermant des microbes, ont considé-
rablement diminué comme nombre, et que beaucoup d’entre eux
sont en voie de désagrégation. Dans la suite, les mononucléaires
deviennent de plus en plus rares, et on n’en rencontre qu'excep-
tionnellement dans les exsudats retirés à partir du troisième ou
quatrième jour. Le nombre des phagocytes polynucléaires, au
contraire, augmente toujours considérablement. Au bout d’un
certain temps, leur fonction phagocytaire se manifeste avec
activité; ils s'emparent assez rapidement des microbes libres et
c’est seulement dans leur intérieur qu’on peut encore les voir,
même 5-6 jours après l'injection.
Au moment où toute réaction locale va cesser et où l’exsudat
va disparaître complètement, on voit réapparaitre des leucocytes
mononucléaires en assez grande proportion; ce sont de véritables
macrophages qui viennent pour englober les débris des cellules
détruites. Mais, à ce moment, dans aucune espèce de phagocytes,
on ne trouve plus de microbes, et les ensemencements restent
parfaitement stériles.
Ce qu'il y a de certain, c’est que la destruction du strepto-
204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
coque s'opère d'une façon très lente. Des exsudats retirés au
bout de cinq ou six jours donnent encore des cultures, bien
que, à l'examen direct, on ne trouve plus que de rares granula-
tions microbiennes dans l’intérieur des polynucléaires. Ces gra-
nulations, en général, prennent très mal la couleur, mais
jusqu’au dernier moment conservent la propriété de se colorer
d'après la méthode de Gram.
De ce que nous venons de dire, ressort encore une différence
remarquable entre le mécanisme de la destruction du strepto-
coque et celui du bacille diphtérique et du vibrion cholérique
dans le tissu sous-cutané des animaux hypervaccinés. Pour ces
deux derniers, une fois la phagocytose complète, leur destruc-
tion s'opère de la façon bien connue dans l’intérieur des cellules.
Pour le streptocoque au contraire, nous voyons une première
phase pendant laquelle il y a englobement de la totalité des
microbes, puis une seconde phase avec de nouveau une quantité
assez considérable de microbes libres. Ces microbes ne paraissent
pas sensiblement altérés : ils se colorent bien par le bleu de
Kühne et par la méthode de Gram ; une trace d’exsudat ense-
mencée sur le milieu de Marmorek ou sur la gélose donne au
bout de 24 heures une culture abondante ; une goutte du même
exsudat placée en chambre humide, à l’étuve à 37°, reste
stérile. Dans la suite, le nombre de microbes libres diminue
très rapidement, tandis que le nombre de cellules renfermant des
microbes augmente toujours.
Comment expliquer la réapparition des microbes libres après
une phagocytose complète ?
L'étude des préparations faites à chaque prise d'exsudat nous
avait montré un changement des caractères de l’exsudat coïnci-
dant avec la réapparition de microbes libres. À ce moment en
effet, comme nous l’avons déjà dit, le nombre des mononu-
cléaires, très nombreux au début, a considérablement diminué;
et beaucoup d’entre eux sont en voie de désagrégation et
finissent bientôt par disparaître complètement de l’exsudat :
dans la suite, c’est seulement dans l’intérieur des polynucléaires
qu'on rencontre des microbes. On pouvait done admettre que
les mononucléaires qui arrivent immédiatement après l’injection
et qui manifestent dès le début une si grande aptitude à
englober les microbes étaient par la suite incapables de les
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 205
détruire, et, en se détruisant eux-mêmes, mettaient en liberté
les microbes contenus dans leur intérieur.
À l'appui de cette façon de voir, on pouvait invoquer la
seconde phase de la phagocytose, ressemblant par sa rapidité à
une véritable crise, phase dans laquelle la phagocytose complète
et définitive était dévolue aux polynucléaires seuls.
Pour vérifier cette interprétation, nous n'avons pas voulu
nous en rapporter simplement aux préparations de l’exsudat
étalé sur des lames, mais nous avons voulu étudier sur des
coupes, après fixation, l'endroit d'inoculation au moment de la
réapparition des microbes libres. Nous avons fait nos expé-
riences sur des lapins. Nous leur inoculions un jour sous la peau
10 c. c. d'un sérum anti-strepltococcique dont 1 c.c. était capable
de protéger un lapin contre une dose cent fois mortelle des
microbes vivants; puis le lendemain nous leur injections sous
la peau de l'oreille 0,1 ou 0,2 c. c. d’un streptocoque capable de
tuer un lapin neuf, de la même taille, à la dose de 1,100,000 de c. c.
Par des prises successives de l’exsudat au point d’inoculation,
nous avons pu constater que, chez les lapins vaccinés dans ces
conditions, les phénomènes de la destruction des microbes se
succédaient identiques à ceux que nous avions observés chez
le cheval. La phagocytose des microbes injectés paraissait
complète, au bout de 16 à 18 heures, et c'étaient loujours des
mononucléaires qui arrivaient dès le début en proportion plus
considérable que les polynucléaires, et qui englobaient les
microbes très activement. Puis, à cette première période, en
succédait une autre dans laquelle un certain nombre des
microbes redevenaient libres pendant que les mononucléaires
renfermant des microbes étaient diminués comme nombre et en
grande partie détruits. À ce moment-là, nous enlevions le mor-
ceau d'oreille correspondant au point d’inoculation qui, après
fixation au sublimé acétique et durcissement, nous servait à
faire des coupes que nous colorions au carmin aluné, puis par
la méthode de Gram.
Ces coupes nous montraient au centre une masse nécrotique
dans laquelle on pouvait encore distinguer des leucocytes
mononucléaires en voie de destruction, une grande quantité
des microbes libres, et enfin, çà et là, quelques polynucléaires
bien conservés et renfermant des microbes. Tout autour de
206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ce foyer nécrotique, une abondante infiltration cellulaire,
constituée presque exclusivement par des polynucléaires. Cette
infiltration s'étend très loin du point d'inoculation; les leuco-
cytes qui se trouvent dans le voisinage de la masse nécrotique
sont absolument gorgés de microhes ; à mesure qu’on s'éloigne
de ce foyer, le nombre des cellules renfermant des microbes
diminue jusqu’au moment où on ne trouve que des cellules
vides. La démonstration ne nous semble pas pouvoir être plus
complète.
La destruction du streptocoque dans le tissu sous-cutané des ani-
Maur achivement où passivement hypervaccinés comprend donc trois
phases bien distinctes. Une première phase dans laquelle les mono-
nucléaires semblent à eux seuls absorber la presque totalité des
microbes : une seconde phase dans laquelle il y a destruction des
mononucléaires et réapparition de microbes libres, el enfin une
dernière phase dans laquelle les polynucléaires englobent les microbes
redevenus libres et en assurent la destruction définitive.
Lu
Pour l’étude de la destruction du bacille diphtérique nous
avons employé un cheval hypervacciné contre la toxine diphté-
rique et qui donnait un sérum doué d’un pouvoir antitoxique
très fort. Pour le vibrion cholérique, nous avons employé
un cheval fortement immunisé contre les microbes vivants;
son sérum, doué d’un pouvoir antiinfectieux très fort, se
montrait complètement dépourvu de tout pouvoir antitoxique.
Pour le streptocoque enfin, le cheval qui nous a servi était
vacciné contre les microbes vivants, et son sérum était fortement
préventif et un peu antitoxique.
Nos recherches nous ont démontré tout d’abord que, au point
de vue général de la destruction des microbes sous la peau
des animaux hypervaccinés, il n’y a pas de différences essen-
lielles dans le cas de l’immunité antitoxique et de l’immunité
antinfectieuse ; dans tous les cas, nous avons vu en effet que
l'organisme arrive à se débarrasser des microbes, grâce à l’acti-
vité des leucocytes qui les englobent, les tuent et les détruisent.
Nous avons aussi pu constater que, dans le tissu sous-cutané
des animaux hypervaccinés, les leucocytes doués de propriétés phago-
Cylaires n'interviennent pas tous dans la même proportion et
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 207
n'agissent pas de la même façon sur les microbes qu'ils ont englobés.
Pour les microbes que nous avons étudiés, ce sont surtout
les leucocytes polynucléaires qui se sont montrés doués des
propriétés bactéricides les plus énergiques. Dans le cas de la diph-
térie, en effet, les leucocytes mononucléaires n'interviennent
presque pas. Les vibrions cholériques englobés par les polynu-
cléaires sont aussitôt transformés en boules et périssent rapide-
ment ; les vibrions englobés par les mononucléaires, au contraire,
conservent constamment leur forme et périssent plus len-
tement. Dans le cas du streptocoque, les mononucléaires
arrivent dès le début en très grand nombre et phagocytent la
plupart des microbes, mais ensuite en grande partie au moins
périssent et se désagrègent ; les streptocoques, mis en liberté
par la destruction des mononucléaires, sontde nouveaux phago-
cytés par les polynucléaires, et c’est dans l’intérieur de ceux-ci
qu'ils sont tués et digérés.
De l’ensemble des faits que nous venons d'exposer, résulte
encore que,à aucun momentavant d’être englobés,les microbes ne
présentent de changement appréciable ni dans leur forme ni
dans leur aspect général; inutile d'insister sur ce fait, depuis
longtemps démontré et qui résulte aussi nettement que possible
de l'exposition détaillée que nous venons de faire de nos expé-
riences sur les animaux hypervaccinés, que les microbes sont
englobés à l’état vivant.
Un point très délicat et encore discuté, même par un cer-
{ain nombre des partisans convaincus de la théorie cellu-
laire de l'immunité, c’est de savoir si les microbes injectés à
un auimal immunisé perdent leur virulence par l’action directe
des humeurs avant d'être phagocytés.
Nous avons fait des recherches à ce sujet, et voici ce que
nous avons pu constater. Pour le bacille diphtérique et le vibrion
cholérique, l’inoculation directe chez les cobayes (sous la peau
pour la diphtérie, dans le péritoine pour le vibrion) de quelques
gouttes d’exsudat retiré même très peu de temps après l'injection
(1-2 heures) n’a jamais déterminé un état de maladie appréciable;
il n'y à rien d'étonnant à cela, d'abord parce que l'exsudat
renfermait une quantité trop petite de microbes qui n’agissent
qu’à des doses relativement assez fortes (1/10 de culture sur
bouillon pour la diphtérie, 1/30 de culture sur gélose pour le
208 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
vibrion que nous employions), et puis parce que, ayant affaire
à des animaux très fortement immunisés et qui donnaient
des sérums actifs à des doses très petites (quelques fractions”
de m.m.gr.), nous injections avec l’exsudat des quantités de
substances, antitoxiques pour la diphtérie, préventives pour le
choléra, capables de les préserver contre des doses plusieurs
fois mortelles de virus.
Dans le cas du streptocoque, au contraire, nous avions affaire
d’abord à un microbe extrêmement virulent, et puis à un cheval
qui donnait un sérum beaucoup moins actif.
Pendant les premières 16-18 heures qui suivent l'injection,
le sireptocoque conserve dans le tissu sous-cutané du cheval
immunisé toute sa virulence : l’exsudat, à la dose de 1-2
gouttes, tue par injection sous-cutanée un lapin dans l’espace de
24-36 heures, ce qui représente à peu près le laps de temps né-
cessaire pour Luer un lapin de la même taille avec une dose mor-
telle d’une culture du même microbe. L’exsudat retiré au bout
de 24-30 heures, au moment où la phagocytose des mononu-
cléaires est, autant qu’on peut l’affirmer, complète et au moment
de la réapparition des microbes libres, est encore capable de
tuer un lapin dans l’espace de deux à trois jours, avec généra-
lisation des microbes dans le sang.
La plupart des lapins injectés avec des exsudats retirés à
partir de la 36° heure après l'injection résistent; 1l y en a pour-
tant qui meurent au hout de 9-12 elmème 14 jours, cachectiques
et sans microbes, ni au point d’inoculation, ni dans le sang, ni
dans la rate.
Pour le streptocoque, nous pouvons donc conclure que, tant
qu’il existe des microbes libres daus l’exsudat sous-cutané,
il n’est pas possible de voir une modification appréciable dans
la virulence des microbes injectés, et que même les microbes
englobés pendant la première phase phagocylaire sont tou-
jours capables de donner l'infection mortelle.
*
+ +
Pendant nos recherches, nous avons eu l'occasion d'observer
encore un fait assez intéressant et qui mérite d’être signalé.
On sait depuis longtemps que certains microbes peuvent,
dès qu’ils se trouvent dans l’intérieur des phagocytes, changer
MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 209
leur réaction vis-à-vis des matières colorantes et, au lieu de
prendre les couleurs basiques, ils peuvent fixer une couleur acide,
l'éosine par exemple.
M. Metchnikoff, le premier, l’a constaté pour le vibrion cholé-
rique, puis M. Cantacuzène pour le vibrio Metchnikowi, M. Mesnil
pour la bactéridie charbonneuse chez le lézard, M. Marchoux pour
le même microbe chez les lapins immunisés, M. Bordet pour
le bacille diphtérique, le streptocoque, le proteus vulgaris dans l'in-
térieur des leucocytes du cobaye.
J'ai voulu rechercher si le bacille diphtérique, le vibrion
cholérique et le streptocoque dans les leucocytes du cheval
devenaient aussi éosinophiles, et à chaque prise d’exsudat j'ai
traité un certain nombre de préparations avec la méthode bien
connue de la double coloration à l’éosine-bleu de méthylène,
après fixation dans la solution aqueuse concentrée d’acide
picrique. À aucun moment, pas même dans les préparations
faites avec des vieux exsudats retirés au bout de 48-60 heures,
nous n'avons pu constater ce changement de réaction des mi-
crobes contenus dans l’intérieur des cellules.
Les animaux chez lesquels on a décrit ce changement ont des
leucocytes à granulations pseudo-éosinophiles : or, chez lecheval,
on ne rencontre jamais des leucocytes à granulations pseudo-
éosinophiles, mais on rencontre, comme M. Ebrlich l’a indiqué,
des leucocytes à granulations neutrophiles.
Nous avons traité des préparations avec le mélange neu-
trophile d’'Ehrlich, et nous avons pu constater qu'un certain
nombre des microbes qui se trouvent à l'intérieur des cel-
lules finissent par prendre la couleur des granulations neu-
trophiles. Dans les vieux exsudats, quand on ne trouve plus
trace de microbes, la presque totalité des leucocytes renferme
des granulations neutrophiles. La proportion de ces cellules a
donc nettement augmenté.
C’est un fait assez intéressant, non seulement au point de vue
général de l’origine de certaines granulations qu’on peut ren-
contrer dans les leucocytes, mais au point de vue général de la
digestion intra-cellulaire des bactéries.
14
ACTION DE LA TONINE DIPHTÉRIQUE SUR LES MUQUEUSES
Par MM. V. MORAX #r M. ELMASSIAN,.
(Travail du laboratoire de M. Roux à l’Institut Pasteur.)
Dans leurs remarquables recherches sur la toxine diphtérique,
MM. Roux et Yersin se sont plus particulièrement occupés de
déterminer les effels généraux produits par cette substance.
Cependant ils avaient vu que, lorsque l’on injecte dans le tissu
cellulaire la toxine diphtérique fixée au précipité de phosphate
de chaux, il se produit au siège de l’inoculation des lésions
plus intenses que celles qui suivent l'injection de toxine filtrée.
« L’æœdème est plus hémorragique, les vaisseaux plus dilatés;
il semble que le poison, diffusant plus lentement, produise une
action plus intense. Les grains de phosphate de chaux sont
emprisonnés dans un réseau de fibrine mêlé de globules blancs,
véritable fausse membrane quirappelle celle que cause l'injection
du microbe lui-même ‘ ».
Malgré cette expérience qui montrait le rôle de la toxine dans
la production de la fausse membrane, on admettait généralement
que, pour réaliser expérimentalement des lésions pseudo-
membraneuses chez les animaux, il était nécessaire d’inoculer
sur des muqueuses, préalablement lésées, des cultures vivantes
de bacilles diphtériques.
MM. Roger et Bayeux * s’élevèrent contre cette conception
en se basant sur les résultats obtenus par l'injection intra-tra-
chéale de toxine diphtérique chez le lapin. Sur les onze
lapins de leurs expériences, trois moururent d'intoxication, dans
un délai de 24 heures à 4 jours, sans présenter de lésions locales ;
4. Roux gr Yersin, Contribution à l'étude de la diphtérie. Annales de l'Institut
Pasteur, avril 1889, p. 285.
2. RoGer Er Bayeux, Sur le rôle de la toxine diphtérique dans la formation des
fausses membranes. Comptes rendus de la Société de biologie. Séance du
43 mars 1897, p. 265.
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 211
chez six autres animaux, ils ont constaté, par contre, la pré-
sence de fausses membranes glottiques ou trachéales. Les fausses
membranes laryngées déterminèrent chez quelques-uns d’entre
eux un obstacle à la respiration et réalisaient ainsi, dans une
certaine mesure, l’image de la diphtérie laryngée. De ces expé-
riences, ils concluent qu’on peut produire des fausses membranes
au moyen de la toxine diphtérique sans léser au préalable les
muqueuses.
Dans un travail commencé peu après la publication de
ces résultats, M. le D' H. Coppez' étudie les lésions produites
par l’instillation de la toxine diphtérique sur les membranes
oculaires, dans le but de déterminer la pathogénie des lésions
cornéennes de la diphtérie. N'ayant pas obtenu de lésions par la
seule inslillation, sans traumatisme ou sans altération préalable
de la cornée ou de la conjonctive, alors que ces lésions appa-
raissaient lorsque la cornée était lésée, il en conclut que si la
toxine estla cause des altérations cornéennes, celles-ci ne peuvent
se produire lorsque l'épithélium cornéen est intact.
Il nous a paru intéressant de reprendre ces expériences pour
déterminer exactement la part de vérité contenue dans ces deux
conclusions en apparence opposées.
La toxine diphtérique, qui nous a servi dans toutes nos expé-
riences, nous à été obligeamment fournie par M. Martin. Cette
toxine, identique à celle qui a servi aux expériences de MM. Roger
et Bayeux, tuait le cobaye de 500 grammes à la dose de + ec. c.
et le lapin de 2 kilogrammes à la dose de + c. c. par injection
sous-cutanée.
Nous avons tenté tout d’abord de répéter les expériences de
Roger et Bayeux sur le lapin ; malheureusement ces savants ne
donnent pas d'indications détaillées sur le manuel opératoire de
leur injection intra-trachéale, L'injection de toxine pratiquée avec
une canule introduite dans le larynx par la voie buccale est impos-
sible si l’on veut éviter de blesser la muqueuse laryngée. Le
frottement, même léger, de la canule sur la muqueuse peut
provoquer une érosion épithéliale qui modifie considérablement
les conditions d'absorption de la toxine. Pour nous mettre à l'abri
1. H. Correz, Des altérations cornéennes dans la diphtérie de l'œil et du trai-
tement local par le sérum. Revue générale d'ophthalmologie, 1897. No 5, p. 197,
242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de cette cause d’erreur, nous avons choisi l'injection intra-tra-
chéale après l’incision de la peau du cou. La trachée est mise à
nu et, à l’aide d’une fine aiguille introduite entre deux anneaux
cartilagineux, on peut injecter le liquide dans la trachée, en rédui-
sant le traumatisme au minimum, et en déposant la toxine
à distance du point lésé de la muqueuse.
Deux lapins ont été inoculés de cette manière. L’un d’eux
ne présenta aucune lésion pseudo-membraneuse locale; chez
l’autre, par contre, il existait une petite fausse membrane limitée
au point de pénétration de l'aiguille.
Expérience I. — Lapin de 1,870 grammes. Le 23 juin 1897, injection
intra-trachéale de 0,6 ce. c. d’une dilution au 1/5 de la toxine; aucun
trouble les jours suivants. Le lapin est sacrifié le 26 juin. Autopsie : pas de
lésions trachéales, un noyau de congestion et d’œdème dans le poumon
droit.
Expérience II. — Lapin de 1,940 grammes. Le 23 juin 1897. Injection
. intra-trachéale de 0,25 c. c. d’une dilution au 1/5 de toxine diphtérique.
Mort spontanée le 26 juin, sans trouble respiratoire apparent. Autopsie :
une petite fausse membrane adhérente au point correspondant à la péné-
tration de l’aiguille et de la dimension d’une lentille. Congestion et œdème
du lobe pulmonaire droit.
Le léger traumatisme causé par l’aiguille de la seringue
paraissait avoir nettement favorisé la production pseudo-mem-
braneuse. Du reste, l’intensité des lésions pulmonaires démon-
trait clairement que l'absorption de la plus grande partie de la
toxine s’était faite au niveau des bronches et des alvéoles pul-
monaires. Pour éviter toutes lésions traumatiques de la couche
épithéliale et pour obtenir un contact plus prolongé de la toxine
avec la muqueuse, nous avons, alors, expérimenté sur le pigeon
dont le larynx est facilement accessible. Par la simple ouverture
du bec, il est facile de faire tomber goutte à goutte la quantité
de toxine désirée sur les parois du larynx et de la trachée. Là
encore, nos essais ont donné des résultats absolument négatifs,
au point de vue de la production des lésions locales. Nous n’en
avons cependant pas conclu que ces lésions n'étaient pas réali-
sables, et nous avons cherché à nous rapprocher autant que pos-
sible des conditions dans lesquelles se produit l'absorption de
la toxine sur les muqueuses atteintes d’inflammation diphté-
rique. Là, en effet, on peut admettre que l'absorption est lente
el continue,
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 243
La muqueuse oculaire nous a paru beaucoup plus apte à la
réalisation expérimentale de ces conditions que la muqueuse
respiratoire, c'est, en définitive, à l'étude des lésions produites
par l’absorption de la toxine dans le sac conjonctival que nos
recherches se sont limitées. Ainsi que nous l’avons dit, Coppez
déclare que l'instillation de toxine diphtérique dans l’œil non
traumatisé du lapin ne provoque aucune réaction locale ou
générale. Mais, dans son unique expérience, Coppez se con-
tente d’instiller une goutte d'heure en heure. Dans ces condi-
tions, la quantité de toxine mise en contact avec la conjonctive
ou la cornée est excessivement faible, d'autant qu'elle est en
grande partie balayée par la sécrétion lacrymale. Pour obtenir
une absorption continue, nous avons pensé tout d'abord à
incorporer la toxine à de petits disques de gélose, introduits
entre les paupières et le globe oculaire, et laissés en contact
pendant un temps variable. Dans ces conditions, on voit se
développer, après 36 heures, des lésions pseudo-membraneuses
des plus nettes. Mais nous nous sommes vite aperçus que,
malgré le frottement minime qui résultait de la présence de ce
disque de gélose, il se produisait néanmoins des lésions épithé-
liales de la conjonctive et de la cornée qui, à elles seules, favo-
risaient considérablement l'absorption de la toxine. Finalement,
nous nous sommes arrêlés au procédé d’instillations fréquentes
et prolongées qui nous a donné des résultats fort précis.
Voici comment nous avons procédé : 2 c. c. de toxine diphté-
rique sont étendus de 8 ce. c. de solution physiologique stéri-
lisée de chlorure de sodium. Cette dilution au 1/5 est instillée à
l’aide d’un compte-gouttes, de trois en trois minutes, dans l'œil
d’un lapin. Il suffit pour cela de relever la paupière supérieure
avec le doigt, en laissant tomber la goutte sur le bord supérieur
de la cornée. Les instillations sont répétées pendant un mini-
mum de 8 à 10 heures consécutives. On aura soin, avant de
commencer les instillations, de couper les cils, de manière à
éviter leur pénétration entre les paupières. De cette manière,
on supprime tout traumatisme et, bien qu’une partie de la
toxine passe sur la face cutanée de la paupière, ou s'écoule par
les voies lacrymales, on réalise ainsile contact à peu près con-
tinu de la toxine avec la muqueuse oculaire, et l’on peut suivre
très exactement la marche du processus inflammatoire qui en
214 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
résulte, en écartant toutes les causes étrangères à cette action.
Pendant la durée des insüllations, la muqueuse oculaire
reste sensiblement normale, et ce n’est guère que 10 heures”
après le début des instillations qu’il se manifeste une très légère
hyperémie conjonctivale, sans aucun trouble cornéen. Cette
hyperémie s'accroît progressivement. Le lendemain matin,
c’est-à-dire 24 heures après le début de l’instillation, les signes
oculaires deviennent plus marqués. On constate déjà un cer-
tain degré d’œdème palpébral; cet œdème est surtout appa-
rent à la paupière supérieure. Celle-ci ne se relève qu’incom-
plètement. Dans l’angle interne de la fente palpébrale, on
remarque un peu de sécrétion jaunätre, formée par des leu-
cocytes.
La conjonctive tarsienne et bulbaire est injectée et œdè-
maliée; la cornée ne présente encore aucun trouble; on voit
parfois dans le cul-de-sac inférieur des concrétions purulentes
qu'il ne faudrait pas prendre pour des fausses membranes. En
effet, elles ne présentent aucune adhérence à la muqueuse sous-
jacente, et un filet d’eau suffit pour les enlever. Cette conges-
tion intense de la conjonctive augmente encore dans les
24 heures qui suivent, et c’est le surlendemain seulement,
48 heures après le début des insüllations, que le processus
inflammatoire atteint son acmé.
A ce moment, l’aspect de l’œil reproduit exactement l’aspect
clinique de la conjonctivite diphtérique : le gonflement palpé-
bral est considérable, la paupière supérieure œdématiée est en
contact avec la paupière inférieure et ne peut se relever sponta-
nément. De l’angle interne de la fente palpébrale s’écoule une
sécrélion séro-purulente. Lorsqu'on écarte les paupières, on
constate sur la muqueuse tarsienne une exsudation fibrineuse
blanchâtre, continue, adhérente à la muqueuse, etne pouvant en
être détachée sans suintement sanguin. Au niveau de la conjonc-
tive bulbaire, l’exsudation pseudo-membraneuse est moins évi-
dente, etsurtoutn’y forme pas unrevêtementcontinu ; le chémosis,
par contre, y est très marqué. La cornée présente assez souvent,
mais non d’une manière constante, des lésions d’un aspect assez
particulier et qui se rapprochent de celles que l’on rencontre
dans la diphtérie oculaire humaine. Ces lésions consistent en
un trouble diffus et de coloration opaline. La cornée a perdu
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 215
si
son reflet normal, elle est dépolie et présente une surface légè-
rement irrégulière. Ce trouble n’est pas uniformément réparti, il
prédomine dans la moitié interne, ce qui s'explique par ce fait
que cette partie de la cornée est en contact plus continu avec la
toxine et que l’absorption y est par conséquent plus considérable.
Le troisième jour, les lésions persistent au même degré,
puis le gonflement diminue. Les fausses membranes se détachent,
mais il persiste encore de l’œdème et de l'injection conjonctivale.
Le trouble cornéen ne progresse plus.
Le quatrième jour, on n’observe plus qu'un peu d'injection
conjonctivale. Le trouble cornéen s’atténue à la périphérie. Les
jours suivants, la cornée reprend progressivement sa transpa-
rence normale et, après une quinzaine de jours, l’opacité cor-
néenne a complètement disparu.
Quant aux phénomènes généraux qui accompagnent les
manifestations locales, ils sont peu apparents. L'étude de la
courbe de température montre cependant une légère élévation
thermique qui n’atteint jamais 1 degré, et qui ne s’observe que
le jour de l’instillation et le lendemain.
Lorsque l'animal ne meurt pas dans les 6 premiers jours, ce
qui est assez fréquent, il subit une perte de poids très marquée,
et il est rare que la mort par cachexie ne se produise pas dans
les 15 jours ou 3 semaines qui suivent l'instillation.
Lorsque la mort survenait dans les premiers jours, nous
avons toujours eu soin d'examiner les fosses nasales et de recher-
cher s’il existait des lésions congestives ou pseudo-membraneuses
de la piluitaire, mais jamais nous n’en avons observé.
C’est que la toxine qui s'écoule avec la sécrétion lacrymale
dans les voies lacrymales et les fosses nasales est trop diluée
pour provoquer une lésion locale.
Nous aurons à revenir sur le rôle de la dilution dans [a
production des lésions locales. |
Nous avons POUR parallèlement l'étude histologique des
lésions provoquées par la toxine. Pour suivre la marche des
lésions, les yeux ont été énucléés 4 heures, 8 heures, 24 heures,
36 heures et 48 heures après le début des instillations
4. Dans une première série d'expériences, nous avons fixé les yeux dans une
solution de formol à 10 0/0. Lorsque nous avons voulu mettre en évidence la
fibrine, au moyen de la méthode de Weigert, nous nous sommes aperçu que,
216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Après 4 heures on ne constate aucune lésion des membranes
oculaires. L’épithélium conserve ses caractères normaux, et il
est impossible de constater une diapédèse ou une dilatation
vasculaire plus marquée que dans l’œil non instillé.
Ces modifications n'apparaissent guère d'une manière certaine
qu'après 8 heures. On constate alors au niveau du cul-de-sac
et au voisinage du limbe cornéen une infiltration cellulaire
discrète. Les vaisseaux conjonctivaux sont un peu plus dilatés.
Sous l'épithélium de la conjonctive tarsienne on trouve quel-
ques rares leucocytes infiltrés. La cornée est absolument
normale.
Après 24 heures ces lésions sont plus accusées. L’infiltration
leucocytaire est très manifeste, l’épithélium de la conjonctive
tarsienne est disloqué. Cette infiltration cellulaire existe égale-
ment au niveau du limbe cornéen. Elle y forme une nappe circu-
laire au-dessous de la membrane de Bowmann. Cette infiltration
s’avance à un millimètre environ dans la cornée. A son niveau
l’épithélium forme encore une couche continue, mais les cellules
superficielles sont un peu gonflées.
Après 36 heures, on rencontre en certains points de la
conjonctive tarsienne de petits exsudats, formés par une accumula-
tion de leucocytes, et au niveau desquels l’épithélium a complè-
tement disparu. Dans la profondeur de la muqueuse l'infiltration
cellulaire et l’hyperémie sont des plus marquées. L'infiltration
leucocytaire superficielle de la cornée est plus étendue, mais le
revêlement épithélial est encore continu.
Après 48 heures, l'exsudation pseudo-membraneuse auniveau
de la conjonctive tarsienne est considérablement augmentée et
forme un revêtement continu, plus épais au niveau de la région
tarsienne qu’au niveau des culs-de-sac. L’épithélium n’y est plus
reconnaissable. L'exsudat est formé par une accumulation de
leucocytes polynucléaires et de globules enserrés sanguins dans
un réseau de fibrine, que la méthode de Weigert met bien en
évidence. Les vaisseaux sous-conjonctivaux sont fortement
dilatés. Du côté de la cornée on constate une desquamation
épithéliale limitée en général à un secteur de la cornée. L’infil-
sous l’influence de ce fixateur, la fibrine perdait la propriété de se colorer par le
violet de gentiane. Les yeux fixés avec de l’alcool nous ont donné, au contraire,
des résultats trés nets.
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 217
tration cellulaire superficielle est diffuse, mais elle est surtout
marquée dans les parties dénudées d'épithélium. L’endothélium
de Descemet ne présente pas d’altération manifeste. Dans la
chambre antérieure on constate quelques leucocytes polynu-
cléaires, mais on remarque surtout une exsudation fibrineuse
prédominant dans les parties déclives et au niveau de l’angle
irido-cornéen.
Du côté de l'iris les modifications consistent uniquement en
une dilatation vasculaire.
En résumé, les modifications histologiques qui se dévelop-
pent par suite de l'absorption de la toxine à la surface de la
conjonctive non lésée, consistent dans une dilatation vasculaire
avec réaclion leucocytaire, qui suit une évolution progressive à
partir du moment où se fait l'instillation, mais qui n’atteint son
maximum qu'après 48 heures. Pendant les 36 premières heures,
les phénomènes histologiques réactionnels ne diffèrent en rien
des phénomènes banaux. C’est à partir de ce moment seulement
que l’on peut metirenettement en évidencel’exsudation fibrineuse.
Cette exsudation se fait d’une part à la surface de la muqueuse,
d'autre part dans la profondeur des tissus, ou dans la chambre
antérieure de l’œil. Dans l'épaisseur de la muqueuse proprement
dite, la méthode de Weigert ne met la fibrine en évidence que
dans la paroi des petits vaisseaux.
La réaction inflammatoire est plus particulièrement marquée
au niveau de la conjonctive tarsienne. Du côté de la cornée, les
phénomènes réactionnels sont plus tardifs. Ils se traduisent par
la desquamation épithéliale, et on n’observe jamais d’exsudation
fibrineuse à la surface de la cornée.
De ces constatations macroscopiques et histologiques, nous
pouvons conclure que toutes les lésions locales qu’on observe
dans la diphtérie peuvent être attribuées à la seule action de la
toxine, et que cette toxine peut être absorbée par une muqueuse
n'ayant subi aucune altération.
Ce point n’avait pas été nettement établi par les expériences
de Roger et Bayeux. On sait en effet que les conditions d’absorp-
tion des muqueuses sont très différentes suivant que l’épithé-
lium qui les recouvre est normal ou qu’il a subi des modifications
traumaliques ou autres, même légères. Le rôle protecteur de
lépithélium des muqueuses contre l'absorption des liquides est
218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
un fait bien établi, et l’intéressante thèse de Mermet'a précisé
nos connaissances à cet égard.
Si l’on détruit l’épithélium cornéen ou conjonctival par cau-
térisation ou par un traumatisme quelconque, ainsi que l’a fait
Coppez dans ses expériences, on active l’absorption de la toxine
au niveau des lésions, dans des proportions considérables, et
l'instillation continuée et prolongée devient inutile. Si nos expé-
riences viennent à l'appui des conclusions de MM. Roger et
Bayeux, elles nous portent à croire qu'ils n’ont pu obtenir de
fausses membranes, après une ou deux injectionsintra-laryngées,
qu'en traumatisant l’épithélium de cette membrane avec la canule
de leur seringue, [a muqueuse laryngée ou trachéale, ainsi que
nous l'avons vu par nos expériences, ne diffère pas sensiblement,
par ses propriétés absorbantes vis-à-vis de la toxine diphtérique,
de la muqueuse conjonctivale.
On pouvait objecter à nos expériences la réaction alcaline de
la toxine employée, et admettre que ce liquide alcalin provoque
une altération primitive de l’épithélium. Mais nous avons tou-
jours eu soin de diluer la toxine dans une solution neutre, de
telle sorte que l’alcalinité de la solution devenait excessivement
faible*. M. Martin nous a fourni d’aillenrs une toxine diphté-
rique solide, avec laquelle nous avons obtenu les mêmes résultats.
Cette toxine solide nous a permis, en outre, d'étudier les condi-
tions de dilution nécessaires pour provoquer une lésion locale,
et aussi de préciser le rapport qui existe entre l’absorption à la
surface des muqueuses saines et l'injection dans le tissu cellulaire
sous-cutané.
Cette toxine solide tuait, à la dose de 1/2 milligramme, un
lapin de deux kilogrammes en 3 jours. Pour tuer un lapin de
même poids dans un temps sensiblement égal, par instillation
dans le sac conjonctival non lésé, il faut instiller une dose de
20 milligrammes au moins. Dans ces conditions, la lésion
locale est presque nulle. Lorsque l’on prend une dose inférieure
1. Merwer, Etude expérimentale sur l’absorption et la diffusion cornéennes,
Thèse'‘de Paris, 1897, (Steinheil, éd.)
2, Nous avons aussi répété l'expérience dans les mêmes conditions avec de la
toxine chauffée, avec de la toxine additionnée d’une dose exactement neutrali-
sante de sérum antidiphtérique, et avec du bouillon stérile. L'œil du lapin n’a
présenté aucune réaction à la suite de ces instillations, malgré l'ouverture répétée
des paupières.
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. | 219
à 20 milligrammes, cette dose ne produit de lésions locales que
si elle est fortement diluée et si linstillation se fait dans les
conditions que nous avons citées plus haut, c’est-à-dire pendant
9 à 10 heures consécutives au moins.
Disons encore que l'injection de toxine, dans l'épaisseur de
la muqueuse, ne provoque qu'une réaction locale très peu
marquée, et qui ne diffère pas de ce qu’on observe lorsque l’in-
jection est faite dans le tissu sous-cutané.
Nous avons répété ces expériences d’instillation, avec quatre
toxines d’origine différente, dans le but d'établir s’il existait,
pour des toxines d’origine différente, une prédominance d’action
locale ou générale. Nous avons constaté alors que la réaction
locale était en rapport direct avec la toxicité générale de la
toxine, et que si l’on avait soin de faire des dilutions dont, à dose
égale, la toxicité était la même, on obtenait toujours des réac-
tions locales identiques.
Chez deux lapins qui avaient survécu aux instillations de
toxine et chez lesquels les lésions oculaires avaient complète-
ment disparu, nous avons répété l'instillation de la toxine après
12 jours chez l’un, et un mois chez l’autre, de manière à voir
s'il existait un certain degré d’immunité locale, mais nous
n'avons DSC aucune différence dans les réactions à la
première ou à la seconde instillation.
Il va sans dire que, lorsqu'on fait la deuxième instillation
peu de jours après la première, les lésions observées sont beau-
coup plus intenses: c’est que, dans ces conditions, l'absorption
est facilitée dans des proportions énormes, par les lésions des
couches superficielles de la muqueuse.
On peut réaliser des lésions pseudo-membraneuses très mar-
quées de la conjonctive en faisant le premier jour une instilla-
tion de toxine diluée au 1/5 pendant 3 ou 4 heures, puis en
répétant cette instillation pendant 1 à 2 heures le lendemain,
lorsque, sous l'influence des premières doses de toxine, il s’est
développé un peu d’æœdème et de congestion conjonctivale. Dans
ces conditions, les lésions sont le plus marquées 36 à 48 heures
après la deuxième instillation. Si nous ne nous sommes pas
arrèlés à ce procédé, c’est que nous tenions avant tout à nous
rendre exactement compte de la manière dont se comporte la
toxine vis-à-vis de l’épithélium non altéré. L'examen histolo-
220 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
gique nous a montré que la couche épithéliale restait normale
pendant les 8 premières heures, c’est-à-dire pendant tout le
temps que dure l’instillation. On peut admettre, dans ces con- .
ditions, que l'absorption de la toxine s’est poursuivie en quelque
sorte normalement. Au contraire, après 24 heures, l’épithélium
a déjà subi des altérations manifestes qui ont pour etfet de mo-
difier complètement les conditions d'absorption.
Ces expériences sur l’absorption de la toxine diphtérique à
la surface des muqueuses non altérées peuvent, semble-t-il,
nous faire comprendre leur action lente sur les cellules de
l'organisme et le temps qui s'écoule entre le moment où la
toxine est mise en contact avec les cellules et celui où les réac-
tions cellulaires se développent.
Que l’on compare, en effet, l'absorption des alcaloïdes, sels
cristallisables, à la surface de la muqueuse oculaire, avec l’ab-
sorption des toxines, comme la toxine diphtérique ou tétanique.
Pour les alcaloïdes, l'absorption est presque immédiate, et les
ellets physiologiques produits par ces substances se manifestent
fort peu de temps après l’instillation ou l'injection hypoder-
mique. Pour les toxines, au contraire, l'absorption ne se fait que
très lentement; il faut un contact prolongé des cellules avec la
toxine pour que celle-ci pénètre les éléments cellulaires et pro-
voque la réaction physiologique par laquelle nous jugeons de
son action. Il nous semble donc que dans l'interprétation de
cette action tardive des toxines, il faut tenir compte des pro-
priétés physiques de diffusion de ces substances {qui, par ce
caractère tout au moins, se rapprochent beaucoup des albumi-
noïdes). Nous reviendrons d’ailleurs, dans un mémoire ulté-
rieur, sur ces phénomènes d'absorption des toxines, et sur les
déductions pathogéniques qui en découlent.
Nous avons tenu à nous limiter, dans ce travail, à l’étude
de l'absorption de la toxine diphtérique à la surface des mu-
queuses, et, de ces recherches répétées sur un grand nombre de
lapins, nous concluons :
La toxine diphtérique instillée sur la muqueuse oculaire, en
l'absence de toute lésion et de tout traumatisme de la couche
épithéliale, provoque des lésions locales qui n’atteignent leur
acmé que 36 à 48 heures après le début de l’instillation, et qui
ne diffèrent en rien de celles que provoque linoculation du
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 221
bacille diphtérique. Les lésions locales de la diphtérie doivent,
par conséquent, être attribuées, pour la plus grande part du
moins, à l’action toxique.
Lorsque l’épithélium de la muqueuse n’est pas lésé, c’est-à-
dire lorsque l'absorption de la toxine instillée dans le sac con-
jonctival se poursuit d’une manière normale, le contact de la
toxine avec la couche épithéliale doit être prolongé pendant 8 à
10 heures au moins, si l’on veut obtenir le maximum de réac-
tion locale. Il faut en outre que cette toxine soit dans un état de
dilution telle que son absorption ne détermine pas l’intoxication
générale rapide, et que la quantité totale de la toxine instillée
soit un peu inférieure à 30 ou 40 fois la dose mortelle pour le
lapin, par injection sous-cutanée.
Les lésions cornéennes apparaissent plus tardivement que
les lésions conjonctivales; mais si le traumatisme local favorise
leur apparition en facilitant l'absorption de la toxine diphté-
rique, ces lésions de la cornée peuvent néanmoins se déve-
lopper en dehors de toute dénudation épithéliale.
RÉSUMÉ DE QUELQUES EXPÉRIENCES
Nous avons répété nos expériences sur de nombreuses séries
de lapins. Pour éviter des longueurs, nous limiterons le compte
rendu de ces recherches à quelques expériences choisies parmi
les plus typiques.
Exp. XIV. — Lapin de 1,675 grammes. — Le 2 juillet 1897, on instille
pendant 7 h. 1/2 consécutives, dans l'œil droit, 1,5 c. c. d'une dilution au
1/5 de la toxine diphtérique Martin.
3 juillet. — Injection conjonctivale légère avec un peu de sécrétion.
4 juillet. — Congestion intense de la conjonctive tarsienne avec quel-
ques exsudats pseudo-membraneux sur la membrane clignotante et la con-
jonctive tarsienne inférieure. Léger trouble cornéen à la partie interne et
supérieure. OEdème palpébral peu accusé.
5 juillet. — Le trouble cornéen est un peu plus marqué. Plus d’exsudats
pseudo-membraneux sur la conjonctive.
6 juillet. — Les phénomènes réactionnels sont moins accusés.
8 juillet. — La conjonctive est revenue à son état normal. Il persiste
seulement du côté de la cornée une opalescence légère et peu étendue.
AA juillet. — Les troubles oculaires ont complètement disparu. On fait
299 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
une nouvelle inslillation de toxine diluée au 1/5 dans les deux yeux, pen-
dant 6 heures consécutives. Poids du lapin : 1,660 grammes.
12 juillet. — Légère congestion de la conjonctive avec sécrétion peu
abondante.
13 juillet. — Congestion conjonctivale beaucoup plus intense avec quel-
ques exsudats pseudo-membraneux sur la conjonctive larsienne inférieure.
Le bord supérieur et interne de la cornée présente un léger trouble diffus.
Les phénomènes réactionnels sont absolument identiques dans les deux
yeux.
14 juillet. — Les phénomènes réactionnels sont un peu moins marqués.
16 juillet. — Les conjonctives et les cornées des deux yeux ont repris
leur aspect normal.
Mort par cachexie le 28 juillet. Poids : 1,200 grammes.
Exr. XV. — Lapin de 2,050 grammes. — Le 7 juillet 4897, on instille
dans l’œil droit 1,5 c. c. d'une dilution au 1/5 de toxine diphtérique pen-
dant 7 h. 1/2 consécutives.
8 juillet. — Léger œdème palpébral. Congestion vive de la conjonctive
avec sécrétion abondante.
9 juillet. — OEdème palpébral plus marqué. Exsudat pseudo-membraneux
adhérent au niveau de la membrane nictitante et de la conjonctive tarsienne
de la paupière inférieure. Pas de lésions cornéennes.
10 juillet. — L'état ne s’est pas modifié; les lésions n’ont pas aug-
menté.
A1 juillet. — Les fausses membranes ont disparu; la conjonctive est un
peu injectée, mais la sécrétion est presque nulle.
On fait une nouvelle instillation de toxine diluée pendant 6 heures con-
sécutives dans les deux yeux. Poids du lapin : 1,750 grammes.
12 juillet. — L'œil droit présente des lésions plus marquées que l'œil
gauche. À droite, les paupières sont fermées; il existe un chémosis très
accusé et une légère exsudation pseudo-membraneuse peu adhérente sur la
conjonctive tarsienne. La cornée n'est pas altérée. À gauche, on ne constate
qu'un peu de gonflement de la paupière supérieure et d'injection conjoncti-
vale avec sécrétion minime.
13 juillet. — Les paupières de l'œil droit sont fortement œdématiées;
elles ne s’entr'ouvrent pas spontanément. La conjonctive tarsienne est uni-
formément recouverte par une exsudation pseudo-membraneuse adhérente,
La cornée présente dans son 1/3 supérieur interne une opalescence diffuse. A
gauche, les paupières sont entr'ouvertes. La conjonctive est le siège d’une
congestion intense avec sécrétion, mais sans exsudat pseudo-membraneux
net.
15 juillet. — Les fausses membranes ont disparu. À droite, il persiste
un peu de trouble cornéen et d'injection conjonctivale. A gauche, tout est
rentré dans l'ordre.
20 juillet. — On remarque encore une légère opalescence cornéenne, sans
autres lésions, Poids : 1,570 grammes.
Mort par cachexie au commencement d'août.
Expérience XL. — Lapin de 1,835 grammes. Le 23 septembre, on instille
TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 223
dans l’œil droit, pendant 10 heures consécutives, 5 ce. c. de toxine diluée
au 1/5.
24 seplembre. — Les paupières sont œdématiées, mais s’entr'ouvrent
encore à moitié. Chémosis très accusé sans fausses membranes et sans
lésions cornéennes. Sécrétion peu marquée.
25 seplembre. — Le gonflement palpébral a notablement augmenté.
Il s'écoule par l'angle interne une sécrétion fibrino-purulente assez abondante.
Une fausse membrane peu épaisse, mais adhérente, recouvre la conjonctive
tarsienne en à culs-de-sac. La cornée n’est pas allérée dans sa partie
centrale. Sur ses bords on constate un léger trouble dont les bords sont
diffus. |
20 septembre. — Les paupières de l'œil droit sont agglutinées, mais
l'æœdème y est moins accusé. La conjonctive est moins injectée et l’exsuda-
tion pseudo-membraneuse n'existe plus qu’en des points limités, La sécré-
tion est plus abondante.
27 septembre. — Les paupières s’entr'ouvrent spontanément. La conjonc-
tive est encore un peu injectée. Poids : 1,720 grammes.
30 septembre. — La conjonctive et les paupières ont repris leur aspect
normal.
3 octobre. — Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,595 grammes,
EXPÉRIENCE XVIII. — Lapin de 1,980 grammes. Le 7 juillet 1897, on
instille dans l’œil droit, pendant 8 heures consécutives, 1,5 c. c. de toxine
diluée au 1/10. Les jours suivants, on ne constate aucune modification du
côté de la conjonctive ou de la cornée.
EXPÉRIENCE XXV. — Lapin de 1,725 grammes. Le 19 juillet, on instille
dans l'œil droit 0,8 c. c. de toxine diluée au 1/5 pendant 3 h. 1/2 consé-
cutives.
20 juillet. — Légère congestion conjonctivale sans œdème palpébral.
21 juillet. — La congestion conjonctivale a un peu augmenté ainsi que
la sécrétion purulente, mais il n'y a pas de fausses membranes.
22 juillet. — L'injection conjonctivale a notablement diminué,
24 juillet. — État normal de l'œil droit.
EXPÉRIENCE XX. — Lapin de 1,900 grammes. Le 19 juillet, on instille
dans l'œil droit, pendant une heure, 1 c. c. de toxine non diluée,
20 juillet. — Légère injection conjonctivale avec sécrélion minime.
21 juillet. — La congestion conjonctivale est un peu plus marquée,
Il n’y a pas de fausses membranes. La cornée est intacte.
22 juillet. — La conjonctive tarsienne est faiblement injectée.
23 juillet. — Plus de réaction conjonctivale.
28 juillet. — Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,530 grammes.
ExPÉRIENCE LXIII. — Lapin de 2,090 grammes. Le 14 novembre, on
instille dans l’œil droit, pendant 6 heures consécutives, 10 milligrammes
de toxine diphtérique solide, dissoute dans 2 e. c. d’eau salée physiologique.
Cette toxine tue le lapin à la dose d’un demi-milligramme en 3 jours par
injection sous-conjonctivale.
Le 15 novembre, les paupières sont tuméfiées. La conjonctive tarsienne
est le siège d’une injection intense avec secrétion peu abondante,
224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
4 novembre. — L'œdème palpébral et l'injection conjonctivale ont un peu
augmenté, mais il n'existe pas de fausses membranes nettes.
A7 novembre. — Diminution de l'injection conjonctivale.
6 décembre. — Mort spontanée par cachexie. Ce lapin a présenté, pen- ”
dant les 3 derniers Jours, une paralysie complète du train postérieur.
Poids : 1,340 grammes.
ExPÉRIENCE LXVI. — Lapin de 1,600 grammes. Le 22 novembre, on
instille dans l’œil droit, pendant 7 h. 1/2 consécutives, 10 milligrammes de
toxine diphtérique solide, dissoute dans 5 c. c. d’eau.
23 novembre. — L'œil est un peu injecté, les paupières sont faiblement
œdématiées. À
24 novembre. — L'œdème palpébral est plus accusé, ainsi que l'injection et
la sécrétion conjonctivale. Sur la membrane clignotante et sur la conjonctive
tarsienne de la paupière inférieure, on constate une légère exsudation
pseudo-mmembraneuse peu adhérente. La cornée ne présente pas de lésions.
25 novembre. — Les phénomènes réactionnels ont diminué et l’exsudation
a disparu.
26 novembre. — On fait une nouvelle instillation, pendant { heure, de la
même dilution de toxine que précédemment, dans l’œil droit dont la conjonc-
tive est encore faiblement injectée. Poids : 1,560 grammes.
27 novembre. — OEdème palpébral très marque et vive injection conjonc-
tivale.
27 novembre. — Le gonflement palpébral a augmenté, la conjonctive tar-
sienne est recouverte d’une fausse membrane adhérente, La cornée est le
siège d’un trouble diffus.
ExPÉRIENCE LXV.— Lapin de 1,860 grammes. Le 14 novembre, on instille
dans l'œil droit, pendant 5 h. 1/2 consécutives, 20 milligrammes de toxine
diphtérique solide dissoute dans 1 c. c. d’eau salée physiologique.
45 novembre. — Les paupières sont normales; on ne constate qu'une
injection conjonctivale minime et une très faible sécrétion purulente.
16 novembre. — Mort spontanée dans la journée. La réaction locale n’a
pas augmenté. Autopsie: pas de lésions macroscopiques des organes, pas
de microorganismes dans le sang ou les organes.
Le Gérant : G. Masson. .
Sceaux. — Imprimerie E. Charaire.
49me ANNÉE AVRIL 41898 No
LS
ANNALES
DE
L’ENSFÉRU, PASTEUR
TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS
Par MM. E. ROUX er A. BORREL".
I
Le télanos a toujours été considéré comme une maladie du
système nerveux, mais c’est seulement depuis la découverte de
la toxine tétanique que l’on a pu dire, avec plus de précision,
que le tétanos est un empoisonnement de certaines cellules ner-
veuses. Le poison tétauique agit sur les cellules de la moelle
épinière dontla lésion détermineles contractures caractéristiques;
injecté sous la peau ou dans le sang, il va les atteindre de préfé-
rence.
Il existe en effet une affinité véritable entre la cellule ner-
veuse et la toxine tétanique. Cette affinité se manifeste dans
l'expérience suivante, inspirée par celle de MM. Wassermann
et Takaki *. De la substance cérébrale d’un cobaye est broyée,
puis additionnée de toxine tétanique : le mélange soumis à
l’action de la turbine se sépare en deux couches; au fond du
vase, la matière nerveuse, au-dessus le liquide opalin*. Si les
proportions de cerveau et detoxine sont bien choisies, on cons-
tate que le liquide ne contient presque plus de poison tétanique.
Celui-ci, fixé par le tissu nerveux, s’est déposé en même temps
que lui. Il n’est point détruit, comme le croyait M. Wassermann,
il adhère aux débris de substance cérébrale à la facon d’une
1. Le résumé de ce travail a été communiqué au Congrès international
d'hygiène et de démographie de Madrid, par M. Borrel, le 12 avril 1898,
2. Berliner klinische Wochenschr. 1898, N° 1.
3. V. Kxorr. Münch. med. Wochenschr. 1898, N° 12, p. 187.
12
226: ANNALES DE-"L'INSTITUT PASTEUR.
matière colorante et peut de nouveau être mis en évidence,
comme l’a fait voir M. Metchnikoff'. La toxine a changé d’étal,
mais sa nature n’est point modifée. »
Le véritable intérêt de l'expérience de M. Wassermann est de
nous montrer, se salisfaisant ix vitro, et pour ainsi dire d’une
façon tangible, cette affinité de la cellule nerveuse et de la toxine
tétanique.
Ce qui se passe dans notre tube à réaction se fait aussi dans
l'organisme. La toxine tétanique, injectée sous la peau de la
patte postérieure d’un cobaye, sera fixée par les cellules de la
moelle épinière après un certain nombre d'heures, au bout des-
quelles apparaissent les contractures. Le poison arrive à l'axe
nerveux par deux voies; une partie, d’après M. Marie’, suit
directement le trajet des nerfs, et c’est pour cela que, chez les
animaux, la contracture commence toujours dans la région où
l'injection a été pratiquée ; une autre partie du poison pénètre
dans le sang, d’où elle est extraite par les cellules nerveuses et
peut-être encore par d’autres, suivant leur affinité.
Cette affinité spécifique des éléments nerveux pour la toxine
tétanique s’exerce lorsqu'on introduit un peu de celle-ci dans la
substance même du cerveau d’un lapin. On détermine ainsi une
maladie caractéristique, le tétanos cérébral. Ce fait suffirait à
renverser l'opinion de M. Wassermann sur l'existence d’une
antitoxine tétanique dans le cerveau normal. Comment admettre
cette antitoxine qui n’agit pas, même dans le lieu où elle se pro-
duirait ? En réalité, le mélange de cerveau broyé et de toxine
tétanique est inoffensif, parce que le poison adhère à la matière
nerveuse, et qu'introduit à cet état, sous la peau des animaux,
il ne diffuse pas, mais est englobé par les phagocytles et digéré
dans leur intérieur, en même temps que les débris nerveux qui
lui servent de support. C’est le cas de la toxine cholérique con-
tenue dans le corps des vibrions ainsi que l'ont montré
MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni*.
La fixation quasi immédiate du poison tétanique sur les
éléments nerveux permet de limiter l’action de celui-ci à un
groupe déterminé de cellules, en le portant directement à leur
4. Ces Annales, 1896, p. 257,
2. Ces Annales, juillet 4897. ,
3. Ces Annales. février 1898.
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 297
contact, On obtient alors une maladie dont les symptômes
dépendent des fonctions du territoire intoxiqué. |
Ainsi, la toxine injectée en plein cerveau provoque, chez le
lapin et chez le cobaye, une maladie caractérisée par une exci-
tation extraordinaire, par des crises convulsives intermittentes,
des troubles moteurs et de la polyurie, qui ne rappellent en rien
le tétanos ordinaire. Dans ces conditions, le poison n’agit plus
sur [a moelle épinière, mais sur les centres psychiques et sur les
régions motrices du cerveau, qui réagissent à leur façon, et
nous voyons évoluer une maladie expérimentale à symptômes
variables suivant l'étendue de la région intéressée‘.
M. Tizzoui * et Me Cattani, en injectant de la toxine tétanique
sous la dure-mère d’un lapin, ont observé des manifestations
du tétanos cérébral, bientôt suivies de la raideur des membres.
Dans ce cas, les expérimentateurs ont eu affaire à un tétanos
mixte cérébral et médullaire : ils avaient probablement lésé la
surface du cerveau, car M. Vaillard * et M. Conrad Brunner ‘ ont
introduit de la toxine tétanique dans la cavité arachnoïdienne
sans déterminer autre chose que des contractures généralisées.
Certaines observations de tétanos humain, survenu à la suite
de plaies à la tête, relatent des symptômes, comme la paralysie
faciale, qui pourraient se rapporter au tétanos cérébral. Mais,
cette maladie, si facile à donner expérimentalement, est à peine
connue et cependant elle mérite d’être approfondie. Depuis plu-
sieurs mois M. Morax en a entrepris l’étude, à l’Institut Pasteur.
L'introduction de la toxine tétanique dans le cerveau se fait
le plus simplement du monde, en pratiquant, au moyen d’un
foret, un petit trou dans les os du crâne; un curseur limite la
pénétration et évite la blessure de la dure-mère. Il est facile de
faire le pertuis au même endroit, de façon à atteindre la même
région de l’encéphale dans les expériences comparatives. On
enfonce l'aiguille de la seringue en plein dans la substance céré-
1. Nous donnerons à ce tétanos provoqué par l'introduction de la toxine dans
le cerveau le nom de tétanos cérébral, pour le distinguer du tétanos céphalique
et du tétanos hydrophobique de Rose.
2, Tizzoxi et Mile Carrant. Archiv. fur experimentale Pathologie. Vol.927, p. 439.
1890.
3. Annales de l'Institut Pasteur.
-__4.Conran Bruxxer, Tétanos céphalique experimental et clinique, 1894. Beitrage
für klinische Chirurgie. À
228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
brale à une profondeur réglée par un arrêt, et on injecte 1/20
ou 1/10 de c. c., suivant la dilution de la toxine.
Il va sans dire que l'opération par elle-même est inoffensive, ”
que la lésion faite par l'aiguille ne cause aucun accident, et que
si l’on injecte de la même manière cinq fois plus d’eau stérilisée,
de solution physiologique ou de toxine chauffée à 100°, le lapin
n’en souffre à aucun moment,
Dans les heures qui suivent, l’animal se meut avec aisance
et mange avec toutes les apparences de la santé. Mais, au bout
de 8 à 12 heures, le lapin devient inquiet, change de place à
chaque instant, prend une attitude particulière, le train relevé
comme s’il ne pouvait s'asseoir complètement. En même temps
il paraît en proie à des hallucinations, cherche à cacher sa tête,
et, comme pris de terreur, tourne autour de sa cage. Si on le
fait sortir, il s’élance haut sur pattes avec une démarche de
lièvre. Souvent, à chaque foulée, les pattes postérieures pro-
jetées en avant dépassent la tête. Le désir de fuir est très marqué,
le lapin parcourt le laboratoire, se réfugie dans les coins et se
dresse contre les obstacles. Les émissions d'urine sont nom-
breuses et abondantes. Des crises convulsives, épileptiformes,
surviennent plus ou moins fréquentes, soit spontanément, soit
à la moindre excitation. L'animal tombe en grinçant des dents,
le cou et les membres convulsés, mordant la litière de sa
cage; puis il se redresse et se met à manger pour retomber
bientôt.
Parfois, les pattes postérieures sont écartées et malhabiles, et
des trépidations musculaires rendent la démarche hésitante.
L'intensité et la durée de la maladie varient suivant la dose
de toxine. Avec une quantité un peu forte, 1/10 de c. c. dans
certaines expériences, les accès convulsifs étaient incessants et
toute la scène évoluait en 12 à 20 heures. Avec des doses plus
faibles, l’affection peut durer 3, 5 et même 8 et 15 jours. L'animal
a de temps en temps des crises, dans l'intervalle il mange et
paraîtrait normal sans son attitude inquiète; il maigrit de plus
en plus et succombe.
De toutes petites quantités de toxine donnent un tétanos gué-
rissable, avec tendance à se cacher, petits accès épileptiformes
4. A l’autopsie on ne trouve aucune lésion cérébrale appréciable à l’œil, sou-
vent la trace de l'aiguille n’est plus visible.
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 229
passagers et amaigrissement., Même à ce degré, le tétanos céré-
bral persiste longtemps, un mois et parfois davantage.
À cause du volume du cerveau chez le lapin, il est possible
d'introduire la toxine en des points différents. Après une injec-
tion dans le cervelet, il survint, au bout de trois jours, de la
paralysie du train postérieur, en même temps que des crises
convulsives. Pour n'intéresser qu'un groupe de cellules limité,
il ne faut employer que très peu de toxine, de façon à ce que
l'excès ne diffuse pas. Les poisons qui ont une grande affinité
pour les cellules nerveuses, et quise fixent sur elles, nous four-
nissent un moyen original d'exploration des divers territoires
encéphaliques. Chez les animaux à cerveau plus développé et à
facultés mieux différenciées, on obtiendra sans doute des résul-
tats intéressants pour la physiologie.
Le lapin est assez résistant au poison tétanique introduit sous
la peau ou dans le sang; 2 c. c. 1/2 de notre toxine, mis dans le
tissu cellulaire, donnent à un animal de 2 kilos un tétanos
ordinaire mortel en quatre jours ; 1/10 de c. c. dans le cerveau
provoqueun tétanos cérébral intense, et tue en moins de 20 heures.
La résistance du lapin à la toxine tétanique, injectée dans Îles
conditions habituelles, ne tient donc pas à une insensibilité rela-
tive des centres nerveux, mais, sans doute, à ce que beaucoup du
poison introduit n’arrive pas aux cellules nerveuses et est détruit
quelque part dans l’organisme.
Le cobaye qui, à poids égal, prend le tétanos bien plus faci-
lement que le lapin, quand il reçoit la toxine sous la peau,
résiste mieux à l'injection intra-cérébrale. À un cobaye de
500 grammes, on donne 1/100 de c. c. de toxine sous la peau
d’une patte postérieure, la contracture apparaît à la 12° heure et la
mort survient vers la 50° heure ; un autre cobaye du même poids
reçoit la même dose dans le cerveau : les premiers symptômes
se montrent après 48 heures et la maladie dure 3 jours.
Le tétanos cérébral du cobaye est tout aussi caractéristique
que celui du lapin. Point de contractures permanentes, mais des
crises con vulsives plus ou moins répétées après lesquelles l'animal
mange et se meut librement. Le besoin de fuir se manifeste chez
ces animaux; aussitôt qu'on les sort de la cage, ils partent en
ligne droite par un mouvement rapide des pattes et comme mus
par un ressort, 1l se heurtent au premier obstacle, tombent en
230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
convulsions, puis se relèvent et reprennent pour un temps leur
allure normale. Le tétanos cérébral du cobaye présente aussi
tous les degrés d'intensité et peut guérir.
Pour provoquer chez le rat des symptômes saisissants de
tétanos cérébral, il faut plus de toxine que pour le tuer par
injection sous-cutanée. L'incubation est de quarante-huit heures
à trois jours. Si l’expérimentateur n'avait pas la certitude qu’il
a injecté du poison tétanique, jamais il ne reconnaîtrait le
tétanos dans la maladie qu'il observe. Les manifestations
psychiques dominent, le rat est inquiet, attentif : pris, sans
cause apparente, de terreurs soudaines, il court follement autour
de sa cage. Si on ouvre celle-ci, il bondit sur le plancher, court
se réfugier dans un coin, puis, l'accès passé il se laisse prendre
et reste calme pendant un certain temps, malgré les excitations.
Durant la crise, 1l semble obéir à une impulsion intérieure, 1l
donne l’idée d’un animal pris de folie, et. en le considérant, on se
demande si beaucoup d’affections psychiques ne sont point pro-
duites elles aussi par la fixation sur certaines cellules nerveuses
de toxines microbiennes élaborées à un moment donné dans
l'intestin ou dans quelque autre partie du corps. Get état peut
durer plusieurs jours, le rat cesse de manger et meurt très
amaigri. De plus faibles quantités de poison tétanique amènent
seulement un état cachectique qui se termine par la mort après
un délai variable.
Chez les souris le tétanos cérébral est moins dramatique. La
dose de toxine qui, sous la peau, les tuerait en trente à trente-
six heures, introduite dans leur cerveau, parait tout d’abord
ne produire aucun effet : plus tard l'animal est stupéfié, lent dans
ses mouvements, et meurt amaigri sans contractures.
En résumé, au lieu des contractures permanentes du tétanos
ordinaire, nous voyons, dans le tétanos cérébral, de l’excitation,
des crises épileptiformes, de la polyurie et des troubles moteurs
qui donnent à cette maladie une physionomie facile à recon-
naître.
IL
TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ PASSIVE
L’injection dans le cerveau est un moyen d'explorer la sensi-
bilité des cellules nerveuses à la toxine tétanique, et de savoir
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 231
ce que devient cette sensibilité chez les animaux immunisés de
diverses facons contre le tétanos. |
Un animal qui a recu du sérum antitétanique acquiert
limmunité dite passive, et résiste à des doses plusieurs fois
mortelles de toxine mises sous sa peau, dans ses muscles ou
dans ses veines. Est-ce parce que ses ceilules nerveuses sont
devenues insensibles au poison? Pour le savoir, mettons la toxine
directement en contact avec elles.
À cinq lapins du même poids, injectons dans le tissu
sous-cutané, 5c.e., 10 c. c., 15 c. c., 20 c. c. de sérum anti-
tétanique.
Un des animaux à 5 c. e. est éprouvé par l'injection hypoder-
mique d’une dose de toxine cinq fois mortelle, ilreste bien portant.
Vingt-quatre heures après l'introduction du sérum, les quatre
lapins restants reçoivent, en même temps qu'un témoin, 4/10 de
centimètre cube de poison tétanique dans le cerveau, c’est-à-dire
une dose qui, dans la cuisse d’un lapin neuf de même poids, ne
détermine même pas un tétanos local.
Le lendemain le lapin témoin est en proie aux crises convul-
sives. Les lapins à 10 c. c., à 15 c. c. et à 20 c. c. de sérum sont
manifestement pris et leur maladie va en s’accusant. L'animal à
20 c. c. meurt en 48 heures, comme le témoin. Celui à 10 ce. c.
succombe le quatrième jour et celui à 15 c. c. le sixième
jour.
Seul le lapin à 5 c. c. reste bien portant.
Et cependant, le sang de ces animaux qui ont péri est anti-
toxique ; à l'heure de la mort, une goutte de sang du lapin à
20 c. c. suffisait à neutraliser la dose de toxine dix fois mortelle
pour une souris.
Une goutte du sang du lapin à 10 c. c., retirée au moment de
l'injection intra-cérébrale, est ajoutée à la quantité de poison
tétanique capable de donner un tétanos cérébral mortel; le
mélange introduit dans le cerveau d’un lapin neuf ne produit
aucun effet.
Le mélange de toxine et d’antitoxine est inoffensif pour les
cellules nerveuses, et une trace du sang de ces lapins qui meurent
dans les accès du tétanos cérébral aurait suffi à détruire le poison
tétanique s'il était venu en contact avec lui. Une hémorragie
causée par la piqûre, empècherait l’apparition de la maladie,
232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
C'est ce qui est arrivé sans doute pour le lapin aux 5 c. c. de
sérum de l’expérience ci-dessus.
Quand on opère sur un certain nombre d'animaux, il en est .
toujours quelques-uns qui restent bien portants, car on ne peut
constamment éviter un petit épanchement sanguin. Celui-ci se
produit même dans tous les cas, et,sur les coupes des cerveaux,
le microscope montre des globules sanguins dans la piqûre. On
conçoit que cette minuscule extravasation de sang antitoxique
suffise parfois pour neutraliser la petite quantité de toxine intro-
duite, surtout chez les lapins qui ont eu des doses énormes de
sérum. Il y a doncune limite à l'expérience. En réalité, la portion
du poison qui agit est celle qui est pour ainsi dire happée par
les cellules. Aussi la maladie est-elle souvent plus lente chez les
lapins au sérum, qui se comportent alors comme les lapins neufs
qui n'ont reçu que de très pelites doses de toxine.
L'expérience manque quelquefois avec les cobayes immunisés
par le sérum, parce que leur cerveau est plus vasculaire que
celui du lapin, et moins sensible à la toxine tétanique. Pour la
réussir, il faut une dose suffisante de poison, inoffensive cepen-
dant si elle est mise sous la peau.
Tous ces faits peuvent être aussi constatés avec la toxine
diphtérique. Celle-ci est plus rapidement meurtrière, et à plus
petites doses, dans le cerveau que sous la peau. Elle détermine
en douze heures des paralysies, bientôt suivies de mort. Les
lésions ordinaires, à savoirla congestion des capsules surrénales
et l’épanchement de sérosité dans les plèvres, se rencontrent
chez les cobayes à la suite de l'injection intra-cérébrale. Le
poison diphtérique n’a pas seulement de l’affinité pour le système
nerveux, mais aussi pour d’autres organes qui dégénèrent sous
son action.
Les lapins et les cobayes auxquels on a donné du sérum anti-
diphtérique résistent à des doses énormes de toxine mises sous
la peau, mais ils périssent si on leur en introduit un peu dans le
cerveau. La maladie est alors exclusivement nerveuse; elle dure
plus longtemps, et à l’autopsie on ne trouve ni congestion des
capsules surrénales, ni exsudat pleural. Tous les organes étaient
protégés par l’antitoxine, excepté la cellule nerveuse.
À maintes reprises, nous avons donc produit le tétanos et la
diphtérie cérébrale sur des lapins qui avaient reçu jusqu'à
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 233
40 c. c. de sérum antitoxique, 48 et 96 heures auparavant,
c'est-à-dire après que l’antitoxine avait eu le temps dese répandre
partout. Même dans ces conditions, elle ne protégeait pas les
cellules nerveuses. Celles-ci n’ont pas pour l’antitoxine la
mème affinité que pour la toxine. Aussi l’antitoxine tétanique
injectée aux animaux reste-t-elle dans le sang, tandis que la
toxine en est extraite et fixée par les éléments nerveux. Le
contre-poison n'arrive pas au contact du poison, et les deux
substances, pourtant si rapprochées, ne se rencontrent pas. Le
sérum est efficace contre la toxine mise sous la peau, puisque la
majeure partie de celle-ci passera par le sang, mais il est
impuissant contre le poison arrivé déjà aux éléments nerveux.
C’est pourquoi, dans le tétanos déclaré, il échoue si souvent.
Au moment où on l’emploie, une partie de la toxine est déjà
adhérente aux cellules nerveuses ; l’antitoxine neutralise bien
le poison qui circule encore, mais elle n’atteint pas celui qui est
fixé aux éléments de la moelle épinière. Elle limite l’empoison-
nement. Si celui-ci est trop avancé, la maladie suivra son cours,
car la toxine diffusera de cellule nerveuse à cellule nerveuse à
l’abri de l’antidote.
S'ilen est ainsi, ce n’est pas dans le sang des tétaniques
qu'il faut accumuler l’antitoxine pour les guérir, il faut la mettre
Ja même où progresse la toxine, et préserver les portions
vitales de la moelle avant qu’elles soient atteintes.
III
TRAITEMENT DU TÉTANOS DÉCLARE
C’est à l'expérience de prononcer.
A 20 cobayes de 400 à 450 grammes on injecte dans une
patte postérieure une dose de toxine tétanique mortelle en
70 heures environ.
18 heures après, tous les cobayes ont de la raideur de la
patte. A la 24° heure, ils sont tous tétaniques.
Les 5 plus gros sont conservés comme témoins.
Les 15 autres sont divisés en 3 lots.
Un cobaye du premier lotreçoit, 24 heures après l'injection
234 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de toxine, 1 c.c. de sérum sous la peau. Aux 4 autres on
donne, en pleine substance cérébrale, 4 gouttes du même sérum
dans chaque hémisphère, soit à peu près un quart de centi-
mètre cube.
On agit de même avec les cobayes du second et du troisième
lot, qui sont traités à la 28° et à la 32° heure.
Les résultats sont les suivants :
Les 5 cobayes témoins succombent de la 67° à la 74° heure.
Les 3 cobayes au sérum sous la peau meurent de la 64° à
la 72° heure.
Les douze cobayes, au sérum dans le cerveau, ont leur tétanos
arrêté. Les contractures restent limitées à une patte ou aux deux
pattes postérieures, suivant l'heure de l'intervention. Un mois
après, les cobayes sont bien portants, mais les contractures per-
sistent encore.
Sur 45 cobayes, traités à divers moments dans différentes
expériences, 35 ont survécu à lasuite del'injection intracérébrale.
Sur 17 autres cobayes qui ontreçu le sérum sous la peau à doses
beaucoup plus fortes ‘, 2 seulement sont restés vivants. 17 co-
bayes témoins, auxquels on n’a point donné de sérum, sont tous
morts.
On peut donc dire que quelques gouttes de sérum antitéta-
nique dans le cerveau guérissent mieux le tétanos que de
grandes quantités introduites dans le sang ou sous la peau. Il
ne suffit pas de donner de l’antitoxine, il faut la mettre au bon
endroit.
Les cobayes rendus tétaniques au moyen d'échardes peuvent
aussi être guéris, de mème que leslapins auxquels on a injecté
une dose mortelle de toxine dans les muscles.
L’antitoxine portée dans le cerveau protège la moelle supé-
rieure, alors que la moelle inférieure est déjà atteinte par le
poison, mais elle ue défait pas les lésions accomplies ; les con-
tractures établies au moment de l'intervention persistent long-
temps. Aussi, l’injection intra-cérébrale ne sauve pas tous les
animaux tétaniques; si l’empoisonnement des parties supérieures
de la moelle est fait, la mort ne sera pas évitée. Il y a un temps
après lequel l’antitoxine ne peut rien, quelle que soit la façon dont
1. Jusqu'à 10 c.c. et 20 c.c. dans certaines expériences.
e]
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 235
elle est employée. L’injection intra-cränienne augmente la pé-
riode d'intervention efficace.
Pius d’un lecteur pensera peut-être que le cerveau est un
organe délicat, que la dilacération causée par l'aiguille, que la
compression produite parle sérum injecté, sont capables d'amener
des accidents pires que ceux du tétanos lui-même. Il n'a qu’à
répéter l'expérience ; il se convaincra que, chez les cobayes
et les lapins, rien n’est plus facile et moins dangereux que
d’injecter dans le cerveau un liquide pur, tel quele sérum antité-
tanique. Les cobayes supportent aisément huit gouttes en
deux piqüres et les lapins 1/2 c. ce. Le liquide pénètre, sans
doute, dans les ventricules, et la compression détermine des
mouvements des pattes chez les cobayes et des mâchoires chez
les lapins. Tout rentre bientôt dans l’ordre, et quelques instants
après l'animal mange et se meut sans autre gène que celle de sa
patte tétanisée.
IL est bien entendu que nous ne proposons pas d’inonder
d'emblée de sérum le cerveau des hommes télaniques. Il faut
avant tout mulliplier les essais sur diverses espèces animales,
car il se pourrait que sur les chevaux et les moutons, par
exemple, le résultat fut différent de celui constaté chez les
cobayes. Un animal dont le tétanos serait bulbaire dès le début,
ne guérirait peut-être pas mieux par le sérum injecté dans le
cerveau que par le sérum injecté sous la peau !
Il n’est question ici que de la guérison des cobayes
tétaniques.
IN,
TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ ACTIVE
Les lapins et les cobayes qui ont l'immunité passive prennent
le tétanos cérébral quand on leur injecte la toxine dans le
cerveau; en est-il de même des animaux qui ont l'immunité
active?
La question est particulièrement intéressante, car beaucoup
de savants sont d'avis que l’antitoxine est élaborée par les
ARE D: L'injection du sérum dans le canal rachidien des lapins nous a donné,
jusqu'à présent, de moins bons résultats que l'injection intra-cérébrale,
236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
cellules sensibles à la toxine, et que chaque système qui est
impressionné par le poison répond en faisant un contre-poison.
L'un de nous a soutenu cette idée à diverses reprises dans son -
enseignement. L'immunité contre le tétanos, maladie surtout
nerveuse, nous apparaissait comme l’accoutumance des cellules
nerveuses à la toxine et la production de l’antitoxine était une
conséquence de celle-ci.
On sait quelle forme saisissante M. Ebrlich a donnée à cette
doctrine. Pour cesavant, il existerait, dans les cellules nerveuses,
comme un groupement central, avec des chaînes latérales
auxquelles la toxine, introduite dans ie corps, viendrait s’accro-
cher. Ces chaines latérales ainsi surchargées constituent l’anti-
toxine, qui se détache quand elle est surabondante et pénètre
dans la circulation.
Si la cellule nerveuse est la source de l’antitoxine, de toutes
les cellules du corps elle doit être la mieux protégée contre la
toxine.
L'injection intra-cérébrale nous fournit le moyen de voir s’il
en est ainsi.
M. Vaillard a bien voulu mettre à notre disposition deux
lapins immunisés à divers degrés contre le tétanos, et dont le
sérum était antitoxique'. Après avoir constaté que ces animaux
n’éprouvaient aucun effet de l'injection, sous la peau, de 8 c. c.
et même de 12 c. c. de toxine tétanique, mortelle à la dose de
2 c. c. pour un lapin neuf de même poids, nous leur en avons
introduit dans le cerveau 1/10 de c. c. en même temps qu’à
un lapin témoin.
Le lendemain, les lapins immunisés et le lapin neuf ont des
signes de tétanos cérébral. Les crises sont intenses et fréquentes
chez le témoin qui meurt dans la journée. Les lapins immunisés
présentent l'excitation, la démarche caractéristiques, et des accès
épileptiformes, répétés les premiers jours, plus rares ensuite.
Ils maigrissent, le moins immunisé meurt après 17 jours, et
l’autre après 20 jours. Ils se sont comportés comme des lapins
neufs qui n'auraient reçu qu’une faible quantité de toxine.
L'expérience est démonstrative, elle prouve que chez un
1. Une goutte de sang du moins immunisé de ces lapins neutralisait une dose
de toxine dix fois mortelle pour une souris. On n’a pas déterminé la limite pré-
cise du pouvoir antitoxique.
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 237
lapin immunisé capable de supporter sans malaise de la toxine
à doses massives sous la peau ou dans les veines, capable aussi
de fournir une antitoxine active, les cellules nerveuses sont
encore sensibles à la toxine.
Comment admettre que ce sont elles qui préparent l’anti-
toxine ?
Il semble plutôt que, pendant tout le cours de l’immunisa-
tion, elles n'aient jamais été en contact avec la toxine. L'immu-
nité dans le tétanos ne serait donc point l'accoutumance des
cellules nerveuses au poison tétanique.
On pourrait objecter que ce ne sont pas les cellules du cer-
veau qui prennent la toxine dans les conditions ordinaires,
mais celles de la moelle épinière, que chez l’animal immunisé
ces dernières seules sont accoutumées au poison et font l’an-
titoxine, et que s’il est possible de donner le tétanos cérébral
aux lapins réfractaires, il est impossible de leur donner le vrai
tétanos, le tétanos médullaire.
Pour répondre directement à cette objection, il faudrait
porter la toxine dans la moelle, mais il est difficile de le faire
chez les petits animaux sans amener des paralysies qui empêchent
d'observer les symptômes du tétanos. On ne peut explorer la
moelle comme le cerveau. Remarquons, cependant, avec
M. Metchnikoff, que l’antitoxine mise dans le cerveau d’un cobaye
tétanique se répand jusque dans la moelle et la protège;
pourquoi l’antitoxine, si elle existe en tel excès dans la moelle
de l'animal immunisé qu’elle passe dans le sang, ne diffuserait-
elle pas jusqu’au cerveau ?
Nous comptons multiplier ces essais sur les animaux rendus
réfractaires au télanos et à la diphtérie, et voir siles mèmes faits
se reproduisent chez ceux qui ont atteint le plus haut degré
d’immunisation.
W
TOXINES ET IMMUNITÉ NATURELLE
Certains animaux supportent des doses considérables de
toxines microbiennes sans y avoir été graduellement habitués.
Ainsi le rat ne souffre nullement d’une dose de poison diphthé-
238 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
rique qui tuerait plusieurs lapins. On en a conclu que les cellules
du rat sont naturellement insensibles à la toxine diphtérique.
Il est facile de vérifier si les cellules nerveuses du cerveau
sont dans ce cas. Injectons, dans la substance cérébrale d’un rat,
41/10 de c. c. de toxine diphtérique; cette dose, mise sous la peau
d’un autre rat, ne provoque même pas d’œdème local. Cependant,
celui qui l’a reçue dans le cerveau est bientôt atteint de paralysie
totale. Il reste inerte pendant deux ou trois jours et succombe.
Le cerveau du rat est donc sensible au poison diphtérique,
et si cet animal ne meurt pas, à la suite de l'injection de grandes
quantités de toxine dans le tissu sous-cutané, c’est que celle-ci
n'arrive pas à l’encéphale. Elle est arrêtée quelque part dans le
corps. L’immunité naturelle du rat vis-à-vis du poison diphté-
rique ne tient point à une résistance des cellules nerveuses, mais
à quelque autre propriété de l’organisme.
Le lapin passe pour être très réfractaire à l’action de
la morphine; une injection hypodermique de 30 centigrammes
d’un sel de cet alcaloïde est parfaitement supportée par un animal
de moins de 2kilogrammes. L'introduction d’un seul milligramme
de chlorhydrate de morphine dans le cerveau cause à un lapin
de même poids des accidents presque immédiats. Les membres
sont agités d’un tremblement, la marche est impossible; l'animal
reste stupéfié pendant 24 à 30 heures, puis il parait aller mieux,
mais il maigrit et meurt en # à 5 jours. |
Les cellules nerveuses du lapin ne sont donc pas insen-
sibles à la morphine. Lorsque ce rongeur résiste à l'injection
hypodermique d’une grande dose de cet alcaloïde, c'est que
celui-ci n'arrive pas jusqu'aux cellules cérébrales.
Les faits que nous venons de rapporter montrent que, dans
l’immunité acquise comme dans l’immunité naturelle vis-à-vis
de certains poisons du système nerveux, la résistance n’est pas
due à une accoutumance ou à une insensibilité des cellules ner-
veuses, du moins des cellules nerveuses du cerveau. Les toxines
introduites sous la peau et dans Le sang ne les atteignent pas,
malgré qu’elles aient pour elles une affinité manifeste. Ces
poisons sont sans doute retenus par d’autres cellules qui exercent
un rôle de protection et fabriquent probablement les antitoxines.
Quelles sont ces cellules? Peut-être les cellules phagocytaires
que l’on voit, en maintes circonstances, capables de détruire les
[|
IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 239
poisons contenus dans les corps microbiens ? Nous ne pouvons
l'affirmer, mais il nous semble que le problème de l'immunité
contre les microbes et celui de l'immunité contre les toxines
recevront des solutions semblables.
1, Voir, dans ce même numéro, Mercunixorr, Toxine tétanique et leucocytes.
LE MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE
Par MM. NOCARD ET ROUX
AVEC LA COLLABORATION DE MM. BorREL, SALIMBENIET DUJARDIN-BEAUMETZ.
La lésion essentielle de la péripneumonie contagieuse des
bètes bovines consiste dans la distension des mailles du tissu
conjonctif interlobulaire, par une grande quantité de sérosité
albumineuse, jaunâtre et limpide.
Cette sérosité est très virulente.
Inoculons-en une goutte dans le tissu cellulaire sous-cutané
d'une vache neuve : après une incubation qui n’est jamais infé-
rieure à huit jours, mais qui peut aller jusqu’à vingt-cinq jours
et plus, nous verrons apparaîlre un engorgement inflammatoire,
chaud, tendu, douloureux, dont les dimensions varieront beau-
coup, suivant le siège de l’inoculation et aussi suivant les sujets
inoculés.
S1 la sérosité virulente est déposée sous la peau du tronc, de
l’encolure, ou de la partie supérieure des membres, elle provo-
que, avec une fièvre intense, un engorgement considérable,
rapidement envabissant, souvent suivi de mort. A l’autopsie,
on trouve les mailles du tissu cellulaire distendues par une
quantité énorme de sérosité jaune, limpide, çà et là coagulée en
masses gélatineuses et tremblotantes; l’exsudation est parfois
si abondante qu’on peut recueillir plusieurs litres de sérosité
virulente. Si étendue qu'elle soit elle n’envahit jamais les
cloisons conjonctives du poumon ; on peut trouver un peu
d’exsudat séreux dans la cavité pleurale, mais jamais on n'observe
de lésions viscérales; la mort est donc bien le résultat d'une
intoxication.
Certains sujets résistent : après quelques jours, l’engorge-
ment, toujours chaud, tendu et douloureux, reste stationnaire,
puis s’aflaisse et disparait peu à peu sans laisser de traces; ces
animaux sont désormais réfractaires aux effets de l’inocu-
lation virulente comme à ceux de la contagion naturelle.
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 241
Cette évolution heureuse est la règle quand l’inoculation est
faite loin du tronc, à l'extrémité de la queue, par exemple, où la
densité des tissus et la température locale peu'élevée ne permet-
tent pas une active pullulation du virus. L’engorgement consé-
cutif à l’inoculation est toujours analogue à celuidécrit ci-dessus;
mais il reste peu étendu et il disparaît peu à peu, en laissant
l'animal réfractaire à la contagion naturelle ou expérimentale.
Parfois, cependant, l’exsudation est si abondante, elle exerce
sur le tégument une tension telle, qu'elle entraîne la mortifi-
cation et la chute d'un tronçon de queue plus ou moins long.
Parfois, enfin, mais rarement (une ou deux fois sur cent), l’en-
gorgement, au lieu de rester limité à l'extrémité de la queue,
monte rapidement le long de l'organe et envahit le tissu cellu-
laire de la croupe et du bassin ; la mort s'ensuit d’orainaire, et
les régions envahies se montrent, à l'autopsie, infiltrées d’une
quantité considérable de sérosité semblable à celle du poumon
dans la maladie naturelle.
La sérosité péripneumonique, si virulente pour les animaux de
l'espèce bovine, est sans action sur ceux des autres espèces. La
chèvre, le mouton, le chien, le porc, le lapin, le cobaye, les
oiseaux de basse-cour, supportent sans aucun dommage l’injec-
tion sous-cutanée ou intra péritonéale de doses massives de
sérosité virulente.
Ces faits ont été établis par Willems dès 1850 : ilen a déduit
les règles d’une prophylaxie efficace. Mais l’inoculation Wil-
lemsienne, qui a rendu de grands services, n’est pas sans incon-
vénients. Elle nécessite le dépôt d’une goutte de sérosité pulmo-
naire dans le tissu cellulaire de l'extrémité caudale de l’animal
qu'on veut immuniser. Or, cette sérosité pulmonaire s’altère
avec une extrème facilité; elle devient rapidement putride, et la
putréfaction détruit sa virulence. Il faut donc avoir un poumon
frais pour inoculer; ordinairement on sacrifie un animal péri-
pneumonique au moment de l'opération ; mais, parfois, l’animal
abattu n’a qu'une lésion ancienne, où l’exsudat séreux peut
avoir perdu sa virulence, quand il ne fait pas entièrement défaut ;
parfois, aussi, surtout quand il s’agit de faire des inoculations
vraiment préventives, on n’a pas de vache péripneumonique à faire
abattre.
Un réel progrès a été réalisé le jour où M. Pasteur nous a
13
242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
appris à recueillir purement la sérosité qui distend les cloisons
conjonctives du poumon péripneumonique, et surtout à produire
de grandes quantités de sérosité virulente, en inoculant au veau,
en région défendue, une goutte de sérosité pulmonaire. Dès
lors, il fut possible de faire des provisions de virus et d'en
expédier au loin, à mesure des besoins.
Pourtant, le problème n’était pas entièrement résolu : la
sérosité péripneumonique, mème recueillie purement, perd assez
vite sa virulence; après un mois, six semaines au plus, l’inocu-
lation reste ordinairement sans effets. Pour être sûr de pouvoir
salisfaire à tous les besoins, il faut donc créer des centres de
production de virus où, chaque mois au moins, on inocule de
nouveaux sujets. C’est ce qui a été réalisé à grands frais dans un
petit nombre de pays!.
La détermination de l'agent spécifique du virus péripneumo-
nique, son isolement et sa culture constitueraient done un
progrès considérable. Malheureusement tous ceux qui se sont
attelés à cette étude — et ils sont légion ! — y ont échoué.
Nous avons, pour notre part, fait de nombreuses tentatives,
et depuis bien longtemps! Elles sont toutes restées infruc-
tueuses. — Quand elle a été recueillie purement, dans les sacs
lymphatiques périlobulaires ou sous-pleuraux, la sérosité péri-
pneumonique la plus virulente peut être ensemencée dans tous
les milieux usuels, à l'air ou dans le vide, sans jamais donner
aucune culture. De même on ne réussit pas à y colorer, par les
procédés connus, aucun élément microbien.
Nous avions donc renoncé à toute tentative de culture quand
parut le Mémoire de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni * sur
la toxine et l’antitoxine cholérique. Les résultats que leur
avait donnés l’emploi des cultures in vivo, à l’aide de sacs en
collodion, nous rendit l'espoir du succès.
Nous rappellerons, en quelques mots, les principes et la
technique de cette ingénieuse méthode de culture.
On prépare de petits sacs de collodion à paroi très mince :
après les avoir stérilisés à l’autoclave, on y introduit quelques
centimètres cubes de bouillon, ensemencé au préalable avec
une trace du liquide virulent à étudier ; on les ferme exactement ;
4. M. Loir a établi un pareil service en Australie.
2. Annales de l'Institut Pasteur 1896, page 257.
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 243
puis on les introduit dans le péritoine d’un animal neuf, cobaye,
lapin, chien, mouton, vache, etc... On apprend vite à exécuter
purement toutes ces manipulations, et, pas un instant, l’ani-
mal ne paraît souffrir, soit de l’opération, soit de la présence
des sacs dans la cavité péritonéale.
Après un temps variable depuis quelques jours jusqu’à plu-
sieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie
l'animal ; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité périto-
néale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine et
de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisément.
Quand l'animal d'expérience et le liquide de culture ont été
convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants
dont, pourtant, l'interprétation est aisée.
La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux
microbes comme aux cellules; les microbes ne peuvent sortir
du sac, mais ils peuvent s'y multiplier en toute sécurité, car,
les cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l'abri de la phago-
cylose. D'autre part, cetle paroi impénétrable aux microbes et
aux cellules est perméable aux liquides comme aux substances
dissoutes; elle forme une membrane osmotique; à son niveau
s'établissent des échanges qui modifient profondément la
composilion primitive du liquide emprisonné; des substances
élaborées par le microbe peuvent diffuser au dehors et, quand
elles sont suffisamment actives ou l’animal suffisamment sen-
sible, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des accidents
d'intoxication plus ou moins graves, sans qu’un seul microbe
ait envahi les tissus. En tout cas, les conditions réalisées dans
le sac sont favorables à la culture, l’auto-intoxicalion microbienne
se trouvant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits
venus de l'organisme du sujet pénètrent dans le sac, qui peuvent
être utiles au microbe; — c’est le cas le plus fréquent ; aussi,
quand on ouvre le sac, y trouve-t-on d'ordinaire une culture
d’une richesse invraisemblable.
« Ce procédé, disent les auteurs, est très commode pour
conserver les microbes fragiles et 1l réussit avec beaucoup
d'espèces. »
Peut-être réussirait-il avec le virus péripneumonique? L’évé-
nement confirma nos prévisions.
Des sacs de collodion, remplis de bouillon ensemencé, au
244 ANNALES DE L’INSTIIUT PASTEUR.
préalable, avec une trace de sérosité péripneumonique, fermés
avec soin et insérés dans la cavité péritonéale de lapins, con-
tiennent, après 15 à 20 jours, un liquide opalin, un peu louche,
légèrement albumineux., Ce liquide ne renferme ni cellules, ni
bactéries cultivables sur les milieux usuels. En revanche, l’exa-
men microscopique y montre, à très fortgrossissement (environ
2,000 diamètres) et à un puissant éclairage, une infinité de
petits points réfringents et mobiles, d’une si grande ténuité
qu'il est difficile, même après coloration, d’en déterminer exac-
tement la forme. Si on a eu le soin d'insérer dans le péritoine
du même lapin un deuxième sac de collodion renfermant du
bouillon, identique, mais non ensemencé, on peut s'assurer que les
modifications éprouvées par le liquide du premier sac ne sont
pas dues purement et simplement aux échanges osmotiques qui
se sont opérés au niveau de la paroi; on constate, en eflet, que
le liquide du sac témoin a conservé sa transparence et sa limpi-
dité primitives.
En réalité, les points mobiles et réfringents du liquide ense-
mencé, si nombreux qu'en dépit de leur extrême finesse ils ont
rendu ce liquide opalescent, sont des êtres vivants qui ont pullulé
à la faveur des moditicalions subies par le liquide de culture et
grâce à l'obstacle opposé par la paroi de collodion à l'action
phagocytaire.
Ce qui le prouve, c’est que si l’on insère dans le péritoine
d’un deuxième lapin deux sacs de collodion, ensemencés, le
premier avec une trace du liquide opalin ainsi obtenu, le
deuxième avec plusieurs gouttes du même liquide, préalablement
chauffé, celui-ci se comporte identiquement comme le sac témoin
de tout à l'heure; son contenu reste limpide et transparent,
tandis que l’autre présente bientôt l'opalescence et les innom-
brables points réfringents décrits plus haut : le chauffage avait
tué les germes ensemencés.
Avec le liquide opalin de cette deuxième culture, on peut
ensemencer de nouveaux sacs qu’on insère dans le péritoine d’un
troisième lapin, et ainsi successivement; on obtient toujours des
résultats identiques. Mais il est prudent de faire plusieurs sacs
pour chaque passage, la rupture du sac se produisant assez fré-
quemment’.
4. Le sac de collodion peut être remplacé, et souvent avec avantage, par un
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 245
Le plus souvent les lapins sont très amaigris au moment où
on les sacrifie; parfois même ils succombent avant le jour fixé
pour l’autopsie; ils sont alors dans un état de cachexie profonde ;
ils n'ont plus que la peau et les os; l’autopsie ne révèle pourtant
aucune lésion organique appréciable; le sang et la pulpe des
parenchymes, ensemencés dans des milieux variés, même en
sacs de collodion, ne donnent pas de culture; il s’agit donc,
selon toutes probabilités, d'une intoxication due à la diffusion,
en dehors du sac, de produits élaborés par le microbe; on ne
peut en tout cas les attribuer à des troubles digestifs (ou autres)
qu'aurait provoqués la présence du sac, corps étranger : quand
le bouillon n'a pas été ensemencé, les lapins peuvent recevoir
plusieurs sacs et les conserver plusieurs mois, sans présenter
le moindre malaise, sans perdre un gramme de leur poids.
Il nous a paru d'ailleurs que ces accidents étaient d'autant
plus accusés et la cachexie d'autant plus profonde que les sacs
introduits après ensemencement étaient plus nombreux, d’une
capacité plus grande ou que la culture effectuée était plus riche. —
Voilà donc un nouvel exemple d’un animal très sensible aux
toxines d’un microbe contre lequel ilest pourtant tout à fait
réfractaire.
Nous avons essayé plusieurs fois d'obtenir des cultures en
sacs chez le cobaye; nous n’y avons jamais réussi : même après
six semaines de séjour dans le péritoine du cobaye, le liquide le
plus largement ensemencé est retrouvé aussi limpide qu’au
début.
Il s’agit donc bien d’un microbe spécial qui à pullulé en
cultures successives dans le milieu que les échanges osmo-
tiques ont créé, chez le lapin, à l’intérieur du sac de collodion
ou de roseau.
Ce microbe si particulier est-il bien l'agent de la virulence
péripneumonique ?
L’inoculation permet de répondre affirmativement.
On trouvera à la fin de ce travail l'observation détaillée de
cinq vaches bretonnes chez lesquelles l’inoculation d’une petite
segment plus ou moins long de la fine membrane tubulaire qui tapisse la cavité
centrale du roseau; M. Metchnikoff a montré que cette membrane estimpéné-
trable aux microbes et aux cellules; elle est au contraire très perméable aux liqui-
des et aux substances dissoutes; elle est aussi très résistante.
246 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
quantité de cullure en sacs a provoqué le développement d'un
engorgement péripneumonique absolument caractéristique.
L'une de ces vaches (n° 1) a succombé avec une infiltration .
œædémateuse formidable ; les quatre autres ont résisté. Deux de
celles-ci (n° 2 et 3), réinoculées en région défendue avec une
forte dose (1 ©. c.) de sérosité pulmonaire, n’ont manifesté
absolument aucun symptôme local ou général, tandis qu’une
vache neuve (n° 4) inoculée en mème temps qu'elles, à titre de
lémoin, avec 10 gouttes de la mème sérosité, succombait vingt-
deux jours après l’inoculation.
Une troisième vache (n° 5) réinoculée après quatre mois
avec! c.c. de sérosité pulmonaire provenant &’une lésion suraiguë,
n’a présenté ni fièvre, ni lésion locale.
La quatrième (n° 6) n’a pas encore été réinoculée.
Comme nous le disions plus haut, la culture extraite d’un
sac de collodion ou de roseau, après 15 à 20 jours de séjour dans
le péritoine d'un lapin, si riche qu’elle soit, ne donne aucune
culture quand on la réensemence in vitro, à l'air ou dans le vide,
dans l’un quelconque des milieux, liquides ou solides, ordinai-
rement usités en bactériologie. — On peut cependant obtenir
des cultures à peu près semblables à celles des sacs. Mais il faut,
pour cela, employer comme liquide de culture du bouillon stérile,
non ensemencé, qu’ona faitséjourner pendantquelques semaines,
à l’intérieur de sacs de collodion, dans le péritoine d'une vache
ou d’un lapin. Ce bouillon, quoique non ensemencé, se modilie,
lui aussi, à la faveur des échanges qui s’opèrent à travers la paroi
du sac; il devient légèrement albumineux; il acquiert surtout la
faculté de pouvoir servir à la culture, in vitro, du microbe
péripneumonique.
Une seule fois nous avons obtenu, par l’ensemencement de
quelques gouttes de sérosité péripneumonique dans du bouillon
peptonisé fraîchement préparé, une culture analogue à celle des
sacs. Tout au moins, le bouillon ensemencé présentait, après
72 heures de séjour à l’étuve, la très légère opalescence, et les
petits grains mobiles et réfringents qui caractérisent cette cul-
ture. Mais il ne nous fut pas possible de reproduire l’expérience,
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 247
ni même d'obtenir une seconde culture en partant de celle que
le hasard nous avait fournie.
Pourtant cette observation nous confirmait dans l’idée que
le virus péripneumonique peut être cullivé en dehors de l’orga-
nisme.
Il fallait donc trouver un milieu de culture favorable. Nous
y sommes parvenus après de longues recherches. Le liquide
qui nous a donné les meilleurs résultats est constitué par l’addi-
tion d’une petite quantité de sérum de lapin ou de vache à
la solution de peptone, préparée par M. Louis Martin pour
obtenir la toxine diphtérique‘. La proportion de sérum ne doit
pas dépasser 1/25 (4 gouttes environ pour 5 c. c. de solu-
tion). Une plus forte proportion de sérum donne au liquide
une opalescence qui empêche de reconnaître le début de la cul-
ture. On n'a pas de culture si l’on emploie une solution de
peptone de Witte ou de Chapoteaut; enfin la culture ne se fait
pas en présence de gaz inertes ou dans le vide.
Le bouillon Martin-sérum ne permet pas seulement d’en-
tretenir la culture mise en train par le passage en sacs de collo-
dion ou de roseau ; il peut aussi donner une culture d'emblée,
quand on l’ensemence avec une trace de sérosité naturelle.
La culture in vitro du microbe de la péripneumonie constitue
un gros progrès; on va pouvoir étudier sa toxine, essayer de
modifier sa virulence; elle présente déjà cet avantage de con-
server intacte la virulence péripneumonique, tandis qu’il nous a
semblé que les passages successifs par l'organisme du lapin
l’atténuent sensiblement. Mais le degré de réceptivité pour le
virus péripneumonique est si variable, même chez des individus
de même âge et de même race, que nous n'’osons pas être très
affirmatifs. Cette question de l’atténuation du virus ne pourra
être résolue que par un grand nombre d’expériences.
Quant au premier point (conservation de la virulence par les
cultures successives in vitro), il est nettement établi par l’obser-
sation des vaches n° 7 et n° 8 qu’on trouvera ci-après : l’un de
ces animaux, inoculé. le 26 février 1898 avec 10 gouttes d’une
6° culture, a succombé le 19 mars avec un engorgement œdé-
mateux énorme, en tout semblable à ceux que provoque l’ino-
culation de la sérosité pulmonaire la plus virulente; l'autre, in-
1. Annales de l'Institut Pasteur, 95 janvier 1898.
248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
jecté le 19 mars avec 1 c. c. d’une dixième culture, tombe malade
neuf jours après. La fièvre est prononcée et, au point d’inocu-
lation, il se forme un œdème en même temps que l’on constate
une zone de matité dans les poumons.
La découverte de l'agent de la virulence péripneumonique
n'offre pas seulement l'intérêt de la difficulté vaincue; sa portée
est plus haute. Elle donne l'espoir de réussir également dans
l'étude de tels autres virus dont le microbe est resté jusqu’à
présent inconnu.
Ce qui rendait si difficile la détermination de ce microbe, c’est,
d’une part, son extrême ténuité; c'est, d'autre part et surlout,
les conditions si étroites de sa culture en milieu artificiel.
Or, il est bien permis de concevoir l'existence de microbes
plus petits encore, lesquels, au lieu de rester en decà des limites
de la visibilité, comme c'est le cas pour celui-ci, seraient au delà
de ces limites; en d’autres termes, on peut admettre qu’il existe
des microbes invisibles pour les yeux de l’homme.
Eh bien ! même pour ces microbes, l'étude reste possible, à
la condition de trouver un milieu qui soit favorable à leur cul-
ture. Il faudra même, dans ces tentatives de culture, ne pas
s’en tenir, pour juger de l'échec ou de la réussite, aux modifi-
cations survenues dans l’aspect ou dans la transparence du
milieu. La culture du microbe de la péripneumonie est abon-
dante; pourtant, elle ne provoque qu’un très léger louche, une
opalescence à peine sensible du liquide; on est souvent obligé,
pour se convaincre de la réalité de la culture, d'examiner cora-
parativement, à côté d’elle, un tube de même bouillon non
ensemencé. On peut donc admettre la possibilité d’une culture
microbienne ne modifiant pas d’une facon appréciable l'aspect
et la limpidité du milieu. Dès lors, dans l'hypothèse où ce
même microbe serait de ceux qui sont au delà des limites de la
visibilité, le seul critérium de sa présence et de sa multiplica-
tion dans la culture serait l’inoculation.
Déjà, peut-être, certains expérimentateurs ont-ils obtenu de
telles cultures ; mais ils les auront méconnues parce que, le
4
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 249
liquide ayant conservé sa limpidité, ils auront jugé inutile de
l’inoculer.
Dans cet ordre d’idées, la culture in vivo, à la faveur des sacs
de collodion ou de roseau, nous rendra sans doute encore des
services.
CONCLUSIONS
L'agent de la virulence péripneumonique est constitué par
un microbe d’une extrème ténuité ; ses dimensions, très infé-
rieures à celles des plus petits microbes connus, ne permettent
pas, même après coloration, d'en déterminer exactement la
forme.
Ce microbe cultive aisément dans les sacs de collodion ou de
roseau insérés dans le péritoine du lapin;
Il ne donne pas de culture quand on l’ensemence /# vitro
dans les milieux ordinairement usités;
Au contraire, il cultive aisément, quand on l'ensemence dans
le bouillon-peptone de Martin, additionné de sérum de vache ou
de lapin, dans la proportion d’une partie de sérum pour vingt
parties de bouillon.
APPENDICE
Première expérience.
Le 16 mai 1896, à 8 heures du matin, on sacrifie une vache
flamande, atteinte de péripneumonie aiguë; cette vache a été
envoyée le 14 mai, au service de police sanitaire de l’École
d'Alfort, par M. Redon, vétérinaire délégué du 2° secteur, comme
sujet d’études.
À l’autopsie, hépatisation suraiguë de presque tout le poumon
droit; la lésion n’a épargné que le lobe antérieur et le bord
supérieur de l'organe. Pas d'épanchement dans le sac pleural.
Pleurésie sèche sur toute la partie hépatisée.
Une quantité énorme de sérosité jaunâtre et limpide distend
les sacs lymphatiques périlobulaires et sous-pleuraux. En cer-
tains points, la plèvre est soulevée par de véritables lacs de
sérosité; on en recueille purement, sans la moindre difficulté,
plus de 20 c. c., répartis en 50 tubes effilés flambés.
250 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le 2 juin 1896, on prépare deux sacs de collodion qu'on rem-
plit de bouillon-peptone ensemencé avec une trace de sérosilé
recueillie le 16 mai (une gouttelette pour 40 c. c. de bouillon).
La sérosité de la pipelte qui a servi à cette opéralion, ensemencée
sur gélose et sur bouillon et mise à l’étuve, n'a donné aucune
culture. Les deux sacs de collodion, fermés exactement, sont
insérés daus le péritoine de deux lapins.
Ces lapins sont sacrifiés le 27 juin; ils sont maigres, mais
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No 4. — Génisse Bretonne, 10 mois, inoculée le 29 juin 1896 avec 5 gouttes de culture
péripneumonique en sac de collodion.
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encore vigoureux. Les sacs de collodion sont intacts; ils renfer-
ment un liquide opalin, un peu louche, légèrement albumineux,
où fourmillent une infinité de petits points réfringents, mobiles,
si petits qu'on ne peut les distinguer qu’à un très fort grossis-
sement (environ 2,000 diamètres), sans pouvoir en déterminer
la forme.
Le 29 juin, à 8 heures du matin, j'inocule une génisse bre-
tonne âgée de 10 mois (vache n° 1), par injection sous-cutanée
en arrière de l'épaule gauche, avec cinq gouttes du liquide opalin
extrait le 27 d'un sac de collodion. Ces cinq gouttes de
culture ont été diluées au préalable dans 2 c. c. de bouillon
stérilisé.
Jusqu'au 7 juillet on n'observe rien d'anormal sur la génisse
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 251
inoculée ; elle conserve sa gaieté et son appétit; sa température
oscille autour de 38°5 comme avant l'injection.
Le 8 juillet, la température est de 39°1 le matin, 39°7 le soir;
à compler de cette date, elle s'élève lentement et graduellement
pour atteindre, le 19 juillet, 4193.
Le 7 juillet, on notait déjà un petit engorgement au niveau
de l'injection; sur une surface large comme la paume de la main,
la peau est soulevée ; elle a perdu de sa souplesse; elle est un
peu chaude et sensible. Ces caractères s’accentuent rapidement;
la tuméfaction s'accroît dans tous les sens; dès le 10 juillet, elle
a plus de 25 centimètres de diamètre : elle est dure, tendue,
très douloureuse; l'animal se défend de la corne et du pied contre
les attouchements. Un bourrelet saillant marque son contour.
L’engorgement s'accroît rapidement en avant, en arrière et
en bas; il gagne sous l'épaule qu'il écarte du tronc et qu'il
immobilise presque entièrement; il s'étend sous le ventre jus-
qu'à la mameile; enfin, dès le 16 juillet, il forme au fanon une
tumeur œdémateuse, chaude, tendue et douloureuse, du volume
de la tèle. Peu à peu le bras et l’avant-bras s’engorgent, et la
légère pression provoque une vive douleur dont la génisse
témoigne par une plainte sourde et prolongée.
L'appélit, qui s'était maintenu jusque vers le 12 juillet,
diminue peu à peu; à compter du 18 juillet, la bête refuse tout
aliment.
Le 19 juillet, la bête est couchée sur la table d'opérations;
après cautérisation profonde de la peau, on recueille purement,
à l’aide de tubes eflilés flambés, une grande quantité de sérosité
limpide, légèrement ambrée ; la pression est telle qu’il n’est pas
besoin d'aspirer; le liquide jaillit dans la pipette jusqu’au tam-
pon de ouate; après l’opération, un filet de sérosité s’écoule par
chaque piqûre, imprègue la litière et forme bientôt un véri-
table ruisseau.
Les jours suivants, l'animal reste étendu sur la litière, inca-
pable de serelever ou même de se tenir debout; il meurt dans la
nuit du 23 au 24 juillet.
A l’autopsie, on constate l'existence d’une infiltration ædé-
mateuse énorme, occupant toute la face droite et toute la partie
inférieure du corps, depuis la région de l’auge jusqu'aux ma-
melles.
252 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Au fanon, elle forme une masse plus grosse que la tête dela
génisse; le membre antérieur droit est soulevé, écarté du tronc
et infiltré dans toute sa hauteur; le bras et l’avant-bras sont
doublés d'épaisseur, en dépit de la résistance opposée par les
aponévroses; le tissu cellulaire est envahi jusqu’au voisinage de
l'os. Chaque coup de scalpel fait jaillir des flots de sérosité.
Le tissu conjonctif est comme gélatineux; ses mailles sont
distendues par une masse de sérosité limpide, un peu ambrée.
Au niveau de l'épaule et du bras, l'infillration conjonctive a
envahi jusqu'au tissu interfasciculaire, en sorte que, sur la
coupe, le muscle présente un aspect cloisonué, comme scléreux ;
seulement, les cloisons conjonctives, au lieu d’être fibreuses,
sont œdémateuses ; entre elles, le tissu propre du musele a une
teinte pâle, lavée, et sa consistance est friable.
Cet aspect se retrouve identique dans les intercostaux; l’in-
filtration séreuse s'est propagée jusqu'au tissu conjonctif sous-
pleural qui forme comme un matelas épais et fluctuant. On le
retrouve également, mais moins intense, dans le tissu cellulaire
du médiastin antérieur. Le sac pleural renferme également
_ deux litres de sérosité jaune, un peu roussâtre.
Enfin, les deux lobes pulmonaires sont sains; il n'y a pas
trace d'infiltration interstitielle ou sous-pleurale.
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On pourrait croire que le résultat de celte expérience tient à
ce que l’on a inoculé une simple dilution du virus; ce n’est pas
soutenable. Le bouillon primitif a été ensemencé avec une goutte
de sérosité sous-pleurale, soit 1/20 de ec. c. pour 10 ce. c. de
bouillon; la dilution était donc à 1/200.
On a inoculé cinq goultes du liquide du sac dilué au 4/200,
soit un c.c. d’une dilution au 1/800; l'inoculation a été
faite quarante jours après la récolte du virus, c'est-à-dire
à une époque où d'ordinaire cette sérosité a perdu sa virulence :
notons, en outre, que pendant vingt Jours la sérosité diluée à
1/200 a supporté une température voisine de + 40° (dans le péri-
toine du lapin), conditions éminemment défavorables à la con-
servation de la virulence ; rappelons, enfin, que l’incubation a
été très courte et la marche de l'infection très rapide, et nous
conclurons que les résultats observés sont bien dus au microbe
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 253
cultivé et non à une simple dilution du virus péripneumonique.
Au surplus, les expériences ci-après lèvent tous les doutes à
cet égard.
Deuxième série d'expériences.
Le 19 juillet, on recueille purement une grande quantité de
la sérosité qui distend le tissu conjonctif de la région costale
gauche de la génisse dont il vient d’être question.
Le 1% août, trois sacs de collodion recoivent: l’un, du
bouillon neuf non ensemencé (servira de témoin); le deuxième,
du même bouillon auquel on a ajouté 1/10° de la sérosité recueillie
le 49 juillet ; le dernier, une dilution au 1/1000 de la même
sérosité. Les deux tubes de bouillon ensemencé, qui ont servi à
remplir les sacs, mis à l’étuve, restent stériles. Les deux premiers
sacs de collodion sontinsérés dans le péritoine d’un lapin (b. 116);
le troisième dans le péritoine d’un autre lapin (c. 135).
Les deux lapins sont sacrifiés le 17 août. Les deux sacs du
lapin b. 116 sont intacts; le sac {moin ( bouillon non ensementcé)
est absolument limpide; l’autre est fortement louche; le liquide
fourmille des petits points réfringents et mobiles déjà vus pré-
cédemment. Le sac du lapin c. 135 renferme un liquide opalin,
moins louche que le précédent ; il renferme également un grand
nombre de microbes.
Avec la culture du lapin b. 116, on refait deux dilutions qu'on
met en sacs de collodion : l’un des sacs (dilution au 1/100)
est mis dans le péritoine d’un lapin (i. #1); l’autre (dilution au
1/1000) est déposé dans le péritoine du lapin (4. TJ).
Ces deux lapins sont sacrifiés le 1° septembre ; le contenu
des deux sacs est louche et plein des points réfringents décrits
plus haut. Le 2 septembre, le liquide du sac du lapin i. 79 est
inoculé à une vache bretonne neuve (vache n° 2); l’autre sert à
faire deux nouveaux sacs insérés dans le péritoine de deux lapins :
n° 48 (dilution au 1/200) et n° 92 ( dilution au 1/500).
Le lapin n° 92 meurt le 9 septembre, cachectique, sans lésions
viscérales apparentes; le sac est intact, le liquide louche ne ren-
ferme rien autre chose que les points réfringents habituels. On
en fait une dilution au 1/60 qu'on insère (en deux sacs) dans le
péritoine du lapin n° A. 357. — Disons tout de suite qu’à l’au-
954 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
topsie de ce lapin, les deux sacs ont été trouvés rompus et que
celte série de passages a élé ainsi interrompue.
Le lapin n° 48 est sacrifié le 18 septembre, il est très maigre;
le sac, intact, renferme un liquide très louche, plein des points
réfringents habituels; on en fait deux nouveaux sacs (dilution
au 1/200) insérés dans le péritoine des lapins B. 833 et B. 831.
Le reste de la dilution, mis à l’étuve, reste stérile.
Le lapin B. 833 meurt le 29 septembre au matin, sans cause
apparente, cachertique ; son sac est intact: le liquide, très opa-
lin, renferme uniquement les petits grains réfringents habituels ;
on le conserve en tubes scellés jusqu’à l'autopsie du lapin B.831.
Celui-ci est sacrilié le 6 octobre. Il est très maigre, mais
encore vigoureux. Le sac intact renferme très peu d’un liquide
très trouble : à côté des petits points réfringents habituels, on
trouve, en assez grand nombre, des coccobacilles analogues à
celui du choléra des poules, mais plus petits; il n’y a point de
cellules blanches ; il s’agit vraisemblablement d’une impureté in-
troduite au moment où l’on à rempli et fermé le sac de collodion.
Le 8 octobre, on injecte 1 centimètre cube de la culture du
lapin B. 833, sous la peau, en arrière de l'épaule d’ane vache
brelonne (vache n° 3).
Voici l'observation résumée des deux vaches inoculées aux
cours de celte série d'expériences :
Vache n° 2 (a reçu, le 2 septembre, 1 centimètre cube d’une
deuxième culture en sac, représentant une dilution à 1/10,000
de la sérosité recueillie sur la génisse n° 2, le 19 juillet 1896).
Jusqu'au 15 septembre, cette vache ne présente rien d’anor-
mal ; le16, on note au point d’inoculation une tuméfaction dure
el sensible, du volume d’une mandarine; température encore
normale.
Le 17, la tuméfaction s’est élargie : elle est tendue, chaude
et très douloureuse.
Le 18, elle mesure plus de 20 centimètres de diamètre; la
température s'élève à 3903.
Le 20, l'engorgement, très tendu, a gagné l'épaule dont
elle gêne le fonctionnement ; latempérature est à 40°2; l'animal
est triste et laisse une partie de sa ration; on fait des injections
d’eau iodée dans le bourrelet œdémateux qui marque le contour
de la tumeur.
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 255
Jusqu'au 23, l’état reste le même, loujours inquiétant; on
continue les injections iodées. À compter du 24, la tumeur
s’affaisse, la température tombe, l’animal reprend son appétit et
sa gaieté. Le 27, tout est rentré dans l’ordre.
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No 2, — Vache Bretonne, 6 ans. inoculée le ? septembre 1896, avec 10 gouttes de culture
en sac du lapin à. 79 (Dilution au 110.000).
Vache n° 3 (a reçu, le 8 octobre, 1 ce. c. d'une 5° culture en
sac, représentant une dilution à 1/40,000,000 de la sérosité
recueillie le 19 juillet).
Cette vache n’a rien présenté d’anormal jusqu'au 21 octobre.
Le 22, on observe, au point d'inoculation, une tuméfaction dure
et sensible, du volume d’une noix : le 23, la nodosité est envi-
ronnée d’un œdème mou, assez étendu; la température est à
392; le 24, tuméfaction large comme la paume de la main,
tendue, chaude et douloureuse; le 26, l’engorgement, toujours
très sensible, s’est encore étendu en surface; température
3906; les jours suivants, l’élat reste stationnaire, puis tout
s'affaisse, se résorbe, la température revient à la normale; le 31,
tout avait disparu.
*
# *
Si les accidents observés sur les vaches n° 2 et 3, consécuti-
vement à l’inoculation des cultures en sacs de collodion, étaient
bien de nature péripneumonique, ces vaches devaient avoir
[Re
)6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l’immunité contre la maladie naturelle et contre l’inoculation de
la sérosité virulente. Il fallait s'en assurer. L'expérience ci-après
confirma ces prévisions : -
Le 11 décembre 1896, M. Dervaux, d'Armentières, envoie à
l’École d'Alfort les deux poumons d’un bovidé péripneumonique;
le lobe droit a sa moitié postérieure envahie par une hépatisation
récente ; le tissu est gorgé de sérosité jaunâtre et limpide; on en
recueille purement quelques centimètres cubes qui servent à
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No 3. — Vache bretonne, 5 ans, inoculée le 8 octobre 1896, avec un centimètre cube de
culture en sac du lapin B. 833 (Dilution à 140,000,000.
inoculer, par injection sous la peau, en arrière de l'épaule, les
vaches n° 2 et 3 (dont chacune recoit vingt gouttes de sérosité)
et la vache n° 4 (normande, dix-huit mois, actinomycose de la
mâchoire), laquelle servira de témoin et reçoit seulement dix
gouttes de sérosité.
Tandis que les vaches n° 2 et 3 ont supporté l'injection sans
rien présenter d'anormal, ni engorgement ni fièvre même passa-
gère, la vache témoin succombait le 22° jour avec un engorge-
ment considérable renfermant plus de dix litres de sérosité.
— L'incubation n'avait été que de huit jours; c'est le 18 dé-
cembre que la fièvre s’allumait et qu'apparaissait la tumeur
œdémateuse au point d’inoculation. — Ci-joint le tracé relatif à
la vache n° 4.
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 257
Troisième série d'expériences.
Le 9 mars 1897, M. Borrel recueille purement de la sérosité
sous-pleurale, fournie par une vache abattue à Grenelle et mise
à sa disposition par M. Martel.
Le 12 mars, on prépare deux sacs de collodion qu’on emplit
avec une dilution de sérosité dans du bouillon-peptone, dilution
faite au 1/1000. Un des sacs est mis dans le péritoine d’un
lapin, l'autre dans le péritoine d’un cobaye.
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No 4. — Vache normande, 18 mois (actinomycose), inoculée le 11 décembre 1896 avec
10 gouttes sérosité pulmonaire.
Le 4 avril, on sacrilie les deux animaux : le sac du cobaye
est plein d'un liquide transparent, limpide; — le lapin, très
amaigri, donne un sac un peu flasque, renfermant un liquide
opalescent où fourmillent les petits grains réfringents habituels.
— Avec la culture du lapin, on ensemence du bouillon dont on
fait une dilution au 1/100 et une autre au 1/1000; on en
emplit deux sacs qu’on insère dans le péritoine de deux nouveaux
lapins.
Le 28 avril, les deux lapins sont sacrifiés; la culture s’est
faile dans les deux sacs, identique aux précédentes et très riche.
Le 29 avril, on injecte dix gouttes de la dilution au mil-
lième, sous la peau, en arrière de l'épaule gauche, à une vache
bretonne, âgée de huit ans (vache n° 5).
258 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
En voici l'observation résumée :
Jusqu'au 24 mai, tout reste normal; pas de fièvre, pas de
lésion locale. : ERA
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Voir ci-contre le tracé de sa température. Réinoculée le
7 octobre 1897, avec 1 c. c. de sérosité péripneumonique recueil-
lie le 3 sur un poumon envahi par une lésion suraiguë, celle
vache n’a présenté ni fièvre nilésion locale au point d'inoculation,
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 259
Elle était donc bien vaccinée par sa tumeur du mois de mai.
Quatrième série d'expériences.
Le 19 janvier 1898,un poumon atteint de péripneumonie
aiguë, envoyé de la Villette, permet de recueillir purement,
dans les sacs lymphatiques sous-pleuraux, plusieurs pipettes de
sérosilé limpide. Après s'être assuré, par ensemencement
sur gélose et sur bouillon, que cette sérosité ne renferme
aucune bactérie banale, on prépare des sacs decollodion et de
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No 6. — Vache bretonne, 4 ans, pleine de 8 mois, inoculée le 11 février 1898 avec 9 gouttes
culture en sac de roseau.
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moelle de roseau que l’on emplit d’une dilution au 1/200. Le
29 janvier, ces sacs sont insérés dans le périloine de deux lapins
et de deux cobayes. Chaque sujet reçoit un sac de collodion etun
sac de roseau.
Les quatre animaux sont sacrifiés le 10 février.
Les sacs des cobayes n’ont donné aucune culture; ils renfer-
ment un liquide limpide et transparent.
Au contraire, les sacs des lapins ont tous cultivé; le liquide
qu'ils renferment est louche, opalin, plein des petits grains
mobiles et réfringents accoutumés. La culture, peu abondante
dans les sacs de collodion, est d’une grande richesse dans les
sacs de sureau; le liquide est lactescent.
260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le 11 février, à 9 heures du matin, on inocule sous la peau,
en arrière de l'épaule gauche, à une vache bretonne (vache n°6),
ägée de # ans, pleine de huit mois, cinq gouttes de la culture en
sac de roseau, diluées dans 2 c. ec. cubes de bouillon sté-
rilisé.
Jusqu'au 22, rien d’anormal; ce jour-là, on constate au point
d'inoculation un peu de sensibilité à la pression, rien de plus:
la température est à 38°,5. Le 23, œdème un peu chaud et sen-
sible, large comme la paume de la main. La température s'élève
au-dessus de 39°. Le 25, il existe une tuméfaction dure, tendue,
chaude, très douloureuse, ayant les dimensions d’une assielte ;
les jours suivants, la tuméfaction s'étend sous l'épaule dont elle
gène les mouvements ; l’animal se défend de la corne et du pied
quand on y porte la main; la tumeur reste stationnaire jusqu’au
2 märs, puis elle s’affaisse peu à peu, lentementet graduellement,
pour disparaître entièrement le 10 mars. La température, qui
s'était élevée jusqu'à 39,8, retombe à la normale à compter du
3 mars. Le # mars a lieu la mise bas; elle se fait rapidement,
sous nos yeux, sans efforts; la délivrance est presque immédiate.
Depuis cette époque, la vache n’a pas éprouvé le plus petit
malaise.
Le 10 février, on avait ensemencé plusieurs tubes de bouillon-
peptone, sérum, avec une trace de la culture en sac de roseau ;
seul, le bouillon Martin, additionné d’un peu de sérum de bœuf
ou de lapin, cultiva, le liquide prenant peu à peu l’aspect opa-
lescent du liquide des sacs; on continua !es cultures successives
et, Le 26 février, on put inoculer à une vache bretonne (n° 7),
3 ans, fraiche vêlée, dix gouttes d’une cinquième culture in vitro.
L'inoculation fut faite en arrière de l’épaule droite.
En voici l'observation résumée :
Le vêlage et la délivrance ont eu lieu le 23 février ; les suites
ont été assez régulières; cependant, pendant plusieurs jours, la
vache a rendu d'assez grandes quantités de matières sanguino-
lentes grisâtres, légèrement purulentes; puis tout est rentré dans
l'ordre. Le veau, séparé de la mère, a été nourri au seau; la
vache donnait de quatre à cinq litres de lait à chaque traite.
Rien à noter au point d'inoculation jusqu'au 8 mars; ce
jour-là apparaît une tuméfaction de la largeur de la main,
dure et sensible ; la tumeur gagne rapidement les jours suivants,
e
MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 261
augmentant de tension et de sensibilité; elle s’insinue sous
l'épaule qu'elle écarte du tronc et dontelle gène les mouvements.
Dès le 11, la température s'élève au-dessus de 40, et elle reste
à ce niveau jusqu'à la mort, atteignant, le 13 mars, 4007. En
mème temps que l’engorgement progresse dans tous les sens,
— gagnant le fanon où il forme une tumeur œdémateuse, molle
et tremblotante, du volume de la tête d’un enfant, s'étendant le
ong de la ligne blanche jusqu'aux mamelles, formant sous le
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No 7. — Vache bretonne, 3 ans, vêlée le 23 février, inoculée le 25 février 1898
avec 10 gouttes d'une 5e culture in vitro.
ventre une tumeur œdémateuse de l’épaisseur du bras, — Ia
sécrétion lactée diminue considérablement, l'appétit est sup-
primé, la bête maigrit à vue d'œil; la rumination persiste, lente
et irrégulière.
Le 17 mars, l’'engorgement est énorme, l’appui ne se fait plus
le membre antérieur gauche, le bras et l’avant-bras sont
fortement ædématiés, tout mouvement est impossible.
Le 18 mars, l’animal est étendu sur la litière, absolument
incapable de se relever. Il succombe le 19 mars, vers 2 heures,
avec de l'hypothermie (37° 8).
Autopsie. — En dépouillant l'animal, on fait écouler une
quantité énorme de sérosité citrine et transparente.
Le tissu conjonctif sous-cutané est le siège d’une infiltration
262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
considérable qui atteint, en certains points, plus de 10 centi-
mètres d'épaisseur ; l’exsudation occupe toute la face inférieure
du corps, depuis l’encolure jusqu'aux mamelles; elle remonte le
long de la trachée dans la gouttière de la jugulaire, elle descend
dans l’avant-bras, en dehors comme en dedans de l’aponévrose,
disséquant les muscles jusqu’au-dessous du genou.
Il existe un peu de sérosité dans les cavités pleurales et péri-
cardique ; mais le poumon et tous les viscères sont absolument
sains.
Ci-joint la courbe de la température de la vache n° 7 depuis
le vêlage jusqu'à la mort.
Le 19 mars, on inocule à une vache bretonne, âgée de 3 ans
(n° 8), 1 c. c. d’une dixième culture (in vitro) du microbe de la
péripneumonie en bouillon Martin-sérum.
Le 28 mars, la température s'élève de 2°, une tumceur œdéma-
teuseapparaitaupointd'inoculationets’étendles jourssuivants, le
membre antérieur est écarté, la région chaude est douloureuse.
On constate une respiration accélérée et une matité dans la
partie supérieure du poumon droit. Le 6 avril, matité au niveau
de la 7° côte gauche région moyenne, et matité à la partie infé-
rieure du poumon droit. Dans ces points, le murmure respira-
toire est presque imperceptible. L'état général est grave. A partir
du 8 avril, l'œdème, qui avait envahi la face externe du bras et
l’aiselle, commence à diminuer. Le 15 avril, l’état général est
redevenu bon, et et la matité a disparu en partie. On constate
seulement de la crépitation à la partie inférieure des deux pou-
mons. La température se maintient au-dessus de 39°, mais la
maladie marche vers la guérison.
_ RECHERCHES
SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES
TROISIÈME MÉMOIRE
TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES
Par M. ÉLIE METCHNIKOFF
(Rapport communiqué au Congrès international d'hygiène à Madrid.)
Depuis la fondation de la section de microbiologie aux congrès
internationaux d'hygiène, la question de l’immunitéest restée à
l’ordre du jour. D'abord, c'était le problème de l’immunité vis-à-
vis des microbes qui occupait l'attention. Au Congrès de Londres,
toute une séance y a été consacrée et vous vous rappelez bien la
profonde divergence de vues des partisans des théories humo-
rales et de la théorie cellulaire de l’immunité. M. Buchner,
dont nous regrettons aujourd’hui si vivement l'absence, a exposé
alors, avec sa clarté habituelle, son opinion sur l’immunité dans
les maladies infectieuses. Cette immunité consistait, pour lui, en
une action bactéricide des humeurs, grâce à la présence des
alexines qui se trouveraient constamment dans le sang, en
quantité suffisante pour détruire les microbes‘.
Au Congrès de Budapest, M. Buchner * modilia sa théorie
en ce sens qu'il attribua aux leucocytes le rôle de producteurs
des alexines qui ne se trouveraient pas accumulées une fois pour
toutes dans les humeurs, mais seraient sécrétées par les leu-
cocytes au fur et à mesure de leurs besoins, pour défendre l'orga-
nisme contre les microbes.
Dans la dernière publication de M. Buchner*, les leucocytes
sécréteraient non plus des substances capables de détruire les
microbes dans les humeurs, mais seulement des substances qui
influenceraient, et ceci encore d’une façon passagère, le fonc-
1. Munchener, med. Woch., 1891, n°s 32 et 53.
2, Munchener, 1894, n°° 37 et 38.
3, Munchener, 1897, n° 47.
264 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
lionnement chimique des microbes. Après cet affaiblissement
moinentané, les agents pathogènes seraient englobés par les
phagocytes et subiraient dans leur intérieur l’action destruc-
tive des substances microbicides.
M. Buchner s’aperçoit lui-même que sa théorie modifiée se
rapproche de celle des phagocytes. L'école de M. Bouchard, qui
pendant si longtemps a fait opposition à cette dernière théorie,
se montre dans ces derniers temps beaucoup plus conciliante.
Par l'organe de M. Roger, cette école a déclaré au Congrès de
Moscou que : « sans l'intervention de la phagocytose, les mi-
crobes auraient fini par se développer comme ils le font dans les
sérums au dehors de l'organisme; et la maladie, pour avoir été
retardée dans ses débuts ou pour être atténuée dans ses mani-
festalions, aurait fini par éclater ».
Les derniers travaux, provenant du laboratoire de M. Denys,
à Louvain, accusent la même tendance, d’une façon encore plus
marquée. Il a paru lout récemment un mémoire de M. Mar-
chand* sur l’immunité vis-à-vis du streptocoque, dont l’auteur
se place entièrement sur le terrain de la théorie des phagocytes.
L'Institut pour les maladies infectieuses à Berlin conserve
son attitude plus que réservée vis-à-vis de cette théorie, sans
cependant l’attaquer d’une façon aussi générale qu’autrefois. Le
principal argument sur lequel se base cette école consiste dans
la destruction extracellulaire des microbes dans le péritoine des
animaux vaccinés, fait bien démontré par M. R. Pfeiffer. Voilà
pourquoi, dans les travaux nombreux exécutés à l'Institut de
Berlin, on étudie presque exclusivement Iles phénomènes de
l’immunité dans la cavité péritonéale, et cependant il faut bien
accepter que cette destruction en dehors des cellules ne s'opère
que dans le péritoine et seulement dans certaines conditions bien
déterminées. Dans le péritoine préparé par des inoculations
préventives, ainsi que dans les autres régions de l'organisme
(sous la peau, dans l'œil, etc.), la destruction des microbes
s'opère dans l’intérieur des phagocytes, en parfaite harmonie
avec la théorie cellulaire.
M. Bebring *, dans son exposé général de l'immunité, à
1. Etude sur l'immunité, Paris, 1897, p. 29.
2, Archives de médecine expérim., 1898, p. 253.
3. Art. Immunität dans la Æeal-Encyclopädie d'Eulenburg, 3° édit., 1897,
vol. XI.
e
TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 265
accordé une place marquée à la phagocytose dans l'immunité
contre les microbes. Seulement il insiste beaucoup sur ce fait
que, dans l’immunité vis-à-vis des toxines, ce sontd’autres facteurs
qui agissent, et que souvent la phagocytose ne peut s’opérer qu'à
la suite d’une action préalable des antitoxines".
Sans entrer dans les détails, nous pouvons donc conclure que
la réaction des phagocytes contre les microbes, comme défense
de l'organisme, est un fait généralement accepté. Ce résultat se
faisait- déjà bien sentir au Congrès de Budapest en 1894, où
l'opposition a été bien moins vive qu'aux Congrès précédents de
Londres et de Vienne.
Cependant la science ne pouvait pas se contenter d'établir
ce résultat, il lui fallait autant que possible approfondir l’étude
de l’immunité.
Parmi les facteurs dont le rôle, à côté de celui des phagocytes,
a dû surtout attirer l'attention des savants, il faut signaler avant
tout le pouvoir antitoxique de l’organisme, que nous a fait
connaître la grande découverte de M. Behring. Comme les
microbes sont nuisibles surtout par leurs poisons, les agents qui
détruisent ces toxines ont donc une importance capitale.
. Depuis mes recherches sur l'immunité des lapins contre Île
microbe de la pneumo-entérite des pores, j'ai attiré l'attention
sur l’analogie entre la réaction phagocytaire contre le microbe
vivaut el contre la toxine*.
Deux aunées plus tard, au Congrès de Budapest, je me suis
cru autorisé à formuler cette opinion” que les phagocytes
réagissent contre les toxines microbiennes et même contre
les poisons minéraux, comme l’arsenic.
Depuis cette époque, plusieurs membres de l’Institut Pasteur,
notamment M. Roux, ainsi que moi-même avec quelques-uns de
mes élèves, parmi lesquels je citerai MM. Chatenay, Marie et
Besredka, nous nous sommes occupés beaucoup de cette ques-
tion du sort des toxines dans l'organisme, etdu rôle des leucocytes
dans la défense contre les poisons.
Le fait que les microbes élaborent des poisons dans leur
corps, rapproché de cet autre fait que les phagocytes englobent
4. Deutsche med. Woch., 1898, No 5.
2. Annales de l’Inst. Past., 1892, p. 308.
3. Ann, de l'Inst. Past., 189%, pp. 719, 721.
266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
si souvent les microbes entiers, amenait la conclusion que ces
cellules sont capables d’absorber les toxines. Dans l’étude sur la
toxine et l’antitoxine cholériques, faite par MM. Roux, Salim-
beni et moi-même, il a été précisé que les phagocytes absorbent
et digèrent la toxine cholérique”.
On conçoit facilement la grande difficulté de ce genre d’étu-
des, en présence de l'impossibilité de constater d’une façon
directe l'existence d’une toxine bactérienne dans les tissus et les
cellules. Et cependant nous avons réussi à démontrer le
fait de l'absorption de la toxine tétanique par les leucocytes de la
poule ?. En provoquant des exsudats chez des poules, auxquelles
oninjectait préalablement cette toxine, j'ai pu me convaincre que
ces exsudats, beaucoup plus riches en leucocytes que le sang,
étaient aussi plus tétanigènes que celui-ci.
D'un autre côté, j'ai observé une leucocytose plus ou moins
marquée à la suite de l'injection de doses non mortelles de
toxine tétanique à des poules.
Cette réaction leucocytaire, à la suite de l'introduction de la
toxine tétanique dans l'organisme, se produit non seulement
chez les espèces très résistantes, comme la poule, mais aussi chez
le cobaye, mammifère des plus sensibles à la toxine tétanique.
Même à la suite de l'injection de doses plusieurs fois mortelles,
il se manifeste une leucocytose des plus accusées, et ce n’est
qu'après l'introduction d’une quantité cent fois mortelle que Île
nombre des leucocytes reste stationnaire ou présente une
diminution. Tous ces faits indiquent donc que l’organisme le
plus sensible présente une réaction manifeste contre la toxine
télanique.
Comme les leucocytes de la poule, qui deviennent si nom-
breux après l'injection de la toxine tétanique, absorbent ce
poison, il se pourrait bien que les leucocytes du cobaye le
prennent aussi pendant l’hyperleucocytose. La preuve cependant
n’est pas facile à fournir, précisément à cause de la grande sen-
- sibilité des cobayes et de l'impossibilité de leur injecter d'assez
fortes quantités de toxines pour permettre l'essai des exsudats
sur des animaux. Pour arriver à un résultat précis, il faut par
conséquent recourir à une argumentation indirecte.
4. Annales de l'Inst. Pasteur, 1896, p. 272.
2. Ibid., 1897, p. 808.
TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 267
Tout le monde a présentes à la mémoire les expériences inté-
ressantes de MM. Wassermann et Takaki', dans lesquelles ils
ont constaté l'inactivité de la toxine télanique lorsqu'elle est
injectée avec de la substance cérébrale. M. Wassermann, guidé
par la théorie si suggestive de M. Ehrlich, ce savant qui a tant
contribué à nos connaissance sur l’immunité contre les toxines,
a supposé l’existence, dans les centres nerveux des animaux
normaux, d’une antitoxine comparable à l’antitoxine artilicielle
que MM. Behring et Kitasato ont découvert dans le sang des
animaux vaccinés contre le tétanos.
M. Wassermann et, avec lui, un grand nombre de savants qui
ont abordé le même sujet admettent que l’antitoxine du cerveau
normal, injectée à des souris, se résorbe dans leur organisme
et, se rencontrant dans le sang avec la toxine létanique, la neu
tralise d’une facon définitive, tout à fait comme le ferait un
sérum antitélanique.
Constatons d’abord que cette action est très limitée dans
l’espace et dans le temps. Pour bien empêcher l'intoxication, il
faut mélanger le cerveau avec la toxine télanique. Si l’on injecte
les deux malières séparément, l'effet sera insignifiant ou nul.
M. Marie’ a prouvé que si on injecte de la matière céré-
brale dans une patte postérieure d’un lapin et de la toxine dans
l’autre palte, celui-ci prend le tétanos et en meurt comme le
témoin. Bien plus, si l’on injecte sous la peau de la face dorsale
de la cuisse d’un cobaye de la substance cérébrale en quantité
suffisante pour neutraliser une dose plusieurs fois mortelle de
toxine tétanique, et sous la peau de la face ventrale de la
même cuisse la dose mortelle de cette toxine, le cobaye prendra
le tétanos mortel. L'action antitoxique de la substance nerveuse
ne se répand donc même pas à faible distance : elle est stric-
tement locale.
Ce résultat se confirme par un autre mode d’expérimenta-
tion. On injecte de l’émulsion cérébrale dans la cavité périto-
néale d'un cobaye. Le lendemain, on lui inocule dans une patte
postérieure la toxine tétanique. Le cobaye meurt du tétanos
comme son témoin.
L'action de la substance cérébrale est également limitée au
4. Berliner klinische Wochenschr., 1895, n° 1, p. &, s.
2, Annales de l'Inst. Pasteur, 1898, p. 95,
268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
point de vue du temps. Lorsque l’on injecte la toxine tétanique
24 heures après la substance cérébrale, au même endroit, par
exemple dans le péritoine d’un cobaye, on le préserve sûrement
du tétanos. Mais si l'on attend plus longtemps, et si l’on inocule
la toxine 48 heures ou plus longtemps après l’'émulsion céré-
brale, le cobaye prend inévitablement le tétanos mortel.
Cette série de faits prouve une localisation étroite dans l'ac-
tion de la matière cérébrale et, en même temps, démontre la
grande différence entre ce phénomène et l’action du sérum anti-
tétanique.
Il est bien prouvé, par le travail de MM. Roux et Borrel
inséré dans ce numéro, et par les recherches de MM. Knorr!
et Blumenthal?, que la toxine tétanique, mise en présence du
certeau broyé, est fixée par celui-ci. Ce fait explique l’impor-
tance du contac tintime entre les deux substances pour la pré-
venlion de l’animal contre le tétanos.
La toxine tétanique, injectée en mélange avec le cerveau
broyé, se trouve à l’état fixé dans l'organisme. Mais cette fixa-
tion n'est pas permanente et ne suffit pas par elle seule pour
empêcher le tétanos.
Comme je l'ai indiqué dans un mémoire antérieur *, la toxine
ne se détruit pas dans ces conditions, mais peut facilement mani-
fester son action tétanigène. La matière cérébrale de lapin et de
cobaye agit d’une façon beaucoup plus efficace chez la souris
que chez le cobaye. La dose du mélange de cerveau et de toxine
télanique deux fois mortelle pour le cobaye et 20 fois mortelle
pour la souris est cependant beaucoup plus tétanigène pour le
premier. Chez le cobaye, ce mélange, injecté dans les muscles
de la cuisse, produit un télanos grave, quoique le plus souvent
non mortel, tandis que chez la souris, il ne provoque qu'un téta-
nos léger où nul. De ces faits, j'ai déduit que la matière céré-
brale ne détruit pas la toxine télanique, dont l’effet est empêché
par l'intervention de l'organisme.
Seulement, dans l’expérience que je viens de citer, il s'agit
de deux espèces animales différentes. On pourrait donc
objecter que le cerveau agit sur la toxine dans les humeurs du
1. Münch. med. Wochenschr., 1898.
2. Deutsche med. Wochenschr., 1898, no 12, p. 187.
3. Ann. de l’Inst. Past., 1898, p.. 89.
TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES, 269
cobaye d'une façon autre que dans celles de la souris.
Eh bien, l'intervention de l'organisme peut être démontrée chez
la même espèce. Pour cela, il suffit d'injeeter le même mélange
de cerveau et de toxine, tantôt dans les muscles de la cuisse,
tantôt dans le péritoine des cobayes. Bien que, en général,
l'injection de la toxine tétanique soit plus meurtrière dans le
péritoine que dans les muscles de la cuisse, l'eflet du mélange
sera plus prononcé dans la cuisse que dans le péritoine. Comme
je l'ai dit tout à l'heure, la toxine télanique Injeclée avec la
malière cérébrale dans la cuisse provoque un télanos grave ;
l'injection du même mélange dans la cavité péritonéale n’est
suivie d'aucun effet morbide, ou, s'il y a raideur des muscles
abdominaux, celle-ci est très faible et passagère.
L'action de la matière cérébrale sur la toxine tétanique est
donctrès localisée et nécessite, pour que le tétanos soit empêché,
l'intervention de l'organisme. Pour nous faire une idée plus
précise du mécanisme de cette intervention locale, injectons le
mélange de cerveau et de toxine dansle péritoine des cobayes, et
prélevons, à l’aide de tubes eflilés, le liquide péritonéal au bout
de quelques minutes, de quelques heures ou de quelques jours.
Dans tous ces cas, nous trouverons la lymphe du péritoine
remplie d’une quantité très grande, souvent énorme de leucocytes,
parmi lesquels nous serons surpris de ne trouver que des gros
mononucléaires.
Quelques minutes déjà après l'injection du mélange, ces
macrophages se trouvent bourrés de matière cérébrale; souvent
on ne distingue que le noyau du leucocyte, entouré de masses
de myéline et de fragments de cellules nerveuses. Quelques
heures après l'injection, quelquefois même au bout de 20 minutes
seulement, on ne trouvera plus de matière cérébrale libre : elle
sera toute englobée par les macrophages. Ces cellules bourrées
de particules de cerveau restent pendant longtemps logées dans
la cavité périltonéale, et encore 3 semaines après l'injection du
mélange on en trouve des quantités dans la lymphe du
périloine.
La digestion intracellulaire de la matière cérébrale par les
macrophages se fait évidemment avec une grande lenteur.
Comme il est démontré que la toxine tétanique est fixée à la
malière cérébrale et comme celle-ci est en peu de temps englobée
270 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
par les macrophages, il en résulte que la toxine elle aussi a dû
être incorporée par les phagocytes.
Si l'on compare cette réaction des mononucléaires dans la
cavité péritonéale et dans les muscles de la cuisse, on constate
facilement que, dans ce dernier lieu, elle est beaucoup pluslente à
se produire que dans le péritoine. En outre, l’exsudat de la cuisse
est plus riche en leucocytes polynucléaires, qui n’absorbent que
très peu de matière cérébrale, qu'en macrophages si avides de
celte substance. On comprend donc facilement pourquoi la
toxine tétanique, injectée en mélange avec l’émulsion cérébrale,
est plus tétanigène dans la cuisse que dans le péritoine. Dans la
cuisse, elle reste plus longtemps en dehors des phagocytes, et
peut s'échapper plus facilement pour provoquer lintoxication
tétanique. Dans le péritoine, elle est rapidement incorporée par
les macrophages, et ces cellules doivent évidemment empêcher
son action létanigène. Nous arrivons donc à celte conclusion
que la torine tétanique, fixée sur la matière cerébrale, est absorbée
par les macrophages et empêchée dans son action tétanigène. Ces
cellules sont donc un moyen de défense de l'organisme contre
les Loxines. Leur aclion peut être caractérisée comme une action
détruisante ou phlérotoxique.
Les données que je viens de résumer s'accordent bien avec
un grand nombre de faits acquis dans la science. Après avoir
lait sa découverte, M. Wassermann a admis que le cerveau
normal fixe la toxine tétanique et neutralise son action. Cette
interprétation ne peut pas être acceptée comme je l’ai déjà déve-
loppé dans mon mémoire précédent sur le sort des toxines dans
l'organisme; M. Roux, avecses collaborateurs MM.Morax et Borrel,
a démontré que la toxine tétanique, injectée directement dans le
cerveau des lapins, même en quantité beaucoup plus faible que
celle qui est nécessaire pour produire le télanos par injection
intramusculaire, provoque un télanos cérébral mortel. Et
cependant un simple fragment de cerveau de lapin, broyé et
mélangé avec la toxine télanique, exerce une action préventive
très nelte. Cette différence s'explique par ceci que dans l'injec-
Lion directe de la toxine dans le cerveau, celui-si fixe bien la
toxine, mais il de se produit pas de réaction leucocytaire sufli-
sante, tandis que l’injection du mélange de toxine et de matière
cérébrale sous la peau, dans le muscle ou le péritoine, amène une
TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 271
réaction leucocytaire considérable et efficace. La découverte si
intéressante de M. Wassermann, au lieu de prouver l'existence
d'une antiloxine cérébrale, a abouti à la démonstration del action
des phagocytes contre les toxines.
Cette action, que nous avons lâché de déterminer dans un
exemple précis, est très probablement la manifestation d’une loi
générale. Nous avons déjà mentionné le fait de l’englobement
des microbes renfermant dans leur corps des toxines par des
phagocytes. Dans cette catégorie doit être rangée l'observation
de MM. Vaillard et Vincent :, de l’innocuité des bacilles tétani-
ques qui renferment la toxine tétanique dans leur corps, mais
qui ne produisent pas d’empoisonnement, grâce à l’englobe-
ment eflicace par les leucocytes.
L’hyper-leucocytose que l’on observe régulièrement après
l'injection de toxines en doses non mortelles ou en quantités
pas trop rapidement mortelles, s'explique aussi par le
rôle phtérotoxique des leucocytes, analogue à l’action anti-
microbienne de ces cellules. Il a été constaté depuis longtemps
que l’injection des sels de fer, aussi solubles que possible, amène
une réaction des phagocytes très prononcée. (Grâce à la facilité
avec laquelle on révèle la présence du fer dans les cellules, à
l’aide des réactions microchimiques, il a été démontré, notam-
ment par les élèves de M. Kobert à Dorpat *,que cette substance
est absorbée par les leucocytes et les autres phagocytes, et est
transportée surtout dans le contenu du tube digestif,
Maislefer n'étant pasun véritable poison, l’histoire deson élimi-
nalion de l'organisme ne peut servir que comme indication pour
des recherches sur des éléments plus toxiques. Parmi ceux-ci,
il faut menticnner notamment l’arsenic, poison dont l'intérêt
s'accroît à cause de la facilité avec laquelle on habitue les ani-
maux de laboratoire à absorber la dose mortelle. De mes expé-
riences sur la réaction de l'organisme contre l’arsenic chez les
lapins accoutumés et chez les témoins, expériences communi-
quées au Congrès de Budapest, mais surtout des recherches
beaucoup plus nombreuses et suivies, exécutées par M. Besredka
et encore inédites, il résulte une intervention active des leuco-
cytes. Tandis que des doses rapidement mortelles produisent
1. Ces Annales, 1891, p. 26.
2. Arbeiten a. d. pharmakol. Inst. in Dorpat (1893, 1894).
279 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
chez les animaux neufs une hypoleucocytose véritable et progres-
sive, chez les animaux accoutumés elles provoquent une forte
hyperleucocytose, dans laquelle les polynucléaires jouent le rôle
prédominant. Il devient de plus en plus probable que les
phagocytes, ces éléments qui ont le mieux conservé le type ances-
tral, amæbien, sont les cellules les moins sensibles à l’action
toxique des poisons. Grâce à cette particularité, ils peuvent
impunément pour eux, se charger de grandes quantités de sub-
stances toxiques qui alors n’atteignent plus les éléments beau-
coup plus sensibles aux poisons, comme, par exemple, les
cellules nerveuses.
Il est extrèmement probable que les toxines subissent une
modification chimique, une sorte de digestion dans l’intérieur
des phagocytes. Malheureusement cette question est trop délicate
pour être résolue en peu de temps el voilà pourquoi, pour le
moment, il faut se contenter d'hypothèses, qui peuvent du reste
servir à faciliter la solution expérimentale du problème posé.
M. Portier ‘ a démontré récemment que les leucocytes vivants
renferment des ferments oxydants qui s’échappent facilement
après la mort de ces cellules. [l est donc très probable que les
Loxines bactériennes absorbées par les phagocytes y subissent
l'influence de ces oxydases. Or, il est depuis longtemps connu
que l'oxygène affaiblit en peu de temps et même détruit les
toxines bactériennes. Guidés par ce fait, MM. Roux et Metchni-
koff ont conçu depuis plus d'un an un plan de recherches sur
l'influences des oxydases sur les toxines, qu'ils sont en train
d'exécuter.
L'ensemble des données que je viens de résumer permet donc
de conclure que les phagocytes jouent un rôle très important
non seulement vis-à-vis des microbes, mais aussi dans la défense
de l’organisme contre les poisons. D'un autre côté, les faits
réunis dans ce rapport peuvent servir d'argument en faveur de
celle thèse que les phagocytes peuvent accomplir leur fonction
antimicrobienne sans que les produits toxiques des microbes
pathogènes aient subi une destruction préalable et indépendante
des cellules phagocytaires.
1. Les Oxrydases, Paris, 1897.
NOUVELLES RECIÉRCHES SUR LE MODE DE DESTRUCTIUN
DES VIBRIONS DANS L ORGANISME
Par Me Le .-Dr.J. CANTACUZENE
(Travail du Laboratoire de M. Metchnikoff.)
l
Le rôle tout à fait prédominant des phagocytes dans la des-
truction des vibrions qui ont pénétré dans les tissus semblait an
fait définitivement acquis à la science, lorsque M. Pfeiffer, en
1894, publia une expérience qui, selon lui, ruinait complètement
la doctrine phagocytaire de l’immunité : si l'on injecte une émul-
sion de vibrions cholériques dans le péritoine d'un cobaye hyper-
vacciné contre le choléra, ou bien cetle même émulsion addi-
tionnée de sérum préventif dans le péritoine d’un cobaye neuf,
on observe que très rapidement, 5, 10, 20 minutes après l'injec-
tion, les vibrions perdent leur forme allongée et se transforment
en granulations arrondies, immobiles, libres dans l’exsudat ; au
bout d’un temps très court, ces granulations disparaissent, dis-
soutes par le liquide ambiant. Voilà donc un cas bien net de des-
truction des vibrions dans les humeurs; ici l’activité des phago-
cytes n’a joué aucun rôle, et l'animal a guéri sans leur interven-
üon. Il s’agit là, vraisemblablement, d’une sécrélion bactéricide
due, surtout, aux cellules endothéliales du péritoine. M. Pfeiffer
attache à ce fait une importance doctrinale considérable; il le
considère comme apportant une preuve décisive en faveur de
l'action bactéricide des humeurs dans la lulte de l'organisme
contre les microbes. '
M. Metchnikoff, reprenant l'étude du phénomène de Pfeiffer,
constala d’abord que la dissolution des granulations n'est jamais
extracellulaire : en effet, elles conservent indéfiniment leur forme
dans J’exsucat péritonéal placé, en goutte suspendue, à l’étuve
à 37°, La destruction de ces granules se fait à l’intérieur du pro-
toplasma des phagocytes; peu de lemps après l'injection de
Pfeiffer, l’'exsudat se peuple de leucocytes nouvellement arrivés,
ÿ 15
274 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
qui englobent rapidement les granulations et les digèrent à l’in-
térieur de vacuoles intracellulaires. — Mais le rôle des leuco-
cytes ne s'arrête pas là; ce sont eux, en effet, qui, grâce aux sub-
slances bactéricides qu’ils renferment, sont les véritables agents
de la transformation en granules des vibrions cholériques; au con-
traire, l’'endothélium péritonéal ne joue aucun rôle dans ce phé-
nomène. En effet, on peut réaliser in vitro le phénomène de
Pfeiffer, à condition qu’à l’émulsion de vibrions additionnée de
sérum préventif, on ajoute une trace de lymphe péritonéale nor-
male contenant des leucocytes.
Si, d'autre part, on observe attentivement ce qui se passe
après que l’on a injecté dans le périloine d'un cobaye neuf le
mélange de Pfeiffer, on remarque que peu de secondes après
l'injection, les leucocytes de la cavité péritonéale deviennent
subitement immobiles, s’agglulinent en paquets, et s'entourent
d'une substance glaireuse qui diffuse hors de leur protoplasma ;
au contact de cette substance, les vibrions se transforment en
granules. Il s’agit là d’un véritable phénomène de phagolyse : sous
l’action de l'injection de Pfeiffer, les phagocytes présentent mo-
mentanément un état de souffrance, au cours duquel ils laissent
diffuser la substance bactéricide contenue dans leur protoplasma.
S'il est vrai que la phagolyse soit due à un affaiblissement
momentané des phagocytes, il est naturel de supposer que le
renforcement de leur activité supprime la phagolyse et, par con-
séquent, la transformation extracellulaire des vibrions ; c’est ce
qui à lieu en effet si, 24 heures avant d’injecter le mélange de
Pfeiffer, on injecte dans le péritoine des cobayes 3 c. c. de bouil-
lon : dans ce cas, la transformation des vibrions en granules n’a
plus lieu dans le liquide de l’exsudat; les vibrions sont presque
instantanément englobés par les leucocytes, et c’est à l’intérieur
du protoplasma de ces derniers que s'opère la transformation.
Il est bien évident, dans ce cas, que c’est grâce à une action
phagocytaire très intense que l'animal s’est débarrassé des
vibrions.
M. J. Bordet, de son côté, a pu observer que la transformation
des vibrions en granulalions est due aux substances bactéricides
élaborées par les leucocytes, substances non spécifiques, et exis-
tant, mais en faible quantité, chez les leucocytes des animaux
neufs : chez ces derniers, en effet, il est aisé de constater, à l'in-
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 275
térieur du protoplasma, la transformation en granules des vibrions
englobés.
Chez les animaux hypervaccinés, cette transformation se fait
avec une intensité beaucoup plus considérable, grâce à l'appari-
tion, dans l'organisme de ces derniers, d’une substance spécifique,
la substance préventive, qui représente probablement un produit
microbien modifié par l’activité cellulaire. Cette substance spé-
cifique a la propriété d'exalter le pouvoir bactéricide des leuco-
cyles en lui imprimant un caractère de spécificité, et la trans-
formation des, vibrions en granules s'opère grâce au mélange
des deux substances, bactéricide et préventive, que ce mélange
se fasse à l'extérieur ou à l'intérieur des leucocytes.
Les leucocytes sont bien le lieu de formation et le siège de la
substance bactéricide ; elle y reste contenue durant la vie de
l'animal et ne diffuse dans le liquide ambiant que si les leuco-
cytes placés dans des conditions de vie anormales laissent, en
éclatant, échapper leur contenu; si en effet l’on fait in vivo la
séparation du sérum et des cellules (soit en déterminant un
ædème par compression, soit en produisant l’hypoleucocytose
du sang par des injections intraveineuses de poudres inertes), le
sérum ainsi obtenu ne présente pas de propriété bactéricide ;
quant à son pouvoir préventif, il est faible. Si au contraire la
séparation a lieu in vitro, le sérum est à la fois très bactéricide
el très préventif.
Ces deux substances sont pafaitement distinctes : le sérum
d’un vacciné, chauffé à 55°, perd ses propriétés bactéricides, mais
conserve ses propriétés préventives, qui ne disparaissent pas
lorsque l’on maintient le liquide pendant une heure à une tem-
péralure de 70° (ce dernier fait avait déjà été établi par
MM. Fraenkel et Sobernheim).
Alors que le sérum préventif chautfé à 55° est incapable de
produire à lui seul le phénomène de Pfeiffer in vitro, il suffit d'y
ajouter une trace de sérum contenant de la substance bactéri-
cide (p. ex. du sérum frais de cobaye neuf) pour que la transfor-
mation en granulations se produise aussitôt.
Le mélange des deux susbtances est donc la condition néces-
saire et suffisante pour la production du phénomène.
Le sérum préventif exerce sur les leucocytes une action chi-
mio-tactique positive ; il est un excitant puissant de l’activité
276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
phagocytaire : ainsi, que l’on mélange du sang défibriné bien frais
à une émulsion de vibrions, etque l’on ajoute à la goutte pendante
une trace de sérum préventif, en portant le tout à 37°, les leu-
cocytes englobentles vibrions et se montrent bientôt bourrés de
granulations. l
Ces faits nous permettent d'interpréter ainsi le mode d’action
du sérum préventif: la substance préventive injectée pénètre dans
le protoplasma leucocytaire, s’y mélange à la substance bacté-
ricide, en sorte que les vibrions englobés s'y transforment en
eranules ; lorsque, par suite d'un étatparticulier de souffrance, les
leucocytes laissent diffuser la substance bactéricide, la transfor-
mation en granules sera extra-cellulaire, et nous aurons le
phénomène de Pfeiffer.
M. Pfeiffer a cru pouvoir récemment démontrer que la trans-
formation des vibrions en granules est possible dans un tissu
très pauvre en leucocytes, comme l’est, p. ex., le tissu cellulaire
sous-cutané. Il est bien certain aujourd’hui que si M. Pfeiffer
a obtenu la transformation des vibrions dans de pareilles
conditions, c'est qu'il a déterminé, au niveau du foyer de l’in-
jection, une petite hémorragie, amenant ainsi des leucocytes au
contact de la substance préventive injectée.
M. Salimbeni, étudiant récemment la destruction des vibrions
injectés sous la peau d'animaux hypervaccinés, a nettement
établi que jamais, dans ce cas, l’on n’observe de transformation
extracellulaire des vibrions en boules; cette transformation
s'effectue toujours à l’intérieur des leucocytes polynucléaires
(à l’intérieur des mononucléaires, au contraire, les vibrions
conservent une forme allongée).
Dans le présent travail nous nous sommes proposé de
reprendre l'étude de la transformation extracellulaire des
vibrions dans l'organisme, et d'observer les variations du phé-
nomène quand on fait varier l’état d'activité des leucocytes, soit
en déprimant cetle activité, soit en l’exaltant. Puis nous avons
tenté de déterminer quelle part revient à la phagocytose dans la
protection de l'organisme, le phénomène de Pfeiffer une fois
produit.
Le vibrion employé dans nos expériences provenait de
l'épidémie qui sévit en 1894 dans la Prusse orientale ; il tuait
un cobaye de 400 grammes à la dose de 1/25 de culiure
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 974
sur gélose, injectée dans le péritoine. Nous nous sommes servi
de deux sérums immunisants, obligeamment fournis par notre
collègue le D'Salimbeni; l’un, provenant d’une chèvre, était pré-
ventif à la dose de 1/300 de c. c. pour un cobaye de 400 grammes;
l'autre, provenant d’une jument, était préventif à la dose de
1/150 de c. c.; 1/10 de goutte du premier, 1/5 de goutte du
second donnaient sûrement le phénomène de Pfeiffer dans le
péritoine d’un cobaye neuf,
IT
Si l’on injecte sous la peau d’un cobaye une émulsion de
vibrions cholériques additionnée de sérum préventif, la trans-
formation en granules n’a pas lieu, à condition que Pon ait soin
de ne pas déterminer d’hémorragie en piquant la peau. Le
phénomène se produit au contraire chaque fois que le m‘lange injecté
arrive au contact de leucocytes préexistants où mélangés au liquide
d'injection.
Expérience I. — Un lapin reçoit sous la peau de l'oreille
gauche 1 c. e. d’une culture en bouillon de streptocoques, tués
par la chaleur à 85°; au bout de rois jours, on injecte dans
l'abcès ainsi formé 1/2 c. c. d’une émulsion de vibrions addi-
tionnée de 1 goutte de sérum immunisant. Simultanément le
même mélange est injecté sous la peau de l'oreille droite et sous
la peau de la cuisse; en ce dernier point, on a soin de provoquer
au préalable une légère hémorragie. Au bout de 1/2 heure,
presque tous les vibrions injectés dans la cavité de l’abcès sont
transformés en grosses granulations arrondies, prenant le violet
avec énergie; un grand nombre sont englobées par les leuco-
cytes polynucléaires: un nombre plus grand est libre. Au bout
de 3 heures on retrouve beaucoup de granulations libres, mais
plus aucun vibrion ayant conservé sa forme. Les vibrions
injectés sous l'autre oreille sont entiers, sans trace de trans-
formation au bout de 3 heures; au niveau du foyer hémorra-
gique, les 3/4 des vibrions sont transformés en granules au bout
de 1/2 heure : la transformation est complète 2 heures plus tard,
Expérience LL. — On provoque chez un lapin la formation
d'un abcès en lui injectant sous la peau de l'oreille une culture
tuée de streptocoques. Quelques gouttes du pus ainsi formé sont
218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
mélangées à 1 c. c. d’une émulsion de vibrions, additionnée de
4 goutte de sérum préventif. Le mélange est injecté sous la
peau de l'oreille d’un second lapin : au bout de 10 minutes, il y
a transformation partielle ; au bout de 25 minutes, transformation
complète des vibrions en granulations de Pfeiffer. Le même
mélange, mais sans addition de pus, injecté sous la peau de
l’autre oreille, ne présentait au bout de 3 heures aucune trace
de transformation.
Expérience III, — Un lapin porteur, à la face ventrale, de
3 gros abcès froids provoqués par l'injection sous-cutanée de
bacilles tuberculeux tués, reçoit : 4) dans la cavité de l’un des
abcès, 1 c. c. d’émulsion vibrionienne addilionnée de 1 goutte de
sérum préventif; la transformation en granules est totale et
immédiate; b) le même mélange en injection sous la peau de la
cuisse : les vibrions au bout de deux heures ont conservé tous
leur forme et leur colorabilité.
Il est hors de doute, d’après cela, que la substance qui
transforme en granulations les vibrions cholériques est contenue
dans les leucocytes. Les cas où cette transformation ne se fait
pas prouvent bien que les cellules fixes du tissu conjonctif ne
jouent aucun rôle dans la production du phénomène.
TITI
Avant de rechercher dans quelle mesure les variations de
l'activité leucocytaire retentissent sur la transformation des
vibrions en granules, nous allons présenter un tableau rapide,
d'après nos propres observations, des péripéties visibles de la
lutte qui s'établit entre l'organisme et les vibrions injectés dans
le péritoine, d’abord chez des animaux qui possèdent l’immu-
uilé active, puis chez des animaux neufs auxquels on injecte
du sérum préventif en mème temps que des vibrions. On trouve
parfois des cobayes qui résistent naturellement à des quantités
considérables de vibrions injectés dans le péritoine; pour tous,
il existe une dose maxima dont l'organisme triomphe après une
courte maladie. Tous les cobayes possèdent donc jusqu'à un
certain point l'immunité naturelle pour les vibrions cholériques.
Voici ce que l’on peut observer en pareil cas : durant la première
heure qui suit l'injection, les vibrions vivent à l'aise dans la
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 279
cavilé péritonéale, y conservent leur forme, leur mobilité et
leur colorabilité. On n'observe guère dans ce cas de granu-
lations libres plus nombreuses que celles que l’on peut constam-
ment rencontrer dans les cultures de 36 heures. Les rares leuco-
cytes de l’exsudat ont une apparence saine, mais n’englobent
aucun microbe. Au bout de 1 h. 1/2, des leucocytes nom-
breux commencent à apparaître dans la cavité et englobent
immédiatement de grandes quantités de microbes; parmi les
vibrions englobés, les uns conservent leur forme allongée, les
autres se transforment en grosses granulations, de plus en plus
nombreuses : les uns et les autres prennent les couleurs
basiques d’aniline. Bientôt les formes allongées aussi bien que les
grosses granulations se fragmentent en granulations beaucoup
plus petites, colorables au bout de quelque temps par l'éosine;
il arrive parfois que les vibrions entiers ou les grosses granu-
lations perdent leur affinité pour les couleurs basiques, et
deviennent éosinophiles en bloc, avant leur fragmentation en
granulations plus petites. Pourtant ce fait, observé par plusieurs
micrographes, est relativement rare. Il résulte de là que le pro-
duit de la transformation intracellulaire des vibrions est de deux
sortes : grosses granulations, basophiles comme les vibrions
eux-mêmes ; fines granulalions, basophiles d’abord, puis éosino-
philes, provenant de la désintégration soit des vibrions (direc-
tement), soit des grosses granulations (ces dernières beaucoup
plus nombreuses que les vibrions allongés). Le nombre des leu-
cocytes (polynucléaires et mononucléaires du groupe vasculaire)
augmente rapidement dans l’exsudat ; la phagocytose devient de
plus en plus énergique. Au bout d’un nombre d'heures variant de
12 à 20, la presque totalité des vibrions est englobée; assez long-
temps cependant quelques vibrions isolés persistent dans l’ex-
sudat sans être englobés, malgré la masse colossale de leuco-
cytes immigrés : ce sont là, sans doute, les individus particuliè-
rement virulents.
Bientôt ces derniers survivants sont englobés à leur tour et
l’exsudat est stérile au bout de 48 heures.
Pendant tout le temps que dure ce processus, les vibrions extra-
cellulaires gardent leur forme, leur mobilté, leur colorabilité.
A aucun moment on ne trouve en dehors des leucocytes des
granules, grands ou petits, ou des microbes éosinophiles. Les
280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
gouttes pendantes faites avec l’exsudat montrent un actif déve-
loppement intra-leucocytaire des vibrions.
Par conséquent, dans un semblable cas, aboutissant à la gué-
rison, les vibrions sont englobés vivants; il n'y a pas d’action
bactéricide de la part des humeurs; la destruction des microbes
est entièrement intra-cellulaire ; leur transformation en granules
l’est également.
Chez les cobayes immunisés contre l'infection vibrionienne,
la série des phénomènes est la même: ils se distinguent seule-
ment par leur plus grande énergie. Ainsi, au bout de 10 heures,
l’exsudat est purulent et ne renferme plus de microbes libres.
Au bout de 25 heures, il est stérile. À aucun moment on ne ren-
contre de granulations libres en dehors des cellules; les vibrions
non englobés gardent leur mobilité et leur forme. Vers la fin du
processus, tous les polynureléaires de l’exsudat sont bourrés de
très petits grains éosinophiles, appartenant à la catégorie des
fines granulations signalées plus haut.
Dans les deux cas (immunité naturelle, immunité acquise),
la fin du processus est marquée par l’arrivée de gros mononu-
cléaires à noyau vésiculeux (du groupe Ilymphoïde), qui englobent
bon nombre de polynucléaires et les détruisent à l’intérieur de
vacuoles intra-cellulaires.
Par conséquent, dans aucun cas d'immunité active, qu'elle soit
naturelle ou acquise, on ne peut observer de transformation extracel-
lulaire de vibrions en granules. Les microorganismes sont constam-
ment englobés vivants, sous leur forme vibrionienne et mobile, par les
leucocytes polynucléaires ou mononucléaires (du groupe vasculaire)
qui sont, dans ce cas, les seuls agents de la défense de l'organisme
contre les envahisseurs.
On sait que si l’on injecte des vibrions cholériques dans le
péritoine d’un cobaye hypervacciné, ou un mélange de vibrions et
de sérum préventif dans le péritoine d’un animal neuf, les vibrions
subissent la transformation extra-cellulaire en granules. Ilexiste
done un certain état d’immunité active, l'état hypervaccinal, qui
établit un passage naturel entre les cas moyens d'immunité
active, où la transformation des vibrions en granules s'effectue à
l'intérieur des leucocytes, et les cas d'immunité passive, où cette
transformation a lieu hors des cellules; on peut donc & priori
supposer que le second cas n’est qu'une modification du premier.
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 281
En effet, voici la série des phénomènes que l’on observe lorsque
l’on injecte, par exemple, dans le péritoine d’un cobaye neuf,une
dose mortelle de vibrions, émulsionnés dans du bouillon auquel
on a ajouté une goutte de sérum préventif: 10 minutes après
l'injection, la moitié des vibrions, 10 minutes plus tard l’immense
majorité d’entre eux sont transformés en grosses granulations
rondes ou légèrement ovales, non réfringentes, se colorant avec
intensité par les couleurs basiques d’aniline. Nous recomman-
dons pour cette étude la coloration par la thionine phéniquée.
Le nombre des leucocytes de l’exsudat est à ce moment extrè-
mement faible ; les lymphocytes ont l'aspect normal; les polynu-
cléaires, au contraire, ont en général un contour peu net, comme
estompé, et se perdant insensiblement dans une zone trouble qui
entoure l'élément et se colore légèrement en violet très pâle :
cet aspect se différencie neltement de celui des rares leucocytes
restés normaux, et dont le bord est nettement délimité. Le noyau
des éléments en état de phagolyse conserve ses caractères, ce
qui permet de ne pas confondre les leucocytes phagolysés avec
une forme de dégénérescence leucocytaire qu'il arrive souvent
de rencontrer dans les exsudats abondants : dans ce. dernier cas
les contours du protoplasma restent nettement marqués, mais
le noyau s’est dissocié, et forme une série de gouttelettes arron-
dies, isolées, dispersées dans le protoplasma, et prenant très
fortement les couleurs basiques. Il s’agit là de phénomènes de
karyolise qui accompagnent la mort du leucocyte. L'existence
de la zone glaireuse répond, chez les leucocytes phagolysés, à un
état de souffrance : en effet, on observe, au contact immédiat de
ces éléments, des amas de granalations libres qu'ils refusent
d'englober; tous les vibrions compris dans la zone glaireuse ou
situés dans son voisinage sont transformés en granules.
Pendant un temps assez long (1-2 heures), on observe un
certain nombre de vibrions qui n’ont pas subi la transformation
en granules. Parmi les microorganismes libres dans l’exsudat
(vibrions et granulations), quelques-uns prennent mal la cou-
leur, sont réfringents d'aspect, et présentent une coloration de
gelée de groseilles claire des plus caractéristiques. Nous revien-
drons plus loin sur cet aspect. Une demi-heure après l'injection,
le nombre des leucocytes polynuciéaires croît rapidement dans
l'exsudat; ces nouveaux arrivants ont leur protoplasma absolu-
282 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ment normal et ne présentent aucune apparence de phagolyse;
à partir de ce moment l’englobement des granulations se fait
avec la plus grande rapidité; les phagocytes en sont bientôt
gorgés; à leur intérieur, ces granulations pâlissent et deviennent
invisibles en très peu de temps. Trois heures après l'injection, le
nombre des phagocytes est énorme et celui des granulations libres
est faible. Il arrive fréquemment ge les granulations dispa-
raissent de l’exsudat peu de temps après l'injection, alors que le
nombre des phagocytes immigrés est encore peu considérable ;
il ne faut pas croire pour cela qu’elles se dissolvent dansle liquide
ambiant; car si à ce moment on sacrifie l’animal et que l’on
examine la surface du péritoine, on la trouve, ainsi que l'avaient
déjà constaté MM. Gruber et Durham, entièrement recouverte
de granulations; en effet, ces dernières, étant immobiles, subissent
le sort des poudres inertes injectées dans le péritoine; elles
adhèrent aux parois de la cavité (surtout au grand épiploon)
d'autant plus vite que les mouvements péristaltiques de l'intestin
opèrent un brassage plus complet du liquide péritonéal; ce
dernier devient ainsi rapidement clair et privé de particules en
suspension.
Si donc, dans le cas qui nous occupe, nous désirons suivre
l'évolution ultérieure du processus, il faudra l'étudier non plus
dans le liquide cavitaire, mais bien à la surface du péritoine, sur
des frottis ou sur des coupes de l’épiploon.
Nous constaterons alors qu'en ce point un bon nombre de
microorganismes conservent leur forme vibrionienne, et que la
transformation en granulations extracellulaires n’est jamais
intégrale: ces vibrions sont d’ailleurs immobiles, comme les
granulations. Un fait également intéressant est que, tandis que
les phagocytes englobent activement Îles granulations, ils
refusent les vibrions, si bien que 6-7 heures après l'injection,
l’'englobement des granulalions étant achevé à la surface du
péritoine, il ne reste plus, à l'intérieur des phagocytes, que des
vibrions bien colorables.
Ces vibrions, d’ailleurs, sont englobés à leur tour et enfermés
dans des vacuoles intracellulaires : àce moment, les leucocytes de
l’exsudat sonttous d'aspect absolument sain. Vingt-quatre heures
après le début de l'expérience, le microscope ne décèle plus de
microbes intra ou extra cellulaires ; cependantune trace de l’exsu-
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 283
dat, ensemencée sur gélose, donne encore à ce moment une cul-
ture pure de vibrions; à la surface du péritoine se trouve
un épais dépôt de leucocytes et de fibrine; de nombreux mono-
nucléaires à noyau vésiculeux se gorgent en ce moment de
polynucléaires. Vers la 30° heure, l'exsudat est stérile.
La quérison de l'animal est la règle lorsque l'on injecte le sérum
préventif en même temps que la dose mortelle de vibrions. L'animal
quérit encore lorsque l'injection du sérum a lieu 4-2 heures après celle
des vibrions; si l’on dépasse ce temps, \ meurt toujours, malgré
la transformation complète des vibrions en granulations.
On sait, en effet, combien l’intoxication cholérique présente
chez le cobaye une marche rapide : dans le cas dont nous venons
de parler, l’intoxication est déjà consommée quand interviennent
les facteurs de la défense. Lorsque l'injection de sérum suit
de 3 heures celle des vibrions, la transformation en granulations
est instantanée et presque complète ; si l’on dépasse ce moment;
si le sérum, par exemple, n’est injecté que 4-5 heures après
les vibrions, on trouve un nombre de plus en plus grand de
vibrions qui conservent leur forme. Il est probable qu'à mesure
que se prolonge leur séjour dans l'organisme, la virulence des
vibrions augmente ; parconséquent, leur résistance à la substance
bactéricide croît également.
Voici comment se passent les choses lorsque l'injection de
sérum a lieu 3 heures après celle des vibrions : immédiatement
avant l'injection de sérum, l’exsudat péritonéal contient une
quantité colossale de vibrions entiers, très mobiles, bien colo-
rables. La leucocytose est nulle et la phagocylose également.
Les quelques leucocytes présents dans le liquide sont d’aspect
absolument normal. Cinq minutes après l’injection, l'aspect des
leucocytes a changé totalement; leurs bords sont flous, et ils
présentent une zone glaireuse des plus nettes, la phagolyse est
ici mauifeste, Il est rare, à ce moment, de rencontrer encore ça
et là un vibrion ayant conservé sa forme; presque tous sont
transformés en grosses granulations non réfringentes, franche-
ment colorées en violet. Une heure après l'injection de sérum,
les leucocytes pénètrent en grand nombre dans l’exsudat et
l’'englobement commence; au bout de 3 heures, la leucocytose
a augmenté; il n'y a plus guère de granulations libres dans
l’exsudat. Remarquons en passant que le nombre des leucocytes
284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
immigrés est infiniment moins grand que dans les cas où le
sérum est injecté en même temps que les vibrions. À ce moment,
il y a un grand nombre de granulations libres, mêlées à des
vibrions entiers, à la surface du péritoine. La phagocytose en
ce point est des plus énergiques. Quand la mort survient assez
rapidement, c’est-à-dire 12-15 heures après l'injection des
vibrions, il n’y a plus de granulations libres à la surface du péri-
toine; on ne trouve plus dans le liquide que quelques rares
vibrions: les leucocytes sont pleins à éclater de granulations
prenantlacouleuravec plus ou moins d'intensité. Si, au contraire,
la mort tarde à venir, si l'animal ne succombe que 24 ou 30 heures
après l'injection des vibrions, on trouve fréquemment à l’intérieur
des leucocytes des vibrions extrêmement courts, virgulaires, la
grosse extrémité coiffée souvent d’une granulation de Pfeilter.
Il s’agit là d’une croissance intra-cellulaire des boules de Pfeitfer ;
il est facile, avec un bon objectif et un fort éclairage, de retrouver
tous les stades intermédiaires entre les granuiations sphériques
et les virgules bien développées.
Un fait qui frappe l’observateur est que ces jeunes vibrions,
isolés à l'intérieur des leucocytes polynucléaires, se présentent
à l’intérieur des mononucléaires sous forme d'amas: fait d'autant
plus curieux que, ainsi qu’il a été nettement établi par Salimbeni,
la transformation des vibrions en boules n’a pas lieu dans le
protoplasma des mononucléaires. Voici l'explication possible du
phénomène : le protoplasma des leucocytes polynueléaires est
infiniment plus bactéricide pour les vibrions que celui des mono-
nucléaires; parmi les granulalions englobées par les polynu-
cléaires, très peu ont pu résister aux sucs digestifs et regermer :
d'où l'isolement et la rareté relative des jeunes vibrions dans
ces éléments. Au contraire, les mononucléaires, grands man-
geurs de polynucléaires affaiblis, mettent de la sorte en liberté,
avant leur destruction complète, de véritables amas de granu-
lalions englobées par ces derniers; ces granulations regerment
dans le protoplasma des mononucléaires, incapable de produire
la transformation en boules, et y forment les petits paquets de
virgules qu’on y observe. Toujours au voisinage de ces paquels
on trouve des débris de noyaux digérés. Dans les cas où la mort
survient tardivement, on trouve constamment à la surface du
péritoine, en dehors des cellules, de nombreux vibrions libres,
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 285
très courts, vraisemblablement issus de granulations et sortis
des leucocytes, constituant ainsi une race plus virulente, mieux
adaptée au milieu bactéricide que la race primitive.
Jusqu'ici, l'étude des phénomènes qui accompagnent l'injec-
lion du sérum dans le péritoine nous apprend : à) que d’une
facon constante les phagocytes pénètrent dans l’exsudat peu de
temps après l'injection, et englobentles granulations, qui jamais
ne se dissolvent librement dans le liquide péritonéal. Les phago-
cytes sont les seuls agents de la destruction des granulations : b) que,
lorsque les granulations semblent disparaître de l’exsudat en s’y
dissolvant, il s’agit en réalité d’un transport de ces éléments
inertes à la surface du péritoine : c’est en ce point que s’opère
leur destruction en masse ; c) que le sérum agit d’une part en
attirant les leucocytes dans l’exsudat (la diapédèse commence
toujours, en effet, dans l'heure qui suit l'injection), de l’autre en
provoquant la phagolyse et, par là, la transformation des
vibrions en granules : sous cette dernière forme, peu virulente,
les microbes sont très rapidement englobés, ce qui débarrasse
en très peu de temps l'organisme de la presque totalité de ses
envahisseurs ; d) que la précocité de la défense (transformation
en granules et phagocylose) est une condition sine qua non pour
la guérison de l'animal; les cobayes meurent en effet intoxiqués,
lorsque l'injection de sérum retarde de 3 heures seulement sur
l'injection de vibrions, et cela malgré la transformation complète
des vibrions en granulations.
IV
Comment la marche des phénomènes que nous avons
étudiés jusqu'à présent se trouve-t-elle modifiée quand on
suspend pour un certain temps l’activité des leucocytes ? C'est
ce que nous allons tâcher d'établir dans le chapitre présent.
Pour obtenir ce résultat, nous employons la teinture d’opium
en injection sous-cutanée, à la dose de 1 c.c. de teinture fran-
çaise pour 200 grammes d'animal. La narcose qui en résulte
dure de 2 à 4 heures. Avant d'étudier l'influénce de cette
narcose sur la marche de l'infection vibrionienne, déterminons
d’abord son action sur les leucocytes eux-mêmes.
Sous la peau de l'oreille de deux cobayes vaccinés contre le
286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
choléra, introduisons une série de tubes capillaires fermés à un
bout et contenant une émulsion de vibrions; soumettons l’un
des animaux à la narcose par l’opium, et examinons les tubes
retirés d'heure en heure : le narcotisé commence à se réveiller
au bout de deux heures ; à ce moment, aucun leucocyle n’a
pénétré dans les tubes ; chez le témoin, les tubes contiennent un
bouchon leucocytaire de 2 mm. de longueur environ. Deux
heures plus tard, les tubes, chez le narcotisé, ne renferment
aucun leucocyte; chez le témoin, les bouchons leucocytaires
atteignent une longueur de 4 mm. Deux heures après (c'est-
à-dire 6 heures après le début de l'expérience) les tubes du nar-
cotisé contiennent un bouchon leucocytaire de 2 millimètres de
long ; dès cet instant, la pénétration des leucocytes dans les tubes
va se faire avec rapidité.
La narcose des leucocytes a donc duré 5 heures environ: la
diapédèse de ces éléments a été suspendue dès le début du phé-
nomène, et cela malgré la dilatation vasculaire qui existe chez
l'animal durant tout le temps de la narcose. Il y a lieu de se
demander si, au cours de celte anesthésie, la motilité, la sensi-
bilité tactile et la sensibilité chimiotactique ont été également
atteintes chez les cellules migratrices.
Faisons à un cobaye narcotisé une injection intrapéritonéale
d'encre de Chine délayée dans de l’eau physiologique tiède (à
375). Si nous retirons une goutte d’exsudat un quart d'heure
après l'injection, nous constaterons que le nombre des leucocytes
est très faible et ne dépasse pas la proportion normale des
leucocytes intrapéritonéaux. Tous contiennent cependant un
certain nombre de grains noirs. Cette absence complète de
diapédèse dure 2 1/2 à 3 1/2 heures environ, ainsi que le prouve
l'examen des exsudats péritonéaux et des coupes de l’épiploon;
par conséquent, dès le début de la narcose, il y a chez les
leucocytes suppression de la diapédèse, mais persistance de la
motilité et de la sensibilité tactile, puisqu'ils sont encore
capables d’englober les corps au contact desquels ils arrivent.
Nous devons donc considérer la sensibilité chimiotactique
comme la première atteinte.
La dilatation vasculaire et l’hyperhémie des vaisseaux sont
cause qu'une certaine quantité de sang passe à travers les
parois des capillaires dans la cavité péritonéale durant les deux
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 9287
premières heures de la narcose; c’est ainsi que bon nombre de
leucocytes se trouvent entraînés mécaniquement avec les glo-
bules rouges, si bien que 3 heures environ après l'injection,
malgré l'absence absolue de diapédèse, le nombre des globules
blancs a augmenté dans l’exsudat (leur proportion, relativement
aux hématies, est sensiblement la même qu'à l’intérieur des
vaisseaux). Tous ces globules blancs nouvellement arrivés sont
vides; aucun ne contient de grains noirs; leur motilité et leur
sensibilité tactile sont donc abolies. C’est donc 3 heures environ
après l'injection d’opium que la narcose des leucocytes est la plus
profonde; elle correspond au moment où l'animal donne les
premiers signes du réveil. Cette phase de narcose profonde
apparait d'autant plus vite que la dose d’opium injecté est plus
forte, ou que l’absorption en est plus rapide. Ainsi, si la dose
de 1 c.c. d’opium pour 200 grammes d'animal est directement
injectée dans le péritoine, la phagocytose est abolie dès le
début.
