Skip to main content

Full text of "Annales de l'Institut Pasteur"

See other formats


LALALIT TT 


à * 

| 

| 5 # 

1 : RARE frire 

: : er 

| per pioteret {: lois te HN < lorttpre: tt # 

hotes | TETE et RURALE 
Énisierer tit HOOONNEEHNSeS 

et n best 


ut 
lopereletertl Va LA 
CHOSE etes HUE 
pe peter ten visletete Dies 
qetLe Heiries be - 
Féberst, wmrnine : je Î | + 
HIT AiHE etoit « 
IE QUOI ro: 
AMIT MAMIE 1 MAS 
43 Meg rire El ei ! { 


Motor ieritie 
MUHIUE 


Fr 


ir 
best 


à 


— 


AI 
letéieie, 


pe 


Fi 


viots 


lente HULL 
tr Ri 


Hi (4 Piero: 
fre 1e 
aug Nr tnrIse re ei 
tiriefe) ete 0 His 
: lnietors: MIPITiqitie tete Te TE Nr retirer HHHOCIQNNT CU 
COUPE | COURT Din fi) AGEN 
Tititieieieisierete ? 
HELTE Te el oletets GO 
lei sisierer et Pron URI eitieters Irebelsieieie ete) Meleléiet els ess Te flPieiete fit ai 
trhereieieis ie ! siristtiete eteléiee Lt lee letère Hate .. RENE Heite 
étés ie eat ris lei ere ere re Helste + 
1H} HRNQUNDONNILEEEE nier Helerers tell Metro iete tel 
ANNE! HAT ON 
S277717, 70 DLL ATEN 
APPEL LIT 


nur 
Nerqiers JOGE f 
nie irpetets ere { 
AR ALIONT ne #4] léfeleleteleis ll 
Peer HANANNPENEE CE AIOL TX HER 
tPrrtthiéte its ALP PAMRNAEETE Nat TI alerene eisiétee eELT 
relier: PHP Poleirien x 
pasa site et Ti rie 
vétiatishirits 


trapaiti 

biétetate a titieieierelele 
trétise di ii 
DOC tes 


tt bastiil tri 
ù ns / riei 
plsisteietehe à 

MOGielétalL IL TEEN tte 

tien lit? 

HetsiliiriTielerele, 


té 
7 lea te. 
+ 


254 
ET 


DE 


Les 
ES 
37 
STR 
LHITA 
MISE 
7 
TIR NI 


Soir: 
CT 

'éétotsts 

REX 


= 


7 


RE 
23:31 


z 


De TE EN 


œsrsrerii ss + 


Di 
Motors) 
Dern rOILE, 
frais h 
tunis 4 Mhsi iii 18! 
Hifi 


Z 


10 
ie 
fahp4 neisiers: Ÿ i 
tt ete sHH MARIA 
ere 1 


« 
HAN LIT] 
4fhie répLeEt iatel 
AH 
tésttes te 
ririeipielete 


{ 


Ur Li 
RCE qu | 
+ “ 24454} + 
LIT leteieten Hit EI RENE an } QUUR 1? 
RibiettiL Tia terereiett leteteiepe) rrirteiels CRE AAA Hit Dei + 
res hihikidk Aptiaie téthrs : 117 : re isiétetet : 
dhiathià + # nil vaine era t el HU \ 
rhéhiasate eteigiel + hay 4 DÉTO GS T LITE tit ele) HA } 
CELL IT Ter ee ere DORMI étehelsis else Tien 
tiniaieit il itie st diet it ere ritielelel 1e HUE HUE k 
ARLES 'elont HU : Qt (tie letetel ? «| 
relrtehetetetétes , & : ii 
HR | MST 
+ lipé idees ji 
È ? rte #4 " fi etre iTrel #4 4 thé 
ART LE ipistets étereret, letis r4 érieièie; vel 
HO ReCT ‘4 : QUE 
GIAM IDE LRQ eletereriere 
TL rotor nie frpuit MACON 
it RARREE rs ia st js À LE È prie 
Lislete LT tele ele éferitinieleiele tes LH . 
: frititre TOR ati le] ? 
POPOTITITI TIRE : # : leritieisiere à Qi > #4 ra?! » 
eieitptete nt ce es { 
Tiersitets : . ie 4 t 
pose 
LIGNES je ü x | 
girière ‘tt ei k pl 
et À À étetere te 
HU fe Ê j ! : teloier els 
reve Hi : 
MIS IO lee en etui à H 1 ÿ | 
(TsATIT IT ere ee # j 
sat 444 pan hi 1e! J À el { 
DE ttes té F " ï H k 
OMR EAN [el : ] t } t 
Morvierstolititieitiielelele: # Le ”| & 
tissé ietoleletsl seit 4 Val Ki 
: CHRIST “er L 
VOUTIIE EI IeN et . 4h rietsi 4 , 1e 
séph pere dés jeidil ES etete tete TOUT. x s 
LhaPA tt ns hrh se [rArisisiete ‘ 
F1) ÉRTCTUTIT +14 
héetaiitises 


247428 
ren 


p 


| 


: 
ë 
: 
j 


QUI 
| 14 
LANCE 


RFF 
F7 


4 
1 


ni 
? fx 
À . ( 
44343131) ll ru 
RU LRO REA NUE je ï 
nelviers nr bleieieis les ten rieleieleiee 4? 
je! AURONT AAIOUI 1e 
pores il j 
Mertil Tire Pien (+. “ ui 
rs . 
din A HIDE 4 À 2 7 . 
GOILUUEES olstels 1e 
th te AAA] , 
itltisleiese. os Hip \: 
loiéretélelere IL STI TON OCEAN AIET 4 ÿ 
OCT : Gin Ti rieete) fl 
as Matte + LRU 
* te: te ot nes tt fe. ere ter 
Hi + ANA 
relate a etats erprotetel 


+ nor 
Mer hhesuinse Li piriohes { 
phriile iriettieietess 
eTe7e + ICI TONER 
pierre 
fagért à hs 
MOTTE REUNINE 
ORALE MAT JOEY vaut 
ele ele Nisitisiers th HS 
PHONE APE PER Moki 
RH 
BH 


2 
22282525: 
5 

LES 


de 


DETTE rer Er rsri re 
+252 0 


= 
Past 
ses 
Serie 


=: 


pie 
4 
Hi: 


"rte 


27 
ET 


IOrLL 
tête è 
ti Moiriets 


letete) 


HIER: 


ee 
is 
25 


pie 
HAMAT 


4 


Ts 
LIT 
E 


is 
22115: 
RÉEBPRPRTETETE ETS 


CEE 
TE rer e 
RCE 


DETENTE ET Pre 
+ 


Péytetisternisshs 


"5" 


ve 


H1É 


PET ETEAT 


HOUR 
+ 


, teitiete 
14e # Veteieini 
Citesésa; toloisie! 
À tie meltie 
Ÿ trleioieieie IOUONEATMX 
t'eteteréleteiet #4 
r'tisleloteiet 


Qu 


ANNALES 


DE L'INSTITUT PASTEUR 


SCEAUX. — IMPRIMERIE E 


“ 


. CHARAIRE 


& 


*“ 


ANNALES 
DE L'INSTITUT PASTEUR 


(JOURNAL DE MICROBIOLOGIE) 


FONDÉES SOUS LE PATRONAGE DE M. PASTEUR 


ET PUBLIÉES 


PAR 


| ME DUCEAMUX 


MEMBRE DE L'INSTITUT 
PROFESSEUR A LA SORBONNE 
DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR 


Assisté d'un Comité de rédaction composé de 


MM. CHAMBERLAND, chef de service à l’Institut Pasteur; 
Dr GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; 
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ; 
NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ; 
À Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur; 
Dr VAILLARD, professeur au Val-de-Grâce. 


TOME DOUZIÈME 
1898 


AVEC NEUF PLANCHES 


PARIS 


MASSON ET Ci, ÉDITEURS 
LIBRAIRES DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE 
120, BOULEVARD SAINT-GERMAIN 


DAT? 


19m ANNÉE JANVIER 1898 No 1. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 
LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES 


Par M. MAZÉ 


Préparateur à l’Institut Pasteur 


SECOND MÉMOIRE 
Étude physiologique. 


Dans un travail antérieur ‘, j’ai montré que les bacilles des 
légumineuses, placés dans un milieu convenable qui rappelle 
d'aussi près que possible les conditions naturelles qu'ils trouvent 
dans les nodosités, se développent d’une façon surprenante, et 
remplissent leur fonetion si importante de la fixation de l'azote 
libre de l’atmosphère. La symbiose n’est plus nécessaire pour 
expliquer la fixation de l'azote par le microbe des nodosités ; 
cette propriété lui appartient en propre. Les conditions qui la 
lui assurent sont la présence d’une réserve d’azote combinée 
assurant les premières phases de son existence; une dose de 
sucre qui ne peut tomber au-dessous de 2 0/0 ; enfin l'accès fa- 
cile de l'air. À cette question de la présence de l’air viennent 
se rattacher beaucoup d’autres questions que le moment est 
venu d'étudier, et dont l’ensemble constitue un commencement 
de l’étude physiologique du microbe des nodosités. Nous abor- 
derous, dans un troisième mémoire, son étude morphologique. 


IT 


LES MICROBES DES NODOSITÉS ET L'AIR ATMOSPHÉRIQUE 


Nous venons de dire que le bacille des légumineuses est un 
microbeessentiellement aérobie. Pour nous faire une idée nelte de 
ses besoins d'oxygène, prenons deux ballons plats à deux tubu- 

4. Ces Annales, t. XI, p. 44, 1897, 


2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lures munis d'une couche de quelques millimètres de gélose de 
même composition que celle qui nous a déjà servi. Ensemençons- 
les etplaçons-les en dérivation surle courant d'air dépouillé d’azote 
combiné qui circule sur d’autres cultures, après les avoir fait 
précéder d’un tube en U rempli de ponce imbibée de potasse, 
pour absorber l'acide carbonique de cetair. Isolons maintenant 
l'atmosphère des deux vases à l’aide de deux pinces à vis placées 
sur les caoutchoucs des deux extrémités. La masse d’air ainsi 
confinée est munie d’un manomètre à mercure formé d'un tube 
en U presque capillaire, gradué. 

L'appareil reste fermé pendant huit jours, à une température 
moyenne de 23-24°, Au bout de ce temps on fait une prise d’air 
à l’aide d’une trompe de Schlæsing; on la mesure dans une 
éprouvelte de Schlæsing, et on étudie sa composition. 

Ces manipulations terminées, on a renouvelé l'atmosphère 
des cultures à l’aide de la trompe que l’on faisait fonctionner 
assez longtemps pour entrainer l'acide carbonique dissous. Puis 
on l’a isolée de nouveau et, 64 heures après, on a recommencé 
la mème opération afin de se rendre compte de l'absorption 
d'oxygène dans une culture en plein développement. 

Une troisième analyse a été faite 24 heures après la 
seconde. 

Voici les résultats en volume rapportés à 100 du gaz, à la 
pression 760 et à 0°. 


NATURE DES GAZ Îre ANALYSE 2e ANALYSE 3° ANALYSE 
MOUECATDOMQUE SR ARR 20,7 18,7  - 8,04 
OSYRÈRE Je E ER US 1,8 5,16 13,41 
AZOIPEATÉON 2e dise 11,5 78,1% 78,55 
Acide carbonique + oxygène... 22,9 21,86 21,45 


Les chiffres de ce tableau montrent combien le bacille @es 
légum'neuses est avide d'oxygène. En 24 heures, une culture 
d'une surface totale d'environ 27 décim. carrés absorbe le tiers du 
volume d'oxygène contenu dans une atmosphère confinée de 
EME Soit 0 *c. 

Considérons maintenant les chiffres de la quatrième ligne 
horizontale ; ils sont tous supérieurs au nombre 21 qui repré- 
sente la teneur normale de l’air en oxygène; cela veut dire que 
le rapport de l'acide carbonique à l’oxygène est toujours supé- 


bi à dl din nai té dé néÉ 
dat di Le 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 3 


rieur à 4 ‘. À côté d’une combustion complèle qui se traduirait 
par la mise en liberté d’un volume d’acide carbonique égal au 
volume d'oxygène absorbé, il y a une dislocation plus ou moins 
avancée de la molécule de saccharose. Les produits intermé- 
diaires de cette dislocation ne sont pas constitués par des acides 
volatils ou fixes, puisque le milieu conserve sa réaction alcaline ; 
ils ne peuvent être que des corps plus ou moins oxydés, quel- 
ques-uns volatils, dont la présence se révèle par l'odeur caracté- 
ristique des cultures. Les milieux liquides qui se chargent peu à 
peu de tous ces produits de la combustion du sucre, deviennent 
de plus en plus impropres à la culture du microbe, si on ne prend 
pas la précaution de les en débarrasser. Voilà une autre raison 
qui explique la supériorité des cultures peu profondes et de 
grande surface, au point de vue de la fixation de l’azote atmos- 
phérique. 

Ce n’est pas tout, nos chiffres comportent encore un ensei- 


-gnement : on conçoit que les hydrates de carbone soient épuisés 


rapidement par un dégagement aussi abondant d’acide carboni- 
que. Évaluons, en effet, la quantité de carbone mise en liberté 
au moment de notre dernière prise d'air, c’est-à-dire après 
12 jours d'expérience. Cela est très facile, connaissant le volume 
de l’atmosphère confinée et la quantité de saccharose introduite 
dans la culture. 

On trouve ainsi que sur 1347%*,3 de carbone irtroduits dans 
la culture sous forme de saccharose, 1055%:"6 sont mis en liberté 
à l'état d'acide carbonique. 

Ces chiffres nous prouvent qu'une culture du bacille des node- 
sités, âgée de 16 à 20 jours, dans laquelle la liqueur de Fehling 
ne révèle plus trace de sucre réducteur après inversion préalable, 
a perdu la presque totalité du carbone que le saccharose y avait 


1: Ce rapport n’est pas, en réalité, aussi éloigné de l’unité que l’indiquent les 
calculs ; on ne tient pas compte en effet de l’azote fixé; on sait cependant que 
toute diminution d'azote libre se traduit par une augmentation apparente de 
CO2+0; mais la différence entre les nombres 79 et 77,5 fournis par la première 
analyse, ne provient pas tout entière de l’appauvrissement de l’atmosphère en 
azote, car s’il en était ainsi, au bout de huit jours, dans une atmosphère confinée 
de 5}. nous obtiendrions un gain d’azote de 70 milligr. Or, en 16 jours, dans un 
courant d’air continu, nous n'avons pas obtenu ce résultat, à beaucoup près, 
L’excès d'acide carbonique dégagé sur oxygène absorbé se traduit d’ailleurs par 
une augmentation constante de pression, indépendante des oscillations baromé- 
triques, 


4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


apporté. Mais, en échange, ils’y est produit un gain d'azote, et il 
s’y est formé une mucosité si abondante que les milieux liqui- 
des servant à la culture, en couche mince, sont presque solidifiés. 

Dans la fermentation visqueuse des jus sucrés, quelque chose 
de semblable se produit; mais l’analogie est toute superficielle, 
La matière visqueuse provient d’une sorte de transformation 
isomérique du sucre; avec le bacille des nodosités on assiste à 
une combustion presque parfaite du saccharose; la mucosité 
qu'il fabrique nous apparaît donc comme une substance digne 
d'attention, lorsqu'elle se forme abondamment, il y afixalion 
d'azote ; lorsqu'elle est absente ou peu abondante, on ne constate 
pas de gain d'azote dans les cultures. C’est ce rapprochement que 
je voulais mettre en relief : les faits nous l'imposeront encore 
plus d’une fois dans le cours de ce travail. 

D’après tout ce qui précède, nous voyons que le bacille des 
légumineuses est un microbe essentiellement aérobie; l'azote 
atmosphérique ne joue dans sa vie qu’un rôle très effacé; une: 
fraction très petite seulement est mise en jeu. 

M. Laurent a cependant constaté la formation de colonies 
dans une atmosphère d’azote pur; cette observation semble en 
contradiction avec les faits que nous venons d'exposer, et elle 
mérite d’être éludiée. 

Prenons pour cela des tubes à essai ordinaires, et soudons 
une tubulure à étranglement à l'extrémité fermée; étirons l’autre 
extrémité de facon à obtenir une tubulure semblable à la pre- 
mière; celle-ci est légèrement inclinée sur l’axe du tube pour 
permettre de le pencher lorsqu'il contient quelques centimètres 
cubes de gélose. Grâce à ce dispositif, on peut placer ces tubes 
les uns à la suite des autres sur un courant d’azole préparé en 
faisant agir le nitrite de potassium sur le chlorure d’ammonium 
en solution concentrée; le gaz est débarrassé des produits 
nitreux et de l’ammoniaque par des flacons laveurs remplis de 
potasse et d'acide sulfurique. Les tubes sont adaptés encore 
bouillants sur l'appareil purgé d’air par le dégagement de 
l'azote. 

Puis on attend une demi-heure; au bout de ce temps, la 
gélose est solide et froide; on l’ensemence avec deux ou trois 
gouttes d’une dilution copieuse de bacilles, et quelques minutes 
après, on ferme les deux extrémités à la lampe sur le courant 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. à 
d'azote. On ensemence ensuite Les autres tubes les uns après les 
autres, et on les scelle à la flamme de la même manière. 

_ Ces cultures ont été conservées à la température de la 
chambre avec des témoins préparés de la même façon, mais 
remplis d'air. Au bout de 5 jours ceux-ci donnent une culture 
abondante; les autres ne présentent pas de développement 
visible à l'œil nu ; on en sacrifie un et on prend avec une pipette 
une goutte de la dilution qui surnage pour l’ensemencer dans 
un tube ouvert; celui-ci se couvre de colonies au bout de 
3 jours. 

Au bout de 15 jours on ouvre deux autres tubes sur lesquels 
on ne constate pas non plus trace de développement ; on s’en 
sert pour ensemencer des tubes ordinaires; les germes conservés 
à l'abri de l'air pendant 15 jours poussent encore énergique- 
ment. 

On a refait la même expérience avec une nouvelle série de 
4 tubes préparés de la même façon; ils ont fourni les mêmes résul- 
tats. 

Le bacille des légumineuses ne pousse donc pas dans une 
atmosphère d'azote pur; M. Laurent n’a sans doute observé la 
formation de colonies que parce que son azote, obtenu par 
l'oxydation du cuivre porté au rouge, renfermait encore des 
traces d'oxygène. 


ITE 


INFLUENCE DE LA RICHESSE DES MILIEUX EN AZOTE COMBINÉ ET EN 
SACCHAROSE SUR LA FIXATION DE L’AZOTÉ LIBRE 


Jusqu'ici, nous nous sommes bornés à étudier la fixation de 
l’azote libre dans des cultures de composition à peu près 
constante. Deux éléments exercent une action prépondérante sur 
le résultat final: l’azote combiné et le saccharose ; faisons varier 
l’un et l’autre, et cherchons quelle est l'influence de ces varia- 
tions sur le gain d’azote. 

Dans ce but, mettons en culture 5 ballons plats renfermant 
50 c. c. de bouillon de haricots préparé comme plus haut ; comme 


6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’eau du robinet est suffisamment alcaline par elle-même, on 
supprime le bicarbonate de soude; on supprime également le 
chlorure de sodium qui, à la dose de 5 0/00, paralyse le dévelop- 
pement du microbe. Ces ballons contenaientavant l'expérience : 


AZOTE SACCHAROSE 
NOM {{me,6 481,75 
NO ue OS 2 
RS ne : 9 8 DD 
ARE : 9 2150 
nr eco 9 9 
Observations sur les cultures. — Le n° 1 se trouble fortement dans les 


24 heures. Les n9$ 2 et 3 se développent plus lentement; les microbes 
forment une membrane adhérente au fond du vase, visible dès le 2e jour: la 
mucosité se développe presque aussi rapidement que dans le n° {, dont le 
bouillon est complètement figé au bout de 8-9 jours. 

Il n'en est pas de même pour les nos 4 et 5; la membrane de fond ne 
devient visibie qu’au 4€ jour, elle apparaît comme une toile d’araignée dont 
les mailles irrégulières sont réunies par une membrane extrêmement fine. 
Examinée au microscope avec un grossissement de 50, on la voit striée, 
dans toutes les directions, de tubes uniformément colorés, lorsqu'on se sert 
de colorants basiques ; si on fait agir modérément l'alcool, ces tubes s’éclair- 
eissent, et l’on distingue nettement dans leur intérieur de petits baciles 
noyés dans une enveloppe de mucosité. Ces tubes présentent des renflements 
et des étranglements sur tout leur parcours. Nous aurons encore l’occasion 
de les observer daus d’autres circonstances. 

Cette membrane s’épaissit lentement, et au bout du vingt et unième jour 
de culture, au moment où l'on met fin à l'expérience, le liquide surnageant 
est tout à fait dépourvu de viscosité; le microbe présente l'aspect d'un 
bacille qui prend bien la couleur. 


La culture n° 1 à été arrêtée au dix-neuvième jour; elle pré- 
sente tous les caractères des cultures dans lesquelles on constate 
une fixation abondante d'azote. 

Les cultures n° 2 et 3 présentent des formes ramifiées et 
des formes en poires; à part ce caractère, elles ressemblent à la 
première, comme aspect, elles ont duré respectivement 21 et 
22 jours. 

Voici les résultats concernant l’azote et le sucre restant, fournis 
par l’analyse: les n° 5 et 6 ne figurent pas dans ce tableau; on 
y retrouve tout le sucre primitif à un décigramme près, et le gain 
d'azote y a été nul. 


dd nc pds e LOL 5 état fi RER EE 


r 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 


ri 


Azote final. Azote gagné. Sucre restant. Sucre consommé. Rapport de l'azote gagné 
au sucre consommé. 


_ Rs 421 [ 

0 93me£r Dmgr gr 54 1209ngr a — 
no 1 23merT A{2merl  Ogr,54l 1209m; Le = 
+ à D 198 1 
sara Res 30! 96 in 
no 2 01044 8 0 ,805 1196 SU LA 
: à : 150 1 
0 94 S 15 0 S70 319.4 —— — 
n° 3 A € ,87 1379,4 ER 


Eu égard à la durée des cultures, ces résultats sont à peu près 
identiques ; ils concordent avec ceux qui nous ont été fournis 
par les premières expériences, le rapport de l’azote gagné an 
sucre consommé oscille toujours aux environs de 1/100. 

Ces chiffres nous montrent en outre que le gain d’azote est 
indépendant de lPaspect morphologique du microbe; la culture 
n° { ne renferme pas de formes ramifiées, les deux autres con- 
tiennent un mélange de bacilles simples et de formes ramifiées, 
ou en poires. Le développement de celles-ci a été cependant 
plus lent au début; le retard augmente avec la dose de sac- 
charose; à partir de 4,5 0/0, le bacille se multiplie encore, 
mais la culture reste pauvre; la mucosité ne se forme pas, 
et 11 n’y a pas d’azote fixé. Avec 5 et 6 0/0 de sucre, on observe 
seulement une légère prolifération de microbe. 

Calculons maintenant la relation qui existe entre le sucre 
initial et l’azote fournt au microbe avant l'expérience. 

Nous avons les {rois rapports suivants : 


fe 116 66 
ce 17500 — 10 000 
98 49 
no 2 EEK EE 
20 000 10 000 
s 98 43 
n° 3 > = 


29 500 10 000 


Si nous prenons la moyenne, nous oblenons le rapport 
1/200 en chiffres ronds, ce qui veut dire que les cullures qui 
fournissent le meilleur rendement au point de vue de la fixation 
de l’azote doivent renfermer, au début, une partie d’azote com- 
biné pour 200 de saccharose ; la limite inférieure du sucre étant 
2 0/0 et la limite supérieure 4 0/0. 

Reprenons maintenant la même expérience en laissant con- 
stante la dose de saccharose et en introduisant des doses variables 
d'azote combiné. 


8 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Cet élément est représenté dans les cultures par les chiffres 
ROUES 6, CHAOS SOU AEN EGEEE CRT 

ils sont entre eux comme les nombre 5, #4, 3, 2, 1; chaque cul- 
ture avait recu 1,5 de saccharose; les quatre premières se sont 
montrées à peu près aussi actives les unes que les autres au 
point de vue de la fixation de l'azote libre; ïe n° 4 s’est développé 
plus lentement que les trois autres; le n° 5 a donné une mem- 
brane de fond, mince et résistante, mais pas de mucosité ni d’a- 
zote fixé : sa teneur en azote inilial estinsuffisante. Nous sommes 
donc conduit à assigner comme limite minimum à l'azote com- 
biné dans les bouillons de culturele chiffre de 7 milligrammes pour 
50 c.c. de liquide; la limite maximum étant naturellement fixée 
à 15" environ par les rapports que nous avons établis plus haut. 

Voilà les chiffres; quelles conclusions pouvons-nous en tirer? 
Ceux qui représentent la limite maximum de saccharose et le 
minimum d'azote combiné offrent beaucoup d'intérêt. Dans les 
deux cas, lorsque ces chiffres sont dépassés ou ne sont pas atteints, 
il n’y a plus de gain d’azote dans les cultures; le développement 
se fait mal et la mucosité est toujours absente. Cette substance 
ne se rencontre jamais non plus dans les cultures où le bouillon 
atteint plusieurs centimètres d'épaisseur et, dans ces conditions, 
l'analyse ne révèle aucun enrichissement en azote. 

Comme nous avons montré, d'autre part, que la mucosité ne 
résulte pas d’une modification allotropique du sucre, nous 
sommes conduit à la regarder comme un composé azoté élaboré 
par le bacille des légumineuses. Dans la série des transforma- 
tions auxquelles le saccharose est soumis, il se forme des com- 
posés capables de s’unir à l'azote atmosphérique, grâce à l'énergie 
mise en jeu par la dislocation de la molécule de sucre. 

Le même phénomène doit se passer dans les tubercules radi- 
caux; cependant, on ne trouve pas de mucosilé dans ces forma- 
tions. Une goutte d’une émulsion faite avec le contenu d’une 
nodosité possède la fluidité d’une goutte d'eau, et s'étale avec 
facilité sur une lame de verre. Au contraire, la moindre parcelle 
d'une culture sur gélose, prise avec un fil de platine, donne une 
consistance visqueuse à la goutte d’eau dans laquelle on la 
délaye, et s'étend difficilement sur le verre. 

Faut-il en conclure que le bacille des légumineuses ne pro- 
duit pas de mucosité lorsqu'il se développe dans le tissu des 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. ( 


racines ? Cette supposition ne semble pas probable, lorsqu'on voit 
un fragment de pulpe de nodosité donner sur gélose sucrée une 
quantité appréciable de cette substance au bout de 24 heures à 
la température de 24-25°. Si on ne constate pas sa présence dans 
les tubercules, c’est sans doute parce qu’elle est entraînée par 
la sève à mesure qu’elle se produit, et c’est probablement elle qui 
sert de trait d'union entre le microbe et la plante. 

Dès que les nodosités apparaissent sur les racines des légu- 
mineuses cultivées dans du sable stérile, celles-ci traduisent 
l’action bienfaisante de leurs hôtes par une reprise très nette 
de la végétation, succédant à une période de souffrance due à la 
privation temporaire d’aliment azoté. 

MM. Hellriegel et Wilfarth ', qui ont observé les premiers ces 
phénomènes, en ont donné une description très nette : 

« Ainsi les cultures de légumineuses, en présence de solutions 
nutrilives pourvues de nitrates depuis leur sortie de terre jus- 
qu'à leur récolte, c’est-à-dire jusqu'à l'épuisement des nitrates 
fournis, ont continué à croître sans aucune interruption visible, 
tandis que la végétation des cultures privées d'azote marcha pour 
ainsi dire, par bonds successifs, à trois époques différentes, 
non moins claires que frappantes. 

« Dans la première période qui comprend les trois ou quatre 
premières semaines de leur existence, pendant lesquelles les 
jeunes plantes sont alimentées évidemment par la réserve nutri- 
tive de la semence, la croissance fut active et normale. A cette 
période en succéda une autre d'interruption complète et d'arrêt 
dans la production. Les jeunes plantes perdirent leur fraiche 
couleur verte; on voyait les vieilles feuilles périr par résorplion, 
tandis que celles qui étaient nouvellement formées poussaient 
visiblement plus petites que les premières et fort misérables. 

« Enfin, à ce moment, les pois se comportèrent exactement 
comme les graminées végétant dans un sol privé d'azote et depuis 
longtemps alfamées. La durée de cette période fut très variable 
pour chaque plante : chez les unes elle ne fut que de quelques 
jours, et chez les autres elle persista pendant plusieurs semaines. 
Puis la troisième période suivit presque sans transition; les 
plantes reverdirent, et, recommencant à assimiler, eurent une 
bonne végétation jusqu’à la fin. » 

1. Untersuchungenuber die Stickstoffnährung, Berlin, 1888. 


10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ces observations établissent clairement que la reprise de la 
végétation coïncide avec l'apparition des nodosités sur les racines : 
mais MM. Hellriegel et Wilfarth ne disposaient d'aucune preuve 
matérielle qui leur permit de donner une démonstration rigou- 
reuse de ce fait. L'étude des cultures pures du bacille des nodo- 
sités ne fit que l’embrouiller davantage; ce microbe se montrait 
incapable de fixer de l'azote libre dans les milieux artificiels: 
tout au plus se développait-il un peu dans les milieux dépourvus 
d'azote combiné, mais toujours sans gain d'azote appréciable. 
C’est sur la plante seule qu’il y avait développement, avec fixa- 
tion d’azote qui, disait-on, entrait dans les tissus des bacilles 
pour les constituer; c’est cet azote des bacilles qu'utilisait la 
plante, et les nodosités devenaient ainsi de véritables organes 
de réserve. Telle était l'opinion de MM. Beyerinck, Praz- 
mowski!', Frank et Laurent. 

Les résultats que nous avons obtenus au point de vue de la 
fixation de l'azote donnent, de l’observation très exacte de 
MM. Hellriegel et Wilfarth, une explication aussi simple que 
satisfaisante. Le bacille fabrique, dans certaines conditions de 
nutrition hydrocarbonée et azotée, une sève muqueuse et azotée 
que le végetal utilise. 

Les caractères physiques de cette mucosité concordent bien 
avec le rôle que nous lui attribuons : c’estune substance colloïde, 
diffusible dans l’eau et susceptible, par conséquent, de servir 
d’aliment à un organisme vivant; mais quels sont les caractères 
de cette solution muqueuse ? C’est ce dont on peut se faire une 
idée en cherchant comment elle traverse les membranes ou les 
cloisons poreuses. 

Une culture de 50 c. c., renfermant 26 milligrammes d’azote, 
étendue de deux fois son volume d’eau distillée, a été filtrée à 
travers une bougie Chamberland, sous une pression de 20 c. de 
mercure; la bougie plongeait de 2 c. dans l’eau distllée; la 
filtration se faisait de l’intérieur vers l'extérieur. Elle a duré 
24 heures. La quantité d'azote passée à travers la bougie est 
de 286, soit 1/10 de l'azote total. 

Une deuxième expérience a été faite avec une culture de 
50 c. ce. étendue également de deux fois son volume d’eau; mais 


1. Landiwirthsch. Versuchstat., XXXNIII. — Bot. Centralbl., XXXIX. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 11 


ce liquide a été placé cette fois dans un dialyseur cylindrique en 
papier parcheminé. 

L'appareil a été soumis à l’action d’un courant d’eau ordi- 
daire pendant 48 heures, et pendant 36 heures à l’action de 
l’eau distillée renouvelée toutes les 8 heures, Au bout de ce temps, 
Omsr,6 d'azote sur 13,6 ont passé à travers la membrane. Le 
contenu du dialyseur a conservé toute sa viscosité et son homo 
généité. 

On a repris cette expérience avec une culture de 100 c. c. 
étendue cette fois de 8 fois son volume d’eau distillée. 

Dans le même laps de temps et dans les mèmes conditions 
que tout à l'heure, le liquide a perdu 8"£",5 d'azote; avant l’expé- 
rience il en renfermait 322,04 ; un quart environ de l’azote Lotal 
avait donc traversé la membrane. Le liquide avait perdu toute 
sa viscosité ou à peu près; les microbes formaient un dépôt 
aggloméré au fond du dialyseur. 

Cette dernière expérience prouve que la culture renferme, 
à côté de l'azote immobilisé dans le corps des microbes, un com- 
posé quaternaire capable de diffuser à travers les membranes. 
Cette matière azotée diffuse d'autant mieux qu’elle est plus 
étendue ; dans les nodosités elle est donc entrainée facilement 
par la sève, et c'est pour celte raison qu’on ne la rencontre 
jamais dans ces organes ‘. 

Il peut sembler surprenant que dans ces conditions le microbe 
qui la produit ne l'utilise pas, et que nous ayons pu voir notre 
culture n° 5 (p. 8), qui renfermait au début de l’expérience 
3msr,3 d'azote combiné, ne donner qu’un faible développement 
sans aucun gain d’azote après 21 jours de durée. On pourrait 
croire « priori qu'il suffise de fournir une trace d’aliment azoté, 
pour amorcer la culture et permettre au bacille de s’alimenter en 
fabriquant son protoplasme aux dépens de l’azote libre, et en con- 
sommant les hydrates de carbone qu’on lui a offerts. 


1. Le hasard m'a permis cependant de la rencontrer une fois dans des tuber- 
cules de pois tardifs, qui étaient encore en pleine végétation au mois de novembre 
dernier. À la suite d'un abaissement assez brusque de la température, l’assimi- 
lation par la plante s’est ralentie, et la production de mucosité a été supérieure 
à la consommation; elle s’est accumulée dans les tubercules, dont la pulpe très 
pâteuse, déposée dans une goutte d’eau sur une lame de verre, rend le liquide 
très visqueux. 

Cette observation confirme, d’une manière éclatante, les déductions que 
j'avais déjà formulées. 


12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L'expérience montre pourtant qu’il n’en est rien. Dans une 
culture pauvre en azote combiné, le développement est pénible; 
les microbes se multiplient, mais ils perdent leur activité vis-à- 
vis de l'azote libre; ils ne consomment pas d’hydrate de carbone 
ou ils en consomment très peu. Ils n'élaborent pas de mucosité 
visible, et n’utilisent pas les quantités insaisissables qu'ils pour- 
ralent fabriquer, car ils ne poussent pas. 

Les corps quaternaires qui constituent la mucosité doivent 
donc nous apparaître comme des produits d'élaboration micro- 
bienne, analogues à l'alcool ou à l’acide lactique, qui sont inat- 
taquables par les cellules qui les ont produits, mais restent 
nutritifs pour d’autres organismes. 

De ce que les bacilles vivent péniblement dans les milieux 
contenant de faibles quantités d'azote combiné, comme dans 
notre expérience n° 5 (p. 8), nous pouvons inférer qu'ils ne 
se développeront pas dans des milieux privés d'azote. Cette con- 
clusion esten contradiction avec les observations de MM. Franck, 
: Prazmowski et Laurent, mais elle est d'accord par contre avec 
les résultats de M. Beyerinck, qui a vu le développement des 
cultures s'arrêter sur gélose renfermant du sucre et des sels, 
dès que la petite quantité d’azote assimilable est épuisée. 

Il y a donc lieu de vérifier ces résultats contradictoires. J'ai 
pris pour cela deux ballons plats lavés à plusieurs reprises avec 
de l’acide sulfurique concentré, puis avec de l’eau ordinaire et 
avec de l’eau distillée, quatre ou cinq fois, pour en enlever toute 
trace de matière azotée. 

Chacun de ces ballons a reçu 50 c. e. de la solution suivante, 
faile avec de l’eau distillée et des corps chimiquement purs. 


Fauidistillee ere ere EC 1.000 
D 'LCCHAROSE MATE En An 20 
Phosphate de potassium................ 1 
Uhlorurerde SOUMET RE 1 


SULLATE Te EL RE RE ET Cr 
Dulfaterde MAasnEsIe M CAIREPERC EEE ET 
Ehlorire "de Zinc 2 PRE PU 


traces 


Les deux ballons, bouchés avec des tampons d’amiante, ont 
été stérilisés à 120° et ensemencés avec une dilution assez riche 


\ À  himly 6 Éd 


hi date. ts bé en és RUE à à déve at Ld) 
Fe 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 13 


d’une culture âgée sur gélose, faite avec de l’eau distillée stérile. 
Les cultures étaient parcourues par un courant d’air débar- 
rassé de tout composé azoté par la méthode employée plus haut. 

Au bout de huit jours les solutions sont limpides comme au 
début de l'expérience. 

Le contenu d’un vase, examiné au microscope après colora- 
tion par le bleu de méthylène, ne montre que quelques bacilles 
irréguliers, plus ou moins recourbés et prenant mal la couleur: 
examinés en goutte suspendue, ces bacilles se montrent immo- 
biles. 

Ensemencée sur gélose, une goutte du liquide de culture 
donnait un développement luxuriant au bout de 3 ou 4 jours. 

Le second ballon a été laissé en expérience; mais on a arrêté 
la circulation d’air et on a supprimé toute communication avec 
l'atmosphère ambiante. Après 28 jours la solution est toujours 
limpide; l'examen microscopique et la culture d’épreuve ont 
donné les mêmes résultats que la première culture. 

La conclusion est nette : la semence avait conservé toute sa 
vitalité pendant 28 jours ; mais on n’a pas observé, même au 
microscope, la moindre prolifération de cellules. 


Il nous reste, pour terminer l’examen des expériences faites 
plus haut, à étudier la nature du pseudo-mycélium que l’on 
observe dans les nodosités, tout à fait au début de leur dévelop- 
pement. Dans une coupe fraiche de jeunes tubercules, cette for- 
mation présente l’aspect de tubes réfringents non cloisonnés, 
irréguliers; ils décrivent dans lesjeunes cellules un trajet sinueux 
et semblent traverser les cloisons sans solution de continuité", 

M. Beyerinck les considère comme les restes des filaments 
nucléaires désagrégés par l'infection microbienne. 

M. Prazmowski en a vu sortir des coccobacilles très fins: il 
les regarde comme une forme transitoire du bacille des légumi- 
neuses qui en dérive par voie endogène. Aux yeux de M. Laurent 
ils ont la même signification; mais pour lui les microbes ne 
prennent pas naissance par voie endogène ; ils se forment par 


bourgeonnement comme les formes-levures qui se montrent sur 


1. Voir à ce sujei les deux belles planches du Mémoire de M. Laurent (ces 
Annales, t. V). 


14 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le mycélium de certaines espèces de champignons microsco- 
piques. M. Prillieux ‘ affirme que ce sont des trainées d’une 
mucosité analogue à celle qui se forme dans les cultures. 

En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et 
Prillieux des faits que nous avons établis, on peut expliquer la 
production de ces tubes d’une façon simple. Lorsque le microbe 
envahit les tissus des jeunes racines, il progresse surtout par voie 
de multiplication; il élabore aussitôt cette substance glaireuse 
dans laquelle il reste englobé, et c’est ainsi que s’édifient les 
tubes irréguliers qui affectent l'aspect d'un mycélium et con- 
servent leur apparence organisée tant que les vaisseaux ne se 
sont pas formés dans les jeunes {ubercules; mais lorsque la 
circulation de la sève se fait régulièrement dans ces organes, la 
mucosilé est entraînée, et les coccobacilles, débarrassés de leur 
enveloppe, s’allongent et se ramifient. 

Si l’on fait une préparation avec la pulpe d’un jeune tuber- 
cule à peine visible à l'œil nu, on ne trouve en effet que des 
coccobacilles; cette pulpe ne renferme jamais de fragments 
mycéliens, parce que la substance qui les constitue se diffuse 
immédiatement dans ie suc cellulaire et dans la goutte d’eau que 
l'on dépose sur la lame de verre. 

Si ces tubes étaient formés par un être vivant, ils résiste- 
raient comme tous les microorganismes à ce mode de prépara- 
tion. Ils ne résistent pas mieux aux manipulations qu’exigent 
les tissus pour les coupes en séries; on ne peut les soumettre 
à d’autres méthodes de coloration que celles que l’on emploie 
pour le protoplasme vivant. (Laurenr, {. ç.) 

Nous trouvons page 6 une autre preuve de cette interpré- 
tation, c’est la formation de tubes analogues dans les cultures 
qui renferment une dose exagérée de saccharose; la seule diffé- 
rence qu'ils présentent avec le pseudo-mycélium consiste dans 
une question de volume. Colorés par la fuchsine de Ziehl, ils ont 
l'aspect de gros tubes opaques qui sillonnent dans toutes les 
directions la fine membrane qui se forme après eux au fond 
du vase de culture. Si on décolore convenablement à l'alcool, 
ces tubes deviennent plus transparents, et l’on peut distinguer 
nettement les coccobacilles qui les remplissent. 


1. Comptes rendus, t. CXI, p. 926. 


st tit bn 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 15 


IV 
LE MICROBE DES NODOSITÉS ET L'AZOTE MINÉRAL 


Les nitrates et les sels ammoniacaux constituent des aliments 
pour les microbes des nodosités, comme l’ont établi MM. Frank, 
Prazmowski, Beyerinck et Laurent. 

Le développement est cependant assez médiocre dans les 
solutions purement minérales, additionnées de 1 0/00 de sulfate 
d'ammonium, même placées en couche mince dans des ballons 
plats; les microbes se déposent en cercle dans les parties déclives, 
et forment une légère couche pulvérulente, facile à mettre en 
suspension. Laliqueurne prend jamais une consistance visqueuse ; 
le saccharose se retrouve presque inlact au bout de quinze 
jours. 

Si on remplace le sel ammoniacal par de l’azotate de sodium 
à poids égal, il se forme au bout de quinze jours une membrane 
de fond, et le liquide prend une légère viscosité. 

La supériorité de l'azote nitrique sur l’azote ammoniacal 
s'observe également dans un bouilion formé d'une décoction de 
terre additionnée de 3 0/0 de saccharose et de 1 0/00 de sulfate 
d’'ammonium ou de nitrale de sodium. 

Dans le milieu nitré, le développement se fait régulièrement; 
il se forme une membrane assez épaisse; le liquide devient vis- 
queux ; le saccharose est consommé, et les cultures accusent un 
léger gain d'azote au bout de 30 jours. 

Dans le bouillon ammoniacal on observe seulement, pendant 
les 4 premiers jours, un dépôt pulvérulent; puis à partir de cette 
époque, on voit poindre à la surface de ce dépôt quelques z00- 
glées sphériques, d’une couleur blanche, adhérant très peu au 
fond du vase et s’étirant par la moindre agitation en longs fila- 
ments visqueux ; ces flocons augmentent peu à peu de volume et 
se fondent les uns dans les autres ; ils sont constitués par un long 
bacille vacuolaire qui donne des cultures ordinaires sur gélose. 
Quelque temps après l'apparition des zooglées, on voit se former 
une légère membrane; le liquide prend une consistance un peu 
visqueuse; mais, après 30 jours de culture, le saccharose a très 
peu diminué et le gain d'azote est nul. 


« 


16 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les 50 c. ec. de décoction de terre qui constituaient les 
milieux de culture renfermaient 0"879 d'azote total provenant du : 
sol : le bouilloa nitré ne donnait plus de coloration à la diphé- 
nylamine à la fin de l'expérience : le milieu ammoniacal se, 
colorait très nettement au réactif de Nessler. 

L'ammoniaque, même en présence de quelques traces d’azote 
organique, constitue donc un aliment très médiocre pour les 
microbes des nodosités ; ceux-ci poussent aussi bien dans de l’eau 
de terre pure addilionnée de quelques millièmes de saccharose. 

Ils se multiplient également dans de la terre stérilisée et 
dépourvue de nitrates, mais il semble qu'ils soient incapables 
d'enrichir la terre en azote. Voici les résultats que j'ai obtenus 
en cullivant les microbes des nodosités dans 50 grammes de terre 
sur le fond d’un vase à deux tubulures, constamment traversé 
par un courant d'air lent. Cette terre avait été préalablement 
lavée pour la débarrasser des nitrates. 

L'analyse de l'azote total a fourni les chiffres suivants pour 
un gramme de terre bien desséchée à 100°. 


Terre avant l'expérience ra NME AE Ter, 05 
Terre ensemencée avec le bacille des légumineuses..  6megr,5 


Cette culture a duré trois mois, le bacille avait conservé au 
bout de ce temps toutes ses propriétés ; il n’a pas donné de gain 
d'azote; mais on ne peut pas considérer ce résultat comme défi- 
nitif : l'échantillon de terre qui m'a servi a été pris dans l'enclos 
de l'Institut Pasteur; c’est plutôt un véritable terreau. Unsol, pour 
s'enrichir en azote sous l'influence des microbes, doit réaliser 
d’autres conditions; on les connaît suffisamment maintenant 
pour qu'il soit nécessaire d'y insister plus longuement. 

De tout ce qui précède, on peut conclure que ces microbes 
peuvent vivre dans le sol: on les trouvera surtout très nombreux 
dans les sols riches en matières organiques, puisque les nitrates, 
loin de paralyser leur développement, peuvent au besoin leur 
servir d'aliments. 

Les botanistes et les agronomes sont cependant unanimes à 
constater que les nodosités sont plus nombreuses et plus grosses 
sur les racines des légumineuses qui poussent dans les terres 
pauvres. Ils attribuent ce fait à l’action des nitrates; dans les 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 17 


sols fertiles où cet engrais suffit à assurer largement l’alimenta- 
tion azotée de la plante, celle-ci peut se passer du secours des 
microbes et résiste à leur envahissement. 

Les mêmes observations peuvent se faire avec des plantes 
cultivées dans des solutions nutritives stériles. Il y a même 
plus : quelques auteurs ont remarqué que les tubercules radi- 
caux exercent une influence contrariante sur le développement 
des légumineuses en présence des nitrates *. 

On a interprété ces faits de la façon suivante : les légumi- 
neuses renferment un composé capable de se combiner aux 
nitrates, et d'empêcher ensuite le développement du bacille des 
nodosités. (Lauren, oc. cit.) Celui-ci assimilerait également les 
nitrates aux dépens de la plante, et par suite la gènerait dans son 
développement. (Norsr, loc. cit.) 

Nous allons essayer à notre tour d’élucider la question ; mais 
auparavant, nous devons établir encore quelques faits nouveaux. 


y 


ACTION DES RACINES DES LÉGUMINEUSES SUR LES FORMES LIBRES DES 
MICROBES DES NODOSITÉS 


Les microbes des nodosités sont très mobiles; pour observer 
leurs mouvements, il suffit d'examiner, en goutte suspendue, 
une culture sur gélose âgée de 4-5 jours, à la température de 
25° environ. On les voit doués d’un mouvement de translation 
très rapide, qu'ils conservent très longtemps en chambre hu- 
mide. Au-dessus de 25°, la mobilité est beaucoup moins 
générale; on ne l’observe plus à 30°, ni au-dessous de 15°. 

Le bacille des légumineuses est donc capable d’obéir promp- 
tement à des actions chimiotaxiques. 

A l’origine de mes recherches, j'ai fait un grand nombre 
d'inoculations sur des plantes végétant en solutions stériles, dans 
le but de vérifier la nature du microbe que j'avais isolé des 


1. Nous. Versuchsstationen, 1896. — Scurisaux. Agriculture pratique, 1897. 
t-1, nv93. 
2 


18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tubercules. Je n'ai pas tardé à remarquer que ceux-ci se 
forment toujours, non pas sur les racines anciennes, mais sur les 
portions de racines qui.se sont développées après l'introduction 
des bacilles dans les solutions nutritives. Cette particularité 
attira tout de suite mon attention. Essayons d'en découvrir la 
cause. 

Pour montrer que ce sont les extrémités des racines qui 
atürent les microbes des nodosités, prenons 5 jeunes plants de 
pois que l’on a fait germer en milieu stérile. Ils ont deux ou 
trois feuilles, et leurs racines principales ont en moyenne 
15 centimètres de long. Coupons ces racines de façon à supprimer 
larégion des poils absorbants, etintroduisons-les sur unelongueur 
d'environ 5-6 centimètres dans une dilution de culture pure du 
microbe des nodosités, contenue dans une poche de collodion 
hermétiquement fermée avec un tampon de la même substance, 
bien lavée dans de l’eau distillée. Le liquide de la dilution est 
identique à la solution nutritive dans laquelle on fait pousser 
les plantes. 

Les résultats de cette expérience sont les suivants: toutes 
les fois que la portion de racine principale enfermée dans la 
poche de collodion donne naissance à des racines latérales, 
celles-ci sont couvertes de tubercules, la première n'en porte 
jamais, malgréla section qu'on y a pratiquée. Il semble doncque 
les parties jeunes des racines et plus particulièrement les régions 
pilifères attirent seules les microbes, et que l'infection de la 
plante soit provoquée par une substance quelconque qui diffuse 
à travers les membranes, à la façon par exemple de la sécrétion 
acide des poils absorbants. 

L'action attractive des régions pilifères peut encore être mise 
en évidence de la façon suivante. Faisons germer quelques 
pois à l’abri des microbes et transplantons-les dans la terre, 
bien arrosée, lorsqu'ils portent trois ou quatre feuilles; au 
bout de trois semaines environ, ils ont donné trois ou quatre 
nouvelles feuilles; arrachons-les et examinons leurs racines ; 
celles qui étaient formées avant le repiquage ne portent aucun 
tubercule ; toutes celles qui se sont développées dans le sol en 
sont pourvues. 

Ceci étant établi, il y a lieu de se demander quelle est la 
substance qui entre en jeu dans ce phénomène de chimiotaxie. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 19 


Les hydrates de carbone s'imposent à l'attention en raison 
de la place si importante qu'ils tiennent dans Fhistoire des 
microbes des nodosités. De plus, on les rencontre dans la sève 
de tous les végétaux. 

On n’a pas montré jusqu'ici, du moins à ma connaissance, 
qu'il s’en élimine aux extrémités des racines. Dès qu'ils se ré- 
pandent dans la terre ou dans les solutions nutritives où l'on 
fait végéler des plantes, ils deviennent la proie des microbes. 
Il faut donc les rechercher dans les milieux stériles où l’on fait 
germer des graines. 

Prenons quelques lots. de dix semences de vesce de Nar- 
bonne bien stérilisées; plaçons-les, dans un vase d'Erlenmever, 
sur une couche de coton recouvrant des fragments de verre 
immergés dans de l’eau distillée, le tout préalablement stérilisé 
à 120°. 

Sur ce nombre de récipients, quelques-uns sont toujours con- 
taminés par des germes apportés par les graines; on les rejette. 

Quand les jeunes plantes ont formé une ou deux feuilles, on 
change le liquide des ballons et on le remplace par de l’eau 
distillée stérile. On fait cette opération tous les deux ou trois 
jours en s’assurant avant chaque prise, par des ensemencements 
sur gélose, que les cultures ne sont pas contaminées. On sou- 
met au fur et à mesure le liquide recueilli à une ébullition pro- 
longée, afin d'être toujours sûr de le conserver à l'abri des 
microbes. 

Au bout de quinze jours, on a accumulé ainsi un demi-litre 
d'eau de germination. Cette eau évaporée à 30 ou 40°, bouillie 
avec une goutte d'acide chlorhydrique, et essayée par la liqueur 
de Fehling, donne un précipité d’oxydule de cuivre caractéris- 
tique de la présence d’hydrates de carbone ‘ 


1 Je me suis proposé de déterminer par le même procédé la nature de l’acide 
mis en liberté par les racines ; dans ce but, j'ai évaporé à sec 200 c. c. d’eau de 
germination ; l’extrait a été épuisé par l'éther. 

Celui-ci évaporé à son tour laisse au fond de la capsule un enduit liquide 
presque imperceptible, fortement acide au papier de tournesol ;"on le redissout 
dans de l’eau distillée, on fait agir à l’ébullition de l’oxyde de zinc pur préparé au 
laboratoire, on filtre, et on fait évaporer très lentement dans un verre de montre, 
à l'abri des poussières. Le récipient se recouvre de fines stries concentriques dans 
lesquelles on distingue au microscope de petites aiguilles enchevétrées, caracté- 
ristiques du lactate de zinc. 

L’extrait épuisé par l'éther, redissous dans deux ou trois centimètres cubes 
d'eau distillée, n’est plus acide. 


20 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


Nous avons donc le droit de rechercher si les hydrates de 
carbone, les plus communs dans le règne végétal, exercent une 
action chimiotaxique sur le bacille des légumineuses. 

Je me suis servi, pour faire ces recherches, d’un tube à 
essai de 20 centimètres de longueur sur 
deux de diamètre, divisé en deux comparti- 
ments par une cloison en verre; lecomparti- 
ment supérieur à 8 centimètres de hauteur, 
l’inférieur en a 12. Celui-ci porte une tubu- 
lure latérale, de même diamètre que le 
tube principal; elle est fixée au-dessous de 
la cloison. On la ramène, par une courbure 
convenable, dans la position verticale; son 
ouverture se trouve dans le même plan que 
celle du tube. Un tube capillaire très fin, 
d’une longueur de 8 centimètres, fixé à la 
cloison au moyen d'une soudure intérieure, 
met les deux chambres en communication. 
Son extrémité supérieure affleure de quel- 
ques millimètres au-dessus de la cloison. 
L'autre extrémité porte une courbure dont 
la petite branche a 5 millimètres de lon- 
gueur. On souffle une ampoule au tiers 
inférieur ; elle a un diamètre de 8 à 10 mil- 
limètres. 

Remplissons cet appareil d’un liquide 
stérile, de facon à faire affleurer la surface 
libre à une hauteur de 2 centimètresenviron 
au-dessus de la cloison. Placons, dans Ja 
chambre supérieure, une trace d’un corps soluble convenable- 
ment choisi, et laissons tomber dans la chambre inférieure, 
par la tubulure latérale, deux gouttes d’une dilution de cul- 
ture jeune sur gélose d’un microbe mobile, faite avec un 
liquide identique à celui qui remplit l'appareil. Si la substance 
qui diffuse à travers la colonne liquide du tube capillaire 
exerce une attraction sur les microbes, ceux-ci pénètrent 
dans le tube et montent peu à peu dans la chambre supé- 
rieure où la concentration du liquide est la plus forte. 

Ou pourra y constater leur présence en faisant, à des inter- 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 21 


valles de temps plus ou moins espacés, des ensemencements sur 
gélose avec des prises de liquide. 

L'’ampoule du tube capillaire et la position latérale de son 
ouverture inférieure ont pour but d'empêcher le passage 
accidentel des microbes dans la partie supérieure du grand 
tube, par un entrainement de liquide occasionné soit par les 
chocs, soit par une légère dénivellation des deux surfaces libres. 

J'ai fait un grand nombre d’essais avec le microbe des 
nodosités et les hydrates de carbone. Comme milieu, j'ai 
employé de l’eau physiologique, du bouillon de haricots et de 
l'eau de terre. C’est ce dernier liquide qui m'a fourni les 
meilleurs résultats. 

J'ai fait agir le saccharose, le glucose, l’amidon soluble, et 
de l’eau distillée stérile dans laquelle avaient germé des 
semences de vesce de Narbonne; chacune de ces substances 
était répartie dans trois tubes à raison de quatre gouttes d’une 
solution à 2°/, dans chaque tube; dans chacun d’eux on 
introduisait ensuite deux gouttes d’une dilution, dans de l’eau 
de terre, de culture sur gélose âgée de deux jours. On opérait 
en même Lemps sur trois tubes témoins qui ne recevaient que 
des microbes. Inutile d'ajouter que toutes ces opérations exigent 
l'emploi de milieux stériles et des cultures pures. Elles ont été 
faites à une tempéralure moyenne de 23-25°. 

Deux chiffres permettent d'apprécier l’action exercée par 
chacune des substances employées : 1°le temps que les microbes 
mettent à franchir une colonne liquide de 8 centimètres ; 2° le 
nombre des microbes qui franchissent ce trajet dans un temps 
donné. | 

Je n’ai employé que le premier procédé, car les hydrates de 
carbone favorisent la multiplication des microbes, et la question 
de numéralion s’en trouve faussée. 

En faisant des prises de semence toutes les quatre heures, 
j'ai constaté de celte facon que les tubes qui ont recu du saccha- 
rose et du glucose donnent tous régulièrement des ensemence- 
ments positifs au bout de 8 heures. — Les tubes témoins ne 
donnent des résultats qu'au bout de 12 heures ; ils sont tous 
fertiles au bout de 16 heures. Les tubes additionnés d’amidon 
soluble ne présentent qu’une légère avance sur les tubes témoins. 
Ceux qui ont recu de l'eau de germination accusent générale- 


22 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ment un léger retard sur les témoins ; les prises de liquide ne 
donnent pas toujours des ensemencements positifs après seize 
heures. 

En résumé, les résultats sont les suivants : les hydrates de 
carbone attirent les microbes des nodosités ; l’eau de germination 
semble les repousser. 

La raison de cette contradiction n’est pas difficile à découvrir; 
l'eau de germinalion est légèrement acide, et, de plus, elle ne 
contient que des quantités infinitésimales d’'hydrates de carbone. 
Si l’action des acides n'est pas éliminée par la réaction alcaline 
des milieux, elle se traduira toujours par un retard très sensible, 
ear les acides, employés à raison de deux ou trois gouttes d'une 
solution à 1/1000 par tube, suffisent pour conserver la stérilité 
du liquide des chambres supérieures pendant plus de 24 heures. 
Quelquefois, les prises de semence redeviennent stériles après 
avoir donné des résultats positifs. Si l'alcalinité de l’eau de terre, 
par exemple, est suffisante pour neutraliser l'acidité de l’eau de 
germinalion, on constate encore que les microbes ne parviennent 
pas, dans la partie supérieure des tubes, plus vite que dans les 
témoins. Il faut donc admettre que les racines des légumineuses 
n’émettent pas, abstraction faite des hydrates de carbone, une 
substance spécifique capable d’exercer une action chimiotaxique 
sur les microbes du sol. 

Nous aurions pu étudier aussi l’action de quelques sels, en 
particulier des nitrates, car on se rappelle que nous nous sommes 
proposé d'expliquer l'influence de ces corps sur la formation 
des tubercules radicaux. Mais l'explication découle tout naturel- 
lement de ce qui précède. Nous n'avons qu’à nous rappeler le 
rôle physiologique des nitrates dans l’organisme des végétaux ; 
MM. Lœw! et Olto® ont démontré qu'ils sont utilisés dans les 
feuilles principalement et dans tous les organes en voie de déve- 
loppement. Ils se combinent aux produits résultant de l’assimi- 
lation chlorophyllienne pour former des corps quaternaires. 

En nous appuyant sur ces observations, nous pouvons affirmer 
que si la plante trouve dans le sol assez de nitrates pour absorber 
les hydrates de carbone élaborés par les organes verts, la sève 
descendante n’en renfermera que très peu, et, par suite, les poils 


1. Compte rendu dans les Annales agronomiques, t. XVI. 
2. Ber. d. d. bot. Gesellsch., t. VII. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 923 


absorbants n'en perdront pas par diffusion; les microbes du sol 
ne seront pas attirés et il ne se formera pas de nodosités. C’est 
le cas des terres riches. Les rares tubercules qui peuvent se 
développer restent chétifs parce qu’ils sont dépourvus d’aliments 
hydrocarbonés. Au contraire, si le sol renferme peu de nitrates, 
leshydrates de carbone circulent dans toutes les parties dela plante 
parce qu'ils sont en excès sur les aliments azotés; ils parviennent 
ainsi vers les extrémités végétatives des racines, et de là se ré- 
pandent dans la terre. Les bacilles des légumineuses, attirés par la 
présence de cetaliment, envahissentlesrégionspilifères, parceque 
c’est dans l'intérieur même des cellules que les liquides sont le 
plus riches en hydrates de carbone, car, évidemment, les mêmes 
phénomènes que nous avons observés avec nos tubes à chimio- 
taxie se passent dans la nature. 

Nous voyons donc que la question de la symbiose des légu- 
mineuses est réglée d’un bout à l’autre par le jeu naturel et 
simple des forces physiques que la vie met continuellement en 
action. Les plantes vertes disposent, dans les radiations solaires, 
d’ure source d'énergie inépuisable; mais elles ne peuvent 
l'utiliser pour triompher de l’inertie de l'azote. On a vu par quel 
mécanisme les légumineuses y parviennent; grâce à cette 
propriété, elles sont aussi intéressantes au point de vue biolo- 
gique qu'au point de vue agricole. Elles peuvent, suivant les 
conditions, vivre de la vie indépendante des autres plantes supé- 
rieures, ou de la vie saprophyte par l'intermédiaire des bacilles, 
ou bien encore des deux simultanément. 

Cette dernière remarque nous permet d’aller au-devant d'une 
objection qui se présente ici : l'émission d'hydrates de carbone 
n’est pas particulière aux légumineuses, car ces composés se 
rencontrent dans tous les végétaux; pourquoi n’y a-t-il pas 
symbiose avec d’autres plantes? Remarquons que le carac- 
tère spécifique des légumineuses ne réside pas dans cette pro- 
priété de diffuser des hydrates de carbone, mais bien dans la 
faculté d'utiliser directement les composés quaternaires fabriqués 
par les microbes des nodosités aux dépens de l'azote libre. 

Toutes les plantes privées de cette propriété se conduisent, 
vis-à-vis du bacille des nodosités, comme elles se conduisent à 
l'égard d'un microbe quelconque; elles se défendent par tous 
les moyens dont elles disposent. | 


24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


VI 


CONCLUSIONS 


Les microbes des nodosités fixent l’azote libre sans le 
secours de la plante; il suffit pour cela de les placer dans les 
conditions les plus favorables à leur développement. Nous avons 
montré qu'il faut aérer énergiquement les culiures et introduire 
dans les milieux nutritifs une quantité de saccharose qui ne peut 
pas être inférieure à 2 0/0. 

Le bacille se montre assez exigeant sur la nature de l’azote 
organique; la légumine lui convient très bien; elle permet au 
bacille d'utiliser le mieux possible l'énergie latente du saccha- 
rose en vue de la fixation de l’azote libre. C’est dans ces condi- 
tions seulement qu'il se montre capable de faire la synthèse 
d’une quantité appréciable de matière azotée. 

Le rapport qui existe entre l'azote combiné et le sucre 
fourni aux microbes influe sur le résultat final. Celui qui nous 
a donné le meilleur rendement est 1/200 ; nous avons plus que 
doublé la richesse en azote des milieux de culture; le rapport 
de l’azote fixé au sucre consommé est sensiblement supérieur à 
1/100. C’est à peu près le rapport qui existe entre l’azote total et 
le saccharose dans une betterave à sucre. De cette comparaison, 
nous avons pu conclure que la fixation de l’azote libre dans nos 
cultures a été à peu près aussi active que dans les nodosités. 

Dès le début de nos expériences, notre attention a été vive- 
ment frappée par l’abondance de la mucosité qui se forme dans 
les cultures; nous avons établi qu’elle ne résulte pas d’une 
transformation isomérique du saccharose; nous avons constaté 
qu'il y a une relation étroite entre la quantité d’azote fixée et 
l’abondance de cette substance dans les cultures ; sa solubilité 
dans l’eau, sa propriété de passer à travers les membranes, son 
absence dans les nodosités, bien que les bacilles transportés sur 
des milieux artificiels en élaborent dans les 24 heures, nous ont 
conduit à la considérer comme une matière azotée provenant de 
la fixation de l'azote libre, et servant de trait d'union entre 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 25 


la plante et son hôte. Pour le microbe, c’est un produit de 
désassimilation, et c’est pour cela précisément que le bacille des 
nodosités ne peut pas se développer si on ne lui fournit que de 
l'azote libre. Pour la plante, au contraire, c'est un élément 
directement assimilable. 

En rapprochant les observations de MM. Prazmowski et 
Prillieux, nous avons pu établir que le pseudo -mycélium des 
Jeunes nodosités n’est pas une forme de transition du microbe 
des légumineuses. Il résulte d’une accumulation de mucosité 
autour des coccobacilles qui envahissent les cellules, il disparaît 
dès que la circulation est assez active pour dissoudre et entrai- 
ner cette substance. Ce n’est qu'à partir de ce moment seule- 
ment que les formes ramifiées se montrent : nous verrons sous 
quelles influences elles naissent, en même temps que nous com- 
pléterons, dans un troisième mémoire, l’histoire des microbes 
qui pénètrent dans les racines. 

Pour le moment, rappelons que nous avons obtenu dans nos 
cultures des formations analogues sinon identiques. Rappelons 
également que ce pseudo-mycélium ne résiste pas aux procédés 
de préparation microscopique employés pour tous les autres 
microorganismes. Nous compléterons aussi cette dernière 
remarque. 

L'utilisation du nitrate par les microbes des nodosités nous 
prouve que la rareté des tubercules radicaux sur les racines des 
plantes cultivées dans les sols riches en matières azotées n’est 
pas due à une influence nocive exercée par ces produits sur le 
développement des microbes. Nous avons montré qu’elle est 
la conséquence d’une double cause : l’action attractive exercée 
par les hydrates de carbone mis en liberté dans la région des 
poils absorbants, et l'influence mutuelle que ces composés et les 
azolates exercent les uns sur les autres dans les tissus mêmes 
de la plante. 


PRODUCTION 


DE LA 


TOXINE DIPHTÉRIQUE 


Par M. ze D' Lours MARTIN 


Chef de laboratoire à l’Institut Pasteur. 


Plus on avance dans l'étude de la production des toxines et 
plus on voit que les microbes doivent être cultivés dans des 
conditions spéciales qu’il importe de bien déterminer lorsqu'on 
veut qu'ils remplissent au maximum leur fonction toxigène. 


ÉTUDE DES MILIEUX DE CULTURE 


SL. Influence de l'acidité du milieu. — Dans leur premier 
mémoire de 1888, MM. Roux et Yersin ‘ obtiennent de la toxine 
diphtérique en cultivant le bacille diphtérique dans du bouillon 
de veau peptonisé:; ils constatent que le bouillon de culture préa- 
lablement alcalin devient acide dans les premiers jours de la 
culture et redevient alcalin ensuite. Ils démontrent en outre que 
la toxine se forme au moment où l'acidité diminue, et que son 
activité augmente en même temps que l’alcalinité. 

Ces faits ont été vérifiés par tous les expérimentateurs, qui se 
sont toujours guidés sur la marche de l’alcalinité dans la prépa- 
ration de la toxine diphtérique. 

Celle-ci apparaît d’autant plus vite que le bouillon redevient 
plus rapidement alcalin; c’est pour cela que MM. Roux et Yersin 
ont essayé de diminuer la période d’acidité, en faisant passer un 
courant d’air sur la culture. 

Dans tous les travaux parus depuis lors, on a toujours cher- 
ché à expliquer et à éviter la production d'acide. 


1. Annales de l'Institut Pasteur, décembre 1888. 


LL. 


min dent dé 


ue, LY 
: 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 27 


M. Spronck! a accuséla qualité des viandes employées ; tandis 
que Park et Williams * ont insisté sur l’alcalinisation préalable 
des bouillons. 

Dans l’étude qui va suivre, je m’efforcerai de préciser et de 
compléter les travaux de ces savants, en indiquant de nouvelles 
causes qui favorisent la formation de la toxine et en signalant 
les circonstances qui la contrarient. 

S IF. Influence de l'aération des cultures. — Pour diminuer la 
durée de la période d’acidité des cultures du bacille diphtérique, 
MM. Roux et Yersin répartissaient le bouillon peptonisé dans 
des ballons Fernbach qu'ils ensemençaient et plaçaient à l’étuve 
pendant 24 heures. 

Lorsque la culture était bien développée, ils mettaient les 
tubulures des ballons en communication avec une trompe 
aspirante, et de cette façon la culture se trouvait largement 
aérée ; on obtenait ainsi facilement en 15 jours des toxines actives, 
au dixième, au vingtième ou même au trentième de €. c€., 
pour un cobaye de # à 500 grammes ; tandis qu’il fallait un mois 
et plus pour obtenir sans courant d’air, avec le même milieu et 
le même microbe, des toxines aussi actives. 

MM. Roux et Yersin indiquaient déjà, dans leur 3° mémoire ?, 
que les changements dans les réactions sont plus rapides dans 
les cullures aérées. 

Pour préciser la question, j'ai fait plusieurs expériences qui 
toutes démontrent que le courant d’air diminue la période d’aci- 
dité, et par suite permet une production plus hâtive de la toxine 
lorsque cette période d’acidité existe *, 

Du reste, les travailleurs qui, après le Congrès de Budapest, 

4. Annales de l'Institut Pasteur, 1895. 

2. The Journal of Experimental Medicine, 1896, p. 1. 

3. Annales de l'Institut Pasteur, 1890. 

4. Expériences : Prenons deux ballons de même forme, mettons dans chacun 
la même quantité du même liquide, faisons passer un courant d’air dans l’un et 
laissons l’autre sans courant d’air. 
le ballon aéré est alcalin à la phtaléine. 
le ballon non aéré n’est pas alcalin à la phtaléine. 

Après 7 jours, les deux ballons sont alcalins à la phtaléine. Mais si nous dosons 
l’alcalinité, nous voyons que, dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est neutralisé 
par 32 c. c. d'acide oxalique normal; dans le ballon aéré, 1 litre de bouillon est 
neutralisé par 25 c. c. d’acide oxalique normal. 

Voici une autre expérience : 


. Prenons un bouillon dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide; 
si on ajoute de la glycérine, il y aura production d’acide.5 


Après 3 jours 


28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ont voulu produire de la toxine diphtérique avec du bouillon 
peptonisé, ont en général adopté l’emploi du courant d’air qui 
permettait d'obtenir des toxines plus rapidement et surtout plus 
régulièrement, Toutefois, en Allemagne, bien des auteurs, avec 
Aronson’, ont affirmé que sans courant d’air on pouvait obtenir 
rapidement de la bonne toxine. 

Cela tenait à ce que dans les milieux qu’ils employaient, le 
bacille diphtérique ne donnait pas d'acide ou en donnait peu; 
ces auteurs se servaient surtout de solutions peptonisées 
d'extraits de viandes. 

Il est facile de se convaincre que dans les solutions pepto- 
nisées (avec certaines peptones du moins), le bacille diphtérique 
pousse sans changer la réaction du milieu. Ce fait très important 
n'a pas attiré l'attention autant qu'il le méritait. 

MM. Roux et Yersin font passer de l’air sur leurs cultures 
pour les rendre plus rapidement alcalines ; mais si nous avons 
des milieux où le bacille diphtérique ne donne pas d’acide, 
l'emploi du courant d'air sera-t-il encore utile ? 

Faisons l'expérience : dansles bouillons qui restent constam- 
ment alcalins, la toxine apparaît dès les premiers jours; mais, 
même dans ce cas, les cultures aérées deviennent plus rapide- 
ment toxiques. 

Après 48 heures, on a, dans les cultures aérées, de la toxine 


Dans deux ballons ajoutons 1 6/0 de glycérine. 

ballon aéré, acidité 8. 
ballon non aéré, acidité 29. 
Dans deux ballons ajoutons 2 0/0 de glycérine. 

( ballon aéré, acidité 12. 

| ballon non aéré, acidité 37. 
Dans deux ballons ajoutons 5 0/0 de glycérine. 

ballon aéré, acidité 19. 
ballon non aéré, acidité 45. 

On voit que, dans tous les cas, la production d’acide est moindre dans les ballons 
aérés que dans les ballons non aérés. 

Les expériences de M. Louis Cobbett publiées dans les Annales de l'Institut 
Pasteur, t. XI, p. 260 arrivent au même résultat. 

Si on ajoute à un bouillon qui ne donne pas d’acide 0,15 0/0 de glucose, l’acide 
le produit et l’alcalinité succède à l’acidité après 8 jours. 

Dans les ballons aérés, l’alcalinité est de 15. 

Dans les ballons non aérés, l’alcalinité est de 4. 

Nous ne voyons pas pourquoi l’auteur conclut que l'influence du courant d’air 
ne ressort pas clairement de cette expérience; pour la rendre plus probante, il 
suffirait d'augmenter la dose de glucose et on aurait un bouillon acide dans les 
ballons sans courant d'air. 

1. AroNsoN, Wiener Med. Wochenschr. 1894. No 46-48. 


Après 48 heures de culture 


Après 48 heures de culture 


Après 48 heures de culture 


PRODUCTION DE LA TOXINE DiPHTÉRIQUE. 29 


active au cinquantième, tandis que le liquide des cultures non 
aérées tue seulement au dixième. Toutefois, après4 jours, les cul- 
tures non aérées contiennent, elles aussi, des toxines actives 
au cinquantième. 

On voit par cette expérience que l’aération donne un gain de 
quelques heures ; cette plus grande rapidité dans la production 
des toxines ne compense pas les complications d’appareillage 
qu'elle exige. 

Mais on sait que la toxine diphtérique s’oxyde facilement ; 
l’aération, qui, au début, en facilite la production, détruira en 
partie la toxine formée si elle est prolongée; aussi, dès le cin- 
quième jour, la toxine diminue dans les cultures aérées , tandis 
que cette diminution ne devient réellement appréciable qu'après 
le 8° ou le 10° jour dansles cultures non aérées. 

La conclusion est donc que l’aération des cultures est utile 
lorsqu'on se sert de milieux de cultures dans lesquels le bacille 
diphtérique produit des acides ; mais on peut la supprimer lors- 
qu'on emploie des milieux qui deviennent rapidement alcalins 
ou mieux qui restent toujours alcalins. 

C'est de l’obtention de ces milieux que nous allons nous 
occuper maintenant. 

S IT. Alcalinisation préalable des milieux. — C'est certaine- 
ment avec le mémoire de Park et Williams! qu’un grand pro- 
grès a été réalisé dans la production des toxines diphtériques. 

Avant ces savants, on avait des toxines actives au 1/10 au 1/20 
ou au 1/30 de centimètre cube; ils ont obtenu une toxine active 
au 1/100 et même au 1/200. 

Kossel ?, quelques mois après, fait paraître un travail sur la 
production des toxines; ses résultats sont semblables à ceux des 
auteurs précédents. 

D’après Park et Williams, pour obtenir des toxines très 
actives, 1l faut bien alcaliniser les bouillons de culture; voici 
du reste leurs conclusions : «Les meilleurs résultatssont obtenus 
avec du bouillon qui, après avoir été neutralisé, est additionné 
d'environ 7 €. c. de soude normale par litre. » 

Pour neutraliser le bouillon, on se sert, comme indicateur, de 


1. The Journal of Experimental Medecin, vol. 1, pag. 1. 
2. Kossez, Centralblatt für Bact., Abth. I 1896. 


30 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la teinture de tournesol ; le mieux est de préparer un tube 

témoin contenant de l’eau distillée et de la teinture detournesol 
amenés à la teinte sensible; c’est à ce tube témoin qu'on compa- 
rera Je tube de bouillon. ” 

Si l'on se sert de papier de tournesol, il faut qu'il soit bien 
sensibilisé; il est plus sûr de le préparer soi-même. 

Quand le bouillon est neutre au tournesol, on doit ajouter, 
par litre de bouillon peptonisé à 2 0/0, 7 c. ec. de soude normale. 

Autrefois on disait que Île bouillon, pour donner une bonne 
toxine, devait être alcalin au tournesol et acide à la phtaléine; 
il est facile de se convaincre que l’alcalinité réclamée par Park 
et Williams correspond à cette réaction; mais nous devons 
savoir gré aux auteurs d’avoir précisé les conditions de lPalcali- 
nisation. 

Toutefois, si cette règle doit être absolument observée, on ne 
peut pas dire, comme Park et Williams, que « l'abondance de 
la culture et la production de la toxine dépendent plus de la 
réaction du bouillon que de toute autre chose ». En ne tenant 
compte que de l’alcalinité du milieu, on a dans les premiers 
jours une production d'acide, comme en témoigne le tableau ci- 
joint emprunté au mémoire de Park et Williams. 


TABLEAU VII 


MONTRANT LA RELATION ENTRE LA RÉACTION DU BOUILLON DE CULTURE 
ET LA QUANTITÉ DE TOXINE 


CULTURES 
pÜ ne .  ——_— RE rs 
3 Oo 3 . : . . . ee . Che 
BACILLE N° 8 | Réaction, | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. | Réaction. | Toxicité. 
1 0/0 peptone ; lécer : mort en rt en 
1° Pep à acide, = acide. Ê , | neutre. mo neutre. _ 
0 c. c. alcali. . | œdème. 4j. 1/2 40 heur. 
1 0/0 peptone, £ lécer 4 mort en mort en * 
é. (RER 3 acide. = acide. : alcaline. alcaline. == 
5 c. c. alcali. œdème. 24 heur. 23 heur. 
‘ 
20/0 de peptone, : léger : mort en : mort en é 
/ pep À acide. 5 acide. |. . acide. acide. == 
Oc.c. alcali. ædème. > jours. 10 heur. 
2 0/0 de peptone, : mort en . mort en 4 mort en À 
! PSP : acide. e acide. |, alcaline. alcaline. Cast 
5 c. c. alcali. 3 jours. 10 heur. 40 heur. 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 31 


Enfin, dans certains cas, on constate des irrégularités dans la 
production de la toxine. 

Voici des exemples empruntés au mémoire de Park et 
Williams : 

« Sur 14 lots examinés, dans tous, sauf dans trois, la produc- 
tion des toxines est rapide. 

« Dans un lot, la culture du bacille et la production de la 
toxine ont été extrêmement intéressantes, étant tout à fait 
semblable à la description classique donnée par MM. Roux et 
Yersin. 

« Durant le premier jour, les bacilles ont poussé vigoureu- 
sement et une pellicule assez épaisse s’est formée. 

« Après 24 heures, la réaction alcaline du début était changée 
« en une légère acidité; la culture du bacille diminuant, la pelli- 
« cule tombait partiellement au fond du vase de culture et ne se 
« reformait pas immédiatement ; ces conditions se maintiennent 
« jusqu’au 12° jour où l'acidité commençait à diminuer ; au 
« 16° jour, la pellicule était reformée, le bouillon était trouble et 
« alcalin. 

« [l n’y avait pas de toxine au 12° jour, il y avait de la 
« toxine forte au 18e. 

« Dans deux autres échantillons, la culture restait acide et i! 
« n’y eut pas de toxine formée ‘. » 

Lorsqu'on étudie de plus près la production de la toxine 
diphtérique, on voit que des bouillons parfaitement alcalinisés 
se refusent parfois à donner de la toxine. 

Pour éviter ces accidents, il faut supprimer la période 
d'acidité. Voyons s’il existe un milieu dans lequel le bacille 
diphtérique pousse sans donner d'acide à aucun moment et en 
produisant de la toxine. 

S IV. Préparation d'un milieu favorable à la production de la torine 
diphtérique. — M. Spronck? a indiqué dans son mémoire que, 
dans les bouillons d'extraits de viande, le bacille diphtérique ne 
donne pas d'acide; malheureusement les extraits de viande ne 
se ressemblent pas, et les peptones qu'on y ajoute contiennent 


A 


4. Je tiens à remercier Mie Williams de l’amabilité avec laquelle elle à bien 
voulu me donner une culture de son microbe toxigène (n° 8); c’est ce bacille qui 
est désigné dans le cours de ce travail sous le nom de microbe américain. 

2. Annales de l'Institut Pasteur, 1895. 


32 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR, 


quelquefois des produits qui permettent la production d’acide. 

Avec ces substances qu’il ne peut fabriquer lui-même, l’expé- 
rimentateur n’est jamais sûr du résultat. 

Voici un bouillon que tout le monde peut préparer, dans 
lequel le bacille ne donne jamais d'acide et cependant pousse 
assez abondamment. 

Bouillon d'estomac de porc. — C’est une eau peptonisée qu’on 
fabrique soi-même avec des estomacs de porcs; ces estomacs, 
appelés panses dans le commerce, nous fournissent ce que nous 
appellerons pour plus de simplicité le bouillon de panse. 

Pour l'obtenir, nous prenons des estomacs de porcs et nous 
broyons ou hachons ensemble les tuniques muqueuse et mus- 
culaire. Pour éviter autant que possible les variations qui 
pourraient survenir par suite de la quantité variable de pepsine 
de chaque estomac, nous prenons ordinairement cinq panses, 
pour une opération. 

Placons ce hachis dans l’eau acidulée à 50°, dans les pro- 
portions suivantes : 


Hachstd estomac delporc rem Ce ne 200 grammes. 
Acide CHOTAYATITUEMDUT: RACE EE 10 — 
au A UbD00 ET ER RCE ERA RARE 1000 — 


L'eau doit être maintenue à 50°, car à cette température la 
pepsine de la muqueuse stomacale digère plus activement les 
tissus et les transforme en peptone ‘. 

Après 12 heures, l'opération est généralement terminée; on 
peul sans inconvénient attendre 24 heures : dans ce milieu très 
acide, il ne se développe pas de microbes. Lorsque la digestion 
est achevée, on chauffe le bouillon d'estomac de pore à 100, 
on détruit ainsi la pepsine en excès; puis on le passe au tamis, 
ou mieux on le filtre sur une couche de coton hydrophile peu 
épaisse et peu serrée, on chauffe le liquide filtré et on l'alcalinise 
au moment où le liquide atteint environ 80°. 

Dans le liquide, de gros flocons se forment qui le clarifient. 

Après l’alcalinisation, il est utile de filtrer le bouillon sur 


4. On peut sans inconvénient, pour améliorer le milieu et l’adapter à certains 
microbes, mettre à digérer des organes, par exemple du poumon, des intestins, 
du placenta ou des muscles; il y a suffisamment de pepsine pour digérer les 
fibres de l'estomac et les autres matières albuminoïdes. 


ET it dé mms tuant TMS 9 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39 


papier; 1] faut ensuite chauffer à 120°, filtrer sur papier, réparür 
dans les vases de culture qu’on stérilise en chauffant 1/4 d'heure 
à 4150 !. 

Le liquide obtenu par cette auto-digestion de l'estomac est 
une véritable solution de peptone, dans laquelle le bacille diphté- 
rique se développe bien sans fournir d'acide; la peptone ainsi 
préparée donne des résultats plus constants que les peptones 
commerciales dont la composition est si variable *. 

Avec ce milieu, on obtient de la toxine dont 1/100 de centi- 
mèlre cube tue un cobaye de 500 grammes; toutefois, si on lui 
ajoute de la macération de viande, la toxine est plus active 
encore. 

L'addition de 2 grammes d’acide acétique par litre avant 
l'alcalinisation rend le milieu plus favorable à la production de 
la toxine. Le mélange de bouillon de panse et de macération de 
viande est encore préférable. 

Il est à désirer que l’on arrive à supprimer tout à fail l'em- 
ploi de la viande, dont les inconvénients sont nombreux, comme 
nous allons le voir. 

Macération de viande. — Tous les expérimentateurs sont d’ac- 
cord pour rejeter la viande de cheval qui ne donne pas des résul- 
tals aussi réguliers que la viande de bœuf ou de veau. Je me 
suis servi surtout de viande de veau. Mais faut-il employer des 
viandes très fraîches cu très anciennes ? 

C’est M. Spronck qui le premier a eu le mérite d’attirer 
l'attention sur ce fait que les bouillons obtenus étaient très 
différents suivant l’état de la viande employée. D'après 


1. Quelquefois le bouillon de panse est louche; si on chauffe à 1200 cela n’a 
pas d’unportance, car le bouillon se clarifie à l’autoclave. Si on veut seulement 
chauffer à 100, il faut avoir soin de bien écumer le bouillon comme on écume 
un pot-au-feu, puis on le laisse refroidir et on enlève la graisse solide qui sur- 
nage. Si, malgré ces précautions, le liquide était louche, on le clarifierait sûrement 
en ajoutant, avant de l’alcaliniser, un fragment de chlorure de calcium et immé- 
diatement après un morceau de phosphate de soude. 

Une pratique meilleure est de chauffer la macération d’estomac de porc tous 
les deux jours à 100; après trois ou quatre chauffages, le liquide se clarifie très 
facilement. 

2. Dans le milieu ainsi préparé, plusieurs microbes se développent bien. 

M. Salimbeni s’est assuré que le vibrion cholérique y pousse abondammerit 
et y donne la réaction du roth-choléra. 

J'ai constaté que le bactérium coli y donne aussi la réaction de l'indol. 

Ce milieu peut se préparer d'avance, il est peu coûteux; son usage rendra des 
services dans les laboratoires. 


D) 


34 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


M. Spronck ‘, « si la viande est toute fraîche, le bacille diphté- 
rique transforme rapidement le milieu alcalin en milieu acide, 
ce milieu devient de plus en plus acide et reste acide. 

« Si la viande a séjourné quelques jours chez le boucher, elle 
contient moins de glucose ; la culture du bacille dans ce milieu 
est d’abord acide, mais devient ensuite alcaline comme dans les 
expériences de MM. Roux et Yersin. 

« Enfin si le boucher fournit une viande ancienne dégageant 
une légère odeur, on obtient avec cette viande un milieu très 
favorable pour la production d’une toxine aclive, car dans ce 
milieu la culture ne devient jamais acide. » 

Toutes ces expériences de M. Spronck sont faciles à répéter, 
cependant je ne voudrais pas affirmer que les viandes très frai- 
ches soient moins favorables à la production des toxines que les 
viandes de deux ou trois jours. En effet, M. M. Nicolle ? conseille 
d'employer de la viande d’un animal qui vient d’être abattu, pour 
obtenir de la bonne toxine. 

Comme M. Nicolle, j'ai pu obtenir de la toxine active avec 
des viandes très fraîches ; mais à Paris on éprouve de grandes 
difficultés pour obtenir de la viande du jour. 

Ainsi que l’a dit M. Spronck, avec la viande putréfiée, on a 
des cultures qui restent constamment alcalines et poussent bien. 
Mais à quel moment faut-il arrêter la putréfaction ? Dans quelles 
conditions doit-elle s’opérer? M. Spronck n’a pas donné de 
règles fixes, il a simplement indiqué que cette putréfaction 
devait détruire les sucres de la viande. 

Pour arriver rapidement au même résultat, M. Roux nous a 
conseillé d'employer une viande fermentée ; pour cela, il nous 
faisait ajouter à la macératicn de viande de la levure et le tout 
était porté à l’étuve à 35°; il est facile, toutefois, de se convaincre 
qu'il est inutile d'ajouter de la levüre et qu'il suffit de placer la 
macération de viande 20 heures à l’étuve à 35°; on obtient avec 
cette macéralion un bouillon qui ne donne pas d’acide lorsqu'on 
l'ensemence avec du bacille diphtérique. 

Ce procédé n’est qu’une modification de celui de Spronck, 
mais il est plus simple et plus rapide. 

Après de nombreux essais comparatifs, la macération de 


1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895. 
9. Annales de l’Institut Pasteur, 1896. 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 30 


viande faite à la température de 35° s’est toujours montrée supé- 
rieure aux autres milieux ; depuis que nous employons ce 
procédé, jamäis nous n'avons eu d’acidité dans les cultures. 
Toujours le développement du bacille a été abondant et la pro- 
duction de la toxine rapide et régulière. 

Voici la technique que nous conseillons de suivre : hacher 
de la viande de veau, mettre 500 grammes de ce hachis par litre 
d’eau et placer le tout à l’étuve à 35° pendant 20 heures ; expri- 
mer la viande et, au liquide recueilli, ajouter 5 grammes de sel 
marin par litre, peptoniser, alcaliniser et stériliser. 

Nous avons déjà dit quel était le meilleur moyen pour alcali- 
niser le bouillon, voyons quelle peptone il faut ajouter. 

Peptonisation. — Je n’apprendrai rien à personne en disant 

que les peptones sortant d’une même fabrique ont rarement la 
même composition; j'ai utilisé les échantillons les plus variés. 
De tous ces essais, je pourrais conclure qu'il y a des peptones 
commerciales qui donnent le plus souvent de fortes Loxines; 
mais de temps en temps, même pour les marques les meilleures, 
on trouve des échantillons qui ne fournissent plus d'aussi bons 
résultats : aussi vaut-il mieux préparer soi-même la solution de 
peptone. 

Voici comment je procède : 

Je prends 1 litre de macération de viande de veau fermentée 
à 35° et j'ajoute 5 grammes de sel marin. 

A cette macération de viande, je mélange 1 litre de la solution 
de peptone déjà alcalinisée, filtrée et préparée commeil a été dit 
plus haut avec les estomacs de pores. 

Quand on a mélangé par parties égales la macération de 
viande à 35° et le bouillon de panse de porc, on chauffe le mélange 
à 70° jusqu’à coagulation des matières albuminoïdes, on filtre 
sur papier, on alcalinise et on stérilise. 

Stérilisation. — Dans tous nos essais, nous avons vu qu'on 
obtient un très bon milieu en chauffant ce mélange à 70°, en 
l’alcalinisant comme l'indiquent Park et Williams, et en le stéri- 
lisant par filtration sur bougie Chamberland. 

Jusqu'ici c'est le milieu qui nous a paru le plus satisfaisant. 

Cest avec ce milieu que nous avons obtenu des toxines 
tuant au 1/500, soit à 0 c. c. 002, les cobayes de 500 grammes. 

C’est dans ce milieu que nous ensemençons les microbes 


36 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. - 


qui donnent une cullure peu abondante ou qui poussent en pro- 
fondeur, pour qu'ils s’habituent à pousser en surface. Ils 
s'adaptent très vite à ce milieu, s'y régénèrent et font une toxine 
active. 

Je pourrais citer de nombreuses expériences! qui démontrent 
que les milieux chauffés à 120° sont moins bons pour produire 
la toxine diphtérique que les milieux chaulfés à 70° et filtrés. 

Quand on ne peut pas employer ce procédé, on se trouvera 
bien de stériliser les milieux en les chauffant trois fois à 1000. 


Disons toutefois que le milieu fabriqué comme nous l'avons 


indiqué donne encore de très bons résultats, même lorsqu'il est 
chaultfé à 1200. 

Les cultures s’y font en voile. Un milieu dans lequel le 
bacille diphtérique ne pousse pas facilement en voile, dès le 
début, ne convient pas pour la préparation rapide de la toxine. 


ÉTUDE DU BACILLE DIPHTÉRIQUE 


SI. Caractères des cultures. — Lorsqu'on ensemence le milieu, 
préparé comme nous venons de l'indiquer, avec du bacille diph- 
térique, la culture est abondante dès les premières 24 henres et 
un voile se forme à la surface. Au commencement du second 
jour, le voile est en général continu et assez épais. 

Si les bacilles employés ne sont pas encore bien habitués à 
vivre en dehors de l’organisme, le voile n’apparait quelquefois 
qu'après 36 heures. 

Ju microbe qui ne forme pas de voile doit être rejeté. 

Quand une culture marche bien, le voile tombe le 3° jour par 
lambeaux qui gagnent le fond du vase. En général un nouveau 


voile remplace progressivement le premier et s'immerge à son , 


tour. Au 6€ jour, le voile ne se reforme plus. 


4. Expérience : 


Milieu chauffé à 70, filtré. Milieu chauffé à 1200. 
Après 1/10 meurt en 36 heures ( 1/10 / 
48 heures 1,50 meurt en 3 jours | 1/50 Ÿ ne meurent pas. 
d’étuve, 1/100 meurt en 6 jours | 17100 
Aypre ( 1/50 meurt en 4 jours 1/50 meurt en 3 jours. 
4 jours 1/100 meurt en 3 jours 1/100 meurt en 3 jours. 
d’étuve. l 1/200 meurt en 1à jours | 41/200 ne meurt pas. 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 97 


Si nous étudions ja réaction du milieu, nous voyons que 
jamais il ne devient acide au tournesol et qu'il est alcalin à la 
phtaléine le 2° ou le 3° jour de la culture, au plus tard le 4° jour. 

Enfin la production de la toxine est très rapide; on a facile- 
ment une toxine active au 1/10 après 30 heures et au 1/50 de 
centimètre cube après 48 heures de culture. 

Le maximum de toxicité de la culture est atteint du 5° au 
1° jour, elle tue alors un cobaye de 500 grammes à la dose de 
1/200 de c. c., soit 0 c. c. 005. 

Après ce temps, la toxine n’augmente plus dans la culture; 
le 10° jour, elle diminue. 

Tels sont les résultats obtenus avec le milieu dont nous 
avons décrit la préparation, et avec des races de bacilles très 
aptes à produire de la toxine. 

S IL. Bacilles toxigènes. — Avant le mémoire de Park et de Wil- 
liams, on regardait comme un résultat satisfaisant l’obtention 
régulière d'une toxine active au 1/20 ou au 1/30 de centimètre 
cube. Après que ces auteurs eurent préparé un poison diphté- 
rique mortel au 1/200 de centimètre cube, on ne pouvait se 
contenter des toxines anciennes, 

M'e Williams avait bien voulu me remettre le bacille qui 
avait servi à ses expériences et, en me conformant aux indica- 
tions des savants américains, je préparai facilement un poison 
aussi actif que le leur. 

Pendant longtemps, le bacille américain fut le seulà me don- 
ner ce résultat: tous les bacilles isolés par moi, culiivés dans des 
bouillons préparés comme l'indique nt Park et Williams, don- 
naient une toxine beaucoup plus faible. 

J'en vins à penser que le bacille de Park et Williams appar- 
tenait à une race plus toxigène que nos bacilles ordinaires; cette 
idée paraissait d'autant mieux fondée que Park et Williams 
eux-mêmes, sur plus de trente échantillons examinés, n'avaient 
trouvé aucun autre bacille aussi bon producteur de toxine. 

Toutefois, le bacille américain ne donne pas toujours un 
poison aussi fort: cultivé dans du bouillon préparé et alcalinisé 
comme le veulent Park et Williams, il le rend acide au tournesol 
pendant les deux ou trois premiers jours, puis il devient alcalin 
à ia phtaléine vers le quatrième jour environ ; c’est à ce moment 
que la toxine se forme en abondance. Cependant, il arrive que 


38 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


certaines cultures se maintiennent acides beaucoup plus long- 
temps, et alors la production de la toxine est tardive et moins 
considérable. 

Le microbe qui vient de ces cultures paraît modifié et, ense- 
mencé de nouveau, il produit moins de poison. 

Lorsque je me suis servi de bouillon de viande macérée à 
39°, additionnée de peptone d'estomac de porc, qui à aucun 
moment ne devient acide, ces irrégularités ont disparu. 

Il est donc évident que la courte période d'acidité du début 
de la culture est nuisible, et qu'elle peut modifier un microbe 
aussi bien adapté à la production de la toxine que le bacille amé- 
riCain. 

À plus forte raison devait-elle agir sur les bacilles que j'iso- 
lais des cas de diphtérie à Paris, et qui sont de moins bons 
producteurs de toxine. 

J'ai donc repris les essais avec le milieu, macération de viande 
à 95° et bouillon de panse. 

Sur vingt bacilles provenant de la gorge de vingt enfants 
diphtériques pris sans choix, (reize me donnèrent des toxines 
tuant le cobaye de 500 grammes à moins de 1/100 de centimètre 
cube. 

Les cultures étaient en tout semblables à celles du bacille 
américain. 

Pour bien m'assurer que le passage dans un bouillon où le 
bacille donne de l’acide modifie rapidement le pouvoir toxigène, 
j'ai ensemencé un bacille diphtérique dans du bouillon ordinaire ; 
la toxine obtenue était active au 1/10, tandis que le même 
bacille, poussé dans le mélange de macération et panse, fournis- 
sait en cinq jours une toxine active au 1/50. 

La différence s’accentuait encore si on répétait plusieurs fois 
de suite les cultures dans ces mêmes milieux. 

Ce fait explique bien des échecs, et montre que la fonction 
toxigène d’un microbe est fragile. 

La production de la toxine ne se faisant pas, ou se faisant 
mal, lorsque les milieux deviennent acides, déterminons, si cela 
est possible, quels corps favorisent l'acidité des milieux ; cette 
étude nous permettra peut-être d'aborder l'influence de ces diffé- 
rents produits sur la fonction loxigène. 

S LIL. Causes qui favorisent la production d’acidité. — Plusieurs 


a AL Le 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 39 


fois dans son mémoire, M. Spronck attribue l’acidité des cul- 
tures diphtériques à la transformation des sucres contenus dans 
la viande. MM. Flügge ‘, Roux et Yersin ont indiqué que le 
bacille diphtérique donne une acidité plus prononcée dans les 
milieux glycérinés que dans les milieux ordinaires. 

La viande de cheval, a-t-on dit ?, est moins favorable à la 
production de la toxine, parce qu’elle renferme une plus grande 
quantité de glycogène. 

Le milieu de panse, préparé comme nous l’avons indiqué et 
dans lequel le bacille diphtérique ne donne pas d’acide, nous 
permettra de distinguer les substances que le bacille diphtérique 
transforme en acide. 

Avec le docteur Louis Momont, nous avons ajouté divers 
sucres au bouillon, à la dose de 5 grammes pour 1,000, et nous 
avons noté ceux qui donnaient lieu à la production d’acide; ce 
sont : 

La glucose, la lévulose, la saccharose, la glycérine, la galac- 
tose. 

Au contraire, le glycogène, l’amidon, la lactose, la maltose, 
la raffinose, l’arabinose, l’érythrite, la dulcite et la mannite ne 
provoquent pas l’apparition de l'acidité. 

Quand on fait des expériences comparatives, on voit que les 
milieux additionnés de lévulose et de glucose sont ceux qui de- 
viennent le plus rapidement acides; les milieux à la glycérine et 
à la saccharose viennent ensuite, et enfin ceux à la galactose. 

Dans le bouillon ordinaire, il y a beaucoup moins de glucose 
que dans le milieu panse-glucose, et cependant l'acidité s’y 
montre plus rapidement. 

L'expérience nous a montré que le glycogène ne modifie pas 
la réaction du milieu, ce n’est donc pas le glycogène de la 
viande en tant que glycogène qui produit l'acidité. 

La viande de cheval n’est donc pas un mauvais milieu parce 
qu'elle contient du glycogène, mais sans doute parce que celui-ci, 
au cours de l’expérience,se transforme en un corps capable de 
donner de l’acide, probablement en glucose. 

La raison pour laquelle M. Nicolle obtient de bonne toxine 

4, Cité par MM. Roux et Yersin, Annales de l'Institut Pasteur, 1890, 3° mémoire. 


2. Smirxow, Berliner klinische Woch, 1895, n° 30. — Nresez, Zeëtschr. für 
Fleisch und Milch. Hygiene, 1892. 


10 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avec de la viande fraîche est que celle-ci renferme du glycogène 
non encore devenx glucose. 

S IV. Modifications des fonctions toxigènes. Alténuation. — 1 
nous est facile maintenant d’étudier l'influence de l'acidité du 
milieu sur la fonction toxigène du bacille diphtérique. 

Faisons une culture dans du bouillon de panse-lévulose de 
aotre bacille le plus toxigène, le bacille américain; et après 
48 heures, quand le milieu est franchement acide, ensemençons 
un peu de cette première culture dans un second tube contenant 
aussi de la panse-lévulose. Au bout de cinq passages, le bacille 
reporté dans le milieu le plus favorable à son développement 
pousse mal et ne donne un voile qu'après la 48° heure, il produit 
encore de la toxine, mais plus tardivement que la culture 
témoin. 

Si on maintient le bacille américain 20 jours dans le milieu 
panse-lévulose et qu'après on le transporte dans un milieu très 
favorable à son développement, sa culture est encore complète- 
ment modifiée; la culture est mauvaise, avec un voile grêle se 
formant vers la fin du 3° jour. 

Après 48 heures, un dixième de centimètre cube est inoffensif 
pour le cobaye; au même moment une culture témoin donne déjà 
une toxine active au 1/50. 

Au 5° jour, la culture filtrée tue difficilement au 1/50 
de centimètre cube, tandis que les cultures témoins sont actives 
au 1/200. 

Cette expérience prouve qu’on peut diminuer la propriété 
ioxigène du bacille américain, mais il faut laisser séjourner 
longtemps ce bacille dans les milieux défavorables; ce bacille est 
depuis plus d’un an dans les laboratoires ; ila été sélectionné en 
vue d’une production rapide de toxine, et il ne perd que difficile- 
ment son pouvoir toxigène. 

La diminution du pouvoir toxigène est beaucoup plus mar- 
quée lorsqu'on opère sur des microbes venant de la bouche des 
enfants. 

Lorsqu'on prend de la semence dans une même colonie 
poussée sur sérum, provenant directement de la bouche des 
enfants, et qu'on la porte dans le milieu panse-lévulose et paral- 
lèlement dans le mélange bouillon et panse, on voit qu'après 
un séjour de # jours à l’étuve, soit après deux passages dans ces 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 41 


milieux, le bacille qui a vécu dans le milieu qui reste alcalin 
donne une toxine active au 1/50,tandis que celui qui a passé dans 
le milieu qui devient acide fournit une toxine qui ne tue pas tou- 
jours au 1/10 de centimètre cube. Cependant les deux échan- 
tillons de bacilles font périr dans le même temps des cobayes 
auxquels on l’inocule à la même dose. 

Lorsqu'on possède un bacille diphtérique très toxigène, il ne 
faut donc pas le conserver dans les bouillons où il produit de 
l'acide, et le milieu qui nous a paru le meilleur pour conserver 
au microbe ses fonctions loxigènes est encore celui que nous 
avons indiqué comme milieu de choix pour la production de la 
toxine. 

C’est donc dans le mélange de macération de viande et de 
bouillon de panse chauffé à 70° et filtré sur bougie Chamberland 
que nous conservons nos bacilles toxigènes. 

Les cultures doivent être placées à l’étuve entre 33° et 35°. 

Après 8 jours de culture, les semences sont retirées de 
l'étuve et conservées à l’abri de la lumière. 

Si, par accident, un bacille s’atténue, il suffit de reprendre 
une de ces vieilles cultures, de la rajeunir par deux ensemence- 
ments successifs, et on a ainsi une nouvelle souche de bacille 
toxigène ; comme l’a très bien indiqué M. Behring', ces vieilles 
culturesrajeunies fournissent parfois des microbes trèstoxigènes. 

Augmentation du pouvoir toxigène. — Nous venons de voir 
qu'un microbe peut perdre en partie ses fonclions toxigènes: ne 
peut-on pas remonter le pouvoir toxigène comme on a pu 
remonter la virulence? 

Examinons rapidement les moyens de remonter la virulence 
du bacille diphtérique. 

MM. Roux et Yersin * ont signalé l'association du bacille 
diphtérique avec le streptocoque. 

M. Bardach * a surtout étudié les passages chez le chien. 

M. Trumpp ‘ a injecté, en mème temps que le microbe non 
virulent, de la toxine diphtérique, et le bacille retiré du point 
d’inoculaiion luait le cobaye. 


. Deutsche med. Woch., 1893. 

. Annales de l'Institut Pasteur, 189,0. 

. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 40, 
. Cent. f. Bact. XX, page 721. 


Re O2 NO 


42 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


J'ai surtout étudié le passage en sac de collodion dans le 
ventre des lapins, d’après la méthode indiquée dans le mémoire 
de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni sur le choléra: dès les 
premiers passages, un bacille qui ne tuait pas le lapin, mais 
tuait le cobaye, a été rendu virulent pour le lapin. 

Ce passage en sac de collodion dans le ventre du lapin est 
aussi le procédé qui m'a fourni les meilleurs: résultats pour 
l'augmentation du pouvoir loxigène. 

Avec le bacille tuant beat le cobaye en 24 heures 
et donnant seulement une toxine active au 1/10, j'ai pu obtenir 
après 6 passages en sac placés dans LE ventre du lapin une 
toxine active au 1/50. 

De même avec le bacille américain qui donnait, au moment 
où j'ai fait les passages, une loxine active au 1/100, j'ai obtenu 
une toxine active au 1/500. 

Dans tous ces passages en sac dans le ventre du lapin, la 
virulence pour le cobaye n’a pas changé. 

Le bacille 261 tue depuis 5 ans le cobaye en 24 heures, lors- 


qu’on injecte un centimètre cube d’une culture en bouillon âgée 


de 24 heures et, cependant, pendant ce temps, son pouvoir toxi- 
gène a considérablement varié. 

Le bacille américain n° 8 de Park et Williams, dans les mêmes 
conditions, tue le cobaye entre 30 et 36 heures, et cependant il a 
donné des toxines actives au 1/500 sans augmenter de viru- 
lence. 

$ V. Bacilles non virulents, mais toxigènes. — En possession 
d’un bon milieu de culture permettant au microbe de sécréter 
facilement sa toxine, et de plus connaissant comment on doit cul- 
tiver un microbe pour lui conserver ses fonctions toxigènes, il 
importait de reprendre une expérience tentée autrefois avec de 
mauvais milieux. 

J'avais cherché au mois de décembre 1895 si un microbe non 
virulent * pour le cobaye donnait de la toxine, j'avais sans résul- 
tat injecté de 1 à 5 c. c. de culture filtrée. 

Et cependant le bacille 261, qui pendantlongtemps a été pour 
nous le microbe le plus toxigène, ne tue pasle lapin lorsqu'on in- 


. Annales de l'Institut Pasteur, 1896. 
: Pour apprécier la virulence d'un bacille, j'injecte à l’animal 1 c. c. d’une 
culture de 24 heures. 


RO et nd Sn à à tés É 


is cmt dé 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 43 


jecte 1 c. c. d’uneculture de 24 heures, mais il sécrète une toxine 
qui à la dose de 1 c. ce. tue rapidement le lapin. 

Il est bien probable que, parmi les bacilles qui ne tuent pas le 
cobaye, il en existe cependant qui sécrètent une toxine capable de 
tuer cet animal. 

Pour faire cette expérience, j'ai pris 7 microbes provenant de 
la gorge d’enfants malades, qui ne tuent pas le cobaye lorsqu'on 
injecte sous la peau 1 c. c. d’une culture de 24 heures. 

J'ai aussi essayé le bacille 261 court qui est un bacille atténué 
dérivant du n° 261, bacille très virulent et toxigène. Ge bacille 
s'est spontanément atténué et en même temps est devenu très 
court. 

Ces 8 échantillons injectés sous la peau d’un cobaye ne le 
tuent pas. 

Un seul, le n° 1, donne del’ædème et unelégèreescarre au point 
d'inoculation ; lesautres nedonnentaucunelésionlocale. Etcepen- 
dant tous ces microbes produisent de la toxine comme on peut 
le voir d’après le tableau suivant : 


CULTURE. TOXINE. 
NS ne œdème-lég. escarre. 4 ©, c. tue en 30 heures. 
Le C — 40 heures. 
10 
Ne he. Rien. Forces 5 jours. 
OS SELS RE Re Rien. ARCICANE— 5 jours. 
NOR pe due 1e Rien. INC EN IUPIOUrS: 
1 PET ASE ST RENE Rien. À ce. — 94 jours. 
N° 6. (261 court)... Rien. AC CIS Jours: 
Nr ODA Rien. 1 ©. ©.  — 22 jours. 
NOR SE (AS ons ras Rien. DC n — 6 jours. 


Comme en témoigne le tableau ci dessus *, tous les microbes 
essayés ont donné de la toxine. 


1. Ce bacille retiré de Gustave Aubry n’est pas virulent, ne donne pas d’acide 
dans le bouillon ordinaire et il est court ; ce garçon est entré à l'hôpital un jour 
après sa sœur, Germaine Aubry, qui avaitun bacille morphologiquementsemblable ; 
mais il était virulent, il produisait une toxine active à 1/50 et donnait de l'acide 
dans le bouillon ordinaire. 

2. Avec ces mêmes microbes, j'ai fait l'expérience que M. Spronck, dans la 
Semaine médicale du 29 septembre 1897, regarde comme décisive pour séparer les 
bacilles diphtériques des pseudo-diphtériques. 

Le T octobre 1897, à 4 heures du soir, j'ai injecté sous la peau de huit cobayes 


is 
LS 


ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. 


Le n° 1 sécrète beaucoup de poison puisque sa loxine tue 
en 40 heures à la dose de 1/10 de c. c. 

Le n°5 est de beaucoup le moins toxigène, puisqu'il a fallu 
24 jours pour tuer un cobaye. 

Il est probable qu’on trouvera des microbes moins toxigènes 
encore. 

Les lésions des cobayes morts rapidement étaient bien celles 
de la diphtérie, et je me suis assuré que le sérum antidiphtérique 
neulralise ces toxines et empêche les cobayes de mourir. 

Cette expérience est pleine d'enseignements. Nombre d’au- 
teurs désignent, sous le nom de pseudo-diphtériques,des bacilles 
morphologiquement semblables au bacille diphtérique, et qui 
n’en dillèrent que par leur manque de virulence pour le cobaye; 
au lieu d'admettre avec MM. Roux et Yersin que ces bacilles 
sont des races atténuées du bacille diphtérique vrai, ils soutien- 
nent qu'ils n’ont rien de commun avec lui. 

Sur les huit échantillons de bacilles qui ont servi aux expé- 
riences précédentes, sept sont tout à fait inoffensifs pour le co- 
baye, ils rentreraient donc dans la catégorie des bacilles pseudo- 
diphtériques, et cependant tous donnent de la toxine capable de 
tuer les animaux, et de plus le sérum antidiphtérique se montre 
le coutre-poison de celte Loxine. 

Ces faits suflisent à établir combien est artificielle la dis- 


1/2c. c. de sérum préventif au 4/150,000 et antitoxique à 200 unités par centimètre 
cube. 

Le 8 octobre, à 4 heures du soir, j'ai injecté, sous la peau, 2 c. ec. d’une cul- 
ture de 24 ‘heures (j'ai pris 2 ce. c. comme l'indique M. Spronck). 


Le 9 octobre 


3 heures du matin! 2h. | 6 h. 10 octobre. 
LAS EM Eee OEdème ædème|ædème OEdème qui persiste 
RSR ES E RES Très léger œdème| Disparait | Rien Rien 
DM ee net ‘OElème Lèger | Léger Léger œdème 
LR ete Rien Rien | Rien Rien 
LR RU AS EPA Très téger œdème| Léger | Léger Rien 
6. (261 court)....| Léger œdème | Leger | Léger | Léger œdème, devient dur 
HR Ne Mars es .| Léger œdème Léger | Léger Léger œdème 
CRETE Léger æœdème Léger | Léger Rien 


Pour M. Spronck, un seul bacille serait diphtérique, le n° 4. De beaucoup 
e moins diphtérique serait le n° 1, qui cependant donne une toxine active à 
1/10 influencée par le sérum. 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 45 


tinction absolue que l’on veut trouver entre les bacilles diphté- 
riques vrais et les bacilles pseudo-diphtériques. 

On a souvent observé que des diphtéries d’allures bénignes 
se terminaient par une syncope mortelle : la bactériologie nous 
fournit l'explication de ces faits en nous montrant que des mi- 
crobes peu virulents peuvent sécréter de la toxine; la sécrétion 
sera lente, l’empoisonnement sera moins rapide, mais ses consé- 
quences n’en seront pas moins fatales. 

Il fauc donc, dans l'intérêt du malade et pour se conformer. 
aux faits, cesser d'altacher une grande importance à ces distinc- 
tions subtiles de bacilles diphtérique et pseudo-diphtérique, et 
regarder comme atteints de diphtérie tous les malades dont 
l’exsudat ensemencé fournit sur sérum, en 24 heures, de nom- 
breuses colonies de bacilles ayant l’aspect et les réactions colo- 
rantes de celui la diphtérie. 

En agissant ainsi, le médecin s’évitera de pénibles surprises. 

$ VI. Conséquences pour la production du sérum antidiphtérique. 
— Quaud on a pu obtenir des toxines très actives, on a pensé 
qu'avec ces toxines les propriétés préventives et antiloxiques du 
sérum allaient immédiatement augmenter. 

Nous allons voir que l’augmentation s’est faite, mais lentement 
et progressivement. 

Les sérums, au moment où j'ai employé la nouvelle toxine, 
étaient, pour l’ensemble des chevaux, préventifs au 1/50000 et 
avaient 100 unités antitoxiques. 

Sous l’iufluence dela nouvelle toxine, ils sont devenus rapi- 
dement préventifs au 1/100000, puis antitoxiques à 150 unités et 
enfin à 200 unités par centimètre cube. 

Dans un lot de 20 chevaux, on en trouvait d'abord un ou deux 
qui se maintenaient à 200 unités; après une nouvelle injection 
de toxine, sur 20 chevaux, la moitié donnait un sérum possé- 
dant les 200 unités, et finalement huit mois après l’emploi de la 
nouvelle toxine, la grande majorité des chevaux possèdent les 
200 unités anlitoxiques. 

Si on remarque que les nouvelles toxines sont environ dix 
fois plus actives que les toxines anciennes, on voit que les sérums 
ne se sont pas améliorés dans la même proportion. 

Des toxines dix fois plus actives ont permis d'obtenir des 
sérums seulement deux fois plus actifs. 


46 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


On trouve cependant, dans un lot de chevaux, certains ani- 
maux qui, parfois, donnent des sérums préventifs au 1/150000 
et antitoxiques à 300 unités. ; 

Il faut espérer que, dans la suite, les sérums gagneront et pro- 
fiteront plus encore de la grande activité des toxines. 

Ces résultats rendront plus facile et plus sûre l'application 
de la sérothérapie, et permettront d'abaisser encore la mortalité 
de la diphtérie. 


de Mb 


sect ot ne à te ne 


PRODUCTION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE. 4 


1 


APPAREIL A FILTRATION POUR FAIRE LES ESSAIS DES TOXINES 


En étudiant la toxine diphtérique, j'ai dû souvent faire dans un court espace 
de temps un très grand nombre de filtrations. Il m'était difficile d'employer les 
appareils en usage dans les laboratoires et j'ai cherché un dispositif plus simple 
permettant de filtrer très vite de petites quantités de diverses cultures. 


nn — 


VROUSSEL. 


ar 16 


Ce réservoir est formé 


Voici la description de l'appareil qui m'a servi : 
comme l'indique la figure ci-jointe, il se compose 
essentiellement d’un tube à essai enveloppant une bou- 
gie Chamberland ; tube et bougie sont placés dans une 
chambre à vide, tandis que l'intérieur de la bougie 
est en communication avec le liquide à filtrer. 

La partie filtrante de l’appareil est constituée par 
une bougie Chamberland sans embase dite bougie de 
laboratoire; cette bougie est vernissée à l’intérieur et 
à l'extérieur sur une longueur de 5 centimètres à partir 
de son orifice. Autour de la partie vernissée, on enroule 
du coton ordinaire et on adapte la bougie à l'extrémité 
d'un tube à essai de façon qu’elle pénètre à frottement 
dur. 

On peut adapter un certain nombre de bougies à 
des tubes à essai de capacité variable suivant les be- 
soins ; On à ainsi un appareil commode, peu coûteux, 
facile à stériliser et à conserver stérile, 

Il faut avoir soin de ne pas stériliser l’appareil à 
l’autoclave, car pendant la stérilisation l’eau se con- 
denserait dans les tubes et le liquide après filtration se 
diluerait dans cette eau condensée; pour éviter cet 
inconvénient, il faut stériliser le petit appareil dans 
le four à flamber. 

On doit au préalable boucher avec du coton l’ori- 
fice de la bougie Chamberland; avec cette précau- 
tion, l’intérieur de la bougie et tout l'appareil pour- 
ront rester stériles aussi longtemps que les tubes 
flambés. 

Quand on a stérilisé un certain nombre de bougies 
réunies à leurs tubes, il est facile de faire autant 


‘d’essais qu’on a de tubes et cela très rapidement, 


Lorsqu'on veut filtrer, on prend un de ces appa- 
reils stérilisé d’avance, on enlève le coton qui ferme 
l’or fice de la bougie et on met l’intérieur en communi- 
cation avec un réservoir qui contient le liquide à fil- 
trer. 
par une boule de verre ouverte à l'un de ses pôles et 


soudée par le pôle opposé à un tube de verre qui s’engage dans l’orifice de la 
bougie ; un bouchon de caoutchouc perforé sert à fixer le tube du réservoir à 


cet orifice. 


Il faut avoir bien soin de faire pénétrer de force le bouchon de caoutchouc 
dans l’intérieur de la bougie pour que celle-ci soit bien fixée au réservoir. Le 
réservoir peut servir à plusieurs filtrations, il suffit de prendre la précaution de 
le passer à l’eau bouillante à chaque changement de bougie. , 

Lorsqu'on a réuni la bougie à son réservoir, on place tout l'appareil dans un 
tube de verre ; ce tube-manchon est fermé à l’une de ses extrémités, ouvert à 
Pautre ; mais cette ouverture doit être obturée par un bouchon de caoutchouc 


48 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


perforé en son centre,(ce trou livre passage au tube du réservoir qui va s'enga- 
ser dans la bougie. Ce gros bouchon B doit se placer entre la boule de verre du 
réservoir et le petit bouchon à qui fixe le tube du réservoir à l’orifice de la 
bougie. 

Le manchon porte en outre une tubulure latérale par où on peut faire le vide 
dans son intérieur et par conséquent dans l’intérieur du tube à essai, la commn- 
nication s’établissant au travers du coton qui fixe la bougie au tube à essai. 

Il est prudent de garnir avec du coton le culot du tube-manchon; car il peut 
arriver que le tube à essai quitte sa bougie ou que la bougie quitte le réservoir ; 
cet accident ne se produit pas si la bougie entre à frottement dur dans le tube à 
essai ou si le petit bouchon est bien fixé à l’orifice du tube, mais avec la précau- 
tion que nous indiquons, alors même qu'il se produirait, cet accident resterait 
sans importance. 

Quand la filtration est terminée, on enlève la bougie de l’intérieur du tube à 
essai, elle est aussitôt remplacée par ie tampon de coton d’un gros tube flambé ; 
grâce à cette précaution, on peut conserver le liquide filtré sans le transvaser. 

La bougie qui a servi à la filtration doit être placée dans l’eau bouillante ou 
dans l’autoclave pour être désinfectée. 

Les bougies qui servent le plus souvent ont une longueur de 15 centimètres; 
comme elles sont vernissées sur 5 centimètres, 40 centimètres sont utillsés pour 
la filtration. 

Avec ces bougies on filtre en moins de 5 minutes 50 centimètres cubes de 
toxine. Si on place dans le réservoir exactement 50 centimètres cubes de culture, 
on recueille dans le tube à essai 45 à 47 centimètres cubes de liquide. 

Si lon veut employer ce filtre pour essayer de petites quantités de liquides 
organiques, on voit que pour 10 centimètres cubes de sérum mis dans le réser- 
voir, le filtre laisse passer 7 centimètres cubes, la perte est donc de 3 centimètres 
cubes. 

Dans le cas où on serait obligé de filtrer de très petites quantités de liquide, 
il suffirait, pour éviter l'absorption jar les parois de la bougie, de diminuer sa 
partie filtrante et de la reduire à 5 ou même à 2 centimètres. 


CONTRIBUTION 


A L'ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE 


Par HENRI POTTEVIN 


(Travail fait au Laboratoire de Chimie biologique à l’Institut Pasteur.) 


INTRODUCTION 


Un grand nombre de microbes produisent de l'acide lactique 
aux dépens des sucres ; mais de même que nous réservons le 
nom de ferments alcooliques aux êtres qui dédoublent le sucre 
en alcool et acide carbonique de façon que la somme des deux 
produits représente à quelques centièmes près le poids du sucre 
détruit, de mème nous appellerons ferments lactiques ceux qui 
transforment intégralement le sucre en acide Jactique à quelques 
centièmes près. Ces ferments, dont le premier a été décrit par 
Pasteur, ont été étudiés par Lister, par Richet, par Kayser : leur 
histoire est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la rappeler 
ici. Les autres êtres qui donnent aussi de l'acide lactique en 
fournissent des quantités variables dont le poids ne correspond 
parfois qu’à une très faible partie de celui du sucre consommé. 

D'une façon générale on peut dire que les ferments lactiques 
produisent de l’acide inactif; les autres microbes desacides actifs. 

Nencki avait pensé qu'un même microbe fournissait toujours 
le même acide et que celte propriété pouvait servir à le caracté- 
riser d’une façon certaine; nous savons aujourd'hui qu’il n’en 
est rien. M, Péré a montré que telle espèce de B. coli qui, cultivée 
sur glucose, donne de l'acide droit, fournit de l’acide inactif quand 
elle agit sur la lévulose; elle est pourtant capable de donner, 
même avec la lévulose, de l'acide droit, il suffit pour cela qu'on 
lui rende la vie pénible en remplaçant, dans le milieu de culture, 
la peptone par un sel ammoniacal; dans ce cas, le microbe parait 
vivre sur le racémale en attaquant de préférence l’acide gauche. 

M. Péré a montré qu'il en est réellement ainsi en faisant 


LA 
+ 


D0 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


agir le B. coli sur le lactate de chaux : celui-ci est facilement 
attaqué, mais tandis que dans les solutions de peptone les deux 
isomères disparaissent avec une vitesse égale, en sorte que Île 
résidu est toujours de l'acide inactif, dans celles où la peptone 
est remplacée par un mélange de phosphate et de sulfate d’am- 
moniaque l'acide droit est détruit le premier, et la différence 
est d'autant plus accusée que la proportion des sels ammoniacaux 
présents dans Ja culture est plus réduite. 

Nous sommes donc amené à considérer que les ferments 
producteurs d’acide lactique commencent tous par donner aux 
dépens du sucre de l’acide inactif ; les uns, capables de détruire 
cetacide, brülent, avec des vitesses variables selon les conditions 
de la culture, chacun des deux isomères, et aboutissent ainsi à 
des résidus actifs: les autres, les ferments lactiques, hors 
d'état de consommer l'acide lactique, laissent intact celui qu'ils 
ont une fois formé. Tout ce que nous savons sur les caractères 
généraux, communs aux microbes qui composent chacune des 
espèces artificiellement définies ainsi, confirme cette manière 
de voir. Les ferments lactiques ensemencés dans une solution 
de peptone additionnée de lactate de chaux restent sans action 
appréciable sur le sel : ils sont fragiles, perdent facilement leur 
pouvoir ferment. M. Richet a montré qu'ils étaient très difficiles 
au point de vue de l’azote alimentaire, ils se refusent à vivre 
dans les milieux privés de matière albuminoïde en solution. Les 
autres ferments sont au contraire des agents de combustion 
énergiques, peu difficiles sur les conditions de la culture, s’ac- 
commodant bien des milieux à azote ammoniacal ; il semble que 
les ferments lactiques dérivent d’eux par atténuation. 

Dans les travaux que j'ai eu l’occasion de citer précédemment, 
M. Péré s'était proposé de rechercher s’il existe des relations de 
structure moléculaire entre un acide lactique et le sucre dont il 
dérive. De pareilles relations, si nous en connaïssions, en nous 
montrant quels sont les groupements atomiques de la molé- 
cule sucrée qui se retrouvent dans la molécule acide, nous 
permettraient de fixer sur quel point de la première s’est portée 
l’action du ferment et à quel acte chimique précis cette action 
peut être ramenée. Le mécanisme de la fermentation lactique 
serait éclairci, et ce que j'ai dit de son ubiquité indique quel 
serait l'intérêt physiologique d’une semblable trouvaille. D'ail- 


RÉ 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D 


leurs, à mesure que nous pénétrons plus avant la chimie des 
cellules vivantes, nous nous apercevons davantage que partout 
entrent en jeu les mêmes forces soumises aux mêmes lois, et 
que le bénéfice de toute notion nouvelle s'étend bien au delà du 
cas particulier à l’occasion duquel elle a été acquise. Dans 
l’ordre d'idées qui nous occupe, M. Duclaux a introduit dans la 
science des faits singulièrement suggestifs : nous savons par 
ses travaux quelle parenté étroite existe entre les phénomènes 
de décomposition des sucres sous l'influence des ferments et 
sous l’action de la lumière solaire. Exposé au soleil en solution 
alcalinisée par l’eau de chaux, le glucose est détruit avec pro- 
duction d'alcool et d’acide carbonique ; si on se sert pour alcali- 
niser de la solution sucrée d’hydrate de baryte au lieu de chaux, 
on obtient de l'acide lactique; dans ces conditions le mal- 
tose a donné de l'acide droit, le lévulose de l'acide gauche, 
le sucre interverti de l'acide inactif par compensation. Nous 
voyons que le groupement atomique qui dans la molécule de 
sucre commande par sa position, d’après nos idées actuelles, 
le sens du pouvoir rotatoire, se conserve dans la molécule 
d'acide. Malheureusement les faits recueillis jusqu'ici ne 
semblent pas indiquer qu'il en soit de même dans les fermenta- 
tions; M. Péré nous a appris qu'un même sucre lévogyre pou- 
vait donner naissance indistinctement à de l’acide droit ou à de 
l'acide gauche, suivant que l'azote introduit dans le milieu de 
culture est à l’état de peptone ou d'’ammoniaque. Malgré ces 
résultals peu encourageants, j'ai pensé que la question valait la 
peine d’être reprise sur nouveaux frais. Il est à remarquer que 
toutes les expériences faites jusqu'ici dans celte voie l’ont été 
avec des ferments produisant peu d'acide lactique; dans l'exposé 
que nous venons de faire, nous avons été amené à considérer cet 
acide comme le résidu d’une double opération, donnant d’abord 
aux dépens du sucre une forte proportion d'acide, puis détruisant 
partiellement l'acide ainsi formé; il ne faut pas trop nous étonner 
que le résultat de la seconde intervention ne présente pas avec 
le sucre initial des relations étroites. Si de pareilles relations 
existent, il semble naturel de les chercher en s'adressant à des 
ferments lactiques vrais qui nous laissent l'acide tel qu'ils l'ont 
une fois produit aux dépens du sucre : c'est le but que je me suis 
proposé dans le présent travail. 


92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


[l 


FERMENTATION DES SUCRES 


Pour me procurer un ferment lactique, j'ai abandonné 
Fétuve, sans stérilisation préalable, du jus d'oignons additionné 
de 10 0/0 de glucose; ce jus se peuple rapidement d’une infinité 
de microbes parmi lesquels les ferments lactiques dominent; 
ceux-ci ont été isolés par la méthode des dilutions en liquide. 

Le ferment qui fait l'objet de cette étude est un bâtonnet 
immobile: dans les cultures il se présente isolé ou réuni en 
chainettes d'une dizaine d'articles au plus. Il pousse à 35° dans 
le lait qu'il coagule en 24 heures environ, dans l’eau de tou- 
raillons sucrée : son milieu d'élection est le jus d'oignons addi- 
tionné de 0,5 0/0 de peptone. Il ne pousse que très pénible- 
ment sur les mêmes milieux solidifiés par la gélatine ou la 
gélose. 

À la température de 23°, la culture est plus lente qu'à 35%, 
mais se fait encore ; à 40° elle est très pénible, au-dessus il n’y a 
pas de développement. 

Dans l’eau peptonisée à plus de 2 gr. par litre, le ferment se 
développe bien : il envahit toute la masse du liquide qui devient 
d’abord légèrement acide, puis à la longue très légèrement 
alcalin : l'acide volatil qui prend naissance a été étudié par la 
méthode des distillations fractionnées: c’est de l'acide acétique 
pur : dans un liquide à 2 0/0 de peptone, il ne s’en trouve jamais 
plus de 0,2 par litre. L’extraction à l’éther en présence d'un 
excès d'acide sulfurique ne m'a jamais permis de constater la 
production d'acide lactique. 

Action sur les sucres. — Les cultures ont été faites à 35° dars 
l’eau peptonisée en présence d'un excès de carbonate de chaux. 

Pour la recherche des acides fixes, le liquide de culture con- 
centré à consistance de sirop était additionné d’une quantité 
d'acide sulfurique juste suflisante pour précipiter Be chaux et 
épuisé par l’éther. 

Le meilleur procédé pour caractériser et différencier les 
acides lactiques est l’étude de leurs sels de zinc: ces sels très 
solubles dans l’eau chaude, peu solubles dans l’eau froide, sont 
faciles à obtenir purs cristallisés en helles aiguilles. 


A PS OO I ENT TS 


| 
Û 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D3 


Le sel de l'acide inactif cristallise avec 3 molécules d’eau : 
CSH'°0Zn + 3H°0. Les sels actifs cristallisent avec deux mo- 
lécules seulement: C'H'°0fZn + 2H°0. — Tous ces sels perdent 
leur eau de cristallisation par un chauffage de 1 heure à 1600. 
La perte d’eau correspond à 18,1 0/0 pour le sel inactif, à 
42,9 0/0 pour les sels actifs. 

Le sel de zinc de l'acide droit dévie à gauche, celui de l'acide 
gauche dévie à droite. 

Le pouvoir rotatoire du lactate lévogyre varie avec la 
concentration de la solution observée, 1l diminue quand la con- 
centration augmente; 1l est de — 8° 5, d’après Wislicenus, pour 
les solutions contenant de 4 à 5 0/0 de sel. 

Pour la recherche des acides volatils, j’ai eu recours à la 
méthode de distillation fractionnée de M. Duclaux. 

Lorsque, la nature des acides étant connue, il s’est agi sim- 
plement d’en suivre les variations quantitalives au cours d'une 
fermentation, je me suis contenté de doser la chaux dissoute et 
les acides volatils ; j'ai calculé l'acide lactique par différence. 

Pour le dosage de la chaux en solution, le procédé suivant est 
très rapide et donne des résullats exacts. 

50 e.c. du liquide à essayer sont disposés dans un vase de 
Bohème au-dessus d’un bec Bunsen, additionnés de quelques 
gouttes d'une solution de phénol-phtaléine et portés à l’ébulli- 
tion; dans le liquide bouillant, on verse goutte à goutte, en 
agitant constamment, une solution titrée de carbonate de potasse, 
il se forme du carbonate de chaux qui se précipite et un sel neutre 
de potasse qui reste en solution; quand toute la chaux a été 
précipitée, l’addition d’une nouvelle quantité de CO*K? rend le 
liquide alcalin. De la quantité de carbonate employée, on déduit 
la quantité de chaux dissoute. Lorsque la coloration du liquide 
ne masque pas la couleur rouge de la phtaléine, ce qu’il est 
toujours facile de réaliser par une dilution convenable, le 
procédé est très exact. 


Je prépare deux solutions, l’une de lactate de chaux pur contenant en 
100 e.c. 2 gr. 002 d'acide lactique et l’autre de carbonate de potasse 
à 3,6 0/0 : 


90 c.c. de la sol. de lactate sont précipités par. 14,1 de la sol. CO?K? 
25 — — + 95 c.c. eau dist... 7,0 — 
10 — — + 40 ee 12,9 — 


ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


© 
CS 


Lactose. — J'ai employé du lactose obtenu pur par des cris- 
tallisations successives dans l’eau, il possédait un pouvoir rota- 
toire de 55°,1 à 20°. 


Des ballons contenant chacun : 


BAUER RON ee LIL OPEN RE AR 200 
PO DIONE ET bite rush Rectree rte LR ELEC 2 
L'ACEOS ER Re ser eue ee Ne CET RL 8,86 
Carhonate der ChAUXE. Ne ER I 12 


sont ensemencés et mis à 350. Au bout de 24 heures ils sont le siège d’un 
dégagement actif d'acide carbonique ; en prélevant de temps à autre un 
ballon, on obtient : 


Durée de la ferment. Sucre cons. Ac. fixe. Ac. vol. 
3 jours 4,66 4,4 0,10 
D Jours 6,52 6,2 0,14 
12 jours 8,86 8,5 0,16 


D'un bout à l’autre de la fermentation, l'acide volatil a été de l'acide 
formique. 

Le contenu de trois ballons pris au 12e jour a été mélangé : l'acide fixe 
extrait à l’éther. On a obtenu : 


SUCRE GENS OMR EL: bi Le ntm vremeratenet 26,58 
Acide MIRE EE nie ot Elena D CEE 26,0 
Acidemolati{ac dormi) er he sine eperete 0,5 


L'acide après l’évaporation de l’éther a été transformé en sel de zinc 
celui-ci purifié par 2 cristallisations a donné : ; 


Perte d’eau à 1600 0/0 de sel...... RAR C es 
D 10/0 1de sel anhydre "1 musritene 5e: O8 
RASE UE 10 NT AR AE PAR TN ER PRES NE LR Inactif. 


L’acide est de l'acide inactif. 


IL est à remarquer que l'acide volatil de la culture, qui était 
de l'acide acétique lorsque le ferment se développait dans la 
peptone seule, devient de l'acide formique lorsqu'il est produit 
aux dépens du sucre ! : 

L’acide lactique obtenu représente 97,7 0/0 du sucre détruit ; 
il est bien produit uniquement aux dépens du sucre et non de la 


4. Dans toutes les expériences rapportées ultérieurement, l'acide volatil sera, 
sauf indication contraire, exprimé en acide formique. 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE, 5 1) 


peptone ou des impuretés que celle-ci peut apporter avec elle, 
car l'augmentation de la teneur en peptone n’augmente pas la 
quantité d'acide fixe, tandis que l'addition d’un certain poids de 
sucre détermine la formation d’un poids exactement correspon- 
dant d'acide lactique. 


Trois ballons ont reçu chacun 200 c. ce. d'une solution de lactose à 5,01 0/0, 
du carbonate de chaux, et en outre 


Le’bpallon, DST. 2 grammes de peplone. 
— MER Re ARR Le HUE — — 
— MR etes emer ce 10 — — 


Après 15 jours de séjour à l’étuve, les ballons ont été repris. Le sucre 
avait disparu de tous. Les quantités d'acide formé étaient : 


Ac. fixe, Ac. vol. 
. RS RE A AN dur ee 9,8 0,18 
RP 1e NU NU 9,5 0,20 
Re RER RE un Rene ire 9,5 0,25 


L'acide volatil est de l'acide formique dans les trois ballons. 


Trois ballons ont reçu chacun du carbonate de chaux, 200 c, c. d’une 
solution contenant 4 0/0 de peptone et en plus : 


Dans JeDalont IE er ee M nue 7,6 de lactose. 
— RAT SR ER CE 3,8 — 
— AN RE RO AR RE EE 1,6 — 


Les ballons ensemencés et mis à l’étuve ont donné au bout de 15 jours, . 
le sucre ayant entièrement disparu de tous : 


Ac, fixe, Ac, vol, 

AR A iQ te ROUE 0,14 
CR TR De te RC nn x RE 00 0,11 
PAR Re an TIR divine 1,5 0,09 


Si, au lieu de diminuer la proportion de sucre comme dans 
l'expérience précédente, on diminue la proportion de peptone, la 
culture devient traïînante, la proportion d'acide volatil produit 
augmente, et la nature de l’acide lactique est modifiée. 

Trois ballons ont reçu chacun 100 c.c. d’une solution de lactose conte- 


nant 5,12 de sucre, du carbonate de chaux et les quantités de peptone sui- 
vantes : 


Ballon SRE on de DE Are cc 1,0 
Et TES ER RE 4m PR RL De PEU ONE 0,5 
tn ME SC ME NA RE SR RSR Eat 0,2 


Après deux mois de séjour à l’étuve, ils ont donné : 


6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 
Sucre restant. Ac. fixe Ac. vol. Ac. vol. 0/0 d'ac. fixe. 
LATE 0 5,0 0,1 2,0 
IIS EE CSS 0 4,2 0,45 10,7 
TIR YARIS 4,2 0,5 0,07 14.0 


L'acide du ballon I est de l’acide inactif. 


Le sel de zinc obtenu avec l'acide du ballon II a donné : 


l gramme de sel dissous dans l’eau de façon à faire 25 c. c. a donné une 
rotation gauche de — 10’ au tube de 20 centimètres. 

Le sel est un mélange de lactate inactif et de sarcolactate. 

Aïinsi done, en diminuant la proportion de peptone, nous 
déterminons la production d’un acide actif, sans que le ferment 
perde pour cela ses qualités de ferment lactique vrai, puisque 
l'acide obtenu représente 82 0/0 du sucre détruit. 

Pour bien mettre ces faits en évidence, il y aurait lieu de 
reprendre l'expérience avec des doses comprises entre celle du 
ballon II et celle du ballon IT : je ne l'ai pas fait parce que j'ai 
retrouvé, en étudiant les autres sucres, toujours le même phé- 
nomène très nettement. Ê 

Saccharose. — Le saccharose mis à fermenter en présence de 
1 0/0 de peptone se comporte comme le lactose. 

10,1 grammes ont donné après 15 jours : 


SUCTE ETUI See AC A EE TN ET EPS RARE 10,1 
AEIAe RCLIQUE ANTENNES PARA RE 9,8 
ACTE NO] RER EE EE A SERRE CARRE 0,12 


L'acide est inactif. 


Un essai de fermentation en présence de 5 0/0 de saccharose 
et de 0,8 0/0 de peptone, ne m'a pas donné d'acide lactique en 
quantité appréciable. 

Maltose. — J'ai employé du maltose industriel purifié par des 
cristallisations dans l'alcool. 

Son pouvoir rotatoire était « = + 140,0. 

Quatre ballons ont recu chacun 200 c. c. d’une solution 
sucrée contenant 112",40 de maltose, du carbonate de chaux et 
en outre : 


Ballon Lire ER RP 2 gr, de peptone. 
LL RE TE A en de à drone qe 1 — 
SE 1 PR à 022 7 ae 0,8 — 


tale dt ditétetieute dus di détient dE dde OS SE D Se D 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. x 


Dans les ballons [ et II la fermentation, très rapide au début, a paru ter- 


minée vers le dixième jour. Les 4 ballons repris au bout de { mois ont 
donné : 


Sucre cons. Ac. fixe Ac. vol. 
ILE RSS 14,4 10,8 0,14 
NOUS RON 11,4 10,6 0,16 
IT ACER 9,6 9,2 » 
ER den 3,4 S 0 A OL 


Le contenu des deux ballons I et II mélangé a donné de l'acide inactif. 
Le ballon IV a fourni un sel de Zn donnant : 


Pentescire aus AGO PAR EN Re Es 12,8 
/n6N0/0 dersellanhydres 2.508. stade 32,9 
0,936 dissous en 25 c. c. d’eau. Rot. 20 ce. ce. — 00,63 
COUV TO DECO NE RAR Re — 805 


L'acide est de l’acide droit. 


Nous voyons très nettement, dans le cas présent, quele ferment 
qui donne en présence d’une certaine dose de peptone de l'acide 
inactif, donne avec une dose à peine plus faible de l'acide droit : 
nous devons remarquer aussi que le poids d'acide obtenu repré- 
sente 88 0/0 du poids du sucre consommé : il ne saurait être 
question ici de la formation d’un racémate dédoublé par une 
action ultérieure du ferment. Le corps actif est formé directe- 
ment aux dépens du maltose. 

Nous allons retrouver le même fait d’une façon constante en 
étudiant les sucres à six atomes de carbone. 

Glucose. — J'ai employé un glucose pur du commerce. 

10", 0 de glucose ont donné au bout de ! mois: 


Gluc. cons. Ac. lact, Ac. vol. Rot. sel. Za 


En prés. 1 0/0 pept. 10,0 SET 0,13 Inactif, 


0,5 100 009 8 2045 -N Inactif, 
0,4 CA CARE 
0,3 29 2,4 GA A8 20 


Sucre interverti. — 115,2 de sucre interverti ont donné après 
14 jours, en présence de 1 0/0 de peptone : 


Lee SAME ARRERRRE ROUEN EE CORRE ! 
Acide volatil 


L’acide est inactif. 
Galactose. — J'ai employé un galactose pur du commerce. Le 
pouvoir rotatoire évalué en mesurant la rotalion sur une solu- 


58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tion à 5 0/0, le sucre étant dosé par réduction, est de 829,4 à 17°. 
92,2 de galactose ont donné au bout de cinq semaines : 


Suc. cons. Ac. lact. Ac. vol. Rot. sel. zinc. 


En prés. 10/0 pept. 9,2 8,9 0,1% Inactif. 
0,5 6.9 6,7 0,14 
0,4 4,9 4,6 0,12 = /80,9 
Mannose. — 100 grammes de poudre de corozo délayés 


daus 500 c. c. d’eau additionnée de 16 c. c. d’acide sulfurique à 
66° B, ont été maintenus à l’autoclave à 120° pendant 1 heure; la 
masse étant refroidie et le liquide filtré, j'ai fait subir au résidu 
deux fois encore le même traitement, l’ensemble des liquides 
acides saturé par le carbonate de chaux, décoloré par le noir 
animal, est limpide, à peu près incolore, il contient une quantité 
de sucre qui, évaluée comme mannose, représente 465,5, avec un 
pouvoir rotatoire de + 12°,8. Le sucre est donc du mannose pur. 
8,96 de mannose ont donné au bout de un mois : 


SUC. CONS. FAC ICE, NCEVOI. R. sel. Zn 


En prés. 1 0/0 pept. 8,96 8,5 0,21 Inactif. 
0,5 4,4 4,06 0,12 = 00 


Ainsi lorsque, l'aliment azoté étant abondant, la culture est 
facile, le ferment donne avec tous les sucres étudiés indistinc- 
tement de l’acide inactif; si l’azote devient rare, la culture est 
pénible et nous aboutissons dans tous les cas à de l’acide droit. 
Il apparaît bien clairement que ce n’est pas de la constitution 
stéréochimique du sucre que dépend la nature de l’acide, mais 
bien des conditions de vie qui sont faites au ferment: pour com- 
pléter cette notion, il y avait lieu d'examiner si, quand on gêne 
la culture de différentes façons, en changeant la nature de l’azote 
alimentaire, en élevant la température, en ajoutant des antisep- 
tiques, on obtiendrait des résultats analogues à ceux que donne 
la diminution de la dose de peptone. J'ai vainement essayé de 
substituer à la peptone les sels ammoniacaux, tartrate, succinate, 
nitrate ou l’asparagine, le ferment n’a pas poussé. 

J'ai dit que la température optima pour le ferment était vers 
390; à 400 le développement se fait encore, mais très pénible- 
ment; dans ces conditions, 12#,5 de lactose dissous dans l’eau 
peptonisée à 1 0/0 ont donné après six semaines : 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. D9 


SUCRE COMORES 2 eu ve dus 0 8 A UE Noa M Coien DO 
DORE TA Rein ue vie bts 9 0e TES 2,6 
OR ATERES e an LE ou be veste use CRT 0,4 


Le sel de zinc de l’acide a donné : 


DRE GATE NSIOTENRERNRS NO RER ER 15,4 
RAU0/0ide’Selanhydre rer Meet 33, 
AGrdiss sen 290; Crea Rat. 29520 nie. — 00,4 


L’acide obtenu est un mélange de droit et d’inactif. 

Un certain nombre de ballons contenant du carbonate de 
chaux et 200 c. c. d’une solution à 1 0/0 de peptone et 4:",02 0/0 
de lactose, ont reçu des doses croissantes d'acide phénique, ils 
ont été ensemencés et mis à 35°: au bout de un mois et demi, ils 
ont donné : 


Suc. cons. Ac. lact. R. sel. Zn. 


En prés. de 2 gr. p. lit. dephén. 0 0 
1 — 5,95 5,1 — 80,4. 
0 — 8,04 7,87 Inactif. 
Il 


FERMENTATION DES ALCOOLS POLYATOMIQUES 


Les sucres sont pour notre ferment des aliments de digestion 
facile ; si les conditions de la culture sont bonnes par ailleurs, ils 
sont rapidement consommés; il n’en est pas de même des alcools 
polyatomiques : ceux du moins que j'ai étudiés, la mannite, la 
glycérine, la dulcite sont d’une digestion extrèmement pénible. 
Dans l’eau peptonisée à 1 0/0, le ferment se développe bien, 
envahissant la totalité du liquide qui devient uniformément 
trouble. Dans le même milieu additionné de 5 0/0 de mannite, la 
culture se fait lentement; elle est en grumeaux qui restent dépo- 
sés au fond du balion : si on les agite, ils se répandent dans le 
liquide sans produire de trouble véritable. Dans les solutions 
peptonisées à 1 0/0, la destruction des alcools polyatomiques est 
lente, elle ne donne jamais lieu à un dégagement visible d'acide 
carbonique. On ne gagne rien à augmenter la dose de peptone 
qui a pu être portée à 2 0/0 et 5 0/0 sans que l’action devienne 


60 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


plus rapide. La proportion d'acide volatil obtenu est ici bien 
plus considérable qu'avec les sucres, etil se forme en outre une 
quantité notable d'alcool éthylique. 

Mannite. — Des ballons contenant chacun 5 grammes de 
mannite dissous dans 100 c. c. d’eau peptonisée à 1 0/0 ont 
donné: 


Act. lact. Ac. vol. Alcool 
APres MAIOULS ENTER 1,45 0,2 0,6 
Aprés mois 2, 0 0,3 0,8 
APLES LS MNOISS- LE CRAN 4, D 0,6 0,4 


L’acide obtenu était toujours de l’acide droit. 

On obtient une destruction un peu plus rapide de la mannite 
en remplaçant l’eau peptonisée par le jus d'oignons additionné 
de 0,5 0/0 de peptone. 100 grammes de mannite, mis à fermenter 
dans ces conditions, ont donné après deux mois et demi : 


ATCOO MER IIQUE LEA AE ENS PERNE oi 
ACC ACER as cs den LOU MERE te Re »,0 
AGide or iqUe SEE RPE TEASER RE UN 4;9 
Acide lacÜque re. mie RE ARTE Ce 62,1 


L’acide était de l'acide droit. 
Dulcite. — 30 grammes de duleite mis à fermenter à 35°, dans 
600 c. ce. d’eau peptonisée à 1 0/0, ont donné au bout de 1 mois: 


ATCOOMÉ RNA SEE ALES EEE RUN Fee 4 
AGIde ROFQUE: ST EN MARNE IS RAR ER EE 1,74 
Acide-Hlactique 221407 7,83 


Acide droit. 
Glycérine. — 25 grammes de glycérine ont été mis en fermen- 
tation dans 500 c. ec. d’eau peptonisée à 1 0/0 : le ballon a été 
repris au bout de deux mois; dans 50 ce. c. de liquide, j'ai dosé la 
glycérine non attaquée; dans le reste j’ai dosé les acides; j'ai 

trouvé : 
Glycérine consommer PE ANr ERP 


6) 
Acide 1actique PERRET EE ER EEE 3,2 
Acide Tormique ERPMELEMAMER 


Acide droit. 


ÉTUDE DE LA FERMENTATION LACTIQUE. 61 


IT 
ACTION SUR QUELQUES ACIDES ORGANIQUES 


Le ferment que nous venons d'étudier est sans action sur le 
lactate de chaux. Des cultures en eau peptonisée à 5 0/0 de 
lactose, abandonnées à l'étude pendant plus d'un an, ont donné 
à l'analyse la même quantité d'acide fixe que les cultures sem- 
blables analysées 15 jours après l’ensemencement. Deux essais 
faits, l’un dans du jus d’oignon additionné de 1/2 0/0 de peptone 
et de 5 0/0 de lactate de chaux pur, l’autre dans une solution de 
lactate de chaux pur à 2 0/0 additionnée de peptone aux doses 
de 1 : 0,5 : 0,3 0/0, laissés trois mois à l'étude, ne m'ont permis 
de constater aucune attaque du lactate de chaux: pourtant, dans 
tous ces liquides, le ferment s'était développé. 

Je n’ai pu constater l’attaque ni du succinate de chaux, ni 
des tartrates de chaux de magnésie ou d’ammoniaque : par 
contre, le malate de chaux est attaqué avec facilité. 

Ensemencé dans une solution de peptone à 2 0/0 additionnée 
de 5 0/0 de malate neutre de chaux, le ferment se développe rapi- 
dement et, au bout de quelques jours, le liquide est le siège d’un 
dégagement gazeux très aclif. 

100 grammes de malate de chaux, correspondant à 64%',4 
d'acide malique, ont donné après 1 mois de culture, le dégage- 


x 


ment gazeux étant arrêté depuis plusieurs jours déjà : 


AlCO0ÉtTR Ye EE NE A fente eus 5,28 
Aide ACÉTIQUE SEE. ae En ln te coins « 10,3 
ETC O LME SE D ee ou sie sine D à derele sta 16,2 
Acide carbonique restant à l’état de carbonate de 
CR A ht Lune de rue aGioeRRe PS0 


Tout l’acide malique a disparu, et il ne reste dans la culture 
ni acide lactique, ni aucun autre acide fixe, car la chaux en solu- 
tion correspond à celle qui sature les acides acétique et for- 
mique, et d'autre part le résidu insoluble qui reste au fond du 
ballon dissous dans l'acide acétique donne de l’acétate de chaux 
sans mélange. 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(æp) 
[ES 


CONCLUSIONS 


Il résulte de l'étude que nous venons de faire : 

1° Qu'un ferment lactique peut, tout en conservant ses 
qualités de ferment lactique vrai, donner naissance à l’acide 
actif, celui-ci représentant plus de 80 0/0 du sucre détruit; 

20 Que la nature de l'acide n’est sous la dépendance directe 
ni de la fonction chimique, ni de la constitution de l’hydrate de 
carbone dont il dérive ; elle dépend d’un ensemble complexe de 
facteurs. J'ai montré qu’un certain nombre d'influences qui 
aboutissent à un ralentissement de la culture, la diminution de 
l'azote alimentaire, une température élevée, l'addition d’antisep- 
tiques, la résistance plus grande de l'aliment hydrocarboné 
déterminaient toutes la production du même acide droit; peut- 
être en est-il d’autres qui nous conduiraient à l'acide gauche. 
Dans des questions aussi complexes, il faut accumuler patiem- 
ment les faits et avant tout se garder des généralisations hâtives. 


PE 


FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES 
PAR LE COLI-BACILLE DU NOURRISSON 


Par M. A. PÉRÉ 


Pharmacien-major de {re classe. 


Travail du laboratoire de Chimie biologique, à l'Institut Pasteur. 


L'étude biologique des microorganismes a depuis longtemps 
révélé l'existence de types de transition entre des êtres nette- 
ment séparés par leurs caractères : c’est ainsi que les mucors, 
les myrolevures sont venus prendre leur place naturelle entre 
les mucédinées et les levures ‘. Cette notion ne s’est que lente- 
ment fait jour, parce qu’elle heurtait certaines habitudes d'esprit 
et paraissait hostile à tout essai de classification morphologique. 
Il a fallu pourtant l’accepter, et même, quand on a appliqué les 
méthodes qui l’avaient fournie à l'étude des groupes qui, à un 
premier examen, avaient paru consliluer une espèce bien déter- 
minée, on s’est souvent aperçu que celte espèce sortait un peu 
ou même totalement disloquée de cette étude plus approfondie 
de ses caractères biologiques. 

Par ce côté, rien n’est plus édifiant que l’étude du Bacterium 
coli commune. Tant que l’on se borna, pour déterminer ce mi- 
crobe, à l’observation de ses caractères morphologiques et de 
l'aspect de ses cultures sur les divers milieux, on put le consi- 
dérer comme formant uue espèce déterminée, et même soutenir 
l'hypothèse de son identité avec le bacille typhique ; mais la 
discussion s’éteignit dès que l’on s’avisa de recourir aux carac- 
tères biologiques : il fallut alors reconnaître, non seulement que 
ces deux microbes ne sont pas identiques, mais encore que le 
B. coli ne constitue pas un type unique, que ses propriétés 
varient suivant son origine, comme s’il était en continuelle 
évolution. 


4. Ducraux. Chimie biologique. 


64 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Pour n’envisager qu’un seul des attributs du B. coli, celui 
de faire de l’acide lactique droit en partant du glucose, à l’in- 
verse du bacille typhique qui fait de l’acide lactique gauche, 
Van Ermengen à reconnu que parmi plusieurs échantillons 
soumis à son étude, les uns faisaient de l’acide lactique droit, 
les autres de l’acide lactique gauche. J'ai déjà cherché à m’ex- 
pliquer ces divergences ‘ : j'ai reconnu que le coli-bacille de 
l'homme, lorsqu'il provient de l'intestin de l'adulte, fait tou- 
jours de l’acide lactique gauche avec le glucose; mais qu'il 
fait, lorsqu'il provient de l'intestin du nourrisson, ou de l'acide 
lactique droit ou de l’acide lactique gauche, suivant la nature de 
l'azote alimentaire. 

D’autres contradictions subsistent : plusieurs observateurs 
accordent au B. coli la propriété, que d’autres lui refusent, de 
faire fermenter certains corps sucrés, tels que le saccharose, la 
olycérine. Comme je le montrerai, ces contradictions ne sont 
qu'apparentes. 

Mais en entreprenant ces nouvelles recherches, j'avais sur- 
tout en vue de réunir quelques faits sur une question que je 
m'étais déjà posée *, et qui me semble encore d'actualité, bien 
que M. Kayser * et M. Pottevin ‘ l’aient enrichie de documents 
d'un haut intérêt, à savoir quelles relations peuvent exister 
entre la structure moléculaire de l’acide lactique produit par un 
ferment donné et la structure moléculaire du sucre générateur, 
ou la quantité et la qualité de l’azote alimentaire, ou les condi- 
tions générales de la fermentation. Les faits consignés dans 
cette note ne me semblent pas faire tous double emploi avec 
ceux qui nous sont déjà connus. J'appellerai plus particulière- 
ment l’attention sur le suivant : c’est qu’un même ferment peut, 
en partant d'un même sucre, laisser de l'acide lactique inactif, 
ou de l’acide droit, ou de l’acide gauche, ou un mélange non 
compensé des deux stéréo-isomères. 


1. Société de biologie, mai 1896. 

2, Ces Annales, t. VII, Formation des acides lactiques isomériques. 

2. Ces Annales, t. VIII, Contribution à la fermentation lactique. 

4. Contribution à l'étude de la fermentation lactique, ce volume p. 49. 


FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 


65 


Dans une première série d'expériences, j'ai mis en œuvre 
les divers sucres et alcools polyatomiques dans des conditions de 


culture absolument identiques. 
Voici la composition de ces liquides de culture : 


LIQUIDE A ! 


Sucre ou alcool polyatomique.... 10 grammes. 
LS CN RENE RER PET 3 — pour 200 c. c. 
Carbonate de.chaux:::. 1.7... 6 — 


Après stérilisation, ces liquides recevaient la valeur d’une 


anse de platine d’une culture sur bouillon âgée de 6 jours. 
semence provenait des selles d’un nourrisson âgé d'un mois. 


température d’incubation était de 38°. 


a 
La 


J'ai exprimé les résultats par le poids du lactate de zinc obtenu, 
sa teneur en eau de cristallisation, et son action sur la lumière 


polarisée. 
Dextrose. — Durée de la fermentation : # à 5 jours. 
Pdurlacta te deze DURÉE 2 Scene Monroe ue 4,157 gr 
DR = UV NAN ARC RSR PRE RARE AURA EE 3047! ! 


Après 24 heures, la solution a laissé déposer 0,2144% de 
cristallisé qui a donné : 


Éertedienu AGO RS A EN DS sata me te 16,04 
a OS Pan yes RE TELE RENE 0 dure sas 33.20 


Le sel obtenu par l’évaporation du liquide filtré a donné : 


Pertesdieda4160040/022%. 7... 12 EM RRMER eh 14,16 
ADO OF SORMEEUTEE.: 2. EE ERA A 7. 39,14 


sel 


1. Dans toutes ces expériences, la solution du sel de zinc total était ramenée à 
20 c. c; l'observation au polarimètre se faisait à la température de 20° et au tube 
de 2 décimètres. — Je rappellerai que les lactates actifs de zinc renferment 


12,90 0/0 d’eau et le lactate inactif 18,18 0/0, 


66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Nous retrouvons donc un mélange d’acide lactique inactif et 
d'acide lactique droit, soit que l’acide droit et l’acide gauche 
prennent naissance concurremment et en proportions inégales, 
soit plulôt que la formation primitive d’acide inactif s’accom- 
pagne, dans le protoplasma cellulaire, du dédoublement de cet 
acide par l’attaque plus prononcée du côté gauche de sa molécule 
racémique. 

Mannose. — Durée de la fermentation : 10 jours. 


bédu selde ZINC Pur Er ten eee Le 1,738 gr. 
Perle d'eau fé24000 0/0 RE AS nr caen 18,06 
710070 du sel an Ryder PAT PARC RE 39,26 


Acide lactique inactif. 
Galactose. — Durée de la fermentation : 10 jours. 


Padussel ide 71nC DURE ee ME ER EP ee 1,015 gr. 
PCTE MEANS TODOr 70 ESA TENNIS 18,10 


Acide lactique inactif. 


Sucre interverti. — Durée de la fermentation : 9 à 10 jours. 
Pdusel ide ZINC pure: OR Rte Reis 1,615 gr, 
Perte idieau 8 4000, 0/0 M RL RER dore 18,04 


Acide lactique inactif. 

Ces trois fermentations aboutissent à l’acide inactif, soit que la 
quantité d'acide lactique retrouvée représente la quantité totale 
de l’acide lactique formé dans le protoplasma, soit que l'acide 
lactique, primitivement formé, subisse une attaque parallèle et 
d’égale intensité par les deux côtés de sa molécule racémique. 

Arabinose. — Durée de la fermentation : 13 jours. 


SolUtION TOUS ele INE NE RE ET CENTRE + 14 


Nous voyons apparaitre ici l'acide lactique gauche en petite 


quantité. 
Saccharose. — Durée de la fermentation : 6 jours. 
Ptduseldezine pure APN ERREUR TEE 1,950 gr. 
1067. [al RCE RE RER EEE — 0088! 
Perte d'eau à 1600, 0/02 HR 0 RE RME OR Ce 13,62 


7Zn0:10/0.dusel anhydre., 54 RAA RERSERARSR M 33,20 


e 


NP) « POUR ner 14 bé) RS 


- Tape a 
T'ON 


FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 67 


Acide lactique droit. 

Il ne se dépose pas spontanément de cristaux, comme dans le 
cas du dextrose. Néanmoins la proportion d’eau un peu élevée 
permet d'assurer que l'acide droit est mêlé d’une faible propor- 
tion d'acide gauche. 

Lactose. — Durée de la fermentation : 41 à 12 jours. 


PAU Sel dé Ain parie ML RL Res D Lee 0,460 gr. 
CRETE CL OO PR RE RNA de . + 804!’ 


Acide lactique gauche. 


Mannite. — Durée de la fermentation : 12 jours, 

Pedusel de zine Durée ni cit ne SERRE TE ET 0,652 gr. 
ane on do en pomagee don don + 8010 
HÉRADEAURE LOUP JOEL De dan ed eee noue 12,94 
PUDSU/URduselanRydre re Ste MUR 32,90 


Acide lactique gauche. 
Dulcite. — Durée de la fermentation : 16 jours. 


Bolton sel TC ZIRC  @— 2e IQ + 1# 


Acide lactique gauche. 
Glycérine. — Durée de la fermentation : 15 jours. 


DOLHIOM Id SEL dE ARC G —= 2.4 ua sans + 22° 


Acide lactique gauche. 

Ainsi, parmi tous ces corps sucrés, les uns produisent de 
l'acide inactif (mannose, galactose, sucre interverti) ; d’autres de 
l'acide droit (dextrose, saccharose) ; les autres de l'acide gauche 
(arabinose, lactose, alcools polyatomiques) ; et cela, par l’action 
d’un mème ferment et dans des conditions de culture identiques 
pour tous, puisque les liquides mis en fermentation ne différaient 
entre eux que par la nature du corps ternaire. Il est bien vrai- 
semblable, vu la petite proportion d’acide lactique retrouvée et 
les formes stéréo-isomériques différentes qu’il affecte, sans qu’il 
nous soit possible de relier ces formes à la structure moléculaire 
du corps générateur, que les acides actifs ne dérivent point direc- 
tement des divers sucres, mais procèdent d’une fermentation 


68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


secondaire qui atteindrait l'acide inactif primitivement formé : 
hypothèse raffermie par le fait que ce microbe, comme je lai 
montré ailleurs, peut attaquer et dédoubler le lactate de chaux. 

Les résullats ci-dessus permettentun curieux rapprochement 
entre la structure de l’acide lactique formé et la résistance que 
le sucre générateur oppose à l’action dislocatrice du ferment : 
les sucres dont la destruction est très rapide nous donnent de 
l'acide droit; ceux qui fermentent moins vite nous donnent de 
l'acide inactif; enfin l’acide gauche provient de ceux qui résis- 
tent le mieux à l’action du rent IL est dès lors bien évident 
que la structure de l'acide lactique engendré estliée à des raisons 
de l’ordre purement physiologique, en particulier à la valeur 
alimentaire des divers corps sucrés, et non d’une manière 
directe à la structure stéréo-chimique de ces sucres. 

Il est aussi à noter que les proportions d'acide gauche sont 
minimes, dans les fermentations lentes où il se produit, en regard 
des proportions d'acide inactif ou d'acide droit, dans les fermen- 
tations plus rapides qui leur donnent naissance. Il semblerait que 
le microbe, effectuant difficilement l'attaque de l'aliment ternaire 
qu'on lui a offert, poursuit d'autant plus énergiquement l’atta- 
que de l’acide lactique formé dans la réaction initiale ; le choix 
entre les deux aliments, sucre ou alcool et acide lactique, se trou- 
vant moins marqué dans les fermentations lentes que dans les 
fermentations rapides. 

En outre des différences de quantité, ce coli-bacille présente, 
avec le ferment lactique de M. Pottevin, des différences de qua- 
lité extrémement intéressantes : à inverse du premier, celui-ci 
donne de l’acide droit avec les sucres dont l'attaque lui est diffi- 
cile; avec les divers sucres, il ne donne que deux acides lacti- 
ques, le droit et l’inactif, alors que le coli-bacille peut aboutir 
aux trois acides stéréo-isomériques. 

Je ferai remarquer, en dernier lieu, que le coli-bacille du 
nourrisson attaque le saccharose, la dulcite et la glycérine, ce 
que ne peut faire le coli-bacille de l’adulte : c’est peut-être à 
la différence dans l’origine des germes étudiés qu'il faudrait attri- 
buer les divergences dans les résultats obtenus par divers obser- 
vateurs, dans leur étude du Bact. coli commune. 


M Ex ROVER T TO ro x: 


FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRÉS. 69 


Il 


A la suite de ces données se présente naturellement à l’esprit 
cette hypothèse que tout sucre, saccharose, dextrose, mannose, 
qui donne de l'acide lactique droit ou de l’acide inactif dans les 
conditions de fermentation indiquées ci-dessus, que j’appellerai 
normales, pourra nous conduire à l'acide lactique gauche, si, par 
quelque artifice de culture, nous rendons son attaque plus diffi- 
cile, et sa fermentation plus lente. J’ai donc fait quelques expé- 
riences sur ces trois sucres, en modifiant les conditions de la 
fermentation, soit par l’addition d’antiseptiques, soit par l’abais- 
sement de la température, soit par une diminution de l'azote ali- 
mentaire ou par la substitution de l'azote minéral à l’azote 
organique. 

Saccharose. — 1. Le liquide A est additionné de 1 pour 1000 


de phénol : 


Pda tte deze DURE eue cure eneeceses 1,506 gr. 
CL SIRET RS RE en — 60,11 


Acide lactique droit. 
Rien n’est donc changé dans les résultats; mais il faut dire 


que si la fermentation débute plus tard que la fermentation nor- 
male, elle se poursuit, une fois mise en train, avec une grande 
régularité et la mème vitesse. Il est possible qu'il se fasse parmi 
les germes une véritable sélection, les moins vigoureux ne pou- 
vant s'adapter à ces conditions d'existence. 

2. Le liquide A est maintenu à 25°, 


SolUtIondUSelderZIN CRE NME RL IE ae 


Acide lactique droit ‘. 
3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu’elle 
était dans le liquide A. 
La fermentation s'arrête avant que le sucre soit ne 
détruit. 
4. Je dois signaler ici la formation d’acide succinique € en proportion no table 
alors que la fermentation normale du sucre de canne n’en fournit pas; mais la 


fermentation du lactose et des alcools polyatomiques en donnait de petites 
quantités, 


70 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Solution di sel de INC RARE ER œ— — 99 


Acide lactique droit. 


4. Sels ammoniacaux, en place de peptone. Le sucre n’est” 


pas attaqué. 

Nous obtenons donc toujours de l’acide lactique droit, comme 
dans les conditions normales de culture : le saccharose s’est 
montré rebelle à toute influence modificatrice. 

Nous allons voir qu’il n’en est pas de même avec le dextrose, 
bien que ce sucre se comporte comme le saccharose dans les 
conditions normales de culture. 

Dextrose. — 1. Température : 25°. Liquide A. 


Pure ec POELE EP RRENOREERE 1,5024 gr. 
D PRO RRE IG) IDE AE PILES EE A RE + 30,37 
Hanide cristallisation 20/0 RER EN ee 45,76 
290./0/0/du sel'nliydire Rare TA TER ANS 33,1 


Nous sommes en présence d’un mélange des acides stéréo- 
isomères, mais ici la proportion d'acide gauche l'emporte, 
contrairement à ce quis’est produit dans la fermentation normale. 

2. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0 de ce qu'elle 
était dans le liquide A. 


SOIUTONn ANSE IAAeIZ INC MREERPRREERR e & — a 


Acide lactique gauche. 

La fermentation s’est arrêtée alors que le liquide renfermait 
encore de notables proportions du sucre. 

3. Sels ammoniacaux, en place de peptone. 


Pardi sel de wine DUTIAÉ NET SPA PA 0,5964 gr. 
ie D OA ER EE ed TER ee 2020) 
pauvde*cristallisation 40/0 RER NES Re 12,82 


Acide lactique gauche. 

Toutes les influences modificatrices mises en jeu nous ont 
conduit à l'acide lactique gauche. Voyons à présent ce que nous 
donne la mannose. 


4, Sulfate d’ammoniaque............ 9 orammes 
Phosphate d’ammoniaque........ 2 — pour 200e de liquide 
Carbonatetdenchaux PME OS: 


nt as tte de ne de 


sde ot eu Dubai Éd ed Sa SR On TT OO te ds 


 nttetlel sd rhin dat des: 


FERMENTATION LACTIQUE DES CORPS SUCRES. 71 


Mannose. — 1. La composition du liquide de culture ne diffère 
de celle du liquide A que par l'addition de 5/10000 de phénol. 


ER IRAN EL DUT HAE. LL à Re 1,4756 gr. 
OR (Ge DER PES LIU LI UT — 60,7 
Bau/derenstalhsation. 0/04.7::.,.,..2. 10 LR 13,12 


Acide lactique droit. 
2. Température : 25°. Liquide À. 


D duESBIN dE Zn CS DUT ARCS VUE AR ne 1,9246 gr. 
ER RL EU Da M NS En ce da —- 50,32 
Hausdesonstalisation 00e mener 13,50 


Acide lactique droit mêlé de traces d’acide gauche. 

3. La proportion de peptone est réduite à 10 0/0. 

La solution de lactate laisse déposer spontanément des 
cristaux renfermant 17,08 0/0 d’eau. 


Solutions derlactate devzinc iItrée. M A & — — 8! 


Léger excès d’acide lactique droit. 
4. Seis ammoniacaux, en place de peptone. 


URSS ZINC PULTILÉ DE RS En een tis 0,762 
CORRE ARS (ORDRES CNE RERO NE Res NN + 70 
Bandes cristallisation 0/O ne Re EE REA Er re 12,76 


Acide lactique gauche. 

Il est très intéressant de remarquer que les trois sucres mis 
à l'épreuve ne reconnaissent pas de la même manière les diverses 
influences que j'ai fait agir : tandis que le saccharose s’est 
montréindifférent à ces influences, à ne considérer, bien entendu, 
que la structure de l'acide lactique engendré, la dextrose leur 
obéit toujours dans le même sens, faisant de l’acide gauche sitôt 
que nous modifions les conditions de la fermentation. Quant 
au mannose, il réagit diversement sous les influences diverses, 
faisant tantôt de l’acide droit, tantôt de l’acide gauche, alors 
qu'il donne de l’acide inactif dans la fermentation normale. 

Rien ne saurait montrer avec plus de netteté l’absence de 
toute relation directeentre lastructure du sucre générateur et celle 
de l'acide lactique formé, ni mettre plus clairement en évidence 


12 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les relations étroites qui existent entre la structure de l’acide 
lactique produit et les conditions générales de la fermentation. 

Comme on le voit, le ferment de M. Pottevin, qui donne 
deux acides lactiques (droit et inactif) avec les divers corps 
sucrés, suivant la nature du sucre mis en fermentation, peut 
aussi donner les deux mêmes acides lactiques avec un même 
sucre; de même notre coli-bacille, qui fait les 3 acides lactiques 
stévéo-isomériques avec les divers corps sucrés, peut faire aussi 
ces trois acides lactiques avec un même sucre. 


REVUES ET ANALYSES 


RAPPORT 


PRÉSENTÉ AU NOM DE LA SOUS-COMMISSION DE L'HYGIÈNE 


À LA COMMISSION EXTRA PARLEMENTAIRE 
du Monopole de l’Alcool. 


Par M. DUCLAUX. ! 


MESSIEURS, 


Votre Sous-Commission de l'hygiène s’est uniquement préoccupée, 
dans ses premières séances, de ce qu’on pourrait appeler le côté phy- 
siologique du problème de l'alcoolisme. Tous les projets de monopole 
ou de rectification publiés jusqu'ici visent avant tout une réforme 
hygiénique: c’est la valeur morale et sociale qu’on leur supposait sous 
ce rapport, bien plus que leur incertaine valeur fiscale, qui leur a fait 
rapidement tant et de si chauds partisans. Il a paru à votre Sous- 
Commission qu’elle se devait et qu’elle vous devait d’attirer l'attention 
du public sur le degré de solidité de ces espérances hygiéniques, de 
dresser le bilan de ce qu’on pouvait attendre, dans cette voie, des mesu- 
res proposées, d'indiquer les barrières naturelles devant lesquelles 
toute action législative devient impuissante, bref, d'établir les princi- 


1. A la suite de la présentation de divers projets de monopole de l'alcool, une 
commission extra parlementaire a été nommée pour l'étude des questions scien- 
tifiques et industrielles que soulevaient ces projets. Après avoir tenu quelques 
séances, cette commission a nommé deux sous-commissions, l’une dite de 
l'hygiène, l'autre dite des voies et moyens. La première a clôturé provisoirement 
ses travaux par l’adoption du rapport que voici. 

En publiant ce rapport, qui date du mois d'avril dernier, je crois devoir 
faire observer qu'il représente les idées de la Sous-Commission, présidée par 
M. Ribot, qui l’a accepté à l’'unaminité. Mais il ne va pas jusqu” au bout des mien- 
nes. On y retrouvera pourtant quelques-unes de celles que je soutiens depuis long- 
temps dans ces Annales, et qui sont revêtues aujourd'hui de toute l’autorité de 
la Sous-Commission. 


74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pes dont les pouvoirs publics ne peuvent faire autrement que de s’ins- 
pirer, sous peine d’échouer dans leur œuvre. 

Tout d’abord une question préliminaire s’est posée devant elle. 
Avait-elle le droit, au nom des principes, de proscrire l'alcool sous 
toutes ses formes, même sous celle de vin, de bière, de cidre? Il lui a 
paru que cet ostracisme absolu n’était pas autorisé. Le vin a une 
histoire hygiénique remplie de vicissitudes. Les vieux médecins le 
prônaient. IL était encore très en honneur il y a quarante ans. On en 
médit aujourd’hui, C’est peut-être qu'en moyenne il est plus mauvais 
qu’autrefois et qu’il y entre moins de raisin. Mais ce qui prouve que 
ce n’est pas là la seule cause, c’est que beaucoup des médecins qui 
proscrivent le vin rouge acceptent le vin blanc, qui est encore plus 
facile à falsifier. Quoi qu’il en soit, il y a contre le vin un courant 
d'opinion, provoqué par les mauvais vins, mais qu'il serait injuste 
d'étendre aux bons. Une Commission, instituée en juillet 1895 auprès 
du Ministère de l’Instruction publique, et dont faisait partie notre col- 
lègue le docteur Lancereaux, a été bien inspirée de dire que « l’usage 
modéré des boissons fermentées produit une légère stimulation du 
système nerveux. Le cidre détermine une augmentation de la sécré- 
tion urinaire ; la bière à petites doses excite la faim; le vin agit plus 
particulièrement comme stimulant ». Mise en présence de la même 
question, votre Sous-Commission a cru devoir être encore plus pru- 
dente ; elle n’a pas voulu parler des avantages de la consommation du 
vin, de la bière, du cidre, du poiré; elle a seulement exprimé l'opinion 
que leur usage modéré est sans inconvénient. 

Il est entendu que le terme modéré n’est pas défini, parce qu’il n’est 
pas définissable. Il faudrait faire entrer dans sa définition à la fois celle 
du vin et celle du consommateur, et cela n’est pas possible. Mais cha- 
que consommateur sait ce que représente pour lui une dose modérée, 
et tout ce qu’a voulu faire la Sous-Commission est de tranquilliser ce 
consommateur sur les suites prochaines ou éloignées de son penchant, 
à la condition qu’il se modère. Elle y est autorisée au nom de la 
science qui ne nous montre dans le vin et la bière bien préparés aucun 
principe nocif, au nom de l’expérience qui pendant des siècles a témoi- 
gné que l’usage modéré de ces boissons était inoffensif, au nom de 
l'intérêt agricole des cultures qui aboutissent au vin, à la bière et au 
cidre, au nom enfin (mais je mets cette considération en dernier lieu) 
du danger qu’il y a à se montrer intransigeant dans une affaire, même 
quand on la traite au nom des principes. Il faut accorder quelque 
chose au consommateur quand on veut obtenir de lui quelque chose. 

Ce premier point établi, le terrain était déblayé. L'alcool se présente 
à la consommation non seulement dans les boissons fermentées, mais 
aussi dans les eaux-de-vie qu’on en retire, ou bien encore dans les fleg- 


REVUES ET ANALYSES. 75 


mes provenant de la distillation des moûts fermentés de betteraves, 
de grains et de fruits de diverse nature. Dans ces flegmes et eaux-de- 
vie, l'alcool est à un degré de concentration qui en change l'effet sur 
l'organisme, Il est absorbé plus rapidement dans l’estomac, passe en 
plus grande abondance dans la circulation générale, et l'effet d'exci- 
tation qu'il amène lorsqu'il est en petite quantité augmente et peut 
devenir dangereux lorsque cet effet est porté trop haut chez celui qui 
s’enivre, ou lorsqu'il se répète trop souvent chez celui qui prend l’ha- 
bitude de l’alcool. Or toute sensation, même la plus agréable, même 
la plus utile, lorsqu'elle est trop exaltée, devient un danger. Il en est 
de même pour l'excitation alcoolique qui, même produite au moyen 
d'alcool tout à fait pur, est nuisible à la santé, dès qu’elle devient 
trop violente ou trop fréquente. : 

Ce n’est pas tout : les flegmes et eaux-de-vie contiennent tous, en 
proportions variables, des aldéhydes, des alcools supérieurs et d’au- 
tres produits provenant soit des fermentations variées dont le moùt 
a été le siège, soit des matières premières qui ont servi à les obtenir. 
Toutes ces substances, que nous appelons du nom impropre d'impu- 
relés, sont toxiques, bien plus toxiques à volume égal que l’alcool. 
C’est ce que nous ont montré, les premières, les belles expériences de 
MM. Laborde et Magnan, et ce qui a été confirmé depuis par une foule 
de physiologistes. Le danger propre de ces substances s’ajoute au dan- 
ger de l'alcool qui les a entraînées avec lui, de sorte qu'il y a plus 
d'inconvénients à boire un alcool chargé d’impuretés qu’un alcool au 
même degré qui n’en contiendrait pas. 

C'est de cette conséquence très juste que sont partis tous les projets 
qui visent à résoudre hygiéniquement le problème de l’alcoolisme en 
améliorant la rectification. Supprimons ces impuretés, ont-ils dit, et 
nous obtiendrons un alcool à peu près inoffensif, que le consommateur 
pourra absorber et l’État vendre en grandes quantités, et qui enrichira 
le Trésor sans appauvrir la race. Ce serait l’idéal. Mais votre Sous- 
Commission était obligée de s’en tenir aux réalités. 

Ellea d’abord établi comme principe qu’il n’y a aucun alcool distillé 
quisoithygiénique, et qu’au delà d’une certaine limite l’alcool éthylique 
le plus pur devient dangereux. Cette limite est, il est vrai, assez élevée 
pour lui, plus élevée que pour les autres alcools et les substances quali- 
fiées d’impuretés. Mais il a paru inutile de la fixer, parce que l’alcoo! 
tout à fait pur est imbuvable. Le consommateur ne le recherche ou 
ne l’accepte qu’accompagné de quelques-unes de ces impuretés qui lui 
donnent son goût, son parfum ou son cachet: de sorte que si en recti- 
fiant l'alcool on le rend plus inoffensif, on lui enlève d’un autre côté sa 
clientèle. 

De bons esprits ont pensé qu'il y avait là une solution, et qu'en ne 


76 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


donnant aux consommateurs que de l'alcool purifié et par là peu agréable 
à boire, on les corrigerait de ce goût. C’est évidemment là une illusion. 
Il faudrait un gouvernement singulièrement fort pour imposer un 
goût au public, et une police singulièrement vigilante pour empêcher 
ce public de faire rentrer dans la consommation les impuretés donton 
voudrait le priver, ou de les remplacer par d’autres tout aussi dan- 
gereuses. L'expérience a du reste montré qu’en Suisse il a fallu rendre 
aux consommateurs le goût de fusel, d'alcool de pomme de terre, 
auquel ils étaient habitués dans leur alcool, Ils le réclamaient comme 
électeurs, comme clients, et comme logiciens, car pourquoi leur refuser 
les éléments de sapidité qu’on concédait aux buveurs de kirsch ou de 
cognac authentique. 

Aucun alcool, même le plus cher, n’est en effet exempt de ces impu- 
retés. Elles varient de l’un à l’autre en qualité eten quantité, sont, de 
l’un à l’autre, plus ou moins dangereuses à raison de cette double cause 
de variation; mais elles existent partout, parce qu'elles ne peuvent être 
absentes nulle part. On ne peut songer à les faire disparaitre, et par 
suite le problème de l’alcoolisme n’est pas un problème de perfection- 
nement dans la rectification. D'ailleurs ceux-là mêmes qui préconisent 
cette solution n’ont jamais songé à en faire une solution générale. Ils 
ne songent nullement à rectifier les kirschs, les cognacs, les rhums et 
en général les eaux-de-vie de marque. Ils proposent de rectifier seule- 
ment les eaux-de-vie de betteraves ou de grains, ce qu’on appelle 
d'ordinaire les alcools d'industrie. 

Il est certain qu’il y a un progrès à accomplir de ce côté, et qu'on 
pourrait chercher à assurer davantage la pureté des alcools provenant 
non seulement de l'industrie, mais aussi des bouilleurs de cru. 
Contrairement à ce qu’on croit d'ordinaire, il n'y a aucune supério- 
rité des uns sur les autres. Les fermentations industrielles donnent 
parfois des alcools très impurs, mais que la rectification purifie. Par 
contre, les fermentations faites chez les bouilleurs de cru donnent 
parfois des alcools impurs que la simple distillation à laquelle ils sont 
soumis n’améliore pas, et quand ces bouilleurs de cru deviennent à 
leur tour des bouilleurs de cuit et font de l’alcool de betteraves 
ou de pommes de terre, leur alcool est beaucoup plus mauvais que 
l'alcool industriel. Un contrôle hygiénique qui arrêterait des l’origine 
ou empècherait de circuler un alcool contenant au delà d’un certain 
minimum d’impuretés serait un bienfait. 

Mais autant il est sage d'espérer une amélioration de ce côté, 
autant il serait vain d'espérer qu’elle sera considérable; car d’un 
côté, les impuretés, de quelque nature qu’elles soient, ne peuvent être 
totalement éliminées dès qu’une catégorie de consommateurs les 
recherche ; de l’autre, dès qu’elles atteignent une certaine proportion, 


REVUES ET ANALYSES. 14 


elles deviennent intolérables pour l'immense majorité des consom- 
mateurs. C’est entre ces deux barrières naturelles que l'action légis- 
tive doit se mouvoir, si elle ne veut pas se briser contre plus fort 
qu'elle. 

Or, dans ces limites, il est facile de faire le départ de l’action 
nocive due aux impuretés et de l’action nocive due à l'alcool qui leur 
sert d’excipient. On trouve alors qu'il y a disproportion évidente entre 
ces deux actions nocives. Les substances qui constituent les impuretés 
sont chacune individuellement un poison plus actif que l'alcool, 
80 fois plus actif par exemple pour le furfurol. Mais, amenées à l’état 
de dilution tolérable pour le consommateur, elles tombent, comme 
nocivité, au-dessous de lalcool qui les contient. C’est ainsi par 
exemple, que pour absorber dans un rhum la quantité de furfurol 
capable de le tuer par injection dans les veines, un consommateur 
devrait boire un demi-mètre cube de liquide: il serait mort par 
l'alcool longtemps avant de l’ètre par le furfurol consommé. 

Votre Sous-Commission a cru nécessaire de traduire cette notion 
scientifique en disant que « dans les alcools livrés à la consommation, 
même les plus mal rectifiés, l’action nocive des impuretés est loin 
d’égaler l’action nocive de l’alcool qui les contient », 

La question ainsi réglée du côté des impuretés naturelles des 
alcools de distillation, la Sous-Commission avait devant elle les impu- 
retés artificielles et ajoutées, les bouquets, les essences, les sauces, les 
ingrédients divers qui servent à préparer les absinthes, bitters, ver- 
mouts, apéritifs, etautres boissons d’avantetaprèslesrenas. Envisagées 
dans leur ensemble, ces substances sont beaucoup plus dangereuses, 
à l’état pur, que les impuretés naturelles. C’est ce qu'ont démontré 
les expériences de tous les physiologistes. Votre Sous-Commission a 
été d'accord avec tous ceux qui l'ont précédée dans l'étude de cette 
question, en affirmant une fois de plus que «le danger est beaucoup 
plus grand avec les essences, bouquets et autres ingrédients artificiels 
qu’on ajoute à l’alcool pour en faire les vermouts, apéritifs, absinthes 
du commerce. L’action nocive de ces substances, même lorsqu'elles 
sont les plus pures et les mieux choisies, peut augmenter dans une 
large mesure l’action nocive de l’alcoo! qui les contient ». 

La dernière partie de cette proposition répond à une préoccupation 
qui existe chez un grand nombre d'hygiénistes, et dont on trouve 
trace dans tous les projets de réforme du régime des alcools, Presque 
tous, sinon tous, renoncent à proscrire par exemple labsinthe : ils 
considèrent comme impossible cette œuvre hygiénique au premier 
chef, et comme ils sentent bien qu’ils pratiquent ainsi un énorme 
accroc dans les principes dont ils s'inspirent, ils se sauvent de cette 
difficulté en disant qu’on cherchera des substances moins dangereuses 


18 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


que l’absinthe pour faire de l’absinthe, et qu’au besoin on les deman- 
dera à l’Académie de médecine, 

Cette Académie, quelle que soit l'illustration de ses membres, sera 
sûrement fort embarrassée le jour où elle aura à répondre à cette 
demande. Elle dira sans doute, en se tenant à son tour sur le terrain 
des principes, qu’elle ne connait pas plus parmi les essences et 
bouquets que parmi les alcools supérieurs de substance qui soit 
agréable au consommateur sans être périlleuse pour lui, point de 
plaisir qui ne devienne un danger si on en abuse, et qu’en particulier 
si elle peut enseigner, à la rigueur, à verdir de l’orgeat, elle n’ensei- 
gnera pas pour cela à en faire de l’absinthe. Il n’y a donc qu’à répéter, 
à ce sujet, ce que nous disions au sujet des impuretés naturelles des 
alcools : il est souhaitable qu’un contrôle hygiénique survienne pour 
empêcher les fabrications trop éhontées de ces boissons à bouquets 
ou à essences, bien que ce contrôle soit destiné à se heurter à de 
plus grandes difficultés qu’au sujet de l’alcool ; mais de ce côté-là 
encore, il n’y à pas grand’chose à espérer au point de vue hygiénique; 
car «on ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût, 
capable de donner à l’alcool pur une des saveurs réclamées par le 
consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan- 
gereuse pour qui la consomme habituellement. » 

Ceci est la 6® proposition votée par la Sous-Commission, et elle 
termine l’exposé des principes. La 7° proposition tire de ces principes 
leurs premières conséquences pratiques, et on va y retrouver, conden- 
sées et résumées, quelques-unes des conclusions rencontrées plus haut. 

« En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhaitable 
de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus inoffensifs 
possible ; mais on ne peut espérer trouver la solution du problème de 
l'alcoolisme dans l'amélioration de ces produits. 

« En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des 
bouquets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé 
publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindre 
l'usage; on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients 
qui servent à les fabriquer, mais on n’en connaît pas qui satisfassent 
à la fois le consommateur, et soieni sans action nocive sur ses 
organes. » 

Dans toutes les directions, c’est donc toujours la même loi qu’on 
rencontre : le plaisir engendre l’abus, et l’abus fait naïtre le danger. IL 
y a au fond de ce problème de l'alcoolisme, une question de physiologie 
qui domine la question de législation. Contre ce fonctionnement physio- 
logique, ni l'individu ni la société ne sont désarmés, mais à la condition 
d'avoir appris à le bien connaitre. L’individu peut se surveiller et 
faire intervenir sa contrainte morale; la société peut, par l’éduca- 


REVUES ET ANALYSES. 17 


tion, rendre chez lui l'exercice de la volonté plus facile et plus libre, 
diminuer autour de lui les occasions de tentation en diminuant le 
nombre des cabarets, etc. Mais discuter ces moyens serait empiéter 
sur le domaine de la Sous-Commission des voies et moyens. Pour le 
moment, la Sous-Commission d'hygiène ne peut que lui renvoyer, à 
titre documentaire, le résultat de ses délibérations, qu’elle a terminées 
par la proposition suivante qui les résume : 

« Toute réforme qui veut être hygiénique doit donc s’attacher, 
d’abord et surtout, à diminuer la quantité d’alcool consommé, et en 
second lieu à en améliorer la qualité. » 

Si on revient maintenant sur l’ensemble de ces propositions, qui 
sont surtout d'ordre théorique, et si on les confronte avec les divers 
projets de monopole présentés jusqu’à ce jour, on peut voir que la 
conclusion de cette comparaison est la suivante : 

La Sous-Commission conclut qu’il y a quelque chose à gagner au 
point de vue de l'hygiène à assurer la purification des alcools d’alambic. 
Divers projets de monopole visent le même but, mais latéralement, 
et on peut l’atteindre sans aucun monopole. 

La Sous-Commission conclut plus fortement encore contre les bois- 
sons à bouquets et à essences. Les divers projets de monopole accep- 
tent l’absinthe, et émettent seulement l’espérance illusoire qu’on 
arrivera à en fabriquer d'hygiénique; à ce point de vue, votre Sous- 
Commission ne peut se rallier à aucun d’eux. 

La Sous-Commission conclut enfin qu’il faut essayer de restreindre 
le plus possible le nombre des buveurs. Tout monopole rêve au con- 
traire de l’augmenter, et cela par la force des choses, et malgré toute 
législation. A ce point de vue, votre Sous-Commission considérerait tout 
monopole comme funeste au point de vue de l’hygiène, car il n'existe 
pas d’alcool hygiénique, si bien purifié ou si bien cuisiné qu'il soit. 


CONCLUSIONS. 


À, — L'alcool, lorsqu'il est consommé à l’état de vin, de bière, de 
cidre, de poiré, etc.., est une substance dont l’usage modéré est sans 
inconvénients lorsque ces boissons sont bien préparées. 

9. — Aucun alcool distillé n’est hygiénique, et, au delà d’une cer- 
taine limite, l’alcool le plus pur devient dangereux. 

3. — Les impuretés naturelles qui accompagnent à la distillation 
l'alcool! de fermentationajoutent leur danger propre au dangerde l’alcool 
qui les contient. 

4. — Dans les alcools livrés à la consommation, même les plus 
mal rectifiés, l'action nocive des impuretés est loin d’égaler l’action 
nocive de l’alcoo!l qui les contient, 


80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


5. — Le danger est beaucoup plus grand avec les essences, bouquets 
et autres ingrédients artificiels qu’on ajoute à l'alcool pour en faire les 
vermouts, apéritifs, absinthes du commerce, etc. L'action nocive de 
ces substances, même lorqu’elles sont les plus pures et les mieux choi- 
sies, peut augmenter dans une large mesure l’action nocive de l'alcool 
qui les contient. 

6. — On ne connaît aucune substance qui soit agréable au goût, 
capable de donner à l'alcool pur une des saveurs réclamées par le 
consommateur, et qui ne soit pas en même temps une substance dan- 
gereuse pour qui la consomme habituellement. 

7. — En ce qui concerne les alcools de distillation, il est souhai- 
table de les voir ramenés à un taux de pureté qui les rende le plus 
inofensifs possible; mais on ne peut espérer trouver la solution du 
problème de l'alcoolisme dans l’amélioration de ces produits. 

En ce qui concerne les liqueurs alcooliques fabriquées avec des bou- 
quets ou des essences, elles présentent un tel danger pour la santé 
publique qu’il faut chercher autant que possible à en restreindré l'usage ; 
on doit essayer aussi de rendre plus inoffensifs les ingrédients qui ser- 
vent à les fabriquer; mais on n’en connaît pas qui satisfassent à la fois 
le consommateur et soient sans action nocive sur ses organes. 

8. — Toute réforme qui veut être hygiénique doit s'attacher d’abord 
et surtout à diminuer la quantité d'alcool consommé, et en second lieu 
à en améliorer la qualité. 


—— ——————— — ———— 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie E. Charaire. 


49me ANNÉE FÉVRIER 1898 No 2. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


RECHERCHES 
SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES 


Par EL. METCHNIKOFF 


DEUXIÈME MÉMOIRE 


INFLUENCE DU SYSTÈME NERVEUX SUR LA TOXINE TÉTANIQUE 


Les recherches résumées dans mon premier mémoire sur les 
toxines (ces Annales, novembre 1897, p. 801) m'ont amené à 
étudier d’une façon plus détaillée les phénomènes qui se passent 
dans l’organisme des sauropsidés en général, et des poules en 
particulier, après injection de la toxine tétanique. 

Dans le courant de ces expériences, faites pendant les deux 
dernières années, j'ai eu souvent occasion d'étudier l’action 
tétanigène sur des souris auxquelles j'avais injecté en même 
temps ou peu de temps auparavant des fragments du cerveau et 
de la moelle épinière de tortues et de poules; comme je l’ai dit 
dans mon premier mémoire, je n'ai observé aucune action anti- 
toxique de ces organes. 

Comme cette constatation semble être en désaccord avec les 
faits, si intéressants, découverts tout récemment par MM. Was- 
sermann et Takaki', et comme d'un autre côté ces faits promet- 
taient de jeter une vive lumière sur la question de la produc- 
tion de l’antitoxine, je me me suis mis à étudier l'influence du 
système nerveux central sur la toxine du tétanos. 


1. Berliner Hlinische Wochenschr., 1898, n° 1, 


82 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans le but d’élucider l’apparente contradiction entre les 
résultats de MM. Wassermann et Takaki, obtenus surtout avec le 
cerveau de cobaye, et les miens, obtenus avec les centres ner-” 
veux des tortues et des poules, j’ai d’abord étudié comparative- 
ment l'influence du système nerveux central de ces diverses 
espèces animales sur la toxine télanique. 

J'ai pu d’abord confirmer l’expérience fondamentale et si 
intéressante de MM. Wassermann et Takaki : le cerveau de cobaye, 
broyé avec de l’eau stérile ou avec de la solution physiologique 
de chlorure de sodium, et injecté en mélange avec des doses plu- 
sieurs fois mortelles de toxine tétanique, préserve contre le téta- 
nos les animaux les plus sensibles, comme le cobaye et la souris. 
Des doses minimes de cerveau exercent déjà une action mani- 
feste, et, par exemple, 8 milligrammes de cerveau de cobaye 
normal peuvent suffire pour préserver des souris contre la dose 
sûrement mortelle (pour des souris non traitées) de toxine téta- 
nique. 

Le cerveau de cobaye produit cette action antitoxique non 
seulement chez la souris, mais aussi chez le cobaye. 

Même le cerveau, prélevé sur des animaux atteints de tétanos 
mortel, manifeste son action contre la toxine tétanique dans le 
cas où on l’injecte en mélange avec celle-ci à des animaux neufs. 
Ainsi 36 milligrammes de cerveau, retirés à un cobaye en plein 
tétanos généralisé, ont préservé une jeune souris blanche contre 
le tétanos mortel. Des constatations analogues ont été faites pour 
le cerveau des souris tétaniques. 

Eh bien, tandis que le cerveau de ces rongeurs, doués d’une 
sensibilité extraordinaire pour le tétanos, agit d’une façon si 
remarquable, les centres nerveux des animaux réfractaires ou 
très peu sensibles au tétanos n’exercent aucune action antitéta- 
nique, ou bien cette action n’est que très peu appréciable. 

La moelle épinière des tortues (Cistudo lutaria et Testudo 
pusilla), injectée à des souris en mélange avec des doses faibles 
de toxine tétanique, non seulement n'empêche pas le tétanos 
mortel de se produire, mais même n’amène aucun retard dans 
la marche et l’issue de la maladie. Le cerveau de ces reptiles 
ralentit l'apparition du tétanos, sans empêcher son développe- 
ment, ni la mort. 

Les centres nerveux de la poule, animal incomparablement 


INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 33 


moins sensible au tétanos que le cobaye ou la souris, exercent 
une action faible sur le tétanos des souris. [ci encore la moelle 
épinière est inefficace, tandis que le cerveau, s'il n'empêche pas 
le développement du tétanos, ralentit au moins la marche de la 
maladie et transforme un tétanos aigu et mortel en une maladie 
chronique et guérissable. Et encore, pour obtenir cet effet, il ne 
faut se servir que de doses faibles de toxine, amenant la mort 
des témoins en trois à cinq jours au moins. Ces faits expliquent 
pourquoi, dans mes expériences de ces dernières années, je n’ai 
pas pusaisir l'effet antitétanique des centres nerveux des saurop- 
sidés étudiés. 

Des données que je viens de résumer on pourrait conclure 
que l’action antitétanique des centres nerveux n’a rien à faire 
avec l’immunité des espèces animales qui fournissent la matière 
cérébrale, mais serait plutôt en rapport avec la réceptivité pour 
le tétanos. Plus un animal est sensible à la toxine tétanique, 
plus ses centres nerveux seraient eflicaces contre ce poison. 
Dans l'intention de vérifier cette hypothèse, je me suis adressé 
à des grenouilles, animaux très sensibles pour le tétanos. Il est 
vrai qu'à des températures basses, les grenouilles ne contractent 
cette maladie qu'avec des doses considérables de toxine, mais 
à 37° (ou à peu près) il suffit de doses très petites pour amener 
chez elles Le tétanos mortel. Ainsi toutes mes tentatives pour 
vacciner des grenouilles contre la toxine tétanique ont échoué 
à cause de la grande sensibilité de ces batraciens vis-à-vis du 
tétanos. 

Eh bien, le cerveau des grenouilles (Rana fusca) est d’une inef- 
ficacité absolue contre la toxine tétanique, injectée en même 
temps que lui à des souris. 

Il résulte donc de mes expériences que l’action antitétanique 
des centres nerveux est un privilège des mammifères. La poule 
a des centres nerveux beaucoup moins efficaces; les tortues ne 
produisent qu’un effet très faible; les grenouilles ne manifestent 
aucune action antitétanique. 

On arrive à cette conclusion que le fait découvert par 
MM. Wassermann et Takaki ne peut nullement étre utilisé pour expli- 
quer l'immunité naturelle contre le tétanos. Déjà les données anté- 
rieures ont démontré que cette immunité ne pouvait être attribuée 
à une action antitoxique du sang. Celles que nous venons de 


84 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


résumer prouvent qu'elle ne peut non plus trouver son explica- 
tion dans une action antitoxique des centres nerveux. La thèse, 
exposée dans mon premier mémoire, que l’immunilé naturelle ne 
dépend pas du pouvoir antitoxique, se trouve donc corroborée. 

Mais peut-être l’immunité acquise pourrait-elle être réduite 
à l’action antitétanique des centres nerveux des animaux vacci- 
nés contre le tétanos? Des expériences inédites de MM. Roux et 
Vaillard sur leslapins immunisés, ainsi que mes propres recher- 
ches sur les poules, dont le sang était devénu antitoxique à la 
suite d’injections de toxine tétanique, ne plaidaient pas en faveur 
de cette hypothèse. Mais, comme le problème est en général très 
délicat et compliqué, il était nécessaire de chercher des faits 
nouveaux, capables de l’élucider autant que possible. 

Comme les éléments qui produisent l’antitoxine peuvent en 
même temps renfermer des dépôts de toxine ou au moins de 
toxoïdes d'Ehrlich, ces substances pourraient masquer l’action 
antitétanique des centres nerveux des animaux injectés avec 
de fortes quantités de toxine tétanique. Voilà pourquoi il est 
devenu très important de faire des études comparatives du pou- 
voir antitoxique des humeurs et des centres nerveux d'animaux 
immunisés qui, depuis une période de temps suffisamment 
longue, n'avaient pas reçu d’injections toxiques. C’est ce que 
nous avons tâché de réaliser. 

Parmi nos poules, traitées avec de la toxine tétanique, il s’en 
est trouvée une dont le sang était encore sensiblement anti- 
toxique, bien que la poule n’eût plus reçu de toxine depuis près de 
huit mois (239 jours). Une partie des hémisphères du cerveau 
a été enlevée à l’animal vivant, dans le but d'étudier le 
pouvoir antitétanique de cet orgare, comparé à la propriété anti- 
toxique du sang. Cette expérience a démontré que le sang était 
plus antitétanique que le cerveau. Aïnsi par exemple, 10 centi- 
grammes de ce dernier n'ont pas empêché le tétanos, tandis que 
6 centigrammes de sang élaient suffisants pour préserver une 
souris. L’injection de mélange d’une dose de toxine tétanique 
faiblement mortelle (en 5 et 6 jours), avec 0,05 gramme de cer- 
veau n’a pas empêché une souris de mourir en même temps 
que le témoin. Et cependant cette quantité de cerveau d’une 
poule normale est déjà quelquefois capable d'exercer une cer- 
laine influence (quoique faible) sur la marche du tétanos. 


[INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 85 


L'opération d’ablation d’une partie du cerveau, comme c’est 
larègle, a été bien supportée par la poule. Le lendemain il s’est 
produit une leucocytose notable, et le sang, retiré deux jours 
après l’ablation d’une partie des hémisphères, s’est montré plus 
antitoxique qu'auparavant. Trois centigrammes de sang entier 
ont suffi pour empêcher le tétanos de se produire chez une sou- 
ris. Son pouvoir antitétanique a donc doublé. 

La poule opérée a été gardée pendant 17 jours, après quoi 
elle a été sacrifiée, dans l'intention d'étudier la propriété anti- 
toxique de ses organes. Cette fois le sang a été trouvé moins 
antitétanique que le surlendemain de l'opération, et même moins 
actif qu'avant celle-ci. 3 centigrammes n’empêchaient plus le 
développementdutétanos, et même la dose double (0,06 gramme) 
n'était pas suffisante pour préserver les souris d’une façon 
complète; elles prirent un léger tétanos, duquel elles guérirent 
facilement. | 

Le cerveau s'est montré au contraire plus efficace qu’aupara- 
vant. Les doses employées étaient, il est vrai, incapables d’em- 
pècher le tétanos; mais elles amenaient un certain ralentissement 
dans la marche de la maladie. Le pouvoir antitétanique du 
cerveau s’est montré égal à celui du sang entier. Par contre, la 
moelle épinière n’a pas manifesté d'action antitoxique à des 
doses correspondantes aux doses actives du sang et du cerveau. 

De tous les'autres organes internes (muscles, foie, rate, 
reins, moelle des os, ovaire), l'ovaire, composé d’ovules jeunes, 
ne renfermant que du vitellus blanc, s’est montré le plus efti- 
cace. Dix centigrammes de ce vitellus ont préservé d’une façon 
complète la souris contre {a dose de tétanine, mortelle en trois 
ou quatre jours. Les ovules ont donc été plus antitétaniques que 
la moelle épinière. 

Les faits que je viens de résumer ne permettent pas de voir 
dans les centres nerveux la source unique ni principale de 
l’antitoxine tétanique, chez la poule traitée par la toxine. Si tél 
était le cas, on ne comprend pas pourquoi le sang, liquide 
renfermant beaucoup plus d’eau que les systèmes nerveux, pré- 
senterait un pouvoir antitétanique égal ou même plus fort que 
le cerveau et la moelle épinière. 

Comme, dans l'expérience que je viens citer, 1l s’est présenté 
cet inconvénient que la propriété antitoxique du sang n'avait 


86 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


été que peu marquée, je me suis adressé à un cobaye vacciné, 
chez lequel le pouvoir antitétanique des humeurs était plus 
prononcé, el qui, sous d’autres rapports aussi, présentait de. 
grands avantages pour l’expérimentation. 

Il s’agit d'un cobaye vacciné contre le tétanos en 1895, et 
qui a reçu sa dernière injection de toxine il y a déjà presque 
deux ans (exactement depuis 23 mois et 12 jours avant l’opé- 
ration). Malgré ce long laps de temps, son sang a encore été 
si nettement antitoxique, que deux dix millièmes de c. c. empè- 
chaient le tétanos mortel (qui tuait les témoins en 3 ou 4 jours), 
et des doses un peu plus élevées préservaient complètement 
contre le tétanos. 

Dans le but d'étudier l’action antitoxique des liquides de 
l'organisme (pour lacomparer ensuite avec celle des organes), j’ai 
provoqué chez le cobaye en question une exsudation péritonéale, 
à l’aide d’une injection de 10 c. c. de solution physiologique de 
NaCI. Vingt-deux heures après j'ai retiré un exsudat opaque, 
renfermant 118,000 ieucocytes par m. m. c. {dont 46 0/0 de gros 
mononucléaires). Son pouvoir antitélanique s’est montré au 
moins deux fois plus fort que celui du sang entier : 0,0002 ce. c. 
empêchaient le tétanos de se développer, tandis qu'avec 
0,0001 ce. ©. les souris ne prenaient qu'un tétanos des plus 
légers, duquel elles guérissaient au bout de quelques jours. 

Trois jours après, il a été fait une nouvelle prise de l’exsudat 
péritonéal. Gette fois-ci il était purement hémorragique, ne 
renfermait que 43,800 leucocytes dans 1 m. m. c. et, au point 
de vue de la propriété antitétanique, il se comportait tout à fait 
comme le sang entier dont j'ai déjà parlé. 

Le lendemain de la dernière prise de l’exsudat péritonéal, 
il a été retiré un peu de substance des hémisphères du 
cerveau, opération qui a été bien supportée par le cobaye. La 
masse cérébrale extraite a été broyée avec de la solution physio- 
logique de NaCI, stérilisée et inoculée dans la cuisse de souris 
blanches, mélangée avec la toxine tétanique. Injecté à toute une 
série de souris, le cerveau s’est montré notablement moins 
antitétanique que le sang et l’exsudat péritonéal. Pour préserver 
une souris du tétanos, il fallait lui introduire une quantité de 
cerveau 25 fois plus forte (0,005 gramme) que celle d’exsudat 
péritonéal. La moitié de cette dose (0,0025 gr.) n’empèchait pas 


be à oh Éd of d sdartné dinde de. és dé à à 


d'a a. 


PPT 


éd 


sert ten ut ont lt “me tt de) à de dé CS LA St fret tt tn) à din tête 


du. à à. 


INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 87 


encore le développement manifeste du tétanos avec une quantité 
de toxine qui tuait les témoins en 3-4 jours. Avec des doses de 
cerveau qui correspondaient à des quantités de sang sûrement et 
entièrement antitoxiques (0,0003-0,0006 gr.) les souris pre- 
naient un fort tétanos chronique, tandis que les quantités de 
matière cérébrale, auxquelles correspondaient des doses efficaces 
de l’exsudat péritonéal (0,00015 gr.) ne faisaient que retarder la 
mort de deux jours. 

Comme les cobayes résistent souvent moins bien à l’ablation 
cérébrale que les poules, le mien, quoique bien rétabli et en bon 
élat, a été sacrifié deux jours après l'extraction d’une partie des 
hémisphères. 

En fait d'humeurs, on a étudié le sang entier (renfermant 
18,200 leucocytes dans 1 m. m. c.), l’exsudat péritonéal hémor- 
ragique (avec 25,400 leucocytes dans 4 m. m. c., dont 28 0/0 de 
gros mononucléaires) et le liquide du péricarde (avec 4,500 leu- 
cocytes, dont #7 0/0 de macrophages). Les deux premiers 
liquides se sont montrés de force antitétanique pareille, mais 
plus active que n’a été le sang avant l’ablation du cerveau. Il 
s’est produit après celle-ci un accroissement du pouvoir anti- 
toxique, semblable à celui du sang de la poule. Avec 0,00012 c. c. 
de sang ou de l’exsudat péritonéal, le tétanos n’était pas complè- 
tement empêché, mais présentait une forme très légère et passa- 
gère. Même une dose deux fois moindre (0,00006 c. c.), incapable 
d'empêcher le tétanos grave, amenait cependant la guérison 
définitive. Le liquide péricardique a manifesté une efficacité sen- 
siblement plus faible que les deux autres liquides, mais il 
empêchait le tétanos grave et mortel même à la dose de 
0,00012 c. c. 

En outre des centres nerveux (cerveau et moelle épinière), Le 
pouvoir antitétanique a été étudié avec le foie, la rate, la moelle 
des os, le rein et les capsules surrénales. 

Le cerveau et la moelle épinière ont manifesté une propriété 
antitoxique égale, et notablement plus faible que le sang et les 
autres liquides de l’organisme. Même 0,0019 grammes de cer- 
veau et 0,0018 grammes de moelle n’ont pas empèché le dévelop- 
pement d’un tétanos fort avec des doses de toxine qui ne tuaient 
les témoins qu’en 4 à 5 jours 1/2. 

Malgré l'injection de 0,00095 grammes de cerveau, la souris 


88 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


est morte de tétanos avec un retard de deux jours, et la souris 
qui a reçu la moitié de cette dose de cerveau (0,00047 grammes), 
est morte du tétanos avant son témoin. 

Les centres nerveux ont donc présenté un pouvoir antitéta- 
nique dix fois plus faible que le sang et l’exsudat péritonéal. 

Comme le cobaye a été sacrifié par la saignée à blanc, les 
organes internes ne renfermaient pas beaucoup de sang. Et 
cependant tous ceux que j'ai examinés ont manifesté une action 
antitétanique plus forte que les centres nerveux, mais moindre 
que les liquides; c’est le rein qui s’est montré le plus antitoxique 
parmi les viscères, ce qui correspond aux données établies par 
M. Dzierzgowski ‘ pour des chevaux immunisés contre la 
toxine diphtérique. 

Le foie a présenté une antitoxicité à peu près quatre fois plus 
forte que les centres nerveux. La rate et la moelle des os se sont 
montrés au contraire être les viscères les moins antfitétaniques. 

Le cobaye, dont je viens de résumer l’histoire, nous fournit 
des renseignements encore plus précis que ceux que nous avait 
donnés la poule. Nous sommes conduit à cette conclusion que 
les centres nerveux, même dans des conditions particulièrement 
favorables, ne se présentent pas comme le foyer de production ou le 
lieu de dépôt d’antitoxine, qui de là passerait dans le sang et les autres 
humeurs de l'organisme. 

Pour M. Wassermann et un grand nombre des savants qui 
ont analysé son travail, il paraît naturel d'admettre que la pro- 
priété antitoxique de la matière des centres nerveux corres- 
pond à la même propriété existant dans ces organes à l’état 
normal. Et cependant il est impossible d'accepter cette manière 
de voir. Déjà au moment des publications de MM. Wassermann 
et Takaki, M. Roux est arrivé à cette conclusion, basée sur un 
travail sur le tétanos céphalique, exécuté par M. Worax dans son 
laboratoire, que les choses doivent se passer d'une façon bien 
différente lorsque la toxine tétanique pénètre dans le cerveau normal, 
et lorsqu'elle est introduite dans l'organisme avec de la substance 
cérébrale broyée. En effet, M. Morax a pu constater que la 
toxine télanique, injectée dans le cerveau, produit invariable- 
ment le tétanos cérébral, même si l’on n’introduit que la dose 
minimale mortelle pour un lapin par injection sous-cutanée. 

1. Archiv f. exper. Pathologie 1897. F.38, p. 211. 


INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES. 89 


Les faits rapportés dans ce mémoire corroborent cette 
manière de voir. Ainsi, les animaux en plein tétanos fournis- 
sent une substance cérébrale, dont une petite quantité suffit 
pour préserver du tétanos des animaux neufs. Le cerveau d'un 
cobaye, incapable de protéger contre la dose simplement mor- 
telle de la toxine tétanique lorsqu'il se trouve dans ces condi- 
tions naturelles, suffit pour préserver au moins dix cobayes, 
qui le reçoivent broyé, en mélange avec la même dose de 
toxine tétanique. Les expériences de M. Marie, publiées dans ce 
même numéro des Awnales, dans lesquelles une partie du cer- 
veau, prélevée sur un lapin et injectée au même animal avec la 
dose mortelle de toxine tétanique, le préserve contre le 
tétanos, amènent à la même conclusion. Il se produit donc dans 
cette immunité artificielle, conférée par les centres nerveux, 
quelque chose d’analogue avec ce qui se passe pour la propriété 
bactéricide du sang des rats. Ces rongeurs prennent facilement le 
charbon, inoculé sous la peau; la maladie devient sûrement 
mortelle et n’est nullement empêchée par toute la masse du 
sang de l'animal. Mais lorsqu'on introduit avec la bactéridie un 
peu de sang retiré à un rat, celui-ci résiste au charbon. 

Dans cet exemple d’immunité artificielle, conférée par du 
sang d'un animal sensible au charbon, il s’agit d’une propriété 
bactéricide très accusée, exercée par le sang de l'organisme, 
vis-à-vis de la bactéridie. En est-il de même pour l’immunité 
contre le tétanos, produite avec la substance cérébrale? Cette 
substance, impuissante pour empêcher le tétanos, lorsqu'elle 
se trouve dans ces conditions naturelles, serait-elle capable de 
détruire la toxine tétanique, lorsqu'elle est broyée et mélangée 
avec celle-ci ? Cette supposition doit être rejetée en présence du 
fait que l'émulsion de matière cérébrale de cobaye est plus 
active pour la souris que pour le cobaye. En effet, si l'on injecte 
dans la cuisse de ces deux espèces de rongeurs les mêmes 
mélanges de substance cérébrale avec la toxine tétanique, on 
constate que le létanos est plus facilement empêché chez la 
souris que chez le cobaye. La toxine tétanique n'est donc pas 
détruite pur la masse cérébrale broyée, et l'efficacité de celle-ci doit 
être attribuée à l'intervention de l'organisme même. 

Lorsqu'on examine les phénomènes qui se produisent dans 
l'organisme qui a reçu de la toxine tétanique seule ou bien 


90 , ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


additionnée de substance cérébrale, on trouve une grande 
différence dans les deux cas. On peut la constater dans n’im- 
porte quelle région de l'organisme, mais c’est la chambre anté- 
rieure de l'œil des lapins qui se prête le mieux à ce genre 
d'observation. À la suite d’une injection de toxine tétanique 
seule, l'œil conserve son état normal ou à peu près, la réaction 
étant insignifiante. Lorsque au contraire on introduit dans la 
chambre antérieure la même toxine avec un peu de substance 
cérébrale broyée, on voit se produire une inflammation intense 
qui amène un hypopyon. Cette réaction est beaucoup plus forte 
que celle qu'on obtient après l'injection de la substance céré- 
brale seule. 

Le mélange de toxine tétanique et de masse cérébrale 
provoque done une réaction inflammatoire considérable dans 
l'œil, comme dans les tissus de la cuisse ou ailleurs encore, et 
cette réaction amène une quantité de leucocytes. Or, depuis 
longtemps on a remarqué que ces cellules, si aptes à saisir et 
détruire les microbes, sont aussi capables d’absorber des sub- 
stances toxiques. 

Dans mon rapport sur J'immunité, présenté au congrès de 
Budapest en 1894, j'ai insisté sur ce fait que les phagocytes 
réagissent non seulement contre les microbes, mais aussi contre 
les poisons. 

Dans le mémoire sur le choléra, publié par MM. Roux, 
Salimbeni et nous-même ?, il a été question de ce rôle des 
leucocytes dans la péritouite cholérique expérimentale, et il a 
été exprimé cette idée que les leucocytes, saisissant les vibrions, 
digèrent en même temps les microbes et « la toxine qu’ils con- 
tiennent ». Ce rôle des phagocytes, dirigé contre les poisons, 
devient de plus en plus évident, et il est extrêmement probable 
qu'il s'exerce aussi dans le cas de l’immunité artificielle contre 
le tétanos conférée par la masse des centres nerveux. Nous espé- 
rons dans un mémoire prochain revenir sur cette question qui 
présente un intérêt général. 

4. Ces Annales, 1894, pp. 719 et 721. 
2. Ces Annales, 1896, p. 272. 


veucdei hemtéimnc di difcatinas ét os died Diese tit 


_décaene nctihs 2 ot mr tondtéon dt "sr.mé set 


RECHERCHES 


SUR LEN © PROPRIÉTES ANTITÉTANIQUES » 


DES CENTRES NERVEUX DE L'ANIMAL SAIN 


Par Le Dr A. MARIE, 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


Dans un travail antérieur ‘, nous avions entrepris autrefois 
une série d'expériences sur le sort de la toxine tétanique injectée 
chez différents animaux; dans aucun cas, nous n'avions pu 
déceler trace du poison dans aucun des organes du corps, en par- 
ticulier ni dans l’encéphale ni dans le moelle épinière. 

La découverte récente de Wassermann ? sur « l’action anti- 
tétanique des centres nerveux » chez l’animal sain explique ces 
résultats négatifs. On sait en quoi consiste l'expérience de Was- 
sermann. Si dans une émulsion d'éléments du cerveau ou de 
la moelle d’un animal sain, on incorpore la dose de toxine téta- 
nique mortelle, on pourra injecter ce mélange à une souris, 
sans qu’elle prenne le tétanos, dont mourra la souris témoin qui 
a reçu la même dose de toxine seule. 

Les mammifères, aptes à contracter le télanos ; quelques 
oiseaux, dont le pigeon, qui sont également sensibles à la 
toxine, présentent cette propriété intéressante de leurs centres 
nerveux. 

Nous allons relater ici quelques expériences pour lesquelles 
nous avons opéré sur le lapin. 

Ayant trituré et dilué le cerveau entier d’un lapin normal 
dans 20 c. c. d’eau physiologique stérile, on pratique les trois 
inoculations suivantes : 

1° À un lapin de 2 kilos on injecte sous la peau 1/4 de 

1. A. Mare, Recherches sur la toxine tétanique. (Annales de l’Institut Pas- 
teur, juillet 1897.) 
2. WassenmanN et Takaxr, Ueber eine neue Art von künstlicher Immunität. 


Ueber Tetanus-Antitoxische Eigenschaften des normalen Centralnervensystem 
(Berliner klin. Woch., 3 janvier 1898.) 


92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


milligramme d’une toxine tétanique dont la dose minima 
mortelle pour cet auimal est 1/10 de milligramme ; 

20 On inocule un lapin de même poids avec un mélange de 
4/4 de milligramme de toxine et de 1 c. c. de l’émulsion du 
cerveau d’un lapin neuf; 

3° Un troisième reçoit 1/4 de milligramme de toxine addi- 
tionné de # c. c. de émulsion. 

Or, tandis que le témoin prend un télanos rapide auquel il 
succombe le 4° jour, le dernier lapin n'offre aucun signe de la 
maladie. Quant au n° 2, il présente des symplômes télaniques lé- 
gers auxquels 1l succombe seulement 20 jours après l’inoculation. 

Ainsi done, une petite quantité d’une macération de cerveau 
frais a suffi pour empècher l’action d’une dose 2 fois 1/2 plus 
forte que la dose minima mortelle de toxine tétanique. 

La moelle épinière, d’après les recherches de Wassermann, 
possède « un pouvoir antitétanique de moitié moins fort que le 
cerveau ». 

Si l’on cherche à se rendre compte des « propriétés antitéta- 
niques » des différentes parties de l’encéphale d’un mouton, par 
exemple, on constate en effet que celles qui sont des prolonge- 
ments de la moelle sont moins actives. 

Un lapin, inoculé avec 1/10 de milligramme de toxine téta- 
nique dilué dans 1 c. ce. d'une macération des pyramides bul- 
baires, présente des signes légers de tétanos; le témoin suc- 
combe au 6° jour. 

D'autre part, le ( pouvoir antitétanique » de la substance 
grise varie suivant sa provenance : les cellules des ganglions 
centraux sont beaucoup moins actives que celles de l'écorce 
cérébrale. 

Si on inocule à un lapin 1 c. c. d’une émulsion des corps 
opto-striés du mouton, additionné de la dose minima mortelle 
de toxine, l'animal présentera une légère contracture de la 
patte inoculée. 

Les cellules de l'écorce cérébrale sont même tellement ac- 
tives, qu'il en suffit de quantités minimes pour préserver l’ani- 
mal du tétanos. 

On peut réaliser l’expérience de façon à montrer que ses 
propres cellules cérébrales sont capables de prévenir l’appari- 
tion du tétanos chez l’animal lui-même, 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 93 


On prend 3 lapins : le premier subit la résection de toute la 
zone post-rolandique de son hémisphère droit; la partie sec- 
tionnée est laissée en place. Il reçoit ensuite 1/10 de milli- 
gramme de toxine tétanique sous la peau. 

Un deuxième subit la même opération, avec cette différence 
qu'on enlève la portion cérébrale réséquée ; il reçoit également 
la dose minima mortelle de toxine. Enfin on injecte au 3° lapin 
la même portion réséquée de son propre hémisphère droit, tri- 
turée, et additionnée de 1/10 de milligramme de toxine. 

Les deux premiers lapins témoins prennent en même temps 
un tétanos auquel ils succombent ; le dernier, au contraire, 
n'offre aucun signe tétanique et survit. 

Or, la quantité de matière cérébrale réséquée ne dépassait 
pas 25 à 30 centigrammes ; de plus, elle n’était pas composée 
exclusivément des cellules corticales, mais comprenait aussi les 
fibres blanches sous-jacentes. Enfin, comme nos dilutions ont 
toujours été faites dans la proportion d’une partie de substance 
nerveuse pour deux parties d’eau physiologique, on peut donc 
affirmer que les cellules de l'écorce cérébrale peuvent, à un 
haut degré, prévenir le développement du tétanos. 

L'expérience devient encore plus frappante si on la compare 
à ce qui se passe quand on injecte sous la peau, ou même dans 
l’encéphale, la toxine tétanique. Dans ces cas, on sait que la 
même dose provoque le tétanos ; par conséquent, tandis que 
dans les conditions ordinaires d’inoculation, le cerveau tout 
entier est incapable de protéger l'ammal contre l'action tétanisante 
de la toxine libre, au contraire, une parcelle de ce même cerveau suf- 
fra pour le garantir du tétanos, pourvu que la toxine injectée ait 
été préalablement incorporée et firée à quelques cellules cérébrales. 

Nous verrons en effet plus loin que cette fixation artificielle 
de la toxine sur les éléments nerveux est la condition sine qua 
non de la réussite de l'expérience de Wassermann. 

Mais, auparavant, revenons à nos expériences antérieures ; 
d’après elles la moelle et l’encéphale d'animaux tétanisés peuvent 
être broyés et injectés à des souris sans que ces dernières pré- 
sentent la moindre contraction tétanique. Il n’en faudrait pas 
conclure que la toxine n’est pas localisée dans les centres ner- 
yeux; au contraire, elle s’y trouve si bien fixée, si solidement 
retenue, qu'il est impossible de l’y déceler, en employant le seul 


94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


procédé à notre disposition. Il faudrait la séparer des cellules 
qui la retiennent, et c’est actuellement au-dessus de nos moyens. 
Même en admettant que la toxine se trouve localisée en un point 
de la moelle épinière, nous ne faisons que réaliser l'expérience 
de Wassermann en broyant et en injectant la moelle tout entière, 
puisque du même coup nous inoculons de nouvelles quantités de 
substance nerveuse qui vont achever de retenir et de fixer soli- 
dement la toxine que nous voulions précisément mettre en 
liberté dans le corps de la souris. 

IT en est de même pour l’encéphale. Nous ferons remarquer 
ici, à propos du cerveau, la contradiction, signalée par Wasser- 
mann et vérifiée par nous, entre le peu d'importance des phéno- 
mènes cérébraux dans le tétanos et l’action préservatrice si 
intense des grandes cellules de l'écorce cérébrale. 

Tout intéressant que soit ce fait, constaté par Wassermann, 
de ce qu'il appelle ( l’action antitétanique du système nerveux 
central », chez les animaux sains, une analyse plus soignée du 
phénomène nous montre combien il serait dangereux d’en faire 
une fonction d'une substance identique à l’antitoxine, celle qui se 
forme dans le sérum au cours de l’immunité artificielle. 

Telle est cependant la déclaration de Wassermann. « La 
préservation du tétanos, dit-il, s'effectue dans un cas comme 
dans l’autre : elle reste efficace non seulement tant que la 
substance préservante circule dans l’organisme, mais encore 
plus tard, comme dans l’immunité antitoxique. Et mes expé- 
riences donnent ainsi un nouvel appui à la théorie d'Ehrlich, 
d'après laquelle l’antitoxine tétanique se formerait aux dépens 
des parties élémentaires de la moelle épinière‘. » Wassermann 
fait 1ci allusion aux expériences qui lui ont permis de prévenir 
l'intoxication télanique en injectant une émulsion d'organes 
nerveux 24 heures avant la toxine, ou même d'empêcher le 
tétanos chez des animaux en leur injectant de l’émulsion ner- 
veuse quelques heures après la toxine tétanique. 

Et cependant, il suffit, comme nous allons le voir, d’inter- 
vertr, de façon en apparence minime, les facteurs de l’expé- 
rience, pour obtenir un résultat totalement différeut. 

Trois lapins de même poids reçoivent, l’un dans une patte 
antérieure, l’autre dans le flanc, le troisième sous la peau du dos, 


4. WAssERMANN, loc, cût, 


° 


PROPRIÉTÉS ANTITÉTANIQUES DES CENTRES NERVEUX. 95 


la même quantité de la même émulsion de cerveau frais de lapin. 
De plus, en même temps, ilsreçoivent tous les trois au même point, 
c’est-à-dire sous la peau de la patte droite postérieure, 1/10 de 
milligramme, dose minima mortelle de toxine tétanique. 
Or ces trois lapins prennent le tétanos et en meurent le même 
jour que le témoin. Si, en se plaçant au point de vue de la 
théorie de Wassermann, on objecte que le contenu des cellules 
nerveuses à un pouvoir de diffusion plus lent que la toxine, on 
peut citer cette autre expérience dans laquelle l'injection de 
cerveau a été faite, d'un côté du corps, 24 heures avant l'inocu- 
lation de la toxine de l’autre côté, et l'animal a néanmoins pré- 
senté un télanos mortel. 

Il a donc suffi d’une très légère modification dans les facteurs 
de l’expérimentation pour changer du tout au tout le résultat. 

Voilà qui montre donc qu'onne saurait, en aucune facon, inter - 
préler l'expérience de Wassermann dans le sens d’une fonction anti- 
toxique, au sens vrai du mot. 

Il suffira de rappeler ce qui se passe quand on expérimente 
avec le sérum antitélanique; si on injecte,en même temps, de la 
toxine dans une paite, et dans l’autre du sérum, l'animal pré- 
sente tout d’abord quelques signes légers de tétanos, mais ils 
ne tardent pas à se dissiper complètement, dès que le sérum a 
pu effectuer sa diffusion dans l’organisme. 

De cette analyse de l'expérience de Wassermann, dont il 
serait prématuré de vouloir donner dès maintenant une inter- 
prétation, on peut déjà conclure qu'une action de contact, entre les 
éléments nerveux et la toxine tétanique, est indispensable à la réussite 
du phénomène. 


À 


LOIS GÉNÉRALES DE L'ACTION DES DIASTASES 


Par E. DUCLAUX. 


Dans leur action sur les substances qu’elles transforment, les 
diastases obéissent à des lois générales que nous avons intérêt 
à connaître, et qui, jusqu'ici, sont restées un peu confuses. Cette 
question a été en eflet beaucoup étudiée, mais on ne peut pas 
dire qu’elle soit résolue. Elle est hérissée en ce moment de solu- 
tions contradictoires entre lesquelles il nous faudra choisir, si 
nous voulons faire autre chose que de les enregistrer avec rési- 
gnation ou indifférence. Or ce choix est difficile. Nous aurons, 
pour nous guider, d'abord la confiance qu’il y a une loi, et que 
par conséquent toutes les expériences qui se traduisent par une 
courbe irrégulière ou en zigzag ont été troublées par des causes 
d'erreur inconnues et sont à rejeter. Nous pourrons en éliminer 
d'autres dont l’auteur ne s'est pas suflisamment mis en garde 
contre des influences latérales qu'il ignorait ou dédaignait, et 
que nous savons aujourd'hui être très puissantes, celle de la 
lumière par exemple, ou celle des microbes. Il se trouve que, 
celte ventilation faite, il reste peu de chose sur le crible, mais il 
en reste assez pour pouvoir établir un commencement de théorie 
de l’action des diastases : c'est ce que je voudrais essayer de 
montrer. 


Comparaison avec l'action des acides. — Étiminons d’abord une 
assimilalion, qui a été souvent faite, entre l’action des diastases et 
celle des acides. Sous le prétexte que les acides et les diastases 
sont souvent capables de produire les mêmes transformations et 
leur donnent la même allure, on a parfois appliqué, sans autre 
formalité, aux actions diastasiques, les lois trouvées pour l’action 
des acides. Celles qui président à l’interversion du sucre sont 
par exemple assez bien connues par les travaux de Wilhelmy (1), 
d'Ostwald (2) et d’autres savants. On les a considérées comme 


DE L'ACTION DES DIASTASES 97 


représentant aussi l’action de la sucrase. Il importe de repousser 
de suite cette assimilation. 

Étudions pour cela ce qu’il serait juste d'appeler la loi de 
Wilhelmy. Elle revient à ceci. La quantité de sucre qui s’inter- 
vertit à chaque instant dans une solution sucrée traitée par un 
acide est proportionnelle à la quantité de sucre présente à 
l'instant considéré. Cela veut dire que si la quantité de sucre 
présent devient double, la quantité de sucre intervertie dans 
l'unité de temps deviendra double aussi, alors qu’on laisse 
constantes les autres conditions de l'expérience, nature du milieu, 
température et dose d'acide. La quantité de sucre intervertie dans 
l'unité de temps, ou la vitesse de la réaction, augmente donc propor- 
tionnellement à la quantité de sucre pour une même dose d'acide. Get 
acide proporlionne son effort au travail à accomplir, et, théo- 
riquement, dans les mêmes conditions d’acidité et à la même 
température, des solutions sucrées différentes s’intervertissent 
dans le même temps, quelle que soit leur richesse en sucre. 

Voilà la notion exposée en langage ordinaire. Le langage 
mathématique permet de lui donner plus de précision et de la 
pousser plus loin. Soit S la quantité de sucre existant à l’origine 
dans un volume connu, par exemple dans 100 c. c. d’une liqueur 
qu'on intervertit par l’action d’un acide. Soit s la quantité qui 
existe encore au bout d’un temps {, compté à partir du commen- 
cement de l'expérience, qui est supposée s’accomplir constamment 
à la même température. La loi de Wilhelmy nous dit que la 
variation As du sucre pendant le temps Af est proportionnelle às. 
Si le temps Af est suffisamment court, elle est aussi propor- 
tionnelle à At, de sorte qu'on peut écrire, en faisant précéder la 
variation As du signe —, pour montrer que la quantité de sucre 
diminue lorsque le temps augmente, 


AS —UNSAT 


où m est la quantité de sucre qui s’intervertirait, dans l’unité de 
temps, dans une solution sucrée contenant l’unité de poids de 
sucre dans le volume pris pour unité, et cela dans les mêmes 
conditions de milieu, de température, et d’acidité, que celles de 
l'expérience. On tire de là, facilement, en désignant par | le 
logarithme népérien 


lo ji ab (D 


98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


C étant une constante qu'on détermine facilement en écrivant 
qu’à l’origine de l'expérience, pour {= o, la liqueur contenait S 
de sucre. On a donc 
| SU 


S 
d'où, 1S—I1S=IS= mr 


On voit tout de suite, sur cette valeur de £, que toutes les 
phases de l’hydrolysation de solutions sucrées inégalement 
concentrées s’accompliront dans le même temps, que par 
exemple elles mettront toutes le même temps à s’intervertir à 
moitié, c’est-à-dire à arriver au moment où 


LI 


On aura en effet, 


S 1 
——=2etlt—=—1]2 
S m 


Toutes ces réactions marcheront donc du même pas, et, 
commencées en même temps, se finiront au même moment : c’est 
ce que nous avons vu plus haut. Mais nous pouvons en plus, ici, 
mesurer la valeur de m, en évaluant le temps que met une 
dissolution sucrée à s’intervertir à moitié par exemple. On a 
alors 


M— 12 
t 


et l'expérience montre en effet que cette valeur de » est indépen- 
dante de la quantité de sucre, lorsque l'acidité est la même. De 
là une première conclusion qui a pu servir d'argument pour 
rapprocher les acides des diastases : les solutions de sucre jes 
plus concentrées peuvent être interverties par des quantités 
relativement très faibles d'acide. Les acides jouissent donc de la 
puissance d'action quasi indéfinie que possèdent les diastases. 
D'autres expériences ont montré que la valeur de m croît à 
peu près proportionnellement à la concentration de l’acide, c’est- 
à-dire à la quantité d'acide contenue dans l’unité de volume, 
L'unité de mesure la plus commode dans la pratique, pour évaluer 
la concentration, est la solution d’une quantité d’acide égale à son 
poids moléculaire évalué en grammes, dans uu litre d’eau. Des 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 99 


concentrations égales correspondent à des volumes égaux d’eau 
de chaux ou d’un autre alcali nécessaires pour la saturation, On 
trouve alors que la valeur de » croît un peu plus vite que la 
concentration pour les acides forts, un peu plus lentement pour 
les acides faibles. 

En admettant une proportionnalité exacte, on peut écrire 
m — na, expression dans laquelle « représente la concentra- 
tion de l’acide évaluée comme plus haut, en grammes-molécules, 
et n représente la quantité de sucre qu'intervertirait dans l’unité 
de temps, et dans les conditions de l'expérience, dans une solu- 
tion contenant l’unité de poids de sucre par unité de volume, 
l’unité de concentration de l'acide employé. 

Cette quantité n est ce qu'on nomme la constante d’inversion. 
Ostwald l’a déterminée en faisant agir, à 250,10 c. c. de solutions 
normales de divers acides sur 10 c. c. de solutions contenant de 
30 à 40 °/, de sucre. Voici les valeurs numériques de » pour quel- 
ques acides, et leurs rapports avec celle de l’acide chlorhydrique 
supposée égale à 100, et prise comme terme de comparaison. 


Acide bromhydrique .... 24.4 111.4  Aclde diglycolique....... DOME 
—Mchlüriqué 2... 226 -103:5 — méthylglycolique.. 0.40 41,8 
— chlorhydrique...., 21.9 100 » CLIQUE ee SDF SE LENT 
ROIITIQUE res ctce 21.9 400 » — glycérique......... DR STE 
—  éthylsulfurique ... 21.9 100 » IONIQUE CL 0.54 1.5 
— ethylsulfonique... 19.9 91.2 — méthylacétique.... 0.30 4.4 
— trichloracétique .. 16,5 75.4 — éthylglycolique.... 0.30 14.4 
— sulfurique ........ 10536 ,— glycolique......... 0.28 1.3 
— dichloracétique... DOTE Al AIR ne me e OEM 

+ — oxalique ........ : 4,0 18.6 —_ lactique 1202003 0225051 
—  pyrotartrique..... 1,42 6.5 — oxyisobutyrique.., 0.23 4.1 
—  phosphorique..... 4.36 6.2 — succinique ........ 01288075 
— monochloracétique 1.06 6.2 en  ATCUDUE pe 0.09 0.4 
—  arsénique......... 1.05 4.8 — isobutyrique....... 0070 
— malonique.......: 0.67 3.1 


On voit que les constantes d’inversion sont très variables avec 
les divers acides, et même que le caractère minéral ou organique 
joue un rôle assez effacé. L’acide sulfurique vient par exemple 
après l’acide trichloracétique, et l’acide phosphorique après l'acide 
oxalique. L’acide acétique se montre d'autant plus puissant, 
d'un autre côté, qu’on introduit davantage de chlore dans sa 
molécule, et, en moyenne, les acides organiques sont moins 
actifs que les acides minéraux. Coneluons donc de ce qui pré- 
cède que si les divers acides ont pour caractère commun de ne 


100 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pas tenir compte du poids de sucre présent et de l’intervertir 
dans le même temps, quelle que soit sa quantité, ils diffèrent 
beaucoup entre eux par l'activité qu'ils mettent à ce travail, et 
letemps qu'ils y consacrent. Ce sont donc là des forces qui sont 
très différentes de celles que nous connaissons et que nous 
sommes habitués à manier. D’ordinaire, deux forces qui produi- 
sent le même effet mécanique dans le même temps sont dites 
égales. Deux quantités du même acide, qui intervertissent 
dans le même temps des quantités très inégales de sucre, 
peuvent aussi êlre égales pondéralement. Deux quantités de 
deux acides différents peuvent être égales au point de vue 
pondéral ou quant au nombre des molécules, et cependant se 
montrer très inégales au point de l’interversion. Telles sont, en 
laissant pour le moment de côté l'influence de la température, 
les lois générales de l’interversion par les acides. 