Des frottis d’épiploon et des coupes du même organe, faits à
différents moments de la narcose, nous apprennent que la dia-
pédèse commence à se faire vers la 5° heure (l'étude des tubes
capillaires nous l’avait déjà prouvé). À partir de ce moment,
l'englobement des granules d'encre de Chine se fait avec la
plus grande rapidité; cet englobement est surtout énergique à
la surface de l’épiploon sur laquelle se sont déposés la plupart des
granules de l’exsudat. (Surlalocalisation de l'encre de Chineinjec-
tée dans la cavité péritonéale, voirlemémoire récent de M. Pieral-
lini). Cette dissociation de la sensibilité chimiotactique d'une part,
de la sensibilité tactile et de la motilité de l’autre sous l’influence
de l’opium, apparaît bien plus nettement encore si l’on a eu
soin, 24 heures à l'avance, d’injecter dans le péritoine des
cobayes, 5 c. c. d’eau physiologique. Chez les cobayes ainsi
préparés, puis soumis à la narcose, 15 minutes après l'injection
intrapéritonéale d'encre de Chine, tous les leucocytes de l’exsu-
dat, fort nombreux à ce moment, sont gorgés d’une quantité
énorme de grains noirs; les mononucléaires en particulier sont
bourrés à éclater. Il n’y a pas là, au point de vue de l’énergie
de la phagocytose, dedifférence entre un cobaye ayant reçu de
l’opium et un témoin, également préparé dès la veille, mais non
narcotisé. Au contraire, tandis que chez le témoin non narco-
288 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tisé, le nombre des leucocytes de l’exsudat croit rapidement pen-
dant les premières heures qui suivent l'injection de sépia
(53,000 à 97,000 par mm. c. d’exsudat), leur nombre chez les
narcotisés reste stationnaire durant les 4 heures qui suivent
l'injection d'opium. Par conséquent, dans le cas de cobayes
préparés, la narcose n’atteint que la sensibilité chimiotactique
des globules blancs.
Ainsi donc : la teinture d’opium supprime presque instanta-
nément la diapédèse, en abolissant chez les leucocytes la sensi-
bilité chimiotactique. L'état le plus profond de narcose s'observe
3 heures environ après l'injection d’opium : à ce moment, la
motilité et la sensibilité tactiles sont abolies ; les cellules ne
phagocytent plus. L'injection préalable d’eau physiologique
dans le péritoine est impuissante à empêcher l’anesthésie chi-
miotactique; elle conserve au contraire aux leucocytes, malgré
la narcose, la motilité et la sensibilité tactile.
V
Chez les cobayes possédant l’immunité naturelle on acquise,
la guérison est fonction de l’aclivité phagocytaire. — Tout
autre est l'issue de la lutte, ainsi que nous l’avons établi dans
un travail antérieur, quand on paralyse l’action des leucocytes
en narcotisant l’animal. Un cobaye solidement vacciné contre
l'infection vibrionienne reçoit sous la peau 1 c. c. de teinture
d’opium par 200 grammes, et dans le péritoine une émulsion
de vibrions non mortelle pour un témoin non narcotisé. Dans
ce cas, l'animal meurt d'intoxication cholérique, Si nous suivons
les péripéties de la lutte, voici ce que nous apprend l'étude com-
binée de l’exsudat péritonéal et des coupes de l’épiploon : malgré
la dilatation et l’hyperhémie considérable des vaisseaux, malgré
l’'hyperleucocytose notable du sang, aucune diapédèse ne se
produit pendant les premières heures qui suivent l'injection
d'opium, et ce n’est que 5, 6 heures après cette injection que les
leucocytes commencent à apparaître dans la cavité péritonéale;
nous sommes de la sorte ramenés au cas d’un cobaye neuf, non
immunisé : 6, 8 heures suffisent en effet pour tuer, avec la
dose de vibrions employés, un cobaye non vacciné. — Pendant
ce temps, les vibrions pullulent et l’intoxication de l'organisme
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 289
a lieu, ainsi qu’en témoigne la courbe progressivement descen-
dante de la température; les vibrions conservent entièrement
leur mobilité, leur colorabilité, et l’on ne trouve pas de granula-
tions dans l’exsudat. Vers la 5° heure, la diapédèse commence
et devient rapidement très abondante; la cavité péritonéale
se remplit de leucocytes polynucléaires qui englobent des quan-
tités énormes de microbes. — L'animal meurt toujours avec
5, 6 heures de retard sur les témoins non vaccinés, et la mort
survient de 14-18 heures après l'injection; à ce moment on ne
trouve plus de vibrions libres dans l’exsudat : tous sont enfermés
à l'intérieur des leucocytes polynucléaires et transformés, pour
la plupart, en granulations grosses ou petites : ces dernières
prennent souvent l’éosine.
Sur les coupes de l’épiploon, on trouve sous l’endothélium
une grande quantité de petits amas vibrioniens donnant l'im-
pression de colonies développées sur place. Un examen attentif
permet de constater que ces amas sont contenus à l’intérieur de
leucocytes polynucléaires démesurément distendus et à noyau
ayant subi la chromatolyse ; c’est un phénomène comparable à
la pullulation intraleucocytaire des vibrions en goutte sus-
pendue. Or jamais on ne l’observe chez les cobayes non soumis
à l’action de l’opium. Dans le cas qui nous occupe, les leucocytes
ont retrouvé à un certain moment leur activité phagocytaire ;
mais bon nombre d’entre eux, encore affaiblis par la narcose,
ont succombé à l’action des vibrions englobés et sont devenus
autant de centres de multiplication.
L'étude que nous venons de faire est des plus intéressantes
en ce qu’elle nous démontre : 1° que chez les cobayes vaccinés
contre le vibrion cholérique les humeurs ne sont pas bactéricides
pour ce vibrion, puisque les microorganismes ont pu y vivre et
s'y multiplier à l'aise jusqu’à l’arrivée des leucocytes ; 2° que la
guérison de l'animal dépend de la précocité de l’intervention
leucocytaire ; le temps nécessaire à l’intoxication de l'organisme
dépassé, l’action des phagocytes ne sert à rien (peut-être à
retarder légèrement le moment de la mort) : en effet, l’animal
meurt, bien que ne présentant plus de microbes libres dans son
péritoine.
Ainsi donc, chez des animaux immunisés activement, la
narcose supprime l’immunité en paralysant l’action phagocytaire.
16
290 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Que se passe-t-il quand on soumet à l’action de l’opium des
animaux auxquels, en même temps que des vibrions, on injecte
du sérum préventif dans le péritoine? Voici le résultat des
expériences extrèmement nombreuses que nous avons faites à
ce sujet.
Nous savons que chez un cobaye qui reçoit, en même temps
qu'une dose mortelle de vibrions dans le péritoine, une dose
suffisante de sérum préventif, la guérison est la règle; elle
devient l’exception si, avant d’injecter le mélange, on narcotise
l'animal au moyen de la teinture d’opium. Les 4/5 des animaux
environ succombent dans ce cas à l’intoxication au bout d’un
temps qui varie de 20 à 70 heures. — Il v a donc, quand l’animal
meurt, un relard très considérable sur les témoins qui n'ont
pas reçu de sérum. Voici comment les choses se passent :
Dans les cas où la mort survient assez rapidement (au bout
de 24 heures, par ex.) la transformation des vibrions en granu-
lations se fait plus lentement que chez les cobayes qui n’ont pas
reçu d’opium; chez ces derniers, la transformation est presque
complète au bout de 10 à 15 minutes; il faut 1/2 h. ou 3/#h,
chez les narcolisés pour arriver au même point. — De plus, les
granulations disparaissent ici de l’exsudat bien moins vite que
chez les témoins, ce qui doit être attribué au fait que l’opium
arrête le péristaltisme intestinal. — Dans l’exsudat examiné
1/4 h. après l'injection, les leucocyles montrent les signes
de phagolyse et n’englobent pas les microbes; la diapédèse
commence à se faire 2 heures environ après le début de la
narcose ; à partir de ce moment, les leucocytes immigrés englo-
bent activement les granulations, mais refusent d’une façon
absolue les vibrions entiers, toujours assez nombreux dans
l'exsudat, À partir de la 5° heure, granulations et vibrions dispa-
raissent de l’exsudat : c'est à la surface du péritoine qu'il faut
les chercher ; on les y trouve en quantité. — Vers la 20° heure,
la surface du mésentère et de l’épiploon est recouverte d’un
nombre très grand de leucocytes bourrés de granulations; il n'y
a plus de granulations libres. — Par contre, on trouve en dehors
des cellules un nombre considérable de petits vibrions courts qui
dès lors se multiplient jusqu’à la mort de l'animal. A ce moment
l’exsudat contient une foule de vibrions bien mobiles.
Il est bien certain que dans ce cas les vibrions restés en
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 291
dehors des phagocytes représententdes individus particulièrement
virulents, que les leucocytes, déprimés par l’opium, évitent de
saisir, Cette abstention des globules blancs a pour conséquence
la mort de l’animal.
Quand la mort ne survient que 60 ou 70 heures après l’injec-
tion, voici les faits très intéressants que l’on peut observer : il y
a dès le début une transformation des vibrions en granules beau-
coup plus complète et plus rapide que dans le cas précédent
(quelques vibrions gardent cependant leur forme). Au bout de
8 heures, les granulations sont toutes englobées par les pha-
gocytes. Au bout de 24 heures, il n’y aplus de granulations dans
l'exsudal, mais celui-ci renferme un nombre considérable de
vibrions courts et très mobiles; le nombre de leucocytes présents
est faible et la phagocytose nulle. Vers la 30° heure, les vibrions
sont très nombreux; beaucoup de leucocytes ont également
pénétré dans l’exsudat, mais ils n’englobent que très peu de
microbes. Vers la 40° heure, on constate une phagocytose éner-
gique; les vibrions englobés se transforment en granulations à
l’intérieur des phagocytes. A la mort de l'animal, vers la
70° heure, les vibrions ont disparu de l’exsudat; sur toute la
surface du péritoine, il y a un nombre colossal de leucocytes en
général vides ; le nombre des vibrions libres est minime.
Voici comment on doit interpréter les faits dans cette lutte
prolongée : les leucocytes, sortis de leur narcose, ont englobé
les granulations, peu virulentes et trop peu toxiques pour avoir
pu déjà intoxiquer l'organisme; parmi les vibrions injectés, les
individus plus virulents, moins sensibles à la substance bacté-
ricide, ont gardé leur forme vibrionienne et n’ont pasété englobés.
Vers le moment où les leucocytes ayant reconquis toute leur
activité eussent dû les saisir, ils se sont trouvés en présence de
vibrions bien adaptés maintenant au milieu péritonéal et d’une
virulence exaltée ; d’où éloignement des leucocytes, absence de
phagocytose, pullulation des vibrions et intoxication de l’orga-
nisme. Durant cette deuxième phase de la lutte, les leucocytes
à leur tour se sont accoutumés au milieu nouveau, ont fini par
revenir et par englober énergiquement les microorganismes.
Malgré la destruction presque complète de ces derniers, l'animal
a succombé à l'intoxicalion. |
Ainsi donc : si chez un animal qui à recu dans le péritoine un
292 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
mélange de vibrions et de sérum préventif, on retarde l'intervention
des phagocytes et si on affaiblit leur activité au moyen de la narcose,
l'animal mourra intoxiqué malgré la transformation des vibrions en
granulations. Eneffet, les phagocytes auront étéincapables d'arrêter la -
pullulation de ceux des vibrions, particulièrement virulents, qui n'ont
passubi la transformation de Pfeiffer. Le phénomène de Pfeiffer est donc
incapable à lui seul de protéger l'organisme : dans ce cas, commie dans
celui de l'immunité active, la phagocytose est la condition indispen-
sable pour débarrasser l'organisme de ses parasites.
Si, maintenant, nous faisons varier les conditions de l’expé-
rience, el si, au lieu d’injecter le sérum préventif à l'animal nar-
cotisé en même temps que les vibrions, nous l’injectons plus
tard, voici ce que nous constaterons : tant que l'injection du
sérum a lieu dans les 2 heures qui suivent celle des vibrions,
ceux-ci se transforment en granulations : si le sérum est injecté
entre 2 heures 1/2 et et 3 heures et 1/2, la transformation ne
se fait plus : les vibrions restent entierset bien mobiles; si l’on
dépasse ce temps, la tendance à la transformation se manifeste
de nouveau; la transformation est complète si l'injection de
sérum a lieu 5 ou 6 heures après celle des vibrions.
Analysons de plus près ce phénomène, et voyons ce qui se
passe dans le cas suivant : un cobaye nareotisé reçoit dans le
péritoine une dose mortelle de vibrions cholériques. Trois heures
plus tard on lui injecte dans le péritoine 1 goutte de sérum
préventif. L'’exsudat examiné immédiatement avant l'injection
du sérum fourmille de vibrions bien mobiles ; les rares leucocytes
que l’on y trouve ne contiennent pas de vibrions. Leur aspect
est normal.
L’exsudat, examiné 1/2 d'heure après l'injection de sérum,
présente des caractères identiques : les vibrions sont entiers,
mobiles. Dans la plupart des cas on ne trouve aucune granula-
tion de Pfeiffer; dans quelquels cas, exceptionnels, de rares
vibrions (1/100 environ) sont transformés. Quant aux leucocytes
de l’exsudat, ils ont conservé la netteté de leurs contours; ils ne pré-
sentent aucun signe de phagolyse.
Deux heures environ après l'injection de sérum, les leuco-
éytes commencent à pénétrer en foule dans l’exsudat et l'englo-
bement des vibrions commence; ceux-ci se transforment à l’in-
térieur des cellules en granulations arrondies. L'animal meurt
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 293
12 ou 15 heures après l'injection des vibrions : à ce moment la
phagocytose, bien qu'énergique, est incomplète. A aucun
moment il n’y a eu transformation extracellulaire des vibrions.
Très manifestement, dans ce cas, la non-transformation des
vibrions en granulations est liée à l’absence de phagolyse. Pour-
quoi cette phagloyse n’a-t-elle pas lieu chez les cobayes qui
reçoivent le sérum vers la 3° heure de la narcose? L’'interpréta-
tion en est difficile à donner dans l’état actuel de nos connais-
sances ; rappelons-nous seulement que c’est le moment où la
narcose des éléments migrateurs est la plus profonde, celui où
tous les ordres de sensibilité sont le plus déprimés en eux.
Nous recommandons, pour Fétude de ce phénomène, des
cobayes pastrop âgés, bien sensibles par conséquent à l’action de
l'opium. Ceux de 300 grammes sont les plus convenables à ceteffet.
De cette série d'expériences ressort l’étroite connexion qui
existe entre la transformation des vibrions en granulations et la
phagolyse leucocytaire ; c’est ainsi que, au cours de la narcose,
le seul moment où cette transformation n'a pas lieu est préci-
ment celui où l’on n’observe aucune phagolyse. — Cette phago-
golyse doit être considérée comme une forme particulière et
anormale de la fonction phagocytaire : elle paralyse l’activité
d’un grand nombre de vibrions et rend leur englobement plus
facile. Mais elle est loin d’être suflisante pour la protection de
l'organisme; la guérison ne survient en effet que si les phago-
cytes détruisent les microorganismes de l’exsudat (granulations
et vibrions); supprimons en effet leur intervention ou retardons-
la, et l'animal mourra.
Voilà pourquoi, chez les animaux auxquels le sérum est
injecté quand l'intoxication à déjà eu lieu (3 heures, par
exemple, après Les vibrions), la mort survient malgré la trans-
formation intégrale en granulations. — Voilà pourquoi la nar-
cose par l’opium, qui fait arriver les phagocytes en retard et
affaiblis sur le champ de lutte, détermine le plus souvent la
mort de l'animal: dans ce cas, en effet, d’une part, les phagocytes
ne retouvent pas la force nécessaire pour détruire à temps les
vibrions particulièrement virulents qui n’ont pas subi la trans-
formation, de l’autre, il arrive fréquemment que les granula-
tions englobées repullulent dans le protoplasma des leucocytes
tués, contribuant ainsi à la réinfection du péritoine. Ce dernier
294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
fait est également intéressant en ce qu'il nous prouve la nature
vivante des granulations de Pfeiffer.
VI
Si, dans les cas de narcose, la mort d’un animal est réelle-
ment due à l’affaiblissement de ses phagocytes, il est naturel de
supposer que le résultat sera tout autre si l’on prend soin de
surexciter préalablement leur activité de façon à atténuer les
effets de la narcose. — Nous avons dit, en effet, que chez
des animaux préparés au moyen d’une injection péritonéale
d’eau physiologique, la narcose suspend la diapédèse (par suite
de l’anesthésie chimiotactique), mais laisse subsister la sen-
sibilité tactile et la motilité.
Et, en effet, chez des cobayes auxquels on a injecté, la veille,
dans le péritoine, 5 c. c. d’eau physiologique, on a beau faire
varier les conditions de l'expérience, injecter le sérum long-
temps après les vibrions, narcotiser l'animal, la quérison sur-
vient loujours. Voici un rapide exposé des phénomènes que l’on
observe dans ces différents cas.
Nous savons qu’on cobaye ainsi préparé se trouve immunisé
au bout de 24 heures contre une dose de vibrions mortelle pour
un témoin. Le fait a été démontré par Issaef en 1893. Au
moment de l'injection vibrionienne, il y a dans l’exsudat péri-
tonéal de 50,000 à 70,000 leucocytes polynucléaires par milli-
mètre cube. — Dix minutes après l'injection des vibrions, les
leucocytes ont déjà englobé de nombreux microbes; un très
grand nombre de microbes englohés sont tués immédiatement
sans prendre la forme de gros granules ; ils perdent rapidement
leurs affinités colorantes et se transforment en granulations
fines. Il n’y aucune transformation extracellullaire de microo:-
ganismes. — Le nombre des leucocytes augmente rapidement
dans l'exsudal. Au bout de 7-8 heures, l'englobement est
terminé; il n’y a plus de vibrions libres.
Si, en même temps que les vibrions, nous injectons une goulle
de sérum immunisant, il n’y a pas, ainsi que l’a établi M. Metch-
nikoff, de transformation extracellulaire des vibrions en gra-
nules. L’englobement des microbes est ici, pour ainsi dire, ins-
tantané ; instantanée également leur transformation intracellu-
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 293
laire en granulations. Nous avons pu constater nous-même que
les rares microbes non englobés conservent la forme vibrio-
nienne. — Dans l’exsudat, tous les leucocytes sont bondés de
granulations ; aucun ne présente le phénomène de la phago-
lyse.
Si, au contraire, nous injectons le sérum 3 heures après les
vibrions, la transformation intégrale des vibrions non englobés
a lieu dans l’exsudat; un quart d'heure après l'injection du
sérum, tous les vibrions intra ou extracellulaires sont transfor-
més en granules. Très rapidement, d’ailleurs, les granulations
extraleucocytaires sont englobées et l'animal guérit. Il semble
donc que, par suite de la lutte menée depuis trois heures contre
les vibrions, les phagocytes aient perdu de la suractivité qui
leur permettait d'échapper à la phagolyse.
Quelles sont les péripéties de la lutte chez les cobayes narco-
tisés ? (Nous avons dit que, même dans ce cas, la guérison est la
règle.)
Un premier fait, très intéressant, c'est que, lorsque après
avoir narcotisé un cobaye préparé par l’eau physiologique, on
lui injecte dans le péritoine des vibrions sans sérum, une grande
partie des vibrions (1/4 ou 1/2) est, malgré cela, transformée en
dehors des cellules en granulations de Pfeiffer. — On trouve
dans l’exsudat, un quart d'heure après l'injection des microbes,
un certain nombre de leucocytes phagolysés, entourés d'une
zone albumineuse bien nette, et n’englobant aucun microbe. —
À part ces quelques éléments souffrants, tous les leucocytes
présents englobent avec rapidité granules et vibrions. — Pen-
dant les 4 heures qui suivent, le nombre des leucocytes de
l’exsudat n'augmente pas, ce qui n'empêche que l'immense
majorité des microorganismes sont déjà phagocytés quand com-
mence la diapédèse : la narcose, en empêchant cette dernière
de se produire, n’a cependant pas supprimé la sensibilité tactile
ni la motilité des cellules. La presque totalité des vibrions se
trouvant de la sorte détruits dès le début du processus, l’animal
guérit.
Il y a lieu de se demander comment on pourrait expliquer
ici la transformation d’une partie des vibrions en granulations
extracellulaires ? Tous les leucocytes contiennent à l’état normal
une certaine quantité de substance bactéricide capable de trans-
296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
former en granulations les vibrions englobés; ici, les leuco-
cytes, étant en état de suractivité fonctionnelle, ont élaboré à
leur intérieur une quantité de substance bactéricide supérieure
à la normale (comme en témoigne la rapidité avec laquelle sont
détruits les vibrions englobés); il suffit donc qu'un petit nombre
d’eutre eux éclatent dans l’exsudat pour lui communiquer des
propriétés bactéricides.
Or, dans un exsudat aussi riche en cellules que celui qui nous
occupe, on conçoit qu'il y ait toujours quelques éléments, plus
particulièrement atteints par la narcose, qui se laissent sur-
prendre par le brusque contact de l’émulsion vibrionienne et
subissent ainsi la phagolyse; d’où production partielle du phéno-
mène de Pfeiffer.
Nous voyons donc que l’opium atténue jusqu’à un certain
point l’excitabilité des leucocytes surexcités par l’injection d’eau
physiologique. Aussi n'est-il pas étonnant que lorsque l’on
injecte, dans ce cas, aux cobayes narcotisés, une goutte de sérum
préventif en même temps que les vibrions dans le péritoine, il
y ait transformation intégrale, en dehors des leucocytes, des
vibrions en granulations de Pfeiffer ; c'est ce qui a lieu en effet.
Le nombre des vibrions qui gardent leur forme est minime. —
Malgré l'absence de diapédèse, l’englobement des microorga-
nismes se fait rapidement, et, 5 heures après l'injection, iln'y a
plus en dehors des cellules ni granulations ni vibrions. L'animal
guérit. Cette dernière série d'expériences ne fait que confirmer
la relation qui existe entre la phagolyse et la transformation
extracellulaire des vibrions ; toute cause qui suspend la première
supprime la seconde. Nous n’insisterons pas davantage sur un
fait surabondamment démontré.
VII
Il résulle de ce qui a été dit jusqu'ici que, même dans le cas
où la transformation extracellulaire des vibrions a lieu, l’orga-
nisme ne résiste que grâce à l'intervention de ses phagocytes:;
les granulations de Pfeiffer, en effet, ne représentent nullement
des microbes morts; elles sont bien vivantes et capables de
regermination.
Quant aux vibrions tués, ils ne prennent jamais la forme de
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 297
granulations. Nous avons déjà signalé au cours de notre travail
que les vibrions tués par les phagocytes, aussitôt après leur
englobement (ce que l'on reconnaît au fait qu’ils ne se colorent
plus que très mal), ne se transforment jamais en granulations de
Pfeiffer.
Si l’on stérilise une émulsion de vibrions dans l’eau physio-
logique, soit par la chaleur à 90° pendant 10 minutes, soit par
le chloroforme, et que l’on injecte cette émulsion, additionnée de
dix gouttes de sérum préventif, dans le péritoine d’un cobaye
neuf, jamais les vibrions injectés ne subissent la transformation
en granules ; ils gardent leur forme et prennent mal la couleur.
— On les retrouve ainsi pendant 3-4 heures à la surface de
l’épiploon; il ne sont en effet englobés que très tardivement par
les phagocytes. Ces mêmes vibrions donnent au contraire nel-
tement le phénomène de l’agglutination; ils se présentent en
grumeaux dans l’exsudat retiré 5 minutes après l'injection.
Nous avons d’ailleurs constaté à plusieurs reprises, dans les
chapitres précédents, que les granulations reprennent fréquem-
ment la forme vibrionienne, soit à l’intérieur des leucocytes,
soit dans le liquide de l’exsudat,. Il est aisé d'observer directe-
ment ce phénomène de regermination. Émulsionnons, en effet,
une culture de vibrions dans 2 c. c. de liquide composé en parties
égales d’eau physiologique et de sérum préventif. Introduisons
le tout dans un sac de collodion, hermétiquement clos, que nous
plaçons dans la cavité péritonéale d’un cobaye. Quatre jours après
retirons le sac. Nous trouverons que tous les vibrions contenus à
son intérieur ont la forme de grosses granulations, rondes, pre-
nant bien la couleur ; aucun ne possède la forme vibrionienne.
Ensemençons avec le contenu du sac une série de gouttes sus-
pendues, composées d’eau peptonisée et portées à l’étuve à 37°.
Ilest dès lors facile d'examiner une goutte d'heure en heure sous
le microscope; on voit au bout de 5-6 heures un grand nombre
de granulations pousser une petite pointe eflilée qui leur donne
bientôt l’aspect d’un bouchon de carafe court et à très grosse
tête; le petit appendice s’allonge en s’incurvant, et bientôt on se
trouve en présence d'une virgule peu allongée et à grosse extré-
mité très renflée. |
Les granulations de Pfeilfer représentent donc des microor-
ganismes vivants, immobiles et à virulence atlénuée (ils
298 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sont, en effet, saisis par les phagocytes avant ies formes vibrio-
niennes), mais aptes à repulluler s'ils ne sont englobés à temps.
La transformation des vibrions en granules constitue un phé-
nomène actif de la part de ces vibrions, qui revêtent ainsi la
forme sous laquelle leur surface de contact avec un milieu
défavorable est minima; les granulations extracellulaires de
Pfeiffer sont identiques aux grosses granulations intracellulaires
que l’on observe à l’intérieur des leucocytes qui ont englohé
des vibrions. Tout comme les formes vibrioniennes allongées,
elles se fragmentent, après l’action des sucs digestifs, en fines
granulalions qui prennent mal les couleurs basiques et devien-
nent rapidement éosinophiles. Cette dernière transformation
n’a jamais lieu à l'extérieur des leucocytes.
Il est à peine besoin d'indiquer ici que ces granules de Pfeif-
fer n’ont rien à faire avec des spores; ils ne résistent, en effet,
ni à la dessiccalion ni à une chaleur supérieure à 80°.
IL arrive parfois qu'après la transformation extracellulaire
des vibrions, un certain nombre de granulations périssent direc-
tement dans le liquide (le même fait se produit pour des vibrions
transportés brusquement dans un milieu nouveau). Ces granu-
lations mortes sont facilement reconnaissables : elles sont comme
sonflées, réfringentes, prennent très mal la couleur, et présen-
tent celte coloration gelée de groseille claire que nous avons
signalée plus haut. Si l’on produit in vitro le phénomène de
Pfeiffer, il se trouve toujours parmi les granulations formées
quelques grains réfringents ; il est aisé de se rendre compte que
jamais ces dernières formes ne regerment. Elles sont d’ailleurs
relativement rares. Les granulations de Pfeiffer sont constituées
par la masse entière du protoplasma vibrionien qui s’est rétracté
à l’une des extrémités de la membrane d'enveloppe. Si, en effet,
on examine à un très fort grossissement et avec un éclairage
puissant les premières phases du phénomène, in vitro, on,
trouve appendues aux granulations des gaines incolores, de
même réfringence à peu près que l’eau, qui reproduisent exacte-
ment la forme du vibrion, bien que légèrement plus gonflées.
Ces gaines vibrioniennes ne tardent pas à se détacher et à deve-
nir bientôt invisibles dans le liquide ambiant.
DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 299
VIII
Si nous essayons de résumer en quelques mots les résultats
de nos recherches, nous dirons que les phagocytes sont les
seuls agents destructeurs des vibrions dans les tissus, et que leur
intervention est la condition sine qua non de guérison pour l’ani-
mal : cela est également vrai pour les cas d'immunité active
(naturelle ou acquise) et pour les cas d’immunité passive, où la
destruction des vibrions est précédée de leur transformation
extracellulaire en granulations de Pfeiffer. Dans l’immunité
active, en effet, il y a parallélisme constant entre la guérison de
l'animal et l'énergie de la phagocytose. La mort survient toutes
les fois que l’on suspeud, au début du processus, l’activité pha-
gocytaire. On augmente au contraire considérablement la résis-
tance de l’animai en surexcilant l’activité de ses phagocytes. Les
cas de mort chez les animaux vaccinés et soumis à la narcose
prouvent que les humeurs de ces derniers ne sont point bacté-
ricides.
Dans les cas d’immunité passive où l'injection du sérum
préventif détermine la transformation extracellulaire des vibrions,
les phagocytes représentent également les véritables agents de
la guérison; l'animal meurt le plus souvent lorsqu'on empêche,
par la narcose, les leucocytes d’englober les granulations de
l'exsudat : en effet, ces dernières représentent des microorga-
nismes vivants, capables de repulluler. Jamais, d’ailleurs, la
transformation en granules n’est complète; on trouve toujours,
à la surface du péritoine, bon nombre de vibrions non transfor-
més qui deviennent le point de départ d’une réinfection s'ils ne
sont englobés à temps par les globules blancs. Il suffit, d'autre
part, d’atténuer les effets de la narcose en surexcitant par avance
l'activité. leucocytaire, pour voir l'animal guérir d’une façon
constante.
Enfin, la transformation extracellulaire des vibrions, si
exceptionnelle qu’elle soit dans la nature, représente elle-même
une extension de la fonction phagocytaire, et pour ainsi dire une
action enzymotique substiluée à l’action intracellulaire ; elle est,
en effet, intimement liée à la phagolyse et ne se produit plus
quand, dans certaines conditions spéciales de narcotisation, on
300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
empêche la phagolyse de se faire. Remarquons d’ailleurs que
cette transformation extracellulaire des vibrions n’est jamais wne
destruction extracellulaire, et que le sort final de la lutte dépend,
même ici, des phagocytes. La preuve que les leucocytes sont
bien le siège de la substance bactéricide qui transforme les
vibrions en granules est fournie par le fait que le phénomène de
Pfeiffer n'est possible à réaliser sous la peau que si l’on amène
des leucocytes au contact du sérum préventif (par exemple en
ajoutant du pus au mélange injecté).
BIBLIOGRA PHIE
ne -
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LES VACCINATIONS ANTIRABIQUES À L'INSETTUT PASTEUR
EN 1897
Par M. ce Dr H, POTTEVIN
l
Pendant l’année 1897, 1,521 personnes ont subi le traitement
antirabique à l’Institut Pasteur : 8 sont mortes de la rage. On
trouvera leurs « observations » résumées à la fin de ce travail.
Si nous retranchons, des 8 cas de mort que nous venons de
signaler, deux cas, ceux de Heniquet et de Morin, dans lesquels
la mort est survenue avant que les vaccinations aient pu produire
leur effet, les résultats des vaccinations pendant l’année 1897
sont :
BFSORHESILRIIER SES M RU ce een ue 4519
NOEL SR RS NE RSA CELA QU Gare Rd 6
Mortalité DOME MSA CRT tre AAA EN 0,39
Dans le tableau ci-dessous, ces chiffres sont rapprochés de
ceux fournis par les statistiques des années précédentes.
Années, Personnes {raitées, Morts. Mortalité 0/0
1886 NO) AA 29 0,94
1887 1,710 14 0,79
1888 1,622 9 0,5
1889 1,830 ÿl 0,38
1890 1,340 3 0,32
1891 1,559 4 0,25
1892 1,790 4 0,22
1893 1,648 6 0,36
1894 1,387 7 0,50
1895 1,520 D 0,33
1896 1,308 4 0,30
1897 1,521 6 0,39
IT
Les personnes traitées à l’Institut Pasteur sont divisées en
trois catégories correspondant aux tableaux suivants :
302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Tableau A. — La rage de l'animal mordeur a été expérimen-
talement constatée par le développement de la rage chez des ani-
maux inoculés avecson bulbe.
Tableau B. — La rage de l'animal mordeur a été constatée
par examen vélérinaire.
Tableau C. — L'animal mordeur est suspect de rage.
Nous donnons ci-dessous la répartition, entre ces catégories,
des personnes traitées en 1897. La première colonne de chaque
catégorie donne le nombre des mordus; la seconde le nombre
des morts ; la troisième la mortalité pour cent.
| 5 |
| Morsures à la | Morsures aux Morsures aux
|
tête. mains. | membres. Totaux.
Tableau A | 15 0 81 46 À 07
0
Tableau B | 106-|0| 0 | 539 | 2 0,4. 918
fie | ET
Tableau € | 30
| 451 |0
Les tableaux suivants, qui contiennent les résullats acquis
depuis l’origine des vaccinations, montrent que la gravité des
morsures varie avec leur siège, et que la mortalité est toujours
inférieure à 1 0/9 pour les personnes mordues par des chiens
sûrement enragés,.
Personnes traitées. Morts. Mortalité.
Morsures à la têle .... 4,759 21 1,1
Morsures aux mains .. 11,118 53 0,47
Morsures aux membres - 7,289 | 22 0,30
20,166 96 0,46
Personnes traitées. Morts. Mortalité.
Hableau. As... , 2,872 20 0,69
HableaudB. #0. 4... ASDAT 61 0,48
Tabloaues Jr: . 422 4,741 15 0,31
20,166 96 0,46
STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR. 303
IL
Au point de vue de leur nationalité, les 1521 personnes trai-
tées à l'Institut Pasteur en 1897 se répartissent de la façon
suivante :
Allemagne 8 États-Unis 1
Anpglelerre 83 Grèce 1
Belgique 14 Indes Anglaises 33
Égypte 2 Suisse 32
Soit 175 étrangers et 1346 Français.
Le tableau suivant donne la répartition, par départements,
des 1346 Français.
eq
ARE es ne AOC MES MER AIIOISE ES 13
AISTBE ML TX 3 | Garonne (Haute-) NO EE ER TEEN 3
ATTER SR ES Sos ue A CELSE Meet 18 | Pas-de-Calais ... 9
Alpes nn FE OCTO RTE. 61 | Puy-de-Dôme... ... 6
Alpes (Hautes-). ONFHÉTAUIT Re CE 10 | Pyrénées (Basses-). 32
Alpes-Maritimes ... 0 | Ille-et-Vilaine. .,... 13 | Pyrénées (Hautes-). 21
AAC Ex CRT de 2 | Indre-et-Loire ..... 3 | Pyrénées- Orientales 3
Ardennes 2:16. 2Andres:t rs. DRE A RhôRE Sert 139
ASIE REIN ne NS ARS 24| Rhin (Haut-)...... 1
AUDE SERRE AE Drame AR Le CUP 3 | Saône (Haute-)..... (!
AGO NS ENT raie 19)Eandes. 2 Se 15 | Saône-et-Loire... 4
AVÉNLON Er ee MSP lOrr-et-Ghers.. 2% NS ANTAIINOR LEUR ER Te ARE 1
Bouches-du- Aube DPOITEM ES RE ne HAE SAVOIE eee se eee 19
Calvados 7": 12 | Loire (Haute-) .. .. 171] Savoie (Haute-) .... 14
Cantal mer ten 1 Péonre-Infeneure- "2 /iSome ns 349
Charentes sr se AS DITEL-R ES ner ù | Seine-et-Marne . ..…., 0
Charente=inférieuresan47 lot: sine. 31 | Seine-Inférieure ,,, 25
Chers us ER 2 | Lot-et-Garonne .... 26 | Seine-et-Oise....... 32
Corrèze D UD OZÉ LE Rent 5 | Sèvres (Deux-)..... 8
Corse rer. LE SERA 4 | Maine-et- Li Re 2'SOMIME. LL 2e 7
Cole Orne ns 0 | Manche. 2] VEN 45
Côtes-du-Nord ..... AHEMarne tre tree. 0 | Tarn-et-Garonne 35
Creuse... DRE 1 | Marne (Haute-) .... DIN AT ete EE 0
Dordogne #7. 30 | Mayenne.,....:.... APVNaUCluSeR re ete )
DÉTDSEET RE 3 | Meurthe-et-Moselle . LI Nendée tar 11
Drome ME RnAu ee 1AIMOUSeS SMART, 'INienneteese RE 9
EUPER SR eee 42\ Morbihan -...5..... 9 | Vienne (Haute-).... 2
Eure-et-Loir ....... 4 | Nièvre. its LIVES REPARER 0
Hinistérenr.2" 7. RL EN OT noue D\EVONTIE REP EE AE Fe )
OBSERVATIONS
HourG Camille, 26 ans. — Mordu le 11 avril, traité à l’Institut, Pasteur,
du 13 au 30 avril. Mort de la rage à l'hôpital Lariboisière, le 26 mai. Les
morsures, au nombre de six, pénétrantes, étaient situées sur l'éminence
304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
thénar de Ja main gauche. Le chien mordeur examiné par M. Grenot, vété-
rinaire à Paris, avait été reconnu enragé à l’aulopsie. — Une autre personne
mordue et trailée en même temps que Bourg est actuellement en bonne
santé.
Fiquer Louis, 23 ans. — Mordu le 22 avril, traité à l’Institut Pasteur du
23 avril au 10 mai. Mort de la rage à l'hôpital Necker, le 4 juin. Les mor-
sures, aunombre de cinq, dont deux profondes, étaient situées sur la périphérie
du pouce droit; elles avaient été cautérisées au bout de cinq heures par un
agent chimique indéterminé. — Le chien mordeur, examiné par M. Caussé,
vétérinaire à Boulogne-sur-Seine, avait élé reconnu enragé à l’autopsie. —
Une autre personne mordue en même temps que Fiquet est actuellement en
bonne santé.
Beaurorr Annelte, 19 ans. — Avait été léchée le 15 avril sur les mains
qui portaient des écorchures à vif par un chien qui, abattu le lendemain,
fut déclaré enragé, à l’autopsie, par M. Lachmann, vélérinaire, à Saint-
Etienne. — Traitée à l'Institut Pasteur du 20 avril au 7 mai. — Morte de
la rage le 14 octobre. — Deux autres personnes mordues par le même
chien et traitées à l'Institut Pasteur sont actuellement en bonne santé.
HexiQuer Julien, 53 ans. — Mordu le 11 mai par un chien que
M. Jenvresse, vétérinaire à Beaumont-sur-Oise, a déclaré enragé après
autopsie. — Une première morsure avait déchiré la lèvre inférieure, les
deux bords de la plaie avaient dû être réunis par trois points de suture :
trois autres blessures siègeaient à la racine du nez. — Les plaies n'avaient
pas été cautérisées. — Traité à l'Institut Pasteur du 18 mai au 5 juin. —
Les premiers symptômes rabiques se sont manifestés le 4 juin, avant la fin
du traitement ; la mort est survenue le 7 juin. — La rage ayant éclaté au
cours des inoculations, il convient de retrancher Heniquet du nombre des
personnes mortes de la rage après traitement.
SEGOND Germain, 7 ans. — Mordu le 23 mai à l'avant-bras droit : la
morsure pénétrante avait été faite sur le membre nu; elle avait été cauté-
risée au fer rouge au bout d'une heure. Traité du 26 mai au 9 juin. Mort de
la rage le 22 juillet. Le bulbe du chien mordeur avait été remis à
l'Institut Pasteur; un cobaye inoculé dans l'œil le 26 mai a été pris de rage
le 10 septembre.
RicHarp Suzanne, 8 ans. — Mordue le 12 juin à la jambe gauche par un
chien reconnu enragé après autopsie de M. Touret, vétérinaire à Sannois. —
La morsure pénétrante s'étendait sur une longueur de 3 centimètres (les
lêvres avaient dù être réunies par des points de suture); elle avait été faite
autravers d’une chaussette de coton et cautérisée au bout d’une demi-heure
avec un agent chimique indéterminé. — Traitée du 13 juin au 30 juin, morte
de la rage le 2 août. (Renseignement de M. le docteur Marguy, à Sannois).
VANDALE Joseph, 33 ans. — Mordu le 8 août à la main gauche. — Les
morsures, au nombre de six, pénétrantes, siégeaient sur la face dorsale; elles
n'avaient pas été cautérisées. Le chien mordeur avait été déclaré enragé
par M. Verraert, vétérinaire à Ostende. — Traité à l'Institut Pasteur, du
11 août au 28 août, mort de la rage le 27 septembre.
MorN Paul, 38 ans. — Mordu le 24 août à la joue gauche; la morsure
unique, qui s’étendait sur une longueur de 2 centimètres, n'avait subi aucune
cautérisation, Le chien mordeur, conduit à l’École d'Alfort, le 25 août, fut
reconnu enragé. — Traité à l’Institut Pasteur du 26 août au 15 septembre.
Mort de la rage quelques jours après la fin du traitement (trois semaines
après la morsure, dit la note qui nous a été remise). — Le délai qui s'est
écoulé entre la fin du traitement et le début des accidents rabiques étant
inférieur à 14 jours, Morin ne doit pas être compté au nombre des per-
sonnes ayant subi les inoculations dans les conditions où elles sont
efficaces. |
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux, — Imprimerie E. Charaire,
au
19me ANNÉE MAI 1898 No 5.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
DE LA BEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE ET CLINIQUE
Par Le Dr BESREDKA
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)
La diphtérie est une maladie à laquelle ne paraissent pas
s'adapter jusqu'ici les conceptions phagocytaires fournies par
d’autres maladies infectieuses. Faut-il modifier ces conceptions
pour la diphtérie, ou bien Îles remplacer par d’autres ? Telle est
la question que nous nous sommes posée en reprenant l'étude de
la diphtérie.
Avant d'entrer dans le cœur de notre sujet, il serait intéres-
sant de jeter un coup d'œil rapide sur les phénomènes analogues
dans d’autres maladies que la diphtérie.
Les cliniciens ont remarqué que dans toutes les maladies
infectieuses 1 existe une réaction leucocytaire. Mais pour que
cette réaction leucocytaire prenne le caractère d’un phénomène
physiologique etrégulier de protection de l’organisme, ilfautqu’on
lui trouve des allures en rapport avec la fonction qu’on lui attri-
bue, et, pour pouvoir aspirer au titre de phagocytes, la première
condition que doivent remplir les leucocytes, c’est de faire
preuve d’une sensibilité chimiotactique ; ils doivent affluer en
grand nombre dans le sang, y séjourner le plus longtemps pos-
sible pendant que l'organisme est sous le coup de l'infection, et
ne disparaître que quand l'organisme est hors de danger
ou bien quand, la lutte étant inégale, le virus prend le dessus.
e ÿ
306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Ceci est la première des trois conditions auxquelles doit satis-
faire un vrai phagocyte, les deux autres étant, comme l’a établi
M. Metchnikoff, l'engloblement et la digestion, phénomènes que
nous ne traiterons pas dans le présent mémoire.
Ce premier temps du processus phagocytaire, le temps chi-
miotactique, le trouvons-nous dans les maladies infectieuses ?
Lorsqu'on a approfondi la question de la leucocytose, on a
constaté ce fait important, commun à la majorité des maladies
infectieuses : quand l'organisme est envahi par des microbes
ou leurs produits, le nombre de leucocytes du sang augmente
considérablement, et ceux-ci déploient un maximum d'activité
lorsque la maladie est à son apogée. Au fur et à mesure que
l’organisme se débarrasse de son virus, cette suractivité leuco-
cytaire va aussi en s’affaiblissant jusqu'à atteindre le niveau
normal.
Dans certaines maladies, notamment dans la pneumonie,
quand une augmentation des globules blancs survient au cours
de l’affection, la clinique veut qu’elle finisse par guérir; quand au
contraire les leucocytes deviennent rares, l'expérience de tous
les jours montre que c’est très probablement le virus qui va
triompher, les leucocytes n'étant plus capables de lui résister.
Telles sont en termes généraux les variations leucocytaires
observées au cours des maladies infectieuses les mieux étudiées.
Si ces phénomènes ne s’observent pas dans toutes les maladies
sans exception, c'est qu’une maladie humaine n’évolue’pas avec
la pureté d’une maladie expérimentale. Chez l'homme traver-
sant une maladie de longue durée, beaucoup d’influences étran-
gères viennent impressionner les leucocytes, et il est parfois
difficile de déceler une régularité quelconque dans le jeu leuco-
cytaire. Mais souvent elle se rapproche tout à fait de celle que
montre l’expérimentation.
LS
* *
Parmi les maladies qui paraissent au premier abord démentir
notre conception de la leucocytose, les adversaires de la doctrine
phagocytaire citent la diphtérie, la fièvre intermittente et la
fièvre typhoïde. |
Pour ce qui concerne la fièvre intermittente, nous renvoyons
au mémoire de M. Vincent qui a fait justice de l’opinion d'après
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE 307
laquelle cette affection constituerait une exception à la règle.
Quant à la fièvre typhoïde, qui se caractériserait par une
hypoleucocytose persistante pendant toute la durée de la maladie
(Hayem, Rieder), 1l nous suffit de nous adresser à des recher-
ches publiées récemment par M. Stiénon, peu connues peut-être,
mais très soigneusement exécutées, pour nous assurer que cette
opinion n’a rien de fondé. fe témoignage de M. Stiénon est
d'autant meilleur à invoquer que cet auteur ne paraît pas
partager notre manière de voir en ce qui concerne ec"
de la leucocytose.
En se basant sur ses nombreuses numérations, M. Stiénon
arrive à la conclusion « qu’en réalité rien n’est plus irrégulier
que le chiffre des leucocytes dans la fièvre typhoïde »; mais
lorsqu'il tient compte des différents genres de leucocytes, il
arrive à constater une évolution régulière, comprenant quatre
phases dont les caractères sont les suivants :
« Première phase: prédominance notable des formes à noyau
polymorphe, dépassant le chiffre de 80 0/0 et atteignant parfois
celui de 90 0/0. |
Deuxième phase : diminution progressive des formes à
Moyau polymorphe; la chute n’est pas régulière, elle offre des
sursauts dans un certain nombre de cas.
« Troisième phase : les formes à noyau polymorphe ne dépas-
sent plus guère en nombre les formes à noyau simple.
« Quatrième phase : les diverses formes tendent à reprendre
une valeur normale. »
Ainsi, au début dela fièvre typhoïde, il ya une augmentation
très accentuée des polynucléaires. Eh bien, en nous plaçant sur
sur le terrain phagocytaire, nous dirons que dans la fièvre
typhoïde, même dans les cas où on observe l’hypoleucocytose,
l'organisme gagne en qualité de ses leucocytes ce qu’il perd en
quantité.
De sorte que, au point de vue de notre conception de la leuco-
cytose, nilafièvre intermittente, ui la fièvre typhoïde ne méritent
une place à part dans la famille des maladies infectieuses.
Pour en avoir le cœur net, il nous reste à étudier la diphtérie,
question autrement importante autant au point de vue du prin-
cipe que des applications pratiques qu'elle comporte. Nous di-
viserons cette étude en deux parties: dans la première nous
308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
traiterons la question au point de vue expérimental, et ce n’est
qu'après nous être armés des données précises du laboratoire que
nos aborderons utilementle côté clinique.
La leucocytose dans la diphtérie expérimentale a fait le sujet
de très peu de travaux ; nous ne connaissons que ceux de Ga-
britchewsky, Chatenay et enfin Nicolas et Courmont.
Gabritchewsky a seul étudié les phénomènes leucocytaires
sous l'influence des cultures entières du bacille diphtérique. Il
conclut que les inoculations entraînant la mort sont suivies
d’une hyperleucocytose qui augmente progressivement jusqu’à
la mort; par contre, chez les animaux immunisés, l’hyper-
leucocytose atteint son maximum huit heures après l'injection
des microbes, pour disparaître complètement au bout de 24 heures.
Ce sont des phénomènes diamétralement opposés à ceux aux-
quels nous devions nous attendre par analogie avec d’autres
maladies infectieuses.
Nous verrons plus loin que, loin d’être en dissonance com-
plète avec la conception phagocytaire, ils sont en réalité de ceux
qui vont le mieux servir notre cause et lui fourniront le plus
solide appui.
Chatenay a le premier, sur le conseil de M. Metchnikoff, étu-
dié les réactions leucocytaires vis-à-vis des produits microbiens
solubles, et, entre autres, vis-à-vis de la toxine diphtérique ; mais
les expériences concernant cette toxine n'étant pas assez nom-
breuses pour être concluantes, nous passons directement aux
recherches de MM. Courmont et Nicolas.
Ces savants étudièrent d’abord la leucocytose dans les intoxi-
calions rapides, par doses massives, puis la leucocytose dans
les intoxications chroniques, par doses faibles, et enfin les
phénomènes qui se passent pendant l’immunisation. Nous les
suivrons dans toutes ces différentes phases.
Examinons d’abord les résultats obtenus en employant
des doses massives. Comme ce sont précisément ces résultats
qui nous ont déterminé à reprendre ces recherches, nous croyons
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 309
ulile de rapporter ici les conclusions des auteurs telles qu’elles
ont été formulées par eux-mêmes.
« Si nous résumons, disent-ils, la série de six expériences,
nous pouvons mettre en évidence les faits suivants :
« À) Dans quatre expériences ia leucocytose n’a pas été
sensiblement influencée par l’intoxication; les chiffres ont varié
irrégulièrement de 3,000 à 14,000. Nous ne tenons pas compte
de ces variations et de la légère élévation du nombre des leuco-
cytes ; elles peuvent être mises sur le compte de la répétition
des piqüres de l'oreille ou de toute autre cause accidentelle. Des
variations au moins aussi marquées ont été observées chez les
témoins sans qu'on ait à invoquer l’intoxication.
« Daus deux expériences seulement, la leucocytose a atteint
des chiffres extrêmement élevés... Lorsque cette hyperleucocy-
tose se produit, son maximum se présente peu de temps avant
la mort.
« B) Quelles que soient les variations de la leucocytose, il
n’y a pas de relation bien marquée entre celle-ci et la Lempéra-
ture. Tandis que la température suit une courbe absolument
régulière (hyperthermie, puis hypothermie finale comme l'ont
montré J. Courmont et Doyon), la leucocytose suit une marche
très irrégulière par rapport à la première, qu'il y ait hyperleu-
cocytose ou non.
« L’intoxication massive diphtérique produit donc chez le
lapin des réactions leucocytaires très inconstantes, tantôt une
hyperleucocytose insignifiante, tantôt une hyperleucocytose
énorme et progressive jusqu'à la mort.
€ Il semble que tantôt (le plus souvent) l’organisme sidéré par
le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire, ou
ne réagit que d’une manière à peine appréciable : tantôt au
contraire, et c’est le cas une fois sur trois, sa réaction leucocy-
taire se fait sans peine, et l’on voit les globules blancs atteindre
des chiffres énormes de 40,000, 89,000. Quoi qu'il en soit, ces
extrêmes traduisent une atteinte très profonde de l’organisme
et telle que, ou bien cet organisme est devenu incapable de
réagir, ou bien il est rendu inapte à régler sa réaction qui
dépasse alors toute limite. »
Telles sont les conclusions de MM. Nicolas et Courmont,
très peu encourageantes, évidemment, pour la doctrine qui
310 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
considère les leucocytes comme les défenseurs de l'organisme;
le rôle des leucocytes dans la diphtérie devient plus obscur
encore si on se rappelle les faits de Gabritchewsky dont nous
avons parlé plus haut.
L'idée directrice de nos recherches était de savoir si la leu-
cocytose est un phénomène phagocytaire; il est donc tout
nature] que nous fixions toute notre attention sur les polynu-
cléaires, ces phagocytes par excellence. C’est ce que nous allons
faire dans le cours de toutes les expériences qui vont suivre.
Mais, pourra-t-on nous objecter, pourquoi n'avons-nous
pas procédé de même quand il s'agissait d’autres maladies. Jus-
qu'ici on avait l'habitude de parler de la leucocytose en général,
sans viser tout particulièrement les polynucléaires. La raison
en est bien simple, répondrons-nous. Dans les autres maladies
l'augmentation totale des leucocytes va parallèlement avec celle
des polynucléaires, et même plus, l’hyperleucocytose dans
presque tous les cas se fait au dépens des polynucléaires ; il n’en
est pas de même dans la diphtérie, et notamment dans l’intoxi-
cation rapide, où le parallélisme entre le nombre total des leuco-
cytes et celui des polynucléaires n'existe guère. Puisqu'il en
est ainsi, la logique nous commande de scinder la question pour
la diphtérie; si notre but est de savoir quel rôle est dévolu
aux phagocytes dans cette maladie, il faut oublier pour le mo-
ment tous les autres leucocytes et s'occuper des phagocytes,
notamment des polynucléaires.
Cette considération si simple et surtout logique a échappé à
nos prédécesseurs ; et elle nous a amené à modifier de fond en
comble les conclusions de MM. Nicolas et Courmont.
Hâtons-nous de dire que les chiffres obtenus par ces auteurs
ont été confirmés par nous dans la majorité des cas; seulement
ils ont eu tort de ne pas prendre la question par le bon côté.
*
*X *
Intoxication par doses massives.
Prenons un lapin ; injectons-lui sous la peau une dosemassive,
une dose dix fois mortelle, par exemple, de toxine. Le lapin
mourra invariablement au bout de 26 à 30 heures au plus.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 311
Prélevons-lui toutes les heures, ou toutes les deux heures,
deux gouttes de sang, une pour compter le nombre total des
leucocytes, l’autre pour en faire une préparation sèche.
Si nous considérons la masse totale des leucocytes sans faire
aucune distinction entre eux, et que nous présentions les chiffres
obtenus sous une forme graphique, nous obtiendrons une courbe
analogue à celle de MM. Nicolas et Courmont, courbe fortement
tourmentée, (tracé n° 1) n'ayant de constant que l’irrégularité de
ses formes.
RRERED
SENTE \}
| Dis LOTEN
EE TEEN
Tracé no 1.
Lapin n° 1.—2050 gr. Reçoit, le 19 septembre à 2 heures 15, sous la peau
1 c. c. de toxine ‘ ; son sang est examiné toutes les heures pendant les sept
premières heures (jusqu'à 9 heures 30 du soir), et le 20 septembre, de
7 heures du matin jusqu’à 4 heures 30, moment de la mort (sept fois). Pour
voir les variations du sang ayant lieu pendant la période correspondant à
la nuit et pour ne pas multiplier les piqûres aux oreilles, un autre lapin
n° 2 a été inoculé dans des conditions identiques, avec cette différence qu'il
a reçu la toxine à 10 heures du soir le 19 septembre : son sang a été examiné
le 20 septembre de 7 heures du matin jusqu’à la mort survenue vers minuit;
c'est ce second lapin qui nous a permis de compléter la courbe fournie par
le premier; les données obtenues avec le lapin n° 2 sont représentées par un
pointillé, qui a pour but d'indiquer plutôt le caractère général de la leuco-
cytose que les chiffres exacts.
Ne nous arrêtons pas là, comme l’ont fait lessavants lyonnais.
1. La toxine diphtérique, qui nous a été très obligeamment fournie par
M. Martin, tuait un lapin de 2 kilos environ à la dose de 1/10 de c. c.
312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Examinons les préparations sèches du sang par des méthodes
appropriées (bleu de méthylène-éosine),et notons le nombre des
polynucléaires qui se rencontre dans différents champs micros-
copiques sur cent leucocytes; exprimons les chiffres obtenus par
une courbe (tracé n° 2).
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:
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Nous sommes immédiatement frappés de la régularité que pré-
sente cette courbe; ce ne sont plus les zigzags de celles de
MM. Nicolas et Courmont, qui parlaient si peu à l'esprit; nous
avons au contraire une courbe d’une régularité parfaite et très
significative, L’inspection seule de la courbe suffit pour nous
dispenser de l’accompagner des commentaires. De plus, tandis
que diflérents lapins de MM. Nicolas et Courmont présentaient
des courbes à allures très variées, ici nous sommes en présence
d’une courbe commune à tous les lapins que nous avons examinés,
et ils étaient nombreux.
Ce n’est pas tout. Faisons un petit calcul et exprimons en
chiffres absolus (et non pour cent) les nombres des polynucléaires
contenus dans { mm. c. à chaque prise de sang; pour mieux voir,
traçons une courbe (tracé n° 3). Il s’agit toujours du même lapin.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 313
Ici ce n’est pas seulement la régularité de la courbe qui
nous frappe; elle porte en elle un enseignement autrement
important.
Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le fait dominant
dans la leucocytose de la diphtérie, et qui la distingue de toutes
les autres maladies, c’est, d’après Gabritchewsky, aussi d’après
MM. Nicolas et Courmont, l’hyperleucocytose très accentuée qui
précède la mort.
Cette courbe (tracé n° 3) nous fournit la clef de ce fait quasi-
Lanëre d'Aeul'es
INA IS CYESÈNES
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53
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(Th)
[2
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Tracé N° 3.
paradoxal; elle nous montre de la façon la plus nette que cette
hyperleucocytose in extremis n’en est pas une, elle n’est qu’appa-
rente, dès que nous nous rapportons seulement aux polynucléai-
res: en réalité les phénomènes se passent de la même façon, avec
une régularité qui ne se trahit jamais, et qui est encore plus par-
faite que dans toutes les autres affections.
Cette courbe, associée à la précédente, nous montre qu'a-
près l'injection, les leucocytes, pendant les premières heures,
314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ne semblent pas s’apercevoir de la présence de la toxine;
mais, au commencement de la troisième heure environ, les poly-
nucléaires commencent à se mettre en mouvement (tracé n° 2)
bien que leur nombre total reste encore stationnaire; dans cer-
tains cas nous avons même pu observer, pendant les premières
heures, une diminution de la masse totale de polynucléaires,
c’est-à-dire une hypoleucocytose polynucléaire ; ce stade est de très
courte durée etil faut savoir le surprendre.
Déjà dès la cinquième ou sixième heure, on constate une
ascension progressive, d'abord lente, puis très rapide, des
polynucléaires. Cette ascension atteint un maximum 14 à
16 heures après l’inoculation. Arrivés à l'apogée de leur activité,
les polynucléaires rebroussent chemin, et cette fois-ci très
rapidement, en y mettant beaucoup moins de temps qu'ils n’ont
mis pour atteindre le maximum ; leur nombre diminue de plus
en plus, et avant la mort il tombe au-dessous de la normale, ou bien
atteint le minimum qu'il avait présenté au cours de l'intoxication.
Donc ce n’est pas l’hyperleucocytose qu’on observe avant la
mort, c’est tout à fait le contraire, et dès lors le fait signalé par
tous les auteurs, si paradoxal et si contraire en apparence à
l'esprit de la phagocytose, se trouve en accord le plus parfait
avec les desiderata de cette doctrine.
x
x »
MM. Nicolas et Courmont s’étonnent que, dans l'intoxica-
tion par doses massives, il n’y a jamais eu de relations entre les
variations leucocytaires et la température.
« Tandis que, disent-ils, la température suit une courbe
absolument régulière (hbyperthermie, puis hypothermie finale),
la leucocytose suit une marche très irrégulière par rapport à la
première, qu'il y ait hyperleucocytose ou non. »
Eh bien! Ces auteurs n'ont qu’à consulter nos courbes des
polynucléaires, et les comparer avec celle de Doyon et de Cour-
mout, pour se convaincre que non seulement il existe des rela-
tions étroites entre les variations leucocytaires et la température
pour le cas étudié, mais que ces deux courbes sont si voisines
l'une de l’autre, qu'il y a presque fusion complète entre elles.
Il est à peine nécessaire d’ajouter que la conclusion princi-
=
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 315
pale de MM. Nicolas et Courmont, qui veut que « l’intoxication
massive diphtérique produise chez le lapin des variations ieu-
cocytaires très inconstantes », tombe devant la régularité des
réactions que nous venons de mettre en lumière, et qui est au
contraire très constante.
Nous ne pouvons également souscrire à l’opinion de ces
auteurs que, ( dans l’intoxication massive, l'organisme sidéré
par le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire,
ou ne réagit que d’une mauière à peine appréciable ».
Nos expériences ont démontré tout à fait le contraire : quelle
que soit la dose de toxine, la régularité de la courbe ne se dément
jamais, et c'est une erreur de penser que, dans les intoxications
rapides, les leucocytes sont comme sidérés, se désistent de leurs
fonctions habituelles. Cela n’est pas exact, ils interviennent tou-
jours, ettoujours avec le même rôle de protecteurs de l’organisme.
*
CE?
Inioxication par doses faibles.
Nous serons plus bref en ce qui concerne la leucocytose dans
l’intoxication lente. Là, même lorsqu’ou ne tient pas compte des
polynucléaires, il est facile de constater des variations leucocy-
taires, variations qui se maintiennent le plus souvent au-dessus
de la normale.
C'est pour cela que même MM. Nicolas et Courmont, qui
n'enregistraient que les chiffres totaux des leucocytes, ont pu,
eux aussi, observer l’hyperleucocytose dans les formes lentes.
En résumant leurs expériences à ce sujet, ils déclarent que
« l’hyperleucocytose moyenne (2 ou 4 fois au-dessus de la nor-
male), dans l’intoxication diphtérique lente, est un phénomène
à peu près constant ».
Quand on examine leurs protocoles d'expérience, on constate
que dans quelques cas l’hyperleucocytose manquait: dans
d’autres, où elle a eu lieu, elle était souvent trop passagère, trop :
fugace; et on se demande comment l’hyperleucocytose peut
apparaître, par exemple, le lendemain de l’injection de toxine,
puis faire totalement défaut pendant plusieurs jours, pour réap-
paraître de nouveau pendant un ou deux jours.
Ce ne sont pas là !des détails insignifiants, car ils empé-
316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
chent de se faire une idée quelconque sur le rôle de la significa -
tion de la leucocytose.
En effet, si l'hyperleucocytose est un phénomène de défense
de l'organisme, il ne doit pas y avoir un seul lapin qui puisse
s'y soustraire. Si l’hyperleucocytose traduit véritablement une
lutte qui se déroule dans l'intimité des éléments cellulaires,
comme sont disposés à l’admettre les auteurs, nous ne conce-
vons pas comment cette lutte. une fois engagée, cesse brusque-
ment à un certain moment pour faire place à un armistice pen-
dant plusieurs jours, puis se renouvelle vivement sans motif
appréciable.
Nous admettons volontiers que la lutte peut s’accompagner
Lonrimo ee.
darts
EE
nappe ie ner
Tracé No 4.
d’alternatives de victoire et de défaite de la part des leucocytes.
mais qu’elle s’apaise tout à fait à un moment donné pour
réapparaître plusieurs jours après, cela ne cadre pas bien avec
notre idée de la leucocytose.
Pour toutes ces raisons, l’hyperleucocytose « à peu près
constante » constatée par MM. Nicolas et Courmont ne nous
satisfait pas.
x
*#
Procédons pour les intoxications lentes de la même façon
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 317
que plus haut pour les intoxications rapides; et cherchons les
polynucléaires, dont l'intervention est si utile, lorsqu'il s’agit de
la défense de l’organisme.
Injectons à un lapin une dose de toxine qui le tuera en
plusieurs jours, et examinons le sang toutes les deux heures ou
à des moments plus espacés (tracé n° 4).
Un lapin n0 3 reçoit le 22 septembre à 10 h. 10’, 0,25 c. c. de toxine. Voici
le résultat de l’examen de ses leucocytes. La lettre L représente le nombre
total des leucocytes, P le nombre des polynucléaires : il est suivi du chiffre
représentant la proportion centésimale de ces derniers dans l'ensemble.
avant l'inj. 9,400 L dont 3,290 P — 35 0/0.
à 40 h. 10’ injection de 0,25 c. c. de toxine.
22 sept.
à midi. 12,000 L dont 6,000 P — 50 0/6.
à 2 heures. 18,600 L — 12,462 P — 67 0/0.
à 6h. 16,400 L — 9,M6 P — 56 00.
à 8h. 15,000 L — 7,500 P — 50 0.
On trouve beaucoup de formes intermédiaires entre L et P.
à 9h. 30’ 7,000 L dont 4,410 P — 63 0/0.
23 sept. à 8 h. 30’ 24,000 = 10,800 | —42 0/6.
à 10 h. 30’ 11,500 —1 4,600 — 40 0/0.
à 2h. 30! 10,200 — À,984 — 42 0/0.
à 4 h. 30’ 11,000 — 5,500 — 50 0/0.
24 sept. à 10 h. 18,400 —1411,040 : — 60 070.
à 3 h. 10,600 — 6,572 —62 0/0.
25 sept. à 40 h. 16,000 12390010 7710/6:
ROUE 14,000 — 8,820 — 63 0/0.
26 sept. à 10h. 7,000 — 3,00 —:50 0/0.
à 3 h. 12,300 — 8,610 — 70 0/.
27 sept. à 10h 9,200 — 6,624 — 72 0/0.
a 2h 9,000 05,610 LV=—=1631076
à 4h 12,600 — 8,694 — 69 0/0.
à 6.h: 8,600 = 144,300 = 5010)
28 sept. à 7 h. du matin, le lapin est trouvé
mort. Le tracé 4 résume
l’histoire de la maladie.
Ce qui caractérise surtout cette courbe, comme d’autres ana-
logues obtenues dans les mêmes condilions, ce sont ses oscil-
lations, qui ne s’interrompent nulle part et témoignent par
cela que, dès le début de la réaction jusqu’à la fin, la lutte
est conduite sans trêve ni repos, et ne se termine qu'avec la
mort de l'animal.
A plusieurs reprises, nous voyons que le chiffre total de
leucocytes atteint la limite normale, et descend même au-
318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dessous, ce qui pourrait faire penser que la lutte s’est arrêtée;
il n’en est rien : il suffit de jeter un coup d’œil, à ces moments,
sur ce qui se passe avec les polynucléaires, pour acquérir la
conviction que la lutte continue sans répit.
Autre point sur lequel nous tenons à insister, c’est que
cette courbe, aussi bien que les courbes précédemment étu-
diées, n’est pas particulière pour le lapin À ou B, comme
c’est le cas de MM. Nicolas et Courmont, mais qu'elle s’applique
à tous les lapins ayant subi le même genre d'intoxication, et
constitue l’image desréactions leucocytaires vis-à-vis de la toxine
diphtérique.
Immunisation par la toxine diphtérique.
Jusqu'ici nous avons vu que chaque fois que l'animal reçoit
la dose mortelle, — à courte ou longue échéance, — les leuco-
cytes ne manquent pas d'intervenir. Il s'engage une lutte par les
polynucléaires entre l'organisme et la toxine; cette lutte très
aclive ne s’interrompt à aucun moment de la maladie, et ne
cesse qu'avec la vie de l'animal.
Mais comment les choses se passent-elles, quand l’animal ne
meurt pas? Ici vient se greffer une autre question, à savoir
comment se comportent les leucocytes, quand la dose non mor-
telle de toxine est souvent renouvelée, en d’autres termes quand
l'animal subit une immunisation active ?
L'importance de ce problème n'échappe à personne.
Si les leucocytes restent tout à faitindifférents à des injections
répétées de toxine à doses non mortelles, il devient fort probable
qu’ils n’ont rien à y voir ; par contre, nous ne pourrons refuser
aux leucocytes une part active dans la défense de l’organisme
quand nous verrons qu'ils manifestent une activité des plus nettes
pendant l’immunisation.
La question semblait être résolue par MM. Nicolas et Cour-
mont. Ces auteurs, après avoir étudié la leucocytose chez plu-
sieurs chevaux en cours d’immunisation, sont arrivés à la
conclusion suivante :
« Au cours d'une longue immunisation contre la toxine
diphtérique, on n’observe pas, ou très rarement, de réaction
leucocytaire notable chez le cheval, soit au début, soit à un
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 319
stade avancé de la période des injections, et même dans les pre-
mières heures qui suivent celle-ci.
« Les modifications de l’organisme qui produisent l’immu-
nité semblent donc pouvoir s'effectuer en dehors de toute varia-
tion appréciable du nombre des leucocytes. »
Cette conclusion, surtout la seconde partie, tout en ayant le
mérite d'être très nette, est inexacte; non pas que MM. Nicolas
et Courmont aient mal observé, mais par ce que leur méthode
était défectueuse.
Avant d'exposer les résultats de nos expériences, nous ferons
observer aux auteurs lyonnais qu'ils ont oublié de nous
renseigner sur le pouvoir antitoxique du sérum de leurs chevaux;
si ce pouvoir étaitnul, ce qui arrive quelquefois malgré plusieurs
mois d'immunisation, l’absence des réactions leucocytaires ne
saurait nous étonner beaucoup.
Nous avons immunisé une chèvre, les détails de cette immu-
nisation sont exposés ci-dessous.
Avant l'expérience, nous avons essayé le sérum de la chèvre
et constaté qu'il ne jouissait d'aucun pouvoir antitoxique. Huit
jours après la dernière injection de toxine, nous avons constaté
que 0,5 c. c. de son sérum, mélangé à la dose vingt fois mor-
telle (0,20 c. c. de toxine), préserve un cobaye de 500 gr. ; nous
nous sommes ainsi assuré que notre chèvre a acquis au cours
de l’immunisation des propriétés antoxiques incontestables.
Immunisation de la chèvre,
Avant la première injection son sang a été examiné à plusieurs reprises;
la moyenne de piusieurs examens a été 7,000 L dont 1,750 P — 25 0/0.
8 novembre, à 10 h., la chèvre pèse 21 livres; elle reçoit sous la peau
1 c. c. de toxine diphtérique chauffée à 600. Cinq heures après son sang
présente, à 3 h. 15, 10,500 L dont 7,350 P — 70 0/0.
9 nov. à 2 h. To — 400,2; 13,700 L dont 8,220 P — 60 0/0,
10 nov. à 2 h. To == 390,2; 9,000 L dont 4,950 P = 55 0/0,
11 nov. à 2 h. To — 360,2; 5,600 L dont 1,960 P = 35 0/0.
13 nov. 2 h. 30. Elle pèse 23 livres. On lui injecte sous la peau 3 c. c.
de toxine chauffée à 600 pendant une heure (2e injection).
14 nov. à 11 h. To — 390,5; 30,600 L dont 26,010 P — 85 0/0,
45 nov. à 4 h. To — 390,3; 16,200 L dont 8,100 P — 50 0/0. :
16 nov. à 8 h. T° — 390,5; à 2 h. To — 390,1; 15,200 L dont 6,682 P —
44 0/0,
17 nov. à 3 a. To — 400; 10,000 L dont 1,500 P = 45 0/0.
320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
48 nov. à 4 h. To — 390,9 ; 9,700 L dont 1,649 P — 17 0/0.
49 nov. à 3 h. To — 390,8; 10,800 L dont 1,620 P — 145 0/0.
20 nov. à 2 h. 30, la chèvre reçoit sous la peau 1/2 c. c. de toxine chauffée
pendant une heure à 500 (3e injection).
21 nov. à midi. To — 399,8 ; 14.100 L dont 9,549 P — 67 0/0.
22 nov. à 4 h. To — 390,9; 6,300 L dont 1,575 P — 25 0/0.
23 nov. à 8 h. 30. To — 390,7; puids 21 livres; à 4 h. To — 400; 5,500 L
dont 825 P = 15 0/0. |
24 nov. à 8 h. 30. To — 390,4; à 4 h. To — 390,5; 7,000 L dont 1,120.P —
16 0/0.
25 nov. à 8h. 30. To — 390,5; à 4 h. To — 390,7; 8,600 L dont 2,666 P —
31 0/0.
26 nov. à 9 h. To — 390,1; poids 19 livres 300 gr.; à 4 h. 13,200 L dont
3,828 P — 29 0/0.
27 nov. à 9 h. T° — 390,4; à 3 h. To — 390; 8,700 L dont 2,697 P — 31 0/0.
28 nov. à 9 h. To — 390,3; poids 20 livres ; 13,000 L dont 2,080 P — 16 0/0.
29 nov. à 9 h. To — 380,7; à 3 h. To — 390,6.
4er décembre. La chèvre reçoit à 8 h. 45 du mat. 0,5 c. c. de toxine nor-
male, non chauffée (dose 50 fois mortelle pour un cobaye de 500 gr.),
(4e injection); à 3 h. 15. To — 390,7; 14,300 L dont 4,148 P — 36 0/0.
2 déc. à 9 h. To — 380,5; à 3 h. To — 390,5; 8,000 L dont 2,640 P —
33 0/0.
3 dée. à 9 h. To — 380,9; à 3 h. To 390,6: 8,000 L dont 1,520 P — 19 0.
4 déc. à 9 h. To — 380,7; à 3 h. To — 390,5; 13,800 L dont 4,002 P — 923 oo.
5 déc. à midi. To = 590,5; poids 21 livres; 14,400 L dont 5,760 P — 40 0/0.
Reçoit après l'examen du sang 1 c. c. de toxine (5e injection).
6 déc. à 9 h. T° — 380,7; à 3 h. To — 390,3; 7,400 L dont 1332 P — 18 0/0.
1ndéc. a000h.-12—=69%0 24/3 0h/ 10 596,6: 9700 "dont 1,940 PP
20 0/0.
8 déc. à 9 h. To — 390,5; à 4 h. T° — 400; 9,000 L dont 1,980P —
22 0/0.
9 déc. à 9h: T° —3%%2; à 2 h. To—39%,2; 9,200 L'dont 2,516 P—
28 0/0.
10 déc. à 9 h. To — 390,4; à 4 h. To — 390,9; 13,700 L dont 6,850 P —
15 0/0.
41 déc. 9h. To —39%,2; à 4 h. To — 39/6; 11,700 L dont 2,357 P —
21 0/,. Après l'examen du sang, elle reçoit sous la peau 2 c. c. de la toxine
normale (6e injection).
12 déc. à midi. To — 400; 11,400 L dont 4,446 P — 39 0/0.
13 déc. à 9 h. To = 390,4; à 2 h. 30, To — 390,9; 9,900 L dont 2,970 P —
30 0/0.
14 déc. à 9 h,10—590,2; a 4h 000390 8-42 100 dont 2; 500
419 0/0.
15 déc. à 9 h. To — 390,9; à 5 h. 80. To — 390,8; 17,100 L dont 9,063 P —
93 0/0.
La chèvre est visiblement malade,
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. : 391
16 déc. à 9 h. To — 390,9; à 4h. To — 400,7; 10,700 L dont 6,420 P —
60 0/5. La chèvre paraît être plus malade que la veille.
47 déc. à 7 h. To — 400,2; poids 19 livres 300 gr. ; à 3 h. To — 400,2;
21,300 L dont 14.058 P — 66 0/0.
18 déc. à 9 h. To — 390,1. Le train de derrière est paraplégié; à 4 h.
To — 400,2; 75,400 L dont 31,668 P — 42 0/0.
Les jours suivants le nombre des leucocytes a été très considérable, ainsi
que le nombre des polynucléaires. La chèvre marchait difficilement en trai-
nant les pattes de derrière. Le sang était par moments noir ; on y constatait
beaucoup de formes intermédiaires entre les mono et polynuclunéaires.
La chèvre a été complètement rétablie le 28 janvier.
28 janvier à 4 h. T° — 380,9; 9,200 L dont 1,932 P — 21 0/0.
Novembre
avant l dyection
JITTTIY LITITE 2
LOLTETA ETT LIAU TANT TT TA APRES TITI
1° DIN) SALLE IP MT CRE LIT
Tracé no 5.
29 janv. Elle pèse 21 livres, poids primitif.
31 janv. à 5 h., elle reçoit sous la peau 1/10 c. e. de toxine tuant un
cobaye de 590 gr. à 2/100 de c. c.
4er février à 5 h., 9,100 L dont 2,730 -P — 30 0/.
4 fév. à 5 b.,7,400 L dont 2,368 P — 32 0/, : après l'examen reçoit sous la
peau 2/10 c. c. de la même toxine.
12 fév., reçoit 0,5 c. c. de toxine.
15 fév. à 3 h., 7,000 L dont 2,450 P — 35 0/0.
49 fév. à 3 h. To — 390,1 ; 8,700 L dont 2,871 P — 33 0/0, reçoit après
examen 0.75 c. c. de toxine.
20 fév. à 41 h. To — 390,1 ; 13,600 L dont 6,256 P — 46 0/0.
21 fév. à 5 h. To — 390,8 ; 12,100 L dont 4,719 P — 39 0/s.
23 fév. à 3 h. To — 390,5; 11,300 L dont 4,068 P — 36 0.
24 fév. à 4h. To — 390,8; 7,300 L dont 2,555 P — 35 0). Recçoit 1 c. c.
de toxine.
25 fév. à 9h. To = 390,5; à 4 h. To — 400; 11,200 L dont 6,596 P — 58 0/0.
26 fév. à 4h. To — 400 71e 9,700 L dont 4 2 P — 46 0).
18
322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
28 fév. à 4 h. To — 400,6 ; 5,000 L dont 950 P — 19 0/.
4er mars. To — 390; poids 11 kilos.
2 mars à 4 h. To — 400,4; 8,000 L dont 2,400 P = 30 0/0.
4 mars à 4 h. To — 400,4; 11,800 L dont 2,478 P = 21 os.
7 mars. To — 400 ; poids {1 kilos.
8 mars. To — 390,8.
10 mars à 3 h. To — 390,5; 7,300 L dont 1,825 P — 95 0/,, reçoit 1,5 c. c.
de toxine.
11 mars à 3 h. To — 400; 7,000 L dont 2,940 P — 42 0/0.
12 mars à 4h. To — 400, 3: 4,400 L dont 968 P — 22 0/5,
14 mars à 4 h. To — 400,2.
45 mars à 4 h. To — 400,5; 6,500 L dont 1,560 P = 24 0/0.
16 mars To — 400,2
A1mars To — 390,7.
18 mars à 3 h. To — 390,6; 4,000 L dont 1,000 P — 25 0/0, saignée pour
essayer le pouvoir antitoxique.
Fevrier Mars
11) 4915
à
LM INC cuve
FE
ÉRÉCEE D
FE
pPogyruc teur
dans
|.
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Li)
[A
4
est E.0
RENNES
Tracé no 5 (suite),
Le tracé ci-dessus nous amène done à des conclusions
diamétralement opposées à celles de MM. Nicolas et Cour--
mont.
Tout en nous servant de leur formule, nous nous permettrons
de la modifier de la facon suivante : au cours d'une immunisation
contre la toxine dipthérique, on observe toujours une réaction notable
chez la chèvre, soit au début, soit à un stade avancé de la période
des injections, et surtout dans les premuères heures qui suivent
celles-ci.
Les modifications de lorganisme qui produisent l'immunité sem-
blent donc se trouver en relation intime avec les modifications leuco-
Cytaires .
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 323
Avant de terminer ce chapitre, nous croyons nécessaire
d'appeler l'attention sur un fait que nous avons observé pendant
l’immunisation.
Nous savons déjà, l'inspection seule du tracé n°5 suffit à
le montrer, que chaque injection de toxine est suivie d’une
hyperleucocytose, laquelle se fait exclusivement aux dépens des
polynucléaires. Mais au fur et mesure que l’on avance dans
l’immunisation, et c’est là le fait que nous voulons souligner,
on s’aperçoit que les polynucléaires deviennent moins prompts à
réagir, et ce sont les mononucléaires qui commencent à les rem-
placer. Nous n'avons pas poussé l'expérience assez loin pour
que nous puissions nous prononcer avec plus de précision ; nous
nous réservons d'y revenir une autre fois.
2
7
L'animal intoxiqué quéri par le sérum.
Avant de passer à l'étude de la leucocytose dans la dipthérie
humaine, nous avons cru intéressant de faire une expérience
qui serve de trait d'union entre le laboratoire et la clinique,
c’est-à-dire de mettre unlapin dans des conditions se rapprochant
plus ou moins de celles qu’on observe en clinique.
A cet effet, nous avons intoxiqué des lapins avec la toxine
diphtérique, puis nous les avons traités avec du sérum.
Pour que les phénomènes gagnent en netteté, nous injec-
tâmes aux lapins des doses massives de toxine, tuant en 26--
28 heures, et quelque temps après des quantités notables de
sérum en d’autres endroits.
Lapin n° 4. — 2,150 gr. Reçoit le 3 octobre, à5 h. 30, sous la peau de la
cuisse gauche 0,5 c. c. de toxine (dose 5 fois mortelle); cinq minutes après
on injecte sous la peau de la cuisse droite 4 c. c. du sérum antidiphtérique,
Leuc. Mon. Pol.
0/0 0/0
Avant l'expérience 8,000 64 36
4 octobre à 10 h. 14,000 49 5!
GE IH ITUn 11,000 42 DS
à midi 10,000 50 50
à 2h. 15 16,200 34 66
à 3 h. 45 18,600 36 64
à 4h: 15 43,600 60 40
à » h. 45 12,009 D8 42
324 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Leuc. ms ne
à Gh. 415 10,000 36 64
A TAN ALES 10,000 D0 )0
5 octobre à 91h: 15,500 48 D2
à 10h. 13,200 50 50
à 11 h. 12,500 42 D8
à midi 19,000 DO 50
à 21h: 90 20,000 33 67
à 3 h. 30 18,600 D0 D0
à 4 h. 30 18,000 34 66
à 6h. 22,000 60 40
6 octobre à Sh.45 14,500 50 D0
à 9 h. 15 9,000 )0 D0
à midi 25,000 42 58
à 2 h. 45 23,000 31 69
à 4 h. 45 20,000 42 DS
à 9 h. 30 18,500 50 50
7 octobre à 9 h. 30 9,400 50 d0
à 2 h. 45 22,500 30 70
8 octobre à midi 14,200 38 62
à 4 h. 30 18,000 43 57
à 6h. 62
9 octobre à 11 h. 45 14,700 40
10 octobre à 41 h. 30 12,000 60 40
11 octobre à 1h. 9,700 42 58
12 octobre à 11h. 7,000 36 64
4h 8,000 50 50
43 octobre à 11h. 7,500 50 50
14 octobre à 11h. 4,900 50 x 170
15 octobre à 11 b. 9,400 65 39
État normal.
Dans ces cas la courbe représentant la marche des polynu-
cléaires n’a plus la forme parabolique à maximum unique,
comme cela devrait être si le sérum n’était pas intervenu. Sous
l'influence de ce dernier, elle se transforme en une courbe ana-
logue à celle que nous avons vue dans l’intoxication lente par
doses faibles. Iciaussi nous voyons des oscillations assez notables,
des polynucléaires, oscillations continues et ayant pour carac-
tère important de se maintenir toujours dans des régions supé-
rieures, et de ne pas toucher au cours de la maladie la ligne repré-
sentant l’état normal.
Ces oscillations ont lieu pendant tout le temps de la maladie
dont la durée est de 12 à 15 jours ; à mesure que l’animal s’ap-
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 395
proche de la guérison, l’amplitude des oscillations devient de
moins en moins grande, pour se réduire progressivement à zéro
quand Panimal est complètement rétabli.
Ces mêmes caractères, nous les retrouverons en clinique chez
les enfants diphtériques lorsque la maladie marche vers la gué-
rison.
IL
Tandis qu’il y a quelques années seulement que la diphtérie
est entrée dans le domaine du laboratoire, pour les cliniciens,
au contraire, elle est une connaissance de vieille date: c'est pour
cela que sur la leucocytose expérimentale nous trouvons à peine
deux ou trois travaux (signalés plus haut), tandis que les recher-
ches cliniques sur le même sujet ont été assez nombreuses.
Mais, disons-le tout de suite, la question n’est pas pour cela
plus avancée en clinique que du côté expérimental. La raison
en est la même que nous avons déjà indiquée à plusieurs
reprises. Les cliniciens prenaientmal la question : ils comptaient
tous les leucocytes en bloc, oubliant que les globules blancs
n’ont pas tous la même signification; cette confusion amena des
contradictions nombreuses.
Comme toutes ces recherches ne sont pas de nature à nous
éclairer, nous ne nous arrèterons que sur le travail le plus récent
et le plus détaillé qui existe à ce sujet, dû à M. Schlesinger.
Cet auteur a étudié 24 cas ; lui aussi comptait tous les leuco-
cytes en blos sans tenir compte de leurs différentes fonctions,
mais il a l’avantage sur les autres d’avoir fait ces numérations
sur un grand nombre d'enfants d’abord, et ensuite de les avoir
pratiquées d’une facon méthodique, en se plaçant toujours dans
des conditions identiques.
Sur les 24 malades, dont l’âge variait de 15 mois à 12 ans (un
seul est mort), l’auteur a constaté 21 fois une hyperleucocytose
à l'entrée de l’enfant à l’hôpital.
Cette hyperleucocytose est, d’après l’auteur, très prononcée,
surtout le 4° et le 2° jour de la maladie: elle l’est moins le 3° jour
et disparaît le 5°, 6° ou 7° jours : dans deux cas seulement l’auteur
l’a constatée encore le 10° et 11° jour.
L'hyperleucocytose ne paraissait influencée ni par l’âge
de l'enfant, ni par la température ; elle ne présenterait pas, d’après
326 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Schlesinger, de relation étroite avec la gravité de la maladie,
comme l’affirme Gabritchewsky.
Contrairement à l’assertion de Gabritchewsky, d’après lequel
les malades devant guérir présentent une hyperleucocytose moin-
dre que ceux qui doivent mourir, Schlesinger a eu l’occasion de
constater une hyperleucocytose très prononcée chez des enfants
non gravement atteints, et vice versa, l'hypoleucocytose dans un
cas de gravité moyenne et dans deux cas graves.
Déjà ce travail de Schlesinger, s’il n’entraîne pas la convic-
tion tout entière, nous laisse au moins sous l'impression que la
diphtérie se caractériserait généralement par une hyperleucocy-
tose; il est vrai que ce n’est pas la règle générale, mais les
exceptions en sont relativement rares.
Quant à la valeur de cette hyperleucocytose, sa signification
biologique, les faits de Schlesinger ne sont pas de nature à nous
donner la moindre satisfaction là-dessus.
Au cours de nos recherches cliniques, nous avons fait aussi
souvent des numérations des globules blancs, tantôt d’une façon
méthodique, tantôt à différents moments de la maladie.
Pour ne pas faire double emploi avec le travail allemand cité,
nous ne rapporterons pas nos chiffres, d'autant plus que sous ce
rapport nos expériences viennent complètement confirmer celles de
M. Schlesinger. Mais dès le début de nos recherches, ilest devenu
clair pour nous que nous ne tirerions pas grand profit des numé-
rations des leucocytes en bloc.
%
*x *
Fidèle à notre manière de procéder dans nos expériences de
laboratoire, nous nous sommes attachés, en clinique aussi, à
fixer notre attention sur les polynucléaires.
Comme, à l’état normal, chez les enfants du même âge, le
rapport entre les polynucléaires et les mononucléaires varie
dans des limites étroites et peut être considéré comme constant,
nous nous sommes proposé d'étudier ces rapports à différents
moments de l’intoxication diphtérique, et de les comparer avec
les rapports à l’état normal. |
L'étude du sang, à ce point de vue, a l’avantage d’être plus
précise et plus sûre que quand on tient compte seulement du
nombre total des leucocytes.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 327
En effet, au cours de nos études sur le sang, nous avons eu
l'occasion d'étudier un grand nombre d'animaux de différentes
espèces, et voici ce que nous avons pu constater : bien que le
nombre des leucocytes à l’état normal variät d’un animal à
l’autre de même espèce, et quelquefois du simple au double, bien
que des variations aussi étendues pussent être observées chez
le même animal à différents moment de la journée, les rapports
entre les poly et mononucléaires restaient cependant presque
invariables, et des modifications ne s’y produisaient que sous
l'influence des phénomènes importants intéressant l’organisme
tout entier.
Ainsi, notre point de départ étant le rapport existant dans le
sang entre les poly et les mononucléaires, le premier problème
qui se posait était d'établir ces chiffres à l’état normal.
#
A cet égard, il existe une différence profonde entre les en-
fants et les adultes. Tandis que chez ces derniers les polynu-
cléaires sont trois fois plus nombreux (175 0/0) que les mononu-
cléaires, chez les enfants ce sont au contraire les mononucléaires
qui font la majorité.
Le rapport entre Les poly et mononucléaires varie avec
l’âge de l'enfant ; il est de 20 0/0 dans les premiers mois de la
vie : les polynucléaires augmentent rapidement avec l’âge;
ils atteignent 35 0/0 à 40 0/0 en moyenne chez les enfants
de 3 à 5 ans. Quelquefois à cet âge on trouve autant des uns
que des autres (50 0/0) mais nous n’avons jamais vu ce chiffre
de 50 0/0 dépassé chez les enfants bien portants ou conva-
lescents.
La majeure partie de nos recherches cliniques ont porté
précisément sur les enfants entre 3 et à ans, pour lesquels la
limite maxima des polynucléaires est 50 0/0.
Chaque fois que l’on observe un chiffre supérieur à 50 0/0 à
cet âge, on est sûr que l’on a affaire à un état pathologique ;
qu'il s’agit, en d’autres termes, d’une hyperleucocytose polynu-
cléaire.
C’est là un avantage dont on est parfois dépourvu quand on
a à se prononcer sur les enfants au-dessous de 3 ans ; chez ceux-
328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ci, les chiffres des polynucléaires oscillant dans de plus larges
proportions, de 20 0/0 à 50 0/0. on est quelquefois embarrassé
de préciser chez eux le degré d’hyperleucocytose.
En présence de 50 0/0 de polynucléaires chez un enfant de
18 mois, par exemple, comment qualifier cet état ?
Est-ce une hyperleucocytose, est-ce simplement l’état nor-
mal? Les deux choses sont également possibles.
Il est évident qu’au delà de 50 0/0, il n’y a plus de doute;
mais en deçà, l'interprétation est épineuse.
C'est pour éviter ces cas susceptibles de faire naître des
doutes, que nous nous sommes bornés dans la majorité des cas
d'examiner les enfants dont l’âge était entre 3 et 5 ans.
Nous avons examiné en tout 49 enfants; sur ce nombre,
14 ont été examinés à différents moments de leur maladie. Les
35 autres l’ont été d’une façon très régulière, dès le jour de leur
entrée à l'hôpital, jusqu’au jour de leur sortie. |
Tous les matins, sans exception, loujours à la même heure,
pour se mettre dans la mesure du possible dans les mêmes con-
ditions, nous leur prélevions une goutte de sang, que nous éta-
lions immédiatement sur une lame en couche mince et très uni-
forme.
Le séjour des enfants à l'hôpital, sauf les cas compliqués,
étant généralement de 15 jours, nous pouvions suivre pas à pas
la marche de l’intoxication dans toutes ses phases, y compris
celle de la convalescence.
Voici quelques courbes qui pourront donner l'idée de la
réaction des polynucléaires au cours de la diphtérie ; comme dans
nos courbes précédentes, nous avons pris comme abscisses les
temps écoulés depuis l'entrée du malade, et pour ordonnées le
nombre des polynucléaires sur 100 leucocytes.
Os. I. — H...d. Gabrielle, 7 ans. Malade depuis 5 jours. Fausses
membranes très étendues, épaisses et grisätres sur les deux amygdales.
Luette entièrement encapuchonnée par des fausses membranes qui s'étendent
un peu sur le voile du palais. — Engorgement ganglionnaire assez marqué.
— Rien du côté du larynx. — A l'examen bactériologique : bacille moyen;
sur gélose, streptocoques et staphylocoques. Diagnostic : angine grave.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 329
29 novembre, avant le sérum 41 D9
30 _ — 36 64
1er décembre, = 29 rh
2 — — 29 78
3) — — 3% 6
4 — — 38 62
5 =. — 37 63
6 — — 39 65
7 — — 40 6
ER reel ee rep
»&
A ES DRRRESmMSE
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RSR Se Den OP En ECS es us 1 Ce (ER EU D RE SES
RER) SR SN Les ES RON EE ESS
LS] ESKEE
Es DE
Obs. I
8 _— — 40 60
9 — — 26 74
10 — — 34 66
11 — — 32 68
12 — — 30 70
13 — — 3) 65
14 _— — 26 74
15 — — 32 68
16 _ — 50 50
17 — — 90 0
18 — — D4 46
19 — — 61 39
20 — — 60 40
21 — — 66 34
Sortie de l'hôpital.
330 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Ons. II. — J. Gaston, 3 ans et demi. Malade depuis 3 jours. — Rougeur
intense et uniforme des amygdales et du pharynx. — Engorgement gan-
glionnaire très léger. — Voix conservée. Tirage léger. — Plusieurs vési-
cules d’herpès sur la lèvre inférieure. — A l'examen bactériologique :
b. moyen, streptocoques, gros diplobacilles. — Diagnostic : croup.
Entré le 8 nov. ; 20 c. c. du sérum.
M. ‘0 P. 0
9 novembre 33 67
10 _ 42 DS
ml — 40 60
12 _ 38 62
13 — 32 68
14 — 30 70
B) — 4% )6
16 — DD 67
1 = 30 70
S — 30 T0
19 — 30 70
20 — 27 73
91 — 30 70
22 — 40 60
23 — 94 66
24 — 99 65
25 — D0 D0
Sortie.
Os. III. — Z..all, Georges, 3 ans. Malade depuis 6 jours. — Amyg-
dales un peu rouges; fausses membranes un peu grisàtres, mais peu épaisses.
— Engorgement ganglionnaire bilatéral, peu marqué. — Voix conservée ;
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331
léger tirage. — A l'examen bactériologique : b. moyen; sur gélose, strepto-
coques. Diagnostic : angine moyenne ; Croup.
Entré le 12 nov.; 20 c. c. du sérum.
M. P. ojo
13 novembre 20 80
14 — 14 - 86
45 — D yl 83
16 — 28 72
17 — 25 TD
18 — 40 60
E27t
va PE ETAT ET EEE EEE]
SUCER Eee ES
Températiue
Obs. III.
19 — 50 50
20 — 50 50
21 — 56 44
22 — 50 50
23 — 50 0
24 — D) 45
25 — 50 50
26 — 75 25
27 — 60 40
22 — DD 45
Sortie.
Oss. IV. — R...er, Alphonse, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours. —
Gorge un peu rouge; fausses membranes sur chaque amygdale, un peu gri-
sâtres. — Engorgement ganglionnaire peu marqué. Voix couverte ; tirage
332 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
peu intense. — A l'examen bactériol. : bacille très long, culture abondante.
Diagnostic : angine moyenne : croup.
Entré le 10 nov. ; 20 c. c. du sérum.
M. 0, P. 0)o
11 novembre 30 70
12 33 67
13 — 30 70
14 — 31 69
15 = 29 7
16 — 25 ris
17 — 30 70
FT 32 68
MR 42 58
LEE 30 70
HAUT 95 75
D RARE 29 7A
DANS = 97 73
RCE 924 76
RE 50 50
ENS 50 50
Le trait caractéristique de toutes les courbes est l’augmen-
tation considérable des polynucléaires comparativement à l’état
normal. Leur nombre va jusqu’à 70 0/0, 80 0/0 et même 85 0/0,
au lieu de 50 0/0 qui est le chiffre maximum à l’état normal.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 333
*
# *#
Dans un certain nombre de cas (20) nous avons examiné le
sang chez les enfants aussitôt qu’ils sont arrivés à l'hôpital,
c’est-à-dire avant que l’on leur injecte du sérum antidiphtérique.
Dans plus de moitié de cas, en comparant les chiffres obtenus
ainsi avec ceux du lendemain, on pouvait constater une aug-
mentation notable des polynucléaires après l'injection du sérum.
Cette augmentation des polynucléaires constatée le lende-
main de l'injection s’est-elle produite à la faveur du sérum?
Ceci est fort probable.
En effet, nous constations souvent avant le sérum 50 0/0 de
polynucléaires environ, chiffres qui comportent, comme nous le
verrons plus loin, un pronostic grave. Or, il est probable que ce
sont précisément ces enfants, pauvres en polynucléaires, qui
n'auraient pas survécu, abandonnés à leurs propres forces, et
qui avaient guéri sous l'influence du sérum qui fit rapidement
élever le nombre des polynucléaires, le lendemain de l'injection.
Quant à ces enfants qui arrivent à l'hôpital déjà avec un
grand nombre des polynucléaires, lequel se modifie peu ou pas
du tout sous l'influence du sérum, ce sont peut-être ceux pour
lesquels le sérum est un médicament de luxe, et qui auraient
pu se tirer d'affaire aussi avant l’époque sérothérapique.
*
# #
Quand on examine simultanément les courbes des polynu-
cléaires et celles de la température, on est frappé du fait suivant :
le thermomètre a beau indiquer la défervescence la plus légi-
time, l’enfant a beau présenter des phénomènes généraux et
locaux de plus en plus satisfaisants, et cependant les polynu-
cléaires n’en cessent pas moins de manifester une suractivité
remarquable. C’est qu'ils sont de beaucoup plus sensibles que
tous nos moyens d'investigation.
En réalité, nous savons fort bien que l'enfant, malgré la chute
de la température, malgré la disparition des phénomènes locaux
et généraux, n’en est pas moins un malade qu’il serait téméraire
et dangereux de considérer comme guéri : c'est ce que nous
disent si bien les polynucléaires.
Ces derniers ne cessent pas de rester plus nombreux que les
334 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
monucléaires encore pendant 5-10 jours après la chute de la
température; ils ne reviennent à l’état normal que lorsque l’en-
fant est entré réellement dans la période de convalescence.
De sorte que lorsqu’aucun signe physique n’est plus capable ”
de nous révéler l’état pathologique, seuls les leucocytes restent
à témoigner de la réalité de cet état.
Cet état, le médecin le devine plus qu'il ne le sait, grâce à son
sens clinique, qui lui conseille de garder l'enfant pendant 10 à
12 jours au moins à l'hôpital, alors que les phénomènes visibles
ont disparu depuis longtemps; et chose curieuse, c’est généra-
lement au bout de 10 à 12 jours que les leucocytes reviennent à
leur état normal.
Cette sensibilité extrème des leucocytes, et en particulier des
polynucléaires, est significative; elle est appelée à jouer un
rôle important, comme nous allons le voir, à propos du pronostic.
x
# *
Le fait que dans toutes les maladies infectieuses il est donné
d'observer une augmentation considérable de leucocytes (que
nous proposons de désigner sous le terme de « polynucléose »),
ce fait, répétons-nous, pourrait faire penser que cette polynu-
cléose n’est qu'un phénomène corrélatif de l’état fébrile, lequel
aussi est le compagnon constant des maladies infectieuses.
Nos observations montrent que cette supposition est tout à
fait gratuite.
Déjà la simple inspection de nos tracés montre avec évidence
que la polynucléose dure beaucoup plus longtemps que la fièvre.
On sait que dans la diphtérie la fièvre ne se maintient qu'excep-
tionnellement au delà du 5° ou 4° jour : cela n’empêche que les
polynueléaires manifestent encore pendant 10-12 jours une
suractivité que rien en apparence ne justifie. Même dans les cas
de diphtérie pour ainsi dire apyrétiques (et ces cas où l'état
fébrile est à peine marqué ne sont pas rares), les polynucléaires
n’en réagissent pas moins, comme le démontre l'observation IIL
par exemple, et plusieurs autres que nous avons pu relever.
Ea polynucléose n'est donc pas un corollaire forcé de la
fièvre ; elle semble plutôt être fonction de quelque autre proces-
sus qui dure tant que l’enfant n’est pas entré franchement dans
la période de convalescence.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 335
Quel est ce processus ? L'observation suivante, choisie parmi
plusieurs autres, nous donnera quelques indications.
O8s. V. — S...chet René, 3 ans et demi. Malade depuis # jours. —
Gorge un peu rouge. — Engorgernent ganglionnaire peu marqué. — Voix
couverte. Tirage intense. — A l’examen bactériol. : b. long et moyen. —
Diagnostic : croup. Dès le lendemain de l'entrée la température monte;
dyspnée intense. Les jours suivants (10 — 14 nov.) température très élevée;
dyspnée intense, souffle, puis râles dans les deux poumons.Bronchopneumonie
double. Cas très grave.
— Température.
Line Ses Bee
EEE ENENE
ob de
=
DEEE UM
EEE FRE
Obs. V.
L'examen de cette courbe est fort instructif. Lorsqu'on met
en regard les tracés thermométriques avec ceux des polynu-
cléaires, on ne tarde pas à s’apercevoir qu'il existe une dis-
cordance frappante entre eux aux moments critiques de la
maladie.
Précisément au moment où la température redevient
très élevée, où la diphtérie, en s'étendant aux petites
bronches, prend une allure des plus défavorables et menace la
vie de l’enfant, on constate que les polynucléaires, de nombreux
qu'ils étaient, deviennent rares, et à certains moments on n’en
trouve que 40 0/0, chiffre que l’on n’observe jamais dans la
diphtérie à évolution normale; autre fait non moins intéres-
336 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sant : la chute de la température, indiquant que l'enfant est hors
de danger, est synchrone à l'augmentation très accentuée des
polynucléaires.
L'étude de cette courbe est encore instructive à un autre point
de vue : nous voyons que l’abaissement extrême des polynu-
cléaires (10 nov.) précède l’élévation maxima de la tempéra-
ture (14 nov.) ; d'autre part que l'apparition d’une polynucléose
intense précède de beaucoup la chute de la température; ainsi,
déjà le 16 nov. au matin, ayant constaté 86 0/0 de polynucléaires,
nous avons prévu l'issue favorable de la maladie, bien que
l’état de l'enfant fût loin d’être brillant ‘ et que la température
restât élevée pendant les 48 heures suivantes.
Ceci montre combien sensible est la réaction leucocytaire;
alors même qu'aucun changement apparent ne paraïil s’être pro-
duit dans l’état du malade, ies polynucléaires mettent en garde
l'observateur en lui faisant pressentir l'approche d'une nouvelle
phase favorable ou défavorable.
Ces observations et plusieurs autres du même genre com-
portent deux conclusions : d’abord, que la marche des polynu-
cléaires n’a rien à voir avec la fièvre : loin de là, dans certains
cas, ces deux phénomènes marchent dans des voies diamétrale-
ment opposées; puis, et c’est là un fait sur lequel nous ne sau-
rions trop insister, les polynucléaires semblent marcher de pair
avec l’état général du malade.
Très nombreux lorsque l’enfant s'achemine normalement
vers la guérison, les polynucléaires deviennent de plus en plus
rares dès que la maladie tourne mal; en d’autres termes, le
degré de la polynucléose traduirait ce degré de gravité de la mala-
die.
Cette conclusion n’est pas de nature à nous surprendre. Il
suffit de nous reporter à nos expériences de laboratoire pour
nous rappeler d'avoir rencontré déjà cette notion, sous une
autre forme.
Cette coïncidence est d’autant plus précieuse qu’elle permet
d'établir une harmonie complète entre le laboratoire et la cli-
nique, et en plus, laisse prévoir le parti important que le clini-
cien pourra en tirer pour les besoins du pronostic.
1. L'état était si mauvais que le 17 nov. on fit appeler la mère de l'enfant,
la mort étant considérée comme une question de quelques heures.
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331
*
*
Si le degré de polynucléose reflète véritablement l’état du
diphtérique, il est évident que dans les cas à issue mortelle les
choses doivent se passer autrement que dans les cas ordinai-
res, cités plus haut.
La polynucléose dans les cas mortels fait-elle vraiment défaut?
Les neuf cas mortels de diphtérie que nous avons observés
permeltent de donner une réponse nettement affirmative.
A l'encontre des cas ordinaires se terminant par la guérison,
dans lesquels le chiffre des polynucléaires varie entre 60 0/0 et
85 0/0 en moyenne, chez les enfants devant mourir ce chiffre ne
dépasse guère 50 0/0, et parfois n’est pas mème atteint.
En d’autres termes, lorsque l’enfant ne peut guérir, cela se
traduit par l'impuissance dans laquelle il se trouve de mettre en
œuvre un nombre de polynucléaires supérieur à celui qu'il
possède à l’état normal.
Voici quelques exemples :
Os. VI. — Z...er, Marcelle, 2 ans et demi. Malade depuis 2 jours (?).
Fausses membranes sur les deux amygdales. — Engorgement ganglion-
naire assez marqué. — Voix couverte. Toux rauque. Tirage intense. A l'examen
bactériologique : bacille long, coccus; sur gélose streptocoques. Diagnostic :
angine grave ; croup. Tubage à l'entrée (19 déc.). Le 20 déc., détubage et
tubage à plusieurs reprises ; à 10 h. du soir, trachéotomie; l’enfant est sou-
lagé. Le 21 déc., le matin la tre tombe, l'enfant est assez calme; elle meurt
à 6h. du soir.
19 déc, soir, 400,3; injection de 30 c. c. de sérum.
20 déc. matin, 400,3; soir, 400,4; à 9 h. s. 60 0/0 M. ; 40 0/4 P., formes
intermédiaires.
21 déc. matin, 370,8; soir, 400; à 8 h. m., 56 0/0 M. ; 44 0/0 P., formes
intermédiaires.
Ogs, VIL — Lem...ier, 6 ans. Entré le 17 déc. à 11 h. 30 du soir.
Amygdales énormes ; elles se rejoignent sur la ligne médiane; fausses
membranes épaisses, recouvrant lés amygdales. Engorgement ganglionnaire
moyen, — Voix couverte. Tirage assez marqué. L'enfant est en très mau-
vais état, asphyxie. A l’auscultation, souffle à la base gauche. — A l'examen
bactériologique : b. long, streptoc. très nombreux ; sur gélose, streptocoques
814 5 5 ) q
et staphylocoques. Diagnostic : angine jrave; croup.
Le 17, trachéotomie ; le 18 déc. l'enfant parait mieux, plus calme, bien
que la respiration soit fréquente; le 19 déc., un souffle et râle fin dans le
poumon gauche.
47 déc. soir. 390,8 ; 30 c. c. de sérum.
19
338 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
18 déc. matin, 390,5; soir, 390,1; à 9 h. m,. 60 0/0 M; 40 0/o P., beau-
coup de formes en croissant.
49 déc. matin, 39 ; soir, 380,6; à 9 h. m. 67 0/0 M.: 33 0/0 P,, formes
intermédiaires comme la veille.
Mort à 1 h. du matin.
O8s. VIII. — Fr...et René, 3 ans. Malade depuis 5 jours.
Petites fausses membranes sur l’amygdale droite. — Engorgement gan-
glionnaire assez marqué. — Voix couverte. Toux rauque. Tirage. — Etat
général mauvais; cyanose. — A l'examen bactériol. : bacille court.
Diagnostic : angine, croup. Broncho-pneumonie.
31 janv. soir, 400,2; 20 c. c. du sérum de Roux. Caféine, éther, sérum
artificiel, 200 gr.
1 fév. matin, 390,7; 50 0/0 M. 50 0/0 P. ; soir, 400; 50 0/6 M. ; 50 0/o P.
--- Mort dans la nuit.
Oss. IX. — H...on, Gaston, 6 ans. Malade depuis 4 jours. Entré le 15 déc.
Mucosités abondantes dans la gorge; il est très difficile de voir les amyg-
dales ; il semble cependant qu'il y a une plaque blanche à droite. — Engor-
gement ganglionnaire très peu marqué. — Voix couverte. Toux rauque.
Tirage intense. — A l'examen bactériologique : b. moyen et long; sur gélose,
streptocoque pur. — Diagnostic : angine 2noyenne, croup.
Le 16 déc., broncho-pneumonie double.
15 déc. soir, 380,8; 30 c. c. de sérum. Avant le sérum 31 0/0 M. 69 0/0 P.
16 déc. matin, 400,1 ; soir, 390,4; à 9 h. m. 21 0/4 M.; 79 0/6 P.
17 déc. matin, 400,2; à 9 h. m. 62 0/, M. ;,38 0/0 P., formes intermé-
diaires en abondance. Soir, 390,8; à 7 h. s. 60 0/, M.; 40 0/0 P., formes
intermédiaires en abondance.
Mort à 9 h. du soir.
Ogs. X. — Gir...et, Maurice, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours.
Amygdales hypertrophiées; l’amygdale droite recouverte par des fausses
membranes, très peu à gauche. — Engorgement ganglionnaire peu marqué.
— Voix couverte; toux rauque; tirage intense. — L'enfant à l’état d'asphyxie.
A l'examen bactériologique : bacille moyen et court, staphyloc. et strepto-
coque. — Diagnostic : angine moyenne, croup. Broncho-pneumonie.
8 fév. matin, 39°,2; soir, 40°; 30 c. ec. du sérum de Roux.
9 fév. matin, 39°,9; soir, 390,8; à 9 h. m. 50 0/0 M.; 50 0/0 P., éther,
caféine, sérum artificiel.
40 fév. matin, 390,6; à9 h. m. 68 0/0 M.; 32 0/0 P.
Mort à 3h. de l'après-midi. |
L
*# #
L'examen attentif des leucocytes dans des cas mortels permet
de constater une particularité qui mérite de nous arrêter.
Quand on examine le sang provenant des enfants sur le
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE, 339
point de mourir, et qu’on veut établir les rapports exacts entre
polynucléaires et mononucléaires, on est souvent fort embar-
rassé, et voici pourquoi: A côté des leucocytes à caractères bien
tranchés, on en trouve d’autres dont le noyau désoriente tous
vos calculs : à chaque instant vous vous heurtez à un leucocyte
que vous hésitez à qualifier de polynucléaire, parce qu’il a le
caractère de mononucléaire et ne l'est pas cependant. On n’est
dans le vrai que lorsqu'on constitue un groupe à part pour
leucocytes; nous le désignerons sous le nom de « formes in-
termédiaires ».
Ces formes sont caractéristiques pour les cas mortels, quoi-
qu'on ne les rencontre pas dans tous les cas. Leurs noyaux
se présentent sous des aspects assez variés : tantôt ils pren-
nent la forme d'un biscuit étranglé au milieu, tantôt d’un
arc de cercle, forme la plus fréquente; par-ci par-là on trouve
des noyaux en marteau dont la grosse extrémité, bien que fai-
sant corps avec le reste du noyau, simule un polynucléaire vrai.
Chaque fois que ces formes intermédiaires apparaissaient
chez les enfants diphtériques, la mort ne se faisait pas long-
temps attendre.
*
* *
Maintenant que nous sommes renseignés sur le caractère de
la leucocytose dans différentes phases de la diphtérie, nous pou-
vons aborder le problème du pronostic, question très importante
pour les cliniciens, étant donné que dans la diphtérie, maladie à
surprises par excellence, on manque sous ce rapport de bases tant
soit peu solides. La question a été beaucoup débattue; nous
n’entrerons pas dans les détails qu’on trouvera dans les traités
de médecine; beaucoup de signes pronostiques ont été proposés,
mais toujours est-il qu’en présence d’un enfant bien malade on
est très embarrassé., Les indications fournies par la tem-
pérature et le pouls sont précieuses, et MM. Martin et Chail-
lou ont eu raison d’y insister, mais si importantes qu'elles soient,
souvent elles se montrent impuissantes à prévoir l’issue de la
maladie. (Filatow.)
Nous avons cherché à appliquer à la question du pronostic
les données que nous venons d'acquérir sur la leucocytose dans
ses différentes manifestations,
340 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
D'un côté, l’enfant guérit et les polynucléaires dépassent de
beaucoup le chiffre normal ; de l’autre côté, l'enfant meurt et les
polynucléaires ne dépassent guère 50 0/0, le chiffre maximum à
l’état normal.
Nous avons vu en plus que lorsqu'au cours [de la diphtérie
la maladie s'aggrave, les polynucléaires baissent (observ. n° V).
Tous ces faits dont le caractère commun se retrouve dans toute
l'histoire de la leucocytose, soit expérimentale, soit clinique,
uous autorisent à formuler la proposition suivante, qui a été
confirmée par de nombreuses observations :
Lorsque le lendemain et surlendemain de l'injection du sérum,
l'enfant présente plus de 60 0/0 de polynucléaires, le pronostic est favo-
rable quels que soient la température, le pouls et l'état général.
Pour plus de süreté, il est bon de renouveler l'examen du
sang ; si le nombre de polynucléaires va en augmentant, la gué-
rison peut être considérée comme certaine.
Si au contraire, chez un enfant, âgé de 3 ans ou plus, la tem-
pérature est élevée, et si, malgré le sérum, le chiffre des polynucléaires
se maintient à 50 0/0, le pronostic est mauvais : si ce chiffre est
inférieur à 50 0/0, si la température reste élevée et si on apercoit dans le
sang des « formes intermédiaires », l'enfant peut être considéré comme
perdu, même si l’état général paraît s'améliorer.
Il va sans direqueces formules ne s'appliquent qu'aux cas de
diphtérie avérée, confirmée par l’examen bactériologique, et
pure, c’est-à-dire, non compliquée d’autres maladies (rougeole,
scarlatine, etc.).
Quant à la broncho-pneumonie se déclarant si souvent au
cours de la diphtérie, nous ne la considérons pas comme une
maladie à part, ce qui revient à dire que la diphtérie com-
pliquée de broncho-pneumonie est justiciable du mème pronostic
que la diphtérie pure ‘.
En résumant les données principales fournies par nos tracés
graphiques, nous voyons que :
1. — Dans l’intoxication par doses massives, les polynu-
ue Tee *. a 5
cléaires décrivent une courbe ayant la forme parabolique, à maxi-
mum unique survenant douze à seize heures après l’inoculation ;
1. Rappelons à ce propos que Belfanti a pu reproduire expérimentalement la
broncho-pneumonie en injectant aux animaux de laboratoire la toxine seule,
LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 341
au delà de ce maximum les polynucléaires décroissent rapide-
ment et régulièrement jusqu’à la mort.
2. — Dans l'intoxication lente tuant en plusieurs jours, la
marche des polynucléaires est représentée par des courbes à
oscillations assez étendues, ayant pour caractères essentiels :
1° de se maintenirtoujours au-dessus du taux normal, et 2° de ne
s'interrompre à aucun moment de l’intoxication.
3. — Au cours de l’immunisation, la réaction leucocytaire
est très manifeste, surtout pendant les premières heures et jours
qui suivent l'injection.
4. — L'animal intoxiqué parune dose massive de toxine et
sauvé par le sérum reste malade « polynucléairement » pen-
dant 12 à 15 jours, durant lesquels on observe les mêmes oscilla-
tions que dans le cas d'intoxication lente, avec cette différence
que cette fois-ci les leucocytes finissent par prendre le dessus, ce
qui se traduit par un rétablissement progressif et graduel du
chiffre normal.
5. — Les enfants diphtériques en voie de guérison ont une
hyperleucocytose polynucléaire très nette, laquelle dure, en
moyenne, 12 à 15 jours jusqu’à la guérison complète.
6. — Lorsque l’évolution de la diphtérie n’est pas régulière et
qu’aucours de la maladie surviennent des phénomènes entravant
la guérison, on constate une corrélation frappante entre le degré
de la polynucléose et la gravité de la maladie.
7. — Les enfants qui ne peuvent pas guérir malgré le sérum
présentent un état leucocytaire que l’on n’observe jamais dans
les cas se terminant par la guérison : ils ne présentent guère
l’hyperleucocytose polynucléaire caractéristique.
8. — Le degré de la polynucléose après l'injection du sérum
antidiphtérique constitue un des éléments les plus sûrs de pro-
nostic dansla dinhtérie : c’est l’hémopronostic.
11 s'ensuit donc que toutes nos expériences, si variées qu’elles
soient, qu’elles aient trait aux animaux de laboratoire ou
qu’elles se rapportent aux enfants diphtériques, sont unanimes
à témoigner desrelations intimes entre les leucocytes et la toxine
diphtérique. Dans toutes ces différentes manifestations, le jeu des
leucocytes reste invariablement fidèle à la conception phagocy-
taire qui, elle seule, est capable d'expliquer les moindres détails
342 -ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de toutes les variations leucocytaires subies par l'organisme
intoxiqué.
Nos recherches cliniques ont été faites à l'hôpital des Enfants-
Malades (pavillon Trousseau) ; nous avons à cœur d’apporter nos
profonds remerciments à M. le D' Sevestre, chef de service,
pour avoir très obligeamment mis à notre disposition ses ma-
lades diphtériques; nous exprimons également notre sincère
reconnaissance à M. Méry, chef du laboratoire, professeur
agrégé, et à M. Bonnus, interne des hôpitaux, pour les nombreux
services qu'ils nous ont rendus au cours de nos études à l'hôpital.
BIBLIOGRAPHIE
Nicoras et Courmonr, Archives de médec. expérim., 1897.
SCHLESINGER, Archiv. f. Kinderheilk:unde, Bd. XIX, 378.
STIÉNON, Annales de la Soc. royale de Bruxelles, 1896.
GABRITCHEWSKY, Annales de l'Institut Pasteur, 1894,
SUR LB MÉCANISME DE D'IMMENISATION CONTRE LES VENINS
Par ze D' A. CALMETTE
Directeur de l'Institut Pasteur de Lille.
L'étude des venins, qui a fait l’objet de nombreuses recherches
dans ces dernières années, est très commode pour préciser nos
connaissances sur les réactions cellulaires à l’égard des toxines,
L'analogie étroite que présentent les venins avec quelques
toxines microbiennes d’une part, et, d'autre part, la rapidité et
la précision plus grandes de leur action, permettent au physio-
logiste de varier à l'infini les conditions de ses expériences sans
s’exposer aux causes d'erreur qui peuvent exister lorsqu'on
expérimente avec des toxines provenant de cultures différentes,
ou avec des animaux dont la résistance individuelle à l'égard de
certains poisons est très variable.
Les travaux que j'ai publiés depuis 1883 sur l’envenimation
et sur la sérothérapie antivenimeuse ont nettement établi :
1° Que les venins de tous les reptiles venimeux des divers
pays du monde présentent entre eux des analogies très étroites,
et qu’un animal artificiellement immunisé contre un venin très
actif, comme celui de naja ou de bothrops, est très réfractaire à
l'intoxication par tous les venins moins actifs que ceux aa ont
servi à le vacciner; ;
20 Que le sérum des chevaux vaccinés contre des doses con-
sidérables de venins très actifs possède un pouvoir préventif et
un pouvoir curatif tellement intenses, qu’il est capable de com-
muniquer en quelques minutes, aux animaux neufs auxquels on
l'injecte, une insensibilité absolue à l'égard de tous les venins;
3° Que la quantité de sérum curatif que doit recevoir un
animal intoxiqué par le venin est inversement proportionnelle à
son poids, quand on expérimente sur des cobayes, des lapins et
des chiens par exemple, et directement proportionnelle à la
quantité de venin qu'il a reçue; il suffit de 1 c, c. 1/2 du
344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sérum que je possède actuellement, pour immuniser un lapin
de 2 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 15 minutes
par injection intra-veineuse, et pour préserver un chien de
10 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 3-4 heures par
voie sous-cutanée.
Le traitement sérothérapique des morsures venimeuses chez
l’homme et chez les animaux est maintenant répandu et adopté
dans tous les pays, sans qu'aucun échec ait encore été signalé,
de sorte qu'il n’est plus utile d’en discuter les avantages. Mais
il reste encore beaucoup de points de détail à élucider dans le
mode d’action des venins, et, pour la raison que j'indiquais tout
à l'heure, cette sécrétion toxique normale des ophidiens veni-
meux présente un intérêt très grand au point de vue biologique.
Je poursuis actuellement à l’Institut Pasteur de Lille, en
collaboration avec M. Guérin, médecin-vétérinaire, et M. le
D' Wehrmann, de Moscou. une série d'expériences qui ont pour
but de déterminer le rôle respectif que jouent le système ner-
veux, les leucocytes et les diverses humeurs de l’organisme dans
l'immunité arlificielle contre les venins.
Les recherches de Fraser d'Édimbourg, puis celles de
M. Phisalix, du Muséum d'histoire naturelle de Paris, sur le
pouvoir préventif de la bile, du glycocholate de soude, de la
cholestérine, et aussi de la tyrosine de la carotte ou des tuber-
cules de dahlia sur le venin ont attiré notre attention, parce que
nous avions observé, de notre côté, qu'on pouvait très facile-
ment augmenter la résistance des animaux à l’égard de ce même
poison en leur injectant préventivement du sérum antitétanique,
du sérum de chiens vaccinés contre la rage, certains sérums
normaux de cheval ou de chien, et même, dans quelques cas,
du bouillon normal de bœuf fraîchement préparé.
Nous avons alors entrepris de vérifier si, dans ces cas, il
s'agissait d'une véritable immunité plus ou moins durable, ou si
l’on avait affaire seulement à des phénomènes de résistance cel-
lulaire, essentiellement passagers et ne présentant aucun carac-
tère de spécificité.
Nous nous sommes proposé d'étudier de plus près le pouvoir
préventif de la bile et de la cholestérine, et nous avons fait un
nombre considérable d'expériences avec des échantillons de bile
de divers animaux, et avec de la cholestérine pure.
IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 345
Pour ce qui concerne la bile, nous avons constaté, comme
M. Fraser, que cette humeur détruit le venin in vitro, c'est-à-dire
en mélange, à la condition toutefois qu’on opère avec des doses
de venin très voisines de la dose mortelle limite.
Tous les venins, comme d’ailleurs certaines toxines micro-
biennes, la toxine tétanique par exemple {Wehrmann), mis en
contact pendant 24 heures avec une certaine quantité de bile
fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nui-
sible lorsqu'on injecte le mélange à des animaux neufs. Il semble
que la bile exerce sur le poison un pouvoir digestif,
La bile chauffée à 100°, et même à 120°, est encore active,
quoique plus faiblement. Chauffée à 120°, elle ne l’est plus si
l’on a soin de la filtrer sur papier pour éliminer les substances
précipitées par la chaleur.
Mais lorsqu'on injecte la bile quelques heures, ou même
24 heures avant le venin, et à doses relativement élevées
(4 c. c. 5 ou 2 c. c. de bile de bœuf par exemple pour un cobaye
de 500 grammes), on n’observe aucun pouvoir préventif. De
même, injectée après le venin, elle n’exerce aucun effet théra-
peutique et ne modifie pas la marche de l’envenimation.
Il importe de remarquer que, pour vérifier ces expériences,
on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement
mortelles en 2-3 heures, car si on n’injecte que des doses mor-
telles en 5-6 heures, comme le fait M. Phisalix, on trouve environ
quatre cobayes, sur dix de même poids, qui survivent après avoir
été plus ou moins malades, et sans injection préventive de bile.
Nous avons injecté directement dans la vésicule biliaire de
lapins une dose mortelle de venin, et dans ces cas, la mort est
toujours survenue à peu près en même temps que chez les
animaux qui recevaient la même dose sous la peau (en 1 h. 1/2
à 2 heures). Dans ces expériences, le venin est probablement
absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile,
UE nous avons vu que cette destruction ne peut s’opérer
qu'après un assez long contact.
En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck,
fusible à 146°, et dissoute dans l’éther ou dans l’huile de pieds
de bœuf, nous avons constaté que cette substance, même à doses
élevées (1 c.c. de solution éthérée saturée), ne possède pas de
pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de 1 à 5 jours
346 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
lorsqu'on l’injecte 2 à 4 heures avant une dose de venin mortelle
en 3 à 4 heures. Mais si on l’injecte 48 heures avant le venin,
elle ne produit aucun effet préventif.
Or. nous avons pu nous convaincre que beaucoup de sub-
stances d'origines très diverses pouvaient donner lieu aux
mêmes phénomènes de retard ou d'arrêt dans l’intoxication.
Nous avons observé, par exemple, que le bouillon normal frais,
injecté à la dose de 5 ou 10 c.c. 2 heures avant le venin, ou
des quantités variables de certains sérums normaux ou antité-
taniques, possèdent des propriétés préventives semblables. Il
n'est pas possible d'envisager ces faits comme démontrant une
spécificité réelle de la bile, de la cholestérine, de certains sérums
ou du bouillon normal de bœuf à l’égard du venin. Nous pen-
sons qu'il faut les interpréter tout simplement dans le sens d’une
stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de
fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu'il
doit frapper de mort,
Le rôle des leucocytes dans la fixation du venin nous paraît
très important, car l'introduction de ce poison dans l’organisme,
localement ou par voie intraveineuse, s'accompagne toujours
d’une hyperleucocytose manifeste, et, d'autre part, si on injecte
à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite
quantité d’exsudat leucocytaire frais, on observe toujours un
retard considérable dans l’envenimation et, très souvent, la
survie.
Nous avons voulu rechercher si les éléments du système
nerveux possèdent à l’égard du venin les mêmes propriétés que
Wassermann et Takaki leur ont reconnues dernièrement à
l'égard de la toxine tétanique. Nous avons fait plusieurs expé-
riences avec des émulsions de cerveau de lapin et avec des
émulsions de cerveau de serpent (bothrops lanceolatus.)
Aucune de ces émulsions n’a manifesté le moindre pouvoir
antitoxique in vitro ou préventif. Il n’y a donc pas d’analogie
d'action entre ce qui se passe dans les éléments nerveux vis-à-vis
de la toxine tétanique et vis-à-vis du venin.
Nous avons été amenés à nous demander si, après avoir
immunisé passivement des lapins, par exemple, avec du sérum
antivenimeux, il ne serait pas possible de faire perdre à ces ani-
maux leur immunité en leur injectant certaines substances
[IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 341
capables d'agir énergiquement sur les cellules nerveuses du
cerveau, du bulbe et de la moelle, et en les éprouvant ensuite
avec une dose sûrement mortelle de venin. Nous nous proposions
de voir, par ces expériences, si le sérum antivenimeux (dont
d'action est si rapide et si intense qu'aucun autre sérum anti-
toxique ne peut lui être comparé à cet égard) agit sur les
éléments nerveux ou sur les leucocytes.
Avec môn collaborateur M. Guérin, j'ai injecté à une série de
lapins une dose de sérum antivenimeux suffisante pour les
immuniser solidement (2 c.c. contre une dose de venin sûrement
mortelle en 15 minutes par injection intraveineuse.)
L'un de ces animaux a reçu 3 milligrammes de curare, et une
heure après, pendant l’intoxication curarique, il a été éprouvé
avec le venin et a résisté.
D'autres lapins ont reçu, après le sérum antivenimeux, de
l'alcool éthylique pur (20 ce. c. d’une dilution à 50 0/0 sous la
peau): — du chloral (05,45) dans les veines; — du bromure de
potassium (0,3) dans les veines ; — du sulfate de strychnine
(0s',0003) dans les veines; — puis, quelques instants après, la
même dose de venin mortelle en 15 minutes.
Aucun de ces animaux n’est mort. Donc aucune de ces sub-
stances toxiques qui ont une action élective sur les éléments
nerveux n’a pu supprimer l’immunité passive conférée préala-
blement par le sérum antivenimeux.
Nous avons répété les mêmes expériences en injectant les
substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis
le venin. Aucun des animaux ainsi éprouvés n’a succombé.
Deux conclusions se dégagent donc de nos expériences :
4° On ne peut pas considérer l’action antitoxique de la bile,
de la cholestérine, etc... pas plus que celle de certains sérums
normaux ou antitétaniques ou antirabiques, etc... comme une
action antitoxique vraie, c'est-à-dire spécifique à l'égard du
venin. On a tout simplement affaire ici à des effets de stimulation
cellulaire, mais ces effets sont très passagers et peuvent être
produits par des substances très différentes ;
2° Après l'injection de sérum antivenimeux, ce sérum mani-
feste son action préventive, malgré que l'on se soit efforcé de
diminuer la résistance des éléments nerveux par l'injection de
divers poisons qui agissent sur ces derniers,
PREMIÈRES EXPÉRIENCES
sr l'emploi du sérum euratt et préventt de la Üévre Jak,
Par Le Pror. D' JOSEPH SANARELLI
Directeur de l’Institut d'hygiène de Montevideo.
Il n’est qu'une voie aujourd'hui qui puisse conduire à un
traitement spécifique de la fièvre jaune : c’est la sérothérapie.
L'espoir de pouvoir obtenir un sérum doué en même temps
de propriétés curatives et préventives est basé sur l'observation
pratique de deux phénomènes importants :
L'accoutumance au virus chez les gens nés dans les pays à
fièvre jaune ou y ayant vécu longtemps, « l’acclimatation »
comme on dit vulgairement, et l’immunité acquise après une
attaque de la maladie,
Ce dernier fait est compris dans les lois générales qui
régissent presque toutes les maladies infectieuses aiguës. Quant
à l’acclimatation, on ne peut guère y voir autre chose aujour-
d’hui qu’un phénomène de mithridatisation par le poison amaril,
phénomène que nos connaissances actuelles nous permettent de
comprendre facilement.
L’accoutumance facile et rapide aux petites doses de ce
poison, bien mise en lumière par mes expériences sur l’homme,
donne une idée approximative de ce qui arrive probablement
dans la nature.
Le sérum destiné à la préservation et au traitement de la
fièvre jaune chez l’homme, provient des animaux vaccinés
contre le bacille ictéroïde et supportant une dose de virus amaril
plusieurs fois mortelle; mais cela ne suffit pas, etil faut encore
qu'il soit capable de prévenir et de guérir l'infection amarile
expérimentale chez les cobayes.
Je crois inutile de m'étendre sur la préparation de ce sérum;
4. Résumé d’une conférence faite le 8 mars 1898 à la Société de médecine et
de chirurgie de Saint Paul (Brésil).
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 349
elle ne diffère des autres que par la difficulté qu'on rencontre à
vacciner solidement les animaux. Chez les chevaux, il faut pour
cela un traitement intensif assidu de 12 à 14 mois.
Le sérum anti-amaril n’agit pas comme le sérum anti-diphté-
rique.
Je n’ai pas encore constaté chez les animaux vaccinés la pré-
sence de substances antitoxiques.
Les chiens qui, après un an et plus de vaccination intensive,
peuvent tolérer une dose de virus plusieurs fois mortelle, vomis-
sent, tombent en prostration et présentent une forte élévation
de température à chaque nouvelle injection.
Voici un exemple : un chien bien vacciné, en traitement
depuis plus de 15 mois, et qui fournissait un sérum curatif et
préventif excellent pour les cobayes, mourut en 48 heures, après
une phlébite oblitérante qui avait permis une multiplication
accidentelle des bacilles ictéroïdes injectés; à l’autopsie, tous les
viscères étaient stériles et le foie tellement dégénéré en graisse,
que l’analyse chimique donna 32, 72 0/0 de substance grasse *,
quantité de beaucoup supérieure à celles signalées jusqu'ici,non
seulement dans la fièvre jaune et dans les autres maladies
stéatogènes de l’homme, mais aussi dans les plus graves intoxi-
cations expérimentales par le phosphore ou l’arsenic.
Tout ceci démontre, jusqu'à l’évidence, que l’état vaccinal
n’est pas, jusqu'ici. caractérisé par la présence de substances anti-
toxiques, et que le sérum anti-amaril ne peut avoir une action
efficace que lorsque la quantité de poison formée dans l'orga-
nisme n’a pas atteint la dose mortelle pour le-malade.
Ce sérum, comme plusieurs autres déjà connus, mais qui
n’ont pas été employés avec succès hors des laboratoires, agit
donc contre les microbes et non pas contre leurs toxines; il est
bactéricide et non pas antitoxique.
Son emploi dans le traitement de la fièvre jaune pourra donc
être efficace seulement dans les cas d'intervention précoce. Ceci
constituera certainement le principal obstacle à l'emploi pra-
tique de la sérothérapie contre la fièvre jaune.
Cette maladie se présente à ceux qui ne l'ont pas vue de près,
A. Le foie des chiens vaccinés contre le bac. ictéroide est loujours normal,
ainsi que nous avons pu le constater à l’autopsie de quelques chiens morts après
des accidents traumatiques ou opératoires.
390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
et en particulier aux médecins européens qui n’ont pas voyagé,
avec un aspect différant beaucoup de la réalité.
On la compare souvent au choléra, et on s’imagine que sa
lésion principale, son siège d'élection, presque spécifique, est
le tube gastro-intestinal.
Contrairement à cette idée, j'ai montré que la fièvre jaune
doit entrer dans le groupe des maladies typhiques : c’est une
maladie fébrile, essentiellement toxique, et dont les complica-
hons les plus graves et les plus importantes sont loin d’être
confinées au tube digestif.
Très souvent les malades présentent déjà de l’albuminurie,
de l’anurie et sont même en délire, sans avoir accusé aucun
symptôme du côté du tube digestif.
Dans certaines épidémies, les phénomènes hémorragiques
et intestinaux constituent presque l'exception, tandis que l’alté-
ration précoce, immanquable et inexorable est l’anurie.
Or, lorsque le filtre rénal est frappé par la toxine amarile,
et qu'en outre de l’intoxication spécifique, l’organisme doit
résister à l’empoisonnement urémique, toute intervention séro-
thérapique reste inefficace et aléatoire.
Au commencement de cette année, j'avais déjà un bon sérum,
très actif chez les animaux de laboratoire, et provenant de deux
chevaux À et E, en traitement, le premier depuis 18 mois et le
second depuis un an. Je possédais en plus un bœuf, lequel,
après une année de traitement, fournissait un sérum doué d’une
action assez faible.
Je désirais essayer ce sérum chez l’homme malade, et je dois
à mon confrère et ami le D' Seidl, directeur de l'hôpital de
Saint-Sébastien à Rio de Janeiro, les premières observations sur
l’action réelle du sérum anti-amaril.
Le Dr Seidl, avec les D Fajardo, Couto et da Rocha
essayèrent le sérum A, que j'avais envoyé en décembre 1897,
sur 8 malades, qui présentaient, aux différentes périodes, les
symptômes les plus caractéristiques de la fièvre jaune.
Sur ces 8 malades, cinq étaient déjà au 4° jour de la
«maladie et dans des conditions assez graves : 4 présentaient
déjà de l’anurie ou étaient en délire. Le dernier des 5, bien qu'en
conditions très graves, ne présentait encore ni anurie mi délire,
et fut le seul qui guérit, ayant recu en tout 80 c. c. de sérum.
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 301
Des trois autres malades soumis au traitement sérothérapique
à l’hopital Saint-Sébastien de Rio de Janeiro, 1 était au 2° jour
et 2 au 3° jour de la maladie; ils avaient tous les symptômes
principaux et assez graves de la fièvre jaune, y compris l’albu-
minurie, mais la diurèse se faisait régulièrement et le système
nerveux ne paraissait pas atteint.
Ces 3 malades guérirent après un traitement sérothérapique
énergique, et dans les tracés thermographiques qui m'ont été
remis par le D' Seidl, on constate parfaitement que chaque
injection de sérum était suivie d’une descente de la tempéra-
ture. Dans le seul cas où l’application du sérum fut faite le
second jour de la maladie, une seule injection fut suffisante pour
abaisser de suite la température, pour arrêter les symplômes
les plus imposants de l'infection, et pour faire entrer le malade
en franche et rapide convalescence.
Ces premières recherches d'orientation présentaient donc un
intérêt, facile à saisir, et m'ont fait souhaiter d’employer le
sérum anti-amaril sur une plus vaste échelle, afin d'établir
exactement sa valeur et ses indications dans le traitement de la
fièvre jaune.
L'occasion se présenta pour moi au moment précis, grâce à
l’'aimable invitation qui me fut faite, au mois de janvier dernier,
par les autorités et par le corps médical de l’État de Saint-Paul
au Brésil.
L'Etat de Saint-Paul, le plus riche de la République brési-
lienne, pays d'immigration, traverse aujourd'hui une triste
période, depuis que la fièvre jaune, qui jusqu'à ces dernières
années n'avait pas quitté les côtes, s'est diffusée et a envahi
comme un incendie presque toutes les villes et presque tous les
villages de l’intérieur, semant des ruines partout.
La voie de cette diffusion rapide de la maladie dans l’état de
Saint-Paul est l’immigrant, contaminé au port de débarquement,
et allant constituer à l’intérieur du pays des nouveaux foyers de
la maladie. (AE
La fièvre jaune est bien plus grave à l’intérieur du pays, et
atteint une mortalité bien plus élevée que celle qu'on observe
dans les côtes, par exemple, à Rio de Janeiro, à Santos ou à
Pernambuco.
Dans ces dernières villes, les immigrants en général ne
302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
séjournent pas; la fièvre jaune atteint en général des indigènes,
ou tout au moins des gens relativement acclimatés par un séjour
plus ou moins long, et la mortalité ne dépasse pas 50 à 60 0/0
des malades.
Dans l’intérieur du pays, au contraire, la maladie trouve un
élément neuf, européen, récemment arrivé, non encore habitué
au climat et au genre de vie des pays intertropicaux, et par
suite extrèmement faible et sans défense. La mortalité est d’alors
80 ou 90 0/0 des malades, et il y a eu à Campinas, à Rio-Claro,
à Araraquara, et sur d’autres points, des épidémies comparables
seulement aux invasions légendaires de la peste au moyen âge.
Le Gouvernement et la Direction des services sanitaires de
l'état de Saint-Paul, préoccupés avec raison de cet état grave de
choses, voulurent que mes premières expériences de sérothé-
rapie humaine fussent faites de facon à rendre possible une opi-
nion définitive sur leur valeur réelle.
On désigna une commission officielle d’hygiénistes distin-
gués, constituée par MM. : D' Silva Pinto, directeur des Services
sanitaires de l'État, Dr C. Ferreira et Vieira de Mello, inspec-
teurs sanitaires, et le D' C. Espinheira, directeur de l’hôpital
d'isolement à Saint-Paul.
On ajouta à cette commission le Dr Ad. Lutz, directeur [de
l’Institut bactériologique de Saint-Paul, et ses assistants, les
D'S A. Menzouça et Vital Bazil.
L'endroit choisi pour l'expérience fut San Carlos do Pinhal,
ville d'environ 25,000 habitants, située à 820 mètres d'altitude, et
à huit heures de chemiu de fer de Saint-Paul.
A San Carlos, la fièvre jaune est aujourd’hui installée à
demeure, mettant en fuite presque tous les habitants, qui cher-
chent asile dans les campagnes voisines, et continuant ses ravages
parmi les rares travailleurs qui sont encore restés dans la ville
déserte. |
Voici le résumé de mes résultats que, sur la demande de la
Commission officielle sanitaire de Saint-Paul, j'ai déjà exposés
dans une conférence faite le 8 mars dernier, devant la Société de
médecine et de chirurgie de cette capitale.
Le sérum que j'allais employer dans ces premières expé-
riences sérothérapiques provenait, comme je l'ai dit plus haut,
de trois animaux.
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 333 _
J'avais déjà essayé depuis longtemps le sérum de cheval chez
les animaux et je l'avais trouvé d’une puissance vraiment
remarquable; je lavais aussi essayé chez l’homme dans un but
préventif, en me l'injectant moi-même, quelques jours avant
mon départ de Montevideo et pendant mon séjour à Sau Carlos
d6 Pinhal. — Ces injections, même à doses assez élevées, m'ont
démontré que le sérum des chevaux vaccinés contre la fièvre
jaune était parfaitement toléré, et pouvait par conséquent être
employé sans danger dans le traitement de cette maladie.
Le sérum de bœuf ou sérum F, comme j'ai l'habitude de
l'appeler, s’était montré, dans les expériences sur les animaux,
d'un pouvoir curatif assez faible, ce qui m’avait décidé à ne
l’'employer que dans un but prophylactique.
Arrivé à San Carlos, nous trouvàmes à l’hôpital d'isolement
très peu de malades ; la plupart des gens préféraient rester chez
eux pour y mourir; les seuls malades à ce moment à l’hôpi-
tal étaient deux enfants nommés Louis et Assunta del V...,
ramassés dans la maison où leur père était déjà mort de fièvre
jaune.
Ces deux petits malades présentaient les symptômes carac-
térisques de la maladie, y compris le vomüto negro: Louis était
au second jour et Assunta au troisième de la maladie. — Ils
furent soumis de suite au traitement, dont les résultats furent
presque immédiats : la fièvre et l’albuminurie disparurent, les
symptômes généraux s'atténuèrent et les deux enfants entrèrent
en franche convalescence, ayant reçu, pendant toute la maladie,
l'injection d’une quantité de sérum vraiment peu élevée :
Assunta 20 c. c. et Louis 65 c. c.
Nous avons ainsi traité jusqu’au 17 février six autres malades ;
un de ceux-ci, Raphaël M... anurique et albuminurique à son
entrée à l'hôpital, n’éprouva aucun soulagement; comme il était
à supposer, l’anurie suivit son cours et le malade mourut au
4° jour.
Des 5 suivants, 4 entrèrent en convalescence, après avoir
présenté des incidents plus ou moins importants, et avoir néces-
sité un traitement sérothérapique assez prolongé. Le dernier
succomba au dixième jour de maladie, avec des lésions céré-
brales.
Cette première série de nos expériences (2 morts et 6 guéri-
20
304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sons) nous avait renseignés sur l’efficacité et Les effets du traite-
ment sérothérapique à petites doses.
Je dirai de suite que ces doses se montrèrent insuffisantes. De
plus, on acquit la conviction que, lorsqu'on n’arrivait pas, avec
la première injection, à arrêter tout de suite le processus infec-
tieux, la maladie reprenait son cours, après une rémission pas-
sagère, et l'organisme, déjà en proie aux phénomènes toxiques,
devenait incapable de retirer un bénéfice réel des injections ulté-
rieures de sérum.
Dans les cas terminés par la guérison, après une élévation de
température, qui accompagne presque sans exception et comme
une sorte de réaction spécifique les premières injections de sé-
rum, surtout lorsqu'elles sont pratiquées dans les veines, la
fièvre disparaissait pour ne plus revenir, et le thermomètre
n’accusait les jours suivants que quelques oscillations insigni-
fiantes et passagères. En même temps les phénomènes de la
période d'invasion déclinaient et disparaissaient, sans qu'aucun
des accidents de la troisième période apparüt.
L'absence des phénomènes hémorragiques a accompagné
d'une facon constante et a caractérisé notre traitement sérothé-
rapique.
Au point de vue de la diurèse, ces premières expériences
mirent bien en évidence un fait important, quis’est répété depuis
chez presque tous les malades soumis aux injections de sérum.
Dans la plupart des cas, en effet, nous avons constaté une in-
fluence extrêmement favorable sur la sécrétion rénale, au point
parfois de provoquer une véritable polyurie ; même dans les cas
terminés par la mort, l’anurie ne fut jamais complète ni précoce.
Or, si l’on considère que dans l’épidémie actuelle de San Car-
los, le symptôme dominant, précoce et fatal, chez presque tous
les malades, est l’anurie, l’action directe exercée par le traitement
spécifique sur lacomplication la plus insidieuse et la plus redou-
table de la fièvre jaune apparaît évidente.
Dans le cours de cette première série de recherches, un
autre phénomène frappa notre attention. L
Chez quelques malades et à cause de leur excessive sensi-
bilité ou de la médiocrité des résultats obtenus chez eux par les
injections sous-cutanées, nous eùmes l'idée de recourir aux
injections intra-veineuses de sérum.
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 399
La technique de ces injections intra-veineuses, qu’on prati-
que toujours dans les veines superficielles de l’avant-bras, est
tellement simple et tellement sûre, qu’elle ne doit pas être con-
sidérée comme une méthode d'exception dans la pratique médi-
cale.
L'action des injections intra-veineuses de sérum anti-amaril,
chez les malades de fièvre jaune, est extrêmement intéressant.
De suite après l'injection, même à faible dose (15 c. c.), le
malade reste tranquille ; au bout de quelques minutes, on observe
une congestion légère des téguments, surtout au niveau des
régions pectorales et de la face; les conjonetives s’injectent, le
pouls devient plus fort, moins fréquent, et atteint souvent le
chiffre normal; le malade éprouve une sensation de chaleur à la
tête, a quelques quintes de toux, parfois des nausées, et présente
sur plusieurs points du corps un léger érythème cutané, sous
forme d’urticaire.
Quelques heures après, la température s'élève, ce qui se
traduit au tracé thermographique; cette élévation réactive est
suivie dans la plupart des cas d’un abaissernent durable du pro-
cessus fébrile et d'une amélioration générale plus ou moins per-
sistante.
Profitant de ces observations préliminaires, nous fümes
d'accord, mes collègues et moi, pour imprimer une direction un
peu différente au traitement sérothérapique des malades à venir;
nous résolùmes d'intervenir rapidement, avec de fortes doses
de sérum et en choisissant la voie intra-veineuse, dans le but
d'introduire en une seule fois dans l’organisme malade la quan-
tité de sérum nécessaire pour arrêter le processus infectieux à
ses débuts.
Cette méthode, que nous appelions conventionnellement
« méthode intensive », nous a donné des résultats bien supé-
rieurs aux précédents et que nous pouvons considérer, au
moins pour le moment, comme définitifs.
Je crois cependant utile de dire que les injections intra-vei-
neuses de fortes doses de sérum doivent être pratiquées avec
certaines précautions, tirées de ce fait, que la tolérance du
sérum n’est pas identique chez tous les malades. Ceux qui sont
au début de la maladie sont beaucoup plus sensibles et réagis-
sent en général bien plus énergiquement et bien plus bruyam-
396 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
D!
ment que ceux qui se trouvent à une période plus avancée.
En dehors de cette réaction différente, qui peut facilement
être expliquée, mais sur laquelle nous ne voulons pas insister
maintenant, nous avons observé que certaines constitutions
individuelles et certaines lésions organiques persistantes, telles
que l’hypertrophie paludéenne du foie et de la rate, les lésions
du myocarde, ete., conseillent la plus grande prudence au point
de vue de la dose de sérum qu’on peut introduire dans les veines
en une seule fois.
Nous commençâämes la nouvelle série d'expériences par un
jeune ouvrier, Pasqual B..., tombé malade le jour même, 17 fé-
vrier, avec tous les symptômes les plus graves et les plus impo-
sants de la fièvre jaune : frisson interne, céphalalgie, rachialgie,
épigastralgie intense, injection faciale, température à 39°, pouls
à 104. On lui pratique de suite deux injections de 20 c. c. cha-
cune, la première intra-veineuse, la seconde sous la peau.
Cinq minutes après, une réaction générale énergique sur-
vient : la peau devient d'un rouge érythémateux, le pouls des-
cend à 88, le malade tousse un peu et est pris d’agitation géné-
rale accompagnée de frisson. Peu après la température monte
à 400,2, et, avant la fin de la journée, on pratique au malade une
troisième injection de 20 c. c. de sérum, sous la peau. Le len-
demain matin la température descend à 38; on lui pratique
encore deux autres injections de sérum, lesquelles provoquent
une légère réaction fébrile (38°,5), mais font descendre la tem-
pérature du lendemain à 37°,3; le malade devient apyrétique,
les symptômes généraux, déjà très atténués, disparaissent rapi-
dement et le cinquième jour de son arrivée à l'hôpital, B. est
renvoyé complètement guéri.
Cette nouvelle série d'expériences, commencée avec un
succès aussi remarquable par le rapport étroit et immédiat qu'on
avait pu observer entre les injections de sérum et l’améliora-
tion successive des symptômes les plus importants de la mala-
die, fut continuée sur un second groupe de quatorze malades,
c'est-à-dire du n° 9 au n° 22. Tous ces malades étaient arrivés
à l'hôpital en condition assez grave et avec des symptômes très
nets de la maladie; chaque cas était choisi de commun accord
entre nous, dans le but de mettre bien en évidence l’action
thérapeutique du sérum, mettant toujours de côté tous les cas qui
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 357
se présentaient avec des symptômes vagues ou atténués ou en forme
légère ou fruste.
On ne conservait donc que les cas où, d’après la violence
des phénomènes d'invasion, on devait considérer comme très peu
probable une crise spontanée de la maladie.
Sur ces quatorze malades, dix arrivent à guérir sous l’in-
fluence manifeste du traitement sérothérapique, démontrant, à
tout moment, les rapports les plus évidents de cause à effet,
entre les injections de sérum et l’amélioration progressive des
principaux symptômes morbides et de l’état général.
Sur quelques-uns, le traitement intensif changea si rapide-
ment le type de la maladie, supprima si vite l’élévation de tem-
pérature et montra une influence si manifeste sur les autres
symptômes de l’amarilisme, que l’action favorable du sérum
s’'imposa à nous avec une évidence indiscutable,
Un seul de ces malades peut être considéré comme ayant
échappé à l’action curative de sérum; il s'agissait d'un nommé
Adrien M..., homme extraordinairement robuste et atteint d’une
des formes les plus violentes de la maladie. Nous eùmes un peu
trop de confiance dans la résistance naturelle de l’organisme, et
nous tinmes un peu au-dessous de la règle dans les premières
injections de sérum; le lendemain survinrent des phénomènes
si graves, du côté du système nerveux, que nous jugeâmes
inutile tout traitement ultérieur.
Quant aux trois autres cas suivis de mort, que nous devons
inscrire dans cette seconde série d'expériences, les conditions
déplorables où ils étaient, lorsqu'on les soumit au traitement,
laissaient prévoir dès le commencement que la terminaison leur
serait funeste. :
Dans le premier cas, il s'agissait d’un jeune Portugais,
rebelle à tout traitement, et chez lequel nous pümes, avec
grande peine, arriver à pratiquer quelques injections sous-
cutanées : on n’a pas pu suivre le traitement intensif habituel.
Ce jeune homme fut ainsi abandonné à lui-même, et mourut le
cinquième jour après son entrée à l’hôpital.
Dans le second cas, il s'agissait d’une jeune femme,
Louise V..., accouchée depuis un mois et nourrissant deux en-
fants ; elle était au troisième jour de la maladie et dans un état
de dénutrition extrême. Je ne lui pratiquai que deux injections
358 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de sérum, jugeant dangereux et inutile un traitement rapide et
intensif. Les forces de la malade s’épuisaient à vue d’œil; je lui
fis encore quelques injections sous-cutanées, plutôt dans le but
de ne pas abandonner la malade que de lui apporter un soula-
gement réel, mais bien vite le délire survint et toute interven-
tion ultérieure fut jugée inutile.
Dans le troisième cas enfin, il s’agissait d’un ancien paludéen,
nommé G... P..., qui présentait une hypertrophie remarqua-
ble du foie et de la rate, avec un état général presque cachec-
tique et une faiblesse intellectuelle voisine de l’inconscience.
Nous commençämes par l'injection d’une forte dose de sérum
(100 c. c.) en partie dans les veines et en partie sous la peau,
mais les phénomènes congestifs, qui apparurent presque de
suite, se montrèrent avec une intensité si grande, et faisaient
supposer l'existence de lésions si graves de l'appareil circu-
latoire, que nous décidèmes d’arrèter là tout traitement et de
continuer l'observation au seul titre d'expérience. Le malade
perdit rapidement les forces et mourut au milieu des symptômes
légèrement atténués de la maladie.
Dans un total de vingt-deux cas, nous avons donc eu six
morts.
Je me garderai bien de vouloir tirer de là une statistique;
cependant, vu le caractère très grave de l’épidémie actuelle de
fièvre jaune, vu l’épuration systématique que nous avons faite des
cas légers ou frustes, vu que les premières expériences ont eu
presque exclusivement pour but de nous orienter dans la dose
etles indications du traitement, etcommelastatistique comprend
enfin les cas où le traitement était formellement contre-indiqué
dès le commencement, il nous semble qu’une moyenne de 27 0/0
dans la mortalité pour nos premiers essais autorise l’espoir de
résultats encore plus satisfaisants, le jour où avec une vacci-
nation plus prolongée des animaux on disposera d’un sérum
plus actif, et où une expérience plus étendue aura établi plus
nettement les indications et les contre-indications de la séro-
thérapie anti-amarile.
Mais guérir n'est pas tout: il vaudrait mieux prévenir, et je
me suis demandé si le sérum qui, nous venons de le voir, peut
rendre des services en thérapeutique, n’en rendrait pas de plus
grands et de plus sûrs comme moyen prophylactique.
SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 339
Un hasard vraiment heureux nous a permis d'essayer le sé-
rum anti-amaril comme moyen prophylactique rapide contre la
fièvre jaune.
Dans la prison de San Carlos dû Pinhal s'était développée
brusquement la fièvre jaune, à la fin du mois de février.
La première victime fut un condamné, qui vivait avec tous
les autres dans une salle où les conditions hygiéniques étaient
assez mauvaises. Le lendemain, la sentinelle, qui était en rap-
port continuel avec La salle des condamnés, tombait malade.
Quelques jours après, un autre condamné suivait le sort du pre-
mier et bientôt un quatrième cas, mortel aussi, finit par signaler
la prison comme un nouveau foyer d'infection, qui venait s’al-
lumer au centre d’un quartier de la ville encore resté indemne.
Si on avait abandonné la chose à elle-même, on aurait vu
se produire le même spectacle qu’avaient fourni, dans des con-
ditions identiques, pendant les dernières épidémies, les prisons
de Rio Claro, de Limeira et d’autres villes de l’État de Saint-Paul.
Une seule mesure pouvait encore conjurer le danger mena-
çant : nous allâmes à la prison et nous pratiquâmes des injec-
tions de sérum anti-amaril à tous les condamnés, excepté un
qui affirma qu'il avait déjà eu la maladie. Deux militaires arri-
vés dernièrement d'Europe et qui étaient en rapports continuels
avec le quartier infecté s’offrirent spontanément à l'injection du
sérum. k
L'effet immédiat de cette mesure prophylactique fut celui
qu’on attendait ; il n’est plus apparu un seul cas de fièvre jaune
dans la prison et tout laisse supposer, qu’au moins pendant le
temps que durera l’étal vaccinal provoqué par le sérum, ni les
prisonniers, ni leurs gardiens ne seront victimes du bacille icté-
roïde, et que la prison ne constituera pas un foyer dangereux
d'infection .
Il faut remarquer que la suppression rapide de ce foyer infec-
eux fut obtenu malgré les conditions les plus défavorables :
n'ayant plus de sérum de cheval, nous avons injecté celui de
bœuf ; les individus inoculés étaient presque tous des étrangers
1. Les dernières nouvelles reçues jusqu’au 2 avril courant m'ont confirmé
qu'aucun cas nouveau de fièvre jaune ne s'était présenté dans la prison de San Carlos,
après mes vaccinations pratiquées à la fin de février, quoique l'épidémie conti-
nue à sévir dans la ville, comme auparavant,
360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
et se trouvaient dans des conditions physiologiques misérables ;
l'hygiène de la prison laissait beaucoup à désirer; on devait
donc considérer ces gens comme étant très prédisposés à la
maladie.
On saisit facilement la grande importance de l’application de
ce système prophylactique à bord des vaisseaux, dans les stations
en quarantaine, dans les foyers domiciliaires, etc., etc.
*
#* »
Nous terminons ici l’exposition sommaire de ce que nous
avons fait, en compagnie des distingués confrères qui ont bien
voulu nous aider avec tant de dévouement, pendant notre séjour
au milieu de l'épidémie de San Carlos d6 Pinhal.
Comme il arrive presque toujours dans des circonstances ana-
logues, quelques médecins peu familiarisés avec la fièvre jaune
et attachés aux opinions anciennes, d’après lesquelles le typhus
ictéroïde ne pouvait pas abandonner le littoral et se développer
à 800 ou 900 mètres sur le niveau de la mer, ont prétendu que
la maladie qui a ravagé quelques villes du florissant État de Saint-
Paul n'était pas la fièvre jaune.
Eh bien! même ce doute est aujourd’hui complètement éva-
noul.
Les bactériologistes distingués qui faisaient partie de notre
Commission scientifique, les D'S Lutz, Mendouça et Vital
Brasil ont réussi trois fois à isoler le bacille ictéroïde du sang
des malades, pendant la période agonique.
Le Gouvernement de l'État de Saint-Paul, d'accord avec la
Commission officielle qui a suivi, à San Carlos dé Pinhal, les ré-
sultats de la sérothérapie curative et préventive de la fièvre
jaune, a déjà décidé la création, dans la capitale de l’État, d’un
Institut sérothérapique contre la fièvre jaune.
Cet Institut sera installé dans quelques mois et aura pour
but de rendre plus pratique, et par suite plus parfait et plus sûr,
le traitement spécifique, curatif et préventif, d’une maladie redou-
table qui est appelée avec raison « le fléau du continent améri-
cain ».
REVUES ET ANALYSES
PES NTIC LEIN ES)!
PARCM-SLE DEP :NOLEN:
On sait combien sont rudimentaires nos connaissances sur la cons-
titution chimique des albuminoïdes. Il n’en est que plus utile de passer
en revue ce qu on sait le mieux sur ce sujet, et de tâcher de grouper,
au moins provisoirement, les quelques notions qui semblent définiti-
vement acquises. Un des groupes albuminoïdes les plus étudiés dans
ces dernières années, et certainement un des mieux connus, c’est celui
des nucléines. La première des nucléines fut découverte dans le, pus
par Miescher, élève de Hoppe-Seyler, en 1869?. Ayant soumis le pus
frais à l’action du suc gastrique, Miescher constata qu'après un certain
temps, le corps protoplasmique des cellules blanches passe complète-
ment en solution, laissant un dépôt pulvérulent qui, examiné au
microscope, est constitué uniquement par les noyaux des leucocytes
ou tout au moins par le squelette de ces noyaux. Chimiquement, ce
résidu se trouve être une substance albuminoïde spéciale, nettement
caractérisée. En raison de son origine, Miescher l’appela nucléine.
Sa découverte fut bientôt confirmée par Hoppe-Seyler, et d’autres
élèves de ce chimiste décrivirent des corps analogues tirés des noyaux
des globules sanguins des sauropsidés (Plosz) de la caséine du lait
(Lubavin), du jaune d’œuf (Miescher). Hoppe-Seyler lui-même a extrait
une nucléine des globules de levure. Tous ces corps présentaient,
à part certaines divergences secondaires, un ensemble de propriétés
chimiques communes qui en formaient un groupe nouveau, bien dé-
1. Les publications françaises sont en général peu au courant des nombreux
travaux faits à l’étranger dans les laboratoires de chimie physiologique. M. le
D: P. Nolf a bien voulu se charger de résumer pour nous les notions acquises au
sujet des nucléines et des matières albuminoïdes. Je me réserve de reprendre
un jour toutes ces notions si intéressantes, en les présentant sous un jour qui,
j'espère, facilitera leur intelligence et leur classement. — E. D.
2. Hoppe-SeyLer, Physiologisch-chemische Untersuchungen, p. 441.
362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
terminé, le groupe des nucléines: substances albuminoïdes acides,
solubles dans les solutions alcalinisées par les hydrates des métaux
alcalins, insolubles dans l’eau et les acides dilués, riches en phosphore.
La teneur en phosphore, variable d’ailleurs d’une nucléine à
l’autre, atteignait °/, et même davantage; elle devint la vraie carac-
téristique des nucléines et les sépara des autres albuminoïdes, qui,
à l’état de pureté, ne contiennent pas cet élément.
Ces premières données furent bientôt considérablement enrichies,
grâce aux nombreux travaux de Kossel, auquel nous sommes rede-
vables de presque toutes nos connaissances actuelles sur la question.
Ayant soumis la nucléine de la levure pendant plusieurs heures à
l’action de l'eau bouillante, Kossel trouva ‘ parmi les produits de
décomposition, trois substances ou groupes de substances : 1° de
l'acide phosphorique ; 2° un mélange d’albuminoïdes ordinaires, non
phosphorées ; 3° des bases xanthiques, parmi lesquelles la xanthine,
Fhypoxanthine, la guanine.
En soumettant méthodiquement au même traitement diverses
nucléines, Kossel fit bientôt? la découverte importante que si l’on
trouve d’une façon constante, pour toutes les nucléines, le radical
albuminoïde et l'acide phosphorique, les bases xanthiques, au
contraire, n'apparaissent pas toujours. Tandis qu'il y en a dans les
nucléines de la levure, des leucocytes, des globules rouges des
oiseaux, celles du lait, du vitellus n’en contiennent jamais.
Or, coïncidence remarquable, les premières sont extraites de
cellules nossédant une substance nucléaire en pleine évolution vitale,
les secondes n'ont aucun rapport avec le noyau cellulaire et sont des
substances de réserve. A la division chimique correspondait donc une
signification physiologique différente. Et ce qui prouve l'exactitude
de cette conclusion, c’est que les bases xanthiques, absentes de la
nucléine de l'œuf, se trouvent déja abondamment dans les tissus
d'embryons de 15 jours, où leur apparition correspond à la formation
des nombreux noyaux embryonnaires, partant des nucléines du
premier type. Kossel proposa plus tard ? de réserver le nom de nu-
cléines à ces dernières, et d’appeler paranucléines celles qui ne contien-
nent pas de bases xanthiques dans leur molécule. Parmi les bases
xanthiques qu’il put isoler, figurent la xanthine, l'hypoxanthine, la
guanine, et une nouvelle base, l’adénine de formule C*’H°N°.
De la diversité des bases ainsi trouvées, il semble légitime de con-
1. Ueber das Nuclein der Hefe. Zeëtschrift f. Physiologische Chemie,t.3 et 4.
2. Kosser, Untersuchungen über die Nucléine und ibre Spaltungsprodukte.
Strasbourg, 1881.
3. Archiv. f. Anatomie und Phys. de Dubois Reymond. Physiol. Abteil, 1891,
page 181.
REVUES ET ANALYSES. 303
clure à la diversité des nucléines qui les fournissent, et si deux
nucléines peuvent différer ‘par la base xanthique qu’elles contiennent,
il est à supposer que des différences plus nombreuses sont provoquées
par des changements dans le groupe albuminoïde de leur molécule.
D'où le peu de difficulté de décider pour un cas donné, si on se trouve
en présence d’un individu chimique ou d'un mélange de corps voisins.
Ces idées de Kossel sur la constitution des nucléines ont été com-
battues par L. Lieberman! qui, se basant tant sur l'étude des
nudléines naturelles que sur celle des précipités obtenus par l’acide mé-
taphosphorique dans les solutions d’albumine et de bases xanthiques,
émit l'hypothèse que les nucléines sont dues à la précipitation simul-
tanée, dans les liquides organiques, d’albumine ei de bases xanthiques
par l’acide métaphosphorique, et sont donc tout au plus des mélanges
de ces différents précipités. Lieberman, outre qu'il n'expliqua pas
l'origine de cet acide métaphosphorique dans l'organisme, ne fournit
jamais de preuve décisive à l’appui de ses idées. Celles-ci perdirent
bientôt tout intérêt à la suite de la découverte des acides nucléiques.
Altmann ? fit en 1887 la constatation importante que si l’on traite à
froids les diverses nucléines par des solutions de potasse caustique à
3 0/0 et si, après acidification de la solution par l’acide acétique, on
filtre, le filtrat contient un acide organique très riche en phosphore
(en moyenne 9 0/0), que l’on peut obtenir en le précipitant de sa solu-
tion acétique par l'alcool acidulé d’acide chlorhydrique. Ainsi prépa-
rés, ces acides sont des poudres blanches solubles dans l’eau, ne pré-
sentant aucune des réactions caractéristiques des albuminoïdes. Ils
jouissent de la propriété très intéressante de provoquer dans les solu-
tions d’albumines ou d’albumoses des précipités ayant tous les carac-
tères des nucléines. Par voie d’analyse et par voie de synthèse,
Altmann arrivait ainsi à la conclusion que les nucléines contiennent
dans leur molécule un radical albumine combiné à un acide organique
phosphoré. Altmann isola des acides à propriétés analogues, qu’il
appela acides nucléiques, des nucléines de la levure, du thymus de
veau, des têtes des spermatozoïdes de l’esturgeon. La constatation était
donc d’ordre général, et les propriétés très intéressantes de ces subs-
tances en rendaient très désirable une étude détaillée.
C’est ce qu’entreprit Kossel *.
Attaquant tout d’abord à chaud l’acide nucléique de la levure par
les acides minéraux étendus, Kossel retrouva parmi les produits de
décomposition les bases xanthiques que le même traitement isole de la
4. Berichte der Deutschen chemischen Gesellschaft, t. 21, p. 598, et Central-
blatt für die Medicinische Wissensch. Bd 27, pp. 210, 225, 447.
2. Archiv für Anatom. ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1889, p. 524.
3. Archiv f. Anatom. üù Physiol. Physiol. Abteil, 1891.
364 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
nucléine correspondante. Ceci confirmait l'hypothèse d’Altmann, fai-
sant de la nucléine une combinaison d’une albumine avec l'acide
nucléique, car cette hypothèse admise, il fallait attribuer à l’acide
nucléique les bases xanthiques, puisque l’albumine n’en contient pas.
Un deuxième produit de décomposition était un hydrate de car-
bone, mélange d’hexose et de pentose : un troisième était un acide orga-
nique très riche en phosphore.
Dans ses travaux ultérieurs ‘, Kossel continue, de façon plus détail-
lée, l'étude chimique d’acides nucléiques d'origines diverses (levure,
thymus de veau, rate), et il leur trouve un ensemble de propriétés
constantes et bien caractérisées.
Ces acides ont des compositions cenlésimales très rapprochées.
Chez tous, fait curieux, le rapport de la quantité d'azote contenue dans
la molécule et exprimée en atomes, à celle de phosphore, est constant
et égal à 3/1. Tous contiennent dans leur molécule un ou plusieurs
hydrates de carbone, qui dans certains cas s’isolent facilement : levure
(Kossel), pancréas. glande mammaire (Hammarsten) ; dans d’autres
ils ne se décèlent que grâce à la formation d'acide lévulinique sous
l’action prolongée des acides minéraux forts à l’ébullition (thymus).
Tous donnent naissance par le même traitement à des bases xan-
thiques diverses. En dernier lieu, si au lieu d’acides minéraux on fait
agir sur eux l’eau bouillante pendant peu de temps, ils fournissent, à
côté des bases xanthiques, un acide organique phosphoré, différant
surtout des acides nucléiques par sa solubilité dans les acides minéraux
dilués. Cet acide produit lui aussi des précipités dans les solutions
d’albumine, mais ces précipités se caractérisent, comme l’acide lui-
même, par leur solubilité dans l’eau acidulée d’acide chlorhydrique.
Cet acide, appelé par Kosselacide thymique, constitue, par sonunion
en combinaison organique aux bases xanthiques, les acides nucléiques.
Traité à l’ébullition par l'acide sulfurique à 50°/,, l'acide thymique,
qu'il soit extrait de la rate, du thymus, de la levure, fournit parmi ses
produits de désintégration de l’acide phosphorique et une base orga-
nique bien cristallisée, la thymine de formule C**H?6N$OS.
Toutes ces données se rapportent aux acides nucléiques extraits
des nucléines vraies de Kossel. Il a été dit plus haut que les paranu-
cléines ne contiennent pas de bases xanthiques ; l’acide paranucléique
qu’elles fournissent quand on les soumet à la méthode d’Altmann n’en
contient naturellement pas davantage. Dans ces conditions se posait
la question de savoir si l’acide paranucléique et l’acide thymique ne
sont pas identiques. Cette question a été résolue par la négative dans
4. Archiv f. An. und. Phys. Phys. Abt., 1893, p. 152, 1894, p. 194. Berichte
der d. ch. Gesellsch., 1893, p. 2753, 1894, p. 2215. Z. f. Physiol. Chemie, tome 22.
+
REVUES ET ANALYSES. 369
un travail d’un élève de Kossel!. Les deux acides forment avec les
albumines des combinaisons, de propriétés assez rapprochées, se
différenciant cependant par leur composition centésimale. D'ailleurs,
tandis que l'acide thymique n’a aucune des propriétés des substances
albuminoïdes, l'acide paranucléique en possède les principales.
Chimiquement il existe donc une différence essentielle entre nucléines
et paranucléines. Nous savons déjà que les valeurs physiologiques des
deux groupes de substances sont tout aussi différentes.
On peut en effet admettre comme démontrée l’origine nucléaire des
nucléines.
Miescher d’abord avait prouvé, par la combinaison des méthodes
microscopique et chimique, que dans le pus et le sperme, les
nucléines forment la partie essentielle du noyau cellulaire. Plus tard,
Kossel montra que la richesse des organes en nucléines est proportion-
nelle à leur richesse en noyaux cellulaires. C’est ainsi que le tissu
musculaire de lembryon en contient beaucoup plus que celui de
l'adulte, que les globules rouges du sang des mammifères en sont
exempts, tandis que ceux des sauropsidés en contiennent beaucoup.
Par contre, les paranucléines se trouvent abondamment dans le lait,
le vitellus des œufs d’oiseaux, de poissons, dans les graines végétales.
Elles sont, de par leurlocalisation, des substances d'épargne, produits
de synthèse organique destinés à être assimilés facilement par l'em-
bryon et à lui fournir les matériaux dont il doit constituer ses
organes.
Une question très intéressante est de savoir sous quelle forme
nucléines et paranucléines existent dans la nature. Sont-elles libres
dans la cellule, s’y trouvent-elles à l’état de combinaison et, dans ce
dernier cas, à quelles autres substances sont-elles combinées? Nous
avons appris à comprendre les nucléines comme résultant de la com-
binaison d’un radical albuminoïde à un acide organique. En raison de
la décomposition ordinairement assez facile de cette combinaison par
les bases et les acides, il semble légitime de l’assimiler aux sels des
bases organiques, la base étant ici l’albumine. Mais la nucléine étant
de réaction fortement acide correspondrait à un sel acide, capable de
s'unir à une nouvelle quantité d'albumine pour former des composés
neutres ou moins acides. C’est sous cette dernière forme que l’on
rencontrerait ordinairement dans la nature les combinaisons des acides
nucléiques avec l’albumine.
En effet, les nucléines décrites jusqu’à présent ont été extraites des
organes soit par l’action des liqueurs alcalines faibles, soit par celle de
4. Miroy, Uber die Eiveissbindungen des Nucleïnsaure… Zeitsch. f. physiol.
Chemie, Bd 22S, 307.
366 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.
suc gastrique artificiel sur des composés plus complexes, appelés
nucléo-protéides quand ils fournissent une nucléine vraie, et nucléo-
albumines quand leur produit de décomposition phosphoré est une
paranucléine. Ces composés à molécule très volumineuse sont très
répandus dans la nature. On a isolé des nucléo-protéides des différents
organes (foie, pancréas, glande mammaire, thymus, etc.); les vitel-
lines, la caséine du lait sont des représentants importants de la classe
des nucléo-albumines. Nucléo-protéides et nucléo-albumines se diffé-
rencient des nucléines et paranucléines par leur solubilité dans les
acides minéraux dilués. Les dissout-on dans le suc gastrique artificiel
pour les soumettre à l’action d’une température de 40°, on voit au bout
de quelque temps se produire un précipité qui n’est autre chose que la
nucléine ou la paranucléine, tandis qu'il reste de l’albumine en solu-
tion.
Cette propriété des acides nucléiques et des nucléines de pouvoir
fixer des albumines pour former des molécules énormes, mais très
fragiles, est des plus intéressantes au point de vue physiologique : elle
cadre bien avec le rôle synthétique que l’on attribue généralement au
noyau dans la vie cellulaire.
D'autre part, elle fournit un nouvel exemple de la part considérable
qu’il faut accorder en physiologie cellulaire aux combinaisons de
l’albumine avec différents radicaux, aux protéïdes, suivant la termino-
logie de Hoppe-Seyler. Ce seraient ces protéïdes, dont le premier
exemple bien défini fut l’hémoglobine, et en particulier les protéïdes
phosphorées, qui seraient les vrais constituants de la cellule, tandis
qu’il faudrait considérer comme de moindre importance les albumines
simples, les globulines, matériaux relativement peu compliqués,
employés à l'édification de la molécule vivante. Mais si, laissant de
côté le radical protéïque, on n’envisage dans la nucléine que le côté
acide, l’acide nucléique et les propriétés curieuses que lui ont décou-
vertes les recherches chimiques, on est encore en droit de vouloir
rattacher ces propriétés à des phénomènes biologiques importants.
Ainsi la propriété de se combiner aux albumines et aux albumoses
n’en fait-elle pas un bactéricide et un antitoxique énergique, et n’est-ce
pas par leur acide nucléique que les leucocytes exerceraient sur les
microbes et leurs toxines l’action destructive qu’admet Metchnikoff?
En réalité, Kossel ! a constaté une action bactéricide nette de
l'acide nucléique extrait des leucocytes vis-à-vis de plusieurs microbes
pathogènes. D’autre part ? Tichomiroff a pu précipiter par l'acide
nucléique plusieurs toxines végétales et microbiennes, telles que la
4. Archiv. de Dubois Reymond. Phys. abteil, 1849, p. 200.
DZ PAYS GRhemie KN21,p:1907
REVUES ET ANALYSES, 367
ricine, les toxines tétanique, diphtérique; les précipités obtenus
étaient toxiques eux-mêmes.
Ces faits, en admettant qu'ils puissent être considérés comme
une réponse à la question précitée, supposent un acide nucléique libre
dans le suc nucléaire. On a voulu par des méthodes de coloration
prouver la réalité de cette supposition, mais il semble actuellement
certain que toutes les théories de chimie cellulaire basées sur des
réactions de coloration micro-chimiques manquent de base sûre, et
il faut, à ce sujet, attendre la lumière de nouveaux procédés.
Un autre fait, physiologiquement important, c'est la découverte,
parmi les produits de décomposition de l’acide nucléique, en premier
lieu d’un groupe se rattachani aux hydrates de carbone, en second
lieu des bases xanthiques. Il résulte de la première constatation la
possibilité chimique d'une formation de sucres aux dépens de sub-
stances protéiniques telles que nucléines et nucléo-protéides; quant
aux conséquences de la seconde, elles ont été développées par
Horbaczewsky et elles ont trait à la genèse de l’acide urique. Se
fondant sur ia parenté chimique des bases xanthiques avec l’acide
urique, Horbaczewsky : s’est demandé si l'acide urique ne dérive pas
de la désassimilation des nucléines. Cette question avait déjà été posée
par Kossel, mais sans être souraise à l’expérience. Horbaczewsky
cite, à l'appui de l’origine nucléaire de l’acide urique, divers arguments
tirés de l'observation clinique et de l’expérimentation. Parmi les
premières, il appelle l'attention sur le parallélisme qui existe entre
l'élimination de l'acide urique et la teneur du sang en leucocytes,
qui, on le sait, sont riches en nucléines, parallélisme surtout intéres-
sant dans la leucémie.
Comme preuve expérimentale, Horbaczewsky cite l’augmentation
de quantité de l'acide urique éliminé dans les urines chez les animaux
nourris avec des nucléines. D’autre part il soumet à la putréfaction
en présence ou en l’absence d'oxygène, des tissus où abondent les
nucléines (pulpe splénique). Il trouve dans le premier cas de lacide
urique, dans le second des bases xanthiques parmi les produits de
destruction des nucléines, et en conclut que la désintégration des
nucléines, en présence d'oxygène fournit de l’acide urique.
Jusqu’à quel point les diverses théories qui ont été passées rapide-
ment en revue sont dignes de créance, c’est aux recherches futures
à le décider; il n’en est pas moins vrai que l’étude purement chimi-
que des nuciéines, outre qu’elle nous a fait voir dans ses grands
traits la constitution de composés très intéressants, a eu également
3. Horgaczewsky, Zur Theorie des Harnsaürebildung im Thierorganismus,
Prag., 1892.
368 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ce grand avantage qu’elle a fourni dès à présent à la physiologie des
idées nouvelles sur plusieurs questions de première importance. Seule-
ment, il reste, tant au point de vue chimique que physiologique, une
lacune dans nos notions sur les nucléines. C’est la connaissance plus
approfondie du groupe basique de leur molécule, et ici encore nous
sommes acculés à cette question qui a déjà désespéré tant de savants,
la structure chimique de l’albumine.
Il est un point sur lequel il est peut-être utile d’insister à la fin
de cet article. L'étude chimique des produits que l’on a pu retirer
usqu’aujourd’hui des divers organismes vivants n'a pas conduit,
comme on aurait pu s’y attendre, à la conclusion qu’il existe dans les
différents êtres vivants un nombre incalculable de composés chimi-
ques. Au contraire, comparé à la quantité innombrable des produits
organiques, préparés synthétiquement dans les laboratoires, le
nombre des composés chimiques dus à la vie est relativement restreint,
et cela est vrai surtout en ce qui concerne les types chimiques princi-
paux dont les plus connus sont les graisses, les sucres, les albumines.
Un nouveau type, c’est celui des acides nucléiques et, pour celui-ci
comme pour les autres, il existe une singulière fixité du haut en bas
de l’échelle des êtres vivants. D’après les recherches de Kossel, l'acide
nucléique des saccharomyces ressemble, à s'y méprendre, à l’acide des
leucocytes humains. Ces analogies très importantes, puisqu'elles portent
sur des éléments nucléiniens, sont à rapprocher des analogies du
même genre que les études anatomiques ont mises en vive lumière
pour ce qui concerne la structure intime de la cellule. Dans son
essence chimique comme dans son apparence morphologique, la cellule
est donc bien la base de la vie, et comme telle elle est soumise à la
nécessité d’un type constant dans ses traits principaux.
Liège, le 10 avril 1898.
DR ANOLE
Le Gérant : G. Masson.
RAR ca 0 ne CURRENT SENS RE
Sceaux. — Imprimerie E. Charaire.
49me ANNÉE JUIN 1898 N° 6.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ALTÉRATIONS HISTOLOÉIQUES
PRODUITES DANS L'ORGANISME
PAR LEN VENINS DEN NERPENIS VENDEUX ET DEN NCORPIONN
Par Le Dr J. NOWAK
Privat-docent d'anatomie pathologique à l'Université de Cracovie,
n
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)
Il existe une ressemblance remarquable entre les toxines
microbiennes et certains matériaux toxiques fabriqués soit par
les plantes, soit par les animaux. Cette ressemblance est sur-
tout très nette dans l’action de ces poisons sur l’organisme
animal.
On a établi que les animaux peuvent être immunisés, non
seulement contre les toxines microbiennes, mais encore contre
les venins de différentes origines. Ehrlich® a par exemple immu-
nisé des animaux contre la ricine et l’abrine, poisons végétaux
extrêmement actifs, et Calmette* contre des venins de ser-
pents venimeux.
Toxines et venins ne supportent, sans dommage, qu’un cer-
tain degré de chaleur, et, chauffés au-dessus, ils deviennent
inactifs.
Exracx, Experimentelle Untersuchungen über Immunität; I. Ueber Ricin,
IT. Ueber Abrin, Deutsche medicin. Wochenschr. 1891 (972-1218).
2. A. CaLMETTE, Le venin des serpents. Physiologie de l'envenimation, trai-
tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vascinés.
Paris, 1896,
24
370 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans le sang des animaux qui sont immunisés contre ces
venins, On trouve certaines substances qui possèdent des pro-
priétés antitoxiques, et souvent aussi sont préventives et
curatives.
Les expériences, en particulier celles de M. Calmette et
Deléarde ‘, ont démontré, en outre, que le sérum des animaux
immunisés contre les venins peut agir contre certains poisons
d’un autre groupe. Ils ont constaté que le sérum des animaux
immunisés contre l’abrine est antitoxique contre les venins des
serpents, contre la ricine ct contre les toxines diphtéritiques.
Il n’a aucun pouvoir antitoxique contre les toxines du charbon:
en outre, les animaux immunisés contre ce poison supportent
l'infection par ce microbe.
Le sérum antitétanique a des propriétés antitoxiques contre
les venins des serpents.
La similitude entre ces poisons d’origine si d'verse laisse
prévoir une certaine analogie dans les lésions des tissus des ani-
maux tués par ces poisons, et sous ce rapport les venins des ser-
pents et des scorpions offrent un terrain encore neuf et peu
étudié.
A côté de cet intérêt purement théorique, il y a un intérêt
pratique, à cause du nombre de personnes succombant chaque
année à la morsure des serpents venimeux.
On peut facilement recueillir le venin des serpents venimeux
et ceux des scorpions, en irritant les animaux et en prenant les
venins qui coulent de leurs appareils venimeux sur un petit verre
qu’on leur donneà mordre. On peut après conserver ce venin
liquide dans un flacon, ou le dessécher et le réduire en poudre.
Les venins, soit liquides, soit desséchés, se conservent assez
longtemps, s’ils sont préservés de l'influence de la lumière. Leur
puissance varie suivant l'espèce de serpent qui les fournit, sui-
vant son âge et la saison, et, d’après M. Calmette*, suivant l’état
de jeûne plus ou moins long qu’il a subi.
L'effet de ces venins sur l'organisme dépend non seulement
4. À. Cazmerte et A. DeLéarpe, Sur les toxines non microbiennes et le mé-
canisme de l’immunité par les sérums antitoxiques. Annales de l'Institut Pasteur
1896, t. VI.
2. À. CALMETTE, Le venin des serpents — Physiologie de l’envenimation — Trai-
tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vaccinés.
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311
de la toxicité et de la quantité du venin, mais aussi de la manière
dont ils ont été introduits dans l'organisme.
L'inoculation sous-cutanée, par exemple, ne produit jamais,
suivant M. Calmette, la mort foudroyante ; si au contraire on
introduit dans la veine marginale de l'oreille d’un lapin un
dixième de milligramme de venin de cobra, on le tue instanta-
nément. Le venin des scorpions est aussi un poison très actif.
Les venins des serpents et des scorpions diffèrent en ceci des
toxines microbiennes, de l’abrine, et des diastases toxiques, que
leur action peut être immédiate. Il est bien connu que si on
injecte même une quantité très grande de toxine tétanique ou
diphtéritique, on ne peut pas diminuer au delà d'un certain
minimum le temps qui s'écoule du moment de l'injection jusqu’à
la mort, ou jusqu'aux premiers symptômes d'empoisonnement.
Au contraire, si nous injectons une dose de venin de scorpion
ou de serpent en quantité suffisante, nous pouvons avoir une
mort instantanée.
Les venins des serpents aussi bien que ceux des scorpions
produisent un double effet, un local, phlogogène, et un autre
général, toxique.
Calmette a relevé et décrit les phénomènes qui se produisent
chez les mordus par les serpents venimeux et les lésions cons-
tatées à l’autopsie.
Dans ce travail, j'ai eu pour but d'étudier les lésions anato-
miques qui se produisent chez les animaux après l'injection
sous-cutanée (le mode d’inoculation le plus rapproché de la
morsure) des venins de serpents et de scorpions. Dans mes
expériences, je me suis servi de ces venins chauffés à 80 degrés,
et ainsi dépourvus de leur puissance phlogogène. Ces venins pas-
sent ensuite par un filtre stérilisé, qui sépare les divers corps
albumineux coagulés par le chauffage. Le filtrat ainsi obtenu
présente un liquide tout à fait clair, qui ne provoque au point de
l'inoculation aucun phénomène inflammatoire et reste bien
toxique.
J'ai opéré avec les venins que M. Metchnikoff a bien voulu
me remettre, et j’ai aussi utilisé les animaux morts à la suite de
l’envenimation dans les expériences de M. Metchnikoff, et que
ce savant a bien voulu me céder.
Les venins des scorpions proviennent des grands scorpions
372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
jaunâtres qui vivent dans le midi de la France, et les venins des
serpents forment un mélange de sécrétions de diverses espèces
de ces reptiles des pays chauds.
J’ai fait mes expériences sur les souris, les cobayes, les lapins
et surles chiens. Ces animaux sont tués par diverses doses de
telle facon que quelques-uns d’entre eux meurent peu de minutes
aprèsl'injection, d’autres quelques heures — voire même plusieurs
jours après.
L'’autopsie a toujours été faite peu de temps après la mort :
des morceaux de foie, de rate, des poumons et du cœur étaient
plongés dans le liquide de Fleming, dans le sublimé et dans la
formaline, montés ensuite dans la paraffine, et les coupes
obtenues étaient colorées par l’hématoxyline, l’éosine, et diverses
couleurs d’aniline, surtout par la safranine et la thionine.