Condition d’une étude précise des diastases. — Si nous voulons 
maintenant comparer l’action des diastases à celle des acides, 
la première condition est de s'adresser aux actions diastasiques 
faciles à mesurer avec précision. Cette condition en élimine un 
grand nombre, toutes celles, par exemple, qui s'adressent à la 
fibrine, àl’albumine, à la cellulose, bref, aux matières dont la 
composition initiale n’est pas bien connue, et dont par suite les 
transformations nous échappent. L’amidon est mieux connu dans 
sa nature; on connaît assez bien aussi le maltose et la dextrine 
qui proviennent de ses transformations sous l’action de l’amylase. 
Mais les divers amidons ne se ressemblent pas, et les diverses 
parties d’un même granule d’amidon ne se ressemblent pas 
davantage, comme l’a montré Guérin-Varry, il y a 60 ans. Cette 
circonstance élimine aussi, dans une certaine mesure, l’action 
del’amylase. Avec des diastases coagulantes, la marche de l’ac- 
tion est impossible à étudier. Les diastases oxydantes sont en- 
core trop mal connues. Il ne reste guère que les diastases qui, 
comme l’émulsine, donnent des dislocations dont les termes 
sont connus et faciles à étudier. Mieux encore, la sucrasese prête 
à une recherche précise, parce qu’on sait préparer du sucre pur, 
dont peut suivre la transformation, soit au moyen de la bqueur 
de Fehling, soit au polarimètre.Cette étude a précisément été faite 
d’une façon très soigneuse, par MM. O’Sullivan et Tompson (3), 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 101 


dont nous n'accepterons pas toutes les conclusions, mais dont 
les déterminations numériques méritent toute confiance. 


Expériences de MM. 0’Sullivan et Tompson. — Pour étudier la 
rapidité de l’action de la sucrase sur le sucre de canne, on com- 
mençait par faire dissoudre celui-ci dans l’eau chaude, qu’on lais- 
sait ensuite refroidir à la température à laquelle on voulait 
opérer. Cette liqueur sucrée, convenablement acidulée, était en- 
suite mélangée rapidement à une solution de sucrase préalable- 
ment portée à la mème température. L’interversion commencait, 
Pour en suivre la marche, on prélevait une certaine quantité de 


liquide qu'on versait immédiatement dans un verre contenant 
une goutte d’une solution concentrée de potasse ou de soude, 
cela suffit pour arrêter l’inversion. Deux points sont à signaler 
dans ce mode opératoire : en premier lieu, la dose d’acide sulfu- 
rique ajoutée n’était pas quelconque; c’était celle qui donnait au 
phénomène son maximum d'activité, et on la déterminait par une 
opération préliminaire. En second lieu, la lecture au polarimètre 
ne se faisait qu'après avoir laissé un quart d'heure de repos au 
liquide alcalinisé. Ces deux précautions opératoires ont de l’im- 
portance, mais pour des raisons que nous n’avons pas à déve- 
lopper ici. 

Cette méthode permettait donc de déterminer divers points 


102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de la courbe d'inversion. MM. O'Sullivan et Tompson ont 
recommencé l'expérience à diverses températures, en présence 
de quantités variables de sucrase. Ils ont fait varier aussi la 
concentration de la liqueur sucrée, la dose d’acide, etc. Ils ont 
toujours trouvé que la courbe obtenue, rapportée à deux axes 
dont l’un mesurait les quantités de sucre, et l’autre les temps, 
était une logarithmique, et pouvait s’appliquer presque exacte- 
ment sur une logarithmique théorique (fig. 1) tracée avec la 
condition de ne coïncider avec la courbe expérimentale qu’en 
deux points, au départ, et en un point quelconque du parcours. 
Quand la coïncidence avait lieu en ces deux points, elle avait 
lieu partout. 

MM. O’Sullivan et Tompson ont vu quelque chose de plus, 
c’est que toutes les courbes obtenues, ramenées à la même 
échelle, c’est-à-dire amenées à coïncider au départ et en un 
point de leur parcours, s’appliquaient aussi les unes sur Îles 
autres, ce qui prouve que la loi du phénomène est toujours la 
même, quelles que soient les circonstances de milieu et de tempé- 
rature, à la condition seule que toutes ces circonstances soient 
maintenues constantes pendant la durée du phénomène. 

Toutes ces propriétés, découvertes par l'expérience, s’accor- 
daient très bien avec les propriétés théoriques de la courbe que 
fournit la loi de Wilhelmy : 

1 1 


re = le 


m S 
Cette courbe est une logarithmique, bien définie quand on 
donne la valeur de S pour { — o, c’est-à-dire le point de départ 
de la courbe, et un autre point, c’est-à-dire la valeur de { pour 


S : à 
une valeur connue de —, ce qui permet de connaître #. On com- 
S 


prend donc que O’Sullivan et Tompson aient considéré leurs 
expériences comme confirmatives du raisonnement qui nous à 
conduit plus haut à cette équation, et en aient présenté comme 
démontré le point de départ,à savoir que l’action de la diastase est, 
toutes choses égales d’ailleurs, proportionnelle à la quantité de 
sucre présent dans la liqueur, et croît ou décroît avec elle. 


Expériences de Duclaux.— C'était l'assimilation complète avec 
l'action des acides. Mais nous avons un autre moyen, moins dé- 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 103 


tourné que l’étude de la courbe, de savoir si cette assimilation est 
possible. Mettons, comme je l'avais déjà fait en 1883 (4), une 
même quantité de sucrase, 20 milligrammes par exemple, dans 
100 c. e. de solutions contenant 10, 20 et 40 0/0 de sucre, et expo- 
sons le tout à une température de 37° : nous observerons que, 
pendant les premières heures de l’action, les quantités de sucre 
interverti dans l’unité de temps ne seront pas du tout, comme 
dans le cas des acides, inégales, et proportionnelles aux nom- 
bres 1, 2 et 4, c’est-à-dire aux quantités de sucre présentes 
dans la liqueur. Elles seront au contraire égales, à quelques 
milligrammes près, ce qui prouve qu'une quantité déterminée 
de sucrase produit son effet, toujours le même, sans se préoccu- 
per, comme les acides, de la quantité de sucre présente autour 
d'elle, et agit comme une force constante qui, pendant un temps 
donné, ne peut produire qu'un travail déterminé. 

Il est vrai qu’elle n’accomplit pas toujours le même travail. 
Dans les liqueurs ci-dessus, il y a, au bout de quatre heures à 
31°, environ 5 grammes de sucre interverti. Si on avait mis la 
même quantité de diastase dans 100 c. c. de liquide ne contenant 
que 5 gr. de sucre, on aurait trouvé un résidu assez notable après 
le même temps; c’est que, pour une cause que nous aurons à élu- 
dier, l’action se ralentit à mesure qu'elle se complète. Mais, au 
début, elle marche du même pas, quelle que soit la quantité de 
sucre présente, et par conséquent n’est pas proportionnelle à la 
quantité de sucre, comme l'avaient trop hâtivement conclu 
MM. O’Sullivan et Tompson. 


Expériences de Dubourg. — Ge n’est pas seulement la sucrase 
qui se comporte ainsi. M. Dubourg (5) a retrouvé les mêmes 
propriétés pour l’amylase de l’urine. En la mettant en contact 
avec de l’empois d’amidon à 50°, et en mesurant après 2 heu- 
res et après 24 heures les quantités de glucose formées, il a 
trouvé les chiffres suivants, exprimés en grammes, pour des 
quantités d’amidon ailant croissant comme les nombres de la 
première colonne. 


104 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Quantités Glucose Glucose 
d'amidon apr. 2h. apr. 24 heures 
| gr. 0,34 1,71 
ge 0,33 1,73 
gi 0,34 1,70 
RES 0,32 1,72 
re 0,36 1,70 
Re 0,30 1,75 
10 0,37 1,72 


La constance de ces nombres est remarquable en ce qu’elle 
se maintient pour deux intervalles de temps pendant lesquels 
l’action a été en se ralentissant de plus en plus, et ici encore 
nous trouvons qu'une quantité déterminée d’amylase produit 
toujours le même effet, quelle que soit la quantité d’amidon avec 
laquelle on la met en contact. 

Il faut donc renoncer à l'hypothèse qui a servi de base aux 
calculs de MM. O’Sullivan et Tompson, et qui semblait vérifiée 
par leurs résultats. Il faut accepter leur conclusion, parce qu’elle 
est conforme à l'expérience, et repousser leurs prémisses, parce 
qu’elles sont en contradiction avec elle. La chaîne du raisonne- 
ment se rompt donc quelque part, et ce point de rupture est 
facile à signaler. C’est quand MM. O’Sullivan et Tompson ad- 
mettent que, seule, leur hypothèse conduit à une logarithmique. 
En réalité, beaucoup d’autres hypothèses conduisent à des cour- 
bes de même forme. Pour choisir entre elles, il faut opérer à 
l'inverse de MM. O’Sullivan et Tompson ; il faut les soumettre 
d'abord à l'expérience, puis les introduire dans une équation, si 
l'expérience les justifie, et chercher si elles conduisent à une lo- 
garithmique. 


Réaction des produits formés sur l'action de la diastase. —- Une 
diastase qui hydrolyserait dans un temps donné une quantité 
constante de sucre, comme nous ont paru le faire, au début de 
l’action, les diastases étudiées plus haut, donnerait une réaction 
régulière : la quantité de sucre irait par exemple en décroissant 
proportionnellement au temps, et la réaction serait terminée au 
bout d’un temps facile à calculer, étant connue la quantité m de 
sucre, qu'intervertit, dans l'unité de temps, et dans les conditions 
de l’expérience, la quantité de diastase sur laquelle on opère. Dans 
un temps /, la quantité de sucre interverti serait m t, et siS était 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 105 


la quantité de sucre initiale, la réaction serait terminée au bout 
d’un temps T tel qu'on ait S —m T, d'où 
S 


m 

L'expérience est entièrement en désaccord avec cette conclu- 
sion. La réaction n’est jamais celle qui résulte de cette hypo- 
thèse ; très active au début, elle se ralentit toujours à la fin, et 
le temps de l’action est toujours beaucoup plus long que celui 
qui résulte de l'équation que nous venons d'écrire. 

Il faut donc qu’à l’action uniforme de la diastase se super- 
pose une action retardatrice. Comme on s'attache à ne troubler en 
rien le phénomène, on ne voit guère, « priori, d'autre cause 
perturbatrice que celle qui pourrait provenir des produits de la 
réaction. Essayons donc par l'expérience si ces produits ont 
une action réellement retardatrice. 

Il n’y a pour cela qu’à faire, avec la même quantité de dias- 
tase et dans ies mêmes conditions de température et de milieu, 
deux expériences comparatives, dont l’une ne contiendra que 
la matière sur laquelle la diastase doit agir, et l’autre cette 
matière additionnée des produits auxquels donne lieu la réaction. 
Si ceux-ci ont une action retardatrice, la seconde transforma- 
tion devra s’accomplir plus lentement que la première. 

Or, c'est toujours ce qui arrive, et non seulement ce fait a 
été observé depuis longtemps, mais il a été tout de suite rap- 
porté à sa véritable cause. Payen (6) avait remarqué que l’action 
de la diastase sur l’empois d’amidon, qui, en général, ne se ter- 
mine pas et s'arrête à un niveau déterminé, allait beaucoup 
plus loin lorsqu'on faisait disparaître peu à peu, en le soumet- 
tant à une fermentation alcoolique, le maltose formé. Payen ne 
se préoccupait pas, dans son explication, de l’action possible de 
la levure, et son interprétation a pu être légitimement contestée 
par MM. O'Sullivan et Kieldahl. Mais elle est exacte dans ses 
traits généraux, ainsi que l’ont montré les expériences de 
M. Lindet. 

Dans un moût de grains, saccharifié à refus par la diastase, 
ce savant ajoute, à 62°, la quantité de chlorhydrate de phényl- 
hydrazine et d’acétate de soude nécessaire pour précipiter non 
seulement le maltose déjà formé, mais encore tout celui qui 
pourrait provenir de la saccharification ultérieure du résidu que 


106 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la première digestion à laissé inattaqué. La moitié environ de 
ce résidu disparaît dans ces conditions nouvelles. 

Dans une autre expérience portant aussi sur un moût sac- 
charilié à refus, on divise les liquides en deux parties égales 
dans lesquelles on précipite des quantités inégales de maltose 
par la phénylhydrazine. En ajoutant à ces deux moitiés des 
quantités égales de diastase, on voit la saccharification reprendre 
dans les deux, et marcher plus vite et aller plus loin dans celui 
dans lequel on a précipité le plus de maltose. 

En s’adressant à des substances plus faciles à faire dispa- 
raître d’une liqueur que les glucoses, on rencontre les mêmes 
résultats. Ainsi, par exemple, dans l’action de l’émulsine sur la 
salicine, 1l se forme de la saligénine qui est soluble dans l’éther, 
et qu’on peut enlever en agitant avec ce réactif le liquide dias- 
tasifère. De même pour l'alcool coniférylique produit par l’ac- 
tion de l’'émulsine sur la coniférine. Il existe sur ce point deux 
expériences de Tammann (10). Dans l’une, de la salicine, mise 
à 26° en présence d’émulsine, avait été hydrolysée dans la pro- 
portion de 83 0/0 et ne dépassait pas ce chiffre; on agite le 
liquide avec un tiers de son volume d’éther, pour enlever la 
saligénine. 24 heures après, la totalité de la salicine avait dis- 
paru. Dans une autre expérience, faite toujours à 26°, la pro- 
portion de coniférine hydrolysée, qui n’avait pu dépasser 42 0/0, 
a atteint en 24 heures le chiffre 60 0/0, à la suite d’un traite- 
ment à l’éther. 

On peut, du reste, au lieu d’enlever les matières produites 
par la réaction, ce qui l’active, ajouter à l’avance ces matières 
préparées ailleurs, ce qui la retarde. Toutes ces expériences 
aboutissent à la même conclusion : c’est que les produits de là 
réaction ont une influence retardatrice. 

Comme ils augmentent naturellement à mesure que la réac- 
tion avance, leur influence augmente aussi, et nous sommes 
naturellement conduits à nous demander si ce n’est pas à cette 
influence retardatrice qu'est dù le retard croissant de la réaction, 
et la lenteur qu’elle met toujours à se terminer. Nous pouvons 
même aller plus loin et remarquer que l'introduction de cette 
force retardatrice doit nous conduire à la même courbe loga- 
rithmique que celle sur laquelle MM. O’Sullivan et Tompson 
ont appuyé leur argumentation, 


4 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 107 


Traçons en effet (fig. 2) la courbe représentative de la loi de 
décroissance du sucre en prenant comme abscisses les temps 
écoulés depuis le commencement de l'expérience, et pour ordon- 
nées les quantités de saccharose encore présentes à chaque 
instant. La courbe part du point $, représentatif de la quantité de 
saccharose initiale, s’abaisse ensuite, rapidement d'abord, plus 
lentement vers la fin de l’action. À un moment quelconque T, la 
quantité de saccharose non encore transformé est TM — $, et 
la quantité de sucre déjà interverti peut être représentée par 
MI=S—$: cela posé, la loi de la courbe, si c’est une loga- 


rithbmique, est que la décroissance MN de l’ordonnée, quand on 
passe du temps T au temps T,, est proportionnelle à la longueur 
de cette ordonnée, ce qui veut dire, en revenant aux notions 
concrètes, que la diminution dans la quantité de saccharose 
est proportionnelle à la quantité de saccharose présent dans 
la liqueur. C’est donc, dans cette conception, l'influence 
décroissante des quantités de sucre non transformé qui com- 
mande la forme de la courbe. Or, cette influence retardatrice 
pourrait être remplacée par l’influence retardatrice des quantités 
croissantes de sucre interverti, car, la somme MT + MI étant 
constante, la loi de décroissance de MT est la même que la 
loi de croissance de MI. La logarithmique tracée expérimentale- 
ment par MM. O’Sullivan et Tompson s’accommode donc tout 


108 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


aussi bien de la première conception que de la seconde, qui 
a l'avantage d'être seule d'accord avec l'expérience. 

Le langage mathématique permet de préciser ces notions- 
générales, et nous allons pouvoir arriver, en prenant toujours 
l'expérience pour guide, à une formule de l’action des dias- 
tases, autre que celle que nous avons donnée plus haut pour les 
acides et plus d'accord avec les faits. 

Soit à intervertir une solution sucrée contenant une quan- 
titéS de saccharose par unité de volume. Appelons » la quantité 
de sucre que transformerait, dans l'unité de temps, dans les 
conditions et à la température de l’expérience, la quantité de 
sucrase employée. Nous savons qu’au début de l'expérience, 
lorsque l'influence des produits de la réaction est nulle ou encore 
faible, l’action a tous les caractères d’une action constante, et que 
les quantités de sucre interverti sont les mêmes pendant le 
même temps, quelle que soit la quantité de sucre. Nous pouvons 
alors écrire que la diminution — As de la quantité de sucre, si 
elle ne dépendait que de l’action de la diastase, serait propor- 
tionnelle au Lemps, et qu’on aurait 


— AS — 1m Al. 


L'influence des produits de la réaction est retardatrice, et 
intervient pour diminuer la quantité m, qui sans cela serait 
constante, d’une fraction croissante avec la quantité (S—s) de 
sucre interverti, et qu'on peut, dans une première approxima- 
tion, lui supposer proportionnelle. En appelant » un facteur 
qui dépend non de $S, mais des conditions extérieures qu'on 
maintient constantes, et qu’on peut dès lors supposer aussi 
constant, au moins dans une même expérience, la quantité » 
est donc diminuée de la quantité mn(S—s), et devient 

m— mn(S —s) = m [1—n(S —s)| 

On a donc, si nos hypothèses sont exactes, 

— AS = m [1 — n (S —s)]At. 

Ici, une première vérification s'impose. Si cette équation est 
exacte, As devient égal à zéro, ce qui veut dire que la réaction 
s'arrête lorsqu'on a 

1=n(S—S) 0); 


s il 
d'où S —.$ —— 
n 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 109 


Ceci revient à dire que dans aucune expérience d'interversion 
de sucre, la quantité de sucre interverti ne pourrait dépasser un 
certain nombre =. Cette conclusion est entièrement en désac- 
cord avec la réalité. L'expérience apprend en effet, comme nous 
l'avons vu, que toute interversion commencée se termine, si 6n 
lui en laisse le temps. Il y », il est vrai, des transformations dias- 
tasiques qui ne sont jamais complètes. Mais l'expérience apprend 
à leur sujetqu’elles s’arrêtent, non pas lorsque la quantité absolue 
de matière transformée est constante, comme le voudrait l’équa- 
tion ci-dessus, mais lorsque la proportion de matière transformée 
est constante, ce qui est tout différent. 

Je ne prendrai pas d'exemple dans l’action diastasique la 
plus connue sous ce rapport, celle de l’amylase sur l'empois 
d’amidon, parce que les conditions de l’action sont un peu trop 
complexes. Mais on peut en demander à l’action de l’émulsine 
sur divers glucosides. Je trouve par exemple, dans le travail de 
Tammann visé plus haut, des chiffres qui ont été recueillis pour 
un autre objet, mais qui n’en sont que plus probants pour la 
thèse que je soutiens. Tammann a fait agir, à 46°, une même 
quantité d'émulsine sur des quantités de salicine croissantes 
comme les nombres 1, 2, 4, 8 et 16, et a trouvé que, au bout de 
16 heures et de 24 heures, Les proportions de salicine hydrolysée 
alteignaient les chiffres suivants 


Salicine Salicine hydrolysée 
CC —— - 
employée ap. 16 heures. ap. 24 heures 
0,188 94,2 0/0 94,2 0/0 
0,376 94,4 94,3 
0,752 94,4 94,3 
0,503 94.5 94,4 
3,007 94,4 94,4 


L'action ne s'arrête donc pas lorsqu'il y a une quantité cons- 
tante, mais une proportion constante de salicine décomposée. 
Comme c’est la même quantité d'émulsine qui a agi partout, elle 
était certainement en excès dans les solutions de salicine les 
plus pauvres, mais l’action n’a pas été poussée pour cela plus 
loin. Mèmes conclusions pour des solutions de coniférine qui ont 
été traitées par l'émulsine. 


110 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Coniférine Coniférine hydrolysée 
a a. SA 
employée. ap. 16 heures. ap. 24 heures, 
0,377 42,3 42,3 
0,500 42,0 42,0 ù 


Ce sont donc les proportions qui paraissent jouer, quand il 
s’agit des diastases, le rôle que jouent les quantités absolues 
quand il s’agit des acides. C’est là une notion qui peut paraître 
étrange, et nous fait sortir de nos habitudes d'esprit. Mais si l’ex- 
périence l’impose, ilfaudra bien s'y habituer. Nous sommes con- 
firmés dans cette vue en nous rappelant l'expérience de p. 103, 
dans laquelle nous avons vu que la même quantité de sucrase, 
qui donnait 5 grammes de sucre interverti en # heures dans des 
solutions contenant 10, 20, 40 grammes de sucre, en donnait 
moins dans une solution qui n’en contenait que 5 grammes dans 


A \ . S—s$ . 5 
le même volume. C’est que la proportion Tu sucreinterverti 


au sucre initial était plus considérable dans cette dernière solu- 
tion que dans les autres. Nous sommes donc conduits par l'ex- 
périence à modifier notre première conception, et à remplacer, 
dans l'équation écrite plus haut, la quantité S — s par la fraction 
S—$ 


et àécrire 
S —5 
— AS = M (r- }se 


Cette fois, il y a concordance avec l'expérience. La réaction s’ar- 
rête lorsque 
Le 
S 
Ds 1 


d’où RE = 
D n 


1—n —11 


et la valeur de n est même facile à calculer, on à en effet, pour 
l'émulsine et la salicine 


1 94,4 

ee 5 29 ot 6 

: 700 a OÙ 1,06 
De même pour l'émulsine et la coniférine 

{ 42 

——— d'où n = 2,39 

n 100 ons s 


Enfin pour les réactions qui, comme celles de la sucrase sur le 
saccharose, se terminent toujours, on a s—0, d'où n = 1. 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 114 


Ici se présente une remarque intéressante. Pour ces réactions, 
c’est-à-dire quand n— 1, l'expression de Af se simplifie, et devient. 
— AS — pr 

S 

Si on la compare avec l'expression correspondante écrite 
plus haut au sujet de l’action des acides, on voit qu’elles ne dif- 
fèrent que par l'introduction du rapport Z. La diminution de 
la quantité desucre dans le temps A f n’est donc pas proportion 
nelle à la quantité absolue de sucre, comme dans le cas des 
acides, mais proportionnelle à la proportion de sucre dans la 
liqueur. Par suite nous n’aurons pas, comme dans le cas des 
acides, des actions qui s’accompliront dans le même temps, 
quelle que soit la dose de sucre, mais des actions qui, étantd' au- 
tant plus lentes à chaque instant que les quantités de sucre sont 
plus fortes, iront en augmentant de durée proportionnellement à 
la dose de suere. 

On peut du reste préciser cette notion et la généraliser en se 
servant du calcul, qui permet, par des voies simples et régulières, 
de passer de l'équation écrite ci-dessus, et qui exprime une rela- 
tion entre des quantités infiniment petites, à l'expression des 
valeursfinies de $S et de {. On a en effet, en appelant comme plus 
haut s la quantité de sucre non encore transformé au temps £. 


È ea ñ o— mni 
[mn S 
PSE 
et mn 1 HE 
S 


On voit, dans ces équations, d’abord que nous aboutissons, 
comme nous pouvions nous y attendre, à une logarithmique 
comme avec l'hypothèse de MM. O’Sullivan et Tompson. Dans le 
cas où # —1, la dernière équation peut s’écrire 

S S 


bL=—] — 


m S 
et ne diffère de celle que nous avons écrite plus haut (p. 98) que 
par l'apparition du facteur $, qui n’existait pas dans le cas de l’ac- 
tion des acides, et qui nous assure qu'ici la durée de l’action croît 
proportionnellement à la quantité de sucre. D'une manière géné- 
rale, si on a plusieurs actions diastasiques marchant parallèlement 


112 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dans les mêmes conditions avec des quantités égales de dias- 
tases et des quantités différentes de sucre, les temps nécessaires 


= 


à = : S — S z 
pour arriver à des proportions égales Rp de sucre transformé : 


seront proportionnels aux quantités de sucre présentes, et il en 
sera de même naturellement pour les durées totales de l’action. 
Il est à remarquer que les durées de l’action totale sont 
toujours données comme infinies par le calcul, qu'il s'agisse 
des acides ou des diastases. Comme, dans une logarithmique, la 
diminution de l’ordonnée est toujours proportionnelle à l’or- 
donnée, elle ne se réduitjamais à zéro. La courbe est asymptote 
à l'axe des x, et ne le rencontre qu’à l'infini. Mais pratique- 
ment la réaclion est terminée quand nos méthodes analytiques 
deviennent incapables d'en apprécier le progrès, et par consé- 
quent, pratiquement, la transformation a toujours une fin. 


Mesure des constantes m et n. — Nous sommes donc arrivés à 
des équations qui nous permettent de comparer à chaque 
instant les nombres que fournit l'expérience à ceux que fournit 
le calcul, et par conséquent de voir siles hypothèses que nous 
avons introduites dans cette étude sont d'accord avec les 
réalités. 

Elles se rapportent toutes aux valeurs données à m» et à n. 
Voyons comment on peut calculer ces constantes dans chaque 
expérience. Pour n, la chose est déjà faite. Nous savons qu'il 
suffit d'étudier la réaction lorsqu'elle est à terme, c’est-à-dire 
lorsqu'elle est arrivée à lalimite qu’elle ne peut pas dépasser, dans 
les conditions de température et de milieu dans lesquelles on 
opère. La valeur de n est égale à 1 dans toutes les actions 
qui s’achèvent, et plus grande que l’unité dans toutes celles 
qui aboutissent à une limite. C’est donc l’action terminée qui 
nous donne »; c’est l’action à ses débuts qui va nous donner "”. 

Considérons en effet l’action à ses débuts, au moment où le 
facteur n (S —s) est encore négligeable. Pendant quelque temps 
l'action progresse proportionnellement au temps, et on a 


— AsS—=mAt 


La valeur de »%» a, dans ces conditions, une représentation géo- 
métrique très simple. Soit en effet S A (fig. 3) la courbe de l’inter- 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 113 


version. Dire que l’ordonnée diminue proportionnellement au 

temps, c'est dire qu’à l’origine, sur une certaine longueur 8 M, la 

courbe se confond avec une ligne droite S T. On voit alors que 
AS S S 


M = — - 


Ab, : sM 
en appelant « l'angle de la droite ST avec l’axe des temps. Il 
est d'ailleurs évident que la droite ST est la tangente à la 
courbe, à son origine. Nous arrivons donc à celte conclusion 
que la valeur du cofficient m, qui, seul, dans l'équation de la 


= {ÿ à 


À 
 
\ 


à 


| 
| 
i 
| 
| 
| 


\ K | 


a 
Û RRNCIT LETTRE TIRE OUI LE DE 


Fig, 3. 


logarithmique, mesure l’action de la diastase, est la langeñte de 
l’angle que fait avec l'axe des temps la tangente à l’origine de la 
courbe d’interversion. 

Le tracé empirique d'une tangente comporte toujours beati 
coup d'incertitude, surtout sur une courbe déterminée par points. 
Il arrive heureusement, d'ordinaire, que la courbe se confond 
assez longtemps avec sa tangente pour qu’on puisse déterminer 
deux ou plusieurs points du parcours commun, cé qui revient à 
dire que l’action à ses débuts reste proportionnelle au temps 
pendant une période suffisante pour que l’on puisse faire plü- 
sieurs déterminations. Si elles sont concordantes, c’est-à-dire si 
elles s’'échelonnent sur une même droite, le tracé de cette droite 
sera facile. On sera d’ailleurs averti du moment où interviert 

8 


114 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'influence perturbatrice des produits de la réaction par celui où 
la courbe se détachera nettement de la tangente à l’origine. 

On trouve, disséminées dans divers mémoires, même dans . 
ceux qui ne lescherchaient pas, des preuves de cette proportion- 
nalité de l’action au temps. Mayer (14) et moi(4) l'avons, je crois, 
observée les premiers indépendamment l’un de l’autre. Mayer 
s’est servi d’une solution très étendue de sucrase, qu'il a 
mélangée à une solution de sucre de canne à 10 0/0. On a déter- 
miné immédiatement, puis à divers intervalles, les quantités 
totales de sucre interverti, et on en a déduit les quantités de 
sucre interverti par heure pendant chacun des intervalles con- 
sidérés. L'expérience a donné les chiffres suivants : 


Sucre interverti pour 100 


Temps entotalité — par heure 

0 1 » 

4 heure 1:60 » 
17 h. 1/2 18,2 1,0 
22 h.1/2 23,4 1,0 
44 D. 39,8 0,8 
95 h. 66,2 0,5 

120 h. 74,4 0,33 
145 h. 83,2 0,33 


On voit que, pendant les 20 premières heures, la quantité de 
sucreinterverti par heure està peu près constante, et que la propor- 
tionnalité n’existe plus dès qu'il y a environ 25 0/0 du sucre inter- 
terverti. J'avais trouvé de mon côté que la limite était 8 0/0 pour 
des solutions à 30 et 40 0/0 de sucre. Mais l'important n'est pas 
le moment où la proportionnalité cesse, c’est qu’elle existe pen- 
dant une durée assez longue, pour qu'on puisse faire plusieurs 
observations concordantes propres à assurer la valeur de m. 

Nous pouvons trouver, dans le mémoire cité d'O’Sullivan et 
Tompson, un autre exemple, intéressant parce que la transforma- 
tion y a été rapide. Les nombres qui suiventse rapportent à l’in- 
version, à 150,5, d’une solution à 20 0/0 de saccharose, convena- 
blement acidulée. Le tableau donne les intervalles des prises et 
les proportions de sucre interverti. 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 115 


Au début 0, 0/0 de sucre interverti 
ap. » minutes 3,1 — 
15 — 9,8 — 
30 — 19,2 _. 
DT — 33,6 — 
90 — 45,8 — 
120 — 58, —— 
150 — 67,4 _ 
210 — 79,8 — 
240 — 84,4 — 
270 — 87,3 — 
430 — 95,1 — 
1470  — 99,2 — 
48 heures 100,0 — 


Nous avons donné la série à peu près complète des détermina- 
tions comme exemple d'une étude bien faite, et pour montrer 
qu'une action qui marche vite à ses débuts peut être longue à se 


terminer. Pour le moment, nous ne prenons de ces chiffres que 
les premiers, qui montrent que pendant la première demi-heure, et 
jusqu’à ce qu’il y ait eu environ 20 0/0 de sucre interverti, l’action 
a été à peu près proportionnelle au temps. 

La quantité de sucre intervertie par minute dans les condi- 
tions de l'expérience qui précède, ou la valeur de m, est facile 
à calculer. La liqueur contenait par 100 c. c. 20 grammes de 
saccharose dont 3,1 0/0, soit 0 gr. 62, ont été intervertis pendant 


116 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les 5 premières minutes ; cela donne 0 gr. 124 par minute. On 
trouverait de même 0 gr. 13 pour le premier quart d’heure, 
0 gr. 128 pour la première demi-heure. Puis les nombres 
décroissent de plus en plus, mais ils sont assez bien déterminés 
pour celte première période. Nous pouvons donc désormais 
tabler sur une détermination assez précise de la valeur de m. 
Elle est ici égale à 0 gr. 127: 


Influence de la quantité de diastase. — En simplifiant, comme 
nous venons de le faire, l’étude de l’action d’une diastase, et en 
la réduisant à celle de l’inclinaison d’une droite sur l’axe des 
temps, nous allons pouvoir rendre intuitives quelques notions 
importantes que le calcul viendra du reste confirmer. 

Soit S T (fig 4) la tangente à l’origine dela courbe d’interver- 
sion d’une quantité OS de la saccharose. Le point T auquel elle 
vient couper l'axe des temps est la durée { qu’aurait le phénomène 
s’il n’était pas troublé par l’intervention des produits de la réac- 
tion, et s’il marchait constamment avec sa vitesse originelle. On 
a en eflet 


Imaginons maintenant que, sans rien changer à la température 
et aux conditions de l'expérience, nous ayons opéré sur un 
poids de sucre double, dissous dans la même quantité deliquide 
ctavec la même quantité de diastase. Notre courbe partira d’un 
point plus élevé S’, tel que OS = 2 OS. Etcomme l’action d’une 
diastase au départ ne dépend que des conditions extérieures, 
qui sont restées les mêmes, et non de la dose de sucre, quiseule 
a varié, la tangente à l’origine aura même inclinaison que la 
première, et viendra rencontrer. l'axe du temps à une distance 
OT’ = 2 OT. Ceci, remarquons-le, n’esi pas un fait nouveau, 
c'est une autre forme de la notion que l’action d’une diastase ne 
dépend pas de la quautité de sucre. 

Mais imaginons maintenant que nous ayons doublé la quan- 
tité de diastase en même temps que celle du sucre. Dans ce cas, 
nous pouvons supposer que nous avons mis, dans le même volume 
de dissolvant inerte, deux doses de sucre et de diastase égales à 
celles de la première expérience. Nous avons donc deux actions 
parallèles, confondues dans le même milieu, et si nous admet- 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 117 


tons, ce qui est très vraisemblable, qu’elles ne s’influencent pas 
l'une l’autre, chacune d’elles, et par conséquent l’action totale 
doit s’accomplir dans le même temps { que précédemment. L’in- 
clinaison au départ de la tangente à l’origine doit donc être telle 
qu'elle vienne passer par le point T. Ce sera la droite ST. 
Donc, en doublant, pour une même quantité OS'de sucre, la quan- 
tité de diastase, nous avons réduit à moitié le temps de l’action, et 
doublé la valeur de m, car tout à l'heure, pour S'T', nous avions 
M — ur = {x 
OT 
et nous avons pour ST 


Anar 


S £ 
M = —> = 2m, ou bien {gx = 2{Aa. 
OF À 4 


Pour des quantités égales de sucre, la valeur de # double 
donc quand la quantité de diastase devient double. En généra- 
lisant, on voit que » est proportionnel à la quantité de diastase, 
et qu’en appelant mäâintenant a la quantité de sucre que peut in- 
terverür, dans les conditions et à la température de l’expérience, 
une unité de poids ou de volume, arbitrairement choisie, de la 
diastase employée, une quantité d de cette diastase, évaluée au 
moyen de cette unilé, en intervertira la quantité «d. On aura donc: 


m = «ad 


et pendant le commencement de l'action, de même que pendant 
toute sa durée quand l’action perturbatrice des produits de la 
réaction n'intervient pas, on a 


SRE 


en appelant S la quantité de sucre tranus'ormée pendant la pé- 
riode à laquelle s'applique la loi de proportionnalité signalée 
plus haut. Pendant cette période, le produit de la quantité de 
diastase d par la durée t{ de l’action est donc constant pour des 
quantités égales de malière transformée. 


Généralisation de ces résultats. — J'ai dit plus haut que j'avais 
particularisé mon raisonnement pour le rendre plus simple et 
plus intuitif. Mais je n’ai pas besoin de dire qu’on arrive à des 
conclusions analogues ou identiques, en étudiant non plus la 
{angente à l’origine, mais la courbe elle- -même, Le coeflicient 
angulaire de la tangente à l’origine de la courbe RE ounVEQN 


27 2: 


118 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ss; (1 et) 
n 
est en effet», comme nous pouvions nous y attendre, pour {—0. -. 
Quant au temps de l’action, donné par l'équation : 
S 1 


[ 


t 


on peut avoir avec lui des relations plus générales que celles 
que nows avons tirées tout à l'heure, mais d'accord avec elles. 
On voit en effet que, pour diverses interversions faites avec des 
quantités inégales de sucre et de diastase, à la seule condition 
—5$ 
S 
a, en appelant A une constante 

Les durées d’action qui correspondent à des progrès égaux 
dans la marche de l’action sont donc proportionnels aux quantités 
de sucre pour les mêmes quantités de diastase; ils sont en raison 
inverse des quantités de diastase pour les mêmes quantités de 
sucre. Ceci revient à dire que si on faitmarcher simultanément, 
et dans les mêmes conditions, plusieurs actions diastasiques avec 
des quantités égales de diastase et des quantités inégales de 
sucre, On pourra, au lieu de mesurer le temps total de l’action, 
ce qui est long et parfois difficile, se contenter de mesurer le 
ätemps au bout duquel une fraction quelconque de l’action est 
ccomplie, ce qui simplifie et facilite les mesures. Dans leurs 
recherches sur la sucrase, MM. O0’ Sullivan et Tompson ont choisi 
le moment où la rotation de la liqueur, d’abord droite, passe par 
le zéro en devenant négative. Ce terme correspond, ainsi qu'il 
est facile de le calculer, à l’interversion de 74,1 0/0 du sucre 
présent, et on pourra faire, en prenant cette finite et ce terme de 
comparaison, toutes les évaluations de » que nous faisions plus 
haut en comparant entre elles les inclinaisons des tangentes à 
l’origine sur l’axe du temps. 


S : ce 
que la valeur de soit la même, et que # soit constant, on 


Vérifications expérimentales. — Nous sommes donc maintenant 
en possession de quelques conclusions théoriques établies sur 
nos hypothèses, et des moyens de les contrôler. Essayons cette 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 119 


véritication. Le nombre des expériences faites dans cette direc- 
tion est malheureusement très restreint. Ce n’est pas qu’il n’en 
ait été fait beaucoup. Mais ou bien elles pèchent par défaut de 
comparabilité, ou bien elles ont été faites avec une méconnais- 
sance complète des conditions qui pouvaient les rendre pro- 
bantes. 

C'est ainsi par exemple que Tammann {10) ne pouvait rien 
trouver en cherchant une relation entre la quantité de diastase 
et la quantité de substance hydrolysée à la fin de la réaction. 
D'abord, le caractère essentiel des diastases est de pousser à 
bout l’action qu'elles produisent, quelle que soit leur quantité, 
si on leur en donne le temps. De ce côté-là, par conséquent, 
le terrain de l’étude était mal choisi. Puis, en revenant à nos 
formules, si » dépend de la quantité de diastase, la quantité de 
substance intacte à la fin de la réaction dépend de #, qui n'a 
avec » aucune relation nécessaire, et on comprend l’incohérence 
des résultats obtenus par Tammann. D’autres mémoires se prè- 
teraient à des critiques pareilles. Quand on a fait cette ventila- 
tion nécessaire, il ne reste plus que quelques expériences, assez 
probantes cependant pour qu’il ne reste aucun doute sur l’exac- 
titude des lois posées ci-dessus. 


Influence de la quantite de sucre. — Chose curieuse, c’est la 
plus facile à étudier, celle qui relie le temps de quantités égales 
d'action, ou de l’action totale, aux quantités de sucre, qui est 
la plus mal appuyée par l’expérience. Barth (11) a trouvé, en 
faisant agir de la sucrase sur du saccharose, des nombres irré- 
guliers qui, au lieu de suivre une marche régulière à mesure 
qu'augmentait la quantité de sucre, passaient par un maximum. 
Peut-être ne s’est-il pas assez méfié des légères doses d’alcali que le 
sucre apporte dans les solutions, et qui, lorsqu'on prend des 
liqueurs concentrées, peuvent devenir assez fortes pour troubler 
l’action de la diastase. 

En somme, je ne connais pas d'expérience dans laquelle on 
ait mis, dans des conditions tout à fait comparables, une même 
quantité de sucrase en présence de quantités inégales de sucre, 
et où on ait noté une proportionnalité entre la dose de sucre et 
la durée des réactions. Tout ce qu'on peut affirmer, comme 
résultant de toutes les expériences faites, c’est que la durée de 


120 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la réaction n’est pas indépendante de la quantité de sucre, comme 
dans le cas des acides, mais augmente avec lui. 

Heureusement, cette loi de proportionnalité n’estaulre chose, 
ainsi que nous l'avons vu, qu’une autre forme d’un fait bien 
établi, je veux dire l'égalité entre les quantités de sucre inter- 
verti que donne dans le même temps, au début de l'expérience, 
la même quantité de sucrase dans des solutions de sucre inégale- 
meut concentrées. La tangente au départ des diverses courbes 
d'interversion a la même inclinaison sur l’axe des temps, et doit 
venir le rencontrer à des distances de l’origine proportionnelle 
aux quantités de sucre initiales. D'un autre côté, sin est constant 
à une même température, comme nous allons le montrer lout à 
l'heure, la loi qui se vérifie pour les tangentes à l’origine doit se 
vérifier aussi pour les courbes réelles d’interversion, de sorte que 
nous pouvons considérer la loi comme sûre. 


Influence de la quantité de diastase. — Cette influence a été 
beaucoup étudiée, mais pas toujours dans des conditions qui 
rendent l'étude fructueuse. Brucke a fait, par exemple, agir sur 
de la fibrine des quantités différentes de suc gastrique; mais 
il est difficile de trouver, dans ce cas, une mesure de l’action 
qui se produit. De même, Schwarzer a fait agir du malt sur de 
l'empois, et a employé, comme critérium du degré d'avancement 
de l'action, l'iode qui, comme on le sait, est un réactif infi- 
dèle. Cohnheim a été mieux inspiré en recourant à la mesure de 
la quantité de glucose formé. C’est à Paschutin (12) qu’on doit 
la première démonstration d’une proportionnalité à peu près 
exacte entre les quantités de diastase et les quantités d'action 
dans le même temps. 

Il a fait agir des quantités différentes de salive sur une solu- 
tion sucrée, et a trouvé les nombres suivants : 


Salive employée. Sucre produit. 

0,25 e:/c. 0,40 grammes. 
à 0,50 — Dani 
ON & 2 1,21 É 
1,00 — 4,55 —— 
LODETES Adi 
D,00 — 2,97 — 


On voit que tant que l’action reste à ses débuts, la quantité 


DE L'ACTION DES DIASTASES., 124 


de sucre produit reste proportionnelle à la quantité de diastase. 
Cette loi ne se vérifie pas pour toute la durée de la réaction, 
mais nous savons qu’elle ne peut plus être vraie dès qu'inter- 
vient l’action perturbatrice des produits formés. Ce qu'il faut 
alors comparer, ce ne sont pas les quantités d'action pendant le 
même temps, mais les durées de quantités d’action égales. C'est 
pour avoir oublié cette notion essentielle que Kjeldahl, Mayer, 
ont échoué dans leurs tentatives pour mettre en évidence cette 
proportionnalité. C’est parce que MM. O’Sullivan et Tompson 
avaient adopté le mode d'évaluation signalé plus haut qu'ils ont 
pu vérifier la loi dans des limites beaucoup plus étendues, 

Ils ont en effet mesuré, aux températures de 15°,5 et de 56°,5, 
les durées nécessaires pour qu'une solution de sucre arrive au 
zéro dans l'appareil de polarisation, en présence de quantités 
variables de sucrase. Ce passage par le zéro correspond, nous 
l'avons dit, à l’interversion de 74 0/0 du sucre, Voici les nom- 
bres qu'ils ont obtenus : en A, ce sont les nombres bruts, éva- 
lués en minutes; en B, on trouve les produits des deux nombres 
qui représentent la quantité de sucrase et la durée de l'action. 
Les solutions sucrées étaient acidulées de façon à donner 
l'action la plus rapide possible, 


Température. Sucrase. A B 
450,5 0,15 grammes, 283 minutes. 424,5 
» » 0,45 — 94,8 — 426,6 
» » 1,50 - 30,7 — 460,5 
560,5 0,0345 — 157,6 — ; 54,4 
» » 0,0722 — °_ 74,8 — | 24,0 


On voit que, surtout pour la lempérature de 56°, le produit 
mt de la quantité de diastase par la quantité d'action est con- 
stant. Or, quand, comme dans ce cas, il y a eu intervention des 
produits de la réaction sur sa marche, il faut, d’après l'équation 
1 


S —5$ 


S 
QE Il 
1—n 
S 


pour que le produit mt soit constant pour des quantités . 
d'action égale, que n le soit aussi. Voilà donc vérifiées deux des 
hypothèses sur lesquelles nous avons basé toutes nos déduc- 
tions. 


122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Étude de la présure. — Cette proportionnalité inverse entre 
la dose de diastase et la quantité d'action se vérifie très bien 
aussi, etsans tant de difficultés, pour la présure : elle se vérifie- 
rait sûrement aussi pour les autres diastases coagulantes, parce 
que, avec elles, les produits de la réaction ne peuvent l’entra- 
ver, puisqu'ils prennent l’état solide. La difficulté est de trouver 
un terme défini à la réaction. Avec le lait, on y arrive assez fa- 
cilement quand on le coagule dans des tubes à essai ou des flacons 
allongés. Le lait forme, une fois coagulé, une masse solide qui 
reste adhérente au vase quand on le renverse. Dans un vase 
plat, le moment de la coagulation peut être aussi exactement 
apprécié en enfonçant dans la masse la lame d’un couteau ou le 
doigt. La boutonnière formée doit avoir des lèvres nettement 
coupées, et le liquide qui s’y réunit doit être transparent. Quand 
on opère à température constante, et qu'on ajoute à du lait des 
quantités inégales de présure, on obtient pour la durée de la 
coagulation des chiffres variables dont l'expérience suivante 
donne une idée. 

Dans mes expériences (15), la présure employée était de la 
présure de Hansen, de Copenhague. On en a mis la même 
quantité, 1 c. c., dans les volumes de lait indiqués, en c. c., 
dans la première colonne. La seconde donne les durées de coa- 
gulation de ces mélanges divers à la température de 360,5. La 
troisième donne le produit mt de la proportion de diastase par 
le temps de coagulation. 


Valeurs de m. T. de coagulation. Produit mt. 
1/24,000 240 minutes. 100 
1/12,000 1 7 Ne 275 

1/8,000 Dre 266 
1/6,000 21.30" 970 
1/4,000 15 266 
1/3,000 EL 275 
1/2,000 7.30" 266 
1/1,500 6.20" 240 
1/500 4.20" 120 
1/230 3.30" 80 
1/175 3.20" 40 


On voit que la loi se vérifie bien pour des volumes de lait 
compris entre 2,000 et 12,000 fois le volume de présure, mais 
qu’en decà et au-delà de ces limites, elle cesse d’être exacte. Cela 


à 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 123 


tient à des causes diverses connues sur lesquelles je revien- 
drai. Pour le moment, ce qui doit nous frapper, c'est que la loi 
se vérilie d’une façon aussi précise pour une action diastasique 
aussi différente de celle des diastases hydrolysantes, 

Lœærcher (13) est arrivé aux mêmes résultats en ajoutant à 
du lait des solutions étendues de présure, employées aux doses 
de 0,01 c.c. à lc. c., dans 10 c. c. de lait chauffé et maintenu 
à 37°. Voici les nombres obtenus rangés en série. La série de 
gauche est obtenue avec des proportions de présure décuples 
de celle de droite, et on a calculé pour chacune des expériences 
le produit mt. 


Doses de Temps de Produit Doses de Temps de Produit 
présure coagul. mt présure coagul, mt 
OOc'e: non obs. OMC. c: 43 430 
0,02 245 min. 490 0,2 24,5 190 
0,03 155 465 0,3 16 480 
0,04 126,5 , 485 0,4 12,5 500 
0,05 92 460 0,5 10 200 
0,06 78 468 0,6 8,79 525 
0,07 69,95 485 0,7 8,46 561 
0,08 63 d04 0,8 7,9 600 
0,09 56 204 0,9 6,7 603 
0,10 43 430 1,0 6 600 


Il y a dans ces nombres des irrégularités singulières, le phé- 
nomène étant certainement régulier et continu, mais on voil 
encore que, dans la zone moyenne, pour des proportions de pré- 
sure qui ne sont ni trop fortes ni trop faibles, la loise vérifie bien, 


Expériences de O’Sullivan. — Nous pouvons enfin donner une 
vérification en bloc de la formule générale 
LASER LA NES 
HET, Giue Er 
S 


en recourant à des expériences de O’Sullivan (1) faites dans des 
conditions où on ne pouvait pas s'attendre, «a priori, à voir une 
telle loi apparaître. Ce savant a observé, et c’est un point sur 
lequel nous reviendrons, qu’une levure de Bass fraiche et saine, 
mise en suspension dans l’eau, n’ylaisse pastranssuder de sucrase, 
ou presque pas. Mise en contact avec une solution de sucre, elle 
l’intervertit pourtant, et même avec quelque rapidité ; mais cette 


interversion est un phénomène intracellulaire, ou au moins ne 


124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


s’accomplit qu’au contact de la cellule, car si on filtre le mélange 
avec assez de soin pour qu'aucun globule de levure ne traverse 
le filtre, toute interversion s'arrête dans le liquide filtré, Il ne 
contient donc pas de sucrase soluble. De plus, pendant les pre- 
mières heures du contact de la levure et du sucre, il n’y a pas 
d'alcool produit. On peut donc admettre que tout se passe comme 
si, en introduisant de la levure dans de l’eau sucrée, on yintrodui- 
sait autant de centres d'action diastasique qu'il y a de cellules. 
En maintenant celles-ci en suspension par un courant d’air, qu’on 
peut du reste remplacer par un courant d'acide carbonique, on 
assure leur égale répartition dans le liquide et l'homogénéité du 
système. La levure hydrolyse peu à peu le sucre à l’aide de ladias- 
tase toute faite qu’elle contient, et ne semble pas en fabriquer 
de nouvelle dans un liquide où elle ne rencontre que du sucre. 
Quoi qu'il en soit, on voit apparaitre, dans ces conditions nouvel- 
les et singulières, la loi écrite plus haut. 

Elle se simplifie en ce que, pour le sucre etlasucrase, la valeur 
de »,comme nous l’avons vu, est égale à l’unité. On à donc l’équa- 
tion 


Chose curieuse, M. O’Sullivan ne songeait pas à vérifier cette 
formule dans ses essais, mais bien la formule 


à laquelle le conduisait sa se du phénomène (p.102). Il a 
donc mesuré, à divers intervalles, {,$, s, et de ces mesures il a tiré 
les valeurs do m. Dans sa Ro et d’après sa formule, ces 
valeurs eussent dû croître avec la proportion de levure, et être 
indépendantes des doses de sucre comme elles le sont dans le 
cas des acides. Il trouve au contraire, et il remarque lui-même 
qu’elles varient en raison inverse des quantités de sucre, la quan- 
tité de levure étant la même, de sorte qu’on a 
m 
M! = T 


C'est donc en réalité la formule que nous avons proposée qui 
ressort de l’expérience, et non celle de O’Sullivan. 

Pour donner une idée de l’approximation avec laquelle elle 
se vérifie, nous allons citer les résultats de deux expériences 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 195 


comparatives faites avec la même levure, mise en contact avec 
des solutions de sucre à destitres variés : 5, 10, 20, 30 0/0. Dans 
chacune de ces liqueurs, on mettait 0 gr. 5 et 1 gramme de levure, 
qu'on maintenait en suspension à l’aide d’un courant d’air. Au 
bout de 30, 60, 120 minutes, on prélevait un échantillon qu’on 
étudiait au polarimètre. On avait donc pour chaque cas #, S, s, et 
on en tirait, pour chaque expérience, trois valeurs assez concor- 
dantes de #' 


l 
M = = 
i l 
C’est la moyenne de ces valeurs de »#' qui est donnée ci-de:- 


sous pour les 3 liqueurs sucrées additionnées de 0 gr. 5 et de 
Î gramme de levure. 


Séries Sucre Levure Valeur de #»’ Valeur de m5 — m 
30/0  Ogr5 : 0,0027 0,000135 
Leur, 0,0057 0,00028 
| J0o/o O5  0,0013 0,000130 
\ ur, 0,0026 0,00026 
Lao,  O0#,5  0,0007 0,000 140 
A gr, 0,0012 0,00024 
30 0/5  Ow5  0,00035 0,000105 
| Le. 0,0006 0,00018 
5 0/0 Ogr,8 0,0045 0,00922 
X )100/0 Ow,8  0,0022 0,00022 
Ü200/)  Ow,8  0,0010 0,00020 


On voit que ia loi apparaît nettement au travers de la com- 
plicalion de l'expérience et de la délicatesse des mesures, La 
quantité m croit proporlionnellement à la quantité de levure 
ou de diastase, La vérification est moins bonne pour les solu- 
tions sucrées à 30 0/0. Mais O’Sullivan remarque que pour 
cette concentration, la cellule de levure se contracte et réduit son 
volume de 1/5 environ. En outre la liqueur est visqueuse. Il 
n'est donc pas étonnant que l’action diastasique faiblisse dans ce 
cas. Ce qui est étonnant, © est qu’une loi faite el écrite pour une 
réaction entre des subtances solubles se retrouve aussi exacte 
pour une réaclion où entrent des cellules vivantes, Ceci nous 
prouve que tout ce qui précède est vrai, non seulement dans le 
domaine de la chimie, mais dans celui de la physiologie, et qu'il 
y a des échanges cellulaires qui peuvent se comporter comme des 
réaclions purement chimiques. 


126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Expériences de Moritz et Glendinning. — Enfin, je signalerai 
une, dernière conséquence, d'accord à la fois avec la théorie et 
avec l’expérience. Supposons que dans une action diastasique. 
où # est plus grand que l'unité, et où la valeur maximum de 
S — s est donnée comme plus haut, par l'expression : 


SE SEM 

S n 
on ajoute, une fois la réaction arrêtée à ce terme, une 
quantité nouvelle de la substance transformable par la diastase. 
Ilest clair que la réaction va reprendre, et que la portion T 


ajoutée va se transformer jusqu’à ce qu’il en reste une quantité 
finale { telle que : 


T—t 1 

Æ n 
de sorte que la réaction s’arrêtera de nouveau à son terme 
initial, si on maintient constantes les conditions dans lesquelles 
elle s’accomplit du commencement à la fin. On a donc ici le fait 
curieux d’une diastase qui reste inerte aussi longtemps qu’on 
voudra, dans la première partie de l'expérience, alors qu’il reste 
encore la quantité s de matière à transformer, et qui recommence 
à agir lorsqu'on lui donne à digérer de nouvelle matière en 
tout analogue à s. 

C'est au moins ce qui résulte de nos formules. Or la réalité 
du fait résulte d’une foule d'observations déjà faites, parmi 
lesquelles je relèverai comme les plus concluantes celles de 
MM. Moritz et Glendinning sur la saccharification de l’amidon. 
Une fois cette saccharification à terme à une température quel- 
conque, par exemple 52°, ils la partagent en deux moitiés dont 
l’une est réservée pour l’analyse. Dans l’autre, ils mettent une 
quantité d'empois d’amidon égale à celle qu’elle contenait pri- 
mitivement, et recommencent la saccharification à 52. Il n’y a 
de diastase que la moitié de celle qui existe primitivement, et 
qui semblait inerte. La saccharification recommence pourtant. 
Au bout de 2 heures on opère sur ce second liquide comme sur 
le premier, c’est-à-dire avec le quart de la diastase initiale, et 
le quart de l’empois d’amidon initial. Les saccharifications 
deviennent de plus en plus lentes, car la diastase travaille de 
plus en plus en présence des produits de son action, mais elles 
aboutissent au même terme, ainsi que le montrent les chiffres 


DE L'ACTION DES DIASTASES. 127 


suivants, qui sont les pouvoirs réducteurs de la matière en 
solution dans les liquides, rapportés à ce qu’ils seraient si cette 
malière était du dextrose. Toutes les corrections ont été faites 
pour le sucre apporté par le malt, et les autres petites causes 
d'erreur du procédé opératoire : 


RLEACONVEESIO Ie R Pr sue M need 48,7 
2e — (faite avec la première). 48,6 
3e — (faite avec la seconde)... 48,4 


En résumé, il m'a paru que les formules que je propose 
comprenaient et expliquaient tous les faits connus. Elles sont 
en outre assez simples, malgré leur complication apparente, et 
en outre elles reposent sur des notions faciles à saisir. C’est 
pour cela que je les propose avec confiance aux savants que 
préoccupent les difficiles questions de diastase, qui ont englobé 
l'étude des toxines et des venins, et n’en sont devenues que 


plus urgentes à résoudre. 


BIBLIOGRAPHIE 


4. WizHELMY. — Pogg. Ann. {re S., t. 81, p.413. 

2. Osrwazv. — Journ. f. prakt. Chemie, Ile S., t. 29, p. 285. 

3. O’Suzcivan ET ToMpson. — Invertase, contribution à l’histoire d’un 
enzyme. Journ. of chem. Soc., t. 2, 1890. 

4. Duccaux. — Microbiologie, p. 165, 1883. 

5. Dusourc. — L'amylase de l'urine, Thèse de Paris, 1889. 

6. PayEeN. — Ann. de ch. et de phys., IVe S., t. IV, p. 286. 

7. O’SuzLivanx. — Journ. of. chem. Soc., t. 324, p. 493. 

8. KsezpanL. — Comptes rendus du laboratoire de Carlsberqg, p. 148, 1879. 

9, Lnper. — Observations sur la saccharification par la diastase. Comptes 
rendus de l’Ac. des sciences, 4 mars 1889. 

10. TAMMANN. — Sur les ferments non figurés. Hoppe-Seyler's Zeitschrift, 


11. BartH. — Ber.d. d. chem. Gesellsch., t. 1 1, p. 474. 
42. PascauTiN. — Reichert's, Dubois-Reymond Archiv., 1871, p. 359. 
43. Lorcaer. — Uber Labwirkung. — Pflüger”s Archiv., t. 99, 1897, 


14. MAYER. — Enzymologie, 1882. 
45. Ducraux, — Mémoire sur le lait, Annales de l'Institut agronomique, 
1879-1880. 


46. Moritz ET GLENDINNING. — Note on diastatic action, Journal of the 
chem. Soc., 1892, p. 689, 


LES MICROBES DES NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES 


Par M. MAZÉ 


Préparateur à l’Institut Pasteur. 
TROISIÈME MÉMOIRE 


DEUXIÈME PARTIE 


Morphologie du microbe des nodosités. 


Dans le cours des recherches déjà publiées', qui ont surtout 
porté sur le côté chimique de la fixation de l’azote, je n’ai ren- 
contré pendant longtemps que la forme bacillaire mobile des 
microbes des nodosités. Les auteurs ont décrit des formes‘rami- 
fiées, des formes en étoile associées aux bacilles. Je ne les ai 
vues apparaître qu’en présence d’un taux élevé de chlorure de 
sodium ou d’une dose exagérée de saccharose. Ce caractère 
accidentel semble traduire des conditions de développement 
défavorables. 

Je me suis proposé de préciser ces conditions et d'essayer en 
même temps d'obtenir les formes en poire que l’on rencontre 
dans les nodosités de trèfle. Dans ce but, j'ai eu recours : 1° à 
l’action de la chaleur ; 2° aux milieux acides. | 

Action de la chaleur. — M. Laurent à fixé à 30° la limite du 
développement des microbes des nodosités. Cependant, si on fait 
des ensemencements abondants, ils poussent encore àf35° sur 
gélose * ; ils s'habituent même assez vile à cette température. 

Si on réensemence toutes les 48 heures les cultures 
exposées pendant quelques jours à 35°, on observe, dès le 
deuxième passage, dans les cultures âgées de 24 heures, de 
nombreux bacilles pourvus de bourgeons latéraux; ces ramifi- 
cations disparaissent dans les cultures âgées de 3 jours, lorsque 
la mucosité est déjà abondante. 

1. Ces Annales, février 1897 et janvier 1898. 


2. La gélose dont il est question dans toute la derniére partie de ce travail a 
été faite avec du bouillon de haricots additionné de 3.0/0 dé sactharose, 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 129 


A partir du deuxième passage, les formes rameuses deviennent 
de plus en plus nombreuses; elles diminuent ensuite et dispa- 
raissent complètement lorsque le microbe s’est adapté à la tempé- 
rature de 35°. C’est dans les cultures de 24 heures qu’elles sont 
le plus nombreuses. Les figures 1 et 2, PI. IT, donnent une 
idée de leur richesse et de leur abondance. Comme on le voit, les 
bacilles s’allongent et forment un grand nombre de bourgeons; 
si on dilue un peu de ces cultures riches en formes ramifiées - 
dans de l’eau physiologique ou du bouillon de haricots stérile, 
on les voit se désagréger rapidement et donner naissance, par 
voie de division transversale, à des éléments simples. La fig. 3, 
PI. IL, représente deux de ces formes à deux stades différents 
de division. Les rameaux prennent naissance et grandissent 
comme les bourgeons ordinaires; il n’y a donc pas, chez les 
microbes des nodosités, de division longitudinale. 

Action des acides. — Les microbes ne se cultivent pas dans le 
bouillon de haricot additionné de 1/1000 d'acide tartrique; les 
germes déposés dans ce milieu ne se régénèrent plus au bout de 
2 à 3 semaines, lorsqu'on les transporte sur des milieux alcalins. 

Ils se développent sur gélose additionnée de 1 0/00 d'acide 
tartrique ou oxalique ‘, à condition, toutefois, d’ensemencer très 
abondamment. Dès la première culture sur ce milieu, les bacilles 
donnent naissance à des formes en poire, à la température de la 
chambre; leur contenu est vacuolaire, leur diamètre atteint 2-3 u, 
quelquefois plus (fig. 2, PI. I). 

Ces métamorphoses sont générales lorsque l’ensemencement 
est pauvre; mais si on transporte beaucoup de mucosité, la 
transformation est limitée à la minorité des microbes; dans le 
premier cas, le développement s’arrête au bout de 3 ou 4 jours 
et les formes en poire persistent dans la culture, tandis qu’elles 
sont passagères lorsque la mucosité envahit toute la surface. 

Si on combine l’action de la température de 35° avec l’in- 
fluence des milieux acides, les résultats sont diflérents : les 
bacilles s’allongent, se renflent en chapelets et se ramifient. Tous 
se transforment; il est impossible de trouver dans les cultures 
un bacille normal; l'organisme qu’on obtient ainsi présente la 


4. L’acidité n’atteint pas le chiffre de 1/1000, car la gélose étant préparée 
avec une eau légèrement calcaire, une partie de l’acide se trouve neutralisée. 


9 


430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


plus grande analogie avec des fragments de mycélium âgé d’une 
culture d’oospora (fig. 3, PL. TI). 

Mais il est impossible de fixer ces formes ; elles disparaissent au. 
bout de quelques jours dans la culture même, lorsque la mucosité 
devient assez abondante; si on les transporte sur gélose alcaline, 
elles se désagrègent très vite, et au bout de 24 heures on obtient 
un bacille typique, chez lequel rien ne trahit les modifications que 
ses ancêtres ont subies. 

On obtient encore des formes analogues à celles de la fig. 5, 
PI. I, lorsqu'on ensemence sur de la gélose de viande pepto- 
nisée un microbe habitué au bouillon de haricots sucré. 

Rien n’est donc plus facile que d'obtenir sur des milieux 
artificiels des formes aussi variées que celles que l’on rencontre 
dans les nodosités. On ne peut pas attribuer celles-ci à l’action 
d’une température exagérée, mais il est clair qu’elles s'expliquent 
par l’influence de l'acidité de la sève. 

La plante n’exerce aucune action spécifique en dehors de 
celle des acides; j'ai déjà dit que les microbes pénètrent dans 
les racines sous forme de coccobacilles (V. p. 13); ils y conser- 
vent cet état tant que la sève ne circule pas en abondance dans 
le tubercule; mais lorsque les vaisseaux sont formés dans cette 
région, le liquide nourricier dissout la mucosité protectrice qui 
englobe les microbes; à partir de ce moment, ils nagent dans 
un liquide acide constamment renouvelé, et c’est alors que les 
formes rameuses apparaissent; elles persistent aussi longtemps 
que dure la vie dans ces régions. 

Autres formes physiologiques. — L'histoire morphologique des 
microbes des nodosités ne se borne pas à ce que je viens d’ex- 
poser. Pour observer les formes si variées que je viens de 
décrire, il faut faire usage de cultures récemment tirées de la 
pulpe de jeunes tubercules. Les cultures d’origine ancienne 
présentent aussi un certain nombre de particularités intéres- 
santes que je vais passer maintenant en revue. 

J'ai montré que le microbe des légumineuses ne se déve- 
loppe pas dans une atmosphère d'azote pur; il y conserve 
cependant assez longtemps sa vitalité; et si, au bout de 15 jours 
ou 3 semaines, on le reprend dans les tubes scellés pour l’ense- 
mencer sur des tubes ordinaires, il donne de petites colonies 
grisätres, constituées par une forme à peu près ronde, de très 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 131 


petit diamètre. En goutte suspendue, ces microbes se présentent 
soit à l’état isolé, soit réunis par deux ou disposés en chaînes. 

Ce résultat, obtenu dans une première expérience, laissait 
place au doute; il a été vérifié immédiatement dans une autre 
expérience faite avec des cultures dont la pureté avait été préa- 
lablement contrôlée. 

La forme ronde a repris son aspect primitif au bout de 
quelques passages sur gélose, mais je n’ai pas réussi à lui faire 
produire de mucosité. Avec les cultures récentes on n’obtient 
pas ces transformations. Ensemencées dans une atmosphère 
d'azote, elles se comportent comme les cultures d'origine 
ancienne; mais les germes repris dans les tubes fermés, plusieurs 
semaines plus tard, ont conservé leurs propriétés caractéris- 
tiques. 

Ceci prouve que les cultures entretenues par des rajeunis- 
sements répétés se différencient peu à peu sur milieux artificiels. 

Si on en prend une appartenant à la même série que celles 
qui ont servi dans l’expérience précédente, et si on l’ensemence 
de façon à obtenir des colonies séparées, voici ce qu’on observe : 
au bout de deux ou trois jours, on voit apparaitre une série de 
colonies blanches, nacrées, étalées sur le milieu; elles atteignent 
facilement3-4 millimètres de diamètre. Puis,un à deux jours après, 
une autre série de colonies se forme; celles-ci sont plus proémi- 
nentes, légèrement jaunâtres; leur diamètre reste toujours infé- 
rieur à celui despremières.Les deux espèces de colonies renferment 
deux bacilles qu'il est impossible de distinguer lorsqu'ils sont 
intimement mélangés; mais quand on est prévenu, on remarque 
que les colonies jaunâtres sont constituées par un microbe dont 
le contenu présente de petites vacuoles. 

Ensemencés séparément, ces deux bacilles ne fabriquent pas 
de mucosité; si on les associe, ils donnent des cultures caracté- 
ristiques. Dans un même tube, des colonies séparées conservent 
_l’aspect de colonies de microbes banaux; si deux d’entre elles 
empiètent l’une sur l’autre, la mucosité se forme en cet endroit, 
et au bout de quelques jours elle envahit toute la culture, Il est 
donc impossible de considérer l’une ou l’autre de ces formes 
comme une impureté. 

Les cultures sur pomme de terre permettent de pousser la 
transformation encore plus loin, à condition, toujours, de se 


132 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


servir de cultures d’origine ancienne : sur un fragment de 
pomme de terre ensemencé depuis quatre semaines, on ne trouve 
plus que des formes rondes. On peut suivre au microscope 
l’évolution des bacilles ; on les voit s’allonger et se diviser peu 
à peu en articles courts qui deviennent indépendants les uus 
des autres; si on ensemence des tubes de gélose avant que la 
transformation ne soit complète, et si on s’arrange de façon à 
obtenir des colonies séparées, on peut, à un moment donné, 
observer des colonies de formes rondes et des colonies de formes 
bacillaires. 

En ensemençant séparément sur pomme de terre les deux 
bacilles que nous avons isolés précédemment, on les voit évoluer 
tous deux vers la forme ronde. 

Les cultures issues des colonies provenant directement des 
nodosités, et conservées pendant huit mois, peuvent être rajeu- 
nies au bout de ce temps; elles montrent les mêmes transfor- 
mations. L’une de ces cultures m'a fourni une forme ronde et 
un bacille qui, ensemencés à part, ne fabriquent pas de mucosité; 
si on les associe, ils donnent des cultures tout à fait ty- 
piques. 

Propriétés physiologiques des formes précédentes. — Les propriétés 
physiologiques des microbes des nodosités ne sont pas plus 
stables que leurs caractères morphologiques. Le bacille des 
légumineuses, au moment où on l’isole des tubercules, ne 
iquéfie pas la gélatine; les formes rondes qui en dérivent la 
Miquéfient très rapidement, les formes bacillaires très lentement; 
les microbes ne troublent pas la gélatine peptonisée; ils se réu- 
nissent au fond des tubes et forment un dépôt floconneux. 

Leur action sur l’azote libre ou combiné est également inté- 
ressante. Pour l’étudier, jai eu recours aux deux formes extraites 
des cultures que j'ai conservées pendant huit mois sans les 
rajeunir; ces deux microbes sont très différenciés, et, de plus, 
lorsqu'on les associe, ils exercent l’un sur l’autre une influence 
très remarquable. 

La forme bacillaire avait acquis spontanément, pendant la 
belle saison, la propriété de produire de la mucosité ; pour cette 
raison, j'ai fait deux séries d'expériences correspondant à deux 
états différents de ce microbe. J'ai adopté le dispositif que j'ai 
déjà utilisé plusieurs fois. 


NODOSITÉS DES LEGUMINEUSES. 133 


On a mis en expérience six ballons de culture renfermant 
chacun 50 c. c. de bouillon de haricots. 


Le ballon no 4 a été ensemencé avec la forme ronde. 


— no 2 — _ la forme bacillaire primitive ‘. 

— n° 3 -— — les deux formes précédentes. 

— n° 4 — — la forme ronde. 

— n° 5 — — la forme bacillaire active. 

— n° 6 — — la forme ronde et la forme active. 


Le tableau ci-dessous résume les résultats obtenus: 


Cultures Durée des cult. S. initial Sucrefinal S.consommé Az. final Az.initial Azote gagné 


no A4jours A500mgr 1{{Amgr 38Omer  ABmer,8 A9mer, — 3mer,7 


n° 2 14 id. 891 609 il id. — 2,4 
n° 3 14 id. 797,9 625 21,7 id. + 2,2 
n° 4 29 1750 1578 172 169 154 + 0,8 
n° 5 25 id. 921 823 99 id. + 2,2 
n° 6 25 id. 1128 627 9,5 id. + 2,4 


Les chiffres fournis par les n° 1, 2, 3, qui constituent la pre- 
mière série, sont très instructifs. Dans les deux premières cul- 
tures il s’est produit une déperdition d'azote; on est donc ici en 
présence de ferments de la matière azotée; ce caractère est d'au 
tant plus prononcé que l’on se rapproche davantage de la forme 
ronde. La consommation de saccharose est à peu près inverse- 
ment proportionnelle à la perte d’azote; celui-ci se dégage à 
l'état gazeux; des barboteurs à acide sulfurique convenablement 
placés sur le courant d’air ne retiennent pas de trace d'ammo- 
niaque. 

Lorsque les deux formes microbiennes sont associées, les 
résultats sont bien différents; en 14 jours, dans un milieu trop 
riche en azote initial, il s’est produit un gain de 2,2 d'azote. 

L’aspect des cultures concorde bien avec ces chiffres; les va- 
ses n° let 2 renferment un bouillon très fluide; les microbes 
forment un dépôt pulvérulent qui se réunit dans les parties les 
plus déclives du fond. Le contenu du n° 3 esttrès épais, très riche 
en mucosité. 

Dans la deuxième série, le n° 4 a conservé safluidité jusqu’au 


4. J’appelle forme bacillaire primitive celle qui ne produit pas de mucosité, 
tandis que l’expression forme active correspond à l’état sous lequel elle en donne. 


134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


20° jour. A partir de ce moment il est devenu visqueux ; ce chan- 
gement dans l'aspect de la culture a coïncidé avec l’évolution 
de la forme ronde vers la forme bacillaire. Lorsqu'on a mis fin- 
à cette expérience, les tubes de gélose ensemencés avec le con- 
tenu du ballon montraient au microscope deux bacilles mobiles, 
légèrement différenciés ; incapables de produire de la mucosité 
lorsqu'ils sont séparés, ils en élaborent lorsqu'ils sont associés. 
De plus, ces microbes ne provoquent plus de déperdition d’azote. 
Cette évolution vers la forme bacillaire active s’est faite sous 
l'influence d’une température favorable et d’une aération très 
active, car pendant ce temps, les formes conservées sur gélose 
ne se sont pas transformées. Il faut noter également l'influence 
de la composition du milieu de culture, très pauvre en azote com- 
biné et très riche en saccharose. 

Les chiffres relatifs au gain d'azote correspondent assez 
exactement, dans les deux autres cultures, aux propriétés des 
microbes qu’elles renferment. Le n° 2 a consommé plus de sac- 
charose pour produire à peu près le même travail, l’association 
de deux formes exerce donc encore une influence sensible sur le 
résultat final. 

À ces deux séries d'expériences correspondent deux séries 
d'inoculations faites sur des vesces de Narbonne ‘; les résultats 
obtenus dans cette voie reproduisent assez fidèlement ceux que 
l'analyse vient de fournir. 


1. Cette légumineuse donne des nodosités 9 à 12 jours après l’inoculation. La 
graine est de la grosseur du pois le plus volumineux. Le testa, plus dur, permet 
de faire agir pius longtemps le sublimé et d'obtenir une stérilisation plus rigou- 
reuse sans s’exposer à endommager l'embryon. 

Comme mes recherches ont nécessité l'emploi d'un grand nombre de plantes 
poussant dans des solutions nutritives stériles, je donnerai ici le mode opéra- 
toire auquel je me suis arrêté. 

Pour la stérilisation, j'ai eu recours au procédé ordinaire qui consiste: 1° en 
lavages préalables à l’eau stérile; 2 séjour d’un quart d’heure dans le sublimé 
acide au 1/100, en récipient stérile; 3° 4 à 5 lavages à l'eau stérile en ballons sté- 
riles. 

Les semences ainsi préparées sont réparties dans des tubes de 20 centimètres 
de longueur sur 2 de diamètre et remplis au 1/3 de leur hauteur d’eau distillée; 
ces tubes sont munis de deux tampons de coton; l’un, assez lâche, repose surl’eau 
dans laquelle il est immergé en partie; l’autre, plus serré, remplit le rôle ordi- 
naire des tampons de coton. Le tube ainsi préparé est stérilisé à 120°; pour met- 
tre la graine en germination, on la dépose avec une pince flambée sur le tampon 
de coton intérieur. 

Au bout de 48 heures à la température de la chambre, en été, la racine sort ; 
elle traverse facilement le tampon de coton et va baigner dans l'eau distillée, 
pendant que la tige occupe le compartiment supérieur du tube; celle-ci peut 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 135 


La forme ronde et la forme bacillaire inoculées séparément 
ne donnent pas de tubercules. Il n’y a rien sur les racines qui 
rappelle les formations de cette nature ; mais les bacilles culti- 
vent-dans le feutrage des poils absorbants ; ils forment ainsi une 
gaine persistante qui entoure le corps de la racine et la grossit 
beaucoup; on y trouve au microscope un bacille très fin, mobile, 
identique au point de vue de la forme à celui que l’on observe 
dans les jeunes nodosités à peine visibles à l’œil nu. 

Ea fixant et en colorant la préparation, on voit, dans l’en- 
chevêtrement des poils absorbants, desfilaments fortement colo- 
rés ; en les décolorant modérément par l'alcool, on leur donne 
de la transparence et l’on peut distinguer nettement le bacille 
qu'ils renferment. La figure 6, PI. I, représente un de ces 
filaments muqueux à un grossissement de 100 D avec quelques 
fragments de poils absorbants ; ils sont identiques à ceux de la 
figure 4 de la même planche, et comme eux ils ne diffèrent que 
par le volume du pseudo-mycélium qu’on observe dans les 
jeunes nodosités. 

Les racines des plantes rente avec. les deux formes 
microbiennes associées portent de très nombreuses nodosités ; 
celles-ci renferment des bacilles ramifiés ; elles sont aussi 
volumineuses que celles que produisent, dans les mêmes condi- 
tions, les microbes sortant de la pulpe des tubercules. 

La seconde série d’inoculations a donné des résultats iden- 
tiques aux précédents ; celte fois, par conséquent, l'harmonie 
n’est pas si complète avec les indications de la chimie. La 
forme bacillaire active est encore impuissante à produire des 
nodosités. 

Une question s'impose maintenant à la suite de toutes ces 
expériences qui se confirment mutuellement. Les microbes des 


acquérir une longueur de 7 à 8 cm. et développer deux ou trois feuilles, étiolées 
naturellement. 

Lorsqu'il y a contamination, la graine a apporté des germes qui sont surtout 
des spores de moisissures, de mucors principalement; les penicilliums et les 
aspergillus sont plus rares; les microbes constituent l’exception. S'il y a des im- 
puretés, la plante se développe mal et périt le plus souvent; dans les tubes sté- 
riles, l’eau reste parfaitement limpide et les racines sont d’un blanc d'ivoire, Lors- 
qu'on a bien choisi ses graines, la contamination n’attéint pas plus du 1/20 des 
plantes en germination. 

Quand la tige a T à 8 centimètres de longueur, on transporte la jeune plante 
dans un récipient stérile muni d’une solution nutritive, en prenant toutes les pré- 
cautions pour opérer ce transfert d’une manière aseptique, 


136 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nodosités appartiennent-ils à deux espèces bacillaires, ou bien 
toutes ces formes résultent-elles d’une évolution graduelle d’une 
seule et même espèce ? 

Il semble bien, par ce qui précède, qu'on se trouve en pré- 
sence de deux espèces. Rien ne permet d'affirmer que lorsqu'on 
part d’une colonie obtenue avecun microbe sortant d’une nodo- 
sité, on ne prend pas, à son insu, les deux espèces simultané- 
ment ; elle peuvent se confondre longtemps par leurs caractères 
morphologiques, puis se différencier sous l’influence des agents 
de transformation ; et ce n’est qu’au moment où leurs caractères 
sont suffisamment distincts qu’on s’aperçoit qu'il y a en réalité 
deux espèces de formes et de propriétés bien tranchées, 
comme on l’a vu. 

En observant attentivement le passage des formes rameuses 
des nodosités à la forme bacillaire des cultures, on remarque que 
les premières sont des colonies et non des individus. M. Franck 
avait déjà observé que chacune de ces formes met successive- 
ment en liberté plusieurs coccobacilles mobiles. Voici ce que 
j'ai vu à mon tour : les formes ramifiées des tubercules, trans- 
portées sur des tubes de gélose, se gonflent en une petite série 
de vésicules séparées par des étranglements qui prennent bien 
la couleur (fig. 4, PI. I). Les vésicules ne se colorent pas ; ce 
sont des vacuoles dilatées par les courants osmotiques dus au 
changement de milieu ; elles se résorbent ou éclatent ; les gra- 
nules protoplasmiques, mis en liberté, donnent naïssance à 
autant de bacilles mobiles. Nous devons donc considérer ces 
formes complexes comme des agrégats d'individus, et rien ne 
prouve a priori que ces colonies ne soient pas formées par deux 
espèces microbiennes. 

Il est vrai que si nous regardons à l’autre extrémité de la 
chaîne que nous connaissons déjà, nous trouvons encore qu'elle 
se ferme par ia forme ronde qui serait également commune aux 
deux espèces. 

Pour arriver à donner une solution nette de cette question, 
j'ai cherché dans une autre voie. J'ai transformé à la tempéra- 
ture de 35° des cultures d’origine très récente, par une série de 
réensemencements effectués toutes les 48 heures sur gélose 
acide. Ces cullures, conservées ensuite à la température de la 
chambre sur milieu alcalin, donnent, au bout de 15 jours, 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 137 


deux sortes de colonies; les unes normales, les autres blanches, 
nacrées, luisantes; ensemencées séparément et portées brusque- 
ment sur gélose acide à la température de 35°, elles donnent les 
unes et les autres des formes ramifiées. 

Inoculées séparément ou ensemble, elles produisent dans 
tous les cas, au bout de 12 à 15 jours, de nombreux tuber- 
cules radicaux. On ne peut plus admettre après tous ces pas- 
sages que chacune des colonies séparées dans la suite soit 
formée par deux germes d'espèces différentes. Il faut donc 
considérer toutes les variétés de microbes qui ont été examinées 
jusqu'ici comme des modifications d’une espèce unique. 

Conclusions. — La série de faits que je viens d’exposer 
entraîne un certain nombre de conclusions. 

Ce qui frappe tout d’abord, c’est la variété des formes que 
l'on peut obtenir sur les milieux artificiels ; mais il faut se hâter 
d'ajouter que, dans l’intérieur même des nodosités, ils’ opère des 
transformations analogues. 

Lorsqu'on examine le contenu de ces organes épuisés, on ne 
trouve plus que des formes bacillaires ou des formes rondes 
qui n’offrent aucune parenté apparente avec les microbes rami- 
fiés si caractéristiques des jeunes tubercules. M. Laurent les 
considère comme des formes saprophytes du sol attirées dans 
ces régions par l’abondance de la nourriture. Elles donnent, en 
effet, très rarement, des tubercules par inoculation et, de plus, 
leurs cultures ne présentent plus les caractères des bacilles ty- 
piques. Comme les expériences précédentes montrent que le 
microbe des nodosités peut perdre toutes les propriétés qu'on 
est convenu de regarder comme caractéristiques, on peut, en 
groupant les faits épars dans la première partie de ce travail, 
donner une interprétation des transformations qui ont leur 
siège dans les tubercules mêmes. 

J'ai déjà montré comment se fait l'infection, comment 
naissent et disparaissent les tubes muqueux, et sous quelles 
influences les formes rameuses succèdent aux coccobaeilies. Si 
on reprend maintenant les tubercules à un âge plus avancé, on 
assiste à leur épuisement graduel par le retrait de la sève. Mais 
avec la disparition du liquide nourricier, l'acidité cesse égale- 
ment son action. Les microbes peuvent faire retour à la forme 
simple, et commeils ne reçoivent plus d'aliments tout préparés, 


138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ils s'adaptent aux nouvelles conditions d'existence qui leur sont 
faites. De ferments des matières hydrocarbonées, ils deviennent 
ferments des matières azotées, et, de fixateurs d'azote libre, ils 
deviennent consommateurs d'azote. Ils sont alors capables de 
vivre dans la terre à l’état de microbes saprophytes, et à partir 
de ce moment, ils se confondent avec la plupart des microorga- 
nismes qui la peuplent. 


VII 


LES MICROBES DES NODOSITÉS DANS LE SOL 


Personne à ma connaissance n’a isolé directement le bacille 
des nodosités du sol. M. Laurent a observé des kystes dans les 
vieux tubercules; il n’a pas réussi à les faire germer; d’après lui 
ils persistent dans la terre et germent sur le passage des racines, 
à la faveur des actions chimiotaxiques exercées par les poils 
absorbants. Pour M. Nobbe, il existe dans le sol une forme 
neutre, capable de s’adapter à la longue à une espèce de légu- 
mineuses, et de donner ainsi des races susceptibles d’envahir 
plus particulièrement une espèce ou un genre déterminés. 

Le chapitre précédent renferme des faits qui serontun guide 
précieux dans la recherche des formes libres du sol. 

Pour orienter mes investigations, j'ai ensemencé une trace 
de délayure de terre sur une série de douze tubes. Parmi toutes 
les colonies que j'ai obtenues ainsi, aucune ne présentait les 
caractères du bacille des légumineuses. Ce résultat était prévu ; 
car au moment où les débris de tubercules radicaux se disso- 
cient dans la terre, l’évolution des microbes est si avancée qu'il 
est, je le répète, impossible de les caractériser. 

J’ai pris alors deux échantillons de terre; l’un À, à la surface ; 
l’autre B, à 20-95 centimètres de profondeur. Après en avoir dilué 
quelques décigrammes dans de l’eau stérile, j'ai introduit deux 
ou trois €, c. de chacune des délayures dans deux récipients où 
végélaient, à l'abri des microbes, deux jeunes plants de vesce de 
Narbonne. En même temps, j'ai ensemencé deux séries de huit 
tubes de gélose avec les mêmes délayures. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 139 


Parmi ces tubes, j’en ai choisi deux (un dans chaque série), 
ceux qui renfermaient le plus de colonies microbiennes, tout en 
étant exempts de moisissures vulgaires, et, sans me soucier 
d'isoler les espèces, je les ai ensemencées toutes à la fois sur de 
nouveaux tubes, de façon à faire un grand nombre de passages. 
On devine aisément que cette opération a pour but de provoquer, 
par l'association des formes inégalement différenciées, une 
évolution rapide vers le stade caractéristique, De plus, il est 
bien évident que si le microbe qu'on se propose d'isoler se trouve 
dans les cultures, loin de succomber dans cette sélection forcée, 
il prendra plutôt le dessus sur les espèces antagonistes, puisqu'il 
se trouve dans les conditions les plus favorables à son dévelop- 
pement. 

Au début de ces manipulations, les deux cultures A etB étaient 
constituées par une couche glaireuse, peu abondante, mais elles 
ont acquis au bout de quelques semaines un développement 
luxuriant. 

A 35°, sur gélose acide, elles ne produisent pas de formes 
rameuses après 48 heures d’étuve. Si on les abandonne ensuite 
à la température de la chambre pendant 6 jours, on découvre au 
microscope, avec un peu de patience, quelques bourgeons bien 
caractérisés. D'autre part, l'aspect des cultures est assez encou- 
rageant, et si l'on ne peut pas affirmer déjà qu’elles renferment 
le microbe cherché, le doute n’est plus possible lorsque les nodo- 
sités se sont montrées sur les deux plantes inoculées. 

La culture A présente un aspect variable suivant son âge. 
Durant les deux ou trois premiers jours, la gélose est couverte 
d'un enduit sec qui rappelle un peu l’aspect du subtilis, Vers le 
quatrième jour, la surface devient humide, et une mucosité 
pâteuse et grisâtre coule au fond des tubes lorsqu'on les main- 
tient debout. 

Dans le mucus on ne distingue àu microscope qu'un bacille 
court, mobile, tandis qu'avant l'apparition de cette substance, 
on ne trouve pour ainsi dire que de gros filaments bactériens 
complètement sporulés. 

La culture B ne présente pas le même aspect; la mucosité 
s y développe dès les premiers jours; elle est plus abondante 
que dans la culture A; elle est égaiement plus hyaline et plus 
épaisse; elle ne renferme que des bacilles et des formes rondes. 


140 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il s’agit maintenant d'isoler les espèces qui peuplent ces cul- 
tures, et d'y caractériser, si possible, le microbe des nodosités. 

La culture À m'a fourni trois espèces : deux bactéries sporo- 
gènes et un bacille représenté sur six tubes par trois colonies; les 
colonies de bactéries sont beaucoup plus nombreuses; l’une 
d'elles, que j'appelle «4, présente un aspect particulier ; elle s'étend 
à la surface de la gélose, en donnant des arborescences tout à 
fait comparables à celles que l’eau congelée forme snr les vitres. 
L'autre bactérie donne des colonies riches et chagrinées,; elle 
n'oflre aucun intérêt. 

Le bacille forme des colonies proéminentes, pâteuses, qui 
s’étalent en vieillissant ; je l'appelle b. 

La culture B renferme un plus grand nombre d'espèces; je 
n’en ai conservé qu'une seule, €, un bacille très mobile assez 
semblable comme aspect au microbe des nodosités. 

Les microbes a et b attirent l’attention par la régularité avec 
laquelle ils se succèdent dans la culture ; j’ai déjà dit que la bac- 
térie apparaît la première, envahit tout le tube, et donne des 
spores ; puis le bacille b se développe à son tour, et dans la cul- 
ture de huit jours, il semble qu’il soit seul; on ne trouve plus 
ni spores ni bactéries. En séparant les espèces contenues dans 
une culture âgée, afin d’être plus sûr d'obtenir les microbes pro- 
ducteurs de mucosité, je n’ai obtenu que 3 colonies de bacille b. 
Ceci m'a fait penser que la bactérie & doit présenter un stade 
bacillaire qui ne serait autre que 6. 

Pour établir les relations qui existent entre ces deux formes, 
j'ai isolé à nouveau la bactérie & du sol. Rien n’est plus facile : 
cette bactérie est très répandue à la surface de la terre arable ; et 
comme elle se reconnaît facilement à son mode de développe- 
ment, on l’obtient à l’état de pureté au bout de sept ou huit jours. 
Voici comment : on prend un fragment de colonie, on le dépose 
au milieu d'un tube de gélose. En moins de 48 heures, la bac- 
térie s'est propagée à plus de 2 centimètres du point d’origine ; 
on détache un fragment périphérique qu’on dépose sur un 
autre tube. En répétant cette opération trois ou quatre fois, on 
est parfaitement sûr d’avoir éliminé toutes les impuretés. En 
culture pure, la bactérie « donne de longs filaments qui 
rayonnent en tout sens, se croisent et se groupent en faisceaux 
visibles à l'œil nu, légèrement proéminents etadhérant fortement 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. A4 


à la gélose ; des filaments diffus et nuageux pénètrent dans le 
substratum et l’envahissent lentement. Au bout de 2# heures, 
les filaments les plus âgés renferment déjà des spores. Après 
3 à 4 jours, ces spores germent en donnant naissance à des 
filaments analogues aux premiers, mais plus courts et plus gros, 
la culture revêt alors un aspect humide et se laisse détacher 
assez facileme.t de sa gélose. Cette seconde génération sporule 
très lentement à son tour, et les spores une fois formées se con- 
servent indéfiniment. Ce n’est pas là le seul processus de 
reproduction que les formes courtes présentent. Au bout de 
quinze jours on voit poindre un peu partout de petites colonies 
laiteuses qui augmentent de volume ; elles sont fournies par un 
bacille court, noyé dans une mucosité abondante. Si on ense- 
mence une parcelle de ces colonies, on n’obtient que la forme 
bactérienne et le processus recommence. 

On peut l'activer par la chaleur, par l'emploi des milieux 
acides placés à 35°, etaussi par la concurrence vitale, comme cela 
se passait dans la culture A. 

Les formes courtes, avant de se résoudre en coccobacilles, pré- 
seutent dans chaque article une, deux ou trois condensations 
protoplasmiques, suivant la rapidité de la transformation. Ces 
granulations absorbent peu à peu la masse de Ja bactérie,et, une 
fois indépendantes, elles se reproduisent sur place en donnant des 
colonies laiteuses. 

La fig. 9, PLIT, représente cette évolution, et la fig. 6, PL. F, 
reproduit les coccobacilles libres. 

La forme bacillaire ne se fixe qu’à la longue,et c’est pour 
cela, précisément, que les colonies du bacille b étaient si rares 
alors qu’on s'attendait à n’obtenir qu’elles. Le bacille b est en 
effet le stade dissocié et mobile de la bactérie 4. En partant d’une 
culture pure de cette dernière, on arrive à obtenir en huit jours 
des cultures identiques comme aspect à celles que l'on obtient 
en ensemençant directement le bacille b. Dans les deux cas la 
mucosité est abondante, d’une couleur rosée quandelle estépaisse, 
et virant au rouge orangé par la dessiccation ‘. 


4. Donnons en passant les caractères que présente la bactérie & sur quelques 
milieux de culture. Ce qui précède se rapporte à la gélose de haricots. 

Sur gélose de viande, elle est beaucoup plus stable. 

Dans les bouillons, elle forme des zooglées hyalines qui restent longtemps en 
suspension dans le liquide. Au bout de plusieurs semaines, elles se désagrègent 


142 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ceci étant établi, nos investigations se borneront désormais 
à identifier les deux bacilles b et c avec le microbe des nodosités. 
Tous deux produisent une mucosité abondante, légèrement 
lactescente avec b, et très hyaline avec c : le plus souvent, la muco- 
sité fabriquée par le bacille authentique est intermédiaire entre 
les deux. On sait en outre que celui-ci ne liqu‘fie pas la géla- 
tine, qu'il possède un stade ramifié qui apparaît dans des condi- 
tions déterminées, qu'il fixe de l’azote dans les milieux de cul- 
ture, et enfin qu'il produit des tubercules par inoculation aux 
légumineuses. 

Voyons si les bacilles b et c possèdent ces propriétés. 

Culture sur gélatine. — b liquéfie la gélatine d’une facon 
irrégulière; si on l’ensemence en stries, il se développe une 
trainée grisâtre très proéminente; quelquefois des excavations 
se forment sur son trajet ; leurs bords sont taillés à pic, la li- 
quéfaclion ne se généralise jamais. 

ec ne liquéfie pas la gélatine. 

Formes ramifiées. — L'action de la température de 35° est 
sans action sur les microbes betc:;ils s’y habituent très facile- 
ment, et se développent aussi abondamment et plus vite qu’à 
la température de la chambre. 

Lorsqu'on fait usage, à 35°, de gélose additionnée de 
1/1000 d'acide tartrique ou d’acide oxalique, le bacille b forme 
des filaments composés généralement de deux segments dont 
les extrémités paraissent vides et ne prennent pas la couleur. 
Pour observer les formes ramifiées, il faut examiner des cultures 
de 24 heures ; elles sont alors constituées par des colonies sèches, 
aplaties, très minces, comme de légères écailles ; elles renferment 
des bâtonnets enchevêtrés présentant souvent des renflements 
et des ramifications très nettes. 

Au bout de 48 heures, les filaments commencent à se seg- 
menter en boules, et à partir de ce moment la mucosité se 
forme ; dans les cultures de 3 à 4 jours on ne trouve plus de 
formes longues et ramifiées. 


et tombent au fond des récipients en formant un dépôt pulvérulent, renfermant 
des bacilles fins et des spores. 

Elle liquéfie énergiquement la gélatine, et se comporte ensuite dans le liquide 
comme dans les bouillons, 

Elle ne coagule pas le lait; elle se développe trés bien sur pomme de terre 
glycérinée, mais perd son aspect particulier : elle forme un épais enduit glaireux. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 143 


Le bacille € s’est montré complètement réfractaire à cette 
transformation; j'ai fait une série de trente réensemencements 
successifs, d'abord toutes Les 24 heures, puis à huit heures d’in- 
tervalle ; à aucun moment il n’a présenté de formes rameuses ; 
J'ai arrosé des cultures âgées de huit heures avec quelques 
gouttes d'acide oxalique au 1/300; il n’en a pas trahi la moindre 
gène dans son développement. 

Les microbes présentaient cependant des modifications assez 
prononcées vers le quinzième passage : quelques-uns avaient la 
forme de point d'exclamation ; leur contenu, d’une manière gé- 
nérale, était granuleux et vacuolaire. Le 15° passage a servi à 
ensemencer un tube de gélose alcaline; la culture a été 
conservée à la température de la chambre. Le 30° passage a été 
exposé à la température de 35° pendant 30 jours, puis ense- 
mencé sur milieu alcalin et conservé à la température de la 
chambre. Nous le retrouverons plus loin. 

Fixation de l'azote libre. — Pour étudier le pouvoir fixateur 
des bacilles b et c vis-à-vis de l’azote libre, j’ai employé la mé- 
thode habituelle. Le tableau suivant contient le résumé des 
résultats obtenus : 


Désignation des cultures. Sucre initial. Sucre consommé. Az. init. Az. final, Az. gagné. 
mgr. mgr. mgr. mer. mer. 
No 1 (b) 1500 » 19,5 22,8 3,3 
2 (c) id, » 19,5 25,5 6,0 
3 (b) 1750 585 7,1 7,4 0,4 
4 (c) id. 1376 7,1 10 2,9 
5 (b+c) id. 1307 7,1 13,4 6,3 


Les cultures n° 1 et 2 ont été beaucoup plus actives que les 
n' 3 et 4. L’explication se trouve peut-être dans la composition 
des bouillons; ce qui montre d’ailleurs que le second n’est pas 
favorable, c’est l'apparition des spores dans le n° 3. Par contre 
les deux formes associées doublent la quantité d'azote initial ; 
ceci prouve que les deux microbes s’influencent favorablement, 
à l'instar des formes différenciées des microbes des nodosités. 
L'aspect des cultures concorde bien avec ces résultats, d’après 
ce que l'on sait des relations de la mucosité avec l'azote gagné. 
Dans le vase n° 5, le bouillon est littéralement gélatinisé. 

Inoculation des plantes. — Jusqu'ici, il n’y a pas concordance 
complète entre les caractères du bacille € et ceux du microbe 


144 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


des nodosités: b seul répond à toutes les exigences; c possède 
à un haut degré la faculté de fixer l’azote libre, mais il ne pro- 
duit pas de formes rameuses. L’inoculation des plantes va tran-. 
cher la question. 

J'ai inoculé les formes microbiennes suivantes en employant 
encore des vesces de Narbonne végétant en milieu stérile ; 

1° Bactérie a ; 2° bacille b ; 3° bacille c;. 4° a + b;: 5 a +c; 
6°c+b. Les plants inoculés avec (c + b) seuls ont donné des 
résultats positifs, qui ont été confirmés immédiatement après par 
une nouvelle série d'expériences. 

Si on rapproche ces résultats de ceux qu’on a obtenus avec 
les formes différenciées du bacille authentique, on saisit facile- 
ment l'harmonie qui existe entre eux; et comme on a déjà éta- 
bli que les variétés de microbes, étudiées dans le chapitre précé- 
dent, appartiennent à une espèce unique, on est en droit de 
conclure que les deux microbes b et « constituent aussi deux 
formes différentes des microbes des nodosités. 

On connaît donc maintenant la forme de résistance de ce 
microbe: c’est la bactérie 4; mais, à côté de cette forme de résis- 
tance, il y en a d’autres qui vivent à l’état de liberté dans le 
sol, comme des microbes saprophytes; le bacille c est de ce 
nombre. Comme c’est lui qui se rapprochait le plus de la 
forme typique, parmi toutes les espèces qui peuplaient la cul- 
ture B, c’est à lui que j’ai donné la préférence dans mes démon- 
strations. Il se peut que toutes les autres espèces qui poussaient 
à côté de c soient distinctes du microbe des nodosités. Néan- 
moins il existait dans cette culture un ensemble d'espèces qui 
s’influençaient d’une manière favorable. Aucune des espèces 
associées ne donnait en culture pure un développement compa- 
rable à celui qu’atteignait la culture B, et le bacille c lui-même 
n'a fourni ce résuitat qu’à la suite d’un grand nombre de pas- 
sages sur gélose. 

La bactérie « est un microbe immobile; elle est incapable 
d'obéir aux actions chimiotaxiques exercées par la racine des 
légumineuses; elle ne s'implante pas sur ces organes; ce sont 
les formes libres et mobiles seules qui produisent l'infection des 
plantes. 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 145 


IX 


LES MICROBES DES NODOSITÉS POSSÈDENT UNE FORME O0SPORA 


J'ai montré comment la bactérie & passe au stade bacillaire b. 
J'ai insisté sur ce fait, que le bacille b ne se fixe que lentement; 
lorsque celui-ci affecte la forme ramifiée ou lorsque le microbe 
des nodosités subit les mêmes transformations, on assiste encore à 
un commencement d'évolution vers une forme ignorée. On ne 
peut pas dire que ces éléments ramilfiés représentent un stade de 
souffrance, puisqu'ils sont la règle dans les tubercules radicaux. 
Quelle peut être cette forme jusqu'ici purement hypothétique? Si 
on regarde les figures 2 et 3, PI. L et les figures 1 et 2, PL IT, on 
voit que les organismes qu’elles représentent offrent la plus 
grande analogie avec les fragments dissociés d’un mycélium âgé 
d’oospora; je n'ai pas réussi à conserver et à fixer ces formes 
dans mes cultures; mais elles se sont développées elles-mêmes 
spontanément dans la culture faite avec le 15° passage du 
bacille c, conservée à la température de la chambre (voir p. 143). 
Au bout de deux mois, cette culture, placée horizontalement, 
portait à la surface de la mucosité‘ quatre petits amas d’une 
poussière d’un gris cendré, accompagnés d’un grand nombre 
d'autres particules presque invisibles de la même substance, 
réparties surtout autour des taches principales. 

Je n’aipas eu de peine à reconnaître la forme oospora avec 
son mode de sporulation en chapelets. Dans la masse de la mu- 
cosité, on trouvait un grand nombre de microbes en voie de 
transformation; les uns allongés seulement, les autres présen- 
tant déjà plusieurs rameaux et formant quelquefois des paquets 
enchevêtrés (fig. 10, PI. D. 

En présence de ce résultat, qui m'a surpris, étant donné 
l'échec auquel je m'étais heurté, précisément avec le bacille €, 
dans la recherche des formes ramiliées, je me suis empressé de 


1. Cette substance se dessèche très lentement; lorsqu'on ineline les tubes, elle 
s'étale uniformément sur la gélose et la protège contre la dessiccation, pendant 
cinq ou six mois, même dans les tubes fermés simplement au coton. 


10 


146 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


reprendre la culture de ce microbe sur milieux acides, mais cette 
fois à la température de 39-400, | 

Dès le premier essai, j'ai obtenu en 24 heures un résultat 
comparable à celui que m'a fourni le bacille des légumineuses. 
La ramification devient générale au bout de deux ou trois pas- 
sages : les microbes ramifiés forment des amas zoogléiques qui 
se conservent assez longtemps dans la mucosité, mais ils dis- 
paraissent toujours; ils tranchent nettement sur le reste de la 
préparation, parce que les éléments qui les constituent sont plus 
gros, se cclorent mieux que les bacilles simples. 

En somme, on voit que le bacille c possède aussi la faculté 
d'évoluer vers la forme oospora; mais on ne peut fixer celle-ci 
qu'à la condition d’épuiser complètement les générations suc- 
cessives qui prennent naissance dans une série de réensemence- 
ments répétés un très grand nombre de fois dans un temps très 
court, et dans les conditions les plus défavorables pour le stade 
que l’on veut transformer. 

La culture issue du 30° passage n’a pas présenté ces transfor- 
mations. Elle avait été conservée, je le répète, pendant 30 jours 
à 390, sur milieu acide; la culture était déjà desséchée au mo- 
ment où elle a été rajeunie. 

La forme oospora, que j’ai obtenue ainsi, présente à peu près 
les caractères de l'espèce qui a été décrite dans ces Annales, 
t. VI, par MM. Sauvageau et Radais; elle pousse très bien sur 
gélose de bouillon de haricots neutre ou alcaline, additionnée 
de 3 0/0 de sucre, elle donne des conidies à partir du 4° jour à la 
température de la chambre. Elle se cultive très bien sur gélose 
de viande peptonisée; mais, dans ces conditions, elle ne produit 
pas de spores. Elle se développe d’une façon luxuriante sur 
pomme de terre glycérinée, en donnant des spores à partir du 
4 jour; la pomme de terre verdit d'abord, puis brunit. 

L’oospora partage cette préférence marquée pour la pomme 
de terre glycérinée avec la bactérie a etles bacilles b et c; ceux- 
ci surtout produisent une couche glaireuse extrêmement 
épaisse et des dépôts très abondants:; le microbe retiré des nodo- 
sités est plus exigeant; il pousse mal sur pomme de terre ordi- 
naire etencore plus mal sur pomme de terre glycérinée. 

La pomme de terre n’est pas d’ailleurs le seul milieu qui 
établisse une démarcation entre le bacille extrait de la plante et 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES, 147 


les microbes b et « qui proviennent directement de la terre; le 
premier ne pousse pas sur gélose de viande peptonisée ni dans le 
bouillon de viande; tandis que b et ce s'y cultivent bien, 
sans toutefois produire de mucus; dans le bouillon, ils forment 
des voiles où le microscope montre des formes ramifiées nom- 
breuses; secs et écailleux avec b, ces voiles sont plus gras avec c. 

Nous devons maintenant identifier par un autre procédé la 
bactérie &, la forme oospora et la forme caractéristique des mi- 
crobes des nodosités, en les ramenant à trois microbes identiques, 
au point de vue de la forme et des propriétés physiologiques. 

Le genre oospora renferme plusieurs espèces parasites. Sans 
rien préjuger des propriétés pathogènes de celle que j'ai obtenue, 
il est permis de supposer qu’elle pourra s’acclimater dans l’or- 
ganisme des animaux, surtout si on la met à l’abri des phago- 
cytes par le procédé de culture en sac préconisé par MM. Roux, 
Metchnikolif et Salimbeni (Annales de VI. P.t. XT). 

Le microbe des nodosités, bien qu'’essentiellement aérobie, 
ne meurt pas vite, lorsqu'on le prive d’air; comme il peut, 
d’autre part, évoluer vers un stade saprophyte, il est permis 
d'espérer qu'il résistera également à ce procédé de culture. La 
bactérie «a supportera également cette épreuve en raison de son 
caractère exclusivement saprophyte. 

Pour ménager autant que possible la transition entre la vie 
aérobie et la vie anaérobie, il suffira d’'alterner la culture en 
bouillon avec les passages dans le péritoine, qui ne devront pas 
durer plus de deux ou trois jours. 

Les microbes des nodosités ont été cultivés dans le péritoine 
du lapin, la bactérie & ou le bacille b qui en provient directe- 
ment, et la forme oospora, dans celui du cobaye. 

On a ensemencé le contenu de chaque sac dans du bouillon 
de haricots et de viande, et sur des tubes de gélose de même 
nature. Les cultures placées 24 heures à 35° étaient examinées 
au microscope avant de faire le passage suivant. Enfin, pour 
s'assurer que les sacs étaient demeurés intacts, on ensemençait 
un tube de gélose avec l’exsudat contenu dans la fausse 
membrane qui se forme autour du sac. 

Le premier passage a duré 48 heures, À l'œil nu, il était 
mpossible de distinguer à l’aspect du bouillon le moindre 
développement dans les sacs. 


148 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le bacille b avait évolué vers la forme ramifiée, représentée 
dans la fig. 7, PI. IT. 

Le microbe des nodosités présentait des formes renflées, des 
formes irrégulières dont quelques-unes ramifiées. 

L'oospora, qui avait été ensemencé à l’état de mycélium!, est 
représenté par quelques fragments de tubes vides à côté desquels 
on observe quelques formes rondes groupées par deux. 

Les milieux liquides ensemencés avec ces trois formes se 
troublent au bout de 24 heures. En goutte suspendue, on ne 
trouve qu'une forme à peu près ronde, isolée, ou groupée par 
deux, ou réunie en chaînes. 

Les milieux solides présentent les mêmes microbes qui 
poussent assez abondamment. Au bout de trois semaines, la 
forme oospora apparaît, représentée par 3 colonies; le microbe 
des nodosités donne immédiatement quelques colonies de bac- 
téries a, reconnaissables à leur mode de développement si carac- 
téristique ; les filaments produisent des spores au bout de trois 
jours ; il y a donc eu un retour brusque vers le stade sporulé; 
cette transformation ne s’est jamais produite dans mes cultures 
ordinaires. Par contre, aucune colonie ne rappelle par son 
aspect celles du bacille typique. 

Toutes ces formes de transition disparaissent au bout du 
troisième passage en sac, et, à partir de ce moment, les trois cul- 
tures sont identiques sur les mêmes milieux de culture, bien 
que les microbes aient passé par deux espèces animales et à 
des époques différentes. 

La forme commune aux trois microbes est une forme ronde 
d’une finesse extrème; les grains ont un diamètre de 0,45 à 
0,47y., ils sont isolés ou groupés par deux ou même réunis en 
petites chaînes. 

Tous trois forment un enduit très mince sur les milieux 
solides, bleuâtre par transparence et gris par réflexion. 

Ils troublent uniformément le bouillon, puis se déposent au 
bout de trois ou quatre jours en formant un amas visqueux qui 
s'élève en fils par l'agitation. 

1. Les spores ne germent pas dans les sacs mêmes après un mois de séjour 
dans le péritoine. Si on les reprend dans le sac pour les ensemencer sur des 
tubes de gélose de viande, elles germent et donnent exclusivement des colonies 


d’oospora qui produisent des spores au bout de huit à dix jours; on a vu 
qu'avant ce passage elles ne sporulaient pas sur ce milieu. 


\ 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 149 


Ils liquéfient la gélatine sans la troubler. 

Ils coagulent éuergiquement le lait; le coagulum se rétracte 
et se sépare du sérum. 

Ils acidifient tous les bouillons sans dégagement de gaz, 
même dans les bouillons lactosés. Si on les additionne d’un peu 
de carbonate de chaux, les bulles se forment au bout de trois ou 
quatre heures. 

La réaction acide des bouillons permet de pousser plus 
loin l'identification en déterminant la nature et la quantité des 
acides qui prennent naissance dans des milieux de compositon 
variable. 

Voici les résultats obtenus avec trois bouillons différents : 


BOUILLON DE VIANDÉ BOUILLON DE HARICOT BOUILLON DE HARICOT 
NATURE là 1,5/100 de peptone. à 3/100 de lactose. à 3/100 de sucre. 


 — 


| 


lactique 
acétique 
formique 


DES 


MICROBES 


Aciditè 
lactique 
acétique. 


acétique. 
formique 


2 
2 
L-1 
= s 
= = 
2 = 
2 = 
= = 
L=] = 
L— = 
S 
< 


Bacille des 
0,05 
nod. 


Bacille b. 2,5 | 2,05 15 ids, #0 30 | 0,04 0.06 


Oospora. DC 1 2 2 5 id. 0,34 |traces. ,27 |traces. 


Comme on le voit, les trois microbes, placés dans les mêmes 
conditions, produisent les mêmes acides à peu près dans les 
mêmes proportions. 

Propriétés pathogènes des trois formes microbiennes. — Xci encore 
les résultats concordent. Les petits lapins de 1,000 grammes, ino- 
culés sous la peau ou dans le péritoine, meurent au bout d’un 
temps variant de 10 jours à 3 semaines. L’inoculation sous- 
cutanée est toujours suivie d’un abcès qui évolue lentement. 

Le sang ne renferme jamais de microbes; on en trouve tou- 
jours dans l’exsudat péritonéal qui est assez abondant. Les 
cultures fournies par cet exsudat possèdent les mêmes carac- 
tères que les cultures qui ont servi aux inoculations. 

Un lapin de 1,000 grammes, inoculé sous la peau avec 1 c.c. 
d’une culture en bouillon faite avec le contenu du premier sac 


150 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ensemencé avec le microbe des nodosités, est mort au bout de 
3 semaines. L’exsudat péritonéal, aspiré à l’aide d’une pipette 
à travers la paroi abdominale, ensemencé sur un tube de gélose, 
a donné une culture qui renferMait quelques colonies d’oospora 
à côté de colonies nombreuses dues à la forme ronde. Le con- 
tenu du même sac a déjà donné la bactérie 4: on a donc retrouvé, 
en partant du bacille authentique des légumineuses, les deux 
formes que l’on a déjà obtenues avec les microbes retirés du sol. 
Mais les stades sporogènes sont très instables dans les conditions 
où nous avons opéré. Il faut les saisir au bon moment. 

Ainsi, en résumé, les microbes des nodosités présentent une 
succession de générations alternantes qui rappellent assez 
exactement le mode de développement d’un grand nombre de 
végétaux et d'animaux inférieurs. 

La bactérie a est répandue dans le sol, surtout à la surface; 
on la rencontre de préférence en hiver et au printemps; pour la 
forme oospora c’est l'inverse: celle-ci est très rare en hiver et 
très commune à la fin de l’été. C’est ainsi par exemple qu’au 
mois de septembre, sur un total de 169 colonies des différentes 
espèces microbiennes qui ont poussé sur six tubes de gélose de 
haricots ensemencés avec une trace de délayure de terre, j'ai 
compté une colonie de bactéries a, et 43 colonies appartenant à 
deux ou trois espèces d’oospora. Ce résultat, vérifié immédiate- 
ment après, avec des tubes de gélose de viande, s'est confirmé 
rigoureusement. Sans accorder à ces chiffres plus d'importance 
qu'ils n’en comportent, il est permis de dire toutefois que la 
succession des saisons exerce une certaine influence sur les 
formes sporogènes du microbe des nodosités. Les spores endo- 
gènes, plus résistantes aux intempéries, sont surtout communes 
en hiver, tandis que les conidies, qui constituent d'excellents 
agents de dissémination, se rencontrent principalement en été. 
C’est là, on le sait, une loi très générale chez les champignons 
microscopiques. 

La réaction de Gram appliquée aux microbes des nodosités. — La 
méthode de coloration de Gram est employée couramment pour 
caractériser les espèces microbiennes; elle ne s’applique pas aux 
différentes formes des microbes des nodosités. Ainsi, les 
microbes contenus dans les tubercules, colorés par le violet 
d'Ehrlich, et traités ensuite par la solution de Gram, ne se déco- 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 151 


lorent pas complètement par l'alcool. Au bout de deux passages 
sur gélose, ils se décolorent complètement. 

Le bacille b prend le Gram plus ou moins bien; le bacille c 
ne le prend pas; toutes les formes rondes le prennent, ainsi que 
quelques formes bacillaires cullivées sur pomme de terre, au 
moment où elles évoluent vers la forme ronde; les autres 
bacilles différenciés ne le prennent pas. Les deux formes 
sporogènes le prennent. 

Les formes ramifiées obtenues avec le bacille c le prennent 
également; cependant la décoloration est partielle; sur un même 
filament, les parties renflées restent colorées pendant que tout le 
reste se décolore. 

Des deux formes bacillaires issues de la forme ronde, culture 
n° 3, tableau p. 133, l’une se décolore complètement, l’autre par- 
tiellement. 


X 


CONCLUSIONS GÉNÉRALES 


Pour résumer les conclusions de ce travail, il nous suffira 
d'exposer brièvement l’histoire du bacille des légumineuses, telle 
que nous venons de l’établir. 

Les formes libres du sol, attirées sur las racines des légumi- 
neuses par l'intermédiaire des hydrates de carbone diffusés dans 
la région des poils absorbants, pénètrent dans les tissus à l’état 
de coccobacilles, et provoquent la formation d’un méristème qui 
donne naissance aux tubercules. 

Tant que les vaisseaux ne sont pas formés, ces coccobacilles 
restent englobés dans une matière glaireuse qui simule l'aspect 
d’un mycélium. Plus tard, lorsque la sève circule dans les 
tubercules, la mucosité est emportée Dans toutes les régions de 
la plante ; les bacilles sont alors exposés à l’action permanente 
des acides dissous dans le suc végétal ; ils réagissent contre 
cette influence en formant des ramifications. Le pseudo-mycé- 
lium ne constitue pas un organisme vivant, une forme de 
transition du microbe des nodosités ; les observations que nous 
avons faites dans le cours de ce travail (p. 6 et 135) confirment 
la conclusion que nous avons exposée (p. 13), où ne peut pas 


152: ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


retrouver ces tubes muqueux, ni dans la pulpe des nodosités 
broyées sur une lame, n1 dans les coupes colorées par les cou- 
leurs d’aniline ; il n’en serait pas de même si la forme d'infection” 
était la bactérie a ou la forme oospora, ces deux microorganismes 
résistant à tous les réactifs colorants aussi bien d’ailleurs qu'aux 
manipulations nécessitées par la préparation des inclusions pour 
les coupes en série. 

Lorsque la plante arrive au terme de son évolution, Îles 
nodosités privées de sève et d'aliments se vident en partie ; 
elles ne renferment plus que des formes simples qui ne sont 
pas des formes banales du sol, mais des microbes issus du 
bacille typique, possédant des propriétés nouvelles et capables 
de vivre en liberté dans le sol. 

La fixation de l’azote libre se fait dans les cultures artificielles 
aussi bien que dans les nodosités ; elle est là comme ici le 
résultat d’une synthèse qui se fait aux dépens de l’énergie mise 
en jeu par la combustion des hydrates de carbone. 

Toutes les formes si variées qui se rencontrent dans la 
nature peuvent s’obtenir dans les milieux artificiels en faisant 
agir convenablement l’action des acides et de la chaleur; les 
milieux peptonisés produisent les mêmes résultats ; on les 
obtient encore en exagérant la richesse en sucre ou en composés 
minéraux alimentaires. 

Les bacilles récemment isolés des nodosités conservent la 
propriété de produire de nouveaux tubercules par inoculation ; 
les formes différenciées dans le sens de la vie saprophyte la 
perdent peu à peu; mais le travail qu'une seule de ces formes 
est incapable de produire, deux formes associées peuvent 
l’accomplir ; cette influence de l’association est tout à fait nette, 
aussi bien dans la production des nodosités sur les racines que 
dans la fixation de l’azote libre dans les cultures. 

C’est évidemment grâce à cette propriété que les formes 
saprophytes du sol parviennent à se fixer sur les racines et à 
former des tubercules ; nous n’avons pas réussi à isoler de la 
terre un microbe capable par lui-même de produire des nodosités. 
On ne peut pas eninférer qu'il n’en existe pas à aucune époque 
de l’année; ceux que nous avons obtenus ont été isolés au 
commencement du printemps. 

Les formes indépendantes des microbes des nodosités 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 153 


représentent un stade dissocié d’un végétal qui possède en outre 
deux formes sporogènes ; l’une, la bactérie 4, donne des spores 
endogènes, l’autre est un oospora et donne des conidies. Ces 
deux derniers stades se rencontrent de préférence à la surface 
du sol; la bactérie & est très répandue en hiver, la forme oospora 
se rencontre surtout à la fin de l'été. Ce mode de développement 
pourrait bien être plus répandu dans le monde des microbes 
qu'on ne se l’imagine; l’évolution de ces êtres serait ainsi sem- 
blable à celle d’un grand nombre de végétaux et d'animaux infé- 
rieurs. 

Le microbe des légumineuses est pathogène pour quelques 
espèces animales ; il affecte dans l’organisme une forme à peu 
près ronde d’un diamètre très réduit ; elle a une tendance à se 
mettre en chaîne. 


154 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


EXPLICATION DES PLANCHES 


PLANCHE I 


Fig. 1. — Microbes extraits de la pulpe des nodosités et transformés par 
un séjour de 24 heures sur gélose au bouillon de haricots à 3 0/0 de sucre. 
Une forme ramifiée donne naissance à plusieurs coccobacilles séparés par 
des vésicules qui se résorbent rapidement. Les vésicules se produisent sous 
l'influence des courants osmotiques provoqués par le changement d'habitat 
des microbes. G — 1,200 D. 

Fig. 2. — Formes en poires obtenues sur gélose de viande peptonisée, les 
portions incolores représentent des vacuoles. G = 1,200 D. 

Fig. 3. — Formes ramifiées et renflées obtenues à 350 sur gélose acide; 
elles ressemblent aux formes dissociées des filaments âgés d’oospora. 

— 1,200 D: 

Fig. 4. — Tubes muqueux formés dans une culture de bouillon de 
haricots à 6 0/0 de saccharose, traversant une portion de membrane. 
G = 1200 D. 

Fig, 5. — Les mêmes à un grossissement plus faible, 500 D environ. 

Fig. 6. — Tubes muqueux formés dans le feutrage des poils absorbants, 
obtenus avec un bacille qui ne donne plus de mucosité. — L'intérieur de ce 
tube est rempli de coccobacilles comme le tube de la fig. 4. 

Les filaments foncés sont des fragments de poils absorbants. G — 100 D. 

Fig. 7. — Aspect d'une culture sur plaque de gélose de la bactérie, vue 
à l'œil nu. 


Fig. 8. — La même à un grossissement de 100 D. Toutes les bactéries sont 
transformées en spores. 
Fig.9. — Forme courte de bactérie c se transformant en coccobacilles. 


Ceux-ci restent disposés en files dans l’intérieur du filament qui se colore de 
plus en plus mal. Les coccobacilles se reproduisent et forment des zooglée 
enfermées dans une capsule commune. 

Fig. 10. — Culture du bacille a évoluant vers la forme oospora; les fila- 
ments n'ont pas encore donné de conidies. 


PLANCHE II 


Fig. 1. — Forme ramifiée du bacille des nodosités obtenues sur gélose 
alcaline à 350. G — 1,200 D. 
Fig. 2. — Portion obtenue avec la même préparation, montrant les 


NODOSITÉS DES LÉGUMINEUSES. 155 


formes ramifiées groupées par l’évaporation du liquide sur la lame de verre 
G— 1,200 D. 

Fig, 3 — Formes ramifiées de la même culture se résolvant en bacilles. 
après un séjour de quelques heures en milieu liquide à 250. G = 1,200 D. 

Fig. 4 — Bactérie a. Culture âgée, sur pomme de terre glycérinée. 
G = 1,900 D. 

Fig. 5. — Spores de la bactérie & obtenues sur gélose au bouillon de 
haricot, G = 1,000 D. 

Fig.6.— Bactérie a se transformant en coccobacilles. Culture diluée dans 
de l’eau distillée. G = 1,200 D. 

Fig. 7. — Formé ramifiée obtenue à 350 sur gélose acide avec le cocco- 
bacille issu de la bactérie. G = 1,200 D. 

Fig.8. — Fragment de colonie jeune d’oospora. G = 1,000 D. 

Fig. 9. — Forme commune à la bactérie a, au microbe des nodosités, et 
à la forme oospora, obtenue par des passages en sac de collodion dans le 
péritoine des animaux. G — 1,200 D. 


REVUES ET ANALYSES 


QUE SAVONS-NOUS DE L'ORIGINE DES SACCHAROMYCES ? 


Par M. Azs. KLocker ET H. SCHIONNING 


(Travaux du laboratoire de Carlsberg, t. IV, 1896.) 


Voici une analyse qui attend depuis longtemps sur le marbre, comme 
on dit dans les imprimeries. Elle a trait à une question sur laquelle les 
Annales sont souvent revenues, celle de l’origine des levures. Doit-on 
considérer ces levures comme formant une espèce indépendante, ou 
ont-elles une relation génétique avec quelque autre végétal microscopi- 
que auquel on pourrait les rattacher? 

Nousavons, il ya deux ans, publié le résumé d’un travail de M. Juhler 
qui, répondant à cette question, faisait dériver la levure d’un asper- 
gillus qui sert de temps immémorial, au Japon, pour faire fermenter 
le riz, et auquel on à donné, à raison de ce fait, le nom d’aspergillus 
oryzæ. Semé dans certaines conditions, ce végétal donnerait des formes 
bourgeonnantes capables de produire une fermentation alcoolique. 

Cette conclusion de Juhler, appuyée par Jorgensen et par Sorel, fut 
bientôt contestée par Wehmer, et par les auteurs du mémoire que nous 
analysons. Une polémique s’ensuivit, polémique dont le mémoire 
résume, non sans entrain, les diverses péripéties. Peut-être même met- 
il un peu trop d’insistance à reprocher aux savants qui se sont occupés 
de ce sujet leurs erreurs et leurs contradictions. Qui n’a pas commis 
d’erreurs? Et qu'importe du moment qu’elles sont redressées ? La science 
est une quêteuse à domicile : chaque jour elle fait le départ des pièces 
fausses qu’elle a reçues et ne garde nulle rancune à ceux de qui elle 
les tient, à la condition que ce ne soit pas chez eux une habitude. 
Quant aux contradictions, lorsqu'elles sont, chez un savant, le rem- 
placement d’un mauvais sou par un bon, au lieu de l’en gronder, elle 
doit lui en savoir gré. 

Les détails de la polémique résumée par MM. Klôcker et Schiünning 
n’ont du reste plus qu'un intérêt historique et rétrospectif, et il suffira, 


e 


REVUES ET ANALYSES 157 


pour ceux que la question intéresserait, d'emprunter au mémoire que 
j'analyse la bibliographie du sujet. Mais il est curieux d’envisager 
cette discussion au point de vue philosophique : on y voit combien 
les questions de fait s’embrouillent lorsqu'on les mélange de questions 
de mot. 

Ici la question de fait était simple, relativement. Historiquement 
et scientifiquement, elle se posait de la façon suivante : Connaït-on 
un végétal microscopique capable de donner, dans certaines conditions 
d'existence, et à la suite de changements survenant dans la forme et 
dans les fonctions de quelques-uns de ses éléments, des cellules indéfi- 
niment bourgeonnantes, à la façon de la levure, et capables comme elle 
de produire des fermentations alcooliques. 

Cette question, remarquons-le, estune question de fait, indépendante 
de toute classification. On la complique dès qu’on y introduit la bo- 
tanique. Hansen, par exemple, à été conduit par ses études soigneuses 
à attribuer une grande importance à la formation des spores dans les 
levures, et à séparer celles qui en donnent et qu’il appelle des saccharo- 
myces, de celles qui n’en donnent jamais, et qu'il appelle des non-sac- 
charomyces. C’est son droit, et cette division, intéressante au point de 
vue botanique, eût peut-être été utile si elle avait été acceptée par tous. 
Comme elle ne s’imposait pas, comme elle disloquait ce monde des 
levures, si intéressant au point de vue scientifique et industriel, en 
laissant parmi les saccharomyces authentiques les mycodermes du vin, 
incapables de produire une fermentationrégulière, et en rangeant parmi 
les non-saccharomyces la levure apiculée qui est une levure véritable, 
beaucoup de savants se sont cru le droit de dédaigner la spore comme 
moyen de classification, de continuer à appeler saccharomyces toutes 
les levures capables de produire une fermentation, de sorte que les 
savants se sont mis à parler deux langues différentes, et que la ques- 
tion de fait s’est compliquée d’une question de mots qui ne pouvait que 
l'obscurcir. 

Toutes les discussions, même les plus confuses, finissent pourtant 
par s’éclaircir dès qu’on les aborde par l’expérience,c’est-à-dire dès 
qu’on revient aux faits. Naturellement on a cherché tout d’abord à 
faire dériver les levures des moisissures pourvues d’un mycélium, 
comme laspergillus orizæ. Ce qu’on cherchait était d'établir des tran- 
sitions, de faire dériver des levures de la transformation des filaments 
mycéliens, puis de faire dériver des mycéliums d’abord, des moisis- 
sures complètes ensuite, des ensemencements de levure. 

C'est un des adversaires de la thèse de Juhler qui a le premier 
reussi à produire aux dépens d'une levure un mycélium typique. 
Hansen, en étudiant le saccharomyces Ludwigii, trouvé par Ludwig 
dans une exsudation muqueuse d’un chêne, a trouvé que cette levure 


158 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et un certain nombre d’autres peuvent donner des filaments cylin- 
driques et rameux qui en font de vrais mycéliums. Mais jamais la 
transformation n’est allée plus loin, et, réduit à ces termes, l'argument 


était insuffisant pour démontrer une relation génétique entre la levure : 


et un champignon supérieur. 

Les preuves fournies par Juhler, Jürgensen, étaient de sens inverse. 
En ensemençant dans certaines conditions de l’aspergillus orizæ en 
semences pures, on voyait des filaments mycéliens devenir des levures, 
et Sorel avait ajouté que l’ensemencement de levures pures sur du riz 
cuit à la vapeur donnait de nouveau de l’aspergillus. MM. Klôcker et 
Schionning ont répété sous toutes leurs formes les essais précédents, 
avec la seule précaution de prendre des semences pures, et n’ont pu 
retrouver les mêmes faits. Il y a dans l’aspergillus orizæ, tel qu’il est 
fourni par l’industrie, une levure et un aspergillus; quand on les 
ensemence sur certains milieux, c'est l’aspergillus qui se développe 
seul. Sur d’autres, c’est la levure. Mais il n’y a aucune relation géné- 
lique entre l’un et l’autre. 

Cette thèse est acceptée de tous les savants qui ont depuis étudié 
ce sujet. M. Kayser, qui l’a étudiée dans mon laboratoire de l’Institut 
agronomique, l’accepte aussi pleinement, et MM. Jürgensen et Juhler 
n’y contredisent plus. 

MM. Klôcker et Schionning sont allés plus loin. Ils ont voulu voir 
si des levures ne pouvaient pas provenir de formes telles que le 
dematium, le cladosporium herbarum, dont la parenté avec les levures 
est soupconnée depuis longtemps. Ici la réponse est moins topique. 
En opérant purement, on n’ajamais vu naître de saccharomyces formant 
des endospores, quelle que fût la variété des conditions offertes au 
dematium : cultures pures en milieux divers, ou sur les fruits mûrs et 
non mûrs, en nature libre ou dans des serres. Des fruits qu’on met à 
l'abri des insectes ou des poussières extérieures, en les enfermant 
dans des vases, des flacons, des cages de verre, au moment où 
ils ne sont pas encore mûrs, portent, à leur maturité, des dema- 
tium et des cladusporium en abondance, mais ne donnent pas de 
saccharomyces authentiques, de quelque façon qu'on les traite. Il y 
avait, au contraire, fréquemment des saccharomyces sur les fruits non 
enfermés. 

Rappelons-nous ici que la question de savoir s'il y a des saccha- 
romyces vrais n'est intéressante qu'au point de vue de la classification. 
Mais la vraie question, importante au point de vue génétique, c’est 
s’il naît aux dépens des cellules de dematium on de cladosporium, de 
formes bourgeonnantes, sporifères ou non, capables de devenir 
des ferments alcooliques. Si, comme tout le doit faire croire, MM. Klüc- 
ker et Schionning suivent la classification de Hansen et appellent snc- 


PPS EE PE 


REVUES ET ANALYSES 159 


charomyces les seules levures à endospores, ils ont répondu à la pre- 
mière question, mais non à la seconde. 

Enfin, ils ont essayé, toujours sans sucéès, de provoquer des trans- 
formations de saccharomyces en champignons supérieurs, en les 
mettant, autant que possible, dans des conditions identiques à celles 
qui leur sont faites dans la nature. Tout ce travail, poursuivi avec un 
soin et une constance digne d’éloges, aboutit done à une conclusion 
négative, mais qui n’en est pas moins importante, c'est que les sac- 
charomyces doivent jusqu’à nouvel ordre être considérés comme des 
organismes indépendants. 

Ducraux. 


BIBLIOGRAPHIE 


A. De Barv, Morphologie und Physiologie der Pilze, Flechten und Myxo- 
myceten. Leipzig, 1866. 

Max Rgess, Botanische Untersuchungen über die Alkoholgährungspilze. 
Leipzig, 1870. 

À. Bécawr, Recherches sur la nature et l’origine des fermente, (Ann. de 
chimie et de physique, 4e série, XXIII, 1871, p. 442.) 

A. Trécuz, Recherches sur l’origine des levures lactique et alcoolique. 
(Compt. rend., LXXIII, 1874, p. 1455.) 

Frémy, Compt. rend., LXXIII, p. 1425. 

A. Trécur, Remarques sur des levures lactique et alcoolique. (Compt. 
rend., LXXV, 1872, p. 1160.) 

J. Duvaz, Nouveaux faits concernant la mutabilité des germes micro- 
scopiques, (Journ.de l'anatomie et de physiologie de Ch. Robin, 1874, p. 489.) 

Cu. Roi, Sur la nature des fermentations en tant que phénomènes 
nutritifs. (Journ. de l'anat. et de physiol., 1875, p. 379.) 

CHAMBERLAND, Recherches sur l’origine et le développement des organismes 
microscopiques. Thèse. Paris, 1879, 

Pasreur, Examen critique d’un écrit posthume de Cl. Bernard sur la fer- 
mentation. Paris, 1879. 

Eviz Car. HANseN, Bemerkungen über Hefenpilze. (Z{schr. f. Bierbrauerei 
u. Malzfabrikation, XI Jahrg. 1883, p. 871.) 

DE Bay, Vergleichende Morphologie und Biologie der Pilze, Mycetozoen 
und Bacterien. Leipzig 1884. 

F. Luowic, Ueber Alkoholgährung und Sleimfluss lebender Bäume und 
deren Urheber. (Ber. d. Deutsch. botan. Gesellsch. Bd. IV, 1886, Heft 11.) 

Emiz Cur. HANsEN, Ueber die in dem Schleimflusse lebender Bäume 
beobachteten Mikroorganismen. (Centralbl. f. Bakt. u. Parasitenk. V Bd. 
1889, nos 19, 20 et 21, p. 632 et suiv.) 

Ex Car. HANsEN, Sur la germination des spores chez les Saccharomyces. 


160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(Compte rendu des travaux du Laboratoire de Garlsberg, 3e vol., {re livr., 
1891, p. 44.) 

O. Brerecn, Untersuchungen aus dem Gesammtgebiele der Mykologie, 
IX Heft. Münster, 1891, e 

Ewiz Car. Hansen, Kritische Untersuchungen über einige von Ludwig und 
Brefeld beschriebenen Oïdium und Hefenformen. (Botan. Zeit., 50. Jahrg. 
1892, no 19, p. 312.) 

H. Morzrer, Ueber den Zellkern und die Sporen der Hefe. (Centralbl. f, 
* Bakt. u. Parasitenk. XII Bd., 1892, p. 537.) 

Emiz CHR. HANSEN, Ueber die neuen Versuche, das Genus Saccharomyces 
zu streichen. (Centralbl. f. Bakt. u. Parasitenk. XII Bd., 14893, no 1, p. 16.) 

M. F. Janssens, Centralbl. f. Bakt. u. Parasitenk. XII Bd., 1893, n° 20, 
p. 639. 

H. Moœzzer, Neue Untersuchungen über den Zellkern und die Sporen der 
Hefe. (Ber.d. Deutsch. Botan. Gesellschaft, XI Bd., 1893, 7 Heft., p. 402.) 

Weumer, Aspergillus oryzæ, der Pilz der japanischen Saké-Brauerei. 
(Centralbl. f. Bakt. u. Parasitenk., 21e Abth. 1895, nos 4/5 et 6.) 

ALFR. JORGENSEN, Der Ursprung der Weinhefen. (Centralbl. f. Bakt. u. 
Parasitenk., 2te Abth 4895, nos 9/10, p. 321.) 

Jon J. JunLer, Ueber die Umbildun des Aspergillus oryzæg in einen 
Saccharomyceten, p.326. 

WenmEer, Sakebrauerei und Pilzverzuckerung. (Centralbl. f. Bakt. u. 
Parasitenk., 2te Abth. 1895, nos 15/16, p. 565.) 

ALFR. JÔRGENSEN, Ueber den Ursprung der Alkoholhefen. (Ber. d. 
gährungsphys. Laborat. von Alfr. Jôrgensen zu Kopenhagen, 1, Kopenhagen, 
1895.) 

Kosar u. YABE, Ueber die bei der Sakébereitung beteiligten Pilze. (Cen- 
tralbl. f. Bakt.u. Parasilenk., 2te Abth. 1895, no 17, p. 619.) 

Sorez, Étude sur l'Aspergillus orizæ. (Comptes rendus, t. CXXI, no 95, 
16 déc. 1895, p. 948.) 

O. Serre, Studien über die Abstammung der Saccharomyceten. (Bayer. 
Brauer-Journal, VI Jahrg. 1896, n0 13, p. 145.) : 

A. KzÔcker u. H. Sciônniné, Experimentelle Untersuchungen über die 
vermeintliche Umbildung verschiedener Schimmelpilze in Saccharomyceten. 
(Centralbl. [. Bakt., Parasitenk. u. Infektionskr., 2te Abth. 1896, nos 6/7, 
p. 185.) 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie E. Charaire. 


19me ANNÉE MARS 1898 N° 3. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGEUTINÉE 


Par M. CHaARrces NICOLLE 


Chef du laboratoire de bactériologie de l’École de médecine de Rouen. 


De nombreux travaux ont été déjà publiés sur l’agglutina- 
tion des microbes. La médecine, grâce à M. Widal, en a retiré 
une de ses méthodes de diagnostic les plus précieuses. Et 
cependant la nature intime du phénomène nous échappeencore. 

Notre ignorance vient sans douteen grande partie de ce fait 
que la plupart des expérimentateurs qui ont cherché la solution 
de la question ont étudié soit les conditions de la réaction, soit 
le sérum actif, c’est-à-dire la substance agglutinante, et que, sauf 
de rares exceptions, ils ont laissé de côté la substance passive 
de l’agglutination, e’est-à-dire la substance agglutinée. Nous 
pensons que la connaissance de celle-ci pourra seule donner la 
clef du problème. C’est dans ce but que nous avons entrepris les 
quelques recherches dont l’exposé va suivre. 


L'historique de nos connaissances sur la substance agglu- 
tinée sera court. Longtemps on s’est contenté d'étudier l’action” 
du sérum des animaux infectés ou immunisés sur les cultures 
de microbes vivants. Les microbes morts réagissent cependant 
aussi bien qu'eux. M. Bordet ‘ l'a montré le premier pour les 
vibrions cholériques tués par le chloroforme. Même constata- 
tion a été faite plus tard par MM. Widal et Sicard * sur les cul- 

1. Borper, ces Annales, avril 1896, page 208. 
2. Wipaz Er Sicanp, Bulletin de l'Académie de médecine, 29 septembre 1896; 
Société de biologie, séance du 30 janvier 1897. 
11 


162 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tures du bacille typhique tuées par la chaleur ou par l’addition 
de quelques gouttes de formol. M. Van de Velde ‘ a confirmé 
depuis ces résultats, et montré que le thymol, le chloroforme, 
l'acide phénique, l'éther, le bichlorure de mercure, ajoutés à 
dose antiseptique aux cultures du bacille d'Eberth, n’'empèchaient 
point leur agglutination par le sérum des malades atteints de 
fièvre typhoïde. On a même préconisé l'emploi de cultures mortes 
pour la pratique du séro-diagnostic lorsque l'éloignement d’un 
laboratoire ne permet point l’usage de cultures vivantes et 
récentes, loujours préférables. 

La propriété qu'ont les microbes de s’agglutiner sous lac- 
tion du sérum actif n’est donc point une propriété vitale, puisque 
la mort ne la fait point disparaître. 

Il fut ensuite démontré que la substance agglutinable pou- 
vait diffuser du corps du microbe dans le bouillon de culture. 
La preuve en fut donnée d’abord indirectement par MM. Widal 
et Sicard”, Lévy et Bruns *, qui firent naître la propriété agglu- 
tinante dans le sérum d'animaux inoculés avec des cultures 
filtrées de bacille typhique ; puis directement par M. R. Kraus', 
qui détermina la production d’amas dans les cultures filtrées de 
divers microorganismes. 

Le travail de M. Kraus est le plus important de ceux que 
nous avons à passer en revue : il montre que le phénomène de 
l’agelulination ne nécessite point la présence des corps micro- 
biens, qu'il peut être facilement obtenu par l’action d’un sérum 
actif sur les cultures filtrées du vibrion cholérique, du bacille 
typhique et du bacille de la peste. Cette réaction est spécifique; 
elle n’est donnée par aucun autre sérum. Par contre, les cultures 
du bacille de la diphtérie ne s’agglutinent point sous l’action du 
sérum antidiphtérique. 

M. Kraus ne dit pas avoir examiné au microscope le produit 
de l’agglutination ; il ne donne point de détails précis sur le 
degré des pouvoirs agglutinants des sérums employés par lui, 
pas plus que sur l’âge des cultures filtrées dont il s’est servi. Il 
serait injuste néanmoins de ne point reconnaître la valeur de 

1. Vax DE VeLne, Académie royale de médecine de Belgique, 27 mars 4897. 
2. Wipaz Et Sicarp, Ces Annales. 
3. Lévy Er Bruns, Berliner klinische Wochenschrift, 1897, n° 23. 


4. R. Kraus, A. Æ. Gesellschaft der Aerste in Wien, 30 April 1897; et 
Wiener klinische Wochenschrift, 42 August 1897, n° 32, page 736. 


4 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 163 


son travail. Nos recherches entreprises presque concurremment 
avec les siennes viennent les confirmer en grande partie. 

Notons encore, pour être complet dans cet historique des 
travaux qui ont trait à la substance agglutinée, les premières 
observations de M. Gruber expliquant l’agglutination des mi- 
crobes par le gonflement de leur membrane d’enveloppe. Cette 
interprétation du phénomène n’a été soutenue depuis que par 
M. Roger ' à propos de l’agglutination de loïdium albicans. 
Enfin, M. Malvoz *, dans son article sur l’agglutination des mi- 
crobes par les substances chimiques, fait en passant quelques 
remarques qui concernent la substance agglutinée. 


Nos recherches ont porté principalement sur trois microbes, 
le bacterium coli, le bacille typhique et le vibrion de Massaouah. 
Elles ont été conduites de la même manière pour chacun d’eux, et 
ont abouti à des résultats presque identiques. Aussi ne les 
exposerons-nous en détail que pour l’un d’eux, le bacterium coli, 
dont la substance agglutinée se prête un peu mieux à l'étude, 
pour des raisons que nous verrons plus loin. 


LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACTERIUM COLI 


Conditions des expériences et réaction de contrloe. — La substance 
agglutinée d’un microbe (on pourrait dire tout aussi bien agglu- 
tinable) ne peut être mise en évidence que par l’action qu’a sur 
elle un sérum doué du pouvoir agglutinant. Nous devions donc 
tout d’abord nous procurer un sérum actif vis-à vis du bacterium 
coli. Nous l'avons obtenu facilement par l’inoculation répétée de 
cultures vivantes de 24 lieures, en bouillon de viande pepto- 
nisée, au lapin. 

Les inoculations ont été faites sous la peau : les doses ont été 
de 1 à 2 centimètres cubes, à 5 à 10 jours d'intervalle. En un 
mois et demi l’animal a reçu 141 c. c. de culture; il a été sacrifié, et 
son sang recueilli aussitôt après la mort, par ponction dans l’oreil- 
lette droite. Nous avons obtenu ainsi par le repos quelques c. c. 
d’un sérum parfaitement limpide, dont la stérilité a été éprouvée 


1. Rocer, Revue générale des sciences, 1896. 
2. Mazvoz, Ces Annales, juillet 1897, page 582. 


164 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


par le séjour à l'étuve pendant 48 heures, et qui nous a servi pour 
toutes nos expériences !, 

L'échantillon de bacterium coli dont nous avons fait usage 
provient de l’Institut Pasteur, et a été entretenu dans notre labo- 
ratoire par des cultures successives depuis plus de deux ans. 

Nous nous sommes assuré tout d’abord que notre sérum 
n'avait aucune action agglutinante sur les cultures de bacille 
typhique, baaille de la psittacose, vibrion de Massaouah, et d’un 
grand nombre de variétés de bacterium coli des eaux. 

Notre bacterium colin’est sensible ni à l’action du sérum normal 
d'homme ou de lapin, ni à celle du sérum de lapins infectés avec 
des cultures de bacille typhique ou de vibrion de Massaouah. 

Action du coli-sérum sur les cultures vivantes ou stérilisées de 
bacterium coli. Mensuration de son pouvoir agglutinant. — Nous 
avons fait agir notre colisérum sur des cultures jeunes de bacte- 
rium coli et solution peptonisée. L'emploi de cette solution évite 
la production d’amas spontanés dans les cultures *. Lorsqu’à 
10 gouttes d'une culture de 24 heures dans ce milieu, on ajoute 
1 goutte de sérum, l’agglutination se produit instantanément. 

Au microscope, les amas microbiens sont de dimensions très 
grandes : il n'existe pour ainsi dire aucun microbe isolé entre eux ; 
ceux qu'on y voit par exception sont toujours immobiles. Les 
corps des microbes formant ces amas sont comme fondus 
ensemble, très différents en cela des microbes qu'on rencontre 
dans les amas spontanés des cultures et qui sont en contact 
plus ou moins étroit, mais jamais confondus. 

La mensuration du pouvoir agglutinant de notre sérum, pra- 
tiquésuivant la méthode de M. Widal, c’est-à-dire par le procédé 
extemporané, montre que son activité est de 1 pour 15,000; 
une goutte de sérum agglutine quinze mille gouttes de culture. 
À cette dilution, le phénomène demande généralement une 
demi-heure : à 1/5000, la réaction est presque instantanée. 

Des cultures du même âge stérilisées soit par quelques 
gouttes de formol, soit par le chauffage à 58°, se montrent à peu 
près aussi sensibles à l’action du sérum que les cultures vivantes. 


1. Ce même sérum nous sert, dans la pratique courante du laboratoire, à recon- 
naître les diverses variétés de Z. coli et de bacilles coliformes isolés des eaux, 

2, C. Nicoue et A. Haripré, Sérodiagnostic de la fièvre typhoïde. Presse médi- 
cale, 25 juillet 1896. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 165 


Action du colisérum sur les cultures filtrées de bacterium coli. — 
Afin de nous procurer des cultures de bacterium coli riche en sub- 
stance agglutinée, nous avons suivi à peu près la méthode indi- 
quée par Sanarelli pour la production de ses soi-disant toxines 
typhique et colique. Nous avons ensemencé notre bacterium 
coli dans du bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1°/,; 
nous avons laissé notre culture un mois à l’étuve; elle a ensuite 
été distribuée dans des ballons qu'on a fermés à la lampe, portés 
pendant six jours une heure à 60 degrés, puis abandonnés deux 
mois à la température du laboratoire. Le produit ainsi obtenu, 
qui correspond à une macéralion de corps de microbes, a été 
ensuite filtré sur le filtre Chamberland. Il se présente sous 
l'aspect d’un liquide un peu foncé, sa réaction est fortement acide. 
Sa stérilité a été constatée en portant pendant 48 heures à l’étuve 
les flacons qui le contenaient. 

Si, dans un tube à essai stérile, on met dix gouttes de ce 
bouillon filtré, puis qu’on y ajoute une goutte de notre colisérum 
et qu'on abandonne le tube à la température ordinaire du labo- 
ratoire, on ne note la production d'aucun phénomène pendant les 
heures qui suivent; le lendemain, parfois, il se montre un léger 
dépôt au fond du tube, mais il n’y faut point compter. A l’étuve 
(à 37°) au contraire, au bout d'un temps variable, rarement avant 
4 à 5 heures, toujours après 15 à 20 heures, on constate à l'œil 
nu la présence de grains dans le liquide. Ces grains sont souvent 
réunis au fond du tube, mais la plus légère agitation les fait 
flotter dans le bouillon. Ils sont identiques comme aspect avec 
les grains formés par des microbes agglutinés: même coloration 
grisâtre, même légèreté, mème apparence floconneuse ; ils sont 
seulement d’un volume un peu moindre. C’est là la réaction qui 
a été décrite pour la première fois par Kraus sur les cultures fil- 
trées de vibrions cholériques, puis constatée également par lui 
pour le bacille typhique et celui de la peste. 

A l'examen microscopique, que Kraus n’a point pratiqué (et 
qu'il est indispensable de faire, nous verrons tout à l'heure 
pourquoi), on constate la présence d’amas plus petits certaine- 
ment que ceux qu’on obtiendrait par l’action de notre sérum à 
1/10 sur des cultures de bacterium coli (ils sont énormes); mais 
d’un volume sensiblement égal à ceux que l’on constate dans la 
moyenne des cas, par l'addition d’une goutte de sérum de malade 


166 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


atteint de fièvre typhoïde à dix, à vingt gouttes de culture de 
bacille typhique. Ces amas sont absolument semblables à des amas 
microbiens ; 1 serait impossible, si l’on n'était prévenu, de les en 
distinguer. Ils sont brillants, irréguliers, comme composés de 
particules séparées, vaguement arrondies ou ovalaires, d'aspect 
granuleux, mais soudées et comme fondues entre elles. On 
jurerait qu’il s’agit de microbes accolés; et lorsqu'on à bien 
comparé ensemble un amas microbien et un amas de substance 
agglutinée, on a l'impression que, dans le premier cas, les 
microbes sont fondus entre eux par la coalescence de leur 
substance. 

Entre ces amas de substance agglutinée, il en est de plus 
petits, quelquefois de si petits qu'on les dirait formés par la 
réunion de quelques unités microbiennes. 

Pour bien étudier ces détails, il suffit de se servir du dia- 
phragme ; il est inutile de pratiquer une coloration. La substance 
agglutinée se laisse cependant facilement teindre par les solu- 
tions colorantes employées ordinairement dans les laboratoires 
(fuchsine de Ziehl étendue, surtout). L'aspect est le même; mais 
la coloration est plutôt nuisible qu'utile. La matière agglutinée 
ne se colore point par la méthode de Gram. 

La production d’amas dans les cultures glycérinées filtrées 
est un phénomène des plus nets ; il importe cependant de signa- 
ler une cause d'erreur due à ce que, parfois, dans le four à 
flamber, le coton qui ferme les tubes se carbonise en partie; il se 
forme alors dans l’intérieur du tube un léger dépôt de particules 
carbonisées qui, lorsqu'on y verse le liquide à examiner, donnent 
lieu à la production de petits amas. Il faut, par conséquent, ne 
se servir que de tubes irréprochablement propres, et toujours 
pratiquer l'examen microscopique qui ne permet point la moindre 
confusion entre ces faux amas et les vrais. 

Cette réaction est absolument spécifique : la culture filtrée mise à 
l’étuve sans addition de colisérum reste limpide; on n’observe 
point non plus la formation d’amas en remplaçant le colisérum 
par un des sérums suivants : sérum de lapin normal, de lapin 
infecté avec le bacille typhique ou le vibrion de Massaouah, 
sérums d'individus divers atteints ou non de fièvre typhoïde, 


et adressés au laboratoire pour la recherche de la réaction 
de Widal. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 167 


La production d’amas demande dans ces conditions généra- 
lement 15 à 20 heures. On peut la mettre en évidence d’une 
façon plus rapide et plus frappante, en ajoutant au liquide filtré 
une substance solide insoluble à l’état de fractionnement infini- 
tésimal, des cultures d’un autre microbe par exemple, et en 
faisant l’essai avec notre sérum non à l’étuve, ce qui serait 
impossible à cause du développement probable du microbe 
ajouté, mais à la température ordinaire du laboratoire. 

L'expérience réussit parfaitement. On peut, soit ensemencer 
le bouillon glycériné filtré de bacterium coli avec un autre mi- 
crobe (bacille typhique, bacille de la psittacose, proteus) en y 
ajoutant, si l’on veut (cela est préférable), un peu de bouillon 
neuf, puis après quelques heures de séjour à l’étuve, alors que la 
culture devient apparente, faire agir dessus le colisérum; 
soit faire un mélange extemporané à parties égales du bouillon 
filtré et de la culture du microbe choisi, puis y ajouter le sérum, 
toujours dans la proportion de 1/10. Dans ces conditions, en 
une demi-heure généralement, quelquefois plus vite, l’aggluti- 
nation est visible à l'œil nu; les grains sont légers, floconneux; 
au bout de quelques heures ils se déposent au fond du tube, la 
clarification est complète. Au microscope, on voit que les mi- 
crobes ajoutés sont agglutinés en amas; s’il s’agit d’un microbe 
mobile, il est immobilisé. Si l’on a fait choix du bacille typhique 
ou du baaille de la psitlacose, identiques au point de vue mor- 
phologique au bacterium coli, les amas qu'ils forment ne 
sauraient être distingués de ceux que formeraient dans des 
conditions identiques les bactéries du colon. On remarque tou- 
jours le même aspect de fusion des corps microbiens entre eux, 
Il semble que les microbes ajoutés aient été comme collés par 
la substance agglutinée du bacterium coli, et il est impossible 
au microscope de distinguer dans ces amas ce qui est le microbe 
étranger et ce qui est la substance agglutinée du bacterium coli, 

Voici le résumé de quelques-unes de ces expériences, qui ont 
toutes été répétées un grand nombre de fois, en raison même de 
la singularité du phénomène. 

{. Nous avons noté dans nos expériences que le B. coti ne pousse point dans 
son bouillon de macération filtré; le bacille de la psittacose y pousse très bien et 
très vite (5 heures); ls bacille typhique, le proteus y poussent peu et lentement. 


Si on ajoute à ce produit une quantité égale de bouillon neuf, ces trois microbes 
et le B. coli lui-même s’y développent abondamment, 


168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Bouillon glycériné filtré de B. coli et bouillon neuf à parties égales, 
ensemencés avec du bacille typhique. Le mélange est laissé 20 heures à 
l'étuve, puis additionné de colisérum à 1/10. Au bout de quelques minutes 
l'agglutination devient nette à l'œil nu. Contrôle au microscope. 

Même expérience avec le proteus, avec le bacille de la psittacose : pour 
ce dernier les résultats sont un peu moins nets. 

Mélange extemporané à parties égales d’une culture de 24 heures de 
bacille typhique et du bouillon glycériné filtré de B. coli. Addition de coli- 
sérum à 1/10. Agglutination rapide; clarification complète en 24 heures. 


— Contrôle au microscope. 

Même mélange mis pendant 1 heure à l’étuve avant l'addition du sérum. 
Réaction identique, pas plus marquée. 

Même expérience avec le proteus et le bacille de la psittacose; formation 
d’amas, toujours plus lente avec ce dernier. 

Mêmes résultats avec des cultures mortes de ces microbes ajoutées au 
bouillon filtré. 


Il est à noter que le bacille typhique, qui a ainsi acquis la 
propriété d'emprunt de s’agglutiner sous l'influence du colisérum, 
est resté tout aussi sensible vis-à-vis du sérum typhique qu’un 
échantillon neuf. 

Il n’est point nécessaire, pour mettre en évidence ce phéno- 
mène, d'employer des corps de microbes vivants ou morts : on 
peut les remplacer par une substance inorganique en poussière 
très fine, du talc par exemple. Pour faire cette expérience, à 
quelques c. c. de bouillon glycériné filtré de B. coli, 
on ajoute une pincée de poudre de tale, on agite, on laisse quel- 
ques instants en contact, et on filtre sur du papier. Le mélange 
filtré présente absolument l'aspect d’une culture peu abondante 
de bacille typhique ou de B. coh : même trouble général, mêmes 
ondes soyeuses par agitation. Au microscope, les particules de 
talc sont visibles sous forme de petits corpsirréguliers, brillants, 
bien isolés les uns des autres. Si, à ce liquide, on ajoute du 
colisérum à la dose &e 1/10, l’agglutination se montre à la tempé- 
rature ordinaire en 1/2 heure à 3/4 d'heure; il est complet et le 
liquide clarifié par le dépôt des amas en 24 heures. Au micros- 
cope, les particules de talc se montrent agelomérées en îlots de 
volume irrégulier, il n’existe plus pour ainsi dire de particules 
isolées entre eux. C’est à peine si, avec attention, on peut dis- 
tinguer qu'il ne s’agit point là d’amas microbiens. 

Le bouillon filtré contenant du talc non additionné de sérum, 
abondonné à lui-même, ne donne jamais d’amas à l’œil nu ou au 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE, 169 


microscope; au bout d’un certain temps le tale se dépose sur 
les parois et au fond du tube, sous forme d’une couche fine et 
pulvérulente que l'agitation ne parvient point à en détacher. Les 
amas déterminés par l'addition du colisérum sont au contraire 
bien séparés les uns des autres, légers et flottants dans le liquide 
dès qu'on agite le tube. 

L'addition de sérums autres que notre colisérum n’a jamais 
donné lieu à la production de ce phénomène. 

Si curieuse que soit cette réaction, elle ne saurait comporter 
d'application pratique ; lorsqu'on voudra rechercher si un sérum 
fournit des propriétés agglutinantes vis-à-vis du B. coli, il sera 
_ préférable de s'adresser à des cultures vivantes et récentes. 

Le bouillon glycériné filtré qui nous a servi dans ces expé- 
riences était acide, avons-nous dit, et représentait le produit d’une 
macération prolongée de corps de microbes. Nous avons recher- 
ché si dans un bouillon de culture de réaction alcaline l’aggluti- 
nation pouvait également être mise en évidence. Nous avons 
préparé à cet effet un bouillon de viande peptonisée légèrement 
alcalin, que nous avons ensemencé avec une culture de B, coli, 
laissée à l’étuve un mois, puis filtrée. Les expériences précédentes 
répélées avec ce liquide ont donné des résultats comparables à 
ceux obtenus avec le bouillon glycériné filtré. Voici le tableau 
résumé des trois expériences les plus typiques. La stérilité du 
produit filtré avait été préalablement vérifiée. 


Bouillon alcalin filtré, d’un mois, additionné d’ure goutte pour dix de coli- 
sérum, puis mis à l’étuve pendant 24 heures. Au bout de ce temps, présence 
de grains abondants dans le liquide. Contrôle au microscope. 

Mélange du même liquide filtré à parties égales avec une cullure de 24 
heures en bouillon de bacille typhique, additionnée d’une goutte pour dix de 
colisérum — agglutination nette à la température du laboratoire en une 
heure, clarification totale en 24 heures — Contrôle au microscope. 

Même liquide avec poudre de tale, traité par le sérum à 1/10. Mêmes 
résultats. 


Ces expériences nous ayant montré la présence constante de la 
substance agglutinée dans des cultures anciennes, quelle qu’en 
soit la réaction, nous nous sommes demandé si cette substance 
existait également en quantité appréciable dans des cultures plus 
jeunes. A cet effet, une culture de B, coli en bouillon de viande 
peptonisé légèrement alcalin a été faite, puis filtrée au bout de 


170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


48 heures de séjour à l’étuve. Voici quels ont été les résultats des 
principales expériences faites avec ce produit : 


La 


Bouillon alcalin filtré de 48 heures, additionné d’une goutte pour dix de 
colisérum laissé à l’étuve 24 heures. Présence d'amas douteux à l'œil nu; 
au microscope res amas se montrent très nombreux, mais bien plus petits 
que ceux obtenus avec des cultures plus vieilles. 

Bouillon alealin de 48 heures mélangé à parties égales avec une culture 
de bacille typhique de 24 heures, puis additionné d’une goutte pour dix de 
colisérum — agglutination nette à l'œil nu en une heure à la température du 
laboratoire. — Contrôle au microscope. 


Les cultures filtrées de B. coli, anciennes ou récentes, alca- 
lines ou acides, contiennent donc une substance spécifique qu'ag- 
glutine et rend visible le colisérum. L’agglutination est 
d'autant plus rapide et plus marquée que là culture filtrée est 
plus ancienne. 

Action du colisérum sur les corps de microbes lavés. — En pré- 
sence de ces résultats, il était indiqué de rechercher si des corps 
de microbes lavés assez longtemps dans l’eau distillée, pour 
qu'on püt être sûr que tout le liquide dans lequel ils s'étaient 
développés fût enlevé, se laissaient encore agglutiner par le 
colisérum. Malvoz ayant lavé longtemps à l’eau des corps de 
microbes (il opérait sur le bacille typhique) vit que ces bacilles 
s'agelutinaient moins bien. Cet auteur n'indique point quel était 
l’âge de ses cultures. Or, c’est là le point important. Les corps 
de microbes lavés réagissent d’une façon tout à fait différente 
suivant qu’ils proviennent d’une culture jeune ou ancienne. 

Pour nous procurer de ces microbes lavés, nous avons filtré 
sur filtre Chamberland des cultures en bouillon ordinaire de 
B. coli d’âges différents, puis nous avons fait passer sur le filtre 
une quantité d’eau distillée égale à 10 fois la quantité de bouil- 
lon filtré. On raclait ensuite la bougie, et les corps de microbes 
ainsi obtenus étaient émuisionnés dans de l’eau distillée. Voici 
les résultats donnés par l'addition du colisérum à 1/10 à ces 
émulsions : 

Les corps de microbes provenant de cultures jeunes (2 à 3 
jours) s'agglutinent à peu près aussi vite que le feraient des cul- 
tures ordinaires. Les corps de microbes provenant de cultures 
âgées (25 à 30 jours) ne s'agglutinent plus ou bien né le font 
qu'avec une extrême lenteur. La raison de cette différence nous 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 171 


est révélée parl’examen microscopique de ces corps de microbes. 
Ceux qui proviennent de cultures jeunes sont presque tous bien 
vivants et mobiles, ceux qui viennent des cultures âgées sont 
désagrégés, déformés, morts pour la plupart; quelques-uns 
seulement ont conservé leur forme et quelques mouvements 
lents. 

Action du colisérum sur le liquide de macération filtré des corps 
de microbes. — En faisant macérer dans de l’eau distillée à basse 
température des corps de microbes lavés, provenant de cultures 
jeunes, puis en filtrant le produit, on obtient un liquide clair 
qui s’agglutine légèrement par l'addition de colisérum à 1/10. 

De tout ce qui précède nous pouvons déjà conclure que le 
corps du B. coli, vivant ou mort, contient une substance agglu- 
tinable qui diffuse peu à peu dans le bouillon de culture, et 
que l’addition de colisérum précipite sous forme d’amas, abso- 
lument comme elle précipiterail le baclerium coli en cultures. 
La production de cette substance paraît liée à la désagrégation 
des corps de microbes ; elle est d'autant plus abondante dans le 
liquide que la culture est plus vieille et par conséquent les 
microbes plus dégénérés. 

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures 
du B. coli, quelles que soient les conditions de cette culture et le milieu 
employé. — Nous nous sommes demandé si cette substance agglu- 
tinée du B. coli se rencontrait d’une façon constante dans les 
cultures de ce microbe et s’il n’était point possible, en variant 
les conditions de la culture et le milieu lui-même, d'obtenir 
des bactéries du colon légitimes, bien vivantes, ne contenant 
plus cette substance, et par conséquentne s'agglutinant plus. On 
comprend la portée très grande qu’aurait eu une pareille consta- 
tation. 

Nous avons cultivé le B. coli sur un très grand nombre de 
milieux naturels ou artificiels : bouillon de viande avec ou sans 
peptone, solution peptonisée, solution de syntonine, bouillon 
phéniqué, gélose ou gélatine peptonisées avec ou sans viande, 
gélatine sans peptone, pomme de terre, milieu d’'Elsner, milieux 
artificiels de Péré’; milieu d'Uschinsky modifié par Fran- 


1. Les milieux de Péré essayés ont été : milieu À : lactate d'ammoniaque 20; 
phosphate de potasse 2,5; phosphate de soude 2, 5 ; sulfate de magnésie, 1, 95; 
Chlorure de sodium 1, 5; Eau 1 000 — Ze même milieu avec de la dextrine à la 


172 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. 


kel”, milieu de Calpaldi et Proskauer ?. Sur tous ces milieux, le 
B. coli a poussé plus ou moins abondamment suivant les cas, et 
dans toutes les cultures il s’est agglutiné presque instantanément 
par l'addition du colisérum. Les cultures en solution de syn- 
tonine, (parapeptone) et sur gélatine à l’eau (sans peptone et sans 
viande) ont seules demandé quelques instants avant de s’aggelu- 
üner, et il est à remarquer que ces cultures létaient remarqua- 
blement pauvres; or, les microbes s’agglutinent tous d'autant 
plus rapidement que leur culture est plus abondante. 

Nous avons également recherché l'influence que pouvait 
avoir la température à laquelle la culture est faite. Cette 
influence est nulle. Le B. coli cultivé à la température ordinaire 
du laboratoire ou à l’étuve à 42 s’agglutine aussi bien que 
celui qui s’est développé à 37° (en tenant compte toujours de 
l’abondance de la cuiture). 

Les cultures anaérobies se montrentaussi sensibles que celles 
faites en présence de l’air. 

En résumé, toutes les fois que le B. coli pousse sur un milieu 
de culture, il est sensible à l’action du colisérum. La substance 
agglutinée paraît donc faire partie intégrante du microbe. 

Actions de quelques agents physiques et chimiques sur la substance 
agglutinée du B. coli. — I était intéressant de rechercher quelle 
action pouvaient avoir sur la substance agglutinée divers agents 
physiques et chimiques. 

1° Chaleur. — Nous avons d’abord étudié l’action de Ja 
chaleur. Des cultures de B. coli de 24 heures, en bouillon de 
viande légèrement alcalin, ont été portées pendant vingt minutes 
à des températures variant de 10 en 10 degrés, depuis 60° jus- 
qu'à 1400. Les résultats ont été les suivants. A 60°, 70°, 80°, 
l’agglutination se produit presque instantanément après addi- 
tion du colisérum; à 90° et 100° il est encore très rapide; à 
115°, 1209, 130°il ne se montre qu’au bout de quelques minutes ; 
à 1400 il faut attendre 3/4 d'heure avant de le constater. Nous 
place du lactate d’ammoniaque. Milieu B. : lactate de soude 20; phosphate 
double d’ammoniaque et de soude ; sulfate d’ammoniaque 2 ; phosphate de potasse 
neutre 1; sulfate de magnésie 1; chlorure de sodium {; eau 4 000 — Ze méme 
avec de la dextrine à la place du lactate de soude. 

1. Formule de ce milieu : eau 1 000; chlorure de sodium 5; biphosphate de 
potasse 2 ; asparagine 4; lactate d'ammoniaque 6. 


2. Formule : Eau 100; asparagine 0, 2; mannite 0, 02; sulfate de magnésie 
0, 01 ;chlorure de calcium 0, 02; phosphate de potasse 0,02; chlorure de sodium 0,02. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 173 


n'avons point cherché l’action de températures plus hautes. 
A partir de 120°, le bouillon se trouble à l’autoclave et fonce; il 
s’y forme des flocons abondants (à 140° ils sont en quantité 
particulièrement grande), on s’en débarrasse avant d'ajouter le 
sérum en filtrant la culture sur un papier à filtre épais. 

Ilest indispensable de rechercher la réaction agglutinante 
sur les cultures chauffées aussitôt que possible après leur 
exposition à la chaleur: si l’on attendait quelques jours, la 
réaction serait bien plus lente à se produire, probablement 
parce que la substance agglutinable tend à quitter le corps 
des microbes désagrégés par la chaleur et à se répandre dans le 
liquide. 

Des corps de microbes provenant d’une culture jeune, émul- 
sionnés dans de l’eau distillée et exposés ensuite à des tempéra- 
tures variées, se comportent exactement comme les cultures. A 
1409, l’agglutination est peut-être encore plus tardive, mais elle 
se montre d'une façon constante. Nous avions fait ces expé- 
riences dans le but de rechercher si la réaction ou la nature du 
milieu de culture pouvaient avoir une action sur la résistance 
de la subtance agglutinée à la chaleur. 

Les cultures en bouillon filtrées se comportent de même. 
Nous avons exposé vingt minutes à 115° des tubes contenant 
notre bouillon glycériné filtré. Le mélange de dix gouttes de ce 
liquide filtré avec une goutte de colisérum mis à l’étuve pendant 
vingt-quatre heures s’agglutine à peu près aussi nettement que 
si le bouillon glycériné n'avait pas été chauffé. — La même 
expérience répétée avec du talc donne une agglutination nette 
en une heure à la température ordinaire, et une clarification 
complète en vingt-quatre heures. — Mème résultat avec un 
mélange de bouillon glycériné filtré et chauffé, el d’une culture 
de bacille typhique de vingt-quatre heures. La substance agglu- 
tinée du B. coli est donc très résistante à la chaleur. 

20 Froid. — Dans un mélange refrigérant nous avons placé 
de petits tubes contenant une culture en bouillon peptonisé de 
bacterium coli et des corps jeunes de microbes en émulsion 
dans l’eau distillée. La température, de — 6°, a été main- 
tenue 5 heures environ. Le bouillon ne s’est point congelé, 
l’émulsion de microbes a rapidement fait prise. L’addition d’une 
goutte de sérum à dix de bouillon donne une agglutination 


174 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


immédiate; la réaction est un peu plus lente avec l’émulsion 
de microbes. 

3° Insolation. — Une culture en solution de peptone de bacte- 
rium coli exposée deux heures au soleil (de 11 heures à 1 heure, 
en décembre) donne une agglutination immédiate par l'addition 
de sérum. 

4° Dessiccation. — Une culture est filtrée sur papier à filtrer 
épais qui retient à sa surface une bonne partie des corps de 
microbes. Le papier est séché à l’étuve à 37°, puis abandonné 
huit jours à la température du laboratoire. Il est ensuite mis à 
macérer dans de l’eau distillée : le liquide de macération est fil- 
tré sur papier (pour le débarrasser des particules en suspension 
nombreuses) ; il s’agglutine rapidement par le sérum à 1/10. 

Bo Age de la culture. — Une culture de bacterium coli sur 
pomme de terre, de plus de deux ans d'âge et morte, retrouvée 
dans un coin du laboratoire, présente encore à sa partie infé- 
rieure quelques gouttes d’eau tenant en suspension un grand 
nombre de corps de microbes désagrégés. L’addition d’une 
goutte de colisérum à dix gouttes de ce liquide épais en provc- 
que l’agglutination presque immédiate. 

6° Substances chimiques. — De ces diverses expériences on 
peut conclure que la substance agglutinable du B. coli est très 
résistante aux divers agents physiques. On sait déjà que l'addi- 
tion de certaines substances antiseptiques ne gêne en rien 
l'agglutination des cultures du bacille typhique : formol, chloro- 
forme, thymol, etc. Nous nous sommes assurés qu’il en était de 
même pour le bacterium coli. Par contre, un certain nombre de 
corps chimiques précipitent les cultures de ces microbes. 
M. Malvoz les a étudiés en détail; comme il n’est nullement 
démontré que la substance précipitée dans ce cas soit identique 
à la substance qu’agglutine le sérum, nous avons laissé de côté 
ce point de la question. 

Solubilité de la substance agglutinée du bacterium coli dans l’eau, 
l'alcool absolu, l'éther. — La substance agglutinée du B. coh est 
soluble, cela ressort des expériences que nous avons décrites 
plus haut, dans le bouillon alcalin neutre ou acide et dans l’eau. 
— Nous avons recherché si elle était soluble dans l’alcool 
absolu et l’éther. Dans ce but nous avons filtré sur papier à 
filtre épais des cultures jeunes de bacterium coli. Le papier 


Lu st amis 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 175 


x 


à filtre a été ensuite séché pendant quelques heures à l’étuve 
à 31°, puis découpé en petits morceaux que nous avons laissé 
macérer quarante-huit heures les uns dans l'alcool absolu, les 
autres dans l’éther. Le liquide de macération a ensuite été 
décanté : les couches superlicielles ont été distribuées dans de 
petits tubes bouchés, qui ont été placés dans un centrifuseur 
pendant 5 heures, de manière à débarrasser le liquide des pro- 
duits solides (corps de microbes et autres) qui auraient pu y 
persister. Les couches supérieures de ce liquide ont ensuite été 
transvasées et mises à évaporer dans une étuve à 20°. Le léger 
dépôt laissé par l’évaporation a été dissous dans du bouillon 
faiblement alcalin et celui-ci filtré sur papier : nous. avons 
obtenu ainsi un liquide tout à fait clair auquel nous avons 
ajouté notre sérum actif à la dose de 1/10. Les tubes où le 
mélange avait été fait ont été abandonnés à une basse tempé- 
rature pendant quarante-huit heures (leur non stérilité empè- 
chait de les mettre à l’étuve). Au bout de ce temps des amas très 
nets étaient apparus dans le bouillon. Examinés au micros- 
cope, ces amas se montrent identiques à ceux observés avec des 
cultures simplement filtrées et très analogues aussi à des amas 
microbiens. 

La solubilité paraît égale dans lalcool absolu et l’éther. 

Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum d'un animal 
sous l'influence des injections de substance agglutinée. — MM. Widal 
et Sicard, puis Levy et Bruns, ont montré les premiers qu’en 
inoculant aux animaux des cultures stérilisées ou fillrées de 
bacille typhique, on déterminait l'apparition de la propriété 
agglulinante dans leur sérum: ce pouvoir agglutinant se montre 
plus lentement et toujours à un degré plus faible que lorsqu'on 
inocule à ces animaux des cultures vivantes. 

Nous avons repris ces expériences en nous servant comme 
liquide d’inoculation de notre bouillon glycériné filtré de B. 
coli. Un lapin a reçu en injections sous-cutanées dix-huit 
cent. cubes de ce liquide chauffé au préalable à 4150, en sept 
jours. Il est sacrifié au bout de ce temps, il présente des 
altérations rénales manifestes et son urine est très trouble. 
La mensuration du pouvoir agglutinant du sérum de cet animal 
montre qu'ilest de 1/25 environ; son urine est active à 1/10, 
Nous avons répété avec le sérum de cet animal les expériences 


176 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


décrites plus haut sur l’action du colisérum sur les cultures 
filtrées de bacterium coli avec ou sans addition de tale : l’agglu- 
tination est plus lente à se montrer, mais se produit d’une’ 
manière constante, 

Un autre lapin ayant reçu les mêmes doses du liquide glycé- 
riné chauffé à 115° et présentant un sérum actif à peu près au 
même degré, reçut ensuite, en 15 jours, 15 c. c. de la même 
culture filtrée non chauffée. — Le pouvoir agglutinant de son 
sérum monta rapidement à 1/400. 

Ces expériences démontrent que c’est sous l'influence de la 
substance agelutinée qu’apparaît le pouvoir agglutinant du 
sérum. — Lorsque cette substance est altérée par le chauffage, 
le pouvoir agglutinant est plus faible. 

De mème qu'une culture vivante s’agglutine toujours mieux 
sous l'influence du sérum qu’une culture stérilisée ou filtrée, 
les inoculations de cultures vivantes déterminent plus rapide- 
ment et à un degré plus élevé l'apparition du pouvoir agglu- 
üinant dans le sérum que celles de ces mêmes cultures stérilisées 
ou filtrées. | 

Nous avons recherché dans l'urine de nos lapins la présence 
de la matière agglutinée, mais sans la déceler; l’urine au con- 
traire, comme nous l’avons vu plus haut, acquiert rapidement, 
comme le sérum, des propriétés agglutinantes. 


LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DU BACILLE TYPHIQUE 


Les détails dans lesquels nous sommes entrés à propos de 
l'étude de la substance agglutinée du B. coli vont nous permettre 
d’aller un peu plus vite dans l'exposé de nos recherches sur la 
substance agglutinée du bacille typhique. Un certain nombre 
d'expériences avaient été faites d’ailleurs sur celle-ci, antérieure- 
ment aux nôtres. 

Conditions des expériences et réactions de contrôle. — Le sérum 
agglutinant dont nous avons fait usage est le sérum d’un lapin 
infecté avec des cultures jeunes en bouillon de viande peptonisée 
de bacille typhique. En quatre mois, ce lapin a reçu 45 c. c. 
de cultures sous la peau. — Nous l'avons sacrifié et par ponc- 
tion du cœur nous avons obtenu une quantité notable de sang 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 177 


qui nous à donné par le repos les quelques c. c. de sérum 
nécessaires à nos expériences. La stérilité de ce sérum a 
été éprouvée par son séjour à l’étuve pendant 48 heures, 
L'essai en a été fait tout d’abord sur une culture jeune 
de bacille typhique en bouillon pour la mensuration de 
son pouvoir agglutinant. Ce pouvoir est de 1/8000; il est 
à peu près égal quand on fait agir le sérum sur des cultures 
stérilisées récemment par l'addition de quelques gouttes de 
formol. Ce sérum est dépourvu d’action agglutinante sur le 
bacterium coli, le bacille de la psittacose, et sur un certain 
nombre de coliformes isolés par nous des eaux. 

Le bacille typhique qui nous a servi pour nos expériences et 
pour la préparation de ce sérum est un bacille typhique légitime, 
isolé de la rate d’un typhique, et servant dans notre laboratoire 
à la pratique du sérodiagnostic de la fièvre typhoïde. 

Nous avons répété un certain nombre de nos expériences en 
employant, à la place de notre sérum de lapin, divers échantil- 
lons de sérum provenant d'individus aiteints de fièvre typhoïde. 
Les résultats ont toujours été les mêmes. 

Action du sérum typhique sur les cultures filtrées du bacille. 
— Nos premières recherches ont été failes sur une culture 
en bouillon de viande peptonisé et glycériné à 1 0/0, filtrée 
sur bougie Chamberland après un mois de séjour à l’étuve. Ce 
produit, dont la stérilité a été tout d’abord éprouvée parun séjour à 
l’étuve pendant 24 heures, est fortement acide. Il est très analo- 
gue au bouillon glycériné filtré qui nous a servi pour l’étude du 
bacterium coli : il représente cependant le produit d'une macé- 
ration moins complète des corps microbiens. 

Si, à dix gouttes de ce liquide, on ajoute une goutte du sérum 
actif et qu’on mette le mélange à l’étuve, on constale quelque- 
fois après 5-6 heures, toujours après 24 heures, la présence de 
petits grains dans le liquide. Au microscope, ces amas sont très 
nets, identiques à des amas microbiens. Kraus qui a, le pre- 
mier, constaté cette réaction, l’a décrite comme très variable 
dans son intensité, quelquefois très lente à se produire, pouvant 
même faire défaut. Il croit que ces variations, dont la cause 
véritable lui échappe, peuvent être attribuées aux différences de 
virulence, de toxicité, d’alcalinité ou d’âce des cultures. 

Nous avons eu pour notre part des résullats constants, et nos 

12 


178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cultures n'étaient n1 virulentes, ni toxiques. La réaction au 
tournesol ne paraît point non plus jouer de rôle dans la produc- 
iion ou l'intensité du phénomène. Un bouillon alcalin filtré se 
comporte exactement comme notre bouillon glycériné acide 
(nous l’avons déjà vu pour le B. coli, nous le reverrons tout à 
l'heure pour le bacille cholérique). Il est à noter que Kraus ne 
nous donne ni l’âge exact de ses cultures filtrées, ni le degré 
d'activité de son sérum. C’est probablement là la cause des dif- 
férences observées par lui, et que nous n'avons pas retrouvées, 
nous servant dans toutes nos expériences d’un sérum actif tou- 
jours le même et de vieilles cultures. Nous verrons plus loin 
que des cultures jeunes filtrées donnent une réaction moins 
nette. 

L'expérience faite avec du talc en suspension dans le liquide 
filtré, additionné de sérum à 1/10, donne, à la température ordi- 
naire, une agglutination faible au boutde quelques heures, des plus 
évidentes én 24 heures. Un mélange à parties égales du liquide 
filtré et d’une culture jeune de bacterium coli est agglutiné par 
le sérum à 1/10 en une demi-heure à la température ordinaire ; 
le lendemain la réaction est entièrement disparue, le B. coli 
s'étant développé dans le milieu de culture. 

Des expériences de contrôle faites avec le liquide filtré et le 
tale, ou bien du B. coli sans addition de sérum, n’ont point donné 
lieu à la formation d’amas à l'œil nu ou au microscope. Par 
contre, le sérum d’un malade atteint de fièvre typhoïde, actif à 
1/300, a agglutiné en moins d’une demi-heure un mélange de 
culture de bacterium coli et de notre liquide glycériné filtré. 

Avec une culture de bacille typhique en bouillon légèrement 
alcaline, d’un mois, filtrée, nous avons eu des résultats analogues. 
Voici le résumé des expériences les plus typiques faites avec ce 
produit : | 

Ge liquide filtré additionné à 1/10 de sérum actif : agglutination en 
24 heures à l’étuve. 

Même liquide tenant en suspension du talc additionné à 1/10 de sérum : 
agglutination débutant après quelques heures à la température du labora- 
toire. 

Même liquide mélangé avec une culture de B. coli à parties égales 
additionné de sérum à 1/10 : agglutination en une heure à la tempé- 
rature ordinaire ; la réaction devient moins nelte ensuite, puis disparaît par 
suite du développement du B. coli. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 179 


La réaction du liquide ne joue done aucun rôle dans la pro- 
duction du phénomène, 

Avec une culture jeune de 3 jours, en bouillon simple légère- 
ment alcalin, filtrée, la réaction existe, mais plus faible, comme 
le montre le tableau de nos expériences qui suit : 


Bouillon alcalin de trois jours filtré, additionné de sérum typhique à 4/10, 
et mis à l’étuve : agglutination légère après 24 heures. Le même liquide 
tenant en suspension du tale et additionné de sérum à 1/10 ne donne à la 
température du laboratoire que des amas très petits, au bout de plusieurs 
heures. 

Un mélange de ce liquide à partie égale avec une culture de B. coli, addi- 
tionné d’une goutte de sérum pour dix, donne une agglutination très faible 
à la température ordinaire au bout de plusieurs heures, nulle le lendemain, 
le B. coli s'étant développé. 


Ce sont là des résultats comparables à ceux que nous avons 
notés pour le B. coli. La substance agglutinée du bacille typhique 
diffuse dès les premiers jours de la culture, du corps des microbes 
dansle liquide; maiselle y est alors très peu abondante, Sonabon- 
dance croît à mesure que la culture vieillit ; elle reste toujours 
moindre dans les cultures de bacille typhique que dans celles de 
bacterium coli, parce que ce microbe se développe toujours bien 
davantage en bouillon que le bacille d'Eberth. 

Les réactions de la culture filtrée de bacille typhique sous 
l'influence de sérum actif sont spécifiques. — Kraus avait déjà fait 
voir que ces cultures filtrées ne s’agglutinaient point par l’action 
des sérums suivants : sérum d'homme ou de cheval sain, sérum 
anticholérique et anticolique de chèvre, sérum antidiphtérique 
et antistreptococcique de cheval. Nous avons de même obtenu 
des résultats négatifs avec des sérums normaux d'homme et de 
lapin, et le sérum de lapin infecté avec des cultures de bacterium 
coli et de vibrion de Massouah. 

Action du sérum typhique sur les corps des microbes lavés. — Les 
résultats soni les mêmes que ceux observés avec le B. coli. Des 
corps de bacilles typhiques provenant d’une culture en bouillon 
de 24 heures, lavéssur un filtre à l’eau distillée, puis émulsionnés, 
s’agglulinent rapidement par l’action du sérum. Au contraire, des 
corps microbiens provenant d'une culture âgée d’un mois, et 
traités de même, ne s’agglutinent point ou bien ne le font qu'avec 
une extrème lenteur. L'examen microscopique montre dans le 


180 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


premier cas des bacilles vivants et mobiles, dans le second, 
presque uniquement des corps microbiens dégénérés. 

Action du sérum typhique sur une macération filtrée de corps de 
microbes. — Kraus ayant fait macérer dans de l’eau distillée des 
corps de bacilles typhiques pris sur une culture sur gélose, puis 
ayant filtré le liquide, vit qu'il s’y formait des amas par l'addition 
de sérum. Nous avons obtenu des résultats analogues avec une 
macération filtrée de bacterium coli. Nous n’avons point répété 
cette expérience pour le bacille typhique. 

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du 
bacille typhique. — Nous avons répété pour le bacille typhique les 
expériences déjà rapportées à propos du bacterium coli. En de- 
hors des milieux de culture employés ordinairement daus les 
laboratoires, nous avons fait usage des milieux artificiels de 
Péré. Nous avons également varié la température de culture. 
Toutes les fois que le bacille typhique s’est développé dans nos 
milieux, il s’est montré sensible à l’agglutination par le sérum. 
Celle-ci est d'autant plus rapide et d'autant plus complète que la 
culture microbienne est plus abondante. 

Action de quelques agents physiques et chimiques sur la substance 
agglutinée du bacille typhique. F 

1° Chaleur. — M. Widal avait déjà noté que des cultures de 
bacille d'Éberth portées une demi-heure à trois quarts d'heure à 
des températures intermédiaires entre 57° (où la culture est 
stérilisée en 5 minutes) et 60°, s’agglutinaient aussi rapidement 
que des cultures vivantes ; mais qu’un séjour de même durée de 
10° à 100° leur faisaient perdre en partie ou totalité cette pro- 
priété. Avec un sérum très actif, il obtenait encore des amas, 
mais ceux-ci étaient petits et lents à se former. 

Nous avons repris ces expériences en nous servant de cultures 
de 24 heures en solution de peptone, que nous avons exposées 
pendant un quart d'heure à des températures diverses. 
Nos résultats se rapprochent sensiblement de ceux de M. Widal. 

Une température comprise entre 57° et 65° ne paraît'avoir 
aucune action empêchante ou retardante sur l’agglutination de 
la culture. Entre 75° et 85°, on note un retard de quelques 
minutes. À 95°, la réaction ne devient évidente qu'après dix 
minutes; à 100° elle demande vingt minutes pour se produire. 
Une culture chauffée à 115° donne avec notre sérum une aggluti- 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 181 


nation lente (3/4 d'heure) et les amas restent toujours petits. Au- 
dessus de 115°, l’agglutination manque, ou bien est si lente et 
si inconstante qu'il est impossible de compter sur sa production. 

En employant à la place de bouillon alcalin une émulsion 
dans l’eau distillée de corps de microbes jeunes et lavés, nous 
avons obtenu des résultats analogues. 

20 Froid. — Une température de — 6° agissant pendant cinq 
heures sur des cultures en bouillon ou sur une émulsion de corps 
de microbes jeunes, retarde de quelques minutes à peine l'appa- 
rition d’amas sous l'influence du sérum. 

3° Insolation. — Deux heures d'exposition à la lumière solaire 
se montrent sans action sur la production du phénomène, 

4° Dessiccation. — Des corps de bacilles typhiques filtrés sur 
un papier à filtre, puis séchés à 37°, exposés pendant huit jours à 
la température du laboratoire, et émulsionnés dans de l’eau dis- 
tillée, s’agelutinent très rapidement par l’addition de notre sérum. 

5° Addition d'antiseptiques. — L'’addition d'acide phénique à 
1/1000 au bouillon de culture n'empêche point le développe- 
ment du bacille typhique, et celui-ci conserve toute sa sensibi- 
lité vis-à-vis du sérum agglutinant. Ce fait a été signalé par 
nous dès le mois d’août 1896 ‘. Nous avons même à cette époque 
préconisé l’addition d’acide phénique à cette dose aux cultures 
en bouillon, dans la pratique du séro-diagnostic, lorsqu'on n’est 
point bien sûr de la stérilité du sérum et qu'on veut faire la 
réaction à l’étuve par le procédé lent. Cette précaution est géné- 
ralement inutile, le procédé extemporané donnant presque tou- 
jours en peu de temps une certitude. M. Van de Velde à 
montré depuis que l'addition d'acide phénique à dose antiseptique 
n’empêchait point la production du phénomène. 

L’addition de formol aux cultures, à la dose de trois gouttes 
de la solution du commerce pour 150 de culture, jouit de la 
même propriété ; MM. Widal et Sicard ont proposé une modi- 
fication du séro-diagnostic basée sur cette constatation, et con- 
sistant dans l’emploi de cultures ainsi tuées et restées cependant 
sensibles au sérum typhique. Ce procédé peut rendre des 
services en dehors des laboratoires, iorsqu’on ne peut se procurer 
des cultures vivantes, toujours infiniment préférables, Dans 


4. ©. Nicozee et À. Hauipxé, Normandie inédicale, 45 août 1896. 


182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


leurs expériences, MM. Widal et Sicard ont vu s’agglutiner très 
rapidement, sous l’action du sérum de malades atteints de fièvre 
typhoïde, des cultures stérilisées par l’emploi du formol depuis 
cinq mois. 

Des constatations analogues ont été faites par M. Van de 
Velde en ajoutant aux cultures du bacille d'Éberth du chloro- 
forme, de l’éther, du sublimé à dose antiseptique. 

La substance agglutinée du bacille typhique est donc très 
résistante aux agents physiques et antiseptiques ; elle ne paraît 
point cependant jouir d’une résistance tout à fait égale à celle 
du B. coli. Ce n’est sans doute là qu'une apparence tenant à ce 
que, dans tous nos milieux de culture, le B. coli pousse plus 
abondamment que le bacille typhique, et que par là même il 
produit plus de substance agglutinable. 

Solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans 
l'eau, l'alcool absolu, l'éther. — Des expériences identiques à celles 
que nous avons décrites à propos du B. coli nous ont montré la 
solubilité de la substance agglutinée du bacille typhique dans 
alcool absolu et l’éther. Les amas obtenus par dissolution du 
produit évaporé dans le bouillon sont identiques à des amas 
microbiens. 

Nous savions déjà la solubilité de cette substance dans l’eau 
et le bouillon légèrement alcalin ou acide. 

Apparition du pouvoir agglutinant dans le sérum des animaux 
sous l'influence de l'inoculation de la substance agglutinée du bacille 
typhique. — Nous avons inoculé à deux lapins sous la peau, 
de nos cultures de bacille typhique en bouillon glycériné, d’un 
mois, filtrées et chauffées au préalable à 1159. A cette tempé- 
rature, nous le savons, la substance agglutinée n’est plus que 
difficilement mise en évidence. Nos animaux, après avoir reçu 
en douze jours 26 c. c. de ce produit, n’ont présenté qu'un 
pouvoir agglutinant des plus faibles. et même douteux (1/10) 
de leur sérum. L'inoculation ultérieure de 19c.e. du même 
liquide non chauffé, en vingt-cinq jours, a déterminé l'appa- 
rition d’un pouvoir agglutinant des plus manifestes. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 183 


LA SUBSTANCE .AGGLUTINÉE DE VIBRION DE MASSAOUAH 


Nous serons encore plus bref dans l’exposé de nos recherches 
sur la substance agglutinée du vibrion de Massaouah. Il nous 
paraît en effet inutile d’accumuler les redites, nos expériences 
ayant été identiques et leurs résultats comparables. 

Conditions des expériences et réactions de contrôle. — Le sérum 
qui nous a servi comme réactif est celui d’un lapin ayant reçu 
sous la peau, en 40 jours, 4 c. c. de culture en bouillon peptonisé, 
de vingt-quatre heures, du vibrion de Massaouah. Ce microbe, que 
nousavonsreçu de l’Institut Pasteur, étant très pathogène,a dû être 
inoculé tout d’abord à dose faible : un 1/10 de e. c. Nous nous 
sommes arrêtés quand nous avons atteint la dose de 1 c. c. 
Le sérum de notre lapin, essayé sur une culture sur gélose du 
même microorganisme délayée dans de l’eau disullée (pour 
éviter les amas que donne en bouillon le voile du vibrion parsa 
désagrégation), s’est montré actif à 1/1000. A cette dilution, 
trois quarts d'heure sont nécessaires pour la formation des 
amas. Au titre de 1/250, ce sérum provoque une agglutination 
immédiate. C’est donc par rapport à nos sérums colique et 
typhique un sérum d'activité faible. 

Nous nous sommes assurés tout d’abord que nos cultures de 
vibrion de Massaouah n'étaient agglutinées par aucun autre 
sérum que celui que nous avons préparé, et que notre sérum ne 
jouissait d'aucun pouvoir agglutinant vis-à-vis d’autres micro- 
organismes. 

Action du sérum vibrionien sur les cultures filirées du vibrion de Mas- 
saouah. — Une culture de vibrion de Massaouah a été faite en 
bouillon glycériné à 1 0/0 et filtrée après 19 jours de séjour 
à l’étuve. Nous avons répété sur le liquide de filtration, dont la 
stérilité avait été préalablement vérifiée, les expériences déjà 
décrites à propos du B. coli et du bacille typhique. Nous 
avons obtenu des résultats identiques, comme l’indiquele résumé 
ci-joint de nos principales expériences : 


Bouillon glycériné, filtré, additionné d’une goutte pour dix de sérum, 
puis mis à l’étuve : au bout de 24 heures des amas sont bien visibles dans 
le liquide ; ils sont identiques à des amas microbiens et se colorent bien par 


184 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR 


la fuschine de Zieh] diluée. (C'est l'expérience faite pour la première fois par 
Kraus sur un vibrion cholérique différent de celui de Massaouah.) 
Même liquide tenant des corpuscules de talc en suspension additionné 


de sérum à même dose et abandonné à la température du laboratoire : 
apparition des amas au bout d'une heure, 


Mélange à parties égales de ce liquide et d'une culture de B. coli de 
24 heures, addition de sérum : même résultat. 


Ces réactions sont spécifiques, aucun autre sérum n’a cette 
action sur les cultures filtrées du vibrion de Massaouah. 

Action du sérum vibrionien sur les corps de microbes lavés. — 
Des corps de vibrions, provenant d’une culture en bouillon simple 
de 24 heures, lavés sur un filtre à l’eau distillée, puis émulsion- 
nés dans l’eau, s’agglutinent immédiatement sous l'influence du 
sérum actif. Une culture en bouillon glycériné, âgée d’un mois, 
traitée de la même facon, donne encore une agglutination ra- 
pide. Au microscope on remarque dans ce cas que les vibrions 
sont encore en général animés de mouvements rapides. Cette 
résistance des vibrions explique pourquoi les cultures âgées de 
Massaouah se laissent encore agglutiner facilement, tandis qu'il 
n'en est point absolument de même pour celles de B. coli ou 
de bacille typhique moins résistants. 

Action du sérum vibrionien sur une macération de corps de vibrions. 
— Celle expérience a été faite par Kraus avec des cultures 
sur gélose, délayées dans l’eau, soumises à une pression 
de 300 atmosphères, puis filtrées. L’agglutination s’est montrée 
sous l'influence du sérum. Il s'agissait dans cette expérience, 
que nous n'avons point répétée, d’un vibrion autre que celui de 
Massaouah. 

Présence constante de la substance agglutinée dans les cultures du 
vibrion de Massaouah quel que soit le milieu de culture employé. — 
Nous avons cultivé le vibrion de Massaouah sur tous les milieux 
employés généralement dans les laboratoires, et dans quelques 
milieux artificiels : solution de syntonine, milieu B de Péré, 
liquide de Capaldi et Proskauer. Partout où le vibrion cholérique 
se développe, il se laisse agglutiner par le sérum. 

Action de quelques agents physiques. 1° Chaleur. — Une culture 
en bouillon peptonisé légèrement alcalin, portée un quart 
d'heure à 100°, s’agglutine encore très facilement; si la cul- 
ture est laissée le même temps à 115°, elle n’est plus aggluti- 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 185 


née que lentement par le sérum et les amas sont très petits. 

20 Froid. — Une température de — 6° maintenue pendant 
5 heures retarde manifestement l’agglutination d’une culture en 
bouillon du vibrion de Massaouah : il faut attendre 1/2 heure, et 
encore plus s’il s’agit d’une émulsion du même microbe dans l'eau. 

3° Pression. — Nous avons vu plus haut que, dans ses expé- 
riences, M. Kraus avait soumis à une pression de 300 atmo- 
sphères une macération de corps de vibrions d'une espèce 
différente du vibrion de Massaouah sans leur faire perdre pour 
cela la propriété de s’agglutiner sous l’action du sérum actif. 

Solubilité de la substance agglutinée du vibrion de Massaoual 
dans quelques liquides. — Cette substance est soluble dans l’eau, 
le bouillon neutre, alcalin ou acide, l'alcool absolu et l’éther. 


LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE DE CERTAINS AUTRES MICROBES 


Le B. coli, le bacille typhique, le vibrion de Massaouah ne 
sont point les seuls microbes dont les cultures se laissent agglu- 
tiner par l’action du sérum des animaux infectés par eux. Un 
certain nombre d’autres microorganismes sont dans le même cas: 
le séro-diagnostic de quelques maladies autres que la fièvre 
- typhoïde et les colibacilloses, paraît dès aujourd'hui possible. Il 
est a priori certain que tous les microbes qui se laissent agglu- 
tiner doivent celte propriété à la présence, dans leur corps, 
d'une substance agglutinable analogue comme propriétés à celle 
que nous venons de décrire pour le bacille typhique, le vibrion 
de Massaouah et le B. coli. 

Nous possédons déjà, sur l'existence de cette substance dans 
les cultures de deux autres microorganismes, quelques notions 
dues à M. Kraus, qui a montré que les cultures filtrées d’un 
vibrion cholérique (de la race de Koch sans doute) et du bacille 
de la peste, donnaient par l’addilion des sérums homologues de 
petits amas, après 24 heures de séjour à l’étuve. Ces réactions 
sont tout aussi spécifiques que celles que présentent les cultures 
vivantes de ces microbes. 

Cependant toutes les cultures microbiennes ne se iaissent 
point agglutiner sous l’action du sérum des animaux infectés 
par elles. Le phénomène de l’agglutination n’est donc point un 


186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


phénomène constant. Un certain nombre de preuves en ont été 
déjà apportées. Nous en donnerons deux nouveaux exemples. 

Depuis quatre mois, dans notre laboratoire, M. le D' Hébert 
inocule régulièrement des cultures de divers échantillons de 
bacille de Friedlænder, isolés par nous des angines ou de l’eau, 
à des lapins par toutes les voies: sous-cutanée, intraveineuse, 
intrapéritonéale. Suivant la virulence ou les doses inoculées, les 
animaux sont plus ou moins malades: un certain nombre 
d’entre eux ont présenté des suppurations localisées quiontguéri. 
La résistance de ces animaux au bacille de Friedlænder est 
aujourd'hui très grande; ils peuvent supporter sans grand 
malaise l’inoculation de doses vraiment considérables de cultures 
vivantes dans le péritoine. Jamais le sérum de ces animaux n’a 
présenté le moindre pouvoir agglutinant vis-à-vis des cultures 
du bacille inoculé. 

M. Nicolas (de Lyon) a décrit l'agelutination des cultures du 
bacille diphtérique sous l'influence du sérum antidiphtérique de 
cheval‘. Seul le sérum thérapeutique de cet animal et celui des 
individus traités par lui aurait cette propriété. Il n’en a jamais 
constaté l'existence dans le sérum d'animaux de laboratoire, 
infectés soit avec des cultures vivantes, soit avec de la toxine 
diphtérique; pas plus d’ailleurs que dans celui des enfants 
atteints de diphtérie et non encore inoculés. Sa conclusion est . 
qu'on ne peut parler de séro-diagnostic pour la diphtérie. 

Nous avons repris en partie les expériences de M. Nicolas. 
Nous basant sur les résultats obtenus par lui, nous espérions, par 
des inoculations répétées de cultures chauffées à 65°, et par 
conséquent devenues peu toxiques, délerminer la production du 
pouvoir agglutinant dans leur sérum. Le pouvoir agglutinant 
chez les animaux infectés avec des cultures de B. coli, bacille 
typhique ou vibrion cholérique, étant lié à l’inoculation des corps 
microbiens, nous avions lieu de croire qu’il en était de même 
pour le bacille diphtérique : c’est pourquoi nous nous étions 
efforcé de nous débarrasser de la présence de la toxine qui rend 
les inoculations répétées dangereuses. 

Nos expériences ont été faites sur un nombre assez impor- 
tant d'animaux. En voici le résumé : 


4. J. Nrcoras, Société de biologie, 30 janvier 1897. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 187 


À un premier lot de lapins nous avons inoculé des cultures du bacille 
diphtérique chauffées à 65° pendant 1/2 heure; à un second lot, de la toxine 
préparée par nous et active à 1/30 de centimètre cube, chauffée également 
à 65°; à un troisième lot, des corps de bacilles diphtériques recueillis sur 
un filtre, dilués dans du bouillon stérile et chauffés à 600, 

A un premier lot de rats blancs (animaux réfractaires) de la toxine 
diphtérique non chauffée; à un second lot, de la toxine chauffée à 65°; à un 
troisième lot, des corps de microbes chauffés à 600 


Il nous paraît inutile de donner le détail de nos expériences, 
étant donné le résultal négatif qu’elles ont eu. Le bacille diphté- 
rique employé par nous est l'échantillon qui sert à l’Institut 
Pasteur pour la préparation du sérum antidiphtérique et qui est 
connu sous le nom de bacille américain. — Nos inoculations ont 
été poursuivies pendant trois mois avec la plus grande prudence, 
Nous avons eu cependant une mortalité de 1/3 sur nos lapins; 
un seul rat est mort (il recevait de la toxire non chauffée). Nos 
animaux avaientacquis à la fin une résistance extrêmement con- 
sidérable. Jamais le sérum d'aucun d'entre eux n'a présenté de pou- 
voir agglutinant vis-à-vis de l'échantillon de bacille diphtérique 
employé, que les cultures d’épreuve aient été faites en bouillon 
ou aient consisté en une émulsion dans l’eau distillée de cultures 
sur sérum coagulé. 

Nous avons en même temps recherché l’action agglutinante 
du sérum avtidiphtérique de l’Institut Pasteur et de celui préparé 
par nous à notre laboratoire sur les cultures du bacille améri- 
cain. Nous n'avons point noté d’agglutination réelle, soit que le 
mélange de culture et de sérum à 1/10 ait été porté à l’étuve, soit 
qu'il ait élé laissé à la température du laboratoire. Au bout de 
24 à 48 heures il se-fait souvent un dépôt au fond du tube, mais 
ce dépôt n'a rien de spécifique; nous l'avons obtenu avec d'autres 
sérums, en particulier avec notre sérum lyphique de lapin; au 
microscope il n’y a point d’amas agelutinés; les microbes qui 
forment les petits amas, constants d’ailleurs dans toute culture 
diphtérique, sont toujours bien nettement distincts les uns des 
autres, jamais confondus. 

La race de bacille diphtérique sur laquelle nous avons 
expérimenté ne se laisse donc point agglutiner par le sérum 
homologue. 

Ce fait ne paraît point lui être spécial; car M. Kraus avait 


188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


déjà noté que le sérum antidiphtérique (de cheval), dont il 
faisait usage dans ses expériences, ne provoquait jamais la pro- 
duction d’amas dans les cultures filtrées du bacille diphérique,: 
après vingt-quatre heures de séjour à l’étuve. 


RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS 


Le corps de certains [microbes (Bacterium coli, bacille typhi- 
que, vibrion de Massaouah, etc.) renferme une substance parti- 
culière : substance agglutinée ou agglutinable, à l'existence de 
laquelle est liée la production du phénomène de l’agglutination 
des microbes. 

Ces microbes vivants, les mêmes microbes tués par la chaleur 
ou par l'addition de certaines substances antiseptiques, réagissent 
sensiblement de la même manière. 

Leur culture filtrée, traitée par le sérum, donne également 
lieu à la production d’amas bien visibles à l'œil nu et tout à fait 
identiques au microscope avec des amas microbiens, dontils pré- 
sentent les réactions vis-à-vis des matières colorantes. — Ce 
phénomène, pour lequel le séjour à l’étuve pendant quinze à vingt 
heures est généralement nécessaire, est constant quand on em- 
ploie des cultures filtrées d’un certain âge; il se montre déjà 
très nettement, quoique à un degré plus faible, quand on se sert 
de cultures de quelques jours. 

Pour le mettre en évidence d’une façon plus rapide et plus 
sensible, on peut ajouter au liquide filtré de la poudre de tale, ou 
bien une culture jeune d’un autre microbe : l’agglutination par 
le sérum se produit alors généralement en trois quarts d'heure 
à la température du laboratoire. 

Ces réactions sont spécifiques ; aucun autre sérum que le 
sérum homologue ne les donne. 

Les corps de microbes lavés à l’eau distillée, quand ils pro- 
viennent d’une culture jeune, s’agglutinent rapidement par le 
sérum ; ils ne réagissent que lentement et faiblement si la cul- 
ture est vieille. | 

Le liquide de macération des corps de microbes (jeunes), 
fillré, se comporte comme le bouillon de culture filtré, 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 189 


Ces diverses réactions ne sauraient être préconisées pour la 
pratique du séro-diagnostic ‘des maladies ; l'emploi de cultures 
vivantes et récentes est toujours préférable. 

La présence de la substance aggiutinée dans le corps du mi- 
crobe est un fait constant, quelles que soient les conditions dans 
lesquelles la culture à été faite et le milieu de culture employé; 
la substance agglutinée fait partie intégrante de la constitution 
du microbe. 

La substance agglutinée est très résistante aux divers agents 
physiques tels que la chaleur, le froid, la lumière solaire, une 
haute pression, la dessiccation. Celle du bacteriwm coli paraît un 
peu plus résistante, par cette seule raison probablement que les 
cultures de ce microbe étant toujours très riches dans les milieux 
de culture, la substance agglutinée s’y rencontre par là même 
toujours en très grande abondance. 

L’addition d’un certain nombre de substances antiseptiques 
aux cuitures n'empêche point la production du phénomène, 

La substance agglutinée est soluble dans l’eau, dans les liqui- 
des alcalins ou manifestement acides; elle est soluble également 
dans l’alcool absolu et dans l’éther. 

La production du pouvoir agglutinant dans le sérum d’un 
animal infecté par un microbe est liée à l’inoculation de la subs- 
tance agglutinée. Les causes qui l’affaiblissent ou la détruisent 
dans le liquide inoculé empêchent ou retardent l’apparition du 
pouvoir agglutinant dans le sérum de l’animal. Mais de même 
que rien ne vaut comme réactif passif de l’agglutination une cul- 
ture vivante et récente, pour la production d’un pouvoir agglu- 
tinant rapide et puissant rien n’égale l’inoculation de la culture 
vivante. 

Au début de sa vie, le corps du microbe contient senl la subs- 
tance agglutinée. Il en fait la synthèse aux dépens des matériaux 
nutritifs qui lui sont offerts ; ce n’est que plus tard, lorsqu'il se 
désagrège, que cette substance passe dans le liquide. 

La nature de la substance agglutinée ne nous est point encore 
connue. Sa composition chimique est sans doute très complexe. 
M. Kraus aurait trouvé au produit de précipitation par le sérum 
des cultures filtrées de vibrions cholériques les caractères des 
peptones et des alcali-albumines. Cela est bien vague. 

La production de la substance agglutinée n’est en rapport ni 


190 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avec la virulence, ni avec la toxicité des cultures employées. Le 
bacille typhique et le bacterium coli qui nous ont servi dans. 
nos expériences sont à peu près dépourvus de virulence et Lota- 
lement de toxicité. 

En ce qui regarde spécialement la substance agglutinée du 
bacille typhique, elle diffère essentiellement de la toxine ty- 
phique soluble décrite par M. Chantemesse ‘ : loin de disparaître 
à la longue du bouillon quand celui-ci vieillit, elle y devient plus 
abondante ; elle n’est point sensible à l’air, à la lumière, à l’aci- 
dification de la culture comme l’est la toxine typhique. Elle se 
sépare enfin de toutes les toxines microbiennes connues par sa 
solubilité dans l'alcool absolu, qui précipite celles-ci des liquides 
où elles existent. La présence du pouvoir agglutinant dans le 
sang ne saurait donc par là même être le signe d’une intoxi- 
cation. 

Ce qui caractérise la substance agglutinée, c’est la propriété 
qu’elle présente de s’agglomérer en amas et d’agglomérer avec 
elle, sous l'influence du sérum actif, Les corps qui la contiennent 
ou qui sont en suspension dans le liquide où elle se trouve*. 
Dans ce bouillon filtré, la substance agglutinée qui était en 
dissolution devient visible à l’œil nu et au microscope sous 
forme d’amas; il semble que le sérum agisse sur elle en la 
rendant insoluble. Les amas qu’elle donne sont formés comme 
de grains agrégés les uns aux autres, et plus ou moins confondus 
ensemble; ils donnent exactement la même impression au mi- 
croscope que des amas microbiens. L'aspect est identique, si l’on 
fait agir le sérum sur la substance agglutinée, extraite par 
l’éther ou l'alcool du corps des microbes, et dissoute à nouveau 
dans le bouillon. 

La substance agglutinée siège dans la couche externe du mi- 
crobe. En effet, quand on ensemence un microbe agglutinable 
dans du bouillon stérile additionné de sérum homologue, ce mi- 
crobe s’y développe toujours bien. La seule particularité qui 
empêche cette culture d’être identique à une culture en bouillon 
ordinaire, c’est qu'au fur et à mesure qu'un microbe nouveau se 

1. Cuanremesse, Société de biologie, 23 janvier 1897. 

2. Si on fait ce mélange de cultures vivantes de bacille typhique et de Z. coli 
en proportions égales, puis qu’on ajoute l’un ou l’autre des deux sérums homo- 


logues, la Zotalité des microbes est agglutinée; il n'y a plus un seul microbe 
mobile entre les amas. 


RECHERCHES SUR LA SUBSTANCE AGGLUTINÉE. 191 


forme, sa couche externe subit l'influence du sérum actif, se 
gonfle, devient apparente et se soude à la couche externe des 
individus voisins. Notre opinion sur la nature intime du phéno- 
mène de l’agglutination se rapproche donc tout à fait de celle 
émise par Gruber qui le premier constata le phénomène et que, 
seul, M. Roger a défendue après lui. Nous pensons que l’agglu- 
tination consiste dans la coagulation et la coalescence des couches ex- 
ternes des microbes agglutinables sous l'influence du sérum agglu- 
tinant. 

Nous arrivons donc, d’après nos expériences, à considérer 
l’agelutination des microbes comme un phénomène purement 
passif. La virulence, la toxicité, la vie, la conservation de la forme 
des microbes n’y jouent aucun rôle; le microbe réagit passivement 
vis-à-vis du sérum actif par la substance agglutinée de sa 
couche externe. 

La présence de la substance agglutinée sur le corps des 
microbes n’est point, nous l’avons vu, un phénomène constant, 
certains en contiennent, d'autres en sont dépourvus. — Il n’est 
donc point étonnant que le pouvoir agglulinant d’un sérum, 
pouvoir quiest la conséquence de l'imprégnation de l’organisme 
par la substance agglutinée, n’ait rien à voir avec l’immunité de 
celui-ci vis-à-vis des microbes ou de leurs poisons. Il n’a rien de 
commun non plus avec le pouvoir bactéricide, quoiqu'on les ait 
pendant longtempsconfondus; le pouvoir bactéricide est d’ailleurs 
détruit à 60°, et cette température est sans action sur le pouvoir 
agglutinant!, très résistant à la chaleur, de même que la substance 
agelutinée de laquelle il procède. 

Le pouvoir agglutinant n’est même point à proprement 
parler un signe d'infection, puisqu’un microbe dépourvu de toute 
virulence, une culture filtrée peuvent le faire naître par leur 
inoculation. Il est la simple signature du passage dans l'organisme 
de la substance agglutinée spécifique. 


1. C. Nicozce et A. Hazrpré, Presse médicale, 25 juillet 1896. 


Rouen, 31 janvier 1898, 


LA 


DESTRUCTION DES MICROBES DANS LE TISSU SOUS-CUTAN 


DES ANIMAUX HYPERVACCINÉS 


Par LE Dr A. T. SALIMBENTI 


Préparateur à l’Institut Pasteur. 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


! Grâce aux recherches nombreuses et persévérantes de ces 
dernières années, de remarquables progrès ont été réalisés dans 
nos connaissances sur la question de l’immunité. 

L'immunité doit être désormais envisagée à deux points de 
vue différents : immunité contre les microbes, immunité contre 
les toxines. Le mécanisme biologique de l’immunité antitoxique 
nous est encore inconnu ; pour la plupart, les auteurs admettent 
que, pour les animaux sensibles à l’action d’une toxine, il est 
en rapport avec la propriété antitoxique des humeurs. Par contre, 
le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse est assez bien connu 
et en parfail accord avec la théorie cellulaire. Cette théorie, 
généralement admise, est encore contestée par ceux qui attri- 
buent aux substances bactéricides des humeurs le rôle principal 
dans la défense de l'organisme contre les microbes. C’est ainsi 
que M. Pfeiffer‘ revenait, l’année dernière, sur la question, 
qu'on croyait définitivement jugée, de l’immunité contre le 
vibrion cholérique, le bacille d'Eberth et le bacterium coli. Contrai- 
rement aux résultats obtenus par M. Metchnikoff* et M. Mesnil’, 
qui opéraient sur des animaux activement et passivement immu- 
nisés, il affirmait que lorsqu'on opère sur des animaux hyper- 
vaccinés, on peut observer le phénomène de Pfeiffer sous ia 
peau aussi bien que dans le péritoine, que l'intervention leuco- 

4. Deutsche med. Wochenschr., 1897. 


2. Ces Annales, juin 1895. 
3. Ces Annales, juin 1896. 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 193 


cylaire dans ce cas ne se fait pas d’une façon appréciable et ne 
Joue aucun rôle important. 

La seule réaction locale observée consiste en un œdème léger 
et très passager qui se forme à l’endroit de l'injection ; sous l'in- 
fluence des bactériolysines qui se trouvent dans le liquide d'œdème; 
les microbes sont d'abord immobilisés, puis transformés en 
boules et dissous. 

Presque en même temps, M. Bebhring!, qui reconnaît dans les 
cas ordinaires l'importance de l'intervention leucocytaire dans 
le mécanisme de l’immunité anti-infectieuse, affirmait que, quand 
on opère sur des animaux hypervaccinés, si l’on fait des expé- 
riences bien précises, aucun phénomène exsudatif ni phagocy- 
taire ne s’observe à la suite d’une injection de microbes vivants 
sous la peau. 

« Nous devons admettre, écrit-l, que les corps de microbes 
se dissolvent de la même façon qu'un corps organique,introduit 
sous une forme facile à digérer, s’assimile dans l'organisme de 
l'individu qui l’a ingéré. Si, chez les animaux immunisés, après 
l'injection des microbes vivants, des phénomènes exsudatifs et 
phagocytaires se produisent encore, cela veut dire que l’immu- 
nité antitoxique n’est pas suffisante. La toxine qui n’est pas 
complètement neutralisée irrite les tissus, détermine la forma- 
tion d’un exsudat, etdans l’exsudat on peut rencontrer des cellules 
qui englobent les microbes (Metchnikoff) et d’autres substances 
qui agissent directement sur eux {bactériolysines de Pfeiffer, agglu- 
tinines de Gruber). » 

Bien que les faits avancés d’une façon si affirmative par 
MM. Pfeiffer et Behring fussent en complet désaccord avec un 
certain nombre de faits bien constatés et généralement acceptés 
sur le mécanisme de la destruction des microbes chez les ani- 
maux activement et passivement immunisés, par le fait que leurs 
expériences avaient été faitessur des animaux arrivés au plus haut 
degré d’immunité, il aurait été difficile de les infirmer « proori. 

Nous avons repris ces expériences et nous avons étudié la 
destruction du vibrion cholérique, du bacille diphtérique et du 
streptocoque sous la peau des animaux hypervaccinés. 

Pour nous mettre dans les conditions les plus favorables à 


1. Article Zmmunités dans le Eulenburg Real-Encyclopædie, 3e édition, 1897. 


13 


194 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lPaction des humeurs, nous nous sommes adressé aux grands 
animaux, les chevaux, chez lesquels on peut arriver à un degré 

d'immunité impossible à atteindre avec les petits animaux de 
laboratoire. Inutile de dire que parmiles nombreux échantillons 
de chevaux hypervaccinés qu’on peut trouver à l’Institut Pasteur, 
nous avons choisi ceux qui, au moment de nos expériences, don- 


naientles sérums les plus actifs. 


-__ Abordons maintenant les résultats des expériences que nous 
avons faites et donnons d’abord, sur la technique employée, 
quelques détails absolument indispensables. 

La dose de virus injecté dans nos nombreuses expériences 
était la même: une demi-culture de 24 heures sur gélose 
diluée dans 4 c. c. d’eau physiologique stérile, pour le vibrion 
cholérique ; 2 c. c. de culture de 24 heures en bouillon pep- 
tonisé pour la diphtérie; 2 c. c. de culture de 24 heures dans 
le milieu de Marmorek pour le streptocoque. Les prises d’ex- 
sudat pendant les 12-14 premières heures après l'injection ont 
été faites toutes les deux heures; à partir de 14 heures jusqu’au 
moment de la disparition complète de toute réaction locale, 
deux fois par jour. 

Toutes les fois qu’on pique avec un tube de verre effilé pour 
obtenir quelques gouttes d’exsudat, on lacère très facilement des 
capillaires et on détermine des petites hémorragies. 

Or, M. Metchnikoff' a démontré que la présence du sang dans 
le liquide d'œdème peut conférer à celui-ci des propriétés bacté- 
ricides très énergiques qu'il ne possède pas à lui tout seul : le 
vibrion cholérique, par exemple, qui ne se transforme jamais 
en boules dans l’œdème sous-cutané formé à l'endroit de 
l'injection chez les animaux activement ou passivement immu- 
uisés, peut présenter celte transformation toutes les fois que, 
soit en faisant l’injection, soit en faisant des prises d’exsudat, on 
lèse des capillaires. 

De même, l’œdème provoqué par ralentissement de la cir- 
culalion chez un animal immunisé, qui est incapable, lorsqu'il 
est mis à vitro au contact des vibrions, de déterminer leur trans- 


1. Ces Annales, juin 1895. 


MICROBES CHEZÂLES ANIMAUX HYPERVACCINES. 195 


formation en boules, peut, comme l'a démontré M. Bordet!, 
acquérir cette propriété lorsqu'il est mélangé à une trace de 
sang du même animal. 

Il fallait donc, dans notre cas, éviter le mélange du sang 
avec le liquide d'œdème, et avoir en même temps des prises 
d'exsudat assez nombreuses et rapprochées, pour pouvoir suivre 
pas à pas les modifications que subissent les microbes injectés. 

Pour cela, dans les diverses expériences que nous avons 
faites, nous nous sommes arrangé de façon que, si par exemple 
dans {a première, les prises d’exsudat étaient faites au bout de 
1 heure et de 10 heures, dans la seconde, on les faisait au bout 
de 2 et 44 heures, et ainsi de suite ; en opérant exactement dans 
les mêmes conditions, c’est-à-dire avec le même microbe et 
sur le même animal, les résultats en sont parfaitement com- 
parables. 

Encore une question de détail sur laquelle nous croyons 
indispensable d’insister. Les microbes injectés sous la peau des 
animaux hypervaccinés restent localisés à l’endroit de l’injec- 
tion; tout autour du foyer microbien se forme un œdème : déjà 
une demi-heure à À heure après l'injection, les mailles du tissu 
conjonctif sous-cutané en sont complètement gorgées. Quand 
on fait des prises d'exsudat à ce moment-là, si l’on n’a pas eu 
soin de bien limiter par un artifice quelconque l'endroit précis 
où l'injection des microbes a eu lieu, il est extrêmement difficile 
de les retrouver. On tombe la plupart du temps à côté, et on 
retire alors un liquide tout à fait clair et transparent : l'examen 
microscopique de ce liquide pratiqué soit en goutte pendante, 
soit sur des préparations colorées, ne révèle traces ni de mi- 
crobes ni de cellules ; les ensemencements sur gélose restent 
la plupart stériles ; exceptionnellement on observe le développe- 
ment de quelques rares colonies. 

De là une cause d'erreur dont il faut se garder avec soin. 


# + 


R£ECHERCHES SUR LE BACILLE DIPHTÉRIQUE, — Pour nos expériences 
sur ie bacille diphtérique, nous nous sommes servi d’un échan- 
tillon isolé par M. Park et M'e Williams, connu sous le nom 


1. Ces Annales, juin 1895. 


196 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de microbe américain, et obligeamment mis à notre disposition 
par M. Martin. Ce microbe tue un cobaye de 400-500 grammes 
à la dose de 1/10 de c. c. d’une culture de 24 heures sur 
bouillon peptonisé, et donne une toxine capable de tuer un 
cobaye de la même taille à la dose de 1/500 de c. c. 

Le cheval que nous avons employé pour nos recherches, qui 
remontent au mois de mai 1897, était en voie de vaccination 
depuis le 25 octobre 1894. Il avait reçu en 97 injections 
13,093 c. c. de toxine, et donnait un sérum qui possédait 
150,000 unités préventives et 250 unités antitoxiques. 

L’injection des microbes a été toujours pratiquée sous la peau 
de l’encolure. Déjà une demi-heure après, on constate une 
petite tuméf:ction à l'endroit de l’injection, tuméfaction qui 
augmente peu à peu pendant les premières 6-8 heures, et qui 
diminue ensuite assez rapidement. 

Au bout de 24 heures, les phénomènes locaux qu'on peut 
constater par l’observation directe ont presque complètement 
. disparu; il ne reste qu’une toute petite tuméfaction qui disparaît 
complètement en deux ou trois jours. 

L’exsudat retiré une demi-heure après l’injection renferme 
des microbes qui, soit à l’état frais, soit sur des préparations 
colorées, ne présentent aucun changement ni dans leur forme, 
ni dans leur réaction vis-à-vis des matières colorantes. 

On remarque déjà quelques leucocytes ; dès le coñmence- 
ment, les polynucléaires apparaissent en proportion bien plus 
considérable que les mononucléaires et les lymphocytes. Quel- 
ques cellules renferment déjà des microbes, mais la plupart sont 
vides. Le nombre des leucocytes augmente progressivement, et 
dans les exsudats retirés au bout de 2 à 4 heures, on 
en trouve des quantités considérables. La phagocytose, com- 
mencée presque aussitôt après l'injection, se poursuit activement, 
et elle est complète au bout de 6 heures : à ce moment, on ne 
trouve plus guère de microbes extra-cellulaires, et le nombre de 
leucocytes augmente toujours. Ce sont en grande majorité des 
polynucléaires: il y a très peu de mononucléaires, pas de lympho- 
cytes. La plupart renferment des microbes ; il y en a qui en sont 
complètement remplis et présentent parfois des aspects très 
caractéristiques. Ils ont acquis un volume double de celui des 
cellules vides qui se trouvent à côté d’eux ; il y en a qui présen- 


Fr. 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINES. 197 


tent une forme parfaitement ronde ou ovale : la substance chro- 
matique du noyau est repoussée vers la périphérie; elle se pré- 
sente sous forme de deux bandes assez minces aux deux 
extrémités opposées de la cellule ; au milieu, une espèce de 
grande vacuole remplie de microbes. 

À partir du moment où la phagocytose est complète, la lutte 
entre l'organisme et les microbes est finie : ceux-ci une fois 
englobés périssent et se dissolvent de la façon bien connue 
dans l’intérieur des cellules. 

Tant que nous avons trouvé des microbes libres, nous n'avons 
pas pu constater, soit à l’état frais, soit sur des préparations colo- 
rées, aucun changement ni dans leur forme ni dans leur 
aspect général : les microbes libres et les microbes contenus 
dans l’intérieur des cellules réagissaient de la même façon aux 
matières colorantes employées (bleu de Kuhne, méthode de 
Gram, etc.). | 

A chaque prise d’exsudat, nous faisions des ensemencements 
sur sérum coagulé et dans le bouillon peptonisé ; en même temps 
une gouttelette d’exsudat était mise en chambre humide à 37°. 

Les ensememcements sur les milieux artificiels ont donné 
des cultures jusqu'à 40, et une fois même 54 heures après l'in 
jection. Le développement des microbes dans les gouttes pen- 
dantes se faisait toujours assez péniblement, sauf pour les gouttes 
préparées avec les exsudats retirés jusqu’à 2 heures après l’in- 
jection, qui se présentaient complètement remplies de microbes 
au bout de 24 heures de séjour à l’étuve à 37°. A partir de 10 à 
12 heures après l'injection, les gouttes d’exsudats restaient 
complètement stériles. Examinées au microscope après un 
séjour de 24 heures au thermostat à 37°, on voit par-c1 par-là, à 
côté des cellules encore bien conservées et qui renferment des 
microbes, des cellules en voie de destruction, quelques bacilles 
libres et quelques petits amas de microbes parfois enveloppés 
dans un magma protoplasmique; en laissant plus longtemps 
à l’étuve, le nombre des microbes n’augmente pas. Nous ne 
pouvons donc pas considérer ces formes extracellulaires comme 
un commencement de culture: il ne s’agit que de microbes mis 
en liberté par un certain nombre de leucocytes qui se sont 
détruits. Ensemencés sur le sérum coagulé ou dans le bouillon 
peptonisé, après 24 heures et même 48 heures de séjour à . 


198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’étuve, ces microbes donnent une culture ; par conséquent, au 
moins un certain nombre d’entre eux sont encore vivants. 

Nous avons d'autre part constaté qu'ils peuvent très bien se 
développer dans les gouttes préparées avec des exsudalts retirés 
pendant les 2 premières heures après l’injection, exsudats 
encore relativement pauvres en cellules. 

Ilest donc logique de conclure que c’est la présence d’une 
quantité considérable de cellules et de produits mis en liberté 
par la destruction d’un certain nombre d’entre elles qui empêche 
le développement des microbes. 

Dans le cas du bacille diphtérique sous la peau des animaux 
hypervaccinés, il est vraiment surprenant de constater la rapidité 
avec laquelle la leucocytose et la phagocytose s'effectuent. 

Les cellules, comme nous l'avons vu, commencent à appa- 
raitre très peu de temps après l'injection, et la phagocytose 
commencée aussitôt est complète au bout de 6 heures ; on trouve 
encore à ce moment un nombre de cellules deux ou trois fois 
plus grand qu'il n'aurait fallu pour englober les microbes injec- 
tés, et la plupart restent par conséquent vides. 

Pour étudier ce phénomène de plus près, dans une expé- 
rience, nous avons injecté 1/2 c. c. de culture sous la peau de 
l'oreille de notre cheval, et au bout d’une heure nous avons coupé 
le morceau d'oreille correspondant qui, convenablement fixé et 
durci, nous a servi à faire des coupes que nous avons colorées 
au carmin aluné d’abord, et ensuite par la méthode de Gram. 

Sur les coupes, nous avons pu constater que les microbes 
restent localisés à l'endroit de l'injection, et qu’on ne les retrouve ni 
dans les capillaires ni dans les vaissaux lymphatiques qui se 
trouvent tout autour ; à travers Les petites veines, les capillaires 
sanguins etles lymphatiques, s'effectue une diapédèse de globules 
blancs très intense; les lymphatiques spécialement sont telle- 
ment remplis de globules blancs qu’ils présentent l’aspect de 
vrais cordons cellulaires. Nous avons en outre pu constater que 
cette diapédèse, contrairement aux affirmations de la plupart 
des auteurs, s’effectue aussi à travers les petites artères. Sur 
une série de coupes, nous avons pu suivre une artér'ole avec 
ses trois tuniques bien développées ; elle se trouvait située 
presque à égale distance entre le cartilage de l'oreille et le foyer 
* microbien ; la moitié de l’artériole qui se trouvait vers le carti- 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 199 


lage était remplie de globules rouges; l’autre moitié qui se trou- 
vait du côté des microbes était complètement remplie de leuco- 
cytes qui,.en grande quantité, se trouvaient faufilés le long des 
fibres musculaires de la tunique moyenne, et avaient déjà traver- 
sés en partie la tunique externe. Guidés par leur sensibilité chi- 
mio-tactique, ils ne se trompent pas et se portent là où ils sont 
appelés à accomplir leur fonction. 


k 
* * 

RECHERCHES SUR LE VIBRION CHOLÉRIQUE. — Le cheval dont nous 
nous sommes servi pour étudier la destruction du vibrion cho- 
lérique dans le tissu sous-cutané était en voie de vaccination 
depuis 14 mois, et il avait reçu en 37 injections 189 cultures sur 
gélose de vibrions vivants très virulents de la Prusse orientale, en 
partie sous la peau, en partie dans le péritoine. Au moment de 
nos expériences, il donnait un sérum capable, à la dose de 1/20 de 
millig., de préserver un cobaye de 250 gr. contre l'injection d’une 
dose de vibrions trois fois mortelle pour un cobaye témoin ; 
1/50 de millig. de ce même sérum provoquait l’agglutination de 
1/10 de culture de 24 heures, de vibrions sur gélose, diluée dans 
1 c. c. d’eau physiologique stérile. 

La destruction des vibrions sous la peau des cobayes neufs, 
activement et passivement immunisés, a été déjà l’objet de recher- 
ches très nombreuses, et nos expériences nous ont permis de 
confirmer l'exactitude des conclusions auxquelles sont arrivés 
à ce propos M. Cantacuzène ‘, M. Metchnikoff * et M. Mesnil *, 

A la suite d’une injection de vibrions vivants sous la peau 
de notre cheval hypervacciné, jamais nous n'avons pu constater 
leur transformation en boules en dehors des cellules. Si l’on suit 
pour ainsi dire minute par minute ce qui se passe depuis le 
moment de l'injection jusqu'au moment de la disparition com- 
plète de toute réaction locale, voici ce qu'on peut observer. 
Presque immédiatement après l'injection, immobilisation des 
vibrions, qui est complète au bout d’une demi-heure ; puis après 
ce laps de temps, apparition des leucocytes dont le nombre va 


4. Canracuzexe. Recherches sur le mode de destruction du vibrion cholérique. 
Paris, Steinheil, 4894. 

2. Ces Annales, loc. cit. 

3. Ces Annales, loc, cit. 


200 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


en augmentant graduellement ; dès lors, la phagocytose com- 
mence et se poursuit activement. Au bout de dix à douze heures, 
tous les microbes sont dans l’intérieur des cellules. Dans les 
premières cellules qui apparaissent, on remarque quelques lym- 
phocytes; bientôt, on ne trouve plus que des mononucléaires et 
des polynucléaires. 

Les vibrions englobés par les polynucléaires se transforment en 
boules très rapidement, et au bout de 5 à 6 heures tous ont subi 
celte transformation ; les vibrions englobés par les mononucléaires 
ne se transforment jamais en boules, et mème 24 et 36 heures 
après l'injection, on retrouve dans leur intérieur des vibrions 
ayant conservé leur forme. C’est là un fait nouveau que j'ai pu 
vérifier dans toutes mes expériences. 

Comme pour la diphtérie, à chaque prise d’exsudat, nous 
avons fait des ensemencements sur les milieux de culture ordi- 
naires (eau peptonisée, gélose) ; en même temps, nous mettions 
à l’étuve, en chambre humide, des gouttelettes d’exsudat. Tous 
les ensemencements faits avec des prises d’exsudat dans les 
48 premières heures qui ont suivi le moment de l'injection ont 
toujours donné des résultats positifs. Après 48 heures, l’exsudat 
ensemencé ne donne plus de culture. Les gouttes suspendues 
préparées avec des exsudats prélevés dans les six premières 
heures donnent toujours au bout de 24 heures des cuitures abon- 
dantes : cependant si, en retirant l’exsudat, on détermine une 
petite hémorragie dans les gouttes préparées avec de l’exsudat 
renfermant du sang, on observe la transformation rapide en 
boules de microbes encore libres, et les gouttes restent stériles. 

Si, dans les gouttes préparées avec des exsudats ne renfer- 
mant pas de sang, on suit attentivement au microscope le déve- 
loppement des microbes, on voit que les vibrions contenus dans 
les polynucléaires et transformés en boules ne se développent 
jamais, et que les cultures proviennent exclusivement des 
vibrions libres où contenus dans l’intérieur des mononucléaires. 

Les gouttes, préparées avec des exsudats retirés à partir de 
la dixième heure après l'injection, restent en général stériles. 
Exceptionnellement on voit des vibrions ayant conservé leur 
forme se développer encore dans l’intérieur des mononucléaires ; 
mais la culture s'arrête là. Dans les gouttes qui restent stériles, 
les vibrions périssent assez rapidement, et déjà après 20-24 heures 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 201 


de séjour à 37°, leur ensemencement sur la gélose et même dans 
l’eau peptonisée ne donne pas de culture. 

Le liquide d'ædème qui se forme pendant les premières heures 
qui suivent l'injection et qu’on peut retirer facilement pur, 
c’est-à-dire sans microbes ni cellules, possède des propriétés 
spéciales. Mélangé in vitro à une émulsion de vibrions, cet 
œdème les agglutine très rapidement, mais il est incapable à lui 
tout seul de les transformer en boules. Une trace de vibrions 
ensemencée dans une gouttelette de ce liquide s’y développe 
abondamment : les microbes poussent réunis en amas. Latrans- 
formation en boules dans le liquide d’œdème peut cependant 
être obtenue si l’on ajoute, au mélange des vibrions et du liquide 
d'œdème, une trace de sang ou de sérum du même animal ou 
d'un animal neuf, même d'espèce différente. 

Ces mêmes propriétés avaient été reconnues par M. Metchni- 
koff' et par M. Bordet* dans l’œdème passif provoqué, par 
ralentissement de la circulation, chez les lapins et les cobayes 
vaccinés. 

Nous pouvons donc conclure que, contrairement à l'opinion 
de M. Pfeiffer, 4 transformation en boules et la destruction des 
vibrions injectés sous la peau des animaux hypervaccinés s'opère dans 
l’intérieur des leucocytes ; et que dans le cas de l'injection sous- 
cutanée la transformation en boules des vibrions a lieu seulement 
dans l'intérieur des leucocytes polynucléaires. 


RECHERCHES SUR LE STREPTOCOQUE. —- Pour le bacille diphtérique 
et le vibrion cholérique, les phénomènes qui suivent l'injection 
de ces microbes dans le tissu sous-cutané des animaux respec- 
tivement hypervaccinés sont relativement assez simples, se 
succèdent rapidement et avec une grande régularité. Pour le 
streptocoque, l'étude est plus délicate, les phénomènes appa- 
raissent plus complexes, et seule une observation minutieuse et 
suivie permet de les interpréter. 

Nous avons employé pour nos recherches un échantillon de 
streptocoque très virulent, obligeamment mis à notre disposition 


4. Ces Annales, loc. cit. 
2, Ces Annales, loc. cit. 


202 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


par M. Marmorek. A la dose de 1/100,000 c. ce. de culture de 
24 heures dans le milieu bouillon-ascite, ce microbe tuait sûre- 
ment, par injection sous-cutanée, un lapin de 2 kgr. en 20- 
26 heures. Le cheval, sur lequel nos expériences ont été faites, 
avait reçu pendant 26 mois et en 38 injections 4,825 c. c. de 
culture vivante du même microbe ; son sérum, à la dose de 1 c. c., 
était capable de préserver un lapin contre l'injection d’une quan- 
té de microbes 100 fois mortelle -pour un lapin neuf de la 
même taille ; il était, en plus, légèrement antitoxique. 

Quand on songe aux difficultés que présente la vaccina- 
tion des animaux contre le streptocoque, on doit reconnaître 
que ce cheval était arrivé à un des plus hauts degrés d’immu- 
nité atteints jusqu’à présent, et il se trouvait relativement dans 
les conditions les meilleures pour nos recherches. 

La réaction locale, qui se manifeste à la suite d'une injection 
sous-cutanée de 2 c. c. de culture de 24 heures, est beaucoup 
plus intense et beaucoup plus prolongée que celle que nous 
observions dans le cas du bacille diphtérique et du vibrion cho- 
lérique. L’œdème au point d’inoculation, déjà considérable au 
bout de 2-4 heures, va en augmentant pendant toute la première 
journée. A partir de ce moment, il diminue graduellement et 
lentement jusqu’à ce qu'il ne reste plus, 50-60 heures après 
l'injection, qu'un point empâté simulant un petit abcès, mais 
qui, cependant, n’aboutit pas à une vraie suppuration. Au bout 
de 8-10 jours seulement, toute réaction locale a disparu. 

Pendant les 6-8 premières heures qui suivent l'injection, les 
microbes restent libres dans l’exsudat, sous forme d'articles 
isolés, de diplocoques ou de courtes chaïînettes. Les rares leuco- 
cytes qu'on trouve à ce moment ne renferment qu'exception- 
nellement des microbes. Mais la réaction cellulaire, lente à 
débuter, marche ensuite avec rapidité dans les heures qui 
suivent, et 10-14 heures après l’inoculation, la quantité de cellules 
est déjà très considérable ; les mononucléaires sont proporlionnel- 
lement plus nombreux que les polynucléaires. Malgré la présence 
de cellules en grande quantité, la plupart des microbes sont 
encore libres; ceux qui sont englobés se trouvent surtout dans 
l'intérieur des mononucléaires. C’est seulement 20-24 heures 
après l'injection que la phagocytose peut être considérée comme 
complète et c’est alors que l’œdème commence à diminuer. 


4 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 203 


Le nombre de phagocytes, à ce moment, est beaucoup plus 
considérable que celui qui est nécessaire à l’englobement total 
des microbes ; les mononucléaires sont toujours plus nombreux 
et englobent la presque totalité des microbes : quelques poly- 
nucléaires renferment aussi des microbes, mais la plupart sont 
vides. 

Ce qui frappe, c’est la quantité de microbes contenus dans 
l'intérieur de chaque mononucléaire. Il y en a qui en sont com- 
plètement remplis; les microbes forment une masse centrale 
dans une sorte de grosse vacuole; le protoplasma et le noyau de 
la cellule, qui a doublé de volume, sont refoulés à la périphé- 
rie. Les polynucléaires qui renferment des microbes n'en ont 
absorbé que quelques-uns, et leur aspect reste le même. Mais, 
après cette première période de phagocytose qui est, autant qu’on 
peut l’affirmer, complète, au bout de 30-36 heures après l’injec- 
tion, on constate de nouveau l'apparition d’un nombre assez 
considérable de microbes libres, en partie uniformément répandus 
dans l’exsudat en articles isolés, en diplocoques ou en courtes 
chainettes, en partie réunis en petits amas et entourés d’une 
zone protoplasmique. On constate en même temps que les pha- 
gocytes mononucléaires, renfermant des microbes, ont considé- 
rablement diminué comme nombre, et que beaucoup d’entre eux 
sont en voie de désagrégation. Dans la suite, les mononucléaires 
deviennent de plus en plus rares, et on n’en rencontre qu'excep- 
tionnellement dans les exsudats retirés à partir du troisième ou 
quatrième jour. Le nombre des phagocytes polynucléaires, au 
contraire, augmente toujours considérablement. Au bout d’un 
certain temps, leur fonction phagocytaire se manifeste avec 
activité; ils s'emparent assez rapidement des microbes libres et 
c’est seulement dans leur intérieur qu’on peut encore les voir, 
même 5-6 jours après l'injection. 

Au moment où toute réaction locale va cesser et où l’exsudat 
va disparaître complètement, on voit réapparaitre des leucocytes 
mononucléaires en assez grande proportion; ce sont de véritables 
macrophages qui viennent pour englober les débris des cellules 
détruites. Mais, à ce moment, dans aucune espèce de phagocytes, 
on ne trouve plus de microbes, et les ensemencements restent 
parfaitement stériles. 

Ce qu'il y a de certain, c’est que la destruction du strepto- 


204 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


coque s'opère d'une façon très lente. Des exsudats retirés au 
bout de cinq ou six jours donnent encore des cultures, bien 
que, à l'examen direct, on ne trouve plus que de rares granula- 
tions microbiennes dans l’intérieur des polynucléaires. Ces gra- 
nulations, en général, prennent très mal la couleur, mais 
jusqu’au dernier moment conservent la propriété de se colorer 
d'après la méthode de Gram. 

De ce que nous venons de dire, ressort encore une différence 
remarquable entre le mécanisme de la destruction du strepto- 
coque et celui du bacille diphtérique et du vibrion cholérique 
dans le tissu sous-cutané des animaux hypervaccinés. Pour ces 
deux derniers, une fois la phagocytose complète, leur destruc- 
tion s'opère de la façon bien connue dans l’intérieur des cellules. 
Pour le streptocoque au contraire, nous voyons une première 
phase pendant laquelle il y a englobement de la totalité des 
microbes, puis une seconde phase avec de nouveau une quantité 
assez considérable de microbes libres. Ces microbes ne paraissent 
pas sensiblement altérés : ils se colorent bien par le bleu de 
Kühne et par la méthode de Gram ; une trace d’exsudat ense- 
mencée sur le milieu de Marmorek ou sur la gélose donne au 
bout de 24 heures une culture abondante ; une goutte du même 
exsudat placée en chambre humide, à l’étuve à 37°, reste 
stérile. Dans la suite, le nombre de microbes libres diminue 
très rapidement, tandis que le nombre de cellules renfermant des 
microbes augmente toujours. 

Comment expliquer la réapparition des microbes libres après 
une phagocytose complète ? 

L'étude des préparations faites à chaque prise d'exsudat nous 
avait montré un changement des caractères de l’exsudat coïnci- 
dant avec la réapparition de microbes libres. À ce moment en 
effet, comme nous l’avons déjà dit, le nombre des mononu- 
cléaires, très nombreux au début, a considérablement diminué; 
et beaucoup d’entre eux sont en voie de désagrégation et 
finissent bientôt par disparaître complètement de l’exsudat : 
dans la suite, c’est seulement dans l’intérieur des polynucléaires 
qu'on rencontre des microbes. On pouvait done admettre que 
les mononucléaires qui arrivent immédiatement après l’injection 
et qui manifestent dès le début une si grande aptitude à 
englober les microbes étaient par la suite incapables de les 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 205 


détruire, et, en se détruisant eux-mêmes, mettaient en liberté 
les microbes contenus dans leur intérieur. 

À l'appui de cette façon de voir, on pouvait invoquer la 
seconde phase de la phagocytose, ressemblant par sa rapidité à 
une véritable crise, phase dans laquelle la phagocytose complète 
et définitive était dévolue aux polynucléaires seuls. 

Pour vérifier cette interprétation, nous n'avons pas voulu 
nous en rapporter simplement aux préparations de l’exsudat 
étalé sur des lames, mais nous avons voulu étudier sur des 
coupes, après fixation, l'endroit d'inoculation au moment de la 
réapparition des microbes libres. Nous avons fait nos expé- 
riences sur des lapins. Nous leur inoculions un jour sous la peau 
10 c. c. d'un sérum anti-strepltococcique dont 1 c.c. était capable 
de protéger un lapin contre une dose cent fois mortelle des 
microbes vivants; puis le lendemain nous leur injections sous 
la peau de l'oreille 0,1 ou 0,2 c. c. d’un streptocoque capable de 
tuer un lapin neuf, de la même taille, à la dose de 1,100,000 de c. c. 
Par des prises successives de l’exsudat au point d’inoculation, 
nous avons pu constater que, chez les lapins vaccinés dans ces 
conditions, les phénomènes de la destruction des microbes se 
succédaient identiques à ceux que nous avions observés chez 
le cheval. La phagocytose des microbes injectés paraissait 
complète, au bout de 16 à 18 heures, et c'étaient loujours des 
mononucléaires qui arrivaient dès le début en proportion plus 
considérable que les polynucléaires, et qui englobaient les 
microbes très activement. Puis, à cette première période, en 
succédait une autre dans laquelle un certain nombre des 
microbes redevenaient libres pendant que les mononucléaires 
renfermant des microbes étaient diminués comme nombre et en 
grande partie détruits. À ce moment-là, nous enlevions le mor- 
ceau d'oreille correspondant au point d’inoculation qui, après 
fixation au sublimé acétique et durcissement, nous servait à 
faire des coupes que nous colorions au carmin aluné, puis par 
la méthode de Gram. 

Ces coupes nous montraient au centre une masse nécrotique 
dans laquelle on pouvait encore distinguer des leucocytes 
mononucléaires en voie de destruction, une grande quantité 
des microbes libres, et enfin, çà et là, quelques polynucléaires 
bien conservés et renfermant des microbes. Tout autour de 


206 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ce foyer nécrotique, une abondante infiltration cellulaire, 
constituée presque exclusivement par des polynucléaires. Cette 
infiltration s'étend très loin du point d'inoculation; les leuco- 
cytes qui se trouvent dans le voisinage de la masse nécrotique 
sont absolument gorgés de microhes ; à mesure qu’on s'éloigne 
de ce foyer, le nombre des cellules renfermant des microbes 
diminue jusqu’au moment où on ne trouve que des cellules 
vides. La démonstration ne nous semble pas pouvoir être plus 
complète. 

La destruction du streptocoque dans le tissu sous-cutané des ani- 
Maur achivement où passivement hypervaccinés comprend donc trois 
phases bien distinctes. Une première phase dans laquelle les mono- 
nucléaires semblent à eux seuls absorber la presque totalité des 
microbes : une seconde phase dans laquelle il y a destruction des 
mononucléaires et réapparition de microbes libres, el enfin une 
dernière phase dans laquelle les polynucléaires englobent les microbes 
redevenus libres et en assurent la destruction définitive. 

Lu 

Pour l’étude de la destruction du bacille diphtérique nous 
avons employé un cheval hypervacciné contre la toxine diphté- 
rique et qui donnait un sérum doué d’un pouvoir antitoxique 
très fort. Pour le vibrion cholérique, nous avons employé 
un cheval fortement immunisé contre les microbes vivants; 
son sérum, doué d’un pouvoir antiinfectieux très fort, se 
montrait complètement dépourvu de tout pouvoir antitoxique. 
Pour le streptocoque enfin, le cheval qui nous a servi était 
vacciné contre les microbes vivants, et son sérum était fortement 
préventif et un peu antitoxique. 

Nos recherches nous ont démontré tout d’abord que, au point 
de vue général de la destruction des microbes sous la peau 
des animaux hypervaccinés, il n’y a pas de différences essen- 
lielles dans le cas de l’immunité antitoxique et de l’immunité 
antinfectieuse ; dans tous les cas, nous avons vu en effet que 
l'organisme arrive à se débarrasser des microbes, grâce à l’acti- 
vité des leucocytes qui les englobent, les tuent et les détruisent. 

Nous avons aussi pu constater que, dans le tissu sous-cutané 
des animaux hypervaccinés, les leucocytes doués de propriétés phago- 
Cylaires n'interviennent pas tous dans la même proportion et 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS. 207 


n'agissent pas de la même façon sur les microbes qu'ils ont englobés. 

Pour les microbes que nous avons étudiés, ce sont surtout 
les leucocytes polynucléaires qui se sont montrés doués des 
propriétés bactéricides les plus énergiques. Dans le cas de la diph- 
térie, en effet, les leucocytes mononucléaires n'interviennent 
presque pas. Les vibrions cholériques englobés par les polynu- 
cléaires sont aussitôt transformés en boules et périssent rapide- 
ment ; les vibrions englobés par les mononucléaires, au contraire, 
conservent constamment leur forme et périssent plus len- 
tement. Dans le cas du streptocoque, les mononucléaires 
arrivent dès le début en très grand nombre et phagocytent la 
plupart des microbes, mais ensuite en grande partie au moins 
périssent et se désagrègent ; les streptocoques, mis en liberté 
par la destruction des mononucléaires, sontde nouveaux phago- 
cytés par les polynucléaires, et c’est dans l’intérieur de ceux-ci 
qu'ils sont tués et digérés. 

De l’ensemble des faits que nous venons d'exposer, résulte 
encore que,à aucun momentavant d’être englobés,les microbes ne 
présentent de changement appréciable ni dans leur forme ni 
dans leur aspect général; inutile d'insister sur ce fait, depuis 
longtemps démontré et qui résulte aussi nettement que possible 
de l'exposition détaillée que nous venons de faire de nos expé- 
riences sur les animaux hypervaccinés, que les microbes sont 
englobés à l’état vivant. 

Un point très délicat et encore discuté, même par un cer- 
{ain nombre des partisans convaincus de la théorie cellu- 
laire de l'immunité, c’est de savoir si les microbes injectés à 
un auimal immunisé perdent leur virulence par l’action directe 
des humeurs avant d'être phagocytés. 

Nous avons fait des recherches à ce sujet, et voici ce que 
nous avons pu constater. Pour le bacille diphtérique et le vibrion 
cholérique, l’inoculation directe chez les cobayes (sous la peau 
pour la diphtérie, dans le péritoine pour le vibrion) de quelques 
gouttes d’exsudat retiré même très peu de temps après l'injection 
(1-2 heures) n’a jamais déterminé un état de maladie appréciable; 
il n'y à rien d'étonnant à cela, d'abord parce que l'exsudat 
renfermait une quantité trop petite de microbes qui n’agissent 
qu’à des doses relativement assez fortes (1/10 de culture sur 
bouillon pour la diphtérie, 1/30 de culture sur gélose pour le 


208 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


vibrion que nous employions), et puis parce que, ayant affaire 
à des animaux très fortement immunisés et qui donnaient 
des sérums actifs à des doses très petites (quelques fractions” 
de m.m.gr.), nous injections avec l’exsudat des quantités de 
substances, antitoxiques pour la diphtérie, préventives pour le 
choléra, capables de les préserver contre des doses plusieurs 
fois mortelles de virus. 

Dans le cas du streptocoque, au contraire, nous avions affaire 
d’abord à un microbe extrêmement virulent, et puis à un cheval 
qui donnait un sérum beaucoup moins actif. 

Pendant les premières 16-18 heures qui suivent l'injection, 
le sireptocoque conserve dans le tissu sous-cutané du cheval 
immunisé toute sa virulence : l’exsudat, à la dose de 1-2 
gouttes, tue par injection sous-cutanée un lapin dans l’espace de 
24-36 heures, ce qui représente à peu près le laps de temps né- 
cessaire pour Luer un lapin de la même taille avec une dose mor- 
telle d’une culture du même microbe. L’exsudat retiré au bout 
de 24-30 heures, au moment où la phagocytose des mononu- 
cléaires est, autant qu’on peut l’affirmer, complète et au moment 
de la réapparition des microbes libres, est encore capable de 
tuer un lapin dans l’espace de deux à trois jours, avec généra- 
lisation des microbes dans le sang. 

La plupart des lapins injectés avec des exsudats retirés à 
partir de la 36° heure après l'injection résistent; 1l y en a pour- 
tant qui meurent au hout de 9-12 elmème 14 jours, cachectiques 
et sans microbes, ni au point d’inoculation, ni dans le sang, ni 
dans la rate. 

Pour le streptocoque, nous pouvons donc conclure que, tant 
qu’il existe des microbes libres daus l’exsudat sous-cutané, 
il n’est pas possible de voir une modification appréciable dans 
la virulence des microbes injectés, et que même les microbes 
englobés pendant la première phase phagocylaire sont tou- 
jours capables de donner l'infection mortelle. 


* 


+ + 


Pendant nos recherches, nous avons eu l'occasion d'observer 
encore un fait assez intéressant et qui mérite d’être signalé. 

On sait depuis longtemps que certains microbes peuvent, 
dès qu’ils se trouvent dans l’intérieur des phagocytes, changer 


MICROBES CHEZ LES ANIMAUX HYPERVACCINÉS, 209 


leur réaction vis-à-vis des matières colorantes et, au lieu de 
prendre les couleurs basiques, ils peuvent fixer une couleur acide, 
l'éosine par exemple. 

M. Metchnikoff, le premier, l’a constaté pour le vibrion cholé- 
rique, puis M. Cantacuzène pour le vibrio Metchnikowi, M. Mesnil 
pour la bactéridie charbonneuse chez le lézard, M. Marchoux pour 
le même microbe chez les lapins immunisés, M. Bordet pour 
le bacille diphtérique, le streptocoque, le proteus vulgaris dans l'in- 
térieur des leucocytes du cobaye. 

J'ai voulu rechercher si le bacille diphtérique, le vibrion 
cholérique et le streptocoque dans les leucocytes du cheval 
devenaient aussi éosinophiles, et à chaque prise d’exsudat j'ai 
traité un certain nombre de préparations avec la méthode bien 
connue de la double coloration à l’éosine-bleu de méthylène, 
après fixation dans la solution aqueuse concentrée d’acide 
picrique. À aucun moment, pas même dans les préparations 
faites avec des vieux exsudats retirés au bout de 48-60 heures, 
nous n'avons pu constater ce changement de réaction des mi- 
crobes contenus dans l’intérieur des cellules. 

Les animaux chez lesquels on a décrit ce changement ont des 
leucocytes à granulations pseudo-éosinophiles : or, chez lecheval, 
on ne rencontre jamais des leucocytes à granulations pseudo- 
éosinophiles, mais on rencontre, comme M. Ebrlich l’a indiqué, 
des leucocytes à granulations neutrophiles. 

Nous avons traité des préparations avec le mélange neu- 
trophile d’'Ehrlich, et nous avons pu constater qu'un certain 
nombre des microbes qui se trouvent à l'intérieur des cel- 
lules finissent par prendre la couleur des granulations neu- 
trophiles. Dans les vieux exsudats, quand on ne trouve plus 
trace de microbes, la presque totalité des leucocytes renferme 
des granulations neutrophiles. La proportion de ces cellules a 
donc nettement augmenté. 

C’est un fait assez intéressant, non seulement au point de vue 
général de l’origine de certaines granulations qu’on peut ren- 
contrer dans les leucocytes, mais au point de vue général de la 
digestion intra-cellulaire des bactéries. 


14 


ACTION DE LA TONINE DIPHTÉRIQUE SUR LES MUQUEUSES 


Par MM. V. MORAX #r M. ELMASSIAN,. 


(Travail du laboratoire de M. Roux à l’Institut Pasteur.) 


Dans leurs remarquables recherches sur la toxine diphtérique, 
MM. Roux et Yersin se sont plus particulièrement occupés de 
déterminer les effels généraux produits par cette substance. 
Cependant ils avaient vu que, lorsque l’on injecte dans le tissu 
cellulaire la toxine diphtérique fixée au précipité de phosphate 
de chaux, il se produit au siège de l’inoculation des lésions 
plus intenses que celles qui suivent l'injection de toxine filtrée. 
« L’æœdème est plus hémorragique, les vaisseaux plus dilatés; 
il semble que le poison, diffusant plus lentement, produise une 
action plus intense. Les grains de phosphate de chaux sont 
emprisonnés dans un réseau de fibrine mêlé de globules blancs, 
véritable fausse membrane quirappelle celle que cause l'injection 
du microbe lui-même ‘ ». 

Malgré cette expérience qui montrait le rôle de la toxine dans 
la production de la fausse membrane, on admettait généralement 
que, pour réaliser expérimentalement des lésions pseudo- 
membraneuses chez les animaux, il était nécessaire d’inoculer 
sur des muqueuses, préalablement lésées, des cultures vivantes 
de bacilles diphtériques. 

MM. Roger et Bayeux * s’élevèrent contre cette conception 
en se basant sur les résultats obtenus par l'injection intra-tra- 
chéale de toxine diphtérique chez le lapin. Sur les onze 
lapins de leurs expériences, trois moururent d'intoxication, dans 
un délai de 24 heures à 4 jours, sans présenter de lésions locales ; 


4. Roux gr Yersin, Contribution à l'étude de la diphtérie. Annales de l'Institut 
Pasteur, avril 1889, p. 285. 
2. RoGer Er Bayeux, Sur le rôle de la toxine diphtérique dans la formation des 


fausses membranes. Comptes rendus de la Société de biologie. Séance du 
43 mars 1897, p. 265. 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 211 


chez six autres animaux, ils ont constaté, par contre, la pré- 
sence de fausses membranes glottiques ou trachéales. Les fausses 
membranes laryngées déterminèrent chez quelques-uns d’entre 
eux un obstacle à la respiration et réalisaient ainsi, dans une 
certaine mesure, l’image de la diphtérie laryngée. De ces expé- 
riences, ils concluent qu’on peut produire des fausses membranes 
au moyen de la toxine diphtérique sans léser au préalable les 
muqueuses. 

Dans un travail commencé peu après la publication de 
ces résultats, M. le D' H. Coppez' étudie les lésions produites 
par l’instillation de la toxine diphtérique sur les membranes 
oculaires, dans le but de déterminer la pathogénie des lésions 
cornéennes de la diphtérie. N'ayant pas obtenu de lésions par la 
seule inslillation, sans traumatisme ou sans altération préalable 
de la cornée ou de la conjonctive, alors que ces lésions appa- 
raissaient lorsque la cornée était lésée, il en conclut que si la 
toxine estla cause des altérations cornéennes, celles-ci ne peuvent 
se produire lorsque l'épithélium cornéen est intact. 

Il nous a paru intéressant de reprendre ces expériences pour 
déterminer exactement la part de vérité contenue dans ces deux 
conclusions en apparence opposées. 

La toxine diphtérique, qui nous a servi dans toutes nos expé- 
riences, nous à été obligeamment fournie par M. Martin. Cette 
toxine, identique à celle qui a servi aux expériences de MM. Roger 
et Bayeux, tuait le cobaye de 500 grammes à la dose de + ec. c. 
et le lapin de 2 kilogrammes à la dose de + c. c. par injection 
sous-cutanée. 

Nous avons tenté tout d’abord de répéter les expériences de 
Roger et Bayeux sur le lapin ; malheureusement ces savants ne 
donnent pas d'indications détaillées sur le manuel opératoire de 
leur injection intra-trachéale, L'injection de toxine pratiquée avec 
une canule introduite dans le larynx par la voie buccale est impos- 
sible si l’on veut éviter de blesser la muqueuse laryngée. Le 
frottement, même léger, de la canule sur la muqueuse peut 
provoquer une érosion épithéliale qui modifie considérablement 
les conditions d'absorption de la toxine. Pour nous mettre à l'abri 


1. H. Correz, Des altérations cornéennes dans la diphtérie de l'œil et du trai- 
tement local par le sérum. Revue générale d'ophthalmologie, 1897. No 5, p. 197, 


242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de cette cause d’erreur, nous avons choisi l'injection intra-tra- 
chéale après l’incision de la peau du cou. La trachée est mise à 
nu et, à l’aide d’une fine aiguille introduite entre deux anneaux 
cartilagineux, on peut injecter le liquide dans la trachée, en rédui- 
sant le traumatisme au minimum, et en déposant la toxine 
à distance du point lésé de la muqueuse. 

Deux lapins ont été inoculés de cette manière. L’un d’eux 
ne présenta aucune lésion pseudo-membraneuse locale; chez 
l’autre, par contre, il existait une petite fausse membrane limitée 
au point de pénétration de l'aiguille. 

Expérience I. — Lapin de 1,870 grammes. Le 23 juin 1897, injection 
intra-trachéale de 0,6 ce. c. d’une dilution au 1/5 de la toxine; aucun 
trouble les jours suivants. Le lapin est sacrifié le 26 juin. Autopsie : pas de 
lésions trachéales, un noyau de congestion et d’œdème dans le poumon 
droit. 

Expérience II. — Lapin de 1,940 grammes. Le 23 juin 1897. Injection 
. intra-trachéale de 0,25 c. c. d’une dilution au 1/5 de toxine diphtérique. 

Mort spontanée le 26 juin, sans trouble respiratoire apparent. Autopsie : 
une petite fausse membrane adhérente au point correspondant à la péné- 
tration de l’aiguille et de la dimension d’une lentille. Congestion et œdème 
du lobe pulmonaire droit. 


Le léger traumatisme causé par l’aiguille de la seringue 
paraissait avoir nettement favorisé la production pseudo-mem- 
braneuse. Du reste, l’intensité des lésions pulmonaires démon- 
trait clairement que l'absorption de la plus grande partie de la 
toxine s’était faite au niveau des bronches et des alvéoles pul- 
monaires. Pour éviter toutes lésions traumatiques de la couche 
épithéliale et pour obtenir un contact plus prolongé de la toxine 
avec la muqueuse, nous avons, alors, expérimenté sur le pigeon 
dont le larynx est facilement accessible. Par la simple ouverture 
du bec, il est facile de faire tomber goutte à goutte la quantité 
de toxine désirée sur les parois du larynx et de la trachée. Là 
encore, nos essais ont donné des résultats absolument négatifs, 
au point de vue de la production des lésions locales. Nous n’en 
avons cependant pas conclu que ces lésions n'étaient pas réali- 
sables, et nous avons cherché à nous rapprocher autant que pos- 
sible des conditions dans lesquelles se produit l'absorption de 
la toxine sur les muqueuses atteintes d’inflammation diphté- 
rique. Là, en effet, on peut admettre que l'absorption est lente 
el continue, 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 243 


La muqueuse oculaire nous a paru beaucoup plus apte à la 
réalisation expérimentale de ces conditions que la muqueuse 
respiratoire, c'est, en définitive, à l'étude des lésions produites 
par l’absorption de la toxine dans le sac conjonctival que nos 
recherches se sont limitées. Ainsi que nous l’avons dit, Coppez 
déclare que l'instillation de toxine diphtérique dans l’œil non 
traumatisé du lapin ne provoque aucune réaction locale ou 
générale. Mais, dans son unique expérience, Coppez se con- 
tente d’instiller une goutte d'heure en heure. Dans ces condi- 
tions, la quantité de toxine mise en contact avec la conjonctive 
ou la cornée est excessivement faible, d'autant qu'elle est en 
grande partie balayée par la sécrétion lacrymale. Pour obtenir 
une absorption continue, nous avons pensé tout d'abord à 
incorporer la toxine à de petits disques de gélose, introduits 
entre les paupières et le globe oculaire, et laissés en contact 
pendant un temps variable. Dans ces conditions, on voit se 
développer, après 36 heures, des lésions pseudo-membraneuses 
des plus nettes. Mais nous nous sommes vite aperçus que, 
malgré le frottement minime qui résultait de la présence de ce 
disque de gélose, il se produisait néanmoins des lésions épithé- 
liales de la conjonctive et de la cornée qui, à elles seules, favo- 
risaient considérablement l'absorption de la toxine. Finalement, 
nous nous sommes arrêlés au procédé d’instillations fréquentes 
et prolongées qui nous a donné des résultats fort précis. 

Voici comment nous avons procédé : 2 c. c. de toxine diphté- 
rique sont étendus de 8 ce. c. de solution physiologique stéri- 
lisée de chlorure de sodium. Cette dilution au 1/5 est instillée à 
l’aide d’un compte-gouttes, de trois en trois minutes, dans l'œil 
d’un lapin. Il suffit pour cela de relever la paupière supérieure 
avec le doigt, en laissant tomber la goutte sur le bord supérieur 
de la cornée. Les instillations sont répétées pendant un mini- 
mum de 8 à 10 heures consécutives. On aura soin, avant de 
commencer les instillations, de couper les cils, de manière à 
éviter leur pénétration entre les paupières. De cette manière, 
on supprime tout traumatisme et, bien qu’une partie de la 
toxine passe sur la face cutanée de la paupière, ou s'écoule par 
les voies lacrymales, on réalise ainsile contact à peu près con- 
tinu de la toxine avec la muqueuse oculaire, et l’on peut suivre 
très exactement la marche du processus inflammatoire qui en 


214 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


résulte, en écartant toutes les causes étrangères à cette action. 

Pendant la durée des insüllations, la muqueuse oculaire 
reste sensiblement normale, et ce n’est guère que 10 heures” 
après le début des instillations qu’il se manifeste une très légère 
hyperémie conjonctivale, sans aucun trouble cornéen. Cette 
hyperémie s'accroît progressivement. Le lendemain matin, 
c’est-à-dire 24 heures après le début de l’instillation, les signes 
oculaires deviennent plus marqués. On constate déjà un cer- 
tain degré d’œdème palpébral; cet œdème est surtout appa- 
rent à la paupière supérieure. Celle-ci ne se relève qu’incom- 
plètement. Dans l’angle interne de la fente palpébrale, on 
remarque un peu de sécrétion jaunätre, formée par des leu- 
cocytes. 

La conjonctive tarsienne et bulbaire est injectée et œdè- 
maliée; la cornée ne présente encore aucun trouble; on voit 
parfois dans le cul-de-sac inférieur des concrétions purulentes 
qu'il ne faudrait pas prendre pour des fausses membranes. En 
effet, elles ne présentent aucune adhérence à la muqueuse sous- 
jacente, et un filet d’eau suffit pour les enlever. Cette conges- 
tion intense de la conjonctive augmente encore dans les 
24 heures qui suivent, et c’est le surlendemain seulement, 
48 heures après le début des insüllations, que le processus 
inflammatoire atteint son acmé. 

A ce moment, l’aspect de l’œil reproduit exactement l’aspect 
clinique de la conjonctivite diphtérique : le gonflement palpé- 
bral est considérable, la paupière supérieure œdématiée est en 
contact avec la paupière inférieure et ne peut se relever sponta- 
nément. De l’angle interne de la fente palpébrale s’écoule une 
sécrélion séro-purulente. Lorsqu'on écarte les paupières, on 
constate sur la muqueuse tarsienne une exsudation fibrineuse 
blanchâtre, continue, adhérente à la muqueuse, etne pouvant en 
être détachée sans suintement sanguin. Au niveau de la conjonc- 
tive bulbaire, l’exsudation pseudo-membraneuse est moins évi- 
dente, etsurtoutn’y forme pas unrevêtementcontinu ; le chémosis, 
par contre, y est très marqué. La cornée présente assez souvent, 
mais non d’une manière constante, des lésions d’un aspect assez 
particulier et qui se rapprochent de celles que l’on rencontre 
dans la diphtérie oculaire humaine. Ces lésions consistent en 
un trouble diffus et de coloration opaline. La cornée a perdu 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 215 


si 


son reflet normal, elle est dépolie et présente une surface légè- 
rement irrégulière. Ce trouble n’est pas uniformément réparti, il 
prédomine dans la moitié interne, ce qui s'explique par ce fait 
que cette partie de la cornée est en contact plus continu avec la 
toxine et que l’absorption y est par conséquent plus considérable. 

Le troisième jour, les lésions persistent au même degré, 
puis le gonflement diminue. Les fausses membranes se détachent, 
mais il persiste encore de l’œdème et de l'injection conjonctivale. 
Le trouble cornéen ne progresse plus. 

Le quatrième jour, on n’observe plus qu'un peu d'injection 
conjonctivale. Le trouble cornéen s’atténue à la périphérie. Les 
jours suivants, la cornée reprend progressivement sa transpa- 
rence normale et, après une quinzaine de jours, l’opacité cor- 
néenne a complètement disparu. 

Quant aux phénomènes généraux qui accompagnent les 
manifestations locales, ils sont peu apparents. L'étude de la 
courbe de température montre cependant une légère élévation 
thermique qui n’atteint jamais 1 degré, et qui ne s’observe que 
le jour de l’instillation et le lendemain. 

Lorsque l'animal ne meurt pas dans les 6 premiers jours, ce 
qui est assez fréquent, il subit une perte de poids très marquée, 
et il est rare que la mort par cachexie ne se produise pas dans 
les 15 jours ou 3 semaines qui suivent l'instillation. 

Lorsque la mort survenait dans les premiers jours, nous 
avons toujours eu soin d'examiner les fosses nasales et de recher- 
cher s’il existait des lésions congestives ou pseudo-membraneuses 
de la piluitaire, mais jamais nous n’en avons observé. 

C’est que la toxine qui s'écoule avec la sécrétion lacrymale 
dans les voies lacrymales et les fosses nasales est trop diluée 
pour provoquer une lésion locale. 

Nous aurons à revenir sur le rôle de la dilution dans [a 
production des lésions locales. | 

Nous avons POUR parallèlement l'étude histologique des 
lésions provoquées par la toxine. Pour suivre la marche des 
lésions, les yeux ont été énucléés 4 heures, 8 heures, 24 heures, 
36 heures et 48 heures après le début des instillations 


4. Dans une première série d'expériences, nous avons fixé les yeux dans une 
solution de formol à 10 0/0. Lorsque nous avons voulu mettre en évidence la 
fibrine, au moyen de la méthode de Weigert, nous nous sommes aperçu que, 


216 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Après 4 heures on ne constate aucune lésion des membranes 
oculaires. L’épithélium conserve ses caractères normaux, et il 
est impossible de constater une diapédèse ou une dilatation 
vasculaire plus marquée que dans l’œil non instillé. 

Ces modifications n'apparaissent guère d'une manière certaine 
qu'après 8 heures. On constate alors au niveau du cul-de-sac 
et au voisinage du limbe cornéen une infiltration cellulaire 
discrète. Les vaisseaux conjonctivaux sont un peu plus dilatés. 
Sous l'épithélium de la conjonctive tarsienne on trouve quel- 
ques rares leucocytes infiltrés. La cornée est absolument 
normale. 

Après 24 heures ces lésions sont plus accusées. L’infiltration 
leucocytaire est très manifeste, l’épithélium de la conjonctive 
tarsienne est disloqué. Cette infiltration cellulaire existe égale- 
ment au niveau du limbe cornéen. Elle y forme une nappe circu- 
laire au-dessous de la membrane de Bowmann. Cette infiltration 
s’avance à un millimètre environ dans la cornée. A son niveau 
l’épithélium forme encore une couche continue, mais les cellules 
superficielles sont un peu gonflées. 

Après 36 heures, on rencontre en certains points de la 
conjonctive tarsienne de petits exsudats, formés par une accumula- 
tion de leucocytes, et au niveau desquels l’épithélium a complè- 
tement disparu. Dans la profondeur de la muqueuse l'infiltration 
cellulaire et l’hyperémie sont des plus marquées. L'infiltration 
leucocytaire superficielle de la cornée est plus étendue, mais le 
revêlement épithélial est encore continu. 

Après 48 heures, l'exsudation pseudo-membraneuse auniveau 
de la conjonctive tarsienne est considérablement augmentée et 
forme un revêtement continu, plus épais au niveau de la région 
tarsienne qu’au niveau des culs-de-sac. L’épithélium n’y est plus 
reconnaissable. L'exsudat est formé par une accumulation de 
leucocytes polynucléaires et de globules enserrés sanguins dans 
un réseau de fibrine, que la méthode de Weigert met bien en 
évidence. Les vaisseaux sous-conjonctivaux sont fortement 
dilatés. Du côté de la cornée on constate une desquamation 
épithéliale limitée en général à un secteur de la cornée. L’infil- 


sous l’influence de ce fixateur, la fibrine perdait la propriété de se colorer par le 


violet de gentiane. Les yeux fixés avec de l’alcool nous ont donné, au contraire, 
des résultats trés nets. 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 217 


tration cellulaire superficielle est diffuse, mais elle est surtout 
marquée dans les parties dénudées d'épithélium. L’endothélium 
de Descemet ne présente pas d’altération manifeste. Dans la 
chambre antérieure on constate quelques leucocytes polynu- 
cléaires, mais on remarque surtout une exsudation fibrineuse 
prédominant dans les parties déclives et au niveau de l’angle 
irido-cornéen. 

Du côté de l'iris les modifications consistent uniquement en 
une dilatation vasculaire. 

En résumé, les modifications histologiques qui se dévelop- 
pent par suite de l'absorption de la toxine à la surface de la 
conjonctive non lésée, consistent dans une dilatation vasculaire 
avec réaclion leucocytaire, qui suit une évolution progressive à 
partir du moment où se fait l'instillation, mais qui n’atteint son 
maximum qu'après 48 heures. Pendant les 36 premières heures, 
les phénomènes histologiques réactionnels ne diffèrent en rien 
des phénomènes banaux. C’est à partir de ce moment seulement 
que l’on peut metirenettement en évidencel’exsudation fibrineuse. 
Cette exsudation se fait d’une part à la surface de la muqueuse, 
d'autre part dans la profondeur des tissus, ou dans la chambre 
antérieure de l’œil. Dans l'épaisseur de la muqueuse proprement 
dite, la méthode de Weigert ne met la fibrine en évidence que 
dans la paroi des petits vaisseaux. 

La réaction inflammatoire est plus particulièrement marquée 
au niveau de la conjonctive tarsienne. Du côté de la cornée, les 
phénomènes réactionnels sont plus tardifs. Ils se traduisent par 
la desquamation épithéliale, et on n’observe jamais d’exsudation 
fibrineuse à la surface de la cornée. 

De ces constatations macroscopiques et histologiques, nous 
pouvons conclure que toutes les lésions locales qu’on observe 
dans la diphtérie peuvent être attribuées à la seule action de la 
toxine, et que cette toxine peut être absorbée par une muqueuse 
n'ayant subi aucune altération. 

Ce point n’avait pas été nettement établi par les expériences 
de Roger et Bayeux. On sait en effet que les conditions d’absorp- 
tion des muqueuses sont très différentes suivant que l’épithé- 
lium qui les recouvre est normal ou qu’il a subi des modifications 
traumaliques ou autres, même légères. Le rôle protecteur de 
lépithélium des muqueuses contre l'absorption des liquides est 


218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


un fait bien établi, et l’intéressante thèse de Mermet'a précisé 
nos connaissances à cet égard. 

Si l’on détruit l’épithélium cornéen ou conjonctival par cau- 
térisation ou par un traumatisme quelconque, ainsi que l’a fait 
Coppez dans ses expériences, on active l’absorption de la toxine 
au niveau des lésions, dans des proportions considérables, et 
l'instillation continuée et prolongée devient inutile. Si nos expé- 
riences viennent à l'appui des conclusions de MM. Roger et 
Bayeux, elles nous portent à croire qu'ils n’ont pu obtenir de 
fausses membranes, après une ou deux injectionsintra-laryngées, 
qu'en traumatisant l’épithélium de cette membrane avec la canule 
de leur seringue, [a muqueuse laryngée ou trachéale, ainsi que 
nous l'avons vu par nos expériences, ne diffère pas sensiblement, 
par ses propriétés absorbantes vis-à-vis de la toxine diphtérique, 
de la muqueuse conjonctivale. 

On pouvait objecter à nos expériences la réaction alcaline de 
la toxine employée, et admettre que ce liquide alcalin provoque 
une altération primitive de l’épithélium. Mais nous avons tou- 
jours eu soin de diluer la toxine dans une solution neutre, de 
telle sorte que l’alcalinité de la solution devenait excessivement 
faible*. M. Martin nous a fourni d’aillenrs une toxine diphté- 
rique solide, avec laquelle nous avons obtenu les mêmes résultats. 
Cette toxine solide nous a permis, en outre, d'étudier les condi- 
tions de dilution nécessaires pour provoquer une lésion locale, 
et aussi de préciser le rapport qui existe entre l’absorption à la 
surface des muqueuses saines et l'injection dans le tissu cellulaire 
sous-cutané. 

Cette toxine solide tuait, à la dose de 1/2 milligramme, un 
lapin de deux kilogrammes en 3 jours. Pour tuer un lapin de 
même poids dans un temps sensiblement égal, par instillation 
dans le sac conjonctival non lésé, il faut instiller une dose de 
20 milligrammes au moins. Dans ces conditions, la lésion 
locale est presque nulle. Lorsque l’on prend une dose inférieure 


1. Merwer, Etude expérimentale sur l’absorption et la diffusion cornéennes, 
Thèse'‘de Paris, 1897, (Steinheil, éd.) 

2, Nous avons aussi répété l'expérience dans les mêmes conditions avec de la 
toxine chauffée, avec de la toxine additionnée d’une dose exactement neutrali- 
sante de sérum antidiphtérique, et avec du bouillon stérile. L'œil du lapin n’a 
présenté aucune réaction à la suite de ces instillations, malgré l'ouverture répétée 
des paupières. 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. | 219 


à 20 milligrammes, cette dose ne produit de lésions locales que 
si elle est fortement diluée et si linstillation se fait dans les 
conditions que nous avons citées plus haut, c’est-à-dire pendant 
9 à 10 heures consécutives au moins. 

Disons encore que l'injection de toxine, dans l'épaisseur de 
la muqueuse, ne provoque qu'une réaction locale très peu 
marquée, et qui ne diffère pas de ce qu’on observe lorsque l’in- 
jection est faite dans le tissu sous-cutané. 

Nous avons répété ces expériences d’instillation, avec quatre 
toxines d’origine différente, dans le but d'établir s’il existait, 
pour des toxines d’origine différente, une prédominance d’action 
locale ou générale. Nous avons constaté alors que la réaction 
locale était en rapport direct avec la toxicité générale de la 
toxine, et que si l’on avait soin de faire des dilutions dont, à dose 
égale, la toxicité était la même, on obtenait toujours des réac- 
tions locales identiques. 

Chez deux lapins qui avaient survécu aux instillations de 
toxine et chez lesquels les lésions oculaires avaient complète- 
ment disparu, nous avons répété l'instillation de la toxine après 
12 jours chez l’un, et un mois chez l’autre, de manière à voir 
s'il existait un certain degré d’immunité locale, mais nous 
n'avons DSC aucune différence dans les réactions à la 
première ou à la seconde instillation. 

Il va sans dire que, lorsqu'on fait la deuxième instillation 
peu de jours après la première, les lésions observées sont beau- 
coup plus intenses: c’est que, dans ces conditions, l'absorption 
est facilitée dans des proportions énormes, par les lésions des 
couches superficielles de la muqueuse. 

On peut réaliser des lésions pseudo-membraneuses très mar- 
quées de la conjonctive en faisant le premier jour une instilla- 
tion de toxine diluée au 1/5 pendant 3 ou 4 heures, puis en 
répétant cette instillation pendant 1 à 2 heures le lendemain, 
lorsque, sous l'influence des premières doses de toxine, il s’est 
développé un peu d’æœdème et de congestion conjonctivale. Dans 
ces conditions, les lésions sont le plus marquées 36 à 48 heures 
après la deuxième instillation. Si nous ne nous sommes pas 
arrèlés à ce procédé, c’est que nous tenions avant tout à nous 
rendre exactement compte de la manière dont se comporte la 
toxine vis-à-vis de l’épithélium non altéré. L'examen histolo- 


220 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


gique nous a montré que la couche épithéliale restait normale 
pendant les 8 premières heures, c’est-à-dire pendant tout le 
temps que dure l’instillation. On peut admettre, dans ces con- . 
ditions, que l'absorption de la toxine s’est poursuivie en quelque 
sorte normalement. Au contraire, après 24 heures, l’épithélium 
a déjà subi des altérations manifestes qui ont pour etfet de mo- 
difier complètement les conditions d'absorption. 

Ces expériences sur l’absorption de la toxine diphtérique à 
la surface des muqueuses non altérées peuvent, semble-t-il, 
nous faire comprendre leur action lente sur les cellules de 
l'organisme et le temps qui s'écoule entre le moment où la 
toxine est mise en contact avec les cellules et celui où les réac- 
tions cellulaires se développent. 

Que l’on compare, en effet, l'absorption des alcaloïdes, sels 
cristallisables, à la surface de la muqueuse oculaire, avec l’ab- 
sorption des toxines, comme la toxine diphtérique ou tétanique. 
Pour les alcaloïdes, l'absorption est presque immédiate, et les 
ellets physiologiques produits par ces substances se manifestent 
fort peu de temps après l’instillation ou l'injection hypoder- 
mique. Pour les toxines, au contraire, l'absorption ne se fait que 
très lentement; il faut un contact prolongé des cellules avec la 
toxine pour que celle-ci pénètre les éléments cellulaires et pro- 
voque la réaction physiologique par laquelle nous jugeons de 
son action. Il nous semble donc que dans l'interprétation de 
cette action tardive des toxines, il faut tenir compte des pro- 
priétés physiques de diffusion de ces substances {qui, par ce 
caractère tout au moins, se rapprochent beaucoup des albumi- 
noïdes). Nous reviendrons d’ailleurs, dans un mémoire ulté- 
rieur, sur ces phénomènes d'absorption des toxines, et sur les 
déductions pathogéniques qui en découlent. 

Nous avons tenu à nous limiter, dans ce travail, à l’étude 
de l'absorption de la toxine diphtérique à la surface des mu- 
queuses, et, de ces recherches répétées sur un grand nombre de 
lapins, nous concluons : 

La toxine diphtérique instillée sur la muqueuse oculaire, en 
l'absence de toute lésion et de tout traumatisme de la couche 
épithéliale, provoque des lésions locales qui n’atteignent leur 
acmé que 36 à 48 heures après le début de l’instillation, et qui 
ne diffèrent en rien de celles que provoque linoculation du 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 221 


bacille diphtérique. Les lésions locales de la diphtérie doivent, 
par conséquent, être attribuées, pour la plus grande part du 
moins, à l’action toxique. 

Lorsque l’épithélium de la muqueuse n’est pas lésé, c’est-à- 
dire lorsque l'absorption de la toxine instillée dans le sac con- 
jonctival se poursuit d’une manière normale, le contact de la 
toxine avec la couche épithéliale doit être prolongé pendant 8 à 
10 heures au moins, si l’on veut obtenir le maximum de réac- 
tion locale. Il faut en outre que cette toxine soit dans un état de 
dilution telle que son absorption ne détermine pas l’intoxication 
générale rapide, et que la quantité totale de la toxine instillée 
soit un peu inférieure à 30 ou 40 fois la dose mortelle pour le 
lapin, par injection sous-cutanée. 

Les lésions cornéennes apparaissent plus tardivement que 
les lésions conjonctivales; mais si le traumatisme local favorise 
leur apparition en facilitant l'absorption de la toxine diphté- 
rique, ces lésions de la cornée peuvent néanmoins se déve- 
lopper en dehors de toute dénudation épithéliale. 


RÉSUMÉ DE QUELQUES EXPÉRIENCES 


Nous avons répété nos expériences sur de nombreuses séries 
de lapins. Pour éviter des longueurs, nous limiterons le compte 
rendu de ces recherches à quelques expériences choisies parmi 
les plus typiques. 


Exp. XIV. — Lapin de 1,675 grammes. — Le 2 juillet 1897, on instille 
pendant 7 h. 1/2 consécutives, dans l'œil droit, 1,5 c. c. d'une dilution au 
1/5 de la toxine diphtérique Martin. 

3 juillet. — Injection conjonctivale légère avec un peu de sécrétion. 

4 juillet. — Congestion intense de la conjonctive tarsienne avec quel- 
ques exsudats pseudo-membraneux sur la membrane clignotante et la con- 
jonctive tarsienne inférieure. Léger trouble cornéen à la partie interne et 
supérieure. OEdème palpébral peu accusé. 

5 juillet. — Le trouble cornéen est un peu plus marqué. Plus d’exsudats 
pseudo-membraneux sur la conjonctive. 

6 juillet. — Les phénomènes réactionnels sont moins accusés. 

8 juillet. — La conjonctive est revenue à son état normal. Il persiste 
seulement du côté de la cornée une opalescence légère et peu étendue. 

AA juillet. — Les troubles oculaires ont complètement disparu. On fait 


299 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


une nouvelle inslillation de toxine diluée au 1/5 dans les deux yeux, pen- 
dant 6 heures consécutives. Poids du lapin : 1,660 grammes. 

12 juillet. — Légère congestion de la conjonctive avec sécrétion peu 
abondante. 

13 juillet. — Congestion conjonctivale beaucoup plus intense avec quel- 
ques exsudats pseudo-membraneux sur la conjonctive larsienne inférieure. 
Le bord supérieur et interne de la cornée présente un léger trouble diffus. 
Les phénomènes réactionnels sont absolument identiques dans les deux 


yeux. 
14 juillet. — Les phénomènes réactionnels sont un peu moins marqués. 
16 juillet. — Les conjonctives et les cornées des deux yeux ont repris 


leur aspect normal. 

Mort par cachexie le 28 juillet. Poids : 1,200 grammes. 

Exr. XV. — Lapin de 2,050 grammes. — Le 7 juillet 4897, on instille 
dans l’œil droit 1,5 c. c. d'une dilution au 1/5 de toxine diphtérique pen- 
dant 7 h. 1/2 consécutives. 

8 juillet. — Léger œdème palpébral. Congestion vive de la conjonctive 
avec sécrétion abondante. 

9 juillet. — OEdème palpébral plus marqué. Exsudat pseudo-membraneux 
adhérent au niveau de la membrane nictitante et de la conjonctive tarsienne 
de la paupière inférieure. Pas de lésions cornéennes. 

10 juillet. — L'état ne s’est pas modifié; les lésions n’ont pas aug- 
menté. 

A1 juillet. — Les fausses membranes ont disparu; la conjonctive est un 
peu injectée, mais la sécrétion est presque nulle. 

On fait une nouvelle instillation de toxine diluée pendant 6 heures con- 
sécutives dans les deux yeux. Poids du lapin : 1,750 grammes. 

12 juillet. — L'œil droit présente des lésions plus marquées que l'œil 
gauche. À droite, les paupières sont fermées; il existe un chémosis très 
accusé et une légère exsudation pseudo-membraneuse peu adhérente sur la 
conjonctive tarsienne. La cornée n'est pas altérée. À gauche, on ne constate 
qu'un peu de gonflement de la paupière supérieure et d'injection conjoncti- 
vale avec sécrétion minime. 

13 juillet. — Les paupières de l'œil droit sont fortement œdématiées; 
elles ne s’entr'ouvrent pas spontanément. La conjonctive tarsienne est uni- 
formément recouverte par une exsudation pseudo-membraneuse adhérente, 
La cornée présente dans son 1/3 supérieur interne une opalescence diffuse. A 
gauche, les paupières sont entr'ouvertes. La conjonctive est le siège d’une 
congestion intense avec sécrétion, mais sans exsudat pseudo-membraneux 
net. 

15 juillet. — Les fausses membranes ont disparu. À droite, il persiste 
un peu de trouble cornéen et d'injection conjonctivale. A gauche, tout est 
rentré dans l'ordre. 

20 juillet. — On remarque encore une légère opalescence cornéenne, sans 
autres lésions, Poids : 1,570 grammes. 

Mort par cachexie au commencement d'août. 

Expérience XL. — Lapin de 1,835 grammes. Le 23 septembre, on instille 


TOXINE DIPHTÉRIQUE ET MUQUEUSES. 223 


dans l’œil droit, pendant 10 heures consécutives, 5 ce. c. de toxine diluée 
au 1/5. 

24 seplembre. — Les paupières sont œdématiées, mais s’entr'ouvrent 
encore à moitié. Chémosis très accusé sans fausses membranes et sans 
lésions cornéennes. Sécrétion peu marquée. 

25 seplembre. — Le gonflement palpébral a notablement augmenté. 
Il s'écoule par l'angle interne une sécrétion fibrino-purulente assez abondante. 
Une fausse membrane peu épaisse, mais adhérente, recouvre la conjonctive 
tarsienne en à culs-de-sac. La cornée n’est pas allérée dans sa partie 
centrale. Sur ses bords on constate un léger trouble dont les bords sont 
diffus. | 

20 septembre. — Les paupières de l'œil droit sont agglutinées, mais 
l'æœdème y est moins accusé. La conjonctive est moins injectée et l’exsuda- 
tion pseudo-membraneuse n'existe plus qu’en des points limités, La sécré- 
tion est plus abondante. 

27 septembre. — Les paupières s’entr'ouvrent spontanément. La conjonc- 
tive est encore un peu injectée. Poids : 1,720 grammes. 

30 septembre. — La conjonctive et les paupières ont repris leur aspect 
normal. 

3 octobre. — Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,595 grammes, 

EXPÉRIENCE XVIII. — Lapin de 1,980 grammes. Le 7 juillet 1897, on 
instille dans l’œil droit, pendant 8 heures consécutives, 1,5 c. c. de toxine 
diluée au 1/10. Les jours suivants, on ne constate aucune modification du 
côté de la conjonctive ou de la cornée. 

EXPÉRIENCE XXV. — Lapin de 1,725 grammes. Le 19 juillet, on instille 
dans l'œil droit 0,8 c. c. de toxine diluée au 1/5 pendant 3 h. 1/2 consé- 
cutives. 

20 juillet. — Légère congestion conjonctivale sans œdème palpébral. 

21 juillet. — La congestion conjonctivale a un peu augmenté ainsi que 
la sécrétion purulente, mais il n'y a pas de fausses membranes. 


22 juillet. — L'injection conjonctivale a notablement diminué, 
24 juillet. — État normal de l'œil droit. 
EXPÉRIENCE XX. — Lapin de 1,900 grammes. Le 19 juillet, on instille 
dans l'œil droit, pendant une heure, 1 c. c. de toxine non diluée, 
20 juillet. — Légère injection conjonctivale avec sécrélion minime. 
21 juillet. — La congestion conjonctivale est un peu plus marquée, 
Il n’y a pas de fausses membranes. La cornée est intacte. 
22 juillet. — La conjonctive tarsienne est faiblement injectée. 
23 juillet. — Plus de réaction conjonctivale. 
28 juillet. — Mort spontanée par cachexie. Poids : 1,530 grammes. 
ExPÉRIENCE LXIII. — Lapin de 2,090 grammes. Le 14 novembre, on 


instille dans l’œil droit, pendant 6 heures consécutives, 10 milligrammes 
de toxine diphtérique solide, dissoute dans 2 e. c. d’eau salée physiologique. 
Cette toxine tue le lapin à la dose d’un demi-milligramme en 3 jours par 
injection sous-conjonctivale. 

Le 15 novembre, les paupières sont tuméfiées. La conjonctive tarsienne 
est le siège d’une injection intense avec secrétion peu abondante, 


224 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


4 novembre. — L'œdème palpébral et l'injection conjonctivale ont un peu 
augmenté, mais il n'existe pas de fausses membranes nettes. 

A7 novembre. — Diminution de l'injection conjonctivale. 

6 décembre. — Mort spontanée par cachexie. Ce lapin a présenté, pen- ” 
dant les 3 derniers Jours, une paralysie complète du train postérieur. 
Poids : 1,340 grammes. 

ExPÉRIENCE LXVI. — Lapin de 1,600 grammes. Le 22 novembre, on 
instille dans l’œil droit, pendant 7 h. 1/2 consécutives, 10 milligrammes de 
toxine diphtérique solide, dissoute dans 5 c. c. d’eau. 

23 novembre. — L'œil est un peu injecté, les paupières sont faiblement 
œdématiées. À 

24 novembre. — L'œdème palpébral est plus accusé, ainsi que l'injection et 
la sécrétion conjonctivale. Sur la membrane clignotante et sur la conjonctive 
tarsienne de la paupière inférieure, on constate une légère exsudation 
pseudo-mmembraneuse peu adhérente. La cornée ne présente pas de lésions. 

25 novembre. — Les phénomènes réactionnels ont diminué et l’exsudation 
a disparu. 

26 novembre. — On fait une nouvelle instillation, pendant { heure, de la 
même dilution de toxine que précédemment, dans l’œil droit dont la conjonc- 
tive est encore faiblement injectée. Poids : 1,560 grammes. 

27 novembre. — OEdème palpébral très marque et vive injection conjonc- 
tivale. 

27 novembre. — Le gonflement palpébral a augmenté, la conjonctive tar- 
sienne est recouverte d’une fausse membrane adhérente, La cornée est le 
siège d’un trouble diffus. 

ExPÉRIENCE LXV.— Lapin de 1,860 grammes. Le 14 novembre, on instille 
dans l'œil droit, pendant 5 h. 1/2 consécutives, 20 milligrammes de toxine 
diphtérique solide dissoute dans 1 c. c. d’eau salée physiologique. 


45 novembre. — Les paupières sont normales; on ne constate qu'une 
injection conjonctivale minime et une très faible sécrétion purulente. 
16 novembre. — Mort spontanée dans la journée. La réaction locale n’a 


pas augmenté. Autopsie: pas de lésions macroscopiques des organes, pas 
de microorganismes dans le sang ou les organes. 


Le Gérant : G. Masson. . 


Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. 


49me ANNÉE AVRIL 41898 No 


LS 


ANNALES 


DE 


L’ENSFÉRU, PASTEUR 


TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS 


Par MM. E. ROUX er A. BORREL". 


I 


Le télanos a toujours été considéré comme une maladie du 
système nerveux, mais c’est seulement depuis la découverte de 
la toxine tétanique que l’on a pu dire, avec plus de précision, 
que le tétanos est un empoisonnement de certaines cellules ner- 
veuses. Le poison tétauique agit sur les cellules de la moelle 
épinière dontla lésion détermineles contractures caractéristiques; 
injecté sous la peau ou dans le sang, il va les atteindre de préfé- 
rence. 

Il existe en effet une affinité véritable entre la cellule ner- 
veuse et la toxine tétanique. Cette affinité se manifeste dans 
l'expérience suivante, inspirée par celle de MM. Wassermann 
et Takaki *. De la substance cérébrale d’un cobaye est broyée, 
puis additionnée de toxine tétanique : le mélange soumis à 
l’action de la turbine se sépare en deux couches; au fond du 
vase, la matière nerveuse, au-dessus le liquide opalin*. Si les 
proportions de cerveau et detoxine sont bien choisies, on cons- 
tate que le liquide ne contient presque plus de poison tétanique. 
Celui-ci, fixé par le tissu nerveux, s’est déposé en même temps 
que lui. Il n’est point détruit, comme le croyait M. Wassermann, 
il adhère aux débris de substance cérébrale à la facon d’une 

1. Le résumé de ce travail a été communiqué au Congrès international 
d'hygiène et de démographie de Madrid, par M. Borrel, le 12 avril 1898, 


2. Berliner klinische Wochenschr. 1898, N° 1. 
3. V. Kxorr. Münch. med. Wochenschr. 1898, N° 12, p. 187. 


12 


226: ANNALES DE-"L'INSTITUT PASTEUR. 


matière colorante et peut de nouveau être mis en évidence, 
comme l’a fait voir M. Metchnikoff'. La toxine a changé d’étal, 
mais sa nature n’est point modifée. » 

Le véritable intérêt de l'expérience de M. Wassermann est de 
nous montrer, se salisfaisant ix vitro, et pour ainsi dire d’une 
façon tangible, cette affinité de la cellule nerveuse et de la toxine 
tétanique. 

Ce qui se passe dans notre tube à réaction se fait aussi dans 
l'organisme. La toxine tétanique, injectée sous la peau de la 
patte postérieure d’un cobaye, sera fixée par les cellules de la 
moelle épinière après un certain nombre d'heures, au bout des- 
quelles apparaissent les contractures. Le poison arrive à l'axe 
nerveux par deux voies; une partie, d’après M. Marie’, suit 
directement le trajet des nerfs, et c’est pour cela que, chez les 
animaux, la contracture commence toujours dans la région où 
l'injection a été pratiquée ; une autre partie du poison pénètre 
dans le sang, d’où elle est extraite par les cellules nerveuses et 
peut-être encore par d’autres, suivant leur affinité. 

Cette affinité spécifique des éléments nerveux pour la toxine 
tétanique s’exerce lorsqu'on introduit un peu de celle-ci dans la 
substance même du cerveau d’un lapin. On détermine ainsi une 
maladie caractéristique, le tétanos cérébral. Ce fait suffirait à 
renverser l'opinion de M. Wassermann sur l'existence d’une 
antitoxine tétanique dans le cerveau normal. Comment admettre 
cette antitoxine qui n’agit pas, même dans le lieu où elle se pro- 
duirait ? En réalité, le mélange de cerveau broyé et de toxine 
tétanique est inoffensif, parce que le poison adhère à la matière 
nerveuse, et qu'introduit à cet état, sous la peau des animaux, 
il ne diffuse pas, mais est englobé par les phagocytles et digéré 
dans leur intérieur, en même temps que les débris nerveux qui 
lui servent de support. C’est le cas de la toxine cholérique con- 
tenue dans le corps des vibrions ainsi que l'ont montré 
MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni*. 

La fixation quasi immédiate du poison tétanique sur les 
éléments nerveux permet de limiter l’action de celui-ci à un 
groupe déterminé de cellules, en le portant directement à leur 

4. Ces Annales, 1896, p. 257, 


2. Ces Annales, juillet 4897. , 
3. Ces Annales. février 1898. 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 297 


contact, On obtient alors une maladie dont les symptômes 
dépendent des fonctions du territoire intoxiqué. | 

Ainsi, la toxine injectée en plein cerveau provoque, chez le 
lapin et chez le cobaye, une maladie caractérisée par une exci- 
tation extraordinaire, par des crises convulsives intermittentes, 
des troubles moteurs et de la polyurie, qui ne rappellent en rien 
le tétanos ordinaire. Dans ces conditions, le poison n’agit plus 
sur [a moelle épinière, mais sur les centres psychiques et sur les 
régions motrices du cerveau, qui réagissent à leur façon, et 
nous voyons évoluer une maladie expérimentale à symptômes 
variables suivant l'étendue de la région intéressée‘. 

M. Tizzoui * et Me Cattani, en injectant de la toxine tétanique 
sous la dure-mère d’un lapin, ont observé des manifestations 
du tétanos cérébral, bientôt suivies de la raideur des membres. 
Dans ce cas, les expérimentateurs ont eu affaire à un tétanos 
mixte cérébral et médullaire : ils avaient probablement lésé la 
surface du cerveau, car M. Vaillard * et M. Conrad Brunner ‘ ont 
introduit de la toxine tétanique dans la cavité arachnoïdienne 
sans déterminer autre chose que des contractures généralisées. 
Certaines observations de tétanos humain, survenu à la suite 
de plaies à la tête, relatent des symptômes, comme la paralysie 
faciale, qui pourraient se rapporter au tétanos cérébral. Mais, 
cette maladie, si facile à donner expérimentalement, est à peine 
connue et cependant elle mérite d’être approfondie. Depuis plu- 
sieurs mois M. Morax en a entrepris l’étude, à l’Institut Pasteur. 

L'introduction de la toxine tétanique dans le cerveau se fait 
le plus simplement du monde, en pratiquant, au moyen d’un 
foret, un petit trou dans les os du crâne; un curseur limite la 
pénétration et évite la blessure de la dure-mère. Il est facile de 
faire le pertuis au même endroit, de façon à atteindre la même 
région de l’encéphale dans les expériences comparatives. On 
enfonce l'aiguille de la seringue en plein dans la substance céré- 


1. Nous donnerons à ce tétanos provoqué par l'introduction de la toxine dans 
le cerveau le nom de tétanos cérébral, pour le distinguer du tétanos céphalique 
et du tétanos hydrophobique de Rose. 

2, Tizzoxi et Mile Carrant. Archiv. fur experimentale Pathologie. Vol.927, p. 439. 
1890. 

3. Annales de l'Institut Pasteur. 

-__4.Conran Bruxxer, Tétanos céphalique experimental et clinique, 1894. Beitrage 
für klinische Chirurgie. À 


228 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


brale à une profondeur réglée par un arrêt, et on injecte 1/20 
ou 1/10 de c. c., suivant la dilution de la toxine. 

Il va sans dire que l'opération par elle-même est inoffensive, ” 
que la lésion faite par l'aiguille ne cause aucun accident, et que 
si l’on injecte de la même manière cinq fois plus d’eau stérilisée, 
de solution physiologique ou de toxine chauffée à 100°, le lapin 
n’en souffre à aucun moment, 

Dans les heures qui suivent, l’animal se meut avec aisance 
et mange avec toutes les apparences de la santé. Mais, au bout 
de 8 à 12 heures, le lapin devient inquiet, change de place à 
chaque instant, prend une attitude particulière, le train relevé 
comme s’il ne pouvait s'asseoir complètement. En même temps 
il paraît en proie à des hallucinations, cherche à cacher sa tête, 
et, comme pris de terreur, tourne autour de sa cage. Si on le 
fait sortir, il s’élance haut sur pattes avec une démarche de 
lièvre. Souvent, à chaque foulée, les pattes postérieures pro- 
jetées en avant dépassent la tête. Le désir de fuir est très marqué, 
le lapin parcourt le laboratoire, se réfugie dans les coins et se 
dresse contre les obstacles. Les émissions d'urine sont nom- 
breuses et abondantes. Des crises convulsives, épileptiformes, 
surviennent plus ou moins fréquentes, soit spontanément, soit 
à la moindre excitation. L'animal tombe en grinçant des dents, 
le cou et les membres convulsés, mordant la litière de sa 
cage; puis il se redresse et se met à manger pour retomber 
bientôt. 

Parfois, les pattes postérieures sont écartées et malhabiles, et 
des trépidations musculaires rendent la démarche hésitante. 

L'intensité et la durée de la maladie varient suivant la dose 
de toxine. Avec une quantité un peu forte, 1/10 de c. c. dans 
certaines expériences, les accès convulsifs étaient incessants et 
toute la scène évoluait en 12 à 20 heures. Avec des doses plus 
faibles, l’affection peut durer 3, 5 et même 8 et 15 jours. L'animal 
a de temps en temps des crises, dans l'intervalle il mange et 
paraîtrait normal sans son attitude inquiète; il maigrit de plus 
en plus et succombe. 

De toutes petites quantités de toxine donnent un tétanos gué- 
rissable, avec tendance à se cacher, petits accès épileptiformes 


4. A l’autopsie on ne trouve aucune lésion cérébrale appréciable à l’œil, sou- 
vent la trace de l'aiguille n’est plus visible. 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 229 


passagers et amaigrissement., Même à ce degré, le tétanos céré- 
bral persiste longtemps, un mois et parfois davantage. 

À cause du volume du cerveau chez le lapin, il est possible 
d'introduire la toxine en des points différents. Après une injec- 
tion dans le cervelet, il survint, au bout de trois jours, de la 
paralysie du train postérieur, en même temps que des crises 
convulsives. Pour n'intéresser qu'un groupe de cellules limité, 
il ne faut employer que très peu de toxine, de façon à ce que 
l'excès ne diffuse pas. Les poisons qui ont une grande affinité 
pour les cellules nerveuses, et quise fixent sur elles, nous four- 
nissent un moyen original d'exploration des divers territoires 
encéphaliques. Chez les animaux à cerveau plus développé et à 
facultés mieux différenciées, on obtiendra sans doute des résul- 
tats intéressants pour la physiologie. 

Le lapin est assez résistant au poison tétanique introduit sous 
la peau ou dans le sang; 2 c. c. 1/2 de notre toxine, mis dans le 
tissu cellulaire, donnent à un animal de 2 kilos un tétanos 
ordinaire mortel en quatre jours ; 1/10 de c. c. dans le cerveau 
provoqueun tétanos cérébral intense, et tue en moins de 20 heures. 
La résistance du lapin à la toxine tétanique, injectée dans Îles 
conditions habituelles, ne tient donc pas à une insensibilité rela- 
tive des centres nerveux, mais, sans doute, à ce que beaucoup du 
poison introduit n’arrive pas aux cellules nerveuses et est détruit 
quelque part dans l’organisme. 

Le cobaye qui, à poids égal, prend le tétanos bien plus faci- 
lement que le lapin, quand il reçoit la toxine sous la peau, 
résiste mieux à l'injection intra-cérébrale. À un cobaye de 
500 grammes, on donne 1/100 de c. c. de toxine sous la peau 
d’une patte postérieure, la contracture apparaît à la 12° heure et la 
mort survient vers la 50° heure ; un autre cobaye du même poids 
reçoit la même dose dans le cerveau : les premiers symptômes 
se montrent après 48 heures et la maladie dure 3 jours. 

Le tétanos cérébral du cobaye est tout aussi caractéristique 
que celui du lapin. Point de contractures permanentes, mais des 
crises con vulsives plus ou moins répétées après lesquelles l'animal 
mange et se meut librement. Le besoin de fuir se manifeste chez 
ces animaux; aussitôt qu'on les sort de la cage, ils partent en 
ligne droite par un mouvement rapide des pattes et comme mus 
par un ressort, 1l se heurtent au premier obstacle, tombent en 


230 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


convulsions, puis se relèvent et reprennent pour un temps leur 
allure normale. Le tétanos cérébral du cobaye présente aussi 
tous les degrés d'intensité et peut guérir. 

Pour provoquer chez le rat des symptômes saisissants de 
tétanos cérébral, il faut plus de toxine que pour le tuer par 
injection sous-cutanée. L'incubation est de quarante-huit heures 
à trois jours. Si l’expérimentateur n'avait pas la certitude qu’il 
a injecté du poison tétanique, jamais il ne reconnaîtrait le 
tétanos dans la maladie qu'il observe. Les manifestations 
psychiques dominent, le rat est inquiet, attentif : pris, sans 
cause apparente, de terreurs soudaines, il court follement autour 
de sa cage. Si on ouvre celle-ci, il bondit sur le plancher, court 
se réfugier dans un coin, puis, l'accès passé il se laisse prendre 
et reste calme pendant un certain temps, malgré les excitations. 
Durant la crise, 1l semble obéir à une impulsion intérieure, 1l 
donne l’idée d’un animal pris de folie, et. en le considérant, on se 
demande si beaucoup d’affections psychiques ne sont point pro- 
duites elles aussi par la fixation sur certaines cellules nerveuses 
de toxines microbiennes élaborées à un moment donné dans 
l'intestin ou dans quelque autre partie du corps. Get état peut 
durer plusieurs jours, le rat cesse de manger et meurt très 
amaigri. De plus faibles quantités de poison tétanique amènent 
seulement un état cachectique qui se termine par la mort après 
un délai variable. 

Chez les souris le tétanos cérébral est moins dramatique. La 
dose de toxine qui, sous la peau, les tuerait en trente à trente- 
six heures, introduite dans leur cerveau, parait tout d’abord 
ne produire aucun effet : plus tard l'animal est stupéfié, lent dans 
ses mouvements, et meurt amaigri sans contractures. 

En résumé, au lieu des contractures permanentes du tétanos 
ordinaire, nous voyons, dans le tétanos cérébral, de l’excitation, 
des crises épileptiformes, de la polyurie et des troubles moteurs 
qui donnent à cette maladie une physionomie facile à recon- 
naître. 


IL 


TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ PASSIVE 


L’injection dans le cerveau est un moyen d'explorer la sensi- 
bilité des cellules nerveuses à la toxine tétanique, et de savoir 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 231 


ce que devient cette sensibilité chez les animaux immunisés de 
diverses facons contre le tétanos. | 

Un animal qui a recu du sérum antitétanique acquiert 
limmunité dite passive, et résiste à des doses plusieurs fois 
mortelles de toxine mises sous sa peau, dans ses muscles ou 
dans ses veines. Est-ce parce que ses ceilules nerveuses sont 
devenues insensibles au poison? Pour le savoir, mettons la toxine 
directement en contact avec elles. 

À cinq lapins du même poids, injectons dans le tissu 
sous-cutané, 5c.e., 10 c. c., 15 c. c., 20 c. c. de sérum anti- 
tétanique. 

Un des animaux à 5 c. e. est éprouvé par l'injection hypoder- 
mique d’une dose de toxine cinq fois mortelle, ilreste bien portant. 

Vingt-quatre heures après l'introduction du sérum, les quatre 
lapins restants reçoivent, en même temps qu'un témoin, 4/10 de 
centimètre cube de poison tétanique dans le cerveau, c’est-à-dire 
une dose qui, dans la cuisse d’un lapin neuf de même poids, ne 
détermine même pas un tétanos local. 

Le lendemain le lapin témoin est en proie aux crises convul- 
sives. Les lapins à 10 c. c., à 15 c. c. et à 20 c. c. de sérum sont 
manifestement pris et leur maladie va en s’accusant. L'animal à 
20 c. c. meurt en 48 heures, comme le témoin. Celui à 10 ce. c. 
succombe le quatrième jour et celui à 15 c. c. le sixième 
jour. 

Seul le lapin à 5 c. c. reste bien portant. 

Et cependant, le sang de ces animaux qui ont péri est anti- 
toxique ; à l'heure de la mort, une goutte de sang du lapin à 
20 c. c. suffisait à neutraliser la dose de toxine dix fois mortelle 
pour une souris. 

Une goutte du sang du lapin à 10 c. c., retirée au moment de 
l'injection intra-cérébrale, est ajoutée à la quantité de poison 
tétanique capable de donner un tétanos cérébral mortel; le 
mélange introduit dans le cerveau d’un lapin neuf ne produit 
aucun effet. 

Le mélange de toxine et d’antitoxine est inoffensif pour les 
cellules nerveuses, et une trace du sang de ces lapins qui meurent 
dans les accès du tétanos cérébral aurait suffi à détruire le poison 
tétanique s'il était venu en contact avec lui. Une hémorragie 
causée par la piqûre, empècherait l’apparition de la maladie, 


232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


C'est ce qui est arrivé sans doute pour le lapin aux 5 c. c. de 
sérum de l’expérience ci-dessus. 

Quand on opère sur un certain nombre d'animaux, il en est . 
toujours quelques-uns qui restent bien portants, car on ne peut 
constamment éviter un petit épanchement sanguin. Celui-ci se 
produit même dans tous les cas, et,sur les coupes des cerveaux, 
le microscope montre des globules sanguins dans la piqûre. On 
conçoit que cette minuscule extravasation de sang antitoxique 
suffise parfois pour neutraliser la petite quantité de toxine intro- 
duite, surtout chez les lapins qui ont eu des doses énormes de 
sérum. Il y a doncune limite à l'expérience. En réalité, la portion 
du poison qui agit est celle qui est pour ainsi dire happée par 
les cellules. Aussi la maladie est-elle souvent plus lente chez les 
lapins au sérum, qui se comportent alors comme les lapins neufs 
qui n'ont reçu que de très pelites doses de toxine. 

L'expérience manque quelquefois avec les cobayes immunisés 
par le sérum, parce que leur cerveau est plus vasculaire que 
celui du lapin, et moins sensible à la toxine tétanique. Pour la 
réussir, il faut une dose suffisante de poison, inoffensive cepen- 
dant si elle est mise sous la peau. 

Tous ces faits peuvent être aussi constatés avec la toxine 
diphtérique. Celle-ci est plus rapidement meurtrière, et à plus 
petites doses, dans le cerveau que sous la peau. Elle détermine 
en douze heures des paralysies, bientôt suivies de mort. Les 
lésions ordinaires, à savoirla congestion des capsules surrénales 
et l’épanchement de sérosité dans les plèvres, se rencontrent 
chez les cobayes à la suite de l'injection intra-cérébrale. Le 
poison diphtérique n’a pas seulement de l’affinité pour le système 
nerveux, mais aussi pour d’autres organes qui dégénèrent sous 
son action. 

Les lapins et les cobayes auxquels on a donné du sérum anti- 
diphtérique résistent à des doses énormes de toxine mises sous 
la peau, mais ils périssent si on leur en introduit un peu dans le 
cerveau. La maladie est alors exclusivement nerveuse; elle dure 
plus longtemps, et à l’autopsie on ne trouve ni congestion des 
capsules surrénales, ni exsudat pleural. Tous les organes étaient 
protégés par l’antitoxine, excepté la cellule nerveuse. 

À maintes reprises, nous avons donc produit le tétanos et la 
diphtérie cérébrale sur des lapins qui avaient reçu jusqu'à 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 233 


40 c. c. de sérum antitoxique, 48 et 96 heures auparavant, 
c'est-à-dire après que l’antitoxine avait eu le temps dese répandre 
partout. Même dans ces conditions, elle ne protégeait pas les 
cellules nerveuses. Celles-ci n’ont pas pour l’antitoxine la 
mème affinité que pour la toxine. Aussi l’antitoxine tétanique 
injectée aux animaux reste-t-elle dans le sang, tandis que la 
toxine en est extraite et fixée par les éléments nerveux. Le 
contre-poison n'arrive pas au contact du poison, et les deux 
substances, pourtant si rapprochées, ne se rencontrent pas. Le 
sérum est efficace contre la toxine mise sous la peau, puisque la 
majeure partie de celle-ci passera par le sang, mais il est 
impuissant contre le poison arrivé déjà aux éléments nerveux. 

C’est pourquoi, dans le tétanos déclaré, il échoue si souvent. 
Au moment où on l’emploie, une partie de la toxine est déjà 
adhérente aux cellules nerveuses ; l’antitoxine neutralise bien 
le poison qui circule encore, mais elle n’atteint pas celui qui est 
fixé aux éléments de la moelle épinière. Elle limite l’empoison- 
nement. Si celui-ci est trop avancé, la maladie suivra son cours, 
car la toxine diffusera de cellule nerveuse à cellule nerveuse à 
l’abri de l’antidote. 

S'ilen est ainsi, ce n’est pas dans le sang des tétaniques 
qu'il faut accumuler l’antitoxine pour les guérir, il faut la mettre 
Ja même où progresse la toxine, et préserver les portions 
vitales de la moelle avant qu’elles soient atteintes. 


III 


TRAITEMENT DU TÉTANOS DÉCLARE 


C’est à l'expérience de prononcer. 

A 20 cobayes de 400 à 450 grammes on injecte dans une 
patte postérieure une dose de toxine tétanique mortelle en 
70 heures environ. 

18 heures après, tous les cobayes ont de la raideur de la 
patte. A la 24° heure, ils sont tous tétaniques. 

Les 5 plus gros sont conservés comme témoins. 

Les 15 autres sont divisés en 3 lots. 

Un cobaye du premier lotreçoit, 24 heures après l'injection 


234 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de toxine, 1 c.c. de sérum sous la peau. Aux 4 autres on 
donne, en pleine substance cérébrale, 4 gouttes du même sérum 
dans chaque hémisphère, soit à peu près un quart de centi- 
mètre cube. 

On agit de même avec les cobayes du second et du troisième 
lot, qui sont traités à la 28° et à la 32° heure. 

Les résultats sont les suivants : 

Les 5 cobayes témoins succombent de la 67° à la 74° heure. 

Les 3 cobayes au sérum sous la peau meurent de la 64° à 
la 72° heure. 

Les douze cobayes, au sérum dans le cerveau, ont leur tétanos 
arrêté. Les contractures restent limitées à une patte ou aux deux 
pattes postérieures, suivant l'heure de l'intervention. Un mois 
après, les cobayes sont bien portants, mais les contractures per- 
sistent encore. 

Sur 45 cobayes, traités à divers moments dans différentes 
expériences, 35 ont survécu à lasuite del'injection intracérébrale. 
Sur 17 autres cobayes qui ontreçu le sérum sous la peau à doses 
beaucoup plus fortes ‘, 2 seulement sont restés vivants. 17 co- 
bayes témoins, auxquels on n’a point donné de sérum, sont tous 
morts. 

On peut donc dire que quelques gouttes de sérum antitéta- 
nique dans le cerveau guérissent mieux le tétanos que de 
grandes quantités introduites dans le sang ou sous la peau. Il 
ne suffit pas de donner de l’antitoxine, il faut la mettre au bon 
endroit. 

Les cobayes rendus tétaniques au moyen d'échardes peuvent 
aussi être guéris, de mème que leslapins auxquels on a injecté 
une dose mortelle de toxine dans les muscles. 

L’antitoxine portée dans le cerveau protège la moelle supé- 
rieure, alors que la moelle inférieure est déjà atteinte par le 
poison, mais elle ue défait pas les lésions accomplies ; les con- 
tractures établies au moment de l'intervention persistent long- 
temps. Aussi, l’injection intra-cérébrale ne sauve pas tous les 
animaux tétaniques; si l’empoisonnement des parties supérieures 
de la moelle est fait, la mort ne sera pas évitée. Il y a un temps 
après lequel l’antitoxine ne peut rien, quelle que soit la façon dont 


1. Jusqu'à 10 c.c. et 20 c.c. dans certaines expériences. 


e] 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 235 


elle est employée. L’injection intra-cränienne augmente la pé- 
riode d'intervention efficace. 

Pius d’un lecteur pensera peut-être que le cerveau est un 
organe délicat, que la dilacération causée par l'aiguille, que la 
compression produite parle sérum injecté, sont capables d'amener 
des accidents pires que ceux du tétanos lui-même. Il n'a qu’à 
répéter l'expérience ; il se convaincra que, chez les cobayes 
et les lapins, rien n’est plus facile et moins dangereux que 
d’injecter dans le cerveau un liquide pur, tel quele sérum antité- 
tanique. Les cobayes supportent aisément huit gouttes en 
deux piqüres et les lapins 1/2 c. ce. Le liquide pénètre, sans 
doute, dans les ventricules, et la compression détermine des 
mouvements des pattes chez les cobayes et des mâchoires chez 
les lapins. Tout rentre bientôt dans l’ordre, et quelques instants 
après l'animal mange et se meut sans autre gène que celle de sa 
patte tétanisée. 

IL est bien entendu que nous ne proposons pas d’inonder 
d'emblée de sérum le cerveau des hommes télaniques. Il faut 
avant tout mulliplier les essais sur diverses espèces animales, 
car il se pourrait que sur les chevaux et les moutons, par 
exemple, le résultat fut différent de celui constaté chez les 
cobayes. Un animal dont le tétanos serait bulbaire dès le début, 
ne guérirait peut-être pas mieux par le sérum injecté dans le 
cerveau que par le sérum injecté sous la peau ! 

Il n’est question ici que de la guérison des cobayes 
tétaniques. 


IN, 


TÉTANOS CÉRÉBRAL ET IMMUNITÉ ACTIVE 


Les lapins et les cobayes qui ont l'immunité passive prennent 
le tétanos cérébral quand on leur injecte la toxine dans le 
cerveau; en est-il de même des animaux qui ont l'immunité 
active? 

La question est particulièrement intéressante, car beaucoup 
de savants sont d'avis que l’antitoxine est élaborée par les 


ARE D: L'injection du sérum dans le canal rachidien des lapins nous a donné, 
jusqu'à présent, de moins bons résultats que l'injection intra-cérébrale, 


236 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cellules sensibles à la toxine, et que chaque système qui est 
impressionné par le poison répond en faisant un contre-poison. 
L'un de nous a soutenu cette idée à diverses reprises dans son - 
enseignement. L'immunité contre le tétanos, maladie surtout 
nerveuse, nous apparaissait comme l’accoutumance des cellules 
nerveuses à la toxine et la production de l’antitoxine était une 
conséquence de celle-ci. 

On sait quelle forme saisissante M. Ebrlich a donnée à cette 
doctrine. Pour cesavant, il existerait, dans les cellules nerveuses, 
comme un groupement central, avec des chaînes latérales 
auxquelles la toxine, introduite dans ie corps, viendrait s’accro- 
cher. Ces chaines latérales ainsi surchargées constituent l’anti- 
toxine, qui se détache quand elle est surabondante et pénètre 
dans la circulation. 

Si la cellule nerveuse est la source de l’antitoxine, de toutes 
les cellules du corps elle doit être la mieux protégée contre la 
toxine. 

L'injection intra-cérébrale nous fournit le moyen de voir s’il 
en est ainsi. 

M. Vaillard a bien voulu mettre à notre disposition deux 
lapins immunisés à divers degrés contre le tétanos, et dont le 
sérum était antitoxique'. Après avoir constaté que ces animaux 
n’éprouvaient aucun effet de l'injection, sous la peau, de 8 c. c. 
et même de 12 c. c. de toxine tétanique, mortelle à la dose de 
2 c. c. pour un lapin neuf de même poids, nous leur en avons 
introduit dans le cerveau 1/10 de c. c. en même temps qu’à 
un lapin témoin. 

Le lendemain, les lapins immunisés et le lapin neuf ont des 
signes de tétanos cérébral. Les crises sont intenses et fréquentes 
chez le témoin qui meurt dans la journée. Les lapins immunisés 
présentent l'excitation, la démarche caractéristiques, et des accès 
épileptiformes, répétés les premiers jours, plus rares ensuite. 
Ils maigrissent, le moins immunisé meurt après 17 jours, et 
l’autre après 20 jours. Ils se sont comportés comme des lapins 
neufs qui n'auraient reçu qu’une faible quantité de toxine. 

L'expérience est démonstrative, elle prouve que chez un 


1. Une goutte de sang du moins immunisé de ces lapins neutralisait une dose 
de toxine dix fois mortelle pour une souris. On n’a pas déterminé la limite pré- 
cise du pouvoir antitoxique. 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 237 


lapin immunisé capable de supporter sans malaise de la toxine 
à doses massives sous la peau ou dans les veines, capable aussi 
de fournir une antitoxine active, les cellules nerveuses sont 
encore sensibles à la toxine. 

Comment admettre que ce sont elles qui préparent l’anti- 
toxine ? 

Il semble plutôt que, pendant tout le cours de l’immunisa- 
tion, elles n'aient jamais été en contact avec la toxine. L'immu- 
nité dans le tétanos ne serait donc point l'accoutumance des 
cellules nerveuses au poison tétanique. 

On pourrait objecter que ce ne sont pas les cellules du cer- 
veau qui prennent la toxine dans les conditions ordinaires, 
mais celles de la moelle épinière, que chez l’animal immunisé 
ces dernières seules sont accoutumées au poison et font l’an- 
titoxine, et que s’il est possible de donner le tétanos cérébral 
aux lapins réfractaires, il est impossible de leur donner le vrai 
tétanos, le tétanos médullaire. 

Pour répondre directement à cette objection, il faudrait 
porter la toxine dans la moelle, mais il est difficile de le faire 
chez les petits animaux sans amener des paralysies qui empêchent 
d'observer les symptômes du tétanos. On ne peut explorer la 
moelle comme le cerveau. Remarquons, cependant, avec 
M. Metchnikoff, que l’antitoxine mise dans le cerveau d’un cobaye 
tétanique se répand jusque dans la moelle et la protège; 
pourquoi l’antitoxine, si elle existe en tel excès dans la moelle 
de l'animal immunisé qu’elle passe dans le sang, ne diffuserait- 
elle pas jusqu’au cerveau ? 

Nous comptons multiplier ces essais sur les animaux rendus 
réfractaires au télanos et à la diphtérie, et voir siles mèmes faits 
se reproduisent chez ceux qui ont atteint le plus haut degré 
d’immunisation. 


W 
TOXINES ET IMMUNITÉ NATURELLE 
Certains animaux supportent des doses considérables de 


toxines microbiennes sans y avoir été graduellement habitués. 
Ainsi le rat ne souffre nullement d’une dose de poison diphthé- 


238 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


rique qui tuerait plusieurs lapins. On en a conclu que les cellules 
du rat sont naturellement insensibles à la toxine diphtérique. 

Il est facile de vérifier si les cellules nerveuses du cerveau 
sont dans ce cas. Injectons, dans la substance cérébrale d’un rat, 
41/10 de c. c. de toxine diphtérique; cette dose, mise sous la peau 
d’un autre rat, ne provoque même pas d’œdème local. Cependant, 
celui qui l’a reçue dans le cerveau est bientôt atteint de paralysie 
totale. Il reste inerte pendant deux ou trois jours et succombe. 

Le cerveau du rat est donc sensible au poison diphtérique, 
et si cet animal ne meurt pas, à la suite de l'injection de grandes 
quantités de toxine dans le tissu sous-cutané, c’est que celle-ci 
n'arrive pas à l’encéphale. Elle est arrêtée quelque part dans le 
corps. L’immunité naturelle du rat vis-à-vis du poison diphté- 
rique ne tient point à une résistance des cellules nerveuses, mais 
à quelque autre propriété de l’organisme. 

Le lapin passe pour être très réfractaire à l’action de 
la morphine; une injection hypodermique de 30 centigrammes 
d’un sel de cet alcaloïde est parfaitement supportée par un animal 
de moins de 2kilogrammes. L'introduction d’un seul milligramme 
de chlorhydrate de morphine dans le cerveau cause à un lapin 
de même poids des accidents presque immédiats. Les membres 
sont agités d’un tremblement, la marche est impossible; l'animal 
reste stupéfié pendant 24 à 30 heures, puis il parait aller mieux, 
mais il maigrit et meurt en # à 5 jours. | 

Les cellules nerveuses du lapin ne sont donc pas insen- 
sibles à la morphine. Lorsque ce rongeur résiste à l'injection 
hypodermique d’une grande dose de cet alcaloïde, c'est que 
celui-ci n'arrive pas jusqu'aux cellules cérébrales. 

Les faits que nous venons de rapporter montrent que, dans 
l’immunité acquise comme dans l’immunité naturelle vis-à-vis 
de certains poisons du système nerveux, la résistance n’est pas 
due à une accoutumance ou à une insensibilité des cellules ner- 
veuses, du moins des cellules nerveuses du cerveau. Les toxines 
introduites sous la peau et dans Le sang ne les atteignent pas, 
malgré qu’elles aient pour elles une affinité manifeste. Ces 
poisons sont sans doute retenus par d’autres cellules qui exercent 
un rôle de protection et fabriquent probablement les antitoxines. 
Quelles sont ces cellules? Peut-être les cellules phagocytaires 
que l’on voit, en maintes circonstances, capables de détruire les 


[| 


IMMUNITÉ CONTRE LE TÉTANOS. 239 


poisons contenus dans les corps microbiens ? Nous ne pouvons 
l'affirmer, mais il nous semble que le problème de l'immunité 
contre les microbes et celui de l'immunité contre les toxines 
recevront des solutions semblables. 


1, Voir, dans ce même numéro, Mercunixorr, Toxine tétanique et leucocytes. 


LE MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE 


Par MM. NOCARD ET ROUX 


AVEC LA COLLABORATION DE MM. BorREL, SALIMBENIET DUJARDIN-BEAUMETZ. 


La lésion essentielle de la péripneumonie contagieuse des 
bètes bovines consiste dans la distension des mailles du tissu 
conjonctif interlobulaire, par une grande quantité de sérosité 
albumineuse, jaunâtre et limpide. 

Cette sérosité est très virulente. 

Inoculons-en une goutte dans le tissu cellulaire sous-cutané 
d'une vache neuve : après une incubation qui n’est jamais infé- 
rieure à huit jours, mais qui peut aller jusqu’à vingt-cinq jours 
et plus, nous verrons apparaîlre un engorgement inflammatoire, 
chaud, tendu, douloureux, dont les dimensions varieront beau- 
coup, suivant le siège de l’inoculation et aussi suivant les sujets 
inoculés. 

S1 la sérosité virulente est déposée sous la peau du tronc, de 
l’encolure, ou de la partie supérieure des membres, elle provo- 
que, avec une fièvre intense, un engorgement considérable, 
rapidement envabissant, souvent suivi de mort. A l’autopsie, 
on trouve les mailles du tissu cellulaire distendues par une 
quantité énorme de sérosité jaune, limpide, çà et là coagulée en 
masses gélatineuses et tremblotantes; l’exsudation est parfois 
si abondante qu’on peut recueillir plusieurs litres de sérosité 
virulente. Si étendue qu'elle soit elle n’envahit jamais les 
cloisons conjonctives du poumon ; on peut trouver un peu 
d’exsudat séreux dans la cavité pleurale, mais jamais on n'observe 
de lésions viscérales; la mort est donc bien le résultat d'une 
intoxication. 

Certains sujets résistent : après quelques jours, l’engorge- 
ment, toujours chaud, tendu et douloureux, reste stationnaire, 
puis s’aflaisse et disparait peu à peu sans laisser de traces; ces 
animaux sont désormais réfractaires aux effets de l’inocu- 
lation virulente comme à ceux de la contagion naturelle. 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 241 


Cette évolution heureuse est la règle quand l’inoculation est 
faite loin du tronc, à l'extrémité de la queue, par exemple, où la 
densité des tissus et la température locale peu'élevée ne permet- 
tent pas une active pullulation du virus. L’engorgement consé- 
cutif à l’inoculation est toujours analogue à celuidécrit ci-dessus; 
mais il reste peu étendu et il disparaît peu à peu, en laissant 
l'animal réfractaire à la contagion naturelle ou expérimentale. 

Parfois, cependant, l’exsudation est si abondante, elle exerce 
sur le tégument une tension telle, qu'elle entraîne la mortifi- 
cation et la chute d'un tronçon de queue plus ou moins long. 
Parfois, enfin, mais rarement (une ou deux fois sur cent), l’en- 
gorgement, au lieu de rester limité à l'extrémité de la queue, 
monte rapidement le long de l'organe et envahit le tissu cellu- 
laire de la croupe et du bassin ; la mort s'ensuit d’orainaire, et 
les régions envahies se montrent, à l'autopsie, infiltrées d’une 
quantité considérable de sérosité semblable à celle du poumon 
dans la maladie naturelle. 

La sérosité péripneumonique, si virulente pour les animaux de 
l'espèce bovine, est sans action sur ceux des autres espèces. La 
chèvre, le mouton, le chien, le porc, le lapin, le cobaye, les 
oiseaux de basse-cour, supportent sans aucun dommage l’injec- 
tion sous-cutanée ou intra péritonéale de doses massives de 
sérosité virulente. 

Ces faits ont été établis par Willems dès 1850 : ilen a déduit 
les règles d’une prophylaxie efficace. Mais l’inoculation Wil- 
lemsienne, qui a rendu de grands services, n’est pas sans incon- 
vénients. Elle nécessite le dépôt d’une goutte de sérosité pulmo- 
naire dans le tissu cellulaire de l'extrémité caudale de l’animal 
qu'on veut immuniser. Or, cette sérosité pulmonaire s’altère 
avec une extrème facilité; elle devient rapidement putride, et la 
putréfaction détruit sa virulence. Il faut donc avoir un poumon 
frais pour inoculer; ordinairement on sacrifie un animal péri- 
pneumonique au moment de l'opération ; mais, parfois, l’animal 
abattu n’a qu'une lésion ancienne, où l’exsudat séreux peut 
avoir perdu sa virulence, quand il ne fait pas entièrement défaut ; 
parfois, aussi, surtout quand il s’agit de faire des inoculations 
vraiment préventives, on n’a pas de vache péripneumonique à faire 
abattre. 

Un réel progrès a été réalisé le jour où M. Pasteur nous a 

13 


242 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


appris à recueillir purement la sérosité qui distend les cloisons 
conjonctives du poumon péripneumonique, et surtout à produire 
de grandes quantités de sérosité virulente, en inoculant au veau, 
en région défendue, une goutte de sérosité pulmonaire. Dès 
lors, il fut possible de faire des provisions de virus et d'en 
expédier au loin, à mesure des besoins. 

Pourtant, le problème n’était pas entièrement résolu : la 
sérosité péripneumonique, mème recueillie purement, perd assez 
vite sa virulence; après un mois, six semaines au plus, l’inocu- 
lation reste ordinairement sans effets. Pour être sûr de pouvoir 
salisfaire à tous les besoins, il faut donc créer des centres de 
production de virus où, chaque mois au moins, on inocule de 
nouveaux sujets. C’est ce qui a été réalisé à grands frais dans un 
petit nombre de pays!. 

La détermination de l'agent spécifique du virus péripneumo- 
nique, son isolement et sa culture constitueraient done un 
progrès considérable. Malheureusement tous ceux qui se sont 
attelés à cette étude — et ils sont légion ! — y ont échoué. 

Nous avons, pour notre part, fait de nombreuses tentatives, 
et depuis bien longtemps! Elles sont toutes restées infruc- 
tueuses. — Quand elle a été recueillie purement, dans les sacs 
lymphatiques périlobulaires ou sous-pleuraux, la sérosité péri- 
pneumonique la plus virulente peut être ensemencée dans tous 
les milieux usuels, à l'air ou dans le vide, sans jamais donner 
aucune culture. De même on ne réussit pas à y colorer, par les 
procédés connus, aucun élément microbien. 

Nous avions donc renoncé à toute tentative de culture quand 
parut le Mémoire de MM. Metchnikoff, Roux et Salimbeni * sur 
la toxine et l’antitoxine cholérique. Les résultats que leur 
avait donnés l’emploi des cultures in vivo, à l’aide de sacs en 
collodion, nous rendit l'espoir du succès. 

Nous rappellerons, en quelques mots, les principes et la 
technique de cette ingénieuse méthode de culture. 

On prépare de petits sacs de collodion à paroi très mince : 
après les avoir stérilisés à l’autoclave, on y introduit quelques 
centimètres cubes de bouillon, ensemencé au préalable avec 
une trace du liquide virulent à étudier ; on les ferme exactement ; 


4. M. Loir a établi un pareil service en Australie. 
2. Annales de l'Institut Pasteur 1896, page 257. 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 243 


puis on les introduit dans le péritoine d’un animal neuf, cobaye, 
lapin, chien, mouton, vache, etc... On apprend vite à exécuter 
purement toutes ces manipulations, et, pas un instant, l’ani- 
mal ne paraît souffrir, soit de l’opération, soit de la présence 
des sacs dans la cavité péritonéale. 

Après un temps variable depuis quelques jours jusqu’à plu- 
sieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie 
l'animal ; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité périto- 
néale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine et 
de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisément. 

Quand l'animal d'expérience et le liquide de culture ont été 
convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants 
dont, pourtant, l'interprétation est aisée. 

La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux 
microbes comme aux cellules; les microbes ne peuvent sortir 
du sac, mais ils peuvent s'y multiplier en toute sécurité, car, 
les cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l'abri de la phago- 
cylose. D'autre part, cetle paroi impénétrable aux microbes et 
aux cellules est perméable aux liquides comme aux substances 
dissoutes; elle forme une membrane osmotique; à son niveau 
s'établissent des échanges qui modifient profondément la 
composilion primitive du liquide emprisonné; des substances 
élaborées par le microbe peuvent diffuser au dehors et, quand 
elles sont suffisamment actives ou l’animal suffisamment sen- 
sible, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des accidents 
d'intoxication plus ou moins graves, sans qu’un seul microbe 
ait envahi les tissus. En tout cas, les conditions réalisées dans 
le sac sont favorables à la culture, l’auto-intoxicalion microbienne 
se trouvant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits 
venus de l'organisme du sujet pénètrent dans le sac, qui peuvent 
être utiles au microbe; — c’est le cas le plus fréquent ; aussi, 
quand on ouvre le sac, y trouve-t-on d'ordinaire une culture 
d’une richesse invraisemblable. 

« Ce procédé, disent les auteurs, est très commode pour 
conserver les microbes fragiles et 1l réussit avec beaucoup 
d'espèces. » 

Peut-être réussirait-il avec le virus péripneumonique? L’évé- 
nement confirma nos prévisions. 

Des sacs de collodion, remplis de bouillon ensemencé, au 


244 ANNALES DE L’INSTIIUT PASTEUR. 


préalable, avec une trace de sérosité péripneumonique, fermés 
avec soin et insérés dans la cavité péritonéale de lapins, con- 
tiennent, après 15 à 20 jours, un liquide opalin, un peu louche, 
légèrement albumineux., Ce liquide ne renferme ni cellules, ni 
bactéries cultivables sur les milieux usuels. En revanche, l’exa- 
men microscopique y montre, à très fortgrossissement (environ 
2,000 diamètres) et à un puissant éclairage, une infinité de 
petits points réfringents et mobiles, d’une si grande ténuité 
qu'il est difficile, même après coloration, d’en déterminer exac- 
tement la forme. Si on a eu le soin d'insérer dans le péritoine 
du même lapin un deuxième sac de collodion renfermant du 
bouillon, identique, mais non ensemencé, on peut s'assurer que les 
modifications éprouvées par le liquide du premier sac ne sont 
pas dues purement et simplement aux échanges osmotiques qui 
se sont opérés au niveau de la paroi; on constate, en eflet, que 
le liquide du sac témoin a conservé sa transparence et sa limpi- 
dité primitives. 

En réalité, les points mobiles et réfringents du liquide ense- 
mencé, si nombreux qu'en dépit de leur extrême finesse ils ont 
rendu ce liquide opalescent, sont des êtres vivants qui ont pullulé 
à la faveur des moditicalions subies par le liquide de culture et 
grâce à l'obstacle opposé par la paroi de collodion à l'action 
phagocytaire. 

Ce qui le prouve, c’est que si l’on insère dans le péritoine 
d’un deuxième lapin deux sacs de collodion, ensemencés, le 
premier avec une trace du liquide opalin ainsi obtenu, le 
deuxième avec plusieurs gouttes du même liquide, préalablement 
chauffé, celui-ci se comporte identiquement comme le sac témoin 
de tout à l'heure; son contenu reste limpide et transparent, 
tandis que l’autre présente bientôt l'opalescence et les innom- 
brables points réfringents décrits plus haut : le chauffage avait 
tué les germes ensemencés. 

Avec le liquide opalin de cette deuxième culture, on peut 
ensemencer de nouveaux sacs qu’on insère dans le péritoine d’un 
troisième lapin, et ainsi successivement; on obtient toujours des 
résultats identiques. Mais il est prudent de faire plusieurs sacs 
pour chaque passage, la rupture du sac se produisant assez fré- 
quemment’. 


4. Le sac de collodion peut être remplacé, et souvent avec avantage, par un 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 245 


Le plus souvent les lapins sont très amaigris au moment où 
on les sacrifie; parfois même ils succombent avant le jour fixé 
pour l’autopsie; ils sont alors dans un état de cachexie profonde ; 
ils n'ont plus que la peau et les os; l’autopsie ne révèle pourtant 
aucune lésion organique appréciable; le sang et la pulpe des 
parenchymes, ensemencés dans des milieux variés, même en 
sacs de collodion, ne donnent pas de culture; il s’agit donc, 
selon toutes probabilités, d'une intoxication due à la diffusion, 
en dehors du sac, de produits élaborés par le microbe; on ne 
peut en tout cas les attribuer à des troubles digestifs (ou autres) 
qu'aurait provoqués la présence du sac, corps étranger : quand 
le bouillon n'a pas été ensemencé, les lapins peuvent recevoir 
plusieurs sacs et les conserver plusieurs mois, sans présenter 
le moindre malaise, sans perdre un gramme de leur poids. 
Il nous a paru d'ailleurs que ces accidents étaient d'autant 
plus accusés et la cachexie d'autant plus profonde que les sacs 
introduits après ensemencement étaient plus nombreux, d’une 
capacité plus grande ou que la culture effectuée était plus riche. — 
Voilà donc un nouvel exemple d’un animal très sensible aux 
toxines d’un microbe contre lequel ilest pourtant tout à fait 
réfractaire. 

Nous avons essayé plusieurs fois d'obtenir des cultures en 
sacs chez le cobaye; nous n’y avons jamais réussi : même après 
six semaines de séjour dans le péritoine du cobaye, le liquide le 
plus largement ensemencé est retrouvé aussi limpide qu’au 
début. 

Il s’agit donc bien d’un microbe spécial qui à pullulé en 
cultures successives dans le milieu que les échanges osmo- 
tiques ont créé, chez le lapin, à l’intérieur du sac de collodion 
ou de roseau. 

Ce microbe si particulier est-il bien l'agent de la virulence 
péripneumonique ? 

L’inoculation permet de répondre affirmativement. 

On trouvera à la fin de ce travail l'observation détaillée de 
cinq vaches bretonnes chez lesquelles l’inoculation d’une petite 


segment plus ou moins long de la fine membrane tubulaire qui tapisse la cavité 
centrale du roseau; M. Metchnikoff a montré que cette membrane estimpéné- 
trable aux microbes et aux cellules; elle est au contraire très perméable aux liqui- 
des et aux substances dissoutes; elle est aussi très résistante. 


246 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


quantité de cullure en sacs a provoqué le développement d'un 
engorgement péripneumonique absolument caractéristique. 

L'une de ces vaches (n° 1) a succombé avec une infiltration . 
œædémateuse formidable ; les quatre autres ont résisté. Deux de 
celles-ci (n° 2 et 3), réinoculées en région défendue avec une 
forte dose (1 ©. c.) de sérosité pulmonaire, n’ont manifesté 
absolument aucun symptôme local ou général, tandis qu’une 
vache neuve (n° 4) inoculée en mème temps qu'elles, à titre de 
lémoin, avec 10 gouttes de la mème sérosité, succombait vingt- 
deux jours après l’inoculation. 

Une troisième vache (n° 5) réinoculée après quatre mois 
avec! c.c. de sérosité pulmonaire provenant &’une lésion suraiguë, 
n’a présenté ni fièvre, ni lésion locale. 

La quatrième (n° 6) n’a pas encore été réinoculée. 


Comme nous le disions plus haut, la culture extraite d’un 
sac de collodion ou de roseau, après 15 à 20 jours de séjour dans 
le péritoine d'un lapin, si riche qu’elle soit, ne donne aucune 
culture quand on la réensemence in vitro, à l'air ou dans le vide, 
dans l’un quelconque des milieux, liquides ou solides, ordinai- 
rement usités en bactériologie. — On peut cependant obtenir 
des cultures à peu près semblables à celles des sacs. Mais il faut, 
pour cela, employer comme liquide de culture du bouillon stérile, 
non ensemencé, qu’ona faitséjourner pendantquelques semaines, 
à l’intérieur de sacs de collodion, dans le péritoine d'une vache 
ou d’un lapin. Ce bouillon, quoique non ensemencé, se modilie, 
lui aussi, à la faveur des échanges qui s’opèrent à travers la paroi 
du sac; il devient légèrement albumineux; il acquiert surtout la 
faculté de pouvoir servir à la culture, in vitro, du microbe 
péripneumonique. 

Une seule fois nous avons obtenu, par l’ensemencement de 
quelques gouttes de sérosité péripneumonique dans du bouillon 
peptonisé fraîchement préparé, une culture analogue à celle des 
sacs. Tout au moins, le bouillon ensemencé présentait, après 
72 heures de séjour à l’étuve, la très légère opalescence, et les 
petits grains mobiles et réfringents qui caractérisent cette cul- 
ture. Mais il ne nous fut pas possible de reproduire l’expérience, 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 247 


ni même d'obtenir une seconde culture en partant de celle que 
le hasard nous avait fournie. 

Pourtant cette observation nous confirmait dans l’idée que 
le virus péripneumonique peut être cullivé en dehors de l’orga- 
nisme. 

Il fallait donc trouver un milieu de culture favorable. Nous 
y sommes parvenus après de longues recherches. Le liquide 
qui nous a donné les meilleurs résultats est constitué par l’addi- 
tion d’une petite quantité de sérum de lapin ou de vache à 
la solution de peptone, préparée par M. Louis Martin pour 
obtenir la toxine diphtérique‘. La proportion de sérum ne doit 
pas dépasser 1/25 (4 gouttes environ pour 5 c. c. de solu- 
tion). Une plus forte proportion de sérum donne au liquide 
une opalescence qui empêche de reconnaître le début de la cul- 
ture. On n'a pas de culture si l’on emploie une solution de 
peptone de Witte ou de Chapoteaut; enfin la culture ne se fait 
pas en présence de gaz inertes ou dans le vide. 

Le bouillon Martin-sérum ne permet pas seulement d’en- 
tretenir la culture mise en train par le passage en sacs de collo- 
dion ou de roseau ; il peut aussi donner une culture d'emblée, 
quand on l’ensemence avec une trace de sérosité naturelle. 

La culture in vitro du microbe de la péripneumonie constitue 
un gros progrès; on va pouvoir étudier sa toxine, essayer de 
modifier sa virulence; elle présente déjà cet avantage de con- 
server intacte la virulence péripneumonique, tandis qu’il nous a 
semblé que les passages successifs par l'organisme du lapin 
l’atténuent sensiblement. Mais le degré de réceptivité pour le 
virus péripneumonique est si variable, même chez des individus 
de même âge et de même race, que nous n'’osons pas être très 
affirmatifs. Cette question de l’atténuation du virus ne pourra 
être résolue que par un grand nombre d’expériences. 

Quant au premier point (conservation de la virulence par les 
cultures successives in vitro), il est nettement établi par l’obser- 
sation des vaches n° 7 et n° 8 qu’on trouvera ci-après : l’un de 
ces animaux, inoculé. le 26 février 1898 avec 10 gouttes d’une 
6° culture, a succombé le 19 mars avec un engorgement œdé- 
mateux énorme, en tout semblable à ceux que provoque l’ino- 
culation de la sérosité pulmonaire la plus virulente; l'autre, in- 


1. Annales de l'Institut Pasteur, 95 janvier 1898. 


248 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


jecté le 19 mars avec 1 c. c. d’une dixième culture, tombe malade 
neuf jours après. La fièvre est prononcée et, au point d’inocu- 
lation, il se forme un œdème en même temps que l’on constate 
une zone de matité dans les poumons. 


La découverte de l'agent de la virulence péripneumonique 
n'offre pas seulement l'intérêt de la difficulté vaincue; sa portée 
est plus haute. Elle donne l'espoir de réussir également dans 
l'étude de tels autres virus dont le microbe est resté jusqu’à 
présent inconnu. 

Ce qui rendait si difficile la détermination de ce microbe, c’est, 
d’une part, son extrême ténuité; c'est, d'autre part et surlout, 
les conditions si étroites de sa culture en milieu artificiel. 

Or, il est bien permis de concevoir l'existence de microbes 
plus petits encore, lesquels, au lieu de rester en decà des limites 
de la visibilité, comme c'est le cas pour celui-ci, seraient au delà 
de ces limites; en d’autres termes, on peut admettre qu’il existe 
des microbes invisibles pour les yeux de l’homme. 

Eh bien ! même pour ces microbes, l'étude reste possible, à 
la condition de trouver un milieu qui soit favorable à leur cul- 
ture. Il faudra même, dans ces tentatives de culture, ne pas 
s’en tenir, pour juger de l'échec ou de la réussite, aux modifi- 
cations survenues dans l’aspect ou dans la transparence du 
milieu. La culture du microbe de la péripneumonie est abon- 
dante; pourtant, elle ne provoque qu’un très léger louche, une 
opalescence à peine sensible du liquide; on est souvent obligé, 
pour se convaincre de la réalité de la culture, d'examiner cora- 
parativement, à côté d’elle, un tube de même bouillon non 
ensemencé. On peut donc admettre la possibilité d’une culture 
microbienne ne modifiant pas d’une facon appréciable l'aspect 
et la limpidité du milieu. Dès lors, dans l'hypothèse où ce 
même microbe serait de ceux qui sont au delà des limites de la 
visibilité, le seul critérium de sa présence et de sa multiplica- 
tion dans la culture serait l’inoculation. 

Déjà, peut-être, certains expérimentateurs ont-ils obtenu de 
telles cultures ; mais ils les auront méconnues parce que, le 


4 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 249 


liquide ayant conservé sa limpidité, ils auront jugé inutile de 
l’inoculer. 

Dans cet ordre d’idées, la culture in vivo, à la faveur des sacs 
de collodion ou de roseau, nous rendra sans doute encore des 
services. 


CONCLUSIONS 


L'agent de la virulence péripneumonique est constitué par 
un microbe d’une extrème ténuité ; ses dimensions, très infé- 
rieures à celles des plus petits microbes connus, ne permettent 
pas, même après coloration, d'en déterminer exactement la 
forme. 

Ce microbe cultive aisément dans les sacs de collodion ou de 
roseau insérés dans le péritoine du lapin; 

Il ne donne pas de culture quand on l’ensemence /# vitro 
dans les milieux ordinairement usités; 

Au contraire, il cultive aisément, quand on l'ensemence dans 
le bouillon-peptone de Martin, additionné de sérum de vache ou 
de lapin, dans la proportion d’une partie de sérum pour vingt 
parties de bouillon. 


APPENDICE 


Première expérience. 


Le 16 mai 1896, à 8 heures du matin, on sacrifie une vache 
flamande, atteinte de péripneumonie aiguë; cette vache a été 
envoyée le 14 mai, au service de police sanitaire de l’École 
d'Alfort, par M. Redon, vétérinaire délégué du 2° secteur, comme 
sujet d’études. 

À l’autopsie, hépatisation suraiguë de presque tout le poumon 
droit; la lésion n’a épargné que le lobe antérieur et le bord 
supérieur de l'organe. Pas d'épanchement dans le sac pleural. 
Pleurésie sèche sur toute la partie hépatisée. 

Une quantité énorme de sérosité jaunâtre et limpide distend 
les sacs lymphatiques périlobulaires et sous-pleuraux. En cer- 
tains points, la plèvre est soulevée par de véritables lacs de 
sérosité; on en recueille purement, sans la moindre difficulté, 
plus de 20 c. c., répartis en 50 tubes effilés flambés. 


250 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le 2 juin 1896, on prépare deux sacs de collodion qu'on rem- 
plit de bouillon-peptone ensemencé avec une trace de sérosilé 
recueillie le 16 mai (une gouttelette pour 40 c. c. de bouillon). 
La sérosité de la pipelte qui a servi à cette opéralion, ensemencée 
sur gélose et sur bouillon et mise à l’étuve, n'a donné aucune 
culture. Les deux sacs de collodion, fermés exactement, sont 
insérés daus le péritoine de deux lapins. 

Ces lapins sont sacrifiés le 27 juin; ils sont maigres, mais 


Lels[el sell ef shiof nf refrapufislre DÉCRDR RENE 


Ho Hi HE 
ARS is re È 
Ne HN EURE Es 
HÈBNE él CEE : 
FFE HET Et es 


enort 


L+ 
Il 


at ee 
fatale _ 
= + 
+++ + 
I + 5 5: 
Ein He HE LTÈ AT L 
Mr HER 5 
EE] : Lee < ZDBE 
T di ROBE BAS + IDE: 
Seau En ID US Si amas É 
SOEgE C 
je RHÉREE È SE if ) Œ ü 
SU 5 
feu He = T 


No 4. — Génisse Bretonne, 10 mois, inoculée le 29 juin 1896 avec 5 gouttes de culture 
péripneumonique en sac de collodion. 


Rnb 
RER CON NE 
| [1 BERUN SARA Te 
+ 
| | | 


H- 


. 
BRBBREE 
aan 
HE 
BRBRE 
LEE 
HE 
MARRER 
ï 


encore vigoureux. Les sacs de collodion sont intacts; ils renfer- 
ment un liquide opalin, un peu louche, légèrement albumineux, 
où fourmillent une infinité de petits points réfringents, mobiles, 
si petits qu'on ne peut les distinguer qu’à un très fort grossis- 
sement (environ 2,000 diamètres), sans pouvoir en déterminer 
la forme. 

Le 29 juin, à 8 heures du matin, j'inocule une génisse bre- 
tonne âgée de 10 mois (vache n° 1), par injection sous-cutanée 
en arrière de l'épaule gauche, avec cinq gouttes du liquide opalin 
extrait le 27 d'un sac de collodion. Ces cinq gouttes de 
culture ont été diluées au préalable dans 2 c. c. de bouillon 
stérilisé. 

Jusqu'au 7 juillet on n'observe rien d'anormal sur la génisse 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 251 


inoculée ; elle conserve sa gaieté et son appétit; sa température 
oscille autour de 38°5 comme avant l'injection. 

Le 8 juillet, la température est de 39°1 le matin, 39°7 le soir; 
à compler de cette date, elle s'élève lentement et graduellement 
pour atteindre, le 19 juillet, 4193. 

Le 7 juillet, on notait déjà un petit engorgement au niveau 
de l'injection; sur une surface large comme la paume de la main, 
la peau est soulevée ; elle a perdu de sa souplesse; elle est un 
peu chaude et sensible. Ces caractères s’accentuent rapidement; 
la tuméfaction s'accroît dans tous les sens; dès le 10 juillet, elle 
a plus de 25 centimètres de diamètre : elle est dure, tendue, 
très douloureuse; l'animal se défend de la corne et du pied contre 
les attouchements. Un bourrelet saillant marque son contour. 

L’engorgement s'accroît rapidement en avant, en arrière et 
en bas; il gagne sous l'épaule qu'il écarte du tronc et qu'il 
immobilise presque entièrement; il s'étend sous le ventre jus- 
qu'à la mameile; enfin, dès le 16 juillet, il forme au fanon une 
tumeur œdémateuse, chaude, tendue et douloureuse, du volume 
de la tèle. Peu à peu le bras et l’avant-bras s’engorgent, et la 
légère pression provoque une vive douleur dont la génisse 
témoigne par une plainte sourde et prolongée. 

L'appélit, qui s'était maintenu jusque vers le 12 juillet, 
diminue peu à peu; à compter du 18 juillet, la bête refuse tout 
aliment. 

Le 19 juillet, la bête est couchée sur la table d'opérations; 
après cautérisation profonde de la peau, on recueille purement, 
à l’aide de tubes eflilés flambés, une grande quantité de sérosité 
limpide, légèrement ambrée ; la pression est telle qu’il n’est pas 
besoin d'aspirer; le liquide jaillit dans la pipette jusqu’au tam- 
pon de ouate; après l’opération, un filet de sérosité s’écoule par 
chaque piqûre, imprègue la litière et forme bientôt un véri- 
table ruisseau. 

Les jours suivants, l'animal reste étendu sur la litière, inca- 
pable de serelever ou même de se tenir debout; il meurt dans la 
nuit du 23 au 24 juillet. 

A l’autopsie, on constate l'existence d’une infiltration ædé- 
mateuse énorme, occupant toute la face droite et toute la partie 
inférieure du corps, depuis la région de l’auge jusqu'aux ma- 
melles. 


252 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Au fanon, elle forme une masse plus grosse que la tête dela 
génisse; le membre antérieur droit est soulevé, écarté du tronc 
et infiltré dans toute sa hauteur; le bras et l’avant-bras sont 
doublés d'épaisseur, en dépit de la résistance opposée par les 
aponévroses; le tissu cellulaire est envahi jusqu’au voisinage de 
l'os. Chaque coup de scalpel fait jaillir des flots de sérosité. 

Le tissu conjonctif est comme gélatineux; ses mailles sont 
distendues par une masse de sérosité limpide, un peu ambrée. 
Au niveau de l'épaule et du bras, l'infillration conjonctive a 
envahi jusqu'au tissu interfasciculaire, en sorte que, sur la 
coupe, le muscle présente un aspect cloisonué, comme scléreux ; 
seulement, les cloisons conjonctives, au lieu d’être fibreuses, 
sont œdémateuses ; entre elles, le tissu propre du musele a une 
teinte pâle, lavée, et sa consistance est friable. 

Cet aspect se retrouve identique dans les intercostaux; l’in- 
filtration séreuse s'est propagée jusqu'au tissu conjonctif sous- 
pleural qui forme comme un matelas épais et fluctuant. On le 
retrouve également, mais moins intense, dans le tissu cellulaire 
du médiastin antérieur. Le sac pleural renferme également 
_ deux litres de sérosité jaune, un peu roussâtre. 

Enfin, les deux lobes pulmonaires sont sains; il n'y a pas 
trace d'infiltration interstitielle ou sous-pleurale. 


Li 
# 


On pourrait croire que le résultat de celte expérience tient à 
ce que l’on a inoculé une simple dilution du virus; ce n’est pas 
soutenable. Le bouillon primitif a été ensemencé avec une goutte 
de sérosité sous-pleurale, soit 1/20 de ec. c. pour 10 ce. c. de 
bouillon; la dilution était donc à 1/200. 

On a inoculé cinq goultes du liquide du sac dilué au 4/200, 
soit un c.c. d’une dilution au 1/800; l'inoculation a été 
faite quarante jours après la récolte du virus, c'est-à-dire 
à une époque où d'ordinaire cette sérosité a perdu sa virulence : 
notons, en outre, que pendant vingt Jours la sérosité diluée à 
1/200 a supporté une température voisine de + 40° (dans le péri- 
toine du lapin), conditions éminemment défavorables à la con- 
servation de la virulence ; rappelons, enfin, que l’incubation a 
été très courte et la marche de l'infection très rapide, et nous 
conclurons que les résultats observés sont bien dus au microbe 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 253 


cultivé et non à une simple dilution du virus péripneumonique. 
Au surplus, les expériences ci-après lèvent tous les doutes à 
cet égard. 


Deuxième série d'expériences. 


Le 19 juillet, on recueille purement une grande quantité de 
la sérosité qui distend le tissu conjonctif de la région costale 
gauche de la génisse dont il vient d’être question. 

Le 1% août, trois sacs de collodion recoivent: l’un, du 
bouillon neuf non ensemencé (servira de témoin); le deuxième, 
du même bouillon auquel on a ajouté 1/10° de la sérosité recueillie 
le 49 juillet ; le dernier, une dilution au 1/1000 de la même 
sérosité. Les deux tubes de bouillon ensemencé, qui ont servi à 
remplir les sacs, mis à l’étuve, restent stériles. Les deux premiers 
sacs de collodion sontinsérés dans le péritoine d’un lapin (b. 116); 
le troisième dans le péritoine d’un autre lapin (c. 135). 

Les deux lapins sont sacrifiés le 17 août. Les deux sacs du 
lapin b. 116 sont intacts; le sac {moin ( bouillon non ensementcé) 
est absolument limpide; l’autre est fortement louche; le liquide 
fourmille des petits points réfringents et mobiles déjà vus pré- 
cédemment. Le sac du lapin c. 135 renferme un liquide opalin, 
moins louche que le précédent ; il renferme également un grand 
nombre de microbes. 

Avec la culture du lapin b. 116, on refait deux dilutions qu'on 
met en sacs de collodion : l’un des sacs (dilution au 1/100) 
est mis dans le péritoine d’un lapin (i. #1); l’autre (dilution au 
1/1000) est déposé dans le péritoine du lapin (4. TJ). 

Ces deux lapins sont sacrifiés le 1° septembre ; le contenu 
des deux sacs est louche et plein des points réfringents décrits 
plus haut. Le 2 septembre, le liquide du sac du lapin i. 79 est 
inoculé à une vache bretonne neuve (vache n° 2); l’autre sert à 
faire deux nouveaux sacs insérés dans le péritoine de deux lapins : 
n° 48 (dilution au 1/200) et n° 92 ( dilution au 1/500). 

Le lapin n° 92 meurt le 9 septembre, cachectique, sans lésions 
viscérales apparentes; le sac est intact, le liquide louche ne ren- 
ferme rien autre chose que les points réfringents habituels. On 
en fait une dilution au 1/60 qu'on insère (en deux sacs) dans le 
péritoine du lapin n° A. 357. — Disons tout de suite qu’à l’au- 


954 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


topsie de ce lapin, les deux sacs ont été trouvés rompus et que 
celte série de passages a élé ainsi interrompue. 

Le lapin n° 48 est sacrifié le 18 septembre, il est très maigre; 
le sac, intact, renferme un liquide très louche, plein des points 
réfringents habituels; on en fait deux nouveaux sacs (dilution 
au 1/200) insérés dans le péritoine des lapins B. 833 et B. 831. 
Le reste de la dilution, mis à l’étuve, reste stérile. 

Le lapin B. 833 meurt le 29 septembre au matin, sans cause 
apparente, cachertique ; son sac est intact: le liquide, très opa- 
lin, renferme uniquement les petits grains réfringents habituels ; 
on le conserve en tubes scellés jusqu’à l'autopsie du lapin B.831. 

Celui-ci est sacrilié le 6 octobre. Il est très maigre, mais 
encore vigoureux. Le sac intact renferme très peu d’un liquide 
très trouble : à côté des petits points réfringents habituels, on 
trouve, en assez grand nombre, des coccobacilles analogues à 
celui du choléra des poules, mais plus petits; il n’y a point de 
cellules blanches ; il s’agit vraisemblablement d’une impureté in- 
troduite au moment où l’on à rempli et fermé le sac de collodion. 

Le 8 octobre, on injecte 1 centimètre cube de la culture du 
lapin B. 833, sous la peau, en arrière de l'épaule d’ane vache 
brelonne (vache n° 3). 

Voici l'observation résumée des deux vaches inoculées aux 
cours de celte série d'expériences : 

Vache n° 2 (a reçu, le 2 septembre, 1 centimètre cube d’une 
deuxième culture en sac, représentant une dilution à 1/10,000 
de la sérosité recueillie sur la génisse n° 2, le 19 juillet 1896). 

Jusqu'au 15 septembre, cette vache ne présente rien d’anor- 
mal ; le16, on note au point d’inoculation une tuméfaction dure 
el sensible, du volume d’une mandarine; température encore 
normale. 

Le 17, la tuméfaction s’est élargie : elle est tendue, chaude 
et très douloureuse. 

Le 18, elle mesure plus de 20 centimètres de diamètre; la 
température s'élève à 3903. 

Le 20, l'engorgement, très tendu, a gagné l'épaule dont 
elle gêne le fonctionnement ; latempérature est à 40°2; l'animal 
est triste et laisse une partie de sa ration; on fait des injections 
d’eau iodée dans le bourrelet œdémateux qui marque le contour 
de la tumeur. 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 255 


Jusqu'au 23, l’état reste le même, loujours inquiétant; on 
continue les injections iodées. À compter du 24, la tumeur 
s’affaisse, la température tombe, l’animal reprend son appétit et 
sa gaieté. Le 27, tout est rentré dans l’ordre. 


TITERTEFEETEEE 
ŒE |] Este] pts] Eee] 
RHONE 


+ 
+ 


Hi 


+ 
+ 


EL HIER ES 
DEAN PAÉEE 
EEEEEHPEEE MÈRE 
HR 
ee ee ei 


No 2, — Vache Bretonne, 6 ans. inoculée le ? septembre 1896, avec 10 gouttes de culture 
en sac du lapin à. 79 (Dilution au 110.000). 


Vache n° 3 (a reçu, le 8 octobre, 1 ce. c. d'une 5° culture en 
sac, représentant une dilution à 1/40,000,000 de la sérosité 
recueillie le 19 juillet). 

Cette vache n’a rien présenté d’anormal jusqu'au 21 octobre. 
Le 22, on observe, au point d'inoculation, une tuméfaction dure 
et sensible, du volume d’une noix : le 23, la nodosité est envi- 
ronnée d’un œdème mou, assez étendu; la température est à 
392; le 24, tuméfaction large comme la paume de la main, 
tendue, chaude et douloureuse; le 26, l’engorgement, toujours 
très sensible, s’est encore étendu en surface; température 
3906; les jours suivants, l’élat reste stationnaire, puis tout 
s'affaisse, se résorbe, la température revient à la normale; le 31, 
tout avait disparu. 


* 
# * 


Si les accidents observés sur les vaches n° 2 et 3, consécuti- 
vement à l’inoculation des cultures en sacs de collodion, étaient 
bien de nature péripneumonique, ces vaches devaient avoir 


[Re 


)6 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’immunité contre la maladie naturelle et contre l’inoculation de 
la sérosité virulente. Il fallait s'en assurer. L'expérience ci-après 
confirma ces prévisions : - 

Le 11 décembre 1896, M. Dervaux, d'Armentières, envoie à 
l’École d'Alfort les deux poumons d’un bovidé péripneumonique; 
le lobe droit a sa moitié postérieure envahie par une hépatisation 
récente ; le tissu est gorgé de sérosité jaunâtre et limpide; on en 
recueille purement quelques centimètres cubes qui servent à 


A TEE LE LEE EE GLEN 


LR TE 
Msssesse — = 


HE AELET 


DNS 
BEBBE 
Co] 
EUR: 

ne EE 

LE 

Per 
RER 


É 2 2= ss 5 

J dE | S 
+ à DBE TE 
1. AH aus nie ÉE ARERE As 1e IDE 
ee elelele [ [of fe SILTS um Ê ÉaRNE afneele 
£ se een Res SERRE EE Hit 
SRE = ET AE SE ste JE 
Nan ne HE ae HAE PEACE HE 
PE CR EE TE MA 
He va Re HiÈE van 

ss 


«| 
ù se 


È Sheet aper = EI ee 

HER EE 

ue [] EVE C1 E J nee 

HIT RE Sr RE HAE : T 
: JHER HE s 


HD 
—— 
HE 
HÉRE 
Fo 
ar 

r 
rs 


No 3. — Vache bretonne, 5 ans, inoculée le 8 octobre 1896, avec un centimètre cube de 
culture en sac du lapin B. 833 (Dilution à 140,000,000. 


inoculer, par injection sous la peau, en arrière de l'épaule, les 
vaches n° 2 et 3 (dont chacune recoit vingt gouttes de sérosité) 
et la vache n° 4 (normande, dix-huit mois, actinomycose de la 
mâchoire), laquelle servira de témoin et reçoit seulement dix 
gouttes de sérosité. 

Tandis que les vaches n° 2 et 3 ont supporté l'injection sans 
rien présenter d'anormal, ni engorgement ni fièvre même passa- 
gère, la vache témoin succombait le 22° jour avec un engorge- 
ment considérable renfermant plus de dix litres de sérosité. 
— L'incubation n'avait été que de huit jours; c'est le 18 dé- 
cembre que la fièvre s’allumait et qu'apparaissait la tumeur 
œdémateuse au point d’inoculation. — Ci-joint le tracé relatif à 
la vache n° 4. 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 257 


Troisième série d'expériences. 

Le 9 mars 1897, M. Borrel recueille purement de la sérosité 
sous-pleurale, fournie par une vache abattue à Grenelle et mise 
à sa disposition par M. Martel. 

Le 12 mars, on prépare deux sacs de collodion qu’on emplit 
avec une dilution de sérosité dans du bouillon-peptone, dilution 
faite au 1/1000. Un des sacs est mis dans le péritoine d’un 
lapin, l'autre dans le péritoine d’un cobaye. 


a ATPAIEE DE RE ï (isE RRTE 
EE CRÉÉE ER EE PRES ESS BESSRSRREE 
ni RRBRS ÉRLICLEEEE 
Ÿ Et BE 
DS ES EEE T ! = 
= SAABE BREL 
me RTS ES 
HHSRSEBERRE RAARNRE 
| |] AE Lil [TJ EE SE + 
HÉBRENRE HP 
| NT He 
RARE RE Ru 
= = EE HR HE 
=: — —— ERA 
He 
pis ÉHÉANERE ——- RER 
B EEE EEE HE 
| 


ss[° 


BHRHBR RADAR berne 
L 6 | 18 Es Aie 2 


No 4. — Vache normande, 18 mois (actinomycose), inoculée le 11 décembre 1896 avec 
10 gouttes sérosité pulmonaire. 


Le 4 avril, on sacrilie les deux animaux : le sac du cobaye 
est plein d'un liquide transparent, limpide; — le lapin, très 
amaigri, donne un sac un peu flasque, renfermant un liquide 
opalescent où fourmillent les petits grains réfringents habituels. 
— Avec la culture du lapin, on ensemence du bouillon dont on 
fait une dilution au 1/100 et une autre au 1/1000; on en 
emplit deux sacs qu’on insère dans le péritoine de deux nouveaux 
lapins. 

Le 28 avril, les deux lapins sont sacrifiés; la culture s’est 
faile dans les deux sacs, identique aux précédentes et très riche. 

Le 29 avril, on injecte dix gouttes de la dilution au mil- 
lième, sous la peau, en arrière de l'épaule gauche, à une vache 
bretonne, âgée de huit ans (vache n° 5). 


258 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


En voici l'observation résumée : 
Jusqu'au 24 mai, tout reste normal; pas de fièvre, pas de 


lésion locale. : ERA 
Le 25 mai, [= HOMMES DRE 
vingt- sept jours = TE BRRBASERTRBRRS SEE S 
Sd idee Slip) à 
MA Ne Fe HANNAH) S 
tion, une tumeur, = RER ES HER ] = 
du volume d’une pe FEES Ba anage DAS AL 
mandarine, sail- SE Te 5 
, + + ur 102 5 20410] = = 
lante, dure, sensi- Lo FH pee de Tree HS 2 
ble, se montre au es FÉERIES Hs) à 
niveau du point er EN EI HERTE RE 5 
à nd ee me can en aune LUS] # 
inoculé; cette tu- Re HOME pre ET ANS) 2 
meur s'étale peua [SHOT QI PTEEENUS| à 
peu les jours sui- ÉRRÉZe sp godes Pop D TH 3 
SHARE) 
vants, toujours FÉRÉTRHNOINNRNNNNE = 
tendue et doulou- LS HN HS] % 
PLe >) LS] = 1 Es 
: > BBQ [] CETITITE CSN ERRBER > 
elle a les dimen- [SH ENIINNNENRNONTIEe £ 
sions d'une as- [Se ARE HER IT À 
‘étend ce FERRER RSS) = 
siette,s étendsous {se REPARER £ 
, - s LL 
l'épaule, dont elle ee FROM) « 
M ee mauve LÉ HUNSUINEE à 
2 Ce HÉRNONMESNINNNENHNE. S 
ments;elleesttou- Fe RHINNINNNNN TUE 2 
jourstrèssensible; [2 FSI Frenms due one One, 
tenants) à 
la vache se défend LEE 
de la corne et du [SRENININNIS NN © 
ed contre tout Ce HARRIS) 
pet ont On GHANA SN à 
ARODS ER RARES) * 
partir de ce mo- |[e Hip Mnnnr tn DS HILL EE + È 
ment, la tumeur e HE BR Rte s 
. . 2 + A L 
s’affaisse rapide- tu HE - 
ment. ee 
Le 6 juin. tout |} 


£ 
| 


a disparu. 

Voir ci-contre le tracé de sa température. Réinoculée le 
7 octobre 1897, avec 1 c. c. de sérosité péripneumonique recueil- 
lie le 3 sur un poumon envahi par une lésion suraiguë, celle 
vache n’a présenté ni fièvre nilésion locale au point d'inoculation, 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 259 
Elle était donc bien vaccinée par sa tumeur du mois de mai. 
Quatrième série d'expériences. 


Le 19 janvier 1898,un poumon atteint de péripneumonie 
aiguë, envoyé de la Villette, permet de recueillir purement, 
dans les sacs lymphatiques sous-pleuraux, plusieurs pipettes de 
sérosilé limpide. Après s'être assuré, par ensemencement 
sur gélose et sur bouillon, que cette sérosité ne renferme 
aucune bactérie banale, on prépare des sacs decollodion et de 


HOOCOEE 
EEE) LE 


EE 
É 
Se 
= 
== 
== 
Be 
= 


n° 


CRE 


CRIER 
= sa NOR: 


an ag UE 


Œ, 


ESTHER 
RE EEE 


28 
48 
ad a ae aa nue ele 2 A MEL 


CETTE TITETEETTEROTI 


CÉNTEATT EEE 


Éerien 
ATE 
EE 
GE 


No 6. — Vache bretonne, 4 ans, pleine de 8 mois, inoculée le 11 février 1898 avec 9 gouttes 
culture en sac de roseau. 


qui 
BECREEIE RD POTEE 


moelle de roseau que l’on emplit d’une dilution au 1/200. Le 
29 janvier, ces sacs sont insérés dans le périloine de deux lapins 
et de deux cobayes. Chaque sujet reçoit un sac de collodion etun 
sac de roseau. 

Les quatre animaux sont sacrifiés le 10 février. 

Les sacs des cobayes n’ont donné aucune culture; ils renfer- 
ment un liquide limpide et transparent. 

Au contraire, les sacs des lapins ont tous cultivé; le liquide 
qu'ils renferment est louche, opalin, plein des petits grains 
mobiles et réfringents accoutumés. La culture, peu abondante 
dans les sacs de collodion, est d’une grande richesse dans les 
sacs de sureau; le liquide est lactescent. 


260 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le 11 février, à 9 heures du matin, on inocule sous la peau, 
en arrière de l'épaule gauche, à une vache bretonne (vache n°6), 
ägée de # ans, pleine de huit mois, cinq gouttes de la culture en 
sac de roseau, diluées dans 2 c. ec. cubes de bouillon sté- 
rilisé. 

Jusqu'au 22, rien d’anormal; ce jour-là, on constate au point 
d'inoculation un peu de sensibilité à la pression, rien de plus: 
la température est à 38°,5. Le 23, œdème un peu chaud et sen- 
sible, large comme la paume de la main. La température s'élève 
au-dessus de 39°. Le 25, il existe une tuméfaction dure, tendue, 
chaude, très douloureuse, ayant les dimensions d’une assielte ; 
les jours suivants, la tuméfaction s'étend sous l'épaule dont elle 
gène les mouvements ; l’animal se défend de la corne et du pied 
quand on y porte la main; la tumeur reste stationnaire jusqu’au 
2 märs, puis elle s’affaisse peu à peu, lentementet graduellement, 
pour disparaître entièrement le 10 mars. La température, qui 
s'était élevée jusqu'à 39,8, retombe à la normale à compter du 
3 mars. Le # mars a lieu la mise bas; elle se fait rapidement, 
sous nos yeux, sans efforts; la délivrance est presque immédiate. 
Depuis cette époque, la vache n’a pas éprouvé le plus petit 
malaise. 

Le 10 février, on avait ensemencé plusieurs tubes de bouillon- 
peptone, sérum, avec une trace de la culture en sac de roseau ; 
seul, le bouillon Martin, additionné d’un peu de sérum de bœuf 
ou de lapin, cultiva, le liquide prenant peu à peu l’aspect opa- 
lescent du liquide des sacs; on continua !es cultures successives 
et, Le 26 février, on put inoculer à une vache bretonne (n° 7), 
3 ans, fraiche vêlée, dix gouttes d’une cinquième culture in vitro. 
L'inoculation fut faite en arrière de l’épaule droite. 

En voici l'observation résumée : 

Le vêlage et la délivrance ont eu lieu le 23 février ; les suites 
ont été assez régulières; cependant, pendant plusieurs jours, la 
vache a rendu d'assez grandes quantités de matières sanguino- 
lentes grisâtres, légèrement purulentes; puis tout est rentré dans 
l'ordre. Le veau, séparé de la mère, a été nourri au seau; la 
vache donnait de quatre à cinq litres de lait à chaque traite. 

Rien à noter au point d'inoculation jusqu'au 8 mars; ce 
jour-là apparaît une tuméfaction de la largeur de la main, 
dure et sensible ; la tumeur gagne rapidement les jours suivants, 


e 


MICROBE DE LA PÉRIPNEUMONIE. 261 


augmentant de tension et de sensibilité; elle s’insinue sous 
l'épaule qu'elle écarte du tronc et dontelle gène les mouvements. 
Dès le 11, la température s'élève au-dessus de 40, et elle reste 
à ce niveau jusqu'à la mort, atteignant, le 13 mars, 4007. En 
mème temps que l’engorgement progresse dans tous les sens, 
— gagnant le fanon où il forme une tumeur œdémateuse, molle 
et tremblotante, du volume de la tête d’un enfant, s'étendant le 
ong de la ligne blanche jusqu'aux mamelles, formant sous le 


Se DCE SSAREENNE [ul sl sf nf tel 1ef20] 212212812426] 26] 2728 | 50 


BDERS ne EE E 
RARES En PEN RRPSRRRNNnn 
nl LE + = DE 
EEE RER RERAENL ARE 
HRE EE HHEr SRE au È SABRE EH + 
NN M 
HR RSR IR URNBNNRRS ns 
SSnE DRE ETES PS En me HE 
HERO LAN AE RER CUS 
Bvavs NSP EREPANE ME LE = De À EE ce 
DER MULTI RENE DER EE) 
RSEPR-ECERE RENE FERRER 
SÉRIE A 
HE RER RH HAE: = 
RSS RH EEE CHHÈTEE Si Be CEE 
HS RSS ENS PNSR GERS ISGERENS 
ÉRHIREENERRORNNERERUEE NERO 
PEER EEE EE EEE =: RE LEE 5 
55 E F | 61 18[#4{ 715116117118] 19 11111 


No 7. — Vache bretonne, 3 ans, vêlée le 23 février, inoculée le 25 février 1898 
avec 10 gouttes d'une 5e culture in vitro. 


ventre une tumeur œdémateuse de l’épaisseur du bras, — Ia 
sécrétion lactée diminue considérablement, l'appétit est sup- 
primé, la bête maigrit à vue d'œil; la rumination persiste, lente 
et irrégulière. 

Le 17 mars, l’'engorgement est énorme, l’appui ne se fait plus 

le membre antérieur gauche, le bras et l’avant-bras sont 
fortement ædématiés, tout mouvement est impossible. 

Le 18 mars, l’animal est étendu sur la litière, absolument 
incapable de se relever. Il succombe le 19 mars, vers 2 heures, 
avec de l'hypothermie (37° 8). 

Autopsie. — En dépouillant l'animal, on fait écouler une 
quantité énorme de sérosité citrine et transparente. 

Le tissu conjonctif sous-cutané est le siège d’une infiltration 


262 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


considérable qui atteint, en certains points, plus de 10 centi- 
mètres d'épaisseur ; l’exsudation occupe toute la face inférieure 
du corps, depuis l’encolure jusqu'aux mamelles; elle remonte le 
long de la trachée dans la gouttière de la jugulaire, elle descend 
dans l’avant-bras, en dehors comme en dedans de l’aponévrose, 
disséquant les muscles jusqu’au-dessous du genou. 

Il existe un peu de sérosité dans les cavités pleurales et péri- 
cardique ; mais le poumon et tous les viscères sont absolument 
sains. 

Ci-joint la courbe de la température de la vache n° 7 depuis 
le vêlage jusqu'à la mort. 

Le 19 mars, on inocule à une vache bretonne, âgée de 3 ans 
(n° 8), 1 c. c. d’une dixième culture (in vitro) du microbe de la 
péripneumonie en bouillon Martin-sérum. 

Le 28 mars, la température s'élève de 2°, une tumceur œdéma- 
teuseapparaitaupointd'inoculationets’étendles jourssuivants, le 
membre antérieur est écarté, la région chaude est douloureuse. 
On constate une respiration accélérée et une matité dans la 
partie supérieure du poumon droit. Le 6 avril, matité au niveau 
de la 7° côte gauche région moyenne, et matité à la partie infé- 
rieure du poumon droit. Dans ces points, le murmure respira- 
toire est presque imperceptible. L'état général est grave. A partir 
du 8 avril, l'œdème, qui avait envahi la face externe du bras et 
l’aiselle, commence à diminuer. Le 15 avril, l’état général est 
redevenu bon, et et la matité a disparu en partie. On constate 
seulement de la crépitation à la partie inférieure des deux pou- 
mons. La température se maintient au-dessus de 39°, mais la 
maladie marche vers la guérison. 


_ RECHERCHES 
SUR L'INFLUENCE DE L'ORGANISME SUR LES TOXINES 


TROISIÈME MÉMOIRE 


TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES 
Par M. ÉLIE METCHNIKOFF 


(Rapport communiqué au Congrès international d'hygiène à Madrid.) 


Depuis la fondation de la section de microbiologie aux congrès 
internationaux d'hygiène, la question de l’immunitéest restée à 
l’ordre du jour. D'abord, c'était le problème de l’immunité vis-à- 
vis des microbes qui occupait l'attention. Au Congrès de Londres, 
toute une séance y a été consacrée et vous vous rappelez bien la 
profonde divergence de vues des partisans des théories humo- 
rales et de la théorie cellulaire de l’immunité. M. Buchner, 
dont nous regrettons aujourd’hui si vivement l'absence, a exposé 
alors, avec sa clarté habituelle, son opinion sur l’immunité dans 
les maladies infectieuses. Cette immunité consistait, pour lui, en 
une action bactéricide des humeurs, grâce à la présence des 
alexines qui se trouveraient constamment dans le sang, en 
quantité suffisante pour détruire les microbes‘. 

Au Congrès de Budapest, M. Buchner * modilia sa théorie 
en ce sens qu'il attribua aux leucocytes le rôle de producteurs 
des alexines qui ne se trouveraient pas accumulées une fois pour 
toutes dans les humeurs, mais seraient sécrétées par les leu- 
cocytes au fur et à mesure de leurs besoins, pour défendre l'orga- 
nisme contre les microbes. 

Dans la dernière publication de M. Buchner*, les leucocytes 
sécréteraient non plus des substances capables de détruire les 
microbes dans les humeurs, mais seulement des substances qui 
influenceraient, et ceci encore d’une façon passagère, le fonc- 


1. Munchener, med. Woch., 1891, n°s 32 et 53. 
2, Munchener, 1894, n°° 37 et 38. 
3, Munchener, 1897, n° 47. 


264 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lionnement chimique des microbes. Après cet affaiblissement 
moinentané, les agents pathogènes seraient englobés par les 
phagocytes et subiraient dans leur intérieur l’action destruc- 
tive des substances microbicides. 

M. Buchner s’aperçoit lui-même que sa théorie modifiée se 
rapproche de celle des phagocytes. L'école de M. Bouchard, qui 
pendant si longtemps a fait opposition à cette dernière théorie, 
se montre dans ces derniers temps beaucoup plus conciliante. 
Par l'organe de M. Roger, cette école a déclaré au Congrès de 
Moscou que : « sans l'intervention de la phagocytose, les mi- 
crobes auraient fini par se développer comme ils le font dans les 
sérums au dehors de l'organisme; et la maladie, pour avoir été 
retardée dans ses débuts ou pour être atténuée dans ses mani- 
festalions, aurait fini par éclater ». 

Les derniers travaux, provenant du laboratoire de M. Denys, 
à Louvain, accusent la même tendance, d’une façon encore plus 
marquée. Il a paru lout récemment un mémoire de M. Mar- 
chand* sur l’immunité vis-à-vis du streptocoque, dont l’auteur 
se place entièrement sur le terrain de la théorie des phagocytes. 

L'Institut pour les maladies infectieuses à Berlin conserve 
son attitude plus que réservée vis-à-vis de cette théorie, sans 
cependant l’attaquer d’une façon aussi générale qu’autrefois. Le 
principal argument sur lequel se base cette école consiste dans 
la destruction extracellulaire des microbes dans le péritoine des 
animaux vaccinés, fait bien démontré par M. R. Pfeiffer. Voilà 
pourquoi, dans les travaux nombreux exécutés à l'Institut de 
Berlin, on étudie presque exclusivement Iles phénomènes de 
l’immunité dans la cavité péritonéale, et cependant il faut bien 
accepter que cette destruction en dehors des cellules ne s'opère 
que dans le péritoine et seulement dans certaines conditions bien 
déterminées. Dans le péritoine préparé par des inoculations 
préventives, ainsi que dans les autres régions de l'organisme 
(sous la peau, dans l'œil, etc.), la destruction des microbes 
s'opère dans l’intérieur des phagocytes, en parfaite harmonie 
avec la théorie cellulaire. 

M. Bebring *, dans son exposé général de l'immunité, à 


1. Etude sur l'immunité, Paris, 1897, p. 29. 

2, Archives de médecine expérim., 1898, p. 253. 

3. Art. Immunität dans la Æeal-Encyclopädie d'Eulenburg, 3° édit., 1897, 
vol. XI. 


e 


TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 265 


accordé une place marquée à la phagocytose dans l'immunité 
contre les microbes. Seulement il insiste beaucoup sur ce fait 
que, dans l’immunité vis-à-vis des toxines, ce sontd’autres facteurs 
qui agissent, et que souvent la phagocytose ne peut s’opérer qu'à 
la suite d’une action préalable des antitoxines". 

Sans entrer dans les détails, nous pouvons donc conclure que 
la réaction des phagocytes contre les microbes, comme défense 
de l'organisme, est un fait généralement accepté. Ce résultat se 
faisait- déjà bien sentir au Congrès de Budapest en 1894, où 
l'opposition a été bien moins vive qu'aux Congrès précédents de 
Londres et de Vienne. 

Cependant la science ne pouvait pas se contenter d'établir 
ce résultat, il lui fallait autant que possible approfondir l’étude 
de l’immunité. 

Parmi les facteurs dont le rôle, à côté de celui des phagocytes, 

a dû surtout attirer l'attention des savants, il faut signaler avant 
tout le pouvoir antitoxique de l’organisme, que nous a fait 
connaître la grande découverte de M. Behring. Comme les 
microbes sont nuisibles surtout par leurs poisons, les agents qui 
détruisent ces toxines ont donc une importance capitale. 
. Depuis mes recherches sur l'immunité des lapins contre Île 
microbe de la pneumo-entérite des pores, j'ai attiré l'attention 
sur l’analogie entre la réaction phagocytaire contre le microbe 
vivaut el contre la toxine*. 

Deux aunées plus tard, au Congrès de Budapest, je me suis 
cru autorisé à formuler cette opinion” que les phagocytes 
réagissent contre les toxines microbiennes et même contre 
les poisons minéraux, comme l’arsenic. 

Depuis cette époque, plusieurs membres de l’Institut Pasteur, 
notamment M. Roux, ainsi que moi-même avec quelques-uns de 
mes élèves, parmi lesquels je citerai MM. Chatenay, Marie et 
Besredka, nous nous sommes occupés beaucoup de cette ques- 
tion du sort des toxines dans l'organisme, etdu rôle des leucocytes 
dans la défense contre les poisons. 

Le fait que les microbes élaborent des poisons dans leur 
corps, rapproché de cet autre fait que les phagocytes englobent 


4. Deutsche med. Woch., 1898, No 5. 
2. Annales de l’Inst. Past., 1892, p. 308. 
3. Ann, de l'Inst. Past., 189%, pp. 719, 721. 


266 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


si souvent les microbes entiers, amenait la conclusion que ces 
cellules sont capables d’absorber les toxines. Dans l’étude sur la 
toxine et l’antitoxine cholériques, faite par MM. Roux, Salim- 
beni et moi-même, il a été précisé que les phagocytes absorbent 
et digèrent la toxine cholérique”. 

On conçoit facilement la grande difficulté de ce genre d’étu- 
des, en présence de l'impossibilité de constater d’une façon 
directe l'existence d’une toxine bactérienne dans les tissus et les 
cellules. Et cependant nous avons réussi à démontrer le 
fait de l'absorption de la toxine tétanique par les leucocytes de la 
poule ?. En provoquant des exsudats chez des poules, auxquelles 
oninjectait préalablement cette toxine, j'ai pu me convaincre que 
ces exsudats, beaucoup plus riches en leucocytes que le sang, 
étaient aussi plus tétanigènes que celui-ci. 

D'un autre côté, j'ai observé une leucocytose plus ou moins 
marquée à la suite de l'injection de doses non mortelles de 
toxine tétanique à des poules. 

Cette réaction leucocytaire, à la suite de l'introduction de la 
toxine tétanique dans l'organisme, se produit non seulement 
chez les espèces très résistantes, comme la poule, mais aussi chez 
le cobaye, mammifère des plus sensibles à la toxine tétanique. 
Même à la suite de l'injection de doses plusieurs fois mortelles, 
il se manifeste une leucocytose des plus accusées, et ce n’est 
qu'après l'introduction d’une quantité cent fois mortelle que Île 
nombre des leucocytes reste stationnaire ou présente une 
diminution. Tous ces faits indiquent donc que l’organisme le 
plus sensible présente une réaction manifeste contre la toxine 
télanique. 

Comme les leucocytes de la poule, qui deviennent si nom- 
breux après l'injection de la toxine tétanique, absorbent ce 
poison, il se pourrait bien que les leucocytes du cobaye le 
prennent aussi pendant l’hyperleucocytose. La preuve cependant 
n’est pas facile à fournir, précisément à cause de la grande sen- 
- sibilité des cobayes et de l'impossibilité de leur injecter d'assez 
fortes quantités de toxines pour permettre l'essai des exsudats 
sur des animaux. Pour arriver à un résultat précis, il faut par 
conséquent recourir à une argumentation indirecte. 


4. Annales de l'Inst. Pasteur, 1896, p. 272. 
2. Ibid., 1897, p. 808. 


TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 267 


Tout le monde a présentes à la mémoire les expériences inté- 
ressantes de MM. Wassermann et Takaki', dans lesquelles ils 
ont constaté l'inactivité de la toxine télanique lorsqu'elle est 
injectée avec de la substance cérébrale. M. Wassermann, guidé 
par la théorie si suggestive de M. Ehrlich, ce savant qui a tant 
contribué à nos connaissance sur l’immunité contre les toxines, 
a supposé l’existence, dans les centres nerveux des animaux 
normaux, d’une antitoxine comparable à l’antitoxine artilicielle 
que MM. Behring et Kitasato ont découvert dans le sang des 
animaux vaccinés contre le tétanos. 

M. Wassermann et, avec lui, un grand nombre de savants qui 
ont abordé le même sujet admettent que l’antitoxine du cerveau 
normal, injectée à des souris, se résorbe dans leur organisme 
et, se rencontrant dans le sang avec la toxine létanique, la neu 
tralise d’une facon définitive, tout à fait comme le ferait un 
sérum antitélanique. 

Constatons d’abord que cette action est très limitée dans 
l’espace et dans le temps. Pour bien empêcher l'intoxication, il 
faut mélanger le cerveau avec la toxine télanique. Si l’on injecte 
les deux malières séparément, l'effet sera insignifiant ou nul. 

M. Marie’ a prouvé que si on injecte de la matière céré- 
brale dans une patte postérieure d’un lapin et de la toxine dans 
l’autre palte, celui-ci prend le tétanos et en meurt comme le 
témoin. Bien plus, si l’on injecte sous la peau de la face dorsale 
de la cuisse d’un cobaye de la substance cérébrale en quantité 
suffisante pour neutraliser une dose plusieurs fois mortelle de 
toxine tétanique, et sous la peau de la face ventrale de la 
même cuisse la dose mortelle de cette toxine, le cobaye prendra 
le tétanos mortel. L'action antitoxique de la substance nerveuse 
ne se répand donc même pas à faible distance : elle est stric- 
tement locale. 

Ce résultat se confirme par un autre mode d’expérimenta- 
tion. On injecte de l’émulsion cérébrale dans la cavité périto- 
néale d'un cobaye. Le lendemain, on lui inocule dans une patte 
postérieure la toxine tétanique. Le cobaye meurt du tétanos 
comme son témoin. 

L'action de la substance cérébrale est également limitée au 


4. Berliner klinische Wochenschr., 1895, n° 1, p. &, s. 
2, Annales de l'Inst. Pasteur, 1898, p. 95, 


268 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


point de vue du temps. Lorsque l’on injecte la toxine tétanique 
24 heures après la substance cérébrale, au même endroit, par 
exemple dans le péritoine d’un cobaye, on le préserve sûrement 
du tétanos. Mais si l'on attend plus longtemps, et si l’on inocule 
la toxine 48 heures ou plus longtemps après l’'émulsion céré- 
brale, le cobaye prend inévitablement le tétanos mortel. 

Cette série de faits prouve une localisation étroite dans l'ac- 
tion de la matière cérébrale et, en même temps, démontre la 
grande différence entre ce phénomène et l’action du sérum anti- 
tétanique. 

Il est bien prouvé, par le travail de MM. Roux et Borrel 
inséré dans ce numéro, et par les recherches de MM. Knorr! 
et Blumenthal?, que la toxine tétanique, mise en présence du 
certeau broyé, est fixée par celui-ci. Ce fait explique l’impor- 
tance du contac tintime entre les deux substances pour la pré- 
venlion de l’animal contre le tétanos. 

La toxine tétanique, injectée en mélange avec le cerveau 
broyé, se trouve à l’état fixé dans l'organisme. Mais cette fixa- 
tion n'est pas permanente et ne suffit pas par elle seule pour 
empêcher le tétanos. 

Comme je l'ai indiqué dans un mémoire antérieur *, la toxine 
ne se détruit pas dans ces conditions, mais peut facilement mani- 
fester son action tétanigène. La matière cérébrale de lapin et de 
cobaye agit d’une façon beaucoup plus efficace chez la souris 
que chez le cobaye. La dose du mélange de cerveau et de toxine 
télanique deux fois mortelle pour le cobaye et 20 fois mortelle 
pour la souris est cependant beaucoup plus tétanigène pour le 
premier. Chez le cobaye, ce mélange, injecté dans les muscles 
de la cuisse, produit un télanos grave, quoique le plus souvent 
non mortel, tandis que chez la souris, il ne provoque qu'un téta- 
nos léger où nul. De ces faits, j'ai déduit que la matière céré- 
brale ne détruit pas la toxine télanique, dont l’effet est empêché 
par l'intervention de l'organisme. 

Seulement, dans l’expérience que je viens de citer, il s'agit 
de deux espèces animales différentes. On pourrait donc 
objecter que le cerveau agit sur la toxine dans les humeurs du 


1. Münch. med. Wochenschr., 1898. 
2. Deutsche med. Wochenschr., 1898, no 12, p. 187. 
3. Ann. de l’Inst. Past., 1898, p.. 89. 


TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES, 269 


cobaye d'une façon autre que dans celles de la souris. 
Eh bien, l'intervention de l'organisme peut être démontrée chez 
la même espèce. Pour cela, il suffit d'injeeter le même mélange 
de cerveau et de toxine, tantôt dans les muscles de la cuisse, 
tantôt dans le péritoine des cobayes. Bien que, en général, 
l'injection de la toxine tétanique soit plus meurtrière dans le 
péritoine que dans les muscles de la cuisse, l'eflet du mélange 
sera plus prononcé dans la cuisse que dans le péritoine. Comme 
je l'ai dit tout à l'heure, la toxine télanique Injeclée avec la 
malière cérébrale dans la cuisse provoque un télanos grave ; 
l'injection du même mélange dans la cavité péritonéale n’est 
suivie d'aucun effet morbide, ou, s'il y a raideur des muscles 
abdominaux, celle-ci est très faible et passagère. 

L'action de la matière cérébrale sur la toxine tétanique est 
donctrès localisée et nécessite, pour que le tétanos soit empêché, 
l'intervention de l'organisme. Pour nous faire une idée plus 
précise du mécanisme de cette intervention locale, injectons le 
mélange de cerveau et de toxine dansle péritoine des cobayes, et 
prélevons, à l’aide de tubes eflilés, le liquide péritonéal au bout 
de quelques minutes, de quelques heures ou de quelques jours. 
Dans tous ces cas, nous trouverons la lymphe du péritoine 
remplie d’une quantité très grande, souvent énorme de leucocytes, 
parmi lesquels nous serons surpris de ne trouver que des gros 
mononucléaires. 

Quelques minutes déjà après l'injection du mélange, ces 
macrophages se trouvent bourrés de matière cérébrale; souvent 
on ne distingue que le noyau du leucocyte, entouré de masses 
de myéline et de fragments de cellules nerveuses. Quelques 
heures après l'injection, quelquefois même au bout de 20 minutes 
seulement, on ne trouvera plus de matière cérébrale libre : elle 
sera toute englobée par les macrophages. Ces cellules bourrées 
de particules de cerveau restent pendant longtemps logées dans 
la cavité périltonéale, et encore 3 semaines après l'injection du 
mélange on en trouve des quantités dans la lymphe du 
périloine. 

La digestion intracellulaire de la matière cérébrale par les 
macrophages se fait évidemment avec une grande lenteur. 

Comme il est démontré que la toxine tétanique est fixée à la 
malière cérébrale et comme celle-ci est en peu de temps englobée 


270 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


par les macrophages, il en résulte que la toxine elle aussi a dû 
être incorporée par les phagocytes. 

Si l'on compare cette réaction des mononucléaires dans la 
cavité péritonéale et dans les muscles de la cuisse, on constate 
facilement que, dans ce dernier lieu, elle est beaucoup pluslente à 
se produire que dans le péritoine. En outre, l’exsudat de la cuisse 
est plus riche en leucocytes polynucléaires, qui n’absorbent que 
très peu de matière cérébrale, qu'en macrophages si avides de 
celte substance. On comprend donc facilement pourquoi la 
toxine tétanique, injectée en mélange avec l’émulsion cérébrale, 
est plus tétanigène dans la cuisse que dans le péritoine. Dans la 
cuisse, elle reste plus longtemps en dehors des phagocytes, et 
peut s'échapper plus facilement pour provoquer lintoxication 
tétanique. Dans le péritoine, elle est rapidement incorporée par 
les macrophages, et ces cellules doivent évidemment empêcher 
son action létanigène. Nous arrivons donc à celte conclusion 
que la torine tétanique, fixée sur la matière cerébrale, est absorbée 
par les macrophages et empêchée dans son action tétanigène. Ces 
cellules sont donc un moyen de défense de l'organisme contre 
les Loxines. Leur aclion peut être caractérisée comme une action 
détruisante ou phlérotoxique. 

Les données que je viens de résumer s'accordent bien avec 
un grand nombre de faits acquis dans la science. Après avoir 
lait sa découverte, M. Wassermann a admis que le cerveau 
normal fixe la toxine tétanique et neutralise son action. Cette 
interprétation ne peut pas être acceptée comme je l’ai déjà déve- 
loppé dans mon mémoire précédent sur le sort des toxines dans 
l'organisme; M. Roux, avecses collaborateurs MM.Morax et Borrel, 
a démontré que la toxine tétanique, injectée directement dans le 
cerveau des lapins, même en quantité beaucoup plus faible que 
celle qui est nécessaire pour produire le télanos par injection 
intramusculaire, provoque un télanos cérébral mortel. Et 
cependant un simple fragment de cerveau de lapin, broyé et 
mélangé avec la toxine télanique, exerce une action préventive 
très nelte. Cette différence s'explique par ceci que dans l'injec- 
Lion directe de la toxine dans le cerveau, celui-si fixe bien la 
toxine, mais il de se produit pas de réaction leucocytaire sufli- 
sante, tandis que l’injection du mélange de toxine et de matière 
cérébrale sous la peau, dans le muscle ou le péritoine, amène une 


TOXINE TÉTANIQUE ET LEUCOCYTES. 271 


réaction leucocytaire considérable et efficace. La découverte si 
intéressante de M. Wassermann, au lieu de prouver l'existence 
d'une antiloxine cérébrale, a abouti à la démonstration del action 
des phagocytes contre les toxines. 

Cette action, que nous avons lâché de déterminer dans un 
exemple précis, est très probablement la manifestation d’une loi 
générale. Nous avons déjà mentionné le fait de l’englobement 
des microbes renfermant dans leur corps des toxines par des 
phagocytes. Dans cette catégorie doit être rangée l'observation 
de MM. Vaillard et Vincent :, de l’innocuité des bacilles tétani- 
ques qui renferment la toxine tétanique dans leur corps, mais 
qui ne produisent pas d’empoisonnement, grâce à l’englobe- 
ment eflicace par les leucocytes. 

L’hyper-leucocytose que l’on observe régulièrement après 
l'injection de toxines en doses non mortelles ou en quantités 
pas trop rapidement mortelles, s'explique aussi par le 
rôle phtérotoxique des leucocytes, analogue à l’action anti- 
microbienne de ces cellules. Il a été constaté depuis longtemps 
que l’injection des sels de fer, aussi solubles que possible, amène 
une réaction des phagocytes très prononcée. (Grâce à la facilité 
avec laquelle on révèle la présence du fer dans les cellules, à 
l’aide des réactions microchimiques, il a été démontré, notam- 
ment par les élèves de M. Kobert à Dorpat *,que cette substance 
est absorbée par les leucocytes et les autres phagocytes, et est 
transportée surtout dans le contenu du tube digestif, 

Maislefer n'étant pasun véritable poison, l’histoire deson élimi- 
nalion de l'organisme ne peut servir que comme indication pour 
des recherches sur des éléments plus toxiques. Parmi ceux-ci, 
il faut menticnner notamment l’arsenic, poison dont l'intérêt 
s'accroît à cause de la facilité avec laquelle on habitue les ani- 
maux de laboratoire à absorber la dose mortelle. De mes expé- 
riences sur la réaction de l'organisme contre l’arsenic chez les 
lapins accoutumés et chez les témoins, expériences communi- 
quées au Congrès de Budapest, mais surtout des recherches 
beaucoup plus nombreuses et suivies, exécutées par M. Besredka 
et encore inédites, il résulte une intervention active des leuco- 
cytes. Tandis que des doses rapidement mortelles produisent 


1. Ces Annales, 1891, p. 26. 
2. Arbeiten a. d. pharmakol. Inst. in Dorpat (1893, 1894). 


279 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


chez les animaux neufs une hypoleucocytose véritable et progres- 
sive, chez les animaux accoutumés elles provoquent une forte 
hyperleucocytose, dans laquelle les polynucléaires jouent le rôle 
prédominant. Il devient de plus en plus probable que les 
phagocytes, ces éléments qui ont le mieux conservé le type ances- 
tral, amæbien, sont les cellules les moins sensibles à l’action 
toxique des poisons. Grâce à cette particularité, ils peuvent 
impunément pour eux, se charger de grandes quantités de sub- 
stances toxiques qui alors n’atteignent plus les éléments beau- 
coup plus sensibles aux poisons, comme, par exemple, les 
cellules nerveuses. 

Il est extrèmement probable que les toxines subissent une 
modification chimique, une sorte de digestion dans l’intérieur 
des phagocytes. Malheureusement cette question est trop délicate 
pour être résolue en peu de temps el voilà pourquoi, pour le 
moment, il faut se contenter d'hypothèses, qui peuvent du reste 
servir à faciliter la solution expérimentale du problème posé. 

M. Portier ‘ a démontré récemment que les leucocytes vivants 
renferment des ferments oxydants qui s’échappent facilement 
après la mort de ces cellules. [l est donc très probable que les 
Loxines bactériennes absorbées par les phagocytes y subissent 
l'influence de ces oxydases. Or, il est depuis longtemps connu 
que l'oxygène affaiblit en peu de temps et même détruit les 
toxines bactériennes. Guidés par ce fait, MM. Roux et Metchni- 
koff ont conçu depuis plus d'un an un plan de recherches sur 
l'influences des oxydases sur les toxines, qu'ils sont en train 
d'exécuter. 

L'ensemble des données que je viens de résumer permet donc 
de conclure que les phagocytes jouent un rôle très important 
non seulement vis-à-vis des microbes, mais aussi dans la défense 
de l’organisme contre les poisons. D'un autre côté, les faits 
réunis dans ce rapport peuvent servir d'argument en faveur de 
celle thèse que les phagocytes peuvent accomplir leur fonction 
antimicrobienne sans que les produits toxiques des microbes 
pathogènes aient subi une destruction préalable et indépendante 
des cellules phagocytaires. 

1. Les Oxrydases, Paris, 1897. 


NOUVELLES RECIÉRCHES SUR LE MODE DE DESTRUCTIUN 


DES VIBRIONS DANS L ORGANISME 
Par Me Le .-Dr.J. CANTACUZENE 


(Travail du Laboratoire de M. Metchnikoff.) 


l 


Le rôle tout à fait prédominant des phagocytes dans la des- 
truction des vibrions qui ont pénétré dans les tissus semblait an 
fait définitivement acquis à la science, lorsque M. Pfeiffer, en 
1894, publia une expérience qui, selon lui, ruinait complètement 
la doctrine phagocytaire de l’immunité : si l'on injecte une émul- 
sion de vibrions cholériques dans le péritoine d'un cobaye hyper- 
vacciné contre le choléra, ou bien cetle même émulsion addi- 
tionnée de sérum préventif dans le péritoine d’un cobaye neuf, 
on observe que très rapidement, 5, 10, 20 minutes après l'injec- 
tion, les vibrions perdent leur forme allongée et se transforment 
en granulations arrondies, immobiles, libres dans l’exsudat ; au 
bout d’un temps très court, ces granulations disparaissent, dis- 
soutes par le liquide ambiant. Voilà donc un cas bien net de des- 
truction des vibrions dans les humeurs; ici l’activité des phago- 
cytes n’a joué aucun rôle, et l'animal a guéri sans leur interven- 
üon. Il s’agit là, vraisemblablement, d’une sécrélion bactéricide 
due, surtout, aux cellules endothéliales du péritoine. M. Pfeiffer 
attache à ce fait une importance doctrinale considérable; il le 
considère comme apportant une preuve décisive en faveur de 
l'action bactéricide des humeurs dans la lulte de l'organisme 
contre les microbes. ' 

M. Metchnikoff, reprenant l'étude du phénomène de Pfeiffer, 
constala d’abord que la dissolution des granulations n'est jamais 
extracellulaire : en effet, elles conservent indéfiniment leur forme 
dans J’exsucat péritonéal placé, en goutte suspendue, à l’étuve 
à 37°, La destruction de ces granules se fait à l’intérieur du pro- 
toplasma des phagocytes; peu de lemps après l'injection de 
Pfeiffer, l’'exsudat se peuple de leucocytes nouvellement arrivés, 

ÿ 15 


274 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qui englobent rapidement les granulations et les digèrent à l’in- 
térieur de vacuoles intracellulaires. — Mais le rôle des leuco- 
cytes ne s'arrête pas là; ce sont eux, en effet, qui, grâce aux sub- 
slances bactéricides qu’ils renferment, sont les véritables agents 
de la transformation en granules des vibrions cholériques; au con- 
traire, l’'endothélium péritonéal ne joue aucun rôle dans ce phé- 
nomène. En effet, on peut réaliser in vitro le phénomène de 
Pfeiffer, à condition qu’à l’émulsion de vibrions additionnée de 
sérum préventif, on ajoute une trace de lymphe péritonéale nor- 
male contenant des leucocytes. 

Si, d'autre part, on observe attentivement ce qui se passe 
après que l’on a injecté dans le périloine d'un cobaye neuf le 
mélange de Pfeiffer, on remarque que peu de secondes après 
l'injection, les leucocytes de la cavité péritonéale deviennent 
subitement immobiles, s’agglulinent en paquets, et s'entourent 
d'une substance glaireuse qui diffuse hors de leur protoplasma ; 
au contact de cette substance, les vibrions se transforment en 
granules. Il s’agit là d’un véritable phénomène de phagolyse : sous 
l’action de l'injection de Pfeiffer, les phagocytes présentent mo- 
mentanément un état de souffrance, au cours duquel ils laissent 
diffuser la substance bactéricide contenue dans leur protoplasma. 
S'il est vrai que la phagolyse soit due à un affaiblissement 
momentané des phagocytes, il est naturel de supposer que le 
renforcement de leur activité supprime la phagolyse et, par con- 
séquent, la transformation extracellulaire des vibrions ; c’est ce 
qui à lieu en effet si, 24 heures avant d’injecter le mélange de 
Pfeiffer, on injecte dans le péritoine des cobayes 3 c. c. de bouil- 
lon : dans ce cas, la transformation des vibrions en granules n’a 
plus lieu dans le liquide de l’exsudat; les vibrions sont presque 
instantanément englobés par les leucocytes, et c’est à l’intérieur 
du protoplasma de ces derniers que s'opère la transformation. 
Il est bien évident, dans ce cas, que c’est grâce à une action 
phagocytaire très intense que l'animal s’est débarrassé des 
vibrions. 

M. J. Bordet, de son côté, a pu observer que la transformation 
des vibrions en granulalions est due aux substances bactéricides 
élaborées par les leucocytes, substances non spécifiques, et exis- 
tant, mais en faible quantité, chez les leucocytes des animaux 
neufs : chez ces derniers, en effet, il est aisé de constater, à l'in- 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 275 


térieur du protoplasma, la transformation en granules des vibrions 
englobés. 

Chez les animaux hypervaccinés, cette transformation se fait 
avec une intensité beaucoup plus considérable, grâce à l'appari- 
tion, dans l'organisme de ces derniers, d’une substance spécifique, 
la substance préventive, qui représente probablement un produit 
microbien modifié par l’activité cellulaire. Cette substance spé- 
cifique a la propriété d'exalter le pouvoir bactéricide des leuco- 
cyles en lui imprimant un caractère de spécificité, et la trans- 
formation des, vibrions en granules s'opère grâce au mélange 
des deux substances, bactéricide et préventive, que ce mélange 
se fasse à l'extérieur ou à l'intérieur des leucocytes. 

Les leucocytes sont bien le lieu de formation et le siège de la 
substance bactéricide ; elle y reste contenue durant la vie de 
l'animal et ne diffuse dans le liquide ambiant que si les leuco- 
cytes placés dans des conditions de vie anormales laissent, en 
éclatant, échapper leur contenu; si en effet l’on fait in vivo la 
séparation du sérum et des cellules (soit en déterminant un 
ædème par compression, soit en produisant l’hypoleucocytose 
du sang par des injections intraveineuses de poudres inertes), le 
sérum ainsi obtenu ne présente pas de propriété bactéricide ; 
quant à son pouvoir préventif, il est faible. Si au contraire la 
séparation a lieu in vitro, le sérum est à la fois très bactéricide 
el très préventif. 

Ces deux substances sont pafaitement distinctes : le sérum 
d’un vacciné, chauffé à 55°, perd ses propriétés bactéricides, mais 
conserve ses propriétés préventives, qui ne disparaissent pas 
lorsque l’on maintient le liquide pendant une heure à une tem- 
péralure de 70° (ce dernier fait avait déjà été établi par 
MM. Fraenkel et Sobernheim). 

Alors que le sérum préventif chautfé à 55° est incapable de 
produire à lui seul le phénomène de Pfeiffer in vitro, il suffit d'y 
ajouter une trace de sérum contenant de la substance bactéri- 
cide (p. ex. du sérum frais de cobaye neuf) pour que la transfor- 
mation en granulations se produise aussitôt. 

Le mélange des deux susbtances est donc la condition néces- 
saire et suffisante pour la production du phénomène. 

Le sérum préventif exerce sur les leucocytes une action chi- 
mio-tactique positive ; il est un excitant puissant de l’activité 


276 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


phagocytaire : ainsi, que l’on mélange du sang défibriné bien frais 
à une émulsion de vibrions, etque l’on ajoute à la goutte pendante 
une trace de sérum préventif, en portant le tout à 37°, les leu- 
cocytes englobentles vibrions et se montrent bientôt bourrés de 
granulations. l 

Ces faits nous permettent d'interpréter ainsi le mode d’action 
du sérum préventif: la substance préventive injectée pénètre dans 
le protoplasma leucocytaire, s’y mélange à la substance bacté- 
ricide, en sorte que les vibrions englobés s'y transforment en 
eranules ; lorsque, par suite d'un étatparticulier de souffrance, les 
leucocytes laissent diffuser la substance bactéricide, la transfor- 
mation en granules sera extra-cellulaire, et nous aurons le 
phénomène de Pfeiffer. 

M. Pfeiffer a cru pouvoir récemment démontrer que la trans- 
formation des vibrions en granules est possible dans un tissu 
très pauvre en leucocytes, comme l’est, p. ex., le tissu cellulaire 
sous-cutané. Il est bien certain aujourd’hui que si M. Pfeiffer 
a obtenu la transformation des vibrions dans de pareilles 
conditions, c'est qu'il a déterminé, au niveau du foyer de l’in- 
jection, une petite hémorragie, amenant ainsi des leucocytes au 
contact de la substance préventive injectée. 

M. Salimbeni, étudiant récemment la destruction des vibrions 
injectés sous la peau d'animaux hypervaccinés, a nettement 
établi que jamais, dans ce cas, l’on n’observe de transformation 
extracellulaire des vibrions en boules; cette transformation 
s'effectue toujours à l’intérieur des leucocytes polynucléaires 
(à l’intérieur des mononucléaires, au contraire, les vibrions 
conservent une forme allongée). 

Dans le présent travail nous nous sommes proposé de 
reprendre l'étude de la transformation extracellulaire des 
vibrions dans l'organisme, et d'observer les variations du phé- 
nomène quand on fait varier l’état d'activité des leucocytes, soit 
en déprimant cetle activité, soit en l’exaltant. Puis nous avons 
tenté de déterminer quelle part revient à la phagocytose dans la 
protection de l'organisme, le phénomène de Pfeiffer une fois 
produit. 

Le vibrion employé dans nos expériences provenait de 
l'épidémie qui sévit en 1894 dans la Prusse orientale ; il tuait 
un cobaye de 400 grammes à la dose de 1/25 de culiure 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 974 


sur gélose, injectée dans le péritoine. Nous nous sommes servi 
de deux sérums immunisants, obligeamment fournis par notre 
collègue le D'Salimbeni; l’un, provenant d’une chèvre, était pré- 
ventif à la dose de 1/300 de c. c. pour un cobaye de 400 grammes; 
l'autre, provenant d’une jument, était préventif à la dose de 
1/150 de c. c.; 1/10 de goutte du premier, 1/5 de goutte du 
second donnaient sûrement le phénomène de Pfeiffer dans le 
péritoine d’un cobaye neuf, 


IT 


Si l’on injecte sous la peau d’un cobaye une émulsion de 
vibrions cholériques additionnée de sérum préventif, la trans- 
formation en granules n’a pas lieu, à condition que Pon ait soin 
de ne pas déterminer d’hémorragie en piquant la peau. Le 
phénomène se produit au contraire chaque fois que le m‘lange injecté 
arrive au contact de leucocytes préexistants où mélangés au liquide 
d'injection. 

Expérience I. — Un lapin reçoit sous la peau de l'oreille 
gauche 1 c. e. d’une culture en bouillon de streptocoques, tués 
par la chaleur à 85°; au bout de rois jours, on injecte dans 
l'abcès ainsi formé 1/2 c. c. d’une émulsion de vibrions addi- 
tionnée de 1 goutte de sérum immunisant. Simultanément le 
même mélange est injecté sous la peau de l'oreille droite et sous 
la peau de la cuisse; en ce dernier point, on a soin de provoquer 
au préalable une légère hémorragie. Au bout de 1/2 heure, 
presque tous les vibrions injectés dans la cavité de l’abcès sont 
transformés en grosses granulations arrondies, prenant le violet 
avec énergie; un grand nombre sont englobées par les leuco- 
cytes polynucléaires: un nombre plus grand est libre. Au bout 
de 3 heures on retrouve beaucoup de granulations libres, mais 
plus aucun vibrion ayant conservé sa forme. Les vibrions 
injectés sous l'autre oreille sont entiers, sans trace de trans- 
formation au bout de 3 heures; au niveau du foyer hémorra- 
gique, les 3/4 des vibrions sont transformés en granules au bout 
de 1/2 heure : la transformation est complète 2 heures plus tard, 

Expérience LL. — On provoque chez un lapin la formation 
d'un abcès en lui injectant sous la peau de l'oreille une culture 
tuée de streptocoques. Quelques gouttes du pus ainsi formé sont 


218 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


mélangées à 1 c. c. d’une émulsion de vibrions, additionnée de 
4 goutte de sérum préventif. Le mélange est injecté sous la 
peau de l'oreille d’un second lapin : au bout de 10 minutes, il y 
a transformation partielle ; au bout de 25 minutes, transformation 
complète des vibrions en granulations de Pfeiffer. Le même 
mélange, mais sans addition de pus, injecté sous la peau de 
l’autre oreille, ne présentait au bout de 3 heures aucune trace 
de transformation. 

Expérience III, — Un lapin porteur, à la face ventrale, de 
3 gros abcès froids provoqués par l'injection sous-cutanée de 
bacilles tuberculeux tués, reçoit : 4) dans la cavité de l’un des 
abcès, 1 c. c. d’émulsion vibrionienne addilionnée de 1 goutte de 
sérum préventif; la transformation en granules est totale et 
immédiate; b) le même mélange en injection sous la peau de la 
cuisse : les vibrions au bout de deux heures ont conservé tous 
leur forme et leur colorabilité. 

Il est hors de doute, d’après cela, que la substance qui 
transforme en granulations les vibrions cholériques est contenue 
dans les leucocytes. Les cas où cette transformation ne se fait 
pas prouvent bien que les cellules fixes du tissu conjonctif ne 
jouent aucun rôle dans la production du phénomène. 


TITI 


Avant de rechercher dans quelle mesure les variations de 
l'activité leucocytaire retentissent sur la transformation des 
vibrions en granules, nous allons présenter un tableau rapide, 
d'après nos propres observations, des péripéties visibles de la 
lutte qui s'établit entre l'organisme et les vibrions injectés dans 
le péritoine, d’abord chez des animaux qui possèdent l’immu- 
uilé active, puis chez des animaux neufs auxquels on injecte 
du sérum préventif en mème temps que des vibrions. On trouve 
parfois des cobayes qui résistent naturellement à des quantités 
considérables de vibrions injectés dans le péritoine; pour tous, 
il existe une dose maxima dont l'organisme triomphe après une 
courte maladie. Tous les cobayes possèdent donc jusqu'à un 
certain point l'immunité naturelle pour les vibrions cholériques. 
Voici ce que l’on peut observer en pareil cas : durant la première 
heure qui suit l'injection, les vibrions vivent à l'aise dans la 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 279 


cavilé péritonéale, y conservent leur forme, leur mobilité et 
leur colorabilité. On n'observe guère dans ce cas de granu- 
lations libres plus nombreuses que celles que l’on peut constam- 
ment rencontrer dans les cultures de 36 heures. Les rares leuco- 
cytes de l’exsudat ont une apparence saine, mais n’englobent 
aucun microbe. Au bout de 1 h. 1/2, des leucocytes nom- 
breux commencent à apparaître dans la cavité et englobent 
immédiatement de grandes quantités de microbes; parmi les 
vibrions englobés, les uns conservent leur forme allongée, les 
autres se transforment en grosses granulations, de plus en plus 
nombreuses : les uns et les autres prennent les couleurs 
basiques d’aniline. Bientôt les formes allongées aussi bien que les 
grosses granulations se fragmentent en granulations beaucoup 
plus petites, colorables au bout de quelque temps par l'éosine; 
il arrive parfois que les vibrions entiers ou les grosses granu- 
lations perdent leur affinité pour les couleurs basiques, et 
deviennent éosinophiles en bloc, avant leur fragmentation en 
granulations plus petites. Pourtant ce fait, observé par plusieurs 
micrographes, est relativement rare. Il résulte de là que le pro- 
duit de la transformation intracellulaire des vibrions est de deux 
sortes : grosses granulations, basophiles comme les vibrions 
eux-mêmes ; fines granulalions, basophiles d’abord, puis éosino- 
philes, provenant de la désintégration soit des vibrions (direc- 
tement), soit des grosses granulations (ces dernières beaucoup 
plus nombreuses que les vibrions allongés). Le nombre des leu- 
cocytes (polynucléaires et mononucléaires du groupe vasculaire) 
augmente rapidement dans l’exsudat ; la phagocytose devient de 
plus en plus énergique. Au bout d’un nombre d'heures variant de 
12 à 20, la presque totalité des vibrions est englobée; assez long- 
temps cependant quelques vibrions isolés persistent dans l’ex- 
sudat sans être englobés, malgré la masse colossale de leuco- 
cytes immigrés : ce sont là, sans doute, les individus particuliè- 
rement virulents. 

Bientôt ces derniers survivants sont englobés à leur tour et 
l’exsudat est stérile au bout de 48 heures. 

Pendant tout le temps que dure ce processus, les vibrions extra- 
cellulaires gardent leur forme, leur mobilté, leur colorabilité. 
A aucun moment on ne trouve en dehors des leucocytes des 
granules, grands ou petits, ou des microbes éosinophiles. Les 


280 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


gouttes pendantes faites avec l’exsudat montrent un actif déve- 
loppement intra-leucocytaire des vibrions. 

Par conséquent, dans un semblable cas, aboutissant à la gué- 
rison, les vibrions sont englobés vivants; il n'y a pas d’action 
bactéricide de la part des humeurs; la destruction des microbes 
est entièrement intra-cellulaire ; leur transformation en granules 
l’est également. 

Chez les cobayes immunisés contre l'infection vibrionienne, 
la série des phénomènes est la même: ils se distinguent seule- 
ment par leur plus grande énergie. Ainsi, au bout de 10 heures, 
l’exsudat est purulent et ne renferme plus de microbes libres. 
Au bout de 25 heures, il est stérile. À aucun moment on ne ren- 
contre de granulations libres en dehors des cellules; les vibrions 
non englobés gardent leur mobilité et leur forme. Vers la fin du 
processus, tous les polynureléaires de l’exsudat sont bourrés de 
très petits grains éosinophiles, appartenant à la catégorie des 
fines granulations signalées plus haut. 

Dans les deux cas (immunité naturelle, immunité acquise), 
la fin du processus est marquée par l’arrivée de gros mononu- 
cléaires à noyau vésiculeux (du groupe Ilymphoïde), qui englobent 
bon nombre de polynucléaires et les détruisent à l’intérieur de 
vacuoles intra-cellulaires. 

Par conséquent, dans aucun cas d'immunité active, qu'elle soit 
naturelle ou acquise, on ne peut observer de transformation extracel- 
lulaire de vibrions en granules. Les microorganismes sont constam- 
ment englobés vivants, sous leur forme vibrionienne et mobile, par les 
leucocytes polynucléaires ou mononucléaires (du groupe vasculaire) 
qui sont, dans ce cas, les seuls agents de la défense de l'organisme 
contre les envahisseurs. 

On sait que si l’on injecte des vibrions cholériques dans le 
péritoine d’un cobaye hypervacciné, ou un mélange de vibrions et 
de sérum préventif dans le péritoine d’un animal neuf, les vibrions 
subissent la transformation extra-cellulaire en granules. Ilexiste 
done un certain état d’immunité active, l'état hypervaccinal, qui 
établit un passage naturel entre les cas moyens d'immunité 
active, où la transformation des vibrions en granules s'effectue à 
l'intérieur des leucocytes, et les cas d'immunité passive, où cette 
transformation a lieu hors des cellules; on peut donc & priori 
supposer que le second cas n’est qu'une modification du premier. 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 281 


En effet, voici la série des phénomènes que l’on observe lorsque 
l’on injecte, par exemple, dans le péritoine d’un cobaye neuf,une 
dose mortelle de vibrions, émulsionnés dans du bouillon auquel 
on a ajouté une goutte de sérum préventif: 10 minutes après 
l'injection, la moitié des vibrions, 10 minutes plus tard l’immense 
majorité d’entre eux sont transformés en grosses granulations 
rondes ou légèrement ovales, non réfringentes, se colorant avec 
intensité par les couleurs basiques d’aniline. Nous recomman- 
dons pour cette étude la coloration par la thionine phéniquée. 
Le nombre des leucocytes de l’exsudat est à ce moment extrè- 
mement faible ; les lymphocytes ont l'aspect normal; les polynu- 
cléaires, au contraire, ont en général un contour peu net, comme 
estompé, et se perdant insensiblement dans une zone trouble qui 
entoure l'élément et se colore légèrement en violet très pâle : 
cet aspect se différencie neltement de celui des rares leucocytes 
restés normaux, et dont le bord est nettement délimité. Le noyau 
des éléments en état de phagolyse conserve ses caractères, ce 
qui permet de ne pas confondre les leucocytes phagolysés avec 
une forme de dégénérescence leucocytaire qu'il arrive souvent 
de rencontrer dans les exsudats abondants : dans ce. dernier cas 
les contours du protoplasma restent nettement marqués, mais 
le noyau s’est dissocié, et forme une série de gouttelettes arron- 
dies, isolées, dispersées dans le protoplasma, et prenant très 
fortement les couleurs basiques. Il s’agit là de phénomènes de 
karyolise qui accompagnent la mort du leucocyte. L'existence 
de la zone glaireuse répond, chez les leucocytes phagolysés, à un 
état de souffrance : en effet, on observe, au contact immédiat de 
ces éléments, des amas de granalations libres qu'ils refusent 
d'englober; tous les vibrions compris dans la zone glaireuse ou 
situés dans son voisinage sont transformés en granules. 
Pendant un temps assez long (1-2 heures), on observe un 
certain nombre de vibrions qui n’ont pas subi la transformation 
en granules. Parmi les microorganismes libres dans l’exsudat 
(vibrions et granulations), quelques-uns prennent mal la cou- 
leur, sont réfringents d'aspect, et présentent une coloration de 
gelée de groseilles claire des plus caractéristiques. Nous revien- 
drons plus loin sur cet aspect. Une demi-heure après l'injection, 
le nombre des leucocytes polynuciéaires croît rapidement dans 
l'exsudat; ces nouveaux arrivants ont leur protoplasma absolu- 


282 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ment normal et ne présentent aucune apparence de phagolyse; 
à partir de ce moment l’englobement des granulations se fait 
avec la plus grande rapidité; les phagocytes en sont bientôt 
gorgés; à leur intérieur, ces granulations pâlissent et deviennent 
invisibles en très peu de temps. Trois heures après l'injection, le 
nombre des phagocytes est énorme et celui des granulations libres 
est faible. Il arrive fréquemment ge les granulations dispa- 
raissent de l’exsudat peu de temps après l'injection, alors que le 
nombre des phagocytes immigrés est encore peu considérable ; 
il ne faut pas croire pour cela qu’elles se dissolvent dansle liquide 
ambiant; car si à ce moment on sacrifie l’animal et que l’on 
examine la surface du péritoine, on la trouve, ainsi que l'avaient 
déjà constaté MM. Gruber et Durham, entièrement recouverte 
de granulations; en effet, ces dernières, étant immobiles, subissent 
le sort des poudres inertes injectées dans le péritoine; elles 
adhèrent aux parois de la cavité (surtout au grand épiploon) 
d'autant plus vite que les mouvements péristaltiques de l'intestin 
opèrent un brassage plus complet du liquide péritonéal; ce 
dernier devient ainsi rapidement clair et privé de particules en 
suspension. 

Si donc, dans le cas qui nous occupe, nous désirons suivre 
l'évolution ultérieure du processus, il faudra l'étudier non plus 
dans le liquide cavitaire, mais bien à la surface du péritoine, sur 
des frottis ou sur des coupes de l’épiploon. 

Nous constaterons alors qu'en ce point un bon nombre de 
microorganismes conservent leur forme vibrionienne, et que la 
transformation en granulations extracellulaires n’est jamais 
intégrale: ces vibrions sont d’ailleurs immobiles, comme les 
granulations. Un fait également intéressant est que, tandis que 
les phagocytes englobent activement Îles granulations, ils 
refusent les vibrions, si bien que 6-7 heures après l'injection, 
l’'englobement des granulalions étant achevé à la surface du 
péritoine, il ne reste plus, à l'intérieur des phagocytes, que des 
vibrions bien colorables. 

Ces vibrions, d’ailleurs, sont englobés à leur tour et enfermés 
dans des vacuoles intracellulaires : àce moment, les leucocytes de 
l’exsudat sonttous d'aspect absolument sain. Vingt-quatre heures 
après le début de l'expérience, le microscope ne décèle plus de 
microbes intra ou extra cellulaires ; cependantune trace de l’exsu- 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 283 


dat, ensemencée sur gélose, donne encore à ce moment une cul- 
ture pure de vibrions; à la surface du péritoine se trouve 
un épais dépôt de leucocytes et de fibrine; de nombreux mono- 
nucléaires à noyau vésiculeux se gorgent en ce moment de 
polynucléaires. Vers la 30° heure, l'exsudat est stérile. 

La quérison de l'animal est la règle lorsque l'on injecte le sérum 
préventif en même temps que la dose mortelle de vibrions. L'animal 
quérit encore lorsque l'injection du sérum a lieu 4-2 heures après celle 
des vibrions; si l’on dépasse ce temps, \ meurt toujours, malgré 
la transformation complète des vibrions en granulations. 

On sait, en effet, combien l’intoxication cholérique présente 
chez le cobaye une marche rapide : dans le cas dont nous venons 
de parler, l’intoxication est déjà consommée quand interviennent 
les facteurs de la défense. Lorsque l'injection de sérum suit 
de 3 heures celle des vibrions, la transformation en granulations 
est instantanée et presque complète ; si l’on dépasse ce moment; 
si le sérum, par exemple, n’est injecté que 4-5 heures après 
les vibrions, on trouve un nombre de plus en plus grand de 
vibrions qui conservent leur forme. Il est probable qu'à mesure 
que se prolonge leur séjour dans l'organisme, la virulence des 
vibrions augmente ; parconséquent, leur résistance à la substance 
bactéricide croît également. 

Voici comment se passent les choses lorsque l'injection de 
sérum a lieu 3 heures après celle des vibrions : immédiatement 
avant l'injection de sérum, l’exsudat péritonéal contient une 
quantité colossale de vibrions entiers, très mobiles, bien colo- 
rables. La leucocytose est nulle et la phagocylose également. 
Les quelques leucocytes présents dans le liquide sont d’aspect 
absolument normal. Cinq minutes après l’injection, l'aspect des 
leucocytes a changé totalement; leurs bords sont flous, et ils 
présentent une zone glaireuse des plus nettes, la phagolyse est 
ici mauifeste, Il est rare, à ce moment, de rencontrer encore ça 
et là un vibrion ayant conservé sa forme; presque tous sont 
transformés en grosses granulations non réfringentes, franche- 
ment colorées en violet. Une heure après l'injection de sérum, 
les leucocytes pénètrent en grand nombre dans l’exsudat et 
l’'englobement commence; au bout de 3 heures, la leucocytose 
a augmenté; il n'y a plus guère de granulations libres dans 
l’exsudat. Remarquons en passant que le nombre des leucocytes 


284 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


immigrés est infiniment moins grand que dans les cas où le 
sérum est injecté en même temps que les vibrions. À ce moment, 
il y a un grand nombre de granulations libres, mêlées à des 
vibrions entiers, à la surface du péritoine. La phagocytose en 
ce point est des plus énergiques. Quand la mort survient assez 
rapidement, c’est-à-dire 12-15 heures après l'injection des 
vibrions, il n’y a plus de granulations libres à la surface du péri- 
toine; on ne trouve plus dans le liquide que quelques rares 
vibrions: les leucocytes sont pleins à éclater de granulations 
prenantlacouleuravec plus ou moins d'intensité. Si, au contraire, 
la mort tarde à venir, si l'animal ne succombe que 24 ou 30 heures 
après l'injection des vibrions, on trouve fréquemment à l’intérieur 
des leucocytes des vibrions extrêmement courts, virgulaires, la 
grosse extrémité coiffée souvent d’une granulation de Pfeilter. 
Il s’agit là d’une croissance intra-cellulaire des boules de Pfeitfer ; 
il est facile, avec un bon objectif et un fort éclairage, de retrouver 
tous les stades intermédiaires entre les granuiations sphériques 
et les virgules bien développées. 

Un fait qui frappe l’observateur est que ces jeunes vibrions, 
isolés à l'intérieur des leucocytes polynucléaires, se présentent 
à l’intérieur des mononucléaires sous forme d'amas: fait d'autant 
plus curieux que, ainsi qu’il a été nettement établi par Salimbeni, 
la transformation des vibrions en boules n’a pas lieu dans le 
protoplasma des mononucléaires. Voici l'explication possible du 
phénomène : le protoplasma des leucocytes polynueléaires est 
infiniment plus bactéricide pour les vibrions que celui des mono- 
nucléaires; parmi les granulalions englobées par les polynu- 
cléaires, très peu ont pu résister aux sucs digestifs et regermer : 
d'où l'isolement et la rareté relative des jeunes vibrions dans 
ces éléments. Au contraire, les mononucléaires, grands man- 
geurs de polynucléaires affaiblis, mettent de la sorte en liberté, 
avant leur destruction complète, de véritables amas de granu- 
lalions englobées par ces derniers; ces granulations regerment 
dans le protoplasma des mononucléaires, incapable de produire 
la transformation en boules, et y forment les petits paquets de 
virgules qu’on y observe. Toujours au voisinage de ces paquels 
on trouve des débris de noyaux digérés. Dans les cas où la mort 
survient tardivement, on trouve constamment à la surface du 
péritoine, en dehors des cellules, de nombreux vibrions libres, 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 285 


très courts, vraisemblablement issus de granulations et sortis 
des leucocytes, constituant ainsi une race plus virulente, mieux 
adaptée au milieu bactéricide que la race primitive. 

Jusqu'ici, l'étude des phénomènes qui accompagnent l'injec- 
lion du sérum dans le péritoine nous apprend : à) que d’une 
facon constante les phagocytes pénètrent dans l’exsudat peu de 
temps après l'injection, et englobentles granulations, qui jamais 
ne se dissolvent librement dans le liquide péritonéal. Les phago- 
cytes sont les seuls agents de la destruction des granulations : b) que, 
lorsque les granulations semblent disparaître de l’exsudat en s’y 
dissolvant, il s’agit en réalité d’un transport de ces éléments 
inertes à la surface du péritoine : c’est en ce point que s’opère 
leur destruction en masse ; c) que le sérum agit d’une part en 
attirant les leucocytes dans l’exsudat (la diapédèse commence 
toujours, en effet, dans l'heure qui suit l'injection), de l’autre en 
provoquant la phagolyse et, par là, la transformation des 
vibrions en granules : sous cette dernière forme, peu virulente, 
les microbes sont très rapidement englobés, ce qui débarrasse 
en très peu de temps l'organisme de la presque totalité de ses 
envahisseurs ; d) que la précocité de la défense (transformation 
en granules et phagocylose) est une condition sine qua non pour 
la guérison de l'animal; les cobayes meurent en effet intoxiqués, 
lorsque l'injection de sérum retarde de 3 heures seulement sur 
l'injection de vibrions, et cela malgré la transformation complète 
des vibrions en granulations. 


IV 


Comment la marche des phénomènes que nous avons 
étudiés jusqu'à présent se trouve-t-elle modifiée quand on 
suspend pour un certain temps l’activité des leucocytes ? C'est 
ce que nous allons tâcher d'établir dans le chapitre présent. 

Pour obtenir ce résultat, nous employons la teinture d’opium 
en injection sous-cutanée, à la dose de 1 c.c. de teinture fran- 
çaise pour 200 grammes d'animal. La narcose qui en résulte 
dure de 2 à 4 heures. Avant d'étudier l'influénce de cette 
narcose sur la marche de l'infection vibrionienne, déterminons 
d’abord son action sur les leucocytes eux-mêmes. 

Sous la peau de l'oreille de deux cobayes vaccinés contre le 


286 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


choléra, introduisons une série de tubes capillaires fermés à un 
bout et contenant une émulsion de vibrions; soumettons l’un 
des animaux à la narcose par l’opium, et examinons les tubes 
retirés d'heure en heure : le narcotisé commence à se réveiller 
au bout de deux heures ; à ce moment, aucun leucocyle n’a 
pénétré dans les tubes ; chez le témoin, les tubes contiennent un 
bouchon leucocytaire de 2 mm. de longueur environ. Deux 
heures plus tard, les tubes, chez le narcotisé, ne renferment 
aucun leucocyte; chez le témoin, les bouchons leucocytaires 
atteignent une longueur de 4 mm. Deux heures après (c'est- 
à-dire 6 heures après le début de l'expérience) les tubes du nar- 
cotisé contiennent un bouchon leucocytaire de 2 millimètres de 
long ; dès cet instant, la pénétration des leucocytes dans les tubes 
va se faire avec rapidité. 

La narcose des leucocytes a donc duré 5 heures environ: la 
diapédèse de ces éléments a été suspendue dès le début du phé- 
nomène, et cela malgré la dilatation vasculaire qui existe chez 
l'animal durant tout le temps de la narcose. Il y a lieu de se 
demander si, au cours de celte anesthésie, la motilité, la sensi- 
bilité tactile et la sensibilité chimiotactique ont été également 
atteintes chez les cellules migratrices. 

Faisons à un cobaye narcotisé une injection intrapéritonéale 
d'encre de Chine délayée dans de l’eau physiologique tiède (à 
375). Si nous retirons une goutte d’exsudat un quart d'heure 
après l'injection, nous constaterons que le nombre des leucocytes 
est très faible et ne dépasse pas la proportion normale des 
leucocytes intrapéritonéaux. Tous contiennent cependant un 
certain nombre de grains noirs. Cette absence complète de 
diapédèse dure 2 1/2 à 3 1/2 heures environ, ainsi que le prouve 
l'examen des exsudats péritonéaux et des coupes de l’épiploon; 
par conséquent, dès le début de la narcose, il y a chez les 
leucocytes suppression de la diapédèse, mais persistance de la 
motilité et de la sensibilité tactile, puisqu'ils sont encore 
capables d’englober les corps au contact desquels ils arrivent. 
Nous devons donc considérer la sensibilité chimiotactique 
comme la première atteinte. 

La dilatation vasculaire et l’hyperhémie des vaisseaux sont 
cause qu'une certaine quantité de sang passe à travers les 
parois des capillaires dans la cavité péritonéale durant les deux 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 9287 


premières heures de la narcose; c’est ainsi que bon nombre de 
leucocytes se trouvent entraînés mécaniquement avec les glo- 
bules rouges, si bien que 3 heures environ après l'injection, 
malgré l'absence absolue de diapédèse, le nombre des globules 
blancs a augmenté dans l’exsudat (leur proportion, relativement 
aux hématies, est sensiblement la même qu'à l’intérieur des 
vaisseaux). Tous ces globules blancs nouvellement arrivés sont 
vides; aucun ne contient de grains noirs; leur motilité et leur 
sensibilité tactile sont donc abolies. C’est donc 3 heures environ 
après l'injection d’opium que la narcose des leucocytes est la plus 
profonde; elle correspond au moment où l'animal donne les 
premiers signes du réveil. Cette phase de narcose profonde 
apparait d'autant plus vite que la dose d’opium injecté est plus 
forte, ou que l’absorption en est plus rapide. Ainsi, si la dose 
de 1 c.c. d’opium pour 200 grammes d'animal est directement 
injectée dans le péritoine, la phagocytose est abolie dès le 
début. 

Des frottis d’épiploon et des coupes du même organe, faits à 
différents moments de la narcose, nous apprennent que la dia- 
pédèse commence à se faire vers la 5° heure (l'étude des tubes 
capillaires nous l’avait déjà prouvé). À partir de ce moment, 
l'englobement des granules d'encre de Chine se fait avec la 
plus grande rapidité; cet englobement est surtout énergique à 
la surface de l’épiploon sur laquelle se sont déposés la plupart des 
granules de l’exsudat. (Surlalocalisation de l'encre de Chineinjec- 
tée dans la cavité péritonéale, voirlemémoire récent de M. Pieral- 
lini). Cette dissociation de la sensibilité chimiotactique d'une part, 
de la sensibilité tactile et de la motilité de l’autre sous l’influence 
de l’opium, apparaît bien plus nettement encore si l’on a eu 
soin, 24 heures à l'avance, d’injecter dans le péritoine des 
cobayes, 5 c. c. d’eau physiologique. Chez les cobayes ainsi 
préparés, puis soumis à la narcose, 15 minutes après l'injection 
intrapéritonéale d'encre de Chine, tous les leucocytes de l’exsu- 
dat, fort nombreux à ce moment, sont gorgés d’une quantité 
énorme de grains noirs; les mononucléaires en particulier sont 
bourrés à éclater. Il n’y a pas là, au point de vue de l’énergie 
de la phagocytose, dedifférence entre un cobaye ayant reçu de 
l’opium et un témoin, également préparé dès la veille, mais non 
narcotisé. Au contraire, tandis que chez le témoin non narco- 


288 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tisé, le nombre des leucocytes de l’exsudat croit rapidement pen- 
dant les premières heures qui suivent l'injection de sépia 
(53,000 à 97,000 par mm. c. d’exsudat), leur nombre chez les 
narcotisés reste stationnaire durant les 4 heures qui suivent 
l'injection d'opium. Par conséquent, dans le cas de cobayes 
préparés, la narcose n’atteint que la sensibilité chimiotactique 
des globules blancs. 

Ainsi donc : la teinture d’opium supprime presque instanta- 
nément la diapédèse, en abolissant chez les leucocytes la sensi- 
bilité chimiotactique. L'état le plus profond de narcose s'observe 
3 heures environ après l'injection d’opium : à ce moment, la 
motilité et la sensibilité tactiles sont abolies ; les cellules ne 
phagocytent plus. L'injection préalable d’eau physiologique 
dans le péritoine est impuissante à empêcher l’anesthésie chi- 
miotactique; elle conserve au contraire aux leucocytes, malgré 
la narcose, la motilité et la sensibilité tactile. 


V 


Chez les cobayes possédant l’immunité naturelle on acquise, 
la guérison est fonction de l’aclivité phagocytaire. — Tout 
autre est l'issue de la lutte, ainsi que nous l’avons établi dans 
un travail antérieur, quand on paralyse l’action des leucocytes 
en narcotisant l’animal. Un cobaye solidement vacciné contre 
l'infection vibrionienne reçoit sous la peau 1 c. c. de teinture 
d’opium par 200 grammes, et dans le péritoine une émulsion 
de vibrions non mortelle pour un témoin non narcotisé. Dans 
ce cas, l'animal meurt d'intoxication cholérique, Si nous suivons 
les péripéties de la lutte, voici ce que nous apprend l'étude com- 
binée de l’exsudat péritonéal et des coupes de l’épiploon : malgré 
la dilatation et l’hyperhémie considérable des vaisseaux, malgré 
l’'hyperleucocytose notable du sang, aucune diapédèse ne se 
produit pendant les premières heures qui suivent l'injection 
d'opium, et ce n’est que 5, 6 heures après cette injection que les 
leucocytes commencent à apparaître dans la cavité péritonéale; 
nous sommes de la sorte ramenés au cas d’un cobaye neuf, non 
immunisé : 6, 8 heures suffisent en effet pour tuer, avec la 
dose de vibrions employés, un cobaye non vacciné. — Pendant 
ce temps, les vibrions pullulent et l’intoxication de l'organisme 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 289 


a lieu, ainsi qu’en témoigne la courbe progressivement descen- 
dante de la température; les vibrions conservent entièrement 
leur mobilité, leur colorabilité, et l’on ne trouve pas de granula- 
tions dans l’exsudat. Vers la 5° heure, la diapédèse commence 
et devient rapidement très abondante; la cavité péritonéale 
se remplit de leucocytes polynucléaires qui englobent des quan- 
tités énormes de microbes. — L'animal meurt toujours avec 
5, 6 heures de retard sur les témoins non vaccinés, et la mort 
survient de 14-18 heures après l'injection; à ce moment on ne 
trouve plus de vibrions libres dans l’exsudat : tous sont enfermés 
à l'intérieur des leucocytes polynucléaires et transformés, pour 
la plupart, en granulations grosses ou petites : ces dernières 
prennent souvent l’éosine. 

Sur les coupes de l’épiploon, on trouve sous l’endothélium 
une grande quantité de petits amas vibrioniens donnant l'im- 
pression de colonies développées sur place. Un examen attentif 
permet de constater que ces amas sont contenus à l’intérieur de 
leucocytes polynucléaires démesurément distendus et à noyau 
ayant subi la chromatolyse ; c’est un phénomène comparable à 
la pullulation intraleucocytaire des vibrions en goutte sus- 
pendue. Or jamais on ne l’observe chez les cobayes non soumis 
à l’action de l’opium. Dans le cas qui nous occupe, les leucocytes 
ont retrouvé à un certain moment leur activité phagocytaire ; 
mais bon nombre d’entre eux, encore affaiblis par la narcose, 
ont succombé à l’action des vibrions englobés et sont devenus 
autant de centres de multiplication. 

L'étude que nous venons de faire est des plus intéressantes 
en ce qu’elle nous démontre : 1° que chez les cobayes vaccinés 
contre le vibrion cholérique les humeurs ne sont pas bactéricides 
pour ce vibrion, puisque les microorganismes ont pu y vivre et 
s'y multiplier à l'aise jusqu’à l’arrivée des leucocytes ; 2° que la 
guérison de l'animal dépend de la précocité de l’intervention 
leucocytaire ; le temps nécessaire à l’intoxication de l'organisme 
dépassé, l’action des phagocytes ne sert à rien (peut-être à 
retarder légèrement le moment de la mort) : en effet, l’animal 
meurt, bien que ne présentant plus de microbes libres dans son 
péritoine. 

Ainsi donc, chez des animaux immunisés activement, la 
narcose supprime l’immunité en paralysant l’action phagocytaire. 

16 


290 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Que se passe-t-il quand on soumet à l’action de l’opium des 
animaux auxquels, en même temps que des vibrions, on injecte 
du sérum préventif dans le péritoine? Voici le résultat des 
expériences extrèmement nombreuses que nous avons faites à 
ce sujet. 

Nous savons que chez un cobaye qui reçoit, en même temps 
qu'une dose mortelle de vibrions dans le péritoine, une dose 
suffisante de sérum préventif, la guérison est la règle; elle 
devient l’exception si, avant d’injecter le mélange, on narcotise 
l'animal au moyen de la teinture d’opium. Les 4/5 des animaux 
environ succombent dans ce cas à l’intoxication au bout d’un 
temps qui varie de 20 à 70 heures. — Il v a donc, quand l’animal 
meurt, un relard très considérable sur les témoins qui n'ont 
pas reçu de sérum. Voici comment les choses se passent : 

Dans les cas où la mort survient assez rapidement (au bout 
de 24 heures, par ex.) la transformation des vibrions en granu- 
lations se fait plus lentement que chez les cobayes qui n’ont pas 
reçu d’opium; chez ces derniers, la transformation est presque 
complète au bout de 10 à 15 minutes; il faut 1/2 h. ou 3/#h, 
chez les narcolisés pour arriver au même point. — De plus, les 
granulations disparaissent ici de l’exsudat bien moins vite que 
chez les témoins, ce qui doit être attribué au fait que l’opium 
arrête le péristaltisme intestinal. — Dans l’exsudat examiné 
1/4 h. après l'injection, les leucocyles montrent les signes 
de phagolyse et n’englobent pas les microbes; la diapédèse 
commence à se faire 2 heures environ après le début de la 
narcose ; à partir de ce moment, les leucocytes immigrés englo- 
bent activement les granulations, mais refusent d’une façon 
absolue les vibrions entiers, toujours assez nombreux dans 
l'exsudat, À partir de la 5° heure, granulations et vibrions dispa- 
raissent de l’exsudat : c'est à la surface du péritoine qu'il faut 
les chercher ; on les y trouve en quantité. — Vers la 20° heure, 
la surface du mésentère et de l’épiploon est recouverte d’un 
nombre très grand de leucocytes bourrés de granulations; il n'y 
a plus de granulations libres. — Par contre, on trouve en dehors 
des cellules un nombre considérable de petits vibrions courts qui 
dès lors se multiplient jusqu’à la mort de l'animal. A ce moment 
l’exsudat contient une foule de vibrions bien mobiles. 

Il est bien certain que dans ce cas les vibrions restés en 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 291 


dehors des phagocytes représententdes individus particulièrement 
virulents, que les leucocytes, déprimés par l’opium, évitent de 
saisir, Cette abstention des globules blancs a pour conséquence 
la mort de l’animal. 

Quand la mort ne survient que 60 ou 70 heures après l’injec- 
tion, voici les faits très intéressants que l’on peut observer : il y 
a dès le début une transformation des vibrions en granules beau- 
coup plus complète et plus rapide que dans le cas précédent 
(quelques vibrions gardent cependant leur forme). Au bout de 
8 heures, les granulations sont toutes englobées par les pha- 
gocytes. Au bout de 24 heures, il n’y aplus de granulations dans 
l'exsudal, mais celui-ci renferme un nombre considérable de 
vibrions courts et très mobiles; le nombre de leucocytes présents 
est faible et la phagocytose nulle. Vers la 30° heure, les vibrions 
sont très nombreux; beaucoup de leucocytes ont également 
pénétré dans l’exsudat, mais ils n’englobent que très peu de 
microbes. Vers la 40° heure, on constate une phagocytose éner- 
gique; les vibrions englobés se transforment en granulations à 
l’intérieur des phagocytes. A la mort de l'animal, vers la 
70° heure, les vibrions ont disparu de l’exsudat; sur toute la 
surface du péritoine, il y a un nombre colossal de leucocytes en 
général vides ; le nombre des vibrions libres est minime. 

Voici comment on doit interpréter les faits dans cette lutte 
prolongée : les leucocytes, sortis de leur narcose, ont englobé 
les granulations, peu virulentes et trop peu toxiques pour avoir 
pu déjà intoxiquer l'organisme; parmi les vibrions injectés, les 
individus plus virulents, moins sensibles à la substance bacté- 
ricide, ont gardé leur forme vibrionienne et n’ont pasété englobés. 
Vers le moment où les leucocytes ayant reconquis toute leur 
activité eussent dû les saisir, ils se sont trouvés en présence de 
vibrions bien adaptés maintenant au milieu péritonéal et d’une 
virulence exaltée ; d’où éloignement des leucocytes, absence de 
phagocytose, pullulation des vibrions et intoxication de l’orga- 
nisme. Durant cette deuxième phase de la lutte, les leucocytes 
à leur tour se sont accoutumés au milieu nouveau, ont fini par 
revenir et par englober énergiquement les microorganismes. 
Malgré la destruction presque complète de ces derniers, l'animal 
a succombé à l'intoxicalion. | 

Ainsi donc : si chez un animal qui à recu dans le péritoine un 


292 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


mélange de vibrions et de sérum préventif, on retarde l'intervention 
des phagocytes et si on affaiblit leur activité au moyen de la narcose, 
l'animal mourra intoxiqué malgré la transformation des vibrions en 
granulations. Eneffet, les phagocytes auront étéincapables d'arrêter la - 
pullulation de ceux des vibrions, particulièrement virulents, qui n'ont 
passubi la transformation de Pfeiffer. Le phénomène de Pfeiffer est donc 
incapable à lui seul de protéger l'organisme : dans ce cas, commie dans 
celui de l'immunité active, la phagocytose est la condition indispen- 
sable pour débarrasser l'organisme de ses parasites. 

Si, maintenant, nous faisons varier les conditions de l’expé- 
rience, el si, au lieu d’injecter le sérum préventif à l'animal nar- 
cotisé en même temps que les vibrions, nous l’injectons plus 
tard, voici ce que nous constaterons : tant que l'injection du 
sérum a lieu dans les 2 heures qui suivent celle des vibrions, 
ceux-ci se transforment en granulations : si le sérum est injecté 
entre 2 heures 1/2 et et 3 heures et 1/2, la transformation ne 
se fait plus : les vibrions restent entierset bien mobiles; si l’on 
dépasse ce temps, la tendance à la transformation se manifeste 
de nouveau; la transformation est complète si l'injection de 
sérum a lieu 5 ou 6 heures après celle des vibrions. 

Analysons de plus près ce phénomène, et voyons ce qui se 
passe dans le cas suivant : un cobaye nareotisé reçoit dans le 
péritoine une dose mortelle de vibrions cholériques. Trois heures 
plus tard on lui injecte dans le péritoine 1 goutte de sérum 
préventif. L'’exsudat examiné immédiatement avant l'injection 
du sérum fourmille de vibrions bien mobiles ; les rares leucocytes 
que l’on y trouve ne contiennent pas de vibrions. Leur aspect 
est normal. 

L’exsudat, examiné 1/2 d'heure après l'injection de sérum, 
présente des caractères identiques : les vibrions sont entiers, 
mobiles. Dans la plupart des cas on ne trouve aucune granula- 
tion de Pfeiffer; dans quelquels cas, exceptionnels, de rares 
vibrions (1/100 environ) sont transformés. Quant aux leucocytes 
de l’exsudat, ils ont conservé la netteté de leurs contours; ils ne pré- 
sentent aucun signe de phagolyse. 

Deux heures environ après l'injection de sérum, les leuco- 
éytes commencent à pénétrer en foule dans l’exsudat et l'englo- 
bement des vibrions commence; ceux-ci se transforment à l’in- 
térieur des cellules en granulations arrondies. L'animal meurt 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME, 293 


12 ou 15 heures après l'injection des vibrions : à ce moment la 
phagocytose, bien qu'énergique, est incomplète. A aucun 
moment il n’y a eu transformation extracellulaire des vibrions. 

Très manifestement, dans ce cas, la non-transformation des 
vibrions en granulations est liée à l’absence de phagolyse. Pour- 
quoi cette phagloyse n’a-t-elle pas lieu chez les cobayes qui 
reçoivent le sérum vers la 3° heure de la narcose? L’'interpréta- 
tion en est difficile à donner dans l’état actuel de nos connais- 
sances ; rappelons-nous seulement que c’est le moment où la 
narcose des éléments migrateurs est la plus profonde, celui où 
tous les ordres de sensibilité sont le plus déprimés en eux. 

Nous recommandons, pour Fétude de ce phénomène, des 
cobayes pastrop âgés, bien sensibles par conséquent à l’action de 
l'opium. Ceux de 300 grammes sont les plus convenables à ceteffet. 

De cette série d'expériences ressort l’étroite connexion qui 
existe entre la transformation des vibrions en granulations et la 
phagolyse leucocytaire ; c’est ainsi que, au cours de la narcose, 
le seul moment où cette transformation n'a pas lieu est préci- 
ment celui où l’on n’observe aucune phagolyse. — Cette phago- 
golyse doit être considérée comme une forme particulière et 
anormale de la fonction phagocytaire : elle paralyse l’activité 
d’un grand nombre de vibrions et rend leur englobement plus 
facile. Mais elle est loin d’être suflisante pour la protection de 
l'organisme; la guérison ne survient en effet que si les phago- 
cytes détruisent les microorganismes de l’exsudat (granulations 
et vibrions); supprimons en effet leur intervention ou retardons- 
la, et l'animal mourra. 

Voilà pourquoi, chez les animaux auxquels le sérum est 
injecté quand l'intoxication à déjà eu lieu (3 heures, par 
exemple, après Les vibrions), la mort survient malgré la trans- 
formation intégrale en granulations. — Voilà pourquoi la nar- 
cose par l’opium, qui fait arriver les phagocytes en retard et 
affaiblis sur le champ de lutte, détermine le plus souvent la 
mort de l'animal: dans ce cas, en effet, d’une part, les phagocytes 
ne retouvent pas la force nécessaire pour détruire à temps les 
vibrions particulièrement virulents qui n’ont pas subi la trans- 
formation, de l’autre, il arrive fréquemment que les granula- 
tions englobées repullulent dans le protoplasma des leucocytes 
tués, contribuant ainsi à la réinfection du péritoine. Ce dernier 


294 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


fait est également intéressant en ce qu'il nous prouve la nature 
vivante des granulations de Pfeiffer. 


VI 


Si, dans les cas de narcose, la mort d’un animal est réelle- 
ment due à l’affaiblissement de ses phagocytes, il est naturel de 
supposer que le résultat sera tout autre si l’on prend soin de 
surexciter préalablement leur activité de façon à atténuer les 
effets de la narcose. — Nous avons dit, en effet, que chez 
des animaux préparés au moyen d’une injection péritonéale 
d’eau physiologique, la narcose suspend la diapédèse (par suite 
de l’anesthésie chimiotactique), mais laisse subsister la sen- 
sibilité tactile et la motilité. 

Et, en effet, chez des cobayes auxquels on a injecté, la veille, 
dans le péritoine, 5 c. c. d’eau physiologique, on a beau faire 
varier les conditions de l'expérience, injecter le sérum long- 
temps après les vibrions, narcotiser l'animal, la quérison sur- 
vient loujours. Voici un rapide exposé des phénomènes que l’on 
observe dans ces différents cas. 

Nous savons qu’on cobaye ainsi préparé se trouve immunisé 
au bout de 24 heures contre une dose de vibrions mortelle pour 
un témoin. Le fait a été démontré par Issaef en 1893. Au 
moment de l'injection vibrionienne, il y a dans l’exsudat péri- 
tonéal de 50,000 à 70,000 leucocytes polynucléaires par milli- 
mètre cube. — Dix minutes après l'injection des vibrions, les 
leucocytes ont déjà englobé de nombreux microbes; un très 
grand nombre de microbes englohés sont tués immédiatement 
sans prendre la forme de gros granules ; ils perdent rapidement 
leurs affinités colorantes et se transforment en granulations 
fines. Il n’y aucune transformation extracellullaire de microo:- 
ganismes. — Le nombre des leucocytes augmente rapidement 
dans l'exsudal. Au bout de 7-8 heures, l'englobement est 
terminé; il n’y a plus de vibrions libres. 

Si, en même temps que les vibrions, nous injectons une goulle 
de sérum immunisant, il n’y a pas, ainsi que l’a établi M. Metch- 
nikoff, de transformation extracellulaire des vibrions en gra- 
nules. L’englobement des microbes est ici, pour ainsi dire, ins- 
tantané ; instantanée également leur transformation intracellu- 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 293 


laire en granulations. Nous avons pu constater nous-même que 
les rares microbes non englobés conservent la forme vibrio- 


nienne. — Dans l’exsudat, tous les leucocytes sont bondés de 
granulations ; aucun ne présente le phénomène de la phago- 
lyse. 


Si, au contraire, nous injectons le sérum 3 heures après les 
vibrions, la transformation intégrale des vibrions non englobés 
a lieu dans l’exsudat; un quart d'heure après l'injection du 
sérum, tous les vibrions intra ou extracellulaires sont transfor- 
més en granules. Très rapidement, d’ailleurs, les granulations 
extraleucocytaires sont englobées et l'animal guérit. Il semble 
donc que, par suite de la lutte menée depuis trois heures contre 
les vibrions, les phagocytes aient perdu de la suractivité qui 
leur permettait d'échapper à la phagolyse. 

Quelles sont les péripéties de la lutte chez les cobayes narco- 
tisés ? (Nous avons dit que, même dans ce cas, la guérison est la 
règle.) 

Un premier fait, très intéressant, c'est que, lorsque après 
avoir narcotisé un cobaye préparé par l’eau physiologique, on 
lui injecte dans le péritoine des vibrions sans sérum, une grande 
partie des vibrions (1/4 ou 1/2) est, malgré cela, transformée en 
dehors des cellules en granulations de Pfeiffer. — On trouve 
dans l’exsudat, un quart d'heure après l'injection des microbes, 
un certain nombre de leucocytes phagolysés, entourés d'une 
zone albumineuse bien nette, et n’englobant aucun microbe. — 
À part ces quelques éléments souffrants, tous les leucocytes 
présents englobent avec rapidité granules et vibrions. — Pen- 
dant les 4 heures qui suivent, le nombre des leucocytes de 
l’exsudat n'augmente pas, ce qui n'empêche que l'immense 
majorité des microorganismes sont déjà phagocytés quand com- 
mence la diapédèse : la narcose, en empêchant cette dernière 
de se produire, n’a cependant pas supprimé la sensibilité tactile 
ni la motilité des cellules. La presque totalité des vibrions se 
trouvant de la sorte détruits dès le début du processus, l’animal 
guérit. 

Il y a lieu de se demander comment on pourrait expliquer 
ici la transformation d’une partie des vibrions en granulations 
extracellulaires ? Tous les leucocytes contiennent à l’état normal 
une certaine quantité de substance bactéricide capable de trans- 


296 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


former en granulations les vibrions englobés; ici, les leuco- 
cytes, étant en état de suractivité fonctionnelle, ont élaboré à 
leur intérieur une quantité de substance bactéricide supérieure 
à la normale (comme en témoigne la rapidité avec laquelle sont 
détruits les vibrions englobés); il suffit donc qu'un petit nombre 
d’eutre eux éclatent dans l’exsudat pour lui communiquer des 
propriétés bactéricides. 

Or, dans un exsudat aussi riche en cellules que celui qui nous 
occupe, on conçoit qu'il y ait toujours quelques éléments, plus 
particulièrement atteints par la narcose, qui se laissent sur- 
prendre par le brusque contact de l’émulsion vibrionienne et 
subissent ainsi la phagolyse; d’où production partielle du phéno- 
mène de Pfeiffer. 

Nous voyons donc que l’opium atténue jusqu’à un certain 
point l’excitabilité des leucocytes surexcités par l’injection d’eau 
physiologique. Aussi n'est-il pas étonnant que lorsque l’on 
injecte, dans ce cas, aux cobayes narcotisés, une goutte de sérum 
préventif en même temps que les vibrions dans le péritoine, il 
y ait transformation intégrale, en dehors des leucocytes, des 
vibrions en granulations de Pfeiffer ; c'est ce qui a lieu en effet. 
Le nombre des vibrions qui gardent leur forme est minime. — 
Malgré l'absence de diapédèse, l’englobement des microorga- 
nismes se fait rapidement, et, 5 heures après l'injection, iln'y a 
plus en dehors des cellules ni granulations ni vibrions. L'animal 
guérit. Cette dernière série d'expériences ne fait que confirmer 
la relation qui existe entre la phagolyse et la transformation 
extracellulaire des vibrions ; toute cause qui suspend la première 


supprime la seconde. Nous n’insisterons pas davantage sur un 
fait surabondamment démontré. 


VII 
Il résulle de ce qui a été dit jusqu'ici que, même dans le cas 
où la transformation extracellulaire des vibrions a lieu, l’orga- 
nisme ne résiste que grâce à l'intervention de ses phagocytes:; 
les granulations de Pfeiffer, en effet, ne représentent nullement 
des microbes morts; elles sont bien vivantes et capables de 
regermination. 


Quant aux vibrions tués, ils ne prennent jamais la forme de 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 297 


granulations. Nous avons déjà signalé au cours de notre travail 
que les vibrions tués par les phagocytes, aussitôt après leur 
englobement (ce que l'on reconnaît au fait qu’ils ne se colorent 
plus que très mal), ne se transforment jamais en granulations de 
Pfeiffer. 

Si l’on stérilise une émulsion de vibrions dans l’eau physio- 
logique, soit par la chaleur à 90° pendant 10 minutes, soit par 
le chloroforme, et que l’on injecte cette émulsion, additionnée de 
dix gouttes de sérum préventif, dans le péritoine d’un cobaye 
neuf, jamais les vibrions injectés ne subissent la transformation 
en granules ; ils gardent leur forme et prennent mal la couleur. 
— On les retrouve ainsi pendant 3-4 heures à la surface de 
l’épiploon; il ne sont en effet englobés que très tardivement par 
les phagocytes. Ces mêmes vibrions donnent au contraire nel- 
tement le phénomène de l’agglutination; ils se présentent en 
grumeaux dans l’exsudat retiré 5 minutes après l'injection. 

Nous avons d’ailleurs constaté à plusieurs reprises, dans les 
chapitres précédents, que les granulations reprennent fréquem- 
ment la forme vibrionienne, soit à l’intérieur des leucocytes, 
soit dans le liquide de l’exsudat,. Il est aisé d'observer directe- 
ment ce phénomène de regermination. Émulsionnons, en effet, 
une culture de vibrions dans 2 c. c. de liquide composé en parties 
égales d’eau physiologique et de sérum préventif. Introduisons 
le tout dans un sac de collodion, hermétiquement clos, que nous 
plaçons dans la cavité péritonéale d’un cobaye. Quatre jours après 
retirons le sac. Nous trouverons que tous les vibrions contenus à 
son intérieur ont la forme de grosses granulations, rondes, pre- 
nant bien la couleur ; aucun ne possède la forme vibrionienne. 
Ensemençons avec le contenu du sac une série de gouttes sus- 
pendues, composées d’eau peptonisée et portées à l’étuve à 37°. 
Ilest dès lors facile d'examiner une goutte d'heure en heure sous 
le microscope; on voit au bout de 5-6 heures un grand nombre 
de granulations pousser une petite pointe eflilée qui leur donne 
bientôt l’aspect d’un bouchon de carafe court et à très grosse 
tête; le petit appendice s’allonge en s’incurvant, et bientôt on se 
trouve en présence d'une virgule peu allongée et à grosse extré- 
mité très renflée. | 

Les granulations de Pfeilfer représentent donc des microor- 
ganismes vivants, immobiles et à virulence atlénuée (ils 


298 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sont, en effet, saisis par les phagocytes avant ies formes vibrio- 
niennes), mais aptes à repulluler s'ils ne sont englobés à temps. 
La transformation des vibrions en granules constitue un phé- 
nomène actif de la part de ces vibrions, qui revêtent ainsi la 
forme sous laquelle leur surface de contact avec un milieu 
défavorable est minima; les granulations extracellulaires de 
Pfeiffer sont identiques aux grosses granulations intracellulaires 
que l’on observe à l’intérieur des leucocytes qui ont englohé 
des vibrions. Tout comme les formes vibrioniennes allongées, 
elles se fragmentent, après l’action des sucs digestifs, en fines 
granulalions qui prennent mal les couleurs basiques et devien- 
nent rapidement éosinophiles. Cette dernière transformation 
n’a jamais lieu à l'extérieur des leucocytes. 

Il est à peine besoin d'indiquer ici que ces granules de Pfeif- 
fer n’ont rien à faire avec des spores; ils ne résistent, en effet, 
ni à la dessiccalion ni à une chaleur supérieure à 80°. 

IL arrive parfois qu'après la transformation extracellulaire 
des vibrions, un certain nombre de granulations périssent direc- 
tement dans le liquide (le même fait se produit pour des vibrions 
transportés brusquement dans un milieu nouveau). Ces granu- 
lations mortes sont facilement reconnaissables : elles sont comme 
sonflées, réfringentes, prennent très mal la couleur, et présen- 
tent celte coloration gelée de groseille claire que nous avons 
signalée plus haut. Si l’on produit in vitro le phénomène de 
Pfeiffer, il se trouve toujours parmi les granulations formées 
quelques grains réfringents ; il est aisé de se rendre compte que 
jamais ces dernières formes ne regerment. Elles sont d’ailleurs 
relativement rares. Les granulations de Pfeiffer sont constituées 
par la masse entière du protoplasma vibrionien qui s’est rétracté 
à l’une des extrémités de la membrane d'enveloppe. Si, en effet, 
on examine à un très fort grossissement et avec un éclairage 
puissant les premières phases du phénomène, in vitro, on, 
trouve appendues aux granulations des gaines incolores, de 
même réfringence à peu près que l’eau, qui reproduisent exacte- 
ment la forme du vibrion, bien que légèrement plus gonflées. 
Ces gaines vibrioniennes ne tardent pas à se détacher et à deve- 
nir bientôt invisibles dans le liquide ambiant. 


DESTRUCTION DES VIBRIONS DANS L'ORGANISME. 299 


VIII 


Si nous essayons de résumer en quelques mots les résultats 
de nos recherches, nous dirons que les phagocytes sont les 
seuls agents destructeurs des vibrions dans les tissus, et que leur 
intervention est la condition sine qua non de guérison pour l’ani- 
mal : cela est également vrai pour les cas d'immunité active 
(naturelle ou acquise) et pour les cas d’immunité passive, où la 
destruction des vibrions est précédée de leur transformation 
extracellulaire en granulations de Pfeiffer. Dans l’immunité 
active, en effet, il y a parallélisme constant entre la guérison de 
l'animal et l'énergie de la phagocytose. La mort survient toutes 
les fois que l’on suspeud, au début du processus, l’activité pha- 
gocytaire. On augmente au contraire considérablement la résis- 
tance de l’animai en surexcilant l’activité de ses phagocytes. Les 
cas de mort chez les animaux vaccinés et soumis à la narcose 
prouvent que les humeurs de ces derniers ne sont point bacté- 
ricides. 

Dans les cas d’immunité passive où l'injection du sérum 
préventif détermine la transformation extracellulaire des vibrions, 
les phagocytes représentent également les véritables agents de 
la guérison; l'animal meurt le plus souvent lorsqu'on empêche, 
par la narcose, les leucocytes d’englober les granulations de 
l'exsudat : en effet, ces dernières représentent des microorga- 
nismes vivants, capables de repulluler. Jamais, d’ailleurs, la 
transformation en granules n’est complète; on trouve toujours, 
à la surface du péritoine, bon nombre de vibrions non transfor- 
més qui deviennent le point de départ d’une réinfection s'ils ne 
sont englobés à temps par les globules blancs. Il suffit, d'autre 
part, d’atténuer les effets de la narcose en surexcitant par avance 
l'activité. leucocytaire, pour voir l'animal guérir d’une façon 
constante. 

Enfin, la transformation extracellulaire des vibrions, si 
exceptionnelle qu’elle soit dans la nature, représente elle-même 
une extension de la fonction phagocytaire, et pour ainsi dire une 
action enzymotique substiluée à l’action intracellulaire ; elle est, 
en effet, intimement liée à la phagolyse et ne se produit plus 
quand, dans certaines conditions spéciales de narcotisation, on 


300 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


empêche la phagolyse de se faire. Remarquons d’ailleurs que 
cette transformation extracellulaire des vibrions n’est jamais wne 
destruction extracellulaire, et que le sort final de la lutte dépend, 
même ici, des phagocytes. La preuve que les leucocytes sont 
bien le siège de la substance bactéricide qui transforme les 
vibrions en granules est fournie par le fait que le phénomène de 
Pfeiffer n'est possible à réaliser sous la peau que si l’on amène 
des leucocytes au contact du sérum préventif (par exemple en 
ajoutant du pus au mélange injecté). 


BIBLIOGRA PHIE 


ne - 


J. Bonnet. Les Leucocytes et les propriétés actives du sérum chez Îles 
vaccinés. — (Ann. Inst. Pasteur, 1895. IX, 462.) 

J. CaxracuzèNe. Recherches sur le mode de destruction du vibrion cho- 
lérique dans l'organisme. — Paris, 1894. 

Issazrr. Untersuchungen über die Künstliche Immunität gegen Cholera. 
— (Zeitsch. [. Hyg., 1894. XVI, 287.) 

Er. Mercamkorr. Études sur l’immunité : sur la destruction extracellu- 
laire des bactéries dans l'organisme. (Ann. Inst. Pasteur, 1895. IX, 369.) 

Preirrer. Weitere Untersuchungen über das Wesen d. Choleraimmuni- 
tät, und über specifische bactericide Processe. (Zeitsch. f. ‘Hyg., 1894. 
XVIIL, 1.) 

G. Pierazum. Sur la Phagolyse dans la cavité péritonéale. (Ann. Inst. 
Pasteur, 1897. XI, 308.) 

SALIMBENI. La Destruction des microbes dans le tissu sous-cutané des 
animaux hypervaccinés. — (Ann. Inst. Pasteur, 1898. XIT, p. 192.) 


LES VACCINATIONS ANTIRABIQUES À L'INSETTUT PASTEUR 


EN 1897 
Par M. ce Dr H, POTTEVIN 


l 


Pendant l’année 1897, 1,521 personnes ont subi le traitement 
antirabique à l’Institut Pasteur : 8 sont mortes de la rage. On 
trouvera leurs « observations » résumées à la fin de ce travail. 

Si nous retranchons, des 8 cas de mort que nous venons de 
signaler, deux cas, ceux de Heniquet et de Morin, dans lesquels 
la mort est survenue avant que les vaccinations aient pu produire 
leur effet, les résultats des vaccinations pendant l’année 1897 
sont : 


BFSORHESILRIIER SES M RU ce een ue 4519 
NOEL SR RS NE RSA CELA QU Gare Rd 6 
Mortalité DOME MSA CRT tre AAA EN 0,39 


Dans le tableau ci-dessous, ces chiffres sont rapprochés de 
ceux fournis par les statistiques des années précédentes. 


Années, Personnes {raitées, Morts. Mortalité 0/0 
1886 NO) AA 29 0,94 
1887 1,710 14 0,79 
1888 1,622 9 0,5 
1889 1,830 ÿl 0,38 
1890 1,340 3 0,32 
1891 1,559 4 0,25 
1892 1,790 4 0,22 
1893 1,648 6 0,36 
1894 1,387 7 0,50 
1895 1,520 D 0,33 
1896 1,308 4 0,30 
1897 1,521 6 0,39 

IT 


Les personnes traitées à l’Institut Pasteur sont divisées en 
trois catégories correspondant aux tableaux suivants : 


302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Tableau A. — La rage de l'animal mordeur a été expérimen- 
talement constatée par le développement de la rage chez des ani- 
maux inoculés avecson bulbe. 

Tableau B. — La rage de l'animal mordeur a été constatée 
par examen vélérinaire. 

Tableau C. — L'animal mordeur est suspect de rage. 

Nous donnons ci-dessous la répartition, entre ces catégories, 
des personnes traitées en 1897. La première colonne de chaque 
catégorie donne le nombre des mordus; la seconde le nombre 
des morts ; la troisième la mortalité pour cent. 


| 5 | 
| Morsures à la | Morsures aux Morsures aux 
| 


tête. mains. | membres. Totaux. 


Tableau A | 15 0 81 46 À 07 


0 
Tableau B | 106-|0| 0 | 539 | 2 0,4. 918 
fie | ET 


Tableau € | 30 


| 451 |0 


Les tableaux suivants, qui contiennent les résullats acquis 
depuis l’origine des vaccinations, montrent que la gravité des 
morsures varie avec leur siège, et que la mortalité est toujours 
inférieure à 1 0/9 pour les personnes mordues par des chiens 
sûrement enragés,. 