Le cerveau et la moelle épinière étaient durcis dans le
liquide de Müller, dans la formaline et le sublimé.
Quant aux lésions macroscopiques, je peux noter seulement
que le parenchyme du foie est en général friable, d’un aspect
trouble ou jaunâtre, et toujours congestionné. On a trouvé aussi
les reins congestionnés, succulents et contenant de petiles
ecchymoses. La rate et le cœur ne présentent aucune lésion
macroscopique. Dans les poumons, surtout dans les cas où les
animaux ont survécu un temps plus long après l’inoculation, on
a trouvé des parties congestionnées, privées d'air et friables; ces
parlies se surélevaient à la surface des poumons. Le reste des
poumons est également congestionné, gorgé de sang. Les
intestins présentent seulement quelquefois une hyperémie assez
marquée.
Beaucoup plus distinctes sont les lésions microscopiques,
dont le siège principal est le foie, les reins et les poumons.
Dans le foie, la lésion qui frappe le plusles yeux est la dégé-
nérescence graisseuse.
Il faut ici remarquer que dans ces derniers temps’ M. Rosen-
feld à prétendu que la dégénérescence graisseuse n’existe pas,
et que ce que nous appelons de ce nom, c’est-à-dire la transfor-
mation du plasma des cellules en matières grasses, n’est qu’une
infiltration des organes par les corps gras de l'organisme. Tant
que ces expériences ne seront pas répétées et confirmées, je
1. Verhandlungen des XV Congresses fûr innere Medicin. Berlin, 9-12 Juni, 1897.
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 313
me servirai du vieux terme de dégénérescence graisseuse.
La dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques, après
l'injection sous-cutanée des venins de serpents venimeux ou de
scorpions, se produit déjà chez les animaux qui meurent une
demi-heure après l’empoisonnement. La fig. 1 (PI. TT représente
une préparation du foie d’une souris morte 35 minutes après
l’injection. Le nombre des globules gras dans les cellules est
beaucoup plus grand que dans le foie normal.
Si la mort est plus lente, les lésions des cellules hépatiques
sont plus marquées, et la fig. 2 nous donne une idée exacte de
leur intensité. Le nombre des globules gras est plus considérable
que dans le cas précédent. Il y en a dans la plupart des cellules
hépatiques, et bien qu'ils en remplissent presque complètement
quelques-unes, on voit néanmoins qu'ils se placent surtout à la
périphérie, sur le bord des capillaires, qui sont un peu dilatés.
La stéalose est encore plus manifeste dans la fig. 3. C’est
une coupe provenant du foie d’un cobaye qui est mort deux
jours après l’administration des venins. Les parties périphéri-
ques de toutes les cellules hépatiques sont totalement remplies de
petites gouttelettes de graisse, et les vaisseaux capillaires sont
dilatés de telle sorte qu’ils rendent le parenchyme du foie sem-
blable à un tissu angiomateux. Les globules gras sont petits,
mais on en trouve aussi de gros, non seulement dans l'inté-
rieur des cellules hépatiques, mais aussi dans les vaisseaux
capillaires, où on observe également des globules blanes qui sont
dans un état plus ou moins avancé de dégénérescence graisseuse.
C'est surtout chez le chien que la dégénérescence graisseuse
du foie se produit très vite et atteint un fort développement.
Déjà chez les animaux qui sont morts quelques heures après
l'injection des venins, on trouve le parenchyme hépatique
presque totalement dégénéré et en partie détruit. L'aspect est
celui de la fig. 4. Les globules gras remplissent complètement
quelques cellules. Il y en a aussi dans les vaisseaux capillaires
dilatés. Les cellules épithéliales qui tapissent les canalicules
biliaires subissent aussi la dégénérescence.
Mais la dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques
qui se développe sous l’influence du venin de scorpion est
encore plus grande et atteint un degré plus élevé que celle qui
se manifeste après les venins des serpents. La fig. 1 (PI. [V) nous
3714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
montre une coupe du foie d’une souris qui a succombé en 24
heures à une injection de venin de scorpion. Ici le protoplasma
cellulaire est constitué presque uniquement par des granulalions
noires cachant souvent le noyau. Les vaisseaux capillaires sont
aussi dilatés, mais je n’ai pas trouvé de graisse dans leur intérieur.
Les lésions subies par le foie des animaux tués par les
venins de serpent ou de scorpion ne se limitent pas à la dégéné-
rescence graisseuse. Il se produit dans le protoplasma des cellules
hépatiques des altérations d’une autre nature.
Dans les cas où la mort a suivi rapidement l'injection, le
protoplasma cellulaire est seulement trouble, granuleux, et les
granulations se colorent très bien dans leur périphérie, mais
leur intérieur reste incolore. Si au contraire l'animal a survécu
quelques heures, le protoplasma se condense dans certaines
parties de la cellule, laissant des vacuoles, dont les limites ne
sont pas bien déterminées. C’est pour ce motif qu’une partie du
protoplasma cellulaire est nécrotisée et détruite. Dans ces cas,
les noyaux ont déjà aussi subi une altération : quoique leurs
contours soient bien définis, on ne trouve dans leur intérieur
que très peu de chromatine sous forme de petites granulations,
et le liquide des noyaux se colore un peu par les couleurs basi-
ques, parce qu'il contient un peu de chromatine dissoute.
Quandle protoplasma des cellules hépatiques a subi deslésions
plus prononcées, les altérations des noyaux sont aussi plus mar-
quées, la quantité dechromatine nucléolaire diminue et perd len-
tement sa propriété de prendre les couleurs, au fur età mesure que
le protoplasma des cellules hépatiques subit une nécrose, etenfin,
de la cellule hépatique, il ne reste plus qu’une petite quanüté de
protoplasma granuleux sans noyau.
La marche successive des altérations ci-dessus décrites peut
èlre étudiée sur les fig. 5 à 8 (PI. IH).
La fig. 5 nous représente une cellule hépatique dont le proto-
plasma est granuleux, dont le noyau ne possède que très peu de
chromatine et de liquide nucléolaire, et qui se colore aussi un peu
par l’hématoxyline.
Dans la fig. 6, le noyau ressemble à celui que nous venons
de décrire, mais, dans le protoplasma cellulaire, il y a des lé-
sions plus avancées par suite d’une désorganisation, el à côté
des noyaux on remarque des vacuoles plus ou moins étendues.
pc -—— sntntnfit
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS, 379
Dans la fig. 7, la destruction du protoplasma cellulaire est
encore plus marquée. On voit seulement dans la périphérie de
la cellule des restes du corps cellulaire, sous forme de petites
granulations qui sont disposées principalement à la périphérie,
et en très pelite quantité autour du noyau qui se colore imper-
ceplüiblement ; la cellule est ballonnée et augmentée de volume.
Dans la fig. 8, on n’aperçoit que quelques débris du proto-
plasma cellulaire sous forme de granulations peu visibles. Le
noyau se colore si peu qu’à peine on le remarque, les contours
des cellules sont pourtant bien limités et suffisamment visibles.
On ne trouve de cellules totalement détruites, c’est-à-dire
dépouillées de membrane cellulaire, que très rarement. Au fur
et à mesure que les cellules hépatiques subissent les lésions
décrites plus haut, elles sont augmentées de volume, mais
quand les altérations atteignent an degré élevé, leur volume
diminue.
Les changements des cellules hépatiques que nous venons
de signaler ci-dessus nous amènent à parler de la nécrose du
parenchyme du foie, qui se produit sous l'influence des venins
des serpents et des scorpions, introduits sous la peau. Cette
nécrose commence par la transformation du protoplasma en
pelites granulations, qui se disloquent et disparaissent succes-
sivement, en laissant des vacuoles vaguement contourées. Il ne
reste que les membranes cellulaires avec des débris du proto-
plasma et du noyau cellulaire.
Chez les animaux morts rapidement après l'injection, à côté
de la dégénérescence graisseuse déjà décrite, on ne trouvait
pas d’autres altérations. Chez les animaux qui ont survécu plus
longtemps, les lésions sont plus marquées.
D'ordinaire elles ne sont pas uniformes : à côté des parties
les plus atteintes, il y en a qui sont presque à l’état normal.
La nécrose du parenchyme du foie est surtout rapide et
accusée chez les chiens après une dose assez forte de venin. Dans
ce cas, comme le montre la fig. 8, il ne restait du protoplasma
que quelques filaments, squelette du corps cellulaire.
Mais une lésion, qui dans ce dernier cas (chez les chiens)
surprend encore plus que la nécrose des cellules hépatiques,
c'est la destruction totale de la structure microscopique du
parenchyme du foie. On ne peut plus distinguer la disposition
316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
des cellules hépatiques en lobules, les trabécules cellulaires du
foie sont rompues, brisées, et on ne voit plus qu’une agglomé-
ration confuse de cellules hépatiques qui souvent flottent dans
le sang extravasé ou dans un liquide contenant de l’albumine.
Cette désorganisation de la structure du foie, cette désintégration
de son parenchyme nous apparaît suffisamment dans la fig. 4.
Dans les lésions décrites ci-dessus, une partie seulement de la
vacuolisation appartient à la dégénérescence graisseuse; les
corps gras dissous par l'alcool dans les coupes non trailées par
le liquide de Fleming n’occupaient que les petites vacuoles ; il y
en a d’autres dues à la nécrose hépatique, qui ne marche pas de
pair avec la dégénérescence graisseuse, et souvent dans le cas
où cette dégénérescence est très grande, les lésions nécrotiques
sont très peu avancées. Il faut encore remarquer que les
vacuoles qui résultent de la dégénérescence graisseuse ont des
contours bien limités et une forme régulière : les vacuoles, dont
l’origine est la nécrose, sont d’une forme irrégulière et possèdent
des contours mal limités.
Chez les animaux qui ont survécu plus longtemps à l'empoi-
sonnement, se produisent aussi des lésions des voies biliaires.
La dégénérescence graisseuse des cellules épithéliales de cet
appareil s’observe surtout chez les chiens. Chez les autres
animaux, très souvent, je trouvais autour des tubes biliaires une
infiltration par de petites cellules mononucléaires. Ces cellules
non seulement entourent ces mêmes tubes, comme on le voit sur
la fig. 2 (PI. IV), elles pénètrent entre les cellules épithéliales qui
tapissent les canalicules, et elles parviennent jusqu'à l’intérieur
des canaux biliaires, où elles se trouvent quelquefois en grand
nombre.
Ces cellules sont assez petites, d’une forme ronde, et
la plus grande partie de leur corps cellulaire est constituée par
des noyaux très gros, autour desquels on ne voit qu'un cercle
protoplasmique très mince. Les noyaux sont ronds et ne se
composent que de chromatine presque seule. Si autour des
canalicules biliaires, il existe du tissu conjonclif, il s’infiltre par
ces cellules ; sinon celles-ci s’amassent entre les cellules hépa-
tiques et les épithéliums des canaux biliaires.
J'ai déjà dit qu’elles arrivent jusqu'à l’intérieur des canali-
cules, où on les trouve en grande partie déjà altérées, et souvent
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311
on aperçoit seulement leurs noyaux situés dans une masse
amorphe.
Quelquefois aussi les cellules épithéliales qui tapissent les
canalicules biliaires subissent certaines lésions. Elles sont tumé-
fiées, gonflées et renferment de grandes vacuoles situées dans
leur partie périphérique externe, c’est-à-dire à leur base.
Ces vacuoles sont souvent considérables. Les autres cellules
épithéliales intercalées entre les cellules gunflées sont aussi
d'une forme allongée; même dans l’intérieur de ces cellules
comprimées on trouve de petites vacuules. Les noyaux de ces
épithéliums gonflés ont augmenté de volnme, et ne se colorent
que très faiblement.
Il faut encore ajouter que cette infiltration que j'ai signalée
plus haut existe seulement autour des voies biliaires : on ne la
rencontre pas autour des vaisseaux sanguins.
Ainsi les venins des serpents et des scorpions, introduits
sous la peau des animaux en quantité suffisante, produisent dans
le foie de grandes lésions, qui se développent très rapidement.
Ces lésions sont : la dégénérescence graisseuse, parfois très avan-
cée ; la nécrose qui, si la dose du venin est assez grande, atteint
et détruit toutes les cellules hépatiques. À côté les vaisseaux
capillaires se dilatent et compriment les trabécules hépatiques
qui subissent une déformation plus ou moins prononcée. Enfin,
il y a des lésions des voies biliaires, par infiltration et pénétra-
tion des cellules lymphatiques dans l’intérieur des canalicules
biliaires, amenant la tuméfaction et vacuolisalion des épithé-
liums qui tapissent ces canaux; dans certains cas, on y trouve
aussi de la dégénérescence graisseuse.
Un autre organe fortement atteint est le rein. C’est là
surtout que nous trouvons une dégénérescence graisseuse des
épithéliums rénaux ; mais elle n’atteint jamais un degré aussi
développé que dans le foie, et eile se produit moins vite. Par
exemple, chez les animaux morts une heure après l’envenima-
tion, les reins ne présentent encore aucune trace de corps gras,
et quand la mort ne survient qu'après quelques heures, on
trouve de toutes petites gouttelettes de graisse dans l'intérieur
des cellules épithéliales des tubes rénaux, surtout des {ubuli con-
tortr.
Dans ces derniers cas, la dégénérescence atteint aussi un
318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
plus grand degré, mais elle est localisée surlout dans les
tubuli contorti, et les petits globules gras occupent toujours la
partie extérieure des cellules épithéliales, c'est-à-dire la base. La _
dégénérescence est toujours dispersée en petits foyers, et autour
des parties dégénérées, on trouve le parenchyme non altéré,
comme le montre la fig. 3 (PI. IV).
Quelquefois on rencontre aussi dans les cellules endothé-
liales, qui tapissent les capsules de Bowman et les glomérules,
de petites gouttelettes de graisse. et dans les vaisseaux sanguins
des leucocytes polynuciéaires qui sont aussi dégénérés. L’endo-
thélium des vaisseaux sanguins (sauf les glomérules) n’est jamais
alteint par celte lésion.
En comparant les fig. 1 et 4 (PL IV) qui représentent le foie
et le rein d’une souris morte 24 heures après l’envenimation,
on voit bien la différence qui existe dans les lésions de ces deux
organes.
Outre cela nous trouvons dans les reins, surtout quand l’ani-
mal a survécu longtémps à l'injection, des altérations nécrotiques
des épithéliums rénaux. Ces lésions, comme la dégénérescence
graisseuse, se produisent principalement dans les fubuli contorti.
Le protoplasma des cellules épithéliales qui tapissent ces tubuli,
comme celui des cellules hépatiques, devient granuleux et subit
lentement une nécrose complète. Dans les stades où les lésions
sont encore peu avancées, le protoplasma est seulement granu-
leux, mais on trouve aussi des parties où les cellules qui tapis-
sent les {ubuli contorti sont si tuméfiées que la lumière de ces
tubuli est presque oblitérée. Si les altérations sont plus avancées,
les cellules sont encore tuméfiées, mais leur protoplasma est
non seulement granuleux, il est aussi raréfié par vacuolisation
comme dans les cellules hépatiques. A côté de ces cellules
tuméfiées, on trouve des cellules épithéliales qui, au contraire,
sont plus petites que les cellules normales, et dont le proto-
plasma, quoique granuleux, remplit uniformément la cellule.
Ces cellules ne sont pas bien limitées : surtout du côté de la
cavité des tubes, on ne voit pas la membrane cellulaire, et le
protoplasma changé en petites granulations sort à l'intérieur des
tubes.
Enfin la membrane qui enveloppe le protoplasma plus ou
moins nécrolisé subit aussi une nécrose, et nous ne voyons
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 319
plus que des couches uniformes formées par toutes ces petites
granulations qui sout contiguës à la paroi des canalicules. Très
souvent, les cellules nécrotisées et transformées en pelites gra-
nulations ne se réunissent pas, mais elles restent comme de
petits amas de débris du protoplasma cellulaire.
Quelquefois, les épithéliums plus ou moins nécrotisés, des-
quamés, des parois, remplissent les tubes et oblitèrent com-
plètement leur lumière.
Souvent les tubes ne sont pas remplis par des cellules seule-
ment, mais aussi par de petites granulations qui souvent
peuvent se disposer en un réseau granuleux, réparti en mailles
plus ou moins larges.
Quelquefois les cellules rénales plus ou moins changées se
détachent de la membrane des fubuli, s’agglutinent et forment
des cylindres qui remplissent la lumière des canaux urinaires.
Souvent ces cylindres sont formés seulement par les débris des
cellules nécrotisées totalement, et on y trouve aussi quelques
noyaux à peine colorés, parce que les noyaux subissent aussi
des lésions : ou ils ne prennent les couleurs que très faiblement,
ou ils ne se colorent pas du tout.
Les mêmes oblitérations, mais dans une proportion moindre,
se retrouvent dans les tubes qui constituent les branches de
Henle. Pour la plupart, les cellules qui les tapissent ne sont que
tuméfiées, de telle façon qu'elles oblitèrent complètement la
lumière de ces tubes. De plus, les parties qui regardent l'inté-
rieur des tubes se colorent très peu et ont un aspect hyalin.
Dans les tubes droits et les tubes collecteurs, les épithé-
liums sont parfois détachés en bloc dans l’intérieur de ces tubes.
Les cellules en sont pour la plupart altérées, mais on observe rare-
ment une nécrose. Le plus souvent, elles out changé leur forme
et sont comme atrophiées. Quelques-uns de ces canaux sont
oblitérés par des cylindres granuleux et encore par des cylindres
composés de cellules épithéliales. On trouve aussi dans les
tubes droits, ainsi que dans l’intérieur des tubuli contorti, ou
dans les branches de Henle, des globules rouges du sang plus
ou moins nombreux.
Les vaisseaux qu'on rencontre dans le parenchyme rénal sont
toujours très distendus, et quelquefois ils sont rompus, d’où il
résulte une formation de petits foyers d’hémorragie intersti-
380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tielle. Souvent le sang extravasé détruit aussi le parenchyme
rénal, c’est-à-dire les tubes urinifères. 11 faut encore ajouter que
ces hémorragies se trouvent quelquefois autour des capsules
de Bowman.
Les lésions décrites ci-dessus sont aussi, comme la dégéné-
rescence graisseuse, disséminées, et, à côté des parties qui
montrent de grandes lésions, on en trouve qui sont très peu allé-
rées. Nous trouvonsdeslésions importantes aussi dans les glomé-
rules. Nous remarquons que l’espace capsulaire des glomérules
est rempli d'une masse en parlie amorphe, et en partie formée de
toutes petites fibres. Dans cette masse, on découvre quelques
globules de sang et des cellules endothéliales détachées des
capsules de Bowman. L'intérieur des capsules de Bowman est
presque rempli par cet exsudat : le glomérule est comprimé, à
peine visible, comme la fig. 4 (PI. IV) le prouve.
Dans les reins prédominent donc les lésions nécrotiques et
les exsudations ; la stéatose se produil aussi, mais elle ne se
développe pas à un degré aussi élevé que dans le foie.
Dans la rate, je n'ai pas trouvé de lésions macroscopiques
ni microscopiques; seulement, dans les cas où la dégénéres-
cence graisseuse du foie et des reins est très avancée, on
aperçoit dans le parenchyme de la rate une dégénérescence
graisseuse de ses cellules.
Les fibres musculaires du cœur ne présentent aucune altéra-
lion : seulement dans quelques cas je les ai trouvées atteintes
de dégénérescence graisseuse, mais très peu développée.
Enfin j'ai constaté des altérations remarquables dans les
poumons.
J'ai dit déjà plus haut qu à l’autopsie des animaux morts
tardivement après l'injection des venins, on trouve des parties
ne contenant pas d'air, extrêmement congestionnées et plus
dures qu’à l’état normal. Dans ces parties on distingue au
moyen du microscope les vaisseaux capillaires très dilatés, rem-
plis totalement de globules rouges ; les vésicules pulmonaires
renferment un exsudat composé d’une masse uniforme de gelo-
bules blancs, rouges, et de cellules endothéliales détachées des
parois des vésicules. C’est l’inflammation du parenchyme pul-
monaire. L’intensité de cette inflammation est variable dans
les différentes parties des poumons.
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 381
Très souvent les globules blancs, c’est-à-dire les cellules
lymphatiques polvnucléaires, dominent à un tel point qu'on ne
peut pas à côté d’elles distinguer les autres éléments, et quand
le tissu intervésiculaire est aussi infiltré, la pneumonie présente
plutôt le caractère d’une inflammation purulente. Cà et là on
trouve les vésicules pulmonaires remplies de globules rouges, et
on rencontre aussi des extravasats dans le tissu interstitiel.
Dans les parties du poumon où l’on ne trouve pas de lésions
inflammatoires, les vaisseaux capillaires sontextrèmement dilatés
et les vésicules pulmonaires sont devenues très petites. Les
lésions inflammatoires des poumons ne se manifestent bien que
chez les animaux qui sont morts au moins quelques dizaines
d'heures après l’envenimation, mais on les trouve, moins déve-
loppées il est vrai, dans les sujets qui sont morts beaucoup plus
tôt après l'injection.
En résumé, les venins de serpent et de scorpion, intro-
duits sous la peau des animaux, occasionnent de grandes et
importantes lésions du foie, des reins et des poumons. Quand la
survie est un peu longue, le foie peut être presque complètement
détruit en partie par le processus stéatogène, et en partie par la
nécrose qui quelquefois est accompagnée d’une vaso-dilatation
considérable.
C’est un phénomène d’une importance particulière, au point
de vue de la pathologie générale. Le foie n’est pas en effet seu-
lement un organe de sécrétion, il semble aussi destiné à détruire
et à neutraliser les divers matériaux toxiques qui envahissent
l'organisme, ceux qui proviennent de l'intestin comme les autres.
Il est très probable qu'ici l'influence nuisible de certains
poisons sur la cellule hépatique a sa cause dans le rôle rétentif
du foie qui, lorsqu'il ne peut ni détruire ni transformer le poison
absorbé, en subit une altération profonde.
Il est vrai que, quelquefois, dans les cas où les animaux sont
morts aussitôt après l'administration de ces venins, les lésions
du parenchyme hépatique n'étaient pas très avancées, mais il
est bien possible que dans certaines conditions l’organe sup-
prime ses fonctions avant qu’on ait pu observer ses altérations
anatomiques, parce que celles-ci ont toujours besoin d’un cer-
tain temps pour se développer.
Les venins de serpent et de scorpion provoquent en général
382 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dans les autres organes des lésions quelquefois graves, mais ces
lésions sont toujours moins accentuées que les altérations du
foie, et elles ne sont pas constantes. Les altérations du foie
sont les seules qu’on puisse considérer comme spécifiques de
l’'envenimation".
Sous ce rapport, les venins de serpents venimeux et de scor-
pions ressemblent à certains poisons, d’origine microbienne, et
ce qui nous frappe avant lout, c’est la ressemblance de leurs
ellets avec ceux qui suivent la fièvre jaune. Cette ressemblance
est très nette, et elle ne se limite pas aux lésions du foie seu-
lement, car nous trouvons aussi, dans les autres organes, des
altérations semblables.
Sanarelli avait déjà remarqué, dans son travail sur la fièvre
jauné, que les phénomènes qui résultent de l’'empoisonnement
par les venins de certains serpents venimeux ressemblent à des
phénomènes de la fièvre jaune *.
Ces altérations, qu’il a trouvées chez les morts à la suite
de la fièvre jaune, ainsi que celles qui sont provoquées dans les
animaux tués par les microbes spécifiques de cette maladie ou
par ses toxines, sont lrès rapprochées de celles que j'ai obtenues
au moyen des venins de serpents et de scorpion. Sanarelli a
trouvé des lésions des plus graves dans le foie, dégénérescence
graisseuse, vaso-dilatation, infiltration leucocytaire autour des
vaisseaux sanguins. La dilatation capillaire atteint souvent un
tel degré, qu’elle produit une dislocation plus ou moins accentuée
de la travée hépatique. À côté des altérations graisseuses, il a
trouvé aussi des lésions nécrotiques pareilles à celles que j'ai
rencontrées dans le foie des animaux sur lesquels j’ai opéré dans
ce travail.
M. Sanarelli, ainsi que moi, avons trouvé dans les reins des
altérations propres à des maladies infectieuses, c’est-à-dire des
altérations qui se présentent comme une népbhrite aiguë paren-
chymateuse ou hémorragique. Le parenchyme de la rate ren-
ferme quelquefois de petites gouttelettes de graisse.
Dans mes expériences je n’ai pu découvrir des lésions du tube
digestif aussi caractéristiques que celles de l'infection amarile ;
1. Les altérations du système nerveux feront l'objet d'un travail prochain.
2. J. SANARELLI, Etiologie et Pathogénie de la fièvre jaune. — Second mémoire.
Annales de l'Institut Pasteur. 'T. XI, n° 9. F. 695.
VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 383
j'ai trouvé, en revanche, des altéralions inilammatoires dans les
poumons, qui n'existent que rarement dans la fièvre Jaune.
Mais, sauf ces deux points, les ressemblances sont très
grandes et je pourrais, pour résumer certaines parties de mon
travail, me contenter de copier certains passages du mémoire
de M. Sanarelli sur la fièvre jaune.
C'est un devoir extrêmement agréable pour moi d'exprimer
ma sincère et profonde reconnaissance à M. Metchnikoff pour
m'avoir reçu dans son laboratoire, pour les matériaux d'étude
qu’il m'a cédés, et enfin pour le vif et bienveillant intérêt qu'il a
montré à mon travail.
EXPLICATION DES PLANCHES
PI. II. — Fig. 1. — Coupe provenant du foie d'une souris qui est morte
35 minutes après l'injection du venin des serpents.
Fixation dans le liquide de Fleming. Zeiss. Apochrom. lmmers, 3 mm.
Comp. Oc. 6.
Fig. 2. — Foie d'une souris morte deux heures après l'injection du venin
des serpents.
Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4.
Fig. 3. — Foie d’un cobaye qui a succombé à une injection du venin
des serpents, deux jours après.
Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4.
Fig, 4. — Foie d'un chien mort en à heures après l'injection du venin
des serpents.
Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6.
PI, IV. — Fig. 1. — Foie d'une souris morte 24 heures après l'injection
du venin des scorpions.
Fixation dans le liquide de Fleming. Id, Oc, 4.
384 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
PI. III. — Fig..5, 6, 7, 8. — Cellules hépatiques à divers stades de
nécrose.
Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 12.
PI IV. —- Fig. 2. — Infiltration leucocytaire autour d'un canalicule biliaire
et pénétration des leucocytes dans l’intérieur de ce canalicule.
Foie d'un lapin tué par les venins des serpents.
Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 4.
Fig. 3. — Coupe du rein d’une souris morte 24 heures après l'injection
du venin des scorpions.
Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6.
Fig. 4. — La même préparation. Glomérule rénal comprimé par l’exsu-
dat: les épithéliums des canaux urinifères qui l'entourent se trouvent à
diverses stades de nécrose. Id. Oc. 4.
-
RECRERCHES SUR LA PRODUCTION BICCRIMIQUE DU SORBOSE
Par M. GABRIEL BERTRAND
Le sorbose est une substance sucrée, de formule C‘H"0",
qui a été découverte par Pelouze en 1852".
Ce savant avait abandonné à lui-même, dans des terrines, du
jus de baies de sorbier avec l'espérance de voir l’acide malique
qu'il renferme se transformer à l’air en acide succinique. Mal-
gré une attente de treize à quatorze mois, son espérance fut
déçue: mais il put extraire, par contre, une certaine quantité
d’un sucre nouveau, parfaitement cristallisé, auquel il donna le
nom de sorbine. C’est ce sucre qu’on appelle aujourd’hui sorbose
en raison de sa parenté avec le glucose, le lévulose, et les autres
substances du même groupe.
Depuis cette époque, bien des chimistes ont essayé de repro-
duire l’expérience de Pelouze ; mais, comme on peut s’en rendre
compte en examinant les recherches qui ont été publiées sur ce
sujet, quelques-uns seulement ont été assez heureux pour voir,
par hasard, leurs nombreuses tentalives couronnées de suc-
cès. Aussi la préparation régulière du sorbose a-t-elle fini par
devenir une véritable énigme.
Byschl*, dans une étude sur la composition des baies de sor-
hier, a admis l’existence du sorbose dans ces fruits, à côté d’un
autre sucre, réducteur et fermentescible; cependant, il n’a pu le
faire cristalliser.
Delffs”, au contraire, a prétendu que le sorbose ne préexiste
pas dans le jus des sorbes, mais qu'il y prend naissance par
suite d’une transformation spéciale de lacide malique. Il
explique ainsi les insuccès qu'il a éprouvés en voulant extraire
du sorbose de jus qu’il avait d’abord précipité par l’acétate de
1. Sur une nouvelle matière sucrée extraite des baies de Sorbier. Ann. Chim.
rs 3e série, t. #5, p. 222-235 (1852) et Compt. rend. Ac. d. Sc., &. 34, p. 377-386
2, Archivd. Pharm., 2° série, t. 78, p. 488.
3. On sorbit. Chemical News, t. 24, p.75 (1871).
386 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
plomb, et, d'autre part, la disparition de l’acide malique dans
un jus qui lui avait fourni spontanément du sorbose. On verra,
par la suite, que cette conclusion de Delffs est erronée, qu’elle
doit reposer sur des coïncidences.
Le sorbose avait été décrit par Pelouze comme un sucre
infermentescible. En s'appuyant sur cette observation, Boussin-
gault' a attribué le pouvoir réducteur du vin de sorbes à la pré-
sence du sorbose. Il a cherché à faire cristalliser ce sucre, mais,
à la place, il a obtenu un corps voisin de la mannite, par consé-
quent non réducteur, et de formule C'H"0°, qu'il a étudié sous le
nom de sorbite. Quant au corps réducteur, objet primitif de sa
recherche, il a seulement constaté qu'il reste dans l’eau-mère de
la sorbite, sans établir s’il est identique ou différent du sorbose.
Les observations publiées par Vincent* n’ont pas, non plus,
permis d’élucider la question. Ce savant ayant réussi, une pre-
mière fois, à oblenir du sorbose, en suivant les indications de
Pelouze, voulut s’en procurer une plus grande quantité, et entre-
prit pour cela une nouvelle préparation. Tout se passa, en appa-
rence, comme dans la précédente, mais, au lieu de sorbose, ce
fut de la sorbite qui cristallisa.
Freund*, dans ces dernières années, a serré davantage les cir-
constances de la préparation du sorbose. Des nombreux essais
qu'il a entrepris sur les fruits de Sorbus aucuparia, il résulte que
le jus de ces fruits recueillis en automne, c’est-à-dire tout à fait
mürs, peut donner du sorbose quand on l’abandonne longtemps
à lui-même après l'avoir étendu d’eau, de manière à diminuer
son poids spécifique jusqu’au voisinage de 1,09. Il a reconnu, en
outre, que le sorbose pouvait cristalliser des jus dont on avait
séparé d’abord l'acide malique, et que la sorbite disparaissait peu
à peu de ces jus. D'où sa supposition que le sorbose apparaît
aux dépens de la sorbite sous l'influence des moisissures (Schim-
melpilze).
En réalité, aucune solution définitive ne se dégage de toutes
ces recherches. Il reste bien établi, par Freund, que le sorbose ne
4. Sur la sorbite, matière sucrée analogue à la mannite, trouvée dans le jus du
Sorbier des oiseleurs. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 24, p. 939-942 (1872).
00 Note sur la sorbine et sur la sorbite. Bull. Soc. chim., t. 34, p. 218-219
3. Zur Kenntniss des Vogelbeersaftes und der Bildung der Sorbose. Monatshefte
für Chemie, t. 11, p. 560-578 (1890).
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE 387
dérive pas de l'acide malique, mais la question de la préexistence
du sorbose dans le jus n’est même pas complètement éclaircie.
Nous avons vu, par les observations de Byschl et de Boussin-
gaull, qu'il y à dans le jus de sorbes un corps réducteur et infer-
mentescible. Or, on ne peut décider, par de simples essais de
cristallisation, si ce corps réducteur est ou n’est pas du sorbose.
Tous ceux qui ont eu l’occasion d'étudier les sucres savent
que ces corps restent opiniätrément dissous en présence de
minimes quantités de substances étrangères. Le fait que le sor-
bose cristallise quand la sorbite (Freund) ou l'acide malique
(Delffs) ont disparu par l’action des moisissures, ne prouve donc
pas que le sorbose était absent du jus au commencement de
l'expérience ; 1l n’établit pas non plus, par conséquent, que le
sorbose est bien un produit d’oxydation de la sorbite.
Ces objections ne sont pas les seules qui se présentent à
l'esprit au sujet des recherches énumérées plus haut. Est-il sûr,
par exemple, que Pelouze et ceux qui ont voulu répéter son
expérience aient toujours opéré avec des fruits de la même
espèce? Les baïesde Sorbusaucuparia, L., S.latifolia Pers.,S. inter-
media Pers., se ressemblent tant! Enfin, à supposer que le sor-
bose se forme vraiment aux dépens de la sorbite, il reste à véri-
lier si ce sont bien les moisissures qui interviennent, à déterminer
quelles sont ces moisissures et dans quelles conditions elles
opèrent.
Ce sont là les diverses questions que je me suis proposé
de résoudre dans le présent mémoire.
RECHERCHE DU SORBOSE DANS LE JUS DE SORBES
J'ai dit plus haut que les essais de cristallisation ne suffisent
pas pour établir d’une manière certaine l'absence du sorbose
dans le jus de sorbes. C’est pourquoi j'ai eu recours à l'emploi
beaucoup plus précis et plus sensible de la phénylhydrazine.
Quand on chauffe du sorbose, en solution à 1 0/0 par
exemple, avec deux fois son poids de phénylhydrazine dissoute
dans l'acide acétique, on observe la formation d’un précipité
microcristallin de couleur jaune, qui augmente beaucoup par
refroidissement. Ce précipité, purifié par recristallisation dans
l'alcool méthylique dilué et lavage à l’éther, fond à 159-160°
388 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(au bloc Maquenne). C’est de la phénylsorbosazone, ou plus
simplement de la sorbosazone, dont on peut se servir, dans les
conditions précédentes, pour caractériser le sorbose.
Ceci posé, et après avoir vérifié que le sorbose est infer-°
mentescible, j'ai essayé de produire la sorbosazone avec le jus
de sorbes débarrassé des autres sucres réducteurs par la fer-
mentation.
Du jus, provenant de fruits de Sorbus aucuparia L., récoltés
le 8 août 1892, fut stérilisé, additionné de 1 0/0 de levure de
bière, et placé dans l’étuve. La fermentation, très vive au début,
sembla complètement terminée le quatrième jour. Après une
semaine, le pouvoir réducteur fut déterminé avec la liqueur de
Fehling; il ne correspondait plus qu'à 10 gr. 5 de glucose par
litre, au lieu de 44 gr. 1, trouvé avant la fermentation.
Un quart de litre de ce jus fermenté et filtré fut chauffé une
heure au bain-marie, avec 5 grammes de phénylhydrazine et
5 grammes d'acide acétique cristallisable. Aucun précipité d'osa-
zone ne se produisit, ni pendant le chauffage, ni par refroidis-
sement. Le corps réducteur infermentescible du jus de sorbes
n’était donc pas du sorbose. Selon toutes vraisemblances, il
diffère même tout à fait des sucres, et se rapproche du groupe
des tannins.
La même expérience a été répétée plusieurs fois, avec du
jus provenant des baies de Sorbus aucuparia, Linné, de Sorbus
intermedia, Persoon, et de Sorbus latifolia, Persoon, les premières
ayant été récoltées à divers états de maturation et dans cinq
localités différentes. Comme cette expérience a toujours donné
le même résultat négatif, il faut admettre définitivement que
le sorbose n’est pas un principe immédiat des fruits de sorbier,
mais qu'il doit prendre naissance dans le jus exposé au contact
de l'air. Aussi ai-je étudié avec soin ce qui peut arriver dans
cette circonstance.
FERMENTATIONS SPONTANÉES DU JUS DE SORBES
Quand on abandonne à lui-même du jus de sorbes, il ne
tarde pas à subir la fermentation alcoolique. En quelques jours,
tous les sucres fermentescibles ont disparu, faisant place à une
quantité correspondante d'alcool.
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 389
Lorsque cette fermentation est terminée, la fleur de vin
(Saccharomyces mycoderma, Rees)' envahit la surface du liquide ;
elle s’y développe en une pellicule d’un blane mat, mince et
fragile, unie au début, puis fortement plissée. Ce n’est pas elle
qui produit le sorbose, Comme l’a montré Pasteur, elle fait dis-
paraître l'alcool à l’état d’eau et de gaz carbonique, mais elle
peut aussi s'attaquer aux autres ne et les détruire d’une
manière analogue ?
Pour donner un ne à cette dernière assertion, je citerai
l'expérience suivante : un demi-litre de jus de sorbes fermenté
fut additionné d’un demi-volume d’eau, et placé à l’étuve à + 30°
dans une cuvette ronde de 21 cent. de diamètre. La fleur du
vin, ensemencée sur le liquide, s’y développa très rapidement.
Après 10 jours les cellules furent séparées par filtration, et le
liquide, ramené à son volume primitif, fut analysé. On trouva :
Avant la culture Apres la culture
Matières dissoutes ............. 18,70 070 14,05 0/0
Pouvoir réducteur (en glucose). 1,05 » 0,40 »
23 gr. 25 de substances solubles, autres que l'alcool, avaient
done été consumées par la fleur du vin.
A ce microorganisme, des moisissures diverses, et surtout
Penicillium glaucum Link, succèdent le plus souvent. Elles se
comportent de la même manière, c'est-à-dire qu'elles épuisent
le jus des substances dissoutes, mais, pas plus que la fleur du
vin, elles ne donnent de sorbose.
Enfin, dans quelques cas, de petites mouches rougeûtres,
attirées par l'odeur du liquide, viennent et déposent leurs œufs
sur ses bords. La pellicule superficielle change alors complète-
ment d'aspect ; elle devient d'abord, par places, gélatineuse et
consistante ; de nombreuses larves y fourmillent, qui émergent
ensuite, montent le long des parois et s’y transforment en
insectes parfaits. Ceux-ci pondent à leur tour et, si la saison
n’est pas trop avancée, de nombreuses générations de la petite
mouche se succèdent ainsi. Les larves utilisent la membrane
4. Syn : Mycoderma cerevisiæ et Mycoderma vini, Desmazières.
” M Mahot (Sur la transformation de la sorbite en sorbose par le Saccharo
myces mycoderma, Comptes rendus Ac. d. Sc. t. 125. p. 874, 1897) a prétendu que
la fleur du vin était capable de transformer la sorbite en sorbose. J'ai réfuté
cette assertion, basée sur des cultures incomplètement purifiées (Action de la
fleur du vin sur la sorbite; Compt. rend. Ac. Sc., t. 126, p. 653, 1898).
390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
gélatineuse comme substratum, mais leur présence n’a, comme
on le verra plus loin, qu'un rapport très indirect avec la
production du sorbose; elles disparaissent aux premiers froids
et la membrane continue seule son développement. Comme cette
membrane n’adhère presque pas aux parois du récipient, il arrive
parfois, à la suite d’un choc ou quand elle devient trop épaisse,
que son poids l’entraîne au fond du liquide; peu de jours
suffisent pour qu'il en reparaisse une nouvelle.
Enfin, après un temps qui varie, suivant l'épaisseur du
liquide, de quelques semaines à plusieurs mois, la dernière
membrane perd sa translucidité; elle se dessèche et prend une
coloration verdàtre. Toutes Les transformations successives sont
alors terminées ; la liqueur sous-jacente réduit énergiquement
le réactif cupro-potassique et renferme une forte proportion de
sorbose.
Si l’on veut comprendre maintenant ce qui s’est passé, il faut
examiner de près la membrane gélatineuse, et, pour cela, le
moment le plus favorable est celui où elle vient de se reformer.
LA BACTÉRIE DU SORBOSE
A ce moment, en effet, la membrane n’est pas trop souillée:
elle n’est pas non plus trop consistante et, avec un fil ou un cro-
chet de platine, on peut en détacher quelques minces fragments
qu'on colore avec du violet de méthyle ou de la fuchsine,et qu’on
examine au microscope. On observe alors de très nombreux
bâtonnets immobiles, de 2 à 3 y de longueur sur un demi y en-
viron d'épaisseur (fig. 1). Ces bätonnets, facilement colorables par
les couleurs d’aniline, sont réunis les uns aux autres par une sub-
stance gélatineuse, dont l’affinité pour les matières colorantes
est beaucoup plus faible . Au milieu d'eux, on aperçoit généra-
lement, çà et là, des cellules ovoïdes, d'assez grandes dimen-
sions, se reproduisant par bourgeonnement, et qu’il est facile de
reconnaître comme des cellules de fleur du vin. Quelquefois aussi,
surtout si la membrane est un peu ancienne, on rencontre quei-
:
ques filaments mycéliens. D’après ce que j'ai dit plus haut, ces
4. Dans les cultures anciennes et épuisées, on ne voit plus que des granula-
tions sphériques, ayant à peu près un demi p de diamètre ; elles représentent peut-
être des spores (fig. 2).
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 391
cellules de saccharomyceset ces filaments mycéliens sont des impu-
retés de la membrane gélatineuse, et leur présence n’a rien à
faire avec la production du sorbose. Les bätonnets seuls jouent
Fig. 4. — Bactérie jeune.
un rôle efficace. On peut s’en assurer, d'ailleurs, en cultivant le
microbe à l’état pur sur du jus de sorbier.
Pour cela, on stérilise un peu de ce jus fermenté, non par
chauffage, mais par filtration à travers une bougie de porcelaine,
et l’on répartit le jus filtré dans une série de matras coniques.
Fig. 2. — Bactérie vieille.
On ensemence en portant dans le liquide l'extrémité d’un fil de
platine avec lequel on a touché la membrane gélatineuse en un
392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
point d'apparence homogène, et l’on place les matras dans une
étuve chauffée à la température de + 29-30°. Quelques matras
restent stériles, d’autres donnent de la fleur du vin ou même des
moisissures, mais la plupart fournissent, après quelques jours, une
belle culture de la bactérie. Dans ce dernier cas, ilse forme dans
l'épaisseur du liquide de petites zooglées gélatineuses, d’abord
peu visibles, qui gagnent la surface et s'y développent en taches
blanchâtres, translucides, se réunissant bientôt en une seule
membrane unique, semblable à celle qui a servi de point de départ.
Comme les microbes capables de végéter dans un milieu aussi
acide que le jus de sorbier sont très rares, on arrive très vite,
par des ensemencements successifs, à posséder la bactérie
pure.
C'est alors qu’on peut constater avec certitude son rôle
producteur du sorbose. Chaque fois, en effet, qu'on cultive cette
bactérie sur le jus de sorbes, on voit apparaître dans celui-ci
un sucre réducteur, aisément cristallisable, et possédant tous
les caractères du sorbose.
Cela ne va pas cependant sans quelques précautions, dont
l’une est relative à la stérilisation du jus, et l’autre à son mode
d’ensemencement.
Quand on chauffe du jus de sorbes à + 100° et surtout à une
température supérieure, il devient peu à peu antiseptique pour
la bactérie; la semence qu’on y porte doit subir une sorte d’ac-
climatation avant de se développer, et il faut attendre quelquefois
plus d’un mois avant de voir apparaître une zooglée bien
distincte.
La cause de cette transformation du jus me paraît tenir à la
présence, dans celui-ci, d’une substance primitivementsans action,
mais qui se dédoublerait par le chauffage en présence de l'eau
et surtout de l’eau acide, en donnant un corps antiseptique. La
substance dédoublable peut être enlevée au jus par agitation
avec de l’éther, mais très difficilement. Aussi le mieux est-il, si
on tient à employer la stérilisation par le chauffage, de diluer le
jus ‘avec de l’eau ( de 1/2 à 2 volumes). On diminue ainsi, d’une
manière indirecte, la proportion de substance antiseptique, et la
bactérie n’éprouve plus que peu de retard dans son développe-
ment. On à soin, d’ailleurs, de ne chauffer qu'un temps très
court à 100-105°, tout au plus.
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 393
Eafin, malgré ces précautions, il faut encore ensemencer le
jus d'une certaine manière, si l’on veut réussir à tout coup. La
bactérie du sorbose est très fragile et ne se conserve pas long-
temps dans les milieux qu’elle a épuisés. En outre, la zooglée
qu'elle forme, quand elle croît au voisinage de la température
optimale, devient rapidement si consistante qu'il est difficile
d'en détacher des germes à coup sür avec le fil de platine. On
aura donc soin, pour les ensemencements, de conserver toujours
quelques cultures à la température ordinaire, cultures qu’on
rajeunira chaque fois qu'elles tendront à passer de l’état gélati-
neux clair à celui de membrane consistante.
MODE D'ACTION DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE
Après avoir vérilié, soit par l’action directe des réactifs sur le
liquide de culture, soit par l'extraction du sucre à l’état cristal-
lisé, que le sorbose apparaît dans le jus de sorbes sous l'influence
de la bactérie isolée plus haut, il reste à déterminer aux dépens
de quelle substance et par quel processus chimique cette bactérie
arrive à produire le sorbose.
Delffs, on l’a vu au commencement de ce mémoire, croyait
que le sorbose dérive de l'acide malique. Cette supposition a été
reconnue inexacte par Freund qui, s'appuyant sur des faits mieux
observés et des analogies plus frappantes, pensait, au contraire,
que le sorbose est produit par des moisissures aux dépens de la
sorbite. J'ai déjà dit quelles objections on pouvait faire aux
expériences de Freund. Comme, en outre, les relations chimiques
qui existent entre la sorbite et le sorbose ne suffisent pas à
prouver que la seconde substance dérive de la première, j'ai
cultivé la bactérie productrice de sorbose non seulement sur
du jus de sorbes, qui contient des quantités considérables de
substances diverses, mais encore sur des solutions artificielles,
additionnées successivement de chacune des substances dont il
m'a paru utile de faire l'étude.
J'ai pu me convaincre ainsi, sans qu'il subsiste de doute,
que la sorbite est bien la substance qui, dans le jus de sorbes,
est transformée en sorbose. Seuls, en effet, les liquides qui
394 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
renferment de la sorbite donnent du sorbose quand on y cultive la
bactérie. En même temps, comme cela a lieu d’ailleurs pour le
jus de sorbes, l’analyse constate la disparition progressive de la
sorbite au fur et à mesure de l’apparition du sorbose. A la fin,
quand la transformation est complète, 100 parties de sorbite sont
remplacées par 80 parties de sorbose.
Dans une expérience, deux matras contenant chacun 50 c. c.
d’une décoction de levure additionnée de sorbite furent stéri-
lisés et placés dans une étuve chauffée à 30°. Après avoir vérifié
la stérilité de ces matras, on ensemença l’un d'eux avec la bac-
térie pure (22 décembre). Le lendemain, on apercevait de petites
zooglées flottantes; elles se rassemblèrent à la surface dès le
24 el, trois jours après, la membrane superficielle, épaisse de
2 à 3 millimètres, était déjà blanche et opaque.
Après trois semaines, le contenu des matras fut analysé et
les résultats comparés avec ceux obtenus dans des circonstances
semblables, sur la même décoction de levure non additionnée
de sorbite. On trouva que toute la sorbite avait disparu, laissant
80 0/0 de son poids de sorbose.
Résidu Acidité Sorbose.,
(à 1400 0), (en acide
acétique).
Décoction de levure + sorbite (ensemencée)..... 1,890 0,018 1,511
= — (non ensemencée). 2.080 0,023 0,000
— seule (ensemencée)..... 0,210 0,018 6,000
— — (non ensemencée). 0,220 0,023 0,000
La différence de 20 0/0, entre le poids de la sorbite et celui
du sorbose, provient non seulement de la perte d'hydrogène qui
résulte de la transformation d’un corps CSH'‘05 en un corps
CSH:206, mais surtout de ce que le sorbose est lui-même oxydé
par la bactérie. Ceci résulte au moins de l’expérience suivante,
exécutée en même temps et dans les mêmes conditions que la
précédente, mais avec du sorbose au lieu de sorbite :
Résidu Acidité Sorbose.
(à 100 0). (en acide
acétique).
Décoction de levure + sorbose (ensemencée).... 1,290 0,036! 0,888
as — (non ensemencée). 2,210 0,036 1,943
1. Cette légère augmentation d’acidité (décoction de levure seule — 0,023)
résulte d’une légère altération du sorbose par la stérilisation.
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 395
Si on observe maintenant que la bactérie du sorbose ne se
développe pas dans le vide, on a tous les éléments nécessaires
pour définir son mode d'action sur le jus de sorbes.
Gràce à l'absorption de l'oxygène de l'air, elle enlève deux
atomes d'hydrogène à la sorbite normalement renfermée dans
le jus, et la transforme en sorbose d'après l'équation suivante :
2C6H1106 + 02 — 2CSH1206 + 2H°0.
La bactérie du sorbose est donc, comme le Mycoderma aceti,
une bactérie oxydante, capable de vivre en milieu acide. En
étudiant son origine, on verra se justifier encore mieux cette
comparaison.
ORIGINE DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE
En décrivant les fermentations spontanées du jus de sorbes,
j'ai insisté sur la présence, dans les cas où il se forme du sor-
bose, d’une petite mouche rougeûtre à la surface du jus. C'est
qu’en effet, cette petite mouche, ou mouche du vinaigre (Droso-
phila cellaris, Macquart) est l'agent convoyeur de la bactérie du
sorbose; c’est elle qui apporte la bactérie dans le jus. Voici, à
ce sujet, une observation bien significative :
Ayant placé dans une étuve, vers la fin du mois d'avril, un
cristallisoir contenant un liquide favorable (vin et vinaigre),
j'y aperçus, après quelques jours, une culture d'aspect caracté-
ristique, développée en ligne sinueuse à la surface. Une petite
mouche du vinaigre, venue peut-être de fort loin, était tombée
dans le liquide; après bien des efforts et du chemin parcouru à
la nage, elle avait fini par mourir; je la retrouvait à l'une des
extrémités de la ligne sinueuse, au milieu d’une sorte d’auréole
beaucoup plus large, témoignant de ses dernières luttes contre
la mort. Il est manifeste que cette petite mouche, née au sein
d’une culture antérieure, avait le corps recouvert de germes:
partout, sur son sillage, elle en avait ensemencé le liquide.
La bactérie du sorbose se rencontre d’ailleurs assez souvent
dans le vinaigre; on peut alors la faire développer en abandon-
nant ce liquide pendant quelques jours dans un endroit tiède
396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(20° à 30°), après l'avoir mélangé avec son volume de vin
rouge et 2 d’eau. Aussi ai-je déjà exprimé l'opinion ‘ que la
bactérie du sorbose devait être identique au Bacterium xylinum
de Brown, ou tout au moins fort voisine de ce microbe. Bientôt,
les recherches que je poursuis sur la bactérie du sorbose étant
plus avancées, j'espère élucider définitivement cette question.
IL est à remarquer ici qu’en raison des endroits où elle vit
d'habitude, la petite mouche du vinaigre ne doit pas convoyer
que la bactérie du sorbose
Très souvent, comme l'a si dit M. Duclaux dans sa Chimie
biologique. elle doit apporter avec elle le Mycoderma aceti,
ferment ordinaire du vinaigre. Mais, j'en ai fait plus d’une fois
l'expérience, ce mycoderme périt très rapidement sur le jus de
sorbes; il s'ensuit que la bactérie gélatineuse se développe
seule.
Si on place un fragment de voile de ferment acétique à la
surface du jus de sorbes, on voit, en quelques minutes, le frag-
ment se dissocier, recouvrir une surface de plus en plus grande
et finir par disparaître. On est ainsi conduit à une explication
très simple du cas, déjà signalé, où la présence de la petite
mouche sur le jus de sorbes n’a pas été suivie d’une production
de sorbose : la petite mouche n'avait probablement apporté que
du Mycoderma aceti*.
PRÉPARATION DU SORBOSE
Voici maintenant comment on peut, d’après toutes ces obser-
vations, préparer régulièrement le sorbose :
On commence par se procurer le ferment spécifique en aban-
donnant à l'air, en plusieurs endroits, soit le mélange de vin et
de vinaigre indiqué plus haut, soit du jus de sorbes débarrassé
de sucre par fermentation. Quand le microbe se développe à la
surface de ces liquides, apporté par la mouche ou autrement,
on le reconnaît à ses colonies gélatineuses, plus épaisses et plus
1. Préparation biochimique du sorbose (Bull. Soc. Chim., 3° série, t. 15,
627-630, 1896).
2. Cette explication est purement hypothétique, et l’on pourrait tout aussi
bien admr-ltre que, dans le cas en question, la bactérie du sorbose ayant été
ensemencée, il y avait tant de moisissures, que celles-ci faisaient disparaitre le
sorbose au fur et à mesure de sa formation.
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 397
opaques dans leur partie centrale, qui fait légèrement saillie au-
dessus du liquide. Ces colonies, assez semblables au début à des
gouttes de suif, deviennent bien vite confluentes et forment alors
une membrane si épaisse qu'on peut l'enlever d’une seule pièce.
Sans attendre un tel développement, on procède à la purifica-
tion du mierobe par des ensemencements successifs sur du jus
de sorbes. On peut aussi employer, pour ce dernier usage, le
mélange de vin, d’eau et de vinaigre, mais on n'a pas alors la
certitude de séparer le Mycoderma aceti, pour lequel ce mélange
est un milieu de culture très favorable”,
Une fois en possession du ferment, on l'ensemence sur un
liquide nutritif contenant de la sorbite. Et. pour cela, on peut
prendre soit un milieu artificiel, soit un suc de fruit.
Comme milieu artificiel, je me suis servi d’abord d’une solu-
tion de peptone à 1 0/0, minéralisée de la manière suivante :
Phosphate monopotassique ............. 0,100
— de sodium cristallisé ......... 0,100 ;
Chlorure de calcium fondu ............. 0,100 LRROEANUEE
Sulfate de magnésium cristallisé ........ 0,060
Mais ayant remarqué, depuis, que toutes les peptones com-
merciales ne convenaient pas au développement de la bactérie,
je recommande de préférence une décoction de levure, renfer-
mant environ 5 grammes de matières dissoutes par litre. On y
ajoute quelques centièmes de sorbite. J'ai essayé avec succès
jusqu’à 5 0/0.
Parmi les jus de fruits, c’est assurément — pour cause de
tradition — celui de sorbes qu’on emploiera le plus souvent ;
mais on peut aussi en employer d’autres. Non seulement je me
suis servi du jus des trois espèces de sorbes déjà mentionnées,
mais j'ai obtenu aussi de bons résultats avec du jus de cerises
et, une fois, avec du jus de pommes. Il est du reste probable qu'on
pourrait utiliser dans le mème but tous les autres fruits de
pomacées et d'amygdalacées qui, d’après les recherches de
MM. Vincent et Delachanal, doivent contenir de la sorbite *. Je
dois dire cependant que le jus de sorbes justifie dans une cer-
4. Je crois d’ailleurs que cela est sans importance quand il s’agit seulement de
la préparation du sorbose.
2. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 108, p. 354, 1889,
398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
taine mesure Ja préférence qu’on est tenté de lui accorder : ilest
très riche en sorbite et l’on peut, à bon compte, s’en procurer
de grandes quantités. En revanche, c’est, m'a-t-1l semblé, le jus
qui convient le moins au développement de la bactérie du
sorbose. Quand les sorbes ont été recueillies dans un état de
maturation très avancée, le jus qu'on en tire est si concentré
qu'il faut prendre la précaution de l’étendre d'eau, par crainte de
détruire la bactérie par plasmolyse ‘. Et, dans tous les cas, il
faut se rappeler ce que j'ai déjà dit, relativement au pouvoir
bactéricide que ce jus acquiert sous l'influence de la chaleur.
Une bonne concentration est celle qui correspond à la densité
1,05 à 1,06, et si l’on veut éviter la stérilisation par le filtre,
assez peu pratique encore pour de grandes quantités, on aura
soin de porter le liquide seulement quelques minutes à l’ébulli-
tion. Ce court chauffage suffit en général, à cause de la forte
acidité du jus de sorbes.
Une dernière recommandation, applicable à tous les jus de
fruits, est d'abandonner ceux-ci pendant quelques jours dans un
endroit tiède, avant de s’en servir pour l’ensemencement de la
bactérie. Pendant ce repos, la pectine se coagule et les sucres
fermentescibles disparaissent. On passe alors sur une toile et l’on
termine la clarification au papier.
Bref, qu'on emploie un milieu artificiel ou un jus de fruits,
le liquide est réparti dans des matras à large ouverture, fermés
par un tampon d'ouate. Il ne doit y former une couche que de
quelques centimètres d'épaisseur, deux à trois par exemple, si
l’on veut que la transformation se fasse vite.
Après stérilisation, on ensemence, puis on maintient les
matras vers 29° — 30°.
Le sorbose se formant dès que la bactérie se développe, le
liquide de culture acquiert rapidement la propriété de réduire le
réactif de Fehling. On détermine de temps en temps ce pouvoir
réducteur et, quand il cesse d’augmenter, on met fin à la culture.
Les zooglées sont séparées passées à la presse, et tout le liquide
réuni est précipité par le sous-acétate de plomb, à la manière
ordinaire.
4. Freund ayant obtenu une première fois du sorbose avec un jus fortuitement
étendu d’eau, alors que le même jus pur n'avait rien donné, a conseillé d’étendre
le jus jusqu’à ce que sa densité soit descendue à 1,09: et, de fait, ce procédé
empirique lui a réussi (/oc. cit.).
PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE, 399
On filtre, puis on enlève l'excès de plomb par l'acide sulfurique.
Le liquide limpide et presque incolore qui résulte de ce traite-
ment est enfin concentré par distillation dans le vide.
Quand on est parti d'une culture en milieu artificiel, on
obtient un sirop se prenant en masse cristalline, Quand, au
contraire, on a utilisé un jus de fruit, il faut reprendre le sirop
par l’alcool; on ajoute au mélange juste assez d'acide sulfurique
pour précipiter les substances qui gênent la cristallisation du
sorbose, puis, après repos suffisant, on décante et on chasse
l'alcool en distillant dans le vide. Le nouveau sirop cristallise
alors avec facilité, surtout si on l’amorce avec un peu de sorbose
antérieurement obtenu.
CONCLUSIONS
Le sorbose, sucre découvert par Pelouze sous le nom de
sorbine, ne préexiste pas dans le jus de sorbes.
Il apparaît dans celui-ci, par oxydation de la sorbite qu'il
renferme, sous l'influence d’une bactérie analogue ou identique
au Bacterium æylinum de Brown.
En cultivant cette bactérie à l’état pur sur un milieu conve-
nable, contenant de la sorbite, on obtient avec certitude une
transformation de la sorbite en sorbose, avec des rendements
qui peuvent atteindre, dans certains cas, 80 0/0 du rendement
théorique.
SUR LA MATURATION DES FROMAGES
Par M. J. SCHIROKICH
J'ai essayé de vérifier les conclusions de M. de Freudenreich
au sujet du rôle joué par les ferments lactiques dans la matura-
tion des fromages. Aucune de mes cultures pures de ferments
lactiques ne m'a donné de phénomène se rapprochant du tra-
vail de la maturation. Il est donc probable que M. de Freuden-
reich a travaillé avec d’autres espèces que moi.
J'ai alors fait de nouvelles expériences surles diastases pro-
duites par les tyrothrir, diastases qui, d’après M. Duelaux, sont
les agents principaux de la maturation des fromages.
Pour obtenir ces diastases, je me suis servi de cultures de
tyrothrix tenuis, filtrées au filtre poreux, après quatre jours d’é-
tuve à 35°. Ce liquide filtré, ajouté à du lait stérilisé, l’a trans-
formé comme le fait le bacille lui-même, mais sans aucun phé-
nomène correspondant à la maturation : la caséine était devenue
soluble dans l’eau, mais le liquide n’avait pas du tout l’odeur du
fromage.
J'ai donc essayé d’une autre méthode. J'ai fait d’abord, dans
du lait stérilisé, une culture pure du ferment lactique, en y ajou-
tant de la diastase après que le lait s'était complètement coagulé
par suite de l'acide lactique produit par les microbes.
Par litre de culture, j'ai ajouté 50 c.c. de solution de diastase
en agitant ensuite fortement le ballon. — Ce mélange, à son
tour, a été gardé dans l’étuve à 35°. — Cette fois-ci, le
mélange est acide, la diastase n'agit sur la caséine que très fai-
blement, et après une quinzaine de jours, celle-ci avait l’odeur
du fromage. |
Cette expérience a été répétée à plusieurs reprises, et son
résultat a toujours été le mème, c’est-à-dire que lodeur du fro-
mage se retrouvait, le caillé était très bon, et le mélange d'acides
gras volatils qu'on en tirait était semblable au mélange extrait
d’un bon fromage.
L'intensité de l'odeur dépendait beaucoup des relations qui
SUR LA MATURATION DES FROMAGES. 401
existaient entre la diastase et l'acidité de la culture au moment
du mélange; plus l'acidité était prononcée, plus la quantité de
diastase devait être augmentée. — Les conditions les meil-
leures étaient 0:,40 acidité et 15-25 c. c. de solution de dias-
tase pour 500 c. c. de culture. Si l'acidité dépassait 04,40,
l'odeur apparaissait plus lentement, et dans les cultures où
l'acidité était de 05,75, aucune odeur de fromage ne pouvait
être constatée. — En plus, certaines espèces de ferment lactiqué
donnaient des résultats différents; avec de l’acide lactique ajouté
directement, la diastase ne produisait point d’odeur.
D'après ces expériences, je crois que, dans la maturation du
fromage sec, le rôle principal appartient justement à cette dias-
tase produite par les tyrothrix et par le bacillus subtilis, qui
est une espèce du même genre. S’ilenest ainsi, la fabrication du
fromage doit dépendre des conditions plus ou moins favorables
dans lesquelles on fait agir la diastase.
Parmi ces conditions, M. Duclaux fait figurer en premier
lieu la température. L'été passé, ayant été chargé par le minis-
tère de l’Agriculture d'aller étudier la fabrication du fromage
facon Emmenthaler, dans le gouvernement de Smolenski, c’est
surtout sur la température des cartes que j'ai porté mon
attention, et j'ai cru, en effet, constater qu'une des causes produi-
sant la différence qui existe entre la plupart de ces fromages et
l’'Emmenthaler authentique est justement l’irrégularité de la
température des caves.
Certainement, cela ne veut pas dire que l'acidité du lait, à
laquelle actuellement les savants anglais et américains donnent
tant d'importance, ne joue pas aussi son rôle ; au contraire, c’est
elle justement qui régularise la production dela diastase par les
tyrothrix. À ce point de vue, comme l'énergie de certains
ferments lactiques varie beaucoup, il sera très utile d’employer
pour la préparation du fromage des cultures pures de ferment
lactique, et de surveiller l'augmentation de l’acidité; mais le
procès de la maturation ainsi commencé devra se poursuivre
par l'intervention des ferments de la caséine, qui ne s'implan-
tent pas facilement dans un milieu acide, et qui doivent être
présents à l’origine de la culture. Il y a là une question de sym-
biose sur laquelle je me propose de revenir.
Note sur ue petite épidémie de fèvre typhoïde dorigiue hydrique.
Par M. 1e Dr G. SCHNEIDER
Aux environs du 25 décembre 1897 se déclaraient quelques
cas de fièvre typhoïde parmi les pensionnaires d’un hôtel de T***.
Cinq ans auparavant, les locataires de l’immeuble avaient dû
l’évacuer, après le décès, par la même affection, de leurs deux
enfants. Depuis cette époque, la dothiénentérie n'avait point
sévi sur le personnel de l'établissement ; cependant, à la suite
d'analyses chimiques et bactériologiques, l’eau du puits de l'hôtel
avait été signalée comme d’un usage dangereux.
La nouvelle explosion fut meurtrière. Sur cinq personnes
atteintes, deux moururent, deux autres eurent des formes très
graves, chez la dernière seulement, la maladie fut bénigne.
En l’absence d’autres éléments étiologiques, l'infection parut
devoir être rapportée à une origine hydrique. L’eau d’alimen-
tation est, en effet, fournie par un puits couvert que dessert une
pompe. La simple inspection des locaux permet de constater que
le tuyau d'aspiration de cette pompe n’est séparé du principal
tuyau de chute des latrines que par un mur d’une épaisseur
de 0,30. Une telle disposition implique la contiguiïté de la fosse
et du puits. Et dès lors, étant donné ce fait que les latrines sont
à « matières perdues », il est logique de supposer que l’eau du
puits a été souillée par l’infiltration des matières fécales de cette
fosse, aux parois non étanches.
L'hôtel ayant été évacué, il ne s’est plus produit de cas de
fièvre typhoïde.
L'analyse bactériologique, faite le 18 janvier 1898, c’est-à-
dire vingt-quatre jours après l'apparition du premier cas, à
décelé la présence dans cette eau du bactérium coli, presque à
l’état de pureté.
Deux analyses chimiques, en date des 18 et 31 janvier 1898,
ont fourni les résultats suivants :
18 janvier, — Eau très riche en nitrates et en chlore, exigeant
pour la combustion de sa matière organique, 0#,0062 de 0,
emprunté au permanganate de potasse.
ÉPIDÉMIE DE FIÈVRE TYPHOIDE D'ORIGINE HYDRIQUE. 403
L’extrait sec perd au rouge sombre 0£,074 par litre de produits
volatils et de matières organiques.
Pas de phosphates.
Chaux en quantité normale.
31 janvier. — Eau très riche en nitrates et en chlore, conte-
nant l'équivalent, en matières organiques, de 0:,0012 de O
emprunté au permanganate de potasse.
L'extrait sec perd au rouge sombre 0£,148. Son poids est
de 0:,668.
Pas de phosphates.
Chaux 08,286.
Si le voisinage du puits et de la fosse avait éveillé les soup-
cons des habitants de l'hôtel, ils n’auraient donc eu aucune
difficulté à se convaincre qu'une eau aussi riche en chlore, en
nitrates, en matières organiques, recevait à petite distance des
infiltrations répugnantes ou dangereuses, et qu’il était prudent
de fermer le puits.
Statistique de l’Institut Pasteur Hellénique d'Athènes.
Par M. ve Direcreur Dr P. PAMPOUKIS
L'Institut Pasteurien hellénique a été fondé à Athènes par
M. le D' Pampoukis au mois d'août de l’année 1894. |
Au mois de janvier de l’année 1895, la mairie d” Athènes lui
a accordé une subvention, et en même temps, par décision du
Conseil municipal, approuvé par le préfet d'Attique, cet Institut
a été mis sous la protection de la mairie d'Athènes.
Au mois de juin de la même année, le Gouvernement hellé-
nique a fait avec l’Institut une convention, votée par la Chambre
et approuvée par S. M. le Roi. D’après cette convention, l'Etat
hellénique accorde à l’Institut une subvention annuelle et met
l’fnstitut Pampoukis sous le contrôle officiel du ministère de
l'Intérieur, lequel exerce cette surveillance par deux membres du
Conseil sanitaire supérieur de l'Etat.
L'Institut antirabique d'Athènes, se composant d’un bâti-
ment central à trois étages, dont le premier sert à héberger les
pauvres, et de deux pavillons latéraux, avec 24 pièces en tout, a
élé construit aux propres dépens de M. Pampoukis.
Le personnel de l’Institut, qui est dirigé par ie fondateur
lui-même, se compose, outre le personnel inférieur, d’un chef de
clinique, d’un vétérinaire chef de service, d'un préparateur et
d'un aide.
Voici le résumé de sa statistique depuis l’origine.
1° Nombre total des personnes traitées. — Depuis le commen-
cement des travaux de l’Institut (août 1894), jusqu’à la fin de
l’année dernière, 797 personnes ont subi le traitement antira-
bique, dont 590 (74 °/,) appartenaient au sexe masculin, et
207 (26 ‘/,) au sexe féminin.
2° Age des personnes trailées.
Depuis 1 jusqu’à 10 ans il y avait 162 personnes (20,3 0/0).
Sr 10 = 20 = 189 — 231 0/0).
1) ap ENS TN Cu)
— 30 — 40 — 128 ee (16,6 0/0).
AUD too) a Ce (7,7 0/0).
— 50 et au-dessus _ D4 -—- (6,7 0/0).
STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR D’ATHÈNES 405
Par conséquent, sur 797 mordus, il y a 553 (69,3 °/) qui
avaient de 1 à 30 ans inclus.
20 Animaux mordeurs. — Chiens, 732 fois (91,8 °/,); chats,
34 fois (4,2 °/.); loup, 1 fois; autres animaux, 13 fois (1,7 °/;).
Il y a de plus 17 personnes infectées par la salive des indi-
vidus enragés.
4° Siège des morsures. — a) A la tête et à la face, 44 (5,5 °/,);
b) aux mains, 431 (54°/,); c) au tronc, 17 (2,1 °/:); aux mem-
bres, 305 (38,2 2/0).
5° Nombre des morsures. — Simples, 400 (50,1 °/,); multiples,
397 (49,8 °/c).
6° Cautérisation. — Il n'y a que 188 (soit 23,5 °/,) personnes
qui ont fait cautériser leurs morsures : de ie -ci 69 ont été
cautérisées par l'acide phénique; #1 par le nitrate d'argent ;
36 par de l'huile bouillante; 18 par la teinture d’iode ; 14 avec
du fer rouge, et les autres par des moyens divers.
To Provenance. — Hellènes, 736 (92,3 °/); Étrangers (de
l'Orient}, 61 (7,7 2/2).
8° Mouvement mensuel. — Janvier, 40 ; février, 40 ; mars, 62;
avril, 76; mai, 58; juin, 72; juillet, 130 ; août, 79; septembre,
81 ; octobre, 77 ; novembre, 39, et décembre, 59.
9° Epoques de l'année. — Printemps, 195 (24,5 si : été, 281
(35.2 c/); automne, 197 (24,7 °/.); hiver, 123 (15,4 0/4).
100 Arrivée des mordus après la morsure.
De 1 à 10 jours, 331 personnes (41,5 0/0).
— 10 20 — 264 — (33,1 0/0).
— 20 30 — 115 — (14,4 0/0).
— 30et au-dessus 8 _ (10,6 0/0).
110 Séries. — Du nombre total des personnes traitées, 245
(30,7 °/,) appartenaient à la série A des statistiques de l’Institut
Pasteur, 112 (14 °/,) à la série B et 440 (55,1 °/,) à la série C.
120 Mortalité. — Parmi les 797 personnes traitées, il y a deux
morts, dont l’un appartenait à la série B et l’autre à la série C.
La mortalité a donc été de 0,25 °/,.
Outre ces 2 personnes succombées à la rage, il y en a encore
5 chez lesquelles les premiers symptômes rabiques se sont mani-
festés moins de 15 jours après la dernière inoculation.
406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Enfin, à part ces 797 personnes mordues, il y a encore une
autre mordue par un loup, chez laquelle le traitement a échoué.
Si nous comptons cette dernière personne à la statistique de la
mortalité, nous avons parmi 798 individus traités, trois morts, à
savoir une mortalité totale de 0,37 °/,.
13° Mortalité des personnes mordues et non traitées. — Outre ces
198 personnes traitées à l’Institut, il y en a eu d’autres qui n’ont
pas subi le traitement antirabique pastorien, rassurées par les
affirmations de ceux qu’on appelle en Grèce des Empiriques :
parmi ces personnes non traitées, il y en a 40 qui sont mortes
de la rage.
14° Incubation. — L’incubalion de la maladie est connue sur
27 personnes seulement, parmi les 40 morts, et elle est la sui-
vante :
Chez 3 personnes, de 20 à 3C jours (11 0/0).
— 3 — 30 40 — (11 0)o).
— 1 — 40 50 — (3,9 0/0).
— 8 — 50 60 — (28,8 0/0).
— 8 — 90 120 — (28,8 9/0).
ré == 5 6 mois (7,8 0/0).
— À _— 6 7 — (3,9 9/5).
— À a 4 an (3,9 0/0).
REVUES ET ANALYSES
URSS RROENZYNES
REVUE CRITIQUE
La science s’est enrichie, dans ces dernières années, d’une foule de
noms nouveaux, apportés par une étude de plus en plus approfondie
des enzymes ou diastases. Quand un traitement quelconque faisait
apparaître dans un milieu des propriétés diastasifères, on a admis que
la diastase qui s’y manifestait n’y préexistait pas, ou plutôt y préexis-
tait sous une forme différente de sa forme active, qu’on a appelée
proenzyme où prodiastase. Comme il y a beaucoup de diastases diffé-
rentes, chacune d'elles a été pourvue d’un ancêtre, naturellement
différent de l’une à l’autre; le nombre des membres de la famille s’est
ainsi trouvé doublé. On a eu d’abord une trypsine et une protrypsine,
puis une pepsine et une propepsine, une présure et une proprésure, et
ainsi de suite.
Quel accueil faut-il faire à ces acquisitions nouvelles, et quelle
place faut-il leur réserver ? La création d’un mot nouveau peut être
utile dans la science comme moyen de classement; mais à la condition
qu’on n’oublie pas qu'il n’est qu’une simple étiquette, en attendant
l'inventaire des faits qu’il couvre. C’est cet inventaire que nous sommes
en mesure de faire maintenant.
Étude théorique des phénomènes. — La définition générale des pro-
diastases, telle qu'on peut la tirer d’une étude soigneuse des faits
publiés jusqu'ici, est la suivante : une prodiastase est une diastase
qui attend, pour agir, l'intervention d’une action extérieure. On pour-
rait aussi dire qu'une prodiastase est une matière non diastasique qui
attend, pour se transformer en diastase, l'intervention d’une action
extérieure. Au fond, comme nous ne savons pas ce que c’est qu’une
diastase, les deux définitions n’en font qu’une, et la première est cer-
tainement plus simple.
Quoi qu’il en soit, on reconnaît l’apparition de la diastase à ce
qu’elle commence à agir en suivant les lois que nous avons posées dans
ce volume, p. 81. Si nous revenons aux notations que nous y avons
408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
adoptées, nous pouvons dire que dans un liquide jusque-là inerte, nous
voyons apparaître une action spécifique qui, à ses débuts au moins,
obéit à la loi F, ta
où S — sest la quantité d’action produite au bout du temps f, par une
quantité de diastase d, dont l’activité, en prenant ce mot dans le sens
que nous lui avons donné p. 102, est représentée par «. Nous pouvons
faire ici une première remarque. Dans un liquide resté inerte pendant
un temps {, nous voyons, sous l'influence d’un certain traitement,
apparaître une action représentée par «dt pendant le même temps.
L'hypothèse de la prodiastase est qu’on y a fait apparaître la quantité
d de diastase qui n’y existait pas; mais il y a une autre hypothèse que
nous n'avons aucun droit de négliger à priori, c’est que ce n’est pas d
qui a augmenté, mais 4. En d’autres termes, l'addition du réactif a
augmenté, comme nous savons qu’il peut le faire, l’activité de la dias
tase présente, sans en changer la quantité, et cette seconde hypothèse
est au moins aussi probable que la première.
Voici une solution de sucrase ou d’amylase qui est un peu alca-
linisée. On les met en contact avec un peu de sucre ou d’amidon qu'elles
ne transforment pas, quel que soit le temps du contact. On ne gagne
du reste rien à le prolonger, car dans ces conditions les diastases
s'oxydent et se détruisent. À un moment quelconque, on ajoute une
trace d’acide, différente dans les deux. L’acide peut, du reste, nous
le savons, être quelconque, à la condition que sa dose soit propor-
tionnée à sa puissance. On voit alors se manifester une interversion
du sucre ou une saccharification de l’empois. Dira-t-on qu'il y avait
une prodiastase que l'acide a mise en liberté? Non, évidemment. La
quantité de diastase n’a pas varié. Seulement elle était inerte et ne l'est
plus. j
Prenons la même action par le bout inverse. Voici encore une solu-
tion d’amylase ou de pectase qui reste inerte en milieu trop acide.
On y ajoute de l’alcali en quantité convenable, et l’amidon se saccha-
rifie, ou bien la pectine se coagule. Dira-t-on qu'il y avait une proamy-
lase, une propectase que l’alcali a remise en liberté? Je pourrais évi-
demment poser la même question au sujet du chlorure de calciuin,
qui accélère l’action de doses faibles de présure, de fibrinase ou de pec-
tase, de façon à les rendre apparentes là où on pouvait croire à leur
absence. Faut-il conclure de là qu’il les crée? Évidemment non.
Nous pouvons donc affirmer qu’il y a une première, ventilation
nécessaire dans tous les phénomènes qui ont fait conclure à l’existence
de proenzymes. C’estseulementlorsqu’onsesera assuré, parl'expérience,
que les réactifs employés sont incapables de faire varier la puissance
REVUES ET ANALYSES. , 409
de la diastase étudiée, qu’on sera en droit de leur attribuer l'apparition
de cette diastase dans les milieux où on les a introduits.
A cette première ventilation, il faut en ajouter une autre, sortant,
comme la première, de l'interprétation de faits connus. Je prendrai
encore un exemple. Voici un précipité de phosphate de chaux produit
dans un liquidédiastasifère, et qui a entraîné avec lui toute la diastase.
Dans ce mélange devenu inerte, dira-t-on qu’il y a une prodiastase, en
se basant sur ce fait que quelques gouttes d’acide, même d'acide acé-
tique, peuvent, en dissolvant le phosphate de chaux, remettre en liberté
la diastase qu'il contenait ? On le peut, à la rigueur, en considérant,
contrairement à toutes les apparences, l'adhésion de la diastase au
phosphate de chaux comme une combinaison chimique que l'acide
décomposerait. Mais, avec cette interprétation, voici un certain nombre
de faits qui se compliquent beaucoup. Ce sont ceux qui sont relatifs à la
fixation des diastases sur les matières qu’elles doivent transformer. Les
plus probants sont ceux que MM. Wurtz et Bouchut ont trouvés à propos
de la papaïne.
Le suc de Carica papaya donne, en se coagulant, un liquide surna-
geant un dépôt gélatineux. Du liquide on peut précipiter, au moyen de
l'alcool, une substance blanche, pulvérulente, capable de dissoudre la
fibrine en liqueur neutre ou alcaline, et sans que cette fibrine se gonfle.
En liqueur acide, la fibrine se gonfle, mais elle se dissout aussi. Si
donc la papaïne n’est pas un mélange de trypsine et de pepsine, elle
Jouit à la fois des propriétés de ces deux diastases.
Le dépôt gélatineux du suc, broyé dans l’eau, abandonne à celle-ci
de nouvelle papaïne, parfois en quantité plus considérable qu'il n’y en
avait dans le liquide surnageant. Dans l’interprétation contre laquelle
je m’élevais tout à l'heure, on peut dire que ce dépôt contient de la
propapaïne que l’eau transforme en papaïne. Mais prenons une solu-
tion de diastase,et mettons-la en contact pendant quelques minutes, à
la température ordinaire, avec de la fibrine aussi finement divisée que
possible; exprimons les filaments et lavons-les pendant une demi-
heure sous un filet d’eau, et enfin 10 fois de suite, avec expression à
chaque fois, avec de l’eau distillée. La dernière eau de lavage, mise
en contact à 40° avec de la fibrine, n’en a pas dissous en 24 heures la
moindre trace. Si on met, au contraire, les filaments de fibrine ainsi
lavés en digestion à 40° avec de l’eau pure, le lendemain tout est
dissous à 1 pour cent près.
L'eau, quitransformait la propapaïne en papaïne au contact du coa-
gulum du suc de la plante, laisse donc la papaïne redevenir de la pro:
papaïne aucontact des filaments de fibrine ; et dansceux-ci, la transfor-
mation qui se fait à la température ordinaire se défait à 40°, car si Wurtz
avait cherché, il aurait certainement vu qu’il pouvait dissoudre encore
410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de la fibrine nouvelle dans le liquide de digestion de la fibrine impré-
gnée, et qu'il y avait, par conséquent, à nouveau de la papaïne libre.
M. Wurtz a fait la même expérience avec le même succès, en met-
tant de la fibrine divisée en contact avec une solution de pepsine, -
lavant ensuite à grande eau, et en laissant cette fibrine pendant
48 heures au contact d'acide chlorhydrique à 4 millièmes. La fibrine
se dissout si bien que le liquide ne précipite plus par l’acide nitrique.
D’autres expériences un peu moins nettes ont été faites avec la
caséine impressionnée soit par la papaïne, soit par la pepsine. C’est que
ces diastases ne sont pas de celles de la caséine. De l’ensemble de ses
résultats, Wurtz tire la conclusion que les deux diastases se fixent à
l’état insoluble sur certaines matières albuminoïdes, contractant avec
elles des combinaisons temporaires qui se dissocient après que l’action
diastasique est produite. Tout s'explique évidemment mieux en voyant
là non des combinaisons chimiques, mais des phénomènes de teinture
dans le sens que nous avons toujours donné à cette expression. Il n’y
a pas plus de raisons de distinguer dans ce cas entre la diastase et la
prodiastase qu'entre la couleur libre et la couleur fixée, entre la couleur
et la procouleur.
En résumé, nous devons faire sortir du cadre des prodiastases
toutes celles dont l’apparition dans un liquide résulte, non de ce qu’elles
sont de nouvelle formation. mais de ce que, préexistantes, elles sont
mises en liberté par les réactifs employés. Si on n’accepte pas cette
délimitation, on est condamné à dire que l'alcool, l’éther, le phosphate
de chaux, le collodion, versés dans une liqueur diastasique, déter-
minent la formation de prodiastases que l’eau, les acides pour le phos-
phate de chaux, l’éther pour le collodion, retransforment ensuite en
diastases actives. Or, les cas qui relèvent de cette interprétation sont
nombreux, et on peut même à leur sujet faire une remarque.
Voici une substance qui, introduite dans un liquide, y amène, sans
y produire de précipité ni amener un changement de réaction quel-
conque, l’apparition ou l’augmentation d’activité d’une diastase, car
les deux choses n’en font évidemment qu’une. Est-on fondé à s'appuyer
sur Pabsence de toute action chimique visible pour dire : «la liqueur ne
change en rien, et pourtant une diastase y apparaît; donc celle-ci en
était absente. Voici un liquide qui, à froid ou à l’obscurité, ne donne
rien; qui, à chaud ou à la lumière, sans que rien y ait été ajouté de
l'extérieur, manifeste une action diaslasique : donc il y a eu une pro-
diastase détruite par la lumière ou par la chaleur.» Raisonner ainsi
serait oublier que les diastases sont, comme on le voit bien à propos
de l’action des acides sur la sucrase ou l’amylase, des réactifs plus
sensibles que les réactifs chimiques, et distinguent fort bien entre des
liqueurs que nos réactifs ou nos papiers colorés ne différencient pas.
REVUES ET ANALYSES. AA
Lorsqu'on a fait cette seconde ventilation, et éliminé les faits qui
s'expliquent mieux par les lois de l’adhésion moléculaire que par des
productions ou des destructions de prodiastases, il ne reste plus que
les cas, plus compliqués en apparence, dans lesquels on s’adresse,
pour avoir des diastases, non à des substances inertes comme le phos-
phate de chaux, qui peuvent s’en charger artificiellement et s’en
débarrasser, mais aux cellules vivantes qui les produisent. C’est ici
que l’idée de prodiastase, évidemment artificielle par ailleurs, redevient
naturelle. Il n’y a pas de diastase, dès l’origine, dans la cellule épi-
théliale du scutellum du grain d’orge. À un moment donné, on en voit
apparaître subitement beaucoup. N’est-il pas naturel de penser qu'au
moment de la germination, il y en avait une réserve quelque part,
sous une forme non active? Voici un estomac dans lequel on ne trouve
pas, à certains moments, de pepsine ou de présure, et où il yena
beaucoup quelques minutes après. A quel état inactif, proenzymatique,
étaient-elles avant d’apparaître dans la sécrétion ?
Cette question est évidemment très intéressante; mais on peut voir
tout de suite qu’on y peut répondre autrement que par l’hypothèse
d’une diastase de réserve, n’ayant besoin, comme une troupe armée au
moment d’une bataille, que d’être démasquée pour pouvoir agir.
Comme les diastases peuvent produire des effets très mesurables sous
des poids inappréciables, on a toujours le droit d’attribuer celles qui
apparaissent, même le plus inopinément, dans la vie cellulaire, à des
sécrétions qui ne sont pas hors de proportion avec la puissance des
cellules, étant donné surtout que celles-ci manifestent, au moment de
la sécrétion, une activité particulière.
Il y a donc là un problème à résoudre, qu'on peut poser ainsi :
Existe-t-il, dans une cellule diastasigène, en dehors de la diastase prête
à agir, une substance, actuellement distincte de la diastase, et ayant
besoin de subir un changement chimique quelconque pour devenir de
la diastase ?
Voyons si ce problème a été résolu et comment il a été résolu pour
quelques diastases. ;
La question a été étudiée, surtout à propos de la présure, par
Hammarsten, Boas, Arthus, Lürcher et d’autres savants. C'est le travail
de Lürcher que nous résumerons surtout, parce qu'il est le dernier et
le plus explicite. Lürcher prépare sa présure par un procédé déjà
employé par Ebstein et Grutzner. Après avoir fendu l'estomac sur la
ligne de la petite courbure, on l’étale sur la main, la muqueuse en
dessous; on tond la tunique musculaire avec un rasoir, on étale la
poche sur du papier filtré, la muqueuse en dehors, et on fait sécher à
douce température, ce qui ne demande que quelques heures. On enlève
412 ANNALES DE L'INSTITUT. PASTEUR.
le papier et on coupe la tunique en petits morceaux qu’on conserve
dans un flacon bien bouché. Pour l’usage, on en prend un fragment, on
le broie finement dans un mortier, et on fait un extrait glycériné avec
la poudre fine obtenue.
C'est ici qu’un éclaircissement manque. Cet extrait est-il débar-
rassé, par filtration ou autrement, de tout débris cellulaire ou de toutes
granulations protoplasmiques? Est-ce un liquide limpide, ou un liquide
tenant en suspension des corps solides ? Lürcher n’en dit rien, et pour-
tant la question est importante; voici pourquoi :
Pour Lürcher, l’extrait glycériné contient à la fois de la présure et
de la proprésure, différant de la présure en ce qu'elle n’est pas prête à
agir, et qu’elle a besoin, pour cela, d’un contact d’une heure, environ,
avec une solution étendue d’un acide. De sorte qu’on peut faire avec
cet extrait l'expérience suivante :
Du lait, additionné de 1/10000 d’acide chlorhydrique, puis de 1/20
de son volume d’extrait glycériné, se coagule en 17 minutes; il se
coagule, au contraire, en 2 minutes si on y ajoute les mêmes quantités
d'acide et d’extrait, après les avoir laissés en contact pendant 2 heures
l’un avec l’autre. Donc, conclut Lürcher, il y a dans l'extrait une
substance qui ne devient présure qu'au contact d’un acide.
Cette conclusion est acceptable si l'extrait ne contient aucune
substance en suspension. Il peut alors se faire que les matières dis-
soutes y soient modifiées lentement par l'acide. Si, par exemple, comme
cela est possible, la diastase est le produit d'une hydrolysation prove-
nant d’une cause extérieure ; si elle a la faculté de se détacher d'une
substance mère (Muttersubstanz), par adjonction d'une molécule d’eau
ou autrement, avant de pouvoir commencer à agir, l’action de l’acide
s’expliquera sans peine, et même on pourra remarquer avec intérêt
que si on range les acides, comme l’a fait Lürcher, suivant leur degré
de puissance pour la production de cette présure, l’ordre est à peu près
le même, sauf pour l’acide sulfurique et l’acide azotique, que l’ordre
dans lequel ils se présentent d’après leurs constantes d’inversion. (Ces
Annales, p. 84.)
Mais si l'extrait contient des granulations ou des débris cellulaires,
toutes ces déductions tombent, et on s'explique fort bien que la présure
accolée aux granulations ou adhérente aux cellules puisse être mise en
liberté par l'acide ajouté, et aller aider, après ce contact, la présure
contenue en dissolution dans l’extrait glycériné de Lürcher. C’est alors
une opération analogue à celle qu'on réalise constamment en teinture-
rie dans les bains de dégorgeage : un tissu teint, et qui n'abandonne
que peu ou pas de sa couleur à l'eau, en cède davantage sous l’action
d’un alcali, d’un acide, sans qu’on prétende pour cela qu’il y a dans le
tissu une pr'ocouleur différente de la couleur elle-même.
REVUES ET ANALYSES. 413
On est d'autant moins autorisé à repousser cette explication que
l’extrait employé par M. Lürcher était très peu actif. Il ne coagulait
que 20 fois son volume de lait en 23 minutes. Les présures industrielles
coagulent 5000 fois leur volume de lait dans le même temps, et sont
par conséquent 250 fois plus fortes. Dans un liquide aussi peu actif
que celui de Lürcher, la plus petite quantité de matière en suspension
peut faire varier beaucoup la force.
Ce qui invite en outre à des réserves, c’est qu'on n’a pas trouvé de
différences bien sensibles de propriétés entre la proprésure et la présure.
Boas avait cru pouvoir les distinguer en ce que la présure était plus
facilement attaquable par les alcalis que la proprésure. « On alcalinise,
disait-il, une solution de présure, et on la divise en 2 parties dont l’une
reçoit un peu de chlorure de calcium, l’âutre rien. La première coagule
le lait, l'autre le laisse liquide. Donc, conclut-il, la proprésure a résisté
à l’alcali ». Pour accepter cette conclusion, il faut admettre que l’alcali
a détruit toute la présure, car s’il l’a seulement atfaiblie, elle peut, on
le sait, rester inaperçue tant qu’elle n’est pas aidée par l’action du
chlorure de calcium, et l'expérience s’interprète alors facilement d’elle-
même, sans cette complication de présure et de proprésure. Telle est,
en effet, la conclusion de Lürcher, qui, sur ce point, est en désac-
cord avec Boas.
Enfin Klemperer a cru aussi trouver une différence de résistance
à la chaleur. Il chauffe un suc stomacal à 70°, c’est-à-dire à une tempé-
rature qu’il suppose mortelle pour la présure. Ce su& devient, en effet,
incapable de coaguler le lait, mais il le coagule quand on ajoute du
chlorure de calcium. C’est la même expérience el le même raison-
nement que tout à l'heure, avec cette différence qu'ici l'expérience
n’est pas exacte. D’après Lürcher, en effet, l’action de la température
est la même sur la présure et la proprésure, ce qui s’accorde mieux,
il faut le reconnaître, avec l’idée qu’il n’y a qu’une présure qu'avec
celle qui en voit deux, l’une née, l’autre encore à naïtre.
On peut du reste remarquer que ces petites différences à l’action des
agents chimiques ou physiques, alors même qu’on en relèverait de bien
nettes, en opérant avec plus de soin qu’on ne l’a fait jusqu'ici, n'auraient
de valeur probante qu’autant qu’elles porteraient sur des substances
à l’état de solution. Nous savons, en effet, que les diastases sont plus
résistantes à la chaleur et à d’autres agents quand elles sont précipitées
sur des corps solides que quand elles sont en solution dans l'eau.
Concluons, en résumé, que rién n'autorise jusqu’à plus ample
informé l'introduction d’une proprésure dans la science, tous les
faits qu'on considère comme démonstratifs de l'existence de cette
substance pouvant être interprétés plus simplement-en dehors d'elle.
A4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
J'ai insisté sur la discussion relative à la proprésure parce que je
pourrai être plus bref au sujet des autres proenzymes, pour lesquelles
il n'existe pas de meilleures preuves. Aussi, d’après Schmidt et l’École
de Dorpat, les globules blancs ne contiennent pas de la fibrinase ”
(fibrin ferment) toute faite, mais une prodiastase, la prothrombine, qui
a besoin, pour devenir de la thrombine active, d'une certaine substance
dite « zymoplastique », car il est toujours plus facile de trouver un
nom que de mettre quelque chose derrière. Voyons de quelles expé-
riences est sorlie cette interprétation.
On peut, dans la méthode de Schmidt, séparer, péniblement il est
vrai, par l’action de l’alcool, mais enfin séparer un peu de fibrinase d’un
coagulum normal de fibrine qui s’est formé dans du sang en repos;
mais si on reçoit dans l'alcool du sang au sortir de la veine, la même
méthode ne donne plus de fibrinase. Donc, conclut-on, les globules
blancs qui la contiennent ne la contiennent pas toute formée, car s’il
en était ainsi ils devraient en donner autant dans le second cas que
dans le premier. C’est leur mort lente, dans le premier cas, qui permet
à la diastase de se former.
Autre argument. Quand on ajoute du sel à du sang quelques mi-
nutes après la sortie de la veine, on obtient un plasma salé qui peut se
coaguler spontanément si on l’étend d’eau. La coagulation n’a jamais
lieu quand le sang est reçu au sortir de la veine dans une solution salée
de même concentration. La conclusion est la même que tout à l'heure.
Mais aucune des deux conclusions ne s'impose. Du moment que
c’est une cellule qui extravase la diastase, les différences dans la forme
et le degré de l’osmose peuvent dépendre autant de l’état de la cellule
que de celui de la diastase. Il suffit de cette remarque pour ruiner les
deux raisonnements. On comprend, par exemple, que la diastase d’un
leucocyte reçu directement dans l’alcool et coagulé par lui ne se com-
porte pas comme cette diastase n'ayant eu le contact de l’alcool que
lorsque la mort du leucocyte lui a permis de se diffuser dans le
liquide, Concluons donc, non contre l’existence possible d’une pro-
thrombine, mais contrelesargumentssur lesquels on a appuyé jusqu’ci
cette existence. Je pourrais dire la même chose des autres arguments
tirés par Hammarsten, par Peckelharing, de l’action des sels de chaux
sur la prothrombine. Ce sont ceux que nous avons rencontrés tout à
l'heure chez Boas au sujet de la présure, et ils sont justiciables des
mêmes objections.
Nous pouvons en dire autant à propos de la propepsine. C’est à
propos de la pepsine qu’ont été faites les premières expériences sur les
prodiastases. Ebstein et Grutzner ont trouvé que les cellules de la
muqueuse donnaient un liquide beaucoup moins actif lorsqu'elles
élaient macérées avec de la glycérine qu'avec de l’acide chlorhy-
REVUES ET ANALYSES. 415
drique étendu. Donc, ont-ils conclu, l’acide transforme en pepsine une
propepsine de la cellule. En vérité, il eût été surprenant que les deux
macérations fussent de même force, étant donné que la glycérine
provoque l’extravasation du suc cellulaire par osmose et grossit les
granulations protoplasmiques, tandis que l’acide chlorhydrique gonfle la
cellule et la rend transparente. Nous n’insisterons pas davantage sur ce
point que nous avons suffisamment visé plus haut. Les autres argu-
ments qu’on a fait valoir au sujet de l'existence de cette propepsine
sont de même nature que ceux que nous avons combattus.
J'ai hâte d’arriver à la proenzyme de l’orge germé, parce que nous
allons trouver à son sujet un exemple différent des précédents, en
ce que c’est la lumière qui semble provoquer la formation de la
diastase.
Dans son étude sur l’action de la lumière sur les diastases saccha-
rifiantes, M. Green a vu que quelques-unes des radiations du spectre
augmentaient la puissance diastasique du liquide traversé. Green rap-
proche lui-même ce fait de la conversion des prodiastases en diastases
sous l’action de la chaleur, et en particulier de celle qui lui semble la
mieux démontrée, celle de la trypsine pancréatique. 1l n’est pas dou-
teux qu’une macération de pancréas ne devienne beaucoup plus active
après digestion à 38° qu’elle ne l’est à température ordinaire, et les
chiffres cités par M. Green sont d’un autre côté trop probants pour
qu’on puisse douter que les rayons rouges enrichissent en diastase
active les solutions de salive qu'ils ont traversées. La question est de
savoir s’il n’y a pas, à ce fait, d'autre explication que la transforma-
tion d’une prodiastase en diastase. Or, il y en a beaucoup d’autres, et
ici encore, on n’a pas le droit de faire abstraction des cellules ou
granulations présentes dans le liquide. Ces cellules peuvent abandonner
plus ou moins facilement ce qu’elles contiennent de diastase, en aban-
donner plus ou moins à chaud qu’à froid, et dans certaines condi-
tions de milieu que dans &’autres. Rappelons d’ailleurs que les nom-
bres fournis par M. Green résultent d’une correction un peu incertaine
au sujet de l’effet des rayons ultra-violets. Nous en conclurons, non pas
qu'il n’y a pas de proamylase dans la salive, mais que sa présence
n’est pas démontrée. Il est même peu probable que cette explication
par une prodiastase se fût présentée d’elle-même à l'esprit de Green,
comme conséquence logique des faits observés, si elle n’avait pas déjà
existé dans la science.
Green a cherché à appuyer sa conclusion sur une autre expérience
destinée à affirmer la ressemblance de la salive avec le suc pancréa-
tique. Avec de la salive débarrassée de mucine, et additionnée de
2 millièmes de cyanure de potassium, on fit deux lots, dont l’un fut mis
à 380, et l’autre laissé à 180, À divers intervalles, on prélevait 2 c, c. de
416 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
chaque liquide et on déterminait son pouvoir diastasique par la
méthode de Kjeldahl, On a obtenu les nombres suivants :
Durée de l'expérience. Salive à 380. Salive à 180,
2 jours 26,9 45
SHC 69,5 45
seu 07,0 62
9 « 70,6 70,8
15 66.0 95
TR 32,0 94
On peut interpréter cette expérience de deux façons: on peut d’abord
admettre que les différences présentées tiennent à ce que, dans le pre-
mier échantillon, la proamylase s’est transformée plus vite en diastase
et a donné au bout du 3° jour le.maximum que le second échantillon
n’a atteint qu'au 15e. Ce sont deux hypothèses superposées. On peut
d’un autre côté admettre que les granulations, ou même les cellules
que la salive conserve malgré le traitement purificateur qu’elle a
subi, laissent se dissoudre plus lentement leur diastase à froid qu’à
chaud. Ceci n’est pas une hypothèse nouvelle : c'est ce qu'on sait par
ailleurs. On peut même remarquer que le maximum atteint est plus
grand à froid qu’à chaud dans l’expérience de Green, ce à quoi on
pouvait aussi s'attendre avec les notions acquises au sujet de l’action
funeste de la chaleur sur les diastases. En résumé, la question des pro-
diastases reste ouverte. Rien n’assure qu’elles n’existent pas, mais
rien assure qu’elles existent, et on ne risque rien à les rayer pour le
moment de la science qui est, déjà, sans elles, assez hérissée et rébar-
bative.
E. Duczaux.
BIBLIOGRAPHIE
Hammarsren. Lehrbuch der Phys. Chemie, p. 154. Wiesbaden, 1892.
Boas. Labferment und Labzymogen, Zeitschr. f. klin. Med., t. XIV, 1885.
Arraus. Sur la labogénie. Archives de phys ,t. VI, 1894.
G. Loncuer. Ueber Labwirkung. Pflugers Archiv., LXIX, 1897.
Essrein et GRUTZNER. 1d., t. VI, 1872.
Kiemrerer. Die Diagnosis der Verwertbarkeit des Labferments. Zeitschr.
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Green. Action dela lumière sur la diastase, Phil. Trans., t. CLXXXVIII,
1897.
Le Gérant : G. Masson.
om tt
Sceaux. — Imprimerie E. Charaire,
49me ANNÉE JUILLET 1898 No 7.
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
RECHERCHES SUR L'ACTION SPORICIDE DU SÉRUM
Par M. ze Dr Jos. HALBAN, DE VIENNE.
Grohmann a le premier découvert, en étudiant l’action coa-
gulante des microbes sur le sérum, cette action bactéricide du
sérum sur laquelle M. Buchner a si fortement appelé l'attention.
L'idée préconçue de la forte résistance des spores a empèché ce
dernier d'étudier l’action bactéricide du sérum sur ces formes de
résistance. Lubarsch a montré ensuite par l'expérience que cette
action était nulle. Peckelharing a trouvé plus tard que le sérum
normal de lapin et de chien tuait en peu de temps les bacilles et
les spores du bacille charbonneux. Puis ses données furent
contestées par Trapeznikoff, Sanarelli, confirmées au contraire
par Leclef”, qui a vu les spores du bacille de la pomme de terre
et du subtilis, si résistantes par ailleurs, périr rapidement au
contact du sérum de lapin.
On peut reprocher à ses expériences, de même qu'à celles de
Peckelharing, de n'avoir pas été assez prolongées. Ce n'est pas
parce qu’un ensemencement reste stérile au bout de 24 heures
qu'on peut conclure que les semences sont mortes, Un autre
reproche est de n'avoir pas séparé l’action du sérum in vitro et
dans l'animal vivant. On sait qu’il y a, dans le sérum tiré du corps,
des substances mises en liberté à la suite de la destruction des
leucocytes, et qui n'existent pas dans le sang circulant.
Comme d’un autre côté Wyssokowitch?® a vu les spores du
1. La Cellule, v. 1894, p. 349.
2. Zeitschrift für Hygiene, 1,
| 27
418 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
bacille du foin, injectées dans les veines d’un lapin, persister
2 ou 3 mois dans les organes parenchymateux, tandis que les
formes bacillaires périssent rapidement, il y a sur ce sujet des
contradictions et des obscurités telles que j'ai cru devoir le
reprendre, en séparant les essais in vitro et les expériences sur
l'animal vivant.
Î. — EXPÉRIENCES IN VITRO
Une vieille culture, sur gélose, du bacille du foin, sert à
ensemencer un tube de bouillon qu'on chauffe à 100°, pour
éliminer les formes végétatives et répartir également les spores
dans le liquide. Une anse de platine de ce bouillon est portée
dans des tubes de sérum de lapin, qu'on met à l’étuve à 37,
D’autres tubes de sérum sont ensemencés de même après chauf-
fage à 60° et servent de témoins. Le nombre des microbes, après
des temps variables, est déterminé au moyen de la méthode des
plaques de Pétri. Voici, pour quelques expériences, les nombres
de colonies données par ces plaques.
I. — 2 c. c. sérum de lapin, vieux de 3 jours.
Après l’ensemencement colonies innombrables.
2h 3/4 après 90 colonies
Abe — 20 ss
She 90 —
24h — colonies innombrables.
Le sérum était limpide à ce moment, avec un dépôt de bacilles au fond.
Il. — 4. — 4 c. c. sérum de lapin.
Après l'ensemencement T. nomb. colonies.
2h après =
AN —
6h — environ 50 colonies.
24, 48h après 0
3, 9, 7 jours après 0
8 jours environ 300 colonies.
10, 14 jours après 0
Le sérum est déjà limpide après 24 heures, Il se trouble de nouveau le
10e jour, mais pas par des bacilles.
B. — Même expérience, sérum chauffé à 600.
Après l’ensemencement T. nomb. colonies
2, 4, 6, 24h après me
2 et 14 jours après, a
Le sérum est troublé après 24 heures par la culture,
ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 419
IT. — 4 c. c. sérum de lapin frais, ensemencés en même temps sur des
plaques de Pétri et dans des tubes de bouillon.
bouillon plaques
Après l’ensemencement cult. t. abond. cult, t. abondante
Après 3 heures — —=
5h Pas de cult. cult. abondante
24h —- culture moyenne
48h 3, 4, 5 jours — Pas de dévelop.
7 jours voile (ap. 4 jours) —
9 jours — —
10, 12, 16, 21, 35 jours, pas de cult. —
Le sérum donne après 24 heures un dépôt floconneux et ne change plus
d'aspect. Le 14 jour, trouble de nature non bactérienne,
IV. — 2 c. c. sérum de cheval, vieux de 3 jours.
Après l’ensemencement forte culture
2h,15 après cult. moins abond.
4h —— 15 colonies
94h == 0 Ur
48h — culture abond.
96h — 3 colonies
> jours cult. très riche
Le sérum était limpide au bout de 24 heures, et surnageait des grumeaux
qui, au bout de 5 jours, donnèrent un nouveau développement.
V. — 4 c. c. sérum de cheval frais.
Après l’ensemencement 9 colonies
1" après 8 —
2h — 5 —
ADI 4 =
5h 4/2 0 —
24, 48, 96h 0 —
Le sérum normal ensemencé avec des spores de b. subtilis
peut donc devenir complètement stérile au bout de quelque
temps.
Quant à savoir si ces spores sont tuées à l’état de spores, ou
bien si elles sont détruites après s’être développées en bacilles,
nos expériences ne disent rien à ce sujet.
Aussi les avons-nous complétées par des préparations
microscopiques que nous étudierons plus bas.
Il résulte aussi de nos expériences que le pouvoir bactéricide
n’est pas également efficace dans toutes les circonstances. Avant
tout, la quantité des germes ensemencés joue un rôle impor-
420 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
tant. Si cette quantité est trop grande, il se forme un dépôt, mais
suivi d’un développement ultérieur de bacilles.
Quoi qu’il en soit, nous voyons que le résultat négatif d’une
culture après un contact de 24 heures ne permet pas de con-
clure à la mort des bacilles, ainsi que l’ont soutenu Leclef,
Pekelharing et Bauchner. Ainsi, en IE, il y a eu culture en bouillon
après 7 jours de contact entre le sérum et les spores. Un très
grand nombre de spores ont été anéanties de suite par le sérum:
les plus résistantes ont été simplement retardées dans leur
développement. Mais elles étaient déjà altérées, car le voile
qu'elles formèrent dans le bouillon ne se développa qu’au bout
de # jours d’étuve.
Il n’est pas possible d'attribuer la destruction des bacilles
uniquement au changement du milieu, car d’abord les spores
sont très résistantes à ces influences: puis elles se développaient
dans les tubes de sérum chauffé.
Il faut donc admettre la présence de substances bactéricides
dans le sérum normal, du moins pour ce qui concerne nos
expériences {à vitro.
Quant au sérum chauffé, il s’y développa toujours une cul-
ture abondante, mais jamais aussi riche que dans les cultures
témoins en bouillon. Il semble donc qu'à 60° les substances
bactéricides du sérum sanguin sont fortement altérées, mais
non détruites.
Je ne veux pas omettre de dire que le sérum normal, ense-
mencé avec des spores de subtilis, se trouble au bout de 8 jours,
même lorsqu'il est absolument stérile. Ce trouble, qui peut donner
lieu à un interprétation erronée, n’est pas dù au développe-
ment des bactéries, mais à la formation d’un précipité indéter-
minable par le microscope.
Arrivons maintenant à la rapide diminution des germes sur
les plaques, déjà peu d'heures après l’ensemencement. Cette
diminution n’est pas due à une destruction rapide, mais à des
causes tout à fait différentes 'qui résulteront de l'examen de nos
préparations microscopiques.
Préparations microscopiques. — Dans le sérum chauffé, la
germination des spores se fait au bout de 3 ou 4 heures. On
trouve des bacilles en petits amas de 30 ou 40 individus, mais
point de microbes isolés. Au bout de peu d'heures, cette dispo-
ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 421
sition en amas disparait complètement, et l’on trouve alors des
bacilles tous isolés.
Dans le sérum normal, si l’ensemencement est suffisant, la
germination se fait au bout de 6 à 8 heures; et alors apparaît la
formation de petits amas, composés d’un nombre d'individus
moins grand que dans le sérum chauffé, de 4 à 10 en général. Ce
groupement en amas, à condition que l’ensemencement n'ait
pas été trop abondant, persiste et se retrouve même au bout de
8 jours. Si l’ensemencement est peu abondant, il est impossible
de découvrir les bacilles dans le tube.
Dans le bouillon, la germination débute déjà au bout de 2 ou
3 heures, mais ici les bacilles restent toujours isolés, sans
former des amas.
Avec l’exsudat péritonéal, le liquide d’œdème obtenu par la
ligature de l'oreille du lapin, ou le liquide d’ascite humain, on
trouve les mêmes résultats qu'avec le sérum chauffé.
Nous avons donc ici affaire avec l'apparition de l’agglutina-
tion, et comme on l’observe aussi bien dans des liquides bacté-
ricides, que dans des liquides non bactéricides, nous voyons là
une confirmation de la conception de Grüber, qui affirme l’indé-
pendance de l’agglutination à l'égard des substances bactéri-
cides.
Les préparations microscopiques ne nous éclairent pas sur
l’état des spores jusqu’au moment de la germination, à cause de
leur trop petit nombre et de la difficulté de les retrouver. C'est
pour cela que nous avons examiné ce qui se passe dans une
goutte suspendue.
En faisant un mélange à parties égales d'une émulsion de
spores et de sérum, nous avons pu observer, immédiatement
après l’ensemencement, de nombreuses spores isolées, en mou-
vement moléculaire, C'était le même aspect que nous offrait
une goutte de bouitlon ensemencée avec des spores.
Déjà une heure après, toutes les spores sont immobiles dans
le sérum et disposées en pelits amas qui sont formés de 5 à 8 indi-
vidus. Mais il ne s’agit pas ici d’une véritable agglutination, car
on ne remarque point un accolement des individus : on peut
au contraire constater entre eux des espaces libres.
Déjà 3 heures après l’ensemencement, on trouve dans le
sérum de nombreux bacilles nettement agglutinés, à côté des-
422 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
quels on peut encore distinguer des spores. Tout cela est encore
retrouvé après 24 heures.
Dans le bouillon témoin il y a, 3 heures après l'introduction
des spores comme 24 heures plus tard, une très grande quan-
tité de bacilles, très mobiles et point en amas.
Dans le sérum chauffé à 60°, il y a, comme dans le sérum
ordinaire, d’abord une disposition des spores en amas; mais, au
bout de 3 heures, la germination survient, avec forte pullula-
tion des bacilles. L’agglutination disparaît, et on ne trouve plus
de spores.
Le mélange à parties égales d’une émulsion de spores et de
sérum n’est pas très favorable à l'étude de ces processus, parce
que, avec cette proportion, l’action du pouvoir bactéricide du
sérum ne peut pas bien être mise en évidence. Avec un ense-
mencement plus faible (4 : 10), la formation d'amas de spores a
lieu en quelques minutes, le mouvement moléculaire cesse, et
les spores restent dans cet état d’immobilisation pendant quelques
heures sans germer. Tandis qu’en employant le sérum chauffé ou
le liquide péritonéal normal, la germination se fait en 3 ou
4 heures, le mélange étant dans le rapport de 1 : 10, celle-ci
n’arrive qu'au bout de 24 heures ou même plus tard si l’on se
sert du sérum normal,
Il est aisé de tirer des conclusions intéressantes de toutes
ces expériences in vitro et de l'examen microscopique.
Il est d’abord évident qu’un certain nombre de spores de
b. subtilis peut être complètement stérilisé in vitro dans le sérum
normal.
Les spores sont longtemps empèchées de germer, et une fois
qu’elles ont donné de jeunes bacilles, ceux-ci périssent, tués par
l'action du sérum. Il ne s’agit done pas ici d’un pouvoir sporicide,
mais seulement d’une action bactéricide secondaire, qui a pour
point, de départ une influence gènante du sérum vis-à-vis des
spores.
Il résulte, en second lieu. de nos expériences, que la diminu-
tion frappante des spores qu'on observe quelques heures après
l’ensemencement, ne témoigne pas de leur destruction complète,
comme le pensent tous les auteurs. Elle est due plutôt à ce que
les spores s’accolent en amas, de sorte qu'en prélevant une
goutte il est plus difficile d’en trouver, et d’autre part à ce qu'une
ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 423
colonie sur plaque de Pétri ne correspond pas à un individu,
mais à un groupe de spores.
M. Leclef n’a pas observé cette agglutination des spores. Il
constata, il est vrai, la formation des groupes, mais seulement
après leur germination et dans le sérum chaulfé. Ce phénomène
Jui échappa complètement dans le sérum normal, quoiqu'il s’y
montre encore plus clairement et y persiste plus longtemps.
Agglutination. — Nous avons dit qu’en faisant l’examen en
goutte suspendue, on voit les bacilles isolés et mobiles se mettre
en amas au bout de 5 à 10 minutes, si l'on ajoute un dixième
du volume de sérum normal de lapin ou de cheval, ou de sérum
chauffé, ou enfin de liquide péritonéal.
Quelques bacilles seulement restent isolés et mobiles. De
même, dans un tube à essai, la culture s’agglutine et se
dépose au fond. Nous n’avons pas essayé d'obtenir cette aggluti-
nation avec une quantité plus petite de sérum, mais par contre
nous avons vu que l’addilion de sérum, dans la proportion de
1 : 1, produit ce phénomène très rapidement, et sous le micros-
cope on peut observer de très grands amas de bacilles.
Il n’est pas aisé de décider si ce phénomène doit être envisagé
comme l'ont fait MM. Gruber et Durham, c’est-à-dire comme
une aclion spécifique du sérum vis-à-vis du b. subtilis, microbe non
pathogène. Il faudrait, pour y arriver, entreprendre encore
d’autres expériences sur des microbes non pathogènes. Nous
voulons encore mentionner que nous avons obtenu l’agglutina-
tion avec le bacillus prodigiosus, mais pas du tout avec la bactérie
charbonneuse et le vibrion cholérique.
EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX
On a injecté à des lapins une émulsion abondante de spores
de b. subtilis dans la veine marginale de l'oreille. Cinq animaux
périrent après injection de 2 c. c. Tous supportèrent celle de
4 c. c. et augmentèrent même sans exception de poids.
Ils furent sacrifiés à des intervalles réguliers, et leurs organes
examinés au point de vue de leur contenance en b. subtilis. On
enleva des fragments d'organes de la grosseur d’une noix, on
les broya avec du sable et de l’eau stérile dans un mortier, et
42% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avec la bouillie ainsi obtenue, on fit trois plaques de Pétri. Voici
les résultats :
Lapin 1, sacrifié 8 jours après l'injection. Poumon, rate, foie, rein,
moelle osseuse : masse de colonies de bacillus subtilis. Sang, stérile,
Lapin 2 sacrifié 14 jours après l’injection, même résultat en 1.
— 3 — 3 semaines — — —
SAR ot Ra = a Er
— 5 — 2 mois colonies moins nomb. que 1.
— 6 — 2 mois et demi quelques col. d. la rate. Rien
ailleurs.
ML = 3 mois et demi Tous les organes sont stériles.
Il résulte de ces expériences que l'organisme n’est débar-
rassé du b. subtilis qu’au bout de trois mois.
Il s’agit maintenant de savoir si le subtilis éliminé de l’orga-
nisme en a disparu à l’état de spore ou de bacille.
L'examen histologique des organes se prêtant mal à l’obser-
valion des spores, la solution fut abordée par voie indirecte,
Une partie de l’émulsion a servi à faire des plaques de gélose
après avoir été bouillie pendant une minute.
Les plaques qui devaient rester stériles, si l’émulsion d’or-
ganes n'avait contenu que des bacilles, montrèrent toujours un
riche développement de colonies de subtilis, bien qu'à la vérité
moins nombreuses qu'avec l’émulsion non bouillie.
Nous n’en sommes pas moins autorisés à affirmer que les
spores du bacillus subtilis peuvent séjourner trois mois dans
l'organisme d’un lapin, et ainsi se trouvent confirmées les
affirmations de Wyssokowitch.
Comme nos expériences in vitro confirment d'un autre côté
les conclusions de Leclef, nous nous trouvons en présence de là
contradiction que nous avons déjà signalée plus haut. Il existe
cependant un moyen très simple de la résoudre. Les expériences
de Wyssokowitch, pas plus que les nôtres, ne concluent contre
l'existence du pouvoir bactéricide du sérum dars l’organisme
vivant. Et cela pour les raisons suivantes. Nous avons vu que
le sérum n’est capable de détruire qu'une certaine quantité de
spores, c’est ainsi qu'une anse de platine, contenant trois milli-
grammes d’une riche émulsion de spures, doit être ensemencée
dans À ec. c. de sérum de lapin pour qu'il en résulte une des-
ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 425
truction complète. Il résulte de là que pour détruire 1 e. c. de
l'émulsion (c’est la dose que nous injections dans les veines) il
faudrait au moins 300 c. c. de sérum sanguin. Mais un lapin
de taillé moyenne ne renferme guère plus de 160 c. e. de sang.
De telle sorte que Wyssokowitch et nous-même avons injecté
dans les expériences une quantité beaucoup trop grande de
spores pour pouvoir compter sur leur destruction par le sérum.
En effet, en injectant à quelques lapins 1/6 de c. c. dans les
veines, voici les résultats que j'ai obtenus :
Lapin 8, tué au bout de 3 jours; dans le poumon, rate, foie,
rein, moelle osseuse, abondante culture de subtilis ; dans le sang,
point. Lapin 9, tué au bout de 8 jours. Lapin 10, tué au baut de
10 jours; tous les organes sont absolument stériles.
Par conséquent, les spores disparaissent après un temps
très court, si leur quantité est convenable.
On voit par là que les résultats obtenus par M. Wyssokowitch
ne contredisent nullement l’existence d’un pouvoir bactéricide
du sang dans l'organisme vivant. Mais, d'autre part, ils ne le
démontrent pas davantage. Au contraire, on peut toujours
objecter que, dans ce cas, ce n’est pas le pouvoir bactéricide,
mais l’action phagocytaire qui fait périr les spores.
La démonstration directe du rôle des phagocytes est extraor-
dinairement difficile. Des expériences avec des petits sacs de
collodion, contenant des spores et introduits dans la cavité péri-
tonéale d’un lapin, nous ont donné des résultats peu décisifs.
C'est pourquoi nous avons abandonné cette méthode, et
nous avons prélevé aseptiquement sur l'animal vivant de la
lymphe péritonéale que nous avons ensemencée de suite êw vitro
avec des spores. De nos expériences répétées ressort ce fait
intéressant, que la lymphe péritonéale ne présente absolument
aucun pouvoir bactéricide, pas même in vitro. En effet, les spores
s’y sont toujours développés abondamment et plus rapidement
même que dans le sérum sanguin chauffé à 60°.
Dans le but de constater si les leucocytes sont bien les
véhicules des substances bactéricides, et si ce sont eux qui
communiquent ce pouvoir au sérum, nous avons entrepris
l'expérience suivante. Nous avons injecté à un lapin 10 €. c. de
bouillon stérile dans la cavité péritonéale. Par ce moyen, on
provoque la formation d’un abondant exsudat stérile. 24 heures
426 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
après, on prélève aseptiquement de cet exsudat, et après avoir
attendu 24 heures encore, pour que les leucocytes soient
déposés au fond du tube à essai, on prélevait au moyen d’une
pipette le liquide privé de cellules qui surnageait, et l’on ense-
mençait avec les spores de subtilis. Ce liquide a présenté un pouvoir
bactéricide manifeste, tout aussi énergique que celui du sérum
sanguin servant de témoin. Ce pouvoir bactéricide peut être
expliqué de deux façons. On peut admettre, d’après M. Metch-
nikoff, que les substances bactéricides ont diffusé in vitro hors
des leucocytes ; ou bien on peut penser qu’elles existaient déjà
dans l’exsudat chez l’animal vivant. Pour résoudre cette question,
nous avons injecté une émulsion, très riche en spores, directe--
ment dans la cavité péritonéale d’un lapin. Nous avons retiré à
divers intervalles, au moyen d’une pipette capillaire, une goutte
d’exsudat pour examiner ce que devenaient les spores. Un
animal qui en avait reçu 3 c. c. mourait au bout de 8 jours.
L’exsudat péritonéal, le foic, la rate donnaient d’abondantes
cultures de subtilis. Au contraire, le sang était stérile. En règle
générale, la quantité injectée, 1,5 ce. e. d'émulsion, fut toujours
bien supportée par l’animal.
L’exsudat retiré au bout de 8, 12, 24, 36 et 72 heures était
toujours très riche en leucocytes mono et polynucléaires.
Les ensemencements donnèrent sans exception des cultures
pures et fort riches en subtilis.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITE
VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS
Par LE D' PODBELSKY, pe Kazan
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.
L'étude des moyens de défense de l'organisme animal contre
l’'envahissement des bactéries, et en particulier des spores, a une
grande importance théorique et pratique.
Nous nous sommes proposé d'étudier dans le présent travail
ce qui se passe avec les spores d’un saprophyte assez répandu
dans la nature, du bacillus subtilis, lorsqu'on l’introduit dans le
corps du lapin. La bibliographie de la question, que nous allons
rapidement passer en revue, n’est pas bien riche.
Fodor: a le premier montré que le sang de l’animal vivant
tue les bacilles du foin. Il injectait dans les vaisseaux sanguins
des lapins de très grandes quantités de b. subtilis, et constatait
chaque fois qu'ils disparaissaient du sang au bout de 4 heures,
Wyssokowitch”?, cherchant le sort des microbes pathogènes et
saprophytes introduits dans le système vasculaire des animaux
à sang chaud, étudia aussi les spores du D. subtilis.
En ensemençant des gouttes de sang sur plaques, il a vu que,
déjà 45 ou 30 minutes après l'injection, elles ne donnaient plus de
cultures. Il sacrifiait ensuite des lapins à différents intervalles
après l'injection intraveineuse, mélangeait des morceaux des
organes avec de la gélatine qu'il coulait en plaques; ces dernières
donnaient des colonies qui étaient surtout nombreuses avec des
morceaux de rate et de foie... Le sang du cœur ne contenait
jamais de spores. Chez un lapin sacrifié 78 jours après l'injection,
on a trouvé encore des spores vivantes dans la rate et le foie.
4. Berichte aus Ungarn, von Frôhlich. Bd.IILS. 223, cité dans la thèse de Tna-
PEZNIKOFF : « Du sort des spores dans l’organisme animal », 1891, p. 5.
2, W. WyssoxowitcH, Zeitschrift für Hygiene, Bd. I, 1886, p. 2-75.
428 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Pour Wyssokowitch, les moyens de défense de l’organisme
contre les microbes résident dans l’endothélium des parois vas-
culaires et dans les cellules du foie, de la rate et de la moelle
des os. =
Trapeznikoff ! introduisait des spores du bacillus subtilis dans
la chambre antérieure de l'œil des lapins. En examinant les
gouttes prélevées 17, 23 et 48 heures après, l’auteur trouvait
des spores à l’état libre et dans les leucocytes, mais jamais il ne
voyait ni bacilles, ni filaments. En ensemençant avec des spores
des gouttes pendantes d'humeur aqueuse, il remarquait, déjà
18 heures après, l'apparition de quelques bâtonnets mobiles : ces
derniers devenaient plus nombreux 48 heures après, et, en plus,
ils donnaient naissance à des filaments.
Le fait que les formes végétantes se rencontraient dans les
parties périphériques de la goutte pendante fit conclure à l'au-
teur que si, dans la chambre antérieure de l'œil, les spores ne
végètent pas, c’est parce qu’elles manquent d'oxygène.
Dernièrement M. Leclef* a fait une série d'intéressantes
observations, dans le laboratoire de M. Denys, concernant l’action
sporicide du sérum de lapin en dehors de l'organisme sur les
spores du bacillus subtilis et du bacille des pommes de terre. L’au-
teur ensemençait le sérum normal avec un mélange de spores,
et montrait que déjà le lendemain le germe devenait stérile.
L'examen microscopique du sérum ensemencé a montré que les
spores donnent naissance à des bacilles, et que ces derniers sont
tués par le sérum.
Buchner a établi les trois propriétés suivantes de Ia substance
sporicide : ° elle est détruite par chauffage à 60°, 2° elle manifeste
son action en présence de certains sels, et 3°elle conserve son pou-
voir quand on ajoute une certaine quantité de substances nutri-
tives pour les microbes. En opérant avec le sérum dans les con-
ditions indiquées, Leclef est arrivé à la conclusion que les sub-
stances bactéricides et Sporicides sont identiques.
Les observations de Leclef établissent ce fait que le sérum
jouit des propriétés sporicides in vitro, mais ne disent pas si ces
propriétés sont propres au sérum dans l'organisme, et cependant
les expériences de Wyssokowitch, décrites plus haut, laissent
4. Tnapeznixorr, Thèse citée, 1891.
2. Lecuer, La Cellule, T. X, 1894, p. 349-375.
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 429
supposer que le plasma du sang vivant agit sur les spores autre-
ment.
Tout récemment, M. Halban a étudié la façon dont agit le sérum
sur les spores du bacillus subtilis en dehors de l'organisme et dans
l'organisme même; les résultats auxquels il est arrivé sont
exposés dans ce même numéro des Annales.
Si l’on met en regard les conclusions des auteurs dont nous
venons de résumer les travaux, on ne tarde pas à constater qu'il
y a une discordance. Pour Fodor, c’est le sang tout entier qui
défend l'organisme contre les microbes; pour Wyssokowitch,
c’est l’'endothélium des vaisseaux et les cellules des organes.
Leclef affirme que c’est le sérum. De sorte que la question de la
défense de l’organisme contre les spores n’est pas encore bien
assise.
Nous nous sommes proposé de faire d’abord une étude plus
détaillée du sort des spores dans l'organisme, et ensuite d’obte-
nir une race modifiée du bacillus subtilis pouvant résister au pou-
voir bactéricide du sérum.
ACTION DU SÉRUM DE LAPIN SUR LES SPORES EN DEHORS DE L'ORGANISME
Avant de passer aux injections des spores à des lapins, j'ai
cru nécessaire de m’assurer de l’action sporicide ‘ du sérum frais
normal in vitro.
Le sang retiré de l'artère carotide du lapin était recueilli
aseptiquement dans un tube spécial, qu'on laissait pendant
24 heures dans un endroit obseur et à la température de la
chambre. Le sérum obtenu de cette façon, limpide et clair,
dépourvu des éléments figurés du sang, était distribué dans des
tubes stériles par doses de # ec. e.
Pour l'ensemencement du sérum, on se servait d’une émulsion
de spores du bacillus subtilis en bouillon. Des voiles âgés de 5 à
7 jours, ràclés de la surface de tubes de gélose non peptonisée,
étaient soigneusemont disloqués dans 4 à 4,5 c. c. de bouillon
ordinaire, Afin de tuer les formes végétatives, le tube à essai
contenant le mélange était placé dans un bain-marie chauflé à
1. Nous nous servons ici et ailleurs de l'expression € action sporicide » pour
abréger; en réalité, les spores végétent et donnent naissance à des bacilles qui,
eux, sont tués par le sérum,
430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l’ébullition pendant 3 à 4 minutes. Après refroidissement du
bouillon, il se formait dans ses couches supérieures un mélange
uniforme de spores. C'est le mélange obtenu de cette façon qui
servait à ensemencer le tube à sérum normal, à raison d’une.
anse pour # c. c. Pendant tout le cours de l'expérience, l’on se
servait de la même anse qui contenait 3,000 spores, comme
l'ont montré les ensemencements sur gélose dans les boîtes de
Petri.
Après l’ensemencement du sérum avec le mélange des
spores, nous mettions le sérum à l’étuve et en prélevions une
anse à différents intervalles pour l’ensemencer sur gélose dans
des boîtes de Petri. Ces dernières restaient à l’étuve pendant
24 heures et plus, puis on comptait le nombre de colonies déve-
loppées. Les expériences concernant l action sporicide du sérum
ont été répétées plusieurs fois, et chaque fois les résultats étaient
les mêmes, comme l’on peut en juger par le tableau suivant.
TEMPS
Dans
2 heures.
Dans
heures.
|:
D’ENSEMENCEMENT
Immédia-
tement
2 semaines
3 semaines
Nombre des colo-|innomb.| 211
nies.
Il s’ensuit que le sérum frais tue les bacilles du foin dans
À ou 2 jours. Quant à l’aspect extérieur du sérum, il était,
24 heures après l’ensemencement comme il l'était avant, clair et
limpide; cela durait pendant 15 à 18 jours, après quoi la limpi-
dité devenait moins franche; il se formait au fond du tube un
petit précipité d’une couleur blanc grisätre; ce précipité agité
se présentait sous forme de petits flocons et était formé des sels
du sérum.
Le sérum de trois jours manifestait les mêmes propriétés
que le sérum frais. L'action sporicide du sérum était nette seule-
ment dans le cas où la quantité de spores n’était pas trop consi-
dérable. Si on prenait 3 anses du mélange des spores pour 4 c. c.
du sérum ou 4 anse pour 2 c. c., l’action sporicide ne s’observait
que pendant les premières heures après l’ensemencement ; au
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 431
bout de 24 heures, les spores donnaient naissance à des bacilles,
lesquels poussaient déjà facilement dans le sérum.
Le sérum distribué dans des tubes à essai, en quantité de
4 c.c., était soumis pendant une heure à 60° et était ensemencé
après avec une anse du mélange très riche en spores. Dans tous
les tubes, le sérum ainsi traité n'empêchait pas le développement
des spores, ayant perdu tout à fait la propriété sporicide propre
au sérum non chauffé.
Mes expériences sont donc en accord complet avec celles
de Leclef et Halban, qui ont établi que le sérum normal frais des
lapins a la propriété in vitro de tuer le bacillus subtilis,
Une question se pose alors : la substance sporicide du sérum
est-elle due au plasma sanguin, ou aux leucocytes qui, en se
détruisant pendant la coagulation, laissent diffuser dans le sérum
la dite substance? IL n’est guère possible, in vitro, de séparer
l’action du plasma de celle des substances qu'y versent les leu-
cocytes détruits. Pour résoudre ce problème, il était indispen-
sable de faire une série d'expériences en introduisant les spores
dans l'organisme même, et d'y étudier l’action du sérum. En
plus, il était possible d'éliminer dans le corps de l'animal l'in-
tervention d’un des facteurs indiqués, à savoir, les leucocytes,
ce qu'on obtient en introduisant les spores protégées par une
enveloppe quelconque, qui d’une part empêche l’accès des élé-
ments cellulaires du sang, et, d'autre part, laisse librement passer
les substances dissoutes dans le plasma.
INTRODUCTION DES SPORES EN SACS EN ROSEAU DANS LA CAVITÉ PÉRITO-
NÉALE DES LAPINS
La membrane qui tapisse la cavité intérieure des roseaux
fournit un récipient très commode pour des spores, étant donné
que la diffusion s’y accomplit très suffisamment, comme nous
le montrerons plus loin. Comme lieu d'introduction on s’est
arrêté à la cavité péritonéale, vu les dimensions des sacs et les
conditions favorables à l’osmose,
La technique de préparation des sacs n’est pas bien compli-
quée. On laisse macérer pendant une heure des segments de
roseaux dans de l’eau chaude; on les taille ensuite comme un
432 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
crayon jusqu'à ce qu'on arrive à la membrane intérieure; on lie
celle-ci à l’une des extrémités, et, à l’aide d'une fine baguette
introduite dans l’intérieur du roseau, on pousse devant elle la
membrane qui apparaît à l’autre extrémité en forme de doigt.
de gant. Nous introduisions ensuite un petit tube en verre
dans une extrémité des sacs précédemment obtenus, et dans
l’autre une petite ampoule destinée à faciliter la manipula-
tion, après quoi les susdits sacs étaient fortement liés à leur par-
tie supérieure. On s'assure que le sac ainsi obtenu n’a pas de
fissures quand, plongé dans l’eau, il ne se produit pas de bulles
lorsqu'on souffle dans le sac à l’aide d’un tube. On remplissait le
sac avec 1 ou 1,5 €. c. d’eau physiologique, on le plaçait dans des
tubes à essai contenant un peu d'eau, et on chauffait le tout à
l’autoclave à 115°. Avant d'introduire le sac dans la cavité péri-
tonéale, on l'ensemençait avec une anse du mélange très riche
en spores (ce mélange était contenu dans du bouillon que l’on
diluait avec trois fois son volume d’eau stérilisée) ; après l’en-
semencement, on liait le sac avec un fil au-dessous du tube en
verre, et on plongeait les deux extrémités du sac dans du collo-
dion.
Nous pratiquions la laparatomie chez des lapins en les
endormant avec de l’éther. Après avoir enlevé les poils, nous
désinfections la peau du ventre. Disons ici une fois pour toutes
que, dans toutes nos expériences avec des animaux, nous pre-
nions toutes les précautions possibles contre l'infection. L'inci-
sion de la peau le long de la ligne blanche avait 3 à 4 centimètres,
celle du péritoine était deux fois moins longue. Nous introdui-
sions le sac dans la cavité péritonéale; quant au fil attaché à son
extrémité pourvue de l’ampoule en verre, nous le gardions entre
la première série des points de suture, pour avoir ultérieurement
un point de repère pour retrouver le sac.
Nous abandonnions le sac pendant 2, 3, 4,5,7,10 et 15 jours.
Dans les cas où les sacs restaient dans la cavité péritonéale
10 et 15 jours, nous les trouvions entourés d’une couche épaisse
de leucocytes et fort comprimés; il était même difficile de
distinguer leurs parois de la couche leucocytaire, et aussi difficile
de retrouver leur cavité. C’est pour cela que nous ne laissions
pas les sacs dans le corps plus de 7 jours. Généralement le con-
tenu des sacs, après l'extraction, était deux fois moins volumineux
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 433
que lors de leur introduction, ce qu'il faut mettre naturellement
sur le compte de la diffusion de la solution physiologique.
Après avoir retiré le sac de la cavité péritonéale, nous brü-
lions ses parois avec du fer rouge, et nous prélevions avec une
pipette son contenu; ce dernier était ordinairement trouble et ren-
fermait en suspension des flocons blanchâtres.
Le liquide ainsi obtenu nous servait pour faire une goutte
pendante, faire une série de préparations colorées, et ensemencer
un tube de gélose (avec une anse).
Nous avons pratiqué la laparotomie à 8 lapins, dont deux ont
reçu dans la cavité péritonéale un second sac après l'extraction
du premier.
Dans tous les cas, l'examen du contenu du sac en goutte
pendante a montré une grande quantité de bactéries et peu
de filaments; on voyait aussi une quantité suffisante de
spores.
Sur les préparations sèches, les bactéries se coloraient bien
avec le bleu de méthylène, et ne présentaient pas de formes
anormales. Les ensemencements du contenu du sac sur gélose
étaient toujours suivis d’une culture abondante du bacillus
subtilis.
A l’état frais, aussi bien que sur préparations colorées, on
pouvait observer un entassement de microbes en petits amas,
c’est-à-dire des phénomènes d’'agglutination.
Nos recherches montrent donc que dans le corps animal les
spores, se trouvant à l'abri des leucocytes en même temps que
sous l’influence des substances diffusibles du plasma sanguin,
ne s'arrêtent point dans leur développement, donnent des
bacilles, et ces derniers continuent à pousser dans le liquide du
sac.
LA DIFFUSION A TRAVERS LES PAROIS DE LA MEMBRANE DES ROSEAUX
Afin de savoir si la diffusion a lieu à traversles parois des sacs,
nous avons fait les expériences suivantes. Nous mettions des
sacs contenant 1,5 à 2 ce. c. de sérum normal frais dans des
tubes à essais, en les pliant préalablement en deux sous forme de
U. Ces tubes renfermaient, dans une série d'expériences, de
28
434 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l’eau physiologique ; dans une seconde série, du sérum chauffé
pendant une heure à 600; dans la troisième série, de l’eau sté-
rilisée. Les extrémités liées des sacs se trouvaient au-dessus du
niveau du liquide dans les tubes. Nous avons mis ces derniers à
l'étuve à 37° pendant 2, 3, 4, 5 jours, après quoi nous avons retiré
aseptiquement le contenu des sacs et l’avons transporté dans
d’autres tubes. Le sérum normal ainsi que le liquide qui à
diffusé étaient ensemencés avec une anse du mélange riche en
spores (bouillon dilué de trois vol. d’eau), et les liquides ainsi
ensemencés étaient mis à l’étuve pendant 24 heures. Nous en
avons prélevé de chacun d'eux une goutte, après les avoir agités
préalablement, pour en ensemencer des boîtes de Petri. Les
résultats de cette méthode sont indiqués dans les tableaux ci-des-
sous. Les liquides qui se sont diffusés mutuellement sont réunis
par une accolade :
EXPÉRIENCE A.
= QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES
| NOM DU LIQUIDE ! EVE
du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques. |
Sérum normal 1/2Rcuc: jours. 39 À
| Solution physiologique. JE Jours. Grande quantité.
Sérum normal 2 jours. 44 :
Solution physiologique. 3 Jours. Grande quantité.
Sérum normal 2 3 Jours. 340
Solution physiologique. 2 3 Jours. Grande quantité.
QUANTITE | DURÉE
NOMBRE DE COLONIES!
du liquide. ide la diffusion.
sur les pla Léna oc S.
l
1 NOM DU LIQUIDE
|
|
Sérum chauffé 2 4 jours. Grande quantité.
Sérum normal
19 4] 37
Sérum chauffé......... 1/2 4 jours.
Grande quantité.
150
Grande quantité.
Sérum normal
Sérum chauffé
6.0,
4/2 Jours.
4/2 ù jours.
OMC URI
5
|
Sérum normal. 4... DACIIC: 4 jours. 15
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 435
EXPÉRIENCE C.
QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES
At RE UETE du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques.
{ Sérum normal PIC: 2 jours. 3 EE
| Eau stérilisée 2 jours. Grande quantité.
{ Sérum normal 4/2 3 Jours. 215
| Eau stérilisée 4.1/2 3 jours. Grande quantité.
{ Sérum normal 2 5 jours. ; 610
| Eau stérilisée > Jours. Grande quantité.
Pour compléter les expériences indiquées dans le tableau C,
nous avons pris # tubes à essai, dont chacun renfermait 2 €. €.
du sérum normal frais et autant d’eau stérilisée, et nous les avons
ensemencés avec le même mélange de spores, après quoi ils ont
été mis à l’étuve pendant 24 heures. Dans chacun de ces tubes,
on a ensuite prélevé une anse de platine pour en faire des
plaques ; les deux premières plaques n’ont pas donné de colonies,
la troisième a donné 63 colonies et la quatrième 100. Il s'ensuit
donc que l'addition au sérum d'une quantité égale d’eau ne lui
enlève pas la propriété sporicide, mais l’affaiblit un peu.
En outre, nous avons plongé dans plusieurs tubes à essai,
contenant de l’eau stérilisée, des sacs renfermant du sérum
normal et pliés en deux en forme de U; nous avons mis le tout
à l’étuve à 37° pendant 2 à 6 jours; puis, après avoir retiré les
sacs, nous cherchions dans les tubes de l’albumine. Dans tous
les cas, la réaction xanthoprotéique a donné un résultat positif,
Pour nous assurer que l’albumine ne provient pas des parois
mêmes des sacs, nous avons placé, dans trois tubes à essai ren-
fermant chacun 2 ec. c. d’eau, des sacs vides, stériles: après
3, 4, 5 jours de séjour à l’étuve, la recherche de lalbumine a
donné un résultat négatif.
Les expériences que nous venons d'exposer montrent que la
substance sporicide du sérum contenu dans les sacs diminuait, et
que l’albumine passait en parte dans l’eau contenue dans le
tube à essai; tout ceci permet de conclure que la diffusion de
la substance sporicide à travers les sacs des roseaux est cer-
taine.
436 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
INJECTION DES SPORES DANS LE TISSU SOUS-CUTANÉ
Pour étudier les modifications que peuvent subir les spores”
mises directement dans le corps animal, nous avons injecté un
mélange riche en spores (en solution physiologique) dans le
tissu sous-cutané, dans la chambre antérieure de l'œil et dans
la cavité péritonéale. Nous avons injecté À à 4,5 c. c. du
mélange (200,000 à 300,000 spores) sous la peau du ventre des
lapins.
Le lendemain, la peau, au lieu d'injection, était un peu rouge
et œdématiée; ces phénomènes locaux persistaient pendant 3 à
5 jours. Nous retirions l’exsudat formé dans le tissu sous-cutané
au bout de 24, 48 et 72 heures, avec une pipette stérilisée, après
avoir brülé préalablement la peau avec un fer rouge, et nous
faisions une goutte pendante des préparations colorées (fachsine
et bleu de méthylène), et enfin nous prélevions une goutte pour
l’ensemencer sur gélose, pour nous assurer de la vitalité des
microbes retirés de l’exsudat.
Au début, nous n'avons réussi à colorer les spores, dans
les frottis provenant de l’exsudat, qu’en employant le procédé
de Müller modifié. Après la fixation de la préparation sur la
flamme d’un bec de gaz, elle était traitée pendant 10 à 12 minutes
par l’acide chromique à 5 0/0, puis lavée à l’eau; la lamelle
était ensuite mise dans la solution de fuchsine de Ziehl, chauffée
jusqu’à l’ébullition 15 à 20 minutes, puis décolorée pendant
quelques secondes dans le chlorhydrate d’aniline à 2 0/0, lavée
à l'alcool, à l’eau, puis colorée par le bleu de méthylène. La
préparation séchée était enfin incluse dans le baume de Canada.
Ce procédé donnait une coloration très belle et très nette : les
spores étaient colorées en rouge et les noyaux des leucocytes
en bleu.
En outre, nous avons essayé à plusieurs reprises le nouveau
procédé de coloration des spores proposé récemment par
M. Aladar Aueszky (Centralbl. f. Bacteriol., n° 8, 1898), qui se sert
d’une solution chaude d’acide chlorhydrique à 2 0/0 comme
mordant. Ce procédé, en dehors d’une petite économie de temps,
ne présente pas d’autres avantages et nous l’avons abandonné.
En examinant l’exsudat sur des préparations colorées, nous
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 437
avons constaté une grande quantité de spores: celles-ci se
trouvaient surtout dans l’intérieur des mononueléaires, où elles
étaient au nombre de 3 à 15 et plus, tandis que dans les polynu-
cléaires elles étaient plus rares : ordinairement on n’en ren-
contrait qu'une ou deux; en plus on voyait quelques spores
libres, en dehors des leucocytes. Dans la goutte pendante, c’est
aussi dans les leucocytes qu’on observait des spores. Nous
n'avons jamais constaté des bâtonnets, Dans l’exsudat retiré
72 heures après, il y avait très peu de spores ; au bout de 4 jours,
il n’y en avait plus du (out. Les ensemencements des gouttes
d’exsudat donnaient pendant les 3 premiers jours des cultures
pures sur gélose : au bout de 4 jours ils restaient stériles.
L'injection sous-cutanée des spores a été pratiquée sur
10 lapins: sur ce nombre, trois nous ont fourni l’exsudat, deux
fois avec un intervalle de 24 heures.
Les mêmes lapins ont reçu l’injection des spores dans {4
chambre antérieure de l'œil. La cornée était lavée à l’eau stérilisée,
puis piquée avec une pipette eflilée, dans laquelle montait une
quantité voisine de 1/6 de e. e. d'humeur aqueuse, puis nous injec-
tions, à l’aide d’une aiguille de seringue, deux à trois gouttes
(12-18000 spores) du mélange des spores. Le lendemain, la
conjonctive était rouge, la cornée légèrement trouble au voisi-
nage de la piqûre, et dans l'humeur aqueuse on voyait un petit
trouble, des dimensions d'une tête d’épingle, qui augmentait
et doublait en 3-4 jours. Les prises du liquide de la chambre
antérieure étaient faites dans les mêmes intervalles que pour
l'exsudat du tissu sous-cutané. Sur les préparations colorées,
on à pu constater que les spores se trouvaient à l’intérieur
des leucocytes, notamment des mononucléaires, très rarement
à l’état libre. L'examen en goutte pendante a confirmé les
résultats obtenus avec les préparations colorées. L'ensemen-
cement de l'humeur aqueuse sur la gélose donnait une culture
abondante et typique au bout de deux jours de séjour à l'étuve.
. Au bout de trois jours, on trouvait déjà peu de spores dans
la chambre antérieure de l'œil, et, au bout de quatre, l’on ne
pouvait plus constater la présence des spores ni par la coloration
ni par l’ensemencement. Cependant le trouble persistait dans
la chambre antérieure encore durant 10 jours et plus.
Nous avons ensemencé plusieurs fois l'humeur aqueuse
438 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
normale avec des spores du bacillus subtilis. Après 16 heures de
séjour à l’étuve, on pouvait déjà voir des bacilles mobiles ; après
28 heures, il y avait déjà un grand nombre de bacilles et les
filaments commençaient à se développer ; après 48 heures, il n°y
restait qu'une toute petite quantité de spores non transformées.
Il s'ensuit donc que l'humeur aqueuse ne possède pas in vitro de
propriétés sporicides.
INJECTION DES SPORES DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE
Nous avons injecté à plusieurs lapins 2,5 c. c. du mélange
très riche en spores daus la cavité péritonéale. L’exsudat retiré
20-22 heures après était trouble, très riche en leucocytes et en
spores; ces dernières se trouvaient le plus souvent et en grand
nombre dans l’intérieur des mononucléaires, plus rarement des
polynucléaires ; très rarement elles étaient à l’état libre. Les
mêmes résultats ont été constatés après 46 et 72 heures.
Dans l’exsudat retiré après 26 heures, 1l y avait très peu de
spores, exclusivement dans l’intérieur des leucocytes.
Cinq jours après l'injection, nous ne sommes pas parvenus à
constater des spores dans l’exsudat péritonéal à peine trouble,
ni par la coloration ni par lensemencement sur gélose, tandis
que les 4 premiers jours, l’exsudat transporté dans le tube de
gélose donnait une abondante culture du bacillus subtilis.
Des deux lapins. un a été sacrifié 5 jours, l’autre 6 jours
après l’injection intrapéritonéale des spores. Après avoir brûlé
avec un fer rouge la surface de la rate, du foie, des reins et des
poumons, nous en avons excisé des petits morceaux de un c. €.
et les avons triturés avec un peu d’eau stérilisée, et mélangés
avec de la gélose pour en faire des plaques. Tous les organes ont
donné naissance à une grande quantité de colonies. Le sang a
été stérile.
Dans toutes les expériences, qu'il s'agisse de l'injection
sous-cutanée, intrapéritonéale ou dans la ee antérieure
de l'œil, nous avons pu constater, aussitôt après l'injection des
spores, un afflux local des leucocytes, d’abord des polynu-
cléaires, puis des mononucléaires ; 24 heures après, les uns et
les autres devenaient très nombreux. Les leucocytes manifestent
vis-à-vis des spores une chimiotaxie positive, les englobent,
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 439
empêchent leur végétation, mais ne leur enlèvent pas la vitalité, ce
que nous prouvent les résultats positifs d'ensemencements. Il faut
cependant admettre que le séjour des spores dans l'intérieur des
leucocytes en affaiblit en partie la vitalité, puisqu'elles ne
donnent de cultures abondantes qu'après un séjour de deux
jours à l’étuve.
Après 3 à 5 jours, les spores disparaissent de l'endroit de
l'injection, étant transportées par les leucocytes dansles organes,
comme l’ont démontré les ensemencements de ces organes. Les
spores gardent probablement leur vitalité, grâce à leur enveloppe
qui résiste au pouvoir digestif des leucocytes. Les expériences
de Wyssokowitch et de Halban montrent que.lorsqu'on injecte des
grandes quantités de spores dans les veines, elles restent
vivantes dans le corps du lapin pendant trois mois.
Nous avons dit plus haut que, sur les préparations colorées,
nous avons pu observer des spores à l’état libre; ceci peut être
dû à des influences purement mécaniques : en retirant l’exsudat
avec une pipette et en faisant des frottis, il était très facile de
léser des leucocytes, surtout des éléments si délicats que les
mononucléaires, d'où apparition des spores à Pétat libre.
EXAMEN DU LIQUIDE D OÉDÈME
L'introduction des spores dans des sacs a démontré, comme
nous l'avons déjà dit plus haut, que les substances solubles du
plasma sanguin n’arrêtent pas le développement des spores et
ne tuent pas les bacilles; pour compléter cette expérience, nous
avons cherché à étudier l’action sur les spores du liquide d’œ-
dème, presque dépourvu d'éléments cellulaires du sang.
Nous avons déterminé l’ædème chez les lapins en posant une
rondelle du caoutchouc à la base de l'oreille. La pression exercée
par le caoutchouc ne devrait être ni trop forte, pour ne pas com-
primer l'artère, ni trop faible, pour pouvoir comprimer les veines.
Quelquefois l’on n’obtenait la pression voulue qu'après
quelques tätonnements. On retirait la rondelle après un à deux
jours, après quoi l'oreille restait œdématiée pendant quelques
heures. Nous retirions le liquide d'œdème avec une pipette.
Nous ne nous servions pour nos expériences que de liquide
absolument limpide et incolore, c’est-à-dire privé de toutes
440 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
traces de sang. (Chaque oreille ne donnait que rarement plus
de 1 c. c., le plus souvent la quantité du liquide était inférieure
à ! ec. ec.) Nous laissions le liquide pendant 2% heures, au bout
desquelles il se formait un coagulum. Le liquide ainsi obtenu
(séparé du coagulum) était distribué dans des petits tubes à
essai; nous en prélevions une goutte pour nous assurer que le
liquide était stérile; puis nous ensemencions les tubes avec
l'extrémité d’un fil de platine chargé de spores, et24 heures après
nous retirions une goutte pour préparer des plaques. Avec l’ex-
trémité de la même aiguille, nous ensemencions une quantité
correspondante du sérum normal du sang, lequel ensemence-
ment restait stérile 24 heures après.
Le liquide d’œdème, comme nous nous en sommes assuré
par des ensemencements préalables, contenait souvent des
microbes au moment où il était retiré; 1! va sans dire que nous
ne nous sommes pas servi du liquide contaminé; cette contami-
nation in situ est due à ce qu'il se forme des fissures de lépi-
derme dans les cas d’æœdème considérable, et ces fissures étaient
des portes d'entrée pour les microbes.
Le liquide d’æœdème ne manifeste pas d’action sporicide,
comme l'indique le tableau suivant.
QUENENE PPT LIQUIDE © NOMBRE DE COLONIES
d’æœdème.
0,5 c. c. 217
AOPCAC: 260
(LKSACENTES 446
Les jours suivants, le bacillus subtilis poussait dans le liquide
d’œdème aussi bien que dans du bouillon.
EXAMEN DU SÉRUM D'EXSUDAT
Nos expériences avec l'injection des spores dans la cavité
péritonéale dans des sacs, d’une part, d'autre part les résultats
obtenus avec le liquide d’œdème, confirmaient l'hypothèse que
la propriété sporicide du sérum en dehors de l'organisme est due
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 441
aux substances provenant de la destruction des leucocytes.
Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons étudié la propriété du
sérum d’un exsudat très riche en leucocytes. Nous avons injecté
à cet effet, dans la cavité péritonéale des lapins, divers liquides
capables de provoquer un afflux leucocytaire, comme bouillon
frais, solution de peptone à 1 0/0, mélange de bouillon frais
(3 c. c.) avec sérum de lapin (5 c. c.), eau physiologique ou tu-
berculine', (3 c. c.) avec de l’eau phys'ologique (7 c. e.).
Il n’était pas toujours aisé d'obtenir un exsudat abondant
et riche en leucocytes, comme en témoigne en partie la diver-
sité des liquides employés. Nous avons obtenu les meilleurs
résultats en employant le mélange du sérum et du bouillon,
et aussi le mélange de la tuberculine avec de l’eau physiologique
(0,6 0/0 NaCIÏ).
Dans un cas, ayant fait la numération des leucocytes contenus
dans 1 m. m. ce. d’exsudat, nous en avons trouvé 9,600 ; l'examen
de la préparation sèche a montré une quantité presque égale
de mononucléaires et de polynucléaires.
Nous nous sommes servi pour nos expériences d'exsudat
péritonéal retiré 20, 24 et 42 heures après l’injection. Vingt-
quatre heures après la prise de l’exsudat, celui-ci présentait
deux parties bien nettes, une constituée par les éléments figurés
et albuminoïdes, l’autre claire, représentant le sérum, que nous
transportions dans des petits tubes à essai et ensemencions
avec des spores.
De pareils ensemencements ont été faits dans des tubes
témoins, contenant du sérum normal de lapins; ce sérum a
toujours été stérile déjà au bout de 24 heures. Quant au sérum
d'exsudat, après l'avoir mis à l’étuve, nous en avons prélevé une
anse au bout de un jour, deux et trois jours, pour faire des
plaques. Quand l’exsudat élait trouble et quand lexamen
microscopique révélait une quantité considérable de leucocytes,
son sérum ensemencé avec des spores restait stérile pendant un,
deux, parfois trois jours, et ce n’est que plus tard que les bacilles
commençaient à y pousser. Ces expériences nous autorisent à
conclure que, plus l’exsudat contient de leucocytes, plus il
se rapproche par son pouvoir sporicide du sérum normal du
sang.
4. Tuberculinum Kochii, tuberculine brute.
442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
SPORES DU BACILLUS SUBTILIS ACCOUTUMÉES A SE DÉVELOPPER DANS LE
SÉRUM NORMAL
Le fait que les microbes jouissent d'une certaine plasticité,
ajouté à celui que les ensemencements abondants permettent de
résister à l’action sporicide ou bactéricide du sérum, fait espé-
rer d'obtenir, par des passages successifs, une race du bacillus
subtilis pouvant résister à la substance sporicide.
Pour ces expériences, nous nous sommes servi d'un voile d'un
mois et demi qui s'était formé sur sérum normal; ce voile-a
servi à faire une première émulsion de spores de bacillus subtilis.
Nous avons ensemencé une anse de ce mélange dans 2,5 €. c.
du sérum normal frais; le voile qui s’y est formé a servi de
semence pour un autre tube contenant 3 c. c. du sérum. De cette
facon, dans une période de 6 semaines, nous avons fait plusieurs
passages successifs des spores ; enfin, nous avons pris un peu de
la culture du dernier passage et en avons ensemencé 4 c. c. de
sérum normal fraîchement préparé; pour mettre en évidence la
différence de la nouvelle race avec la race primitive du bacillus
subtilis, nous avons pris de cette dernière une quantité corres-
pondante pour une même quantité du sérum (4 €. c.). Les deux
tubes ont été mis à l’étuve à 37° et, quelques heures après, nous
avons-pris de chacun une anse pour faire des plaques. Le tableau
suivant montre la différence d'action qu'exerce le sérum vis-à-vis
des deux races du bacillus subtilis.
NOMBRE DE COLONIES APRÈS
3 heures. 20 heures. | 48 heures.
3000
Dans le sérum ensemencéavec la nouvelle race, on constatail”
24 heures après, des petits flocons blanchâtres ; au bout de 4-5
jours, il se formait à sa surface de petits voiles qui se confon-
daient le 6-7° jour en un seul voile avec de nombreux plis.
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 443
INJECTION AUX ANIMAUX DES SPORES DE LA NOUVELLE RACE
Afin d'étudier les modifications que subiront dans le corps des
lapins les spores de la race obtenue, nous les avons injectées dans
le tissu sous-cutané, dans la cavité péritonéale et dans les veines.
Nous avons injecté sous la peau du ventre 1,5 €. e. à 2 c. c.
d’un mélange riche en spores, et préparé avec des voiles de 7 à
8 jours sur sérum normal. Une anse du mélange était, après
le chauffage, mélangée avec de la gélose qui, coulée dans une
boîte de Pétri, donnait de nombreuses colonies. Cinq heures
après l'injection à apparu une faible rougeur et de la tuméfac-
tion ; vingt heures après, ces phénomènes locaux sont devenus
plus intenses ; ils ‘ont disparu quelques jours après. L’exsudat
retiré 3, 5, 20, 40 heures du tissu sous-cutané a été au début
pauvre en leucocytes, puis il en est devenu riche; outre les poly-
nucléaires il y avait des mononucléaires. Sur les préparations
colorées, nous avons constaté beaucoup moins de spores que
lors de l'injection de la race primitive du bacillus subtilis. Les spo-
res, cette fois-ci aussi, se trouvaient à l’intérieur des leucocytes,
et exceptionnellement en dehors d'eux. Les bätonnets étaient
encore moins nombreux que les spores ; le plus souvent ils
étaient dans les leucocytes ; quelques-unsse coloraient faiblement,
ce qui indiquait une modification dans leurs propriétés vitales.
En goutte pendante, beaucoup de bâtonnets manifestaient
des mouvements assez vifs. Dans l’exsudat retiré au bout de
trois jours, il n’était pas possible de voir ni bâtonnets, ni spores.
Les ensemencements sur gélose donnaient des cultures typiques
du bacillus subtilis pendant les trois premiers jours: au delà de
trois jours, plus de cultures.
Nous avons injecté dans la cavité péritonéale 4,5 c. c. à
2,5 e. c. du mélange riche en spores. L’exsudat a été examiné
2, 3,5, 7, 22 et 24 heures après. L'examen des préparations
sèches à permis de constater un petit nombre de bâtonnets
tantôt dans les leucocytes, tantôt en dehors d’eux : quelques-uns
se coloraient mal avec le bleu; les spores, aussi peu nombreuses,
étaient exclusivement dans l’intérieur des leucocytes.
Quelquefois, à l’examen del’exsudat, l’on ne rencontrait que
des bâtonnets et point de spores,
ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
a
EC
Le
Vu le petit nombre des microbes sur les préparations, nous
avons pensé qu'ils forment des amas quelque part à la sur-
face du péritoine; un lapin a été sacrifié 4 heures après l'injec-
tion, et la surface péritonéale a été soigneusement examinée ;°
le péritoine a été trouvé uniforme dans toute son étendue, et
l’exsudat aussi uniformément trouble, sans présenter nulle part
de flocons; l’étude bactériologique n’a relevé rien de particu-
lier. Notre supposition n’a donc pas été justifiée.
Nous nous sommes proposé d'étudier si beaucoup de micro-
bes viennent de la cavité péritonéale dans des organes; à cet
effet nous avons sacrifié des lapins à différents intervalles après
l'injection, et examiné des parcelles des organes par la méthode
des plaques. Les résultats de nos expériences sont indiqués dans
le tableau suivant :
NOMBRE DE COLONIES, LES LAPINS SACRIFIÉS APRÈS
ET
ORGANES
4 jours. 5 jours. 6 jours.
L'exsudat péritonéal, retiré après 3 jours et ensemencé sur
gélose, ne donnait plus de culture; il en-résulte qu’à cette épo-
que une partie des microbes a été détruite ; une autre parue,
comme le montre le tableau, a été transportée dans les organes,
lesquels se sont montrés, dans une expérience, déjà stériles au
bout de 8 jours.
Les résultats fournis par l’examen microscopique d’exsu-
dats sous-cutané et péritonéal, diffèrent suivant que l’on a
injecté des spores de la race primitive ou celle de la nou-
velle race; dans le second cas il y avait peu de spores et on
trouvait des formes végétatives, des bâtonnets. II s’ensuit donc
IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. A45
que les spores de la nouvelle race ayant acquis la propriété de
se développer sur le sérum normal in vitro, donnent aussi, dans
le corps animal, naissance à des bacilles que les leucocytes vien-
nent englober, puis digérer; et cependant l'enveloppe des spo-
res peut probablement résister très longtemps à l’action des-
tructive des leucocytes.
INJECTION DES SPORES DANS LES VEINES
Nous avons injecté à trois lapins, dans la veine de l'oreille,
Ze. c. du mélange riche en spores.
Ils ont été sacrifiés 4, 7, 11 jours après; leurs organes ont
élé ensemencés en plaques sur gélose, et voieéi les résultats
obtenus après 2 jours du séjour à l’étuve :
NOMBRE DE COLONIES APRÈS
SR
ORGANES
4 jours. 7 jours. | 11 jours.
102
96
Le sang du cœur a été stérile dans tous les cas.
En même temps, nous avons injecté à trois autres lapins
témoins, dans la veine de l’oreille, 1 ec. c. de spores de la race
primitive ; ils ont été sacrifiés dans les mêmes intervalles que
dans l’expérience précédente. Les organes de deux premiers la-
pins ont donné de nombreuses colonies; celui qui à été tué
41 jours après l'injection a donné :
RACE Re 820 colonies.
ROSE er AT 328 —
Reine em nelene 24 —
POUMONPÉRER CEE TU
446 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il en résulte qu'après l’injection dans le sang, la majorité
des spores de la race modifiée est détruite; dans ce cas un nom-
bre considérable des spores donnent évidemment des bacilles
qui sont englobés par les leucocytes qui les détruisent.
En comparant les chiffres des colonies fournies par les or-
ganes après l'injection intraveineuse avec celles consécutives à
l'injection intrapéritonéale, nous voyons que les premières sont
supérieures aux dernières. Ce fait nous permet de croire que,
dans la cavité péritonéale, les leucocytes rencontrent des con-
ditions plus favorables à la lutte avec les bacilles que dans le
torrent sanguin et les organes parenchymateux.
En nous basant sur les expériences qui viennent d’être ex-
posées, nous pouvons formuler les conclusions suivantes :
1° Le sérum normal du lapin tue in vitro les spores du bacillus
subtulis :
2° Cette propriété du sérum est très probablement due aux
substances provenant de la destruction des leucocytes;
3° Le liquide d’œdème et l'humeur aqueuse n’empêchent pas
le développement des spores et ne tuent pas les bacilles.
4° Le sérum d’exsudats riches en leucocytes se rapproche du
sérum normal du sang en ce quiconcerne son action sur le bacillus
subtilis en dehors de l'organisme ;
5° Les substances du plasma sanguin qui diffusent à travers
les membranes du roseau n’empêchent pas le développement des
spores et ne tuent pas les bacilles dans le corps du lapin vivant;
6° Les spores du bacillus subtilis, introduites dans le corps du
lapin par différentes voies, sont englobées par les leucocytes et
arrêtées dans leur développement ;
70 Les spores de la race modifiée du bacillus subtilis, placées
dans les mêmes conditions, se développent pour la plupart, et
les bacilles auxquels elles donnent naissance sont englobés et
digérés par les leucocytes.
Nous tenons à remercier M. le professeur Metchnikoff des
nombreux conseils qu’il nous à prodigués au cours du présent
travail.
AS
DU POUVOIR PÉNÉTRANT DE L'ALDÉHYDE FORMIQUE
Par LE D' G. pe RECHTER
Professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles.
Depuis l’époque (1888) où Trillat attira l'attention du monde
savant sur les propriétés antiseptiques de la formaldéhyde, les
travaux publiés sur l'action de cet agent se sont maltipliés.
Notre but en publiant la présente note n’est pas de revenir
sur l'étude de ces propriétés aujourd'hui bien connues. Nous
nous proposons seulement de faire connaître certains faits
relatifs au pouvoir pénétrant du formol.
Jusqu'à présent, presque tous les auteurs dénient à
l’aldéhyde formique tout pouvoir de pénétration. Depuis que
Miquel (18), se basant sur ses expériences, affirma que le formol
est seulement un désinfectant des surfaces, tous les auteurs, à
peu d’exceptions près, se sont ralliés à cette manière de voir.
C’est ainsi que Vaillard et Lemoine (25) déclarent que le formol
doit être considéré « comme n’agissant que sur les souillures
superficielles, librement exposées au contact des vapeurs ».
Van Ermengen (12, et 29), Tétrop (30) vont même plus loin et
pensent que le pouvoir de pénétration du formol est incompatible
avec les lois de la Physique.
Dès 1892, Trillat (3) avait pourtant montré que des déchets
de viande fraiche, traversés par un courant d'air ayant barboté
dans une solution de formol à 5 0/0, le débarrassaient de toutes
les vapeurs d’aldéhyde qu'il avait emportées dans son passage.
Nous ne voyons pas comment pourrait s'expliquer ce phénomène,
sinon par l'absorption et partant par la pénétration du formol
dans la masse organique.
Ailleurs (33) Trillat signale que si on expose aux vapeurs
de l'aldéhyde des cylindres de gélatine teintée par la fuchsine,
on peut suivre, par le changement de coloration de cette matière
qui vire au violet sous l'influence du CH?O, la pénétration
graduelle du gaz jusque dans la profondeur.
Que deviennent dans ces circonstances les prétendues lois
448 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
physiques invoquées? Et puis, comment les concilier avec ce
qu'on sait, non seulement sur Ja pénétration des gaz dans les
corps poreux, mais sur les phénomènes d'absorption et de dif-
fusion à travers des parois pleines, gutta, caoutchouc, dans les
célèbres expériences de Graham. Nous même, en 1894 (34),
avec notre collègue et ami regretté le D' Legros, avons montré
le pouvoir de pénétration de l’anhydride sulfureux et de lacide
carbonique dans un grand nombre de corps solides.
Nous avons vu dans deux éprouvettes placées sur le mercure
etcontenantune certaine quantité de gaz Pictet(CO0*et SO*), une
mince feuille de caoutchouc enroulée sur elle-même absorber
les gaz à peu près totalement.
Nous avons essayé les substances les plus diverses. Celles
que nous devons citer en toute première ligne sont : la laine, le
lin, la gélatine, le papier. Ces substances, aussitôt introduites
dans la cloche de gaz, produisaient une ascension du mercure
vraiment curieuse, à cause de la rapidité du phénomène, et l’on
pouvait, au simple toucher, rien qu’en tenant le tube entre les
doigts, percevoir manifestement un dégagement de chaleur.
Dans ces quatre expériences, la presque totalité du mélange
gazeux (25 ou 30 c. c.) était absorbée, la totalité peut-être pour
certaines, car la bulle gazeuse qui demeurait à la partie supé-
rieure de la cloche pouvait n'être qu’un peu d’air laissé lors du
remplissage par le mercure, ou introduit en même temps que les
fragments divers dans leurs plis et leurs anfractuosités.
Pour d’autres substances, le phénomène fut moins marqué;
c’est ainsi que nous pümes établir une échelle décroissante de
l'intensité de l'absorption, qui est la suivante. (Notons que le
volume des substances introduites était sensiblement le même
pour toutes, et égal environ à 1 c. €.)
L’absorption se fait, pour la laine et le lin, la plus rapide et
la plus complète. Puis viennent : gélatine, caoutchouc, soie, papier
à filtrer blanc et gris, papier à écrire ordinaire blanc et glacé, bois,
Cuir, Corne, SUif.
Le liège, l’amadou, l'éponge, le bitume de Judée sont de
moins en moins actifs. Le coton dégraissé (ouate hydrophile), la
gomme arabique, la colophane, la craie ne font pas s'élever le
niveau du mercure de la moindre quantité appréciable.
Nous inspirant de ces expériences, nous avons cherché à
4
POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL,. 449
établir par des procédés analogues le pouvoir de pénétration de
l'aldéhyde formique à l’état gazeux et sec.
Malheureusement il n’est pas possible d’expérimenter sur du
formol gazeux pur: dans ces conditions, le corps se polymérise
immédiatement, se transformant en trioxyméthylène solide, —
L'état gazeux ne peut être maintenu que par mélange, avec une
quantité relativement considérable d'air atmosphérique, de
vapeurs d’aldéhyde formiques obtenues dans un état de séche-
resse suffisant en chauffant modérément un mélange d’aldéhyde
et de chlorure de calcium (formochlorol de Trillat), ou bien en
distillant à feu doux du trioxyméthylène, soit seul, soit en
présence d’un acide (suivant l'indication de Freundler) (35).
Nous avons pu constater une absorptionévidente de l'aldéhyde
par des fragments de substance musculaire, de substance
osseuse, d'ivoire, de peau fraîche ou tannée, de graisse, de
corne, en un mot de tous les tissus animaux. De même la
laine, le drap, les tissus de coton, les étotfes de soie, louate, le
papier, la gélatine, le liège, font monter le mercure. A remar-
quer toutelois que le papier à filtrer et l’ouate hydrophile,
presque exclusivement formés de cellulose, ne montrent pour le
gaz qu'une avidité très faible. Le caoutchouc, que nous avons vu
si avide d’anhydride sulfureux, ne semble pas absorber du tout
le formol.
Les réactions chimiques qui se passent, comme l’a indiqué
Trillat, entre l'aldéhyde formique et les albuminoïdes (albumines
diverses, gélatine, ete.) peuvent, jusqu'à un certain point, expli-
quer l'absorption du produit gazeux par les tissus organiques,
mais nous pensons que, même dans ces cas, intervient un pro-
cessus physique, qui, seul, peut être invoqué quand il s’agit de
substance ne réagissant pas chimiquement sur le formol.
Le fait nous est démontré par l'exhalation prolongée à l'air
de vapeurs de formol, décelables par lodorat, par des fragments
de peau fraiche ou tannée, saturés par une exposition suffisante
au produit gazeux. Une autre preuve est l'expérience suivante :
nous renversions une éprouvelte sur la cuve à mercure, nous
y introduisions de l'air, puis nous amenions dans cette atmo-
sphère un fragment de peau de chamois fortement imprégné
d’aldéhyde formique gazeuse : nous constations que l'évaporation
de l’aldéhyde amenait une légère dépression du mercure. C’est
29
450 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
pourquoi nous pensons, comme nous l'avons dit en 189% à la
suite de Reychler (36) à propos de l’anhydride sulfureux, qu'il
y a ici, abstraction faite des réactions chimiques, une véritable
« dissolution » d’un gaz par les solides, cette dissolution se
faisant suivant une loi analogue à la loi de Henry et Dalton pour
la dissolution des gaz dans les liquides.
Cette conception du mode de pénétration de certains gaz dans
certains solides et particulièrement de laldéhyde formique
sazeuse dans les tissus animaux, devait nous amener à admettre
qu'en maintenant pendant un temps suffisant un cadavre d’ani-
mal ou d'homme dans une atmosphère saturée de formol d’une
manière permanente, le gaz antiseptique devait pénétrer jusque
dans la profondeur de la masse, et dans un état de condensa-
tion relatif qui favoriserait l’action antiseptique du produit.
Les faits ont démontré que nos conjectures étaient justifiées.
— En collaboration avec notre frère, l'ingénieur F. de Rechter,
nous avons étudié et fait exécuter un appareil nous permettant
de réaliser des conditions d’expérimentation convenables pour
le but poursuivi. — L'appareil, que nous avons déjà décrit
ailleurs (38) et que représente notre figure 1, est essentiellement
eomposé de deux chambres, l’une, chambre d'exposition dans
laquelle on introduit le cadavre à conserver ; l’autre, chambre
d'évaporation, dans laquelle se produit lévaporation intensive
du formol grâce à la grande surface sur laquelle est répartie
sa solution. L'ensemble de l'appareil est absolument hermé-
tique.
La dissolution aqueuse de formol que nous employons (solu-
lion concentrée du commerce à 40 0/0) est versée dans les deux
récipients qui se trouvent au-dessus de la chambre d’évapora-
tion; ces récipients, construits sur le type des graisseurs auto-
matiques de machines, ont un débit réglable, ils fonctionnent
comme des flacons de Mariotte ; leur contenu n’est en rapport
avec l'air extérieur que par un tout petit pertuis, ce qui nous
met pratiquement à l'abri de l’appauvrissement par évaporation
de notre réserve.
La formaline, débitée par les récipients réglables, est distri-
buée par un système de conduits, placés à l’intérieur de la cham-
bre d’évaporation, sur une série de mèches suspendues vertica-
lement de telle sorte que nous obtenons le maximum de surface
POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 451
d'évaporation possible pour le minimum de substance employée.
La chambre d’évaporation communique largement par sa
partie inférieure et d’une façon directe avec la chambre d’ex-
position; par sa partie supérieure, elle communique aussi avec
cette chambre, par l'intermédiaire du chenal indiqué à la partie
supérieure de la figure et qui débouche à l'extrémité opposée de
la chambre d'exposition.
Enfin un ventilateur placé dans le chenal et mu, dans le type
représenté dans la figure, par une petite dynamo, détermine une
cireulation permanente de l'atmosphère intérieure de l'appareil,
de la chambre d’évaporation à la chambre d'exposition et vice-
versa. Cette circulation permanente de l'air active fortement l’é-
vaporation du formol. Grâce à ce dispositif, nous maintenons
constamment l’air à l’état de saturation, car tandis qu'il tend à
s’appauvrir en aldéhyde au contact du corps exposé, en raison
des phénomènes d'absorption, il vient constamment s'enrichir
au contact des mèches dans la chambre d’évaporation. Un
litre de formaline suffit pour traiter complètement un cadavre
humain.
452 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans cet appareil, nous pouvons conserver indéfiniment des
cadavres d'animaux ou d’hommes sans aucune putréfaction. —
Si la décomposition a commencé avant l'introduction du cadavre
dans l’appareil, la décomposition est enrayée. De plus, quand le *
Fig.2:
cadavre a séjourné dans l'appareil pendant un temps suffisant
pour que l'aldéhyde qui a pénétré toute la masse soit entrée en
combinaison chimique avec les composés organiques des tissus,
ceux-ci sont devenus imputrescibles, et le cadavre peut se con-
Fig. 3.
server indéfiniment à l'air. Les organes internes, les viscères,
conservent néanmoins leur consistance, leur coloration et leur
aspect normaux. Si le cadavre d’un animal ainsi traité est ex-
posé à l'air, écorché et ouvert, si le local où on le conserve est
sec, les organes et tissus exposés à l’évaporation se dessèchent,
se racornissent.
POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL, 453
La figure 2 représente l’état actuel du cadavre d’un petit chien
qui, tué le #octobre 1897, c’est-à-direil y a cinqmois, a été mis dans
un petit appareil d'essai le 5 octobre ; 1l y a séjourné jusqu’au
18 octobre; il est resté depuis exposé à l’air et est toujours intact.
La figure 3 représente l’état actuel du cadavre d'un grand
chien de 30 kilos tué le 8 janvier 1898; il a été introduit dans
Fig. 5.
l'appareil décrit ci-dessus 48 heures après la mort. Il en a été
retiré le 5 février, soit 4 semaines après. Depuis lors il est resté
exposé à l'air, il est loujours intact.
La figure 4 représente le cadavre de S. D..., femme âgée de
454 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
48 ans, morte d’éthylisme le 7 février, à 3 heures du matin; la
photographie à été faite immédiatement avant l'introduction du
cadavre dans l'appareil, soit le 8 février, à 6 heures 1/2 du soir.
Le ventre commençait à se ballonner et présentait déjà à sa par-
tie inférieure des taches cadavériques, la décomposition était
donc manifestement commencée. (Il est d’ailleurs connu qu’elle
se produit très rapidement chez les alcoolisés.)
La figure 5 représente le même cadavre au moment du
défournement qui a eu lieu le 8 mars, soit 1 mois après le décès.
On peut constater que le ventre s’est affaissé et que le cadavre
est absolument intact *.
Mais peut-être ces faits pourraient-ils ne pas être considérés
comme suffisamment coneluants pour les esprits prévenus. En
voici d’autres qui, eroyons-nous, démontreront d’une façon irré-
futable le réel pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique.
L. Notre collègue M. le P' Coremans a mis dans notre appa-
reil d'essai le cadavre d’un cobaye mort du charbon. Le cadavre
était ouvert. Six heures après ilfut retiréet M. Coremans, parexa-
men direct, ensemencements et inoculations, put vérifier la des-
truction complète des bactéridies charbonneuses. De même un
cadavre fermé fut stérilisé en 4 jours.
IL. M. Guérin, assistant du D' Calmette de l’Institut Pasteur
de Lille, à la demande de celui-ci eten vue de contrôler les résul-
tats précédents, mit au mois de septembre dernier, dans le même
appareil, un cadavre de cobaye charbonneux non ouvert. Le cada-
vre resta soumis aux vapeurs d’aldéhyde formique pendant quatre
jours. Par l'examen direct du sang du cœur et par des ensemence-
ments, on constatala destructiondes bactéridiesetde leursspores.
IT, En janvier 1898, M. Coremans introduisit dans le même
appareil le cadavre d’un cobaye mort de morve inoculée. Le
cadavre fut exposé aux vapeurs de formol pendant 4 jours. A
l’autopsie on constata que tout l'organisme de l’animal était farci
de nodules morveux. Un cobaye neuf inoculé avec la pulpe d'un
nodule de la rate, c’est-à-dire siégeant dans un organe profond,
ne ressentit aucun malaise : il y avait destruction du bacillus
mallei.
4. L'autopsie de ce cadavre a été pratiquée le 23 mars, les organes internes
étaient dans un parfait état de conservation ; le 18 juin, moment où nous rédi-
geons cette note, le corps est toujours intact.
POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 455
IV. Le 21 avril 1898, nous mettons dans le grand appareil un
poumon de vache pommelière. Nous recueillons dans la masse
de la matière tuberculeuse au bout de 24 heures, et nous inocu-
lons un cobaye sous la peau : le cobaye devient tuberculeux. De
même les inoculations faites à des cobayes avec de la matière
recueillie après 48 heures de séjour dans l'appareil donnent la
tuberculose.
La matière tuberculeuse, recueillie après 72 heures de séjour
dans l'appareil, inoculée à un cobaye, a donné un résultat dou-
teux. Le 14 mai, l’animalinjecté est sacrifié; ilprésente, comme
seule manifestation, une légère augmentation du volume du gan-
glion précrural : l'injection avait été faite sous la peau de la
cuisse. Après 4 jours d'exposition à l'atmosphère de l'appareil, la
stérilisation du poumon malade était complète ; deux cobayes ino-
culés ont été sacrifiés 3 semaines après l'inoculation et à l’au-
topsie ils ne présentaient aucune trace de tuberculose.
V. De même nous avons cherché à stériliser 3 cadavres
de cobayes tuberculeux. L'un resta 2 jours dans l'appareil, Le
deuxième # jours, le troisième 6 jours. Nous avons pu constater
que les cadavres n'ayant séjourné que 2 et # jours dans l’appa-
reil n'étaient pas stérilisés.
Nous pûmes le démontrer par l'inoculation à des cobayes
d'une émulsion des masses tuberculeuses de la rate de ces ani-
maux. Les résultats de ces inoculations furent positifs. Au con-
traire, l'emploi du même procédé de vérification nous permet
d'affirmer la stérilisation du cadavre traité dans l’appareil pen-
dant 6 jours.
Si la première série d'expériences démontre déjà à l'évidence
la pénétration des vapeurs du formol dans toute l'épaisseur des
cadavres, la seconde série démontre que la conséquence de
cette pénétration consiste non seulement en une stérilisation des
milieux organiques et en une action empêchante de l’évolution
des germes, notamment des microbes de l'intestin que Malvoz
(39) considère comme les agents les plus puissants de la décompo-
sition cadavérique, mais qu’en outre il y a action microbicide,
même pour les microbes sporulés comme la bactéridie charbon-
neuse.
De tous ces faits nous croyons être autorisé à conclure que
l’aldéhyde formique gazeuse, contrairement à ce qui a été
456 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
affirmé, possède un pouvoir pénétrant très considérable, si l’on
sait se placer dans des conditions qui favorisent ce pouvoir péné-
trant.
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gique, 1898.
SUR LA CONSERVATION DU BACILLE TYPRIQUE DANS LE CIDRE
Par M. ze Dr E. BODIN
Professeur suppléant à l'Ecole de médecine de Rennes.
Dans cette note je me propose de résumer diverses expériences
que je viens de faire relativement à la vitalité et à la conserva-
tion du bacille typhique dans le cidre. Cette question mérite
qu'on s’y arrête tout particulièrement en raison de la consomma-
‘tion considérable du cidre, surtout dans le nord-ouest de: la
France où, dans beaucoup de contrées, il forme la boisson ordi-
naire de la majeure partie de la population ‘. J'ajouterai que
c’est un point spécial de l'hygiène qui n’a point été jusqu'ici
étudié sérieusement *.
Il faut d’ailleurs, pour traiter complètement le sujet, Le divi-
ser, car 1l est double :
1° Lorsque l’on fabrique du cidre en se servant d'eaux conta-
minées par le bacille typhique, cette bactérie persiste-t-elle dans
la liqueur après la fermentation *?
1. À Rennes, dont la population est de 80,000 habitants environ, la consom-
mation du cidre s'élève à 267,662 hectolitres en moyenne par an, soit plus de
3 hectolitres par habitant.
2, En 1897 M. Vigot, de Caen, a fait sur la conservation du bacille d'Eberth
dans le cidre une série d'expériences. Mais, outre que ce travail laisse sans les
combler une série de lacunes importantes, la technique que M. Vigot a employee
dans ses recherches n’est pas suffisamment rigoureuse pour que ses conclusions
soient admises sans contrôle. Ainsi M. Vigot, ayant ensemencé des échantillons
de cidre avec du bacille d'Eberth, recherche ensuite le bacille dans ces échantil-
lons à l’aide du microscope et de la méthode de Gram (moyen infaillible pour
reconnaitre le bacille d’'Eberth, nous dit-il), et aussi par l'inoculation intrapérito-
néale du cidre aux cobayes. Ceci se passe de commentaires, et me semble tout
aussi illusoire que de vouloir rechercher le bacille de la fièvre typhoïde dans
une analyse d'eaux par l'examen microscopique du liquide ou par l’inoculation
de quelques centimètres cubes d'eaux dans le péritoine d’un cobaye.
3. Dans les campagnes bretonnes, un usage fréquent est de prendre pour la
fabrication du cidre l’eau des mares souillée par toutes les déjections des habi-
tants et des animaux des fermes; car chez les paysans, il est de tradition que ces
eaux favorisent la fermentation du cidre.
PE PPS RS RE EE EE ous ét RARE
BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 459
2 Si l’on ajoute au cidre fermenté de l’eau contenant du
bacille d'Eberth, ce microbe peut-il pulluler ou se conserver
vivant pendant un certain temps dans le liquide.
A priori rien ne dit que l'acte de la fermentation soit favo-
rable ou défavorable à la vitalité du bacille. C’est à l'expérience
à prononcer; je n'insisterai donc pas sur ce premier poiñt, que
je me réserve de reprendre à l’époque de l’année où se fabrique
le cidre.
Reste la seconde partie de la question, celle qui a trait à
l'addition d'eaux contaminées au cidre fermenté, et ce n’est pas,
je crois, la moins importante, car le mouillage des cidres est une
opération habituelle parfois pour la vente en gros et surtout dans
la vente au détail (bien que dans certaines villes les arrètés
municipaux, exigeant un degré déterminé d'alcool pour les
cidres, en aient diminué la fréquence).
En soi cette opération du mouillage est une fraude, mais ne
présente pas d'inconvénients au point de vue de l'hygiène.
Seulement, par suite de ce fait qu’elle constitue une fraude, elle
se pratique non pas avec l’eau des fontaines publiques, mais
plus discrètement, avec l’eau du puits situé derrière la maison,
recevant l’égout des cours et situé à proximité des fosses d'ai-
sances.
Or, tous ces puits sont contaminés par le bacille d’'Eberth et
par le Bacterium coli commune, ainsi que j'ai pu m'en rendre
compte l’année dernière par plusieurs analyses des eaux de
puits prélevées dans diverses parties de la ville et des fau-
bourgs.
Au point de vue hygiénique, il devient d'importance majeure
de savoir d’une manière précise si le bacille introduit dans le
cidre y pullule ou s’y conserve pendant une période plus ou
moins longue, au cours de laquelle l’ingestion de cette boisson
pourrait déterminer l'apparition de la fièvre typhoïde.
Voici quels sont les résultats des expériences que j'ai faites
à ce sujet : :
1. Dans toutes ces expériences, la technique que j'ai employée est la sui-
vante : le cidre, filtré au filtre Chamberland et reçu dans des matras stérilisés,
était laissé à la température du laboratoire. Les échantillons de 500 c. c. chacun
ont tous été ensemencés avec 10 gouttes d’une culture de bacille d'Eberth sur
bouillon de 2 ou 3 jours.
Pour la recherche ultérieure du bacille, je prélevais dans les échantillons
50 c. c. environ, pour les ensemencer par 2 c. c. sur des matras de bouillon. Le
460 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
1° Cidres purs ensemencés avec le bacille d'Eberth *.