Personnes traitées. Morts. Mortalité. 
Morsures à la têle .... 4,759 21 1,1 
Morsures aux mains .. 11,118 53 0,47 
Morsures aux membres - 7,289 | 22 0,30 
20,166 96 0,46 

Personnes traitées. Morts. Mortalité. 
Hableau. As... , 2,872 20 0,69 
HableaudB. #0. 4... ASDAT 61 0,48 
Tabloaues Jr: . 422 4,741 15 0,31 


20,166 96 0,46 


STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR. 303 


IL 
Au point de vue de leur nationalité, les 1521 personnes trai- 
tées à l'Institut Pasteur en 1897 se répartissent de la façon 
suivante : 


Allemagne 8 États-Unis 1 
Anpglelerre 83 Grèce 1 
Belgique 14 Indes Anglaises 33 
Égypte 2 Suisse 32 


Soit 175 étrangers et 1346 Français. 
Le tableau suivant donne la répartition, par départements, 
des 1346 Français. 


eq 
ARE es ne AOC MES MER AIIOISE ES 13 
AISTBE ML TX 3 | Garonne (Haute-) NO EE ER TEEN 3 
ATTER SR ES Sos ue A CELSE Meet 18 | Pas-de-Calais ... 9 
Alpes nn FE OCTO RTE. 61 | Puy-de-Dôme... ... 6 
Alpes (Hautes-). ONFHÉTAUIT Re CE 10 | Pyrénées (Basses-). 32 
Alpes-Maritimes ... 0 | Ille-et-Vilaine. .,... 13 | Pyrénées (Hautes-). 21 
AAC Ex CRT de 2 | Indre-et-Loire ..... 3 | Pyrénées- Orientales 3 
Ardennes 2:16. 2Andres:t rs. DRE A RhôRE Sert 139 
ASIE REIN ne NS ARS 24| Rhin (Haut-)...... 1 
AUDE SERRE AE Drame AR Le CUP 3 | Saône (Haute-)..... (! 
AGO NS ENT raie 19)Eandes. 2 Se 15 | Saône-et-Loire... 4 
AVÉNLON Er ee MSP lOrr-et-Ghers.. 2% NS ANTAIINOR LEUR ER Te ARE 1 
Bouches-du- Aube DPOITEM ES RE ne HAE SAVOIE eee se eee 19 
Calvados 7": 12 | Loire (Haute-) .. .. 171] Savoie (Haute-) .... 14 
Cantal mer ten 1 Péonre-Infeneure- "2 /iSome ns 349 
Charentes sr se AS DITEL-R ES ner ù | Seine-et-Marne . ..…., 0 
Charente=inférieuresan47 lot: sine. 31 | Seine-Inférieure ,,, 25 
Chers us ER 2 | Lot-et-Garonne .... 26 | Seine-et-Oise....... 32 
Corrèze D UD OZÉ LE Rent 5 | Sèvres (Deux-)..... 8 
Corse rer. LE SERA 4 | Maine-et- Li Re 2'SOMIME. LL 2e 7 
Cole Orne ns 0 | Manche. 2] VEN 45 
Côtes-du-Nord ..... AHEMarne tre tree. 0 | Tarn-et-Garonne 35 
Creuse... DRE 1 | Marne (Haute-) .... DIN AT ete EE 0 
Dordogne #7. 30 | Mayenne.,....:.... APVNaUCluSeR re ete ) 
DÉTDSEET RE 3 | Meurthe-et-Moselle . LI Nendée tar 11 
Drome ME RnAu ee 1AIMOUSeS SMART, 'INienneteese RE 9 
EUPER SR eee 42\ Morbihan -...5..... 9 | Vienne (Haute-).... 2 
Eure-et-Loir ....... 4 | Nièvre. its LIVES REPARER 0 
Hinistérenr.2" 7. RL EN OT noue D\EVONTIE REP EE AE Fe ) 


OBSERVATIONS 


HourG Camille, 26 ans. — Mordu le 11 avril, traité à l’Institut, Pasteur, 
du 13 au 30 avril. Mort de la rage à l'hôpital Lariboisière, le 26 mai. Les 
morsures, au nombre de six, pénétrantes, étaient situées sur l'éminence 


304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


thénar de Ja main gauche. Le chien mordeur examiné par M. Grenot, vété- 
rinaire à Paris, avait été reconnu enragé à l’aulopsie. — Une autre personne 
mordue et trailée en même temps que Bourg est actuellement en bonne 
santé. 

Fiquer Louis, 23 ans. — Mordu le 22 avril, traité à l’Institut Pasteur du 
23 avril au 10 mai. Mort de la rage à l'hôpital Necker, le 4 juin. Les mor- 
sures, aunombre de cinq, dont deux profondes, étaient situées sur la périphérie 
du pouce droit; elles avaient été cautérisées au bout de cinq heures par un 
agent chimique indéterminé. — Le chien mordeur, examiné par M. Caussé, 
vétérinaire à Boulogne-sur-Seine, avait élé reconnu enragé à l’autopsie. — 
Une autre personne mordue en même temps que Fiquet est actuellement en 
bonne santé. 

Beaurorr Annelte, 19 ans. — Avait été léchée le 15 avril sur les mains 
qui portaient des écorchures à vif par un chien qui, abattu le lendemain, 
fut déclaré enragé, à l’autopsie, par M. Lachmann, vélérinaire, à Saint- 
Etienne. — Traitée à l'Institut Pasteur du 20 avril au 7 mai. — Morte de 
la rage le 14 octobre. — Deux autres personnes mordues par le même 
chien et traitées à l'Institut Pasteur sont actuellement en bonne santé. 

HexiQuer Julien, 53 ans. — Mordu le 11 mai par un chien que 
M. Jenvresse, vétérinaire à Beaumont-sur-Oise, a déclaré enragé après 
autopsie. — Une première morsure avait déchiré la lèvre inférieure, les 
deux bords de la plaie avaient dû être réunis par trois points de suture : 
trois autres blessures siègeaient à la racine du nez. — Les plaies n'avaient 
pas été cautérisées. — Traité à l'Institut Pasteur du 18 mai au 5 juin. — 
Les premiers symptômes rabiques se sont manifestés le 4 juin, avant la fin 
du traitement ; la mort est survenue le 7 juin. — La rage ayant éclaté au 
cours des inoculations, il convient de retrancher Heniquet du nombre des 
personnes mortes de la rage après traitement. 

SEGOND Germain, 7 ans. — Mordu le 23 mai à l'avant-bras droit : la 
morsure pénétrante avait été faite sur le membre nu; elle avait été cauté- 
risée au fer rouge au bout d'une heure. Traité du 26 mai au 9 juin. Mort de 
la rage le 22 juillet. Le bulbe du chien mordeur avait été remis à 
l'Institut Pasteur; un cobaye inoculé dans l'œil le 26 mai a été pris de rage 
le 10 septembre. 

RicHarp Suzanne, 8 ans. — Mordue le 12 juin à la jambe gauche par un 
chien reconnu enragé après autopsie de M. Touret, vétérinaire à Sannois. — 
La morsure pénétrante s'étendait sur une longueur de 3 centimètres (les 
lêvres avaient dù être réunies par des points de suture); elle avait été faite 
autravers d’une chaussette de coton et cautérisée au bout d’une demi-heure 
avec un agent chimique indéterminé. — Traitée du 13 juin au 30 juin, morte 
de la rage le 2 août. (Renseignement de M. le docteur Marguy, à Sannois). 

VANDALE Joseph, 33 ans. — Mordu le 8 août à la main gauche. — Les 
morsures, au nombre de six, pénétrantes, siégeaient sur la face dorsale; elles 
n'avaient pas été cautérisées. Le chien mordeur avait été déclaré enragé 
par M. Verraert, vétérinaire à Ostende. — Traité à l'Institut Pasteur, du 
11 août au 28 août, mort de la rage le 27 septembre. 

MorN Paul, 38 ans. — Mordu le 24 août à la joue gauche; la morsure 
unique, qui s’étendait sur une longueur de 2 centimètres, n'avait subi aucune 
cautérisation, Le chien mordeur, conduit à l’École d'Alfort, le 25 août, fut 
reconnu enragé. — Traité à l’Institut Pasteur du 26 août au 15 septembre. 
Mort de la rage quelques jours après la fin du traitement (trois semaines 
après la morsure, dit la note qui nous a été remise). — Le délai qui s'est 
écoulé entre la fin du traitement et le début des accidents rabiques étant 
inférieur à 14 jours, Morin ne doit pas être compté au nombre des per- 
sonnes ayant subi les inoculations dans les conditions où elles sont 
efficaces. | 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie E. Charaire, 


au 


19me ANNÉE MAI 1898 No 5. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


DE LA BEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE ET CLINIQUE 


Par Le Dr BESREDKA 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


La diphtérie est une maladie à laquelle ne paraissent pas 
s'adapter jusqu'ici les conceptions phagocytaires fournies par 
d’autres maladies infectieuses. Faut-il modifier ces conceptions 
pour la diphtérie, ou bien Îles remplacer par d’autres ? Telle est 
la question que nous nous sommes posée en reprenant l'étude de 
la diphtérie. 

Avant d'entrer dans le cœur de notre sujet, il serait intéres- 
sant de jeter un coup d'œil rapide sur les phénomènes analogues 
dans d’autres maladies que la diphtérie. 

Les cliniciens ont remarqué que dans toutes les maladies 
infectieuses 1 existe une réaction leucocytaire. Mais pour que 
cette réaction leucocytaire prenne le caractère d’un phénomène 
physiologique etrégulier de protection de l’organisme, ilfautqu’on 
lui trouve des allures en rapport avec la fonction qu’on lui attri- 
bue, et, pour pouvoir aspirer au titre de phagocytes, la première 
condition que doivent remplir les leucocytes, c’est de faire 
preuve d’une sensibilité chimiotactique ; ils doivent affluer en 
grand nombre dans le sang, y séjourner le plus longtemps pos- 
sible pendant que l'organisme est sous le coup de l'infection, et 
ne disparaître que quand l'organisme est hors de danger 
ou bien quand, la lutte étant inégale, le virus prend le dessus. 


e ÿ 


306 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ceci est la première des trois conditions auxquelles doit satis- 
faire un vrai phagocyte, les deux autres étant, comme l’a établi 
M. Metchnikoff, l'engloblement et la digestion, phénomènes que 
nous ne traiterons pas dans le présent mémoire. 

Ce premier temps du processus phagocytaire, le temps chi- 
miotactique, le trouvons-nous dans les maladies infectieuses ? 

Lorsqu'on a approfondi la question de la leucocytose, on a 
constaté ce fait important, commun à la majorité des maladies 
infectieuses : quand l'organisme est envahi par des microbes 
ou leurs produits, le nombre de leucocytes du sang augmente 
considérablement, et ceux-ci déploient un maximum d'activité 
lorsque la maladie est à son apogée. Au fur et à mesure que 
l’organisme se débarrasse de son virus, cette suractivité leuco- 
cytaire va aussi en s’affaiblissant jusqu'à atteindre le niveau 
normal. 

Dans certaines maladies, notamment dans la pneumonie, 
quand une augmentation des globules blancs survient au cours 
de l’affection, la clinique veut qu’elle finisse par guérir; quand au 
contraire les leucocytes deviennent rares, l'expérience de tous 
les jours montre que c’est très probablement le virus qui va 
triompher, les leucocytes n'étant plus capables de lui résister. 

Telles sont en termes généraux les variations leucocytaires 
observées au cours des maladies infectieuses les mieux étudiées. 

Si ces phénomènes ne s’observent pas dans toutes les maladies 
sans exception, c'est qu’une maladie humaine n’évolue’pas avec 
la pureté d’une maladie expérimentale. Chez l'homme traver- 
sant une maladie de longue durée, beaucoup d’influences étran- 
gères viennent impressionner les leucocytes, et il est parfois 
difficile de déceler une régularité quelconque dans le jeu leuco- 
cytaire. Mais souvent elle se rapproche tout à fait de celle que 
montre l’expérimentation. 


LS 
* * 


Parmi les maladies qui paraissent au premier abord démentir 
notre conception de la leucocytose, les adversaires de la doctrine 
phagocytaire citent la diphtérie, la fièvre intermittente et la 
fièvre typhoïde. | 

Pour ce qui concerne la fièvre intermittente, nous renvoyons 
au mémoire de M. Vincent qui a fait justice de l’opinion d'après 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE 307 


laquelle cette affection constituerait une exception à la règle. 

Quant à la fièvre typhoïde, qui se caractériserait par une 
hypoleucocytose persistante pendant toute la durée de la maladie 
(Hayem, Rieder), 1l nous suffit de nous adresser à des recher- 
ches publiées récemment par M. Stiénon, peu connues peut-être, 
mais très soigneusement exécutées, pour nous assurer que cette 
opinion n’a rien de fondé. fe témoignage de M. Stiénon est 
d'autant meilleur à invoquer que cet auteur ne paraît pas 
partager notre manière de voir en ce qui concerne ec" 
de la leucocytose. 

En se basant sur ses nombreuses numérations, M. Stiénon 
arrive à la conclusion « qu’en réalité rien n’est plus irrégulier 
que le chiffre des leucocytes dans la fièvre typhoïde »; mais 
lorsqu'il tient compte des différents genres de leucocytes, il 
arrive à constater une évolution régulière, comprenant quatre 
phases dont les caractères sont les suivants : 

« Première phase: prédominance notable des formes à noyau 
polymorphe, dépassant le chiffre de 80 0/0 et atteignant parfois 
celui de 90 0/0. | 

Deuxième phase : diminution progressive des formes à 
Moyau polymorphe; la chute n’est pas régulière, elle offre des 
sursauts dans un certain nombre de cas. 

« Troisième phase : les formes à noyau polymorphe ne dépas- 
sent plus guère en nombre les formes à noyau simple. 

« Quatrième phase : les diverses formes tendent à reprendre 
une valeur normale. » 

Ainsi, au début dela fièvre typhoïde, il ya une augmentation 
très accentuée des polynucléaires. Eh bien, en nous plaçant sur 
sur le terrain phagocytaire, nous dirons que dans la fièvre 
typhoïde, même dans les cas où on observe l’hypoleucocytose, 
l'organisme gagne en qualité de ses leucocytes ce qu’il perd en 
quantité. 

De sorte que, au point de vue de notre conception de la leuco- 
cytose, nilafièvre intermittente, ui la fièvre typhoïde ne méritent 
une place à part dans la famille des maladies infectieuses. 

Pour en avoir le cœur net, il nous reste à étudier la diphtérie, 
question autrement importante autant au point de vue du prin- 
cipe que des applications pratiques qu'elle comporte. Nous di- 
viserons cette étude en deux parties: dans la première nous 


308 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


traiterons la question au point de vue expérimental, et ce n’est 
qu'après nous être armés des données précises du laboratoire que 
nos aborderons utilementle côté clinique. 


La leucocytose dans la diphtérie expérimentale a fait le sujet 
de très peu de travaux ; nous ne connaissons que ceux de Ga- 
britchewsky, Chatenay et enfin Nicolas et Courmont. 

Gabritchewsky a seul étudié les phénomènes leucocytaires 
sous l'influence des cultures entières du bacille diphtérique. Il 
conclut que les inoculations entraînant la mort sont suivies 
d’une hyperleucocytose qui augmente progressivement jusqu’à 
la mort; par contre, chez les animaux immunisés, l’hyper- 
leucocytose atteint son maximum huit heures après l'injection 
des microbes, pour disparaître complètement au bout de 24 heures. 
Ce sont des phénomènes diamétralement opposés à ceux aux- 
quels nous devions nous attendre par analogie avec d’autres 
maladies infectieuses. 

Nous verrons plus loin que, loin d’être en dissonance com- 
plète avec la conception phagocytaire, ils sont en réalité de ceux 
qui vont le mieux servir notre cause et lui fourniront le plus 
solide appui. 

Chatenay a le premier, sur le conseil de M. Metchnikoff, étu- 
dié les réactions leucocytaires vis-à-vis des produits microbiens 
solubles, et, entre autres, vis-à-vis de la toxine diphtérique ; mais 
les expériences concernant cette toxine n'étant pas assez nom- 
breuses pour être concluantes, nous passons directement aux 
recherches de MM. Courmont et Nicolas. 

Ces savants étudièrent d’abord la leucocytose dans les intoxi- 
calions rapides, par doses massives, puis la leucocytose dans 
les intoxications chroniques, par doses faibles, et enfin les 
phénomènes qui se passent pendant l’immunisation. Nous les 
suivrons dans toutes ces différentes phases. 

Examinons d’abord les résultats obtenus en employant 
des doses massives. Comme ce sont précisément ces résultats 
qui nous ont déterminé à reprendre ces recherches, nous croyons 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 309 


ulile de rapporter ici les conclusions des auteurs telles qu’elles 
ont été formulées par eux-mêmes. 

« Si nous résumons, disent-ils, la série de six expériences, 
nous pouvons mettre en évidence les faits suivants : 

« À) Dans quatre expériences ia leucocytose n’a pas été 
sensiblement influencée par l’intoxication; les chiffres ont varié 
irrégulièrement de 3,000 à 14,000. Nous ne tenons pas compte 
de ces variations et de la légère élévation du nombre des leuco- 
cytes ; elles peuvent être mises sur le compte de la répétition 
des piqüres de l'oreille ou de toute autre cause accidentelle. Des 
variations au moins aussi marquées ont été observées chez les 
témoins sans qu'on ait à invoquer l’intoxication. 

« Daus deux expériences seulement, la leucocytose a atteint 
des chiffres extrêmement élevés... Lorsque cette hyperleucocy- 
tose se produit, son maximum se présente peu de temps avant 
la mort. 

« B) Quelles que soient les variations de la leucocytose, il 
n’y a pas de relation bien marquée entre celle-ci et la Lempéra- 
ture. Tandis que la température suit une courbe absolument 
régulière (hyperthermie, puis hypothermie finale comme l'ont 
montré J. Courmont et Doyon), la leucocytose suit une marche 
très irrégulière par rapport à la première, qu'il y ait hyperleu- 
cocytose ou non. 

« L’intoxication massive diphtérique produit donc chez le 
lapin des réactions leucocytaires très inconstantes, tantôt une 
hyperleucocytose insignifiante, tantôt une hyperleucocytose 
énorme et progressive jusqu'à la mort. 

€ Il semble que tantôt (le plus souvent) l’organisme sidéré par 
le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire, ou 
ne réagit que d’une manière à peine appréciable : tantôt au 
contraire, et c’est le cas une fois sur trois, sa réaction leucocy- 
taire se fait sans peine, et l’on voit les globules blancs atteindre 
des chiffres énormes de 40,000, 89,000. Quoi qu'il en soit, ces 
extrêmes traduisent une atteinte très profonde de l’organisme 
et telle que, ou bien cet organisme est devenu incapable de 
réagir, ou bien il est rendu inapte à régler sa réaction qui 
dépasse alors toute limite. » 

Telles sont les conclusions de MM. Nicolas et Courmont, 
très peu encourageantes, évidemment, pour la doctrine qui 


310 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


considère les leucocytes comme les défenseurs de l'organisme; 
le rôle des leucocytes dans la diphtérie devient plus obscur 
encore si on se rappelle les faits de Gabritchewsky dont nous 
avons parlé plus haut. 

L'idée directrice de nos recherches était de savoir si la leu- 
cocytose est un phénomène phagocytaire; il est donc tout 
nature] que nous fixions toute notre attention sur les polynu- 
cléaires, ces phagocytes par excellence. C’est ce que nous allons 
faire dans le cours de toutes les expériences qui vont suivre. 

Mais, pourra-t-on nous objecter, pourquoi n'avons-nous 
pas procédé de même quand il s'agissait d’autres maladies. Jus- 
qu'ici on avait l'habitude de parler de la leucocytose en général, 
sans viser tout particulièrement les polynucléaires. La raison 
en est bien simple, répondrons-nous. Dans les autres maladies 
l'augmentation totale des leucocytes va parallèlement avec celle 
des polynucléaires, et même plus, l’hyperleucocytose dans 
presque tous les cas se fait au dépens des polynucléaires ; il n’en 
est pas de même dans la diphtérie, et notamment dans l’intoxi- 
cation rapide, où le parallélisme entre le nombre total des leuco- 
cytes et celui des polynucléaires n'existe guère. Puisqu'il en 
est ainsi, la logique nous commande de scinder la question pour 
la diphtérie; si notre but est de savoir quel rôle est dévolu 
aux phagocytes dans cette maladie, il faut oublier pour le mo- 
ment tous les autres leucocytes et s'occuper des phagocytes, 
notamment des polynucléaires. 

Cette considération si simple et surtout logique a échappé à 
nos prédécesseurs ; et elle nous a amené à modifier de fond en 
comble les conclusions de MM. Nicolas et Courmont. 

Hâtons-nous de dire que les chiffres obtenus par ces auteurs 
ont été confirmés par nous dans la majorité des cas; seulement 
ils ont eu tort de ne pas prendre la question par le bon côté. 


* 
*X * 


Intoxication par doses massives. 


Prenons un lapin ; injectons-lui sous la peau une dosemassive, 
une dose dix fois mortelle, par exemple, de toxine. Le lapin 
mourra invariablement au bout de 26 à 30 heures au plus. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 311 


Prélevons-lui toutes les heures, ou toutes les deux heures, 
deux gouttes de sang, une pour compter le nombre total des 
leucocytes, l’autre pour en faire une préparation sèche. 

Si nous considérons la masse totale des leucocytes sans faire 
aucune distinction entre eux, et que nous présentions les chiffres 
obtenus sous une forme graphique, nous obtiendrons une courbe 
analogue à celle de MM. Nicolas et Courmont, courbe fortement 
tourmentée, (tracé n° 1) n'ayant de constant que l’irrégularité de 
ses formes. 


RRERED 
SENTE \} 
| Dis LOTEN 

EE TEEN 


Tracé no 1. 


Lapin n° 1.—2050 gr. Reçoit, le 19 septembre à 2 heures 15, sous la peau 
1 c. c. de toxine ‘ ; son sang est examiné toutes les heures pendant les sept 
premières heures (jusqu'à 9 heures 30 du soir), et le 20 septembre, de 
7 heures du matin jusqu’à 4 heures 30, moment de la mort (sept fois). Pour 
voir les variations du sang ayant lieu pendant la période correspondant à 
la nuit et pour ne pas multiplier les piqûres aux oreilles, un autre lapin 
n° 2 a été inoculé dans des conditions identiques, avec cette différence qu'il 
a reçu la toxine à 10 heures du soir le 19 septembre : son sang a été examiné 
le 20 septembre de 7 heures du matin jusqu’à la mort survenue vers minuit; 
c'est ce second lapin qui nous a permis de compléter la courbe fournie par 
le premier; les données obtenues avec le lapin n° 2 sont représentées par un 
pointillé, qui a pour but d'indiquer plutôt le caractère général de la leuco- 
cytose que les chiffres exacts. 


Ne nous arrêtons pas là, comme l’ont fait lessavants lyonnais. 


1. La toxine diphtérique, qui nous a été très obligeamment fournie par 
M. Martin, tuait un lapin de 2 kilos environ à la dose de 1/10 de c. c. 


312 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Examinons les préparations sèches du sang par des méthodes 
appropriées (bleu de méthylène-éosine),et notons le nombre des 
polynucléaires qui se rencontre dans différents champs micros- 


copiques sur cent leucocytes; exprimons les chiffres obtenus par 
une courbe (tracé n° 2). 


On 
S 


X 
S 


Ce 


: 
Ÿ 
D 
S 
NI 
Ÿ 
$S 
Ÿ 
Le] 
Lo] 
© 
ù 
Ù 
È 
QG 
NA 
Ÿ 
ST 
S ) 
à 
î 
À 
à 
ù 
à 
à 


Nous sommes immédiatement frappés de la régularité que pré- 
sente cette courbe; ce ne sont plus les zigzags de celles de 
MM. Nicolas et Courmont, qui parlaient si peu à l'esprit; nous 
avons au contraire une courbe d’une régularité parfaite et très 
significative, L’inspection seule de la courbe suffit pour nous 
dispenser de l’accompagner des commentaires. De plus, tandis 
que diflérents lapins de MM. Nicolas et Courmont présentaient 
des courbes à allures très variées, ici nous sommes en présence 
d’une courbe commune à tous les lapins que nous avons examinés, 
et ils étaient nombreux. 

Ce n’est pas tout. Faisons un petit calcul et exprimons en 
chiffres absolus (et non pour cent) les nombres des polynucléaires 
contenus dans { mm. c. à chaque prise de sang; pour mieux voir, 
traçons une courbe (tracé n° 3). Il s’agit toujours du même lapin. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 313 


Ici ce n’est pas seulement la régularité de la courbe qui 
nous frappe; elle porte en elle un enseignement autrement 
important. 

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le fait dominant 
dans la leucocytose de la diphtérie, et qui la distingue de toutes 
les autres maladies, c’est, d’après Gabritchewsky, aussi d’après 
MM. Nicolas et Courmont, l’hyperleucocytose très accentuée qui 
précède la mort. 

Cette courbe (tracé n° 3) nous fournit la clef de ce fait quasi- 


Lanëre d'Aeul'es 
INA IS CYESÈNES 


Ë 


SD 

à 

LUN 

S 
4) 
En 
EE 
Re 
53 
Es 
3 
EN 
ER 
(Th) 
[2 
La 
(el 


gps 


Tracé N° 3. 


paradoxal; elle nous montre de la façon la plus nette que cette 
hyperleucocytose in extremis n’en est pas une, elle n’est qu’appa- 
rente, dès que nous nous rapportons seulement aux polynucléai- 
res: en réalité les phénomènes se passent de la même façon, avec 
une régularité qui ne se trahit jamais, et qui est encore plus par- 
faite que dans toutes les autres affections. 

Cette courbe, associée à la précédente, nous montre qu'a- 
près l'injection, les leucocytes, pendant les premières heures, 


314 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ne semblent pas s’apercevoir de la présence de la toxine; 
mais, au commencement de la troisième heure environ, les poly- 
nucléaires commencent à se mettre en mouvement (tracé n° 2) 
bien que leur nombre total reste encore stationnaire; dans cer- 
tains cas nous avons même pu observer, pendant les premières 
heures, une diminution de la masse totale de polynucléaires, 
c’est-à-dire une hypoleucocytose polynucléaire ; ce stade est de très 
courte durée etil faut savoir le surprendre. 

Déjà dès la cinquième ou sixième heure, on constate une 
ascension progressive, d'abord lente, puis très rapide, des 
polynucléaires. Cette ascension atteint un maximum 14 à 
16 heures après l’inoculation. Arrivés à l'apogée de leur activité, 
les polynucléaires rebroussent chemin, et cette fois-ci très 
rapidement, en y mettant beaucoup moins de temps qu'ils n’ont 
mis pour atteindre le maximum ; leur nombre diminue de plus 
en plus, et avant la mort il tombe au-dessous de la normale, ou bien 
atteint le minimum qu'il avait présenté au cours de l'intoxication. 

Donc ce n’est pas l’hyperleucocytose qu’on observe avant la 
mort, c’est tout à fait le contraire, et dès lors le fait signalé par 
tous les auteurs, si paradoxal et si contraire en apparence à 
l'esprit de la phagocytose, se trouve en accord le plus parfait 
avec les desiderata de cette doctrine. 


x 
x » 

MM. Nicolas et Courmont s’étonnent que, dans l'intoxica- 
tion par doses massives, il n’y a jamais eu de relations entre les 
variations leucocytaires et la température. 

« Tandis que, disent-ils, la température suit une courbe 
absolument régulière (hbyperthermie, puis hypothermie finale), 
la leucocytose suit une marche très irrégulière par rapport à la 
première, qu'il y ait hyperleucocytose ou non. » 

Eh bien! Ces auteurs n'ont qu’à consulter nos courbes des 
polynucléaires, et les comparer avec celle de Doyon et de Cour- 
mout, pour se convaincre que non seulement il existe des rela- 
tions étroites entre les variations leucocytaires et la température 
pour le cas étudié, mais que ces deux courbes sont si voisines 
l'une de l’autre, qu'il y a presque fusion complète entre elles. 

Il est à peine nécessaire d’ajouter que la conclusion princi- 


= 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 315 


pale de MM. Nicolas et Courmont, qui veut que « l’intoxication 
massive diphtérique produise chez le lapin des variations ieu- 
cocytaires très inconstantes », tombe devant la régularité des 
réactions que nous venons de mettre en lumière, et qui est au 
contraire très constante. 

Nous ne pouvons également souscrire à l’opinion de ces 
auteurs que, ( dans l’intoxication massive, l'organisme sidéré 
par le poison ne peut plus réagir au point de vue leucocytaire, 
ou ne réagit que d’une mauière à peine appréciable ». 

Nos expériences ont démontré tout à fait le contraire : quelle 
que soit la dose de toxine, la régularité de la courbe ne se dément 
jamais, et c'est une erreur de penser que, dans les intoxications 
rapides, les leucocytes sont comme sidérés, se désistent de leurs 
fonctions habituelles. Cela n’est pas exact, ils interviennent tou- 
jours, ettoujours avec le même rôle de protecteurs de l’organisme. 


* 
CE? 


Inioxication par doses faibles. 


Nous serons plus bref en ce qui concerne la leucocytose dans 
l’intoxication lente. Là, même lorsqu’ou ne tient pas compte des 
polynucléaires, il est facile de constater des variations leucocy- 
taires, variations qui se maintiennent le plus souvent au-dessus 
de la normale. 

C'est pour cela que même MM. Nicolas et Courmont, qui 
n'enregistraient que les chiffres totaux des leucocytes, ont pu, 
eux aussi, observer l’hyperleucocytose dans les formes lentes. 

En résumant leurs expériences à ce sujet, ils déclarent que 
« l’hyperleucocytose moyenne (2 ou 4 fois au-dessus de la nor- 
male), dans l’intoxication diphtérique lente, est un phénomène 
à peu près constant ». 

Quand on examine leurs protocoles d'expérience, on constate 
que dans quelques cas l’hyperleucocytose manquait: dans 
d’autres, où elle a eu lieu, elle était souvent trop passagère, trop : 
fugace; et on se demande comment l’hyperleucocytose peut 
apparaître, par exemple, le lendemain de l’injection de toxine, 
puis faire totalement défaut pendant plusieurs jours, pour réap- 
paraître de nouveau pendant un ou deux jours. 

Ce ne sont pas là !des détails insignifiants, car ils empé- 


316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


chent de se faire une idée quelconque sur le rôle de la significa - 
tion de la leucocytose. 

En effet, si l'hyperleucocytose est un phénomène de défense 
de l'organisme, il ne doit pas y avoir un seul lapin qui puisse 
s'y soustraire. Si l’hyperleucocytose traduit véritablement une 
lutte qui se déroule dans l'intimité des éléments cellulaires, 
comme sont disposés à l’admettre les auteurs, nous ne conce- 
vons pas comment cette lutte. une fois engagée, cesse brusque- 
ment à un certain moment pour faire place à un armistice pen- 
dant plusieurs jours, puis se renouvelle vivement sans motif 
appréciable. 

Nous admettons volontiers que la lutte peut s’accompagner 


Lonrimo ee. 


darts 


EE 
nappe ie ner 


Tracé No 4. 


d’alternatives de victoire et de défaite de la part des leucocytes. 
mais qu’elle s’apaise tout à fait à un moment donné pour 
réapparaître plusieurs jours après, cela ne cadre pas bien avec 
notre idée de la leucocytose. 

Pour toutes ces raisons, l’hyperleucocytose « à peu près 
constante » constatée par MM. Nicolas et Courmont ne nous 
satisfait pas. 


x 
*# 


Procédons pour les intoxications lentes de la même façon 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 317 


que plus haut pour les intoxications rapides; et cherchons les 
polynucléaires, dont l'intervention est si utile, lorsqu'il s’agit de 
la défense de l’organisme. 

Injectons à un lapin une dose de toxine qui le tuera en 
plusieurs jours, et examinons le sang toutes les deux heures ou 
à des moments plus espacés (tracé n° 4). 


Un lapin n0 3 reçoit le 22 septembre à 10 h. 10’, 0,25 c. c. de toxine. Voici 
le résultat de l’examen de ses leucocytes. La lettre L représente le nombre 
total des leucocytes, P le nombre des polynucléaires : il est suivi du chiffre 
représentant la proportion centésimale de ces derniers dans l'ensemble. 
avant l'inj. 9,400 L dont 3,290 P — 35 0/0. 

à 40 h. 10’ injection de 0,25 c. c. de toxine. 


22 sept. 


à midi. 12,000 L dont 6,000 P — 50 0/6. 
à 2 heures. 18,600 L — 12,462 P — 67 0/0. 
à 6h. 16,400 L —  9,M6 P — 56 00. 
à 8h. 15,000 L — 7,500 P — 50 0. 


On trouve beaucoup de formes intermédiaires entre L et P. 


à 9h. 30’ 7,000 L dont 4,410 P — 63 0/0. 
23 sept. à 8 h. 30’ 24,000 = 10,800 | —42 0/6. 
à 10 h. 30’ 11,500 —1 4,600 — 40 0/0. 
à 2h. 30! 10,200 —  À,984 — 42 0/0. 
à 4 h. 30’ 11,000 — 5,500 — 50 0/0. 
24 sept. à 10 h. 18,400 —1411,040 : — 60 070. 
à 3 h. 10,600 — 6,572 —62 0/0. 
25 sept. à 40 h. 16,000 12390010 7710/6: 
ROUE 14,000 — 8,820 — 63 0/0. 
26 sept. à 10h. 7,000 — 3,00 —:50 0/0. 
à 3 h. 12,300 — 8,610 — 70 0/. 
27 sept. à 10h 9,200 — 6,624 — 72 0/0. 
a 2h 9,000 05,610 LV=—=1631076 
à 4h 12,600 — 8,694 — 69 0/0. 
à 6.h: 8,600 = 144,300 = 5010) 


28 sept. à 7 h. du matin, le lapin est trouvé 


mort. Le tracé 4 résume 


l’histoire de la maladie. 


Ce qui caractérise surtout cette courbe, comme d’autres ana- 
logues obtenues dans les mêmes condilions, ce sont ses oscil- 
lations, qui ne s’interrompent nulle part et témoignent par 
cela que, dès le début de la réaction jusqu’à la fin, la lutte 
est conduite sans trêve ni repos, et ne se termine qu'avec la 
mort de l'animal. 

A plusieurs reprises, nous voyons que le chiffre total de 
leucocytes atteint la limite normale, et descend même au- 


318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dessous, ce qui pourrait faire penser que la lutte s’est arrêtée; 
il n’en est rien : il suffit de jeter un coup d’œil, à ces moments, 
sur ce qui se passe avec les polynucléaires, pour acquérir la 
conviction que la lutte continue sans répit. 

Autre point sur lequel nous tenons à insister, c’est que 
cette courbe, aussi bien que les courbes précédemment étu- 
diées, n’est pas particulière pour le lapin À ou B, comme 
c’est le cas de MM. Nicolas et Courmont, mais qu'elle s’applique 
à tous les lapins ayant subi le même genre d'intoxication, et 
constitue l’image desréactions leucocytaires vis-à-vis de la toxine 
diphtérique. 


Immunisation par la toxine diphtérique. 


Jusqu'ici nous avons vu que chaque fois que l'animal reçoit 
la dose mortelle, — à courte ou longue échéance, — les leuco- 
cytes ne manquent pas d'intervenir. Il s'engage une lutte par les 
polynucléaires entre l'organisme et la toxine; cette lutte très 
aclive ne s’interrompt à aucun moment de la maladie, et ne 
cesse qu'avec la vie de l'animal. 

Mais comment les choses se passent-elles, quand l’animal ne 
meurt pas? Ici vient se greffer une autre question, à savoir 
comment se comportent les leucocytes, quand la dose non mor- 
telle de toxine est souvent renouvelée, en d’autres termes quand 
l'animal subit une immunisation active ? 

L'importance de ce problème n'échappe à personne. 

Si les leucocytes restent tout à faitindifférents à des injections 
répétées de toxine à doses non mortelles, il devient fort probable 
qu’ils n’ont rien à y voir ; par contre, nous ne pourrons refuser 
aux leucocytes une part active dans la défense de l’organisme 
quand nous verrons qu'ils manifestent une activité des plus nettes 
pendant l’immunisation. 

La question semblait être résolue par MM. Nicolas et Cour- 
mont. Ces auteurs, après avoir étudié la leucocytose chez plu- 
sieurs chevaux en cours d’immunisation, sont arrivés à la 
conclusion suivante : 

« Au cours d'une longue immunisation contre la toxine 
diphtérique, on n’observe pas, ou très rarement, de réaction 
leucocytaire notable chez le cheval, soit au début, soit à un 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 319 


stade avancé de la période des injections, et même dans les pre- 
mières heures qui suivent celle-ci. 

« Les modifications de l’organisme qui produisent l’immu- 
nité semblent donc pouvoir s'effectuer en dehors de toute varia- 
tion appréciable du nombre des leucocytes. » 

Cette conclusion, surtout la seconde partie, tout en ayant le 
mérite d'être très nette, est inexacte; non pas que MM. Nicolas 
et Courmont aient mal observé, mais par ce que leur méthode 
était défectueuse. 

Avant d'exposer les résultats de nos expériences, nous ferons 
observer aux auteurs lyonnais qu'ils ont oublié de nous 
renseigner sur le pouvoir antitoxique du sérum de leurs chevaux; 
si ce pouvoir étaitnul, ce qui arrive quelquefois malgré plusieurs 
mois d'immunisation, l’absence des réactions leucocytaires ne 
saurait nous étonner beaucoup. 

Nous avons immunisé une chèvre, les détails de cette immu- 
nisation sont exposés ci-dessous. 

Avant l'expérience, nous avons essayé le sérum de la chèvre 
et constaté qu'il ne jouissait d'aucun pouvoir antitoxique. Huit 
jours après la dernière injection de toxine, nous avons constaté 
que 0,5 c. c. de son sérum, mélangé à la dose vingt fois mor- 
telle (0,20 c. c. de toxine), préserve un cobaye de 500 gr. ; nous 
nous sommes ainsi assuré que notre chèvre a acquis au cours 
de l’immunisation des propriétés antoxiques incontestables. 


Immunisation de la chèvre, 


Avant la première injection son sang a été examiné à plusieurs reprises; 
la moyenne de piusieurs examens a été 7,000 L dont 1,750 P — 25 0/0. 

8 novembre, à 10 h., la chèvre pèse 21 livres; elle reçoit sous la peau 
1 c. c. de toxine diphtérique chauffée à 600. Cinq heures après son sang 
présente, à 3 h. 15, 10,500 L dont 7,350 P — 70 0/0. 

9 nov. à 2 h. To — 400,2; 13,700 L dont 8,220 P — 60 0/0, 

10 nov. à 2 h. To == 390,2; 9,000 L dont 4,950 P = 55 0/0, 

11 nov. à 2 h. To — 360,2; 5,600 L dont 1,960 P = 35 0/0. 

13 nov. 2 h. 30. Elle pèse 23 livres. On lui injecte sous la peau 3 c. c. 
de toxine chauffée à 600 pendant une heure (2e injection). 

14 nov. à 11 h. To — 390,5; 30,600 L dont 26,010 P — 85 0/0, 

45 nov. à 4 h. To — 390,3; 16,200 L dont 8,100 P — 50 0/0. : 

16 nov. à 8 h. T° — 390,5; à 2 h. To — 390,1; 15,200 L dont 6,682 P — 
44 0/0, 

17 nov. à 3 a. To — 400; 10,000 L dont 1,500 P = 45 0/0. 


320 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


48 nov. à 4 h. To — 390,9 ; 9,700 L dont 1,649 P — 17 0/0. 

49 nov. à 3 h. To — 390,8; 10,800 L dont 1,620 P — 145 0/0. 

20 nov. à 2 h. 30, la chèvre reçoit sous la peau 1/2 c. c. de toxine chauffée 
pendant une heure à 500 (3e injection). 

21 nov. à midi. To — 399,8 ; 14.100 L dont 9,549 P — 67 0/0. 

22 nov. à 4 h. To — 390,9; 6,300 L dont 1,575 P — 25 0/0. 

23 nov. à 8 h. 30. To — 390,7; puids 21 livres; à 4 h. To — 400; 5,500 L 
dont 825 P = 15 0/0. | 

24 nov. à 8 h. 30. To — 390,4; à 4 h. To — 390,5; 7,000 L dont 1,120.P — 
16 0/0. 

25 nov. à 8h. 30. To — 390,5; à 4 h. To — 390,7; 8,600 L dont 2,666 P — 
31 0/0. 

26 nov. à 9 h. To — 390,1; poids 19 livres 300 gr.; à 4 h. 13,200 L dont 
3,828 P — 29 0/0. 

27 nov. à 9 h. T° — 390,4; à 3 h. To — 390; 8,700 L dont 2,697 P — 31 0/0. 

28 nov. à 9 h. To — 390,3; poids 20 livres ; 13,000 L dont 2,080 P — 16 0/0. 

29 nov. à 9 h. To — 380,7; à 3 h. To — 390,6. 

4er décembre. La chèvre reçoit à 8 h. 45 du mat. 0,5 c. c. de toxine nor- 
male, non chauffée (dose 50 fois mortelle pour un cobaye de 500 gr.), 
(4e injection); à 3 h. 15. To — 390,7; 14,300 L dont 4,148 P — 36 0/0. 

2 déc. à 9 h. To — 380,5; à 3 h. To — 390,5; 8,000 L dont 2,640 P — 
33 0/0. 

3 dée. à 9 h. To — 380,9; à 3 h. To 390,6: 8,000 L dont 1,520 P — 19 0. 

4 déc. à 9 h. To — 380,7; à 3 h. To — 390,5; 13,800 L dont 4,002 P — 923 oo. 

5 déc. à midi. To = 590,5; poids 21 livres; 14,400 L dont 5,760 P — 40 0/0. 
Reçoit après l'examen du sang 1 c. c. de toxine (5e injection). 

6 déc. à 9 h. T° — 380,7; à 3 h. To — 390,3; 7,400 L dont 1332 P — 18 0/0. 

1ndéc. a000h.-12—=69%0 24/3 0h/ 10 596,6: 9700 "dont 1,940 PP 


20 0/0. 

8 déc. à 9 h. To — 390,5; à 4 h. T° — 400; 9,000 L dont 1,980P — 
22 0/0. 

9 déc. à 9h: T° —3%%2; à 2 h. To—39%,2; 9,200 L'dont 2,516 P— 
28 0/0. 

10 déc. à 9 h. To — 390,4; à 4 h. To — 390,9; 13,700 L dont 6,850 P — 
15 0/0. 


41 déc. 9h. To —39%,2; à 4 h. To — 39/6; 11,700 L dont 2,357 P — 
21 0/,. Après l'examen du sang, elle reçoit sous la peau 2 c. c. de la toxine 
normale (6e injection). 

12 déc. à midi. To — 400; 11,400 L dont 4,446 P — 39 0/0. 

13 déc. à 9 h. To = 390,4; à 2 h. 30, To — 390,9; 9,900 L dont 2,970 P — 
30 0/0. 

14 déc. à 9 h,10—590,2; a 4h 000390 8-42 100 dont 2; 500 
419 0/0. 

15 déc. à 9 h. To — 390,9; à 5 h. 80. To — 390,8; 17,100 L dont 9,063 P — 
93 0/0. 

La chèvre est visiblement malade, 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE.  : 391 


16 déc. à 9 h. To — 390,9; à 4h. To — 400,7; 10,700 L dont 6,420 P — 
60 0/5. La chèvre paraît être plus malade que la veille. 

47 déc. à 7 h. To — 400,2; poids 19 livres 300 gr. ; à 3 h. To — 400,2; 
21,300 L dont 14.058 P — 66 0/0. 

18 déc. à 9 h. To — 390,1. Le train de derrière est paraplégié; à 4 h. 
To — 400,2; 75,400 L dont 31,668 P — 42 0/0. 

Les jours suivants le nombre des leucocytes a été très considérable, ainsi 
que le nombre des polynucléaires. La chèvre marchait difficilement en trai- 
nant les pattes de derrière. Le sang était par moments noir ; on y constatait 
beaucoup de formes intermédiaires entre les mono et polynuclunéaires. 

La chèvre a été complètement rétablie le 28 janvier. 

28 janvier à 4 h. T° — 380,9; 9,200 L dont 1,932 P — 21 0/0. 


Novembre 


avant l dyection 


JITTTIY LITITE 2 
LOLTETA ETT LIAU TANT TT TA APRES TITI 
1° DIN) SALLE IP MT CRE LIT 


Tracé no 5. 


29 janv. Elle pèse 21 livres, poids primitif. 

31 janv. à 5 h., elle reçoit sous la peau 1/10 c. e. de toxine tuant un 
cobaye de 590 gr. à 2/100 de c. c. 

4er février à 5 h., 9,100 L dont 2,730 -P — 30 0/. 

4 fév. à 5 b.,7,400 L dont 2,368 P — 32 0/, : après l'examen reçoit sous la 
peau 2/10 c. c. de la même toxine. 

12 fév., reçoit 0,5 c. c. de toxine. 

15 fév. à 3 h., 7,000 L dont 2,450 P — 35 0/0. 

49 fév. à 3 h. To — 390,1 ; 8,700 L dont 2,871 P — 33 0/0, reçoit après 
examen 0.75 c. c. de toxine. 

20 fév. à 41 h. To — 390,1 ; 13,600 L dont 6,256 P — 46 0/0. 

21 fév. à 5 h. To — 390,8 ; 12,100 L dont 4,719 P — 39 0/s. 

23 fév. à 3 h. To — 390,5; 11,300 L dont 4,068 P — 36 0. 

24 fév. à 4h. To — 390,8; 7,300 L dont 2,555 P — 35 0). Recçoit 1 c. c. 
de toxine. 

25 fév. à 9h. To = 390,5; à 4 h. To — 400; 11,200 L dont 6,596 P — 58 0/0. 

26 fév. à 4h. To — 400 71e 9,700 L dont 4 2 P — 46 0). 


18 


322 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


28 fév. à 4 h. To — 400,6 ; 5,000 L dont 950 P — 19 0/. 

4er mars. To — 390; poids 11 kilos. 

2 mars à 4 h. To — 400,4; 8,000 L dont 2,400 P = 30 0/0. 

4 mars à 4 h. To — 400,4; 11,800 L dont 2,478 P = 21 os. 

7 mars. To — 400 ; poids {1 kilos. 

8 mars. To — 390,8. 

10 mars à 3 h. To — 390,5; 7,300 L dont 1,825 P — 95 0/,, reçoit 1,5 c. c. 
de toxine. 

11 mars à 3 h. To — 400; 7,000 L dont 2,940 P — 42 0/0. 

12 mars à 4h. To — 400, 3: 4,400 L dont 968 P — 22 0/5, 

14 mars à 4 h. To — 400,2. 

45 mars à 4 h. To — 400,5; 6,500 L dont 1,560 P = 24 0/0. 

16 mars To — 400,2 

A1mars To — 390,7. 

18 mars à 3 h. To — 390,6; 4,000 L dont 1,000 P — 25 0/0, saignée pour 
essayer le pouvoir antitoxique. 


Fevrier Mars 
11) 4915 


à 


LM INC cuve 


FE 
ÉRÉCEE D 
FE 


pPogyruc teur 


dans 


|. 
Es) 
Li) 
[A 
4 


est E.0 
RENNES 


Tracé no 5 (suite), 


Le tracé ci-dessus nous amène done à des conclusions 
diamétralement opposées à celles de MM. Nicolas et Cour-- 
mont. 

Tout en nous servant de leur formule, nous nous permettrons 
de la modifier de la facon suivante : au cours d'une immunisation 
contre la toxine dipthérique, on observe toujours une réaction notable 
chez la chèvre, soit au début, soit à un stade avancé de la période 
des injections, et surtout dans les premuères heures qui suivent 
celles-ci. 

Les modifications de lorganisme qui produisent l'immunité sem- 
blent donc se trouver en relation intime avec les modifications leuco- 
Cytaires . 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 323 


Avant de terminer ce chapitre, nous croyons nécessaire 
d'appeler l'attention sur un fait que nous avons observé pendant 
l’immunisation. 

Nous savons déjà, l'inspection seule du tracé n°5 suffit à 
le montrer, que chaque injection de toxine est suivie d’une 
hyperleucocytose, laquelle se fait exclusivement aux dépens des 
polynucléaires. Mais au fur et mesure que l’on avance dans 
l’immunisation, et c’est là le fait que nous voulons souligner, 
on s’aperçoit que les polynucléaires deviennent moins prompts à 
réagir, et ce sont les mononucléaires qui commencent à les rem- 
placer. Nous n'avons pas poussé l'expérience assez loin pour 
que nous puissions nous prononcer avec plus de précision ; nous 
nous réservons d'y revenir une autre fois. 


2 
7 


L'animal intoxiqué quéri par le sérum. 


Avant de passer à l'étude de la leucocytose dans la dipthérie 
humaine, nous avons cru intéressant de faire une expérience 
qui serve de trait d'union entre le laboratoire et la clinique, 
c’est-à-dire de mettre unlapin dans des conditions se rapprochant 
plus ou moins de celles qu’on observe en clinique. 

A cet effet, nous avons intoxiqué des lapins avec la toxine 
diphtérique, puis nous les avons traités avec du sérum. 

Pour que les phénomènes gagnent en netteté, nous injec- 
tâmes aux lapins des doses massives de toxine, tuant en 26-- 


28 heures, et quelque temps après des quantités notables de 
sérum en d’autres endroits. 


Lapin n° 4. — 2,150 gr. Reçoit le 3 octobre, à5 h. 30, sous la peau de la 
cuisse gauche 0,5 c. c. de toxine (dose 5 fois mortelle); cinq minutes après 
on injecte sous la peau de la cuisse droite 4 c. c. du sérum antidiphtérique, 


Leuc. Mon. Pol. 


0/0 0/0 


Avant l'expérience 8,000 64 36 
4 octobre à 10 h. 14,000 49 5! 

GE IH ITUn 11,000 42 DS 

à midi 10,000 50 50 

à 2h. 15 16,200 34 66 

à 3 h. 45 18,600 36 64 

à 4h: 15 43,600 60 40 


à » h. 45 12,009 D8 42 


324 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Leuc. ms ne 

à Gh. 415 10,000 36 64 

A TAN ALES 10,000 D0 )0 

5 octobre à 91h: 15,500 48 D2 

à 10h. 13,200 50 50 

à 11 h. 12,500 42 D8 

à midi 19,000 DO 50 

à 21h: 90 20,000 33 67 

à 3 h. 30 18,600 D0 D0 

à 4 h. 30 18,000 34 66 

à 6h. 22,000 60 40 

6 octobre à Sh.45 14,500 50 D0 

à 9 h. 15 9,000 )0 D0 

à midi 25,000 42 58 

à 2 h. 45 23,000 31 69 

à 4 h. 45 20,000 42 DS 

à 9 h. 30 18,500 50 50 

7 octobre à 9 h. 30 9,400 50 d0 

à 2 h. 45 22,500 30 70 

8 octobre à midi 14,200 38 62 

à 4 h. 30 18,000 43 57 

à 6h. 62 

9 octobre à 11 h. 45 14,700 40 

10 octobre à 41 h. 30 12,000 60 40 
11 octobre à 1h. 9,700 42 58 
12 octobre à 11h. 7,000 36 64 
4h 8,000 50 50 

43 octobre à 11h. 7,500 50 50 
14 octobre à 11h. 4,900 50 x 170 
15 octobre à 11 b. 9,400 65 39 


État normal. 


Dans ces cas la courbe représentant la marche des polynu- 
cléaires n’a plus la forme parabolique à maximum unique, 
comme cela devrait être si le sérum n’était pas intervenu. Sous 
l'influence de ce dernier, elle se transforme en une courbe ana- 
logue à celle que nous avons vue dans l’intoxication lente par 
doses faibles. Iciaussi nous voyons des oscillations assez notables, 
des polynucléaires, oscillations continues et ayant pour carac- 
tère important de se maintenir toujours dans des régions supé- 
rieures, et de ne pas toucher au cours de la maladie la ligne repré- 
sentant l’état normal. 

Ces oscillations ont lieu pendant tout le temps de la maladie 
dont la durée est de 12 à 15 jours ; à mesure que l’animal s’ap- 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 395 


proche de la guérison, l’amplitude des oscillations devient de 
moins en moins grande, pour se réduire progressivement à zéro 
quand Panimal est complètement rétabli. 

Ces mêmes caractères, nous les retrouverons en clinique chez 
les enfants diphtériques lorsque la maladie marche vers la gué- 
rison. 


IL 


Tandis qu’il y a quelques années seulement que la diphtérie 
est entrée dans le domaine du laboratoire, pour les cliniciens, 
au contraire, elle est une connaissance de vieille date: c'est pour 
cela que sur la leucocytose expérimentale nous trouvons à peine 
deux ou trois travaux (signalés plus haut), tandis que les recher- 
ches cliniques sur le même sujet ont été assez nombreuses. 

Mais, disons-le tout de suite, la question n’est pas pour cela 
plus avancée en clinique que du côté expérimental. La raison 
en est la même que nous avons déjà indiquée à plusieurs 
reprises. Les cliniciens prenaientmal la question : ils comptaient 
tous les leucocytes en bloc, oubliant que les globules blancs 
n’ont pas tous la même signification; cette confusion amena des 
contradictions nombreuses. 

Comme toutes ces recherches ne sont pas de nature à nous 
éclairer, nous ne nous arrèterons que sur le travail le plus récent 
et le plus détaillé qui existe à ce sujet, dû à M. Schlesinger. 

Cet auteur a étudié 24 cas ; lui aussi comptait tous les leuco- 
cytes en blos sans tenir compte de leurs différentes fonctions, 
mais il a l’avantage sur les autres d’avoir fait ces numérations 
sur un grand nombre d'enfants d’abord, et ensuite de les avoir 
pratiquées d’une facon méthodique, en se plaçant toujours dans 
des conditions identiques. 

Sur les 24 malades, dont l’âge variait de 15 mois à 12 ans (un 
seul est mort), l’auteur a constaté 21 fois une hyperleucocytose 
à l'entrée de l’enfant à l’hôpital. 

Cette hyperleucocytose est, d’après l’auteur, très prononcée, 
surtout le 4° et le 2° jour de la maladie: elle l’est moins le 3° jour 
et disparaît le 5°, 6° ou 7° jours : dans deux cas seulement l’auteur 
l’a constatée encore le 10° et 11° jour. 

L'hyperleucocytose ne paraissait influencée ni par l’âge 
de l'enfant, ni par la température ; elle ne présenterait pas, d’après 


326 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Schlesinger, de relation étroite avec la gravité de la maladie, 
comme l’affirme Gabritchewsky. 

Contrairement à l’assertion de Gabritchewsky, d’après lequel 
les malades devant guérir présentent une hyperleucocytose moin- 
dre que ceux qui doivent mourir, Schlesinger a eu l’occasion de 
constater une hyperleucocytose très prononcée chez des enfants 
non gravement atteints, et vice versa, l'hypoleucocytose dans un 
cas de gravité moyenne et dans deux cas graves. 

Déjà ce travail de Schlesinger, s’il n’entraîne pas la convic- 
tion tout entière, nous laisse au moins sous l'impression que la 
diphtérie se caractériserait généralement par une hyperleucocy- 
tose; il est vrai que ce n’est pas la règle générale, mais les 
exceptions en sont relativement rares. 

Quant à la valeur de cette hyperleucocytose, sa signification 
biologique, les faits de Schlesinger ne sont pas de nature à nous 
donner la moindre satisfaction là-dessus. 

Au cours de nos recherches cliniques, nous avons fait aussi 
souvent des numérations des globules blancs, tantôt d’une façon 
méthodique, tantôt à différents moments de la maladie. 

Pour ne pas faire double emploi avec le travail allemand cité, 
nous ne rapporterons pas nos chiffres, d'autant plus que sous ce 
rapport nos expériences viennent complètement confirmer celles de 
M. Schlesinger. Mais dès le début de nos recherches, ilest devenu 
clair pour nous que nous ne tirerions pas grand profit des numé- 
rations des leucocytes en bloc. 


% 


*x * 


Fidèle à notre manière de procéder dans nos expériences de 
laboratoire, nous nous sommes attachés, en clinique aussi, à 
fixer notre attention sur les polynucléaires. 

Comme, à l’état normal, chez les enfants du même âge, le 
rapport entre les polynucléaires et les mononucléaires varie 
dans des limites étroites et peut être considéré comme constant, 
nous nous sommes proposé d'étudier ces rapports à différents 
moments de l’intoxication diphtérique, et de les comparer avec 
les rapports à l’état normal. | 

L'étude du sang, à ce point de vue, a l’avantage d’être plus 
précise et plus sûre que quand on tient compte seulement du 
nombre total des leucocytes. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 327 


En effet, au cours de nos études sur le sang, nous avons eu 
l'occasion d'étudier un grand nombre d'animaux de différentes 
espèces, et voici ce que nous avons pu constater : bien que le 
nombre des leucocytes à l’état normal variät d’un animal à 
l’autre de même espèce, et quelquefois du simple au double, bien 
que des variations aussi étendues pussent être observées chez 
le même animal à différents moment de la journée, les rapports 
entre les poly et mononucléaires restaient cependant presque 
invariables, et des modifications ne s’y produisaient que sous 
l'influence des phénomènes importants intéressant l’organisme 
tout entier. 

Ainsi, notre point de départ étant le rapport existant dans le 
sang entre les poly et les mononucléaires, le premier problème 
qui se posait était d'établir ces chiffres à l’état normal. 


# 


A cet égard, il existe une différence profonde entre les en- 
fants et les adultes. Tandis que chez ces derniers les polynu- 
cléaires sont trois fois plus nombreux (175 0/0) que les mononu- 
cléaires, chez les enfants ce sont au contraire les mononucléaires 
qui font la majorité. 

Le rapport entre Les poly et mononucléaires varie avec 
l’âge de l'enfant ; il est de 20 0/0 dans les premiers mois de la 
vie : les polynucléaires augmentent rapidement avec l’âge; 
ils atteignent 35 0/0 à 40 0/0 en moyenne chez les enfants 
de 3 à 5 ans. Quelquefois à cet âge on trouve autant des uns 
que des autres (50 0/0) mais nous n’avons jamais vu ce chiffre 
de 50 0/0 dépassé chez les enfants bien portants ou conva- 
lescents. 

La majeure partie de nos recherches cliniques ont porté 
précisément sur les enfants entre 3 et à ans, pour lesquels la 
limite maxima des polynucléaires est 50 0/0. 

Chaque fois que l’on observe un chiffre supérieur à 50 0/0 à 
cet âge, on est sûr que l’on a affaire à un état pathologique ; 
qu'il s’agit, en d’autres termes, d’une hyperleucocytose polynu- 
cléaire. 

C’est là un avantage dont on est parfois dépourvu quand on 
a à se prononcer sur les enfants au-dessous de 3 ans ; chez ceux- 


328 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ci, les chiffres des polynucléaires oscillant dans de plus larges 
proportions, de 20 0/0 à 50 0/0. on est quelquefois embarrassé 
de préciser chez eux le degré d’hyperleucocytose. 

En présence de 50 0/0 de polynucléaires chez un enfant de 
18 mois, par exemple, comment qualifier cet état ? 

Est-ce une hyperleucocytose, est-ce simplement l’état nor- 
mal? Les deux choses sont également possibles. 

Il est évident qu’au delà de 50 0/0, il n’y a plus de doute; 
mais en deçà, l'interprétation est épineuse. 

C'est pour éviter ces cas susceptibles de faire naître des 
doutes, que nous nous sommes bornés dans la majorité des cas 
d'examiner les enfants dont l’âge était entre 3 et 5 ans. 


Nous avons examiné en tout 49 enfants; sur ce nombre, 
14 ont été examinés à différents moments de leur maladie. Les 
35 autres l’ont été d’une façon très régulière, dès le jour de leur 
entrée à l'hôpital, jusqu’au jour de leur sortie. | 

Tous les matins, sans exception, loujours à la même heure, 
pour se mettre dans la mesure du possible dans les mêmes con- 
ditions, nous leur prélevions une goutte de sang, que nous éta- 
lions immédiatement sur une lame en couche mince et très uni- 
forme. 

Le séjour des enfants à l'hôpital, sauf les cas compliqués, 
étant généralement de 15 jours, nous pouvions suivre pas à pas 
la marche de l’intoxication dans toutes ses phases, y compris 
celle de la convalescence. 

Voici quelques courbes qui pourront donner l'idée de la 
réaction des polynucléaires au cours de la diphtérie ; comme dans 
nos courbes précédentes, nous avons pris comme abscisses les 
temps écoulés depuis l'entrée du malade, et pour ordonnées le 
nombre des polynucléaires sur 100 leucocytes. 


Os. I. — H...d. Gabrielle, 7 ans. Malade depuis 5 jours. Fausses 
membranes très étendues, épaisses et grisätres sur les deux amygdales. 
Luette entièrement encapuchonnée par des fausses membranes qui s'étendent 
un peu sur le voile du palais. — Engorgement ganglionnaire assez marqué. 
— Rien du côté du larynx. — A l'examen bactériologique : bacille moyen; 
sur gélose, streptocoques et staphylocoques. Diagnostic : angine grave. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 329 


29 novembre, avant le sérum 41 D9 

30 _ — 36 64 
1er décembre, = 29 rh 
2 — — 29 78 
3) — — 3% 6 
4 — — 38 62 
5 =. — 37 63 
6 — — 39 65 
7 — — 40 6 


ER reel ee rep 


»& 

A ES DRRRESmMSE 

È EEE En DE = 

Ÿ CHOSES ES es 

N DS nn es PTE 

È [SIÈN DE ei ee een eu NE 2 A D A 
DS SES pe Po à tro | | En me a mc ee 
RSR Se Den OP En ECS es us 1 Ce (ER EU D RE SES 
RER) SR SN Les ES RON EE ESS 
LS] ESKEE 

Es DE 


Obs. I 

8 _— — 40 60 

9 — — 26 74 
10 — — 34 66 
11 — — 32 68 
12 — — 30 70 
13 — — 3) 65 
14 _— — 26 74 
15 — — 32 68 
16 _ — 50 50 
17 — — 90 0 
18 — — D4 46 
19 — — 61 39 
20 — — 60 40 
21 — — 66 34 


Sortie de l'hôpital. 


330 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ons. II. — J. Gaston, 3 ans et demi. Malade depuis 3 jours. — Rougeur 
intense et uniforme des amygdales et du pharynx. — Engorgement gan- 
glionnaire très léger. — Voix conservée. Tirage léger. — Plusieurs vési- 
cules d’herpès sur la lèvre inférieure. — A l'examen bactériologique : 
b. moyen, streptocoques, gros diplobacilles. — Diagnostic : croup. 

Entré le 8 nov. ; 20 c. c. du sérum. 

M. ‘0 P. 0 
9 novembre 33 67 
10 _ 42 DS 
ml — 40 60 
12 _ 38 62 
13 — 32 68 


14 — 30 70 
B) — 4% )6 
16 — DD 67 
1 = 30 70 
S — 30 T0 
19 — 30 70 
20 — 27 73 
91 — 30 70 
22 — 40 60 
23 — 94 66 
24 — 99 65 
25 — D0 D0 

Sortie. 

Os. III. — Z..all, Georges, 3 ans. Malade depuis 6 jours. — Amyg- 


dales un peu rouges; fausses membranes un peu grisàtres, mais peu épaisses. 
— Engorgement ganglionnaire bilatéral, peu marqué. — Voix conservée ; 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331 


léger tirage. — A l'examen bactériologique : b. moyen; sur gélose, strepto- 
coques. Diagnostic : angine moyenne ; Croup. 
Entré le 12 nov.; 20 c. c. du sérum. 


M. P. ojo 
13 novembre 20 80 
14 — 14 - 86 
45 — D yl 83 
16 — 28 72 
17 — 25 TD 
18 — 40 60 


E27t 
va PE ETAT ET EEE EEE] 
SUCER Eee ES 


Températiue 


Obs. III. 
19 — 50 50 
20 — 50 50 
21 — 56 44 
22 — 50 50 
23 — 50 0 
24 — D) 45 
25 — 50 50 
26 — 75 25 
27 — 60 40 
22 — DD 45 


Sortie. 


Oss. IV. — R...er, Alphonse, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours. — 
Gorge un peu rouge; fausses membranes sur chaque amygdale, un peu gri- 
sâtres. — Engorgement ganglionnaire peu marqué. Voix couverte ; tirage 


332 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


peu intense. — A l'examen bactériol. : bacille très long, culture abondante. 
Diagnostic : angine moyenne : croup. 
Entré le 10 nov. ; 20 c. c. du sérum. 


M. 0, P. 0)o 
11 novembre 30 70 
12 33 67 
13 — 30 70 
14 — 31 69 
15 = 29 7 
16 — 25 ris 
17 — 30 70 


FT 32 68 
MR 42 58 
LEE 30 70 
HAUT 95 75 
D RARE 29 7A 
DANS = 97 73 
RCE 924 76 
RE 50 50 
ENS 50 50 


Le trait caractéristique de toutes les courbes est l’augmen- 
tation considérable des polynucléaires comparativement à l’état 
normal. Leur nombre va jusqu’à 70 0/0, 80 0/0 et même 85 0/0, 
au lieu de 50 0/0 qui est le chiffre maximum à l’état normal. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 333 


* 
# *# 


Dans un certain nombre de cas (20) nous avons examiné le 
sang chez les enfants aussitôt qu’ils sont arrivés à l'hôpital, 
c’est-à-dire avant que l’on leur injecte du sérum antidiphtérique. 
Dans plus de moitié de cas, en comparant les chiffres obtenus 
ainsi avec ceux du lendemain, on pouvait constater une aug- 
mentation notable des polynucléaires après l'injection du sérum. 

Cette augmentation des polynucléaires constatée le lende- 
main de l'injection s’est-elle produite à la faveur du sérum? 
Ceci est fort probable. 

En effet, nous constations souvent avant le sérum 50 0/0 de 
polynucléaires environ, chiffres qui comportent, comme nous le 
verrons plus loin, un pronostic grave. Or, il est probable que ce 
sont précisément ces enfants, pauvres en polynucléaires, qui 
n'auraient pas survécu, abandonnés à leurs propres forces, et 
qui avaient guéri sous l'influence du sérum qui fit rapidement 
élever le nombre des polynucléaires, le lendemain de l'injection. 

Quant à ces enfants qui arrivent à l'hôpital déjà avec un 
grand nombre des polynucléaires, lequel se modifie peu ou pas 
du tout sous l'influence du sérum, ce sont peut-être ceux pour 
lesquels le sérum est un médicament de luxe, et qui auraient 
pu se tirer d'affaire aussi avant l’époque sérothérapique. 


* 
# # 


Quand on examine simultanément les courbes des polynu- 
cléaires et celles de la température, on est frappé du fait suivant : 
le thermomètre a beau indiquer la défervescence la plus légi- 
time, l’enfant a beau présenter des phénomènes généraux et 
locaux de plus en plus satisfaisants, et cependant les polynu- 
cléaires n’en cessent pas moins de manifester une suractivité 
remarquable. C’est qu'ils sont de beaucoup plus sensibles que 
tous nos moyens d'investigation. 

En réalité, nous savons fort bien que l'enfant, malgré la chute 
de la température, malgré la disparition des phénomènes locaux 
et généraux, n’en est pas moins un malade qu’il serait téméraire 
et dangereux de considérer comme guéri : c'est ce que nous 
disent si bien les polynucléaires. 

Ces derniers ne cessent pas de rester plus nombreux que les 


334 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


monucléaires encore pendant 5-10 jours après la chute de la 
température; ils ne reviennent à l’état normal que lorsque l’en- 
fant est entré réellement dans la période de convalescence. 

De sorte que lorsqu’aucun signe physique n’est plus capable ” 
de nous révéler l’état pathologique, seuls les leucocytes restent 
à témoigner de la réalité de cet état. 

Cet état, le médecin le devine plus qu'il ne le sait, grâce à son 
sens clinique, qui lui conseille de garder l'enfant pendant 10 à 
12 jours au moins à l'hôpital, alors que les phénomènes visibles 
ont disparu depuis longtemps; et chose curieuse, c’est généra- 
lement au bout de 10 à 12 jours que les leucocytes reviennent à 
leur état normal. 

Cette sensibilité extrème des leucocytes, et en particulier des 
polynucléaires, est significative; elle est appelée à jouer un 
rôle important, comme nous allons le voir, à propos du pronostic. 


x 
# * 


Le fait que dans toutes les maladies infectieuses il est donné 
d'observer une augmentation considérable de leucocytes (que 
nous proposons de désigner sous le terme de « polynucléose »), 
ce fait, répétons-nous, pourrait faire penser que cette polynu- 
cléose n’est qu'un phénomène corrélatif de l’état fébrile, lequel 
aussi est le compagnon constant des maladies infectieuses. 

Nos observations montrent que cette supposition est tout à 
fait gratuite. 

Déjà la simple inspection de nos tracés montre avec évidence 
que la polynucléose dure beaucoup plus longtemps que la fièvre. 
On sait que dans la diphtérie la fièvre ne se maintient qu'excep- 
tionnellement au delà du 5° ou 4° jour : cela n’empêche que les 
polynueléaires manifestent encore pendant 10-12 jours une 
suractivité que rien en apparence ne justifie. Même dans les cas 
de diphtérie pour ainsi dire apyrétiques (et ces cas où l'état 
fébrile est à peine marqué ne sont pas rares), les polynucléaires 
n’en réagissent pas moins, comme le démontre l'observation IIL 
par exemple, et plusieurs autres que nous avons pu relever. 

Ea polynucléose n'est donc pas un corollaire forcé de la 
fièvre ; elle semble plutôt être fonction de quelque autre proces- 
sus qui dure tant que l’enfant n’est pas entré franchement dans 
la période de convalescence. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 335 


Quel est ce processus ? L'observation suivante, choisie parmi 
plusieurs autres, nous donnera quelques indications. 


O8s. V. — S...chet René, 3 ans et demi. Malade depuis # jours. — 
Gorge un peu rouge. — Engorgernent ganglionnaire peu marqué. — Voix 
couverte. Tirage intense. — A l’examen bactériol. : b. long et moyen. — 
Diagnostic : croup. Dès le lendemain de l'entrée la température monte; 
dyspnée intense. Les jours suivants (10 — 14 nov.) température très élevée; 
dyspnée intense, souffle, puis râles dans les deux poumons.Bronchopneumonie 
double. Cas très grave. 


— Température. 


Line Ses Bee 
EEE ENENE 


ob de 


= 

DEEE UM 

EEE FRE 
Obs. V. 


L'examen de cette courbe est fort instructif. Lorsqu'on met 
en regard les tracés thermométriques avec ceux des polynu- 
cléaires, on ne tarde pas à s’apercevoir qu'il existe une dis- 
cordance frappante entre eux aux moments critiques de la 
maladie. 

Précisément au moment où la température redevient 
très élevée, où la diphtérie, en s'étendant aux petites 
bronches, prend une allure des plus défavorables et menace la 
vie de l’enfant, on constate que les polynucléaires, de nombreux 
qu'ils étaient, deviennent rares, et à certains moments on n’en 
trouve que 40 0/0, chiffre que l’on n’observe jamais dans la 
diphtérie à évolution normale; autre fait non moins intéres- 


336 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sant : la chute de la température, indiquant que l'enfant est hors 
de danger, est synchrone à l'augmentation très accentuée des 
polynucléaires. 

L'étude de cette courbe est encore instructive à un autre point 
de vue : nous voyons que l’abaissement extrême des polynu- 
cléaires (10 nov.) précède l’élévation maxima de la tempéra- 
ture (14 nov.) ; d'autre part que l'apparition d’une polynucléose 
intense précède de beaucoup la chute de la température; ainsi, 
déjà le 16 nov. au matin, ayant constaté 86 0/0 de polynucléaires, 
nous avons prévu l'issue favorable de la maladie, bien que 
l’état de l'enfant fût loin d’être brillant ‘ et que la température 
restât élevée pendant les 48 heures suivantes. 

Ceci montre combien sensible est la réaction leucocytaire; 
alors même qu'aucun changement apparent ne paraïil s’être pro- 
duit dans l’état du malade, ies polynucléaires mettent en garde 
l'observateur en lui faisant pressentir l'approche d'une nouvelle 
phase favorable ou défavorable. 

Ces observations et plusieurs autres du même genre com- 
portent deux conclusions : d’abord, que la marche des polynu- 
cléaires n’a rien à voir avec la fièvre : loin de là, dans certains 
cas, ces deux phénomènes marchent dans des voies diamétrale- 
ment opposées; puis, et c’est là un fait sur lequel nous ne sau- 
rions trop insister, les polynucléaires semblent marcher de pair 
avec l’état général du malade. 

Très nombreux lorsque l’enfant s'achemine normalement 
vers la guérison, les polynucléaires deviennent de plus en plus 
rares dès que la maladie tourne mal; en d’autres termes, le 
degré de la polynucléose traduirait ce degré de gravité de la mala- 
die. 

Cette conclusion n’est pas de nature à nous surprendre. Il 
suffit de nous reporter à nos expériences de laboratoire pour 
nous rappeler d'avoir rencontré déjà cette notion, sous une 
autre forme. 

Cette coïncidence est d’autant plus précieuse qu’elle permet 
d'établir une harmonie complète entre le laboratoire et la cli- 
nique, et en plus, laisse prévoir le parti important que le clini- 
cien pourra en tirer pour les besoins du pronostic. 


1. L'état était si mauvais que le 17 nov. on fit appeler la mère de l'enfant, 
la mort étant considérée comme une question de quelques heures. 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 331 


* 
* 


Si le degré de polynucléose reflète véritablement l’état du 
diphtérique, il est évident que dans les cas à issue mortelle les 
choses doivent se passer autrement que dans les cas ordinai- 
res, cités plus haut. 

La polynucléose dans les cas mortels fait-elle vraiment défaut? 
Les neuf cas mortels de diphtérie que nous avons observés 
permeltent de donner une réponse nettement affirmative. 

A l'encontre des cas ordinaires se terminant par la guérison, 
dans lesquels le chiffre des polynucléaires varie entre 60 0/0 et 
85 0/0 en moyenne, chez les enfants devant mourir ce chiffre ne 
dépasse guère 50 0/0, et parfois n’est pas mème atteint. 

En d’autres termes, lorsque l’enfant ne peut guérir, cela se 
traduit par l'impuissance dans laquelle il se trouve de mettre en 
œuvre un nombre de polynucléaires supérieur à celui qu'il 
possède à l’état normal. 

Voici quelques exemples : 


Os. VI. — Z...er, Marcelle, 2 ans et demi. Malade depuis 2 jours (?). 

Fausses membranes sur les deux amygdales. — Engorgement ganglion- 
naire assez marqué. — Voix couverte. Toux rauque. Tirage intense. A l'examen 
bactériologique : bacille long, coccus; sur gélose streptocoques. Diagnostic : 
angine grave ; croup. Tubage à l'entrée (19 déc.). Le 20 déc., détubage et 
tubage à plusieurs reprises ; à 10 h. du soir, trachéotomie; l’enfant est sou- 
lagé. Le 21 déc., le matin la tre tombe, l'enfant est assez calme; elle meurt 
à 6h. du soir. 

19 déc, soir, 400,3; injection de 30 c. c. de sérum. 

20 déc. matin, 400,3; soir, 400,4; à 9 h. s. 60 0/0 M. ; 40 0/4 P., formes 
intermédiaires. 

21 déc. matin, 370,8; soir, 400; à 8 h. m., 56 0/0 M. ; 44 0/0 P., formes 
intermédiaires. 

Ogs, VIL — Lem...ier, 6 ans. Entré le 17 déc. à 11 h. 30 du soir. 


Amygdales énormes ; elles se rejoignent sur la ligne médiane; fausses 
membranes épaisses, recouvrant lés amygdales. Engorgement ganglionnaire 


moyen, — Voix couverte. Tirage assez marqué. L'enfant est en très mau- 
vais état, asphyxie. A l’auscultation, souffle à la base gauche. — A l'examen 


bactériologique : b. long, streptoc. très nombreux ; sur gélose, streptocoques 
814 5 5 ) q 
et staphylocoques. Diagnostic : angine jrave; croup. 

Le 17, trachéotomie ; le 18 déc. l'enfant parait mieux, plus calme, bien 
que la respiration soit fréquente; le 19 déc., un souffle et râle fin dans le 
poumon gauche. 

47 déc. soir. 390,8 ; 30 c. c. de sérum. 

19 


338 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


18 déc. matin, 390,5; soir, 390,1; à 9 h. m,. 60 0/0 M; 40 0/o P., beau- 
coup de formes en croissant. 

49 déc. matin, 39 ; soir, 380,6; à 9 h. m. 67 0/0 M.: 33 0/0 P,, formes 
intermédiaires comme la veille. 

Mort à 1 h. du matin. 


O8s. VIII. — Fr...et René, 3 ans. Malade depuis 5 jours. 


Petites fausses membranes sur l’amygdale droite. — Engorgement gan- 
glionnaire assez marqué. — Voix couverte. Toux rauque. Tirage. — Etat 
général mauvais; cyanose. — A l'examen bactériol. : bacille court. 


Diagnostic : angine, croup. Broncho-pneumonie. 

31 janv. soir, 400,2; 20 c. c. du sérum de Roux. Caféine, éther, sérum 
artificiel, 200 gr. 

1 fév. matin, 390,7; 50 0/0 M. 50 0/0 P. ; soir, 400; 50 0/6 M. ; 50 0/o P. 
--- Mort dans la nuit. 


Oss. IX. — H...on, Gaston, 6 ans. Malade depuis 4 jours. Entré le 15 déc. 
Mucosités abondantes dans la gorge; il est très difficile de voir les amyg- 
dales ; il semble cependant qu'il y a une plaque blanche à droite. — Engor- 
gement ganglionnaire très peu marqué. — Voix couverte. Toux rauque. 
Tirage intense. — A l'examen bactériologique : b. moyen et long; sur gélose, 
streptocoque pur. — Diagnostic : angine 2noyenne, croup. 

Le 16 déc., broncho-pneumonie double. 

15 déc. soir, 380,8; 30 c. c. de sérum. Avant le sérum 31 0/0 M. 69 0/0 P. 

16 déc. matin, 400,1 ; soir, 390,4; à 9 h. m. 21 0/4 M.; 79 0/6 P. 

17 déc. matin, 400,2; à 9 h. m. 62 0/, M. ;,38 0/0 P., formes intermé- 
diaires en abondance. Soir, 390,8; à 7 h. s. 60 0/, M.; 40 0/0 P., formes 
intermédiaires en abondance. 

Mort à 9 h. du soir. 


Ogs. X. — Gir...et, Maurice, 3 ans et demi. Malade depuis 4 jours. 
Amygdales hypertrophiées; l’amygdale droite recouverte par des fausses 
membranes, très peu à gauche. — Engorgement ganglionnaire peu marqué. 


— Voix couverte; toux rauque; tirage intense. — L'enfant à l’état d'asphyxie. 
A l'examen bactériologique : bacille moyen et court, staphyloc. et strepto- 
coque. — Diagnostic : angine moyenne, croup. Broncho-pneumonie. 

8 fév. matin, 39°,2; soir, 40°; 30 c. ec. du sérum de Roux. 

9 fév. matin, 39°,9; soir, 390,8; à 9 h. m. 50 0/0 M.; 50 0/0 P., éther, 
caféine, sérum artificiel. 

40 fév. matin, 390,6; à9 h. m. 68 0/0 M.; 32 0/0 P. 

Mort à 3h. de l'après-midi. | 


L 
*# # 


L'examen attentif des leucocytes dans des cas mortels permet 
de constater une particularité qui mérite de nous arrêter. 
Quand on examine le sang provenant des enfants sur le 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE, 339 


point de mourir, et qu’on veut établir les rapports exacts entre 
polynucléaires et mononucléaires, on est souvent fort embar- 
rassé, et voici pourquoi: A côté des leucocytes à caractères bien 
tranchés, on en trouve d’autres dont le noyau désoriente tous 
vos calculs : à chaque instant vous vous heurtez à un leucocyte 
que vous hésitez à qualifier de polynucléaire, parce qu’il a le 
caractère de mononucléaire et ne l'est pas cependant. On n’est 
dans le vrai que lorsqu'on constitue un groupe à part pour 
leucocytes; nous le désignerons sous le nom de « formes in- 
termédiaires ». 

Ces formes sont caractéristiques pour les cas mortels, quoi- 
qu'on ne les rencontre pas dans tous les cas. Leurs noyaux 
se présentent sous des aspects assez variés : tantôt ils pren- 
nent la forme d'un biscuit étranglé au milieu, tantôt d’un 
arc de cercle, forme la plus fréquente; par-ci par-là on trouve 
des noyaux en marteau dont la grosse extrémité, bien que fai- 
sant corps avec le reste du noyau, simule un polynucléaire vrai. 

Chaque fois que ces formes intermédiaires apparaissaient 
chez les enfants diphtériques, la mort ne se faisait pas long- 
temps attendre. 


* 


* * 


Maintenant que nous sommes renseignés sur le caractère de 
la leucocytose dans différentes phases de la diphtérie, nous pou- 
vons aborder le problème du pronostic, question très importante 
pour les cliniciens, étant donné que dans la diphtérie, maladie à 
surprises par excellence, on manque sous ce rapport de bases tant 
soit peu solides. La question a été beaucoup débattue; nous 
n’entrerons pas dans les détails qu’on trouvera dans les traités 
de médecine; beaucoup de signes pronostiques ont été proposés, 
mais toujours est-il qu’en présence d’un enfant bien malade on 
est très embarrassé., Les indications fournies par la tem- 
pérature et le pouls sont précieuses, et MM. Martin et Chail- 
lou ont eu raison d’y insister, mais si importantes qu'elles soient, 
souvent elles se montrent impuissantes à prévoir l’issue de la 
maladie. (Filatow.) 

Nous avons cherché à appliquer à la question du pronostic 
les données que nous venons d'acquérir sur la leucocytose dans 
ses différentes manifestations, 


340 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


D'un côté, l’enfant guérit et les polynucléaires dépassent de 
beaucoup le chiffre normal ; de l’autre côté, l'enfant meurt et les 
polynucléaires ne dépassent guère 50 0/0, le chiffre maximum à 
l’état normal. 

Nous avons vu en plus que lorsqu'au cours [de la diphtérie 
la maladie s'aggrave, les polynucléaires baissent (observ. n° V). 
Tous ces faits dont le caractère commun se retrouve dans toute 
l'histoire de la leucocytose, soit expérimentale, soit clinique, 
uous autorisent à formuler la proposition suivante, qui a été 
confirmée par de nombreuses observations : 

Lorsque le lendemain et surlendemain de l'injection du sérum, 
l'enfant présente plus de 60 0/0 de polynucléaires, le pronostic est favo- 
rable quels que soient la température, le pouls et l'état général. 

Pour plus de süreté, il est bon de renouveler l'examen du 
sang ; si le nombre de polynucléaires va en augmentant, la gué- 
rison peut être considérée comme certaine. 

Si au contraire, chez un enfant, âgé de 3 ans ou plus, la tem- 
pérature est élevée, et si, malgré le sérum, le chiffre des polynucléaires 
se maintient à 50 0/0, le pronostic est mauvais : si ce chiffre est 
inférieur à 50 0/0, si la température reste élevée et si on apercoit dans le 
sang des « formes intermédiaires », l'enfant peut être considéré comme 
perdu, même si l’état général paraît s'améliorer. 

Il va sans direqueces formules ne s'appliquent qu'aux cas de 
diphtérie avérée, confirmée par l’examen bactériologique, et 
pure, c’est-à-dire, non compliquée d’autres maladies (rougeole, 
scarlatine, etc.). 

Quant à la broncho-pneumonie se déclarant si souvent au 
cours de la diphtérie, nous ne la considérons pas comme une 
maladie à part, ce qui revient à dire que la diphtérie com- 
pliquée de broncho-pneumonie est justiciable du mème pronostic 
que la diphtérie pure ‘. 

En résumant les données principales fournies par nos tracés 
graphiques, nous voyons que : 


1. — Dans l’intoxication par doses massives, les polynu- 

ue Tee *. a 5 
cléaires décrivent une courbe ayant la forme parabolique, à maxi- 
mum unique survenant douze à seize heures après l’inoculation ; 


1. Rappelons à ce propos que Belfanti a pu reproduire expérimentalement la 
broncho-pneumonie en injectant aux animaux de laboratoire la toxine seule, 


LEUCOCYTOSE DANS LA DIPHTÉRIE. 341 


au delà de ce maximum les polynucléaires décroissent rapide- 
ment et régulièrement jusqu’à la mort. 

2. — Dans l'intoxication lente tuant en plusieurs jours, la 
marche des polynucléaires est représentée par des courbes à 
oscillations assez étendues, ayant pour caractères essentiels : 
1° de se maintenirtoujours au-dessus du taux normal, et 2° de ne 
s'interrompre à aucun moment de l’intoxication. 

3. — Au cours de l’immunisation, la réaction leucocytaire 
est très manifeste, surtout pendant les premières heures et jours 
qui suivent l'injection. 

4. — L'animal intoxiqué parune dose massive de toxine et 
sauvé par le sérum reste malade « polynucléairement » pen- 
dant 12 à 15 jours, durant lesquels on observe les mêmes oscilla- 
tions que dans le cas d'intoxication lente, avec cette différence 
que cette fois-ci les leucocytes finissent par prendre le dessus, ce 
qui se traduit par un rétablissement progressif et graduel du 
chiffre normal. 

5. — Les enfants diphtériques en voie de guérison ont une 
hyperleucocytose polynucléaire très nette, laquelle dure, en 
moyenne, 12 à 15 jours jusqu’à la guérison complète. 

6. — Lorsque l’évolution de la diphtérie n’est pas régulière et 
qu’aucours de la maladie surviennent des phénomènes entravant 
la guérison, on constate une corrélation frappante entre le degré 
de la polynucléose et la gravité de la maladie. 

7. — Les enfants qui ne peuvent pas guérir malgré le sérum 
présentent un état leucocytaire que l’on n’observe jamais dans 
les cas se terminant par la guérison : ils ne présentent guère 
l’hyperleucocytose polynucléaire caractéristique. 

8. — Le degré de la polynucléose après l'injection du sérum 
antidiphtérique constitue un des éléments les plus sûrs de pro- 
nostic dansla dinhtérie : c’est l’hémopronostic. 


11 s'ensuit donc que toutes nos expériences, si variées qu’elles 
soient, qu’elles aient trait aux animaux de laboratoire ou 
qu’elles se rapportent aux enfants diphtériques, sont unanimes 
à témoigner desrelations intimes entre les leucocytes et la toxine 
diphtérique. Dans toutes ces différentes manifestations, le jeu des 
leucocytes reste invariablement fidèle à la conception phagocy- 
taire qui, elle seule, est capable d'expliquer les moindres détails 


342 -ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de toutes les variations leucocytaires subies par l'organisme 
intoxiqué. 


Nos recherches cliniques ont été faites à l'hôpital des Enfants- 
Malades (pavillon Trousseau) ; nous avons à cœur d’apporter nos 
profonds remerciments à M. le D' Sevestre, chef de service, 
pour avoir très obligeamment mis à notre disposition ses ma- 
lades diphtériques; nous exprimons également notre sincère 
reconnaissance à M. Méry, chef du laboratoire, professeur 
agrégé, et à M. Bonnus, interne des hôpitaux, pour les nombreux 
services qu'ils nous ont rendus au cours de nos études à l'hôpital. 


BIBLIOGRAPHIE 


Nicoras et Courmonr, Archives de médec. expérim., 1897. 
SCHLESINGER, Archiv. f. Kinderheilk:unde, Bd. XIX, 378. 
STIÉNON, Annales de la Soc. royale de Bruxelles, 1896. 
GABRITCHEWSKY, Annales de l'Institut Pasteur, 1894, 


SUR LB MÉCANISME DE D'IMMENISATION CONTRE LES VENINS 


Par ze D' A. CALMETTE 


Directeur de l'Institut Pasteur de Lille. 


L'étude des venins, qui a fait l’objet de nombreuses recherches 
dans ces dernières années, est très commode pour préciser nos 
connaissances sur les réactions cellulaires à l’égard des toxines, 
L'analogie étroite que présentent les venins avec quelques 
toxines microbiennes d’une part, et, d'autre part, la rapidité et 
la précision plus grandes de leur action, permettent au physio- 
logiste de varier à l'infini les conditions de ses expériences sans 
s’exposer aux causes d'erreur qui peuvent exister lorsqu'on 
expérimente avec des toxines provenant de cultures différentes, 
ou avec des animaux dont la résistance individuelle à l'égard de 
certains poisons est très variable. 

Les travaux que j'ai publiés depuis 1883 sur l’envenimation 
et sur la sérothérapie antivenimeuse ont nettement établi : 

1° Que les venins de tous les reptiles venimeux des divers 
pays du monde présentent entre eux des analogies très étroites, 
et qu’un animal artificiellement immunisé contre un venin très 
actif, comme celui de naja ou de bothrops, est très réfractaire à 
l'intoxication par tous les venins moins actifs que ceux aa ont 
servi à le vacciner; ; 

20 Que le sérum des chevaux vaccinés contre des doses con- 
sidérables de venins très actifs possède un pouvoir préventif et 
un pouvoir curatif tellement intenses, qu’il est capable de com- 
muniquer en quelques minutes, aux animaux neufs auxquels on 
l'injecte, une insensibilité absolue à l'égard de tous les venins; 

3° Que la quantité de sérum curatif que doit recevoir un 
animal intoxiqué par le venin est inversement proportionnelle à 
son poids, quand on expérimente sur des cobayes, des lapins et 
des chiens par exemple, et directement proportionnelle à la 
quantité de venin qu'il a reçue; il suffit de 1 c, c. 1/2 du 


344 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sérum que je possède actuellement, pour immuniser un lapin 
de 2 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 15 minutes 
par injection intra-veineuse, et pour préserver un chien de 
10 kilogr. contre une dose de venin mortelle en 3-4 heures par 
voie sous-cutanée. 

Le traitement sérothérapique des morsures venimeuses chez 
l’homme et chez les animaux est maintenant répandu et adopté 
dans tous les pays, sans qu'aucun échec ait encore été signalé, 
de sorte qu'il n’est plus utile d’en discuter les avantages. Mais 
il reste encore beaucoup de points de détail à élucider dans le 
mode d’action des venins, et, pour la raison que j'indiquais tout 
à l'heure, cette sécrétion toxique normale des ophidiens veni- 
meux présente un intérêt très grand au point de vue biologique. 

Je poursuis actuellement à l’Institut Pasteur de Lille, en 
collaboration avec M. Guérin, médecin-vétérinaire, et M. le 
D' Wehrmann, de Moscou. une série d'expériences qui ont pour 
but de déterminer le rôle respectif que jouent le système ner- 
veux, les leucocytes et les diverses humeurs de l’organisme dans 
l'immunité arlificielle contre les venins. 

Les recherches de Fraser d'Édimbourg, puis celles de 
M. Phisalix, du Muséum d'histoire naturelle de Paris, sur le 
pouvoir préventif de la bile, du glycocholate de soude, de la 
cholestérine, et aussi de la tyrosine de la carotte ou des tuber- 
cules de dahlia sur le venin ont attiré notre attention, parce que 
nous avions observé, de notre côté, qu'on pouvait très facile- 
ment augmenter la résistance des animaux à l’égard de ce même 
poison en leur injectant préventivement du sérum antitétanique, 
du sérum de chiens vaccinés contre la rage, certains sérums 
normaux de cheval ou de chien, et même, dans quelques cas, 
du bouillon normal de bœuf fraîchement préparé. 

Nous avons alors entrepris de vérifier si, dans ces cas, il 
s'agissait d'une véritable immunité plus ou moins durable, ou si 
l’on avait affaire seulement à des phénomènes de résistance cel- 
lulaire, essentiellement passagers et ne présentant aucun carac- 
tère de spécificité. 

Nous nous sommes proposé d'étudier de plus près le pouvoir 
préventif de la bile et de la cholestérine, et nous avons fait un 
nombre considérable d'expériences avec des échantillons de bile 
de divers animaux, et avec de la cholestérine pure. 


IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 345 


Pour ce qui concerne la bile, nous avons constaté, comme 
M. Fraser, que cette humeur détruit le venin in vitro, c'est-à-dire 
en mélange, à la condition toutefois qu’on opère avec des doses 
de venin très voisines de la dose mortelle limite. 

Tous les venins, comme d’ailleurs certaines toxines micro- 
biennes, la toxine tétanique par exemple {Wehrmann), mis en 
contact pendant 24 heures avec une certaine quantité de bile 
fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nui- 
sible lorsqu'on injecte le mélange à des animaux neufs. Il semble 
que la bile exerce sur le poison un pouvoir digestif, 

La bile chauffée à 100°, et même à 120°, est encore active, 
quoique plus faiblement. Chauffée à 120°, elle ne l’est plus si 
l’on a soin de la filtrer sur papier pour éliminer les substances 
précipitées par la chaleur. 

Mais lorsqu'on injecte la bile quelques heures, ou même 
24 heures avant le venin, et à doses relativement élevées 
(4 c. c. 5 ou 2 c. c. de bile de bœuf par exemple pour un cobaye 
de 500 grammes), on n’observe aucun pouvoir préventif. De 
même, injectée après le venin, elle n’exerce aucun effet théra- 
peutique et ne modifie pas la marche de l’envenimation. 

Il importe de remarquer que, pour vérifier ces expériences, 
on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement 
mortelles en 2-3 heures, car si on n’injecte que des doses mor- 
telles en 5-6 heures, comme le fait M. Phisalix, on trouve environ 
quatre cobayes, sur dix de même poids, qui survivent après avoir 
été plus ou moins malades, et sans injection préventive de bile. 

Nous avons injecté directement dans la vésicule biliaire de 
lapins une dose mortelle de venin, et dans ces cas, la mort est 
toujours survenue à peu près en même temps que chez les 
animaux qui recevaient la même dose sous la peau (en 1 h. 1/2 
à 2 heures). Dans ces expériences, le venin est probablement 
absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile, 
UE nous avons vu que cette destruction ne peut s’opérer 
qu'après un assez long contact. 

En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck, 
fusible à 146°, et dissoute dans l’éther ou dans l’huile de pieds 
de bœuf, nous avons constaté que cette substance, même à doses 
élevées (1 c.c. de solution éthérée saturée), ne possède pas de 
pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de 1 à 5 jours 


346 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lorsqu'on l’injecte 2 à 4 heures avant une dose de venin mortelle 
en 3 à 4 heures. Mais si on l’injecte 48 heures avant le venin, 
elle ne produit aucun effet préventif. 

Or. nous avons pu nous convaincre que beaucoup de sub- 
stances d'origines très diverses pouvaient donner lieu aux 
mêmes phénomènes de retard ou d'arrêt dans l’intoxication. 
Nous avons observé, par exemple, que le bouillon normal frais, 
injecté à la dose de 5 ou 10 c.c. 2 heures avant le venin, ou 
des quantités variables de certains sérums normaux ou antité- 
taniques, possèdent des propriétés préventives semblables. Il 
n'est pas possible d'envisager ces faits comme démontrant une 
spécificité réelle de la bile, de la cholestérine, de certains sérums 
ou du bouillon normal de bœuf à l’égard du venin. Nous pen- 
sons qu'il faut les interpréter tout simplement dans le sens d’une 
stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de 
fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu'il 
doit frapper de mort, 

Le rôle des leucocytes dans la fixation du venin nous paraît 
très important, car l'introduction de ce poison dans l’organisme, 
localement ou par voie intraveineuse, s'accompagne toujours 
d’une hyperleucocytose manifeste, et, d'autre part, si on injecte 
à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite 
quantité d’exsudat leucocytaire frais, on observe toujours un 
retard considérable dans l’envenimation et, très souvent, la 
survie. 

Nous avons voulu rechercher si les éléments du système 
nerveux possèdent à l’égard du venin les mêmes propriétés que 
Wassermann et Takaki leur ont reconnues dernièrement à 
l'égard de la toxine tétanique. Nous avons fait plusieurs expé- 
riences avec des émulsions de cerveau de lapin et avec des 
émulsions de cerveau de serpent (bothrops lanceolatus.) 

Aucune de ces émulsions n’a manifesté le moindre pouvoir 
antitoxique in vitro ou préventif. Il n’y a donc pas d’analogie 
d'action entre ce qui se passe dans les éléments nerveux vis-à-vis 
de la toxine tétanique et vis-à-vis du venin. 

Nous avons été amenés à nous demander si, après avoir 
immunisé passivement des lapins, par exemple, avec du sérum 
antivenimeux, il ne serait pas possible de faire perdre à ces ani- 
maux leur immunité en leur injectant certaines substances 


[IMMUNISATION CONTRE LES VENINS. 341 


capables d'agir énergiquement sur les cellules nerveuses du 
cerveau, du bulbe et de la moelle, et en les éprouvant ensuite 
avec une dose sûrement mortelle de venin. Nous nous proposions 
de voir, par ces expériences, si le sérum antivenimeux (dont 
d'action est si rapide et si intense qu'aucun autre sérum anti- 
toxique ne peut lui être comparé à cet égard) agit sur les 
éléments nerveux ou sur les leucocytes. 

Avec môn collaborateur M. Guérin, j'ai injecté à une série de 
lapins une dose de sérum antivenimeux suffisante pour les 
immuniser solidement (2 c.c. contre une dose de venin sûrement 
mortelle en 15 minutes par injection intraveineuse.) 

L'un de ces animaux a reçu 3 milligrammes de curare, et une 
heure après, pendant l’intoxication curarique, il a été éprouvé 
avec le venin et a résisté. 

D'autres lapins ont reçu, après le sérum antivenimeux, de 
l'alcool éthylique pur (20 ce. c. d’une dilution à 50 0/0 sous la 
peau): — du chloral (05,45) dans les veines; — du bromure de 
potassium (0,3) dans les veines ; — du sulfate de strychnine 
(0s',0003) dans les veines; — puis, quelques instants après, la 
même dose de venin mortelle en 15 minutes. 

Aucun de ces animaux n’est mort. Donc aucune de ces sub- 
stances toxiques qui ont une action élective sur les éléments 
nerveux n’a pu supprimer l’immunité passive conférée préala- 
blement par le sérum antivenimeux. 

Nous avons répété les mêmes expériences en injectant les 
substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis 
le venin. Aucun des animaux ainsi éprouvés n’a succombé. 

Deux conclusions se dégagent donc de nos expériences : 

4° On ne peut pas considérer l’action antitoxique de la bile, 
de la cholestérine, etc... pas plus que celle de certains sérums 
normaux ou antitétaniques ou antirabiques, etc... comme une 
action antitoxique vraie, c'est-à-dire spécifique à l'égard du 
venin. On a tout simplement affaire ici à des effets de stimulation 
cellulaire, mais ces effets sont très passagers et peuvent être 
produits par des substances très différentes ; 

2° Après l'injection de sérum antivenimeux, ce sérum mani- 
feste son action préventive, malgré que l'on se soit efforcé de 
diminuer la résistance des éléments nerveux par l'injection de 
divers poisons qui agissent sur ces derniers, 


PREMIÈRES EXPÉRIENCES 
sr l'emploi du sérum euratt et préventt de la Üévre Jak, 


Par Le Pror. D' JOSEPH SANARELLI 


Directeur de l’Institut d'hygiène de Montevideo. 


Il n’est qu'une voie aujourd'hui qui puisse conduire à un 
traitement spécifique de la fièvre jaune : c’est la sérothérapie. 

L'espoir de pouvoir obtenir un sérum doué en même temps 
de propriétés curatives et préventives est basé sur l'observation 
pratique de deux phénomènes importants : 

L'accoutumance au virus chez les gens nés dans les pays à 
fièvre jaune ou y ayant vécu longtemps, « l’acclimatation » 
comme on dit vulgairement, et l’immunité acquise après une 
attaque de la maladie, 

Ce dernier fait est compris dans les lois générales qui 
régissent presque toutes les maladies infectieuses aiguës. Quant 
à l’acclimatation, on ne peut guère y voir autre chose aujour- 
d’hui qu’un phénomène de mithridatisation par le poison amaril, 
phénomène que nos connaissances actuelles nous permettent de 
comprendre facilement. 

L’accoutumance facile et rapide aux petites doses de ce 
poison, bien mise en lumière par mes expériences sur l’homme, 
donne une idée approximative de ce qui arrive probablement 
dans la nature. 

Le sérum destiné à la préservation et au traitement de la 
fièvre jaune chez l’homme, provient des animaux vaccinés 
contre le bacille ictéroïde et supportant une dose de virus amaril 
plusieurs fois mortelle; mais cela ne suffit pas, etil faut encore 
qu'il soit capable de prévenir et de guérir l'infection amarile 
expérimentale chez les cobayes. 

Je crois inutile de m'étendre sur la préparation de ce sérum; 


4. Résumé d’une conférence faite le 8 mars 1898 à la Société de médecine et 
de chirurgie de Saint Paul (Brésil). 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 349 


elle ne diffère des autres que par la difficulté qu'on rencontre à 
vacciner solidement les animaux. Chez les chevaux, il faut pour 
cela un traitement intensif assidu de 12 à 14 mois. 

Le sérum anti-amaril n’agit pas comme le sérum anti-diphté- 
rique. 

Je n’ai pas encore constaté chez les animaux vaccinés la pré- 
sence de substances antitoxiques. 

Les chiens qui, après un an et plus de vaccination intensive, 
peuvent tolérer une dose de virus plusieurs fois mortelle, vomis- 
sent, tombent en prostration et présentent une forte élévation 
de température à chaque nouvelle injection. 

Voici un exemple : un chien bien vacciné, en traitement 
depuis plus de 15 mois, et qui fournissait un sérum curatif et 
préventif excellent pour les cobayes, mourut en 48 heures, après 
une phlébite oblitérante qui avait permis une multiplication 
accidentelle des bacilles ictéroïdes injectés; à l’autopsie, tous les 
viscères étaient stériles et le foie tellement dégénéré en graisse, 
que l’analyse chimique donna 32, 72 0/0 de substance grasse *, 
quantité de beaucoup supérieure à celles signalées jusqu'ici,non 
seulement dans la fièvre jaune et dans les autres maladies 
stéatogènes de l’homme, mais aussi dans les plus graves intoxi- 
cations expérimentales par le phosphore ou l’arsenic. 

Tout ceci démontre, jusqu'à l’évidence, que l’état vaccinal 
n’est pas, jusqu'ici. caractérisé par la présence de substances anti- 
toxiques, et que le sérum anti-amaril ne peut avoir une action 
efficace que lorsque la quantité de poison formée dans l'orga- 
nisme n’a pas atteint la dose mortelle pour le-malade. 

Ce sérum, comme plusieurs autres déjà connus, mais qui 
n’ont pas été employés avec succès hors des laboratoires, agit 
donc contre les microbes et non pas contre leurs toxines; il est 
bactéricide et non pas antitoxique. 

Son emploi dans le traitement de la fièvre jaune pourra donc 
être efficace seulement dans les cas d'intervention précoce. Ceci 
constituera certainement le principal obstacle à l'emploi pra- 
tique de la sérothérapie contre la fièvre jaune. 

Cette maladie se présente à ceux qui ne l'ont pas vue de près, 


A. Le foie des chiens vaccinés contre le bac. ictéroide est loujours normal, 
ainsi que nous avons pu le constater à l’autopsie de quelques chiens morts après 
des accidents traumatiques ou opératoires. 


390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et en particulier aux médecins européens qui n’ont pas voyagé, 
avec un aspect différant beaucoup de la réalité. 

On la compare souvent au choléra, et on s’imagine que sa 
lésion principale, son siège d'élection, presque spécifique, est 
le tube gastro-intestinal. 

Contrairement à cette idée, j'ai montré que la fièvre jaune 
doit entrer dans le groupe des maladies typhiques : c’est une 
maladie fébrile, essentiellement toxique, et dont les complica- 
hons les plus graves et les plus importantes sont loin d’être 
confinées au tube digestif. 

Très souvent les malades présentent déjà de l’albuminurie, 
de l’anurie et sont même en délire, sans avoir accusé aucun 
symptôme du côté du tube digestif. 

Dans certaines épidémies, les phénomènes hémorragiques 
et intestinaux constituent presque l'exception, tandis que l’alté- 
ration précoce, immanquable et inexorable est l’anurie. 

Or, lorsque le filtre rénal est frappé par la toxine amarile, 
et qu'en outre de l’intoxication spécifique, l’organisme doit 
résister à l’empoisonnement urémique, toute intervention séro- 
thérapique reste inefficace et aléatoire. 

Au commencement de cette année, j'avais déjà un bon sérum, 
très actif chez les animaux de laboratoire, et provenant de deux 
chevaux À et E, en traitement, le premier depuis 18 mois et le 
second depuis un an. Je possédais en plus un bœuf, lequel, 
après une année de traitement, fournissait un sérum doué d’une 
action assez faible. 

Je désirais essayer ce sérum chez l’homme malade, et je dois 
à mon confrère et ami le D' Seidl, directeur de l'hôpital de 
Saint-Sébastien à Rio de Janeiro, les premières observations sur 
l’action réelle du sérum anti-amaril. 

Le Dr Seidl, avec les D Fajardo, Couto et da Rocha 
essayèrent le sérum A, que j'avais envoyé en décembre 1897, 
sur 8 malades, qui présentaient, aux différentes périodes, les 
symptômes les plus caractéristiques de la fièvre jaune. 

Sur ces 8 malades, cinq étaient déjà au 4° jour de la 
«maladie et dans des conditions assez graves : 4 présentaient 
déjà de l’anurie ou étaient en délire. Le dernier des 5, bien qu'en 
conditions très graves, ne présentait encore ni anurie mi délire, 
et fut le seul qui guérit, ayant recu en tout 80 c. c. de sérum. 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 301 


Des trois autres malades soumis au traitement sérothérapique 
à l’hopital Saint-Sébastien de Rio de Janeiro, 1 était au 2° jour 
et 2 au 3° jour de la maladie; ils avaient tous les symptômes 
principaux et assez graves de la fièvre jaune, y compris l’albu- 
minurie, mais la diurèse se faisait régulièrement et le système 
nerveux ne paraissait pas atteint. 

Ces 3 malades guérirent après un traitement sérothérapique 
énergique, et dans les tracés thermographiques qui m'ont été 
remis par le D' Seidl, on constate parfaitement que chaque 
injection de sérum était suivie d’une descente de la tempéra- 
ture. Dans le seul cas où l’application du sérum fut faite le 
second jour de la maladie, une seule injection fut suffisante pour 
abaisser de suite la température, pour arrêter les symplômes 
les plus imposants de l'infection, et pour faire entrer le malade 
en franche et rapide convalescence. 

Ces premières recherches d'orientation présentaient donc un 
intérêt, facile à saisir, et m'ont fait souhaiter d’employer le 
sérum anti-amaril sur une plus vaste échelle, afin d'établir 
exactement sa valeur et ses indications dans le traitement de la 
fièvre jaune. 

L'occasion se présenta pour moi au moment précis, grâce à 
l’'aimable invitation qui me fut faite, au mois de janvier dernier, 
par les autorités et par le corps médical de l’État de Saint-Paul 
au Brésil. 

L'Etat de Saint-Paul, le plus riche de la République brési- 
lienne, pays d'immigration, traverse aujourd'hui une triste 
période, depuis que la fièvre jaune, qui jusqu'à ces dernières 
années n'avait pas quitté les côtes, s'est diffusée et a envahi 
comme un incendie presque toutes les villes et presque tous les 
villages de l’intérieur, semant des ruines partout. 

La voie de cette diffusion rapide de la maladie dans l’état de 
Saint-Paul est l’immigrant, contaminé au port de débarquement, 
et allant constituer à l’intérieur du pays des nouveaux foyers de 
la maladie. (AE 

La fièvre jaune est bien plus grave à l’intérieur du pays, et 
atteint une mortalité bien plus élevée que celle qu'on observe 
dans les côtes, par exemple, à Rio de Janeiro, à Santos ou à 
Pernambuco. 

Dans ces dernières villes, les immigrants en général ne 


302 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


séjournent pas; la fièvre jaune atteint en général des indigènes, 
ou tout au moins des gens relativement acclimatés par un séjour 
plus ou moins long, et la mortalité ne dépasse pas 50 à 60 0/0 
des malades. 

Dans l’intérieur du pays, au contraire, la maladie trouve un 
élément neuf, européen, récemment arrivé, non encore habitué 
au climat et au genre de vie des pays intertropicaux, et par 
suite extrèmement faible et sans défense. La mortalité est d’alors 
80 ou 90 0/0 des malades, et il y a eu à Campinas, à Rio-Claro, 
à Araraquara, et sur d’autres points, des épidémies comparables 
seulement aux invasions légendaires de la peste au moyen âge. 

Le Gouvernement et la Direction des services sanitaires de 
l'état de Saint-Paul, préoccupés avec raison de cet état grave de 
choses, voulurent que mes premières expériences de sérothé- 
rapie humaine fussent faites de facon à rendre possible une opi- 
nion définitive sur leur valeur réelle. 

On désigna une commission officielle d’hygiénistes distin- 
gués, constituée par MM. : D' Silva Pinto, directeur des Services 
sanitaires de l'État, Dr C. Ferreira et Vieira de Mello, inspec- 
teurs sanitaires, et le D' C. Espinheira, directeur de l’hôpital 
d'isolement à Saint-Paul. 

On ajouta à cette commission le Dr Ad. Lutz, directeur [de 
l’Institut bactériologique de Saint-Paul, et ses assistants, les 
D'S A. Menzouça et Vital Bazil. 

L'endroit choisi pour l'expérience fut San Carlos do Pinhal, 
ville d'environ 25,000 habitants, située à 820 mètres d'altitude, et 
à huit heures de chemiu de fer de Saint-Paul. 

A San Carlos, la fièvre jaune est aujourd’hui installée à 
demeure, mettant en fuite presque tous les habitants, qui cher- 
chent asile dans les campagnes voisines, et continuant ses ravages 
parmi les rares travailleurs qui sont encore restés dans la ville 
déserte. | 

Voici le résumé de mes résultats que, sur la demande de la 
Commission officielle sanitaire de Saint-Paul, j'ai déjà exposés 
dans une conférence faite le 8 mars dernier, devant la Société de 
médecine et de chirurgie de cette capitale. 

Le sérum que j'allais employer dans ces premières expé- 
riences sérothérapiques provenait, comme je l'ai dit plus haut, 
de trois animaux. 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 333 _ 


J'avais déjà essayé depuis longtemps le sérum de cheval chez 
les animaux et je l'avais trouvé d’une puissance vraiment 
remarquable; je lavais aussi essayé chez l’homme dans un but 
préventif, en me l'injectant moi-même, quelques jours avant 
mon départ de Montevideo et pendant mon séjour à Sau Carlos 
d6 Pinhal. — Ces injections, même à doses assez élevées, m'ont 
démontré que le sérum des chevaux vaccinés contre la fièvre 
jaune était parfaitement toléré, et pouvait par conséquent être 
employé sans danger dans le traitement de cette maladie. 

Le sérum de bœuf ou sérum F, comme j'ai l'habitude de 
l'appeler, s’était montré, dans les expériences sur les animaux, 
d'un pouvoir curatif assez faible, ce qui m’avait décidé à ne 
l’'employer que dans un but prophylactique. 

Arrivé à San Carlos, nous trouvàmes à l’hôpital d'isolement 
très peu de malades ; la plupart des gens préféraient rester chez 
eux pour y mourir; les seuls malades à ce moment à l’hôpi- 
tal étaient deux enfants nommés Louis et Assunta del V..., 
ramassés dans la maison où leur père était déjà mort de fièvre 
jaune. 

Ces deux petits malades présentaient les symptômes carac- 
térisques de la maladie, y compris le vomüto negro: Louis était 
au second jour et Assunta au troisième de la maladie. — Ils 
furent soumis de suite au traitement, dont les résultats furent 
presque immédiats : la fièvre et l’albuminurie disparurent, les 
symptômes généraux s'atténuèrent et les deux enfants entrèrent 
en franche convalescence, ayant reçu, pendant toute la maladie, 
l'injection d’une quantité de sérum vraiment peu élevée : 
Assunta 20 c. c. et Louis 65 c. c. 

Nous avons ainsi traité jusqu’au 17 février six autres malades ; 
un de ceux-ci, Raphaël M... anurique et albuminurique à son 
entrée à l'hôpital, n’éprouva aucun soulagement; comme il était 
à supposer, l’anurie suivit son cours et le malade mourut au 
4° jour. 

Des 5 suivants, 4 entrèrent en convalescence, après avoir 
présenté des incidents plus ou moins importants, et avoir néces- 
sité un traitement sérothérapique assez prolongé. Le dernier 
succomba au dixième jour de maladie, avec des lésions céré- 
brales. 

Cette première série de nos expériences (2 morts et 6 guéri- 

20 


304 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sons) nous avait renseignés sur l’efficacité et Les effets du traite- 
ment sérothérapique à petites doses. 

Je dirai de suite que ces doses se montrèrent insuffisantes. De 
plus, on acquit la conviction que, lorsqu'on n’arrivait pas, avec 
la première injection, à arrêter tout de suite le processus infec- 
tieux, la maladie reprenait son cours, après une rémission pas- 
sagère, et l'organisme, déjà en proie aux phénomènes toxiques, 
devenait incapable de retirer un bénéfice réel des injections ulté- 
rieures de sérum. 

Dans les cas terminés par la guérison, après une élévation de 
température, qui accompagne presque sans exception et comme 
une sorte de réaction spécifique les premières injections de sé- 
rum, surtout lorsqu'elles sont pratiquées dans les veines, la 
fièvre disparaissait pour ne plus revenir, et le thermomètre 
n’accusait les jours suivants que quelques oscillations insigni- 
fiantes et passagères. En même temps les phénomènes de la 
période d'invasion déclinaient et disparaissaient, sans qu'aucun 
des accidents de la troisième période apparüt. 

L'absence des phénomènes hémorragiques a accompagné 
d'une facon constante et a caractérisé notre traitement sérothé- 
rapique. 

Au point de vue de la diurèse, ces premières expériences 
mirent bien en évidence un fait important, quis’est répété depuis 
chez presque tous les malades soumis aux injections de sérum. 

Dans la plupart des cas, en effet, nous avons constaté une in- 
fluence extrêmement favorable sur la sécrétion rénale, au point 
parfois de provoquer une véritable polyurie ; même dans les cas 
terminés par la mort, l’anurie ne fut jamais complète ni précoce. 

Or, si l’on considère que dans l’épidémie actuelle de San Car- 
los, le symptôme dominant, précoce et fatal, chez presque tous 
les malades, est l’anurie, l’action directe exercée par le traitement 
spécifique sur lacomplication la plus insidieuse et la plus redou- 
table de la fièvre jaune apparaît évidente. 

Dans le cours de cette première série de recherches, un 
autre phénomène frappa notre attention. L 

Chez quelques malades et à cause de leur excessive sensi- 
bilité ou de la médiocrité des résultats obtenus chez eux par les 
injections sous-cutanées, nous eùmes l'idée de recourir aux 
injections intra-veineuses de sérum. 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 399 


La technique de ces injections intra-veineuses, qu’on prati- 
que toujours dans les veines superficielles de l’avant-bras, est 
tellement simple et tellement sûre, qu’elle ne doit pas être con- 
sidérée comme une méthode d'exception dans la pratique médi- 
cale. 

L'action des injections intra-veineuses de sérum anti-amaril, 
chez les malades de fièvre jaune, est extrêmement intéressant. 

De suite après l'injection, même à faible dose (15 c. c.), le 
malade reste tranquille ; au bout de quelques minutes, on observe 
une congestion légère des téguments, surtout au niveau des 
régions pectorales et de la face; les conjonetives s’injectent, le 
pouls devient plus fort, moins fréquent, et atteint souvent le 
chiffre normal; le malade éprouve une sensation de chaleur à la 
tête, a quelques quintes de toux, parfois des nausées, et présente 
sur plusieurs points du corps un léger érythème cutané, sous 
forme d’urticaire. 

Quelques heures après, la température s'élève, ce qui se 
traduit au tracé thermographique; cette élévation réactive est 
suivie dans la plupart des cas d’un abaissernent durable du pro- 
cessus fébrile et d'une amélioration générale plus ou moins per- 
sistante. 

Profitant de ces observations préliminaires, nous fümes 
d'accord, mes collègues et moi, pour imprimer une direction un 
peu différente au traitement sérothérapique des malades à venir; 
nous résolùmes d'intervenir rapidement, avec de fortes doses 
de sérum et en choisissant la voie intra-veineuse, dans le but 
d'introduire en une seule fois dans l’organisme malade la quan- 
tité de sérum nécessaire pour arrêter le processus infectieux à 
ses débuts. 

Cette méthode, que nous appelions conventionnellement 
« méthode intensive », nous a donné des résultats bien supé- 
rieurs aux précédents et que nous pouvons considérer, au 
moins pour le moment, comme définitifs. 

Je crois cependant utile de dire que les injections intra-vei- 
neuses de fortes doses de sérum doivent être pratiquées avec 
certaines précautions, tirées de ce fait, que la tolérance du 
sérum n’est pas identique chez tous les malades. Ceux qui sont 
au début de la maladie sont beaucoup plus sensibles et réagis- 
sent en général bien plus énergiquement et bien plus bruyam- 


396 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


D! 


ment que ceux qui se trouvent à une période plus avancée. 

En dehors de cette réaction différente, qui peut facilement 
être expliquée, mais sur laquelle nous ne voulons pas insister 
maintenant, nous avons observé que certaines constitutions 
individuelles et certaines lésions organiques persistantes, telles 
que l’hypertrophie paludéenne du foie et de la rate, les lésions 
du myocarde, ete., conseillent la plus grande prudence au point 
de vue de la dose de sérum qu’on peut introduire dans les veines 
en une seule fois. 

Nous commençâämes la nouvelle série d'expériences par un 
jeune ouvrier, Pasqual B..., tombé malade le jour même, 17 fé- 
vrier, avec tous les symptômes les plus graves et les plus impo- 
sants de la fièvre jaune : frisson interne, céphalalgie, rachialgie, 
épigastralgie intense, injection faciale, température à 39°, pouls 
à 104. On lui pratique de suite deux injections de 20 c. c. cha- 
cune, la première intra-veineuse, la seconde sous la peau. 

Cinq minutes après, une réaction générale énergique sur- 
vient : la peau devient d'un rouge érythémateux, le pouls des- 
cend à 88, le malade tousse un peu et est pris d’agitation géné- 
rale accompagnée de frisson. Peu après la température monte 
à 400,2, et, avant la fin de la journée, on pratique au malade une 
troisième injection de 20 c. c. de sérum, sous la peau. Le len- 
demain matin la température descend à 38; on lui pratique 
encore deux autres injections de sérum, lesquelles provoquent 
une légère réaction fébrile (38°,5), mais font descendre la tem- 
pérature du lendemain à 37°,3; le malade devient apyrétique, 
les symptômes généraux, déjà très atténués, disparaissent rapi- 
dement et le cinquième jour de son arrivée à l'hôpital, B. est 
renvoyé complètement guéri. 

Cette nouvelle série d'expériences, commencée avec un 
succès aussi remarquable par le rapport étroit et immédiat qu'on 
avait pu observer entre les injections de sérum et l’améliora- 
tion successive des symptômes les plus importants de la mala- 
die, fut continuée sur un second groupe de quatorze malades, 
c'est-à-dire du n° 9 au n° 22. Tous ces malades étaient arrivés 
à l'hôpital en condition assez grave et avec des symptômes très 
nets de la maladie; chaque cas était choisi de commun accord 
entre nous, dans le but de mettre bien en évidence l’action 
thérapeutique du sérum, mettant toujours de côté tous les cas qui 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 357 


se présentaient avec des symptômes vagues ou atténués ou en forme 
légère ou fruste. 

On ne conservait donc que les cas où, d’après la violence 
des phénomènes d'invasion, on devait considérer comme très peu 
probable une crise spontanée de la maladie. 

Sur ces quatorze malades, dix arrivent à guérir sous l’in- 
fluence manifeste du traitement sérothérapique, démontrant, à 
tout moment, les rapports les plus évidents de cause à effet, 
entre les injections de sérum et l’amélioration progressive des 
principaux symptômes morbides et de l’état général. 

Sur quelques-uns, le traitement intensif changea si rapide- 
ment le type de la maladie, supprima si vite l’élévation de tem- 
pérature et montra une influence si manifeste sur les autres 
symptômes de l’amarilisme, que l’action favorable du sérum 
s’'imposa à nous avec une évidence indiscutable, 

Un seul de ces malades peut être considéré comme ayant 
échappé à l’action curative de sérum; il s'agissait d'un nommé 
Adrien M..., homme extraordinairement robuste et atteint d’une 
des formes les plus violentes de la maladie. Nous eùmes un peu 
trop de confiance dans la résistance naturelle de l’organisme, et 
nous tinmes un peu au-dessous de la règle dans les premières 
injections de sérum; le lendemain survinrent des phénomènes 
si graves, du côté du système nerveux, que nous jugeâmes 
inutile tout traitement ultérieur. 

Quant aux trois autres cas suivis de mort, que nous devons 
inscrire dans cette seconde série d'expériences, les conditions 
déplorables où ils étaient, lorsqu'on les soumit au traitement, 
laissaient prévoir dès le commencement que la terminaison leur 
serait funeste. : 

Dans le premier cas, il s'agissait d’un jeune Portugais, 
rebelle à tout traitement, et chez lequel nous pümes, avec 
grande peine, arriver à pratiquer quelques injections sous- 
cutanées : on n’a pas pu suivre le traitement intensif habituel. 
Ce jeune homme fut ainsi abandonné à lui-même, et mourut le 
cinquième jour après son entrée à l’hôpital. 

Dans le second cas, il s'agissait d’une jeune femme, 
Louise V..., accouchée depuis un mois et nourrissant deux en- 
fants ; elle était au troisième jour de la maladie et dans un état 
de dénutrition extrême. Je ne lui pratiquai que deux injections 


358 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de sérum, jugeant dangereux et inutile un traitement rapide et 
intensif. Les forces de la malade s’épuisaient à vue d’œil; je lui 
fis encore quelques injections sous-cutanées, plutôt dans le but 
de ne pas abandonner la malade que de lui apporter un soula- 
gement réel, mais bien vite le délire survint et toute interven- 
tion ultérieure fut jugée inutile. 

Dans le troisième cas enfin, il s’agissait d’un ancien paludéen, 
nommé G... P..., qui présentait une hypertrophie remarqua- 
ble du foie et de la rate, avec un état général presque cachec- 
tique et une faiblesse intellectuelle voisine de l’inconscience. 

Nous commençämes par l'injection d’une forte dose de sérum 
(100 c. c.) en partie dans les veines et en partie sous la peau, 
mais les phénomènes congestifs, qui apparurent presque de 
suite, se montrèrent avec une intensité si grande, et faisaient 
supposer l'existence de lésions si graves de l'appareil circu- 
latoire, que nous décidèmes d’arrèter là tout traitement et de 
continuer l'observation au seul titre d'expérience. Le malade 
perdit rapidement les forces et mourut au milieu des symptômes 
légèrement atténués de la maladie. 

Dans un total de vingt-deux cas, nous avons donc eu six 
morts. 

Je me garderai bien de vouloir tirer de là une statistique; 
cependant, vu le caractère très grave de l’épidémie actuelle de 
fièvre jaune, vu l’épuration systématique que nous avons faite des 
cas légers ou frustes, vu que les premières expériences ont eu 
presque exclusivement pour but de nous orienter dans la dose 
etles indications du traitement, etcommelastatistique comprend 
enfin les cas où le traitement était formellement contre-indiqué 
dès le commencement, il nous semble qu’une moyenne de 27 0/0 
dans la mortalité pour nos premiers essais autorise l’espoir de 
résultats encore plus satisfaisants, le jour où avec une vacci- 
nation plus prolongée des animaux on disposera d’un sérum 
plus actif, et où une expérience plus étendue aura établi plus 
nettement les indications et les contre-indications de la séro- 
thérapie anti-amarile. 

Mais guérir n'est pas tout: il vaudrait mieux prévenir, et je 
me suis demandé si le sérum qui, nous venons de le voir, peut 
rendre des services en thérapeutique, n’en rendrait pas de plus 
grands et de plus sûrs comme moyen prophylactique. 


SÉROTHÉRAPIE DANS LA FIÈVRE JAUNE. 339 


Un hasard vraiment heureux nous a permis d'essayer le sé- 
rum anti-amaril comme moyen prophylactique rapide contre la 
fièvre jaune. 

Dans la prison de San Carlos dû Pinhal s'était développée 
brusquement la fièvre jaune, à la fin du mois de février. 

La première victime fut un condamné, qui vivait avec tous 
les autres dans une salle où les conditions hygiéniques étaient 
assez mauvaises. Le lendemain, la sentinelle, qui était en rap- 
port continuel avec La salle des condamnés, tombait malade. 
Quelques jours après, un autre condamné suivait le sort du pre- 
mier et bientôt un quatrième cas, mortel aussi, finit par signaler 
la prison comme un nouveau foyer d'infection, qui venait s’al- 
lumer au centre d’un quartier de la ville encore resté indemne. 

Si on avait abandonné la chose à elle-même, on aurait vu 
se produire le même spectacle qu’avaient fourni, dans des con- 
ditions identiques, pendant les dernières épidémies, les prisons 
de Rio Claro, de Limeira et d’autres villes de l’État de Saint-Paul. 

Une seule mesure pouvait encore conjurer le danger mena- 
çant : nous allâmes à la prison et nous pratiquâmes des injec- 
tions de sérum anti-amaril à tous les condamnés, excepté un 
qui affirma qu'il avait déjà eu la maladie. Deux militaires arri- 
vés dernièrement d'Europe et qui étaient en rapports continuels 
avec le quartier infecté s’offrirent spontanément à l'injection du 
sérum. k 

L'effet immédiat de cette mesure prophylactique fut celui 
qu’on attendait ; il n’est plus apparu un seul cas de fièvre jaune 
dans la prison et tout laisse supposer, qu’au moins pendant le 
temps que durera l’étal vaccinal provoqué par le sérum, ni les 
prisonniers, ni leurs gardiens ne seront victimes du bacille icté- 
roïde, et que la prison ne constituera pas un foyer dangereux 
d'infection . 

Il faut remarquer que la suppression rapide de ce foyer infec- 
eux fut obtenu malgré les conditions les plus défavorables : 
n'ayant plus de sérum de cheval, nous avons injecté celui de 
bœuf ; les individus inoculés étaient presque tous des étrangers 


1. Les dernières nouvelles reçues jusqu’au 2 avril courant m'ont confirmé 
qu'aucun cas nouveau de fièvre jaune ne s'était présenté dans la prison de San Carlos, 
après mes vaccinations pratiquées à la fin de février, quoique l'épidémie conti- 
nue à sévir dans la ville, comme auparavant, 


360 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et se trouvaient dans des conditions physiologiques misérables ; 
l'hygiène de la prison laissait beaucoup à désirer; on devait 
donc considérer ces gens comme étant très prédisposés à la 
maladie. 

On saisit facilement la grande importance de l’application de 
ce système prophylactique à bord des vaisseaux, dans les stations 
en quarantaine, dans les foyers domiciliaires, etc., etc. 


* 
#* » 

Nous terminons ici l’exposition sommaire de ce que nous 
avons fait, en compagnie des distingués confrères qui ont bien 
voulu nous aider avec tant de dévouement, pendant notre séjour 
au milieu de l'épidémie de San Carlos d6 Pinhal. 

Comme il arrive presque toujours dans des circonstances ana- 
logues, quelques médecins peu familiarisés avec la fièvre jaune 
et attachés aux opinions anciennes, d’après lesquelles le typhus 
ictéroïde ne pouvait pas abandonner le littoral et se développer 
à 800 ou 900 mètres sur le niveau de la mer, ont prétendu que 
la maladie qui a ravagé quelques villes du florissant État de Saint- 
Paul n'était pas la fièvre jaune. 

Eh bien! même ce doute est aujourd’hui complètement éva- 
noul. 

Les bactériologistes distingués qui faisaient partie de notre 
Commission scientifique, les D'S Lutz, Mendouça et Vital 
Brasil ont réussi trois fois à isoler le bacille ictéroïde du sang 
des malades, pendant la période agonique. 

Le Gouvernement de l'État de Saint-Paul, d'accord avec la 
Commission officielle qui a suivi, à San Carlos dé Pinhal, les ré- 
sultats de la sérothérapie curative et préventive de la fièvre 
jaune, a déjà décidé la création, dans la capitale de l’État, d’un 
Institut sérothérapique contre la fièvre jaune. 

Cet Institut sera installé dans quelques mois et aura pour 
but de rendre plus pratique, et par suite plus parfait et plus sûr, 
le traitement spécifique, curatif et préventif, d’une maladie redou- 
table qui est appelée avec raison « le fléau du continent améri- 

cain ». 


REVUES ET ANALYSES 


PES NTIC LEIN ES)! 


PARCM-SLE DEP :NOLEN: 


On sait combien sont rudimentaires nos connaissances sur la cons- 
titution chimique des albuminoïdes. Il n’en est que plus utile de passer 
en revue ce qu on sait le mieux sur ce sujet, et de tâcher de grouper, 
au moins provisoirement, les quelques notions qui semblent définiti- 
vement acquises. Un des groupes albuminoïdes les plus étudiés dans 
ces dernières années, et certainement un des mieux connus, c’est celui 
des nucléines. La première des nucléines fut découverte dans le, pus 
par Miescher, élève de Hoppe-Seyler, en 1869?. Ayant soumis le pus 
frais à l’action du suc gastrique, Miescher constata qu'après un certain 
temps, le corps protoplasmique des cellules blanches passe complète- 
ment en solution, laissant un dépôt pulvérulent qui, examiné au 
microscope, est constitué uniquement par les noyaux des leucocytes 
ou tout au moins par le squelette de ces noyaux. Chimiquement, ce 
résidu se trouve être une substance albuminoïde spéciale, nettement 
caractérisée. En raison de son origine, Miescher l’appela nucléine. 

Sa découverte fut bientôt confirmée par Hoppe-Seyler, et d’autres 
élèves de ce chimiste décrivirent des corps analogues tirés des noyaux 
des globules sanguins des sauropsidés (Plosz) de la caséine du lait 
(Lubavin), du jaune d’œuf (Miescher). Hoppe-Seyler lui-même a extrait 
une nucléine des globules de levure. Tous ces corps présentaient, 
à part certaines divergences secondaires, un ensemble de propriétés 
chimiques communes qui en formaient un groupe nouveau, bien dé- 


1. Les publications françaises sont en général peu au courant des nombreux 
travaux faits à l’étranger dans les laboratoires de chimie physiologique. M. le 
D: P. Nolf a bien voulu se charger de résumer pour nous les notions acquises au 
sujet des nucléines et des matières albuminoïdes. Je me réserve de reprendre 
un jour toutes ces notions si intéressantes, en les présentant sous un jour qui, 
j'espère, facilitera leur intelligence et leur classement. — E. D. 

2. Hoppe-SeyLer, Physiologisch-chemische Untersuchungen, p. 441. 


362 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


terminé, le groupe des nucléines: substances albuminoïdes acides, 
solubles dans les solutions alcalinisées par les hydrates des métaux 
alcalins, insolubles dans l’eau et les acides dilués, riches en phosphore. 

La teneur en phosphore, variable d’ailleurs d’une nucléine à 
l’autre, atteignait °/, et même davantage; elle devint la vraie carac- 
téristique des nucléines et les sépara des autres albuminoïdes, qui, 
à l’état de pureté, ne contiennent pas cet élément. 

Ces premières données furent bientôt considérablement enrichies, 
grâce aux nombreux travaux de Kossel, auquel nous sommes rede- 
vables de presque toutes nos connaissances actuelles sur la question. 

Ayant soumis la nucléine de la levure pendant plusieurs heures à 
l’action de l'eau bouillante, Kossel trouva ‘ parmi les produits de 
décomposition, trois substances ou groupes de substances : 1° de 
l'acide phosphorique ; 2° un mélange d’albuminoïdes ordinaires, non 
phosphorées ; 3° des bases xanthiques, parmi lesquelles la xanthine, 
Fhypoxanthine, la guanine. 

En soumettant méthodiquement au même traitement diverses 
nucléines, Kossel fit bientôt? la découverte importante que si l’on 
trouve d’une façon constante, pour toutes les nucléines, le radical 
albuminoïde et l'acide phosphorique, les bases xanthiques, au 
contraire, n'apparaissent pas toujours. Tandis qu'il y en a dans les 
nucléines de la levure, des leucocytes, des globules rouges des 
oiseaux, celles du lait, du vitellus n’en contiennent jamais. 

Or, coïncidence remarquable, les premières sont extraites de 
cellules nossédant une substance nucléaire en pleine évolution vitale, 
les secondes n'ont aucun rapport avec le noyau cellulaire et sont des 
substances de réserve. A la division chimique correspondait donc une 
signification physiologique différente. Et ce qui prouve l'exactitude 
de cette conclusion, c’est que les bases xanthiques, absentes de la 
nucléine de l'œuf, se trouvent déja abondamment dans les tissus 
d'embryons de 15 jours, où leur apparition correspond à la formation 
des nombreux noyaux embryonnaires, partant des nucléines du 
premier type. Kossel proposa plus tard ? de réserver le nom de nu- 
cléines à ces dernières, et d’appeler paranucléines celles qui ne contien- 
nent pas de bases xanthiques dans leur molécule. Parmi les bases 
xanthiques qu’il put isoler, figurent la xanthine, l'hypoxanthine, la 
guanine, et une nouvelle base, l’adénine de formule C*’H°N°. 

De la diversité des bases ainsi trouvées, il semble légitime de con- 


1. Ueber das Nuclein der Hefe. Zeëtschrift f. Physiologische Chemie,t.3 et 4. 

2. Kosser, Untersuchungen über die Nucléine und ibre Spaltungsprodukte. 
Strasbourg, 1881. 

3. Archiv. f. Anatomie und Phys. de Dubois Reymond. Physiol. Abteil, 1891, 
page 181. 


REVUES ET ANALYSES. 303 


clure à la diversité des nucléines qui les fournissent, et si deux 
nucléines peuvent différer ‘par la base xanthique qu’elles contiennent, 
il est à supposer que des différences plus nombreuses sont provoquées 
par des changements dans le groupe albuminoïde de leur molécule. 
D'où le peu de difficulté de décider pour un cas donné, si on se trouve 
en présence d’un individu chimique ou d'un mélange de corps voisins. 

Ces idées de Kossel sur la constitution des nucléines ont été com- 
battues par L. Lieberman! qui, se basant tant sur l'étude des 
nudléines naturelles que sur celle des précipités obtenus par l’acide mé- 
taphosphorique dans les solutions d’albumine et de bases xanthiques, 
émit l'hypothèse que les nucléines sont dues à la précipitation simul- 
tanée, dans les liquides organiques, d’albumine ei de bases xanthiques 
par l’acide métaphosphorique, et sont donc tout au plus des mélanges 
de ces différents précipités. Lieberman, outre qu'il n'expliqua pas 
l'origine de cet acide métaphosphorique dans l'organisme, ne fournit 
jamais de preuve décisive à l’appui de ses idées. Celles-ci perdirent 
bientôt tout intérêt à la suite de la découverte des acides nucléiques. 
Altmann ? fit en 1887 la constatation importante que si l’on traite à 
froids les diverses nucléines par des solutions de potasse caustique à 
3 0/0 et si, après acidification de la solution par l’acide acétique, on 
filtre, le filtrat contient un acide organique très riche en phosphore 
(en moyenne 9 0/0), que l’on peut obtenir en le précipitant de sa solu- 
tion acétique par l'alcool acidulé d’acide chlorhydrique. Ainsi prépa- 
rés, ces acides sont des poudres blanches solubles dans l’eau, ne pré- 
sentant aucune des réactions caractéristiques des albuminoïdes. Ils 
jouissent de la propriété très intéressante de provoquer dans les solu- 
tions d’albumines ou d’albumoses des précipités ayant tous les carac- 
tères des nucléines. Par voie d’analyse et par voie de synthèse, 
Altmann arrivait ainsi à la conclusion que les nucléines contiennent 
dans leur molécule un radical albumine combiné à un acide organique 
phosphoré. Altmann isola des acides à propriétés analogues, qu’il 
appela acides nucléiques, des nucléines de la levure, du thymus de 
veau, des têtes des spermatozoïdes de l’esturgeon. La constatation était 
donc d’ordre général, et les propriétés très intéressantes de ces subs- 
tances en rendaient très désirable une étude détaillée. 

C’est ce qu’entreprit Kossel *. 

Attaquant tout d’abord à chaud l’acide nucléique de la levure par 
les acides minéraux étendus, Kossel retrouva parmi les produits de 
décomposition les bases xanthiques que le même traitement isole de la 


4. Berichte der Deutschen chemischen Gesellschaft, t. 21, p. 598, et Central- 
blatt für die Medicinische Wissensch. Bd 27, pp. 210, 225, 447. 

2. Archiv für Anatom. ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1889, p. 524. 

3. Archiv f. Anatom. üù Physiol. Physiol. Abteil, 1891. 


364 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nucléine correspondante. Ceci confirmait l'hypothèse d’Altmann, fai- 
sant de la nucléine une combinaison d’une albumine avec l'acide 
nucléique, car cette hypothèse admise, il fallait attribuer à l’acide 
nucléique les bases xanthiques, puisque l’albumine n’en contient pas. 

Un deuxième produit de décomposition était un hydrate de car- 
bone, mélange d’hexose et de pentose : un troisième était un acide orga- 
nique très riche en phosphore. 

Dans ses travaux ultérieurs ‘, Kossel continue, de façon plus détail- 
lée, l'étude chimique d’acides nucléiques d'origines diverses (levure, 
thymus de veau, rate), et il leur trouve un ensemble de propriétés 
constantes et bien caractérisées. 

Ces acides ont des compositions cenlésimales très rapprochées. 
Chez tous, fait curieux, le rapport de la quantité d'azote contenue dans 
la molécule et exprimée en atomes, à celle de phosphore, est constant 
et égal à 3/1. Tous contiennent dans leur molécule un ou plusieurs 
hydrates de carbone, qui dans certains cas s’isolent facilement : levure 
(Kossel), pancréas. glande mammaire (Hammarsten) ; dans d’autres 
ils ne se décèlent que grâce à la formation d'acide lévulinique sous 
l’action prolongée des acides minéraux forts à l’ébullition (thymus). 

Tous donnent naissance par le même traitement à des bases xan- 
thiques diverses. En dernier lieu, si au lieu d’acides minéraux on fait 
agir sur eux l’eau bouillante pendant peu de temps, ils fournissent, à 
côté des bases xanthiques, un acide organique phosphoré, différant 
surtout des acides nucléiques par sa solubilité dans les acides minéraux 
dilués. Cet acide produit lui aussi des précipités dans les solutions 
d’albumine, mais ces précipités se caractérisent, comme l’acide lui- 
même, par leur solubilité dans l’eau acidulée d’acide chlorhydrique. 

Cet acide, appelé par Kosselacide thymique, constitue, par sonunion 
en combinaison organique aux bases xanthiques, les acides nucléiques. 

Traité à l’ébullition par l'acide sulfurique à 50°/,, l'acide thymique, 
qu'il soit extrait de la rate, du thymus, de la levure, fournit parmi ses 
produits de désintégration de l’acide phosphorique et une base orga- 
nique bien cristallisée, la thymine de formule C**H?6N$OS. 

Toutes ces données se rapportent aux acides nucléiques extraits 
des nucléines vraies de Kossel. Il a été dit plus haut que les paranu- 
cléines ne contiennent pas de bases xanthiques ; l’acide paranucléique 
qu’elles fournissent quand on les soumet à la méthode d’Altmann n’en 
contient naturellement pas davantage. Dans ces conditions se posait 
la question de savoir si l’acide paranucléique et l’acide thymique ne 
sont pas identiques. Cette question a été résolue par la négative dans 


4. Archiv f. An. und. Phys. Phys. Abt., 1893, p. 152, 1894, p. 194. Berichte 
der d. ch. Gesellsch., 1893, p. 2753, 1894, p. 2215. Z. f. Physiol. Chemie, tome 22. 


+ 


REVUES ET ANALYSES. 369 


un travail d’un élève de Kossel!. Les deux acides forment avec les 
albumines des combinaisons, de propriétés assez rapprochées, se 
différenciant cependant par leur composition centésimale. D'ailleurs, 
tandis que l'acide thymique n’a aucune des propriétés des substances 
albuminoïdes, l'acide paranucléique en possède les principales. 
Chimiquement il existe donc une différence essentielle entre nucléines 
et paranucléines. Nous savons déjà que les valeurs physiologiques des 
deux groupes de substances sont tout aussi différentes. 

On peut en effet admettre comme démontrée l’origine nucléaire des 
nucléines. 

Miescher d’abord avait prouvé, par la combinaison des méthodes 
microscopique et chimique, que dans le pus et le sperme, les 
nucléines forment la partie essentielle du noyau cellulaire. Plus tard, 
Kossel montra que la richesse des organes en nucléines est proportion- 
nelle à leur richesse en noyaux cellulaires. C’est ainsi que le tissu 
musculaire de lembryon en contient beaucoup plus que celui de 
l'adulte, que les globules rouges du sang des mammifères en sont 
exempts, tandis que ceux des sauropsidés en contiennent beaucoup. 
Par contre, les paranucléines se trouvent abondamment dans le lait, 
le vitellus des œufs d’oiseaux, de poissons, dans les graines végétales. 
Elles sont, de par leurlocalisation, des substances d'épargne, produits 
de synthèse organique destinés à être assimilés facilement par l'em- 
bryon et à lui fournir les matériaux dont il doit constituer ses 
organes. 

Une question très intéressante est de savoir sous quelle forme 
nucléines et paranucléines existent dans la nature. Sont-elles libres 
dans la cellule, s’y trouvent-elles à l’état de combinaison et, dans ce 
dernier cas, à quelles autres substances sont-elles combinées? Nous 
avons appris à comprendre les nucléines comme résultant de la com- 
binaison d’un radical albuminoïde à un acide organique. En raison de 
la décomposition ordinairement assez facile de cette combinaison par 
les bases et les acides, il semble légitime de l’assimiler aux sels des 
bases organiques, la base étant ici l’albumine. Mais la nucléine étant 
de réaction fortement acide correspondrait à un sel acide, capable de 
s'unir à une nouvelle quantité d'albumine pour former des composés 
neutres ou moins acides. C’est sous cette dernière forme que l’on 
rencontrerait ordinairement dans la nature les combinaisons des acides 
nucléiques avec l’albumine. 

En effet, les nucléines décrites jusqu’à présent ont été extraites des 
organes soit par l’action des liqueurs alcalines faibles, soit par celle de 


4. Miroy, Uber die Eiveissbindungen des Nucleïnsaure… Zeitsch. f. physiol. 
Chemie, Bd 22S, 307. 


366 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. 


suc gastrique artificiel sur des composés plus complexes, appelés 
nucléo-protéides quand ils fournissent une nucléine vraie, et nucléo- 
albumines quand leur produit de décomposition phosphoré est une 
paranucléine. Ces composés à molécule très volumineuse sont très 
répandus dans la nature. On a isolé des nucléo-protéides des différents 
organes (foie, pancréas, glande mammaire, thymus, etc.); les vitel- 
lines, la caséine du lait sont des représentants importants de la classe 
des nucléo-albumines. Nucléo-protéides et nucléo-albumines se diffé- 
rencient des nucléines et paranucléines par leur solubilité dans les 
acides minéraux dilués. Les dissout-on dans le suc gastrique artificiel 
pour les soumettre à l’action d’une température de 40°, on voit au bout 
de quelque temps se produire un précipité qui n’est autre chose que la 
nucléine ou la paranucléine, tandis qu'il reste de l’albumine en solu- 
tion. 

Cette propriété des acides nucléiques et des nucléines de pouvoir 
fixer des albumines pour former des molécules énormes, mais très 
fragiles, est des plus intéressantes au point de vue physiologique : elle 
cadre bien avec le rôle synthétique que l’on attribue généralement au 
noyau dans la vie cellulaire. 

D'autre part, elle fournit un nouvel exemple de la part considérable 
qu’il faut accorder en physiologie cellulaire aux combinaisons de 
l’albumine avec différents radicaux, aux protéïdes, suivant la termino- 
logie de Hoppe-Seyler. Ce seraient ces protéïdes, dont le premier 
exemple bien défini fut l’hémoglobine, et en particulier les protéïdes 
phosphorées, qui seraient les vrais constituants de la cellule, tandis 
qu’il faudrait considérer comme de moindre importance les albumines 
simples, les globulines, matériaux relativement peu compliqués, 
employés à l'édification de la molécule vivante. Mais si, laissant de 
côté le radical protéïque, on n’envisage dans la nucléine que le côté 
acide, l’acide nucléique et les propriétés curieuses que lui ont décou- 
vertes les recherches chimiques, on est encore en droit de vouloir 
rattacher ces propriétés à des phénomènes biologiques importants. 
Ainsi la propriété de se combiner aux albumines et aux albumoses 
n’en fait-elle pas un bactéricide et un antitoxique énergique, et n’est-ce 
pas par leur acide nucléique que les leucocytes exerceraient sur les 
microbes et leurs toxines l’action destructive qu’admet Metchnikoff? 

En réalité, Kossel ! a constaté une action bactéricide nette de 
l'acide nucléique extrait des leucocytes vis-à-vis de plusieurs microbes 
pathogènes. D’autre part ? Tichomiroff a pu précipiter par l'acide 
nucléique plusieurs toxines végétales et microbiennes, telles que la 


4. Archiv. de Dubois Reymond. Phys. abteil, 1849, p. 200. 
DZ PAYS GRhemie KN21,p:1907 


REVUES ET ANALYSES, 367 


ricine, les toxines tétanique, diphtérique; les précipités obtenus 
étaient toxiques eux-mêmes. 

Ces faits, en admettant qu'ils puissent être considérés comme 
une réponse à la question précitée, supposent un acide nucléique libre 
dans le suc nucléaire. On a voulu par des méthodes de coloration 
prouver la réalité de cette supposition, mais il semble actuellement 
certain que toutes les théories de chimie cellulaire basées sur des 
réactions de coloration micro-chimiques manquent de base sûre, et 
il faut, à ce sujet, attendre la lumière de nouveaux procédés. 

Un autre fait, physiologiquement important, c'est la découverte, 
parmi les produits de décomposition de l’acide nucléique, en premier 
lieu d’un groupe se rattachani aux hydrates de carbone, en second 
lieu des bases xanthiques. Il résulte de la première constatation la 
possibilité chimique d'une formation de sucres aux dépens de sub- 
stances protéiniques telles que nucléines et nucléo-protéides; quant 
aux conséquences de la seconde, elles ont été développées par 
Horbaczewsky et elles ont trait à la genèse de l’acide urique. Se 
fondant sur ia parenté chimique des bases xanthiques avec l’acide 
urique, Horbaczewsky : s’est demandé si l'acide urique ne dérive pas 
de la désassimilation des nucléines. Cette question avait déjà été posée 
par Kossel, mais sans être souraise à l’expérience. Horbaczewsky 
cite, à l'appui de l’origine nucléaire de l’acide urique, divers arguments 
tirés de l'observation clinique et de l’expérimentation. Parmi les 
premières, il appelle l'attention sur le parallélisme qui existe entre 
l'élimination de l'acide urique et la teneur du sang en leucocytes, 
qui, on le sait, sont riches en nucléines, parallélisme surtout intéres- 
sant dans la leucémie. 

Comme preuve expérimentale, Horbaczewsky cite l’augmentation 
de quantité de l'acide urique éliminé dans les urines chez les animaux 
nourris avec des nucléines. D’autre part il soumet à la putréfaction 
en présence ou en l’absence d'oxygène, des tissus où abondent les 
nucléines (pulpe splénique). Il trouve dans le premier cas de lacide 
urique, dans le second des bases xanthiques parmi les produits de 
destruction des nucléines, et en conclut que la désintégration des 
nucléines, en présence d'oxygène fournit de l’acide urique. 

Jusqu’à quel point les diverses théories qui ont été passées rapide- 
ment en revue sont dignes de créance, c’est aux recherches futures 
à le décider; il n’en est pas moins vrai que l’étude purement chimi- 
que des nuciéines, outre qu’elle nous a fait voir dans ses grands 
traits la constitution de composés très intéressants, a eu également 


3. Horgaczewsky, Zur Theorie des Harnsaürebildung im Thierorganismus, 
Prag., 1892. 


368 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ce grand avantage qu’elle a fourni dès à présent à la physiologie des 
idées nouvelles sur plusieurs questions de première importance. Seule- 
ment, il reste, tant au point de vue chimique que physiologique, une 
lacune dans nos notions sur les nucléines. C’est la connaissance plus 
approfondie du groupe basique de leur molécule, et ici encore nous 
sommes acculés à cette question qui a déjà désespéré tant de savants, 
la structure chimique de l’albumine. 

Il est un point sur lequel il est peut-être utile d’insister à la fin 
de cet article. L'étude chimique des produits que l’on a pu retirer 
usqu’aujourd’hui des divers organismes vivants n'a pas conduit, 
comme on aurait pu s’y attendre, à la conclusion qu’il existe dans les 
différents êtres vivants un nombre incalculable de composés chimi- 
ques. Au contraire, comparé à la quantité innombrable des produits 
organiques, préparés synthétiquement dans les laboratoires, le 
nombre des composés chimiques dus à la vie est relativement restreint, 
et cela est vrai surtout en ce qui concerne les types chimiques princi- 
paux dont les plus connus sont les graisses, les sucres, les albumines. 

Un nouveau type, c’est celui des acides nucléiques et, pour celui-ci 
comme pour les autres, il existe une singulière fixité du haut en bas 
de l’échelle des êtres vivants. D’après les recherches de Kossel, l'acide 
nucléique des saccharomyces ressemble, à s'y méprendre, à l’acide des 
leucocytes humains. Ces analogies très importantes, puisqu'elles portent 
sur des éléments nucléiniens, sont à rapprocher des analogies du 
même genre que les études anatomiques ont mises en vive lumière 
pour ce qui concerne la structure intime de la cellule. Dans son 
essence chimique comme dans son apparence morphologique, la cellule 
est donc bien la base de la vie, et comme telle elle est soumise à la 
nécessité d’un type constant dans ses traits principaux. 


Liège, le 10 avril 1898. 
DR ANOLE 


Le Gérant : G. Masson. 
RAR ca 0 ne CURRENT SENS RE 


Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. 


49me ANNÉE JUIN 1898 N° 6. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DES ALTÉRATIONS HISTOLOÉIQUES 


PRODUITES DANS L'ORGANISME 


PAR LEN VENINS DEN NERPENIS VENDEUX ET DEN NCORPIONN 


Par Le Dr J. NOWAK 


Privat-docent d'anatomie pathologique à l'Université de Cracovie, 
n 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


Il existe une ressemblance remarquable entre les toxines 
microbiennes et certains matériaux toxiques fabriqués soit par 
les plantes, soit par les animaux. Cette ressemblance est sur- 
tout très nette dans l’action de ces poisons sur l’organisme 
animal. 

On a établi que les animaux peuvent être immunisés, non 
seulement contre les toxines microbiennes, mais encore contre 
les venins de différentes origines. Ehrlich® a par exemple immu- 
nisé des animaux contre la ricine et l’abrine, poisons végétaux 
extrêmement actifs, et Calmette* contre des venins de ser- 
pents venimeux. 

Toxines et venins ne supportent, sans dommage, qu’un cer- 
tain degré de chaleur, et, chauffés au-dessus, ils deviennent 
inactifs. 

Exracx, Experimentelle Untersuchungen über Immunität; I. Ueber Ricin, 
IT. Ueber Abrin, Deutsche medicin. Wochenschr. 1891 (972-1218). 

2. A. CaLMETTE, Le venin des serpents. Physiologie de l'envenimation, trai- 


tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vascinés. 
Paris, 1896, 


24 


370 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans le sang des animaux qui sont immunisés contre ces 
venins, On trouve certaines substances qui possèdent des pro- 
priétés antitoxiques, et souvent aussi sont préventives et 
curatives. 

Les expériences, en particulier celles de M. Calmette et 
Deléarde ‘, ont démontré, en outre, que le sérum des animaux 
immunisés contre les venins peut agir contre certains poisons 
d’un autre groupe. Ils ont constaté que le sérum des animaux 
immunisés contre l’abrine est antitoxique contre les venins des 
serpents, contre la ricine ct contre les toxines diphtéritiques. 
Il n’a aucun pouvoir antitoxique contre les toxines du charbon: 
en outre, les animaux immunisés contre ce poison supportent 
l'infection par ce microbe. 

Le sérum antitétanique a des propriétés antitoxiques contre 
les venins des serpents. 

La similitude entre ces poisons d’origine si d'verse laisse 
prévoir une certaine analogie dans les lésions des tissus des ani- 
maux tués par ces poisons, et sous ce rapport les venins des ser- 
pents et des scorpions offrent un terrain encore neuf et peu 
étudié. 

A côté de cet intérêt purement théorique, il y a un intérêt 
pratique, à cause du nombre de personnes succombant chaque 
année à la morsure des serpents venimeux. 

On peut facilement recueillir le venin des serpents venimeux 
et ceux des scorpions, en irritant les animaux et en prenant les 
venins qui coulent de leurs appareils venimeux sur un petit verre 
qu’on leur donneà mordre. On peut après conserver ce venin 
liquide dans un flacon, ou le dessécher et le réduire en poudre. 

Les venins, soit liquides, soit desséchés, se conservent assez 
longtemps, s’ils sont préservés de l'influence de la lumière. Leur 
puissance varie suivant l'espèce de serpent qui les fournit, sui- 
vant son âge et la saison, et, d’après M. Calmette*, suivant l’état 
de jeûne plus ou moins long qu’il a subi. 

L'effet de ces venins sur l'organisme dépend non seulement 


4. À. Cazmerte et A. DeLéarpe, Sur les toxines non microbiennes et le mé- 
canisme de l’immunité par les sérums antitoxiques. Annales de l'Institut Pasteur 
1896, t. VI. 

2. À. CALMETTE, Le venin des serpents — Physiologie de l’envenimation — Trai- 
tement des morsures venimeuses par le sérum des animaux vaccinés. 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311 


de la toxicité et de la quantité du venin, mais aussi de la manière 
dont ils ont été introduits dans l'organisme. 

L'inoculation sous-cutanée, par exemple, ne produit jamais, 
suivant M. Calmette, la mort foudroyante ; si au contraire on 
introduit dans la veine marginale de l'oreille d’un lapin un 
dixième de milligramme de venin de cobra, on le tue instanta- 
nément. Le venin des scorpions est aussi un poison très actif. 

Les venins des serpents et des scorpions diffèrent en ceci des 
toxines microbiennes, de l’abrine, et des diastases toxiques, que 
leur action peut être immédiate. Il est bien connu que si on 
injecte même une quantité très grande de toxine tétanique ou 
diphtéritique, on ne peut pas diminuer au delà d'un certain 
minimum le temps qui s'écoule du moment de l'injection jusqu’à 
la mort, ou jusqu'aux premiers symptômes d'empoisonnement. 
Au contraire, si nous injectons une dose de venin de scorpion 
ou de serpent en quantité suffisante, nous pouvons avoir une 
mort instantanée. 

Les venins des serpents aussi bien que ceux des scorpions 
produisent un double effet, un local, phlogogène, et un autre 
général, toxique. 

Calmette a relevé et décrit les phénomènes qui se produisent 
chez les mordus par les serpents venimeux et les lésions cons- 
tatées à l’autopsie. 

Dans ce travail, j'ai eu pour but d'étudier les lésions anato- 
miques qui se produisent chez les animaux après l'injection 
sous-cutanée (le mode d’inoculation le plus rapproché de la 
morsure) des venins de serpents et de scorpions. Dans mes 
expériences, je me suis servi de ces venins chauffés à 80 degrés, 
et ainsi dépourvus de leur puissance phlogogène. Ces venins pas- 
sent ensuite par un filtre stérilisé, qui sépare les divers corps 
albumineux coagulés par le chauffage. Le filtrat ainsi obtenu 
présente un liquide tout à fait clair, qui ne provoque au point de 
l'inoculation aucun phénomène inflammatoire et reste bien 
toxique. 

J'ai opéré avec les venins que M. Metchnikoff a bien voulu 
me remettre, et j’ai aussi utilisé les animaux morts à la suite de 
l’envenimation dans les expériences de M. Metchnikoff, et que 
ce savant a bien voulu me céder. 

Les venins des scorpions proviennent des grands scorpions 


372 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


jaunâtres qui vivent dans le midi de la France, et les venins des 
serpents forment un mélange de sécrétions de diverses espèces 
de ces reptiles des pays chauds. 

J’ai fait mes expériences sur les souris, les cobayes, les lapins 
et surles chiens. Ces animaux sont tués par diverses doses de 
telle facon que quelques-uns d’entre eux meurent peu de minutes 
aprèsl'injection, d’autres quelques heures — voire même plusieurs 
jours après. 

L'’autopsie a toujours été faite peu de temps après la mort : 
des morceaux de foie, de rate, des poumons et du cœur étaient 
plongés dans le liquide de Fleming, dans le sublimé et dans la 
formaline, montés ensuite dans la paraffine, et les coupes 
obtenues étaient colorées par l’hématoxyline, l’éosine, et diverses 
couleurs d’aniline, surtout par la safranine et la thionine. 

Le cerveau et la moelle épinière étaient durcis dans le 
liquide de Müller, dans la formaline et le sublimé. 

Quant aux lésions macroscopiques, je peux noter seulement 
que le parenchyme du foie est en général friable, d’un aspect 
trouble ou jaunâtre, et toujours congestionné. On a trouvé aussi 
les reins congestionnés, succulents et contenant de petiles 
ecchymoses. La rate et le cœur ne présentent aucune lésion 
macroscopique. Dans les poumons, surtout dans les cas où les 
animaux ont survécu un temps plus long après l’inoculation, on 
a trouvé des parties congestionnées, privées d'air et friables; ces 
parlies se surélevaient à la surface des poumons. Le reste des 
poumons est également congestionné, gorgé de sang. Les 
intestins présentent seulement quelquefois une hyperémie assez 
marquée. 

Beaucoup plus distinctes sont les lésions microscopiques, 
dont le siège principal est le foie, les reins et les poumons. 

Dans le foie, la lésion qui frappe le plusles yeux est la dégé- 
nérescence graisseuse. 

Il faut ici remarquer que dans ces derniers temps’ M. Rosen- 
feld à prétendu que la dégénérescence graisseuse n’existe pas, 
et que ce que nous appelons de ce nom, c’est-à-dire la transfor- 
mation du plasma des cellules en matières grasses, n’est qu’une 
infiltration des organes par les corps gras de l'organisme. Tant 
que ces expériences ne seront pas répétées et confirmées, je 


1. Verhandlungen des XV Congresses fûr innere Medicin. Berlin, 9-12 Juni, 1897. 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 313 


me servirai du vieux terme de dégénérescence graisseuse. 

La dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques, après 
l'injection sous-cutanée des venins de serpents venimeux ou de 
scorpions, se produit déjà chez les animaux qui meurent une 
demi-heure après l’empoisonnement. La fig. 1 (PI. TT représente 
une préparation du foie d’une souris morte 35 minutes après 
l’injection. Le nombre des globules gras dans les cellules est 
beaucoup plus grand que dans le foie normal. 

Si la mort est plus lente, les lésions des cellules hépatiques 
sont plus marquées, et la fig. 2 nous donne une idée exacte de 
leur intensité. Le nombre des globules gras est plus considérable 
que dans le cas précédent. Il y en a dans la plupart des cellules 
hépatiques, et bien qu'ils en remplissent presque complètement 
quelques-unes, on voit néanmoins qu'ils se placent surtout à la 
périphérie, sur le bord des capillaires, qui sont un peu dilatés. 

La stéalose est encore plus manifeste dans la fig. 3. C’est 
une coupe provenant du foie d’un cobaye qui est mort deux 
jours après l’administration des venins. Les parties périphéri- 
ques de toutes les cellules hépatiques sont totalement remplies de 
petites gouttelettes de graisse, et les vaisseaux capillaires sont 
dilatés de telle sorte qu’ils rendent le parenchyme du foie sem- 
blable à un tissu angiomateux. Les globules gras sont petits, 
mais on en trouve aussi de gros, non seulement dans l'inté- 
rieur des cellules hépatiques, mais aussi dans les vaisseaux 
capillaires, où on observe également des globules blanes qui sont 
dans un état plus ou moins avancé de dégénérescence graisseuse. 

C'est surtout chez le chien que la dégénérescence graisseuse 
du foie se produit très vite et atteint un fort développement. 
Déjà chez les animaux qui sont morts quelques heures après 
l'injection des venins, on trouve le parenchyme hépatique 
presque totalement dégénéré et en partie détruit. L'aspect est 
celui de la fig. 4. Les globules gras remplissent complètement 
quelques cellules. Il y en a aussi dans les vaisseaux capillaires 
dilatés. Les cellules épithéliales qui tapissent les canalicules 
biliaires subissent aussi la dégénérescence. 

Mais la dégénérescence graisseuse des cellules hépatiques 
qui se développe sous l’influence du venin de scorpion est 
encore plus grande et atteint un degré plus élevé que celle qui 
se manifeste après les venins des serpents. La fig. 1 (PI. [V) nous 


3714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


montre une coupe du foie d’une souris qui a succombé en 24 
heures à une injection de venin de scorpion. Ici le protoplasma 
cellulaire est constitué presque uniquement par des granulalions 


noires cachant souvent le noyau. Les vaisseaux capillaires sont 


aussi dilatés, mais je n’ai pas trouvé de graisse dans leur intérieur. 

Les lésions subies par le foie des animaux tués par les 
venins de serpent ou de scorpion ne se limitent pas à la dégéné- 
rescence graisseuse. Il se produit dans le protoplasma des cellules 
hépatiques des altérations d’une autre nature. 

Dans les cas où la mort a suivi rapidement l'injection, le 
protoplasma cellulaire est seulement trouble, granuleux, et les 
granulations se colorent très bien dans leur périphérie, mais 
leur intérieur reste incolore. Si au contraire l'animal a survécu 
quelques heures, le protoplasma se condense dans certaines 
parties de la cellule, laissant des vacuoles, dont les limites ne 
sont pas bien déterminées. C’est pour ce motif qu’une partie du 
protoplasma cellulaire est nécrotisée et détruite. Dans ces cas, 
les noyaux ont déjà aussi subi une altération : quoique leurs 
contours soient bien définis, on ne trouve dans leur intérieur 
que très peu de chromatine sous forme de petites granulations, 
et le liquide des noyaux se colore un peu par les couleurs basi- 
ques, parce qu'il contient un peu de chromatine dissoute. 

Quandle protoplasma des cellules hépatiques a subi deslésions 
plus prononcées, les altérations des noyaux sont aussi plus mar- 
quées, la quantité dechromatine nucléolaire diminue et perd len- 
tement sa propriété de prendre les couleurs, au fur età mesure que 
le protoplasma des cellules hépatiques subit une nécrose, etenfin, 
de la cellule hépatique, il ne reste plus qu’une petite quanüté de 
protoplasma granuleux sans noyau. 

La marche successive des altérations ci-dessus décrites peut 
èlre étudiée sur les fig. 5 à 8 (PI. IH). 

La fig. 5 nous représente une cellule hépatique dont le proto- 
plasma est granuleux, dont le noyau ne possède que très peu de 
chromatine et de liquide nucléolaire, et qui se colore aussi un peu 
par l’hématoxyline. 

Dans la fig. 6, le noyau ressemble à celui que nous venons 
de décrire, mais, dans le protoplasma cellulaire, il y a des lé- 
sions plus avancées par suite d’une désorganisation, el à côté 
des noyaux on remarque des vacuoles plus ou moins étendues. 


pc -—— sntntnfit 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS, 379 


Dans la fig. 7, la destruction du protoplasma cellulaire est 
encore plus marquée. On voit seulement dans la périphérie de 
la cellule des restes du corps cellulaire, sous forme de petites 
granulations qui sont disposées principalement à la périphérie, 
et en très pelite quantité autour du noyau qui se colore imper- 
ceplüiblement ; la cellule est ballonnée et augmentée de volume. 

Dans la fig. 8, on n’aperçoit que quelques débris du proto- 
plasma cellulaire sous forme de granulations peu visibles. Le 
noyau se colore si peu qu’à peine on le remarque, les contours 
des cellules sont pourtant bien limités et suffisamment visibles. 
On ne trouve de cellules totalement détruites, c’est-à-dire 
dépouillées de membrane cellulaire, que très rarement. Au fur 
et à mesure que les cellules hépatiques subissent les lésions 
décrites plus haut, elles sont augmentées de volume, mais 
quand les altérations atteignent an degré élevé, leur volume 
diminue. 

Les changements des cellules hépatiques que nous venons 
de signaler ci-dessus nous amènent à parler de la nécrose du 
parenchyme du foie, qui se produit sous l'influence des venins 
des serpents et des scorpions, introduits sous la peau. Cette 
nécrose commence par la transformation du protoplasma en 
pelites granulations, qui se disloquent et disparaissent succes- 
sivement, en laissant des vacuoles vaguement contourées. Il ne 
reste que les membranes cellulaires avec des débris du proto- 
plasma et du noyau cellulaire. 

Chez les animaux morts rapidement après l'injection, à côté 
de la dégénérescence graisseuse déjà décrite, on ne trouvait 
pas d’autres altérations. Chez les animaux qui ont survécu plus 
longtemps, les lésions sont plus marquées. 

D'ordinaire elles ne sont pas uniformes : à côté des parties 
les plus atteintes, il y en a qui sont presque à l’état normal. 

La nécrose du parenchyme du foie est surtout rapide et 
accusée chez les chiens après une dose assez forte de venin. Dans 
ce cas, comme le montre la fig. 8, il ne restait du protoplasma 
que quelques filaments, squelette du corps cellulaire. 

Mais une lésion, qui dans ce dernier cas (chez les chiens) 
surprend encore plus que la nécrose des cellules hépatiques, 
c'est la destruction totale de la structure microscopique du 
parenchyme du foie. On ne peut plus distinguer la disposition 


316 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


des cellules hépatiques en lobules, les trabécules cellulaires du 
foie sont rompues, brisées, et on ne voit plus qu’une agglomé- 
ration confuse de cellules hépatiques qui souvent flottent dans 
le sang extravasé ou dans un liquide contenant de l’albumine. 
Cette désorganisation de la structure du foie, cette désintégration 
de son parenchyme nous apparaît suffisamment dans la fig. 4. 

Dans les lésions décrites ci-dessus, une partie seulement de la 
vacuolisation appartient à la dégénérescence graisseuse; les 
corps gras dissous par l'alcool dans les coupes non trailées par 
le liquide de Fleming n’occupaient que les petites vacuoles ; il y 
en a d’autres dues à la nécrose hépatique, qui ne marche pas de 
pair avec la dégénérescence graisseuse, et souvent dans le cas 
où cette dégénérescence est très grande, les lésions nécrotiques 
sont très peu avancées. Il faut encore remarquer que les 
vacuoles qui résultent de la dégénérescence graisseuse ont des 
contours bien limités et une forme régulière : les vacuoles, dont 
l’origine est la nécrose, sont d’une forme irrégulière et possèdent 
des contours mal limités. 

Chez les animaux qui ont survécu plus longtemps à l'empoi- 
sonnement, se produisent aussi des lésions des voies biliaires. 
La dégénérescence graisseuse des cellules épithéliales de cet 
appareil s’observe surtout chez les chiens. Chez les autres 
animaux, très souvent, je trouvais autour des tubes biliaires une 
infiltration par de petites cellules mononucléaires. Ces cellules 
non seulement entourent ces mêmes tubes, comme on le voit sur 
la fig. 2 (PI. IV), elles pénètrent entre les cellules épithéliales qui 
tapissent les canalicules, et elles parviennent jusqu'à l’intérieur 
des canaux biliaires, où elles se trouvent quelquefois en grand 
nombre. 

Ces cellules sont assez petites, d’une forme ronde, et 
la plus grande partie de leur corps cellulaire est constituée par 
des noyaux très gros, autour desquels on ne voit qu'un cercle 
protoplasmique très mince. Les noyaux sont ronds et ne se 
composent que de chromatine presque seule. Si autour des 
canalicules biliaires, il existe du tissu conjonclif, il s’infiltre par 
ces cellules ; sinon celles-ci s’amassent entre les cellules hépa- 
tiques et les épithéliums des canaux biliaires. 

J'ai déjà dit qu’elles arrivent jusqu'à l’intérieur des canali- 
cules, où on les trouve en grande partie déjà altérées, et souvent 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 311 


on aperçoit seulement leurs noyaux situés dans une masse 
amorphe. 

Quelquefois aussi les cellules épithéliales qui tapissent les 
canalicules biliaires subissent certaines lésions. Elles sont tumé- 
fiées, gonflées et renferment de grandes vacuoles situées dans 
leur partie périphérique externe, c’est-à-dire à leur base. 

Ces vacuoles sont souvent considérables. Les autres cellules 
épithéliales intercalées entre les cellules gunflées sont aussi 
d'une forme allongée; même dans l’intérieur de ces cellules 
comprimées on trouve de petites vacuules. Les noyaux de ces 
épithéliums gonflés ont augmenté de volnme, et ne se colorent 
que très faiblement. 

Il faut encore ajouter que cette infiltration que j'ai signalée 
plus haut existe seulement autour des voies biliaires : on ne la 
rencontre pas autour des vaisseaux sanguins. 

Ainsi les venins des serpents et des scorpions, introduits 
sous la peau des animaux en quantité suffisante, produisent dans 
le foie de grandes lésions, qui se développent très rapidement. 
Ces lésions sont : la dégénérescence graisseuse, parfois très avan- 
cée ; la nécrose qui, si la dose du venin est assez grande, atteint 
et détruit toutes les cellules hépatiques. À côté les vaisseaux 
capillaires se dilatent et compriment les trabécules hépatiques 
qui subissent une déformation plus ou moins prononcée. Enfin, 
il y a des lésions des voies biliaires, par infiltration et pénétra- 
tion des cellules lymphatiques dans l’intérieur des canalicules 
biliaires, amenant la tuméfaction et vacuolisalion des épithé- 
liums qui tapissent ces canaux; dans certains cas, on y trouve 
aussi de la dégénérescence graisseuse. 

Un autre organe fortement atteint est le rein. C’est là 
surtout que nous trouvons une dégénérescence graisseuse des 
épithéliums rénaux ; mais elle n’atteint jamais un degré aussi 
développé que dans le foie, et eile se produit moins vite. Par 
exemple, chez les animaux morts une heure après l’envenima- 
tion, les reins ne présentent encore aucune trace de corps gras, 
et quand la mort ne survient qu'après quelques heures, on 
trouve de toutes petites gouttelettes de graisse dans l'intérieur 
des cellules épithéliales des tubes rénaux, surtout des {ubuli con- 
tortr. 

Dans ces derniers cas, la dégénérescence atteint aussi un 


318 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


plus grand degré, mais elle est localisée surlout dans les 
tubuli contorti, et les petits globules gras occupent toujours la 
partie extérieure des cellules épithéliales, c'est-à-dire la base. La _ 
dégénérescence est toujours dispersée en petits foyers, et autour 
des parties dégénérées, on trouve le parenchyme non altéré, 
comme le montre la fig. 3 (PI. IV). 

Quelquefois on rencontre aussi dans les cellules endothé- 
liales, qui tapissent les capsules de Bowman et les glomérules, 
de petites gouttelettes de graisse. et dans les vaisseaux sanguins 
des leucocytes polynuciéaires qui sont aussi dégénérés. L’endo- 
thélium des vaisseaux sanguins (sauf les glomérules) n’est jamais 
alteint par celte lésion. 

En comparant les fig. 1 et 4 (PL IV) qui représentent le foie 
et le rein d’une souris morte 24 heures après l’envenimation, 
on voit bien la différence qui existe dans les lésions de ces deux 
organes. 

Outre cela nous trouvons dans les reins, surtout quand l’ani- 
mal a survécu longtémps à l'injection, des altérations nécrotiques 
des épithéliums rénaux. Ces lésions, comme la dégénérescence 
graisseuse, se produisent principalement dans les fubuli contorti. 
Le protoplasma des cellules épithéliales qui tapissent ces tubuli, 
comme celui des cellules hépatiques, devient granuleux et subit 
lentement une nécrose complète. Dans les stades où les lésions 
sont encore peu avancées, le protoplasma est seulement granu- 
leux, mais on trouve aussi des parties où les cellules qui tapis- 
sent les {ubuli contorti sont si tuméfiées que la lumière de ces 
tubuli est presque oblitérée. Si les altérations sont plus avancées, 
les cellules sont encore tuméfiées, mais leur protoplasma est 
non seulement granuleux, il est aussi raréfié par vacuolisation 
comme dans les cellules hépatiques. A côté de ces cellules 
tuméfiées, on trouve des cellules épithéliales qui, au contraire, 
sont plus petites que les cellules normales, et dont le proto- 
plasma, quoique granuleux, remplit uniformément la cellule. 
Ces cellules ne sont pas bien limitées : surtout du côté de la 
cavité des tubes, on ne voit pas la membrane cellulaire, et le 
protoplasma changé en petites granulations sort à l'intérieur des 
tubes. 

Enfin la membrane qui enveloppe le protoplasma plus ou 
moins nécrolisé subit aussi une nécrose, et nous ne voyons 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 319 


plus que des couches uniformes formées par toutes ces petites 
granulations qui sout contiguës à la paroi des canalicules. Très 
souvent, les cellules nécrotisées et transformées en pelites gra- 
nulations ne se réunissent pas, mais elles restent comme de 
petits amas de débris du protoplasma cellulaire. 

Quelquefois, les épithéliums plus ou moins nécrotisés, des- 
quamés, des parois, remplissent les tubes et oblitèrent com- 
plètement leur lumière. 

Souvent les tubes ne sont pas remplis par des cellules seule- 
ment, mais aussi par de petites granulations qui souvent 
peuvent se disposer en un réseau granuleux, réparti en mailles 
plus ou moins larges. 

Quelquefois les cellules rénales plus ou moins changées se 
détachent de la membrane des fubuli, s’agglutinent et forment 
des cylindres qui remplissent la lumière des canaux urinaires. 
Souvent ces cylindres sont formés seulement par les débris des 
cellules nécrotisées totalement, et on y trouve aussi quelques 
noyaux à peine colorés, parce que les noyaux subissent aussi 
des lésions : ou ils ne prennent les couleurs que très faiblement, 
ou ils ne se colorent pas du tout. 

Les mêmes oblitérations, mais dans une proportion moindre, 
se retrouvent dans les tubes qui constituent les branches de 
Henle. Pour la plupart, les cellules qui les tapissent ne sont que 
tuméfiées, de telle façon qu'elles oblitèrent complètement la 
lumière de ces tubes. De plus, les parties qui regardent l'inté- 
rieur des tubes se colorent très peu et ont un aspect hyalin. 

Dans les tubes droits et les tubes collecteurs, les épithé- 
liums sont parfois détachés en bloc dans l’intérieur de ces tubes. 
Les cellules en sont pour la plupart altérées, mais on observe rare- 
ment une nécrose. Le plus souvent, elles out changé leur forme 
et sont comme atrophiées. Quelques-uns de ces canaux sont 
oblitérés par des cylindres granuleux et encore par des cylindres 
composés de cellules épithéliales. On trouve aussi dans les 
tubes droits, ainsi que dans l’intérieur des tubuli contorti, ou 
dans les branches de Henle, des globules rouges du sang plus 
ou moins nombreux. 

Les vaisseaux qu'on rencontre dans le parenchyme rénal sont 
toujours très distendus, et quelquefois ils sont rompus, d’où il 
résulte une formation de petits foyers d’hémorragie intersti- 


380 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tielle. Souvent le sang extravasé détruit aussi le parenchyme 
rénal, c’est-à-dire les tubes urinifères. 11 faut encore ajouter que 
ces hémorragies se trouvent quelquefois autour des capsules 
de Bowman. 

Les lésions décrites ci-dessus sont aussi, comme la dégéné- 
rescence graisseuse, disséminées, et, à côté des parties qui 
montrent de grandes lésions, on en trouve qui sont très peu allé- 
rées. Nous trouvonsdeslésions importantes aussi dans les glomé- 
rules. Nous remarquons que l’espace capsulaire des glomérules 
est rempli d'une masse en parlie amorphe, et en partie formée de 
toutes petites fibres. Dans cette masse, on découvre quelques 
globules de sang et des cellules endothéliales détachées des 
capsules de Bowman. L'intérieur des capsules de Bowman est 
presque rempli par cet exsudat : le glomérule est comprimé, à 
peine visible, comme la fig. 4 (PI. IV) le prouve. 

Dans les reins prédominent donc les lésions nécrotiques et 
les exsudations ; la stéatose se produil aussi, mais elle ne se 
développe pas à un degré aussi élevé que dans le foie. 

Dans la rate, je n'ai pas trouvé de lésions macroscopiques 
ni microscopiques; seulement, dans les cas où la dégénéres- 
cence graisseuse du foie et des reins est très avancée, on 
aperçoit dans le parenchyme de la rate une dégénérescence 
graisseuse de ses cellules. 

Les fibres musculaires du cœur ne présentent aucune altéra- 
lion : seulement dans quelques cas je les ai trouvées atteintes 
de dégénérescence graisseuse, mais très peu développée. 

Enfin j'ai constaté des altérations remarquables dans les 
poumons. 

J'ai dit déjà plus haut qu à l’autopsie des animaux morts 
tardivement après l'injection des venins, on trouve des parties 
ne contenant pas d'air, extrêmement congestionnées et plus 
dures qu’à l’état normal. Dans ces parties on distingue au 
moyen du microscope les vaisseaux capillaires très dilatés, rem- 
plis totalement de globules rouges ; les vésicules pulmonaires 
renferment un exsudat composé d’une masse uniforme de gelo- 
bules blancs, rouges, et de cellules endothéliales détachées des 
parois des vésicules. C’est l’inflammation du parenchyme pul- 
monaire. L’intensité de cette inflammation est variable dans 
les différentes parties des poumons. 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 381 


Très souvent les globules blancs, c’est-à-dire les cellules 
lymphatiques polvnucléaires, dominent à un tel point qu'on ne 
peut pas à côté d’elles distinguer les autres éléments, et quand 
le tissu intervésiculaire est aussi infiltré, la pneumonie présente 
plutôt le caractère d’une inflammation purulente. Cà et là on 
trouve les vésicules pulmonaires remplies de globules rouges, et 
on rencontre aussi des extravasats dans le tissu interstitiel. 

Dans les parties du poumon où l’on ne trouve pas de lésions 
inflammatoires, les vaisseaux capillaires sontextrèmement dilatés 
et les vésicules pulmonaires sont devenues très petites. Les 
lésions inflammatoires des poumons ne se manifestent bien que 
chez les animaux qui sont morts au moins quelques dizaines 
d'heures après l’envenimation, mais on les trouve, moins déve- 
loppées il est vrai, dans les sujets qui sont morts beaucoup plus 
tôt après l'injection. 

En résumé, les venins de serpent et de scorpion, intro- 
duits sous la peau des animaux, occasionnent de grandes et 
importantes lésions du foie, des reins et des poumons. Quand la 
survie est un peu longue, le foie peut être presque complètement 
détruit en partie par le processus stéatogène, et en partie par la 
nécrose qui quelquefois est accompagnée d’une vaso-dilatation 
considérable. 

C’est un phénomène d’une importance particulière, au point 
de vue de la pathologie générale. Le foie n’est pas en effet seu- 
lement un organe de sécrétion, il semble aussi destiné à détruire 
et à neutraliser les divers matériaux toxiques qui envahissent 
l'organisme, ceux qui proviennent de l'intestin comme les autres. 

Il est très probable qu'ici l'influence nuisible de certains 
poisons sur la cellule hépatique a sa cause dans le rôle rétentif 
du foie qui, lorsqu'il ne peut ni détruire ni transformer le poison 
absorbé, en subit une altération profonde. 

Il est vrai que, quelquefois, dans les cas où les animaux sont 
morts aussitôt après l'administration de ces venins, les lésions 
du parenchyme hépatique n'étaient pas très avancées, mais il 
est bien possible que dans certaines conditions l’organe sup- 
prime ses fonctions avant qu’on ait pu observer ses altérations 
anatomiques, parce que celles-ci ont toujours besoin d’un cer- 
tain temps pour se développer. 

Les venins de serpent et de scorpion provoquent en général 


382 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dans les autres organes des lésions quelquefois graves, mais ces 
lésions sont toujours moins accentuées que les altérations du 
foie, et elles ne sont pas constantes. Les altérations du foie 
sont les seules qu’on puisse considérer comme spécifiques de 
l’'envenimation". 

Sous ce rapport, les venins de serpents venimeux et de scor- 
pions ressemblent à certains poisons, d’origine microbienne, et 
ce qui nous frappe avant lout, c’est la ressemblance de leurs 
ellets avec ceux qui suivent la fièvre jaune. Cette ressemblance 
est très nette, et elle ne se limite pas aux lésions du foie seu- 
lement, car nous trouvons aussi, dans les autres organes, des 
altérations semblables. 

Sanarelli avait déjà remarqué, dans son travail sur la fièvre 
jauné, que les phénomènes qui résultent de l’'empoisonnement 
par les venins de certains serpents venimeux ressemblent à des 
phénomènes de la fièvre jaune *. 

Ces altérations, qu’il a trouvées chez les morts à la suite 
de la fièvre jaune, ainsi que celles qui sont provoquées dans les 
animaux tués par les microbes spécifiques de cette maladie ou 
par ses toxines, sont lrès rapprochées de celles que j'ai obtenues 
au moyen des venins de serpents et de scorpion. Sanarelli a 
trouvé des lésions des plus graves dans le foie, dégénérescence 
graisseuse, vaso-dilatation, infiltration leucocytaire autour des 
vaisseaux sanguins. La dilatation capillaire atteint souvent un 
tel degré, qu’elle produit une dislocation plus ou moins accentuée 
de la travée hépatique. À côté des altérations graisseuses, il a 
trouvé aussi des lésions nécrotiques pareilles à celles que j'ai 
rencontrées dans le foie des animaux sur lesquels j’ai opéré dans 
ce travail. 

M. Sanarelli, ainsi que moi, avons trouvé dans les reins des 
altérations propres à des maladies infectieuses, c’est-à-dire des 
altérations qui se présentent comme une népbhrite aiguë paren- 
chymateuse ou hémorragique. Le parenchyme de la rate ren- 
ferme quelquefois de petites gouttelettes de graisse. 

Dans mes expériences je n’ai pu découvrir des lésions du tube 
digestif aussi caractéristiques que celles de l'infection amarile ; 


1. Les altérations du système nerveux feront l'objet d'un travail prochain. 
2. J. SANARELLI, Etiologie et Pathogénie de la fièvre jaune. — Second mémoire. 
Annales de l'Institut Pasteur. 'T. XI, n° 9. F. 695. 


VENINS DES SERPENTS ET DES SCORPIONS. 383 


j'ai trouvé, en revanche, des altéralions inilammatoires dans les 
poumons, qui n'existent que rarement dans la fièvre Jaune. 

Mais, sauf ces deux points, les ressemblances sont très 
grandes et je pourrais, pour résumer certaines parties de mon 
travail, me contenter de copier certains passages du mémoire 
de M. Sanarelli sur la fièvre jaune. 


C'est un devoir extrêmement agréable pour moi d'exprimer 
ma sincère et profonde reconnaissance à M. Metchnikoff pour 
m'avoir reçu dans son laboratoire, pour les matériaux d'étude 
qu’il m'a cédés, et enfin pour le vif et bienveillant intérêt qu'il a 
montré à mon travail. 


EXPLICATION DES PLANCHES 


PI. II. — Fig. 1. — Coupe provenant du foie d'une souris qui est morte 
35 minutes après l'injection du venin des serpents. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Zeiss. Apochrom. lmmers, 3 mm. 
Comp. Oc. 6. 

Fig. 2. — Foie d'une souris morte deux heures après l'injection du venin 
des serpents. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4. 

Fig. 3. — Foie d’un cobaye qui a succombé à une injection du venin 
des serpents, deux jours après. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 4. 

Fig, 4. — Foie d'un chien mort en à heures après l'injection du venin 
des serpents. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6. 

PI, IV. — Fig. 1. — Foie d'une souris morte 24 heures après l'injection 
du venin des scorpions. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Id, Oc, 4. 


384 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


PI. III. — Fig..5, 6, 7, 8. — Cellules hépatiques à divers stades de 
nécrose. 

Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 12. 

PI IV. —- Fig. 2. — Infiltration leucocytaire autour d'un canalicule biliaire 
et pénétration des leucocytes dans l’intérieur de ce canalicule. 

Foie d'un lapin tué par les venins des serpents. 

Fixation dans le sublimé. Id. Oc. 4. 

Fig. 3. — Coupe du rein d’une souris morte 24 heures après l'injection 
du venin des scorpions. 

Fixation dans le liquide de Fleming. Id. Oc. 6. 

Fig. 4. — La même préparation. Glomérule rénal comprimé par l’exsu- 
dat: les épithéliums des canaux urinifères qui l'entourent se trouvent à 
diverses stades de nécrose. Id. Oc. 4. 


- 


RECRERCHES SUR LA PRODUCTION BICCRIMIQUE DU SORBOSE 


Par M. GABRIEL BERTRAND 


Le sorbose est une substance sucrée, de formule C‘H"0", 
qui a été découverte par Pelouze en 1852". 

Ce savant avait abandonné à lui-même, dans des terrines, du 
jus de baies de sorbier avec l'espérance de voir l’acide malique 
qu'il renferme se transformer à l’air en acide succinique. Mal- 
gré une attente de treize à quatorze mois, son espérance fut 
déçue: mais il put extraire, par contre, une certaine quantité 
d’un sucre nouveau, parfaitement cristallisé, auquel il donna le 
nom de sorbine. C’est ce sucre qu’on appelle aujourd’hui sorbose 
en raison de sa parenté avec le glucose, le lévulose, et les autres 
substances du même groupe. 

Depuis cette époque, bien des chimistes ont essayé de repro- 
duire l’expérience de Pelouze ; mais, comme on peut s’en rendre 
compte en examinant les recherches qui ont été publiées sur ce 
sujet, quelques-uns seulement ont été assez heureux pour voir, 
par hasard, leurs nombreuses tentalives couronnées de suc- 
cès. Aussi la préparation régulière du sorbose a-t-elle fini par 
devenir une véritable énigme. 

Byschl*, dans une étude sur la composition des baies de sor- 
hier, a admis l’existence du sorbose dans ces fruits, à côté d’un 
autre sucre, réducteur et fermentescible; cependant, il n’a pu le 
faire cristalliser. 

Delffs”, au contraire, a prétendu que le sorbose ne préexiste 
pas dans le jus des sorbes, mais qu'il y prend naissance par 
suite d’une transformation spéciale de lacide malique. Il 
explique ainsi les insuccès qu'il a éprouvés en voulant extraire 
du sorbose de jus qu’il avait d’abord précipité par l’acétate de 

1. Sur une nouvelle matière sucrée extraite des baies de Sorbier. Ann. Chim. 
rs 3e série, t. #5, p. 222-235 (1852) et Compt. rend. Ac. d. Sc., &. 34, p. 377-386 


2, Archivd. Pharm., 2° série, t. 78, p. 488. 
3. On sorbit. Chemical News, t. 24, p.75 (1871). 


386 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


plomb, et, d'autre part, la disparition de l’acide malique dans 
un jus qui lui avait fourni spontanément du sorbose. On verra, 
par la suite, que cette conclusion de Delffs est erronée, qu’elle 
doit reposer sur des coïncidences. 

Le sorbose avait été décrit par Pelouze comme un sucre 
infermentescible. En s'appuyant sur cette observation, Boussin- 
gault' a attribué le pouvoir réducteur du vin de sorbes à la pré- 
sence du sorbose. Il a cherché à faire cristalliser ce sucre, mais, 
à la place, il a obtenu un corps voisin de la mannite, par consé- 
quent non réducteur, et de formule C'H"0°, qu'il a étudié sous le 
nom de sorbite. Quant au corps réducteur, objet primitif de sa 
recherche, il a seulement constaté qu'il reste dans l’eau-mère de 
la sorbite, sans établir s’il est identique ou différent du sorbose. 

Les observations publiées par Vincent* n’ont pas, non plus, 
permis d’élucider la question. Ce savant ayant réussi, une pre- 
mière fois, à oblenir du sorbose, en suivant les indications de 
Pelouze, voulut s’en procurer une plus grande quantité, et entre- 
prit pour cela une nouvelle préparation. Tout se passa, en appa- 
rence, comme dans la précédente, mais, au lieu de sorbose, ce 
fut de la sorbite qui cristallisa. 

Freund*, dans ces dernières années, a serré davantage les cir- 
constances de la préparation du sorbose. Des nombreux essais 
qu'il a entrepris sur les fruits de Sorbus aucuparia, il résulte que 
le jus de ces fruits recueillis en automne, c’est-à-dire tout à fait 
mürs, peut donner du sorbose quand on l’abandonne longtemps 
à lui-même après l'avoir étendu d’eau, de manière à diminuer 
son poids spécifique jusqu’au voisinage de 1,09. Il a reconnu, en 
outre, que le sorbose pouvait cristalliser des jus dont on avait 
séparé d’abord l'acide malique, et que la sorbite disparaissait peu 
à peu de ces jus. D'où sa supposition que le sorbose apparaît 
aux dépens de la sorbite sous l'influence des moisissures (Schim- 
melpilze). 

En réalité, aucune solution définitive ne se dégage de toutes 
ces recherches. Il reste bien établi, par Freund, que le sorbose ne 
4. Sur la sorbite, matière sucrée analogue à la mannite, trouvée dans le jus du 
Sorbier des oiseleurs. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 24, p. 939-942 (1872). 
00 Note sur la sorbine et sur la sorbite. Bull. Soc. chim., t. 34, p. 218-219 


3. Zur Kenntniss des Vogelbeersaftes und der Bildung der Sorbose. Monatshefte 
für Chemie, t. 11, p. 560-578 (1890). 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE 387 


dérive pas de l'acide malique, mais la question de la préexistence 
du sorbose dans le jus n’est même pas complètement éclaircie. 

Nous avons vu, par les observations de Byschl et de Boussin- 
gaull, qu'il y à dans le jus de sorbes un corps réducteur et infer- 
mentescible. Or, on ne peut décider, par de simples essais de 
cristallisation, si ce corps réducteur est ou n’est pas du sorbose. 
Tous ceux qui ont eu l’occasion d'étudier les sucres savent 
que ces corps restent opiniätrément dissous en présence de 
minimes quantités de substances étrangères. Le fait que le sor- 
bose cristallise quand la sorbite (Freund) ou l'acide malique 
(Delffs) ont disparu par l’action des moisissures, ne prouve donc 
pas que le sorbose était absent du jus au commencement de 
l'expérience ; 1l n’établit pas non plus, par conséquent, que le 
sorbose est bien un produit d’oxydation de la sorbite. 

Ces objections ne sont pas les seules qui se présentent à 
l'esprit au sujet des recherches énumérées plus haut. Est-il sûr, 
par exemple, que Pelouze et ceux qui ont voulu répéter son 
expérience aient toujours opéré avec des fruits de la même 
espèce? Les baïesde Sorbusaucuparia, L., S.latifolia Pers.,S. inter- 
media Pers., se ressemblent tant! Enfin, à supposer que le sor- 
bose se forme vraiment aux dépens de la sorbite, il reste à véri- 
lier si ce sont bien les moisissures qui interviennent, à déterminer 
quelles sont ces moisissures et dans quelles conditions elles 
opèrent. 

Ce sont là les diverses questions que je me suis proposé 
de résoudre dans le présent mémoire. 


RECHERCHE DU SORBOSE DANS LE JUS DE SORBES 


J'ai dit plus haut que les essais de cristallisation ne suffisent 
pas pour établir d’une manière certaine l'absence du sorbose 
dans le jus de sorbes. C’est pourquoi j'ai eu recours à l'emploi 
beaucoup plus précis et plus sensible de la phénylhydrazine. 

Quand on chauffe du sorbose, en solution à 1 0/0 par 
exemple, avec deux fois son poids de phénylhydrazine dissoute 
dans l'acide acétique, on observe la formation d’un précipité 
microcristallin de couleur jaune, qui augmente beaucoup par 
refroidissement. Ce précipité, purifié par recristallisation dans 
l'alcool méthylique dilué et lavage à l’éther, fond à 159-160° 


388 | ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(au bloc Maquenne). C’est de la phénylsorbosazone, ou plus 
simplement de la sorbosazone, dont on peut se servir, dans les 
conditions précédentes, pour caractériser le sorbose. 

Ceci posé, et après avoir vérifié que le sorbose est infer-° 
mentescible, j'ai essayé de produire la sorbosazone avec le jus 
de sorbes débarrassé des autres sucres réducteurs par la fer- 
mentation. 

Du jus, provenant de fruits de Sorbus aucuparia L., récoltés 
le 8 août 1892, fut stérilisé, additionné de 1 0/0 de levure de 
bière, et placé dans l’étuve. La fermentation, très vive au début, 
sembla complètement terminée le quatrième jour. Après une 
semaine, le pouvoir réducteur fut déterminé avec la liqueur de 
Fehling; il ne correspondait plus qu'à 10 gr. 5 de glucose par 
litre, au lieu de 44 gr. 1, trouvé avant la fermentation. 

Un quart de litre de ce jus fermenté et filtré fut chauffé une 
heure au bain-marie, avec 5 grammes de phénylhydrazine et 
5 grammes d'acide acétique cristallisable. Aucun précipité d'osa- 
zone ne se produisit, ni pendant le chauffage, ni par refroidis- 
sement. Le corps réducteur infermentescible du jus de sorbes 
n’était donc pas du sorbose. Selon toutes vraisemblances, il 
diffère même tout à fait des sucres, et se rapproche du groupe 
des tannins. 

La même expérience a été répétée plusieurs fois, avec du 
jus provenant des baies de Sorbus aucuparia, Linné, de Sorbus 
intermedia, Persoon, et de Sorbus latifolia, Persoon, les premières 
ayant été récoltées à divers états de maturation et dans cinq 
localités différentes. Comme cette expérience a toujours donné 
le même résultat négatif, il faut admettre définitivement que 
le sorbose n’est pas un principe immédiat des fruits de sorbier, 
mais qu'il doit prendre naissance dans le jus exposé au contact 
de l'air. Aussi ai-je étudié avec soin ce qui peut arriver dans 
cette circonstance. 


FERMENTATIONS SPONTANÉES DU JUS DE SORBES 


Quand on abandonne à lui-même du jus de sorbes, il ne 
tarde pas à subir la fermentation alcoolique. En quelques jours, 
tous les sucres fermentescibles ont disparu, faisant place à une 
quantité correspondante d'alcool. 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 389 


Lorsque cette fermentation est terminée, la fleur de vin 
(Saccharomyces mycoderma, Rees)' envahit la surface du liquide ; 
elle s’y développe en une pellicule d’un blane mat, mince et 
fragile, unie au début, puis fortement plissée. Ce n’est pas elle 
qui produit le sorbose, Comme l’a montré Pasteur, elle fait dis- 
paraître l'alcool à l’état d’eau et de gaz carbonique, mais elle 
peut aussi s'attaquer aux autres ne et les détruire d’une 
manière analogue ? 

Pour donner un ne à cette dernière assertion, je citerai 
l'expérience suivante : un demi-litre de jus de sorbes fermenté 
fut additionné d’un demi-volume d’eau, et placé à l’étuve à + 30° 
dans une cuvette ronde de 21 cent. de diamètre. La fleur du 
vin, ensemencée sur le liquide, s’y développa très rapidement. 
Après 10 jours les cellules furent séparées par filtration, et le 
liquide, ramené à son volume primitif, fut analysé. On trouva : 


Avant la culture Apres la culture 
Matières dissoutes ............. 18,70 070 14,05 0/0 
Pouvoir réducteur (en glucose). 1,05 » 0,40 » 


23 gr. 25 de substances solubles, autres que l'alcool, avaient 
done été consumées par la fleur du vin. 

A ce microorganisme, des moisissures diverses, et surtout 
Penicillium glaucum Link, succèdent le plus souvent. Elles se 
comportent de la même manière, c'est-à-dire qu'elles épuisent 
le jus des substances dissoutes, mais, pas plus que la fleur du 
vin, elles ne donnent de sorbose. 

Enfin, dans quelques cas, de petites mouches rougeûtres, 
attirées par l'odeur du liquide, viennent et déposent leurs œufs 
sur ses bords. La pellicule superficielle change alors complète- 
ment d'aspect ; elle devient d'abord, par places, gélatineuse et 
consistante ; de nombreuses larves y fourmillent, qui émergent 
ensuite, montent le long des parois et s’y transforment en 
insectes parfaits. Ceux-ci pondent à leur tour et, si la saison 
n’est pas trop avancée, de nombreuses générations de la petite 
mouche se succèdent ainsi. Les larves utilisent la membrane 


4. Syn : Mycoderma cerevisiæ et Mycoderma vini, Desmazières. 

” M Mahot (Sur la transformation de la sorbite en sorbose par le Saccharo 
myces mycoderma, Comptes rendus Ac. d. Sc. t. 125. p. 874, 1897) a prétendu que 
la fleur du vin était capable de transformer la sorbite en sorbose. J'ai réfuté 
cette assertion, basée sur des cultures incomplètement purifiées (Action de la 
fleur du vin sur la sorbite; Compt. rend. Ac. Sc., t. 126, p. 653, 1898). 


390 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


gélatineuse comme substratum, mais leur présence n’a, comme 
on le verra plus loin, qu'un rapport très indirect avec la 
production du sorbose; elles disparaissent aux premiers froids 
et la membrane continue seule son développement. Comme cette 
membrane n’adhère presque pas aux parois du récipient, il arrive 
parfois, à la suite d’un choc ou quand elle devient trop épaisse, 
que son poids l’entraîne au fond du liquide; peu de jours 
suffisent pour qu'il en reparaisse une nouvelle. 

Enfin, après un temps qui varie, suivant l'épaisseur du 
liquide, de quelques semaines à plusieurs mois, la dernière 
membrane perd sa translucidité; elle se dessèche et prend une 
coloration verdàtre. Toutes Les transformations successives sont 
alors terminées ; la liqueur sous-jacente réduit énergiquement 
le réactif cupro-potassique et renferme une forte proportion de 
sorbose. 

Si l’on veut comprendre maintenant ce qui s’est passé, il faut 
examiner de près la membrane gélatineuse, et, pour cela, le 
moment le plus favorable est celui où elle vient de se reformer. 


LA BACTÉRIE DU SORBOSE 


A ce moment, en effet, la membrane n’est pas trop souillée: 
elle n’est pas non plus trop consistante et, avec un fil ou un cro- 
chet de platine, on peut en détacher quelques minces fragments 
qu'on colore avec du violet de méthyle ou de la fuchsine,et qu’on 
examine au microscope. On observe alors de très nombreux 
bâtonnets immobiles, de 2 à 3 y de longueur sur un demi y en- 
viron d'épaisseur (fig. 1). Ces bätonnets, facilement colorables par 
les couleurs d’aniline, sont réunis les uns aux autres par une sub- 
stance gélatineuse, dont l’affinité pour les matières colorantes 
est beaucoup plus faible . Au milieu d'eux, on aperçoit généra- 
lement, çà et là, des cellules ovoïdes, d'assez grandes dimen- 
sions, se reproduisant par bourgeonnement, et qu’il est facile de 
reconnaître comme des cellules de fleur du vin. Quelquefois aussi, 
surtout si la membrane est un peu ancienne, on rencontre quei- 

: 


ques filaments mycéliens. D’après ce que j'ai dit plus haut, ces 


4. Dans les cultures anciennes et épuisées, on ne voit plus que des granula- 
tions sphériques, ayant à peu près un demi p de diamètre ; elles représentent peut- 
être des spores (fig. 2). 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 391 


cellules de saccharomyceset ces filaments mycéliens sont des impu- 
retés de la membrane gélatineuse, et leur présence n’a rien à 
faire avec la production du sorbose. Les bätonnets seuls jouent 


Fig. 4. — Bactérie jeune. 


un rôle efficace. On peut s’en assurer, d'ailleurs, en cultivant le 
microbe à l’état pur sur du jus de sorbier. 

Pour cela, on stérilise un peu de ce jus fermenté, non par 
chauffage, mais par filtration à travers une bougie de porcelaine, 
et l’on répartit le jus filtré dans une série de matras coniques. 


Fig. 2. — Bactérie vieille. 


On ensemence en portant dans le liquide l'extrémité d’un fil de 
platine avec lequel on a touché la membrane gélatineuse en un 


392 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


point d'apparence homogène, et l’on place les matras dans une 
étuve chauffée à la température de + 29-30°. Quelques matras 
restent stériles, d’autres donnent de la fleur du vin ou même des 
moisissures, mais la plupart fournissent, après quelques jours, une 
belle culture de la bactérie. Dans ce dernier cas, ilse forme dans 
l'épaisseur du liquide de petites zooglées gélatineuses, d’abord 
peu visibles, qui gagnent la surface et s'y développent en taches 
blanchâtres, translucides, se réunissant bientôt en une seule 
membrane unique, semblable à celle qui a servi de point de départ. 
Comme les microbes capables de végéter dans un milieu aussi 
acide que le jus de sorbier sont très rares, on arrive très vite, 
par des ensemencements successifs, à posséder la bactérie 
pure. 
C'est alors qu’on peut constater avec certitude son rôle 
producteur du sorbose. Chaque fois, en effet, qu'on cultive cette 
bactérie sur le jus de sorbes, on voit apparaître dans celui-ci 
un sucre réducteur, aisément cristallisable, et possédant tous 
les caractères du sorbose. 

Cela ne va pas cependant sans quelques précautions, dont 
l’une est relative à la stérilisation du jus, et l’autre à son mode 
d’ensemencement. 

Quand on chauffe du jus de sorbes à + 100° et surtout à une 
température supérieure, il devient peu à peu antiseptique pour 
la bactérie; la semence qu’on y porte doit subir une sorte d’ac- 
climatation avant de se développer, et il faut attendre quelquefois 
plus d’un mois avant de voir apparaître une zooglée bien 
distincte. 

La cause de cette transformation du jus me paraît tenir à la 
présence, dans celui-ci, d’une substance primitivementsans action, 
mais qui se dédoublerait par le chauffage en présence de l'eau 
et surtout de l’eau acide, en donnant un corps antiseptique. La 
substance dédoublable peut être enlevée au jus par agitation 
avec de l’éther, mais très difficilement. Aussi le mieux est-il, si 
on tient à employer la stérilisation par le chauffage, de diluer le 
jus ‘avec de l’eau ( de 1/2 à 2 volumes). On diminue ainsi, d’une 
manière indirecte, la proportion de substance antiseptique, et la 
bactérie n’éprouve plus que peu de retard dans son développe- 
ment. On à soin, d’ailleurs, de ne chauffer qu'un temps très 
court à 100-105°, tout au plus. 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 393 


Eafin, malgré ces précautions, il faut encore ensemencer le 
jus d'une certaine manière, si l’on veut réussir à tout coup. La 
bactérie du sorbose est très fragile et ne se conserve pas long- 
temps dans les milieux qu’elle a épuisés. En outre, la zooglée 
qu'elle forme, quand elle croît au voisinage de la température 
optimale, devient rapidement si consistante qu'il est difficile 
d'en détacher des germes à coup sür avec le fil de platine. On 
aura donc soin, pour les ensemencements, de conserver toujours 
quelques cultures à la température ordinaire, cultures qu’on 
rajeunira chaque fois qu'elles tendront à passer de l’état gélati- 
neux clair à celui de membrane consistante. 


MODE D'ACTION DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE 


Après avoir vérilié, soit par l’action directe des réactifs sur le 
liquide de culture, soit par l'extraction du sucre à l’état cristal- 
lisé, que le sorbose apparaît dans le jus de sorbes sous l'influence 
de la bactérie isolée plus haut, il reste à déterminer aux dépens 
de quelle substance et par quel processus chimique cette bactérie 
arrive à produire le sorbose. 

Delffs, on l’a vu au commencement de ce mémoire, croyait 
que le sorbose dérive de l'acide malique. Cette supposition a été 
reconnue inexacte par Freund qui, s'appuyant sur des faits mieux 
observés et des analogies plus frappantes, pensait, au contraire, 
que le sorbose est produit par des moisissures aux dépens de la 
sorbite. J'ai déjà dit quelles objections on pouvait faire aux 
expériences de Freund. Comme, en outre, les relations chimiques 
qui existent entre la sorbite et le sorbose ne suffisent pas à 
prouver que la seconde substance dérive de la première, j'ai 
cultivé la bactérie productrice de sorbose non seulement sur 
du jus de sorbes, qui contient des quantités considérables de 
substances diverses, mais encore sur des solutions artificielles, 
additionnées successivement de chacune des substances dont il 
m'a paru utile de faire l'étude. 

J'ai pu me convaincre ainsi, sans qu'il subsiste de doute, 
que la sorbite est bien la substance qui, dans le jus de sorbes, 
est transformée en sorbose. Seuls, en effet, les liquides qui 


394 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


renferment de la sorbite donnent du sorbose quand on y cultive la 
bactérie. En même temps, comme cela a lieu d’ailleurs pour le 
jus de sorbes, l’analyse constate la disparition progressive de la 
sorbite au fur et à mesure de l’apparition du sorbose. A la fin, 
quand la transformation est complète, 100 parties de sorbite sont 
remplacées par 80 parties de sorbose. 

Dans une expérience, deux matras contenant chacun 50 c. c. 
d’une décoction de levure additionnée de sorbite furent stéri- 
lisés et placés dans une étuve chauffée à 30°. Après avoir vérifié 
la stérilité de ces matras, on ensemença l’un d'eux avec la bac- 
térie pure (22 décembre). Le lendemain, on apercevait de petites 
zooglées flottantes; elles se rassemblèrent à la surface dès le 
24 el, trois jours après, la membrane superficielle, épaisse de 
2 à 3 millimètres, était déjà blanche et opaque. 

Après trois semaines, le contenu des matras fut analysé et 
les résultats comparés avec ceux obtenus dans des circonstances 
semblables, sur la même décoction de levure non additionnée 
de sorbite. On trouva que toute la sorbite avait disparu, laissant 
80 0/0 de son poids de sorbose. 


Résidu Acidité Sorbose., 
(à 1400 0), (en acide 
acétique). 
Décoction de levure + sorbite (ensemencée)..... 1,890 0,018 1,511 
= — (non ensemencée). 2.080 0,023 0,000 
— seule (ensemencée)..... 0,210 0,018 6,000 


— — (non ensemencée). 0,220 0,023 0,000 


La différence de 20 0/0, entre le poids de la sorbite et celui 
du sorbose, provient non seulement de la perte d'hydrogène qui 
résulte de la transformation d’un corps CSH'‘05 en un corps 
CSH:206, mais surtout de ce que le sorbose est lui-même oxydé 
par la bactérie. Ceci résulte au moins de l’expérience suivante, 
exécutée en même temps et dans les mêmes conditions que la 
précédente, mais avec du sorbose au lieu de sorbite : 


Résidu Acidité Sorbose. 

(à 100 0). (en acide 

acétique). 
Décoction de levure + sorbose (ensemencée).... 1,290 0,036! 0,888 
as — (non ensemencée). 2,210 0,036 1,943 


1. Cette légère augmentation d’acidité (décoction de levure seule — 0,023) 
résulte d’une légère altération du sorbose par la stérilisation. 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 395 


Si on observe maintenant que la bactérie du sorbose ne se 
développe pas dans le vide, on a tous les éléments nécessaires 
pour définir son mode d'action sur le jus de sorbes. 

Gràce à l'absorption de l'oxygène de l'air, elle enlève deux 
atomes d'hydrogène à la sorbite normalement renfermée dans 
le jus, et la transforme en sorbose d'après l'équation suivante : 


2C6H1106 + 02 — 2CSH1206 + 2H°0. 


La bactérie du sorbose est donc, comme le Mycoderma aceti, 
une bactérie oxydante, capable de vivre en milieu acide. En 
étudiant son origine, on verra se justifier encore mieux cette 
comparaison. 


ORIGINE DE LA BACTÉRIE DU SORBOSE 


En décrivant les fermentations spontanées du jus de sorbes, 
j'ai insisté sur la présence, dans les cas où il se forme du sor- 
bose, d’une petite mouche rougeûtre à la surface du jus. C'est 
qu’en effet, cette petite mouche, ou mouche du vinaigre (Droso- 
phila cellaris, Macquart) est l'agent convoyeur de la bactérie du 
sorbose; c’est elle qui apporte la bactérie dans le jus. Voici, à 
ce sujet, une observation bien significative : 

Ayant placé dans une étuve, vers la fin du mois d'avril, un 
cristallisoir contenant un liquide favorable (vin et vinaigre), 
j'y aperçus, après quelques jours, une culture d'aspect caracté- 
ristique, développée en ligne sinueuse à la surface. Une petite 
mouche du vinaigre, venue peut-être de fort loin, était tombée 
dans le liquide; après bien des efforts et du chemin parcouru à 
la nage, elle avait fini par mourir; je la retrouvait à l'une des 
extrémités de la ligne sinueuse, au milieu d’une sorte d’auréole 
beaucoup plus large, témoignant de ses dernières luttes contre 
la mort. Il est manifeste que cette petite mouche, née au sein 
d’une culture antérieure, avait le corps recouvert de germes: 
partout, sur son sillage, elle en avait ensemencé le liquide. 

La bactérie du sorbose se rencontre d’ailleurs assez souvent 
dans le vinaigre; on peut alors la faire développer en abandon- 
nant ce liquide pendant quelques jours dans un endroit tiède 


396 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(20° à 30°), après l'avoir mélangé avec son volume de vin 
rouge et 2 d’eau. Aussi ai-je déjà exprimé l'opinion ‘ que la 
bactérie du sorbose devait être identique au Bacterium xylinum 
de Brown, ou tout au moins fort voisine de ce microbe. Bientôt, 
les recherches que je poursuis sur la bactérie du sorbose étant 
plus avancées, j'espère élucider définitivement cette question. 

IL est à remarquer ici qu’en raison des endroits où elle vit 
d'habitude, la petite mouche du vinaigre ne doit pas convoyer 
que la bactérie du sorbose 

Très souvent, comme l'a si dit M. Duclaux dans sa Chimie 
biologique. elle doit apporter avec elle le Mycoderma aceti, 
ferment ordinaire du vinaigre. Mais, j'en ai fait plus d’une fois 
l'expérience, ce mycoderme périt très rapidement sur le jus de 
sorbes; il s'ensuit que la bactérie gélatineuse se développe 
seule. 

Si on place un fragment de voile de ferment acétique à la 
surface du jus de sorbes, on voit, en quelques minutes, le frag- 
ment se dissocier, recouvrir une surface de plus en plus grande 
et finir par disparaître. On est ainsi conduit à une explication 
très simple du cas, déjà signalé, où la présence de la petite 
mouche sur le jus de sorbes n’a pas été suivie d’une production 
de sorbose : la petite mouche n'avait probablement apporté que 
du Mycoderma aceti*. 


PRÉPARATION DU SORBOSE 


Voici maintenant comment on peut, d’après toutes ces obser- 
vations, préparer régulièrement le sorbose : 

On commence par se procurer le ferment spécifique en aban- 
donnant à l'air, en plusieurs endroits, soit le mélange de vin et 
de vinaigre indiqué plus haut, soit du jus de sorbes débarrassé 
de sucre par fermentation. Quand le microbe se développe à la 
surface de ces liquides, apporté par la mouche ou autrement, 
on le reconnaît à ses colonies gélatineuses, plus épaisses et plus 


1. Préparation biochimique du sorbose (Bull. Soc. Chim., 3° série, t. 15, 
627-630, 1896). 

2. Cette explication est purement hypothétique, et l’on pourrait tout aussi 
bien admr-ltre que, dans le cas en question, la bactérie du sorbose ayant été 
ensemencée, il y avait tant de moisissures, que celles-ci faisaient disparaitre le 
sorbose au fur et à mesure de sa formation. 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE. 397 


opaques dans leur partie centrale, qui fait légèrement saillie au- 
dessus du liquide. Ces colonies, assez semblables au début à des 
gouttes de suif, deviennent bien vite confluentes et forment alors 
une membrane si épaisse qu'on peut l'enlever d’une seule pièce. 
Sans attendre un tel développement, on procède à la purifica- 
tion du mierobe par des ensemencements successifs sur du jus 
de sorbes. On peut aussi employer, pour ce dernier usage, le 
mélange de vin, d’eau et de vinaigre, mais on n'a pas alors la 
certitude de séparer le Mycoderma aceti, pour lequel ce mélange 
est un milieu de culture très favorable”, 

Une fois en possession du ferment, on l'ensemence sur un 
liquide nutritif contenant de la sorbite. Et. pour cela, on peut 
prendre soit un milieu artificiel, soit un suc de fruit. 

Comme milieu artificiel, je me suis servi d’abord d’une solu- 
tion de peptone à 1 0/0, minéralisée de la manière suivante : 


Phosphate monopotassique ............. 0,100 

— de sodium cristallisé ......... 0,100 ; 
Chlorure de calcium fondu ............. 0,100 LRROEANUEE 
Sulfate de magnésium cristallisé ........ 0,060 


Mais ayant remarqué, depuis, que toutes les peptones com- 
merciales ne convenaient pas au développement de la bactérie, 
je recommande de préférence une décoction de levure, renfer- 
mant environ 5 grammes de matières dissoutes par litre. On y 
ajoute quelques centièmes de sorbite. J'ai essayé avec succès 
jusqu’à 5 0/0. 

Parmi les jus de fruits, c’est assurément — pour cause de 
tradition — celui de sorbes qu’on emploiera le plus souvent ; 
mais on peut aussi en employer d’autres. Non seulement je me 
suis servi du jus des trois espèces de sorbes déjà mentionnées, 
mais j'ai obtenu aussi de bons résultats avec du jus de cerises 
et, une fois, avec du jus de pommes. Il est du reste probable qu'on 
pourrait utiliser dans le mème but tous les autres fruits de 
pomacées et d'amygdalacées qui, d’après les recherches de 
MM. Vincent et Delachanal, doivent contenir de la sorbite *. Je 
dois dire cependant que le jus de sorbes justifie dans une cer- 


4. Je crois d’ailleurs que cela est sans importance quand il s’agit seulement de 
la préparation du sorbose. 
2. Comptes rendus Ac. d. Sc., t. 108, p. 354, 1889, 


398 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


taine mesure Ja préférence qu’on est tenté de lui accorder : ilest 
très riche en sorbite et l’on peut, à bon compte, s’en procurer 
de grandes quantités. En revanche, c’est, m'a-t-1l semblé, le jus 
qui convient le moins au développement de la bactérie du 
sorbose. Quand les sorbes ont été recueillies dans un état de 
maturation très avancée, le jus qu'on en tire est si concentré 
qu'il faut prendre la précaution de l’étendre d'eau, par crainte de 
détruire la bactérie par plasmolyse ‘. Et, dans tous les cas, il 
faut se rappeler ce que j'ai déjà dit, relativement au pouvoir 
bactéricide que ce jus acquiert sous l'influence de la chaleur. 
Une bonne concentration est celle qui correspond à la densité 
1,05 à 1,06, et si l’on veut éviter la stérilisation par le filtre, 
assez peu pratique encore pour de grandes quantités, on aura 
soin de porter le liquide seulement quelques minutes à l’ébulli- 
tion. Ce court chauffage suffit en général, à cause de la forte 
acidité du jus de sorbes. 

Une dernière recommandation, applicable à tous les jus de 
fruits, est d'abandonner ceux-ci pendant quelques jours dans un 
endroit tiède, avant de s’en servir pour l’ensemencement de la 
bactérie. Pendant ce repos, la pectine se coagule et les sucres 
fermentescibles disparaissent. On passe alors sur une toile et l’on 
termine la clarification au papier. 

Bref, qu'on emploie un milieu artificiel ou un jus de fruits, 
le liquide est réparti dans des matras à large ouverture, fermés 
par un tampon d'ouate. Il ne doit y former une couche que de 
quelques centimètres d'épaisseur, deux à trois par exemple, si 
l’on veut que la transformation se fasse vite. 

Après stérilisation, on ensemence, puis on maintient les 
matras vers 29° — 30°. 

Le sorbose se formant dès que la bactérie se développe, le 
liquide de culture acquiert rapidement la propriété de réduire le 
réactif de Fehling. On détermine de temps en temps ce pouvoir 
réducteur et, quand il cesse d’augmenter, on met fin à la culture. 
Les zooglées sont séparées passées à la presse, et tout le liquide 
réuni est précipité par le sous-acétate de plomb, à la manière 
ordinaire. 

4. Freund ayant obtenu une première fois du sorbose avec un jus fortuitement 
étendu d’eau, alors que le même jus pur n'avait rien donné, a conseillé d’étendre 


le jus jusqu’à ce que sa densité soit descendue à 1,09: et, de fait, ce procédé 
empirique lui a réussi (/oc. cit.). 


PRODUCTION BIOCHIMIQUE DU SORBOSE, 399 


On filtre, puis on enlève l'excès de plomb par l'acide sulfurique. 
Le liquide limpide et presque incolore qui résulte de ce traite- 
ment est enfin concentré par distillation dans le vide. 

Quand on est parti d'une culture en milieu artificiel, on 
obtient un sirop se prenant en masse cristalline, Quand, au 
contraire, on a utilisé un jus de fruit, il faut reprendre le sirop 
par l’alcool; on ajoute au mélange juste assez d'acide sulfurique 
pour précipiter les substances qui gênent la cristallisation du 
sorbose, puis, après repos suffisant, on décante et on chasse 
l'alcool en distillant dans le vide. Le nouveau sirop cristallise 
alors avec facilité, surtout si on l’amorce avec un peu de sorbose 
antérieurement obtenu. 


CONCLUSIONS 


Le sorbose, sucre découvert par Pelouze sous le nom de 
sorbine, ne préexiste pas dans le jus de sorbes. 

Il apparaît dans celui-ci, par oxydation de la sorbite qu'il 
renferme, sous l'influence d’une bactérie analogue ou identique 
au Bacterium æylinum de Brown. 

En cultivant cette bactérie à l’état pur sur un milieu conve- 
nable, contenant de la sorbite, on obtient avec certitude une 
transformation de la sorbite en sorbose, avec des rendements 
qui peuvent atteindre, dans certains cas, 80 0/0 du rendement 
théorique. 


SUR LA MATURATION DES FROMAGES 


Par M. J. SCHIROKICH 


J'ai essayé de vérifier les conclusions de M. de Freudenreich 
au sujet du rôle joué par les ferments lactiques dans la matura- 
tion des fromages. Aucune de mes cultures pures de ferments 
lactiques ne m'a donné de phénomène se rapprochant du tra- 
vail de la maturation. Il est donc probable que M. de Freuden- 
reich a travaillé avec d’autres espèces que moi. 

J'ai alors fait de nouvelles expériences surles diastases pro- 
duites par les tyrothrir, diastases qui, d’après M. Duelaux, sont 
les agents principaux de la maturation des fromages. 

Pour obtenir ces diastases, je me suis servi de cultures de 
tyrothrix tenuis, filtrées au filtre poreux, après quatre jours d’é- 
tuve à 35°. Ce liquide filtré, ajouté à du lait stérilisé, l’a trans- 
formé comme le fait le bacille lui-même, mais sans aucun phé- 
nomène correspondant à la maturation : la caséine était devenue 
soluble dans l’eau, mais le liquide n’avait pas du tout l’odeur du 
fromage. 

J'ai donc essayé d’une autre méthode. J'ai fait d’abord, dans 
du lait stérilisé, une culture pure du ferment lactique, en y ajou- 
tant de la diastase après que le lait s'était complètement coagulé 
par suite de l'acide lactique produit par les microbes. 

Par litre de culture, j'ai ajouté 50 c.c. de solution de diastase 


en agitant ensuite fortement le ballon. — Ce mélange, à son 
tour, a été gardé dans l’étuve à 35°. — Cette fois-ci, le 


mélange est acide, la diastase n'agit sur la caséine que très fai- 
blement, et après une quinzaine de jours, celle-ci avait l’odeur 
du fromage. | 

Cette expérience a été répétée à plusieurs reprises, et son 
résultat a toujours été le mème, c’est-à-dire que lodeur du fro- 
mage se retrouvait, le caillé était très bon, et le mélange d'acides 
gras volatils qu'on en tirait était semblable au mélange extrait 
d’un bon fromage. 

L'intensité de l'odeur dépendait beaucoup des relations qui 


SUR LA MATURATION DES FROMAGES. 401 


existaient entre la diastase et l'acidité de la culture au moment 
du mélange; plus l'acidité était prononcée, plus la quantité de 
diastase devait être augmentée. — Les conditions les meil- 
leures étaient 0:,40 acidité et 15-25 c. c. de solution de dias- 
tase pour 500 c. c. de culture. Si l'acidité dépassait 04,40, 
l'odeur apparaissait plus lentement, et dans les cultures où 
l'acidité était de 05,75, aucune odeur de fromage ne pouvait 
être constatée. — En plus, certaines espèces de ferment lactiqué 
donnaient des résultats différents; avec de l’acide lactique ajouté 
directement, la diastase ne produisait point d’odeur. 

D'après ces expériences, je crois que, dans la maturation du 
fromage sec, le rôle principal appartient justement à cette dias- 
tase produite par les tyrothrix et par le bacillus subtilis, qui 
est une espèce du même genre. S’ilenest ainsi, la fabrication du 
fromage doit dépendre des conditions plus ou moins favorables 
dans lesquelles on fait agir la diastase. 

Parmi ces conditions, M. Duclaux fait figurer en premier 
lieu la température. L'été passé, ayant été chargé par le minis- 
tère de l’Agriculture d'aller étudier la fabrication du fromage 
facon Emmenthaler, dans le gouvernement de Smolenski, c’est 
surtout sur la température des cartes que j'ai porté mon 
attention, et j'ai cru, en effet, constater qu'une des causes produi- 
sant la différence qui existe entre la plupart de ces fromages et 
l’'Emmenthaler authentique est justement l’irrégularité de la 
température des caves. 

Certainement, cela ne veut pas dire que l'acidité du lait, à 
laquelle actuellement les savants anglais et américains donnent 
tant d'importance, ne joue pas aussi son rôle ; au contraire, c’est 
elle justement qui régularise la production dela diastase par les 
tyrothrix. À ce point de vue, comme l'énergie de certains 
ferments lactiques varie beaucoup, il sera très utile d’employer 
pour la préparation du fromage des cultures pures de ferment 
lactique, et de surveiller l'augmentation de l’acidité; mais le 
procès de la maturation ainsi commencé devra se poursuivre 
par l'intervention des ferments de la caséine, qui ne s'implan- 
tent pas facilement dans un milieu acide, et qui doivent être 
présents à l’origine de la culture. Il y a là une question de sym- 
biose sur laquelle je me propose de revenir. 


Note sur ue petite épidémie de fèvre typhoïde dorigiue hydrique. 


Par M. 1e Dr G. SCHNEIDER 


Aux environs du 25 décembre 1897 se déclaraient quelques 
cas de fièvre typhoïde parmi les pensionnaires d’un hôtel de T***. 
Cinq ans auparavant, les locataires de l’immeuble avaient dû 
l’évacuer, après le décès, par la même affection, de leurs deux 
enfants. Depuis cette époque, la dothiénentérie n'avait point 
sévi sur le personnel de l'établissement ; cependant, à la suite 
d'analyses chimiques et bactériologiques, l’eau du puits de l'hôtel 
avait été signalée comme d’un usage dangereux. 

La nouvelle explosion fut meurtrière. Sur cinq personnes 
atteintes, deux moururent, deux autres eurent des formes très 
graves, chez la dernière seulement, la maladie fut bénigne. 

En l’absence d’autres éléments étiologiques, l'infection parut 
devoir être rapportée à une origine hydrique. L’eau d’alimen- 
tation est, en effet, fournie par un puits couvert que dessert une 
pompe. La simple inspection des locaux permet de constater que 
le tuyau d'aspiration de cette pompe n’est séparé du principal 
tuyau de chute des latrines que par un mur d’une épaisseur 
de 0,30. Une telle disposition implique la contiguiïté de la fosse 
et du puits. Et dès lors, étant donné ce fait que les latrines sont 
à « matières perdues », il est logique de supposer que l’eau du 
puits a été souillée par l’infiltration des matières fécales de cette 
fosse, aux parois non étanches. 

L'hôtel ayant été évacué, il ne s’est plus produit de cas de 
fièvre typhoïde. 

L'analyse bactériologique, faite le 18 janvier 1898, c’est-à- 
dire vingt-quatre jours après l'apparition du premier cas, à 
décelé la présence dans cette eau du bactérium coli, presque à 
l’état de pureté. 

Deux analyses chimiques, en date des 18 et 31 janvier 1898, 
ont fourni les résultats suivants : 

18 janvier, — Eau très riche en nitrates et en chlore, exigeant 
pour la combustion de sa matière organique, 0#,0062 de 0, 
emprunté au permanganate de potasse. 


ÉPIDÉMIE DE FIÈVRE TYPHOIDE D'ORIGINE HYDRIQUE. 403 


L’extrait sec perd au rouge sombre 0£,074 par litre de produits 
volatils et de matières organiques. 

Pas de phosphates. 

Chaux en quantité normale. 

31 janvier. — Eau très riche en nitrates et en chlore, conte- 
nant l'équivalent, en matières organiques, de 0:,0012 de O 
emprunté au permanganate de potasse. 

L'extrait sec perd au rouge sombre 0£,148. Son poids est 
de 0:,668. 

Pas de phosphates. 

Chaux 08,286. 

Si le voisinage du puits et de la fosse avait éveillé les soup- 
cons des habitants de l'hôtel, ils n’auraient donc eu aucune 
difficulté à se convaincre qu'une eau aussi riche en chlore, en 
nitrates, en matières organiques, recevait à petite distance des 
infiltrations répugnantes ou dangereuses, et qu’il était prudent 
de fermer le puits. 


Statistique de l’Institut Pasteur Hellénique d'Athènes. 


Par M. ve Direcreur Dr P. PAMPOUKIS 


L'Institut Pasteurien hellénique a été fondé à Athènes par 
M. le D' Pampoukis au mois d'août de l’année 1894. | 

Au mois de janvier de l’année 1895, la mairie d” Athènes lui 
a accordé une subvention, et en même temps, par décision du 
Conseil municipal, approuvé par le préfet d'Attique, cet Institut 
a été mis sous la protection de la mairie d'Athènes. 

Au mois de juin de la même année, le Gouvernement hellé- 
nique a fait avec l’Institut une convention, votée par la Chambre 
et approuvée par S. M. le Roi. D’après cette convention, l'Etat 
hellénique accorde à l’Institut une subvention annuelle et met 
l’fnstitut Pampoukis sous le contrôle officiel du ministère de 
l'Intérieur, lequel exerce cette surveillance par deux membres du 
Conseil sanitaire supérieur de l'Etat. 

L'Institut antirabique d'Athènes, se composant d’un bâti- 
ment central à trois étages, dont le premier sert à héberger les 
pauvres, et de deux pavillons latéraux, avec 24 pièces en tout, a 
élé construit aux propres dépens de M. Pampoukis. 

Le personnel de l’Institut, qui est dirigé par ie fondateur 
lui-même, se compose, outre le personnel inférieur, d’un chef de 
clinique, d’un vétérinaire chef de service, d'un préparateur et 
d'un aide. 

Voici le résumé de sa statistique depuis l’origine. 

1° Nombre total des personnes traitées. — Depuis le commen- 
cement des travaux de l’Institut (août 1894), jusqu’à la fin de 
l’année dernière, 797 personnes ont subi le traitement antira- 
bique, dont 590 (74 °/,) appartenaient au sexe masculin, et 
207 (26 ‘/,) au sexe féminin. 

2° Age des personnes trailées. 


Depuis 1 jusqu’à 10 ans il y avait 162 personnes (20,3 0/0). 


Sr 10 = 20 = 189 — 231 0/0). 
1) ap ENS TN Cu) 
— 30 — 40 — 128 ee (16,6 0/0). 
AUD too) a Ce (7,7 0/0). 


— 50 et au-dessus _ D4 -—- (6,7 0/0). 


STATISTIQUE DE L'INSTITUT PASTEUR D’ATHÈNES 405 


Par conséquent, sur 797 mordus, il y a 553 (69,3 °/) qui 
avaient de 1 à 30 ans inclus. 

20 Animaux mordeurs. — Chiens, 732 fois (91,8 °/,); chats, 
34 fois (4,2 °/.); loup, 1 fois; autres animaux, 13 fois (1,7 °/;). 

Il y a de plus 17 personnes infectées par la salive des indi- 
vidus enragés. 

4° Siège des morsures. — a) A la tête et à la face, 44 (5,5 °/,); 
b) aux mains, 431 (54°/,); c) au tronc, 17 (2,1 °/:); aux mem- 
bres, 305 (38,2 2/0). 


5° Nombre des morsures. — Simples, 400 (50,1 °/,); multiples, 
397 (49,8 °/c). 
6° Cautérisation. — Il n'y a que 188 (soit 23,5 °/,) personnes 


qui ont fait cautériser leurs morsures : de ie -ci 69 ont été 
cautérisées par l'acide phénique; #1 par le nitrate d'argent ; 
36 par de l'huile bouillante; 18 par la teinture d’iode ; 14 avec 
du fer rouge, et les autres par des moyens divers. 

To Provenance. — Hellènes, 736 (92,3 °/); Étrangers (de 
l'Orient}, 61 (7,7 2/2). 

8° Mouvement mensuel. — Janvier, 40 ; février, 40 ; mars, 62; 
avril, 76; mai, 58; juin, 72; juillet, 130 ; août, 79; septembre, 
81 ; octobre, 77 ; novembre, 39, et décembre, 59. 

9° Epoques de l'année. — Printemps, 195 (24,5 si : été, 281 
(35.2 c/); automne, 197 (24,7 °/.); hiver, 123 (15,4 0/4). 

100 Arrivée des mordus après la morsure. 


De 1 à 10 jours, 331 personnes (41,5 0/0). 


— 10 20 — 264 — (33,1 0/0). 
— 20 30 — 115 — (14,4 0/0). 
— 30et au-dessus 8 _ (10,6 0/0). 
110 Séries. — Du nombre total des personnes traitées, 245 


(30,7 °/,) appartenaient à la série A des statistiques de l’Institut 
Pasteur, 112 (14 °/,) à la série B et 440 (55,1 °/,) à la série C. 

120 Mortalité. — Parmi les 797 personnes traitées, il y a deux 
morts, dont l’un appartenait à la série B et l’autre à la série C. 
La mortalité a donc été de 0,25 °/,. 

Outre ces 2 personnes succombées à la rage, il y en a encore 
5 chez lesquelles les premiers symptômes rabiques se sont mani- 
festés moins de 15 jours après la dernière inoculation. 


406 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Enfin, à part ces 797 personnes mordues, il y a encore une 
autre mordue par un loup, chez laquelle le traitement a échoué. 
Si nous comptons cette dernière personne à la statistique de la 
mortalité, nous avons parmi 798 individus traités, trois morts, à 
savoir une mortalité totale de 0,37 °/,. 

13° Mortalité des personnes mordues et non traitées. — Outre ces 
198 personnes traitées à l’Institut, il y en a eu d’autres qui n’ont 
pas subi le traitement antirabique pastorien, rassurées par les 
affirmations de ceux qu’on appelle en Grèce des Empiriques : 
parmi ces personnes non traitées, il y en a 40 qui sont mortes 
de la rage. 

14° Incubation. — L’incubalion de la maladie est connue sur 
27 personnes seulement, parmi les 40 morts, et elle est la sui- 
vante : 

Chez 3 personnes, de 20 à 3C jours (11 0/0). 


— 3 — 30 40 — (11 0)o). 

— 1 — 40 50 — (3,9 0/0). 
— 8 — 50 60 — (28,8 0/0). 
— 8 — 90 120 — (28,8 9/0). 
ré == 5 6 mois (7,8 0/0). 
— À _— 6 7 — (3,9 9/5). 
— À a 4 an (3,9 0/0). 


REVUES ET ANALYSES 


URSS RROENZYNES 


REVUE CRITIQUE 


La science s’est enrichie, dans ces dernières années, d’une foule de 
noms nouveaux, apportés par une étude de plus en plus approfondie 
des enzymes ou diastases. Quand un traitement quelconque faisait 
apparaître dans un milieu des propriétés diastasifères, on a admis que 
la diastase qui s’y manifestait n’y préexistait pas, ou plutôt y préexis- 
tait sous une forme différente de sa forme active, qu’on a appelée 
proenzyme où prodiastase. Comme il y a beaucoup de diastases diffé- 
rentes, chacune d'elles a été pourvue d’un ancêtre, naturellement 
différent de l’une à l’autre; le nombre des membres de la famille s’est 
ainsi trouvé doublé. On a eu d’abord une trypsine et une protrypsine, 
puis une pepsine et une propepsine, une présure et une proprésure, et 
ainsi de suite. 

Quel accueil faut-il faire à ces acquisitions nouvelles, et quelle 
place faut-il leur réserver ? La création d’un mot nouveau peut être 
utile dans la science comme moyen de classement; mais à la condition 
qu’on n’oublie pas qu'il n’est qu’une simple étiquette, en attendant 
l'inventaire des faits qu’il couvre. C’est cet inventaire que nous sommes 
en mesure de faire maintenant. 


Étude théorique des phénomènes. — La définition générale des pro- 
diastases, telle qu'on peut la tirer d’une étude soigneuse des faits 
publiés jusqu'ici, est la suivante : une prodiastase est une diastase 
qui attend, pour agir, l'intervention d’une action extérieure. On pour- 
rait aussi dire qu'une prodiastase est une matière non diastasique qui 
attend, pour se transformer en diastase, l'intervention d’une action 
extérieure. Au fond, comme nous ne savons pas ce que c’est qu’une 
diastase, les deux définitions n’en font qu’une, et la première est cer- 
tainement plus simple. 

Quoi qu’il en soit, on reconnaît l’apparition de la diastase à ce 
qu’elle commence à agir en suivant les lois que nous avons posées dans 
ce volume, p. 81. Si nous revenons aux notations que nous y avons 


408 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


adoptées, nous pouvons dire que dans un liquide jusque-là inerte, nous 
voyons apparaître une action spécifique qui, à ses débuts au moins, 
obéit à la loi F, ta 


où S — sest la quantité d’action produite au bout du temps f, par une 
quantité de diastase d, dont l’activité, en prenant ce mot dans le sens 
que nous lui avons donné p. 102, est représentée par «. Nous pouvons 
faire ici une première remarque. Dans un liquide resté inerte pendant 
un temps {, nous voyons, sous l'influence d’un certain traitement, 
apparaître une action représentée par «dt pendant le même temps. 
L'hypothèse de la prodiastase est qu’on y a fait apparaître la quantité 
d de diastase qui n’y existait pas; mais il y a une autre hypothèse que 
nous n'avons aucun droit de négliger à priori, c’est que ce n’est pas d 
qui a augmenté, mais 4. En d’autres termes, l'addition du réactif a 
augmenté, comme nous savons qu’il peut le faire, l’activité de la dias 

tase présente, sans en changer la quantité, et cette seconde hypothèse 
est au moins aussi probable que la première. 

Voici une solution de sucrase ou d’amylase qui est un peu alca- 
linisée. On les met en contact avec un peu de sucre ou d’amidon qu'elles 
ne transforment pas, quel que soit le temps du contact. On ne gagne 
du reste rien à le prolonger, car dans ces conditions les diastases 
s'oxydent et se détruisent. À un moment quelconque, on ajoute une 
trace d’acide, différente dans les deux. L’acide peut, du reste, nous 
le savons, être quelconque, à la condition que sa dose soit propor- 
tionnée à sa puissance. On voit alors se manifester une interversion 
du sucre ou une saccharification de l’empois. Dira-t-on qu'il y avait 
une prodiastase que l'acide a mise en liberté? Non, évidemment. La 
quantité de diastase n’a pas varié. Seulement elle était inerte et ne l'est 
plus. j 

Prenons la même action par le bout inverse. Voici encore une solu- 
tion d’amylase ou de pectase qui reste inerte en milieu trop acide. 
On y ajoute de l’alcali en quantité convenable, et l’amidon se saccha- 
rifie, ou bien la pectine se coagule. Dira-t-on qu'il y avait une proamy- 
lase, une propectase que l’alcali a remise en liberté? Je pourrais évi- 
demment poser la même question au sujet du chlorure de calciuin, 
qui accélère l’action de doses faibles de présure, de fibrinase ou de pec- 
tase, de façon à les rendre apparentes là où on pouvait croire à leur 
absence. Faut-il conclure de là qu’il les crée? Évidemment non. 

Nous pouvons donc affirmer qu’il y a une première, ventilation 
nécessaire dans tous les phénomènes qui ont fait conclure à l’existence 
de proenzymes. C’estseulementlorsqu’onsesera assuré, parl'expérience, 
que les réactifs employés sont incapables de faire varier la puissance 


REVUES ET ANALYSES. , 409 


de la diastase étudiée, qu’on sera en droit de leur attribuer l'apparition 
de cette diastase dans les milieux où on les a introduits. 

A cette première ventilation, il faut en ajouter une autre, sortant, 
comme la première, de l'interprétation de faits connus. Je prendrai 
encore un exemple. Voici un précipité de phosphate de chaux produit 
dans un liquidédiastasifère, et qui a entraîné avec lui toute la diastase. 
Dans ce mélange devenu inerte, dira-t-on qu’il y a une prodiastase, en 
se basant sur ce fait que quelques gouttes d’acide, même d'acide acé- 
tique, peuvent, en dissolvant le phosphate de chaux, remettre en liberté 
la diastase qu'il contenait ? On le peut, à la rigueur, en considérant, 
contrairement à toutes les apparences, l'adhésion de la diastase au 
phosphate de chaux comme une combinaison chimique que l'acide 
décomposerait. Mais, avec cette interprétation, voici un certain nombre 
de faits qui se compliquent beaucoup. Ce sont ceux qui sont relatifs à la 
fixation des diastases sur les matières qu’elles doivent transformer. Les 
plus probants sont ceux que MM. Wurtz et Bouchut ont trouvés à propos 
de la papaïne. 

Le suc de Carica papaya donne, en se coagulant, un liquide surna- 
geant un dépôt gélatineux. Du liquide on peut précipiter, au moyen de 
l'alcool, une substance blanche, pulvérulente, capable de dissoudre la 
fibrine en liqueur neutre ou alcaline, et sans que cette fibrine se gonfle. 

En liqueur acide, la fibrine se gonfle, mais elle se dissout aussi. Si 
donc la papaïne n’est pas un mélange de trypsine et de pepsine, elle 
Jouit à la fois des propriétés de ces deux diastases. 

Le dépôt gélatineux du suc, broyé dans l’eau, abandonne à celle-ci 
de nouvelle papaïne, parfois en quantité plus considérable qu'il n’y en 
avait dans le liquide surnageant. Dans l’interprétation contre laquelle 
je m’élevais tout à l'heure, on peut dire que ce dépôt contient de la 
propapaïne que l’eau transforme en papaïne. Mais prenons une solu- 
tion de diastase,et mettons-la en contact pendant quelques minutes, à 
la température ordinaire, avec de la fibrine aussi finement divisée que 
possible; exprimons les filaments et lavons-les pendant une demi- 
heure sous un filet d’eau, et enfin 10 fois de suite, avec expression à 
chaque fois, avec de l’eau distillée. La dernière eau de lavage, mise 
en contact à 40° avec de la fibrine, n’en a pas dissous en 24 heures la 
moindre trace. Si on met, au contraire, les filaments de fibrine ainsi 
lavés en digestion à 40° avec de l’eau pure, le lendemain tout est 
dissous à 1 pour cent près. 

L'eau, quitransformait la propapaïne en papaïne au contact du coa- 
gulum du suc de la plante, laisse donc la papaïne redevenir de la pro: 
papaïne aucontact des filaments de fibrine ; et dansceux-ci, la transfor- 
mation qui se fait à la température ordinaire se défait à 40°, car si Wurtz 
avait cherché, il aurait certainement vu qu’il pouvait dissoudre encore 


410 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de la fibrine nouvelle dans le liquide de digestion de la fibrine impré- 
gnée, et qu'il y avait, par conséquent, à nouveau de la papaïne libre. 

M. Wurtz a fait la même expérience avec le même succès, en met- 
tant de la fibrine divisée en contact avec une solution de pepsine, - 
lavant ensuite à grande eau, et en laissant cette fibrine pendant 
48 heures au contact d'acide chlorhydrique à 4 millièmes. La fibrine 
se dissout si bien que le liquide ne précipite plus par l’acide nitrique. 

D’autres expériences un peu moins nettes ont été faites avec la 
caséine impressionnée soit par la papaïne, soit par la pepsine. C’est que 
ces diastases ne sont pas de celles de la caséine. De l’ensemble de ses 
résultats, Wurtz tire la conclusion que les deux diastases se fixent à 
l’état insoluble sur certaines matières albuminoïdes, contractant avec 
elles des combinaisons temporaires qui se dissocient après que l’action 
diastasique est produite. Tout s'explique évidemment mieux en voyant 
là non des combinaisons chimiques, mais des phénomènes de teinture 
dans le sens que nous avons toujours donné à cette expression. Il n’y 
a pas plus de raisons de distinguer dans ce cas entre la diastase et la 
prodiastase qu'entre la couleur libre et la couleur fixée, entre la couleur 
et la procouleur. 

En résumé, nous devons faire sortir du cadre des prodiastases 
toutes celles dont l’apparition dans un liquide résulte, non de ce qu’elles 
sont de nouvelle formation. mais de ce que, préexistantes, elles sont 
mises en liberté par les réactifs employés. Si on n’accepte pas cette 
délimitation, on est condamné à dire que l'alcool, l’éther, le phosphate 
de chaux, le collodion, versés dans une liqueur diastasique, déter- 
minent la formation de prodiastases que l’eau, les acides pour le phos- 
phate de chaux, l’éther pour le collodion, retransforment ensuite en 
diastases actives. Or, les cas qui relèvent de cette interprétation sont 
nombreux, et on peut même à leur sujet faire une remarque. 

Voici une substance qui, introduite dans un liquide, y amène, sans 
y produire de précipité ni amener un changement de réaction quel- 
conque, l’apparition ou l’augmentation d’activité d’une diastase, car 
les deux choses n’en font évidemment qu’une. Est-on fondé à s'appuyer 
sur Pabsence de toute action chimique visible pour dire : «la liqueur ne 
change en rien, et pourtant une diastase y apparaît; donc celle-ci en 
était absente. Voici un liquide qui, à froid ou à l’obscurité, ne donne 
rien; qui, à chaud ou à la lumière, sans que rien y ait été ajouté de 
l'extérieur, manifeste une action diaslasique : donc il y a eu une pro- 
diastase détruite par la lumière ou par la chaleur.» Raisonner ainsi 
serait oublier que les diastases sont, comme on le voit bien à propos 
de l’action des acides sur la sucrase ou l’amylase, des réactifs plus 
sensibles que les réactifs chimiques, et distinguent fort bien entre des 
liqueurs que nos réactifs ou nos papiers colorés ne différencient pas. 


REVUES ET ANALYSES. AA 


Lorsqu'on a fait cette seconde ventilation, et éliminé les faits qui 
s'expliquent mieux par les lois de l’adhésion moléculaire que par des 
productions ou des destructions de prodiastases, il ne reste plus que 
les cas, plus compliqués en apparence, dans lesquels on s’adresse, 
pour avoir des diastases, non à des substances inertes comme le phos- 
phate de chaux, qui peuvent s’en charger artificiellement et s’en 
débarrasser, mais aux cellules vivantes qui les produisent. C’est ici 
que l’idée de prodiastase, évidemment artificielle par ailleurs, redevient 
naturelle. Il n’y a pas de diastase, dès l’origine, dans la cellule épi- 
théliale du scutellum du grain d’orge. À un moment donné, on en voit 
apparaître subitement beaucoup. N’est-il pas naturel de penser qu'au 
moment de la germination, il y en avait une réserve quelque part, 
sous une forme non active? Voici un estomac dans lequel on ne trouve 
pas, à certains moments, de pepsine ou de présure, et où il yena 
beaucoup quelques minutes après. A quel état inactif, proenzymatique, 
étaient-elles avant d’apparaître dans la sécrétion ? 

Cette question est évidemment très intéressante; mais on peut voir 
tout de suite qu’on y peut répondre autrement que par l’hypothèse 
d’une diastase de réserve, n’ayant besoin, comme une troupe armée au 
moment d’une bataille, que d’être démasquée pour pouvoir agir. 
Comme les diastases peuvent produire des effets très mesurables sous 
des poids inappréciables, on a toujours le droit d’attribuer celles qui 
apparaissent, même le plus inopinément, dans la vie cellulaire, à des 
sécrétions qui ne sont pas hors de proportion avec la puissance des 
cellules, étant donné surtout que celles-ci manifestent, au moment de 
la sécrétion, une activité particulière. 

Il y a donc là un problème à résoudre, qu'on peut poser ainsi : 
Existe-t-il, dans une cellule diastasigène, en dehors de la diastase prête 
à agir, une substance, actuellement distincte de la diastase, et ayant 
besoin de subir un changement chimique quelconque pour devenir de 
la diastase ? 

Voyons si ce problème a été résolu et comment il a été résolu pour 
quelques diastases. ; 


La question a été étudiée, surtout à propos de la présure, par 
Hammarsten, Boas, Arthus, Lürcher et d’autres savants. C'est le travail 
de Lürcher que nous résumerons surtout, parce qu'il est le dernier et 
le plus explicite. Lürcher prépare sa présure par un procédé déjà 
employé par Ebstein et Grutzner. Après avoir fendu l'estomac sur la 
ligne de la petite courbure, on l’étale sur la main, la muqueuse en 
dessous; on tond la tunique musculaire avec un rasoir, on étale la 
poche sur du papier filtré, la muqueuse en dehors, et on fait sécher à 
douce température, ce qui ne demande que quelques heures. On enlève 


412 ANNALES DE L'INSTITUT. PASTEUR. 


le papier et on coupe la tunique en petits morceaux qu’on conserve 
dans un flacon bien bouché. Pour l’usage, on en prend un fragment, on 
le broie finement dans un mortier, et on fait un extrait glycériné avec 
la poudre fine obtenue. 

C'est ici qu’un éclaircissement manque. Cet extrait est-il débar- 
rassé, par filtration ou autrement, de tout débris cellulaire ou de toutes 
granulations protoplasmiques? Est-ce un liquide limpide, ou un liquide 
tenant en suspension des corps solides ? Lürcher n’en dit rien, et pour- 
tant la question est importante; voici pourquoi : 

Pour Lürcher, l’extrait glycériné contient à la fois de la présure et 
de la proprésure, différant de la présure en ce qu'elle n’est pas prête à 
agir, et qu’elle a besoin, pour cela, d’un contact d’une heure, environ, 
avec une solution étendue d’un acide. De sorte qu’on peut faire avec 
cet extrait l'expérience suivante : 

Du lait, additionné de 1/10000 d’acide chlorhydrique, puis de 1/20 
de son volume d’extrait glycériné, se coagule en 17 minutes; il se 
coagule, au contraire, en 2 minutes si on y ajoute les mêmes quantités 
d'acide et d’extrait, après les avoir laissés en contact pendant 2 heures 
l’un avec l’autre. Donc, conclut Lürcher, il y a dans l'extrait une 
substance qui ne devient présure qu'au contact d’un acide. 

Cette conclusion est acceptable si l'extrait ne contient aucune 
substance en suspension. Il peut alors se faire que les matières dis- 
soutes y soient modifiées lentement par l'acide. Si, par exemple, comme 
cela est possible, la diastase est le produit d'une hydrolysation prove- 
nant d’une cause extérieure ; si elle a la faculté de se détacher d'une 
substance mère (Muttersubstanz), par adjonction d'une molécule d’eau 
ou autrement, avant de pouvoir commencer à agir, l’action de l’acide 
s’expliquera sans peine, et même on pourra remarquer avec intérêt 
que si on range les acides, comme l’a fait Lürcher, suivant leur degré 
de puissance pour la production de cette présure, l’ordre est à peu près 
le même, sauf pour l’acide sulfurique et l’acide azotique, que l’ordre 
dans lequel ils se présentent d’après leurs constantes d’inversion. (Ces 
Annales, p. 84.) 

Mais si l'extrait contient des granulations ou des débris cellulaires, 
toutes ces déductions tombent, et on s'explique fort bien que la présure 
accolée aux granulations ou adhérente aux cellules puisse être mise en 
liberté par l'acide ajouté, et aller aider, après ce contact, la présure 
contenue en dissolution dans l’extrait glycériné de Lürcher. C’est alors 
une opération analogue à celle qu'on réalise constamment en teinture- 
rie dans les bains de dégorgeage : un tissu teint, et qui n'abandonne 
que peu ou pas de sa couleur à l'eau, en cède davantage sous l’action 
d’un alcali, d’un acide, sans qu’on prétende pour cela qu’il y a dans le 
tissu une pr'ocouleur différente de la couleur elle-même. 


REVUES ET ANALYSES. 413 


On est d'autant moins autorisé à repousser cette explication que 
l’extrait employé par M. Lürcher était très peu actif. Il ne coagulait 
que 20 fois son volume de lait en 23 minutes. Les présures industrielles 
coagulent 5000 fois leur volume de lait dans le même temps, et sont 
par conséquent 250 fois plus fortes. Dans un liquide aussi peu actif 
que celui de Lürcher, la plus petite quantité de matière en suspension 
peut faire varier beaucoup la force. 

Ce qui invite en outre à des réserves, c’est qu'on n’a pas trouvé de 
différences bien sensibles de propriétés entre la proprésure et la présure. 

Boas avait cru pouvoir les distinguer en ce que la présure était plus 
facilement attaquable par les alcalis que la proprésure. « On alcalinise, 
disait-il, une solution de présure, et on la divise en 2 parties dont l’une 
reçoit un peu de chlorure de calcium, l’âutre rien. La première coagule 
le lait, l'autre le laisse liquide. Donc, conclut-il, la proprésure a résisté 
à l’alcali ». Pour accepter cette conclusion, il faut admettre que l’alcali 
a détruit toute la présure, car s’il l’a seulement atfaiblie, elle peut, on 
le sait, rester inaperçue tant qu’elle n’est pas aidée par l’action du 
chlorure de calcium, et l'expérience s’interprète alors facilement d’elle- 
même, sans cette complication de présure et de proprésure. Telle est, 
en effet, la conclusion de Lürcher, qui, sur ce point, est en désac- 
cord avec Boas. 

Enfin Klemperer a cru aussi trouver une différence de résistance 
à la chaleur. Il chauffe un suc stomacal à 70°, c’est-à-dire à une tempé- 
rature qu’il suppose mortelle pour la présure. Ce su& devient, en effet, 
incapable de coaguler le lait, mais il le coagule quand on ajoute du 
chlorure de calcium. C’est la même expérience el le même raison- 
nement que tout à l'heure, avec cette différence qu'ici l'expérience 
n’est pas exacte. D’après Lürcher, en effet, l’action de la température 
est la même sur la présure et la proprésure, ce qui s’accorde mieux, 
il faut le reconnaître, avec l’idée qu’il n’y a qu’une présure qu'avec 
celle qui en voit deux, l’une née, l’autre encore à naïtre. 

On peut du reste remarquer que ces petites différences à l’action des 
agents chimiques ou physiques, alors même qu’on en relèverait de bien 
nettes, en opérant avec plus de soin qu’on ne l’a fait jusqu'ici, n'auraient 
de valeur probante qu’autant qu’elles porteraient sur des substances 
à l’état de solution. Nous savons, en effet, que les diastases sont plus 
résistantes à la chaleur et à d’autres agents quand elles sont précipitées 
sur des corps solides que quand elles sont en solution dans l'eau. 

Concluons, en résumé, que rién n'autorise jusqu’à plus ample 
informé l'introduction d’une proprésure dans la science, tous les 
faits qu'on considère comme démonstratifs de l'existence de cette 
substance pouvant être interprétés plus simplement-en dehors d'elle. 


A4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


J'ai insisté sur la discussion relative à la proprésure parce que je 
pourrai être plus bref au sujet des autres proenzymes, pour lesquelles 
il n'existe pas de meilleures preuves. Aussi, d’après Schmidt et l’École 
de Dorpat, les globules blancs ne contiennent pas de la fibrinase ” 
(fibrin ferment) toute faite, mais une prodiastase, la prothrombine, qui 
a besoin, pour devenir de la thrombine active, d'une certaine substance 
dite « zymoplastique », car il est toujours plus facile de trouver un 
nom que de mettre quelque chose derrière. Voyons de quelles expé- 
riences est sorlie cette interprétation. 

On peut, dans la méthode de Schmidt, séparer, péniblement il est 
vrai, par l’action de l’alcool, mais enfin séparer un peu de fibrinase d’un 
coagulum normal de fibrine qui s’est formé dans du sang en repos; 
mais si on reçoit dans l'alcool du sang au sortir de la veine, la même 
méthode ne donne plus de fibrinase. Donc, conclut-on, les globules 
blancs qui la contiennent ne la contiennent pas toute formée, car s’il 
en était ainsi ils devraient en donner autant dans le second cas que 
dans le premier. C’est leur mort lente, dans le premier cas, qui permet 
à la diastase de se former. 

Autre argument. Quand on ajoute du sel à du sang quelques mi- 
nutes après la sortie de la veine, on obtient un plasma salé qui peut se 
coaguler spontanément si on l’étend d’eau. La coagulation n’a jamais 
lieu quand le sang est reçu au sortir de la veine dans une solution salée 
de même concentration. La conclusion est la même que tout à l'heure. 

Mais aucune des deux conclusions ne s'impose. Du moment que 
c’est une cellule qui extravase la diastase, les différences dans la forme 
et le degré de l’osmose peuvent dépendre autant de l’état de la cellule 
que de celui de la diastase. Il suffit de cette remarque pour ruiner les 
deux raisonnements. On comprend, par exemple, que la diastase d’un 
leucocyte reçu directement dans l’alcool et coagulé par lui ne se com- 
porte pas comme cette diastase n'ayant eu le contact de l’alcool que 
lorsque la mort du leucocyte lui a permis de se diffuser dans le 
liquide, Concluons donc, non contre l’existence possible d’une pro- 
thrombine, mais contrelesargumentssur lesquels on a appuyé jusqu’ci 
cette existence. Je pourrais dire la même chose des autres arguments 
tirés par Hammarsten, par Peckelharing, de l’action des sels de chaux 
sur la prothrombine. Ce sont ceux que nous avons rencontrés tout à 
l'heure chez Boas au sujet de la présure, et ils sont justiciables des 
mêmes objections. 

Nous pouvons en dire autant à propos de la propepsine. C’est à 
propos de la pepsine qu’ont été faites les premières expériences sur les 
prodiastases. Ebstein et Grutzner ont trouvé que les cellules de la 
muqueuse donnaient un liquide beaucoup moins actif lorsqu'elles 
élaient macérées avec de la glycérine qu'avec de l’acide chlorhy- 


REVUES ET ANALYSES. 415 


drique étendu. Donc, ont-ils conclu, l’acide transforme en pepsine une 
propepsine de la cellule. En vérité, il eût été surprenant que les deux 
macérations fussent de même force, étant donné que la glycérine 
provoque l’extravasation du suc cellulaire par osmose et grossit les 
granulations protoplasmiques, tandis que l’acide chlorhydrique gonfle la 
cellule et la rend transparente. Nous n’insisterons pas davantage sur ce 
point que nous avons suffisamment visé plus haut. Les autres argu- 
ments qu’on a fait valoir au sujet de l'existence de cette propepsine 
sont de même nature que ceux que nous avons combattus. 

J'ai hâte d’arriver à la proenzyme de l’orge germé, parce que nous 
allons trouver à son sujet un exemple différent des précédents, en 
ce que c’est la lumière qui semble provoquer la formation de la 
diastase. 

Dans son étude sur l’action de la lumière sur les diastases saccha- 
rifiantes, M. Green a vu que quelques-unes des radiations du spectre 
augmentaient la puissance diastasique du liquide traversé. Green rap- 
proche lui-même ce fait de la conversion des prodiastases en diastases 
sous l’action de la chaleur, et en particulier de celle qui lui semble la 
mieux démontrée, celle de la trypsine pancréatique. 1l n’est pas dou- 
teux qu’une macération de pancréas ne devienne beaucoup plus active 
après digestion à 38° qu’elle ne l’est à température ordinaire, et les 
chiffres cités par M. Green sont d’un autre côté trop probants pour 
qu’on puisse douter que les rayons rouges enrichissent en diastase 
active les solutions de salive qu'ils ont traversées. La question est de 
savoir s’il n’y a pas, à ce fait, d'autre explication que la transforma- 
tion d’une prodiastase en diastase. Or, il y en a beaucoup d’autres, et 
ici encore, on n’a pas le droit de faire abstraction des cellules ou 
granulations présentes dans le liquide. Ces cellules peuvent abandonner 
plus ou moins facilement ce qu’elles contiennent de diastase, en aban- 
donner plus ou moins à chaud qu’à froid, et dans certaines condi- 
tions de milieu que dans &’autres. Rappelons d’ailleurs que les nom- 
bres fournis par M. Green résultent d’une correction un peu incertaine 
au sujet de l’effet des rayons ultra-violets. Nous en conclurons, non pas 
qu'il n’y a pas de proamylase dans la salive, mais que sa présence 
n’est pas démontrée. Il est même peu probable que cette explication 
par une prodiastase se fût présentée d’elle-même à l'esprit de Green, 
comme conséquence logique des faits observés, si elle n’avait pas déjà 
existé dans la science. 

Green a cherché à appuyer sa conclusion sur une autre expérience 
destinée à affirmer la ressemblance de la salive avec le suc pancréa- 
tique. Avec de la salive débarrassée de mucine, et additionnée de 
2 millièmes de cyanure de potassium, on fit deux lots, dont l’un fut mis 
à 380, et l’autre laissé à 180, À divers intervalles, on prélevait 2 c, c. de 


416 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


chaque liquide et on déterminait son pouvoir diastasique par la 
méthode de Kjeldahl, On a obtenu les nombres suivants : 


Durée de l'expérience. Salive à 380. Salive à 180, 
2 jours 26,9 45 
SHC 69,5 45 
seu 07,0 62 
9 « 70,6 70,8 

15 66.0 95 
TR 32,0 94 


On peut interpréter cette expérience de deux façons: on peut d’abord 
admettre que les différences présentées tiennent à ce que, dans le pre- 
mier échantillon, la proamylase s’est transformée plus vite en diastase 
et a donné au bout du 3° jour le.maximum que le second échantillon 
n’a atteint qu'au 15e. Ce sont deux hypothèses superposées. On peut 
d’un autre côté admettre que les granulations, ou même les cellules 
que la salive conserve malgré le traitement purificateur qu’elle a 
subi, laissent se dissoudre plus lentement leur diastase à froid qu’à 
chaud. Ceci n’est pas une hypothèse nouvelle : c'est ce qu'on sait par 
ailleurs. On peut même remarquer que le maximum atteint est plus 
grand à froid qu’à chaud dans l’expérience de Green, ce à quoi on 
pouvait aussi s'attendre avec les notions acquises au sujet de l’action 
funeste de la chaleur sur les diastases. En résumé, la question des pro- 
diastases reste ouverte. Rien n’assure qu’elles n’existent pas, mais 
rien assure qu’elles existent, et on ne risque rien à les rayer pour le 
moment de la science qui est, déjà, sans elles, assez hérissée et rébar- 
bative. 

E. Duczaux. 


BIBLIOGRAPHIE 


Hammarsren. Lehrbuch der Phys. Chemie, p. 154. Wiesbaden, 1892. 

Boas. Labferment und Labzymogen, Zeitschr. f. klin. Med., t. XIV, 1885. 

Arraus. Sur la labogénie. Archives de phys ,t. VI, 1894. 

G. Loncuer. Ueber Labwirkung. Pflugers Archiv., LXIX, 1897. 

Essrein et GRUTZNER. 1d., t. VI, 1872. 

Kiemrerer. Die Diagnosis der Verwertbarkeit des Labferments. Zeitschr. 
{. klin Med., t. XIV, 1888. 

Green. Action dela lumière sur la diastase, Phil. Trans., t. CLXXXVIII, 
1897. 


Le Gérant : G. Masson. 


om tt 


Sceaux. — Imprimerie E. Charaire, 


49me ANNÉE JUILLET 1898 No 7. 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


RECHERCHES SUR L'ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 


Par M. ze Dr Jos. HALBAN, DE VIENNE. 


Grohmann a le premier découvert, en étudiant l’action coa- 
gulante des microbes sur le sérum, cette action bactéricide du 
sérum sur laquelle M. Buchner a si fortement appelé l'attention. 
L'idée préconçue de la forte résistance des spores a empèché ce 
dernier d'étudier l’action bactéricide du sérum sur ces formes de 
résistance. Lubarsch a montré ensuite par l'expérience que cette 
action était nulle. Peckelharing a trouvé plus tard que le sérum 
normal de lapin et de chien tuait en peu de temps les bacilles et 
les spores du bacille charbonneux. Puis ses données furent 
contestées par Trapeznikoff, Sanarelli, confirmées au contraire 
par Leclef”, qui a vu les spores du bacille de la pomme de terre 
et du subtilis, si résistantes par ailleurs, périr rapidement au 
contact du sérum de lapin. 

On peut reprocher à ses expériences, de même qu'à celles de 
Peckelharing, de n'avoir pas été assez prolongées. Ce n'est pas 
parce qu’un ensemencement reste stérile au bout de 24 heures 
qu'on peut conclure que les semences sont mortes, Un autre 
reproche est de n'avoir pas séparé l’action du sérum in vitro et 
dans l'animal vivant. On sait qu’il y a, dans le sérum tiré du corps, 
des substances mises en liberté à la suite de la destruction des 
leucocytes, et qui n'existent pas dans le sang circulant. 

Comme d’un autre côté Wyssokowitch?® a vu les spores du 


1. La Cellule, v. 1894, p. 349. 
2. Zeitschrift für Hygiene, 1, 
| 27 


418 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


bacille du foin, injectées dans les veines d’un lapin, persister 
2 ou 3 mois dans les organes parenchymateux, tandis que les 
formes bacillaires périssent rapidement, il y a sur ce sujet des 
contradictions et des obscurités telles que j'ai cru devoir le 
reprendre, en séparant les essais in vitro et les expériences sur 
l'animal vivant. 


Î. — EXPÉRIENCES IN VITRO 


Une vieille culture, sur gélose, du bacille du foin, sert à 
ensemencer un tube de bouillon qu'on chauffe à 100°, pour 
éliminer les formes végétatives et répartir également les spores 
dans le liquide. Une anse de platine de ce bouillon est portée 
dans des tubes de sérum de lapin, qu'on met à l’étuve à 37, 
D’autres tubes de sérum sont ensemencés de même après chauf- 
fage à 60° et servent de témoins. Le nombre des microbes, après 
des temps variables, est déterminé au moyen de la méthode des 
plaques de Pétri. Voici, pour quelques expériences, les nombres 
de colonies données par ces plaques. 


I. — 2 c. c. sérum de lapin, vieux de 3 jours. 
Après l’ensemencement colonies innombrables. 
2h 3/4 après 90 colonies 
Abe — 20 ss 
She 90 — 
24h — colonies innombrables. 


Le sérum était limpide à ce moment, avec un dépôt de bacilles au fond. 


Il. — 4. — 4 c. c. sérum de lapin. 
Après l'ensemencement T. nomb. colonies. 
2h après = 
AN — 
6h — environ 50 colonies. 
24, 48h après 0 
3, 9, 7 jours après 0 
8 jours environ 300 colonies. 
10, 14 jours après 0 


Le sérum est déjà limpide après 24 heures, Il se trouble de nouveau le 
10e jour, mais pas par des bacilles. 
B. — Même expérience, sérum chauffé à 600. 
Après l’ensemencement T. nomb. colonies 
2, 4, 6, 24h après me 
2 et 14 jours après, a 
Le sérum est troublé après 24 heures par la culture, 


ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 419 


IT. — 4 c. c. sérum de lapin frais, ensemencés en même temps sur des 
plaques de Pétri et dans des tubes de bouillon. 


bouillon plaques 
Après l’ensemencement cult. t. abond. cult, t. abondante 
Après 3 heures — —= 
5h Pas de cult. cult. abondante 
24h —- culture moyenne 
48h 3, 4, 5 jours — Pas de dévelop. 
7 jours voile (ap. 4 jours) — 
9 jours — — 


10, 12, 16, 21, 35 jours, pas de cult. — 
Le sérum donne après 24 heures un dépôt floconneux et ne change plus 
d'aspect. Le 14 jour, trouble de nature non bactérienne, 


IV. — 2 c. c. sérum de cheval, vieux de 3 jours. 


Après l’ensemencement forte culture 

2h,15 après cult. moins abond. 
4h —— 15 colonies 

94h == 0 Ur 

48h — culture abond. 

96h — 3 colonies 

> jours cult. très riche 


Le sérum était limpide au bout de 24 heures, et surnageait des grumeaux 
qui, au bout de 5 jours, donnèrent un nouveau développement. 


V. — 4 c. c. sérum de cheval frais. 


Après l’ensemencement 9 colonies 
1" après 8 — 
2h — 5 — 
ADI 4 = 
5h 4/2 0 — 
24, 48, 96h 0 — 


Le sérum normal ensemencé avec des spores de b. subtilis 
peut donc devenir complètement stérile au bout de quelque 
temps. 

Quant à savoir si ces spores sont tuées à l’état de spores, ou 
bien si elles sont détruites après s’être développées en bacilles, 
nos expériences ne disent rien à ce sujet. 

Aussi les avons-nous complétées par des préparations 
microscopiques que nous étudierons plus bas. 

Il résulte aussi de nos expériences que le pouvoir bactéricide 
n’est pas également efficace dans toutes les circonstances. Avant 
tout, la quantité des germes ensemencés joue un rôle impor- 


420 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


tant. Si cette quantité est trop grande, il se forme un dépôt, mais 
suivi d’un développement ultérieur de bacilles. 

Quoi qu’il en soit, nous voyons que le résultat négatif d’une 
culture après un contact de 24 heures ne permet pas de con- 
clure à la mort des bacilles, ainsi que l’ont soutenu Leclef, 
Pekelharing et Bauchner. Ainsi, en IE, il y a eu culture en bouillon 
après 7 jours de contact entre le sérum et les spores. Un très 
grand nombre de spores ont été anéanties de suite par le sérum: 
les plus résistantes ont été simplement retardées dans leur 
développement. Mais elles étaient déjà altérées, car le voile 
qu'elles formèrent dans le bouillon ne se développa qu’au bout 
de # jours d’étuve. 

Il n’est pas possible d'attribuer la destruction des bacilles 
uniquement au changement du milieu, car d’abord les spores 
sont très résistantes à ces influences: puis elles se développaient 
dans les tubes de sérum chauffé. 

Il faut donc admettre la présence de substances bactéricides 
dans le sérum normal, du moins pour ce qui concerne nos 
expériences {à vitro. 

Quant au sérum chauffé, il s’y développa toujours une cul- 
ture abondante, mais jamais aussi riche que dans les cultures 
témoins en bouillon. Il semble donc qu'à 60° les substances 
bactéricides du sérum sanguin sont fortement altérées, mais 
non détruites. 

Je ne veux pas omettre de dire que le sérum normal, ense- 
mencé avec des spores de subtilis, se trouble au bout de 8 jours, 
même lorsqu'il est absolument stérile. Ce trouble, qui peut donner 
lieu à un interprétation erronée, n’est pas dù au développe- 
ment des bactéries, mais à la formation d’un précipité indéter- 
minable par le microscope. 

Arrivons maintenant à la rapide diminution des germes sur 
les plaques, déjà peu d'heures après l’ensemencement. Cette 
diminution n’est pas due à une destruction rapide, mais à des 
causes tout à fait différentes 'qui résulteront de l'examen de nos 
préparations microscopiques. 

Préparations microscopiques. — Dans le sérum chauffé, la 
germination des spores se fait au bout de 3 ou 4 heures. On 
trouve des bacilles en petits amas de 30 ou 40 individus, mais 
point de microbes isolés. Au bout de peu d'heures, cette dispo- 


ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 421 


sition en amas disparait complètement, et l’on trouve alors des 
bacilles tous isolés. 

Dans le sérum normal, si l’ensemencement est suffisant, la 
germination se fait au bout de 6 à 8 heures; et alors apparaît la 
formation de petits amas, composés d’un nombre d'individus 
moins grand que dans le sérum chauffé, de 4 à 10 en général. Ce 
groupement en amas, à condition que l’ensemencement n'ait 
pas été trop abondant, persiste et se retrouve même au bout de 
8 jours. Si l’ensemencement est peu abondant, il est impossible 
de découvrir les bacilles dans le tube. 

Dans le bouillon, la germination débute déjà au bout de 2 ou 
3 heures, mais ici les bacilles restent toujours isolés, sans 
former des amas. 

Avec l’exsudat péritonéal, le liquide d’œdème obtenu par la 
ligature de l'oreille du lapin, ou le liquide d’ascite humain, on 
trouve les mêmes résultats qu'avec le sérum chauffé. 

Nous avons donc ici affaire avec l'apparition de l’agglutina- 
tion, et comme on l’observe aussi bien dans des liquides bacté- 
ricides, que dans des liquides non bactéricides, nous voyons là 
une confirmation de la conception de Grüber, qui affirme l’indé- 
pendance de l’agglutination à l'égard des substances bactéri- 
cides. 

Les préparations microscopiques ne nous éclairent pas sur 
l’état des spores jusqu’au moment de la germination, à cause de 
leur trop petit nombre et de la difficulté de les retrouver. C'est 
pour cela que nous avons examiné ce qui se passe dans une 
goutte suspendue. 

En faisant un mélange à parties égales d'une émulsion de 
spores et de sérum, nous avons pu observer, immédiatement 
après l’ensemencement, de nombreuses spores isolées, en mou- 
vement moléculaire, C'était le même aspect que nous offrait 
une goutte de bouitlon ensemencée avec des spores. 

Déjà une heure après, toutes les spores sont immobiles dans 
le sérum et disposées en pelits amas qui sont formés de 5 à 8 indi- 
vidus. Mais il ne s’agit pas ici d’une véritable agglutination, car 
on ne remarque point un accolement des individus : on peut 
au contraire constater entre eux des espaces libres. 

Déjà 3 heures après l’ensemencement, on trouve dans le 
sérum de nombreux bacilles nettement agglutinés, à côté des- 


422 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


quels on peut encore distinguer des spores. Tout cela est encore 
retrouvé après 24 heures. 

Dans le bouillon témoin il y a, 3 heures après l'introduction 
des spores comme 24 heures plus tard, une très grande quan- 
tité de bacilles, très mobiles et point en amas. 

Dans le sérum chauffé à 60°, il y a, comme dans le sérum 
ordinaire, d’abord une disposition des spores en amas; mais, au 
bout de 3 heures, la germination survient, avec forte pullula- 
tion des bacilles. L’agglutination disparaît, et on ne trouve plus 
de spores. 

Le mélange à parties égales d’une émulsion de spores et de 
sérum n’est pas très favorable à l'étude de ces processus, parce 
que, avec cette proportion, l’action du pouvoir bactéricide du 
sérum ne peut pas bien être mise en évidence. Avec un ense- 
mencement plus faible (4 : 10), la formation d'amas de spores a 
lieu en quelques minutes, le mouvement moléculaire cesse, et 
les spores restent dans cet état d’immobilisation pendant quelques 
heures sans germer. Tandis qu’en employant le sérum chauffé ou 
le liquide péritonéal normal, la germination se fait en 3 ou 
4 heures, le mélange étant dans le rapport de 1 : 10, celle-ci 
n’arrive qu'au bout de 24 heures ou même plus tard si l’on se 
sert du sérum normal, 

Il est aisé de tirer des conclusions intéressantes de toutes 
ces expériences in vitro et de l'examen microscopique. 

Il est d’abord évident qu’un certain nombre de spores de 
b. subtilis peut être complètement stérilisé in vitro dans le sérum 
normal. 

Les spores sont longtemps empèchées de germer, et une fois 
qu’elles ont donné de jeunes bacilles, ceux-ci périssent, tués par 
l'action du sérum. Il ne s’agit done pas ici d’un pouvoir sporicide, 
mais seulement d’une action bactéricide secondaire, qui a pour 
point, de départ une influence gènante du sérum vis-à-vis des 
spores. 

Il résulte, en second lieu. de nos expériences, que la diminu- 
tion frappante des spores qu'on observe quelques heures après 
l’ensemencement, ne témoigne pas de leur destruction complète, 
comme le pensent tous les auteurs. Elle est due plutôt à ce que 
les spores s’accolent en amas, de sorte qu'en prélevant une 
goutte il est plus difficile d’en trouver, et d’autre part à ce qu'une 


ACTION SPORICIDE DU SÉRUM. 423 


colonie sur plaque de Pétri ne correspond pas à un individu, 
mais à un groupe de spores. 

M. Leclef n’a pas observé cette agglutination des spores. Il 
constata, il est vrai, la formation des groupes, mais seulement 
après leur germination et dans le sérum chaulfé. Ce phénomène 
Jui échappa complètement dans le sérum normal, quoiqu'il s’y 
montre encore plus clairement et y persiste plus longtemps. 

Agglutination. — Nous avons dit qu’en faisant l’examen en 
goutte suspendue, on voit les bacilles isolés et mobiles se mettre 
en amas au bout de 5 à 10 minutes, si l'on ajoute un dixième 
du volume de sérum normal de lapin ou de cheval, ou de sérum 
chauffé, ou enfin de liquide péritonéal. 

Quelques bacilles seulement restent isolés et mobiles. De 
même, dans un tube à essai, la culture s’agglutine et se 
dépose au fond. Nous n’avons pas essayé d'obtenir cette aggluti- 
nation avec une quantité plus petite de sérum, mais par contre 
nous avons vu que l’addilion de sérum, dans la proportion de 
1 : 1, produit ce phénomène très rapidement, et sous le micros- 
cope on peut observer de très grands amas de bacilles. 

Il n’est pas aisé de décider si ce phénomène doit être envisagé 
comme l'ont fait MM. Gruber et Durham, c’est-à-dire comme 
une aclion spécifique du sérum vis-à-vis du b. subtilis, microbe non 
pathogène. Il faudrait, pour y arriver, entreprendre encore 
d’autres expériences sur des microbes non pathogènes. Nous 
voulons encore mentionner que nous avons obtenu l’agglutina- 
tion avec le bacillus prodigiosus, mais pas du tout avec la bactérie 
charbonneuse et le vibrion cholérique. 


EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX 


On a injecté à des lapins une émulsion abondante de spores 
de b. subtilis dans la veine marginale de l'oreille. Cinq animaux 
périrent après injection de 2 c. c. Tous supportèrent celle de 
4 c. c. et augmentèrent même sans exception de poids. 
Ils furent sacrifiés à des intervalles réguliers, et leurs organes 
examinés au point de vue de leur contenance en b. subtilis. On 
enleva des fragments d'organes de la grosseur d’une noix, on 
les broya avec du sable et de l’eau stérile dans un mortier, et 


42% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avec la bouillie ainsi obtenue, on fit trois plaques de Pétri. Voici 
les résultats : 

Lapin 1, sacrifié 8 jours après l'injection. Poumon, rate, foie, rein, 
moelle osseuse : masse de colonies de bacillus subtilis. Sang, stérile, 

Lapin 2 sacrifié 14 jours après l’injection, même résultat en 1. 


— 3 — 3 semaines — — — 

SAR ot Ra = a Er 

— 5 — 2 mois colonies moins nomb. que 1. 

— 6 — 2 mois et demi quelques col. d. la rate. Rien 
ailleurs. 

ML = 3 mois et demi Tous les organes sont stériles. 


Il résulte de ces expériences que l'organisme n’est débar- 
rassé du b. subtilis qu’au bout de trois mois. 

Il s’agit maintenant de savoir si le subtilis éliminé de l’orga- 
nisme en a disparu à l’état de spore ou de bacille. 

L'examen histologique des organes se prêtant mal à l’obser- 
valion des spores, la solution fut abordée par voie indirecte, 
Une partie de l’émulsion a servi à faire des plaques de gélose 
après avoir été bouillie pendant une minute. 

Les plaques qui devaient rester stériles, si l’émulsion d’or- 
ganes n'avait contenu que des bacilles, montrèrent toujours un 
riche développement de colonies de subtilis, bien qu'à la vérité 
moins nombreuses qu'avec l’émulsion non bouillie. 

Nous n’en sommes pas moins autorisés à affirmer que les 
spores du bacillus subtilis peuvent séjourner trois mois dans 
l'organisme d’un lapin, et ainsi se trouvent confirmées les 
affirmations de Wyssokowitch. 

Comme nos expériences in vitro confirment d'un autre côté 
les conclusions de Leclef, nous nous trouvons en présence de là 
contradiction que nous avons déjà signalée plus haut. Il existe 
cependant un moyen très simple de la résoudre. Les expériences 
de Wyssokowitch, pas plus que les nôtres, ne concluent contre 
l'existence du pouvoir bactéricide du sérum dars l’organisme 
vivant. Et cela pour les raisons suivantes. Nous avons vu que 
le sérum n’est capable de détruire qu'une certaine quantité de 
spores, c’est ainsi qu'une anse de platine, contenant trois milli- 
grammes d’une riche émulsion de spures, doit être ensemencée 
dans À ec. c. de sérum de lapin pour qu'il en résulte une des- 


ACTION SPORICIDE DU SÉRUM 425 


truction complète. Il résulte de là que pour détruire 1 e. c. de 
l'émulsion (c’est la dose que nous injections dans les veines) il 
faudrait au moins 300 c. c. de sérum sanguin. Mais un lapin 
de taillé moyenne ne renferme guère plus de 160 c. e. de sang. 
De telle sorte que Wyssokowitch et nous-même avons injecté 
dans les expériences une quantité beaucoup trop grande de 
spores pour pouvoir compter sur leur destruction par le sérum. 

En effet, en injectant à quelques lapins 1/6 de c. c. dans les 
veines, voici les résultats que j'ai obtenus : 

Lapin 8, tué au bout de 3 jours; dans le poumon, rate, foie, 
rein, moelle osseuse, abondante culture de subtilis ; dans le sang, 
point. Lapin 9, tué au bout de 8 jours. Lapin 10, tué au baut de 
10 jours; tous les organes sont absolument stériles. 

Par conséquent, les spores disparaissent après un temps 
très court, si leur quantité est convenable. 

On voit par là que les résultats obtenus par M. Wyssokowitch 
ne contredisent nullement l’existence d’un pouvoir bactéricide 
du sang dans l'organisme vivant. Mais, d'autre part, ils ne le 
démontrent pas davantage. Au contraire, on peut toujours 
objecter que, dans ce cas, ce n’est pas le pouvoir bactéricide, 
mais l’action phagocytaire qui fait périr les spores. 

La démonstration directe du rôle des phagocytes est extraor- 
dinairement difficile. Des expériences avec des petits sacs de 
collodion, contenant des spores et introduits dans la cavité péri- 
tonéale d’un lapin, nous ont donné des résultats peu décisifs. 

C'est pourquoi nous avons abandonné cette méthode, et 
nous avons prélevé aseptiquement sur l'animal vivant de la 
lymphe péritonéale que nous avons ensemencée de suite êw vitro 
avec des spores. De nos expériences répétées ressort ce fait 
intéressant, que la lymphe péritonéale ne présente absolument 
aucun pouvoir bactéricide, pas même in vitro. En effet, les spores 
s’y sont toujours développés abondamment et plus rapidement 
même que dans le sérum sanguin chauffé à 60°. 

Dans le but de constater si les leucocytes sont bien les 
véhicules des substances bactéricides, et si ce sont eux qui 
communiquent ce pouvoir au sérum, nous avons entrepris 
l'expérience suivante. Nous avons injecté à un lapin 10 €. c. de 
bouillon stérile dans la cavité péritonéale. Par ce moyen, on 
provoque la formation d’un abondant exsudat stérile. 24 heures 


426 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


après, on prélève aseptiquement de cet exsudat, et après avoir 
attendu 24 heures encore, pour que les leucocytes soient 
déposés au fond du tube à essai, on prélevait au moyen d’une 
pipette le liquide privé de cellules qui surnageait, et l’on ense- 
mençait avec les spores de subtilis. Ce liquide a présenté un pouvoir 
bactéricide manifeste, tout aussi énergique que celui du sérum 
sanguin servant de témoin. Ce pouvoir bactéricide peut être 
expliqué de deux façons. On peut admettre, d’après M. Metch- 
nikoff, que les substances bactéricides ont diffusé in vitro hors 
des leucocytes ; ou bien on peut penser qu’elles existaient déjà 
dans l’exsudat chez l’animal vivant. Pour résoudre cette question, 
nous avons injecté une émulsion, très riche en spores, directe-- 
ment dans la cavité péritonéale d’un lapin. Nous avons retiré à 
divers intervalles, au moyen d’une pipette capillaire, une goutte 
d’exsudat pour examiner ce que devenaient les spores. Un 
animal qui en avait reçu 3 c. c. mourait au bout de 8 jours. 
L’exsudat péritonéal, le foic, la rate donnaient d’abondantes 
cultures de subtilis. Au contraire, le sang était stérile. En règle 
générale, la quantité injectée, 1,5 ce. e. d'émulsion, fut toujours 
bien supportée par l’animal. 

L’exsudat retiré au bout de 8, 12, 24, 36 et 72 heures était 
toujours très riche en leucocytes mono et polynucléaires. 

Les ensemencements donnèrent sans exception des cultures 
pures et fort riches en subtilis. 


CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'IMMUNITE 
VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS 


Par LE D' PODBELSKY, pe Kazan 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff. 


L'étude des moyens de défense de l'organisme animal contre 
l’'envahissement des bactéries, et en particulier des spores, a une 
grande importance théorique et pratique. 

Nous nous sommes proposé d'étudier dans le présent travail 
ce qui se passe avec les spores d’un saprophyte assez répandu 
dans la nature, du bacillus subtilis, lorsqu'on l’introduit dans le 
corps du lapin. La bibliographie de la question, que nous allons 
rapidement passer en revue, n’est pas bien riche. 

Fodor: a le premier montré que le sang de l’animal vivant 
tue les bacilles du foin. Il injectait dans les vaisseaux sanguins 
des lapins de très grandes quantités de b. subtilis, et constatait 
chaque fois qu'ils disparaissaient du sang au bout de 4 heures, 

Wyssokowitch”?, cherchant le sort des microbes pathogènes et 
saprophytes introduits dans le système vasculaire des animaux 
à sang chaud, étudia aussi les spores du D. subtilis. 

En ensemençant des gouttes de sang sur plaques, il a vu que, 
déjà 45 ou 30 minutes après l'injection, elles ne donnaient plus de 
cultures. Il sacrifiait ensuite des lapins à différents intervalles 
après l'injection intraveineuse, mélangeait des morceaux des 
organes avec de la gélatine qu'il coulait en plaques; ces dernières 
donnaient des colonies qui étaient surtout nombreuses avec des 
morceaux de rate et de foie... Le sang du cœur ne contenait 
jamais de spores. Chez un lapin sacrifié 78 jours après l'injection, 
on a trouvé encore des spores vivantes dans la rate et le foie. 

4. Berichte aus Ungarn, von Frôhlich. Bd.IILS. 223, cité dans la thèse de Tna- 


PEZNIKOFF : « Du sort des spores dans l’organisme animal », 1891, p. 5. 
2, W. WyssoxowitcH, Zeitschrift für Hygiene, Bd. I, 1886, p. 2-75. 


428 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Pour Wyssokowitch, les moyens de défense de l’organisme 
contre les microbes résident dans l’endothélium des parois vas- 
culaires et dans les cellules du foie, de la rate et de la moelle 
des os. = 

Trapeznikoff ! introduisait des spores du bacillus subtilis dans 
la chambre antérieure de l'œil des lapins. En examinant les 
gouttes prélevées 17, 23 et 48 heures après, l’auteur trouvait 
des spores à l’état libre et dans les leucocytes, mais jamais il ne 
voyait ni bacilles, ni filaments. En ensemençant avec des spores 
des gouttes pendantes d'humeur aqueuse, il remarquait, déjà 
18 heures après, l'apparition de quelques bâtonnets mobiles : ces 
derniers devenaient plus nombreux 48 heures après, et, en plus, 
ils donnaient naissance à des filaments. 

Le fait que les formes végétantes se rencontraient dans les 
parties périphériques de la goutte pendante fit conclure à l'au- 
teur que si, dans la chambre antérieure de l'œil, les spores ne 
végètent pas, c’est parce qu’elles manquent d'oxygène. 

Dernièrement M. Leclef* a fait une série d'intéressantes 
observations, dans le laboratoire de M. Denys, concernant l’action 
sporicide du sérum de lapin en dehors de l'organisme sur les 
spores du bacillus subtilis et du bacille des pommes de terre. L’au- 
teur ensemençait le sérum normal avec un mélange de spores, 
et montrait que déjà le lendemain le germe devenait stérile. 
L'examen microscopique du sérum ensemencé a montré que les 
spores donnent naissance à des bacilles, et que ces derniers sont 
tués par le sérum. 

Buchner a établi les trois propriétés suivantes de Ia substance 
sporicide : ° elle est détruite par chauffage à 60°, 2° elle manifeste 
son action en présence de certains sels, et 3°elle conserve son pou- 
voir quand on ajoute une certaine quantité de substances nutri- 
tives pour les microbes. En opérant avec le sérum dans les con- 
ditions indiquées, Leclef est arrivé à la conclusion que les sub- 
stances bactéricides et Sporicides sont identiques. 

Les observations de Leclef établissent ce fait que le sérum 
jouit des propriétés sporicides in vitro, mais ne disent pas si ces 
propriétés sont propres au sérum dans l'organisme, et cependant 
les expériences de Wyssokowitch, décrites plus haut, laissent 


4. Tnapeznixorr, Thèse citée, 1891. 
2. Lecuer, La Cellule, T. X, 1894, p. 349-375. 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 429 


supposer que le plasma du sang vivant agit sur les spores autre- 
ment. 

Tout récemment, M. Halban a étudié la façon dont agit le sérum 
sur les spores du bacillus subtilis en dehors de l'organisme et dans 
l'organisme même; les résultats auxquels il est arrivé sont 
exposés dans ce même numéro des Annales. 

Si l’on met en regard les conclusions des auteurs dont nous 
venons de résumer les travaux, on ne tarde pas à constater qu'il 
y a une discordance. Pour Fodor, c’est le sang tout entier qui 
défend l'organisme contre les microbes; pour Wyssokowitch, 
c’est l’'endothélium des vaisseaux et les cellules des organes. 
Leclef affirme que c’est le sérum. De sorte que la question de la 
défense de l’organisme contre les spores n’est pas encore bien 
assise. 

Nous nous sommes proposé de faire d’abord une étude plus 
détaillée du sort des spores dans l'organisme, et ensuite d’obte- 
nir une race modifiée du bacillus subtilis pouvant résister au pou- 
voir bactéricide du sérum. 


ACTION DU SÉRUM DE LAPIN SUR LES SPORES EN DEHORS DE L'ORGANISME 


Avant de passer aux injections des spores à des lapins, j'ai 
cru nécessaire de m’assurer de l’action sporicide ‘ du sérum frais 
normal in vitro. 

Le sang retiré de l'artère carotide du lapin était recueilli 
aseptiquement dans un tube spécial, qu'on laissait pendant 
24 heures dans un endroit obseur et à la température de la 
chambre. Le sérum obtenu de cette façon, limpide et clair, 
dépourvu des éléments figurés du sang, était distribué dans des 
tubes stériles par doses de # ec. e. 

Pour l'ensemencement du sérum, on se servait d’une émulsion 
de spores du bacillus subtilis en bouillon. Des voiles âgés de 5 à 
7 jours, ràclés de la surface de tubes de gélose non peptonisée, 
étaient soigneusemont disloqués dans 4 à 4,5 c. c. de bouillon 
ordinaire, Afin de tuer les formes végétatives, le tube à essai 
contenant le mélange était placé dans un bain-marie chauflé à 

1. Nous nous servons ici et ailleurs de l'expression € action sporicide » pour 


abréger; en réalité, les spores végétent et donnent naissance à des bacilles qui, 
eux, sont tués par le sérum, 


430 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’ébullition pendant 3 à 4 minutes. Après refroidissement du 
bouillon, il se formait dans ses couches supérieures un mélange 
uniforme de spores. C'est le mélange obtenu de cette façon qui 
servait à ensemencer le tube à sérum normal, à raison d’une. 
anse pour # c. c. Pendant tout le cours de l'expérience, l’on se 
servait de la même anse qui contenait 3,000 spores, comme 
l'ont montré les ensemencements sur gélose dans les boîtes de 
Petri. 

Après l’ensemencement du sérum avec le mélange des 
spores, nous mettions le sérum à l’étuve et en prélevions une 
anse à différents intervalles pour l’ensemencer sur gélose dans 
des boîtes de Petri. Ces dernières restaient à l’étuve pendant 
24 heures et plus, puis on comptait le nombre de colonies déve- 
loppées. Les expériences concernant l action sporicide du sérum 
ont été répétées plusieurs fois, et chaque fois les résultats étaient 
les mêmes, comme l’on peut en juger par le tableau suivant. 


TEMPS 


Dans 

2 heures. 
Dans 
heures. 


|: 


D’ENSEMENCEMENT 


Immédia- 
tement 

2 semaines 

3 semaines 


Nombre des colo-|innomb.| 211 
nies. 


Il s’ensuit que le sérum frais tue les bacilles du foin dans 
À ou 2 jours. Quant à l’aspect extérieur du sérum, il était, 
24 heures après l’ensemencement comme il l'était avant, clair et 
limpide; cela durait pendant 15 à 18 jours, après quoi la limpi- 
dité devenait moins franche; il se formait au fond du tube un 
petit précipité d’une couleur blanc grisätre; ce précipité agité 
se présentait sous forme de petits flocons et était formé des sels 
du sérum. 

Le sérum de trois jours manifestait les mêmes propriétés 
que le sérum frais. L'action sporicide du sérum était nette seule- 
ment dans le cas où la quantité de spores n’était pas trop consi- 
dérable. Si on prenait 3 anses du mélange des spores pour 4 c. c. 
du sérum ou 4 anse pour 2 c. c., l’action sporicide ne s’observait 
que pendant les premières heures après l’ensemencement ; au 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 431 


bout de 24 heures, les spores donnaient naissance à des bacilles, 
lesquels poussaient déjà facilement dans le sérum. 

Le sérum distribué dans des tubes à essai, en quantité de 
4 c.c., était soumis pendant une heure à 60° et était ensemencé 
après avec une anse du mélange très riche en spores. Dans tous 
les tubes, le sérum ainsi traité n'empêchait pas le développement 
des spores, ayant perdu tout à fait la propriété sporicide propre 
au sérum non chauffé. 

Mes expériences sont donc en accord complet avec celles 
de Leclef et Halban, qui ont établi que le sérum normal frais des 
lapins a la propriété in vitro de tuer le bacillus subtilis, 

Une question se pose alors : la substance sporicide du sérum 
est-elle due au plasma sanguin, ou aux leucocytes qui, en se 
détruisant pendant la coagulation, laissent diffuser dans le sérum 
la dite substance? IL n’est guère possible, in vitro, de séparer 
l’action du plasma de celle des substances qu'y versent les leu- 
cocytes détruits. Pour résoudre ce problème, il était indispen- 
sable de faire une série d'expériences en introduisant les spores 
dans l'organisme même, et d'y étudier l’action du sérum. En 
plus, il était possible d'éliminer dans le corps de l'animal l'in- 
tervention d’un des facteurs indiqués, à savoir, les leucocytes, 
ce qu'on obtient en introduisant les spores protégées par une 
enveloppe quelconque, qui d’une part empêche l’accès des élé- 
ments cellulaires du sang, et, d'autre part, laisse librement passer 
les substances dissoutes dans le plasma. 


INTRODUCTION DES SPORES EN SACS EN ROSEAU DANS LA CAVITÉ PÉRITO- 
NÉALE DES LAPINS 


La membrane qui tapisse la cavité intérieure des roseaux 
fournit un récipient très commode pour des spores, étant donné 
que la diffusion s’y accomplit très suffisamment, comme nous 
le montrerons plus loin. Comme lieu d'introduction on s’est 
arrêté à la cavité péritonéale, vu les dimensions des sacs et les 
conditions favorables à l’osmose, 

La technique de préparation des sacs n’est pas bien compli- 
quée. On laisse macérer pendant une heure des segments de 
roseaux dans de l’eau chaude; on les taille ensuite comme un 


432 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


crayon jusqu'à ce qu'on arrive à la membrane intérieure; on lie 
celle-ci à l’une des extrémités, et, à l’aide d'une fine baguette 
introduite dans l’intérieur du roseau, on pousse devant elle la 
membrane qui apparaît à l’autre extrémité en forme de doigt. 
de gant. Nous introduisions ensuite un petit tube en verre 
dans une extrémité des sacs précédemment obtenus, et dans 
l’autre une petite ampoule destinée à faciliter la manipula- 
tion, après quoi les susdits sacs étaient fortement liés à leur par- 
tie supérieure. On s'assure que le sac ainsi obtenu n’a pas de 
fissures quand, plongé dans l’eau, il ne se produit pas de bulles 
lorsqu'on souffle dans le sac à l’aide d’un tube. On remplissait le 
sac avec 1 ou 1,5 €. c. d’eau physiologique, on le plaçait dans des 
tubes à essai contenant un peu d'eau, et on chauffait le tout à 
l’autoclave à 115°. Avant d'introduire le sac dans la cavité péri- 
tonéale, on l'ensemençait avec une anse du mélange très riche 
en spores (ce mélange était contenu dans du bouillon que l’on 
diluait avec trois fois son volume d’eau stérilisée) ; après l’en- 
semencement, on liait le sac avec un fil au-dessous du tube en 
verre, et on plongeait les deux extrémités du sac dans du collo- 
dion. 

Nous pratiquions la laparatomie chez des lapins en les 
endormant avec de l’éther. Après avoir enlevé les poils, nous 
désinfections la peau du ventre. Disons ici une fois pour toutes 
que, dans toutes nos expériences avec des animaux, nous pre- 
nions toutes les précautions possibles contre l'infection. L'inci- 
sion de la peau le long de la ligne blanche avait 3 à 4 centimètres, 
celle du péritoine était deux fois moins longue. Nous introdui- 
sions le sac dans la cavité péritonéale; quant au fil attaché à son 
extrémité pourvue de l’ampoule en verre, nous le gardions entre 
la première série des points de suture, pour avoir ultérieurement 
un point de repère pour retrouver le sac. 

Nous abandonnions le sac pendant 2, 3, 4,5,7,10 et 15 jours. 
Dans les cas où les sacs restaient dans la cavité péritonéale 
10 et 15 jours, nous les trouvions entourés d’une couche épaisse 
de leucocytes et fort comprimés; il était même difficile de 
distinguer leurs parois de la couche leucocytaire, et aussi difficile 
de retrouver leur cavité. C’est pour cela que nous ne laissions 
pas les sacs dans le corps plus de 7 jours. Généralement le con- 
tenu des sacs, après l'extraction, était deux fois moins volumineux 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 433 


que lors de leur introduction, ce qu'il faut mettre naturellement 
sur le compte de la diffusion de la solution physiologique. 

Après avoir retiré le sac de la cavité péritonéale, nous brü- 
lions ses parois avec du fer rouge, et nous prélevions avec une 
pipette son contenu; ce dernier était ordinairement trouble et ren- 
fermait en suspension des flocons blanchâtres. 

Le liquide ainsi obtenu nous servait pour faire une goutte 
pendante, faire une série de préparations colorées, et ensemencer 
un tube de gélose (avec une anse). 

Nous avons pratiqué la laparotomie à 8 lapins, dont deux ont 
reçu dans la cavité péritonéale un second sac après l'extraction 
du premier. 

Dans tous les cas, l'examen du contenu du sac en goutte 
pendante a montré une grande quantité de bactéries et peu 
de filaments; on voyait aussi une quantité suffisante de 
spores. 

Sur les préparations sèches, les bactéries se coloraient bien 
avec le bleu de méthylène, et ne présentaient pas de formes 
anormales. Les ensemencements du contenu du sac sur gélose 
étaient toujours suivis d’une culture abondante du bacillus 
subtilis. 

A l’état frais, aussi bien que sur préparations colorées, on 
pouvait observer un entassement de microbes en petits amas, 
c’est-à-dire des phénomènes d’'agglutination. 

Nos recherches montrent donc que dans le corps animal les 
spores, se trouvant à l'abri des leucocytes en même temps que 
sous l’influence des substances diffusibles du plasma sanguin, 
ne s'arrêtent point dans leur développement, donnent des 
bacilles, et ces derniers continuent à pousser dans le liquide du 
sac. 


LA DIFFUSION A TRAVERS LES PAROIS DE LA MEMBRANE DES ROSEAUX 


Afin de savoir si la diffusion a lieu à traversles parois des sacs, 
nous avons fait les expériences suivantes. Nous mettions des 
sacs contenant 1,5 à 2 ce. c. de sérum normal frais dans des 
tubes à essais, en les pliant préalablement en deux sous forme de 
U. Ces tubes renfermaient, dans une série d'expériences, de 


28 


434 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l’eau physiologique ; dans une seconde série, du sérum chauffé 
pendant une heure à 600; dans la troisième série, de l’eau sté- 
rilisée. Les extrémités liées des sacs se trouvaient au-dessus du 
niveau du liquide dans les tubes. Nous avons mis ces derniers à 
l'étuve à 37° pendant 2, 3, 4, 5 jours, après quoi nous avons retiré 
aseptiquement le contenu des sacs et l’avons transporté dans 
d’autres tubes. Le sérum normal ainsi que le liquide qui à 
diffusé étaient ensemencés avec une anse du mélange riche en 
spores (bouillon dilué de trois vol. d’eau), et les liquides ainsi 
ensemencés étaient mis à l’étuve pendant 24 heures. Nous en 
avons prélevé de chacun d'eux une goutte, après les avoir agités 
préalablement, pour en ensemencer des boîtes de Petri. Les 
résultats de cette méthode sont indiqués dans les tableaux ci-des- 
sous. Les liquides qui se sont diffusés mutuellement sont réunis 
par une accolade : 


EXPÉRIENCE A. 


= QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES 
| NOM DU LIQUIDE ! EVE 
du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques. | 


Sérum normal 1/2Rcuc: jours. 39 À 
| Solution physiologique. JE Jours. Grande quantité. 


Sérum normal 2 jours. 44 : 
Solution physiologique. 3 Jours. Grande quantité. 


Sérum normal 2 3 Jours. 340 
Solution physiologique. 2 3 Jours. Grande quantité. 


QUANTITE | DURÉE 


NOMBRE DE COLONIES! 
du liquide. ide la diffusion. 


sur les pla Léna oc S. 


l 


1 NOM DU LIQUIDE 
| 
| 


Sérum chauffé 2 4 jours. Grande quantité. 


Sérum normal 


19 4] 37 
Sérum chauffé......... 1/2 4 jours. 


Grande quantité. 


150 
Grande quantité. 


Sérum normal 
Sérum chauffé 


6.0, 


4/2 Jours. 
4/2 ù jours. 


OMC URI 


5 
| 
Sérum normal. 4... DACIIC: 4 jours. 15 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 435 


EXPÉRIENCE C. 


QUANTITÉ DURÉE NOMBRE DE COLONIES 


At RE UETE du liquide. |de la diffusion.| sur les plaques. 


{ Sérum normal PIC: 2 jours. 3 EE 
| Eau stérilisée 2 jours. Grande quantité. 


{ Sérum normal 4/2 3 Jours. 215 


| Eau stérilisée 4.1/2 3 jours. Grande quantité. 


{ Sérum normal 2 5 jours. ; 610 
| Eau stérilisée > Jours. Grande quantité. 


Pour compléter les expériences indiquées dans le tableau C, 
nous avons pris # tubes à essai, dont chacun renfermait 2 €. €. 
du sérum normal frais et autant d’eau stérilisée, et nous les avons 
ensemencés avec le même mélange de spores, après quoi ils ont 
été mis à l’étuve pendant 24 heures. Dans chacun de ces tubes, 
on a ensuite prélevé une anse de platine pour en faire des 
plaques ; les deux premières plaques n’ont pas donné de colonies, 
la troisième a donné 63 colonies et la quatrième 100. Il s'ensuit 
donc que l'addition au sérum d'une quantité égale d’eau ne lui 
enlève pas la propriété sporicide, mais l’affaiblit un peu. 

En outre, nous avons plongé dans plusieurs tubes à essai, 
contenant de l’eau stérilisée, des sacs renfermant du sérum 
normal et pliés en deux en forme de U; nous avons mis le tout 
à l’étuve à 37° pendant 2 à 6 jours; puis, après avoir retiré les 
sacs, nous cherchions dans les tubes de l’albumine. Dans tous 
les cas, la réaction xanthoprotéique a donné un résultat positif, 
Pour nous assurer que l’albumine ne provient pas des parois 
mêmes des sacs, nous avons placé, dans trois tubes à essai ren- 
fermant chacun 2 ec. c. d’eau, des sacs vides, stériles: après 
3, 4, 5 jours de séjour à l’étuve, la recherche de lalbumine a 
donné un résultat négatif. 

Les expériences que nous venons d'exposer montrent que la 
substance sporicide du sérum contenu dans les sacs diminuait, et 
que l’albumine passait en parte dans l’eau contenue dans le 
tube à essai; tout ceci permet de conclure que la diffusion de 
la substance sporicide à travers les sacs des roseaux est cer- 
taine. 


436 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


INJECTION DES SPORES DANS LE TISSU SOUS-CUTANÉ 


Pour étudier les modifications que peuvent subir les spores” 
mises directement dans le corps animal, nous avons injecté un 
mélange riche en spores (en solution physiologique) dans le 
tissu sous-cutané, dans la chambre antérieure de l'œil et dans 
la cavité péritonéale. Nous avons injecté À à 4,5 c. c. du 
mélange (200,000 à 300,000 spores) sous la peau du ventre des 
lapins. 

Le lendemain, la peau, au lieu d'injection, était un peu rouge 
et œdématiée; ces phénomènes locaux persistaient pendant 3 à 
5 jours. Nous retirions l’exsudat formé dans le tissu sous-cutané 
au bout de 24, 48 et 72 heures, avec une pipette stérilisée, après 
avoir brülé préalablement la peau avec un fer rouge, et nous 
faisions une goutte pendante des préparations colorées (fachsine 
et bleu de méthylène), et enfin nous prélevions une goutte pour 
l’ensemencer sur gélose, pour nous assurer de la vitalité des 
microbes retirés de l’exsudat. 

Au début, nous n'avons réussi à colorer les spores, dans 
les frottis provenant de l’exsudat, qu’en employant le procédé 
de Müller modifié. Après la fixation de la préparation sur la 
flamme d’un bec de gaz, elle était traitée pendant 10 à 12 minutes 
par l’acide chromique à 5 0/0, puis lavée à l’eau; la lamelle 
était ensuite mise dans la solution de fuchsine de Ziehl, chauffée 
jusqu’à l’ébullition 15 à 20 minutes, puis décolorée pendant 
quelques secondes dans le chlorhydrate d’aniline à 2 0/0, lavée 
à l'alcool, à l’eau, puis colorée par le bleu de méthylène. La 
préparation séchée était enfin incluse dans le baume de Canada. 
Ce procédé donnait une coloration très belle et très nette : les 
spores étaient colorées en rouge et les noyaux des leucocytes 
en bleu. 

En outre, nous avons essayé à plusieurs reprises le nouveau 
procédé de coloration des spores proposé récemment par 
M. Aladar Aueszky (Centralbl. f. Bacteriol., n° 8, 1898), qui se sert 
d’une solution chaude d’acide chlorhydrique à 2 0/0 comme 
mordant. Ce procédé, en dehors d’une petite économie de temps, 
ne présente pas d’autres avantages et nous l’avons abandonné. 

En examinant l’exsudat sur des préparations colorées, nous 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 437 


avons constaté une grande quantité de spores: celles-ci se 
trouvaient surtout dans l’intérieur des mononueléaires, où elles 
étaient au nombre de 3 à 15 et plus, tandis que dans les polynu- 
cléaires elles étaient plus rares : ordinairement on n’en ren- 
contrait qu'une ou deux; en plus on voyait quelques spores 
libres, en dehors des leucocytes. Dans la goutte pendante, c’est 
aussi dans les leucocytes qu’on observait des spores. Nous 
n'avons jamais constaté des bâtonnets, Dans l’exsudat retiré 
72 heures après, il y avait très peu de spores ; au bout de 4 jours, 
il n’y en avait plus du (out. Les ensemencements des gouttes 
d’exsudat donnaient pendant les 3 premiers jours des cultures 
pures sur gélose : au bout de 4 jours ils restaient stériles. 
L'injection sous-cutanée des spores a été pratiquée sur 
10 lapins: sur ce nombre, trois nous ont fourni l’exsudat, deux 
fois avec un intervalle de 24 heures. 
Les mêmes lapins ont reçu l’injection des spores dans {4 
chambre antérieure de l'œil. La cornée était lavée à l’eau stérilisée, 
puis piquée avec une pipette eflilée, dans laquelle montait une 
quantité voisine de 1/6 de e. e. d'humeur aqueuse, puis nous injec- 
tions, à l’aide d’une aiguille de seringue, deux à trois gouttes 
(12-18000 spores) du mélange des spores. Le lendemain, la 
conjonctive était rouge, la cornée légèrement trouble au voisi- 
nage de la piqûre, et dans l'humeur aqueuse on voyait un petit 
trouble, des dimensions d'une tête d’épingle, qui augmentait 
et doublait en 3-4 jours. Les prises du liquide de la chambre 
antérieure étaient faites dans les mêmes intervalles que pour 
l'exsudat du tissu sous-cutané. Sur les préparations colorées, 
on à pu constater que les spores se trouvaient à l’intérieur 
des leucocytes, notamment des mononucléaires, très rarement 
à l’état libre. L'examen en goutte pendante a confirmé les 
résultats obtenus avec les préparations colorées. L'ensemen- 
cement de l'humeur aqueuse sur la gélose donnait une culture 
abondante et typique au bout de deux jours de séjour à l'étuve. 
. Au bout de trois jours, on trouvait déjà peu de spores dans 
la chambre antérieure de l'œil, et, au bout de quatre, l’on ne 
pouvait plus constater la présence des spores ni par la coloration 
ni par l’ensemencement. Cependant le trouble persistait dans 
la chambre antérieure encore durant 10 jours et plus. 
Nous avons ensemencé plusieurs fois l'humeur aqueuse 


438 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


normale avec des spores du bacillus subtilis. Après 16 heures de 
séjour à l’étuve, on pouvait déjà voir des bacilles mobiles ; après 
28 heures, il y avait déjà un grand nombre de bacilles et les 
filaments commençaient à se développer ; après 48 heures, il n°y 
restait qu'une toute petite quantité de spores non transformées. 
Il s'ensuit donc que l'humeur aqueuse ne possède pas in vitro de 
propriétés sporicides. 


INJECTION DES SPORES DANS LA CAVITÉ PÉRITONÉALE 


Nous avons injecté à plusieurs lapins 2,5 c. c. du mélange 
très riche en spores daus la cavité péritonéale. L’exsudat retiré 
20-22 heures après était trouble, très riche en leucocytes et en 
spores; ces dernières se trouvaient le plus souvent et en grand 
nombre dans l’intérieur des mononucléaires, plus rarement des 
polynucléaires ; très rarement elles étaient à l’état libre. Les 
mêmes résultats ont été constatés après 46 et 72 heures. 

Dans l’exsudat retiré après 26 heures, 1l y avait très peu de 
spores, exclusivement dans l’intérieur des leucocytes. 

Cinq jours après l'injection, nous ne sommes pas parvenus à 
constater des spores dans l’exsudat péritonéal à peine trouble, 
ni par la coloration ni par lensemencement sur gélose, tandis 
que les 4 premiers jours, l’exsudat transporté dans le tube de 
gélose donnait une abondante culture du bacillus subtilis. 

Des deux lapins. un a été sacrifié 5 jours, l’autre 6 jours 
après l’injection intrapéritonéale des spores. Après avoir brûlé 
avec un fer rouge la surface de la rate, du foie, des reins et des 
poumons, nous en avons excisé des petits morceaux de un c. €. 
et les avons triturés avec un peu d’eau stérilisée, et mélangés 
avec de la gélose pour en faire des plaques. Tous les organes ont 
donné naissance à une grande quantité de colonies. Le sang a 
été stérile. 

Dans toutes les expériences, qu'il s'agisse de l'injection 
sous-cutanée, intrapéritonéale ou dans la ee antérieure 
de l'œil, nous avons pu constater, aussitôt après l'injection des 
spores, un afflux local des leucocytes, d’abord des polynu- 
cléaires, puis des mononucléaires ; 24 heures après, les uns et 
les autres devenaient très nombreux. Les leucocytes manifestent 
vis-à-vis des spores une chimiotaxie positive, les englobent, 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 439 


empêchent leur végétation, mais ne leur enlèvent pas la vitalité, ce 
que nous prouvent les résultats positifs d'ensemencements. Il faut 
cependant admettre que le séjour des spores dans l'intérieur des 
leucocytes en affaiblit en partie la vitalité, puisqu'elles ne 
donnent de cultures abondantes qu'après un séjour de deux 
jours à l’étuve. 

Après 3 à 5 jours, les spores disparaissent de l'endroit de 
l'injection, étant transportées par les leucocytes dansles organes, 
comme l’ont démontré les ensemencements de ces organes. Les 
spores gardent probablement leur vitalité, grâce à leur enveloppe 
qui résiste au pouvoir digestif des leucocytes. Les expériences 
de Wyssokowitch et de Halban montrent que.lorsqu'on injecte des 
grandes quantités de spores dans les veines, elles restent 
vivantes dans le corps du lapin pendant trois mois. 

Nous avons dit plus haut que, sur les préparations colorées, 
nous avons pu observer des spores à l’état libre; ceci peut être 
dû à des influences purement mécaniques : en retirant l’exsudat 
avec une pipette et en faisant des frottis, il était très facile de 
léser des leucocytes, surtout des éléments si délicats que les 
mononucléaires, d'où apparition des spores à Pétat libre. 


EXAMEN DU LIQUIDE D OÉDÈME 


L'introduction des spores dans des sacs a démontré, comme 
nous l'avons déjà dit plus haut, que les substances solubles du 
plasma sanguin n’arrêtent pas le développement des spores et 
ne tuent pas les bacilles; pour compléter cette expérience, nous 
avons cherché à étudier l’action sur les spores du liquide d’œ- 
dème, presque dépourvu d'éléments cellulaires du sang. 

Nous avons déterminé l’ædème chez les lapins en posant une 
rondelle du caoutchouc à la base de l'oreille. La pression exercée 
par le caoutchouc ne devrait être ni trop forte, pour ne pas com- 
primer l'artère, ni trop faible, pour pouvoir comprimer les veines. 

Quelquefois l’on n’obtenait la pression voulue qu'après 
quelques tätonnements. On retirait la rondelle après un à deux 
jours, après quoi l'oreille restait œdématiée pendant quelques 
heures. Nous retirions le liquide d'œdème avec une pipette. 
Nous ne nous servions pour nos expériences que de liquide 
absolument limpide et incolore, c’est-à-dire privé de toutes 


440 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


traces de sang. (Chaque oreille ne donnait que rarement plus 
de 1 c. c., le plus souvent la quantité du liquide était inférieure 
à ! ec. ec.) Nous laissions le liquide pendant 2% heures, au bout 
desquelles il se formait un coagulum. Le liquide ainsi obtenu 
(séparé du coagulum) était distribué dans des petits tubes à 
essai; nous en prélevions une goutte pour nous assurer que le 
liquide était stérile; puis nous ensemencions les tubes avec 
l'extrémité d’un fil de platine chargé de spores, et24 heures après 
nous retirions une goutte pour préparer des plaques. Avec l’ex- 
trémité de la même aiguille, nous ensemencions une quantité 
correspondante du sérum normal du sang, lequel ensemence- 
ment restait stérile 24 heures après. 

Le liquide d’œdème, comme nous nous en sommes assuré 
par des ensemencements préalables, contenait souvent des 
microbes au moment où il était retiré; 1! va sans dire que nous 
ne nous sommes pas servi du liquide contaminé; cette contami- 
nation in situ est due à ce qu'il se forme des fissures de lépi- 
derme dans les cas d’æœdème considérable, et ces fissures étaient 
des portes d'entrée pour les microbes. 


Le liquide d’æœdème ne manifeste pas d’action sporicide, 
comme l'indique le tableau suivant. 


QUENENE PPT LIQUIDE © NOMBRE DE COLONIES 
d’æœdème. 


0,5 c. c. 217 
AOPCAC: 260 


(LKSACENTES 446 


Les jours suivants, le bacillus subtilis poussait dans le liquide 
d’œdème aussi bien que dans du bouillon. 


EXAMEN DU SÉRUM D'EXSUDAT 


Nos expériences avec l'injection des spores dans la cavité 
péritonéale dans des sacs, d’une part, d'autre part les résultats 
obtenus avec le liquide d’œdème, confirmaient l'hypothèse que 
la propriété sporicide du sérum en dehors de l'organisme est due 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS, 441 


aux substances provenant de la destruction des leucocytes. 
Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons étudié la propriété du 
sérum d’un exsudat très riche en leucocytes. Nous avons injecté 
à cet effet, dans la cavité péritonéale des lapins, divers liquides 
capables de provoquer un afflux leucocytaire, comme bouillon 
frais, solution de peptone à 1 0/0, mélange de bouillon frais 
(3 c. c.) avec sérum de lapin (5 c. c.), eau physiologique ou tu- 
berculine', (3 c. c.) avec de l’eau phys'ologique (7 c. e.). 

Il n’était pas toujours aisé d'obtenir un exsudat abondant 
et riche en leucocytes, comme en témoigne en partie la diver- 
sité des liquides employés. Nous avons obtenu les meilleurs 
résultats en employant le mélange du sérum et du bouillon, 
et aussi le mélange de la tuberculine avec de l’eau physiologique 
(0,6 0/0 NaCIÏ). 

Dans un cas, ayant fait la numération des leucocytes contenus 
dans 1 m. m. ce. d’exsudat, nous en avons trouvé 9,600 ; l'examen 
de la préparation sèche a montré une quantité presque égale 
de mononucléaires et de polynucléaires. 

Nous nous sommes servi pour nos expériences d'exsudat 
péritonéal retiré 20, 24 et 42 heures après l’injection. Vingt- 
quatre heures après la prise de l’exsudat, celui-ci présentait 
deux parties bien nettes, une constituée par les éléments figurés 
et albuminoïdes, l’autre claire, représentant le sérum, que nous 
transportions dans des petits tubes à essai et ensemencions 
avec des spores. 

De pareils ensemencements ont été faits dans des tubes 
témoins, contenant du sérum normal de lapins; ce sérum a 
toujours été stérile déjà au bout de 24 heures. Quant au sérum 
d'exsudat, après l'avoir mis à l’étuve, nous en avons prélevé une 
anse au bout de un jour, deux et trois jours, pour faire des 
plaques. Quand l’exsudat élait trouble et quand lexamen 
microscopique révélait une quantité considérable de leucocytes, 
son sérum ensemencé avec des spores restait stérile pendant un, 
deux, parfois trois jours, et ce n’est que plus tard que les bacilles 
commençaient à y pousser. Ces expériences nous autorisent à 
conclure que, plus l’exsudat contient de leucocytes, plus il 
se rapproche par son pouvoir sporicide du sérum normal du 
sang. 


4. Tuberculinum Kochii, tuberculine brute. 


442 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


SPORES DU BACILLUS SUBTILIS ACCOUTUMÉES A SE DÉVELOPPER DANS LE 
SÉRUM NORMAL 


Le fait que les microbes jouissent d'une certaine plasticité, 
ajouté à celui que les ensemencements abondants permettent de 
résister à l’action sporicide ou bactéricide du sérum, fait espé- 
rer d'obtenir, par des passages successifs, une race du bacillus 
subtilis pouvant résister à la substance sporicide. 

Pour ces expériences, nous nous sommes servi d'un voile d'un 
mois et demi qui s'était formé sur sérum normal; ce voile-a 
servi à faire une première émulsion de spores de bacillus subtilis. 
Nous avons ensemencé une anse de ce mélange dans 2,5 €. c. 
du sérum normal frais; le voile qui s’y est formé a servi de 
semence pour un autre tube contenant 3 c. c. du sérum. De cette 
facon, dans une période de 6 semaines, nous avons fait plusieurs 
passages successifs des spores ; enfin, nous avons pris un peu de 
la culture du dernier passage et en avons ensemencé 4 c. c. de 
sérum normal fraîchement préparé; pour mettre en évidence la 
différence de la nouvelle race avec la race primitive du bacillus 
subtilis, nous avons pris de cette dernière une quantité corres- 
pondante pour une même quantité du sérum (4 €. c.). Les deux 
tubes ont été mis à l’étuve à 37° et, quelques heures après, nous 
avons-pris de chacun une anse pour faire des plaques. Le tableau 
suivant montre la différence d'action qu'exerce le sérum vis-à-vis 
des deux races du bacillus subtilis. 


NOMBRE DE COLONIES APRÈS 


3 heures. 20 heures. | 48 heures. 


3000 


Dans le sérum ensemencéavec la nouvelle race, on constatail” 
24 heures après, des petits flocons blanchâtres ; au bout de 4-5 
jours, il se formait à sa surface de petits voiles qui se confon- 
daient le 6-7° jour en un seul voile avec de nombreux plis. 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. 443 


INJECTION AUX ANIMAUX DES SPORES DE LA NOUVELLE RACE 


Afin d'étudier les modifications que subiront dans le corps des 
lapins les spores de la race obtenue, nous les avons injectées dans 
le tissu sous-cutané, dans la cavité péritonéale et dans les veines. 

Nous avons injecté sous la peau du ventre 1,5 €. e. à 2 c. c. 
d’un mélange riche en spores, et préparé avec des voiles de 7 à 
8 jours sur sérum normal. Une anse du mélange était, après 
le chauffage, mélangée avec de la gélose qui, coulée dans une 
boîte de Pétri, donnait de nombreuses colonies. Cinq heures 
après l'injection à apparu une faible rougeur et de la tuméfac- 
tion ; vingt heures après, ces phénomènes locaux sont devenus 
plus intenses ; ils ‘ont disparu quelques jours après. L’exsudat 
retiré 3, 5, 20, 40 heures du tissu sous-cutané a été au début 
pauvre en leucocytes, puis il en est devenu riche; outre les poly- 
nucléaires il y avait des mononucléaires. Sur les préparations 
colorées, nous avons constaté beaucoup moins de spores que 
lors de l'injection de la race primitive du bacillus subtilis. Les spo- 
res, cette fois-ci aussi, se trouvaient à l’intérieur des leucocytes, 
et exceptionnellement en dehors d'eux. Les bätonnets étaient 
encore moins nombreux que les spores ; le plus souvent ils 
étaient dans les leucocytes ; quelques-unsse coloraient faiblement, 
ce qui indiquait une modification dans leurs propriétés vitales. 

En goutte pendante, beaucoup de bâtonnets manifestaient 
des mouvements assez vifs. Dans l’exsudat retiré au bout de 
trois jours, il n’était pas possible de voir ni bâtonnets, ni spores. 
Les ensemencements sur gélose donnaient des cultures typiques 
du bacillus subtilis pendant les trois premiers jours: au delà de 
trois jours, plus de cultures. 

Nous avons injecté dans la cavité péritonéale 4,5 c. c. à 
2,5 e. c. du mélange riche en spores. L’exsudat a été examiné 
2, 3,5, 7, 22 et 24 heures après. L'examen des préparations 
sèches à permis de constater un petit nombre de bâtonnets 
tantôt dans les leucocytes, tantôt en dehors d’eux : quelques-uns 
se coloraient mal avec le bleu; les spores, aussi peu nombreuses, 
étaient exclusivement dans l’intérieur des leucocytes. 

Quelquefois, à l’examen del’exsudat, l’on ne rencontrait que 
des bâtonnets et point de spores, 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


a 
EC 
Le 


Vu le petit nombre des microbes sur les préparations, nous 
avons pensé qu'ils forment des amas quelque part à la sur- 
face du péritoine; un lapin a été sacrifié 4 heures après l'injec- 
tion, et la surface péritonéale a été soigneusement examinée ;° 
le péritoine a été trouvé uniforme dans toute son étendue, et 
l’exsudat aussi uniformément trouble, sans présenter nulle part 
de flocons; l’étude bactériologique n’a relevé rien de particu- 
lier. Notre supposition n’a donc pas été justifiée. 

Nous nous sommes proposé d'étudier si beaucoup de micro- 
bes viennent de la cavité péritonéale dans des organes; à cet 
effet nous avons sacrifié des lapins à différents intervalles après 
l'injection, et examiné des parcelles des organes par la méthode 
des plaques. Les résultats de nos expériences sont indiqués dans 
le tableau suivant : 


NOMBRE DE COLONIES, LES LAPINS SACRIFIÉS APRÈS 
ET 
ORGANES 


4 jours. 5 jours. 6 jours. 


L'exsudat péritonéal, retiré après 3 jours et ensemencé sur 
gélose, ne donnait plus de culture; il en-résulte qu’à cette épo- 
que une partie des microbes a été détruite ; une autre parue, 
comme le montre le tableau, a été transportée dans les organes, 
lesquels se sont montrés, dans une expérience, déjà stériles au 
bout de 8 jours. 

Les résultats fournis par l’examen microscopique d’exsu- 
dats sous-cutané et péritonéal, diffèrent suivant que l’on a 
injecté des spores de la race primitive ou celle de la nou- 
velle race; dans le second cas il y avait peu de spores et on 
trouvait des formes végétatives, des bâtonnets. II s’ensuit donc 


IMMUNITÉ VIS-A-VIS DU BACILLUS SUBTILIS. A45 


que les spores de la nouvelle race ayant acquis la propriété de 
se développer sur le sérum normal in vitro, donnent aussi, dans 
le corps animal, naissance à des bacilles que les leucocytes vien- 
nent englober, puis digérer; et cependant l'enveloppe des spo- 
res peut probablement résister très longtemps à l’action des- 
tructive des leucocytes. 


INJECTION DES SPORES DANS LES VEINES 


Nous avons injecté à trois lapins, dans la veine de l'oreille, 
Ze. c. du mélange riche en spores. 

Ils ont été sacrifiés 4, 7, 11 jours après; leurs organes ont 
élé ensemencés en plaques sur gélose, et voieéi les résultats 
obtenus après 2 jours du séjour à l’étuve : 


NOMBRE DE COLONIES APRÈS 
SR 
ORGANES 


4 jours. 7 jours. | 11 jours. 


102 


96 


Le sang du cœur a été stérile dans tous les cas. 

En même temps, nous avons injecté à trois autres lapins 
témoins, dans la veine de l’oreille, 1 ec. c. de spores de la race 
primitive ; ils ont été sacrifiés dans les mêmes intervalles que 
dans l’expérience précédente. Les organes de deux premiers la- 
pins ont donné de nombreuses colonies; celui qui à été tué 
41 jours après l'injection a donné : 


RACE Re 820 colonies. 
ROSE er AT 328 — 
Reine em nelene 24 — 


POUMONPÉRER CEE TU 


446 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il en résulte qu'après l’injection dans le sang, la majorité 
des spores de la race modifiée est détruite; dans ce cas un nom- 


bre considérable des spores donnent évidemment des bacilles 


qui sont englobés par les leucocytes qui les détruisent. 

En comparant les chiffres des colonies fournies par les or- 
ganes après l'injection intraveineuse avec celles consécutives à 
l'injection intrapéritonéale, nous voyons que les premières sont 
supérieures aux dernières. Ce fait nous permet de croire que, 
dans la cavité péritonéale, les leucocytes rencontrent des con- 
ditions plus favorables à la lutte avec les bacilles que dans le 
torrent sanguin et les organes parenchymateux. 


En nous basant sur les expériences qui viennent d’être ex- 
posées, nous pouvons formuler les conclusions suivantes : 

1° Le sérum normal du lapin tue in vitro les spores du bacillus 
subtulis : 

2° Cette propriété du sérum est très probablement due aux 
substances provenant de la destruction des leucocytes; 

3° Le liquide d’œdème et l'humeur aqueuse n’empêchent pas 
le développement des spores et ne tuent pas les bacilles. 

4° Le sérum d’exsudats riches en leucocytes se rapproche du 
sérum normal du sang en ce quiconcerne son action sur le bacillus 
subtilis en dehors de l'organisme ; 

5° Les substances du plasma sanguin qui diffusent à travers 
les membranes du roseau n’empêchent pas le développement des 
spores et ne tuent pas les bacilles dans le corps du lapin vivant; 

6° Les spores du bacillus subtilis, introduites dans le corps du 
lapin par différentes voies, sont englobées par les leucocytes et 
arrêtées dans leur développement ; 

70 Les spores de la race modifiée du bacillus subtilis, placées 
dans les mêmes conditions, se développent pour la plupart, et 
les bacilles auxquels elles donnent naissance sont englobés et 
digérés par les leucocytes. 


Nous tenons à remercier M. le professeur Metchnikoff des 
nombreux conseils qu’il nous à prodigués au cours du présent 
travail. 


AS 


DU POUVOIR PÉNÉTRANT DE L'ALDÉHYDE FORMIQUE 


Par LE D' G. pe RECHTER 


Professeur à l'Université nouvelle de Bruxelles. 


Depuis l’époque (1888) où Trillat attira l'attention du monde 
savant sur les propriétés antiseptiques de la formaldéhyde, les 
travaux publiés sur l'action de cet agent se sont maltipliés. 

Notre but en publiant la présente note n’est pas de revenir 
sur l'étude de ces propriétés aujourd'hui bien connues. Nous 
nous proposons seulement de faire connaître certains faits 
relatifs au pouvoir pénétrant du formol. 

Jusqu'à présent, presque tous les auteurs dénient à 
l’aldéhyde formique tout pouvoir de pénétration. Depuis que 
Miquel (18), se basant sur ses expériences, affirma que le formol 
est seulement un désinfectant des surfaces, tous les auteurs, à 
peu d’exceptions près, se sont ralliés à cette manière de voir. 
C’est ainsi que Vaillard et Lemoine (25) déclarent que le formol 
doit être considéré « comme n’agissant que sur les souillures 
superficielles, librement exposées au contact des vapeurs ». 

Van Ermengen (12, et 29), Tétrop (30) vont même plus loin et 
pensent que le pouvoir de pénétration du formol est incompatible 
avec les lois de la Physique. 

Dès 1892, Trillat (3) avait pourtant montré que des déchets 
de viande fraiche, traversés par un courant d'air ayant barboté 
dans une solution de formol à 5 0/0, le débarrassaient de toutes 
les vapeurs d’aldéhyde qu'il avait emportées dans son passage. 
Nous ne voyons pas comment pourrait s'expliquer ce phénomène, 
sinon par l'absorption et partant par la pénétration du formol 
dans la masse organique. 

Ailleurs (33) Trillat signale que si on expose aux vapeurs 
de l'aldéhyde des cylindres de gélatine teintée par la fuchsine, 
on peut suivre, par le changement de coloration de cette matière 
qui vire au violet sous l'influence du CH?O, la pénétration 
graduelle du gaz jusque dans la profondeur. 

Que deviennent dans ces circonstances les prétendues lois 


448 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


physiques invoquées? Et puis, comment les concilier avec ce 
qu'on sait, non seulement sur Ja pénétration des gaz dans les 
corps poreux, mais sur les phénomènes d'absorption et de dif- 
fusion à travers des parois pleines, gutta, caoutchouc, dans les 
célèbres expériences de Graham. Nous même, en 1894 (34), 
avec notre collègue et ami regretté le D' Legros, avons montré 
le pouvoir de pénétration de l’anhydride sulfureux et de lacide 
carbonique dans un grand nombre de corps solides. 

Nous avons vu dans deux éprouvettes placées sur le mercure 
etcontenantune certaine quantité de gaz Pictet(CO0*et SO*), une 
mince feuille de caoutchouc enroulée sur elle-même absorber 
les gaz à peu près totalement. 

Nous avons essayé les substances les plus diverses. Celles 
que nous devons citer en toute première ligne sont : la laine, le 
lin, la gélatine, le papier. Ces substances, aussitôt introduites 
dans la cloche de gaz, produisaient une ascension du mercure 
vraiment curieuse, à cause de la rapidité du phénomène, et l’on 
pouvait, au simple toucher, rien qu’en tenant le tube entre les 
doigts, percevoir manifestement un dégagement de chaleur. 

Dans ces quatre expériences, la presque totalité du mélange 
gazeux (25 ou 30 c. c.) était absorbée, la totalité peut-être pour 
certaines, car la bulle gazeuse qui demeurait à la partie supé- 
rieure de la cloche pouvait n'être qu’un peu d’air laissé lors du 
remplissage par le mercure, ou introduit en même temps que les 
fragments divers dans leurs plis et leurs anfractuosités. 

Pour d’autres substances, le phénomène fut moins marqué; 
c’est ainsi que nous pümes établir une échelle décroissante de 
l'intensité de l'absorption, qui est la suivante. (Notons que le 
volume des substances introduites était sensiblement le même 
pour toutes, et égal environ à 1 c. €.) 

L’absorption se fait, pour la laine et le lin, la plus rapide et 
la plus complète. Puis viennent : gélatine, caoutchouc, soie, papier 
à filtrer blanc et gris, papier à écrire ordinaire blanc et glacé, bois, 
Cuir, Corne, SUif. 

Le liège, l’amadou, l'éponge, le bitume de Judée sont de 
moins en moins actifs. Le coton dégraissé (ouate hydrophile), la 
gomme arabique, la colophane, la craie ne font pas s'élever le 
niveau du mercure de la moindre quantité appréciable. 

Nous inspirant de ces expériences, nous avons cherché à 


4 


POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL,. 449 


établir par des procédés analogues le pouvoir de pénétration de 
l'aldéhyde formique à l’état gazeux et sec. 

Malheureusement il n’est pas possible d’expérimenter sur du 
formol gazeux pur: dans ces conditions, le corps se polymérise 
immédiatement, se transformant en trioxyméthylène solide, — 
L'état gazeux ne peut être maintenu que par mélange, avec une 
quantité relativement considérable d'air atmosphérique, de 
vapeurs d’aldéhyde formiques obtenues dans un état de séche- 
resse suffisant en chauffant modérément un mélange d’aldéhyde 
et de chlorure de calcium (formochlorol de Trillat), ou bien en 
distillant à feu doux du trioxyméthylène, soit seul, soit en 
présence d’un acide (suivant l'indication de Freundler) (35). 

Nous avons pu constater une absorptionévidente de l'aldéhyde 
par des fragments de substance musculaire, de substance 
osseuse, d'ivoire, de peau fraîche ou tannée, de graisse, de 
corne, en un mot de tous les tissus animaux. De même la 
laine, le drap, les tissus de coton, les étotfes de soie, louate, le 
papier, la gélatine, le liège, font monter le mercure. A remar- 
quer toutelois que le papier à filtrer et l’ouate hydrophile, 
presque exclusivement formés de cellulose, ne montrent pour le 
gaz qu'une avidité très faible. Le caoutchouc, que nous avons vu 
si avide d’anhydride sulfureux, ne semble pas absorber du tout 
le formol. 

Les réactions chimiques qui se passent, comme l’a indiqué 
Trillat, entre l'aldéhyde formique et les albuminoïdes (albumines 
diverses, gélatine, ete.) peuvent, jusqu'à un certain point, expli- 
quer l'absorption du produit gazeux par les tissus organiques, 
mais nous pensons que, même dans ces cas, intervient un pro- 
cessus physique, qui, seul, peut être invoqué quand il s’agit de 
substance ne réagissant pas chimiquement sur le formol. 

Le fait nous est démontré par l'exhalation prolongée à l'air 
de vapeurs de formol, décelables par lodorat, par des fragments 
de peau fraiche ou tannée, saturés par une exposition suffisante 
au produit gazeux. Une autre preuve est l'expérience suivante : 
nous renversions une éprouvelte sur la cuve à mercure, nous 
y introduisions de l'air, puis nous amenions dans cette atmo- 
sphère un fragment de peau de chamois fortement imprégné 
d’aldéhyde formique gazeuse : nous constations que l'évaporation 
de l’aldéhyde amenait une légère dépression du mercure. C’est 

29 


450 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pourquoi nous pensons, comme nous l'avons dit en 189% à la 
suite de Reychler (36) à propos de l’anhydride sulfureux, qu'il 
y a ici, abstraction faite des réactions chimiques, une véritable 
« dissolution » d’un gaz par les solides, cette dissolution se 
faisant suivant une loi analogue à la loi de Henry et Dalton pour 
la dissolution des gaz dans les liquides. 

Cette conception du mode de pénétration de certains gaz dans 
certains solides et particulièrement de laldéhyde formique 
sazeuse dans les tissus animaux, devait nous amener à admettre 
qu'en maintenant pendant un temps suffisant un cadavre d’ani- 
mal ou d'homme dans une atmosphère saturée de formol d’une 
manière permanente, le gaz antiseptique devait pénétrer jusque 
dans la profondeur de la masse, et dans un état de condensa- 
tion relatif qui favoriserait l’action antiseptique du produit. 

Les faits ont démontré que nos conjectures étaient justifiées. 
— En collaboration avec notre frère, l'ingénieur F. de Rechter, 
nous avons étudié et fait exécuter un appareil nous permettant 
de réaliser des conditions d’expérimentation convenables pour 
le but poursuivi. — L'appareil, que nous avons déjà décrit 
ailleurs (38) et que représente notre figure 1, est essentiellement 
eomposé de deux chambres, l’une, chambre d'exposition dans 
laquelle on introduit le cadavre à conserver ; l’autre, chambre 
d'évaporation, dans laquelle se produit lévaporation intensive 
du formol grâce à la grande surface sur laquelle est répartie 
sa solution. L'ensemble de l'appareil est absolument hermé- 
tique. 

La dissolution aqueuse de formol que nous employons (solu- 
lion concentrée du commerce à 40 0/0) est versée dans les deux 
récipients qui se trouvent au-dessus de la chambre d’évapora- 
tion; ces récipients, construits sur le type des graisseurs auto- 
matiques de machines, ont un débit réglable, ils fonctionnent 


comme des flacons de Mariotte ; leur contenu n’est en rapport 


avec l'air extérieur que par un tout petit pertuis, ce qui nous 
met pratiquement à l'abri de l’appauvrissement par évaporation 
de notre réserve. 

La formaline, débitée par les récipients réglables, est distri- 
buée par un système de conduits, placés à l’intérieur de la cham- 
bre d’évaporation, sur une série de mèches suspendues vertica- 
lement de telle sorte que nous obtenons le maximum de surface 


POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 451 


d'évaporation possible pour le minimum de substance employée. 

La chambre d’évaporation communique largement par sa 
partie inférieure et d’une façon directe avec la chambre d’ex- 
position; par sa partie supérieure, elle communique aussi avec 
cette chambre, par l'intermédiaire du chenal indiqué à la partie 
supérieure de la figure et qui débouche à l'extrémité opposée de 
la chambre d'exposition. 


Enfin un ventilateur placé dans le chenal et mu, dans le type 


représenté dans la figure, par une petite dynamo, détermine une 
cireulation permanente de l'atmosphère intérieure de l'appareil, 
de la chambre d’évaporation à la chambre d'exposition et vice- 
versa. Cette circulation permanente de l'air active fortement l’é- 
vaporation du formol. Grâce à ce dispositif, nous maintenons 
constamment l’air à l’état de saturation, car tandis qu'il tend à 
s’appauvrir en aldéhyde au contact du corps exposé, en raison 
des phénomènes d'absorption, il vient constamment s'enrichir 
au contact des mèches dans la chambre d’évaporation. Un 
litre de formaline suffit pour traiter complètement un cadavre 
humain. 


452 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans cet appareil, nous pouvons conserver indéfiniment des 
cadavres d'animaux ou d’hommes sans aucune putréfaction. — 
Si la décomposition a commencé avant l'introduction du cadavre 
dans l’appareil, la décomposition est enrayée. De plus, quand le * 


Fig.2: 


cadavre a séjourné dans l'appareil pendant un temps suffisant 
pour que l'aldéhyde qui a pénétré toute la masse soit entrée en 
combinaison chimique avec les composés organiques des tissus, 
ceux-ci sont devenus imputrescibles, et le cadavre peut se con- 


Fig. 3. 


server indéfiniment à l'air. Les organes internes, les viscères, 
conservent néanmoins leur consistance, leur coloration et leur 
aspect normaux. Si le cadavre d’un animal ainsi traité est ex- 
posé à l'air, écorché et ouvert, si le local où on le conserve est 
sec, les organes et tissus exposés à l’évaporation se dessèchent, 
se racornissent. 


POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL, 453 

La figure 2 représente l’état actuel du cadavre d’un petit chien 
qui, tué le #octobre 1897, c’est-à-direil y a cinqmois, a été mis dans 
un petit appareil d'essai le 5 octobre ; 1l y a séjourné jusqu’au 


18 octobre; il est resté depuis exposé à l’air et est toujours intact. 
La figure 3 représente l’état actuel du cadavre d'un grand 
chien de 30 kilos tué le 8 janvier 1898; il a été introduit dans 


Fig. 5. 


l'appareil décrit ci-dessus 48 heures après la mort. Il en a été 
retiré le 5 février, soit 4 semaines après. Depuis lors il est resté 
exposé à l'air, il est loujours intact. 

La figure 4 représente le cadavre de S. D..., femme âgée de 


454 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


48 ans, morte d’éthylisme le 7 février, à 3 heures du matin; la 
photographie à été faite immédiatement avant l'introduction du 
cadavre dans l'appareil, soit le 8 février, à 6 heures 1/2 du soir. 
Le ventre commençait à se ballonner et présentait déjà à sa par- 
tie inférieure des taches cadavériques, la décomposition était 
donc manifestement commencée. (Il est d’ailleurs connu qu’elle 
se produit très rapidement chez les alcoolisés.) 

La figure 5 représente le même cadavre au moment du 
défournement qui a eu lieu le 8 mars, soit 1 mois après le décès. 
On peut constater que le ventre s’est affaissé et que le cadavre 
est absolument intact *. 

Mais peut-être ces faits pourraient-ils ne pas être considérés 
comme suffisamment coneluants pour les esprits prévenus. En 
voici d’autres qui, eroyons-nous, démontreront d’une façon irré- 
futable le réel pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique. 

L. Notre collègue M. le P' Coremans a mis dans notre appa- 
reil d'essai le cadavre d’un cobaye mort du charbon. Le cadavre 
était ouvert. Six heures après ilfut retiréet M. Coremans, parexa- 
men direct, ensemencements et inoculations, put vérifier la des- 
truction complète des bactéridies charbonneuses. De même un 
cadavre fermé fut stérilisé en 4 jours. 

IL. M. Guérin, assistant du D' Calmette de l’Institut Pasteur 
de Lille, à la demande de celui-ci eten vue de contrôler les résul- 
tats précédents, mit au mois de septembre dernier, dans le même 
appareil, un cadavre de cobaye charbonneux non ouvert. Le cada- 
vre resta soumis aux vapeurs d’aldéhyde formique pendant quatre 
jours. Par l'examen direct du sang du cœur et par des ensemence- 
ments, on constatala destructiondes bactéridiesetde leursspores. 

IT, En janvier 1898, M. Coremans introduisit dans le même 
appareil le cadavre d’un cobaye mort de morve inoculée. Le 
cadavre fut exposé aux vapeurs de formol pendant 4 jours. A 
l’autopsie on constata que tout l'organisme de l’animal était farci 
de nodules morveux. Un cobaye neuf inoculé avec la pulpe d'un 
nodule de la rate, c’est-à-dire siégeant dans un organe profond, 
ne ressentit aucun malaise : il y avait destruction du bacillus 
mallei. 


4. L'autopsie de ce cadavre a été pratiquée le 23 mars, les organes internes 
étaient dans un parfait état de conservation ; le 18 juin, moment où nous rédi- 
geons cette note, le corps est toujours intact. 


POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 455 


IV. Le 21 avril 1898, nous mettons dans le grand appareil un 
poumon de vache pommelière. Nous recueillons dans la masse 
de la matière tuberculeuse au bout de 24 heures, et nous inocu- 
lons un cobaye sous la peau : le cobaye devient tuberculeux. De 
même les inoculations faites à des cobayes avec de la matière 
recueillie après 48 heures de séjour dans l'appareil donnent la 
tuberculose. 

La matière tuberculeuse, recueillie après 72 heures de séjour 
dans l'appareil, inoculée à un cobaye, a donné un résultat dou- 
teux. Le 14 mai, l’animalinjecté est sacrifié; ilprésente, comme 
seule manifestation, une légère augmentation du volume du gan- 
glion précrural : l'injection avait été faite sous la peau de la 
cuisse. Après 4 jours d'exposition à l'atmosphère de l'appareil, la 
stérilisation du poumon malade était complète ; deux cobayes ino- 
culés ont été sacrifiés 3 semaines après l'inoculation et à l’au- 
topsie ils ne présentaient aucune trace de tuberculose. 

V. De même nous avons cherché à stériliser 3 cadavres 
de cobayes tuberculeux. L'un resta 2 jours dans l'appareil, Le 
deuxième # jours, le troisième 6 jours. Nous avons pu constater 
que les cadavres n'ayant séjourné que 2 et # jours dans l’appa- 
reil n'étaient pas stérilisés. 

Nous pûmes le démontrer par l'inoculation à des cobayes 
d'une émulsion des masses tuberculeuses de la rate de ces ani- 
maux. Les résultats de ces inoculations furent positifs. Au con- 
traire, l'emploi du même procédé de vérification nous permet 
d'affirmer la stérilisation du cadavre traité dans l’appareil pen- 
dant 6 jours. 

Si la première série d'expériences démontre déjà à l'évidence 
la pénétration des vapeurs du formol dans toute l'épaisseur des 
cadavres, la seconde série démontre que la conséquence de 
cette pénétration consiste non seulement en une stérilisation des 
milieux organiques et en une action empêchante de l’évolution 
des germes, notamment des microbes de l'intestin que Malvoz 
(39) considère comme les agents les plus puissants de la décompo- 
sition cadavérique, mais qu’en outre il y a action microbicide, 
même pour les microbes sporulés comme la bactéridie charbon- 
neuse. 

De tous ces faits nous croyons être autorisé à conclure que 
l’aldéhyde formique gazeuse, contrairement à ce qui a été 


456 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


affirmé, possède un pouvoir pénétrant très considérable, si l’on 
sait se placer dans des conditions qui favorisent ce pouvoir péné- 
trant. 


BIBLIOGRAPHIE 


1. Beruioz : Comptes rendus de l'Académie des sciences, Paris, t. 115, 4892. 

2. ARoONSON : Berliner klin. Woch., 1892, no 30. 

3. Trirzar : Études expérimentales sur le formol. Bulletin et mémoires de 
la Societe thérapeutique, 1892, et Comptes rendus de l'Académie des sciences, 
ter août 1892. 

4. Duczaux : Annales de l'Institut Pasteur, 1892. 

9. LieBREICH : Therap. Monatschr., 1893. 

6. VALUDE : Annales d'Oculistique, juillet 1893. 

7. Van per LiNeN et Degvcu : Étude de la formaline au point de vue cli- 
nique et expérimental : Annales de la Societé de medecine de Gand, 1893. 

8. Lenmanx : Vorläufige Mittheilung über die Desinfection von Kleidern 
Lederwaaren, Bürstenund Bücher mit Formaldehyde, Munch. med. Woch.. 
no 89, 1893. 

9. GeGxer : Ueber einige Wirkungen der Formaldehyd (ibid.), 1893. 

19. Scaminr : Gazette médicale de l'Est, 1894. 

11. SLarer et BopraT : The Lancet, 1894. 

12. Vax ERMENGEM et E. SuGc : Arch. de pharmaco-dynamie, vol. F, fase. 
2 3, 1894. Recherches sur la valeur de la formaline à titre de désinfectant. 

43. Paie : Munch. med. Wochenschrift, 1894. 

14. Hozrerr : Société de pharmacie de Berlin, août 1894. 

15. Bium: Munch. med. Wochenschrift, 1894. 

16. Carzs : Ascoli giornali della R. Accad. di med. di Torino, n95 6, 7.8, 
1894. 

17. Berui0Z : Académie de medecine de Paris, 1894. 

18. MiqueL : De la désinfection des poussières sèches des appartements. 
Annales de micrographie, 1894; et Contribulion nouvelle à l'étude de la 
désinfection par les vapeurs d'aldéhyde formique (ibid.), 1895. 

19, CamBier et Brocker : Journal d'hygiène et de police sanitaire, 1894. 

20. Foey : Thèse inaugurale de Lyon, 1895. 

21. FayozLar : Thèse inaugurale de Lyon, 1895. 

22. Warer : Zeitschrift für Hygiene, 1895. 

23. Roux et Trizzar : Essais de désinfection par les vapeurs de formal- 
déhyde, Annales de l'Institut Pasteur, mai 1896. 

24. Bosc : Essais de désinfection par les vapeurs de formaldéhyde (ibid.), 
septembre 1896. 

25. VaizLarD et LEMOINE : Sur la désinfection par les vapeurs de formal- 
déhyde (ibid.), septembre 1896. 


POUVOIR PÉNÉTRANT DU FORMOL. 457 


26. Maurrac : Mesures à prendre pour empêcher la propagation des 
maladies contagieuses par les wagons de chemin de fer, Annales d'hygiène 
publique, novembre 1896. 

27. Triar : Nouveaux essais de désinfection par les vapeurs de formal- 
déhyde, Nord medical, 1897. 

28. Nicozce : Désinfection des locaux par les vapeurs de formaldéhyde, 
Normandie medicale, 1897. 

29, Van ERMENGEN : Rapport au conseil supérieur d'hygiène publique de 
Belgique, séance du 31 décembre 1896 et Presse medicale, 1897. 

30. Térrop : La désinfection des locaux, 2me mémoire, Annales et Bulletin 
de la Société de médecine d'Anvers, septembre 1897. 

31, Axcezo Ceuui : Annali d'igiene sperimentale, 4 livraison 1897, p. 560. 

32. W.-A. Ivanorr : Contribution à la question de la pénétration des 
vapeurs de formaline dans les tissus organiques, Centralblatt für Bakterio- 
logie, XXII, p. 50. 

33. Trizzar : La formaldéhyde et ses applications pour la désinfection, 
Paris, G. Carré, 1896. 

34. De Recurer et LeGros : Note sur la désinfection par l'anhydride sul- 
fureux, etc., Societé medico-chirurgicale du Brabant et Presse medicale belge, 
1894. 

35. Freunpzer : L'aldéhyde formique, ses propriétés et ses principales 
applications, Actualités chimiques, janvier 1897. 

36. ReycaLer : Sur la prétendue diffusibilité de certains gaz à travers 
une membrane de caoutchouc, Bulletin de la Societé chimique de Paris, 1894. 

37. MeLsens : Sur la liquéfaction de gaz condensés par le charbon, Mem. 
couronnes de l'Académie royale de Belgique, 1873. 

38. De Recurer : Nouvelle méthode de conservation des cadavres, Presse 
médicale belge, 1898, nos 45 et 16. 

39. Mazvoz : La patréfaction au point de vue de l'hygiène publique et de 
la médecine légale. Mém. couronnes de l'Académie royale de medecine de Bet- 
gique, 1898. 


SUR LA CONSERVATION DU BACILLE TYPRIQUE DANS LE CIDRE 


Par M. ze Dr E. BODIN 


Professeur suppléant à l'Ecole de médecine de Rennes. 


Dans cette note je me propose de résumer diverses expériences 
que je viens de faire relativement à la vitalité et à la conserva- 
tion du bacille typhique dans le cidre. Cette question mérite 
qu'on s’y arrête tout particulièrement en raison de la consomma- 
‘tion considérable du cidre, surtout dans le nord-ouest de: la 
France où, dans beaucoup de contrées, il forme la boisson ordi- 
naire de la majeure partie de la population ‘. J'ajouterai que 
c’est un point spécial de l'hygiène qui n’a point été jusqu'ici 
étudié sérieusement *. 

Il faut d’ailleurs, pour traiter complètement le sujet, Le divi- 
ser, car 1l est double : 

1° Lorsque l’on fabrique du cidre en se servant d'eaux conta- 
minées par le bacille typhique, cette bactérie persiste-t-elle dans 
la liqueur après la fermentation *? 


1. À Rennes, dont la population est de 80,000 habitants environ, la consom- 
mation du cidre s'élève à 267,662 hectolitres en moyenne par an, soit plus de 
3 hectolitres par habitant. 

2, En 1897 M. Vigot, de Caen, a fait sur la conservation du bacille d'Eberth 
dans le cidre une série d'expériences. Mais, outre que ce travail laisse sans les 
combler une série de lacunes importantes, la technique que M. Vigot a employee 
dans ses recherches n’est pas suffisamment rigoureuse pour que ses conclusions 
soient admises sans contrôle. Ainsi M. Vigot, ayant ensemencé des échantillons 
de cidre avec du bacille d'Eberth, recherche ensuite le bacille dans ces échantil- 
lons à l’aide du microscope et de la méthode de Gram (moyen infaillible pour 
reconnaitre le bacille d’'Eberth, nous dit-il), et aussi par l'inoculation intrapérito- 
néale du cidre aux cobayes. Ceci se passe de commentaires, et me semble tout 
aussi illusoire que de vouloir rechercher le bacille de la fièvre typhoïde dans 
une analyse d'eaux par l'examen microscopique du liquide ou par l’inoculation 
de quelques centimètres cubes d'eaux dans le péritoine d’un cobaye. 

3. Dans les campagnes bretonnes, un usage fréquent est de prendre pour la 
fabrication du cidre l’eau des mares souillée par toutes les déjections des habi- 
tants et des animaux des fermes; car chez les paysans, il est de tradition que ces 
eaux favorisent la fermentation du cidre. 


PE PPS RS RE EE EE ous ét RARE 


BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 459 


2 Si l’on ajoute au cidre fermenté de l’eau contenant du 
bacille d'Eberth, ce microbe peut-il pulluler ou se conserver 
vivant pendant un certain temps dans le liquide. 

A priori rien ne dit que l'acte de la fermentation soit favo- 
rable ou défavorable à la vitalité du bacille. C’est à l'expérience 
à prononcer; je n'insisterai donc pas sur ce premier poiñt, que 
je me réserve de reprendre à l’époque de l’année où se fabrique 
le cidre. 

Reste la seconde partie de la question, celle qui a trait à 
l'addition d'eaux contaminées au cidre fermenté, et ce n’est pas, 
je crois, la moins importante, car le mouillage des cidres est une 
opération habituelle parfois pour la vente en gros et surtout dans 
la vente au détail (bien que dans certaines villes les arrètés 
municipaux, exigeant un degré déterminé d'alcool pour les 
cidres, en aient diminué la fréquence). 

En soi cette opération du mouillage est une fraude, mais ne 
présente pas d'inconvénients au point de vue de l'hygiène. 
Seulement, par suite de ce fait qu’elle constitue une fraude, elle 
se pratique non pas avec l’eau des fontaines publiques, mais 
plus discrètement, avec l’eau du puits situé derrière la maison, 
recevant l’égout des cours et situé à proximité des fosses d'ai- 
sances. 

Or, tous ces puits sont contaminés par le bacille d’'Eberth et 
par le Bacterium coli commune, ainsi que j'ai pu m'en rendre 
compte l’année dernière par plusieurs analyses des eaux de 
puits prélevées dans diverses parties de la ville et des fau- 
bourgs. 

Au point de vue hygiénique, il devient d'importance majeure 
de savoir d’une manière précise si le bacille introduit dans le 
cidre y pullule ou s’y conserve pendant une période plus ou 
moins longue, au cours de laquelle l’ingestion de cette boisson 
pourrait déterminer l'apparition de la fièvre typhoïde. 

Voici quels sont les résultats des expériences que j'ai faites 
à ce sujet : : 

1. Dans toutes ces expériences, la technique que j'ai employée est la sui- 
vante : le cidre, filtré au filtre Chamberland et reçu dans des matras stérilisés, 
était laissé à la température du laboratoire. Les échantillons de 500 c. c. chacun 
ont tous été ensemencés avec 10 gouttes d’une culture de bacille d'Eberth sur 
bouillon de 2 ou 3 jours. 


Pour la recherche ultérieure du bacille, je prélevais dans les échantillons 
50 c. c. environ, pour les ensemencer par 2 c. c. sur des matras de bouillon. Le 


460 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


1° Cidres purs ensemencés avec le bacille d'Eberth *. 


Désignation des Titre en Acidité par litre Examen après 
échantillons. alcool pour 100. (en acide malique). l’'ensemencement. 
2 h. après. 12 h. aprés. 
A 3.52 3,4 5 
B 3,89 5 21 
C 4,92 5.4 PA 


Un 4° échantillon (D), üitrant 3,92 0/0 en alcool et 5 grammes 
d’acidité par litre (en acide malique), a été ensemencé, après 
filtration préalable au filtre Chamberland, avec une dose mas- 
sive de culture de bacille d'Eberth sur bouillon (3-4 €. c.), et, 
dans cet échantillon, j'ai pratiqué des numérations successives 
des bacilles, afin de mieux me rendre compte de la rapidité de 
leur disparition. Ces numérations m'ont donné les chiffres sui- 
vants : 


Nombre de bacilles typhiques par 
centimètre cube. 


Au moment de l’ensemencement.............. 1,250,000 
2Aheures aprés ee Dee Eee 91,400 
48 ) DU RE RENE PSP A ONE 1,300 
60 » DD TE dE EU ee Li Re te PE Test 0 


On voit, par ces numérations, que la destruction du bacille 
a été très rapide dans cet échantillon pendant les premières 
24 heures. Ensuite, les germes ont disparu plus lentement. 
D'ailleurs, il n'y à pas d’analogie complète entre ce qui s'est 
passé dans cette expérience et ce qui à lieu dans la réalité, où 
une infection aussi intense du cidre est pour ainsi dire irréali- 
sable. 

Une seconde série d'examens a porté sur des cidres étendus 
d'eau. 

20 Cidres étendus d'eau et ensemencés avec le bacille 
à Eberth. 
bouillon était rendu légérement alcalin avec de la soude, de façon que la petite 
quantité d'acide ajoutée au bouillon avec les 2 c. c. de cidre ensemencés se 
trouve ainsi neutralisée et ne puisse nuire en rien à la culture du bacille. 

Dans les matras de bouillon où la culture a été positive, le bacille a été exa- 
miné, et je me suis assuré qu'il s'agissait bien, dans ces cultures, du bacille 
d’Eberth par les caractères suivants : mobilité extrême du bacille, décoloration 
par la mélhode de Gram, culture classique sur gélatine, culture non apparente 
sur pomme de terre, non fermentation du bouillon lactosé, absence de coagula- 
tion du lait, pas de production d'indol. 


1. Dans le résumé de ces expériences, le signe + indique la persistance du 
bacille et le signe — la disparition de ce bacille. 


BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 461 


Désignation Titre en Acidité par Examen des 
des alcool 1 litre (en acide échantllons après 
échantillons. pour 100. malique). l'eosemencement. 

2 h. après. 18 h. après, 

E étendu de 1/2 d'eau. 4,125 5 — 
F étendu de 1/2 d'eau. 4,35 ol + _ 
G étendu de 1/3 d'eau, 4,225 2,6 + _ 
H étendu de 1/3 d'eau. 3,92 3,4 +- = 


Nous arrivons ainsi à celte conclusion que le bacille typhique 
ne se développe en aucune façon dans le cidre fermenté pur ou 
étendu de 1/2 ou de 1/3 d'eau, et qu'il y disparait même assez 
rapidement, puisque après l'ensemencement, au bout de 2 heures 
au minimum et de 18 heures au maximum, tous nos échantil- 
lons sont restés stériles. 

Cette première série d'expériences m'a toul naturellement 
conduit à rechercher à quel facteur il faut surtout imputer cette 
destruction du bacille d'Eberth dans le cidre; et d’abord, j'ai 
éliminé la richesse en alcool de la liqueur, car, dans les échan- 
tillons les plus alcooliques, le bacille n'a pas disparu plus vite 
que dans les autres. 

Puis j'ai constaté, dans des matras de bouillon, qu'il faut 
une proportion d'alcool atteignant 7 0/0 pour arrêter la culture, 
proportion élevée à laquelle n'atteignent que rarement nos 
cidres bretons, dont la richesse en alcool oscille entre # et 6 0/0. 

Par contre, l'acidité m'a immédiatement paru jouer un rôle 
important dans la stérilisation du liquide; aussi ai-je recherché 
quelle était l'influence de l'acide malique (qui représente la ma- 
jeure partie des acides du cidre) sur le microbe. 

Dans les bouillons acidifiés à l'acide malique, la culture du 
bacille typhique se développe facilement jusqu'à 1 gramme 
pour 1,000 d'acide malique; à 18,50 0/00, elle est très lente, 
très pauvre, et ne se développe, à l'étuve à 37°, qu'au bout de 
3 jours environ. Enfin, lorsque la quantité d'acide malique 
atteint 2 0/00, il n’y à plus aucune culture et la destruction du 
bacille est même rapide. En effet, si lon sème ce bacille sur un 
matras de bouillon titrant 2 0/00 d'acide malique, puis si on 
neutralise ce bouillon et si on le porte à l’étuve au bout de 
24 heures, il reste absolument stérile. 

Ces faits nous expliquent parfaitement la rapidité avec 


4. Le titre en alcool et l'acidité indiqués ici sont ceux des échantillons avaaut 
le mouillage. 


462 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


laquelle le bacille typhique à été détruit dans les échantillons 
de cidre que nous avons examinés et pour lesquels lacidité, en 
acide malique, était dans tous les cas supérieure à 2 0/00 ou 
voisine de ce chiffre. 

Afin de mieux préciser ce rôle des acides dans le cidre lui- 
même, j'ai pris alors des échantillons de cette boisson auxquels 
j'ai ajouté une quantité plus ou moins grande de soude pour y 
faire varier l'acidité. L’ensemencement de ces échantillons a été 
pratiqué avec le bacille d'Eberth, comme je l'ai indiqué précé- 
demment, et l'examen ultérieur du liquide m'a conduit aux 
résultats que je résume dans le tableau ci-dessous : 


Désignation Titre en Acidité par Examen des échantillons après 
des alcool litre en l'ensemencement. 
échantillons. pour 100. acide malique. 24 h. après. 3° jour. 4e jour. 20e jour. 
l 4,125 neutre. + + _ + 
J 3,92 =:10:90 + + — 
K 3,92 1,8 DE 


De toutes ces expériences, une nolion se dégage : l'acidité 
du cidre fermenté entraîne la destruction rapide du bacille 
typhique introduit dans cette boisson, pourvu que celte aci- 
dité atteigne 2 grammes par litre en acide malique. 

Toutefois, malgré la rapidité de la disparition du microbe, 
la liqueur reste encore dangereuse pendant 18 heures environ. 
C'est-à-dire que dans la journée qui suit l'addition d'eau conta- 
minée au cidre, l’ingestion de cette boisson peut déterminer la 
lièvre typhoïde. Et c’est peut-être à cette cause qu'il faut ratta- 
cher les cas de lièvre typhoïde isolés que nous observons sou- 
vent à l’'Hôtel-Dieu de Rennes, et pour lesquels l’origine hydrique 
ne peut être retrouvée. 

Au point de vue de l'hygiène, il y a par suite le plus grand 
intérêt à répandre celte notion que le mouillage du cidre peut 
ètre dangereux s'il n’est pas pratiqué avec des eaux pures. 
L'idéal serait de renoncer au mouillage. On supprimerait ainsi 
du mème coup un danger et une fraude. 

Il reste maintenant à examiner cette question de l'acidité 
des cidres et à savoir s'ils présentent habituellement la propor- 
tion d'acide qui assure la destruction du bacille. 

Pour obtenir des renseignements précis à ce sujet, je ne pou- 
vais mieux faire que de m'adresser à M. Lechartier, doyen de la 


BACILLE TYPHIQUE DANS LE CIDRE. 463 


Faculté des sciences, et directeur de la station agronomique de 
Rennes, dont la haute compétence en la matière est bien connue, 
et que je tiens à remercier ici de son obligeance. 

Lesanalyses de M. Lechartier", portant sur les cidres bretons, 
montrent que l'acidité y varie entre 2,42 et # grammes 0/00 
en acide sulfurique monohydraté*, chiffres plus élevés que 
l’on ne pourrait le supposer tout d'abord, parce que l’on 
pense généralement que l'acidité du eidre lui donne un goût 
désagréable ; mais si l’on veut bien se reporter aux examens 
pratiqués à la station agronomique de Rennes, on verra qu'il 
faut dépasser 4 0/00 d’acidité, en acide sulfurique, pour que la 
saveur acide soit perceptible et encore jusqu'à 4,59 0/00 cette 
saveur n'est-elle pas désagréable. 

Voici, d'autre part, le résumé des analyses de M. Kayser, 
faites sur les cidres de toutes provenances primés à l'Exposition 
de 1888. 


Désignation des Acides Acides Acidité totale (en acide 

cidres. volatils. fixes. sulfurique) pour 1,000 
Cidres normands (9 échant.). 0,72 0,98 1,70 
Cidres bretons (10 échant.). 1,38 1,16 9,54 
Divers (4 échant.). 0,7 1,23 1,98 


Toutes ces analyses concordent pour établir qu'il existe 
dans le cidre fermenté, mème après le mouillage qui ne peut 
dépasser une certaine limite, une quantité d'acide plus considé- 
rable que celle que nous avons démontré être suffisante pour 
stériliser la liqueur dans un certain nombre d'heures. 

Mais, dira-t-on, cette quantité d'acide ne varie-t-elle point, 
et un cidre n'est-il pas plus ou moins acide suivant son âge? Est- 
elle la mème pour les cidres vieux? 

Sous ce rapport, lorsque l’on étudie les moûts destinés à la 
fabrication du cidre, on voit qu'ils sont, pour des raisons qui 
restent à trouver, plus acides que les cidres qui en proviennent. 

Cette perte des acides du moût peut aller jusqu’à 40 0/0 du 
poids de l'acide malique préexistant (Kulisch) et même #4 0/0 

4. G. LecaarTier, De l’acidité des pommes, des moüûts et des cidres. Bulletin 
de l'Association pomologique de l'Ouest, t. XIII, p. 99. 

2. Dans ces analyses, l'acidité est exprimée en acide sulfurique monohydraté; 
afin de la comparer avec l'acidité en acide malique des cidres que j'ai examinés, 


il suffit de se rappeler que { gramme d'acide sulfurique correspond à 1:,36 d'acide 
malique. 


464 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(Lechartier). Mais cette diminution de l'acidité primitive se 
trouve en partie compensée par la production des acides nor- 
maux de la fermentation alcoolique. 

De la sorte, l'acidité totale baisse toujours un peu quand on 
s'éloigne de l’époque de la fermentation". 

Dans les expériences que j'ai faites, les cidres que j'avais à ma 
disposition étaient déjà vieux, l'acidité élevée qu’ils possédaient 
doit done être considérée comme un minimum, puisqu'elle 
s’abaisse toujours après la fermentation, et par suite ces cidres 
ont toujours contenu (même après mouillage) une proportion 
d'acide assurant la destruction du bacille tyÿphique dans le laps 
de temps que j'ai indiqué précédemment. 


CONCLUSIONS 


{9 Le bacille typhique introduit dans le cidre y est détruit 
dans un laps de temps qui va de la 2° à fa 18° heure après la 
contamination du liquide ; 

20 Cette destruction du bacille d’'Eberth est surtout due à 
l'acidité du cidre, et se produit toujours dans le temps que je 
viens d'indiquer, pourvu que lacidité de la liqueur soit de 
2 grammes 0/00 (en acide malique). Au-dessous de ce chiffre, le 
bacille peut persister dans le cidre 3 à 4 jours si l'acidité est 
de 0,8 à 1 0/00 (en acide malique) et plus de 20 jours si le liquide 
est neutre ; 

3° Les cidres de toutes provenances possèdent ordinairement, 
depuis la fermentation jusqu'au moment où ils sont consommés, 
une acidilé supérieure à 2 0/00 (en acide malique) ; par suite, le 
bacille typhique qui pourrait y être introduit ne peut y per- 
sister que pendant 18 heures environ. Dans le cas où le mouillage 
a causé la contamination du cidre par le bacille typhique, cette 
boisson est donc, pendant la journée qui suit lPaddition d’eau, 
susceptible de déterminer Ia fièvre typhoïde au même titre que 
l'ingestion d'eaux infectées par le bacille d’'Eberth. 

1. Bien entendu, nous exceptons ici les cidres malades atteints par la maladie 


de l'acescence ; dans ce cas, la quantité d'acide acétique croit rapidement en 
proportions anormales, 


0] 


SUR L'EMMUNITÉ NATURELLE DES ORGANISMES MONOCELLULAIRES 
CONTRE LES TOXINES 


Par O. GENGOU. 


Il ne manque pas d'exemples d'immunité naturelle, observés 
chez des groupes d'animaux très divers, à l'égard de substances 
toxiques, microbiennes ou autres. Telle est, par exemple, celle 
des serpents ou des scorpions vis-à-vis de leur propre venin, celle 
de certains mammifères, ainsi que l’a montré Calmette, vis-à-vis 
du venin de serpent, celle que M. Vaillard à trouvée à la poule 
vis-à-vis de la toxine tétanique, etc. 

Je ne veux pas faire 1e1 le relevé de toutes les publications 
écrites sur ce sujet; il est d’ailleurs donné par Metschnikoff dans 
son beau travail sur l’Immunité ‘. Dans tous les ouvrages qu'il 
cite, comme dans tous ceux que j'ai parcourus, je n’ai nulle part 
vu mentionnée l’action que pourraient avoir des {toxines bacté- 
riennes sur des organismes tout à fait inférieurs, tels que des 
animaux monocellulaires. Sur les conseils de MM. Firket et 
Malvoz, j'ai entrepris quelques expériences dont les résultats, 
pour négatifs qu'ils soient en général, sont intéressants au point 
de vue de l'immunité comparée. 

Je me suis servi du Paramecium aurelit, infusoire que Je 
cultivais dans une simple macération de foin, dans laquelle sa 
multiplication est très rapide. Je dois à la bienveillance de M. le 
Dr Calmette, directeur de l’Institut Pasteur de Lille, d’avoir pu 
expérimenter une toxine diphtérique capable de tuer un cobaye 
à la dose de 1/30 de €. c., et une toxine tétanique produisant le 
même effet à la dose de 1/300 de c. ce. 

Dans toutes mes expériences, j'ai {enu mes infusoires au 
contact de la toxine, dans des verres de montre contenant beau- 
coup de liquide, placés en chambre humide, les cultures en 


1. Merscanikorr, /nmunilat. Handbuch der Hygiene, 9 B1 1897. 
30 


466 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


goutte pendante ayant l'inconvénient de mettre trop peu de 
liquide nutritif à la disposition de l’infusoire. 

Pour me mettre en garde contre une fausse interprétation 
des faits, j'ai d'abord recherché quelle était l’action du bouillon 
de veau ordinaire ou neutralisé par HCI, et plus ou moins dilué, 
sur le Paramecium d’une macération de foin. Voici une des nom- 
breuses séries d'expériences que j'ai faites : les proportions de 
bouillon et de macération sont indiquées dans la première 
colonne. 


Bouillon naturel. Bouillon neutralisé. 
4 2 mort en 11 minutes 7 minutes. 
1 € 46 — 2h,17 — 
4 4 1h,6 — 2h,3 — 
il 5 3h,5 — dh,5 _ 
1 6 4h ,47 — 8h 27 _ 
14: 9h, 32 — 15h,30 — 
ANS O0 161,20 — 24h — 
A0 45 24h 1 — 9908 — 
10:20 36h _ 48h — 
Mes survieindéfinie : survie indéfinie. 
145:230 — — 


1. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées. 


Ce tableau montre que le Paramecium ne supporte pas une dose 
de 1 de bouillon ordinaire pour 20 de macération; à cette dose, la 
mort survient après un délai maximum de 2 jours; parfois cepen- 
dant quelques infusoires ont supporté des doses de 1 pour 15. Ce 
fait n’a rien d'étonnant, étant donné les différences considérables 
qui existent entre le bouillon de veau et le milieu naturel de 
l'infusoire. On voit aussi que la réaction du bouillon n’a qu’un 
rôle un peu effacé, et que ce n’est pas le passage d’un milieu 
neutre, comme une infusion fraîche de foin, dans un milieu 
alcalin, tel que le bouillon, qui détermine la mort du Paramecium. 
Si donc les toxines tétanique ou diphtéritique ont une action sur 
ce dernier, ce n’est pas à leur caractère alcalin qu’elles le 
devront. 

Cela posé, j'ai successivement expérimenté ces deux toxines. 
Étant donné l'identité des résultats auxquels ces expériences 
m'ont conduit, je puis résumer dans un seul tableau l’action de 
l’une et l’autre de ces substances : la première colonne donne 
les rapports entre les volumes de toxine et de macération. 


MICROBES ET TOXINES. 467 


Toxine diphtérique. Toxine tétanique. 
{ 3 mort en minutes D minutes. 
1 3 44 — 40 — 
I 4 {1h 925 — 1h 37 — 
! ù 4h ,20 1 4h 2 ms 
1006 7h — 7h,22 — 
AE re 16h20  — 16h 5 — 
47410 27h — 30h — 
: MMA 3 jours ! 2 jours et 1/2! 
D0:120; 25,30 survie indéfinie. survie indéfinie. 


4. Mort des formes normales, survie des formes dégénérées. 


Il résulte de là qu’on peut faire agir sur des infusoires des 
doses de 1 pour 25 et 1 pour 20 de toxine diphtéritique ou téta- 
nique, sans que la mort survienne ; celle-ci n’est guère assurée 
qu’à la dose de 1 pour 15. 

Si l’on rapproche cette dose de celle qu'il suffit d'employer, 
quand il s’agit du bouillon ordinaire où du bouillon neutre, il 
est de toute évidence que, dans les deux cas, la mort est due 
aux principes organiques ou salins du bouillon, milieu anormal 
pour l’infusoire, et que les toxines diphtéritique et tétanique 
n’ont absolument aucune influence nocive sur le Paramecium 
aurelia. Nous sommes loin ici de la dose minime de toxine 
reconnue mortelle pour le cobaye. 

J'ai constaté, dans toutes ces expériences, ainsi du reste que 
le montrent les tableaux précédents, que la forme normale de 
l'infusoire était toujours plus sensible à l’action du bouillon et 
des toxines que les formes dégénérées, c’est-à-dire les formes 
plus petites qui résultent toujours de la multiplication par 
division des infusoires lorsqu'ils arrivent à la fin de leur cycle 
évolutif. Tandis que dans le bouillon, de même que dans les 
toxines, la première mourait en 2 jours à des doses variant 
de 1 pour 20 à 1 pour 15, les secondes continuaient parfaite- 
ment à vivre dans du foin contenant À pour 15 et même 1 pour 
14 de bouillon ou de toxine, pendant plusieurs jours. 

Non seulement les toxines en expérimentation n’empêchent 
pas la conservation du Paramecium, mais elles lui permettent 
mème de se multiplier, ainsi qu’il découle des faits suivants : 


2 Infusoires dans du foin contenant 1 de tox. diphtér. pour 30: après 
4 jour en donnent 6. 


A68 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


2 de ceux-ci, placés dans du foin contenant 4 pour 25 de tox. diphtér. 
après un jour, en donnent 3. 

Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 4 pour 20 de tox. diphtér. 
morts après trois jours. 

2 Infusoires sont placés dans du foin contenant 1 pour 30 de tox. tétan. ; 
après À jour on en trouve ». 

Ceux-ci sont placés dans du foin contenant 1 pour 25 de tox. tétan. : 
ils continuent à vivre sans se multiplier. 

2 d'entre eux sont placés dans du foin contenant 1 pour 28 de tox. tétan.; 
après À jour, morts sans multiplication, 


“… 


. 


- 


w 


Des doses de toxine de 1 pour 30 et même de À pour 25 per- 
mettent donc la multiplication de l’infusoire ; elle est cependant 
moins rapide que dans du foin normal. Ici encore, les formes 
dégénérées se sont montrées plus résistantes que les formes 
normales; elles se multiplient admirablement à la dose de 
À pour 15. 

Mais si les toxines diphtéritique et tétanique n’ont aucune 
action nocive sur la Paramécie, exercent-elles, à de faibles 
doses, une action attractive sur elle? 

Je me suis servi, pour observer ce fait, de tubes capillaires, 
dont je remplissais, par aspiration, la première moitié, d’une 
culture de Paramecies et l’autre moitié de la solution de toxine. 
Quelle que soit la dose employée de cette dernière, jamais Je 
n'ai vu l’infusoire spécialement attiré par la solution de toxine 
el s’y cantonner; au contraire, il voyageait uniformément dans 
tout le tube. 

En résumé, les toxines tétanique et diphtéritique n'ont 
aucune action attractive pour les infusoires, telsique le Para- 
mecium aurelia, et ne sont nullement toxiques pour lui. 

Le sérum antidiphtérique, quelle que soit la dose employée, 
n’a jamais donné une plus forte résistance à l’Infusoire vis-à- 
vis de la toxine. 

J'ai fait des expériences du même ordre avec des levures. 
J'ai employé le Saccharomyces cerevisiæ, la levure du vin de Huy, 
et une levure qui avait été isolée des fausses membranes 
relirées de fa bouche d’un enfant atteint d’angine diphtéritique. 
Toutes trois m'ont donné les mêmes résultats. Ces trois levures 
étaient cultivées soit en eau de touraillon sucrée, soit sur géla- 
üne à l’eau de malt. L'observation microscopique étant plus 
facile pour les milieux liquides, je me suis servi de gouttes 


MICROBES ET TOXINES. 469 


pendantes, placées à une température uniforme de 21° C. 
J'ai pu constater que, même à des doses de 1 pour 2, c’est- 
à-dire dans un mélange de une goutte d’eau de touraillon sucrée 
pour une goutte de toxine pure, il y avait non seulement con- 
servation, mais multiplication des levures. A cette dose 
de 1 pour 2, la multiplication était cependant réduite au quart 
environ de ce qu’elle est dans l’eau de touraillon ordinaire: 
mais, en employant des doses un peu plus faibles, telles que 
1 pour 8 à 1 pour 10, je retrouvais rapidement le pouvoir nor- 
mal de multiplication. Une goutte pendante contenant 1 pour 8 
de toxine tétanique, par exemple, et 5 à 6 cellules de levure, en 
renfermait des quantités innombrables après 3 à 4 jours. 

En comparaison avec cette immunité naturelle des infusoires 
et des levures pour les toxines diphtéritique et tétanique, je 
citerai les expériences suivantes dans lesquelles j'ai recherché 
l’action du nitrile malonique sur le même Paramecium. 


Doses de nitrile malonique. 


De 1 p.2 à 1 p. 60 mort avant un jour. 
De 1 p. 70 à 1 p. 900 mort entre À et 2 jours. 
De 1 p. 900 à 4 p. 1050 après 2 jours. 
De 1 p. 1200 survie indéfinie. 


Il faut donc descendre, pour permettre à l’infusoire de vivre 
en contact avec cette substance, à une dose infime (1 pour 1200). 
Il m'a paru intéressant de rechercher si l’hyposulfite de soude 
exerçait une action curative vis-à-vis du Paramecium, comme il 
en exerce une chez les animaux supérieurs’. Dans le tableau 
suivant, j'ai consigné quelques-uns des résultats auxquels j'ai 
été conduit : 


Nitrile malon. Hypos. de soude. 
1 p. 1,000 4 p. 100 Les formes normales succombent après 
4 jours. 
Les formes dégénérées survivent après 
7 jours. 
1 p. 750 1 p. 70 Les formes normales succombent en par- 


tie après 4 jours. 
Les autres et les formes dégénérées sur- 
vivent après 7 jours. 


1. HEeywaxs, Annales Pasteur, 1897. 


470 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans les cas qui précèdent, j'avais en même temps fait agir 
nitrile et hyposulfite. Dans d’autres cas, j'ai fait agir le second 
un certain temps seulement après le premier. C'est ainsi que. 
2 infusoires que j'avais placés pendant 2 jours dans une solution 
de nitrile malonique à 4 pour 900, furent mis alors en contact 
avec une solution d'hyposulfite à 1 pour 90, la mort survint néan- 
moins 1 jour après. 

Dans tous les essais faits avec des doses plus ou moins fortes 
d'hyposulfite de soude, l’action de ce dernier a toujours été 
incertaine. Elle l'était néanmoins beaucoup moins pour les formes 
dégénérées que pour les formes normales du Paramecium. 


Je crois pouvoir conclure de tout ce qui précède à l’immunité 
naturelle complète des infusoires et des levures à l'égard des 
toxines diphtérique et télanique, ainsi qu'à l’absence de toute 
chimiotaxie positive ou négative de ces dernières sur ces orga- 
nismes. 

Je crois pouvoir admettre, d'autre part, que cette immunité 
naturelle des organismes monocellulaires vis-à-vis des toxines 
diphtéritique et tétanique constitue un argument de plus en faveur 
de la théorie d’après laquelle limmunité naturelle des animaux 
supérieurs résulterait d’une insensibilité de la cellule vivante vis- 
à-vis des poisons. Pour ces organismes, en effet, 1l ne peut être 
question ni d’un pouvoir autitoxique du sang, ni d’ane élimination 
rapide des toxines injectées, puisque ces organismes se meuvent 
dans le milieu toxique et sont par conséquent toujours en 
contact avec lui. Il ne peut donc s'agir ici que de lPimmunité 
«<histogène », ainsi que l'appelle Behring. Peut-être les cellules 
des animaux supérieurs, naturellement immunisés, jouissent- 
elles, vis-à-vis des toxines, de propriétés semblables à celles des 
organismes monocellulaires. 


Liége (Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie), juin 1893. 


REVUES ET ANALYSES 


DE SSP NTI N OTEOES 


Il serait impossible de faire ici un exposé complet de tous les tra- 
vaux écrits dans ces dernières années sur la chimie des albuminoïdes. 
Impossible par faute d’espace et par manque de cohésion, car dans ce 
domaine scientifique naissent journellement des œuvres à doctrines 
et méthodes si nombreuses et si différentes que les faire tenir toutes ou 
presque toutes dans une seule revue aurait pour premier résultat de 
rendre cette revue trop indigeste pour qu’elle restât intéres- 
sante. Je me suis donc borné à signaler quelques points de vue, quelques 
directions et quelques travaux, ne prétendant aucunement épuiser la 
littérature même sur ces sujets plus spéciaux, voulant indiquer avant 
tout qu'en cette question si complexe de la chimie des albumi- 
noïdes la science, si elle ne marche pas vite, progresse néanmoins. 

Le point de départ de tout travail de chimie sur une albumine 
quelconque devrait être, théoriquement, une substance chimiquement 
pure. 

Quiconque a dans sa vie préparé une de ces substances sait com- 
bien est difficile la solution de ce premier problème. Le moyen qui 
offrait le plus de garanties était à coup sûr la cristallisation. Diverses 
tentatives heureuses dans cette direction avaient été accomplies de 
longue date par Maschke, Schmiedeberg, Drechsel, Grubler, etc. Ces 
savants avaient fait cristalliser les globulines que l’on trouve dans cer- 
taines graines végétales, globulines se distinguant précisément par 
une grande facilité de cristallisation, soit seules, soit en combinaison 
avec différents métaux. 

Ces essais ont été renouvelés en 1893 par Osborne‘ qui obtint des 
cristaux de diverses globulines retirées des graines de la noix de Para, 
du chanvre, du ricin, de la courge, du lin et de l’avoine. Il réussit ces 
cristallisations, soit par le refroidissement de solutions faites à chaud 
dans l’eau salée, soit par la dialyse de ces solutions salines. 

Hofmeister ?, en 14890, était déjà arrivé, en suivant la méthode de 


4. American Chemical Journal, tome XIV. — Maly’s Jahresbericht f. Thier- 
chemie, 1895. 
2, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd. XIV-XVI. 


472 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Grübler, à faire cristalliser l’albumine du blanc d'œuf. Il dissolvait 
l’albumine débarrassée de la globuline dans des solutions à demi-satu- 
rées de sulfate d’ammoniaque, et les laissait s’évaporer lentement. Au. 
bout d’un certain temps se déposent dans ces conditions des sphères 
transparentes ou des agrégats de sphères qui représentent bientôt la 
presque totalité de Falbumine dissoute. Ce dépôt, soumis trois ou quatre 
foisau mêmetraitement, se transformeinsensiblement; à côté dessphères 
apparaissent des aiguilles fines isolées ou groupées en sphérolithes. Et 
si l’on opère avec précaution, l’albumine se transforme bientôt presque 
toute en aiguilles ou lamelles cristallines. Pour se débarrasser des 
eaux-mères, Hofmeister essore à la trompe, puis reprend la masse 
cristalline par l'alcool absolu, qui coagule l’albumine et permet l'éloi- 
gnement des derniers restants de sel par un lavage à l’eau. Ainsi 
coagulés et purifiés, les cristaux d’albumine n'ont guère changé 
d'aspect. Ces résultats d'Hofmeister ont été vérifiés par différents 
auteurs. Un travail très soigneux de Bondzynsky et Zoja ‘ leur donne 
pleine confirmation tout en les complétant. Ces derniers auteurs, par 
des ceristallisations fractionnées, ont pu séparer plusieurs produits 
cristallisés, dont les différences de composition centésimale sont telle- 
ment faibles qu’elles rentrent dans les limites d'erreur possible. Au 
contraire, ces fractions présentent des différences assez considérables 
dans deux de leurs constantes physiques, le point de coagulation et le 
pouvoir rotatoire. Ces données confirment l’opinion des auteurs qui, en 
se basant sur les coagulations successives du blanc d'œuf par la chaleur, 
ont admis que l’albumine de l'œuf n’est pas un individu chimique, 
mais un mélange. Mais l’albumine de l’œuf n’est pas restée la seule 
albumine animale dont on réussit la cristailisation. Bramwell et Paton * 
ont décrit une albumine cristallisant spontanément dans une urine 
pathologique. Gürber, puis Michel et Gürber # ont pu, par un procédé 
peu différent de celui de Hofmeister, faire cristalliser l'albumine du 
sérum de cheval, et l'ont obtenue en beaux prismes hexagonaux, sur- 
montés d’une pyramide à six pans. Moraczewsky‘ prétend avoir 
obtenu des cristaux d’une combinaison de caséine avec le phosphate 
de magnésium. Il est curieux de remarquer que, à l'exception de Hof- 
meister, qui dit avoir préparé des cristaux d’albumine ne laissant 
aucune cendre à la combustion, les différents auteurs qui se sont occu- 
pés de l'obtention d’albumines cristallisées ont toujours obtenu des 
quantités assez notabies de matière minérale après incinération, ce 


1. Zeitschrift {. physiologische Chemie, Bd. XIX. 

2. Reports from the Laboratory of the Royal College of Physicians Edin- 
burgh, vol. IV, 1892. 

3. Maly's Jahresbericht [. Thier-chemie, 1895. 

4. Zeitschrift f. physiol. Chemie, XXI. 


REVUES ET ANALYSES. 413 


qu'ils expliquent, non par un manque de pureté, mais en admettant la 
combinaison de l’albumine avec différents sels minéraux. Dans ces 
dernières années, divers auteurs ont encore affirmé avoir obtenu soit 
des albumoses, soit des peptones à l’état de poudres cristallines, mais 
sans donner de description précise des cristaux qu’ils auraient obtenus. 

Il est donc établi aujourd’hui, de façon définitive, qu'albumines et 
globulines, tant animales que végétales, possèdent, comme beaucoup 
d’autres substances, un état cristalloïde à côté du colloïde. Cette con- 
statation a son importance, car si une solution aqueuse d’albumine est 
capable de déposer des cristaux, on est en droit de la considérer 
comme une solution vraie, et non comme une sorte d’émulsion ou de 
gelée liquide. On pourra donc faire légitimement sur elle les opéra- 
tions pratiquées sur les solutions salines vraies, l'utiliser par exemple 
à la détermination cryoscopique de la grandeur moléculaire de l’albu- 
mine. On s’est posé la question de savoir si l’albumine ordinaire avait 
la même grandeur moléculaire que l’albumine cristallisée, et l’idée a 
été émise que cette dernière était une dépolymérisation de la pre- 
mière. Les raisons invoquées, telles que les filtrations beaucoup plus 
rapides des solutions d’albumine cristallisée, l’espèce d'entraînement 
qu'il faut faire subir à l’albumine amorphe pourl’amener à la cristalli- 
sation franche, peuvent s’expliquer aussi par la présence d’impuretés, 
et jusqu’à présent l’idée manque de base certaine. 

Au point de vue de l'obtention de produits purs, les résultats 
obtenus jusqu'’aujourd’hui sont faits pour engager dans la même voie 
ceux qui veulent aborder l'étude chimique d’une albumine quelconque ; 
car ce mode de préparation, quand il est possible, offre incomparable- 
ment plus de garanties de pureté que les dissolutions et précipitations, 
auxquelles on recourt habituellement. Il serait à souhaiter que l’on 
attachât grande importance à l’état de pureté absolue de la substance 
à étudier, de façon à éviter le plus possible les résultats approximatifs, 
suite nécessaire d'un point de départ incomplètement défini. 


* 
# *# 


Pour étudier la structure chimique des albuminoïdes, le chimiste 
possède ses deux moyens habituels : la synthèse et l’analyse. Je ne 
dirai rien des essais de synthèse, faits dans ces dernières années. Les 
substances préparées de toutes pièces par divers auteurs n’avaient 
avec l’albumine que des rapports éloignés et toujours incomplets. 

L'analyse de l’albumine a été tentée par les moyens chimiques 
violents, tels que l’action des bases et des acides forts, et par les 
moyens moins énergiques que nous fournissent les fermentations, 
tant par microorganismes que par enzymes. À priori, c'est aux seconds 


474 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qu'il faut donner la préférence, car, pour arriver à la connaissance de 
molécules aussi énormes que celle des albuminoïdes par létude des 
fragments qu’elles fournissent sous l'influence d’agents divers, il faut 
que les morceaux obtenus soient encore assez volumineux pour qu’on 
puisse leur assigner une localisation sûre, dans le grand complexe. 
La reconstruction d’une statue au moyen de ses débris n’est guère 
possible, si ces derniers ne sont plus qu’un gravier menu, dont les 
parcelles n’ont gardé dans leur forme rien qui indiquât les rapports 
primitifs. 

Sous ce rapport, les diastases protéolyliques ont donc un grand 
avantage, car ordinairement leur action est plus lente et moins pro- 
fonde que celle des moyens chimiques ordinaires. Quant aux ferments 
vivants, outre que leur action est souvent plus profonde, elle se com- 
plique souvent de procédures synthétiques, dont il peut être très 
difficile de faire la part exacte. 

Un grand progrès dans l'étude des transformations des albumi- 
noïdes, par les ferments protéolytiques, date des travaux de Kühne et 
de ses élèves Chittenden et Neumeister. Il est utile, je crois, d’ébau- 
cher dans ses grands traits la conception que s'est faite Kühne 
de la digestion des albuminoïdes, avant d’en arriver aux travaux plus 
récents sur la matière. 

Quand on place, dans un suc gastrique artificiel, de la fibrine ou 
du blanc d’œuf coagulé, il y a dissolution lente de l’albumine solide, 
avec transformation de ses propriétés physiques et chimiques. 
On distinguait, depuis les travaux de Meisner, divers produits de 
transformation. 

Ce chimiste avait montré que la simple neutralisation du liquide 
résultant d’une digestion pepsique récente suffisait pour précipiter 
une partie des produits solubles : c’était la parapeptone. 

Le liquide filtré contenait un corps albuminoïde, soluble dans l'eau 
et les solutions acides, alcalines et salines, non précipitable par la cha- 
leur : la peptone. En réalité, les transformations sont beaucoup plus 
complexes, et différentes dans les digestions pepsique et pancréatique. 

Tout d’abord, si la digestion n'est pas trop rapide, et si l’albumine 
n’est pas fortement coagulée, il peut y avoir, au début des digestions 
pepsique! et trypsique?, une simple dissolution du coagulum sans 
transformation chimique appréciable. L'albumine ou la globuline 
passent en solution en conservant leurs propriétés *, notamment celles 
d’être coagulées par la chaleur. Voyons maintenant comment se pro- 


. HaseBrock, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XI. 
. HERMANN, Zandbuch f. Physiol. 
. Arraus Et Huser, Archives de Physiologie, XXN. 


O2 NO 


REVUES ET ANALYSES. 475 


duit la protéolyse dans la digestion pepsique considérée spécialement. 

L’albumine prend tout d’abord les caractères que lui donnent les 
acides minéraux dilués agissant seuls; elle perd sa coagulabilité par la 
chaleur, elle est précipitée de ses solutions par la neutralisation de 
celles-ci. Ainsi transformée, l’albumine est devenue la parapeptone de 
Meisner, la syntonine ou acidalbumine de Kühne. La syntonine 
disparaît bientôt dans le liquide de digestion. Elle s’est transformée 
en peptone vraie de Meisner. D’après Kühne, la transformation est 
complexe, et il y a lieu, pour la comprendre, de tâcher d'isoler, par 
des précipitations fractionnées au moyen de sels minéraux, les diffé- 
rents produits qui ont pu prendre naissance. Il établit une première sub- 
division entre les corps précipitables par le sulfate d’ammoniaque saturé 
à chaud, en solution successivement neutre, acide et alcaline, et ceux 
qui restent dissous après ce traitement. Ces derniers sont les peptones 
vraies. Les autres sont les albumoses. Mais ces albumoses redissoutes 
dans l’eau se laissent encore différencier en primaires et secondaires. 
Les premières sont précipitées de leurs solutions : partiellement, par 
l'acide nitrique ou par la saturation au moyen de chlorure de sodium; 
complètement, moyennant certaines précautions ', par les sels de 
cuivre, sulfate, acétate. Ces divers agents n'ont aucune action sur les 
deutéro-albumoses. Ces dernières se précipitent partiellement de leurs 
solutions saturées de chlorure de sodium, quand on les acidule par les 
acides acétique ou nitrique. 

Elles ne sont complètement précipitées que par le sulfate d’ammo- 
niaque. Parmi les albumoses primaires s'établit une nouvelle différen- 
ciation entre protalbumoses et hétéroalbumoses, les premières solubles 
dans l’eau pure, les secondes exigeant, pour se dissoudre, une certaine 
quantité de sels minéraux. Leur séparation se fait en soumettant à la 
dialyse une solution saline d’un mélange d’albumoses primaires. L'hé- 
téroalbumose se précipite, la protalbumose reste en solution. Kühne a 
encore proposé les noms de dysalbumose. d'acro-albumose, pour des 
variétés se distinguant par des caractères de solubilité peu importants 
et dont la situation et la signification sont moins étudiées. D’après 
une série de dosages faits à différents moments de la digestion, Kühne 
admet que la syntonine, sous l’action de la pepsine, serait transformée 
en un mélange d’albumoses primaires, celles-ci étant irréductibles 
entre elles, se produisant simultanément et non consécutivement l’une à 
l’autre aux dépens de parties différentes de la molécule albuminoïde, Cette 
opinion se base sur le fait que la protalbumose, soumise à la digestion 
pancréatique, fournit des produits de décomposition analogues à ceux 
de l'hétéroalbumose, mais en proportions différentes. Ces deux albu- 


1. Fou, Zeitschrift fur physiologische Chemie, Bd XXY. 


476 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


moses, par l’action ultérieure du sue gastrique, donnent par hydrata- 
tion une deutéro-albumose, de sorte que la deutéro-albumose, isolée des 
produits de la digestion globale, serait, en réalité, un mélange de la 
deutéro-albumose dérivée de la protalbumose et de celle dérivée de 
l’hétéroalbumose. Par hydratation plus profonde, les deutéro-albu- 
moses fourniraient la peptone définitive. Là s’arrête, d’après Kühne, 
l’action des sucs pepsiques, naturel et artificiel, incapables tous deux 
de scinder la molécule de peptone. 

Si nous examinons maintenant les actions du suc pancréatique, 
nous voyons que les premiers produits d'hydrolyse sont ici les deu- 
téro-albumoses, se formant directement aux dépens des albuminesnatu- 
relles, sans qu’il soit possible de décéler les albumoses primaires. Les 
deutéro-albumoses subissent ultérieurement la transformation en 
peptones. Mais là ne s'arrête pas l’action de la trypsine. Elle attaque 
une partie de la peptone et laisse intacte l’autre. Nous aurons à reve- 
nir plus tard sur les produits de désintégration de la peptone, parmi 
lesquels figurent les acides amidés. Ici nousinsisterons sur ce fait que, 
d’après les vues de Kïühne, peptone pancréatique et peptone gastrique 
sont deux composés différents, la peptone gastrique ou amphopep- 
tone étant le mélange de deux substances, dont l’une, l’hémipeptone, 
est détruite par le suc pancréatique, tandis que l’autre, l’antipeptone, 
lui résiste indéfiniment. L'antipeptone, attaquée par les acides forts ou 
les bases à l’ébullition, fournit d’une manière générale les mêmes pro- 
duits de décomposition que l’hémipeptone. Kühne admet dans la molé- 
cule albuminoïde l’existence de deux proupes : le groupe hémi et le 
groupe anti, différents par leur résistance vis-à-vis des agents hydro- 
lysants. 

Cette conception, à laquelle Kühne est arrivé par l’étude de la 
digestion par les diastases, se trouve appuyée par l'observation 
antérieure de Schützenberger, que les acides minéraux attaquent rapi- 
dement une partie de l’albumine coagulée de l’œuf, en laissant intact 
un résidu qu'il appelait hémiprotéine. 

Cette hémiprotéine a reçu de Kühne le nom d’antialbumide, et il 
fut constaté par ce savant qu’elle se transforme intégralement en 
antipeptone par l’action du suc pancréatique, sans production d’acides 
amidés. 

L'action du suc pancréatique, comme celle des agents chimiques, 
mène donc à la conception de deux groupes, le groupe hémi et le 
groupe anti. Plus haut il a été dit que la digestion pepsique fournit 
deux albumoses primaires, correspondant aussi à des groupes préfor- 
més dans la molécule albuminoïde. Quels sont les rapports entre ces 
deux ordres de données? Kühne, se basant sur les résultats de la diges- 
tion trypsique de la protalbumose et de l’hétéroalbumose, croit que 


REVUES ET ANALYSES. 477 


toutes deux contiennent en mème temps le groupe anti et le groupe 
hémi, la protalbumose étant surtout riche en hémi; l’hétéroalbumose, 
fournissant surtout de l’antipeptone, serait constituée en bonne partie 
par le radical correspondant. 

Nous voyons donc apparaitre, parmi ces produits de la digestion 
autrefois confondus sous le nom de peptone, une série de différencia- 
tions, qui sont de haute importance si elles répondent à la réalité des 
faits. Mais une objection se présente rapidement : on s’est demandé, 
et c'est là un problème d’ordre général dans l'étude des albumines, 
Jusqu'à quel point les résultats fournis par la précipitation au moyen 
des sels minéraux peuvent servir comme base de différenciation entre 
plusieurs albuminoïdes. Les lecteurs de cette revue se rappelleront 
suffisamment les critiques et les travaux de Duclaux ‘ sur ce sujet, pour 
que j insiste sur P’importance de l’objection. Elle a d'autant plus besoin 
d’être examinée dans le cas présent que différents auteurs, parmi les- 
quels Herth, Hamburger *, ont soutenu que les diverses hémialbu- 
moses de Kühne et de Chittenden ne sont qu’un seul et même corps, 
précipité en fractions successives par le traitement qui sert à la diffé- 
renciation des albumoses. Plus récemment, Stokvis’ dénie toute 
signification chimique précise au mot peptone, et en fait l'étiquette 
d’un produit commercial. 

À ces objections, Kühne a opposé plusieurs arguments. Il prétend 
d’abord que, en réalité, la résistance de plus en plus forte qu'opposent 
les différents produits de la digestion à la précipitation par les sels 
minéraux est en rapport étroit avec leur grandeur moléculaire, et a par 
conséquent sa base dans leur nature chimique. 

Et il appuie cette assertion sur l’étude des pouvoirs osmotiques des 
différentes albumoses ‘. 

Après 24 heures de dialyse dans un courant d’eau, l'hétéroalbu- 
mose avait perdu par diffusion en solution alcaline 5,2 0/0, tandis 
qu’en solution acide ou saline, la perte était insignifiante. La protal- 
bumose en solution aqueuse donnait une perte de 19 0/0, en solution 
chlorhydrique faible, 28,3 0/0; la deutéroalbumose dans l’eau, 40 0/0; 
en solution chlorhydrique, 24, 10/0. Pour autant qu’on puisse tabler sur 
des chiffres accusant d’aussi fortes différences suivant les conditions 
de expérience, des trois albumoses l’hétéroalbumose a de beaucoup la 
molécule la plus grosse : viennent ensuite en ordre de décroissance la 
deutéroalbumose et la protalbumose. Ce qu’il y a d’intéressant dans 


1. Annales de l'Institut Pasteur, À, 4892, p. 499, 274, 369, 657, 584,854. À, 4895, 
p. 51. 
Malyÿ's Jahresbericht für Thier-chemie, 1884, p. 18; 1886, p. 20. 
. Gentralblatt für Physiologie, Bd. VI, p. 43. 
. Zeilschrift für Biologie, B. XXIX. 


& C2 © 


478 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'expérience, c’est que la deutéroalbumose doit être considérée, d’après 
Kühne, comme le mélange des deux albumoses secondaires provenant 
par hydratation des deux albumoses primaires. Or ce mélange se 
trouve être composé de molécules en moyenne plus grosses que la 
molécule d’une des albumoses primaires dont il dérive, de la protalbu- 
mose. La contradiction apparente se comprend si l’on admet avec 
Kühne que la deutéroalbumose provenant de l’hétéroalbumose possède 
une molécule plus volumineuse que la protalbumose, 

Des résultats concordant absolument avec ceux de Kühne ont été 
obtenus par une voie toute différente. Sabanejeff' ayant déterminé 
l’abaissement du point de congélation de l’eau par l’albumine de l’œuf 
et ses dérivés, arrive, en appliquant la formule de Raoult, aux grandeurs 
moléculaires suivantes : 15,000 pour l’albumine, 2,400 pour la pro- 
talbumose, 3,200 pour la deutéroalbumose, environ 400 pour la 
peptone. Nous voyons ici encore que le mélange des deux deutéroalbu- 
moses possède une moyenne moléculaire plus forte que la grandeur 
de la molécule de protalbumose. 

Ces chiffres sont à rapprocher de ceux obtenus par Sjüqvist* dans 
ses études sur la conductibilité électrique de solutions 1/20 normales 
d'acide chlorhydrique, additionnées de quantités connues d’albumine ou 
d’albumose. 

L’addition de ces corps a pour effet une diminution de la conducti- 
bilité, parallèle à la saturation de l’électrolyte HClpar le non électrolyte 
albumine, diminution aboutissant à un minimum correspondant à la 
neutralisation de l'acide par la base organique. D'où la possibilité 
théorique de déterminer l’équivalent chimique de lalbumine. Dans 
les recherches de Sjüqvist, l'albumine aurait ‘pour équivalent 800, le 
mélange des albumoses qui constitue la peptone de Witte 600, la pep- 
tone vraie de Kühne (préparée par digestion trypsique prolongée de la 
fibrine) 250. 

Paol # et Siegfried *, ayant déterminé par la méthode de Raoult le 
poids moléculaire de la peptone vraie,sont arrivés le premier au poids 
moléculaire de 203-243, le second de 257, et ils considèrent tous deux 
la molécule comme monovalente dans sa combinaison avec les acides. 
Ces résultats sont donc en accord complet avec ceux de Sjüqvist. 

Ils s’éloignent davantage de ceux de Sabanejeff. Il est d’ailleurs 
probable que ces premières données seront encore modifiées avant 
qu'on puisse les considérer comme solidement établies. Mais l’ensemble 


4. Chemisches Centralblatt, 1891 et 1893. 

2, Scandinav. Archiv. f. Physiol. V, p. 227, d’après Centralblatt f. Physiologie, 
1895, p. 460. ; 

3. Berichte d. Deutsch. chemischen gesellschafft, Bd. 27, 

4. Archiv, f. Anatomie und Physiologie ; Phys. Abtheil., 1894, 


| 
| 


REVUES ET ANALYSES. 479 


des résultats acquis plaide fortement, comme on le voit, en faveur 
de l'hypothèse de Kühne, qui fait de la peptone vraie, non précipitable 
par le sulfate d’ammoniaque, l’aboutissant ultime d'une série de scis- 
sions moléculaires opérées par les sucs digestifs, et dont les termes de 
passage seraient les diverses albumoses. 

Une autre preuveen faveur de l’existence et de l’importance de ces 
différents produits de la digestion des albuminoïdes nous est donnée, 
d'après Kühne et Chittenden, par la constance de leur apparition. 
Quelle que soit Palbumine qui serve de point de départ, que l'on ait 
eu recours à la fibrine, à la globuline du sang, à la myosine, à l’albu- 
mine de l’œuf, aux globulines cristallisées végétales, toujours on 
pourra isoler, par les mêmes procédés, les mêmes albumoses et les 
mêmes peptones, se caractérisant par les mêmes propriétés essentielles, 
ne conservant de leurs origines différentes que quelques particularités 
de peu d'importance. 

Si d’autre part, à l'exemple de Pick', on tâche d'isoler les divers 
produits que contient un milieu de digestion artificielle, non plus 
d’après les procédés de Kühne, mais par la précipitation fractionnée 
au moyen de quantités de plus en plus fortes de sulfate d’ammonia- 
que, on obtient, pour une concentration correspondant à la demi- 
saturation, un précipité dont les propriétés sont celles d’un mélange 
des deux albumoses primaires. Par des concentrations correspondant 
au 2/3 de saturation, à la saturation complète en solution neutre, à 
la saturation complète en solution acide, se produisent trois précipités 
dont les propriétés sont très peu différentes entre elles et sont celles 
du mélange des deutéro-albumoses de Kühne. 

Au point de vue plus strictement chimique, c’est-à-dire envisagées 
dans leur composition centésimale et dans leur façon de se comporter 
vis-à-vis des réactifs ordinaires des substances albuminoïdes, les 
albumoses se différencient très peu entre elles, et elles ont conservé 
d'autre part les propriétés et la composition des albuminoïdes. Au 
contraire, les peptones s’en écartent assez fortement. Leur composi- 
tion centésimale n'est pas encore exactement connue, les résultats 
d'analyse variant suivant les auteurs. Ce désaccord tient entre autres 
motifs aux grandes difficultés de préparation qui résultent, et de 
l'hygroscopicité excessive de ces corps, et de leur combinaison facile 
avec les acides, les bases, voire même Palcool*. Quant à leurs pro- 
priétés chimiques, il s'en faut également de beaucoup qu’on soit 
d'accord à leur sujet. Un premier point qu’il serait très important de 
fixer de façon définitive, c’est leur teneur en soufre. Tandis que Neu- 


À, Zeitschrift für Physiologische Chimie, Bd. XXIV. 
2. Paur, Loc. citato. 


480 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


meister n’admet pas de peptone absolument dépourvue de soufre, 
d’autres auteurs tels que Siegfried ‘, Schroetter ? sont d’un avis opposé, 
et font de cette non-existence du soufre dans la molécule des peptones 
une différence essentielle entre peptones et albumoses. Faut-il voir la 
raison de ce désaccord dans la propriété, observée par Siegfried, que 
posséderait la peptone de pouvoir se combiner à l’acide sulfhydrique 
en solution aqueuse pour donner des composés sulfurés? Un fait en 
tout cas certain, c’est, d’après les analyses de Kühne, le peu de cons- 
tance de la quantité toujourstrès faible de soufre que contientlapeptone, 
de 0,3 0/0 à 0,7 0/0. Dans sa facon, de se comporter vis-à-vis des réac- 
tifs ordinaires des matières albuminoïdes, la peptone diffère également, 
en plus d’un point, des albumines et des albumoses. Je ne dirai rien des 
réactions de précipitation, sans leur nier cependant toute importance, 
surtout quand les différences portent non sur une seule d’entre elles, mais 
sur un ensemble. Seulement ici encore il y a désaccord entre les 
divers auteurs. Un point admis par Kühne, Siegfried, Pick, etc., 
c’est l'absence de réaction {vis-à-vis du réactif de Millon, correspon- 
dant, d’après Kühne et Siegfried, à l’absence de la tyrosine parmi 
les produits de décomposition de l’antipeptone. Pick «4 également 
noté le manque de la réaction de Molisch, c’est-à-dire le manque 
de coloration violette par l'acide sulfurique et le naphtol, réaction 
qui appartient aux hydrates de carbone etaux albumines et albumoses * 
et serait due, en ce qui concerne ces derniers corps, à l’existence 
dans leur molécule d’un chaïnon d’hydrate de carbone qui, sous 
l'action de l’acide sulfurique, donne du furfurol *. 

Cet ensemble de données de différentes natures semble suffisant 
pour admettre avec Kühne une différenciation chimique certaine 
entre albumines, albumoses et peptones. Et nos connaissances sur 
les albuminoïdes auraient à gagner beaucoup à l'étude de ces 
différents composés. On peut donc dire que l’étude de la digestion des 
albumines par les enzymes est, à l'heure actuelle, grossière- 
ment ébauchée, et que la chimie des albumines aura tout à gagner de 
fulures recherches méthodiques et patientes faites dans cette direc- 
tion. 

Dr P. Norr. 


|. SieGrrtep, Loco citato. 

2, Scuroerrer, Monatshefte f. Chemie. 

3. Seecen, Journal für Thier-chemie de Maly. FT. XXE, p. 230. 
4. Unraxsky, Zeitschrift f. physiologische Chemie, XH. 


Le Gérant : G. Masson. 


go ————— 


Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. 


me ANNÉE AOÛT 1898 N° 8. 


> 
[Re 


ANNALES 


PEN ELEUL. PASTEUR 


SUR LE MODE D'ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF 
CONTRE LE ROUGET DES PORCS 


Par M. FELIX MESNIL 
CHEF DE LABORATOIRE À L'INSTITUT PASTEUR 


(Travail du service de M. Metchnikoff.) 


S LE. — HisroriQue. 


Le rouget des pores est une des premières maladies pour les- 
quelles on ait préparé un liquide doué de propriétés préventives. 
Emmerich et Mastbaum", dès 1891, ont immunisé des lapins 
contre le microbe de cette maladie; après leur avoir injecté des 
doses assez élevées de cultures virulentes, à des dates très 
rapprochées, ils les sacrifiaient, filtraient le sang et aussi le suc 
qu'ils extrayaient par pression des organes internes (foie, 
poumon, etc.). Ces liquides, à des doses de 2 c. c., protégeaient 
les souris contre l’inoculation de 1/2 ce. c. derouget; l'injection de 
1 c. c: 5, faite 7 heures après l'introduction du virus, préservait 
encore 2 souris sur 3. Chez le lapin, où la maladie produite par 
inoculation sous-cutanée de virus n’était jamais mortelle, l’in- 
jection préventive de suc d'organes la rendait très bénigne; elle 
préservait les individus inoculés dans la veine. 
Lorenz * a voulu faire entrer la sérothérapie du rouget dans 
une voie pratique, et 1l a examiné la valeur du sérum de pores 
À. Euuericu ET MasrBaum, Archiv. f. Hygiene, XII, 1891, p. 275. 


2. Lorexz, Deutsche Zeitschr. f. Thiermed, XX, 1894, p. 1 et XXI, 1895, Dr2738 
— Deutsche thierärstl. Woch., 1896, p. 244; — Centr. f. Bakt., XX, 1896, p. 792, 


31 


482 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


immunisés par des virus atténués. Il a constaté que ce sérum, à 
la dose de 1/100 c. e., protège Les souris contre une inoculation 
virulente faite 24 heures après. Mais, d’après Sander ', ce sérum, 
actif préventivement à des doses si faibles, n'empêcherait pas la 
mort des souris, quand il est inoculé seulement 1/2 heure après 
le virus. 

Voges *, en 1896, a préparé un sérum préventif en se servant 
de lapins et de moutons. Dans ses tableaux d'expériences, on 
relève qu'il fallait O0 c. c. 1 de sérum de lapin et 0 c. c. 03 de 
sérum de mouton pour protéger les souris qui recevaient, en 
même temps, 0 c. €. 1 de culture de rouget. Inoculé 24 heures 
après le virus, son sérum, à la dose de 0 €. ce. 5, protège encore 
les souris qui reçoivent 2 « anses de platine » de culture sous la 
peau. Enfin, 48 heures après l'inoculation d'une « petite anse » 
de culture du virus, 2 c. c. ont protégé 1 souris sur 2. 

Voges note qu'une température de 55° n’altère pas les pro- 
priétés préventives du sérum. 

Leclainche*, en 1897, a également préparé un sérum immuni- 
sant en utilisant les lapins; chez les souris, il faut des doses 
assez élevées (1/4 à 1 ec. c.) pour empêcher la mort‘. La protec- 
tion acquise est toujours passagère, sauf quand on inocule un 
mélange, préparé in vitro, de sérum et de virus; on a alors une 
immunité durable. 

Peu après, Loir et Panet” ont déclaré avoir obtenu un sérum 
protecteur en inoculant des pigeons avec des cultures de plus 
en plus virulentes. 

La plupart de ces savants ne se préoccupent pas du mode 
d'action de leur sérum. Pourtant, Emmerich et Mastbaum 
constatent que, chez la souris, on retrouve encore des microbes 
au point d’inoculation (il y a aussi quelques leucocytes, mais 
sans traces de bacilles à leur intérieur), dansle sang et les orga- 
nes, 6 heures après l'introduction, sous la peau, d’un mélange de 


4. Saxner, Archiv f. Thierheilkunde, XXI, 1895, p. 53. 

2. Voces, Zeitschr. f. Hygiene, XXII, 1896, p. 515. 

3. LECLAINCHE, C. À. Soc. Biologie, séance du 1°" mai 1897. 

4. Depuis, LECLAINCHE a dû renforcer la valeur de son sérum; il déclare 
(ën Nocard et Leclainche. — Les maladies microbiennes des animaux, 2° édition, 
Paris, 1898, p. 161) qu’il immunise le lapin à la dose de 1/10 c. c. de sérum par 
kilo d'animal; il enraye l'infection 48 heures après l'introduction du virus chez 
le lapin (mort des témoins en 4-6 jours), 12 heures après chez la souris. 

5. Loir gr Paner, C. X2. Soc.Biologie, séance du 5 juin 1897. 


+ PT ON] 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 483 


leur liquide immunisant et de virus; il n’y a plustrace de bacilles 
du rouget, 8 heures après. 

Dans son mémoire déjà cité, Voges croit, de quelques expé- 
riences in vitro, pouvoir conclure que le sérum contre le rouget 
agit comme le sérum cholérique anti-infectieux : chez l'animal 
vivant, il y aurait transformation de la substance microbicide, 
inactive in vitro, en une autre active. 

Voges et Schutz!', tout récemment, ont précisé les idées pré- 
cédemment exposées par Voges. Comme leur sérum immuni- 
sant ne manifeste pas d'action bactéricide marquée, in vitro, ils 
prétendent, sans en avoir encore fourni les preuves, qu'il n'agit 
que sur le corps protoplasmique de la bactérie, alors qu’elle est 
débarrassée de son enveloppe protectrice. Celle-ei, qui confère 
à la bactérie sa résistance à la chaleur, à la dessiccation, au 
sérum préventif in vitro, et sa propriété de ne pas se décolorer 
après l’action du liquide de Gram, est détruite par une énigma- 
tique action physiologique de certains organes, et alors le pou- 
voir bactéricide des € Antikürper » contenus dans le sérum pré- 
ventif peut se manifester. 

Je vais essayer de montrer, dans les pages qui vont suivre, 
que l’action du sérum préventif contre le rouget des porcs est 
tout autre que celle indiquée par Voges et Schütz. Il m'est 
impossible de critiquer d’une facon directe le travail de ces 
savants puisque, jusqu'ici, ils se sont contentés d'affirmer leur 
manière de voir, sans faire l’exposé de leurs expériences. Et 
même, un long mémoire qui vient de paraître”, ne contient rien 
de bien explicite à cet égard. 


$ 2. — PRÉPARATION D'UN SÉRUM CONTRE LE ROUGET. 


La plupart des savants qui ont préparé un sérum doué de 
propriétés immunisantes n'indiquent pas leur mode opératoire. 
Emmerich et Masthaum, en revanche, donnent des détails très 
précis. Leur méthode consiste à faire une première inoculation 
de 2 c. c. ou 1 c. ce. 5 d’une culture très diluée, dans la veine de 
l'oreille; puis, quand les lapins résistent (il en est mort 1 sur 3), 
ils leur inoculent des doses de plus en plus élevées de virus, à 
des temps assez rapprochés. Le sérum, ou plutôt le suc d'organes, 


4. Voces et Scaurz, Deutsche Medic. Wochenschr., 27 janvier 1898. 
2, Voces et Scaurz, Zeitschr. f. Hygiene, XXVIIT, 1898, p. 38. 


484 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


qu'ils obtiennent ainsi, est peu actif (voir plus haut). Nous avons 
essayé leur procédé qui nous a paru peu pratique. 

Voges et Leclainche qui, seuls parmi les autres expérimen- 
tateurs, ont opéré sur des lapins, ne donnent que des rensei- 
gnements très vagues sur leurs méthodes. 

J'ai employé également les lapins et il m'a semblé, après 
quelques tàätonnements, que le meilleur procédé pour leur 
donner une immunité solide était, comme Metchnikoff l’a déjà 
indiqué’ en 1889, d'employer la méthode pastorienne des virus 
atténués, de soumettre à des inoculations préventives avec les 
2 vaccins de Pasteur et Thuillier les animaux à immuniser. 

Le tableau suivant indique le détail de la préparation de 
2 lapins : 


1er LAPIN 2e LAPIN 
DATES Ë —_ EE — ———— 
Poids. Inoculations (2). Poids. Inoculations. 

15 nov. 1897] 2.320 gr. 4/4 c. c. 1er vaccin. 2,420 gr. 1/4 ©. c. 1er vaccin. 
23 nov. — 9 300: — ANCAC — 2300— ECC: — 
30 nov. — 2,315 — 1/4 c. c. %e vaccin. 2,270 — 1/4 c. c. 2e vacccin. 
7 déc. — | 2,340 — 1NCNC: — 2,300 — ANCEC: — 

forte baisse. forte baisse. 
24 déc. — | 2,220 gr. |1/4 c. c. Rouget normal. 2,070 gr. 0 
5 janv.1898] 2,180 — |174 c. c. _ ADO 1/4 c. c. Rouget normal. 
13 janv. — | 2,400 — | 4 c.c. _ 2,200 — À cc: = 

forte baisse. forte baisse. 
24 janv. — 2,520 — CAGE — 2,350 gr. ANCLC: — 
31 janv. — |" 2.580 — DAC. C —= 2,300 — 3 C. C — 
8 févr. — 2 600 =— k ©. c — 2,380 — 4 c. c:- — 

forte baisse, 'orte baisse. 
DEEE — 2,670 — DNCELC: — 2,400 gr. D ICAC: — 
4 mars — 2,920 — NC. C- — 2,650 — RC: 10 — 
48 mars — | 2,950 — 4 c. c. — 2,650 — NC — 
4 avril — 2,650 — |Saignée (10 c. c. sérum).} 2,370 — 0 
43 avril — | 2,780 — 5e. c. Rouget normal.| 2,600 — ÆIC-NC: — 
29 avril — | 2,950 — 3 C. C. — 2,850 — UC. IC: — 
A6 mai —"| 2730: — "| 2 "cc. — 9,880. — ANCIC: 15 = 
25 mai — | 2,800 — ONC-LCe — 2,900 — |Saignéele 29 mai (10 c. c. sérum). 
3 juin — | 2,850 — HRCUC: — 2,150 — > c. c. Rouget normal. 
12 juin -— 2,950 — 10e rc: — 2,750 — HACACS — 
25 juin — | 3,150 — |Saignée(10 c. c. sérum).[ 3,050 — dONcCe- = 
5 juillet — | 3,120 — 5 c. c. Rouget normal.| 2,950 — Saignée (10 c.c. sérum). 


4. Mercaxixorr, ces Annales, IIT, 1889, p. 289. 
2. Toutes les inoculations de ces 2 lapins ont été faites sous la peau du ventre. 
Dans certaines séries, nous avons fait la première dans la veine de l'oreille 


ACTION DU SÉRUM. PRÉVENTIF. 485 


Comme on peut le voir, les doses inoculées étaient d’abord 
très faibles et faites à des dates assez éloignées. L'animal réagit 
en effet très vivement, au commencement de l’immunisation; on 
a élévation de température, forte baisse de poids, et, malgré 
toutes les précautions, il y a toujours quelques animaux qui 
succombent. Les 3 premiers mois écoulés, l'animal peut recevoir, 
tous les 8 ou 10 jours, une forte dose de culture virulente, sans 
réagir de façon notable. 


$S 3. — VALEUR DU SÉRUM. 


Le rouget qui a servi à toutes nos expériences provenait 
d'un porc autopsié à l’Institut Pasteur, en novembre 1896. 
Nous le cultivions d’abord dans le bouillon de veau peptonisé 
par la peptone ducommerce ; les cultures étaient peu abondantes. 
Plus tard, nous avons utilisé le bouillon de veau peptonisé par 
la digestion de la panse de pore, d’après le procédé Martin ‘; 
les cultures sont beaucoup plus luxuriantes, 

Toutes les cultures inoculées avaient de 18 à 24 heures de 
séjour à 37°; 1/4 c. c. de pareille culture tue une souris de taille 
moyenne en 24-48 heures (quelquefois mème 20 heures) par 
injection éntrapéritonéale, en 40-72 heures par inoculation sous- 
cutanée. À ©. c. tue le pigeon, sous la peau, en 2 jours (en 
moyenne). 1 c.e. 1/2 tue un lapin en 2 j. 1/2 par inoculation 
intraveineuse ?. Les inoculations sous la peau ne sont que rare- 
ment rapidement mortelles pour le lapin; mais l'animal se 
cachectise ordinairement et finit par succomber avec des bacilles 
du rouget dans le sang du cœur. 

Nous avons essayé la valeur de notre sérum en opérant avec 
la souris *. 

Prenons pour exemple les lapins 1 et 2. 

Le lapin 1, saigné le 5 avril, donne un sérum qui, à la dose 
de 1/20 c. c., sous la peau du dos, protège une souris qui reçoit 
le lendemain, dans le péritoine, 1/4 c. c. de rouget. A la dose 
comme le conseillent Emmerich et Mastbaum; mais nous n’avons jamais observé 
que le sérum obtenu de cette façon füt particulièrement actif. 

4. Marin, ces Annales, XII, 25 janvier 1898. 

2, Dès une période précoce de leur préparation, les lapins producteurs de 
sérum résistent à cette inoculation intraveineuse. 


3. Même à des doses très fortes (Lou 2c. c.), le sérum de lapin neuf n'a aucune 
action préventive, 


486 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de 1/100 c. c., la souris meurt en 2 j. 1/2, alors que le témoin 
qui n’a rien reçu ou qui a reçu du sérum de lapin non immunisé 
meurt en 36 heures. 

Le même lapin, saigné le 25 juin, a un sérum qui empêche 
la mort à la dose de 1/160 c. c. et à des doses supérieures, la 
retarde seulement à 1/250 et à 1/500. 

Le lapin 2, saigné le 29 mai, a un sérum qui protège à la 
dose de 1/10 c. e., retarde la mort à 1/20. Le sérum du 5 juillet 
protège à la dose de 1/50 c. c.; retarde la mort à 1/100 et 
à 1/150. 

Les doses de sérum qui, injectées la veille, protègent contre 


1/4 c. c. de culture dans le péritoine ont la mème action contre 


la même quantité de culture injectée sous la peau. 

La quantité de sérum qui immunise, injectée 24 h. avant le 
virus, protège également quand on la mélange à la culture au 
moment de l'injection de cette dernière, ou, ce qui revient sen- 
siblement au même, quand on injecte sérumet culture au même 
point. Il nous a même semblé que le sérum, mélangé à la cul- 
ture, agissait à des doses plus faibles. Ainsi, dans le cas d’un 
sérum dont il fallait 0 ce. c. 1 pour amener la survie définitive, 
étant injecté la veille du virus, 0 c. c. 05 suffisait quand on fai- 
sait l’inoculation en même temps et au même point. 

En revanche, si on injecte, en même temps, mais en des 
points différents (cuisse et peau du ventre, par ex.), le sérum et 
le virus, il faut, pour amener la survie définitive, une quantité 
de sérum plus forte que quand la protection a lieu la veille. Avec 
le sérum de l'exemple précédent, 0 e. e. 1 retardait considérable- 
ment la mort (7 jours au lieu de 36 heures), mais il fallait 
0 c. c. 25 pour protéger complètement. 

Les mêmes doses agissent de la même façon injectées 
8 heures après la culture. 

Le résultat est tout autre quand on intervient plus longtemps 
après l'introduction du virus. 18 heures après, on n’obtient plus 
qu'une survie insignifiante (7-8 heures), même en injectant 
1/2 e. c. de sérum. Mais, dans tous ces cas, les souris recevaient 
1/4 ce. c. de culture; et, dans la dernière expérience, le témoin 
est mort en 40 heures; une des souris, traitées par le sérum 
18 heures après l'introduction du virus, présentait déjà des signes 
évidents de maladie. 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 487 


Nous avons été plus heureux en agissant sur des souris qui 
n'avaient reçu que 1/20 c. c. de virus sous la peau. 16 heures 
après, avec 1/2 c. c. de sérum, nous avons sauvé une souris; 
mais notre intervention, au bout de 22 heures, n’a servi qu'à 
prolonger de 12 heures environ la vie de la souris (morte en 
3 jours au lieu du témoin 2 jours 1/2), bien que la dose inocu- 
lée ait été de 3/4 c. ce. de notre sérum le plus actif. 

Ces résultats sont au moins aussi encourageants que ceux 
relatés par Voges, si l’on réfléchit que ce savant inocule à ses 
souris des doses de virus (1 ou 2 anses) beaucoup plus petites 
que les nôtres. Or notre rouget, même à 1/400 c. c., tue la souris 
en 3 jours 1/2. 

Dans les conditions où nous nous étions placé, nous avons 
reconnu que, environ 24 heures après l'introduction du virus sous 
la peau, la rate et Le rein de la souris commencent à montrer des 
bacilles en assez grande quantité dans leurs capillaires. Or, sinous 
remarquons que c’est à peu près à ce moment que notre inter- 
vention devient inefficace, nous pouvons conclure que le sérum, 
préparé par les méthodes actuelles, n’est pas capable d’enrayer 
une maladie généralisée. 


* 
*# * 


Nous avons essayé l’action de notre sérum chez le pigeon et 
le lapin. 

Le pigeon, qui a reçu préventivement 1 c, c. de sérum, ne 
succombe à l’inoculation sous-cutanée de 1 c. c. de virus qu'en 
5 à 7 jours, au lieu de 2 jours 1/2; 2 c. c. 1/2 de sérum amènent 
une survie définitive. 

Un lapin qui avait reçu 1 c. c. de sérum, et le lendemain 
1 c. ce. 5 de virus dans la veine, est mort en 10 jours; le sang du 
cœur, ensemencé sur gélose, a donné de nombreuses colonies 
de rouget. Le témoin a succombé en 2 jours 1/2. 


* 
*# *# 


Le sérum obtenu est antinfectieux ; les faits exposés en four- 
nissent la preuve. Nous pensons qu'il n’est pas antitoxique, sans 
que nous puissions en donner une démonstration rigoureuse ; 
on ne connaît pas en effet la toxine du rouget des pores. 

Mais les procédés mis en œuvre pour obtenir le sérum contre 
cette maladie ne donnent que tout à fait exceptionnellement 


488 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(microbe pesteux) un liquide doué de propriétés antitoxiques, 
très faibles d’ailleurs ; et nous pouvons penser que nous n'avons 
pas rencontré l’exception. 


$ 4. — ACTION DU SÉRUM 0N Dir0. 


A. Pouvoir BAcTÉRICIDE. — Emmerich et Mastbaum attribuent, 
à leur suc d'organes, in vitro, une faible action bactéricide pour 
le microbe du rouget des pores. En faisant des plaques de géla- 
tine, au moment où ils mettaient une trace de culture dans leur 
liquide immunisant, puis après 24 heures de contact, 1ls ont 
obtenu un nombre de colonies plus faible dans le second cas que 
dans le premier. Ces savants ne disent pas à quelle température 
ils abandonnaient leur liquide. Leurs résultats s'expliquent 
d’ailleurs sans faire intervenir de pouvoir bactéricide; nous 
allons établir, en effet, que le sérum contre le rouget est agglu- 
tinant : après 24 heures de contact avec le virus, le suc d'organes 
contenait certainement des amas, et l'expérience prouve simple- 
ment que le nombre des amas était inférieur à celui des bacilles 
ensemencés. 

Voges parle d’un faible pouvoir bactéricide. Il faut, dit-il 
dans son mémoire de 1896, ensemencer assez abondamment 
pour avoir une culture dans du sérum (lapin ou mouton) immu- 
nisant. En 1898, il déclare qu'il faut ensemencer plusieurs 
anses de platine de virus, dans 1 c. c. de sérum de mouton, 
pour obtenir une culture. Mais Voges et Schütz sont bien obli- 
gés de reconnaître que le sérum n’a qu'un très faible pouvoir 
bactéricide, et nous avons vu à quelles hypothèses ils doivent 
avoir recours pour faire admettre leur théorie d’une action bacté- 
ricide dans le corps des animaux immunisés activement ou pas- 
sivement. 

Pour le sérum immunisant de lapin, le seul que nous ayons 
préparé, nos expériences prouvent que le pouvoir bactéricide in 
vitro peut être considéré comme nul. 

1 c. c. de sérum frais (retiré lavant-veille), ensemencé avec 
À anse de culture de rouget dans notre bouillon, donne le len- 
demain une très abondante culture, aussi abondante que le sérum 
de lapin neuf, ou même le bouillon peptonisé à la panse du porc. 
Les microbes qui ont poussé se colorent bien et on ne rencontre 
pas de formes dégénérées. 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 489 


Une autre expérience prouve que le développement n’est pas 
arrêté dans les premières heures qui suivent l’ensemencement. 
On dépose 3 gouttes de sérum frais très actif sur 3 lamelles; on 
ensemence la première avec une anse de platine de culture en 
bouillon et on rend le mélange homogène; ensuite la 2° avec une 
anse de la 1° goutte, et enfin la 3° goutte, avec une anse de 
la seconde. On a ainsi, dans la 3° goutte, une dilution très 
faible de virus (approximativement 1/4000 de la semence origi- 
nelle) dans le sérum. On dispose les 3 lamelles en gouttes pen- 
dantes qu’on observe au microscope ; au bout de 2 ou 3 heures, 
on voit la culture s’affirmer, même dans la troisième goutte et, 
au bout de 24 heures, on a 3 belles cultures. 

Nous pouvons donc affirmer que, tn vitro, le sérum des lapins 
immunisés contre le rouget a un pouvoir bactéricide nul ou insigni- 
fiant. En réalité, ce sérum consiste un excellent milieu de cul- 
ture pour le bacille du rouget. Metchnikofÿ, en 1889, avait déjà 
fait la remarque pour le sang de ses lapins immunisés dont le 
sérum avait, vraisemblablement, des qualités préventives. 

B. Pouvoir AGGLUTINANT. — Aucun des savants qui ont étudié 
le sérum contre le rouget n’a examiné son pouvoir agglutinant. 
Voges déclare que, dans le sérum non dilué, ou dilué avec du 
bouillon ou de l’eau physiologique, le rouget présente une cul- 
ture uniformément trouble, sans petits amas. Nous sommes, sur 
ce point, en complet désaccord avec le savant allemand. 

Examinons d’abord l’action du sérum sur des cultures de 
24 heures dans le bouillon peptonisé avec la panse du porc. 
Nous avons généralement opéré dans le laboratoire, à 20-22. 
Nous déposions, dans une série de tubes à essai, 1 ec. c. de 
culture de rouget et nous ajoutions une ou un petit nombre de 
gouttes de sérum pur, ou dilué dans l’eau physiologique. Le 
degré de dilution, dans chaque tube, était le rapport entre la 
quantité de sérum et la quantité de culture. 

L’agglutination ne se manifeste généralement pas avant 
! heure. D'abord, en agitant le tube, on constate que les nuages 
produits par le déplacement des microbes ne se manifestent 
plus ; les microbes sont pour ainsi dire figés sur place. Puis, on 
aperçoit des amas, d'abord très fins, qui grossissent ensuite, et 
enfin tombent peu à peu au fond des tubes ; la partie supérieure 
du liquide devient tout à fait limpide. 


490 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le temps que le phénomène met à s’accomplir dépend, dans 
une certaine mesure, du degré de la dilution. Prenons comme 
exemple le sérum extrait le 25 juin du lapin numéro 1. 

Pour tous les tubes dont la dilution est supérieure à 1/100, 
l’agglutination commence à peu près en même temps (au bout 
d’une heure); on constate même, à un moment donné, et cela 
est surtout net si l’on opère à l’étuve, que le tube avec la dilu- 
tion 1/25 est en avance sur les autres. Il semble done y avoir 
une dilution pour laquelle l’action agglutinante atteint son opti- 
mum *. 

A partir de la dilution 1/100,le temps que la culture met à se 
condenser en amas est d'autant plus grand que le sérum y est 
plus dilué; à 1 pour 500, il a fallu 3 heures; à 1/800, 5 heures ; 
à 1/1200, 8 heures. Enfin à 1/2500, au bout de 24 heures, la 
culture agitée ne produit plus de nuages; il y a un dépôt au 
fond du tube; mais l’ensemble est encore trouble; il y a demi- 
agglutination. Nous considérons 41/2500 comme a dilution 
limite. Lorsque l’agglutination n’estpas faite au bout de 18 heures, 
elle ne se fait jamais. 

Ce sérum du 25 juin avait (voir plus haut) un pouvoir pré- 
ventif à 1/200 c. c. environ chez la souris. D’autres sérums, 
ayant un pouvoir préventif à 1/10 c. e., 1/20 ce. c., 1/50 c. c. 
avaient pour dilutions limites respectives 1/250, 1/500, 1/1000. 
Les deux pouvoirs, préventif et agglutinant, paraissent donc 
croître parallèlement. 

Le sérum de lapin neuf, même à des dilutions très fortes (1/10, : 
1/5), ou bien ne manifeste pas de pouvoir agglutinant, ou bien 
donne ce demi-dépôt caractéristique des dilutions limites. Le 
sérum de souris à 4/25, 1/10, n’a aucune action agglutinante. 
Le sérum de cheval lui-même, qui est si agglutinant pour certains 
microbes, l’est à peine pour le bacille du rouget; à 1/10,ona 
des traces de dépôt. 

Nous pouvons donc conclure que la réaction agylutinante vis- 
à-vis du microbe du rouget est spécifique du sérum préventif contre 
cette maladie. Jusqu'à une certaine dilution, le temps que l'agglutina- 
tion met à se produire est à peu près indépendant du degré de dilu- 

4. Le sérum anticholérique présente des phénomènes de mème ordre; il y a, 
très nettement, une dilution pour laquelle on a une action agglutinante optimum. 


(D’après des expériences inédites dont notre ami A. Salimbeni a bien voulu nous 
communiquer les résultats.) 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 491 


tion ; ilest sensiblement constant. À des dilutions plus faibles, le 
temps est fonction de ce degré de dilution. A l’étuve, les choses 
vont un peu plus vite que dans le laboratoire, et la dilution limite 
semble être encore plus faible; mais le parallélisme est parfait. 

Agglutination à l’état naissant. — Si l’on ensemence un tube 
de sérum de Japin immunisé, soit pur, soit additionné de doses 
variables de bouillon, le lendemain, on a une culture au moins 
aussi abondante que dans le bouillon ordinaire, mais elle est en 
amas au fond du tube, elle est agglutinée. 

Si l’on colore ces amas par la méthode de Gram, on constate 
qu'ils sont formés de microbes prenant très bien la couleur, mais 
présentant la particularité d’être en chaines d'un grand nombre 
d'articles, une vingtaine et même davantage. Un fait semblable a 
été signalé par Metchnikoff', puis par Issaeff * pour le pneuno- 
coque de Talamon-Fraenkel cultivé dans le sérum de lapins vacci- 
nés, pour le pneumocoque de Friedlaender. 

Nous avons cherché si le pouvoir agglutinant du sérum était 
plus fort sur les microbes à l’état naissant que sur les cultures 
déjà développées. 

Il nous a semblé que des dilutions trop faibles pour ageluti- 
ner les cellules faites, agissaient encore sur des microbes à 
l’état naissant; mais les dilutions limites, dans les deux cas, sont 
bien voisines. 

Le microbe, qui a pris l'habitude de se développer en amas 
dans une première culture, garde-t-il cette propriété quand on 
l'ensemence dans un tube de bouillon neuf, après l’avoir débar- 
rassé de toute trace de sérum? Il la conserve en partie; la 
deuxième culture est encore seelutnées mais seulement en 
partie ; la troisième ne l’est plus. 

En revanche, les microbes, agglutinés après leur formation, 
ensemencés dans un bouillon neuf, y donnent un trouble uni- 
forme ; leur propriété de se mettre en amas n'a pas persisié. 

Enfin, nous nous sommes demandé si les microbes agglu- 
tinés, qui certainement ne sont pas atteints dans leur vitalité 
(coloration et ensemencements le prouvent), le sont dans leur 
virulence. Nous avons opéré à la fois sur des cultures agglu- 
tinées après leur formation, et d’autres agglutinées à l'état nais- 


4, Mercaxixorr, ces Annales, V, 1891, p. 473-474. 
2. [ssazrr, ces Annales, VII, 1893, p. 269. 


492 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sant. Naturellement, le liquide de culture était décanté, rem- 
placé par du bouillon neuf, et l'opération répétée autant de fois 
qu'il était nécessaire pour éliminer toute action possible du 
sérum; toutes ces manœuvres, effectuées à 20°, ne duraient 
guère plus d'une heure et il n’y avait pas de nouvelle culture 
microbienne. 

Les souris, inoculées avecles amas lavés, succombaient dans 
le temps normal (48 heures, sous la peau). 

L'agglutination n’altère en rien la vitalité et la virulence du 
microbe du rouget des porcs. 


Les premiers observateurs qui ont noté le phénomène de la 
culture en amas dans le fond des tubes, Charrin et Roger, 
Metchnikoff, avaient remarqué que cette particularité culturale 
ne se produisait que dans le sérum des animaux immunisés et 
pas dans celui des animaux neufs. Il n’en est pas ainsi pour le 
microbe du rouget. Il pousse en amas dans le sérum de lapin 
neuf pur, ou additionné de 1, 2 et même 5 fois son volume de 
bouillon; à la dilution de 1/10, le sérum n’a plus d’action, là 
culture présente un trouble uniforme. 

Le sérum des lapins neufs a donc un pouvoir agglutinant 
sur le microbe du rouget à l’état naissant, mais seulement en 
dilution très faible; il en est de même du sérum de cheval. Si 
l’on colore les amas, on reconnaît que les microbes se colorent 
bien, mais ils sont en articles isolés, ou par chaînes de 2 ou 3 
(comme dans les cultures non agglutinées). La croissance des 
microbes en longues chaînes reste donc caractéristique des cultures 
contenant du sérum de lapins vaccinés. 


$S 5. — MopE D'ACTION DU SÉRUM. 


A. INOGULATIONS INTRAPÉRITONÉALES. — Si l’on inocule, dans la 
cavité abdominale de la souris, 1/4 ou 1/2 c.c. de culture en 
bouillon du rouget, on détermine une septicémie ne différant 
pas sensiblement de la maladie par inoculation sous-cutanée, 
mais évoluant plus rapidement : la souris succombe toujours 
en 24 à 48 heures. 

Examinons les diverses étapes de la maladie. Supposons que 
nous ayons inoculé 0 c. c. 4 de culture, en prenant la précau- 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 493 


tion que la température du bouillon soit assez voisine de celle de 
la souris, 32 à 35°. — Dans ces conditions, l’afflux des leucocytes, 
mononucléaires et polynucléaires, se fait rapidement. Mais la 
phagocytose ne commence que 1 heure ou 1 heure 1/2 après 
l’inoculation, Les deux catégories de leucocytes englobent les 
microbes; les mononucléaires, malgré leur nombre restreint, 
jouent un rôle presque aussi important que les polynucléaires… 
Certains mononucléaires triplent de volume et contiennent bien 
à leur intérieur une centaine de microbes. 

Grâce à cette phagocytose, le nombre des microbes libres 
diminue rapidement et, 6 ou 7 heures après l’inoculation, il est 
devenu très faible; mais jamais nous ne l’avons vu devenir 
uul ;ilreste toujours des microbes libres. Il y a incontestablement 
destruction de bacilles dans l’intérieur des leucocytes, mais ce 
phénomène se produit avec peu d'intensité, et la majorité des 
microbes englobés continuent à se colorer aussi bien que les 
libres par la méthode de Gram. 

Bientôt, les microbes, jusque-là à peu près localisés dans la 
cavité péritonéale !, vont envahir les organes internes. Le gros 
ganglion mésentérique est atteint en même temps que la rate : 
on voit des sortes de traînées de bacilles à l’intérieur des capil- 
laires sanguins de ces organes, et une observation attentive 
permet de constater, dans un certain nombre de cas, que ces 
microbes sont dans des cellules endothéliales. Cette infection 
des organes internes commence au bout de 10-12 heures quand 
la mort doit survenir en 24-30 heures, de 24 heures quand la 
souris met 2 jours à succomber. 

En résumé, dans l'infection de la souris par voie péritonéale, 
il y a réaction leucocytaire tout à fait nette. Mais cette réac- 
tion se manifeste avec une certaine lenteur; il reste toujours 
des microbes libres ; les englobés ne sont que partiellement 
détruits ; les organes internes sont envahis et l'animal succombe. 


Voyons maintenant l’évolution parallèle de la maladie chez 
une souris qui a reçu la veille 1/4 ou 1/2 c. ec. de sérum actif. 
L’afflux des leucocytes se fait rapidement comme dans le cas 
précédent; mais la phagocytose commence beaucoup plus tôt; 


4, Dès les premières heures, on trouve des microbes dans le sang du cœur, 
mais en petit nombre. 


49% ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


déjà 1/2 heure après linoculation du virus, une partie des 
microbes sont englobés par les leucocytes, et ici nous avons 
constaté que les leucocytes qui agissent sont presque exclusive- 
ment des polynucléaires, au moins au début de la réaction. 

Nous avons recherché avec soin si les microbes ne subis- 
saient pas, avant leur englobement, quelque action de la part des 
humeurs de l'organisme vacciné. Nous n'avons pu en saisir 
aucune. Les microbes libres se colerent toujours d’une façon 
bien uniforme et bien intense par la méthode de Gram; ils ne 
sont jamais gonflés. 

line se produit aucune agglutination dans le corps de la 
souris ; en examinant des gouttes suspendues d’exsudat aussitôt 
après l’avoir retiré du péritoine, on s’en convainc facilement. 
D'ailleurs, in vitro, les microbes de l’exsudat ne s’agglutinent 
généralement pas; une fois ou deux, nous avons constaté de 
petits amas de 5 ou 6 microbes au plus. 

La phagocytose est complète peu d'heures après l’introduc- 
tion du virus, quelquefois au bout de 2 heures 1/2, toujours au 
bout de 4 heures. À ce moment, on trouve un certain nombre 
de leucocytes mononueléaires renfermant des microbes se colo- 
rant bien; mais il y a toujours moins de ces macrophages que 
chez le témoin. On est frappé de ce fait que, dans les prépara- 
tions colorées au carmin aluné, puis par la méthode de Gram, 
les polynucléaires, bourrés de microbes dans la première heure 
de la réaction, n’en renferment plus qu’un nombre très faible. 
Mais, en examinant avec beaucoup d'attention ces leucocytes, 
on constate qu'un certain nombre renferment une quantité de 
bâtonnets, ayant exactement la forme et les dimensions des 
bacilles du rouget, ne prenant plus le violet de gentiane, mais 
se colorant faiblement en rouge par le carmin; ce sont des 
microbes en partie digérés'. Les bacilles du rouget, à l’intérieur 
des microphages de la souris, sont donc englobés et partielle- 
ment digérés sans perdre leur forme; jamais nous n'avons 
observé de boules comme chez les polynucléaires des cobayes 
qui ont reçu le vibrion cholérique. 

La digestion des microbes par les mononucléaires se fait 

4. Nous avons coloré souvent nos exsudats avec l’éosine, puis le bleu de 


méthylène, ou avec le mélange des 2 couleurs, sans jamais observer de microbes 
teints en rouge par l’écsine. 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 495 


certainement moins vite que par les polynucléaires. Si, en effet, 
on fait une prise d’exsudat dans la cavité abdominale 24 heures 
après l’inoculation, on a une petite quantité de liquide purulent 
qui contient une majorité de polynucléaires ; ils sont quelquefois 
tous vides, d’autres fois, un petit nombre ont encore des 
microbes à leur intérieur. Mais l'attention est surtout attirée par 
les mononucléaires, en proportion assez élevée, qui ont une 
taille considérable et dont le protoplasme vacuolaire renferme 
encore quelques microbes, les uns se colorant bien par la 
méthode de Gram, les autres paraissant émiettés. 48 heures 
après l’inoculation, on trouve encore de rares macrophages avec 
des microbes à leur intérieur. Enfin, 3 jours après l’inoculation, 
les 2 catégories de leucocytes sont représentés en nombre à peu 
près égal dans la cavité abdominale; tous sont vides; quelques 
mononucléaires contiennent à leur intérieur des polynucléaires. 
D'autres ont une taille considérable et on y voit quelques gra- 
nules prenant le violet de gentiane. 

De ces faits, nous pouvons conclure que les mononucléaires 
mettent un temps assez long à digérer les microbes qu'ils ont 
incorporés; les polynucléaires jouent plus rapidement et mieux 
leur rôle de défenseurs de l’organisme, 

Nous avons recherché si les microbes étaient englobés à l’état 
virulent. Nous prélevions, au même moment, des exsudats chez la 
souris qui n'avait pas reçu de sérum immunisant, et chez celle 
qui avait été traitée, et nous inoculions ces exsudats à d’autres 
souris, sous la peau du dos. 

Dans une expérience, l’exsudat pris au bout de 5 h, 1/2 (la 
phagocytose était complète depuis une heure au moins chez la 
souris traitée) a tué : 


Exsudat des temoins 


RP one 8 en > Jours, 
+: PATRONS ENNERPRRET TRE SR: A jours 
Expérience II. — Prise 8 heures après : 
HR AGES MÉMOINS 2,1 sue » tee 28. 20e 4 jours et demi, 
— RAD AR ee cime ee ol ie ue 8 Jours. 
Expérience HE. — Prise 23 heures après : 
Exsudat des lémoins.......... Jrarasse 2 jours et demi. 
2 SOUL ETAITE"S eue Mie tte ae cos TAUT :2DJOurS!, 


1. Une goutte de sang de cette souris, pris dans le cœur à l’autopsie, a tué 
une autre souris en 4 jours 1/2. 


496 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans tous les cas, l’autopsie a révélé la présence de microbes 
du rouget dans le foie, et le sang du cœur a donné une culture 
pure. 

Le temps assez long que les souris, qui reçoivent l’exsudat 
de la traitée, mettent à mourir, s'explique très facilement par le 
nombre très faible de microbes inoculés. C’est là un fait bien 
connu et nous n'insistons pas. | 

En définitive, nous avons le droit de conclure que les souris 
qui ont reçu du sérum préventif et qui sont inoculées dans la cavité 
abdominale, présentent une réaction phagocytaire très vive, se mani- 
festant par un englobement et une destruction rapide des microbes par 
les leucocytes polynucléaires, et par une action plus lente des imono- 
nucléaires. Les microbes englobés sont vivants et virulents. Les mi- 
crobes restent localisés dans le péritoine ; la maladie est locale. 

Si maintenant nous comparons les phénomènes observés chez 
les souris traitées par le sérum préventif et chez les autres, nous 
pouvons dire que le sérum « pour effet d'exciter l'activité des pha- 
gocytes et surtout des polynucléaires : ls englobent plus vite, is 
digèrent plus vite. Le sérum est donc un stimulant des cellules 
chargées de la défense de l'organisme. 

_Remarquons enfin que, dans nos expériences, nous n'avons 
jamais observé de phénomène de Pfeiffer, de destruction extra- 
cellulaire des bactéries. La transformation en boules n’a même 
jamais lieu à l’intérieur des leucocytes polynucléaires. Le mode 
d'action du sérum contre le rouget est donc assez différent de 
celui du sérum anticholérique. La ressemblance qu'admet, 
a priori, Voges, est donc toute superficielle et ne saurait être 
poussée dans le détail. 

B. INocuLATIONS sous-cuTANÉES. — C'est là le mode classique 
d’inoculation des souris. Comme nous l’avons déjà dit, Ia maladie 
évolue moins rapidement que quand l'injection est faite dans la 
cavité abdominale; d’une façon générale, l’animal met 24 heures 
de plus à succomber. 

Pour bien étudier la maladie développée par inoculation 
sous-cutanée, la difficulté est d'obtenir des exsudats. Or, le rou- 
get est une maladie réputée pour ne pas donner d'œdèmes nota- 
bles au point d'inoculation. Emmerich et Masthbaum, Voges se 
sont heurtés à cette difficulté sans en triompher. Metchnikoff, 
dans ses recherches sur le rouget chez les lapins, a usé d’un 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF. 497 


stratagème, l'introduction de chambres de Ziegler sous la peau, 
et il a pu constater ainsi chez les animaux inoculés, réfractaires 
ou non, une réaction phagocytaire. 

Chez nos souris, nous faisions d’abord les inoculations sous 
la peau de la cuisse et, comme nos devanciers, nous n’obtenions 
pas d’œdème, ni d'exsudat au point d'injection. Nous avions 
alors imaginé d'introduire sous la peau de la cuisse des tampons 
d’ouate trempés dans une culture en bouillon de rouget; nous 
constations alors une réaction phagocytaire très nette, plus 
prononcée chez les souris immunisées que chez les autres. Mais 
cette méthode était passible d’objections relatives à la présence 
du coton, et nous avons enfin réussi à produire un œdème sans 
user d'artifice. Il suffit d'introduire, avec précaution, le virus 
sous la peau du ventre. Il se forme, à l'endroit de la boule d’ino- 
eulation, un petit exsudat gélatineux, tremblotant, formé de 
leucocytes enrobés de fibrine. Nous avons pu ainsi étudier la 
réaction des souris, immunisées et non, contre le microbe du 
rouget des pores introduit sous la peau. 

Il ya, dans tous les cas, une réaction leucocytaire très nette; 
mais la phagocytose ne commence à se manifester abondam- 
ment que 5 ou 6 heures après l’inoculation de 1/4 c. ce. de cul- 
ture. 

Il est difficile de se rendre un compte exact des phénomènes 
qui se succèdent, en faisant des prises d’exsudat avec une pipette 
stérilisée; quand on étale ensuite la petite goutte de liquide 
obtenue sur une lamelle, on brise un grand nombre de leuco- 
cytes ‘ et des microbes sont ainsi rendus libres. Il est préférable 
de sacrifier des souris à des temps variables après l’inoculation 
du virus, et de faire des coupes dans un fragment de peau enlevé 
au point où se trouve l’œdème. 

On constate alors que, chez la souris immunisée, la phago- 
cytose est à peu près, sinon absolument complète 24 heures 
après l’inoculation (déjà, au bout de 15 heures, les microbes 
libres sontrares) ; l’æœdème est constitué par un très grand nombre 
de cellules, serrées les unes contre les autres, presque toutes 
renfermant des microbes à leur intérieur, plus ou moins dégé- 
nérés, la plupart prenant encore bien le violet de gentiane. 


4. Ainsi, sur les frottis, on n’observe jamais de leucocytes mononucléaires 
avec des microbes à leur intérieur; les coupes seulesrévèlent leur présence. 


32 


498 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La majorité de ces cellules est constituée par des leucocytes 
polynucléaires, mais on trouve aussi quelques mononucléaires. 
Ces derniers apparaissent proportionnellement plus nombreux 
48 heures après l’inoculation; un certain nombre sont très” 
allongés et manifestent une tendance à se transformer en cel- 
lules conjonctives. A ce stade d’ailleurs, les microbes ont disparu 
en grande partie, et les leucocytes polynucléaires qui en ren- 
ferment, se colorant par la méthode de Gram, deviennent assez 
rares. Parfois même, au bout de 48 heures, la phagocytose est 
complètement terminée. 

L’exsudat de la souris prélevé 24 heures après l’introduction 
du virus, est pathogène pour la souris; retiré 48 heures après, il 
n’amène jamais la mort. 

En dehors du point d’inoculation, les microbes sont excessi- 
vement rares. 

Une goutte de sang du cœur, prise 24 heures après l’intro- 
duction du virus, ensemencée sur gélose, ne donne que 4 ou 
5 colonies; l’examen de coupes du ganglion de l’aîne, de la 
rate, du foie, ne décèle aucune trace de microbes. La maladie 
reste donc localisée. 

Chez la souris témoin, qui n'a reçu que du sérum de lapin 
non immunisé, il y a également phagocytose assez intense par 
les leucocytes polynucléaires, 24 heures après l’inoculation du 
virus. 

Mais, à côté des microbes englobés, il y en a de libres, et 
tout le tissu avoisinant l'œdème, même la base des poils, est 
infiltré de bacilles libres et isolés. D'ailleurs cet œdème est moins 
volumineux que chez la souris immunisée, et les leucocytes y 
sont nettement moins serrés les uns contre les autres. 

C’est également au bout de 24 heures que les bacilles enva- 
hissent les organes internes de la souris qui doit succomber. On 
en trouve libres ou inclus dans les cellules endothéliales des 
capillaires spléniques et rénaux (nous n’en avons pas vu dans 
les capillaires des glomérules); le foie n’est pas encore atteint; 
l’ensemencement d’une goutte de sang du cœur sur gélose donne 
de très nombreuses colonies. 

Nous avons encore le droit de conclure des faits observés 
que les souris, immunisées par le sérum, résistent à une inocu- 
lation sous-cutanée du virus, parce que les leucocytes (et surtout 


ACTION DU SÉRUM PRÉVENTIF, 499 


les polynucléaires) ont acquis le pouvoir d'englober rapidement 
et de digérer les bacilles vivants et virulents. 

Conclusion. — Les résultats obtenus mettent donc en lumière 
le rôle capital et décisif des leucocytes dans la guérison des 
souris immunisées passivement. Certes, chez les souris qui suc- 
combent au rouget, la réaction leucocytaire n'est pas négti- 
geable; elle est très intense; mais elle est insuffisante pour pro- 
téger l'animal; beaucoup de leucocytes, surtout les mononu- 
cléaires, paraissent ne pas pouvoir détruire les microbes qu’ils 
renferment, et on trouve, à la mort de la souris, des quantités 
de microbes à l’intérieur des macrophages. Au contraire, chez 
les souris immunisées, l’englobement des microbes par les leu- 
cocytes est complet, leur destruction aussi; elle est plus ou 
moins rapide suivant le leucocyte qui les contient. 

IL n’est donc plus possible de soutenir, comme l'ont fait 
Emmerich et Masthbaum d’une part, Voges et Schütz de l’autre, 
que la phagocytose ne joue aucun rôle dans la défense de l'or- 
ganisme chez les souris immunisées. 

Enfin, 1l nous est facile d’infirmer les hypothèses formulées 
par les deux derniers savants. Puisque nous prouvons que les 
microbes sont englobés par les phagocytes à un état où ils sont 
vivants, virulents, où ils se colorent par la méthode de Gran, il 
n’est plus possible de prétendre à priori que, dans l’organisme des 
vaccinés, 1l y a d'abord destruction de la coque du microbe (cette 
coque à laquelle il devrait la propriété de prendre le Gram), 
puis de son corps protoplasmique, le tout en dehors des cellules. 


CONCLUSIONS GÉNÉRALES. 


1. On peut, en vaccinant les lapins par la méthode pasto- 
rienne, obtenir un sérum antinfectieur contre le microbe du 
rouget des porcs. 

2. Ce sérum, utilisé chez les souris, a des propriétés préven- 
tives; il est également curatif à condition d'intervenir moins de 
24 heures après l'introduction du virus, alors que l'infection 
n’est pas encore généralisée, 

Il est actif chez le pigeon et chez le lapin. 

3. In vitro, le sérum contre le rouget n’est pas bactéricide ; 
il est doué de propriétés agglutinantes très manifestes, et à des 


500 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dilutions très fortes. Les microbes agglutinés n’ont rien perdu 
de leur virulence. Ces bacilles, dans le sérum immunisant, 
croissent en chaînes d’un grand nombre d'articles. 

4. Chez les souris immunisées passivement, les humeurs de 
organisme n’exercent aucune action sur les microbes; leur 
destruction a lieu par les phagocytes qui les englobent à l’état 
vivant et virulent. 

Le sérum est un stimulant des cellules chargées de la défense 
de l'organisme. (Le virus était introduit soit dans la cavité abdo- 
minale, soit sous la peau du ventre.) 


Ce travail a été exécuté sous la direction de M. Metchnikoff. 
Je prie mon illustre maitre de croire à ma vive reconnaissance 
pour ses excellents conseils. 


CONTRIBUTION 


 L'ÉTUDE DE LA PLASMOLNSE CHEZ LES BACTÉRIES 


Par M, Le Proresseur W. PODWYSSOTZKY er M. B. TARANOUKHINE 


(Travail de l'Institut de pathologie générale à l’Université de Kieff.) 


Cette courte communication présente le résultat d’un certain 
nombre d'observations concernant la morphologie d’une bactérie 
charbonneuse. Ces observations offrent un intérêt général pour 
l’étude de la structure d’une cellule bactérienne, pour celle de la 
plasmolyse, et aussi pour celle du mouvement brownien. 

La lécithine, d’après les observations de M. B. Danilewsky, 
est un des plus forts stimulants de l’organisme animal et végé- 
tal. Pour étudier systématiquement les conditions vitales des 
bactéridies charbonneuses sous l'influence de la lécithine, il fallait 
mélanger au milieu de culture ordinaire, gélatine ou gélose, non 
seulement de la lécithine pure, mais aussi des corps organiques 
renfermant beaucoup de lécithine et notamment les jaunes 
d'œufs et le cerveau. Nous ne nous occuperons point dans cette 
étude de l'influence de la lécithine et des milieux qui en contien- 
nent sur la biologie de la bactérie charbonneuse, parce que 
cette étude formera le sujet d’un chapitre spécial, fait par 
M. B. Taranoukhine : nous nous bornerons ici au milieu conte- 
nant la matière du cerveau, pour étudier les altérations si 
importantes qu'il produit dans le corps des bactéries. 

Pour obtenir ce milieu, on triture 200 grammes de cerveau 
frais de veau jusqu’à ce qu'on obtienne une masse'homogène, 
d’une couleur rose claire, ressemblant à de la pommade. On 
complète à un litre avec de l’eau ordinaire et on laisse cette 
émulsion à 20 0/0 reposer pendant 24 heures dans un endroit 
froid. On chauffe ensuite à 100° pendant une 1/2 heure. 


502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


On ajoute 5 grammes de sel ordinaire, 16 grammes de gélose 
et 15 grammes de peptones, et on chauffe encore une fois à 120°. 
La réaction du milieu est alcaline : il est surpertlu de le neutra- 
liser. On filtre, on verse dans des éprouvettes et on stérilise 
encore une fois pendant 1/4 d'heure à 115°. 

Les cultures des bacilles charbonneux ensemencés sur cette 
gélose à une température de 42-43° C, présentent certaines 
particularités qui permettent d'étudier avec une clarté inconnue 
jusqu’à présent la structure de la cellule bactérienne, de prouver 
la présence d’une membrane d’enveloppe dans les bactéries, et 
d’élucider quelques détails dans la formation des spores. Il est 
aisé aussi d'observer le mouvement brownien avec une netteté 
parfaite. 

Faisons par la méthode ordinaire, sur un porte-objet, une 
préparation sèche d’une culture de 20 à 24 heures, à la tempé- 
rature de 42-43°, de bactéries charbonneuses, coloronsrapidement 
par une solution aqueuse de violet de gentiane, puis lavons dans 
une eau légèrement acidulée par 1-2 0/0 d’acide acétique, nous 
verrons que les bactéries se présentent sous forme de filaments 
plus ou moins allongés, avec une segmentation très nette en 
articles séparés, et avec une membrane d’enveloppe très visible 
et incolore. La partie colorée de chaque article se différencie 
clairement de la membrane d’enveloppe très brillante, ainsi que 
de la cloison, non moins brillante, qui la sépare de l’article voi- 
sin. Grâce à cette disposition, chaque article de la bactérie offre 
la forme d’un étui ou d’une boîte allongée, remplie par un corps 
coloré, ressemblant à un bâtonnet, et qui adhère par toute sa sur- 
face aux parois de l’étui. 

La membrane d’enveloppe offre une certaine épaisseur, un 
double contour, elle est brillante et incolore. 

A côté de ces cellules, remplies complètement par le proto- 
plasma coloré, ou observe quelquefois dans les mêmes filaments, 
et quelquefois dans d’autres filaments, des cellules dont le 
contenu coloré est notablement réduit et réuni au centre. 

Ces bactéries présentent la forme d’une boîte, renfermant au 
centre un petit corps ratatiné, fortement coloré. Si les articles 
sont courts, c’est-à-dire appartiennent à des bactéries jeunes, 
en voie de division, le corps central coloré est aussi court, presque 
globuleux (v. la fig. 2, pl. V).Danslesarticles allongés au contraire, 


ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 503 


le corps coloré central offre une forme allongée, et dans ce cas 
son grand diamètre correspond au grand diamètre de l’article 
(v. la fig. 1,3, 4, 8). 

Les filaments des bactéries, changés en bâtonnets, séparés 
par des cloisons et entourés d’une membrane très visible, ren- 
fermant dans leur intérieur le plasma ratatiné et fortement coloré, 
sous forme de corps plus ou moins courts ou allongés, offrent 
un aspect tout particulier, qui ressemble si peu aux bactéries 
charbonneuses, qu'aucun observateur non prévenu ne les recon- 
naîtra comme telles. 

Cette altération particulière est surtout typique sur des cul- 
tures de 2, 3, 4 jours, conservées à 42-439 C. Ici, on trouve des 
places où tout le champ visuel est recouvert par des bactéries 
modifiées. Il est très rare de rencontrer un bâtonnet plus ou 
moins normal avec sa membrane d’enveloppe très nette, complè- 
tement remplie par du plasma coloré. 

Ce qui frappe surtout et attire l'attention de l'observateur, 
c’est la mobilité des corps colorés, renfermés dans leurs boîtes, 
Au début, au moment où on vient de mouiller la préparation 
sèche, ce mouvement ne s’observe que par places, sur certains 
bâtonnets, et offre le caractère d'une simple vibration. Petit à 
petit il devient de plus en plus énergique, et au bout de quelques 
minutes on voit tout le champ visuel s’animer, et chaque corps 
ovale ou allongé, renfermé dans son étui, accomplit des excur- 
sions agiles dans sa cavité. Ces excursions sont d'autant plus 
rapides que le corps est plus petit. On rencontre aussi des 
boîtes qui renferment un corps allongé séparé en deux corps 
plus petits; dans ce cas chaque corps effectue une danse véri- 
table. Si le corps est très petit, il se meut avec une activité sur- 
prenante, se heurte aux corps voisins, etc.; chaque particule a 
un petit flagellum (fig. 5). 

Il est vraiment impossible de croire qu’on se trouve en pré- 
sence d’un mouvement passif. Le mouvement que nous venons de 
décrire peut durer dans quelques bâtonnets jusqu'à la dessic- 
cation de l’eau. Si on enduit la préparation par du baume pour 
éviter l’'évaporation de l’eau, on peut observer ce mouvement 
3, 4 jours, et même davantage, quoiqu'il ne s’effectue plus avec 
la vivacité primitive. Le mouvement s'arrête quand la prépa- 
ration est trop longtemps exposée à l’action de l’eau, et les corps 


504 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


colorés, parallèles au grand diamètre du bâtonnet, sont alors 
devenus perpendiculaires, de sorte qu'ils paraissent s'appuyer 
aux parois latérales de la membrane (v. la fig. 4). Si on ajoute 
un peu d'eau à la préparation préalablement desséchée, on 
observe que le mouvement des corps colorés réapparaît: mais 
ce phénomène ne s’observe que dans les corps qui ont 
conservé leur position normale, c’est-à-dire quand le grand axe 
du corps correspond au grand axe du bätonnet. Si le corps 
coloré a pris une position perpendiculaire, s’il est luxé, en 
quelque sorte, son mouvement ne peut plus être restitué. D’une 
manière générale, on peut dire que l’addition de l’eau à une pré- 
paration desséchée réveille le mouvement, mais ce mouvement 
ne possède plus le caractère énergique qu'il offrait à l’état frais. 

Les modifications que nous venons de décrire dans la struc- 
ture des bactéries charbonneuses ne peuvent être expliquées que 
de la façon suivante : sous l’influence d’une température élevée, 
combinée à l’action du mélange de peptone et du cerveau de 
veau à 20 0/0 avec la gélose ordinaire, il se produit une disso- 
lution, une plasmolyse de la couche albumineuse plasmique de 
la cellule qui avoisine la membrane. Par suite de cette action, le 
contenu se différencie, se sépare en quelque sorte de l'enveloppe, 
qui apparaît alors avec une netteté surprenante. La dissolution 
ne s'effectue pas au mème degré dans toute la longueur du 
contenu albumineux de la bactérie, elle est plus forte au centre : 
gràce à celte circonstance, les corps centraux sont plus minces 
en leur milieu et épaissis à leurs bouts. Quand la dissolution 
arrive à un degré plus avancé, le corps peut se rompre en deux 
granulations séparées. 

Quant à la mobilité des corps non dissous, il est évident que 
nous avons affaire au mouvement brownien. Il est plus net que 
dans les corpuscules salivaires" où il a été découvert, que dans 
les œufs fraîchement écrasés des grenouilles et des poissons? 
ou des particules organiques très fines, suspendus dans 
l’eau”. Les mouvements s'effectuent ici dans une cavité bien 


1. Roserr Broww, botaniste anglais, qui le premier a vu et décrit le mouve- 
ment oscillatoire des particules élémentaires, naquit en 1773. 

2. R. Anvor. Beobachtungen an den Eiern der Frosche und Fische (Virch. 
Arch., 1888, Bd. 80). ; 

3. Comp. les travaux de Brücke, Wiener, Exner et particulièrement de Naegeli 
Ueber die Bewegung kleinster Kürperchen (Untersuch., über niedere Pilse, 
München 1882). Voyez aussi Zettnow dans son travail Ueber die Bau der grossen 


4 


ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 505 


limitée, où les mouvements sont plus vifs et plus capricieux 
que ceux -qui persistent lorsque, par suite de la rupture d’une 
cellule, les granules protoplasmiques entrent en suspension dans 
l’eau. Les plus fins de ces corpuscules allongés, non seulement 
s’agitent dans leurs cylindres creux, mais s’infléchissent, se 
contournent et simulent si bien le mouvement actif, indépendant, 
d’un microbe vivant que des yeux bien exercés peuvent s’y 
tromper et les prendre pour des bactéries vivantes, 


* 
*# *# 


En étudiant les cellules, exposées pendant 3-4 jours à une 
température de 42-439, on les trouvait farcies de spores, fait 
intéressant à noter, prouvant que les spores peuvent sé produire 
à une température aussi élevée. Les vieilles cultures renfer- 
ment des quantités énormes de spores, et l'augmentation de 
leur nombre suit pas à pas la destruction des filaments de 
bactéries. 

Si on étudie attentivement les préparations contenant beau- 
coup de spores, on arrive à voir que les spores peuvent se 
produire dans l’intérieur des restes ratatinés du plasma des 
bactéries. On voit apparaître un champ clair au centre et 
quelquefois au bout du corps coloré : ce champ s'agrandit, devient 
ovale, brillant, et en examinant toute une série d'états transi- 
toires, on acquiert la conviction qu'on se trouve en présence de 
spores (comp. les fig. 6) qui deviennent peu à peu complètement 
libres après la destruction de leur membrane d’enveloppe. Ce 
mode de production des spores démontre qu’elle s'effectue aux 
dépens de la substance protoplasmique de la bactérie. Quand la 
spore acquiert sa grandeur définitive, la substance colorée appa- 
raît sous forme de petits amas, réunis aux deux pôles. 

La membrane d'enveloppe de la bactérie ne prend aucune 
part dans la formation des spores. 

Ce mode de production des spores n’a pas encore été observé 
jusqu’à présent. Quand on colore les spores, ce ne sont que les 
spores devenues libres qui prennent une couleur rouge intense : 
les spores contenues dans leurs boîtes ne prennent qu’une colo- 
Spirillen (Zeit. f. Hygiène, Bd. 24, 1896), qui donne une description du mouve- 


ment moléculaire du contenu finement granuleux des bactéries dans une vieille 
culture de Spiril. undula. 


d06 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ration rose clair'. Les corpuscules renfermant des spores déve- 
loppées ou des spores en voie de formation n'offrent plus de 
phénomènes de motilité. 

Tous ces phénomènes ne s’observent d’une façon nette que 
dans les cultures contenant de la matière cérébrale et de la 
peptone : si on supprime la peptone, on n’a plus de phénomènes 
aussi nets; on ne remarque dans ce cas que quelques mouve- 
ments moléculaires se montrant de temps en temps dans l’inté- 
rieur des bactéries. On n’a pu trouver rien de bien accentué 
sur les milieux de gélose préparés avec un mélange de lécithine 
ou de jaune d’œuf. Ce phénomène fait aussi défaut sur les cul- 
tures du vaccin charbonneux sur de la gélose ordinaire, sur la 
gélose additionnée de peptone, de jaune d'œuf, ou sur de la 
gélose cérébro-peptonée. Dans tous ces cas, les bactéries se dis- 
solvaient et s’amincissaient sur toute leur surface ensemble 
avec leur membrane d’enveloppe* (fig. 11, 12, 13). Cette mem- 
brane d’enveloppe ne présente pas un contour séparé brillant, 
et on n’observe que de temps en temps les phénomènes de 
plasmolyse, qui consistent en une désagrégation du plasma des 
bactéries en quelques granulations très fines, animées dun 
mouvement brownien de peu d'importance dans leur cavité 
entourée d’une membrane. Par conséquent nous pouvons recom- 
mander notre nouveau milieu de culture, à la tempér. de 42-439 C., 
comme le meilleur pour étudier les phénomènes de plasmolyse qui se 
relient à une séparation nette de la membrane d'enveloppe, ainsi que 
pour l'observation du mouvement broinien. 

La théorie actuelle, qui fait de la plasmolyse un processus 
relié aux phénomènes de l’osmose, résultant d’une contraction 
du contenu protoplasmique après séparation de la membrane 
d’enveloppe, fut étudiée en 1891 par Atfred Fischer * sur les 
bactéries. Ce savant a aussi attiré l’attention sur limportance 
de ce processus de plasmolyse pour l'intelligence de la structure 
fine d'une cellule de bactéries. 

Quelques années plus tard, il consacra à la même question 


4. L'apparition des spores dans l’intérieur du plasma ratatiné des bactéries 
ne doit pas être confondue avec le processus de vacuolisation qui est si fréquent 
dans le phénomène de plasmolyse, A. Fischer attire l'attention sur cette erreur 
très fréquente. (Untersuch. über Bacterien, page 8.) 

2. On pourrait, en se basant sur ce fait, conclure que la cause de la faiblesse 
de la cellule du vaccin se rapporte à la moindre résistance de la membrane. 

8. Bericht. d. Künig Sachs. Gesells. d. Wissensch, 1891, pag. 52. 


ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 507 


des études approfondies ‘, et démontra que le processus de con- 
traction du contenu protoplasmique des bactéries sous l’influence 
des solutions de sel ou de salpêtre, se fait comme dans d’autres 
cellules végétales, et témoigne de l'existence chez les bactéries 
d’une membrane d’enveloppe propre, indépendante, comme 
Cohn * l'avait dit le premier. Depuis Cohn, on n'avait bien vu 
cette enveloppe que chez certaines bactéries, chez qui elle 
s’épaississait fortement de manière à se transformer en une 
capsule hyaline. Dans ces cas, cette capsule ne fut nullement 
considérée comme une formation indispensable, existant dans 
toutes les bactéries, mais comme une accommodation temporaire 
à caractère défensif *. C’est Fischer qui a démontré l’existence 
chez les bactéries d’une membrane propre, différenciée au point 
de vue chimique et physique du contenu protoplasmique. Pour 
les bactéries charbonneuses en particulier, eette membrane 
propre fut remarquée pour la première fois en 1888 par 
Serafini. Johne *, en 1894, démontra que, pour rendre visible la 
présence d’une membrane propre dans une bactérie charbon- 
neuse, il est indispensable, après avoir coloré le couvre-objet à la 
gentiane, de le relaver dans une solution à 2 0/0 d'acide acétique, 
et, après la dessiccation, de monter, non au baume de Canada 
mais dans l’eau. Dans ce cas la membrane apparaît avec une 
clarté étonnante, et non seulement sur les pièces prises sur 
l'animal lui-même, mais, d’après les observations de Hasse, 
confirmées plus tard par Johne, sur les pièces recueillies sur des 
milieux nutritifs artificiels, et plus particulièrement sur les 
cultures en sérum liquide. 