Désignation des Titre en Acidité par litre Examen après
échantillons. alcool pour 100. (en acide malique). l’'ensemencement.
2 h. après. 12 h. aprés.
A 3.52 3,4 5
B 3,89 5 21
C 4,92 5.4 PA
Un 4° échantillon (D), üitrant 3,92 0/0 en alcool et 5 grammes
d’acidité par litre (en acide malique), a été ensemencé, après
filtration préalable au filtre Chamberland, avec une dose mas-
sive de culture de bacille d'Eberth sur bouillon (3-4 €. c.), et,
dans cet échantillon, j'ai pratiqué des numérations successives
des bacilles, afin de mieux me rendre compte de la rapidité de
leur disparition. Ces numérations m'ont donné les chiffres sui-
vants :
Nombre de bacilles typhiques par
centimètre cube.
Au moment de l’ensemencement.............. 1,250,000
2Aheures aprés ee Dee Eee 91,400
48 ) DU RE RENE PSP A ONE 1,300
60 » DD TE dE EU ee Li Re te PE Test 0
On voit, par ces numérations, que la destruction du bacille
a été très rapide dans cet échantillon pendant les premières
24 heures. Ensuite, les germes ont disparu plus lentement.
D'ailleurs, il n'y à pas d’analogie complète entre ce qui s'est
passé dans cette expérience et ce qui à lieu dans la réalité, où
une infection aussi intense du cidre est pour ainsi dire irréali-
sable.
Une seconde série d'examens a porté sur des cidres étendus
d'eau.
20 Cidres étendus d'eau et ensemencés avec le bacille
à Eberth.
bouillon était rendu légérement alcalin avec de la soude, de façon que la petite
quantité d'acide ajoutée au bouillon avec les 2 c. c. de cidre ensemencés se
trouve ainsi neutralisée et ne puisse nuire en rien à la culture du bacille.
Dans les matras de bouillon où la culture a été positive, le bacille a été exa-
miné, et je me suis assuré qu'il s'agissait bien, dans ces cultures, du bacille
d’Eberth par les caractères suivants : mobilité extrême du bacille, décoloration
par la mélhode de Gram, culture classique sur gélatine, culture non apparente
sur pomme de terre, non fermentation du bouillon lactosé, absence de coagula-
tion du lait, pas de production d'indol.
1. Dans le résumé de ces expériences, le signe + indique la persistance du
bacille et le signe — la disparition de ce bacille.
BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 461
Désignation Titre en Acidité par Examen des
des alcool 1 litre (en acide échantllons après
échantillons. pour 100. malique). l'eosemencement.
2 h. après. 18 h. après,
E étendu de 1/2 d'eau. 4,125 5 —
F étendu de 1/2 d'eau. 4,35 ol + _
G étendu de 1/3 d'eau, 4,225 2,6 + _
H étendu de 1/3 d'eau. 3,92 3,4 +- =
Nous arrivons ainsi à celte conclusion que le bacille typhique
ne se développe en aucune façon dans le cidre fermenté pur ou
étendu de 1/2 ou de 1/3 d'eau, et qu'il y disparait même assez
rapidement, puisque après l'ensemencement, au bout de 2 heures
au minimum et de 18 heures au maximum, tous nos échantil-
lons sont restés stériles.
Cette première série d'expériences m'a toul naturellement
conduit à rechercher à quel facteur il faut surtout imputer cette
destruction du bacille d'Eberth dans le cidre; et d’abord, j'ai
éliminé la richesse en alcool de la liqueur, car, dans les échan-
tillons les plus alcooliques, le bacille n'a pas disparu plus vite
que dans les autres.
Puis j'ai constaté, dans des matras de bouillon, qu'il faut
une proportion d'alcool atteignant 7 0/0 pour arrêter la culture,
proportion élevée à laquelle n'atteignent que rarement nos
cidres bretons, dont la richesse en alcool oscille entre # et 6 0/0.
Par contre, l'acidité m'a immédiatement paru jouer un rôle
important dans la stérilisation du liquide; aussi ai-je recherché
quelle était l'influence de l'acide malique (qui représente la ma-
jeure partie des acides du cidre) sur le microbe.
Dans les bouillons acidifiés à l'acide malique, la culture du
bacille typhique se développe facilement jusqu'à 1 gramme
pour 1,000 d'acide malique; à 18,50 0/00, elle est très lente,
très pauvre, et ne se développe, à l'étuve à 37°, qu'au bout de
3 jours environ. Enfin, lorsque la quantité d'acide malique
atteint 2 0/00, il n’y à plus aucune culture et la destruction du
bacille est même rapide. En effet, si lon sème ce bacille sur un
matras de bouillon titrant 2 0/00 d'acide malique, puis si on
neutralise ce bouillon et si on le porte à l’étuve au bout de
24 heures, il reste absolument stérile.
Ces faits nous expliquent parfaitement la rapidité avec
4. Le titre en alcool et l'acidité indiqués ici sont ceux des échantillons avaaut
le mouillage.
462 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
laquelle le bacille typhique à été détruit dans les échantillons
de cidre que nous avons examinés et pour lesquels lacidité, en
acide malique, était dans tous les cas supérieure à 2 0/00 ou
voisine de ce chiffre.
Afin de mieux préciser ce rôle des acides dans le cidre lui-
même, j'ai pris alors des échantillons de cette boisson auxquels
j'ai ajouté une quantité plus ou moins grande de soude pour y
faire varier l'acidité. L’ensemencement de ces échantillons a été
pratiqué avec le bacille d'Eberth, comme je l'ai indiqué précé-
demment, et l'examen ultérieur du liquide m'a conduit aux
résultats que je résume dans le tableau ci-dessous :
Désignation Titre en Acidité par Examen des échantillons après
des alcool litre en l'ensemencement.
échantillons. pour 100. acide malique. 24 h. après. 3° jour. 4e jour. 20e jour.
l 4,125 neutre. + + _ +
J 3,92 =:10:90 + + —
K 3,92 1,8 DE
De toutes ces expériences, une nolion se dégage : l'acidité
du cidre fermenté entraîne la destruction rapide du bacille
typhique introduit dans cette boisson, pourvu que celte aci-
dité atteigne 2 grammes par litre en acide malique.
Toutefois, malgré la rapidité de la disparition du microbe,
la liqueur reste encore dangereuse pendant 18 heures environ.
C'est-à-dire que dans la journée qui suit l'addition d'eau conta-
minée au cidre, l’ingestion de cette boisson peut déterminer la
lièvre typhoïde. Et c’est peut-être à cette cause qu'il faut ratta-
cher les cas de lièvre typhoïde isolés que nous observons sou-
vent à l’'Hôtel-Dieu de Rennes, et pour lesquels l’origine hydrique
ne peut être retrouvée.
Au point de vue de l'hygiène, il y a par suite le plus grand
intérêt à répandre celte notion que le mouillage du cidre peut
ètre dangereux s'il n’est pas pratiqué avec des eaux pures.
L'idéal serait de renoncer au mouillage. On supprimerait ainsi
du mème coup un danger et une fraude.
Il reste maintenant à examiner cette question de l'acidité
des cidres et à savoir s'ils présentent habituellement la propor-
tion d'acide qui assure la destruction du bacille.
Pour obtenir des renseignements précis à ce sujet, je ne pou-
vais mieux faire que de m'adresser à M. Lechartier, doyen de la
BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 463
Faculté des sciences, et directeur de la station agronomique de
Rennes, dont la haute compétence en la matière est bien connue,
et que je tiens à remercier ici de son obligeance.
Lesanalyses de M. Lechartier", portant sur les cidres bretons,
montrent que l'acidité y varie entre 2,42 et # grammes 0/00
en acide sulfurique monohydraté*, chiffres plus élevés que
l’on ne pourrait le supposer tout d'abord, parce que l’on
pense généralement que l'acidité du eidre lui donne un goût
désagréable ; mais si l’on veut bien se reporter aux examens
pratiqués à la station agronomique de Rennes, on verra qu'il
faut dépasser 4 0/00 d’acidité, en acide sulfurique, pour que la
saveur acide soit perceptible et encore jusqu'à 4,59 0/00 cette
saveur n'est-elle pas désagréable.
Voici, d'autre part, le résumé des analyses de M. Kayser,
faites sur les cidres de toutes provenances primés à l'Exposition
de 1888.
Désignation des Acides Acides Acidité totale (en acide
cidres. volatils. fixes. sulfurique) pour 1,000
Cidres normands (9 échant.). 0,72 0,98 1,70
Cidres bretons (10 échant.). 1,38 1,16 9,54
Divers (4 échant.). 0,7 1,23 1,98
Toutes ces analyses concordent pour établir qu'il existe
dans le cidre fermenté, mème après le mouillage qui ne peut
dépasser une certaine limite, une quantité d'acide plus considé-
rable que celle que nous avons démontré être suffisante pour
stériliser la liqueur dans un certain nombre d'heures.
Mais, dira-t-on, cette quantité d'acide ne varie-t-elle point,
et un cidre n'est-il pas plus ou moins acide suivant son âge? Est-
elle la mème pour les cidres vieux?
Sous ce rapport, lorsque l’on étudie les moûts destinés à la
fabrication du cidre, on voit qu'ils sont, pour des raisons qui
restent à trouver, plus acides que les cidres qui en proviennent.
Cette perte des acides du moût peut aller jusqu’à 40 0/0 du
poids de l'acide malique préexistant (Kulisch) et même #4 0/0
4. G. LecaarTier, De l’acidité des pommes, des moüûts et des cidres. Bulletin
de l'Association pomologique de l'Ouest, t. XIII, p. 99.
2. Dans ces analyses, l'acidité est exprimée en acide sulfurique monohydraté;
afin de la comparer avec l'acidité en acide malique des cidres que j'ai examinés,
il suffit de se rappeler que { gramme d'acide sulfurique correspond à 1:,36 d'acide
malique.
464 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(Lechartier). Mais cette diminution de l'acidité primitive se
trouve en partie compensée par la production des acides nor-
maux de la fermentation alcoolique.
De la sorte, l'acidité totale baisse toujours un peu quand on
s'éloigne de l’époque de la fermentation".
Dans les expériences que j'ai faites, les cidres que j'avais à ma
disposition étaient déjà vieux, l'acidité élevée qu’ils possédaient
doit done être considérée comme un minimum, puisqu'elle
s’abaisse toujours après la fermentation, et par suite ces cidres
ont toujours contenu (même après mouillage) une proportion
d'acide assurant la destruction du bacille tyÿphique dans le laps
de temps que j'ai indiqué précédemment.
CONCLUSIONS
{9 Le bacille typhique introduit dans le cidre y est détruit
dans un laps de temps qui va de la 2° à fa 18° heure après la
contamination du liquide ;
20 Cette destruction du bacille d’'Eberth est surtout due à
l'acidité du cidre, et se produit toujours dans le temps que je
viens d'indiquer, pourvu que lacidité de la liqueur soit de
2 grammes 0/00 (en acide malique). Au-dessous de ce chiffre, le
bacille peut persister dans le cidre 3 à 4 jours si l'acidité est
de 0,8 à 1 0/00 (en acide malique) et plus de 20 jours si le liquide
est neutre ;
3° Les cidres de toutes provenances possèdent ordinairement,
depuis la fermentation jusqu'au moment où ils sont consommés,
une acidilé supérieure à 2 0/00 (en acide malique) ; par suite, le
bacille typhique qui pourrait y être introduit ne peut y per-
sister que pendant 18 heures environ. Dans le cas où le mouillage
a causé la contamination du cidre par le bacille typhique, cette
boisson est donc, pendant la journée qui suit lPaddition d’eau,
susceptible de déterminer Ia fièvre typhoïde au même titre que
l'ingestion d'eaux infectées par le bacille d’'Eberth.
1. Bien entendu, nous exceptons ici les cidres malades atteints par la maladie
de l'acescence ; dans ce cas, la quantité d'acide acétique croit rapidement en
proportions anormales,
0]
SUR L'EMMUNITÉ NATURELLE DES ORGANISMES MONOCELLULAIRES
CONTRE LES TOXINES
Par O. GENGOU.
Il ne manque pas d'exemples d'immunité naturelle, observés
chez des groupes d'animaux très divers, à l'égard de substances
toxiques, microbiennes ou autres. Telle est, par exemple, celle
des serpents ou des scorpions vis-à-vis de leur propre venin, celle
de certains mammifères, ainsi que l’a montré Calmette, vis-à-vis
du venin de serpent, celle que M. Vaillard à trouvée à la poule
vis-à-vis de la toxine tétanique, etc.
Je ne veux pas faire 1e1 le relevé de toutes les publications
écrites sur ce sujet; il est d’ailleurs donné par Metschnikoff dans
son beau travail sur l’Immunité ‘. Dans tous les ouvrages qu'il
cite, comme dans tous ceux que j'ai parcourus, je n’ai nulle part
vu mentionnée l’action que pourraient avoir des {toxines bacté-
riennes sur des organismes tout à fait inférieurs, tels que des
animaux monocellulaires. Sur les conseils de MM. Firket et
Malvoz, j'ai entrepris quelques expériences dont les résultats,
pour négatifs qu'ils soient en général, sont intéressants au point
de vue de l'immunité comparée.
Je me suis servi du Paramecium aurelit, infusoire que Je
cultivais dans une simple macération de foin, dans laquelle sa
multiplication est très rapide. Je dois à la bienveillance de M. le
Dr Calmette, directeur de l’Institut Pasteur de Lille, d’avoir pu
expérimenter une toxine diphtérique capable de tuer un cobaye
à la dose de 1/30 de €. c., et une toxine tétanique produisant le
même effet à la dose de 1/300 de c. ce.
Dans toutes mes expériences, j'ai {enu mes infusoires au
contact de la toxine, dans des verres de montre contenant beau-
coup de liquide, placés en chambre humide, les cultures en
1. Merscanikorr, /nmunilat. Handbuch der Hygiene, 9 B1 1897.
30
466 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
goutte pendante ayant l'inconvénient de mettre trop peu de
liquide nutritif à la disposition de l’infusoire.
Pour me mettre en garde contre une fausse interprétation
des faits, j'ai d'abord recherché quelle était l’action du bouillon
de veau ordinaire ou neutralisé par HCI, et plus ou moins dilué,
sur le Paramecium d’une macération de foin. Voici une des nom-
breuses séries d'expériences que j'ai faites : les proportions de
bouillon et de macération sont indiquées dans la première
colonne.
Bouillon naturel. Bouillon neutralisé.
4 2 mort en 11 minutes 7 minutes.
1 € 46 — 2h,17 —
4 4 1h,6 — 2h,3 —
il 5 3h,5 — dh,5 _
1 6 4h ,47 — 8h 27 _
14: 9h, 32 — 15h,30 —
ANS O0 161,20 — 24h —
A0 45 24h 1 — 9908 —
10:20 36h _ 48h —
Mes survieindéfinie : survie indéfinie.
145:230 — —
1. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées.
Ce tableau montre que le Paramecium ne supporte pas une dose
de 1 de bouillon ordinaire pour 20 de macération; à cette dose, la
mort survient après un délai maximum de 2 jours; parfois cepen-
dant quelques infusoires ont supporté des doses de 1 pour 15. Ce
fait n’a rien d'étonnant, étant donné les différences considérables
qui existent entre le bouillon de veau et le milieu naturel de
l'infusoire. On voit aussi que la réaction du bouillon n’a qu’un
rôle un peu effacé, et que ce n’est pas le passage d’un milieu
neutre, comme une infusion fraîche de foin, dans un milieu
alcalin, tel que le bouillon, qui détermine la mort du Paramecium.
Si donc les toxines tétanique ou diphtéritique ont une action sur
ce dernier, ce n’est pas à leur caractère alcalin qu’elles le
devront.
Cela posé, j'ai successivement expérimenté ces deux toxines.
Étant donné l'identité des résultats auxquels ces expériences
m'ont conduit, je puis résumer dans un seul tableau l’action de
l’une et l’autre de ces substances : la première colonne donne
les rapports entre les volumes de toxine et de macération.
MICROBES ET TOXINES. 467
Toxine diphtérique. Toxine tétanique.
{ 3 mort en minutes D minutes.
1 3 44 — 40 —
I 4 {1h 925 — 1h 37 —
! ù 4h ,20 1 4h 2 ms
1006 7h — 7h,22 —
AE re 16h20 — 16h 5 —
47410 27h — 30h —
: MMA 3 jours ! 2 jours et 1/2!
D0:120; 25,30 survie indéfinie. survie indéfinie.
4. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées.
Il résulte de là qu’on peut faire agir sur des infusoires des
doses de 1 pour 25 et 1 pour 20 de toxine diphtéritique ou téta-
nique, sans que la mort survienne ; celle-ci n’est guère assurée
qu’à la dose de 1 pour 15.
Si l’on rapproche cette dose de celle qu'il suffit d'employer,
quand il s’agit du bouillon ordinaire où du bouillon neutre, il
est de toute évidence que, dans les deux cas, la mort est due
aux principes organiques ou salins du bouillon, milieu anormal
pour l’infusoire, et que les toxines diphtéritique et tétanique
n’ont absolument aucune influence nocive sur le Paramecium
aurelia. Nous sommes loin ici de la dose minime de toxine
reconnue mortelle pour le cobaye.
J'ai constaté, dans toutes ces expériences, ainsi du reste que
le montrent les tableaux précédents, que la forme normale de
l'infusoire était toujours plus sensible à l’action du bouillon et
des toxines que les formes dégénérées, c’est-à-dire les formes
plus petites qui résultent toujours de la multiplication par
division des infusoires lorsqu'ils arrivent à la fin de leur cycle
évolutif. Tandis que dans le bouillon, de même que dans les
toxines, la première mourait en 2 jours à des doses variant
de 1 pour 20 à 1 pour 15, les secondes continuaient parfaite-
ment à vivre dans du foin contenant À pour 15 et même 1 pour
14 de bouillon ou de toxine, pendant plusieurs jours.
Non seulement les toxines en expérimentation n’empêchent
pas la conservation du Paramecium, mais elles lui permettent
mème de se multiplier, ainsi qu’il découle des faits suivants :
2 Infusoires dans du foin contenant 1 de tox. diphtér. pour 30: après
4 jour en donnent 6.
A68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
2 de ceux-ci, placés dans du foin contenant 4 pour 25 de tox. diphtér.
après un jour, en donnent 3.
Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 4 pour 20 de tox. diphtér.
morts après trois jours.
2 Infusoires sont placés dans du foin contenant 1 pour 30 de tox. tétan. ;
après À jour on en trouve ».
Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 1 pour 25 de tox. tétan. :
ils continuent à vivre sans se multiplier.
2 d'entre eux sont placés dans du foin contenant 1 pour 28 de tox. tétan.;
après À jour, morts sans multiplication,
“…
.
-
w
Des doses de toxine de 1 pour 30 et même de À pour 25 per-
mettent donc la multiplication de l’infusoire ; elle est cependant
moins rapide que dans du foin normal. Ici encore, les formes
dégénérées se sont montrées plus résistantes que les formes
normales; elles se multiplient admirablement à la dose de
À pour 15.
Mais si les toxines diphtéritique et tétanique n’ont aucune
action nocive sur la Paramécie, exercent-elles, à de faibles
doses, une action attractive sur elle?
Je me suis servi, pour observer ce fait, de tubes capillaires,
dont je remplissais, par aspiration, la première moitié, d’une
culture de Paramecies et l’autre moitié de la solution de toxine.
Quelle que soit la dose employée de cette dernière, jamais Je
n'ai vu l’infusoire spécialement attiré par la solution de toxine
el s’y cantonner; au contraire, il voyageait uniformément dans
tout le tube.
En résumé, les toxines tétanique et diphtéritique n'ont
aucune action attractive pour les infusoires, telsique le Para-
mecium aurelia, et ne sont nullement toxiques pour lui.
Le sérum antidiphtérique, quelle que soit la dose employée,
n’a jamais donné une plus forte résistance à l’Infusoire vis-à-
vis de la toxine.
J'ai fait des expériences du même ordre avec des levures.
J'ai employé le Saccharomyces cerevisiæ, la levure du vin de Huy,
et une levure qui avait été isolée des fausses membranes
relirées de fa bouche d’un enfant atteint d’angine diphtéritique.
Toutes trois m'ont donné les mêmes résultats. Ces trois levures
étaient cultivées soit en eau de touraillon sucrée, soit sur géla-
üne à l’eau de malt. L'observation microscopique étant plus
facile pour les milieux liquides, je me suis servi de gouttes
MICROBES ET TOXINES. 469
pendantes, placées à une température uniforme de 21° C.
J'ai pu constater que, même à des doses de 1 pour 2, c’est-
à-dire dans un mélange de une goutte d’eau de touraillon sucrée
pour une goutte de toxine pure, il y avait non seulement con-
servation, mais multiplication des levures. A cette dose
de 1 pour 2, la multiplication était cependant réduite au quart
environ de ce qu’elle est dans l’eau de touraillon ordinaire:
mais, en employant des doses un peu plus faibles, telles que
1 pour 8 à 1 pour 10, je retrouvais rapidement le pouvoir nor-
mal de multiplication. Une goutte pendante contenant 1 pour 8
de toxine tétanique, par exemple, et 5 à 6 cellules de levure, en
renfermait des quantités innombrables après 3 à 4 jours.
En comparaison avec cette immunité naturelle des infusoires
et des levures pour les toxines diphtéritique et tétanique, je
citerai les expériences suivantes dans lesquelles j'ai recherché
l’action du nitrile malonique sur le même Paramecium.
Doses de nitrile malonique.
De 1 p.2 à 1 p. 60 mort avant un jour.
De 1 p. 70 à 1 p. 900 mort entre À et 2 jours.
De 1 p. 900 à 4 p. 1050 après 2 jours.
De 1 p. 1200 survie indéfinie.
Il faut donc descendre, pour permettre à l’infusoire de vivre
en contact avec cette substance, à une dose infime (1 pour 1200).
Il m'a paru intéressant de rechercher si l’hyposulfite de soude
exerçait une action curative vis-à-vis du Paramecium, comme il
en exerce une chez les animaux supérieurs’. Dans le tableau
suivant, j'ai consigné quelques-uns des résultats auxquels j'ai
été conduit :
Nitrile malon. Hypos. de soude.
1 p. 1,000 4 p. 100 Les formes normales succombent après
4 jours.
Les formes dégénérées survivent après
7 jours.
1 p. 750 1 p. 70 Les formes normales succombent en par-
tie après 4 jours.
Les autres et les formes dégénérées sur-
vivent après 7 jours.
1. HEeywaxs, Annales Pasteur, 1897.
470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans les cas qui précèdent, j'avais en même temps fait agir
nitrile et hyposulfite. Dans d’autres cas, j'ai fait agir le second
un certain temps seulement après le premier. C'est ainsi que.
2 infusoires que j'avais placés pendant 2 jours dans une solution
de nitrile malonique à 4 pour 900, furent mis alors en contact
avec une solution d'hyposulfite à 1 pour 90, la mort survint néan-
moins 1 jour après.
Dans tous les essais faits avec des doses plus ou moins fortes
d'hyposulfite de soude, l’action de ce dernier a toujours été
incertaine. Elle l'était néanmoins beaucoup moins pour les formes
dégénérées que pour les formes normales du Paramecium.
Je crois pouvoir conclure de tout ce qui précède à l’immunité
naturelle complète des infusoires et des levures à l'égard des
toxines diphtérique et télanique, ainsi qu'à l’absence de toute
chimiotaxie positive ou négative de ces dernières sur ces orga-
nismes.
Je crois pouvoir admettre, d'autre part, que cette immunité
naturelle des organismes monocellulaires vis-à-vis des toxines
diphtéritique et tétanique constitue un argument de plus en faveur
de la théorie d’après laquelle limmunité naturelle des animaux
supérieurs résulterait d’une insensibilité de la cellule vivante vis-
à-vis des poisons. Pour ces organismes, en effet, 1l ne peut être
question ni d’un pouvoir autitoxique du sang, ni d’ane élimination
rapide des toxines injectées, puisque ces organismes se meuvent
dans le milieu toxique et sont par conséquent toujours en
contact avec lui. Il ne peut donc s'agir ici que de lPimmunité
«<histogène », ainsi que l'appelle Behring. Peut-être les cellules
des animaux supérieurs, naturellement immunisés, jouissent-
elles, vis-à-vis des toxines, de propriétés semblables à celles des
organismes monocellulaires.
Liége (Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie), juin 1893.
REVUES ET ANALYSES
DE SSP NTI N OTEOES
Il serait impossible de faire ici un exposé complet de tous les tra-
vaux écrits dans ces dernières années sur la chimie des albuminoïdes.
Impossible par faute d’espace et par manque de cohésion, car dans ce
domaine scientifique naissent journellement des œuvres à doctrines
et méthodes si nombreuses et si différentes que les faire tenir toutes ou
presque toutes dans une seule revue aurait pour premier résultat de
rendre cette revue trop indigeste pour qu’elle restât intéres-
sante. Je me suis donc borné à signaler quelques points de vue, quelques
directions et quelques travaux, ne prétendant aucunement épuiser la
littérature même sur ces sujets plus spéciaux, voulant indiquer avant
tout qu'en cette question si complexe de la chimie des albumi-
noïdes la science, si elle ne marche pas vite, progresse néanmoins.
Le point de départ de tout travail de chimie sur une albumine
quelconque devrait être, théoriquement, une substance chimiquement
pure.
Quiconque a dans sa vie préparé une de ces substances sait com-
bien est difficile la solution de ce premier problème. Le moyen qui
offrait le plus de garanties était à coup sûr la cristallisation. Diverses
tentatives heureuses dans cette direction avaient été accomplies de
longue date par Maschke, Schmiedeberg, Drechsel, Grubler, etc. Ces
savants avaient fait cristalliser les globulines que l’on trouve dans cer-
taines graines végétales, globulines se distinguant précisément par
une grande facilité de cristallisation, soit seules, soit en combinaison
avec différents métaux.
Ces essais ont été renouvelés en 1893 par Osborne‘ qui obtint des
cristaux de diverses globulines retirées des graines de la noix de Para,
du chanvre, du ricin, de la courge, du lin et de l’avoine. Il réussit ces
cristallisations, soit par le refroidissement de solutions faites à chaud
dans l’eau salée, soit par la dialyse de ces solutions salines.
Hofmeister ?, en 14890, était déjà arrivé, en suivant la méthode de
4. American Chemical Journal, tome XIV. — Maly’s Jahresbericht f. Thier-
chemie, 1895.
2, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd. XIV-XVI.
472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Grübler, à faire cristalliser l’albumine du blanc d'œuf. Il dissolvait
l’albumine débarrassée de la globuline dans des solutions à demi-satu-
rées de sulfate d’ammoniaque, et les laissait s’évaporer lentement. Au.
bout d’un certain temps se déposent dans ces conditions des sphères
transparentes ou des agrégats de sphères qui représentent bientôt la
presque totalité de Falbumine dissoute. Ce dépôt, soumis trois ou quatre
foisau mêmetraitement, se transformeinsensiblement; à côté dessphères
apparaissent des aiguilles fines isolées ou groupées en sphérolithes. Et
si l’on opère avec précaution, l’albumine se transforme bientôt presque
toute en aiguilles ou lamelles cristallines. Pour se débarrasser des
eaux-mères, Hofmeister essore à la trompe, puis reprend la masse
cristalline par l'alcool absolu, qui coagule l’albumine et permet l'éloi-
gnement des derniers restants de sel par un lavage à l’eau. Ainsi
coagulés et purifiés, les cristaux d’albumine n'ont guère changé
d'aspect. Ces résultats d'Hofmeister ont été vérifiés par différents
auteurs. Un travail très soigneux de Bondzynsky et Zoja ‘ leur donne
pleine confirmation tout en les complétant. Ces derniers auteurs, par
des ceristallisations fractionnées, ont pu séparer plusieurs produits
cristallisés, dont les différences de composition centésimale sont telle-
ment faibles qu’elles rentrent dans les limites d'erreur possible. Au
contraire, ces fractions présentent des différences assez considérables
dans deux de leurs constantes physiques, le point de coagulation et le
pouvoir rotatoire. Ces données confirment l’opinion des auteurs qui, en
se basant sur les coagulations successives du blanc d'œuf par la chaleur,
ont admis que l’albumine de l'œuf n’est pas un individu chimique,
mais un mélange. Mais l’albumine de l’œuf n’est pas restée la seule
albumine animale dont on réussit la cristailisation. Bramwell et Paton *
ont décrit une albumine cristallisant spontanément dans une urine
pathologique. Gürber, puis Michel et Gürber # ont pu, par un procédé
peu différent de celui de Hofmeister, faire cristalliser l'albumine du
sérum de cheval, et l'ont obtenue en beaux prismes hexagonaux, sur-
montés d’une pyramide à six pans. Moraczewsky‘ prétend avoir
obtenu des cristaux d’une combinaison de caséine avec le phosphate
de magnésium. Il est curieux de remarquer que, à l'exception de Hof-
meister, qui dit avoir préparé des cristaux d’albumine ne laissant
aucune cendre à la combustion, les différents auteurs qui se sont occu-
pés de l'obtention d’albumines cristallisées ont toujours obtenu des
quantités assez notabies de matière minérale après incinération, ce
1. Zeitschrift {. physiologische Chemie, Bd. XIX.
2. Reports from the Laboratory of the Royal College of Physicians Edin-
burgh, vol. IV, 1892.
3. Maly's Jahresbericht [. Thier-chemie, 1895.
4. Zeitschrift f. physiol. Chemie, XXI.
REVUES ET ANALYSES. 413
qu'ils expliquent, non par un manque de pureté, mais en admettant la
combinaison de l’albumine avec différents sels minéraux. Dans ces
dernières années, divers auteurs ont encore affirmé avoir obtenu soit
des albumoses, soit des peptones à l’état de poudres cristallines, mais
sans donner de description précise des cristaux qu’ils auraient obtenus.
Il est donc établi aujourd’hui, de façon définitive, qu'albumines et
globulines, tant animales que végétales, possèdent, comme beaucoup
d’autres substances, un état cristalloïde à côté du colloïde. Cette con-
statation a son importance, car si une solution aqueuse d’albumine est
capable de déposer des cristaux, on est en droit de la considérer
comme une solution vraie, et non comme une sorte d’émulsion ou de
gelée liquide. On pourra donc faire légitimement sur elle les opéra-
tions pratiquées sur les solutions salines vraies, l'utiliser par exemple
à la détermination cryoscopique de la grandeur moléculaire de l’albu-
mine. On s’est posé la question de savoir si l’albumine ordinaire avait
la même grandeur moléculaire que l’albumine cristallisée, et l’idée a
été émise que cette dernière était une dépolymérisation de la pre-
mière. Les raisons invoquées, telles que les filtrations beaucoup plus
rapides des solutions d’albumine cristallisée, l’espèce d'entraînement
qu'il faut faire subir à l’albumine amorphe pourl’amener à la cristalli-
sation franche, peuvent s’expliquer aussi par la présence d’impuretés,
et jusqu’à présent l’idée manque de base certaine.
Au point de vue de l'obtention de produits purs, les résultats
obtenus jusqu'’aujourd’hui sont faits pour engager dans la même voie
ceux qui veulent aborder l'étude chimique d’une albumine quelconque ;
car ce mode de préparation, quand il est possible, offre incomparable-
ment plus de garanties de pureté que les dissolutions et précipitations,
auxquelles on recourt habituellement. Il serait à souhaiter que l’on
attachât grande importance à l’état de pureté absolue de la substance
à étudier, de façon à éviter le plus possible les résultats approximatifs,
suite nécessaire d'un point de départ incomplètement défini.
*
# *#
Pour étudier la structure chimique des albuminoïdes, le chimiste
possède ses deux moyens habituels : la synthèse et l’analyse. Je ne
dirai rien des essais de synthèse, faits dans ces dernières années. Les
substances préparées de toutes pièces par divers auteurs n’avaient
avec l’albumine que des rapports éloignés et toujours incomplets.
L'analyse de l’albumine a été tentée par les moyens chimiques
violents, tels que l’action des bases et des acides forts, et par les
moyens moins énergiques que nous fournissent les fermentations,
tant par microorganismes que par enzymes. À priori, c'est aux seconds
474 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
qu'il faut donner la préférence, car, pour arriver à la connaissance de
molécules aussi énormes que celle des albuminoïdes par létude des
fragments qu’elles fournissent sous l'influence d’agents divers, il faut
que les morceaux obtenus soient encore assez volumineux pour qu’on
puisse leur assigner une localisation sûre, dans le grand complexe.
La reconstruction d’une statue au moyen de ses débris n’est guère
possible, si ces derniers ne sont plus qu’un gravier menu, dont les
parcelles n’ont gardé dans leur forme rien qui indiquât les rapports
primitifs.
Sous ce rapport, les diastases protéolyliques ont donc un grand
avantage, car ordinairement leur action est plus lente et moins pro-
fonde que celle des moyens chimiques ordinaires. Quant aux ferments
vivants, outre que leur action est souvent plus profonde, elle se com-
plique souvent de procédures synthétiques, dont il peut être très
difficile de faire la part exacte.
Un grand progrès dans l'étude des transformations des albumi-
noïdes, par les ferments protéolytiques, date des travaux de Kühne et
de ses élèves Chittenden et Neumeister. Il est utile, je crois, d’ébau-
cher dans ses grands traits la conception que s'est faite Kühne
de la digestion des albuminoïdes, avant d’en arriver aux travaux plus
récents sur la matière.
Quand on place, dans un suc gastrique artificiel, de la fibrine ou
du blanc d’œuf coagulé, il y a dissolution lente de l’albumine solide,
avec transformation de ses propriétés physiques et chimiques.
On distinguait, depuis les travaux de Meisner, divers produits de
transformation.
Ce chimiste avait montré que la simple neutralisation du liquide
résultant d’une digestion pepsique récente suffisait pour précipiter
une partie des produits solubles : c’était la parapeptone.
Le liquide filtré contenait un corps albuminoïde, soluble dans l'eau
et les solutions acides, alcalines et salines, non précipitable par la cha-
leur : la peptone. En réalité, les transformations sont beaucoup plus
complexes, et différentes dans les digestions pepsique et pancréatique.
Tout d’abord, si la digestion n'est pas trop rapide, et si l’albumine
n’est pas fortement coagulée, il peut y avoir, au début des digestions
pepsique! et trypsique?, une simple dissolution du coagulum sans
transformation chimique appréciable. L'albumine ou la globuline
passent en solution en conservant leurs propriétés *, notamment celles
d’être coagulées par la chaleur. Voyons maintenant comment se pro-
. HaseBrock, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XI.
. HERMANN, Zandbuch f. Physiol.
. Arraus Et Huser, Archives de Physiologie, XXN.
O2 NO
REVUES ET ANALYSES. 475
duit la protéolyse dans la digestion pepsique considérée spécialement.
L’albumine prend tout d’abord les caractères que lui donnent les
acides minéraux dilués agissant seuls; elle perd sa coagulabilité par la
chaleur, elle est précipitée de ses solutions par la neutralisation de
celles-ci. Ainsi transformée, l’albumine est devenue la parapeptone de
Meisner, la syntonine ou acidalbumine de Kühne. La syntonine
disparaît bientôt dans le liquide de digestion. Elle s’est transformée
en peptone vraie de Meisner. D’après Kühne, la transformation est
complexe, et il y a lieu, pour la comprendre, de tâcher d'isoler, par
des précipitations fractionnées au moyen de sels minéraux, les diffé-
rents produits qui ont pu prendre naissance. Il établit une première sub-
division entre les corps précipitables par le sulfate d’ammoniaque saturé
à chaud, en solution successivement neutre, acide et alcaline, et ceux
qui restent dissous après ce traitement. Ces derniers sont les peptones
vraies. Les autres sont les albumoses. Mais ces albumoses redissoutes
dans l’eau se laissent encore différencier en primaires et secondaires.
Les premières sont précipitées de leurs solutions : partiellement, par
l'acide nitrique ou par la saturation au moyen de chlorure de sodium;
complètement, moyennant certaines précautions ', par les sels de
cuivre, sulfate, acétate. Ces divers agents n'ont aucune action sur les
deutéro-albumoses. Ces dernières se précipitent partiellement de leurs
solutions saturées de chlorure de sodium, quand on les acidule par les
acides acétique ou nitrique.
Elles ne sont complètement précipitées que par le sulfate d’ammo-
niaque. Parmi les albumoses primaires s'établit une nouvelle différen-
ciation entre protalbumoses et hétéroalbumoses, les premières solubles
dans l’eau pure, les secondes exigeant, pour se dissoudre, une certaine
quantité de sels minéraux. Leur séparation se fait en soumettant à la
dialyse une solution saline d’un mélange d’albumoses primaires. L'hé-
téroalbumose se précipite, la protalbumose reste en solution. Kühne a
encore proposé les noms de dysalbumose. d'acro-albumose, pour des
variétés se distinguant par des caractères de solubilité peu importants
et dont la situation et la signification sont moins étudiées. D’après
une série de dosages faits à différents moments de la digestion, Kühne
admet que la syntonine, sous l’action de la pepsine, serait transformée
en un mélange d’albumoses primaires, celles-ci étant irréductibles
entre elles, se produisant simultanément et non consécutivement l’une à
l’autre aux dépens de parties différentes de la molécule albuminoïde, Cette
opinion se base sur le fait que la protalbumose, soumise à la digestion
pancréatique, fournit des produits de décomposition analogues à ceux
de l'hétéroalbumose, mais en proportions différentes. Ces deux albu-
1. Fou, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XXY.
476 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
moses, par l’action ultérieure du sue gastrique, donnent par hydrata-
tion une deutéro-albumose, de sorte que la deutéro-albumose, isolée des
produits de la digestion globale, serait, en réalité, un mélange de la
deutéro-albumose dérivée de la protalbumose et de celle dérivée de
l’hétéroalbumose. Par hydratation plus profonde, les deutéro-albu-
moses fourniraient la peptone définitive. Là s’arrête, d’après Kühne,
l’action des sucs pepsiques, naturel et artificiel, incapables tous deux
de scinder la molécule de peptone.
Si nous examinons maintenant les actions du suc pancréatique,
nous voyons que les premiers produits d'hydrolyse sont ici les deu-
téro-albumoses, se formant directement aux dépens des albuminesnatu-
relles, sans qu’il soit possible de décéler les albumoses primaires. Les
deutéro-albumoses subissent ultérieurement la transformation en
peptones. Mais là ne s'arrête pas l’action de la trypsine. Elle attaque
une partie de la peptone et laisse intacte l’autre. Nous aurons à reve-
nir plus tard sur les produits de désintégration de la peptone, parmi
lesquels figurent les acides amidés. Ici nousinsisterons sur ce fait que,
d’après les vues de Kïühne, peptone pancréatique et peptone gastrique
sont deux composés différents, la peptone gastrique ou amphopep-
tone étant le mélange de deux substances, dont l’une, l’hémipeptone,
est détruite par le suc pancréatique, tandis que l’autre, l’antipeptone,
lui résiste indéfiniment. L'antipeptone, attaquée par les acides forts ou
les bases à l’ébullition, fournit d’une manière générale les mêmes pro-
duits de décomposition que l’hémipeptone. Kühne admet dans la molé-
cule albuminoïde l’existence de deux proupes : le groupe hémi et le
groupe anti, différents par leur résistance vis-à-vis des agents hydro-
lysants.
Cette conception, à laquelle Kühne est arrivé par l’étude de la
digestion par les diastases, se trouve appuyée par l'observation
antérieure de Schützenberger, que les acides minéraux attaquent rapi-
dement une partie de l’albumine coagulée de l’œuf, en laissant intact
un résidu qu'il appelait hémiprotéine.
Cette hémiprotéine a reçu de Kühne le nom d’antialbumide, et il
fut constaté par ce savant qu’elle se transforme intégralement en
antipeptone par l’action du suc pancréatique, sans production d’acides
amidés.
L'action du suc pancréatique, comme celle des agents chimiques,
mène donc à la conception de deux groupes, le groupe hémi et le
groupe anti. Plus haut il a été dit que la digestion pepsique fournit
deux albumoses primaires, correspondant aussi à des groupes préfor-
més dans la molécule albuminoïde. Quels sont les rapports entre ces
deux ordres de données? Kühne, se basant sur les résultats de la diges-
tion trypsique de la protalbumose et de l’hétéroalbumose, croit que
REVUES ET ANALYSES. 477
toutes deux contiennent en mème temps le groupe anti et le groupe
hémi, la protalbumose étant surtout riche en hémi; l’hétéroalbumose,
fournissant surtout de l’antipeptone, serait constituée en bonne partie
par le radical correspondant.
Nous voyons donc apparaitre, parmi ces produits de la digestion
autrefois confondus sous le nom de peptone, une série de différencia-
tions, qui sont de haute importance si elles répondent à la réalité des
faits. Mais une objection se présente rapidement : on s’est demandé,
et c'est là un problème d’ordre général dans l'étude des albumines,
Jusqu'à quel point les résultats fournis par la précipitation au moyen
des sels minéraux peuvent servir comme base de différenciation entre
plusieurs albuminoïdes. Les lecteurs de cette revue se rappelleront
suffisamment les critiques et les travaux de Duclaux ‘ sur ce sujet, pour
que j insiste sur P’importance de l’objection. Elle a d'autant plus besoin
d’être examinée dans le cas présent que différents auteurs, parmi les-
quels Herth, Hamburger *, ont soutenu que les diverses hémialbu-
moses de Kühne et de Chittenden ne sont qu’un seul et même corps,
précipité en fractions successives par le traitement qui sert à la diffé-
renciation des albumoses. Plus récemment, Stokvis’ dénie toute
signification chimique précise au mot peptone, et en fait l'étiquette
d’un produit commercial.
À ces objections, Kühne a opposé plusieurs arguments. Il prétend
d’abord que, en réalité, la résistance de plus en plus forte qu'opposent
les différents produits de la digestion à la précipitation par les sels
minéraux est en rapport étroit avec leur grandeur moléculaire, et a par
conséquent sa base dans leur nature chimique.
Et il appuie cette assertion sur l’étude des pouvoirs osmotiques des
différentes albumoses ‘.
Après 24 heures de dialyse dans un courant d’eau, l'hétéroalbu-
mose avait perdu par diffusion en solution alcaline 5,2 0/0, tandis
qu’en solution acide ou saline, la perte était insignifiante. La protal-
bumose en solution aqueuse donnait une perte de 19 0/0, en solution
chlorhydrique faible, 28,3 0/0; la deutéroalbumose dans l’eau, 40 0/0;
en solution chlorhydrique, 24, 10/0. Pour autant qu’on puisse tabler sur
des chiffres accusant d’aussi fortes différences suivant les conditions
de expérience, des trois albumoses l’hétéroalbumose a de beaucoup la
molécule la plus grosse : viennent ensuite en ordre de décroissance la
deutéroalbumose et la protalbumose. Ce qu’il y a d’intéressant dans
1. Annales de l'Institut Pasteur, À, 4892, p. 499, 274, 369, 657, 584,854. À, 4895,
p. 51.
Malyÿ's Jahresbericht für Thier-chemie, 1884, p. 18; 1886, p. 20.
. Gentralblatt für Physiologie, Bd. VI, p. 43.
. Zeilschrift für Biologie, B. XXIX.
& C2 ©
478 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l'expérience, c’est que la deutéroalbumose doit être considérée, d’après
Kühne, comme le mélange des deux albumoses secondaires provenant
par hydratation des deux albumoses primaires. Or ce mélange se
trouve être composé de molécules en moyenne plus grosses que la
molécule d’une des albumoses primaires dont il dérive, de la protalbu-
mose. La contradiction apparente se comprend si l’on admet avec
Kühne que la deutéroalbumose provenant de l’hétéroalbumose possède
une molécule plus volumineuse que la protalbumose,
Des résultats concordant absolument avec ceux de Kühne ont été
obtenus par une voie toute différente. Sabanejeff' ayant déterminé
l’abaissement du point de congélation de l’eau par l’albumine de l’œuf
et ses dérivés, arrive, en appliquant la formule de Raoult, aux grandeurs
moléculaires suivantes : 15,000 pour l’albumine, 2,400 pour la pro-
talbumose, 3,200 pour la deutéroalbumose, environ 400 pour la
peptone. Nous voyons ici encore que le mélange des deux deutéroalbu-
moses possède une moyenne moléculaire plus forte que la grandeur
de la molécule de protalbumose.
Ces chiffres sont à rapprocher de ceux obtenus par Sjüqvist* dans
ses études sur la conductibilité électrique de solutions 1/20 normales
d'acide chlorhydrique, additionnées de quantités connues d’albumine ou
d’albumose.
L’addition de ces corps a pour effet une diminution de la conducti-
bilité, parallèle à la saturation de l’électrolyte HClpar le non électrolyte
albumine, diminution aboutissant à un minimum correspondant à la
neutralisation de l'acide par la base organique. D'où la possibilité
théorique de déterminer l’équivalent chimique de lalbumine. Dans
les recherches de Sjüqvist, l'albumine aurait ‘pour équivalent 800, le
mélange des albumoses qui constitue la peptone de Witte 600, la pep-
tone vraie de Kühne (préparée par digestion trypsique prolongée de la
fibrine) 250.
Paol # et Siegfried *, ayant déterminé par la méthode de Raoult le
poids moléculaire de la peptone vraie,sont arrivés le premier au poids
moléculaire de 203-243, le second de 257, et ils considèrent tous deux
la molécule comme monovalente dans sa combinaison avec les acides.
Ces résultats sont donc en accord complet avec ceux de Sjüqvist.
Ils s’éloignent davantage de ceux de Sabanejeff. Il est d’ailleurs
probable que ces premières données seront encore modifiées avant
qu'on puisse les considérer comme solidement établies. Mais l’ensemble
4. Chemisches Centralblatt, 1891 et 1893.
2, Scandinav. Archiv. f. Physiol. V, p. 227, d’après Centralblatt f. Physiologie,
1895, p. 460. ;
3. Berichte d. Deutsch. chemischen gesellschafft, Bd. 27,
4. Archiv, f. Anatomie und Physiologie ; Phys. Abtheil., 1894,
|
|
REVUES ET ANALYSES. 479
des résultats acquis plaide fortement, comme on le voit, en faveur
de l'hypothèse de Kühne, qui fait de la peptone vraie, non précipitable
par le sulfate d’ammoniaque, l’aboutissant ultime d'une série de scis-
sions moléculaires opérées par les sucs digestifs, et dont les termes de
passage seraient les diverses albumoses.
Une autre preuveen faveur de l’existence et de l’importance de ces
différents produits de la digestion des albuminoïdes nous est donnée,
d'après Kühne et Chittenden, par la constance de leur apparition.
Quelle que soit Palbumine qui serve de point de départ, que l'on ait
eu recours à la fibrine, à la globuline du sang, à la myosine, à l’albu-
mine de l’œuf, aux globulines cristallisées végétales, toujours on
pourra isoler, par les mêmes procédés, les mêmes albumoses et les
mêmes peptones, se caractérisant par les mêmes propriétés essentielles,
ne conservant de leurs origines différentes que quelques particularités
de peu d'importance.
Si d’autre part, à l'exemple de Pick', on tâche d'isoler les divers
produits que contient un milieu de digestion artificielle, non plus
d’après les procédés de Kühne, mais par la précipitation fractionnée
au moyen de quantités de plus en plus fortes de sulfate d’ammonia-
que, on obtient, pour une concentration correspondant à la demi-
saturation, un précipité dont les propriétés sont celles d’un mélange
des deux albumoses primaires. Par des concentrations correspondant
au 2/3 de saturation, à la saturation complète en solution neutre, à
la saturation complète en solution acide, se produisent trois précipités
dont les propriétés sont très peu différentes entre elles et sont celles
du mélange des deutéro-albumoses de Kühne.
Au point de vue plus strictement chimique, c’est-à-dire envisagées
dans leur composition centésimale et dans leur façon de se comporter
vis-à-vis des réactifs ordinaires des substances albuminoïdes, les
albumoses se différencient très peu entre elles, et elles ont conservé
d'autre part les propriétés et la composition des albuminoïdes. Au
contraire, les peptones s’en écartent assez fortement. Leur composi-
tion centésimale n'est pas encore exactement connue, les résultats
d'analyse variant suivant les auteurs. Ce désaccord tient entre autres
motifs aux grandes difficultés de préparation qui résultent, et de
l'hygroscopicité excessive de ces corps, et de leur combinaison facile
avec les acides, les bases, voire même Palcool*. Quant à leurs pro-
priétés chimiques, il s'en faut également de beaucoup qu’on soit
d'accord à leur sujet. Un premier point qu’il serait très important de
fixer de façon définitive, c’est leur teneur en soufre. Tandis que Neu-
À, Zeitschrift für Physiologische Chimie, Bd. XXIV.
2. Paur, Loc. citato.
480 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
meister n’admet pas de peptone absolument dépourvue de soufre,
d’autres auteurs tels que Siegfried ‘, Schroetter ? sont d’un avis opposé,
et font de cette non-existence du soufre dans la molécule des peptones
une différence essentielle entre peptones et albumoses. Faut-il voir la
raison de ce désaccord dans la propriété, observée par Siegfried, que
posséderait la peptone de pouvoir se combiner à l’acide sulfhydrique
en solution aqueuse pour donner des composés sulfurés? Un fait en
tout cas certain, c’est, d’après les analyses de Kühne, le peu de cons-
tance de la quantité toujourstrès faible de soufre que contientlapeptone,
de 0,3 0/0 à 0,7 0/0. Dans sa facon, de se comporter vis-à-vis des réac-
tifs ordinaires des matières albuminoïdes, la peptone diffère également,
en plus d’un point, des albumines et des albumoses. Je ne dirai rien des
réactions de précipitation, sans leur nier cependant toute importance,
surtout quand les différences portent non sur une seule d’entre elles, mais
sur un ensemble. Seulement ici encore il y a désaccord entre les
divers auteurs. Un point admis par Kühne, Siegfried, Pick, etc.,
c’est l'absence de réaction {vis-à-vis du réactif de Millon, correspon-
dant, d’après Kühne et Siegfried, à l’absence de la tyrosine parmi
les produits de décomposition de l’antipeptone. Pick «4 également
noté le manque de la réaction de Molisch, c’est-à-dire le manque
de coloration violette par l'acide sulfurique et le naphtol, réaction
qui appartient aux hydrates de carbone etaux albumines et albumoses *
et serait due, en ce qui concerne ces derniers corps, à l’existence
dans leur molécule d’un chaïnon d’hydrate de carbone qui, sous
l'action de l’acide sulfurique, donne du furfurol *.
Cet ensemble de données de différentes natures semble suffisant
pour admettre avec Kühne une différenciation chimique certaine
entre albumines, albumoses et peptones. Et nos connaissances sur
les albuminoïdes auraient à gagner beaucoup à l'étude de ces
différents composés. On peut donc dire que l’étude de la digestion des
albumines par les enzymes est, à l'heure actuelle, grossière-
ment ébauchée, et que la chimie des albumines aura tout à gagner de
fulures recherches méthodiques et patientes faites dans cette direc-
tion.
Dr P. Norr.
|. SieGrrtep, Loco citato.
2, Scuroerrer, Monatshefte f. Chemie.
3. Seecen, Journal für Thier-chemie de Maly. FT. XXE, p. 230.
4. Unraxsky, Zeitschrift f. physiologische Chemie, XH.
Le Gérant : G. Masson.
go —————
Sceaux. — Imprimerie E. Charaire.
me ANNÉE AOÛT 1898 N° 8.
>
[Re
ANNALES
PEN ELEUL. PASTEUR
SUR LE MODE D'ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF
CONTRE LE ROUGET DES PORCS
Par M. FELIX MESNIL
CHEF DE LABORATOIRE À L'INSTITUT PASTEUR
(Travail du service de M. Metchnikoff.)
S LE. — HisroriQue.
Le rouget des pores est une des premières maladies pour les-
quelles on ait préparé un liquide doué de propriétés préventives.
Emmerich et Mastbaum", dès 1891, ont immunisé des lapins
contre le microbe de cette maladie; après leur avoir injecté des
doses assez élevées de cultures virulentes, à des dates très
rapprochées, ils les sacrifiaient, filtraient le sang et aussi le suc
qu'ils extrayaient par pression des organes internes (foie,
poumon, etc.). Ces liquides, à des doses de 2 c. c., protégeaient
les souris contre l’inoculation de 1/2 ce. c. derouget; l'injection de
1 c. c: 5, faite 7 heures après l'introduction du virus, préservait
encore 2 souris sur 3. Chez le lapin, où la maladie produite par
inoculation sous-cutanée de virus n’était jamais mortelle, l’in-
jection préventive de suc d'organes la rendait très bénigne; elle
préservait les individus inoculés dans la veine.
Lorenz * a voulu faire entrer la sérothérapie du rouget dans
une voie pratique, et 1l a examiné la valeur du sérum de pores
À. Euuericu ET MasrBaum, Archiv. f. Hygiene, XII, 1891, p. 275.
2. Lorexz, Deutsche Zeitschr. f. Thiermed, XX, 1894, p. 1 et XXI, 1895, Dr2738
— Deutsche thierärstl. Woch., 1896, p. 244; — Centr. f. Bakt., XX, 1896, p. 792,
31
482 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
immunisés par des virus atténués. Il a constaté que ce sérum, à
la dose de 1/100 c. e., protège Les souris contre une inoculation
virulente faite 24 heures après. Mais, d’après Sander ', ce sérum,
actif préventivement à des doses si faibles, n'empêcherait pas la
mort des souris, quand il est inoculé seulement 1/2 heure après
le virus.
Voges *, en 1896, a préparé un sérum préventif en se servant
de lapins et de moutons. Dans ses tableaux d'expériences, on
relève qu'il fallait O0 c. c. 1 de sérum de lapin et 0 c. c. 03 de
sérum de mouton pour protéger les souris qui recevaient, en
même temps, 0 c. €. 1 de culture de rouget. Inoculé 24 heures
après le virus, son sérum, à la dose de 0 €. ce. 5, protège encore
les souris qui reçoivent 2 « anses de platine » de culture sous la
peau. Enfin, 48 heures après l'inoculation d'une « petite anse »
de culture du virus, 2 c. c. ont protégé 1 souris sur 2.
Voges note qu'une température de 55° n’altère pas les pro-
priétés préventives du sérum.
Leclainche*, en 1897, a également préparé un sérum immuni-
sant en utilisant les lapins; chez les souris, il faut des doses
assez élevées (1/4 à 1 ec. c.) pour empêcher la mort‘. La protec-
tion acquise est toujours passagère, sauf quand on inocule un
mélange, préparé in vitro, de sérum et de virus; on a alors une
immunité durable.
Peu après, Loir et Panet” ont déclaré avoir obtenu un sérum
protecteur en inoculant des pigeons avec des cultures de plus
en plus virulentes.
La plupart de ces savants ne se préoccupent pas du mode
d'action de leur sérum. Pourtant, Emmerich et Mastbaum
constatent que, chez la souris, on retrouve encore des microbes
au point d’inoculation (il y a aussi quelques leucocytes, mais
sans traces de bacilles à leur intérieur), dansle sang et les orga-
nes, 6 heures après l'introduction, sous la peau, d’un mélange de
4. Saxner, Archiv f. Thierheilkunde, XXI, 1895, p. 53.
2. Voces, Zeitschr. f. Hygiene, XXII, 1896, p. 515.
3. LECLAINCHE, C. À. Soc. Biologie, séance du 1°" mai 1897.
4. Depuis, LECLAINCHE a dû renforcer la valeur de son sérum; il déclare
(ën Nocard et Leclainche. — Les maladies microbiennes des animaux, 2° édition,
Paris, 1898, p. 161) qu’il immunise le lapin à la dose de 1/10 c. c. de sérum par
kilo d'animal; il enraye l'infection 48 heures après l'introduction du virus chez
le lapin (mort des témoins en 4-6 jours), 12 heures après chez la souris.
5. Loir gr Paner, C. X2. Soc.Biologie, séance du 5 juin 1897.
+ PT ON]
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 483
leur liquide immunisant et de virus; il n’y a plustrace de bacilles
du rouget, 8 heures après.
Dans son mémoire déjà cité, Voges croit, de quelques expé-
riences in vitro, pouvoir conclure que le sérum contre le rouget
agit comme le sérum cholérique anti-infectieux : chez l'animal
vivant, il y aurait transformation de la substance microbicide,
inactive in vitro, en une autre active.
Voges et Schutz!', tout récemment, ont précisé les idées pré-
cédemment exposées par Voges. Comme leur sérum immuni-
sant ne manifeste pas d'action bactéricide marquée, in vitro, ils
prétendent, sans en avoir encore fourni les preuves, qu'il n'agit
que sur le corps protoplasmique de la bactérie, alors qu’elle est
débarrassée de son enveloppe protectrice. Celle-ei, qui confère
à la bactérie sa résistance à la chaleur, à la dessiccation, au
sérum préventif in vitro, et sa propriété de ne pas se décolorer
après l’action du liquide de Gram, est détruite par une énigma-
tique action physiologique de certains organes, et alors le pou-
voir bactéricide des € Antikürper » contenus dans le sérum pré-
ventif peut se manifester.
Je vais essayer de montrer, dans les pages qui vont suivre,
que l’action du sérum préventif contre le rouget des porcs est
tout autre que celle indiquée par Voges et Schütz. Il m'est
impossible de critiquer d’une facon directe le travail de ces
savants puisque, jusqu'ici, ils se sont contentés d'affirmer leur
manière de voir, sans faire l’exposé de leurs expériences. Et
même, un long mémoire qui vient de paraître”, ne contient rien
de bien explicite à cet égard.
$ 2. — PRÉPARATION D'UN SÉRUM CONTRE LE ROUGET.
La plupart des savants qui ont préparé un sérum doué de
propriétés immunisantes n'indiquent pas leur mode opératoire.
Emmerich et Masthaum, en revanche, donnent des détails très
précis. Leur méthode consiste à faire une première inoculation
de 2 c. c. ou 1 c. ce. 5 d’une culture très diluée, dans la veine de
l'oreille; puis, quand les lapins résistent (il en est mort 1 sur 3),
ils leur inoculent des doses de plus en plus élevées de virus, à
des temps assez rapprochés. Le sérum, ou plutôt le suc d'organes,
4. Voces et Scaurz, Deutsche Medic. Wochenschr., 27 janvier 1898.
2, Voces et Scaurz, Zeitschr. f. Hygiene, XXVIIT, 1898, p. 38.
484 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
qu'ils obtiennent ainsi, est peu actif (voir plus haut). Nous avons
essayé leur procédé qui nous a paru peu pratique.
Voges et Leclainche qui, seuls parmi les autres expérimen-
tateurs, ont opéré sur des lapins, ne donnent que des rensei-
gnements très vagues sur leurs méthodes.
J'ai employé également les lapins et il m'a semblé, après
quelques tàätonnements, que le meilleur procédé pour leur
donner une immunité solide était, comme Metchnikoff l’a déjà
indiqué’ en 1889, d'employer la méthode pastorienne des virus
atténués, de soumettre à des inoculations préventives avec les
2 vaccins de Pasteur et Thuillier les animaux à immuniser.
Le tableau suivant indique le détail de la préparation de
2 lapins :
1er LAPIN 2e LAPIN
DATES Ë —_ EE — ————
Poids. Inoculations (2). Poids. Inoculations.
15 nov. 1897] 2.320 gr. 4/4 c. c. 1er vaccin. 2,420 gr. 1/4 ©. c. 1er vaccin.
23 nov. — 9 300: — ANCAC — 2300— ECC: —
30 nov. — 2,315 — 1/4 c. c. %e vaccin. 2,270 — 1/4 c. c. 2e vacccin.
7 déc. — | 2,340 — 1NCNC: — 2,300 — ANCEC: —
forte baisse. forte baisse.
24 déc. — | 2,220 gr. |1/4 c. c. Rouget normal. 2,070 gr. 0
5 janv.1898] 2,180 — |174 c. c. _ ADO 1/4 c. c. Rouget normal.
13 janv. — | 2,400 — | 4 c.c. _ 2,200 — À cc: =
forte baisse. forte baisse.
24 janv. — 2,520 — CAGE — 2,350 gr. ANCLC: —
31 janv. — |" 2.580 — DAC. C —= 2,300 — 3 C. C —
8 févr. — 2 600 =— k ©. c — 2,380 — 4 c. c:- —
forte baisse, 'orte baisse.
DEEE — 2,670 — DNCELC: — 2,400 gr. D ICAC: —
4 mars — 2,920 — NC. C- — 2,650 — RC: 10 —
48 mars — | 2,950 — 4 c. c. — 2,650 — NC —
4 avril — 2,650 — |Saignée (10 c. c. sérum).} 2,370 — 0
43 avril — | 2,780 — 5e. c. Rouget normal.| 2,600 — ÆIC-NC: —
29 avril — | 2,950 — 3 C. C. — 2,850 — UC. IC: —
A6 mai —"| 2730: — "| 2 "cc. — 9,880. — ANCIC: 15 =
25 mai — | 2,800 — ONC-LCe — 2,900 — |Saignéele 29 mai (10 c. c. sérum).
3 juin — | 2,850 — HRCUC: — 2,150 — > c. c. Rouget normal.
12 juin -— 2,950 — 10e rc: — 2,750 — HACACS —
25 juin — | 3,150 — |Saignée(10 c. c. sérum).[ 3,050 — dONcCe- =
5 juillet — | 3,120 — 5 c. c. Rouget normal.| 2,950 — Saignée (10 c.c. sérum).
4. Mercaxixorr, ces Annales, IIT, 1889, p. 289.
2. Toutes les inoculations de ces 2 lapins ont été faites sous la peau du ventre.
Dans certaines séries, nous avons fait la première dans la veine de l'oreille
ACTION DU SÉRUM. PRÉVENTIF. 485
Comme on peut le voir, les doses inoculées étaient d’abord
très faibles et faites à des dates assez éloignées. L'animal réagit
en effet très vivement, au commencement de l’immunisation; on
a élévation de température, forte baisse de poids, et, malgré
toutes les précautions, il y a toujours quelques animaux qui
succombent. Les 3 premiers mois écoulés, l'animal peut recevoir,
tous les 8 ou 10 jours, une forte dose de culture virulente, sans
réagir de façon notable.
$S 3. — VALEUR DU SÉRUM.
Le rouget qui a servi à toutes nos expériences provenait
d'un porc autopsié à l’Institut Pasteur, en novembre 1896.
Nous le cultivions d’abord dans le bouillon de veau peptonisé
par la peptone ducommerce ; les cultures étaient peu abondantes.
Plus tard, nous avons utilisé le bouillon de veau peptonisé par
la digestion de la panse de pore, d’après le procédé Martin ‘;
les cultures sont beaucoup plus luxuriantes,
Toutes les cultures inoculées avaient de 18 à 24 heures de
séjour à 37°; 1/4 c. c. de pareille culture tue une souris de taille
moyenne en 24-48 heures (quelquefois mème 20 heures) par
injection éntrapéritonéale, en 40-72 heures par inoculation sous-
cutanée. À ©. c. tue le pigeon, sous la peau, en 2 jours (en
moyenne). 1 c.e. 1/2 tue un lapin en 2 j. 1/2 par inoculation
intraveineuse ?. Les inoculations sous la peau ne sont que rare-
ment rapidement mortelles pour le lapin; mais l'animal se
cachectise ordinairement et finit par succomber avec des bacilles
du rouget dans le sang du cœur.
Nous avons essayé la valeur de notre sérum en opérant avec
la souris *.
Prenons pour exemple les lapins 1 et 2.
Le lapin 1, saigné le 5 avril, donne un sérum qui, à la dose
de 1/20 c. c., sous la peau du dos, protège une souris qui reçoit
le lendemain, dans le péritoine, 1/4 c. c. de rouget. A la dose
comme le conseillent Emmerich et Mastbaum; mais nous n’avons jamais observé
que le sérum obtenu de cette façon füt particulièrement actif.
4. Marin, ces Annales, XII, 25 janvier 1898.
2, Dès une période précoce de leur préparation, les lapins producteurs de
sérum résistent à cette inoculation intraveineuse.
3. Même à des doses très fortes (Lou 2c. c.), le sérum de lapin neuf n'a aucune
action préventive,
486 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de 1/100 c. c., la souris meurt en 2 j. 1/2, alors que le témoin
qui n’a rien reçu ou qui a reçu du sérum de lapin non immunisé
meurt en 36 heures.
Le même lapin, saigné le 25 juin, a un sérum qui empêche
la mort à la dose de 1/160 c. c. et à des doses supérieures, la
retarde seulement à 1/250 et à 1/500.
Le lapin 2, saigné le 29 mai, a un sérum qui protège à la
dose de 1/10 c. e., retarde la mort à 1/20. Le sérum du 5 juillet
protège à la dose de 1/50 c. c.; retarde la mort à 1/100 et
à 1/150.
Les doses de sérum qui, injectées la veille, protègent contre
1/4 c. c. de culture dans le péritoine ont la mème action contre
la même quantité de culture injectée sous la peau.
La quantité de sérum qui immunise, injectée 24 h. avant le
virus, protège également quand on la mélange à la culture au
moment de l'injection de cette dernière, ou, ce qui revient sen-
siblement au même, quand on injecte sérumet culture au même
point. Il nous a même semblé que le sérum, mélangé à la cul-
ture, agissait à des doses plus faibles. Ainsi, dans le cas d’un
sérum dont il fallait 0 ce. c. 1 pour amener la survie définitive,
étant injecté la veille du virus, 0 c. c. 05 suffisait quand on fai-
sait l’inoculation en même temps et au même point.
En revanche, si on injecte, en même temps, mais en des
points différents (cuisse et peau du ventre, par ex.), le sérum et
le virus, il faut, pour amener la survie définitive, une quantité
de sérum plus forte que quand la protection a lieu la veille. Avec
le sérum de l'exemple précédent, 0 e. e. 1 retardait considérable-
ment la mort (7 jours au lieu de 36 heures), mais il fallait
0 c. c. 25 pour protéger complètement.
Les mêmes doses agissent de la même façon injectées
8 heures après la culture.
Le résultat est tout autre quand on intervient plus longtemps
après l'introduction du virus. 18 heures après, on n’obtient plus
qu'une survie insignifiante (7-8 heures), même en injectant
1/2 e. c. de sérum. Mais, dans tous ces cas, les souris recevaient
1/4 ce. c. de culture; et, dans la dernière expérience, le témoin
est mort en 40 heures; une des souris, traitées par le sérum
18 heures après l'introduction du virus, présentait déjà des signes
évidents de maladie.
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 487
Nous avons été plus heureux en agissant sur des souris qui
n'avaient reçu que 1/20 c. c. de virus sous la peau. 16 heures
après, avec 1/2 c. c. de sérum, nous avons sauvé une souris;
mais notre intervention, au bout de 22 heures, n’a servi qu'à
prolonger de 12 heures environ la vie de la souris (morte en
3 jours au lieu du témoin 2 jours 1/2), bien que la dose inocu-
lée ait été de 3/4 c. ce. de notre sérum le plus actif.
Ces résultats sont au moins aussi encourageants que ceux
relatés par Voges, si l’on réfléchit que ce savant inocule à ses
souris des doses de virus (1 ou 2 anses) beaucoup plus petites
que les nôtres. Or notre rouget, même à 1/400 c. c., tue la souris
en 3 jours 1/2.
Dans les conditions où nous nous étions placé, nous avons
reconnu que, environ 24 heures après l'introduction du virus sous
la peau, la rate et Le rein de la souris commencent à montrer des
bacilles en assez grande quantité dans leurs capillaires. Or, sinous
remarquons que c’est à peu près à ce moment que notre inter-
vention devient inefficace, nous pouvons conclure que le sérum,
préparé par les méthodes actuelles, n’est pas capable d’enrayer
une maladie généralisée.
*
*# *
Nous avons essayé l’action de notre sérum chez le pigeon et
le lapin.
Le pigeon, qui a reçu préventivement 1 c, c. de sérum, ne
succombe à l’inoculation sous-cutanée de 1 c. c. de virus qu'en
5 à 7 jours, au lieu de 2 jours 1/2; 2 c. c. 1/2 de sérum amènent
une survie définitive.
Un lapin qui avait reçu 1 c. c. de sérum, et le lendemain
1 c. ce. 5 de virus dans la veine, est mort en 10 jours; le sang du
cœur, ensemencé sur gélose, a donné de nombreuses colonies
de rouget. Le témoin a succombé en 2 jours 1/2.
*
*# *#
Le sérum obtenu est antinfectieux ; les faits exposés en four-
nissent la preuve. Nous pensons qu'il n’est pas antitoxique, sans
que nous puissions en donner une démonstration rigoureuse ;
on ne connaît pas en effet la toxine du rouget des pores.
Mais les procédés mis en œuvre pour obtenir le sérum contre
cette maladie ne donnent que tout à fait exceptionnellement
488 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(microbe pesteux) un liquide doué de propriétés antitoxiques,
très faibles d’ailleurs ; et nous pouvons penser que nous n'avons
pas rencontré l’exception.
$ 4. — ACTION DU SÉRUM 0N Dir0.
A. Pouvoir BAcTÉRICIDE. — Emmerich et Mastbaum attribuent,
à leur suc d'organes, in vitro, une faible action bactéricide pour
le microbe du rouget des pores. En faisant des plaques de géla-
tine, au moment où ils mettaient une trace de culture dans leur
liquide immunisant, puis après 24 heures de contact, 1ls ont
obtenu un nombre de colonies plus faible dans le second cas que
dans le premier. Ces savants ne disent pas à quelle température
ils abandonnaient leur liquide. Leurs résultats s'expliquent
d’ailleurs sans faire intervenir de pouvoir bactéricide; nous
allons établir, en effet, que le sérum contre le rouget est agglu-
tinant : après 24 heures de contact avec le virus, le suc d'organes
contenait certainement des amas, et l'expérience prouve simple-
ment que le nombre des amas était inférieur à celui des bacilles
ensemencés.
Voges parle d’un faible pouvoir bactéricide. Il faut, dit-il
dans son mémoire de 1896, ensemencer assez abondamment
pour avoir une culture dans du sérum (lapin ou mouton) immu-
nisant. En 1898, il déclare qu'il faut ensemencer plusieurs
anses de platine de virus, dans 1 c. c. de sérum de mouton,
pour obtenir une culture. Mais Voges et Schütz sont bien obli-
gés de reconnaître que le sérum n’a qu'un très faible pouvoir
bactéricide, et nous avons vu à quelles hypothèses ils doivent
avoir recours pour faire admettre leur théorie d’une action bacté-
ricide dans le corps des animaux immunisés activement ou pas-
sivement.
Pour le sérum immunisant de lapin, le seul que nous ayons
préparé, nos expériences prouvent que le pouvoir bactéricide in
vitro peut être considéré comme nul.
1 c. c. de sérum frais (retiré lavant-veille), ensemencé avec
À anse de culture de rouget dans notre bouillon, donne le len-
demain une très abondante culture, aussi abondante que le sérum
de lapin neuf, ou même le bouillon peptonisé à la panse du porc.
Les microbes qui ont poussé se colorent bien et on ne rencontre
pas de formes dégénérées.
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 489
Une autre expérience prouve que le développement n’est pas
arrêté dans les premières heures qui suivent l’ensemencement.
On dépose 3 gouttes de sérum frais très actif sur 3 lamelles; on
ensemence la première avec une anse de platine de culture en
bouillon et on rend le mélange homogène; ensuite la 2° avec une
anse de la 1° goutte, et enfin la 3° goutte, avec une anse de
la seconde. On a ainsi, dans la 3° goutte, une dilution très
faible de virus (approximativement 1/4000 de la semence origi-
nelle) dans le sérum. On dispose les 3 lamelles en gouttes pen-
dantes qu’on observe au microscope ; au bout de 2 ou 3 heures,
on voit la culture s’affirmer, même dans la troisième goutte et,
au bout de 24 heures, on a 3 belles cultures.
Nous pouvons donc affirmer que, tn vitro, le sérum des lapins
immunisés contre le rouget a un pouvoir bactéricide nul ou insigni-
fiant. En réalité, ce sérum consiste un excellent milieu de cul-
ture pour le bacille du rouget. Metchnikofÿ, en 1889, avait déjà
fait la remarque pour le sang de ses lapins immunisés dont le
sérum avait, vraisemblablement, des qualités préventives.
B. Pouvoir AGGLUTINANT. — Aucun des savants qui ont étudié
le sérum contre le rouget n’a examiné son pouvoir agglutinant.
Voges déclare que, dans le sérum non dilué, ou dilué avec du
bouillon ou de l’eau physiologique, le rouget présente une cul-
ture uniformément trouble, sans petits amas. Nous sommes, sur
ce point, en complet désaccord avec le savant allemand.
Examinons d’abord l’action du sérum sur des cultures de
24 heures dans le bouillon peptonisé avec la panse du porc.
Nous avons généralement opéré dans le laboratoire, à 20-22.
Nous déposions, dans une série de tubes à essai, 1 ec. c. de
culture de rouget et nous ajoutions une ou un petit nombre de
gouttes de sérum pur, ou dilué dans l’eau physiologique. Le
degré de dilution, dans chaque tube, était le rapport entre la
quantité de sérum et la quantité de culture.
L’agglutination ne se manifeste généralement pas avant
! heure. D'abord, en agitant le tube, on constate que les nuages
produits par le déplacement des microbes ne se manifestent
plus ; les microbes sont pour ainsi dire figés sur place. Puis, on
aperçoit des amas, d'abord très fins, qui grossissent ensuite, et
enfin tombent peu à peu au fond des tubes ; la partie supérieure
du liquide devient tout à fait limpide.
490 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le temps que le phénomène met à s’accomplir dépend, dans
une certaine mesure, du degré de la dilution. Prenons comme
exemple le sérum extrait le 25 juin du lapin numéro 1.
Pour tous les tubes dont la dilution est supérieure à 1/100,
l’agglutination commence à peu près en même temps (au bout
d’une heure); on constate même, à un moment donné, et cela
est surtout net si l’on opère à l’étuve, que le tube avec la dilu-
tion 1/25 est en avance sur les autres. Il semble done y avoir
une dilution pour laquelle l’action agglutinante atteint son opti-
mum *.
A partir de la dilution 1/100,le temps que la culture met à se
condenser en amas est d'autant plus grand que le sérum y est
plus dilué; à 1 pour 500, il a fallu 3 heures; à 1/800, 5 heures ;
à 1/1200, 8 heures. Enfin à 1/2500, au bout de 24 heures, la
culture agitée ne produit plus de nuages; il y a un dépôt au
fond du tube; mais l’ensemble est encore trouble; il y a demi-
agglutination. Nous considérons 41/2500 comme a dilution
limite. Lorsque l’agglutination n’estpas faite au bout de 18 heures,
elle ne se fait jamais.
Ce sérum du 25 juin avait (voir plus haut) un pouvoir pré-
ventif à 1/200 c. c. environ chez la souris. D’autres sérums,
ayant un pouvoir préventif à 1/10 c. e., 1/20 ce. c., 1/50 c. c.
avaient pour dilutions limites respectives 1/250, 1/500, 1/1000.
Les deux pouvoirs, préventif et agglutinant, paraissent donc
croître parallèlement.
Le sérum de lapin neuf, même à des dilutions très fortes (1/10, :
1/5), ou bien ne manifeste pas de pouvoir agglutinant, ou bien
donne ce demi-dépôt caractéristique des dilutions limites. Le
sérum de souris à 4/25, 1/10, n’a aucune action agglutinante.
Le sérum de cheval lui-même, qui est si agglutinant pour certains
microbes, l’est à peine pour le bacille du rouget; à 1/10,ona
des traces de dépôt.
Nous pouvons donc conclure que la réaction agylutinante vis-
à-vis du microbe du rouget est spécifique du sérum préventif contre
cette maladie. Jusqu'à une certaine dilution, le temps que l'agglutina-
tion met à se produire est à peu près indépendant du degré de dilu-
4. Le sérum anticholérique présente des phénomènes de mème ordre; il y a,
très nettement, une dilution pour laquelle on a une action agglutinante optimum.
(D’après des expériences inédites dont notre ami A. Salimbeni a bien voulu nous
communiquer les résultats.)
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 491
tion ; ilest sensiblement constant. À des dilutions plus faibles, le
temps est fonction de ce degré de dilution. A l’étuve, les choses
vont un peu plus vite que dans le laboratoire, et la dilution limite
semble être encore plus faible; mais le parallélisme est parfait.
Agglutination à l’état naissant. — Si l’on ensemence un tube
de sérum de Japin immunisé, soit pur, soit additionné de doses
variables de bouillon, le lendemain, on a une culture au moins
aussi abondante que dans le bouillon ordinaire, mais elle est en
amas au fond du tube, elle est agglutinée.
Si l’on colore ces amas par la méthode de Gram, on constate
qu'ils sont formés de microbes prenant très bien la couleur, mais
présentant la particularité d’être en chaines d'un grand nombre
d'articles, une vingtaine et même davantage. Un fait semblable a
été signalé par Metchnikoff', puis par Issaeff * pour le pneuno-
coque de Talamon-Fraenkel cultivé dans le sérum de lapins vacci-
nés, pour le pneumocoque de Friedlaender.
Nous avons cherché si le pouvoir agglutinant du sérum était
plus fort sur les microbes à l’état naissant que sur les cultures
déjà développées.
Il nous a semblé que des dilutions trop faibles pour ageluti-
ner les cellules faites, agissaient encore sur des microbes à
l’état naissant; mais les dilutions limites, dans les deux cas, sont
bien voisines.
Le microbe, qui a pris l'habitude de se développer en amas
dans une première culture, garde-t-il cette propriété quand on
l'ensemence dans un tube de bouillon neuf, après l’avoir débar-
rassé de toute trace de sérum? Il la conserve en partie; la
deuxième culture est encore seelutnées mais seulement en
partie ; la troisième ne l’est plus.
En revanche, les microbes, agglutinés après leur formation,
ensemencés dans un bouillon neuf, y donnent un trouble uni-
forme ; leur propriété de se mettre en amas n'a pas persisié.
Enfin, nous nous sommes demandé si les microbes agglu-
tinés, qui certainement ne sont pas atteints dans leur vitalité
(coloration et ensemencements le prouvent), le sont dans leur
virulence. Nous avons opéré à la fois sur des cultures agglu-
tinées après leur formation, et d’autres agglutinées à l'état nais-
4, Mercaxixorr, ces Annales, V, 1891, p. 473-474.
2. [ssazrr, ces Annales, VII, 1893, p. 269.
492 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sant. Naturellement, le liquide de culture était décanté, rem-
placé par du bouillon neuf, et l'opération répétée autant de fois
qu'il était nécessaire pour éliminer toute action possible du
sérum; toutes ces manœuvres, effectuées à 20°, ne duraient
guère plus d'une heure et il n’y avait pas de nouvelle culture
microbienne.
Les souris, inoculées avecles amas lavés, succombaient dans
le temps normal (48 heures, sous la peau).
L'agglutination n’altère en rien la vitalité et la virulence du
microbe du rouget des porcs.
Les premiers observateurs qui ont noté le phénomène de la
culture en amas dans le fond des tubes, Charrin et Roger,
Metchnikoff, avaient remarqué que cette particularité culturale
ne se produisait que dans le sérum des animaux immunisés et
pas dans celui des animaux neufs. Il n’en est pas ainsi pour le
microbe du rouget. Il pousse en amas dans le sérum de lapin
neuf pur, ou additionné de 1, 2 et même 5 fois son volume de
bouillon; à la dilution de 1/10, le sérum n’a plus d’action, là
culture présente un trouble uniforme.
Le sérum des lapins neufs a donc un pouvoir agglutinant
sur le microbe du rouget à l’état naissant, mais seulement en
dilution très faible; il en est de même du sérum de cheval. Si
l’on colore les amas, on reconnaît que les microbes se colorent
bien, mais ils sont en articles isolés, ou par chaînes de 2 ou 3
(comme dans les cultures non agglutinées). La croissance des
microbes en longues chaînes reste donc caractéristique des cultures
contenant du sérum de lapins vaccinés.
$S 5. — MopE D'ACTION DU SÉRUM.
A. INOGULATIONS INTRAPÉRITONÉALES. — Si l’on inocule, dans la
cavité abdominale de la souris, 1/4 ou 1/2 c.c. de culture en
bouillon du rouget, on détermine une septicémie ne différant
pas sensiblement de la maladie par inoculation sous-cutanée,
mais évoluant plus rapidement : la souris succombe toujours
en 24 à 48 heures.
Examinons les diverses étapes de la maladie. Supposons que
nous ayons inoculé 0 c. c. 4 de culture, en prenant la précau-
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 493
tion que la température du bouillon soit assez voisine de celle de
la souris, 32 à 35°. — Dans ces conditions, l’afflux des leucocytes,
mononucléaires et polynucléaires, se fait rapidement. Mais la
phagocytose ne commence que 1 heure ou 1 heure 1/2 après
l’inoculation, Les deux catégories de leucocytes englobent les
microbes; les mononucléaires, malgré leur nombre restreint,
jouent un rôle presque aussi important que les polynucléaires…
Certains mononucléaires triplent de volume et contiennent bien
à leur intérieur une centaine de microbes.
Grâce à cette phagocytose, le nombre des microbes libres
diminue rapidement et, 6 ou 7 heures après l’inoculation, il est
devenu très faible; mais jamais nous ne l’avons vu devenir
uul ;ilreste toujours des microbes libres. Il y a incontestablement
destruction de bacilles dans l’intérieur des leucocytes, mais ce
phénomène se produit avec peu d'intensité, et la majorité des
microbes englobés continuent à se colorer aussi bien que les
libres par la méthode de Gram.
Bientôt, les microbes, jusque-là à peu près localisés dans la
cavité péritonéale !, vont envahir les organes internes. Le gros
ganglion mésentérique est atteint en même temps que la rate :
on voit des sortes de traînées de bacilles à l’intérieur des capil-
laires sanguins de ces organes, et une observation attentive
permet de constater, dans un certain nombre de cas, que ces
microbes sont dans des cellules endothéliales. Cette infection
des organes internes commence au bout de 10-12 heures quand
la mort doit survenir en 24-30 heures, de 24 heures quand la
souris met 2 jours à succomber.
En résumé, dans l'infection de la souris par voie péritonéale,
il y a réaction leucocytaire tout à fait nette. Mais cette réac-
tion se manifeste avec une certaine lenteur; il reste toujours
des microbes libres ; les englobés ne sont que partiellement
détruits ; les organes internes sont envahis et l'animal succombe.
Voyons maintenant l’évolution parallèle de la maladie chez
une souris qui a reçu la veille 1/4 ou 1/2 c. ec. de sérum actif.
L’afflux des leucocytes se fait rapidement comme dans le cas
précédent; mais la phagocytose commence beaucoup plus tôt;
4, Dès les premières heures, on trouve des microbes dans le sang du cœur,
mais en petit nombre.
49% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
déjà 1/2 heure après linoculation du virus, une partie des
microbes sont englobés par les leucocytes, et ici nous avons
constaté que les leucocytes qui agissent sont presque exclusive-
ment des polynucléaires, au moins au début de la réaction.
Nous avons recherché avec soin si les microbes ne subis-
saient pas, avant leur englobement, quelque action de la part des
humeurs de l'organisme vacciné. Nous n'avons pu en saisir
aucune. Les microbes libres se colerent toujours d’une façon
bien uniforme et bien intense par la méthode de Gram; ils ne
sont jamais gonflés.
line se produit aucune agglutination dans le corps de la
souris ; en examinant des gouttes suspendues d’exsudat aussitôt
après l’avoir retiré du péritoine, on s’en convainc facilement.
D'ailleurs, in vitro, les microbes de l’exsudat ne s’agglutinent
généralement pas; une fois ou deux, nous avons constaté de
petits amas de 5 ou 6 microbes au plus.
La phagocytose est complète peu d'heures après l’introduc-
tion du virus, quelquefois au bout de 2 heures 1/2, toujours au
bout de 4 heures. À ce moment, on trouve un certain nombre
de leucocytes mononueléaires renfermant des microbes se colo-
rant bien; mais il y a toujours moins de ces macrophages que
chez le témoin. On est frappé de ce fait que, dans les prépara-
tions colorées au carmin aluné, puis par la méthode de Gram,
les polynucléaires, bourrés de microbes dans la première heure
de la réaction, n’en renferment plus qu’un nombre très faible.
Mais, en examinant avec beaucoup d'attention ces leucocytes,
on constate qu'un certain nombre renferment une quantité de
bâtonnets, ayant exactement la forme et les dimensions des
bacilles du rouget, ne prenant plus le violet de gentiane, mais
se colorant faiblement en rouge par le carmin; ce sont des
microbes en partie digérés'. Les bacilles du rouget, à l’intérieur
des microphages de la souris, sont donc englobés et partielle-
ment digérés sans perdre leur forme; jamais nous n'avons
observé de boules comme chez les polynucléaires des cobayes
qui ont reçu le vibrion cholérique.
La digestion des microbes par les mononucléaires se fait
4. Nous avons coloré souvent nos exsudats avec l’éosine, puis le bleu de
méthylène, ou avec le mélange des 2 couleurs, sans jamais observer de microbes
teints en rouge par l’écsine.
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 495
certainement moins vite que par les polynucléaires. Si, en effet,
on fait une prise d’exsudat dans la cavité abdominale 24 heures
après l’inoculation, on a une petite quantité de liquide purulent
qui contient une majorité de polynucléaires ; ils sont quelquefois
tous vides, d’autres fois, un petit nombre ont encore des
microbes à leur intérieur. Mais l'attention est surtout attirée par
les mononucléaires, en proportion assez élevée, qui ont une
taille considérable et dont le protoplasme vacuolaire renferme
encore quelques microbes, les uns se colorant bien par la
méthode de Gram, les autres paraissant émiettés. 48 heures
après l’inoculation, on trouve encore de rares macrophages avec
des microbes à leur intérieur. Enfin, 3 jours après l’inoculation,
les 2 catégories de leucocytes sont représentés en nombre à peu
près égal dans la cavité abdominale; tous sont vides; quelques
mononucléaires contiennent à leur intérieur des polynucléaires.
D'autres ont une taille considérable et on y voit quelques gra-
nules prenant le violet de gentiane.
De ces faits, nous pouvons conclure que les mononucléaires
mettent un temps assez long à digérer les microbes qu'ils ont
incorporés; les polynucléaires jouent plus rapidement et mieux
leur rôle de défenseurs de l’organisme,
Nous avons recherché si les microbes étaient englobés à l’état
virulent. Nous prélevions, au même moment, des exsudats chez la
souris qui n'avait pas reçu de sérum immunisant, et chez celle
qui avait été traitée, et nous inoculions ces exsudats à d’autres
souris, sous la peau du dos.
Dans une expérience, l’exsudat pris au bout de 5 h, 1/2 (la
phagocytose était complète depuis une heure au moins chez la
souris traitée) a tué :
Exsudat des temoins
RP one 8 en > Jours,
+: PATRONS ENNERPRRET TRE SR: A jours
Expérience II. — Prise 8 heures après :
HR AGES MÉMOINS 2,1 sue » tee 28. 20e 4 jours et demi,
— RAD AR ee cime ee ol ie ue 8 Jours.
Expérience HE. — Prise 23 heures après :
Exsudat des lémoins.......... Jrarasse 2 jours et demi.
2 SOUL ETAITE"S eue Mie tte ae cos TAUT :2DJOurS!,
1. Une goutte de sang de cette souris, pris dans le cœur à l’autopsie, a tué
une autre souris en 4 jours 1/2.
496 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans tous les cas, l’autopsie a révélé la présence de microbes
du rouget dans le foie, et le sang du cœur a donné une culture
pure.
Le temps assez long que les souris, qui reçoivent l’exsudat
de la traitée, mettent à mourir, s'explique très facilement par le
nombre très faible de microbes inoculés. C’est là un fait bien
connu et nous n'insistons pas. |
En définitive, nous avons le droit de conclure que les souris
qui ont reçu du sérum préventif et qui sont inoculées dans la cavité
abdominale, présentent une réaction phagocytaire très vive, se mani-
festant par un englobement et une destruction rapide des microbes par
les leucocytes polynucléaires, et par une action plus lente des imono-
nucléaires. Les microbes englobés sont vivants et virulents. Les mi-
crobes restent localisés dans le péritoine ; la maladie est locale.
Si maintenant nous comparons les phénomènes observés chez
les souris traitées par le sérum préventif et chez les autres, nous
pouvons dire que le sérum « pour effet d'exciter l'activité des pha-
gocytes et surtout des polynucléaires : ls englobent plus vite, is
digèrent plus vite. Le sérum est donc un stimulant des cellules
chargées de la défense de l'organisme.
_Remarquons enfin que, dans nos expériences, nous n'avons
jamais observé de phénomène de Pfeiffer, de destruction extra-
cellulaire des bactéries. La transformation en boules n’a même
jamais lieu à l’intérieur des leucocytes polynucléaires. Le mode
d'action du sérum contre le rouget est donc assez différent de
celui du sérum anticholérique. La ressemblance qu'admet,
a priori, Voges, est donc toute superficielle et ne saurait être
poussée dans le détail.
B. INocuLATIONS sous-cuTANÉES. — C'est là le mode classique
d’inoculation des souris. Comme nous l’avons déjà dit, Ia maladie
évolue moins rapidement que quand l'injection est faite dans la
cavité abdominale; d’une façon générale, l’animal met 24 heures
de plus à succomber.
Pour bien étudier la maladie développée par inoculation
sous-cutanée, la difficulté est d'obtenir des exsudats. Or, le rou-
get est une maladie réputée pour ne pas donner d'œdèmes nota-
bles au point d'inoculation. Emmerich et Masthbaum, Voges se
sont heurtés à cette difficulté sans en triompher. Metchnikoff,
dans ses recherches sur le rouget chez les lapins, a usé d’un
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 497
stratagème, l'introduction de chambres de Ziegler sous la peau,
et il a pu constater ainsi chez les animaux inoculés, réfractaires
ou non, une réaction phagocytaire.
Chez nos souris, nous faisions d’abord les inoculations sous
la peau de la cuisse et, comme nos devanciers, nous n’obtenions
pas d’œdème, ni d'exsudat au point d'injection. Nous avions
alors imaginé d'introduire sous la peau de la cuisse des tampons
d’ouate trempés dans une culture en bouillon de rouget; nous
constations alors une réaction phagocytaire très nette, plus
prononcée chez les souris immunisées que chez les autres. Mais
cette méthode était passible d’objections relatives à la présence
du coton, et nous avons enfin réussi à produire un œdème sans
user d'artifice. Il suffit d'introduire, avec précaution, le virus
sous la peau du ventre. Il se forme, à l'endroit de la boule d’ino-
eulation, un petit exsudat gélatineux, tremblotant, formé de
leucocytes enrobés de fibrine. Nous avons pu ainsi étudier la
réaction des souris, immunisées et non, contre le microbe du
rouget des pores introduit sous la peau.
Il ya, dans tous les cas, une réaction leucocytaire très nette;
mais la phagocytose ne commence à se manifester abondam-
ment que 5 ou 6 heures après l’inoculation de 1/4 c. ce. de cul-
ture.
Il est difficile de se rendre un compte exact des phénomènes
qui se succèdent, en faisant des prises d’exsudat avec une pipette
stérilisée; quand on étale ensuite la petite goutte de liquide
obtenue sur une lamelle, on brise un grand nombre de leuco-
cytes ‘ et des microbes sont ainsi rendus libres. Il est préférable
de sacrifier des souris à des temps variables après l’inoculation
du virus, et de faire des coupes dans un fragment de peau enlevé
au point où se trouve l’œdème.
On constate alors que, chez la souris immunisée, la phago-
cytose est à peu près, sinon absolument complète 24 heures
après l’inoculation (déjà, au bout de 15 heures, les microbes
libres sontrares) ; l’æœdème est constitué par un très grand nombre
de cellules, serrées les unes contre les autres, presque toutes
renfermant des microbes à leur intérieur, plus ou moins dégé-
nérés, la plupart prenant encore bien le violet de gentiane.
4. Ainsi, sur les frottis, on n’observe jamais de leucocytes mononucléaires
avec des microbes à leur intérieur; les coupes seulesrévèlent leur présence.
32
498 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
La majorité de ces cellules est constituée par des leucocytes
polynucléaires, mais on trouve aussi quelques mononucléaires.
Ces derniers apparaissent proportionnellement plus nombreux
48 heures après l’inoculation; un certain nombre sont très”
allongés et manifestent une tendance à se transformer en cel-
lules conjonctives. A ce stade d’ailleurs, les microbes ont disparu
en grande partie, et les leucocytes polynucléaires qui en ren-
ferment, se colorant par la méthode de Gram, deviennent assez
rares. Parfois même, au bout de 48 heures, la phagocytose est
complètement terminée.
L’exsudat de la souris prélevé 24 heures après l’introduction
du virus, est pathogène pour la souris; retiré 48 heures après, il
n’amène jamais la mort.
En dehors du point d’inoculation, les microbes sont excessi-
vement rares.
Une goutte de sang du cœur, prise 24 heures après l’intro-
duction du virus, ensemencée sur gélose, ne donne que 4 ou
5 colonies; l’examen de coupes du ganglion de l’aîne, de la
rate, du foie, ne décèle aucune trace de microbes. La maladie
reste donc localisée.
Chez la souris témoin, qui n'a reçu que du sérum de lapin
non immunisé, il y a également phagocytose assez intense par
les leucocytes polynucléaires, 24 heures après l’inoculation du
virus.
Mais, à côté des microbes englobés, il y en a de libres, et
tout le tissu avoisinant l'œdème, même la base des poils, est
infiltré de bacilles libres et isolés. D'ailleurs cet œdème est moins
volumineux que chez la souris immunisée, et les leucocytes y
sont nettement moins serrés les uns contre les autres.
C’est également au bout de 24 heures que les bacilles enva-
hissent les organes internes de la souris qui doit succomber. On
en trouve libres ou inclus dans les cellules endothéliales des
capillaires spléniques et rénaux (nous n’en avons pas vu dans
les capillaires des glomérules); le foie n’est pas encore atteint;
l’ensemencement d’une goutte de sang du cœur sur gélose donne
de très nombreuses colonies.
Nous avons encore le droit de conclure des faits observés
que les souris, immunisées par le sérum, résistent à une inocu-
lation sous-cutanée du virus, parce que les leucocytes (et surtout
ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 499
les polynucléaires) ont acquis le pouvoir d'englober rapidement
et de digérer les bacilles vivants et virulents.
Conclusion. — Les résultats obtenus mettent donc en lumière
le rôle capital et décisif des leucocytes dans la guérison des
souris immunisées passivement. Certes, chez les souris qui suc-
combent au rouget, la réaction leucocytaire n'est pas négti-
geable; elle est très intense; mais elle est insuffisante pour pro-
téger l'animal; beaucoup de leucocytes, surtout les mononu-
cléaires, paraissent ne pas pouvoir détruire les microbes qu’ils
renferment, et on trouve, à la mort de la souris, des quantités
de microbes à l’intérieur des macrophages. Au contraire, chez
les souris immunisées, l’englobement des microbes par les leu-
cocytes est complet, leur destruction aussi; elle est plus ou
moins rapide suivant le leucocyte qui les contient.
IL n’est donc plus possible de soutenir, comme l'ont fait
Emmerich et Masthbaum d’une part, Voges et Schütz de l’autre,
que la phagocytose ne joue aucun rôle dans la défense de l'or-
ganisme chez les souris immunisées.
Enfin, 1l nous est facile d’infirmer les hypothèses formulées
par les deux derniers savants. Puisque nous prouvons que les
microbes sont englobés par les phagocytes à un état où ils sont
vivants, virulents, où ils se colorent par la méthode de Gran, il
n’est plus possible de prétendre à priori que, dans l’organisme des
vaccinés, 1l y a d'abord destruction de la coque du microbe (cette
coque à laquelle il devrait la propriété de prendre le Gram),
puis de son corps protoplasmique, le tout en dehors des cellules.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
1. On peut, en vaccinant les lapins par la méthode pasto-
rienne, obtenir un sérum antinfectieur contre le microbe du
rouget des porcs.
2. Ce sérum, utilisé chez les souris, a des propriétés préven-
tives; il est également curatif à condition d'intervenir moins de
24 heures après l'introduction du virus, alors que l'infection
n’est pas encore généralisée,
Il est actif chez le pigeon et chez le lapin.
3. In vitro, le sérum contre le rouget n’est pas bactéricide ;
il est doué de propriétés agglutinantes très manifestes, et à des
500 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dilutions très fortes. Les microbes agglutinés n’ont rien perdu
de leur virulence. Ces bacilles, dans le sérum immunisant,
croissent en chaînes d’un grand nombre d'articles.
4. Chez les souris immunisées passivement, les humeurs de
organisme n’exercent aucune action sur les microbes; leur
destruction a lieu par les phagocytes qui les englobent à l’état
vivant et virulent.
Le sérum est un stimulant des cellules chargées de la défense
de l'organisme. (Le virus était introduit soit dans la cavité abdo-
minale, soit sous la peau du ventre.)
Ce travail a été exécuté sous la direction de M. Metchnikoff.
Je prie mon illustre maitre de croire à ma vive reconnaissance
pour ses excellents conseils.
CONTRIBUTION
L'ÉTUDE DE LA PLASMOLNSE CHEZ LES BACTÉRIES
Par M, Le Proresseur W. PODWYSSOTZKY er M. B. TARANOUKHINE
(Travail de l'Institut de pathologie générale à l’Université de Kieff.)
Cette courte communication présente le résultat d’un certain
nombre d'observations concernant la morphologie d’une bactérie
charbonneuse. Ces observations offrent un intérêt général pour
l’étude de la structure d’une cellule bactérienne, pour celle de la
plasmolyse, et aussi pour celle du mouvement brownien.
La lécithine, d’après les observations de M. B. Danilewsky,
est un des plus forts stimulants de l’organisme animal et végé-
tal. Pour étudier systématiquement les conditions vitales des
bactéridies charbonneuses sous l'influence de la lécithine, il fallait
mélanger au milieu de culture ordinaire, gélatine ou gélose, non
seulement de la lécithine pure, mais aussi des corps organiques
renfermant beaucoup de lécithine et notamment les jaunes
d'œufs et le cerveau. Nous ne nous occuperons point dans cette
étude de l'influence de la lécithine et des milieux qui en contien-
nent sur la biologie de la bactérie charbonneuse, parce que
cette étude formera le sujet d’un chapitre spécial, fait par
M. B. Taranoukhine : nous nous bornerons ici au milieu conte-
nant la matière du cerveau, pour étudier les altérations si
importantes qu'il produit dans le corps des bactéries.
Pour obtenir ce milieu, on triture 200 grammes de cerveau
frais de veau jusqu’à ce qu'on obtienne une masse'homogène,
d’une couleur rose claire, ressemblant à de la pommade. On
complète à un litre avec de l’eau ordinaire et on laisse cette
émulsion à 20 0/0 reposer pendant 24 heures dans un endroit
froid. On chauffe ensuite à 100° pendant une 1/2 heure.
502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
On ajoute 5 grammes de sel ordinaire, 16 grammes de gélose
et 15 grammes de peptones, et on chauffe encore une fois à 120°.
La réaction du milieu est alcaline : il est surpertlu de le neutra-
liser. On filtre, on verse dans des éprouvettes et on stérilise
encore une fois pendant 1/4 d'heure à 115°.
Les cultures des bacilles charbonneux ensemencés sur cette
gélose à une température de 42-43° C, présentent certaines
particularités qui permettent d'étudier avec une clarté inconnue
jusqu’à présent la structure de la cellule bactérienne, de prouver
la présence d’une membrane d’enveloppe dans les bactéries, et
d’élucider quelques détails dans la formation des spores. Il est
aisé aussi d'observer le mouvement brownien avec une netteté
parfaite.
Faisons par la méthode ordinaire, sur un porte-objet, une
préparation sèche d’une culture de 20 à 24 heures, à la tempé-
rature de 42-43°, de bactéries charbonneuses, coloronsrapidement
par une solution aqueuse de violet de gentiane, puis lavons dans
une eau légèrement acidulée par 1-2 0/0 d’acide acétique, nous
verrons que les bactéries se présentent sous forme de filaments
plus ou moins allongés, avec une segmentation très nette en
articles séparés, et avec une membrane d’enveloppe très visible
et incolore. La partie colorée de chaque article se différencie
clairement de la membrane d’enveloppe très brillante, ainsi que
de la cloison, non moins brillante, qui la sépare de l’article voi-
sin. Grâce à cette disposition, chaque article de la bactérie offre
la forme d’un étui ou d’une boîte allongée, remplie par un corps
coloré, ressemblant à un bâtonnet, et qui adhère par toute sa sur-
face aux parois de l’étui.
La membrane d’enveloppe offre une certaine épaisseur, un
double contour, elle est brillante et incolore.
A côté de ces cellules, remplies complètement par le proto-
plasma coloré, ou observe quelquefois dans les mêmes filaments,
et quelquefois dans d’autres filaments, des cellules dont le
contenu coloré est notablement réduit et réuni au centre.
Ces bactéries présentent la forme d’une boîte, renfermant au
centre un petit corps ratatiné, fortement coloré. Si les articles
sont courts, c’est-à-dire appartiennent à des bactéries jeunes,
en voie de division, le corps central coloré est aussi court, presque
globuleux (v. la fig. 2, pl. V).Danslesarticles allongés au contraire,
ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 503
le corps coloré central offre une forme allongée, et dans ce cas
son grand diamètre correspond au grand diamètre de l’article
(v. la fig. 1,3, 4, 8).
Les filaments des bactéries, changés en bâtonnets, séparés
par des cloisons et entourés d’une membrane très visible, ren-
fermant dans leur intérieur le plasma ratatiné et fortement coloré,
sous forme de corps plus ou moins courts ou allongés, offrent
un aspect tout particulier, qui ressemble si peu aux bactéries
charbonneuses, qu'aucun observateur non prévenu ne les recon-
naîtra comme telles.
Cette altération particulière est surtout typique sur des cul-
tures de 2, 3, 4 jours, conservées à 42-439 C. Ici, on trouve des
places où tout le champ visuel est recouvert par des bactéries
modifiées. Il est très rare de rencontrer un bâtonnet plus ou
moins normal avec sa membrane d’enveloppe très nette, complè-
tement remplie par du plasma coloré.
Ce qui frappe surtout et attire l'attention de l'observateur,
c’est la mobilité des corps colorés, renfermés dans leurs boîtes,
Au début, au moment où on vient de mouiller la préparation
sèche, ce mouvement ne s’observe que par places, sur certains
bâtonnets, et offre le caractère d'une simple vibration. Petit à
petit il devient de plus en plus énergique, et au bout de quelques
minutes on voit tout le champ visuel s’animer, et chaque corps
ovale ou allongé, renfermé dans son étui, accomplit des excur-
sions agiles dans sa cavité. Ces excursions sont d'autant plus
rapides que le corps est plus petit. On rencontre aussi des
boîtes qui renferment un corps allongé séparé en deux corps
plus petits; dans ce cas chaque corps effectue une danse véri-
table. Si le corps est très petit, il se meut avec une activité sur-
prenante, se heurte aux corps voisins, etc.; chaque particule a
un petit flagellum (fig. 5).
Il est vraiment impossible de croire qu’on se trouve en pré-
sence d’un mouvement passif. Le mouvement que nous venons de
décrire peut durer dans quelques bâtonnets jusqu'à la dessic-
cation de l’eau. Si on enduit la préparation par du baume pour
éviter l’'évaporation de l’eau, on peut observer ce mouvement
3, 4 jours, et même davantage, quoiqu'il ne s’effectue plus avec
la vivacité primitive. Le mouvement s'arrête quand la prépa-
ration est trop longtemps exposée à l’action de l’eau, et les corps
504 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
colorés, parallèles au grand diamètre du bâtonnet, sont alors
devenus perpendiculaires, de sorte qu'ils paraissent s'appuyer
aux parois latérales de la membrane (v. la fig. 4). Si on ajoute
un peu d'eau à la préparation préalablement desséchée, on
observe que le mouvement des corps colorés réapparaît: mais
ce phénomène ne s’observe que dans les corps qui ont
conservé leur position normale, c’est-à-dire quand le grand axe
du corps correspond au grand axe du bätonnet. Si le corps
coloré a pris une position perpendiculaire, s’il est luxé, en
quelque sorte, son mouvement ne peut plus être restitué. D’une
manière générale, on peut dire que l’addition de l’eau à une pré-
paration desséchée réveille le mouvement, mais ce mouvement
ne possède plus le caractère énergique qu'il offrait à l’état frais.
Les modifications que nous venons de décrire dans la struc-
ture des bactéries charbonneuses ne peuvent être expliquées que
de la façon suivante : sous l’influence d’une température élevée,
combinée à l’action du mélange de peptone et du cerveau de
veau à 20 0/0 avec la gélose ordinaire, il se produit une disso-
lution, une plasmolyse de la couche albumineuse plasmique de
la cellule qui avoisine la membrane. Par suite de cette action, le
contenu se différencie, se sépare en quelque sorte de l'enveloppe,
qui apparaît alors avec une netteté surprenante. La dissolution
ne s'effectue pas au mème degré dans toute la longueur du
contenu albumineux de la bactérie, elle est plus forte au centre :
gràce à celte circonstance, les corps centraux sont plus minces
en leur milieu et épaissis à leurs bouts. Quand la dissolution
arrive à un degré plus avancé, le corps peut se rompre en deux
granulations séparées.
Quant à la mobilité des corps non dissous, il est évident que
nous avons affaire au mouvement brownien. Il est plus net que
dans les corpuscules salivaires" où il a été découvert, que dans
les œufs fraîchement écrasés des grenouilles et des poissons?
ou des particules organiques très fines, suspendus dans
l’eau”. Les mouvements s'effectuent ici dans une cavité bien
1. Roserr Broww, botaniste anglais, qui le premier a vu et décrit le mouve-
ment oscillatoire des particules élémentaires, naquit en 1773.
2. R. Anvor. Beobachtungen an den Eiern der Frosche und Fische (Virch.
Arch., 1888, Bd. 80). ;
3. Comp. les travaux de Brücke, Wiener, Exner et particulièrement de Naegeli
Ueber die Bewegung kleinster Kürperchen (Untersuch., über niedere Pilse,
München 1882). Voyez aussi Zettnow dans son travail Ueber die Bau der grossen
4
ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 505
limitée, où les mouvements sont plus vifs et plus capricieux
que ceux -qui persistent lorsque, par suite de la rupture d’une
cellule, les granules protoplasmiques entrent en suspension dans
l’eau. Les plus fins de ces corpuscules allongés, non seulement
s’agitent dans leurs cylindres creux, mais s’infléchissent, se
contournent et simulent si bien le mouvement actif, indépendant,
d’un microbe vivant que des yeux bien exercés peuvent s’y
tromper et les prendre pour des bactéries vivantes,
*
*# *#
En étudiant les cellules, exposées pendant 3-4 jours à une
température de 42-439, on les trouvait farcies de spores, fait
intéressant à noter, prouvant que les spores peuvent sé produire
à une température aussi élevée. Les vieilles cultures renfer-
ment des quantités énormes de spores, et l'augmentation de
leur nombre suit pas à pas la destruction des filaments de
bactéries.
Si on étudie attentivement les préparations contenant beau-
coup de spores, on arrive à voir que les spores peuvent se
produire dans l’intérieur des restes ratatinés du plasma des
bactéries. On voit apparaître un champ clair au centre et
quelquefois au bout du corps coloré : ce champ s'agrandit, devient
ovale, brillant, et en examinant toute une série d'états transi-
toires, on acquiert la conviction qu'on se trouve en présence de
spores (comp. les fig. 6) qui deviennent peu à peu complètement
libres après la destruction de leur membrane d’enveloppe. Ce
mode de production des spores démontre qu’elle s'effectue aux
dépens de la substance protoplasmique de la bactérie. Quand la
spore acquiert sa grandeur définitive, la substance colorée appa-
raît sous forme de petits amas, réunis aux deux pôles.
La membrane d'enveloppe de la bactérie ne prend aucune
part dans la formation des spores.
Ce mode de production des spores n’a pas encore été observé
jusqu’à présent. Quand on colore les spores, ce ne sont que les
spores devenues libres qui prennent une couleur rouge intense :
les spores contenues dans leurs boîtes ne prennent qu’une colo-
Spirillen (Zeit. f. Hygiène, Bd. 24, 1896), qui donne une description du mouve-
ment moléculaire du contenu finement granuleux des bactéries dans une vieille
culture de Spiril. undula.
d06 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ration rose clair'. Les corpuscules renfermant des spores déve-
loppées ou des spores en voie de formation n'offrent plus de
phénomènes de motilité.
Tous ces phénomènes ne s’observent d’une façon nette que
dans les cultures contenant de la matière cérébrale et de la
peptone : si on supprime la peptone, on n’a plus de phénomènes
aussi nets; on ne remarque dans ce cas que quelques mouve-
ments moléculaires se montrant de temps en temps dans l’inté-
rieur des bactéries. On n’a pu trouver rien de bien accentué
sur les milieux de gélose préparés avec un mélange de lécithine
ou de jaune d’œuf. Ce phénomène fait aussi défaut sur les cul-
tures du vaccin charbonneux sur de la gélose ordinaire, sur la
gélose additionnée de peptone, de jaune d'œuf, ou sur de la
gélose cérébro-peptonée. Dans tous ces cas, les bactéries se dis-
solvaient et s’amincissaient sur toute leur surface ensemble
avec leur membrane d’enveloppe* (fig. 11, 12, 13). Cette mem-
brane d’enveloppe ne présente pas un contour séparé brillant,
et on n’observe que de temps en temps les phénomènes de
plasmolyse, qui consistent en une désagrégation du plasma des
bactéries en quelques granulations très fines, animées dun
mouvement brownien de peu d'importance dans leur cavité
entourée d’une membrane. Par conséquent nous pouvons recom-
mander notre nouveau milieu de culture, à la tempér. de 42-439 C.,
comme le meilleur pour étudier les phénomènes de plasmolyse qui se
relient à une séparation nette de la membrane d'enveloppe, ainsi que
pour l'observation du mouvement broinien.
La théorie actuelle, qui fait de la plasmolyse un processus
relié aux phénomènes de l’osmose, résultant d’une contraction
du contenu protoplasmique après séparation de la membrane
d’enveloppe, fut étudiée en 1891 par Atfred Fischer * sur les
bactéries. Ce savant a aussi attiré l’attention sur limportance
de ce processus de plasmolyse pour l'intelligence de la structure
fine d'une cellule de bactéries.
Quelques années plus tard, il consacra à la même question
4. L'apparition des spores dans l’intérieur du plasma ratatiné des bactéries
ne doit pas être confondue avec le processus de vacuolisation qui est si fréquent
dans le phénomène de plasmolyse, A. Fischer attire l'attention sur cette erreur
très fréquente. (Untersuch. über Bacterien, page 8.)
2. On pourrait, en se basant sur ce fait, conclure que la cause de la faiblesse
de la cellule du vaccin se rapporte à la moindre résistance de la membrane.
8. Bericht. d. Künig Sachs. Gesells. d. Wissensch, 1891, pag. 52.
ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 507
des études approfondies ‘, et démontra que le processus de con-
traction du contenu protoplasmique des bactéries sous l’influence
des solutions de sel ou de salpêtre, se fait comme dans d’autres
cellules végétales, et témoigne de l'existence chez les bactéries
d’une membrane d’enveloppe propre, indépendante, comme
Cohn * l'avait dit le premier. Depuis Cohn, on n'avait bien vu
cette enveloppe que chez certaines bactéries, chez qui elle
s’épaississait fortement de manière à se transformer en une
capsule hyaline. Dans ces cas, cette capsule ne fut nullement
considérée comme une formation indispensable, existant dans
toutes les bactéries, mais comme une accommodation temporaire
à caractère défensif *. C’est Fischer qui a démontré l’existence
chez les bactéries d’une membrane propre, différenciée au point
de vue chimique et physique du contenu protoplasmique. Pour
les bactéries charbonneuses en particulier, eette membrane
propre fut remarquée pour la première fois en 1888 par
Serafini. Johne *, en 1894, démontra que, pour rendre visible la
présence d’une membrane propre dans une bactérie charbon-
neuse, il est indispensable, après avoir coloré le couvre-objet à la
gentiane, de le relaver dans une solution à 2 0/0 d'acide acétique,
et, après la dessiccation, de monter, non au baume de Canada
mais dans l’eau. Dans ce cas la membrane apparaît avec une
clarté étonnante, et non seulement sur les pièces prises sur
l'animal lui-même, mais, d’après les observations de Hasse,
confirmées plus tard par Johne, sur les pièces recueillies sur des
milieux nutritifs artificiels, et plus particulièrement sur les
cultures en sérum liquide.
Il est vrai que par la méthode de Johne on peut voir très
distinctement la membrane d’enveloppe, mais comparées à cette
méthode, nos préparations de cultures sur de la gélose cérébro-
peptonée à la température de 42-43° C. offrent des images
incomparablement plus nettes. Il n’est pas nécessaire de relaver
4. A. Fiscaer, Untersuch. uber Bakterien (/ahrbücher f. wiss. Botanik-
Bd. xxx11, 1894, p. 14-160). Voyez aussi: Untersuchungen uber den Bau der Cyano-
phyceen und Bakterien, Jena, 1897, et Vorlesungen uber Bakterien, 1897, Jena.
2. Beitrage zur Biologie der Pflanzen, 1875, pag. 138.
3. Comparer sous ce rapport les premières observations de Metchnikoff
{Virch. Arch. 1884) et aussi les données nouvelles de 7. Sawtchenko (Arch. Russes
de Pathologie, 1897, vol. III, pag. 233).
4. Deuts. Zeitchr. d. Thiermed. und vergl. Pathol., 1893, Bd 19; 4894.
Bel 20, et Deutsche Thierargtlich Wochenschr., 1894,
DUS ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
la préparation avec de l’acide acétique; l’image que nous avons
décrite plus haut s’observe après un lavage dans de l’eau ordi-
naire. Cette circonstance démontre clairement que lenveloppe
existait dans la culture même, et qu’il n’est pas nécessaire pour
prouver son existence de recourir aux différents réactifs produi-
sant une tuméfaction de cette membrane. L'enveloppe devient
moins distincte (sans pourtant arriver à une complète dispari-
tion) quand on monte nos préparations dans le baume, mais ceci
dépend des conditions de ia réfringence de la lumière.
Grâce à ce mode d'isolement de la membrane d’enveloppe
d'une bactérie, il devient possible d'étudier sa composition
chimique. En nous basant sur les réactions que nous avons faites
jusqu à présent, nous pouvons dire qu'elle ne se compose point
de cellulose. On faisait agir sur nos préparations tous les
réactifs possibles renfermant de l’iode (teinture d’iode, solution
de Lugol, chlorure de zinc iodé) et on n'a pu démontrer aucune
trace de cellulose dans la membrane d’enveloppe de la bactérie ;
elle reste invariablement jaune. Il est évident que l'enveloppe
présente une composition albuminoïde, car sous l'influence
de la solution de Lugol ou de chlorure de zinc iodé, dans l'inté-
rieur des bactéries, on voit apparaître des granulations se colo-
rant fortement en rouge brun, comme le glycogène.
L'action plasmolytique de notre milieu de culture à 42-43 C.
ne se manifeste plus à 37-38 C. Nous ne l’avons en outre étudiée
que sur les bactéries charbonneuses. Nous espérons que ce milieu
produira une influence identique sur les autres bactéries et per-
mettra d'étudier différents points obscurs dans la morphologie
bt la biologie des bactéries, particulièrement la structure de
la membrane d'enveloppe, la formation des spores, et le mouve-
ment brownien sur lequel on sait si peu de chose.
PPPPPPIPPIPIIR
nn
EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE V
Fic. 19, La bactéridie virulente cultivée sur de la gélose renfer-
mant la matière cérébrale à 420,5-430. Coloration par le violet de
gentiane.
Fi6. 1, 2, 5. Développement pendant 24 heures à 420,5. Grossisse-
ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 509
ment de la fig. 2, 750 diam. ; fig. 4, 1,200 diam. ; fig. 5, 1,500 diam. Les
amas de plasma de la fig. 1 n’ont pas manifesté de mouvements; les
petits corps ronds de ia fig. 2 présentent des mouvements vifs. Ces
mouvements sont surtout très forts dans le segment où le corps plas-
mique s’est divisé en deux parties (fig. 5).
Fis. 3. Développement à 420,5 pendant 48 heures. (Grossissement
1,200 diam.).
Fr6. 4. Développement à 420,5 pendant 48 heures ; grossissement
750 diam. Les corps allongés, renfermés dans des cavités, présentaient
une mobilité énergique. Il n’y a que les corps, disposés dans le dia-
mètre transversal du segment, qui sont restés immobiles. Malgré que
la préparation avait été entourée de vernis, les mouvements se prolon-
gent pendant 4 jours.
F1G. 5. Une partie de la même préparation, grossie 1,500 fois. Dans
le segment inférieur, le plasma s’est déchiré en deux parties qui mani-
festent des mouvements énergiques, notamment le fragment inférieur,
muni d’un appendice allongé.
Fic. 6. Cinquième jour à 430. Quantité de spores, dont quelques-
unes se développent dans l’intérieur de plasma coloré.
Fig. 7, Même préparation, traitée par la solution de Lugol. Les
granulations sont peut-être du glycogène.
Fi6. 8. Préparation d'une goutte pendante de culture âgée de
2 jours et faite à 420,5. Les mouvements sont tout aussi énergiques. La
‘préparation a été colorée sans dessiccation préalable.
Fi6. 9. Culture de 4 jours à 42°. On observe l'apparition des parties
transparentes au milieu de chaque amas coloré.
Fi. 10. Premier vaccin, cultivé sur gélose ordinaire pendant
24 heures à 42°. Chaque segment renferme plusieurs petites granula-
tions qui se meuvent faiblement. Grossiss. 1,000 diam.
Fic. 11. Premier vaccin, cultivé sur gélose, renfermant de la
substance cérébrale, pendant 48 h. à 43°. Grossiss. 1,000 diam.
Fi. 12. Premier vaccin cultivé sur gélose lécithinée pendant
24 heures à 420,5. Les segments sont petits; quelques-uns d’entre eux
sont à peine visibles. Grossis. 1,200 diam.
Fi. 13. Premier vaccin, développé pendant 36 heures à 53°, sur
gélose, renfermant du cerveau. Beaucoup de segments sont contournés.
Grossiss. 1,000 diam.
CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS
Par C. WEHRMANN
{Travail du laboratoire de M. le docteur Calmette, à l’Institut Pasteur de Lille.
Les glandes venimeuses des serpents ne sont que des paro-
tides, et le venin présente une analogie étroite avec la salive
qui, comme l’a montré M. le professeur A. Gautier, est toxique
même chez l'homme, mais à un bien moindre degré.
En 1884, M. Lacerda, dans ses Leçons sur le venin des serpents
du Brésil, exposait le résultat de ses recherches sur le pouvoir
digestif du venin. Ses expériences établissent que le venin
émulsionne les graisses, coagule le lait, dissout la fibrine et le
blanc d'œuf coagulé, mais qu'il ne saccharifie pas l’amidon.
Toutefois, les solutions de venin dont il faisait usage n'étant
point stériles, on peut admettre que des phenomènes de putré-
faction sont intervenus dans ses expériences.
De plus, rien ne dit que ce soit le venin lui-même qui pro-
duise les actions diastasiques. Il se peut que, dans le liquide
organique qui le contient, il ÿ ait en même temps que lui des dias-
tases dont il peut lui-même éprouver l'influence, comme lazymase
de la levure subit l’action de la trypsine qui l'accompagne ordi-
nairement.
Les sucs digestifs normaux de l’organisme exercent, dars
beaucoup de cas, une action destructive sur les diastases et sur
les toxines microbiennes. Ainsi en ce qui concerne les toxines
diphtérique et tétanique, MM. Nenchi, Sieber et Schoumoiv-Sima-
nowski (Centralblait für Backteriologie, 1898, N°5 19 et 20) ont
constaté leur destruction par le suc gastrique et le suc pancréa-
tique des animaux. D'autre part Ransom (Deutsche medicin.
Wochenschrift, N° 8, 1898) trouva que la toxine tétanique,
absorbée en doses énormes (100,000 doses mortelles), ne pro-
duit aucun malaise chez les animaux, ne passe pas dans leur
ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS. 511
sang, et ne donne à ce dernier aucun pouvoir antitoxique, mais
qu’elle traverse le tube digestif, impunément pour l'animal et
sans être détruite. Toutefois les recherches des premiers expé-
rimentateurs que nous avons cités montrent que les toxines sont
bien détruites par les sucs digestifs, surtout par certains
mélanges de ces sucs, tels que le mélange de suc pancréatique
et de bile.
Le suc pancréatique et la bile n’ont cependant aucune action
immunisante à proprement parler; ils modifient ou détruisent
les toxines après un contact in vitro plus ou moins prolongé,
mais cette action n’est pas immédiate.
Nous savons, d’après les recherches de Fraser, de Phisalix
et d’après celles que nous avons publiées antérieurement
(ces Annales, 1897, XI), qu'à l'égard du venin des serpents la bile
exerce aussi une action digestive manifeste in vitro.
Il nous à paru intéressant, à tous ces points de vue, de
rechercher, avec les données nouvelles qui nous ont été apportées
par l’étude des sucs glandulaires normaux de l'organisme et par
celle des diastases oxydantes (oxydases de G. Bertrand), si les
faits annoncés par Lacerda sont exacts, et quel est l’effet produit
sur le venin par les principales diastases hydratantes ou
oxydantes.
I. — ACTION DIASTASIQUE DU VENIN.
a) Action du venin sur l'amidon. — Nous avons étudié
l’action du venin tel qu'il est extrait des glandes des serpents,
simplement desséché dans le vide, puis redissous dans l’eau
distillée à 1 : 100.
Par comparaison, nous avons étudié ensuite l’action de la
même solution chauflée à 75° et filtrée au filtre Chamberland,
c’est-à-dire débarrassée FA l’albumine et des éléments cellulaires
qui se trouvent toujours en grande quantité dans le venin normal.
La toxicité de ces deux solutions de venin (chauffée et non
chauffée) est sensiblement la même, comme l’a démontré
M. Calmette, mais la solution chauffée et filtrée présente le
grand avantage d'être stérile.
Nous les avons expérimentées l’une et l’autre sur l’amidon
cru et sur l’amidon amené à l’état d’empois. L’amidon cru est
stérilisé au préalable par un chauffage à 80° pendant 24 heures
512 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dans une étuve sèche; ensuite nous l’émulsionnons à 1/100
dans de l’eau distillée stérile. L’empois d’amidon (à 1/100) est
stérilisé à 120 degrés.
L'émulsion d’amidon cru est distribuée par fractions de
40 c. c. dans plusieurs petits ballons, puis additionnée de 1 et
2 c. c. de venin cru et de venin chauffé. Après 24 heures à 40°,
le liquide ne contient pas de sucre réducteur.
Le contenu d’un ballon est filtré, pour le débarrasser des
grains d’amidon, et traité par l'acide chlorhydrique à 110° pen-
dant une demi-heure. Ensuite il est neutralisé au carbonate de
soude et éprouvé au Fehling. I n’y a ni précipité ni trouble. Le
liquide ne contenait donc pas de dextrine, qui serait hydrolisée
et transformée en sucre réducteur.
La même série d'expériences est répétée avec l’empois d'ami-
don. Ni avant l'expérience, ni après le contact avec le venin,
l’empois d’amidon n’a décelé Ia moindre trace de sucre réducteur.
Le venin ne saccharifie donc mi l’amidon cru ni l’empois
d’amidon.
b) Action sur le saccharose. — Une solution de saccharose à
10 0/0, stérilisée à 120° ettrès légèrement alcalinisée par le carbo-
nate de soude, est éprouvée au Fehling. Pas de sucre réducteur.
20 c. c. de cette solution, additionnés de 2 c. c. de venin cru,
sont portés à 40° pendant 20 heures. Le liquide est devenu opa-
lescent; éprouvé au Fehling, il prend une couleur verdàtre et
donne un léger précipité cuivreux sur le filtre.
La même expérience, faite avec du venin chauffé à 75° et
filtré au Chamberland, donne un résultat identique.
Notre venin, même après chauffage jusqu’au delà de la tempé-
rature de coagulation des albumines, intervertit donc faiblement,
mais nettement, le saccharose.
c) Action sur la fibrine. — Pour avoir de la fibrine aussi pure
et aussi stérile que possible, nous détachons la partie supérieure,
riche en fibrine, d’un caillot de sang de cheval, nous la hachons
et la Javons longtemps sur un tamis à l’eau stérilisée. Les gru-
meaux sont ensuite macérés pendant une nuit, en y ajoutant un
peu de chloroforme, et le lendemain on change encore l’eau jus-
qu'à ce qu’elle reste parfaitement limpide.
On prépare 4 ballons contenant chacun 10 grammes de fibrine
dans de l’eau stérilisée. Dans les trois premiers on ajoute 2, # et
ÉTUDE DU VENIN DES SERPENIS 513
6 c. ce. de venin chauffé et filtré, le seul qu’on puisse employer,
car le venin non chauffé donne à lui seul la réaction du biuret,.
Le quatrième ballon sert de témoin. On y ajoute un cinquième
ballon témoin contenant le même venin sans fibrine. Tous ces
ballons sont maintenus à 40° degrés pendant 24 heures.
Au bout de ce délai, le contenu des deux ballons témoins n’a
pas changé d'aspect et ne donne pas la réaction du biuret. Les
trois ballons d’épreuve donnent cette réaction d’une façon d’au-
tant plus nette qu'ils contiennent plus de venin, sans que toute-
fois les grumeaux de fibrine aient changé d’aspect.
Le venin peptonise done la fibrine, bien que faiblement.
IT. — ACTION DES DIASTASES ANIMALES OU VÉGÉTALES, HYDRATANTES
ET OXYDANTES SUR LE VENIN.
Nous avons commencé par nous assurer que les doses de ces
diastases que nous devions employer ne peuvent pas provoquer
d'accidents toxiques ; nous croyons inutile de donner les nom-
breuses expériences par lesquelles l'innocuité de ces doses a été
démontrée.
Nous avons employé les mêmes doses pour essayer le pou-
voir préventif des diastases et leur action par injections simulta-
nées avec celles de venin, mais faites à part, dans d’autres
endroits du corps.
Les résultats de toutes ces dernières expériences furent
négatifs ; aussi devons-nous admettre qu'aucune de ces diastases
n'a d'effet préventif ou curatif sur l’envenimation.
a) Action des diastases mélangées au venin. — Nous examine-
rons l’action des diastases suivantes : 1). Diastases animales. —
Ptyaline, pepsine pure médicinale, présure, pancréatine et oxy-
dase leucocytaire. 2). Diastases végétales. — Emulsine, amylase,
papaïne, sucrase et oxydase des champignons de couche.
Pour celles de ces diastases que l’on se procure dans le com-
merce, nous avons employé les produits de Merck et ceux de
Poulenc.
Les diastases sèches ont été dissoutes dans de l’eau distillée
stérile dans la proportion de 1 0/0, filtrées sur papier et prépa-
rées au moment de l’usage.
Pour ce qui est de l’oxydase leucocytaire, nous l'avons obte-
33
D14 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR.
nue en provoquant chez un animal un exsudat dans le péritoine
par une injection de bouillon. Cet exsudat est centrifugé. On
décante le liquide; le dépôt de leucocytes est digéré à l’aide
d’une goutte de pancréatine dissoute (selon le procédé de P. Por-"
tier). Si cette digestion a duré un temps convenable, 24 heures à
37°, le produit réagit assez bien à la teinture de gaïac, qu'il
colore en bleu verdâtre, grâce à la formation d'acide gaïaconi-
que. Cette réaction est caractéristique de l’oxydase leucocytaire :
les leucocytes non digérés par la pancréatine ne la donnent pas.
Pour obtenir l'oxydase des champignons de couche, selon le
procédé de M. G. Bertrand, on coupe en menus morceaux et on
triture dans un mortier une certaine quantité de champignons
avec leur pied (car c’est le pied qui contient le plus d’oxydase),
ensuite on fait macérer pendant 2 heures la pâte ainsi obtenue
dans de l’eau chloroformée (200 c. c. d’eau pour 100 grammes
de champignons). On filtre rapidement sur papier et on emploie
le liquide brunâtre immédiatement. Il peut aussi être conservé
pendant un assez long temps en y ajoutant du chloroforme et le
mettant à l'abri de l’air et de la lumière.
La sucrase est obtenue à l’état de pureté aussi parfaite que
possible en cultivant de l’Aspergillus niger dans du liquide Raulin,
mais on n'obtient ainsi qu’une solution faible. Pour avoir un
liquide riche en sucrase, il vaut mieux faire macérer une cer-
taine quantité de levure sèche de boulangerie dans 2 volumes
d’eau. La macération est faite à la glacière, pendant 24 heures,
en ajoutant un peu de chloroforme ou d’essence de moutarde.
Le liquide filtré sur papier est assez riche en sucrase. Il peut
être directement employé pour les expériences.
Les deux tableaux suivants montrent les résultats de nos
recherches.
ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS 515
TABLEAU N° 1
ACTION DES DIASTASES ANIMALES SUR LE VENIN,
SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES.
INJECTIONS SOUS LA PEAU
COBAYES EN CONTACT IDENTIQUES
Er 4 DOSES TT —| RÉSULTATS |effectuées
Nes| Poids DURÉE Tempéra.
4 | 310|Ptyaline 0,4 venin 0,1. 24 heures. 370 Survie. 4.
ë : , : Injecté :
9 s = =: G
2 | 335|Ptyaline 0,4 + venin 0,1. ET ARMent Survie. 2.
3 | 380|Pepsine pure 0,4 + venin 0,1.| 24 heures 370 Mort 4 jours. sas
4 | 630|Présure 0,64 L venin 0,16. 24 heures. 370 Mort 5 heures, 4.
5 | 710|Pancréatine 0,8, + venin 0,2.| 24 heures. 370 Survie. L.
6.| 52 ETES re 6—-venin0.15.| 24 heures 370 Mort 2h. 1/2 3
leucocytaire | ‘? male 4 RENTE É
7 | 400|Venin 0,1. Mort 2 h. 1/2.
TABLEAU N° 2.
ACTION DES DIASTASES VÉGÉTALES SUR LE VENIN.
SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES.
} C N £ £
RÉSULTATS dites
EFFECTUÉES
COBAYES EN CONTA CT
-
Durée. Températ.
Emulsine 0,6 — venin 0,15. 24 heures. Mort 2? heures.
Amylase 0,4 + venin 0,1. 24 heures, Mort à heures.
Amylase 0,4 L 0,1. 23 heures. Mort 2 1/2 b.
Papaïne 0,4—+ venin 0,1. 24 heures, Survie.
O[Sucrase 0,6 + venin 0,1. 24 heures, Mort 2 1/2 h.
- | Oxydase de |}
; L : …
champignon | 0,4 venin 0,1. heures.
Mort 2 heures,
Venin 0,1. 24 heures, Mort 214/2h.
516 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
CoNeLUSIONS
I. Action diastasique du venin. — La première partie de notre.
étude confirme les observations de Lacerda. Nous avons vu que
le venin ne saccharifie pas l’amidon, mais qu'il peptonise la
fibrine. De plus, nous avons pu constater qu'il intervertit le
saccharose.
Le venin contient donc à la fois une substance toxique et une
diastase faible. Nous ne savous pas encore si le toxique et la
diastase se confondent.
IT. Action des diastases sur le venin. — Si nous classons les
diastases dont avons étudié l’action sur le venin d’après le degré
d'intensité de cette action, nous devons les énumérer dans
l’ordre suivant :
Diastases très actives. Faiblement actives. Inactives.
1) Ptyaline 1) Pepsine 1) Emulsine
2) Papaine 2) Présure 2) Sucrase
3) Pancréatine 3) Amylase 3) Oxydase leucocytaire
4) Oxydase des champignons.
L'action très énergique de la ptyaline sur le venin est tout
particulièrement remarquable, car le venin représente lui-même
comme nous l'avons dit au début de ce travail, une véritable
salive.
Signalons ensuite le peu d'activité de la pepsine. La pepsine
pure ne nous a donné que des résultats douteux, — une survie et
une mort— avec un grand retard.
On sait cependant, après les travaux de M. Calmette et ceux
de M. Fraser d'Edimbourg, que le venin introduit dans l’orga-
nisme des animaux par la voie gastrique est inoffensif. Sa des-
truction est certainement effectuée d’abord par la salive, qui
accompagne en plus ou moins grande quantité toutes les
substances introduites par la voie buccale, et elle s'achève
ensuite par l’action du sue pancréatique, mais la pepsine n’y
participe pas.
L'oxydase leucocytaire s’est montrée inactive, mais nous
n'avions que de faibles quantités de cette diastase à notre dispo-
sition. Certainement on ne peut pas en conclure à l'inactivité
absolue des sucs protoplasmiques leucocytaires à l'égard du
venin.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'AZOTE
CONTENU DANS LE VIN
Par J. LABORDE
Sous-directeur de la station agronomique de Bordeaux
Le moût de raisin, comme tous les jus naturels sucrés, ren-
ferme de l'azote sous une forme essentiellement assimilable pour
un grandnombre d'êtres microscopiques, eten particulier pour les
levures. Le vin qui résulte de la fermentation de ce moût contient
une quantité d'azote inférieure à celle qui y existait primitive-
ment, puisqu'une partie, entrée dans la constitution de la levure,
a été insolubilisée avec elle.
Par conséquent, l'étude des variations de l'azote pendant la
fermentation alcoolique du moût de raisin est liée à la question
générale de la nutrition azotée de la levure, actuellement bien
connue depuis les travaux de MM. Pasteur, Béchamp, Duclaux,
Schutzemberger, Destrem, Mayer, Laurent, etc.
Mais jusqu’à ces derniers temps, M. Duclaux' seul s'était
occupé spécialement de l’action de la levure sur les matériaux
azotés du moût de raisin. Il a montré d’abord que ce jus naturel
contient, en dehors des combinaisons organiques de l'azote
(matières albuminoïdes et autres), de petites quantités de sels
ammoniacaux ?, et ensuite, que, même en présence de cet azote
organique très assimilable, la levure absorbe l’azote ammoniacal
avec une grande facilité, ne laissant ordinairement que quelques
milligrammes d’ammoniaque dans le vin, alors que le moût
pouvait en contenir jusqu'à 120 milligrammes par litre *.
1. Sur l'absorption d'ammoniaque et la production d'acides gras volatils
pendant la fermentation alcoolique. (Annales de l'Ecole Normale Supérieure,
t. II, 4866 )
2. Liebig avait trouvé de l’ammoniaque dans les jus de l’érable, du bouleau,
de la betterave, mais il n’avait pas parlé du moût de raisin. Mulder, qui niait for-
mellement la présence de l’'ammoniaque dans le moût, en trouvait dans le vin.
3. Pasteur avait déjà établi que l’ammoniaque est un aliment azoté de la,
levure, en produisant des fermentations dans les milieux où cette base était
l'unique élément azoté.
D18 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
L'ensemble des recherches de M. Duclaux s'applique prinei-
palement à des levures vivant dans des conditions très favorables
à leur développement, en ce qui concerne la température et
l’absence d’autres organismes dans le même milieu. L
Ces conditions ne sont pas toujours celles de la pratique
vinicole, et MM. Muntz et Rousseaux ‘, en analysant des vins pro-
venant de fermentations défectueuses dues à l'influence d’une
température trop élevée, y ont trouvé récemment des quantités
d’ammoniaque variant depuis quelques milligrammes jusqu’à
100 milligrammes, dont ils ont attribué la production aux
ferments des maladies des vins.
En même temps MM. Roos et Chabert* s’occupaient des
variations de l’azote total dans les vins obtenus par des fermen-
tations exemptes de microbes, à température normale et à haute
température. [ls ont vu que dans le premier cas la quantité
d'azote contenu dans le vin était inférieure à celle du second; les
différences, qui étaient de 20 à 80 milligrammes par litre, ont
été rattachées à une plus grande élimination, par les levures
fonctionnant à température élevée, de matières azotées dont
quelques-unes seraient peut-être toxiques pour ces levures. À la
même époque j'étudiais l'influence de l’alimentation azotée de la
levure sur une de ses fonctions particulières, et comme je culti-
vais en même temps les organismes des maladies des vins, j'ai
dirigé mes recherches dans le sens d’une étude précise des faits
qui venaient d'être signalés; ce sont ces recherches que je pré-
sente dans ce travail.
Il
J'ai songé d’abord à généraliser un peu les résultats obtenus
en 1866 par M. Duclaux sur les moûts du vignoble d’Arbois
(Jura), en dosant l’ammoniaque dans des moûts provenant de
4. A. Muxrz, Études sur la vinification dans les régions méridionales (Comptes
Rendus, t. CXXIV, page 331).
A. Muxrz et E. Rousseaux, La formation de l’ammoniaque dans les vins (Æevue
de viticulture, t. VIII, 1897, page 173)
2. Contribution à l'étude des fermentations viniques (Âevue de viticulture,
t. VIII, 1897).
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 219
raisins récoltés principalement dans la Gironde et dans l'Hérault,
et écrasés au laboratoire. La méthode suivie est celle qui a été
employée par M. Muntz', et qui consiste à déplacer l’ammo-
niaque par le carbonate de soude et une ébullition produite à
basse température à l’aide du vide, tandis que M. Duclaux s'était
servi du procédé Boussingault, mais après avoir vérifié que
la magnésie n'attaque pas sensiblement, à 100°, les matières
organiques azotées du moût. J’ai moi-même vérifié que ce dernier
procédé donne des résultats très voisins de ceux obtenus par la
méthode de M. Muntz’; c’est cette dernière que j'ai employée
dans tous les dosages consignés dans ce travail.
Le tableau suivant donne les quantités trouvées dans un
certain nombre de moûts provenant de cépages divers, ainsi que
l'acidité et la richesse saccharine de ces moûts.
_
AzH3 ACIDITÉ SUCRE
NATURE DES MOUTS en S04H2 réducteur
par litre. parlitre. parlitre.
| Chasselas(Sain........... sc. 0870742 3sr,40 A81er,6
| 1896 ne expérimentalement....... 0 0453 20153 150 0
| Cépages rouges divers, 1896.. O0 1830 8 00 140 0
Cépages rouges(Côtes ........ 0 0700 6 20 175 4
1897 PAU Pre Pere 0 O810 5 90 170 0
CGhasselas 1807 rene 0 4305 4 80 153 8
Cépages rouges divers, 1897... O 1157 1 20 169 %
GIRONDE. ......./ Cépages rouges et blancs, 1897 0 1584 7 60 160 0
Sémillon(Sain ...... A PRET 0 1480 322 470 6
SO IMOIS PERTE tr ACL LeE 0 1382 3 10 180 5
Prunonr els TIRER PR ee s 0 2240 7 70 160 0
Cabernet Sauvignon, 1897..., O0 1661 8 50 1502
Giabernet\Samentr rer Etre ee 0 1030 9 60 160 0
| 4897 fAltérations diverses. O0 0440 7 65 481 8
AMERO MOMENT re 0 1118 6 05 190 0
LOT-ET-GARONNE. Cépages rouges divers, 1896. 0 1410 8 80 200 0
ATAMONNSAINS eee 0195 » »
5 ASOTNIMOISTE re eee 0 1037 » »
HERAULT MaseutR A9 ns 0 0736 » »
( Clsirette, SD HER ES ee 0 0644 » »
Ces chiffres sont, en général, plus élevés que ceux trouvés
par M. Duclaux, dont la moyenne est de 0,051 par litre, tandis
4. Recherches sur lintervention de l’ammoniaque atmosphérique dans
la nutrition végétale (Annales de la Science Agronomique française et
étrangère, 1896),
2. M. Manceau dit la même chose dans son rapport sur les dosages de l’acidité
volatile et de l’ammoniaque dans les vins de champagne, où il s'est servi encore
de la méthode Boussingault. (Voir Bulletin de la Société des viticulteurs de France
et d'ampélographie, n°5 T et 8, 1898.)
520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
qu'elle est ici de 0#',1125, mais un certain nombre de termes de
ces deux moyennes sont tout à fait comparables. Les quantités
d’'ammoniaque varieut non seulement d’un cépage à l’autre, mais _
aussi, pour un même cépage, avec le lieu d’origine. La matura-
tion me paraît jouer un rôle important dans cette question de
lammoniaque des moûts, que je compte mieux étudier plus tard.
Il semble, en effet, que la quantité d’'ammoniaque doive diminuer
à mesure que la maturation avance, car ce sont, généralement,
les raisins les moins mürs qui ont donné les moûts les plus
riches en ammoniaque.
On peut remarquer encore que les moisissures et les altéra-
tions diverses que subit accidentellement le raisin font diminuer
les quantités d’ammoniaque contenues dans les moûts; Les diffé-
rences observées proviennent de dosages faits sur les moûts
après séparation des parties saines et altérées des mêmes rai-
Sins.
ITI
Dans les expériences que j'ai faites pour étudier les variations
de l’azote dans la fermentation du moût de raisin, j'ai considéré
les principaux cas qui peuvent se présenter : 1° Celui où la
levure est pure, c’est-à-dire non accompagnée de microbes pou-
vant attaquer le sucre et les matières azotées du moût; 2° celui
où ces microbes sont mélangés à la levure dans des conditions
favorables à leur développement.
Pour le premier cas, les conditions peuvent être les sui-
vantes :
1° La fermentation se fait à une température favorable à la
vie de la levure ;
20 Elle se fait à une température élevée qui gène la levure
sans la paralyser complètement.
Dans une première expérience, on a fait fermenter, avec une
levure de Médoc de variété unique, des moûts de raisin de
diverses provenances, dont on connaissait la richesse en azote
organique et ammoniacal après filtration.
Ils éteient contenus dans des matras Pasteur aux trois quarts
pleins, qui formaient deux séries maintenues à des températures
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 521
voisines, La 1" de 280, la 2e de 36°; les liquides étaient stérilisés
par l’ébullition et ensemencés après refroidissement avec des
traces de levure.
A la fin de la fermentation, la levure formée dans chaque
matras était pesée, et l’on dosait l'azote organique et l'azote
ammoniacal restant dans le vin; on a trouvé les chiffres du tableau
suivant.
MOUTS AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN JPOMN \
" AZOTE DU MOUT ; ; SENS
divers. fermenté à 280. fermenté à 360. obtenue.
a om | FC cl. CU CR
Anmont |Organ.| Total | Amon | Organ.| Total | Ammor! |Organ.| Total |à 28o.|à 36o.
gr. gr.
0,107410,432010,539410,001010,4200 10,421010,0099 0,4350|0,4450[1,786
0,149010,425010,574010,003310,413010,4163[0,0082,0,449010,457212,180
0,0951/0,325010,4201[0,004510,3245|0,329510,013110,3300!0,
0,1502 » |0,0077 » » [0,0365
On voit que, dans les vins faits à 28°, la quantité d'azote ammo-
niacal ‘ qui reste est toujours beaucoup plus faible que dans
ceux obtenus à 36°, et que les différences ne dépendent pas,
pour les limites du tableau, de la quantité initiale d'ammoniaque
contenue dans le moût, mais probablement de la nature même
de ce moût qui a influé sur la nutrition de la levure par d’autres
facteurs.
La proportion d'azote organique que conserve le vin est peu
différente de celle que renfermait le moût; à 28° elle est égale
ou légèrement inférieure, tandis qu'à 36° elle est égale ou supé-
rieure,.
Par conséquent cette levure de vin, comme la levure de
bière, utilise l'azote ammoniacal avec avidité, et il semble même
qu’elle se contente, dans la plupart des cas, de cet aliment azoté.
Dans le vin fait à haute température, la proportion d’azote
organique est supérieure à celle qui existait primitivement dans
le moût, par suite, évidemment, d’une excrétion de matières azo-
0,1160 » 10,0070
» [0,0247
1. On obtiendrait l’'ammoniaque correspondante en multipliant les poids d'azote
ammoniacal par le coefficient 1,214,
022 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tées que s'était constituées la levure par l'assimilation de l'azote
ammoniacal.
Cette excrétion, plus importante à haute température qu'à
température normale, est d'accord avec les observations de
MM. Roos et Chabert, mais nous verrons qu'il n’en est pas tou-
jours ainsi.
Les différences qu'ils ont constatées sont de même ordre que
celles du tableau ci-dessus; celles-ci sont, en outre, en relation
avec les différences des poids de levure produite, inscrits dans
les deux dernières colonnes du tableau.
A propos de ces chiffres, je crois devoir entrer dans quelques
explications sur la manière dont ils ont été obtenus.
On sait, d’après M. Duclaux, que le poids maximum de
levure produite dans un certain volume de liquide fermentes-
cible est supérieur à celui qui y existe lorsque la fermentation
est complètement terminée, à cause des phénomènes de désassi-
milation corrélatifs de la vie de la levure.
Comme cette désassimilation est d'autant plus grande que les
conditions sont plus défavorables, le rapport des quantités de
levure obtenues à 28° et à 36°, et pesées à la fin de la fermentation,
peut être très différent du rapport des poids maxima, le seul
intéressant, par suite d’une usure plus grande des matériaux de
la levure fonctionnant à 36°.
Aussi, pour éliminer autant que possible l'influence de cette
usure, et éviter en même temps une cause d'erreurs due à la
crème de tartre précipitée dans le vin avec la lie, j'ai pro-
cédé de la manière suivante pour la pesée de la levure.
La fermentation étant achevée et le vin éclaire par un repos
de plusieurs jours, la plus grande partie du liquide clair a été
décantée, et le reste a été versé sur un filtre après agitation
et repos pour laisser la crème de tartre se reprécipiter; la levure
plus légère reste en suspension et peut être entraînée à peu près
seule sur le filtre. Par quelques lavages à l’eau distillée, la
plus grande partie de la crème de tartre est éliminée. Après
avoir percé le filtre, on a détaché la levure avec un jet d’eau
chaude pour la mettre en suspension dans un volume d’eau
égal au volume du liquide fermenté; le mélange a été porté à
J’ébullition pendant quelques minutes. Après refroidissement, la
levure a été filtrée, lavée et pesée après dessiccation à 400° dans
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 523
une capsule de platine où elle avait été introduite en la détachant
du filtre avec un jet d’eau chaude, comme précédemment.
Ce traitement préalable à l’eau bouillante, fait dans des con-
ditions bien déterminées, ayant pour résultat d'extraire du
globule de levure la plus grande partie des matériaux solubles,
conduit à des poids de résidu qui sont nécessairement dans un,
rapport plus voisin de celui des poids maxima de levure que le
rapport des poids que l’on obtiendrait directement.
Les résultats qui précèdent, fournis par une levure de Médoc
de variété unique, méritaient d’être comparés à ceux qui seraient
donnés par des levures d’origine et de variété différentes.
Pour cela, on a pris un même moût de raisin, le n° 2 du
tableau précédent, et on l’a ensemencé avec des levures exemptes
de microbes, provenant de lies de vin de Champagne, de
Camargue et d'Algérie. On a obtenu, dans les conditions de
l'expérience précédente, les résultats suivants rapportés au
litre.
AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN (POIDS DE LEVURE
LEVURES DIVERSES fait à 28o. fait à 360. obtenue.
>. CO RS PR. 0 EE Te
Amon! |Organ.| Total. | Anmoul |Organ.| Total. |à 280.|à 360.
gr. gr. gr. gr. | gr.
0,4163[0,008210,4490 |0,4572/2,180|1,8#0
Champagne 0,0345|0,4210/0,4555[0,0660 |0,4340/0,5000!2,120 1,200
Camargue 0,0603|0,4300!0,490310,0873)0,4200!0,5073 [1,400 10,970
Algérie 0,0065/0,455010,461510,0603/0,437010,4973|1,784|1,
Pour une même température, l'azote ammoniacal restant dans
le vin varie beaucoup avec les divers levures, et les plus'avides
d'ammoniaque sont celles de Médoc et d'Algérie, lesquelles, à
28°, n’ont laissé que des traces d’ammoniaque, tandis que les
deux autres en ont laissé des quantités anormales. Mais il est
probable que si la richesse ammoniacale du moût avait été
moindre, ces différences n’existeraient pas.
A température élevée, l'assimilation de l’ammoniaque est
génée dans tous les cas, mais avec plus ou moins d'intensité;
c’est la levure de Médoc qui a été la moins sensible à l’influence
de la température à ce point de vue.
D24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il faut remarquer que ces levures ont fonctionné dans le
second cas à une température qui n’était pas encore très défavo-
rable, puisque toutle sucre (180 grammes par litre) avaitfermenté.
À température plus élevée, une partie du sucre reste inattaquée, le
poids de levure est plus faible, et une proportion bien plus grande
d’ammoniaque n’est pas utilisée. Par conséquent, pour expliquer
les résultats de MM. Roos et Chabert, qui n’ont trouvé, dans les
vins fermentés à 35 ou 40° avec des levures pures, que des traces
d’ammoniaque, il faut admettre que les moûts sur lesquels ils
opéraient n’en contenaient que de faibles quantités, ou bien que
les levures employées étaient particulièrement actives à une
température élevée. .
Comme dans l'expérience précédente, les variations des poids
de levure du dernier tableau sont toujours en sens inverse de
celles de l’azote total restant, lesquelles portent encore principa-
lement sur les variations de l’azote ammoniacal.
L’excès de la proportion d'azote organique du vin sur celle
du moût, c’est-à-dire la sécrétion d'une partie de l’azote orga-
nique formée par la levure à l’aide de l'ammoniaque, dépend de la
température pour les deux premières levures, tandis que pour les
autres, au contraire, et pour la dernière surtout, il paraît dépendre
principalement dela quantité d’ammoniaque absorbée. Ily a donc
dans ces phénomènes de désassimilation des différences qui ne
doivent pas nous surprendre, et qui tiennent à la constitution
même de la cellule de levure comme à son fonctionnement.
C’est aussi à ces phénomènes qu'il faut attribuer un résultat
qui ressort des expériences précédentes. Nous avons vu que la
nutrition azotée des levures de vin étudiées paraît se faire
presque exclusivement aux dépens de azote ammoniacal du
moût; mais ce n’est là qu'une simple apparence, et il faudrait
bien se garder de croire que l'azote organique ne joue qu'un
rôle très secondaire dans l'alimentation de ces levures.
Pour être mieux fixé sur ce rôle, et sur celui de l’ammoniaque
en même temps, nous allons essayer de suivre plus en détail
qu'on ne l'a fait jusqu’à présent, la nutrition azotée de la levure
de Médoc par exemple, au cours d’une fermentation.
Deux séries de matras Pasteur identiques, contenant la même
quantité de moût ensemencé, ont été placées, l’une à 28°, et
l’autre à 36°, puis, à des intervalles de temps de plus en plus
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 525
éloignés du commencement de l’expérience, on a pris un matras
de chaque série, pour déterminer le poids de levure contenu
dans le liquide et analvser celui-ci. Le tableau suivant contient
les résultats obtenus.
MOUT FERMENTÉ à 280. MOUT FERMENTÉ à 360. POIDS
AT RP pe | de levure
de la Azote organique| Azote ammoniacal. | Azote organique Azote aumoniaal. | OBTENUE
RERMENTATIONS I ETES RATE |
restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. [à 280.|à 36o.
DURÉE
0,3606 0,0644|10,025810,0792 0,079410,0660!0,0390/1,750 1,600
0,3454,0,0796|0,005010,100010,3242 0,100810,051010,054011,925/1,800
0,3274|0,097610,003610,1014 » » » )
0,3048 0,1202/0,003610,1014[0,374410,0506|0,027610,077412,
0,4020 0,023010,003610,101410,4224 |0,002610,0072|0,0978/2,500!2,000
0,4116 0,0134|0,003610,101410,4356 » |0,0072,0,097812,400 11,950
On voit que la levure qui se développe dans des conditions
normales de température assimile plus rapidement l'azote ammo-
niacal que l’azote organique; les choses sont, au contraire, tota-
lement renversées à température élevée. On comprend d’ailleurs
facilement que dans ces dernières conditions, où la vitalité de la
levure est atténuée, il lui soit plus difficile de se former des
matières azotées avec l’ammoniaque que d'utiliser les matériaux
de ce genre existant dans le moût sous une forme vraisembla-
blement très assimilable; mais on pouvait ne pas s'attendre à
voir un changement si accentué, qui explique par suite très nette-
ment la présence de quantités plus importantes d’ammoniaque
dans les vins faits à haute température que dans ceux fermentés
à température modérée.
Malgré ces variations d'action de la levure vis-à-vis de l’am-
moniaque, on ne peut guère admettre qu'elle puisse refuser
complètement d’y toucher, et, si la richesse ammoniacale de
certains moûts est faible, le vin peut n’en contenir que des
traces, bien que la fermentation ait lieu à température élevée et
avec une levure pure : mais c’est là, je CTOIS, UN Cas assez rare.
On voit aussi, contrairement à ce qui semblait avoir lieu
dans les expériences précédentes, que le poids d’azote organique
926 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
utilisé par la levure est très important, et qu’il peut dépasser la
quantité d'azote ammoniacal absorbé, même lorsqu'elle est un
peu au-dessus de la moyenne contenue dans les moûts.
La proportion d'azote qui reste dans le liquide fermentescible
décroit jusqu'à un certain moment, puis se relève assez rapide-
ment et plus vite à température élevée qu'à température normale.
L’explication de ces variations est facile.
Le développement de la levure étant très rapide dans les
premiers jours de la fermentation, la construction des tissus
exige une absorption très notable de matières azotées, qui dé-
passe de beaucoup l’excrétion corrélative de cette assimilation.
Lorsque le milieu devient défavorable à l'existence de la
plante, les phénomènes de désassimilation l’emportent sur ceux
d’assimilation, et les globules vieux restituent alors au liquide
une quantité d'azote plus grande que celle qui est absorbée par
les globules jeunes. Cette restitution continue pendant que la
levure vieillit davantage dans son liquide de culture, et dépend,
comme nous le savons, non seulement de la température, mais
aussi de la nature de la levure.
Le maximum d'absorption d'azote correspond à peu près à la
fin de la fermentation tumultueuse, qui dure plus ou moins, sui-
vant les conditions de température. À 36° elle s’arrète plus tôt
qu'à 28°, mais il reste à ce moment une portion plus ou moins
grande du sucre non fermenté; et, si on veut faire disparaitre ce
sucre à peu près complètement, il faut abaisser un peu la tempé-
rature.
La fermentation continue lentement, et pendant ce temps la
levure formée au début se détruit partiellement et plus rapide-
ment qu à température plus basse. Toutefois, si on fait l’analyse
des liquides fermentés dans les deux cas, lorsque tout dégagement
gazeux a cessé et lorsqu'ils se sont éclaircis après quelques jours
de repos, comme dans les expériences ci-dessus, il se trouve,
par hasard, que ces liquides renferment à ce moment, à peu de
chose près, la proportion d'azote organique que contenait le
moût.
Pour une mème fermentation, les poids de levure, obtenus
d’après le procédé indiqué, ne suivent que de très loin les varia-
tions de l'azote contenu dans cette levure après le maximum
d'absorption.
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 527
En effet, tandis que la levure a perdu près de 50 0/0 de son
azote, son poids fictif n’a baissé que de 10 0/0 environ ; c'est ce
qui montre que la méthode que j'ai employée pour déterminer
ce poids permet d'obtenir, entre deux fermentations différentes,
et lorsqu'elles sont terminées, un rapport des quantités de levure
produite très voisin du rapport des poids maxima.
Nous avons vu que la levure, vivant dans des conditions
favorables, a une préférence assez marquée pour l'azote ammo-
niacal sur l’azote organique du moût de raisin; il est alors
intéressant de savoir si dans un moût privé complètement
d’ammoniaque, l'azote organique pourraitsuppléer complètement
à ce défaut.
L'expérience suivante a été faite dans ce but. On a extrait
l’ammoniaque d’un moût par le procédé employé dans le dosage,
en remplaçant le carbonate de soude par le carbonate de potasse,
et on à ajouté dans une autre partie du moût primitif la même
quantité de carbonate de potasse; puis on a ramené ces deux
moûts à une même acidité par addition d'acide tartrique, qui a
précipité, à l’état de crème de tartre, la plus grande partie de la
potasse introduite dans les deux cas. Après la fermentation des
deux moûts par la même levure on a trauvé les résultats
suivants :
NATURE DURÉE PERTES DU MOUT POIDS
dela RE PC DE EURE
Ur A UE FERMENTATION| AZ0te organique. Azote ammon. obtenue.
Naturel. 6 jours. 0sr,4095 Osr,0875 4sr,975
Privé d’ammoniaque| 9 jours. 0 1370 » 195
L’ammoniaque du moût de raisin a donc une influence mani-
feste sur la marche de la fermentation vineuse, et ces chiffres
montrent bien l'importance du rôle qu’elle y joue; ce rôle
explique l'influence presque toujours positive des sels ammonia-
caux ajoutés à la vendange pour activer la fermentation. Inver-
sement, si, dans certains cas, la fermentation est languissante,
c’est peut-être parce que le moût est trop pauvre en ammoniaque.
Le rapport des quantités d'azote ammoniacal et organique
D28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
empruntées à un moût par une levure peut être considérable-
ment modifié quand on vient à changer les conditions de la
fermentation dans le sens d’une aération plus grande du liquide.
Ainsi on a fait fermenter à 28° le même volume de moût de
raisin avec la même levure : 1° dans un matras Pasteur aux
3/4 plein; 2° dans un matras ordinaire pas même à moitié plein,
et fermé par un tampon de coton; on a trouvé les résultats
suivants, au bout du même temps de contact du liquide et de la
levure :
PERTES DU MOUT RAPPORT POIDS
ET ©
KT a DE LEVURE
CONDITIONS
de la fermentation Azote organique. azote ammoniacal. Fa obtenue.
a b
Matras Pasteur... 0gr,0070 gr,1034 ll 8r,866
Matras ordinaire... 0 41196 104 15 3 000
Ces résultats étaient à prévoir, puisqu'on sait qu’une aération,
même très restreinte, favorise considérablement le développe-
ment de la levure; ce développement intense n’a pu se faire
naturellement qu’en enlevant au moût une plus grande quantité
de matières azotées.
En somme, de la série d'expériences qui précède, on peut
conclure que : 1° La quantité d’ammoniaque qui reste dans le
vin peut varier avec la température de la fermentation, la nature
du moût et les variétés de levure qui déterminent cette fermen-
tation ;
2° Les variations de l’azote total du vin dépendent de
toutes les circonstances qui ont agi sur la nutrition de la levure
pendant la fermentation, ainsi que de la durée de la macération
de cette levure dans le vin.
IV
Nous allons maintenant chercher ce que devient l’azote du
milieu fermentescible lorsque la levure est accompagnée des
ferments d’altération du vin qui se développent dans ce même
milieu.
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 529
Il y aurait des conditions différentes à considérer comme
dans le paragraphe précédent, mais je me placerai seulement
dans celles qui sont plus favorables pour les microbes que pour
les levures, c’est-à-dire lorsque le moût est pauvre en acidité et
que la température de la fermentation est élevée.
Dans une-série de matras Pasteur contenant du moût de
raisin stérilisé, on a ensemencé d’abord de la levure de Médoc
pure, et lorsque la fermentation a été déclarée à 28°, on a élevé
graduellement la température de l’étuve jusqu'à 36° dans l'inter-
valle de 24 heures. L'un des matras restant comme témoin, les
autres ont reçu une semence assez copieuse des ferments que
j'ai étudiés dans une note récente à l'Académie des Sciences".
Le ferment À provenait d'un vin de la Gironde de 1896, sain
au goût.
Le ferment B avait élé extrait d’un vin de la Gironde de
1884, caractérisé comme tourné.
Le ferment C provenait d'un vin amer de la Gironde.
Le ferment D avait eu pour origine un vin de l'Hérault de
1897, sain au goût.
Le ferment E était le ferment mannitique de MM. Gayon et
Dubourg *.
À Ja fin de la fermentation, qui pouvait être considérée
comme complète, car, dans tous les cas, la quantité de sucre res-
tant ne dépassait guère 0,5 0/0, l'analyse des vins obtenus a
donné les résultats suivants :
DIVERSES levure. TOTAL ORGANIQUE | AMMONIACAL témoin. SOS FP2
Témoin 187,775 Or,525 Osr,512 Osr,0125 » 0er,39
A 1 440 0 546 0 506 0 0402 0:,0336 MU
B 1.319 0 586 0 500 0 0585 0 0558 3 35
C 1 242 OMS 0 445 0 0763 O0 0874 4 78
D 0 920 0 561 0 468 0 0536 0 1N84 OU 718
E 1 100 0 516 0 429 0 O870 0 090% DE LD
4. Comptes rendus. Sur les ferments des maladies des vins, t. CXX VI, p.1223.
2. Annales de l'Instilut Pasteur, 189%, t. VII, p. 4108.
34
230 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
On voit que, dans les fermentations avec microbes, les poids
de levure sont toujours inférieurs à celui du témoin ; encore
ces poids sont-ils, en général, un peu trop élevés, car il est.
difficile d'éliminer complètement les microbes par Pagitation,
puis le repos et la décantation du liquide les tenant en suspen-
sion et surnageant le dépôt de levure. |
lei, les poids de levure ne sont pas toujours en relation avec
les quantités d'azote total restant dans le vin: par exemple, les
fermentations C et E, qui en ont laissé moins que la fermentation
témoin, ont donné des poids de levure très inférieurs. Cela s’ex-
plique par un développement considérable des microbes, qui ont
utilisé une portion importante de l’azote organique pour consti-
tuer leurs tissus.
Au premier abord, il semble qu'on aurait le droit de conclure
que les excès d’ammoniaque sur le témoin sont une production
microbienne, mais 1l faut songer que le développement de la
levure ayant été entravé par celui des microbes, l'assimilation
de lammoniaque a dû l’être aussi fatalement ; cependant, dans
aucun cas. elle ne paraît avoir été nulle". De sorte que, pour
ètre sûr de la production d’ammoniaque par ces microbes, il
faut pouvoir les cultiver hors de la présence de la levure, et dans
un milieu présentant des conditions physiques et chimiques ana-
logues à celles d’un moût en fermentation. C’est ce qui a été fait
dans lexpérience suivante qui comporte cinq milieux diffé-
rents :
1° Eau de levure de vin alcoolisée, obtenue en portant à
l’'ébulliuon de la grosse lie de vin du premier soutirage, coupée
d’un égal volume d’eau et additionnée de moût de raisin ; sucre,
40 grammes par litre;
20 Moût de raisin dilué avec de l’eau de levure de bière ;
sucre, 50 grammes par litre;
30 Vin blanc incomplètement fermenté ; sucre, 43 grammes
par litre ;
1. MM. Müntz et Rousseaux, au contraire, ont obtenu toujours une augmenta-
tion d’ammoniaque en cultivant des levures de vin pures ou des lies de vin
mélangées de microbes, dans des bouillons riches en matières azotées formées
d’une solution de gélatine, de peptone et de phosphate de potasse. Cette diffé-
rence dans les résultats s'explique simplement par les différences qu'il y avait
dans la nature des organismes et dans la composition des milieux dans lesquels
ils ont vécu.
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 331
40 Vin incomplètement fermenté fait avec du moût de raisins
rouges peu coloré; sucre, #3 grammes par litre;
5° Mélange de vins blancs divers un peu sucrés et de vin
rouge peu coloré; sucre, 9 grammes par litre.
Tous ces liquides contenaient une certaine quantité d’ammo-
niaque, variant de 10 à 60 milligr. par litre, qui était parfaite-
ment déterminée pour chacun d'eux; leur acidité avait été
ramenée à des chiffres compris entre 2 et3 grammes par litre en
acide sulfurique. Ils étaient contenus dans des matras Pasteur
portant un tube de dégagement soudé au tube du bouchon muni
du tampon de coton, et étaient ensemencés de la manière sui-
vante :
Après avoir fait bouillir pour stériliser et chasser l'air du
milieu, le tube de dégagement étant en relation avec une source
d'acide carbonique, on alaissé refroidir ; puisle liquide a été saturé
d'acide carbonique par l'agitation, et la semence introduite en
soulevant le bouchon, qui était toujours en relation avec la
source gazeuse. Le tube de dégagement était ensuite plongé
sous le mercure, et, pour éviter la diffusion du gaz, enfermé dans
le matras, par le bouchon rodé, celui-ci était graissé préalable-
ment avec un peu de suif”.
Le développement des microbes se faisait donc dans un
milieu privé d’air et saturé d’acide carbonique, conditions
analogues à celles qu’ils trouvent pendant la fermentation
vineuse.
Il a donné lieu à un dégagement régulier d'acide carbonique
pur pendant plusieurs semaines et aux réactions que j'ai indi-
quées ailleurs. Au bout de ce temps, l'analyse des liquides à
donné les chiffres du tableau suivant, qui indique pour chaque
liquide et pour chaque microbe : 1° la différence positive ou
négative entre la proportion iniliale et la proportion finale
d’ammoniaque ; 2 la proportion d'acides volatils produits, per-
mettant d'apprécier dans une certaine mesure lintensité du
développement des microbes.
4. J'ai employé aussi des appareils analogues aux tubes Pasteur pour les
cultures à l’abri de l'air, mais j’ai donné la préférence au dispositif indiqué ci-
dessus.
232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ELELELELELELELELELELELZELELELELES
DÉSIGNATION | LIQUIDE no 1 | LIQUIDE no 2 | LIQUIDE no 3 | LIQUIDE ne 4 | LIQUIDE no 5
aes D | EL | me
MICROBES | Ammon,.|Ac. v.|Ammon.|Ac. v.| Ammon. |Ac. v.|Ammon.|Ac. v.|Ammon.|Ac, v.
gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr.
A — 0,0030| 3,09 |+-0,0198| 3,09 |+0,0035| 2,15 |+-0,0043| 2,20 |+0.0020| 0.21
B —0,0014| 3,18 |0,0067| 3,21 |—0,0933| 1,93 0,0000! 3,35 |+0.0020! 0,28
C +-0.0032| 5,83 |<0,0047| 4,36 |0,0483| 3,45 |[—0,0070| 3,63 |+0.0039| 1,90
D +-0.,0304| 2,83 |+0,0136| 1,78 0,0000! 2,10 | 0,0062| 2,10 |+0,0116| 0.60
E 4-0,0180| 2,88 |+0,0029! 3,15 |+0,0545! 2,70 |—0.0050| 3,17 |+0,0108| 0,42
|
On voit que la production d’ammoniaque ‘ est loin d'être en
relation avec l'intensité du développement des microbes; elle
varie à la fois avec la nature des organismes et avec la compo-
silion du milieu où ils vivent. À part deux ou trois cas où cetle
produelion d’ammoniaque a varié de 30 à 50 milligrammes par
litre, les autres différences positives sont généralement assez
faibles, mais les différences négatives le sont encore plus.
Cependant, dans d'autres conditions, certains de ces organismes
peuvent faire disparaître l’ammoniaque du milieu en beaucoup
plus grande quantité. Ainsi, en cultivant le microbe A dans du
moût de raisins rouges exposé à l'air, où son existence a été
surtout aérobie, on a constaté qu'après avoir consommé
50 grammes de sucre par litre, il avait absorbé presque la
totalité de lammoniaque que contenait le moût, soit une diffé-
rence de O8".111 — 05,007 — 05,104.
Par contre, ce même microbe, ayant vécu dans du moût de
raisin saturé de gaz carbonique, a produit 0#",118 d’ammoniaque
après avoir fait disparaître une quantité de sucre voisine de la
précédente.
Dans ces mêmes conditions, le microbe C qui a donné la
différence négative la plus grande dans l’expérience précédente,
a fait auzmenter la proportion d’ammoniaque du moût de
0£,054 par litre.
Les propriétés de ces microbes peuvent done varier beaucoup
avec les conditions du milieu, et, par suite, l'effet de leur déve-
1. Les chiffres que l’on trouve dans le dosage de l’ammoniaque par la méthode
indiquée, expriment en Az H3 toutes les bases volatiles chassées du liquide con-
sidéré, parmi lesquelles il peut y avoir des ammoniaques composées, qui sont des
productions microbiennes assez fréquentes.
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 933
loppement pourra être différent suivant le moment où il se
fera abondamment au cours de la vinification.
Ainsi s'expliquent, par exemple, les variations, dans un sens
ou dans l'autre, des quantités d’ammoniaque trouvées par
MM. Muntz et Rousseaux dans les vins pris au commencement
el à la fin du premier ou du second pressurage, par rapport à la
quantité qui existait dans les vins de coule.
En somme, on peut conclure que les microbes qui se déve-
loppent pendant une fermentation vineuse peuvent en général
avoir une influence double sur l’augmentation de la proportion
d'ammoniaque que renfermera le vin :
1° En gènant la multiplication de la levure, et par consé-
quent l'assimilation de lammoniaque contenue primilivement
dans le moût ;
2° En produisant eux-mêmes des quantités plus ou moins
grandes d’ammoniaque.
Ces deux influences peuvent naturellement s'ajouter, et je
pourrais citer des résultats d'expériences où la quantité d’ammo-
niaque qui existait dans le liquide fermenté était supérieure à
la quantité initiale du moût, mais ce sont là des cas que l’on peut
considérer comme tout à fait anormaux, car ils nécessitent un
développement très important des microbes, et par suite une
altération du vin qui atteint rarement un degré aussi grand dans
la pratique.
Si on remarque même les chiffres d'acidité volatile inscrits
dans les deux derniers tableaux, on voit que les vins qui les
contiendraient seraient pour la plupart complètement perdus
pour la consommation et bons seulement pour être dis-
ullés.
On voit en outre, en comparant les quantités d’ammoniaque
produites dans les vins du dernier tableau et celles qui existent
dans ceux du précédent, qu'il y a le plus souvent un écart
considérable, qui prouve que l'influence prépondérante des
microbes sur la proportion d’ammoniaque restante est la gène
qu'ils apportent au développement de la levure.
Il est évident que ces remarques ne s'appliquent qu'aux
microbes que j'ai étudiés, et, comme il y a déjà entre eux des
différences notables au point de vue de la production d’ammo-
niaque, on peut admettre qu'il en existe d’autres qui, dans les
934 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
mêmes conditions, en produiraient davantage ou bien qui en
donneraient autant sans déterminer des altérations du vin aussi
importantes. D
V
Les résultats des recherches qui précèdent permettront, je
crois, d'expliquer la présence des doses variables d’ammoniaque
que l'on trouve dans les vins normaux et dans les vins défec-
tueux.
Vins normaux. — Je considérerai d’abord des vins parfaite-
ment sains au goût et bien constitués, provenant principalement
du département de la Gironde, les uns très jeunes, sortant
presque de la cuve, les autres plus âgés et conservés par les
pratiques ordinaires usitées dans notre région.
Comme les vins en général, même ceux qui sont parfaite-
ment réussis, ont subi un peu l'influence du développement des
ferments de maladie, soit dans la cuve, soit pendant leur conser-
valion, pour apprécier cette influence, j'ai dosé, en même temps
que l’ammoniaque, leur acidité volatile, et j'ai trouvé les chiffres
suivants :
ACIDITÉ 1
ORIGINE DES VINS VOLATILE A OMOAIOQRE
par litre. par litre.
IMDOrEPUTONEEEERe Er 1897 Os,66 Osr,0231
es PAMONTAVE IEEE EEE — 0 70 0 062
= LED, EU 0000 — 0 48 0 0077
e | AMD ALES LM RER — 0 37 0 0036
es ESSINES EE REENET PEN 1896 | O0 62 0 0136
SMRONGES RS in EloubeS pen — 0 66 0 030$
= Villenave d'Ornon.... — 0 70 0 O1S5
se Hibourne er ere 1895 0 88 0 0154
A Bla ver A at — 0 56 0 0255
A Saint-Emilion. ........ 1893 (DATE: 0 0267
= \ NE ARR — 0 85 O0 0277
ICS CGRÉON EEE EP RES — 0 50 0 0068
BLANCS Leocnanpe nent — 0 45 0 0085
DORDOGNE... | BeNCErAC AA EPA CU 1897 |" 0.50 0 0036
AUDE PEAR Saint Coude ere bb] 0 0281
On voit que parmi ces vins, pris tout à fait au hasard, il n'y
en a qu'un très petit nombre qui ne contient que des traces
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 3)
d'ammoniaque ‘; la majorité, au contraire, en a des quantités
très appréciables qu'il serait difficile d'imputer à l'action seule
des ferments d’altération, mais qui s'expliquent surtout par les
autres raisons qui ont été indiquées.
C'est encore quelques-unes de ces raisons qui permettent
d'accorder au mode de vinification quelque influence sur Îles
différences constatées. Ainsi, les vins de 1897, de Léognan,
d'Ambarès et de Bergerac, que je sais sûrement avoir été faits
dans des cuves ouvertes, contiennent les quantités les plus
faibles d'ammoniaque et pareilles à celles que l’on trouve dans
les vins blancs fermentés en barriques. Dans ces deux derniers
modes de vinification, les conditions de la fermentalion étant
plus favorables que dans les cuves fermées à la vie de la levure,
celle-ci a mieux utilisé les matières azotées que lui offrait le moût.
Vins défectueux. — Les vins défectueux peuvent se diviser
en deux groupes, le premier comprenant les vins anormaux par
suite d'accidents survenus soit à la récolte, soit à la fermenta-
tion, le deuxième étant constitué par les vins altérés pendant
leur conservation.
1° Vins accidentellement anormaux. — W s’agit de vins dou-
ceâtres, mannitéset cassés, pour lesquels MM. Müntzet Rousseaux
ont trouvé que la quantité d’ammoniaque qu'ils renferment est
supérieure à celle que contiennent des vins analogues, de cons-
titution normale. Cette relation entre l’état défectueux et la
proportion d’ammoniaque peut s'expliquer fort bien par les
recherches ci-dessus.
En effet, les vins douceûtres étant le résultat d’un arrêt de la
fermentation sous l'influence d’une température trop élevée
existant dans la cuve, si la levure est d’abord gènée dans son
développement, puis paralysée complètement, l'assimilation de
l’'ammoniaque du moût ne peut, par suite, être complète, et une
quantité plus ou moins grande de cette base doit se retrouver
forcément dans le vin doux.
Cette explication suppose, bien entendu, que les ferments
d’altérations n'ont pas pris la place de la levure, ce qui est assez
rare, mais généralement c’est le contraire qui arrive et l’on
obtient alors des vins mannités.
1. M. Manceau a trouvé des résultats analogues pour des vins de Champagne
de bonne conservation.
536 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Je rappellerai ici que tous les microbes que j'ai étudiés plus
haut sont des ferments manniliques ; aussi les vins qui ont
donné les résultats du tableau de la page 529, étaient tous for-
tement mannités. Par conséquent, les conclusions qui ont été
tirées de ces expériences s'appliquent d’une manière générale à
tous les vins mannités qui se produisent dans la pratique.
Quant aux vins cassables, la relation indiquée par MM. Muntz
et Rousseaux entre leur état maladif et la quantité d'ammoniaque
qu'ils contiennent ne parait pas pouvoir s'expliquer par les
résultats des expériences que j'ai faites, s’il s’agit de vins con-
tenant simplement de l’oxydase et non envahis par des microbes.
Mais comme les vins sujets à la casse ont, depuis leur naissance
même, une constitution débile, due à l’influence de la pourriture
grise (Botrylis cinerea) du raisin, ils constituent un milieu très
favorable au développement de ces microbes, lequel dans ce
cas peul êlre une source d'ammoniaque.
J'ai dosé l’ammoniaque dans un certain nombre de vins
rouges cassables et de vins blancs de Sauternes, toujours
cassables comme on sait, puisqu'ils sont faits avec des raisins
atteints de pourriture noble, produite également par le Botrytis
cinerea. Les échantillons de ces derniers, pris après le premier
soulirage, avaient été choisis parmi ceux qui ne contenaient
plus que de très petiles quautilés de sucre, leur fermentation
pouvant êlre considérée comme terminée. Le tableau suivant
donne l'acidité volatile et l’'ammoniaque trouvée dans ces vins:
ÉCHANTILLONS ACIDITÉ VOLATILE | AMMONIAQUE
DIVERS par litre. par litre.
€ (ANS Osr,65 O2r,0223
VINS ROUGES ‘ No 2. 0 65 0 O145
2 l N° 3. 0 50 0 0289
No 1. 0 42 0 0289
VINS BLANCS ! Ne 2. 0 83 O0 0289
l No 35. 0 89 0 0326
0 217
MOYENNE » 0 0231
On voit que la moyenne des quantités d'ammoniaque dosées
dans ces vins ne s'écarte pas de celle que l’on a trouvée dans les
ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 37
vins normaux; elle est d’ailleurs identique à celle qu'ont trouvée
MM. Müntz et Rousseaux, dans les vins les plus cassables qu'ils
ont examinés.
L'acidité volatile des vins rouges indique qu'ils avaient peu
souflert de l’action des microbes, tandis que les vins blancs
paraissaient plus atteints ; mais une acidité volatiie élevée n'est
pas ordinairement anormale pour les vins de Sauternes, car elle
provient en partie de celle que contient le moût lui-même avant
la fermentation, et qui est fournie par les grains de raisins aigris
existant toujours en pelite proportion.
Les quantités d’ammoniaque contenues dans les vins de
Sauternes que j'ai analysés, paraissent cependant assez élevées
par rapport à celles qui existent dans les vins blancs ordinaires.
Je n'examinerai pas de plus près celte remarque, car elle rentre
dans un cas particulier. La fermentation des moûts de Sauter-
nes ne peut pas, en effet, être assimilée complètement à la fer-
mentalion d'in moût ordinaire, puisque le milieu se trouve
notablement modifié par l’action du Botrytis cinerea sur le jus
des raisins. Ce que l’on peut dire cependant, c’est que ce cham-
pignon ne peut augmenter la richesse ammoniacale des moûts,
car l'expérience prouve, au contraire, qu'il absorbe très facilement
l’ammoniaque de tous les milieux de cullure ; il n'y a pas d’ex-
ceplion pour le moût du raisin, comme l'ont montré au com-
mencement de ce travail les dosages faits sur les moût moisis et
non mOoISsIs.
20 Vins altérés pendant leur conservation. — Parmi les vins de
cette catégorie, j'étudicrai les vins fleuris, piqués, tournés el
amers".
Vans fleuris et piqués. — Le mycoderma vini et le mycoderma
aceli ullisent avidement, en se développant sur le vin, lammo-
niaque qu'it peut contenir nalurellement ou celle qu’on peut y
ajouter. Ainsi, on a ensemencé ces deux organismes séparément
sur un vin contenant primitivement 0,025 d'ammoniaque par
litre, et sur le même vin dont la richesse ammoniacale avait été
portée à 0#,0708 par litre. Au bout de ciuqg jours, dans tous les
1. La production d’ammoniaque pendant la maladie de la graisse vient d’être
démontrée par M, Manceau, qui a constaté dans un vin gras une augmentation
de 60 milligrammes d’ammoniaque par litre au bout de six mois. (Voir son rapport
sur les dosages de l'acidité volatile et de l’ammoniaque dans les vins de Champagne,
Bulletin de la Société des Viticulteurs de France et d'ampélographie, n° 7, 1898.)
538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
cas, 1l ne restait plus que quelques milligrammes d’ammoniaque
dans le vin: le reste avait été Pue dans la formation de
voiles mycodermiques abondants.
Dans une autre expérience, on a suivi la disparition pro-
gressive de l’ammoniaque en même temps que les progrès de
l’altération du vin, et on a obtenu les chiffres ci-après :
e
MISONRERS VINI
=
Acidité totale. ce mt oo. Alcool.
MYCODERMA ACETI
TT ——
OBSERVATIONS
| Az Acidité totale. AzU3
Vin primitif.| 5er,30 Oer, 1028 Ber,30 Osr,1028
0398 28 40
Après 3 jours 2 9 6 ()
Après 6 jours 0 0034 48 90
La consommation de l’ammoniaque a donc été très rapide,
surtout avec le mycoderma vini.
Vins tournés et amers. — J'ai réuni daus le tableau suivant
les résultats des dosages d'acidité volatile, d'azote total et
d’ammoniaque, relatifs à quelques vins lournés et amers, géné-
ralement assez vieux, en bouteille.
VINS TOURNÉS ACIDITE AZOTE AMMONIAQUE
VOLATILE TOTAL
ET AMERS par litre. par litret. RS Le
1884 9er,03 Osr,426 0:r,0540
1886 #4 Gin 0 510 0 0561
VINS TOURNÉS.... 1893 4 3% OM 0 0782
1894 { 60 0 546 0 0980
1895 1 76 0 574 0 1054
MONENNES ne 2 2009 0 497 0 0783
1 1872 DETS 0 140 0 0093
| 1881 1 66 0 259 0 0217
VINS AMERS...... (1882 D AauliT (Our 0 0120
| 1893 Ori 0 284 0 . 0224
1893 (035 0 245 0 0108
MOVENNES MERS. 1 70 0 221 0 0152
1. Les chiffres de cette colonne sont de même ordre que ceux publiés par
M. Müntz, pour les vins de la Gironde, dans son ouvrage intitulé: Les vignes,
recherches expérimentales sur leur culture et leur exploitation. l’aris, 1895. Voir
aussi :
Étude sur la fermentation alcoolique du vin, par ManriNan». Paris, 1893.
ÉTUDE DE L'AZOTE DANS LE VIN 939
On voit que la proportion d’ammoniaque ne dépend pas de
l'importance de l’altération, puisque, pour les vins amers notam-
ment, ce sont les moins altérés qui en renferment le plus.
Je suis même porté à croire que, dans ce dernier cas, non
seulement les quantités trouvées n’ont pas été produites par les
microbes, mais que, pour quelques vins, elles sont plus faibles
que les quantités contenues au début après la fermentation.
Avec les vins tournés, la production d’ammoniaque au cours
de l’altération est évidente ; je puis même citer un exemple très
démonstralif, se rapportant à un vin de 1893, mis en 1894 dans
deux bouteilles, dont l’une, qui avait été chauffée à 60° et servait
de témoin, s’élait parfailement conservée, tandis que l’autre
était complètement tournée. L'analyse des deux échantillons a
donné les résultats suivants :
Acidité volatile Ammoniaque
par litre. par litre.
Échantillon témoin............. Ogr, 60 Ogr, 0278
EÉchantillon tourné..…......... re SUIS 0, 0451
[y a donc eu 21,58 d’acidité volatile el 0#,0173 d’ammoniaque
produits, soit 0,15 d'acidité volatile par milligr. d'ammo-
niaque, proportion qui est également la moyenne des produc-
tions positives du tableau de la page 532.
Si nous appliquons ce rapport aux vins de la page 534, le cal-
cul montre que l’on ne peut attribuer aux microbes ayant vécu
dans ces vins qu'une part très faible dans la proportion d'ammo-
niaque qu'ils renferment.
En comparant les moyennes du tableau ci-dessus, on voit que
tous les chiffres sont plus élevés pour les vins tournés que pour
les vins amers. Celle remarque avait déjà été faite depuis long-
temps pour l'acidité volatile, mais pour l'azote Lotal c’est un
fait nouveau qui serait intéressant s'il était généralisé.