Il est vrai que par la méthode de Johne on peut voir très 
distinctement la membrane d’enveloppe, mais comparées à cette 
méthode, nos préparations de cultures sur de la gélose cérébro- 
peptonée à la température de 42-43° C. offrent des images 
incomparablement plus nettes. Il n’est pas nécessaire de relaver 


4. A. Fiscaer, Untersuch. uber Bakterien (/ahrbücher f. wiss. Botanik- 
Bd. xxx11, 1894, p. 14-160). Voyez aussi: Untersuchungen uber den Bau der Cyano- 
phyceen und Bakterien, Jena, 1897, et Vorlesungen uber Bakterien, 1897, Jena. 

2. Beitrage zur Biologie der Pflanzen, 1875, pag. 138. 

3. Comparer sous ce rapport les premières observations de Metchnikoff 
{Virch. Arch. 1884) et aussi les données nouvelles de 7. Sawtchenko (Arch. Russes 
de Pathologie, 1897, vol. III, pag. 233). 

4. Deuts. Zeitchr. d. Thiermed. und vergl. Pathol., 1893, Bd 19; 4894. 
Bel 20, et Deutsche Thierargtlich Wochenschr., 1894, 


DUS ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la préparation avec de l’acide acétique; l’image que nous avons 
décrite plus haut s’observe après un lavage dans de l’eau ordi- 
naire. Cette circonstance démontre clairement que lenveloppe 
existait dans la culture même, et qu’il n’est pas nécessaire pour 
prouver son existence de recourir aux différents réactifs produi- 
sant une tuméfaction de cette membrane. L'enveloppe devient 
moins distincte (sans pourtant arriver à une complète dispari- 
tion) quand on monte nos préparations dans le baume, mais ceci 
dépend des conditions de ia réfringence de la lumière. 

Grâce à ce mode d'isolement de la membrane d’enveloppe 
d'une bactérie, il devient possible d'étudier sa composition 
chimique. En nous basant sur les réactions que nous avons faites 
jusqu à présent, nous pouvons dire qu'elle ne se compose point 
de cellulose. On faisait agir sur nos préparations tous les 
réactifs possibles renfermant de l’iode (teinture d’iode, solution 
de Lugol, chlorure de zinc iodé) et on n'a pu démontrer aucune 
trace de cellulose dans la membrane d’enveloppe de la bactérie ; 
elle reste invariablement jaune. Il est évident que l'enveloppe 
présente une composition albuminoïde, car sous l'influence 
de la solution de Lugol ou de chlorure de zinc iodé, dans l'inté- 
rieur des bactéries, on voit apparaître des granulations se colo- 
rant fortement en rouge brun, comme le glycogène. 

L'action plasmolytique de notre milieu de culture à 42-43 C. 
ne se manifeste plus à 37-38 C. Nous ne l’avons en outre étudiée 
que sur les bactéries charbonneuses. Nous espérons que ce milieu 
produira une influence identique sur les autres bactéries et per- 
mettra d'étudier différents points obscurs dans la morphologie 
bt la biologie des bactéries, particulièrement la structure de 
la membrane d'enveloppe, la formation des spores, et le mouve- 
ment brownien sur lequel on sait si peu de chose. 


PPPPPPIPPIPIIR 


nn 


EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE V 


Fic. 19, La bactéridie virulente cultivée sur de la gélose renfer- 
mant la matière cérébrale à 420,5-430. Coloration par le violet de 
gentiane. 

Fi6. 1, 2, 5. Développement pendant 24 heures à 420,5. Grossisse- 


ÉTUDE DE LA PLASMOLYSE. 509 


ment de la fig. 2, 750 diam. ; fig. 4, 1,200 diam. ; fig. 5, 1,500 diam. Les 
amas de plasma de la fig. 1 n’ont pas manifesté de mouvements; les 
petits corps ronds de ia fig. 2 présentent des mouvements vifs. Ces 
mouvements sont surtout très forts dans le segment où le corps plas- 
mique s’est divisé en deux parties (fig. 5). 

Fis. 3. Développement à 420,5 pendant 48 heures. (Grossissement 
1,200 diam.). 

Fr6. 4. Développement à 420,5 pendant 48 heures ; grossissement 
750 diam. Les corps allongés, renfermés dans des cavités, présentaient 
une mobilité énergique. Il n’y a que les corps, disposés dans le dia- 
mètre transversal du segment, qui sont restés immobiles. Malgré que 
la préparation avait été entourée de vernis, les mouvements se prolon- 
gent pendant 4 jours. 

F1G. 5. Une partie de la même préparation, grossie 1,500 fois. Dans 
le segment inférieur, le plasma s’est déchiré en deux parties qui mani- 
festent des mouvements énergiques, notamment le fragment inférieur, 
muni d’un appendice allongé. 

Fic. 6. Cinquième jour à 430. Quantité de spores, dont quelques- 
unes se développent dans l’intérieur de plasma coloré. 

Fig. 7, Même préparation, traitée par la solution de Lugol. Les 
granulations sont peut-être du glycogène. 

Fi6. 8. Préparation d'une goutte pendante de culture âgée de 
2 jours et faite à 420,5. Les mouvements sont tout aussi énergiques. La 

‘préparation a été colorée sans dessiccation préalable. 

Fi6. 9. Culture de 4 jours à 42°. On observe l'apparition des parties 
transparentes au milieu de chaque amas coloré. 

Fi. 10. Premier vaccin, cultivé sur gélose ordinaire pendant 
24 heures à 42°. Chaque segment renferme plusieurs petites granula- 
tions qui se meuvent faiblement. Grossiss. 1,000 diam. 

Fic. 11. Premier vaccin, cultivé sur gélose, renfermant de la 
substance cérébrale, pendant 48 h. à 43°. Grossiss. 1,000 diam. 

Fi. 12. Premier vaccin cultivé sur gélose lécithinée pendant 
24 heures à 420,5. Les segments sont petits; quelques-uns d’entre eux 
sont à peine visibles. Grossis. 1,200 diam. 

Fi. 13. Premier vaccin, développé pendant 36 heures à 53°, sur 
gélose, renfermant du cerveau. Beaucoup de segments sont contournés. 
Grossiss. 1,000 diam. 


CONTRIBUTION À L'ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS 


Par C. WEHRMANN 


{Travail du laboratoire de M. le docteur Calmette, à l’Institut Pasteur de Lille. 


Les glandes venimeuses des serpents ne sont que des paro- 
tides, et le venin présente une analogie étroite avec la salive 
qui, comme l’a montré M. le professeur A. Gautier, est toxique 
même chez l'homme, mais à un bien moindre degré. 

En 1884, M. Lacerda, dans ses Leçons sur le venin des serpents 
du Brésil, exposait le résultat de ses recherches sur le pouvoir 
digestif du venin. Ses expériences établissent que le venin 
émulsionne les graisses, coagule le lait, dissout la fibrine et le 
blanc d'œuf coagulé, mais qu'il ne saccharifie pas l’amidon. 
Toutefois, les solutions de venin dont il faisait usage n'étant 
point stériles, on peut admettre que des phenomènes de putré- 
faction sont intervenus dans ses expériences. 

De plus, rien ne dit que ce soit le venin lui-même qui pro- 
duise les actions diastasiques. Il se peut que, dans le liquide 
organique qui le contient, il ÿ ait en même temps que lui des dias- 
tases dont il peut lui-même éprouver l'influence, comme lazymase 
de la levure subit l’action de la trypsine qui l'accompagne ordi- 
nairement. 

Les sucs digestifs normaux de l’organisme exercent, dars 
beaucoup de cas, une action destructive sur les diastases et sur 
les toxines microbiennes. Ainsi en ce qui concerne les toxines 
diphtérique et tétanique, MM. Nenchi, Sieber et Schoumoiv-Sima- 
nowski (Centralblait für Backteriologie, 1898, N°5 19 et 20) ont 
constaté leur destruction par le suc gastrique et le suc pancréa- 
tique des animaux. D'autre part Ransom (Deutsche medicin. 
Wochenschrift, N° 8, 1898) trouva que la toxine tétanique, 
absorbée en doses énormes (100,000 doses mortelles), ne pro- 
duit aucun malaise chez les animaux, ne passe pas dans leur 


ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS. 511 


sang, et ne donne à ce dernier aucun pouvoir antitoxique, mais 
qu’elle traverse le tube digestif, impunément pour l'animal et 
sans être détruite. Toutefois les recherches des premiers expé- 
rimentateurs que nous avons cités montrent que les toxines sont 
bien détruites par les sucs digestifs, surtout par certains 
mélanges de ces sucs, tels que le mélange de suc pancréatique 
et de bile. 

Le suc pancréatique et la bile n’ont cependant aucune action 
immunisante à proprement parler; ils modifient ou détruisent 
les toxines après un contact in vitro plus ou moins prolongé, 
mais cette action n’est pas immédiate. 

Nous savons, d’après les recherches de Fraser, de Phisalix 
et d’après celles que nous avons publiées antérieurement 
(ces Annales, 1897, XI), qu'à l'égard du venin des serpents la bile 
exerce aussi une action digestive manifeste in vitro. 

Il nous à paru intéressant, à tous ces points de vue, de 
rechercher, avec les données nouvelles qui nous ont été apportées 
par l’étude des sucs glandulaires normaux de l'organisme et par 
celle des diastases oxydantes (oxydases de G. Bertrand), si les 
faits annoncés par Lacerda sont exacts, et quel est l’effet produit 
sur le venin par les principales diastases hydratantes ou 
oxydantes. 


I. — ACTION DIASTASIQUE DU VENIN. 


a) Action du venin sur l'amidon. — Nous avons étudié 
l’action du venin tel qu'il est extrait des glandes des serpents, 
simplement desséché dans le vide, puis redissous dans l’eau 
distillée à 1 : 100. 

Par comparaison, nous avons étudié ensuite l’action de la 
même solution chauflée à 75° et filtrée au filtre Chamberland, 
c’est-à-dire débarrassée FA l’albumine et des éléments cellulaires 
qui se trouvent toujours en grande quantité dans le venin normal. 

La toxicité de ces deux solutions de venin (chauffée et non 
chauffée) est sensiblement la même, comme l’a démontré 
M. Calmette, mais la solution chauffée et filtrée présente le 
grand avantage d'être stérile. 

Nous les avons expérimentées l’une et l’autre sur l’amidon 
cru et sur l’amidon amené à l’état d’empois. L’amidon cru est 
stérilisé au préalable par un chauffage à 80° pendant 24 heures 


512 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dans une étuve sèche; ensuite nous l’émulsionnons à 1/100 
dans de l’eau distillée stérile. L’empois d’amidon (à 1/100) est 
stérilisé à 120 degrés. 

L'émulsion d’amidon cru est distribuée par fractions de 
40 c. c. dans plusieurs petits ballons, puis additionnée de 1 et 
2 c. c. de venin cru et de venin chauffé. Après 24 heures à 40°, 
le liquide ne contient pas de sucre réducteur. 

Le contenu d’un ballon est filtré, pour le débarrasser des 
grains d’amidon, et traité par l'acide chlorhydrique à 110° pen- 
dant une demi-heure. Ensuite il est neutralisé au carbonate de 
soude et éprouvé au Fehling. I n’y a ni précipité ni trouble. Le 
liquide ne contenait donc pas de dextrine, qui serait hydrolisée 
et transformée en sucre réducteur. 

La même série d'expériences est répétée avec l’empois d'ami- 
don. Ni avant l'expérience, ni après le contact avec le venin, 
l’empois d’amidon n’a décelé Ia moindre trace de sucre réducteur. 

Le venin ne saccharifie donc mi l’amidon cru ni l’empois 
d’amidon. 

b) Action sur le saccharose. — Une solution de saccharose à 
10 0/0, stérilisée à 120° ettrès légèrement alcalinisée par le carbo- 
nate de soude, est éprouvée au Fehling. Pas de sucre réducteur. 

20 c. c. de cette solution, additionnés de 2 c. c. de venin cru, 
sont portés à 40° pendant 20 heures. Le liquide est devenu opa- 
lescent; éprouvé au Fehling, il prend une couleur verdàtre et 
donne un léger précipité cuivreux sur le filtre. 

La même expérience, faite avec du venin chauffé à 75° et 
filtré au Chamberland, donne un résultat identique. 

Notre venin, même après chauffage jusqu’au delà de la tempé- 
rature de coagulation des albumines, intervertit donc faiblement, 
mais nettement, le saccharose. 

c) Action sur la fibrine. — Pour avoir de la fibrine aussi pure 
et aussi stérile que possible, nous détachons la partie supérieure, 
riche en fibrine, d’un caillot de sang de cheval, nous la hachons 
et la Javons longtemps sur un tamis à l’eau stérilisée. Les gru- 
meaux sont ensuite macérés pendant une nuit, en y ajoutant un 
peu de chloroforme, et le lendemain on change encore l’eau jus- 
qu'à ce qu’elle reste parfaitement limpide. 

On prépare 4 ballons contenant chacun 10 grammes de fibrine 
dans de l’eau stérilisée. Dans les trois premiers on ajoute 2, # et 


ÉTUDE DU VENIN DES SERPENIS 513 


6 c. ce. de venin chauffé et filtré, le seul qu’on puisse employer, 
car le venin non chauffé donne à lui seul la réaction du biuret,. 
Le quatrième ballon sert de témoin. On y ajoute un cinquième 
ballon témoin contenant le même venin sans fibrine. Tous ces 
ballons sont maintenus à 40° degrés pendant 24 heures. 

Au bout de ce délai, le contenu des deux ballons témoins n’a 
pas changé d'aspect et ne donne pas la réaction du biuret. Les 
trois ballons d’épreuve donnent cette réaction d’une façon d’au- 
tant plus nette qu'ils contiennent plus de venin, sans que toute- 
fois les grumeaux de fibrine aient changé d’aspect. 

Le venin peptonise done la fibrine, bien que faiblement. 


IT. — ACTION DES DIASTASES ANIMALES OU VÉGÉTALES, HYDRATANTES 
ET OXYDANTES SUR LE VENIN. 


Nous avons commencé par nous assurer que les doses de ces 
diastases que nous devions employer ne peuvent pas provoquer 
d'accidents toxiques ; nous croyons inutile de donner les nom- 
breuses expériences par lesquelles l'innocuité de ces doses a été 
démontrée. 

Nous avons employé les mêmes doses pour essayer le pou- 
voir préventif des diastases et leur action par injections simulta- 
nées avec celles de venin, mais faites à part, dans d’autres 
endroits du corps. 

Les résultats de toutes ces dernières expériences furent 
négatifs ; aussi devons-nous admettre qu'aucune de ces diastases 
n'a d'effet préventif ou curatif sur l’envenimation. 

a) Action des diastases mélangées au venin. — Nous examine- 
rons l’action des diastases suivantes : 1). Diastases animales. — 
Ptyaline, pepsine pure médicinale, présure, pancréatine et oxy- 
dase leucocytaire. 2). Diastases végétales. — Emulsine, amylase, 
papaïne, sucrase et oxydase des champignons de couche. 

Pour celles de ces diastases que l’on se procure dans le com- 
merce, nous avons employé les produits de Merck et ceux de 
Poulenc. 

Les diastases sèches ont été dissoutes dans de l’eau distillée 
stérile dans la proportion de 1 0/0, filtrées sur papier et prépa- 
rées au moment de l’usage. 

Pour ce qui est de l’oxydase leucocytaire, nous l'avons obte- 

33 


D14 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. 


nue en provoquant chez un animal un exsudat dans le péritoine 
par une injection de bouillon. Cet exsudat est centrifugé. On 
décante le liquide; le dépôt de leucocytes est digéré à l’aide 
d’une goutte de pancréatine dissoute (selon le procédé de P. Por-" 
tier). Si cette digestion a duré un temps convenable, 24 heures à 
37°, le produit réagit assez bien à la teinture de gaïac, qu'il 
colore en bleu verdâtre, grâce à la formation d'acide gaïaconi- 
que. Cette réaction est caractéristique de l’oxydase leucocytaire : 
les leucocytes non digérés par la pancréatine ne la donnent pas. 

Pour obtenir l'oxydase des champignons de couche, selon le 
procédé de M. G. Bertrand, on coupe en menus morceaux et on 
triture dans un mortier une certaine quantité de champignons 
avec leur pied (car c’est le pied qui contient le plus d’oxydase), 
ensuite on fait macérer pendant 2 heures la pâte ainsi obtenue 
dans de l’eau chloroformée (200 c. c. d’eau pour 100 grammes 
de champignons). On filtre rapidement sur papier et on emploie 
le liquide brunâtre immédiatement. Il peut aussi être conservé 
pendant un assez long temps en y ajoutant du chloroforme et le 
mettant à l'abri de l’air et de la lumière. 

La sucrase est obtenue à l’état de pureté aussi parfaite que 
possible en cultivant de l’Aspergillus niger dans du liquide Raulin, 
mais on n'obtient ainsi qu’une solution faible. Pour avoir un 
liquide riche en sucrase, il vaut mieux faire macérer une cer- 
taine quantité de levure sèche de boulangerie dans 2 volumes 
d’eau. La macération est faite à la glacière, pendant 24 heures, 
en ajoutant un peu de chloroforme ou d’essence de moutarde. 
Le liquide filtré sur papier est assez riche en sucrase. Il peut 
être directement employé pour les expériences. 

Les deux tableaux suivants montrent les résultats de nos 
recherches. 


ÉTUDE DU VENIN DES SERPENTS 515 


TABLEAU N° 1 


ACTION DES DIASTASES ANIMALES SUR LE VENIN, 


SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES. 


INJECTIONS SOUS LA PEAU 
COBAYES EN CONTACT IDENTIQUES 
Er 4 DOSES TT —| RÉSULTATS |effectuées 
Nes| Poids DURÉE Tempéra. 
4 | 310|Ptyaline 0,4 venin 0,1. 24 heures. 370 Survie. 4. 
ë : , : Injecté : 

9 s = =: G 
2 | 335|Ptyaline 0,4 + venin 0,1. ET ARMent Survie. 2. 
3 | 380|Pepsine pure 0,4 + venin 0,1.| 24 heures 370 Mort 4 jours. sas 
4 | 630|Présure 0,64 L venin 0,16. 24 heures. 370 Mort 5 heures, 4. 
5 | 710|Pancréatine 0,8, + venin 0,2.| 24 heures. 370 Survie. L. 
6.| 52 ETES re 6—-venin0.15.| 24 heures 370 Mort 2h. 1/2 3 

leucocytaire | ‘? male 4 RENTE É 
7 | 400|Venin 0,1. Mort 2 h. 1/2. 


TABLEAU N° 2. 


ACTION DES DIASTASES VÉGÉTALES SUR LE VENIN. 


SOLUTIONS DE DIASTASES ET DE VENIN (1 : 100) EN CENTIMÈTRES CUBES. 


} C N £ £ 


RÉSULTATS dites 


EFFECTUÉES 


COBAYES EN CONTA CT 
- 


Durée. Températ. 


Emulsine 0,6 — venin 0,15. 24 heures. Mort 2? heures. 


Amylase 0,4 + venin 0,1. 24 heures, Mort à heures. 


Amylase 0,4 L 0,1. 23 heures. Mort 2 1/2 b. 


Papaïne 0,4—+ venin 0,1. 24 heures, Survie. 


O[Sucrase 0,6 + venin 0,1. 24 heures, Mort 2 1/2 h. 


- | Oxydase de |} 


; L : … 
champignon | 0,4 venin 0,1. heures. 


Mort 2 heures, 


Venin 0,1. 24 heures, Mort 214/2h. 


516 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


CoNeLUSIONS 


I. Action diastasique du venin. — La première partie de notre. 
étude confirme les observations de Lacerda. Nous avons vu que 
le venin ne saccharifie pas l’amidon, mais qu'il peptonise la 
fibrine. De plus, nous avons pu constater qu'il intervertit le 
saccharose. 

Le venin contient donc à la fois une substance toxique et une 
diastase faible. Nous ne savous pas encore si le toxique et la 
diastase se confondent. 

IT. Action des diastases sur le venin. — Si nous classons les 
diastases dont avons étudié l’action sur le venin d’après le degré 
d'intensité de cette action, nous devons les énumérer dans 
l’ordre suivant : 


Diastases très actives. Faiblement actives. Inactives. 
1) Ptyaline 1) Pepsine 1) Emulsine 
2) Papaine 2) Présure 2) Sucrase 
3) Pancréatine 3) Amylase 3) Oxydase leucocytaire 


4) Oxydase des champignons. 


L'action très énergique de la ptyaline sur le venin est tout 
particulièrement remarquable, car le venin représente lui-même 
comme nous l'avons dit au début de ce travail, une véritable 
salive. 

Signalons ensuite le peu d'activité de la pepsine. La pepsine 
pure ne nous a donné que des résultats douteux, — une survie et 
une mort— avec un grand retard. 

On sait cependant, après les travaux de M. Calmette et ceux 
de M. Fraser d'Edimbourg, que le venin introduit dans l’orga- 
nisme des animaux par la voie gastrique est inoffensif. Sa des- 
truction est certainement effectuée d’abord par la salive, qui 
accompagne en plus ou moins grande quantité toutes les 
substances introduites par la voie buccale, et elle s'achève 
ensuite par l’action du sue pancréatique, mais la pepsine n’y 
participe pas. 

L'oxydase leucocytaire s’est montrée inactive, mais nous 
n'avions que de faibles quantités de cette diastase à notre dispo- 
sition. Certainement on ne peut pas en conclure à l'inactivité 
absolue des sucs protoplasmiques leucocytaires à l'égard du 
venin. 


CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'AZOTE 
CONTENU DANS LE VIN 


Par J. LABORDE 


Sous-directeur de la station agronomique de Bordeaux 


Le moût de raisin, comme tous les jus naturels sucrés, ren- 
ferme de l'azote sous une forme essentiellement assimilable pour 
un grandnombre d'êtres microscopiques, eten particulier pour les 
levures. Le vin qui résulte de la fermentation de ce moût contient 
une quantité d'azote inférieure à celle qui y existait primitive- 
ment, puisqu'une partie, entrée dans la constitution de la levure, 
a été insolubilisée avec elle. 

Par conséquent, l'étude des variations de l'azote pendant la 
fermentation alcoolique du moût de raisin est liée à la question 
générale de la nutrition azotée de la levure, actuellement bien 
connue depuis les travaux de MM. Pasteur, Béchamp, Duclaux, 
Schutzemberger, Destrem, Mayer, Laurent, etc. 

Mais jusqu’à ces derniers temps, M. Duclaux' seul s'était 
occupé spécialement de l’action de la levure sur les matériaux 
azotés du moût de raisin. Il a montré d’abord que ce jus naturel 
contient, en dehors des combinaisons organiques de l'azote 
(matières albuminoïdes et autres), de petites quantités de sels 
ammoniacaux ?, et ensuite, que, même en présence de cet azote 
organique très assimilable, la levure absorbe l’azote ammoniacal 
avec une grande facilité, ne laissant ordinairement que quelques 
milligrammes d’ammoniaque dans le vin, alors que le moût 
pouvait en contenir jusqu'à 120 milligrammes par litre *. 


1. Sur l'absorption d'ammoniaque et la production d'acides gras volatils 
pendant la fermentation alcoolique. (Annales de l'Ecole Normale Supérieure, 
t. II, 4866 ) 

2. Liebig avait trouvé de l’ammoniaque dans les jus de l’érable, du bouleau, 
de la betterave, mais il n’avait pas parlé du moût de raisin. Mulder, qui niait for- 
mellement la présence de l’'ammoniaque dans le moût, en trouvait dans le vin. 

3. Pasteur avait déjà établi que l’ammoniaque est un aliment azoté de la, 
levure, en produisant des fermentations dans les milieux où cette base était 
l'unique élément azoté. 


D18 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


L'ensemble des recherches de M. Duclaux s'applique prinei- 
palement à des levures vivant dans des conditions très favorables 
à leur développement, en ce qui concerne la température et 
l’absence d’autres organismes dans le même milieu. L 

Ces conditions ne sont pas toujours celles de la pratique 
vinicole, et MM. Muntz et Rousseaux ‘, en analysant des vins pro- 
venant de fermentations défectueuses dues à l'influence d’une 
température trop élevée, y ont trouvé récemment des quantités 
d’ammoniaque variant depuis quelques milligrammes jusqu’à 
100 milligrammes, dont ils ont attribué la production aux 
ferments des maladies des vins. 

En même temps MM. Roos et Chabert* s’occupaient des 
variations de l’azote total dans les vins obtenus par des fermen- 
tations exemptes de microbes, à température normale et à haute 
température. [ls ont vu que dans le premier cas la quantité 
d'azote contenu dans le vin était inférieure à celle du second; les 
différences, qui étaient de 20 à 80 milligrammes par litre, ont 
été rattachées à une plus grande élimination, par les levures 
fonctionnant à température élevée, de matières azotées dont 
quelques-unes seraient peut-être toxiques pour ces levures. À la 
même époque j'étudiais l'influence de l’alimentation azotée de la 
levure sur une de ses fonctions particulières, et comme je culti- 
vais en même temps les organismes des maladies des vins, j'ai 
dirigé mes recherches dans le sens d’une étude précise des faits 


qui venaient d'être signalés; ce sont ces recherches que je pré- 
sente dans ce travail. 


Il 


J'ai songé d’abord à généraliser un peu les résultats obtenus 
en 1866 par M. Duclaux sur les moûts du vignoble d’Arbois 
(Jura), en dosant l’ammoniaque dans des moûts provenant de 


4. A. Muxrz, Études sur la vinification dans les régions méridionales (Comptes 
Rendus, t. CXXIV, page 331). 


A. Muxrz et E. Rousseaux, La formation de l’ammoniaque dans les vins (Æevue 
de viticulture, t. VIII, 1897, page 173) 


2. Contribution à l'étude des fermentations viniques (Âevue de viticulture, 
t. VIII, 1897). 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 219 


raisins récoltés principalement dans la Gironde et dans l'Hérault, 
et écrasés au laboratoire. La méthode suivie est celle qui a été 
employée par M. Muntz', et qui consiste à déplacer l’ammo- 
niaque par le carbonate de soude et une ébullition produite à 
basse température à l’aide du vide, tandis que M. Duclaux s'était 
servi du procédé Boussingault, mais après avoir vérifié que 
la magnésie n'attaque pas sensiblement, à 100°, les matières 
organiques azotées du moût. J’ai moi-même vérifié que ce dernier 
procédé donne des résultats très voisins de ceux obtenus par la 
méthode de M. Muntz’; c’est cette dernière que j'ai employée 
dans tous les dosages consignés dans ce travail. 

Le tableau suivant donne les quantités trouvées dans un 
certain nombre de moûts provenant de cépages divers, ainsi que 
l'acidité et la richesse saccharine de ces moûts. 


_ 


AzH3 ACIDITÉ SUCRE 

NATURE DES MOUTS en S04H2 réducteur 

par litre. parlitre. parlitre. 

| Chasselas(Sain........... sc. 0870742 3sr,40 A81er,6 

| 1896 ne expérimentalement....... 0 0453 20153 150 0 

| Cépages rouges divers, 1896.. O0 1830 8 00 140 0 

Cépages rouges(Côtes ........ 0 0700 6 20 175 4 

1897 PAU Pre Pere 0 O810 5 90 170 0 

CGhasselas 1807 rene 0 4305 4 80 153 8 

Cépages rouges divers, 1897... O 1157 1 20 169 % 

GIRONDE. ......./ Cépages rouges et blancs, 1897 0 1584 7 60 160 0 

Sémillon(Sain ...... A PRET 0 1480 322 470 6 

SO IMOIS PERTE tr ACL LeE 0 1382 3 10 180 5 

Prunonr els TIRER PR ee s 0 2240 7 70 160 0 

Cabernet Sauvignon, 1897..., O0 1661 8 50 1502 

Giabernet\Samentr rer Etre ee 0 1030 9 60 160 0 

| 4897 fAltérations diverses. O0 0440 7 65 481 8 

AMERO MOMENT re 0 1118 6 05 190 0 

LOT-ET-GARONNE. Cépages rouges divers, 1896. 0 1410 8 80 200 0 
ATAMONNSAINS eee 0195 » » 
5 ASOTNIMOISTE re eee 0 1037 » » 
HERAULT MaseutR A9 ns 0 0736 » » 
( Clsirette, SD HER ES ee 0 0644 » » 


Ces chiffres sont, en général, plus élevés que ceux trouvés 
par M. Duclaux, dont la moyenne est de 0,051 par litre, tandis 


4. Recherches sur lintervention de l’ammoniaque atmosphérique dans 
la nutrition végétale (Annales de la Science Agronomique française et 
étrangère, 1896), 

2. M. Manceau dit la même chose dans son rapport sur les dosages de l’acidité 
volatile et de l’ammoniaque dans les vins de champagne, où il s'est servi encore 
de la méthode Boussingault. (Voir Bulletin de la Société des viticulteurs de France 
et d'ampélographie, n°5 T et 8, 1898.) 


520 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qu'elle est ici de 0#',1125, mais un certain nombre de termes de 
ces deux moyennes sont tout à fait comparables. Les quantités 
d’'ammoniaque varieut non seulement d’un cépage à l’autre, mais _ 
aussi, pour un même cépage, avec le lieu d’origine. La matura- 
tion me paraît jouer un rôle important dans cette question de 
lammoniaque des moûts, que je compte mieux étudier plus tard. 
Il semble, en effet, que la quantité d’'ammoniaque doive diminuer 
à mesure que la maturation avance, car ce sont, généralement, 
les raisins les moins mürs qui ont donné les moûts les plus 
riches en ammoniaque. 

On peut remarquer encore que les moisissures et les altéra- 
tions diverses que subit accidentellement le raisin font diminuer 
les quantités d’ammoniaque contenues dans les moûts; Les diffé- 
rences observées proviennent de dosages faits sur les moûts 
après séparation des parties saines et altérées des mêmes rai- 
Sins. 


ITI 


Dans les expériences que j'ai faites pour étudier les variations 
de l’azote dans la fermentation du moût de raisin, j'ai considéré 
les principaux cas qui peuvent se présenter : 1° Celui où la 
levure est pure, c’est-à-dire non accompagnée de microbes pou- 
vant attaquer le sucre et les matières azotées du moût; 2° celui 
où ces microbes sont mélangés à la levure dans des conditions 
favorables à leur développement. 

Pour le premier cas, les conditions peuvent être les sui- 
vantes : 

1° La fermentation se fait à une température favorable à la 
vie de la levure ; 

20 Elle se fait à une température élevée qui gène la levure 
sans la paralyser complètement. 

Dans une première expérience, on a fait fermenter, avec une 
levure de Médoc de variété unique, des moûts de raisin de 
diverses provenances, dont on connaissait la richesse en azote 
organique et ammoniacal après filtration. 

Ils éteient contenus dans des matras Pasteur aux trois quarts 
pleins, qui formaient deux séries maintenues à des températures 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 521 


voisines, La 1" de 280, la 2e de 36°; les liquides étaient stérilisés 
par l’ébullition et ensemencés après refroidissement avec des 
traces de levure. 

A la fin de la fermentation, la levure formée dans chaque 
matras était pesée, et l’on dosait l'azote organique et l'azote 
ammoniacal restant dans le vin; on a trouvé les chiffres du tableau 
suivant. 


MOUTS AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN  JPOMN \ 
" AZOTE DU MOUT ; ; SENS 
divers. fermenté à 280. fermenté à 360. obtenue. 
a om | FC cl. CU CR 
Anmont |Organ.| Total | Amon | Organ.| Total | Ammor! |Organ.| Total |à 28o.|à 36o. 


gr. gr. 


0,107410,432010,539410,001010,4200 10,421010,0099 0,4350|0,4450[1,786 


0,149010,425010,574010,003310,413010,4163[0,0082,0,449010,457212,180 


0,0951/0,325010,4201[0,004510,3245|0,329510,013110,3300!0, 


0,1502 » |0,0077 » » [0,0365 


On voit que, dans les vins faits à 28°, la quantité d'azote ammo- 
niacal ‘ qui reste est toujours beaucoup plus faible que dans 
ceux obtenus à 36°, et que les différences ne dépendent pas, 
pour les limites du tableau, de la quantité initiale d'ammoniaque 
contenue dans le moût, mais probablement de la nature même 
de ce moût qui a influé sur la nutrition de la levure par d’autres 
facteurs. 

La proportion d'azote organique que conserve le vin est peu 
différente de celle que renfermait le moût; à 28° elle est égale 
ou légèrement inférieure, tandis qu'à 36° elle est égale ou supé- 
rieure,. 

Par conséquent cette levure de vin, comme la levure de 
bière, utilise l'azote ammoniacal avec avidité, et il semble même 
qu’elle se contente, dans la plupart des cas, de cet aliment azoté. 

Dans le vin fait à haute température, la proportion d’azote 
organique est supérieure à celle qui existait primitivement dans 
le moût, par suite, évidemment, d’une excrétion de matières azo- 


0,1160 » 10,0070 


»  [0,0247 


1. On obtiendrait l’'ammoniaque correspondante en multipliant les poids d'azote 
ammoniacal par le coefficient 1,214, 


022 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tées que s'était constituées la levure par l'assimilation de l'azote 
ammoniacal. 

Cette excrétion, plus importante à haute température qu'à 
température normale, est d'accord avec les observations de 
MM. Roos et Chabert, mais nous verrons qu'il n’en est pas tou- 
jours ainsi. 

Les différences qu'ils ont constatées sont de même ordre que 
celles du tableau ci-dessus; celles-ci sont, en outre, en relation 
avec les différences des poids de levure produite, inscrits dans 
les deux dernières colonnes du tableau. 

A propos de ces chiffres, je crois devoir entrer dans quelques 
explications sur la manière dont ils ont été obtenus. 

On sait, d’après M. Duclaux, que le poids maximum de 
levure produite dans un certain volume de liquide fermentes- 
cible est supérieur à celui qui y existe lorsque la fermentation 
est complètement terminée, à cause des phénomènes de désassi- 
milation corrélatifs de la vie de la levure. 

Comme cette désassimilation est d'autant plus grande que les 
conditions sont plus défavorables, le rapport des quantités de 
levure obtenues à 28° et à 36°, et pesées à la fin de la fermentation, 
peut être très différent du rapport des poids maxima, le seul 
intéressant, par suite d’une usure plus grande des matériaux de 
la levure fonctionnant à 36°. 

Aussi, pour éliminer autant que possible l'influence de cette 
usure, et éviter en même temps une cause d'erreurs due à la 
crème de tartre précipitée dans le vin avec la lie, j'ai pro- 
cédé de la manière suivante pour la pesée de la levure. 

La fermentation étant achevée et le vin éclaire par un repos 
de plusieurs jours, la plus grande partie du liquide clair a été 
décantée, et le reste a été versé sur un filtre après agitation 
et repos pour laisser la crème de tartre se reprécipiter; la levure 
plus légère reste en suspension et peut être entraînée à peu près 
seule sur le filtre. Par quelques lavages à l’eau distillée, la 
plus grande partie de la crème de tartre est éliminée. Après 
avoir percé le filtre, on a détaché la levure avec un jet d’eau 
chaude pour la mettre en suspension dans un volume d’eau 
égal au volume du liquide fermenté; le mélange a été porté à 
J’ébullition pendant quelques minutes. Après refroidissement, la 
levure a été filtrée, lavée et pesée après dessiccation à 400° dans 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 523 


une capsule de platine où elle avait été introduite en la détachant 
du filtre avec un jet d’eau chaude, comme précédemment. 

Ce traitement préalable à l’eau bouillante, fait dans des con- 
ditions bien déterminées, ayant pour résultat d'extraire du 
globule de levure la plus grande partie des matériaux solubles, 
conduit à des poids de résidu qui sont nécessairement dans un, 
rapport plus voisin de celui des poids maxima de levure que le 
rapport des poids que l’on obtiendrait directement. 

Les résultats qui précèdent, fournis par une levure de Médoc 
de variété unique, méritaient d’être comparés à ceux qui seraient 
donnés par des levures d’origine et de variété différentes. 

Pour cela, on a pris un même moût de raisin, le n° 2 du 
tableau précédent, et on l’a ensemencé avec des levures exemptes 
de microbes, provenant de lies de vin de Champagne, de 
Camargue et d'Algérie. On a obtenu, dans les conditions de 
l'expérience précédente, les résultats suivants rapportés au 
litre. 


AZOTE DU VIN AZOTE DU VIN (POIDS DE LEVURE 
LEVURES DIVERSES fait à 28o. fait à 360. obtenue. 


>. CO RS PR. 0 EE Te 
Amon! |Organ.| Total. | Anmoul |Organ.| Total. |à 280.|à 360. 


gr. gr. gr. gr. | gr. 
0,4163[0,008210,4490 |0,4572/2,180|1,8#0 
Champagne 0,0345|0,4210/0,4555[0,0660 |0,4340/0,5000!2,120 1,200 


Camargue 0,0603|0,4300!0,490310,0873)0,4200!0,5073 [1,400 10,970 


Algérie 0,0065/0,455010,461510,0603/0,437010,4973|1,784|1, 


Pour une même température, l'azote ammoniacal restant dans 
le vin varie beaucoup avec les divers levures, et les plus'avides 
d'ammoniaque sont celles de Médoc et d'Algérie, lesquelles, à 
28°, n’ont laissé que des traces d’ammoniaque, tandis que les 
deux autres en ont laissé des quantités anormales. Mais il est 
probable que si la richesse ammoniacale du moût avait été 
moindre, ces différences n’existeraient pas. 

A température élevée, l'assimilation de l’ammoniaque est 
génée dans tous les cas, mais avec plus ou moins d'intensité; 
c’est la levure de Médoc qui a été la moins sensible à l’influence 
de la température à ce point de vue. 


D24 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il faut remarquer que ces levures ont fonctionné dans le 
second cas à une température qui n’était pas encore très défavo- 
rable, puisque toutle sucre (180 grammes par litre) avaitfermenté. 
À température plus élevée, une partie du sucre reste inattaquée, le 
poids de levure est plus faible, et une proportion bien plus grande 
d’ammoniaque n’est pas utilisée. Par conséquent, pour expliquer 
les résultats de MM. Roos et Chabert, qui n’ont trouvé, dans les 
vins fermentés à 35 ou 40° avec des levures pures, que des traces 
d’ammoniaque, il faut admettre que les moûts sur lesquels ils 
opéraient n’en contenaient que de faibles quantités, ou bien que 
les levures employées étaient particulièrement actives à une 
température élevée. . 

Comme dans l'expérience précédente, les variations des poids 
de levure du dernier tableau sont toujours en sens inverse de 
celles de l’azote total restant, lesquelles portent encore principa- 
lement sur les variations de l’azote ammoniacal. 

L’excès de la proportion d'azote organique du vin sur celle 
du moût, c’est-à-dire la sécrétion d'une partie de l’azote orga- 
nique formée par la levure à l’aide de l'ammoniaque, dépend de la 
température pour les deux premières levures, tandis que pour les 
autres, au contraire, et pour la dernière surtout, il paraît dépendre 
principalement dela quantité d’ammoniaque absorbée. Ily a donc 
dans ces phénomènes de désassimilation des différences qui ne 
doivent pas nous surprendre, et qui tiennent à la constitution 
même de la cellule de levure comme à son fonctionnement. 

C’est aussi à ces phénomènes qu'il faut attribuer un résultat 
qui ressort des expériences précédentes. Nous avons vu que la 
nutrition azotée des levures de vin étudiées paraît se faire 
presque exclusivement aux dépens de azote ammoniacal du 
moût; mais ce n’est là qu'une simple apparence, et il faudrait 
bien se garder de croire que l'azote organique ne joue qu'un 
rôle très secondaire dans l'alimentation de ces levures. 

Pour être mieux fixé sur ce rôle, et sur celui de l’ammoniaque 
en même temps, nous allons essayer de suivre plus en détail 
qu'on ne l'a fait jusqu’à présent, la nutrition azotée de la levure 
de Médoc par exemple, au cours d’une fermentation. 

Deux séries de matras Pasteur identiques, contenant la même 
quantité de moût ensemencé, ont été placées, l’une à 28°, et 
l’autre à 36°, puis, à des intervalles de temps de plus en plus 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 525 


éloignés du commencement de l’expérience, on a pris un matras 
de chaque série, pour déterminer le poids de levure contenu 
dans le liquide et analvser celui-ci. Le tableau suivant contient 
les résultats obtenus. 


MOUT FERMENTÉ à 280. MOUT FERMENTÉ à 360. POIDS 
AT RP pe | de levure 
de la Azote organique| Azote ammoniacal. | Azote organique Azote aumoniaal. | OBTENUE 
RERMENTATIONS I ETES RATE | 
restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. [restant | absorbé. [à 280.|à 36o. 


DURÉE 


0,3606 0,0644|10,025810,0792 0,079410,0660!0,0390/1,750 1,600 


0,3454,0,0796|0,005010,100010,3242 0,100810,051010,054011,925/1,800 


0,3274|0,097610,003610,1014 » » » ) 
0,3048 0,1202/0,003610,1014[0,374410,0506|0,027610,077412, 
0,4020 0,023010,003610,101410,4224 |0,002610,0072|0,0978/2,500!2,000 


0,4116 0,0134|0,003610,101410,4356 » |0,0072,0,097812,400 11,950 


On voit que la levure qui se développe dans des conditions 
normales de température assimile plus rapidement l'azote ammo- 
niacal que l’azote organique; les choses sont, au contraire, tota- 
lement renversées à température élevée. On comprend d’ailleurs 
facilement que dans ces dernières conditions, où la vitalité de la 
levure est atténuée, il lui soit plus difficile de se former des 
matières azotées avec l’ammoniaque que d'utiliser les matériaux 
de ce genre existant dans le moût sous une forme vraisembla- 
blement très assimilable; mais on pouvait ne pas s'attendre à 
voir un changement si accentué, qui explique par suite très nette- 
ment la présence de quantités plus importantes d’ammoniaque 
dans les vins faits à haute température que dans ceux fermentés 
à température modérée. 

Malgré ces variations d'action de la levure vis-à-vis de l’am- 
moniaque, on ne peut guère admettre qu'elle puisse refuser 
complètement d’y toucher, et, si la richesse ammoniacale de 
certains moûts est faible, le vin peut n’en contenir que des 
traces, bien que la fermentation ait lieu à température élevée et 
avec une levure pure : mais c’est là, je CTOIS, UN Cas assez rare. 

On voit aussi, contrairement à ce qui semblait avoir lieu 
dans les expériences précédentes, que le poids d’azote organique 


926 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


utilisé par la levure est très important, et qu’il peut dépasser la 
quantité d'azote ammoniacal absorbé, même lorsqu'elle est un 
peu au-dessus de la moyenne contenue dans les moûts. 

La proportion d'azote qui reste dans le liquide fermentescible 
décroit jusqu'à un certain moment, puis se relève assez rapide- 
ment et plus vite à température élevée qu'à température normale. 
L’explication de ces variations est facile. 

Le développement de la levure étant très rapide dans les 
premiers jours de la fermentation, la construction des tissus 
exige une absorption très notable de matières azotées, qui dé- 
passe de beaucoup l’excrétion corrélative de cette assimilation. 

Lorsque le milieu devient défavorable à l'existence de la 
plante, les phénomènes de désassimilation l’emportent sur ceux 
d’assimilation, et les globules vieux restituent alors au liquide 
une quantité d'azote plus grande que celle qui est absorbée par 
les globules jeunes. Cette restitution continue pendant que la 
levure vieillit davantage dans son liquide de culture, et dépend, 
comme nous le savons, non seulement de la température, mais 
aussi de la nature de la levure. 

Le maximum d'absorption d'azote correspond à peu près à la 
fin de la fermentation tumultueuse, qui dure plus ou moins, sui- 
vant les conditions de température. À 36° elle s’arrète plus tôt 
qu'à 28°, mais il reste à ce moment une portion plus ou moins 
grande du sucre non fermenté; et, si on veut faire disparaitre ce 
sucre à peu près complètement, il faut abaisser un peu la tempé- 
rature. 

La fermentation continue lentement, et pendant ce temps la 
levure formée au début se détruit partiellement et plus rapide- 
ment qu à température plus basse. Toutefois, si on fait l’analyse 
des liquides fermentés dans les deux cas, lorsque tout dégagement 
gazeux a cessé et lorsqu'ils se sont éclaircis après quelques jours 
de repos, comme dans les expériences ci-dessus, il se trouve, 
par hasard, que ces liquides renferment à ce moment, à peu de 
chose près, la proportion d'azote organique que contenait le 
moût. 

Pour une mème fermentation, les poids de levure, obtenus 
d’après le procédé indiqué, ne suivent que de très loin les varia- 
tions de l'azote contenu dans cette levure après le maximum 
d'absorption. 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 527 


En effet, tandis que la levure a perdu près de 50 0/0 de son 
azote, son poids fictif n’a baissé que de 10 0/0 environ ; c'est ce 
qui montre que la méthode que j'ai employée pour déterminer 
ce poids permet d'obtenir, entre deux fermentations différentes, 
et lorsqu'elles sont terminées, un rapport des quantités de levure 
produite très voisin du rapport des poids maxima. 

Nous avons vu que la levure, vivant dans des conditions 
favorables, a une préférence assez marquée pour l'azote ammo- 
niacal sur l’azote organique du moût de raisin; il est alors 
intéressant de savoir si dans un moût privé complètement 
d’ammoniaque, l'azote organique pourraitsuppléer complètement 
à ce défaut. 

L'expérience suivante a été faite dans ce but. On a extrait 
l’ammoniaque d’un moût par le procédé employé dans le dosage, 
en remplaçant le carbonate de soude par le carbonate de potasse, 
et on à ajouté dans une autre partie du moût primitif la même 
quantité de carbonate de potasse; puis on a ramené ces deux 
moûts à une même acidité par addition d'acide tartrique, qui a 
précipité, à l’état de crème de tartre, la plus grande partie de la 
potasse introduite dans les deux cas. Après la fermentation des 
deux moûts par la même levure on a trauvé les résultats 
suivants : 


NATURE DURÉE PERTES DU MOUT POIDS 


dela RE PC DE EURE 


Ur A UE FERMENTATION|  AZ0te organique. Azote ammon. obtenue. 


Naturel. 6 jours. 0sr,4095 Osr,0875 4sr,975 


Privé d’ammoniaque| 9 jours. 0 1370 » 195 


L’ammoniaque du moût de raisin a donc une influence mani- 
feste sur la marche de la fermentation vineuse, et ces chiffres 
montrent bien l'importance du rôle qu’elle y joue; ce rôle 
explique l'influence presque toujours positive des sels ammonia- 
caux ajoutés à la vendange pour activer la fermentation. Inver- 
sement, si, dans certains cas, la fermentation est languissante, 
c’est peut-être parce que le moût est trop pauvre en ammoniaque. 

Le rapport des quantités d'azote ammoniacal et organique 


D28 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


empruntées à un moût par une levure peut être considérable- 
ment modifié quand on vient à changer les conditions de la 
fermentation dans le sens d’une aération plus grande du liquide. 

Ainsi on a fait fermenter à 28° le même volume de moût de 
raisin avec la même levure : 1° dans un matras Pasteur aux 
3/4 plein; 2° dans un matras ordinaire pas même à moitié plein, 
et fermé par un tampon de coton; on a trouvé les résultats 
suivants, au bout du même temps de contact du liquide et de la 
levure : 


PERTES DU MOUT RAPPORT POIDS 


ET © 
KT a DE LEVURE 


CONDITIONS 


de la fermentation Azote organique. azote ammoniacal. Fa obtenue. 
a b 


Matras Pasteur... 0gr,0070 gr,1034 ll 8r,866 


Matras ordinaire... 0 41196 104 15 3 000 


Ces résultats étaient à prévoir, puisqu'on sait qu’une aération, 
même très restreinte, favorise considérablement le développe- 
ment de la levure; ce développement intense n’a pu se faire 
naturellement qu’en enlevant au moût une plus grande quantité 
de matières azotées. 

En somme, de la série d'expériences qui précède, on peut 
conclure que : 1° La quantité d’ammoniaque qui reste dans le 
vin peut varier avec la température de la fermentation, la nature 
du moût et les variétés de levure qui déterminent cette fermen- 
tation ; 

2° Les variations de l’azote total du vin dépendent de 
toutes les circonstances qui ont agi sur la nutrition de la levure 
pendant la fermentation, ainsi que de la durée de la macération 
de cette levure dans le vin. 


IV 


Nous allons maintenant chercher ce que devient l’azote du 
milieu fermentescible lorsque la levure est accompagnée des 
ferments d’altération du vin qui se développent dans ce même 
milieu. 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 529 


Il y aurait des conditions différentes à considérer comme 
dans le paragraphe précédent, mais je me placerai seulement 
dans celles qui sont plus favorables pour les microbes que pour 
les levures, c’est-à-dire lorsque le moût est pauvre en acidité et 
que la température de la fermentation est élevée. 

Dans une-série de matras Pasteur contenant du moût de 
raisin stérilisé, on a ensemencé d’abord de la levure de Médoc 
pure, et lorsque la fermentation a été déclarée à 28°, on a élevé 
graduellement la température de l’étuve jusqu'à 36° dans l'inter- 
valle de 24 heures. L'un des matras restant comme témoin, les 
autres ont reçu une semence assez copieuse des ferments que 
j'ai étudiés dans une note récente à l'Académie des Sciences". 

Le ferment À provenait d'un vin de la Gironde de 1896, sain 
au goût. 

Le ferment B avait élé extrait d’un vin de la Gironde de 
1884, caractérisé comme tourné. 

Le ferment C provenait d'un vin amer de la Gironde. 

Le ferment D avait eu pour origine un vin de l'Hérault de 
1897, sain au goût. 

Le ferment E était le ferment mannitique de MM. Gayon et 
Dubourg *. 

À Ja fin de la fermentation, qui pouvait être considérée 
comme complète, car, dans tous les cas, la quantité de sucre res- 
tant ne dépassait guère 0,5 0/0, l'analyse des vins obtenus a 
donné les résultats suivants : 


DIVERSES levure. TOTAL ORGANIQUE | AMMONIACAL témoin. SOS FP2 
Témoin 187,775 Or,525 Osr,512 Osr,0125 » 0er,39 
A 1 440 0 546 0 506 0 0402 0:,0336 MU 
B 1.319 0 586 0 500 0 0585 0 0558 3 35 
C 1 242 OMS 0 445 0 0763 O0 0874 4 78 
D 0 920 0 561 0 468 0 0536 0  1N84 OU 718 
E 1 100 0 516 0 429 0 O870 0 090% DE LD 


4. Comptes rendus. Sur les ferments des maladies des vins, t. CXX VI, p.1223. 
2. Annales de l'Instilut Pasteur, 189%, t. VII, p. 4108. 


34 


230 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


On voit que, dans les fermentations avec microbes, les poids 
de levure sont toujours inférieurs à celui du témoin ; encore 
ces poids sont-ils, en général, un peu trop élevés, car il est. 
difficile d'éliminer complètement les microbes par Pagitation, 
puis le repos et la décantation du liquide les tenant en suspen- 
sion et surnageant le dépôt de levure. | 

lei, les poids de levure ne sont pas toujours en relation avec 
les quantités d'azote total restant dans le vin: par exemple, les 
fermentations C et E, qui en ont laissé moins que la fermentation 
témoin, ont donné des poids de levure très inférieurs. Cela s’ex- 
plique par un développement considérable des microbes, qui ont 
utilisé une portion importante de l’azote organique pour consti- 
tuer leurs tissus. 

Au premier abord, il semble qu'on aurait le droit de conclure 
que les excès d’ammoniaque sur le témoin sont une production 
microbienne, mais 1l faut songer que le développement de la 
levure ayant été entravé par celui des microbes, l'assimilation 
de lammoniaque a dû l’être aussi fatalement ; cependant, dans 
aucun cas. elle ne paraît avoir été nulle". De sorte que, pour 
ètre sûr de la production d’ammoniaque par ces microbes, il 
faut pouvoir les cultiver hors de la présence de la levure, et dans 
un milieu présentant des conditions physiques et chimiques ana- 
logues à celles d’un moût en fermentation. C’est ce qui a été fait 
dans lexpérience suivante qui comporte cinq milieux diffé- 
rents : 

1° Eau de levure de vin alcoolisée, obtenue en portant à 
l’'ébulliuon de la grosse lie de vin du premier soutirage, coupée 
d’un égal volume d’eau et additionnée de moût de raisin ; sucre, 
40 grammes par litre; 

20 Moût de raisin dilué avec de l’eau de levure de bière ; 
sucre, 50 grammes par litre; 

30 Vin blanc incomplètement fermenté ; sucre, 43 grammes 
par litre ; 


1. MM. Müntz et Rousseaux, au contraire, ont obtenu toujours une augmenta- 
tion d’ammoniaque en cultivant des levures de vin pures ou des lies de vin 
mélangées de microbes, dans des bouillons riches en matières azotées formées 
d’une solution de gélatine, de peptone et de phosphate de potasse. Cette diffé- 
rence dans les résultats s'explique simplement par les différences qu'il y avait 
dans la nature des organismes et dans la composition des milieux dans lesquels 
ils ont vécu. 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 331 


40 Vin incomplètement fermenté fait avec du moût de raisins 
rouges peu coloré; sucre, #3 grammes par litre; 

5° Mélange de vins blancs divers un peu sucrés et de vin 
rouge peu coloré; sucre, 9 grammes par litre. 

Tous ces liquides contenaient une certaine quantité d’ammo- 
niaque, variant de 10 à 60 milligr. par litre, qui était parfaite- 
ment déterminée pour chacun d'eux; leur acidité avait été 
ramenée à des chiffres compris entre 2 et3 grammes par litre en 
acide sulfurique. Ils étaient contenus dans des matras Pasteur 
portant un tube de dégagement soudé au tube du bouchon muni 
du tampon de coton, et étaient ensemencés de la manière sui- 
vante : 

Après avoir fait bouillir pour stériliser et chasser l'air du 
milieu, le tube de dégagement étant en relation avec une source 
d'acide carbonique, on alaissé refroidir ; puisle liquide a été saturé 
d'acide carbonique par l'agitation, et la semence introduite en 
soulevant le bouchon, qui était toujours en relation avec la 
source gazeuse. Le tube de dégagement était ensuite plongé 
sous le mercure, et, pour éviter la diffusion du gaz, enfermé dans 
le matras, par le bouchon rodé, celui-ci était graissé préalable- 
ment avec un peu de suif”. 

Le développement des microbes se faisait donc dans un 
milieu privé d’air et saturé d’acide carbonique, conditions 
analogues à celles qu’ils trouvent pendant la fermentation 
vineuse. 

Il a donné lieu à un dégagement régulier d'acide carbonique 
pur pendant plusieurs semaines et aux réactions que j'ai indi- 
quées ailleurs. Au bout de ce temps, l'analyse des liquides à 
donné les chiffres du tableau suivant, qui indique pour chaque 
liquide et pour chaque microbe : 1° la différence positive ou 
négative entre la proportion iniliale et la proportion finale 
d’ammoniaque ; 2 la proportion d'acides volatils produits, per- 
mettant d'apprécier dans une certaine mesure lintensité du 
développement des microbes. 


4. J'ai employé aussi des appareils analogues aux tubes Pasteur pour les 
cultures à l’abri de l'air, mais j’ai donné la préférence au dispositif indiqué ci- 
dessus. 


232 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


 ELELELELELELELELELELELZELELELELES 


DÉSIGNATION | LIQUIDE no 1 | LIQUIDE no 2 | LIQUIDE no 3 | LIQUIDE ne 4 | LIQUIDE no 5 


aes D | EL | me 


MICROBES | Ammon,.|Ac. v.|Ammon.|Ac. v.| Ammon. |Ac. v.|Ammon.|Ac. v.|Ammon.|Ac, v. 
gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. 

A — 0,0030| 3,09 |+-0,0198| 3,09 |+0,0035| 2,15 |+-0,0043| 2,20 |+0.0020| 0.21 

B —0,0014| 3,18 |0,0067| 3,21 |—0,0933| 1,93 0,0000! 3,35 |+0.0020! 0,28 

C +-0.0032| 5,83 |<0,0047| 4,36 |0,0483| 3,45 |[—0,0070| 3,63 |+0.0039| 1,90 


D +-0.,0304| 2,83 |+0,0136| 1,78 0,0000! 2,10 | 0,0062| 2,10 |+0,0116| 0.60 


E 4-0,0180| 2,88 |+0,0029! 3,15 |+0,0545! 2,70 |—0.0050| 3,17 |+0,0108| 0,42 
| 


On voit que la production d’ammoniaque ‘ est loin d'être en 
relation avec l'intensité du développement des microbes; elle 
varie à la fois avec la nature des organismes et avec la compo- 
silion du milieu où ils vivent. À part deux ou trois cas où cetle 
produelion d’ammoniaque a varié de 30 à 50 milligrammes par 
litre, les autres différences positives sont généralement assez 
faibles, mais les différences négatives le sont encore plus. 
Cependant, dans d'autres conditions, certains de ces organismes 
peuvent faire disparaître l’ammoniaque du milieu en beaucoup 
plus grande quantité. Ainsi, en cultivant le microbe A dans du 
moût de raisins rouges exposé à l'air, où son existence a été 
surtout aérobie, on a constaté qu'après avoir consommé 
50 grammes de sucre par litre, il avait absorbé presque la 
totalité de lammoniaque que contenait le moût, soit une diffé- 
rence de O8".111 — 05,007 — 05,104. 

Par contre, ce même microbe, ayant vécu dans du moût de 
raisin saturé de gaz carbonique, a produit 0#",118 d’ammoniaque 
après avoir fait disparaître une quantité de sucre voisine de la 
précédente. 

Dans ces mêmes conditions, le microbe C qui a donné la 
différence négative la plus grande dans l’expérience précédente, 
a fait auzmenter la proportion d’ammoniaque du moût de 
0£,054 par litre. 

Les propriétés de ces microbes peuvent done varier beaucoup 
avec les conditions du milieu, et, par suite, l'effet de leur déve- 

1. Les chiffres que l’on trouve dans le dosage de l’ammoniaque par la méthode 
indiquée, expriment en Az H3 toutes les bases volatiles chassées du liquide con- 


sidéré, parmi lesquelles il peut y avoir des ammoniaques composées, qui sont des 
productions microbiennes assez fréquentes. 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 933 


loppement pourra être différent suivant le moment où il se 
fera abondamment au cours de la vinification. 

Ainsi s'expliquent, par exemple, les variations, dans un sens 
ou dans l'autre, des quantités d’ammoniaque trouvées par 
MM. Muntz et Rousseaux dans les vins pris au commencement 
el à la fin du premier ou du second pressurage, par rapport à la 
quantité qui existait dans les vins de coule. 

En somme, on peut conclure que les microbes qui se déve- 
loppent pendant une fermentation vineuse peuvent en général 
avoir une influence double sur l’augmentation de la proportion 
d'ammoniaque que renfermera le vin : 

1° En gènant la multiplication de la levure, et par consé- 
quent l'assimilation de lammoniaque contenue primilivement 
dans le moût ; 

2° En produisant eux-mêmes des quantités plus ou moins 
grandes d’ammoniaque. 

Ces deux influences peuvent naturellement s'ajouter, et je 
pourrais citer des résultats d'expériences où la quantité d’ammo- 
niaque qui existait dans le liquide fermenté était supérieure à 
la quantité initiale du moût, mais ce sont là des cas que l’on peut 
considérer comme tout à fait anormaux, car ils nécessitent un 
développement très important des microbes, et par suite une 
altération du vin qui atteint rarement un degré aussi grand dans 
la pratique. 

Si on remarque même les chiffres d'acidité volatile inscrits 
dans les deux derniers tableaux, on voit que les vins qui les 
contiendraient seraient pour la plupart complètement perdus 
pour la consommation et bons seulement pour être dis- 
ullés. 

On voit en outre, en comparant les quantités d’ammoniaque 
produites dans les vins du dernier tableau et celles qui existent 
dans ceux du précédent, qu'il y a le plus souvent un écart 
considérable, qui prouve que l'influence prépondérante des 
microbes sur la proportion d’ammoniaque restante est la gène 
qu'ils apportent au développement de la levure. 

Il est évident que ces remarques ne s'appliquent qu'aux 
microbes que j'ai étudiés, et, comme il y a déjà entre eux des 
différences notables au point de vue de la production d’ammo- 
niaque, on peut admettre qu'il en existe d’autres qui, dans les 


934 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


mêmes conditions, en produiraient davantage ou bien qui en 
donneraient autant sans déterminer des altérations du vin aussi 
importantes. D 


V 


Les résultats des recherches qui précèdent permettront, je 
crois, d'expliquer la présence des doses variables d’ammoniaque 
que l'on trouve dans les vins normaux et dans les vins défec- 
tueux. 

Vins normaux. — Je considérerai d’abord des vins parfaite- 
ment sains au goût et bien constitués, provenant principalement 
du département de la Gironde, les uns très jeunes, sortant 
presque de la cuve, les autres plus âgés et conservés par les 
pratiques ordinaires usitées dans notre région. 

Comme les vins en général, même ceux qui sont parfaite- 
ment réussis, ont subi un peu l'influence du développement des 
ferments de maladie, soit dans la cuve, soit pendant leur conser- 
valion, pour apprécier cette influence, j'ai dosé, en même temps 
que l’ammoniaque, leur acidité volatile, et j'ai trouvé les chiffres 
suivants : 


ACIDITÉ 1 

ORIGINE DES VINS VOLATILE A OMOAIOQRE 
par litre. par litre. 
IMDOrEPUTONEEEERe Er 1897 Os,66 Osr,0231 
es PAMONTAVE IEEE EEE — 0 70 0 062 
= LED, EU 0000 — 0 48 0 0077 
e | AMD ALES LM RER — 0 37 0 0036 
es ESSINES EE REENET PEN 1896 | O0 62 0 0136 
SMRONGES RS in EloubeS pen — 0 66 0 030$ 
= Villenave d'Ornon.... — 0 70 0 O1S5 
se Hibourne er ere 1895 0 88 0 0154 
A Bla ver A at — 0 56 0 0255 
A Saint-Emilion. ........ 1893 (DATE: 0 0267 
= \ NE ARR — 0 85 O0 0277 
ICS CGRÉON EEE EP RES — 0 50 0 0068 
BLANCS Leocnanpe nent — 0 45 0 0085 
DORDOGNE... | BeNCErAC AA EPA CU 1897 |" 0.50 0 0036 
AUDE PEAR Saint Coude ere bb] 0 0281 


On voit que parmi ces vins, pris tout à fait au hasard, il n'y 
en a qu'un très petit nombre qui ne contient que des traces 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 3) 


d'ammoniaque ‘; la majorité, au contraire, en a des quantités 
très appréciables qu'il serait difficile d'imputer à l'action seule 
des ferments d’altération, mais qui s'expliquent surtout par les 
autres raisons qui ont été indiquées. 

C'est encore quelques-unes de ces raisons qui permettent 
d'accorder au mode de vinification quelque influence sur Îles 
différences constatées. Ainsi, les vins de 1897, de Léognan, 
d'Ambarès et de Bergerac, que je sais sûrement avoir été faits 
dans des cuves ouvertes, contiennent les quantités les plus 
faibles d'ammoniaque et pareilles à celles que l’on trouve dans 
les vins blancs fermentés en barriques. Dans ces deux derniers 
modes de vinification, les conditions de la fermentalion étant 
plus favorables que dans les cuves fermées à la vie de la levure, 
celle-ci a mieux utilisé les matières azotées que lui offrait le moût. 

Vins défectueux. — Les vins défectueux peuvent se diviser 
en deux groupes, le premier comprenant les vins anormaux par 
suite d'accidents survenus soit à la récolte, soit à la fermenta- 
tion, le deuxième étant constitué par les vins altérés pendant 
leur conservation. 

1° Vins accidentellement anormaux. — W s’agit de vins dou- 
ceâtres, mannitéset cassés, pour lesquels MM. Müntzet Rousseaux 
ont trouvé que la quantité d’ammoniaque qu'ils renferment est 
supérieure à celle que contiennent des vins analogues, de cons- 
titution normale. Cette relation entre l’état défectueux et la 
proportion d’ammoniaque peut s'expliquer fort bien par les 
recherches ci-dessus. 

En effet, les vins douceûtres étant le résultat d’un arrêt de la 
fermentation sous l'influence d’une température trop élevée 
existant dans la cuve, si la levure est d’abord gènée dans son 
développement, puis paralysée complètement, l'assimilation de 
l’'ammoniaque du moût ne peut, par suite, être complète, et une 
quantité plus ou moins grande de cette base doit se retrouver 
forcément dans le vin doux. 

Cette explication suppose, bien entendu, que les ferments 
d’altérations n'ont pas pris la place de la levure, ce qui est assez 
rare, mais généralement c’est le contraire qui arrive et l’on 
obtient alors des vins mannités. 


1. M. Manceau a trouvé des résultats analogues pour des vins de Champagne 
de bonne conservation. 


536 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Je rappellerai ici que tous les microbes que j'ai étudiés plus 
haut sont des ferments manniliques ; aussi les vins qui ont 
donné les résultats du tableau de la page 529, étaient tous for- 
tement mannités. Par conséquent, les conclusions qui ont été 
tirées de ces expériences s'appliquent d’une manière générale à 
tous les vins mannités qui se produisent dans la pratique. 

Quant aux vins cassables, la relation indiquée par MM. Muntz 
et Rousseaux entre leur état maladif et la quantité d'ammoniaque 
qu'ils contiennent ne parait pas pouvoir s'expliquer par les 
résultats des expériences que j'ai faites, s’il s’agit de vins con- 
tenant simplement de l’oxydase et non envahis par des microbes. 
Mais comme les vins sujets à la casse ont, depuis leur naissance 
même, une constitution débile, due à l’influence de la pourriture 
grise (Botrylis cinerea) du raisin, ils constituent un milieu très 
favorable au développement de ces microbes, lequel dans ce 
cas peul êlre une source d'ammoniaque. 

J'ai dosé l’ammoniaque dans un certain nombre de vins 
rouges cassables et de vins blancs de Sauternes, toujours 
cassables comme on sait, puisqu'ils sont faits avec des raisins 
atteints de pourriture noble, produite également par le Botrytis 
cinerea. Les échantillons de ces derniers, pris après le premier 
soulirage, avaient été choisis parmi ceux qui ne contenaient 
plus que de très petiles quautilés de sucre, leur fermentation 
pouvant êlre considérée comme terminée. Le tableau suivant 
donne l'acidité volatile et l’'ammoniaque trouvée dans ces vins: 


ÉCHANTILLONS ACIDITÉ VOLATILE | AMMONIAQUE 
DIVERS par litre. par litre. 
€ (ANS Osr,65 O2r,0223 
VINS ROUGES ‘ No 2. 0 65 0 O145 
2 l N° 3. 0 50 0 0289 
No 1. 0 42 0 0289 
VINS BLANCS ! Ne 2. 0 83 O0 0289 
l No 35. 0 89 0 0326 
0 217 
MOYENNE » 0 0231 


On voit que la moyenne des quantités d'ammoniaque dosées 
dans ces vins ne s'écarte pas de celle que l’on a trouvée dans les 


ÉTUDE DE L’AZOTE DANS LE VIN 37 


vins normaux; elle est d’ailleurs identique à celle qu'ont trouvée 
MM. Müntz et Rousseaux, dans les vins les plus cassables qu'ils 
ont examinés. 

L'acidité volatile des vins rouges indique qu'ils avaient peu 
souflert de l’action des microbes, tandis que les vins blancs 
paraissaient plus atteints ; mais une acidité volatiie élevée n'est 
pas ordinairement anormale pour les vins de Sauternes, car elle 
provient en partie de celle que contient le moût lui-même avant 
la fermentation, et qui est fournie par les grains de raisins aigris 
existant toujours en pelite proportion. 

Les quantités d’ammoniaque contenues dans les vins de 
Sauternes que j'ai analysés, paraissent cependant assez élevées 
par rapport à celles qui existent dans les vins blancs ordinaires. 
Je n'examinerai pas de plus près celte remarque, car elle rentre 
dans un cas particulier. La fermentation des moûts de Sauter- 
nes ne peut pas, en effet, être assimilée complètement à la fer- 
mentalion d'in moût ordinaire, puisque le milieu se trouve 
notablement modifié par l’action du Botrytis cinerea sur le jus 
des raisins. Ce que l’on peut dire cependant, c’est que ce cham- 
pignon ne peut augmenter la richesse ammoniacale des moûts, 
car l'expérience prouve, au contraire, qu'il absorbe très facilement 
l’ammoniaque de tous les milieux de cullure ; il n'y a pas d’ex- 
ceplion pour le moût du raisin, comme l'ont montré au com- 
mencement de ce travail les dosages faits sur les moût moisis et 
non mOoISsIs. 

20 Vins altérés pendant leur conservation. — Parmi les vins de 
cette catégorie, j'étudicrai les vins fleuris, piqués, tournés el 
amers". 

Vans fleuris et piqués. — Le mycoderma vini et le mycoderma 
aceli ullisent avidement, en se développant sur le vin, lammo- 
niaque qu'it peut contenir nalurellement ou celle qu’on peut y 
ajouter. Ainsi, on a ensemencé ces deux organismes séparément 
sur un vin contenant primitivement 0,025 d'ammoniaque par 
litre, et sur le même vin dont la richesse ammoniacale avait été 
portée à 0#,0708 par litre. Au bout de ciuqg jours, dans tous les 


1. La production d’ammoniaque pendant la maladie de la graisse vient d’être 
démontrée par M, Manceau, qui a constaté dans un vin gras une augmentation 
de 60 milligrammes d’ammoniaque par litre au bout de six mois. (Voir son rapport 
sur les dosages de l'acidité volatile et de l’ammoniaque dans les vins de Champagne, 
Bulletin de la Société des Viticulteurs de France et d'ampélographie, n° 7, 1898.) 


538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cas, 1l ne restait plus que quelques milligrammes d’ammoniaque 
dans le vin: le reste avait été Pue dans la formation de 
voiles mycodermiques abondants. 

Dans une autre expérience, on a suivi la disparition pro- 
gressive de l’ammoniaque en même temps que les progrès de 
l’altération du vin, et on a obtenu les chiffres ci-après : 


e 


MISONRERS VINI 


= 


Acidité totale. ce mt oo. Alcool. 


MYCODERMA ACETI 


TT —— 


OBSERVATIONS 


| Az Acidité totale. AzU3 


Vin primitif.|  5er,30 Oer, 1028 Ber,30 Osr,1028 


0398 28 40 


Après 3 jours 2 9 6 () 


Après 6 jours 0 0034 48 90 


La consommation de l’ammoniaque a donc été très rapide, 
surtout avec le mycoderma vini. 

Vins tournés et amers. — J'ai réuni daus le tableau suivant 
les résultats des dosages d'acidité volatile, d'azote total et 
d’ammoniaque, relatifs à quelques vins lournés et amers, géné- 
ralement assez vieux, en bouteille. 


VINS TOURNÉS ACIDITE AZOTE AMMONIAQUE 
VOLATILE TOTAL 
ET AMERS par litre. par litret. RS Le 
1884 9er,03 Osr,426 0:r,0540 
1886 #4 Gin 0 510 0 0561 
VINS TOURNÉS.... 1893 4 3% OM 0 0782 
1894 { 60 0 546 0 0980 
1895 1 76 0 574 0 1054 
MONENNES ne 2 2009 0 497 0 0783 
1 1872 DETS 0 140 0 0093 
| 1881 1 66 0 259 0 0217 
VINS AMERS...... (1882 D AauliT (Our 0 0120 
| 1893 Ori 0 284 0 . 0224 
1893 (035 0 245 0 0108 
MOVENNES MERS. 1 70 0 221 0 0152 


1. Les chiffres de cette colonne sont de même ordre que ceux publiés par 
M. Müntz, pour les vins de la Gironde, dans son ouvrage intitulé: Les vignes, 
recherches expérimentales sur leur culture et leur exploitation. l’aris, 1895. Voir 


aussi : 


Étude sur la fermentation alcoolique du vin, par ManriNan». Paris, 1893. 


ÉTUDE DE L'AZOTE DANS LE VIN 939 


On voit que la proportion d’ammoniaque ne dépend pas de 
l'importance de l’altération, puisque, pour les vins amers notam- 
ment, ce sont les moins altérés qui en renferment le plus. 

Je suis même porté à croire que, dans ce dernier cas, non 
seulement les quantités trouvées n’ont pas été produites par les 
microbes, mais que, pour quelques vins, elles sont plus faibles 
que les quantités contenues au début après la fermentation. 

Avec les vins tournés, la production d’ammoniaque au cours 
de l’altération est évidente ; je puis même citer un exemple très 
démonstralif, se rapportant à un vin de 1893, mis en 1894 dans 
deux bouteilles, dont l’une, qui avait été chauffée à 60° et servait 
de témoin, s’élait parfailement conservée, tandis que l’autre 
était complètement tournée. L'analyse des deux échantillons a 
donné les résultats suivants : 


Acidité volatile Ammoniaque 
par litre. par litre. 
Échantillon témoin............. Ogr, 60 Ogr, 0278 
EÉchantillon tourné..…......... re SUIS 0, 0451 


[y a donc eu 21,58 d’acidité volatile el 0#,0173 d’ammoniaque 
produits, soit 0,15 d'acidité volatile par milligr. d'ammo- 
niaque, proportion qui est également la moyenne des produc- 
tions positives du tableau de la page 532. 

Si nous appliquons ce rapport aux vins de la page 534, le cal- 
cul montre que l’on ne peut attribuer aux microbes ayant vécu 
dans ces vins qu'une part très faible dans la proportion d'ammo- 
niaque qu'ils renferment. 

En comparant les moyennes du tableau ci-dessus, on voit que 
tous les chiffres sont plus élevés pour les vins tournés que pour 
les vins amers. Celle remarque avait déjà été faite depuis long- 
temps pour l'acidité volatile, mais pour l'azote Lotal c’est un 
fait nouveau qui serait intéressant s'il était généralisé. 

Il semble, en effet, qu'il pourrait y avoir une relation entre 
la quantité d'azote contenue dans le vin, et la nature de la ma- 
ladie qui l’atteint, tourre ou amertume. De sorte que si l’on 
abandonne un peu l’idée de spécificité des organismes détermi- 
nant ces maladies, l'influence de la composition du milieu sur 
la physiologie de ces êtres ressortlirait ici comme pour les expé- 
riences de la page 532. D'autre part, la maladie de l’amertume 


940 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


élant beaucoup plus rare parmi les vins de la Gironde que celle 
de la tourne, on comprend facilement l'intérêt qui s'attache 
à une pareille étude, dont les résullats pourraient très bien être 
applicables à la viticullure et à la vinification de notre 
région, 


VI 


En résumé, ce travail montre que l’utilisation partielle des 
malériaux azotés du moût de raisin par les levures de la fermen- 
lalion vinique est sujelle à des variations qui dépendent 
d'abord de la nature de ces levures et des conditions physiques 
et chimiques de la fermentation agissant sur leur nutrition, et 
eusuite de l'influence qu'exercent, sur le milieu fermenutescible 
et sur la levure, les fermeuts de maladie se développant en 
mème temps qu'elle. 

D'une manière générale, l’ammoniaque contenue naturelle- 
ment dans le moût de raisin est ulilisée avec avidité par les 
levures, comme l'avait déjà montré M. Duclaux, mais 1l peut en 
rester dans le vin des quantités plus ou moins grandes, en rela- 
lion avec la richesse ammoniacale et la nature du moût, et avec 
les facteurs indiqués ci dessus, parmi lesquels les microbes 
peuvent jouer un rôle prépondérant. 

Les maladies qui altèrent le vin pendant sa conservation font 
varier dans un sens ou dans l’autre la proportion d’ammoniaque 
qu'il renferme à sa sorlie de la cuve. Dans les vins fleuris 
et piqués, cetle proportion diminue, tandis qu'elle augmente 
dans les vins lournés; elle ne paraîil pas varier beaucoup dans 
les vins amers. 

Le dosage de l’ammoniaque dans uu vin riche en acidité vo- 
latile et non amer permettra donc d’avoir une preuve très voi- 
sine de la certitude pour dire si celte acidité est due à la piqûre 
ou à la tourne, saus être obligé d'appliquer la méthode de 
M. Duclaux pour la détermination des acides volatils contenus 
dans le vin. 


INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO 


Statistique du traitement préventif de la rage (9 février 1888 au 30 avril 1898). 


Par Le Dr FERREIRA pos SanTos. 


Les premières inoculations antirabiques à l'Institut de Rio-de- 
Janeiro (Brésil) datent du 9 février de l’année 1888. 

Pendant la période écoulée jusqu'au 30 avril de l'année cou- 
rante, le nombre des personnes qui se sont présentées à l'Ins- 
titut a été de 3,973, dont 2.647 ont été admises en traitement et 
1,326 ne furent pas inoculées, parce que, pour presque toutes, 
les animaux mordeurs n'étaient pas enragés. 

Le tableau suivant montre, pour chaque année, le nombre 
des personnes qui ont eu recours à l’Institut : 


Personnes Personnes 
Années. traitées. non traitées. 
1888 105 121 
1889 90 100 
1890 158 92 
1891 242 114 
1892 207 113 
1893 241 119 
1894 344 137 
1895 402 41 29 
1896 331 158 
1897 397 169 
1898 124 74 
Total 2,647 1,326 


Comme on le voit, parmi les 3,973 personnes venues à l'Ins- 
titut, le traitement préventif n'a pas été appliqué à 1,326, pour 
les motifs suivants : 

1,176 avaient été mordues par des animaux en état de 
santé ; 

51 n'avaient pas reçu de morsures, mais seulement des con- 


042 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tusions par les dents des animaux, sans aucune solution de con- 
tinuité les exposant à l'infection ; 

9 avaient été mordues par des animaux qui furent atteints de 
la rage longtemps après la morsure ; 

4 ont été blessées par des animaux atteints de maladies autres 
que la rage, vériliées par l'examen vétérinaire ; 

2 ne se sont pas présentées à l’Institut ; 

3 ont été apportées à l’Institut en état de rage déclarée ; 

59 n'ont pas voulu suivre le traitement qui leur avait été 
proposé, car les animaux étaient suspects, et, dans ce nombre, 
une personne a succombé à la rage. 

Voie les détails concernant les 2,647 personnes auxquelles 
celte statistique se rapporte : 

1° Au point de vue du sere, 11 y a eu: 


1,987 personnes du sexe masculin, dont 1,107 adalles et 880 enfants. 
660 » ) féminin, dont 321 adultes et 339 enfants. 


2° Au point de vue de l'âge, 11 y à eu : 


DOSqQU'a POLANS, LEE ILE REA ENS PARR 279 
Den 6 TONNES LAN ER RTE RAR Re BI 
DEA A Tee ER En NE EP TA 465 
D'ERTE SAR ON ARR ARR OR ARE QU Ten 235 
Den AS 0 NU Re Te RER RARE TS NE t 2 403 
ASS (UN RE EEE NE PT Es 354 
DÉMO OS NE Mme re En ie TU rE Le 217 
De AA CODE EL AN Re RE ea ee A Eee 108 
DetCAN TON OR RE En RE RNA RP 55 
AUSdeSSUSIE MDI SERPENT 14 


3° Au point de vue de la nationalité, il y a eu: 


Brésiliens:#519979 SUISSES re 4 
Portugais... 431 Argentins .... 4 
Italiens or Suédois... 1 
Espagnols... )9 Polonais .,... 1 
Erancais #7 21 Arabes "tree il 
Africains...... 19 RUSSE il 
Allemands.... Al Rép. Orientale 1 
Belges 15.1: 3 Anblals Peer di) 


Autrichiens... 3 


L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEIRO) D43 


4° Au point de vue du siège, les morsures sont divisées en six 
groupes, à Savoir : 


Marsurestamanteter is Lu Mu mue 240 
— UNS aan tre ot 906 

— aux membres supérieurs........ 468 

— aux membres inférieurs........ 869 
AURA ONC RME RS A Te nt 129 

= en plusieurs endroits du corps.. 39 


9° Au point de vue de la cautérisation, 11 y a eu : 


Cautérisation efficace............. 96 cas. 
— Hon’elfficace .: "Se: TIRE 
Pas de cautérisalion: #2. 1,304 — 


6° Chez 1,900 personnes, les morsures ont été faites à décou- 
vert: chez 747 personnes, les vêtements ont été déchirés. 


7° Les animaux mordeurs ont été : 


CHIENS ER SR CR Nr 2,344 
DISC EME PR RARE PERS 280 
SD OS ARE AS SP PRES 4 
MES Re Eee a RS re 2 
Cheval RM ER il 
À AO SOS A EL PE ES 1 
NE NS EPS A ete ae l 


Enoutre-11y a eu: 

10 cas, dans lesquels le traitement préventif a été appli- 
qué à la suite de piqûres survenues dans le travail du labora- 
Loire ; 

3 cas, où des personnes, porlant aux mains des plaies acei- 
dentelles, ont été exposées à la contamination par la bave d’ani- 
maux enragés; 

1 cas, où une personne a été mordue par une autre qui était 
atteinte de la rage. 


8° Quant à l’état des animaux mordeurs, les cas traités à 
l'Institut sont répartis en trois catégories, à savoir : 


544 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


A 236 personnes ont été mordues par des animaux dont 
la rage a été vérifiée expérimentalement ; 

B 1,173 personnes ontété mordues par des animaux dont 
la rage a élé reconnue par les symptômes de la maladie ; ’ 

C 1,238 personnes ont été mordues par des animaux dont 
l'état était si suspect que, par rapport à la plupart, la rage pou- 
vait être affirmée. 


RÉSULTAT DU TRAITEMENT. 


Pour que les résultats de l'application du traitement préven- 
lif de la rage soient appréciés dans toute leur rigueur, il faut 
retrancher, du nombre total des personnes inoculées, les cas 
suivants : 

30 dans lesquels les inoculations ont été suspendues, parce 
qu'on apu trouver les animaux mordeurs et vérifier qu’ils n'étaient 
pas enragés ni suspects ; 

65 qui se rapportent à des personnes qui ont abandonné le 
traitement, et dans ce nombre, il y a eu trois cas de rage ; 

6 concernant des personnes qui furent prises de rage au cours 
des inoculations. Dans ce nombre, il y avait cinq personnes très 
gravement mordues à la tête, etune à la main, qui, n'étant venue 
se faire soigner qu'au 21° jour de l'incubation, n’a reçu que 
deux inoculations, car la rage a éclaté le 23° jour ; 

5 se rapportant à des personnes qui sont mortes de maladies 
diverses, dont la nature n’éveillait aucun soupçon par rapport à 
la rage. 

En retranchant ces 106 cas du total de 2,647 personnes, ce 
chiffre se trouve réduit à 2,541 personnes ayant subi la vacei- 
nation antirabique. Parmi ces personnes, il y a eu vingt décès 
par la rage, ce qui donne, pour la proportion totale de la morta- 
lité, 0,78 0/0. 

Si on retranche des 20 cas de mort qui viennent d’être signa- 
lés neuf cas dans lesquels la rage est survenue avant le 15° jour 
de la fin du traitement, c’est-à-dire avant que les vaccinations 
aient pu produire leur résultat efficace, la statistique définitive 
de l’Institut de Rio-de-Janeiro, pendant une période de plus de 
dix ans, est la suivante : 


©c 
Æ 
©t. 


L'INSTITUT PASTEUR DE RIO-DE-JANEÏIRO. 


Personnes traitées........ 2,532 
RDS ie te su nee euh 11 
Mortalité 0/00 1... 0,43 


La proportion des morts, considérée par rapport au siège des 
morsures, a été celle qui suit : 


Morsures td lartéte ete RER es 4, de 3 soit : 4,25 0/0 
—- AUX ANAINS Are oder eds » 4 0,44 0/0 
— aux membres supérieurs... 1 0,21 0/0 
— — — inférieurs. .... 2 0,23 0/0 
— AUTO RE EN Aa mea ee eee il 0,80 0/0 
— HUIHPIES Et eee à de 0 0, 0/0 


La méthode de vaccination antirabique à l'Institut de Rio-de- 
Janeiro est celle qui est établie par l'Institut Pasteur de Paris. Il 
n’y a que de légères modifications dans quelques détails, que je 
signalerai rapidement. 

Les inoculations ont lieu à 8 heures du matin; dans cer- 
tains cas, comme ceux de morsures à la tête ou de blessures un 
peu anciennes, une deuxième inoculation est appliquée à 5 heures 
du soir, pendant les deux ou trois premiers jours du traite- 
mené. 

Les moelles employées sont celles de 14à 3 jours; cependant, 
dans les cas plus dangereux, 1l faut arriver à celle de 2 jours, 
surtout en été, car la chaleur qui dessèche les moelles étant au- 
dessus de 23°, il convient de compenser l'effet de l'excès 
de température par l'inoculation d'une dernière moelle exposée 
moins longtemps à la dessiccation. 

Pour l’inoculation des lapins, je me sers toujours du virus de 
passage provenant des séries de lapins inoculés à Paris, le 2 juil- 
let 1887, avec le virus du 152 passage. Je suis arrivé au 
512° passage, et les lapins sont toujours pris le 6° jour ; les séries 
n° 153 à 512 n'ont pas été interrompues. 

Comme les lapins sont peu abondants à Rio-de-Janeiro, il 
m'a fallu restreindre le nombre des animaux inoculés. Dans le 
commencement, je trépanais deux lapins par jour ; je me suis, 
ensuite, arrêté à un seul lapin par jour, et, plus tard, le manque 
de lapins ayant augmenté, je me suis tenu à la pratique actuelle, 
laquelle consiste dans l’inoculation de quatre lapins par semaine. 

39 


546 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Chaque animal fournit deux morceaux de moelle, de 8 à 10 cen- 
timètres de longueur, dont un est immédiatement suspendu dans 
un flacon contenant du chlorure de calcium, et l’autre est déposé, 
à la glacière pour être suspendu le lendemain. 

Pour délayer les moelles, j’ai adopté, de préférence au bouil- 
lon de veau, une solution à 1 0/0 de chlorure de sodium pur 
dans de l’eau filtrée et stérilisée. Avec l’eau salée, les inocula- 
‘ions sont parfaitement supportées, même par les personnes 
es plus délicates, parce qu’elles ne sont pas douloureuses ou, 
s'il y a un peu de douleur, elle est très légère. 


D' FErREIRA pos Sanros. 


Rio-de-Janeiro, le 25 mai 1898. 


REVUES ET ANALYSES 


BES A LBUMINOLDES 


Il a été question, jusqu’à présent, des essais d'analyse des albumi- 
noïdes par les ferments; il reste à traiter des résultats obtenus par 
l'action sur ces substances des bases et des acides forts. L'étude détail- 
lée de l'hydrolyse des albuminoïdes par l’hydrate de baryte à haute 
tempéralure a été l’œuvre de Schützenberger, et nous devons à ce 
savant un ensemblede vuesingénieuses sur la constitution del’albumine. 

Les travaux de Schützenberger sont trop connus pour que j'en 
fasse ici l'exposé. Ils ont d’ailleurs été résumés dans les Annales par 
Duclaux en 1891. L'idée maîtresse qui s’en dégage, c’est que l’albu- 
mine résulte de la soudure d’un grand nombre d’acides amidés, sou- 
dure indirecte en ce que l'union se fait par l’interposition d’un certain 
nombre de molécules d’urée ou d’oxamide. Les résultats de Schützen- 
berger n’ont pas, que je sache, été modifiés par des travaux plus 
récents, faits suivant la même méthode. La plupart des savants qui, 
dans ces dernières années, ont fait l’attaque des albuminoïdes, Pont 
opérée par les acides forts, suivant en cela la voie tracée par Hlasi- 
wetz et Habermann. 

Parmi ces savants, il faut distinguer entre ceux qui se sont occupés 
de la recherche spéciale d’un chaînon de la grande molécule, qu'ils 
tâchaient de mettre en liberté et d'isoler des autres produits d’hydro- 
lyse, et ceux qui, comme Drechsel, ont essayé de faire le bilan complet 
des produits de destruction et sont arrivés par cette voie à découvrir, 
parmi ces produits de décomposition, des composés inconnus Jjus- 
qu’alors. Dans les recherches faites suivant la première direction, deux 
points principaux ont été étudiés surtout : la question du soufre des 
albuminoïdes et celle de leur chaînon sucré, On admet aujourd’hui 
que les albumines contiennent généralement du soufre dans leur molé- 
cule. Une exception à cette règle serait constituée, d’après Nencki, par 
certaines protéines extraites, soit de microbes de putréfaction, soit des 
spores charbonneuses. Il serait d'ailleurs à prouver dans ce cas que du 
soufre, très faiblement uni au complexe moléculaire, ne s’est pas déta- 
ché pendant la préparation de la protéine. 


548 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Depuis 1848 on admet, avec Fleitmann, à l'encontre de l’ancienne 
opinion de Mulder, qu’il y a lieu de distinguer dans la molécule de lal- 
bumine deux modes de combinaison du soufre. Une partie du soufre 
est attachée faiblement et se détache à l’état de sulfure par l’action 
des solutions de potasse et de soude à l'ébullition; l’autre, plus forte- 
ment combinée, ne se retrouve à l’état de sulfate qu'après incinéralion 
de l’albumine résiduelle avec le mélange de salpêtre et d’hydrate potas- 
sique. On appelle souvent à tort celte partie : soufre oxydé, en oppo- 
sition avec le soufre non oxydé; il est plus exact de parler, comme 
Krüger, de soufre facile et de soufre difficile à détacher. Ces résultats 
de Fleitmann, confirméset étendus aux principales albumines par Nasse, 
Danilewski, Krüger, Suter, Malerba, affirment donc un premier fait 
important : c’est qu’il y a au moins deux atomes de S dans la molécule de 
l’albumine, combinés différemment aux atomes voisins. Cette règle 
n'est d’ailleurs pas constante, car différentsalbuminoïdes ne donnent pas 
de sulfure de plomb, quand on les soumet à l’aclion d’une lessive de 
potasse additionnée d’acétate plombique. Malerba ‘ cite parmi ces der- 
niers la caséine, la myosine, la gélatine, la chondrine, la nucléine, la 
globuline du sang. Krüger * adinet aussi que la légumine et probable- 
ment la caséine sont dans ce cas. Ces différents auteurs ont tâché de 
déterminer les quantités de soufre contenues dans les albuminoïdes, 
suivant l’une et l’autre forme. Mais leurs résultats, obtenus d’ailleurs 
d’après des méthodes différentes, sont discordants. Ilest certain, comme 
le fait remarquer Schülz *, que, suivant la méthode employée, on peut 
avoir des résullats totalement dissemblables; cet auteur met surtout 
en garde contre l’oxydation possible au contact de l'air des sulfures 
alcalins formés. Cette oxydation, qui produit des sulfites et des sulfates 
aux dépens des sulfures, a pour résultat la non précipitation de sul- 
fure de plomb, due à la solubilité des oxysels de plomb dans la potasse. 
Elle ne semble cependant pas devoir entraîner de grandes différences 
dans les résultats, si à la fin de l'opération la solution est acidifiée par 
l’acide acétique, ce qui aura pour résultat la précipitation du sulfate 
de plomb produit, et si le sulfure de plomb est pesé après transfor- 
mation en sulfate, comme dans la méthode de Fleitmann. Si, au con- 
traire, comme semble l'avoir fait Malerba ‘, la séparation du sulfure de 
plomb et du liquide alcalin surnageant s’opère sans acidification 
préalable, il se pourrait, dans le cas d'attaque difficile et prolongée au 
contact de l’air, que le soufre, s’oxydant au fur et à mesure de sa mise 
en liberté, reslât complètement en solution sous forme de sulfate de 
plomb, et échappât par conséquent à l'analyse. Faut-il attribuer à cette 


1. Cité d’après Scnuzz et d’après Maly's Jahresbericht, f. Thierchemie, 1884. 
2. Pflüger’s Archiv., t. 43. 
3. Zeitschrift f. Physiol. Chemie, Bd XXIV. 


REVUES ET ANALYSES. D49 


raison le fait que Malerba ne trouve pas de soufre labile dans la glo- 
buline du sérum, alors que Schülz, agissant en milieu réducteur, 
trouve que la moitié du soufre de cette albumine appartient à la forme 
labile? Ou bien l’action réductrice du milieu ne peut-elle pas avoir 
influencé la liaison d’un des atomes de soufre de la protéine et facilité 
sa mise en liberté? C’est ce qu’il semble difficile de décider tant que 
des recherches qualitatives n'auront pas établi sous quelle forme le 
soufre se trouve lié dans les albumines. 

Des efforts intéressants faits dans cette direction ont fixé certains 
résultats. Ainsi, Krüger, ayant, dans ses recherches préliminaires, 
soumis à l’action de la potasse additionnée d’acétate plombique diffé- 
rents composés organiques sulfurés bien définis, conclut de ses 
recherches que : 

1° Les combinaisons du type 

| 
— ’ SH 
ne cèdent généralement pas leur soufre; si, cependant le C porte en 
même temps un oxygène 
O—C—SH 
(thioacides) ou un groupe amidé 


| 

Az? — C—SH 
| 
Î 


(cystéine), le soufre devient labile; 

20 Le soufre est cédé aux alcalis par les molécules du type 

St; 
30 Les molécules du type 
=V—=ot= 

sont décomposées en partie, mais sans formation de sulfure; 

19 Les molécules du type 

=C—S—S—C—= 

contiennent du $ labile, à moins que le C ne soit uni à O. 

Il résulte avant tout de ces recherches que le plus ou moins de sta- 
bilité de l’atome de S ne dépend pas fatalement de ce qu'il est ou non 
combiné à de l’oxygène, comme on le croyait précédemment. Il n’en 
est pas moins vrai que l’oxydation de la molécule d’albumine par le 
permanganate de potassium ‘ ou par l'iode * a pour premier résultat 
de rendre stabile tout le soufre de l’albuminoïde, 

4. Mary, Sitsungsberichte der Kaïiserlichen Akademie der Wissenschaften. 


Wien, 1885 et 1888. 
2. Hormeister, Zeitschrift f. Physiol, Chemie, Bd. XXIV. 


990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le soufre résultant de la désintégration des albuminoïdes consti- 
tuant les tissus des animaux est éliminé dans la biie sous forme de 
taurine de formule H,Az — CH, — CH, — SO,H. Dans les urines, on le 
trouve représenté surtout par les acides sulfo-conjugués de Baumann, 
combinaison de radicaux aromatiques à l’acide sulfurique, et, partiel- 
lement par la cystine, le sulfocyanate de potassium et des corps 
inconnus. Parmi ces composés, un des plus intéressants est la 
cystine, qui résulte de la combinaison par oxydation, avec élimina- 
tion de deux atomes d'hydrogène, de deux molécules de cystéine. 
Cette dernière a pour formule H*C— C(SH)(AzH*)-— CO'H. Elle 
est de l'acide thiolactique amidé. Cette cystéine, ou plutôt la cys- 
tine qui en dérive en milieu alcalin, apparaît quelquefois en grande 
quantité dans les urines dans certains états pathologiques. On peut 
provoquer son élimination par l'urine du chien normal quand, à 
l'exemple. de Baumann et Preusse', on mélange à sa nourriture les 
dérivés monochlorés ou monobromés du benzol. Dans ces conditions 
apparaît dans l'urine une substance particulière, l'acide mercaptu- 
rique, contenant dans sa molécule une moléeule de cystéine dont l’hy- 
drogène du groupe — SH est remplacé par le groupe — CfBrH*. 
Baumann croit pouvoir conclure de ce fait que la cystéine est un 
produit intermédiaire de la désintégration des albuminoïdes, qui, 
dans les conditions normales, est oxydée elle-même et n'apparaît pas 
dans les urines. Le rôle du monobromobenzol est de s’unir à elle, au 
moment de sa mise en liberté, pour former une molécule stable que les 
oxydations organiques n’atteignent plus. Il était intéressant de recher- 
cher sa présence parmi les produits de désintégration de l’albumine 
par les acides. C’est ce qu’entreprit un élève de Baumann, Suter ?, qui 
ne trouva pas, à vrai dire, de cystéine, mais y découvrit un corps très 
rapproché, l’acide thiolactique. Cet acide, sous l'influence de la 
potasse additionnée d’acétate de plomb, donne à chaud un précipité 
abondant de sulfure de plomb. L’acide thiolactique ne fut pas obtenu 
directement des produits de destruction de l’albumine, il ne put en être 
isolé à l’état de liberté qu'après leur putréfaction. I semble s’y trouver 
en combinaison, et ne constitue par conséquent pas un des fragments 
immédiats de la destruction des albuminoïdes. Cet acide thiolactique, 
chauffé sur le bain-marie à l’ébullition, se décompose partiellement 
et émet des vapeurs dont l'odeur rappelle celle du sulfure d’éthyle 
(C°H°}S. Or Abel a découvert ce dernier corps dans l'urine du chien 
normal ?. Baumann ‘ émet l'hypothèse que ce sulfure d’éthyle pro- 
vient de l’acide thiolactique. 


1. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V. 
2. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. V. 
5. Zeitschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX. 
4. Zeilschrift für Physiologische Chemie. Bd. XX. 


REVUES ET ANALYSES. Do 


2 C*H°O*S = (C'H°}S + H°S + 2 CO: 

D'autre part, Drechsel* croit retrouver le même sulfure d’éthyle parmi 
les gaz qui se dégagent dans l'attaque des albumines par les acides. 
Et, d'après lui, le précipité que l’on obtient quand on précipite par 
l’acide phosphotungsténique contient une base qui, en se décomposant, 
met en liberté du sulfure d’éthyle. Une telle base devrait appartenir à 
la série des composés sulfiniques, dans lesquels l'atome de soufre est 
tétravalent. Il serait intéressant de prouver définitivement l'existence 
de cet atome de soufre tétravalent dans la molécule des albumines. 

Telles sont, brièvement résumées, les idées acquises récemment 
sur le soufre des albuminoïdes. (Comme il est facile de s’en rendre 
compte, nous en sommes encore à la période des tâtonnements, les 
quelques résultats acquis ouvrant la voie et indiquant certaines direc- 
tions aux travaux futurs. 

On peut en dire autant du chainon sucré, qui, d’après l’opinion de 
beaucoup de chimistes, se trouve contenu dans la molécule protéinique. 
Il y a lieu ici de distinguer entre les albumines ordinaires, telles que 
albumine de l’œuf, du sérum, globulines diverses, etc., et certaines 
protéides En ce qui concerne les secondes, nous en connaissons actuel- 
lement un certain nombre, telles que la mucine vraie (Landwehr), la 
chondromucoïde (Schmiedeberg), les nucléines et nucléo-protéides 
(Kossel), qui, parmi leurs produits de décomposition, fournissent un ou 
plusieurs chaïnons sucrés. Mais il est admis que, chez ces composés, 
que l’on envisage comme formés par l'union d'un radical albuminoïde 
à un composé non protéinique, variable suivant les cas, c'est ce 
dernier qui fournit le sucre. Ces données laissaient donc ouverte la 
question posée précédemment. 

Depuis longtemps, l’étude des échanges et des bilans nutritifs, tant 
physiologiques que pathologiques, a faitadmettre comme vraisemblable 
l'existence d’un groupe sucré chez les albumines ordinaires. Mais 
il manquait à cette idée une base chimique. Il est vrai que Schützen- 
berger avait obtenu, dans ses essais de désintégration de l’albumine 
par l'acide sulfurique, un corps privé d’azote, réduisant la liqueur de 
Fehling, qu’il ne décrit pas davantage. Mais ce manque d'identification 
avec un sucre quelconque, joint au fait que Schützenberger a employé 
dans des recherches une albumine insuffisamment purifiée, enlève à 
cette constatation tout caractère de certitude. Et cela d’autant plus que 
Mürner ?, confirmé par Salkowsky, a découvert récemment, dans le 
blanc d'œuf, une substance du groupe des mucines, l'ovomucoïde, qui, 
dans les conditions où se plaçait Schülzenberger, fournit un corps 
réducteur, qui n’est pas un sucre. 


1. Physiolog. Centralblatt, 1896. 
2. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XVII. 


D92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Krukenberg, se basant sur la réduction à chaud de l’hydrate cui- 
vrique par les diverses albumines et albumoses, croit pouvoir en con- 
clure à l'existence du groupe sucré dans leur molécule. Drechsel !, qui 
a pu confirmer récemment ces résultats, fait ressortir avec raison que 
tous les composés, qui réduisent la liqueur de Febhling, ne sont pas des 
hydrates de carbone, et il exige, avant de se prononcer, l’isolement et 
l'identification du groupe réducteur. Mürner * aurait pu obtenir, par 
l’action de l’eau sur la globuline du sang de cheval, un corps gommeux, 
qui, traité par l’acide chlorhydrique dilué, aurait fourni, parmi les 
produits de sa destruction, une substance réductrice, donnant avec la 
phénylhydrazine un osazone de point de fusion : 1709-1720. La myo- 
sine, la paranucléine de l’œuf, l'ovalbumine, la sérumalbumine, le 
fibrinogène auraient fourni des résultats négatifs. Pavy *, dans un 
travail récent, attribue aux albumines la constitution de glucosides et 
il les considère comme contenant de façon constante dans leur molécule 
un groupe sucré, uni au radical qui constitue la peptone. Krawkow *, 
qui a répété les expériences de Pavy, fait ressortir l'insuffisance de la 
technique de cet auteur. Krawkow n’admet l'existence du groupe sucré 
que là où il peut, par la phénylhydrazine, provoquer la formation 
d’osazone. Il a pu constater cette production après l'attaque de 
l’albumine de l’œuf par les acides sulfurique et chlorhydrique de 
3 à 5 0/0. Les dérivés de cette albumine oblenus par digestion pepsique 
ou par l’action des acides et des bases faibles, de même que la fibrine, 
la sérumalbumine, la sérumglobuline du bœuf, la lactalbumine, four- 
nissent également un osazone qui, pour tous, a le même point de 
fusion, 1830-1850. Au contraire la caséine, la gélatine, la vitelline, la 
légumine donnent un résultat négatif. Krawkow, en raison des quan- 
tités minimes de l’osazone produite, n'en a pas fait l’analyse. Ces 
résultats de Krawkow sont en contradiction en ce qui concerne l’albu- 
mine de l’œuf avec ceux de Mürner. D'autre part Spenzer * n’obtient 
pas d'osazone après l’attaque de l’ovalbumine suivant le procédé 
employé par Pavy, quand il emploie une albumine soigneusement 
purifiée, tandis que le résultat est positif quand il met en œuvre 
l’albumine ordinaire. Ce désaccord entre les divers auteurs qui ont 
étudié la question est d’autant plus étonnant que Hofmeister‘ a obtenu, 
par la destruction de son albumine cristallisée et traitement ultérieur 
par la phénylhydrazine, un osazone cristallisé en quantité telle que le 
poids de sucre correspondant représenterait environ 15 0/0 du poids de 
. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd. XXI. 

. Centralblatt f. Physiologie, 1894. 
. Pavy, Die Physiologie der Kohlehydrate, 1895. 
. Krawxkow, Pflüger's Archio. f. Physiologie, 1896. 


. Zeitschrift f. Rhysiologische Chemie. Bd. XXIV. 
. Zeilschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV. 


CO O7 À 9 RO — 


REVUES ET ANALYSES, D93 


l’albumine. Malheureusement il n'est pas question des propriétés de 
cet osazone, et Hofmeister ne parle pas des résultats de son analyse. 

En ce qui concerne les peptones, même incertitude : Siegfried ‘ 
déclare avoir obtenu parmi les produits de décomposition de l’anti- 
peptone, un hydrate de carbone, donnant un osazone qui n’est pas le 
glucososazone, fournissant également du furfurol, mais il n'arrive pas 
à le déterminer faute de substance. Par contre Pick *, en soumettant à 
l'épreuve de Molisch les deux peptones qu'il isole par un procédé 
nouveau, obtient pour l’une d'elles un résultat positif, pour l’autre, 
négatif. 

Cette épreuve de Molisch, basée sur la mise en liberté de furfurol 
par l’action de l'acide sulfurique concentré, est posilive pour la plu- 
part des albumines. Tollens, Günther et de Chalmot*, avaient d'ailleurs 
obtenu des traces de furfurol par l’attaque de la caséine au moyen 
d'acide chlorhydrique et distillation consécutive. Wehmer ‘ et Tollens 
avaient montré précédemment que tandis que les hexoses et les subs- 
tances qui contiennent un chaïînon sucré de 6 atomes de carbone four- 
nissent de l’acide lévulinique par l’action de l’acide chlorhydrique, la 
fibrine et la caséine n’en donnent pas. De cette série parallèle de 
recherches, Tollens conclut que si l’albumine contient une très légère 
quantité de sucre, ce dernier est probablement une pentose et non une 
hexose. 

L'ensemble de ces données aussi discordantes est décevant, et l’on 
compare involontairement la quantité de travaux parus au peu de certi- 
tude des notions acquises. La question ne sera tranchée définitivement 
que lorsque d’une albumine complètement purifiée on aura isolé 
un sucre chimiquement pur, déterminé par l'analyse élémentaire 
et par les principales réactions spécifiques de ce groupe de sub- 
slances, 

Plus certaines et importantes sont les conclusions auxquelles sont 
arrivés les auteurs qui, à la suite de Drechsel, ont repris l'attaque des 
albuminoïdes par des acides forts. Hlasiwetz et Habermann ÿ ont 
obtenu, en traitant la caséine par l’acide chlorhydrique de concentra- 
tion moyenne, en présence de chlorure stanneux, les produits suivanis : 
leucine, tyrosine, acides glutamique, aspartique et ammoniaque. 
Horbaczewsky * retrouva les mêmes corps dans l’attaque de divers 
- Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXI. 

. Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd. XXIV. 
Maly's Jahresbericht f. Thierchemie, 1892. 
. Berichte der Deutsch. Chemisch. Gesellschaft, 19. 


. Annal. Chem. Pharm. Bd. CLXIX. 
Wiener Akademische Sitsungsberichte. Bd, LXXX, 3 Abt. 


S QT & % IN 


D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


albuminoïdes et ajouta à leur liste lacide sulfhydrique. Schulze ‘ 
augmenta encore leur nombre en découvrant l'acide phényl-amido- 
propionique. Enfin, récemment, Cohn * aurait encore isolé un nouveau 
corps non encore complètement déterminé, qui serait strement un 
dérivé de la pyridine; fait intéressant, s’il se confirme, en raison de la 
nature pyridique de la plupart des alcaloï les. 

Or, comme Schülzenberger, à côté de ces produits, en avait encore 
décrit une série d’autres, et que d’autre part le poids des fractions 
connues, obtenues par le traitement par les acides, n’égalait pas à 
beaucoup près le poids de l’albumine détruite, Drechsel ? se proposa 
de rechercher quels étaient les composés chimiques constituant le 
résidu non encore analysé. Il établit d’abord que l'attaque par les 
acides, à l'encontre de celle par la baryle, ne met jamais en liberté 
d'acide carbonique, ni oxalique, ni acétique. IT fallait donc que le 
résidu sirupeux, non cristallisable, de Hlasiwetz et Habermann fût 
constitué par des substances qui, sous l’influence des bases, mettent ces 
acides et particulièrement l’acide carbonique en liberté. Pour les isoler, 
Drechsel traita le résidu par l'acide phosphotungstique, et obtint un 
précipité volumineux, qui fut décomposé par la baryte à froid. Le 
liquide concentré par évaporation fournit par première cristallisation 
une base de formule 

CHA EA O0 
la lysine que Drechsel considéra comme de lacide caproïque diamidé. 
Les eaux mères, additionnées de nitrate d'argent, laissèrent déposer 
des cristaux d’un nitrate double d’argent et d’une nouvelle base, appe- 
lée lysatinine, de formule 
HS AZ OË 

Enfin, par un procédé Bye Drechsel isola encore un (roISIÈME 

corps de propriétés basiques, de formule 
CH Az 07 
qui ne serait autre chose que de l'acide acétique diamidé 

De ces trois bases, la seconde est la plus intéressante : soumise à 
l’action de la baryte à l’ébullition, elle est décomposée et parmi ses 
produits de décomposition apparait l’urée. Ainsi se retrouvait celte 
urée que déjà Béchamp crayait avoir obtenue par l'oxydation de l’albu- 
mine et que Schützenberger avait supposée exister dans la molécule 
protéinique, en raison du rapport existant entre les poids d’acide car- 
bonique et d'ammoniaque produit sous l’action de la baryte. Les 
résultats obtenus par Drechsel ont été étendus par ses élèves à divers 


1. Berichte der Deutchem Chem. Gesellschaft, Bd. XVI. 

2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie Bd. XXII. 

3. Archiv. f. Anatomie ü Physiologie. Physiol. Abteil, 1891. 

4. Sitsungsheritche der Künigl. Sachs. Gesells. der Wissens. Bd XX. 


REVUES ET ANALYSES. DDD 


albuminoïdes. Fischer retrouva la lysine et la lysatinine parmi les pro- 
duits de décomposition de la gélatine. Siegfried étudia au même point 
de vue la conglutine, la fibrine du gluten, l’hémiprotéine (antialbu- 
mide de Kühne), l’ovalbumine et son produit d'oxydation par le per- 
manganate de potasse (acide oxyprotsulfonique). Toutes ces substances, 
altaquées par l’acide chlorhydrique, fournirent la lysine et la lysatinine. 
Il était intéressant de voir si la trypsine, dans son aclion énergique 
sur les albumines, met aussi les mêmes bases en liberté. Un autre élève 
de Drechsel, Hedin, obtint par la digestion pancréatique de la fibrine 
un résultat complètement positif. Quant à l’antipeptone, sur laquelle 
la trypsine n’a pas d’action, elle fournit la lysine et la Iysalinine, 
quand on l'attaque à 130° par l'acide chlorhydrique à 15 0/0 (Siegfried *). 
Ainsi futétablie la portée générale de la découverte de Drechseletl'impor- 
tance de ces bases au point de vue de la compréhension des albumines. 

Les travaux récents ont apporté quelques modifications et des 
additions de grande valeur à ces premiers faits. Hedin *, continuant les 
recherches méthodiques de Drechsel, parvint par une modification du 
procédé de ce savant à mettre en évidence, parmi les produits de décom- 
position de la kératine, un corps basique qui n’y avait pas encore été 
décrit, de formule 

GRH ASS 07 
mais qui se trouva être identique à l’arginine, base organique extraite 
par Schulze et Steiger* des gemmules de lupin et de courge. Il isola 
la même arginine des produits de destruction de la gélatine, de la 
conglutine, de la nucléoalbumine du jaune d'œuf, de l’ovoalbumine, de 
la caséine, du sérum sanguin desséché. 

Dans un travail postérieur‘, Hedin démontre que la lysatinine, obte- 
nue par le procédé primitif de Drechsel, est un mélange par parties 
égales de lysine et d’arginine. Or, quand on soumet celte arginine, 
comme l’avaient déjà démontré Schulze et Steiger *, à l'action de l’eau 
de baryle bouillante, elle est décomposée avec mise en liberté d'urée. 
Ce résultat, confirmé par Hedin, cadre donc avec l'observation faite arté- 
rieurement par Drechsel au sujet de la lysatinine. Iedin Ÿ, en poursui- 
vant l’analyse des produits de décomposition de la kératine, isola une 
troisième base, qui se trouva être identique à celle que Kossel avait 
obtenue précédemment dans l’hydrolyse d’une substance protéinique 
spéciale (protamine) et pour laquelle cet auteur avait établi la formule 

CRTHENEARS ED 
. Archiv f. Anatom. und Physiol. Physiol. Abteil, 1894. 
. Zeitschrift f. Physiologische Chemie. Bd XX et XXI, p. 155, 
. Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XI. 
. Zeitschrift f. Physiolog. Chemie. Bd XXI, p. 297. 


. Berichtle der Deutschen chemischen Gesellsch. Bd XXIV. 
. Zeitschrift f. Phys. Chemie. Bd XXII. ' 


O D 2% NO 


996 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et proposé le nom d'histidine. La formule fut simplifiée plus tard de 
moitié 
CHARS AZ 707! 

Le nombre des corps basiques extraits de la molécule des albumi- 
noïdes s'élevait donc à trois, et la constance de leur apparition parmi 
les produits de décomposition d’albuminoïdes fort différents rendait 
très grand Pintérêt s’atlachant à leur étude. Mais leur importance, 
au point de vue de la compréhension des albuminoïdes, vient surtout 
d’être mise en relief dans les travaux de Kossel sur les protamines. 

C'est à Miescher ‘ que nous devons la découverte de la première 
protamine. Dans ses recherches sur la chimie du sperme du saumon, 
Miescher arriva à isoler les têtes des spermatozoïdes sous forme d’une 
poudre dense, blanche, en soumettant, à plusieurs reprises, le sperme 
à la centrifugation dans l’eau distillée. Les queues des spermatozoïdes 
gonflent et passent en solution, tandis que les têtes restent histologi- 
quement inaltérées. Ces têtes, après extraction par l’alcool et l’éther, 
se trouvent constituées en presque totalité (96 0/0) par une combinai- 
son bien définie d’un acide nucléique de formule 

C9 H°: Az1# P‘ 0°? 
avec deux molécules d’une base de formule 

CAHESASS 0 

Cette base fut appelée protamine par Miescher. Pour la préparer, 
Miescher traitait cette combinaison par l’acide chlorhydrique dilué; 
la base passait en solution et l’acide nucléique restait comme résidu. 
Pour la purifier, il la précipitait à plusieurs reprises par le chlorure 
de platine et décomposait le précipité par Pacide sulfhydrique. 

La protamine ainsi isolée était une base forte, dont les sels étaient 
précipités par lacide phospho-mojlybdique, l’iodure mercurico-potas- 
sique, le ferrocyanure de potassium, le chlorure mercurique, le nitrate 
d'argent, le chlorure d’or, etc. Ces propriétés, jointes à sa composi- 
tion relativement simple, la rapprochaient des alcaloïdes plus que des 
albumines. Cependant elle possédait de cette dernière substance la 
réaction du biuret, qu’elle donne à la façon des peptones vraies, 
c'est-à-dire très rouge. Au contraire, les réactions xantho-protéique, 
de Millon. etc. étaient négatives. Dans des recherches ultérieures 
interrompues par sa mort, Miescher ? avait complété et confirmé ces 
premiers résultats, et il y avait ajouté un essai d’analyse de la struc- 
ture intime de la substance. Traitée à 170 par de l’acide chlorhydrique 
à 15 0/0, elle avait été complètement décomposée et parmi les pro- 
duits de destructions était apparue la même arginine, que nous avons 


4. Verhandlungen der Naturforschenden Gesellschaft in Basel. Bd. VI, 
2. Archiv. f. experiment. Pathologie. Bd. XXXVIL, p, 100, 


REVUES ET ANALYSÉS. 557 


trouvé être un produit constant de la décomposition des albumi- 
noïdes en général. 

Entre temps, Kossel avait commencé l’étude de la protamine du 
saumon et l’ensemble de ses recherches l'a amené aujourd'hui à 
des données très intéressantes ". 

La protamine du saumon, qu’il extrait par l'acide sulfurique dilué 
des têtes de spermatozoïdes dégraissées, est précipitée à l’état de sul- 
fate de la solution ainsi oblenue, par 3 fois son volume d’alcool. Le 
produit brut est purifié par redissolution et précipitation à l’état de 
picrate. On obtient la même protamine en se servant comme matériel de 
départ du sperme d’autres poissons tels que le hareng, la truite des 
ruisseaux, le coregonus oxyrynchus. Elle a pour formule 

C3° H°7 Az11 Of 
Le sperme de l’esturgeon fournit un corps voisin qu’il appelle sturine, 
par opposilion à la salmine, de composition 

CHAT 07 

Salmine et sturine sont réunies sous le nom générique de prola- 
mines. Elles présentent l'ensemble de caractères de précipitations que 
Miescher leur avait déjà reconnues. Mais ce qui donne à leur étude la 
plus grande importance, ce sont les résultats de leur destruction par 
les acides. 

Soumises à l’action de l’acide sulfurique étendu à l’ébullition, elles 
se trouvent scindées et donnent naissance à trois bases : l’arginine, 
l’histidine et la lysine, les trois corps basiques que les recherches de 
Drechsel et de Hedin ont mis en évidence parmi les produits de des- 
truction des divers albuminoïdes. Et, chose remarquable, ces trois 
bases semblent à elles seules constituer toute la molécule des prota- 
mines, car il a été impossible à Kossel d'isoler d’autres produits de 
décomposition, et particulièrement d’autres acides amidés. Après avoir 
isolé ces trois corps d’après une méthode qui vient d’être publiée?, 
Kossel représente la décomposition de la salmine et de la sturine par 
les formules suivantes : 


CHAOS LAH0—CSH° Az: 01 —H3CSH': Az O0? ECS H!' Az? 0? 


Salmine. Hisudine. Arginine. Lysine. 
C36 69 AZ1907 + 5H, O— CS H° Az3° 0° +306 H'Az:02+9C6 H!5 Az: 0? 
Sturine. Histidine. Arginine. Lysine. 


D'où la conclusion importante que les trois bases, qui apparais- 
sent de façon constante, à côté d’autres produits, dans l’hydrolyse de 
tous les albuminoïdes examinés jusqu'à présent, sont unies entre elles 

4. Sitzungsbericht der Künig. preus. Akademie der Wissensch. 1896. — 
Zeitschrift f. Physiol. Chemie, 22. — Silzungsbericht der Gesellsch. zur Befôrd. 


der Naturiw. zu Marburg, 1897-1898. 
2. Zeitschrift f. Physiol. Chemie. Bd. XXV. 


D58 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avec éliminalion de quelques molécules d'eau pour constituer les pro- 
tamines. Ces dernières doivent donc étre envisagées comme les corps pr'o- 
léiniques les plus simples connus actuellement, et leur molécule constitue 
un noyau, qui se trouve à l'intérieur de la molécule de tous les albumi- 
noïides. Sur ce noyau se grefferont des chaînes latérales plus ou moins 
nombreuses et variées. Pour la spongine et la gélatine, ce seront le 
glycocolle et d’autres acides anidés de la série grasse; pour l'anti- 
peptone, ces mêmes acides et la tyrosine; pour les albumines ordi- 
naires les acides amidés gras, la tyrosine, et un ou plusieurs groupes 
sulfurés. D’où la possibilité d’une division chimique des albuminoïdes 
basée sur l’étude qualitative et quantitative de leurs produits d’hydro- 
lyse : d’où également la possibilité, entrevue enfin de façon plus con- 
crèle, de la connaissance future d'une formule de structure pour 
ces corps si longtemps indéchiffrables. 

Une pareille formule suppose la connaissance de la constitution 
de chaque fragment. Or, noussavons que la lysine est, d’après Drechsel. 
de l’acide caproïque diamidé. Schulze et Winterstein' ont lâché der- 
nièrement d'élucider la structure de l’arginine. Par l’action d’une solu- 
tion de baryte à 2 0/0 pendant une heure à l’ébullition, ces auteurs 
sont arrivés à décomposer l’arginine en deux constituants dont l’un est 
l'urée, comme il avait été dit plus haut, et l’autre s’est révélé être 
l'acide diamidovalérianique. D’après eux, l’urée ne préexiste cepen- 
dant pas dans la molécule, mais est due à l’action de la baryte sur un 
équivalent de guanidine. D'après eux, la formule de structure de l’ar- 
ginine serait : 

AzH°? AZI OH 
HAz LÉ omis a 9 

Il est intéressant de faire remarquer que, à l'encontre de Béchamp, 
Lossen trouva dans les produits d’oxydation de l'albumine par le 
permanganate, non de l’urée mais de la guanidine. 

Des trois bases constituant par leur union ia protamine, deux 
peuvent donc être considérées comme connues. Il est à souhaiter que 
l’histidine soit soumise le plus tôt possible à une étude du même genre, 
indispensable pour la compréhension ultérieure des protamines. 

Des faits très intéressants résultent également de l'étude à laquelle 
s'est livré Kossel, de l’action sur les p'otamines des sucs digestifs. Tan- 
dis que le suc gastrique artificiel s’est montré complètement inactif, 
laissant irtactes la salmine et la sturine, le suc pancréatique*, au 
contraire, les a scindées complètement en leurs trois constituants. 

C’est une confirmation éclatante des différences dans l’action sur les 


4. Berichte der Deutsch. chemisch Gesellschaft. Bd. XXX, 2879. 
1. Kossez ET Marrnews, Zeitschrift [. Physiol. chemie. Bd. XXV. 


REVUES ET ANALYSES. 999 


albuminoïdes des deux ferments protéolytiques, si bien mise en lumière 
par les travaux de Kübne. D'autre part, l’action peu prolongée de 
l'acide sulfurique dilué sur les protamines, les transforme en des sub- 
stances nouvelles, de propriétés peu différentes, et dont la molécule 
équivaut à celle de la protamine augmentée de quelques molécules d'eau. 
Kossel envisage ces composés comme les peptones des protamines. 

Ces résultats de protéolyse par acides faibles et ferments constituent 
un argument à ajouter à ceux tirés de l’étude des produits de décompo- 
sition des protamines par les acides forts, pour élayer l'hypothèse qui 
fait de ces corps les plus simples des protéines connues actuellement. 

Or, de cet ordre d'idées dérive une conclusion également très inté- 
ressante, mise en évidence par Matthew', qui a trait à la compo- 
sition des têtes de spermatozoïdes de divers poissons. Comme il a été 
dit, ces têtes ont gardé intact, après leur traitement par l’eau distillée, 
leur aspect microscopique, de sorte que cet auteur admet qu’elles 
ont encore à ce moment une composition très rapprochée de l’état nor- 
mal. Elles ont en tout cas conservé leurs caractères histologiques, 
spécialement leur façon de se comporter vis-à-vis des colorants. En 
langage anatomique, on les désignerait, après comme avant le trai- 
tement, sous le nom de grains de chromatine. Or, cetle chromatine 
Joue, lors des phénomènes de fécondation, un rôle prédominant. 

C'est une des plus belles acquisitions de l’embryologie moderne que 
d’avoir démontré que celle substance, caractérisée par son affinité 
pour les couleurs basiques d’aniline, est le support, la base phy- 
sique des propriétés héréditaires paternelles. C’est elle, et elle seule, 
qui transmet à l'embryon les qualités du père et de ses ascendants. Il 
faut toute l'évidence des faits pour contraindre la pensée à admettre 
celte assertion, qui suppose inscrite dans la constitution chimique de 
ces quelques milligrammes de matière l’histoire de toute une race. Mais 
l'imagination nous venant en aide, nous aimons à nous représenter 
cette chromatine paternelle comme une substance extraordinairement 
complexe, où des molécules énormes entrelacent leurs chaiînons dis- 
parates et leurs groupements atomiques infiniment variés, déposi- 
taires chacun d’une des mille énergies qui depuis la nuit des temps 
préparent la naissance de l’être futur. Eh bien! non, il faut enrabattre, 
et cette chromatine si étrangement complexe se trouve ravalée pour 
le saumon (Miescher) et le hareng (Matthews) au rang des sels neutres; 
elle serait due à la combinaison, molécule à molécule, d'acide 
nucléique et de protamine., Elle serait la plus simple des nucléines 
vraies, si la protamine est la plus simple des protéines. Simplicité 
réellement inattendue, plus déconcertante que la complexité la plus 
plus recherchée, nous montrant, mieux que celle-ci, notre profonde 

1. Zeitschrift f. physiol. Chemie. Bd. XXII. 


560 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ignorance des choses de la vie. Cependant. il faudrait se garder 
d’ajouter à ces premiers résultats une importance qu’ils ne pourraient 
acquérir que lorsque des recherches nombreuses les auront définive- 
ment élablis. Si jamais la chimie biologique aborde de façon utile ces 
graves problèmes, ce ne sera pas, sans nul doute, avant que la con- 
naissance complète et assurée de tous les constituants de la cellule 
morte permette l'analyse de tous les changements qui accompagnent 
l'éclosion de la vie. De tous ces problèmes préparatoires, le plus im- 
portant est celui qui nous occupe, la chimie des albuminoïdes. II est 
permis de croire que les recherches de ces dernières années, et parti- 
culièrement les travaux de Kossel, lui ont fait faire un pas décisif. 

Avant de terminer cette revue, je signalerai encore l’analogie, 
mise en évidence par Kossel, qui existe entre l’action des ferments 
diastasiques sur l’amidon et autres hydrates de carbone, et celle de la 
trypsine sur les protamines. L’une et l’autre ont pour conséquence la 
mise en liberté, après hydrolyse, de corps en C,. A vrai dire, l'argi- 
nine serait décomposée par la baryte en un corps en GC, et en urée, 
mais il n’est pas impossible que la soudure se fasse par les deux atomes 
de carbone, témoin la production d’acides formique et lévulinique aux 
dépens des hexoses. Cette analogie de structure permet de concevoir 
assez facilement la production de sucre aux dépens de l’albumine. Il 
est en tous cas intéressant, dit Kossel, à un point de vue purement 
théorique, de voir que protamines (peut-être albumines) et hydrates 
de carbone se trouvent bâties aux dépens de fragments de même gran- 
deur approximative. On pourrait encore, me semble-t-il, donner plus 
de généralité à cette proposition en montrant l'importance que pos- 
sède le groupement de 3 atomes de carbone et de ses multiples en 
6,9, 12, 18 dans les différents constituants de la cellule. Les hydrates 
de carbone, l'acide lactique, les graisses, les lécithines, l’albumine et 
ses dérivés basiques, la tyrosine, la leucine, l'acide thiolactique et la 
cystéine, les phénols, lacide urique, les bases xanthiques, les acides 
biliaires, tous ces corps, c’est-à-dire les composés les plus importants 
que l’analyse chimique ait décrits dans nos organes ont, à la base de 
leur molécule, un chaînon d’atomes de carbone dont le nombre est 
3 ou multiple de 3. 

Uniformité bien remarquable, répondant peut-être à certaines 
énergies, certaines facilités de réaction, nécessaires à l’accomplissement 
des phénomènes vitaux. 


Liège, le 25 juillet 1898. 
Dr P. Norr. 


Le Gérant : G. Massox. 


Sceaux, — Imprimerie E, Charaire. 


19me ANNÉE SEPTEMBRE 1898 No 9. 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


SUR LES RELATIONS QUI EXISTENT 
Entre la tuberculose humaine et la tuberculose aviaire. 


Par M. NOCARD 


Communication faite au 4e congrès de la tuberculose. le 30 juillet 1898. 


On ne conteste plus l'identité de la tuberculose chez toutes 
les espèces de mammifères, On discute encore sur les rapports 
qui existent entre les bacilles de la tuberculose de l'homme et de 
la tuberculose aviaire. Avec Rivolta, Maffucci, Straus et Gama- 
léia, beaucoup d'auteurs en font deux espèces microbiennes dis- 
tinctes; leurs arguments peuvent se résumer ainsi : 

1° L'aspect des cultures est très différent ; celles de la tuber- 
culose humaine sont sèches, écailleuses, difficiles à dissocier ; 
celles de la tuberculose aviaire sont molles, grasses, onctueuses, 
plissées, elle s’étalent facilement sans pression notable : elles 
poussent encore à 43°, température à laquelle cesse de cultiver 
le bacille humain ; 

2° On ne réussit pas d'ordinaire à transmettre aux poules la 
tuberculose des mammifères, quel que soit le procédé d’inocu- 
lation mis en œuvre. D’autre part, certains mammifères sont 
réfractaires à la tuberculose aviaire; le chien est de ce nombre ; 
le cobaye résiste à l’inoculation sous-cutanée de la tuberculose 
aviaire et, quand il succombe à l'inoculation intra-péritonéale, 
il présente des lésions très différentes de celles que provoque le 
bacille humain. 

À ces arguments on peut objecter : que, malgré la différence 
de leur aspect, les cultures de tuberculose humaine ou aviaire 
donnent une tuberculose identique ; qu’on réussit parfois à rendre 
les poules tuberculeuses en leur inoculant de la tuberculose 

36 


502 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


humaine, et que cette tuberculose est inoculable en série (Bol- 
linger, Koch, Nocard, Cadiot, Gilbert et Roger, Courmont et 
Dor); qu'il est des mammifères aussi sensibles à la tuberculose 
aviaire qu'à la tuberculose humaine, et qu'après un petit nombre 
de passages, les lésions de l’une et de l’autre sont identiques. 
C'est le cas pour le lapin. 

J'ai montré qu'il en est de même pour le cheval. Le cheval, 
si résistant à la tuberculose expérimentale, devient assez fré- 
quemment tuberculeux dans les conditions naturelles. Mais la 
tuberculose affecte, chez lui, deux formes cliniques bien dis- 
tüinctes : dans l’une de ces formes, de beaucoup la plus fréquente, 
la lésion frappe primitivement les organes de la cavité abdomi- 
nale : intestins, ganglions mésentériques et sous-lombaires, 
rate, foie, reins, etc.; quand les poumons sont pris, c’est à la 
dernière période de la maladie, et la lésion pulmonaire est tou- 
jours de date manifestement récente, Dans l’autre forme, au 
contraire, la lésion pulmonaire est primitive; elle est d’ailleurs de 
forme très variée et elle ne se propage que très tard aux organes 
abdominaux. Il y a longtemps déjà que j'ai indiqué les signes 
diflérentiels de ces deux formes de la tuberculose du cheval; j'ai 
pu, tout récemment, établir l’étiologie de ces deux formes clini- 
ques si différentes ; tandis que la tuberculose pulmonaire primi- 
tive est provoquée pas un bacille identique à celui de la tuber- 
culose hamaine ‘, c’est un bacille du type aviaire, assez profon- 
dément modifié par son passage dans l'organisme du cheval , 
qui provoque la forme abdominale de la tuberculose du cheval. 

Le cheval et le lapin ne sont pas les seuls mammifères capa- 
bles de contracter la tuberculose aviaire ; j'ai pu étudier, il y a 
quelques années, des crachats tuberculeux dont l’inoculation, 
rapidement mortelle pour le lapin, tuait rarement le cobaye ; 
mais les cobaves qui succombaient à l’inoculation de ces cra- 
chats présentaient à l'autopsie des lésions se rapprochant beau- 
coup de celles de la tuberculose aviaire. J’ai pu obtenir des eul- 
tures de ce bacille, en ensemençant largement de la pulpe de 
rate de lapins morts après inoculation intra-veineuse ; ces cul- 
tures étaient identiques à celles de la tuberculose aviaire. Toute- 
fois les poules inoculées avec ces cultures résistent pour la plu- 


1. 2e Congrès de la tuberculose, 4891. 
2. Bulletin de la Soc. cent. de méd. vét., 1896, pages 249.et suivantes. 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 563 


part, quel que soit le procédé d’inoculation mis en œuvre; mais 
celles qui succombent ont des lésions semblables à celle de la 
maladie naturelle; dans ce cas encore, le passage par l’orga- 
nisme humain a profondément modifié la virulence du bacille. 

Drüse, Pausini, Johne ont publié des observations analo- 
gues, recueillies tant sur l’homme que sur les bovidés. 

IL'existe d'autre part un certain nombre de faits bien observés 
s appliquant à des basses-cours où la tuberculose est apparue 
plusieurs mois après qu'on les avait confiées aux soins de per- 
sonnes phtisiques; il paraît évident que les volailles s'étaient 
infectées en ingérant des crachats tuberculeux. 

D'autres faits analogues concernent des poules élevées dans 
des abattoirs où on les laissait picorer sur les viandes saisies, 
dont les viscères tuberculeux forment toujours la plus grande 
partie. Je sais bien que Straus et Wurtzn'ont pas réussi à rendre 
tuberculeuses des poules auxquelles ils ont fait ingérer des quan- 
ütés énormes de crachats de phtisiques: de mon côté, je n’ai 
pas été plus heureux en empruntant la matière ingérée à des 
vaches, des pores ou des chevaux tubereuleux. 

Mais est-on bien sûr de réaliser expérimentalement toutes 
les conditions de la contagion naturelle? L'expérience ne porte 
jamais que sur un petit nombre de sujets, tandis que, dans les 
cas cités, les basses-cours infectées en comptaient un nombre 
considérable, plusieurs centaines pour la plupart. Qu'un seul 
sujet, en état de moindre résistance, se soit laissé envahir par 
les bacilles provenant de l’homme ou du bœuf, et l'on conçoit 
que ces bacilles, acclimatés à l'organisme de la poule, se soient 
ensuite transmis plus aisément aux autres habitants de la basse- 
cour. 

Bien souvent je me suis entretenu de cette question avec 
mon vieil ami, Le si regretté professeur Straus; je ne suis jamais 
parvenu à ébranler sa conviction : « J’admets volontiers, me 
disait-il, la réalité des faits que vous invoquez; le lapin, le cheval, 
le bœuf, l’homme lui-même peuvent prendre la tuberculose 
aviaire, comme la tuberculose humaine, Cela prouve-t-il que ces 
tuberculoses soient identiques? Quand vous aurez transformé le 
bacille humain en bacille aviaire, je m'avouerai convaincu! » 

Je crois y être parvenu. 

Voici comment : 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


QC 
> 
(æp] 
Le) 


On sait tout le parti qu'ont tiré MM. Metchnikoff, Roux et 
Salimbeni, dans leur beau travail sur la toxine cholérique, des 
cultures i# vivo en sacs de collodion, Cette ingépieuse méthode 
nous a permis tout récemment d'obtenir en culture pure le 
microbe de la péripneumonie contagieuse des bètes bovines, qui 
s'était jusqu'ici dérobé à toutes les recherches. J'ai eu l’idée de 
l'appliquer à l'étude du bacille de Koch. Cette étude est loin 
d’être achevée : elle m'a cependant déjà donné quelques résultats 
précis en ce qui concerne l’objet de ma communication. Je 
rappellerai brièvement les principes de la méthode. 

On prépare des petits sacs de collodion à paroi très mince; 
après les avoir stérilisés à l’autoclave on les emplit de bouillon, 
eusemencé au préalable avec le microbe ou le liquide virulent à 
étudier; on les ferme exactement; puis on les introduit dans le 
péritoine d’un animal neuf, cobaye, lapin, chien, mouton, vache, 
poule, etc... On apprend vite à exécuter purement toutes ces 
manipulations, et, pas un instant, l'animal ne paraît souffrir, 
soit de l'opération, soit de la présence des sacs dans la cavité 
péritonéale. 

Après un temps variable, depuis quelques jours jusqu'à 
plusieurs mois, suivant la nature du microbe étudié, on sacrifie 
l'animal; on trouve le sac logé en quelque coin de la cavité péri- 
tonéale, enveloppé d’une couche plus ou moins épaisse de fibrine 
et de cellules, ou de tissu fibreux jeune, dont on l’énuclée aisé- 
ment. 

Quand l’animal d'expérience et le liquide de culture ont été 
convenablement choisis, on obtient des résultats surprenants 
qu'il est pourtant facile d'interpréter. 

La paroi de collodion offre une barrière infranchissable aux 
microbes comme aux cellules ; les microbes ne peuvent sortir 
du sac, mais ils peuvent s’y multiplier en toute sécurité, car, les 
cellules ne pouvant y pénétrer, ils sont à l’abri de la phagocytose. 
D'autre part, cette paroi inaccessible aux microbes et aux cellules 
est perméable aux liquides comme aux substances dissoutes ; elle 
forme une membrane osmotique parfaite ; à son niveau s’établis- 
sent des échanges qui modifient profondément la composition 
primitive du liquide emprisonné : des substances élaborées par 
le microbe peuvent diffuser au dehors, et, quand elles sont suffi- 
samment actives, elles peuvent entraîner la mort du sujet ou des 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 565 


accidents d'intoxication plus ou moins graves, sans qu'un seul 
microbe ait envahi les tissus; en tout cas, c’est une condition 
favorable à la culture, l'auto-intoxication microbienne s’en trou- 
vant diminuée, sinon supprimée; enfin, des produits venus de 
l'organisme du sujet pénètrent dans le sac qui peuvent être 
favorables ou non à la culture du microbe; en tout cas, la péné- 
tration de ces produits ne se fait que lentement, graduellement; 
peu à peu, le microbe s’accoutume à ce nouveau milieu et, quand 
on letire du sac qui l’a protégé contre l’action phagocytaire, 1l 
est beaucoup mieux armé pour se développer dans le milieu, 
primitivement hostile ou réfractaire, que représentait l'animal 
incubateur. 

Partant de ces données, j'ai essayé d'obtenir des cultures du 
bacille de la tuberculose humaine, en sacs de coilodion insérés 
dans le péritoine de la poule. 

Pour y réussir, il m'a fallu : 1° emplir mes sacs d’une émul- 
sion épaisse de culture jeune, obtenue de préférence sur une 
pomme de terre glycérinée ; 2 n'ouvrir les sacs qu'après un délai 
minimum de 4 mois (plus est longue la durée du séjour dans le 
péritoine, plus sont accusées les modifications éprouvées par le 
bacille mis en incubation) : 3° enfin, opérer à chaque fois sur un 
assez grand nombre de poules, la rupture du sac étant d'autant 
plus à craindre que l'expérience doit se prolonger davantage. 

On trouvera à la fin de ce travail le résumé de mes expérien- 
ces, de celles au moins que j'ai pu mener à bien avant le Congrès, 

Quand on sacrifie l'animal incubateur, pour lui reprendre lé 
sac qu'on lui avait confié, ce sac apparaît d'ordinaire affaissé, 
plus ou moins complètement vide de liquide; il ne renferme 
plus qu'une sorte de limon plus ou moins épais, formé unique- 
ment de bacilles de Koch. 

Ces bacilles sont encore vivants d'ordinaire; ensemencés 
largement sur pomme de terre ou sur géluse glycérinées, ils 
donnent le plus souvent une culture assez maigre, en colonies 
isolées, dont le repiquage réussit mieux et plus vite. Chose 
curieuse, quand le sac de collodion a séjourné longtemps dans le 
péritoine de la poule, les culture; qu’on en obtient offrent tous 
les caractères du type aviaire : elles sont molles, grasses, onc- 
tueuses, plissées, faciles à dissocier ; elles s’étalent aisément 
sur tous les milieux, 


D66 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les caractères du bacille originel se sont donc profondément 
modifiés au contact des humeurs de la poule. Qu'est-il advenu 
de sa virulence? 

Inoculé sous la peau, le cobaye résiste : il se forme parfois 
au point d’inoculation un petit abcès, qui s'ouvre spontanément 
et qui se cicatrise de même; parfois aussi le ganglion voisin 
s hypertrophie et s’indure; mais là se borne tout le mal. Le 
cobaye reste bien portant; il gagne du poids, et, quand on le 
sacrifie, on ne trouve à l’autopsie aucune lésion appréciable. 

Si l’inoculation est faite dans le péritoine, elle entraîne dans 
plus de la moitié des cas la mort; à l’autopsie, on trouve de 
l’ascite fibrineuse, parfois un semis de granulalions caséeuses du 
péritoine, plus souvent de petits foyers purulents bacillaires de 
l’épiploon, presque toujours une rate élargie en tous sens, rouge, 
molle, friable, infiltrée de quelques gros nodules arrondis, blanes, 
caséeux ou purulents. Jamais on n’observe ces dégénérescences 
si accusées qui caractérisent le type Villemin de la tuberculose 
du cobaye. Le poumon et le foie sont presque toujours indemnes. 

En somme, ces lésions se rapprochent beaucoup de celles que 
provoque l’inoculation de la tuberculose aviaire. 

Le lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, meurt rapidement, 
en 6 à 10 semaines au plus; il est très amaigri; 1l présente à 
l’autopsie une tuberculose miliaire intense plus accusée tantôt 
sur le poumon, tantôt sur la rate ; — inoculons un peu de pulpe 
de cette rate à un deuxième lapin, par la même voie; celui-ci 
mourra beaucoup plus vite, avec des lésions de septicémie tuber- 
culeuse, sans granulations apparentes, la pulpe du foie, de la 
rate et de la moelle des os constituant comme une culture pure, 
d’une richesse invraisemblable, de bacilles de Koch. 

Ces résultats sont identiques à ceux que donne l’inoculation 
intraveineuse des cultures ou des produits de la tuberculose 
aviaire. 

Les poules, au contraire, résistent à l'inoculation du contenu 
du sac, quel que soit le procédé mis en œuvre, ingestion, inocula- 
tion péritonéale ou intraveineuse. 

Il semble donc que les modifications qu'a éprouvées le 
bacille, et dont témoignent l'aspect de ses cultures et les effets de 
son inoculation au cobaye et au lapin, ne suffisent pas à le rendre 
capable de surmonter la résistance de la poule. 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 567 


Peut-être y parviendrait-on en multipliant les passages en 
sacs de collodion, ce qui équivaut à doubler ou à tripler la durée 
du séjour du bacille au contact des humeurs de la poule, mais à 
l'abri de ses phagocytes ? 

Emplissons donc de nouveaux sacs de collodion avec de la 
culture jeune provenant des premiers sacs, et confions-les au 
péritoine de poules nouvelles. Après 4, 5 ou 6 mois, nous 
les retrouverons, comme précédemment, à demi-pleins d’un 
mortier bacillaire dont l'étude expérimentale conduira à des 
résultats à peu près analogues à ceux déjà obtenus. — L'’ense- 
mencement donne, plus sûrement et plus vite, des cultures 
identiques à celles de la tuberculose aviaire. — L'inoculation 
au cobaye et au lapin provoque des lésions se rapprochant 
davantage de celle du type aviaire. — Elle reste encore sans 
effet sur les poules. 

Répétons une troisième fois l’expérience ; cette fois nous 
toucherons au but. Le sédiment bacillaire, extrait du sac après 
un séjour de 6 à 8 mois dans le péritoine de la poule, sera 
devenu capable de tuer la poule (inoculée dans les veines ou 
dans le péritoine) avec des lésions identiques à celles de la 
maladie naturelle. 

Dans l’une de mes expériences, cette transformation de la 
virulence du bacille s’est faite tout naturellement et beaucoup 
plus vite que je ne le disais tout à l'heure : 

Le 11 janvier 1897, un coq vigoureux reçoit dans le péri- 
toine un sac de collodion plein d’une culture jeune de tubereu- 
lose bovine. (Ces cultures, provenant d’une mammite tubercu- 
leuse, ont tous les caractères de la tuberculose humaine, elles 
tuent cobayes et lapins avec des lésions identiques; elles sont 
sans action appréciable sur les poules.) 

Longtemps bien portant, vigoureux et gros, ce coq se mit 
tout à coup à maigrir; c'était vers la fin de septembre; sa crête 
pâlissait et tombait sur le côté, flasque et molle. Cet état s’aggra- 
vant et la fin semblant prochaine, je sacrifiai le coq le 28 octobre 
1897, près de 10 mois après l'insertion du sac, 

A l’autopsie, je trouvai, au niveau du testicule gauche, une 
masse irrégulière, du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sar- 
comateux, semée de petits foyers caséeux pleins de bacilles. 
Le péritoine était couvert de granulations tuberculeuses, grisà- 


068 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tres ou à peine caséeuses dans la partie centrale ; le foie et la 
rate, triplés de volume, étaient farcis de semblables granulations. 
Au centre de la tumeur, je retrouvai le sac de collodion, large- 
ment fissuré au point où il est soudé à son ajutage de verre. Il 
ne me paraît pas douteux que le sac s'était rompu tardivement, 
à une époque où les bacilles, habitués à vivre et à pulluler au 
contact des humeurs de la poule, ont pu résister à l’action pha- 
gocytaire de ses cellules et donner naissance aux lésions tuber- 
culeuses relativement récentes que l’autopsie a révélées. 

Or ne saurait prétendre que ce coq était déjà tuberculeux 
lors de l'insertion du sac, c’est-à-dire près de dix mois avant la 
mort ; sa longue survie, l’âge récent des lésions observées, les- 
quelles procèdent manifestement de la tumeur formée autour du 
sac rompu, éloignent déjà cette hypothèse. Mais ce qui la ruine 
définitivement, c'est que deux poules inoculées, l’une dans la 
veine du bras, l’autre dans le péritoine, avec une dilution de 
pulpe de la rate du coq tuberculeux, sont restées bien portantes 
et ne présentaient aucune lésion, quand on les sacrifia les 12 mai 
et 28 juillet 1898. — Si la lésion inoculée avait été d’origine 
aviaire, ces 2 poules seraient devenues rapidement tubercu- 
leuses. 

Messieurs, j'espère vous avoir convaincus qu'il est possible 
de donner au bacille de la tuberculose humaine les caractères 
biologiques et la virulence qui caractérisent le bacille de la tuber- 
culose aviaire ; dès lors, vous concluerez avec moi que ces 
deux bacilles, si différents en apparence, ne sont cependant que 
deux variétés d’une même espèce. 


APPENDICE 


PREMIÈRE SÉRIE D'EXPÉRIENCES 
Premier passage. 

Le 22 avril 1896, trois sacs de collodion, emplis de culture de tubereu- 
lose humaine sur pomme de terre glycérinée (culture âgée d'un mois), sont 
insérés dans le péritoine de trois poules (nos 4, 2 et 3). 

Pouze N° 1, sacrifiée le 15 septembre. Le sac, intact, vide de liquide, ren- 
ferme une sorte de mortier, épais, grisàtre, formé uniquement de bacilles 
granuleux. 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 569 

Avec ce produit, on ensemence 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes 
de gélose glycérinée, et l'on inocule 2 cobayes, 2 poules, { lapin. 

Résultats : Une seule pomme de terre a donné quelques maigres colo- 
nies, blanchâtres et verruqueuses, de bacilles de Koch. Repiquées sur 
pommes de terre après 6 semaines, ces colonies n'ont pas donné de nou- 
velles cultures. 

Un des cobayes (inoculé sous la peau de la cuisse) a eu un petit abcès 
bacillaire au peint inoculé et un peu d'induration du ganglion du pli du 
flanc : il est resté bien portant, vigoureux et gras. Sacrifié le 10 décembre, 
il a été trouvé indemne de toute lésion. 

L'autre cobaye (inoculé dans le péritoine) a maigri rapidement; il est 
mort le 2 novembre. avec des foyers caséeux bacillaires de l’épiploon, une 
rate élargie, rouge, friable, infiltrée de gros nodules arrondis, blanchätres, 
purulents, riches en bacilles ; — rien d’apparent au foie ni au poumon. 

Le lapin a succombé le 27 novembre, ayant perdu plus du tiers de son 
poids ; à l’autopsie, rate énorme, molle, pleine d’un fin piqueté blanchâtre; 
sa pulpe fourmille de bacilles. Les 2 poumons présentent un petit nombre 
de tubercules miliaires, gris avec un point central opaque. — Rien d’appa- 
rent au foie. 

Les 2 poules sont restées bien portantes; elles ont augmenté de poids. 
Sacrifiées le 8 février 1897, elles n’ont présenté aucune lésion apparente. 

Pouce N° 2, sacrifiée le 12 novembre 1896. Sac rompu; débris englobés 
dans du tissu fibreux jeune où l'examen bactériologique permet à peine de 
retrouver de petits amas bacillaires. 

Pouce N° 3, sacrifiée le 20 décembre 1876. Sac vide de liquide; parois 
couvertes d’une sorte de limon grisâtre formé uniquement de bacilles de 
Koch. 

Ensemencé 3 pommes de terre glycérinées et 3 tubes de gélose glycé- 
rinée. . 

Inoculé 2 cobayes, l’un sous la peau de la cuisse, l’autre dans le péritoine ; 
2 poules, l’une dans la veine du bras, l’autre dans le péritoine ; 1 lapin, 
dans la veine marginale de l'oreille. 

Résultats : 2 pommes de terre et 1 tube de gélose ont donné de nom- 
breuses colonies, dont le repiquage a provoqué une culture abondante et 
rapide, ayant tous les caractères de la tuberculose aviaire : couche épaisse, 
grasse, plissée, s’étalant très facilement. 

Comme dans la série précédente, les 2 poules sont restées indemnes,; il 
en a été de mème du cobaye inoculé sous la peau. 

L'autre cobaye est mort, étique, le 26 janvier 1897, avec de l’ascite et 
de la pleurésie, un boudin épiploïque infiltré de foyers caséeux bacillaires, 
une rate énorme, rouge, molle, avec 5 ou 6 gros nodules arrondis, blan- 
châtres, pleins de pus caséeux, assez liquide, très riche en bacilles. 

Le lapin a succombé, très maigre, le 14 février, avec: une rate agrandie 
dans tous les sens, molle, friable, comme piquetée de fines granulations 
blanchâtres. La pulpe de la rate et la moelle des os longs, examinées par 
frottis, semblent une culture pure de bacilles de Koch, d’une richesse invrai- 
semblable. 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(dr 
=1 
(=) 


Deuxième passage. 


Le 21 janvier 1897, 2 sacs de collodion, emplis de bacilles donnés par 
la culture sur pommes de terre du 27 décembre 1896, sont insérés dans le. 
péritoine de deux poules. (Nos 4 et 5). 

PouLe N° 4, sacrifiée le 20 mai 1897. Sac affaissé, mais intact; parois 
couvertes d’une couche épaisse et visqueuse formée de bacilles de Koch, 
longs, flexueux et granuleux. à 

Ensemencé 2 tubes de pomme de terre glycérinée et 2 tubes de gélose 
glycérinée. 

Inoculé 2 cobayes (peau et péritoine), 2 poules (péritoine et veine) et 
1 lapin (veine de l'oreille). 

Résultats : Cultures assez riches sur tous les tubes ensemencés, épaisses, 
molles, grasses, plissées, s’étalant sans difficultés, ayant en un mot tous les 
caractères du type aviaire. 

Comme précédemment, les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau sont 
restés indemnes. 

Le cobaye inoculé dans le péritoine est mort le 15 juillet avec de l’ascite, 
une rate élargie en tous sens, rouge, molle, friable, sans nodules ou foyers 
de dégénérescence apparents; la pulpe examinée par frottis renfermait de 
nombreux bacilles. 

Le lapin inoculé dans Ja veine de l'oreille est devenu rapidement 
squelettique ; il a succombé le 11 juillet à une véritable septicémie tuber- 
culeuse accusée par une rate énorme (17 grammes), molle et friable, pleine 
de bacilles, comme d’ailleurs la pulpe du foie et la moelle osseuse. 

PouLe N° 5, sacrifiée le 13 juillet. 

Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier bacillaire. 

Fait cultures. 

Inoculé, comme précédemment, 2 cobayes, 2 poules, et lapin. 

Comme précédemment, les cultures ont montré tous les caractères de la 
tuberculose aviaire. 

Les 2 poules et le cobaye inoculé sous la peau ont résisté. 

Seuls ont succombé : le lapin (16 août) et le cobaye inoculé dans la 
péritoine (29 août), avec des lésions analogues à celles déjà décrites, lésions 
très différentes de celles provoquées par le bacille humain, très analogues 
au contraire à celles dues au bacille aviaire. 


Troisième passage. 


Avec l’une des cultures sur pomme de terre glycérinée ensemencée le 
13 juillet, on emplit 2 sacs de collodion que l’on insère le {1 août 1897 dans 
le péritoine de 2 poules (n°s 6 et 7). 

PouLe N° 6, sacrifiée le 24 décembre 1897, 

Sac intact, à demi plein d’une sorte de mortier, gris jaunâtre, formé 
uniquement de bacilles de Koch, longs, flexueux et granuleux. 

Fait cultures et inoculations. 

Résultats : Tous les ensemencements fails sur gélose et pommes de terre 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 571 


glycérinées ont été fertiles et ont donné des cultures ayant les caractères du 
type aviaire. 

Le cobaye inoculé sous la peau est resté indemne ; le cobaye inoculé dans 
le péritoine est mort le 3 mars, très amaigri, avec un petit nombre de 
foyers caséeux épiploiques et une rate élargie dans tous les sens, rouge, 
molle, friable, sans nodules ou foyers de dégénérescence. 

Le lapin a succombé le 29 janvier, ayant perdu les 2/5 de son poids, avec 
une rate énorme, noirâtre, molle et friable. — La pulpe de la rate, celle du 
foie, la moelle des os renfermaient une quantité considérable de bacilles. 

Des 2 poules, celle inoculée dans le péritoine est restée bien portante ; 
sacrifiée le 21 mai 1898, elle n’a présenté aucune lésion tuberculeuse. Au 
contraire, celle inoculée dans la veine du bras a succombé très amaigrie, le 
2 mars, avec une tuberculose miliaire intense du foie, de la rate et de la 
moelle des es. Deux autres poules, inoculées le jour même, par injection 
intraveineuse d’une dilution légère de pulpe de rate, sont mortes avec des 
lésions identiques, mais plus fines et plus confluentes, l'une le 16 avril, 
et l’autre le 22 avril. 

PouLe N°7, sacrifiée le 4 mars 1898. 

Sac intact très affaissé; parois recouvertes d’un enduit épais, visqueux, 
formé uniquement de bacilles longs, flexueux et granuleux. 

Les 3 pommes de {erre ensemencées ont donné de riches cultures type 
aviaire. | 

4 poule (inoculée dans la veine du bras) est morte le 20 mai, avec une 
hypertrophie considérable du foie et de la rate, sans tubercules apparents; 
mais l'examen bactériologique a montré dans la pulpe des organes et dans la 
moelle des os longs une véritable culture pure, extrêmement riche, de bacilles 
de Koch. Une autre poule, inoculée le même jour dans le péritoine, a été 
sacrifiée le 24 juillet très amaigrie, la crête pâle, la respiration anhélante; 
l'autopsie a montré une tuberculose miliaire intense du foie et de la rate, 
identique à celle de la maladie naturelle. 


3me SÉRIE D'EXPÉRIENCES ‘ 

Le 11 janvier 1897, on insère dans le péritoine des poules n° 8, 9 et 10 
un sac de collodion empli de culture de tuberculose bovine (provenant d’une 
mammite tuberculeuse) ensemencée le 15 décembre 1896 sur pommes de 
terre glycérinées. 
= Poure N° 8, sacrifiée le 20 mai; sac intact, vide de liquide; parois en- 
duites d'une couche épaisse et grisâtre de bacilles tuberculeux. 

Fait cultures et inoculations. 

Un des 3 tubes de pommes de terre ensemencés présente, après un mois 
de séjour à l’étuve, quelques colonies saillantes, verruqueuses, de bacilles 
de Koch ; ces colonies semblent plus grasses et plus faciles à dissocier que 
celles des cultures originelles. 


1. Je ne fais que mentionner une 2% série d’expériences, concue sur le même 
plan que la première, mais dont les résultats ont été entièrement négatifs; 2 sacs 
sur 3 s'étaient rompus; le 3° était intact, mais entièrement vide ; les bacilles 
ensemencés avaient perdu toute végétabilité et toute virulence ; d’ailleurs ils 
provenaient d'une culture sur bouillon sans doute trop vieille. 


572 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Réensemencées sur de nouvelles pommes de terre glycérinées, elles pous- 
sent plus vigoureusement et donnent, en moins d’un mois, une couche 


épaisse, grasse, visqueuse et plissée, semblable en un mot aux cultures de 
tuberculose aviaire. - 

Un cobaye inoculé sous la peau de la cuisse a un gros abcès caséeux qui 
s'est ouvert spontanément et s'est cicatrisé de même au bout de quelques 
semaines. Le ganglion du pli du flanc, d'abord hypertrophié el induré, puis 
obscurément fluctuant, a donné, à la ponction, un pus caséeux trés riche 
en bacilles. L'animal, resté gras et vigoureux, a été sacrifié le 11 août : à 
part le ganglion prépelvien correspondant, qui s’est montré hypertrophié, 
induré et caséeux dans sa partie centrale, on n'a relevé à l’autopsie aucune 
lésion appréciable. 

Un 2e cobaye inoculé dans le péritoine est mort, très amaigri, le 2 juillet : 
il avait de l’ascite fibrineuse, une éruption de petits foyers caséeux sur le 
péritoine et dans l’épiploon, une rate large, rouge, molle, infiltrée de gros 
nodules purulents et bacillaires. 

Un lapin, inoculé dans la veine de l'oreille, succombait le 27 juillet, 
avec une tuberculose miliaire intense de la rate et du poumon. 

Deax poules inoculées dans le péritoine et dans la veine du bras restaient 
vigoureuses et gagnaient du poids; sacrifiées le 11 août, elles ne présentaient 
aucune lésion apparente. 

Pouce N° 9, sacrifiée le 11 août; le sac intact, renferme une sorte de 
mortier grisâtre formé uniquement de bacilles. 

Fait cultures et inoculations. 

Un tube de pomme de terre sur les 3 ensemencés portait, après un 
mois de séjour à l’étuve, plusieurs colonies saillantes et verruqueuses, 
lesquelles, transportées sur de nouveaux tubes, donnaient rapidement une 
couche épaisse, grasse et plissée, analogue aux cultures aviaires. 

Deux cobayes inoculés l’un sous la peau, l’autre dans le péritoine, sont 
restés absolument indemnes; il en est de même des deux poules inoculées 
l'une dans le péritoine, l’autre dans la veine du bras. 

Seul, un lapin, inoculé dans la veine de l’oreille, succombait le 27 sep- 
tembre avec une tuberculose intense des deux poumons et quelques granu- 
lations caséeuses de la rate. 

Coo x° 10, sacrifié le 28 octobre 1897; ce coq maigrissait beaucoup depuis 
quelques semaines ; il avait la crête tombante, de couleur pâle ou violacée. 

A l’autopsie : ascite fibrineuse, éruption confluente sur le péritoine de 
fines granulations grises, avec un point central opaque; rate et foie infiltrés 
de tubercules miliaires, à centre caséeux, entouré d'une épaisse zone 
grisâtre; au niveau du testicule gauche, tumeur à contours irréguliers, 
du volume d’un œuf de pigeon, d'aspect sarcomateux, avec des foyers 
caséeux mulliples, pleins de bacilles; au centre de cette tumeur, on retrouve 
le sac de collodion largement fissuré. 

Deux poules inoculées, l’une dans le péritoine, l’autre dans la veine du 
bras, avec une dilution de rate tuberculeuse, sont restées bien portantes ; 
sacrifiées les 20 mai et 28 juillet, elles n'ont présenté aucune lésion tuber- 
culeuse apparente. 


Détete d ù n - 


TUBERCULOSE HUMAINE ET TUBERCULOSE AVIAIRE. 573 


Au contraire, un lapin inoculé dans la veine de l'oreille avec la même 
dilution de rate succombait le 28 décembre 1897, avec une tuberculose 
miliaire intense de la rate et des poumons. 

Enfin, de deux cobayes inoculés le même jour, l'un sous la peau, l’autre 
dans le péritoine, celui-ci seul succombait le 48 janvier 1898, avec unpetit 
nombre de foyers, caséeux et bacillaires, de l’épiploon et de la rate. 

La pulpe de la rate de la poule n° 9, ensemencée largement sur gélose et 
sur pomme de terre glycérinée, n'avait pas donné de culture. Mais j'en 
obtins de superbes, du type aviaire le mieux caractérisé, avec la pulpe de 
rate du lapin mort le 28 décembre. 

Ces cultures, inoculées dans les veines, tuent les lapins en moins d'un 
mois avec des lésions très accusées de septicémie tuberculeuse, sans tuber- 
cules apparents; elles sont sans effet sur les poules quel que soit le procédé 
d'inoculation et sur les cobayes qu'on inocule sous la peau. 


*X 
* Ces cultures m'ont servi à faire de nouveaux passages en sacs de collodion, 
mais les animaux témoins sont inoculés depuis trop peu de temps pour que 
j'aie pu les sacritier avant la réunion du Congrès. 


UNE ÉPIDEMIE DE PARALNSIE ASCENDANTE CHEZ LES ALIÈNÉS- 


RAPPELANT LE BÉRIBÉRI 


L4 
Par MM. CHANTEMESSE ET RAMOND 
Professeur de pathologie expérimentale ét comparée Préparateur du laboratoire de pathologie 
à la Faculté de médecine. expérimentale et comparée. 


Pendant l'été de 1897, de mai à octobre, une épidémie a 
éclaté à l’asile d’aliénés de Sainte-Gemmes-sur-Loire, elle a 
atteint cent cinquante personnes et en a tué environ quarante’, 

Cette maladie se traduisait par des modifications de la peau, 
des troubles digestifs, des perturbations nerveuses qui faisaient 
penser à la pellagre ; elle montrait encore des œædèmes, des 
atrophies musculaires intenses, des douleurs, des phénomènes 
de paralysie ascendante, la perte des réflexes tendineux qui la 
rapprochaient du Béribéri de l’extrème-Orient. 

Elle s’attaquait enfin à une certaine classe de la population 
de l’asile, les indigents; elle frappait d'une manière plus géné- 
ralisée certaines salles de malades, comme si la contagion jouait 
un rôle dans sa genèse. 


[ 


Au mois de mai 1897, on remarqua chez les épileptiques 
internés à l’asile une mortalité inaccoutumée. Les malades 
mouraient au milieu de crises convulsives répétées, et leurs 
corps étaient atteints d’une enflure notable. L'éveil donné, on 
rechercha chez les autres malades l’existence de cet œdème, et 
on l’observa fréquemment chez les idiots, les épileptiques et les 
mélancoliques de la section des indigents. Cet œdème était, dans 

1. L'existence de cette épidémie à l’asile de Sainte-Gemmes fut signaiée à M. le 
ministre de l'Intérieur par M. le Dr Petrucci, directeur, médecin en chef de 
l'asile. L'un de nous fut chargé de faire une enquête officielle. La relation que 
nous publions à été écrite d’après les faits que nous avons vus personneliement, et 
d’après les observations qui nous ont été communiquées par M. le Dr Petrucci, 


par M. Coulon, médecin-adjoint, et M. Malbois, interne de service. Nous leur 
adressons nos vifs remerciements. 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBERI. 573 


l'immense majorité des cas, le premier phénomène morbide 
appréciable. Il apparaissait le soir sur les pieds el dans les 
régions malléolaires et prétibiales. Il envahissait successive- 
ment les jambes, les cuisses, les lombes où il constituait une 
épaisse cuirasse, il gagnait enfin les membres supérieurs, la 
poitrine, la face, le scrotum et même les cavités séreuses. Le 
gonflement des replis aryténo-épiglottiques a été observé. Il se 
manifestait surtout dans les régions déclives. Cet œdème de a 
peau et du tissu cellulaire affectait la particularité remarquable 
d'être dur, et de ne pas conserver l'empreinte du doigt qui le 
pressait. 

Déjà à ce moment les battements du cœur étaient désor- 
donnés, rapides, s’élevant à 100, 140 pulsations par minute, 
sans fièvre bien manifeste. A mesure que la malad'e progressait, 
le pouls devenait ordinairement plus rapide et plus misérable. 
Rarement il était ralenti. 

En même temps que l’æœdème, d’autres phénomènes appa- 
raissaient. C’étaient de fréquentes nausées, surtout le matin au 
lever, du hoquet, des vomissements répétés, alimentaires ou 
bilieux. Ces vomissements, malgré l’état de la langue qui était 
parfois saburrale et souvent d'apparence normale, ne s’accom- 
pagnaient pas d’anorexie ; au contraire, les malades témoignaient 
d’une certaine avidité pour la nourriture. La constipation accom- 
pagnée de légères coliques et de météorisme était plus fréquente 
que la diarrhée. Les vertiges étaient constants. Les malades se 
plaignaient de ressentir des douleurs dans les reins, dans les 
côtés, autour de la ceinture ; ils accusaient surtout la sensation 
d’un poids qui les oppressait au-devant du sternum. 

Cependant les forces étaient conservées, la station debout et 
la marche étaient possibles. Un examen attentif permettait de 
constater chez quelques malades un léger trouble dans la coordi- 
nation motrice des jambes. Les réflexes tendineux étaient 
diminués. Parfois, mais non toujours, l'urine contenait de 
Talbumine. 

Un phénomène plus frappant était constaté déjà. Bon nombre 
de malades présentaient dans les parties découvertes de la peau, 
à la face et sur le dos des mains, une teinte brunâtre absolument 
semblable à celle qu’on voit sur la peau des hommes astreints 
aux travaux des champs. 


576 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Ces divers phénomènes morbides caractérisaient la première 
période de la maladie. Celle-ci pouvait être longue, les symp- 
tômes persistaient en état un mois ou deux. 

Dans les cas les plus heureux ils s’amendaient peu à peu, et- 
le malade entrait en convalescence. Celle-ci était entrecoupée de 
retours offensifs de l’œdème, qui obligeaient le patient à reprendre 
le lit pour quelques jours. 

Les signes de paralysie s’accentuaient souvent d’une manière 
plus ou moins brusque. Chez quelques malades la station deve- 
nait de plus en plus difficile ; daus le cours d’un mouvement, les 
jambes se dérobaient sous le corps: chez d’autres, les signes de 
cette paralysie frappaient brutalement avant tout autre phéno- 
mène prémonitoire, culané ou digestif. 

Quelle que füt la progression du début, arrivés dans celte 
période paralytique, les patients étaient dans l'impossibilité de 
marcher seuls ou de se tenir debout. Soutenus par un aide, ils 
lançaient les jambes en avant à la façon des ataxiques, et les 
pieds glissaient sur le parquet, la pointe tournée en dedans, le 
bord interne légèrement élevé et la face supérieure bombée. 
Assis, le malade laissait flotter ses jambes, qui subissaient, comme 
celles d’un polichinelle, les mouvements imprimés. 

Le malade qui pouvait encore progresser ne le faisait qu’en 
prenant un point d'appui avec les mains. Le corps courbé, la 
tête en avant, il s’avançait en traïnant les pieds qu’il heurtait par 
saccades l’un contre l’autre. S'il tombait, il lui fallait le secours 
d’un aide pour se remettre dans son lit. Plusieurs présentaient 
le signe de Romberg. Chez tous, les réflexes patellaires étaient 
abolis, les réflexes cutanés ne disparaissant qu'à la période 
ultime. 

La paralysie s’étendait parfois au rectum et à la vessie. Le 
cathétérisme devenait nécessaire. Sur 150 malades atteints, le 
tiers a été paralysé. 

Chez plusieurs sujets, un notamment, dont nous avons fait 
l’autopsie, la paralysie a présenté une marche ascendante pro- 
gressive et rapide. Les membres supérieurs comme les inférieurs 
étaient dans la résolution complète, le diaphragme a été para- 
lysé, et la scène s’est terminée lentement par des phénomènes 
asphyxiques et cardiaques, tels qu’on les voit dans les lésions 
bulbaires. 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. d77 


/ 


Ces paralysies avaient un caractère particulier; elles s’ac- 
compagnaient d’atrophies musculaires intenses et de troubles 
marqués de la sensibilité. Dès le début, l'atrophie frappait 
symétriquement les muscles des jambes, des cuisses, des bras ; 
les fléchisseurs résistaient mieux que les extenseurs. Les muscles 
réduits, flasques, ballottants, étaient le siège de douleurs spon- 
tanées, sous la forme de fourmillements incessants, de crampes, 
de tiraillements extrèmement pénibles. La pression des masses 
musculaires atteintes arrachait des cris aux malades. On consta- 
tait parfois l'hyperesthésie ou l’anesthésie de la peau, plus rare- 
ment la perte du sens musculaire. 

La vaso-motricité présentait des troubles profonds. Couché, 
un paralytique offrait une teinte normale de la peau: mis debout, 
la moitié inférieure de son corps se couvrait en quelques instants 
d'une couleur écarlate. 

L'examen ophthalmoscopique a été pratiqué chez la plupart 
des malades par M. le D' Motais (d'Angers). Chez tous. mème 
les plus atteints, la pupille était normale et intacte. Ce médecin 
a constaté de l’hypermétropie chez quelques sujets, et une 
amblyopie marquée chez une femme d’une cinquantaine d'années. 

A cette période de troubles trophiques musculaires. certaines 
régions de la peau étaient profondément touchées et présentaient 
des lésions qui se rapprochaient beaucoup de celle de la pellagre. 
Sur le dos des mains, des plaques d’érythème, roses d'abord, 
rouges ensuite, apparaissaient. Très irrégulières de forme et 
d’étendue, elles pouvaient envahir toute la face dorsale des 
mains et des poignets. À leur niveau, les malades accusaient 
une sensation de démangeaison, puis de brülure. Sur ces 
plaques érythémateuses, des phlyctènes s’élevaient et se des- 
séchaient rapidement, laissant de larges squames fendillées, 
très adhérentes à la peau. Leur desquamation mettait à jour 
une peau rouge par endroits, blanche en d’autres, comme 
cicatricielle. 

Les troubles trophiques ne se limitaient point là. Il y avait 
fréquemment des eschares du sacrum, quelquefois du purpura et 
des ecchymoses. Trois malades ont été pris, sans trace de rou- 
geur ni d’empâtement articulaire, d’une lésion des jointures, deux 
fois au genou, une fois à l’épaule. Le début s’est fait progressi- 
vement par des douleurs vives dans les articulations atteintes. 


37 


d78 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La palpation, très douloureuse, permettait de reconnaître la pré- 
sence d’un épanchement considérable; on ne percevait pas de 
froissements articulaires. 

Parvenue à cette période atrophique, l'évolution de la maladië 
variait suivant les cas. Chez certains malades, les douleurs mus- 
culaires et les troubles trophiques diminuaient progressive- 
ment, le malade parvenait peu à peu à se lever et à marcher. 
Pendant le cours de latrophie musculaire il se créait des posi- 
lions vicieuses sous l'influence du tonus des fléchisseurs, qui 
n’était pas contre-balancé par celui des muscles antagonistes ; des 
rétracüons tendineuses s’installaient avec leurs conséquences: 
les fig. 1 et 3 de la planche VI montrent des faits de ce genre. 

Chez d’autres, au contraire, les symptômes nerveux au lieu 
de s’amender ne faisaient que s'accroitre. Les troubles gas- 
triques, cardiaques et respiratoires se montraient plus marqués. 
Les vomissements reparaissaient. Le pouls devenait misérable, 
imperceptible, très fréquent et fournissait 150 pulsations ct au 
delà. On voyait la respiration se précipiter, le diaphragme se 
paralyser, les mucosités s’accumuler dans les bronches; le 
malade ne pouvait plus expectorer ni mème déglutir. L’agonie 
commençait et durait plusieurs jours, accompagnée de sueurs 
profuses, parfois odorantes. Il n’y avait pas de fièvre. Il est à 
remarquer en effet que dans cette maladie où les perturbations 
nerveuses étaient si profondes, les modifications thermiques 
n’occupaient qu'une place modeste. Au début de la maladie, dans 
les formes à marche rapide, on constatait assez souvent une 
fièvre de quelques jours de durée ne dépassant pas 39°, puis la 
maladie évoluait apyrétique. Dans les périodes ultimes de l’atfec- 
tion, quand des complications dues le plus souvent aux eschares 
du sacrum se développent, il n'était pas rare de voir la tempé- 
rature s'élever : il était difficile en pareil cas de ne pas accorder, 
dans la genèse de cette fièvre, une part importante à l'infection 
secondaire. 


Il 
Tels sont en résumé les principaux caractères de l'épidémie 


que nous avons observée. En s'en tenant seulement aux 
phénomènes cliniques, à quelle maladie déjà décrite se rap- 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 579 


porte-t-elle? Dans quel cadre nosologique faut-il la placer? 

Lorsque cette épidémie a éclaté à l'asile de Sainte-Gemmes, en 
mai 1897, l’érythème bronzé des régions de la peau exposées au 
soleil, les vomissements et les troubles digestifs caractérisés 
par de la constipation et parfois de la diarrhée, les phénomènes 
nerveux et la cachexie ultime avaient fait penser qu'il s'agissait 
d'une épidémie de pellagre. On sait que cette dernière présente 
des symptômes qui ne sont pas très éloignés des précédents. 
Dans les épidémies qui ont frappé la Lombardie, la Vénétie, la 
Vieille Cestille, et certaines régions de la France telles que les 
provinces des Landes, du Laurençais, de la Champagne, on a 
reconnu autrefois ou cru reconnaître la pellagre. La différence 
avec l'épidémie que nous avons observée consiste en ce que la 
pellagre frappe de pauvres gens mal nourris, mais sains d'esprit, 
et qu'elle les amène lentement, en plusieurs années, à un état de 
faiblesse tel que la démence s'ensuit, accompagnée souvent de 
tentatives de suicide. À Sainte-Gemmes, au contraire. la maladie 
a attaqué des individus déjà déments, des idiots, des épileptiques. 
Dans le cours de leur longue maladie, l’état mental des sujets 
ne s'est pas modifié. Les maniaques sont restés excités jusqu'au 
dernier moment, incohérents et loquaces, les mélancoliques 
tristes, déprimés ou dans la stupeur, les déments absurdes ; 
la folie circulaire s’est déroulée avec les mêmes alternatives 
d’excitation et de dépression. La maladie n’a pas eu en somme 
les allures lentes de la pellagre; elle a frappé vite et a tué quel- 
quefois en peu de temps. Mais une différence dans la rapidité 
d'action de deux phénomènes morbides ne peut suffire à elle 
seule à les départager. D'autant mieux que dans ce même asile 
de Sainte-Gemmes, une épidémie très analogue à celle de notre 
époque a éclaté de 1855 à 1865. Elle a eu pour historien princi- 
pal ie médecin directeur de cet asile, le D' Billod*. Ce médecin: 
distingué, frappé par la ressemblance des symptômes qu'il obser- 
vait à l’asile de Sainte-Gemmes et qu'il avait constatés antérieu- 
rement à l'asile de Rennes, avec ceux que présentaient les 
pellagreux d'Italie, voulut que la maladie de Sainte-Gemmes fût 
la pellagre, ou tout au moins une variété de la pellagre, la pel- 
lagre des aliénés. Il voulait lui réserver une place à côté de la 


4. Voir les diverses publications du Dr Billod dans les Archives de Médecine 
de 1858 et dans son Zraité de la pellagre. Masson, 1865. 


D80 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


pellagre italienne, castillane, landaise. Il se donna pour mission 
de démontrer, d’une part que la maladie de Sainte-Gemmes 
était bien la vraie pellagre, et d'autre part que, ses malades 
n'ayant pas mangé de maïs et par conséquent de maïs altéré,” 
la cause de la pellagre ne pouvait être cherchée dans l’alimenta- 
lion par une farine de maïs défectueuse. C'était, on le voit, la 
réfutation de l'opinion qui, à cette époque, sous l'influence des 
travaux de Balardini et de Th. Roussel, avait rallié la majorité 
des médecins. 

Sans s'attacher à l'étude attentive de l'évolutjon des deux 
maladies, à l'analyse détaillée des symptômes nerveux, de leurs 
particularités, de leur mode d'apparition, des différences qu'une 
comparaison pouvait établir, le D' Billod s’efforça de mettre en 
parallèle les phénomènes cutanés de la pellagre d'Italie et de la 
sienne. H s’étendit sur l'existence de la diarrhée etde la cachexte, 
et partout où il aurait pu rechercher l’évolution des troubles 
musculaires paralytiques et trophiques, il ne les désigne que par 
deux mots : émaciation, marasme. C'est dire que les observa- 
tions de Billod ne sont pas toujours assez complètes pour permettre 
de juger si l'épidémie qu'il a observée à Sainte-Gemmes en 1855, 
et celle que nous avons vue en 1897 sont une seule et même 
chose, 

Cependant, si on se rapporte non à la description didactique, 
mais aux observations publiées par Billod', on en trouve plu- 
sieurs qui paraissent être les protocoles d'observations que 
nous avons faites personnellement. Billod cite plusieurs faits 
qu'ilnomme pellagre aiguë, qui ont évolué en 3, 4 et5 semaines. 
Il signale que ses malades n’ont jamais été soumis à l’insolation, 
et qu’à l’autopsie, faite 2 à 3 mois après le début, il a trouvé de 
l'infiltration des membresinférieurs etdes muscles des gouttières 
vertébrales, la flexion forcée de la jambe sur la cuisse, la rétrac- 
tion de tous les doigts de la main droite vers la face palmaire, etc. 

À l’autopsie enfin, il constatait souvent le ramollissement 
apparent de la partie inférieure de la moelle, fait quia été retrouvé 
plusieurs fois dans l'épidémie actuelle. 

La conception de Billod que l'épidémie de Sainte-Gemmes 
était la vraie pellagre, ne fut pas adoptée par tous les médecins. 
La commission de l’Académie des sciences, présidée par Rayer, 


1. Arch. génér. de Médec. 1858, T°, 12, p. 67, 73 el suivantes. 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRL. 581 


chargée de faire un rapport sur les observations de Billod, con- 
clut, tout en rendant hommage à sa découverte, qu'il avait 
observé autre chose que la pellagre. Le caractère le plus saillant 
de l’épidémie que nous avons observée, et que Billod a observé 
aussi, croyons-nous, réside dans les troubles trophiques portant 
principalement sur les muscles. Ces troubles trophiques muscu- 
laires n’existent pas dans la pellagre. Le livre si remarquable de 
Th. Roussel ne les mentionne pas. Les recherches récentes de 
Tuczeck, de Belmondo sur la pellagre montrent que les symp- 
tômes de cette maladie sont étroitement correspondants à la selé- 
rose des cordons latéraux et des cordons postérieurs de la 
moelle. ils consistent dans des phénomènes de paralysie spas- 
modique, avec des réflexes rotuliens le plus souvent exagérés. 

L'évolution rapide et les troubles trophiques musculaires de 
la maladie que nous avons étudiée dans l'épidémie de Sante- 
Gemmes, comme Billod Pavait étudiée quarante ans avant nous, 
n'appartiennent donc pas à la vraie pellagre. 

Le phénomène (pelvis ægra) qui a donné son nom à la mala- 
die, a, comme rançon, troublé son histoire pathologique, 
L'érythème cutané brunâtre ou rose, ou rouge, est devenu, dans 
l'esprit de certains auteurs, un signe pathognomonique de cette 
affection. Cependant la pellagre n’est pas la seule maladie où 
l’on voie survenir, en même temps que des troubles digestifs e! 
nerveux allant jusqu’à la paralysie, des érythèmes localisés qui 
laissent à leur suite un épiderme jaune noirâtre. Telle est, par 
exemple, cette singulière maladie qui a sévi épidémiquement 
à Paris en 1828, où elle a frappé, dit-on, 40,000 malades, qui s’est 
ensuite montrée en Belgique en 1846, et plus tard dans l'armée 
française, en Crimée (Tholozan). 

L'acrodynie qui, en 1828, parcourait successivement à Paris 
les casernes, les prisons, puis les différents quartiers de la capi- 
tale, ne laisse pas que d'offrir quelques traits communs avec la 
maladie de Sainte-Gemmes. Les travaux de Genest, Dance, les 
observations de Chomel, les publications plus tardives de Tho- 
lozan et de Gintrac nous montrent l’acrodynie commençant par 
des troubles digestifs, puis par une bouffissure, un œdème dur 
de la face, qui souvent ne garde pas l'empreinte du doigt et qui 
peut se généraliser. Bientôt apparaissent, vers les pieds et les 
mains, des phénomènes d’engourdissement, de fourmillements 


582 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


ct mème de crampes irradiant vers les divers segments du 
membre. La contractilité est plus ou moins affectée. Alors, se 
développent à la face plantaire et palmaire, et parfois dorsale des 
extrémités, des rougeurs érythémateuses, de dimensions, de cou- 
leurs. de localisation extrèmement variables. Plus tard, lhyper- 
esthésie et les phénomènes spasmodiques des extrémités font 
place à de l’anesthésie, à de la faiblesse, ou mieux à des paraly- 
sies. L'érythème pâlit, laissant à sa place un épiderme brunûtre, 
et le patient guérit, sans jamais avoir présenté aucun trouble 
cérébral. La maladie dure de quelques jours à 5 ou 6 mois, 
Chomel à vu la paralysie être assez étendue pour occasionner la 
mort. Si l'on tient compte de l'énumération des symptômes en 
particulier, troubles digestifs. troubles trophiques de la peau et 
du tissu cellulaire, paralysies précédées de douleurs vives, on 
voit que l’acrodynie présente des signes qui ne sont pas rares 
dans la maladie de Sainte-Gemmes. Mais si on envisage l’évolu- 
tion totale des accidents, les différences sont assez profondes 
pour que les deux maladies ne puissent être confondues. 

Comme la maladie de Sainte-Gemmes, l'acrodynie a sévi 
d'une manière épidémique. En 1828, les soldats de la garnison 
de Paris, nourris avec les mêmes vivres, étaient atteints dans 
certaines casernes (Lourcine, La Courtille, Popincourt) et res- 
pectés dans d’autres. Les malades de l'hospice Marie-Thérèse 
fournirent de nombreuses victimes à l'épidémie. Le boulanger 
de l'hospice fut accusé de livrer du mauvais pain et changé. 
L'épidémie ne disparut pas. L'idée de la contagion s’imposait 
déjà dans cette singulière maladie. 

Sila maladie de Sainte-Gemmes n’est ni la pellagre, niPaero- 
dynie, il est une affection à laquelle elle ressemble singulière- 
ment, c’estle Kakke du Japon, le Béribéride Ceylan, de la Chine, 
de l'Inde, des îles du Pacifique, de la côte occidentale d'Afrique, 
de certaines portions de la côte du Brésil et des Indes Occiden- 
tales. 

D’après les descriptions de Bäülz et Scheube, de Peckelharing, 
de Lacerda, le Béribéri-se caractérise par une paralysie et une 
atrophie musculaire portant sur les membres inférieurs et plus 
particulièrement sur les muscles de larégion antéro-externe de la 
jambe, d'où la chute de la pointe du pied et la démarche spé- 
eiale- de steppage. La paralysie peut s'étendre au tronc, aux 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 583 


membres supérieurs ; dans la forme dite pernicieuse, son évolu- 
tion rappelle celle de la paralysie ascendante aiguë. 

En même temps qu'apparaissent ces phénomènes de paraly- 
sie amyotrophique, les malades accusent des douleurs vives 
dans les masses qui s’atrophient. Les réflexes rotuliens sont 
abolis; lœdème des membres inférieurs est souvent très pro- 
noncé; enfin, dès le début de la maladie, il existe des troubles car- 
diaques, caractérisés par des souffles et de la tachycardie très 
manifeste. La maladie se présente sous diverses formes, bénigne 
ou grave, hydropique, atrophique, pernicieuse; les patients 
peuvent guérir, même après avoir été longtemps paralysés. 

Cliniquement, on voit combien lxsymptomatologie du Béribéri 
est rapprochée de celle de la maladie de l'asile de Sainte-Gemmes, 
Sa ressemblance est aussi étroite au point de vue anato- 
mique. 

Bälz et Scheube ont montré que la lésion du Béribéri était une 
polynévrite périphérique ; nous allons voir que cette polynévrite 
existe dans la maladie de Sainte-Gemmes. 


II 


Nous n'avons observé l'épidémie que dans sa période termi- 
nale et n'avons pratiqué que deux autopsies. Les cadavres 
avaient été placés de bonne heure dans la glace pour éviter la 
putréfaction. Dans le premier cas, il s'agissait d’un homme de 
soixante-trois ans, paralytique général, ayant succombé à la 
suite de troubles qui rappelaient ceux d'origine bulbaire. 
Les enveloppes de la moelle ne présentaient pas de lésions ; la 
moelle était congestionnée dans la région lombaire. Rien à signa- 
ler du côté du bulbe; l’encéphale était atteint de méningo-encé- 
phalite diffuse. Les poumons étaient congestionnés aux deux 
bases : le cœur dilaté et rempli de gros caillots cruoriques. Le 
foie apparaissait normal ; la rate était hypertrophiée, comme dans 
la plupart des autopsies pratiquées par M. Petrucei. Les autres 
viscères, le péritoine, n’offraient aucune lésion à l'œil nu. 

La deuxième autopsie se rapportait à une idiote de trente- 
deux ans, morté dans les mêmes conditions que le précé- 
dent. ; | 

Les enveloppes de l’axe cérébro-spinal étaient injectées, 


08 4 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sans granulalions dans leur épaisseur ou à leur surface. La 
moelle était congestionnée sur toute son étendue. L'examen 
des organes n’a révélé à l'œil nu aucune particularité intéres- 
sante. s 

Nous avons pratiqué, suivant les méthodes en usage, les exa- 
mens histologiques et bactériologiques. Les culiures ont été 
faites sur les divers milieux du laboratoire, en présence ou à 
l'abri de l'air. L’axe cérébro-spinal à été fixé par une solution 
de formol au dixième ; les nerfs périphériques ont été mis dans 
une solution d'acide osmique au centième. Enfin les fragments 
des divers viscères ont passé dans le sublimé acide, avant 
l'inclusion dans la paraffine. 

Les renseignements les plus importants sont fournis par 
Fexamen du système nerveux. Les nerfs périphériques se ren- 
dant aux muscles paralysés de la jambe, le cordon cervical du 
grand sympathique, le tronc du pneumogastrique gauche pris 
au cou, présentent des phénomènes de névrite ne portant pas sur 
tous les filets nerveux, mais sur quelques-uns, plus ou moins 
nombreux suivant les régions que l’on examine. 

Comme le montrent les fig. 6 et 7 de la planche VI, les fibres 
sont atteintes à divers degrés. Dans les unes, la myéline est 
segmentée en boules et se colore encore par l’acide osmique ; 
dans les autres, les altérations sont plus profondes, la myéline 
est désagrégée et méconnaissable, le cylindre-axe a disparu, 
la gaine du nevrilème est vide. 

Les lésions de névrite périphérique sont donc très mani- 
festes. Dans ies muscles correspondant à ces nerfs altérés on 
constate aussi des lésions. À côté de fibres musculaires dont 
la striation est normale et le volume conservé, on en distin- 
gue d’autres qui ont perdu leur striation ct leur couleur habi- 
tuelles. Elles sont diminuées de voiume et présentent dans la 
gaine du sarcolemme un grand nombre de noyaux. 

La moelle montre une congestion intense de ses vaisseaux 
sanguins. La substance blanche des cordons est intacte dans 
toute son étendue, On ne constate nulle part l'existence d’une 
sclérose portant sur les cordons postérieurs nt sur les cor- 
dons latéraux: rien en un mot qui ressemble aux lésions de la 
pellagre. 

Les lésions principales se voient sur les grandes cellules des 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRIL. 585 


cornes antérieures. Nombre de ces éléments paraissent tuméfiés, 
ont perdu leurs grains chromatophiles, présentent un noyau 
excentrique; quelques-unes montrent dans leur protoplasme des 
vacuoles nombreuses (fig. 5, planche VI). 

Dans les deux cadavres conservés dans la glace jusqu'à 
l’autopsie, l’ensemencement a permis de constater dans les 
organes et surtout dans le foie, la rate, le liquide céphalorachi- 
dien, la présence d’un mème microbe, tantôt à l’état de pureté et 
tantôt associé à un coccus ou bien au coli-bacille, comme dans 
les viscères du second individu. 

Ce microbe (fig. 2) se présente sous la forme d’un bâtonnet 
mobile, de dimensions variables, rappelant un peu l'aspect du 
proteus vulgaris de Hauser. Dans une culture pure, à côté de 
bacilles courts et trapus, il s’en trouve d’autres plus longs, 
alteignant parfois 4 à 8 w de longueur. Ils prennent bien les 
couleurs d’aniline, mais se décolorent par l'emploi de la méthode 
de Gram. Ensemencés sur les divers milieux, ils troublent forte- 
ment le bouillon-peptone dès la 27° heure, ne formant qu'un 
mince dépôt au fond du tube, et un voile presque imperceptible à 
la surface. L’odeur de la culture fraiche n’est pas fétide. Is liqué- 
fient la gélatine ; sur plaques de gélatine la colonie se présente 
sous une forme arrondie, sans prolongements serpigineux à la 
périphérie. Sur gélose inclinée, ils produisent, le long de la strie 
d’ensemencement, un large ruban gris blanchâtre, à contours 
polyeyceliques, épais et de consistance crémeuse, mais n'ayant 
aucune tendance à recouvrir toute la surface de ‘culture. Le lait 
est rapidement coagulé en masse, le coagulum ne se redissout 
pas ultérieurement; de même, l’on observe la fermentation des 
milieux lactosés. Sur pommes de terre, les colonies, d’abord 
incolores, prennent une teinte brunâtre au bout de quelques 
jours. 

A côté de ce bacille, nous avons rencontré dans le foie, chez 
les deux individus, un coccus, du genre streptocoque, immobile 
et prenant le Gram. Comme le streptocoque, il ne liquéfiait pas la 
gélatine, coagulait tardivement le lait, et sur gélose donnait des 
cultures peu volumineuses, « en grain de semoule », assez con 
fluentes; cependant, le bouillon était uniformément troublé, et 
l’inoculation de ce microbe sous la peau de l'oreille d’un lapin 
n’amenait point d'érysipèle. Quoique nettement pathogène pour 


5806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les lapins, cobayes et souris, il n’a jamais amené d'accidents 
nerveux remarquables. 


Toute autre fut l’action du bacille et de la toxine soluble 


sécrétée par ce microbe, après 6 jours de culture dans un bouil-” 


lon fabriqué par la digestion d’une rate avec la nepsine d'un 
estomac de porc. 

IL est à remarquer tout d’abord que ce microbe est sujet dans 
sa virulence et sa toxicité à des variations importantes. Ses 
germes, retirés fraîchement du corps humain, possédaient un 
pouvoir toxi-infectieux beaucoup plus marqué que ceux qui 
étaient conservés dans les milieux de culture du labora- 
toire 

Lorsque ce microbe possède une grande virulence, il suffit 
d'en inoculer une petite quantité sous la peau de l'oreille d’un 
lapin. Il se développe bientôt au point d’inoculation une eschare 
sèche, qui amène la destruction de l'oreille par une sorte de 
nécrose. L'animal présente un peu de fièvre. Au bout de 7 à 
8 jours. des signes de paralysie du train postérieur se dessinent. 
la vessie et le rectum se paralysent, une eschare apparaît sur la 
région fessière. Le lapin continue à se mouvoir un peu avec les 
membres antérieurs et à manger; puis les signes de paralysie 
ascendante deviennent plus manifestes, la tête peut difficilement 
se soulever et l’animal succombe en 12 ou 14 jours. Le microbe 
se retrouve dans les viscères, on constate notamment lexis- 
tence d’une méningo- -myélite dont les exsudats renferment le 
bacille à l’état de pureté. 

Si la dose inoculée est plus forte, l'animal suecombe en 24 ou 
36 heures à une septicémie. 

Dix lapins ont reçu de la toxine Soie en injections sous- 
cutanées, à la dose de 2 à 5 c. e., répétées une ou plusieurs 
fois. Cinq de ces animaux, après avoir présenté des signes de 
paralysie plus ou moins développée dans les membres inférieurs, 
ont guéri. Chez les autres, les signes de paralysie, au lieu de 
disparaître, se sont accentués, il s’est fait un amaïgrissement 
considérable des muscles du train postérieur, des gouttières 
vertébrales dé la région dorsale. L’émaciation musculaire con- 
trastait vivemént avec le bon état des membres antérieurs. La 
souillure des déjections tachaït le train postérieur, et des eschares 
se développaient aux points qui subissaient des compressions. 


Br Se sad 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 587 


Dans deux cas, la mort est survenue avec des phénomènes de 
paralysie ascendante. 

L'autopsie n'a pas permis de constater trace de névrite, 
mème dans les nerfs qui se distribuaientaux museles atrophiés. 
En revanche, les lésions médullaires étaient très marquées, elles 
ne portaient pas sur les tractus blancs, mais à peu près exclusi- 
vement sur la substance grise. 

Il y avait une congestion très intense des capillaires, et sur- 
tout un œdème, développé particulièrement dans la région de la 
commissure. Cet œdème rendait le tissu tellement diffluent que la 
région ceutrale de la moelle semblait creusée d’une cavité syrin- 
gomyélique., Cet œdème infiltrait aussi les cornes antérieures. 
Les grandes cellules nerveuses présentaient des altérations très 
manifestes (fig. 4 et 8 de la planche VI) : gonflement, chroma- 
tolyse, cavités vacuolaires, et en beaucoup de points destruction 
complète de la cellule qui n’était qu'à peine reconnaissable. 

Les lésions reflétaient en somme, d’une manière générale mais 
avec plus d'intensité, l'aspect de celles que nous avions vues 
dans les moelles humaines. 


IV 


Reste la question d’étiologie de cette épidémie, qui a sévi si 
cruellement chez les aliénés de Sainte-Gemmes. 

Quelques remarques doivent être faites tout d'abord. La 
maladie n'a attaqué dans cet asile que les indigents. Les servi- 
teurs sont restés indemnes, les pensionnés le sont restés aussi, 
sauf deux qui appartenaient à la 4° classe, dans laquelle le 
régime alimentaire était celui des indigents, à très peu de chose 
près. La maladie à sévi à l’état épidémique pendant l'été de 1897, 
elle existait avant cette époque dans l'asile, puisque en 1896 ct 
même en 1895 des malades ont été atteints de phénomènes de 
paralysie ascendante tout à fait semblables à ceux qu’on a 
observés pendant l'épidémie de l’année dernière. 

Peut-être serait-il possible de trouver des traces plus 
anciennes de la maladie, puisque, crovons-nous, les faits observés 
par Billod il y a 40 ans n'étaient pas essentiellement différents 
de ceux de l'heure actuelle. Enfin quelques salles d’indigents ont 
payé un tribut plus lourd que d’autres à l'épidémie, comme si la 
contagion s'était manifestée. 


538 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La farine de maïs n'a jamais été ulilisée pour l'alimentation 
dans l'asile. 

Notre enquête ayant été faite au mois d'octobre, nous n'avons 
pu juger de la nature, ni de la quantité, ni de la qualité des ali- - 
ments fournis aux malades au début de l'épidémie et dans la 
période qui a précédé ce début; 1l est certain cependant que les 
patients, en leur qualité d'indigents, recevaient une nourriture 
inférieure sous tous les rapports à celle des serviteurs et des 
malades pensionnés. 

On à attribué l'épidémie à l'absorption d'une eau impure. 
L'eau potable distribuée à Sainte-Gemmes a deux origines ; 
elle provient d'une part, par une conduite spéciale, de l’eau de la 
ville d'Angers, et d'autre part elle est prise dans la Loire à l’aide 
d’une galerie, non loin de l'endroit où vient se jeter la rivière 
l'Authion dans laquelle on fait rouir du chanvre. 

Que l’eau de cette dernière provenance soit mauvaise, cela 
ne fait pas l'ombre d’un doute, mais cette eau est universelle- 
ment distribuée à la population de l'asile; si seule elle avait été 
la cause de l’épidémie, celle-ei se serait répandue d'une manière 
à peu près uniforme chez les habitants de Sainte-Gemmes : or 
la seule classe de population qui ait été atteinte est celle des 
indigents, qui avait un régime alimentaire inférieur à celui des 
autres en qualité et en quantité. 

Que l’eau impure ait apporté des germes favorisant le 
microbe spécilique de lépidémie, cela est possible, mais ce 
microbe n’a exercé son pouvoir infectieux et toxique que sur 
les organismes qui étaient débilités par l'alimentation. Il s’est 
passé à Sainte-(remmes ce qu'on observe dans les épidémies de 
béribéri de lExtrème-Orient. Les Européens bien nourris 
échappent presque toujours à la maladie; on la trouve en 
revanche dans les prisons, dans les bagnes, sur les navires 
d’émigrants indiens transportés aux Antilles. Là, la maladie 
s'arrête ou cesse dès qu'une alimentation favorable intervient. 

Cela ne veut pas dire cependant que l'affection ne puisse 
apparaître chez des gens sains et bien nourris. Un germe de 
puissance moyenne peut ne témoigner sa virulence et sa toxicité 
que sur des organismes débilités ; un germe plus actif, dont la 
virulence aura été exaltée par des passages successifs de patients 
à patients, pourra frapper des individus vigoureux. 


ÉPIDÉMIE RAPPELANT LE BÉRIBÉRI. 589 


Les faits qui ont été signalés récemment dans un asile 
d'aliénés d'Irlande offrent, à l’égard de l'épidémie qui nous 
occupe, de curieux enseignements. 

Depuis 1894. trois épidémies rappelant singulièrement le bére- 
béri ont éclaté à l'asile d’aliénés de Dublin. La première épidé- 
mie sévit pendant l'été et l’automne de 1894 : il y eut 25 décès 
sur 174 cas: la deuxième épidémie eut lieu en août 1896 ; sur 116 
cas il y eut 9 décès. Durant cette épidémie on constata pour la 
première fois la contagion chez les infirmières, dont 7 furent 
atteintes. Enfin la troisième épidémie date de juin 1897 : sur 124 
cas, il n’y eut qu'un seul décès. 

S. Conolly Norman, Stoker, Smith et Manson admirent 
qu'il s'agissait de vrai béribéri; aussi le gouvernement hollandais 
délégua-t-1l MM. Verschrur et Van Ijsselesteijn, dont le rapport 
est consigné dans le Nederlandsch  Trdschrift voor geneeskünde 
du 11 décembre 1897. 

Après une étude clinique très approfondie, les médecins 
hollandais constatèrent de légères différences entre l'évolution de 
la maladie de Dublin et celle du vrai béribéri. Cependant la 
cause de cette épidémie étant aussi inconnue que celle du béribéri 
indien, ils ne purent affirmér avec certitude que la polynévrite 
épidémique d'Irlande était de nature différente de la polynévrite 
cinghalaise. 

Comme à Sainte-Gemmes, la maladie a éclaté à Dublin dans 
un asile d’aliénés. Voici encore une épidémie américaine tout 
à fait semblable aux précédentes, qui s’est montrée dans l'asile 
d’aliénés de Tusculoosa (Alabama) en 1896. L’historien en a été le 
professeur Bondurant ‘. Par les symptômes, par l’évolution de 
la maladie, par les planches photographiques qui accompagnent 
sa description, par les lésions anatomiques consistant en des 
polynévrites périphériques, avec altérations des cellules des 
cornes antérieures de la moelle, cette épidémie nous semble 
être la même que celle que nous avons observée à Sainte-Gemmes. 


1. New-York medical journal, 20 et 21 novembre 1897. 


990 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


CONCLUSIONS 


1° L'épidémie de l'asile d’aliénés de Sainte-Gemmes n’est nt, 
la pellagre, ni l’acrodynie. Elle diffère de ces deux maladies, 
comme en différait, d’après l'opinion de la commission de 
l'Académie des Sciences et du D’ Costallat, l'épidémie observée 
dans cet asile par le D' Billod en 1855, et dite par lui pellagre 
des aliénés ; 

2 Elle ressemble étroitement par ses symptômes et son 
anatomie pathologique au béribéri de l'Extrème-Orient et à la 
maladie dite béribéri observée dans les asiles d’aliénés de Dublin 
(Irlande) et de Tusculoosa (États-Unis) en 1895 et 1896 , 

30 Le microbe que nous avons trouvé dans les cadavres de 
Sainte-Gemmes, qui donne aux animaux une paralysie ascen- 
dante par infection et aussi par intoxication, est peut-être, mais 
non sûrement, la cause de cette épidémie. Il faut, pour élucider 
ce point, étudier d'autres malades et faire de nouvelles autopsies ; 

4° Au point de vue anatomique et étiologique, la maladie 
n’est pas seulement une polynévrite épidémique. Les centres 
gris de la moelle sont intéressés. La maladie parait être con- 
tagieuse ; 

5° Au point de vue hygiénique, de même que le Béribéri de 
l'Extrème-Orient et le typhus exanthématique, elle est, mais 
non toujours, une maladie de misère ; 

Go Une alimentation saine, variée, copieuse, où la viande 
entrera pour une bonne part, est le meilleur moyen de préser- 
vation des personnes qui restent au contact des malades. 
Ceux-ci bénéficieront des mêmes mesures d'hygiène alimentaire ; 

7° L’isolement des patients, la désinfection des objets qu'ils 
auront pu souiller est nécessaire. 


NOTE SUR LA BACTÉMIOLOGIE DE LA VERRUGA DU PEROU 


Par M. CHARLES NICOLLE 


Chef du laboratoire de bactériologie de l'École de médecine de Rouen. 


Au mois de décembre 1893, M. le D' Roux me remit 
plusieurs pièces provenant d’un cas de verruga, en me chargeant 
d'en faire l'examen microbiologique. — L'aspect nodulaire des 
lésions me fit penser de suite qu'il s'agissait [à d’une affection 
voisine de la tuberculose, et la première méthode de coloration 
que j'employai, la méthode d'Ebrlieh, me permit de déceler dans 
le tissu morbide la présence de bacilles tout à fait analogues au 
bacille de Koch. Je ne crus point devoir publier alors le résultat 
de mes constatations, attendant l'envoi de pièces nouvelles qui 
ne me furent point adressées, et estimant qu'une observation 
unique ne pouvait avoir de valeur absolue. Cependant, dans un 
article paru dans ces Annales, je laissai mon frère, le D' Mau- 
rice Nicolle, signaler la découverte que j'avais faite du micro- 
organisme de la verruga *. 

Une communication récente de M. le D' Letulle à la 
Société de biologie * vient d'attirer l'attention sur cette maladie 
exotique. Les constatations de M. Letulle étant au point de vue 
bactériologique identiques aux miennes, je n'ai pas cru devoir 
retarder plus longtemps la publication de mes recherches 
anciennes. 


* 
# _* 


La verruga est une aflection qui parait spéciale à quelques 
vallées du Pérou. Elle se caractérise par des symptômes géné- 
raux plus ou moins graves, fièvre, frissons, douleurs, étc., aux- 
quels fait suite une éruption particulière. Cette éruption se 
traduit par la production à la surface de Ja peau, et souvent des 
muqueuses, de tumeurs (verrugas), de volume et de nombre 


1. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, page 664. 
2. Société de biologie, séance du 23 juillet 1898. 


92 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tout à fait variables. Ces tumeurs ont tendance à donner lieu à 
des hémorragies ; elle peuvent s’ulcérer, elles se résorbent par- 
fois. La durée de la maladie est des plus variables ; la guérison 
spontanée n'est pas rare. 

A côté de cette forme à tumeurs, il en existe une autre bien 
plus grave, dans laquelle l'éruption n’a point le temps de se pro- 
duire, le malade étant emporté par les symptômes généraux du 
début. Pendant longtemps on a discuté l'identité de ces deux 
formes ; un grand nombre de médecins péruviens pensaient 
qu'il s'agissait là de deux affections distinctes. La preuve de 
leur identité a été fournie par un étudiant de Lima, Daniel Carrion, 
qui, s'étant inoculé le sang provenant d’un malade atteint d’une 
forme discrète à tumeurs, prit la maladie sous sa forme interne 
et succomba en peu de jours". 

L'absence de tumeurs dans la forme interne n’est qu'une 
apparence; si la peau et les muqueuses explorables n’en présen- 
tent point, on trouve à l’autopsie une éruption miliaire dans les 
principaux viscères : foie, rate, poumons, ganglions, ete. Cette 
forme a principalement été observée lors de la construction du 
chemin de fer de Callao à la Oroya, sur le personnel employé aux 
travaux, d’où le nom de fièvre de la Oroya qui lui a été donné*. 


Les pièces confiées à mon examen par M. Roux provenaient 
précisément d’un cas de forme interne de la maladie (type de la 
Oroya). Elles avaient été adressées à l’Institut Pasteur dans dela 
glycérine neutre: elles consistaient en fragments de foie, de rein, 
de poumons, de rate, de ganglions. Je n’ai pu, malgré tous mes 
efforts, me procurer l’observation complète du malade qui les 
avait fournies. 


1. Daniel Carrion, né en 1859 à Cerro de Pasco (Pérou), s’inocule la maladie 
le 27 août 1885, ressent les premiers symptômes le 20 septembre (23° jour), meurt 
le 5 octobre, 

2. Je tiens à remercier ici M. le docteur Calmette qui m’a fourni en 1894 la 
bibliographie complète de la verruga. Pour les personnes que cette question 
intéresserait spécialement, je citerai parmi les travaux publiés sur cette affection: 
Dounon {thèse 1871), Tasset (thèse 1872), C. de la Corre (Chronique médicale de 
Lima 1886), Bourse (Archives de médecine navale, mai 1876), Rey (Archives de 
méd. navale, 1886), Corre (Waladies des pays chauds), etc., M. Odriozola vient de 
faire paraître dans la Presse Médicale (n° du 27 juillet 1858) un article avec 
figures sur la verruga. 


BACTÉRIOLOGIE DE LA VERRUGA, 393 


Aussitôt qu’elles m'eurent été remises, je fixai ces pièces 
dans la solution de Meyer (sublimé acétique). Elles furent 
coupées après inclusion dans la paraffine, et les coupes 
colorées pour l'étude par l’hématéine et le procédé de Kuhne, 
(méthode d'Ebhrlich modifiée par l'emploi du chlorhydrate d’ani- 
line). La coloration par la fuchsine de Ziehl fut faite à froid, et 
l’action de ce colorant prolongée pendant une heure, 

Voici quels furent les résultats de mes observations, tels que 
je les notai à cette époque ; je n’ai rien à y ajouter aujourd’hui, 
après un nouvel examen de mes préparations. 

Poumon. — A l'œil nu, la coupe montre déjà la présence de 
petits nodules analogues comme aspect à des tubercules et assez 
rapprochés les uns des autres. Au microscope on se rend compte 
que ces nodules sont constitués par des cellules épithélioïdes ; 
à la périphérie des nodules, les cellules embryonnaires sont 
nombreuses. Il n'y a point formation de tubercules vrais; mais 
plutôt une infiltration du parenchyme pulmonaire par ces élé- 
ments. Au niveau des points malades, le tissu normal des pou- 
mons est complètement disparu. 

Entre les cellules épithélioïdes qui constituent à proprement 
parler les nodules, on trouve, disposés très irrégulièrement, mais 
en grand nombre, des bacilles isolés, absolument semblables au 
point de vue morphologique aux bacilles tuberculeux. Comme 
eux, ils se colorent très bien par la méthode d’Ehrlich et seule- 
ment par cette méthode ; peut-être sont-ils en général un peu 
plus épais que les bacilles de Koch. — La plupart de ces micro- 
organismes sont libres ; en certains points cependant on en voit 
qui sont contenus dans des phagocytes mononucléaires. Jamais 
ces phagocytes n’en contiennent plus de deux: ils ne revêtent 
donc point l'apparence des cellules lépreuses, si caractéristiques 
avec leur protoplasma vacuolaire, bourré de microbes. En 
aucun point, on ne note de caséification. Je n’ai point constaté 
la présence de cellules géantes dans le poumon. 

Foie. — Les cellules du parenchyme hépatique sont altérées, 
on ne peut se rendre compte de la nature et du degré exact de 
leur lésion, à cause de la mauvaise fixation des pièces. Çà et là 
existent des zones d'infiltration leucocytaire mal délimitées ; les 
vaisseaux sanguins paraissent sains. 

Nulle part il n'existe de tubercules véritables, nulle part de 

38 


D94 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


caséification. En certains points on remarque la présence de 
cellules géantes typiques. Des bacilles identiques à ceux déjà 
vus dans le poumon se rencontrent dans l'intervalle des cellules 
infiltrées. Aucune cellule n’en présente dans son intérieur; les 
cellules géantes elles-mêmes sont vides. 

Ganglion (dont le siège n’a point été indiqué). — Le ganglion 
est très malade ; la structure normale est pour ainsi dire tout à 
fait disparue. Les nodules infectieux sont nombreux et très 
rapproehés ; la plupart d’entre eux sont caséeux au centre. 

Nulle partiln’existe de cellules géantes. — Les bacilles sont 
très nombreux entre les cellules infiltrées ou dans la substance 
caséeuse ; on note des images de dégénérescence de ces microbes, 
analogues à celles décrites par les auteurs à propos du bacille 
tuberculeux (déformation des bacilles, transformation en chape- 
let de grains, etc.). 

Rate. — Lésions identiques à celles constatées dans le gan- 
glion, mais encore plus marquées. Il existe des zones caséeuses 
très étendues. Les bacilles sont rares, difficiles à colorer, 
toujours libres. 

Rein. — Le rein est peu malade: on voit en certains points 
des amas de cellules embryonnaires dans l'intervalle des tubes ; 
je n'ai pu y déceler la présence des bacilles spécifiques. 


Li 
# * 


Bien que les pièces qui m’avaient été confiées fussent con- 
servées depuis deux mois dans la glycérine, on pouvait espérer 
qu'un bacille voisin du bacille tuberculeux, et comme lui sans 
doute assez résistant, aurait pu s’y conserver vivant. Toutes les 
tentatives de cultures et d’inoculations que j'ai faites (mème 
les inoculations chez le singe) sont restées infructueuses. II 
n'est d’ailleurs point prouvé que la verruga, ainsi qu’on l’a 
avancé, soit inoculable ou puisse se rencontrer spontanément 
chez les animaux domestiques. 


* 
* * 


Avant nous, un seul auteur, {zquierdo, avait étudié la verruga 
au point de vue histologique et bactériologique ‘. Nous avons 
traduit son travail. Izquierdo rapproche la verruga des sarcomes : 
il a trouvé dans les pièces examinées par lui (tumeurs cutanées) 
un microbe dont il donne une description tout à fait obscure, 


, 


4. [zourenvo, Spaltpilze bei der Verruga peruana, Archives de Wirchow, page 411. 


BACTÉRIOLO GIE DE LA VERRUGA. 595 


car 1l le compare tantôt à un bacille, tantôt à un streptocoque. 
IL est impossible de savoir si ce savant a rencontré ou non le 
même microbe que nous. 

M. Letulle a étudié des pièces de verruga cutanée enlevées 
par M. Odriozola sur le vivant; ilne nous donne point le nombre 
des examens faits par lui. Il a trouvé d’une façon constante, dans 
ses préparations, un microbe identique à celui que nous avions 
vu, etcomme lui semblable au bacille de Koch par sa forme etses 
réactions vis-à-vis des matières colorantes. 

Les lésions de la verruga (cutanée) consistent pour M. Letulle 
dans une infiltration du tissu cutané et sous-cutané par des 
cellules leucocytaires, sans caséification, sans cellules géantes, 
sans englobement des microbes par les phagocytes. 

Si, au point de vue bactériologique, les constatations de 
M. Letulle et les nôtres concordent, iln’en est point tout à fait de 
même, comme on le voit, au point de vue histologique. Nous 
avons constaté la caséification dans deux organes, la rate et un 
ganglion ; nous avons rencontré des cellules géantes dans le 
foie ; nous avons noté la présence intracellulaire de certains mi- 
crobes dans le poumon. Ces différences s'expliquent sans doute 
pas ce fait que nous n'avons point étudié les mêmes organes et 
que nous avons eu affaire à deux formes différentes de la même 
maladie. L'étude anatomo-pathologique de la verruga nous sem- 
ble donc être encore à faire. 

Les constatations de M. Letulle, jointes aux nôtres, ont fait 
faire au contraire, à notre avis, un pas tout à fait décisif à l’étude 
bactériologique de la verruga. — Tous deux, dans deux formes 
différentes de la maladie (ce qui prouve, en passant, l'identité 
de ces deux formes), nous avons rencontré un microorganisme 
semblable. Il ne nous paraït point possible que ce microbe soit 
autre chose que l’agent spécifique de la verruga. L'étude expéri- 
mentale dela maladie montrera sinos conclusions étaientexactes. 

Le bacille de la verruga serait dans ce cas un microbe patho- 
gène nouveau à ranger dans la catégorie des microorganismes 
dont le bacille de Koch est le type, et qui comprend, en dehors 
de lui, le bacille aviaire, le bacille de la tuberculose de la carpe, 
le bacille lépreux, les bacilles pseudo-tuberculeux du beurre, les 
bacilles de Bordoni-Uffreduzzi et de Czaplewski. Ce serait comme 
eux un Sclerothrix. Rouen, 31 juillet 1898. 


LE BACILLE DE LA DIPHTÉRIE 
PULLULE-T-IL DANS LES ORGANES? 


MÉDECIN DES COLONIES 


Dans leurs recherches sur la diphtérie, M: Lüffler, MM. Roux 
et Yersin ont établi‘ que l’on ne trouve le bacille spécifique que 
dans les fausses membranes, et que ce bacille est absent ou très 
rare dans les organes et le säng des personnes qui ont succombé 
à la diphtérie. Le bacille de la diphtérie ne pullule pas; d’après 
eux, dans les organes, et son développement parait mème bien- 
tôt entravé au point d’inoculation. 

Au contraire, Frosch *, Kolisko et Paltauf, Wright‘ et 
d’autres savants, ont voulu démontrer que le bacille de la 
diphtérie pullule assez ordinairement dans le sang et les 
organes. En France, MM. Barbier et Richardière, dans des 
communications faites à la Société médicale des hôpitaux de 
Paris; ont, le 29 octobre 1897 et Le 2 janvier 1898, apporté des 
observations desquelles ils concluent qu'à « l’autopsie d'enfants 
morts de la diphtérie, on peut constater dans un assez grand 
nombre de cas la présence du bacille de Lüffer dans plusieurs 
organes (däns le sang, dans le poumon, dans la rate, et surtout 
fréquemment dans les centres bulbo-protubérantiels) ». Leurs 
recherches montreraient donc que «la présence du bacille de 
Lüffler dans les organes serait loin de constituer une rareté ». 

En présence de ces opinions contradictoires, nous avons, sur 
les conseils et les indications de M: Roux, entrepris une série 
d'expériences et recherché ce que devient le bacillé diphtérique 
dans l'organisme animal. Nous nous sommes adressé au lapin et 


l: Annales de l'Institut Pasteur, n° 2, 1888. 

2 Frosca, Die Verbreitung des Diphteriebacillus in Kürper des Menschen. 
Zeitsch. f. Hyg. XII 1893. 

3. Kouisko &r PazrAür, Züih Wesen des Croups und der Diphterie, Wiener Ain. 
Woch:, n5 8, 1889. 

4. WaiGur, Studies in the Pathology of Diphterie. Boston Med. and Surg. 
Journal, novembre 1894. 


BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 597 


au cobaye. Pour éliminer dans nos expériences sur le lapin 
l'action de la toxine diphtérique soluble, nous n'avons pas 
employé de cultures en milieux liquides, mais des émulsions en 
bouillon stérilisé de bacilles de Lüffler, cultivés sur sérum. Les 
cultures inoculées étaient toutes àgées de 24 heures, et diluées 
au moment même de linoculation. De plus, pour mettre les 
bacilles ainsi inoculés dans les conditions les plus favorables à 
leur dissémination et à leur pullulation dans les organes, nous 
avons introduit ces émulsions dans le système veineux. 

Chez le cobaye, nous avons fait des injections sous-cutanées, 
à l'abdomen, de cultures en bouillon âgées de 18 à 24 heures. 

Nous nous sommes, pour ces expériences, servi de deux 
échantillons de bacilles mis obligeamment à notre disposition 
par M. Martin : l’un est le bacille bien connu dans la science 
sous le nom de bacille américain ou de Park et Williams; l’autre 
est connu à l’Institut Pasteur sous le n° 261. Ces deux échan- 
tillons nous ont amené d’ailleurs aux mêmes résultats. 


ExPÉRIENCE 1. — Le 98 mars, un lapin reçoit dans la veine marginale de 
l'oreille une culture de 261 sur sérum délayée dans du bouillon stérile (1 €. e.). 
Le 29, le lapin ne paraît pas malade, mais il mange peu. Le 30, son poil 
est hérissé ; l'animal est triste; il ne mange pas. Le 4e avril, le lapin 
meurt à 2 heures de l'après-midi (100 heures après l’inoculation). L'autopsie, 
faite immédiatement après la mort, ne dénote, comme lésions, qu'une dila- 
tation générale des vaisseaux, de la congestion des reins et des capsules 
surrénales. La rate est noirâtre, grosse. Les poumons sont sains. Le bulbe et 
l'encéphale paraissent normaux. 

Le sang du cœur est examiné au microscope. On n'y rencontre aucun 
mieroorganisme. Ensemencé sur sérum (6 gouttes), il ne donne pas de 
culture. 

Dans des préparations faites avec la pulpe de rate, de rein, de capsule 
surrénale, de poumon, de bulbe, de cerveau, le microscope ne montre 
aucun bacille diphtérique. Deux tubes de sérum sont ensemencés avec la 
pulpe, puisée purement, de chacun de ces organes : ces divers tubes restent 
stériles. 

Exe. 1. — Le 24 avril, on inocule dans la veine d’un lapin une culture 
sur sérum âgée de 24 heures, délayée dans 1 €. c. de bouillon stérile. Le 
lapin meurt le 29 avril. L'autopsie faite immédiatement après la mort 
montre les mêmes lésions que chez le lapin précédent. 

Le sang du cœur, examiné au microscope, ne contient pas de bacilles. 
Six tubes de sérum sont largement ensemencés avec le sang puisé dans le 
cœur (10 gouttes pour chaque tube), une seule colonie est développée après 
24 heures sur l’un de ces tubes. 


98 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La pulpe de la rate est examinée au microscope. On n'y voit aucun bacille, 
Mise à l’éture à 300, sous cloche humide, on y trouve après 48 heures une 
quantité assez abondante de bacilles de Lôffler. Les autres organes ensemencés 
sur sérum ne donnent pas de colonies. b 

Exp. m1. — Le 25 avril, un lapin est inoculé dans les mêmes conditions 
que les précédents. Il est trouvé mort le 1er mai au matin. L’aulopsie n’est 
faite que le 2 mai au matin, soit plus de 24 heures après la mort. Des pré- 
parations faites avec le sang du cœur et la pulpe des divers organes contien- 
nent un très petit nombre de bacilles de Lôffler qu'il faut chercher pour les 
trouver, et une assez grande abondance de bactérium col. 

D'autres lapins inoculés dans les mêmes conditions que les précédents 
et autopsiés immédiatement après la mort donnent les mêmes résultats que 
dans les expériences I et II. La rate, mise à l’étuve, donne aussi les mêmes 
résultats que dans l’expérience IT. 


De ces expériences on peut déduire que le bacille diphtérique 
introduit à l'état de pureté dans le système veineux du lapin ne 
se retrouve pas au microscope, qu'il ne pullule pas dans les 
organes. On ne le trouve qu'à l’élat d'unités isolées et extrême- 
ment rares. Pour le mettre en évidence, parles cultures sur sérum, 
il est nécessaire de faire de larges ensemencements, au moins 
10 gouttes de sang pour avoir quelquefois une seule colonie, ou 
bien mettre la rate à l'étuve. Dans le cas où les lapins sont 
autopsiés tardivement après la mort, le bacille se développe plus 
ou moins abondamment dans le sang ou les organes, comme 
dans la rate mise à l’étuve; et on le retrouve en compagnie de 
microorganismes qui ont passé de l'intestin dans les organes. 

A la suite de ces premières constatations, 1l était intéressant 
de rechercher à quel moment le bacille diphtérique disparait 
du sang. Pour cela nous avons répété les expériences pré- 
cédentes en ayant soin de faire des prises de sang dans l'oreille 
du lapin, à des intervalles variables après l’inoculation, ou en 
sacrifiant les animaux dont la rate était mise à l’étuve, puis 
ensemencée. 


Exp. 1v. — Un lapin reçoit le 2 mai, à 10 heures du matin, dans la veine, 
une culture de bacille de Lôffler (bacille Park et Williams) sur séram, diluée 
dans Le. ce. de bouillon stérile. A 10 heures et demie, soit une demi-heure 
après l’inoculation, le sang pris dans la veine avec toutes les précautions de. 
pureté nécessaires est examiné au microscope. On y trouve des bacilles en 
très petit nombre, libres entre les globules du sang. Une goutte de ce sang 
ensemencée sur sérum donne des colonies typiques de bacille de Lôffler au 
bout de 24 heures. 


BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 599 


A 11 heures, soit une heure après l’inoculation, le microscope ne 
montre plus, dans le sang puisé dans l'oreille, de bacilles libres. On voit 
dans quelques leucocytes polynucléaires des bacilles ayant à peu près con- 
servé leur forme et mal colorés. L'ensemencement fait avec le sang ne 
donne que de rares colonies. 

AN heures de l’après-midi, soit 4 heures après l’inoculation, une prise de 
sang est faite dans l'oreille. On n'y voit pas de bacilles libres. Dans les leu- 
cocytes polynucléaires on trouve des granulations éosinophiles. 

Le lapin est sacrifié à 4 heures après-midi, soit 6 heures après l’inocu- 
lation. La rate ne renferme pas de bacilles. Ensemencée, elle ne donne pas 
de cultures. Mise à l’étuve, elle ne contient pas de bacilles après 48 heures. 
L'ensemencement à ce moment reste de même stérile. Les autres organes 
ne renferment pas de bacilles au moment de la mort. 

ExP. v. — Un lapin est inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi. Le 
sang examiné une demi-heure après renferme de très rares bacilles libres 
entre les globules et donne des colonies sur sérum. Une heure après le sang 
ne renferme pas de bacilles libres. Deux heures après, pas de bacilles, mais 
des granulations éosinophiles. 

Ce lapin est sacrifié le 4 mai, à 10 heures du matin, soit 30 heures après 
l'incculation. Les organes et le sang ne donnent pas de culture. La rate, 
ensemencée, ne donne pas de culture; mise à l’étuve, elle ne renferme pas 
de bacilles après 48 heures. 

Exp. vi. — Un lapin inoculé le 3 mai à 2 heures de l'après-midi, dans les 
mêmes conditions que les précédents, est sacrifié le 5 mai, 48 heures 
après l’inoculation. La rate mise à l’étuve renferme quelques bacilles 
après 48 heures. Un ensemencement fait au moment de l’autopsie est resté 
stérile. 

Exp. vu. — Un lapin inoculé le 3 mai, à 2 heures après-midi, est sacrifié 
le 6 mai, alors qu'il paraissait très malade, 68 heures après l’inoculation. 
Le sang puisé dans le cœur ne contient pas de microbes. La rate mise à 
l'étuve renferme, 48 heures après, un certain nombre de bacilles ; elle n’en 
renfermait pas de visibles au microscope au moment de l’autopsie. 

Exe. var. — Un lapin, inoculé le 9 mai, est sacrifié 36 heures après. On 
pe voit pas de microbes dans le sang ni dans aucun organe. La rate, mise à 
l’éluve, ne montre aucun bacille après 48 heures. 


Ces expériences montrent que le bacille diphtérique intro- 
duit dans le sang du lapin disparaît dans un intervalle compris 
entre une demi-heure et une heure après l’inoculation. Passé ce 
temps, le bacille est englobé dans les phagocytes où on peut le 
retrouver mal coloré dans les premières heures, puis il se trans- 
forme en granulations éosinophiles deux heures environ après 
linoculation. Les bacilles peuvent donc être si réduits en nombre 
qu'il est impossible de les mettre en évidence au moyen du 
microscope. Dans certains cas même, les ensemencements 


600 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


faits avec le sang six heures après l’inoculation restent stériles. 

De même, dans la rate et les autres organes, les bacilles sont 
très rares dans les premières vingt-quatre heures. Si l’on sacrifie 
les animaux à ce moment, on peut ensemencer une grande 
quantité de pulpe sans obtenir de culture. 

À mesure que l’empoisonnement progresse et que la mort 
approche, les bacilles sont plus fréquents, mais toujours cepen- 
dant à l’état d’unités isolées, et pour les mettre en évidence, le 
meilleur moyen est de mettre la rate tout entière à l'étuve. 
C’est après la mort de l'animal que la pullulation se fait vérita- 
blement. 

Une autre série d'expériences a été faite sur le cobaye et a 
donné des résultats tout à fait semblables : 


Exp. 1x. — Un cobaye reçoit le {er juillet, sous la peau de l'abdomen, 
4 c. c. d’une culture en bouillon de 24 heures. Une heure après, on puise 
de l’exsudat œdémateux au point d’inoculation. Au microscope on y trouve 
quelques bacilles libres, assez peu nombreux. On ensemence une goutte de 
cet exsudat sur sérum. 24 heures après, à colonies ont poussé sur un tube. 
2 heures après l’inoculation on prélève de l'exsudat: on y voit des bacilles 
libres un peu plus nombreux que dans l’exsudat puisé une heure après 
l'inoeulation. à 

Le cobaye meurt le 3 juillet au matin, soit 36 heures après l'inoculation. 
Dans l’ædème du point inoculé et dans la sérosité péritonéale, on trouve des 
bacilles libres plus nombreux; d’autres, en petit nombre aussi, sont englobés 
dans les phagocytes. Des préparations sont faites avec les ganglions mgui- 
naux, le foie, la rate, le rein, la capsule surrénale, le poumon, le bulbe et 
le cerveau. On n'y voit pas de bacilles. La rate, mise à l'étuve, renferme des 
bacilles de Lôffler 8 heures après. 

Exp. x. — Un cobaye est inoculé le 4 juillet avec 1 ce. c. de culture en 
bouillon âgée de 24 heures. Il meurt le à au soir. A l’autopsie faite de suite 
après la mort, on fait les mêmes constatations que dans l'expérience précé- 
dente, et la rate, mise à l’étuve, donne les mêmes résultats. 

Exp. x1. — Un cobaye est inoculé le 7 juillet avec 1 ec. c. de culture en 
bouillon de 24 heures. Il est sacrifié 2 heures après l'inoculation. Les organes 
ne renferment pas de microbes, pas plus que le sang. L’œdème du point 
d'inoculation renferme un nombre peu considérable de bacilles de Lôffler. 
Une goutte de cet exsudat ensemencé sur sérum donne 3 colonies typiques 
de bacilles diphtériques. La rate, mise à l’étuve, ne renferme pas de bacilles, 
48 heures après. Ensemencée à ce moment (48 heures d’étuve), elle ne 
donne pas de colonies. 

Exp. x. — On inocule, le 7 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 €. c. 
d'une culture en bouillon de 24 heures. Le cobaye est sacrifié 4 heures après 
l’inoculation. Dans l’œdème, on ne trouve plus de bacilles. Une goutte de cet 


BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 601 


exsudat ensemencée sur sérum donne 18 colonies typiques, 24 heures après. 
La sérosité péritonéale renferme très peu de bacilles. Ensemencée ({ goutte), 
elle ne donne pas de colonies. Le sang et les divers organes sont examinés 
au microscope; on n'y trouve pas de bacilles. Leur ensemencement reste 
stérile. La rate mise à l’étuve ne renferme pas de bacilles 48 heures après et 
son ensemencement reste stérile. 

Exp. xur. — Un cobaye, inoculé le 9 juillet avec 1 c. e. de culture en 
bouillon âgée de 24 heures, est sacrifié 6 heures après. L'œdème examiné 
au microscope montre quelques bacilles. Une goutte de l’exsudat ensemen- 
cée sur sérum donne, 48 heures après, de très nombreuses colonies typiques. 
Une goutte de sérosité péritonéale ensemencée donne une colonie après 
48 heures. La rate, qui ne renfermait pas de bacilles vus au microscope, au 
moment de l’autopsie, est mise à l’étuve. 24 heures après, on y trouve des 
bacilies de Lôffler assez nombreux, et son ensemencement donne des 
colonies sur sérum. 

Exp. xiv. — On injecte le 13 juillet, sous la peau d'un cobaye, 1 c. €. 
d'une culture en bouillon âgée de 24 heures. Ce cobaye est sacrifié 8 heures 
après. Une goutte d'æœdème est prélevée purement, et ensemencée sur 
sérum : une seule colonie se développe. Au microscope, on ne trouve qu'avec 
peine de rares bacilles dans l'ædème. La sérosité péritonéale ensemencée 
(1 goutte) ne donne naissance à aucune colonie. La rate, qui ne renferme 
pas de bacilles visibles au microscope, est miseà l’étuve; 48 heures après on 
y voit quelques rares bacilles. 

Exp.xv. — Un cobaye femelle en état de gestation reçoit sous la peau 
1 c. c. de culture en bouillon, le 19 juillet. Il meurt le 21 juillet au matin, 
30 heures après l'inoculation. Une goutte d'exsudat œdémateux ensemencée 
sur sérum donne une dizaine de colonies. La sérosité péritonéale, où le 
microscope ne montre pas de bacilles, ne donne pas de colonies sur sérum. 
De même l'ensemencement fait avec le liquide pieurétique et le liquide 
amniotique et les divers organes reste stérile. Notons en passant que c’est la 
seule fois où nous ayons trouvé un épanchement pleurétique chez nos cobayes 
inoculés avec le bacille de Lôffler, échantillon n° 261, et signalons aussi la 
stérilité du liquide amniotique. 

En résumé, chez le cobaye, après l'inoculation sous-cutanée, 
comme chez le lapin, après les inoculations intra-veineuses, le 
bacille diphtérique n'a pas pullulé dans les organes. En exami- 
nant les expériences ci-dessus, on observe que dans l'exsudat 
ædémateux du point d’inoculation le nombre des bacilles parait 
diminuer dans la première heure qui suit l'inoculaton, puis il 
augmente jusqu'à la sixième heure, où il atteint son maximum, 
et diminue ensuite jusqu'à la mort, où ce nombre n'est pas plus 
grand qu'uneheure aprèsl’inoculation. De même, lorsqu'on met la 
rate à l’étuve, on ne trouve sûrement des bacilles dans cette rate 
que lorsqu'elle est extraite au moins 6heuresiaprès l'inoculation. 


602 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


En analysant de près la communication faite par M. Richar- 
dière à la Société Médicale des Hôpitaux le 2 janvier 1898, on 
voit que, dans les observations dont il apporte les résultats, le 
bacille de Lüffler était toujours retrouvé en compagnie du strep— 
tocoque et du staphylocoque. Nous avons pensé qne la présence 
de ces microorganismes n’était pas étrangère à la diffusion du 
bacille diphtérique constatée par cet auteur, et nous avons fait 
une nouvelle série d'expériences dans le but de déterminer si 
en réalité le streptocoque et le staphylocoque ont une influence 
sur la pullulation du bacille diphtérique dans les organes. Nous 
avons donc inoculé dans la veine, à des lapins, des cultures sur 
sérum émulsionnées dans du bouillon stérile, en ayant soin d'a- 
jouter à cette émulsion une culture en bouillon de streptocoque 
ou de staphylocoque. Ces deux derniers microbes nous ont élé 
obligeamment donnés, le premier par M. Marmorek, le second 
par M. Binot. 


Exp. xvr. — Le 12 mai, à 10 heures du matin, un lapin reçoit dans la 
veine une culture de bacilles de Lôffler sur sérum âgée de 24 heures, 
diluée dans 1 c. ce. de bouillon, et à cette émulsion est ajouté 1/10 dec. e. 
de culture en bouillon ordinaire de streptocoque âgée de 24 heures. Du 
sang est puisé dans l'oreille 1 heure, 2 h., 4 h., 6 h., 8 h. après l'inocula- 
tion. Toutes ces préparations de sang montrent la présence des strepto- 
coques et de bacilles diphtériques plus nombreux à mesure que la prise du 
sang est faite plus longtemps après l’inoculation. Le lapin meurt le 14 mai, 
52 heures après l’inoculation, et l’autopsie est faite immédiatement après la 
mort. Des préparations faites avec le sang du cœur, la pulpe de rate, le 
foie, les reins, les poumons, le bulbe, le cerveau renferment toutes 
un certain nombre de streptocoques avec une petite quantité de bacilles 
diphtériques, qui nous ont paru plus gros qu'ils n'étaient au moment de 
l'inoculation. 


Exp. XVII ET XVII. — Deux lapins inoculés le 18 mai dans les mêmes con- 
ditions donnent les mêmes résultats. 
ExP. xXIX ET xx. — Le 22 mai, deux lapins reçoivent dans la veine une 


culture de Lôffler sur sérum délayée dans 1 c. c. de bouillon, et additionnée 
de 1/2 ce. c. de culture en bouillon de staphylocoque âgée de 24 heures. Le 
sang puisé à divers intervalles après l’inoculation renferme des bacilles de 
Lüffler et des staphylocoques. A la mort, qui survient le 24 mai au matin, 
90 et 54 heures après l'inoculation, le sang et les organes renferment des 
slaphylocoques nombreux et des bacilles de Lôffler en assez grande abon- 
dance. 

EXP. XXI, xxI Er XXII. — Des lapins sont inoculés dans les mêmes 
conditions que les deux précédents; on retrouve les mêmes résul- 
tats. 


BACILLE DE LA DIPHTÉRIE. 603 


Exp. xxiv. — Un cobaye recoit le 19 juillet { ec. c. de culture de diphtérie, 
en bouillon, âgée de 24 heures, et 1 c. c. de culture de streptocoque en bouil- 
lon ordinaire, àgée de 24 heures. Des prises d'œdème faites 2, 4, 6, 8 heures 
après l’inoculation montrent la présence du bacille de Lôffler avec le strep- 
tocoque. A la mort, qui survient 30 heures après l’inoculation, les organes 
renferment tous une certaine quantité de bacilles de Lôffler avec un grand 
nombre de streptocoques. 


Exp. xxv Er xxvi. — Chez deux cobayes inoculés le 20 juillet dans les 
mêmes conditions, les résultats sont identiques. 
Exe. xXXvIT, XXVII ET xxIX. — L'inoculation, le 21 juillet, du bacille diph- 


térique associé au staphylocoque, sous la peau de trois cobayes, est suivie de 
mort en 28-32 heures, et à l’autopsie on retrouve dans tous les organes les 
bacilles diphtériques et le staphylocoque. 


De cette seconde série d'expériences, il résulte que l’inocula- 
tion d'un mélange de bacilles de Lüffler et de streptocoques ou de 
staphylocoques est plus sévère que linoculation du seul bacille 
diphtérique, et que le bacille diphtérique ne disparaît ni du sang 
ni des organes, mais qu'on le retrouve toujours, quand il est 
associé, à quelque moment qu'on puise le sang dans l'oreille, ou 
l’'exsudat au point d’inoculation. 

Pour conclure, nous dirons que le bacille de Lüffler ne pullule 
pas dans les organes lorsqu'il a été introduit isolément dans 
l'organisme, et que, pour qu'on le retrouve dans le sang ou les 
organes, il faut, d’une part, ne faire l’autopsie que tardivement 
après la mort, et d'autre part, qu'il soit associé à d’autres 
microorganismes, tels que le streptocoque et le staphylo- 
coque *. 

1. M. Cuoghi Costantini a fait paraître dans le Policlinico du 1°: juin un article 


sur le même sujet, et les conclusions que je viens de donner sont les mêmes 
que celles du travail de M. Cuoghi. 


L'ÉPIDÉMIE DE PESTE DE DJEDDAH (1898). 


Par le Dr NOURY BEY 


Médecin de la Quarantaine. 
Préparateur à l’Institut [mpérial de bactériologie de Constantinople. 


L'épidémie a débuté le 21 mars 1898. À ce moment, l’admi- 
nistration de la Quarantaine, qui nous avait envoyé en mission 
à la Mecque, nous donna ordre de retourner immédiatement à 
Djeddah pour étudier l'affection au point de vue bactériologique. 
Cette étude n’a pu être conduite comme nous l’aurions désiré, 
et ce n’est qu'au prix des plus grandes difficultés que nous avons 
recueilli les quelques documents qui vont être résumés. 

L'épidémie a éclaté parmi les portefaix travaillant aux 
« Haouch », sortes de grands entrepôts construits dans deux 
des quartiers de la ville (quartiers de Yemen et de Mazloum). 
Ces portefaix appartiennent à la tribu € Hadrami ». Ils ont été 
presque seuls atteints cette année, comme du reste l'an dernier. 

L'enquête à laquelle nous nous sommes livré nous a 
démontré que l’origine première de la contamination doit être 
rapportée à des sacs de riz venant de Bombay et entreposés 
dans les « Haouch ». (Contamination directe ou contamination 
par les rats et souris ?) 

Le premier individu atteint (le nommé Salem Ben-Békir) 
fut pris le 21 mars de fièvre, céphalalgie, etc., avec bubon 
inguinal gauche; il guérit par la suite. D’autres cas suivirent 
bientôt, presque toujours dans les deux quartiers où existent 
les « Haouch » ; le troisième quartier (Chäm) fut moins éprouvé. 
Dès le début de l'affection, on vit dans les rues habitées par les 
pestiférés de nombreuses souris malades, se trainant avec peine 
et faciles à prendre à la main: il est remarquable que ces ron- 
geurs n'aient point joué Le rôle qu'on redoutait dans l'extension 
de la peste. 

Le nombre des malades fut de 35, sur lesquels trois gué- 
rirent. L'épidémie dura 27 jours. 


LA PESTE A DJEDDAH. 605 


Nous n'avons rien observé de bien nouveau au point de vue 
clinique. Les bubons siégeaient le plus souvent à l’une des 
régions inguinales, deux fois à l’aine et au cou, deux fois au 
cou, une fois à l’aisselle. 

Chez un malade seulement se sont montrés des phénomènes 
broncho-pneumoniques; ce malade guérit assez rapidement. 
Nous n’avons observé ni forme intestinale, ni forme hémorra- 
gique, ni éruptions cutanées. Il nous a été impossible de faire 
une seule autopsie, l'examen strict des malades offrant déjà les 
plus grands dangers (nous avons de bonnes raisons pour 
l’affirmer.) 

Quatorze bubons ont été étudiés au point de vue bactério- 
logique. Parmi eux, 10 étaient déjà ouverts et en pleine 
suppuration (8° au 10° jour de laffection). Tantôt l'ouverture 
était spontanée, le plus souvent elle résultait d’une cautérisation 
au fer rouge pratiquée par le malade lui-même. Le pus de ces 
dix bubons, ensemencé à plusieurs reprises sur gélose, n’a jamais 
donné de cultures du bacille de Yersin; nous avons par contre 
isolé facilement des staphylocoques, des streptocoques, des 
colibacilles, des tétragènes. 

Tous les malades dont il vient d’être question ont succombé, 
et l’on est en droit de se demander si les infections secondaires 
n'ont pas joué un rôle prédominant dans cette terminaison 
fatale. 

Dans deux bubons non suppurés (3° et 4° jour de l'affection) 
nous avons puisé la pulpe ganglionnaire qui nous a montré au 
microscope de nombreux bacilles pesteux types; les cultures 
ant été obtenues pures d'emblée. 

Enfin, dans deux bubons suppurés et fermés (au 10° et 12° 
jour de l'affection), le pus prélevé en grande quantité et soumis 
à l'examen microscopique et aux cultures s’est révélé absolument 
stérile ; les malades ont guéri. Nous pensons que plusieurs des 
dix malades dont nous avons parlé plus haut auraient égale- 
ment guéri s'ils s'étaient abstenus de leur thérapeutique intem- 
pestive ou si, mieux encore, ils avaient consenti à se laisser 
soigner. 

Deux examens de sang, chez les deux malades aux bubons 
aseptiques, sont restés négatifs. Les cultures faites avec les 
crachats de l’un de ces malades, atteint de broncho-pneumonie, 


606 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


n’ont pas donné non plus de colonies du bacille de la peste. 

Quatre souris ramassées mourantes dans les rues ont été 
également étudiées. À l’autopsie on trouvait une congestion 
généralisée des viscères avec hypertrophie de la rate, laquelle 
était parsemée de fines granulations jaunâtres. Dans le sang et 
la pulpe des organes, les bacilles de Yersin étaient extrêmement 
abondants; des cultures pures ont été obtenues avec la plus 
grande facilité. 

Les bacilles rencontrés par nous chez l'homme et la souris 
étaient absolument caractéristiques. Dans la pulpe des bubons, 
et le suc des organes des souris, bacilles classiques en navette, 
avec un certain nombre de grosses formes rondes involutives, 
formes qu’on retrouvait dans les cultures (surtout anciennes). 

Ensemencés dans le bouillon, nos bacilles donnent d’abord 
un dépôt floconneux avec un trouble léger du liquide, puis un 
trouble assez marqué, limité aux régions superficielles et suivi 
de l'apparition d’un voile. Ce voile est trèsépais au niveau des pa- 
rois du tube, à peine perceptible sur le reste de la surface libre ; il 
rappelle absolument l'anneau des cultures du pneumo-bacille. 

Sur gélose, nous avons rencontré, comme Yersin, de grandes 
et de petites colonies, ces dernières bien plus nombreuses. 

Les bacilles, en chaïînette dans le bouillon, offraient au con- 
traire une forme assez allongée sur gélose, etc... En somme, 
caractères classiques. 

Les cultures se faisaient infiniment mieux à 30° qu’à 35°. A 
0° elles ont toujours échoué. A 30° on peut isoler facilement le 
bacille en 412 heures sur la gélose. 

Avec une trace de suc splénique d’une souris morte de 
l'affection naturelle, nous avons inoculé sous la peau un lapin 
de taille moyenne qui est mort en 60 heures avec les signes et 
lésions ordinaires. 

Avec de petites doses de plusieurs cultures, nous avons 
inoculé, sous la peau, des cobayes de 450 à 500 grammes qui 
ont succombé en 2-4 jours; ils offraient également les caractères 
cliniques et anatomiques bien connus. 

Inutile de dire que nous n’avons pu faire aucune recherche 
d'ordre sérodiagnostique ni utiliser le sérum antipesteux que 
M. le D' Roux avait eu la bonté d'envoyer à Constantinople et à 
Djeddah. Constantinople, juillet 1898. 


REVUES ET ANALYSES 


DU POUVOIR BACTÉRICIDE DEN LEUCOCYTES 


Par Le D' BESREDKA 


(Conférence faite à l’Institut Pasteur le 16 juillet 1898.) 


Depuis quelques années, il a paru un nombre considérable de tra- 
vaux ayant trait aux propriétés bactéricides du sang et en particulier 
des leucocytes, et qui visent à rattacher les problèmes de l’immunité 
à l’action bactéricide des humeurs de l’organisme. 

Les humeurs, dans la conception primitive des médecins allemands 
et belges, auteurs de ces travaux, auraient pour mission de veiller à 
la désinfection des organes internes, à la façon des antiseptiques 
servant journellement à l’usage externe. 

Cette théorie purement humorale, qui, naturelle au début, n’a pas 
tardé à se montrer bien simpliste, à eu cependant le mérite de susciter 
de nombreuses expériences, qui ont ramené leurs auteurs à de meil- 
leurs sentiments vis-à-vis de la théorie cellulaire. 

L'étude des propriétés bactéricides des divers éléments du sang, dans 
ses rapports avec l'immunité, demanderait beaucoup trop de déve- 
loppements ; nous limiterons donc le sujet de cette Revue à l’étude 
de l’origine des matières bactéricides du sang. Nous ne traiterons 
de leurs rapports avec l’'immunité qu’en tant qu’il sera strictement 
nécessaire. 

Pour mettre un peu d’ordre dans cette question fort compliquée, 
nous croyons utile d’établir différentes périodes : cette division est 
justifiée par l’évolution successive des idées sur les matières bacté- 
ricides du sérum et leurs sources d’origine. 


I 


C’est incontestablement M. Buchner, de Munich, qui a le droit 
d’être considéré comme le chef autorisé de la doctrine humorale, dans 


laquelle le parti intransigeant est représenté au début par les profes- 
seurs Emmerich et Tsuboï. 


608 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Buchner considérait la propriété bactéricide du sérum comme une 
manifestation vitale; Emmerich et Tsuboï n’y voient qu'une réaction 
chimique pure et simple. Ils considèrent la sérine comme la substance 
bactéricide du sérum par excellence, et expliquent la perte de son 
pouvoir par le chauffage à 55°, en admettant qu’à cette température 
la molécule complexe de la sérine se désagrège en perdant son élé- 
ment alcalin, lequel, devenu libre, se combine à l’acide libre (?) pré- 
sent dans le sérum; d'où impossibilité pour le sérum de récupérer sa 
propriété bactéricide une fois revenu à la température normale, la 
composition chimique du sérum n'étant plus la même. 

Emmerich et Tsuboï trouvent la justification de leur hypothèse 
dans ce fait que le sérum chauffé et dépourvu par conséquent de son 
pouvoir bactéricide, le reprend lorsque lon le traite par une solution 
étendue d’alcali. 

Cette expérience serait en effet démonstrative et fort intéressante ; 
en effet, voilà un sérum qui ést contenu dans un tube à essai, donc à 
l'abri de toute influence dé l'organisme, et qui, d’inolfensif après le 
chauffage, redevient à volonté aussi bactéricide qu’il était primitive- 
ment, avant l’action de la chaleur. 

Ceci méritait d’être étudié de plus près. Buchner, après avoir fait 
celte étude, se montra d’un scépticisme peu encourageant vis-à-vis 
des conclusions de Emmerich et Tsuboï, et s’én trouva affermi dans 
ses idées propres. 

Avant Buchner, divers expérimentateurs avaient observé la des- 
truction des microbes amenës au contact du sag et d’autres humeurs 
organiques. Ainsi, Fodor ayant constaté la disparition des bactéridies 
charbonneuses injectées dans le Sang du läpin, en conclut qué le 
plasma jouit d’un pouvoir destructif, conclusion qu'il crut avoir jus- 
tiliée par des expériences faites sur le sang 2h vitro. 

La mème influence du sang défibriné sur le charbon à été ensuite 
constatée par Nuttall, qui a confirmé les conclusions dé Fodor, ét les 
à étendues à l’humeur aqueuse du lapin et à d’autres liquides orgä- 
niques. C’est lui qui a signalé le premier que le sang chauffé à 550 
perd sa propriété bactéricide. 

En s'appuyant sur ces faits, ainsi que sur d’autres analogues four- 
nis notamment par Behring et Flügge, M. Buchter à construit toute 
une théorie de l’immunité, aÿant pour bäse l’action bactéricide dés 
humeurs. 

Dans cette théorie, qui est l’antipode de la théorie phagocytaire, 
le pouvoir bäctéricide du sang appartient au sérum lui-mêmé, el non 
pas à une action directe des éléments cellulaires du sang; contraire- 
ment à Emmerich, Buchner considère ce pouvoir comme une réaction 
vitale de l'organisme. 


REVUES ET ANALYSES. 609 


nom d’«alexine »; et il faut avouer qu'à cet égard ses efforts n’ont pas 
été couronnés de succès. 

Toutes nos connaissances actuelles se réduisent à peu près à ce 
caractère unique, mais précieux, qui a été observé encore par Nuttall : 
c’est la façon dont les alexines se comportent vis-à-vis du chauffage 
à 590, 

Les autres caractères des alexines, étudiés par Buchner, sont 
intéressants, mais moins caractéristiques. Ainsi il a vu que les sub- 
tances bactéricides du sérum sont indifférentes vis-à-vis des basses 
températures ; qu’elles ont besoin, pour être mises en jeu, de différents 
sels; que les alexines auxquelles on enlève ces sels par la dialyse 
perdent leur propriété; en réajoutant ces sels au sérum, on lui rend le 
pouvoir bactéricide. 

Quant à caractériser de plus près la matière albuminoïde des 
alexines, Büchner y a renoncé. Telle est la physionomie un peu vague 
des alexines, partie constituante du sérum, d’après Büchner, et fonc- 
tionnant, toujours d’après lui, dans l’organisme de la même façon 
qu'en dehors de lui. 


Il 


Les idées humorales de Büchner ont rencontré l’adhésion cha- 
leureuse de M. Denys, de Louvain, qui a publié et inspiré plusieurs 
mémoires dans lesquels ces idées sont défendues avec beaucoup de 
conviction. 

Quand on relit ces travaux en ce moment, où les idées en général et 
celles de leurs auteurs en particulier se sont modifiées, on s’étonne du 
tribut involontaire que payent aux idées régnantes les conclusions 
scientifiques, qui peuvent changer, alors que les faits qui ont servi à 
les justifier sont restés immuables. 

Ainsi Bastin, élève de Denys, se propose d'étudier en 1892 l'effet 
produit sur le pouvoir bactéricide du sang par l'injection des microbes 
et de leurs produits. En constatant que ce pouvoir est dans ces cas 
diminué ou aboli, il se demande si cela n’est pas dù à l’action des 
toxines bactériennes sur les substances bactéricides du sérum, et à la 
suite d’une série d'expériences, exactes en elles-mêmes, il arrive à la 
confirmation de son hypothèse, d’une neutralisation des toxines par 
les substances bactéricides du sérum. 

En expérimentant toujours dans le même ordres d'idées, Bastin a 
constaté ensuite que dans les infections généralisées, aboutissant à 
une mort rapide, le pouvoir bactéricide du sang est diminué ou aboli, 
ét que le degré de cette diminution paraît être en rapport avec l’inten- 
sité de l’affection. 


39 


610 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il est entendu que les expériences ont été effectuées avec le sang 
retiré des vaisseaux; et maintenant que nous connaissons le véritable 
mécanisme de ces phénomènes, nous savons à quoi nous en tenir quand 
l’auteur affirme avoir la conviction que le pouvoir bactéricide du sang 
doit jouer un rôle important dans la défense de l’organisme contre les 
microbes. 

Les substances bactéricides propres au sérum proviennent, d’après 
l’auteur, d’une élaboration spéciale de l’organisme, et nulle part, au 
cours de son mémoire, nous ne trouvons la moindre mention des glo- 
bules blancs. 

Le travail paru l’année suivante, celui de Denys et de Kaïdin, 
témoigne de ia même confiance dans les idées de Büchner, comme on 
le voit dans la phrase suivante : ( Ces liquides (sang, sérum, lymphe), 
constituent de vraies solutions antiseptiques; à ce point de vue, nos 
travaux confirmentcomplètementla manière de voir de Nuttall,Buchner, 
Emmerich et de beaucoup d’autres » ; et, un peu plus loin dans le même 


mémoire, M. Denys résume ses nombreuses expériences par la décla- 
ration catégorique que voici : « Nous sommes donc partisans d’une 
action énergique des humeurs dans la défense de l’organisme. » 

Ainsi nous voyons toute une série de travaux se succéder qui, sans 
souffler mot du rôle des leucocytes, attribuent à la propriété bactéri- 
cide du sang un rôle essentiel dans l’immunité, et la considèrent comme 
un caractère inhérent, indissolublement lié au sérum, par conséquent, 
appartenant au plasma du sang en circulation. 

Telle a été la première période que nous pourrions désigner sous 
le nom de période préleucocytaire ; et dire qu’elle a eu lieu à l'époque où 
la phagocytose entrait presque dans sa dixième année d'existence! 


IT 


On dirait qu’il avait été écrit que la doctrine cellulaire de l’immu- 
nité devrait ses plus belles pages à ses adversaires les plus convain- 
cus. Toute son histoire est là pour le prouver. Tantôt directement, 
comme c’est le cas pour le laboratoire de Denys, tantôt et le plus sou- 
vent indirectement, ces adversaires contribuaient à découvrir des nou- 
velles preuves de son importance, là précisément où ils croyaient 
avoir démontré sa faillite irréparable. 

C’est à M. Denys que revient le mérite d’avoir inauguré la seconde 
période dans l'étude de la fonction bactéricide du sang. 

Cette période se caractérise par la place prédominante donnée aux 
leucocytes, au détriment du sérum, dont le rôle devient passif et se 


trouve ainsi relégué au dernier plan. 


REVUES ET ANALYSES. 611 


Les expériences de Denys sont aussi démonstratives que simples. 
Par une technique assez ingénieuse de filtration, il parvient à séparer 
du sang ses globules blancs et rien que ces globules; il compare 
ensuite les pouvoirs bactéricides du sang complet et du sang dépouillé 
de ses leucocytes; et chaque fois il constate que dès qu'il enlève au 
sang par filtration ses globules blancs, du même coup il le prive de la 
plus grande partie de son pouvoir bactéricide. 

C’est là une expérience fondamentale, dont l'interprétation n’est pas 
discutable : ce sont les globules blancs du sang qui sont la source 
prineipale de la propriété bactéricide que l’on a Jusqu'ici, à tort, attri- 
buée au sérum. 

S'il en est ainsi, on devait pouvoir restituer au sang séparé de 
ses leucocytes, et par cela devenu inactif, des propriétés bactéricides, 
en lui rendant des leucocytes : c’est ce qui a été réalisé par Denys. En 
ajoutant au sang filtré des globules de pus obtenus avec des cultures 
mortes de staphylocoques, il a réussi à régénérer le sang, c’est-à- 
dire à lui communiquer un pouvoir bactéricide considérable. 

Il ressort donc de ces expériences que les substances bactéricides 
du sang ont pour siège les éléments cellulaires, les globules blancs ; 
quant à la partie liquide du sang, elle en est dépourvue à l'état 
vivant, et si elle devient bactéricide, ce n’est qu’en empruntant cette 
propriété aux globules blancs. 

Voilà déjà qui est acquis. 

Nous ferons toutefois remarquer que M. Denys, si on en juge 
d’après ses différents travaux, ne paraît pas être partisan de la théorie 
exclusivement cellulaire ; les leucocytes ne seraient pas pour lui la 
source unique du pouvoir bactéricide du sang, le sérum pouvant en 
posséder aussi pour son propre compte. 

Cette réserve faite, reportons-nous maintenant au chapitre précé- 
dent et souvenons-nous que Bastin, élève de Denys, en étudiant ce qui 
se passe avec le pouvoir bactéricide du sang après l'injection des 
microbes, avait conclu à la neutralisation des toxines par les substances 
bactéricides propres du sérum. 

Cette conclusion purement humorale a dû inquiéter M. Denys dès 
qu'il a pu s'assurer par lui-même que le sérum dans l'organisme 
vivant n'intervient pas pour beaucoup dans la destruction des micro- 
bes. Il a donc chargé un autre de ses élèves, M. Havet, de reprendre 
la question, en lui recommandant probablement de se préoccuper des 
leucocytes. 

Les résultats n'étaient pas difficiles à prévoir. M. Havet a constaté, 
en effet, que si l'on injecte des microbes dans le sang, le pouvoir bac- 
téricide diminue graduellement au fur et à mesure que les leucocytes 
disparaissent; que la perte du pouvoir bactéricide marche de pair 


612 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avec la disparition des leucocytes : qu'enfin la réapparition du pou- 
voir bactéricide, qui a lieu un certain temps après l'injection, coïncide 
avec le retour des leucocytes dans le sang. 

Le même parallélisme entre le pouvoir bactéricide et les réactions 
leucocytaires a été constaté par l’auteur lorsqu'il a injecté dans le 
sang, non pas des microbes, mais des produits microbiens. 

Ces expériences démontrent donc avec évidence que l'hypothèse 
primitive de Bastin, la neutralisation dans le sérum, basée sur la 
théorie humorale, est complètement erronée; d’autre part, elles por- 
tent cet enseignement que quiconque voudra dorénavant s’attacher à 
l'étude des substances bactéricides du sang, devra tenir compte des 
leucocytes, et d'eux seuls. 

C’est ce qu'a compris Buchner, dont la doctrine humorale ne 
pouvait persister en présence des faits aussi précis. Force lui a été de 
faire d'importantes concessions. 

Ce n’est pas sans formuler des objections au sujet de la technique 
de filtration de Denys, et par cela même au sujet de ses conclusions, 
que Buchner, à la suite de ses propres expériences, a renoncé à sa 
manière primitive de voir, et a finalement accepté les conclusions du 
savant belge. 

Que les leucocytes soient le primum movens dans la destruction des 
microbes, personne ne le met donc plus en doute, mais M. Buchner se 
sépare de M. Metchnikoff quand il s’agit d'expliquer le mode d’action 
des leucocytes. 

En effet, en 1894 il a émis une théorie de conciliation qui est con- 
nue sous le nom de théorie des alexines. 

M. Buchner reconnait volontiers le rôle important des leucocytes, 
puisqu'il déclare que ce sont eux qui accourent dans les endroits 
menacés par les microbes; seulement, il suppose, et c'est pour cela 
que sa théorie n’est pas de la phagocytose pure, que les leucocytes 
mettent en œuvre leur influence destructive non seulement dans l’in- 
térieur de leurs corps protoplasmiques, mais encore en dehors d’eux, 
dans le plasma sanguin. 

Et voici comment il est arrivé à justifier cette manière de voir. 

En reprenant les expériences de Denys résumées plus haut, Buchner 
a puen effet constater ce fait très important qu’en ajoutant des leuco- 
cytes à un sérum inactif, on lui restitue par cela même un pouvoir 
bactéricide notable. 

Une question s'impose alors naturellement, c’est de savoir quel 
est le mécanisme du phénomène. 

Denys déclare catégoriquement que c’est le fait de la phagocytose, 
et il le dit en s'appuyant sur l’examen microscopique. 

Buchner est du même avis : il affirme avoir assisté en expérimen- 


REVUES ET ANALYSES. 613 


tant avec des exsudats leucocytaires « à la phagocytose la plus belle 
et la plus prononcée »; mais, ajoute-t-il tout à coup, la phagocytose 
peut ne pas être la cause principale de la destruction des microbes, 
celle-ci pouvant s’accomplir sous l'influence des produits solubles 
sécrétés par les leucocytes. 

Pour formuler une thèse d’une portée théorique aussi générale, 
un savant comme M. Buchner doit avoir des preuves tout à fait 
démonstratives. 

Sur quoi se base-t-il pourtant pour parler de sécrétion? Sur le fait 
que les leucocytes, frappés dans leur vitalité par la congélation, four- 
nissent un liquide bactéricide, bien qu'ils ne soient plus capables de 
fonctionner en tant que phagocytes. 

Est-ce là une démonstration suffisante ? 

Nous ne le pensons pas. Est-ce qu’une substance bactéricide quel- 
conque renfermée dans une fiole devient une sécrétion par le fait que 
la fiole a été cassée? En congelant dans un mélange réfrigérant l’exsu- 
dat leucocytaire et en le redissolvant ensuite, Buchner à tout simple- 
ment rendu le protoplasma ainsi {ué propre à la diffusion facile de 
sa substance bactéricide, mais rien ne nous autorise à admettre que 
cette diffusion soit un mécanisme ( de sécrétion physiologique du 
protoplasma leucocytaire vivant ». 

La seule conclusion logique que comporte l'expérience très intéres- 
sante de M. Buchner est celle-ci : les leucocytes sont capables de 
fournir des substances bactéricides, lorsqu'ils sont soumis à la congé- 
lation préalable, ce qui n’est pas précisément le cas dans l’organisme 
vivant. 

Cependant Buchner n’en persiste pas moins à considérer la sécré- 
tion leucocytaire comme un phénomène vital, ayant la primauté dans 
la question de l’immunité. 

Pour nous cette sécrétion n’est qu’une vue de l'esprit, n’ayant pour 
elle jusqu'ici aucune base expérimentale. 

Et en effet, depuis 1894, de nombreux travaux ont été publiés par 
les élèves de Buchner, sans qu’ils aient pu apporter le moindre fait 
sérieux à l’appui de cette hypothèse; et pourtant c’est elle qui est 
le point unique du litige entre la phagocytose et la théorie dite 
humorale. 

Nous devons toutefois remarquer que Buchner ne se montre plus 
maintenant aussi enthousiaste de la sécrétion leucocytaire qu'il avait 
été auparavant. Un de ses anciens élèves qui s’est beaucoup occupé 
de la question, M. Schattenffroh, est même allé jusqü’à dire, dans 
son récent mémoire, qu'aucun fait invoqué ou par Buchner ou par ses 
élèves (M. Hahn entre autres) ne saurait être interprété dans le sens 
de la sécrétion leucocytaire. 


614 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Cetle déclaration d’un ancien élève de Buchner est précieuse en ce 
sens qu'elle fait avancer la question d’un pas important vers le rap- 
prochement de deux théories ennemies. 

Pour en finir avec cette question, ajoutons que s’il n’y a aucune’ 
preuve en faveur de la sécrétion leucocytaire, il y a en revanche une 
expérience de M. Metchnikoff qui plaide contre. 

Rappelons-nous que l’exemple pour ainsi dire classique de l’action 
bactéricide des humeurs est, d’après les auteurs allemands, celui du 
phénomène de Pfeiffer. 

Si récllement les leucocytes sont doués de la propriété de sécréter, 
supposition qui a priori est fort probable, vu que tant d’autres cellules 
possèdent une propriété analogue, c’est sûrement dans le phénomène 
de Pfeiffer que cette propriété doit se révéler de la façon la plus ma- 
nifeste. 

Renforçons les leucocytes par l’injection préalable de bouillon: si 
le pouvoir de sécrétion est une fonction physiologique des leucocytes, 
ce pouvoir devrait se trouver renforcé du même coup, et chez l’animal 
préparé par celte injeclion, nous devrions assister à un phénomène de 
?feiffer beaucoup plus accentué que celui qu’on voit chez l'animal non 
préparé. En réalité, il n’en est rien : au contraire, quand le système 
leucocytaire de la cavité péritonéale se trouve en état de suractivité, 
il n'y a plus de phénomène de Pfeiffer, il n’y a plus d'action des 
humeurs, il n’y a donc plus de sécrétion leucocytaire. 

ILest donc évident que le fait de la présence des substances bacté- 
ricides dans les humeurs, dans le liquide péritonéal en particulier, ne 
peut nullement être considéré comme relevant de la fonction physiolo- 
gique des leucocytes; comme l’a démontré M. Metchnikoff, il s'agit là 
d’un phénomène pathologique lié à la souffrance des leucocytes, à la 
phagolyse. 

v 


Quelles que soient les idées sur le mode d'action des leucocytes, 
toujours est-il qu’ils agissent, et plusieurs savants se sont demandé 
quelie est la nature de la substance active des leucocytes. 

Tout le monde a encore présente à l'esprit la tentative infructueuse 
de MM. Hankin et Kanthack, de considérer les granulations éosino- 
philes comme bactéricides des globules blancs. 

Nous ne pouvons que mentionner la tendance de MM. Vaughan et 
Kossel de ramener la question sur le terrain chimique ; pour eux, ce 
sont l’acide nucléique ou les nucléines qui conféreraient aux leuco- 
cytes leur fonction d'agents microbicides: mais cette supposition a 
besoin de preuves plus concluantes que celles qui ont pu être appor- 
tées jusqu'ici, et il semble qu’on soit allé un peu trop vite dans 


REVUES ET ANALYSES. 615 


le désir de trouver les substances bactéricides toutes faites sous forme 
de nucléines ou granulations éosinophiles, . 

La tendance des bactériologistes de revenir autant que possible 
sur le terrain chimique a pourtant communiqué une nouvelle orienta- 
tion aux travaux sur le pouvoir bactéricide des leucocytes. 

C’est en Allemagne que les tendances chimiques dans l’étude des 
leucocytes se sont le plus manifestées. Comme cette nouvelle direction 
est toute récente, il nous est impossible pour le moment de donner 
une idée d'ensemble de ces recherches ; nous sommes donc réduits à 
résumer séparément les travaux qui s'imposent le plus à notre atlen- 
tion, 

Nous nous proposons de parler de travaux de MM. Jacob, Lüwit et 
Schattenfroh. Tous ces travaux doivent être rangés dans une même 
catégorie : ils ont ceci de commun qu’ils s'occupent des « extraits » 
retirés des corps des leucocytes, 


VI 


M. Jacob, qui est très connu par ses recherches sur les globules 
blancs, prépare « l'extrait » leucocytaire de la façon suivante. Le sang 
recueilli directement de la carotide est additionné d'une solution de 
carbonate de soude à 0,5 0/0; il y ajoute du chloroforme (1 p. 100 du 
liquide) et abandonne le mélange pendant 24 heures à la température 
de la chambre; il filtre, et le filtratum additionné à nouveau d’un peu 
de chloroforme est « l'extrait » en question. 

Par l'injection de protalbumose sous la peau des lapins, il provoque 
une hypoleucocytose qui est suivie d’une hyperleucocytose. Il recueille 
le sang à ces deux moments, et aussi un certain temps après la dispa- 
rition de l’hyperleucocytose (40 heures après l'injection). 

Le sang recueilli à chacune de ces trois saignées est divisé en trois 
portions; une portion serià obtenir du sérum par le procédé ordinaire ; 
une autre portion est employée telle quelle : elle représente donc le 
sang complet; la troisième portion sert à préparer (l’extrait» leucocy- 
taire dont il vient d’être question. 

Il obtient ainsi neuf différentes préparations de sang, sans compter 
celles du sang normal dont il tire aussi trois préparations : sérum, 
sang complet et extrait leucocytaire. En tout, cela fait douze liqueurs 
dont il se propose d'étudier les vertus préventives vis-à-vis d’une dose 
mortelle de pneumocoques. 

Les résultats de ces expériences sont très intéressants, si on en juge 
d’après le résumé fait par l'auteur. Ainsi, les extraits «leucocytaires 
se sont montrés plus actifs » que le sang complet, et ce dernier supé- 
rieur au sérum seul. 

C'est là le fait capital du mémoire, L'auteur dit ensuite que dans 


616 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


certains cas la différence a été notable quand on comparait les prépa- 
rations provenant du stadehypo et hyperleucocytaire ; en ce qui con- 
cerne le sérum pur, cette différence était nulle, c’est-à-dire que le ré- 
sultat était le même qu'on employât le sérum du stade hypoleucocyÿ- 
taire ou hyperleucocytaire. 

En ce qui concerne le sang normal, là aussi l’effet de l’ « extrait » 
leucocytaire a été plus prononcé que celui du sang complet, et encore 
beaucoup plus que celui du sérum seul. 

Comment donc faut-il interpréter l’action aussi évidente des 
extraits leucocytaires? M. Jacob déclare que la phagocytose n’est pour 
rien dans laction de ses « extraits », pourtant si actifs dans leurs 
deux propriétés préventive et bactéricide (ce qui est un pour l’auteur). 

Nous avons déjà répondu à une objection identique formulée par 
M. Buchner: nous n’y reviendrons plus. 

Admettons donc que la phagocytose n’est pour rien dans les 
« extraits » leucocytaires en général, et dans celui de M. Jacob en 
particulier. 

Mais, en ce qui concerne ce dernier savant, nous nous permettrons 
d'émettre quelques doutes sur la participation des leucocytes eux- 
mêmes. 

En effet, quand on examine de près les protocoles d’expérience 
de M. Jacob, on éprouve une certaine désillusion, et, pour la justifier, il 
est de notre devoir d'exposer les résultats d’une série (11) d’expé- 
riences. 

Dans cette série, qui comprend 11 lapins : 

a). 2 ont été traités préventivement par le sérum (hypo et nyper- 
leucocytaire); ils ont survécu tous les deux. 

b). Sur 4 lapins, traités par le sang complet, les 2 qui ont reçu du 
sang hypoleucocytaire sont morts ; les 2 autres qui ont reçu du sang 
hyperleucocytaire ont survécu. 

c). Enfin, et c’est là le point essentiel, 5 lapins ont été traités avec 
extrait leucocytaire (avec une dose deux fois plus forte que précé- 
demment) ; sur ces à lapins, 2 seulement ont survécu (extrait hyper- 
leucocytaire), trois sont morts (extrait hypoleucocytaire). 

Il en résulte donc que la réalité est moins brillante que cela ne pa- 
raît être si on en juge d’après les conclusions de l’auteur. 

Voiciun (extrait » leucocytaire qui, à la dose de 15 c. c., laisse périr 
trois lapins sur cinq, tandis que la dose deux fois moindre (7 c. c.) du 
sérum ordinaire suffit pour préserver l’animal chaque fois que l'on en 
injecte. 

Et chose curieuse! de ces trois lapins ayant succombé malgré 
l'extrait, un est mort au bout de 22 heures; le second en moins de 
11 heures (l'expérience a été faite le soir et le lapin fût trouvé mort le 


REVUES ET ANALYSES. 617 


lendemain matin) et le troisième au bout de { heure, tandis que le 
témoin ne meurt généralement, d’après l’auteur, qu'au bout de 
34 heures, 

M. Jacob ne semble pas y faire attention; on conviendra cependant 
que le fait est étrange; et on se demande si la substance active des 
leucocytes n’entrant que pour une très faible part dans la constitution 
de L « extrait », le chloroforme n’y serait pas entré pour beaucoup 
trop au détriment de la netteté du résultat. 

Nous ne pouvons pas nous arrêter davantage à ce mémoire, d’ail- 
leurs très intéressant dans sa conception. Nous passons aux recher- 
ches de M. Lüvwit, professeur de pathologie générale à [nns- 
bruck. 


VII 


M. Lüwit a fait paraître en 1897 un grand mémoire sur les leuco- 
cytes et leurs rapports avec le pouvoir bactéricide du sang, Ce qui est 
précieux dans ce travail, c’est la prudente réserve de l’auteur dès qu'il 
s’agit de tirer une conclusion décisive après l'exposé d’une longue 
série d'expériences. 

Mais au point de vue des faits nouveaux et de la façon de conduire 
les expériences, ce mémoire laisse à désirer, bien qu'il porte la marque 
d’un labeur tenace et d’une habileté d’expérimentation remar- 
quable, 

L'auteur se propose de résoudre deux questions : 

Sont-ce véritablement les leucocytes qui détiennent le pouvoir 
bactéricide? et si oui, peut-on en extraire in vivo la substance bac- 
téricide. 

Ce sont des questions que, comme nous le savons déjà, d’autres 
auteurs ont abordées, mais par des procédés autres que ceux dont 
s’est servi M. Lüwit. 

Voici comment il procède : au lieu de filtrer les globules blancs, 
comme l’a fait Denys, pour savoir ce que devient le pouvoir bactéri- 
cide du sang dépouillé de ses leucocytes, Lüwit cherche à atteindre le 
même effet in vivo par un moyen un peu héroïque : il lie l’aorte 
immédiatement après l'émergence du tronc brachio-céphalique. 

C’est là une opération peu banale, surtout si on tient compte des 
difficultés énormes qu'il a dû surmonter ; il a eu tout le temps à lutter 
contre l’æœdème des poumons qui le menaçait à chaque instant; il a dû 
avoir soin de bien curariser l’animal pour empêcher la contraction 
des muscles, ce qui aurait déterminé un œdème fatal ; de bien conduire 
la respiration artificielle et de la maintenir toujours au même degré; 
de surveiller attentivement le cœur qui, fortement incommodé par la 
ligature de l'aorte, ne demandait qu'à céder, etc, 


618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Malgré toute l’habileté de l’auteur, il y a eu de nombreux accidents, 
puisque les lapins succombaient avant qu’on ait eu le temps de les 
utiliser. Dans les cas favorables, c’est-à-dire, lorsque l'animal échappait 
à la mort immédiate, toutes les recommandations sus- indiquées étant 
minutieusement exécutées, il ne pouvait cependant survivre plus de 
deux heures. 

C'est dans de telles conditions réputées favorables qu’opérait 
M. Lüwit. 

De ses nombreuses expériences l’auteur tire la conclusion suivante : 
lorsque, après la ligature de l’aorte, le nombre de leucocytes tombe au- 
dessous de 800 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide du 
sang est notablement diminué ou aboli; lorsque le nombre de leucocytes 
dépasse 1,000 dans un millimètre cube, le pouvoir bactéricide ne se 
distingue presque pas de l’état normal. Il ajoute ensuite que, vu la dis- 
parition des polynucléaires dans les cas d’hypoleucocytose notable 
(au-dessous de 800), on serait autorisé à considérer ces leucocytes 
comme les possesseurs de la substance bactéricide. 

Les conclusions de M. Lüwit auraient certainement un grand 
mérite, notamment celui de confirmer les expériences de Denyset de les 
étendre aux phénomènes se passant in vivo, mais malheureusement les 
expériences qui en font la base prêtent le flanc à des objections sérieuses. 

Tout d'abord, M. Lüwit ne devrait pas, croyons-nous, avoir une 
confiance aussi absolue dans des expériences exécutées dans des con- 
ditions aussi peu ordinaires. 

Si la ligature de l'aorte n’amenait qu’un abaissement considérable 
des leucocytes et rien de plus, l’auteur serait en plein droit d'en con- 
clure que le pouvoir bactéricide est lié à la présence des leucocytes: 
mais ce n’est pas précisément le cas, comme l’a d’ailleurs bien vu 
M. Lüwit lui-même. A côté d’une hypoleucocytose notable se passent 
des phénomènes si compliqués etcompromettant à tel point l'organisme, 
que l'animal meurt dans le cas le plus favorable au bout de 2 heures. 
Le fonctionnement de tous les organes et en particulier des leucocytes 
ne saurait évidemment être celui de l'état normal. 

M. Lüvwit a constaté lui-même que le sang contient dans ces condi- 
tions nombre de débris leucocytaires, produits de leur destruction, 
que la température rectale descend à des degrés impossibles, de 290 
à 25°: et c’est au milieu de cet affolement géneral de l'organisme qu'il 
cherche à établir des relations exactes (à quelques leucocytes près), 
entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide… 

La seconde objection que nous nous permettons de formuler a trait 
à la précision des numérations de globules blancs. Au-dessus de 
1,000 leucocytes, nous dit-on, le pouvoir® bactéricide reste tel quel, 
mais déjà, au-dessous de 800, il est très diminué ou aboli; 


REVUES ET ANALYSES. 619 


D'abord nous ne nous expliquons pas bien comment une hypoleu- 
cocytose aussi profonde que celle qui ne laisse que 1,000 globules 
blancs ne retentit nullement ou peu sur le pouvoir bactéricide, et qu'à 
800 leucocytes le pouvoir bactéricide se trouvetout d’un coup fortement 
diminué ou même nul. 

Les appareils de numération des leucocytes ne sont d’ailleurs 
exacts qu’à 400 ou 500 leucocytes près. 

Toutes ces considérations nous obligent de faire des réserves en ce 
qui concerne le premier problème:que s’est posé M. Lüwit, et qui traite 
du rapport entre le nombre de leucocytes et le pouvoir bactéricide in 
vivo; non pas que nous mettions en doute la réalité de ce rapport, 
mais parce que les expériences ci-dessus ne nous semblent pas l'avoir 
démontré d’une façon péremptoire. 

Quant au second problème qui fait le sujet du même travail, et qui 
touche à la préparation d’un « extrait » leucocytaire, il n’est pas 
encore définitivement résolu non plus. 

Le mode de préparation de cet extrait diffère de celui employé par 
M. Jacob et de celui de M. Buchner. 

Les leucocytes isolés aussi proprement que possible sont triturés 
avec une poudre fine de verre jusqu’à ce que le mélange ne présente 
plus à l’examen microscopique des cellules intactes. Ce mélange, addi- 
tionné de 5 à 10 c. c. d’eau physiologique, est séparé par centrifugation 
de ses parlies solides, et donne un liquide complètement privé d’élé- 
ments cellulaires, louche, opalescent, restant trouble même après 
filtration; ce liquide, d’une réaction faiblement alcaline, contient peu 
d'albuminoïdes précipitables par la chaleur, donne avec l'acide acé- 
tique un précipité floconneux qui se dissout dans l'acide chlorhy- 
drique dilué. 

A lui tout seul ou mélangé avec du bouillon ou du sérum inactif, il 
manifeste un pouvoir bactéricide très net. Mais ce qui distingue sa 
substance bactéricide des autres, étudiées notamment par Buchner et 
sesélèves, c’est qu’elle supporte bien une ébullition pendant cinq minutes. 

En présence de cette action bactéricide ayant lieu en dehors de 
toute intervention phagocytaire, M. Lüwit admet aussi hypothèse 
de la sécrélion leucocytaire, raisonnement qui n’est pas acceptable, 
comme nous l’avons déjà prouvé plus haut. 

Mais chose plus grave, l'extrait leucocytaire de Lüwit, ainsi que 
celui de Jacob, est fort sujet à caution. 

Dans un mémoire paru récemment, M. Schattenfroh, à la suite de 
ses propres expériences, déclare que la substance bactéricideen question, 
résistant si bien à ébullition pendant cinq minutes, provient non des 
globules blancs, mais de la poudre de verre, ayant servi à la triluration 
des leucocytes. 


620 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Une réponse de Lüwit parue ces jours derniers ne nous a pas paru 
bien convaincante. 

Nous laisserons les auteurs élucider ce point litigieux, et nous passe- 
rons rapidement en revue le dernier travail de M. Schatlenfroh paru 
dans les Archiv für Hygiene. 


VIIT 


Ce mémoire, qui s’occupe du pouvoir bactéricide des leucocytes, 
est intéressant à deux points de vue. Son grand mérite est d’avoir 
apporté beaucoup de précision dans les expériences et d’avoir ainsi 
confirmé les conclusions des travaux antérieurs. Il s'impose à notre 
attention encore à un autre titre : il marque une étape significative dans 
l'histoire des idées dites humorales. Cest dans ce travail, fait par un 
ancien élève de Buchner, que pour la première fois nous voyons des 
chapitres entiers consacrés à l’étude des phénomènes phagocytaires ; 
c'est là que nous avons la satisfaction d’enregistrer la déclaration 
nette que jusqu'ici aucune preuve expérimentale, y compris les faits 
invoqués par Buchner et Hahn, n’est venue encore justifier le pouvoir 
sécréteur des leucocytes. 

Pour se mettre à l’abri des objections dont étaient passiblés les 
expériences antérieures, Schattenfroh étudie les leucocytes en les 
plaçant dans un milieu indifférent (solution physiologique), et non pas 
dans le sérum comme le faisaient ses devanciers; il traite les leuco- 
cytes, dont il se propose d'étudier les propriétés bactéricides, comme 
s’il s'agissait d’un précipité chimique ordinaire. 

Après des centrifugations répétées, suivies de lavages à l’eau phy- 
siologique, l'auteur croit avoir des leucocytes purs, c’est-à-dire exempts 
de toutes substances étrangères ; il s'assure en plus qu’ils ont conservé 
leurs mouvements amiboïdes. 

Remarquons à ce propos que la constatation des mouvements ami- 
boïdes n'est pas encore une garantie sûre que les fonctions des leu- 
cocytes soient absolument intactes. Nous serions plutôt porté à croire 
que des centrifugations et des lavages répétés ne laissent pas les leu- 
cocytes indifférents, et ne voudrions pas conclure avec l’auteur que le 
« chimisme leucocytaire » n’a subi aucune modification; d'autant plus 
que l’auteur constate lui-même que, quelque soigneuse que soit la 
purification, on trouve même dans les dernières eaux de lavage des 
matières organiques. 

Toujours est-il que, par ses nombreuses expériences, Schattenfroh a 
réussi à démontrer que ce sont les leucocytes qui emmagasinent les 
substances bactéricides, que ce sont eux qui confèrent au sérum le 
pouvoir bactéricide. 

D’après lui, le passage de ces substances dans le sérum s’effectue 


REVUES ET ANALYSES. 621 


après la mort des leucocytes, qui d’ailleurs peut survenir dans 
l'organisme même, dans des conditions physiologiques; mais il 
n’admet point la sécrétion leucocytaire dans le sens voulu par la 
théorie de son maître, la théorie des alexines. 

Schattenfroh prépare aussi un « extrait » des leucocytes en chauf- 
fant ces derniers dans la solution physiologique pendant une demi- 
heure à 60v, ou bien en laissant macérer pendant 2-3 heures les 
cellules triturées dans la même solution à 370. 

L'extrait ainsi obtenu est indifférent au chauffage à 60° pendant 
une demi-heure, mais il se détruit à la température de 80-870, 

Tels sont les principaux faits connus au sujet de la propriété bac- 
téricide des leucocytes et de leurs extraits. 


IX 


Nous voyons donc que si ce problème va en s’éclaircissant de jour 
en jour au point de vue biologique, on ne peut pas en dire autant de 
son côté physico-chimique. 

La tentative, louable en elle-même, de ramener la question sur le 
terrain chimique, par la préparation des extraits leucocytaires, a 
abouti à une confusion telle qu’il devient de plus en plus difficile de 
s’y orienter. 

Ainsi nous voilà déjà en présence de quatre substances bactéri- 
cides, toutes différentes les unes des autres, sans compter l” « extrait » 
de M. Jacob, dont nous ignorons malheureusement la température de 
destruction : 

4° Les alexines de Buchner se détruisent à 556. 

20 L’extrait de Schattenfroh se détruit à 85°. 

30 L’extrait de Lüwit à l’ébullition pendant cinq minutes, 

4 L’extrait de Bail, obtenu par l’action de la leucocidine sur les 
leucocytes, se détruit à 650. 

Pour peu que d’autres expérimentateurs se mettent à préparer des 
« extraits », ce qui est inévitable, nous verrons la liste des subs- 
tances bactéricides s’allonger encore à n’en plus finir. 

Faut-il en conclure à la richesse inépuisable des leucocytes en subs- 
tances bactéricides, ou faut-il incriminer nos procédés défectueux 
d'extraction. 

Malgré l'opinion, émise tout récemment par M. Bail, d’après lequel 
chacun des extraits constitue une unité bactéricide à caractères propres, 
nous whésitons guère à nous ranger à la seconde hypothèse, et nous 
admettons même qu'aucun de ces extraits ne représente la véritable 
substance contenue dans les leucocytes. 

On aurait certainement tort de s’imaginer que la matière bactéri- 
cide faisant partie du protoplasme leucocytaire soit d’une constitution 


692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


di 


chimique aussi simple que le bichlorure de mercure ou le phénol : il 
serait même surprenant que par des procédés aussi primitifs que ceux 
employés jusqu'ici, on eût pu extraire du milieu si complexe et délicat 
qu'est le protoplasma leucocytaire — la matière bactéricide en toute 
sa pureté et rien qu'elle. 

Nous savons combien le leucocyte est sensible aux moindres in- 
fluences physiques ou chimiques, combien sont multiples les fonctions 
de cet être si petit, et croire que la trituration grossière avec la poudre 
de verre ou l'épuisement par le chloroforme permettrait de faire 
l'analyse fine de ses fonctions est inadmissible. 

La matière bactéricide des leucocytes étant certainement d’un 
ordre de composés tout différent de celui d’un phénol par exemple, 
il faut commencer par rejeter les méthodes brutales d'extraction qui 
ne font que compliquer la question. Avant de passer à l’exlraction 
in vitro, il faudrait, à notre avis, commencer par faire des études 
sur des leucocytes vivants, et rechercher comment se comporte leur 
pouvoir bactéricide vis-à-vis de différents agents physiques et chi- 
miques; et c’est seulement quand nous serons renseignés sur le mode 
d'action de la température, de la pression, des divers agents chimi- 
ques, que nous serons à même de combiner des procédés d'extraction 
dont toutes les phases nous seront connues d'avance; bref, on saura 
ce qu’on fait, tandis que maintenant on traite les leucocytes au petit 
bonheur, sans savoir ce qu’il en résultera. 


X 


Après avoir insisté si longuement sur le pouvoir bactéricide, il 
semblera peut-être étrange que nous poussions le scepticisme jusqu'à 
nous demander si ce pouvoir existe réellement dans le sens que lui 
attribuent les auteurs; en d’autres termes, s’il existe dans les leuco- 
cytes une matière dont la mission essentielle soit de tuer les mi- 
crobes. 

Nous estimons que les auteurs se préoccupent beaucoup trop du 
pouvoir bactéricide des leucocytes, et laissent pour cela dans l’ombre 
une propriété infiniment plus importante et d’un ordre beaucoup plus 
général, qui est leur pouvoir digestif. 

C’est le pouvoir de digérer qui est à notre sens le caractère essen- 
tiel du leucocyte, le pouvoir de tuer n’est qu'une phase préliminaire 
nécessaire pour faciliter la digestion, telle l’insalivation qui précède la 
digestion stomacale. 

On a cru pendant longtemps que les leucocytes réagissent seulement 
vis-à-vis des microbes ; l’idée du pouvoir bactéricide était alors toute 
naturelle; mais maintenant que nous commençons à savoir qu'ils 
réagissent aussi bien et avec le même effet vis-à-vis des virus non 


REVUES ET ANALYSES. 6923 


vivants, n'ayant pas besoin par conséquent d’être préalablement tués, il 
devient évident que la propriété bactéricide passe au second rang ; ce 
qui reste immuable, ce qui domine dans le leucocyte, c’est qu'il digère; 
le fait de pouvoir tuer le virus, si important qu'il soit, ne présente 
qu’un moyen que le leucocyte utilise ou non, suivant les circons- 
lances... 

Les expériences de M. Metchnikoff avec la toxine tétanique et 
d’autres analogues qui sont à l'étude nous le prouvent suffisam- 
ment. 

Nous croyons donc que le terme « pouvoir bactéricide » ne répond 
pas à la totalité de faits, et qu’il serait plus juste de lui substituer celui 
du « pouvoir digestif ». 

Cette substitution aurait encore un autre avantage que celui de 
mieux traduire les faits. 

A force de traiter toujours du pouvoir bactéricide, les savants ont 
été entraînés dans une voie un peu étroite à notre sens. 

Prenons par exemple les extraits leucocytaires sur lesquels nous 
avous si longuement insisté. Quelle que soit leur valeur intrinsèque, 
toujours est-il que les auteurs ne cherchaient qu’à en déterminer les 
propriétes bactéricides, et cependant s'ils avaient pensé au pouvoir 
digestif des leucocytes, ils auraient certainement abordé une foule 
d’autres problèmes qui se seraient présentés inévitablement à leurs 
esprits. 

Autre exemple : rappelons-nous qu'en se basant sur une parenté 
fort éloignée de l'acide nucléique et des nucléines avec le contenu leu- 
cocytaire, on est allé jusqu'a croire que c’est l'acide nucléique qui est la 
substance active du leucocyte; et cette hypothèse a été surtout 
appuyée par ce fait que l’acide nucléique possède des propriétés bacté- 
ricides. Si on avait eu l'esprit dirigé vers cette idée que la propriété 
bactéricide n’est qu'une manifestation secondaire dans la vie du leuco- 
cyte, on n'aurait certainement pas cherché si obstinément la matière 
active des leucocytes parmi les substances purement bactéricides. 

Par contre, la notion du pouvoir digestif a l'avantage de nous 
ouvrir un nouveau champ de recherches, difficiles il est vrai, dans le 
groupe des diastases digestives dont nous connaissons déjà plusieurs 
représentants. 

Nous croyons donc que pour être sûr de se trouver sur la bonne 
piste, il serait utile de se pénétrer bien de cette idée que le pouvoir 
bactéricide n’est qu'une des phases, peut-être multiples, de la digestion 
intra cellulaire, qui, elle, est véritablement le phénomène dominant dans 
la vie du leucocyte. 

BESREDKA. 


624 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


BIBLIOGRAPHIE 


Emmeric et Tsusor. — Centralblatt f. Bacter., 1892 ; x, pp. 364, 417, 449, 
1893; x1u1, p. 979. 

Bucaxer. — Centralbl. f. Bacter., 1889; p. 817, 1889; vi, pp. 1 et 561. 
4890; vin, p. 65. — Archiv f. Hygiene, 1899; x, 1893 :xvir. — Fortschritte 
der Medizin, 1892. — Munch. Mediz. Woch., 1891; 1894. 

Fonor. — Deutsche mediz. Wochenschr., 1887. 

NurrTaLL, — Zeitschr. f. Hygiene, 1888. 

BEunRING. — Centralblatt f. klin. Mediz., 1888; n° 38. 

FLuace. — Zeitschr. f. Hygiene, 1888, p. 223. 

Basrin. — La Cellule, 1892. 

Denys et Karin. — Jbidem, 1893. 

Haver. — Jbidem, 1893. 

VauGHAN. — The medical nerws, 1893. 

Haux. — Archiv f. Hygiene, 1893; xxv ; p. 138. — Berlin klinische Woch. 
1896; p. 869. 

SCHATTENFROH. — Munchener mediz. Woch., 1897; nos 4 et 46. — Archiv fur 
Hygiene, 1897. 

Lowir. — Beitrage zur pathol. Anatom. u allgemein. Patholog., 897, p. 172. 
— Centralblatt f. Bacteriol., 1898, p. 1025. 

Jacon. — Zeitschr. für klinische Mediz., 1897, p. 466. 

Baiz. — Archiv. fur Hygiene, xxx; xxxn ; Berl. klin Woch., 1897, n° 41 ; 
1898, no 22. 


Le Gérant : G. Masson. 
AD OE PONTE N'ES CRE SR Re TE A 
Sceaux, — Imprimerie E, Charaire. 


419me ANNÉE : OCTOBRE 1898 N° 10. 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


LA PROPAGATION DE LA PESTE 


Par LE Dr P.-L. SIMOND 


CHAPITRE Ie 


ORIGINE DES ÉPIDÉMIES DE PESTE OBSERVÉES DEPUIS 1893 EN CHINE ET 
DANS L'INDE. — ÉVOLUTION DE L'ÉPIDÉMIE DE BOMBAY 


Plusieurs hypothèses ont été émises touchant la provenance 
de l'épidémie de peste de Bombay : comme il existe dans cer- 
tains districts de l'Himalaya, celui de Gahrwal en particulier, 
des foyers de peste permanents, on a pu supposer que des voya- 
geurs tels que les fakirs auraient apporté de là la maladie. Au- 
eun fait n’a été cité à l'appui de cette opinion; il est beaucoup 
plus probable que la peste est venue de Hong-Kong, où elle sévis- 
sait en 1896. 

Nous avons été à même de préciser l’origine des épidémies 
de Hong-Kong et des ports de Chine. Nous l’avons signalée aux 
autorités sanitaires du Tonkin en 1894, dans un rapport, publié 
depuis ‘, sur une épidémie observée dans la province chinoise 
du Quang-Si, à Long-Tcheou, où nous étions alors en mission. 

Au printemps 1893, la peste sévissait fortement dans les vil- 
lages du Yunnam, province distante de Long-Tcheou d'environ 
200 kilomètres, et qui constitue le plus important des foyers per- 
manents de peste connus. En raison du grand nombre de postes 
militaires chinois élablis près de la frontière tonkinoise dans 
le Yunnam et le Quang-Si, des caravanes de mulets faisaient à 
cette époque le va-et-vient de lune à l’autre province par les 
sentiers de montagnes, seules voies de ravitaillement des postes. 


1. P.-L. Simon, Notes d’Hist. nat. et médicale, recueillies à Long-Tcheou (Ar- 
chives de Médecine navale, 1895). 


40 


626 ANNALES DE L'INSTITUT FASTEUR. VE 


D'après l'enquête à laquelle nous nous sommes livré, c’est 
par ces caravanes, dont les muletiers sont originaires du Yunnam, 


ro = FNSE = AT EN 
| RUE ue qi : F 
YUN A N 


|. 807 


ET 


ob \ 


U9 LAPS D 8fs2d 27 2 


| 
ne. ' 
Vs 


‘7 “SU 


TANTOAT 


UIYt07 2D 9.T8TQU0dpr+r+++sr+ 


1s00 eye o14ms 210 


SaSIOUIYO Se0UMOId.S2p 2)IUI7--- 


que la peste à été apportée du foyer primitif à Long-Tcheou, au 
milieu de l’année 1893 (fig. 1). 


PROPAGATION DE LA PESTE. 627 


Les premières victimes connues dans cette ville étaient des 
muletiers de ces caravanes. 

De Long-Tcheou la peste est descendue par la rivière de 
Canton jusqu'à Naning-Phu, où elle n'a pas sévi épidémique- 
ment, puis elle a suivi la voie de terre pour atteindre Pakoï, le 
premier port de mer où l’on ait signalé une épidémie. Cette route 
de Long-Tcheou à Pakoï par Naning-Phu est celle par laquelle 
se fait presque tout le trafic du Haut Quang-Si. 

Quelques mois plus tard, en 1894, la peste a éclaté presque 
simultanément à Canton.et à Hong-Kong. Y est-elle arrivée par 
mer de Pakoï ou par voie fluviale de Naning-Phu ? 

C’est un point impossible à déterminer ; de toutes manières, 
l’épidémie de Long-Tcheou de 1893-94 est la source de l'épi- 
démie de Hong-Kong de 1894. 

Pendant les années 1895 et 1896, des recrudescences ont eu 
lieu à Hong-Kong, et n’ont pas cessé de constituer un danger 
pour tous les pays en relations avec ce grand port. 

Il nous paraît peu douteux que l'importation de la peste à 
Bombay ait eu lieu par mer. Le début de l'épidémie par le quar- 
ter de Mandvi qui avoisine le port et renferme de nombreux 
entrepôts pour les marchandises, la facilité pour les rats des na- 
vires, amarrés à quai dans les docks, de descendre à terre et de 
se répandre dans ce quartier, sont des arguments en faveur de 
cette opinion. Or, si la peste a été introduite par mer, le seul 
port susceptible d'être incriminé comme point de départ de l'in- 
fection est celui de Hong-Kong. 

Les premiers cas connus furent signalés dans des maisons du 
quartier de Mandvi par le D' Viegas. Le corps médical fut quel- 
que temps hésitant sur la nature de la maladie nouvelle, mais 
avec les jours le mal faisait des progrès, et les médecins comme 
le public durent bientôt se rendre à l'évidence. 

La mortalité générale était d'ailleurs en augmentation déjà 
avant la découverte du D' Viegas : elle suivait une marche crois- 
sante depuis le milieu d’août et la progression s’accentuait de 
semaine en semaine. Alors que, dans les années précédentes, la 
moyenne hebdomadaire des décès ne dépassait guère le chiffre 
de 500 ; on trouve en 1896 les moyennes hebdomadaires sui- 
vantes : août, 620 ; septembre, 649; octobre, 680; novembre, 
690. Enfin, en décembre, l'épidémie prend son essor, s’étend à 


628 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tous les quartiers de la ville, affolant la population qui émigre 
en masse. Il meurt en moyenne dans ce mois 1,240 personnes 
par semaine. Pendant les mois de décembre 1896, janvier, février 
et mars 1897, qui constituent la période d'état de l'épidémie, 
la mortalité hebdomadaire moyenne est de 1,473, c'est-à-dire 
qu'il meurt environ 210 personnes par jour. 

En avril commence le déclin, d'autant plus rapide qu'une 
grande partie de la population avait quitté la ville. Au mois de 
juin les cas deviennent rares : on peut dire qu'à ce moment 
l'épidémie est terminée. En juillet et août, à peine se produit-il 
quelques cas de loin en loin. 

Les habitants de Bombay se croyaient dès lors délivrés du 
fléau ; seuls quelques esprits judicieux, se basant sur l'expérience 
des épidémies antérieures, prévoyaient une recrudescence. 
L'événement leur donna raison et la recrudescence se produisit 
sous forme d'une épidémie plus grave que la première, avec 
une marche identique et une exacte correspondance de 
dates. 

Le développement de l'épidémie a présenté trois périodes 
bien distinctes : 1° période de début ou d’accroissement, qui à 
duré # mois, août à novembre 1896, et a été marquée par une 
progression lente et graduelle du nombre des cas, localisés 
dans une partie de la ville; 2 période d'état, de # mois 
également, décembre 1896 à mars 1897 : un fait important a 
caractérisé le début de cette période, c’est l’apparition brusque, 
au commencement de décembre, de nouveaux foyers dans tous 
les points de la ville, sans qu'on puisse saisir la relation entre 
ceux-ci et le foyer primitif. En deux semaines, cette dissémina- 
tion s’est effectuée avec une intensité telle, que la mortalité a 
doublé. À partir de ce moment, le chiffre hebdomadaire des 
décès se maintient entre 1,200 et 1,900 jusqu’à la fin de mars ; 
le maximum est atteint dans la semaine finissant le9 février, avec 
1,911 décès; 3° période de déclin. Pendant le mois de mars, la 
mortalité a suivi une marche décroissante, mais c'est en avril 
seulement que le déclin s’est nettement établi; il a été plus 
rapide que l'ascension et a duré deux mois. 


.. PROPAGATION DE LA PESTE. 629 


TABLEAU 


DE LA MORTALITÉ HEBDOMADAIRE A BOMBAY PENDANT LES DEUX ÉPIDÉ- 


MIES SUCCESSIVES DE PESTE, PAR COMPARAISON AVEC LA MORTALITÉ 
MOYENNE DES CINQ ANNÉES PRÉCÉDENTES. 


| MOYENNE MORTALITÉ MORTALITÉ 

SEMAINE DE LA MORTALITÉ|HEBDOMADAIRE|[HEBDOMA DAIRE) 
hebdomadaire pendant pendant 

FINISSANT LE de 5 années la {re épidémie | la 2e épidémie 
1890-1895. 1896-1897. 1897-1898. 


{er septembre. 5 814 
sa 5: 838 
45 — 92 876 
DD — © 506 869 
9090— 59 823 
6 octobre. 4 716 
I = 4 750 
20 — - ! 7176 
27 — ÿ 754 
3 novembre. A4: : 741 
100 4 701 
IQ 46 700 
D — 446 682 
ler décembre. 45 704 
— 46 706 

— ] 785 

_ 835 

— 46 975 

> janvier. € 1061 
— 1307 

— D 1540 

— 5 1726 
février. 526 1871 
2067 

2195 

1974 

2080 

2184 

2137 

2968 

1938 

1519 

1303 

1202 

1116 

389 

725 

616 

633 


630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le seul moyen de se faire une idée à peu près exacte de la 
part de la peste dans cette mortalité consiste à déduire le chiffre 
moyen des 5 années précédentes de celui des décès de la semaine 
correspondante en 1896, 1897 et 1898. Le résultat de cette 
soustraction est toujours au-dessous de la réalité, en raison de 
la diminution énorme, pendant la durée de l’épidémie, de la 
population, dont le quart ou plus a émigré. Il conviendrait donc 
de faire le calcul de la façon suivante : réduire de 1/5 le chiffre 
moyen de la mortalité des années antérieures, et soustraire le 
nombre obtenu du nombre de décès de la semaine correspon- 
dante des années d’épidémie. Nous nous sommes assuré qu'on 
obtient ainsi une approximation assez grande. Les chiffres offi- 
ciels publiés par l'administration sont trop faibles d’un quart au 
moins. Cela n’a rien de surprenant, étant donnés les elforts 
déployés par les indigènes pour dérober leurs malades aux 
recherches de la police. 

Pour la ville de Bombay, la statistique administrative accuse, 
depuis le mois de septembre 1896 jusqu'au 1% août 1898, 
30,805 cas et 26,423 décès de peste. Nous estimons que les 
chiffres de 38,000 cas et 32,000 décès qui résultent de nos calculs 
sont beaucoup plus près de la vérité. 

Il en est de même de tous les relevés établis avec beaucoup 
de soins dans tous les foyers de peste de l’Inde par l’administra- 
tion. Par conséquent, on peut considérer les nombres de cas, 
indiqués sur notre carte pour chaque aire pestiférée, comme 
trop faibles d’un quart environ. 


CHAPITRE II 


PROPAGATION DE LA PESTE DANS L'INDE PAR TERRE ET PAR MER. — MODES 
DE PROGRESSION. — INSUFFISANCE DE L'HOMME COMME AGENT DE TRANS- 
PORT POUR EXPLIQUER LA PROPAGATION 


Ainsi qu'elle en a coutume, la peste ne s’est point cantonnée 
dans la ville où elle avait fait sa première apparition. Par les 
voies de mer et de terre, elle a envahi les côtes et l’intérieur de 
l'Inde, se propageant graduellement en tous sens comme une 
tache d'huile; elle couvre aujourd’hui la moitié de la surface du 
pays, on ne peut prévoir où s'arrêteront ses ravages. 


PROPAGATION DE LA PESTE, 631 


Si l’on jette un coup d’æil sur la carte de la peste, on constate 
d'abord que l'épidémie a sévi précocement sur tous les centres 


: je A 
7 5 Sr = 
per dE 
? Âa TX 
/ (2 1 & 
= / 
2 SE J L4 
= ; Een a re & 2\ 
i d =met 
m0 vi 
LKR = —— nl ee 
ne LL) 
lee) ; y ii à S 5 
NE LS SF 
É Hn 
+ pr 
16° «1 ve 
À 
(LEA 


Ë FE 1 Aires pestiferres 
e Villes allernles 


o Villes non allernles 


CARTE DE LA PESTE DANS L'INDE 


Jrsq au 1!Aoùl 1893 


DRESSÉE par le D' P-L. SIMOND 
v Rousses 


Fig. 2. 


populeux avoisinant Bombay, dans un rayon de 30 à 40 milles. 
De ce grand foyer central, elle a progressé le long de toutes les 


632 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


voies ferrées, s'étendant à des distances variables pour chacune 
d'elles. Sur la ligne du nord, les principales villes qu'elle a 
touchées avec plus ou moins de sévérité sont Surat, Baroda, 
Ahmedabad, Palampur. Sur la ligne du sud, Poona, Sattara, 
Karad, Miraj, Belgaum, Hubli. Cette dernière, par 15° late N>; 
est le point le plus méridional de l'Inde atteint jusqu'ici. Sur les 
lignes qui, de Poona, se dirigent vers le sud-est, Scholapur et 
Hyderabad, capitale du Nizam, ont subi des épidémies très 
sévères. Sur la ligne de l’est, dé Bombay à Calcutta, Igatpuri, 
Nasik et un certain nombre de cités moins importantes. Par les 
lignes qui se détachent de celle-ci en allant vers le nord, la peste 
a fait une apparition à Khandraoni, dans le Gwalior, et a atteint 
Hurdwar, lieu de pèlerinage, aux sources du Gange. De cette 
ville, elle a gagné au voisinage de Lahore les districts de Jullun- 
der, Hoshiarpur, Amritsar, par 32° de latitude N. La partie 
centrale de l’Inde traversée par le railway de l’est a été la plus 
épargnée Jusqu'en 1898. Nous assistons actuellement à l’instal- 
lation de la peste dans Calcutta, point terminus de cette ligne. Il 
est à redouter que cette ville ne joue avant longtemps, pour la 
partie orientale de l’Inde, le rôle de centre d'irradiation, qui est 
échu à Bombay pour la partie occidentale. 

Du côté de la mer, le nord a plus souffert que le sud. La 
peste a sévi sur les ports du sud très peu au-dessous du 18° degré 
(Bombay est par 19°), tandis qu’au nord elle s'étend à presque 
tous les ports du golfe de Cambay, à Porbunder, le plus impor- 
tant de la grande presqu'ile du Kattywar, à Mandvi et Mundra 
dans le golfe de Cutch, et enfin arrive à Kurachee, le grand port 
du nord-ouest de l'Inde, aux bouches de l’Indus, par 25° lat. N. 
Disons tout de suite que cette grande extension vers le nord, qui 
contraste avec le médiocre développement dans la direcuüon 
opposée, tient à ce que les relations maritimes entre Bombay et 
les ports de la côte sud sont infiniment moins fréquentes qu'avec 
ceux du nord; elle n’est nullement en rapport avec la théorie 
d’après laquelle la peste se manifesterait d'autant plus difficile- 
ment qu'on se rapproche de l’équateur. La preuve en est que par 
les voies ferrées l'épidémie a atteint Hubli sous le 15° degré, 
tandis que par mer nous la voyons s'arrêter au 18° degré. 

Ce rapide examen de la propagation de la peste dans l'Inde 
nous permet tout d'abord d'établir un point qui, si banal qu'il 


PROPAGATION DE LA PESTE, 633 


paraisse, a pu être contesté : c'est que tous les foyers actuels 
dans l'Inde sont dérivés de Bombay. 

Tout en obéissant à une loi générale de progression systéma- 

ique, la propagation à très souvent procédé par bonds. Cer- 
ains points qui se trouvent, pour des raisons particulières à 
chacun, plus exposés et plus accessibles à l'épidémie que d’autres 
moins éloignés de Bombay, ont été atteints avant eux et ont 
constitué de bonne heure des foyers secondaires. C’est ainsi que 
Kurachee, dont les relations commerciales avec Bombay sont très 
importantes et qui est relié à cette ville par de multiples services 
de navigation à vapeur, a été le premier atteint des grands 
centres : l'épidémie s’y est développée en janvier 1897, Ce foyer 
mérite une mention spéciale parce que, point de départ, comme 
Bombay, de lignes de navigation et de voies ferrées, il a été la 
source des épidémies du nord-ouest de l'Inde, dans la vallée de 
l’Indus, Hyderabad, Khaïirpour, Rohri, Sukkur, Shikarpour et 
Jacobabad. De même Karad, situé à 250 milles environ de 
Bombay, sur la ligne du South Marhatta Railway, a subi son 
épidémie en juillet 1897, avant Poona qui est beaucoup plus 
rapproché, et a été le centre d'irradiation de la peste pour Sattara, 
Miraj, Belgaum, Hubli. 

Si la marche de la peste est parfois irrégulière quand il s’agit 
de son transport à de grandes distances, la progression de 
proche en proche dans le voisinage immédiat d’un grand 
foyer affecte au contraire une assez grande régularité; les 
villages sont atteints les uns après les autres suivant une succes- 
sion qui est presque constamment en rapport avec leur éloigne- 
ment, Le cercle infecté s'agrandit peu à peu, et finit souvent par 
rejoindre l'aire d'infection des foyers voisins. Bien peu de villages 
ou de villes secondaires échappent à l'épidémie dans un rayon 
de 25 à 30 milles aulour d’un foyer principal. 

L'extension des épidémies esten rapport, dans quelques cas, 
avec l’émigration de la population de la ville attaquée. Quand 
on peut obtenir des renseignements précis, on découvre fréquem. 
ment que, antérieurement à l'apparition de la peste parmi les 
habitants de la ville ou du village, des étrangers émigrés du 
foyer principal sont venus mourir là de la peste. Cette règle est à 
peu près constante pour le transport de l'épidémie dans les villes 
éloignées; elle souffre de nombreuses exceptions, dont nous 


634 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


rechercherons plus loin la cause, dans l'extension circulaire de 
peste aux centres rapprochés. 


5.1.5 
Ft ‘a bad 


L_ca8'2.97 
/ 


A 
D 
a ee 
7) Maridrvi 
Æ Mars 1897 1cH 
de CU 3.1.9 L 
rad GOLF. e $ aruaqu ! 
0305.97 
K À T H ! 
NL Jeralsat 
nn 240.8 0 
PORBANDER ® + w, CE - 
231 eng 4, 
LEGENDE 25 ES Ruriana 
CA 3:27 
Mauatole ‘ 
#2» Âire d'un district CAL 
À pesbféré. $ "u Re 3 Una 17 WE A 
_ = _._— Ligues de chenun defer. SE AT S * 
Villes ou ils est prodei des LS AS ve 48 naussec 
cas ünportés,1ñats pas da cas i1diqenes. * 
© e Villes où ee a sévi param les habitants- 
Les chillres rouges in iquent la date du 1‘sas importe cor lU. 
Les ciffr'es noirs petits ____rd 
14 


tndigéne Connu. 
rands indiquent le nombre officiel dés cas relevés dans le distrect ort 
ils sont écrits. Ce 1iowrbre est requliérement üwérieur du 1/4 ou de la 1% a la 16alile.Ces 


Ë : = 2 : 2 S 
ombres comprennent tous les cas connus Jusqu au 1’ Août 1898 a partir de 7"! 1896. 


Fig. 3. 


Donc, d'une manière générale, un ou plusieurs cas que nous 
appellerons cas importés se produisent parmi les arrivants d’un 


PROPAGATION DE LA PESTE. 635 


centre pestiféré, avant que des cas indigènes se manifestent. Ce 
fait est de grande importance pour nous éclairer sur les moyens 
par le re la peste se propage. Il apparaïl avec beaucoup de 


#4 (ID) 


—— 


É 2 
je ) j 
4:91 Dho CA # ie Re SES ; j 
= 7e : 1.97 : PERS, 5 
123 Mal}: gettiin Mr, Tee Dé: 1e 
Damaun /] ee en. 111097 ÉSSSS Fr 
13.3 97 : rs oder 
> 10, 98 À 9018 à de re dk 02 
Gnchm FA. À 1 
29 1.97 . 2 
Mahim 1e ; 
t.s1 
k £ s à 
A8 À y 
+ ve 3 A ET À -Afnned 
mednuqqur 
Tone 2s DRE sm @ nt RC 
91.9.96 0% ,: : ne” 
Y es |: Ta 508 1: TT 
BOMBAY Fa: Fi +0, 3.97 su re | 
Alibao 4 : e : on 
25.12 483.97 BOUNA Ru A ER 
Moruo 44 4ST EL NS 
== 10 @Bhx ; NC 
A SS » À Haë ie 


As É NS 
Jannira +3 me 07 Se 


12.88 21.197 Ve ER 
Bankor ar : _—. 7 
22 Re ot 90 igiaga : * * «+. Le =. 
Ta 97 LUS _. 4 . 
_ ee 
_K— e HYDERABAD 
- — È 


“icerribre 1897. 


[= 6.197 - : =. - 
ES UE 
ue _ 
124.9 
n°) 
nm 
p:°) 
an 
Ed 
æo 
[ 
le 
13.4 91 (e \ | \ VRoussei 


Môme Jégende que pour la carte (1) 


Fig. 4. 


netteté si l’on considère les cartes ci-jointes de la peste dans l'Inde. 
La plupart des renseignements quinous ont permis d'établir cette 
carte nous ont été obligeamment communiqués par le D' Grey- 
foot, qui a relevé avec soin pour chacune des villes de la prési- 
dence de Bombay les dates du 1° cas importé et du 1% cas 
indigène, 


630 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Nombre de villes sur les côtes comme dans l'intérieur ont 
présenté des cas importés sans que la maladie ait atteint les 
habitants. ne suffit pas, en effet, qu'un étranger pestiféré vienne 
mourir dans un endroit pour y faire naître At une épi- 
démie. À Poona, par exemple, l'épidémie s’est manifestée long- 
temps après celle de Bombay, en septembre 1897, bien qu'un 
grand nombre de cas de peste, probablement plus de cinquante, 
se soient produits parmi les fuyards de Bombay qui s’y sont 
réfugiés dès le mois d'octobre 1896. 

Done, le premier cas importé n’est pas toujours suivi de près 
par l’épidémie; toutefois il constitue une menace très sérieuse et, 
lorsqu'il se produit, lon peut dire que la peste est entrée dans la 
place. 

Deux faits importants découlent de l’étude des dates aux- 
quelles ont été observés dans une ville un premier cas indigène 
etun premier cas importé : 1° tout foyer épidémique nouveau, à 
de rares exceptions près, a reçu des cas importés; 2° les cas 
importés ont très généralement précédéles cas indigènes. On doit 
conclure de ces deux faits que l'homme est le plus ordinairement 
l'agent du transport de la peste d'une ville à une autre. 

Nous avons dit que les cas importés se retrouvaient réguliè- 
rement comme prodromes de l’épidémie dans le transfert de la 
peste à de grandes distances, mais qu’ils manquaient parfois dans 
. l'extension à proximité du foyer. Ge fait est difficile à constater, 
en raison de l’envahissement presque général par les fuyards de 
tous les villages d'une région, quand l'épidémie éclate dans le 
chef-lieu. 

Néanmoins nous avons pu le relever avec certitude dans cer- 
tains villages comme Vundiali (dans le district de Karad) et à 
Pundjiali (dans l’État de Cutch), où des cas ont éclaté parmi les 
habitants sans qu'il y ait eu précédemment un seul cas importé; 
le même fait s’est présenté dans beaucoup de villages ou petites 
villes voisines de Bombay, d’après M. Snow. Il y a donc lieu de 
se demander si l'homme est indispensable pour le transport de 
la maladie. L'étude de l’évolution d’une épidémie de peste dans 
un centre populeux permet de résoudre cette question. 

Dans le cas ordinaire où des cas importés sont constatés tout 
d’abord, il s'écoule généralement une assez longue période, plus 
d'un mois, avant l'apparition des cas indigènes. À partir du 


LI 


PROPAGATION DE LA PESTE, 637 


moment où ceux-ci se sont manifestés commence une période 
de latence pour ainsi dire, période où Îles attaques sont rares, 
localisées à un seul quartier, où l’on constate difficilement un 
progrès d’une semaine à l’autre, ce qui, presque toujours, déter- 
mine une confiance trompeuse chez les médecins et les autorités 
locales : on croit à des cas sporadiques excluant le danger d’épi- 
démie. 

Déjà, pendant cette période, on peut observer que les cas 


(| 


dans le quartier originel se succèdent dans des maisons tantôt 
voisines, tantôt séparées, sans qu'il y ait nécessairement des 
relations entre leurs habitants. Très fréquemment, des familles, 
qui ont évité tout contact avec les maisons pestiférées et les 
habitants sains on malades de ces maisons, voient tout à coup la 
peste s'installer chez eux. 

Dans d’autres cas, les habitants d’une maison où un cas s’est 
produit abandonnent leur domicile pour aller demeurer chez des 
amis ou des parents,etla pestearrive avec eux, soit qu’elle frappe 
leurs hôtes, soit qu'elle les frappe eux-mêmes. Ainsi, tantôt le 
transport du germe a eu lieu d’une manière certaine par l'inter- 
médiaire de l’homme, tantôt il s’est, tout aussi sûrement, effectué 
sans lui. 

C’est surtout à la période suivante, période d’accroissement 
rapide de l'épidémie pour atteindre son état aigu, que la possi-- 
bilité de l'extension de la peste sans intermédiaire humain appa- 
raît nettement. À ce moment, la progression devient tout à fait 


638 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


capricieuse; tantôt elle se fait tout le long d’une rue, atteignant 
toutes les maisons, soit l’une après l’autre, soit plusieurs simul- 
tanément; tantôt des cas surgissent dans des quartiers éloignés 
et dans des maisons où rien ne pouvait, semble-t-il, justifier leur 
apparition. 

A ce moment, la virulence de la peste semble être au maxi- 
mum; elle frappe à la fois plusieurs habitants d'une même 
demeure, plusieurs membres d'une même famille, souvent le 
même jour, presque à la même heure et avec une égale sévérité. 
La durée de cette période aiguë est très variable : elle est parfois 
abrégée par l’émigralion de la popuiation ; on observe alors une 
diminution du nombre des cas qui n’est nullement le déclin 
véritable. Celui-ciest marqué par une proportion nettement infé- 
rieure des cas très rapidement mortels. 

Dans les grandes villes, la période d’état aigu est de plus 
longue durée que dans les petites villes. À Bombay, cette période 
a été de quatre mois, tandis qu’à Mandvi, Kurachee, elle a duré 
deux mois et demi environ. Cela lient assurément à ce que Îles 
différents quartiers d’une grande ville représentent autant de 
foyers particuliers où l'épidémie subit son évolution régulière 
en trois périodes, et à ce qu'il n’y a pas une coïncidence absolue 
entre le développement de ces épidémies partielles, bien qu’elles 
évoluent presque simultanément. 

La période de déclin peut donner lieu aux mêmes observa- 
tions touchant l'irrégularité avec laquelle l'intervention de 
l'homme se manifeste dans le transport du virus. Générale- 
ment cette période de déclin est plus courte que les autres; mais 
après la chute de l'épidémie, on observe encore pendant long- 
temps des cas isolés. 

Ce tableau d’une épidémie dans un grand centre s'applique 
également à celles des petites localités, à cela près que le nombre 
des cas et la durée sont presque toujours en rapport avec le 
chiffre de la population. C'est dans les villages que l’on peut le 
mieux remonter aux sources de propagation pour chaque nou- 
veau cas, et c’est là surtout que nous avons pu relever avec certi- 
tude nombre d'attaques de peste dans des familles qui s'étaient 
tenues à l’abri de tout contact avec des habitants de maisons 
infectées. 

A plusieurs reprises aussi, nous avons noté l'absence de 


PROPAGATION DE LA PESTE. 639 


causes d'importation du germe par l’homme dans les villages 
attaqués. 

D’autres agents que l’homme sont donc capables de trans- 
porter le microbe de la peste et de disséminer l'épidémie. Ce ne 
sont ni l'air, car la localisation du germe infectieux dans l'inté- 
rieur des maisons, la propagation capricieuse dans une ville 
suivant des itinéraires compliqués, ou l'apparition d’un foyer à 
distance du précédent ne s’observeraient pas; ni l’eau, parce 
qu'il seraitalors facile de retrouver cette origine pour des groupes 
d'individus ou pour des quartiers alimentés par l’eau suspecte. 
Il est un animal que les faits observés dans la presque totalité 
des épidémies dénoncent comme le propagateur le plus actif de 
la peste, c’est le rat. 

De toute antiquité, l’on a observé ia connexion des épidé- 
mies sur les rats avec les épidémies de peste humaine. Le plus 
ancien document où il y soit fait allusion est un chapitre de la 
Bible (Savez, livre L, chapitre vi), M. Rocher a décrit en 1881, 
dans son livre sur le Yunnam, les épidémies qu'il y a observées, et 
a insisté sur la mortalité des rats qui précède dans cette région 
la mortalité parmi les hommes. Le fait est si bien connu des 
indigènes qu'ils abandonnent leurs villages dès qu’ils constatent 
une mortalité inaccoutumée chez les rats. Il en est de même, 
d’après le D' Hutcheson, dans le district de Gurwahl, petit foyer 
permanent de l'Himalaya; de même aussi à Formose, où le 
nom indigène de la peste signifie maladie des rats. Nous avons 
observé cetle coïncidence de la peste des rats et de la peste 
humaine en 1893, à Long-Tcheou, dans le Quang-Si. Depuis, elle 
a été signalée partout où la peste est apparue. Mais c'est seule- 
ment après la découverte du microbe spécifique et la démons- 
tration de l'identité de la peste du rat et de l’homme par les expé- 
riences de Yersin, que l’on a pu établir avec quelque certitude 
une relation de cause à effet entre l’une et l’autre. 

Cette importante déduction, formulée pour la première fois 
par Yersin et Roux‘, n’a point jusqu'à présent trouvé le crédit 
qu'elle mérite parmi les autorités sanitaires, puisque, jusqu’en 
1898, aucune mesure n’a été édictée nulle part pour se garantir 

4. « La peste, qui est d'abord une maladie des rats, devient bientôt une maladie 


de l’homme. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’une bonne mesure prophy- 
lactique contre la peste serait la destruction des rats. » Acad. méd., 4897, p. 93, 


640 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


contre cette source de contagion. Quelques essais partiels sont 
faits depuis peu de mois dans deux ou trois villes pestiférées de 
l'Inde pourla destruction des rats, essais trop timides pour amener 
un résultat efficace. C’est que, jusqu'à présent, la démonstration 
précise du rôle néfaste du rat n’a pas été établie. 

I ne suffit pas, en elfet, que le même microbe produise chez 
l’homme et l’animal une maladie épidémique semblable pour 
pouvoir affirmer à coup sûr que l’une dérive de l’autre. Aussi, 
parmi les savants qui ont étudié la première épidémie de Bom- 
bay, certains, comme Bitter, n’ont admis le rôle du rat dans la 
propagation qu'à titre d'exception et comme fait accidentel. 
Pour la plupart d’entre eux, l'homme, le linge de corps, la literie, 
les substances et objets capables de fournir au microbe un milieu 
où il se conserve, constituent les agents à peu près exclusifs de 
la propagation. 

L'ensemble des observations que nous avons recueillies au 
cours des principales épidémies de 1897 et 1898 dans l'Inde nous 
paraissent laisser peu de doute sur le rôle prépondérant du rat 
dans la dissémination de la peste. 


CHAPITRE TI 


ROLE DU RAT DANS LA PROPAGATION DE LA PESTE PAR TÉRRE ET PAR MER 


Comme celles observées en Chine pendant les années précé- 
dentes, toutes les épidémies de peste de l'Inde depuis 1896 se 
sont accompagnées d’épidémies de rats qui se sont manifestées 
généralement un peu avant, quelquefois au début même de 
l'épidémie humaine. Une seule exception à cette règle nous a 
été signalée par le professeur Hankin, avec la collaboration 
duquel nous avons étudié le rôle du rat dans la dissémination de 
la peste. Cette exception s’est produite à Hardwar : 

La peste a apparu à Hardwar en avril 1897 et a fait 225 vic- 
times parmi les habitants, sans qu’on ait constaté de mortalité 
chez les rats. Au voisinage de Hardwar se trouvent les villes de 
Kunkhal et de Jawalapour. Au mois de juin 1897 on constate à 
Kunkhal une épidémie sur les rats, qui est suivie seulement au 


PROPAGATION DE LA PESTE. 641 


mois de septembre par une épidémie chez les hommes et chez 
les singes. En octobre 1897, on constate la mortalité de quelques 
rats à Jawalapour, où des cas de peste humaine suivis de cas de 
peste parmi les singes se manifestent seulement en janvier 1898. 

À n’en pas douter, les rapports de date entre les épidémies 
des rats, des hommes et des singes, dans ces trois villes, pré- 
sentent des singularités qui placent cette triple épidémie un peu 
en dehors de la règle commune. En ce qui concerne l'absence 
de mortalité des rats à Hurdwar, il est permis de ne pas l’accepter 
comme un fait absolu, car l'attention des habitants n’a pas été 
attirée sur ce point à l’époque du début. D'autre part, nous dirons 
plus loin que la peste peut exister parmi les rats sans qu’on 
puisse constater leur mortalité, soit en raison du petit nombre de 
leurs cadavres, soit parce que la maladie n’est, en certaines 
circonstances, pas assez grave pour les tuer. La mortalité des 
rats à Kunkhal au mois de juin ne peut guère provenir d’une 
autre source que de lémigration des rats de Hurdwar, qui ont 
transporté la peste dans la ville la plus voisine, comme cela 
s’observe fréquemment. 

En général, avons-nous dit, l'épidémie des rats précède celle 
des habitants’. La mortalité de ces animaux dans une ville 
est à l’origine localisée dans un seul quartier. Or, c’est réguliè- 
rement dans le même quartier que débute l'épidémie humaine. 
A Bombay, la mortalité des rats a été précoce et très sévère dans 
le quartier de Mandvi. À Kurachee, à Karad, nous avons relevé 
le même fait. Les premières maisons atteintes sont celles qui 
renferment des dépôts de grains ou de substances quelconques 
capables d’attirer les rats. C’est en effet dans ces magasins, lieux 
de rassemblement pour les rats du quartier, que ceux-ci subis- 
sent en grand nombre l’infection apportée par quelqu'un d’entre 
eux. Bombay en août et septembre 1896, Karad en juillet 1897 
ont présenté des exemples frappants de ce fait. À Kurachee en 
mars 1898, la mortalité des rats a été observée dans des entre- 
pôts de coton, grains, etc., situés dans une rue où n’existent pas 
de maisons habitées. Les premières victimes de la peste ont été 
précisément les gardiens et employés de ces entrepôts, qui y 


4. Nous avons relevé cette mortalité des rats, prémonitoire de l'épidémie 
humaine, non seulement dans les villes, mais aussi dans un grand nombre d: 
villages des districts de Bombay, Karad, Mandvi, Mundra. 


41 


642 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


travaillaient dans la journée et rentraient le soir à leur domi- 
cile. 

Dans l’esquisse que nous avons tracée de la marche d'une 
épidémie, nous avons fait ressortir la grande et soudaine exten- 
sion du fléau après être resté confiné quelque temps dans un seul 
quartier de la ville. Ce développement subit est lié à l'émigra- 
on des rats du foyer primitif. M. Snow, administrateur de 
Bombay, a élabli d’une façon très précise que la panique qui a 
sévi parmi la population, tout au début de la découverte de Ja 
peste dans le quartier de Mandvi, n'a pas été l’occasion de la 
dissémination de la peste dans la ville et les villages environ- 
nants; mais cette dissémination, qui s'est effectuée plus tard, à 
suivi de près l’émigration des rats, dûment constatée par l'en- 
quête de ce fonctionnaire. L’épidémie humaine se propagea dans 
les directions adoptées par l’émigration des rats non seulement 
pour les divers quartiers de Bombay, mais aussi pour les villages 
extérieurs. La marche des rats fut déterminée jusqu'aux limites 
de File de Bombay à 20 ou 25 milles, 

A Kurachee, M. James, le gouverneur de la province du Sind, 
a bien voulu nous communiquer les résultats encore plus précis 
des enquêtes qu’il a faites à ce sujet. Dans cette ville, dont les 
quartiers, en dehors de la vieille cité native, sont très éloignés 
les uns des autres, et qui couvre par suite une surface de plus 
de 2,000 hectares, la mortalité humaine a suivi d'une façon régu- 
hère la voie tracée par l’émigration et la mortalité des rats. Il 
est à noter que ces animaux étaient extrêmement nombreux 
dans la cité; leur mortalité a été par suite très considérable; nous 
avons visité une maison dans laquelle 75 rats avaient été trouvés 
morts le mème jour. Dans ce quartier, la mortalité humaine a 
été en rapport avec la mortalité des rats. 

Il nous paraït indiscutable que quand la peste humaine suit 
la route préalablement tracée par l'émigration des rats pesti- 
férés, c’est qu’elle dérive de ceux-ci. On ne saurait refuser à ce 
fait le caractère d’une preuve matérielle. On comprend d’ailleurs 
qu'il ne soit pas toujours possible de l'observer en dehors des 
grandes villes. 

Des faits particuliers viennent corroborer d’une manière 
saisissante cette série de faits généraux : dans toutes les épi- 
démies on peut observer des cas manifestes de contagion du rat 


Er 


PROPAGATION DE LA PESTE, 643 


à l'homme. Nous en avons noté un très grand nombre, dont 
nous citerons seulement quelques exemples : 

Au commencement de lépidémie de Bombay, un nombre 
considérable de rats morts furent aperçus un matin dans les 
magasins d’une importante filature de coton. Vingt cookies 
furent chargés de ramasser et de transporter hors des magasins 
ces cadavres; la moitié environ d’entre eux contractèrent la 
peste dans les trois jours qui suivirent, tandis qu'aucune des 
personnes qui avaient fréquenté ce matin-là le magasin sans 
manier les rats ne fut atteinte. 

Dans la région du Punjab qui a été infectée, deux villages, 
Mahrampour et Chack-Kalal, bien que situés au centre d’un dis- 
trict pestiféré, étaient demeurés indemnes jusqu'en avril 1898. 
La ségrégation de tous les habitants dans des camps provisoires 
fut ordonnée comme mesure préventive et exécutée le 7 avril. A 
ce moment, les habitants de Chack-Kalal avaient constaté un 
commencement de mortalité des rats, mais aucun cas humain ne 
s'était manifesté, et toute la population transportée dans le camp 
était entièrement indemne. Le 15 ayril, deux femmes, la mère 
et la fille, furent autorisées à se rendre dans le village; elles trou- 
vent sur le sol de leur maison vide dés rats morts, et les jettent 
dans la rue avant de rentrer dans le camp. L'une et l’autre con- 
tractent la peste deux jours après. Un peu plus tard, quelques 
autres cas se produisirent à Chack-Kalal, tandis que Mahrampour 
demeura plus longtemps exempt d’épidémie. 

A Bombay, dans un quartier où les maisons sont isolées et 
espacées, nous avons relevé le cas suivant : une famille an- 
glaise occupe un bungalow entouré d’un jardin dans lequel 
sont situés deux petits bâtiments isolés qui servent l'un d’éeurie, 
l’autre d'habitation pour les domestiques. Le 13 janvier 1898, le 
cocher, en entrant à l'écurie, y trouve le cadavre d’un rat, le 
saisit et le transporte hors de l'enclos. Ce cocher est atteint de 
peste bubonique le 16 janvier et meurt en peu de jours. I ne se 
produisit pas d’autres cas dans la maison : la désinfection de 
l'écurie fut d’ailleurs pratiquée avec soin. 

Très nombreux sont les exemples de ce genre où le seul cas. 
constaté dans une maison est celui d’un serviteur qui a pris en 
main un cadavre de rat, et la plupart du temps c’est dans les 
sous-sols, les cuisines ou les écuries que le cadavre a été ren- 


644 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


contré. Notons en passant que, dans tous ces cas, la peste apparaît 
dans les trois jours qui suivent la trouvaille du rat mort. Quant 
aux faits de maisons où la peste saisit Les habitants après que 
des cadavres de rats y ont été vus et sans que ces cadavres 
aient été maniés par les gens attaqués ensuite, ils sont innom- 
brables et démontrent péremptoirement que le contact du rat 
n'est pas nécessaire pour la transmission de la maladie, qu’une 
maison malpropre, à rez-de-chaussée établi sur le sol nu, 
encombrée d'habitants, est particulièrement sujette à êtreinfectée 
par les rats, et que l'infection y est pour longtemps enracinée 
après que ces animaux y sont morts. 

En résumé, la mortalité des rats précède généralement la 
mortalité humaine ; la peste éclate chez les habitants du quartier 
où eïle a premièrement attaqué les rats : dans les grandes 
villes, elle y reste confinée tant que l'émigration des rats n’a pas 
commencé; à partir de ce moment, elle se répand dans les 
autres quartiers et dans les villages environnants en suivant 
les routes adoptées par les rats pestiférés. Le contact direct du 
rat mort de peste est fréquemment la cause évidente de la peste 
humaine ; ce contact n’est pas indispensable, et il suffit que des 
rats soient morts dans une maison pour l’infecter et la rendre 
pour longtemps dangereuse à ses habitants. 

Parmiles arguments de second ordre, il faut noter que toutes 
les causes qui attirent le rat dans les maisons, toutes celles qui 
favorisent sa pullulation sont des conditions favorables au 
développement de la peste. A Bombay, de tous les marchands, 
ceux qui vendent des grains et des farines ont fourni le plus 
grand nombre de victimes. A Karad, ils ont été les premiers 
atteints. Dans les habitations européennes, la propreté des 
appartements, l'isolement des cuisines et des logements de 
domestiques sont des conditions peu faites pour attirer les ron- 
geurs ; aussi les attaques d'Européens ont été exceptionnelles 
dans toutes les villes ; lorsque la peste est entrée dans leur mai- 
son, c’est presque toujours dans les dépendances qu’elle a sévi, 
limitée au personnel domestique. On à voulu conclure de ce fait 
à une certaine immunité de l’Européen vis-à-vis de la peste. 
Une observation très simple démontre la fausseté de cette 
opinion, c'est que tous les natifs riches, Parsis, Indous, Musul- 
mans, qui habitent des bungalows pareils à ceux des Anglais et 


RATS 


PROPAGATION DE LA PESTE. 645 


vivent dans des conditions analogues n’ont fourni nulle part une 
proportion d’atteints plus forte que les Européens. 

Nous avons envisagé jusqu'ici le rôle du rat à terre seule- 
ment, et montré que si l’homme est le plus généralement l'agent 
du transport de la peste aux grandes distances, le rat apparaît 
comme l'agent ordinaire de la dissémination de proche en proche 
dans les villes et dans l’aire d'infection qui s’étend progressi- 
vement autour d'elles. Il nous reste à envisager le rôle du rat 
à bord des navires. Jusqu'à notre époque on a attribué à l’homme 
et aux marchandises toute la responsabilité du transport de la 
peste par mer. Les nombreux documents qui nous restent des 
temps passés sur cette question ne font point mention de mor- 
talité sur les rats à bord des bateaux infectés. 

Il est permis de croire que si cette mortalité s’est produite, 
elle a été considérée comme chose sans importance, l'attention 
des équipages n'étant, aux époques d'autrefois, nullement attirée 
sur ce point. D'ailleurs la mortalité des rats, dans les cales de 
navires chargés de marchandises, doit souvent passer ina- 
perçue. Un certain nombre de faits qui se sont produits depuis 
l’arrivée de la peste à Bombay permettent d’admettre que les 
rats ont une part active à la propagation du fléau par voie 
maritime; nous en citerons deux qui nous paraissent 
concluants : 

En février 1898,4e paquebot Shanon effectue le voyage de 
Bombay à Aden et retour. L'épidémie faisait rage à Bombay à 
cette époque, et par suite le bateau eut à subir dans toute leur 
rigueur, avant le départ, toutes les mesures de garantie édictées 
par la conférence de Venise. Rien d’anormal ne fut remarqué 
dans le voyage d'aller ni pendant la relâche à Aden, mais pen- 
dant la traversée du retour, des cadavres de rats furent trouvés 
dans la cabine du service postal où sont entassés les sacs à 
dépèches. Très peu après, l'employé des postes qui travaillait 
dans cette cabine fut atteint de peste. Or, cet employé n'avait pu 
apporter la peste dans ses effets, ni être préalablement en période 
d'incubalion, car 1l avait été embarqué à Aden et ne provenait 
point d’un lieu pestiféré. Il n’est pas douteux qu’il ait contracté 
la peste dans la cabine infectée par les rats. Il est également 
certain qu'une épidémie de rats a sévi sur ce bateau longtemps 
après le départ de Bombay, soit que des rats malades aient été 


646 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


embarqués dans ce port, soit que les rats du bord aïent contracté 
la peste introduite avec les matières embarquées. 

Un autre fait est celui du Paina, qui arriva de Bombay à 
Kurachee le 26 mars 1898. Ce navire avait subi l'inspection 
sanitaire au départ et à l’arrivée, sans que rien de suspect y eût 
été signalé. Le jour même de l’arrivée à Kurachee, on trouve à 
bord des cadavres de rats; néanmoins le bateau est autorisé à 
poursuivre sa route vers les ports du golfe Persique. Le 28 mars, 
un cas de peste se déclare sur un matelot, peu après sur un 
passager; en 3 ou # jours, elle atteint 5 personnes. On ne peut 
refuser d'admettre que la petite épidémie qui à sévi parmi les 
hommes n’ait été engendrée par l'épidémie antérieure des rats du 
navire. Les rats malades n’ont pu être embarqués à Kurachee 
où la peste sévissait alors, carle navire était mouillé en rade à 
une grande distance de la terre et n'avait pas pris de charge- 
ment dans le port. Mais il est tout à fait probable que pendant le 
séjour antérieur d’une semaine dans les docks de Bombay où il 
était amarré à quai, le Patna a été le refuge de rats qui fuyaient 
le quartier voisin pestiféré et dont quelques-uns étaient déjà 
atteints par la maladie. 

Deux autres navires, depuis que Bombay est infecté par la 
peste, ont présenté des cas humains après avoir relâché dans 
ce port. Nous n'avons pu recueillir de détails à leur sujet, et 
nous ignorons si la mortalité des rats y a été constatée. Il suflit 
que sur 4 faits authentiques de peste sévissant sur des paque- 
bots un certain temps après le départ du port infecté, nous 
puissions 2 fois, avec une grande certitude, incriminer les rats 
de l'avoir introduite à bord, pour attribuer à cette source de 
contagion une influence importante dans le transport au loin de 
la peste par les navires. 

De tous les exemples que nous avons cités comme arguments 
en faveur de la contagion par les rats soit à terre, soit à bord, 
il ressort que la peste se manifeste chez l’homme à bref délai 
après qu'il a été placé dans les conditions voulues pour la rece- 
voir de ces animaux. Quand on observe le transport de la peste 
par les rats d’un quartier d’une ville dans un autre ou d’une 
ville dans un village, il apparaît que l'épidémie humaine suit de 
très près l'importation de rats pestiférés. Au contraire, quand on 
peut rapporter à l’homme l'introduction de la peste dans une 


PROPAGATION DE LA PESTE, 647 


ville ou dans un village, il est rare qu'il ne s'écoule pas une 
durée assez longue, de 20 à 50 jours, avant que l'apparition des 
cas indigènes suive celle des cas importés. Parfois dans la maison 
où un malade provenant d’un lieu suspect est mort, il se produit 
immédiatement un ou plusieurs autres cas, mais la dissémina- 
tion épidémique ne se manifeste que plus tard. Nous en cité- 
rons seulement quelques exemples. 

Dans le village de Cherra (district de Karad), le premier 
décès de peste a été celui d’un fuyard de Karad : il s’est écoulé 
ensuite une période de quelques semaines sans production de 
cas indigènes : mais pendant cet intervalle on à constaté la mor- 
talité des rats dans les maisons voisines de celle où était mort 
l’'émigrant de Karad. Dans le même quartier se sont produits 
ensuite les premiers cas indigènes. 

A Woter, dans le mème district, un malade de Karad est 
venu se réfugier dans une propriété qu'il y possédait. Deux cas 
de peste se sont produits parmi les gens de la maison voisine 
qui avaient eu des relations avec lui, puis il s’est écoulé un 
intervalle d'environ un mois après lequel d’autres cas se sont 
manifestés dans le village *. 

A Maska, village important de l'État de Cutch, une femme 
qui avait là sa famille arrive de Kurachee malade de la peste, à 
la fin de février 1897. Elle est isolée hors du village, et meurt dans 
une hutte où sa belle-sœur était venue la soigner. La belle-sœur 
retourne alors dans la maison familiale, elle éprouve dans les 
jours suivants les symptômes de la peste pneumonique, et meurt 
à son tour. Après elle, 10 membres de la famille demeurant dans 
la même maison meurent avec les mêmes symptômes. Jusqu'au 
13 mai aucun autre cas de peste ne fut constaté dans le village; 
c’est à ce moment que commença véritablement l'épidémie qui 
fit 199 victimes de mai à septembre 1897 *. 

En confirmation des faits que nous venons de citer, on peut 
observer, sur les cartes 3et 4, queles dates des premiers cas impor- 
tés et des premiers cas indigènes, dans les villes trop éloignées du 
foyer primitif pour qu’on puisse attribuer aux rats le transportdela 
peste, sont en général séparées par un intervalle de 3 à 8 semaines. 


4: Ces renseignements nous ont été communiqués par le Dr Robertson. 

2. Ces renseignements nous ont été communiqués par le D' Mason, avec le 
concours duquel nous avons fait dans l'État de Cutch des expériences de séro- 
thérapie de la peste. 


618 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Nous pouvons déduire de ces faits cette conclusion, que la 
période de latence, qui sépare les cas de peste importés du début 
de l'épidémie humaine, est la période nécessaire pour le déve- 
loppement de la maladie parmi les rats. La transmission préa- 
lable de l’homme au rat nous apparaît dès lors comme la condi- 
tion généralement nécessaire du développement de l'épidémie 
humaine, de cette dissémination rapide qui s’observe, à partir 
d’un certain moment, dans toutes les grandes villes Re 

Des considérations de haute importance découlent de cette 
observation. Nous pouvons nous expliquer, en effet, pourquoi la 
peste s'étend avec tant de facilité à de courtes distances, en dépit 
de tous les obstacles amoncelés sur sa route par les hygiénistes 
modernes, tandis qu'à de grandes distances, après l’importation 
des pestiférés humains, elle prend difficilement, et l'on peut 
dire rarement, son essor. Dans le premier cas, les rats passent 
avec le microbe à travers tous les règlements, toutes les inspec- 
tions sanitaires dont les rigueurs s'adressent à l'homme seul: 
dans le second, :l faut des circonstances favorables qui ne se 
rencontrent pas dans la majorité des cas, pour permettre la 


transmission de la peste de l’homme au rat, génie ordinaire de 
l'épidémie. 


CHAPITRE IV 


OBJECTIONS FAITES A LA PROPAGATION PAR LES RATS. —— CONTAGION 
D'HOMME À HOMME. — INFLUENCE DES SAISONS SUR LE DÉVELOPPEMENT 


DE L'ÉPIDÉMIE. — RECRUDESCENCE PÉRIODIQUE 


De ce que nous trouvons à chaque pas, dans l’étude détaillée 
des épidémies de peste, des arguments en faveur de la propaga- 
tion par les rats, il ne s'ensuit pas que le rôle de ces animaux 
soit, dans tous les cas, facile à mettre en évidence, ni qu’on ne 
puisse dans beaucoup de cas formuler des objections contre leur 
intervention. 

Établissons tout d’abord que si les rats peuvent être accusés 
de répandre la peste dans un centre habité, il s’en faut que 
chaque nouveau cas humain relève d’une contagion directe par 
ces animaux. Il n’est pas douteux que l'infection des maisons 


4 mé 


PROPAGATION DE LA PESTE. 649 


ne soit en général le fait du passage ou de la mort de rats pesti- 
férés dans les appartements ; mais cette infection n’a pas tou- 
jours une action immédiate, elle persiste assez longtemps, et les 
habitants peuvent en subir les effets bien après que les rats 
malades ou morts ont infecté l'habitation. D'autre part, l'infec- 
tion d'une maison peut se faire sans le concours du rat, par des 
objets infectés provenant d'un lieu suspect ou par l’homme lui- 
même. À l'égard de ce dernier, une question se pose : La peste 
est-elle contagieuse d'homme à homme? 

Si l'on examine ce qui se passe dans les hôpitaux de la 
plupart des grandes villes installées à l’européenne, on constate 
que les manifestations de la contagion y sont tout à fait excep- 
tionnelles. À peine peut-on en citer quelques exemples parmi les 
médecins, les gardes et les employés européens qui ont, depuis 
deux ans, servi dans les innombrables hôpitaux de pestiférés 
dans lInde; ils sont un peu plus fréquents parmi le personnel 
indigène, quoique toujours à l’état d'exceptions. Encore, dans 
aucun de ces cas, ne peut-on affirmer avec certitude que le con- 
tact des malades est la raison de l'attaque plutôt que le séjour 
continuel dans un lieu infecté. Nombre de médecins qui ont 
servi dans ces hôpitaux se refusent à admettre la contagion de la 
peste. 

Cependant la contagion (au sens de transmission à l’homme 
par la fréquentation d’un pestiféré) est réelle; elle nous a paru 
même se produire dans une proportion notable au cours des 
épidémies : seulement les hôpitaux installés à l’européenne et 
pourvus d’un personnel européen, où on la recherche d’ordi- 
naire, sont précisément les endroits où elle se manifeste le 
moins. 

Pour lobserver, il faut la rechercher dans les hôpitaux 
indigènes encombrés, malpropres, où les parquets sont rare- 
ment et mal balayés, la literie, le linge des malades rarement 
lavés et jamais désinfectés; dans deux villes différentes nous 
avons pu relever de nombreux cas de contagion certaine dans 
ces hôpitaux. On la trouve aussi dans les maisons pauvres, mal 
tenues, trop peuplées, des natifs ; elle y est plus fréquente qu'il 
n'est possible de le démontrer, car, pour être démonstratifs, les 
faits doivent être observés en dehors de l'existence d’une épidémie 
de rats. Celui, cité plus haut, de la transmission à toute une 


650 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


famille par une pestilérée venue de Kurachee à Maska fournit un 
exemple saisissant de contagion humaine, 

L'objection la plus sérieuse formulée contre l'intervention 
des rats est celle-ci : la mortalité des rats très généralement 
constatée au début de l'épidémie humaine cesse bien avant ja 
fin de cette épidémie, et parait souvent de très courte durée. 

Il est exact que, dans un foyer de peste, on cesse de trouver 
des cadavres de rats alors que l'épidémie est encore rigoureuse 
parmi la population. Ce n’est pas à dire que la peste ait cessé de 
faire des victimes parmi ces animaux, comme nous l’a montré 
une série de recherches sur les épidémies des rats, recherches 
poursuivies depuis le mois de juin 1897 à Bombay, à Karad, à 
Mandvi, à Mundra et à Kurachee. 

Avant que la grande mortalité des rats soit constatée, il n’est 
pas rare de découvrir dans les entrepôts de substances comes- 
übles quelques cadavres de ces animaux enfouis sous les sacs 
ou au fond de leurs trous; un peu plus tard seulement, quand 
ils meurent en grand nombre, on rencontre leurs cadavres en 
pleine lumière. À ce moment la maladie a une allure suraiguë, 
le rat agonisant est pris d’affolement; on le voit sortir en plein 
jour de sa cachette, souvent trainant les pattes de derrière, 
courir dans les appartements ou dans la rue sans se soucier de 
la présence des hommes, des chiens ou des chats, et, bientôt 
épuisé, se renverser sur le dos pour mourir. 

Cette grande mortalité n’est pas de longue durée, et l’on 
n'entend plus, quand elle a cessé, parler de découverte de rats 
morts dans la ville, si ce n’est à titre tout à fait exceptionnel. 
Mais si, pendant les mois qui suivent, on capture un certain 
nombre de ces animaux, on découvre que la peste fait encore 
chez eux des victimes. De plus on rencontre parmi eux des indi- 
vidus bien portants, entièrement réfractaires à la peste. A Kura- 
chee, de cinq rats qui nous ont été apportés de la ville, le 
9 mai 1898, deux étaient malades et sont morts de la peste en 
cage. Quelques jours plus tard, sept rats furent pris dans une 
même maison, dont quatre reçurent des inoculations de culture 
virulente de peste; un seul contracta la maladie et mourut en 
quatre jours. Les trois autres, conservés et réinoculés un mois 
plus tard avec une forte dose de sang de rat pestiféré, montrèrent 


PROPAGATION DE LA PESTE. 651 


la même immunité qu'ils avaient manifestée contre la culture 
du microbe. Au moment où ces animaux ont été capturés, on ne 
signalait nulle part dans la ville des cadavres de rats, et depuis 
près d’un mois la peste semblait éteinte parmi eux. De même à 
Mandvi la mortalité des rats a été observée dans la première 
quinzaine de mars 1898, époque du début de la 2° épidémie 
humaine, qui a duré jusqu'en août. Le 28 juin, un rat capturé 
en ville est mort de peste en cage; le 5 juillet, un rat femelle 
nous à été apporté malade, il a avorté le 7, puis s'est rétabli au 
bout de quelques jours. Nous l’avons inoculé le 22 juillet avec 
le sang d’un rat mort de peste expérimentale sans qu'il en ait 
éprouvé le moindre inconvénient; tandis qu’un témoin imoculé 
avec la même dose du même sang est mort en 78 heures. Parmi 
les nombreux rats capturés dans le mème mois, un troisième 
est mort dans notre laboratoire, de peste spontanée. L'inocula- 
tion faite avec son sang à quatre autres rats de la ville a donné 
la mort à trois, le quatrième a paru malade et s’est rétabli. 

On peut donc affirmer que l'épidémie des rats suit une 
marche analogue à celle de l'épidémie humaine, qu'après une 
période de début où la mortalité est faible et souvent échappe 
à l’observation, survient une période aiguë pendant laquelle la 
maladie affecte une allure rapide, fait beaucoup de victimes et 
se termine fréquemment par une crise qui fait sortir les ani- 
maux moribonds de leurs cachettes. A cette période, la panique 
survient qui détermine l’émigration de la majorité des rats. 
Elle est suivie d'une longue période de déclin caractérisée par 
une virulence moindre de la peste : une certaine proportion des 
rats atteints alors guérissent et demeurent immunisés; ceux qui 
meurent ont une peste d'assez longue durée et une longue ago- 
nie pendant laquelle ils restent cachés dans des trous obscurs. 

À Karad, en septembre 1897; à Mundra, en novembre 1897; 
à Kurachee, en mai 1898; à Mandvi, en juin et juillet 1898; à 
Bombay, en août 1898, nous avons dûment constaté l'existence 
de la peste parmi les rats jusqu’à la dernière période de l’épidé- 
mie humaine, alors que la mortalité des rongeurs n’était plus 
observée par les habitants et semblait depuis longtemps arrêtée, 
Nous sommes donc fondé à croire que cette cause principale de 
dissémination subsiste dans la plupart des foyers de peste aussi 
longtemps qu’on observe des cas humains, et à lui attribuer la 


652 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


persistance de l'épidémie humaine. Cette cause n’est pas exclu- 
sive : toutefois la persistance de l'infection dans les habitations, 
la contagion d'homme à homme paraissent jouer un rôle très 
secondaire dans la durée des épidémies de peste. 


C’est un fait d'observation très ancien, que la peste ne dis- 
paraît pas définitivement après une première visite. Au bout 
d'une période d’accalmie, pendant laquelle les populations ras- 
surées ont regagné leurs foyers, une seconde épidémie se 
déclare, parfois aussi intense, parfois plus grave, le plus sou- 
vent plus légère que la première. Elle peut être suivie d’autres 
épidémies et la région demeurer pestiférée pour un nombre 
variable d'années. 

Les épidémies de Chine et surtout celles de l’Inde ont per- 
mis de constater une régularité remarquable de l'intervalle 
écoulé entre le début de deux épidémies successives dans un 
même foyer : à Bombay, cet intervalle a été de douze mois, à 
Kurachee de treize, à Mandvi de douze. Dans les deux premières 
villes la seconde épidémie a été plus grave que la précédente, à 
Mandvi, elle s’est montrée beaucoup plus bénigne. À Long- 
Teheou nous avons observé, en 1893, l'arrêt de l'épidémie à lar- 
rivée de la saison froide et sa reprise au printemps 1894; nous 
avions alors rapporté aux influences climatériques la recrudes- 


cence annuelle de la peste. Cette opinion qui compte de nom- 


breux partisans n’est guère en rapport, ainsi qu'on va le voir, 
avec les faits observés dans l'Inde, Comme le climat varie con- 
sidérablement dans l'immense étendue du territoire de ce pays 
où la peste s’est répandue, nous devrons indiquer sommairement, 
pour chaque foyer cité comme exemple, les conditions climaté- 
riques dans laquelle l'épidémie s’est produite et renouvelée : 

1° Bombay. — 1r° épidémie : Début dans la saison pluvieuse 
et chaude, août 1896 à novembre. Maximum dans la saison 
fraîche, décembre 1896 à mars 1897. Déclin dans la saison 
chaude non pluvieuse, mai et juin 1897; 

2 épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres- 
pondantes et dans les mêmes conditions climatériques, de sep- 
tembre 1897 à juillet 4898. 

2 Kurachee. — 1° épidémie : Début dans la saison froide, 
décembre 1896 et janvier 1897. Maximum dans la saison fraîche, 


PROPAGATION DE LA PESTE. 653 


février à avril 1897. Déclin correspondant à l’établissement de 
la saison chaude, avril à juin 1897 ; 

2e épidémie : Début à la fin de la saison froide, février et 
mars 1898. Maximum pendant une saison de chaleur tempérée 
en avril. Déclin pendant la saison chaude, mai à juillet 1898. 

3° Mandvi. — 1'e épidémie : Début pendant une saison de 
chaleur modérée en mars 1897. Maximum pendant la saison 
chaude en avril et mai. Déclin pendant la saison chaude, juin et 
juillet ; 

2e épidémie : Début maximum et déclin aux époques corres- 
pondantes en 1898 et dans les mêmes conditions climatériques. 

4° Gundiali. — 1'° épidémie : Début en juin 1897 par une 
saison chaude et pluvieuse. Maximum en août pendant la même 
saison. Déclin pendant la saison iraîche, novembre et décembre ; 

2° épidémie : Aucun cas n'a été signalé de janvier à juin 1898. 
Vers la fin de juillet, on a constaté la mortalité parmi les rats, et 
dans une maison où ont été vus des cadavres de rats, quatre 
personnes ont eu la peste. Ge début de la recrudescence s’est 
manifesté 13 mois après le début de la 1"° épidémie. 

5° Mundra. — 1'° épidémie : Début pendant la saison chaude 
et pluvieuse, juillet et août 1897. Maximum pendant la saison 
chaude et sèche, septembre-octobre. Déclin pendant la saison 
fraiche, novembre et décembre 1897. 

On a signalé vers la fin du mois de juillet 1898 quelques 
cadavres de rats pestiférés, exactement 12 mois après le début 
de la 1'° épidémie. Toutefois, à la date du 1° août 1898, il ne 
s'était encore produit aucun cas certain chez les habitants. 

6° Hurdwar. — 11° épidémie : Début et maximum pendant la 
saison de chaleur torride et sèche, avril et juin 1897. Déclin 
pendant la saison chaude et humide, juillet 1897. 

2° épidémie : Début, maximum et déclin aux époques corres- 
pondantes et dans les mêmes conditions climatériques en 1898 : 

1 Kunckal. — 1'e épidémie : Début à la fin de la saison 
chaude en septembre 1897. Maximum et déclin pendant la saison 
froide, octobre à novembre 1897. 

Il ne s’est pas produit jusqu’à présent de recrudescence. 

8° Jawalapour.— 1° épidémie : Développée en janvier 1898, 
pendant la saison froide, a été très légère et très courte. 

Il ne s’est pas produit jusqu'à présent de recrudescence. 


654 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


90 Karad. — 1'° épidémie : Début en juillet +897 pendant la 
saison chaude et pluvieuse. Maximum en août et septembre par 
une saison de chaleur modérée et pluvieuse. Déclin en octobre 
dans la même saison. Il ne s’est pas produit de recrudescence 
jusqu'à présent. 

10° Masur. — 1"° épidémie : Début en septembre et octobre 
par une saison de chaleur modérée. Maximum et déclin en 
novembre et décembre pendant la saison fraîche. 

Pas de recrudescence jusqu’à présent. 

119 Poona. — 1° épidémie : Début pendant une saison de 
chaleur modérée et pluvieuse, août-septembre 1897. Maximum: 
et déclin pendant la saison fraîche et sèche, octobre 1897 à 
février 1898. 

Pas de recrudescence jusqu’à présent. 

12° Igatpuri. — 1° épidémie : Début et maximum pendant 
une saison de chaleur modérée et de pluies torrentielles, août 
à octobre 1897. Déclin pendant la saison fraiche et sèche, novem- 
bre et décembre 1897. 

Pas de recrudeseence jusqu'à présent. 

13° Districts de Jullunder et Hoshiarpour dans le Punjab. — 
Cette épidémie, qui a atteint 77 villages dans un territoire d’en- 
viron 80 kilomètres de diamètre, a débuté à la fin de la saison 
chaude en septembre et octobre 1897; elle a sévi pendant la 
saison froide de novembre 1897 à février 1898, puis pendant la 
période de chaleur torride et sèche avec une moyenne thermo- 
métrique de 40° centigrades de mars à avril 1898. Le déclin 
s’est produit pendant la mème période en juin 1898. 

I ne s’est pas produit de recrudescence jusqu’à présent, mais 
des cas isolés ont continué à se manifester dans quelques 
villages. 

Nous avons à dessein choisi un certain nombre d'exemples 
où, sous un même climat, des villes très rapprochées ont déve- 
loppé leur épidémie dans des saisons différentes : Mandvi, Gun- 
diali et Mundra; Karad et Masur; Hurdwar, Kunckal et Jawa- 
lapour. 

De la comparaison des époques de Pannée et des conditions 
saisonnières et climatériques dans lesquelles se sont développées 
ces diverses épidémies, on peut tirer cette conclusion qu'il my a 
pas, pour la peste, dans les limites géographiques où nous 


EE, À 


te DE | 


PROPAGATION DE LA PESTE. 655 


l'avons étudiée, de saison mi de climat particulièrement favora- 
bles. Nous devons cependant faire une restriction, c’est que 
les grandes épidémies de Chine et de l’Inde ont eu, en général, 
leur maximum en dehors de la saison la plus chaude de l'année. 
Celles qui, comme à Hurdwar en 1897 et en 1898, ou comme à 
Calcutta de mai à août 1898, se sont développées pendant une 
saison de chaleur torride, ne paraissent pas avoir eu une gravité 
en rapport avec l'importance de la population des villes atteintes. 
Il n’est donc pas démontré que la grande chaleur de 30° à 40° 
ne puisse dans une certaine mesure nuire au développement de 
la peste. 

Si l'on ne peut reconnaître aux saisons une influence mar- 
quée dans le développement de la première épidémie, on ne 
saurait davantage attribuer à cette cause la recrudescence qui 
apparaît presque mathématiquement à un an d'intervalle. 

D'autres causes qui ont été invoquées, telle que le niveau 
de la nappe d’eau souterraine, sont en telle contradiction avec 
les faits qu’elles ne méritent pas d'être discutées. 

La seule explication plausible de la fixité du laps de temps 
qui sépare l’évolution de deux épidémies consécutives et du 
retour annuel de la peste, c’est encore l'intervention du rat ‘. 

Nous avons vu que la durée des épidémies de peste est 
variable, plus courte dans les petites villes, plus longue dans 
les grandes villes dont les divers quartiers peuvent être atteints 
successivement. El s’ensuit que la période d’accalmie qui sépare 
épidémie primitive de la recrudescence est très inégale. À 
Bombay, elle a duré moins de trois mois en 1897; à Kurachee, 
elle a duré sept mois; à Cutch-Mandvi, six mois; à Gundiali, 
six mois. À Bombay, pendant les trois mois d’accalmie, il n’a 
pas cessé de se produire presque chaque semaine quelques cas 
isolés; dans les autres villes citées, on n’a pas signalé de cas 
pendant l’accalmie; mais, étant donné la difficulté d'obtenir ces 
déclarations des indigènes, on ne peut être certain qu'il ne s’en 
soit pas produit de loin en loin. Quoi qu'il en soit, par leurs 
relations avec des cenires pestiférés très voisins, ces villes n'ont 
pas cessé d’être exposées à une nouvelle infection. On peut en dire 
autant de tous les foyers où la peste a sévi dans linde. Il est 


4. Cette intervention, croyons-nous, est une des causes essentieiles, mais 
non ia seule, des recrudescences de la peste. 


656 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


très remarquable que, quelle qu'ait été la durée d’une épidémie, 
à quelque cause de réinfection que la ville puisse ètre exposée 
immédiatement après, la recrudescence attende pour se mani- 
fester qu’une période à peu près fixe d’une année se soit 
écoulée depuis la première apparition du fléau. Après une 
épidémie, le foyer pestiféré jouit jusqu’à la fin de cette période 
d'une véritable immunité. Cette immunité n’a rien à voir avec 
les conditions climatériques; il est également facile de montrer 
qu'elle n’est nullement inhérente à la population et que les 
habitants conservent leur sensibilité à la peste; nous sommes 
donc conduit à l’attribuer aux rats. Pour nous, l’accalmie est 
la période pendant laquelle la peste ne peut, pour des raisons 
multiples, sévir épidémiquement parmi les rats. 

Nous savons qu’au cours de l'épidémie, une grande partie 
de la population des rats meurt, qu'une grande partie émigre, 
qu'une certaine proportion de ceux qui restent sont immunisés 
par des atteintes de peste non mortelle, qu'une forme bénigne 
de la maladie peut continuer à sévir parmi eux sans faire de 
nombreuses victimes. Si le rat est réellement, comme nous 
avons essayé de le démontrer, le facteur important de l'épidémie 
humaine, celle-ci ne pourra recommencer qu'après la repopu- 
lation de la ville par des générations nouvelles de rats suscepti- 
bles de contracter et de répandre à nouveau la peste virulente. 
Des conditions particulières que nous ignorons sont probable- 
ment nécessaires pour rendre au microbe la virulence première 
et faciliter parmi les rats le retour épidémique précurseur de la 
recrudescence chez l'espèce humaine. Notre hypothèse est 
corroborée par l'observation très générale de la mortalité des 
rats au début et avant la recrudescence comme pour la pre- 
mière épidémie. 

Pour des raisons que nous exposerons plus loin, nous 
n’admettons point une nouvelle infection par le virus conservé 
dans le milieu extérieur. Nous croyons que la peste continue 
pendant l’accalmie à sévir chez les rats, mais trop atténuée et 
d'une manière trop discrète pour qu’ils puissent la transmettre 
aux hommes si ce n’est à titre exceptionnel; telle serait l’origine 
de la plupart des cas isolés qu’on peut observer durant lac- 
calmie. 


PROPAGATION DE LA PESTE: 657 


CHAPITRE V 


RECHERCHES SUR LE MÉCANISME DE LA TRANSMISSION DU MICROBE. — 
INSUFFISANCE DE LA THÉORIE DU MICROBE RÉPANDU DANS LE MILIEU 


EXTÉRIEUR 


Le rôle du rat tel que nous l’avons exposé ne suffit pas à 
éclairer tous les points mystérieux de l’histoire de la peste. 

Nous avons reconnu un cycle de propagation allant du rat à 
l’homme et de l'homme au rat : la propagation du rat au rat 
et du rat à l’homme est pour nous le moyen et la condition 
des épidémies humaines; la propagation de l’homme au rat, 
moins usuelle et sans importance dans le cours du développe- 
ment de épidémie, est responsable de la création de nouveaux 
foyers aux grandes distances, là où les rats du foyer primitif 
n'ont pu transporter le virus. La propagation d'homme à 
homme, médiocrement fréquente, ne joue qu'un rôle secondaire 
et serait incapable à elle seule de déterminer l'allure épidémique 
de la peste. 

Ce n’est là qu'une partie du mécanisme des épidémies de 
peste animale et humaine. Il nous reste à en étudier le côté le 
plus délicat et le plus obscur, le moyen par lequel le microbe 
pénètre dans les tissus, passe d’un rat à un autre, du rat à 
l’homme, de l’homme à l’homme et de l’homme au rat. 

Cette question est celle qui, jusqu’à ce jour, semble avoir le 
moins embarrassé les bactériologistes et les cliniciens : en ce qui 
concerne l'infection du rat, on admet généralement qu'elle a lieu 
par le tube digestif, soit en absorbant du virus répandu par 
l’homme ou un animal malade dans le milieu extérieur où il s’est 
cultivé, soit en dévorant les cadavres d’autres rats pestiférés. 
Pour l'infection de l’homme, diverses théories ont été émises : 
Wilm a soutenu l'infection par le tube digestif, que n’a pas con- 
firmée l'anatomie pathologique. Depuis les expériences de 
Wyzokowitch et Zabolotnie à Bombay, on admet à peu près exclu- 
sivement la pénétration par la peau ou par le poumon. Quelque 


idée qu’ou se fasse de l’origine du virus dans un lieu contaminé, 
42 


658 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


il paraît y avoir unanimité à accepter que ce virus est répandu 
sur le sol et sur les objets, qu'il s’introduit dans le corps humain 
tantôt par des excoriations de la peau mises fortuitement en con- 
tact avec lui, tantôt par l'aspiration de poussières souillées par 
le microbe, qui serait ainsi transporté dans le poumon. Dans le 
premier cas, on aurait la forme bubonique ; dans le second, la 
pneumonie pesteuse, beaucoup moins fréquente”. 


Comme on le voit, ces opinions reposent sur l'hypothèse 


principale que le microbe existe dans le milieu extérieur, où il 
serait apporté par les excrétions des animaux et des hommes, les 
crachats hémorragiques des pestiférés atteints de pneumonie, et 
où il se cultiverait et se conserverait plus ou moins pur, suivant 
les circonstances. 

En faveur de la théorie, on peut alléguer les faits suivants : 

4° Les expériences de Wyzokowich et Zabolotnie, prouvant 
qu'une très légère excortation faite à la peau avec la pointe d’une 
aiguille chargée de microbes virulents suffit pour donner la peste 
au singe ; ; 

2 L'existence, dans les organes du malade, d'hémorragies qui, 
lorsque le microbe est généralisé, lui permettent de passer dans 
les excrétions ; 

3° La facilité avec laquelle le microbe se multiplie et se con- 
serve dans la plupart des milieux de laboratoire ; 

4° La persistance de l'infection dans une maison, qui oblige ses 
habitants à l’'évacuer après un premier cas. 

5° La préférence marquée de la peste pour les maisons obscu- 
res, humides, mal aérées et malpropres; 

6° La grande susceptibilité de la partie de la population misé- 
rable et qui marche habituellement nu-pieds, vis-à-vis de la 
peste. 

Un examen un peu rigoureux de chacun de ces arguments 
permet déjà de s’apercevoir que leur concordance avec la théorie 
édifiée sur eux est très superficielle. 

En effet, dans la presque totalité des cas buboniques, il est 
impossible de retrouver, même tout au début, la trace d’une 
exCoriation qui puisse avoir servi de porte d'entrée au virus. Or, 
si au laboratoire on pratique l’inoculation avec la pointe d’une 


4. Le mode de pénétration du virus pour produire les cas où l’on n’observe 
cliniquement ni bubons ni pneumonie, demeure inexpliqué dans cette théorie. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 659 


aiguille qui ne laisse aucune marque durable sur la peau, il n’est 
pas possible que, dans la nature, des excoriations accidentelles 
capables d'offrir une voie de pénétration au mierobe demeurent 
régulièrement invisibles en dépit de minutieuses recherches. 

Il n'a jamais été prouvé que les excrétions des malades puis- 
sent, au contact d’une plaie, donner lieu au développement de la 
peste. Même avec les crachats hémorragiques de la pneumonie 
pesteuse, on à beaucoup de peine à produire la peste chez les 
animaux par injection sous-cutanée. 

Le microbe qui se cultive si aisément sur des milieux purs est 
très rapidement détruit par les microbes JARPpErte dès qu'on 
abandonne la culture à l'air libre. Il n’y a pas de raison pour 
qu'une maison humide et obscure lui off un milieu favorable à 
sa conservation, attendu que ces conditions et la température 
modérée favorisent encore davantage les microbes saprophytes 
qui l’étouffent si aisément. 

Enfin, la difficulté de retrouver chez les pestiférés à bubons 
inguinaux une ulcération du pied antérieure à la maladie, par où 
le microbe ait pu s’introduire, permet de douter de l'importance 
pour la contagion de la peste que certains savants ont attribuée 
à la marche nu-pieds. 

Nous avons effectué une série d'expériences qui confirment 
ces critiques et démontrent l'insuffisance des théories en cours. 


Expérience E. 


Rat n° 1 reçoit à boire une dilution dans l’eau de culture de 
peste sur gélose capable de tuer la souris en 58 heures, par ino- 
culation en piqüre. 

Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie. 

Rat n°2 reçoit pendant 3 jours consécutifs, comme seule nour- 
riture, le contenu de 3 tubes de la même culture de peste sur 
gélose. 

Ce rat n’a présenté aucun symptôme de maladie". 

Souris n° 4 et n° 2, nourries avec le contenu d’un tube de la 
même culture de ee sur gélose, n’ont présenté aucun symptôme 


1. Hankin a réussi à donner la peste à des rats en leur faisant manger des 
cultures très virulentes. 


660 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de maladie. La souris n° 2 a été sacrifiée 4 jours plus tard; sa rate 
ne contenait pas de microbes de peste visibles ; l'ensemencement 
du sang du cœur est demeuré stérile. - 


Expérience IL. 


Un ensemencement de culture de peste virulente a été fait sur 
gélose en boite de Pétri. Cette boîte a été ensuite exposée à Pair 
libre, découverte, dans une chambre obscure et humide pendant 
48 heures. La gélose était couverte de moisissures et de colonies 
de microbes divers, parmi lesquels l'examen microscopique ne 
nous à pas permis de déceler celui de la peste. 

Rat n° l'a reçu à boire une dilution aqueuse faite avec une 
partie du contenu de la boîte. 

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 

Rat n° 2 a reçu en injection sous-cutanée une petite quantité 
de la même dilution. 

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 

Rat n° 3 a été nourri avec le reste du contenu de la boîte de 
Pétri. 

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 


Expérience IIT. 


Rat n° 1 a recu comme nourriture le foie, la rate et le cœur 
d’un rat mort de peste spontanée. 

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 

Rat n° 2 a recu comme nourriture le cadavre d’une souris 
morte de peste expérimentale. 

Il n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 

La même expérience à été répétée sur le même rat trois fois 
en l’espace de 20 jours avec le même résultat négatif. Au bout 
de ce temps, afin de vérifier s'il était Immunisé, il a été inoculé 
par injection sous-cutanée avec une culture de peste, et est mort 
de peste le 5° jour. 

Une souris blanche et une souris grise ont reçu comme nour- 
riture de la mie de pain imbibée de sang de rat mort de peste 


spontanée. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 661 


Ni l'une ni l’autre ne sont devenues malades. 


Expérience IV. 


Rat n° 1, inoculé avec la peste, est placé au fond d’un bocal 
de verre avec une provision de grains. 

Il meurt au bout de 3 jours. 

Rat n° 2 est placé dans le même bocal d'où on a retiré le 
cadavre du précédent et n’a, pour se nourrir, que les grains 
souillés par les excrétions du rat n° 1 et demeurés au fond du 
bocal. Au bout de 5 jours il est replacé dans sa cage, 

Ce rat n’a manifesté aucun symptôme de peste. 

Rat n°3 a reçu à boire du sang du rat n°1 dilué dans un peu 
d'eau. 

Il a contracté la peste et est mort en 4 jours. Ce rat était 
porteur d’une blessure à la lèvre inférieure, faite avec une pince 
en fer. Le développement de bubons cervicaux qu'il à présenté 
nous permet dadmettre que l'infection a eu lieu par la plaie et 
non par le tube digestif. 


Expérience V. 


Un rat et deux souris ont été nourris pendant 2 jours avec 
des boulettes de pâte auxquelles on avait incorporé le contenu 
intestinal d’un rat mort de peste spontanée. 

Aucun de ces animaux n’a contracté la peste. 


Expérience VI. 


Rat n° 1 recoit comme nourriture pendant 2 jours une pâte 
obtenue en délayant de la farine dans des crachats fortement 
hémorragiques d’un malade atteint de peste pneumonique. 

Rat n° 2 recoit à boire une dilution dans l’eau de crachats 
paneumoniques provenant d’un second malade. 

Souris grise n° 1 a été nourrie avec la même pâte que le rat 
HT: 

Souris grise n° 2 a été abreuvée avec la même dilution de 
crachats pneumoniques que le rat n° 2. 

Aucun de ces animaux n’a été malade. Les deux rats, âgés de 


662 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


deux mois seulement, étaient nés en cage et par conséquent en 
pouvaient être immunisés contre la peste. 


Expérience VII. 


On a recueilli, 7 heures avant la mort, l'urine d’un malade 
atteint de peste bubonique. Au bout de quelques heures, le dépôt 
de cette urine a été séparé et mélangé à des grains. Un rat et 
une souris ont reçu ces grains comme nourriture, Ni Fun ni 
l’autre n’ont été malades. L'examen microscopique du dépôt 


urinaire ne nous a pas montré de microbe morphologiquement 
semblable à celui de la peste. 


s 


Expérience VIIT. 


Souris n° 1 reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de centimè- 
tre cube d’une dilution préparée en délayant dans 5 grammes 
d’eau 0#,50 de matières retirées de lintestin d’un rat mort de 
peste spontanée. 

Cette souris est morte en 15 heures environ. L'examen de la 
rate n'a pas montré de bacilles morphologiquement semblables 
à celui de la peste. L’ensemencement du sang de cœur n’a pas 
donné de cultures de peste. 

Souris n° 2 (témoin) reçoit par injection sous-cutanée 1/5 de 
centimètre cube d’une dilution préparée avec 0“,50 de déjections 
provenant d’un rat sain. 

La mort est survenue également au bout de 15 heures. 

Souris n° 3 a été piquée à la patte avec une aiguille préala- 
blement souillée avec les déjections d’un rat mort de peste 
spontanée. 

Aucun symptôme de maladie. 

Souris n° # a reçu par injection sous-eutanée 1/5 de cen- 
üimètre cube d'urine recueillie dans la vessie du même rat mort 
de peste spontanée. 

Aucun symptôme de maladie. 

Souris n° ÿ inoculée par piqûre à la queue avec le sang du 
même rat mort de peste spontanée. 


Cette souris est morte en 49 heures, la rate était bourrée de 
bacilles de peste. 


| 
L 
Ë 
| 
| 
; 


27 


Lbté À 42° 
. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 663 


Expérience IX. 


Un singe de grande taille, d’une espèce très sensible à la peste, 
a reçu comme nourriture de la mie de pain imbibée de crachats 
hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse 
mortelle. | 

Il n'a manifesté aucun symptôme de peste. 

Le même singe a mangé quelques jours plus tard de la mie 
de pain imbibée de sang d’un rat mort de peste spontanée. 

Même résultat négatif . 


Expérience X. 


On a fait respirer à un jeune singe du microbe pesteux en 
vue de lui communiquer la pneumonie pesteuse *. Voici com- 
ment l'expérience à été réalisée. 

On jette de la farine sur des cultures de peste en boîte de 
Pétri; on renverse ensuite la boîte pour faire tomber la farine 
en excès. Il en reste une certaine quantité adhérente à la gélose 
et aux colonies. On racle alors la surface de la gélose pour en 
séparer les colonies mélangées à la farine, on les recueille dans 
un verre de montre et on les dessèche à 38°. Les grumeaux 
desséchés sont au bout de quelques heures écrasés et réduits 
en poudre. On place cette poudre au fond d’un petit sac d’étoffe 
gommée, de forme et de dimensions lelles qu'il puisse être 
solidement fixé sur le museau de lanimal à la facon d’une mu- 
selière. En agitant le sac quand il est en place, la poudre reste 
en suspension dans l’air qu'il contient et pénètre forcément dans 
les narines et dans le poumon de l’animal par la respiration. 

Le singe n’a manifesté après cette expérience aucun symp- 
tôme de maladie. 

La même poudre délayée dans l’eau etinjectée à deux souris 
les a tuées en 68 heures. 


1. Wyzokowitch en 1897 a constaté que le singe ne contracte pas la peste si 
on lui fait manger des cultures de peste virulente. 

2. Le même expérimentateur a donné la pneumonie pesteuse à un singe par 
inoculation de culture virulente dans la trachée. 


664 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Expérience XI. 


Singe n° 1, de l'espèce Semnopithecus entellus particulièrement 
sensible à la peste, a eu l’épiderme écorché au niveau du pied 
sur une étendue d'un demi-centimètre environ. On à mis au 
contact de cette petite plaie des matières excrémentielles reti- 
rées de l'intestin d’un rat mort de peste spontanée, et on a main- 
tenu ce contact pendant 10 minutes au moyen d’un bandage. 

L'animal n'a pas contracté la peste. 

Singe n° 2, de la nême espèce. On a recueilli des crachats 
hémorragiques d'un malade atteint de pneumonie pesteuse; 
on les a mélangés avec de la terre provenant du sol d’une maison 
indigène, et laissés à l'air libre dans l'obscurité pendant 2% heu- 
res. Au bout de ce temps, le mélange a été mis en contact avec 
une excoriation faite à la cuisse du singe. 

L'animal n’a manifesté aucun symptôme de maladie. 


Expérience XII”. 


Écureuil (rat palmiste) n° 1 a Sté nourri avec de la mie de 
pain imbibée de sang de rat mort de peste expérimentale. 

Il n’a pas contracté la peste. 

Écureuil (rat palmiste) n° 2 à reçu en injection sous-cuta- 
née une goutte de sang provenant du même rat pestiféré. 

L'animal est mort de la peste après 3 jours. 

Nous nous sommes efforcé d'effectuer ces expériences dans 
les conditions les plus semblables à celles où s’accomplirait dans 
la nature la transmission de la peste à l’homme et aux animaux, 
si les hypothèses admises jusqu'ici étaient fondées. Leurs résul- 
tats constamment négatifs nous autorisent à croire que si l’in- 
fection du rat est possible par ingestion du microbe très viru- 
lent, celle de l’homme et du singe par contact d’excoriations 
accidentelles avec des excreta d'êtres pestiférés ou par aspira- 
tion de poussières chargées de microbes pesteux, ces faits sont 

1. La peste spontanée du singe est connue depuis les épidémies qui ont sévi 
sur ces animaux en même temps que sur les hommes en 1897 à Hurdwar, 
Kunckal, Belgaum. Nous croyons être le premier à avoir observé la peste spon- 


tanée de l’écureuil de l'Inde, dit rat palmiste, commun au voisinage des habita- 
tions ; nous l’avons constatée à Kurachee au moi de mai,1898, 


PROPAGATION DE LA PESTE. 665 


exceptionnels et üifficilement réalisables en dehors du labora- 
toire par les moyens de la nature. ! 

Outre ceux-ci, deux faits importants demeurent inexplicables 
par la même hypothèse du virus répandu et se cultivant dans le 
milieu extérieur, comme cause ordinaire de l’infection des êtres 
vivants : ce sont d’une part l'innocuité des manipulations de 
cultures de peste et d'animaux pestiférés au laboratoire ; d'autre 
par’, l’inconstance du danger de la transmission par le cadavre 
d’un rat pestiféré. Nous les examinerons successivement. 

1° Il est d'observation courante, pour tous ceux qui s’occu- 
pent de la bactériologie de la peste, que le maniement du mi- 
crobe en culture. des animaux vivants ou morts inoculés au 
laboratoire ne présente pas de danger. Dans les innombrables 
laboratoires où, depuis la découverte du bacille de la peste, on 
travaille avec ce microbe, il ne s'est encore produit, à notre 
connaissance, aucun accident parmi le personnel exposé jour- 
nellement à son contact. Est-il besoin de dire que si la propreté 
des bocaux, leur antisepsie, et les précautions individuelles 
peuvent être imvoquées pour quelques laboratoires, elles sont 
en défaut dans un grand nombre? Nous avons cherché a vérifier 
si cette innocuité du bacille cultivé sur des milieux artificiels 
relevait, comme on est & priori tenté de le croire, d’une diffé- 
rence de virulence entre celui-ci et celui de la peste spontanée : 
à cet effet, nous avons employé comme réactif le sérum antipes- 
teux préparé par le D' Roux à l'Institut Pasteur de Paris, au 
moyen de cultures depuis longtemps entretenues au laboratoire 
par ensemencements sur les milieux ordinaires et passages par 
des animaux. Le pouvoir préventif de ce sérum était mesuré à 
Paris, avant l'envoi, par des expériences sur des souris inoculées 
avec le même microbe en cultures qui sert à l’immunisation des 
chevaux. Il nous a paru que si les propriétés du bacille étaient 
sérieusement altérées pas la culture en laboratoire, on devait 


4. Des expériences sur les rats, les cobayes et les lapins, faites avec le concours 
de M. le D: Batzaroff, nous ont montré qu'il est facile de donner une peste mor- 
telle à ces animaux en déposant sur leur muqueuse nasale et sans l’excorier, un 
peu de bacilles pesteux pris sur une culture en gélose ou dans la rate d’un animal 
pestiféré. On peut ainsi transmettre la peste d'animal à animal plus sûrement 
que par inoculations sous-cutanées. Il serait intéressant de savoir si le mucus 
nasal des rats atteints de peste est virulent. Dans le cas où il le serait, ce mucus 
ne pourrait-il pas Jouer un rôle dans la contamination des rats. 

Note du Dr Roux. 


666 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


constater une différence dans la réaction vis-à-vis du sérum 
entre les animaux inoculés avec cette culture et ceux inoculés 
avec le microbe obtenu directement du pestiféré au cours d’une 
épidémie. 


Expérience LT. 


Le sérum employé dans toutes ces expériences, provenant du 
cheval n° 31, s’est montré préventif à la dose de 1/40 de cen- 
timètre cube contre l’inoculation à la souris de la culture de 
peste entretenue à l’Institut Pasteur, et capable de tuer cet animal 
en 48 heures environ. L'expérience en a été faite au laboratoire 
du D' Roux, avant que ce sérum nous soit expédié dans l'Inde. 

Souris n° 1 (témoin) est inoculée avec la sérosité contenant 
le bacille pesteux, retirée d’une phlyctène siégeant sur le dos du 
pied d'un pestiféré. 

Meurt en 56 heures. 

Sonris n° 2 (témoin) inoculée avec la même sérosité. 

Meurt en 51 heures. 

Souris n° 3 reçoit 1/20 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité. 

Aucun symptôme de peste. 

Souris n° 4 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité. 

Aucun symptôme de peste. 

Souris n° 5 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité. 

Meurt après huit jours; l'examen dela rate ne montre pas de 
bacilles pesteux et l’ensemencement du sang du cœur ne donne 
pas de cultures de peste. 

Souris n° 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation avec la même sérosité. 

Meurt en 55 heures. 


Expérience IT. 


Souris n° 1 (témoin), inoculée avec le sang du cœur d’un rat 
mort de peste spontanée. 

Meurt en 49 heures. 

Souris n° 2 reçoit 1/30 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation par le mème sang. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 667 


Aucun symptôme de peste. 

Souris n° 3 reçoit 1/35 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation par le même sang. 

Aucun symptôme de peste. 

Souris n° 4 reçoit 1/40 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l’inoculation par le même sang. 

Meurt après sept jours. 

Souris n° 5 reçoit 1/45 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l'inoculation par le même sang. 

Meurt après huit jours. 

Souris n° 6 reçoit 1/50 de centimètre cube de sérum une 
demi-heure avant l'inoculation par le même sang. 

Meurt en 48 heures. 


Expérience TIT. 


Souris n° { (témoin) inoculée avec le microbe cultivé sur 
célose, isolé du sang d’un bubon humain (culture âgée de 3 jours). 

Meurt en 50 heures. | 

Souris n° 2 inoculée avec la même culture une demi-heure 
après l'injection de 1/40 de centimètre cube de sérum. 

Aucun symptôme de peste. 

Nous avons répété ces expériences avec différents sérums, 
toujours avec un résultat analogue. D'une façon générale, à la 
dose limite où il s'est montré préventif à Paris, 1l est sujet à 
faillir contre l’inoculation du microbe de peste spontanée, mais 
il y à toujours survie très longue de l'animal inoculé, et généra- 
lement absence de microbes pesteux dans les organes, au moment 
de la mort. La différence entre la dose de sérum nécessaire pour 
garantir la souris, d’une part contre le microbe d’une culture de 
peste, d'autre part, contre le microbe pris dans les tissus d’un 
pestiféré, quand l’inoculation de l’un ou l’autre microbe à cet 
animal est mortelle au bout d’un mème laps de temps, est telle- 
ment insignifiante, qu'on peut considérer comme doués de propriétés 
identiques le microbe cultivé, dont la virulence est entretenue artificiel- 
lement, et celui qui se multiplie dans le corps des malades en temps 
d'épidémie. 

Ce n'est pas à dire que la virulence du microbe soit identique 
chez tous les êtres vivants, victimes d’une même épidémie ; on 


668 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


constate au contraire des variations considérables de la viru- 
lence d’un homme malade à un autre et d’un animal à un 
autre ; . 

20 Nous avons cité quelques exemples de contagion indiscu- 
table du rat à l’homme. Les faits de ce genre, relativement fré- 
quents, sont un des points les plus singuliers de l'histoire de la 
peste : qu’un homme trouve sur son chemin le cadavre d’un rat 
pestiféré, le saisisse par la queue et le jette au loin; ce contact 
de quelques secondes a suffi, l’homme est condamné à la peste 
dans les trois jours suivants. En est-il toujours ainsi ? Nullement: 
pour un cas semblable, cent fois le cadavre d'un rat mort de 
peste aura pu être manié impunément. Il y aurait donc pendant 
la même épidémie des cadavres de rats dangereux et d'autres 
inoffensifs. Mais si l’on étudie en détail chacun des cas, on 
apprend, chaque fois qu'il est possible d'obtenir des renseigne- 
ments, que le rat dangereux était mort depuis peu de temps. 
C’est en général au matin qu'un cadavre de rat, mort dans la 
nuit, est fatal pour celui qui le touche. Nous n'avons pu décou- 
vrir un seul cas où un rat, dont la mort remontait à 24 heures, 
ait communiqué la peste. Plusieurs cadavres de rats, toujours 
datant de la veille, nous ont été procurés par la police en divers 
foyers épidémiques; leur manipulation prolongée n'a jamais 
produit le moindre accident. I semble doncqu'il y ait une période 
de quelques heures, celle qui suit le décès, où le cadavre est 
contagieux ; il deviendrait ensuite parfaitement inoffensif, comme 
si la substance délétère s'était évaporée. Cette contagiosité sub 
tile du cadavre de rat atteint de peste spontanée ne se rencontre 
pas, et ce n’est pas un des points les moins importants à noter, 
chez le rat conservé en cage dans le laboratoire, que l'on fait 
mourir de peste expérimentale. Elle n'est donc pas due à la 
souillure de la peau du rat par ses propres déjections, attendu 
que le rat mort dans un bocal ne peut éviter cette souillure, 
rarement visible sur le rat mort en liberté. On ne s’expliquerait 
pas que le pouvoir contagieux, s’il était dû au microbe en cul- 
ture sur la peau du rat, fût de si courte durée ; d'autre part, les 
expériences faites avec les déjections et l'urine des rats sponta- 
nément pestiférés, ne permettent pas de leur attribuer un rôle 
aussi puissant dans la contagion. Encore un détail à retenir : 
l’homme contaminé pour avoir saisi avec la main le cadavre d’un 


PROPAGATION DE LA PESTE. 669 


rat n'a pas forcément le bubon axillaire, au moins aussi souvent 
il présente des bubons inguinaux. 

Les observations et les expériences qui précèdent, nous ont 
amené à écarter l'hypothèse de la transmission épidémique de la 
peste par le contact de la peau saine ou malade avec le microbe 
disséminé à l'air libre dausle milieu extérieur, et à rechercher 
s'il est un mode de transmission plus en rapport avec les faits. 


CHAPITRE VI 


FAITS D'OBSERVATION CLINIQUE EN FAVEUR DE LA TRANSMISSION PARASI- 
TAIRE. —— EXPÉRIENCES QUI CONFIRMENT L INOCULATION DU VIRUS AU 
RAT ET A L'HOMME PAR LES PUCES 


Le contraste frappant entre la difficulté de contaminer les 
animaux par le tube digestif et la facilité avec laquelle on déter- 
mine la peste chez eux par l'introduction sous la peau de la plus 
infime trace de virus suggère naturellement l’idée de rechercher 
s'il n’est pas dans la nature de cause susceptible de faire péné- 
trer directement le microbe dans la peau saine. 

On ne rencontre jamais, chez les animaux atteints de peste 
spontanée, de lésion de la peau qu'on puisse soupçonner de 
marquer le point de pénétration du microbe. Il n’en est pas de 
même chez l’homme. 

Les pestiférés présentent dans un certain nombre de cas une 
phlyetène, parfois plusieurs, dont la dimension varie d’une tête 
d'épingle à la grosseur d’une noix. Cette phlyetène renferme un 
liquide, transparent d’abord, qui plus tard devient sanguino- 
lent ou purulent. Elle apparaît au commencement de la maladie, 
en général avant tout autre symptôme, et dure jusqu'à la fin. Au 
début, elle constitue une petite papule dont le milieu est bientôt 
soulevé par une goutte de liquide; c’est alors une bulle lenticu- 
laire de 2 à 4 millimètres de diamètre, de couleur grisâtre, dont 
le contour est marqué par la teinte foncée de l’épiderme épaissi 
et enflammé. Dans la majorité des cas, particulièrement dans 
ceux qui guérissent, le processus s'arrête là; la phlyetène n’ar- 
rive pas à dépasser la grosseur d’une lentille, son contenu 
devient trouble, ce qui lui donne l'aspect pustuleux, et, la conva- 


670 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


lescence survenant, elle se dessèche et disparait. D'autres fois elle 
atteint des dimensions plus considérables et se comporte de la 
mème façon. Enfin, dans une partie des cas, la région où elle 
siège devient œdémateuse; la phlyctène, arrivée à une dimension 
assez forte, se rompt, laissant à découvert une base enflammée 
en voie de nécrose, la gangrène s'étend plus ou moins en pro- 
fondeur et en largeur et dépasse rarement le diamètre d’une 
pièce de cinq francs. On à alors le charbon pesteux, la lésion 
qui à valu parfois à la maladie le nom de peste noire (Black 
death). Une escharre profonde se forme dans les cas de guéri- 
son, tout à fait exceptionnels quand la lésion est arrivée à ce 
degré. ; 

Un caractère de cette phlyciène est d'être douloureuse 
dès le début et de le demeurer jusqu'à la fin de la maladie. 

Invariablement la phlyctène s'accompagne de bubon, et le 
bubon correspond toujours au siège de la phlyctène : si, au 
début de l'examen d’un malade, on constate la présence de cette 
lésion sur un membre, on peut être certain d'avance qu’un 
bubon existe à la racine de ce membre. Si les phlyctènes sont 
multiples et siègent sur des régions différentes, chacune de ces 
régions présente des bubons. 

I ne faut pas confondre la phlyctène que nous venons de 
décrire, et qu'on pourrait appeler phlyctène précoce, avec les 
phlyetènes pemphigoïdes ou avec les éruptions pustuleuses qui se 
développent parfois au cours de la peste : tandis que la phlyc- 
tène précoce apparaît de bonne heure, commence par être une 
lésion minuscule, siégeant en une région non œdémateuse où 
elle peut devenir plus tard le point de départ d’un œdème, la 
phlyctène pemphigoïde se développe en général tardivement et 
sur une région préalablement œdématiée: son apparition est 
brusque et sa dimension d'emblée considérable; elle se forme 
par soulèvement rapide de l’épiderme sur une certaine étendue, 
et constitue une grosse bulle le plus souvent citrine, quelquefois 
sanguinolente, à la limite de laquelle lépiderme n'est pas 
enflammé. Les éruptions pustuleuses constituent un accident de 
la convalescence. 

Les phlyctènes précoces se manifestent exclusivement sur 
des points du corps où la peau est fine et délicate ; on peut en 
juger par le tableau suivant qui porte sur 64 observations. 


à msn FÉES 


PROPAGATION DE LA PESTE. 671 


Le siège des phlyctènes à été : 


Partie antéro-inférieure du cou.….............., { fois. 
HER N EST UUT TE 1, | PRONONCE SERRE ERT<R 1 — 
Face interne de l’avant-bras et du poignet....... 2 — 
Côtés du frane en dehors du sein.......,....... 1. — 
FIANCs 0.7 en Tr Le aotet EMEMRSEMERERERENLEE 3 — 
Région lombaire ISiérale en. 2 1... .. 1... 2 — 
Côté interne de Id cuisse: 37.4... .. IN ER 
Partie postérieure de la cuisse au-dessus du creux 

DOUTE RS ET ET ETS CHENE PERS ER 4 — 
CHPARIEMEIQUÉEDDUR Pare Eur Le 2 — 
Côté interne de la jambe au-dessous de la tête du 

LOUE en REP PAR EL ei ee ci PRES RRTAT AT ES Resa 
Côté externe de la jambe à la hauteur de la tête 

LT De oc, FOR AR I CR RE ARC URE PRES COUR ESP AE 4 — 
Mollet au-dessous du creux poplité............. 1 — 
Creux rétro-malléolaire interne................ 2 — 
Creux rétro-malléolaire externe................ T — 
Dépression anté-malléolaire interne............ 5 — 
Dépression anté-malléolaire externe............ 4 — 
DR PDP DIMINUER RPC CCE EMA TT ECM MEN Sr SEAT 49 — 
Commissure dorsale des orteils................ 2 — 
Parhedonale des orteils 2722 LAN Ne 4, 


Dans ces 61 cas, les bubons ont été constants et leur siège 
constamment en rapport avec celui des phlyctènes, 

Nous avons fait pour un grand nombre de ces phlyctènes 
l'examen microscopique de leur contenu ; nous avons dans tous les 
cas, même lorsque leur contenu est devenu purulent, constaté la pre- 
sence du bacille de la peste. Quand on fait, aseptiquement et au 
début du développement de la phlyctène, la prise de la sérosité, 
on y rencontre le bacille de la peste en culture pure : plus tard 
l’'ensemencement montre des microbes étrangers concurremment 
avec celui-ci. 

Les phlyctènes précoces se rencontrent environ une fois sur 
20 cas, mais elles peuvent être plus fréquentes dans une épidé- 
mie que dans une autre, et à une période d’une épidémie qu’à 
une autre. 

Quelle est la signification de cette lésion caractéristique? 
L'apparition précoce, la présence constante du bacille spécifique 
dans le liquide, la corrélation régulière avec les bubons sont des 
raisons d'admettre que la phlyctène marque la porte d'entrée 
du microbe de la peste. 


672 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il s’est produit un fait, dans l’histoire de l'épidémie de 
Bombay, qui apporte à cette manière de voir une preuve : c’est 
le cas du D' Sticker, membre de la mission allemande venue 
à Bombay en 1897 pour étudier la peste. Ce médecin, en faisant 
l’autopsie d’un pestiféré, fut piqué à la main par la pointe d’un 
instrument ayant servi à l'opération. Un ou deux jours après 
apparut au lieu de la piqûre une petite phlyctène qui contenait 
le bacille pesteux. En même temps, un bubon se développait à 
l’aisselle du même membre, et le D' Sticker éprouvait une atta- 
que de peste caractérisée qui, heureusement, se termina par la 
guérison. 

Le même accident est survenu, en 1894, à deux membres de 
la mission japonaise à Hong-Kong ; l’un et l’autre présentèrent 
la même lésion au point d’inoculation. 

Donc la phlyctène précoce de la peste représente la réaction 
locale de l'organisme au point d'entrée du virus. La présence, 
maintes fois constatée, de plusieurs phlyctènes développées 
ensemble montre que le virus peut être introduit par plusieurs 
points simultanément. 

L'examen à l'œil nu et à la loupe de la phlyctène et de la 
peau avoisinante, pratiqué de bonne heure, ne décèle aucune 
trace d’excoriation; si l’on détache l’épiderme soulevé par le 
liquide et si on l’examine à un grossissement approprié, on 
constate que les couches épidermiques superficielles sont intactes, 
et ne portent pas de trace de détérioration antérieure. 

On a vu que le siège le plus fréquent des phlyctènes est le 
pied : il est à noter qu’on ne les rencontre jamais sur les bords 
de la plante, ni sur les parties latérales des orteils, où les exco- 
riations accidentelles sont le plus fréquemment observées chez 
les gens qui marchent nu-pieds. 

Il est démontré que ni le contact du microbe cultivé, mi le 
contact du sang d’un animal pestiféré, ou de ses excrétions, avec 
la peau saine, ne peuvent, chez l’homme et les animaux, déter- 
miner une attaque de peste. C’est donc d’une manière active, 
par un agent extérieur, que le virus a été introduit au point où 
l’on observe ensuite une phlyctène. Il nous a paru que seule une 
intervention parasitaire pouvait être responsable de la pénétra- 
tion du bacille pesteux dans la peau saine. 

La puce et la punaise sont les deux parasites qu'on peut, 


nd 2. 


PROPAGATION DE LA PESTE, 673 


a priori, Soupçonner de jouer un rôle dans la transmission du 
bacille de la peste. Il ne nous a pas été possible de faire des 
expériences sur les punaises dont le rôle, s’il est réel, doit être 
limité à la transmission d'homme à homme. Nous avons étudié 
la contagion des animaux par les puces autant que pouvait nous 
le permettre notre installation sous une tente pendant la saison 
des pluies dans une ville de l’Inde. Les résultats, encore très 
incomplets, que nous avons obtenus confirment l’idée que ce 
parasite est le principal instrument de la contagion de la peste 
dans les conditions naturelles. 

La puce que nous avons rencontrée communément sur le rat 
murin (dans l’Inde) est de taille moyenne, de couleur grisâtre, 
avec une tache lie de vin sur les faces latérales de l'abdomen; 
cette tache n’est autre chose que l'estomac rempli de sang vu par 


transparence. Nous ignorons si cette puce est une variété diffé- 


rente de celle, couleur ponceau, commune sur l’homme et les 
animaux domestiques : toutefois nous nous sommes assuré expé- 
rimentalement que, transportée du rat sur l’homme ou sur le 
chien, elle les attaque immédiatement. 

Si l’on examine un rat depuis longtemps captif au labora- 
toire, il est rare qu’on puisse découvrir sur lui des puces : c’est 
qu'en effet les laboratoires sont généralement exempts de ces 
insectes. Il n’en est pas de même du rat en liberté, qui fréquente 
volontiers leurs repaires préférés : pièces obscures, greniers, 
magasins à paille et à fourrage. Aussi est-il incommodé par ces 
parasites au même titre que le chien ou le chat. Soigneux de sa 
personne, 1l ne les tolère pas longtemps sur lui et s’en débarrasse 
à l'ordinaire très aisément. Mais vienne la maladie, il néglige sa 
toilette, cesse de se défendre ; les puces alors envahissent par 
centaines sa fourrure et se sorgent à l’aise de son sang. Nous 
avons établi ces faits par des observations répétées : le rat sain, 
capturé, présente à peine quelques spécimens de ces parasites; 
placé dans un bocal avec des puces, il arrive vite à les détruire. 
Au contraire, le rat spontanément pestiféré est, à la fin de la 
maladie, généralement couvert de puces qui grouillent dans ses 
poils en quantité inouïe. 

Yersin a découvert que le microbe de la peste se cultive dans 
lintestin des mouches qui l’ont ingéré : il n’est donc pas surpre- 
nant que le même fait existe pour les puces. Nous avons prati- 

43 


74 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


qué un certain nombre de fois l'examen microscopique du con- 
tenu intestinal des puces recueillies sur les rats spontanément 
pestiférés, et dans plusieurs cas nous avons constaté la présence 
d’un bacille morphologiquement semblable à celui de la peste. Il 
ne nous pas été possible, en raison de l’imperfection de nos 
moyens de travail, d'isoler ce microbe en culture ; mais la certi- 
tude qu'il s’agit du bacille pesteux nous a été donné par un 
examen comparatif : si l’on place des puces sur une souris pesti- 
férée, peu avant la mort, et si on examine leur contenu stomacal 
après 24 heures, on observe en quantité plus ou moins considé- 
rable les microbes qui ont l’apparence de celui de la peste. Ces 
microbes n'existent pas dans le contenu stomacal des puces, 
de même provenance, qui n’ont pas été mises en contact avec 
un animal pestiféré. 

Nous avons inoculé à 3 souris des puces provenant de rats - 
pestiférés, triturées dans quelques gouttes d’eau : une seule est 
morte de peste confirmée au bout de 80 heures, les deux autres 
sont mortes l’une après 9, l’autre après 12 jours, sans que nous 
ayons pu trouver le bacille pesteux dans leurs organes. 

Un rat capturé dans un quartier pestiféré nous ayant paru 
suspect de peste, nous l’avons placé dans un grand bocal en 
verre, et, après avoir constaté qu'il était porteur d’un petit 
nombre de puces, nous avons jelé dans le bocal une vingtaine 
de ces insectes provenant d’un chat. Au bout de 24 heures 
l'animal paraissait à l’agonie. Nous avons alors placé dans le 
bocal, renfermé dans une petite cage de fer dont un seul côté 
était grillagé, un rat de petite taille. Le rat malade est mort peu 
d'heures après: nous avons retiré son cadavre du bocal seulement 
au bout de 36 heures. L’autopsie nous à montré qu'il était 
réellement mort de peste spontanée. Le jeune rat mis en expé- 
rience a élé laissé dans sa cage et dans le bocal. 

I est mort le 5° jour de peste caractérisée. 

L'expérience répétée dans les mêmes conditions nous à 
donné un succès sur une souris qui est morte de peste en 
trois jours, et deux insuccès sur des rats adultes. La dextérité 
avec laquelle ceux-ci, pendant que nous les observions, se 
défendaient contre l'attaque des puces et les détruisaient en les 
mangeant, nous font penser qu’il y a là une raison fréquente 
d’insuccès pour l'expérience. 


LE ns 2 


d dr dés 


sc Moi le be à 


PROPAGATION DE LA PESTE. 675 


Les deux résultats positifs obtenus ne nous semblent pas 
pouvoir être attribués à une autre cause qu’à l'infection par les 
puces, non seulement parce qu’un grillage séparait l'animal en 
expérience du rat pestiféré, mais surtout parce que nous n’avons 
jamais réussi à infecter un rat ni une souris en les plaçant au 
contact d'animaux inoculés au laboratoire et exempts de para- 
sites, Dans un cas, le cadavre, dépourvu de puces, d’un rat mort 
de peste spontanée dans la ville de Kurachee, a été laissé pendant 
24 heures dans une cage contenant T rats sains, dont aucun wa 
contracté la peste. 

On ne peut faire que des hypothèses sur la façon dont le 
microbe est porté dans les tissus par la puce : on ne s'explique 
guère que l’aiguillon souillé de sang puisse conserver longtemps 
son pouvoir infectieux, et la puce en ce cas ne serait nuisible 
qu'au moment où elle quitte l'animal pestiféré, Mais il est 
d'observation facile que la puce, pendant la succion, dépose au 
point même où elle est installée ses déjections consistant en une 
gouttelette liquide de sang digéré. Dans le cas où ce liquide est 
une culture de bacille de la peste, ilest vraisemblable qu'il puisse 
infecter l'animal par la perforation béante créée par l’aiguillon. 

À l'appui de l'infection par les puces, nous devons rappeler 
la coïncidence remarquable du siège des phlyctènes dans les 
régions de la peau humaine que ces parasites affectionnent plus 
particulièrement. 

Nous avons dit que la phlyctène est une lésion inconstante, 
presque rare; la raison de cette rareté nous est fournie par 
l’expérimentation : quand on inocule la peste à un animal par 
piqûre avec une aiguille chargée de microbe très virulent, 
aucune réaction ne se manifeste au point d’inoculation ; mais si 
l’on emploie un microbe faiblement virulent, on peut observer 
parfois une petite réaction locale. Ce fait, signalé par Roux, 
concorde avec nos observations cliniques chez l'homme : l’allure 
de la peste, dans les cas avec phlyctène précoce, est toujours 
bénigne, au moins pendant les premiers jours. Sila terminaison 
est très souvent fatale, cela tient à ce que la défense des tissus 
contre le microbe est très faible au niveau de la lésion primitive, 
où il se cultive aisément. À un moment donné, la région devient 
œædémateuse, le derme se nécrose, et la généralisation, toujours 
mortelle, se fait par la phlyctène. Comme confirmation de cette 


676 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


observation, il est à remarquer que, dans les cas à allure très 
grave d'emblée et à marche très rapide, la phlyctène précoce 
n'existe pas. ° 

Nous admettons par suite que l’inoculation parasitaire n’est 
pas limitée aux cas de peste qui s’accompagnent de phlyctènes 
précoces. 

L'étude clinique et anatomo-pathologique de la peste, les 
expériences concernant la pneumonie pesteuse faites par 
Wyzokowitz et par nous-même, laissent supposer qu'il n’y a pas, 
dans la nature, comme on l’admet couramment, autant de façons 
de contracter la peste que de formes de la maladie; que ces 
formes sont en rapport non avec un mode de pénétration spécial, 
mais avec le degré de virulence du microbe et peut-être avec le 
degré de sensibilité du sujet. On peut ramener à trois formes toutes 
les variétés de la peste humaine, la forme à bubons apparents, la 
forme sans bubons apparents ni pneumonie, la forme pneumo- 
nique. Dans la première, qui est aussi la plus bénigne, la pullu- 
lation du microbe est, au moins au début, limitée à un seul ou à 
un petit nombre de ganglions lymphatiques superficiels. Dans la 
seconde, la pullulation se poursuit dès la pénétration dans le 
système lymphatique profond; elle n’est plus endiguée par un 
groupe ganglionnaire superficiel, c’est une généralisation lym- 
phatique d'emblée. 

Dans la 3° forme, le virus arrive du premier coup jusqu'aux 
ganglions bronchiques, et de là au tissu pulmonaire. Tant que 
ces formes se présentent isolées, il peut sembler naturel de les 
rapporter chacune à un mode d'infection spécial. Mais, beaucoup 
plus fréquemment qu’on ne l’a encore signalé, elles se pénètrent 
mutuellement ; la généralisation lymphatique et surtout la pneu- 
monie viennent se greffer sur une forme d'abord simplement 
bubonique, due à la pénétration du microbe dans la peau d’un 
membre. Or, si le microbe peut, au cours d’une peste bubonique, 
arriver au poumon et y développer une pneumonie identique à 
une pneumonie primaire, on ne comprend pas pourquoi celle-ci 
nécessiterait un mode d'infection particulier. Il est au contraire 
conforme à toutes nos connaissances sur les virus pathogènes 
d'admettre qu'une réaction régionale, le bubon, se manifeste 
après l’inoculation d’un microbe de moyenne virulence. Si ce 
microbe est hautement virulent, il peut atteindre, sans résistance 


PROPAGATION DE LA PESTE. 677 


de l'organisme, les ganglions des organes internes et Le poumon, 
lieu de moindre résistance chez l’homme dans la plupart des 
maladies infectieuses. Aussi la grande fréquence des pneumonies 
et des cas sans bubons est-eile observée à la période des épidé- 
mies où l'allure presque foudroyante de la peste dénote une 
virulence extraordinaire du microbe. Là est encore l’explication 
de ce fait que la guérison, en dehors de la forme bubonique 
simple, est extrèmement rare. 

Tout en reconnaissant que cette théorie n’a pas encore la 
valeur d’un fait démontré, nous croyons que les diverses formes 
de la peste spontanée, chez l’homme et chez les animaux, relè- 
vent ordinairement d’un seul mode d'infection, l’inoculation 
parasitaire intracutanée. La puce paraît être l'intermédiaire 
habituel de la transmission ; toutefois, de nouvelles recherches 
sont nécessaires avant de pouvoir lui attribuer un rôle exclusif. 
En plusieurs cas où noys avons observé la contagion d'homme à 
homme de peste pneumonique très grave, il nous à paru que 
l'hypothèse de la transmission par les punaisesrépondrait mieux 
que tout autre aux détails des faits. Dans l’un de ces cas, plu- 
sieurs hommes ont à la fois contracté la même forme de peste 
en visitant un camarade, et sont morts moins de six jours après 
celui-ci. Le temps et les moyens nous ont manqué pour pour- 
suivre cette étude. 

Nous ne savons également rien sur les modifications subies 
par le microbe dans le corps d’un parasite. La virulence est-elle 
augmentée, conservée ou diminuée ? la conservation est-elle de 
Jongue durée? Ces questions nécessitent de nouvelles investiga- 
tions. Il nous à été impossible de conserver vivantes dans des 
flacons plus de trois jours, sans leur fournir l’occasion de se 
nourrir sur un animal, les puces provenant des rats. Il nous 
semble probable que dans la nature il n’en est pas ainsi; la 
durée de la vie de l’insecte, et les conditions dans lesquelles il 
demeure dangereux, doivent fournir l’explication de l'infection par 
les linges sales et la literie qui proviennent de maisons infectées, 
infection connue et redoutée dès l'antiquité. On peut également 
soupçonner que l’histoire naturelle des parasites, leur plus ou 
moins grande abondance suivant des conditions locales, doivent 
jouer un rôle considérable dans la facilité du développement 
comme dans la gravité d’une épidémie, et fournir peut-être la 


678 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


solution du problème incomplètement résolu de la recrudes- 
cence. 

Dès maintenant nous pouvons nous expliquer la plupart des 
points obscurs de l’histoire de la propagation de la peste, sa pré- 
dilection pour les maisons mal tenues et encombrées, pour les 
rez-de-chaussée, pour la partie misérable de la population, 
l'échec constant des désinfections qui s'adressent seulement aux 
parquets et aux murailles, l’innocuité des travaux de laboratoire. 
Nous comprenons pourquoi le cadavre du rat est à certains 
moments très dangereux, à d’autres inoffensif : après la mort du 
rat spontanément pestiféré, les puces, au fur et à mesure du 
refroidissement, s’écartent de l’épiderme sans quitter le cadavre, 
sur lequel elles demeurent pendant plusieurs heures. Que dans 
cet intervalle on vienne à toucher ce cadavre, aussitôt elles 
l’abandonnent et s’élancent dans toutes les directions : en raison 
de leur nombre parfois inouï, il est impossible, si lon saisit le 
rat mort avec la main, d'éviter de devenir leur hôte. C’est aussi 
là la raison de la gravité de la présence d’un cadavre de rat 
dans une mäison pour ses habitants ; les puces qui l'abandon- 
nent se répandent sur le parquet, dans les lits, et font immédia- 
tement de appartement un foyer d'infection. Nous comprenons 
encore comment la contagion d’homme à homme est insigni- 
fiante par rapport à celle par le rat ; outre que l’homme atteint de 
peste n’est jamais au même degré la proie des parasites, il ne 
peut être dangereux que pendant les dernières heures de la 
maladie, quand le microbe est généralisé et présent dans le sang 
périphérique. C’est là sans doute la raison pour laquelle nous 
n'avons jamais pu relever des cas certains de contagion entre 
hommes sans que celui qui avait apporté la maladie n’eñt éprouvé 
la peste mortelle. Enfin l'absence de parasites dans la literie des 
hôpitaux à l’européenne, leur ‘abondance dans les hôpitaux 
entièrement livrés aux indigènes expliquent que les cas de conta- 
gion, fréquents dans ceux-c1, soient une exception rare dans les 
premiers. 

Les résultats de nos recherches concernant le mede de péné- 
tration du microbe dans les tissus peuvent se résumer ainsi : 

4° La transmission de rat à rat, contrairement à l’opinion 
générale, ne s'effectue pas par le tube digestif, en dévorant les 
animaux pestiférés : 


a ERP 


PROPAGATION DE LA PESTE. 679 


2° Les matières comestibles souillées par les déjections ou le 
sang d'un animal pestiféré, ou qui ont subi le contact prolongé 
de son cadavre; celles souillées par les excrétions du pestiféré 
humain, les crachats pneumoniques, le sang même du bubon, 
sont inoffensives pour les rongeurs et les singes ; 

30 La cohabitation des rats sains avec des animaux pestifé- 
rés, ou avec leurs cadavres dépourvus de parasites, ne suffit 
point à leur donner la peste ; 

4° La transmission ne s'effectue pas, au moins chez les ani- 
maux, par l'aspiration de microbes pesteux avec les poussières ; 

5° Les phlyctènes précoces que l'on rencontre chez certains 
malades marquent le point d'introduction du virus. Elles siègent 
toujours dans des régions exposées aux piqûres des puces ; 

6° La transmission à l’homme par le contact des cadavres 
frais de rats pestiférés est fréquente, alors qu'un cadavre ancien, 
abandonné par les puces, peut être manié sans péril ; 

1° La puce qui a absorbé du sang septique sur un animal 
pestiféré conserve, pendant une durée encore indéterminée, le 
microbe en culture dans le tube digestif, et l’inoculation au rat 
du contenu intestinal peut lui donner la peste ; 

8° On peut déterminer la transmission de la peste à la souris 
ou au rat sains, en les faisant cohabiter avec un rat atteint de 
peste spontanée et parasité par des puces, dans des conditions 
telles qu'ils ne puissent avoir de contact direct avec ce dernier. 

9° La transmission parasitaire du microbe éclaire la plupart 
des points encore inexpliqués de la propagation de la peste. 

Si imparfaites que soient encore nos connaissances sur la 
transmission parasitaire du microbe pesteux, l’ensemble des 
observations et des expériences qui la confirment nous paraît 
lni constituer une base assez solide pour qu'on doive dès main- 
tenant tenir compte de cette cause dans la lutte contre l'invasion 
de la peste. 


CHAPITRE VII 
DURÉE DE L' INCUBATION DE LA PESTE, — PROPHYLAXIE. — CONCLUSIONS 


Il n'entre pas dans le cadre de cette étude de traiter en détail 
la prophylaxie de la peste. Nous devons cependant mettre en 
relief les indications principales qui se dégagent de la conception 


680 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


nouvelle, que nous avons exposée, de la propagation de cette 
maladie. 

Préalablement, nous essayerons de fixer un point dont la 
connaissance importe au premier chef pour l’organisation de la 
défense sanitaire, la durée de l’incubation de la peste. Les opi- 
nions les plus contradictoires ont été émises à son égard; 
aucune ne repose sur une base précise et scientifique; les éva- 
luations à 6, 9, 10, 12 jours et plus, données par divers savants, 
sont en général déduites de l'intervalle écoulé, pour les cas tom- 
bés sous leur observation, entre le départ du foyer pestiféré 
d'un individu qui contracte la peste ensuite, et l'apparition des 
symptômes. En faisant ce calcul, on oublie que l’homme, en 
s'éloignant d’un milieu contaminé, peut emporter avec lui le 
germe de la peste par lequel il sera plus tard infecté. 

Nous possédons deux éléments pour nous aider à résoudre 
cette question : l'expérimentation sur les animaux, et l'observa- 
tion des faits pour lesquels nous pouvons retrouver la source 
certaine et la date de l'infection. 

L'expérimentation sur les animaux sensibles à la peste 
montre qu'à la suite de l'inoculation sous-cutanée de culture 
virulente ou de sang provenant des bubons de pestiférés, il se 
produit une période d’incubation très courte, 10 à 72 heures. 
Chez les espèces différentes de singes, la différence de sensibilité 
au virus se traduit surtout par une gravité et une durée varia- 
bles de la maladie; les écarts sont peu marqués dans la durée 
de l’incubation qui ne dépasse pas trois jours. On peut, au 
moyen du microbe atténué, communiquer aux rats et aux souris 
une forme de peste qui les tue iongtemps après l'inoculation, et 
leur laisse jusqu’à une période tardive l’apparence de la santé; 
mais si on les sacrifie au deuxième ou au troisième jour, la pré- 
sence de cultures dans les ganglions gonflés ou dans la rate 
dénotent qu'ils sont en période de maladie et non d’incubation. 

L'observation des cas humains dont on peut retrouver l'ori- 
gine concorde entièrement avec les résultats chez les animaux. 
Nous avons déjà insisté sur les faits de contamination par le 
cadavre des rats, si frappants dans leur évidence, où la peste ne 
met jamais plus de trois jours à se manifester. Nous pouvons 
en citer d’un autre genre, ceux où des individus provenant d'un 
endroit sain arrivent dans un foyer épidémique et y contractent 


PROPAGATION DE LA PESTE. 681 


la peste. Dans un cas, celui d’une femme qui, après un long 
séjour dans un village indemne, rentre dans la ville pestiférée 
où elle avait sa maison, la maladie a débuté le lendemain, c’est- 
à-dire que l'incubation a duré moins de 24 heures. Les cas où 
la maladie a débuté dans les trois jours qui ont suivi l’arrivée 
dans le foyer sont nombreux. | 

Nous citerons un cas de contagion multiple qui paraît s’être 
effectuée d’homme à homme sans intervention du rat, et qui, 
instructif à beaucoup d’égards, constitue un document précieux 
pour l'appréciation de la durée de l’incubation. Un cipaye 
musulman, à Kurachee, contracte la pneumonie pesteuse. Douze 
de ses camarades, dont il était le supérieur religieux, viennent 
assister dans sa maison à ses derniers moments et l’enterrent. 
Trois d’entre ceux-ci manifestent les symptômes de la peste le 
lendemain de l’enterrement, et quatre autres après deux jours. 
Chez aucun des sept, l’incubation n’a dépassé 72 heures. 

Nous sommes donc en droit d'évaluer à une durée variant 
entre 12 et 72 heures l’incubation de la peste. Si l'on objecte 
que, dans les cas humains, c'est à ceux présentant le minimum 
de durée d’incubation que nous empruntors nos arguments, 
nous répondrons que ceux-là seuls offrent des garanties de 
précision, que les exemples d’une courte durée d'incubation sont 
trop nombreux et trop nets pour ne pas admettre qu’elle consti- 
tue la règle, et que l'expérimentation sur les animaux fournit un 
appui solide à cette manière de voir. 

A notre avis, toutes les fois qu'on doit tenir compte, pour prendre 
une mesure prophylactique, de la durée de l’incubation de la peste, on 
doit évaluer cette durée à un maximum de quatre jours. 


Pour être efficace, la prophylaxie de la peste doit être métho- 
dique, minutieuse et rigoureuse. Les mesures préventives devront 
être dirigées : 1° contre les rats; 2° contre les parasites des 
rats et de l’homme; 3° contre l’homme provenant d’un milieu 
infecté. 

La défense contre le rat comprend tous les moyens de le 
détruire et surtout de l’éloigner; ces moyens sont faciles à déter- 
miner, sinon toujours à appliquer. Nous devons insister sur la 
facilité qu’il y a à préserver des rats, et partant de la peste, une 
maison bien construite, en y entretenant la propreté et rendant 


682 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR, 


inaccessibles aux rats, par une fermeture suffisante, tous les 
endroits qui peuvent les attirer et les abriter, cuisine, cave, gre- 
nier, conduite des eaux ménagères. On peut trouver dans les 
épidémies de l’Inde des preuves multiples de cette assertion, et la 
plupart des maisons anglaises n’ont pas dû à autre chose l’im- 
munité dont elles ont joui'. 

À bord des navires, le rat doit être autant qu’à terre l'objet de 
mesures rigoureuses d’extermination. Pas un navire ne devrait 
être autorisé à quitter un port contaminé sans avoir, après son 
chargement fait et sa sortie des docks, subi la désinfection de 
ses cales par l'acide sulfureux ou les vapeurs de formol, ou 
n'importe quelle vapeur asphyxiante mortelle pour les rats. La 
même désinfection devrait être renouvelée au port d'arrivée 
avant qu'aucune relation ait lieu du bord avec la terre, sauf le 
débarquement des passagers au lazaret. 

Les mesures prophylactiques contre les parasites se rédui- 
sent à la désinfection par des moyens appropriés de tous les 
effets et objets, ainsi que des locaux susceptibles de les ren- 
fermer. Le cadavre d’un rat ou d’un autre animal pestiféré ne 
doit jamais être déplacé avant d’avoir été inondé d’eau bouil- 
lante, ou de toute autre substance capable de tuer instantané- 
ment les parasites qu’il peut avoir sur la peau. Quand une maison 
est suspecte parce qu'on y à trouvé des rats pestiférés, ou qu'un 
cas humain s'y est produit, elle doit être désinfectée au plus tôt : 
rien de ce qu'elle contient, y compris les vêtements des habi- 
tants, ne doit en sortir avant la désinfection sur place. La 


désinfection des locaux dont la fermeture est possible peut être : 


effectuée comme à bord des navires au moyen de vapeurs sul- 
fureuses ; tout ce qui ne peut subir cette désinfection doit être 
passé à l’étuve. L’arrosage à l’eau bouillante des parquets est 
un excellent moyen pour la destruction des parasites. 

Les mesures qui s'adressent à l’homme forment deux caté- 
gories, suivant qu'il s’agit de défense ou de préservation. La 
défense contre l'introduction par l’homme de la peste comprend 
la quarantaine et la désinfection. La durée de la quarantaine 
doit être basée sur la durée de l’incubation de la maladie, & 


1. Les bungalows des Européns, dans l'Inde, ont toujours la cuisine, l'office, 
les chambres de domestiques dans des dépendances isolées de lhabitation 
principale. 


PROPAGATION DE LA PESTE, 683 


compter du moment où tous les effets de l’homme, y compris ses vête- 
ments, auront subi la désinfection. La préservation de homme qui 
s’est trouvé exposé à la contagion dans un lieu infecté nécessite 
son éloignement du local, après désinfection rigoureuse de ses 
vêtements et de tout ce qu'il emporte avec lui. A celle-ci devra 
s’ajouter une mesure préventive très importante, la vaccination 
par le sérum antipesteux : l’action immédiate et sûre, l’inno- 
cuité de cette injection en font une arme puissante contre le 
développement de la peste, chez l’homme qui a été exposé 
à la contracter. Autant est illusoire la vaccination de toute 
une ville soit par le sérum, dont l’action préservatrice ne 
s étend pas au delà detrois semaines, soit par les autres procédés 
connus jusqu'ici, qui, outre le même défaut, présentent une 
inconstance de l'effet préventif et déterminent une réaction 
fébrile et douloureuse qui les rendent inacceptables par la popu- 
lation, autant la prévention par le sérum appliqué concurrem- 
ment avec la désinfection à tous les individus exposés à l’infec- 
tion pesteuse sera puissamment efficace pour réduire l'épidémie 
humaine. Nous avons institué à Cutch-Mandri, avec le concours 
du D' Mason, une expérience de ce genre qui fonctionne avec 
succès sous la direction de ce dernier : elle consiste à remplacer 
par un isolement de cinq jours, joint à la désinfection et à l'injec- 
tion préventive de sérum, la quarantaine de quinze jours préala- 
blement imposée aux indigènes provenant de maisons pestiférées. 

Les désinfections rigoureuses que nous préconisons ne pré- 
sentent pas, comme on pourrait le croire, une grande difficulté 
pratique. Il suffit d’exposer pendant quelques heures à une tem- 
pérature sèche ou humide de 70° les objets de toute nature, pour 
leur conférer la garantie contre la peste par destruction des êtres 
susceptibles de contenir le microbe et du microbe lui-même. 
Cette température, même très prolongée, est inoffensive pour la 
plupart des étoffes et des objets usuels susceptibles d'infection. 
On conçoit que la désinfection, à domicile par des étuves mobiles 
appropriées, dans les lazarets et hôpitaux au moyen de vastes 
chambres construites spécialement pour cet usage, doive sou- 
lever beaucoup moins de difficultés que celle nécessitée par 
toute autre maladie contagieuse. 

De même la désinfection des navires et de leur chargement, 
des appartements et de leur contenu mobilier, par l’acide sulfu- 


684 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


reux ou une autre vapeur délétère pour les rats et pour les 
insectes, offre une grande facilité d'application. 

On doit cette justice au gouverment indien de reconnaître 
qu'il n’a rien épargné pour maîtriser la peste; le résultat malheu- 
reusement n'a pas répondu à tant de dépenses et à tant d'efforts. 
De toutes les mesures prises, une seule, la ségrégation, a donné 
un succès relatif là où elle a pu être appliquée sérieusement. La 
théorie du microbe répandu sur le sol à fait couler à flots dans 
les rues et dans les maisons tous les liquides microbicides que 
le génie humain a pu inventer. Une expérience de deux années a 
montré leur inutilité; si parfois on a pu leur attribuer quelques 
bons résultats, c'est lorsque leur usage s'accompagne de léva- 
cuation par ses habitants de la maison ainsi désinfectée et de sa 
fermeture jusqu’à la fin de l’épidémie. 

La ségrégation, c’est-à-dire la mise en quarantaine dans un 
camp provisoire des gens qui proviennent d’un lieu suspect, 
soit pour se protéger contre l'importation de la peste par leur 
intermédiaire, soit pour les soustraire au danger de la contagion, 
a été beaucoup pratiquée, parfois avec un succès sérieux. 

Il a manqué à cette mesure, pour donner Îles résultats qu’on 
peut en attendre, de s’accompagner de la désinfection de tous les 
effets introduits dans les camps; aussi voit-on régulièrement 
des cas de peste s’y manifester en proportions variables. Voici 
par exemple les résultats de la ségrégation, dans un des camps 
organisés à Kurachee, que le D' Cox a obligeamment relevés à 
notre intention. Ce camp recevait les habitants sains des mai- 
sons où l’on découvrait un cas de peste: ils y étaient envoyés le 
jour même et y subissaient une quarantaine de 10 jours avant 
d’être autorisés à rentrer chez eux. Le tableau suivant indique le 
nombre de cas de peste observés parmi ces indigènes par rap- 
port au jour de leur quarantaine où ils se sont produits. 

Période de l'observation : du 25 mars au 27 mai 1898. 

Nombre de personnes admises pendant cette période : 3,975. 

Nombre de cas de peste survenus pendant cette période : 115. 

Nombre des cas pour chacun des jours de quarantaine : 


4er jour (c’est-à-dire jour de l’arrivée)......... 11 cas. 


De RO NSP IR ARE SRE RUE — 


c'e ne /slelefa te en herats el eee eat pie ciao s)apn el ninisolels 


À reporter... 67 cas. 


. É ÉÉRRe 


> bd rl, 


RS nn Le RS 6 nn di SL 2 se md D Lin © 2 7 


ste ame. à) nt. à US dès 


Lé.. ai, D - 2: 


PROPAGATION DE LA PESTE, 685 

REDOTLS NN 07 cas 
DES O0 D D 0. ue NC 143 — 
EE EE os ee 0e PE OS CORP ATEN. . 40 — 
LEE HE KE LEE CRONEORE SNS EN CRE PR RER 6 — 
CARTES PP a Dh, du D — 
DORE RE RE CR Ni ait 5 7 0 T — 
EEE TER EEE RÉCENT NEC D — 
116 — (c’est-à-dire jour du départ du camp)... 2 — 

Hotalee 145 — 


Ce nombre de 115 cas, soit 3,5 0/0, est certainement infime 
par rapport à la proportion de victimes qu'auraient fournies ces 
3,975 individus s'ils n'avaient pas quitté sans retard leurs 
demeures infectées ; néanmoins on ne saurait s’en contenter. 
Nos expériences antérieures de séro-prévention nous permettent 
d'estimer que la désinfection, jointe à l’inoculation préventive 
de sérum antipesteux, peuvent le réduire à zéro. 

Le même tableau est instructif en ce qu'il montre la per- 
sistance de la cause d'infection, apportée par l’homme du foyer 
originel, en même temps que sa décroissance progressive. Cette 
cause, nous l’avons expérimenté dans des ségrégations beau- 
coup plus prolongées que celle-ci, persiste bien au delà de 
10 jours; nous l'avons vue agir chez des individus qui avaient 
depuis 24 jours quitté le milieu infecté. 

Nous nous sommes assuré personnellement que, dans le 
camp où ces observations ont été faites, aucune autre cause que 
l'introduction et la conservation de l’agent infectieux par les 
effets des indigènes ne pouvait être accusée des cas de peste 
constatés. Il n’en est pas toujours ainsi; les camps très peuplés, 
limitrophes des villes et par suite très accessibles aux rats, 
peuvent devenir à leur tour des foyers d’épidémie. 

Mieux que toute autre, l'étude des camps de ségrégation 
démontre l'insuffisance, comme moyen défensif, des mesures de 
quarantaine en honneur jusqu’à ce jour. Si elle ne s’accompagne 
de précautions contre les rats et d’une désinfection minutieuse, 
la quarantaine n'offre, contre la propagation de la peste, aucune 
garantie. Si ces mesures sont rendues effectives, la quarantaine 
prolongée au delà de la durée de l’incubation est inutile. 


CONCLUSIONS 


L. — L'étude de la propagation de la peste montre que le rat 
et l’homme sont les deux facteurs du transport de la maladie. 


686 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L'homme est l'agent ordinaire du transport par voie de terre 
aux grandes distances où ne peut atteindre le rat. Le rat est 
l'agent du transport de proche en proche ; beaucoup plus redou-” 
table que l’homme, il joue le rôle essentiel dans la dissémination 
au point qu’on peut le considérer comme la condition du carac- 
tère épidémique de la peste. 

IT. — L'introduction de rats pestiférés dans un milieu sain 
est généralement suivie à bref délai de cas épidémiques chez 
l’homme. L'importation de pestiférés humains dans un milieu 
sain n’est pas toujours suivi de cas indigènes épidémiques; il 
faut, pour qu’elle ait ce résultat, un concours de circonstances 
favorables parmi lesquelles la transmission préalable du virus 
aux rats semble être la plus importante. Il s'écoule, entre le 
décès du cas humain importé, responsable de l'épidémie, et la 
manifestation de cette épidémie, une période d’incubation qui 
représente le laps de temps nécessaire au développement de la 
peste chez les rats. 

I. — La gravité d’une épidémie humaine est en rapport 
avec la gravité de l'épidémie des rats. Sa progression dans une 
ville suit la voie adoptée par l’émigration des rats. 

Alors que la grande mortalité a cessé parmi eux, on peut 
constater que la peste continue à sévir chez les rats sous une 
forme bénigne. Les cas humains dits sporadiques qui se mani- 
festent après le déclin de l’épidémie doivent être attribués à 
cette cause. La contagion d'homme à homme et la persistance 
de l'infection dans les habitations jouent un rôle secondaire 
dans la durée, comme dans la gravité des épidémies de peste 
humaine. 

IV. — Les influences saisonnières sont peu marquées dans le 
développement des épidémies de peste. Dans l'Inde, les épidémies 
se sont produites en toute saison; toutefois les grandes épidé- 
mies ont eu jusqu’à présent leur apogée en dehors de la saison 
la plus chaude. 

V. — Une 2° épidémie de peste se manifeste en général 
12 mois après l’apparition de la 4°, dont elle est séparée par 
une période d’accalmie plus ou moins longue. La raison de la 
périodicité du retour épidémique n’est pas déterminée; il est lié 
au retour épidémique chez les rats et dépend en partie du repeu- 
plement de la ville par ces animaux. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 687 


VI. — L’échec des expériences d'infection du rat, du singe 
et de l’écureuil (rat palmiste) par les cultures de peste, Le sang et 
les organes d’aniniaux pestiférés, mélangés aux aliments, 
démontre la fausseté de la tnéorie qui fait de ces moyens une 
cause habituelle de la contamination des animaux. 

L'observation et l'expérience sont également contraires à 
l’idée d’une contamination habituelle de l’homme par le contact 
du microbe, répandu dans le milieu extérieur, avec des excoria- 
tions accidentelles de la peau. 

VIE. — L'étude chimique de la peste apprend que, dans une 
certaine proportion de cas humains, le point d’entrée du microbe 
est marqué par une réaction locale, la phlyctène précoce, et 
toujours situé dans ces cas sur une région où la peau est délicate 
et saine. Les travaux de Metchnikof sur linflammation et les 
faits chimiques d'infection par d’autres microbes pathogènes 
permettent d'admettre que, dans les cas de peste où la réaction 
locale (phlyetène) et la réaction régionale (bubon) font défaut, 
leur absence est due à la virulence plus grande du microbe et 
non à un mode différent de pénétration. 

VIE. — L'idée d’une transmission parasitaire qui découle de 
l'observation clinique est en rapport avec l’envahissement des 
rats malades par les puces qui, quelques heures après la mort, 
abandonnent le cadavre pour s’attaquer aux autres animaux et à 
l’homme. Elle est confirmée : 1° par la présence du mierobe spé- 
cifique dans le contenu intestinal des puces qui ont absorbé du 
sang seplique; 2° par certaines particularités de la transmission 
du rat à l’homme et d'homme à homme; pour ce dernier cas, il 
est possible que d’autres parasites, en particulier la punaise, 
interviennent ; 3° par la possibilité de la transmission de la peste 
à un rat sain par sa cohabitation avec un rat pestiféré parasité 
par les puces, alors que la cohabitation avec le rat pestiféré 
dépourvu de puces est constamment inoffensive. 

IX, — Le mécanisme dela propagation de la peste comprend 
le transport du virus par le rat et par l’homme; sa transmission 
de rat à rat, d'homme à homme, de l’homme au rat el du rat à 
l’homme, par les parasites. Les mesures de prophylaxie doivent 
donc être dirigées méthodiquement contre chacun de ces trois 
facteurs : les parasites, l'homme et le rat. 

Bombay, août 1898, 


Sur l'aggntination et la dissolution des globules rouges par Le sérun - 
D'ANIMAUX INJECTÉS DE SANG DÉFIBRINÉ 


Par LE Dr Juzes BORDET 


(Travail du laboratoire de M. Metchnikoff.) 


Dans un article paru en 1895, nous avons appelé l'attention 
sur les faits suivants : 

1° Le sérum d'animaux vaccinés contre le vibrion cholé- 
rique donne lieu, lorsqu'on le mélange à une culture de vibrions 
délayée dans un liquide tel que l’eau physiologique ou le bouillon, 
à des phénomènes remarquables. Déjà à petite dose il provoque 
rapidement l’immobilisation, la réunion en amas, « lagglomé- 
ration » des microbes. Si le sérum est fraîchement extrait et 
ajouté en dose suffisante à l’émulsion, l'action sur le microorga- 
nisme ne s'arrête point là. Les vibrions agglomérés se transfor- 
ment bientôt en granules identiques à ceux que M. Pfeifter a 
observés chez les cobayes hypervaccinés, dans la cavité péri- 
tonéale où il injectait la culture, et que M. Metchnikoff* a pu 
produire in vitro en mélangeant, à l’émulsion de vibrions, un 
peu de sérum préventif et de l’exsudat péritonéal contenant des 
leucocytes. Cette transformation en granules est l'indice visible 
d'une action bactéricide intense: 

2° Le sérum chauffé à 55° ou conservé depuis quelque temps 
a perdu la propriété de transformer le vibrion en granules, mais 
il a conservé celle de produire l’agglomération des vibrions. 
Cette agglomération est une conséquence constante de la pré- 
sence du sérum préventif. Elle peut donc être très accusée dans 
un sérum préalablement dépouillé de son énergie bactéricide. 

Faisons remarquer ici que M. Fraenkel et Sobernheim* avaient 
déjà montré que le choléra-sérum chauffé à 55° ou même à des 
températures supérieures (60-70°) perd son pouvoir bactéricide, 
mais garde son pouvoir préventif; 


4. Les leucocytes et les propriétés actives du sérum chez les vaccinés. Ces 
Annales, juin 1898. 

2. Ces Annales, juin 1895. 

3. Hygienische Rundschau, janvier 4894. 


{ 


AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 689 


3° Si à du choléra-sérum préalablement chauffé à de pareilles 
températures, et qui par conséquent ne transforme plus les 
vibrions en granules, mais est resté agglomérant, on ajoute du 
sérum frais d'animal neuf, on restitue au sérum préventif l’inté- 
grité de son pouvoir bactéricide, la faculté de produire les gra- 
nules. Et cependant le sérum préventif chaulfé se prête bien à la 
culture du vibrion, et le sérum d'animal neuf ne jouit que d’un 
pouvoir microbicide faible. Les deux constituants du mélange 
sont donc isolément peu ou pas bactéricides; associés, au con- 
traire, ils agissent sur le vibrion avec une grande énergie. Le 
sérum neuf rend donc au sérum préventif ce que la chaleur 
avait fait perdre à ce dernier, et il devient incapable d'opérer 
une pareille restitution s'il a été lui-mêmeexposé au préalable à 
une température de 55°. Chose remarquable, l'addition d’une 
quantité très faible de sérum préventif, intact ou chauffé à 55°-60°, 
suffit à conférer au sérum neuf une grande activité microbicide, 
Nous conclûmes de ces faits que l’intense pouvoir vibrionicide, 
tel qu’il se présente dans le sérum des vaccinés, était dû à l’action 
combinée, sur le microbe, de deux substances bien distinctes, la 
première appartenant en propre au sérum des organismes immu- 
nisés, douée du caractère de la spécilicité, capable d'agir même 
à dose très réduite, résistant à la chaleur, — les sérums qui la 
contiennent ayant aussi la propriété de donner lieu au phéno- 
mène de l’agglomération; — la seconde, présente chez les ani- 
maux neufs comme chez les vaccinés, destructible à}55°, non 
spécifique par elle-même, n’ayant qu'une activité faible quand 
elle n’est point associée à la première, mais dont l'énergie se 
manifeste très puissamment vis-à-vis des vibrions qui se trou- 
vent en même temps au contact de la matière spécifique propre 
au sérum des vaccinés. Sans nous livrer, à cette époque, à des 
suppositions hypothétiques sur le mécanisme intime suivant 
lequel ces deux substances agissent, nous émettions l’idée jque 
vraisemblablement la matière spécifique, en immobilisant les 
microbes, en provoquant leur réunion en amas, les rend plus 
sensibles à l'influence de la substance bactéricide (alexine) 
répandue dans le sérum des animaux neufs comme dans celui des 
vaccinés. 

On comprenait dès lors facilement pourquoi l'injection aux 
animaux neufs du choléra-sérum, soit intact, soit préalablement 


4 4 


690 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


chauffé, a comme conséquence l'apparition, dans Le sérum de ces 
animaux, d'un pouvoir vibrionicide spécifique bien accusé. Dans 
le corps de l'animal neuf, la substance spécifique rencontre” 
l’alexine que cet organisme possédait déjà. Le sérum qu'on 
extrait après une semblable injection contient donc les deux 
substances dont la présence simultanée est nécessaire pour que 
le vibrion soit fortement impressionné, et trahisse l'influence 
nocive par sa métamorphose granuleuse. 

Cette théorie « des deux substances », relative à l’origine du 
pouvoir bactéricide du sérum chez les organismes soumis à 
l'injection de choléra-sérum, a trouvé l’année suivante des par- 
tisans en MM. Gruber et Durham: nous aurons l’occasion de 
revenir prochainement sur cette question et particulièrement sur 
certaines objections de M. le professeur Pfeiffer. 

D’autres faits s’ajoutèrent bientôt à ceux que nous venons 
de mentionner. Au commencement de 1896, M. Gruber et nous- 
même reconnûmes que la propriété d'immobiliser les microbes 
et de les agglomérer n'appartient pas exclusivement au sérum 
des animaux immunisés. Nous constatämes, par exemple, que 
le sérum de cheval neuf agglomère très nettement le vibrion 
cholérique, le B. coli, le B. typhique, le B. du tétanos. Chez 
d’autres animaux, le sérum est agglutinant aussi, mais à un 
degré moindre généralement. Cette faculté d’agglutiner, si puis- 
sante dans le sérum des vaccinés, se retrouve en quelque sorte 
en germe dans le sérum des animaux neufs. En outre, nous 
avons attiré l’attention, en 1895 et ultérieurement, sur ce fait 
que le sérum d’un animal agglomère généralement les globules 
rouges provenant d’un animal d’espèce différente. Même ce 
pouvoir se révèle parfois avec une remarquable puissance; c’est 
ainsi que le sérum de poule agglomère les globules de rat et sur- 
tout de lapin avec une énergie vraiment surprenante. De plus, 
on savait depuis longtemps, grâce aux recherches de M. le 
professeur Buchner, qu’un sérum donné possède, parfois très net- 
tement, la propriété de détruire les hématies appartenant à un 
animal d'espèce différente; il en fait diffuser l’hémoglobine et 
les rend transparentes ; l’action du sérum de lapin sur les glo- 


1. Nous avons fait voir en 4895 que si l’on injecte à un cobaye neuf du sérum 
préventif contre le Vibrio Metchnikovi, le sérum de ce-cobaye devient bactéricide 
pour le Vibrio Metchnikovi, mais non pour le vibrion cholérique. 

2, Ces Annales, avril 4896. 


AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 691 


bules de cobaye fournit un bon exemple de ce phénomène. 
M. Buchner avait montré que l’action d’une température de 
55° détruit ce pouvoir globulicide, en mème temps qu’elle abolit 
le pouvoir bactéricide du sérum. 

On se convainc facilement que ces deux phénomènes d’agglo- 
mération et de destruction des globules sous l'influence d’un 
sérum d’espèce différente sont provoqués par deux substances 
nettement distinctes. Tandis que la substance destructive qui 
rond les globules transparents et leur fait perdre leur hémo- 
globine se détruit à 55° comme l'avait montré M. Buchner, la 
substance agglomérante résiste parfaitement à cette température 
(je chauffais les sérums à 55° pendant une demi-heure). 

C'est ainsi, pour citer un exemple, que le sérum de poule, 
lorsqu'il est frais, agglutine, puis détruit les globules de lapin ; 
chauffé à 55°, il les agglomère tout aussi fortement, mais ne les 
détruit plus; les hématies gardent leur matière colorante et leur 
éclat normal. 


C2 LS + 


Il y a donc un parallélisme assez frappant entre les modifi- 
cations que présentent les vibrions mis en contact avec le cho- 
léra-sérum et celles que manifestent les globules rouges sous 
l'influence du sérum provenant d’une espèce étrangère. On cons- 
tate, dans les deux cas, des actions d'agglomération plus ou 
moins énergiques, dues à des matières résistantau chauffage à 55°, 
ou même davantage, et l’on observe aussi des influences des- 
tructives, nécessitant la présence d’une substance délicate, qu’une 
température de 55° élimine. En thèse plus générale, ces analogies 
se retrouvent aussi dans de nombreux sérums d'animaux neufs, 
puisque la faculté agglomérante, faible il est vrai, y est commu- 
nément répandue, tant vis-à-vis des microbes que vis-à-vis des 
globules, et qu’en outre les sérums neufs ont généralement une 
certaine action altérante et destructive sur les globules comme 
sur les microbes délicats : le vibrion cholérique, en effet, peut 
présenter, comme on sait, une transformation granuleuse au 
moins partielle sous l’action de sérum neuf, lorsqu'il est atténué 
et peu résistant (Pfeiffer) 

Lorsqu'on vaccine un animal contre le vibrion cholérique!, 


4. Nous nous en tenons, dans cet exposé, à l'exemple du vibron cholérique, 
bien que la vaccination contre des microbes très divers fasse, on le sait, appa- 


692 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


on exagère considérablement les puissances agglomérante et 
destructive que le sérum de cet animal possédait à l’origine. Eu 

raison du parallélisme que nous venons de signaler, en raison 
des analogies qu'on observe dans l’action des sérums sur les 
globules et sur les microbes, une question se posait. Il fallait se 
demander s'il était possible, en injectant à plusieurs reprises, à 
des animaux neufs, du sang défibriné provenant d’une espèce 
différente, d’exalter le pouvoir agglomérant et la faculté destruc- 
tive exercée par le sérum sur des globules identiques à ceux 
fréquemment injectés. 

L'expérience répond par l’affirmative. Des cobayes reçoivent 
dans le péritoine cinq ou six injections successives de 10 €. €. 
de sang défibriné de lapin. Ils supportent ce traitement sans 
troubie. Au bout de quelque temps on leur retire du sang, et le 
sérum obtenu présente les caractères suivants : 

1° Mis en contact avec du sang défibriné de lapin, il agglo- 
mère les globules avec une grande énergie. Par exemple, une 
partie de ce sérum agglomère très fortement les globules rouges 
contenus dans 15 parties de sang défibriné de lapin; 

2° Les globules d’abord agglomérés par ce sérum présentent 
ensuite des phénomènes de destruction rapide et intense. Si 
l’on mélange, par exemple, une partie de sang défibriné de lapin 
à deux ou trois parties de sérum actif, le mélange devient rouge, 
clair et limpide au bout de deux ou trois minutes. Au micros- 
cope, on ne voit plus dans le liquide que des stromas de globules, 
plus ou moins déformés, très transparents, dépourvus d’éclat et 
assez difficilement visibles ; 

3° Ce sérum actif de cobaye chauffé à 55° pendant une demi- 
heure (ou même vers 60°) perd la propriété de détruire les 
globules de lapin, mais il reste puissamment agglomérant ; 

4° Si à un mélange de sang défibriné de lapin et de ce sérum 
préalablement chauffé à 55°, on ajoute une certaine quantité de 
sérum frais de cobaye normal (qui n’a reçu aucune injection 
quelconque) ou de lapin neuf, on fait apparaître au sein du 
mélange, dans leur intégrité, les phénomènes de destruction. Le 
mélange devient limpide et rouge au bout de quelques minutes. 


raitre un pouvoir agglomérant énergique. Mais le vibrion cholérique est un réac- 
tif de premier ordre pour la substance bactéricide, à laquelle il est exceptionnel- 
ement sensible. 


È 
| 


CREME Re à 


RS oh 


bb 


AC eo ile ie Mu le Léna fs nt 
+ 


te RÉ St dé né "4 D +0. 


AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES, 693 


Chose assez remarquable, l'expérience réussit entièrement si, au 
mélange de sang défibriné de lapin neuf et du sérum actif chauffé, 
on ajoute du sérum frais du même lapin. Les globules de ce 
lapin sont donc devenus sensibles à l’alexine de ce mème lapin, 
cela sous l'influence d’une substance agglomérante étrangère et 
provenant du cobaye soumis aux injections de sang défibriné ; 

5° S'il est vrai que le sérum actif de cobaye perd sa propriété 
destructive par le chauffage à 55°, il ne serait pas entièrement 
exact de dire que le sang défibriné de lapin, mélangé à un tel 
sérum, reste tout à faitintact. Il se fait une destruction d’héma- 
ties lente et partielle, il est vrai, mais suffisante pour communiquer 
au liquide une teinte rouge plus ou moins accusée. Cela est dû à 
ce que le sang défibriné contient non seulement des globules, 
mais aussi du sérum chargé d’une certaine dose d’alexine, et 
nous venons de voir que l’alexine du lapin neuf agit sur Les glo- 
bules du même animal lorsque ceux-ei sont impressionnés par 
la substance agglomérante du sérum actif. Mais la proportion 
d’alexine contenue dans le sang défibriné de lapin n'est pas 
suffisante pour détruire l'énorme quantité de globules présents, 
et c’est pourquoi, dans le mélange dont il s’agit, la destruction 
des hématies est lente et reste partielle ; 

6° Il va sans dire que les phénomènes ci-dessus mentionnés 
ne se produisent pas si, au lieu d'employer du sérum de cobaye 
traité par des injections fréquentes de sang détibriné de lapin, 
on se sert de sérum de cobaye neuf. Le sérum de cobaye neuf 
n’est que faiblement agglomérant pour les globules de lapin, et 
son action destructive sur ces éléments peut être considérée 
comme nulle ; 

1° Le sérum actif de cobaye traité n’exerce aucune influence 
sur le sang défibriné provenant d'un cobaye neuf. Ilest égale- 
ment dénué d’action vis-à-vis des globules rouges de pigeon. Il 
agglomère fortement les globules de rat et de souris, mais ceux-ci 
sont agglomérésénergiquement aussi par le sérum de cobaye neuf. 
Mais le sérum actif est, vis-à-vis de ces derniers globules, supé- 
rieur au sérum neuf en ce qui concerne la propriété destructive. 
Cependant la destruction qui s'effectue dans un mélange du sérum 
actif et de globules de rat ou de souris est considérablement moins 
complète et moins prompte que celle des hématies de lapin addi- 
tionnées du sérum. Nous nous réservons d'essayer l'influence 


694 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d'un tel sérum sur de nombreuses variétés de globules rouges, 

afin de reconnaitre jusqu’à quel point ces phénomènes présentent 
le caractère de la spécificité, caractère qui déjà semble s’affirmer 

sinon d’une manière absolue, au moins assez nettement, dans les 

résultats jusqu'ici consignés ; 

8° Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un de nos 
cobayes traités (par des injections successives de sang de lapin) 
une certaine quantité (2 c. c. par exemple) de sang défibriné de 
lapin, les globules introduits sont détruits très rapidement. 
Au bout de dix minutes, le liquide qu'on retire de la cavité par 
ponction est rouge et limpide. 

Lorsque l'injection est faite sous la peau, les globules restent 
beaucoup plus longtemps intacts. Lorsqu'elle est faite dans le 
péritoine d’un cobaye neuf, ils ne s’altèrent point dans fl'exsudat 
et sont finalement englobés par les macrophages; 

9° Si l’on injecte dans la cavité péritonéale d’un cobaye neuf 
du sang de lapin additionné d’une petite quantité de sérum actif 
chauffé préalablement à 559, le même phénomène de destruction 
des globules se produit ; 

10° Le sérum actif, qui jouit d’une énergie si grande vis-à- 
vis des globules du lapin, est toxique pour cet animal, ainsi 
qu'il fallait s’y attendre. Injecté dans la veine de l'oreille, il tue 
à la dose de 2 e. c. environ. Nous reviendrons plus tard sur les 
symptômes et les lésions que provoquent ces injections. 

Le lecteur aura saisi — sans qu’il soit nécessaire d’y insister 
— avec quelle conformité l’histoire du sérum antihématique — 
histoire simplement ébauchée dans cette courte note et que nous 
avons besoin de compléter beaucoup — est calquée sur celle du 
choléra-sérum. Il suffirait, pour que les pages ci-dessus déeri- 
vissent dans leurs principaux traits les propriétés de ce dernier 
sérum, de remplacer dans le texte les mots « sang défibriné » 
par les suivants : « culture de vibrions », et les termes « destruc- 
tion des globules » par l'expression « transformation granuleuse 
du vibrion ». 

Le rapprochement s'impose davantage encore si l’on 
considère que l’alexine active vis-à-vis des globules rouges est 
très vraisemblablement identique à celle qui transforme le 
vibrion en granules. Toutes deux exercent une influence alté- 


AGGLUTINATION ET DISSOLUTION DES HÉMATIES. 695 


rante intense, toutes deux sont délicates et se détruisent à 550. 
Toutes deux présentent ce caractère d’être répandues non seule- 
ment dans le sérum, mais aussi dans l’exsudat péritonéal, et 
d'être absentes du liquide d’ædème sous-cutané que lon obtient 
facilement par compression veineuse : si l'on met en présence, 
dans des tubes, des quantités identiques de sang défibriné de 
cobaye avec du sérum de lapin, d’une part, — et d’autre part, avec 
le même volume de liquide d’ædème provenant du même lapin, 
on constate que les hématies de cobaye se détruisent dans le 
tube qui renferme le sérum, restent intactes dans celui qui con- 
tient le liquide d’œdème. 

Celui-ci est dépourvu également de la faculté de produire la 
métamorphose des vibrions impressionnés par le choléra-sérum 
chauffé à 550. 

Que faut-il conclure de l’ensemble de ces analogies ? Il faut 
en conclure que les propriétés dont le choléra-sérum est doué 
n’ont pas été créées de toutes pièces par l'organisme dans un 
but anti-infectieux, si l’on peut s'exprimer ainsi, mais qu’elles 
sont dues simplement à la mise en œuvre énergique, contre les 
vibrions, de capacités fonctionnelles préexistantes, aptes aussi 
à s'appliquer, si les circonstances s’y prêtent, à des éléments 
nullement dangereux, tels que les globules rouges. On peut, en 
effet, en injectant aux animaux non pas des vibrions, mais deg 
corpuseules très différents, incapables de constituer un danger 
sérieux pour l'organisme, des hématies, obtenir un sérum agis: 
sant sur ces globules exactement comme le choléra-sérum agit 
sur le vibrion. Ces propriétés ne sont pas nées spontanément 
pour servir à la défense contre le microbe, pas plus que la pha- 
gocytose, pivot de l’immunité, ne doit son existence et sa raison 
d’être à la lutte contre les virus. L'une des conclusions les plus 
hautes qui se dégagent de l’œuvre de M. Metchnikoff est que 
limmunité n’est qu'un cas particulier de la digestion intracellu- 
laire, une application heureuse et efficace, à la défense de l’orga- 
nisme, d’une fonction primordiale qui n’en existerait pas moins 
sil n'y avait pas de germes pathogènes à la surface du globe, 
mais qui s’est admirablement appropriée, en raison des garanties 
de survivance qu’elle donne aux êtres vivants, au rôle protecteur 
qu’elle était à même de remplir. 


Hluence favorable du chauffage du sérum antidiphtériqne 
SUR LES ACCIDENTS POST-SÉROTHÉRAPIQUES 


Par M. LE Dr C.-H.-H. SPRONCK 


Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’'Utrecht. 


Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898 


Ce sont les observations de MM. Béclère, Chambon et 
Ménard', qui m'ont porté à rechercher l'influence qu’exerce le 
chauffage du sérum antidiphtérique sur les accidents post- 
sérothérapiques. Ces auteurs avaient observé que le sérum de 
cheval normal peut provoquer chez l'espèce bovine des accidents 
ayant une étroite ressemblance avec lurticaire, l’érythème mor- 
billiforme et les arthropathies qui, dans l'espèce humaine, suivent 
parfois l'injection de sérum de cheval immunisé ou non immunisé. 
Quatre génisses, ayant reçu sous la peau une quantité de sérum de 
cheval équivalente au centième ou cent vingt-cinquième de 
leur poids, présentèrent, le quatrième jour après injection, un 
exanthème généralisé avec élévation de la température ; l’une 
d'elles montra, en outre, des troubles fonctionnels de l’appareil 
locomoteur, qu’il paraissait légitime de rattacher à des arthro- 
pathies. Or, le même sérum qui provoquait ces accidents, 
chauffé pendant 1 heure 3/4 à 58°, injecté à dose équivalenie 
chez une cinquième génisse placée dans les mêmes conditions, 
ne produisait aucun accident et en particulier aucune éruption 
cutanée. 

Pour autant qu'on en peut juger par une seule expérience, 
MM. Béclère, Chambon et Ménard ont conelu qu'il semblait 
donc que la chaleur détruise ou, tout au moins, atténue les 
substances nocives contenues dans le sérum de cheval, et ont 
fait remarquer qu'on pourrait peut-être tirer parti de leur 


1. Étude expérimentale des accidents post-sérothérapiques. Ces Annales, 
octobre 1896. 


CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 697 


constatation pour la prophylaxie des accidents post-sérothérapi- 
ques dans l’espèce humaine, à la condition, naturellement, que 
le sérum ne perde pas son pouvoir curateur à la température 
qui détruit sa propriété nocive. On peut prévoir que les acci- 
dents post-sérothérapiques seront un jour évités, probablement 
par le « chauffage des sérums; il est au moins légitime de 
l’espérer ». C’est ainsi que ces auteurs ont terminé leur commu- 
nication. 

Or, les résultats obtenus en Hollande avec du sérum anti- 
diphtérique, chauffé pendant 20 minutes de 59° à 59°,5, plaident 
en faveur de cette espérance et semblent assez intéressants pour 
justifier un court aperçu. 

Après quelques expériences préparatoires, je me suis arrêté 
à la pratique suivante : le sérum recueilli dans des conditions 
d’asepsie absolue, sans aucun antiseptique, est réparti asepti- 
quement en petits flacons de 10 c. c., fermés avec bouchon et 
capuchon en caoutchouc. Ces flacons sont plongés dans de l’eau 
froide qu'on amène, en une demi-heure environ, à 58°, et qu'on 
maintient pendant 20 minutes entre 59° et 599,5. On retire alors 
les flacons de l’appareil et on procède à l’essai de la puissance 
du sérum chauffé. 

Ce chauffage diminue un peu la puissance antitoxique. Mais 
cette diminution est insignifiante. En se servant d’une toxine 
plus forte, on arrive d’ailleurs facilement à compenser la dimi- 
nution du pouvoir antitoxique résultant du chauffage. 

Voici maintenant les résultats obtenus en Hollande avec du 
sérum préparé à Utrecht, sous ma direction, en 1895, 1896 et 
1897, pour autant et tels qu'ils m'ont été communiqués. Depuis 
le mois d'avril 1897, tout le sérum préparé à l’Institut sérothé- 
rapique a été chauffé, sauf le sérum des saignées faites en 
juillet et août. Le chauffage n’a donc pas été pratiqué pendant 
toute l’année 1897, mais pendant 7 mois seulement. On peut 
néanmoins admettre que 2/3 environ du sérum délivré en 1897 
avaient été soumis au chauffage. Le pouvoir antitoxique du 
sérum chauffé était pour ainsi dire identique à celui du sérum 
non chaufté. 

En 1895 et 1896, sur 1,365 malades traités avec du sérum 
non chauffé, 208, soit 15,2 0/0, ont présenté des accidents post- 
sérothérapiques. 


698 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


En 1897, sur 251 malades injectés, chez 12 seulernent, soit 
4,7 0/0, des accidents se sont manifestés. 

On voit, d’après ces chiffres, qu'en 1897 le nombre d’acci- 
dents post-sérothérapiques, qui dépassait auparavant 15 0/0, 
n'atteint plus 50/0. Cette diminution de 2/3 est d'autant plus 
remarquable que de la totalité du sérum délivré en 1897, 2/3 envi- 
ron avaient été chauffés. 

Il est donc probable que parmi les malades chez lesquels se 
sont manifestés des accidents, il y en à qui ont subi desinjections 
de sérum non chauffé. Mais ce n’est qu'une hypothèse, vu que 
les numéros que portaient les flacons de sérum utilisés n’ont 
pas été notés. 

Décomposons maintenant la statistique d'ensemble et exami- 
nons les deux hôpitaux, dont les directeurs, MM. les docteurs 
Kniper et Kousser, ont eu la bienveillance de me communiquer 
régulièrement les résultats de la sérothérapie dès 1895. Voici un 
tableau se rapportant à ces hôpitaux, et permettant de comparer 
les quantités de sérum injecté par sujet, le nombre d’accidents 
post-sérothérapiques et la mortalité d’une part en 1895 et 1896, 
d'autre part en 1897. 


£ o 2 l _ = 
© 2 |, 8 | ACCIDENTS | NORTALITÉ 
HOPITAUX z SERUM 8£ |Eg-u| S 
4 Æ d Les 
£ 2*|5$88| 5 | 00 | £ | 0 
= ds Eu ea 
= g-2 © © 
EE EEE = 7 ARE AE TR RE ten 
Wilhelmina- 1895 ) ; 
ffé..| 22 5 L 22 46 | 2 
Gasthuis 1896 j Non chante 0 116,7 €. c. 7 se 16 | 20,9 
à : : 
Amsterdam. 1897 | Chauffé pour 
les 2/3.....| 103 [18,1 — 9 Sal 1 AONE 
St-Elisabeths- | 1895 ; 
Gasthuis 1896 ç Non chauffé.,| 62 [22,9 — | 49 | 49,3 | 44 | 46,1 
à = 
Haarlem. 1897 | Chaufté pour 
les 2/3... CÉM EUR ANR PAP EN TOR DE: 
1895 ) 
1896 Non chauffé..| 282 1198 — 69 24,0 57 18,5 
Totaux. 
Chauffé pour 
4897 les 2)8. 008 106 = nel NE) 1 


CHAUFFAGE DU SÉRUM ANTIDIPHTÉRIQUE. 699 


Comme l’on voit, à l’hôpital Wilhelmina-Gastbuis d’Ams- 
terdam, en 1895 et 1896, sur 220 malades ayant reçu du sérum 
non chauffé, il y a eu 50 cas d'accidents post-sérothérapiques, 
soit 22,7 0/0. En 1897, sur 103 malades traités, 9 ont présenté 
des accidents, soit 8,7 0/0. 

A l'hôpital de Haarlem, la diminution des accidents est beau- 
coup plus notable. 

En 1895 et 1896, sur un total de 62 malades injectés, 12 cas 
d'accidents, soit 19,3 0/0 furent notés. En 1897, sur 95 fmala- 
des traités avec du sérum chauffé, on n'en compta que 2, 
soit 2, 1 0/0. 

Sur un total de 282 malades ayant reçu dans ces deux hôpi- 
taux le même sérum non chauffé, le pourcentage des accidents 
s'élevait à 21. 

Sur un autre de 198 malades traités avec du sérum chauffé 
pour les 2/3, ce pourcentage est réduit à 5,4 0/0. 

Comme les statistiques, entre autres celle publiée par 
M. Wirtz et moi, prouvent que les accidents post-sérothérapi- 
ques sont d'autant plus fréquents que la quantité de sérum 
injecté est plus grande, il faut voir si en 1897 les doses adminis- 
trées avaient été moins fortes qu'auparavant. 

Or, notre tableau prouve que les quantités movennes de 
sérum injectées par sujet ont été, en 1897, pour ainsi dire les 
mêmes qu'en 1895 et 1896. 

M. Bujwid : pense que le sérum contient une substance 
nocive, lorsque la saignée est pratiquée à une époque trop rap- 
prochée de l'injection de la toxine. 

Pour prévenir les exanthèmes, etc., il conseille de ne saigner 
les chevaux que 15 jours au plus tôt après la dernière injection 
de toxine. Or, à Utrecht, la période entre la dernière injection 
de toxine et la saignée a varié de 10 à 20 jours, aussi bien en 
1895 et 1896 qu’en 1897. En 1897, cette période en général a 
même été plus courte qu'auparavant ; pour ne pas perdre du 
temps, les 4 derniers mois de cette année, les saignées ont été 
faites régulièrement le 11° jour. 

A l’appui de l’opinion que la chaleur détruit les substances 
nocives contenues dans le sérum, je puis encore citer l'obser- 


4. Buswin, Kann das Diphtherieheilserum schädlich wirken ? Prseglad Le- 
karski, 1897, n° 6. Deutsche med. Wochenschr., 1898. Litteratur-Beilage, n° 5, p. 82. 


700 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


vation suivante faite à l'hôpital de la ville de Rotterdam. Dans 
un court délai, on a vu se produire à cet hôpital dix cas d’acci- 
dents post-sérothérapiques, après qu’on avait fourni à cet hôpi- 
tal du sérum non chauffé préparé en juillet et août 1897. Le 
médecin traitant les diphthériques, M. le D' Langemeyer, qui 
ignorait que le sérum n’avait pas été chauffé, était si surpris de 
voir éclater des accidents chez plusieurs enfants, qu’il me com- 
muniqua les noms des malades ayant présenté de l’exanthème, 
ainsi que les numéros des flacons employés pour ces malades. 
Or, en comparant ces numéros avec les livres de l’Institut séro- 
thérapique, on constata que le sérum injecté dans ces dix cas 
n'avait pas été chauffé et provenait de quatre chevaux diffé- 
rents. 

D'autre part la statistique prouve que le sérum antidiphtéri- 
que chauffé n’est pas moins curateur que le sérum non chauffé. 

En 1897, la mortalité a même été moindre qu’en 1895 et 1896. 
À l'hôpital Wilhelmina-Gasthuis d'Amsterdam, elle s'élevait en 
1895 et 1896 à 20,9 0/0 ; en 1897 elle n'était que de 10,6 0/0. 
A l’hôpital de Haarlem, la mortalité en 1895 et en 1896 attei- 
gnait 16,1 0/0 ; en 1897 elle était de 15,7 0/0. Dans ces deux 
hôpitaux, en 1895 et 1896, la mortalité a été de 18,5 0/0, en 
1897 de 13,1/0. 

Je reconnais que les résultats mentionnés ne sont pas abso- 
lument probants, vu que dans les différentes statistiques le pour- 
centage des accidents post-sérothérapiques est très variable. 
Mais les faits observés viennent à lappui de l'opinion de 
MM. Béclère, Chambon et Ménard, que la chaleur détruit ou au 
moins atténue les substances nocives du sérum, et légitiment 
sans aucun doute la continuation de l’expérience, qui de suite a 
donné des résultats si favorables. Je me propose donc de la pour- 
suivre et j'espère qu’on instituera des recherches analogues 
dans d’autres pays. 


PRÉPARATION DE LA TOXINE DIPHTÉRIQUE 
SUPPRESSION DE L'EMPLOI DE LA VIANDE 
Par M. ce D' C.-H.-H. SPRONCK 


Professeur à la Faculté de médecine à l’université d’Utrecht. 


(Communication faite au Congrès international d'hygiène et de démographie de Madrid en avril 1898. 


En me basant sur des recherches faites dans mon laboratoire 
en collaboration avec M. van Furenhoudt, j'ai fait remarquer, en 
1895!, que le glucose empèche le bacille diphtérique de produire 
sa toxine dans les milieux de culture. Je conseillais à cette 
époque de faire usage d’une viande, bœuf ou veau, qu'on avait 
laissé vieillir au préalable, d'employer une peptone (2 0/0) ne 
contenant pas de glucose, d’ajouter au bouillon, exactement 
alcalinisé par le carbonate de soude, et additionné de 0,5 0/0 de 
sel marin, une petite quantité de carbonate de chaux. Dans ce 
milieu restant constamment alcalin, nombre de bacilles diphté- 
riques poussent abondamment et produisent en peu de jours, sans 
aération artificielle, des toxines dont 1/10 ou 1/20 de centimètre 
cube tue le cobaye de 500 grammes dans les 48 heures. 

Peu après la publication de ce procédé, des lettres m'ont 
appris que l'emploi de bouillon de viandes conservées jusqu’à 
la putréfaction rendait de réels services dans plusieurs labora- 
toires, où on avait éprouvé auparavant beaucoup de difficultés 
à préparer une toxine puissante. Ensuite, M. Louis Cobbett: 
et M. Martin * ont mis en lumière l’avantage de l’emploi d’une 
viande légèrement putréfiée,. 

M. Nicolle‘, au contraire, a conseillé, pour obtenir delatoxine 
forte, l'usage de viande d’un animal récemment abattu. M. Mar- 
tin est d'accord avec lui sur ce point, et croit que cela tient à ce 
que la viande fraîche ne renferme que du glycogène, qui ne 
modifie pas la réaction du milieu. 


4. Sur les conditions dont dépend la production du poison dans les cultures 
diphtériques. Annales de l’Institut Pasteur, 1895, p. 758. 

2. Contribution à l’étude de la physiologie du bacille diphtérique. Annales de 
l'Institut Pasteur, 1897, p. 251. 

3. Production de la toxine diphtérique. 74, 1898, p. 26. 

4. Préparation de la toxine diphtérique. /d, 1896, p. 333. 


102 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Enfin, M. Thorvald Madsen’ a obtenu des résultats très irré- 
guliers, tant avec des viandes fraîches qu'avec des viandes con- 
servées pendant plusieurs jours. 

Je n’ai jamais rencontré de difficultés en me servant d’une 
viande ancienne, dégageant une légère odeur. Il faut remar- 
quer que depuis 1894 je travaille avec le même bacille diphté- 
rique, bien habitué à vivre en dehors de l'organisme, donnant 
une abondante culture dès les premières 24 heures, et formant 
à la surface un voile très épais: les cultures étaient dans un 
parfait repos, n'étaient jamais transportées ou secouées. 

Mais le point le plus difficile, c’est sans doute de fixer le 
point auquel il faut arrèter la putréfaction de la viande, et 
c’est à juste titre que M. Martin objecte que je n’avais pas donné 
de règles fixes, que j'avais simplement indiqué que cette putré- 
faction devait détruire les sucres de la viande. 

C’est pourquoi M. Martin à modifié et simplifié mon procédé. 
Sur le conseil de M. Roux, il ajouta tout d’abord de la levure à 
la macération de viande et porta le tout à l'étuve à 35°. Mais 
on trouva qu'il suffit de placer la macération de viande pendant 
20 heures à 35° pour obtenir un bouillon qui, ensemencé avec le 
bacille diphtérique, ne donne jamais d'acide. 

Tout comme MM. Roux et Martin, j'ai essayé de différents 
moyens pour simplifier mon procédé. J’ajoutai entre autres à la 
macération de viande fraîche de la levure de commerce, et j'étu- 
diai l'effet de la fermentation à différentes températures. En 
faisant ces expériences, j'ai été bien surpris de constater que la 
levure est capable de favoriser la production de la toxine, même 
si l'addition de la levure à la macération n’a lieu qu'au moment 
de la cuisson, de sorte que toute fermentation était exclue. 

Il semblait donc intéressant de rechercher si une simple 
décoction de levure se prêterait à la production de la toxine. 

Les résultats de ces essais ont dépassé mon attente. 

Après quelques expériences comparatives, je me suis arrêté à 
la méthode suivante qui, depuis plusieurs mois déjà, m'a donné 
régulièrement d'excellents résultats. 


. 


Je me sers de levure de commerce, non de levure de brasse- 
rie. Un kilo est délayé dans 5 litres d’eau et on fait bouillir pen- 
dant 20 minutes en agitant constamment avec une spatule. Puis 

= P 


4. Zur Biologie des Diphteriebacillus, Zeitschrift für Hygiene u. Infections- 
krantheiten. Bd. 26, 1897, p. 157. 


TOXINE DIPHTÉRIQUE SANS VIANDE. 103 


on verse la décoction dans un ou plusieurs vases cylindriques et 
on laisse reposer pendant 24 heures. 

La levure se sépare, laissant au-dessus d’elle un liquide louche 
qu'on décante. A ce liquide légèrement acidulé on ajoute par litre 
5 grammes de sel marin et 20 grammes de peptone Witte de 
Rostock ; on neutralise avec de la soude, et on ajoute encore par 
litre 7 c. c. d’une solution de soude normale. On chauffe ensuite, 
on filtre sur papier, répartit dans les matras et stérilise à 4120. 

Pour être sûr du résultat, il est important de ne se servir 
que d’une peptone de Witte provenant directement de Fa fabrique 
de Rostock, car il existe dans le commerce des peptones dites 
Witte qui ne proviennent pas de cette fabrique et donnent des 
résultats très variables. 

Si la levure est additionnée de fécule, on a beaucoup de dif- 
ficulté pour obtenir un liquide de culture limpide. De préférence 
je me suis servi d'une levure, dite Koningsgist, de la fabrique de 
M. van Marken à Delft. Mais bientôt cependant j’observai qu'il 
est absolument superflu de filtrer sur papier. L'emploi d'un 
liquide louche ne nuit pas à la production de la toxine, et les 
cultures filtrées sur papier donnent un liquide limpide. 

Le milieu de culture, composé comme je viens de l'indiquer, 
m'a fourni régulièrement des toxines plus actives que le bouillon 
préparé avec de la vieille viande. Le même bacille diphtérique, 
dont je me sers depuis des années, m'a donné des toxines 20 fois 
plus fortes, depuis que j'ai remplacé le bouillon par la décoction 
de levure. Les cultures placées à l’étuve à 35° poussent très 
bien en voile et restent constamment alcalines. 

Je conserve mon bacille toxigène sur du sérum solidifié de 
Loeffler ; après 24 heures de culture à 35°, les tubes sont re- 
tirés de l’étuve et gardés à l'abri de la lumière. Chaque fois 
que je désire préparer de la toxine, je rajeunis d’abord la cul- 
ture. À cet effet, j'ensemence d’abord sur du sérum coagulé; 
c'est de cette nouvelle génération que je transporte une anse de 
platine dans un tube à essai contenant 10 €. c. environ de la 
décoction de levure peptonisée, et je cultive de nouveau à 35° en 
inclinant fortement le tube. Après 24 heures la surface du 
liquide est couverte d’un voile épais, dont je me sers pour 
l’'ensemencement d’une quantité de matras, en déposant à la 
surface du liquide, disposé en couche d’une épaisseur de 


704 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


5 centimètres environ. La pellicule de bacilles flotte à la surface, 
pousse rapidement et recouvre toute la superficie dans les 24 heu- 
res. Les matras restent dans un parfait repos. 

La production de la toxine est très rapide. Après 48 heures 
j'obtiens une toxine tuant dans les 48 heures le cobaye de 500 
grammes à la dose de 1/20 de centimètre cube. Au bout de 5 à 
6 jours le liquide de culture semble avoir atteint son maxi- 
mum de toxicité. Il tue le ne de 500 grammes à la dose de 
1/200 de centimètre cube, soit 0 c. e. 005. 

L'emploi de notre décoction de re pour la production de 
la toxine n'amène chez les chevaux aucun inconvénient. La 
filtration des cultures par une bougie Chamberland est absolu- 
ment superflue. En filtrant simplement sur papier, après addi- 
tion de 3 c. c. d'acide phénique par litre, la toxine obtenue est 
absolument limpide et se conserve très bien. J’ai remarqué qu'il 
est très important que l'addition d'acide phénique ne dépasse 
pas 3 c. c. par litre. En ajoutant davantage on s'expose à voir 
se développer chez les chevaux des abcès stériles que, sans 
doute, tous ceux qui s'occupent de la préparation du sérum 
antidiphtérique ont eu l’occasion d'observer. 