Il semble, en effet, qu'il pourrait y avoir une relation entre
la quantité d'azote contenue dans le vin, et la nature de la ma-
ladie qui l’atteint, tourre ou amertume. De sorte que si l’on
abandonne un peu l’idée de spécificité des organismes détermi-
nant ces maladies, l'influence de la composition du milieu sur
la physiologie de ces êtres ressortlirait ici comme pour les expé-
riences de la page 532. D'autre part, la maladie de l’amertume
940 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
élant beaucoup plus rare parmi les vins de la Gironde que celle
de la tourne, on comprend facilement l'intérêt qui s'attache
à une pareille étude, dont les résullats pourraient très bien être
applicables à la viticullure et à la vinification de notre
région,
VI
En résumé, ce travail montre que l’utilisation partielle des
malériaux azotés du moût de raisin par les levures de la fermen-
lalion vinique est sujelle à des variations qui dépendent
d'abord de la nature de ces levures et des conditions physiques
et chimiques de la fermentation agissant sur leur nutrition, et
eusuite de l'influence qu'exercent, sur le milieu fermenutescible
et sur la levure, les fermeuts de maladie se développant en
mème temps qu'elle.
D'une manière générale, l’ammoniaque contenue naturelle-
ment dans le moût de raisin est ulilisée avec avidité par les
levures, comme l'avait déjà montré M. Duclaux, mais 1l peut en
rester dans le vin des quantités plus ou moins grandes, en rela-
lion avec la richesse ammoniacale et la nature du moût, et avec
les facteurs indiqués ci dessus, parmi lesquels les microbes
peuvent jouer un rôle prépondérant.
Les maladies qui altèrent le vin pendant sa conservation font
varier dans un sens ou dans l’autre la proportion d’ammoniaque
qu'il renferme à sa sorlie de la cuve. Dans les vins fleuris
et piqués, cetle proportion diminue, tandis qu'elle augmente
dans les vins lournés; elle ne paraîil pas varier beaucoup dans
les vins amers.
Le dosage de l’ammoniaque dans uu vin riche en acidité vo-
latile et non amer permettra donc d’avoir une preuve très voi-
sine de la certitude pour dire si celte acidité est due à la piqûre
ou à la tourne, saus être obligé d'appliquer la méthode de
M. Duclaux pour la détermination des acides volatils contenus
dans le vin.
INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO
Statistique du traitement préventif de la rage (9 février 1888 au 30 avril 1898).
Par Le Dr FERREIRA pos SanTos.
Les premières inoculations antirabiques à l'Institut de Rio-de-
Janeiro (Brésil) datent du 9 février de l’année 1888.
Pendant la période écoulée jusqu'au 30 avril de l'année cou-
rante, le nombre des personnes qui se sont présentées à l'Ins-
titut a été de 3,973, dont 2.647 ont été admises en traitement et
1,326 ne furent pas inoculées, parce que, pour presque toutes,
les animaux mordeurs n'étaient pas enragés.
Le tableau suivant montre, pour chaque année, le nombre
des personnes qui ont eu recours à l’Institut :
Personnes Personnes
Années. traitées. non traitées.
1888 105 121
1889 90 100
1890 158 92
1891 242 114
1892 207 113
1893 241 119
1894 344 137
1895 402 41 29
1896 331 158
1897 397 169
1898 124 74
Total 2,647 1,326
Comme on le voit, parmi les 3,973 personnes venues à l'Ins-
titut, le traitement préventif n'a pas été appliqué à 1,326, pour
les motifs suivants :
1,176 avaient été mordues par des animaux en état de
santé ;
51 n'avaient pas reçu de morsures, mais seulement des con-
042 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tusions par les dents des animaux, sans aucune solution de con-
tinuité les exposant à l'infection ;
9 avaient été mordues par des animaux qui furent atteints de
la rage longtemps après la morsure ;
4 ont été blessées par des animaux atteints de maladies autres
que la rage, vériliées par l'examen vétérinaire ;
2 ne se sont pas présentées à l’Institut ;
3 ont été apportées à l’Institut en état de rage déclarée ;
59 n'ont pas voulu suivre le traitement qui leur avait été
proposé, car les animaux étaient suspects, et, dans ce nombre,
une personne a succombé à la rage.
Voie les détails concernant les 2,647 personnes auxquelles
celte statistique se rapporte :
1° Au point de vue du sere, 11 y a eu:
1,987 personnes du sexe masculin, dont 1,107 adalles et 880 enfants.
660 » ) féminin, dont 321 adultes et 339 enfants.
2° Au point de vue de l'âge, 11 y à eu :
DOSqQU'a POLANS, LEE ILE REA ENS PARR 279
Den 6 TONNES LAN ER RTE RAR Re BI
DEA A Tee ER En NE EP TA 465
D'ERTE SAR ON ARR ARR OR ARE QU Ten 235
Den AS 0 NU Re Te RER RARE TS NE t 2 403
ASS (UN RE EEE NE PT Es 354
DÉMO OS NE Mme re En ie TU rE Le 217
De AA CODE EL AN Re RE ea ee A Eee 108
DetCAN TON OR RE En RE RNA RP 55
AUSdeSSUSIE MDI SERPENT 14
3° Au point de vue de la nationalité, il y a eu:
Brésiliens:#519979 SUISSES re 4
Portugais... 431 Argentins .... 4
Italiens or Suédois... 1
Espagnols... )9 Polonais .,... 1
Erancais #7 21 Arabes "tree il
Africains...... 19 RUSSE il
Allemands.... Al Rép. Orientale 1
Belges 15.1: 3 Anblals Peer di)
Autrichiens... 3
L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO) D43
4° Au point de vue du siège, les morsures sont divisées en six
groupes, à Savoir :
Marsurestamanteter is Lu Mu mue 240
— UNS aan tre ot 906
— aux membres supérieurs........ 468
— aux membres inférieurs........ 869
AURA ONC RME RS A Te nt 129
= en plusieurs endroits du corps.. 39
9° Au point de vue de la cautérisation, 11 y a eu :
Cautérisation efficace............. 96 cas.
— Hon’elfficace .: "Se: TIRE
Pas de cautérisalion: #2. 1,304 —
6° Chez 1,900 personnes, les morsures ont été faites à décou-
vert: chez 747 personnes, les vêtements ont été déchirés.
7° Les animaux mordeurs ont été :
CHIENS ER SR CR Nr 2,344
DISC EME PR RARE PERS 280
SD OS ARE AS SP PRES 4
MES Re Eee a RS re 2
Cheval RM ER il
À AO SOS A EL PE ES 1
NE NS EPS A ete ae l
Enoutre-11y a eu:
10 cas, dans lesquels le traitement préventif a été appli-
qué à la suite de piqûres survenues dans le travail du labora-
Loire ;
3 cas, où des personnes, porlant aux mains des plaies acei-
dentelles, ont été exposées à la contamination par la bave d’ani-
maux enragés;
1 cas, où une personne a été mordue par une autre qui était
atteinte de la rage.
8° Quant à l’état des animaux mordeurs, les cas traités à
l'Institut sont répartis en trois catégories, à savoir :
544 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
A 236 personnes ont été mordues par des animaux dont
la rage a été vérifiée expérimentalement ;
B 1,173 personnes ontété mordues par des animaux dont
la rage a élé reconnue par les symptômes de la maladie ; ’
C 1,238 personnes ont été mordues par des animaux dont
l'état était si suspect que, par rapport à la plupart, la rage pou-
vait être affirmée.
RÉSULTAT DU TRAITEMENT.
Pour que les résultats de l'application du traitement préven-
lif de la rage soient appréciés dans toute leur rigueur, il faut
retrancher, du nombre total des personnes inoculées, les cas
suivants :
30 dans lesquels les inoculations ont été suspendues, parce
qu'on apu trouver les animaux mordeurs et vérifier qu’ils n'étaient
pas enragés ni suspects ;
65 qui se rapportent à des personnes qui ont abandonné le
traitement, et dans ce nombre, il y a eu trois cas de rage ;
6 concernant des personnes qui furent prises de rage au cours
des inoculations. Dans ce nombre, il y avait cinq personnes très
gravement mordues à la tête, etune à la main, qui, n'étant venue
se faire soigner qu'au 21° jour de l'incubation, n’a reçu que
deux inoculations, car la rage a éclaté le 23° jour ;
5 se rapportant à des personnes qui sont mortes de maladies
diverses, dont la nature n’éveillait aucun soupçon par rapport à
la rage.
En retranchant ces 106 cas du total de 2,647 personnes, ce
chiffre se trouve réduit à 2,541 personnes ayant subi la vacei-
nation antirabique. Parmi ces personnes, il y a eu vingt décès
par la rage, ce qui donne, pour la proportion totale de la morta-
lité, 0,78 0/0.
Si on retranche des 20 cas de mort qui viennent d’être signa-
lés neuf cas dans lesquels la rage est survenue avant le 15° jour
de la fin du traitement, c’est-à-dire avant que les vaccinations
aient pu produire leur résultat efficace, la statistique définitive
de l’Institut de Rio-de-Janeiro, pendant une période de plus de
dix ans, est la suivante :
©c
Æ
©t.
L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEÏIRO.
Personnes traitées........ 2,532
RDS ie te su nee euh 11
Mortalité 0/00 1... 0,43
La proportion des morts, considérée par rapport au siège des
morsures, a été celle qui suit :
Morsures td lartéte ete RER es 4, de 3 soit : 4,25 0/0
—- AUX ANAINS Are oder eds » 4 0,44 0/0
— aux membres supérieurs... 1 0,21 0/0
— — — inférieurs. .... 2 0,23 0/0
— AUTO RE EN Aa mea ee eee il 0,80 0/0
— HUIHPIES Et eee à de 0 0, 0/0
La méthode de vaccination antirabique à l'Institut de Rio-de-
Janeiro est celle qui est établie par l'Institut Pasteur de Paris. Il
n’y a que de légères modifications dans quelques détails, que je
signalerai rapidement.
Les inoculations ont lieu à 8 heures du matin; dans cer-
tains cas, comme ceux de morsures à la tête ou de blessures un
peu anciennes, une deuxième inoculation est appliquée à 5 heures
du soir, pendant les deux ou trois premiers jours du traite-
mené.
Les moelles employées sont celles de 14à 3 jours; cependant,
dans les cas plus dangereux, 1l faut arriver à celle de 2 jours,
surtout en été, car la chaleur qui dessèche les moelles étant au-
dessus de 23°, il convient de compenser l'effet de l'excès
de température par l'inoculation d'une dernière moelle exposée
moins longtemps à la dessiccation.
Pour l’inoculation des lapins, je me sers toujours du virus de
passage provenant des séries de lapins inoculés à Paris, le 2 juil-
let 1887, avec le virus du 152 passage. Je suis arrivé au
512° passage, et les lapins sont toujours pris le 6° jour ; les séries
n° 153 à 512 n'ont pas été interrompues.
Comme les lapins sont peu abondants à Rio-de-Janeiro, il
m'a fallu restreindre le nombre des animaux inoculés. Dans le
commencement, je trépanais deux lapins par jour ; je me suis,
ensuite, arrêté à un seul lapin par jour, et, plus tard, le manque
de lapins ayant augmenté, je me suis tenu à la pratique actuelle,
laquelle consiste dans l’inoculation de quatre lapins par semaine.
39
546 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Chaque animal fournit deux morceaux de moelle, de 8 à 10 cen-
timètres de longueur, dont un est immédiatement suspendu dans
un flacon contenant du chlorure de calcium, et l’autre est déposé,
à la glacière pour être suspendu le lendemain.
Pour délayer les moelles, j’ai adopté, de préférence au bouil-
lon de veau, une solution à 1 0/0 de chlorure de sodium pur
dans de l’eau filtrée et stérilisée. Avec l’eau salée, les inocula-
‘ions sont parfaitement supportées, même par les personnes
es plus délicates, parce qu’elles ne sont pas douloureuses ou,
s'il y a un peu de douleur, elle est très légère.
D' FErREIRA pos Sanros.
Rio-de-Janeiro, le 25 mai 1898.
REVUES ET ANALYSES
BES A LBUMINOLDES
Il a été question, jusqu’à présent, des essais d'analyse des albumi-
noïdes par les ferments; il reste à traiter des résultats obtenus par
l'action sur ces substances des bases et des acides forts. L'étude détail-
lée de l'hydrolyse des albuminoïdes par l’hydrate de baryte à haute
tempéralure a été l’œuvre de Schützenberger, et nous devons à ce
savant un ensemblede vuesingénieuses sur la constitution del’albumine.
Les travaux de Schützenberger sont trop connus pour que j'en
fasse ici l'exposé. Ils ont d’ailleurs été résumés dans les Annales par
Duclaux en 1891. L'idée maîtresse qui s’en dégage, c’est que l’albu-
mine résulte de la soudure d’un grand nombre d’acides amidés, sou-
dure indirecte en ce que l'union se fait par l’interposition d’un certain
nombre de molécules d’urée ou d’oxamide. Les résultats de Schützen-
berger n’ont pas, que je sache, été modifiés par des travaux plus
récents, faits suivant la même méthode. La plupart des savants qui,
dans ces dernières années, ont fait l’attaque des albuminoïdes, Pont
opérée par les acides forts, suivant en cela la voie tracée par Hlasi-
wetz et Habermann.
Parmi ces savants, il faut distinguer entre ceux qui se sont occupés
de la recherche spéciale d’un chaînon de la grande molécule, qu'ils
tâchaient de mettre en liberté et d'isoler des autres produits d’hydro-
lyse, et ceux qui, comme Drechsel, ont essayé de faire le bilan complet
des produits de destruction et sont arrivés par cette voie à découvrir,
parmi ces produits de décomposition, des composés inconnus Jjus-
qu’alors. Dans les recherches faites suivant la première direction, deux
points principaux ont été étudiés surtout : la question du soufre des
albuminoïdes et celle de leur chaînon sucré, On admet aujourd’hui
que les albumines contiennent généralement du soufre dans leur molé-
cule. Une exception à cette règle serait constituée, d’après Nencki, par
certaines protéines extraites, soit de microbes de putréfaction, soit des
spores charbonneuses. Il serait d'ailleurs à prouver dans ce cas que du
soufre, très faiblement uni au complexe moléculaire, ne s’est pas déta-
ché pendant la préparation de la protéine.
548 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Depuis 1848 on admet, avec Fleitmann, à l'encontre de l’ancienne
opinion de Mulder, qu’il y a lieu de distinguer dans la molécule de lal-
bumine deux modes de combinaison du soufre. Une partie du soufre
est attachée faiblement et se détache à l’état de sulfure par l’action
des solutions de potasse et de soude à l'ébullition; l’autre, plus forte-
ment combinée, ne se retrouve à l’état de sulfate qu'après incinéralion
de l’albumine résiduelle avec le mélange de salpêtre et d’hydrate potas-
sique. On appelle souvent à tort celte partie : soufre oxydé, en oppo-
sition avec le soufre non oxydé; il est plus exact de parler, comme
Krüger, de soufre facile et de soufre difficile à détacher. Ces résultats
de Fleitmann, confirméset étendus aux principales albumines par Nasse,
Danilewski, Krüger, Suter, Malerba, affirment donc un premier fait
important : c’est qu’il y a au moins deux atomes de S dans la molécule de
l’albumine, combinés différemment aux atomes voisins. Cette règle
n'est d’ailleurs pas constante, car différentsalbuminoïdes ne donnent pas
de sulfure de plomb, quand on les soumet à l’aclion d’une lessive de
potasse additionnée d’acétate plombique. Malerba ‘ cite parmi ces der-
niers la caséine, la myosine, la gélatine, la chondrine, la nucléine, la
globuline du sang. Krüger * adinet aussi que la légumine et probable-
ment la caséine sont dans ce cas. Ces différents auteurs ont tâché de
déterminer les quantités de soufre contenues dans les albuminoïdes,
suivant l’une et l’autre forme. Mais leurs résultats, obtenus d’ailleurs
d’après des méthodes différentes, sont discordants. Ilest certain, comme
le fait remarquer Schülz *, que, suivant la méthode employée, on peut
avoir des résullats totalement dissemblables; cet auteur met surtout
en garde contre l’oxydation possible au contact de l'air des sulfures
alcalins formés. Cette oxydation, qui produit des sulfites et des sulfates
aux dépens des sulfures, a pour résultat la non précipitation de sul-
fure de plomb, due à la solubilité des oxysels de plomb dans la potasse.
Elle ne semble cependant pas devoir entraîner de grandes différences
dans les résultats, si à la fin de l'opération la solution est acidifiée par
l’acide acétique, ce qui aura pour résultat la précipitation du sulfate
de plomb produit, et si le sulfure de plomb est pesé après transfor-
mation en sulfate, comme dans la méthode de Fleitmann. Si, au con-
traire, comme semble l'avoir fait Malerba ‘, la séparation du sulfure de
plomb et du liquide alcalin surnageant s’opère sans acidification
préalable, il se pourrait, dans le cas d'attaque difficile et prolongée au
contact de l’air, que le soufre, s’oxydant au fur et à mesure de sa mise
en liberté, reslât complètement en solution sous forme de sulfate de
plomb, et échappât par conséquent à l'analyse. Faut-il attribuer à cette
1. Cité d’après Scnuzz et d’après Maly's Jahresbericht, f. Thierchemie, 1884.
2. Pflüger’s Archiv., t. 43.
3. Zeitschrift f. Physiol. Chemie, Bd XXIV.
REVUES ET ANALYSES. D49
raison le fait que Malerba ne trouve pas de soufre labile dans la glo-
buline du sérum, alors que Schülz, agissant en milieu réducteur,
trouve que la moitié du soufre de cette albumine appartient à la forme
labile? Ou bien l’action réductrice du milieu ne peut-elle pas avoir
influencé la liaison d’un des atomes de soufre de la protéine et facilité
sa mise en liberté? C’est ce qu’il semble difficile de décider tant que
des recherches qualitatives n'auront pas établi sous quelle forme le
soufre se trouve lié dans les albumines.
Des efforts intéressants faits dans cette direction ont fixé certains
résultats. Ainsi, Krüger, ayant, dans ses recherches préliminaires,
soumis à l’action de la potasse additionnée d’acétate plombique diffé-
rents composés organiques sulfurés bien définis, conclut de ses
recherches que :
1° Les combinaisons du type
|
— ’ SH
ne cèdent généralement pas leur soufre; si, cependant le C porte en
même temps un oxygène
O—C—SH
(thioacides) ou un groupe amidé
|
Az? — C—SH
|
Î
(cystéine), le soufre devient labile;
20 Le soufre est cédé aux alcalis par les molécules du type
St;
30 Les molécules du type
=V—=ot=
sont décomposées en partie, mais sans formation de sulfure;
19 Les molécules du type
=C—S—S—C—=
contiennent du $ labile, à moins que le C ne soit uni à O.
Il résulte avant tout de ces recherches que le plus ou moins de sta-
bilité de l’atome de S ne dépend pas fatalement de ce qu'il est ou non
combiné à de l’oxygène, comme on le croyait précédemment. Il n’en
est pas moins vrai que l’oxydation de la molécule d’albumine par le
permanganate de potassium ‘ ou par l'iode * a pour premier résultat
de rendre stabile tout le soufre de l’albuminoïde,
4. Mary, Sitsungsberichte der Kaïiserlichen Akademie der Wissenschaften.
Wien, 1885 et 1888.
2. Hormeister, Zeitschrift f. Physiol, Chemie, Bd. XXIV.
990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le soufre résultant de la désintégration des albuminoïdes consti-
tuant les tissus des animaux est éliminé dans la biie sous forme de
taurine de formule H,Az — CH, — CH, — SO,H. Dans les urines, on le
trouve représenté surtout par les acides sulfo-conjugués de Baumann,
combinaison de radicaux aromatiques à l’acide sulfurique, et, partiel-
lement par la cystine, le sulfocyanate de potassium et des corps
inconnus. Parmi ces composés, un des plus intéressants est la
cystine, qui résulte de la combinaison par oxydation, avec élimina-
tion de deux atomes d'hydrogène, de deux molécules de cystéine.
Cette dernière a pour formule H*C— C(SH)(AzH*)-— CO'H. Elle
est de l'acide thiolactique amidé. Cette cystéine, ou plutôt la cys-
tine qui en dérive en milieu alcalin, apparaît quelquefois en grande
quantité dans les urines dans certains états pathologiques. On peut
provoquer son élimination par l'urine du chien normal quand, à
l'exemple. de Baumann et Preusse', on mélange à sa nourriture les
dérivés monochlorés ou monobromés du benzol. Dans ces conditions
apparaît dans l'urine une substance particulière, l'acide mercaptu-
rique, contenant dans sa molécule une moléeule de cystéine dont l’hy-
drogène du groupe — SH est remplacé par le groupe — CfBrH*.
Baumann croit pouvoir conclure de ce fait que la cystéine est un
produit intermédiaire de la désintégration des albuminoïdes, qui,
dans les conditions normales, est oxydée elle-même et n'apparaît pas
dans les urines. Le rôle du monobromobenzol est de s’unir à elle, au
moment de sa mise en liberté, pour former une molécule stable que les
oxydations organiques n’atteignent plus. Il était intéressant de recher-
cher sa présence parmi les produits de désintégration de l’albumine
par les acides. C’est ce qu’entreprit un élève de Baumann, Suter ?, qui
ne trouva pas, à vrai dire, de cystéine, mais y découvrit un corps très
rapproché, l’acide thiolactique. Cet acide, sous l'influence de la
potasse additionnée d’acétate de plomb, donne à chaud un précipité
abondant de sulfure de plomb. L’acide thiolactique ne fut pas obtenu
directement des produits de destruction de l’albumine, il ne put en être
isolé à l’état de liberté qu'après leur putréfaction. I semble s’y trouver
en combinaison, et ne constitue par conséquent pas un des fragments
immédiats de la destruction des albuminoïdes. Cet acide thiolactique,
chauffé sur le bain-marie à l’ébullition, se décompose partiellement
et émet des vapeurs dont l'odeur rappelle celle du sulfure d’éthyle
(C°H°}S. Or Abel a découvert ce dernier corps dans l'urine du chien
normal ?. Baumann ‘ émet l'hypothèse que ce sulfure d’éthyle pro-
vient de l’acide thiolactique.
1. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V.
2. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V.
5. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX.
4. Zeilschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX.
REVUES ET ANALYSES. Do
2 C*H°O*S = (C'H°}S + H°S + 2 CO:
D'autre part, Drechsel* croit retrouver le même sulfure d’éthyle parmi
les gaz qui se dégagent dans l'attaque des albumines par les acides.
Et, d'après lui, le précipité que l’on obtient quand on précipite par
l’acide phosphotungsténique contient une base qui, en se décomposant,
met en liberté du sulfure d’éthyle. Une telle base devrait appartenir à
la série des composés sulfiniques, dans lesquels l'atome de soufre est
tétravalent. Il serait intéressant de prouver définitivement l'existence
de cet atome de soufre tétravalent dans la molécule des albumines.
Telles sont, brièvement résumées, les idées acquises récemment
sur le soufre des albuminoïdes. (Comme il est facile de s’en rendre
compte, nous en sommes encore à la période des tâtonnements, les
quelques résultats acquis ouvrant la voie et indiquant certaines direc-
tions aux travaux futurs.
On peut en dire autant du chainon sucré, qui, d’après l’opinion de
beaucoup de chimistes, se trouve contenu dans la molécule protéinique.
Il y a lieu ici de distinguer entre les albumines ordinaires, telles que
albumine de l’œuf, du sérum, globulines diverses, etc., et certaines
protéides En ce qui concerne les secondes, nous en connaissons actuel-
lement un certain nombre, telles que la mucine vraie (Landwehr), la
chondromucoïde (Schmiedeberg), les nucléines et nucléo-protéides
(Kossel), qui, parmi leurs produits de décomposition, fournissent un ou
plusieurs chaïnons sucrés. Mais il est admis que, chez ces composés,
que l’on envisage comme formés par l'union d'un radical albuminoïde
à un composé non protéinique, variable suivant les cas, c'est ce
dernier qui fournit le sucre. Ces données laissaient donc ouverte la
question posée précédemment.
Depuis longtemps, l’étude des échanges et des bilans nutritifs, tant
physiologiques que pathologiques, a faitadmettre comme vraisemblable
l'existence d’un groupe sucré chez les albumines ordinaires. Mais
il manquait à cette idée une base chimique. Il est vrai que Schützen-
berger avait obtenu, dans ses essais de désintégration de l’albumine
par l'acide sulfurique, un corps privé d’azote, réduisant la liqueur de
Fehling, qu’il ne décrit pas davantage. Mais ce manque d'identification
avec un sucre quelconque, joint au fait que Schützenberger a employé
dans des recherches une albumine insuffisamment purifiée, enlève à
cette constatation tout caractère de certitude. Et cela d’autant plus que
Mürner ?, confirmé par Salkowsky, a découvert récemment, dans le
blanc d'œuf, une substance du groupe des mucines, l'ovomucoïde, qui,
dans les conditions où se plaçait Schülzenberger, fournit un corps
réducteur, qui n’est pas un sucre.
1. Physiolog. Centralblatt, 1896.
2. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XVII.
D92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Krukenberg, se basant sur la réduction à chaud de l’hydrate cui-
vrique par les diverses albumines et albumoses, croit pouvoir en con-
clure à l'existence du groupe sucré dans leur molécule. Drechsel !, qui
a pu confirmer récemment ces résultats, fait ressortir avec raison que
tous les composés, qui réduisent la liqueur de Febhling, ne sont pas des
hydrates de carbone, et il exige, avant de se prononcer, l’isolement et
l'identification du groupe réducteur. Mürner * aurait pu obtenir, par
l’action de l’eau sur la globuline du sang de cheval, un corps gommeux,
qui, traité par l’acide chlorhydrique dilué, aurait fourni, parmi les
produits de sa destruction, une substance réductrice, donnant avec la
phénylhydrazine un osazone de point de fusion : 1709-1720. La myo-
sine, la paranucléine de l’œuf, l'ovalbumine, la sérumalbumine, le
fibrinogène auraient fourni des résultats négatifs. Pavy *, dans un
travail récent, attribue aux albumines la constitution de glucosides et
il les considère comme contenant de façon constante dans leur molécule
un groupe sucré, uni au radical qui constitue la peptone. Krawkow *,
qui a répété les expériences de Pavy, fait ressortir l'insuffisance de la
technique de cet auteur. Krawkow n’admet l'existence du groupe sucré
que là où il peut, par la phénylhydrazine, provoquer la formation
d’osazone. Il a pu constater cette production après l'attaque de
l’albumine de l’œuf par les acides sulfurique et chlorhydrique de
3 à 5 0/0. Les dérivés de cette albumine oblenus par digestion pepsique
ou par l’action des acides et des bases faibles, de même que la fibrine,
la sérumalbumine, la sérumglobuline du bœuf, la lactalbumine, four-
nissent également un osazone qui, pour tous, a le même point de
fusion, 1830-1850. Au contraire la caséine, la gélatine, la vitelline, la
légumine donnent un résultat négatif. Krawkow, en raison des quan-
tités minimes de l’osazone produite, n'en a pas fait l’analyse. Ces
résultats de Krawkow sont en contradiction en ce qui concerne l’albu-
mine de l’œuf avec ceux de Mürner. D'autre part Spenzer * n’obtient
pas d'osazone après l’attaque de l’ovalbumine suivant le procédé
employé par Pavy, quand il emploie une albumine soigneusement
purifiée, tandis que le résultat est positif quand il met en œuvre
l’albumine ordinaire. Ce désaccord entre les divers auteurs qui ont
étudié la question est d’autant plus étonnant que Hofmeister‘ a obtenu,
par la destruction de son albumine cristallisée et traitement ultérieur
par la phénylhydrazine, un osazone cristallisé en quantité telle que le
poids de sucre correspondant représenterait environ 15 0/0 du poids de
. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XXI.
. Centralblatt f. Physiologie, 1894.
. Pavy, Die Physiologie der Kohlehydrate, 1895.
. Krawxkow, Pflüger's Archio. f. Physiologie, 1896.
. Zeitschrift f. Rhysiologische Chemie. Bd. XXIV.
. Zeilschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV.
CO O7 À 9 RO —
REVUES ET ANALYSES, D93
l’albumine. Malheureusement il n'est pas question des propriétés de
cet osazone, et Hofmeister ne parle pas des résultats de son analyse.
En ce qui concerne les peptones, même incertitude : Siegfried ‘
déclare avoir obtenu parmi les produits de décomposition de l’anti-
peptone, un hydrate de carbone, donnant un osazone qui n’est pas le
glucososazone, fournissant également du furfurol, mais il n'arrive pas
à le déterminer faute de substance. Par contre Pick *, en soumettant à
l'épreuve de Molisch les deux peptones qu'il isole par un procédé
nouveau, obtient pour l’une d'elles un résultat positif, pour l’autre,
négatif.
Cette épreuve de Molisch, basée sur la mise en liberté de furfurol
par l’action de l'acide sulfurique concentré, est posilive pour la plu-
part des albumines. Tollens, Günther et de Chalmot*, avaient d'ailleurs
obtenu des traces de furfurol par l’attaque de la caséine au moyen
d'acide chlorhydrique et distillation consécutive. Wehmer ‘ et Tollens
avaient montré précédemment que tandis que les hexoses et les subs-
tances qui contiennent un chaïînon sucré de 6 atomes de carbone four-
nissent de l’acide lévulinique par l’action de l’acide chlorhydrique, la
fibrine et la caséine n’en donnent pas. De cette série parallèle de
recherches, Tollens conclut que si l’albumine contient une très légère
quantité de sucre, ce dernier est probablement une pentose et non une
hexose.
L'ensemble de ces données aussi discordantes est décevant, et l’on
compare involontairement la quantité de travaux parus au peu de certi-
tude des notions acquises. La question ne sera tranchée définitivement
que lorsque d’une albumine complètement purifiée on aura isolé
un sucre chimiquement pur, déterminé par l'analyse élémentaire
et par les principales réactions spécifiques de ce groupe de sub-
slances,
Plus certaines et importantes sont les conclusions auxquelles sont
arrivés les auteurs qui, à la suite de Drechsel, ont repris l'attaque des
albuminoïdes par des acides forts. Hlasiwetz et Habermann ÿ ont
obtenu, en traitant la caséine par l’acide chlorhydrique de concentra-
tion moyenne, en présence de chlorure stanneux, les produits suivanis :
leucine, tyrosine, acides glutamique, aspartique et ammoniaque.
Horbaczewsky * retrouva les mêmes corps dans l’attaque de divers
- Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXI.
. Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV.
Maly's Jahresbericht f. Thierchemie, 1892.
. Berichte der Deutsch. Chemisch. Gesellschaft, 19.
. Annal. Chem. Pharm. Bd. CLXIX.
Wiener Akademische Sitsungsberichte. Bd, LXXX, 3 Abt.
S QT & % IN
D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
albuminoïdes et ajouta à leur liste lacide sulfhydrique. Schulze ‘
augmenta encore leur nombre en découvrant l'acide phényl-amido-
propionique. Enfin, récemment, Cohn * aurait encore isolé un nouveau
corps non encore complètement déterminé, qui serait strement un
dérivé de la pyridine; fait intéressant, s’il se confirme, en raison de la
nature pyridique de la plupart des alcaloï les.
Or, comme Schülzenberger, à côté de ces produits, en avait encore
décrit une série d’autres, et que d’autre part le poids des fractions
connues, obtenues par le traitement par les acides, n’égalait pas à
beaucoup près le poids de l’albumine détruite, Drechsel ? se proposa
de rechercher quels étaient les composés chimiques constituant le
résidu non encore analysé. Il établit d’abord que l'attaque par les
acides, à l'encontre de celle par la baryle, ne met jamais en liberté
d'acide carbonique, ni oxalique, ni acétique. IT fallait donc que le
résidu sirupeux, non cristallisable, de Hlasiwetz et Habermann fût
constitué par des substances qui, sous l’influence des bases, mettent ces
acides et particulièrement l’acide carbonique en liberté. Pour les isoler,
Drechsel traita le résidu par l'acide phosphotungstique, et obtint un
précipité volumineux, qui fut décomposé par la baryte à froid. Le
liquide concentré par évaporation fournit par première cristallisation
une base de formule
CHA EA O0
la lysine que Drechsel considéra comme de lacide caproïque diamidé.
Les eaux mères, additionnées de nitrate d'argent, laissèrent déposer
des cristaux d’un nitrate double d’argent et d’une nouvelle base, appe-
lée lysatinine, de formule
HS AZ OË
Enfin, par un procédé Bye Drechsel isola encore un (roISIÈME
corps de propriétés basiques, de formule
CH Az 07
qui ne serait autre chose que de l'acide acétique diamidé
De ces trois bases, la seconde est la plus intéressante : soumise à
l’action de la baryte à l’ébullition, elle est décomposée et parmi ses
produits de décomposition apparait l’urée. Ainsi se retrouvait celte
urée que déjà Béchamp crayait avoir obtenue par l'oxydation de l’albu-
mine et que Schützenberger avait supposée exister dans la molécule
protéinique, en raison du rapport existant entre les poids d’acide car-
bonique et d'ammoniaque produit sous l’action de la baryte. Les
résultats obtenus par Drechsel ont été étendus par ses élèves à divers
1. Berichte der Deutchem Chem. Gesellschaft, Bd. XVI.
2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie Bd. XXII.
3. Archiv. f. Anatomie ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1891.
4. Sitsungsheritche der Künigl. Sachs. Gesells. der Wissens. Bd XX.
REVUES ET ANALYSES. DDD
albuminoïdes. Fischer retrouva la lysine et la lysatinine parmi les pro-
duits de décomposition de la gélatine. Siegfried étudia au même point
de vue la conglutine, la fibrine du gluten, l’hémiprotéine (antialbu-
mide de Kühne), l’ovalbumine et son produit d'oxydation par le per-
manganate de potasse (acide oxyprotsulfonique). Toutes ces substances,
altaquées par l’acide chlorhydrique, fournirent la lysine et la lysatinine.
Il était intéressant de voir si la trypsine, dans son aclion énergique
sur les albumines, met aussi les mêmes bases en liberté. Un autre élève
de Drechsel, Hedin, obtint par la digestion pancréatique de la fibrine
un résultat complètement positif. Quant à l’antipeptone, sur laquelle
la trypsine n’a pas d’action, elle fournit la lysine et la Iysalinine,
quand on l'attaque à 130° par l'acide chlorhydrique à 15 0/0 (Siegfried *).
Ainsi futétablie la portée générale de la découverte de Drechseletl'impor-
tance de ces bases au point de vue de la compréhension des albumines.
Les travaux récents ont apporté quelques modifications et des
additions de grande valeur à ces premiers faits. Hedin *, continuant les
recherches méthodiques de Drechsel, parvint par une modification du
procédé de ce savant à mettre en évidence, parmi les produits de décom-
position de la kératine, un corps basique qui n’y avait pas encore été
décrit, de formule
GRH ASS 07
mais qui se trouva être identique à l’arginine, base organique extraite
par Schulze et Steiger* des gemmules de lupin et de courge. Il isola
la même arginine des produits de destruction de la gélatine, de la
conglutine, de la nucléoalbumine du jaune d'œuf, de l’ovoalbumine, de
la caséine, du sérum sanguin desséché.
Dans un travail postérieur‘, Hedin démontre que la lysatinine, obte-
nue par le procédé primitif de Drechsel, est un mélange par parties
égales de lysine et d’arginine. Or, quand on soumet celte arginine,
comme l’avaient déjà démontré Schulze et Steiger *, à l'action de l’eau
de baryle bouillante, elle est décomposée avec mise en liberté d'urée.
Ce résultat, confirmé par Hedin, cadre donc avec l'observation faite arté-
rieurement par Drechsel au sujet de la lysatinine. Iedin Ÿ, en poursui-
vant l’analyse des produits de décomposition de la kératine, isola une
troisième base, qui se trouva être identique à celle que Kossel avait
obtenue précédemment dans l’hydrolyse d’une substance protéinique
spéciale (protamine) et pour laquelle cet auteur avait établi la formule
CRTHENEARS ED
. Archiv f. Anatom. und Physiol. Physiol. Abteil, 1894.
. Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd XX et XXI, p. 155,
. Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XI.
. Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XXI, p. 297.
. Berichtle der Deutschen chemischen Gesellsch. Bd XXIV.
. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd XXII. '
O D 2% NO
996 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
et proposé le nom d'histidine. La formule fut simplifiée plus tard de
moitié
CHARS AZ 707!
Le nombre des corps basiques extraits de la molécule des albumi-
noïdes s'élevait donc à trois, et la constance de leur apparition parmi
les produits de décomposition d’albuminoïdes fort différents rendait
très grand Pintérêt s’atlachant à leur étude. Mais leur importance,
au point de vue de la compréhension des albuminoïdes, vient surtout
d’être mise en relief dans les travaux de Kossel sur les protamines.
C'est à Miescher ‘ que nous devons la découverte de la première
protamine. Dans ses recherches sur la chimie du sperme du saumon,
Miescher arriva à isoler les têtes des spermatozoïdes sous forme d’une
poudre dense, blanche, en soumettant, à plusieurs reprises, le sperme
à la centrifugation dans l’eau distillée. Les queues des spermatozoïdes
gonflent et passent en solution, tandis que les têtes restent histologi-
quement inaltérées. Ces têtes, après extraction par l’alcool et l’éther,
se trouvent constituées en presque totalité (96 0/0) par une combinai-
son bien définie d’un acide nucléique de formule
C9 H°: Az1# P‘ 0°?
avec deux molécules d’une base de formule
CAHESASS 0
Cette base fut appelée protamine par Miescher. Pour la préparer,
Miescher traitait cette combinaison par l’acide chlorhydrique dilué;
la base passait en solution et l’acide nucléique restait comme résidu.
Pour la purifier, il la précipitait à plusieurs reprises par le chlorure
de platine et décomposait le précipité par Pacide sulfhydrique.
La protamine ainsi isolée était une base forte, dont les sels étaient
précipités par lacide phospho-mojlybdique, l’iodure mercurico-potas-
sique, le ferrocyanure de potassium, le chlorure mercurique, le nitrate
d'argent, le chlorure d’or, etc. Ces propriétés, jointes à sa composi-
tion relativement simple, la rapprochaient des alcaloïdes plus que des
albumines. Cependant elle possédait de cette dernière substance la
réaction du biuret, qu’elle donne à la façon des peptones vraies,
c'est-à-dire très rouge. Au contraire, les réactions xantho-protéique,
de Millon. etc. étaient négatives. Dans des recherches ultérieures
interrompues par sa mort, Miescher ? avait complété et confirmé ces
premiers résultats, et il y avait ajouté un essai d’analyse de la struc-
ture intime de la substance. Traitée à 170 par de l’acide chlorhydrique
à 15 0/0, elle avait été complètement décomposée et parmi les pro-
duits de destructions était apparue la même arginine, que nous avons
4. Verhandlungen der Naturforschenden Gesellschaft in Basel. Bd. VI,
2. Archiv. f. experiment. Pathologie. Bd. XXXVIL, p, 100,
REVUES ET ANALYSÉS. 557
trouvé être un produit constant de la décomposition des albumi-
noïdes en général.
Entre temps, Kossel avait commencé l’étude de la protamine du
saumon et l’ensemble de ses recherches l'a amené aujourd'hui à
des données très intéressantes ".
La protamine du saumon, qu’il extrait par l'acide sulfurique dilué
des têtes de spermatozoïdes dégraissées, est précipitée à l’état de sul-
fate de la solution ainsi oblenue, par 3 fois son volume d’alcool. Le
produit brut est purifié par redissolution et précipitation à l’état de
picrate. On obtient la même protamine en se servant comme matériel de
départ du sperme d’autres poissons tels que le hareng, la truite des
ruisseaux, le coregonus oxyrynchus. Elle a pour formule
C3° H°7 Az11 Of
Le sperme de l’esturgeon fournit un corps voisin qu’il appelle sturine,
par opposilion à la salmine, de composition
CHAT 07
Salmine et sturine sont réunies sous le nom générique de prola-
mines. Elles présentent l'ensemble de caractères de précipitations que
Miescher leur avait déjà reconnues. Mais ce qui donne à leur étude la
plus grande importance, ce sont les résultats de leur destruction par
les acides.
Soumises à l’action de l’acide sulfurique étendu à l’ébullition, elles
se trouvent scindées et donnent naissance à trois bases : l’arginine,
l’histidine et la lysine, les trois corps basiques que les recherches de
Drechsel et de Hedin ont mis en évidence parmi les produits de des-
truction des divers albuminoïdes. Et, chose remarquable, ces trois
bases semblent à elles seules constituer toute la molécule des prota-
mines, car il a été impossible à Kossel d'isoler d’autres produits de
décomposition, et particulièrement d’autres acides amidés. Après avoir
isolé ces trois corps d’après une méthode qui vient d’être publiée?,
Kossel représente la décomposition de la salmine et de la sturine par
les formules suivantes :
CHAOS LAH0—CSH° Az: 01 —H3CSH': Az O0? ECS H!' Az? 0?
Salmine. Hisudine. Arginine. Lysine.
C36 69 AZ1907 + 5H, O— CS H° Az3° 0° +306 H'Az:02+9C6 H!5 Az: 0?
Sturine. Histidine. Arginine. Lysine.
D'où la conclusion importante que les trois bases, qui apparais-
sent de façon constante, à côté d’autres produits, dans l’hydrolyse de
tous les albuminoïdes examinés jusqu'à présent, sont unies entre elles
4. Sitzungsbericht der Künig. preus. Akademie der Wissensch. 1896. —
Zeitschrift f. Physiol. Chemie, 22. — Silzungsbericht der Gesellsch. zur Befôrd.
der Naturiw. zu Marburg, 1897-1898.
2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie. Bd. XXV.
D58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avec éliminalion de quelques molécules d'eau pour constituer les pro-
tamines. Ces dernières doivent donc étre envisagées comme les corps pr'o-
léiniques les plus simples connus actuellement, et leur molécule constitue
un noyau, qui se trouve à l'intérieur de la molécule de tous les albumi-
noïides. Sur ce noyau se grefferont des chaînes latérales plus ou moins
nombreuses et variées. Pour la spongine et la gélatine, ce seront le
glycocolle et d’autres acides anidés de la série grasse; pour l'anti-
peptone, ces mêmes acides et la tyrosine; pour les albumines ordi-
naires les acides amidés gras, la tyrosine, et un ou plusieurs groupes
sulfurés. D’où la possibilité d’une division chimique des albuminoïdes
basée sur l’étude qualitative et quantitative de leurs produits d’hydro-
lyse : d’où également la possibilité, entrevue enfin de façon plus con-
crèle, de la connaissance future d'une formule de structure pour
ces corps si longtemps indéchiffrables.
Une pareille formule suppose la connaissance de la constitution
de chaque fragment. Or, noussavons que la lysine est, d’après Drechsel.
de l’acide caproïque diamidé. Schulze et Winterstein' ont lâché der-
nièrement d'élucider la structure de l’arginine. Par l’action d’une solu-
tion de baryte à 2 0/0 pendant une heure à l’ébullition, ces auteurs
sont arrivés à décomposer l’arginine en deux constituants dont l’un est
l'urée, comme il avait été dit plus haut, et l’autre s’est révélé être
l'acide diamidovalérianique. D’après eux, l’urée ne préexiste cepen-
dant pas dans la molécule, mais est due à l’action de la baryte sur un
équivalent de guanidine. D'après eux, la formule de structure de l’ar-
ginine serait :
AzH°? AZI OH
HAz LÉ omis a 9
Il est intéressant de faire remarquer que, à l'encontre de Béchamp,
Lossen trouva dans les produits d’oxydation de l'albumine par le
permanganate, non de l’urée mais de la guanidine.
Des trois bases constituant par leur union ia protamine, deux
peuvent donc être considérées comme connues. Il est à souhaiter que
l’histidine soit soumise le plus tôt possible à une étude du même genre,
indispensable pour la compréhension ultérieure des protamines.
Des faits très intéressants résultent également de l'étude à laquelle
s'est livré Kossel, de l’action sur les p'otamines des sucs digestifs. Tan-
dis que le suc gastrique artificiel s’est montré complètement inactif,
laissant irtactes la salmine et la sturine, le suc pancréatique*, au
contraire, les a scindées complètement en leurs trois constituants.
C’est une confirmation éclatante des différences dans l’action sur les
4. Berichte der Deutsch. chemisch Gesellschaft. Bd. XXX, 2879.
1. Kossez ET Marrnews, Zeitschrift [. Physiol. chemie. Bd. XXV.
REVUES ET ANALYSES. 999
albuminoïdes des deux ferments protéolytiques, si bien mise en lumière
par les travaux de Kübne. D'autre part, l’action peu prolongée de
l'acide sulfurique dilué sur les protamines, les transforme en des sub-
stances nouvelles, de propriétés peu différentes, et dont la molécule
équivaut à celle de la protamine augmentée de quelques molécules d'eau.
Kossel envisage ces composés comme les peptones des protamines.
Ces résultats de protéolyse par acides faibles et ferments constituent
un argument à ajouter à ceux tirés de l’étude des produits de décompo-
sition des protamines par les acides forts, pour élayer l'hypothèse qui
fait de ces corps les plus simples des protéines connues actuellement.
Or, de cet ordre d'idées dérive une conclusion également très inté-
ressante, mise en évidence par Matthew', qui a trait à la compo-
sition des têtes de spermatozoïdes de divers poissons. Comme il a été
dit, ces têtes ont gardé intact, après leur traitement par l’eau distillée,
leur aspect microscopique, de sorte que cet auteur admet qu’elles
ont encore à ce moment une composition très rapprochée de l’état nor-
mal. Elles ont en tout cas conservé leurs caractères histologiques,
spécialement leur façon de se comporter vis-à-vis des colorants. En
langage anatomique, on les désignerait, après comme avant le trai-
tement, sous le nom de grains de chromatine. Or, cetle chromatine
Joue, lors des phénomènes de fécondation, un rôle prédominant.
C'est une des plus belles acquisitions de l’embryologie moderne que
d’avoir démontré que celle substance, caractérisée par son affinité
pour les couleurs basiques d’aniline, est le support, la base phy-
sique des propriétés héréditaires paternelles. C’est elle, et elle seule,
qui transmet à l'embryon les qualités du père et de ses ascendants. Il
faut toute l'évidence des faits pour contraindre la pensée à admettre
celte assertion, qui suppose inscrite dans la constitution chimique de
ces quelques milligrammes de matière l’histoire de toute une race. Mais
l'imagination nous venant en aide, nous aimons à nous représenter
cette chromatine paternelle comme une substance extraordinairement
complexe, où des molécules énormes entrelacent leurs chaiînons dis-
parates et leurs groupements atomiques infiniment variés, déposi-
taires chacun d’une des mille énergies qui depuis la nuit des temps
préparent la naissance de l’être futur. Eh bien! non, il faut enrabattre,
et cette chromatine si étrangement complexe se trouve ravalée pour
le saumon (Miescher) et le hareng (Matthews) au rang des sels neutres;
elle serait due à la combinaison, molécule à molécule, d'acide
nucléique et de protamine., Elle serait la plus simple des nucléines
vraies, si la protamine est la plus simple des protéines. Simplicité
réellement inattendue, plus déconcertante que la complexité la plus
plus recherchée, nous montrant, mieux que celle-ci, notre profonde
1. Zeitschrift f. physiol. Chemie. Bd. XXII.
560 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ignorance des choses de la vie. Cependant. il faudrait se garder
d’ajouter à ces premiers résultats une importance qu’ils ne pourraient
acquérir que lorsque des recherches nombreuses les auront définive-
ment élablis. Si jamais la chimie biologique aborde de façon utile ces
graves problèmes, ce ne sera pas, sans nul doute, avant que la con-
naissance complète et assurée de tous les constituants de la cellule
morte permette l'analyse de tous les changements qui accompagnent
l'éclosion de la vie. De tous ces problèmes préparatoires, le plus im-
portant est celui qui nous occupe, la chimie des albuminoïdes. II est
permis de croire que les recherches de ces dernières années, et parti-
culièrement les travaux de Kossel, lui ont fait faire un pas décisif.
Avant de terminer cette revue, je signalerai encore l’analogie,
mise en évidence par Kossel, qui existe entre l’action des ferments
diastasiques sur l’amidon et autres hydrates de carbone, et celle de la
trypsine sur les protamines. L’une et l’autre ont pour conséquence la
mise en liberté, après hydrolyse, de corps en C,. A vrai dire, l'argi-
nine serait décomposée par la baryte en un corps en GC, et en urée,
mais il n’est pas impossible que la soudure se fasse par les deux atomes
de carbone, témoin la production d’acides formique et lévulinique aux
dépens des hexoses. Cette analogie de structure permet de concevoir
assez facilement la production de sucre aux dépens de l’albumine. Il
est en tous cas intéressant, dit Kossel, à un point de vue purement
théorique, de voir que protamines (peut-être albumines) et hydrates
de carbone se trouvent bâties aux dépens de fragments de même gran-
deur approximative. On pourrait encore, me semble-t-il, donner plus
de généralité à cette proposition en montrant l'importance que pos-
sède le groupement de 3 atomes de carbone et de ses multiples en
6,9, 12, 18 dans les différents constituants de la cellule. Les hydrates
de carbone, l'acide lactique, les graisses, les lécithines, l’albumine et
ses dérivés basiques, la tyrosine, la leucine, l'acide thiolactique et la
cystéine, les phénols, lacide urique, les bases xanthiques, les acides
biliaires, tous ces corps, c’est-à-dire les composés les plus importants
que l’analyse chimique ait décrits dans nos organes ont, à la base de
leur molécule, un chaînon d’atomes de carbone dont le nombre est
3 ou multiple de 3.
Uniformité bien remarquable, répondant peut-être à certaines
énergies, certaines facilités de réaction, nécessaires à l’accomplissement
des phénomènes vitaux.
Liège, le 25 juillet 1898.
Dr P. Norr.
Le Gérant : G. Massox.
Sceaux, — Imprimerie E, Charaire.
19me ANNÉE SEPTEMBRE 1898 No 9.
ANNALES
L'INSTITUT PASTEUR
SUR LES RELATIONS QUI EXISTENT
Entre la tuberculose humaine et la tuberculose aviaire.
Par M. NOCARD
Communication faite au 4e congrès de la tuberculose. le 30 juillet 1898.
On ne conteste plus l'identité de la tuberculose chez toutes
les espèces de mammifères, On discute encore sur les rapports
qui existent entre les bacilles de la tuberculose de l'homme et de
la tuberculose aviaire. Avec Rivolta, Maffucci, Straus et Gama-
léia, beaucoup d'auteurs en font deux espèces microbiennes dis-
tinctes; leurs arguments peuvent se résumer ainsi :
1° L'aspect des cultures est très différent ; celles de la tuber-
culose humaine sont sèches, écailleuses, difficiles à dissocier ;
celles de la tuberculose aviaire sont molles, grasses, onctueuses,
plissées, elle s’étalent facilement sans pression notable : elles
poussent encore à 43°, température à laquelle cesse de cultiver
le bacille humain ;
2° On ne réussit pas d'ordinaire à transmettre aux poules la
tuberculose des mammifères, quel que soit le procédé d’inocu-
lation mis en œuvre. D’autre part, certains mammifères sont
réfractaires à la tuberculose aviaire; le chien est de ce nombre ;
le cobaye résiste à l’inoculation sous-cutanée de la tuberculose
aviaire et, quand il succombe à l'inoculation intra-péritonéale,
il présente des lésions très différentes de celles que provoque le
bacille humain.
À ces arguments on peut objecter : que, malgré la différence
de leur aspect, les cultures de tuberculose humaine ou aviaire
donnent une tuberculose identique ; qu’on réussit parfois à rendre
les poules tuberculeuses en leur inoculant de la tuberculose
36
502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
humaine, et que cette tuberculose est inoculable en série (Bol-
linger, Koch, Nocard, Cadiot, Gilbert et Roger, Courmont et
Dor); qu'il est des mammifères aussi sensibles à la tuberculose
aviaire qu'à la tuberculose humaine, et qu'après un petit nombre
de passages, les lésions de l’une et de l’autre sont identiques.
C'est le cas pour le lapin.
J'ai montré qu'il en est de même pour le cheval. Le cheval,
si résistant à la tuberculose expérimentale, devient assez fré-
quemment tuberculeux dans les conditions naturelles. Mais la
tuberculose affecte, chez lui, deux formes cliniques bien dis-
tüinctes : dans l’une de ces formes, de beaucoup la plus fréquente,
la lésion frappe primitivement les organes de la cavité abdomi-
nale : intestins, ganglions mésentériques et sous-lombaires,
rate, foie, reins, etc.; quand les poumons sont pris, c’est à la
dernière période de la maladie, et la lésion pulmonaire est tou-
jours de date manifestement récente, Dans l’autre forme, au
contraire, la lésion pulmonaire est primitive; elle est d’ailleurs de
forme très variée et elle ne se propage que très tard aux organes
abdominaux. Il y a longtemps déjà que j'ai indiqué les signes
diflérentiels de ces deux formes de la tuberculose du cheval; j'ai
pu, tout récemment, établir l’étiologie de ces deux formes clini-
ques si différentes ; tandis que la tuberculose pulmonaire primi-
tive est provoquée pas un bacille identique à celui de la tuber-
culose hamaine ‘, c’est un bacille du type aviaire, assez profon-
dément modifié par son passage dans l'organisme du cheval ,
qui provoque la forme abdominale de la tuberculose du cheval.
Le cheval et le lapin ne sont pas les seuls mammifères capa-
bles de contracter la tuberculose aviaire ; j'ai pu étudier, il y a
quelques années, des crachats tuberculeux dont l’inoculation,
rapidement mortelle pour le lapin, tuait rarement le cobaye ;
mais les cobaves qui succombaient à l’inoculation de ces cra-
chats présentaient à l'autopsie des lésions se rapprochant beau-
coup de celles de la tuberculose aviaire. J’ai pu obtenir des eul-
tures de ce bacille, en ensemençant largement de la pulpe de
rate de lapins morts après inoculation intra-veineuse ; ces cul-
tures étaient identiques à celles de la tuberculose aviaire. Toute-
fois les poules inoculées avec ces cultures résistent pour la plu-
1. 2e Congrès de la tuberculose, 4891.
2. Bulletin de la Soc. cent. de méd. vét., 1896, pages 249.et suivantes.
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 563
part, quel que soit le procédé d’inoculation mis en œuvre; mais
celles qui succombent ont des lésions semblables à celle de la
maladie naturelle; dans ce cas encore, le passage par l’orga-
nisme humain a profondément modifié la virulence du bacille.
Drüse, Pausini, Johne ont publié des observations analo-
gues, recueillies tant sur l’homme que sur les bovidés.
IL'existe d'autre part un certain nombre de faits bien observés
s appliquant à des basses-cours où la tuberculose est apparue
plusieurs mois après qu'on les avait confiées aux soins de per-
sonnes phtisiques; il paraît évident que les volailles s'étaient
infectées en ingérant des crachats tuberculeux.
D'autres faits analogues concernent des poules élevées dans
des abattoirs où on les laissait picorer sur les viandes saisies,
dont les viscères tuberculeux forment toujours la plus grande
partie. Je sais bien que Straus et Wurtzn'ont pas réussi à rendre
tuberculeuses des poules auxquelles ils ont fait ingérer des quan-
ütés énormes de crachats de phtisiques: de mon côté, je n’ai
pas été plus heureux en empruntant la matière ingérée à des
vaches, des pores ou des chevaux tubereuleux.
Mais est-on bien sûr de réaliser expérimentalement toutes
les conditions de la contagion naturelle? L'expérience ne porte
jamais que sur un petit nombre de sujets, tandis que, dans les
cas cités, les basses-cours infectées en comptaient un nombre
considérable, plusieurs centaines pour la plupart. Qu'un seul
sujet, en état de moindre résistance, se soit laissé envahir par
les bacilles provenant de l’homme ou du bœuf, et l'on conçoit
que ces bacilles, acclimatés à l'organisme de la poule, se soient
ensuite transmis plus aisément aux autres habitants de la basse-
cour.
Bien souvent je me suis entretenu de cette question avec
mon vieil ami, Le si regretté professeur Straus; je ne suis jamais
parvenu à ébranler sa conviction : « J’admets volontiers, me
disait-il, la réalité des faits que vous invoquez; le lapin, le cheval,
le bœuf, l’homme lui-même peuvent prendre la tuberculose
aviaire, comme la tuberculose humaine, Cela prouve-t-il que ces
tuberculoses soient identiques? Quand vous aurez transformé le
bacille humain en bacille aviaire, je m'avouerai convaincu! »
Je crois y être parvenu.
Voici comment :
ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
QC
>
(æp]
Le)
On sait tout le parti qu'ont tiré MM. Metchnikoff, Roux et
Salimbeni, dans leur beau travail sur la toxine cholérique, des
cultures i# vivo en sacs de collodion, Cette ingépieuse méthode
nous a permis tout récemment d'obtenir en culture pure le
microbe de la péripneumonie contagieuse des bètes bovines, qui
s'était jusqu'ici dérobé à toutes les recherches. J'ai eu l’idée de
l'appliquer à l'étude du bacille de Koch. Cette étude est loin
d’être achevée : elle m'a cependant déjà donné quelques résultats
précis en ce qui concerne l’objet de ma communication. Je
rappellerai brièvement les principes de la méthode.
On prépare des petits sacs de collodion à paroi très mince;
après les avoir stérilisés à l’autoclave on les emplit de bouillon,
eusemencé au préalable avec le microbe ou le liquide virulent à
étudier; on les ferme exactement; puis on les introduit dans le
péritoine d’un animal neuf, cobaye, lapin, chien, mouton, vache,
poule, etc... On apprend vite à exécuter purement toutes ces
manipulations, et, pas un instant, l'animal ne paraît souffrir,
soit de l'opération, soit de la présence des sacs dans la cavité
péritonéale.
Après un temps variable, depuis quelques jours jusqu'à
plusieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie
l'animal; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité péri-
tonéale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine
et de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisé-
ment.
Quand l’animal d'expérience et le liquide de culture ont été
convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants
qu'il est pourtant facile d'interpréter.
La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux
microbes comme aux cellules ; les microbes ne peuvent sortir
du sac, mais ils peuvent s’y multiplier en toute sécurité, car, les
cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l’abri de la phagocytose.
D'autre part, cette paroi inaccessible aux microbes et aux cellules
est perméable aux liquides comme aux substances dissoutes ; elle
forme une membrane osmotique parfaite ; à son niveau s’établis-
sent des échanges qui modifient profondément la composition
primitive du liquide emprisonné : des substances élaborées par
le microbe peuvent diffuser au dehors, et, quand elles sont suffi-
samment actives, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 565
accidents d'intoxication plus ou moins graves, sans qu'un seul
microbe ait envahi les tissus; en tout cas, c’est une condition
favorable à la culture, l'auto-intoxication microbienne s’en trou-
vant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits venus de
l'organisme du sujet pénètrent dans le sac qui peuvent être
favorables ou non à la culture du microbe; en tout cas, la péné-
tration de ces produits ne se fait que lentement, graduellement;
peu à peu, le microbe s’accoutume à ce nouveau milieu et, quand
on letire du sac qui l’a protégé contre l’action phagocytaire, 1l
est beaucoup mieux armé pour se développer dans le milieu,
primitivement hostile ou réfractaire, que représentait l'animal
incubateur.
Partant de ces données, j'ai essayé d'obtenir des cultures du
bacille de la tuberculose humaine, en sacs de coilodion insérés
dans le péritoine de la poule.
Pour y réussir, il m'a fallu : 1° emplir mes sacs d’une émul-
sion épaisse de culture jeune, obtenue de préférence sur une
pomme de terre glycérinée ; 2 n'ouvrir les sacs qu'après un délai
minimum de 4 mois (plus est longue la durée du séjour dans le
péritoine, plus sont accusées les modifications éprouvées par le
bacille mis en incubation) : 3° enfin, opérer à chaque fois sur un
assez grand nombre de poules, la rupture du sac étant d'autant
plus à craindre que l'expérience doit se prolonger davantage.
On trouvera à la fin de ce travail le résumé de mes expérien-
ces, de celles au moins que j'ai pu mener à bien avant le Congrès,
Quand on sacrifie l'animal incubateur, pour lui reprendre lé
sac qu'on lui avait confié, ce sac apparaît d'ordinaire affaissé,
plus ou moins complètement vide de liquide; il ne renferme
plus qu'une sorte de limon plus ou moins épais, formé unique-
ment de bacilles de Koch.
Ces bacilles sont encore vivants d'ordinaire; ensemencés
largement sur pomme de terre ou sur géluse glycérinées, ils
donnent le plus souvent une culture assez maigre, en colonies
isolées, dont le repiquage réussit mieux et plus vite. Chose
curieuse, quand le sac de collodion a séjourné longtemps dans le
péritoine de la poule, les culture; qu’on en obtient offrent tous
les caractères du type aviaire : elles sont molles, grasses, onc-
tueuses, plissées, faciles à dissocier ; elles s’étalent aisément
sur tous les milieux,
D66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Les caractères du bacille originel se sont donc profondément
modifiés au contact des humeurs de la poule. Qu'est-il advenu
de sa virulence?
Inoculé sous la peau, le cobaye résiste : il se forme parfois
au point d’inoculation un petit abcès, qui s'ouvre spontanément
et qui se cicatrise de même; parfois aussi le ganglion voisin
s hypertrophie et s’indure; mais là se borne tout le mal. Le
cobaye reste bien portant; il gagne du poids, et, quand on le
sacrifie, on ne trouve à l’autopsie aucune lésion appréciable.
Si l’inoculation est faite dans le péritoine, elle entraîne dans
plus de la moitié des cas la mort; à l’autopsie, on trouve de
l’ascite fibrineuse, parfois un semis de granulalions caséeuses du
péritoine, plus souvent de petits foyers purulents bacillaires de
l’épiploon, presque toujours une rate élargie en tous sens, rouge,
molle, friable, infiltrée de quelques gros nodules arrondis, blanes,
caséeux ou purulents. Jamais on n’observe ces dégénérescences
si accusées qui caractérisent le type Villemin de la tuberculose
du cobaye. Le poumon et le foie sont presque toujours indemnes.
En somme, ces lésions se rapprochent beaucoup de celles que
provoque l’inoculation de la tuberculose aviaire.
Le lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, meurt rapidement,
en 6 à 10 semaines au plus; il est très amaigri; 1l présente à
l’autopsie une tuberculose miliaire intense plus accusée tantôt
sur le poumon, tantôt sur la rate ; — inoculons un peu de pulpe
de cette rate à un deuxième lapin, par la même voie; celui-ci
mourra beaucoup plus vite, avec des lésions de septicémie tuber-
culeuse, sans granulations apparentes, la pulpe du foie, de la
rate et de la moelle des os constituant comme une culture pure,
d’une richesse invraisemblable, de bacilles de Koch.
Ces résultats sont identiques à ceux que donne l’inoculation
intraveineuse des cultures ou des produits de la tuberculose
aviaire.
Les poules, au contraire, résistent à l'inoculation du contenu
du sac, quel que soit le procédé mis en œuvre, ingestion, inocula-
tion péritonéale ou intraveineuse.
Il semble donc que les modifications qu'a éprouvées le
bacille, et dont témoignent l'aspect de ses cultures et les effets de
son inoculation au cobaye et au lapin, ne suffisent pas à le rendre
capable de surmonter la résistance de la poule.
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 567
Peut-être y parviendrait-on en multipliant les passages en
sacs de collodion, ce qui équivaut à doubler ou à tripler la durée
du séjour du bacille au contact des humeurs de la poule, mais à
l'abri de ses phagocytes ?
Emplissons donc de nouveaux sacs de collodion avec de la
culture jeune provenant des premiers sacs, et confions-les au
péritoine de poules nouvelles. Après 4, 5 ou 6 mois, nous
les retrouverons, comme précédemment, à demi-pleins d’un
mortier bacillaire dont l'étude expérimentale conduira à des
résultats à peu près analogues à ceux déjà obtenus. — L'’ense-
mencement donne, plus sûrement et plus vite, des cultures
identiques à celles de la tuberculose aviaire. — L'inoculation
au cobaye et au lapin provoque des lésions se rapprochant
davantage de celle du type aviaire. — Elle reste encore sans
effet sur les poules.
Répétons une troisième fois l’expérience ; cette fois nous
toucherons au but. Le sédiment bacillaire, extrait du sac après
un séjour de 6 à 8 mois dans le péritoine de la poule, sera
devenu capable de tuer la poule (inoculée dans les veines ou
dans le péritoine) avec des lésions identiques à celles de la
maladie naturelle.
Dans l’une de mes expériences, cette transformation de la
virulence du bacille s’est faite tout naturellement et beaucoup
plus vite que je ne le disais tout à l'heure :
Le 11 janvier 1897, un coq vigoureux reçoit dans le péri-
toine un sac de collodion plein d’une culture jeune de tubereu-
lose bovine. (Ces cultures, provenant d’une mammite tubercu-
leuse, ont tous les caractères de la tuberculose humaine, elles
tuent cobayes et lapins avec des lésions identiques; elles sont
sans action appréciable sur les poules.)
Longtemps bien portant, vigoureux et gros, ce coq se mit
tout à coup à maigrir; c'était vers la fin de septembre; sa crête
pâlissait et tombait sur le côté, flasque et molle. Cet état s’aggra-
vant et la fin semblant prochaine, je sacrifiai le coq le 28 octobre
1897, près de 10 mois après l'insertion du sac,
A l’autopsie, je trouvai, au niveau du testicule gauche, une
masse irrégulière, du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sar-
comateux, semée de petits foyers caséeux pleins de bacilles.
Le péritoine était couvert de granulations tuberculeuses, grisà-
068 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tres ou à peine caséeuses dans la partie centrale ; le foie et la
rate, triplés de volume, étaient farcis de semblables granulations.
Au centre de la tumeur, je retrouvai le sac de collodion, large-
ment fissuré au point où il est soudé à son ajutage de verre. Il
ne me paraît pas douteux que le sac s'était rompu tardivement,
à une époque où les bacilles, habitués à vivre et à pulluler au
contact des humeurs de la poule, ont pu résister à l’action pha-
gocytaire de ses cellules et donner naissance aux lésions tuber-
culeuses relativement récentes que l’autopsie a révélées.
Or ne saurait prétendre que ce coq était déjà tuberculeux
lors de l'insertion du sac, c’est-à-dire près de dix mois avant la
mort ; sa longue survie, l’âge récent des lésions observées, les-
quelles procèdent manifestement de la tumeur formée autour du
sac rompu, éloignent déjà cette hypothèse. Mais ce qui la ruine
définitivement, c'est que deux poules inoculées, l’une dans la
veine du bras, l’autre dans le péritoine, avec une dilution de
pulpe de la rate du coq tuberculeux, sont restées bien portantes
et ne présentaient aucune lésion, quand on les sacrifia les 12 mai
et 28 juillet 1898. — Si la lésion inoculée avait été d’origine
aviaire, ces 2 poules seraient devenues rapidement tubercu-
leuses.
Messieurs, j'espère vous avoir convaincus qu'il est possible
de donner au bacille de la tuberculose humaine les caractères
biologiques et la virulence qui caractérisent le bacille de la tuber-
culose aviaire ; dès lors, vous concluerez avec moi que ces
deux bacilles, si différents en apparence, ne sont cependant que
deux variétés d’une même espèce.
APPENDICE
PREMIÈRE SÉRIE D'EXPÉRIENCES
Premier passage.
Le 22 avril 1896, trois sacs de collodion, emplis de culture de tubereu-
lose humaine sur pomme de terre glycérinée (culture âgée d'un mois), sont
insérés dans le péritoine de trois poules (nos 4, 2 et 3).
Pouze N° 1, sacrifiée le 15 septembre. Le sac, intact, vide de liquide, ren-
ferme une sorte de mortier, épais, grisàtre, formé uniquement de bacilles
granuleux.
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 569
Avec ce produit, on ensemence 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes
de gélose glycérinée, et l'on inocule 2 cobayes, 2 poules, { lapin.
Résultats : Une seule pomme de terre a donné quelques maigres colo-
nies, blanchâtres et verruqueuses, de bacilles de Koch. Repiquées sur
pommes de terre après 6 semaines, ces colonies n'ont pas donné de nou-
velles cultures.
Un des cobayes (inoculé sous la peau de la cuisse) a eu un petit abcès
bacillaire au peint inoculé et un peu d'induration du ganglion du pli du
flanc : il est resté bien portant, vigoureux et gras. Sacrifié le 10 décembre,
il a été trouvé indemne de toute lésion.
L'autre cobaye (inoculé dans le péritoine) a maigri rapidement; il est
mort le 2 novembre. avec des foyers caséeux bacillaires de l’épiploon, une
rate élargie, rouge, friable, infiltrée de gros nodules arrondis, blanchätres,
purulents, riches en bacilles ; — rien d’apparent au foie ni au poumon.
Le lapin a succombé le 27 novembre, ayant perdu plus du tiers de son
poids ; à l’autopsie, rate énorme, molle, pleine d’un fin piqueté blanchâtre;
sa pulpe fourmille de bacilles. Les 2 poumons présentent un petit nombre
de tubercules miliaires, gris avec un point central opaque. — Rien d’appa-
rent au foie.
Les 2 poules sont restées bien portantes; elles ont augmenté de poids.
Sacrifiées le 8 février 1897, elles n’ont présenté aucune lésion apparente.
Pouce N° 2, sacrifiée le 12 novembre 1896. Sac rompu; débris englobés
dans du tissu fibreux jeune où l'examen bactériologique permet à peine de
retrouver de petits amas bacillaires.
Pouce N° 3, sacrifiée le 20 décembre 1876. Sac vide de liquide; parois
couvertes d’une sorte de limon grisâtre formé uniquement de bacilles de
Koch.
Ensemencé 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes de gélose glycé-
rinée. .
Inoculé 2 cobayes, l’un sous la peau de la cuisse, l’autre dans le péritoine ;
2 poules, l’une dans la veine du bras, l’autre dans le péritoine ; 1 lapin,
dans la veine marginale de l'oreille.
Résultats : 2 pommes de terre et 1 tube de gélose ont donné de nom-
breuses colonies, dont le repiquage a provoqué une culture abondante et
rapide, ayant tous les caractères de la tuberculose aviaire : couche épaisse,
grasse, plissée, s’étalant très facilement.
Comme dans la série précédente, les 2 poules sont restées indemnes,; il
en a été de mème du cobaye inoculé sous la peau.
L'autre cobaye est mort, étique, le 26 janvier 1897, avec de l’ascite et
de la pleurésie, un boudin épiploïque infiltré de foyers caséeux bacillaires,
une rate énorme, rouge, molle, avec 5 ou 6 gros nodules arrondis, blan-
châtres, pleins de pus caséeux, assez liquide, très riche en bacilles.
Le lapin a succombé, très maigre, le 14 février, avec: une rate agrandie
dans tous les sens, molle, friable, comme piquetée de fines granulations
blanchâtres. La pulpe de la rate et la moelle des os longs, examinées par
frottis, semblent une culture pure de bacilles de Koch, d’une richesse invrai-
semblable.
ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(dr
=1
(=)
Deuxième passage.
Le 21 janvier 1897, 2 sacs de collodion, emplis de bacilles donnés par
la culture sur pommes de terre du 27 décembre 1896, sont insérés dans le.
péritoine de deux poules. (Nos 4 et 5).
PouLe N° 4, sacrifiée le 20 mai 1897. Sac affaissé, mais intact; parois
couvertes d’une couche épaisse et visqueuse formée de bacilles de Koch,
longs, flexueux et granuleux. à
Ensemencé 2 tubes de pomme de terre glycérinée et 2 tubes de gélose
glycérinée.
Inoculé 2 cobayes (peau et péritoine), 2 poules (péritoine et veine) et
1 lapin (veine de l'oreille).
Résultats : Cultures assez riches sur tous les tubes ensemencés, épaisses,
molles, grasses, plissées, s’étalant sans difficultés, ayant en un mot tous les
caractères du type aviaire.
Comme précédemment, les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau sont
restés indemnes.
Le cobaye inoculé dans le péritoine est mort le 15 juillet avec de l’ascite,
une rate élargie en tous sens, rouge, molle, friable, sans nodules ou foyers
de dégénérescence apparents; la pulpe examinée par frottis renfermait de
nombreux bacilles.
Le lapin inoculé dans Ja veine de l'oreille est devenu rapidement
squelettique ; il a succombé le 11 juillet à une véritable septicémie tuber-
culeuse accusée par une rate énorme (17 grammes), molle et friable, pleine
de bacilles, comme d’ailleurs la pulpe du foie et la moelle osseuse.
PouLe N° 5, sacrifiée le 13 juillet.
Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier bacillaire.
Fait cultures.
Inoculé, comme précédemment, 2 cobayes, 2 poules, et lapin.
Comme précédemment, les cultures ont montré tous les caractères de la
tuberculose aviaire.
Les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau ont résisté.
Seuls ont succombé : le lapin (16 août) et le cobaye inoculé dans la
péritoine (29 août), avec des lésions analogues à celles déjà décrites, lésions
très différentes de celles provoquées par le bacille humain, très analogues
au contraire à celles dues au bacille aviaire.
Troisième passage.
Avec l’une des cultures sur pomme de terre glycérinée ensemencée le
13 juillet, on emplit 2 sacs de collodion que l’on insère le {1 août 1897 dans
le péritoine de 2 poules (n°s 6 et 7).
PouLe N° 6, sacrifiée le 24 décembre 1897,
Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier, gris jaunâtre, formé
uniquement de bacilles de Koch, longs, flexueux et granuleux.
Fait cultures et inoculations.
Résultats : Tous les ensemencements fails sur gélose et pommes de terre
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 571
glycérinées ont été fertiles et ont donné des cultures ayant les caractères du
type aviaire.
Le cobaye inoculé sous la peau est resté indemne ; le cobaye inoculé dans
le péritoine est mort le 3 mars, très amaigri, avec un petit nombre de
foyers caséeux épiploiques et une rate élargie dans tous les sens, rouge,
molle, friable, sans nodules ou foyers de dégénérescence.
Le lapin a succombé le 29 janvier, ayant perdu les 2/5 de son poids, avec
une rate énorme, noirâtre, molle et friable. — La pulpe de la rate, celle du
foie, la moelle des os renfermaient une quantité considérable de bacilles.
Des 2 poules, celle inoculée dans le péritoine est restée bien portante ;
sacrifiée le 21 mai 1898, elle n’a présenté aucune lésion tuberculeuse. Au
contraire, celle inoculée dans la veine du bras a succombé très amaigrie, le
2 mars, avec une tuberculose miliaire intense du foie, de la rate et de la
moelle des es. Deux autres poules, inoculées le jour même, par injection
intraveineuse d’une dilution légère de pulpe de rate, sont mortes avec des
lésions identiques, mais plus fines et plus confluentes, l'une le 16 avril,
et l’autre le 22 avril.
PouLe N°7, sacrifiée le 4 mars 1898.
Sac intact très affaissé; parois recouvertes d’un enduit épais, visqueux,
formé uniquement de bacilles longs, flexueux et granuleux.
Les 3 pommes de {erre ensemencées ont donné de riches cultures type
aviaire. |
4 poule (inoculée dans la veine du bras) est morte le 20 mai, avec une
hypertrophie considérable du foie et de la rate, sans tubercules apparents;
mais l'examen bactériologique a montré dans la pulpe des organes et dans la
moelle des os longs une véritable culture pure, extrêmement riche, de bacilles
de Koch. Une autre poule, inoculée le même jour dans le péritoine, a été
sacrifiée le 24 juillet très amaigrie, la crête pâle, la respiration anhélante;
l'autopsie a montré une tuberculose miliaire intense du foie et de la rate,
identique à celle de la maladie naturelle.
3me SÉRIE D'EXPÉRIENCES ‘
Le 11 janvier 1897, on insère dans le péritoine des poules n° 8, 9 et 10
un sac de collodion empli de culture de tuberculose bovine (provenant d’une
mammite tuberculeuse) ensemencée le 15 décembre 1896 sur pommes de
terre glycérinées.
= Poure N° 8, sacrifiée le 20 mai; sac intact, vide de liquide; parois en-
duites d'une couche épaisse et grisâtre de bacilles tuberculeux.
Fait cultures et inoculations.
Un des 3 tubes de pommes de terre ensemencés présente, après un mois
de séjour à l’étuve, quelques colonies saillantes, verruqueuses, de bacilles
de Koch ; ces colonies semblent plus grasses et plus faciles à dissocier que
celles des cultures originelles.
1. Je ne fais que mentionner une 2% série d’expériences, concue sur le même
plan que la première, mais dont les résultats ont été entièrement négatifs; 2 sacs
sur 3 s'étaient rompus; le 3° était intact, mais entièrement vide ; les bacilles
ensemencés avaient perdu toute végétabilité et toute virulence ; d’ailleurs ils
provenaient d'une culture sur bouillon sans doute trop vieille.
572 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Réensemencées sur de nouvelles pommes de terre glycérinées, elles pous-
sent plus vigoureusement et donnent, en moins d’un mois, une couche
épaisse, grasse, visqueuse et plissée, semblable en un mot aux cultures de
tuberculose aviaire. -
Un cobaye inoculé sous la peau de la cuisse a un gros abcès caséeux qui
s'est ouvert spontanément et s'est cicatrisé de même au bout de quelques
semaines. Le ganglion du pli du flanc, d'abord hypertrophié el induré, puis
obscurément fluctuant, a donné, à la ponction, un pus caséeux trés riche
en bacilles. L'animal, resté gras et vigoureux, a été sacrifié le 11 août : à
part le ganglion prépelvien correspondant, qui s’est montré hypertrophié,
induré et caséeux dans sa partie centrale, on n'a relevé à l’autopsie aucune
lésion appréciable.
Un 2e cobaye inoculé dans le péritoine est mort, très amaigri, le 2 juillet :
il avait de l’ascite fibrineuse, une éruption de petits foyers caséeux sur le
péritoine et dans l’épiploon, une rate large, rouge, molle, infiltrée de gros
nodules purulents et bacillaires.
Un lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, succombait le 27 juillet,
avec une tuberculose miliaire intense de la rate et du poumon.
Deax poules inoculées dans le péritoine et dans la veine du bras restaient
vigoureuses et gagnaient du poids; sacrifiées le 11 août, elles ne présentaient
aucune lésion apparente.
Pouce N° 9, sacrifiée le 11 août; le sac intact, renferme une sorte de
mortier grisâtre formé uniquement de bacilles.
Fait cultures et inoculations.
Un tube de pomme de terre sur les 3 ensemencés portait, après un
mois de séjour à l’étuve, plusieurs colonies saillantes et verruqueuses,
lesquelles, transportées sur de nouveaux tubes, donnaient rapidement une
couche épaisse, grasse et plissée, analogue aux cultures aviaires.
Deux cobayes inoculés l’un sous la peau, l’autre dans le péritoine, sont
restés absolument indemnes; il en est de même des deux poules inoculées
l'une dans le péritoine, l’autre dans la veine du bras.
Seul, un lapin, inoculé dans la veine de l’oreille, succombait le 27 sep-
tembre avec une tuberculose intense des deux poumons et quelques granu-
lations caséeuses de la rate.
Coo x° 10, sacrifié le 28 octobre 1897; ce coq maigrissait beaucoup depuis
quelques semaines ; il avait la crête tombante, de couleur pâle ou violacée.
A l’autopsie : ascite fibrineuse, éruption confluente sur le péritoine de
fines granulations grises, avec un point central opaque; rate et foie infiltrés
de tubercules miliaires, à centre caséeux, entouré d'une épaisse zone
grisâtre; au niveau du testicule gauche, tumeur à contours irréguliers,
du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sarcomateux, avec des foyers
caséeux mulliples, pleins de bacilles; au centre de cette tumeur, on retrouve
le sac de collodion largement fissuré.
Deux poules inoculées, l’une dans le péritoine, l’autre dans la veine du
bras, avec une dilution de rate tuberculeuse, sont restées bien portantes ;
sacrifiées les 20 mai et 28 juillet, elles n'ont présenté aucune lésion tuber-
culeuse apparente.
Détete d ù n -
TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 573
Au contraire, un lapin inoculé dans la veine de l'oreille avec la même
dilution de rate succombait le 28 décembre 1897, avec une tuberculose
miliaire intense de la rate et des poumons.
Enfin, de deux cobayes inoculés le même jour, l'un sous la peau, l’autre
dans le péritoine, celui-ci seul succombait le 48 janvier 1898, avec unpetit
nombre de foyers, caséeux et bacillaires, de l’épiploon et de la rate.
La pulpe de la rate de la poule n° 9, ensemencée largement sur gélose et
sur pomme de terre glycérinée, n'avait pas donné de culture. Mais j'en
obtins de superbes, du type aviaire le mieux caractérisé, avec la pulpe de
rate du lapin mort le 28 décembre.
Ces cultures, inoculées dans les veines, tuent les lapins en moins d'un
mois avec des lésions très accusées de septicémie tuberculeuse, sans tuber-
cules apparents; elles sont sans effet sur les poules quel que soit le procédé
d'inoculation et sur les cobayes qu'on inocule sous la peau.
*X
* Ces cultures m'ont servi à faire de nouveaux passages en sacs de collodion,
mais les animaux témoins sont inoculés depuis trop peu de temps pour que
j'aie pu les sacritier avant la réunion du Congrès.
UNE ÉPIDEMIE DE PARALNSIE ASCENDANTE CHEZ LES ALIÈNÉS-
RAPPELANT LE BÉRIBÉRI
L4
Par MM. CHANTEMESSE ET RAMOND
Professeur de pathologie expérimentale ét comparée Préparateur du laboratoire de pathologie
à la Faculté de médecine. expérimentale et comparée.
Pendant l'été de 1897, de mai à octobre, une épidémie a
éclaté à l’asile d’aliénés de Sainte-Gemmes-sur-Loire, elle a
atteint cent cinquante personnes et en a tué environ quarante’,
Cette maladie se traduisait par des modifications de la peau,
des troubles digestifs, des perturbations nerveuses qui faisaient
penser à la pellagre ; elle montrait encore des œædèmes, des
atrophies musculaires intenses, des douleurs, des phénomènes
de paralysie ascendante, la perte des réflexes tendineux qui la
rapprochaient du Béribéri de l’extrème-Orient.
Elle s’attaquait enfin à une certaine classe de la population
de l’asile, les indigents; elle frappait d'une manière plus géné-
ralisée certaines salles de malades, comme si la contagion jouait
un rôle dans sa genèse.
[
Au mois de mai 1897, on remarqua chez les épileptiques
internés à l’asile une mortalité inaccoutumée. Les malades
mouraient au milieu de crises convulsives répétées, et leurs
corps étaient atteints d’une enflure notable. L'éveil donné, on
rechercha chez les autres malades l’existence de cet œdème, et
on l’observa fréquemment chez les idiots, les épileptiques et les
mélancoliques de la section des indigents. Cet œdème était, dans
1. L'existence de cette épidémie à l’asile de Sainte-Gemmes fut signaiée à M. le
ministre de l'Intérieur par M. le Dr Petrucci, directeur, médecin en chef de
l'asile. L'un de nous fut chargé de faire une enquête officielle. La relation que
nous publions à été écrite d’après les faits que nous avons vus personneliement, et
d’après les observations qui nous ont été communiquées par M. le Dr Petrucci,
par M. Coulon, médecin-adjoint, et M. Malbois, interne de service. Nous leur
adressons nos vifs remerciements.
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBERI. 573
l'immense majorité des cas, le premier phénomène morbide
appréciable. Il apparaissait le soir sur les pieds el dans les
régions malléolaires et prétibiales. Il envahissait successive-
ment les jambes, les cuisses, les lombes où il constituait une
épaisse cuirasse, il gagnait enfin les membres supérieurs, la
poitrine, la face, le scrotum et même les cavités séreuses. Le
gonflement des replis aryténo-épiglottiques a été observé. Il se
manifestait surtout dans les régions déclives. Cet œdème de a
peau et du tissu cellulaire affectait la particularité remarquable
d'être dur, et de ne pas conserver l'empreinte du doigt qui le
pressait.
Déjà à ce moment les battements du cœur étaient désor-
donnés, rapides, s’élevant à 100, 140 pulsations par minute,
sans fièvre bien manifeste. A mesure que la malad'e progressait,
le pouls devenait ordinairement plus rapide et plus misérable.
Rarement il était ralenti.
En même temps que l’æœdème, d’autres phénomènes appa-
raissaient. C’étaient de fréquentes nausées, surtout le matin au
lever, du hoquet, des vomissements répétés, alimentaires ou
bilieux. Ces vomissements, malgré l’état de la langue qui était
parfois saburrale et souvent d'apparence normale, ne s’accom-
pagnaient pas d’anorexie ; au contraire, les malades témoignaient
d’une certaine avidité pour la nourriture. La constipation accom-
pagnée de légères coliques et de météorisme était plus fréquente
que la diarrhée. Les vertiges étaient constants. Les malades se
plaignaient de ressentir des douleurs dans les reins, dans les
côtés, autour de la ceinture ; ils accusaient surtout la sensation
d’un poids qui les oppressait au-devant du sternum.
Cependant les forces étaient conservées, la station debout et
la marche étaient possibles. Un examen attentif permettait de
constater chez quelques malades un léger trouble dans la coordi-
nation motrice des jambes. Les réflexes tendineux étaient
diminués. Parfois, mais non toujours, l'urine contenait de
Talbumine.
Un phénomène plus frappant était constaté déjà. Bon nombre
de malades présentaient dans les parties découvertes de la peau,
à la face et sur le dos des mains, une teinte brunâtre absolument
semblable à celle qu’on voit sur la peau des hommes astreints
aux travaux des champs.
576 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Ces divers phénomènes morbides caractérisaient la première
période de la maladie. Celle-ci pouvait être longue, les symp-
tômes persistaient en état un mois ou deux.
Dans les cas les plus heureux ils s’amendaient peu à peu, et-
le malade entrait en convalescence. Celle-ci était entrecoupée de
retours offensifs de l’œdème, qui obligeaient le patient à reprendre
le lit pour quelques jours.
Les signes de paralysie s’accentuaient souvent d’une manière
plus ou moins brusque. Chez quelques malades la station deve-
nait de plus en plus difficile ; daus le cours d’un mouvement, les
jambes se dérobaient sous le corps: chez d’autres, les signes de
cette paralysie frappaient brutalement avant tout autre phéno-
mène prémonitoire, culané ou digestif.
Quelle que füt la progression du début, arrivés dans celte
période paralytique, les patients étaient dans l'impossibilité de
marcher seuls ou de se tenir debout. Soutenus par un aide, ils
lançaient les jambes en avant à la façon des ataxiques, et les
pieds glissaient sur le parquet, la pointe tournée en dedans, le
bord interne légèrement élevé et la face supérieure bombée.
Assis, le malade laissait flotter ses jambes, qui subissaient, comme
celles d’un polichinelle, les mouvements imprimés.
Le malade qui pouvait encore progresser ne le faisait qu’en
prenant un point d'appui avec les mains. Le corps courbé, la
tête en avant, il s’avançait en traïnant les pieds qu’il heurtait par
saccades l’un contre l’autre. S'il tombait, il lui fallait le secours
d’un aide pour se remettre dans son lit. Plusieurs présentaient
le signe de Romberg. Chez tous, les réflexes patellaires étaient
abolis, les réflexes cutanés ne disparaissant qu'à la période
ultime.
La paralysie s’étendait parfois au rectum et à la vessie. Le
cathétérisme devenait nécessaire. Sur 150 malades atteints, le
tiers a été paralysé.
Chez plusieurs sujets, un notamment, dont nous avons fait
l’autopsie, la paralysie a présenté une marche ascendante pro-
gressive et rapide. Les membres supérieurs comme les inférieurs
étaient dans la résolution complète, le diaphragme a été para-
lysé, et la scène s’est terminée lentement par des phénomènes
asphyxiques et cardiaques, tels qu’on les voit dans les lésions
bulbaires.
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. d77
/
Ces paralysies avaient un caractère particulier; elles s’ac-
compagnaient d’atrophies musculaires intenses et de troubles
marqués de la sensibilité. Dès le début, l'atrophie frappait
symétriquement les muscles des jambes, des cuisses, des bras ;
les fléchisseurs résistaient mieux que les extenseurs. Les muscles
réduits, flasques, ballottants, étaient le siège de douleurs spon-
tanées, sous la forme de fourmillements incessants, de crampes,
de tiraillements extrèmement pénibles. La pression des masses
musculaires atteintes arrachait des cris aux malades. On consta-
tait parfois l'hyperesthésie ou l’anesthésie de la peau, plus rare-
ment la perte du sens musculaire.
La vaso-motricité présentait des troubles profonds. Couché,
un paralytique offrait une teinte normale de la peau: mis debout,
la moitié inférieure de son corps se couvrait en quelques instants
d'une couleur écarlate.
L'examen ophthalmoscopique a été pratiqué chez la plupart
des malades par M. le D' Motais (d'Angers). Chez tous. mème
les plus atteints, la pupille était normale et intacte. Ce médecin
a constaté de l’hypermétropie chez quelques sujets, et une
amblyopie marquée chez une femme d’une cinquantaine d'années.
A cette période de troubles trophiques musculaires. certaines
régions de la peau étaient profondément touchées et présentaient
des lésions qui se rapprochaient beaucoup de celle de la pellagre.
Sur le dos des mains, des plaques d’érythème, roses d'abord,
rouges ensuite, apparaissaient. Très irrégulières de forme et
d’étendue, elles pouvaient envahir toute la face dorsale des
mains et des poignets. À leur niveau, les malades accusaient
une sensation de démangeaison, puis de brülure. Sur ces
plaques érythémateuses, des phlyctènes s’élevaient et se des-
séchaient rapidement, laissant de larges squames fendillées,
très adhérentes à la peau. Leur desquamation mettait à jour
une peau rouge par endroits, blanche en d’autres, comme
cicatricielle.
Les troubles trophiques ne se limitaient point là. Il y avait
fréquemment des eschares du sacrum, quelquefois du purpura et
des ecchymoses. Trois malades ont été pris, sans trace de rou-
geur ni d’empâtement articulaire, d’une lésion des jointures, deux
fois au genou, une fois à l’épaule. Le début s’est fait progressi-
vement par des douleurs vives dans les articulations atteintes.
37
d78 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
La palpation, très douloureuse, permettait de reconnaître la pré-
sence d’un épanchement considérable; on ne percevait pas de
froissements articulaires.
Parvenue à cette période atrophique, l'évolution de la maladië
variait suivant les cas. Chez certains malades, les douleurs mus-
culaires et les troubles trophiques diminuaient progressive-
ment, le malade parvenait peu à peu à se lever et à marcher.
Pendant le cours de latrophie musculaire il se créait des posi-
lions vicieuses sous l'influence du tonus des fléchisseurs, qui
n’était pas contre-balancé par celui des muscles antagonistes ; des
rétracüons tendineuses s’installaient avec leurs conséquences:
les fig. 1 et 3 de la planche VI montrent des faits de ce genre.
Chez d’autres, au contraire, les symptômes nerveux au lieu
de s’amender ne faisaient que s'accroitre. Les troubles gas-
triques, cardiaques et respiratoires se montraient plus marqués.
Les vomissements reparaissaient. Le pouls devenait misérable,
imperceptible, très fréquent et fournissait 150 pulsations ct au
delà. On voyait la respiration se précipiter, le diaphragme se
paralyser, les mucosités s’accumuler dans les bronches; le
malade ne pouvait plus expectorer ni mème déglutir. L’agonie
commençait et durait plusieurs jours, accompagnée de sueurs
profuses, parfois odorantes. Il n’y avait pas de fièvre. Il est à
remarquer en effet que dans cette maladie où les perturbations
nerveuses étaient si profondes, les modifications thermiques
n’occupaient qu'une place modeste. Au début de la maladie, dans
les formes à marche rapide, on constatait assez souvent une
fièvre de quelques jours de durée ne dépassant pas 39°, puis la
maladie évoluait apyrétique. Dans les périodes ultimes de l’atfec-
tion, quand des complications dues le plus souvent aux eschares
du sacrum se développent, il n'était pas rare de voir la tempé-
rature s'élever : il était difficile en pareil cas de ne pas accorder,
dans la genèse de cette fièvre, une part importante à l'infection
secondaire.
Il
Tels sont en résumé les principaux caractères de l'épidémie
que nous avons observée. En s'en tenant seulement aux
phénomènes cliniques, à quelle maladie déjà décrite se rap-
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 579
porte-t-elle? Dans quel cadre nosologique faut-il la placer?
Lorsque cette épidémie a éclaté à l'asile de Sainte-Gemmes, en
mai 1897, l’érythème bronzé des régions de la peau exposées au
soleil, les vomissements et les troubles digestifs caractérisés
par de la constipation et parfois de la diarrhée, les phénomènes
nerveux et la cachexie ultime avaient fait penser qu'il s'agissait
d'une épidémie de pellagre. On sait que cette dernière présente
des symptômes qui ne sont pas très éloignés des précédents.
Dans les épidémies qui ont frappé la Lombardie, la Vénétie, la
Vieille Cestille, et certaines régions de la France telles que les
provinces des Landes, du Laurençais, de la Champagne, on a
reconnu autrefois ou cru reconnaître la pellagre. La différence
avec l'épidémie que nous avons observée consiste en ce que la
pellagre frappe de pauvres gens mal nourris, mais sains d'esprit,
et qu'elle les amène lentement, en plusieurs années, à un état de
faiblesse tel que la démence s'ensuit, accompagnée souvent de
tentatives de suicide. À Sainte-Gemmes, au contraire. la maladie
a attaqué des individus déjà déments, des idiots, des épileptiques.
Dans le cours de leur longue maladie, l’état mental des sujets
ne s'est pas modifié. Les maniaques sont restés excités jusqu'au
dernier moment, incohérents et loquaces, les mélancoliques
tristes, déprimés ou dans la stupeur, les déments absurdes ;
la folie circulaire s’est déroulée avec les mêmes alternatives
d’excitation et de dépression. La maladie n’a pas eu en somme
les allures lentes de la pellagre; elle a frappé vite et a tué quel-
quefois en peu de temps. Mais une différence dans la rapidité
d'action de deux phénomènes morbides ne peut suffire à elle
seule à les départager. D'autant mieux que dans ce même asile
de Sainte-Gemmes, une épidémie très analogue à celle de notre
époque a éclaté de 1855 à 1865. Elle a eu pour historien princi-
pal ie médecin directeur de cet asile, le D' Billod*. Ce médecin:
distingué, frappé par la ressemblance des symptômes qu'il obser-
vait à l’asile de Sainte-Gemmes et qu'il avait constatés antérieu-
rement à l'asile de Rennes, avec ceux que présentaient les
pellagreux d'Italie, voulut que la maladie de Sainte-Gemmes fût
la pellagre, ou tout au moins une variété de la pellagre, la pel-
lagre des aliénés. Il voulait lui réserver une place à côté de la
4. Voir les diverses publications du Dr Billod dans les Archives de Médecine
de 1858 et dans son Zraité de la pellagre. Masson, 1865.
D80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
pellagre italienne, castillane, landaise. Il se donna pour mission
de démontrer, d’une part que la maladie de Sainte-Gemmes
était bien la vraie pellagre, et d'autre part que, ses malades
n'ayant pas mangé de maïs et par conséquent de maïs altéré,”
la cause de la pellagre ne pouvait être cherchée dans l’alimenta-
lion par une farine de maïs défectueuse. C'était, on le voit, la
réfutation de l'opinion qui, à cette époque, sous l'influence des
travaux de Balardini et de Th. Roussel, avait rallié la majorité
des médecins.
Sans s'attacher à l'étude attentive de l'évolutjon des deux
maladies, à l'analyse détaillée des symptômes nerveux, de leurs
particularités, de leur mode d'apparition, des différences qu'une
comparaison pouvait établir, le D' Billod s’efforça de mettre en
parallèle les phénomènes cutanés de la pellagre d'Italie et de la
sienne. H s’étendit sur l'existence de la diarrhée etde la cachexte,
et partout où il aurait pu rechercher l’évolution des troubles
musculaires paralytiques et trophiques, il ne les désigne que par
deux mots : émaciation, marasme. C'est dire que les observa-
tions de Billod ne sont pas toujours assez complètes pour permettre
de juger si l'épidémie qu'il a observée à Sainte-Gemmes en 1855,
et celle que nous avons vue en 1897 sont une seule et même
chose,
Cependant, si on se rapporte non à la description didactique,
mais aux observations publiées par Billod', on en trouve plu-
sieurs qui paraissent être les protocoles d'observations que
nous avons faites personnellement. Billod cite plusieurs faits
qu'ilnomme pellagre aiguë, qui ont évolué en 3, 4 et5 semaines.
Il signale que ses malades n’ont jamais été soumis à l’insolation,
et qu’à l’autopsie, faite 2 à 3 mois après le début, il a trouvé de
l'infiltration des membresinférieurs etdes muscles des gouttières
vertébrales, la flexion forcée de la jambe sur la cuisse, la rétrac-
tion de tous les doigts de la main droite vers la face palmaire, etc.
À l’autopsie enfin, il constatait souvent le ramollissement
apparent de la partie inférieure de la moelle, fait quia été retrouvé
plusieurs fois dans l'épidémie actuelle.
La conception de Billod que l'épidémie de Sainte-Gemmes
était la vraie pellagre, ne fut pas adoptée par tous les médecins.
La commission de l’Académie des sciences, présidée par Rayer,
1. Arch. génér. de Médec. 1858, T°, 12, p. 67, 73 el suivantes.
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRL. 581
chargée de faire un rapport sur les observations de Billod, con-
clut, tout en rendant hommage à sa découverte, qu'il avait
observé autre chose que la pellagre. Le caractère le plus saillant
de l’épidémie que nous avons observée, et que Billod a observé
aussi, croyons-nous, réside dans les troubles trophiques portant
principalement sur les muscles. Ces troubles trophiques muscu-
laires n’existent pas dans la pellagre. Le livre si remarquable de
Th. Roussel ne les mentionne pas. Les recherches récentes de
Tuczeck, de Belmondo sur la pellagre montrent que les symp-
tômes de cette maladie sont étroitement correspondants à la selé-
rose des cordons latéraux et des cordons postérieurs de la
moelle. ils consistent dans des phénomènes de paralysie spas-
modique, avec des réflexes rotuliens le plus souvent exagérés.
L'évolution rapide et les troubles trophiques musculaires de
la maladie que nous avons étudiée dans l'épidémie de Sante-
Gemmes, comme Billod Pavait étudiée quarante ans avant nous,
n'appartiennent donc pas à la vraie pellagre.
Le phénomène (pelvis ægra) qui a donné son nom à la mala-
die, a, comme rançon, troublé son histoire pathologique,
L'érythème cutané brunâtre ou rose, ou rouge, est devenu, dans
l'esprit de certains auteurs, un signe pathognomonique de cette
affection. Cependant la pellagre n’est pas la seule maladie où
l’on voie survenir, en même temps que des troubles digestifs e!
nerveux allant jusqu’à la paralysie, des érythèmes localisés qui
laissent à leur suite un épiderme jaune noirâtre. Telle est, par
exemple, cette singulière maladie qui a sévi épidémiquement
à Paris en 1828, où elle a frappé, dit-on, 40,000 malades, qui s’est
ensuite montrée en Belgique en 1846, et plus tard dans l'armée
française, en Crimée (Tholozan).
L'acrodynie qui, en 1828, parcourait successivement à Paris
les casernes, les prisons, puis les différents quartiers de la capi-
tale, ne laisse pas que d'offrir quelques traits communs avec la
maladie de Sainte-Gemmes. Les travaux de Genest, Dance, les
observations de Chomel, les publications plus tardives de Tho-
lozan et de Gintrac nous montrent l’acrodynie commençant par
des troubles digestifs, puis par une bouffissure, un œdème dur
de la face, qui souvent ne garde pas l'empreinte du doigt et qui
peut se généraliser. Bientôt apparaissent, vers les pieds et les
mains, des phénomènes d’engourdissement, de fourmillements
582 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
ct mème de crampes irradiant vers les divers segments du
membre. La contractilité est plus ou moins affectée. Alors, se
développent à la face plantaire et palmaire, et parfois dorsale des
extrémités, des rougeurs érythémateuses, de dimensions, de cou-
leurs. de localisation extrèmement variables. Plus tard, lhyper-
esthésie et les phénomènes spasmodiques des extrémités font
place à de l’anesthésie, à de la faiblesse, ou mieux à des paraly-
sies. L'érythème pâlit, laissant à sa place un épiderme brunûtre,
et le patient guérit, sans jamais avoir présenté aucun trouble
cérébral. La maladie dure de quelques jours à 5 ou 6 mois,
Chomel à vu la paralysie être assez étendue pour occasionner la
mort. Si l'on tient compte de l'énumération des symptômes en
particulier, troubles digestifs. troubles trophiques de la peau et
du tissu cellulaire, paralysies précédées de douleurs vives, on
voit que l’acrodynie présente des signes qui ne sont pas rares
dans la maladie de Sainte-Gemmes. Mais si on envisage l’évolu-
tion totale des accidents, les différences sont assez profondes
pour que les deux maladies ne puissent être confondues.
Comme la maladie de Sainte-Gemmes, l'acrodynie a sévi
d'une manière épidémique. En 1828, les soldats de la garnison
de Paris, nourris avec les mêmes vivres, étaient atteints dans
certaines casernes (Lourcine, La Courtille, Popincourt) et res-
pectés dans d’autres. Les malades de l'hospice Marie-Thérèse
fournirent de nombreuses victimes à l'épidémie. Le boulanger
de l'hospice fut accusé de livrer du mauvais pain et changé.
L'épidémie ne disparut pas. L'idée de la contagion s’imposait
déjà dans cette singulière maladie.
Sila maladie de Sainte-Gemmes n’est ni la pellagre, niPaero-
dynie, il est une affection à laquelle elle ressemble singulière-
ment, c’estle Kakke du Japon, le Béribéride Ceylan, de la Chine,
de l'Inde, des îles du Pacifique, de la côte occidentale d'Afrique,
de certaines portions de la côte du Brésil et des Indes Occiden-
tales.
D’après les descriptions de Bäülz et Scheube, de Peckelharing,
de Lacerda, le Béribéri-se caractérise par une paralysie et une
atrophie musculaire portant sur les membres inférieurs et plus
particulièrement sur les muscles de larégion antéro-externe de la
jambe, d'où la chute de la pointe du pied et la démarche spé-
eiale- de steppage. La paralysie peut s'étendre au tronc, aux
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 583
membres supérieurs ; dans la forme dite pernicieuse, son évolu-
tion rappelle celle de la paralysie ascendante aiguë.
En même temps qu'apparaissent ces phénomènes de paraly-
sie amyotrophique, les malades accusent des douleurs vives
dans les masses qui s’atrophient. Les réflexes rotuliens sont
abolis; lœdème des membres inférieurs est souvent très pro-
noncé; enfin, dès le début de la maladie, il existe des troubles car-
diaques, caractérisés par des souffles et de la tachycardie très
manifeste. La maladie se présente sous diverses formes, bénigne
ou grave, hydropique, atrophique, pernicieuse; les patients
peuvent guérir, même après avoir été longtemps paralysés.
Cliniquement, on voit combien lxsymptomatologie du Béribéri
est rapprochée de celle de la maladie de l'asile de Sainte-Gemmes,
Sa ressemblance est aussi étroite au point de vue anato-
mique.
Bälz et Scheube ont montré que la lésion du Béribéri était une
polynévrite périphérique ; nous allons voir que cette polynévrite
existe dans la maladie de Sainte-Gemmes.
II
Nous n'avons observé l'épidémie que dans sa période termi-
nale et n'avons pratiqué que deux autopsies. Les cadavres
avaient été placés de bonne heure dans la glace pour éviter la
putréfaction. Dans le premier cas, il s'agissait d’un homme de
soixante-trois ans, paralytique général, ayant succombé à la
suite de troubles qui rappelaient ceux d'origine bulbaire.
Les enveloppes de la moelle ne présentaient pas de lésions ; la
moelle était congestionnée dans la région lombaire. Rien à signa-
ler du côté du bulbe; l’encéphale était atteint de méningo-encé-
phalite diffuse. Les poumons étaient congestionnés aux deux
bases : le cœur dilaté et rempli de gros caillots cruoriques. Le
foie apparaissait normal ; la rate était hypertrophiée, comme dans
la plupart des autopsies pratiquées par M. Petrucei. Les autres
viscères, le péritoine, n’offraient aucune lésion à l'œil nu.
La deuxième autopsie se rapportait à une idiote de trente-
deux ans, morté dans les mêmes conditions que le précé-
dent. ; |
Les enveloppes de l’axe cérébro-spinal étaient injectées,
08 4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sans granulalions dans leur épaisseur ou à leur surface. La
moelle était congestionnée sur toute son étendue. L'examen
des organes n’a révélé à l'œil nu aucune particularité intéres-
sante. s
Nous avons pratiqué, suivant les méthodes en usage, les exa-
mens histologiques et bactériologiques. Les culiures ont été
faites sur les divers milieux du laboratoire, en présence ou à
l'abri de l'air. L’axe cérébro-spinal à été fixé par une solution
de formol au dixième ; les nerfs périphériques ont été mis dans
une solution d'acide osmique au centième. Enfin les fragments
des divers viscères ont passé dans le sublimé acide, avant
l'inclusion dans la paraffine.
Les renseignements les plus importants sont fournis par
Fexamen du système nerveux. Les nerfs périphériques se ren-
dant aux muscles paralysés de la jambe, le cordon cervical du
grand sympathique, le tronc du pneumogastrique gauche pris
au cou, présentent des phénomènes de névrite ne portant pas sur
tous les filets nerveux, mais sur quelques-uns, plus ou moins
nombreux suivant les régions que l’on examine.
Comme le montrent les fig. 6 et 7 de la planche VI, les fibres
sont atteintes à divers degrés. Dans les unes, la myéline est
segmentée en boules et se colore encore par l’acide osmique ;
dans les autres, les altérations sont plus profondes, la myéline
est désagrégée et méconnaissable, le cylindre-axe a disparu,
la gaine du nevrilème est vide.
Les lésions de névrite périphérique sont donc très mani-
festes. Dans ies muscles correspondant à ces nerfs altérés on
constate aussi des lésions. À côté de fibres musculaires dont
la striation est normale et le volume conservé, on en distin-
gue d’autres qui ont perdu leur striation ct leur couleur habi-
tuelles. Elles sont diminuées de voiume et présentent dans la
gaine du sarcolemme un grand nombre de noyaux.
La moelle montre une congestion intense de ses vaisseaux
sanguins. La substance blanche des cordons est intacte dans
toute son étendue, On ne constate nulle part l'existence d’une
sclérose portant sur les cordons postérieurs nt sur les cor-
dons latéraux: rien en un mot qui ressemble aux lésions de la
pellagre.
Les lésions principales se voient sur les grandes cellules des
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRIL. 585
cornes antérieures. Nombre de ces éléments paraissent tuméfiés,
ont perdu leurs grains chromatophiles, présentent un noyau
excentrique; quelques-unes montrent dans leur protoplasme des
vacuoles nombreuses (fig. 5, planche VI).
Dans les deux cadavres conservés dans la glace jusqu'à
l’autopsie, l’ensemencement a permis de constater dans les
organes et surtout dans le foie, la rate, le liquide céphalorachi-
dien, la présence d’un mème microbe, tantôt à l’état de pureté et
tantôt associé à un coccus ou bien au coli-bacille, comme dans
les viscères du second individu.
Ce microbe (fig. 2) se présente sous la forme d’un bâtonnet
mobile, de dimensions variables, rappelant un peu l'aspect du
proteus vulgaris de Hauser. Dans une culture pure, à côté de
bacilles courts et trapus, il s’en trouve d’autres plus longs,
alteignant parfois 4 à 8 w de longueur. Ils prennent bien les
couleurs d’aniline, mais se décolorent par l'emploi de la méthode
de Gram. Ensemencés sur les divers milieux, ils troublent forte-
ment le bouillon-peptone dès la 27° heure, ne formant qu'un
mince dépôt au fond du tube, et un voile presque imperceptible à
la surface. L’odeur de la culture fraiche n’est pas fétide. Is liqué-
fient la gélatine ; sur plaques de gélatine la colonie se présente
sous une forme arrondie, sans prolongements serpigineux à la
périphérie. Sur gélose inclinée, ils produisent, le long de la strie
d’ensemencement, un large ruban gris blanchâtre, à contours
polyeyceliques, épais et de consistance crémeuse, mais n'ayant
aucune tendance à recouvrir toute la surface de ‘culture. Le lait
est rapidement coagulé en masse, le coagulum ne se redissout
pas ultérieurement; de même, l’on observe la fermentation des
milieux lactosés. Sur pommes de terre, les colonies, d’abord
incolores, prennent une teinte brunâtre au bout de quelques
jours.
A côté de ce bacille, nous avons rencontré dans le foie, chez
les deux individus, un coccus, du genre streptocoque, immobile
et prenant le Gram. Comme le streptocoque, il ne liquéfiait pas la
gélatine, coagulait tardivement le lait, et sur gélose donnait des
cultures peu volumineuses, « en grain de semoule », assez con
fluentes; cependant, le bouillon était uniformément troublé, et
l’inoculation de ce microbe sous la peau de l'oreille d’un lapin
n’amenait point d'érysipèle. Quoique nettement pathogène pour
5806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
les lapins, cobayes et souris, il n’a jamais amené d'accidents
nerveux remarquables.
Toute autre fut l’action du bacille et de la toxine soluble
sécrétée par ce microbe, après 6 jours de culture dans un bouil-”
lon fabriqué par la digestion d’une rate avec la nepsine d'un
estomac de porc.
IL est à remarquer tout d’abord que ce microbe est sujet dans
sa virulence et sa toxicité à des variations importantes. Ses
germes, retirés fraîchement du corps humain, possédaient un
pouvoir toxi-infectieux beaucoup plus marqué que ceux qui
étaient conservés dans les milieux de culture du labora-
toire
Lorsque ce microbe possède une grande virulence, il suffit
d'en inoculer une petite quantité sous la peau de l'oreille d’un
lapin. Il se développe bientôt au point d’inoculation une eschare
sèche, qui amène la destruction de l'oreille par une sorte de
nécrose. L'animal présente un peu de fièvre. Au bout de 7 à
8 jours. des signes de paralysie du train postérieur se dessinent.
la vessie et le rectum se paralysent, une eschare apparaît sur la
région fessière. Le lapin continue à se mouvoir un peu avec les
membres antérieurs et à manger; puis les signes de paralysie
ascendante deviennent plus manifestes, la tête peut difficilement
se soulever et l’animal succombe en 12 ou 14 jours. Le microbe
se retrouve dans les viscères, on constate notamment lexis-
tence d’une méningo- -myélite dont les exsudats renferment le
bacille à l’état de pureté.
Si la dose inoculée est plus forte, l'animal suecombe en 24 ou
36 heures à une septicémie.
Dix lapins ont reçu de la toxine Soie en injections sous-
cutanées, à la dose de 2 à 5 c. e., répétées une ou plusieurs
fois. Cinq de ces animaux, après avoir présenté des signes de
paralysie plus ou moins développée dans les membres inférieurs,
ont guéri. Chez les autres, les signes de paralysie, au lieu de
disparaître, se sont accentués, il s’est fait un amaïgrissement
considérable des muscles du train postérieur, des gouttières
vertébrales dé la région dorsale. L’émaciation musculaire con-
trastait vivemént avec le bon état des membres antérieurs. La
souillure des déjections tachaït le train postérieur, et des eschares
se développaient aux points qui subissaient des compressions.
Br Se sad
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 587
Dans deux cas, la mort est survenue avec des phénomènes de
paralysie ascendante.
L'autopsie n'a pas permis de constater trace de névrite,
mème dans les nerfs qui se distribuaientaux museles atrophiés.
En revanche, les lésions médullaires étaient très marquées, elles
ne portaient pas sur les tractus blancs, mais à peu près exclusi-
vement sur la substance grise.
Il y avait une congestion très intense des capillaires, et sur-
tout un œdème, développé particulièrement dans la région de la
commissure. Cet œdème rendait le tissu tellement diffluent que la
région ceutrale de la moelle semblait creusée d’une cavité syrin-
gomyélique., Cet œdème infiltrait aussi les cornes antérieures.
Les grandes cellules nerveuses présentaient des altérations très
manifestes (fig. 4 et 8 de la planche VI) : gonflement, chroma-
tolyse, cavités vacuolaires, et en beaucoup de points destruction
complète de la cellule qui n’était qu'à peine reconnaissable.
Les lésions reflétaient en somme, d’une manière générale mais
avec plus d'intensité, l'aspect de celles que nous avions vues
dans les moelles humaines.
IV
Reste la question d’étiologie de cette épidémie, qui a sévi si
cruellement chez les aliénés de Sainte-Gemmes.
Quelques remarques doivent être faites tout d'abord. La
maladie n'a attaqué dans cet asile que les indigents. Les servi-
teurs sont restés indemnes, les pensionnés le sont restés aussi,
sauf deux qui appartenaient à la 4° classe, dans laquelle le
régime alimentaire était celui des indigents, à très peu de chose
près. La maladie à sévi à l’état épidémique pendant l'été de 1897,
elle existait avant cette époque dans l'asile, puisque en 1896 ct
même en 1895 des malades ont été atteints de phénomènes de
paralysie ascendante tout à fait semblables à ceux qu’on a
observés pendant l'épidémie de l’année dernière.
Peut-être serait-il possible de trouver des traces plus
anciennes de la maladie, puisque, crovons-nous, les faits observés
par Billod il y a 40 ans n'étaient pas essentiellement différents
de ceux de l'heure actuelle. Enfin quelques salles d’indigents ont
payé un tribut plus lourd que d’autres à l'épidémie, comme si la
contagion s'était manifestée.
538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
La farine de maïs n'a jamais été ulilisée pour l'alimentation
dans l'asile.
Notre enquête ayant été faite au mois d'octobre, nous n'avons
pu juger de la nature, ni de la quantité, ni de la qualité des ali- -
ments fournis aux malades au début de l'épidémie et dans la
période qui a précédé ce début; 1l est certain cependant que les
patients, en leur qualité d'indigents, recevaient une nourriture
inférieure sous tous les rapports à celle des serviteurs et des
malades pensionnés.
On à attribué l'épidémie à l'absorption d'une eau impure.
L'eau potable distribuée à Sainte-Gemmes a deux origines ;
elle provient d'une part, par une conduite spéciale, de l’eau de la
ville d'Angers, et d'autre part elle est prise dans la Loire à l’aide
d’une galerie, non loin de l'endroit où vient se jeter la rivière
l'Authion dans laquelle on fait rouir du chanvre.
Que l’eau de cette dernière provenance soit mauvaise, cela
ne fait pas l'ombre d’un doute, mais cette eau est universelle-
ment distribuée à la population de l'asile; si seule elle avait été
la cause de l’épidémie, celle-ei se serait répandue d'une manière
à peu près uniforme chez les habitants de Sainte-Gemmes : or
la seule classe de population qui ait été atteinte est celle des
indigents, qui avait un régime alimentaire inférieur à celui des
autres en qualité et en quantité.
Que l’eau impure ait apporté des germes favorisant le
microbe spécilique de lépidémie, cela est possible, mais ce
microbe n’a exercé son pouvoir infectieux et toxique que sur
les organismes qui étaient débilités par l'alimentation. Il s’est
passé à Sainte-(remmes ce qu'on observe dans les épidémies de
béribéri de lExtrème-Orient. Les Européens bien nourris
échappent presque toujours à la maladie; on la trouve en
revanche dans les prisons, dans les bagnes, sur les navires
d’émigrants indiens transportés aux Antilles. Là, la maladie
s'arrête ou cesse dès qu'une alimentation favorable intervient.
Cela ne veut pas dire cependant que l'affection ne puisse
apparaître chez des gens sains et bien nourris. Un germe de
puissance moyenne peut ne témoigner sa virulence et sa toxicité
que sur des organismes débilités ; un germe plus actif, dont la
virulence aura été exaltée par des passages successifs de patients
à patients, pourra frapper des individus vigoureux.
ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 589
Les faits qui ont été signalés récemment dans un asile
d'aliénés d'Irlande offrent, à l’égard de l'épidémie qui nous
occupe, de curieux enseignements.
Depuis 1894. trois épidémies rappelant singulièrement le bére-
béri ont éclaté à l'asile d’aliénés de Dublin. La première épidé-
mie sévit pendant l'été et l’automne de 1894 : il y eut 25 décès
sur 174 cas: la deuxième épidémie eut lieu en août 1896 ; sur 116
cas il y eut 9 décès. Durant cette épidémie on constata pour la
première fois la contagion chez les infirmières, dont 7 furent
atteintes. Enfin la troisième épidémie date de juin 1897 : sur 124
cas, il n’y eut qu'un seul décès.
S. Conolly Norman, Stoker, Smith et Manson admirent
qu'il s'agissait de vrai béribéri; aussi le gouvernement hollandais
délégua-t-1l MM. Verschrur et Van Ijsselesteijn, dont le rapport
est consigné dans le Nederlandsch Trdschrift voor geneeskünde
du 11 décembre 1897.
Après une étude clinique très approfondie, les médecins
hollandais constatèrent de légères différences entre l'évolution de
la maladie de Dublin et celle du vrai béribéri. Cependant la
cause de cette épidémie étant aussi inconnue que celle du béribéri
indien, ils ne purent affirmér avec certitude que la polynévrite
épidémique d'Irlande était de nature différente de la polynévrite
cinghalaise.
Comme à Sainte-Gemmes, la maladie a éclaté à Dublin dans
un asile d’aliénés. Voici encore une épidémie américaine tout
à fait semblable aux précédentes, qui s’est montrée dans l'asile
d’aliénés de Tusculoosa (Alabama) en 1896. L’historien en a été le
professeur Bondurant ‘. Par les symptômes, par l’évolution de
la maladie, par les planches photographiques qui accompagnent
sa description, par les lésions anatomiques consistant en des
polynévrites périphériques, avec altérations des cellules des
cornes antérieures de la moelle, cette épidémie nous semble
être la même que celle que nous avons observée à Sainte-Gemmes.
1. New-York medical journal, 20 et 21 novembre 1897.
990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
CONCLUSIONS
1° L'épidémie de l'asile d’aliénés de Sainte-Gemmes n’est nt,
la pellagre, ni l’acrodynie. Elle diffère de ces deux maladies,
comme en différait, d’après l'opinion de la commission de
l'Académie des Sciences et du D’ Costallat, l'épidémie observée
dans cet asile par le D' Billod en 1855, et dite par lui pellagre
des aliénés ;
2 Elle ressemble étroitement par ses symptômes et son
anatomie pathologique au béribéri de l'Extrème-Orient et à la
maladie dite béribéri observée dans les asiles d’aliénés de Dublin
(Irlande) et de Tusculoosa (États-Unis) en 1895 et 1896 ,
30 Le microbe que nous avons trouvé dans les cadavres de
Sainte-Gemmes, qui donne aux animaux une paralysie ascen-
dante par infection et aussi par intoxication, est peut-être, mais
non sûrement, la cause de cette épidémie. Il faut, pour élucider
ce point, étudier d'autres malades et faire de nouvelles autopsies ;
4° Au point de vue anatomique et étiologique, la maladie
n’est pas seulement une polynévrite épidémique. Les centres
gris de la moelle sont intéressés. La maladie parait être con-
tagieuse ;
5° Au point de vue hygiénique, de même que le Béribéri de
l'Extrème-Orient et le typhus exanthématique, elle est, mais
non toujours, une maladie de misère ;
Go Une alimentation saine, variée, copieuse, où la viande
entrera pour une bonne part, est le meilleur moyen de préser-
vation des personnes qui restent au contact des malades.
Ceux-ci bénéficieront des mêmes mesures d'hygiène alimentaire ;
7° L’isolement des patients, la désinfection des objets qu'ils
auront pu souiller est nécessaire.
NOTE SUR LA BACTÉMIOLOGIE DE LA VERRUGA DU PEROU
Par M. CHARLES NICOLLE
Chef du laboratoire de bactériologie de l'École de médecine de Rouen.
Au mois de décembre 1893, M. le D' Roux me remit
plusieurs pièces provenant d’un cas de verruga, en me chargeant
d'en faire l'examen microbiologique. — L'aspect nodulaire des
lésions me fit penser de suite qu'il s'agissait [à d’une affection
voisine de la tuberculose, et la première méthode de coloration
que j'employai, la méthode d'Ebrlieh, me permit de déceler dans
le tissu morbide la présence de bacilles tout à fait analogues au
bacille de Koch. Je ne crus point devoir publier alors le résultat
de mes constatations, attendant l'envoi de pièces nouvelles qui
ne me furent point adressées, et estimant qu'une observation
unique ne pouvait avoir de valeur absolue. Cependant, dans un
article paru dans ces Annales, je laissai mon frère, le D' Mau-
rice Nicolle, signaler la découverte que j'avais faite du micro-
organisme de la verruga *.
Une communication récente de M. le D' Letulle à la
Société de biologie * vient d'attirer l'attention sur cette maladie
exotique. Les constatations de M. Letulle étant au point de vue
bactériologique identiques aux miennes, je n'ai pas cru devoir
retarder plus longtemps la publication de mes recherches
anciennes.
*
# _*
La verruga est une aflection qui parait spéciale à quelques
vallées du Pérou. Elle se caractérise par des symptômes géné-
raux plus ou moins graves, fièvre, frissons, douleurs, étc., aux-
quels fait suite une éruption particulière. Cette éruption se
traduit par la production à la surface de Ja peau, et souvent des
muqueuses, de tumeurs (verrugas), de volume et de nombre
1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 664.
2. Société de biologie, séance du 23 juillet 1898.
92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tout à fait variables. Ces tumeurs ont tendance à donner lieu à
des hémorragies ; elle peuvent s’ulcérer, elles se résorbent par-
fois. La durée de la maladie est des plus variables ; la guérison
spontanée n'est pas rare.
A côté de cette forme à tumeurs, il en existe une autre bien
plus grave, dans laquelle l'éruption n’a point le temps de se pro-
duire, le malade étant emporté par les symptômes généraux du
début. Pendant longtemps on a discuté l'identité de ces deux
formes ; un grand nombre de médecins péruviens pensaient
qu'il s'agissait là de deux affections distinctes. La preuve de
leur identité a été fournie par un étudiant de Lima, Daniel Carrion,
qui, s'étant inoculé le sang provenant d’un malade atteint d’une
forme discrète à tumeurs, prit la maladie sous sa forme interne
et succomba en peu de jours".
L'absence de tumeurs dans la forme interne n’est qu'une
apparence; si la peau et les muqueuses explorables n’en présen-
tent point, on trouve à l’autopsie une éruption miliaire dans les
principaux viscères : foie, rate, poumons, ganglions, ete. Cette
forme a principalement été observée lors de la construction du
chemin de fer de Callao à la Oroya, sur le personnel employé aux
travaux, d’où le nom de fièvre de la Oroya qui lui a été donné*.
Les pièces confiées à mon examen par M. Roux provenaient
précisément d’un cas de forme interne de la maladie (type de la
Oroya). Elles avaient été adressées à l’Institut Pasteur dans dela
glycérine neutre: elles consistaient en fragments de foie, de rein,
de poumons, de rate, de ganglions. Je n’ai pu, malgré tous mes
efforts, me procurer l’observation complète du malade qui les
avait fournies.
1. Daniel Carrion, né en 1859 à Cerro de Pasco (Pérou), s’inocule la maladie
le 27 août 1885, ressent les premiers symptômes le 20 septembre (23° jour), meurt
le 5 octobre,
2. Je tiens à remercier ici M. le docteur Calmette qui m’a fourni en 1894 la
bibliographie complète de la verruga. Pour les personnes que cette question
intéresserait spécialement, je citerai parmi les travaux publiés sur cette affection:
Dounon {thèse 1871), Tasset (thèse 1872), C. de la Corre (Chronique médicale de
Lima 1886), Bourse (Archives de médecine navale, mai 1876), Rey (Archives de
méd. navale, 1886), Corre (Waladies des pays chauds), etc., M. Odriozola vient de
faire paraître dans la Presse Médicale (n° du 27 juillet 1858) un article avec
figures sur la verruga.
BACTÉRIOLOGIE DE LA VERRUGA, 393
Aussitôt qu’elles m'eurent été remises, je fixai ces pièces
dans la solution de Meyer (sublimé acétique). Elles furent
coupées après inclusion dans la paraffine, et les coupes
colorées pour l'étude par l’hématéine et le procédé de Kuhne,
(méthode d'Ebhrlich modifiée par l'emploi du chlorhydrate d’ani-
line). La coloration par la fuchsine de Ziehl fut faite à froid, et
l’action de ce colorant prolongée pendant une heure,
Voici quels furent les résultats de mes observations, tels que
je les notai à cette époque ; je n’ai rien à y ajouter aujourd’hui,
après un nouvel examen de mes préparations.
Poumon. — A l'œil nu, la coupe montre déjà la présence de
petits nodules analogues comme aspect à des tubercules et assez
rapprochés les uns des autres. Au microscope on se rend compte
que ces nodules sont constitués par des cellules épithélioïdes ;
à la périphérie des nodules, les cellules embryonnaires sont
nombreuses. Il n'y a point formation de tubercules vrais; mais
plutôt une infiltration du parenchyme pulmonaire par ces élé-
ments. Au niveau des points malades, le tissu normal des pou-
mons est complètement disparu.
Entre les cellules épithélioïdes qui constituent à proprement
parler les nodules, on trouve, disposés très irrégulièrement, mais
en grand nombre, des bacilles isolés, absolument semblables au
point de vue morphologique aux bacilles tuberculeux. Comme
eux, ils se colorent très bien par la méthode d’Ehrlich et seule-
ment par cette méthode ; peut-être sont-ils en général un peu
plus épais que les bacilles de Koch. — La plupart de ces micro-
organismes sont libres ; en certains points cependant on en voit
qui sont contenus dans des phagocytes mononucléaires. Jamais
ces phagocytes n’en contiennent plus de deux: ils ne revêtent
donc point l'apparence des cellules lépreuses, si caractéristiques
avec leur protoplasma vacuolaire, bourré de microbes. En
aucun point, on ne note de caséification. Je n’ai point constaté
la présence de cellules géantes dans le poumon.
Foie. — Les cellules du parenchyme hépatique sont altérées,
on ne peut se rendre compte de la nature et du degré exact de
leur lésion, à cause de la mauvaise fixation des pièces. Çà et là
existent des zones d'infiltration leucocytaire mal délimitées ; les
vaisseaux sanguins paraissent sains.
Nulle part il n'existe de tubercules véritables, nulle part de
38
D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
caséification. En certains points on remarque la présence de
cellules géantes typiques. Des bacilles identiques à ceux déjà
vus dans le poumon se rencontrent dans l'intervalle des cellules
infiltrées. Aucune cellule n’en présente dans son intérieur; les
cellules géantes elles-mêmes sont vides.
Ganglion (dont le siège n’a point été indiqué). — Le ganglion
est très malade ; la structure normale est pour ainsi dire tout à
fait disparue. Les nodules infectieux sont nombreux et très
rapproehés ; la plupart d’entre eux sont caséeux au centre.
Nulle partiln’existe de cellules géantes. — Les bacilles sont
très nombreux entre les cellules infiltrées ou dans la substance
caséeuse ; on note des images de dégénérescence de ces microbes,
analogues à celles décrites par les auteurs à propos du bacille
tuberculeux (déformation des bacilles, transformation en chape-
let de grains, etc.).
Rate. — Lésions identiques à celles constatées dans le gan-
glion, mais encore plus marquées. Il existe des zones caséeuses
très étendues. Les bacilles sont rares, difficiles à colorer,
toujours libres.
Rein. — Le rein est peu malade: on voit en certains points
des amas de cellules embryonnaires dans l'intervalle des tubes ;
je n'ai pu y déceler la présence des bacilles spécifiques.
Li
# *
Bien que les pièces qui m’avaient été confiées fussent con-
servées depuis deux mois dans la glycérine, on pouvait espérer
qu'un bacille voisin du bacille tuberculeux, et comme lui sans
doute assez résistant, aurait pu s’y conserver vivant. Toutes les
tentatives de cultures et d’inoculations que j'ai faites (mème
les inoculations chez le singe) sont restées infructueuses. II
n'est d’ailleurs point prouvé que la verruga, ainsi qu’on l’a
avancé, soit inoculable ou puisse se rencontrer spontanément
chez les animaux domestiques.
*
* *
Avant nous, un seul auteur, {zquierdo, avait étudié la verruga
au point de vue histologique et bactériologique ‘. Nous avons
traduit son travail. Izquierdo rapproche la verruga des sarcomes :
il a trouvé dans les pièces examinées par lui (tumeurs cutanées)
un microbe dont il donne une description tout à fait obscure,
,
4. [zourenvo, Spaltpilze bei der Verruga peruana, Archives de Wirchow, page 411.
BACTÉRIOLO GIE DE LA VERRUGA. 595
car 1l le compare tantôt à un bacille, tantôt à un streptocoque.
IL est impossible de savoir si ce savant a rencontré ou non le
même microbe que nous.
M. Letulle a étudié des pièces de verruga cutanée enlevées
par M. Odriozola sur le vivant; ilne nous donne point le nombre
des examens faits par lui. Il a trouvé d’une façon constante, dans
ses préparations, un microbe identique à celui que nous avions
vu, etcomme lui semblable au bacille de Koch par sa forme etses
réactions vis-à-vis des matières colorantes.
Les lésions de la verruga (cutanée) consistent pour M. Letulle
dans une infiltration du tissu cutané et sous-cutané par des
cellules leucocytaires, sans caséification, sans cellules géantes,
sans englobement des microbes par les phagocytes.
Si, au point de vue bactériologique, les constatations de
M. Letulle et les nôtres concordent, iln’en est point tout à fait de
même, comme on le voit, au point de vue histologique. Nous
avons constaté la caséification dans deux organes, la rate et un
ganglion ; nous avons rencontré des cellules géantes dans le
foie ; nous avons noté la présence intracellulaire de certains mi-
crobes dans le poumon. Ces différences s'expliquent sans doute
pas ce fait que nous n'avons point étudié les mêmes organes et
que nous avons eu affaire à deux formes différentes de la même
maladie. L'étude anatomo-pathologique de la verruga nous sem-
ble donc être encore à faire.
Les constatations de M. Letulle, jointes aux nôtres, ont fait
faire au contraire, à notre avis, un pas tout à fait décisif à l’étude
bactériologique de la verruga. — Tous deux, dans deux formes
différentes de la maladie (ce qui prouve, en passant, l'identité
de ces deux formes), nous avons rencontré un microorganisme
semblable. Il ne nous paraït point possible que ce microbe soit
autre chose que l’agent spécifique de la verruga. L'étude expéri-
mentale dela maladie montrera sinos conclusions étaientexactes.
Le bacille de la verruga serait dans ce cas un microbe patho-
gène nouveau à ranger dans la catégorie des microorganismes
dont le bacille de Koch est le type, et qui comprend, en dehors
de lui, le bacille aviaire, le bacille de la tuberculose de la carpe,
le bacille lépreux, les bacilles pseudo-tuberculeux du beurre, les
bacilles de Bordoni-Uffreduzzi et de Czaplewski. Ce serait comme
eux un Sclerothrix. Rouen, 31 juillet 1898.
LE BACILLE DE LA DIPHTÉRIE
PULLULE-T-IL DANS LES ORGANES?
MÉDECIN DES COLONIES
Dans leurs recherches sur la diphtérie, M: Lüffler, MM. Roux
et Yersin ont établi‘ que l’on ne trouve le bacille spécifique que
dans les fausses membranes, et que ce bacille est absent ou très
rare dans les organes et le säng des personnes qui ont succombé
à la diphtérie. Le bacille de la diphtérie ne pullule pas; d’après
eux, dans les organes, et son développement parait mème bien-
tôt entravé au point d’inoculation.
Au contraire, Frosch *, Kolisko et Paltauf, Wright‘ et
d’autres savants, ont voulu démontrer que le bacille de la
diphtérie pullule assez ordinairement dans le sang et les
organes. En France, MM. Barbier et Richardière, dans des
communications faites à la Société médicale des hôpitaux de
Paris; ont, le 29 octobre 1897 et Le 2 janvier 1898, apporté des
observations desquelles ils concluent qu'à « l’autopsie d'enfants
morts de la diphtérie, on peut constater dans un assez grand
nombre de cas la présence du bacille de Lüffer dans plusieurs
organes (däns le sang, dans le poumon, dans la rate, et surtout
fréquemment dans les centres bulbo-protubérantiels) ». Leurs
recherches montreraient donc que «la présence du bacille de
Lüffler dans les organes serait loin de constituer une rareté ».
En présence de ces opinions contradictoires, nous avons, sur
les conseils et les indications de M: Roux, entrepris une série
d'expériences et recherché ce que devient le bacillé diphtérique
dans l'organisme animal. Nous nous sommes adressé au lapin et
l: Annales de l'Institut Pasteur, n° 2, 1888.
2 Frosca, Die Verbreitung des Diphteriebacillus in Kürper des Menschen.
Zeitsch. f. Hyg. XII 1893.
3. Kouisko &r PazrAür, Züih Wesen des Croups und der Diphterie, Wiener Ain.
Woch:, n5 8, 1889.
4. WaiGur, Studies in the Pathology of Diphterie. Boston Med. and Surg.
Journal, novembre 1894.
BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 597
au cobaye. Pour éliminer dans nos expériences sur le lapin
l'action de la toxine diphtérique soluble, nous n'avons pas
employé de cultures en milieux liquides, mais des émulsions en
bouillon stérilisé de bacilles de Lüffler, cultivés sur sérum. Les
cultures inoculées étaient toutes àgées de 24 heures, et diluées
au moment même de linoculation. De plus, pour mettre les
bacilles ainsi inoculés dans les conditions les plus favorables à
leur dissémination et à leur pullulation dans les organes, nous
avons introduit ces émulsions dans le système veineux.
Chez le cobaye, nous avons fait des injections sous-cutanées,
à l'abdomen, de cultures en bouillon âgées de 18 à 24 heures.
Nous nous sommes, pour ces expériences, servi de deux
échantillons de bacilles mis obligeamment à notre disposition
par M. Martin : l’un est le bacille bien connu dans la science
sous le nom de bacille américain ou de Park et Williams; l’autre
est connu à l’Institut Pasteur sous le n° 261. Ces deux échan-
tillons nous ont amené d’ailleurs aux mêmes résultats.
ExPÉRIENCE 1. — Le 98 mars, un lapin reçoit dans la veine marginale de
l'oreille une culture de 261 sur sérum délayée dans du bouillon stérile (1 €. e.).
Le 29, le lapin ne paraît pas malade, mais il mange peu. Le 30, son poil
est hérissé ; l'animal est triste; il ne mange pas. Le 4e avril, le lapin
meurt à 2 heures de l'après-midi (100 heures après l’inoculation). L'autopsie,
faite immédiatement après la mort, ne dénote, comme lésions, qu'une dila-
tation générale des vaisseaux, de la congestion des reins et des capsules
surrénales. La rate est noirâtre, grosse. Les poumons sont sains. Le bulbe et
l'encéphale paraissent normaux.
Le sang du cœur est examiné au microscope. On n'y rencontre aucun
mieroorganisme. Ensemencé sur sérum (6 gouttes), il ne donne pas de
culture.
Dans des préparations faites avec la pulpe de rate, de rein, de capsule
surrénale, de poumon, de bulbe, de cerveau, le microscope ne montre
aucun bacille diphtérique. Deux tubes de sérum sont ensemencés avec la
pulpe, puisée purement, de chacun de ces organes : ces divers tubes restent
stériles.
Exe. 1. — Le 24 avril, on inocule dans la veine d’un lapin une culture
sur sérum âgée de 24 heures, délayée dans 1 €. c. de bouillon stérile. Le
lapin meurt le 29 avril. L'autopsie faite immédiatement après la mort
montre les mêmes lésions que chez le lapin précédent.
Le sang du cœur, examiné au microscope, ne contient pas de bacilles.
Six tubes de sérum sont largement ensemencés avec le sang puisé dans le
cœur (10 gouttes pour chaque tube), une seule colonie est développée après
24 heures sur l’un de ces tubes.
98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
La pulpe de la rate est examinée au microscope. On n'y voit aucun bacille,
Mise à l’éture à 300, sous cloche humide, on y trouve après 48 heures une
quantité assez abondante de bacilles de Lôffler. Les autres organes ensemencés
sur sérum ne donnent pas de colonies. b
Exp. m1. — Le 25 avril, un lapin est inoculé dans les mêmes conditions
que les précédents. Il est trouvé mort le 1er mai au matin. L’aulopsie n’est
faite que le 2 mai au matin, soit plus de 24 heures après la mort. Des pré-
parations faites avec le sang du cœur et la pulpe des divers organes contien-
nent un très petit nombre de bacilles de Lôffler qu'il faut chercher pour les
trouver, et une assez grande abondance de bactérium col.
D'autres lapins inoculés dans les mêmes conditions que les précédents
et autopsiés immédiatement après la mort donnent les mêmes résultats que
dans les expériences I et II. La rate, mise à l’étuve, donne aussi les mêmes
résultats que dans l’expérience IT.
De ces expériences on peut déduire que le bacille diphtérique
introduit à l'état de pureté dans le système veineux du lapin ne
se retrouve pas au microscope, qu'il ne pullule pas dans les
organes. On ne le trouve qu'à l’élat d'unités isolées et extrême-
ment rares. Pour le mettre en évidence, parles cultures sur sérum,
il est nécessaire de faire de larges ensemencements, au moins
10 gouttes de sang pour avoir quelquefois une seule colonie, ou
bien mettre la rate à l'étuve. Dans le cas où les lapins sont
autopsiés tardivement après la mort, le bacille se développe plus
ou moins abondamment dans le sang ou les organes, comme
dans la rate mise à l’étuve; et on le retrouve en compagnie de
microorganismes qui ont passé de l'intestin dans les organes.
A la suite de ces premières constatations, 1l était intéressant
de rechercher à quel moment le bacille diphtérique disparait
du sang. Pour cela nous avons répété les expériences pré-
cédentes en ayant soin de faire des prises de sang dans l'oreille
du lapin, à des intervalles variables après l’inoculation, ou en
sacrifiant les animaux dont la rate était mise à l’étuve, puis
ensemencée.
Exp. 1v. — Un lapin reçoit le 2 mai, à 10 heures du matin, dans la veine,
une culture de bacille de Lôffler (bacille Park et Williams) sur séram, diluée
dans Le. ce. de bouillon stérile. A 10 heures et demie, soit une demi-heure
après l’inoculation, le sang pris dans la veine avec toutes les précautions de.
pureté nécessaires est examiné au microscope. On y trouve des bacilles en
très petit nombre, libres entre les globules du sang. Une goutte de ce sang
ensemencée sur sérum donne des colonies typiques de bacille de Lôffler au
bout de 24 heures.
BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 599
A 11 heures, soit une heure après l’inoculation, le microscope ne
montre plus, dans le sang puisé dans l'oreille, de bacilles libres. On voit
dans quelques leucocytes polynucléaires des bacilles ayant à peu près con-
servé leur forme et mal colorés. L'ensemencement fait avec le sang ne
donne que de rares colonies.
AN heures de l’après-midi, soit 4 heures après l’inoculation, une prise de
sang est faite dans l'oreille. On n'y voit pas de bacilles libres. Dans les leu-
cocytes polynucléaires on trouve des granulations éosinophiles.
Le lapin est sacrifié à 4 heures après-midi, soit 6 heures après l’inocu-
lation. La rate ne renferme pas de bacilles. Ensemencée, elle ne donne pas
de cultures. Mise à l’étuve, elle ne contient pas de bacilles après 48 heures.
L'ensemencement à ce moment reste de même stérile. Les autres organes
ne renferment pas de bacilles au moment de la mort.
ExP. v. — Un lapin est inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi. Le
sang examiné une demi-heure après renferme de très rares bacilles libres
entre les globules et donne des colonies sur sérum. Une heure après le sang
ne renferme pas de bacilles libres. Deux heures après, pas de bacilles, mais
des granulations éosinophiles.
Ce lapin est sacrifié le 4 mai, à 10 heures du matin, soit 30 heures après
l'incculation. Les organes et le sang ne donnent pas de culture. La rate,
ensemencée, ne donne pas de culture; mise à l’étuve, elle ne renferme pas
de bacilles après 48 heures.
Exp. vi. — Un lapin inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi, dans les
mêmes conditions que les précédents, est sacrifié le 5 mai, 48 heures
après l’inoculation. La rate mise à l’étuve renferme quelques bacilles
après 48 heures. Un ensemencement fait au moment de l’autopsie est resté
stérile.
Exp. vu. — Un lapin inoculé le 3 mai, à 2 heures après-midi, est sacrifié
le 6 mai, alors qu'il paraissait très malade, 68 heures après l’inoculation.
Le sang puisé dans le cœur ne contient pas de microbes. La rate mise à
l'étuve renferme, 48 heures après, un certain nombre de bacilles ; elle n’en
renfermait pas de visibles au microscope au moment de l’autopsie.
Exe. var. — Un lapin, inoculé le 9 mai, est sacrifié 36 heures après. On
pe voit pas de microbes dans le sang ni dans aucun organe. La rate, mise à
l’éluve, ne montre aucun bacille après 48 heures.
Ces expériences montrent que le bacille diphtérique intro-
duit dans le sang du lapin disparaît dans un intervalle compris
entre une demi-heure et une heure après l’inoculation. Passé ce
temps, le bacille est englobé dans les phagocytes où on peut le
retrouver mal coloré dans les premières heures, puis il se trans-
forme en granulations éosinophiles deux heures environ après
linoculation. Les bacilles peuvent donc être si réduits en nombre
qu'il est impossible de les mettre en évidence au moyen du
microscope. Dans certains cas même, les ensemencements
600 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
faits avec le sang six heures après l’inoculation restent stériles.
De même, dans la rate et les autres organes, les bacilles sont
très rares dans les premières vingt-quatre heures. Si l’on sacrifie
les animaux à ce moment, on peut ensemencer une grande
quantité de pulpe sans obtenir de culture.
À mesure que l’empoisonnement progresse et que la mort
approche, les bacilles sont plus fréquents, mais toujours cepen-
dant à l’état d’unités isolées, et pour les mettre en évidence, le
meilleur moyen est de mettre la rate tout entière à l'étuve.
C’est après la mort de l'animal que la pullulation se fait vérita-
blement.
Une autre série d'expériences a été faite sur le cobaye et a
donné des résultats tout à fait semblables :
Exp. 1x. — Un cobaye reçoit le {er juillet, sous la peau de l'abdomen,
4 c. c. d’une culture en bouillon de 24 heures. Une heure après, on puise
de l’exsudat œdémateux au point d’inoculation. Au microscope on y trouve
quelques bacilles libres, assez peu nombreux. On ensemence une goutte de
cet exsudat sur sérum. 24 heures après, à colonies ont poussé sur un tube.
2 heures après l’inoculation on prélève de l'exsudat: on y voit des bacilles
libres un peu plus nombreux que dans l’exsudat puisé une heure après
l'inoeulation. à
Le cobaye meurt le 3 juillet au matin, soit 36 heures après l'inoculation.
Dans l’ædème du point inoculé et dans la sérosité péritonéale, on trouve des
bacilles libres plus nombreux; d’autres, en petit nombre aussi, sont englobés
dans les phagocytes. Des préparations sont faites avec les ganglions mgui-
naux, le foie, la rate, le rein, la capsule surrénale, le poumon, le bulbe et
le cerveau. On n'y voit pas de bacilles. La rate, mise à l'étuve, renferme des
bacilles de Lôffler 8 heures après.
Exp. x. — Un cobaye est inoculé le 4 juillet avec 1 ce. c. de culture en
bouillon âgée de 24 heures. Il meurt le à au soir. A l’autopsie faite de suite
après la mort, on fait les mêmes constatations que dans l'expérience précé-
dente, et la rate, mise à l’étuve, donne les mêmes résultats.
Exp. x1. — Un cobaye est inoculé le 7 juillet avec 1 ec. c. de culture en
bouillon de 24 heures. Il est sacrifié 2 heures après l'inoculation. Les organes
ne renferment pas de microbes, pas plus que le sang. L’œdème du point
d'inoculation renferme un nombre peu considérable de bacilles de Lôffler.
Une goutte de cet exsudat ensemencé sur sérum donne 3 colonies typiques
de bacilles diphtériques. La rate, mise à l’étuve, ne renferme pas de bacilles,
48 heures après. Ensemencée à ce moment (48 heures d’étuve), elle ne
donne pas de colonies.
Exp. x. — On inocule, le 7 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 €. c.
d'une culture en bouillon de 24 heures. Le cobaye est sacrifié 4 heures après
l’inoculation. Dans l’œdème, on ne trouve plus de bacilles. Une goutte de cet
BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 601
exsudat ensemencée sur sérum donne 18 colonies typiques, 24 heures après.
La sérosité péritonéale renferme très peu de bacilles. Ensemencée ({ goutte),
elle ne donne pas de colonies. Le sang et les divers organes sont examinés
au microscope; on n'y trouve pas de bacilles. Leur ensemencement reste
stérile. La rate mise à l’étuve ne renferme pas de bacilles 48 heures après et
son ensemencement reste stérile.
Exp. xur. — Un cobaye, inoculé le 9 juillet avec 1 c. e. de culture en
bouillon âgée de 24 heures, est sacrifié 6 heures après. L'œdème examiné
au microscope montre quelques bacilles. Une goutte de l’exsudat ensemen-
cée sur sérum donne, 48 heures après, de très nombreuses colonies typiques.
Une goutte de sérosité péritonéale ensemencée donne une colonie après
48 heures. La rate, qui ne renfermait pas de bacilles vus au microscope, au
moment de l’autopsie, est mise à l’étuve. 24 heures après, on y trouve des
bacilies de Lôffler assez nombreux, et son ensemencement donne des
colonies sur sérum.
Exp. xiv. — On injecte le 13 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 c. €.
d'une culture en bouillon âgée de 24 heures. Ce cobaye est sacrifié 8 heures
après. Une goutte d'æœdème est prélevée purement, et ensemencée sur
sérum : une seule colonie se développe. Au microscope, on ne trouve qu'avec
peine de rares bacilles dans l'ædème. La sérosité péritonéale ensemencée
(1 goutte) ne donne naissance à aucune colonie. La rate, qui ne renferme
pas de bacilles visibles au microscope, est miseà l’étuve; 48 heures après on
y voit quelques rares bacilles.
Exp.xv. — Un cobaye femelle en état de gestation reçoit sous la peau
1 c. c. de culture en bouillon, le 19 juillet. Il meurt le 21 juillet au matin,
30 heures après l'inoculation. Une goutte d'exsudat œdémateux ensemencée
sur sérum donne une dizaine de colonies. La sérosité péritonéale, où le
microscope ne montre pas de bacilles, ne donne pas de colonies sur sérum.
De même l'ensemencement fait avec le liquide pieurétique et le liquide
amniotique et les divers organes reste stérile. Notons en passant que c’est la
seule fois où nous ayons trouvé un épanchement pleurétique chez nos cobayes
inoculés avec le bacille de Lôffler, échantillon n° 261, et signalons aussi la
stérilité du liquide amniotique.
En résumé, chez le cobaye, après l'inoculation sous-cutanée,
comme chez le lapin, après les inoculations intra-veineuses, le
bacille diphtérique n'a pas pullulé dans les organes. En exami-
nant les expériences ci-dessus, on observe que dans l'exsudat
ædémateux du point d’inoculation le nombre des bacilles parait
diminuer dans la première heure qui suit l'inoculaton, puis il
augmente jusqu'à la sixième heure, où il atteint son maximum,
et diminue ensuite jusqu'à la mort, où ce nombre n'est pas plus
grand qu'uneheure aprèsl’inoculation. De même, lorsqu'on met la
rate à l’étuve, on ne trouve sûrement des bacilles dans cette rate
que lorsqu'elle est extraite au moins 6heuresiaprès l'inoculation.
602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
En analysant de près la communication faite par M. Richar-
dière à la Société Médicale des Hôpitaux le 2 janvier 1898, on
voit que, dans les observations dont il apporte les résultats, le
bacille de Lüffler était toujours retrouvé en compagnie du strep—
tocoque et du staphylocoque. Nous avons pensé qne la présence
de ces microorganismes n’était pas étrangère à la diffusion du
bacille diphtérique constatée par cet auteur, et nous avons fait
une nouvelle série d'expériences dans le but de déterminer si
en réalité le streptocoque et le staphylocoque ont une influence
sur la pullulation du bacille diphtérique dans les organes. Nous
avons donc inoculé dans la veine, à des lapins, des cultures sur
sérum émulsionnées dans du bouillon stérile, en ayant soin d'a-
jouter à cette émulsion une culture en bouillon de streptocoque
ou de staphylocoque. Ces deux derniers microbes nous ont élé
obligeamment donnés, le premier par M. Marmorek, le second
par M. Binot.
Exp. xvr. — Le 12 mai, à 10 heures du matin, un lapin reçoit dans la
veine une culture de bacilles de Lôffler sur sérum âgée de 24 heures,
diluée dans 1 c. ce. de bouillon, et à cette émulsion est ajouté 1/10 dec. e.
de culture en bouillon ordinaire de streptocoque âgée de 24 heures. Du
sang est puisé dans l'oreille 1 heure, 2 h., 4 h., 6 h., 8 h. après l'inocula-
tion. Toutes ces préparations de sang montrent la présence des strepto-
coques et de bacilles diphtériques plus nombreux à mesure que la prise du
sang est faite plus longtemps après l’inoculation. Le lapin meurt le 14 mai,
52 heures après l’inoculation, et l’autopsie est faite immédiatement après la
mort. Des préparations faites avec le sang du cœur, la pulpe de rate, le
foie, les reins, les poumons, le bulbe, le cerveau renferment toutes
un certain nombre de streptocoques avec une petite quantité de bacilles
diphtériques, qui nous ont paru plus gros qu'ils n'étaient au moment de
l'inoculation.
Exp. XVII ET XVII. — Deux lapins inoculés le 18 mai dans les mêmes con-
ditions donnent les mêmes résultats.
ExP. xXIX ET xx. — Le 22 mai, deux lapins reçoivent dans la veine une
culture de Lôffler sur sérum délayée dans 1 c. c. de bouillon, et additionnée
de 1/2 ce. c. de culture en bouillon de staphylocoque âgée de 24 heures. Le
sang puisé à divers intervalles après l’inoculation renferme des bacilles de
Lüffler et des staphylocoques. A la mort, qui survient le 24 mai au matin,
90 et 54 heures après l'inoculation, le sang et les organes renferment des
slaphylocoques nombreux et des bacilles de Lôffler en assez grande abon-
dance.
EXP. XXI, xxI Er XXII. — Des lapins sont inoculés dans les mêmes
conditions que les deux précédents; on retrouve les mêmes résul-
tats.
BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 603
Exp. xxiv. — Un cobaye recoit le 19 juillet { ec. c. de culture de diphtérie,
en bouillon, âgée de 24 heures, et 1 c. c. de culture de streptocoque en bouil-
lon ordinaire, àgée de 24 heures. Des prises d'œdème faites 2, 4, 6, 8 heures
après l’inoculation montrent la présence du bacille de Lôffler avec le strep-
tocoque. A la mort, qui survient 30 heures après l’inoculation, les organes
renferment tous une certaine quantité de bacilles de Lôffler avec un grand
nombre de streptocoques.
Exp. xxv Er xxvi. — Chez deux cobayes inoculés le 20 juillet dans les
mêmes conditions, les résultats sont identiques.
Exe. xXXvIT, XXVII ET xxIX. — L'inoculation, le 21 juillet, du bacille diph-
térique associé au staphylocoque, sous la peau de trois cobayes, est suivie de
mort en 28-32 heures, et à l’autopsie on retrouve dans tous les organes les
bacilles diphtériques et le staphylocoque.
De cette seconde série d'expériences, il résulte que l’inocula-
tion d'un mélange de bacilles de Lüffler et de streptocoques ou de
staphylocoques est plus sévère que linoculation du seul bacille
diphtérique, et que le bacille diphtérique ne disparaît ni du sang
ni des organes, mais qu'on le retrouve toujours, quand il est
associé, à quelque moment qu'on puise le sang dans l'oreille, ou
l’'exsudat au point d’inoculation.
Pour conclure, nous dirons que le bacille de Lüffler ne pullule
pas dans les organes lorsqu'il a été introduit isolément dans
l'organisme, et que, pour qu'on le retrouve dans le sang ou les
organes, il faut, d’une part, ne faire l’autopsie que tardivement
après la mort, et d'autre part, qu'il soit associé à d’autres
microorganismes, tels que le streptocoque et le staphylo-
coque *.
1. M. Cuoghi Costantini a fait paraître dans le Policlinico du 1°: juin un article
sur le même sujet, et les conclusions que je viens de donner sont les mêmes
que celles du travail de M. Cuoghi.
L'ÉPIDÉMIE DE PESTE DE DJEDDAH (1898).
Par le Dr NOURY BEY
Médecin de la Quarantaine.
Préparateur à l’Institut [mpérial de bactériologie de Constantinople.
L'épidémie a débuté le 21 mars 1898. À ce moment, l’admi-
nistration de la Quarantaine, qui nous avait envoyé en mission
à la Mecque, nous donna ordre de retourner immédiatement à
Djeddah pour étudier l'affection au point de vue bactériologique.
Cette étude n’a pu être conduite comme nous l’aurions désiré,
et ce n’est qu'au prix des plus grandes difficultés que nous avons
recueilli les quelques documents qui vont être résumés.
L'épidémie a éclaté parmi les portefaix travaillant aux
« Haouch », sortes de grands entrepôts construits dans deux
des quartiers de la ville (quartiers de Yemen et de Mazloum).
Ces portefaix appartiennent à la tribu € Hadrami ». Ils ont été
presque seuls atteints cette année, comme du reste l'an dernier.
L'enquête à laquelle nous nous sommes livré nous a
démontré que l’origine première de la contamination doit être
rapportée à des sacs de riz venant de Bombay et entreposés
dans les « Haouch ». (Contamination directe ou contamination
par les rats et souris ?)
Le premier individu atteint (le nommé Salem Ben-Békir)
fut pris le 21 mars de fièvre, céphalalgie, etc., avec bubon
inguinal gauche; il guérit par la suite. D’autres cas suivirent
bientôt, presque toujours dans les deux quartiers où existent
les « Haouch » ; le troisième quartier (Chäm) fut moins éprouvé.
Dès le début de l'affection, on vit dans les rues habitées par les
pestiférés de nombreuses souris malades, se trainant avec peine
et faciles à prendre à la main: il est remarquable que ces ron-
geurs n'aient point joué Le rôle qu'on redoutait dans l'extension
de la peste.
Le nombre des malades fut de 35, sur lesquels trois gué-
rirent. L'épidémie dura 27 jours.
LA PESTE A DJEDDAH. 605
Nous n'avons rien observé de bien nouveau au point de vue
clinique. Les bubons siégeaient le plus souvent à l’une des
régions inguinales, deux fois à l’aine et au cou, deux fois au
cou, une fois à l’aisselle.
Chez un malade seulement se sont montrés des phénomènes
broncho-pneumoniques; ce malade guérit assez rapidement.
Nous n’avons observé ni forme intestinale, ni forme hémorra-
gique, ni éruptions cutanées. Il nous a été impossible de faire
une seule autopsie, l'examen strict des malades offrant déjà les
plus grands dangers (nous avons de bonnes raisons pour
l’affirmer.)
Quatorze bubons ont été étudiés au point de vue bactério-
logique. Parmi eux, 10 étaient déjà ouverts et en pleine
suppuration (8° au 10° jour de laffection). Tantôt l'ouverture
était spontanée, le plus souvent elle résultait d’une cautérisation
au fer rouge pratiquée par le malade lui-même. Le pus de ces
dix bubons, ensemencé à plusieurs reprises sur gélose, n’a jamais
donné de cultures du bacille de Yersin; nous avons par contre
isolé facilement des staphylocoques, des streptocoques, des
colibacilles, des tétragènes.
Tous les malades dont il vient d’être question ont succombé,
et l’on est en droit de se demander si les infections secondaires
n'ont pas joué un rôle prédominant dans cette terminaison
fatale.
Dans deux bubons non suppurés (3° et 4° jour de l'affection)
nous avons puisé la pulpe ganglionnaire qui nous a montré au
microscope de nombreux bacilles pesteux types; les cultures
ant été obtenues pures d'emblée.
Enfin, dans deux bubons suppurés et fermés (au 10° et 12°
jour de l'affection), le pus prélevé en grande quantité et soumis
à l'examen microscopique et aux cultures s’est révélé absolument
stérile ; les malades ont guéri. Nous pensons que plusieurs des
dix malades dont nous avons parlé plus haut auraient égale-
ment guéri s'ils s'étaient abstenus de leur thérapeutique intem-
pestive ou si, mieux encore, ils avaient consenti à se laisser
soigner.
Deux examens de sang, chez les deux malades aux bubons
aseptiques, sont restés négatifs. Les cultures faites avec les
crachats de l’un de ces malades, atteint de broncho-pneumonie,
606 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
n’ont pas donné non plus de colonies du bacille de la peste.
Quatre souris ramassées mourantes dans les rues ont été
également étudiées. À l’autopsie on trouvait une congestion
généralisée des viscères avec hypertrophie de la rate, laquelle
était parsemée de fines granulations jaunâtres. Dans le sang et
la pulpe des organes, les bacilles de Yersin étaient extrêmement
abondants; des cultures pures ont été obtenues avec la plus
grande facilité.
Les bacilles rencontrés par nous chez l'homme et la souris
étaient absolument caractéristiques. Dans la pulpe des bubons,
et le suc des organes des souris, bacilles classiques en navette,
avec un certain nombre de grosses formes rondes involutives,
formes qu’on retrouvait dans les cultures (surtout anciennes).
Ensemencés dans le bouillon, nos bacilles donnent d’abord
un dépôt floconneux avec un trouble léger du liquide, puis un
trouble assez marqué, limité aux régions superficielles et suivi
de l'apparition d’un voile. Ce voile est trèsépais au niveau des pa-
rois du tube, à peine perceptible sur le reste de la surface libre ; il
rappelle absolument l'anneau des cultures du pneumo-bacille.
Sur gélose, nous avons rencontré, comme Yersin, de grandes
et de petites colonies, ces dernières bien plus nombreuses.
Les bacilles, en chaïînette dans le bouillon, offraient au con-
traire une forme assez allongée sur gélose, etc... En somme,
caractères classiques.
Les cultures se faisaient infiniment mieux à 30° qu’à 35°. A
0° elles ont toujours échoué. A 30° on peut isoler facilement le
bacille en 412 heures sur la gélose.
Avec une trace de suc splénique d’une souris morte de
l'affection naturelle, nous avons inoculé sous la peau un lapin
de taille moyenne qui est mort en 60 heures avec les signes et
lésions ordinaires.
Avec de petites doses de plusieurs cultures, nous avons
inoculé, sous la peau, des cobayes de 450 à 500 grammes qui
ont succombé en 2-4 jours; ils offraient également les caractères
cliniques et anatomiques bien connus.
Inutile de dire que nous n’avons pu faire aucune recherche
d'ordre sérodiagnostique ni utiliser le sérum antipesteux que
M. le D' Roux avait eu la bonté d'envoyer à Constantinople et à
Djeddah. Constantinople, juillet 1898.
REVUES ET ANALYSES
DU POUVOIR BACTÉRICIDE DEN LEUCOCYTES
Par Le D' BESREDKA
(Conférence faite à l’Institut Pasteur le 16 juillet 1898.)
Depuis quelques années, il a paru un nombre considérable de tra-
vaux ayant trait aux propriétés bactéricides du sang et en particulier
des leucocytes, et qui visent à rattacher les problèmes de l’immunité
à l’action bactéricide des humeurs de l’organisme.
Les humeurs, dans la conception primitive des médecins allemands
et belges, auteurs de ces travaux, auraient pour mission de veiller à
la désinfection des organes internes, à la façon des antiseptiques
servant journellement à l’usage externe.
Cette théorie purement humorale, qui, naturelle au début, n’a pas
tardé à se montrer bien simpliste, à eu cependant le mérite de susciter
de nombreuses expériences, qui ont ramené leurs auteurs à de meil-
leurs sentiments vis-à-vis de la théorie cellulaire.
L'étude des propriétés bactéricides des divers éléments du sang, dans
ses rapports avec l'immunité, demanderait beaucoup trop de déve-
loppements ; nous limiterons donc le sujet de cette Revue à l’étude
de l’origine des matières bactéricides du sang. Nous ne traiterons
de leurs rapports avec l’'immunité qu’en tant qu’il sera strictement
nécessaire.
Pour mettre un peu d’ordre dans cette question fort compliquée,
nous croyons utile d’établir différentes périodes : cette division est
justifiée par l’évolution successive des idées sur les matières bacté-
ricides du sérum et leurs sources d’origine.
I
C’est incontestablement M. Buchner, de Munich, qui a le droit
d’être considéré comme le chef autorisé de la doctrine humorale, dans
laquelle le parti intransigeant est représenté au début par les profes-
seurs Emmerich et Tsuboï.
608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Buchner considérait la propriété bactéricide du sérum comme une
manifestation vitale; Emmerich et Tsuboï n’y voient qu'une réaction
chimique pure et simple. Ils considèrent la sérine comme la substance
bactéricide du sérum par excellence, et expliquent la perte de son
pouvoir par le chauffage à 55°, en admettant qu’à cette température
la molécule complexe de la sérine se désagrège en perdant son élé-
ment alcalin, lequel, devenu libre, se combine à l’acide libre (?) pré-
sent dans le sérum; d'où impossibilité pour le sérum de récupérer sa
propriété bactéricide une fois revenu à la température normale, la
composition chimique du sérum n'étant plus la même.
Emmerich et Tsuboï trouvent la justification de leur hypothèse
dans ce fait que le sérum chauffé et dépourvu par conséquent de son
pouvoir bactéricide, le reprend lorsque lon le traite par une solution
étendue d’alcali.
Cette expérience serait en effet démonstrative et fort intéressante ;
en effet, voilà un sérum qui ést contenu dans un tube à essai, donc à
l'abri de toute influence dé l'organisme, et qui, d’inolfensif après le
chauffage, redevient à volonté aussi bactéricide qu’il était primitive-
ment, avant l’action de la chaleur.
Ceci méritait d’être étudié de plus près. Buchner, après avoir fait
celte étude, se montra d’un scépticisme peu encourageant vis-à-vis
des conclusions de Emmerich et Tsuboï, et s’én trouva affermi dans
ses idées propres.
Avant Buchner, divers expérimentateurs avaient observé la des-
truction des microbes amenës au contact du sag et d’autres humeurs
organiques. Ainsi, Fodor ayant constaté la disparition des bactéridies
charbonneuses injectées dans le Sang du läpin, en conclut qué le
plasma jouit d’un pouvoir destructif, conclusion qu'il crut avoir jus-
tiliée par des expériences faites sur le sang 2h vitro.
La mème influence du sang défibriné sur le charbon à été ensuite
constatée par Nuttall, qui a confirmé les conclusions dé Fodor, ét les
à étendues à l’humeur aqueuse du lapin et à d’autres liquides orgä-
niques. C’est lui qui a signalé le premier que le sang chauffé à 550
perd sa propriété bactéricide.
En s'appuyant sur ces faits, ainsi que sur d’autres analogues four-
nis notamment par Behring et Flügge, M. Buchter à construit toute
une théorie de l’immunité, aÿant pour bäse l’action bactéricide dés
humeurs.
Dans cette théorie, qui est l’antipode de la théorie phagocytaire,
le pouvoir bäctéricide du sang appartient au sérum lui-mêmé, el non
pas à une action directe des éléments cellulaires du sang; contraire-
ment à Emmerich, Buchner considère ce pouvoir comme une réaction
vitale de l'organisme.
REVUES ET ANALYSES. 609
nom d’«alexine »; et il faut avouer qu'à cet égard ses efforts n’ont pas
été couronnés de succès.
Toutes nos connaissances actuelles se réduisent à peu près à ce
caractère unique, mais précieux, qui a été observé encore par Nuttall :
c’est la façon dont les alexines se comportent vis-à-vis du chauffage
à 590,
Les autres caractères des alexines, étudiés par Buchner, sont
intéressants, mais moins caractéristiques. Ainsi il a vu que les sub-
tances bactéricides du sérum sont indifférentes vis-à-vis des basses
températures ; qu’elles ont besoin, pour être mises en jeu, de différents
sels; que les alexines auxquelles on enlève ces sels par la dialyse
perdent leur propriété; en réajoutant ces sels au sérum, on lui rend le
pouvoir bactéricide.
Quant à caractériser de plus près la matière albuminoïde des
alexines, Büchner y a renoncé. Telle est la physionomie un peu vague
des alexines, partie constituante du sérum, d’après Büchner, et fonc-
tionnant, toujours d’après lui, dans l’organisme de la même façon
qu'en dehors de lui.
Il
Les idées humorales de Büchner ont rencontré l’adhésion cha-
leureuse de M. Denys, de Louvain, qui a publié et inspiré plusieurs
mémoires dans lesquels ces idées sont défendues avec beaucoup de
conviction.
Quand on relit ces travaux en ce moment, où les idées en général et
celles de leurs auteurs en particulier se sont modifiées, on s’étonne du
tribut involontaire que payent aux idées régnantes les conclusions
scientifiques, qui peuvent changer, alors que les faits qui ont servi à
les justifier sont restés immuables.
Ainsi Bastin, élève de Denys, se propose d'étudier en 1892 l'effet
produit sur le pouvoir bactéricide du sang par l'injection des microbes
et de leurs produits. En constatant que ce pouvoir est dans ces cas
diminué ou aboli, il se demande si cela n’est pas dù à l’action des
toxines bactériennes sur les substances bactéricides du sérum, et à la
suite d’une série d'expériences, exactes en elles-mêmes, il arrive à la
confirmation de son hypothèse, d’une neutralisation des toxines par
les substances bactéricides du sérum.
En expérimentant toujours dans le même ordres d'idées, Bastin a
constaté ensuite que dans les infections généralisées, aboutissant à
une mort rapide, le pouvoir bactéricide du sang est diminué ou aboli,
ét que le degré de cette diminution paraît être en rapport avec l’inten-
sité de l’affection.
39
610 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il est entendu que les expériences ont été effectuées avec le sang
retiré des vaisseaux; et maintenant que nous connaissons le véritable
mécanisme de ces phénomènes, nous savons à quoi nous en tenir quand
l’auteur affirme avoir la conviction que le pouvoir bactéricide du sang
doit jouer un rôle important dans la défense de l’organisme contre les
microbes.
Les substances bactéricides propres au sérum proviennent, d’après
l’auteur, d’une élaboration spéciale de l’organisme, et nulle part, au
cours de son mémoire, nous ne trouvons la moindre mention des glo-
bules blancs.
Le travail paru l’année suivante, celui de Denys et de Kaïdin,
témoigne de ia même confiance dans les idées de Büchner, comme on
le voit dans la phrase suivante : ( Ces liquides (sang, sérum, lymphe),
constituent de vraies solutions antiseptiques; à ce point de vue, nos
travaux confirmentcomplètementla manière de voir de Nuttall,Buchner,
Emmerich et de beaucoup d’autres » ; et, un peu plus loin dans le même
mémoire, M. Denys résume ses nombreuses expériences par la décla-
ration catégorique que voici : « Nous sommes donc partisans d’une
action énergique des humeurs dans la défense de l’organisme. »
Ainsi nous voyons toute une série de travaux se succéder qui, sans
souffler mot du rôle des leucocytes, attribuent à la propriété bactéri-
cide du sang un rôle essentiel dans l’immunité, et la considèrent comme
un caractère inhérent, indissolublement lié au sérum, par conséquent,
appartenant au plasma du sang en circulation.
Telle a été la première période que nous pourrions désigner sous
le nom de période préleucocytaire ; et dire qu’elle a eu lieu à l'époque où
la phagocytose entrait presque dans sa dixième année d'existence!
IT
On dirait qu’il avait été écrit que la doctrine cellulaire de l’immu-
nité devrait ses plus belles pages à ses adversaires les plus convain-
cus. Toute son histoire est là pour le prouver. Tantôt directement,
comme c’est le cas pour le laboratoire de Denys, tantôt et le plus sou-
vent indirectement, ces adversaires contribuaient à découvrir des nou-
velles preuves de son importance, là précisément où ils croyaient
avoir démontré sa faillite irréparable.
C’est à M. Denys que revient le mérite d’avoir inauguré la seconde
période dans l'étude de la fonction bactéricide du sang.
Cette période se caractérise par la place prédominante donnée aux
leucocytes, au détriment du sérum, dont le rôle devient passif et se
trouve ainsi relégué au dernier plan.
REVUES ET ANALYSES. 611
Les expériences de Denys sont aussi démonstratives que simples.
Par une technique assez ingénieuse de filtration, il parvient à séparer
du sang ses globules blancs et rien que ces globules; il compare
ensuite les pouvoirs bactéricides du sang complet et du sang dépouillé
de ses leucocytes; et chaque fois il constate que dès qu'il enlève au
sang par filtration ses globules blancs, du même coup il le prive de la
plus grande partie de son pouvoir bactéricide.
C’est là une expérience fondamentale, dont l'interprétation n’est pas
discutable : ce sont les globules blancs du sang qui sont la source
prineipale de la propriété bactéricide que l’on a Jusqu'ici, à tort, attri-
buée au sérum.
S'il en est ainsi, on devait pouvoir restituer au sang séparé de
ses leucocytes, et par cela devenu inactif, des propriétés bactéricides,
en lui rendant des leucocytes : c’est ce qui a été réalisé par Denys. En
ajoutant au sang filtré des globules de pus obtenus avec des cultures
mortes de staphylocoques, il a réussi à régénérer le sang, c’est-à-
dire à lui communiquer un pouvoir bactéricide considérable.
Il ressort donc de ces expériences que les substances bactéricides
du sang ont pour siège les éléments cellulaires, les globules blancs ;
quant à la partie liquide du sang, elle en est dépourvue à l'état
vivant, et si elle devient bactéricide, ce n’est qu’en empruntant cette
propriété aux globules blancs.
Voilà déjà qui est acquis.
Nous ferons toutefois remarquer que M. Denys, si on en juge
d’après ses différents travaux, ne paraît pas être partisan de la théorie
exclusivement cellulaire ; les leucocytes ne seraient pas pour lui la
source unique du pouvoir bactéricide du sang, le sérum pouvant en
posséder aussi pour son propre compte.
Cette réserve faite, reportons-nous maintenant au chapitre précé-
dent et souvenons-nous que Bastin, élève de Denys, en étudiant ce qui
se passe avec le pouvoir bactéricide du sang après l'injection des
microbes, avait conclu à la neutralisation des toxines par les substances
bactéricides propres du sérum.
Cette conclusion purement humorale a dû inquiéter M. Denys dès
qu'il a pu s'assurer par lui-même que le sérum dans l'organisme
vivant n'intervient pas pour beaucoup dans la destruction des micro-
bes. Il a donc chargé un autre de ses élèves, M. Havet, de reprendre
la question, en lui recommandant probablement de se préoccuper des
leucocytes.
Les résultats n'étaient pas difficiles à prévoir. M. Havet a constaté,
en effet, que si l'on injecte des microbes dans le sang, le pouvoir bac-
téricide diminue graduellement au fur et à mesure que les leucocytes
disparaissent; que la perte du pouvoir bactéricide marche de pair
612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avec la disparition des leucocytes : qu'enfin la réapparition du pou-
voir bactéricide, qui a lieu un certain temps après l'injection, coïncide
avec le retour des leucocytes dans le sang.
Le même parallélisme entre le pouvoir bactéricide et les réactions
leucocytaires a été constaté par l’auteur lorsqu'il a injecté dans le
sang, non pas des microbes, mais des produits microbiens.
Ces expériences démontrent donc avec évidence que l'hypothèse
primitive de Bastin, la neutralisation dans le sérum, basée sur la
théorie humorale, est complètement erronée; d’autre part, elles por-
tent cet enseignement que quiconque voudra dorénavant s’attacher à
l'étude des substances bactéricides du sang, devra tenir compte des
leucocytes, et d'eux seuls.
C’est ce qu'a compris Buchner, dont la doctrine humorale ne
pouvait persister en présence des faits aussi précis. Force lui a été de
faire d'importantes concessions.
Ce n’est pas sans formuler des objections au sujet de la technique
de filtration de Denys, et par cela même au sujet de ses conclusions,
que Buchner, à la suite de ses propres expériences, a renoncé à sa
manière primitive de voir, et a finalement accepté les conclusions du
savant belge.
Que les leucocytes soient le primum movens dans la destruction des
microbes, personne ne le met donc plus en doute, mais M. Buchner se
sépare de M. Metchnikoff quand il s’agit d'expliquer le mode d’action
des leucocytes.
En effet, en 1894 il a émis une théorie de conciliation qui est con-
nue sous le nom de théorie des alexines.
M. Buchner reconnait volontiers le rôle important des leucocytes,
puisqu'il déclare que ce sont eux qui accourent dans les endroits
menacés par les microbes; seulement, il suppose, et c'est pour cela
que sa théorie n’est pas de la phagocytose pure, que les leucocytes
mettent en œuvre leur influence destructive non seulement dans l’in-
térieur de leurs corps protoplasmiques, mais encore en dehors d’eux,
dans le plasma sanguin.
Et voici comment il est arrivé à justifier cette manière de voir.
En reprenant les expériences de Denys résumées plus haut, Buchner
a puen effet constater ce fait très important qu’en ajoutant des leuco-
cytes à un sérum inactif, on lui restitue par cela même un pouvoir
bactéricide notable.
Une question s'impose alors naturellement, c’est de savoir quel
est le mécanisme du phénomène.
Denys déclare catégoriquement que c’est le fait de la phagocytose,
et il le dit en s'appuyant sur l’examen microscopique.
Buchner est du même avis : il affirme avoir assisté en expérimen-
REVUES ET ANALYSES. 613
tant avec des exsudats leucocytaires « à la phagocytose la plus belle
et la plus prononcée »; mais, ajoute-t-il tout à coup, la phagocytose
peut ne pas être la cause principale de la destruction des microbes,
celle-ci pouvant s’accomplir sous l'influence des produits solubles
sécrétés par les leucocytes.
Pour formuler une thèse d’une portée théorique aussi générale,
un savant comme M. Buchner doit avoir des preuves tout à fait
démonstratives.
Sur quoi se base-t-il pourtant pour parler de sécrétion? Sur le fait
que les leucocytes, frappés dans leur vitalité par la congélation, four-
nissent un liquide bactéricide, bien qu'ils ne soient plus capables de
fonctionner en tant que phagocytes.
Est-ce là une démonstration suffisante ?
Nous ne le pensons pas. Est-ce qu’une substance bactéricide quel-
conque renfermée dans une fiole devient une sécrétion par le fait que
la fiole a été cassée? En congelant dans un mélange réfrigérant l’exsu-
dat leucocytaire et en le redissolvant ensuite, Buchner à tout simple-
ment rendu le protoplasma ainsi {ué propre à la diffusion facile de
sa substance bactéricide, mais rien ne nous autorise à admettre que
cette diffusion soit un mécanisme ( de sécrétion physiologique du
protoplasma leucocytaire vivant ».
La seule conclusion logique que comporte l'expérience très intéres-
sante de M. Buchner est celle-ci : les leucocytes sont capables de
fournir des substances bactéricides, lorsqu'ils sont soumis à la congé-
lation préalable, ce qui n’est pas précisément le cas dans l’organisme
vivant.
Cependant Buchner n’en persiste pas moins à considérer la sécré-
tion leucocytaire comme un phénomène vital, ayant la primauté dans
la question de l’immunité.
Pour nous cette sécrétion n’est qu’une vue de l'esprit, n’ayant pour
elle jusqu'ici aucune base expérimentale.
Et en effet, depuis 1894, de nombreux travaux ont été publiés par
les élèves de Buchner, sans qu’ils aient pu apporter le moindre fait
sérieux à l’appui de cette hypothèse; et pourtant c’est elle qui est
le point unique du litige entre la phagocytose et la théorie dite
humorale.
Nous devons toutefois remarquer que Buchner ne se montre plus
maintenant aussi enthousiaste de la sécrétion leucocytaire qu'il avait
été auparavant. Un de ses anciens élèves qui s’est beaucoup occupé
de la question, M. Schattenffroh, est même allé jusqü’à dire, dans
son récent mémoire, qu'aucun fait invoqué ou par Buchner ou par ses
élèves (M. Hahn entre autres) ne saurait être interprété dans le sens
de la sécrétion leucocytaire.
614 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Cetle déclaration d’un ancien élève de Buchner est précieuse en ce
sens qu'elle fait avancer la question d’un pas important vers le rap-
prochement de deux théories ennemies.
Pour en finir avec cette question, ajoutons que s’il n’y a aucune’
preuve en faveur de la sécrétion leucocytaire, il y a en revanche une
expérience de M. Metchnikoff qui plaide contre.
Rappelons-nous que l’exemple pour ainsi dire classique de l’action
bactéricide des humeurs est, d’après les auteurs allemands, celui du
phénomène de Pfeiffer.
Si récllement les leucocytes sont doués de la propriété de sécréter,
supposition qui a priori est fort probable, vu que tant d’autres cellules
possèdent une propriété analogue, c’est sûrement dans le phénomène
de Pfeiffer que cette propriété doit se révéler de la façon la plus ma-
nifeste.
Renforçons les leucocytes par l’injection préalable de bouillon: si
le pouvoir de sécrétion est une fonction physiologique des leucocytes,
ce pouvoir devrait se trouver renforcé du même coup, et chez l’animal
préparé par celte injeclion, nous devrions assister à un phénomène de
?feiffer beaucoup plus accentué que celui qu’on voit chez l'animal non
préparé. En réalité, il n’en est rien : au contraire, quand le système
leucocytaire de la cavité péritonéale se trouve en état de suractivité,
il n'y a plus de phénomène de Pfeiffer, il n’y a plus d'action des
humeurs, il n’y a donc plus de sécrétion leucocytaire.
ILest donc évident que le fait de la présence des substances bacté-
ricides dans les humeurs, dans le liquide péritonéal en particulier, ne
peut nullement être considéré comme relevant de la fonction physiolo-
gique des leucocytes; comme l’a démontré M. Metchnikoff, il s'agit là
d’un phénomène pathologique lié à la souffrance des leucocytes, à la
phagolyse.
v
Quelles que soient les idées sur le mode d'action des leucocytes,
toujours est-il qu’ils agissent, et plusieurs savants se sont demandé
quelie est la nature de la substance active des leucocytes.
Tout le monde a encore présente à l'esprit la tentative infructueuse
de MM. Hankin et Kanthack, de considérer les granulations éosino-
philes comme bactéricides des globules blancs.
Nous ne pouvons que mentionner la tendance de MM. Vaughan et
Kossel de ramener la question sur le terrain chimique ; pour eux, ce
sont l’acide nucléique ou les nucléines qui conféreraient aux leuco-
cytes leur fonction d'agents microbicides: mais cette supposition a
besoin de preuves plus concluantes que celles qui ont pu être appor-
tées jusqu'ici, et il semble qu’on soit allé un peu trop vite dans
REVUES ET ANALYSES. 615
le désir de trouver les substances bactéricides toutes faites sous forme
de nucléines ou granulations éosinophiles, .
La tendance des bactériologistes de revenir autant que possible
sur le terrain chimique a pourtant communiqué une nouvelle orienta-
tion aux travaux sur le pouvoir bactéricide des leucocytes.
C’est en Allemagne que les tendances chimiques dans l’étude des
leucocytes se sont le plus manifestées. Comme cette nouvelle direction
est toute récente, il nous est impossible pour le moment de donner
une idée d'ensemble de ces recherches ; nous sommes donc réduits à
résumer séparément les travaux qui s'imposent le plus à notre atlen-
tion,
Nous nous proposons de parler de travaux de MM. Jacob, Lüwit et
Schattenfroh. Tous ces travaux doivent être rangés dans une même
catégorie : ils ont ceci de commun qu’ils s'occupent des « extraits »
retirés des corps des leucocytes,
VI
M. Jacob, qui est très connu par ses recherches sur les globules
blancs, prépare « l'extrait » leucocytaire de la façon suivante. Le sang
recueilli directement de la carotide est additionné d'une solution de
carbonate de soude à 0,5 0/0; il y ajoute du chloroforme (1 p. 100 du
liquide) et abandonne le mélange pendant 24 heures à la température
de la chambre; il filtre, et le filtratum additionné à nouveau d’un peu
de chloroforme est « l'extrait » en question.
Par l'injection de protalbumose sous la peau des lapins, il provoque
une hypoleucocytose qui est suivie d’une hyperleucocytose. Il recueille
le sang à ces deux moments, et aussi un certain temps après la dispa-
rition de l’hyperleucocytose (40 heures après l'injection).
Le sang recueilli à chacune de ces trois saignées est divisé en trois
portions; une portion serià obtenir du sérum par le procédé ordinaire ;
une autre portion est employée telle quelle : elle représente donc le
sang complet; la troisième portion sert à préparer (l’extrait» leucocy-
taire dont il vient d’être question.
Il obtient ainsi neuf différentes préparations de sang, sans compter
celles du sang normal dont il tire aussi trois préparations : sérum,
sang complet et extrait leucocytaire. En tout, cela fait douze liqueurs
dont il se propose d'étudier les vertus préventives vis-à-vis d’une dose
mortelle de pneumocoques.
Les résultats de ces expériences sont très intéressants, si on en juge
d’après le résumé fait par l'auteur. Ainsi, les extraits «leucocytaires
se sont montrés plus actifs » que le sang complet, et ce dernier supé-
rieur au sérum seul.
C'est là le fait capital du mémoire, L'auteur dit ensuite que dans
616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
certains cas la différence a été notable quand on comparait les prépa-
rations provenant du stadehypo et hyperleucocytaire ; en ce qui con-
cerne le sérum pur, cette différence était nulle, c’est-à-dire que le ré-
sultat était le même qu'on employât le sérum du stade hypoleucocyÿ-
taire ou hyperleucocytaire.
En ce qui concerne le sang normal, là aussi l’effet de l’ « extrait »
leucocytaire a été plus prononcé que celui du sang complet, et encore
beaucoup plus que celui du sérum seul.
Comment donc faut-il interpréter l’action aussi évidente des
extraits leucocytaires? M. Jacob déclare que la phagocytose n’est pour
rien dans laction de ses « extraits », pourtant si actifs dans leurs
deux propriétés préventive et bactéricide (ce qui est un pour l’auteur).
Nous avons déjà répondu à une objection identique formulée par
M. Buchner: nous n’y reviendrons plus.
Admettons donc que la phagocytose n’est pour rien dans les
« extraits » leucocytaires en général, et dans celui de M. Jacob en
particulier.
Mais, en ce qui concerne ce dernier savant, nous nous permettrons
d'émettre quelques doutes sur la participation des leucocytes eux-
mêmes.
En effet, quand on examine de près les protocoles d’expérience
de M. Jacob, on éprouve une certaine désillusion, et, pour la justifier, il
est de notre devoir d'exposer les résultats d’une série (11) d’expé-
riences.
Dans cette série, qui comprend 11 lapins :
a). 2 ont été traités préventivement par le sérum (hypo et nyper-
leucocytaire); ils ont survécu tous les deux.
b). Sur 4 lapins, traités par le sang complet, les 2 qui ont reçu du
sang hypoleucocytaire sont morts ; les 2 autres qui ont reçu du sang
hyperleucocytaire ont survécu.
c). Enfin, et c’est là le point essentiel, 5 lapins ont été traités avec
extrait leucocytaire (avec une dose deux fois plus forte que précé-
demment) ; sur ces à lapins, 2 seulement ont survécu (extrait hyper-
leucocytaire), trois sont morts (extrait hypoleucocytaire).
Il en résulte donc que la réalité est moins brillante que cela ne pa-
raît être si on en juge d’après les conclusions de l’auteur.
Voiciun (extrait » leucocytaire qui, à la dose de 15 c. c., laisse périr
trois lapins sur cinq, tandis que la dose deux fois moindre (7 c. c.) du
sérum ordinaire suffit pour préserver l’animal chaque fois que l'on en
injecte.
Et chose curieuse! de ces trois lapins ayant succombé malgré
l'extrait, un est mort au bout de 22 heures; le second en moins de
11 heures (l'expérience a été faite le soir et le lapin fût trouvé mort le
REVUES ET ANALYSES. 617
lendemain matin) et le troisième au bout de { heure, tandis que le
témoin ne meurt généralement, d’après l’auteur, qu'au bout de
34 heures,
M. Jacob ne semble pas y faire attention; on conviendra cependant
que le fait est étrange; et on se demande si la substance active des
leucocytes n’entrant que pour une très faible part dans la constitution
de L « extrait », le chloroforme n’y serait pas entré pour beaucoup
trop au détriment de la netteté du résultat.
Nous ne pouvons pas nous arrêter davantage à ce mémoire, d’ail-
leurs très intéressant dans sa conception. Nous passons aux recher-
ches de M. Lüvwit, professeur de pathologie générale à [nns-
bruck.
VII
M. Lüwit a fait paraître en 1897 un grand mémoire sur les leuco-
cytes et leurs rapports avec le pouvoir bactéricide du sang, Ce qui est
précieux dans ce travail, c’est la prudente réserve de l’auteur dès qu'il
s’agit de tirer une conclusion décisive après l'exposé d’une longue
série d'expériences.
Mais au point de vue des faits nouveaux et de la façon de conduire
les expériences, ce mémoire laisse à désirer, bien qu'il porte la marque
d’un labeur tenace et d’une habileté d’expérimentation remar-
quable,
L'auteur se propose de résoudre deux questions :
Sont-ce véritablement les leucocytes qui détiennent le pouvoir
bactéricide? et si oui, peut-on en extraire in vivo la substance bac-
téricide.
Ce sont des questions que, comme nous le savons déjà, d’autres
auteurs ont abordées, mais par des procédés autres que ceux dont
s’est servi M. Lüwit.
Voici comment il procède : au lieu de filtrer les globules blancs,
comme l’a fait Denys, pour savoir ce que devient le pouvoir bactéri-
cide du sang dépouillé de ses leucocytes, Lüwit cherche à atteindre le
même effet in vivo par un moyen un peu héroïque : il lie l’aorte
immédiatement après l'émergence du tronc brachio-céphalique.
C’est là une opération peu banale, surtout si on tient compte des
difficultés énormes qu'il a dû surmonter ; il a eu tout le temps à lutter
contre l’æœdème des poumons qui le menaçait à chaque instant; il a dû
avoir soin de bien curariser l’animal pour empêcher la contraction
des muscles, ce qui aurait déterminé un œdème fatal ; de bien conduire
la respiration artificielle et de la maintenir toujours au même degré;
de surveiller attentivement le cœur qui, fortement incommodé par la
ligature de l'aorte, ne demandait qu'à céder, etc,
618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Malgré toute l’habileté de l’auteur, il y a eu de nombreux accidents,
puisque les lapins succombaient avant qu’on ait eu le temps de les
utiliser. Dans les cas favorables, c’est-à-dire, lorsque l'animal échappait
à la mort immédiate, toutes les recommandations sus- indiquées étant
minutieusement exécutées, il ne pouvait cependant survivre plus de
deux heures.
C'est dans de telles conditions réputées favorables qu’opérait
M. Lüwit.
De ses nombreuses expériences l’auteur tire la conclusion suivante :
lorsque, après la ligature de l’aorte, le nombre de leucocytes tombe au-
dessous de 800 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide du
sang est notablement diminué ou aboli; lorsque le nombre de leucocytes
dépasse 1,000 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide ne se
distingue presque pas de l’état normal. Il ajoute ensuite que, vu la dis-
parition des polynucléaires dans les cas d’hypoleucocytose notable
(au-dessous de 800), on serait autorisé à considérer ces leucocytes
comme les possesseurs de la substance bactéricide.
Les conclusions de M. Lüwit auraient certainement un grand
mérite, notamment celui de confirmer les expériences de Denyset de les
étendre aux phénomènes se passant in vivo, mais malheureusement les
expériences qui en font la base prêtent le flanc à des objections sérieuses.
Tout d'abord, M. Lüwit ne devrait pas, croyons-nous, avoir une
confiance aussi absolue dans des expériences exécutées dans des con-
ditions aussi peu ordinaires.
Si la ligature de l'aorte n’amenait qu’un abaissement considérable
des leucocytes et rien de plus, l’auteur serait en plein droit d'en con-
clure que le pouvoir bactéricide est lié à la présence des leucocytes:
mais ce n’est pas précisément le cas, comme l’a d’ailleurs bien vu
M. Lüwit lui-même. A côté d’une hypoleucocytose notable se passent
des phénomènes si compliqués etcompromettant à tel point l'organisme,
que l'animal meurt dans le cas le plus favorable au bout de 2 heures.
Le fonctionnement de tous les organes et en particulier des leucocytes
ne saurait évidemment être celui de l'état normal.
M. Lüvwit a constaté lui-même que le sang contient dans ces condi-
tions nombre de débris leucocytaires, produits de leur destruction,
que la température rectale descend à des degrés impossibles, de 290
à 25°: et c’est au milieu de cet affolement géneral de l'organisme qu'il
cherche à établir des relations exactes (à quelques leucocytes près),
entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide…
La seconde objection que nous nous permettons de formuler a trait
à la précision des numérations de globules blancs. Au-dessus de
1,000 leucocytes, nous dit-on, le pouvoir® bactéricide reste tel quel,
mais déjà, au-dessous de 800, il est très diminué ou aboli;
REVUES ET ANALYSES. 619
D'abord nous ne nous expliquons pas bien comment une hypoleu-
cocytose aussi profonde que celle qui ne laisse que 1,000 globules
blancs ne retentit nullement ou peu sur le pouvoir bactéricide, et qu'à
800 leucocytes le pouvoir bactéricide se trouvetout d’un coup fortement
diminué ou même nul.
Les appareils de numération des leucocytes ne sont d’ailleurs
exacts qu’à 400 ou 500 leucocytes près.
Toutes ces considérations nous obligent de faire des réserves en ce
qui concerne le premier problème:que s’est posé M. Lüwit, et qui traite
du rapport entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide in
vivo; non pas que nous mettions en doute la réalité de ce rapport,
mais parce que les expériences ci-dessus ne nous semblent pas l'avoir
démontré d’une façon péremptoire.
Quant au second problème qui fait le sujet du même travail, et qui
touche à la préparation d’un « extrait » leucocytaire, il n’est pas
encore définitivement résolu non plus.
Le mode de préparation de cet extrait diffère de celui employé par
M. Jacob et de celui de M. Buchner.
Les leucocytes isolés aussi proprement que possible sont triturés
avec une poudre fine de verre jusqu’à ce que le mélange ne présente
plus à l’examen microscopique des cellules intactes. Ce mélange, addi-
tionné de 5 à 10 c. c. d’eau physiologique, est séparé par centrifugation
de ses parlies solides, et donne un liquide complètement privé d’élé-
ments cellulaires, louche, opalescent, restant trouble même après
filtration; ce liquide, d’une réaction faiblement alcaline, contient peu
d'albuminoïdes précipitables par la chaleur, donne avec l'acide acé-
tique un précipité floconneux qui se dissout dans l'acide chlorhy-
drique dilué.
A lui tout seul ou mélangé avec du bouillon ou du sérum inactif, il
manifeste un pouvoir bactéricide très net. Mais ce qui distingue sa
substance bactéricide des autres, étudiées notamment par Buchner et
sesélèves, c’est qu’elle supporte bien une ébullition pendant cinq minutes.
En présence de cette action bactéricide ayant lieu en dehors de
toute intervention phagocytaire, M. Lüwit admet aussi hypothèse
de la sécrélion leucocytaire, raisonnement qui n’est pas acceptable,
comme nous l’avons déjà prouvé plus haut.
Mais chose plus grave, l'extrait leucocytaire de Lüwit, ainsi que
celui de Jacob, est fort sujet à caution.
Dans un mémoire paru récemment, M. Schattenfroh, à la suite de
ses propres expériences, déclare que la substance bactéricideen question,
résistant si bien à ébullition pendant cinq minutes, provient non des
globules blancs, mais de la poudre de verre, ayant servi à la triluration
des leucocytes.
620 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Une réponse de Lüwit parue ces jours derniers ne nous a pas paru
bien convaincante.
Nous laisserons les auteurs élucider ce point litigieux, et nous passe-
rons rapidement en revue le dernier travail de M. Schatlenfroh paru
dans les Archiv für Hygiene.
VIIT
Ce mémoire, qui s’occupe du pouvoir bactéricide des leucocytes,
est intéressant à deux points de vue. Son grand mérite est d’avoir
apporté beaucoup de précision dans les expériences et d’avoir ainsi
confirmé les conclusions des travaux antérieurs. Il s'impose à notre
attention encore à un autre titre : il marque une étape significative dans
l'histoire des idées dites humorales. Cest dans ce travail, fait par un
ancien élève de Buchner, que pour la première fois nous voyons des
chapitres entiers consacrés à l’étude des phénomènes phagocytaires ;
c'est là que nous avons la satisfaction d’enregistrer la déclaration
nette que jusqu'ici aucune preuve expérimentale, y compris les faits
invoqués par Buchner et Hahn, n’est venue encore justifier le pouvoir
sécréteur des leucocytes.
Pour se mettre à l’abri des objections dont étaient passiblés les
expériences antérieures, Schattenfroh étudie les leucocytes en les
plaçant dans un milieu indifférent (solution physiologique), et non pas
dans le sérum comme le faisaient ses devanciers; il traite les leuco-
cytes, dont il se propose d'étudier les propriétés bactéricides, comme
s’il s'agissait d’un précipité chimique ordinaire.
Après des centrifugations répétées, suivies de lavages à l’eau phy-
siologique, l'auteur croit avoir des leucocytes purs, c’est-à-dire exempts
de toutes substances étrangères ; il s'assure en plus qu’ils ont conservé
leurs mouvements amiboïdes.
Remarquons à ce propos que la constatation des mouvements ami-
boïdes n'est pas encore une garantie sûre que les fonctions des leu-
cocytes soient absolument intactes. Nous serions plutôt porté à croire
que des centrifugations et des lavages répétés ne laissent pas les leu-
cocytes indifférents, et ne voudrions pas conclure avec l’auteur que le
« chimisme leucocytaire » n’a subi aucune modification; d'autant plus
que l’auteur constate lui-même que, quelque soigneuse que soit la
purification, on trouve même dans les dernières eaux de lavage des
matières organiques.
Toujours est-il que, par ses nombreuses expériences, Schattenfroh a
réussi à démontrer que ce sont les leucocytes qui emmagasinent les
substances bactéricides, que ce sont eux qui confèrent au sérum le
pouvoir bactéricide.
D’après lui, le passage de ces substances dans le sérum s’effectue
REVUES ET ANALYSES. 621
après la mort des leucocytes, qui d’ailleurs peut survenir dans
l'organisme même, dans des conditions physiologiques; mais il
n’admet point la sécrétion leucocytaire dans le sens voulu par la
théorie de son maître, la théorie des alexines.
Schattenfroh prépare aussi un « extrait » des leucocytes en chauf-
fant ces derniers dans la solution physiologique pendant une demi-
heure à 60v, ou bien en laissant macérer pendant 2-3 heures les
cellules triturées dans la même solution à 370.
L'extrait ainsi obtenu est indifférent au chauffage à 60° pendant
une demi-heure, mais il se détruit à la température de 80-870,
Tels sont les principaux faits connus au sujet de la propriété bac-
téricide des leucocytes et de leurs extraits.
IX
Nous voyons donc que si ce problème va en s’éclaircissant de jour
en jour au point de vue biologique, on ne peut pas en dire autant de
son côté physico-chimique.
La tentative, louable en elle-même, de ramener la question sur le
terrain chimique, par la préparation des extraits leucocytaires, a
abouti à une confusion telle qu’il devient de plus en plus difficile de
s’y orienter.
Ainsi nous voilà déjà en présence de quatre substances bactéri-
cides, toutes différentes les unes des autres, sans compter l” « extrait »
de M. Jacob, dont nous ignorons malheureusement la température de
destruction :
4° Les alexines de Buchner se détruisent à 556.
20 L’extrait de Schattenfroh se détruit à 85°.
30 L’extrait de Lüwit à l’ébullition pendant cinq minutes,
4 L’extrait de Bail, obtenu par l’action de la leucocidine sur les
leucocytes, se détruit à 650.
Pour peu que d’autres expérimentateurs se mettent à préparer des
« extraits », ce qui est inévitable, nous verrons la liste des subs-
tances bactéricides s’allonger encore à n’en plus finir.
Faut-il en conclure à la richesse inépuisable des leucocytes en subs-
tances bactéricides, ou faut-il incriminer nos procédés défectueux
d'extraction.
Malgré l'opinion, émise tout récemment par M. Bail, d’après lequel
chacun des extraits constitue une unité bactéricide à caractères propres,
nous whésitons guère à nous ranger à la seconde hypothèse, et nous
admettons même qu'aucun de ces extraits ne représente la véritable
substance contenue dans les leucocytes.
On aurait certainement tort de s’imaginer que la matière bactéri-
cide faisant partie du protoplasme leucocytaire soit d’une constitution
692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
di
chimique aussi simple que le bichlorure de mercure ou le phénol : il
serait même surprenant que par des procédés aussi primitifs que ceux
employés jusqu'ici, on eût pu extraire du milieu si complexe et délicat
qu'est le protoplasma leucocytaire — la matière bactéricide en toute
sa pureté et rien qu'elle.
Nous savons combien le leucocyte est sensible aux moindres in-
fluences physiques ou chimiques, combien sont multiples les fonctions
de cet être si petit, et croire que la trituration grossière avec la poudre
de verre ou l'épuisement par le chloroforme permettrait de faire
l'analyse fine de ses fonctions est inadmissible.
La matière bactéricide des leucocytes étant certainement d’un
ordre de composés tout différent de celui d’un phénol par exemple,
il faut commencer par rejeter les méthodes brutales d'extraction qui
ne font que compliquer la question. Avant de passer à l’exlraction
in vitro, il faudrait, à notre avis, commencer par faire des études
sur des leucocytes vivants, et rechercher comment se comporte leur
pouvoir bactéricide vis-à-vis de différents agents physiques et chi-
miques; et c’est seulement quand nous serons renseignés sur le mode
d'action de la température, de la pression, des divers agents chimi-
ques, que nous serons à même de combiner des procédés d'extraction
dont toutes les phases nous seront connues d'avance; bref, on saura
ce qu’on fait, tandis que maintenant on traite les leucocytes au petit
bonheur, sans savoir ce qu’il en résultera.
X
Après avoir insisté si longuement sur le pouvoir bactéricide, il
semblera peut-être étrange que nous poussions le scepticisme jusqu'à
nous demander si ce pouvoir existe réellement dans le sens que lui
attribuent les auteurs; en d’autres termes, s’il existe dans les leuco-
cytes une matière dont la mission essentielle soit de tuer les mi-
crobes.
Nous estimons que les auteurs se préoccupent beaucoup trop du
pouvoir bactéricide des leucocytes, et laissent pour cela dans l’ombre
une propriété infiniment plus importante et d’un ordre beaucoup plus
général, qui est leur pouvoir digestif.
C’est le pouvoir de digérer qui est à notre sens le caractère essen-
tiel du leucocyte, le pouvoir de tuer n’est qu'une phase préliminaire
nécessaire pour faciliter la digestion, telle l’insalivation qui précède la
digestion stomacale.
On a cru pendant longtemps que les leucocytes réagissent seulement
vis-à-vis des microbes ; l’idée du pouvoir bactéricide était alors toute
naturelle; mais maintenant que nous commençons à savoir qu'ils
réagissent aussi bien et avec le même effet vis-à-vis des virus non
REVUES ET ANALYSES. 6923
vivants, n'ayant pas besoin par conséquent d’être préalablement tués, il
devient évident que la propriété bactéricide passe au second rang ; ce
qui reste immuable, ce qui domine dans le leucocyte, c’est qu'il digère;
le fait de pouvoir tuer le virus, si important qu'il soit, ne présente
qu’un moyen que le leucocyte utilise ou non, suivant les circons-
lances...
Les expériences de M. Metchnikoff avec la toxine tétanique et
d’autres analogues qui sont à l'étude nous le prouvent suffisam-
ment.
Nous croyons donc que le terme « pouvoir bactéricide » ne répond
pas à la totalité de faits, et qu’il serait plus juste de lui substituer celui
du « pouvoir digestif ».
Cette substitution aurait encore un autre avantage que celui de
mieux traduire les faits.
A force de traiter toujours du pouvoir bactéricide, les savants ont
été entraînés dans une voie un peu étroite à notre sens.
Prenons par exemple les extraits leucocytaires sur lesquels nous
avous si longuement insisté. Quelle que soit leur valeur intrinsèque,
toujours est-il que les auteurs ne cherchaient qu’à en déterminer les
propriétes bactéricides, et cependant s'ils avaient pensé au pouvoir
digestif des leucocytes, ils auraient certainement abordé une foule
d’autres problèmes qui se seraient présentés inévitablement à leurs
esprits.
Autre exemple : rappelons-nous qu'en se basant sur une parenté
fort éloignée de l'acide nucléique et des nucléines avec le contenu leu-
cocytaire, on est allé jusqu'a croire que c’est l'acide nucléique qui est la
substance active du leucocyte; et cette hypothèse a été surtout
appuyée par ce fait que l’acide nucléique possède des propriétés bacté-
ricides. Si on avait eu l'esprit dirigé vers cette idée que la propriété
bactéricide n’est qu'une manifestation secondaire dans la vie du leuco-
cyte, on n'aurait certainement pas cherché si obstinément la matière
active des leucocytes parmi les substances purement bactéricides.
Par contre, la notion du pouvoir digestif a l'avantage de nous
ouvrir un nouveau champ de recherches, difficiles il est vrai, dans le
groupe des diastases digestives dont nous connaissons déjà plusieurs
représentants.
Nous croyons donc que pour être sûr de se trouver sur la bonne
piste, il serait utile de se pénétrer bien de cette idée que le pouvoir
bactéricide n’est qu'une des phases, peut-être multiples, de la digestion
intra cellulaire, qui, elle, est véritablement le phénomène dominant dans
la vie du leucocyte.
BESREDKA.
624 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
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AD OE PONTE N'ES CRE SR Re TE A
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419me ANNÉE : OCTOBRE 1898 N° 10.
ANNALES
L'INSTITUT PASTEUR
LA PROPAGATION DE LA PESTE
Par LE Dr P.-L. SIMOND
CHAPITRE Ie
ORIGINE DES ÉPIDÉMIES DE PESTE OBSERVÉES DEPUIS 1893 EN CHINE ET
DANS L'INDE. — ÉVOLUTION DE L'ÉPIDÉMIE DE BOMBAY
Plusieurs hypothèses ont été émises touchant la provenance
de l'épidémie de peste de Bombay : comme il existe dans cer-
tains districts de l'Himalaya, celui de Gahrwal en particulier,
des foyers de peste permanents, on a pu supposer que des voya-
geurs tels que les fakirs auraient apporté de là la maladie. Au-
eun fait n’a été cité à l'appui de cette opinion; il est beaucoup
plus probable que la peste est venue de Hong-Kong, où elle sévis-
sait en 1896.
Nous avons été à même de préciser l’origine des épidémies
de Hong-Kong et des ports de Chine. Nous l’avons signalée aux
autorités sanitaires du Tonkin en 1894, dans un rapport, publié
depuis ‘, sur une épidémie observée dans la province chinoise
du Quang-Si, à Long-Tcheou, où nous étions alors en mission.
Au printemps 1893, la peste sévissait fortement dans les vil-
lages du Yunnam, province distante de Long-Tcheou d'environ
200 kilomètres, et qui constitue le plus important des foyers per-
manents de peste connus. En raison du grand nombre de postes
militaires chinois élablis près de la frontière tonkinoise dans
le Yunnam et le Quang-Si, des caravanes de mulets faisaient à
cette époque le va-et-vient de lune à l’autre province par les
sentiers de montagnes, seules voies de ravitaillement des postes.
1. P.-L. Simon, Notes d’Hist. nat. et médicale, recueillies à Long-Tcheou (Ar-
chives de Médecine navale, 1895).
40
626 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. VE
D'après l'enquête à laquelle nous nous sommes livré, c’est
par ces caravanes, dont les muletiers sont originaires du Yunnam,
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que la peste à été apportée du foyer primitif à Long-Tcheou, au
milieu de l’année 1893 (fig. 1).
PROPAGATION DE LA PESTE. 627
Les premières victimes connues dans cette ville étaient des
muletiers de ces caravanes.
De Long-Tcheou la peste est descendue par la rivière de
Canton jusqu'à Naning-Phu, où elle n'a pas sévi épidémique-
ment, puis elle a suivi la voie de terre pour atteindre Pakoï, le
premier port de mer où l’on ait signalé une épidémie. Cette route
de Long-Tcheou à Pakoï par Naning-Phu est celle par laquelle
se fait presque tout le trafic du Haut Quang-Si.
Quelques mois plus tard, en 1894, la peste a éclaté presque
simultanément à Canton.et à Hong-Kong. Y est-elle arrivée par
mer de Pakoï ou par voie fluviale de Naning-Phu ?
C’est un point impossible à déterminer ; de toutes manières,
l’épidémie de Long-Tcheou de 1893-94 est la source de l'épi-
démie de Hong-Kong de 1894.
Pendant les années 1895 et 1896, des recrudescences ont eu
lieu à Hong-Kong, et n’ont pas cessé de constituer un danger
pour tous les pays en relations avec ce grand port.
Il nous paraît peu douteux que l'importation de la peste à
Bombay ait eu lieu par mer. Le début de l'épidémie par le quar-
ter de Mandvi qui avoisine le port et renferme de nombreux
entrepôts pour les marchandises, la facilité pour les rats des na-
vires, amarrés à quai dans les docks, de descendre à terre et de
se répandre dans ce quartier, sont des arguments en faveur de
cette opinion. Or, si la peste a été introduite par mer, le seul
port susceptible d'être incriminé comme point de départ de l'in-
fection est celui de Hong-Kong.
Les premiers cas connus furent signalés dans des maisons du
quartier de Mandvi par le D' Viegas. Le corps médical fut quel-
que temps hésitant sur la nature de la maladie nouvelle, mais
avec les jours le mal faisait des progrès, et les médecins comme
le public durent bientôt se rendre à l'évidence.
La mortalité générale était d'ailleurs en augmentation déjà
avant la découverte du D' Viegas : elle suivait une marche crois-
sante depuis le milieu d’août et la progression s’accentuait de
semaine en semaine. Alors que, dans les années précédentes, la
moyenne hebdomadaire des décès ne dépassait guère le chiffre
de 500 ; on trouve en 1896 les moyennes hebdomadaires sui-
vantes : août, 620 ; septembre, 649; octobre, 680; novembre,
690. Enfin, en décembre, l'épidémie prend son essor, s’étend à
628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tous les quartiers de la ville, affolant la population qui émigre
en masse. Il meurt en moyenne dans ce mois 1,240 personnes
par semaine. Pendant les mois de décembre 1896, janvier, février
et mars 1897, qui constituent la période d'état de l'épidémie,
la mortalité hebdomadaire moyenne est de 1,473, c'est-à-dire
qu'il meurt environ 210 personnes par jour.
En avril commence le déclin, d'autant plus rapide qu'une
grande partie de la population avait quitté la ville. Au mois de
juin les cas deviennent rares : on peut dire qu'à ce moment
l'épidémie est terminée. En juillet et août, à peine se produit-il
quelques cas de loin en loin.
Les habitants de Bombay se croyaient dès lors délivrés du
fléau ; seuls quelques esprits judicieux, se basant sur l'expérience
des épidémies antérieures, prévoyaient une recrudescence.
L'événement leur donna raison et la recrudescence se produisit
sous forme d'une épidémie plus grave que la première, avec
une marche identique et une exacte correspondance de
dates.
Le développement de l'épidémie a présenté trois périodes
bien distinctes : 1° période de début ou d’accroissement, qui à
duré # mois, août à novembre 1896, et a été marquée par une
progression lente et graduelle du nombre des cas, localisés
dans une partie de la ville; 2 période d'état, de # mois
également, décembre 1896 à mars 1897 : un fait important a
caractérisé le début de cette période, c’est l’apparition brusque,
au commencement de décembre, de nouveaux foyers dans tous
les points de la ville, sans qu'on puisse saisir la relation entre
ceux-ci et le foyer primitif. En deux semaines, cette dissémina-
tion s’est effectuée avec une intensité telle, que la mortalité a
doublé. À partir de ce moment, le chiffre hebdomadaire des
décès se maintient entre 1,200 et 1,900 jusqu’à la fin de mars ;
le maximum est atteint dans la semaine finissant le9 février, avec
1,911 décès; 3° période de déclin. Pendant le mois de mars, la
mortalité a suivi une marche décroissante, mais c'est en avril
seulement que le déclin s’est nettement établi; il a été plus
rapide que l'ascension et a duré deux mois.
.. PROPAGATION DE LA PESTE. 629
TABLEAU
DE LA MORTALITÉ HEBDOMADAIRE A BOMBAY PENDANT LES DEUX ÉPIDÉ-
MIES SUCCESSIVES DE PESTE, PAR COMPARAISON AVEC LA MORTALITÉ
MOYENNE DES CINQ ANNÉES PRÉCÉDENTES.
| MOYENNE MORTALITÉ MORTALITÉ
SEMAINE DE LA MORTALITÉ|HEBDOMADAIRE|[HEBDOMA DAIRE)
hebdomadaire pendant pendant
FINISSANT LE de 5 années la {re épidémie | la 2e épidémie
1890-1895. 1896-1897. 1897-1898.
{er septembre. 5 814
sa 5: 838
45 — 92 876
DD — © 506 869
9090— 59 823
6 octobre. 4 716
I = 4 750
20 — - ! 7176
27 — ÿ 754
3 novembre. A4: : 741
100 4 701
IQ 46 700
D — 446 682
ler décembre. 45 704
— 46 706
— ] 785
_ 835
— 46 975
> janvier. € 1061
— 1307
— D 1540
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février. 526 1871
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2195
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2080
2184
2137
2968
1938
1519
1303
1202
1116
389
725
616
633
630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le seul moyen de se faire une idée à peu près exacte de la
part de la peste dans cette mortalité consiste à déduire le chiffre
moyen des 5 années précédentes de celui des décès de la semaine
correspondante en 1896, 1897 et 1898. Le résultat de cette
soustraction est toujours au-dessous de la réalité, en raison de
la diminution énorme, pendant la durée de l’épidémie, de la
population, dont le quart ou plus a émigré. Il conviendrait donc
de faire le calcul de la façon suivante : réduire de 1/5 le chiffre
moyen de la mortalité des années antérieures, et soustraire le
nombre obtenu du nombre de décès de la semaine correspon-
dante des années d’épidémie. Nous nous sommes assuré qu'on
obtient ainsi une approximation assez grande. Les chiffres offi-
ciels publiés par l'administration sont trop faibles d’un quart au
moins. Cela n’a rien de surprenant, étant donnés les elforts
déployés par les indigènes pour dérober leurs malades aux
recherches de la police.
Pour la ville de Bombay, la statistique administrative accuse,
depuis le mois de septembre 1896 jusqu'au 1% août 1898,
30,805 cas et 26,423 décès de peste. Nous estimons que les
chiffres de 38,000 cas et 32,000 décès qui résultent de nos calculs
sont beaucoup plus près de la vérité.
Il en est de même de tous les relevés établis avec beaucoup
de soins dans tous les foyers de peste de l’Inde par l’administra-
tion. Par conséquent, on peut considérer les nombres de cas,
indiqués sur notre carte pour chaque aire pestiférée, comme
trop faibles d’un quart environ.
CHAPITRE II
PROPAGATION DE LA PESTE DANS L'INDE PAR TERRE ET PAR MER. — MODES
DE PROGRESSION. — INSUFFISANCE DE L'HOMME COMME AGENT DE TRANS-
PORT POUR EXPLIQUER LA PROPAGATION
Ainsi qu'elle en a coutume, la peste ne s’est point cantonnée
dans la ville où elle avait fait sa première apparition. Par les
voies de mer et de terre, elle a envahi les côtes et l’intérieur de
l'Inde, se propageant graduellement en tous sens comme une
tache d'huile; elle couvre aujourd’hui la moitié de la surface du
pays, on ne peut prévoir où s'arrêteront ses ravages.
PROPAGATION DE LA PESTE, 631
Si l’on jette un coup d’æil sur la carte de la peste, on constate
d'abord que l'épidémie a sévi précocement sur tous les centres
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CARTE DE LA PESTE DANS L'INDE
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DRESSÉE par le D' P-L. SIMOND
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Fig. 2.
populeux avoisinant Bombay, dans un rayon de 30 à 40 milles.
De ce grand foyer central, elle a progressé le long de toutes les
632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
voies ferrées, s'étendant à des distances variables pour chacune
d'elles. Sur la ligne du nord, les principales villes qu'elle a
touchées avec plus ou moins de sévérité sont Surat, Baroda,
Ahmedabad, Palampur. Sur la ligne du sud, Poona, Sattara,
Karad, Miraj, Belgaum, Hubli. Cette dernière, par 15° late N>;
est le point le plus méridional de l'Inde atteint jusqu'ici. Sur les
lignes qui, de Poona, se dirigent vers le sud-est, Scholapur et
Hyderabad, capitale du Nizam, ont subi des épidémies très
sévères. Sur la ligne de l’est, dé Bombay à Calcutta, Igatpuri,
Nasik et un certain nombre de cités moins importantes. Par les
lignes qui se détachent de celle-ci en allant vers le nord, la peste
a fait une apparition à Khandraoni, dans le Gwalior, et a atteint
Hurdwar, lieu de pèlerinage, aux sources du Gange. De cette
ville, elle a gagné au voisinage de Lahore les districts de Jullun-
der, Hoshiarpur, Amritsar, par 32° de latitude N. La partie
centrale de l’Inde traversée par le railway de l’est a été la plus
épargnée Jusqu'en 1898. Nous assistons actuellement à l’instal-
lation de la peste dans Calcutta, point terminus de cette ligne. Il
est à redouter que cette ville ne joue avant longtemps, pour la
partie orientale de l’Inde, le rôle de centre d'irradiation, qui est
échu à Bombay pour la partie occidentale.
Du côté de la mer, le nord a plus souffert que le sud. La
peste a sévi sur les ports du sud très peu au-dessous du 18° degré
(Bombay est par 19°), tandis qu’au nord elle s'étend à presque
tous les ports du golfe de Cambay, à Porbunder, le plus impor-
tant de la grande presqu'ile du Kattywar, à Mandvi et Mundra
dans le golfe de Cutch, et enfin arrive à Kurachee, le grand port
du nord-ouest de l'Inde, aux bouches de l’Indus, par 25° lat. N.
Disons tout de suite que cette grande extension vers le nord, qui
contraste avec le médiocre développement dans la direcuüon
opposée, tient à ce que les relations maritimes entre Bombay et
les ports de la côte sud sont infiniment moins fréquentes qu'avec
ceux du nord; elle n’est nullement en rapport avec la théorie
d’après laquelle la peste se manifesterait d'autant plus difficile-
ment qu'on se rapproche de l’équateur. La preuve en est que par
les voies ferrées l'épidémie a atteint Hubli sous le 15° degré,
tandis que par mer nous la voyons s'arrêter au 18° degré.
Ce rapide examen de la propagation de la peste dans l'Inde
nous permet tout d'abord d'établir un point qui, si banal qu'il
PROPAGATION DE LA PESTE, 633
paraisse, a pu être contesté : c'est que tous les foyers actuels
dans l'Inde sont dérivés de Bombay.
Tout en obéissant à une loi générale de progression systéma-
ique, la propagation à très souvent procédé par bonds. Cer-
ains points qui se trouvent, pour des raisons particulières à
chacun, plus exposés et plus accessibles à l'épidémie que d’autres
moins éloignés de Bombay, ont été atteints avant eux et ont
constitué de bonne heure des foyers secondaires. C’est ainsi que
Kurachee, dont les relations commerciales avec Bombay sont très
importantes et qui est relié à cette ville par de multiples services
de navigation à vapeur, a été le premier atteint des grands
centres : l'épidémie s’y est développée en janvier 1897, Ce foyer
mérite une mention spéciale parce que, point de départ, comme
Bombay, de lignes de navigation et de voies ferrées, il a été la
source des épidémies du nord-ouest de l'Inde, dans la vallée de
l’Indus, Hyderabad, Khaïirpour, Rohri, Sukkur, Shikarpour et
Jacobabad. De même Karad, situé à 250 milles environ de
Bombay, sur la ligne du South Marhatta Railway, a subi son
épidémie en juillet 1897, avant Poona qui est beaucoup plus
rapproché, et a été le centre d'irradiation de la peste pour Sattara,
Miraj, Belgaum, Hubli.
Si la marche de la peste est parfois irrégulière quand il s’agit
de son transport à de grandes distances, la progression de
proche en proche dans le voisinage immédiat d’un grand
foyer affecte au contraire une assez grande régularité; les
villages sont atteints les uns après les autres suivant une succes-
sion qui est presque constamment en rapport avec leur éloigne-
ment, Le cercle infecté s'agrandit peu à peu, et finit souvent par
rejoindre l'aire d'infection des foyers voisins. Bien peu de villages
ou de villes secondaires échappent à l'épidémie dans un rayon
de 25 à 30 milles aulour d’un foyer principal.
L'extension des épidémies esten rapport, dans quelques cas,
avec l’émigration de la population de la ville attaquée. Quand
on peut obtenir des renseignements précis, on découvre fréquem.
ment que, antérieurement à l'apparition de la peste parmi les
habitants de la ville ou du village, des étrangers émigrés du
foyer principal sont venus mourir là de la peste. Cette règle est à
peu près constante pour le transport de l'épidémie dans les villes
éloignées; elle souffre de nombreuses exceptions, dont nous
634 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
rechercherons plus loin la cause, dans l'extension circulaire de
peste aux centres rapprochés.
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ils sont écrits. Ce 1iowrbre est requliérement üwérieur du 1/4 ou de la 1% a la 16alile.Ces
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Fig. 3.
Donc, d'une manière générale, un ou plusieurs cas que nous
appellerons cas importés se produisent parmi les arrivants d’un
PROPAGATION DE LA PESTE. 635
centre pestiféré, avant que des cas indigènes se manifestent. Ce
fait est de grande importance pour nous éclairer sur les moyens
par le re la peste se propage. Il apparaïl avec beaucoup de
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Fig. 4.
netteté si l’on considère les cartes ci-jointes de la peste dans l'Inde.
La plupart des renseignements quinous ont permis d'établir cette
carte nous ont été obligeamment communiqués par le D' Grey-
foot, qui a relevé avec soin pour chacune des villes de la prési-
dence de Bombay les dates du 1° cas importé et du 1% cas
indigène,
630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Nombre de villes sur les côtes comme dans l'intérieur ont
présenté des cas importés sans que la maladie ait atteint les
habitants. ne suffit pas, en effet, qu'un étranger pestiféré vienne
mourir dans un endroit pour y faire naître At une épi-
démie. À Poona, par exemple, l'épidémie s’est manifestée long-
temps après celle de Bombay, en septembre 1897, bien qu'un
grand nombre de cas de peste, probablement plus de cinquante,
se soient produits parmi les fuyards de Bombay qui s’y sont
réfugiés dès le mois d'octobre 1896.
Done, le premier cas importé n’est pas toujours suivi de près
par l’épidémie; toutefois il constitue une menace très sérieuse et,
lorsqu'il se produit, lon peut dire que la peste est entrée dans la
place.
Deux faits importants découlent de l’étude des dates aux-
quelles ont été observés dans une ville un premier cas indigène
etun premier cas importé : 1° tout foyer épidémique nouveau, à
de rares exceptions près, a reçu des cas importés; 2° les cas
importés ont très généralement précédéles cas indigènes. On doit
conclure de ces deux faits que l'homme est le plus ordinairement
l'agent du transport de la peste d'une ville à une autre.
Nous avons dit que les cas importés se retrouvaient réguliè-
rement comme prodromes de l’épidémie dans le transfert de la
peste à de grandes distances, mais qu’ils manquaient parfois dans
. l'extension à proximité du foyer. Ge fait est difficile à constater,
en raison de l’envahissement presque général par les fuyards de
tous les villages d'une région, quand l'épidémie éclate dans le
chef-lieu.
Néanmoins nous avons pu le relever avec certitude dans cer-
tains villages comme Vundiali (dans le district de Karad) et à
Pundjiali (dans l’État de Cutch), où des cas ont éclaté parmi les
habitants sans qu'il y ait eu précédemment un seul cas importé;
le même fait s’est présenté dans beaucoup de villages ou petites
villes voisines de Bombay, d’après M. Snow. Il y a donc lieu de
se demander si l'homme est indispensable pour le transport de
la maladie. L'étude de l’évolution d’une épidémie de peste dans
un centre populeux permet de résoudre cette question.
Dans le cas ordinaire où des cas importés sont constatés tout
d’abord, il s'écoule généralement une assez longue période, plus
d'un mois, avant l'apparition des cas indigènes. À partir du
LI
PROPAGATION DE LA PESTE, 637
moment où ceux-ci se sont manifestés commence une période
de latence pour ainsi dire, période où Îles attaques sont rares,
localisées à un seul quartier, où l’on constate difficilement un
progrès d’une semaine à l’autre, ce qui, presque toujours, déter-
mine une confiance trompeuse chez les médecins et les autorités
locales : on croit à des cas sporadiques excluant le danger d’épi-
démie.
Déjà, pendant cette période, on peut observer que les cas
(|
dans le quartier originel se succèdent dans des maisons tantôt
voisines, tantôt séparées, sans qu'il y ait nécessairement des
relations entre leurs habitants. Très fréquemment, des familles,
qui ont évité tout contact avec les maisons pestiférées et les
habitants sains on malades de ces maisons, voient tout à coup la
peste s'installer chez eux.
Dans d’autres cas, les habitants d’une maison où un cas s’est
produit abandonnent leur domicile pour aller demeurer chez des
amis ou des parents,etla pestearrive avec eux, soit qu’elle frappe
leurs hôtes, soit qu'elle les frappe eux-mêmes. Ainsi, tantôt le
transport du germe a eu lieu d’une manière certaine par l'inter-
médiaire de l’homme, tantôt il s’est, tout aussi sûrement, effectué
sans lui.
C’est surtout à la période suivante, période d’accroissement
rapide de l'épidémie pour atteindre son état aigu, que la possi--
bilité de l'extension de la peste sans intermédiaire humain appa-
raît nettement. À ce moment, la progression devient tout à fait
638 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
capricieuse; tantôt elle se fait tout le long d’une rue, atteignant
toutes les maisons, soit l’une après l’autre, soit plusieurs simul-
tanément; tantôt des cas surgissent dans des quartiers éloignés
et dans des maisons où rien ne pouvait, semble-t-il, justifier leur
apparition.
A ce moment, la virulence de la peste semble être au maxi-
mum; elle frappe à la fois plusieurs habitants d'une même
demeure, plusieurs membres d'une même famille, souvent le
même jour, presque à la même heure et avec une égale sévérité.
La durée de cette période aiguë est très variable : elle est parfois
abrégée par l’émigralion de la popuiation ; on observe alors une
diminution du nombre des cas qui n’est nullement le déclin
véritable. Celui-ciest marqué par une proportion nettement infé-
rieure des cas très rapidement mortels.
Dans les grandes villes, la période d’état aigu est de plus
longue durée que dans les petites villes. À Bombay, cette période
a été de quatre mois, tandis qu’à Mandvi, Kurachee, elle a duré
deux mois et demi environ. Cela lient assurément à ce que Îles
différents quartiers d’une grande ville représentent autant de
foyers particuliers où l'épidémie subit son évolution régulière
en trois périodes, et à ce qu'il n’y a pas une coïncidence absolue
entre le développement de ces épidémies partielles, bien qu’elles
évoluent presque simultanément.
La période de déclin peut donner lieu aux mêmes observa-
tions touchant l'irrégularité avec laquelle l'intervention de
l'homme se manifeste dans le transport du virus. Générale-
ment cette période de déclin est plus courte que les autres; mais
après la chute de l'épidémie, on observe encore pendant long-
temps des cas isolés.
Ce tableau d’une épidémie dans un grand centre s'applique
également à celles des petites localités, à cela près que le nombre
des cas et la durée sont presque toujours en rapport avec le
chiffre de la population. C'est dans les villages que l’on peut le
mieux remonter aux sources de propagation pour chaque nou-
veau cas, et c’est là surtout que nous avons pu relever avec certi-
tude nombre d'attaques de peste dans des familles qui s'étaient
tenues à l’abri de tout contact avec des habitants de maisons
infectées.
A plusieurs reprises aussi, nous avons noté l'absence de
PROPAGATION DE LA PESTE. 639
causes d'importation du germe par l’homme dans les villages
attaqués.
D’autres agents que l’homme sont donc capables de trans-
porter le microbe de la peste et de disséminer l'épidémie. Ce ne
sont ni l'air, car la localisation du germe infectieux dans l'inté-
rieur des maisons, la propagation capricieuse dans une ville
suivant des itinéraires compliqués, ou l'apparition d’un foyer à
distance du précédent ne s’observeraient pas; ni l’eau, parce
qu'il seraitalors facile de retrouver cette origine pour des groupes
d'individus ou pour des quartiers alimentés par l’eau suspecte.
Il est un animal que les faits observés dans la presque totalité
des épidémies dénoncent comme le propagateur le plus actif de
la peste, c’est le rat.
De toute antiquité, l’on a observé ia connexion des épidé-
mies sur les rats avec les épidémies de peste humaine. Le plus
ancien document où il y soit fait allusion est un chapitre de la
Bible (Savez, livre L, chapitre vi), M. Rocher a décrit en 1881,
dans son livre sur le Yunnam, les épidémies qu'il y a observées, et
a insisté sur la mortalité des rats qui précède dans cette région
la mortalité parmi les hommes. Le fait est si bien connu des
indigènes qu'ils abandonnent leurs villages dès qu’ils constatent
une mortalité inaccoutumée chez les rats. Il en est de même,
d’après le D' Hutcheson, dans le district de Gurwahl, petit foyer
permanent de l'Himalaya; de même aussi à Formose, où le
nom indigène de la peste signifie maladie des rats. Nous avons
observé cetle coïncidence de la peste des rats et de la peste
humaine en 1893, à Long-Tcheou, dans le Quang-Si. Depuis, elle
a été signalée partout où la peste est apparue. Mais c'est seule-
ment après la découverte du microbe spécifique et la démons-
tration de l'identité de la peste du rat et de l’homme par les expé-
riences de Yersin, que l’on a pu établir avec quelque certitude
une relation de cause à effet entre l’une et l’autre.
Cette importante déduction, formulée pour la première fois
par Yersin et Roux‘, n’a point jusqu'à présent trouvé le crédit
qu'elle mérite parmi les autorités sanitaires, puisque, jusqu’en
1898, aucune mesure n’a été édictée nulle part pour se garantir
4. « La peste, qui est d'abord une maladie des rats, devient bientôt une maladie
de l’homme. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’une bonne mesure prophy-
lactique contre la peste serait la destruction des rats. » Acad. méd., 4897, p. 93,
640 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
contre cette source de contagion. Quelques essais partiels sont
faits depuis peu de mois dans deux ou trois villes pestiférées de
l'Inde pourla destruction des rats, essais trop timides pour amener
un résultat efficace. C’est que, jusqu'à présent, la démonstration
précise du rôle néfaste du rat n’a pas été établie.
I ne suffit pas, en elfet, que le même microbe produise chez
l’homme et l’animal une maladie épidémique semblable pour
pouvoir affirmer à coup sûr que l’une dérive de l’autre. Aussi,
parmi les savants qui ont étudié la première épidémie de Bom-
bay, certains, comme Bitter, n’ont admis le rôle du rat dans la
propagation qu'à titre d'exception et comme fait accidentel.
Pour la plupart d’entre eux, l'homme, le linge de corps, la literie,
les substances et objets capables de fournir au microbe un milieu
où il se conserve, constituent les agents à peu près exclusifs de
la propagation.
L'ensemble des observations que nous avons recueillies au
cours des principales épidémies de 1897 et 1898 dans l'Inde nous
paraissent laisser peu de doute sur le rôle prépondérant du rat
dans la dissémination de la peste.
CHAPITRE TI
ROLE DU RAT DANS LA PROPAGATION DE LA PESTE PAR TÉRRE ET PAR MER
Comme celles observées en Chine pendant les années précé-
dentes, toutes les épidémies de peste de l'Inde depuis 1896 se
sont accompagnées d’épidémies de rats qui se sont manifestées
généralement un peu avant, quelquefois au début même de
l'épidémie humaine. Une seule exception à cette règle nous a
été signalée par le professeur Hankin, avec la collaboration
duquel nous avons étudié le rôle du rat dans la dissémination de
la peste. Cette exception s’est produite à Hardwar :
La peste a apparu à Hardwar en avril 1897 et a fait 225 vic-
times parmi les habitants, sans qu’on ait constaté de mortalité
chez les rats. Au voisinage de Hardwar se trouvent les villes de
Kunkhal et de Jawalapour. Au mois de juin 1897 on constate à
Kunkhal une épidémie sur les rats, qui est suivie seulement au
PROPAGATION DE LA PESTE. 641
mois de septembre par une épidémie chez les hommes et chez
les singes. En octobre 1897, on constate la mortalité de quelques
rats à Jawalapour, où des cas de peste humaine suivis de cas de
peste parmi les singes se manifestent seulement en janvier 1898.
À n’en pas douter, les rapports de date entre les épidémies
des rats, des hommes et des singes, dans ces trois villes, pré-
sentent des singularités qui placent cette triple épidémie un peu
en dehors de la règle commune. En ce qui concerne l'absence
de mortalité des rats à Hurdwar, il est permis de ne pas l’accepter
comme un fait absolu, car l'attention des habitants n’a pas été
attirée sur ce point à l’époque du début. D'autre part, nous dirons
plus loin que la peste peut exister parmi les rats sans qu’on
puisse constater leur mortalité, soit en raison du petit nombre de
leurs cadavres, soit parce que la maladie n’est, en certaines
circonstances, pas assez grave pour les tuer. La mortalité des
rats à Kunkhal au mois de juin ne peut guère provenir d’une
autre source que de lémigration des rats de Hurdwar, qui ont
transporté la peste dans la ville la plus voisine, comme cela
s’observe fréquemment.
En général, avons-nous dit, l'épidémie des rats précède celle
des habitants’. La mortalité de ces animaux dans une ville
est à l’origine localisée dans un seul quartier. Or, c’est réguliè-
rement dans le même quartier que débute l'épidémie humaine.
A Bombay, la mortalité des rats a été précoce et très sévère dans
le quartier de Mandvi. À Kurachee, à Karad, nous avons relevé
le même fait. Les premières maisons atteintes sont celles qui
renferment des dépôts de grains ou de substances quelconques
capables d’attirer les rats. C’est en effet dans ces magasins, lieux
de rassemblement pour les rats du quartier, que ceux-ci subis-
sent en grand nombre l’infection apportée par quelqu'un d’entre
eux. Bombay en août et septembre 1896, Karad en juillet 1897
ont présenté des exemples frappants de ce fait. À Kurachee en
mars 1898, la mortalité des rats a été observée dans des entre-
pôts de coton, grains, etc., situés dans une rue où n’existent pas
de maisons habitées. Les premières victimes de la peste ont été
précisément les gardiens et employés de ces entrepôts, qui y
4. Nous avons relevé cette mortalité des rats, prémonitoire de l'épidémie
humaine, non seulement dans les villes, mais aussi dans un grand nombre d:
villages des districts de Bombay, Karad, Mandvi, Mundra.
41
642 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
travaillaient dans la journée et rentraient le soir à leur domi-
cile.
Dans l’esquisse que nous avons tracée de la marche d'une
épidémie, nous avons fait ressortir la grande et soudaine exten-
sion du fléau après être resté confiné quelque temps dans un seul
quartier de la ville. Ce développement subit est lié à l'émigra-
on des rats du foyer primitif. M. Snow, administrateur de
Bombay, a élabli d’une façon très précise que la panique qui a
sévi parmi la population, tout au début de la découverte de Ja
peste dans le quartier de Mandvi, n'a pas été l’occasion de la
dissémination de la peste dans la ville et les villages environ-
nants; mais cette dissémination, qui s'est effectuée plus tard, à
suivi de près l’émigration des rats, dûment constatée par l'en-
quête de ce fonctionnaire. L’épidémie humaine se propagea dans
les directions adoptées par l’émigration des rats non seulement
pour les divers quartiers de Bombay, mais aussi pour les villages
extérieurs. La marche des rats fut déterminée jusqu'aux limites
de File de Bombay à 20 ou 25 milles,
A Kurachee, M. James, le gouverneur de la province du Sind,
a bien voulu nous communiquer les résultats encore plus précis
des enquêtes qu’il a faites à ce sujet. Dans cette ville, dont les
quartiers, en dehors de la vieille cité native, sont très éloignés
les uns des autres, et qui couvre par suite une surface de plus
de 2,000 hectares, la mortalité humaine a suivi d'une façon régu-
hère la voie tracée par l’émigration et la mortalité des rats. Il
est à noter que ces animaux étaient extrêmement nombreux
dans la cité; leur mortalité a été par suite très considérable; nous
avons visité une maison dans laquelle 75 rats avaient été trouvés
morts le mème jour. Dans ce quartier, la mortalité humaine a
été en rapport avec la mortalité des rats.
Il nous paraït indiscutable que quand la peste humaine suit
la route préalablement tracée par l'émigration des rats pesti-
férés, c’est qu’elle dérive de ceux-ci. On ne saurait refuser à ce
fait le caractère d’une preuve matérielle. On comprend d’ailleurs
qu'il ne soit pas toujours possible de l'observer en dehors des
grandes villes.
Des faits particuliers viennent corroborer d’une manière
saisissante cette série de faits généraux : dans toutes les épi-
démies on peut observer des cas manifestes de contagion du rat
Er
PROPAGATION DE LA PESTE, 643
à l'homme. Nous en avons noté un très grand nombre, dont
nous citerons seulement quelques exemples :
Au commencement de lépidémie de Bombay, un nombre
considérable de rats morts furent aperçus un matin dans les
magasins d’une importante filature de coton. Vingt cookies
furent chargés de ramasser et de transporter hors des magasins
ces cadavres; la moitié environ d’entre eux contractèrent la
peste dans les trois jours qui suivirent, tandis qu'aucune des
personnes qui avaient fréquenté ce matin-là le magasin sans
manier les rats ne fut atteinte.
Dans la région du Punjab qui a été infectée, deux villages,
Mahrampour et Chack-Kalal, bien que situés au centre d’un dis-
trict pestiféré, étaient demeurés indemnes jusqu'en avril 1898.
La ségrégation de tous les habitants dans des camps provisoires
fut ordonnée comme mesure préventive et exécutée le 7 avril. A
ce moment, les habitants de Chack-Kalal avaient constaté un
commencement de mortalité des rats, mais aucun cas humain ne
s'était manifesté, et toute la population transportée dans le camp
était entièrement indemne. Le 15 ayril, deux femmes, la mère
et la fille, furent autorisées à se rendre dans le village; elles trou-
vent sur le sol de leur maison vide dés rats morts, et les jettent
dans la rue avant de rentrer dans le camp. L'une et l’autre con-
tractent la peste deux jours après. Un peu plus tard, quelques
autres cas se produisirent à Chack-Kalal, tandis que Mahrampour
demeura plus longtemps exempt d’épidémie.
A Bombay, dans un quartier où les maisons sont isolées et
espacées, nous avons relevé le cas suivant : une famille an-
glaise occupe un bungalow entouré d’un jardin dans lequel
sont situés deux petits bâtiments isolés qui servent l'un d’éeurie,
l’autre d'habitation pour les domestiques. Le 13 janvier 1898, le
cocher, en entrant à l'écurie, y trouve le cadavre d’un rat, le
saisit et le transporte hors de l'enclos. Ce cocher est atteint de
peste bubonique le 16 janvier et meurt en peu de jours. I ne se
produisit pas d’autres cas dans la maison : la désinfection de
l'écurie fut d’ailleurs pratiquée avec soin.
Très nombreux sont les exemples de ce genre où le seul cas.
constaté dans une maison est celui d’un serviteur qui a pris en
main un cadavre de rat, et la plupart du temps c’est dans les
sous-sols, les cuisines ou les écuries que le cadavre a été ren-
644 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
contré. Notons en passant que, dans tous ces cas, la peste apparaît
dans les trois jours qui suivent la trouvaille du rat mort. Quant
aux faits de maisons où la peste saisit Les habitants après que
des cadavres de rats y ont été vus et sans que ces cadavres
aient été maniés par les gens attaqués ensuite, ils sont innom-
brables et démontrent péremptoirement que le contact du rat
n'est pas nécessaire pour la transmission de la maladie, qu’une
maison malpropre, à rez-de-chaussée établi sur le sol nu,
encombrée d'habitants, est particulièrement sujette à êtreinfectée
par les rats, et que l'infection y est pour longtemps enracinée
après que ces animaux y sont morts.
En résumé, la mortalité des rats précède généralement la
mortalité humaine ; la peste éclate chez les habitants du quartier
où eïle a premièrement attaqué les rats : dans les grandes
villes, elle y reste confinée tant que l'émigration des rats n’a pas
commencé; à partir de ce moment, elle se répand dans les
autres quartiers et dans les villages environnants en suivant
les routes adoptées par les rats pestiférés. Le contact direct du
rat mort de peste est fréquemment la cause évidente de la peste
humaine ; ce contact n’est pas indispensable, et il suffit que des
rats soient morts dans une maison pour l’infecter et la rendre
pour longtemps dangereuse à ses habitants.
Parmiles arguments de second ordre, il faut noter que toutes
les causes qui attirent le rat dans les maisons, toutes celles qui
favorisent sa pullulation sont des conditions favorables au
développement de la peste. A Bombay, de tous les marchands,
ceux qui vendent des grains et des farines ont fourni le plus
grand nombre de victimes. A Karad, ils ont été les premiers
atteints. Dans les habitations européennes, la propreté des
appartements, l'isolement des cuisines et des logements de
domestiques sont des conditions peu faites pour attirer les ron-
geurs ; aussi les attaques d'Européens ont été exceptionnelles
dans toutes les villes ; lorsque la peste est entrée dans leur mai-
son, c’est presque toujours dans les dépendances qu’elle a sévi,
limitée au personnel domestique. On à voulu conclure de ce fait
à une certaine immunité de l’Européen vis-à-vis de la peste.
Une observation très simple démontre la fausseté de cette
opinion, c'est que tous les natifs riches, Parsis, Indous, Musul-
mans, qui habitent des bungalows pareils à ceux des Anglais et
RATS
PROPAGATION DE LA PESTE. 645
vivent dans des conditions analogues n’ont fourni nulle part une
proportion d’atteints plus forte que les Européens.
Nous avons envisagé jusqu'ici le rôle du rat à terre seule-
ment, et montré que si l’homme est le plus généralement l'agent
du transport de la peste aux grandes distances, le rat apparaît
comme l'agent ordinaire de la dissémination de proche en proche
dans les villes et dans l’aire d'infection qui s’étend progressi-
vement autour d'elles. Il nous reste à envisager le rôle du rat
à bord des navires. Jusqu'à notre époque on a attribué à l’homme
et aux marchandises toute la responsabilité du transport de la
peste par mer. Les nombreux documents qui nous restent des
temps passés sur cette question ne font point mention de mor-
talité sur les rats à bord des bateaux infectés.
Il est permis de croire que si cette mortalité s’est produite,
elle a été considérée comme chose sans importance, l'attention
des équipages n'étant, aux époques d'autrefois, nullement attirée
sur ce point. D'ailleurs la mortalité des rats, dans les cales de
navires chargés de marchandises, doit souvent passer ina-
perçue. Un certain nombre de faits qui se sont produits depuis
l’arrivée de la peste à Bombay permettent d’admettre que les
rats ont une part active à la propagation du fléau par voie
maritime; nous en citerons deux qui nous paraissent
concluants :
En février 1898,4e paquebot Shanon effectue le voyage de
Bombay à Aden et retour. L'épidémie faisait rage à Bombay à
cette époque, et par suite le bateau eut à subir dans toute leur
rigueur, avant le départ, toutes les mesures de garantie édictées
par la conférence de Venise. Rien d’anormal ne fut remarqué
dans le voyage d'aller ni pendant la relâche à Aden, mais pen-
dant la traversée du retour, des cadavres de rats furent trouvés
dans la cabine du service postal où sont entassés les sacs à
dépèches. Très peu après, l'employé des postes qui travaillait
dans cette cabine fut atteint de peste. Or, cet employé n'avait pu
apporter la peste dans ses effets, ni être préalablement en période
d'incubalion, car 1l avait été embarqué à Aden et ne provenait
point d’un lieu pestiféré. Il n’est pas douteux qu’il ait contracté
la peste dans la cabine infectée par les rats. Il est également
certain qu'une épidémie de rats a sévi sur ce bateau longtemps
après le départ de Bombay, soit que des rats malades aient été
646 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
embarqués dans ce port, soit que les rats du bord aïent contracté
la peste introduite avec les matières embarquées.
Un autre fait est celui du Paina, qui arriva de Bombay à
Kurachee le 26 mars 1898. Ce navire avait subi l'inspection
sanitaire au départ et à l’arrivée, sans que rien de suspect y eût
été signalé. Le jour même de l’arrivée à Kurachee, on trouve à
bord des cadavres de rats; néanmoins le bateau est autorisé à
poursuivre sa route vers les ports du golfe Persique. Le 28 mars,
un cas de peste se déclare sur un matelot, peu après sur un
passager; en 3 ou # jours, elle atteint 5 personnes. On ne peut
refuser d'admettre que la petite épidémie qui à sévi parmi les
hommes n’ait été engendrée par l'épidémie antérieure des rats du
navire. Les rats malades n’ont pu être embarqués à Kurachee
où la peste sévissait alors, carle navire était mouillé en rade à
une grande distance de la terre et n'avait pas pris de charge-
ment dans le port. Mais il est tout à fait probable que pendant le
séjour antérieur d’une semaine dans les docks de Bombay où il
était amarré à quai, le Patna a été le refuge de rats qui fuyaient
le quartier voisin pestiféré et dont quelques-uns étaient déjà
atteints par la maladie.
Deux autres navires, depuis que Bombay est infecté par la
peste, ont présenté des cas humains après avoir relâché dans
ce port. Nous n'avons pu recueillir de détails à leur sujet, et
nous ignorons si la mortalité des rats y a été constatée. Il suflit
que sur 4 faits authentiques de peste sévissant sur des paque-
bots un certain temps après le départ du port infecté, nous
puissions 2 fois, avec une grande certitude, incriminer les rats
de l'avoir introduite à bord, pour attribuer à cette source de
contagion une influence importante dans le transport au loin de
la peste par les navires.
De tous les exemples que nous avons cités comme arguments
en faveur de la contagion par les rats soit à terre, soit à bord,
il ressort que la peste se manifeste chez l’homme à bref délai
après qu'il a été placé dans les conditions voulues pour la rece-
voir de ces animaux. Quand on observe le transport de la peste
par les rats d’un quartier d’une ville dans un autre ou d’une
ville dans un village, il apparaît que l'épidémie humaine suit de
très près l'importation de rats pestiférés. Au contraire, quand on
peut rapporter à l’homme l'introduction de la peste dans une
PROPAGATION DE LA PESTE, 647
ville ou dans un village, il est rare qu'il ne s'écoule pas une
durée assez longue, de 20 à 50 jours, avant que l'apparition des
cas indigènes suive celle des cas importés. Parfois dans la maison
où un malade provenant d’un lieu suspect est mort, il se produit
immédiatement un ou plusieurs autres cas, mais la dissémina-
tion épidémique ne se manifeste que plus tard. Nous en cité-
rons seulement quelques exemples.
Dans le village de Cherra (district de Karad), le premier
décès de peste a été celui d’un fuyard de Karad : il s’est écoulé
ensuite une période de quelques semaines sans production de
cas indigènes : mais pendant cet intervalle on à constaté la mor-
talité des rats dans les maisons voisines de celle où était mort
l’'émigrant de Karad. Dans le même quartier se sont produits
ensuite les premiers cas indigènes.
A Woter, dans le mème district, un malade de Karad est
venu se réfugier dans une propriété qu'il y possédait. Deux cas
de peste se sont produits parmi les gens de la maison voisine
qui avaient eu des relations avec lui, puis il s’est écoulé un
intervalle d'environ un mois après lequel d’autres cas se sont
manifestés dans le village *.
A Maska, village important de l'État de Cutch, une femme
qui avait là sa famille arrive de Kurachee malade de la peste, à
la fin de février 1897. Elle est isolée hors du village, et meurt dans
une hutte où sa belle-sœur était venue la soigner. La belle-sœur
retourne alors dans la maison familiale, elle éprouve dans les
jours suivants les symptômes de la peste pneumonique, et meurt
à son tour. Après elle, 10 membres de la famille demeurant dans
la même maison meurent avec les mêmes symptômes. Jusqu'au
13 mai aucun autre cas de peste ne fut constaté dans le village;
c’est à ce moment que commença véritablement l'épidémie qui
fit 199 victimes de mai à septembre 1897 *.
En confirmation des faits que nous venons de citer, on peut
observer, sur les cartes 3et 4, queles dates des premiers cas impor-
tés et des premiers cas indigènes, dans les villes trop éloignées du
foyer primitif pour qu’on puisse attribuer aux rats le transportdela
peste, sont en général séparées par un intervalle de 3 à 8 semaines.
4: Ces renseignements nous ont été communiqués par le Dr Robertson.
2. Ces renseignements nous ont été communiqués par le D' Mason, avec le
concours duquel nous avons fait dans l'État de Cutch des expériences de séro-
thérapie de la peste.
618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Nous pouvons déduire de ces faits cette conclusion, que la
période de latence, qui sépare les cas de peste importés du début
de l'épidémie humaine, est la période nécessaire pour le déve-
loppement de la maladie parmi les rats. La transmission préa-
lable de l’homme au rat nous apparaît dès lors comme la condi-
tion généralement nécessaire du développement de l'épidémie
humaine, de cette dissémination rapide qui s’observe, à partir
d’un certain moment, dans toutes les grandes villes Re
Des considérations de haute importance découlent de cette
observation. Nous pouvons nous expliquer, en effet, pourquoi la
peste s'étend avec tant de facilité à de courtes distances, en dépit
de tous les obstacles amoncelés sur sa route par les hygiénistes
modernes, tandis qu'à de grandes distances, après l’importation
des pestiférés humains, elle prend difficilement, et l'on peut
dire rarement, son essor. Dans le premier cas, les rats passent
avec le microbe à travers tous les règlements, toutes les inspec-
tions sanitaires dont les rigueurs s'adressent à l'homme seul:
dans le second, :l faut des circonstances favorables qui ne se
rencontrent pas dans la majorité des cas, pour permettre la
transmission de la peste de l’homme au rat, génie ordinaire de
l'épidémie.
CHAPITRE IV
OBJECTIONS FAITES A LA PROPAGATION PAR LES RATS. —— CONTAGION
D'HOMME À HOMME. — INFLUENCE DES SAISONS SUR LE DÉVELOPPEMENT
DE L'ÉPIDÉMIE. — RECRUDESCENCE PÉRIODIQUE
De ce que nous trouvons à chaque pas, dans l’étude détaillée
des épidémies de peste, des arguments en faveur de la propaga-
tion par les rats, il ne s'ensuit pas que le rôle de ces animaux
soit, dans tous les cas, facile à mettre en évidence, ni qu’on ne
puisse dans beaucoup de cas formuler des objections contre leur
intervention.
Établissons tout d’abord que si les rats peuvent être accusés
de répandre la peste dans un centre habité, il s’en faut que
chaque nouveau cas humain relève d’une contagion directe par
ces animaux. Il n’est pas douteux que l'infection des maisons
4 mé
PROPAGATION DE LA PESTE. 649
ne soit en général le fait du passage ou de la mort de rats pesti-
férés dans les appartements ; mais cette infection n’a pas tou-
jours une action immédiate, elle persiste assez longtemps, et les
habitants peuvent en subir les effets bien après que les rats
malades ou morts ont infecté l'habitation. D'autre part, l'infec-
tion d'une maison peut se faire sans le concours du rat, par des
objets infectés provenant d'un lieu suspect ou par l’homme lui-
même. À l'égard de ce dernier, une question se pose : La peste
est-elle contagieuse d'homme à homme?
Si l'on examine ce qui se passe dans les hôpitaux de la
plupart des grandes villes installées à l’européenne, on constate
que les manifestations de la contagion y sont tout à fait excep-
tionnelles. À peine peut-on en citer quelques exemples parmi les
médecins, les gardes et les employés européens qui ont, depuis
deux ans, servi dans les innombrables hôpitaux de pestiférés
dans lInde; ils sont un peu plus fréquents parmi le personnel
indigène, quoique toujours à l’état d'exceptions. Encore, dans
aucun de ces cas, ne peut-on affirmer avec certitude que le con-
tact des malades est la raison de l'attaque plutôt que le séjour
continuel dans un lieu infecté. Nombre de médecins qui ont
servi dans ces hôpitaux se refusent à admettre la contagion de la
peste.
Cependant la contagion (au sens de transmission à l’homme
par la fréquentation d’un pestiféré) est réelle; elle nous a paru
même se produire dans une proportion notable au cours des
épidémies : seulement les hôpitaux installés à l’européenne et
pourvus d’un personnel européen, où on la recherche d’ordi-
naire, sont précisément les endroits où elle se manifeste le
moins.
Pour lobserver, il faut la rechercher dans les hôpitaux
indigènes encombrés, malpropres, où les parquets sont rare-
ment et mal balayés, la literie, le linge des malades rarement
lavés et jamais désinfectés; dans deux villes différentes nous
avons pu relever de nombreux cas de contagion certaine dans
ces hôpitaux. On la trouve aussi dans les maisons pauvres, mal
tenues, trop peuplées, des natifs ; elle y est plus fréquente qu'il
n'est possible de le démontrer, car, pour être démonstratifs, les
faits doivent être observés en dehors de l'existence d’une épidémie
de rats. Celui, cité plus haut, de la transmission à toute une
650 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
famille par une pestilérée venue de Kurachee à Maska fournit un
exemple saisissant de contagion humaine,
L'objection la plus sérieuse formulée contre l'intervention
des rats est celle-ci : la mortalité des rats très généralement
constatée au début de l'épidémie humaine cesse bien avant ja
fin de cette épidémie, et parait souvent de très courte durée.
Il est exact que, dans un foyer de peste, on cesse de trouver
des cadavres de rats alors que l'épidémie est encore rigoureuse
parmi la population. Ce n’est pas à dire que la peste ait cessé de
faire des victimes parmi ces animaux, comme nous l’a montré
une série de recherches sur les épidémies des rats, recherches
poursuivies depuis le mois de juin 1897 à Bombay, à Karad, à
Mandvi, à Mundra et à Kurachee.
Avant que la grande mortalité des rats soit constatée, il n’est
pas rare de découvrir dans les entrepôts de substances comes-
übles quelques cadavres de ces animaux enfouis sous les sacs
ou au fond de leurs trous; un peu plus tard seulement, quand
ils meurent en grand nombre, on rencontre leurs cadavres en
pleine lumière. À ce moment la maladie a une allure suraiguë,
le rat agonisant est pris d’affolement; on le voit sortir en plein
jour de sa cachette, souvent trainant les pattes de derrière,
courir dans les appartements ou dans la rue sans se soucier de
la présence des hommes, des chiens ou des chats, et, bientôt
épuisé, se renverser sur le dos pour mourir.
Cette grande mortalité n’est pas de longue durée, et l’on
n'entend plus, quand elle a cessé, parler de découverte de rats
morts dans la ville, si ce n’est à titre tout à fait exceptionnel.
Mais si, pendant les mois qui suivent, on capture un certain
nombre de ces animaux, on découvre que la peste fait encore
chez eux des victimes. De plus on rencontre parmi eux des indi-
vidus bien portants, entièrement réfractaires à la peste. A Kura-
chee, de cinq rats qui nous ont été apportés de la ville, le
9 mai 1898, deux étaient malades et sont morts de la peste en
cage. Quelques jours plus tard, sept rats furent pris dans une
même maison, dont quatre reçurent des inoculations de culture
virulente de peste; un seul contracta la maladie et mourut en
quatre jours. Les trois autres, conservés et réinoculés un mois
plus tard avec une forte dose de sang de rat pestiféré, montrèrent
PROPAGATION DE LA PESTE. 651
la même immunité qu'ils avaient manifestée contre la culture
du microbe. Au moment où ces animaux ont été capturés, on ne
signalait nulle part dans la ville des cadavres de rats, et depuis
près d’un mois la peste semblait éteinte parmi eux. De même à
Mandvi la mortalité des rats a été observée dans la première
quinzaine de mars 1898, époque du début de la 2° épidémie
humaine, qui a duré jusqu'en août. Le 28 juin, un rat capturé
en ville est mort de peste en cage; le 5 juillet, un rat femelle
nous à été apporté malade, il a avorté le 7, puis s'est rétabli au
bout de quelques jours. Nous l’avons inoculé le 22 juillet avec
le sang d’un rat mort de peste expérimentale sans qu'il en ait
éprouvé le moindre inconvénient; tandis qu’un témoin imoculé
avec la même dose du même sang est mort en 78 heures. Parmi
les nombreux rats capturés dans le mème mois, un troisième
est mort dans notre laboratoire, de peste spontanée. L'inocula-
tion faite avec son sang à quatre autres rats de la ville a donné
la mort à trois, le quatrième a paru malade et s’est rétabli.
On peut donc affirmer que l'épidémie des rats suit une
marche analogue à celle de l'épidémie humaine, qu'après une
période de début où la mortalité est faible et souvent échappe
à l’observation, survient une période aiguë pendant laquelle la
maladie affecte une allure rapide, fait beaucoup de victimes et
se termine fréquemment par une crise qui fait sortir les ani-
maux moribonds de leurs cachettes. A cette période, la panique
survient qui détermine l’émigration de la majorité des rats.
Elle est suivie d'une longue période de déclin caractérisée par
une virulence moindre de la peste : une certaine proportion des
rats atteints alors guérissent et demeurent immunisés; ceux qui
meurent ont une peste d'assez longue durée et une longue ago-
nie pendant laquelle ils restent cachés dans des trous obscurs.
À Karad, en septembre 1897; à Mundra, en novembre 1897;
à Kurachee, en mai 1898; à Mandvi, en juin et juillet 1898; à
Bombay, en août 1898, nous avons dûment constaté l'existence
de la peste parmi les rats jusqu’à la dernière période de l’épidé-
mie humaine, alors que la mortalité des rongeurs n’était plus
observée par les habitants et semblait depuis longtemps arrêtée,
Nous sommes donc fondé à croire que cette cause principale de
dissémination subsiste dans la plupart des foyers de peste aussi
longtemps qu’on observe des cas humains, et à lui attribuer la
652 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
persistance de l'épidémie humaine. Cette cause n’est pas exclu-
sive : toutefois la persistance de l'infection dans les habitations,
la contagion d'homme à homme paraissent jouer un rôle très
secondaire dans la durée des épidémies de peste.
C’est un fait d'observation très ancien, que la peste ne dis-
paraît pas définitivement après une première visite. Au bout
d'une période d’accalmie, pendant laquelle les populations ras-
surées ont regagné leurs foyers, une seconde épidémie se
déclare, parfois aussi intense, parfois plus grave, le plus sou-
vent plus légère que la première. Elle peut être suivie d’autres
épidémies et la région demeurer pestiférée pour un nombre
variable d'années.
Les épidémies de Chine et surtout celles de l’Inde ont per-
mis de constater une régularité remarquable de l'intervalle
écoulé entre le début de deux épidémies successives dans un
même foyer : à Bombay, cet intervalle a été de douze mois, à
Kurachee de treize, à Mandvi de douze. Dans les deux premières
villes la seconde épidémie a été plus grave que la précédente, à
Mandvi, elle s’est montrée beaucoup plus bénigne. À Long-
Teheou nous avons observé, en 1893, l'arrêt de l'épidémie à lar-
rivée de la saison froide et sa reprise au printemps 1894; nous
avions alors rapporté aux influences climatériques la recrudes-
cence annuelle de la peste. Cette opinion qui compte de nom-
breux partisans n’est guère en rapport, ainsi qu'on va le voir,
avec les faits observés dans l'Inde, Comme le climat varie con-
sidérablement dans l'immense étendue du territoire de ce pays
où la peste s’est répandue, nous devrons indiquer sommairement,
pour chaque foyer cité comme exemple, les conditions climaté-
riques dans laquelle l'épidémie s’est produite et renouvelée :
1° Bombay. — 1r° épidémie : Début dans la saison pluvieuse
et chaude, août 1896 à novembre. Maximum dans la saison
fraîche, décembre 1896 à mars 1897. Déclin dans la saison
chaude non pluvieuse, mai et juin 1897;
2 épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres-
pondantes et dans les mêmes conditions climatériques, de sep-
tembre 1897 à juillet 4898.
2 Kurachee. — 1° épidémie : Début dans la saison froide,
décembre 1896 et janvier 1897. Maximum dans la saison fraîche,
PROPAGATION DE LA PESTE. 653
février à avril 1897. Déclin correspondant à l’établissement de
la saison chaude, avril à juin 1897 ;
2e épidémie : Début à la fin de la saison froide, février et
mars 1898. Maximum pendant une saison de chaleur tempérée
en avril. Déclin pendant la saison chaude, mai à juillet 1898.
3° Mandvi. — 1'e épidémie : Début pendant une saison de
chaleur modérée en mars 1897. Maximum pendant la saison
chaude en avril et mai. Déclin pendant la saison chaude, juin et
juillet ;
2e épidémie : Début maximum et déclin aux époques corres-
pondantes en 1898 et dans les mêmes conditions climatériques.
4° Gundiali. — 1'° épidémie : Début en juin 1897 par une
saison chaude et pluvieuse. Maximum en août pendant la même
saison. Déclin pendant la saison iraîche, novembre et décembre ;
2° épidémie : Aucun cas n'a été signalé de janvier à juin 1898.
Vers la fin de juillet, on a constaté la mortalité parmi les rats, et
dans une maison où ont été vus des cadavres de rats, quatre
personnes ont eu la peste. Ge début de la recrudescence s’est
manifesté 13 mois après le début de la 1"° épidémie.
5° Mundra. — 1'° épidémie : Début pendant la saison chaude
et pluvieuse, juillet et août 1897. Maximum pendant la saison
chaude et sèche, septembre-octobre. Déclin pendant la saison
fraiche, novembre et décembre 1897.
On a signalé vers la fin du mois de juillet 1898 quelques
cadavres de rats pestiférés, exactement 12 mois après le début
de la 1'° épidémie. Toutefois, à la date du 1° août 1898, il ne
s'était encore produit aucun cas certain chez les habitants.
6° Hurdwar. — 11° épidémie : Début et maximum pendant la
saison de chaleur torride et sèche, avril et juin 1897. Déclin
pendant la saison chaude et humide, juillet 1897.
2° épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres-
pondantes et dans les mêmes conditions climatériques en 1898 :
1 Kunckal. — 1'e épidémie : Début à la fin de la saison
chaude en septembre 1897. Maximum et déclin pendant la saison
froide, octobre à novembre 1897.
Il ne s’est pas produit jusqu’à présent de recrudescence.
8° Jawalapour.— 1° épidémie : Développée en janvier 1898,
pendant la saison froide, a été très légère et très courte.
Il ne s’est pas produit jusqu'à présent de recrudescence.
654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
90 Karad. — 1'° épidémie : Début en juillet +897 pendant la
saison chaude et pluvieuse. Maximum en août et septembre par
une saison de chaleur modérée et pluvieuse. Déclin en octobre
dans la même saison. Il ne s’est pas produit de recrudescence
jusqu'à présent.
10° Masur. — 1"° épidémie : Début en septembre et octobre
par une saison de chaleur modérée. Maximum et déclin en
novembre et décembre pendant la saison fraîche.
Pas de recrudescence jusqu’à présent.
119 Poona. — 1° épidémie : Début pendant une saison de
chaleur modérée et pluvieuse, août-septembre 1897. Maximum:
et déclin pendant la saison fraîche et sèche, octobre 1897 à
février 1898.
Pas de recrudescence jusqu’à présent.
12° Igatpuri. — 1° épidémie : Début et maximum pendant
une saison de chaleur modérée et de pluies torrentielles, août
à octobre 1897. Déclin pendant la saison fraiche et sèche, novem-
bre et décembre 1897.
Pas de recrudeseence jusqu'à présent.
13° Districts de Jullunder et Hoshiarpour dans le Punjab. —
Cette épidémie, qui a atteint 77 villages dans un territoire d’en-
viron 80 kilomètres de diamètre, a débuté à la fin de la saison
chaude en septembre et octobre 1897; elle a sévi pendant la
saison froide de novembre 1897 à février 1898, puis pendant la
période de chaleur torride et sèche avec une moyenne thermo-
métrique de 40° centigrades de mars à avril 1898. Le déclin
s’est produit pendant la mème période en juin 1898.
I ne s’est pas produit de recrudescence jusqu’à présent, mais
des cas isolés ont continué à se manifester dans quelques
villages.
Nous avons à dessein choisi un certain nombre d'exemples
où, sous un même climat, des villes très rapprochées ont déve-
loppé leur épidémie dans des saisons différentes : Mandvi, Gun-
diali et Mundra; Karad et Masur; Hurdwar, Kunckal et Jawa-
lapour.
De la comparaison des époques de Pannée et des conditions
saisonnières et climatériques dans lesquelles se sont développées
ces diverses épidémies, on peut tirer cette conclusion qu'il my a
pas, pour la peste, dans les limites géographiques où nous
EE, À
te DE |
PROPAGATION DE LA PESTE. 655
l'avons étudiée, de saison mi de climat particulièrement favora-
bles. Nous devons cependant faire une restriction, c’est que
les grandes épidémies de Chine et de l’Inde ont eu, en général,
leur maximum en dehors de la saison la plus chaude de l'année.
Celles qui, comme à Hurdwar en 1897 et en 1898, ou comme à
Calcutta de mai à août 1898, se sont développées pendant une
saison de chaleur torride, ne paraissent pas avoir eu une gravité
en rapport avec l'importance de la population des villes atteintes.
Il n’est donc pas démontré que la grande chaleur de 30° à 40°
ne puisse dans une certaine mesure nuire au développement de
la peste.
Si l'on ne peut reconnaître aux saisons une influence mar-
quée dans le développement de la première épidémie, on ne
saurait davantage attribuer à cette cause la recrudescence qui
apparaît presque mathématiquement à un an d'intervalle.
D'autres causes qui ont été invoquées, telle que le niveau
de la nappe d’eau souterraine, sont en telle contradiction avec
les faits qu’elles ne méritent pas d'être discutées.
La seule explication plausible de la fixité du laps de temps
qui sépare l’évolution de deux épidémies consécutives et du
retour annuel de la peste, c’est encore l'intervention du rat ‘.
Nous avons vu que la durée des épidémies de peste est
variable, plus courte dans les petites villes, plus longue dans
les grandes villes dont les divers quartiers peuvent être atteints
successivement. El s’ensuit que la période d’accalmie qui sépare
épidémie primitive de la recrudescence est très inégale. À
Bombay, elle a duré moins de trois mois en 1897; à Kurachee,
elle a duré sept mois; à Cutch-Mandvi, six mois; à Gundiali,
six mois. À Bombay, pendant les trois mois d’accalmie, il n’a
pas cessé de se produire presque chaque semaine quelques cas
isolés; dans les autres villes citées, on n’a pas signalé de cas
pendant l’accalmie; mais, étant donné la difficulté d'obtenir ces
déclarations des indigènes, on ne peut être certain qu'il ne s’en
soit pas produit de loin en loin. Quoi qu'il en soit, par leurs
relations avec des cenires pestiférés très voisins, ces villes n'ont
pas cessé d’être exposées à une nouvelle infection. On peut en dire
autant de tous les foyers où la peste a sévi dans linde. Il est
4. Cette intervention, croyons-nous, est une des causes essentieiles, mais
non ia seule, des recrudescences de la peste.
656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
très remarquable que, quelle qu'ait été la durée d’une épidémie,
à quelque cause de réinfection que la ville puisse ètre exposée
immédiatement après, la recrudescence attende pour se mani-
fester qu’une période à peu près fixe d’une année se soit
écoulée depuis la première apparition du fléau. Après une
épidémie, le foyer pestiféré jouit jusqu’à la fin de cette période
d'une véritable immunité. Cette immunité n’a rien à voir avec
les conditions climatériques; il est également facile de montrer
qu'elle n’est nullement inhérente à la population et que les
habitants conservent leur sensibilité à la peste; nous sommes
donc conduit à l’attribuer aux rats. Pour nous, l’accalmie est
la période pendant laquelle la peste ne peut, pour des raisons
multiples, sévir épidémiquement parmi les rats.
Nous savons qu’au cours de l'épidémie, une grande partie
de la population des rats meurt, qu'une grande partie émigre,
qu'une certaine proportion de ceux qui restent sont immunisés
par des atteintes de peste non mortelle, qu'une forme bénigne
de la maladie peut continuer à sévir parmi eux sans faire de
nombreuses victimes. Si le rat est réellement, comme nous
avons essayé de le démontrer, le facteur important de l'épidémie
humaine, celle-ci ne pourra recommencer qu'après la repopu-
lation de la ville par des générations nouvelles de rats suscepti-
bles de contracter et de répandre à nouveau la peste virulente.
Des conditions particulières que nous ignorons sont probable-
ment nécessaires pour rendre au microbe la virulence première
et faciliter parmi les rats le retour épidémique précurseur de la
recrudescence chez l'espèce humaine. Notre hypothèse est
corroborée par l'observation très générale de la mortalité des
rats au début et avant la recrudescence comme pour la pre-
mière épidémie.
Pour des raisons que nous exposerons plus loin, nous
n’admettons point une nouvelle infection par le virus conservé
dans le milieu extérieur. Nous croyons que la peste continue
pendant l’accalmie à sévir chez les rats, mais trop atténuée et
d'une manière trop discrète pour qu’ils puissent la transmettre
aux hommes si ce n’est à titre exceptionnel; telle serait l’origine
de la plupart des cas isolés qu’on peut observer durant lac-
calmie.
PROPAGATION DE LA PESTE: 657
CHAPITRE V
RECHERCHES SUR LE MÉCANISME DE LA TRANSMISSION DU MICROBE. —
INSUFFISANCE DE LA THÉORIE DU MICROBE RÉPANDU DANS LE MILIEU
EXTÉRIEUR
Le rôle du rat tel que nous l’avons exposé ne suffit pas à
éclairer tous les points mystérieux de l’histoire de la peste.
Nous avons reconnu un cycle de propagation allant du rat à
l’homme et de l'homme au rat : la propagation du rat au rat
et du rat à l’homme est pour nous le moyen et la condition
des épidémies humaines; la propagation de l’homme au rat,
moins usuelle et sans importance dans le cours du développe-
ment de épidémie, est responsable de la création de nouveaux
foyers aux grandes distances, là où les rats du foyer primitif
n'ont pu transporter le virus. La propagation d'homme à
homme, médiocrement fréquente, ne joue qu'un rôle secondaire
et serait incapable à elle seule de déterminer l'allure épidémique
de la peste.
Ce n’est là qu'une partie du mécanisme des épidémies de
peste animale et humaine. Il nous reste à en étudier le côté le
plus délicat et le plus obscur, le moyen par lequel le microbe
pénètre dans les tissus, passe d’un rat à un autre, du rat à
l’homme, de l’homme à l’homme et de l’homme au rat.
Cette question est celle qui, jusqu’à ce jour, semble avoir le
moins embarrassé les bactériologistes et les cliniciens : en ce qui
concerne l'infection du rat, on admet généralement qu'elle a lieu
par le tube digestif, soit en absorbant du virus répandu par
l’homme ou un animal malade dans le milieu extérieur où il s’est
cultivé, soit en dévorant les cadavres d’autres rats pestiférés.
Pour l'infection de l’homme, diverses théories ont été émises :
Wilm a soutenu l'infection par le tube digestif, que n’a pas con-
firmée l'anatomie pathologique. Depuis les expériences de
Wyzokowitch et Zabolotnie à Bombay, on admet à peu près exclu-
sivement la pénétration par la peau ou par le poumon. Quelque
idée qu’ou se fasse de l’origine du virus dans un lieu contaminé,
42
658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
il paraît y avoir unanimité à accepter que ce virus est répandu
sur le sol et sur les objets, qu'il s’introduit dans le corps humain
tantôt par des excoriations de la peau mises fortuitement en con-
tact avec lui, tantôt par l'aspiration de poussières souillées par
le microbe, qui serait ainsi transporté dans le poumon. Dans le
premier cas, on aurait la forme bubonique ; dans le second, la
pneumonie pesteuse, beaucoup moins fréquente”.
Comme on le voit, ces opinions reposent sur l'hypothèse
principale que le microbe existe dans le milieu extérieur, où il
serait apporté par les excrétions des animaux et des hommes, les
crachats hémorragiques des pestiférés atteints de pneumonie, et
où il se cultiverait et se conserverait plus ou moins pur, suivant
les circonstances.
En faveur de la théorie, on peut alléguer les faits suivants :
4° Les expériences de Wyzokowich et Zabolotnie, prouvant
qu'une très légère excortation faite à la peau avec la pointe d’une
aiguille chargée de microbes virulents suffit pour donner la peste
au singe ; ;
2 L'existence, dans les organes du malade, d'hémorragies qui,
lorsque le microbe est généralisé, lui permettent de passer dans
les excrétions ;
3° La facilité avec laquelle le microbe se multiplie et se con-
serve dans la plupart des milieux de laboratoire ;
4° La persistance de l'infection dans une maison, qui oblige ses
habitants à l’'évacuer après un premier cas.
5° La préférence marquée de la peste pour les maisons obscu-
res, humides, mal aérées et malpropres;
6° La grande susceptibilité de la partie de la population misé-
rable et qui marche habituellement nu-pieds, vis-à-vis de la
peste.
Un examen un peu rigoureux de chacun de ces arguments
permet déjà de s’apercevoir que leur concordance avec la théorie
édifiée sur eux est très superficielle.
En effet, dans la presque totalité des cas buboniques, il est
impossible de retrouver, même tout au début, la trace d’une
exCoriation qui puisse avoir servi de porte d'entrée au virus. Or,
si au laboratoire on pratique l’inoculation avec la pointe d’une
4. Le mode de pénétration du virus pour produire les cas où l’on n’observe
cliniquement ni bubons ni pneumonie, demeure inexpliqué dans cette théorie.
PROPAGATION DE LA PESTE. 659
aiguille qui ne laisse aucune marque durable sur la peau, il n’est
pas possible que, dans la nature, des excoriations accidentelles
capables d'offrir une voie de pénétration au mierobe demeurent
régulièrement invisibles en dépit de minutieuses recherches.
Il n'a jamais été prouvé que les excrétions des malades puis-
sent, au contact d’une plaie, donner lieu au développement de la
peste. Même avec les crachats hémorragiques de la pneumonie
pesteuse, on à beaucoup de peine à produire la peste chez les
animaux par injection sous-cutanée.
Le microbe qui se cultive si aisément sur des milieux purs est
très rapidement détruit par les microbes JARPpErte dès qu'on
abandonne la culture à l'air libre. Il n’y a pas de raison pour
qu'une maison humide et obscure lui off un milieu favorable à
sa conservation, attendu que ces conditions et la température
modérée favorisent encore davantage les microbes saprophytes
qui l’étouffent si aisément.
Enfin, la difficulté de retrouver chez les pestiférés à bubons
inguinaux une ulcération du pied antérieure à la maladie, par où
le microbe ait pu s’introduire, permet de douter de l'importance
pour la contagion de la peste que certains savants ont attribuée
à la marche nu-pieds.
Nous avons effectué une série d'expériences qui confirment
ces critiques et démontrent l'insuffisance des théories en cours.
Expérience E.
Rat n° 1 reçoit à boire une dilution dans l’eau de culture de
peste sur gélose capable de tuer la souris en 58 heures, par ino-
culation en piqüre.
Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie.
Rat n°2 reçoit pendant 3 jours consécutifs, comme seule nour-
riture, le contenu de 3 tubes de la même culture de peste sur
gélose.
Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie".
Souris n° 4 et n° 2, nourries avec le contenu d’un tube de la
même culture de ee sur gélose, n’ont présenté aucun symptôme
1. Hankin a réussi à donner la peste à des rats en leur faisant manger des
cultures très virulentes.
660 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de maladie. La souris n° 2 a été sacrifiée 4 jours plus tard; sa rate
ne contenait pas de microbes de peste visibles ; l'ensemencement
du sang du cœur est demeuré stérile. -
Expérience IL.
Un ensemencement de culture de peste virulente a été fait sur
gélose en boite de Pétri. Cette boîte a été ensuite exposée à Pair
libre, découverte, dans une chambre obscure et humide pendant
48 heures. La gélose était couverte de moisissures et de colonies
de microbes divers, parmi lesquels l'examen microscopique ne
nous à pas permis de déceler celui de la peste.
Rat n° l'a reçu à boire une dilution aqueuse faite avec une
partie du contenu de la boîte.
Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
Rat n° 2 a reçu en injection sous-cutanée une petite quantité
de la même dilution.
Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
Rat n° 3 a été nourri avec le reste du contenu de la boîte de
Pétri.
Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
Expérience IIT.
Rat n° 1 a recu comme nourriture le foie, la rate et le cœur
d’un rat mort de peste spontanée.
Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
Rat n° 2 a recu comme nourriture le cadavre d’une souris
morte de peste expérimentale.
Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
La même expérience à été répétée sur le même rat trois fois
en l’espace de 20 jours avec le même résultat négatif. Au bout
de ce temps, afin de vérifier s'il était Immunisé, il a été inoculé
par injection sous-cutanée avec une culture de peste, et est mort
de peste le 5° jour.
Une souris blanche et une souris grise ont reçu comme nour-
riture de la mie de pain imbibée de sang de rat mort de peste
spontanée.
PROPAGATION DE LA PESTE. 661
Ni l'une ni l’autre ne sont devenues malades.
Expérience IV.
Rat n° 1, inoculé avec la peste, est placé au fond d’un bocal
de verre avec une provision de grains.
Il meurt au bout de 3 jours.
Rat n° 2 est placé dans le même bocal d'où on a retiré le
cadavre du précédent et n’a, pour se nourrir, que les grains
souillés par les excrétions du rat n° 1 et demeurés au fond du
bocal. Au bout de 5 jours il est replacé dans sa cage,
Ce rat n’a manifesté aucun symptôme de peste.
Rat n°3 a reçu à boire du sang du rat n°1 dilué dans un peu
d'eau.
Il a contracté la peste et est mort en 4 jours. Ce rat était
porteur d’une blessure à la lèvre inférieure, faite avec une pince
en fer. Le développement de bubons cervicaux qu'il à présenté
nous permet dadmettre que l'infection a eu lieu par la plaie et
non par le tube digestif.
Expérience V.
Un rat et deux souris ont été nourris pendant 2 jours avec
des boulettes de pâte auxquelles on avait incorporé le contenu
intestinal d’un rat mort de peste spontanée.
Aucun de ces animaux n’a contracté la peste.
Expérience VI.
Rat n° 1 recoit comme nourriture pendant 2 jours une pâte
obtenue en délayant de la farine dans des crachats fortement
hémorragiques d’un malade atteint de peste pneumonique.
Rat n° 2 recoit à boire une dilution dans l’eau de crachats
paneumoniques provenant d’un second malade.
Souris grise n° 1 a été nourrie avec la même pâte que le rat
HT:
Souris grise n° 2 a été abreuvée avec la même dilution de
crachats pneumoniques que le rat n° 2.
Aucun de ces animaux n’a été malade. Les deux rats, âgés de
662 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
deux mois seulement, étaient nés en cage et par conséquent en
pouvaient être immunisés contre la peste.
Expérience VII.
On a recueilli, 7 heures avant la mort, l'urine d’un malade
atteint de peste bubonique. Au bout de quelques heures, le dépôt
de cette urine a été séparé et mélangé à des grains. Un rat et
une souris ont reçu ces grains comme nourriture, Ni Fun ni
l’autre n’ont été malades. L'examen microscopique du dépôt
urinaire ne nous a pas montré de microbe morphologiquement
semblable à celui de la peste.
s
Expérience VIIT.
Souris n° 1 reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de centimè-
tre cube d’une dilution préparée en délayant dans 5 grammes
d’eau 0#,50 de matières retirées de lintestin d’un rat mort de
peste spontanée.
Cette souris est morte en 15 heures environ. L'examen de la
rate n'a pas montré de bacilles morphologiquement semblables
à celui de la peste. L’ensemencement du sang de cœur n’a pas
donné de cultures de peste.
Souris n° 2 (témoin) reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de
centimètre cube d’une dilution préparée avec 0“,50 de déjections
provenant d’un rat sain.
La mort est survenue également au bout de 15 heures.
Souris n° 3 a été piquée à la patte avec une aiguille préala-
blement souillée avec les déjections d’un rat mort de peste
spontanée.
Aucun symptôme de maladie.
Souris n° # a reçu par injection sous-eutanée 1/5 de cen-
üimètre cube d'urine recueillie dans la vessie du même rat mort
de peste spontanée.
Aucun symptôme de maladie.
Souris n° ÿ inoculée par piqûre à la queue avec le sang du
même rat mort de peste spontanée.
Cette souris est morte en 49 heures, la rate était bourrée de
bacilles de peste.
|
L
Ë
|
|
;
27
Lbté À 42°
.
PROPAGATION DE LA PESTE. 663
Expérience IX.
Un singe de grande taille, d’une espèce très sensible à la peste,
a reçu comme nourriture de la mie de pain imbibée de crachats
hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse
mortelle. |
Il n'a manifesté aucun symptôme de peste.
Le même singe a mangé quelques jours plus tard de la mie
de pain imbibée de sang d’un rat mort de peste spontanée.
Même résultat négatif .
Expérience X.
On a fait respirer à un jeune singe du microbe pesteux en
vue de lui communiquer la pneumonie pesteuse *. Voici com-
ment l'expérience à été réalisée.
On jette de la farine sur des cultures de peste en boîte de
Pétri; on renverse ensuite la boîte pour faire tomber la farine
en excès. Il en reste une certaine quantité adhérente à la gélose
et aux colonies. On racle alors la surface de la gélose pour en
séparer les colonies mélangées à la farine, on les recueille dans
un verre de montre et on les dessèche à 38°. Les grumeaux
desséchés sont au bout de quelques heures écrasés et réduits
en poudre. On place cette poudre au fond d’un petit sac d’étoffe
gommée, de forme et de dimensions lelles qu'il puisse être
solidement fixé sur le museau de lanimal à la facon d’une mu-
selière. En agitant le sac quand il est en place, la poudre reste
en suspension dans l’air qu'il contient et pénètre forcément dans
les narines et dans le poumon de l’animal par la respiration.
Le singe n’a manifesté après cette expérience aucun symp-
tôme de maladie.
La même poudre délayée dans l’eau etinjectée à deux souris
les a tuées en 68 heures.
1. Wyzokowitch en 1897 a constaté que le singe ne contracte pas la peste si
on lui fait manger des cultures de peste virulente.
2. Le même expérimentateur a donné la pneumonie pesteuse à un singe par
inoculation de culture virulente dans la trachée.
664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Expérience XI.
Singe n° 1, de l'espèce Semnopithecus entellus particulièrement
sensible à la peste, a eu l’épiderme écorché au niveau du pied
sur une étendue d'un demi-centimètre environ. On à mis au
contact de cette petite plaie des matières excrémentielles reti-
rées de l'intestin d’un rat mort de peste spontanée, et on a main-
tenu ce contact pendant 10 minutes au moyen d’un bandage.
L'animal n'a pas contracté la peste.
Singe n° 2, de la nême espèce. On a recueilli des crachats
hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse;
on les a mélangés avec de la terre provenant du sol d’une maison
indigène, et laissés à l'air libre dans l'obscurité pendant 2% heu-
res. Au bout de ce temps, le mélange a été mis en contact avec
une excoriation faite à la cuisse du singe.
L'animal n’a manifesté aucun symptôme de maladie.
Expérience XII”.
Écureuil (rat palmiste) n° 1 a Sté nourri avec de la mie de
pain imbibée de sang de rat mort de peste expérimentale.
Il n’a pas contracté la peste.
Écureuil (rat palmiste) n° 2 à reçu en injection sous-cuta-
née une goutte de sang provenant du même rat pestiféré.
L'animal est mort de la peste après 3 jours.
Nous nous sommes efforcé d'effectuer ces expériences dans
les conditions les plus semblables à celles où s’accomplirait dans
la nature la transmission de la peste à l’homme et aux animaux,
si les hypothèses admises jusqu'ici étaient fondées. Leurs résul-
tats constamment négatifs nous autorisent à croire que si l’in-
fection du rat est possible par ingestion du microbe très viru-
lent, celle de l’homme et du singe par contact d’excoriations
accidentelles avec des excreta d'êtres pestiférés ou par aspira-
tion de poussières chargées de microbes pesteux, ces faits sont
1. La peste spontanée du singe est connue depuis les épidémies qui ont sévi
sur ces animaux en même temps que sur les hommes en 1897 à Hurdwar,
Kunckal, Belgaum. Nous croyons être le premier à avoir observé la peste spon-
tanée de l’écureuil de l'Inde, dit rat palmiste, commun au voisinage des habita-
tions ; nous l’avons constatée à Kurachee au moi de mai,1898,
PROPAGATION DE LA PESTE. 665
exceptionnels et üifficilement réalisables en dehors du labora-
toire par les moyens de la nature. !
Outre ceux-ci, deux faits importants demeurent inexplicables
par la même hypothèse du virus répandu et se cultivant dans le
milieu extérieur, comme cause ordinaire de l’infection des êtres
vivants : ce sont d’une part l'innocuité des manipulations de
cultures de peste et d'animaux pestiférés au laboratoire ; d'autre
par’, l’inconstance du danger de la transmission par le cadavre
d’un rat pestiféré. Nous les examinerons successivement.
1° Il est d'observation courante, pour tous ceux qui s’occu-
pent de la bactériologie de la peste, que le maniement du mi-
crobe en culture. des animaux vivants ou morts inoculés au
laboratoire ne présente pas de danger. Dans les innombrables
laboratoires où, depuis la découverte du bacille de la peste, on
travaille avec ce microbe, il ne s'est encore produit, à notre
connaissance, aucun accident parmi le personnel exposé jour-
nellement à son contact. Est-il besoin de dire que si la propreté
des bocaux, leur antisepsie, et les précautions individuelles
peuvent être imvoquées pour quelques laboratoires, elles sont
en défaut dans un grand nombre? Nous avons cherché a vérifier
si cette innocuité du bacille cultivé sur des milieux artificiels
relevait, comme on est & priori tenté de le croire, d’une diffé-
rence de virulence entre celui-ci et celui de la peste spontanée :
à cet effet, nous avons employé comme réactif le sérum antipes-
teux préparé par le D' Roux à l'Institut Pasteur de Paris, au
moyen de cultures depuis longtemps entretenues au laboratoire
par ensemencements sur les milieux ordinaires et passages par
des animaux. Le pouvoir préventif de ce sérum était mesuré à
Paris, avant l'envoi, par des expériences sur des souris inoculées
avec le même microbe en cultures qui sert à l’immunisation des
chevaux. Il nous a paru que si les propriétés du bacille étaient
sérieusement altérées pas la culture en laboratoire, on devait
4. Des expériences sur les rats, les cobayes et les lapins, faites avec le concours
de M. le D: Batzaroff, nous ont montré qu'il est facile de donner une peste mor-
telle à ces animaux en déposant sur leur muqueuse nasale et sans l’excorier, un
peu de bacilles pesteux pris sur une culture en gélose ou dans la rate d’un animal
pestiféré. On peut ainsi transmettre la peste d'animal à animal plus sûrement
que par inoculations sous-cutanées. Il serait intéressant de savoir si le mucus
nasal des rats atteints de peste est virulent. Dans le cas où il le serait, ce mucus
ne pourrait-il pas Jouer un rôle dans la contamination des rats.
Note du Dr Roux.
666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
constater une différence dans la réaction vis-à-vis du sérum
entre les animaux inoculés avec cette culture et ceux inoculés
avec le microbe obtenu directement du pestiféré au cours d’une
épidémie.
Expérience LT.
Le sérum employé dans toutes ces expériences, provenant du
cheval n° 31, s’est montré préventif à la dose de 1/40 de cen-
timètre cube contre l’inoculation à la souris de la culture de
peste entretenue à l’Institut Pasteur, et capable de tuer cet animal
en 48 heures environ. L'expérience en a été faite au laboratoire
du D' Roux, avant que ce sérum nous soit expédié dans l'Inde.
Souris n° 1 (témoin) est inoculée avec la sérosité contenant
le bacille pesteux, retirée d’une phlyctène siégeant sur le dos du
pied d'un pestiféré.
Meurt en 56 heures.
Sonris n° 2 (témoin) inoculée avec la même sérosité.
Meurt en 51 heures.
Souris n° 3 reçoit 1/20 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.
Aucun symptôme de peste.
Souris n° 4 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.
Aucun symptôme de peste.
Souris n° 5 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.
Meurt après huit jours; l'examen dela rate ne montre pas de
bacilles pesteux et l’ensemencement du sang du cœur ne donne
pas de cultures de peste.
Souris n° 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité.
Meurt en 55 heures.
Expérience IT.
Souris n° 1 (témoin), inoculée avec le sang du cœur d’un rat
mort de peste spontanée.
Meurt en 49 heures.
Souris n° 2 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation par le mème sang.
PROPAGATION DE LA PESTE. 667
Aucun symptôme de peste.
Souris n° 3 reçoit 1/35 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation par le même sang.
Aucun symptôme de peste.
Souris n° 4 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l’inoculation par le même sang.
Meurt après sept jours.
Souris n° 5 reçoit 1/45 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l'inoculation par le même sang.
Meurt après huit jours.
Souris n° 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une
demi-heure avant l'inoculation par le même sang.
Meurt en 48 heures.
Expérience TIT.
Souris n° { (témoin) inoculée avec le microbe cultivé sur
célose, isolé du sang d’un bubon humain (culture âgée de 3 jours).
Meurt en 50 heures. |
Souris n° 2 inoculée avec la même culture une demi-heure
après l'injection de 1/40 de centimètre cube de sérum.
Aucun symptôme de peste.
Nous avons répété ces expériences avec différents sérums,
toujours avec un résultat analogue. D'une façon générale, à la
dose limite où il s'est montré préventif à Paris, 1l est sujet à
faillir contre l’inoculation du microbe de peste spontanée, mais
il y à toujours survie très longue de l'animal inoculé, et généra-
lement absence de microbes pesteux dans les organes, au moment
de la mort. La différence entre la dose de sérum nécessaire pour
garantir la souris, d’une part contre le microbe d’une culture de
peste, d'autre part, contre le microbe pris dans les tissus d’un
pestiféré, quand l’inoculation de l’un ou l’autre microbe à cet
animal est mortelle au bout d’un mème laps de temps, est telle-
ment insignifiante, qu'on peut considérer comme doués de propriétés
identiques le microbe cultivé, dont la virulence est entretenue artificiel-
lement, et celui qui se multiplie dans le corps des malades en temps
d'épidémie.
Ce n'est pas à dire que la virulence du microbe soit identique
chez tous les êtres vivants, victimes d’une même épidémie ; on
668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
constate au contraire des variations considérables de la viru-
lence d’un homme malade à un autre et d’un animal à un
autre ; .
20 Nous avons cité quelques exemples de contagion indiscu-
table du rat à l’homme. Les faits de ce genre, relativement fré-
quents, sont un des points les plus singuliers de l'histoire de la
peste : qu’un homme trouve sur son chemin le cadavre d’un rat
pestiféré, le saisisse par la queue et le jette au loin; ce contact
de quelques secondes a suffi, l’homme est condamné à la peste
dans les trois jours suivants. En est-il toujours ainsi ? Nullement:
pour un cas semblable, cent fois le cadavre d'un rat mort de
peste aura pu être manié impunément. Il y aurait donc pendant
la même épidémie des cadavres de rats dangereux et d'autres
inoffensifs. Mais si l’on étudie en détail chacun des cas, on
apprend, chaque fois qu'il est possible d'obtenir des renseigne-
ments, que le rat dangereux était mort depuis peu de temps.
C’est en général au matin qu'un cadavre de rat, mort dans la
nuit, est fatal pour celui qui le touche. Nous n'avons pu décou-
vrir un seul cas où un rat, dont la mort remontait à 24 heures,
ait communiqué la peste. Plusieurs cadavres de rats, toujours
datant de la veille, nous ont été procurés par la police en divers
foyers épidémiques; leur manipulation prolongée n'a jamais
produit le moindre accident. I semble doncqu'il y ait une période
de quelques heures, celle qui suit le décès, où le cadavre est
contagieux ; il deviendrait ensuite parfaitement inoffensif, comme
si la substance délétère s'était évaporée. Cette contagiosité sub
tile du cadavre de rat atteint de peste spontanée ne se rencontre
pas, et ce n’est pas un des points les moins importants à noter,
chez le rat conservé en cage dans le laboratoire, que l'on fait
mourir de peste expérimentale. Elle n'est donc pas due à la
souillure de la peau du rat par ses propres déjections, attendu
que le rat mort dans un bocal ne peut éviter cette souillure,
rarement visible sur le rat mort en liberté. On ne s’expliquerait
pas que le pouvoir contagieux, s’il était dû au microbe en cul-
ture sur la peau du rat, fût de si courte durée ; d'autre part, les
expériences faites avec les déjections et l'urine des rats sponta-
nément pestiférés, ne permettent pas de leur attribuer un rôle
aussi puissant dans la contagion. Encore un détail à retenir :
l’homme contaminé pour avoir saisi avec la main le cadavre d’un
PROPAGATION DE LA PESTE. 669
rat n'a pas forcément le bubon axillaire, au moins aussi souvent
il présente des bubons inguinaux.
Les observations et les expériences qui précèdent, nous ont
amené à écarter l'hypothèse de la transmission épidémique de la
peste par le contact de la peau saine ou malade avec le microbe
disséminé à l'air libre dausle milieu extérieur, et à rechercher
s'il est un mode de transmission plus en rapport avec les faits.
CHAPITRE VI
FAITS D'OBSERVATION CLINIQUE EN FAVEUR DE LA TRANSMISSION PARASI-
TAIRE. —— EXPÉRIENCES QUI CONFIRMENT L INOCULATION DU VIRUS AU
RAT ET A L'HOMME PAR LES PUCES
Le contraste frappant entre la difficulté de contaminer les
animaux par le tube digestif et la facilité avec laquelle on déter-
mine la peste chez eux par l'introduction sous la peau de la plus
infime trace de virus suggère naturellement l’idée de rechercher
s'il n’est pas dans la nature de cause susceptible de faire péné-
trer directement le microbe dans la peau saine.
On ne rencontre jamais, chez les animaux atteints de peste
spontanée, de lésion de la peau qu'on puisse soupçonner de
marquer le point de pénétration du microbe. Il n’en est pas de
même chez l’homme.
Les pestiférés présentent dans un certain nombre de cas une
phlyetène, parfois plusieurs, dont la dimension varie d’une tête
d'épingle à la grosseur d’une noix. Cette phlyetène renferme un
liquide, transparent d’abord, qui plus tard devient sanguino-
lent ou purulent. Elle apparaît au commencement de la maladie,
en général avant tout autre symptôme, et dure jusqu'à la fin. Au
début, elle constitue une petite papule dont le milieu est bientôt
soulevé par une goutte de liquide; c’est alors une bulle lenticu-
laire de 2 à 4 millimètres de diamètre, de couleur grisâtre, dont
le contour est marqué par la teinte foncée de l’épiderme épaissi
et enflammé. Dans la majorité des cas, particulièrement dans
ceux qui guérissent, le processus s'arrête là; la phlyetène n’ar-
rive pas à dépasser la grosseur d’une lentille, son contenu
devient trouble, ce qui lui donne l'aspect pustuleux, et, la conva-
670 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
lescence survenant, elle se dessèche et disparait. D'autres fois elle
atteint des dimensions plus considérables et se comporte de la
mème façon. Enfin, dans une partie des cas, la région où elle
siège devient œdémateuse; la phlyctène, arrivée à une dimension
assez forte, se rompt, laissant à découvert une base enflammée
en voie de nécrose, la gangrène s'étend plus ou moins en pro-
fondeur et en largeur et dépasse rarement le diamètre d’une
pièce de cinq francs. On à alors le charbon pesteux, la lésion
qui à valu parfois à la maladie le nom de peste noire (Black
death). Une escharre profonde se forme dans les cas de guéri-
son, tout à fait exceptionnels quand la lésion est arrivée à ce
degré. ;
Un caractère de cette phlyciène est d'être douloureuse
dès le début et de le demeurer jusqu'à la fin de la maladie.
Invariablement la phlyctène s'accompagne de bubon, et le
bubon correspond toujours au siège de la phlyctène : si, au
début de l'examen d’un malade, on constate la présence de cette
lésion sur un membre, on peut être certain d'avance qu’un
bubon existe à la racine de ce membre. Si les phlyctènes sont
multiples et siègent sur des régions différentes, chacune de ces
régions présente des bubons.
I ne faut pas confondre la phlyctène que nous venons de
décrire, et qu'on pourrait appeler phlyctène précoce, avec les
phlyetènes pemphigoïdes ou avec les éruptions pustuleuses qui se
développent parfois au cours de la peste : tandis que la phlyc-
tène précoce apparaît de bonne heure, commence par être une
lésion minuscule, siégeant en une région non œdémateuse où
elle peut devenir plus tard le point de départ d’un œdème, la
phlyctène pemphigoïde se développe en général tardivement et
sur une région préalablement œdématiée: son apparition est
brusque et sa dimension d'emblée considérable; elle se forme
par soulèvement rapide de l’épiderme sur une certaine étendue,
et constitue une grosse bulle le plus souvent citrine, quelquefois
sanguinolente, à la limite de laquelle lépiderme n'est pas
enflammé. Les éruptions pustuleuses constituent un accident de
la convalescence.
Les phlyctènes précoces se manifestent exclusivement sur
des points du corps où la peau est fine et délicate ; on peut en
juger par le tableau suivant qui porte sur 64 observations.
à msn FÉES
PROPAGATION DE LA PESTE. 671
Le siège des phlyctènes à été :
Partie antéro-inférieure du cou.….............., { fois.
HER N EST UUT TE 1, | PRONONCE SERRE ERT<R 1 —
Face interne de l’avant-bras et du poignet....... 2 —
Côtés du frane en dehors du sein.......,....... 1. —
FIANCs 0.7 en Tr Le aotet EMEMRSEMERERERENLEE 3 —
Région lombaire ISiérale en. 2 1... .. 1... 2 —
Côté interne de Id cuisse: 37.4... .. IN ER
Partie postérieure de la cuisse au-dessus du creux
DOUTE RS ET ET ETS CHENE PERS ER 4 —
CHPARIEMEIQUÉEDDUR Pare Eur Le 2 —
Côté interne de la jambe au-dessous de la tête du
LOUE en REP PAR EL ei ee ci PRES RRTAT AT ES Resa
Côté externe de la jambe à la hauteur de la tête
LT De oc, FOR AR I CR RE ARC URE PRES COUR ESP AE 4 —
Mollet au-dessous du creux poplité............. 1 —
Creux rétro-malléolaire interne................ 2 —
Creux rétro-malléolaire externe................ T —
Dépression anté-malléolaire interne............ 5 —
Dépression anté-malléolaire externe............ 4 —
DR PDP DIMINUER RPC CCE EMA TT ECM MEN Sr SEAT 49 —
Commissure dorsale des orteils................ 2 —
Parhedonale des orteils 2722 LAN Ne 4,
Dans ces 61 cas, les bubons ont été constants et leur siège
constamment en rapport avec celui des phlyctènes,
Nous avons fait pour un grand nombre de ces phlyctènes
l'examen microscopique de leur contenu ; nous avons dans tous les
cas, même lorsque leur contenu est devenu purulent, constaté la pre-
sence du bacille de la peste. Quand on fait, aseptiquement et au
début du développement de la phlyctène, la prise de la sérosité,
on y rencontre le bacille de la peste en culture pure : plus tard
l’'ensemencement montre des microbes étrangers concurremment
avec celui-ci.
Les phlyctènes précoces se rencontrent environ une fois sur
20 cas, mais elles peuvent être plus fréquentes dans une épidé-
mie que dans une autre, et à une période d’une épidémie qu’à
une autre.
Quelle est la signification de cette lésion caractéristique?
L'apparition précoce, la présence constante du bacille spécifique
dans le liquide, la corrélation régulière avec les bubons sont des
raisons d'admettre que la phlyctène marque la porte d'entrée
du microbe de la peste.
672 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il s’est produit un fait, dans l’histoire de l'épidémie de
Bombay, qui apporte à cette manière de voir une preuve : c’est
le cas du D' Sticker, membre de la mission allemande venue
à Bombay en 1897 pour étudier la peste. Ce médecin, en faisant
l’autopsie d’un pestiféré, fut piqué à la main par la pointe d’un
instrument ayant servi à l'opération. Un ou deux jours après
apparut au lieu de la piqûre une petite phlyctène qui contenait
le bacille pesteux. En même temps, un bubon se développait à
l’aisselle du même membre, et le D' Sticker éprouvait une atta-
que de peste caractérisée qui, heureusement, se termina par la
guérison.
Le même accident est survenu, en 1894, à deux membres de
la mission japonaise à Hong-Kong ; l’un et l’autre présentèrent
la même lésion au point d’inoculation.
Donc la phlyctène précoce de la peste représente la réaction
locale de l'organisme au point d'entrée du virus. La présence,
maintes fois constatée, de plusieurs phlyctènes développées
ensemble montre que le virus peut être introduit par plusieurs
points simultanément.
L'examen à l'œil nu et à la loupe de la phlyctène et de la
peau avoisinante, pratiqué de bonne heure, ne décèle aucune
trace d’excoriation; si l’on détache l’épiderme soulevé par le
liquide et si on l’examine à un grossissement approprié, on
constate que les couches épidermiques superficielles sont intactes,
et ne portent pas de trace de détérioration antérieure.
On a vu que le siège le plus fréquent des phlyctènes est le
pied : il est à noter qu’on ne les rencontre jamais sur les bords
de la plante, ni sur les parties latérales des orteils, où les exco-
riations accidentelles sont le plus fréquemment observées chez
les gens qui marchent nu-pieds.
Il est démontré que ni le contact du microbe cultivé, mi le
contact du sang d’un animal pestiféré, ou de ses excrétions, avec
la peau saine, ne peuvent, chez l’homme et les animaux, déter-
miner une attaque de peste. C’est donc d’une manière active,
par un agent extérieur, que le virus a été introduit au point où
l’on observe ensuite une phlyctène. Il nous a paru que seule une
intervention parasitaire pouvait être responsable de la pénétra-
tion du bacille pesteux dans la peau saine.
La puce et la punaise sont les deux parasites qu'on peut,
nd 2.
PROPAGATION DE LA PESTE, 673
a priori, Soupçonner de jouer un rôle dans la transmission du
bacille de la peste. Il ne nous a pas été possible de faire des
expériences sur les punaises dont le rôle, s’il est réel, doit être
limité à la transmission d'homme à homme. Nous avons étudié
la contagion des animaux par les puces autant que pouvait nous
le permettre notre installation sous une tente pendant la saison
des pluies dans une ville de l’Inde. Les résultats, encore très
incomplets, que nous avons obtenus confirment l’idée que ce
parasite est le principal instrument de la contagion de la peste
dans les conditions naturelles.
La puce que nous avons rencontrée communément sur le rat
murin (dans l’Inde) est de taille moyenne, de couleur grisâtre,
avec une tache lie de vin sur les faces latérales de l'abdomen;
cette tache n’est autre chose que l'estomac rempli de sang vu par
transparence. Nous ignorons si cette puce est une variété diffé-
rente de celle, couleur ponceau, commune sur l’homme et les
animaux domestiques : toutefois nous nous sommes assuré expé-
rimentalement que, transportée du rat sur l’homme ou sur le
chien, elle les attaque immédiatement.
Si l’on examine un rat depuis longtemps captif au labora-
toire, il est rare qu’on puisse découvrir sur lui des puces : c’est
qu'en effet les laboratoires sont généralement exempts de ces
insectes. Il n’en est pas de même du rat en liberté, qui fréquente
volontiers leurs repaires préférés : pièces obscures, greniers,
magasins à paille et à fourrage. Aussi est-il incommodé par ces
parasites au même titre que le chien ou le chat. Soigneux de sa
personne, 1l ne les tolère pas longtemps sur lui et s’en débarrasse
à l'ordinaire très aisément. Mais vienne la maladie, il néglige sa
toilette, cesse de se défendre ; les puces alors envahissent par
centaines sa fourrure et se sorgent à l’aise de son sang. Nous
avons établi ces faits par des observations répétées : le rat sain,
capturé, présente à peine quelques spécimens de ces parasites;
placé dans un bocal avec des puces, il arrive vite à les détruire.
Au contraire, le rat spontanément pestiféré est, à la fin de la
maladie, généralement couvert de puces qui grouillent dans ses
poils en quantité inouïe.
Yersin a découvert que le microbe de la peste se cultive dans
lintestin des mouches qui l’ont ingéré : il n’est donc pas surpre-
nant que le même fait existe pour les puces. Nous avons prati-
43
74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
qué un certain nombre de fois l'examen microscopique du con-
tenu intestinal des puces recueillies sur les rats spontanément
pestiférés, et dans plusieurs cas nous avons constaté la présence
d’un bacille morphologiquement semblable à celui de la peste. Il
ne nous pas été possible, en raison de l’imperfection de nos
moyens de travail, d'isoler ce microbe en culture ; mais la certi-
tude qu'il s’agit du bacille pesteux nous a été donné par un
examen comparatif : si l’on place des puces sur une souris pesti-
férée, peu avant la mort, et si on examine leur contenu stomacal
après 24 heures, on observe en quantité plus ou moins considé-
rable les microbes qui ont l’apparence de celui de la peste. Ces
microbes n'existent pas dans le contenu stomacal des puces,
de même provenance, qui n’ont pas été mises en contact avec
un animal pestiféré.
Nous avons inoculé à 3 souris des puces provenant de rats -
pestiférés, triturées dans quelques gouttes d’eau : une seule est
morte de peste confirmée au bout de 80 heures, les deux autres
sont mortes l’une après 9, l’autre après 12 jours, sans que nous
ayons pu trouver le bacille pesteux dans leurs organes.
Un rat capturé dans un quartier pestiféré nous ayant paru
suspect de peste, nous l’avons placé dans un grand bocal en
verre, et, après avoir constaté qu'il était porteur d’un petit
nombre de puces, nous avons jelé dans le bocal une vingtaine
de ces insectes provenant d’un chat. Au bout de 24 heures
l'animal paraissait à l’agonie. Nous avons alors placé dans le
bocal, renfermé dans une petite cage de fer dont un seul côté
était grillagé, un rat de petite taille. Le rat malade est mort peu
d'heures après: nous avons retiré son cadavre du bocal seulement
au bout de 36 heures. L’autopsie nous à montré qu'il était
réellement mort de peste spontanée. Le jeune rat mis en expé-
rience a élé laissé dans sa cage et dans le bocal.
I est mort le 5° jour de peste caractérisée.
L'expérience répétée dans les mêmes conditions nous à
donné un succès sur une souris qui est morte de peste en
trois jours, et deux insuccès sur des rats adultes. La dextérité
avec laquelle ceux-ci, pendant que nous les observions, se
défendaient contre l'attaque des puces et les détruisaient en les
mangeant, nous font penser qu’il y a là une raison fréquente
d’insuccès pour l'expérience.
LE ns 2
d dr dés
sc Moi le be à
PROPAGATION DE LA PESTE. 675
Les deux résultats positifs obtenus ne nous semblent pas
pouvoir être attribués à une autre cause qu’à l'infection par les
puces, non seulement parce qu’un grillage séparait l'animal en
expérience du rat pestiféré, mais surtout parce que nous n’avons
jamais réussi à infecter un rat ni une souris en les plaçant au
contact d'animaux inoculés au laboratoire et exempts de para-
sites, Dans un cas, le cadavre, dépourvu de puces, d’un rat mort
de peste spontanée dans la ville de Kurachee, a été laissé pendant
24 heures dans une cage contenant T rats sains, dont aucun wa
contracté la peste.
On ne peut faire que des hypothèses sur la façon dont le
microbe est porté dans les tissus par la puce : on ne s'explique
guère que l’aiguillon souillé de sang puisse conserver longtemps
son pouvoir infectieux, et la puce en ce cas ne serait nuisible
qu'au moment où elle quitte l'animal pestiféré, Mais il est
d'observation facile que la puce, pendant la succion, dépose au
point même où elle est installée ses déjections consistant en une
gouttelette liquide de sang digéré. Dans le cas où ce liquide est
une culture de bacille de la peste, ilest vraisemblable qu'il puisse
infecter l'animal par la perforation béante créée par l’aiguillon.
À l'appui de l'infection par les puces, nous devons rappeler
la coïncidence remarquable du siège des phlyctènes dans les
régions de la peau humaine que ces parasites affectionnent plus
particulièrement.
Nous avons dit que la phlyctène est une lésion inconstante,
presque rare; la raison de cette rareté nous est fournie par
l’expérimentation : quand on inocule la peste à un animal par
piqûre avec une aiguille chargée de microbe très virulent,
aucune réaction ne se manifeste au point d’inoculation ; mais si
l’on emploie un microbe faiblement virulent, on peut observer
parfois une petite réaction locale. Ce fait, signalé par Roux,
concorde avec nos observations cliniques chez l'homme : l’allure
de la peste, dans les cas avec phlyctène précoce, est toujours
bénigne, au moins pendant les premiers jours. Sila terminaison
est très souvent fatale, cela tient à ce que la défense des tissus
contre le microbe est très faible au niveau de la lésion primitive,
où il se cultive aisément. À un moment donné, la région devient
œædémateuse, le derme se nécrose, et la généralisation, toujours
mortelle, se fait par la phlyctène. Comme confirmation de cette
676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
observation, il est à remarquer que, dans les cas à allure très
grave d'emblée et à marche très rapide, la phlyctène précoce
n'existe pas. °
Nous admettons par suite que l’inoculation parasitaire n’est
pas limitée aux cas de peste qui s’accompagnent de phlyctènes
précoces.
L'étude clinique et anatomo-pathologique de la peste, les
expériences concernant la pneumonie pesteuse faites par
Wyzokowitz et par nous-même, laissent supposer qu'il n’y a pas,
dans la nature, comme on l’admet couramment, autant de façons
de contracter la peste que de formes de la maladie; que ces
formes sont en rapport non avec un mode de pénétration spécial,
mais avec le degré de virulence du microbe et peut-être avec le
degré de sensibilité du sujet. On peut ramener à trois formes toutes
les variétés de la peste humaine, la forme à bubons apparents, la
forme sans bubons apparents ni pneumonie, la forme pneumo-
nique. Dans la première, qui est aussi la plus bénigne, la pullu-
lation du microbe est, au moins au début, limitée à un seul ou à
un petit nombre de ganglions lymphatiques superficiels. Dans la
seconde, la pullulation se poursuit dès la pénétration dans le
système lymphatique profond; elle n’est plus endiguée par un
groupe ganglionnaire superficiel, c’est une généralisation lym-
phatique d'emblée.
Dans la 3° forme, le virus arrive du premier coup jusqu'aux
ganglions bronchiques, et de là au tissu pulmonaire. Tant que
ces formes se présentent isolées, il peut sembler naturel de les
rapporter chacune à un mode d'infection spécial. Mais, beaucoup
plus fréquemment qu’on ne l’a encore signalé, elles se pénètrent
mutuellement ; la généralisation lymphatique et surtout la pneu-
monie viennent se greffer sur une forme d'abord simplement
bubonique, due à la pénétration du microbe dans la peau d’un
membre. Or, si le microbe peut, au cours d’une peste bubonique,
arriver au poumon et y développer une pneumonie identique à
une pneumonie primaire, on ne comprend pas pourquoi celle-ci
nécessiterait un mode d'infection particulier. Il est au contraire
conforme à toutes nos connaissances sur les virus pathogènes
d'admettre qu'une réaction régionale, le bubon, se manifeste
après l’inoculation d’un microbe de moyenne virulence. Si ce
microbe est hautement virulent, il peut atteindre, sans résistance
PROPAGATION DE LA PESTE. 677
de l'organisme, les ganglions des organes internes et Le poumon,
lieu de moindre résistance chez l’homme dans la plupart des
maladies infectieuses. Aussi la grande fréquence des pneumonies
et des cas sans bubons est-eile observée à la période des épidé-
mies où l'allure presque foudroyante de la peste dénote une
virulence extraordinaire du microbe. Là est encore l’explication
de ce fait que la guérison, en dehors de la forme bubonique
simple, est extrèmement rare.
Tout en reconnaissant que cette théorie n’a pas encore la
valeur d’un fait démontré, nous croyons que les diverses formes
de la peste spontanée, chez l’homme et chez les animaux, relè-
vent ordinairement d’un seul mode d'infection, l’inoculation
parasitaire intracutanée. La puce paraît être l'intermédiaire
habituel de la transmission ; toutefois, de nouvelles recherches
sont nécessaires avant de pouvoir lui attribuer un rôle exclusif.
En plusieurs cas où noys avons observé la contagion d'homme à
homme de peste pneumonique très grave, il nous à paru que
l'hypothèse de la transmission par les punaisesrépondrait mieux
que tout autre aux détails des faits. Dans l’un de ces cas, plu-
sieurs hommes ont à la fois contracté la même forme de peste
en visitant un camarade, et sont morts moins de six jours après
celui-ci. Le temps et les moyens nous ont manqué pour pour-
suivre cette étude.
Nous ne savons également rien sur les modifications subies
par le microbe dans le corps d’un parasite. La virulence est-elle
augmentée, conservée ou diminuée ? la conservation est-elle de
Jongue durée? Ces questions nécessitent de nouvelles investiga-
tions. Il nous à été impossible de conserver vivantes dans des
flacons plus de trois jours, sans leur fournir l’occasion de se
nourrir sur un animal, les puces provenant des rats. Il nous
semble probable que dans la nature il n’en est pas ainsi; la
durée de la vie de l’insecte, et les conditions dans lesquelles il
demeure dangereux, doivent fournir l’explication de l'infection par
les linges sales et la literie qui proviennent de maisons infectées,
infection connue et redoutée dès l'antiquité. On peut également
soupçonner que l’histoire naturelle des parasites, leur plus ou
moins grande abondance suivant des conditions locales, doivent
jouer un rôle considérable dans la facilité du développement
comme dans la gravité d’une épidémie, et fournir peut-être la
678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
solution du problème incomplètement résolu de la recrudes-
cence.
Dès maintenant nous pouvons nous expliquer la plupart des
points obscurs de l’histoire de la propagation de la peste, sa pré-
dilection pour les maisons mal tenues et encombrées, pour les
rez-de-chaussée, pour la partie misérable de la population,
l'échec constant des désinfections qui s'adressent seulement aux
parquets et aux murailles, l’innocuité des travaux de laboratoire.
Nous comprenons pourquoi le cadavre du rat est à certains
moments très dangereux, à d’autres inoffensif : après la mort du
rat spontanément pestiféré, les puces, au fur et à mesure du
refroidissement, s’écartent de l’épiderme sans quitter le cadavre,
sur lequel elles demeurent pendant plusieurs heures. Que dans
cet intervalle on vienne à toucher ce cadavre, aussitôt elles
l’abandonnent et s’élancent dans toutes les directions : en raison
de leur nombre parfois inouï, il est impossible, si lon saisit le
rat mort avec la main, d'éviter de devenir leur hôte. C’est aussi
là la raison de la gravité de la présence d’un cadavre de rat
dans une mäison pour ses habitants ; les puces qui l'abandon-
nent se répandent sur le parquet, dans les lits, et font immédia-
tement de appartement un foyer d'infection. Nous comprenons
encore comment la contagion d’homme à homme est insigni-
fiante par rapport à celle par le rat ; outre que l’homme atteint de
peste n’est jamais au même degré la proie des parasites, il ne
peut être dangereux que pendant les dernières heures de la
maladie, quand le microbe est généralisé et présent dans le sang
périphérique. C’est là sans doute la raison pour laquelle nous
n'avons jamais pu relever des cas certains de contagion entre
hommes sans que celui qui avait apporté la maladie n’eñt éprouvé
la peste mortelle. Enfin l'absence de parasites dans la literie des
hôpitaux à l’européenne, leur ‘abondance dans les hôpitaux
entièrement livrés aux indigènes expliquent que les cas de conta-
gion, fréquents dans ceux-c1, soient une exception rare dans les
premiers.
Les résultats de nos recherches concernant le mede de péné-
tration du microbe dans les tissus peuvent se résumer ainsi :
4° La transmission de rat à rat, contrairement à l’opinion
générale, ne s'effectue pas par le tube digestif, en dévorant les
animaux pestiférés :
a ERP
PROPAGATION DE LA PESTE. 679
2° Les matières comestibles souillées par les déjections ou le
sang d'un animal pestiféré, ou qui ont subi le contact prolongé
de son cadavre; celles souillées par les excrétions du pestiféré
humain, les crachats pneumoniques, le sang même du bubon,
sont inoffensives pour les rongeurs et les singes ;
30 La cohabitation des rats sains avec des animaux pestifé-
rés, ou avec leurs cadavres dépourvus de parasites, ne suffit
point à leur donner la peste ;
4° La transmission ne s'effectue pas, au moins chez les ani-
maux, par l'aspiration de microbes pesteux avec les poussières ;
5° Les phlyctènes précoces que l'on rencontre chez certains
malades marquent le point d'introduction du virus. Elles siègent
toujours dans des régions exposées aux piqûres des puces ;
6° La transmission à l’homme par le contact des cadavres
frais de rats pestiférés est fréquente, alors qu'un cadavre ancien,
abandonné par les puces, peut être manié sans péril ;
1° La puce qui a absorbé du sang septique sur un animal
pestiféré conserve, pendant une durée encore indéterminée, le
microbe en culture dans le tube digestif, et l’inoculation au rat
du contenu intestinal peut lui donner la peste ;
8° On peut déterminer la transmission de la peste à la souris
ou au rat sains, en les faisant cohabiter avec un rat atteint de
peste spontanée et parasité par des puces, dans des conditions
telles qu'ils ne puissent avoir de contact direct avec ce dernier.
9° La transmission parasitaire du microbe éclaire la plupart
des points encore inexpliqués de la propagation de la peste.
Si imparfaites que soient encore nos connaissances sur la
transmission parasitaire du microbe pesteux, l’ensemble des
observations et des expériences qui la confirment nous paraît
lni constituer une base assez solide pour qu'on doive dès main-
tenant tenir compte de cette cause dans la lutte contre l'invasion
de la peste.
CHAPITRE VII
DURÉE DE L' INCUBATION DE LA PESTE, — PROPHYLAXIE. — CONCLUSIONS
Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de traiter en détail
la prophylaxie de la peste. Nous devons cependant mettre en
relief les indications principales qui se dégagent de la conception
680 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
nouvelle, que nous avons exposée, de la propagation de cette
maladie.
Préalablement, nous essayerons de fixer un point dont la
connaissance importe au premier chef pour l’organisation de la
défense sanitaire, la durée de l’incubation de la peste. Les opi-
nions les plus contradictoires ont été émises à son égard;
aucune ne repose sur une base précise et scientifique; les éva-
luations à 6, 9, 10, 12 jours et plus, données par divers savants,
sont en général déduites de l'intervalle écoulé, pour les cas tom-
bés sous leur observation, entre le départ du foyer pestiféré
d'un individu qui contracte la peste ensuite, et l'apparition des
symptômes. En faisant ce calcul, on oublie que l’homme, en
s'éloignant d’un milieu contaminé, peut emporter avec lui le
germe de la peste par lequel il sera plus tard infecté.
Nous possédons deux éléments pour nous aider à résoudre
cette question : l'expérimentation sur les animaux, et l'observa-
tion des faits pour lesquels nous pouvons retrouver la source
certaine et la date de l'infection.
L'expérimentation sur les animaux sensibles à la peste
montre qu'à la suite de l'inoculation sous-cutanée de culture
virulente ou de sang provenant des bubons de pestiférés, il se
produit une période d’incubation très courte, 10 à 72 heures.
Chez les espèces différentes de singes, la différence de sensibilité
au virus se traduit surtout par une gravité et une durée varia-
bles de la maladie; les écarts sont peu marqués dans la durée
de l’incubation qui ne dépasse pas trois jours. On peut, au
moyen du microbe atténué, communiquer aux rats et aux souris
une forme de peste qui les tue iongtemps après l'inoculation, et
leur laisse jusqu’à une période tardive l’apparence de la santé;
mais si on les sacrifie au deuxième ou au troisième jour, la pré-
sence de cultures dans les ganglions gonflés ou dans la rate
dénotent qu'ils sont en période de maladie et non d’incubation.
L'observation des cas humains dont on peut retrouver l'ori-
gine concorde entièrement avec les résultats chez les animaux.
Nous avons déjà insisté sur les faits de contamination par le
cadavre des rats, si frappants dans leur évidence, où la peste ne
met jamais plus de trois jours à se manifester. Nous pouvons
en citer d’un autre genre, ceux où des individus provenant d'un
endroit sain arrivent dans un foyer épidémique et y contractent
PROPAGATION DE LA PESTE. 681
la peste. Dans un cas, celui d’une femme qui, après un long
séjour dans un village indemne, rentre dans la ville pestiférée
où elle avait sa maison, la maladie a débuté le lendemain, c’est-
à-dire que l'incubation a duré moins de 24 heures. Les cas où
la maladie a débuté dans les trois jours qui ont suivi l’arrivée
dans le foyer sont nombreux. |
Nous citerons un cas de contagion multiple qui paraît s’être
effectuée d’homme à homme sans intervention du rat, et qui,
instructif à beaucoup d’égards, constitue un document précieux
pour l'appréciation de la durée de l’incubation. Un cipaye
musulman, à Kurachee, contracte la pneumonie pesteuse. Douze
de ses camarades, dont il était le supérieur religieux, viennent
assister dans sa maison à ses derniers moments et l’enterrent.
Trois d’entre ceux-ci manifestent les symptômes de la peste le
lendemain de l’enterrement, et quatre autres après deux jours.
Chez aucun des sept, l’incubation n’a dépassé 72 heures.
Nous sommes donc en droit d'évaluer à une durée variant
entre 12 et 72 heures l’incubation de la peste. Si l'on objecte
que, dans les cas humains, c'est à ceux présentant le minimum
de durée d’incubation que nous empruntors nos arguments,
nous répondrons que ceux-là seuls offrent des garanties de
précision, que les exemples d’une courte durée d'incubation sont
trop nombreux et trop nets pour ne pas admettre qu’elle consti-
tue la règle, et que l'expérimentation sur les animaux fournit un
appui solide à cette manière de voir.
A notre avis, toutes les fois qu'on doit tenir compte, pour prendre
une mesure prophylactique, de la durée de l’incubation de la peste, on
doit évaluer cette durée à un maximum de quatre jours.
Pour être efficace, la prophylaxie de la peste doit être métho-
dique, minutieuse et rigoureuse. Les mesures préventives devront
être dirigées : 1° contre les rats; 2° contre les parasites des
rats et de l’homme; 3° contre l’homme provenant d’un milieu
infecté.
La défense contre le rat comprend tous les moyens de le
détruire et surtout de l’éloigner; ces moyens sont faciles à déter-
miner, sinon toujours à appliquer. Nous devons insister sur la
facilité qu’il y a à préserver des rats, et partant de la peste, une
maison bien construite, en y entretenant la propreté et rendant
682 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR,
inaccessibles aux rats, par une fermeture suffisante, tous les
endroits qui peuvent les attirer et les abriter, cuisine, cave, gre-
nier, conduite des eaux ménagères. On peut trouver dans les
épidémies de l’Inde des preuves multiples de cette assertion, et la
plupart des maisons anglaises n’ont pas dû à autre chose l’im-
munité dont elles ont joui'.
À bord des navires, le rat doit être autant qu’à terre l'objet de
mesures rigoureuses d’extermination. Pas un navire ne devrait
être autorisé à quitter un port contaminé sans avoir, après son
chargement fait et sa sortie des docks, subi la désinfection de
ses cales par l'acide sulfureux ou les vapeurs de formol, ou
n'importe quelle vapeur asphyxiante mortelle pour les rats. La
même désinfection devrait être renouvelée au port d'arrivée
avant qu'aucune relation ait lieu du bord avec la terre, sauf le
débarquement des passagers au lazaret.
Les mesures prophylactiques contre les parasites se rédui-
sent à la désinfection par des moyens appropriés de tous les
effets et objets, ainsi que des locaux susceptibles de les ren-
fermer. Le cadavre d’un rat ou d’un autre animal pestiféré ne
doit jamais être déplacé avant d’avoir été inondé d’eau bouil-
lante, ou de toute autre substance capable de tuer instantané-
ment les parasites qu’il peut avoir sur la peau. Quand une maison
est suspecte parce qu'on y à trouvé des rats pestiférés, ou qu'un
cas humain s'y est produit, elle doit être désinfectée au plus tôt :
rien de ce qu'elle contient, y compris les vêtements des habi-
tants, ne doit en sortir avant la désinfection sur place. La
désinfection des locaux dont la fermeture est possible peut être :
effectuée comme à bord des navires au moyen de vapeurs sul-
fureuses ; tout ce qui ne peut subir cette désinfection doit être
passé à l’étuve. L’arrosage à l’eau bouillante des parquets est
un excellent moyen pour la destruction des parasites.
Les mesures qui s'adressent à l’homme forment deux caté-
gories, suivant qu'il s’agit de défense ou de préservation. La
défense contre l'introduction par l’homme de la peste comprend
la quarantaine et la désinfection. La durée de la quarantaine
doit être basée sur la durée de l’incubation de la maladie, &
1. Les bungalows des Européns, dans l'Inde, ont toujours la cuisine, l'office,
les chambres de domestiques dans des dépendances isolées de lhabitation
principale.
PROPAGATION DE LA PESTE, 683
compter du moment où tous les effets de l’homme, y compris ses vête-
ments, auront subi la désinfection. La préservation de homme qui
s’est trouvé exposé à la contagion dans un lieu infecté nécessite
son éloignement du local, après désinfection rigoureuse de ses
vêtements et de tout ce qu'il emporte avec lui. A celle-ci devra
s’ajouter une mesure préventive très importante, la vaccination
par le sérum antipesteux : l’action immédiate et sûre, l’inno-
cuité de cette injection en font une arme puissante contre le
développement de la peste, chez l’homme qui a été exposé
à la contracter. Autant est illusoire la vaccination de toute
une ville soit par le sérum, dont l’action préservatrice ne
s étend pas au delà detrois semaines, soit par les autres procédés
connus jusqu'ici, qui, outre le même défaut, présentent une
inconstance de l'effet préventif et déterminent une réaction
fébrile et douloureuse qui les rendent inacceptables par la popu-
lation, autant la prévention par le sérum appliqué concurrem-
ment avec la désinfection à tous les individus exposés à l’infec-
tion pesteuse sera puissamment efficace pour réduire l'épidémie
humaine. Nous avons institué à Cutch-Mandri, avec le concours
du D' Mason, une expérience de ce genre qui fonctionne avec
succès sous la direction de ce dernier : elle consiste à remplacer
par un isolement de cinq jours, joint à la désinfection et à l'injec-
tion préventive de sérum, la quarantaine de quinze jours préala-
blement imposée aux indigènes provenant de maisons pestiférées.
Les désinfections rigoureuses que nous préconisons ne pré-
sentent pas, comme on pourrait le croire, une grande difficulté
pratique. Il suffit d’exposer pendant quelques heures à une tem-
pérature sèche ou humide de 70° les objets de toute nature, pour
leur conférer la garantie contre la peste par destruction des êtres
susceptibles de contenir le microbe et du microbe lui-même.
Cette température, même très prolongée, est inoffensive pour la
plupart des étoffes et des objets usuels susceptibles d'infection.
On conçoit que la désinfection, à domicile par des étuves mobiles
appropriées, dans les lazarets et hôpitaux au moyen de vastes
chambres construites spécialement pour cet usage, doive sou-
lever beaucoup moins de difficultés que celle nécessitée par
toute autre maladie contagieuse.
De même la désinfection des navires et de leur chargement,
des appartements et de leur contenu mobilier, par l’acide sulfu-
684 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
reux ou une autre vapeur délétère pour les rats et pour les
insectes, offre une grande facilité d'application.
On doit cette justice au gouverment indien de reconnaître
qu'il n’a rien épargné pour maîtriser la peste; le résultat malheu-
reusement n'a pas répondu à tant de dépenses et à tant d'efforts.
De toutes les mesures prises, une seule, la ségrégation, a donné
un succès relatif là où elle a pu être appliquée sérieusement. La
théorie du microbe répandu sur le sol à fait couler à flots dans
les rues et dans les maisons tous les liquides microbicides que
le génie humain a pu inventer. Une expérience de deux années a
montré leur inutilité; si parfois on a pu leur attribuer quelques
bons résultats, c'est lorsque leur usage s'accompagne de léva-
cuation par ses habitants de la maison ainsi désinfectée et de sa
fermeture jusqu’à la fin de l’épidémie.
La ségrégation, c’est-à-dire la mise en quarantaine dans un
camp provisoire des gens qui proviennent d’un lieu suspect,
soit pour se protéger contre l'importation de la peste par leur
intermédiaire, soit pour les soustraire au danger de la contagion,
a été beaucoup pratiquée, parfois avec un succès sérieux.
Il a manqué à cette mesure, pour donner Îles résultats qu’on
peut en attendre, de s’accompagner de la désinfection de tous les
effets introduits dans les camps; aussi voit-on régulièrement
des cas de peste s’y manifester en proportions variables. Voici
par exemple les résultats de la ségrégation, dans un des camps
organisés à Kurachee, que le D' Cox a obligeamment relevés à
notre intention. Ce camp recevait les habitants sains des mai-
sons où l’on découvrait un cas de peste: ils y étaient envoyés le
jour même et y subissaient une quarantaine de 10 jours avant
d’être autorisés à rentrer chez eux. Le tableau suivant indique le
nombre de cas de peste observés parmi ces indigènes par rap-
port au jour de leur quarantaine où ils se sont produits.
Période de l'observation : du 25 mars au 27 mai 1898.
Nombre de personnes admises pendant cette période : 3,975.
Nombre de cas de peste survenus pendant cette période : 115.
Nombre des cas pour chacun des jours de quarantaine :
4er jour (c’est-à-dire jour de l’arrivée)......... 11 cas.
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PROPAGATION DE LA PESTE, 685
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116 — (c’est-à-dire jour du départ du camp)... 2 —
Hotalee 145 —
Ce nombre de 115 cas, soit 3,5 0/0, est certainement infime
par rapport à la proportion de victimes qu'auraient fournies ces
3,975 individus s'ils n'avaient pas quitté sans retard leurs
demeures infectées ; néanmoins on ne saurait s’en contenter.
Nos expériences antérieures de séro-prévention nous permettent
d'estimer que la désinfection, jointe à l’inoculation préventive
de sérum antipesteux, peuvent le réduire à zéro.
Le même tableau est instructif en ce qu'il montre la per-
sistance de la cause d'infection, apportée par l’homme du foyer
originel, en même temps que sa décroissance progressive. Cette
cause, nous l’avons expérimenté dans des ségrégations beau-
coup plus prolongées que celle-ci, persiste bien au delà de
10 jours; nous l'avons vue agir chez des individus qui avaient
depuis 24 jours quitté le milieu infecté.
Nous nous sommes assuré personnellement que, dans le
camp où ces observations ont été faites, aucune autre cause que
l'introduction et la conservation de l’agent infectieux par les
effets des indigènes ne pouvait être accusée des cas de peste
constatés. Il n’en est pas toujours ainsi; les camps très peuplés,
limitrophes des villes et par suite très accessibles aux rats,
peuvent devenir à leur tour des foyers d’épidémie.
Mieux que toute autre, l'étude des camps de ségrégation
démontre l'insuffisance, comme moyen défensif, des mesures de
quarantaine en honneur jusqu’à ce jour. Si elle ne s’accompagne
de précautions contre les rats et d’une désinfection minutieuse,
la quarantaine n'offre, contre la propagation de la peste, aucune
garantie. Si ces mesures sont rendues effectives, la quarantaine
prolongée au delà de la durée de l’incubation est inutile.
CONCLUSIONS
L. — L'étude de la propagation de la peste montre que le rat
et l’homme sont les deux facteurs du transport de la maladie.
686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
L'homme est l'agent ordinaire du transport par voie de terre
aux grandes distances où ne peut atteindre le rat. Le rat est
l'agent du transport de proche en proche ; beaucoup plus redou-”
table que l’homme, il joue le rôle essentiel dans la dissémination
au point qu’on peut le considérer comme la condition du carac-
tère épidémique de la peste.
IT. — L'introduction de rats pestiférés dans un milieu sain
est généralement suivie à bref délai de cas épidémiques chez
l’homme. L'importation de pestiférés humains dans un milieu
sain n’est pas toujours suivi de cas indigènes épidémiques; il
faut, pour qu’elle ait ce résultat, un concours de circonstances
favorables parmi lesquelles la transmission préalable du virus
aux rats semble être la plus importante. Il s'écoule, entre le
décès du cas humain importé, responsable de l'épidémie, et la
manifestation de cette épidémie, une période d’incubation qui
représente le laps de temps nécessaire au développement de la
peste chez les rats.
I. — La gravité d’une épidémie humaine est en rapport
avec la gravité de l'épidémie des rats. Sa progression dans une
ville suit la voie adoptée par l’émigration des rats.
Alors que la grande mortalité a cessé parmi eux, on peut
constater que la peste continue à sévir chez les rats sous une
forme bénigne. Les cas humains dits sporadiques qui se mani-
festent après le déclin de l’épidémie doivent être attribués à
cette cause. La contagion d'homme à homme et la persistance
de l'infection dans les habitations jouent un rôle secondaire
dans la durée, comme dans la gravité des épidémies de peste
humaine.
IV. — Les influences saisonnières sont peu marquées dans le
développement des épidémies de peste. Dans l'Inde, les épidémies
se sont produites en toute saison; toutefois les grandes épidé-
mies ont eu jusqu’à présent leur apogée en dehors de la saison
la plus chaude.
V. — Une 2° épidémie de peste se manifeste en général
12 mois après l’apparition de la 4°, dont elle est séparée par
une période d’accalmie plus ou moins longue. La raison de la
périodicité du retour épidémique n’est pas déterminée; il est lié
au retour épidémique chez les rats et dépend en partie du repeu-
plement de la ville par ces animaux.
PROPAGATION DE LA PESTE. 687
VI. — L’échec des expériences d'infection du rat, du singe
et de l’écureuil (rat palmiste) par les cultures de peste, Le sang et
les organes d’aniniaux pestiférés, mélangés aux aliments,
démontre la fausseté de la tnéorie qui fait de ces moyens une
cause habituelle de la contamination des animaux.
L'observation et l'expérience sont également contraires à
l’idée d’une contamination habituelle de l’homme par le contact
du microbe, répandu dans le milieu extérieur, avec des excoria-
tions accidentelles de la peau.
VIE. — L'étude chimique de la peste apprend que, dans une
certaine proportion de cas humains, le point d’entrée du microbe
est marqué par une réaction locale, la phlyctène précoce, et
toujours situé dans ces cas sur une région où la peau est délicate
et saine. Les travaux de Metchnikof sur linflammation et les
faits chimiques d'infection par d’autres microbes pathogènes
permettent d'admettre que, dans les cas de peste où la réaction
locale (phlyetène) et la réaction régionale (bubon) font défaut,
leur absence est due à la virulence plus grande du microbe et
non à un mode différent de pénétration.
VIE. — L'idée d’une transmission parasitaire qui découle de
l'observation clinique est en rapport avec l’envahissement des
rats malades par les puces qui, quelques heures après la mort,
abandonnent le cadavre pour s’attaquer aux autres animaux et à
l’homme. Elle est confirmée : 1° par la présence du mierobe spé-
cifique dans le contenu intestinal des puces qui ont absorbé du
sang seplique; 2° par certaines particularités de la transmission
du rat à l’homme et d'homme à homme; pour ce dernier cas, il
est possible que d’autres parasites, en particulier la punaise,
interviennent ; 3° par la possibilité de la transmission de la peste
à un rat sain par sa cohabitation avec un rat pestiféré parasité
par les puces, alors que la cohabitation avec le rat pestiféré
dépourvu de puces est constamment inoffensive.
IX, — Le mécanisme dela propagation de la peste comprend
le transport du virus par le rat et par l’homme; sa transmission
de rat à rat, d'homme à homme, de l’homme au rat el du rat à
l’homme, par les parasites. Les mesures de prophylaxie doivent
donc être dirigées méthodiquement contre chacun de ces trois
facteurs : les parasites, l'homme et le rat.
Bombay, août 1898,
Sur l'aggntination et la dissolution des globules rouges par Le sérun -
D'ANIMAUX INJECTÉS DE SANG DÉFIBRINÉ
Par LE Dr Juzes BORDET
(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.)
Dans un article paru en 1895, nous avons appelé l'attention
sur les faits suivants :
1° Le sérum d'animaux vaccinés contre le vibrion cholé-
rique donne lieu, lorsqu'on le mélange à une culture de vibrions
délayée dans un liquide tel que l’eau physiologique ou le bouillon,
à des phénomènes remarquables. Déjà à petite dose il provoque
rapidement l’immobilisation, la réunion en amas, « lagglomé-
ration » des microbes. Si le sérum est fraîchement extrait et
ajouté en dose suffisante à l’émulsion, l'action sur le microorga-
nisme ne s'arrête point là. Les vibrions agglomérés se transfor-
ment bientôt en granules identiques à ceux que M. Pfeifter a
observés chez les cobayes hypervaccinés, dans la cavité péri-
tonéale où il injectait la culture, et que M. Metchnikoff* a pu
produire in vitro en mélangeant, à l’émulsion de vibrions, un
peu de sérum préventif et de l’exsudat péritonéal contenant des
leucocytes. Cette transformation en granules est l'indice visible
d'une action bactéricide intense:
2° Le sérum chauffé à 55° ou conservé depuis quelque temps
a perdu la propriété de transformer le vibrion en granules, mais
il a conservé celle de produire l’agglomération des vibrions.
Cette agglomération est une conséquence constante de la pré-
sence du sérum préventif. Elle peut donc être très accusée dans
un sérum préalablement dépouillé de son énergie bactéricide.
Faisons remarquer ici que M. Fraenkel et Sobernheim* avaient
déjà montré que le choléra-sérum chauffé à 55° ou même à des
températures supérieures (60-70°) perd son pouvoir bactéricide,
mais garde son pouvoir préventif;
4. Les leucocytes et les propriétés actives du sérum chez les vaccinés. Ces
Annales, juin 1898.
2. Ces Annales, juin 1895.
3. Hygienische Rundschau, janvier 4894.
{
AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 689
3° Si à du choléra-sérum préalablement chauffé à de pareilles
températures, et qui par conséquent ne transforme plus les
vibrions en granules, mais est resté agglomérant, on ajoute du
sérum frais d'animal neuf, on restitue au sérum préventif l’inté-
grité de son pouvoir bactéricide, la faculté de produire les gra-
nules. Et cependant le sérum préventif chaulfé se prête bien à la
culture du vibrion, et le sérum d'animal neuf ne jouit que d’un
pouvoir microbicide faible. Les deux constituants du mélange
sont donc isolément peu ou pas bactéricides; associés, au con-
traire, ils agissent sur le vibrion avec une grande énergie. Le
sérum neuf rend donc au sérum préventif ce que la chaleur
avait fait perdre à ce dernier, et il devient incapable d'opérer
une pareille restitution s'il a été lui-mêmeexposé au préalable à
une température de 55°. Chose remarquable, l'addition d’une
quantité très faible de sérum préventif, intact ou chauffé à 55°-60°,
suffit à conférer au sérum neuf une grande activité microbicide,
Nous conclûmes de ces faits que l’intense pouvoir vibrionicide,
tel qu’il se présente dans le sérum des vaccinés, était dû à l’action
combinée, sur le microbe, de deux substances bien distinctes, la
première appartenant en propre au sérum des organismes immu-
nisés, douée du caractère de la spécilicité, capable d'agir même
à dose très réduite, résistant à la chaleur, — les sérums qui la
contiennent ayant aussi la propriété de donner lieu au phéno-
mène de l’agglomération; — la seconde, présente chez les ani-
maux neufs comme chez les vaccinés, destructible à}55°, non
spécifique par elle-même, n’ayant qu'une activité faible quand
elle n’est point associée à la première, mais dont l'énergie se
manifeste très puissamment vis-à-vis des vibrions qui se trou-
vent en même temps au contact de la matière spécifique propre
au sérum des vaccinés. Sans nous livrer, à cette époque, à des
suppositions hypothétiques sur le mécanisme intime suivant
lequel ces deux substances agissent, nous émettions l’idée jque
vraisemblablement la matière spécifique, en immobilisant les
microbes, en provoquant leur réunion en amas, les rend plus
sensibles à l'influence de la substance bactéricide (alexine)
répandue dans le sérum des animaux neufs comme dans celui des
vaccinés.
On comprenait dès lors facilement pourquoi l'injection aux
animaux neufs du choléra-sérum, soit intact, soit préalablement
4 4
690 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
chauffé, a comme conséquence l'apparition, dans Le sérum de ces
animaux, d'un pouvoir vibrionicide spécifique bien accusé. Dans
le corps de l'animal neuf, la substance spécifique rencontre”
l’alexine que cet organisme possédait déjà. Le sérum qu'on
extrait après une semblable injection contient donc les deux
substances dont la présence simultanée est nécessaire pour que
le vibrion soit fortement impressionné, et trahisse l'influence
nocive par sa métamorphose granuleuse.
Cette théorie « des deux substances », relative à l’origine du
pouvoir bactéricide du sérum chez les organismes soumis à
l'injection de choléra-sérum, a trouvé l’année suivante des par-
tisans en MM. Gruber et Durham: nous aurons l’occasion de
revenir prochainement sur cette question et particulièrement sur
certaines objections de M. le professeur Pfeiffer.
D’autres faits s’ajoutèrent bientôt à ceux que nous venons
de mentionner. Au commencement de 1896, M. Gruber et nous-
même reconnûmes que la propriété d'immobiliser les microbes
et de les agglomérer n'appartient pas exclusivement au sérum
des animaux immunisés. Nous constatämes, par exemple, que
le sérum de cheval neuf agglomère très nettement le vibrion
cholérique, le B. coli, le B. typhique, le B. du tétanos. Chez
d’autres animaux, le sérum est agglutinant aussi, mais à un
degré moindre généralement. Cette faculté d’agglutiner, si puis-
sante dans le sérum des vaccinés, se retrouve en quelque sorte
en germe dans le sérum des animaux neufs. En outre, nous
avons attiré l’attention, en 1895 et ultérieurement, sur ce fait
que le sérum d’un animal agglomère généralement les globules
rouges provenant d’un animal d’espèce différente. Même ce
pouvoir se révèle parfois avec une remarquable puissance; c’est
ainsi que le sérum de poule agglomère les globules de rat et sur-
tout de lapin avec une énergie vraiment surprenante. De plus,
on savait depuis longtemps, grâce aux recherches de M. le
professeur Buchner, qu’un sérum donné possède, parfois très net-
tement, la propriété de détruire les hématies appartenant à un
animal d'espèce différente; il en fait diffuser l’hémoglobine et
les rend transparentes ; l’action du sérum de lapin sur les glo-
1. Nous avons fait voir en 4895 que si l’on injecte à un cobaye neuf du sérum
préventif contre le Vibrio Metchnikovi, le sérum de ce-cobaye devient bactéricide
pour le Vibrio Metchnikovi, mais non pour le vibrion cholérique.
2, Ces Annales, avril 4896.
AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 691
bules de cobaye fournit un bon exemple de ce phénomène.
M. Buchner avait montré que l’action d’une température de
55° détruit ce pouvoir globulicide, en mème temps qu’elle abolit
le pouvoir bactéricide du sérum.
On se convainc facilement que ces deux phénomènes d’agglo-
mération et de destruction des globules sous l'influence d’un
sérum d’espèce différente sont provoqués par deux substances
nettement distinctes. Tandis que la substance destructive qui
rond les globules transparents et leur fait perdre leur hémo-
globine se détruit à 55° comme l'avait montré M. Buchner, la
substance agglomérante résiste parfaitement à cette température
(je chauffais les sérums à 55° pendant une demi-heure).
C'est ainsi, pour citer un exemple, que le sérum de poule,
lorsqu'il est frais, agglutine, puis détruit les globules de lapin ;
chauffé à 55°, il les agglomère tout aussi fortement, mais ne les
détruit plus; les hématies gardent leur matière colorante et leur
éclat normal.
C2 LS +
Il y a donc un parallélisme assez frappant entre les modifi-
cations que présentent les vibrions mis en contact avec le cho-
léra-sérum et celles que manifestent les globules rouges sous
l'influence du sérum provenant d’une espèce étrangère. On cons-
tate, dans les deux cas, des actions d'agglomération plus ou
moins énergiques, dues à des matières résistantau chauffage à 55°,
ou même davantage, et l’on observe aussi des influences des-
tructives, nécessitant la présence d’une substance délicate, qu’une
température de 55° élimine. En thèse plus générale, ces analogies
se retrouvent aussi dans de nombreux sérums d'animaux neufs,
puisque la faculté agglomérante, faible il est vrai, y est commu-
nément répandue, tant vis-à-vis des microbes que vis-à-vis des
globules, et qu’en outre les sérums neufs ont généralement une
certaine action altérante et destructive sur les globules comme
sur les microbes délicats : le vibrion cholérique, en effet, peut
présenter, comme on sait, une transformation granuleuse au
moins partielle sous l’action de sérum neuf, lorsqu'il est atténué
et peu résistant (Pfeiffer)
Lorsqu'on vaccine un animal contre le vibrion cholérique!,
4. Nous nous en tenons, dans cet exposé, à l'exemple du vibron cholérique,
bien que la vaccination contre des microbes très divers fasse, on le sait, appa-
692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
on exagère considérablement les puissances agglomérante et
destructive que le sérum de cet animal possédait à l’origine. Eu
raison du parallélisme que nous venons de signaler, en raison
des analogies qu'on observe dans l’action des sérums sur les
globules et sur les microbes, une question se posait. Il fallait se
demander s'il était possible, en injectant à plusieurs reprises, à
des animaux neufs, du sang défibriné provenant d’une espèce
différente, d’exalter le pouvoir agglomérant et la faculté destruc-
tive exercée par le sérum sur des globules identiques à ceux
fréquemment injectés.
L'expérience répond par l’affirmative. Des cobayes reçoivent
dans le péritoine cinq ou six injections successives de 10 €. €.
de sang défibriné de lapin. Ils supportent ce traitement sans
troubie. Au bout de quelque temps on leur retire du sang, et le
sérum obtenu présente les caractères suivants :
1° Mis en contact avec du sang défibriné de lapin, il agglo-
mère les globules avec une grande énergie. Par exemple, une
partie de ce sérum agglomère très fortement les globules rouges
contenus dans 15 parties de sang défibriné de lapin;
2° Les globules d’abord agglomérés par ce sérum présentent
ensuite des phénomènes de destruction rapide et intense. Si
l’on mélange, par exemple, une partie de sang défibriné de lapin
à deux ou trois parties de sérum actif, le mélange devient rouge,
clair et limpide au bout de deux ou trois minutes. Au micros-
cope, on ne voit plus dans le liquide que des stromas de globules,
plus ou moins déformés, très transparents, dépourvus d’éclat et
assez difficilement visibles ;
3° Ce sérum actif de cobaye chauffé à 55° pendant une demi-
heure (ou même vers 60°) perd la propriété de détruire les
globules de lapin, mais il reste puissamment agglomérant ;
4° Si à un mélange de sang défibriné de lapin et de ce sérum
préalablement chauffé à 55°, on ajoute une certaine quantité de
sérum frais de cobaye normal (qui n’a reçu aucune injection
quelconque) ou de lapin neuf, on fait apparaître au sein du
mélange, dans leur intégrité, les phénomènes de destruction. Le
mélange devient limpide et rouge au bout de quelques minutes.
raitre un pouvoir agglomérant énergique. Mais le vibrion cholérique est un réac-
tif de premier ordre pour la substance bactéricide, à laquelle il est exceptionnel-
ement sensible.
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AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES, 693
Chose assez remarquable, l'expérience réussit entièrement si, au
mélange de sang défibriné de lapin neuf et du sérum actif chauffé,
on ajoute du sérum frais du même lapin. Les globules de ce
lapin sont donc devenus sensibles à l’alexine de ce mème lapin,
cela sous l'influence d’une substance agglomérante étrangère et
provenant du cobaye soumis aux injections de sang défibriné ;
5° S'il est vrai que le sérum actif de cobaye perd sa propriété
destructive par le chauffage à 55°, il ne serait pas entièrement
exact de dire que le sang défibriné de lapin, mélangé à un tel
sérum, reste tout à faitintact. Il se fait une destruction d’héma-
ties lente et partielle, il est vrai, mais suffisante pour communiquer
au liquide une teinte rouge plus ou moins accusée. Cela est dû à
ce que le sang défibriné contient non seulement des globules,
mais aussi du sérum chargé d’une certaine dose d’alexine, et
nous venons de voir que l’alexine du lapin neuf agit sur Les glo-
bules du même animal lorsque ceux-ei sont impressionnés par
la substance agglomérante du sérum actif. Mais la proportion
d’alexine contenue dans le sang défibriné de lapin n'est pas
suffisante pour détruire l'énorme quantité de globules présents,
et c’est pourquoi, dans le mélange dont il s’agit, la destruction
des hématies est lente et reste partielle ;
6° Il va sans dire que les phénomènes ci-dessus mentionnés
ne se produisent pas si, au lieu d'employer du sérum de cobaye
traité par des injections fréquentes de sang détibriné de lapin,
on se sert de sérum de cobaye neuf. Le sérum de cobaye neuf
n’est que faiblement agglomérant pour les globules de lapin, et
son action destructive sur ces éléments peut être considérée
comme nulle ;
1° Le sérum actif de cobaye traité n’exerce aucune influence
sur le sang défibriné provenant d'un cobaye neuf. Ilest égale-
ment dénué d’action vis-à-vis des globules rouges de pigeon. Il
agglomère fortement les globules de rat et de souris, mais ceux-ci
sont agglomérésénergiquement aussi par le sérum de cobaye neuf.
Mais le sérum actif est, vis-à-vis de ces derniers globules, supé-
rieur au sérum neuf en ce qui concerne la propriété destructive.
Cependant la destruction qui s'effectue dans un mélange du sérum
actif et de globules de rat ou de souris est considérablement moins
complète et moins prompte que celle des hématies de lapin addi-
tionnées du sérum. Nous nous réservons d'essayer l'influence
694 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
d'un tel sérum sur de nombreuses variétés de globules rouges,
afin de reconnaitre jusqu’à quel point ces phénomènes présentent
le caractère de la spécificité, caractère qui déjà semble s’affirmer
sinon d’une manière absolue, au moins assez nettement, dans les
résultats jusqu'ici consignés ;
8° Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un de nos
cobayes traités (par des injections successives de sang de lapin)
une certaine quantité (2 c. c. par exemple) de sang défibriné de
lapin, les globules introduits sont détruits très rapidement.
Au bout de dix minutes, le liquide qu'on retire de la cavité par
ponction est rouge et limpide.
Lorsque l'injection est faite sous la peau, les globules restent
beaucoup plus longtemps intacts. Lorsqu'elle est faite dans le
péritoine d’un cobaye neuf, ils ne s’altèrent point dans fl'exsudat
et sont finalement englobés par les macrophages;
9° Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un cobaye neuf
du sang de lapin additionné d’une petite quantité de sérum actif
chauffé préalablement à 559, le même phénomène de destruction
des globules se produit ;
10° Le sérum actif, qui jouit d’une énergie si grande vis-à-
vis des globules du lapin, est toxique pour cet animal, ainsi
qu'il fallait s’y attendre. Injecté dans la veine de l'oreille, il tue
à la dose de 2 e. c. environ. Nous reviendrons plus tard sur les
symptômes et les lésions que provoquent ces injections.
Le lecteur aura saisi — sans qu’il soit nécessaire d’y insister
— avec quelle conformité l’histoire du sérum antihématique —
histoire simplement ébauchée dans cette courte note et que nous
avons besoin de compléter beaucoup — est calquée sur celle du
choléra-sérum. Il suffirait, pour que les pages ci-dessus déeri-
vissent dans leurs principaux traits les propriétés de ce dernier
sérum, de remplacer dans le texte les mots « sang défibriné »
par les suivants : « culture de vibrions », et les termes « destruc-
tion des globules » par l'expression « transformation granuleuse
du vibrion ».
Le rapprochement s'impose davantage encore si l’on
considère que l’alexine active vis-à-vis des globules rouges est
très vraisemblablement identique à celle qui transforme le
vibrion en granules. Toutes deux exercent une influence alté-
AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 695
rante intense, toutes deux sont délicates et se détruisent à 550.
Toutes deux présentent ce caractère d’être répandues non seule-
ment dans le sérum, mais aussi dans l’exsudat péritonéal, et
d'être absentes du liquide d’ædème sous-cutané que lon obtient
facilement par compression veineuse : si l'on met en présence,
dans des tubes, des quantités identiques de sang défibriné de
cobaye avec du sérum de lapin, d’une part, — et d’autre part, avec
le même volume de liquide d’ædème provenant du même lapin,
on constate que les hématies de cobaye se détruisent dans le
tube qui renferme le sérum, restent intactes dans celui qui con-
tient le liquide d’œdème.
Celui-ci est dépourvu également de la faculté de produire la
métamorphose des vibrions impressionnés par le choléra-sérum
chauffé à 550.
Que faut-il conclure de l’ensemble de ces analogies ? Il faut
en conclure que les propriétés dont le choléra-sérum est doué
n’ont pas été créées de toutes pièces par l'organisme dans un
but anti-infectieux, si l’on peut s'exprimer ainsi, mais qu’elles
sont dues simplement à la mise en œuvre énergique, contre les
vibrions, de capacités fonctionnelles préexistantes, aptes aussi
à s'appliquer, si les circonstances s’y prêtent, à des éléments
nullement dangereux, tels que les globules rouges. On peut, en
effet, en injectant aux animaux non pas des vibrions, mais deg
corpuseules très différents, incapables de constituer un danger
sérieux pour l'organisme, des hématies, obtenir un sérum agis:
sant sur ces globules exactement comme le choléra-sérum agit
sur le vibrion. Ces propriétés ne sont pas nées spontanément
pour servir à la défense contre le microbe, pas plus que la pha-
gocytose, pivot de l’immunité, ne doit son existence et sa raison
d’être à la lutte contre les virus. L'une des conclusions les plus
hautes qui se dégagent de l’œuvre de M. Metchnikoff est que
limmunité n’est qu'un cas particulier de la digestion intracellu-
laire, une application heureuse et efficace, à la défense de l’orga-
nisme, d’une fonction primordiale qui n’en existerait pas moins
sil n'y avait pas de germes pathogènes à la surface du globe,
mais qui s’est admirablement appropriée, en raison des garanties
de survivance qu’elle donne aux êtres vivants, au rôle protecteur
qu’elle était à même de remplir.
Hluence favorable du chauffage du sérum antidiphtériqne
SUR LES ACCIDENTS POST-SÉROTHÉRAPIQUES
Par M. LE Dr C.-H.-H. SPRONCK
Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’'Utrecht.
Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898
Ce sont les observations de MM. Béclère, Chambon et
Ménard', qui m'ont porté à rechercher l'influence qu’exerce le
chauffage du sérum antidiphtérique sur les accidents post-
sérothérapiques. Ces auteurs avaient observé que le sérum de
cheval normal peut provoquer chez l'espèce bovine des accidents
ayant une étroite ressemblance avec lurticaire, l’érythème mor-
billiforme et les arthropathies qui, dans l'espèce humaine, suivent
parfois l'injection de sérum de cheval immunisé ou non immunisé.
Quatre génisses, ayant reçu sous la peau une quantité de sérum de
cheval équivalente au centième ou cent vingt-cinquième de
leur poids, présentèrent, le quatrième jour après injection, un
exanthème généralisé avec élévation de la température ; l’une
d'elles montra, en outre, des troubles fonctionnels de l’appareil
locomoteur, qu’il paraissait légitime de rattacher à des arthro-
pathies. Or, le même sérum qui provoquait ces accidents,
chauffé pendant 1 heure 3/4 à 58°, injecté à dose équivalenie
chez une cinquième génisse placée dans les mêmes conditions,
ne produisait aucun accident et en particulier aucune éruption
cutanée.
Pour autant qu'on en peut juger par une seule expérience,
MM. Béclère, Chambon et Ménard ont conelu qu'il semblait
donc que la chaleur détruise ou, tout au moins, atténue les
substances nocives contenues dans le sérum de cheval, et ont
fait remarquer qu'on pourrait peut-être tirer parti de leur
1. Étude expérimentale des accidents post-sérothérapiques. Ces Annales,
octobre 1896.
CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 697
constatation pour la prophylaxie des accidents post-sérothérapi-
ques dans l’espèce humaine, à la condition, naturellement, que
le sérum ne perde pas son pouvoir curateur à la température
qui détruit sa propriété nocive. On peut prévoir que les acci-
dents post-sérothérapiques seront un jour évités, probablement
par le « chauffage des sérums; il est au moins légitime de
l’espérer ». C’est ainsi que ces auteurs ont terminé leur commu-
nication.
Or, les résultats obtenus en Hollande avec du sérum anti-
diphtérique, chauffé pendant 20 minutes de 59° à 59°,5, plaident
en faveur de cette espérance et semblent assez intéressants pour
justifier un court aperçu.
Après quelques expériences préparatoires, je me suis arrêté
à la pratique suivante : le sérum recueilli dans des conditions
d’asepsie absolue, sans aucun antiseptique, est réparti asepti-
quement en petits flacons de 10 c. c., fermés avec bouchon et
capuchon en caoutchouc. Ces flacons sont plongés dans de l’eau
froide qu'on amène, en une demi-heure environ, à 58°, et qu'on
maintient pendant 20 minutes entre 59° et 599,5. On retire alors
les flacons de l’appareil et on procède à l’essai de la puissance
du sérum chauffé.
Ce chauffage diminue un peu la puissance antitoxique. Mais
cette diminution est insignifiante. En se servant d’une toxine
plus forte, on arrive d’ailleurs facilement à compenser la dimi-
nution du pouvoir antitoxique résultant du chauffage.
Voici maintenant les résultats obtenus en Hollande avec du
sérum préparé à Utrecht, sous ma direction, en 1895, 1896 et
1897, pour autant et tels qu'ils m'ont été communiqués. Depuis
le mois d'avril 1897, tout le sérum préparé à l’Institut sérothé-
rapique a été chauffé, sauf le sérum des saignées faites en
juillet et août. Le chauffage n’a donc pas été pratiqué pendant
toute l’année 1897, mais pendant 7 mois seulement. On peut
néanmoins admettre que 2/3 environ du sérum délivré en 1897
avaient été soumis au chauffage. Le pouvoir antitoxique du
sérum chauffé était pour ainsi dire identique à celui du sérum
non chaufté.
En 1895 et 1896, sur 1,365 malades traités avec du sérum
non chauffé, 208, soit 15,2 0/0, ont présenté des accidents post-
sérothérapiques.
698 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
En 1897, sur 251 malades injectés, chez 12 seulernent, soit
4,7 0/0, des accidents se sont manifestés.
On voit, d’après ces chiffres, qu'en 1897 le nombre d’acci-
dents post-sérothérapiques, qui dépassait auparavant 15 0/0,
n'atteint plus 50/0. Cette diminution de 2/3 est d'autant plus
remarquable que de la totalité du sérum délivré en 1897, 2/3 envi-
ron avaient été chauffés.
Il est donc probable que parmi les malades chez lesquels se
sont manifestés des accidents, il y en à qui ont subi desinjections
de sérum non chauffé. Mais ce n’est qu'une hypothèse, vu que
les numéros que portaient les flacons de sérum utilisés n’ont
pas été notés.
Décomposons maintenant la statistique d'ensemble et exami-
nons les deux hôpitaux, dont les directeurs, MM. les docteurs
Kniper et Kousser, ont eu la bienveillance de me communiquer
régulièrement les résultats de la sérothérapie dès 1895. Voici un
tableau se rapportant à ces hôpitaux, et permettant de comparer
les quantités de sérum injecté par sujet, le nombre d’accidents
post-sérothérapiques et la mortalité d’une part en 1895 et 1896,
d'autre part en 1897.
£ o 2 l _ =
© 2 |, 8 | ACCIDENTS | NORTALITÉ
HOPITAUX z SERUM 8£ |Eg-u| S
4 Æ d Les
£ 2*|5$88| 5 | 00 | £ | 0
= ds Eu ea
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EE EEE = 7 ARE AE TR RE ten
Wilhelmina- 1895 ) ;
ffé..| 22 5 L 22 46 | 2
Gasthuis 1896 j Non chante 0 116,7 €. c. 7 se 16 | 20,9
à : :
Amsterdam. 1897 | Chauffé pour
les 2/3.....| 103 [18,1 — 9 Sal 1 AONE
St-Elisabeths- | 1895 ;
Gasthuis 1896 ç Non chauffé.,| 62 [22,9 — | 49 | 49,3 | 44 | 46,1
à =
Haarlem. 1897 | Chaufté pour
les 2/3... CÉM EUR ANR PAP EN TOR DE:
1895 )
1896 Non chauffé..| 282 1198 — 69 24,0 57 18,5
Totaux.
Chauffé pour
4897 les 2)8. 008 106 = nel NE) 1
CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 699
Comme l’on voit, à l’hôpital Wilhelmina-Gastbuis d’Ams-
terdam, en 1895 et 1896, sur 220 malades ayant reçu du sérum
non chauffé, il y a eu 50 cas d'accidents post-sérothérapiques,
soit 22,7 0/0. En 1897, sur 103 malades traités, 9 ont présenté
des accidents, soit 8,7 0/0.
A l'hôpital de Haarlem, la diminution des accidents est beau-
coup plus notable.
En 1895 et 1896, sur un total de 62 malades injectés, 12 cas
d'accidents, soit 19,3 0/0 furent notés. En 1897, sur 95 fmala-
des traités avec du sérum chauffé, on n'en compta que 2,
soit 2, 1 0/0.
Sur un total de 282 malades ayant reçu dans ces deux hôpi-
taux le même sérum non chauffé, le pourcentage des accidents
s'élevait à 21.
Sur un autre de 198 malades traités avec du sérum chauffé
pour les 2/3, ce pourcentage est réduit à 5,4 0/0.
Comme les statistiques, entre autres celle publiée par
M. Wirtz et moi, prouvent que les accidents post-sérothérapi-
ques sont d'autant plus fréquents que la quantité de sérum
injecté est plus grande, il faut voir si en 1897 les doses adminis-
trées avaient été moins fortes qu'auparavant.
Or, notre tableau prouve que les quantités movennes de
sérum injectées par sujet ont été, en 1897, pour ainsi dire les
mêmes qu'en 1895 et 1896.
M. Bujwid : pense que le sérum contient une substance
nocive, lorsque la saignée est pratiquée à une époque trop rap-
prochée de l'injection de la toxine.
Pour prévenir les exanthèmes, etc., il conseille de ne saigner
les chevaux que 15 jours au plus tôt après la dernière injection
de toxine. Or, à Utrecht, la période entre la dernière injection
de toxine et la saignée a varié de 10 à 20 jours, aussi bien en
1895 et 1896 qu’en 1897. En 1897, cette période en général a
même été plus courte qu'auparavant ; pour ne pas perdre du
temps, les 4 derniers mois de cette année, les saignées ont été
faites régulièrement le 11° jour.
A l’appui de l’opinion que la chaleur détruit les substances
nocives contenues dans le sérum, je puis encore citer l'obser-
4. Buswin, Kann das Diphtherieheilserum schädlich wirken ? Prseglad Le-
karski, 1897, n° 6. Deutsche med. Wochenschr., 1898. Litteratur-Beilage, n° 5, p. 82.
700 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
vation suivante faite à l'hôpital de la ville de Rotterdam. Dans
un court délai, on a vu se produire à cet hôpital dix cas d’acci-
dents post-sérothérapiques, après qu’on avait fourni à cet hôpi-
tal du sérum non chauffé préparé en juillet et août 1897. Le
médecin traitant les diphthériques, M. le D' Langemeyer, qui
ignorait que le sérum n’avait pas été chauffé, était si surpris de
voir éclater des accidents chez plusieurs enfants, qu’il me com-
muniqua les noms des malades ayant présenté de l’exanthème,
ainsi que les numéros des flacons employés pour ces malades.
Or, en comparant ces numéros avec les livres de l’Institut séro-
thérapique, on constata que le sérum injecté dans ces dix cas
n'avait pas été chauffé et provenait de quatre chevaux diffé-
rents.
D'autre part la statistique prouve que le sérum antidiphtéri-
que chauffé n’est pas moins curateur que le sérum non chauffé.
En 1897, la mortalité a même été moindre qu’en 1895 et 1896.
À l'hôpital Wilhelmina-Gasthuis d'Amsterdam, elle s'élevait en
1895 et 1896 à 20,9 0/0 ; en 1897 elle n'était que de 10,6 0/0.
A l’hôpital de Haarlem, la mortalité en 1895 et en 1896 attei-
gnait 16,1 0/0 ; en 1897 elle était de 15,7 0/0. Dans ces deux
hôpitaux, en 1895 et 1896, la mortalité a été de 18,5 0/0, en
1897 de 13,1/0.
Je reconnais que les résultats mentionnés ne sont pas abso-
lument probants, vu que dans les différentes statistiques le pour-
centage des accidents post-sérothérapiques est très variable.
Mais les faits observés viennent à lappui de l'opinion de
MM. Béclère, Chambon et Ménard, que la chaleur détruit ou au
moins atténue les substances nocives du sérum, et légitiment
sans aucun doute la continuation de l’expérience, qui de suite a
donné des résultats si favorables. Je me propose donc de la pour-
suivre et j'espère qu’on instituera des recherches analogues
dans d’autres pays.
PRÉPARATION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE
SUPPRESSION DE L'EMPLOI DE LA VIANDE
Par M. ce D' C.-H.-H. SPRONCK
Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’Utrecht.
(Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898.
En me basant sur des recherches faites dans mon laboratoire
en collaboration avec M. van Furenhoudt, j'ai fait remarquer, en
1895!, que le glucose empèche le bacille diphtérique de produire
sa toxine dans les milieux de culture. Je conseillais à cette
époque de faire usage d’une viande, bœuf ou veau, qu'on avait
laissé vieillir au préalable, d'employer une peptone (2 0/0) ne
contenant pas de glucose, d’ajouter au bouillon, exactement
alcalinisé par le carbonate de soude, et additionné de 0,5 0/0 de
sel marin, une petite quantité de carbonate de chaux. Dans ce
milieu restant constamment alcalin, nombre de bacilles diphté-
riques poussent abondamment et produisent en peu de jours, sans
aération artificielle, des toxines dont 1/10 ou 1/20 de centimètre
cube tue le cobaye de 500 grammes dans les 48 heures.
Peu après la publication de ce procédé, des lettres m'ont
appris que l'emploi de bouillon de viandes conservées jusqu’à
la putréfaction rendait de réels services dans plusieurs labora-
toires, où on avait éprouvé auparavant beaucoup de difficultés
à préparer une toxine puissante. Ensuite, M. Louis Cobbett:
et M. Martin * ont mis en lumière l’avantage de l’emploi d’une
viande légèrement putréfiée,.
M. Nicolle‘, au contraire, a conseillé, pour obtenir delatoxine
forte, l'usage de viande d’un animal récemment abattu. M. Mar-
tin est d'accord avec lui sur ce point, et croit que cela tient à ce
que la viande fraîche ne renferme que du glycogène, qui ne
modifie pas la réaction du milieu.
4. Sur les conditions dont dépend la production du poison dans les cultures
diphtériques. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, p. 758.
2. Contribution à l’étude de la physiologie du bacille diphtérique. Annales de
l'Institut Pasteur, 1897, p. 251.
3. Production de la toxine diphtérique. 74, 1898, p. 26.
4. Préparation de la toxine diphtérique. /d, 1896, p. 333.
102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Enfin, M. Thorvald Madsen’ a obtenu des résultats très irré-
guliers, tant avec des viandes fraîches qu'avec des viandes con-
servées pendant plusieurs jours.
Je n’ai jamais rencontré de difficultés en me servant d’une
viande ancienne, dégageant une légère odeur. Il faut remar-
quer que depuis 1894 je travaille avec le même bacille diphté-
rique, bien habitué à vivre en dehors de l'organisme, donnant
une abondante culture dès les premières 24 heures, et formant
à la surface un voile très épais: les cultures étaient dans un
parfait repos, n'étaient jamais transportées ou secouées.
Mais le point le plus difficile, c’est sans doute de fixer le
point auquel il faut arrèter la putréfaction de la viande, et
c’est à juste titre que M. Martin objecte que je n’avais pas donné
de règles fixes, que j'avais simplement indiqué que cette putré-
faction devait détruire les sucres de la viande.
C’est pourquoi M. Martin à modifié et simplifié mon procédé.
Sur le conseil de M. Roux, il ajouta tout d’abord de la levure à
la macération de viande et porta le tout à l'étuve à 35°. Mais
on trouva qu'il suffit de placer la macération de viande pendant
20 heures à 35° pour obtenir un bouillon qui, ensemencé avec le
bacille diphtérique, ne donne jamais d'acide.
Tout comme MM. Roux et Martin, j'ai essayé de différents
moyens pour simplifier mon procédé. J’ajoutai entre autres à la
macération de viande fraîche de la levure de commerce, et j'étu-
diai l'effet de la fermentation à différentes températures. En
faisant ces expériences, j'ai été bien surpris de constater que la
levure est capable de favoriser la production de la toxine, même
si l'addition de la levure à la macération n’a lieu qu'au moment
de la cuisson, de sorte que toute fermentation était exclue.
Il semblait donc intéressant de rechercher si une simple
décoction de levure se prêterait à la production de la toxine.
Les résultats de ces essais ont dépassé mon attente.
Après quelques expériences comparatives, je me suis arrêté à
la méthode suivante qui, depuis plusieurs mois déjà, m'a donné
régulièrement d'excellents résultats.
.
Je me sers de levure de commerce, non de levure de brasse-
rie. Un kilo est délayé dans 5 litres d’eau et on fait bouillir pen-
dant 20 minutes en agitant constamment avec une spatule. Puis
= P
4. Zur Biologie des Diphteriebacillus, Zeitschrift für Hygiene u. Infections-
krantheiten. Bd. 26, 1897, p. 157.
TOXINE DIPHTÉRIQUE SANS VIANDE. 103
on verse la décoction dans un ou plusieurs vases cylindriques et
on laisse reposer pendant 24 heures.
La levure se sépare, laissant au-dessus d’elle un liquide louche
qu'on décante. A ce liquide légèrement acidulé on ajoute par litre
5 grammes de sel marin et 20 grammes de peptone Witte de
Rostock ; on neutralise avec de la soude, et on ajoute encore par
litre 7 c. c. d’une solution de soude normale. On chauffe ensuite,
on filtre sur papier, répartit dans les matras et stérilise à 4120.
Pour être sûr du résultat, il est important de ne se servir
que d’une peptone de Witte provenant directement de Fa fabrique
de Rostock, car il existe dans le commerce des peptones dites
Witte qui ne proviennent pas de cette fabrique et donnent des
résultats très variables.
Si la levure est additionnée de fécule, on a beaucoup de dif-
ficulté pour obtenir un liquide de culture limpide. De préférence
je me suis servi d'une levure, dite Koningsgist, de la fabrique de
M. van Marken à Delft. Mais bientôt cependant j’observai qu'il
est absolument superflu de filtrer sur papier. L'emploi d'un
liquide louche ne nuit pas à la production de la toxine, et les
cultures filtrées sur papier donnent un liquide limpide.
Le milieu de culture, composé comme je viens de l'indiquer,
m'a fourni régulièrement des toxines plus actives que le bouillon
préparé avec de la vieille viande. Le même bacille diphtérique,
dont je me sers depuis des années, m'a donné des toxines 20 fois
plus fortes, depuis que j'ai remplacé le bouillon par la décoction
de levure. Les cultures placées à l’étuve à 35° poussent très
bien en voile et restent constamment alcalines.
Je conserve mon bacille toxigène sur du sérum solidifié de
Loeffler ; après 24 heures de culture à 35°, les tubes sont re-
tirés de l’étuve et gardés à l'abri de la lumière. Chaque fois
que je désire préparer de la toxine, je rajeunis d’abord la cul-
ture. À cet effet, j'ensemence d’abord sur du sérum coagulé;
c'est de cette nouvelle génération que je transporte une anse de
platine dans un tube à essai contenant 10 €. c. environ de la
décoction de levure peptonisée, et je cultive de nouveau à 35° en
inclinant fortement le tube. Après 24 heures la surface du
liquide est couverte d’un voile épais, dont je me sers pour
l’'ensemencement d’une quantité de matras, en déposant à la
surface du liquide, disposé en couche d’une épaisseur de
704 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
5 centimètres environ. La pellicule de bacilles flotte à la surface,
pousse rapidement et recouvre toute la superficie dans les 24 heu-
res. Les matras restent dans un parfait repos.
La production de la toxine est très rapide. Après 48 heures
j'obtiens une toxine tuant dans les 48 heures le cobaye de 500
grammes à la dose de 1/20 de centimètre cube. Au bout de 5 à
6 jours le liquide de culture semble avoir atteint son maxi-
mum de toxicité. Il tue le ne de 500 grammes à la dose de
1/200 de centimètre cube, soit 0 c. e. 005.
L'emploi de notre décoction de re pour la production de
la toxine n'amène chez les chevaux aucun inconvénient. La
filtration des cultures par une bougie Chamberland est absolu-
ment superflue. En filtrant simplement sur papier, après addi-
tion de 3 c. c. d'acide phénique par litre, la toxine obtenue est
absolument limpide et se conserve très bien. J’ai remarqué qu'il
est très important que l'addition d'acide phénique ne dépasse
pas 3 c. c. par litre. En ajoutant davantage on s'expose à voir
se développer chez les chevaux des abcès stériles que, sans
doute, tous ceux qui s'occupent de la préparation du sérum
antidiphtérique ont eu l’occasion d'observer.
C'est donc sans aucune réserve que je puis conseiller de
supprimer complètement l'usage de viande fraîche ou fermentée
et d'employer dorénavant notre décoction de levure, dont les
avantages sont, en résumé, les suivantes :
1° Le bacille diphtérique y pousse rapidement et abondam-
ment, formant à sa surface un voile blanc, excessivement épais ;
2° Le milieu reste alcalin, lalcalinité augmente rapidement
et la production de la toxine est rapide et régulière ;
3° En employant la même peptone, en cultivant sous des
conditions identiques, le même bacille diphtérique produit dans
la décoction de levure une toxine beaucoup plus forte’que’dans
le bouillon de viande fermentée ;
4° Un kilo de levure de commerce, ne coûtant que 70 centi-
mes environ, donne 5 litres de toxine ; la viande est 5 fois plus
chère et ne donne que 2 litres par kilo ;
5° Enfin l’avantage de la suppression d’une viande conservée
jusqu'à putréfaction, puante, fermentée au hasard par des mi-
crobes divers, est si évident, qu'il est superflu d’insister.
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux, — Imprimerie E, Charaire,
me ANNÉE : NOVEMBRE 1898 No 41
[ES
19
ANNALES
L'INSTITUT PASTEUR
LA PROPAGATION DE LA PESTE
Par E.-H. HANKIN
Bien qu'en général la peste ne paraisse pas se répandre avec
autant de facilité que le choléra, elle peut occasionnellement
devenir endémique dans des pays ordinairement exempts de ce
fléau.
J'ai figuré (tracé n° 1) les épidémies qui ont eu lieu à Londres
et aux Indes pendant trois siècles ‘. Pour les épidémies de Lon-
dres, les hauteurs des ordonnées indiquent les nombres annuels
des morts par peste, tels qu'ils existent dans les « bills of mor-
tality » depuis le commencement du dix-septième siècle et au-
delà. On ne possède pas de rapports exacts pour les périodes
antérieures. Beaucoup d’épidémies de peste ne sont connues
dans l’histoire que par cette simple mention : la peste était si
violente à Londres qu'il devint nécessaire de transférer le par-
lement et les cours de justice à la campagne. Ces épidémies sont
désignées dans le diagramme par des lignes ponctuées qui s’élè-
vent jusqu'à une mortalité de 2,000. Pour une autre catégorie
d’épidémies, il est certain que la maladie s’est propagée de Lon-
dres aux autres parties de l'Angleterre. Ces dernières, encore
plus violentes sans doute, sont indiquées par des lignes ponctuées
représentant une mortalité de 10,000. IL est probable que dans
bien des cas ces chiffres sont au-dessous de la réalité. Depuis
l'introduction de la peste, en 1347, jusqu’à la « Grande Peste
de Londres », en 1665, il y a eu une épidémie violente de peste
1. Les données de ce tableau, relatives à Londres, ont été puisées dans « His-
tory of Epidemics in. Great Britain », publié par l’University Press, Cambridge,
1891. Ce livre contient beaucoup de renseignements intéressants sur la peste.
45
706 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
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Tracé ne 1.
En haut, épidémies de peste à Londres pendant trois siècles.
En bas, épidémies de peste aux Indes pendant trois siècles.
PROPAGATION DE LA PESTE. 707
à Londres, en moyenne, une fois tous les quinze ans. Des épidé-
mies moins importantes avaient lieu plus fréquemment. Le fait
leplus remarquable indiqué par le diagramme est la soudaineié
de l'extinction de la peste.
Les dernières épidémies sur lesquelles il existe des rapports
approximativement exacts augmentent progressivement de
virulence. La dernière de toutes est la plus sévère qu'ait rappor-
tée l’histoire. On supposa que l'extinction en a été due à l'incendie
de Londres de 1666. Mais Creighton ‘ observa que les dernières
apparitions de la peste commencèrent dans les faubourgs de
Londres et se développèrent de là dans la ville. Ces faubourgs
n'ont pas été touchés par le feu. De plus, quelques cas de peste
ont été observés à Londres annuellement jusqu'à l'an 1679. La
disparition de la peste a eu lieu à cette époque environ, non seule-
ment à Londres, mais aussi dans les autres parties de l'Angleterre
ainsi qu'en Europe. Il est impossible d'attribuer cette disparition à
l'amélioration de l'état sanitaire. L'extinction de la peste fut
soudaine, l’amélioration de l’état sanitaire graduelle. Quelles
que fussent les causes inconnues, défavorables au développe-
ment du virus de la peste, qui se manifestèrent à cette époque,
il n’y a pas de raisons positives pour supposer qu'elles existent
encore, car, depuis cette disparition, la peste a été importée de
nouveau dans quelques parties de l’Europe qui étaient alors libé-
rées de ce fléau. Comme exemple nous pouvons citer l'épidémie
de Marseille, en 1720, qui fut une des plus considérables.
Le diagramme indique aussi que pendant les trois siècles en
question au cours desquels, pour la seule ville de Londres, des
épidémies sérieuses se sont développées si fréquemment, il n'y
a eu, aux Indes, que deux apparitions certaines. On peut citer :
celle qui eut lieu sous Le règne de l’empereur Mogol Iehan-
agir, de 1611 à 1618, et une autre en 1683, qui éclata dans le
district d'Ahmedabad et qui dura six ans. Dans les notes jour-
nalières de l’empereur Ichangir, il y a un récit minutieux des
effets de la première de ces épidémies à Agra. Il rapporte le cas
d'un rat malade qui fut tué par un chat appartenant à la fille du
propriétaire de la maison : une esclave qui enleva le cadavre du
rat fut la première atteinte, ensuite la fille citée plus haut, puis
la mère de cette jeune fille, et enfin tous les autres membres de la
4 ZLoc..cit,
708 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
S
famille. Ce récit est exactement semblable, en effet, à l’histoire
de plusieurs familles pendant l'épidémie actuelle à Bombay.
Voici la description qu’il donne, en 1618, de l’épidémie d’Agra.
« La mort noire ou peste fait des ravages à Agra. Une cen-
taine de décès sont relevés chaque jour. Un gonflement apparaît
au cou, dans l’aine ou dans l’aisselle, et la victime meurt rapide-
ment. Pendant ces trois années dernières, la maladie a causé
beaucoup de morts pendant l'hiver ; mais, au commencement de
l'été, l’'épidémiea cessé, pour apparaître de nouveau dès l’approche
des premiers froids. Il est étonnant que pendant ces trois
années, bien que la maladie fût épidémique dans la banlieue
d’Agra, Fatehpur-Sikri n’ait pas été affecté ‘. »
Plus loin il dit :
« On a observé que ceux qui furent atteints étaient invaria-
blement ceux qui avaient porté de l’eau aux malades ou ceux
qui s'étaient trouvés en contact avec eux. Bientôt la terreur fut
telle que personne ne voulait s'approcher des pestiférés, et qu’on
les abandonnait pour mourir ou recouvrer la santé selon leur
destin.»
En plus des apparitions certaines de la peste aux Indes que
nous venons de mentionner, Le diagramme indique par des lignes
ponctuées trois épidémies qui se manifestèrent également
aux Indes, et paraissent avoir différé des maladies ordinaires
au pays : mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de la peste. En
1399, une épidémie eut lieu dans les districts qui furent ravagés
par le conquérant musulman Timur, elle y fit de grands ravages.
En 1443, une épidémie éclata dans l’armée du sultan Ahmed I.
L'historien Ferishta dit que c'était une maladie très rare aux
Indes, et il lui applique le terme «taun », mot fréquemment
employé actuellement par les habitants de Bombay pour désigner
la peste. En 1590-1594, une famine éclata, qui, d’après ce qu'on
rapporte, fut suivie d’une pestilence. Finalement, après la fin de
l’époque dont nous parlons, la famine qui éclata en 1718 fut mar-
quée par de nombreux cas de mortalité, qui, selon l’opinion de
quelques-uns, furent causés par la peste.
Quelques faits relatifs à la dernière histoire de la peste aux
Indes sont indiqués dans la carte n° 2. Cette carte ne prétend pas
1. Réunion de palais construits par le roi Okbar, située à 23 milles anglais
d'Agra.
PROPAGATION DE LA PESTE, 109
à une exactitude rigoureuse, car il m'était impossible de
découvrir les limites précises des territoires affectés par les appa-
ritions différentes, mais elle montre l’étendue relative des sur-
faces atteintes par les épidémies enregistrées aux Indes pendant:
un siècle. Voici un bref récit de ces apparitions : :
1° L'apparition à Gujerat, de 1812 à 1821.
Cette épidémie éclata sur l'ile de Kutch et se répandit lente-
ment dans les districts voisins de Kathiawar, d’Ahmedabad, de
Radhanpur et dans quelques parties du Sindh. Elle s’étendit
cependant avec une telle lenteur qu’elle mit quatre ans pour tra-
verser la courte distance de Kutch au district prochain de Kathia-
war. D’après les rapportsofficiels, l’épidémieaurait été importée,
avec du coton, de Kutch dans la ville de Dholera, en Kathiawar.
Le docteur Whyte dit que dans chaque ville elle se manifesta
d’abord sous la forme pulmonaire: elle ne présenta qu’ensuite la
forme bubonique. Dans les villes de Vankaneer et de Sayla,
presque tous ceux qui furent atteints étaient « Bohoras », caste
dont l'occupation était de fabriquer la toile de coton. Les maga-
sins de coton cru aux Indes sont généralement infestés par les
rats qui se nourrissent des graines du coton. Si le coton est débar-
rassé des semences, il n’attire plus les rats etne joue pas de rôle
spécial dans la propagation de la peste.
2° La peste de Pali, de 1836-1837.
Cette épidémie commença dans la ville de Pali, qui à cette
époque était le principal centre commercial entre Gujerat et
l'Inde centrale.
Les premières personnes atteintes appartenaient à une caste
connue sous le nom de « Chippis ». Leur métier était d'imprimer
sur la laine importée de la côte et de Gujerat. Six cent soixante-
cinq d’entre eux moururent. Ensuite les Brahmins et les Maha-
jans furent frappés et, finalement, les habitants en général.
Il est à noter que les Brahmins ainsi que les Mahajans sont
des castes dont les membres sont très soucieux de la propreté.
Les Mahajans, au moins, sont généralement opulents. Ils tra-
fiquent des grains, et leurs maisons sontconséquemment infestées
par les rats. On rapporte que, sur 12,000 habitants, 8,000 sur-
vivants s’enfuirent pris de panique dans les villages voisins.
Plusieurs moururent après leur arrivée. Mais au commencement,
l'infection ne frappa aucun habitant des villages où ces fugitifs
710 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
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Carte n° ?. — Épidémies de peste dans l'Inde.
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Pali: 1898188 . «ut 0 44
Bijnor 1853-1854. . . . . . . . . RN
Bombay 1896. . .
Postes d'inspection de la peste sur les lignes de chemin
de fer:
PROPAGATION DE LA PESTE. 711
se réfugièrent, Après un laps de quelques semaines, la maladie
se manifesta dans les villages, atteignant d’abord, non pas spé-
cialement les habitants des maisons où les fugitifs avaient trouvé
asile, mais les marchands de grains dont les habitations, comme
nous l'avons déjà mentionné, sont infestés de rats.
Pendant la chaleur, en 1837, la maladie cessa à peu près
complètement. Elle éclata de nouveau pendant les temps froids
de la même année et finalement disparut au printemps de 1838.
3° Foyer endémique de Guhrwal.
L'immunité relative des Indes vis-à-vis de la peste est
d'autant plus remarquable qu’il y a un foyer endémique dans les
montagnes de l'Himalaya, dans les districts de Guhrwal et de
Kumaon. Des apparitions dans ces territoires ont été enregistrées,
en 1823, 1834, 1835, 1846, 1847, 1849, 1850, 1851, 1852, 1853,
1854, 1859, 1860, 1870, 1875, 1876, 1877, 1884, 1886, 1887,
1888, 1891, 1893, 1894, 1897.
L'histoire ne signale qu'une seule extension de la peste des
montagnes aux plaines de l'Inde, savoir en 1853-1854, où elle
envahit les districts de Bijnor et Moradabad qui sont situés au
pied des montagnes de l'Himalaya. Cette absence de diffusion
dans les plaines doit être attribuée dans une certaine mesure au
peu de communications qui existent entre le territoire en
question et le reste des Indes. Pour arriver dans un village
infecté, en partant de la plaine, il faut voyager pendant deux ou
trois semaines à travers des régions montagneuses et presque.
impraticables.
Le choléra ainsi que la peste paraissent ordinairement moins
virulents dans les foyers endénriques que dans les pays où la
maladie sévit comme épidémie. En ce qui concerne la peste, on
peut suggérer l'explication suivante, à savoir que les habitants
des foyers endémiques, tels que Guhrwal, Arabie et Yunnam
quittent habituellement leurs villages aussitôt que la maladie ap-
paraît, ou même quand ils observent une mortalité anormale chez
les rats. En Guhrwal, les habitants généralement ne permettent
pas aux fugitifs d'entrer dans d’autres villages. Ceux-ce1 s’établis-
sent habituellement dans les campements sur des mon-
tagnes.
L'épisode suivant donne une idée des effets de la maladie
dans le district de Guhrwal. Voici un extrait d’un rapport
112 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
officiel communiqué par le chirurgien colonel Hutchison au
congrès médical indien en 1894.
A l'apparition de la peste, les habitants avaient déserté un
village, y laissant quelques enfants, dont les deux seuls sur-
vivants furent trouvés par un fonctionnaire :
« Avant mon arrivée au village, le 12 mai, j'ai été informé
que je rencontrerais peut-être des enfants abandonnés. Le village
était vide et désolé. On trouva Danuli (une fillette de neuf ans)
avec son frère, âgé de cinq ans, près de leur campement tempo-
raire en dehors du village. Danuli, une fillette aux yeux brillants,
était vêtue d’une vieille jupe, son frère enveloppé dans un
morceau de vieille couverture. Ces enfants avaient perdu leurs
parents le 12 mars, et depuis ce temps ils avaient été laissés à
leurs propres ressources, sauf pendant quelques jours lorsque
leur frère aîné vivait encore, car personne au village n'avait
voulu s'approcher d’eux.
« La fillette Danuli raconte dans des paroles décousues ses
épreuves pendant les huit dernières semaines, comment sou père,
sa mère et son frère aîné moururent, comment tout le monde
s'enfuit, comment la maison fut brülée, comment son frère,
âgé de sept ans, mourut, et comment son corps fut emporté
pendant la nuit par des chacals, comment elle avait enseveli
son petit frère, àgé de dix-huit mois, plaçant le corps dans un
panier et creusant un trou avec un pic, et finalement comment,
_ laissée seule avec son frère, elle préparait et faisait cuire le riz
chaque jour, conduisant son frère à un ruisseau pour boire, et
comment l'enfant dormait dans ses bras chaque nuit. Même
maintenant, après un laps de temps si long depuis la mort de
la dernière personne, aucun des indigènes ne s’approcha de ces
enfants qui restaient assis, isolés, la main dans la main, lorsque
la fillette raconta l’histoire pathétique de sa souffrance et de sa
patience. »
A propos de ce récit, notons que, dans ce cas. huit personnes
seulement succombèrent à l'infection. Les autres familles des
villages s’échappèrent à temps de la localité infectée et restèrent
en bonne santé. Les habitants de Guhrwal, ordinairement,
laissaient passer au moins un mois depuis la date du dernier cas
avant d’oser réoccuper un village contaminé.
Un fait démontré clairement par la carte n° 2 est l'immense
PROPAGATION DE LA PESTE. 113
étendue de l'épidémie actuelle (Bombay) comparée avec l'étendue
des autres épidémies de ce siècle. Il est douteux que cette difé-
rence puisse être complètement attribuée à l'influence des
chemins de fer. Comme cela est démontré par la carte, la peste
s’est développée principalement dans les limites de la prési-
dence de Bombay, qui embrasse la plus grande partie de
la côte occidentale des Indes. Dans les limites de cette étendue, 1l
existe un trafic considérable d’un village à l’autre, fait par des
marchands ambulants. Cette portion des Indes est séparée du
reste du pays par des montagnes et des déserts, à travers les-
quels les communications et le trafic par piétons est moins
considérable que le trafic par chemin de fer.
En dehors et à quelque distance des limites de la présidence
de Bombay, cinq centres d'infection seulement ont été signalés
dans lesquels apparemment la maladie a été introduite par voie
ferrée. Ce sont : Hoshiarpur, Jullundur, Khandraoni (un seul
village), Hurdwar (petite ville avec deux villes adjacentes et
quelques villages voisins) et Calcutta. I1 paraît que dans les
quatre premiers centres, l'infection en ce moment (juillet 1898)
a été enrayée, du moins en apparence, par des mesures éner-
giques, et qu'à Calcutta, seulement, des cas isolés ont eu lieu.
Elle s’est aussi répandue de Bombay à quelques villages en
Hyderabad, mais il semble que les apparitions soient terminées
dans ces districts.
IL
C’est un fait tellement admis que la peste est importée de
loin d’une ville à l’autre par l’homme qu'il n’est pas nécessaire
de le démontrer. Comme illustration de ce fait, je ne veux citer
qu’un exemple que je dois à l’obligeance du professeur Muller,de
Bombay. Dharavi Koliwada est un petit village de pêcheurs
situé près de l'extrémité nord de l’île de Bombay. Il est habité
par des pêcheurs de la caste de Koli. Durant la seconde
épidémie de Bombay (pendant l'hiver de 1897-98), ces hommes
établirent une quarantaine rigoureuse à légard de toutes
les personnes suspectes. Par exemple, aucun Indien de cette
caste n'avait le droit de dormir en dehors du village, ni de
recevoir un étranger dans sa maison. Ces règlements avaient été
édictés par les chefs de la caste, et la peine pour l'infraction à
714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
cette ordonnance consistait en une forte amende de soixante-
quinze roupies au bénéfice du trésor de la caste. Notons.
que. suivant les conditions de la société hindoue, les règlements
ainsi prescrits par les chefs de la caste ont un caractère plus
obligatoire et sont plus strictement observés qu'aucun de ceux
imposés par le gouvernement indien ou par un gouvernement
quelconque, même par un pouvoir légal.
En conséquence, pendant quelque temps, ces règlements
furent efficaces, et la communauté resta exempte de la maladie.
Lors de l’apparition de la peste dans le village de Worlee, situé
à une distance de trois kilomètres environ, 513 fugitifs arrivèrent
à Dharovi Koliwada, désireux d'entrer dans le village. Leur
demande ne fut pas agréée, mais on leur permit de s'établir
dans un champ voisin. Les règlements de quarantaine furent si
rigoureux que les fugitifs de Worlee se plaignirent au professeur
Muller de la conduite des habitants de Dharovi, qui, bien que
de la mème caste, refusaient de parler avec eux. Mais, au mois
de juillet, lorsque la peste, suivant toute apparence, était arrivée
à sa fin, les règlements s’adoucirent. On permit à deux frères du
village d'assister aux obsèques d’un pestiféré à Danda. Quelque
temps après leur retour, un rat mort fut trouvé dans leur maison.
Peu de jours après la fille d’un de ces frères fut frappée par la peste
et mourut. Ensuite sa mère fut atteinte, mais elle semblait recou-
vrer la santé à l’époque où j'étais à Bombay (16 juillet). Puis le
père fut atteint à son tour et mourut. Successivement un fils,
une petite fille et un autre fils le suivirent dans la tombe. Un
neveu tomba aussi malade, mais il parut se rétablir. La totalité
de ces décès monte à sept personnes sur quatorze qui compo-
saient les familles de ces deux frères. Ils habitaient denx
chambres voisines, étaient en bonne situation et avaient leur
domestique personnel. Ju squ’alors le village était resté indemne
de la maladie.
IT
L'opinion unanime de ceux qui se sont occupés de la peste à
Bombay est que la maladie peut être portée à distance par un
agent humain, mais que cependant l’infection,pendant l'épidémie,
n’est pas ordinairement due à la contamination directe d’une
personne à l’autre. En voici les preuves :
PROPAGATION DE LA PESTE. T5
1° L’immunité générale des amis des malades qui, dans
beaucoup de cas, durant l’épidémie de Bombay, les avaient
accompagnés à l'hôpital. Le chirurgien-capitaine Thomson, dans
son rapport sur lhôpital du « Government House Parel »,
exprime l’opinion suivante :
« Il est un fait bien établi par lexpérience faite à l’hôpital
Parel, c’est que la maladie n’est pas contagieuse.
« Plus de 240 pestiférés furent visités assidument par leurs
amis; ceux-ci, dans une vingtaine de cas, quittèrent à peine le
chevet des malades, et cependant aucun d’eux ne fut atteint par
la maladie. Parmi plus de 140 serviteurs employés à l'hôpital, un
seul homme, constamment occupé dans la chambre d’autopsie,
fut atteint d’un bubon axillaire. »
Voici l’opinion du docteur Dallas dans son rapport officiel
sur le Grant Road Hospital :
« Excepté pour le cas de la peste pneumonique, je ne pense
pas que l'infection soit propagée par la contagion humaine. En
voici une preuve : ceux qui ont été le plus constamment en rap-
port étroit avec les malades. depuis les fonctionnaires médicaux
jusqu'aux coolies, ont joui d’une immunité à peu près complète, si
l’on songe à leur nombre. Sur 400 personnes — hommes, femmes
et enfants — qui visitèrent leurs amis malades et restèrent con-
stamment à leur chevet, aucune n’a contracté la maladie. Seul
un infirmier militaire de l'hôpital fut affecté par la contagion
directe ; il avait l’habitude de boire les restes de breuvages sti-
mulants laissés dans les tasses par les malades; très probable-
ment celles-ci avaient été en contact avec la bouche d’un patient
atteint de la peste pneumonique. »
2° A Bombay, les hôpitaux des pestiférés étaient très sou-
vent situés dans les quartiers les plus populeux, et cependant ils
ne sont pas devenus des centres d'infection pour le voisinage.
3° Vers la fin de l’été de 1897, le nombre quotidien de cas
de peste s'éleva à une demi-douzaine au moins, et ce chiffre se
maintint pendant quelques mois. Done, si infection s’était com-
muniquée d’un homme à l’autre, on aurait dû s'attendre à voir les
cas de peste se concentrer dans un même district, plutôt que de
les voir répandus à peu près sur la ville entière, comme cela se
produisit. Ceux qui croient que le malade est la seule source de
la contagion devraient expliquer pourquoi, pendant tant de mois,
716 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
les malades semblaient capables de contaminer des personnes
demeurant à un nulle de distance, alors queleurs proches restaient
parfaitement indemnes.
4° D'un autre côté, on signale plusieurs cas où les méde-
cins ou leurs aides ont été atteints en faisant l’autopsie de
cadavres pestiférés. Par exemple, un fugitif de Bombay mourait
de la peste à Madras. Le médecin qui pratiqua l’autopsie ainsi
que le serviteur qui l’assista furent tous deux frappés par la peste.
La peste n'ayant pas existé à Madras ni avant ni après cette
époque, la source de l'infection n’est pas douteuse en ce cas.
Donc, l’innocuité relative des pestiférés dans l’épidémie de
Bombay ne peut pas être attribuée à ce que les microbes qu'ils
contenaient n'étaient pas capables de produire l'infection. Il est
plus probable que dans beaucoup de cas le microbe ne sortait
pas du ganglion affecté, ou qu’il n’arrivait pas dans les sécré-
tions. Il est certain toutefois que, dans la forme pneumonique
de la peste, le crachat qui contient des quantités de bacilles est
fort dangereux.
IV
Des observations réitérées faites pendant l'épidémie actuelle
ont démontré que lorsque la peste s'établit dans une localité,
l'enlèvement des malades, pratiqué aussi rapidement que possible,
ne suffit pas pour arrêter la maladie. Il est nécessaire d’évacuer
‘complètement la localité infectée. Cette méthode est suivie aux
Indes dans tousles cas où elle est praticable, et presque toujours
avec un succès complet et immédiat. Cette mesure est universel-
lement adoptée par la population elle-mème dans toutes les con-
trées où la peste est endémique.
Qu'est-ce que l'infection de la localité? Dans presque toutes
les épidémies de la peste, en Occident, on a observé une grande
mortalité parmi les rats, et on sait à présent que ces animaux
succombaient à la peste. Cette mortalité est-elle la cause ou l'effet
de l'infection de la localité? Les arguments suivants se rapportent
à cette question.
I. Les faits les plus probants, tendant à démontrer l'influence
des rats sur la propagation de la maladie dans les limites d’une
ville, sont exposés dans le rapport officiel de la première épidémie
PROPAGATION DE LA PESTE. Ha
de Bombay (1896-97) par M. Snow, commissaire municipal de la
ville de Bombay ‘. Dans ce rapport il montre (p. 9) que la propa-
gation de la peste de district à district à Bombay coïncidait, quant
au temps et à la direction, avec l’émigration des rats, et ne dépen-
dait pas d’une façon appréciable du déplacement des hommes.
La preuve de ces assertions est indiquée |dans la carte (fig. 3).
Mandvie est le district de Bombay où la maladie devint d’abord
épidémique, en septembre 1896. La carte montre les contours
des autres districts de la ville. Pour la clarté, les noms ne sont
inscrits que dans un petit nombre de cas. Dans chaque district,
on trouve un chiffre indiquant le nombre de semaines écoulées
entre l’apparition de la peste sous la forme épidémique à Mandvie
et l’apparition sous la même forme dans le district en question.
On voit immédiatement que la maladie resta épidémique à
Mandvie sans s'étendre aux autres districts, pendant une longue
période de temps, sauf en des cas isolés. À part une seule excep-
tion, elle se manifesta comme une épidémie dans les autres quar-
tiers de la ville après un laps de neuf, dix semaines au plus.
Pendant les deux ou trois premières semaines de l'existence de
l’épidémie à Mandvie, des milliers de personnes s’enfuirent, prises
de panique, vers d’autres quartiers de la ville, spécialement au
nord et à l’ouest de l’île, Mais ces fugitifs n’apportèrent pas avec
eux la maladie sous la forme épidémique. Elle ne présenta un
caractère épidémique dans ces quartiers que trois ou quatre
mois plus tard. (Voir le rapport officiel du docteur Weir, officier
sanitaire de Bombay, p. 142.) La neuvième semaine environ après
l'apparition de la peste sous la forme d’épidémie, à Mandvie, on
constata une émigration des rats dans les autres quartiers de la
ville. Les observations de M. Snow montrent (voir son rapport,
p. 10) que les rats pour la plupart se dirigeaient d’abord dans la
direction de l’ouest, et ensuite dans la direction du nord. Cette
émigration fut immédiatement suivie par l’apparition de la peste
épidémique parmi les hommes dans tous les quartiers où les
rats s'étaient réfugiés. M. Snow dit: «Presque dans chaque
quartier de la ville où la peste bubonique se déclara avec force,
elle avait été précédée par l'apparition des rats qui mouraïient en
grand nombre. En même temps que des rats malades apparais-
saient dans les quartiers du centre de la ville, ils disparurent
1. Imprimé par « Times of India », Bombay Press.
718 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Carte n° 3. — Ile de Bombay.
Cette carte indique le nombre de semaines écoulées entre l'apparition de la
peste dans l'arrondissement de Mandvie et l'extension de l'épidémie dans les
autres parties de la ville. Les rats:ont émigré de Mandvie dans la 9° semaine.
PROPAGATION DE LA PESTE. 749
complètement de Mandvie, où, au commencement de l'épidémie,
ils étaient trouvés morts par centaines dans les rues. Plus tard
(janvier 1897), à la suite de diverses enquêtes, M. Snow trouva
que les rats avaient disparu des quartiers du centre de la ville et
qu'ils se trouvaient en grandes quantités à l’ouest et au nord.
a) La seule exception apparente à cette règle est fournie par
le quartier de Lower Colaba, où, comme le montre la carte, l’épi-
démie commença la sixième semaine après son début à Mandvie.
Mais en réalité cette exception confirme la règle. Dans ce
quartier 1i y a un nombre considérable de magasins de coton
infestés par les rats, qui se nourrissent des graines. Un grand
trafic maritime existe entre cette place et Mandvie. Il paraît que
l'infection a été introduite parmi les rats de Lower Colaba vers
la quatrième semaine. Près de cette place, il y a des maisons
habitées par les employés d’une grande compagnie de tramways.
On à donné à ces hommes de la poudre carbolique pour la placer
dans les égouts et les passages autour des maisons. D'abord ils
ne firent aucune opposition à cette mesure sanitaire, mais plus
tard ils observèrent que les rats mouraient en quantité, Ils pensè-
rent que la mort des rats avait été produite par la poudre, et aver-
tirent du fait les autorités. Leur religion interdisant d’ôter la
vie aux animaux, l'emploi de la poudre carbolique a été suspendu.
Quelques jours plus tärd, les habitants du voisinage commencè-
rent à subir les premières atteintes de la peste, qui dans les cin-
quième et sixième semaines se manifesta avec le caractère épi-
démique. Cet incident montre tous les obstacles contre lesquels
le gouvernement doit lutter à Bombay.
b) Un fait intéressant à cause de son évidence, et qui concerne
l’émigration des rats dans le quartier marqué « Esplanade », se
présenta à mon observation. La partie ouest de ce quartier n’a
qu'une population assez dispersée, étant occupée par des bâti-
ments du gouvernement et d’autres grands édifices. Non loin
sont situés la majorité des hôtels de Bombay. Jamais la peste
ne devint épidémique dans cette partie de la ville. Dans la onzième
semaine qui suivit le commencement de l'épidémie à Mandvie,
j'allai examiner une petite apparition de peste parmi les rats
dans un dépôt appartenant à un de ces hôtels. Trois jours avant,
le garde de nuit, en station sur le trottoir près de J’hôtel, remar-
qua aux premières heures du jour un rat malade, se traînant
720 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dans la rue vers l’hôtel, et venant de la direction de Mandvie.
La religion de cet Indou lui enseigne la charité vis-à-vis
des animaux; aussi, voyant que le rat était trop faible pour
grimper sur le trottoir, et qu'il n’y parviendrait jamais seul, il
l’y aida, et l'animal semblant comme perdu sur ce trottoir, il le
plaça dans l'égout qui court entre le dépôt et un autre bâtiment.
Trois jours après, des rats (je crois qu'il y en avait huit)
furent trouvés morts de peste dans le dépôt en question. Le dépôt
fut immédiatement désinfecté par l’hypochlorite de chaux.
Aucun cas de peste ne se manifesta plus. C’est le seul cas que
je pourrais citer où linfection des rats dans une localité de Bom-
bay ne fut pas suivie de la peste parmi les hommes.
c) On observera que la plupart des quartiers centraux de la
ville furent infectés de la peste dans la onzième ou douzième
semaine environ, tandis que le quartier de Walkeshwar ne souf-
frit de la peste épidémique que dans la dix-huitième semaine.
L’explication de cette interruption dans la propagation de la
maladie est celle-c1 :
Les quartiers centraux de la ville sont situés en contre-bas.
Walkeshwar est sur une colline. Que ce soit ou non la cause du
retard, le fait est que les rats infectés n’arrivèrent dans ce quar-
tier que peu de temps avant l'apparition de la peste parmi les
hommes. À ce moment, il y eut une émigration marquée de rats
dans ce quartier. (Voir le rapport de M. Snow, p. 10.) Le pré-
posé à la salubrité, dans son rapport (p. 143), dit qu’antérieure-
ment à l'apparition de la maladie sous la forme épidémique à
Walkeshwar, de grandes quantités de rats morts ont été trouvés
sur les sentiers dans la direction de la colline.
d) À Upper Colaba, il y a une exception apparente à la
règle de l’émigration graduelle des rats précédant l'apparition
de la maladie parmi les hommes. Comme il est montré dans la
carte, la maladie dans ce quartier ne commença que dans la
vingt et unième semaine, quoique dans le quartier voisin elle
se montra dès la cinquième et la sixième semaine. Mais dans la
vingtième semaine, je visitai cette localité à propos d’une appa-
rition de la peste parmi les « bandicoots », espèce de rat de
grande taille. Je recueillis, pour y chercher les microbes de la
peste, des échantillons d’eau, de terre, etc., dans une maison
bien construite et bien aérée où les bandicoots mouraient. La
PROPAGATION DE LA PESTE. 121
seule personne qui fut frappée de la peste fut un domestique
qui s'occupait de la désinfection de la maison chaque jour, et
était chargé d’écarter les rats.
e) Lorsque la peste commença pour la première fois à
s'étendre hors de Mandvie, les maisons aulour de la prison de
Oomercarrie, près de Mandvie, furent affectées. Les prisonniers,
cependant, restèrent en bonne santé. A cette occasion, des
explications variées ont été proposées concernant l’immunité
des prisonniers. Les uns l’ont attribuée à la bonne nourriture,
d’autres au blanchiment de la maison au lait de chaux et à
l'aménagement intérieur ; d’autres encore, à l'absence d’encom-
brement. Personne ne songea que l’immunité püt être due au
fait qu’à cette époque les rats de la prison étaient eux-mêmes
exempts de toute infection. Finalement, l'épidémie atteignit les
quartiers centraux de la ville, où se trouve une autre prison
connue sous le nom de Byculla House of Correction. Cette prison
était dans un bon état sanitaire, avec des murs blanchis à la
chaux et aussi peu encombrée que l’autre. Toutes les mesures
hygiéniques possibles furent appliquées, sauf la destruction des
rats; mais, finalement, les rats de cette prison commencèrent à
être atteints de la peste, et bientôt après la maladie éclata chez
les hommes. Sur un chiffre moyen de 345 prisonniers, 32 furent
atteints de la peste, c’est-à-dire un sur dix, environ, bien qu’en
raison de l'isolement rapide des cas suspects, 1l y avait peu de
chance de contamination directe d’un malade à l’autre.
Ainsi, Les faits actuels et incontestables concernant la pro-
pagation de la peste d’un quartier de la ville de Bombay à un
autre me paraissent imposer cette conclusion : que les rats
eurent un rôle beaucoup plus important que les hommes pour la
diffusion de la maladie.
De semblables preuves paraissent exister en ce qui concerne
la ville de Kurachi. En voici le récit par M. Snow : « Précisé-
ment, les mêmes phénomènes ont été observés à Kurachi au
sujet des rats pendant la récente épidémie. Depuis le mois de
décembre, on a remarqué des cadavres de rats dans le voisi-
nage de plusieurs maisons contaminées, Dans une des rues
principales qui traversent le bazar, des centaines de rats morts
41. Six jours après, je fus atteint de peste légère avec bubons inguinal, fémo-
ral et axillaire.
46
122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ont été trouvés dans le courant de la première semaine de
février. À cette époque, de mème qu’un peu plus tard, la peste
fit de grands ravages dans la ville. La marche envahissante des
rats à Kurachi se fit de l’ouest à l’est, et l’apparition ainsi que le
développement de la peste dans les différents quartiers coïncida
avec l'émigration de ces animaux. » Voici la conclusion de
M. Snow sur le rôle des rats dans la propagation de la peste
dans une grande ville :
« Les faits spécifiés ci-dessus ont une grande importance et
sont instructifs en ce qui touche la propagation de la peste ainsi
que l'efficacité des mesures prises pour l’enrayer. En effet, ilest
difficile de voir comment les mesures de désinfection ou lisole-
ment des malades pourraient être efficaces avant que l’émigra-
tion des rats ait cessé, et tant que les localités infestées ne sont
pas délivrées de ce fléau mouvant. Il est clair que si des mesures
sérieuses et énergiques ne sont pas prises pour la destruction en
masse des rats ou pour entraver leur immigration, il sera impos-
sible de circonscrire à son début la propagation de la peste dans
une grande ville. Il est extrèmement improbable que des mé-
thodes efficaces soient jamais découvertes pour se défendre contre
cette importation due aux rats. Tant que l’émigration, qui a
duré à Bombay plusieurs mois dans les différents quartiers, a
été en progressant, les avantages obtenus par la séparation et
l’isotement des malades ont été réduits à presque rien. »
Dans une autre partie de son rapport, M. Snow se réfère au
fait bien connu que dans une maison infestée de rats, après la
destruction de quelques rongeurs par le poison, les survivants
semblent éprouver une véritable panique et quittent la maison
pour plusieurs mois. Aussi longtemps que les rats auront cette
habitude, toute méthode employée pour les détruire provoquera
leur émigration et, par là mème, favorisera, en temps de peste,
la diffusion de l'infection.
IL. On a observé à plusieurs reprises à Bombay que, parmi
les membres d'une même famille frappés de la peste, le mal
s'attaquait exclusivement à ceux qui avaient prêté la main à
l'enlèvement des cadavres des rats. L'honorable M. Wadia,
gentleman Parsi qui occupe plusieurs milliers d'ouvriers dans
ses moulins, m'a raconté un cas frappant. Une quantité de rats
PROPAGATION DE LA PESTE. 123
morts furent trouvés dans un de ses magasins. Parmi les secré-
taires et les autres personnes qui visitèrent le bâtiment, aucun
ne fut atteint. Ce qui prouve, comme le fait remarquer M. Wadia,
que l’air n’était pas infecté. Cependant, sur vingt coolies qui
furent occupés à l’enlèvement des rats morts et au nettoyage
des magasins, douze furent, quelque temps après, frappés par la
maladie.
Bien que dans maintes occasions les rats pestiférés se soient
montrés très dangereux, il ne faudrait pas en conclure qu’il en
soit toujours ainsi, ainsi que je le montrerai par des exemples
dans une autre partie de ce travail.
IT. Un incident suggestif m'a été communiqué par le profes-
seur Muller. Pendant qu'il recherchait s’il existait des pestiférés
dans le village de Mahim Bhundarwada en février 1898, il obser-
va qu'au moins un chat vivait dans chaque maison. Un habitant
qui en possédait trois répondit à ses questions que les chats chas-
sent les rats et que les rats apportent la peste. C’est pour cela
que lui et les membres de sa caste avaient décidé d'installer des
chats chez eux. Le professeur Muller n’a affirmé que ce district
est resté à peu près complètement indemne de la peste alors que
la plupart des distriets voisins en étaient infectés. Plusieurs sujets
atteints de la peste ont bien pénétré dans le village, et il y eutun
ou deux cas sporadiques, mais jusqu'à présent (juillet 1898) la
peste n’a pas existé à l’état d’épidémie dans cette localité. Pour
donner à cet exemple une valeur scientifique, 1l serait nécessaire
de faire le recensement des chats de ce village et celui des chats
existant dansles districts voisins dévastés par la peste. D'ailleurs
s’il était établi que les chats ont eu dans ce cas une action bien-
faisante, il ne s’ensuit pas qu'il en serait de même dans tous les
cas. Il est évident qu'un enfant en jouant avec un chat qui vient
de tuer un rat pestiféré pourrait aisément contracter le germe de
la maladie. De plus, on rapporte que les chats tombent malades
dans les districts où les rats meurent de la peste. (Voir le rap-
port du préposé sanitaire, p.62, 63 et 143). Aucune preuve bac-
tériologique n’est venue démontrer que ces chats souffraient de
la peste. Cependant, non seulement à Bombay, mais aussi dans
le village de Worlee, au nord de Bombay, et dans la ville de Jawa-
lapur, dans les provinces nord-ouest, j'ai vu des chats malades,
124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans les deux derniers endroits, mais pas dans le premier, il
m'aparuqu'ilétait possible qu’ils souffrissent seulement dela faim,
A"
Si l'infection d’une localité est due en grande partie aux rats,
on conclura qu'il sera difficile d’enrayer la contagion par des
désinfectants, car une maison désinfectée est toujours sujette à
la réinfection. Aussi est-il extrêmement difficile de prouver
péremptoirement l'utilité des désinfectants ou d’autres mesures
analogues contre la peste. Voici les arguments pour et contre,
que j'ai pu recueillir sur les désinfectants.
I. En ce qui concerne Bombay, il est établi que la désinfec-
tion, pratiquée avec une profusion qui n’a jamais été égalée dans
l’histoire de l'hygiène, n’a pu s'opposer à la propagation de la
maladie dans tous les quartiers de la viile.
En février 1897, alors que opinion publique prétendait que
les progrès de la peste étaient dus à l’inertie de la municipalité
composée en majorité d'indigènes, le conseil municipal n’occu-
pait pas moins de 30,966 personnes spécialement embauchées
pour le nettoyage et la désinfection des égouts, des rues, des
maisons, etc. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. 26.)
Ce nombre serait l’équivalent d’une armée de 200,000 canton-
niers supplémentaires pour une ville comme Londres.
Des mesures énergiques ont été prises dès que la peste eut
une allure épidémique, (dans le district de Mandvie en septem-
bre 1896). On a des raisons de supposer que des cas isolés de
peste s'étaient produits quelques mois antérieurement. (Voir le
rapport du commissaire municipal, p. 1 et 3.) La question n'est
pas de savoir si la propagation de la maladie après ces cas isolés
aurait pu être empêchée par la désinfection et les mesures d’hy-
giène, mais si les désinfectants sont capables d'arrêter l'épidémie
répandue par les rats. On sait que les rats ne moururent pas en
grande quantité à Mandvie avant la fin de septembre 1896, et que
ce fut alors seulement que la maladie se manifesta avec le carac-
tère épidémique parmi les hommes. L'existence de la peste à-
Bombay ne fut connue définitivement que le 23 septembre. Dans
un rapport daté du 30 septembre, M. le Docteur Weir, chef de
PROPAGATION DE LA PESTE. 125
la santé, décrit les mesures rigoureuses qui furent prises pour
enrayer la maladie. Elles comprenaient notamment la destruction
par le feu dela literie, les vêtements et d’autres objets suspects,
ainsi que la désinfection des chambres et des maisons à l’inté-
rieur et à l’extérieur. On y ajouta l'isolement des malades,
l'exposition à l’air ou la destruction du grain suspect, etc.
Je visitai quelques-unes des maisons les plus gravement in-
fectées au commencement d'octobre. J'ai vu les solutions d'acide
carbolique répandues sur les murs et les plafonds avec une telle
profusion, au moyen de pompes à incendie, qu'il était devenu
nécessaire d'ouvrir un parapluie pour pénétrer dans les maisons.
Aucune panique ne s'était encore produite dans la population, et
à cause de cela, pendant quelque temps, le peuple ne cachait pas
les cas qui survenaient.
Dans son rapport du 30 septembre, le chef de la salubrité
publique a justement estimé la situation en disant que ces mesures
étaient de « simples palliatifs ».
Dans le courant de novembre, les égouts d’une petite partie du
district de Mandvie et de ses alentours, comprenant 180 maisons
infectées, furent journellement désinfectés à l’aide d’une solution
d'acide carbolique. 13,500 mètres cubes par jour furent répandus
à cet effet. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. #1.)
Comme la maladie prenait de extension, il fallut avoir recours
à la chaux vive, employée à profusion. On eut la preuve que ce
produit était impuissant à entraver le développement de la peste,
etil cessa bientôt d'êtreconsidéré comme un désinfectant eflicace.
En plusieurs cas, un blanchissage à la chaux avait été opéré
par mesure de précaution avant l’apparition de la maladie. C’est
ce qui eut lieu dans presque tout le district de Kamatipura.
Plusieurs maisons furent blanchies trois fois.
Le chef de la santé publique dit que «sile badigeonnage à la
chaux ponvait arrêter le développement de la maladie, 1l aurait
dû l'empêcher à Kamatipura ». Les épreuves accumulées jus-
qu'ici démontrent que la chaux n’a aucune efficacité. Dans le
district cité, jusqu’au 2 mars 1897, on observa que sur la totalité
de 422 cas de peste, il s’en était produit 89 dans des maisons
ayant subi plusieurs badigeonnages complets. Ainsi Kamatipura,
où les maisons avaient été le plus souvent blanchies, fut l’un des
quartiers les plus gravement éprouvés de la ville.
126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans certains cas la chaux vive fut employée mélangée au
sublimé corrosif, au chlorure de chaux ou à l'acide carbolique,
Il se produisait ainsi un mélange plus ou moins inerté ; mais ce
ne sont là que des cas isolés qui ne peuvent infirmer les preuves
de Pinutilité de la chaux pour arrêter la peste.
La chaux a l'inconvénient, au point de vue chimique, de neu-
traliser la plupart des désinfectants avec lesquels on la met en
contact et d’absorber rapidement l'acide carbonique : Elle
devient ainsi inerte. La chaux présente encore un inconvénient
au point de vue bactériologique ; le bacille de la peste y résiste
facilement, ainsi qu’à l’action d’autres alcalis. Ce bacille est très
sensible par contre à l'action des acides. Dans les expériences
de laboratoire, ce microbe est détruit même par les solutions
diluées de certains acides organiques. Pour empêcher la réinfec-
tion d’une maison, les désinfectants qui possèdent une action
plus durable que la chaux vive doivent être préférés en cas de
peste.
De pareilles indications @nt été obtenues à Poona. A la
suite de l'introduction du lavage à la chaux et d’autres mesures
prophylactiques, l'épidémie décrut rapidement. Quelques-uns y
ont vu la preuve de l'efficacité des mesures sanitaires ordinai-
res pour entraver la maladie. Cependant au bout de quelque
temps, en dépit d'une plus grande profusion de chaux vive et
de désinfectants variés, l'épidémie éclata et se développa dans
la ville entiere avec plus d'intensité que jamais.
Toutefois, par l'examen du tableau suivant qui montre que la
maladie éclata dans d’autres villes avec plus de violence qu'à
Bombay, on peut présumer que les mesures générales adoptées
ne furent pas sans utilité.
: Mortalité par la peste.
DATE. NOM DE LA VILLE. | Population. | —— -
Totaux. |Par 1.000 hab.
AS AS Sent Marseille "2774 ? 57.000
1790 ere RE ES ee 247.000 | 86.000 348
TICDS REA E PONATES RATER 250.000 | 33.347 133
GPA EE EE VÉARENIERR 320.000 | 41.313 129
LG05:. ee UE ARR U ES 460.000 | 68.596 149
PANETTIERE Bombay ee 2 846.000 | 19.849 23
La différence en faveur de Bombay devient plus sensible si
Te Te
PROPAGATION DE LA PESTE. 127
on considère que les habitants de Londres et de Marseille sont
habitués à porter des chaussures, tandis que la grande majorité
des habitants de Bombay va pieds nus et se trouve, par cette
raison, probablement plus exposée à la contamination.
On peut objecter que les chiffres cités montrent simplement
que l'infection de la peste est peut-être plus grave dans les cli-
mats tempérés qu'aux Indes. Cependant en 1690, les manifesta-
tions de la peste à Bombay furent si violentes que la ville fut
désertée et ruinée. Sir James Campbell, parlant dans le Bombay
Gazetteer de cette apparition, dit : « Sur 800 Européens, 50 seule-
ment survécurent : 6 civils, 6 officiers et un peu moins de
40 soldats anglais. Il ne restait plus qu’un seul cheval en état
d’être monté et une seule paire de bœufs à atteler. Bombay, citée
auparavant comme la plus agréable des villes de Inde, fut
transformée en un désert de désolation. »
Bien qu'aucune conclusion absolue ne puisse être tirée sur
l’efficacité des mesures sanitaires, cependant un fait peut être
retenu qui résulte du chiffre des morts dans les diverses épidé-
mies, à savoir que l'épidémie de Marseille en 1720 fit quinze fois
plus de ravages que celle de Bombay et que la «grande peste de
Londres » de 1665 fut six fois environ plus violente.
La peste éclata de nouveau à Bombay pendant l'hiver de
1897-1898, causant une épidémie un peu plus grave que la pre-
mière, et la ville n’est pas encore entièrement délivrée du fléau.
IL. M. Simond m'a communiqué une observation d’où il résulte
que les amis de malades qui avaient accompagné ces derniers
dans un hôpital insuffisamment désinfecté semblaient avoir été
contaminés dans l'hôpital même. Après l'emploi plus complet
des désinfectants, la contamination cessa. M. Simond a constaté
à cette occasion que les rares cas d'infection qui se produisirent
à l'hôpital ne furent pas imputables à la contagion par les rats.
III. Nous avons déjà cité le cas d’une apparition de la peste
parmi les rats dans un dépôt attaché à un hôtel où, des mesures
énergiques de désinfection ayant été prises, aucun Cas ne se
déclara plus parmi les hommes. Le succès s’explique ici par ce
fait que le bâtiment en question était fort bien construit et pos-
sédait un sol de pierre. Quoique fréquenté par les employés de
l'hôtel, ce dépôt n’était pas habité.
728 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
IV. Un journal médical rapporte qu’un grand édifice religieux
(tikhana) a été détruit pour cause d'infection par la peste. La
démolition s'étant opérée sans qu’on fit usage de désinfectants,
on constata que sur vingt coolies occupés à ce travail, cinq furent,
dit-on, touchés par la maladie. Dans beaucoup d’autres cas, la
démolition de bâtiments qu’on avait eu soin de désinfecter au
préalable ne fut suivie d'aucun effet fâcheux sur les ouvriers.
V. Le tableau 4 montre la distribution de la maladie à Sewree,
village situé au nord-est de Bombay et habité par 600 personnes
environ. Le premier cas a été relevé le 12 décembre. Jusqu'au
27 janvier, 52 cas s’y produisirent. Ce jour-là, un étang situé
près du village, dans l’eau duquel j'avais découvert le microbe
e cas mortels de peste.
° Cas terminés par la guérison.
Plan du village de Sewree. (Ile de Bombay.)
de la peste, fut désinfecté par l’acide carbolique. Après cette
date, peu de cas se produisirent dans le village, peut-être même
aucun. La population, bien que diminuée, n’avait pas complète-
PROPAGATION DE LA PESTE. 129
ment disparu et ne descendit jamais au-dessous de 350 âmes.
(Rapport du général Gatacre, président du comité de la peste,
p- 190.) Ce fut le seul lieu où je réussis, après un travail de
plusieurs mois, à découvrir le bacille de la peste dans des subs-
tances suspectes. L’étang dont il s’agit contenait de l’eau salée
qui, naturellement, n'avait pas été bue. Ses rives servaient de
latrines et les villageois utilisaient l’eau pour se laver après la
défécation. Les hommes en usaient plus que les femmes du vil-
lage, ce qui explique que la plus grande partie des individus
atteints furent des hommes. En d’autres lieux, la peste se si-
gnala en détruisant des familles entières; mais à Sewree, comme
cela est indiqué sur le plan, il n’y eut qu’un ou deux cas par
maison. Ce fait exceptionnel concorde avec l’idée que quelque
cause extérieure et exceptionnelle, telle que l’étang infecté, était
entrée en jeu. Simultanément, avec la désinfection de l’étang,
deux cents coolies furent employés au nettoyage et à la désin-
fection du village. Il semble que la maladie avait déjà commencé
à diminuer avant Parrivée des coolies.
Bien qu'on ne puisse pas tirer de conclusions certaines de ce
qu'un grand nombre d'habitants restèrent indemnes, il parait
cependant probable qu'ici la désinfection fut utile.
Même si on accepte cette conclusion, elle n’infirme en rien
la règle générale que, dans les conditions qui existent aux Indes,
on ne peut guère obtenir d'effets sérieux contre la peste par
l'emploi des désinfectants, lorsque la maladie sévit sur les rats.
Quelques autres cas ont été invoqués tendant à montrer que
la peste a été arrêtée dans son essor par les désinfectants, mais
ils me paraissent moins satisfaisants comme valeur probante que
ceux que je viens de citer.
Dans un cas, par exemple, la population normale d’un vil-
lage se montait à 5,493 âmes. Lorsque, après la fuite des habi-
tants, la population se trouva réduite à 176 personnes qui
n'étaient pas restées dans les quartiers sérieusement infectés du
village, une équipe de 270 coolies fut occupée à désinfecter à
la chaux. Six semaines plus tard, lors de la réoccupation du vil-
lage, l’épidémie avait totalement disparu. Cette disparition n’est
pas nécessairement due à l’action de la chaux.
730 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
VI
On a généralement supposé que le manque d’aération con-
iribuait au développement de la peste, et que, pour préserver les
maisons et les marchandises de l'infection, il était nécessaire de
les exposer librement à l’air. Il faut examiner si les effets de la
ventilation sont tels qu'ils permettent de conserver l’ancienne
notion que la peste résulte d’un état de corruption de latmo-
sphère, et s'ils s’opposent à la théorie qui assigne aux rats un
rôle important dans la propagation de la peste dans une grande
ville.
I. Au cours des premières semaines de l’apparition de la
peste à Bombay, la maladie fut presque absolument circonserite
aux marchands de grains et aux locataires habitant au-dessus
de magasins de grains. Cette constatation fit croire à certaines
personnes que la maladie résultait de quelque particularité dans
la ventilation. Elles supposèrent que les courants d'air amenaient
le microbe des magasins de grains de Port Trust Estate (contigu
à Mandvie). A l'appui de cette thèse, on remarqua que la plu-
part des cas s'étaient produits dans les étages supérieurs des
maisons, et notamment dans les maisons d'angle plus exposées
aux courants d'air, qu’on supposait chargés du microbe infec-
tieux. Ces observations, fussent-elles exactes, iraient à l’encon-
tre de ce qui fut observé au cours d’autres épidémies de peste.
Par exemple, à Malte, en 1813, le docteur Milroy remarqua
qu'à La Valette la maladie se déclarait plus rarement chez les
locataires des étages supérieurs, où les maisons sont hautes et
aérées, que chez les habitants des rez-de-chaussée. Cette convic-
tion de la nocuité des étages supérieurs, ancrée dans l'esprit des
habitants de Bombay, amena le chef de la santé, le docteur Weir,
à diriger ses investigations dans ce sens. Il reconnut que cette
idée, imaginée pour le cas de Mandvie, était complètement
erronée. D'autre part, il établit que, comme à Malte, dans la
majorité des quartiers de la ville, le nombre des pestiférés était
bien supérieur dans les rez-de-chaussée, et que les cas devenaient
plus rares à mesure qu’on s'élevait aux plus hauts étages.
_ La seule exception à cette règle est celle présentée par l’ar-
rondissement B, qui comprend Mandvie et les quartiers adjacents.
PROPAGATION DE LA PESTE. 131
Dans ce cas, il y avait un plus grand nombre d’attaques au pre-
mier étage qu'au rez-de-chaussée et aux autres étages. L’expli-
=
LC 1819
400
300 d
109
rez de'ch. … Aer'ét- 2e ét. 30 ét. 4e ét. 5e ét. 6e ét
Diagramme n°5,
Ligne pointillée : nombre de cas de peste à chaque étage dans les maisons
de l'arrondissement sanitaire B (Mandvie, Chukla, Umarkavi, Dongri).
Ligne pleine : nombre de chambres à chaque étage dans les maisons infectées
de Mandvie-Bundar.
cation en est très simple: c’est que, dans ce quartier, les
rez-de-chaussée, presque tous occupés par des dépôts de grains,
comptent très peu d'habitants. Pour cette raison, il est naturel
7132 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
qu'on ait constaté le plus grand nombre d'attaques aux étages
supérieurs. Par exemple, 46 maisons de Mandvie-Bundar
comptent au rez-de-chaussée 86 chambres de dépôts et plusieurs
boutiques. Mais, même dans ce quartier, 1l ÿ a plus de malades
au premier étage qu'au second, au second qu’au troisième.
N'est-ce pas ici, dira-t-on, une preuve palpable de lutilité de
l’aération? N'est-il pas évident queles habitants des étages supé-
rieurs sont plus exposés aux libres courants d’air que les habi-
tants des rez-de-chaussée? Mais il est nécessaire de faire’ des
réserves avant de tirer ces conclusions.
N’est-il pas possible aussi que le grand nombre de cas obser-
vés aux étages inférieurs doive être attribué à ce que ceux-ci
renferment plus d'habitants, et non à un défaut d'aération?
J'ignore combien de personnes demeuraient à chaque étage de
ces maisons contaminées, mais les tables qui sont en ma pos-
session donnent le nombre de chambres par étage. J'ai additionné
le nombre des chambres et le nombre des cas de peste à chaque
étage, et porté le total dans le diagramme (n° 5). On verra un
rapport précis entre le nombre des cas et celui des chambres à
chaque étage. Done, si les chambres en général sont également
habitées, les courbes indiquent que les chiffres des attaques à
chaque étage sont à peu près exactement proportionnels aux
chiffres des habitants. L’assertion contraire, c’est-à-dire l’idée
que les chambres plus élevées sont plus encombrées, est très
peu probable. Ces chiffres ne donnent donc aucun appui à l'idée
que la ventilation ait une importance en ce qui concerne le
nombre des pestiférés.
IT. On a fréquemment prétendu que l’agglomération des
locataires dans les maisons mal aérées contribuait, pour une
grosse part, à l'extension de la contagion de la peste. Il est évi-
dent que l'encombrement peut agir de deux façons: première-
ment, dans les locaux encombrés, l'élément infectieux peut se
trouver dans des conditions de développement plus favorables
et s’y conserver plus facilement ; deuxièmement, dans un local
encombré, il y a plus de sujets soumis aux risques d'infection.
Si la dernière supposition est la vraie, on devrait s'attendre
à trouver que le nombre des cas de maladie et la densité de la
population dans chaque district sont simplement proportionnels.
PROPAGATION DE LA PESTE. 133
En d’autres termes, le nombre des attaques serait proportionnel
au nombre des habitants par kilomètre carré. Si la première
supposition est exacte, au contraire, on trouverait que le
nombre des cas et la densité de la population ne sont pas dans
0 10 20 30 40 50
It Nagpada CERN LMD
Kharatalao crus -
Byculla EEE SES H
214 Nagpada ms û
Khumbarvada = È
Chagla 7“
ÜUmarkhaiq— Î
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DONRR ANNEES :
Fort North mm Î
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Upper colaba œ— !
Market = H
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Parel j
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Girgaum mm |
Tarvari cernes
Mazagon cree dues
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Chaupati == ;
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Walkeshivar és
Fort South = !i
Sion a
Sewree EG
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OBS ONUT EN 0
Diagramme n°6.
Ligne pointillée : nombre moyen d’habitants par maison dans chacun des
32 quartiers de la ville de Bombay, de Nagpada où le chiffre est de 45, 4, à Se-
wree et Mahim où le chifire est de 6 à 7 seulement.
Ligne pleine : morts par la peste sur 1,000 habitants pendant l'épidémie
de 1596-1897.
ce rapport simple, mais que le chiffre des attaques est en pro-
portion plus considérable.
Les chiffres donnés par les rapports officiels sur lajpeste de
Bombay tendent à démontrer qu'aucune de ces hypothèses n'est
exacte. Voici les preuves à ma disposition :
7134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
a. — Comment calculer l'encombrement ?
En premier lieu, on peut obtenir un résultat en comparant
la peste-mortalité par 1,000 dans les différents districts de l’île
de Bombay avec le nombre moyen des habitants par maison
dans chacun de ces districts. C’est le calcul que j’ai établi dans
le diagramme n° 6.
Des données fournies par les rapports officiels’, j'ai tiré le
nombre moyen des habitants par maison dans chacun des
32 districts qui se partagent l’île de Bombay. J'ai classé les
districts dans le diagramme, suivant l’ordre de l’encombrement
décroissant. En haut du diagramme se trouve le district de
« First Nagpada » avec le plus grand nombre des habitants par
maison, en moyenne #5. Au bas se trouvent les districts de
Sewree et Mahim contenant les nombres les plus petits (en
moyenne 6 et 7).
A côté du nom de chaque district, j’ai tracé une ligne hori-
zontale dont la longueur représente la peste-mortalité par mille
dans le district correspondant. On voit immédiatement que
les districts dont les maisons contiennent le plus grand nombre
d'habitants ne sont pas ceux où il y a eu le plus de peste. Une
des mortalités les plus élevées se trouve dans un district
(Kamatipura) dont les maisons contiennent un nombre moyen
de 21,72 habitants par maison. Les trois districts dont les maisons
contiennent le plus petit nombre d'habitants se trouvent parmi
les plus atteints. Done, il n’y a aucun rapport entre l'intensité
de l'épidémie et le nombre d'habitants par maison.
b. Mais on peut contester que ce soit là une juste appréciation
de l'encombrement. Les maisons contenant le plus grand
nombre d'habitants peuvent ètre mieux construites et avoir des
chambres plus grandes. Une autre méthode pour estimer l’en-
combrement, et à laquelle cette objection ne peut être faite,
consiste à comparer Fespace par habitant dans les différents
districts. Malheureusement, les rapports officiels ne contiennent
pas à ce sujet de renseignements suffisants pour qu’il soit pos-
sible de faire le calcul avec exactitude.
Le rapport du chef de la santé publique (p. 148) fournit le
1. Le nombre des maisons dans chaque quartier est donné dans la carte de
Bombay, jointe au rapport du général Gatacre, président du comité de la
peste.
PROPAGATION DE LA PESTE. 7139
nombre de yards carrés par maison, dans six quartiers de
Bombay ‘.
Dans le diagramme 7 j'ai disposé ces six quartiers d’après
la grandeur de l’espace attribué à chaque individu. A gauche du
diagramme, j'ai placé Tardeo et Oomercarry, quartiers où
chaque personne occupe 41,8 yards carrés. Progressivement
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Diagramme n° 7
Ligne pointillée : nombre de yards carrés par habitant dans chacun
des six districts de la ville de Bombay.
Lignes pleines : nombre de morts dans chacun de ces six districts.
vers la droite j'ai placé les quartiers dans lesquels l’espace par
personne est le plus réduit, finissant par Khara Talao où l’espace
par personne est de 7,22 yards carrés.
Ces chiffres sont indiqués par une ligne ponctuée. Au-dessus
de chaque quartier j'ai, comme avant, tracé une ligne verticale
dont la hauteur représente le degré de peste-mortalité pendant
4. Pour deux quartiers les chiffres donnés sont en désaccord avec ceux d’une
autre table, p. 184, mais la différence n’est pas assez sensible pour infirmer l'ar-
cument.
Le]
736 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
l'épidémie de 1896-1897. On verra d’un coup d’œil qu’il n'existe
aucune relation entre le nombre des « yards » carrés par
personne et l'intensité de la peste dans ces six quartiers.
Il semble que les chiffres donnés pour ces districts ont été
choisis pour donner un exemple de l'encombrement à Bombav.
Il est à présumer qu'ils se rapportent aux quartiers les plus
700
\ 30
\
\
\
\
850 \ 25
\
\
»
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5G is eo 2 a
Diagramme n°8.
Ligne pointillée : densité de la population par acre dans cinq districts
de Bombay, rangés par ordre de densité de population.
Lignes pleines : mortalité par peste sur 1,000 habitants, de septembre
1896 à juillet 1897 inclus, dans chacun de ces districts.
populeux de la ville. On peut donc supposer que certains autres
quartiers tels que Parel, Mahim et Sewree, où la mortalité fut
élevée, étaient moins encombrés que ceux mentionnés dans le
diagramme. C’est ce qui est admis dans le rapport du général
Gatacre (p. 248).
c. Dans le rapport du général Gatacre (p. 184), la densité de
PROPAGATION DE LA PESTE. 137
la population de cinq quartiers de la ville est spécifiée par acres,
elle varie de 441,5 à 699,3. Pour montrer à quel point Bombay
est encombré, on mentionne qu'à Londres le quartier le plus
peuplé ne contient qu'environ 222 habitants par acre (550 habi-
tants à l’hectare).
Ces chiffres ont été disposés comme dans un précédent dia-
gramme (diagramme n° 8). En s’en tenant à ces seuls chiffres,
il paraïîtrait que les quartiers les plus encombrés souffrirent
120 39
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Diagramme ne 9.
Lignes pleines : mortalité par la peste dans chacun des arrondissements sani-
nitaires de la ville de Bombay. Chaque arrondissement comprend plusieurs
quartiers.
Ligne pointillée : Nombre de maisons par mille, dans chaque arrondissement,
condamnées comme impropres à l'habitation humaine. La figure montre
qu'il y a relativement peu de maisons insalubres dans les arrondissements
où la mortalité a été la plus élevée.
moins de la peste que les autres. On peut citer encore le chiffre
élevé de la mortalité parmi la population disséminée des régions
de Mahim, Sewree et Parel.
On pourrait cependant prétendre qu’en faisant le recense-
ment du nombre des maisons dans chaque quartier où l’encom-
47
138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
brement et l'hygiène défectueuse favorisent le développement
des maladies, on obtiendrait des éléments de calcul plus précis
qu'en prenant des chiffres qui ne visent qu'une condition parti-
culière des habitations.
Heureusement de tels chiffres sont à notre disposition. Ils
sont dus à un médecin d’un jugement et d’une expérience
notoire. A la page 102 du rapport du chef de la santé, il est
dit que le chirurgien lieutenant-colonel Kirtikar fut chargé
spécialement de fournir un rapport sur les bâtiments impropres
à l'habitation. A la page 110 du mème rapport, on trouve une
table relatant le nombre des demeures inspectées par ce fonc-
tionnaire et reconnues par lui « partiellement ou totalement
impropres à l'habitation, du 27 janvier au 30 juin 1897 ». Il est
probable que, pendant plus de cinq mois, le D' Kirtikar employa
tout son temps et toute son expérience à visiter les quartiers
insalubres de Bombay. Le rapport ne dit pas si le D' Kirtikar a
déjà terminé son travail, maisil est juste de supposer que pendant
ce temps son attention s’est portée sur les points de la ville où
des mesures urgentes devaient être prises. Le nombre total des
logements déclarés insalubres s’est élevé à 1,903.:Tous les arron-
dissements ont été visités par le D' Kirtikar. A l’aide de la table,
j'ai calculé le nombre de logements déclarés malsains par mille
maisons. J'ai fait le tracé des résultats dans le diagramme n° 9.
Les valeurs obtenues sont indiquées par la ligne ponctuée. J’y
ai ajouté le chiffre de morts par la peste dans chaque «arrondis-
sement ». Ce qu’il y a de remarquable, c’est que la plus grande
proportion des logements condamnés comme impropres à l’ha-
bitation sont situés dans Les « arrondissements » de la ville qui
n’ont pas été les plus sévèrement atteints par la peste. On
constate que seulement 8,60 pour cent de logements condamnés
étaient situés dans les arrondissements F et G, qui furent
beaucoup plus sérieusement atteints que les autres.
III. Une autre série de faits qui peuvent ètre cités en faveur
de l'efficacité de l’aération est l’immunité vis-à-vis de la peste
dont jouissent certaines classes de la population.
Le chirurgien suppléant, capitaine G. S. Thomson, exerçant
à Satara (dans la présidence de Bombay), signale l'immunité
dont jouissent les mendiants vagabonds, sans abri, connus sous
PROPAGATION DE LA PESTE. 139
le nom de « byragees ». Ces mendiants ont des habitudes d'hy-
giène personnelle déplorables, mais ils vivent constamment au
grand air. Un recensement de 1881 fixe leur nombre au quar-
ter de Satara à 9,485. Malgré ce chiffre important, le D' G.-S.
Thomson, après une longue expérience, n'a jamais vu ni
entendu parler d’un seul cas de peste dans cette population.
L'immunité de ces gens qui vivent au grand air contraste avec
la susceptibilité à la contagion des Brahmins de Saara qui, en
dépit d’usages de propreté méticuleux, ne savent pas apprécier
l'utilité de l'aération. Le chirurgien capitaine Thomson cite
l'exemple d'un Brahmin, qui « avec sa femme, sa belle-mère,
ses six enfants, dix buffles et trois bufflons vivaient pêle-mêle
sur la même litière, toutes portes ou fenêtres closes ».
L’immunité dont jouissent les « byragees » ne doit pas être
cependant exclusivement expliquée par leur vie au grand air.
Elle peut être due aussi à l’observance de cette croyance reli-
gieuse qui leur interdit d'entrer dans une maison infestée par
les rats.
IV. Le chef de la santé publique parle dans son rapport
(p. 174) de l'immunité remarquable des prostituées de Bombay
qui résident principalement à Kamatipura, district des plus
contaminés. En raison des exigences de leur métier, ces femmes
tiennent ouvertes les portes et les fenêtres de leur maison la
plus grande partie du jour et de la nuit. Leurs maisons sont
donc mieux aérées que celles de leurs voisins de mœurs plus
respectables. C’est là, semble-t-il, une preuve manifeste de
l'efficacité de la ventilation. Mais cette immunité des basses
classes de la société a été observée dans d’autres épidémies de
peste, Baghurst, dans sa description de « la Grande Peste de
Londres », dit : « Toutes les prostituées de Luteners Lane,
Dog Yard, Cross Lane, Baldwin Gardens, Hatton Gardens et
autres places, les camelots, crieurs d’oranges, d’huîtres, de
fruits, etc., toute la populace des ivrognes et des miséreux res-
tèrent indemnes. Très peu furent touchés mortellement. Ce qui
justifiait le mot de Diemerbroeck « que la peste a épargné les
corps pourris et a pris les sains »,
Procope, dans sa description de la peste sous Justinien, à
Byzance (a. D. 543), dit : « Ut vere quis possit dicere, pestem illam,
740 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
seu casu aliquo, seu providentia, quasi delectu diligenter habito,
sceleratissimos quosque reliquisse. Sed hæœc postea clarius patuerunt. »
Nous n'avons pas la preuve que la population dont parlent ces
anciens auteurs ait vécu dans des maisons mieux aérées que
celles de leurs voisins. D'ailleurs, l’immunité des prostituées à
Bombay ne fut pas absolue‘. Le chirurgien capitaine Thomson
parle de l’immunité relative des marins. Il cite un cas qu'il a
étudié spécialement, celui d’un matelot frappé de la peste. Il
découvrit que le malade était resté, avant d’être atteint, une
semaine entière chez une prostituée. La prostituée mourut elle-
même de la peste, mais le matelot guérit. L’immunité des
femmes publiques à Bombay ne peut donc pas être regardée
comme une preuve de la valeur de la ventilation.
V. Le chef de la santé publique dit à la page 175 de son
rapport : « que les boueux, malgré qu'ils travaillent mains et
pieds nus dans la boue des maisons pestiférées, ont été, parmi
les classes pauvres, les moins atteints. » Le nombre total de
ces balayeurs chargés de la voirie et de l’enlèvement des boues
et immondices (halalkalores et bigarries) se monte à un peu
plus de six mille, dont la plupart (malheureusement on n’a pas
les chiffres exacts) demeurent dans les bâtiments bien construits
(chawls) appartenant à la municipalité. Ceux d’entre eux seule-
ment qui habitent ces bâtiments jouirent d’une immunité rela-
tive. Ceux, au contraire, qui habitent dans des maisons mal
construites furent aussi gravement éprouvés que le restant de
la population. (Rapport du chef de la santé publique, p. 174.)
Cette immunité ne fut pas due au logement spacieux, car plu-
sieurs de ces « chawls » furent très encombrés.
L'un d’eux était occupé par 800 personnes avec, en moyenne,
sept habitants par chambre, et situé dans un quartier très infesté
(Kamatipura). Il n’y eut qu'un cas douteux vers la fin de 1896.
L'immunité ne fut pas due, non plus, au déplacement prompt
1. Un certain nombre d’Arabes résidant à Bombay avaient pris l'expérience
de la peste dans les foyers endémiques de l’Arabie; ils ont, paraît-il, déclaré que
la seule protection contre la peste était la syphilis. Boghurst, médecin qui
écrivit sur la peste de Londres (1665), rapporte que plusieurs personnes eurent
simultanément la syphilis et la peste, et qu’elles guérirent généralement. Il fait
allusion à une rumeur d’après laquelle des gens se seraient inoculés volontaire-
ment la syphilis pour diminuer le danger d’attraper la peste. (Voir Creighton,
loc NC ip A675:)
PROPAGATION DE LA PESTE. 144
des malades, car, dans les rares cas qui se manifestèrent, les
pestiférés ne furent pas isolés, mais soignés par leurs amis dans
des chambres séparées du bâtiment où ils avaient été atteints.
On a dit que les boueux étaient restés indemnes parce qu'ils
avaient vécu dans des maisons mieux aérées. Ces maisons
avaient bien des fenêtres, en effet, mais j'ignore si elles furent
ouvertes plus souvent que les fenêtres des maisons mal cons-
truites. Aucun chiffre n’est donné qui puisse nous éclairer sur
le degré réel de cette immunité; mais, avant de conclure qu’elle
fût due à l’aération, il ne faut pas oublier que les maisons bien
construites, et exemptes de dépôt de grains, sont moins fréquen-
tées par les rats que les maisons mal bâties.
VI. L’effectif de la police de Bombay est logé en partie dans
des baraques bien construites et, en partie, dans de vieilles
maisons indigènes. Le tableau suivant, extrait du rapport du
chef de la Santé, montre le contraste frappant dans la suscep-
tibilité des deux parties de l'effectif policier à l'égard de la
peste.
NOMBRE DE PERSONNES
ATTEINTES DANS LES
ne
Baraquements de Vieilles maisons
la police. de la ville.
AePolicereuropeenne.7t5004helacr. 0 1
2. Police à cheval, Musulmans........ 2 0
BR = ER HiNdous Ur Il 0
4. — à pied, Musulmans.......... 0 af
D. — Né Hindous 666. he 1 98
6. Extra police, Ramoshis, Mahométans. 0 3
1h — — Hindous..... 0 38
Total : 4 151
n
Voici l'effectif de la police de Bombay, d’après les religions
diverses.
Chrétiens. Parsis. Juifs. Hindous. Mahométans. ToTaL.
82 7 I 1.603 538 2.231
Ce résultat tend, dit-on, à démontrer les effets heureux des
maisons bien aérées. Mais, comme je l’ai fait observer, il ne
suffit pas d’avoir des fenêtres, il est aussi nécessaire de les
ouvrir, et rien ne prouve que les policiers qui habitèrent les
baraquements aimaient plus que les autres le grand air. Le
fait certain est que ces baraquements, mieux construits, étaient
742 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
moins favorables à l'établissement des rats que lès vieilles
maisons où logeait une partie de l’effectif de la police.
VII, On a mentionné le cas de la prison de Byculla, où a
éclaté une petite épidémie. Iei il est probable que la ventilation
était aussi libre et l'encombrement aussi faible que cela est pra-
tiquement possible. On peut donc arguer du petit nombre des
cas pour conclure en faveur de la valeur de la ventilation. Mais
on peut aussi conclure en faveur de la moindre virulence de la
maladie dans un édifice bien bâti, où présumablement les rats
étaient moins à leur aise que dans les maisons des districts
environnants.
. Dans les cas cités plus haut (V, VLet VIT), à propos des mai-
“sons bien construites, outre l'absence des rats, nous devons
retenir une autre cause d'immunité. C’est qu'il est plus facile de
désinfecter de semblables maisons lorsque la peste s'y est
montrée.
Ceux qui ont un peu étudié la peste savent que le mot
« désinfecter » comporte deux significations : jeter des désin-
fectants dans un endroit contaminé, ou purger cet endroit de
toute infection. En ce qui concerne la peste, il arrive souvent
que, seule, la première signification est applicable.
Plusieurs maisons de Bombay ont un sol en terre battue.
Dans une maison de quatre étages que j'ai visitée à Bom-
bay, le sol de chaque étage était formé d’une couche de terre
noirâtre d'une épaisseur de quinze centimètres environ, qui,
sans doute depuis des années, s'était imprégnée de détritus
organiques de toutes sortes. L'emploi d’une pompe à incendie
déversant des désinfectants sur ces parquets particuliers m'avait
paru utile parce que l'opération rendait la maison inhabitable.
Je ne crois pas du reste avoir obtenu d’autre résultat.
Pendant mon séjour à Hurdwar, j'ai fait des expériences
sur l'effet des désinfectants sur un sol de terre battue.
La table suivante donne sous une forme condensée les résul-
tats moyens de ces expériences.
Sur 100 microbes présents dans un sol de bouse de vache et
de terre mélangés, il s’en trouvait, vingt-quatre heures après le
traitement :
PROPAGATION DE LA PESTE. 743
4. Sublimé au 10008, solution neutre................. 130
2, — -— SOlUHLON. acide... Tree 1
s. Chlornredechaucaud(0e2..….......... 11" UMImARe 3105
4. Permanganate de potasse au 100e................. 85
5. Acide sulfurique au 100e..... D AU US SIREN 3)
6. Permanganate et acide sulfurique au 100€ chacun... 7
TAGde SuUuriqe Anal A NL . .,. n e 142
8. Acide carbolique commercial au 100e.......,..... 138
ANS G EURE ER RL. LUCE 220
D’autres observations, il ressort que l'impuissance de Pacide
carbolique comme désinfectant ne doit pas être attribué à un
pouvoir de résistance spécial des microbes qui existent dans un
sol de terre et de bouse de vache, mais plutôt à la présence de
quelque substance dérivée de la bouse de vache, qui neutralise
l'effet de antiseptique. Naturellement, dans les expériences 2
et 6 où quelques effets ont été obtenus, ceux-ci ont été limités à
la surface du sol. Aussi longtemps que subsisteront à Bombay
un aussi grand nombrede maisons ayant des sols de cette nature,
il sera presque imprudent de compter sur le résultat de l’ap-
plication des désinfectants.
Les maisons bien construites, au contraire, sont à l'abri de
l'invasion des rats et, si la peste y est introduite, il est
possible que l'emploi des antiseptiques enraye le développement
de l’épidémie.
VIIL. C'est à ceux qui estiment que l’aération est l'unique
remède à la propagation de la peste d’expliquer pourquoi les
singes en sont atteints, eux qui vivent dans des conditions
d'aération telles qu’il serait impossible aux hämmes de vivre
de pareille façon. Plusieurs spécimens provenant de singes
trouvés morts dans la ville de Kunkhal me furent envoyés. J'y ai
trouvé des microbes typiques de la peste. Plus tard, lors de
mon séjour à Hurdwar, j'ai trouvé des microbes de la peste
aussi bien par l'observation que par la culture chez des
singes trouvés morts à Jawalapur.
Un singe apporté vivant dans mon laboratoire mourut
spontanément une demi-heure après son arrivée. Je ne trouvai
rien à l'examen microscopique de ses organes. Mais, dans une
abondante sécrétion nasale, je découvris des microbes innom-
brables dont l’apparence était identique avec ceux de la peste.
744 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
L'inoculation dans les narines d’un rat d'une petite quantité
de cette sécrétion amena la mort par peste typique, mais un.
autre rat inoculé sous la peau avec cette même sécrétion sur-
vécut. Le mucus nasal contenait donc des microbes de la peste.
La culture à aussi démontré la présence du bacille pesteux dans
les organes du singe.
Cela montre qu’un examen sommaire et trop rapide du
cadavre du singe aurait pu faire méconnaître la cause réelle de
sa mort, qui était bien la peste.
IX. On peut trouver encore des preuves bactériologiques en
faveur de l’idée que le virus de la peste peut ètre détruit par
l’aération: D'accord avec d’autres observateurs, j'ai trouvé que
le microbe de la peste est tué après quelques heures de dessic-
cation à l'air, en couche mince sur une lamelle; mais j'ai
constaté au contraire que rapidement séché dans un courant de
gaz hydrogène purifié et sec dans l’intérieur de ballons de
verre, il demeurait vivant pendant cinq jours au moins. Occa-
sionnellement j'ai remarqué que, pendant l'été, fort sec à
Hurdwaar, le microbe de la peste était sujet à périr dans les
cultures sur gélose en une quinzaine de jours, mais je l’ai retrouvé
vivant dans une culture de Bombay hermétiquement scellée
depuis sept mois.
Ce qui concerne l'influence de l’aération et de l’encombre-
ment des logements peut être résumé comme il suit :
Un examen des données fournies par les rapports officiels
montrent que les quartiers de la ville où la population est la plus
dense n’ont pas été plus gravement atteints de la peste que les
autres.
Aucun rapport n'existe entre l'intensité de la maladie et le
nombre moyen des habitants par maison dans les différents
quartiers de la ville.
La plupart des logements déclarés insalubres étaient situés
dans les quartiers qui furent le moins gravement atteints.
Parmi lés quartiers les plus violemment frappés, du moins
dans la ville et l'ile de Bombay, il s’en trouva trois des moins
peuplés, et où les habitants sont le plus desséminés et vivent
dans les maisons les plus espacées les unes des autres.
.. Un contraste remarquable existe entre limmunité dont
PROPAGATION DE LA PESTE: 745
jouirent les hommes de police et les boueux selon qu’ils étaient
logés dans des habitations saines ou dans des maisons mal
construites. Cette différence s'explique par ce fait que les habi-
tations neuves sont moins envahies par les rats.
On voit qu'aucune des statistiques officielles relatives à la
peste de Bombay de 1896-1897 ne peut être utilisée pour
confirmer l'idée ancienne que la peste est le résultat d’une
atmosphère viciée,et qu'on peut l’'empècher par une grande
aération. D'un autre côté, ces statistiques confirment les conclu-
sions du commissaire municipal de Bombay, et du chef de la
santé publique, à savoir que lémigration des rats est
l'agent de la propagation de la maladie le plus important dans
une grande ville.
Bien que les chiffres utiles ne soient pas assez complets, ils
montrent que l'état favorable au développement de i’épidémie
ne consiste pas surtout dans le manque d’air ou de lumière
ni dans l'encombrement, mais seulement en ce que les maisons
affligées de ces défauts sont généralement mal construites et par
conséquent plus accessibles à l’envahissement par les rats.
Les deux quartiers de Bombay qui ont échappé le plus
complètement à l'épidémie sont Forth-South et Esplanade. Dans
ces deux quartiers, les maisons sont construites en pierre {et
aussi bien bâties que celles qu’on rencontre dans les meilleurs
quartiers des grandes villes européennes, et ainsi peu favorables
à l'établissement des rats.
Le quartier de Walkeshwar où l'épidémie sévit plus cruelle-
ment présente un exemple instructif,
Ce quartier, qui forme le faubourg le plus à la mode de
Bombay, renferme de nombreuses maisons bien construites qui
abritent des Européens ou de riches indigènes. En général, les
attaques de peste ne se manifestèrent point dans ces maisons
bien établies, mais seulement dans les petites maisons voisines
mal bâties qui s’y trouvent également. Les rats qui émigrèrent
dans cette direction peu de temps avant que la [peste devint
épidémique avaient plus facilement trouvé asile dans-les petites
maisons.
Les maisons espacées et peu habitées des quartiers de Sewree,
Parel et Mahim, où la mortalité fut énorme, consistaient surtout
en cabanes obscures, et, il faut bien l’admettre, mal aérées, cons-
746 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
truites en bambou brisé, avec toits de nattes en feuilles de pal-
mier. Mais, on ne pouvait rien imaginer de plus accessible aux
milliers de rats dont on signala l’émigration vers ces quartiers.
Quand on enlevait la toiture de ces cabanes, on trouvait fréque-
ment des nids de jeunes rats entre les feuilles dont elle était
formée.
VII
Nous envisagerons maintenant les considérations qui
suggèrent que les rats, quoique présentant le plus grave dan-
ger, ne sont pas nécessairement les seuls agents de propaga-
tion de la maladie.
Lors de mon récent séjour à Bombay, j'ai appris que depuis
l'épidémie de 1896-97 la maladie était restée endémique, non pas
dans les quartiers les plus insalubres et les plus encombrés de
la ville, mais à Mandvie et Lower Colaba, quartiers dans lesquels,
grâce à la présence des dépôts de grains et de coton brut, les
rats sont en plus grand nombre. On a prétendu que la peste s'y
maintenait par le passage du virus d’un rat à l’autre. Lorsqu'un
certain nombre de ces passages de virus a été fait, le microbe
atteint assez de virulence pour attaquer les hommes. Cette hypo-
thèse pourrait s'appuyer sur le fait cité plus haut de la persis-
tance de la peste dans les quartiers de Bombay les plus peuplés
par les rats. Mais cette hypothèse avait besoin d’être confirmée
par l’expérience et, après plusieurs essais, j'ai obtenu un résultat
contraire à mes prévisions.
A Bombay, où j’ai travaillé sur un virus de peste parfaitement
virulent, ainsi qu'à Hurdwar, où mon virus était probablement
plus faible, j'ai trouvé que, par le passage d'un rat à un autre, le
microbe de la peste n’était pas renforcé, mais, au contraire,
rapidement atténué. A la mort d’un rat inoculé de la peste, je
me suis servi du sang ou de la rate de l’animal pour en inocu-
ler un autre. De celui-ci je me suis servi pour inoculer un troi-
sième rat..Si ce dernier rat meurt, on observera moins de
microbes dans ses organes que dans les deux premiers. Il sur-
vivra peut-être; mais s’il meurt, un quatrième rat à qui j'aurai
inoculé de ses organes restera sûrement en bonne santé.
Ce résultat est d’autant plus remarquable que j'ai trouvé,
PROPAGATION DE LA PESTE. 747
conformément à des observations précédentes de Yersin, que le
passage du virus chez les souris augmente la virulence de la
peste. Mes expériences ont été faites avec des souris blanches.
Yersin — je le tiens de lui-même — employait des souris
brunes pour ses expériences. Cette différence dans la façon dont
le microbe se comporte chez les souris et chez les rats est aussi
remarquable, parce que les rats dans la nature semblent être
plus sensible à la peste que les souris.
À Bombay, selon plusieurs observateurs (voir le rapport du
chef de la santé, p. 70) les souris restèrent indemnes dans les
quartiers où les rats succombaient à la peste en grand nombre.
J'ai appris cependant, par le chirurgien capitaine Ghilde, de
Bombay, qu'il trouva une souris morte de la peste.
M. Simond m'a informé qu’il avait étudié une apparition de
la peste à Bandora (près Bombay) où les souris mouraient
comme les rats. M. Bitter, du Caire, m'écrit qu'il constata qu'à
l’occasion de l'épidémie de Djeddah les souris et les rats furent
atteints par la peste. Lors de l'apparition de la peste à Kankhal
et à Jawalapur, on n’y trouva que deux souris mortes, mais
dans aucune je ne pus retrouver trace de microbes ressemblant
à ceux de la peste. Les rats sont plus susceptibles à prendre la
peste par voieintestinale que les souris, mais les rats eux-mêmes
échappent à la maladie si on leur donne à manger des microbes
qui ne sont pas extrêmement virulents.
En présence de ces résultats, la persistance de l’infection
dans une localité ne doit pas être attribuée simplement aux
passages de rats à rats avant que des recherches plus détaillées
aient été entreprises. Les rats, comme nous l’avons montré dans
la première partie de cette étude, peuvent transporter l'infection
d'un quartier à un autre, mais il ne paraît pas qu'ils soient
capables de maintenir la virulence du microbe. Un autre agent
de propagation doit entrer en ligne. Il est possible que, pour
rester virulent, le microbe doive passer du rat dans un autre
milieu, sol ou eau stagnante, ou peut-être le corps d'un insecte,
et de là à un autre rat. En tout cas, il reste des recherches à faire
avant d'émettre une opinion positive à ce sujet.
=]
CS
(ee)
ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
VII
Un autre fait montrant qu’un autre agent que les rats est
nécessaire pour expliquer la persistance de l'infection de la
peste, c'est que l'épidémie peut continuer à sévir avec violence
chez les hommes longtemps après la disparition complète des
rats.
Par exemple, dans le quartier de Walkeshwar, la peste ne
devint épidémique que vers la fin de janvier 1897. Des rats
étaient trouvés morts dans cette localité peu de temps avant cette
époque. Vers le milieu de mars, au dire des habitants, on n'y
voyait plus un seul rat (voir le rapport du commissaire munici-
pal, p. 10). Cependant l'épidémie ne prit fin qu’un mois plus tard.
Vers le commencement de décembre, presque tous les rats dispa-
rurent de Mandvie, mais l'épidémie continua dans ce quartier
jusqu'à mai.
Dans le courant du mois de janvier, le commissaire muniei-
pal, au cours de ses recherches, trouva que les rats avaient
quitté les quartiers du centre dg la ville où, comme à Kamati-
pura, la peste continua jusqu’en mai.
Ceci montre que l'infection, ayant été introduite par les rats,
peut continuer à l’état endémique quelque temps après la dispa-
rition de ces animaux.
En admettant que les rats jouent un rôle important dans la
propagation de la peste dans les grandes villes, telles que Bombay
et Kurrachie, il n’est pas nécessaire de croire qu'ils jouent
exactement le même rôle dans d’autres lieux où les conditions
de la vie ou du elimat, etc., sont différentes.
L'histoire de l'apparition de la peste, dans les villes de
Hurdwar, Kankhal et Jawalapur, suggérait l'idée que, là, les
rats jouèrent un rôle différent de celui qu'ils eurent à Bombay,
dans la propagation de l'épidémie.
J'ai recueilli des renseignements dans les rapports ofliciels
publiés à ce sujet dans La North West Provinces Government
Gazette (24 juillet 1897, p. 211; 6 novembre 1897, p. 329, et
27 avril 1898).
Hurdwar est une petite ville, très sainte aux yeux des Hin-
dous. Elle est située au point où le Gange sort des montagnes de
PROPAGATION DE LA PESTE. 149
l'Himalaya. Des milliers de pèlerins, venus de tous les points de
l'Inde, la visitent annuellement. Des fakirs, des prêtres, des
personnages religieux ou trafiquant avec les pèlerins habitent la
ville. Près de la ville, se trouvent deux autres centres: Kunkha! et
Jawalapur, dont les habitants ont les mêmes occupations. La
population totale de ces trois villes ne s'élève pas à trente mille
habitants.
Du 8 avril au 8 juin 1897, dix-huit cas de peste eurent lieu
à Hurdwar; les huit premiers dans un quartier éloigné du
centre de la ville. Ce quartier fut complètement évacué. Le
dernier cas est du 22 avril. Mais, le 7 mai, un prêtre des envi-
rons obtint l’autorisation d'assister, dans la partie évacuée, à la
désinfection de quelques vêtements appartenant à un temple.
Ces vêtements avaient été déposés dans une maison. On suppose
que le prêtre dormit cette nuit-là dans la maison ou sur les
vêtements qui étaient placés dans une véranda; sept jours après
il fut atteint de la peste. Successivement, neuf autres cas se
déclarèrent dans différents quartiers de la ville.
En dépit d’une enquête soigneuse, on ne releva aucune
mortalité parmi les rats à Hurdwar. Si la maladie avait été due
aux rats, on aurait dû voir des marchands de grains parmi les
premières victimes, comme cela se produisit à Bombay et pen-
dant la peste de Pali, en 1836-1837. Aucun marchand de grains,
mais quelques marchands de confiseries furent atteints.
Dans le courant de juin 1897, une mortalité parmi les rats
fut observée dans la ville voisine de Kunkhal, près d’un dépôt
de grains. Sur neuf de ces rats que j'ai examinés, j'ai trouvé
les microbes de la peste par l’examen microscopique, et par la
culture sur quatre d’entre eux.
On suppose que ces rats ont été contaminés par l'absorption
d’une nourriture malsaine, telle que des confiseries apportées
clandestinement de Hurdwar. Les cadavres des rats ont été
trouvés près d’un grand magasin de grains. Aucun cas de peste
ne se manifesta alors parmi la population de Kunkbhal, sauf chez
nne vieille mendiante qu'on suppose avoir été contaminée à
Hurdwar. Ce résultat satisfaisant peut être dù aux mesures
énergiques de désinfection qui avaient été prises. L’épidémie
parmi les rats se termina vers la fin de juin: une trentaine
avaient été atteints,
750 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Mais, le 16 septembre, un cas de peste se révéla chez un
habitant qui n'avait pas quitté Kunkhal. il fut de suite envoyé :
à l'hôpital.
De cette date au 4 novembre 1897, 51 cas de peste furent
signalés à tous les coins de la ville, quoique en certains points
des foyers plus intenses s'étaient formés. On procéda alors à
l'évacuation de la ville entière.
Vers le milieu d'octobre, on observa, parmi les singes, des
cas de peste pendant une quinzaine de jours. Les singes étant
des animaux sacrés pour les Hindous, il était impossible de les
tuer. On en captura donc quelques centaines qu'on laissa en
cage jusqu’à ce que l'épidémie fût passée.
Pendant cette période, un seul rat mort de la peste fut trouvé
à Kunkhal.
Durant tout ce temps, la ville voisine de Jawalapur avait été
surveillée avec soin. Le 9 octobre 1897, on y trouve un rat
mort, mais dans lequel aucun microbe de la peste n'a été
rencontré.
Le 9 janvier 1898, un cas de peste se produisit à Jawalapur.
Peu après, deux parents du pestiféré sont atteints à leur tour
pendant un séjour au camp des isolés, ainsi qu'un infirmier
indigène attaché au service de ce camp.
Aucun cas ne se produit plus jusqu'au 4 février 1898. Mais,
dans le courant de ce mois, 24 cas nouveaux se déclarent : en
mars 66 et en avril 19. La grande majorité des habitants
(14,000 personnes) se décida alors à s’exiler volontairement, et
la ville fut évacuée définitivement.
Dans le campement des évacués, plusieurs cas se produisirent
parmi de nouveaux arrivants de la ville. On note encore quel-
ques pestiférés parmi ceux qui obtinrent la permission de
retourner à la ville pour une seule journée, afin d'assister à la
désinfection de leurs maisons, ainsi que parmi les travailleurs
occupés à ces travaux de désinfection. Vers la fin d'avril, l’épi-
démie paraissait terminée”.
1. Pour donner queiques renseignements précis sur les mesures qui furent
prises contre la peste, je dirai que du commencement de février au 22 avril,
801,805 personnes, habitant les villages environnants, furent examinées et réexa-
minées. Ces investigations firent découvrir quelques pestiférés dans dix villages.
La population exposée à la contagion, dans ies villages reconnus infectés, s’éleva
à 34,000 environ. Jusqu’au 27 avril, 271 cas de peste se produisirent.
PROPAGATION DE LA PESTE. 751
Dans le courant de février et mars, plusieurs singes mou-
rurent de la peste. D’après ce que je sais, on ne trouva pas,
pendant toute la durée de la peste, plus d’une demi-douzaine de
rats morts à Jawalapur.
Au sujet de l'épidémie d'Hurdwar, il n’y a aucune raison de
supposer que les rats furent pour quelque chose dans la durée ou
la propagation de la peste. Les premiers cas se manifestèrent
dans une maison fréquentée par des pèlerins qui arrivaient d’une
région infectée (Sind). Il y a des raisons de croire qu'ils avaient
apporté la peste, quoique restant eux-mêmes en bonne santé.
Le grain vendu à Hurdwar est généralement emmagasiné à
Kunkbhal. 11 v a lieu de croire que les rats sont rares à Hurdwar,
les maisons de cette ville étant de construction excellente,
Quant à Kunkhal, il est certain que l'épidémie des rats n'a
pas produit une infection immédiate des hommes, grâce peut-
être aux mesures de désinfection qui furent prises à Kunkhal
avant même qu’on eùt remarqué la mortalité des rats. Il est pos-
sible, sans qu'il soit permis d'affirmer ou de nier, que la conta-
gion des rats de Kunkhal a produit une infection de la localité
qui, trois mois plus tard, a causé lépidémie parmiles hommes.
En ce qui concerne Jawalapur, où la maladie fut plus violente
que dans les deux autres villes, il est permis de soupçonner la
contamination par les rats sans qu'on ait pu cependant l’affirmer
avec autant de raison que pour Bombay. D'abord, on peut affir-
mer que le nombre des rats trouvés morts à Jawalapur n’est pas
suffisant pour expliquer une épidémie aussi violente et d'aussi
longue durée que celle qui a eu lieu. Ensuite, il faut admettre
qu'il est possible que l’autorité n'ait pas eu connaissance du
nombre véritable des rats trouvés morts et qu'il peut avoir été
très supérieur à celui cité.
Dans les villages et les petites villes de l'Inde supérieure, il
se trouve une ie quantité d'animaux qui vivent exclusive-
ment des immondices. Les chiens, les chacals. les vautours, ete.,
enlèvent Lous les détritus avec une rapidité incroyable. Un jour,
par exemple, j’ai observé et compté environ 350 vautours sur-
veillant, près d’Agra, le travail d’un boucher occupé au dépeçage
d’un bœuf. Sa famille était très affairée à préserver les parties
utilisables du bœuf. En un clin d’œil les oiseaux en eurent fait
disparaitre le restant.
pa
752 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Dans une ville évacuée, dont les maisons sont rarement éle-
vées d’un ou deux étages comme Jawalapur, il est probable que
ces oiseaux (qui vivent d’immondices, rappelons-le) enlevaient
les rats morts beaucoup plus rapidement qu’à Bombay où les rues
sont obscures et les maisons fort élevées.
En second lieu 1l est à supposer qu’à l’époque où éelata l’épi-
démie, il n’y avait que peu de rats à Jawalapur. Les récoltes
étaient encore sur la terre et les rats avaient quitté les maisons
pour les champs.
Outre les affirmations qui m'ont été données, les raisons que
j'ai eues en faveur de cette supposition sont les suivantes :
Pendaut les mois de mars et d'avril 1898, j'ai été en station-
nement près de Hurdwar pour étudier la peste. J’ai eu besoin de
rats pour mes expériences, mais, en dépit des pièges tendus à
Kunkhal, Mayapur, Agra et Roorkee, très peu ont été capturés.
Avant etaprès cette époque, quand il n’y avait plus de récoltes
dans les champs, je n'avais aucune difficulté à capturer tous les
rats qui m'étaient nécessaires. Si ma supposition concernant
l’émigration des rats est juste, il est étrange que la cessation de
la peste à Jawalapur ait coïncidé avec la rentrée des récoltes,
c’est-à-dire avec le retour des rats à la ville.
On m'a raconté qu’à Guhrwal, où la peste est endémique, les
rats désertentles champs et regagnentles maisons à des époques
fixes de l’année. On dit qu’à Guhrwal la peste éclate générale-
ment à l’époque de la disette, c'est-à-dire au moment où les habi-
tants vident les silos où ils cachent leurs grains. On en a conclu
que la peste résultait du grain infesté, mais1l y aune autre hypo-
thèse : c’est que la disette a aussi attiré les rats dans les maisons
et que leur arrivée a causé le commencement de l'épidémie.
IX
L'existence d'une période d’incubation observée dans la
localité est d’une grande importance pour la question que nous
traitons. |
A l’occasion d’une discussion importante sur la peste qui eut
lieu récemment devant la Société médicale et physique de Bom-
bay‘, le chirurgien lieutenant-colonel Clarkson dit que si l'infec-
1, Voir Proceedings of the Bombay Medical and Physical Society. Vol. I.
Février, mars et avril 1898.
PROPAGATION DE LA PESTE. 153
tion de la peste est importée dans une localité par les rats, les
êtres humains tombent malades au bout de quelques jours. Si,
au contraire, la contagion est importée par les êtres humains,
ceux-ci ou même les rats ne sont souvent contaminés qu'après
un laps de temps d’un mois à six semaines. Qu'est-il arrivé pen-
dant cette longue période d’incubation ? On sait que si la conta-
gion est amenée par les rats, une épidémie humaine s'ensuit
presque toujours, alors que si la contagion est importée par
l'agent humain, dans la plupart des cas et peut-être même dans la
majorité des cas, il n’y a pas d'infection ultérieure. Par exemple.
pendant les cinq premiers mois de l'épidémie de Bombay, vers
la fin de 1896, il n’y eut que quatre autres villes qui furent infec-
tées. A cette époque, cependant, environ deux cent mille per-
sonnes s'étaient enfuies de Bombay.
J'ai trouvé les exemples suivants d’une longue période d'in-
cubation dans une localité.
I. Voici la description du début de la peste à Londres en 1665,
par Defoe :
«Il y a vraiment une difficulté que je n’ai pu résoudre jus-
qu'à présent; voici les faits : la première personne qui suecomba
à la peste est morte le 20 décembre 1664 à Long Acre. On a dit
que cette première victime avait contracté le germe infectieux
d'un paquet de soie arrivant de Hollande et déballé dans la mai-
son. Mais ensuite nous n'avons pas entendu dire qu'aucune per-
sonne mourut de la peste dans cet endroit avant le 9 février,
soit sept semaines après. Alors une autre personne de la même
maison fut enterrée. Maïs la maladie s’apaisa et nous fûmes par-
faitement tranquillisés pour le public, car aucun cas n’est men-
tionné dans le rapport hebdomadaire de la mortalité, jusqu’au
22 avril. Cependant la peste faisait deux morts de plus, non dans
la même maison, mais dans la même rue, et, si je me souviens
bien, dans la maison la plus voisine de la première.
«Cet événement se produisit au bout de neuf semaines.
«Nous n’en n'avions plus que pour une quinzaine de jours de
répit : alors la peste éclata dans plusieurs rues simultanément et
se répandit partout. La question qui se pose donc est la suivante :
où était le germe de l'infection pendant tout cetemps-là? Comment
le mal demeurait-il à l’état latent sans se manifester davantage”
48
754 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Est-ce que la maladie ne se propage pas immédiatement par la
contamination d'un corps à l’autre, ou bien le corps est-il capable
de garder le germe de l'infection plusieurs jours, plusieurs
semaines, une quarantaine ou une soixantaine de jours, plus
peut-être, sans què la maladie se révèle ? »
Ce récit est fait d’après les rapports hebdomadaires de la
mortalité qui existent encore aujourd'hui. Mais Defoe, ne sachant
comment expliquer que l'infection puisse demeurer aussi long-
temps à l’état latent, cherche à émettre l'hypothèse que l'inter-
valle apparent était fécond en cas de morts, mais que ceux-ci
étaient tenus secrets.
IL. On dit que la peste de Marseille fut importée en 1720 par un
vaisseau, le Grand-Saint-Antoine, qui avait quitté Saïd (Syrie) le
31 janvier avec un chargement de soie. Deux cas de mort se pro-
duisirent pendant la traversée, mais on ne sait s’il faut les attri-
buer à la peste. Le vaisseau arriva à Marseille le 23 mai. Deux
jours après son arrivée au port, un homme de l’équipage fut
atteint de la peste. Le vaisseau et son chargement furent immé-
diatement mis en quarantaine. La personne atteinte ensuite fut
un des hommes qni portaient des marchandises à Pile où était
établie la quarantaine. Ce cas fut suivi de celui d’un chirurgien
envoyé par les magistrats pour examiner les corps. Selon Mead',
un intervalle suivit, « car six semaines s'étaient déjà écoulées
depuis la mort du marin qui avait donné l'alarme et appelé lPat-
tention générale avant que les magistrats eussent reçu le rapport
d’un décès attribué à la peste dans la ville, et je crois que jamais
auparavant on n'avait vu de peste, une fois déclarée, s’apaiser si
longtemps pendant l'été. »
HIT. La ville de Satara (Inde) compte environ 25,000 habitants.
La peste y éclata en décembre 1897 et se prolongea sous la
forme épidémique jusqu’en mars 1898. Grâce apparemment à
l'excellente organisation du service d'hygiène, 781 cas seulement
se produisirent jusqu'à cette dernière date. Le 1° mars 1898, la
population était tombée à 3,438 habitants, tous logés dans des
maisons bien construites et bien aérées. Le reste de la population
était dans des campements sanitaires ou avait quitté le district
1. Mean, À discourse on plaque, % édition, Londres 1774; première édition
parue en 1720. II cite le « Journal de ce qui s’est passé à Marseille», v. p. 53.
PROPAGATION DE LA PESTE. 199
après un séjour suffisamment prolongé dans ces camps. Avec une
organisation aussi parfaite, ilest peu probable que des décès soient
restés ignorés. J'ai recueilli ces renseignements dans un rapport
du chirurgien Thomson, lu par lui devant la Société médicale et
physique de Bombay ‘. Selon M. Thomson, l'infection fut intro-
duite par un habitant de Satara qui était allé percevoir des
impôts dans une enceinte infectée, et fut atteint de la peste à son
retour le 27 septembre 1897.
Le 3 octobre, le premier cas réellement indigène se produisit.
L'enfant de ce collecteur de Satara mourut en deux jours. Quel-
ques autres cas se manifestèrent bientôt après dans la localité.
Quatre maisons furent infectées. Aussitôt les toits furent enlevés,
les maisons désinfectées et puis brülées. Les habitants de ces 4 mai-
sons furent relégués dans un camp situé à deux milles en dehors
de la ville et tous restèrent en bonne santé. Je regrette que le
chirurgien Thomson n’ait pas fourni de détails plus précis sur
les autres cas de ce foyer. Après un laps de cinq semaines seu-
lement depuis le premier cas, la peste se déclara sous la forme
épidémique dans les maisons voisines de celles détruites. Le
10 novembre, le chirurgien Thomson fut appelé à examiner de
prétendues morsures de serpent dans une maison située à
100 yards de l'enceinte infectée. Il trouva un garçon mort de la
peste, et un autre garçon ainsi que deux femmes atteintes de la
maladie. Tous avaient été soudainement frappés pendant la
nuit. Dès ce moment, la maladie commença à se répandre dans
le voisinage.
On peut objecter à cette relation du chirurgien capitaine
Thomson que, dans le courant de cinq semaines, quelques cas
importés se produisirent en dehors de l'enceinte infectée. La
maison où les quatre cas avaient eu lieu le 10 novembre était
habitée par deux familles de coiffeurs. Il n’y a pas de preuves
qu'ils n'aient pas contracté l'infection de quelque cas importé
de loin. On rapporte que de grandes quantités de rats morts de
la peste ont été trouvés dans la ville, mais nous ne savons pas
s'ils ont été trouvés dans Le foyer originel de l'infection. Tout
ce qu'on peut établir de façon certaine, c’est que, pendant quel-
ques semaines, l'infection ne revètit pas un caractère épidémique.
4. Publié dans les Proceedings pour mars 1898,
756 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
IV. Nous avons des détails plus exacts dans un rapport du
chirurgien-major Collie sur la peste dans la ville de Hubli
pendant les trois premiers mois de 1898 *.
Le 10 octobre 1897, la peste se manifesta dans quelques
bâtiments habités par les employés du chemin de fer près de la
ville de Hubli. Des mesures préventives furent prises et la
maladie prit fin le 13 décembre 1897, après avoir atteint 35 per-
sonnes sur 1,200 employés de chemin de fer qui y furent expo-
sés. L'apparition de la peste présentait un grand danger à Hubli,
qui est peuplé d'environ 50,000 habitants. Les mesures prises
pour le conjurer comprenaient un rapport quotidien de chaque
propriétaire de maison, et des mesures pour prévenir de chaque
cas de mort ou de maladie, avec défense de laisser brüler ou
enterrer un corps sans avoir fait inspecter le cadavre par un
médecin.
Voici la liste des premiers cas de peste relevés à Hubli :
Numéro des cas. Dates. Remarques.
il 4 nov. 1897 Importé.
2 4 nov. 1897 —
3 7 déc. 1897 —
4 13 déc. 1897 Importé probablement.
b) 14 déc. 1897 Importé.
6 20 déc. 1897 —
7 31 déc. 1897 —
8 9 janv. 1898 Local.
9 9 janv. 1898 —
10 30 janv. 1898 —
11 1 fév. 1898 —
12 3 fév. 1898 —
13 7 fév. 1898 —
14 4 mars 1898 —
415 4 mars 1898 —
16 4 mars 1898 —
17 . D mars 1898 —
18 6 mars 1898 —
19 8 mars 1898 —
20 20 mars 1898 —
Il paraît que la gravité de l’épidémie augmenta par la suite,
mais nous n'avons pas de chiffres détaillés.
Au sujet des cas importés de cette liste, il y a des raisons de
4 Voir Plaque operations ab Hubli, with remarks on plague, par le capi”
taine chirurgien Meyer, et Continuation of the plague history of Hubli, par le
chirurgien-major Collie, Proceedings Bombay Med. and Phys. Society. Vol. II,
nc 2, et d avril et février 1898.
PROPAGATION DE LA PESTE. 157
penser que le n° 3 fut la cause de l’expansion ultérieure de
l'épidémie. Il s’agit ici du cas d’un nommé Shidu qui, avec l’aide
d'amis qu'il comptait dans la police, réussit à franchir le cordon
sanitaire et à pénétrer dans les bâtiments occupés par les em-
ployés de chemins de fer. Il y resta une nuit, puis retourna chez
lui à Hubli. Sa maison se trouvait dans une rue appelée Mabrati-
Gully, et c’est là qu’il subit les premières atteintes du mal.
Effrayé par les mesures préventives, il s'enfuit de la ville avec sa
femme. Il chercha à pénétrer dans plusieurs villages, mais les
habitants le repoussèrent. Finalement il fut abandonné par le
cocher de sa voiture, et mourut dans une jungle le 7 décembre.
Dans le courant de décembre, on signale trois autres cas de
peste importés. Il est difficile de préciser l'origine d'un quatrième
cas, mais il a toute probabilité pour le considérer comme un cas
d'importation. Trois d’entre eux se déclarèrent sur une place
toute proche de l’habitation de Shidu (cas n° 3). Mais ce quartier
est également près de la gare et est occupé par une population
voyageuse : on devait en conséquence trouver la majorité des
cas importés dans ce quartier.
Ce ne fut que le 9 janvier 1898 que des cas sans doute d’ori-
gine indigène furent découverts. Deux enfants furent touchés
qui demeuraient dans la rue de la maison de Shidu, du côté
opposé et à 48 mètres de distance environ. C’est alors qu'on
déclara la ville infectée, et la plus grande partie de Mabrati-Gully
fut évacuée. Le cas suivant fut celui d’un homme qui avait passé
21 jours dans le campement sanitaire.
Le 20 janvier, il avait appris qu'on avait donné l’ordre de
détruire sa cabane contiguë à la maison de Shidu (cas n° 3). En
corrompant la police, il réussit à quitter le camp et à atteindre sa
cabane le 22 janvier. Il emporta deux habits et retourna au camp
où il mourut le 30 janvier. Il se trouve sur la liste sous le n° 10.
Son histoire prouve une fois de plus que la maison de Shidu est
restée infectée.
Le 1° février 1898, une autre personne fut frappée (n° 11 de
la liste) dans une maison voisine de l’enceinte abandonnée et à
50 mètres de la maison de Shidu.
Les 12 et 13 de la liste sont datés des 3 et 7 février et ont eu
lieu à une distance de 139 mètres de la maison de Shidu.
A cette occasion, le chirurgien-major Collie fit brüler toute la
198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
rue de Mahrati-Gully, mais cette mesure énergique fut encore
insuffisante pour arrêter l’expansion de l'infection.
Trois personnes moururent le 4 mars 1898, deux d’entre
elles dans des maisons sises à 60 mètres de la maison de Shidu, et
la troisième à 145 mètres de la même maison. Dès cette époque se
révélèrent des cas isulés et éloignés les uns des autres. Ils étaient
dispersés dans la ville loin du lieu où la maladie avait pris
naissance.
Voici ce qu’en dit le chirurgien-major Collie :
1° Qu'une enquête minutieuse n’a jamais montré qu'il y eût
eu des relations entre les victimes. En général, elles ne se con=
naissaient même pas et appartenaient à des castes différentes,
comme montre le cas des Brahmins (n° 14, 15 et 16) ;
2° Qu'une longue période de temps s'était écoulée entre
chaque cas en janvier et février ;
3° Que les maisons où se produisirent les cas consécutifs
étaient séparées l’une de l'autre; que la peste franchit apparem-
ment des quartiers très populeux avant de trouver un nid favo-
rable à son développement;
4° Qu'on n’y trouva ni rats morts, ni rats malades;
5° Qu'il est impossible, avec notre connaissance actuelle de
l'histoire des bacilles, de déclarer qu'une place infectée et
évacuée ne contient plus Le virus pesteux, jusqu'à ce que la popu-
lation entière y soit revenue et ne présente aucun cas de peste
pendant une période prolongée. « D’après ce que j'ai appris, dit
le chirurgien-major Collie, il n’est pas probable que la maladie
se soit propagée à la suite d’un contact direct entre les hommes.
Les mesures prises pour connaître les cas de maladie et de mort,
ainsi que les longs intervalles entre les cas successifs excluent
réellement l’idée de l'infection humaine directe. De plus, il n’est
pas rare de voir des mères atteintes de peste, même de peste
pneumonique, allaiter leurs enfants sans les contaminer,, et aussi
des enfants pestiférés nourris par leurs mères sans que celles-ci
contractent le mal.
V. Des faits relatifs à la propagation de la peste dans les villes
de Hurdwar, Jawalapur et Kunkhal ont été rapportés dans la
première partie de cette étude. Ces villes sont situées à plusieurs
centaines de milles du lieu infesté le plus proche, et l’on a vu
PROPAGATION DE LA PESTE. 159
qu'en certain cas l'épidémie se maintenait à l'état latent pendant
plusieurs semaines. Lors de mon dernier séjour à Hurdwar, les
fonctionnaires m'ont assuré que lorsqu'un quartier de la ville
(Jawalapur) avait été déserté à la suite d’un cas, les atteintes
qui suivirent se montrèrent presque toujours dans des maisons
situées au bord de l'enceinte désertée et seulement après un
intervalle de deux ou trois semaines. Il serait utile de publier en
détail tous les faits sur lesquels cette opinion est basée.
VI. Il est remarquable que les seules matières reconnues,
durant l'épidémie de Bombay, comme capables de conserver
le germe infectieux longtemps, sont les vêtements. Comme
exemple de persistance du virus à l’état latent dans les vète-
ments, je citerai deux cas :
Un bateau à vapeur quitta Bombay le 20 août 1896, Il arriva
dans la Tamise le 11 septembre. Le 26 ou le 27 du même mois,
un domestique portugais du bord était atteint, et mourait le
3 octobre. Le mème jour, un autre domestique, portugais aussi,
était frappé et mourait le 28 septembre. On croit qu'il s'agit de
la peste pour ce second cas. Il a été démontré eliniquement et
bactériologiquement que le premier cas était bien la peste. Les
deux hommes couchaient dans la même cabine. On considéra
comme probable qu'ils avaient porté des vêtements lavés à
Bombay, et déballés à cause du froid peu de temps avant l'attente
dont ils furent victimes.
Dans ce cas, l'infection était restée latente pendant une
période d'au moins 36 jours.
Le cas suivant est rapporté par le chirurgien-major Collie :
« J'ai noté un fait intéressant pendant la première année de l'épi-
démie, montrant le danger des vêtements portés par des pesti-
férés. Un homme perdit sa femme à Bombay. Dix jours après,
il portait ses vêtements et ses bijoux dans une maison qu'il pos-
sédait dans un village près de Hurnaiï, dans la circonscription de
Ratnagiri. Une semaine après, environ, on trouvait des rats
morts dans sa maison et dans le voisinage. Les parents tom-
bèrent malades l’un après l’autre et moururent de la peste.
Finalement, le mari, sixième victime, mourait à son tour.
Aucun des membres de cette famille n'avait quitté le village qui,
après cette importation, fut sévèrement ravagé. Il n’est pas cer-
160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tain dans ce cas que l’homme n'ait apporté la maladie par une
autre voie que les vêtements, mais l’opinion que les vêtements.
des pestiférés sont dangereux est en parfait accord avec ce qui
a été observé dans les épidémies antérieures. Mead, par exemple,
écrivait en 1720 « que les vêtements abritaient les quintessences
mêmes de la contagion ».
Il est évident que les vêtements peuvent conserver l'infection
pendant longtemps, mais ce fait est pour moi d'autant plus inat-
tendu que dans les conditions des expériences de laboratoire,
j'ai constaté que le bacille de la peste était tué par plusieurs
acides gras. Les vêtements dans les Indes ont généralement une
réaction acide, provenant de la sueur qui les imprègne, mais
celle-ci, pour des raisons inconnues, semble ne pas agir sur les
microbes des vêtements.
X
Des preuves que nous venons de discuter résulte que
l'agent le plus effectif de la propagation de la peste dans une
grande ville, aux Indes, est le rat. Les preuves statistiques
exposées dans les rapports officiels, sielles n’écartent pas abso-
lument les elfets de l'encombrement, de l'insuffisance, de l’aéra-
tion, etc., paraissent au moins réduire ces prétendues influences
favorisantes au rang d’hypothèses non nécessaires pour expli-
quer les principaux faits relatifs à la propagation de l'épidémie
à Bombay. Il paraît que les maisons mal construites et mal
aérées, si elles sont plus exposées à la contagion, ne le sont pas
parce qu’elles sont mal construites ou mal aérées, mais parce
qu'elles sont mieux disposées pour offrir un asile aux rats et
plus difficiles à désinfecter quand elles sont souillées. En même
temps, on a produit des raisons qui font soupçonner que les rats
ne sont pas toujours nécessairement l'agent de propagation de
la maladie. De même qu'il a fallu, pour expliquer l'expansion de
Fépidémie à l'homme, faire intervenir les rats, il faudra, pour
se rendre compte de la persistance du virus dans les lieux infec-
tés, chercher comment celui-ci passe du rat dans quelque autre
véhicule. Du fait que les rats ont été l’obstacle insurmontable
dans la lutte contre l'épidémie aux Indes, il ne s’ensuit pas que
partout ils constitueront un aussi grave danger. A Bombay, les
PROPAGATION DE LA PESTE. 761
cadavres des rats ont été dépecés par des fourmis et d’autres
insectes qui en apportaient les débris dans les maisons, et aidaient
ainsi à répandre l'infection.
Les preuves données par le commissaire municipal et le
D' Weir, chef de la santé publique, établissant que la mort des
rats à Bombay ne fut pas seulement un phénomène concomitant,
mais un important agent de cause dans la propagation de la
maladie, m’apparaît comme le résultat scientifique le plus
précieux.
Il résulte de ces recherches que la meilleure défense d’une
ville consiste en une construction telle de ses maisons que les
rats ne puissent s’y établir.
Dans une ville menacée de la peste, les dépôts de grains
doivent être considérés comme dangereux. Il en est de même de
toutes les industries qui attirent les rats. Comme il est possible
que l’usage des désinfectants amène l’émigration des rats, 1l faut
user de substances telles que le sublimé dans la partie infectée
d’une ville, et de l'acide carbolique ou de désinfectants ayant
une odeur désagréable pour les rats dans les enceintes environ-
nantes non encore infectées.
Le fait de la participation des rats à là propagation de la
maladie dans une grande ville amène à conclure qu'il est impos-
sible d'arrêter la peste une fois déclarée. En premier lieu, parce
qu'il est impossible d’évacuer totalement une grande ville, et
ensuite parce que personne ne sait comment détruire complète-
ment et sur place une population de rats.
C’est ce fait qui donne tant d'importance aux méthodes de
vaccination par les vaccins (Haffkine), ou par les antitoxines
(Roux et Yersin), dans les pays où ces méthodes sont applicables.
On ne contracte pas généralement l'infection, en piétinant
un rat mort. D’une manière ou d’une autre, le microbe quitte
le rat et trouve un « nid » dans la localité. Nous ne savons pas
comment cela se produit. Dans le laboratoire, le bacille de la
peste se montre comme un microbe très fragile. Dans la nature,
il semble doué d’une force de résistance extraordinaire. De nou-
velles recherches sont donc nécessaires pour élucider ces points.
Après avoir étudié le microbe pendant plus d’un an dans ce but,
je puis affirmer que ces travaux présentent des difficultés peu
ordinaires. Mais tant qu’ils n'auront pas abouti, nous en seron
s
762 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
réduits à dire comme Defoe : « Le meilleur remède contre la
peste est de s'enfuir. »
P.-S. — J'ai fait des réserves sur le rôle que joueraient
nécessairement les rats dans tous les cas de propagation de la
peste. Elles sont justifiées par l'histoire de certaines épidémies,
et il y a des raisons de croire qu’en Angleterre, au moment où
sévissait la « mort-noire » en 1347, il n’y avait point encore de
rats. En effet, en parlant de l'importation en Angleterre des
deux espèces de rats connus, le rat noir et le rat brun, le zoolo-
giste Bell s'exprime ainsi : « Il semble que mème le premier
w’était pas connu ici (Angleterre), avant le milieu du xvr° siècle. »
Avant de se prononcer sur cette question, denouvelles recherches
historiques sont nécessaires. (V.Becr, British Quadrupeds, p.302.)
SUR LA REPRODUCTION DE LA SUBSTANCE ANTITOXIQUE
APRÈS DE FORTES SAIGNÉES
Par Carz Juz. SALOMONSEN er Taorvazp MADSEN
(Travail du laboratoire de bactériologie médicale de l’Université de Copenhague.)
Dans leur Contribution à l'étude du tétanos (Annales de
l'Institut Pasteur, 1893, page 82), MM. Roux et Vaillard ont
montré que des lapins activement immunisés contre le téta-
nos pouvaient en quelques jours perdre une quantité de sang du
même poids que le volume total du sang de l’animal, sans dimi-
aution sensible de la force antitoxique du sérum sanguin. Ces
auteurs ajoutent la remarque suivante : « Nous ne retiendrons,
pour le moment, de cette expérience que sa signification pra-
tique. Chez un animal fournisseur de sérum, les saignées peuvent
être fréquentes et copieuses sans que de ce fait le pouvoir anti-
toxique soit notablement diminué. » Cette remarque de ces deux
savants éminents n’a pas eu l'importance pratique désirée. L’ex-
périence a montré qu’il est absolument nécessaire d'injecter de
nouvelle toxine aux chevaux qu'on emploie pour produire Île
sérum antidiphtérique, si l’on ne veut pas s’exposer à constater
dans la force antitoxique du sang une diminution rapide causée
par les saignées réitérées. D'autre part, la question de la régené-
ration de la substance antitoxique sans introduction de toxine
est d’une importance de premier ordre pour toute conception
théorique de la fonction antitoxique, en sorte qu'il y a lieu de
refaire les expériences de MM. Roux et Vaillard dans des con-
ditions variées. Deux de nos travaux antérieurs ont effleuré
cette question.
Jusqu'ici le cas exceptionnellement favorable de pouvoir
764 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
examiner avec précision l'influence de la saignée sur la force
antidiphtérique du sang chez un cheval en parfait « équilibre
antitoxique », ne s’est présenté pour nous qu’une seule fois, le
cheval s’étant trouvé pendant neuf jours dans cette condition
idéale. La valeur de cette recherche est d'autant plus grande
que ses résultats sont contrôlés, pour ainsi dire, par des mensu-
rations du pouvoir antitoxique du lait. Dans la figure 1, la ligne
pleine indique le pouvoir antidiphtérique du sang; la ligne ponc-
tuée, celui du lait. On voit que chez une jument pesant 665 kilogr,
uue saignée de 7 litres a fait baisser ie pouvoir antitoxique de
120 à 85 U. I.‘ en trois jours. Pendant la quatrième journée, le
pouvoir antidiphtérique remonta à 100 et s’y maintint pendant
? 4 6 SNCF EI 0070
six jours, après quoi l’équilibre fut de nouveau troublé par une
injection de toxine. En outre, cette figure montre que les deux
courbes ont à peu près la même allure.
Le résultat définitif de la saignée fut donc un abaissement
du pouvoir antitoxique du sang de 120 à 100 U. I. Comme la
masse totale du sang, calculée d’après le poids de l’animal, doit
être estimée à 51 litres et qu'on en enlevait 7 litres, soit 1/7 de
cette même masse, l’abaissement du pouvoir antitoxique corres-
pondant seulement à la dilution du sang par sa régénération,
serait environ 17 U. I., soit : 120/7, ce qui donne 103 U. I. pour
4. U. f. signifie unité d’immunisation par centimètre cube.
REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 765
le pouvoir du sérum. La différence entre ce résultat et le chiffre
100 trouvé par nos expériences est si minime qu’on pouvait fort
bien, dans ce cas, regarder la diminution mentionnée comme
causée mécaniquement par l’ablation de 1/7 de la masse totale
du sang. Pourtant nos expériences ultérieures ont établi que cette
correspondance n’a lieu que rarement. La diminution, qui attei-
gnit 85 U. I. le troisième jour après la saignée, fait d’ailleurs
soupçonner que la cause du phénomène n’est pas uniquement
la dilution par la régénération du sang. Pour éclairer cette ques-
tion, il était nécessaire de faire une série de déterminations com-
paratives du nombre des globules sanguins et du pouvoir anti-
toxique du sang après la saignée. Nous avons entrepris quelques
déterminations de ce genre, mais les saignées furent toujours
faites dans des conditions autres que celles de la figure 1. Dans
le cas qui correspond à cette figure, le cheval était en équilibre
antitoxique, c’est-à-dire avait conservé constant pour un certain
temps son pouvoir antitoxique; mais d’autres expériences ont eu
lieu alors que le pouvoir croissait après une injection de toxine.
On ne saurait donc arguer de ces expériences pour résoudre
définitivement si l’organisme du cheval activement immunisé
est capable de reproduire en tout ou partie la quantité d’anti-
toxine enlevée par la saignée. Car, si l'épuisement du sang a
lieu très peu de temps après une injection de toxine, l’accrois-
sement qui en résulte pourra n'avoir pas encore atteint son
maximum. On ne peut donc pas évaluer un accroissement cons-
taté quelques jours après la chute brusque du pouvoir antitoxique
causée par la saignée ; car il se peut aussi que l’accroissement
soit dû à l'injection de la toxine.
Néanmoins nos expériences peuvent servir à décider si la
dépression antitoxique observée immédiatement après la saignée
peut résulter d’une hyperdilution du sang. Les phénomènes repré-
sentés par la figure 2 donnent une réponse négative : le cheval
immunisé pesait 586 kilog.; on lui enlevait 5,5 litres de sang,
ce qui réduisait de 85 à 55 son pouvoir antitoxique. La courbe
rend manifeste que cet abaissement d'environ 35 0/0 n’est pas
dû à une hyperdilution du sang, le nombre des globules rouges
n'ayant baissé que de 7,6 à 6,5 millions, soit environ 12 0/0.
Par cette même figure, nous voyons encore que le pouvoir
antidiphtérique du sang a repris exactement le niveau qu’il
766 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
avait avant la saignée. Ce cas est le seul où ledit fait se soit
reproduit durant nos recherches. Le plus souvent nous avons
constaté qu'après la chute brusque qui suivait immédiatement
une saignée, venait une baisse lente et continue, ce que nous
avons considéré comme le résultat de l'influence nuisible de
l’anémie aiguë sur la puissance antitoxigène de l'organisme.
En faisant les observations mentionnées, nous nous occupions
9 mll
Tirer
CMET
Es
2 AN
50.
Pouvoir an ie ae sert
RPC Nombre des globules rouges
Fig. 2.
de travaux dont le but n'était pas d’élucider la question pré-
sente et qu'il nous fallait poursuivre dans des conditions moins
favorables.
Au contraire, les expériences qui suivent ont été faites expres-
sément pour étudier la régénération spontanée de Fantitoxine.
Nous disposons actuellement des résultats de deux expé-
riences qui s’y rapportent. Nous avons tâché d'éviter ou d'atté-
nuer l'influence fâcheuse de l’anémie aiguë en recourant à la
transfusion, et en employant, dans l'expérience n° 1, une solution
de chlorure de sodium physiologique, dans l’expérience n° 2 du
sang de chèvre défibriné.
Le sujet servant à l’expérience n° 1 était une chèvre dont le
poids pouvait être #1 kilog. En 78 jours, savoir du 29 janvier au
16 avril, on lui injecta en tout 189 c.e. de toxine, dont 100 €. c
par doses de 50 c. c. deux jours de suite, le 15 et le 16 avril. HI
en résulta chez l’animal un si fort abattement, que nous préfé-
ràmes procéder à l'expérience dès le cinquième jour après la
dernière injection de toxine, plutôt que d’attendre pour expéri-
menter l'établissement de l'équihbre antitoxique.
‘+ dr che
REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 767
: La quantité de sang de l'animal futévaluée à environ 3,100. c.
Une saignée de la veine jugulaire en enleva 1,000 e. c., que nous
remplacèämes immédiatement par 1,000 c. ce. d’une solution de
sel marin. Vingt-quatre heures après, nouvelle saignée, mais de
800 c. ce. seulement; car nous ne croyions pas l’animal capable
de supporter une plus forte perte de sang.
Ensuite on injecta 800 c. c. de la. même solution que ei-
dessus ; l'animal ne tarda pas à se relever et, une semaine après
la saignée, son poids avait un peu augmenté. Le résultat des
mensurations du pouvoir antidiphtérique est indiqué dans le
tableau I, qui contient aussi des renseignements sur la régéné-
ration des globules rouges après la saignée.
TABLEAU I
SANG TIRÉ en c.c. à ne : à
Fe UNITÉS NOMBRE
DATES SOLUTION D'IMMUNISATION [de globules rouges
de NaCI à 0.70/0 À SE
Eté encre. par {. IC: en millions.
9 avril. 1.0
18: :— 0,6
19 — 1,0
ANNEE avant 2,2 9,6
= 1000 15 min. après 1,6 6,8
XRALES ._ avant 1,6 ou
F= si 15 min. après 1.0 3,2
23 — 1.6 3,2
DA 1 ,4 ou
25 — 1,2 3,25
Qbaree- p 3,95
ee 1,2 3,32
29 » 3,0 |
2 mal » 3,9 |
D — 0,8 6,4
12 — » ri
DURE » 9,8
Sous une forme graphique, la figure 3 donne un résumé
synoptique des variations du pouvoir antitoxique du sang pen-
dant l'expérience. On y voit qu'après la première saignée le pou-
voir antitoxique tomba de 2.2 à 1,6. Cette baisse répond assez
exactementà l’atténuation produite danslesanglorsqu'à 1,000 e.e.
de ce dernier on substitua 1,000 c. &..de ka solution physiologique
168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
de chlorure de sodium. En même temps on observa une dimi-
nution correspondante du nombre des globules rouges. Le pou-
voir antitoxique du sang se maintint alors sans altération durant
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Fig. 3.
les vingt-quatre heures suivantes, après quoi une saignée de
800 ec. c. l’abaissa jusqu’à 1 U. I. par c. c. Le lendemain fut
marqué par une hausse notable du pouvoir antitoxique, atteignant 1,6
sans nouvelle injection de toxine. Cette hausse ne dura qu'un jour
REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 769
et, durant les journées suivantes, elle fit place à une baisse
lente ; néanmoins, au bout de quatre jours le pouvoir antitoxique
n'avait pas encore baissé jusqu'au point où on le trouva après
la seconde saignée. Huit jours plus tard, une nouvelle mensura-
tion faisait constater que la teneur antitoxique du sang conti-
auait à diminuer.
En aucun point la régénération des globules rouges ne cor-
respondait aux oscillations du pouvoir du sérum. Quant à l’état
des globules blancs, on ne constata rien d’anormal.
Il est à peine contestable que l’accroissement du pouvoir
antitoxique durant les jours qui suivirent la deuxième saignée
est l’effet d’une reproduction de substance antitoxique. La seule
objection qu'on pourrait peut-être élever contre cette assertion,
c'est la brièveté relative de l'intervalle de cinq jours entre
l’abondante injection de toxine et la saignée. En effet, ce sont
indubitablement les grandes quantités de toxine injectées qui
suscitèrent l'accroissement rapide du pouvoir antitoxique encore
en voie de progrès lors de linterruption par la première
saignée. On ne doit donc pas rejeter, comme absolument impos-
sible, que l’accroissement qui suit la seconde saignée soit
simplement la continuation immédiate de ladite rapide augmen-
tation du pouvoir antitoxique, et que cet accroissement n'aurait
aucunement eu lieu si les saignées avaient été pratiquées à une
époque d'équilibre antitoxique de l'animal. Pourtant cette expli-
cation est à peine vraisemblable; du moins, dans nos expé-
riences sur l'allure de la courbe antitoxique du cheval, il ne nous
est jamais arrivé de voir un accroissement si rapide se con-
tinuer durant autant de jours que dans le cas en question. Au
contraire, on a lieu de présumer que l’abaissement secondaire du
pouvoir antitoxique se serait produit à ce moment.
En tout cas notre seconde expérience ne laisse aucun doute
sur la réalité de la régénération. Le sujet opéré était une chèvre
qui, durant des mois entiers, avait subi des injections de toxine
diphtérique à doses croissant de 0,2 à 200 c. c. et donnant un
total de 380 c. c.. Quinze jours après la dernière injection, son
sérum avait acquis un pouvoir antitoxique de 5. Alors, durant
les deux mois qui suivirent, on fit, à diverses reprises, des
saignées d'essai; on mesura le pouvoir antidiphtérique et on le
vit finalement baisser jusqu’à seulement un peu plus de 1 unité
49
170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
d'imniunisation par centimètre cube. Après avoir constaté par
trois mensurations consécutives un état stationnaire qui dura .
quinze jours, on fixa le jour de l’expérience; mais alors on
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s’'aperçut que l'équilibre antitoxique était de nouveau rompu,
car, immédiatement avant là première saignée, le pouvoir était
tombé à 0.8.
Toutefois, le fait que les saignées ont été pratiquées à une
REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 171
période de déclin du pouvoir antitoxique ne rend que plus
concluant encore l'accroissement observé plus tard.
L'expérience fut conduite de telle manière qu'après avoir
enlevé par saignée 1,250 c. e., soit la moitié de la quantité du
sang supposée présente, on effectua aussitôt la transfusion d’une
quantité équivalente de sang défibriné et chauffé à 37°, provenant
d’une chèvre saine. Cette opération se répéta quatre heures
après, ainsi que le lendemain et le surlendemain; mais cette
dernière fois pourtant nous n’osàmes pas enlever à la chèvre
plus de 800 c. c. Au bout des cinquante heures qui nous séparaient
du début de l'expérience, il ne restait à cette chèvre que la douzième
partie du sang qu'elle avait primitivement. L'animal résistait bien
à l'expérience.
Une série d'expériences préparatoires nous avait déjà con-
vaincu qu'il était impossible de constater aucun pouvoir anti-
diphtérique dans le sérum de n'importe laquelle des quatre
chèvres dont le sang servit aux quatre transfusions.
Voici le résultat de l’expérience en question.
TABLEAU II
VOLUME
ec. C.
du sangenlevél UNITÉS D’'IMMUNISATION
et du sang
de chèvre par €. c. de sang.
défibriné
injecté.
29 septembre.
> octobre.
12
19 . re ARE
25 immédiatement avant la {re saignée
23 es = 9e =
26 — — 3e
27 Le FRANCE
— après la 4e
28
29
30
4er
La figure 4 représente graphiquement le résultat de cette
expérience : la ligne noire indique le pouvoir antitoxique du
ie ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sang; la ligne ponctuée, la quantité qui restait encore du sang que
l'animal avait primitivement. Les chiffres apposés aux ordonnées
sont les unités d’immunisation par centimètre cube de sang,
la quantité que l’animal a gardé de son sang primitif est
indiquée par les mêmes chiffres; les abscisses figurent les
jours d'expériences.
On voit qu'après les deux premières saignées, la production
de l’antitoxine subit une diminution directement proportionnelle
à la perte de sang éprouvée. Mais après les troisième et
quatrième saignées, la relation fut tout à fait changée. Pour
résultat de la troisième saignée, on aurait pu s'attendre à voir le
pouvoir antitoxique réduit de moitié, comme pour les deux
premières; mais on constata au contraire qu'au bout de vingt-
quatre heures, ce pouvoir n’avait pas changé. En réalité, ce
résultat est identique à la production d’un fort accroissement.
Ensuite on procéda à la quatrième et dernière saignée et la fit
suivre d’une transfusion. À ce moment. il ne restait dans l’animal
qu'un douzième de sang qu'il avait primitivement; on prit alors
un échantillon de ce sang et constata que sa teneur antitoxique
avait fortement diminué; mais durant les deux jours qui
suivirent, à! se produisit dans le pouvoir antitorique un accroissement
notable, qui demeura constant pendant trois jours, après quoi il
augmenta encore un peu.
A cet égard, il y avait une différence palpable entre les deux
expériences. En effet, chez la première chèvre, la courte période
de régénération fut suivie d’une baisse brusque et prolongée du
pouvoir antitoxique. Or, on ne saurait préciser à quoi tient
cette différence, elle résulte peut-être du fait que la chèvre de
notre dernière expérience était en parfaite santé lors des
premières saignées; que son pouvoir anlitoxique n’oscillait pas
fortement et que, de plus, sa perte de sang était immédia-
tement réparée par le sang défibriné emprunté à d’autres
chèvres.
La première expérience, au contraire, fut faite sur un animal
fortement empoisonné de diphtérie et chez qui le pouvoir anti-
toxique manifesta un accroissement relativement rapide; de
plus, il ne fut injecté que du sel marin en solution. D’autre part,
les différents animaux d’essai présentent des variations indivi-
duelles si considérables (voir les Comptes rendus des travaux de
REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 773
Acad. Roy. des Sc. de Danemark en 1898), qu'à lui seul ce fait
expliquerait peut-être les immenses divergences observées
dans la forme des courbes.
Quant à la régénération de l’antitoxine, notre deuxième
expérience ne laisse subsister aucun doute. Comme il s'était
passé deux mois depuis la dernière injection de toxine et que le
pouvoir antitoxique du sang n'avait pas cessé de baisser,
l’augmentation qui, à la suite de la quatrième saignée, s’est
manifestée dans le pouvoir antidiphtérique ne peut être
attribuée qu'à une nouvelle production de substance antitorique, ce
qui prouve encore une fois que, sous l'influence de la toxine,
certaines cellules de l'organisme ont acquis une propriété sécrétoire
nouvelle et persistante, opinion déjà corroborée par nos recherches
sur les modifications que la pilocarpine fait subir au pouvoir
antitoxique du sang. (Voir Salomonsen et Madsen : C. R. de
PAc. des Sc.)
INSTITUT ANTIRABIQUE MUNICIPAL DE TURIN
STATISTIQUE ET NOTES DE LABORATOIRE
Du Dr FRANCESCO ABBA
I
STATISTIQUE DES ANNÉES 1896-1897
Succédant à M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi dans la direc-
tion de l’Institut antirabique de Turin, j'ai l'honneur de commu-
niquer la statistique des deux années 1896-1897.
Dans le courant de 1896, il se présenta à l'Institut 672 per-
sonnes mordues. Sur ce nombre, 470 seulement furent soumises
au traitement antirabique, car on put établir que les animaux
qui avaient mordu les 202 autres personnes n'étaient pas
enragés.
La mortalité, parmi ces 470 personnes traitées, fut de
0,21 0/0.
Durant le cours de 1897, le nombre des personnes mordues
qui se présentèrent à l'Institut fut de 584; 376 furent soumises
au traitement.
La mortalité, parmi ces dernières, fut de 0,26 0/0.
Du 30 septembre 1886, date de la fondation de l'Institut
antirabique de Turin, au 31 décembre 1897, le nombre des per-
sonnes mordues qui se présentèrent fut de 4,728, sur lesquelles
3,396 seulement furenttraitées ; la mortalité, parmi ces dernières,
s’éleva à 0,73 0/0.
La statistique, comme d'ordinaire, divise les personnes
mordues en trois catégories, À, B, C, suivant la partie du corps
qui a été atteinte par la morsure. Cette statistique est résumée
dans le tableau suivant :
dé ‘af.
PERSONNES MORDUES
nn — RS —— —
sur des parties|sur des parties
à la tête. M
découvertes. couvertes.
ANNÉES
O
PR. 2 D 2
2 RS _ !
TRAITÉES [uonris TRALTÉES [AR TES TRALTÉES [NORTES
personnes
1896
Ë
=
&
©
A
B
C
A
B
C
1897
œlh,
TOTAUX
Durant le cours de l’année 1896, on constata une augmenta-
tion notable dans le nombre des personnes mordues, compara-
tivement aux années précédentes. Soupconnant que cela dépen-
dait de négligence, de la part des particuliers et des autorités
locales, par rapport à la prophylaxie de la rage des chiens, on
prit des dispositions, de concert avec les Préfets des provinces
qui envoient le plus grand nombre de personnes mordues à cet
Institut, afin de faire abattre le plus rapidement possible tous les
chiens mordus ou suspects.
L'effet de cette mesure se fit promptement sentir, car, en 1897,
le nombre des personnes mordues diminua d'une centaine
environ.
On pourrait entrer dans de nombreuses considérations en
compulsant la statistique générale de l'Institut antirabique de
Turin, qui est, après celui de Paris, un des plus riches en chiffres ;
mais elles trouveront leur place dans une étude que nous prépa-
rons actuellement, M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi et moi, et
dans laquelle nous exposons, avec tous ses détails, la statistique
décennale de l’Institut.
776 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Il
CONTRIBUTION A LA QUESTION DE LA PRÉSENCE DU VIRUS RABIQUE DANS‘
L'URINE DES ANIMAUX ENRAGÉS
Dans la séance du 11 juillet 1897, M. le professeur Di Mattei
communiqua à l'Accademia Gioenia di Scienze naturali di Catania :
que l’urine des animaux enragés, inoculée dans la cavité périto-
néale en quantités un peu importantes (15-20 c. c.), peut souvent
reproduire la rage.
Dès que j'eus connaissance de cette communication, je prati-
quai quatre expériences, en inoculant, chez quatre lapins,
l'urine provenant d'autant de lapins inoculés sept jours aupa-
ravant avec du virus fire.
L'urine fut recueillie avec une seringue stérilisée, de la capa-
cité de 30 c. c., en introduisant directement l'aiguille dans la
vessie, après avoir ouvert la cavité abdominale du lapin enragé.
Tous mes lapins résistèrent.
Après ces quatre expériences, qui ne concordaient pas avec la
communication de M. le professeur Di Mattei, je crus devoir sus-
pendre mes recherches, en attendant la publication des détails de
ses expériences. Sur ces entrefaites, M. le D' Bebi, de Faenza,
publia le résultat de ses recherches ?, lequel fut complètement
négatif chez tous les cobayes inoculés.
Vers la fin d'octobre, je repris mes expériences, en continuant
à inoculer des lapins avec de l’urine provenant de lapins inoculés
tantôt avec du virus fixe, tantôt avec du virus de rue, ou prise
tantôt de lapins moribonds, tantôt de lapins qui venaient de
mourir, d’autres fois de lapins morts depuis un grand nombre
d'heures, pour voir du moins s’il se produit, après la mort, un
passage de virus rabique.
Dans deux cas je pus inoculer de l’urine de chien enragé.
La quantité d'urine inoculée fut, le plus souvent, supérieure
à la quantité inoculée par M. Di Matter. Dans quelques cas j’ino-
culai des quantités considérables (60, 80, 90 et jusqu'à 125 c. c.),
sans déterminer, chez le lapin, aucun symptôme de rage ni
même aucun trouble fonctionnel.
1. La Réforma medica, n° 196.
2. Sulla non esistenza del virus rabbico nell’ orina degli animali idrofobi.
(Gazz. degli Osped. e delle Clin., 1897, no 124.)
INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN, 171
J'ai fait 23 expériences, dans des conditions diverses. Cinq
lapins seulement succombèrent : lun, une demi-heure, l’autre
12 heures après l’inoculation ; trois moururent un mois après
l'injection, mais non de la rage, ainsi que le démontrèrent des
expériences expressément instituées.
Restent donc dix-huit expériences toutes concordamment et abso-
lument négatives.
J'ignore le nombre des expériences faites par M. le profes-
seur Di Mattei, et M. le docteur Bebi ne dit point combien de
cobayes il a inoculés. Ne pouvant admettre que M. le professeur
Di Mattei ait été induit en erreur, — car la rage du lapin est une
maladie assez caractéristique, et, en tout cas, facilement contrô-
lable, — je ne veux point conclure d’une manière absolue, malgré
la concordance de mes expériences avec celles de M. le docteur
Bebi, que le virus rabique n'existe point dans l’urine des animaux
enragés ; toutefois je me sens autorisé à affirmer que, si le virus
se trouve dans ces urines, il n’est ni assez fréquent ni assez abon-
dant pour justifier une nouvelle mesure de prophylaxie delarage,
basée sur le danger que peut présenter l'urine des chiens
enragés.
Dans sa Note préventive, mentionnée plus haut, M. le docteur
Bebi écrit que, vu l'issue des expériences de M. le professeur Di
Mattei, laquelle semble démontrer l'existence du virus rabique
dans l'urine des animaux enragés, il voulut offrir la preuve in-
discutable (experimentum crucis) de l’inexactitude de cette con-
clusion.
Dans ce but, il mêla le virus rabique à de l’urine humaine et,
au bout de 24 heures, il inocula le tout, à la dose de 1 c. c., sous
la dure-mère à une série de cobayes (il ne dit pas combien).
Aucun d’eux ne contracta la rage; c’est pourquoi il conclut que
le virus rabique, dans l’urine, perd complètement sa virulence,
principalement à cause de l’acidité de l’urine même.
Dansune communication à la Société piémontaise d'Hygiène",
je fis connaître que je ne pouvais confirmer les conclusions de ce
collègue, parce que, même après 48 heures de séjour du virus ra-
1. Séance du 29 janvier. (Rivista d’igiene e sanitàa pubblica, 1898, n° 3.)
1178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
bique dans Purine humaine, les lapins inoculés étaient morts de
la rage: alors M. le docteur Bebi, dans une courte Note, précisa.
davantage le résultat de ses expériences, disant que l'urine ne
détruit pas toujours le virus rabique, et que beaucoup de ses ani-
maux d'expérience (iln’en donne pas le nombre) contractèrent
la rage.
Or, à mes premières expériences, j’en ai ajouté d’autres, en
émulsionnant finement un petit morceau de moelle allongée de
lapin, mort à la suite d'injection de virus fixe, avec une quantité
plus que décuple d’urine fraiche d'homme ou delapin, ayant une
réaction acide. L’émulsion fut tenue dans une glacière, à une
température qui ne dépassa pas 4° C.; la quantité d’émulsion ino-
culée fut de 1/10 de ce. €. pour chaque lapin.
Je résume ces expériences dans le tableau suivant :
SAR le An AGEDU Aubout de combien de
+ k DO = |
= o 4 £ 2 SAVE gs s mélange d'urine | jours est survenue la
= £È DATE 6 0e || 1 SREAGTION De et de NORT DU
so È 2 £E & = L
= a SE #2 Se | virus fixe. Faute
s = z der Japin.|2e lapin.
a =— me memes ee |
14 janvier. homme acide. 2 12 heures 1 7
14 RE + a og 24 — 61/9 ;
I APRES = + 2 36 — 7 7
16 PA Eee > D 48 — 1 1
22 janvier homme. acide. 2 12 heures. 6 6
Le 2 ME 51 6
Il 23 — = À =4 la
CEE L EE 2, 48 — 6 6
17 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 61/9
TT es pie 2 48 — 6 6
III AO RES 2 = 2 3 jours. 7 61/2
2Ou— — neutre. 2 EL 6 6
17 février. lapin. acide. 2 24 heures. 7 fl
’ ARTE ex Le 2 EE 6 7
IV FACE 1 _ 2 3 jours. ( 6
20 — — — 2 4 — 6 61/9
23 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 7
94 — = 2 48 — ï 61/9
95 ae À = ES 2 3 jour 6 6
20 o JOUrs )
FN SE de ss 2 4 pis ul T9
DRE — Es 2 D 7 8
2 mars. _ légèrement acide. 2 S — 8 8
FREE æ ns 2 OÙ = 8 8
Es de légèrement alcaline 9 AU 91/9 91),
NT au tournesol.
ART TUE di alcaline au - 9 20 — 8 g
tournesol.
FN Fra alcaline aussi à la 9 RES 8 15
phénolphtaléine.
PE == —_ 2 90 — a SurVéeu |a survécu
DORE Le = 2 30 — = FT
3 avril. — —— 2 40 — — =
8 — — — 2 45 — — ==
12 — — — 2 20 — == =
as À proposito dell’urina degli animali rabbiosi, (Æivis. d’ig. e san. pubbl.,
n° 5.)
INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 779
De ces expériences, il résulte que lurine n’a pas, sur Le virus
rabique, un pouvoir neutralisant aussi marqué que semble le
croire le docteur Bebi ! ; au bout de 8-10 jours seulement le virus
rabique mêlé à l'urine commence à s’atténuer; ce n’est qu'après
30 jours environ qu’il s'éteint, et cela bien que l'urine, après
avoir perdu l’acidité initiale, soit devenue nettement alcalinez. 7
ch
LR?
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III
CONTRIBUTION A LA QUESTION DU PASSAGE DU VIRUS RABIQUE
DE LA MÈRE AU FOETUS,
Au cours des expériences rapportées dans la précédente Note,
il m'est arrivé d'ouvrir l'abdomen d’une lapine en gestation.
Elle avait été inoculée le 27 novembre 1897 avec du virus fixe, et
elle était mortele 3 décembre suivant. Après la mortelle fut tenue
pendant 24 heures à la température du milieu, qui était de
160-180 C.
Dans l'utérus, qui fut ouvert avec toutes les précautions vou-
lues, se trouvaient sept fœtus, presque à terme; je lesretirai un
à un, puis je détachai les placentas respectifs.
De la cavité crânienne de chaque fœtus, j’enlevai la substance
cérébrale que je recueillis dans un seul verre, où je la délayai
dans quelques centimètres cubes de solution physiologique.
D'autre part, je pris, de chaque placenta, un morceau (un
quart environ) que je hachai finement et que je plaçai dans un
autre verre, en diluant un peu avec la même solution.
J'inoculai alors, sous la dure-mère, 4 lapins avec l’émulsion
de cerveaux et 4 avec l’émulsion de placentas. Aucun des 8 la-
pins ainsi inoculés me présenta des symptômes suspects; üls
augmentèrent même de poids, et aujourd’huiencore (après #mois
environ) ils sont vivants et sains.
Il n’y eut donc passage du virus rabique, de la mère aux fœtus,
n1 pendant la vie, ni même dans l'intervalle de 24 heures après
la mort. |
1. On ne sauraït trop déplorer la mort prématurée du docteur Giuseppe Bebi.
C’est une perte pour la science, car les premiers travaux de ce jeune docteur
laissaient espérer beaucoup de son activité. Dans sa Note préventive, il annon-
çait d’autres faits qu’il avait observés, relativement à l'influence de l’urine sur le
virus rabique.
780 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
*
# _*#
Un second cas, qui peut concourir à démontrer que, ni durant
la gestation ni durant l'allaitement, le virus rabique ne se trans-
met de la mère au fœtus, serait le suivant :
Le 16 mars 1897 on inocula, sous la dure-mère, 2 lapins,
dont l’un était une femelle, avec le cerveau d’un chien suspect
d’être enragé.
Le lapin mourut au bout de 25 jours, avec les symptômes de
la rage.
La femelle mourut avec les symptômes de la rage (confirmés
par l’inoculation de son cerveau sur deux autres lapins) au bout
de 60 jours.
Or, 30 jours avant de mourir enragée, elle donna le jour à
5 petits qu'elle allaita. #4 d’entre eux, malgré la cessation de l’allai-
tement, survécurent ; le 5° mourut le même jour que la mère,
présentant des symptômes un peu suspects.
Avec son cerveau on inocula deux lapins, dont l’un survécut,
tandis que l’autre mourut au bout de 7 jours, avec des symptômes
peu précis ; avec le cerveau de ce dernier on inocula 2 autres
lapins, qui survécurent.
se
Après cela, en présence de l’unique expérience favorable à
l'hypothèse du passage du virus rabique de la mère au fœtus,
de Perroncito et Carità ', d'une part, et les nombreuses expé-
riences contraires de Bardach*, de Pastéur?, de Zagari', de
Bombicei” et de Galtier 5, de l’autre, je dois, comme pour la
question de l’urine, conclure avec Zagari et Bombicci, que le
passage du virus rabique, durant la gestation ou durant l’allaite-
ment, s'effectue d’une manière si exceptionnellement rare qu'il
n’a aucune importance hygiénique.
1. De la transmission de la rage de la mère au fœtus à travers le placenta et
par le lait (Annales de l’Institut Pasteur, 1887, pag. 177).
2. Le virus rabique dansle lait (/bid., page 180).
3. Notes de Laboratoire sur le même sujet (/bid., page 181).
4. Esperienze intorno alla trasmissione della rabbia, dalla madre al feto,
attraverso la placenta e per mezzo del latte. (Giorn.internas. delle Scienses med.
1887).
5. Sopra la trasmissione della rabbia dalla madre al feto (Gazz. degli osped.,
1892).
6. Journal de Médecine vétérinaire et de Zootechnie (février 1898).
INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 181
IV
SUR LE VIRUS DE RUE NATURELLEMENT RENFORCÉ
ET NATURELLEMENT ATTÉNUÉ
M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi, d'abord', puis M. le doc-
teur Calabrese * ont démontré l'existence d’un virus de rue natu-
rellement renforcé, c’est-à-dire d’un virus qui, inoculé à des
lapins, les tue en un laps de temps qui se rapproche davantage
de la période d’incubation du virus fixe (6-8 jours) que de celle
du virus de rue (15-20 jours).
M. le docteur Calabrese décrit spécialement le cas de 2 virus
de rue, provenant l’un d’un mouton, l'autre d’un chien,
lesquels tuèrent les lapins inoculés et les passages successifs en
9-10 jours, avec une période d’incubation de 6-8 jours.
Comme je disposais d’un abondant matériel de laboratoire, je
voulus, moi aussi, instituer quelques expériences relativement à
l'existence du virus rabique naturellement exalté, et voici ce que
je pus observer :
I. Chien Ferraris. — On inocule 2 lapins qui meurent au bout de9 jours.
Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins : l’un de ces der-
niers meurt au bout de 13 jours, l’autre survit.
IL. Chien Pozzolo. — On inocule 2 lapins qui meurent l’un au bout de
6 jours, l’autre au bout de 17. Avec le cerveau du premieroninocule2 lapins:
l’un meurt au bout de 13 jours, l’autre survit.
HI. Chien Gabri. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de
10 jours, l’autre au bout de 14. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 la-
pins qui meurent au bout de 13 jours.
IV. Chien Monzeglio. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de
6 jours, l’autre survit. Avec le cerveau du lapin mort, on inocule 2 autres
lapins, dont l’un meurt au bout de 16 jours, l’autre au bout de 18.
V. Chien Depaulis. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de
9 jours, l’autre au bout de 11. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 au-
tres lapins qui meurent l’un après {1 jours, l'autre après 14.
VI. Chat Ilattero. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 8 jours,
l’autre au bout de 20. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 autres lapins
qui meurent au bout de 21 jours ; avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule
encore 2 autres lapins qui meurent l’un après 11 jours, l’autre après 32;
avec le cerveau de celui qui est mort au bout de 41 jours,on inocule 2 lapins
qui meurent au bout de 15 jours.
1. La Rabbia canina (Torino, Rosemberg e Sellier, 1890).
2. Sur l’existence dans la nature d’un virus rabique renforcé (Ann. de l'Inst,
Pasteur, février, 1896).
7182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Vil. Chien Hôpital militaire de Turin. — Des 2 lapins inoculés, l’un
meurt après 3 jours, non enragé, l’autre après 7 jours : avec le cerveau de
ce dernier, on inocule 2 lapins dont l’un meurt au bout de 11 jours, l’autre
de 76; celui-ci cependant sans présenter de symptômes de rage, comme le
démontra également le passage ultérieur chez 2 autres lapins.
VIII. Chien Mondino. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt après 6 jours,
l’autre après 17; ? autres lapins, inoculés avec le cerveau du premier, sur-
vivent.
IX. Chien Prina. — On inocule 2 lapins qui meurent au bout de 8 jours.
Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins qui meurent au
bout de 6 jours. On fait un troisième passage, et les lapins meurent au bout
de 7 jours ; dans un quatrième passage, les lapins meurent l’un en 6 jours,
l’autre en 7, et ainsi de suite.
Donc, sur 9 cas qui se prêtèrent pour faire des expériences
relatives à la recherche du virus naturellement exalté, il y en aun
seul (IX) dans lequel est exclue toute disposition individuelle des
lapins; dans tous les autres, le second passage ne donne plus un
résultat correspondant à celui du premier.
Si l’on considère que, entre Le premier et le dernier de ces cas,
il s'écoula plus d’un an et demi (du 19 juin 1896 au 16 janvier 1898),
et que, dans ee laps de temps, on soumit à l’expérimentation les
cerveaux de 229 animaux qui avaient mordu, il faudra convenir
que l'existence du virus rabique naturellement exalté est un fait
très rare.
Toutefois, voici une observation qui me paraît mériter quel-
que attention : en s’en tenant au tableau compilé par M. le doc-
teur Calabrese, dans lequel les 280 lapins inoculés avec du virus
de rue sont groupés suivant le nombre de jours qui s’écoulèrent
avant la mort des lapins de premier passage, le virus de rue
tuerait le plus grand nombre de lapins le 14° jour, et le chitire
le plus élevé des morts se rencontrerait entre le 12° et le 16° jour
après linoculation ; or on sait — Pasteur a été le premier à l’éta-
blir, et tous les autres expérimentateurs l’ont confirmé — que le
virus de rue tue habituellement Le lapin d'environ 1,500 grammes
en 46-18 jours.
Voulant faire une étude de contrôle, j'ai étudié Îles
durées d’incubation de la rage chez 1,534 lapins inoculés avec
167 virus de rue de diverse provenance.
J'ai vu ainsi que le chiffre le plus élevé de morts se trouve
entre le 15° et le 20° jour et que le plus grand nombre de morts
INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 183
correspondrait au 18° jour. En termes plus précis, on aurait
52,5 0/0 de morts entre 15-20 jours après l’inoculation (virus de
rue normal) ; 42,1 0/0 entre 10-14 jours (virus subnormal), 6,3 0/0
entre 5-9 jours (virus renforcé); 4,8 0/0 entre 26-31 jours (virus
atténué) ; 15,77 0/0 entre 21-25 jours (virus beaucoup atténué) ;
8,6 0/0 entre 32-100 jours (virus très atténué).
Or, tandis que, dans la période comprise entre 15-20 jours, il
meurt, d'après mon tableau, 52,5 0/0 de lapins, d’après celui de
M. le docteur Calabrese, dans la même période, il n’en meurt
que 47,5 0/0, et la mortalité la plus élevée (57,1 0/0) s’observe
dans la période comprise entre 12-16 jours après l’inoculation.
Les choses étant ainsi, 1l faut nécessairement admettre ou
bien que M. le docteur Calabrese emploie des lapins d’un poids
inférieur à 1,500 grammes, oubienquele virusderue desprovinces
méridionales, qui alimentent spécialement l’Institut antirabique
de Naples, est naturellement renforcé, comparativement à celui
des provinces subalpines.
Véritablement il serait intéressant d'entreprendre une étude
pour établir quelles sont les causes qui influent sur la virulence
de l'agent spécifique de la rage, et l'Italie, vu sa configuration
géographique spéciale et le nombre deses Instituts antirabiques,
distribués dans ses principales régions, pourrait apporter une
importante contribution de données statistiques pour cette
étude.
x
PE
Quant à l’existence de virus naturellement atténués, il est
également à observer que, très souvent, le retard de la mort des
lapins est dü à une résistance individuelle plutôt qu’à une atté-
nuation naturelle du virus rabique : en effet, il n’est pas rare de
rencontrer des cas dans lesquels des lapins, inoculés avec la
mème quantité et qualité de virus, meurent l’un dans le terme
ordinaire de 18 jours environ, l’autre beaucoup plus tard.
Ainsi M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi a vu mourir un
lapin, inoculé avec du virus de rue, 203 jours après l’inoculation ;
j'en ai vu mourir après 150 jours, 122, 104, 98, 97, etc.; mais,
tandis que le lapin inoculé en même temps que celui qui était
mort 122 jours après l’inoculation mourait au bout de 55 jours,
1. Et cela n’est pas, comme me l’a déclaré par lettre M. le docteur Calabrese,
que j'avais interrogé à ce sujet; dans l’Institut de Naples, dirigé par lui, les lapins
employés sont du poids de 1,500 grammes environ.
784 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
et que le compagnon de celui qui était mort après 104 jours
mourait au bout de84, les compagnons de ceux dont la mort sur- .
vint après 150, 98 et 97 jours moururent respectivement au bout
de 20, 25 et 21 jours : ce qui veut dire que si, très souvent, les
lapins meurent tard, parce que le virus qui leur est injecté est
naturellement atténué, dans un nombre de cas presque égal
la mort des lapins est retardée par suite d’une disposition indi-
viduelle dont l'essence nous est inconnue.
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux. — Imprimerie E. Charaire.
49me ANNÉE DÉCEMBRE 1898 No 12
ANNALES
DE
L'INSTITUT PASTEUR
SU 18$ aptitudes pathogènes des microbes SapropuyLes.
Par M. H: VINCENT
Médecin-major de deuxième classe, professeur agrégé au Val-de-Grâce,
(Travail du laboratoire de bactériologie du Val-de-Grâce.)
De toutes les propriétés que possèdent les microbes patho-
gènes, la virulence est, peut-être, la plus instable, car elle est
étroitement subordonnée aux conditions de nutrition et aux
influences physico-chimiques ambiantes, si variables, auxquelles
ces microbes sont soumis. On en trouve la preuve dans l'histoire
de beaucoup d'infections, en particulier de la maladie charbon-
neuse, dont le bacille peut passer de la virulence la plus redou-
table à la virulence la plus faible, et récupérer, inversement,
son activité première par des passages successifs chez des ani-
maux de plus en plus résistants.
En se fondant sur de pareils faits, il est permis de se deman-
der s’il ne serait pas possible de soumettre les microbes sapro-
phytes à une éducation progressive, capable de leur permettre
de vivre dans un milieu jusqu'alors hostile, le milieu vivant. En
d’autres termes, ne pourrait-on pas les transformer en microbes
pathogènes et créer artificiellement, avec leur aide, des maladies
expérimentales analogues à celles que provoquent les agents
infectieux usuels ?
Quoique souvent posé, le problème n’a été qu'imparfaitement
résolu, parce que, lorsqu'on essaie de réaliser expérimentale-
ment de telles infections, on est arrêté par des obstacles vérita-
blement considérables. Les moyens habituels (association de
microbes favorisants, affaiblissement préalable de lanimal
50
186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
infecté, traumatisme de la région inoculée, injection de doses
élevées de culture, etc.) échouent devant la répugnance du
saprophyte à se développer dans les tissus vivants. On obtient,
parfois, la mort des animaux, à la condition d’employer des
doses massives, qui tuent l'animal à la fois par leur volume
et par les poisons préexistant dans la culture; mais ce résultat
ne s'accompagne d'aucune multiplication locale ou générale du
microbe inoculé. Or, un microbe ne peut être considéré comme
pathogène que s'il possède la propriété de se multiplier in vivo
et d'élaborer sur place des toxines dangereuses. C’est donc ce
double attribut que l’on doit se proposer de donner au microbe
saprophyte, et la difficulté en est grande.
Dans des tentatives qui remontent à plusieurs années, j'avais
essayé vainement de produire une maladie expérimentale par
linoculation du B. subtilis à de très jeunes animaux, ou par
l’association de cé microbe à d’autres bactéries. Dans un autre
essai, le bacille avait été cultivé dans du bouillon additionné de
sang de lapin; il s’y développait, d’ailleurs, médiocrement. Le
résultat fut peu démonstratif.
Il est donc important de mentionner ici les recherches de
M. Charrin en collaboration avec M. de Nittis'. Ce savant a
réussi à obtenir la mort du cobaye en se servant d'un B. subtilis
rendu virulent par passages successifs chez l'animal, ou par
culture dans du bouillon de plus en plus riche en sang ou sur
des milieux artificiels de plus en plus riches en poisons diasta-
siques, comme la toxine diphtérique. Au point inoculé, il se
développait un œdème renfermant des bacilles abondants.
Toutefois, il semble que la généralisation du mierobe n'ait pas
été constante, car les auteurs font remarquer que les organés
étaient « le plus souvent » envahis.
Du reste, le B. subtilis se développe parfois assez mal, même
in vitro, dans les milieux organiques. Le sérum normal, ense-
mencé avec des spores de ce microbe, peut même le tuer en
quelques heures ou quelques jours*.
Dans le même ordre d'idées, M. H. Roger ayant injecté sous
la peau d’un cobaye un peu de liquide de macération de viande
4. CaanniN et pe Nrrmis, Un Bac. subtilis pathogène (Soc. de Biologie,
17 juillet 1897).
2. Conf. Lecrer, La Cellule, X, p. 349-375, 1894, et Hazran, Ann. de l'Inst.
Pasteur, n° 7, p. 417. 1898.
APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 787
putréfiée, l'animal succomba. Son sang renfermait un micro-
coque inoculable en série seulement sur un deuxième cobaye.
La virulence de ce microbe n'avait donc été que transitoire.
Toutes ces expériences démontrent que les moyens habi-
tuellement employés pour renforcer l’activité des microbes
pathogènes affaiblis ne sont pas aussi favorables lorsqu'on
essaie de les appliquer aux saprophytes. C’est pourquoi il a
paru nécessaire d'utiliser un autre procédé qui permit plus
aisément l’acclimatement graduel de ces derniers à l'organisme
animal.
Dans ce but, je me suis adressé à la méthode de M. Roux,
qui consiste à cultiver les bactéries dans des sacs de collodion
introduits dans le péritoine des animaux. Par son passage dans
l’organisme vivant, et grâce aux échanges qui s’établissent à
travers la paroi mince de collodion, le microbe, protégé contre
les leucocytes, s’habitue à vivre en présence de leurs produits
bactéricides dialysés, et à emprunter aux humeurs une partie
de ses matériaux nutritifs. C’est ce procédé qui m'a fourni les
résultats les plus efficaces.
Les expériences ont été faites avec deux microbes sapro-
phytes incontestablement classés parmi les microbes inoffensifs :
le Bac. megaterium et le Bac. mesentericus vulgatus (bacille de la
pomme de terre). Au préalable on a, du reste, inoculé aux ani-
maux des doses massives d’épreuve, sans éveiller autre chose
qu'une réaction passagère de la température.
Les cultures en sac ont été faites avec le bouillon ordinaire.
Lorsque, après une série de passages en sacs, ces cultures sont
devenues plus riches et plus vivaces, les microbes ont été ense-
mencés dans du bouillon additionné de 1/5 de sérum. Chaque
sac était retiré le 6°-7® jour; son contenu était réensemencé et
mis à l’étuve avant d’être soumis à un nouveau passage en sac.
Il importe de dire que la culture en sac des deux microbes,
mais principalement du Bac. mesentericus, a été, primitivement,
très difficile à obtenir, Le contenu des premiers sacs, à peine
opalescent, ne renfermait que quelques bacilles et beaucoup de
spores. Après de nombreuses tentatives pour varier les modes et
les conditions de la culture en sac, en particulier l'injection
quotidienne d'oxygène dans le péritoine des animaux, il a été
constaté que le meilleur moyen d'obtenir une végétation abon-
188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dante des deux bacilles consistait dans l’usage de sacs à parois
assez épaisses, qui protègent mieux les bactéries contre l'action
des humeurs et des sécrétions leucocytaires. Avant d'être
réparti et scellé dans les sacs de collodion, le bouillon ense-
mencé était fortement agité et, d'autre part, on prenait soin de
ne pas emplir entièrement les sacs de premier passage, alin de
ménager un espace contenant un peu d'oxygène qui facilitàt
initialement la prolifération de ces microbes essentiellement
aérobies.
Étudions maintenant les résultats particuliers obtenus avec
chacun d'eux.
EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE € B. MEGATERIUM }
Le B. megaterium est un saprophyte très cominun dans le
sol. L’échantilion qui m’a servi a été isolé de la terre de jardin.
Ce microbe est inoffensif pour le lapin, le cobaye et la souris
blanche; cette dernière peut recevoir 1 c. ec. de culture sans
en éprouver de dommage.
Un premier sac est fait le 17 avril 1897, et inséré dans le
péritoine d’un cobaye ; il en est retiré le 24 avril. Le contenu est
faiblement trouble. On trouve, au microscope, des baciiles légè-
rement aggelutinés, immobiles, sans spores. La deuxième culture
en sac était plus trouble que la précédente, Ni l’une ni l’autre ne
se montra encore pathogène.
Après quatre passages en sac, interrompus, chaque fois, par
la culture en bouillon et à l’étuve, le bacille avait déjà acquis de
la virulence. Quinze gouttes, additionnées d’un peu de bouillon
neuf, tuent la souris en moins de 24 heures, en injection sous-
cutanée. A l’autopsie, on trouve, au point inoculé, un peu de
liquide d’œdème de couleur jaune clair, renfermant quelques
bacilles et de très rares lymphocytes. Les préparations faites
avec l’enduit péritonéal montrent également quelques bacilles
prenant bien la coloration. Dans la rate et le foie, les bacilles
sont cependant vacuolaires et se teintent à peine par le Gram.
Les poumons sont vivement congestionnés, parsemés de petits
foyers de pneumonie. Le sang du cœur renferme des bacilles
dégénérés. Le microbe, quoique déjà un peu virulent, était
donc, néanmoins, atteint lui-même dans sa vitalité.
APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 789
Ainsi exalté par cultures successives en sac, le bacille finit, cepen-
dant, par acquérir, après le sirième passage, une virulence considé-
rable. Quatre gouttes et même, dans un cas, deux gouttes
injectées sous la peau tuaient la souris en 10-20 heures, avec
des lésions de péricardite et de pleurésie hémorrhagiques. Au micros-
cope, le liquide épanché montrait de nombreux bacilles, parfai-
tement colorables. On apercevait de très rares lymphocytes
intacts, et de nombreux leucocytes dégénérés, parfois même à
peine reconnaissables, dont le noyau était fragmenté en un
nombre infini de granulations irrégulières, éparses dans le pro-
toplasme de la cellule. Nulle apparence de globules rouges,
malgré l'aspect hématique de l’épanchement pleuro-péricardique.
Il y avait done, en même temps qu’une leucolyse intene, une disso-
lution de l’hémoglobine telle qu’on l’observe dans les septicémies
hémorrhagiques. Le sang du cœur présentait l'aspect dissous ;
le bacille y était abondant. L’abdomen était météorisé ; le foie,
d'aspect lavé ; la rate, très tuméfiée, molle et noire. L’exsudat
péritonéal renfermait de nombreux bacilles, sans trace de pha-
gocytose.
Ce microbe, si actif pour la souris blanche, était également
très redoutable pour le cobaye et pour le lapin: un demi c. e.
tuait un cobaye de 450 gr. en 24 heures, après injection périto-
néale ; en 2 ou 3 jours en injection sous-cutanée, avec envahis-
sement des viscères et du sang. L'inoculation intraveineuse de
la culture en sac amenait la mort, en 12 heures, d’un lapin
pesant 1,850 gr., à la dose de un demi c.c. Un c. c. tuait un autre
lapin en 8 heures. L’autopsie ne révélait qu’un peu de congestion
des reins et des poumons, et du gonflement de Ja rate. Le sang
contenait de nombreux bacilles.
On avait donc réussi à communiquer au B. megaterium des
propriétés pathogènes très prononcées qui le rendaient capable
d'agir avec la même activité redoutable que les virus les plus
énergiques. Il tuait les animaux sans déterminer de lésion locale,
presque sans altération apparente des viscères, avec la marche
d’une septicémie suraiguë.
En mème temps que le bacille acquérait de la virulence, on
constatait un changement manifeste dans les caractères de ses
cultures. A l’état normal, le B. megaterium, ensemencé dans le
bouillon, y forme, à la surface, un voile assez épais bordé d’une
790 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
collerette. Le bouillon sous-jacent est presque clair et renferme
quelques grumeaux, visibles quand on lagite. Or, dès le
quatrième passage en sac, notre bacille troublait abondamment
et uniformément le bouillon, formait des ondes chatoyantes
quand on agitait celui-ci, et ne sécrétait plus de voile ni de
collerette à la surface. Il semblait s'ètre adapté aux nouvelles
conditions d’anaérobiose relative réalisées par la culture dans les
sacs de collodion. Nous allons constater, à propos du B. mesen-
tericus, des modifications plus remarquables encore.
Les attributs pathogènes de la race du B. megaterium n’ont
pu être conservés qu'à la condition de les entretenir par la cul-
ture en sac. Abandonné à lui-même et réensemencé à Pair, le
microbe s’atténuait progressivement. Après 3 mois, le bacille
avait perdu toute sa virulence, même pour la souris blanche.
De pareilles défaillances dans leur virulence existent chez un
grand nombre de bactéries pathogènes. Du reste, trois passages
en sac reslituèrent au bacille sa virulence antérieure.
Les cultures en sac sécrètent des toxines qui diffusent à tra-
vers la paroi du collodion, etamènentun empoisonnement lent et
un amaigrissement marqué de l'animal, Si on lui laisse le sac, le
cobaye peut mourir entre 20 et 30 jours. Un cobaye est mort au
huitième jour.
La ressemblance parfaite qu’affecte la nouvelle race de
B. megaterium avec les microbes pathogènes proprement dits,
s'accuse encore dans la manière dont se comporte le microbe à
l'égard du sérum des animaux. Prenons un bacille dont la viru-
lence commence à se dessiner, et qui tue la souris blanche à la
dose de 1 ce. c. sous la peau. Cette dose, inoculée au lapin,
détermine seulement une fièvre légère et éphémère. On injecte
ainsi à ce lapin, à intervalles de 8 à 10 jours, des cultures de plus
en plus actives du bacille.
Le sang de ce lapin est devenu assez rapidement capable
d’agglutiner le B. megaterium à 1/40 et même 1/100. Cette pro-
priété agglutinante n’a pas paru nettement transmise par l’héré-
dité maternelle.
Lorsqu'on fait agir comparativement, sur le bacille originel
et sur le bacille éduqué, un sérum agglutinant, le premier de
ces microbes est plus sensible que le second à l’action du sérum.
Tandis que le bacille initial s’est laissé agglutiner à 1/20, la
APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 791
séro-réaction était beaucoup moins marquée à l'égard de son
dérivé pathogène, et se manifestait seulement à 1/10.
Lorsque, au lieu d’inoculer le microbe virulent, on inocule
seulement la culture initiale, le sérum de l'animal ainsi traité
devient-1il capable d’agglutiner? L'expérience montre que le pou-
voir agglutinant est très faible (1/5 ou 1/6). L'action produite
par le saprophyte n’est donc pas assez efficace pour influencer
l'organisme et provoquer le phénomène de la séro-réaction. Cet
animal fut, du reste, tué par l’inoculation intraveineuse de 1 e. e.
du bacille virulent; la mort survint à la fin du 3° jour; il n'avait
donc pas davantage été immunisé par le microbe indifférent.
On peut, cependant, vacciner les animaux contre le Bac.
Megaterium virulent en leur inoculant des cultures de plus en plus
actives. Un lapin, ainsi traité, est devenu réfractaire à l’inocula-
tion intraveineuse de 2 ec. c. d’une culture à son maximum de
virulence, dont 1/2 c. ce. tuait un autre lapin en 12 heures.
Les expériences qui précèdent montrent qu’il est possible de
transformer un saprophyte inoffensif en un microbe pathogène,
et de réaliser avec lui une maladie expérimentale mortelle, par-
fois presque foudroyante. Il est également possible de donner à
l'animal une immunité véritable, passagère ou durable, contre
le microbe à virulence exaltée, en utilisant la méthode de vacci-
nation que Pasteur a employée pour la vaccination charbon-
neuse. Des expériences bien connues de M. Chauveau sur la
bactéridie du charbon’, il semblait résulter que la propriété
immunisante constituait un caractère fondamental qui permit
de définir le microbe pathogène. Nous venons de voir que cette
propriété appartient aussi aux microbes saprophytes. Cette con-
statation présente quelque importance, car elle renverse la
dernière barrière qui sépare le microbe pathogène du saprophyte
vulgaire.
La même démonstration découlera encore de l'étude du
microbe suivant.
EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE ( BAC. MESENTERICUS VULGATUS )
Le B. mesentericus vulg. (bacille de la pomme de terre) qui
m'a servi a été isolé d’une infusion de foin soumise à l’ébullition.
4. Cauveau, C. R. de l'Acad. des Sciences, 1882, 1883 et 1884.
192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
On sait que ce microbe est l’un des plus répandus dans la nature,
soit à la surface du sol, soit sur les plantes (Macé). II possède”
des spores très résistantes et donne, sur les milieux nutritifs.
des cultures assez analogues à celles du Bac. subtilis, dont il n’est
peut-être qu'une simple variété. Ses cultures sont, cependant,
plus plissées, plus florissantes, plus extensives, et le bacille n’a
pas la mobilité du B. subtilis.
Le B. mesentericus vulqg. est complètement inoffensif. On
peut injecter au cobaye, au lapin, 6 à 8 c. c. de culture sous la
peau ou dans la veine, sans éveiller autre chose qu’un peu de
fièvre. La souris peut supporter sans dommage l’inoculation de
2 c. c. de culture. |
J'ai éprouvé, au début, ainsi qu'il a été dit plus haut, de très
grandes difficultés pour cultiver ce microbe dans les sacs de
collodion. Il fallut le protéger contre l'influence des sécrétions
péritonéales, en l'enfermant dans des sacs à parois un peu
épaisses, et fournir un peu d'oxygène à ce microbe essentielle-
ment aérobie, en agitant le bouillon, avant de l’ensemencer, et
en laissant dans le sac un petit espace libre contenant de l’air.
Dans ces conditions, les cultures devinrent bientôt abondantes.
Le premier animal qui succomba à l’inoculation du B. mesen-
tericus culüivé en sac fut un cobaye de 330 grammes qui avait
reçu, dans le péritoine, 4 c. c. du contenu du sac de 4° passage.
L’exsudat péritonéal montrait une abondante quantité de leuco-
cytes polynucléaires bourrés de bacilles ; il existait aussi de
nombreux lymphocytes. On apercevait quelques bacilles libres,
très rares, vacuolaires, à peine colorés. L'animal n’avait donc
succombé que par suite de la grande quantité de culture qui lui
avait été inoculée, mais il n’y avait pas d'infection véritable.
Cependant la culture du sang fut positive, et ce microbe
devint le point de départ de la nouvelle race. Par des passages
successifs en sac, la culture devint de plus en plus riche. Au
1° passage, la culture était très trouble, presque laiteuse, tant
elle était abondante. Certains sacs ont donné des cultures de
consistance visqueuse. Les bacilles étaient enfermés dans une
sorte de gangue muqueuse. Quelle que fût l’abondance de la
culture, c’est plus particulièrement sur la paroi même du sac
que les bacilles étaient nombreux. Ils étaient [à en quantité
prodigieuse, tapissant la face interne de la membrane dont la
APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 793
paroi les séparait de la couenne leucocytaire qui enveloppait le
sac. Peut-être cette localisation plus spéciale des bacilles
s’explique-t-elle simplement par le besoin d'oxygène du mi-
crobe.
Le bacille extrait du 7° passage tuait la souris blanche en
moins de 12 heures, à la dose de huit gouttes mélangées à un
peu de bouillon frais, et le cobaye en 48 heures, à la dose
de 3/4 de c. c. introduits dans le péritoine. Un lapin de
1,450 grammes ayant reçu dans l’abdomen 1 ec. c. du contenu
du sac succomba en 37 heures.
Le 8° passage en sac fournit une culture un peu plus
virulente encore. Elle tuait, en effet, la souris à la dose de cinq
gouttes, et le cobaye de 400 grammes à la dose de 1/2 e. c. dans
le péritoine. Un lapin de 2,530 grammes mourut en 30 heures à
la suite de l'injection intraveineuse de 1 c. c. de la même
culture *.
La culture sporulée, soumise au chauffage à 100, puis
recultivée en sac, n'avait rien perdu de sa virulence. Celle-ci
n’était donc pas passagère, mais elle s'était transmise par descen-
dance.
Les symptômes très particuliers provoqués par l’inoculation
de ce bacille modifié méritent d’être décrits.
La souris, après inoculation, ne présente aucun trouble
particulier pendant 2 ou 3 heures. Alors, elle devient somno-
lente, se hérisse et, quand elle se déplace, titube comme un
animal ivre. Au bout de 6 ou 7 heures, cet état d'engourdisse-
ment s’est aggravé; le train postérieur semble parésié. Le len-
demain, si la dose inoculée n’a pas été trop forte pour tuer pré-
maturément la souris, on trouve celle-ci, tantôt sur ses pattes,
tantôt couchée sur le flanc, dans un état de stupeur absolue.
4. Peut-être aussi (mais ce n’est là qu’une hypothèse), les leucocytes, attirés
par les sécrétions bactériennes à la superficie du sac, sécrètent-ils, à leur tour,
par une influence chimiotactique réciproque, des substances capables d'attirer les
bacilles.
2, Dans les cultures successives en sac, il y a parfois, d’un sac à un autre, et
sans qu’on puisse en donner une explication plausible, une perte brusque de la
virulence, en même temps qu’une diminution de la vitalité du bacille. A plu-
sieurs reprises, sans cause appréciable, la culture en sac, jusque-là très abon-
dante, était devenue tout à coup très maigre et avait perdu tout pouvoir patho-
gène, C’est seulement après plusieurs nouvelles tentatives que le bacille reprend
de nouveau son caractère luxuriant et sa virulence.
Abandonné à lui-même et à l'air, le bacille perd progressivement sa
virulence.
794 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Les yeux sont clos; les mouvements respiratoires sont à peine
apparents. Lorsqu'on pique la souris, elle se débat faiblement.
Certaines souris sont restées pendant 24 heures, dans cet état
comateux, puis ont succombé. Le coma est quelquefois inter-
rompu par des accès de contractions toniques généralisées en
opisthotonos, semblables à celles du tétanos.
Les phénomènes nerveux dont il vient d’être parlé sont tou-
jours moins marqués chez le cobaye et chez le lapin. Cependant,
on observe chez eux un peu de torpeur, une parésie plus ou
moins marquée du train postérieur et un ralentissement des
mouvements respiratoires. La température s'élève jusqu'à 40,
40°,6, pendant quelques heures après l'inoculation. Puis elle
s'abaisse dès que les troubles nerveux et les phénomènes d’in-
toxication apparaissent, et elle revient aux environs de la
normale. Chez un cobaye, on a constaté de l'hypothermie (379,2).
Les lésions d’autopsie varient un peu, suivant le sièse de
l'inoculation. Lorsque celle-ci a été pratiquée sous la peau, on
trouve, à l’autopsie, un léger œædème sanguinolent renfermant
des bacilles plus ou moins nombreux; aucune trace de phago-
cytose. La rate est un peu grosse; les reins sont injectés. Le
sang renferme des bacilles intacts, facilement colorables. Lors-
que l'injection est pratiquée dans le péritoine, on trouve, dans
l'abdomen, un peu de liquide trouble, légèrement visqueux.
Les bacilles sont abondants, libres: quelques-uns présentent
le phénomène de Pfeiffer. La pulpe splénique, le sang, contiennent
des bacilles. Enfin, l'injection faite dans la veine du lapin tue
celui-ci sans déterminer de lésions, sauf, parfois, de petits
foyers broncho-pneumoniques et une vive congestion des
reins. Le foie est de consistance molle.
On peut déterminer une pullulation extraordinairement
abondante du bacille, dans les organes, en injectant simulta-
nément un peu de culture stérilisée du bacille pyocyanique ou
du B. Col.
Les phénomènes morbides et les lésions déterminées, chez
les animaux, par le bacille virulent, démontrent que celui-ci
tue non seulement par les toxines existant déjà dans sa culture,
mais encore par une véritable infection. Les bacilles sont abon-
dants, bien colorés, nullement dégénérés, dans tous les viseères
et dans le sang. Ce microbe sécrète une toxine particulièrement
APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 795
active, et le mode de culture en sac, par la méthode de
M. Roux, semble exceptionnellement favorable à la production
de ces poisons. L’inoculation des cultures faites in vitro donne
lieu, en effet, à des symptômes analogues ; mais ils sont beau-
coup moins marqués, etilest nécessaire d'injecter une dose trois
fois plus forte pour amener la mort des animaux.
La production de toxines très actives, sécrétées dans les
conditions précitées, ressortira encore de ce fait que quelques-
uns des cobayes à qui on insère des sacs succombent pendant
la deuxième ou la troisième semaine, sans autre lésion qu'une
forte congestion péritonéale et sans qu'il y ait eu passage du
microbe hors du sac.
D'autre part, si l’on filtre le contenu d'un sac et qu’on
injecte à un animal le liquide filtré, on détermine des symp-
tômes de torpeur ainsi que la mort. Toutefois, la bougie de
porcelaine arrête une grande partie des toxines.
La toxine chauffée à 65° perd toute son activité.
Suivant l’exemple fourni par les importantes recherches de
MM. Roux et Borrel sur l'influence directe des poisons sur le
système nerveux central, j'ai expérimenté l’action de la toxine
en injection dans le cerveau des animaux. Dans ces conditions,
le cobaye meurt, en moins de 24 heures, dans le coma, à la
suite de l'injection intra-cérébrale de 1/200 de centimètre cube
de culture du B. mesentericus modifié. Un lapin,à qui on a injecté
une goutte de culture dans le cerveau, succombe dans le coma
absolu en 24 ou 30 heures. Un lapin a cependant survécu à
cette dose, après être resté longtemps très malade.
Le B. mesentericus modifié fabrique donc un poison très éner-
gique du système nerveux.
Le phénomène de l’agglutination peut être constaté aisément,
en traitant le bacille par le sérum d'un animal ayant reçu, à
divers intervalles, des cultures de plus en plus actives. Un de
nos cobayes agglutinait à 1/15; un lapin à 1/20.
Parallèlement à ces modifications si importantes de ses pro-
priétés biologiques, le bacille de la pomme de terre a offert,
dans ses caractères sur les milieux de culture, des changements
796 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
singuliers qui fournissent encore une preuve bien remarquable
de la plasticité des infiniment petits.
Cultivé dans le bouillon, le bacille normal, tel qu'il existe
dans la nature, témoigne de son extrême avidité pour l'oxygène
par la production précoce d’un voile dense, cohérent, qui se
plisse et s'étend même sur les parois du tube. Il ne trouble pas
le bouillon; le voile qui s’est formé peut tomber spontanément
ou sous l'influence de l'agitation, et les bactéries ainsi noyées
forment rapidement des germes. Un autre voile succède rapi-
dement au premier. — La pomme de terre ensemencée est, de
même, rapidement envahie sur toutes ses faces.
Ces caractères décrits comme classiques, la nouvelle race de
B. mesentericus ne tarde pas à les perdre. Au lieu du voile épais,
surnageant à la surface du bouillon resté clair, le nouveau ba-
cille commence par troubler abondamment et uniformément le
milieu. Après 2 jours, on voit apparaître une pellicule mince et
fragile quise dissocie avec la plus grande facilité, et qui est len-
tement remplacée par un autre voile aussi délicat. La culture est
visqueuse. Examinée après quinze jours, elle est remarquable-
ment pauvre en spores.
Ensemencé à la surface de la gélose, le bacille modifié ne
s'élend pas au delà de la ligne d’ensemencement. Au lieu de
cette membrane touffue et plissée qui recouvre la totalité du
milieu nutritif, on obtient une strie opalescente, presque trans-
parente, qui rappelle entièrement celle du bacille d’Eberth. La
ressemblance est encore plus singulière sur la pomme de terre,
où le bacille donne une traînée mince, humide, luisante, exclu-
sivement limitée à la strie d’ensemencement. Par ses nouveaux
caractères botaniques, le bacille différait donc entièrement de
son ancêtre, et j'eusse moi-même hésité à reconnaître, à ce mo-
ment, le bacille vulgaire de la pomme de terre, si je ne l'avais
suivi dans son développement. Il fallut ensemencer in vitro le
bacille dans du bouillon, et le cultiver à l’étuve pendant quatre
ou cinq générations pour voir ce microbe reprendre progressi-
vement et rigoureusement tous ses caractères primitifs, comme
on voit une plante cultivée revenir peu à peu et spontanément
à son type sauvage, si elle n’est plus soumise aux conditions de
culture qui avaient réussi à la modifier.
Cet ensemble montre combien il faut faire peu de fonds sur
APIITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 797
la fixité des caractères morphologiques et des réactions de cul-
ture des Schizomycètes.
Il n’est pas jusqu'à l’un de ses attributs les plus importants
et, en apparence, les plus immuables, à savoir son caractère
strictement etessentiellementaérobie, dont notre bacille ne puisse,
dans une certaine mesure, se dépouiller à son tour. Malgré
son avidité pour l'oxygène, le microbe s’est lentement habitué à
vivre dans l'abdomen des animaux, dans des conditions d’oxygé-
nation beaucoup moins favorables. Si, avant de fermer la cul-
ture en sac et de la mettre dans le péritoine, on additionne le
milieu d’un peu de sulfoindigotate de soude, et qu’on retire le
sac déjà après 48 heures, on constate que l’indigo a été totale-
ment réduit. Les cultures en sac dégagent une odeur particu-
lière, caséeuse, analogue à celle des anaérobies, et que n’ont
pas les cultures faites à l’air libre. Il y a plus : en cultivant in
vitro et dans le vidé fourni par la pompe à mercure le bacille
retiré du sac, on s'aperçoit qu'il s’y développe, quoique très fai-
blement, alors qu’un échantillon témoin primitif ne donne lieu à
aucune culture. Le bacille modifié trouble le bouillon, dans ces
nouvelles conditions, et réduit l’indigo. La culture anaérobie,
examinée au microscope, montre des bacilles normaux, sans
spores, sans formes d’involution. 1! y a donc eu véritablement cul-
ture dans le vide d’un microbe exclusivement aérobie. Ces essais ont
été poursuivis; mais, à la deuxième génération, la culture était
devenue beaucoup plus faible, et la troisième génération fut
nulle.
x
*# *
Si nous avions à conclure de ces recherches, nous dirions
qu'il ne paraît plus possible d'admettre, comme rigoureusement
fondée, la classification, acceptée pendant longtemps, des bacté-
ries, suivant qu’elles se développent chez l'être vivant ou qu’elles
se refusent à vivre ailleurs que sur la matière morte. Cette distinc-
tion est artificielle, autant que l’est la notion, si discutable, de la
fixité des fonctions et de la morphologie des microbes. Telle est
leur flexibilité qu'ils sont capables de s'élever par degrés, de leur
état saprophytique banal, à la dignité d'agents pathogènes. Malgré
la tendance qu'ils ont à recouvrer leurs caractères héréditaires,
les microbes s’accommodent donc, parfois avec facilité, aux nou-
1. Duczaux, Trailé de Microbiologie, t. 1, p. 235.
798 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
velles conditions d'existence qui leur sont imposées. Ils peuvent
ainsi acquérir, plus ou moins laborieusement, la faculté de fa:
briquer des substances diastasiques toxiques grâce auxquelles
ils digèrent et tuent la cellule vivante pour se multiplier sur ses
ruines : ils sont devenus virulents. Cette adaptation à la vie
parasitaire dans le. milieu vivant n'est, elle-même, qu'un
attribut contingent et instable au même titre que les autres pro-
priétés du microbe.
De pareils faits éclairent singulièrement la question, encore
bien obscure et bien discutée, de la spontanéité morbide. Ils per-
meltent, sans doute aussi, d'expliquer le retour de certaines épi-
démies, depuis longtemps disparues, dont le germe peut rencon-
trer, chez certains animaux inférieurs, un terrain propice au
réveil de leur virulence. Tel est le cas pour le bacille de la peste
et, vraisemblablement, pour d’autres virus encore. Qu'un mi-
crobe, jusqu'alors inoffensif, se trouve, de même, dans des con-
dilions qui lui permettent de se développer chez un premier
animal réceptif; si le hasard lui offre la série des passages que
nous réalisonsexpérimentalement dans nos laboratoires, le sapro-
phyte deviendra pathogène. Aïnsi sera née une nouvelle mala-
die infectieuse. C’est l'hypothèse que MM. Pasteur, Chamberland
ct Roux ünt soulevée, 1l y a longtemps, dans une note mémorable!
sur l’atténuätion des virus et sur leur retour à la virulence. Les
expériences qui précèdent semblent venir à leur appui.
4. Acad. des Sc., 95 février 1881.
ÉTUDE CYTOLOGIQUE ET CYCLE ÉVOLUTIF
DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE
Par Micuez SIEDLECKI
HISTORIQUE
La Coccidie dont nous nous occupons dans ce mémoire paraît
avoir été vue pour la première fois, en 1862, par Eberth. Aimé
Schneider, en 1875 (Arch. 3001. exper.), trouva chez les Octopus
vulgaris de Roscoff une psorospermie, à laquelle il donna le nom
de Benedenia octopiana, caractérisée par des kystes renfermant
de nombreux sporocystes (au sens de Léger) avec une quinzaine
de sporozoïtes dans chaque sporocyste ; la description, très courte,
est accompagnée de quelques figures dans le texte. — En 1883
(Arch. zool. exper.), le même savant décrit longuement l'évolution
d’une Coccidie de la seiche qu'il ne distingue pas spécifiquement de
celle du poulpe, et qui aurait seulement 3, ou rarement # sporo-
zoïtes par sporocyste (c'est cette forme que nous avons eue
sous les yeux). Dans une note au bas de la page 101, Schneider
remarque lui-mème qu'il avait noté 8—15 sporozoïles par sporo-
cyste chez la Coccidie du poulpe vue à Roscoff; il ajoute qu’on
peut se tromper en appréciant le nombre des sporozoïtes quand on
les compte par transparence à travers la paroi du sporocyste; et
il ne conclut rien. Schneider s'est-il réellement trompé ? La
chose est fort possible; sa Coccidie avec 15 sporozoïtes par sporo-
cyste ne parait pas avoir été retrouvée; Mingazzini (Atti della
reale Acad. dei Lincei, 1892, 1) déclare, en revauche, avoir trouvé
la même espèce de Coccidie chez Sepia officinalis et chez Octopus
vulgaris, et c’est celle à 3 ou # sporozoïtes par sporocyste.
Ces considérations nous ont engagé à ne pas nous montrer
plus rigoriste que Schneider lui-même dans les distinctions spé-
cifiques et à appeler comme lui : Xlossia octopiana, la Coccidie de
800 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
la seiche. Mais il est bien entendu que si l'avenir prouve la parfaite
exactitude de ses observations de 1875, le nom de Xlossia Eberthi.
proposé par Labbé pour la Klossia de la seiche, devra être adopté.
On remarquera que Schneider, en 1883, a adopté le nom
générique Klossiæ créé pour la Coccidie de l’Helix:; Labbé et
Léger ont été du même avis. Au contraire, Mingazzini a conservé
le nom générique Benedenia. Provisoirement, nous adoptons
le nom Ælossia: car il n'y a pas, à l'heure actuelle, de raison
suffisante pour séparer génériquement les Coccidies de l’Helix et
des Céphalopodes ; mais les premières sont trop mal connues (l'on
ne sait à peu prèsrien sur leur évolution avantl’enkystement) pour
que notre manière de voir puisse être regardée comme définitive.
Aux savants qui s’occuperont de Klossia helicina de décider si
elleestgénériquement distincte ou nonde celle des céphalopodes”.
Labbé”, dans son travail d'ensemble sur les Coccidies, donne
une bibliographie très complète à laquelle nous renvoyons.
Signalons simplement le travail de Schuberg*, de 1895, sur la
Coccidie de la souris, que Labbé ne signale pas dans son index,
et les travaux de Simond*, Schaudinn et Siedlecki *, Léger ‘, pos-
térieurs au mémoire de Labbé.
Le présenttravail a été fait, partie à la station zoologiquede Na-
ples(janvier-mai 1897) et partie à l’Institut Pasteur de Paris (1898).
Nous tenons ici à exprimer notre vive reconnaissance aux pro-
fesseurs Dohrn et Metchnikoff. M. Dohrn a eu la générosité de
nous offrir une place à sa célèbre station, où nous avons eu une
grande abondance de matériaux à notre disposition; M. Metchni-
koff nous a recu très cordialement dans son laboratoire et nous
a fait profiter de ses conseils si autorisés.
4. Ces lignes étaient à l’impression quand nous avons pris connaissance de la
note de M. Laveran (C. 2. Soc. Biologie, séance du 26 nov. 1898), sur l’évolution
de la ÆXlossia helicina; elle diffère tellement de celle de la Coccidie de la seiche,
que nous pensons que les deux organismes doivent être séparés génériquement,
et qu’on doit revenir à l’ancien nom de Schneider, Benedenia octopiana.
2. Lassé À, Recherches zoologiques, cytologiques et biologiques sur les Coc-
cidies. -— Arch. zool. exp., 8e série, t. IV, 1896.
3. ScHugerG, Die Coccidien aus dem Darm der Maus. Verhandl. d. nat. hist.
med. Vereins Heidelberg, n. folge, V., 4 Ht, 1895.
4. Simoxp, L'évolution des Sporozoaires du genre Coccidium. Annales de l'Ins-
titut Pasteur, 1897, t. XI.
5. SCHAUDINN et SIEDLECKI, Beitrige zur Keuntnissder Coccidien. — Verhandl.
der deutsch. sool. Gesels, 1897.
6. Lécer L, Essai sur la classification des Coccidies et description de quelques
espèces nouvelles ou peu connues. — Bull. du Muséum de Marseille, t. I,
asc. I, 1898.
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 801
Un court résumé de notre mémoire a déjà été publié dans les
Comptes rendus de la Société de Biologie (séance du 15 mai 1898).
IL
TECHNIQUE
Les seiches qui nous ont servi pour nos recherches ont été
pèchées dans le golfe de Naples’, et elles ont été disséquées à
‘état vivant. Parfois, nous laissions les animaux séjourner un ou
plusieurs jours dans les aquariums de laboratoire de la station
zoologique ; mais leurs parasites, observés au bout de ce temps,
nous ont toujours paru identiques avec ceux retirés des animaux
sacrifiés immédiatement après la pêche.
Toutes les seiches que nous avons examinées étaient infectées
plus ou moins fortement. Les parasites étaient localisés à l’appa-
reil digestif?. L’infection était reconnaissable à l’œil nu, car la
partie postérieure de l'intestin portait des points blancs opa-
ques (kystes de grandes dimensions).
Nous avons fait nos observations sur le frais et aussi sur des
préparations fixées et colorées. Pour opérer sur le frais, nous
nous servions de lamelles très minces, dont nous fondions très
légèrement les # angles à la flamme d’un bec Bunsen; la lamelle
était ainsi munie de 4 petits pieds qui empèchaient l’écrasement
des objets à examiner. Sur une lamelle ainsi préparée, nous
déposions, dans une goutte d’eau de mer ou de liquide intestinal,
une petite quantité d’épithélium intestinal, que nous fragmen-
tions autant qu’il était possible, La lamelle était alors retournée
et placée sur un porte-objet.
Les préparations colorées ont été faites avec des frottis ou
bien avec des pièces débitées en coupes. C’est la première
méthode qui nous a donné les meilleurs résultats; son emploi
est d’une importance capitale pour l’étude des Coccidies ; aussi
allons-nous la décrire avec quelques détails.
Nous plaçons sur une lamelle, dans une goutte d’eau de mer
ou de suc intestinal, un fragment de la paroi intestinale de 5 à
4. Nous avons étudié aussi quelques seiches qui nous ont été envoyées, fixées
au formol, par la Société scientifique d'Arcachon; nous n'avons observé, dans
l'étude des parasites, aucune différence avec celles de Naples.
2. Une fois seulement, nous avons trouvé des kystes mürs dans le manteau
; ?
d'une seiche,
o1
802 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
40 millimètres carrés. Avec des aiguilles fines, nous enlevons
les couches muqueuse et sous-muqueuse; la couche épithéliale
et le tissu conjonctif sous-jacent, qui renferment les divers stades
de l’évolution du parasite, sont alors dilacérés avec soin et
répartis d’une façon aussi uniforme que possible sur toute la
surface de la lamelle. La lamelle ainsi préparée est retournée et
déposée à la surface du liquide fixateur contenu dans un verre
de montre. La couche qui recouvre la lamelle est rapidement
coagulée et en même temps lui est assez solidement collée pour
qu'elle puisse ensuite passer par les divers liquides nécessaires
sans abandonner aucun fragment des lissus qu'on y a déposés.
La goutte d’eau ou de suc intestinal qu'on met sur la lamelle
au commencement de l'opération doit être juste suffisante pour
empêcher le dessèchement des tissus étalés avant leur fixation
(la structure des Coccidies est profondément modifiée quand ces
organismes ont été desséchés avant d’être fixés; 1l faut donc
éviter avec un soin tout particulier cette grave cause d’erreur).
Si le liquide est en trop grande quantité, la coagulation par le
fixateur est insuffisante; le collage sur la lamelle se fait mal et
on perd ainsi une partie des tissus déposés ‘.
Comme fixateur, nous avons surtout employé la solution
concentrée de sublimé dans l’eau de mer, additionnée de 3 à
5 goultes d'acide acétique cristallisable pour 100 ce. ce. ; la
fixation est toujours excellente et les tissus peuvent ensuite
prendre presque tous les colorants. — Les liquides de Flemming
el d’Hermann donnent également de bons résultats, en particu-
lier pour les pièces qui doivent être coupées. Le liquide de
Perenyi, le mélange de sublimé, en solution, avec de Pacide
nitrique à 3 0/0, donnent des résultats inférieurs à ceux des
précédents fixateurs.
Les frotlis, après fixation par le sublimé ou les liquides
osmiques, sont lavés à l’eau, puis portés dans les alcools
de concentration croissante (30°, 50°, 70°, 960), jusqu’à l'alcool
absolu où on les laisse de 1/2 heure à 1 heure; on revient
ensuite peu à peu à l'alcool à 50°.
Les tissus sont alors prêts à être colorés. — La lamelle doit
l. Le principe de cette méthode, que nous avions précédemment employée
avec Schaudinn, est indiqué par R. Pfeiffer, dans son travail sur la coccidiose des
lapins. 4
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 803
séjourner de 1/2 heure à 1 heure dans le liquide fixateur, de 10
à 30 minutes dans chaque alcool (sauf lalcool absolu). Si le
fixateur est un liquide osmique, le lavage à l’eau doit durer au
moins 4 heures, à l'obscurité autant que possible, en ayant soin
de changer l’eau plusieurs fois. Après la fixation au sublimé, il
convient de mettre de l’iode dans l'alcool à 70 ou à 96°.
Pour colorer aussi bien les frottis que les coupes, nous avons
obtenu d'excellents résultats en employant lhématoxyline de
Bôhmer, en dilution très étendue dans l’eau distillée. Les prépa-
rations séjournaient de 12 à 24 heures dans le colorant; puis
étaient différenciées par l'alcool à 50° additionné de traces
d'acide chlorhydrique. La couleur passe un peu au rouge; mais
on revient au bleu violacé en lavant avec l'alcool à 50° légère-
ment ammoniacal. Cette méthode met en évidence toutes les
finesses de structure des noyaux.
Pour certains détails, il est bon d'employer (et nous Favons
fait souvent, surtout pour les coupes) la méthode de coloration
de M. Heidenhain (hématoxyline à l’alun de fer).
Ces colorants donnent également une idée assez nette de la
structure du cytoplasme; mais on a de meilleurs résultats en fai-
santuneseconde colorationavecl'éosinesoitseule,soitadditionnée
d'orange G. Nous employions ces substances en solution aqueuse
très faible; la préparation devait y séjourner de 3 à 12 heures.
Pour les pièces fixées au Flemming, c’est toujours la safra-
nine qui donne les meilleures colorations.
HIT
STADE ADULTE INDIFFÉRENCIÉ DE LA COCCIDIE
Nous désignons ainsi un état de la Coceidie qui, après être
partie du stade de sporozoïte, s’est accrue et a accumulé ses ma-
tières de réserve, mais ne se prépare pas encore à la reproduction.
A ce stade, la Ælossia octopiana est une cellule ovale, avec
des contours toujours bien réguliers (fig. 3); souvent la diffé-
rence de longueur des axes de lellipsoïde est si faible que la
Coccidie semble sphérique.
Les individus jeunes sont beaucoup plus allongés et peuvent
804 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
même avoir la forme d’un fuseau tout droit (fig. 1)ou légèrement
arqué (fig. 2).
Avec la forme, les dimensions de la Coccidie adulte varient
aussi dans des limites assez étendues ; en moyenne (c’est le cas
de la fig. 3), le grand axe a de 48 à 52 y, le petit a de 40 à
45 pu. Mais on rencontre très fréquemment des individus énor-
mes, presque sphériques, d’un diamètre de 150 à 170 y.
La Alossia adulte est une cellule nue. Elle ne présente aucune
membrane de structure appréciable. A. Schneider dessine une
membrane assez épaisse autour de la cellule; mais le stade re-
présenté correspond sans doute à un état plus avancé que celui
de notre figure 3. Labbé, en parlant de la structure du proto-
plasma des Coccidies en général, fait mention d’une fine mem-
brane à la surface des parasites adultes. Jamais nous n’avons pu
constater la présence d’une semblable enveloppe ui chez la
Klossia de la seiche, ni les Coccidies des Lithobius et des tritons;
Simond partage entièrement notre manière de voir. — Les con-
tours, toujours si réguliers des Coccidies, s'expliquent fort bien
par une plus forte réfringence et une différence dans la structure
du protoplasme de la Coccidie, comparé à celui de la cellule
hôte. — Comme nous le verrons plus loin, un certain nombre
de faits bien observés (Ex. : pénétration d’un microgamète) se-
raient inexplicables si le parasite était entouré d’une membrane.
Tout au plus pouvons-nous admettre que le protoplasme est par-
ticulièrement condensé à la périphérie de la cellule,
Le protoplasme a une structure bien caractéristique. À la
périphérie de la cellule, comme nous venons de le dire, et aussi
autour du noyau, il est un peu plus condensé. Ces deux zones
sont reliées par une couche intermédiaire extrêmement vacuo-
laire ; le protoplasme dessine dans tout cet espace un réseau à
grandes mailles. Les vacuoles sont à contenu clair qui se colore
très faiblement par l’hématoxyline.
Chez les individus jeunes, les deux couches limites sont par-
ticulièrement nettes; elles arrivent au contact suivant l'équa-
teur de l’ellipsoïde : il en résulte que cette zone se colore plus
fortement que tout le reste de la Coccidie; c’est une disposition
que nous avons également observée chez le Coccidium Schneider
du Lithobius.
La structure intime du protoplasme est donc alvéolaire; mais
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 805
les parois des alvéoles sont très épaisses et montrent bien les
fins granules qui les composent. Ces granules n’appartiennent
à aucune des catégories décrites par Thélohan dans le cyto-
plasme des Coccidies ; ce sont simplement des microsomes. Ils
sont très réfringents, se colorent assez fortement par l’héma-
toxyline, de sorte que, après cette coloration, tout le protoplasme
a une teinte bleuâtre. Si l’on fait ensuite une coloration à l’éosine,
on à une teinte rouge violacé. — Dans les régions où le proto-
plasme est condensé, les granules occupent tout l’espace ; il n°y
a plus d’alvéoles, et la cellule a là un aspect granuleux uniforme.
Presque tous les savants qui ont étudié Ælossia octopiana ont
plus ou moins bien vu cette structure du cytoplasme, mais c’est
seulement Mingazzini quia noté la différenciation en deux zones.
— La disposition spéciale du protoplasme en trainées radiales,
entre lesquelles sont des vacuoles, rappelle un peu ce que l’on
observe chezles cellules végétales. La ressemblance est surtout
frappante avec les cellules de Chara fragilis, où M. Debski décrit
une structure alvéolaire du protoplasma, les parois des alvéoles
montrant un aspect granuleux.
Dans ces parois, chezles jeunes individus de AXlossia, on re-
marque des granules arrondis plus gros que les autres, qui, à
l'état frais, se distinguent à leur forte réfringence ; ils ne sont
solubles dans aucun des fixateurs employés ; ils se colorent dis-
tinctement par l'hématoxyline et le carmin aluné. Ils correspon-
dent aux granules chromatoïdes de Thélohan; il ne faut pas
les confondre avec les granules de chromatine, d’origine nu-
cléaire, que l’on trouve aussi dans les parois des alvéoles, mais
seulement à certains stades de la division nucléaire que nous
décrirons plus loin. La distinetion est d’ailleurs très facile ; car
on reconnaît que le noyau est en état de division à sa structure
particulière. — En général, chezla Coccidie adulte, les granules
chromatoïdes ne persistent pas.
Assez souvent, chez des Ælossia très jeunes, nous avons ob-
servé, dans le cytoplasme, des granules que l'acide osmique noir-
cit; ce sont des globules de graisse : on neles rencontre chez des
Coccidies plus développées que dans des cas de dégénérescence.
Quant aux granules plastiques qui, d’après Labbé, doivent se
trouver chez la Alossia de lu Seiche, « plusieurs... ràles..…. dans
une même aréole cytoplasmique », nous ne les avons jamais
806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
observés, malgré les différents modes de fixation et de colora-
tion employés.
Ni chez les adultes ni chez les jeunes Alossia, nous n'avons
vu de centrosomes. Labbé les dessine comme des corpuscules
ronds, situés près du noyau, dans une vacuole, mais sans aucun
arrangement du protoplasme autour. Nous sommes persuadé que
Labbé interprète inexactement les corps qu'il dessine. Ce sont
simplement des granules chromatoïdes, et il n°y a aucune raison
de les considérer comme centrosomes.
Le noyau, toujours très bien visible, occupe le centre de la
Coccidie. Il comprend une membrane, un réseau de chromatine
et du sue nucléaire; au centre, est en suspension un gros corps,
se colorant fortement et d’une structure très spéciale. Presque
tous les savants qui ont étudié la Ælossia octopiana caractérisent
ainsi son noyau. Seul, Schneider n’a pas remarqué la présence
du réseau de chromatine, sans doute parce qu'il se servait de
méthodes de fixation et de coloration peu précises.
La membrane nucléaire, chez les invidus adultes, est toujours
nettement visible comme une couche très mince moulant les con-
tours du noyau; elle se colore de la même façon que le réseau
de chromatine ; et, en fait, elle ne représente qu’une partie plus
condensée de ce réseau. Quand on en prend une vue superficielle
à de très forts grossissements (fig, D., p. 810), on constate
qu'elle consiste en un réticulum de chromatine très condensée,
avec des mailles très petites. Les petits filaments et bâtonnets de
chromatine de ce réticulum restent toujours en communication
avec ceux de l’intérieur du noyau, Labbé (p. 573) dit, en parlant
de la membrane nucléaire de Xlossia Eberthi, que « sur des coupes
fines, elle paraît percée de pores », et, plus loin, « que, dans des
coupes minces, il est difficile de voir la limitalion exacte du
noyau autrement que par la coloration des petits granules de
chromatine...». Cette description confirme notre manière de voir;
les « pores » correspondent certainement à des mailles superfi-
ciélles, et les « granules chromatiques » à des nœuds du réseau
chromatique que nous avons décrit. Du reste, les recherches
cytologiques ont établi que presque toutes les cellules ont une
membrane nucléaire qui n’est autre chose qu’une condensation
de chromatine à la surface du noyau; Alossia ne fait done pas
exception à la règle générale. — A l'extérieur du noyau et en
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 807
contact avec la pseudo-membrane nucléaire, se trouve le réseau
chromatique. Il consiste en un amas de bâtonnets et de granules
chromatiques, reliés entre eux par de fins filaments, prenant
moins fortement les colorants basiques ; ils sont formés de linine.
Les portions les plus condensées de ce réseau renferment à
leur intérieur des espaces plus clairs. Souvent la couche du
réseau chromatique est très mince et adhère tellement à la sur-
face du noyau qu'elle semble être simplement une partie moins
condensée de la membrane. Vers le centre du noyau, le réseau
est de moins en moins compact: mais des parties de chromatine
très minces traversent le noyau en entier. En général, on peut
dire que le réseau de chromatine est ainsi disposé que ses parties
ont une tendance centrifuge. |
Le réticulum chromatique est plongé entièrement dans le sue
nucléaire qui remplit tous les espaces vides du noyau. Sur les
préparations, ce suc apparaît comme une substance très finement
granuleuse, qui se colore faiblement aussi bien par les couleurs
basiques (hématoxyline) que par les couleurs acides (éosine),
Nous en concluons que ce suc consiste dans le mélange de deux
substances, l’une correspondant au karyoplasme des animaux
supérieurs, l’autre à la chromatine, probablement à l’état de dis-
solution. Cette supposition est d'autant plus probable que, à
divers stades du développement de la Ælossia que nous décrirons
plus loin, il se produit très nettement une dissolution de chro-
matine dans le suc nucléaire; il est donc fort possible que, à un
stade encore indifférencié, il se manifeste une sorte de prédispo-
sition à cette dissolution, A l’intérieur du noyau, souvent même
au centre, et toujours dans une région où le réseau chromatique
est réduit à de très fins filaments traversant tout le noyau, on
observe un gros corps rond, prenant fortement les couleurs basi-
ques; c'est un nucléole (Schneider, Mingazzini) d’une structure
très spéciale. Labbé donne à ce corps le nom de Karyosome. Avec
Schaudinn, nous avons appelé des corps semblables chez Adelea
ovata et Coccidium Schneideri, « Binnenkürper » (au sens de
Rhumbler). La structure et la fonction de cette partie du corps
de la Coccidie semble être bien différente de celles des nucléoles
vraies|des cellules de métazoaires,.et nous adoptons ici le nom de
Karyosome, qui est bien pris au sens de E. Wilson dans son livre
sur la cellule. |
808 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Le karyosome est toujours, dans une cellule adulte indiffé-
renciée, sphérique. Il se colore souvent si fortement avec les -
substances basiques qu'il semble être de structure compacte et
uniforme (lig. 3). Mais en employant des colorants très électifs,
on voit qu'il se compose de deux parties. L’une corticale, épaisse,
est très condensée et, observée à de très forts grossissements,
montre une structure alvéolaire. Les alvéoles sont très petites,
et les espaces qui les séparent sont relativement très épais, de
sorte qu'un gonflement, même léger, provoqué par les réactifs,
fait disparaître les alvéoles. Souvent, elles sont disposées si régu-
lièrement qu'elles donnent l'apparence d’une striation radiaire,
telle qu’elle a été décrite par Schneider. Cette zone corticale se
colore très distinctement par les substances basiques, etelle existe
toujours, quel que soit l'âge de la Coccidie, même chez les plus
jeunes; de sorte que jamais son apparition n'indique une dégé-
nérescence du karyosome, comme le veut Labbé. Cette couche
corticale semble être la partie principale du karyosome:; elle est
formée de vraie chromatine :.
A l’intérieur de cette membrane, on trouve une substance
granuleuse, très fine, qui se colore faiblement par lhématoxyline,
mais prend assez fortement les colorants acides ; avec le picro-
carmin, la membrane se colore en rouge, tandis que la substance
intérieure reste jaune. Elle remplit toute la cavité du karyosome,
à l'exception d’une vacuole grande et claire, située assez près de
la périphérie. Vis-à-vis de cette vacuole, se trouve toujours une
petite ouverture dans la paroi du karyosome. De cette ouverture,
sort un mince pédoncule formé de la même substance granuleuse
qui emplit le karyosome. A l'extrémité de ce pédoncule, est
attaché un petit corps rond se colorant très fortement avec les
couleurs basiques; c’est un karyosome secondaire. Souvent
(fig. 3) le pédoncule est très court, et la petite sphère se trouve
tout près de la surface de la grosse, parfois même dans un léger
enfoncement de la membrane du karyosome principal.
Nous avons observé la présence du karyosome secondaire chez
toutes les Klossia octopiana adultes, mais encore indifférenciées. Mais,
pour cela, il est nécessaire que la coloration soit bien élective;
car souvent, sur les préparations, la petite sphère est située soit
4. Cette constitution chimique différencie donc notre karyosome des nucléoles
vraies qui ne renferment jamais de basichromatine:
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 809
au-dessus, soit au-dessous de la grosse et alors elle devient difficile
à apercevoir. Dans les préparations faites par la méthode de
Heidenhain (hématoxyline et alun de fer), on réussit à voir
très bien le karyosome secondaire dans toutes les positions, car.
il prend la couleur noire beaucoup plus fortement que le gros,
et on l’aperçoit comme une tache noire au-dessus jou au-dessous
de la tache grise du karyosome primaire. La présence du karyo-
some secondaire est un fait normal et n’est en relation ni avec
une dégénérescence ni même avec une transformation nucléaire
quelconque, comme le prétend Labbé.
Chez les jeunes Ælossia, on retrouve la même production,
mais sous une forme un peu différente. Il nous a été possible de
suivre, sur nos préparations, tous les stades du développement
de la Alossia à partir de la pénétration du sporozoïte dans la cel-
lule épithéliale de l'intestin, et nous avons constaté que toutes les
parties du noyau et du karyosome que nous venons de décrire,
ou existent depuis le début de l’évolution, ou se forment de
parties déjà existantes, et cela à des périodes où il est impossible
de parler de dégénérescence.
Une jeune Klossia, dès qu’elle a perdu les caractères d’un
sporozoïte (fig. 1), se présente comme une cellule allongée avec
un cytoplasme granuleux renfermant un grand nombre de
vacuoles. Le noyau a conservé la forme sphérique qu'il avait
dans le sporozoïte ; mais, en son centre, on aperçoit un gros
karyosome, caractérisé par deux couches de colorabilité diffé-
rente.
La chromatine n’a plus l'aspect compact qu'elle présentait
chez les sporozoïtes (fig. 26), mais elle se dispose en un réseau
très fin qui, du côté externe, constitue la membrane nucléaire,
et dont les filaments vont, du côté interne, jusqu’au karyosome
(stade de la fig. A). Un certain secteur du réseau annulaire est
toujours reconnaissable par la présence d’un amas particulière-
ment dense de chromatine ; les contours de cet amas sont assez
irréguliers ; il touche par son extrémité distale le karyosome
(voir fig. A, à droite et en haut).
Au point de contact des deux corps, on ne distingue pas
bien la membrane du karyosome, etil semble qu'une communi-
cation puisse se faire en ce point entre les deux masses.
Pendant l'accroissement du noyau, le réseau chromatique se
810 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
relire de plus en plus à la périphérie (fig. B); l’amas, à structure
plus dense, prend une forme très régulière, celle d’un triangle
appuyé par sa base contre la membrane nucléaire et dont le
sommet touche la membrane du karyosome (fig. B).
À / :
La cellule s'accroissant de plus en plus, son noyau grandit,
devient ovale ; le réseau de chromatine est presque exclusive-
ment à la périphérie du noyau, et la communication entre l’amas
polaire et le karyosome ne se fait plus que par un pédoncule
mince et allongé. (Fig. C.)
Enfin, quand le noyau atteint presque son état adulte, le
contact entre l’amas et la membrane nucléaire cesse ; on a une
petite boule de chromatine très condensée reliée au karyosome
par ur mince pédoncule (fig. D) ; c’est le karyosome secondaire
que nous avons décrit. Le pédoncule se raccourcit encore et nous
avons le stade de la fig. 3.
Cette évolution prouve, d’une façon indiscutable, que la
présence du karyosome secondaire est normale ; mais sa fonction
est assez énigmatique. Nous pensons, d’après son développe-
ment et aussi d’après des faits que nous exposerons plus loin,
qu'il joue un rôle d’intermédiaire entre la chromatine du réseau
nucléaire périphérique et celle qui constitue la couche corticale
du karyosome primaire. Durant l'accroissement de la cellule, il
peut entrer ainsi une certaine quantité de chromatine dans le
gros karyosome. Au moment de la division nucléaire, cette
chromatine s'échappe en partie par le même chemin et sert à
renforcer le réseau chromatique. C'est au voisinage du karyo-
some secondaire, en effet, que commencent tous les change-
ments nucléaires qui se produisent au moment de la transfor-
mation de l’adulte indifférencié en individus sexués.
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICIHE, 811
L %
Nous montrerons, dans ies pages qui vont suivre, que la
reproduction de la Xlossia est précédée d’un phénomène sexué,
Ici, nous voulons insister sur ce point que nous avons vainement
cherché une multiplication endogène, correspondant aux stades
cimériens où à kystozoïtes de Léger, aux stades à mérozoïtes de
Simond, ou à ce que Schaudinn et nous avons appelé stade à
macrogamètes. Chez la Klossia de la Seiche, une pareille multipli-
cation n'existe pas, et le macrogamète, c’est-à-dire la cellule
femelle, celle qui reçoit l'élément mâle, le microgamète, est
simplement le produit de l'accroissement, sans multiplication,
d'un sporozoïte sorti d'un sporocyste. Ce cas estunique jusqu'ici
chez les Coccidies ; aussi tenons-nous à le mettre en relief.
Malgré cela, l’auto-infection peut fort bien se produire, mais
par un mécanisme particulier que nous décrirons plus loin.
Disons iei qu'elle n’a pas lieu par une division en deux comme
le prétend Labbé. Nous sommes convaincu, d’après l'examen
de nos préparations, qu’un pareil mode de multiplication n’existe
ni chez Klossia octopiana, ni chez Adelea ovata Schn., ni chez
Coccidium Schneideri (Etmeria Schneideri Bütsch.) et C. proprium
Schn. Les figures que donne Labbé correspondent à des stades
qui suivent la fécondation". La présence de deux Coccidies dans
une même cellule hôte s'explique fort naturellement par une
infection multiple. Simond a interprété de la même façon les
observations de Labbé.
La ÆXlossix de la seiche, après être restée un certain temps
dans un état indifférencié, peut se transformer soit en une cellule
susceptible d’être fécondée, soit en une quantité de germes mo-
biles qui sont des éléments fécondateurs, au même titre que les
spermatozoïdes des métazoaires.
Les deux processus débutent de la mème façon, de telle
1. Nous sommes obligé de faire remarquer que les figures de Labbé, en par-
ticulier celles qui se rapportent à ÆXVossia Eberthi, sont très inexactes. Les
Ælossia sont toujours régulièrement arrondies et, quand la fixation est bonne,
elles n'ont jamais les contours plissés et ondulés que représente Lahbé;
la même critique est applicable à ses figures nucléaires. — Ainsi s'expliquent les
nombreuses divergences de faits que nous avons déjè signalées et que nous au-
rons encore à signaler entre nos observations et les siennes. — Tous les
cytologistes qui jetteront un coup d'œil sur les planches de L., se convaincront
du bien fondé de nos critiques.
812 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sorte que, quand on a affaire aux premiers stades de la transfor-
mation, on ne peut pas reconnaître le sort ultérieur de la cellule ;.
mais nous ne pensons nullement qu’il ne soit pas déterminé
d'avance.
EM
DÉBUT DE LA TRANSFORMATION DE LA KLOSSIA ADULTE
Les premiers changements consistent en un bourgeonnement
du karyosome primaire. D'abord le karyosome secondaire aug-
mente de volume,comme si une certaine quantité de la substance
du gros karyosome avait pénétré à son intérieur, en suivant le
pédoneule. Et en fait, c'est ce qui se produit. La substance
chromatique du petit karyosome devient plus lâche, se répartit
sur une boule creuse, dans laquelle pénètre la masse granuleuse
amenée par le pédoncule. Le bourgeon grossit ainsi de plus en
plus, et peut arriver au même volume que le karyosome primaire;
il a aussi exactement la même structure.
À ce stade, nous avons donc 2 karyosomes reliés entre eux
par une mince bride de substance granuleuse, et dont les orifi-
ces des membranes chromatiques se font vis-à-vis. Ils peuvent
se séparer complètement par la rupture du ligament qui les
unit; et alors on aperçoit, aux points où lesrestes de celigament
sont en contact avec les karyosomes, deux petites sphères for-
tement chromatiques.
Mais, la plupart du temps, ils restent unis ; et alors on voit,
sur le trait d'union, une petite sphère chromatique qui s'accroît,
en même temps que son contact avec le filament devient de plus
en plus fragile, étant bientôt réduit à un fil de la même substance
granuleuse. Le troisième karyosome ainsi formé ressemble com-
plètement aux deux premiers et peut, ou bien leur rester uni, ou
se détacher.
Les karyosomes, unis entre eux ou libres, donnent, par le
même processus que nous venons de décrire, naissance à d’au-
tres semblables. — Naturellement, les nouveaux karyosomes
formés sont d’un volume moindre que les premiers, et ce volume
va constamment en diminuant, de sorte que les derniers (il s’en
produit souvent plus de 20) se présentent sous la forme de
petites sphères où l’on peut difficilement reconnaître leur struc-
ture formée de deux couches,
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 813
Pendant ce temps, ces deux couches restent presque exacte-
ment de même structure dans le karyosome primaire ; pour-
tant, la couche chromatique externe devient relativement plus
mince. Nous avons une explication satisfaisante de ce fait
en considérant le mode de dérivation des karyosomes secon-
daires du karyosome primaire. Une partie de la chromatine de
la couche corticale de ce dernier se transforme dans la masse
granuleuse centrale ; à cet état semi-fluide, de suspension, elle
suit le filament qui unit les deux sphères et vient tapisser inté-
rieurement la zone corticale du karyosome secondaire. Les
ligaments unissant les karyosomes prennent toujours assez bien
les couleurs basiques, ce qui indique qu'ils sont formés de
chromatine à l’état de très fines particules.
Les zones corticaies des karyosomes des autres générations se
constituent de la même façon, et le résultat est la diminution
d'épaisseur de la membrane chromatique du karyosome pri-
maire ; par conséquent, la zone centrale du karyosome, présentant
les réactions de l’'oxychromatine, devient plus volumineuse et par
suite plus visible qu'au début du processus. C’est probablement
cette observation dernière qui a fait dire à Labbé qu'il y avait
transformation de la basichromatine ordinaire du karyosome en
oxychromatine.
Le bourgeonnement du karyosome a été constaté par
Schneider et par Mingazzini, qui le considèrent comme un stade
précédant la sporulation. Schneider a mème remarqué que le
Le" bourgeon, «nucléolite », se forme au-dessus du «canal micro-
pylaire » et «semble s'être échappé du centre du premier». Labbé,
au contraire, voit dans la formation des bourgeons le signe de
la dégénérescence du karyosome. D’après lui (p. 580), le karyo-
some de ÆKlossia est «une sorte d'organoïde qui, au début,
n'est qu'une réserve de chromatine, mais qui s'accroît peu à peu
de tous les éléments excrétoires du noyau. En s’accroissant, il
bourgeonne continuellement d’autres karyosomes, qui jouent
le même rôle et se dissolvent ensuite, pour la plupart, dans le
1. Labbé, en traitant cette partie de la bibliographie, et parlant de la des-
cription du bourgeonnement par Schneider, dit (page 571): « Phénomène que
l’auteur assure avoir suivi de visu.» Dans le travail de Schneider sur la sporula-
tion de ÆXVossia octopiana, nous trouvons au contraire la phrase suivante :
«… Je ne viens pas dire: j'ai suivi de visu /a marche du phénomène, mais l’inter-
prétation que je suggère se présentera certainement la première à la pensée de
tous. »
814 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
suc nucléaire ». La chromatine ainsi transformée se trouve,
d'après le mème auteur, remplacée par de nouveaux karyosomes
et filaments chromatiques qui apparaissent près de la parot du
noyau après la dissolution des karyosomes primaires. Nous
avons, d’après l'examen attentif de nos préparations, montré
quelle était la marche du phénomène de bourgeonnement, et il
nous parait impossible de concevoir ce phénomème comme une
dégénérescence, mème «normale». Notons également combien
est énigmatique l'apparition de nouveaux karyosomes, d’après
Labbé ; il ne dit rien en effet pour expliquer leur provenance.
A partir du stade où le karyosome primaire a donné plu-
sieurs bourgeons, commencent à se produire des changements
nucléaires qui permettent de différencier les stades ultérieurs en
stades mâle et femelle.
Nous allons d’abord nous occuper de la formation des élé-
ments mâles, des microgamètes.
v
FORMATION DES MICROGAMÈTES (FIG. 4-14).
Quand la division des karyosomes est déjà assez avancée, le
noyau entier change aussi d'aspect. Son réseau chromatique
ne reste plus uniquement superficiel ; ses bätonnets et ses gra-
nules commencent à se réunir en filaments allongés.
Les petits karyosomes qui se trouvent près du réseau chro-
matique viennent se confondre avec lui, et leur chromatine ren-
force les filaments. Les autres karyosomes secondaires se dis-
solvent dans le suc nucléaire qui prend plus fortement lhéma-
toxyline (fig, #). A la suite de la transformation du réseau chro-
matique, la membrane nucléaire devient de plus en plus mince,
sa chromatine entrant dans la constitution de nouveaux filaments,
et finalement elle disparaît complètement. Le noyau conserve
encore un certain temps sa forme ronde, mais peu à peu ses
limites deviennent peu distinctes ; il y a une certaine fusion avec
le cytoplasme (fig. 5). Ce dernier subit aussi quelques change-
ments consistant surtout en ce que les parois alvéolaires se dis-
posent de façon à former des trainées radiaires allant du noyau à
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 815
Ja périphérie de la cellule. La structure alvéolaire du cyto-
plasme n'est bientôt plus reconnaissable par suite de l’accroisse-
ment du nombre des granules ; cette structure granuleuse est
de plus en plus accentuée, surtout au voisinage du noyau et à la
périphérie de la cellule.
La fusion du noyau et du protoplasme devient de plus en
plus intime. La substance nucléaire, suc et filaments de chro-
matine, pénètre dans les espaces intervacuolaires et se dirige
vers la surface de la Coccidie (fig. 6). On voit encore quelques
grands karyosomes au centre de la cellule, tandis que les petits
suivent les filaments chromatiques par les voies radiaires qui
existent tout autour du noyau. Les karyosomes restants se
divisent et se dissolvent dans le reste du suc nucléaire ; toute la
chromatine se porte ainsi vers la périphérie de la cellule (fig. 7)
où elle constitue des amas ; au centre, ce qui reste du noyau se
présente sous forme d’une masse granuleuse se colorant assez
fortement. Peu après, les tractus qui unissent le noyau à la
périphérie deviennent plus minces ; ce qui reste de chromatine
au centre se dirige vers la surface et on la voit comme des gra-
nules fortement colorés répartis dans les filaments plasmiques
qui rayonnent vers la périphérie. A la place occupée par le
noyau, apparaissent des vacuoles.
La chromatine, située maintenant à la périphérie dela Coccrdie,
y est réunie en petits amas formés de filaments toujours accom-
pagnés de très petits karyosomes.
La Coccidie, durant ces changements, prend une forme de
plus en plus sphérique. Si l’on examine sa surface, on voit
(fig. 8) qu’elle est couverte d’une sorte de réseau chromatique
irrégulier, plus condensé en quelques points, et renfermant dans
ses mailles de petites sphères se colorant très fortement (karyo-
somes). Il y a condensation de plus en plus grande du réseau
en certains points; les amas constitués ainsi sont de grosseur
inégale et renferment un nombre variable de karyosomes. Par
un phénomène de simple étirement, ces amas se divisent en
deux ou plusieurs fragments qui se condensent à leur tour en
affectant de plus en plus un aspect nucléaire. Division et con-
densation continuent, et nous arrivons à un stade tel que celui
figuré en 9, où toute la surface est recouverte de noyaux à con-
tours un peu irréguliers, espacés assez régulièrement.
816 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Quelques noyaux se divisent encore amitotiquement. Dans
le centre de ceux qui sont arrivés au terme de leur division, on
peut apercevoir un petit corpuscule fortement chromatique qui,
à notre avis, correspond à un petit karyosome. A cause de la
difficulté de l'observation et de la petitesse des objets, il nous a
été impossible de constater l'existence d’un tel karyosome dans
chaque noyau. Mais nous pensons que leur présence est cons-
tante. Vus de la surface, les noyaux semblent être ronds ; mais
dans une coupe de la sphère, où ils sont vus de côté, ils se pré-
sentent sous forme de petits sacs (fig. 10) qui touchent la surface
du corps de la Coccidie par leur partie fermée. Les parois de ces
noyaux sont formées par un réseau chromatique très compact
au milieu duquel on aperçoit un corps fortement coloré, le
karyosome. Par sa partie ouverte, le noyau semble communiquer
avec le protoplasme de l’intérieur de la Coccidie.
Au stade suivant, on constate que les noyaux deviennent
plus compacts ; autour de chacun d’eux se différencie une
couche de cytoplasme plus condensé ; par suite, on aperçoit des
lignes claires séparant les champs des divers noyaux (fig. 11).
Bientôt, il va se constituer sur toute la surface de la sphère des
excroissances, chacune d'elles étant occupée à son extrémité
distale par un noyau. Ces excroissances s’allongent par une
sorte d’étirement de la masse plasmique granuleuse centrale, en
même temps que les noyaux se condensent et prennent la forme
d'un ovale très allongé (fig. 12 et 13). Le réseau chromatique
nucléaire n'est alors presque plus reconnaissable. La coloration
à l’hématoxyline, par la méthode d'Heidenhain, montre une
structure tout à fait compacte ; en revanche elle décèle la pré-
sence, dans la partie protoplasmique qui sert de pédoncule aux
noyaux, de filaments très ténus qui se colorent en noir intense
(fig. 13). Ils semblent former des filaments axiaux allant du
noyau à la masse granuleuse centrale.
Les filaments protoplasmiques qui servent de pédoncules
aux noyaux s’étirent de plus en plus, et ceux-ci deviennent aigus
à leur extrémité (fig. 14). Une partie du protoplasme des pédon-
cules pénètre dans les noyaux; la partie chromatique de ces
corps s’allonge en effet de plus en plus, tandis que la partie
cyloplasmique diminue graduellement. Dans l’intérieur des
filaments chromatiques ainsi formés, on aperçoit, en employant
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 817
de très forts grossissements, quelques alvéoles, remplies de cyto-
plasme, disposées en file. L'’étirement de la chromatine conti-
nuant, elle arrive à occuper toute la longueur des filaments qui
recouvrent la sphère centrale; ces éléments se détachent alors
de la masse granuleuse restante; en même temps, la partie
par où ils prenaient insertion s’étire à son tour et se termine en
une pointe fine.
Nous avons donc, à ce stade, une masse sphérique granu-
leuse centrale', avec quelques vacuoles, et tout autour des fila-
ments fortementchromatiques orientés dans toutes les directions.
Ces filaments sont formés de chromatine à l'exclusion de quel-
ques espaces centraux plus clairs, formés de cytoplasme; ils ont
ainsi un aspect moniliforme (fig. 16); ils sont pointus aux deux
extrémités et ne possèdent pas de cils. Leur mobilité est très grande.
Alors qu’ils sont encore attachés à la sphère de reliquat, ils peu-
vent se mouvoir en se pliant dans diverses directions. Dès
qu'ils sont libres, ils sont animés de vifs mouvements ser-
pentiformes. Nous désignons ces éléments sous le nom de micro-
GAMÈTES. Chez la X lossia de la seiche, ils ont déjà été vus par divers
savants. Eberth les a le premier signalés, mais ce sont surtout
Schneider, Mingazzini et Labbé qui en donnent de longues des-
criptions. Mingazzini qui, d'une façon générale, les a bien
observés et a même vu certains stades de division nucléaire pré-
paratoires à leur formation, pense qu’ils sont homologues des
sporozoïtes qui, chez les autres Coccidies, se forment direc-
tement en dehors des kystes (sporozoïtes eimériens).
Des deux autres savants, Schneider les considère comme des
formations cadavériques, tandis que Labbé prétend (p. 645) que :
Q1ln'y a aucun doute pour que ces pseudo-sporozoïtes.. soient
des formations tératologiques.… » ; il n’a pas vu leurs mouve-
ments, car il décrit seulement des états non adultes où, en effet,
ils sont immobiles. Le même auteur donne un dessin et décrit
(p. 615) un cas où il a trouvé, dans la même enveloppe kystique,
des spores, chacune avec 3 noyaux, et (une masse granuleuse
avec une couronne superficielle de noyaux, et ces noyaux sont
Juste égaux à ceux des sporozoïtes des spores. Ces noyaux for-
meront autant de pseudosporozoïtes, qui... auront la valeur de
1. Il arrive parfois que cette masse, au lieu de rester unique, se fragmente
en deux ou trois morceaux.
p2
818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
sporozoïtes de spores, mais... ne seront pas des sporozoïtes ».
D’après le dessin fort schématique de Labbé (fig. 11 du texte),
nous pensons qu’il s’agit, dans le cas décrit par lui, d’une simple
juxtaposition de deux formations distinctes ; et la membrane
qu'il représente autour des deux corps est peut-être une por-
tion de la couche muqueuse intestinale ou des restes de cellules
qui se sont contractées par suite de l’action des liquides fixa-
teurs; mais, même si les 2 formations sont bien dans le même
kyste, — ce qui nous semble peu probable, — la seule compa-
raison de la grandeur des novaux n’est pas suffisante pour
induire de là que, morphologiquement et cytologiquement, les
sporozoïtes des sporocystes etles microgamètes sont équivalents.
On à déjà signalé, chez plusieurs Coccidies, un stade à mi-
crogamètes : Podwyssotzki, Clarke et surtout Simond, chez le
Coccidium oviforme ; Schuberg, chez la Coccidie de la souris ; Labbé,
Simond et nous-même, chez la Coccidie des tritons ; Simond
chez C. salamandræ; Léger et Hagenmüller, dans les genres
Diplospora et Barroussia ; Schaudinn et nous, chez Coccidium
Schneideri du Lithobius. La plupart de ces savants ont décrit les
microgamètes, comme desfilaments formés en majeure partie de
chromatine, à la surface d'une grande sphère. Tout récemment,
Léger' et Wasielewski* ont trouvé que, chez certaines Coccidies,
Barroussia, Echinospora (Léger), C. oviforme et une Coccidie des
Myriapodes(Wasielewski), —les microgamètes ont une structure
particulière : leur corps, en forme de virgule ou de massue allongée,
porte deux cils attachés à l'extrémité antérieure, qui est toujours plus
développée; les microgamètes se meuvent grâce à leurs cils.
Nous pouvons certifier l'exactitude de ces observations pour
C. proprium*. Mais, chez la seiche, nous n'avons noté aucune
disposition semblable ; les mouvements sont d’ailleurs faciles à
comprendre, étant donnée la longueur du corps desmicrogamètes
(30 à 40 &). Léger a d’ailleurs fait déjà cette remarque.
La division nucléaire que nous venons de décrire, et qui
aboutit à la formation des microgamètes, présente un intérêt
tout particulier, car elle ne ressemble ni à la karyokinèse, ni
1. Lécer, C. R. Soc. Biologie, 11 juin 1898, et C. 2. Ac, Sciences, août 1898.
2, WasreLzewski, Centralbl. f. Bakt., 1 Abth. Bd. xx1v, 1898.
3. Dans une note que nous avons publiée sur l’évalution de cette Coccidie
(C. R. Soc, Biol., 18 juin 1898), nous n’avons pas signalé ces cils. Notre dessin
était fait d’après des préparations colorées où il est impossible de les distinguer.
Q]
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 819
à la division directe, amitotique. Seul, Mingazzini, qui a suivi,
dans leurs grandes lignes, ces divisions nucléaires, reconnaît
qu’elles diffèrent des modes connus; mais cet auteur les a
aussi confondues avec celles qui précèdent la sporulation.
Schneider et Labbé n'ont pas parlé de ce mode de division chez
Klossia. Cest probablement divers stades de ces phénomènes
de division que Labbé a décrits sous le nom de phénomènes
prémitotiques ou d'épuration nucléaire. La division nucléaire
de Klossia, d’après lui, n’a lieu que par mitose.
C'est pour la première fois, chez C. Salamandre, que nous
trouvons indiqué, dans le travail de Simond, ce mode de divi-
sion que nous venons de décrire chez Klossia. L’auteur a vu la
division des nucléoles jusqu’à un stade où elles sont d’un «volume
n’excédant pas celui d’un coceus... Au moment, dit Simond
(p- 556), où cesse leur division, elles se portent à la périphérie
de la Coccidie et commencent à subir un allongement qui les
fait ressembler... enfin à des cils effilés, » etc. Le même
auteur donne une description à peu près semblable pour
C. proprium et C. oviforme.
Avec Schaudinn, nous avons, dans une note sur les
Coccidies des Lithobius, décrit une division nucléaire semblable
conduisant à la formation des macrogamètes chez Adelea ovata, et
des microgamètes chez Coccidium Schneideri : nous avons indiqué
que ce n’est pas une division mitotique, mais qu’elle ressemble
à celle décrite par Schaudinn, chez certains Foraminifères,
sous le nom de division multiple (multiple Kerntheilung). Chez
Calcituba polymorpha, un Foraminifère, la division a lieu de telle
façon que le noyau, d’abord compact, devient alvéolaire; puis
sa chromatine se divise, en une fois, en plusieurs fractions qui
vont dans des directions diverses, toutes radiales d’ailleurs.
La différence principale entre la division multiple de Schaudinn
et celle du noyau de ÆKlossia, dans les stades aboutissant à la
formation des microgamètes, est la suivante : chez les Forami-
4. Mixcazzi (Contributo alla conoscenza degli Coccidi. — Æendic. di Acad.
di Lincei, 1892, 1) dit (p. 180) : « Infine noi dobbiano riconoscere, che la divisione
per cariocinesi in questi fenomeni non esiste e nemmeno quella che va col nome
dei divisione diretta per strorramento... » ; et plus loin il exprime l’idée que ce
mode de division est intermédiaire entre la mitose et la division directe, Labbé
a mal compris ses idées puisqu'il dit, dans le résumé du travail de Mingazzini
(£. ce. p. 572) : « Il n’y à pas de karyokynèse, dit Ming., mais une division directe
« per strorramento »,
820 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
nifères, la division multiple se produit dans le même noyau, et ce
n’est qu'après leur formation que les noyaux secondaires vont.
dans le cytoplasme ; chez les Coccidies, la membrane nucléaire
disparait d’abord, et les nouveaux noyaux se forment dans le
protoplasme, à la surface de la cellule.
Un fait mérite encore d’attirer l’attention, c’est le rôle des
karyosomes dans la division multiple que nous avons décrite.
Au début, leur substance sert à renforcer le réseau chroma-
tique ; puis ils se rendent à la surface de la cellule et là servent
de centres de formation de nouveaux noyaux; ils montrent en
général une grande indépendance et paraissent même exercer
une sorte d'action sur diverses parties du corps de la Coccidie.
Il est difficile de les comparer à quelque élément des cellules
des métazoaires ou des végétaux. Ils possèdent certaines
qualités des nueléoles, puisqu'ils servent à renforcer la chroma-
tine pendant la division nucléaire, comme c’est le cas pour
certaines nucléoles de métazoaires'; d'autre part, ils possèdent
une indépendance semblable à celle des nucléoles des plantes ?,
qui peuvent rester dans le protoplasme de la cellule. Mais il
est certain que les karyosomes représentent un élément bien
spécial, possédant des propriétés diverses, et remplaçant
plusieurs organes des cellules des êtres pluricellulaires, à l’état
de repos ou pendant la division.
La formation des microgamètes, à partir du stade où les
noyaux sont disposés à la surface d’une sphère, ressemble
beaucoup à celle des spermatozoïdes des métazoaires. Nos
figures montrent que le noyau, qui a d’abord une forme de
capuchon, prend une forme de plus en plus allongée en entrai-
nant à son intérieur de petites masses de cytoplasme.
IL se développe porté sur un mince pédoncule qui montre, :
en son milieu, un filament axial se colorant fortement. Ce mode
de développement correspond tout à fait à celui des sperma-
tuzoïdes, et, en particulier, les jolies figures que Godlewski
4. Korscnecr, Ueber Kerntheilung, Eireifung, und Befruchtung bei Ophrio-
trocha puerilis. — Zeitschr. f. wiss. sool. Bd. 60, 1895.
2. ZiMMERMANN, Die Morphologie und Physiologie des pflanslichen Zellker-
nes. — [éna, 1896.
ETUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE, 821
junior ! a publiées sur ce processus chez Helir pomatia ressem-
blent, jusqu'à un certain point, aux nôtres (fig. 13).
Schneider et Labbé n’ont assigné aucun rôle aux microga-
mètes de Ælossia, puisqu'ils ne les considèrent pas comme des
stades normaux. Mingazzini croit voir dans ces éléments des
sortes de germes spéciaux qui correspondent aux sporozoiïtes
issus des kystes.
Le premier *, Schuberg a émis l'idée que les microgamètes,
nommés par lui kleinen sporozoïten, peuvent servir pour la copu-
lation, en disant : « .. Namentlich künnte man daran denken
dass die Formen eventuell eine Copulation vermitteln müchten. »
Dans son mémoire, Simond a exposé très clairement que, à
cause de leur mobilité, de leur structure chromatique, les micro-
gamètes (ses chromatozoïtes) étaient probablement des éléments
mâles. Il n’a pas observé l’acte même de la fécondation, mais il
a parfaitement compris qu'il devait précéder la reproduction par
sporocystes et terminer ainsi le cycle évolutif de la Coccidie.
En même temps que Simond publiait ses recherches, Schau-
dinn et nous communiquions à la réunion annuelle de la Société
des zoologistes allemands le résultat de nos observations sur
deux Coccidies du Lithobius; nous montrions, chez ces deux
espèces, l'existence d'éléments mâles et femelles et décrivions
rapidement les phénomènes de la copulation.
En 1898, nous avons publié deux notes étendant ces pre-
mières observations à la Coccidie de la seiche et à celle des
4. Goncewsk: Junior, C. À. Acad. sciences Cracotie, t. XXXIV (en polonais).
2. Labbé, dans des articles de critique parus récemment dans l’Année Biolo-
gique pour 1896, déclare à deux reprises (p. 47 et 91) qu'il a prévu le premier,
et dès 1892, la reproduction sexuée des coccidies. Nous trouvons, dans une note
de lui de 14891 (C. A. Ac. sciences, t. 113, p. 479-481) cette phrase : « Je fais
remarquer combien il serait, intéressant de rechercher si, chez les corpuscules
falciformes des coccidies, ii n’y aurait point une conjugaison analogue à celle des
Drepanidium, conjugaison qui diffère absolument de l'apposision des Zygocystis
et autres Grégarines. » Cette idée purement hypothétique n’a pas été confirmée,
puisque la copulation des coccidies diffère complètement de celle observée par
Labbé chez les Hémosporidies, et que d’ailleurs Laveran a été incapable de
retrouver. Dans son mémoire sur les coccidies paru en 1896-1897, Labbé parle,
après Schuberg, de reproduction sexuée à propos du dimorphisme des sporozoïtes
desa Pfeifferia tritonis (en réalité, macro et microgamètes de Coccidium proprium) ;
mais il n’a observé aucun fait qui vienne confirmer son idée. Même, nous croyons
pouvoir dire qu’il n'a pas compris quelles étaient les données du problème à
résoudre, ni quelle en était la généralité, puisque, se trouvant en présence d’élé-
ments mâles tout à fait typiques, ceux des Ælossia Eberthi, il les a pris pour des
formes tératologiques.
822 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Tritons. Par conséquent, à l'heure actuelle, il est hors de doute.
que les Coccidies ont une reproduction sexuée et que les microgamètes
sont les éléments males
NI
DIFFÉRENCIATION DES MACROGAMÈTES
La formation de l'élément femelle est des plus simples.
Revenons à la Coccidie adulte encore indifférenciée (fig. 3).
Il y a d’abord bourgeonnement du karyosome, comme dans les
stades à microgamètes. Mais, à partir d'un certain moment, le
noyau et le protoplasme de la Coccidie prennent un aspect qui
caractérise l'élément femelle. Une grande partie des karyosomes
bourgeonnent un grand nombre de fois et se transforment en
petits granules qui, finalement, se dissolvent dans le suc
nucléaire (fig. 17). Il ne reste donc que quelques gros karyo-
somes qui présentent, eux aussi, une tendance à la dissolution:
ils deviennent plus pâles; leur couche corticale est plus mince
et souvent ils montrent quelques alvéoles claires dans leur inté-
rieur. Le réseau chromatique devient si faiblement colorable
qu'il n’est visible que sous forme de petits granules ou de très
courts filaments faiblement colorés. La membrane nucléaire est
très mince et à peine visible (fig. 17). Au contraire, le suc
nucléaire se colore maintenant très fortement avec l'hématoxy-
line et se présente sous l’aspect d'une masse remplie de gros
granules. Le cytoplasme — qui ne renferme ni granules plas-
tiques ni granules chromatiques — ne montre plus de couches
périphérique et périnucléaire différenciées. Il a l’aspect d’une
masse creusée d’alvéoles toutes à peu près égales, les parois
alvéolaires étant formées de granules qui pénètrent même à
l’intérieur des alvéoles. Cette structure du protoplasme ne varie
pas pendant la copulation que nous allons décrire et même jus-
qu'à certains stades ultérieurs assez avancés.
Ainsi formée, la cellule femelle est prête à être fécondée par
les microgamètes. Notons que Schneider semble avoir représenté
ce stade dans la fig. 1 de sa planche VIII.
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 823
NUE
LA REPRODUCTION SEXUÉE
C’est dans la couche sous-muqueuse de l’intestin de la seiche
qu'on rencontre des macrogamètes et des microgamètes mûrs. Il y
a là des espaces lymphatiques très développés où la fécondation
peut s'effectuer très facilement. Sur des coupes de l'intestin, on voit
des microgamètes mürs, qui ont abandonné la sphère de reliquat
et qui se trouvent dans les espaces libres au milieu du tissu
conjonctif, au contact de cellules femelles. À un moment donné,
les microgamètes se meuvent autour des macrogamètes qui sont
également libres, complètement débarrassés des restes de la
cellule hôte. On voit alors quelques microgamètes accolés à la
surface d’un macrogamète (fig. 18). Le noyau de ce dernier se
porte vers la surface et son contenu se dispose de telle façon que
la plupart des karyosomes et les filaments de chromatine se
trouvent dans la partie la plus éloignée de la périphérie de la
cellule. La cellule s’arrondit, devient presque sphérique. Une
partie de son noyau se trouve au contact de la surface de la
cellule, au point où se trouvent accolés les microgamètes. C’est
à ce moment qu'il y a pénétration de l'élément mâle à l'intérieur de
la vésicule nucléaire femelle. Immédiatement après, le noyau
femelle abandonne le voisinage immédiat de la surface de la
cellule. En même temps, la couche protoplasmique périphérique
du macrogamète fécondé devient réfringente; mince au début,
elle s’épaissit lentement, et à sa surface restent accolés les micro-
gamètes qui n'ont pas servi à la fécondation; on les aperçoit là
souvent très longtemps en voie de dégénérescence. La membrane
de l’œuf est ainsi constituée ”.
Le noyau femelle contenant à son intérieur le microgamète
se retire lentement vers le milieu de la cellule et prend une forme
allongée. Son réseau chromatique, de plus en plus visible, occupe
la partie opposée à celle par où a pénétré l'élément mâle. La
chromatine de ce dernier se dissout en un spirème de filaments
chromatiques qui se rapproche, en s’étirant, de la chromatine
4. Sur les figures, nous avons représenté la membrane comme on l’aperçoit
sur les préparations fixées, c’est-à-dire plissée. Mais le corps cellulaire n’est
jamais contracté; il garde toujours une forme bien sphérique.
824 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
femelle (fig. 19). On peut parfois distinguer dans son milieu un
ou deux corpuscules ronds qui sont peut-être des karyosomes. Le
réseau chromatique de la cellule femelle s’accroit; le reste des
karyosomes se fragmente. En même temps, le suc nucléaire
devient moins colorable; nous pensons que la chromatine qu'il
contenait en dissolution est fixée sur le réseau chromatique.
Le noyau entier s’allonge et, du côté opposé à celui où a
pénétré le microgamète, on observe une sorte de trace granu-
leuse qui pénètre dans le protoplasme et va jusqu’à sa surface
(fig. 49 et 20). Dans cette région terminale, les contours du
noyau ne sont pas visibles, tandis que tout le reste est parfaite-
ment limité. Les réseaux chromatiques mâle et femelle se rap-
prochent et arrivent au contact. On voit encore, pendant un
certain temps (fig. 20), la chromatine màle plus fortement colorée
et condensée. Mais finalement, il y a mélange intime. Les fila-
ments du réseau chromatique sont disposés parallèlement à
l'allongement du noyau. La chromatine commence à former un
fuseau qui va d’un bout à l’autre du noyau, et par suite de la
cellule; en même temps les karyosomes restent au centre. Nous
avons représenté (fig. 6 de notre note préliminaire) ce stade.
Le réseau chromatique se présente sous la forme d’un long
filament replié en deux et tordu légèrement, qui atteint, par sa
partie coudée, la surface de la cellule opposée à celle par où s’est
faite la pénétration du microgamète; vers le milieu du noyau, le
filament porte un spirème de chromatine assez condensé (fig. 21).
Ce stade est tout à fait caractéristique.
Plus tard, les contours du noyau deviennent plus nets et il
revient à la forme ronde. On voit encore le filament chroma-
tique et même le prolongement nucléaire allant jusqu’à la sur-
face de la cellule ; mais le réseau du centre du noyau (fig. 21) a
acquis une importance prépondérante. Les karyosomes
s’émiettent de plus en plus, et le cordon chromatique se trans-
forme en un réseau irrégulier. Encore quelques divisions de
karyosomes, un arrondissement du noyau, et ce dernier est prêt
à se diviser en deux pour entrer dans la phase de formation des
sporocystes et des sporozoïtes. Les phénomènes sexués sont
terminés.
Les stades que nous venons de décrire ont été signalés dans
notre note préliminaire, pour la première fois, chez la Ælossia de
ÉTUDE DE LA COCCIDIE BE LA SEICHE. 825
la seiche. Mais chez d’autres Coccidies, nous avons fait connaître
des phénomènes semblables, aussi bien chez Coccidium Schneider:
et Adelea ovata de l'intestin des Lithobius que chez C. proprium des
tritons. Il y a, dans tous les cas, pénétralion d’un élément mâle,
de petite taille, et fortement chromatique, dans une grande
cellule ayant les caractères d'un œuf. Chez C. proprium et
C. Schneideri. les microgamètes se forment, comme chez Klossia
octopiana, à la surface de gros reliquats de différenciation qu'ils
abandonnent à la maturité pour aller à la recherche des macro-
gamètes.
Chez Adelea ovata, la formation des éléments mâles défini-
üfs a lieu en deux temps ; dans le premier, la cellule coccidienne
indifférenciée se divise en un petit nombre de croissants (8 à 12)
qui vont.se coller à la surface des cellules femelles. Là, s’accom-
plit la seconde étape, chaque croissant donne naissance à quatre
éléments tout à fait identiques aux microgamètes des Coccidium,
et qui se forment aussi à la surface d’un reliquat de différencia-
tion. La seule différence consiste donc en ce que, chez Adelea,
ce reliquat est subdivisé, avant la formation des microgamètes,
en autant de fragments qu'il y a de croissants.
Au point de vue des phénomènes de la fécondation, le genre
Coccidium ressemble moins à Ælossix que Adelea ovata. Chez
C. Schneideri et C. Proprium, le noyau femelle, avant la copula-
tion, perd sa membrane et entre en contact direct avec le
protoplasme. Ses contours ne sont pas réguliers; la plus grande
partie de sa masse reste au centre de la cellule, pendant qu’un
prolongement seul atteint la surface. Les microgamètes se
dirigent vers ce point qui, chez C. Schneideri, représente une
sorte de micropyle existant, en réalité, chez C. proprium.
Chez Adelea ovata, le noyau, avec un réseau où la chromatine
est en partie dissoute, se porte tout entier, comme chez Ælossia,
à la surface de la cellule, vient à son contact, et un des quatre
microgamètes formés sur le croissant accolé au macrogamète y
pénètre. Ultérieurement, le noyau résultant de l'union des
parties mâle et femelle prend la forme d’un fuseau traversant
la cellule fécondée dans toute sa longueur ; il y à encore là un
phénomène beaucoup plus comparable à ce que nous avons décrit
chez Klossia que chez les autres Coccidies.
Les autres savants qui ont parlé de phénomènes sexués chez
826 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
les Coccidies ont émis des idées diverses sur les circonstances
dans lesquelles ils se produisent; mais aucun d'eux ne les a°
observés. Labbé constate la présence de deux sortes de germes
endogènes chez la Coccidie des tritons (sa Pfeifferia tritonis) :
les uns de grande taille, qu’il appelle macrosporozoîtes (stade
eimérien), les autres de petite taille, les microsporozoïtes ; il
pense qu'une copulation est possible entre ces deux sortes d’élé-
ments, {els qu'ils existent au moment de leur formation. On sait,
après les observations de Simond et les nôtres, que cette inter-
prétation est erronée. Simond, dans son excellent mémoire, a
bien indiqué que « il est à supposer que c’est un mérozoïte des
formes de reproduction asporulée qui subit la fécondation par
conjugaison avec ie chromatozoïte ». Chez le C. oviforme, Simond
remarque, à la surface du noyau de formes jeunes, arrondies,
une sorte de croissant de chromatine qui se soude peu à peu avec
le karyosome sphérique central; et il regarde le croissant
comme le noyau d’un chromatozoïte qui avait fécondé la jeune
Coccidie. Il nous est impossible de partager la manière de voir
de Simond; ce croissant ne représente, suivant nous, qu’une
partie du réseau nucléaire, un peu plus condensée. Nous sommes
convaincu, en effet, que la fécondation, chez C. oviforme, doit
se faire dans des circonstances identiques à celles que nous
avons décrites chez la Coccidie des tritons.
Il est très difficile de se rendre compte, chez la Alossia de la
seiche, si seulement un microgamète pénètre dans la cellule
femelle. Nous sommes bien persuadé qu'il n’y en à qu’un. On
peut en effet remarquer que le réseau mâle, visible peu après la
copulation, ne représente pas une quantité de chromatine supé-
rieure à celle d’un microgamète. La comparaison avec Adelea
ovala confirme notre opinion; dans ce cas, où quatre éléments
mâles pourraient pénétrer, il n’en entre sûrement qu'un,
puisqu'on aperçoit les trois autres à côté de la cellule fécondée.
Se
Les phénomènes que nous avons décrits ont beaucoup d’ana-
logie avec ceux de la fécondation des œufs des métazoaires. Là
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 827
aussi, il y à association de deux individus, dont l’un renferme
seul du protoplasme et des matières de réserve, dont l’autre
apporte de la chromatine et semble être le déterminant de
l’évolution de la cellule femelle. Le spermatozoïde pénètre dans
l'œuf, se transforme en un réseau chromatique indépendant,
accompagné de deux centrosomes qui deviennent les centres des
asters du premier fuseau de division. Il se produit un mélange
des chromatines et des systèmes cytoplasmiques, et l'œuf fécondé
est susceptible de toute une évolution cellulaire.
Il est certain que, chez Alossia, c'est le microgamète qui est
comparable au spermatozoïde et le macrogamète à l'œuf. Le
mélange des chromatines de ces deux éléments est aussi net que
possible; on voit aussi une transformation du microgamète en
un réseau chromatique indépendant et semblable à celui de la
cellule femelle. Il y a donc ressemblance entre les noyaux mâle
et femelle, comme dans les œufs fécondés des métazoaires. Y
a-t-il aussi mélange de systèmes cytoplasmiques, chez Alossia ?
Cette question est très difficile à résoudre ; nous pensons pour-
tant que le microgamète emporte avec lui une petite quantité
de protoplasme, de sorte qu’il contient tous les éléments princi-
paux d’une cellule, aussi bien que les spermatozoïdes, Nous
avons souvent observé, au centre du réseau chromatique
provenant d’un microgamète qui a pénétré dans le noyau d’un
macrogamète, de petits corpuscules ayant tous les caractères de
karyosomes (fig. 19). Ils proviennent certainement du micro-
samète, et nous pensons que ce sont de véritables karyosomes
introduits dans la cellule femelle, comme un élément essentiel
de la cellule mâle.
Rappelons que l'œuf fécondé des métazoaires à la valeur
d'une cellule entière, tandis que, avant la copulation, chacun
des éléments mâle et femelle était une demi-cellule au point de
vue du nombre des anses chromatiques. La question de savoir
s'il y a aussi, chez la Alossia de la seiche, des phénomènes de
réduction, est difficile à trancher.
Les figures que donne Labbé, comme illustration de la
réduction chromatique (pl. XV, fig. 10, 14, 15, 16) nous
semblent représenter, au contraire, certains stades de la fécon-
828 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
dation ou de la division cellulaire, altérés par l’action des.
réactifs (comparer les fig. 5 et 20 de ce mémoire avec la
fig. 10 de la pl. XV de Labbé). Pour nous, la réduction chroma-
tique se produit ici de la façon suivante : il y a dissolution de
chromatine dans le suc nucléaire; puis, aux premiers stades
qui suivent la fécondation, la membrane nucléaire devient très
mince et le noyau s’allonge lentement en se confondant avec le
protoplasme environnant dans ce prolongement; alors une
partie de la chromatine, dissoute dans le suc nucléaire, peut se
répandre dans le protoplasme. Celui-ci, en effet, se colore plus
fortement aux stades que nous venons d'indiquer, et on y aperçoit
même quelques granules très colorés (fig. 19 et 20) qui ne s’y
trouvaient pas auparavant. Jamais nous n'avons observé, chez
Klossia, une réduction comparable à celle que nous avons signa-
lée, avec Schaudinn, chez Adelea ovata.
Quant à la réduction de la chromatine chez les microgamètes,
elle a probablement lieu par le fait de leur formation en
nombre considérable aux dépens d’une cellule. Leur ressem-
blance avec des spermatozoïdes confirme d’ailleurs celte manière
de voir.
VIII
LA FORMATION DES SPOROCYSTES
D’après Schneider, les phénomènes, chez la Ælossia de la
seiche, se passent ainsi : le noyau se divise par étranglement à
la surface de la Coccidie, en prenant la forme « en bretelles »
où « en os de grenouille ». Autour de chaque nouveau
noyau, se fait une proéminence protoplasmique, et la Coccidie
entre dans un stade d’Echinosphère. Chaque proéminence s’ar-
rondit, se détache de l’ensemble, s’entoure d’une membrane,
et donne naissance à trois ou exceptionnellement quatre
sporozoïtes.
Mingazzini a confondu les stades de la division nucléaire, qui
conduisent à la formation des microgamètes, avec ceux relatifs
à la formation des sporocystes; il croit que ces derniers résultent
des noyaux qui, après la division multiple, se trouvent à la
surface de la Coccidie.
Labbé pense que, après sa prétendue épuration ou réduction
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 829
nucléaire, se ‘présentent plusieurs divisions karyokinétiques
conduisant à la formation d’un certain nombre de noyaux à la
surface de la Coccidie; la formation « d'archéspores » avec ces
noyaux se produit de la façon indiquée par Schneider ; mais,
dans les archéspores, on voit apparaître, à côté du noyau, des
centrosomes surtout bien visibles au moment où le noyau se
divise pour produire ceux des sporozoïdes. Nous n'avons jamais
rencontré de figures semblables à la fig. 6 (pl. XV) de Labbé.
Étant donné le contour irrégulier de la cellule, peut-être s’agit-il
d’une disposition artificielle ressemblant à une figure karyoki-
nétique. Les autres figures de Labbé, relatives soi-disant à la
division mitotique, correspondent probablement à nos figures 23
et 24, coupées obliquement.
Nos observations sur la sporulation de Ælossia s'accordent,
dans leurstraits généraux, avec celles de Schneider et y ajoutent
quelques détails nouveaux.
Le noyau d’une Coccidie fécondée, alors qu’il a abandonné
la surface de la cellule, montre un réseau chromatique très
distinct; les karyosomes sont à l’état de petites boules très
colorées. Le suc nucléaire se colore à peine, et il semble que
toute la chromatine qu’il contenait en dissolution est maintenant
fixée sur le réseau. La membrane nucléaire n’est pas aussi
compacte que dans un noyau au repos.
A cet état, le noyau commence à s’étrangler et à se diviser
lentement par traction en deux parties égales (fig. 22). Le
réseau chromatique se place aux deux extrémités du noyau en
division, et il semble que le volume de la chromatine dans les
deux noyaux frères est égal. Les karyosomes se disposent aussi,
en volumes égaux, de part et d'autre. L’étranglement continue,
et finalement on a deux noyaux séparés à la surface de la Klossi.
Ils continuent à se diviser de la même façon que le premier
noyau, par simple étranglement; il se forme ainsi 4, puis 8, etc.,
nouveaux noyaux. On peut toujours observer une certaine régu-
larité dans ces divisions de telle façon que la chromatine et les
karyosomes sont toujours répartis également dans les noyaux
nouveaux. À mesure que les noyaux se divisent, leur structure
devient de plusen plusdistincte ;ainsi, au stade quereprésente notre
figure 23, le réseau des noyaux au repos est formé d’un peloton
lâche de chromatine et renferme un karyosome, Pendant leur
830 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
division, les noyaux imitent un peu les figures mitotiques et on
peut remarquer un corpuscule fort coloré, qui correspond peut-
être aux « Zwischenkürper » de Flemming et Kostanecki.
Autour de chaque noyau, se différencie une portion de proto-
plasme qui fait proéminence à la surface de la Xlossia (fig. 24).
A ce moment, les noyaux ont déjà pris une structure plus com-
pacte, et chez ceux qui ont atteint leur structure définitive, on
ne peut plus distinguer les karyosomes; leur réseau est plus
condensé du côté externe des proéminences protoplasmiques qui
les renferment. Les dernières divisions nucléaires ressemblent
beaucoup à des mitoses, car la membrane nucléaire disparaît et
on observe une répartition de la chromatine en deux amas,
comme dans un « dyaster » d’une mitose.
Lorsque toutes les divisions nucléaires sont terminées, les
exeroissances protoplasmiques s’arrondissent et enfin se sépa-
rent les unes des autres après avoir absorbé tout le protoplasme
de la Xlossia. Elles sont toutes réunies à l’intérieur de la mem-
brane kystique, chaque boule est un futur sporocyste, d'après la
terminologie de Léger; elle s’entoure d’une mince membrane
propre (fig. 25) et le protoplasme y montre une structure alvéo-
laire. À sa périphérie est situé un noyau très compact. Dans
son protoplasme, on aperçoit quelques corpuscules, ronds ou
irréguliers, fortement chromatiques, placés entre ou dans des
alvéoles plasmiques : ils correspondent peut-être à ce que Labbé
appelle des centrosomes.
Le noyau du sporocyste se divise par simple étranglement,
à l'intérieur de la membrane nucléaire: et, en règle générale, la
division se fait, du même coup, en 3 parties. C’est une simple
division amitotique, durant laquelle il est très difficile de voir
même le réseau chromatique du noyau.
Après la division nueléaire, le protoplasme se condense
autour de chaque nouveau noyau (ils ont la forme de bâtonnets
courts et épais), et les champs plasmiques, en forme de crois-
sants, se séparent; on a ainsi formation de 3 sporozoiïtes. Leur
protoplasme est très condensé et montre parfois quelques
granules chromatiques; les noyaux, qui sont au début allongés,
prennent ensuite une forme ronde (fig. 25). À cet état, les spo-
rozoïtes sont complètement mûrs.
Les ookystes, renfermant des sporocystes et des sporozoîïtes,
{
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 831
sont souvent de si grande taille {jusqu'à 1 millimètre de diamètre),
qu'ils sont visibles à l'œil nu. Leur formation termine le cycle
évolutif de la Xlossia de la seiche.
IX
INFECTION DE LA SEICHE
Un sporocyste mûr, arrivé dans l'intestin de la seiche, éclate
el les sporozoïtes sont mis en liberté. Le tube digestif de la
seiche est tapissé intérieurement par un épitbélium cilié dans
lequel sont placées les cellules à sécrétion muqueuse. Les cils
des cellules épithéliales sont très forts et très longs, et vibrent
avec une telle force que les petits sporozoïtes, malgré leur
grande mobilité, ne peuvent arriver au plateau de la cellule.
Ils pénètrent donc par une autre voie; ils entrent dans l’inté-
rieur des cellules muqueuses et peuvent ainsi, par cette voie
détournée, arriver latéralement dans les cellules ciliées.
Par une de ses extrémités, le sporozoïte appuie contre la
paroi de la cellule dans laquelle il va pénétrer; il détermine
ainsi une petite ouverture par où il pénètre en partie; le reste
de son corps se contracte assez fortement et ainsi tout le petit
vermicule se trouve projeté dans la cellule épithéliale. Arrivé là,
il va se placer tout près du noyau; il montre une tendance à
s’arrondir; son protoplasme ne reste plus aussi compact, mais
prend une structure alvéolaire, et on aperçoit à son intérieur
quelques vacuoles claires (fig. 1).
En même temps, le noyau compact du sporozoïte prend une
structure plus lâche; l’individualisation du réseau chromatique
commence, Pendant la même période, a lieu la formation du
karyosome qui, invisible dans les sporozoïtes, apparaît déjà
formé dès que la différenciation du réseau chromatique permet
d'observer l’intérieur du noyau.
Aux dépens de la cellule infectée, la jeune Klossia s'accroît de
plus en plus, en même temps que se différencie sa structure. A
l'intérieur de son cytoplasme apparaissent les diverses sortes de
granules décrits précédemment, qui, au bout d’un certain temps,
sont digérés et transformés dans Le corps de la Coccidie. La
forme du corps est de plus en plus ronde: le noyau prend une
disposition transversale, et finalement nous arrivons à un stade
832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
tel que celui de la fig. 3 qui nous a servi de point de départ.
Résumons donc le cycle évolutif de la Klossia de la seiche :
Les sporozoïtes, sortis des sporocystes, pénètrent dans les cellu-
les de la paroi intestinale et là se transforment en individus
adultes indifférenciés. Parmi ceux-ci, les uns subissent une division
nucléaire multiple et se transforment en éléments mâles ou
microgamètes, tandis que les autres montrent quelques change-
ments nucléaires et prennent les caractères de cellules femelles
ou macrogamètes. Après la copulation d’un microgamète avec un
macrogamète, ce dernier s’entoure d’une membrane, devient un
ookyste, et son noyau, qui renferme les chromatines mâle et
femelle, se multiplie dans la surface par un certain nombre de
divisions égales, rappelant un peu des divisions mitotiques.
Autour des nouveaux noyaux s’individualise une couche cyto-
plasmique; les sporocystes se trouvent ainsi constitués. Dans l'inté-
rieur de chaque sporocyste se forment 3-4 sporozoïtes ; et le cycle
évolutif est fermé.
Ce cycle diffère de celui des autres Coccidies par l'absence d'une
multiplication cellulaire (stade à mérozoïtes de Simond, stade eimé-
rien de Léger) précédant la formation des macrogamèles.
X
LÉSIONS PRODUITES PAR LE PARASITE. — AUTOINFECTION.
Les sporozoïtes, nous l'avons dit, pénètrent uniquement dans
les cellules épithéliales ciliées, et, en règle générale, en traver-
sant les cellules muqueuses. Placé au milieu du cytoplasme de la
cellule-hôte, le parasite entre en contact direct avec lui, et c’est
seulement à cause de la différence de réfringence et de colorabi-
lité des 2 milieux qu’on distingue les contours de la jeune Cocei-
die. Il ne se forme aucun espace clair, perceptible autour d'elle;
il n’y a que dans les préparations mal fixées qu'on distingue une
auréole claire avec des brides protoplasmiques allant de la Cocci-
die au plasma de la cellule épithéliale; cet aspect tient à une con-
traction. On n’observe donc aucune trace d’une sécrétion de
substance quelconque provoquée par la pénétration, comme le
pense et le figure Labbé. Néanmoins une action réciproque des
deux cellules en présence est évidente. Tandis que le sporozoïte
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 833
s'accroît et se transforme en un être adulte, la cellule éprouve
des changements qui se succèdent dans l’ordre suivant; ily a une
période d’excitation suivie de dégénérescence.
Tous les phénomènes d’accroissement de la Coccidie que nous
avons décrits ne pourraient pas se réaliser sans les matériaux
fournis par la cellule-hôte; ils pénètrent dans la Coccidie par
simpleosmose. Les matériaux nutritifs introduits ainsi sont emma-
gasinés par le parasite sous forme de différents granules, dans
son protoplasme. La cellule hôte conserve d’abord sa forme (fig. 1)
et toutes ses propriétés. Les cils vibrent fortement et le noyau
conserve sa forme ordinaire. Mais la présence et l’accroissement
du parasite semblent exciter la cellule-hôte; elle commence à
montrer des vacuoles remplies d’un liquide clair, et sa structure
entière devient moins compacte. En même temps, son novau
grossit et commence à se colorer d’une façon très intense, mais
diffuse. La cellule entière semble s'être gonflée et montre une
hypertrophie considérable.
Le parasite s'accroît de plus en plus, et il semble que lhyper-
trophie de ia cellule-hôte lui fournisse un surcroît de matériaux
pour son développement. Il arrive à occuper un volume tel que
la cellule de la seiche est considérablement distendue, réduite à
ses parois; on ne distingue plus que son noyau aplati par la pres-
sion du parasite (fig. 10).
À partir de ce moment commence la dégénérescence de la
cellule-hôte ; elle devient facilement perméable et des sporozoïtes
de Xlossia pénètrent qui vont se placer à côté de la grosse Coc-
cidie; 1l y a alors infection multiple. La Coccidie, continuant à
s’accroître, assimile le reste du protoplasme de la cellule-hôte,
de sorte qu'il ne reste qu’une très mince couche périphérique et
un noyau dégénéré ét aplati à côté.
A ce stade, la Coccidie est déjà presque adulte, mais possède
encore les matériaux de réserve accumulés comme granules dans
son protoplasme. Leur assimilation et l'accroissement qui en
résulte pour la Coccidie font éclater le reste de la cellule épi-
théliale et le parasite tombe dans la couche sous-muqueuse de
l'intestin. Désormais, il n’est plus intracellulaire ; il est intercel-
lulaire ; le fait a été très bien observé par Labbé.
Danslesespaceslymphatiques de cette couchesous-muqueuse,
se passent tous les phénomènes que nous avons décrits et qui
93
834 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
aboutissent à la formation des ookystes.. Les gros ookystes,
qui ont souvent 1/2 ou 1 millimètre de diamètre, provoquent,
une réaction du tissu conjonctif et sont entourés d’une couche
cellulaire assez compacte. A cet état, ils peuvent rester très
longtemps dans la paroi intestinale.
La destruction des cellules épithéliales de l'intestin par les
parasites provoque, comme réaction, dans toute la couche mu-
queuse, la plus active division karyokinétique des cellules infec-
tées. Nous savons qu’un fait pareil a été remarqué par Simond
pour l’épithélium intestinal des tritons. L’explication la plus pro-
bable est qu’il s’agit ici de remplacement des cellules détruites
par de nouveaux éléments intacts.
Très souvent, nous avons observé, sur des coupes del'intes-
tin de la seiche, les sporocystes en dehors de la membrane com-
mune, disséminés dans les espaces lymphatiques du tissu con-
jonctif sous-muqueux; en particulier, dans le voisinage de la
couche épithéliale, on peut apercevoir des groupes de sporocystes,
qui semblent chercher à s’insinuer entre les cellules épithéliales.
Dès qu'un espace libre se forme entre elles, les sporocystes,
probablement par suite de la pression du liquide qui les entoure,
se placent entre les éléments épithéliaux. Une rupture de la
couche, souvent produite par une dégénérescence des cellules,
permet aux sporocystes d'arriver dans la lumière de l'intestin.
Là, sous l’action du suc digestif, leur membrane éclate; les spo-
rozoïtes s’échappent, se dirigent vers les cellules épithéliales et
déterminent une nouvelle poussée infectieuse.
Ces faits nous expliquent très bien comment, chez Klossia
octopiana, qui ne possède pas de stades de multiplication endogène
(stades eimériens), Vautoinfection se produit. Mingazzini a remar-
qué, avant nous, que les sporocystes peuvent arriver par effrac-
tion, à travers les parois intestinales, dans la lumière du tube
digestif.
Chez la AXlossia de la seiche, par conséquent, un cycle
évolutif aboutissant à la formation de sporocystes à sporazoïles,
suffit à fournir des germes à la fois pour l'infection d’autres
céphalopodes, et pour l’autoinfection.
Ce fait, que nous croyons avoir bien mis en évidence, n'est
nullement en opposition avec la théorie du dimorphisme évolutif
émise par R. Pfeiffer, acceptée et prouvée par Schuberg, Simond,
ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 835
Léger et la quasi unanimité des savants qui se sont occupés de
Coccidies. On peut l’énoncer ainsi : [y &, chez les sporozoaires du
groupe des Coccidies, succession de deux périodes dans l’évolution,
l’une endogène avec multiplication des germes, produisant l’'autoinfec-
tion: l'autre, précédée de phénomènes sexués (Simond, Schaudinn et
Siedlecki), qui donne des individus enkystés, résistants, formant dans
leur intérieur des sporocystes à sporozoîtes, capables de quitter l'orga-
nisme hôte pour transporter l'infection chez d'autres individus. A
est évident que, chez Klossia, la facilité de l'autoinfection rend
inutile la multiplication endogène des parasites, et la première
période se trouve réduite à sa plus simple expression : un sporozoîte
issu d'une spore donne directement un macrogamète. D'après cela, il
est évident que le cycle évolutif de la Xlossia octopiana rentre
bien dans le type que l’on avait pu déduire des observations
faites chez d’autres Coccidies.
Le stade de multiplication endogène des parasites, qui existe
chez toutes les Coccidies étudiées avec soin, à l'exception de
Klossia octopiana, existe aussi chez d’autres sporozoaires. C'est,
comme le reconnaissent d’ailleurs Simond et Laveran, à cette
multiplication que correspondent les stades en morula, rosette
ou marguerite, des hématozoaires de l'homme et des oiseaux, et
aussi les stades de reproduction que Laveran‘ vient de faire
connaître chez les parasites du sang de la tortue d’eau et de
Rana esculentæ.
Caullery et Mesnil° ont décrit un stade semblable chez une
Gregarine cœlomique. La théorie de R. Pfeiffer, modifiée par
les recherches récentes, présente donc une grande généralité.
1. Laveran, C. 2. Soc. Biolog. (1e", 8 et 22 octobre 1898).
2. Cauzzery Er Mesniz, C. À. Acad. des sciences (17 janvier 1898).
836 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
EXPLICATION DES PLANCHES VI, VII & IX
Tous les dessins ont été faits à la chambre claire de Abbe, avec l'im-
mersion apochromatique de 1mm,30 d'ouverture et 20m de foyer.
Fig. 1. — Cellule épithéliale de l'intestin d’une seiche avec jeune Alossia.
Fig. 2. — Jeune Klossia. Le karyosome est uni à la périphérie du noyau
par un secteur chromatique.
Fig. 3. — Stade adulte indifférencié.
Fig. 4-16. — Formation des microgamètes.
Fig. 4. — Apparition des filaments chromatiques dans le noyau.
Fig. 5. — Les contours du noyau deviennent irréguliers.
Fig. 6. — La chromatine nucléaire se rend à la périphérie de la Coccidie,
Fig. 7. — Même phénomène plus avancé.
Fig. 8. — Répartition de la chromatine à la surface de la Coccidie.
Fig. 9. — Condensation de la chromatine préparatoire à la formation
des noyaux des microgamètes.
Fig. 10. — Coupe optique d’une Coccidie montrant les noyaux #n sac des
microgamètes. En bas et à droite, noyau aplati de la cellule hôte.
Fig. 11. — Division protoplasmique à la surface de la Coccidie.
Fig. 12. — Stade de l’évolution des microgamètes.
Fig. 13. — Même stade. — Dans les pédoncules qui supportent les
noyaux des microgamètes, on distingue des lignes longitudinales plus foncées
(filaments axiaux).
Fig. 14. — Stade de l’évolution des microgamètes avec noyaux allongés.
Fig. 15. — Microgamètes mürs à la surface de la sphère de reliquat.
Fig. 16. — Aspect des microgamètes mûrs; au centre des renflements,
on remarque des espaces plus clairs, de nature cytoplasmique.
Fig. 17-18. — Maturation des macrogamètes.
Fig. 17. — Bourgeonnement des karyosomes.
Fig. 18. — Macrogamète mûr, — Le noyau est venu au contact de la
surface de la cellule; et en ce point, on aperçoit plusieurs microgamètes.
Fig. 19-21. — Phénomènes seœués.
Fig. 19. — Le microgamète a pénétré et s’est transformé en un réseau
chromatique situé à un pôle du noyau femelle qui, à l’autre pôle, se termine
par une sorte de queue. (A partir de ce stade, on remarque une membrane
kystique autour de la Coccidie.)
Fig. 20. — Mélange complet des chromatines mâle et femelle.
Fig, 21. — Stade plus avancé que le précédent.
Fig. 22-26. — Formation des sporocystes.
Fig. 22. — Première division nucléaire.
Fig. 23. — Divisions nucléaires dans la surface; — z, Zwischenkôrper.
Fig. 24, — Dernières divisions nucléaires. — Différenciations protoplas-
miques autour des noyaux.
Fig. 25. — Sporocystes au stade uninucléé; dans le protoplasme, quelques
granules chromatiques.
Fig. 26. — Sporocyste mûr avec 3 sporozoïtes,
ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ VACCINALE
Par MM.
A. BÉCLÈRE CHAMBON et MÉNARD
Médecin de lhôpital St-Antoine, Directeurs de l'Institut de vaccine animale
de Paris.
DEUXIÈME MÉMOIRE
L'IMMUNITÉ CONSÉCUTIVE A L'INOCULATION SOUS-CUTANÉE DU VACCIN
L'étude expérimentale du sérum de génisse vaccinée,
recueilli plusieurs jours ou plusieurs semaines après la dessicca-
tion des vésicules vaccinales, nous à conduits, dans un premier
mémoire’, à la conclusion que ce sérum possède, vis-à-vis de
la vaccine inoculée, des propriétés immunisantes.
C’est ce qui résulte d’une expérience capitale, plusieurs fois
répétée avec des résultats constants : le sérum de génisse vac-
cinée, injecté sous la peau d’un animal de mème espèce, à la
dose du centième de son poids, immédiatement avant la vacei-
nation à l’aide de nombreuses inoculations sous-épidermiques
d'un virus éprouvé, confère à cet animal une immunité encore
incomplète, mais suffisante cependant pour rendre stériles le
plus grand nombre des inoculations, pour donner aux rares
éléments éruptifs un aspect rudimentaire et avorté, et surtout
pour faire perdre toute virulence appréciable à la lymphe con-
tenue dans ces éléments, puisqu'elle n’est plus inoculable à des
sujets non vaccinés, enfants ou génisses.
Cette injection de sérum immunisant modifie la morphologie
des éléments éruptifs moins complètement qu’elle ne détruit la
virulence de leur contenu : des vésicules à peu près normales
d'apparence renferment cependant une Iymphe qui n’est plus
inoculable.
1, Ces Annales, n° du 25 janvier 1896.
838 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR.
L'action immunisante de ce sérum se révèle encore par
l’insuccès total d’un certain nombre d’inoculations, par l'aspect”
plus ou moins rudimentaire des éléments éruptifs et surtout par
l’atténuation plus ou moins complète de la virulence du contenu
de ces éléments, quand l'injection sous-cutanée de sérum, au lieu
de précéder les inoculations sous-épidermiques de vaccin, suit
celles-ci à un intervalle de vingt-quatre et même de quarante-
huit heures.
Le sérum de génisse vaccinée possède donc, vis-à-vis de la
vaccine inoculée, non seulement un pouvoir préventif, mais
encore un pouvoir curateur, d'autant plus faible il est vrai,
que l'intervention thérapeutique survient plus tard après lino-
culation.
Cette action immunisante, plus ou moins parfaite suivant la
quantité du sérum injecté et le moment de l'injection, se mani-
feste toujours très rapidement.
L'immunité conférée par le virus vaccinal, injecté sous la
peau, ne se développe au contraire que lentement. Après trois
jours, rien ne la révèle, et elle ne semble pas encore complète
avant huit jours écoulés. Un animal, vacciné à l'aide de nom-
breuses inoculations sous-épidermiques trois jours après avoir
reçu du vaccin sous la peau, n’en présente pas moins une érup-
tion d'aspect parfaitement normal; c’est seulement quand l’in-
tervalle est de huit jours que les inoculations du même vaccin
sous l’épiderme demeurent stériles sans aucune exception.
Dans nos premières recherches, nous avions injecté une
quantité déterminée de vaccin sous la peau d’une série de
génisses, puis nous les avions inoculées successivement par le
procédé habituel des incisions multiples aux deux côtés du tronc,
en mettant entre les deux opérations un intervalle d’un jour
pour la première génisse, de deux jours pour la seconde, de
trois jours pour la troisième, et ainsi de suite. Mais nous nous
étions contentés de noter soigneusement l’aspect de l’éruption
vaccinale sur chaque animal, sans chercher à mesurer le degré
de virulence du contenu des éléments éruptifs. Nous avons
voulu combler cette lacune et nous avons répété quelques-unes
des expériences (de VI à XVI publiées dans notre premier
travail, en y ajoutant la recherche de la virulence de la lymphe
vaccinale.
ETUDES SUR L'IMMUNITÉ. 839
EXPÉRIENCE X bis.
INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE {TOS JOURS LES INOCULATIONS
SOUS-ÉPIDERMIQUES
Une génisse, amenée la veille du Limousin à l’étable d'isolement de la
rue Caulaincourt, reçoit en injection sous la peau du flanc gauche, à l’aide
de la seringue de Straus, tout le contenu d’un gros tube à vaccin, rempli
de pulpe glycérinée préparée depuis deux mois (soit environ à centigrammes
d’eau bouillie, 5 centigrammes de glycérine et 10 centigrammes du produit
de grattage des vésicules !).
Trois jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, aux deux
côtés du tronc, avec du vaccin éprouvé, comme il est de règle à l’établisse-
ment vaccinal de la rue Ballu, c'est-à-dire par des incisions linéaires de
2 centimètres, écartées de 3 à 4 centimètres les unes des autres et disposées
en quinconce, au nombre de 80 à 120 environ sur chaque côté.
A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau,
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.
Chez ces deux génisses, l’éruption vaccinale apparait, dans les délais
habituels, avec ses caractères normaux, et ne présente, de l’une à l’autre,
que des différences négligeables qui tiennent aux conditions individuelles :
toutes les inoculations donnent naissance à des vésicules de forme très
régulière, limitées par des lignes bien droites, parallèles aux incisions.
Chez la génisse en expérience et chez la génisse témoin, on fait succes-
sivement, à 24 heures d'intervalle, trois récoltes de lymphe vaccinale : on
recueille dans les vésicules de chacun des deux animaux et on prépare
séparément, sous forme de pulpe glycérinée, suivant le mode habituel, du
vaccin datant de quatre jours. de cinq jours et de six jours après les inocu-
lations sous-épidermiques.
Les trois vaccins provenant de la génisse témoin peuvent être consi-
dérés comme normaux et peuvent servir à mesurer, par comparaison, la
virulence de chacun des trois vaccins, d'âge correspondant, qui proviennent
de la génisse en expérience.
Dans ce but, l’un de nous, médecin d’un dispensaire pour enfants, fait,
avec les précautions convenables, par trois piqûres à chaque bras, des ino-
culations à de jeunes enfants non vaccinés : il leur inocule, au bras droit,
l’un des trois vaccins normaux, et immédiatement leur inocule, au bras
gauche, le vaccin d'âge correspondant, recueilli sur la génisse en expérience,
et dont il s’agit de mesurer la virulence.
Cinq enfants sont inoculés : à droite avec du vaccin normal de quatre
jours, à gauche avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en
expérience.
De même huit autres enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq
jours et sept autres avec les vaccins de sx jours.
4. Nous renvoyons à notre premier mémoire pour tous les détails concernant
le vaccin employé, dans nos expériences, aux inoculations sous-cutanées et sous-
épidermiques. !
840 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles
vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du *
bras droit et celles du bras gauche.
Il n'existe done pas non plus de différence appréciable entre la virulence
des trois vaccins normaux et celle des trois vaccins, d'âge correspondant,
recueillis sur la génisse en expérience.
En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous
l’épiderme par de multiples incisions, trois jours après avoir
reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :
19 apparaît dans les délais habituels ;
20 est tout à fait normale d'aspect;
(ie virulence normale, quatre jours après
30 contient unelymphe : — — cinq les inoculations
( — — six sous-épidermiques.
EXPÉRIENCE XI bas.
INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE QuU@lre JOURS LES
INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES
Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain-
court, reçoit, en injection sous la peau du flanc gauche, tout le contenu
d’un gros tube à vaccin, rempli de pulpe glycérinée préparée depuis deux
mois et demi.
Quatre jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, au côté
droit du tronc, par 157 incisions, avec du vaccin éprouvé.
A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau,
est inoculée semblablement sous l’épiderme, aux deux côtés du tronc, par de
multiples incisions, avec le même vaccin.
Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé-
remment. Le 15 janvier, trois jours après les inoculations sous-épider-
miques, la génisse témoin ne présente, au niveau des incisions, non seule-
ment aucun soulèvement épidermique, mais encore aucun épaississement
du derme, aucune rougeur, en un mot aucune réaction; elle est encore à la
période d'incubation.-
Au même moment, la génisse en expérience, au contraire, présente une
éruption manifestement prématurée, plus avancée même en son évolution.
que ne l’est l'éruption d’un autre animal, vacciné 24 heures plus tôt. Sur la
génisse en expérience, toutes les incisions sont entourées d'une aréole d'un
rose très vif, indice d’une forte congestion; le derme sous-jacent est infiltré
au point de former une saillie très appréciable à la vue et au palper;
enfin, au pourtour d'un grand nombre d'incisions, l’épiderme est soulevé,
les vésicules vaccinales commencent à apparaître.
Six jours après les inoculations sous-épidermiques, l’éruption de la
génisse en expérience se compose de pustules larges, saillantes, tendues,
remplies d'un liquide opaque et entourées d’une zone congestive d’un rose
ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 841
vif; cependant plusieurs inoculations ont partiellement ou même totalement
avorté. Ces pustules sont, pour la plupart, remarquables surtout par leurs
contours festonnés et polycycliques : c’est l'indice certain que beaucoup des
germes inoculés ne se sont pas développés et que chaque pustule est formée
par la réunion d’un petit nombre seulement de colonies sous-épidermiques,
trois ou quatre environ. Sur la génisse témoin, les éléments éruptifs sont:
bien moins larges, bien moins saillants, remplis pour la plupart d’un
liquide encore transparent, quelques-uns cependant d'un liquide opaque,
sans teinte congestive à la périphérie; ils ont des contours réguliers, nette-
ment rectilignes et ne paraissant pas formés, comme ceux de la génisse en
expérience, par la confluence de trois ou quatre vésicules primitivement
arrondies.
Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in-
tervalle, trois récoltes de Iymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous
forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours, de cinq jours
et de six jours après les inoculations sous-épidermiques.
Pour mesurer la virulence de chacun de ces trois vaccins, on emploie,
comme terrain de culture, la peau de jeunes enfants non vaccinés qu’on
inocule par trois piqures à chaque bras et, comme terme de comparaison, un
vaccin éprouvé, recueilli sur une autre génisse, six jours après la vaccina-
tion sous-épidermique, comme il est de règle à l'établissement vaccinal de
la rue Ballu; ce dernier vaccin est désigné sous le nom de vaccin
normal.
Six enfants sont inoculés : à droite avec le vaccin normal, à gauche
avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expérience.
De même quatre enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours;
quatre avec les vaccins de six jours.
Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles
vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du
bras droit et celles du bras gauche.
Il n'existe donc pas non plus de différence appréciable entre la virulence
du vaccin normal et celle des trois vaccins recueillis sur la génisse en expé-
rience.
Tout au plus faut-il noter que, parmi ces trois vaccins, le vaccin de
quatre jours a donné naissance à des vésicules particulièrement larges et
saillantes, plus belles que les vésicules provenant, chez les mêmes sujets,
du vaccin normal.
En résumé, l’éruption vaccinale d'une génisse inoculée sous
l'épiderme par de multiples incisions, quatre jours après avoir
reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :
10 apparaît en avance de 24 heures au moins, sur les délais habituels;
20 est légèrement modifiée dans son aspect extérieur ;
de virulence très accentuée, EU jours après
Doi — normale, cinq les inoculations
— — six sous-épidermiques,
842 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
EXPÉRIENCE XII bis.
INOGULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE CN JOURS LES INOCULATIONS
SOUS-ÉPIDERMIQUES
Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain-
court, reçoit, en injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un
gros tube à vacein, rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois
et demi, donton vient d'éprouver la virulence,
Cinq jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par 198 in-
cisions au côté droit et 87 incisions au côté gauche, avec du vaccin
éprouvé.
Ala même heure, une génisse témoin, qui n'a rien reçu sous la peau,
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.
Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé-
remment. Elle se montre avec l'aspect normal, dans les délais habituels,
chez la génisse témoin. Sur la génisse en expérience, elle est en avance,
d'un jour, dans son apparition, et se présente avec un aspect très modifié
qui témoigne d’un notable arrêt de développement des éléments éruptifs,
Six jours après les inoculations sous-épidermiques, son aspect est le
suivant : au côté gauche, sur 87 incisions, 12 n'ont été le siège d'aucun
soulèvement épidermique, les inoculations y sont demeurées sté-
riles; 26 seuiement ont donné naissance, en un ou deux points de leur
étendue, à des vésicules rudimentaires et avortées; pour le reste de l’érup-
tion, 15 vésicules environ sont normales, les autres sont remarquables par
leur contour irrégulier et polycyclique; comme le vaccin inoculé n’a cultivé
qu'en quelques points seulement et non dans toute la longueur de l’incision,
elles sont en réalité formées par la confluence d’un petit nombre de vési-
cules arrondies, disposées en chapelet sur une même ligne, Au côté droit,
l’éruption est encore plus modifiée; sur 128 inoculations, 33 sont demeurées
tout à fait stériles, 50 n’ont donné naissance qu'à une ou deux pustules
rudimentaires et avortées, quatre ou cinq vésicules, au plus, sont normales,
toutes les autres ont un contour nettement polycyclique, indice indirect de
l'avortement d’un grand nombre des germes inoculés,
Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in-
tervalle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare,
sous forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de cinq jours et de sir
jours après les inoculations sous-épidermiques.
Sur la génisse témoin, on recueille seulement du vaccin de six jours, on
le considère comme du vaccin normal.
Pour mesurer la virulence des deux vaccins provenant de la génisse en
expérience, on les inocule, par trois piqûres, au bras gauche de jeunes
enfants non vaccinés qui reçoivent immédiatement, au bras droit, par trois
piqûres également, le vaccin normal provenant de la génisse témoin.
Trois enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours.
Chez ces trois enfants, toutes les inoculations donnent naissance à de
belles vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vési-
ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 843
cules du bras droit et celles du bras gauche. {l n'existe done pas non plus
de différence appréciable entre la virulence de ces deux vaccins.
Quatre autres enfants sont inoculés de même avec des vaccins de six jours.
Chez un seul de ces quatre enfants, il n’existe pas de différence entre les
vésicules du bras droit et celles du bras gauche; chez les trois autres, au
contraire, tandis que les inoculations du bras droit donnent naissance à de
belles vésicules vaccinales, celles du bras gauche engendrent des vésicules moins
grandes de moitié et qui apparaissent plus tardivement; encore deux de
ces enfants ne présentent-ils, au bras gauche, que deux vésicules seule-
ment, la troisième inoculation étant demeurée tout à fait stérile.
ILexiste donc une notable différence entre la virulence du vaccin normal
et celle du vaccin de sir jours provenant de la génisse en expérience : ce
dernier ne possède plus qu’une virulence manifestement atténuée.
Les différences ainsi constatées, par l'inoculation à de jeunes enfants,
entre la virulence du vacein de cinq jours et la virulence de vaccin de six
jours, de même provenance, sont confirmées par l'inoculation de ces deux
vaccins à des génisses.
Deux génisses qu'on vient d'inoculer, aux côtés du tronc, par de mul-
tiples incisions, avec du vaccin normal, sont, aussitôt après, inoculées à la
région mammaire droite, par 15 incisions, la première avec le vaccin de
cinq jours provenant de l'animal en expérience, la seconde avec le vaccin de
six jours, de même provenance. Au bout d'un septenaire, tandis que l'érup-
tion des côtés du tronc est normale chez les deux génisses, il existe une
notable différence entre l’éruption de la région mammaire chez l’une et chez
l'autre : la première, inoculée avec le vaccin de cinq jours, présente des
vésicules d'aspect normal : la seconde, au contraire, inoculée avec le vaccin
de six jours, ne porte, au niveau des incisions, que des vésicules partielles,
rudimentaires, manifestement arrêtées dans leur développement.
En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous
l’épiderme par de multiples incisions, cinq jours après avoir
reçu du vacein dans le tissu cellulaire sous-cutané :
10 apparaît en avance de 24 heures au moins sur les délais habituels;
20 est notablement modifiée dans son aspect extérieur et arrêtée dans
son développement ;
jours après
les inoculations
sous-épidermiques.
Û de virulence normale, cinq
30 contient une lymphe : : : On
| de virul. très atténuée, six
EXPÉRIENCE XIII bis.
INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE S22 JOURS LES
INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES
Une génisse reçoit, à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt. en
injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d’un gros tube à vaccin
rempli de pulpe glyeérinée, préparée depuis deux mois.
844 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Six jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme par de multiples
incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à l'ino-
culation sous-cutanée.
A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau,
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin.
Tandis que chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les
délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans
son apparition sur la génisse en expérience et s'arrête aussi beaucoup plus
rapidement : cinq jours après les inoculations sous-épidermiques, les vési-
cules vaccinales, très incomplètement développées, commencent à se dessé-
cher ; le lendemain eiles sont remplacées par des croûtes qui recouvrent les
incisions dans toute leur longueur ou seulement en quelques points de leur
étendue, car en beaucoup d’autres points les inoculations ont avorté, un
grand nombre d'incisions est même demeuré tout à fait stérile.
Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’inter-
valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare sous
forme de pulpe glycérinée du vaccin datant de quatre jours et de céng jours
après les inoculations sous-épidermiques.
Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois
piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé-
diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal.
Quatre enfants sont ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours.
Chez ces quatre enfants, toutes les inoculations du bras droit faites avec
le vaccin normal donnent naissance à de très belles vésicules vaccinales.
Par contre, deux enfants ne présentent, au bras gauche, aucune réaction, si
légère soit-elle ; le troisième porte, au bras gauche, une seule petite vésicule
qui, en se desséchant, forme une croûte d’un diamètre moitié moindre que
les eroûtes du bras droit: enfin le quatrième porte, au bras gauche, deux
petites vésicules, le diamètre des croûtes qu’elles forment en se desséchant
atteint pour l’une 5 millimètres, et pour l’autre 2 millimètres seulement,
tandis que le diamètre des croûtes du bras droit mesure au moins un centi-
mètre.
Il existe donc une très grande différence entre la virulence d'un vaccin
normal et celle du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expe-
rience : ce dernier ne possède plus qu’une virulence presque nulle.
Trois autres enfants sont inoculés de même avec les vaccins de cinq
jours.
Un de ces enfants n’est pas revu, les deux autres présentent au bras
droit chacun trois belles vésicules vaccinales et n'offrent au bras gauche
aucune réaction, si légère soit-elle.
La virulence du vaccin de cing jours provenant de la génisse en expé-
rience semble donc tout à fait nulle. -
En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous
l’épiderme par de multiples incisions, six jours après avoir reçu
du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :
ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 845
19 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ;
20 est très modifiée dans son aspect extérieur, rapidement et notablement
arrêtée dans son développement;
de vir. presque nulle, qua- jours après
30 contient unelymphe{ tre les inoculations
We virulence nulle, cinq | sous-épidermiques.
EXPÉRIENCE XIV bis.
INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE Sepl JOURS
LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES
Une génisse reçoit à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt, en injec-
tion sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un gros tube à vaccin
rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois.
Sept Jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par de mul-
tiples incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à
l'inoculation sous-cutanée,
A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau,
est inoculée semblablement sous l’épiderme, avec le même vaccin.
Tandis que, chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les
délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans
son apparition sur la génisse en expérience, au moins au niveau de quelques
incisions, car le plus grand nombre demeure stérile et les éléments éruptifs
incomplets, partiels, rudimentaires se dessèchent encore plus rapidement
que dans l'expérience précédente.
Sur la génisse en expérience on fait successivement, à 24 heures d’inter-
valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous
forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours et de cinq jours
après les inoculations sous-épidermiques.
Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois
piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé-
diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal.
Chez quatre enfants, ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours,
toutes les inoculations du bras droit donnent naissance à de très belles
vésicules vaccinales. L'un des enfants présente, au bras gauche, trois petites
taches qui disparaissent rapidement, sans avoir abouti à la formation de
vésicules ; les trois autres enfants n’offrent, au bras gauche, aucune réaction
appréciable.
La virulence du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expé-
rience est donc pour ainsi dire nulle.
Trois autres enfants, inoculés de même avec les vaccins de cinq jours
présentent, au bras droit, de très belles vésicules vaccinales tandis que leur
bras gauche n’est le siège d'aucune réaction.
La virulence du vaccin de cinq jours provenant de la génisse en expé-
rience est donc tout à fait nulle.
846 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous
l’épiderme par de multiples incisions sept jours après avoir reçu
du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané :
10 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ;
20 est très modifiée dans son aspect extérieur, très rapidement arrêlée
dans son développement, en un mot avortée ;
‘ de vir. quasi nulle, quatre ) jours après
30 contient une lymphe | les inoculations
. de vir.tout à fait nulle, cinq ) sous-épidermiques.
Ces nouvelles recherches confirment, on le voit, complète-
ment les expériences antérieures dont elles sont la répétition :
l'immunité consécutive à la vaccination sous-cutanée, dans sa
période de développement graduel du quatrième au huitième
jour, se manifeste extérieurement par un arrêt de développe-
ment plus ou moins prononcé des éléments éruptifs; la propor-
tion des inoculations stériles ou presque stériles grandit avec
le progrès journalier de l’immunité et permet d’en mesurer, à
vue d'œil, le degré croissant.
En outre, ces nouvelles recherches montrent qu’à l'arrêt de
développement plus ou moins prononcé des éléments éruptifs
correspond une atténuation plus ou moins complète de la viru-
lence de leur contenu. A ces deux signes se révèle donc et se
mesure, avant d'atteindre son entière perfection, limmunité
graduellement croissante des jours qui suivent l’inoculation
sous-cutanée du virus vaceinal.
Nous avons fait voir qu'à ces deux signes se révèle et se
mesure aussi l’action immunisante, préventive ou curative, du
sérum de génisse vaccinée : cette action n’est pas une, mais
comporte toute une série de degrés variables avec Les doses du
sérum injecté et avec le moment de l'injection.
Ces nouvelles recherches font cependant ressortir entre l’ac-
tion immunisante du sérum de génisse vaccinée et celle du virus
vaccinal un caractère différentiel qui complète ceux que nous
avons déjà signalés.
Le sérum de génisse vaccinée, avons-nous écrit plus haut,
modifie la morphologie des éléments éruptifs moins complète-
ment qu'il ne détruit la virulence de leur contenu : chez un ani-
mal traité par les injections sous-cutanées de sérum immuni-
sant, des vésicules à peu près normales d'apparence peuvent
ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ 847
renfermer une lymphe qui n’est plus inoculable. Tout au con-
traire, le virus vaccinal, préventivement inoculé sur la peau,
agit sur la morphologie des éléments éruptifs d’une façon plus
précoce que sur la virulence de leur contenu : des vésicules
d'aspect rudimentaire et comme avorté peuvent renfermer une
lymphe de virulence encore normale.
Le fait principal mis en lumière par ces nouvelles recherches,
c'est que, chez les génisses successivement inoculées sous la
peau et sous l’épiderme avec du virus vaccinal, il s'écoule,
entre la vaccination sous-cutanée et la complète disparition de
la virulence du vaccin sous-épidermique, un intervalle d’au
moins onze à douze jours.
Nous avons répété ces expériences sur une autre espèce ani-
male, sensible à l’inoculation du vaccin, sur le cochon. Six
jeunes cochons ont reçu, sous la peau, chacun tout le contenu
d’un gros tube à vaccin; 24 heures après, un de ces animaux a
été inoculé sous l’épiderme par de multiples incisions, le lende-
main un autre a été semblablement inoculé; le surlendemain un
troisième etainsi de suite jusqu’au dernier, de telle sorte que nous
avons pu observer les résultats de l’inoculation vaccinale sous-
épidermique, précédée, à un, deux, trois, quatre, cinq et six
jours d'intervalle, par une inoculation sous-cutanée.
Nous ne rapporterons pas ces expériences en détail : les
résultats furent très analogues à ceux que nous avions observés
chez la génisse, avec cette différence toutefois que, chez le
cochon, six jours après la vaccination sous-cutanée (au lieu de
huit jours chez la génisse), toutes les inoculations sous-épider-
miques demeurèrent stériles, et qu'il s’écoula entre la vaccina-
tion sous-cutanée et la complète disparition de la virulence du
vaccin sous-épidermique un intervalle de neuf à dix jours seule-
ment (au lieu de onze à douze jours chez la génisse).
En résumé, chez le cochon, ces deux phénomènes, l’immu-
mité caractérisée par la résistance de la peau à de nouvelles
inoculations d’une part, et la disparition de la virulence du con-
tenu des éléments éruptifs d'autre part, apparaissent environ
deux jours plutôt que chez la génisse.
Ce sont des faits sur lesquels nous aurons, dans un prochain
mémoire, occasion de revenir.
NOTE SUR LA CONTAGOSTÉ DE LA PESTE BONE AU PORC
Par MM. CARRE er FRAIMBAULT
Études faites à l'Institut Pasteur de Nha-Trang.
Au cours de nos recherches sur la peste bovine en Indo-
Chine, on nous avait signalé à plusieurs reprises une assez
grande mortalité des pores, dans les régions contaminées.
Toutefois, nous n'avions pas attaché une grosse importance
à ce renseignement, la peste bovine ayant toujours été consi-
dérée comme une maladie absolument spéciale aux ruminants.
D'autre part, les maladies contagieuses du porc sont fré-
quentes et souvent difficiles à différencier ; nous avions pensé
qu'il s'agissait de deux affections simplement concomitantes.
Enfin, à en croire les Annamites, pendant les épizooties de
peste bovine, tous les animaux domestiques : chiens, chats,
poules, seraient atteints, ce qui est peu vraisemblable. Nous
avons pu maintes fois nous convaincre du contraire.
Plusieurs missionnaires cependant nous avaient déclaré que
la mortalité des pores et des bœufs coïncidait absolument avec
les fréquentes invasions de la peste bovine en Indo-Chine.
Au cours de l’épizootie de 1897-98, qui fit de si grands
ravages au Tonkin et dans le nord de l'Annam, notre cama-
rade Camboulives nous signala de son côté la mortalité énorme
des porcs dans les régions infectées par la peste bovine; il
croyait à la réceptivité du pore pour cette maladie.
D'autre part, la constatation de la peste bovine chez le pécart,
en 1866, par M. Leblanc, pouvait préparer l'esprit à admettre la
possibilité de la contamination du porc, le pécari se trouvant en
quelque sorte le trait d'union entre les bovins et les porcins. En
relisant Friedberger et Frühner, nous remarquons aussi que
Penning aurait signalé la transmission de la peste bovine au
sanglier, mais nous ignorons les détails de cette observation.
CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 849
Dès notre retour à Nha-Trang, nous avons institué une série
d'expériences qui nous permettent d'affirmer la contagiosité de
la peste bovine au porc.
Nous nous bornerons à relater une de nos séries d’expé-
riences : elle montre de la façon la plus évidente la transmissi-
bilité de la maladie du bœuf au porc, du porc au porc et du pore
au bœuf.
Trois porcelets de 3 mois environ (n° 6, 7et 8) reçoivent en
injection sous-cutanée chacun 2 c. c. du sang frais, défibriné,
d’un veau atteint de peste et réagissant thermiquement depuis
deux jours.
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Porcelet n° 6. — 2 avril, inj. sous-cutanée. — 8, mange peu. — 9, triste,
tremblements. — 12, mange bien, état normal. Maladie bénigne.
Tous trois présententle 4° jour une hyperthermie considérable
(419,3, 400,8, 400,7) ; ils cessent de manger, deviennent tristes,
sont pris de frissons, leurs yeux sont chàässieux, ils vomissent
souvent et ont une abondante diarrhée jaune très liquide. Le
6° jour on sacrifie l’un d'eux (le n°8) pour obtenir une quantité
de sang assez notable, destinée aux expériences ultérieures. Les
deux autres guérissent après avoir été malades huit à dix jours.
D4
850 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Trois autres porcelets, achetés en même temps, étaient
conservés comme témoins ; leur température était prise journel- .
lement. Ils servirent aux inoculations ultérieures. Il va sans dire
qu'ils ne présentèrent rien d’anormal avant leur inoculation.
Le sang du porc sacrifié sert à inoculer un autre pore (n° 10,
2° passage) et un veau (n° 55). Tons deux contractent une
maladie assez rapidement mortelle. Le veau succombe à une peste
absolument typique treize jours après l’inoculation. Le pore,
Avril
Dates
1 | 813110! 11|12|113 141516 | 17|18|19 Ki
Éreboe
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4 O2 er 1 ES ru En | AN EE Ve En LE
LE
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Veau n° 55. — 7 avril, inoc. sous-cut. de 5 c. e. de sang frais. — 12, ne mange
pas. — 17, diarrhée. — 18, maigrit. — 20, mort. — Autopsie : Eëmphysème pul-
monaire, épanchement de sérosité citrine dans l'abdomen; péritoine injecté;
iléon t. enflammé, couvert de membranes diphtéritiques grisätres; cæcum
et gros côlon t. enflammés, ecchymoses d’un rouge sombre sur le côlon
flottant.
qui commence à réagir thermiquement le 4° jour après l'ino-
culation, de même que le veau meurt le 7° jour et présente à
l’autopsie des lésions assez caractéristiques sur lesquelles
nous reviendrons plus loin.
Ce porc sert à deux séries d'inoculations : 1° il est saigné —
par la section de la queue — le 2° jour de sa réaction thermique,
Avec les quelques gouttes de sang obtenues, on inocule un porc
(n° 9, 3° passage), qui commence le 5° jour à réagir thermique-
ment, et meurt le 9° jour sans avoir présenté des températures
LA
CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 8541
très élevées, mais avec les symptômes cliniques des précédents.
Du sang recueilli une heure après la mort du n° 9 permet
d’inoculer le n° 15 (4° passage) qui prend une maladie mortelle
et dont le sang donne une peste grave au n° 18 (5° passage).
20 Au moment de la mort du pore n° 10, on recueille dans
le cœur un demi-centimètre cube de sang qui, après dilution
dans 5 c. c. d’eau stérilisée, est injecté sous la peau du porc
n° 11 (3° passage). La réaction thermique apparaît le 6° jour
ARRBREERRNE
|
Porcelet n° 10, — 7 avril, inj. sous-Cutanée au-pli de l’aine. — 11, saignée. —
* 12, diarrhée Jaune, vomissements. — 13, mort. — Autopsie : ulcér, Sup. Sur
les lèvres. Forte inflammation de l'estomac et des parties moy, et terminale
de l'intestin grêle, avec ulcér., sup. Desquammations épithéliales étendues
sur le cæcum et le côlon. Foie congestionné par places, bleuâtre par places.
après l'injection ; l'animal est très malade pendant une dizaine
de jours, puis se rétablit.
Le 5° jour de sa réaction thermique, on obtient, par la
section de la queue, une dizaine de gouttes de sang que l’on
injecte au porc n° 16 (4° passage). |
La réaction thermique se manifeste, chez ce dernier, le
6e jour, la maladie évolue lentement, et l'animal guérit au bout
d’une vingtaine de jours.
Le pore n°16, saigné le 3° jour de sa réaction thermique,
donne 6 gouttes de sang qui servent à inoculer dans la trachée
D2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
le veau n° 72: il prend une peste caractéristique dont il meurt
au bout de 16 jours.
En résumé, 2 centimètres cubes de sang virulent d'un veau ont
donné une maladie qui a été transmise pendant 5 passages successifs
dans l'organisme du porc, et qui, après le premier et le 4° passages,
donne une peste mortelle pour le veau, à la dose de 6 gouttes dans
le dernier cas.
De nombreuses expériences nous ont en outre montré la
contagiosité de la maladie par contact de porc à porc. L’infection
Avril
DONNE NON A0 MAMA AS TA MAN ANATOLE
Ps pause
Porcelet n° 9. — Le 11 avril, inj. sous-cut. de 3 g. de sang du porcelet ne 10. —
17, vomissements. — 18, frissons, diarrhée. — 19, mort. Autopste : Cong. t.
acc. du poumon; vive inflammation de la muq. stomacale et de l'intestin
gréle, du cæcum, du gros côlon et de la 1° p. du côlon flottant; congestion
des plaques de Peyer ; foie congestionné, presque noir.
semble être d’un jour ou deux plus tardive par ce mode de
contamination que par l'injection sous-cutanée.
Nous aurions voulu également établir expérimentalement la
transmissibilité par contact de la maladie du veau au porc et du
pore au veau. Des difficultés matérielles, provenant de notre
installation, nous ont fait remettre à une date ultérieure ces
recherches complémentaires.
Symptômes de la peste bovine chez le porc. — Hs ne sont pas très
caractéristiques, et ressemblent un peu à ceux que l’on observe
dans la plupart des septicémies hémorragiques.
CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 893
Dès le début, l'animal est triste, mange à peine et vomit
souvent; très rapidement les matières vomies sont teintées en
jaune verdàtre par la bile.
Des frissons apparaissent à peu près constamment à cette
période.
Les yeux deviennent chässieux.
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Veau n° 72. — 27 avril, inj. dans la trachée de 6 gouttes de sang du porce le
n° 16 (4° passage). — 3 mai, mange peu. — 5, diarrhée, maigrit. — 10, étique.
reste couché, — 12, mort. — Autopsie : feuillet très dur, nomb. pétéchies sur
lre p. de la caillette et ulcérations sur la partie pylorique: follicules clos in-
durés, volumineux. Plaques de Pever peu altérées. Ouverture iléo-cæcale
noire; trainées noirätres sur la muqueuse du cæcum et du côlon flottant.
Poumon emphysémateux.
Très souvent aussi, on remarque de la salivation, de l’écume
sur les lèvres, et l'examen de la bouche fait constater des desqua-
mations sur les muqueuses labiale et linguale.
La diarrhée survient ordinairement le deuxième jour de l’hy-
perthermie. Elle est jaune, de plus en plus liquide. Jamais nous
ne l’avons trouvée striée de sang.
Dans les cas rapidement mortels, tous les symptômes évo-
luent très vite, et lanimal ne tarde pas à refuser toute nourri-
854 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ture et à être épuisé par les vomissements et abondance dela
diarrhée.
Si l’animal doit guérir, on voit d’abord les vomissements
cesser, l'appétit revenir : la à est le symptôme le plus
persistant, et dure parfois 10 à 12 jours.
Diagnostic différentiel. — symptômes pourraient, à la
rigueur, suffire pour diagnostiquer la maladie Ge une région
atteinte de peste bovine.
Nous devons avouer toutefois qu'ils sont assez peu signifi-
catifs. — La nb Eh te l'évolution de la maladie pourraient
la faire confondre avec le rouget ou la@neumo-entérite.
A l’autopsie, on ne retrouve pas les altérations des séreuses
qui accompagnent presque toujours la pneumo-entérite; d'autre
part, les lésions intestinales sont plus nettes que dans Île rou-
get.
L'examen bactériologique, les cultures permettront aussi de
les différencier : lexamen microscopique, les divers moyens de
culture actuellement connus ne donnent pas de résultats positifs
pour la peste bovine.
Mais c’est surtout l’inoculation simultanée au pigeon, au
lapin et au cobaye qui permettra de voir à laquelle des affections
contagieuses du pore on a affaire. Si c’est du rouget, le pigeon
mourra en 3 ou à jours, lé lapin du 4° au 8° jour; si c’est de la
paeumo-entérite, le pigeon restera indemne; le cobaye et le lapin
succomberont en # ou 8 jours (Nocard et Leclainche).
Enfin, l’inoculation de quelques gouttes de sang au veau
permettra de constater de lhyperthermie le 4° jour et les symp-
tômes cliniques de la peste bovine vers le 7° ou le 8° jour.
Lésions. — Souvent, la rapidité d'évolution de la maladie ne
laisse pas au sujet le temps de maigrir, mais dès que l'affection
se prolonge, l’'émaciation ne tarde pas à se produire et l'animal
«fond » très vite.
Au moment de la mort, on peut constater des taches ecchy-
motiques sous-cutanées sur le groin, l'extrémité des membres
et la paroi pectoro-abdominale. Dans deux cas nous avons pu
constater une sorte d’éruption pustuleuse.
C'est sur l'appareil digestif que les lésions sont les plus
accusées.
Presque constamment, on trouve une desquamation épi-
CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC 855
théliale de la muqueuse buccale, et même des ulcérations an
niveau des gencives et des lèvres.
L'arrière-bouche est parfois enflammée, mais ce n’est pas la
règle.
L'estomac est toujours le siège de lésions très intenses : sou-
vent l'inflammation s'étend à toute la muqueuse stomacale,
mais toujours la partie pylorique présente des ulcérations plus
ou moins profondes, allant du diamètre d’une pièce de 50 centi-
mes à celui d’une pièce de cinq francs. Suivant l’âgé de la lésion,
tantôt il y a une simple mortification de la muqueuse, assez
superficielle ; tantôt et plus souvent la muqueuse a disparu com-
plètement, laissant le derme recouvert d’une sorte de fausse
membrane diphtéritique. Le contenu de l’estomac est liquide,
souvent teinté en jaune par la bile qui reflue dans cet organe
pendant les efforts de vomissement.
L'inflammation de l'intestin grêle n’est pas constante; elle est
presque toujours beaucoup moins intense que celles de l’es-
tomac et du gros intestin. Les lésions sont plus accusées sur la
portion terminale de l’iléon; la plaque de Peyer très étendue,
qui se trouve dans cette région, est très enflammée, parfois
ulcérée, et donne à cette partie du tube intestinal une rigidité
particulière.
Le cæcum surtout et le gros intestin, d’une manière générale,
sont le siège d’une vive inflammation. Souvent même on voit
sur le cæcum des ulcérations aussi accusées au moins que celles
de l'estomac.
Le foie a parfois une teinte assez foncée; d’autres fois 1l est
décoloré. — La bile est généralement épaisse, souvent grume-
leuse ; les reins sont rouges, congestionnés, l'urine fortement
teintée par des globules sanguins.
Le péritoine est souvent un peu rouge, sans présenter d'ex-
sudat.
Les ganglions mésentériques sont presque toujours volumi-
neux et parfois noirs, violacés.
L'appareil respiratoire est fréquemment atteint. Les pre-
mières voies sont généralement indemnes. Une fois ou deux
seulement, nous avons noté un peu d’inflammation du larynx.
La congestion pulmonaire, au contraire, existe assez régulière-
ment et souvent nous avons observé des îlots de pneumonie.
856 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
L’emphysème pulmonaire est fréquent, mais non presque cons-
tant comme chez le bœuf. Jamais nous n’avons constaté d’exsu- *
dat pleural.
L'examen du sang, du foie, de la rate ne nous à jamais
montré aucun microorganisme spécifique. Nous avons eu le
même résultat négatif avec nos cultures.
Ces premières recherches nous ont paru présenter un cer-
tain intérêt, en raison du danger, d'autant plus grand qu’il est
ignoré, de l'introduction possible de la peste bovine par les por-
cins.
Par des études ultérieures, nous nous eflorcerons de déter-
miner, aussi exactement que possible, la durée de la virulence
soit chez les pores convalescents de peste bovine, soit dans la
viande conservée par les divers procédés.
De précédentes observations nous permettent de croire que
l'agent du contage se conserve pendant un laps de temps assez
court, qui ne dépasserait pas une quinzaine de jours, au moins
dans nos possessions d’extrème-Orient.
Nous tenons à déclarer aussi que nos expériences ont été
faites sur des pores annamites, et que nous ignorons si la récep-
tivité des porcs de race celtique pour la peste bovine est moindre
ou plus grande.
N. B. — Depuis la rédaction de cette note, une lettre de
M. le D' Delay, en mission en Chine, nous apprend que les Chi-
nois sont également convaincus de la contagiosité de la peste
bovine au porc, d’après un missionnaire, le P. Kircher, qui lui
indique comme susceptible de contracter la peste, après les
bovidés : 4° le porc, 2° le mouton, 3° la chèvre.
Nos essais de contamination de la chèvre et du mouton nous
ont donné des résultats presque négatifs qui feront l’objet d’une
note ultérieure.
nétRÉé-tés ons nc
ÉTUDE SUR L'AGGLUTINATION COMPARÉE
DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES MICROBES VOISINS
Par le sérum spéciñique et par les substances chimiques,
Par J. BOSSAERT.
Le phénomène de l’agglutination des microbes, étudié
d’abord au point de vue de son rôle dans l’immunité, a reçu ses
plus importantes applications dans la diagnose des espèces mi-
crobiennes. Il semble même qu’à l'heure actuelle, le critérium le
plus sûr’ que l’on puisse invoquer en faveur de la nature
typhique d’un bacille soit sa sensibilité agglutinative au typhus-
sérum convenablement dilué.
En bactériologie.pratique, c'est le sérum d’un animal forte-
ment immunisé, soit contre la fièvre typhoïde, soit contre le
choléra, que l’on emploie couramment pour la diagnose des
microbes correspondants, dont la détermination est si impor-
tante dans une foule de recherches.
Mais l’agglutination des bacilles, au sein de leurs émulsions,
peut être provoquée par d’autres moyens. M. Malvoz® a montré
que certaines substances coagulantes, — la formaline, l’eau
oxygénée, le sublimé, par exemple, — jouissaient de la propriété
de provoquer, dans les émulsions en eau distillée de bacilles
typhiques. la formation de beaux amas, comparables, par leur
aspect, à ceux du typhus-sérum. La safranine et la vésuvine sont
douées des mêmes propriétés. Blachstein*, de son côté, emploie
la chrysoïdine, matière colorante diazoïque, comme agglutinant
du vibrion cholérique. Certaines substances, telles que le sulfate
1. Vax pe Veuve, Valeur de l’agglutination dans la séro-diagnose de Widal
et dans l'identification des bacilles éberthiformes. — Centralblatt für Bakterio-
logie, n° 42, 25 mars 1898.
2. Mazvoz, Recherches sur l’agglutination du bacillus typhosus par les
substances chimiques, Annales Pasteur, juillet 1897.1
3, Centralblatt für Bakteriologie, n° 3, vol, XXI, 1897,
858 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
ammonique', sont encore de bons agglutinants de certains
microbes.
De plus, comme M. Malvoz l’a vu?, l’agglutination des
microbes se produit encore quand onles entraîne dans certains
précipités : après émulsion du bacillus typhosus dans de leau
riche en bicarbonate calcique, si l’on ajoute de la soude, les
microbes se retrouvent en grands amas dans le précipité de
carbonate calcique qui se forme dans ces conditions. Citons
encore un récent travail de Nicolle* : si l’on ajoute, non plus à
une émulsion de microbes, mais au produit de la filtration d’une
culture, une trace du sérum spécifique, il se forme dans le
liquide des amas rappelant beaucoup les agglutinats ordi-
naires.
Les divers moyens de provoquer l'agglutination, autres que les
procédés basés sur l'emploi des sérums spécifiques, peuvent-ils être
utilisés en bactériologie analytique? En d’autres termes, donnent-
ils des différences assez grandes pour servir au diagnostic?
En collaboration avec M. Lambotte‘, j'ai montré que la for-
maline, une des substances étudiées par M. Malvoz, pouvait
parfaitement servir au diagnostic du bacille typhique, en ce
sens que ce dernier, dans certaines conditions déterminées, est for-
tement agglutiné par l’aldéhyde formique, tandis qu'un bon
nombre d’échantillons de coli-bacilles, de microbes pseudo-
typhiques, ne sont pas agglutinés. Certes, il ne s’agit pas
d'identifier comme bacille typhique tout microbe en bâtonnet
qui agglutine par la formaline; mais, tout au moins, un bacille
qui ne subit pas cette action particulière de la formaline peut
être considéré comme non typhique.
Je me suis proposé, dans le présent travail, de rechercher
si, au point de vue du vibrion cholérique et des autres microbes
qui peuvent être confondus avec lui, il n'existe pas d'agents
d'agglutination, autres que le sérum, utilisables en pratique.
Ces recherches sont devenues ainsi une étude comparée sur
l’agglutination, par les sérums et les substances chimiques,
4. Travail inédit de M. Malvoz.
2. Annales Pasteur, juillet 4897, page 586.
3. Nicoze, Recherches sur la substance agglutinée, Annales Pasteur,
mars 1898. |
4, Recherches sur le diagnostic pratique de quelques microbes par les sub-
stances chimiques agglutinantes, Bulletin de l'Acad. royale de médecine de
Belgique, 1847.
VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 859
des spirilles cholériques et des microbes de la même famille
naturelle.
J'ai utilisé, pour mes recherches, un microbe type du cho-
léra, au moyen duquel j'ai immunisé fortement un animal. Le
sérum de cet animal, recueilli au bout d’un certain temps, s’est
montré doué de propriétés agglutinantes prononcées vis-à-vis
du microbe cholérique.
J'ai étudié, pendant tout le cours de l’immunisation et à la
fin de celle-ci, les propriétés de ce sérum, au point de vue de
ses propriétés agglutinantes, sur le microbe lui-même ayant
servi aux inoculations, sur d’autres microbes du choléra de
diverses provenances, et sur les spirilles de Metchnikoff, de
Finkler et de Deneke. J'ai recherché également les propriétés
agglutinantes du lait, des organes et du sang du fœtus.
J'ai de même étudié la facon dont se comportent le vibrion
du choléra vrai, et ceux de Metchnikoff, de Finkler, et de
Deneke, vis-à-vis des agglutinants physico-chimiques.
$ 1. AGGLUTINATION PAR LE SÉRUM SPÉCIFIQUE
Je me suis servi, dans mes expériences, du sérum du sang
d'une chèvre à laquelle j'injectais du bacille cholérique, en
émulsion, sous la peau des flancs. Le microbe choléra-Angleur,
qui à servi aux inoculations, est un microbe type du choléra dit
asiatique ; il a été isolé par M. Malvoz en 1894, lors de l'épidémie
de Liége et environs.
Il est inutile, pour étudier le phénomène de l’agelutination,
de se servir d’un microbe à virulence exaltée; Pfeiffer! le dit
expressément dans son dernier travail.
Dans le but d'étudier les propriétés du sérum chez le fœtus
ou le nouveau-né, on fit saillir la chèvre le 21 novembre 1897. —
Du 26 novembre 1897 au 1° avril 1898, la chèvre reçut environ
34 centimètres cubes d’émulsion dans l’eau de vibrions choléri-
ques, tués soit par une température de 609, soit par le chloro-
forme ; ces émulsions étaient de plus en plus fortes, de sorte
que, vers le mois de mars, la chèvre recevait, en une injection
d’un centimètre cube, la valeur de 3 à 4 cultures sur gélose de
choléra ensemencé depuis 2, 3, au maximum 4 jours.
1. Prerrrer et Marx, Die Bildungstätte der Choleraschutzstoffe, Zeit. fur
Hygiène, 21 avril 1898, page 275.
860 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
La chèvre avorta le 14 mars et donna un fœtus màle d’en-
viron quatre mois. À partir de ce jour, la sécrétion lactée s’éta-
blit et le lait fut également mis en expérience.
La façon dont j'ai opéré a toujours été la suivante : les
émulsions de microbes sont faites dans l’eau distillée et non
dans l’eau salée, car la présence de sels minéraux peut modifier
les propriétés agglutinantes'; des cultures, sur gélose inclinée,
âgées de 24 heures environ, servent à faire ces émulsions. de
délaie une anse de l’enduit mierobien dans un centimètre cube
d’eau distillée. On s’assure, à chaque essai, de l'absence d’amas
spontanés de vibrions dans ces émulsions.
Le sérum est également dilué avec de l’eau distillée.
Les préparations sont faites sur porte-objet à raison d’une
anse &'émulsion pour une anse de sérum dilué. On les met sous
cloche, en chambre humide, en attendant le moment où la
réaction se produit.
Je considère comme ne donnant plus le phénomène de lag-
glutination toute préparation dans laquelle il ne s’est même
pas formé de commencement d’agglutination au bout de
trois quarts d'heure.
J'appelle limite de l'agglutination la dilution pour laquelle
le sérum ne donne plus qu’une très légère agglutination au bout
du même temps.
I. — Sérum maternel.
Avant le commencement des inoculations, le sérum de la
chèvre agglutinait le bacille cholérique à raison d’une partie de
sérum pour 50 p. d’émulsion microbienne. Il avait done un
pouvoir agglutinant assez considérable vis-à-vis du vibrion du
choléra. 1l en est de même, aux mêmes doses, vis-à-vis de divers
bacilles cholériques vrais (choléra-Brest, choléra-Tunis, choléra-
Guilvinec, choléra-Tilff, choléra-Vaux, choléra-Liège), et pour
les vibrions de la famille naturelle du choléra (vibrions de
Metchnikoff, de Finkler et de Deneke).
A la suite des inoculations sous-cutanées d’émulsions stéri-
lisées de bacilles cholériques d’Angleur, le pouvoir agglutinant
du sérum normal se mit à augmenter: j'ai fini par obtenir un
4, Mazvoz, Loc. cit., Annales Pasteur, 1897;
VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 861
sérum agglutinant le vibrion servant aux injections à la dose
de 1 p. 1500,
Je n'ai pas poussé plus loin limmunisation. Il m’a fallu pour
cela injecter environ une ceutaine de cultures sur gélose dans
l’espace de 4 mois. À ce moment, seul l’échantillon de bacille-
virgule servant aux injections était agglutiné à 1 p. 1500.
Pour les autres échantillons de choléra vrai, les proportions
étaient différentes : de 1 p. 500, par exemple, pour le choléra-
Tunis, de 1 p. 1000 pour le choléra-Guilvinec et le choléra-
Tilfr.
Quant aux vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke,
le chiffre était le mème que pour le sérum normal, c’est-à-dire
voisin de 1 p. 50.
En résumé, ces expériences confirment les faits connus que
le sérum d’un animal fortement immunisé contre le choléra,
quand il est suffisamment dilué, n’agglutine plus que le vibrion
de Koch et même, à une dilution plus forte encore, que l’échan-
tillon de choléra ayant servi aux inoculations".
IL, — Sérum du fœtus.
J'ai étudié le sérum du fœtus de cette chèvre au point de vue
des propriétés agglutinantes. Je l’ai emprunté au sang de la
veine ombilicale, du foie, du cœur, des poumons.
Tandis qu’au moment de l’avortement le sérum maternel
agglutinait à la dilution de 4 p. 1000 environ, le sérum des
1. Comme Besredka! l’a fait pour la toxine diphtérique, j’ai noté avant et après
les injections vibrioniennes le nombre des globules blancs polynucléaires (colora-
teur du sang séché sur lamelle à l’éosine et au bleu de méthylène. Après chaque
injection, le nombre de ces globules augmente notablement dès le lendemain,
atteint son maximum après deux ou trois jours, puis diminue.
Exemple :
Avant l'injection, sur 400 leucocytes, il y a 4 polynucléaires : on injecte 1 c. c.
d'émulsion de vibrions cholériques tués par le chloroforme :
Morés Aou Sur A00Eslonules FPE PET NETECE 11 polynucléaires.
A DID UT Se ele Se ASUS abs die PÉTER ec 62 —
SJ OULS ER LT IRAN Mr SU 2e ADN A2 10 —
Nouvelle injection :
BEC MRIQURE NES RM ER en Mel 2e Hate JO 43 —
182) OUTRE 241 A CREME LE IRLE RL RAR PANNS NA AA RUE 58 —
ed JOUER Le eine onde Ut PARTIR LL D3 —
es D JOUR Ra QT ET ET PA Rae Les ER Di —
= MSN TOURSE 2 U IR RATE SANCIS ee PE Sr an 15 —
1. Annales Pasteur, Leucocytose dans la diphtérie, n° 5, 1898.
862 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
diverses parties du fœtus présentait la même propriété à la dose
de 1 p. 100 seulement. Si on se rappelle que le sérum normal:
de la chèvre n’agglutinait pas à plus de 1 p. 50, on peut affirmer
qu'il y a un faible passage de la mère au fœtus des substances
agglutinantes formées au cours de l’immunisation, On n’a pas
trouvé de différence d’un organe à l’autre.
IL. — Lait de la chèvre immunisée.
Tandis que l'urine de la chèvre fortement immunisée ne
présentait le pouvoir agglutinatif qu'à un très faible degré,
environ 1/50, le lait présentait ce pouvoir à un haut degré,
voisin de celui du sérum du sang de l'animal : la réaction se
montrait encore à 1/1000 et au delà, au moment des dernières
injections.
A la différence du sang normal, le lait normal de chèvre n’a
pas d'action agglutinante sur le vibrion cholérique, pas plus que
sur les spirilles de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke.
Le lait de la chèvre immunisée ne se montra pas plus actif vis-
à-vis de ces spirilles pseudo-cholériques. À 1/10 de lait de la
chèvre immunisée, plus la moindre trace d’agglutination de ces
derniers microbes. Remarquons, en passant, que la propriété
agglutinante qui existe à l’état normal dans le sang de la chèvre
ne se transmet pas aussi abondamment au lait que la propriété
acquise par les injections cholériques.
Quant à la transmission du pouvoir agglutinatif aux petits
par l’allaitement, cette question est encore controversée.
À défaut de chevreau, je pris comme sujets d'expérience un
chien et une chatte. Les résultats peuvent avoir été contrariés
par le fait que ces animaux supportaient très mal le lait de la
chèvre immunisée ; ilséprouvaient un dégoût profond à l’absorber
et l'ingestion était suivie d’une forte diarrhée, Il y eut certaine-
ment transmission, mais dans une faible mesure, du pouvoir
agglutinant au sang du chien en lui faisant prendre, par la voie
gastro-intestinale, du lait agglutinant fortement. Le sang de
chien normal donnait une très faible réaction agglutinante à 1/50 ;
après l’ingestion de lait pendant un mois, on obtint une réaction
des plus nettes à cette même dilution, mais rien à 1/100.
Chez la chatte, Paugmentation du pouvoir agglutinatif du
sang fut plus sensible : le sérum du sang normal de la chatte
dit Ent
VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 863
agglutinait légèrement les vibrions du choléra Angleur à 1/40;
le sérum de la chatte qui avait pris du lait pendant environ
20 jours provoquait encore le même phénomène à raison
de 1/100.
En présence de cette transmission, si faible qu’elle soit, du
pouvoir agglutinant par le tube digestif, il faut rappeler les
expériences de Ransom ‘qui a conclu à l'absence totale de
résorption des toxines par l'intestin (toxine tétanique tout au
moins). Il semblerait donc, si d’autres faits semblables aux
miens sont établis, que les substances agglutinantes des humeurs
sont mieux absorbées par le tube digestif que les toxines. Il y
a lieu également de se demander si le pouvoir agglutinant, si
considérable parfois, que Stern * vient de signaler pour le sang
normal vis-à-vis du bactérium coli, agglutination beaucoup plus
grande que vis-à-vis du bacillus typhosus, ne serait pas dû à une
résorption des substances provenant des bacilles du côlon si
abondants dans le tube digestif à l’état de santé.
Nous résumerons comme il suit les principales propriétés du
sérum et des humeurs d’un animal fortement immunisé contre
le choléra :
1° Par l’immunisation anticholérique, on obtient, quand
celle-ci est poussée assez loin, un sérum et un lait qui, à une cer-
taine dilution, n'agglutinent plus que le microbe spécifique lui-
même, à l'exclusion des microbes même d'espèces voisines.
Si les injections immunisantes sont continuées, on obtient
un sérum qui, très dilué, n’agglutine plus que le microbe ayant
servi aux inoculations, à l’exelusion des bacilles cholériques de
même espèce mais d’autres provenances.
20 Le sérum de certains animaux (chèvre), à l’état normal,
agglutine, même assez dilué (1/50 dans les conditions d’expé-
rience où je me suis placé), les microbes du choléra etles espèces
pseudo-cholériques (vibrions de Metchnikoff, üe Finkler et de
Deneke). Si on soumet ces animaux à des injections immuni-
santes contre le choléra asiatique, le pouvoir agglutinant normal
vis-à-vis des microbres pseudo-cholériques n’est en rien modifié.
1. Ransom, Das Schiksal des Tetanusgiftes nach seiner intestinalen Einver-
leibung in den Meerschweinchen-organismus, Deutsche med. Wochenschrift,
24 février 1898,
2. Stern, Typhusserum und Colibacillen, Centralblatt für Bakteriologie,
mars 1898.
864 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
3° Le pouvoir agglutinant résultant des injections immuni-
santes se transmet au fœtus, mais faiblement. — Les substances
agglutinantes paraissent réparties uniformément dans les
organes du fœtus.
4° La propriété agglutinante, obtenue par les injections
anticholériques, se transmet fortement à la secrétion lactée,
tandis que le pouvoir agglutinant du sérum normal se retrouve
très faiblement dans le lait.
5° Le pouvoir agglutinant du lait peut être transmis, mais
faiblement, par l’alimentation.
S 2. AGGLUTINATION DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES SPIRILLES DE
METCHNIKOFF, DE FINKLER ET DE DENEKE PAR LES SUBSTANCES CHI-
MIQUES PROPREMENT DITES.
M. Malvoz a signalé surtout comme bons agglutinants du
bacillus typhosus la formaline (aldéhyde formique à 40 0/0 dans
l’eau), le sublimé, la safranine, la vésuvine. Depuis la publication
de son travail en juillet 1897, il a découvert d’autres substances
agglutinantes : l'acide acétique à certaines dilutions, la fuchsine
en solution saturée dans l’eau et bien filtrée (on n’emploie pas la
solution alcoolique pour éviter l’action agglutinante de l’alcool).
Toutes mes expériences ont été faites de la même façon : on
prenait des cultures fraiches, sur gélose inclinée, des vibrions à
étudier; ces cultures avaient séjourné 24 heures à 37°. Une anse
de la couche microbienne était délayée dans un centimètre cube
d'eau distillée; on s’assurait que l’émulsion était parfaite, que
les microbes étaient bien divisés et nullement agglomérés. A
une anse de cette émulsion on äjoutait, sur porte-objet, en mé-
langeant convenablement, une anse du réactif à étudier. On ne
peut, pour ces expériences, utiliser les cultures en bouillon ou
en eau-peptone, car ces liquides, même stérilisés, forment sou-
vent des coagulats albumineux avec les réactifs. Il est très
important de se placer toujours dans les mêmes conditions, sinon
les résultats ne sont nullement comparables. Ainsi, une eulture
âgée, par exemple, ne se comporte pas vis-à-vis de la formaline
comme une culture jeune : les produits formés au sein d’une
vieille culture modifient les conditions du phénomène. Nous
avons successivement fait agirsurle choléra-Angleur, sur d’autres
4
VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 865
microbes du choléra etsurles vibrions de Metchnikoff, de Finkler
et de Deneke, les substances suivantes, à divers degrés de dilu-
tion dans l’eau distillée : la formaline, le sublimé, la safranine,
la vésuvine, la fuchsine, le sulfate ammonique, l'acide acétique,
l’alcool et la soude.
IL — Action de la formaline
40 Anse pour anse d’émulsion et de formaline non diluée,
Choléra-Angleur donne instantanément de petits amas formés de bacilles
très nettement agglutinés.
Vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke donnent immédiatement
de gros amas serrés.
Je me suis assuré, par des colorations ultérieures, que les amas,
observés au microscope, dans tous les essais qui vont suivre, étaient
bien formés de bacilles nettement agglutinés et non de simples coagulations
albumineuses. Le mot amas désigne toujours des vibrions bien agglutinés.
20 Anse pour anse d'émulsion et de formaline diluée à moitié,
Choléra-Angieur. — Les amas se forment plus leniement (2 à 3 minutes).
ere Fi a " | Agglutination également plus tardive; amas
L i i choléra.
ENT plus petits que ceux du vraic
3° Anse pour anse d’émulsion et de formaline diluée au 1/4,
Choléra- IE — Les amas sont plus rares et plus petits ; ils ne se
forment qu'après quelques minutes.
Vibrions de Meichnakof. — Les amas sont plus rares et plus petits; ils
ne se forment qu'après quelques minutes.
Vibrions de Finkler., — Agglutination plus faible que pour les 2 hddies
précédents.
Vibrions de Deneke. — Pas d'agglutination.
IL. — Action du Sublime,
40 Solution à 10 0/0 dans l’eau distillée,
Choléra-Angleur.
Vibrions de Metchnikoff.
Vibrions de Finkler.
Vibrions de Deneke.
20 Solution à 5 0/0 dans l’eau distillée,
Choléra-Angleur.
-Vibrions de Metchnikoff.
Vibrions de Finkler.
Vibrions de Deneke,
30 Solution à 2 0/0 dans l’eau distillée.
Résultats à peu près semblables,
49 Solution à 1 0/00 dans l’eau distillée.
Choléra-Angleur, choléra-Guilvinec, choléra-Brest : pas d'amas.
58
Grands amas.
Amas énormes (tout le champ du microscope).
Petits amas.
Grands amas.
866 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Vibrions de Metchnikoff et de Finkler : petits amas de quelques individus
seulement.
Vibrions de Deneke : grands amas formés de centaines de microbés
agglutinés.
IT. — Action de la Safranine.
40 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 4 0/00.
Choléra-Angleur et les 3 vibrions : amas nombreux et volumineux se
formant immédiatement.
20 Anse pour anse d'émulsion et de safranine à 0,5 0/00.
Agglutination des 4 espèces microbiennes, mais la réaction n'est plus
aussi rapide.
30 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 0,25 0/00.
Gholéra-Angleur, vibrions de Metchnikoff et de Finkler : pas d'agglutina-
tion. Vibrions de Deneke : petits amas, peu nombreux.
IV. — Action de la Vésuvine.
Anse pour anse d’émulsion et de vésuvine à 1/500.
Les 4 microbes donnent une agglutination très nette; les amas sont
énormes.
On peut pousser la dilution de la vésuvine jusque 41/5000 et on a encore
de l’agglutination pour les # microbes, avec des différences peu prononcées
de l’un à l’autre.
V. — Action de la Fuchsine en solution aqueuse.
Agglutination très nette pour les 4 microbes, même avec des solutions de
1/5000.
VI, — Action du Sulfate ammonique.
Les 4 microbes agglutinent sensiblement de la même façon à raison
d’une anse d’émulsion pour une anse de sulfate ammonique en solution
saturée. l
Pour peu que l’on dilue la solution de sulfate dont 4 ils finissent
par ne plus agglutiner.
VII. — Action de l'acide acétique pur. et dilué.
Une anse d’émulsion pour une anse d'acide acétique pur ou dilué de
moitié : les 4 microbes n'agglutinent pas.
Avec de l'acide acétique dilué au 1/3, le choléra-Angleur agglutine seul
légèrement. |
L’acide acétique au 1/4 donne une agglutination nette pour le cholera-
Angleur, légère pour les 3 autres microbes. |
Au 1/5; agglutination nette pour choléra-Angleur et Le vibrion de Deneke ;
agglutination légère pour les deux autres microbes.
Au 1/10, au 1/20 et au 1/100, l'acide acétique donne une agglutination
très nette avec les 4 microbes.
le tt ti <di
VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 867.
A 1/500, le phénomène de l’agglutination est moins net pour les 4
microbes,
A 1/1000, il ne se produit plus d’agglutination pour aucune des 4 espèces
microbiennes.
VIII. — Action de l'alcool à 950 et de la soude normale décime
sur des émulsions de microbes dans l’eau calcaire
et dans l’eau dislillee.
Ce que M. Malvoz! a démontré pour le bac. typhosus, à savoir l’entraîne-
ment des microbes dans des précipités formés au séin d’une émulsion de
microbes, se vérifie également si l’on se sert d’émulsions de microbes
cholériques ou des autres vibrions.
Si à une eau alimentaire comme celle de Liège, assez riche en bicarbo-
nate calcique, on ajoute de la soude, on produit un précipité de carbonate
calcique qui entraîne les vibrions primitivement émulsionnés dans cette eau :
le$ amas ressemblent aux agglutinations provoquées par le sérum,
De même si l’on ajoute à une eau semblable de j'alcool à 950, celui-ci
amène également la précipitation de evrtains sels et en même temps celle
des microbes que l’on a émulsionnés dans cette eau et qui se rassemblent
‘en amas sous l'effet de cette précipitation.
Si l’on opère avec des émulsions en eau distillée, l’adjonction de ces
deux substances ne provoque pas d'agglutination.
Il résulte de ces recherches que l’on peut provoquer le phé-
nomène de l’agglutination au sein des émulsions de bacilles du
choléra et des microbes de cette famille naturelle, non seule-
ment au moyen des sérums spécifiques, mais également de cer-
taines substances chimiques de composition relativement simple,
On observe, d’un vibrion à l’autre, des différences parfois assez
considérables dans la production du phénomène, pour certaines
dilutions des réactifs. Ainsi, le sublimé à 1 0/00, la formaline
au 1/4, la safranine à 0,25 0/00, n’agglutinent que certaines
espèces à l’exclusion d’autres. Mais le phénomène n’a pas la
sensibilité ni la netteté qui se révèlent quand on étudie l’action
du sérum spécifique. Il est vrai que ce dernier doit aussi être
convenablement dilué pour être utilisé pour le diagnostic; mais,
à cette dilution déterminée, l’agglutination du bacille spécifique
est très nette et aucun autre microbe ne la subit. I n'en est pas
de même pour les agglutinants physico-chimiques vis-à-vis du
choléra et des espèces de ce groupe. Nous ne sommes pas en
possession d’une substance chimique qui,à une dose déterminée,
4. Mazvoz. Loc. cit. Annales Pasteur, 1897,
868 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
agglutinerait exclusivement le vibrion cholérique et pourrait
servir ainsi, à elle seule, au diagnostic précis de ce microbe.
Néanmoins, je crois que l’on peut, au besoin, utiliser les
données précédentes dans les recherches analytiques, comme je
l'ai proposé, avec M. Lambotte, dans les analyses concernant le
bacille typhique.
En présence de colonies présentant les caractères du choléra,
on fait des cultures sur gélose québon, laisse 24 heures à 37°; on
obtient rapidement des émulsions et, à une anse d’émulsion, on
ajoute une anse de sublimé à 1 0/00, par exemple. Tous les
échantillons qui fourniraient de grands amas seraient consi-
dérés comme n’appartenant pas au choléra, et éliminés pour les
recherches ultérieures; mais les microbes n’ayant pas subi
l’agglutination seraient conservés pour les recherches. Ce
moyen d'investigation rendra des services quand on ne sera
pas en possession d'animaux fortement immunisés contre le
choléra : ce qui est fréquent. En dehors de leur intérêt théo-
rique qui permet de creuser davantage le phénomène mystérieux
de l’agglutination, nos recherches peuvent aussi avoir une
utilité pratique. Le meilleur moyen de déterminer la nature
cholérique d’un microbe donné par les caractères tirés du
phénomène de l’agglutination, sera toujours l’emploi d’un sé-
rum convenable. Mais à défaut d’un tel sérum, certains agglu-
tinants chimiques peuvent être utilisés pour la séparation et un
premier triage des cultures.
En tout cas, il conviendra dans l'avenir, pour la caractéri-
sation des espèces microbiennes, de noter, à côté des autres
signes classiques, les particularités de l’agglutination chimique.
Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie de l'Université de
Liège. Août 1898.
Errarum. Dans l’article de M. Besredka, les premières lignes
de la page 609 ont sauté sous presse. Les voici rétablies :
Dans ses nombreux mémoires et ceux de ses élèves, il cher-
chait à déterminer la nature chimique de cette substance qui
confère au sérum sa propriété microbicide, substance qu'il a
désignée sous le.
TABLE DES MATIÈRES
Les microbes des nodosités des légumineuses, par
UE MARS RUES tt es
Production de la toxine diphtérique, par M. le D' Mann.
Contribution à l'étude de la fermentation lactique, par
DEP EG 6, GALL DER ROARTAMNTES
Fermentation lactique des corps sucrés, par M. PéRé. . . .
Rapport au sujèt du monopole de l'alcool, par M. Ducraux. . ..
Recherches sur l'influence de l’organisme sur les toxines,
HAE PCEMIERGENIRONr.. 47,15 0 044 URSS
Recherches sur les proprietés antitétaniques des centres
nerveux de l’animal sain, par M. Mae . . . . . . . ..
Lois générales de l’action des diastases, par M. Duccaux. .
Les microbes des nodosités des légumineuses, par M. Maé
AE TENNIS) M OS RRRAIAEIRQUERE PRE LASER EL SNL LOU IL Liane
Que savons-nous de l’origine des saccharomyces ? par MM. KLoc-
RNCS CAIONNINES CS See ere tte DOS MONO NMENIEERE
Recherches sur la substance agglutinée, par M. Cu. Ni-
GAL OS SARA SP RTE RAA Qu
La destruction des microbes dans le tissu sous-cutané des
animaux hypervaccinés, par M. SALIMBENT. . . . . . ..
Action de la toxine diphtérique sur les muqueuses, par
MM MoRAE RE ÉLMASS ANA ICE ETAT PA OMAN S
Tétanos cérébral et immunité contre le tétanos, par
MM Roux: ets Borret.: 2008 Me PO A AAA NARNIA
Le microbe de la péripneumonie, par MM. Nocarp et Roux.
Recherches sur l'influence de l'organisme sur les toxines
128
156
870 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
(3° mémoire : toxine tétanique et leucocytes), par
NL. E:, METCENKOPP EEE Ar ee RAS
Nouvelles recherches sur le mode de destruction des
vibrions dans l'organisme, par M. J. CaNTAGuzÈNE. . . .
Les vaccinations antirabiques à l’Institut Pasteur en 1897,
par M. H. Porrevn . . . . ARE à
De la leucocytose dans la des UE M. de Dr a
Sur le mécanisme de l’immunisation contre les venins, par
MEME DEA ACACMENDE MS RERO AT Re
Premières expériences sur l'emploi du sérum préventif et
curatif de la fièvre jaune, par M. le D' J. Saxarezrr . .
Des nucléines, par M. le Dr Nozr . .
Étude expérimentale des altérations pathologiques pro-
duites par les venins des serpents venimeux et des
scorpions, par M. le D' Nowak . . ,
Recherches sur la production oo in bi SO DAS
Dar MG: BERTRAND 20e AMAR PAR AT DER ur Re
Sur la maturation des fromages, par M. Scamokicu. . . . .
Note sur une petite épidémie de fièvre typhoïde d’origine
hydrique, par M. le D'G. Scnnemer. . ,. *.. .. ...
Statistique de l’Institut Pasteur hellénique d'Athènes, par
M6 DE PAMPOURIS.174"0) 178 700 AMENER SA EES
*
SURLES p'oénzymes, par M° DUCLAUX 0 Re
Recherches sur l’action sporicide du sérum, par M. le
Dr Jos. Hazsan. . à ;
Contribution à l’étude de He de VIs-à-VIs sn Late
subiilis, par M. le D' PODBELSKT CAN SEE DRE AR
Du pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique, ME M. le
D' pe RECHTER . .
Sur la conservation du Pate iphique dite le AE 7.
M. le D' Bonn. :
Sur l’immunité naturelle He organismes CR LEE
contre les toxines, par M. le D' GENGou. . *. . . . . .
Des albumines, par M. le D'P!Nogr.. 00 mn ee
Sur le mode d'action du sérum préventif contre le rouget
des porcs, par M. Fxéux MESNIL . . - . . .
TABLE DES MATIÈRES.
Contribution à l’étude de la plasmolyse chez les bactéries,
par MM. Porwyssorsky et B. TARANOUKHINE. . . . . . . .
Contribution à l'étude du venin des serpents, par M. 1
D: WEHRMANN . . . . LEA
Contribution à l’étude de Fos TA fee) Fa vin, Fe
M. J. LaBorpe.
L'Institut Pasteur de Fra Fe ace. etais Er
nale, par M. le D' Errrerma pos Santos . . . . . . . . .
Pesalbuinoides par MAP Nom 0, 2. Us 0
Sur les relations qui existent entre la tuberculose humäine
et la tuberculose aviaire, par M. Nocarp. . . . . . ..
Une épidémie de paralysie ascendante chez les aliénés,
rappelant le Béribéri, par MM. Cnanreuesse et Ramoxn.
Note sur la bactériologie de la verruga du Pérou, par
M. Cu. Nicozre .
Le bacille de la diphtérie te Fe il + le Este
DIU AU ONE EE EE PC RE e
L’épidémie de peste de Djeddah en 1898, par M. Novury-
LIRE 248 ROC ER A RSR POI RRRERECTE TT
Du pouvoir bactéricide des leucocytes, par M. BESREDKA. . . . ..
La Propagation de la peste, par M. P. Simonn . . . . . ..
Sur l’agglutination et la dissolution des globules rouges
paniesénuEn par MAJ BORDER... à: . . :
Influence. favorable du chauffage du sérum antidiphté-
rique sur les accidents post-sérothérapiques, par
PR LES LI SR ONG RAR EL... 0,
Préparation de la toxine diphtérique : suppression de
l'emploi de la viande, par M. C. H. H. SrroNGK . . . . .
La propagation de la peste, par M. le D' Hanxin. . . . ..
Sur la reproduction de la substance antitoxique après de
fortes saignées, par MM. C. Sacomowsen et T. Mans .
Statistique de l’Institut antirabique municipal de Turin et
notes de labd@htoire, Par Mile D: Fr, Asa. . . 1.0"
Sur les aptitudes pathogènes des microbes saprophytes,
NP ERENDE Se EME | . 0 à US
Étude cytologique et cycle évolutif de la coccidie de la
DEP Dan MEUSIEDERCRI 0/7... + . 5 1: UN
991
872 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
Études sur l'immunité vaccinale, par MM. Bécière, CHAMBON
CtMÉNARD 2 AP UENIESRNE EL RENE RP CNE
Note sur la contagiosité de la peste bovine au porc, par
MM CARRE Li PR AIME AUDE EN ESRI AR RTE TR 848.
Étude sur l’agglutination comparée du vibrion cholérique
et des microbes voisins par le sérum spécifique et
par les substances chimiques, par M. BossarrT. . . . . . 857
Table des matières 08 ANR TM RER APNTE RENE 813
TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS
TRAVAUX ORIGINAUX
FL SINES ERA PA EME Institut antirabique municipal de Turin. .
BÉCLÈRE, (CHAMBON et
MRNARD REUTERS Immunitéivaceinale. 200, Au. Loue
BERTRAND (G.). . .& . .. Production biochimique du sorbose. . . .
ÉRBRRDIEA. un 2e releiene Leucocytose dans la diphtérie . . . . . ..
BODINPE eme Vies ARC Bacille typhique dans le cidre. . . . . . ;
BORDEL (JS) EL Agglutination et dissolution des globules
ROUE SA ARE Pa nie msleet 1e ait Voie al
RARRRRS te ete mp) ce 0 Voir Roux.
BOSS ARR RARE A ques Agglutination des microbes. . . .......
CAMERA LUN Immunisation contre les venins. . . . . .
CANTAGUZÈNE. 0-41... 1 Destruction des vibrions dans l'organisme.
CARRÉ et FrArmBAULT. . |: Peste bovine chez le porc. . . .. ". . 4.1.
CHANTEMESSE et RAMOND. . Paralysie ascendante chez les aliénés . .
CHAMBUN 1 ee le Voir BÉCLÈRE.
DUCLAUX. ot. Se Lois générales de l’action des diastases. .
BRMASSEANS 6e ceci Voir Morax.
FERREIRA DOS SANTOS. . . Institut Pasteur de Rio-Janeiro . ... ....
FRAIMBAULT . . . . . . . . VOir CARRÉ.
ÉRNGOU LS 1e due Immunité des organismes cellulaires. . .
RAR Nr el à Action sporicide du sérum . ........
ÉPAN TEE RE Eden air Propagation de la peste. . . . . . - : .…
IPABOBDE 2 LUN. Asutecontenu/dans/le vin EE
MANSEN ER Ces 4 Voir SALOMONSEN.
RARE Re Sole. Propriétés antitétaniques des centres ner-
TOUR :2}1, RD RS 62 102 RL MER ORESRRRERRRTr2
MARINS PS CRC. Production de la toxine diphtérique. . . .
MA ENT ..... Microbes des nodosités des légumineuses .
— Mémestiee eus REA (e-
MENARDE 4 .-. Voir BÉCLÈRE.
MPTCENIROEr ee ee Influence de l'organisme sur les toxines .
—- Même sujet (3e mém.) . ..
ù K © & © +-e
714
837
385
305
458
688
851
343
273
848
974
96
DA
465
417
705
917
81
263
874 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR.
DIESNUL- Sp: LCR Sérum préventif contre le rouget. . . . ..
MIN Re) (RAMÈNE Bacille de la diphtérie dans les organes .
Morax et ELMassrAN. . . . Toxine diphtérique sur les muqueuses. .
INICOLLE (CE) EME Recherches sur la substance agglutinée . .
— Bactériologie de la verruga du Pérou , . .
NocaRD.. . ... . .". . . Tuberculosehumaineet tuberculose aviaire.
st EL ROUX PEUR Microbe de la péripneumonie . . . . .. ‘
NOURY-BEYA NEC Épidémie de-peste à Djeddah . ......
NOWAIG NES SENS Er, Altérations pathologiques produites par
LS, SeNINSS NN RE PACS NT MENU EE
PAMPODRIS ES EEE Institut Pasteur hellénique d'Athènes . . .
LUE 1 ORPI VE ACTES Fermentation lactique des corps sucrés. .
PoDBRLSE TA A AE 7e Immunité vis-à-vis du bacillus sublilis. . .
Popwyssorsky et Tara- c
NOURBINE 02 6 MORE Me Plasmolyse chez les bactéries, . . . . . ….
DOPTEVINENE ANR E . Fermentation lactique...-.::..+. .:.-.-..,.
— Vaccinations à l'Institut Pasteur en 1897. .
RAMOND 4-2 tite -. Voir CHANTEMESSE.
REGATER (DE) LEE UTN Pouvoir pénétrant du formol. . . .....
Roux et BorREz. . . . . . Tétañ pe CéTÉbre le PERS ECURIES NRA
— vs ce Voir Nocarp. «
DATIMBANT I TE MUR Destruction des microbes sous la peau des
AUX animaux hypervaccinés . . . . . . . . .
SALOMONSEN et MADSsEN . . Reproduction de l’antitoxine. . . . . .. ..
DANARELLT), ob etes à dE Sérum préventif et curatif dela fièvre jaune.
SCRIROKICH.- .. . , . : . . Maturation des fromages. . . . . . . . ..
DCANEIDER 10 eu UE IE N Fièvre typhoïde d'origine hydrique .
SIEDLECKI +... 0.0.2. à Chccidiede taserthe mire Te
DIMOND ee RASE RATE Propasation de peste EEE MEAAREE
SBRONCE PES lle Chauffage du sérum antidiphtérique .
—. Préparation de la toxine PAS
TARANOUKHINE* 224 0. Voir Popwyssorsky. ;
NINCENT A USE RUILESE Microbes saprophytes et pathogènes. . . .
NVEHRMANN. 1.0. 0e. Menin'des serpents #0 RSR ne
REVUES ET ANALYSES
BESREDRA? 0110 0 LIU 64 Pouvoir bactéricide des leucocytes . . . . .
DucLaux. ... ... ..... …. Rapport au sujet du monopole de l'alcool.
—, ,4 Sur l’origine des saccharomyces . . . . ..
= Sur des proengymés..}. 1 14 REC
None (Pl) 2. 27e SUL les Nucléinen "fee PEN ET Net
— Sur les aÏbumines, "40 0e
ne Sur les albuminoïdes . . . . « « , . . 0
BRSREDEA | a 404 Pouvoir bactéricide des leucocytes. . . : .
TABLE DES MATIÈRES. 875
PLANCHES HORS TEXTE
Planches Pete Mémoire de MMÉMAZES CR 128
Planches III et IV. . . . . — NOWAKS SUPER RTE 369
Planche VE Er R TR RNE = PODWYSSOTSKY. . . . . . 501
PlanchenNi etes... — CHANTEMESSE. - - 0 574
Planches VII, VIII et IX. - SIEDÉECKI. 228. eee 799
Le Gérant : G. Masson.
Sceaux, — Imprimerie E, Charaire,
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(JOURNAL DE MiCROBIOLOGIE)
RONDÉES SOUS LE PATRONAGE DB M. PASTEUR
ET PUBLIÉES
PAR
M DO CHAUX
go . MEMBRE DE L'INSTITUT
À NM ATEN UE PROFESSEUR À LA SORBONNE
DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR
Assisté d’un Comité de rédaction composé de
MM. CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur;
D' GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine;
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ;
NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ;
‘Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur;
VD VAILLARD,; professeur au Val-de-Grâce,
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MM, BouonaRp, profesceur de patholagie générale à la Faculté GS
membre de l'Institut, et BRISSAUD, professeur agrégé à la Faculté de
se de Paris, médecin de l'hôpital Saint- Antoine, par BaBinski, B
Me Dur, GILBERT, GUIGNARD, L. GUINON, GEORGES GUINON, HAL
Lamy, LE GENDRE, MARFAN, MARIE, MATHIEU, NETTER, ŒTTINGER, A)
PETIT, RICHARDIÈRE, ROGER, RUAULT, SOUQUES, THOINOT, THIBIER
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