C'est donc sans aucune réserve que je puis conseiller de 
supprimer complètement l'usage de viande fraîche ou fermentée 
et d'employer dorénavant notre décoction de levure, dont les 
avantages sont, en résumé, les suivantes : 

1° Le bacille diphtérique y pousse rapidement et abondam- 
ment, formant à sa surface un voile blanc, excessivement épais ; 

2° Le milieu reste alcalin, lalcalinité augmente rapidement 
et la production de la toxine est rapide et régulière ; 

3° En employant la même peptone, en cultivant sous des 
conditions identiques, le même bacille diphtérique produit dans 
la décoction de levure une toxine beaucoup plus forte’que’dans 
le bouillon de viande fermentée ; 

4° Un kilo de levure de commerce, ne coûtant que 70 centi- 
mes environ, donne 5 litres de toxine ; la viande est 5 fois plus 
chère et ne donne que 2 litres par kilo ; 

5° Enfin l’avantage de la suppression d’une viande conservée 
jusqu'à putréfaction, puante, fermentée au hasard par des mi- 
crobes divers, est si évident, qu'il est superflu d’insister. 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie E, Charaire, 


me ANNÉE : NOVEMBRE 1898 No 41 


[ES 
19 


ANNALES 


L'INSTITUT PASTEUR 


LA PROPAGATION DE LA PESTE 


Par E.-H. HANKIN 


Bien qu'en général la peste ne paraisse pas se répandre avec 
autant de facilité que le choléra, elle peut occasionnellement 
devenir endémique dans des pays ordinairement exempts de ce 
fléau. 

J'ai figuré (tracé n° 1) les épidémies qui ont eu lieu à Londres 
et aux Indes pendant trois siècles ‘. Pour les épidémies de Lon- 
dres, les hauteurs des ordonnées indiquent les nombres annuels 
des morts par peste, tels qu'ils existent dans les « bills of mor- 
tality » depuis le commencement du dix-septième siècle et au- 
delà. On ne possède pas de rapports exacts pour les périodes 
antérieures. Beaucoup d’épidémies de peste ne sont connues 
dans l’histoire que par cette simple mention : la peste était si 
violente à Londres qu'il devint nécessaire de transférer le par- 
lement et les cours de justice à la campagne. Ces épidémies sont 
désignées dans le diagramme par des lignes ponctuées qui s’élè- 
vent jusqu'à une mortalité de 2,000. Pour une autre catégorie 
d’épidémies, il est certain que la maladie s’est propagée de Lon- 
dres aux autres parties de l'Angleterre. Ces dernières, encore 
plus violentes sans doute, sont indiquées par des lignes ponctuées 
représentant une mortalité de 10,000. IL est probable que dans 
bien des cas ces chiffres sont au-dessous de la réalité. Depuis 
l'introduction de la peste, en 1347, jusqu’à la « Grande Peste 
de Londres », en 1665, il y a eu une épidémie violente de peste 


1. Les données de ce tableau, relatives à Londres, ont été puisées dans « His- 
tory of Epidemics in. Great Britain », publié par l’University Press, Cambridge, 
1891. Ce livre contient beaucoup de renseignements intéressants sur la peste. 


45 


706 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Eee 
« 

> 

= 

E] a mn 
_ 

RME eee = _ 
re] 

x 

B Érommenme 
& 

SR, 
” 

PE EE _ 
3 = 

u Re 
| 4 

D Es----- 
ei 

= 

mn 

a 

œ 

ca 

œ 

a 

œ 

F3 


Tracé ne 1. 


En haut, épidémies de peste à Londres pendant trois siècles. 
En bas, épidémies de peste aux Indes pendant trois siècles. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 707 


à Londres, en moyenne, une fois tous les quinze ans. Des épidé- 
mies moins importantes avaient lieu plus fréquemment. Le fait 
leplus remarquable indiqué par le diagramme est la soudaineié 
de l'extinction de la peste. 

Les dernières épidémies sur lesquelles il existe des rapports 
approximativement exacts augmentent progressivement de 
virulence. La dernière de toutes est la plus sévère qu'ait rappor- 
tée l’histoire. On supposa que l'extinction en a été due à l'incendie 
de Londres de 1666. Mais Creighton ‘ observa que les dernières 
apparitions de la peste commencèrent dans les faubourgs de 
Londres et se développèrent de là dans la ville. Ces faubourgs 
n'ont pas été touchés par le feu. De plus, quelques cas de peste 
ont été observés à Londres annuellement jusqu'à l'an 1679. La 
disparition de la peste a eu lieu à cette époque environ, non seule- 
ment à Londres, mais aussi dans les autres parties de l'Angleterre 
ainsi qu'en Europe. Il est impossible d'attribuer cette disparition à 
l'amélioration de l'état sanitaire. L'extinction de la peste fut 
soudaine, l’amélioration de l’état sanitaire graduelle. Quelles 
que fussent les causes inconnues, défavorables au développe- 
ment du virus de la peste, qui se manifestèrent à cette époque, 
il n’y a pas de raisons positives pour supposer qu'elles existent 
encore, car, depuis cette disparition, la peste a été importée de 
nouveau dans quelques parties de l’Europe qui étaient alors libé- 
rées de ce fléau. Comme exemple nous pouvons citer l'épidémie 
de Marseille, en 1720, qui fut une des plus considérables. 

Le diagramme indique aussi que pendant les trois siècles en 
question au cours desquels, pour la seule ville de Londres, des 
épidémies sérieuses se sont développées si fréquemment, il n'y 
a eu, aux Indes, que deux apparitions certaines. On peut citer : 
celle qui eut lieu sous Le règne de l’empereur Mogol Iehan- 
agir, de 1611 à 1618, et une autre en 1683, qui éclata dans le 
district d'Ahmedabad et qui dura six ans. Dans les notes jour- 
nalières de l’empereur Ichangir, il y a un récit minutieux des 
effets de la première de ces épidémies à Agra. Il rapporte le cas 
d'un rat malade qui fut tué par un chat appartenant à la fille du 
propriétaire de la maison : une esclave qui enleva le cadavre du 
rat fut la première atteinte, ensuite la fille citée plus haut, puis 
la mère de cette jeune fille, et enfin tous les autres membres de la 


4 ZLoc..cit, 


708 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


S 


famille. Ce récit est exactement semblable, en effet, à l’histoire 
de plusieurs familles pendant l'épidémie actuelle à Bombay. 
Voici la description qu’il donne, en 1618, de l’épidémie d’Agra. 

« La mort noire ou peste fait des ravages à Agra. Une cen- 
taine de décès sont relevés chaque jour. Un gonflement apparaît 
au cou, dans l’aine ou dans l’aisselle, et la victime meurt rapide- 
ment. Pendant ces trois années dernières, la maladie a causé 
beaucoup de morts pendant l'hiver ; mais, au commencement de 
l'été, l’'épidémiea cessé, pour apparaître de nouveau dès l’approche 
des premiers froids. Il est étonnant que pendant ces trois 
années, bien que la maladie fût épidémique dans la banlieue 
d’Agra, Fatehpur-Sikri n’ait pas été affecté ‘. » 

Plus loin il dit : 

« On a observé que ceux qui furent atteints étaient invaria- 
blement ceux qui avaient porté de l’eau aux malades ou ceux 
qui s'étaient trouvés en contact avec eux. Bientôt la terreur fut 
telle que personne ne voulait s'approcher des pestiférés, et qu’on 
les abandonnait pour mourir ou recouvrer la santé selon leur 
destin.» 

En plus des apparitions certaines de la peste aux Indes que 
nous venons de mentionner, Le diagramme indique par des lignes 
ponctuées trois épidémies qui se manifestèrent également 
aux Indes, et paraissent avoir différé des maladies ordinaires 
au pays : mais il n’est pas certain qu’il s’agisse de la peste. En 
1399, une épidémie eut lieu dans les districts qui furent ravagés 
par le conquérant musulman Timur, elle y fit de grands ravages. 
En 1443, une épidémie éclata dans l’armée du sultan Ahmed I. 
L'historien Ferishta dit que c'était une maladie très rare aux 
Indes, et il lui applique le terme «taun », mot fréquemment 
employé actuellement par les habitants de Bombay pour désigner 
la peste. En 1590-1594, une famine éclata, qui, d’après ce qu'on 
rapporte, fut suivie d’une pestilence. Finalement, après la fin de 
l’époque dont nous parlons, la famine qui éclata en 1718 fut mar- 
quée par de nombreux cas de mortalité, qui, selon l’opinion de 
quelques-uns, furent causés par la peste. 

Quelques faits relatifs à la dernière histoire de la peste aux 
Indes sont indiqués dans la carte n° 2. Cette carte ne prétend pas 


1. Réunion de palais construits par le roi Okbar, située à 23 milles anglais 
d'Agra. 


PROPAGATION DE LA PESTE, 109 


à une exactitude rigoureuse, car il m'était impossible de 
découvrir les limites précises des territoires affectés par les appa- 
ritions différentes, mais elle montre l’étendue relative des sur- 
faces atteintes par les épidémies enregistrées aux Indes pendant: 
un siècle. Voici un bref récit de ces apparitions : : 

1° L'apparition à Gujerat, de 1812 à 1821. 

Cette épidémie éclata sur l'ile de Kutch et se répandit lente- 
ment dans les districts voisins de Kathiawar, d’Ahmedabad, de 
Radhanpur et dans quelques parties du Sindh. Elle s’étendit 
cependant avec une telle lenteur qu’elle mit quatre ans pour tra- 
verser la courte distance de Kutch au district prochain de Kathia- 
war. D’après les rapportsofficiels, l’épidémieaurait été importée, 
avec du coton, de Kutch dans la ville de Dholera, en Kathiawar. 
Le docteur Whyte dit que dans chaque ville elle se manifesta 
d’abord sous la forme pulmonaire: elle ne présenta qu’ensuite la 
forme bubonique. Dans les villes de Vankaneer et de Sayla, 
presque tous ceux qui furent atteints étaient « Bohoras », caste 
dont l'occupation était de fabriquer la toile de coton. Les maga- 
sins de coton cru aux Indes sont généralement infestés par les 
rats qui se nourrissent des graines du coton. Si le coton est débar- 
rassé des semences, il n’attire plus les rats etne joue pas de rôle 
spécial dans la propagation de la peste. 

2° La peste de Pali, de 1836-1837. 

Cette épidémie commença dans la ville de Pali, qui à cette 
époque était le principal centre commercial entre Gujerat et 
l'Inde centrale. 

Les premières personnes atteintes appartenaient à une caste 
connue sous le nom de « Chippis ». Leur métier était d'imprimer 
sur la laine importée de la côte et de Gujerat. Six cent soixante- 
cinq d’entre eux moururent. Ensuite les Brahmins et les Maha- 
jans furent frappés et, finalement, les habitants en général. 

Il est à noter que les Brahmins ainsi que les Mahajans sont 
des castes dont les membres sont très soucieux de la propreté. 
Les Mahajans, au moins, sont généralement opulents. Ils tra- 
fiquent des grains, et leurs maisons sontconséquemment infestées 
par les rats. On rapporte que, sur 12,000 habitants, 8,000 sur- 
vivants s’enfuirent pris de panique dans les villages voisins. 
Plusieurs moururent après leur arrivée. Mais au commencement, 
l'infection ne frappa aucun habitant des villages où ces fugitifs 


710 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L] ce° 

L2 

.. S@PESHAWAR 
ve 
: ss 


Ï\- 
\ 
«Lt 


ns 


| [ Ün 


LL) 
Lx 
f 


[] 
| 


Carte n° ?. — Épidémies de peste dans l'Inde. 


Gujerat ile SE EE re [I 
Pali: 1898188 . «ut 0 44 
Bijnor 1853-1854. . . . . . . . . RN 


Bombay 1896. . . 
Postes d'inspection de la peste sur les lignes de chemin 
de fer: 


PROPAGATION DE LA PESTE. 711 


se réfugièrent, Après un laps de quelques semaines, la maladie 
se manifesta dans les villages, atteignant d’abord, non pas spé- 
cialement les habitants des maisons où les fugitifs avaient trouvé 
asile, mais les marchands de grains dont les habitations, comme 
nous l'avons déjà mentionné, sont infestés de rats. 

Pendant la chaleur, en 1837, la maladie cessa à peu près 
complètement. Elle éclata de nouveau pendant les temps froids 
de la même année et finalement disparut au printemps de 1838. 

3° Foyer endémique de Guhrwal. 

L'immunité relative des Indes vis-à-vis de la peste est 
d'autant plus remarquable qu’il y a un foyer endémique dans les 
montagnes de l'Himalaya, dans les districts de Guhrwal et de 
Kumaon. Des apparitions dans ces territoires ont été enregistrées, 
en 1823, 1834, 1835, 1846, 1847, 1849, 1850, 1851, 1852, 1853, 
1854, 1859, 1860, 1870, 1875, 1876, 1877, 1884, 1886, 1887, 
1888, 1891, 1893, 1894, 1897. 

L'histoire ne signale qu'une seule extension de la peste des 
montagnes aux plaines de l'Inde, savoir en 1853-1854, où elle 
envahit les districts de Bijnor et Moradabad qui sont situés au 
pied des montagnes de l'Himalaya. Cette absence de diffusion 
dans les plaines doit être attribuée dans une certaine mesure au 
peu de communications qui existent entre le territoire en 
question et le reste des Indes. Pour arriver dans un village 
infecté, en partant de la plaine, il faut voyager pendant deux ou 
trois semaines à travers des régions montagneuses et presque. 
impraticables. 

Le choléra ainsi que la peste paraissent ordinairement moins 
virulents dans les foyers endénriques que dans les pays où la 
maladie sévit comme épidémie. En ce qui concerne la peste, on 
peut suggérer l'explication suivante, à savoir que les habitants 
des foyers endémiques, tels que Guhrwal, Arabie et Yunnam 
quittent habituellement leurs villages aussitôt que la maladie ap- 
paraît, ou même quand ils observent une mortalité anormale chez 
les rats. En Guhrwal, les habitants généralement ne permettent 
pas aux fugitifs d'entrer dans d’autres villages. Ceux-ce1 s’établis- 
sent habituellement dans les campements sur des mon- 
tagnes. 

L'épisode suivant donne une idée des effets de la maladie 
dans le district de Guhrwal. Voici un extrait d’un rapport 


112 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


officiel communiqué par le chirurgien colonel Hutchison au 
congrès médical indien en 1894. 

A l'apparition de la peste, les habitants avaient déserté un 
village, y laissant quelques enfants, dont les deux seuls sur- 
vivants furent trouvés par un fonctionnaire : 

« Avant mon arrivée au village, le 12 mai, j'ai été informé 
que je rencontrerais peut-être des enfants abandonnés. Le village 
était vide et désolé. On trouva Danuli (une fillette de neuf ans) 
avec son frère, âgé de cinq ans, près de leur campement tempo- 
raire en dehors du village. Danuli, une fillette aux yeux brillants, 
était vêtue d’une vieille jupe, son frère enveloppé dans un 
morceau de vieille couverture. Ces enfants avaient perdu leurs 
parents le 12 mars, et depuis ce temps ils avaient été laissés à 
leurs propres ressources, sauf pendant quelques jours lorsque 
leur frère aîné vivait encore, car personne au village n'avait 
voulu s'approcher d’eux. 

« La fillette Danuli raconte dans des paroles décousues ses 
épreuves pendant les huit dernières semaines, comment sou père, 
sa mère et son frère aîné moururent, comment tout le monde 
s'enfuit, comment la maison fut brülée, comment son frère, 
âgé de sept ans, mourut, et comment son corps fut emporté 
pendant la nuit par des chacals, comment elle avait enseveli 
son petit frère, àgé de dix-huit mois, plaçant le corps dans un 
panier et creusant un trou avec un pic, et finalement comment, 
_ laissée seule avec son frère, elle préparait et faisait cuire le riz 
chaque jour, conduisant son frère à un ruisseau pour boire, et 
comment l'enfant dormait dans ses bras chaque nuit. Même 
maintenant, après un laps de temps si long depuis la mort de 
la dernière personne, aucun des indigènes ne s’approcha de ces 
enfants qui restaient assis, isolés, la main dans la main, lorsque 
la fillette raconta l’histoire pathétique de sa souffrance et de sa 
patience. » 

A propos de ce récit, notons que, dans ce cas. huit personnes 
seulement succombèrent à l'infection. Les autres familles des 
villages s’échappèrent à temps de la localité infectée et restèrent 
en bonne santé. Les habitants de Guhrwal, ordinairement, 
laissaient passer au moins un mois depuis la date du dernier cas 
avant d’oser réoccuper un village contaminé. 

Un fait démontré clairement par la carte n° 2 est l'immense 


PROPAGATION DE LA PESTE. 113 


étendue de l'épidémie actuelle (Bombay) comparée avec l'étendue 
des autres épidémies de ce siècle. Il est douteux que cette difé- 
rence puisse être complètement attribuée à l'influence des 
chemins de fer. Comme cela est démontré par la carte, la peste 
s’est développée principalement dans les limites de la prési- 
dence de Bombay, qui embrasse la plus grande partie de 
la côte occidentale des Indes. Dans les limites de cette étendue, 1l 
existe un trafic considérable d’un village à l’autre, fait par des 
marchands ambulants. Cette portion des Indes est séparée du 
reste du pays par des montagnes et des déserts, à travers les- 
quels les communications et le trafic par piétons est moins 
considérable que le trafic par chemin de fer. 

En dehors et à quelque distance des limites de la présidence 
de Bombay, cinq centres d'infection seulement ont été signalés 
dans lesquels apparemment la maladie a été introduite par voie 
ferrée. Ce sont : Hoshiarpur, Jullundur, Khandraoni (un seul 
village), Hurdwar (petite ville avec deux villes adjacentes et 
quelques villages voisins) et Calcutta. I1 paraît que dans les 
quatre premiers centres, l'infection en ce moment (juillet 1898) 
a été enrayée, du moins en apparence, par des mesures éner- 
giques, et qu'à Calcutta, seulement, des cas isolés ont eu lieu. 
Elle s’est aussi répandue de Bombay à quelques villages en 
Hyderabad, mais il semble que les apparitions soient terminées 
dans ces districts. 


IL 


C’est un fait tellement admis que la peste est importée de 
loin d’une ville à l’autre par l’homme qu'il n’est pas nécessaire 
de le démontrer. Comme illustration de ce fait, je ne veux citer 
qu’un exemple que je dois à l’obligeance du professeur Muller,de 
Bombay. Dharavi Koliwada est un petit village de pêcheurs 
situé près de l'extrémité nord de l’île de Bombay. Il est habité 
par des pêcheurs de la caste de Koli. Durant la seconde 
épidémie de Bombay (pendant l'hiver de 1897-98), ces hommes 
établirent une quarantaine rigoureuse à légard de toutes 
les personnes suspectes. Par exemple, aucun Indien de cette 
caste n'avait le droit de dormir en dehors du village, ni de 
recevoir un étranger dans sa maison. Ces règlements avaient été 
édictés par les chefs de la caste, et la peine pour l'infraction à 


714 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


cette ordonnance consistait en une forte amende de soixante- 
quinze roupies au bénéfice du trésor de la caste. Notons. 
que. suivant les conditions de la société hindoue, les règlements 
ainsi prescrits par les chefs de la caste ont un caractère plus 
obligatoire et sont plus strictement observés qu'aucun de ceux 
imposés par le gouvernement indien ou par un gouvernement 
quelconque, même par un pouvoir légal. 

En conséquence, pendant quelque temps, ces règlements 
furent efficaces, et la communauté resta exempte de la maladie. 
Lors de l’apparition de la peste dans le village de Worlee, situé 
à une distance de trois kilomètres environ, 513 fugitifs arrivèrent 
à Dharovi Koliwada, désireux d'entrer dans le village. Leur 
demande ne fut pas agréée, mais on leur permit de s'établir 
dans un champ voisin. Les règlements de quarantaine furent si 
rigoureux que les fugitifs de Worlee se plaignirent au professeur 
Muller de la conduite des habitants de Dharovi, qui, bien que 
de la mème caste, refusaient de parler avec eux. Mais, au mois 
de juillet, lorsque la peste, suivant toute apparence, était arrivée 
à sa fin, les règlements s’adoucirent. On permit à deux frères du 
village d'assister aux obsèques d’un pestiféré à Danda. Quelque 
temps après leur retour, un rat mort fut trouvé dans leur maison. 
Peu de jours après la fille d’un de ces frères fut frappée par la peste 
et mourut. Ensuite sa mère fut atteinte, mais elle semblait recou- 
vrer la santé à l’époque où j'étais à Bombay (16 juillet). Puis le 
père fut atteint à son tour et mourut. Successivement un fils, 
une petite fille et un autre fils le suivirent dans la tombe. Un 
neveu tomba aussi malade, mais il parut se rétablir. La totalité 
de ces décès monte à sept personnes sur quatorze qui compo- 
saient les familles de ces deux frères. Ils habitaient denx 
chambres voisines, étaient en bonne situation et avaient leur 
domestique personnel. Ju squ’alors le village était resté indemne 
de la maladie. 


IT 


L'opinion unanime de ceux qui se sont occupés de la peste à 
Bombay est que la maladie peut être portée à distance par un 
agent humain, mais que cependant l’infection,pendant l'épidémie, 
n’est pas ordinairement due à la contamination directe d’une 
personne à l’autre. En voici les preuves : 


PROPAGATION DE LA PESTE. T5 


1° L’immunité générale des amis des malades qui, dans 
beaucoup de cas, durant l’épidémie de Bombay, les avaient 
accompagnés à l'hôpital. Le chirurgien-capitaine Thomson, dans 
son rapport sur lhôpital du « Government House Parel », 
exprime l’opinion suivante : 

« Il est un fait bien établi par lexpérience faite à l’hôpital 
Parel, c’est que la maladie n’est pas contagieuse. 

« Plus de 240 pestiférés furent visités assidument par leurs 
amis; ceux-ci, dans une vingtaine de cas, quittèrent à peine le 
chevet des malades, et cependant aucun d’eux ne fut atteint par 
la maladie. Parmi plus de 140 serviteurs employés à l'hôpital, un 
seul homme, constamment occupé dans la chambre d’autopsie, 
fut atteint d’un bubon axillaire. » 

Voici l’opinion du docteur Dallas dans son rapport officiel 
sur le Grant Road Hospital : 

« Excepté pour le cas de la peste pneumonique, je ne pense 
pas que l'infection soit propagée par la contagion humaine. En 
voici une preuve : ceux qui ont été le plus constamment en rap- 
port étroit avec les malades. depuis les fonctionnaires médicaux 
jusqu'aux coolies, ont joui d’une immunité à peu près complète, si 
l’on songe à leur nombre. Sur 400 personnes — hommes, femmes 
et enfants — qui visitèrent leurs amis malades et restèrent con- 
stamment à leur chevet, aucune n’a contracté la maladie. Seul 
un infirmier militaire de l'hôpital fut affecté par la contagion 
directe ; il avait l’habitude de boire les restes de breuvages sti- 
mulants laissés dans les tasses par les malades; très probable- 
ment celles-ci avaient été en contact avec la bouche d’un patient 
atteint de la peste pneumonique. » 

2° A Bombay, les hôpitaux des pestiférés étaient très sou- 
vent situés dans les quartiers les plus populeux, et cependant ils 
ne sont pas devenus des centres d'infection pour le voisinage. 

3° Vers la fin de l’été de 1897, le nombre quotidien de cas 
de peste s'éleva à une demi-douzaine au moins, et ce chiffre se 
maintint pendant quelques mois. Done, si infection s’était com- 
muniquée d’un homme à l’autre, on aurait dû s'attendre à voir les 
cas de peste se concentrer dans un même district, plutôt que de 
les voir répandus à peu près sur la ville entière, comme cela se 
produisit. Ceux qui croient que le malade est la seule source de 
la contagion devraient expliquer pourquoi, pendant tant de mois, 


716 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


les malades semblaient capables de contaminer des personnes 
demeurant à un nulle de distance, alors queleurs proches restaient 
parfaitement indemnes. 

4° D'un autre côté, on signale plusieurs cas où les méde- 
cins ou leurs aides ont été atteints en faisant l’autopsie de 
cadavres pestiférés. Par exemple, un fugitif de Bombay mourait 
de la peste à Madras. Le médecin qui pratiqua l’autopsie ainsi 
que le serviteur qui l’assista furent tous deux frappés par la peste. 
La peste n'ayant pas existé à Madras ni avant ni après cette 
époque, la source de l'infection n’est pas douteuse en ce cas. 
Donc, l’innocuité relative des pestiférés dans l’épidémie de 
Bombay ne peut pas être attribuée à ce que les microbes qu'ils 
contenaient n'étaient pas capables de produire l'infection. Il est 
plus probable que dans beaucoup de cas le microbe ne sortait 
pas du ganglion affecté, ou qu’il n’arrivait pas dans les sécré- 
tions. Il est certain toutefois que, dans la forme pneumonique 
de la peste, le crachat qui contient des quantités de bacilles est 
fort dangereux. 


IV 


Des observations réitérées faites pendant l'épidémie actuelle 
ont démontré que lorsque la peste s'établit dans une localité, 
l'enlèvement des malades, pratiqué aussi rapidement que possible, 

ne suffit pas pour arrêter la maladie. Il est nécessaire d’évacuer 
‘complètement la localité infectée. Cette méthode est suivie aux 
Indes dans tousles cas où elle est praticable, et presque toujours 
avec un succès complet et immédiat. Cette mesure est universel- 
lement adoptée par la population elle-mème dans toutes les con- 
trées où la peste est endémique. 

Qu'est-ce que l'infection de la localité? Dans presque toutes 
les épidémies de la peste, en Occident, on a observé une grande 
mortalité parmi les rats, et on sait à présent que ces animaux 
succombaient à la peste. Cette mortalité est-elle la cause ou l'effet 
de l'infection de la localité? Les arguments suivants se rapportent 
à cette question. 

I. Les faits les plus probants, tendant à démontrer l'influence 
des rats sur la propagation de la maladie dans les limites d’une 
ville, sont exposés dans le rapport officiel de la première épidémie 


PROPAGATION DE LA PESTE. Ha 


de Bombay (1896-97) par M. Snow, commissaire municipal de la 
ville de Bombay ‘. Dans ce rapport il montre (p. 9) que la propa- 
gation de la peste de district à district à Bombay coïncidait, quant 
au temps et à la direction, avec l’émigration des rats, et ne dépen- 
dait pas d’une façon appréciable du déplacement des hommes. 
La preuve de ces assertions est indiquée |dans la carte (fig. 3). 
Mandvie est le district de Bombay où la maladie devint d’abord 
épidémique, en septembre 1896. La carte montre les contours 
des autres districts de la ville. Pour la clarté, les noms ne sont 
inscrits que dans un petit nombre de cas. Dans chaque district, 
on trouve un chiffre indiquant le nombre de semaines écoulées 
entre l’apparition de la peste sous la forme épidémique à Mandvie 
et l’apparition sous la même forme dans le district en question. 
On voit immédiatement que la maladie resta épidémique à 
Mandvie sans s'étendre aux autres districts, pendant une longue 
période de temps, sauf en des cas isolés. À part une seule excep- 
tion, elle se manifesta comme une épidémie dans les autres quar- 
tiers de la ville après un laps de neuf, dix semaines au plus. 
Pendant les deux ou trois premières semaines de l'existence de 
l’épidémie à Mandvie, des milliers de personnes s’enfuirent, prises 
de panique, vers d’autres quartiers de la ville, spécialement au 
nord et à l’ouest de l’île, Mais ces fugitifs n’apportèrent pas avec 
eux la maladie sous la forme épidémique. Elle ne présenta un 
caractère épidémique dans ces quartiers que trois ou quatre 
mois plus tard. (Voir le rapport officiel du docteur Weir, officier 
sanitaire de Bombay, p. 142.) La neuvième semaine environ après 
l'apparition de la peste sous la forme d’épidémie, à Mandvie, on 
constata une émigration des rats dans les autres quartiers de la 
ville. Les observations de M. Snow montrent (voir son rapport, 
p. 10) que les rats pour la plupart se dirigeaient d’abord dans la 
direction de l’ouest, et ensuite dans la direction du nord. Cette 
émigration fut immédiatement suivie par l’apparition de la peste 
épidémique parmi les hommes dans tous les quartiers où les 
rats s'étaient réfugiés. M. Snow dit: «Presque dans chaque 
quartier de la ville où la peste bubonique se déclara avec force, 
elle avait été précédée par l'apparition des rats qui mouraïient en 
grand nombre. En même temps que des rats malades apparais- 
saient dans les quartiers du centre de la ville, ils disparurent 


1. Imprimé par « Times of India », Bombay Press. 


718 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Carte n° 3. — Ile de Bombay. 


Cette carte indique le nombre de semaines écoulées entre l'apparition de la 
peste dans l'arrondissement de Mandvie et l'extension de l'épidémie dans les 
autres parties de la ville. Les rats:ont émigré de Mandvie dans la 9° semaine. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 749 


complètement de Mandvie, où, au commencement de l'épidémie, 
ils étaient trouvés morts par centaines dans les rues. Plus tard 
(janvier 1897), à la suite de diverses enquêtes, M. Snow trouva 
que les rats avaient disparu des quartiers du centre de la ville et 
qu'ils se trouvaient en grandes quantités à l’ouest et au nord. 

a) La seule exception apparente à cette règle est fournie par 
le quartier de Lower Colaba, où, comme le montre la carte, l’épi- 
démie commença la sixième semaine après son début à Mandvie. 
Mais en réalité cette exception confirme la règle. Dans ce 
quartier 1i y a un nombre considérable de magasins de coton 
infestés par les rats, qui se nourrissent des graines. Un grand 
trafic maritime existe entre cette place et Mandvie. Il paraît que 
l'infection a été introduite parmi les rats de Lower Colaba vers 
la quatrième semaine. Près de cette place, il y a des maisons 
habitées par les employés d’une grande compagnie de tramways. 
On à donné à ces hommes de la poudre carbolique pour la placer 
dans les égouts et les passages autour des maisons. D'abord ils 
ne firent aucune opposition à cette mesure sanitaire, mais plus 
tard ils observèrent que les rats mouraient en quantité, Ils pensè- 
rent que la mort des rats avait été produite par la poudre, et aver- 
tirent du fait les autorités. Leur religion interdisant d’ôter la 
vie aux animaux, l'emploi de la poudre carbolique a été suspendu. 
Quelques jours plus tärd, les habitants du voisinage commencè- 
rent à subir les premières atteintes de la peste, qui dans les cin- 
quième et sixième semaines se manifesta avec le caractère épi- 
démique. Cet incident montre tous les obstacles contre lesquels 
le gouvernement doit lutter à Bombay. 

b) Un fait intéressant à cause de son évidence, et qui concerne 
l’émigration des rats dans le quartier marqué « Esplanade », se 
présenta à mon observation. La partie ouest de ce quartier n’a 
qu'une population assez dispersée, étant occupée par des bâti- 
ments du gouvernement et d’autres grands édifices. Non loin 
sont situés la majorité des hôtels de Bombay. Jamais la peste 
ne devint épidémique dans cette partie de la ville. Dans la onzième 
semaine qui suivit le commencement de l'épidémie à Mandvie, 
j'allai examiner une petite apparition de peste parmi les rats 
dans un dépôt appartenant à un de ces hôtels. Trois jours avant, 
le garde de nuit, en station sur le trottoir près de J’hôtel, remar- 
qua aux premières heures du jour un rat malade, se traînant 


720 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dans la rue vers l’hôtel, et venant de la direction de Mandvie. 
La religion de cet Indou lui enseigne la charité vis-à-vis 
des animaux; aussi, voyant que le rat était trop faible pour 
grimper sur le trottoir, et qu'il n’y parviendrait jamais seul, il 
l’y aida, et l'animal semblant comme perdu sur ce trottoir, il le 
plaça dans l'égout qui court entre le dépôt et un autre bâtiment. 
Trois jours après, des rats (je crois qu'il y en avait huit) 
furent trouvés morts de peste dans le dépôt en question. Le dépôt 
fut immédiatement désinfecté par l’hypochlorite de chaux. 
Aucun cas de peste ne se manifesta plus. C’est le seul cas que 
je pourrais citer où linfection des rats dans une localité de Bom- 
bay ne fut pas suivie de la peste parmi les hommes. 

c) On observera que la plupart des quartiers centraux de la 
ville furent infectés de la peste dans la onzième ou douzième 
semaine environ, tandis que le quartier de Walkeshwar ne souf- 
frit de la peste épidémique que dans la dix-huitième semaine. 
L’explication de cette interruption dans la propagation de la 
maladie est celle-c1 : 

Les quartiers centraux de la ville sont situés en contre-bas. 
Walkeshwar est sur une colline. Que ce soit ou non la cause du 
retard, le fait est que les rats infectés n’arrivèrent dans ce quar- 
tier que peu de temps avant l'apparition de la peste parmi les 
hommes. À ce moment, il y eut une émigration marquée de rats 
dans ce quartier. (Voir le rapport de M. Snow, p. 10.) Le pré- 
posé à la salubrité, dans son rapport (p. 143), dit qu’antérieure- 
ment à l'apparition de la maladie sous la forme épidémique à 
Walkeshwar, de grandes quantités de rats morts ont été trouvés 
sur les sentiers dans la direction de la colline. 

d) À Upper Colaba, il y a une exception apparente à la 
règle de l’émigration graduelle des rats précédant l'apparition 
de la maladie parmi les hommes. Comme il est montré dans la 
carte, la maladie dans ce quartier ne commença que dans la 
vingt et unième semaine, quoique dans le quartier voisin elle 
se montra dès la cinquième et la sixième semaine. Mais dans la 
vingtième semaine, je visitai cette localité à propos d’une appa- 
rition de la peste parmi les « bandicoots », espèce de rat de 
grande taille. Je recueillis, pour y chercher les microbes de la 
peste, des échantillons d’eau, de terre, etc., dans une maison 
bien construite et bien aérée où les bandicoots mouraient. La 


PROPAGATION DE LA PESTE. 121 


seule personne qui fut frappée de la peste fut un domestique 
qui s'occupait de la désinfection de la maison chaque jour, et 
était chargé d’écarter les rats. 

e) Lorsque la peste commença pour la première fois à 
s'étendre hors de Mandvie, les maisons aulour de la prison de 
Oomercarrie, près de Mandvie, furent affectées. Les prisonniers, 
cependant, restèrent en bonne santé. A cette occasion, des 
explications variées ont été proposées concernant l’immunité 
des prisonniers. Les uns l’ont attribuée à la bonne nourriture, 
d’autres au blanchiment de la maison au lait de chaux et à 
l'aménagement intérieur ; d’autres encore, à l'absence d’encom- 
brement. Personne ne songea que l’immunité püt être due au 
fait qu’à cette époque les rats de la prison étaient eux-mêmes 
exempts de toute infection. Finalement, l'épidémie atteignit les 
quartiers centraux de la ville, où se trouve une autre prison 
connue sous le nom de Byculla House of Correction. Cette prison 
était dans un bon état sanitaire, avec des murs blanchis à la 
chaux et aussi peu encombrée que l’autre. Toutes les mesures 
hygiéniques possibles furent appliquées, sauf la destruction des 
rats; mais, finalement, les rats de cette prison commencèrent à 
être atteints de la peste, et bientôt après la maladie éclata chez 
les hommes. Sur un chiffre moyen de 345 prisonniers, 32 furent 
atteints de la peste, c’est-à-dire un sur dix, environ, bien qu’en 
raison de l'isolement rapide des cas suspects, 1l y avait peu de 
chance de contamination directe d’un malade à l’autre. 

Ainsi, Les faits actuels et incontestables concernant la pro- 
pagation de la peste d’un quartier de la ville de Bombay à un 
autre me paraissent imposer cette conclusion : que les rats 
eurent un rôle beaucoup plus important que les hommes pour la 
diffusion de la maladie. 

De semblables preuves paraissent exister en ce qui concerne 
la ville de Kurachi. En voici le récit par M. Snow : « Précisé- 
ment, les mêmes phénomènes ont été observés à Kurachi au 
sujet des rats pendant la récente épidémie. Depuis le mois de 
décembre, on a remarqué des cadavres de rats dans le voisi- 
nage de plusieurs maisons contaminées, Dans une des rues 
principales qui traversent le bazar, des centaines de rats morts 


41. Six jours après, je fus atteint de peste légère avec bubons inguinal, fémo- 
ral et axillaire. 


46 


122 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ont été trouvés dans le courant de la première semaine de 
février. À cette époque, de mème qu’un peu plus tard, la peste 
fit de grands ravages dans la ville. La marche envahissante des 
rats à Kurachi se fit de l’ouest à l’est, et l’apparition ainsi que le 
développement de la peste dans les différents quartiers coïncida 
avec l'émigration de ces animaux. » Voici la conclusion de 
M. Snow sur le rôle des rats dans la propagation de la peste 
dans une grande ville : 

« Les faits spécifiés ci-dessus ont une grande importance et 
sont instructifs en ce qui touche la propagation de la peste ainsi 
que l'efficacité des mesures prises pour l’enrayer. En effet, ilest 
difficile de voir comment les mesures de désinfection ou lisole- 
ment des malades pourraient être efficaces avant que l’émigra- 
tion des rats ait cessé, et tant que les localités infestées ne sont 
pas délivrées de ce fléau mouvant. Il est clair que si des mesures 
sérieuses et énergiques ne sont pas prises pour la destruction en 
masse des rats ou pour entraver leur immigration, il sera impos- 
sible de circonscrire à son début la propagation de la peste dans 
une grande ville. Il est extrèmement improbable que des mé- 
thodes efficaces soient jamais découvertes pour se défendre contre 
cette importation due aux rats. Tant que l’émigration, qui a 
duré à Bombay plusieurs mois dans les différents quartiers, a 
été en progressant, les avantages obtenus par la séparation et 
l’isotement des malades ont été réduits à presque rien. » 

Dans une autre partie de son rapport, M. Snow se réfère au 
fait bien connu que dans une maison infestée de rats, après la 
destruction de quelques rongeurs par le poison, les survivants 
semblent éprouver une véritable panique et quittent la maison 
pour plusieurs mois. Aussi longtemps que les rats auront cette 
habitude, toute méthode employée pour les détruire provoquera 
leur émigration et, par là mème, favorisera, en temps de peste, 
la diffusion de l'infection. 


IL. On a observé à plusieurs reprises à Bombay que, parmi 
les membres d'une même famille frappés de la peste, le mal 
s'attaquait exclusivement à ceux qui avaient prêté la main à 
l'enlèvement des cadavres des rats. L'honorable M. Wadia, 
gentleman Parsi qui occupe plusieurs milliers d'ouvriers dans 
ses moulins, m'a raconté un cas frappant. Une quantité de rats 


PROPAGATION DE LA PESTE. 123 


morts furent trouvés dans un de ses magasins. Parmi les secré- 
taires et les autres personnes qui visitèrent le bâtiment, aucun 
ne fut atteint. Ce qui prouve, comme le fait remarquer M. Wadia, 
que l’air n’était pas infecté. Cependant, sur vingt coolies qui 
furent occupés à l’enlèvement des rats morts et au nettoyage 
des magasins, douze furent, quelque temps après, frappés par la 
maladie. 

Bien que dans maintes occasions les rats pestiférés se soient 
montrés très dangereux, il ne faudrait pas en conclure qu’il en 
soit toujours ainsi, ainsi que je le montrerai par des exemples 
dans une autre partie de ce travail. 


IT. Un incident suggestif m'a été communiqué par le profes- 
seur Muller. Pendant qu'il recherchait s’il existait des pestiférés 
dans le village de Mahim Bhundarwada en février 1898, il obser- 
va qu'au moins un chat vivait dans chaque maison. Un habitant 
qui en possédait trois répondit à ses questions que les chats chas- 
sent les rats et que les rats apportent la peste. C’est pour cela 
que lui et les membres de sa caste avaient décidé d'installer des 
chats chez eux. Le professeur Muller n’a affirmé que ce district 
est resté à peu près complètement indemne de la peste alors que 
la plupart des distriets voisins en étaient infectés. Plusieurs sujets 
atteints de la peste ont bien pénétré dans le village, et il y eutun 
ou deux cas sporadiques, mais jusqu'à présent (juillet 1898) la 
peste n’a pas existé à l’état d’épidémie dans cette localité. Pour 
donner à cet exemple une valeur scientifique, 1l serait nécessaire 
de faire le recensement des chats de ce village et celui des chats 
existant dansles districts voisins dévastés par la peste. D'ailleurs 
s’il était établi que les chats ont eu dans ce cas une action bien- 
faisante, il ne s’ensuit pas qu'il en serait de même dans tous les 
cas. Il est évident qu'un enfant en jouant avec un chat qui vient 
de tuer un rat pestiféré pourrait aisément contracter le germe de 
la maladie. De plus, on rapporte que les chats tombent malades 
dans les districts où les rats meurent de la peste. (Voir le rap- 
port du préposé sanitaire, p.62, 63 et 143). Aucune preuve bac- 
tériologique n’est venue démontrer que ces chats souffraient de 
la peste. Cependant, non seulement à Bombay, mais aussi dans 
le village de Worlee, au nord de Bombay, et dans la ville de Jawa- 
lapur, dans les provinces nord-ouest, j'ai vu des chats malades, 


124 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans les deux derniers endroits, mais pas dans le premier, il 
m'aparuqu'ilétait possible qu’ils souffrissent seulement dela faim, 


A" 


Si l'infection d’une localité est due en grande partie aux rats, 
on conclura qu'il sera difficile d’enrayer la contagion par des 
désinfectants, car une maison désinfectée est toujours sujette à 
la réinfection. Aussi est-il extrêmement difficile de prouver 
péremptoirement l'utilité des désinfectants ou d’autres mesures 
analogues contre la peste. Voici les arguments pour et contre, 
que j'ai pu recueillir sur les désinfectants. 


I. En ce qui concerne Bombay, il est établi que la désinfec- 
tion, pratiquée avec une profusion qui n’a jamais été égalée dans 
l’histoire de l'hygiène, n’a pu s'opposer à la propagation de la 
maladie dans tous les quartiers de la viile. 

En février 1897, alors que opinion publique prétendait que 
les progrès de la peste étaient dus à l’inertie de la municipalité 
composée en majorité d'indigènes, le conseil municipal n’occu- 
pait pas moins de 30,966 personnes spécialement embauchées 
pour le nettoyage et la désinfection des égouts, des rues, des 
maisons, etc. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. 26.) 
Ce nombre serait l’équivalent d’une armée de 200,000 canton- 
niers supplémentaires pour une ville comme Londres. 

Des mesures énergiques ont été prises dès que la peste eut 
une allure épidémique, (dans le district de Mandvie en septem- 
bre 1896). On a des raisons de supposer que des cas isolés de 
peste s'étaient produits quelques mois antérieurement. (Voir le 
rapport du commissaire municipal, p. 1 et 3.) La question n'est 
pas de savoir si la propagation de la maladie après ces cas isolés 
aurait pu être empêchée par la désinfection et les mesures d’hy- 
giène, mais si les désinfectants sont capables d'arrêter l'épidémie 
répandue par les rats. On sait que les rats ne moururent pas en 
grande quantité à Mandvie avant la fin de septembre 1896, et que 
ce fut alors seulement que la maladie se manifesta avec le carac- 
tère épidémique parmi les hommes. L'existence de la peste à- 
Bombay ne fut connue définitivement que le 23 septembre. Dans 
un rapport daté du 30 septembre, M. le Docteur Weir, chef de 


PROPAGATION DE LA PESTE. 125 


la santé, décrit les mesures rigoureuses qui furent prises pour 
enrayer la maladie. Elles comprenaient notamment la destruction 
par le feu dela literie, les vêtements et d’autres objets suspects, 
ainsi que la désinfection des chambres et des maisons à l’inté- 
rieur et à l’extérieur. On y ajouta l'isolement des malades, 
l'exposition à l’air ou la destruction du grain suspect, etc. 

Je visitai quelques-unes des maisons les plus gravement in- 
fectées au commencement d'octobre. J'ai vu les solutions d'acide 
carbolique répandues sur les murs et les plafonds avec une telle 
profusion, au moyen de pompes à incendie, qu'il était devenu 
nécessaire d'ouvrir un parapluie pour pénétrer dans les maisons. 
Aucune panique ne s'était encore produite dans la population, et 
à cause de cela, pendant quelque temps, le peuple ne cachait pas 
les cas qui survenaient. 

Dans son rapport du 30 septembre, le chef de la salubrité 
publique a justement estimé la situation en disant que ces mesures 
étaient de « simples palliatifs ». 

Dans le courant de novembre, les égouts d’une petite partie du 
district de Mandvie et de ses alentours, comprenant 180 maisons 
infectées, furent journellement désinfectés à l’aide d’une solution 
d'acide carbolique. 13,500 mètres cubes par jour furent répandus 
à cet effet. (Voir le rapport du commissaire municipal, p. #1.) 
Comme la maladie prenait de extension, il fallut avoir recours 
à la chaux vive, employée à profusion. On eut la preuve que ce 
produit était impuissant à entraver le développement de la peste, 
etil cessa bientôt d'êtreconsidéré comme un désinfectant eflicace. 

En plusieurs cas, un blanchissage à la chaux avait été opéré 
par mesure de précaution avant l’apparition de la maladie. C’est 
ce qui eut lieu dans presque tout le district de Kamatipura. 
Plusieurs maisons furent blanchies trois fois. 

Le chef de la santé publique dit que «sile badigeonnage à la 
chaux ponvait arrêter le développement de la maladie, 1l aurait 
dû l'empêcher à Kamatipura ». Les épreuves accumulées jus- 
qu'ici démontrent que la chaux n’a aucune efficacité. Dans le 
district cité, jusqu’au 2 mars 1897, on observa que sur la totalité 
de 422 cas de peste, il s’en était produit 89 dans des maisons 
ayant subi plusieurs badigeonnages complets. Ainsi Kamatipura, 
où les maisons avaient été le plus souvent blanchies, fut l’un des 
quartiers les plus gravement éprouvés de la ville. 


126 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans certains cas la chaux vive fut employée mélangée au 
sublimé corrosif, au chlorure de chaux ou à l'acide carbolique, 
Il se produisait ainsi un mélange plus ou moins inerté ; mais ce 
ne sont là que des cas isolés qui ne peuvent infirmer les preuves 
de Pinutilité de la chaux pour arrêter la peste. 

La chaux a l'inconvénient, au point de vue chimique, de neu- 
traliser la plupart des désinfectants avec lesquels on la met en 
contact et d’absorber rapidement l'acide carbonique : Elle 
devient ainsi inerte. La chaux présente encore un inconvénient 
au point de vue bactériologique ; le bacille de la peste y résiste 
facilement, ainsi qu’à l’action d’autres alcalis. Ce bacille est très 
sensible par contre à l'action des acides. Dans les expériences 
de laboratoire, ce microbe est détruit même par les solutions 
diluées de certains acides organiques. Pour empêcher la réinfec- 
tion d’une maison, les désinfectants qui possèdent une action 
plus durable que la chaux vive doivent être préférés en cas de 
peste. 

De pareilles indications @nt été obtenues à Poona. A la 
suite de l'introduction du lavage à la chaux et d’autres mesures 
prophylactiques, l'épidémie décrut rapidement. Quelques-uns y 
ont vu la preuve de l'efficacité des mesures sanitaires ordinai- 
res pour entraver la maladie. Cependant au bout de quelque 
temps, en dépit d'une plus grande profusion de chaux vive et 
de désinfectants variés, l'épidémie éclata et se développa dans 
la ville entiere avec plus d'intensité que jamais. 

Toutefois, par l'examen du tableau suivant qui montre que la 
maladie éclata dans d’autres villes avec plus de violence qu'à 
Bombay, on peut présumer que les mesures générales adoptées 
ne furent pas sans utilité. 


: Mortalité par la peste. 
DATE. NOM DE LA VILLE. | Population. | —— - 


Totaux. |Par 1.000 hab. 
AS AS Sent Marseille "2774 ? 57.000 
1790 ere RE ES ee 247.000 | 86.000 348 
TICDS REA E PONATES RATER 250.000 | 33.347 133 
GPA EE EE VÉARENIERR 320.000 | 41.313 129 
LG05:. ee UE ARR U ES 460.000 | 68.596 149 
PANETTIERE Bombay ee 2 846.000 | 19.849 23 


La différence en faveur de Bombay devient plus sensible si 


Te Te 


PROPAGATION DE LA PESTE. 127 


on considère que les habitants de Londres et de Marseille sont 
habitués à porter des chaussures, tandis que la grande majorité 
des habitants de Bombay va pieds nus et se trouve, par cette 
raison, probablement plus exposée à la contamination. 

On peut objecter que les chiffres cités montrent simplement 
que l'infection de la peste est peut-être plus grave dans les cli- 
mats tempérés qu'aux Indes. Cependant en 1690, les manifesta- 
tions de la peste à Bombay furent si violentes que la ville fut 
désertée et ruinée. Sir James Campbell, parlant dans le Bombay 
Gazetteer de cette apparition, dit : « Sur 800 Européens, 50 seule- 
ment survécurent : 6 civils, 6 officiers et un peu moins de 
40 soldats anglais. Il ne restait plus qu’un seul cheval en état 
d’être monté et une seule paire de bœufs à atteler. Bombay, citée 
auparavant comme la plus agréable des villes de Inde, fut 
transformée en un désert de désolation. » 

Bien qu'aucune conclusion absolue ne puisse être tirée sur 
l’efficacité des mesures sanitaires, cependant un fait peut être 
retenu qui résulte du chiffre des morts dans les diverses épidé- 
mies, à savoir que l'épidémie de Marseille en 1720 fit quinze fois 
plus de ravages que celle de Bombay et que la «grande peste de 
Londres » de 1665 fut six fois environ plus violente. 

La peste éclata de nouveau à Bombay pendant l'hiver de 
1897-1898, causant une épidémie un peu plus grave que la pre- 
mière, et la ville n’est pas encore entièrement délivrée du fléau. 


IL. M. Simond m'a communiqué une observation d’où il résulte 
que les amis de malades qui avaient accompagné ces derniers 
dans un hôpital insuffisamment désinfecté semblaient avoir été 
contaminés dans l'hôpital même. Après l'emploi plus complet 
des désinfectants, la contamination cessa. M. Simond a constaté 
à cette occasion que les rares cas d'infection qui se produisirent 
à l'hôpital ne furent pas imputables à la contagion par les rats. 


III. Nous avons déjà cité le cas d’une apparition de la peste 
parmi les rats dans un dépôt attaché à un hôtel où, des mesures 
énergiques de désinfection ayant été prises, aucun Cas ne se 
déclara plus parmi les hommes. Le succès s’explique ici par ce 
fait que le bâtiment en question était fort bien construit et pos- 
sédait un sol de pierre. Quoique fréquenté par les employés de 
l'hôtel, ce dépôt n’était pas habité. 


728 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


IV. Un journal médical rapporte qu’un grand édifice religieux 
(tikhana) a été détruit pour cause d'infection par la peste. La 
démolition s'étant opérée sans qu’on fit usage de désinfectants, 
on constata que sur vingt coolies occupés à ce travail, cinq furent, 
dit-on, touchés par la maladie. Dans beaucoup d’autres cas, la 
démolition de bâtiments qu’on avait eu soin de désinfecter au 
préalable ne fut suivie d'aucun effet fâcheux sur les ouvriers. 


V. Le tableau 4 montre la distribution de la maladie à Sewree, 
village situé au nord-est de Bombay et habité par 600 personnes 
environ. Le premier cas a été relevé le 12 décembre. Jusqu'au 
27 janvier, 52 cas s’y produisirent. Ce jour-là, un étang situé 
près du village, dans l’eau duquel j'avais découvert le microbe 


e cas mortels de peste. 
° Cas terminés par la guérison. 


Plan du village de Sewree. (Ile de Bombay.) 


de la peste, fut désinfecté par l’acide carbolique. Après cette 
date, peu de cas se produisirent dans le village, peut-être même 
aucun. La population, bien que diminuée, n’avait pas complète- 


PROPAGATION DE LA PESTE. 129 


ment disparu et ne descendit jamais au-dessous de 350 âmes. 
(Rapport du général Gatacre, président du comité de la peste, 
p- 190.) Ce fut le seul lieu où je réussis, après un travail de 
plusieurs mois, à découvrir le bacille de la peste dans des subs- 
tances suspectes. L’étang dont il s’agit contenait de l’eau salée 
qui, naturellement, n'avait pas été bue. Ses rives servaient de 
latrines et les villageois utilisaient l’eau pour se laver après la 
défécation. Les hommes en usaient plus que les femmes du vil- 
lage, ce qui explique que la plus grande partie des individus 
atteints furent des hommes. En d’autres lieux, la peste se si- 
gnala en détruisant des familles entières; mais à Sewree, comme 
cela est indiqué sur le plan, il n’y eut qu’un ou deux cas par 
maison. Ce fait exceptionnel concorde avec l’idée que quelque 
cause extérieure et exceptionnelle, telle que l’étang infecté, était 
entrée en jeu. Simultanément, avec la désinfection de l’étang, 
deux cents coolies furent employés au nettoyage et à la désin- 
fection du village. Il semble que la maladie avait déjà commencé 
à diminuer avant Parrivée des coolies. 

Bien qu'on ne puisse pas tirer de conclusions certaines de ce 
qu'un grand nombre d'habitants restèrent indemnes, il parait 
cependant probable qu'ici la désinfection fut utile. 

Même si on accepte cette conclusion, elle n’infirme en rien 
la règle générale que, dans les conditions qui existent aux Indes, 
on ne peut guère obtenir d'effets sérieux contre la peste par 
l'emploi des désinfectants, lorsque la maladie sévit sur les rats. 

Quelques autres cas ont été invoqués tendant à montrer que 
la peste a été arrêtée dans son essor par les désinfectants, mais 
ils me paraissent moins satisfaisants comme valeur probante que 
ceux que je viens de citer. 

Dans un cas, par exemple, la population normale d’un vil- 
lage se montait à 5,493 âmes. Lorsque, après la fuite des habi- 
tants, la population se trouva réduite à 176 personnes qui 
n'étaient pas restées dans les quartiers sérieusement infectés du 
village, une équipe de 270 coolies fut occupée à désinfecter à 
la chaux. Six semaines plus tard, lors de la réoccupation du vil- 
lage, l’épidémie avait totalement disparu. Cette disparition n’est 
pas nécessairement due à l’action de la chaux. 


730 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


VI 


On a généralement supposé que le manque d’aération con- 
iribuait au développement de la peste, et que, pour préserver les 
maisons et les marchandises de l'infection, il était nécessaire de 
les exposer librement à l’air. Il faut examiner si les effets de la 
ventilation sont tels qu'ils permettent de conserver l’ancienne 
notion que la peste résulte d’un état de corruption de latmo- 
sphère, et s'ils s’opposent à la théorie qui assigne aux rats un 
rôle important dans la propagation de la peste dans une grande 
ville. 


I. Au cours des premières semaines de l’apparition de la 
peste à Bombay, la maladie fut presque absolument circonserite 
aux marchands de grains et aux locataires habitant au-dessus 
de magasins de grains. Cette constatation fit croire à certaines 
personnes que la maladie résultait de quelque particularité dans 
la ventilation. Elles supposèrent que les courants d'air amenaient 
le microbe des magasins de grains de Port Trust Estate (contigu 
à Mandvie). A l'appui de cette thèse, on remarqua que la plu- 
part des cas s'étaient produits dans les étages supérieurs des 
maisons, et notamment dans les maisons d'angle plus exposées 
aux courants d'air, qu’on supposait chargés du microbe infec- 
tieux. Ces observations, fussent-elles exactes, iraient à l’encon- 
tre de ce qui fut observé au cours d’autres épidémies de peste. 

Par exemple, à Malte, en 1813, le docteur Milroy remarqua 
qu'à La Valette la maladie se déclarait plus rarement chez les 
locataires des étages supérieurs, où les maisons sont hautes et 
aérées, que chez les habitants des rez-de-chaussée. Cette convic- 
tion de la nocuité des étages supérieurs, ancrée dans l'esprit des 
habitants de Bombay, amena le chef de la santé, le docteur Weir, 
à diriger ses investigations dans ce sens. Il reconnut que cette 
idée, imaginée pour le cas de Mandvie, était complètement 
erronée. D'autre part, il établit que, comme à Malte, dans la 
majorité des quartiers de la ville, le nombre des pestiférés était 
bien supérieur dans les rez-de-chaussée, et que les cas devenaient 
plus rares à mesure qu’on s'élevait aux plus hauts étages. 

_ La seule exception à cette règle est celle présentée par l’ar- 
rondissement B, qui comprend Mandvie et les quartiers adjacents. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 131 


Dans ce cas, il y avait un plus grand nombre d’attaques au pre- 
mier étage qu'au rez-de-chaussée et aux autres étages. L’expli- 


= 
LC 1819 


400 


300 d 


109 


rez de'ch. … Aer'ét- 2e ét. 30 ét. 4e ét. 5e ét. 6e ét 
Diagramme n°5, 
Ligne pointillée : nombre de cas de peste à chaque étage dans les maisons 
de l'arrondissement sanitaire B (Mandvie, Chukla, Umarkavi, Dongri). 


Ligne pleine : nombre de chambres à chaque étage dans les maisons infectées 
de Mandvie-Bundar. 


cation en est très simple: c’est que, dans ce quartier, les 
rez-de-chaussée, presque tous occupés par des dépôts de grains, 
comptent très peu d'habitants. Pour cette raison, il est naturel 


7132 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


qu'on ait constaté le plus grand nombre d'attaques aux étages 
supérieurs. Par exemple, 46 maisons de Mandvie-Bundar 
comptent au rez-de-chaussée 86 chambres de dépôts et plusieurs 
boutiques. Mais, même dans ce quartier, 1l ÿ a plus de malades 
au premier étage qu'au second, au second qu’au troisième. 
N'est-ce pas ici, dira-t-on, une preuve palpable de lutilité de 
l’aération? N'est-il pas évident queles habitants des étages supé- 
rieurs sont plus exposés aux libres courants d’air que les habi- 
tants des rez-de-chaussée? Mais il est nécessaire de faire’ des 
réserves avant de tirer ces conclusions. 

N’est-il pas possible aussi que le grand nombre de cas obser- 
vés aux étages inférieurs doive être attribué à ce que ceux-ci 
renferment plus d'habitants, et non à un défaut d'aération? 
J'ignore combien de personnes demeuraient à chaque étage de 
ces maisons contaminées, mais les tables qui sont en ma pos- 
session donnent le nombre de chambres par étage. J'ai additionné 
le nombre des chambres et le nombre des cas de peste à chaque 
étage, et porté le total dans le diagramme (n° 5). On verra un 
rapport précis entre le nombre des cas et celui des chambres à 
chaque étage. Done, si les chambres en général sont également 
habitées, les courbes indiquent que les chiffres des attaques à 
chaque étage sont à peu près exactement proportionnels aux 
chiffres des habitants. L’assertion contraire, c’est-à-dire l’idée 
que les chambres plus élevées sont plus encombrées, est très 
peu probable. Ces chiffres ne donnent donc aucun appui à l'idée 
que la ventilation ait une importance en ce qui concerne le 
nombre des pestiférés. 


IT. On a fréquemment prétendu que l’agglomération des 
locataires dans les maisons mal aérées contribuait, pour une 
grosse part, à l'extension de la contagion de la peste. Il est évi- 
dent que l'encombrement peut agir de deux façons: première- 
ment, dans les locaux encombrés, l'élément infectieux peut se 
trouver dans des conditions de développement plus favorables 
et s’y conserver plus facilement ; deuxièmement, dans un local 
encombré, il y a plus de sujets soumis aux risques d'infection. 

Si la dernière supposition est la vraie, on devrait s'attendre 
à trouver que le nombre des cas de maladie et la densité de la 
population dans chaque district sont simplement proportionnels. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 133 


En d’autres termes, le nombre des attaques serait proportionnel 
au nombre des habitants par kilomètre carré. Si la première 
supposition est exacte, au contraire, on trouverait que le 
nombre des cas et la densité de la population ne sont pas dans 


0 10 20 30 40 50 


It Nagpada CERN LMD 
Kharatalao crus - 
Byculla EEE SES H 
214 Nagpada ms û 
Khumbarvada = È 
Chagla 7“ 
ÜUmarkhaiq— Î 
Bhuleswar. — ÿ 
DONRR ANNEES : 
Fort North mm Î 
Tardeo ris 
Upper colaba œ— ! 
Market = H 
Dhotibalao mme ; 
Esplanade = Ë 
Parel j 
Mandvie creme 
Khetvadi j 
Kamatipura à 
Fanaswadi ms ; 
Girgaum mm | 
Tarvari cernes 
Mazagon cree dues 
Mahaluskmi rss 
Chaupati == ; 
Power Colaba 
Worfi Ds | 
Walkeshivar és 
Fort South = !i 
Sion a 
Sewree EG 
Mabhim CR RESREERRE EE 


Li 
at 


OBS ONUT EN 0 
Diagramme n°6. 
Ligne pointillée : nombre moyen d’habitants par maison dans chacun des 
32 quartiers de la ville de Bombay, de Nagpada où le chiffre est de 45, 4, à Se- 


wree et Mahim où le chifire est de 6 à 7 seulement. 
Ligne pleine : morts par la peste sur 1,000 habitants pendant l'épidémie 


de 1596-1897. 


ce rapport simple, mais que le chiffre des attaques est en pro- 
portion plus considérable. 

Les chiffres donnés par les rapports officiels sur lajpeste de 
Bombay tendent à démontrer qu'aucune de ces hypothèses n'est 
exacte. Voici les preuves à ma disposition : 


7134 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


a. — Comment calculer l'encombrement ? 

En premier lieu, on peut obtenir un résultat en comparant 
la peste-mortalité par 1,000 dans les différents districts de l’île 
de Bombay avec le nombre moyen des habitants par maison 
dans chacun de ces districts. C’est le calcul que j’ai établi dans 
le diagramme n° 6. 

Des données fournies par les rapports officiels’, j'ai tiré le 
nombre moyen des habitants par maison dans chacun des 
32 districts qui se partagent l’île de Bombay. J'ai classé les 
districts dans le diagramme, suivant l’ordre de l’encombrement 
décroissant. En haut du diagramme se trouve le district de 
« First Nagpada » avec le plus grand nombre des habitants par 
maison, en moyenne #5. Au bas se trouvent les districts de 
Sewree et Mahim contenant les nombres les plus petits (en 
moyenne 6 et 7). 

A côté du nom de chaque district, j’ai tracé une ligne hori- 
zontale dont la longueur représente la peste-mortalité par mille 
dans le district correspondant. On voit immédiatement que 
les districts dont les maisons contiennent le plus grand nombre 
d'habitants ne sont pas ceux où il y a eu le plus de peste. Une 
des mortalités les plus élevées se trouve dans un district 
(Kamatipura) dont les maisons contiennent un nombre moyen 
de 21,72 habitants par maison. Les trois districts dont les maisons 
contiennent le plus petit nombre d'habitants se trouvent parmi 
les plus atteints. Done, il n’y a aucun rapport entre l'intensité 
de l'épidémie et le nombre d'habitants par maison. 

b. Mais on peut contester que ce soit là une juste appréciation 
de l'encombrement. Les maisons contenant le plus grand 
nombre d'habitants peuvent ètre mieux construites et avoir des 
chambres plus grandes. Une autre méthode pour estimer l’en- 
combrement, et à laquelle cette objection ne peut être faite, 
consiste à comparer Fespace par habitant dans les différents 
districts. Malheureusement, les rapports officiels ne contiennent 
pas à ce sujet de renseignements suffisants pour qu’il soit pos- 
sible de faire le calcul avec exactitude. 

Le rapport du chef de la santé publique (p. 148) fournit le 


1. Le nombre des maisons dans chaque quartier est donné dans la carte de 
Bombay, jointe au rapport du général Gatacre, président du comité de la 


peste. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 7139 


nombre de yards carrés par maison, dans six quartiers de 
Bombay ‘. 

Dans le diagramme 7 j'ai disposé ces six quartiers d’après 
la grandeur de l’espace attribué à chaque individu. A gauche du 
diagramme, j'ai placé Tardeo et Oomercarry, quartiers où 
chaque personne occupe 41,8 yards carrés. Progressivement 


50 
1 
40 û 20 
L 
\ 
1) 
» 
v 
L 
30 \ 15 
L 
$ 
Ü 
) L 
20 : 4 
\ 
L 
\ 
10 - 
w D] 
*« 
(e] 9 
s Ce 
co T Go) 
+ £ ao — 
so = a Lo] 
Le] œ ce. nf Et 
[=] Q eu] + Lu 
= Lo] > + = Lu] 
qm Ts Le) æ os 
m # Fe] TD œ 
= © Gel Cl a = 
=] E+ = = a C2 


Diagramme n° 7 
Ligne pointillée : nombre de yards carrés par habitant dans chacun 
des six districts de la ville de Bombay. 
Lignes pleines : nombre de morts dans chacun de ces six districts. 


vers la droite j'ai placé les quartiers dans lesquels l’espace par 
personne est le plus réduit, finissant par Khara Talao où l’espace 
par personne est de 7,22 yards carrés. 

Ces chiffres sont indiqués par une ligne ponctuée. Au-dessus 
de chaque quartier j'ai, comme avant, tracé une ligne verticale 
dont la hauteur représente le degré de peste-mortalité pendant 


4. Pour deux quartiers les chiffres donnés sont en désaccord avec ceux d’une 
autre table, p. 184, mais la différence n’est pas assez sensible pour infirmer l'ar- 
cument. 

Le] 


736 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


l'épidémie de 1896-1897. On verra d’un coup d’œil qu’il n'existe 
aucune relation entre le nombre des « yards » carrés par 
personne et l'intensité de la peste dans ces six quartiers. 

Il semble que les chiffres donnés pour ces districts ont été 
choisis pour donner un exemple de l'encombrement à Bombav. 
Il est à présumer qu'ils se rapportent aux quartiers les plus 


700 
\ 30 
\ 
\ 
\ 
\ 
850 \ 25 
\ 
\ 
» 
600 4 
n 20 
‘ 
‘ 
4 
550 : 
? L 
1 15 
\ 
4 
0 
Le (] 
500 à 10 
\ 
\ 
\ 
\ 
\ 
450 
5 
\ 
\ 
\ 
400 Ô 
Lu Le] © 
T ü £4 a G] 
LU 4 Qu Le — 
= ü = gs GJ 
M Er [=1 [e2 Er 
Eu n À 
so QI œ 4 + 
=] D nl Li 22 
=) Li =] e Ce) 
S 2 ET = 
5G is eo 2 a 


Diagramme n°8. 
Ligne pointillée : densité de la population par acre dans cinq districts 
de Bombay, rangés par ordre de densité de population. 
Lignes pleines : mortalité par peste sur 1,000 habitants, de septembre 
1896 à juillet 1897 inclus, dans chacun de ces districts. 


populeux de la ville. On peut donc supposer que certains autres 
quartiers tels que Parel, Mahim et Sewree, où la mortalité fut 
élevée, étaient moins encombrés que ceux mentionnés dans le 
diagramme. C’est ce qui est admis dans le rapport du général 
Gatacre (p. 248). 


c. Dans le rapport du général Gatacre (p. 184), la densité de 


PROPAGATION DE LA PESTE. 137 


la population de cinq quartiers de la ville est spécifiée par acres, 
elle varie de 441,5 à 699,3. Pour montrer à quel point Bombay 
est encombré, on mentionne qu'à Londres le quartier le plus 
peuplé ne contient qu'environ 222 habitants par acre (550 habi- 
tants à l’hectare). 

Ces chiffres ont été disposés comme dans un précédent dia- 
gramme (diagramme n° 8). En s’en tenant à ces seuls chiffres, 
il paraïîtrait que les quartiers les plus encombrés souffrirent 


120 39 
\ 
LT 
A1 
è 9= 
100 4 “2 
\ 
A 
\ 
A 
“ 
\ oh 
60 \ ag 
\ 
\ 
$ 
i\ 
\ 
; \ 
60 \ 15 
\ 
\ 
1 
\ 
“ 
\ 
40 ù 10 
< - 
\ 
- 
DES = 
20 SR É 
«| 
EN 
[0] 0 
Ward E fl D A G J B 


Diagramme ne 9. 


Lignes pleines : mortalité par la peste dans chacun des arrondissements sani- 
nitaires de la ville de Bombay. Chaque arrondissement comprend plusieurs 
quartiers. 

Ligne pointillée : Nombre de maisons par mille, dans chaque arrondissement, 
condamnées comme impropres à l'habitation humaine. La figure montre 
qu'il y a relativement peu de maisons insalubres dans les arrondissements 
où la mortalité a été la plus élevée. 


moins de la peste que les autres. On peut citer encore le chiffre 
élevé de la mortalité parmi la population disséminée des régions 
de Mahim, Sewree et Parel. 
On pourrait cependant prétendre qu’en faisant le recense- 
ment du nombre des maisons dans chaque quartier où l’encom- 
47 


138 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


brement et l'hygiène défectueuse favorisent le développement 
des maladies, on obtiendrait des éléments de calcul plus précis 
qu'en prenant des chiffres qui ne visent qu'une condition parti- 
culière des habitations. 

Heureusement de tels chiffres sont à notre disposition. Ils 
sont dus à un médecin d’un jugement et d’une expérience 
notoire. A la page 102 du rapport du chef de la santé, il est 
dit que le chirurgien lieutenant-colonel Kirtikar fut chargé 
spécialement de fournir un rapport sur les bâtiments impropres 
à l'habitation. A la page 110 du mème rapport, on trouve une 
table relatant le nombre des demeures inspectées par ce fonc- 
tionnaire et reconnues par lui « partiellement ou totalement 
impropres à l'habitation, du 27 janvier au 30 juin 1897 ». Il est 
probable que, pendant plus de cinq mois, le D' Kirtikar employa 
tout son temps et toute son expérience à visiter les quartiers 
insalubres de Bombay. Le rapport ne dit pas si le D' Kirtikar a 
déjà terminé son travail, maisil est juste de supposer que pendant 
ce temps son attention s’est portée sur les points de la ville où 
des mesures urgentes devaient être prises. Le nombre total des 
logements déclarés insalubres s’est élevé à 1,903.:Tous les arron- 
dissements ont été visités par le D' Kirtikar. A l’aide de la table, 
j'ai calculé le nombre de logements déclarés malsains par mille 
maisons. J'ai fait le tracé des résultats dans le diagramme n° 9. 
Les valeurs obtenues sont indiquées par la ligne ponctuée. J’y 
ai ajouté le chiffre de morts par la peste dans chaque «arrondis- 
sement ». Ce qu’il y a de remarquable, c’est que la plus grande 
proportion des logements condamnés comme impropres à l’ha- 
bitation sont situés dans Les « arrondissements » de la ville qui 
n’ont pas été les plus sévèrement atteints par la peste. On 
constate que seulement 8,60 pour cent de logements condamnés 
étaient situés dans les arrondissements F et G, qui furent 
beaucoup plus sérieusement atteints que les autres. 


III. Une autre série de faits qui peuvent ètre cités en faveur 
de l'efficacité de l’aération est l’immunité vis-à-vis de la peste 
dont jouissent certaines classes de la population. 

Le chirurgien suppléant, capitaine G. S. Thomson, exerçant 
à Satara (dans la présidence de Bombay), signale l'immunité 
dont jouissent les mendiants vagabonds, sans abri, connus sous 


PROPAGATION DE LA PESTE. 139 


le nom de « byragees ». Ces mendiants ont des habitudes d'hy- 
giène personnelle déplorables, mais ils vivent constamment au 
grand air. Un recensement de 1881 fixe leur nombre au quar- 
ter de Satara à 9,485. Malgré ce chiffre important, le D' G.-S. 
Thomson, après une longue expérience, n'a jamais vu ni 
entendu parler d’un seul cas de peste dans cette population. 
L'immunité de ces gens qui vivent au grand air contraste avec 
la susceptibilité à la contagion des Brahmins de Saara qui, en 
dépit d’usages de propreté méticuleux, ne savent pas apprécier 
l'utilité de l'aération. Le chirurgien capitaine Thomson cite 
l'exemple d'un Brahmin, qui « avec sa femme, sa belle-mère, 
ses six enfants, dix buffles et trois bufflons vivaient pêle-mêle 
sur la même litière, toutes portes ou fenêtres closes ». 

L’immunité dont jouissent les « byragees » ne doit pas être 
cependant exclusivement expliquée par leur vie au grand air. 
Elle peut être due aussi à l’observance de cette croyance reli- 
gieuse qui leur interdit d'entrer dans une maison infestée par 
les rats. 


IV. Le chef de la santé publique parle dans son rapport 
(p. 174) de l'immunité remarquable des prostituées de Bombay 
qui résident principalement à Kamatipura, district des plus 
contaminés. En raison des exigences de leur métier, ces femmes 
tiennent ouvertes les portes et les fenêtres de leur maison la 
plus grande partie du jour et de la nuit. Leurs maisons sont 
donc mieux aérées que celles de leurs voisins de mœurs plus 
respectables. C’est là, semble-t-il, une preuve manifeste de 
l'efficacité de la ventilation. Mais cette immunité des basses 
classes de la société a été observée dans d’autres épidémies de 
peste, Baghurst, dans sa description de « la Grande Peste de 
Londres », dit : « Toutes les prostituées de Luteners Lane, 
Dog Yard, Cross Lane, Baldwin Gardens, Hatton Gardens et 
autres places, les camelots, crieurs d’oranges, d’huîtres, de 
fruits, etc., toute la populace des ivrognes et des miséreux res- 
tèrent indemnes. Très peu furent touchés mortellement. Ce qui 
justifiait le mot de Diemerbroeck « que la peste a épargné les 
corps pourris et a pris les sains », 

Procope, dans sa description de la peste sous Justinien, à 
Byzance (a. D. 543), dit : « Ut vere quis possit dicere, pestem illam, 


740 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


seu casu aliquo, seu providentia, quasi delectu diligenter habito, 
sceleratissimos quosque reliquisse. Sed hæœc postea clarius patuerunt. » 
Nous n'avons pas la preuve que la population dont parlent ces 
anciens auteurs ait vécu dans des maisons mieux aérées que 
celles de leurs voisins. D'ailleurs, l’immunité des prostituées à 
Bombay ne fut pas absolue‘. Le chirurgien capitaine Thomson 
parle de l’immunité relative des marins. Il cite un cas qu'il a 
étudié spécialement, celui d’un matelot frappé de la peste. Il 
découvrit que le malade était resté, avant d’être atteint, une 
semaine entière chez une prostituée. La prostituée mourut elle- 
même de la peste, mais le matelot guérit. L’immunité des 
femmes publiques à Bombay ne peut donc pas être regardée 
comme une preuve de la valeur de la ventilation. 


V. Le chef de la santé publique dit à la page 175 de son 
rapport : « que les boueux, malgré qu'ils travaillent mains et 
pieds nus dans la boue des maisons pestiférées, ont été, parmi 
les classes pauvres, les moins atteints. » Le nombre total de 
ces balayeurs chargés de la voirie et de l’enlèvement des boues 
et immondices (halalkalores et bigarries) se monte à un peu 
plus de six mille, dont la plupart (malheureusement on n’a pas 
les chiffres exacts) demeurent dans les bâtiments bien construits 
(chawls) appartenant à la municipalité. Ceux d’entre eux seule- 
ment qui habitent ces bâtiments jouirent d’une immunité rela- 
tive. Ceux, au contraire, qui habitent dans des maisons mal 
construites furent aussi gravement éprouvés que le restant de 
la population. (Rapport du chef de la santé publique, p. 174.) 
Cette immunité ne fut pas due au logement spacieux, car plu- 
sieurs de ces « chawls » furent très encombrés. 

L'un d’eux était occupé par 800 personnes avec, en moyenne, 
sept habitants par chambre, et situé dans un quartier très infesté 
(Kamatipura). Il n’y eut qu'un cas douteux vers la fin de 1896. 
L'immunité ne fut pas due, non plus, au déplacement prompt 

1. Un certain nombre d’Arabes résidant à Bombay avaient pris l'expérience 
de la peste dans les foyers endémiques de l’Arabie; ils ont, paraît-il, déclaré que 
la seule protection contre la peste était la syphilis. Boghurst, médecin qui 
écrivit sur la peste de Londres (1665), rapporte que plusieurs personnes eurent 
simultanément la syphilis et la peste, et qu’elles guérirent généralement. Il fait 


allusion à une rumeur d’après laquelle des gens se seraient inoculés volontaire- 


ment la syphilis pour diminuer le danger d’attraper la peste. (Voir Creighton, 
loc NC ip A675:) 


PROPAGATION DE LA PESTE. 144 


des malades, car, dans les rares cas qui se manifestèrent, les 
pestiférés ne furent pas isolés, mais soignés par leurs amis dans 
des chambres séparées du bâtiment où ils avaient été atteints. 

On a dit que les boueux étaient restés indemnes parce qu'ils 
avaient vécu dans des maisons mieux aérées. Ces maisons 
avaient bien des fenêtres, en effet, mais j'ignore si elles furent 
ouvertes plus souvent que les fenêtres des maisons mal cons- 
truites. Aucun chiffre n’est donné qui puisse nous éclairer sur 
le degré réel de cette immunité; mais, avant de conclure qu’elle 
fût due à l’aération, il ne faut pas oublier que les maisons bien 
construites, et exemptes de dépôt de grains, sont moins fréquen- 
tées par les rats que les maisons mal bâties. 


VI. L’effectif de la police de Bombay est logé en partie dans 
des baraques bien construites et, en partie, dans de vieilles 
maisons indigènes. Le tableau suivant, extrait du rapport du 
chef de la Santé, montre le contraste frappant dans la suscep- 
tibilité des deux parties de l'effectif policier à l'égard de la 
peste. 


NOMBRE DE PERSONNES 
ATTEINTES DANS LES 
ne 


Baraquements de Vieilles maisons 
la police. de la ville. 

AePolicereuropeenne.7t5004helacr. 0 1 
2. Police à cheval, Musulmans........ 2 0 
BR = ER HiNdous Ur Il 0 
4. — à pied, Musulmans.......... 0 af 
D. — Né Hindous 666. he 1 98 
6. Extra police, Ramoshis, Mahométans. 0 3 
1h — — Hindous..... 0 38 

Total : 4 151 


n 


Voici l'effectif de la police de Bombay, d’après les religions 
diverses. 
Chrétiens. Parsis. Juifs. Hindous. Mahométans. ToTaL. 
82 7 I 1.603 538 2.231 
Ce résultat tend, dit-on, à démontrer les effets heureux des 
maisons bien aérées. Mais, comme je l’ai fait observer, il ne 
suffit pas d’avoir des fenêtres, il est aussi nécessaire de les 
ouvrir, et rien ne prouve que les policiers qui habitèrent les 
baraquements aimaient plus que les autres le grand air. Le 
fait certain est que ces baraquements, mieux construits, étaient 


742 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


moins favorables à l'établissement des rats que lès vieilles 
maisons où logeait une partie de l’effectif de la police. 


VII, On a mentionné le cas de la prison de Byculla, où a 
éclaté une petite épidémie. Iei il est probable que la ventilation 
était aussi libre et l'encombrement aussi faible que cela est pra- 
tiquement possible. On peut donc arguer du petit nombre des 
cas pour conclure en faveur de la valeur de la ventilation. Mais 
on peut aussi conclure en faveur de la moindre virulence de la 
maladie dans un édifice bien bâti, où présumablement les rats 
étaient moins à leur aise que dans les maisons des districts 
environnants. 

. Dans les cas cités plus haut (V, VLet VIT), à propos des mai- 
“sons bien construites, outre l'absence des rats, nous devons 
retenir une autre cause d'immunité. C’est qu'il est plus facile de 
désinfecter de semblables maisons lorsque la peste s'y est 
montrée. 

Ceux qui ont un peu étudié la peste savent que le mot 
« désinfecter » comporte deux significations : jeter des désin- 
fectants dans un endroit contaminé, ou purger cet endroit de 
toute infection. En ce qui concerne la peste, il arrive souvent 
que, seule, la première signification est applicable. 

Plusieurs maisons de Bombay ont un sol en terre battue. 

Dans une maison de quatre étages que j'ai visitée à Bom- 
bay, le sol de chaque étage était formé d’une couche de terre 
noirâtre d'une épaisseur de quinze centimètres environ, qui, 
sans doute depuis des années, s'était imprégnée de détritus 
organiques de toutes sortes. L'emploi d’une pompe à incendie 
déversant des désinfectants sur ces parquets particuliers m'avait 
paru utile parce que l'opération rendait la maison inhabitable. 
Je ne crois pas du reste avoir obtenu d’autre résultat. 

Pendant mon séjour à Hurdwar, j'ai fait des expériences 
sur l'effet des désinfectants sur un sol de terre battue. 

La table suivante donne sous une forme condensée les résul- 
tats moyens de ces expériences. 

Sur 100 microbes présents dans un sol de bouse de vache et 
de terre mélangés, il s’en trouvait, vingt-quatre heures après le 
traitement : 


PROPAGATION DE LA PESTE. 743 


4. Sublimé au 10008, solution neutre................. 130 
2, — -— SOlUHLON. acide... Tree 1 
s. Chlornredechaucaud(0e2..….......... 11" UMImARe 3105 
4. Permanganate de potasse au 100e................. 85 
5. Acide sulfurique au 100e..... D AU US SIREN 3) 
6. Permanganate et acide sulfurique au 100€ chacun... 7 
TAGde SuUuriqe Anal A NL . .,. n e 142 
8. Acide carbolique commercial au 100e.......,..... 138 
ANS G EURE ER RL. LUCE 220 


D’autres observations, il ressort que l'impuissance de Pacide 
carbolique comme désinfectant ne doit pas être attribué à un 
pouvoir de résistance spécial des microbes qui existent dans un 
sol de terre et de bouse de vache, mais plutôt à la présence de 
quelque substance dérivée de la bouse de vache, qui neutralise 
l'effet de antiseptique. Naturellement, dans les expériences 2 
et 6 où quelques effets ont été obtenus, ceux-ci ont été limités à 
la surface du sol. Aussi longtemps que subsisteront à Bombay 
un aussi grand nombrede maisons ayant des sols de cette nature, 
il sera presque imprudent de compter sur le résultat de l’ap- 
plication des désinfectants. 

Les maisons bien construites, au contraire, sont à l'abri de 
l'invasion des rats et, si la peste y est introduite, il est 
possible que l'emploi des antiseptiques enraye le développement 
de l’épidémie. 


VIIL. C'est à ceux qui estiment que l’aération est l'unique 
remède à la propagation de la peste d’expliquer pourquoi les 
singes en sont atteints, eux qui vivent dans des conditions 
d'aération telles qu’il serait impossible aux hämmes de vivre 
de pareille façon. Plusieurs spécimens provenant de singes 
trouvés morts dans la ville de Kunkhal me furent envoyés. J'y ai 
trouvé des microbes typiques de la peste. Plus tard, lors de 
mon séjour à Hurdwar, j'ai trouvé des microbes de la peste 
aussi bien par l'observation que par la culture chez des 
singes trouvés morts à Jawalapur. 

Un singe apporté vivant dans mon laboratoire mourut 
spontanément une demi-heure après son arrivée. Je ne trouvai 
rien à l'examen microscopique de ses organes. Mais, dans une 
abondante sécrétion nasale, je découvris des microbes innom- 
brables dont l’apparence était identique avec ceux de la peste. 


744 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L'inoculation dans les narines d’un rat d'une petite quantité 
de cette sécrétion amena la mort par peste typique, mais un. 
autre rat inoculé sous la peau avec cette même sécrétion sur- 
vécut. Le mucus nasal contenait donc des microbes de la peste. 
La culture à aussi démontré la présence du bacille pesteux dans 
les organes du singe. 

Cela montre qu’un examen sommaire et trop rapide du 
cadavre du singe aurait pu faire méconnaître la cause réelle de 
sa mort, qui était bien la peste. 


IX. On peut trouver encore des preuves bactériologiques en 
faveur de l’idée que le virus de la peste peut ètre détruit par 
l’aération: D'accord avec d’autres observateurs, j'ai trouvé que 
le microbe de la peste est tué après quelques heures de dessic- 
cation à l'air, en couche mince sur une lamelle; mais j'ai 
constaté au contraire que rapidement séché dans un courant de 
gaz hydrogène purifié et sec dans l’intérieur de ballons de 
verre, il demeurait vivant pendant cinq jours au moins. Occa- 
sionnellement j'ai remarqué que, pendant l'été, fort sec à 
Hurdwaar, le microbe de la peste était sujet à périr dans les 
cultures sur gélose en une quinzaine de jours, mais je l’ai retrouvé 
vivant dans une culture de Bombay hermétiquement scellée 
depuis sept mois. 

Ce qui concerne l'influence de l’aération et de l’encombre- 
ment des logements peut être résumé comme il suit : 

Un examen des données fournies par les rapports officiels 
montrent que les quartiers de la ville où la population est la plus 
dense n’ont pas été plus gravement atteints de la peste que les 
autres. 

Aucun rapport n'existe entre l'intensité de la maladie et le 
nombre moyen des habitants par maison dans les différents 
quartiers de la ville. 

La plupart des logements déclarés insalubres étaient situés 
dans les quartiers qui furent le moins gravement atteints. 

Parmi lés quartiers les plus violemment frappés, du moins 
dans la ville et l'ile de Bombay, il s’en trouva trois des moins 
peuplés, et où les habitants sont le plus desséminés et vivent 
dans les maisons les plus espacées les unes des autres. 

.. Un contraste remarquable existe entre limmunité dont 


PROPAGATION DE LA PESTE: 745 


jouirent les hommes de police et les boueux selon qu’ils étaient 
logés dans des habitations saines ou dans des maisons mal 
construites. Cette différence s'explique par ce fait que les habi- 
tations neuves sont moins envahies par les rats. 

On voit qu'aucune des statistiques officielles relatives à la 
peste de Bombay de 1896-1897 ne peut être utilisée pour 
confirmer l'idée ancienne que la peste est le résultat d’une 
atmosphère viciée,et qu'on peut l’'empècher par une grande 
aération. D'un autre côté, ces statistiques confirment les conclu- 
sions du commissaire municipal de Bombay, et du chef de la 
santé publique, à savoir que lémigration des rats est 
l'agent de la propagation de la maladie le plus important dans 
une grande ville. 

Bien que les chiffres utiles ne soient pas assez complets, ils 
montrent que l'état favorable au développement de i’épidémie 
ne consiste pas surtout dans le manque d’air ou de lumière 
ni dans l'encombrement, mais seulement en ce que les maisons 
affligées de ces défauts sont généralement mal construites et par 
conséquent plus accessibles à l’envahissement par les rats. 

Les deux quartiers de Bombay qui ont échappé le plus 
complètement à l'épidémie sont Forth-South et Esplanade. Dans 
ces deux quartiers, les maisons sont construites en pierre {et 
aussi bien bâties que celles qu’on rencontre dans les meilleurs 
quartiers des grandes villes européennes, et ainsi peu favorables 
à l'établissement des rats. 

Le quartier de Walkeshwar où l'épidémie sévit plus cruelle- 
ment présente un exemple instructif, 

Ce quartier, qui forme le faubourg le plus à la mode de 
Bombay, renferme de nombreuses maisons bien construites qui 
abritent des Européens ou de riches indigènes. En général, les 
attaques de peste ne se manifestèrent point dans ces maisons 
bien établies, mais seulement dans les petites maisons voisines 
mal bâties qui s’y trouvent également. Les rats qui émigrèrent 
dans cette direction peu de temps avant que la [peste devint 
épidémique avaient plus facilement trouvé asile dans-les petites 
maisons. 

Les maisons espacées et peu habitées des quartiers de Sewree, 
Parel et Mahim, où la mortalité fut énorme, consistaient surtout 
en cabanes obscures, et, il faut bien l’admettre, mal aérées, cons- 


746 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


truites en bambou brisé, avec toits de nattes en feuilles de pal- 
mier. Mais, on ne pouvait rien imaginer de plus accessible aux 
milliers de rats dont on signala l’émigration vers ces quartiers. 
Quand on enlevait la toiture de ces cabanes, on trouvait fréque- 
ment des nids de jeunes rats entre les feuilles dont elle était 
formée. 


VII 


Nous envisagerons maintenant les considérations qui 
suggèrent que les rats, quoique présentant le plus grave dan- 
ger, ne sont pas nécessairement les seuls agents de propaga- 
tion de la maladie. 

Lors de mon récent séjour à Bombay, j'ai appris que depuis 
l'épidémie de 1896-97 la maladie était restée endémique, non pas 
dans les quartiers les plus insalubres et les plus encombrés de 
la ville, mais à Mandvie et Lower Colaba, quartiers dans lesquels, 
grâce à la présence des dépôts de grains et de coton brut, les 
rats sont en plus grand nombre. On a prétendu que la peste s'y 
maintenait par le passage du virus d’un rat à l’autre. Lorsqu'un 
certain nombre de ces passages de virus a été fait, le microbe 
atteint assez de virulence pour attaquer les hommes. Cette hypo- 
thèse pourrait s'appuyer sur le fait cité plus haut de la persis- 
tance de la peste dans les quartiers de Bombay les plus peuplés 
par les rats. Mais cette hypothèse avait besoin d’être confirmée 
par l’expérience et, après plusieurs essais, j'ai obtenu un résultat 
contraire à mes prévisions. 

A Bombay, où j’ai travaillé sur un virus de peste parfaitement 
virulent, ainsi qu'à Hurdwar, où mon virus était probablement 
plus faible, j'ai trouvé que, par le passage d'un rat à un autre, le 
microbe de la peste n’était pas renforcé, mais, au contraire, 
rapidement atténué. A la mort d’un rat inoculé de la peste, je 
me suis servi du sang ou de la rate de l’animal pour en inocu- 
ler un autre. De celui-ci je me suis servi pour inoculer un troi- 
sième rat..Si ce dernier rat meurt, on observera moins de 
microbes dans ses organes que dans les deux premiers. Il sur- 
vivra peut-être; mais s’il meurt, un quatrième rat à qui j'aurai 
inoculé de ses organes restera sûrement en bonne santé. 

Ce résultat est d’autant plus remarquable que j'ai trouvé, 


PROPAGATION DE LA PESTE. 747 


conformément à des observations précédentes de Yersin, que le 
passage du virus chez les souris augmente la virulence de la 
peste. Mes expériences ont été faites avec des souris blanches. 

Yersin — je le tiens de lui-même — employait des souris 
brunes pour ses expériences. Cette différence dans la façon dont 
le microbe se comporte chez les souris et chez les rats est aussi 
remarquable, parce que les rats dans la nature semblent être 
plus sensible à la peste que les souris. 

À Bombay, selon plusieurs observateurs (voir le rapport du 
chef de la santé, p. 70) les souris restèrent indemnes dans les 
quartiers où les rats succombaient à la peste en grand nombre. 

J'ai appris cependant, par le chirurgien capitaine Ghilde, de 
Bombay, qu'il trouva une souris morte de la peste. 

M. Simond m'a informé qu’il avait étudié une apparition de 
la peste à Bandora (près Bombay) où les souris mouraient 
comme les rats. M. Bitter, du Caire, m'écrit qu'il constata qu'à 
l’occasion de l'épidémie de Djeddah les souris et les rats furent 
atteints par la peste. Lors de l'apparition de la peste à Kankhal 
et à Jawalapur, on n’y trouva que deux souris mortes, mais 
dans aucune je ne pus retrouver trace de microbes ressemblant 
à ceux de la peste. Les rats sont plus susceptibles à prendre la 
peste par voieintestinale que les souris, mais les rats eux-mêmes 
échappent à la maladie si on leur donne à manger des microbes 
qui ne sont pas extrêmement virulents. 

En présence de ces résultats, la persistance de l’infection 
dans une localité ne doit pas être attribuée simplement aux 
passages de rats à rats avant que des recherches plus détaillées 
aient été entreprises. Les rats, comme nous l’avons montré dans 
la première partie de cette étude, peuvent transporter l'infection 
d'un quartier à un autre, mais il ne paraît pas qu'ils soient 
capables de maintenir la virulence du microbe. Un autre agent 
de propagation doit entrer en ligne. Il est possible que, pour 
rester virulent, le microbe doive passer du rat dans un autre 
milieu, sol ou eau stagnante, ou peut-être le corps d'un insecte, 
et de là à un autre rat. En tout cas, il reste des recherches à faire 
avant d'émettre une opinion positive à ce sujet. 


=] 
CS 
(ee) 


ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


VII 


Un autre fait montrant qu’un autre agent que les rats est 
nécessaire pour expliquer la persistance de l'infection de la 
peste, c'est que l'épidémie peut continuer à sévir avec violence 
chez les hommes longtemps après la disparition complète des 
rats. 

Par exemple, dans le quartier de Walkeshwar, la peste ne 
devint épidémique que vers la fin de janvier 1897. Des rats 
étaient trouvés morts dans cette localité peu de temps avant cette 
époque. Vers le milieu de mars, au dire des habitants, on n'y 
voyait plus un seul rat (voir le rapport du commissaire munici- 
pal, p. 10). Cependant l'épidémie ne prit fin qu’un mois plus tard. 
Vers le commencement de décembre, presque tous les rats dispa- 
rurent de Mandvie, mais l'épidémie continua dans ce quartier 
jusqu'à mai. 

Dans le courant du mois de janvier, le commissaire muniei- 
pal, au cours de ses recherches, trouva que les rats avaient 
quitté les quartiers du centre dg la ville où, comme à Kamati- 
pura, la peste continua jusqu’en mai. 

Ceci montre que l'infection, ayant été introduite par les rats, 
peut continuer à l’état endémique quelque temps après la dispa- 
rition de ces animaux. 

En admettant que les rats jouent un rôle important dans la 
propagation de la peste dans les grandes villes, telles que Bombay 
et Kurrachie, il n’est pas nécessaire de croire qu'ils jouent 
exactement le même rôle dans d’autres lieux où les conditions 
de la vie ou du elimat, etc., sont différentes. 

L'histoire de l'apparition de la peste, dans les villes de 
Hurdwar, Kankhal et Jawalapur, suggérait l'idée que, là, les 
rats jouèrent un rôle différent de celui qu'ils eurent à Bombay, 
dans la propagation de l'épidémie. 

J'ai recueilli des renseignements dans les rapports ofliciels 
publiés à ce sujet dans La North West Provinces Government 
Gazette (24 juillet 1897, p. 211; 6 novembre 1897, p. 329, et 
27 avril 1898). 

Hurdwar est une petite ville, très sainte aux yeux des Hin- 
dous. Elle est située au point où le Gange sort des montagnes de 


PROPAGATION DE LA PESTE. 149 


l'Himalaya. Des milliers de pèlerins, venus de tous les points de 
l'Inde, la visitent annuellement. Des fakirs, des prêtres, des 
personnages religieux ou trafiquant avec les pèlerins habitent la 
ville. Près de la ville, se trouvent deux autres centres: Kunkha! et 
Jawalapur, dont les habitants ont les mêmes occupations. La 
population totale de ces trois villes ne s'élève pas à trente mille 
habitants. 

Du 8 avril au 8 juin 1897, dix-huit cas de peste eurent lieu 
à Hurdwar; les huit premiers dans un quartier éloigné du 
centre de la ville. Ce quartier fut complètement évacué. Le 
dernier cas est du 22 avril. Mais, le 7 mai, un prêtre des envi- 
rons obtint l’autorisation d'assister, dans la partie évacuée, à la 
désinfection de quelques vêtements appartenant à un temple. 
Ces vêtements avaient été déposés dans une maison. On suppose 
que le prêtre dormit cette nuit-là dans la maison ou sur les 
vêtements qui étaient placés dans une véranda; sept jours après 
il fut atteint de la peste. Successivement, neuf autres cas se 
déclarèrent dans différents quartiers de la ville. 

En dépit d’une enquête soigneuse, on ne releva aucune 
mortalité parmi les rats à Hurdwar. Si la maladie avait été due 
aux rats, on aurait dû voir des marchands de grains parmi les 
premières victimes, comme cela se produisit à Bombay et pen- 
dant la peste de Pali, en 1836-1837. Aucun marchand de grains, 
mais quelques marchands de confiseries furent atteints. 

Dans le courant de juin 1897, une mortalité parmi les rats 
fut observée dans la ville voisine de Kunkhal, près d’un dépôt 
de grains. Sur neuf de ces rats que j'ai examinés, j'ai trouvé 
les microbes de la peste par l’examen microscopique, et par la 
culture sur quatre d’entre eux. 

On suppose que ces rats ont été contaminés par l'absorption 
d’une nourriture malsaine, telle que des confiseries apportées 
clandestinement de Hurdwar. Les cadavres des rats ont été 
trouvés près d’un grand magasin de grains. Aucun cas de peste 
ne se manifesta alors parmi la population de Kunkbhal, sauf chez 
nne vieille mendiante qu'on suppose avoir été contaminée à 
Hurdwar. Ce résultat satisfaisant peut être dù aux mesures 
énergiques de désinfection qui avaient été prises. L’épidémie 
parmi les rats se termina vers la fin de juin: une trentaine 
avaient été atteints, 


750 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Mais, le 16 septembre, un cas de peste se révéla chez un 
habitant qui n'avait pas quitté Kunkhal. il fut de suite envoyé : 
à l'hôpital. 

De cette date au 4 novembre 1897, 51 cas de peste furent 
signalés à tous les coins de la ville, quoique en certains points 
des foyers plus intenses s'étaient formés. On procéda alors à 
l'évacuation de la ville entière. 

Vers le milieu d'octobre, on observa, parmi les singes, des 
cas de peste pendant une quinzaine de jours. Les singes étant 
des animaux sacrés pour les Hindous, il était impossible de les 
tuer. On en captura donc quelques centaines qu'on laissa en 
cage jusqu’à ce que l'épidémie fût passée. 

Pendant cette période, un seul rat mort de la peste fut trouvé 
à Kunkhal. 

Durant tout ce temps, la ville voisine de Jawalapur avait été 
surveillée avec soin. Le 9 octobre 1897, on y trouve un rat 
mort, mais dans lequel aucun microbe de la peste n'a été 
rencontré. 

Le 9 janvier 1898, un cas de peste se produisit à Jawalapur. 
Peu après, deux parents du pestiféré sont atteints à leur tour 
pendant un séjour au camp des isolés, ainsi qu'un infirmier 
indigène attaché au service de ce camp. 

Aucun cas ne se produit plus jusqu'au 4 février 1898. Mais, 
dans le courant de ce mois, 24 cas nouveaux se déclarent : en 
mars 66 et en avril 19. La grande majorité des habitants 
(14,000 personnes) se décida alors à s’exiler volontairement, et 
la ville fut évacuée définitivement. 

Dans le campement des évacués, plusieurs cas se produisirent 
parmi de nouveaux arrivants de la ville. On note encore quel- 
ques pestiférés parmi ceux qui obtinrent la permission de 
retourner à la ville pour une seule journée, afin d'assister à la 
désinfection de leurs maisons, ainsi que parmi les travailleurs 
occupés à ces travaux de désinfection. Vers la fin d'avril, l’épi- 
démie paraissait terminée”. 


1. Pour donner queiques renseignements précis sur les mesures qui furent 
prises contre la peste, je dirai que du commencement de février au 22 avril, 
801,805 personnes, habitant les villages environnants, furent examinées et réexa- 
minées. Ces investigations firent découvrir quelques pestiférés dans dix villages. 
La population exposée à la contagion, dans ies villages reconnus infectés, s’éleva 
à 34,000 environ. Jusqu’au 27 avril, 271 cas de peste se produisirent. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 751 


Dans le courant de février et mars, plusieurs singes mou- 
rurent de la peste. D’après ce que je sais, on ne trouva pas, 
pendant toute la durée de la peste, plus d’une demi-douzaine de 
rats morts à Jawalapur. 

Au sujet de l'épidémie d'Hurdwar, il n’y a aucune raison de 
supposer que les rats furent pour quelque chose dans la durée ou 
la propagation de la peste. Les premiers cas se manifestèrent 
dans une maison fréquentée par des pèlerins qui arrivaient d’une 
région infectée (Sind). Il y a des raisons de croire qu'ils avaient 
apporté la peste, quoique restant eux-mêmes en bonne santé. 

Le grain vendu à Hurdwar est généralement emmagasiné à 
Kunkbhal. 11 v a lieu de croire que les rats sont rares à Hurdwar, 
les maisons de cette ville étant de construction excellente, 

Quant à Kunkhal, il est certain que l'épidémie des rats n'a 
pas produit une infection immédiate des hommes, grâce peut- 
être aux mesures de désinfection qui furent prises à Kunkhal 
avant même qu’on eùt remarqué la mortalité des rats. Il est pos- 
sible, sans qu'il soit permis d'affirmer ou de nier, que la conta- 
gion des rats de Kunkhal a produit une infection de la localité 
qui, trois mois plus tard, a causé lépidémie parmiles hommes. 

En ce qui concerne Jawalapur, où la maladie fut plus violente 
que dans les deux autres villes, il est permis de soupçonner la 
contamination par les rats sans qu'on ait pu cependant l’affirmer 
avec autant de raison que pour Bombay. D'abord, on peut affir- 
mer que le nombre des rats trouvés morts à Jawalapur n’est pas 
suffisant pour expliquer une épidémie aussi violente et d'aussi 
longue durée que celle qui a eu lieu. Ensuite, il faut admettre 
qu'il est possible que l’autorité n'ait pas eu connaissance du 
nombre véritable des rats trouvés morts et qu'il peut avoir été 
très supérieur à celui cité. 

Dans les villages et les petites villes de l'Inde supérieure, il 
se trouve une ie quantité d'animaux qui vivent exclusive- 
ment des immondices. Les chiens, les chacals. les vautours, ete., 
enlèvent Lous les détritus avec une rapidité incroyable. Un jour, 
par exemple, j’ai observé et compté environ 350 vautours sur- 
veillant, près d’Agra, le travail d’un boucher occupé au dépeçage 
d’un bœuf. Sa famille était très affairée à préserver les parties 
utilisables du bœuf. En un clin d’œil les oiseaux en eurent fait 
disparaitre le restant. 


pa 


752 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Dans une ville évacuée, dont les maisons sont rarement éle- 
vées d’un ou deux étages comme Jawalapur, il est probable que 
ces oiseaux (qui vivent d’immondices, rappelons-le) enlevaient 
les rats morts beaucoup plus rapidement qu’à Bombay où les rues 
sont obscures et les maisons fort élevées. 

En second lieu 1l est à supposer qu’à l’époque où éelata l’épi- 
démie, il n’y avait que peu de rats à Jawalapur. Les récoltes 
étaient encore sur la terre et les rats avaient quitté les maisons 
pour les champs. 

Outre les affirmations qui m'ont été données, les raisons que 
j'ai eues en faveur de cette supposition sont les suivantes : 

Pendaut les mois de mars et d'avril 1898, j'ai été en station- 
nement près de Hurdwar pour étudier la peste. J’ai eu besoin de 
rats pour mes expériences, mais, en dépit des pièges tendus à 
Kunkhal, Mayapur, Agra et Roorkee, très peu ont été capturés. 
Avant etaprès cette époque, quand il n’y avait plus de récoltes 
dans les champs, je n'avais aucune difficulté à capturer tous les 
rats qui m'étaient nécessaires. Si ma supposition concernant 
l’émigration des rats est juste, il est étrange que la cessation de 
la peste à Jawalapur ait coïncidé avec la rentrée des récoltes, 
c’est-à-dire avec le retour des rats à la ville. 

On m'a raconté qu’à Guhrwal, où la peste est endémique, les 
rats désertentles champs et regagnentles maisons à des époques 
fixes de l’année. On dit qu’à Guhrwal la peste éclate générale- 
ment à l’époque de la disette, c'est-à-dire au moment où les habi- 
tants vident les silos où ils cachent leurs grains. On en a conclu 
que la peste résultait du grain infesté, mais1l y aune autre hypo- 
thèse : c’est que la disette a aussi attiré les rats dans les maisons 
et que leur arrivée a causé le commencement de l'épidémie. 


IX 


L'existence d'une période d’incubation observée dans la 
localité est d’une grande importance pour la question que nous 
traitons. | 

A l’occasion d’une discussion importante sur la peste qui eut 
lieu récemment devant la Société médicale et physique de Bom- 
bay‘, le chirurgien lieutenant-colonel Clarkson dit que si l'infec- 


1, Voir Proceedings of the Bombay Medical and Physical Society. Vol. I. 
Février, mars et avril 1898. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 153 


tion de la peste est importée dans une localité par les rats, les 
êtres humains tombent malades au bout de quelques jours. Si, 
au contraire, la contagion est importée par les êtres humains, 
ceux-ci ou même les rats ne sont souvent contaminés qu'après 
un laps de temps d’un mois à six semaines. Qu'est-il arrivé pen- 
dant cette longue période d’incubation ? On sait que si la conta- 
gion est amenée par les rats, une épidémie humaine s'ensuit 
presque toujours, alors que si la contagion est importée par 
l'agent humain, dans la plupart des cas et peut-être même dans la 
majorité des cas, il n’y a pas d'infection ultérieure. Par exemple. 
pendant les cinq premiers mois de l'épidémie de Bombay, vers 
la fin de 1896, il n’y eut que quatre autres villes qui furent infec- 
tées. A cette époque, cependant, environ deux cent mille per- 
sonnes s'étaient enfuies de Bombay. 

J'ai trouvé les exemples suivants d’une longue période d'in- 
cubation dans une localité. 


I. Voici la description du début de la peste à Londres en 1665, 
par Defoe : 

«Il y a vraiment une difficulté que je n’ai pu résoudre jus- 
qu'à présent; voici les faits : la première personne qui suecomba 
à la peste est morte le 20 décembre 1664 à Long Acre. On a dit 
que cette première victime avait contracté le germe infectieux 
d'un paquet de soie arrivant de Hollande et déballé dans la mai- 
son. Mais ensuite nous n'avons pas entendu dire qu'aucune per- 
sonne mourut de la peste dans cet endroit avant le 9 février, 
soit sept semaines après. Alors une autre personne de la même 
maison fut enterrée. Maïs la maladie s’apaisa et nous fûmes par- 
faitement tranquillisés pour le public, car aucun cas n’est men- 
tionné dans le rapport hebdomadaire de la mortalité, jusqu’au 
22 avril. Cependant la peste faisait deux morts de plus, non dans 
la même maison, mais dans la même rue, et, si je me souviens 
bien, dans la maison la plus voisine de la première. 

«Cet événement se produisit au bout de neuf semaines. 

«Nous n’en n'avions plus que pour une quinzaine de jours de 
répit : alors la peste éclata dans plusieurs rues simultanément et 
se répandit partout. La question qui se pose donc est la suivante : 
où était le germe de l'infection pendant tout cetemps-là? Comment 
le mal demeurait-il à l’état latent sans se manifester davantage” 

48 


754 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Est-ce que la maladie ne se propage pas immédiatement par la 
contamination d'un corps à l’autre, ou bien le corps est-il capable 
de garder le germe de l'infection plusieurs jours, plusieurs 
semaines, une quarantaine ou une soixantaine de jours, plus 
peut-être, sans què la maladie se révèle ? » 

Ce récit est fait d’après les rapports hebdomadaires de la 
mortalité qui existent encore aujourd'hui. Mais Defoe, ne sachant 
comment expliquer que l'infection puisse demeurer aussi long- 
temps à l’état latent, cherche à émettre l'hypothèse que l'inter- 
valle apparent était fécond en cas de morts, mais que ceux-ci 
étaient tenus secrets. 


IL. On dit que la peste de Marseille fut importée en 1720 par un 
vaisseau, le Grand-Saint-Antoine, qui avait quitté Saïd (Syrie) le 
31 janvier avec un chargement de soie. Deux cas de mort se pro- 
duisirent pendant la traversée, mais on ne sait s’il faut les attri- 
buer à la peste. Le vaisseau arriva à Marseille le 23 mai. Deux 
jours après son arrivée au port, un homme de l’équipage fut 
atteint de la peste. Le vaisseau et son chargement furent immé- 
diatement mis en quarantaine. La personne atteinte ensuite fut 
un des hommes qni portaient des marchandises à Pile où était 
établie la quarantaine. Ce cas fut suivi de celui d’un chirurgien 
envoyé par les magistrats pour examiner les corps. Selon Mead', 
un intervalle suivit, « car six semaines s'étaient déjà écoulées 
depuis la mort du marin qui avait donné l'alarme et appelé lPat- 
tention générale avant que les magistrats eussent reçu le rapport 
d’un décès attribué à la peste dans la ville, et je crois que jamais 
auparavant on n'avait vu de peste, une fois déclarée, s’apaiser si 
longtemps pendant l'été. » 


HIT. La ville de Satara (Inde) compte environ 25,000 habitants. 
La peste y éclata en décembre 1897 et se prolongea sous la 
forme épidémique jusqu’en mars 1898. Grâce apparemment à 
l'excellente organisation du service d'hygiène, 781 cas seulement 
se produisirent jusqu'à cette dernière date. Le 1° mars 1898, la 
population était tombée à 3,438 habitants, tous logés dans des 
maisons bien construites et bien aérées. Le reste de la population 
était dans des campements sanitaires ou avait quitté le district 


1. Mean, À discourse on plaque, % édition, Londres 1774; première édition 
parue en 1720. II cite le « Journal de ce qui s’est passé à Marseille», v. p. 53. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 199 


après un séjour suffisamment prolongé dans ces camps. Avec une 
organisation aussi parfaite, ilest peu probable que des décès soient 
restés ignorés. J'ai recueilli ces renseignements dans un rapport 
du chirurgien Thomson, lu par lui devant la Société médicale et 
physique de Bombay ‘. Selon M. Thomson, l'infection fut intro- 
duite par un habitant de Satara qui était allé percevoir des 
impôts dans une enceinte infectée, et fut atteint de la peste à son 
retour le 27 septembre 1897. 

Le 3 octobre, le premier cas réellement indigène se produisit. 
L'enfant de ce collecteur de Satara mourut en deux jours. Quel- 
ques autres cas se manifestèrent bientôt après dans la localité. 
Quatre maisons furent infectées. Aussitôt les toits furent enlevés, 
les maisons désinfectées et puis brülées. Les habitants de ces 4 mai- 
sons furent relégués dans un camp situé à deux milles en dehors 
de la ville et tous restèrent en bonne santé. Je regrette que le 
chirurgien Thomson n’ait pas fourni de détails plus précis sur 
les autres cas de ce foyer. Après un laps de cinq semaines seu- 
lement depuis le premier cas, la peste se déclara sous la forme 
épidémique dans les maisons voisines de celles détruites. Le 
10 novembre, le chirurgien Thomson fut appelé à examiner de 
prétendues morsures de serpent dans une maison située à 
100 yards de l'enceinte infectée. Il trouva un garçon mort de la 
peste, et un autre garçon ainsi que deux femmes atteintes de la 
maladie. Tous avaient été soudainement frappés pendant la 
nuit. Dès ce moment, la maladie commença à se répandre dans 
le voisinage. 

On peut objecter à cette relation du chirurgien capitaine 
Thomson que, dans le courant de cinq semaines, quelques cas 
importés se produisirent en dehors de l'enceinte infectée. La 
maison où les quatre cas avaient eu lieu le 10 novembre était 
habitée par deux familles de coiffeurs. Il n’y a pas de preuves 
qu'ils n'aient pas contracté l'infection de quelque cas importé 
de loin. On rapporte que de grandes quantités de rats morts de 
la peste ont été trouvés dans la ville, mais nous ne savons pas 
s'ils ont été trouvés dans Le foyer originel de l'infection. Tout 
ce qu'on peut établir de façon certaine, c’est que, pendant quel- 
ques semaines, l'infection ne revètit pas un caractère épidémique. 


4. Publié dans les Proceedings pour mars 1898, 


756 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


IV. Nous avons des détails plus exacts dans un rapport du 
chirurgien-major Collie sur la peste dans la ville de Hubli 
pendant les trois premiers mois de 1898 *. 

Le 10 octobre 1897, la peste se manifesta dans quelques 
bâtiments habités par les employés du chemin de fer près de la 
ville de Hubli. Des mesures préventives furent prises et la 
maladie prit fin le 13 décembre 1897, après avoir atteint 35 per- 
sonnes sur 1,200 employés de chemin de fer qui y furent expo- 
sés. L'apparition de la peste présentait un grand danger à Hubli, 
qui est peuplé d'environ 50,000 habitants. Les mesures prises 
pour le conjurer comprenaient un rapport quotidien de chaque 
propriétaire de maison, et des mesures pour prévenir de chaque 
cas de mort ou de maladie, avec défense de laisser brüler ou 
enterrer un corps sans avoir fait inspecter le cadavre par un 
médecin. 

Voici la liste des premiers cas de peste relevés à Hubli : 


Numéro des cas. Dates. Remarques. 
il 4 nov. 1897 Importé. 
2 4 nov. 1897 — 

3 7 déc. 1897 — 
4 13 déc. 1897 Importé probablement. 
b) 14 déc. 1897 Importé. 
6 20 déc. 1897 — 
7 31 déc. 1897 — 
8 9 janv. 1898 Local. 
9 9 janv. 1898 — 
10 30 janv. 1898 — 
11 1 fév. 1898 — 
12 3 fév. 1898 — 
13 7 fév. 1898 — 
14 4 mars 1898 — 
415 4 mars 1898 — 
16 4 mars 1898 — 
17 . D mars 1898 — 
18 6 mars 1898 — 
19 8 mars 1898 — 
20 20 mars 1898 — 


Il paraît que la gravité de l’épidémie augmenta par la suite, 
mais nous n'avons pas de chiffres détaillés. 
Au sujet des cas importés de cette liste, il y a des raisons de 


4 Voir Plaque operations ab Hubli, with remarks on plague, par le capi” 
taine chirurgien Meyer, et Continuation of the plague history of Hubli, par le 
chirurgien-major Collie, Proceedings Bombay Med. and Phys. Society. Vol. II, 
nc 2, et d avril et février 1898. 


PROPAGATION DE LA PESTE. 157 


penser que le n° 3 fut la cause de l’expansion ultérieure de 
l'épidémie. Il s’agit ici du cas d’un nommé Shidu qui, avec l’aide 
d'amis qu'il comptait dans la police, réussit à franchir le cordon 
sanitaire et à pénétrer dans les bâtiments occupés par les em- 
ployés de chemins de fer. Il y resta une nuit, puis retourna chez 
lui à Hubli. Sa maison se trouvait dans une rue appelée Mabrati- 
Gully, et c’est là qu’il subit les premières atteintes du mal. 
Effrayé par les mesures préventives, il s'enfuit de la ville avec sa 
femme. Il chercha à pénétrer dans plusieurs villages, mais les 
habitants le repoussèrent. Finalement il fut abandonné par le 
cocher de sa voiture, et mourut dans une jungle le 7 décembre. 

Dans le courant de décembre, on signale trois autres cas de 
peste importés. Il est difficile de préciser l'origine d'un quatrième 
cas, mais il a toute probabilité pour le considérer comme un cas 
d'importation. Trois d’entre eux se déclarèrent sur une place 
toute proche de l’habitation de Shidu (cas n° 3). Mais ce quartier 
est également près de la gare et est occupé par une population 
voyageuse : on devait en conséquence trouver la majorité des 
cas importés dans ce quartier. 

Ce ne fut que le 9 janvier 1898 que des cas sans doute d’ori- 
gine indigène furent découverts. Deux enfants furent touchés 
qui demeuraient dans la rue de la maison de Shidu, du côté 
opposé et à 48 mètres de distance environ. C’est alors qu'on 
déclara la ville infectée, et la plus grande partie de Mabrati-Gully 
fut évacuée. Le cas suivant fut celui d’un homme qui avait passé 
21 jours dans le campement sanitaire. 

Le 20 janvier, il avait appris qu'on avait donné l’ordre de 
détruire sa cabane contiguë à la maison de Shidu (cas n° 3). En 
corrompant la police, il réussit à quitter le camp et à atteindre sa 
cabane le 22 janvier. Il emporta deux habits et retourna au camp 
où il mourut le 30 janvier. Il se trouve sur la liste sous le n° 10. 
Son histoire prouve une fois de plus que la maison de Shidu est 
restée infectée. 

Le 1° février 1898, une autre personne fut frappée (n° 11 de 
la liste) dans une maison voisine de l’enceinte abandonnée et à 
50 mètres de la maison de Shidu. 

Les 12 et 13 de la liste sont datés des 3 et 7 février et ont eu 
lieu à une distance de 139 mètres de la maison de Shidu. 

A cette occasion, le chirurgien-major Collie fit brüler toute la 


198 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


rue de Mahrati-Gully, mais cette mesure énergique fut encore 
insuffisante pour arrêter l’expansion de l'infection. 

Trois personnes moururent le 4 mars 1898, deux d’entre 
elles dans des maisons sises à 60 mètres de la maison de Shidu, et 
la troisième à 145 mètres de la même maison. Dès cette époque se 
révélèrent des cas isulés et éloignés les uns des autres. Ils étaient 
dispersés dans la ville loin du lieu où la maladie avait pris 
naissance. 

Voici ce qu’en dit le chirurgien-major Collie : 

1° Qu'une enquête minutieuse n’a jamais montré qu'il y eût 
eu des relations entre les victimes. En général, elles ne se con= 
naissaient même pas et appartenaient à des castes différentes, 
comme montre le cas des Brahmins (n° 14, 15 et 16) ; 

2° Qu'une longue période de temps s'était écoulée entre 
chaque cas en janvier et février ; 

3° Que les maisons où se produisirent les cas consécutifs 
étaient séparées l’une de l'autre; que la peste franchit apparem- 
ment des quartiers très populeux avant de trouver un nid favo- 
rable à son développement; 

4° Qu'on n’y trouva ni rats morts, ni rats malades; 

5° Qu'il est impossible, avec notre connaissance actuelle de 
l'histoire des bacilles, de déclarer qu'une place infectée et 
évacuée ne contient plus Le virus pesteux, jusqu'à ce que la popu- 
lation entière y soit revenue et ne présente aucun cas de peste 
pendant une période prolongée. « D’après ce que j'ai appris, dit 
le chirurgien-major Collie, il n’est pas probable que la maladie 
se soit propagée à la suite d’un contact direct entre les hommes. 
Les mesures prises pour connaître les cas de maladie et de mort, 
ainsi que les longs intervalles entre les cas successifs excluent 
réellement l’idée de l'infection humaine directe. De plus, il n’est 
pas rare de voir des mères atteintes de peste, même de peste 
pneumonique, allaiter leurs enfants sans les contaminer,, et aussi 
des enfants pestiférés nourris par leurs mères sans que celles-ci 
contractent le mal. 


V. Des faits relatifs à la propagation de la peste dans les villes 
de Hurdwar, Jawalapur et Kunkhal ont été rapportés dans la 
première partie de cette étude. Ces villes sont situées à plusieurs 
centaines de milles du lieu infesté le plus proche, et l’on a vu 


PROPAGATION DE LA PESTE. 159 


qu'en certain cas l'épidémie se maintenait à l'état latent pendant 
plusieurs semaines. Lors de mon dernier séjour à Hurdwar, les 
fonctionnaires m'ont assuré que lorsqu'un quartier de la ville 
(Jawalapur) avait été déserté à la suite d’un cas, les atteintes 
qui suivirent se montrèrent presque toujours dans des maisons 
situées au bord de l'enceinte désertée et seulement après un 
intervalle de deux ou trois semaines. Il serait utile de publier en 
détail tous les faits sur lesquels cette opinion est basée. 


VI. Il est remarquable que les seules matières reconnues, 
durant l'épidémie de Bombay, comme capables de conserver 
le germe infectieux longtemps, sont les vêtements. Comme 
exemple de persistance du virus à l’état latent dans les vète- 
ments, je citerai deux cas : 

Un bateau à vapeur quitta Bombay le 20 août 1896, Il arriva 
dans la Tamise le 11 septembre. Le 26 ou le 27 du même mois, 
un domestique portugais du bord était atteint, et mourait le 
3 octobre. Le mème jour, un autre domestique, portugais aussi, 
était frappé et mourait le 28 septembre. On croit qu'il s'agit de 
la peste pour ce second cas. Il a été démontré eliniquement et 
bactériologiquement que le premier cas était bien la peste. Les 
deux hommes couchaient dans la même cabine. On considéra 
comme probable qu'ils avaient porté des vêtements lavés à 
Bombay, et déballés à cause du froid peu de temps avant l'attente 
dont ils furent victimes. 

Dans ce cas, l'infection était restée latente pendant une 
période d'au moins 36 jours. 

Le cas suivant est rapporté par le chirurgien-major Collie : 
« J'ai noté un fait intéressant pendant la première année de l'épi- 
démie, montrant le danger des vêtements portés par des pesti- 
férés. Un homme perdit sa femme à Bombay. Dix jours après, 
il portait ses vêtements et ses bijoux dans une maison qu'il pos- 
sédait dans un village près de Hurnaiï, dans la circonscription de 
Ratnagiri. Une semaine après, environ, on trouvait des rats 
morts dans sa maison et dans le voisinage. Les parents tom- 
bèrent malades l’un après l’autre et moururent de la peste. 
Finalement, le mari, sixième victime, mourait à son tour. 
Aucun des membres de cette famille n'avait quitté le village qui, 
après cette importation, fut sévèrement ravagé. Il n’est pas cer- 


160 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tain dans ce cas que l’homme n'ait apporté la maladie par une 
autre voie que les vêtements, mais l’opinion que les vêtements. 
des pestiférés sont dangereux est en parfait accord avec ce qui 
a été observé dans les épidémies antérieures. Mead, par exemple, 
écrivait en 1720 « que les vêtements abritaient les quintessences 
mêmes de la contagion ». 

Il est évident que les vêtements peuvent conserver l'infection 
pendant longtemps, mais ce fait est pour moi d'autant plus inat- 
tendu que dans les conditions des expériences de laboratoire, 
j'ai constaté que le bacille de la peste était tué par plusieurs 
acides gras. Les vêtements dans les Indes ont généralement une 
réaction acide, provenant de la sueur qui les imprègne, mais 
celle-ci, pour des raisons inconnues, semble ne pas agir sur les 
microbes des vêtements. 


X 


Des preuves que nous venons de discuter résulte que 
l'agent le plus effectif de la propagation de la peste dans une 
grande ville, aux Indes, est le rat. Les preuves statistiques 
exposées dans les rapports officiels, sielles n’écartent pas abso- 
lument les elfets de l'encombrement, de l'insuffisance, de l’aéra- 
tion, etc., paraissent au moins réduire ces prétendues influences 
favorisantes au rang d’hypothèses non nécessaires pour expli- 
quer les principaux faits relatifs à la propagation de l'épidémie 
à Bombay. Il paraît que les maisons mal construites et mal 
aérées, si elles sont plus exposées à la contagion, ne le sont pas 
parce qu’elles sont mal construites ou mal aérées, mais parce 
qu'elles sont mieux disposées pour offrir un asile aux rats et 
plus difficiles à désinfecter quand elles sont souillées. En même 
temps, on a produit des raisons qui font soupçonner que les rats 
ne sont pas toujours nécessairement l'agent de propagation de 
la maladie. De même qu'il a fallu, pour expliquer l'expansion de 
Fépidémie à l'homme, faire intervenir les rats, il faudra, pour 
se rendre compte de la persistance du virus dans les lieux infec- 
tés, chercher comment celui-ci passe du rat dans quelque autre 
véhicule. Du fait que les rats ont été l’obstacle insurmontable 
dans la lutte contre l'épidémie aux Indes, il ne s’ensuit pas que 
partout ils constitueront un aussi grave danger. A Bombay, les 


PROPAGATION DE LA PESTE. 761 


cadavres des rats ont été dépecés par des fourmis et d’autres 
insectes qui en apportaient les débris dans les maisons, et aidaient 
ainsi à répandre l'infection. 

Les preuves données par le commissaire municipal et le 
D' Weir, chef de la santé publique, établissant que la mort des 
rats à Bombay ne fut pas seulement un phénomène concomitant, 
mais un important agent de cause dans la propagation de la 
maladie, m’apparaît comme le résultat scientifique le plus 
précieux. 

Il résulte de ces recherches que la meilleure défense d’une 
ville consiste en une construction telle de ses maisons que les 
rats ne puissent s’y établir. 

Dans une ville menacée de la peste, les dépôts de grains 
doivent être considérés comme dangereux. Il en est de même de 
toutes les industries qui attirent les rats. Comme il est possible 
que l’usage des désinfectants amène l’émigration des rats, 1l faut 
user de substances telles que le sublimé dans la partie infectée 
d’une ville, et de l'acide carbolique ou de désinfectants ayant 
une odeur désagréable pour les rats dans les enceintes environ- 
nantes non encore infectées. 

Le fait de la participation des rats à là propagation de la 
maladie dans une grande ville amène à conclure qu'il est impos- 
sible d'arrêter la peste une fois déclarée. En premier lieu, parce 
qu'il est impossible d’évacuer totalement une grande ville, et 
ensuite parce que personne ne sait comment détruire complète- 
ment et sur place une population de rats. 

C’est ce fait qui donne tant d'importance aux méthodes de 
vaccination par les vaccins (Haffkine), ou par les antitoxines 
(Roux et Yersin), dans les pays où ces méthodes sont applicables. 

On ne contracte pas généralement l'infection, en piétinant 
un rat mort. D’une manière ou d’une autre, le microbe quitte 
le rat et trouve un « nid » dans la localité. Nous ne savons pas 
comment cela se produit. Dans le laboratoire, le bacille de la 
peste se montre comme un microbe très fragile. Dans la nature, 
il semble doué d’une force de résistance extraordinaire. De nou- 
velles recherches sont donc nécessaires pour élucider ces points. 
Après avoir étudié le microbe pendant plus d’un an dans ce but, 
je puis affirmer que ces travaux présentent des difficultés peu 


ordinaires. Mais tant qu’ils n'auront pas abouti, nous en seron 
s 


762 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


réduits à dire comme Defoe : « Le meilleur remède contre la 
peste est de s'enfuir. » 

P.-S. — J'ai fait des réserves sur le rôle que joueraient 
nécessairement les rats dans tous les cas de propagation de la 
peste. Elles sont justifiées par l'histoire de certaines épidémies, 
et il y a des raisons de croire qu’en Angleterre, au moment où 
sévissait la « mort-noire » en 1347, il n’y avait point encore de 
rats. En effet, en parlant de l'importation en Angleterre des 
deux espèces de rats connus, le rat noir et le rat brun, le zoolo- 
giste Bell s'exprime ainsi : « Il semble que mème le premier 
w’était pas connu ici (Angleterre), avant le milieu du xvr° siècle. » 
Avant de se prononcer sur cette question, denouvelles recherches 
historiques sont nécessaires. (V.Becr, British Quadrupeds, p.302.) 


SUR LA REPRODUCTION DE LA SUBSTANCE ANTITOXIQUE 


APRÈS DE FORTES SAIGNÉES 


Par Carz Juz. SALOMONSEN er Taorvazp MADSEN 


(Travail du laboratoire de bactériologie médicale de l’Université de Copenhague.) 


Dans leur Contribution à l'étude du tétanos (Annales de 
l'Institut Pasteur, 1893, page 82), MM. Roux et Vaillard ont 
montré que des lapins activement immunisés contre le téta- 
nos pouvaient en quelques jours perdre une quantité de sang du 
même poids que le volume total du sang de l’animal, sans dimi- 
aution sensible de la force antitoxique du sérum sanguin. Ces 
auteurs ajoutent la remarque suivante : « Nous ne retiendrons, 
pour le moment, de cette expérience que sa signification pra- 
tique. Chez un animal fournisseur de sérum, les saignées peuvent 
être fréquentes et copieuses sans que de ce fait le pouvoir anti- 
toxique soit notablement diminué. » Cette remarque de ces deux 
savants éminents n’a pas eu l'importance pratique désirée. L’ex- 
périence a montré qu’il est absolument nécessaire d'injecter de 
nouvelle toxine aux chevaux qu'on emploie pour produire Île 
sérum antidiphtérique, si l’on ne veut pas s’exposer à constater 
dans la force antitoxique du sang une diminution rapide causée 
par les saignées réitérées. D'autre part, la question de la régené- 
ration de la substance antitoxique sans introduction de toxine 
est d’une importance de premier ordre pour toute conception 
théorique de la fonction antitoxique, en sorte qu'il y a lieu de 
refaire les expériences de MM. Roux et Vaillard dans des con- 
ditions variées. Deux de nos travaux antérieurs ont effleuré 
cette question. 

Jusqu'ici le cas exceptionnellement favorable de pouvoir 


764 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


examiner avec précision l'influence de la saignée sur la force 
antidiphtérique du sang chez un cheval en parfait « équilibre 
antitoxique », ne s’est présenté pour nous qu’une seule fois, le 
cheval s’étant trouvé pendant neuf jours dans cette condition 
idéale. La valeur de cette recherche est d'autant plus grande 
que ses résultats sont contrôlés, pour ainsi dire, par des mensu- 
rations du pouvoir antitoxique du lait. Dans la figure 1, la ligne 
pleine indique le pouvoir antidiphtérique du sang; la ligne ponc- 
tuée, celui du lait. On voit que chez une jument pesant 665 kilogr, 
uue saignée de 7 litres a fait baisser ie pouvoir antitoxique de 
120 à 85 U. I.‘ en trois jours. Pendant la quatrième journée, le 
pouvoir antidiphtérique remonta à 100 et s’y maintint pendant 


? 4 6 SNCF EI 0070 


six jours, après quoi l’équilibre fut de nouveau troublé par une 
injection de toxine. En outre, cette figure montre que les deux 
courbes ont à peu près la même allure. 

Le résultat définitif de la saignée fut donc un abaissement 
du pouvoir antitoxique du sang de 120 à 100 U. I. Comme la 
masse totale du sang, calculée d’après le poids de l’animal, doit 
être estimée à 51 litres et qu'on en enlevait 7 litres, soit 1/7 de 
cette même masse, l’abaissement du pouvoir antitoxique corres- 
pondant seulement à la dilution du sang par sa régénération, 
serait environ 17 U. I., soit : 120/7, ce qui donne 103 U. I. pour 


4. U. f. signifie unité d’immunisation par centimètre cube. 


REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 765 


le pouvoir du sérum. La différence entre ce résultat et le chiffre 
100 trouvé par nos expériences est si minime qu’on pouvait fort 
bien, dans ce cas, regarder la diminution mentionnée comme 
causée mécaniquement par l’ablation de 1/7 de la masse totale 
du sang. Pourtant nos expériences ultérieures ont établi que cette 
correspondance n’a lieu que rarement. La diminution, qui attei- 
gnit 85 U. I. le troisième jour après la saignée, fait d’ailleurs 
soupçonner que la cause du phénomène n’est pas uniquement 
la dilution par la régénération du sang. Pour éclairer cette ques- 
tion, il était nécessaire de faire une série de déterminations com- 
paratives du nombre des globules sanguins et du pouvoir anti- 
toxique du sang après la saignée. Nous avons entrepris quelques 
déterminations de ce genre, mais les saignées furent toujours 
faites dans des conditions autres que celles de la figure 1. Dans 
le cas qui correspond à cette figure, le cheval était en équilibre 
antitoxique, c’est-à-dire avait conservé constant pour un certain 
temps son pouvoir antitoxique; mais d’autres expériences ont eu 
lieu alors que le pouvoir croissait après une injection de toxine. 
On ne saurait donc arguer de ces expériences pour résoudre 
définitivement si l’organisme du cheval activement immunisé 
est capable de reproduire en tout ou partie la quantité d’anti- 
toxine enlevée par la saignée. Car, si l'épuisement du sang a 
lieu très peu de temps après une injection de toxine, l’accrois- 
sement qui en résulte pourra n'avoir pas encore atteint son 
maximum. On ne peut donc pas évaluer un accroissement cons- 
taté quelques jours après la chute brusque du pouvoir antitoxique 
causée par la saignée ; car il se peut aussi que l’accroissement 
soit dû à l'injection de la toxine. 

Néanmoins nos expériences peuvent servir à décider si la 
dépression antitoxique observée immédiatement après la saignée 
peut résulter d’une hyperdilution du sang. Les phénomènes repré- 
sentés par la figure 2 donnent une réponse négative : le cheval 
immunisé pesait 586 kilog.; on lui enlevait 5,5 litres de sang, 
ce qui réduisait de 85 à 55 son pouvoir antitoxique. La courbe 
rend manifeste que cet abaissement d'environ 35 0/0 n’est pas 
dû à une hyperdilution du sang, le nombre des globules rouges 
n'ayant baissé que de 7,6 à 6,5 millions, soit environ 12 0/0. 

Par cette même figure, nous voyons encore que le pouvoir 
antidiphtérique du sang a repris exactement le niveau qu’il 


766 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


avait avant la saignée. Ce cas est le seul où ledit fait se soit 
reproduit durant nos recherches. Le plus souvent nous avons 
constaté qu'après la chute brusque qui suivait immédiatement 
une saignée, venait une baisse lente et continue, ce que nous 
avons considéré comme le résultat de l'influence nuisible de 
l’anémie aiguë sur la puissance antitoxigène de l'organisme. 

En faisant les observations mentionnées, nous nous occupions 


9 mll 


Tirer 
CMET 
Es 


2 AN 


50. 


Pouvoir an ie ae sert 
RPC Nombre des globules rouges 


Fig. 2. 


de travaux dont le but n'était pas d’élucider la question pré- 
sente et qu'il nous fallait poursuivre dans des conditions moins 
favorables. 

Au contraire, les expériences qui suivent ont été faites expres- 
sément pour étudier la régénération spontanée de Fantitoxine. 

Nous disposons actuellement des résultats de deux expé- 
riences qui s’y rapportent. Nous avons tâché d'éviter ou d'atté- 
nuer l'influence fâcheuse de l’anémie aiguë en recourant à la 
transfusion, et en employant, dans l'expérience n° 1, une solution 
de chlorure de sodium physiologique, dans l’expérience n° 2 du 
sang de chèvre défibriné. 

Le sujet servant à l’expérience n° 1 était une chèvre dont le 
poids pouvait être #1 kilog. En 78 jours, savoir du 29 janvier au 
16 avril, on lui injecta en tout 189 c.e. de toxine, dont 100 €. c 
par doses de 50 c. c. deux jours de suite, le 15 et le 16 avril. HI 
en résulta chez l’animal un si fort abattement, que nous préfé- 
ràmes procéder à l'expérience dès le cinquième jour après la 
dernière injection de toxine, plutôt que d’attendre pour expéri- 
menter l'établissement de l'équihbre antitoxique. 


‘+ dr che 


REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 767 


: La quantité de sang de l'animal futévaluée à environ 3,100. c. 
Une saignée de la veine jugulaire en enleva 1,000 e. c., que nous 
remplacèämes immédiatement par 1,000 c. ce. d’une solution de 
sel marin. Vingt-quatre heures après, nouvelle saignée, mais de 
800 c. ce. seulement; car nous ne croyions pas l’animal capable 
de supporter une plus forte perte de sang. 

Ensuite on injecta 800 c. c. de la. même solution que ei- 
dessus ; l'animal ne tarda pas à se relever et, une semaine après 
la saignée, son poids avait un peu augmenté. Le résultat des 
mensurations du pouvoir antidiphtérique est indiqué dans le 
tableau I, qui contient aussi des renseignements sur la régéné- 
ration des globules rouges après la saignée. 


TABLEAU I 
SANG TIRÉ en c.c. à ne : à 
Fe UNITÉS NOMBRE 
DATES SOLUTION D'IMMUNISATION [de globules rouges 
de NaCI à 0.70/0 À SE 
Eté encre. par {. IC: en millions. 
9 avril. 1.0 
18: :— 0,6 
19 — 1,0 
ANNEE avant 2,2 9,6 
= 1000 15 min. après 1,6 6,8 
XRALES ._ avant 1,6 ou 
F= si 15 min. après 1.0 3,2 
23 — 1.6 3,2 
DA 1 ,4 ou 
25 — 1,2 3,25 
Qbaree- p 3,95 
ee 1,2 3,32 
29 » 3,0 | 
2 mal » 3,9 | 
D — 0,8 6,4 
12 — » ri 
DURE » 9,8 


Sous une forme graphique, la figure 3 donne un résumé 
synoptique des variations du pouvoir antitoxique du sang pen- 
dant l'expérience. On y voit qu'après la première saignée le pou- 
voir antitoxique tomba de 2.2 à 1,6. Cette baisse répond assez 
exactementà l’atténuation produite danslesanglorsqu'à 1,000 e.e. 
de ce dernier on substitua 1,000 c. &..de ka solution physiologique 


168 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


de chlorure de sodium. En même temps on observa une dimi- 
nution correspondante du nombre des globules rouges. Le pou- 
voir antitoxique du sang se maintint alors sans altération durant 


Sn 
ra EL Pres 
EPA 
2 PE EE 
Pr A 
AE UT à) DRdEAPREAIEA ES HiBN AE PE 
DR NS EM a RS 
1 a 
Ce DE 
0 EE PA 
Se A a AE 
AE 7 A 1 EE 
A A SEP 
ECM EEE 
BE A ON A EE 
2 as 
A A RENE A CRIE Du) 
EP AE HN NE PE RAA te 
EE NA AIN a ee IPB 
D a EN 
EN ARE SE AE Pc ERP 
IL D PIE) ARE TDNE) 
PE D Ben en a PI TI 


el 


Fig. 3. 


les vingt-quatre heures suivantes, après quoi une saignée de 
800 ec. c. l’abaissa jusqu’à 1 U. I. par c. c. Le lendemain fut 
marqué par une hausse notable du pouvoir antitoxique, atteignant 1,6 
sans nouvelle injection de toxine. Cette hausse ne dura qu'un jour 


REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 769 


et, durant les journées suivantes, elle fit place à une baisse 
lente ; néanmoins, au bout de quatre jours le pouvoir antitoxique 
n'avait pas encore baissé jusqu'au point où on le trouva après 
la seconde saignée. Huit jours plus tard, une nouvelle mensura- 
tion faisait constater que la teneur antitoxique du sang conti- 
auait à diminuer. 

En aucun point la régénération des globules rouges ne cor- 
respondait aux oscillations du pouvoir du sérum. Quant à l’état 
des globules blancs, on ne constata rien d’anormal. 

Il est à peine contestable que l’accroissement du pouvoir 
antitoxique durant les jours qui suivirent la deuxième saignée 
est l’effet d’une reproduction de substance antitoxique. La seule 
objection qu'on pourrait peut-être élever contre cette assertion, 
c'est la brièveté relative de l'intervalle de cinq jours entre 
l’abondante injection de toxine et la saignée. En effet, ce sont 
indubitablement les grandes quantités de toxine injectées qui 
suscitèrent l'accroissement rapide du pouvoir antitoxique encore 
en voie de progrès lors de linterruption par la première 
saignée. On ne doit donc pas rejeter, comme absolument impos- 
sible, que l’accroissement qui suit la seconde saignée soit 
simplement la continuation immédiate de ladite rapide augmen- 
tation du pouvoir antitoxique, et que cet accroissement n'aurait 
aucunement eu lieu si les saignées avaient été pratiquées à une 
époque d'équilibre antitoxique de l'animal. Pourtant cette expli- 
cation est à peine vraisemblable; du moins, dans nos expé- 
riences sur l'allure de la courbe antitoxique du cheval, il ne nous 
est jamais arrivé de voir un accroissement si rapide se con- 
tinuer durant autant de jours que dans le cas en question. Au 
contraire, on a lieu de présumer que l’abaissement secondaire du 
pouvoir antitoxique se serait produit à ce moment. 

En tout cas notre seconde expérience ne laisse aucun doute 
sur la réalité de la régénération. Le sujet opéré était une chèvre 
qui, durant des mois entiers, avait subi des injections de toxine 
diphtérique à doses croissant de 0,2 à 200 c. c. et donnant un 
total de 380 c. c.. Quinze jours après la dernière injection, son 
sérum avait acquis un pouvoir antitoxique de 5. Alors, durant 
les deux mois qui suivirent, on fit, à diverses reprises, des 
saignées d'essai; on mesura le pouvoir antidiphtérique et on le 
vit finalement baisser jusqu’à seulement un peu plus de 1 unité 


49 


170 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


d'imniunisation par centimètre cube. Après avoir constaté par 
trois mensurations consécutives un état stationnaire qui dura . 
quinze jours, on fixa le jour de l’expérience; mais alors on 


> 
ea 


MATINS SSSR USÉES ANA SSIRSRAASEES 


ES 
= 
S 


RATS SNS SENS NSSERRSRRRNE 


0,40 


2 a) NO (E 


HISRNSAESLIANESNSE 


ROELLE 


0,10 | 


SNA ENIRSENSNSSSASERRANAESAEE 
[Mi 
Le BbEeRRE PER BERP RES UE RE Reel 


1ESTERSSANERANERIRNEESAE 


s’'aperçut que l'équilibre antitoxique était de nouveau rompu, 
car, immédiatement avant là première saignée, le pouvoir était 
tombé à 0.8. 

Toutefois, le fait que les saignées ont été pratiquées à une 


REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 171 


période de déclin du pouvoir antitoxique ne rend que plus 
concluant encore l'accroissement observé plus tard. 

L'expérience fut conduite de telle manière qu'après avoir 
enlevé par saignée 1,250 c. e., soit la moitié de la quantité du 
sang supposée présente, on effectua aussitôt la transfusion d’une 
quantité équivalente de sang défibriné et chauffé à 37°, provenant 
d’une chèvre saine. Cette opération se répéta quatre heures 
après, ainsi que le lendemain et le surlendemain; mais cette 
dernière fois pourtant nous n’osàmes pas enlever à la chèvre 
plus de 800 c. c. Au bout des cinquante heures qui nous séparaient 
du début de l'expérience, il ne restait à cette chèvre que la douzième 
partie du sang qu'elle avait primitivement. L'animal résistait bien 
à l'expérience. 

Une série d'expériences préparatoires nous avait déjà con- 
vaincu qu'il était impossible de constater aucun pouvoir anti- 
diphtérique dans le sérum de n'importe laquelle des quatre 
chèvres dont le sang servit aux quatre transfusions. 

Voici le résultat de l’expérience en question. 


TABLEAU II 


VOLUME 
ec. C. 
du sangenlevél UNITÉS D’'IMMUNISATION 
et du sang 
de chèvre par €. c. de sang. 
défibriné 
injecté. 


29 septembre. 
> octobre. 
12 

19 . re ARE 
25 immédiatement avant la {re saignée 


23 es = 9e = 


26 — — 3e 

27 Le FRANCE 
— après la 4e 

28 

29 

30 


4er 


La figure 4 représente graphiquement le résultat de cette 
expérience : la ligne noire indique le pouvoir antitoxique du 


ie ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sang; la ligne ponctuée, la quantité qui restait encore du sang que 
l'animal avait primitivement. Les chiffres apposés aux ordonnées 
sont les unités d’immunisation par centimètre cube de sang, 
la quantité que l’animal a gardé de son sang primitif est 
indiquée par les mêmes chiffres; les abscisses figurent les 
jours d'expériences. 

On voit qu'après les deux premières saignées, la production 
de l’antitoxine subit une diminution directement proportionnelle 
à la perte de sang éprouvée. Mais après les troisième et 
quatrième saignées, la relation fut tout à fait changée. Pour 
résultat de la troisième saignée, on aurait pu s'attendre à voir le 
pouvoir antitoxique réduit de moitié, comme pour les deux 
premières; mais on constata au contraire qu'au bout de vingt- 
quatre heures, ce pouvoir n’avait pas changé. En réalité, ce 
résultat est identique à la production d’un fort accroissement. 
Ensuite on procéda à la quatrième et dernière saignée et la fit 
suivre d’une transfusion. À ce moment. il ne restait dans l’animal 
qu'un douzième de sang qu'il avait primitivement; on prit alors 
un échantillon de ce sang et constata que sa teneur antitoxique 
avait fortement diminué; mais durant les deux jours qui 
suivirent, à! se produisit dans le pouvoir antitorique un accroissement 
notable, qui demeura constant pendant trois jours, après quoi il 
augmenta encore un peu. 

A cet égard, il y avait une différence palpable entre les deux 
expériences. En effet, chez la première chèvre, la courte période 
de régénération fut suivie d’une baisse brusque et prolongée du 
pouvoir antitoxique. Or, on ne saurait préciser à quoi tient 
cette différence, elle résulte peut-être du fait que la chèvre de 
notre dernière expérience était en parfaite santé lors des 
premières saignées; que son pouvoir anlitoxique n’oscillait pas 
fortement et que, de plus, sa perte de sang était immédia- 
tement réparée par le sang défibriné emprunté à d’autres 
chèvres. 

La première expérience, au contraire, fut faite sur un animal 
fortement empoisonné de diphtérie et chez qui le pouvoir anti- 
toxique manifesta un accroissement relativement rapide; de 
plus, il ne fut injecté que du sel marin en solution. D’autre part, 
les différents animaux d’essai présentent des variations indivi- 
duelles si considérables (voir les Comptes rendus des travaux de 


REPRODUCTION DE L’ANTITOXINE. 773 


Acad. Roy. des Sc. de Danemark en 1898), qu'à lui seul ce fait 
expliquerait peut-être les immenses divergences observées 
dans la forme des courbes. 

Quant à la régénération de l’antitoxine, notre deuxième 
expérience ne laisse subsister aucun doute. Comme il s'était 
passé deux mois depuis la dernière injection de toxine et que le 
pouvoir antitoxique du sang n'avait pas cessé de baisser, 
l’augmentation qui, à la suite de la quatrième saignée, s’est 
manifestée dans le pouvoir antidiphtérique ne peut être 
attribuée qu'à une nouvelle production de substance antitorique, ce 
qui prouve encore une fois que, sous l'influence de la toxine, 
certaines cellules de l'organisme ont acquis une propriété sécrétoire 
nouvelle et persistante, opinion déjà corroborée par nos recherches 
sur les modifications que la pilocarpine fait subir au pouvoir 
antitoxique du sang. (Voir Salomonsen et Madsen : C. R. de 
PAc. des Sc.) 


INSTITUT ANTIRABIQUE MUNICIPAL DE TURIN 


STATISTIQUE ET NOTES DE LABORATOIRE 


Du Dr FRANCESCO ABBA 


I 


STATISTIQUE DES ANNÉES 1896-1897 


Succédant à M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi dans la direc- 
tion de l’Institut antirabique de Turin, j'ai l'honneur de commu- 
niquer la statistique des deux années 1896-1897. 

Dans le courant de 1896, il se présenta à l'Institut 672 per- 
sonnes mordues. Sur ce nombre, 470 seulement furent soumises 
au traitement antirabique, car on put établir que les animaux 
qui avaient mordu les 202 autres personnes n'étaient pas 
enragés. 

La mortalité, parmi ces 470 personnes traitées, fut de 
0,21 0/0. 

Durant le cours de 1897, le nombre des personnes mordues 
qui se présentèrent à l'Institut fut de 584; 376 furent soumises 
au traitement. 

La mortalité, parmi ces dernières, fut de 0,26 0/0. 

Du 30 septembre 1886, date de la fondation de l'Institut 
antirabique de Turin, au 31 décembre 1897, le nombre des per- 
sonnes mordues qui se présentèrent fut de 4,728, sur lesquelles 
3,396 seulement furenttraitées ; la mortalité, parmi ces dernières, 
s’éleva à 0,73 0/0. 

La statistique, comme d'ordinaire, divise les personnes 
mordues en trois catégories, À, B, C, suivant la partie du corps 
qui a été atteinte par la morsure. Cette statistique est résumée 
dans le tableau suivant : 


dé ‘af. 


PERSONNES MORDUES 
nn — RS —— — 
sur des parties|sur des parties 


à la tête. M 
découvertes. couvertes. 


ANNÉES 


O 


PR. 2 D 2 


2 RS _ ! 
TRAITÉES [uonris TRALTÉES [AR TES TRALTÉES [NORTES 


personnes 


1896 


Ë 
= 
& 
© 
A 
B 
C 
A 
B 
C 


1897 


œlh, 


TOTAUX 


Durant le cours de l’année 1896, on constata une augmenta- 
tion notable dans le nombre des personnes mordues, compara- 
tivement aux années précédentes. Soupconnant que cela dépen- 
dait de négligence, de la part des particuliers et des autorités 
locales, par rapport à la prophylaxie de la rage des chiens, on 
prit des dispositions, de concert avec les Préfets des provinces 
qui envoient le plus grand nombre de personnes mordues à cet 
Institut, afin de faire abattre le plus rapidement possible tous les 
chiens mordus ou suspects. 

L'effet de cette mesure se fit promptement sentir, car, en 1897, 
le nombre des personnes mordues diminua d'une centaine 
environ. 

On pourrait entrer dans de nombreuses considérations en 
compulsant la statistique générale de l'Institut antirabique de 
Turin, qui est, après celui de Paris, un des plus riches en chiffres ; 
mais elles trouveront leur place dans une étude que nous prépa- 
rons actuellement, M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi et moi, et 
dans laquelle nous exposons, avec tous ses détails, la statistique 
décennale de l’Institut. 


776 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Il 


CONTRIBUTION A LA QUESTION DE LA PRÉSENCE DU VIRUS RABIQUE DANS‘ 
L'URINE DES ANIMAUX ENRAGÉS 


Dans la séance du 11 juillet 1897, M. le professeur Di Mattei 
communiqua à l'Accademia Gioenia di Scienze naturali di Catania : 
que l’urine des animaux enragés, inoculée dans la cavité périto- 
néale en quantités un peu importantes (15-20 c. c.), peut souvent 
reproduire la rage. 

Dès que j'eus connaissance de cette communication, je prati- 
quai quatre expériences, en inoculant, chez quatre lapins, 
l'urine provenant d'autant de lapins inoculés sept jours aupa- 
ravant avec du virus fire. 

L'urine fut recueillie avec une seringue stérilisée, de la capa- 
cité de 30 c. c., en introduisant directement l'aiguille dans la 
vessie, après avoir ouvert la cavité abdominale du lapin enragé. 
Tous mes lapins résistèrent. 

Après ces quatre expériences, qui ne concordaient pas avec la 
communication de M. le professeur Di Mattei, je crus devoir sus- 
pendre mes recherches, en attendant la publication des détails de 
ses expériences. Sur ces entrefaites, M. le D' Bebi, de Faenza, 
publia le résultat de ses recherches ?, lequel fut complètement 
négatif chez tous les cobayes inoculés. 

Vers la fin d'octobre, je repris mes expériences, en continuant 
à inoculer des lapins avec de l’urine provenant de lapins inoculés 
tantôt avec du virus fixe, tantôt avec du virus de rue, ou prise 
tantôt de lapins moribonds, tantôt de lapins qui venaient de 
mourir, d’autres fois de lapins morts depuis un grand nombre 
d'heures, pour voir du moins s’il se produit, après la mort, un 
passage de virus rabique. 

Dans deux cas je pus inoculer de l’urine de chien enragé. 

La quantité d'urine inoculée fut, le plus souvent, supérieure 
à la quantité inoculée par M. Di Matter. Dans quelques cas j’ino- 
culai des quantités considérables (60, 80, 90 et jusqu'à 125 c. c.), 
sans déterminer, chez le lapin, aucun symptôme de rage ni 
même aucun trouble fonctionnel. 

1. La Réforma medica, n° 196. 


2. Sulla non esistenza del virus rabbico nell’ orina degli animali idrofobi. 
(Gazz. degli Osped. e delle Clin., 1897, no 124.) 


INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN, 171 


J'ai fait 23 expériences, dans des conditions diverses. Cinq 
lapins seulement succombèrent : lun, une demi-heure, l’autre 
12 heures après l’inoculation ; trois moururent un mois après 
l'injection, mais non de la rage, ainsi que le démontrèrent des 
expériences expressément instituées. 

Restent donc dix-huit expériences toutes concordamment et abso- 
lument négatives. 

J'ignore le nombre des expériences faites par M. le profes- 
seur Di Mattei, et M. le docteur Bebi ne dit point combien de 
cobayes il a inoculés. Ne pouvant admettre que M. le professeur 
Di Mattei ait été induit en erreur, — car la rage du lapin est une 
maladie assez caractéristique, et, en tout cas, facilement contrô- 
lable, — je ne veux point conclure d’une manière absolue, malgré 
la concordance de mes expériences avec celles de M. le docteur 
Bebi, que le virus rabique n'existe point dans l’urine des animaux 
enragés ; toutefois je me sens autorisé à affirmer que, si le virus 
se trouve dans ces urines, il n’est ni assez fréquent ni assez abon- 
dant pour justifier une nouvelle mesure de prophylaxie delarage, 
basée sur le danger que peut présenter l'urine des chiens 
enragés. 


Dans sa Note préventive, mentionnée plus haut, M. le docteur 
Bebi écrit que, vu l'issue des expériences de M. le professeur Di 
Mattei, laquelle semble démontrer l'existence du virus rabique 
dans l'urine des animaux enragés, il voulut offrir la preuve in- 
discutable (experimentum crucis) de l’inexactitude de cette con- 
clusion. 

Dans ce but, il mêla le virus rabique à de l’urine humaine et, 
au bout de 24 heures, il inocula le tout, à la dose de 1 c. c., sous 
la dure-mère à une série de cobayes (il ne dit pas combien). 
Aucun d’eux ne contracta la rage; c’est pourquoi il conclut que 
le virus rabique, dans l’urine, perd complètement sa virulence, 
principalement à cause de l’acidité de l’urine même. 

Dansune communication à la Société piémontaise d'Hygiène", 
je fis connaître que je ne pouvais confirmer les conclusions de ce 
collègue, parce que, même après 48 heures de séjour du virus ra- 


1. Séance du 29 janvier. (Rivista d’igiene e sanitàa pubblica, 1898, n° 3.) 


1178 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


bique dans Purine humaine, les lapins inoculés étaient morts de 

la rage: alors M. le docteur Bebi, dans une courte Note, précisa. 
davantage le résultat de ses expériences, disant que l'urine ne 

détruit pas toujours le virus rabique, et que beaucoup de ses ani- 

maux d'expérience (iln’en donne pas le nombre) contractèrent 

la rage. 

Or, à mes premières expériences, j’en ai ajouté d’autres, en 
émulsionnant finement un petit morceau de moelle allongée de 
lapin, mort à la suite d'injection de virus fixe, avec une quantité 
plus que décuple d’urine fraiche d'homme ou delapin, ayant une 
réaction acide. L’émulsion fut tenue dans une glacière, à une 
température qui ne dépassa pas 4° C.; la quantité d’émulsion ino- 
culée fut de 1/10 de ce. €. pour chaque lapin. 

Je résume ces expériences dans le tableau suivant : 


SAR le An AGEDU Aubout de combien de 
+ k DO = | 
= o 4 £ 2 SAVE gs s mélange d'urine | jours est survenue la 
= £È DATE 6 0e || 1 SREAGTION De et de NORT DU 
so È 2 £E & = L 
= a SE #2 Se | virus fixe. Faute 
s = z der Japin.|2e lapin. 
a =— me memes ee | 
14 janvier. homme acide. 2 12 heures 1 7 
14 RE + a og 24 — 61/9 ; 
I APRES = + 2 36 — 7 7 
16 PA Eee > D 48 — 1 1 
22 janvier homme. acide. 2 12 heures. 6 6 
Le 2 ME 51 6 
Il 23 — = À =4 la 
CEE L EE 2, 48 — 6 6 
17 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 61/9 
TT es pie 2 48  — 6 6 
III AO RES 2 = 2 3 jours. 7 61/2 
2Ou— — neutre. 2 EL 6 6 
17 février. lapin. acide. 2 24 heures. 7 fl 
’ ARTE ex Le 2 EE 6 7 
IV FACE 1 _ 2 3 jours. ( 6 
20 — — — 2 4 — 6 61/9 
23 février. homme. acide. 2 24 heures. 7 7 
94 — = 2 48 — ï 61/9 
95 ae À = ES 2 3 jour 6 6 
20 o JOUrs ) 
FN SE de ss 2 4 pis ul T9 
DRE — Es 2 D 7 8 
2 mars. _ légèrement acide. 2 S — 8 8 
FREE æ ns 2 OÙ = 8 8 
Es de légèrement alcaline 9 AU 91/9 91), 
NT au tournesol. 
ART TUE di alcaline au - 9 20 — 8 g 
tournesol. 
FN Fra alcaline aussi à la 9 RES 8 15 
phénolphtaléine. 
PE == —_ 2 90 — a SurVéeu |a survécu 
DORE Le = 2 30 — = FT 
3 avril. — —— 2 40 — — = 
8 — — — 2 45 — — == 
12 — — — 2 20 — == = 


as À proposito dell’urina degli animali rabbiosi, (Æivis. d’ig. e san. pubbl., 
n° 5.) 


INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 779 


De ces expériences, il résulte que lurine n’a pas, sur Le virus 
rabique, un pouvoir neutralisant aussi marqué que semble le 
croire le docteur Bebi ! ; au bout de 8-10 jours seulement le virus 
rabique mêlé à l'urine commence à s’atténuer; ce n’est qu'après 
30 jours environ qu’il s'éteint, et cela bien que l'urine, après 


avoir perdu l’acidité initiale, soit devenue nettement alcalinez. 7 
ch 


LR? 
{> 


f 


III 


CONTRIBUTION A LA QUESTION DU PASSAGE DU VIRUS RABIQUE 
DE LA MÈRE AU FOETUS, 


Au cours des expériences rapportées dans la précédente Note, 
il m'est arrivé d'ouvrir l'abdomen d’une lapine en gestation. 
Elle avait été inoculée le 27 novembre 1897 avec du virus fixe, et 
elle était mortele 3 décembre suivant. Après la mortelle fut tenue 
pendant 24 heures à la température du milieu, qui était de 
160-180 C. 

Dans l'utérus, qui fut ouvert avec toutes les précautions vou- 
lues, se trouvaient sept fœtus, presque à terme; je lesretirai un 
à un, puis je détachai les placentas respectifs. 

De la cavité crânienne de chaque fœtus, j’enlevai la substance 
cérébrale que je recueillis dans un seul verre, où je la délayai 
dans quelques centimètres cubes de solution physiologique. 

D'autre part, je pris, de chaque placenta, un morceau (un 
quart environ) que je hachai finement et que je plaçai dans un 
autre verre, en diluant un peu avec la même solution. 

J'inoculai alors, sous la dure-mère, 4 lapins avec l’émulsion 
de cerveaux et 4 avec l’émulsion de placentas. Aucun des 8 la- 
pins ainsi inoculés me présenta des symptômes suspects; üls 
augmentèrent même de poids, et aujourd’huiencore (après #mois 
environ) ils sont vivants et sains. 

Il n’y eut donc passage du virus rabique, de la mère aux fœtus, 
n1 pendant la vie, ni même dans l'intervalle de 24 heures après 
la mort. | 

1. On ne sauraït trop déplorer la mort prématurée du docteur Giuseppe Bebi. 
C’est une perte pour la science, car les premiers travaux de ce jeune docteur 
laissaient espérer beaucoup de son activité. Dans sa Note préventive, il annon- 


çait d’autres faits qu’il avait observés, relativement à l'influence de l’urine sur le 
virus rabique. 


780 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


* 
# _*# 


Un second cas, qui peut concourir à démontrer que, ni durant 
la gestation ni durant l'allaitement, le virus rabique ne se trans- 
met de la mère au fœtus, serait le suivant : 

Le 16 mars 1897 on inocula, sous la dure-mère, 2 lapins, 
dont l’un était une femelle, avec le cerveau d’un chien suspect 
d’être enragé. 

Le lapin mourut au bout de 25 jours, avec les symptômes de 
la rage. 

La femelle mourut avec les symptômes de la rage (confirmés 
par l’inoculation de son cerveau sur deux autres lapins) au bout 
de 60 jours. 

Or, 30 jours avant de mourir enragée, elle donna le jour à 
5 petits qu'elle allaita. #4 d’entre eux, malgré la cessation de l’allai- 
tement, survécurent ; le 5° mourut le même jour que la mère, 
présentant des symptômes un peu suspects. 

Avec son cerveau on inocula deux lapins, dont l’un survécut, 
tandis que l’autre mourut au bout de 7 jours, avec des symptômes 
peu précis ; avec le cerveau de ce dernier on inocula 2 autres 
lapins, qui survécurent. 

se 

Après cela, en présence de l’unique expérience favorable à 
l'hypothèse du passage du virus rabique de la mère au fœtus, 
de Perroncito et Carità ', d'une part, et les nombreuses expé- 
riences contraires de Bardach*, de Pastéur?, de Zagari', de 
Bombicei” et de Galtier 5, de l’autre, je dois, comme pour la 
question de l’urine, conclure avec Zagari et Bombicci, que le 
passage du virus rabique, durant la gestation ou durant l’allaite- 
ment, s'effectue d’une manière si exceptionnellement rare qu'il 
n’a aucune importance hygiénique. 


1. De la transmission de la rage de la mère au fœtus à travers le placenta et 
par le lait (Annales de l’Institut Pasteur, 1887, pag. 177). 

2. Le virus rabique dansle lait (/bid., page 180). 

3. Notes de Laboratoire sur le même sujet (/bid., page 181). 

4. Esperienze intorno alla trasmissione della rabbia, dalla madre al feto, 
attraverso la placenta e per mezzo del latte. (Giorn.internas. delle Scienses med. 
1887). 

5. Sopra la trasmissione della rabbia dalla madre al feto (Gazz. degli osped., 
1892). 

6. Journal de Médecine vétérinaire et de Zootechnie (février 1898). 


INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 181 


IV 


SUR LE VIRUS DE RUE NATURELLEMENT RENFORCÉ 
ET NATURELLEMENT ATTÉNUÉ 


M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi, d'abord', puis M. le doc- 
teur Calabrese * ont démontré l'existence d’un virus de rue natu- 
rellement renforcé, c’est-à-dire d’un virus qui, inoculé à des 
lapins, les tue en un laps de temps qui se rapproche davantage 
de la période d’incubation du virus fixe (6-8 jours) que de celle 
du virus de rue (15-20 jours). 

M. le docteur Calabrese décrit spécialement le cas de 2 virus 
de rue, provenant l’un d’un mouton, l'autre d’un chien, 
lesquels tuèrent les lapins inoculés et les passages successifs en 
9-10 jours, avec une période d’incubation de 6-8 jours. 

Comme je disposais d’un abondant matériel de laboratoire, je 
voulus, moi aussi, instituer quelques expériences relativement à 
l'existence du virus rabique naturellement exalté, et voici ce que 
je pus observer : 


I. Chien Ferraris. — On inocule 2 lapins qui meurent au bout de9 jours. 
Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins : l’un de ces der- 
niers meurt au bout de 13 jours, l’autre survit. 

IL. Chien Pozzolo. — On inocule 2 lapins qui meurent l’un au bout de 
6 jours, l’autre au bout de 17. Avec le cerveau du premieroninocule2 lapins: 
l’un meurt au bout de 13 jours, l’autre survit. 

HI. Chien Gabri. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 
10 jours, l’autre au bout de 14. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 la- 
pins qui meurent au bout de 13 jours. 

IV. Chien Monzeglio. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 
6 jours, l’autre survit. Avec le cerveau du lapin mort, on inocule 2 autres 
lapins, dont l’un meurt au bout de 16 jours, l’autre au bout de 18. 

V. Chien Depaulis. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 
9 jours, l’autre au bout de 11. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 au- 
tres lapins qui meurent l’un après {1 jours, l'autre après 14. 

VI. Chat Ilattero. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt au bout de 8 jours, 
l’autre au bout de 20. Avec le cerveau du premier, on inocule 2 autres lapins 
qui meurent au bout de 21 jours ; avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 
encore 2 autres lapins qui meurent l’un après 11 jours, l’autre après 32; 
avec le cerveau de celui qui est mort au bout de 41 jours,on inocule 2 lapins 
qui meurent au bout de 15 jours. 

1. La Rabbia canina (Torino, Rosemberg e Sellier, 1890). 


2. Sur l’existence dans la nature d’un virus rabique renforcé (Ann. de l'Inst, 
Pasteur, février, 1896). 


7182 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Vil. Chien Hôpital militaire de Turin. — Des 2 lapins inoculés, l’un 
meurt après 3 jours, non enragé, l’autre après 7 jours : avec le cerveau de 
ce dernier, on inocule 2 lapins dont l’un meurt au bout de 11 jours, l’autre 
de 76; celui-ci cependant sans présenter de symptômes de rage, comme le 
démontra également le passage ultérieur chez 2 autres lapins. 

VIII. Chien Mondino. — Des 2 lapins inoculés, l’un meurt après 6 jours, 
l’autre après 17; ? autres lapins, inoculés avec le cerveau du premier, sur- 
vivent. 

IX. Chien Prina. — On inocule 2 lapins qui meurent au bout de 8 jours. 
Avec le cerveau de l’un d’eux, on inocule 2 autres lapins qui meurent au 
bout de 6 jours. On fait un troisième passage, et les lapins meurent au bout 
de 7 jours ; dans un quatrième passage, les lapins meurent l’un en 6 jours, 
l’autre en 7, et ainsi de suite. 


Donc, sur 9 cas qui se prêtèrent pour faire des expériences 
relatives à la recherche du virus naturellement exalté, il y en aun 
seul (IX) dans lequel est exclue toute disposition individuelle des 
lapins; dans tous les autres, le second passage ne donne plus un 
résultat correspondant à celui du premier. 

Si l’on considère que, entre Le premier et le dernier de ces cas, 
il s'écoula plus d’un an et demi (du 19 juin 1896 au 16 janvier 1898), 
et que, dans ee laps de temps, on soumit à l’expérimentation les 
cerveaux de 229 animaux qui avaient mordu, il faudra convenir 
que l'existence du virus rabique naturellement exalté est un fait 
très rare. 


Toutefois, voici une observation qui me paraît mériter quel- 
que attention : en s’en tenant au tableau compilé par M. le doc- 
teur Calabrese, dans lequel les 280 lapins inoculés avec du virus 
de rue sont groupés suivant le nombre de jours qui s’écoulèrent 
avant la mort des lapins de premier passage, le virus de rue 
tuerait le plus grand nombre de lapins le 14° jour, et le chitire 
le plus élevé des morts se rencontrerait entre le 12° et le 16° jour 
après linoculation ; or on sait — Pasteur a été le premier à l’éta- 
blir, et tous les autres expérimentateurs l’ont confirmé — que le 
virus de rue tue habituellement Le lapin d'environ 1,500 grammes 
en 46-18 jours. 

Voulant faire une étude de contrôle, j'ai étudié Îles 
durées d’incubation de la rage chez 1,534 lapins inoculés avec 
167 virus de rue de diverse provenance. 

J'ai vu ainsi que le chiffre le plus élevé de morts se trouve 
entre le 15° et le 20° jour et que le plus grand nombre de morts 


INSTITUT ANTIRABIQUE DE TURIN. 183 


correspondrait au 18° jour. En termes plus précis, on aurait 
52,5 0/0 de morts entre 15-20 jours après l’inoculation (virus de 
rue normal) ; 42,1 0/0 entre 10-14 jours (virus subnormal), 6,3 0/0 
entre 5-9 jours (virus renforcé); 4,8 0/0 entre 26-31 jours (virus 
atténué) ; 15,77 0/0 entre 21-25 jours (virus beaucoup atténué) ; 
8,6 0/0 entre 32-100 jours (virus très atténué). 

Or, tandis que, dans la période comprise entre 15-20 jours, il 
meurt, d'après mon tableau, 52,5 0/0 de lapins, d’après celui de 
M. le docteur Calabrese, dans la même période, il n’en meurt 
que 47,5 0/0, et la mortalité la plus élevée (57,1 0/0) s’observe 
dans la période comprise entre 12-16 jours après l’inoculation. 

Les choses étant ainsi, 1l faut nécessairement admettre ou 
bien que M. le docteur Calabrese emploie des lapins d’un poids 
inférieur à 1,500 grammes, oubienquele virusderue desprovinces 
méridionales, qui alimentent spécialement l’Institut antirabique 
de Naples, est naturellement renforcé, comparativement à celui 
des provinces subalpines. 

Véritablement il serait intéressant d'entreprendre une étude 
pour établir quelles sont les causes qui influent sur la virulence 
de l'agent spécifique de la rage, et l'Italie, vu sa configuration 
géographique spéciale et le nombre deses Instituts antirabiques, 
distribués dans ses principales régions, pourrait apporter une 
importante contribution de données statistiques pour cette 
étude. 


x 
PE 


Quant à l’existence de virus naturellement atténués, il est 
également à observer que, très souvent, le retard de la mort des 
lapins est dü à une résistance individuelle plutôt qu’à une atté- 
nuation naturelle du virus rabique : en effet, il n’est pas rare de 
rencontrer des cas dans lesquels des lapins, inoculés avec la 
mème quantité et qualité de virus, meurent l’un dans le terme 
ordinaire de 18 jours environ, l’autre beaucoup plus tard. 

Ainsi M. le professeur Bordoni-Uffreduzzi a vu mourir un 
lapin, inoculé avec du virus de rue, 203 jours après l’inoculation ; 
j'en ai vu mourir après 150 jours, 122, 104, 98, 97, etc.; mais, 
tandis que le lapin inoculé en même temps que celui qui était 
mort 122 jours après l’inoculation mourait au bout de 55 jours, 


1. Et cela n’est pas, comme me l’a déclaré par lettre M. le docteur Calabrese, 
que j'avais interrogé à ce sujet; dans l’Institut de Naples, dirigé par lui, les lapins 
employés sont du poids de 1,500 grammes environ. 


784 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


et que le compagnon de celui qui était mort après 104 jours 
mourait au bout de84, les compagnons de ceux dont la mort sur- . 
vint après 150, 98 et 97 jours moururent respectivement au bout 
de 20, 25 et 21 jours : ce qui veut dire que si, très souvent, les 
lapins meurent tard, parce que le virus qui leur est injecté est 
naturellement atténué, dans un nombre de cas presque égal 
la mort des lapins est retardée par suite d’une disposition indi- 
viduelle dont l'essence nous est inconnue. 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux. — Imprimerie E. Charaire. 


49me ANNÉE DÉCEMBRE 1898 No 12 


ANNALES 


DE 


L'INSTITUT PASTEUR 


SU 18$ aptitudes pathogènes des microbes SapropuyLes. 


Par M. H: VINCENT 


Médecin-major de deuxième classe, professeur agrégé au Val-de-Grâce, 


(Travail du laboratoire de bactériologie du Val-de-Grâce.) 


De toutes les propriétés que possèdent les microbes patho- 
gènes, la virulence est, peut-être, la plus instable, car elle est 
étroitement subordonnée aux conditions de nutrition et aux 
influences physico-chimiques ambiantes, si variables, auxquelles 
ces microbes sont soumis. On en trouve la preuve dans l'histoire 
de beaucoup d'infections, en particulier de la maladie charbon- 
neuse, dont le bacille peut passer de la virulence la plus redou- 
table à la virulence la plus faible, et récupérer, inversement, 
son activité première par des passages successifs chez des ani- 
maux de plus en plus résistants. 

En se fondant sur de pareils faits, il est permis de se deman- 
der s’il ne serait pas possible de soumettre les microbes sapro- 
phytes à une éducation progressive, capable de leur permettre 
de vivre dans un milieu jusqu'alors hostile, le milieu vivant. En 
d’autres termes, ne pourrait-on pas les transformer en microbes 
pathogènes et créer artificiellement, avec leur aide, des maladies 
expérimentales analogues à celles que provoquent les agents 
infectieux usuels ? 

Quoique souvent posé, le problème n’a été qu'imparfaitement 
résolu, parce que, lorsqu'on essaie de réaliser expérimentale- 
ment de telles infections, on est arrêté par des obstacles vérita- 
blement considérables. Les moyens habituels (association de 
microbes favorisants, affaiblissement préalable de lanimal 


50 


186 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


infecté, traumatisme de la région inoculée, injection de doses 
élevées de culture, etc.) échouent devant la répugnance du 
saprophyte à se développer dans les tissus vivants. On obtient, 
parfois, la mort des animaux, à la condition d’employer des 
doses massives, qui tuent l'animal à la fois par leur volume 
et par les poisons préexistant dans la culture; mais ce résultat 
ne s'accompagne d'aucune multiplication locale ou générale du 
microbe inoculé. Or, un microbe ne peut être considéré comme 
pathogène que s'il possède la propriété de se multiplier in vivo 
et d'élaborer sur place des toxines dangereuses. C’est donc ce 
double attribut que l’on doit se proposer de donner au microbe 
saprophyte, et la difficulté en est grande. 

Dans des tentatives qui remontent à plusieurs années, j'avais 
essayé vainement de produire une maladie expérimentale par 
linoculation du B. subtilis à de très jeunes animaux, ou par 
l’association de cé microbe à d’autres bactéries. Dans un autre 
essai, le bacille avait été cultivé dans du bouillon additionné de 
sang de lapin; il s’y développait, d’ailleurs, médiocrement. Le 
résultat fut peu démonstratif. 

Il est donc important de mentionner ici les recherches de 
M. Charrin en collaboration avec M. de Nittis'. Ce savant a 
réussi à obtenir la mort du cobaye en se servant d'un B. subtilis 
rendu virulent par passages successifs chez l'animal, ou par 
culture dans du bouillon de plus en plus riche en sang ou sur 
des milieux artificiels de plus en plus riches en poisons diasta- 
siques, comme la toxine diphtérique. Au point inoculé, il se 
développait un œdème renfermant des bacilles abondants. 
Toutefois, il semble que la généralisation du mierobe n'ait pas 
été constante, car les auteurs font remarquer que les organés 
étaient « le plus souvent » envahis. 

Du reste, le B. subtilis se développe parfois assez mal, même 
in vitro, dans les milieux organiques. Le sérum normal, ense- 
mencé avec des spores de ce microbe, peut même le tuer en 
quelques heures ou quelques jours*. 

Dans le même ordre d'idées, M. H. Roger ayant injecté sous 
la peau d’un cobaye un peu de liquide de macération de viande 


4. CaanniN et pe Nrrmis, Un Bac. subtilis pathogène (Soc. de Biologie, 
17 juillet 1897). 

2. Conf. Lecrer, La Cellule, X, p. 349-375, 1894, et Hazran, Ann. de l'Inst. 
Pasteur, n° 7, p. 417. 1898. 


APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 787 


putréfiée, l'animal succomba. Son sang renfermait un micro- 
coque inoculable en série seulement sur un deuxième cobaye. 
La virulence de ce microbe n'avait donc été que transitoire. 

Toutes ces expériences démontrent que les moyens habi- 
tuellement employés pour renforcer l’activité des microbes 
pathogènes affaiblis ne sont pas aussi favorables lorsqu'on 
essaie de les appliquer aux saprophytes. C’est pourquoi il a 
paru nécessaire d'utiliser un autre procédé qui permit plus 
aisément l’acclimatement graduel de ces derniers à l'organisme 
animal. 

Dans ce but, je me suis adressé à la méthode de M. Roux, 
qui consiste à cultiver les bactéries dans des sacs de collodion 
introduits dans le péritoine des animaux. Par son passage dans 
l’organisme vivant, et grâce aux échanges qui s’établissent à 
travers la paroi mince de collodion, le microbe, protégé contre 
les leucocytes, s’habitue à vivre en présence de leurs produits 
bactéricides dialysés, et à emprunter aux humeurs une partie 
de ses matériaux nutritifs. C’est ce procédé qui m'a fourni les 
résultats les plus efficaces. 

Les expériences ont été faites avec deux microbes sapro- 
phytes incontestablement classés parmi les microbes inoffensifs : 
le Bac. megaterium et le Bac. mesentericus vulgatus (bacille de la 
pomme de terre). Au préalable on a, du reste, inoculé aux ani- 
maux des doses massives d’épreuve, sans éveiller autre chose 
qu'une réaction passagère de la température. 

Les cultures en sac ont été faites avec le bouillon ordinaire. 
Lorsque, après une série de passages en sacs, ces cultures sont 
devenues plus riches et plus vivaces, les microbes ont été ense- 
mencés dans du bouillon additionné de 1/5 de sérum. Chaque 
sac était retiré le 6°-7® jour; son contenu était réensemencé et 
mis à l’étuve avant d’être soumis à un nouveau passage en sac. 

Il importe de dire que la culture en sac des deux microbes, 
mais principalement du Bac. mesentericus, a été, primitivement, 
très difficile à obtenir, Le contenu des premiers sacs, à peine 
opalescent, ne renfermait que quelques bacilles et beaucoup de 
spores. Après de nombreuses tentatives pour varier les modes et 
les conditions de la culture en sac, en particulier l'injection 
quotidienne d'oxygène dans le péritoine des animaux, il a été 
constaté que le meilleur moyen d'obtenir une végétation abon- 


188 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dante des deux bacilles consistait dans l’usage de sacs à parois 
assez épaisses, qui protègent mieux les bactéries contre l'action 
des humeurs et des sécrétions leucocytaires. Avant d'être 
réparti et scellé dans les sacs de collodion, le bouillon ense- 
mencé était fortement agité et, d'autre part, on prenait soin de 
ne pas emplir entièrement les sacs de premier passage, alin de 
ménager un espace contenant un peu d'oxygène qui facilitàt 
initialement la prolifération de ces microbes essentiellement 
aérobies. 

Étudions maintenant les résultats particuliers obtenus avec 
chacun d'eux. 


EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE € B. MEGATERIUM } 


Le B. megaterium est un saprophyte très cominun dans le 
sol. L’échantilion qui m’a servi a été isolé de la terre de jardin. 
Ce microbe est inoffensif pour le lapin, le cobaye et la souris 
blanche; cette dernière peut recevoir 1 c. ec. de culture sans 
en éprouver de dommage. 

Un premier sac est fait le 17 avril 1897, et inséré dans le 
péritoine d’un cobaye ; il en est retiré le 24 avril. Le contenu est 
faiblement trouble. On trouve, au microscope, des baciiles légè- 
rement aggelutinés, immobiles, sans spores. La deuxième culture 
en sac était plus trouble que la précédente, Ni l’une ni l’autre ne 
se montra encore pathogène. 

Après quatre passages en sac, interrompus, chaque fois, par 
la culture en bouillon et à l’étuve, le bacille avait déjà acquis de 
la virulence. Quinze gouttes, additionnées d’un peu de bouillon 
neuf, tuent la souris en moins de 24 heures, en injection sous- 
cutanée. A l’autopsie, on trouve, au point inoculé, un peu de 
liquide d’œdème de couleur jaune clair, renfermant quelques 
bacilles et de très rares lymphocytes. Les préparations faites 
avec l’enduit péritonéal montrent également quelques bacilles 
prenant bien la coloration. Dans la rate et le foie, les bacilles 
sont cependant vacuolaires et se teintent à peine par le Gram. 
Les poumons sont vivement congestionnés, parsemés de petits 
foyers de pneumonie. Le sang du cœur renferme des bacilles 
dégénérés. Le microbe, quoique déjà un peu virulent, était 
donc, néanmoins, atteint lui-même dans sa vitalité. 


APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 789 


Ainsi exalté par cultures successives en sac, le bacille finit, cepen- 
dant, par acquérir, après le sirième passage, une virulence considé- 
rable. Quatre gouttes et même, dans un cas, deux gouttes 
injectées sous la peau tuaient la souris en 10-20 heures, avec 
des lésions de péricardite et de pleurésie hémorrhagiques. Au micros- 
cope, le liquide épanché montrait de nombreux bacilles, parfai- 
tement colorables. On apercevait de très rares lymphocytes 
intacts, et de nombreux leucocytes dégénérés, parfois même à 
peine reconnaissables, dont le noyau était fragmenté en un 
nombre infini de granulations irrégulières, éparses dans le pro- 
toplasme de la cellule. Nulle apparence de globules rouges, 
malgré l'aspect hématique de l’épanchement pleuro-péricardique. 
Il y avait done, en même temps qu’une leucolyse intene, une disso- 
lution de l’hémoglobine telle qu’on l’observe dans les septicémies 
hémorrhagiques. Le sang du cœur présentait l'aspect dissous ; 
le bacille y était abondant. L’abdomen était météorisé ; le foie, 
d'aspect lavé ; la rate, très tuméfiée, molle et noire. L’exsudat 
péritonéal renfermait de nombreux bacilles, sans trace de pha- 
gocytose. 

Ce microbe, si actif pour la souris blanche, était également 
très redoutable pour le cobaye et pour le lapin: un demi c. e. 
tuait un cobaye de 450 gr. en 24 heures, après injection périto- 
néale ; en 2 ou 3 jours en injection sous-cutanée, avec envahis- 
sement des viscères et du sang. L'inoculation intraveineuse de 
la culture en sac amenait la mort, en 12 heures, d’un lapin 
pesant 1,850 gr., à la dose de un demi c.c. Un c. c. tuait un autre 
lapin en 8 heures. L’autopsie ne révélait qu’un peu de congestion 
des reins et des poumons, et du gonflement de Ja rate. Le sang 
contenait de nombreux bacilles. 

On avait donc réussi à communiquer au B. megaterium des 
propriétés pathogènes très prononcées qui le rendaient capable 
d'agir avec la même activité redoutable que les virus les plus 
énergiques. Il tuait les animaux sans déterminer de lésion locale, 
presque sans altération apparente des viscères, avec la marche 
d’une septicémie suraiguë. 

En mème temps que le bacille acquérait de la virulence, on 
constatait un changement manifeste dans les caractères de ses 
cultures. A l’état normal, le B. megaterium, ensemencé dans le 
bouillon, y forme, à la surface, un voile assez épais bordé d’une 


790 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


collerette. Le bouillon sous-jacent est presque clair et renferme 
quelques grumeaux, visibles quand on lagite. Or, dès le 
quatrième passage en sac, notre bacille troublait abondamment 
et uniformément le bouillon, formait des ondes chatoyantes 
quand on agitait celui-ci, et ne sécrétait plus de voile ni de 
collerette à la surface. Il semblait s'ètre adapté aux nouvelles 
conditions d’anaérobiose relative réalisées par la culture dans les 
sacs de collodion. Nous allons constater, à propos du B. mesen- 
tericus, des modifications plus remarquables encore. 

Les attributs pathogènes de la race du B. megaterium n’ont 
pu être conservés qu'à la condition de les entretenir par la cul- 
ture en sac. Abandonné à lui-même et réensemencé à Pair, le 
microbe s’atténuait progressivement. Après 3 mois, le bacille 
avait perdu toute sa virulence, même pour la souris blanche. 
De pareilles défaillances dans leur virulence existent chez un 
grand nombre de bactéries pathogènes. Du reste, trois passages 
en sac reslituèrent au bacille sa virulence antérieure. 

Les cultures en sac sécrètent des toxines qui diffusent à tra- 
vers la paroi du collodion, etamènentun empoisonnement lent et 
un amaigrissement marqué de l'animal, Si on lui laisse le sac, le 
cobaye peut mourir entre 20 et 30 jours. Un cobaye est mort au 
huitième jour. 

La ressemblance parfaite qu’affecte la nouvelle race de 
B. megaterium avec les microbes pathogènes proprement dits, 
s'accuse encore dans la manière dont se comporte le microbe à 
l'égard du sérum des animaux. Prenons un bacille dont la viru- 
lence commence à se dessiner, et qui tue la souris blanche à la 
dose de 1 ce. c. sous la peau. Cette dose, inoculée au lapin, 
détermine seulement une fièvre légère et éphémère. On injecte 
ainsi à ce lapin, à intervalles de 8 à 10 jours, des cultures de plus 
en plus actives du bacille. 

Le sang de ce lapin est devenu assez rapidement capable 
d’agglutiner le B. megaterium à 1/40 et même 1/100. Cette pro- 
priété agglutinante n’a pas paru nettement transmise par l’héré- 
dité maternelle. 

Lorsqu'on fait agir comparativement, sur le bacille originel 
et sur le bacille éduqué, un sérum agglutinant, le premier de 
ces microbes est plus sensible que le second à l’action du sérum. 
Tandis que le bacille initial s’est laissé agglutiner à 1/20, la 


APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 791 


séro-réaction était beaucoup moins marquée à l'égard de son 
dérivé pathogène, et se manifestait seulement à 1/10. 

Lorsque, au lieu d’inoculer le microbe virulent, on inocule 
seulement la culture initiale, le sérum de l'animal ainsi traité 
devient-1il capable d’agglutiner? L'expérience montre que le pou- 
voir agglutinant est très faible (1/5 ou 1/6). L'action produite 
par le saprophyte n’est donc pas assez efficace pour influencer 
l'organisme et provoquer le phénomène de la séro-réaction. Cet 
animal fut, du reste, tué par l’inoculation intraveineuse de 1 e. e. 
du bacille virulent; la mort survint à la fin du 3° jour; il n'avait 
donc pas davantage été immunisé par le microbe indifférent. 

On peut, cependant, vacciner les animaux contre le Bac. 
Megaterium virulent en leur inoculant des cultures de plus en plus 
actives. Un lapin, ainsi traité, est devenu réfractaire à l’inocula- 
tion intraveineuse de 2 ec. c. d’une culture à son maximum de 
virulence, dont 1/2 c. ce. tuait un autre lapin en 12 heures. 

Les expériences qui précèdent montrent qu’il est possible de 
transformer un saprophyte inoffensif en un microbe pathogène, 
et de réaliser avec lui une maladie expérimentale mortelle, par- 
fois presque foudroyante. Il est également possible de donner à 
l'animal une immunité véritable, passagère ou durable, contre 
le microbe à virulence exaltée, en utilisant la méthode de vacci- 
nation que Pasteur a employée pour la vaccination charbon- 
neuse. Des expériences bien connues de M. Chauveau sur la 
bactéridie du charbon’, il semblait résulter que la propriété 
immunisante constituait un caractère fondamental qui permit 
de définir le microbe pathogène. Nous venons de voir que cette 
propriété appartient aussi aux microbes saprophytes. Cette con- 
statation présente quelque importance, car elle renverse la 
dernière barrière qui sépare le microbe pathogène du saprophyte 
vulgaire. 

La même démonstration découlera encore de l'étude du 
microbe suivant. 


EXPÉRIENCES FAITES AVEC LE ( BAC. MESENTERICUS VULGATUS ) 


Le B. mesentericus vulg. (bacille de la pomme de terre) qui 
m'a servi a été isolé d’une infusion de foin soumise à l’ébullition. 
4. Cauveau, C. R. de l'Acad. des Sciences, 1882, 1883 et 1884. 


192 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


On sait que ce microbe est l’un des plus répandus dans la nature, 
soit à la surface du sol, soit sur les plantes (Macé). II possède” 
des spores très résistantes et donne, sur les milieux nutritifs. 
des cultures assez analogues à celles du Bac. subtilis, dont il n’est 
peut-être qu'une simple variété. Ses cultures sont, cependant, 
plus plissées, plus florissantes, plus extensives, et le bacille n’a 
pas la mobilité du B. subtilis. 

Le B. mesentericus vulqg. est complètement inoffensif. On 
peut injecter au cobaye, au lapin, 6 à 8 c. c. de culture sous la 
peau ou dans la veine, sans éveiller autre chose qu’un peu de 
fièvre. La souris peut supporter sans dommage l’inoculation de 
2 c. c. de culture. | 

J'ai éprouvé, au début, ainsi qu'il a été dit plus haut, de très 
grandes difficultés pour cultiver ce microbe dans les sacs de 
collodion. Il fallut le protéger contre l'influence des sécrétions 
péritonéales, en l'enfermant dans des sacs à parois un peu 
épaisses, et fournir un peu d'oxygène à ce microbe essentielle- 
ment aérobie, en agitant le bouillon, avant de l’ensemencer, et 
en laissant dans le sac un petit espace libre contenant de l’air. 
Dans ces conditions, les cultures devinrent bientôt abondantes. 

Le premier animal qui succomba à l’inoculation du B. mesen- 
tericus culüivé en sac fut un cobaye de 330 grammes qui avait 
reçu, dans le péritoine, 4 c. c. du contenu du sac de 4° passage. 
L’exsudat péritonéal montrait une abondante quantité de leuco- 
cytes polynucléaires bourrés de bacilles ; il existait aussi de 
nombreux lymphocytes. On apercevait quelques bacilles libres, 
très rares, vacuolaires, à peine colorés. L'animal n’avait donc 
succombé que par suite de la grande quantité de culture qui lui 
avait été inoculée, mais il n’y avait pas d'infection véritable. 

Cependant la culture du sang fut positive, et ce microbe 
devint le point de départ de la nouvelle race. Par des passages 
successifs en sac, la culture devint de plus en plus riche. Au 
1° passage, la culture était très trouble, presque laiteuse, tant 
elle était abondante. Certains sacs ont donné des cultures de 
consistance visqueuse. Les bacilles étaient enfermés dans une 
sorte de gangue muqueuse. Quelle que fût l’abondance de la 
culture, c’est plus particulièrement sur la paroi même du sac 
que les bacilles étaient nombreux. Ils étaient [à en quantité 
prodigieuse, tapissant la face interne de la membrane dont la 


APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 793 


paroi les séparait de la couenne leucocytaire qui enveloppait le 
sac. Peut-être cette localisation plus spéciale des bacilles 
s’explique-t-elle simplement par le besoin d'oxygène du mi- 
crobe. 

Le bacille extrait du 7° passage tuait la souris blanche en 
moins de 12 heures, à la dose de huit gouttes mélangées à un 
peu de bouillon frais, et le cobaye en 48 heures, à la dose 
de 3/4 de c. c. introduits dans le péritoine. Un lapin de 
1,450 grammes ayant reçu dans l’abdomen 1 ec. c. du contenu 
du sac succomba en 37 heures. 

Le 8° passage en sac fournit une culture un peu plus 
virulente encore. Elle tuait, en effet, la souris à la dose de cinq 
gouttes, et le cobaye de 400 grammes à la dose de 1/2 e. c. dans 
le péritoine. Un lapin de 2,530 grammes mourut en 30 heures à 
la suite de l'injection intraveineuse de 1 c. c. de la même 
culture *. 

La culture sporulée, soumise au chauffage à 100, puis 
recultivée en sac, n'avait rien perdu de sa virulence. Celle-ci 
n’était donc pas passagère, mais elle s'était transmise par descen- 
dance. 

Les symptômes très particuliers provoqués par l’inoculation 
de ce bacille modifié méritent d’être décrits. 

La souris, après inoculation, ne présente aucun trouble 
particulier pendant 2 ou 3 heures. Alors, elle devient somno- 
lente, se hérisse et, quand elle se déplace, titube comme un 
animal ivre. Au bout de 6 ou 7 heures, cet état d'engourdisse- 
ment s’est aggravé; le train postérieur semble parésié. Le len- 
demain, si la dose inoculée n’a pas été trop forte pour tuer pré- 
maturément la souris, on trouve celle-ci, tantôt sur ses pattes, 
tantôt couchée sur le flanc, dans un état de stupeur absolue. 


4. Peut-être aussi (mais ce n’est là qu’une hypothèse), les leucocytes, attirés 
par les sécrétions bactériennes à la superficie du sac, sécrètent-ils, à leur tour, 
par une influence chimiotactique réciproque, des substances capables d'attirer les 
bacilles. 

2, Dans les cultures successives en sac, il y a parfois, d’un sac à un autre, et 
sans qu’on puisse en donner une explication plausible, une perte brusque de la 
virulence, en même temps qu’une diminution de la vitalité du bacille. A plu- 
sieurs reprises, sans cause appréciable, la culture en sac, jusque-là très abon- 
dante, était devenue tout à coup très maigre et avait perdu tout pouvoir patho- 
gène, C’est seulement après plusieurs nouvelles tentatives que le bacille reprend 
de nouveau son caractère luxuriant et sa virulence. 

Abandonné à lui-même et à l'air, le bacille perd progressivement sa 
virulence. 


794 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Les yeux sont clos; les mouvements respiratoires sont à peine 
apparents. Lorsqu'on pique la souris, elle se débat faiblement. 
Certaines souris sont restées pendant 24 heures, dans cet état 
comateux, puis ont succombé. Le coma est quelquefois inter- 
rompu par des accès de contractions toniques généralisées en 
opisthotonos, semblables à celles du tétanos. 

Les phénomènes nerveux dont il vient d’être parlé sont tou- 
jours moins marqués chez le cobaye et chez le lapin. Cependant, 
on observe chez eux un peu de torpeur, une parésie plus ou 
moins marquée du train postérieur et un ralentissement des 
mouvements respiratoires. La température s'élève jusqu'à 40, 
40°,6, pendant quelques heures après l'inoculation. Puis elle 
s'abaisse dès que les troubles nerveux et les phénomènes d’in- 
toxication apparaissent, et elle revient aux environs de la 
normale. Chez un cobaye, on a constaté de l'hypothermie (379,2). 

Les lésions d’autopsie varient un peu, suivant le sièse de 
l'inoculation. Lorsque celle-ci a été pratiquée sous la peau, on 
trouve, à l’autopsie, un léger œædème sanguinolent renfermant 
des bacilles plus ou moins nombreux; aucune trace de phago- 
cytose. La rate est un peu grosse; les reins sont injectés. Le 
sang renferme des bacilles intacts, facilement colorables. Lors- 
que l'injection est pratiquée dans le péritoine, on trouve, dans 
l'abdomen, un peu de liquide trouble, légèrement visqueux. 
Les bacilles sont abondants, libres: quelques-uns présentent 
le phénomène de Pfeiffer. La pulpe splénique, le sang, contiennent 
des bacilles. Enfin, l'injection faite dans la veine du lapin tue 
celui-ci sans déterminer de lésions, sauf, parfois, de petits 
foyers broncho-pneumoniques et une vive congestion des 
reins. Le foie est de consistance molle. 

On peut déterminer une pullulation extraordinairement 
abondante du bacille, dans les organes, en injectant simulta- 
nément un peu de culture stérilisée du bacille pyocyanique ou 
du B. Col. 

Les phénomènes morbides et les lésions déterminées, chez 
les animaux, par le bacille virulent, démontrent que celui-ci 
tue non seulement par les toxines existant déjà dans sa culture, 
mais encore par une véritable infection. Les bacilles sont abon- 
dants, bien colorés, nullement dégénérés, dans tous les viseères 
et dans le sang. Ce microbe sécrète une toxine particulièrement 


APTITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 795 


active, et le mode de culture en sac, par la méthode de 
M. Roux, semble exceptionnellement favorable à la production 
de ces poisons. L’inoculation des cultures faites in vitro donne 
lieu, en effet, à des symptômes analogues ; mais ils sont beau- 
coup moins marqués, etilest nécessaire d'injecter une dose trois 
fois plus forte pour amener la mort des animaux. 

La production de toxines très actives, sécrétées dans les 
conditions précitées, ressortira encore de ce fait que quelques- 
uns des cobayes à qui on insère des sacs succombent pendant 
la deuxième ou la troisième semaine, sans autre lésion qu'une 
forte congestion péritonéale et sans qu'il y ait eu passage du 
microbe hors du sac. 

D'autre part, si l’on filtre le contenu d'un sac et qu’on 
injecte à un animal le liquide filtré, on détermine des symp- 
tômes de torpeur ainsi que la mort. Toutefois, la bougie de 
porcelaine arrête une grande partie des toxines. 

La toxine chauffée à 65° perd toute son activité. 

Suivant l’exemple fourni par les importantes recherches de 
MM. Roux et Borrel sur l'influence directe des poisons sur le 
système nerveux central, j'ai expérimenté l’action de la toxine 
en injection dans le cerveau des animaux. Dans ces conditions, 
le cobaye meurt, en moins de 24 heures, dans le coma, à la 
suite de l'injection intra-cérébrale de 1/200 de centimètre cube 
de culture du B. mesentericus modifié. Un lapin,à qui on a injecté 
une goutte de culture dans le cerveau, succombe dans le coma 
absolu en 24 ou 30 heures. Un lapin a cependant survécu à 
cette dose, après être resté longtemps très malade. 

Le B. mesentericus modifié fabrique donc un poison très éner- 
gique du système nerveux. 

Le phénomène de l’agglutination peut être constaté aisément, 
en traitant le bacille par le sérum d'un animal ayant reçu, à 
divers intervalles, des cultures de plus en plus actives. Un de 
nos cobayes agglutinait à 1/15; un lapin à 1/20. 


Parallèlement à ces modifications si importantes de ses pro- 
priétés biologiques, le bacille de la pomme de terre a offert, 
dans ses caractères sur les milieux de culture, des changements 


796 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


singuliers qui fournissent encore une preuve bien remarquable 
de la plasticité des infiniment petits. 

Cultivé dans le bouillon, le bacille normal, tel qu'il existe 
dans la nature, témoigne de son extrême avidité pour l'oxygène 
par la production précoce d’un voile dense, cohérent, qui se 
plisse et s'étend même sur les parois du tube. Il ne trouble pas 
le bouillon; le voile qui s’est formé peut tomber spontanément 
ou sous l'influence de l'agitation, et les bactéries ainsi noyées 
forment rapidement des germes. Un autre voile succède rapi- 
dement au premier. — La pomme de terre ensemencée est, de 
même, rapidement envahie sur toutes ses faces. 

Ces caractères décrits comme classiques, la nouvelle race de 
B. mesentericus ne tarde pas à les perdre. Au lieu du voile épais, 
surnageant à la surface du bouillon resté clair, le nouveau ba- 
cille commence par troubler abondamment et uniformément le 
milieu. Après 2 jours, on voit apparaître une pellicule mince et 
fragile quise dissocie avec la plus grande facilité, et qui est len- 
tement remplacée par un autre voile aussi délicat. La culture est 
visqueuse. Examinée après quinze jours, elle est remarquable- 
ment pauvre en spores. 

Ensemencé à la surface de la gélose, le bacille modifié ne 
s'élend pas au delà de la ligne d’ensemencement. Au lieu de 
cette membrane touffue et plissée qui recouvre la totalité du 
milieu nutritif, on obtient une strie opalescente, presque trans- 
parente, qui rappelle entièrement celle du bacille d’Eberth. La 
ressemblance est encore plus singulière sur la pomme de terre, 
où le bacille donne une traînée mince, humide, luisante, exclu- 
sivement limitée à la strie d’ensemencement. Par ses nouveaux 
caractères botaniques, le bacille différait donc entièrement de 
son ancêtre, et j'eusse moi-même hésité à reconnaître, à ce mo- 
ment, le bacille vulgaire de la pomme de terre, si je ne l'avais 
suivi dans son développement. Il fallut ensemencer in vitro le 
bacille dans du bouillon, et le cultiver à l’étuve pendant quatre 
ou cinq générations pour voir ce microbe reprendre progressi- 
vement et rigoureusement tous ses caractères primitifs, comme 
on voit une plante cultivée revenir peu à peu et spontanément 
à son type sauvage, si elle n’est plus soumise aux conditions de 
culture qui avaient réussi à la modifier. 

Cet ensemble montre combien il faut faire peu de fonds sur 


APIITUDES PATHOGÈNES DE CERTAINS SAPROPHYTES. 797 


la fixité des caractères morphologiques et des réactions de cul- 
ture des Schizomycètes. 

Il n’est pas jusqu'à l’un de ses attributs les plus importants 
et, en apparence, les plus immuables, à savoir son caractère 
strictement etessentiellementaérobie, dont notre bacille ne puisse, 
dans une certaine mesure, se dépouiller à son tour. Malgré 
son avidité pour l'oxygène, le microbe s’est lentement habitué à 
vivre dans l'abdomen des animaux, dans des conditions d’oxygé- 
nation beaucoup moins favorables. Si, avant de fermer la cul- 
ture en sac et de la mettre dans le péritoine, on additionne le 
milieu d’un peu de sulfoindigotate de soude, et qu’on retire le 
sac déjà après 48 heures, on constate que l’indigo a été totale- 
ment réduit. Les cultures en sac dégagent une odeur particu- 
lière, caséeuse, analogue à celle des anaérobies, et que n’ont 
pas les cultures faites à l’air libre. Il y a plus : en cultivant in 
vitro et dans le vidé fourni par la pompe à mercure le bacille 
retiré du sac, on s'aperçoit qu'il s’y développe, quoique très fai- 
blement, alors qu’un échantillon témoin primitif ne donne lieu à 
aucune culture. Le bacille modifié trouble le bouillon, dans ces 
nouvelles conditions, et réduit l’indigo. La culture anaérobie, 
examinée au microscope, montre des bacilles normaux, sans 
spores, sans formes d’involution. 1! y a donc eu véritablement cul- 
ture dans le vide d’un microbe exclusivement aérobie. Ces essais ont 
été poursuivis; mais, à la deuxième génération, la culture était 
devenue beaucoup plus faible, et la troisième génération fut 
nulle. 


x 
*# * 


Si nous avions à conclure de ces recherches, nous dirions 
qu'il ne paraît plus possible d'admettre, comme rigoureusement 
fondée, la classification, acceptée pendant longtemps, des bacté- 
ries, suivant qu’elles se développent chez l'être vivant ou qu’elles 
se refusent à vivre ailleurs que sur la matière morte. Cette distinc- 
tion est artificielle, autant que l’est la notion, si discutable, de la 
fixité des fonctions et de la morphologie des microbes. Telle est 
leur flexibilité qu'ils sont capables de s'élever par degrés, de leur 
état saprophytique banal, à la dignité d'agents pathogènes. Malgré 
la tendance qu'ils ont à recouvrer leurs caractères héréditaires, 
les microbes s’accommodent donc, parfois avec facilité, aux nou- 


1. Duczaux, Trailé de Microbiologie, t. 1, p. 235. 


798 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


velles conditions d'existence qui leur sont imposées. Ils peuvent 
ainsi acquérir, plus ou moins laborieusement, la faculté de fa: 
briquer des substances diastasiques toxiques grâce auxquelles 
ils digèrent et tuent la cellule vivante pour se multiplier sur ses 
ruines : ils sont devenus virulents. Cette adaptation à la vie 
parasitaire dans le. milieu vivant n'est, elle-même, qu'un 
attribut contingent et instable au même titre que les autres pro- 
priétés du microbe. 

De pareils faits éclairent singulièrement la question, encore 
bien obscure et bien discutée, de la spontanéité morbide. Ils per- 
meltent, sans doute aussi, d'expliquer le retour de certaines épi- 
démies, depuis longtemps disparues, dont le germe peut rencon- 
trer, chez certains animaux inférieurs, un terrain propice au 
réveil de leur virulence. Tel est le cas pour le bacille de la peste 
et, vraisemblablement, pour d’autres virus encore. Qu'un mi- 
crobe, jusqu'alors inoffensif, se trouve, de même, dans des con- 
dilions qui lui permettent de se développer chez un premier 
animal réceptif; si le hasard lui offre la série des passages que 
nous réalisonsexpérimentalement dans nos laboratoires, le sapro- 
phyte deviendra pathogène. Aïnsi sera née une nouvelle mala- 
die infectieuse. C’est l'hypothèse que MM. Pasteur, Chamberland 
ct Roux ünt soulevée, 1l y a longtemps, dans une note mémorable! 
sur l’atténuätion des virus et sur leur retour à la virulence. Les 
expériences qui précèdent semblent venir à leur appui. 


4. Acad. des Sc., 95 février 1881. 


ÉTUDE CYTOLOGIQUE ET CYCLE ÉVOLUTIF 


DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE 


Par Micuez SIEDLECKI 


HISTORIQUE 


La Coccidie dont nous nous occupons dans ce mémoire paraît 
avoir été vue pour la première fois, en 1862, par Eberth. Aimé 
Schneider, en 1875 (Arch. 3001. exper.), trouva chez les Octopus 
vulgaris de Roscoff une psorospermie, à laquelle il donna le nom 
de Benedenia octopiana, caractérisée par des kystes renfermant 
de nombreux sporocystes (au sens de Léger) avec une quinzaine 
de sporozoïtes dans chaque sporocyste ; la description, très courte, 
est accompagnée de quelques figures dans le texte. — En 1883 
(Arch. zool. exper.), le même savant décrit longuement l'évolution 
d’une Coccidie de la seiche qu'il ne distingue pas spécifiquement de 
celle du poulpe, et qui aurait seulement 3, ou rarement # sporo- 
zoïtes par sporocyste (c'est cette forme que nous avons eue 
sous les yeux). Dans une note au bas de la page 101, Schneider 
remarque lui-mème qu'il avait noté 8—15 sporozoïles par sporo- 
cyste chez la Coccidie du poulpe vue à Roscoff; il ajoute qu’on 
peut se tromper en appréciant le nombre des sporozoïtes quand on 
les compte par transparence à travers la paroi du sporocyste; et 
il ne conclut rien. Schneider s'est-il réellement trompé ? La 
chose est fort possible; sa Coccidie avec 15 sporozoïtes par sporo- 
cyste ne parait pas avoir été retrouvée; Mingazzini (Atti della 
reale Acad. dei Lincei, 1892, 1) déclare, en revauche, avoir trouvé 
la même espèce de Coccidie chez Sepia officinalis et chez Octopus 
vulgaris, et c’est celle à 3 ou # sporozoïtes par sporocyste. 

Ces considérations nous ont engagé à ne pas nous montrer 
plus rigoriste que Schneider lui-même dans les distinctions spé- 
cifiques et à appeler comme lui : Xlossia octopiana, la Coccidie de 


800 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


la seiche. Mais il est bien entendu que si l'avenir prouve la parfaite 
exactitude de ses observations de 1875, le nom de Xlossia Eberthi. 
proposé par Labbé pour la Klossia de la seiche, devra être adopté. 

On remarquera que Schneider, en 1883, a adopté le nom 
générique Klossiæ créé pour la Coccidie de l’Helix:; Labbé et 
Léger ont été du même avis. Au contraire, Mingazzini a conservé 
le nom générique Benedenia. Provisoirement, nous adoptons 
le nom Ælossia: car il n'y a pas, à l'heure actuelle, de raison 
suffisante pour séparer génériquement les Coccidies de l’Helix et 
des Céphalopodes ; mais les premières sont trop mal connues (l'on 
ne sait à peu prèsrien sur leur évolution avantl’enkystement) pour 
que notre manière de voir puisse être regardée comme définitive. 
Aux savants qui s’occuperont de Klossia helicina de décider si 
elleestgénériquement distincte ou nonde celle des céphalopodes”. 

Labbé”, dans son travail d'ensemble sur les Coccidies, donne 
une bibliographie très complète à laquelle nous renvoyons. 
Signalons simplement le travail de Schuberg*, de 1895, sur la 
Coccidie de la souris, que Labbé ne signale pas dans son index, 
et les travaux de Simond*, Schaudinn et Siedlecki *, Léger ‘, pos- 
térieurs au mémoire de Labbé. 

Le présenttravail a été fait, partie à la station zoologiquede Na- 
ples(janvier-mai 1897) et partie à l’Institut Pasteur de Paris (1898). 
Nous tenons ici à exprimer notre vive reconnaissance aux pro- 
fesseurs Dohrn et Metchnikoff. M. Dohrn a eu la générosité de 
nous offrir une place à sa célèbre station, où nous avons eu une 
grande abondance de matériaux à notre disposition; M. Metchni- 
koff nous a recu très cordialement dans son laboratoire et nous 
a fait profiter de ses conseils si autorisés. 


4. Ces lignes étaient à l’impression quand nous avons pris connaissance de la 
note de M. Laveran (C. 2. Soc. Biologie, séance du 26 nov. 1898), sur l’évolution 
de la ÆXlossia helicina; elle diffère tellement de celle de la Coccidie de la seiche, 
que nous pensons que les deux organismes doivent être séparés génériquement, 
et qu’on doit revenir à l’ancien nom de Schneider, Benedenia octopiana. 

2. Lassé À, Recherches zoologiques, cytologiques et biologiques sur les Coc- 
cidies. -— Arch. zool. exp., 8e série, t. IV, 1896. 

3. ScHugerG, Die Coccidien aus dem Darm der Maus. Verhandl. d. nat. hist. 
med. Vereins Heidelberg, n. folge, V., 4 Ht, 1895. 

4. Simoxp, L'évolution des Sporozoaires du genre Coccidium. Annales de l'Ins- 
titut Pasteur, 1897, t. XI. 

5. SCHAUDINN et SIEDLECKI, Beitrige zur Keuntnissder Coccidien. — Verhandl. 
der deutsch. sool. Gesels, 1897. 

6. Lécer L, Essai sur la classification des Coccidies et description de quelques 


espèces nouvelles ou peu connues. — Bull. du Muséum de Marseille, t. I, 
asc. I, 1898. 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 801 


Un court résumé de notre mémoire a déjà été publié dans les 
Comptes rendus de la Société de Biologie (séance du 15 mai 1898). 


IL 


TECHNIQUE 


Les seiches qui nous ont servi pour nos recherches ont été 
pèchées dans le golfe de Naples’, et elles ont été disséquées à 
‘état vivant. Parfois, nous laissions les animaux séjourner un ou 
plusieurs jours dans les aquariums de laboratoire de la station 
zoologique ; mais leurs parasites, observés au bout de ce temps, 
nous ont toujours paru identiques avec ceux retirés des animaux 
sacrifiés immédiatement après la pêche. 

Toutes les seiches que nous avons examinées étaient infectées 
plus ou moins fortement. Les parasites étaient localisés à l’appa- 
reil digestif?. L’infection était reconnaissable à l’œil nu, car la 
partie postérieure de l'intestin portait des points blancs opa- 
ques (kystes de grandes dimensions). 

Nous avons fait nos observations sur le frais et aussi sur des 
préparations fixées et colorées. Pour opérer sur le frais, nous 
nous servions de lamelles très minces, dont nous fondions très 
légèrement les # angles à la flamme d’un bec Bunsen; la lamelle 
était ainsi munie de 4 petits pieds qui empèchaient l’écrasement 
des objets à examiner. Sur une lamelle ainsi préparée, nous 
déposions, dans une goutte d’eau de mer ou de liquide intestinal, 
une petite quantité d’épithélium intestinal, que nous fragmen- 
tions autant qu’il était possible, La lamelle était alors retournée 
et placée sur un porte-objet. 

Les préparations colorées ont été faites avec des frottis ou 
bien avec des pièces débitées en coupes. C’est la première 
méthode qui nous a donné les meilleurs résultats; son emploi 
est d’une importance capitale pour l’étude des Coccidies ; aussi 
allons-nous la décrire avec quelques détails. 

Nous plaçons sur une lamelle, dans une goutte d’eau de mer 
ou de suc intestinal, un fragment de la paroi intestinale de 5 à 


4. Nous avons étudié aussi quelques seiches qui nous ont été envoyées, fixées 
au formol, par la Société scientifique d'Arcachon; nous n'avons observé, dans 
l'étude des parasites, aucune différence avec celles de Naples. 


2. Une fois seulement, nous avons trouvé des kystes mürs dans le manteau 
; ? 
d'une seiche, 


o1 


802 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


40 millimètres carrés. Avec des aiguilles fines, nous enlevons 
les couches muqueuse et sous-muqueuse; la couche épithéliale 
et le tissu conjonctif sous-jacent, qui renferment les divers stades 
de l’évolution du parasite, sont alors dilacérés avec soin et 
répartis d’une façon aussi uniforme que possible sur toute la 
surface de la lamelle. La lamelle ainsi préparée est retournée et 
déposée à la surface du liquide fixateur contenu dans un verre 
de montre. La couche qui recouvre la lamelle est rapidement 
coagulée et en même temps lui est assez solidement collée pour 
qu'elle puisse ensuite passer par les divers liquides nécessaires 
sans abandonner aucun fragment des lissus qu'on y a déposés. 
La goutte d’eau ou de suc intestinal qu'on met sur la lamelle 
au commencement de l'opération doit être juste suffisante pour 
empêcher le dessèchement des tissus étalés avant leur fixation 
(la structure des Coccidies est profondément modifiée quand ces 
organismes ont été desséchés avant d’être fixés; 1l faut donc 
éviter avec un soin tout particulier cette grave cause d’erreur). 
Si le liquide est en trop grande quantité, la coagulation par le 
fixateur est insuffisante; le collage sur la lamelle se fait mal et 
on perd ainsi une partie des tissus déposés ‘. 

Comme fixateur, nous avons surtout employé la solution 
concentrée de sublimé dans l’eau de mer, additionnée de 3 à 
5 goultes d'acide acétique cristallisable pour 100 ce. ce. ; la 
fixation est toujours excellente et les tissus peuvent ensuite 
prendre presque tous les colorants. — Les liquides de Flemming 
el d’Hermann donnent également de bons résultats, en particu- 
lier pour les pièces qui doivent être coupées. Le liquide de 
Perenyi, le mélange de sublimé, en solution, avec de Pacide 
nitrique à 3 0/0, donnent des résultats inférieurs à ceux des 
précédents fixateurs. 

Les frotlis, après fixation par le sublimé ou les liquides 
osmiques, sont lavés à l’eau, puis portés dans les alcools 
de concentration croissante (30°, 50°, 70°, 960), jusqu’à l'alcool 
absolu où on les laisse de 1/2 heure à 1 heure; on revient 
ensuite peu à peu à l'alcool à 50°. 

Les tissus sont alors prêts à être colorés. — La lamelle doit 

l. Le principe de cette méthode, que nous avions précédemment employée 


avec Schaudinn, est indiqué par R. Pfeiffer, dans son travail sur la coccidiose des 
lapins. 4 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 803 


séjourner de 1/2 heure à 1 heure dans le liquide fixateur, de 10 
à 30 minutes dans chaque alcool (sauf lalcool absolu). Si le 
fixateur est un liquide osmique, le lavage à l’eau doit durer au 
moins 4 heures, à l'obscurité autant que possible, en ayant soin 
de changer l’eau plusieurs fois. Après la fixation au sublimé, il 
convient de mettre de l’iode dans l'alcool à 70 ou à 96°. 

Pour colorer aussi bien les frottis que les coupes, nous avons 
obtenu d'excellents résultats en employant lhématoxyline de 
Bôhmer, en dilution très étendue dans l’eau distillée. Les prépa- 
rations séjournaient de 12 à 24 heures dans le colorant; puis 
étaient différenciées par l'alcool à 50° additionné de traces 
d'acide chlorhydrique. La couleur passe un peu au rouge; mais 
on revient au bleu violacé en lavant avec l'alcool à 50° légère- 
ment ammoniacal. Cette méthode met en évidence toutes les 
finesses de structure des noyaux. 

Pour certains détails, il est bon d'employer (et nous Favons 
fait souvent, surtout pour les coupes) la méthode de coloration 
de M. Heidenhain (hématoxyline à l’alun de fer). 

Ces colorants donnent également une idée assez nette de la 
structure du cytoplasme; mais on a de meilleurs résultats en fai- 
santuneseconde colorationavecl'éosinesoitseule,soitadditionnée 
d'orange G. Nous employions ces substances en solution aqueuse 
très faible; la préparation devait y séjourner de 3 à 12 heures. 

Pour les pièces fixées au Flemming, c’est toujours la safra- 
nine qui donne les meilleures colorations. 


HIT 


STADE ADULTE INDIFFÉRENCIÉ DE LA COCCIDIE 


Nous désignons ainsi un état de la Coceidie qui, après être 
partie du stade de sporozoïte, s’est accrue et a accumulé ses ma- 
tières de réserve, mais ne se prépare pas encore à la reproduction. 

A ce stade, la Ælossia octopiana est une cellule ovale, avec 
des contours toujours bien réguliers (fig. 3); souvent la diffé- 
rence de longueur des axes de lellipsoïde est si faible que la 
Coccidie semble sphérique. 

Les individus jeunes sont beaucoup plus allongés et peuvent 


804 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


même avoir la forme d’un fuseau tout droit (fig. 1)ou légèrement 
arqué (fig. 2). 

Avec la forme, les dimensions de la Coccidie adulte varient 
aussi dans des limites assez étendues ; en moyenne (c’est le cas 
de la fig. 3), le grand axe a de 48 à 52 y, le petit a de 40 à 
45 pu. Mais on rencontre très fréquemment des individus énor- 
mes, presque sphériques, d’un diamètre de 150 à 170 y. 

La Alossia adulte est une cellule nue. Elle ne présente aucune 
membrane de structure appréciable. A. Schneider dessine une 
membrane assez épaisse autour de la cellule; mais le stade re- 
présenté correspond sans doute à un état plus avancé que celui 
de notre figure 3. Labbé, en parlant de la structure du proto- 
plasma des Coccidies en général, fait mention d’une fine mem- 
brane à la surface des parasites adultes. Jamais nous n’avons pu 
constater la présence d’une semblable enveloppe ui chez la 
Klossia de la seiche, ni les Coccidies des Lithobius et des tritons; 
Simond partage entièrement notre manière de voir. — Les con- 
tours, toujours si réguliers des Coccidies, s'expliquent fort bien 
par une plus forte réfringence et une différence dans la structure 
du protoplasme de la Coccidie, comparé à celui de la cellule 
hôte. — Comme nous le verrons plus loin, un certain nombre 
de faits bien observés (Ex. : pénétration d’un microgamète) se- 
raient inexplicables si le parasite était entouré d’une membrane. 
Tout au plus pouvons-nous admettre que le protoplasme est par- 
ticulièrement condensé à la périphérie de la cellule, 

Le protoplasme a une structure bien caractéristique. À la 
périphérie de la cellule, comme nous venons de le dire, et aussi 
autour du noyau, il est un peu plus condensé. Ces deux zones 
sont reliées par une couche intermédiaire extrêmement vacuo- 
laire ; le protoplasme dessine dans tout cet espace un réseau à 
grandes mailles. Les vacuoles sont à contenu clair qui se colore 
très faiblement par l’hématoxyline. 

Chez les individus jeunes, les deux couches limites sont par- 
ticulièrement nettes; elles arrivent au contact suivant l'équa- 
teur de l’ellipsoïde : il en résulte que cette zone se colore plus 
fortement que tout le reste de la Coccidie; c’est une disposition 
que nous avons également observée chez le Coccidium Schneider 
du Lithobius. 

La structure intime du protoplasme est donc alvéolaire; mais 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 805 
les parois des alvéoles sont très épaisses et montrent bien les 
fins granules qui les composent. Ces granules n’appartiennent 
à aucune des catégories décrites par Thélohan dans le cyto- 
plasme des Coccidies ; ce sont simplement des microsomes. Ils 
sont très réfringents, se colorent assez fortement par l’héma- 
toxyline, de sorte que, après cette coloration, tout le protoplasme 
a une teinte bleuâtre. Si l’on fait ensuite une coloration à l’éosine, 
on à une teinte rouge violacé. — Dans les régions où le proto- 
plasme est condensé, les granules occupent tout l’espace ; il n°y 
a plus d’alvéoles, et la cellule a là un aspect granuleux uniforme. 

Presque tous les savants qui ont étudié Ælossia octopiana ont 
plus ou moins bien vu cette structure du cytoplasme, mais c’est 
seulement Mingazzini quia noté la différenciation en deux zones. 
— La disposition spéciale du protoplasme en trainées radiales, 
entre lesquelles sont des vacuoles, rappelle un peu ce que l’on 
observe chezles cellules végétales. La ressemblance est surtout 
frappante avec les cellules de Chara fragilis, où M. Debski décrit 
une structure alvéolaire du protoplasma, les parois des alvéoles 
montrant un aspect granuleux. 

Dans ces parois, chezles jeunes individus de AXlossia, on re- 
marque des granules arrondis plus gros que les autres, qui, à 
l'état frais, se distinguent à leur forte réfringence ; ils ne sont 
solubles dans aucun des fixateurs employés ; ils se colorent dis- 
tinctement par l'hématoxyline et le carmin aluné. Ils correspon- 
dent aux granules chromatoïdes de Thélohan; il ne faut pas 
les confondre avec les granules de chromatine, d’origine nu- 
cléaire, que l’on trouve aussi dans les parois des alvéoles, mais 
seulement à certains stades de la division nucléaire que nous 
décrirons plus loin. La distinetion est d’ailleurs très facile ; car 
on reconnaît que le noyau est en état de division à sa structure 
particulière. — En général, chezla Coccidie adulte, les granules 
chromatoïdes ne persistent pas. 

Assez souvent, chez des Ælossia très jeunes, nous avons ob- 
servé, dans le cytoplasme, des granules que l'acide osmique noir- 
cit; ce sont des globules de graisse : on neles rencontre chez des 
Coccidies plus développées que dans des cas de dégénérescence. 

Quant aux granules plastiques qui, d’après Labbé, doivent se 
trouver chez la Alossia de lu Seiche, « plusieurs... ràles..…. dans 
une même aréole cytoplasmique », nous ne les avons jamais 


806 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


observés, malgré les différents modes de fixation et de colora- 
tion employés. 

Ni chez les adultes ni chez les jeunes Alossia, nous n'avons 
vu de centrosomes. Labbé les dessine comme des corpuscules 
ronds, situés près du noyau, dans une vacuole, mais sans aucun 
arrangement du protoplasme autour. Nous sommes persuadé que 
Labbé interprète inexactement les corps qu'il dessine. Ce sont 
simplement des granules chromatoïdes, et il n°y a aucune raison 
de les considérer comme centrosomes. 

Le noyau, toujours très bien visible, occupe le centre de la 
Coccidie. Il comprend une membrane, un réseau de chromatine 
et du sue nucléaire; au centre, est en suspension un gros corps, 
se colorant fortement et d’une structure très spéciale. Presque 
tous les savants qui ont étudié la Ælossia octopiana caractérisent 
ainsi son noyau. Seul, Schneider n’a pas remarqué la présence 
du réseau de chromatine, sans doute parce qu'il se servait de 
méthodes de fixation et de coloration peu précises. 

La membrane nucléaire, chez les invidus adultes, est toujours 
nettement visible comme une couche très mince moulant les con- 
tours du noyau; elle se colore de la même façon que le réseau 
de chromatine ; et, en fait, elle ne représente qu’une partie plus 
condensée de ce réseau. Quand on en prend une vue superficielle 
à de très forts grossissements (fig, D., p. 810), on constate 
qu'elle consiste en un réticulum de chromatine très condensée, 
avec des mailles très petites. Les petits filaments et bâtonnets de 
chromatine de ce réticulum restent toujours en communication 
avec ceux de l’intérieur du noyau, Labbé (p. 573) dit, en parlant 
de la membrane nucléaire de Xlossia Eberthi, que « sur des coupes 
fines, elle paraît percée de pores », et, plus loin, « que, dans des 
coupes minces, il est difficile de voir la limitalion exacte du 
noyau autrement que par la coloration des petits granules de 
chromatine...». Cette description confirme notre manière de voir; 
les « pores » correspondent certainement à des mailles superfi- 
ciélles, et les « granules chromatiques » à des nœuds du réseau 
chromatique que nous avons décrit. Du reste, les recherches 
cytologiques ont établi que presque toutes les cellules ont une 
membrane nucléaire qui n’est autre chose qu’une condensation 
de chromatine à la surface du noyau; Alossia ne fait done pas 
exception à la règle générale. — A l'extérieur du noyau et en 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 807 


contact avec la pseudo-membrane nucléaire, se trouve le réseau 
chromatique. Il consiste en un amas de bâtonnets et de granules 
chromatiques, reliés entre eux par de fins filaments, prenant 
moins fortement les colorants basiques ; ils sont formés de linine. 
Les portions les plus condensées de ce réseau renferment à 
leur intérieur des espaces plus clairs. Souvent la couche du 
réseau chromatique est très mince et adhère tellement à la sur- 
face du noyau qu'elle semble être simplement une partie moins 
condensée de la membrane. Vers le centre du noyau, le réseau 
est de moins en moins compact: mais des parties de chromatine 
très minces traversent le noyau en entier. En général, on peut 
dire que le réseau de chromatine est ainsi disposé que ses parties 
ont une tendance centrifuge. | 
Le réticulum chromatique est plongé entièrement dans le sue 
nucléaire qui remplit tous les espaces vides du noyau. Sur les 
préparations, ce suc apparaît comme une substance très finement 
granuleuse, qui se colore faiblement aussi bien par les couleurs 
basiques (hématoxyline) que par les couleurs acides (éosine), 
Nous en concluons que ce suc consiste dans le mélange de deux 
substances, l’une correspondant au karyoplasme des animaux 
supérieurs, l’autre à la chromatine, probablement à l’état de dis- 
solution. Cette supposition est d'autant plus probable que, à 
divers stades du développement de la Ælossia que nous décrirons 
plus loin, il se produit très nettement une dissolution de chro- 
matine dans le suc nucléaire; il est donc fort possible que, à un 
stade encore indifférencié, il se manifeste une sorte de prédispo- 
sition à cette dissolution, A l’intérieur du noyau, souvent même 
au centre, et toujours dans une région où le réseau chromatique 
est réduit à de très fins filaments traversant tout le noyau, on 
observe un gros corps rond, prenant fortement les couleurs basi- 
ques; c'est un nucléole (Schneider, Mingazzini) d’une structure 
très spéciale. Labbé donne à ce corps le nom de Karyosome. Avec 
Schaudinn, nous avons appelé des corps semblables chez Adelea 
ovata et Coccidium Schneideri, « Binnenkürper » (au sens de 
Rhumbler). La structure et la fonction de cette partie du corps 
de la Coccidie semble être bien différente de celles des nucléoles 
vraies|des cellules de métazoaires,.et nous adoptons ici le nom de 
Karyosome, qui est bien pris au sens de E. Wilson dans son livre 
sur la cellule. | 


808 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Le karyosome est toujours, dans une cellule adulte indiffé- 
renciée, sphérique. Il se colore souvent si fortement avec les - 
substances basiques qu'il semble être de structure compacte et 
uniforme (lig. 3). Mais en employant des colorants très électifs, 
on voit qu'il se compose de deux parties. L’une corticale, épaisse, 
est très condensée et, observée à de très forts grossissements, 
montre une structure alvéolaire. Les alvéoles sont très petites, 
et les espaces qui les séparent sont relativement très épais, de 
sorte qu'un gonflement, même léger, provoqué par les réactifs, 
fait disparaître les alvéoles. Souvent, elles sont disposées si régu- 
lièrement qu'elles donnent l'apparence d’une striation radiaire, 
telle qu’elle a été décrite par Schneider. Cette zone corticale se 
colore très distinctement par les substances basiques, etelle existe 
toujours, quel que soit l'âge de la Coccidie, même chez les plus 
jeunes; de sorte que jamais son apparition n'indique une dégé- 
nérescence du karyosome, comme le veut Labbé. Cette couche 
corticale semble être la partie principale du karyosome:; elle est 
formée de vraie chromatine :. 

A l’intérieur de cette membrane, on trouve une substance 
granuleuse, très fine, qui se colore faiblement par lhématoxyline, 
mais prend assez fortement les colorants acides ; avec le picro- 
carmin, la membrane se colore en rouge, tandis que la substance 
intérieure reste jaune. Elle remplit toute la cavité du karyosome, 
à l'exception d’une vacuole grande et claire, située assez près de 
la périphérie. Vis-à-vis de cette vacuole, se trouve toujours une 
petite ouverture dans la paroi du karyosome. De cette ouverture, 
sort un mince pédoncule formé de la même substance granuleuse 
qui emplit le karyosome. A l'extrémité de ce pédoncule, est 
attaché un petit corps rond se colorant très fortement avec les 
couleurs basiques; c’est un karyosome secondaire. Souvent 
(fig. 3) le pédoncule est très court, et la petite sphère se trouve 
tout près de la surface de la grosse, parfois même dans un léger 
enfoncement de la membrane du karyosome principal. 

Nous avons observé la présence du karyosome secondaire chez 
toutes les Klossia octopiana adultes, mais encore indifférenciées. Mais, 
pour cela, il est nécessaire que la coloration soit bien élective; 
car souvent, sur les préparations, la petite sphère est située soit 


4. Cette constitution chimique différencie donc notre karyosome des nucléoles 
vraies qui ne renferment jamais de basichromatine: 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 809 


au-dessus, soit au-dessous de la grosse et alors elle devient difficile 
à apercevoir. Dans les préparations faites par la méthode de 
Heidenhain (hématoxyline et alun de fer), on réussit à voir 
très bien le karyosome secondaire dans toutes les positions, car. 
il prend la couleur noire beaucoup plus fortement que le gros, 
et on l’aperçoit comme une tache noire au-dessus jou au-dessous 
de la tache grise du karyosome primaire. La présence du karyo- 
some secondaire est un fait normal et n’est en relation ni avec 
une dégénérescence ni même avec une transformation nucléaire 
quelconque, comme le prétend Labbé. 

Chez les jeunes Ælossia, on retrouve la même production, 
mais sous une forme un peu différente. Il nous a été possible de 
suivre, sur nos préparations, tous les stades du développement 
de la Alossia à partir de la pénétration du sporozoïte dans la cel- 
lule épithéliale de l'intestin, et nous avons constaté que toutes les 
parties du noyau et du karyosome que nous venons de décrire, 
ou existent depuis le début de l’évolution, ou se forment de 
parties déjà existantes, et cela à des périodes où il est impossible 
de parler de dégénérescence. 

Une jeune Klossia, dès qu’elle a perdu les caractères d’un 
sporozoïte (fig. 1), se présente comme une cellule allongée avec 
un cytoplasme granuleux renfermant un grand nombre de 
vacuoles. Le noyau a conservé la forme sphérique qu'il avait 
dans le sporozoïte ; mais, en son centre, on aperçoit un gros 
karyosome, caractérisé par deux couches de colorabilité diffé- 
rente. 

La chromatine n’a plus l'aspect compact qu'elle présentait 
chez les sporozoïtes (fig. 26), mais elle se dispose en un réseau 
très fin qui, du côté externe, constitue la membrane nucléaire, 
et dont les filaments vont, du côté interne, jusqu’au karyosome 
(stade de la fig. A). Un certain secteur du réseau annulaire est 
toujours reconnaissable par la présence d’un amas particulière- 
ment dense de chromatine ; les contours de cet amas sont assez 
irréguliers ; il touche par son extrémité distale le karyosome 
(voir fig. A, à droite et en haut). 

Au point de contact des deux corps, on ne distingue pas 
bien la membrane du karyosome, etil semble qu'une communi- 
cation puisse se faire en ce point entre les deux masses. 

Pendant l'accroissement du noyau, le réseau chromatique se 


810 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


relire de plus en plus à la périphérie (fig. B); l’amas, à structure 
plus dense, prend une forme très régulière, celle d’un triangle 
appuyé par sa base contre la membrane nucléaire et dont le 
sommet touche la membrane du karyosome (fig. B). 


À / : 


La cellule s'accroissant de plus en plus, son noyau grandit, 
devient ovale ; le réseau de chromatine est presque exclusive- 
ment à la périphérie du noyau, et la communication entre l’amas 
polaire et le karyosome ne se fait plus que par un pédoncule 
mince et allongé. (Fig. C.) 

Enfin, quand le noyau atteint presque son état adulte, le 
contact entre l’amas et la membrane nucléaire cesse ; on a une 
petite boule de chromatine très condensée reliée au karyosome 
par ur mince pédoncule (fig. D) ; c’est le karyosome secondaire 
que nous avons décrit. Le pédoncule se raccourcit encore et nous 
avons le stade de la fig. 3. 

Cette évolution prouve, d’une façon indiscutable, que la 
présence du karyosome secondaire est normale ; mais sa fonction 
est assez énigmatique. Nous pensons, d’après son développe- 
ment et aussi d’après des faits que nous exposerons plus loin, 
qu'il joue un rôle d’intermédiaire entre la chromatine du réseau 
nucléaire périphérique et celle qui constitue la couche corticale 
du karyosome primaire. Durant l'accroissement de la cellule, il 
peut entrer ainsi une certaine quantité de chromatine dans le 
gros karyosome. Au moment de la division nucléaire, cette 
chromatine s'échappe en partie par le même chemin et sert à 
renforcer le réseau chromatique. C'est au voisinage du karyo- 
some secondaire, en effet, que commencent tous les change- 
ments nucléaires qui se produisent au moment de la transfor- 
mation de l’adulte indifférencié en individus sexués. 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICIHE, 811 


L % 


Nous montrerons, dans ies pages qui vont suivre, que la 
reproduction de la Xlossia est précédée d’un phénomène sexué, 
Ici, nous voulons insister sur ce point que nous avons vainement 
cherché une multiplication endogène, correspondant aux stades 
cimériens où à kystozoïtes de Léger, aux stades à mérozoïtes de 
Simond, ou à ce que Schaudinn et nous avons appelé stade à 
macrogamètes. Chez la Klossia de la Seiche, une pareille multipli- 
cation n'existe pas, et le macrogamète, c’est-à-dire la cellule 
femelle, celle qui reçoit l'élément mâle, le microgamète, est 
simplement le produit de l'accroissement, sans multiplication, 
d'un sporozoïte sorti d'un sporocyste. Ce cas estunique jusqu'ici 
chez les Coccidies ; aussi tenons-nous à le mettre en relief. 

Malgré cela, l’auto-infection peut fort bien se produire, mais 
par un mécanisme particulier que nous décrirons plus loin. 
Disons iei qu'elle n’a pas lieu par une division en deux comme 
le prétend Labbé. Nous sommes convaincu, d’après l'examen 
de nos préparations, qu’un pareil mode de multiplication n’existe 
ni chez Klossia octopiana, ni chez Adelea ovata Schn., ni chez 
Coccidium Schneideri (Etmeria Schneideri Bütsch.) et C. proprium 
Schn. Les figures que donne Labbé correspondent à des stades 
qui suivent la fécondation". La présence de deux Coccidies dans 
une même cellule hôte s'explique fort naturellement par une 
infection multiple. Simond a interprété de la même façon les 
observations de Labbé. 

La ÆXlossix de la seiche, après être restée un certain temps 
dans un état indifférencié, peut se transformer soit en une cellule 
susceptible d’être fécondée, soit en une quantité de germes mo- 
biles qui sont des éléments fécondateurs, au même titre que les 
spermatozoïdes des métazoaires. 

Les deux processus débutent de la mème façon, de telle 


1. Nous sommes obligé de faire remarquer que les figures de Labbé, en par- 
ticulier celles qui se rapportent à ÆXVossia Eberthi, sont très inexactes. Les 
Ælossia sont toujours régulièrement arrondies et, quand la fixation est bonne, 
elles n'ont jamais les contours plissés et ondulés que représente Lahbé; 
la même critique est applicable à ses figures nucléaires. — Ainsi s'expliquent les 
nombreuses divergences de faits que nous avons déjè signalées et que nous au- 
rons encore à signaler entre nos observations et les siennes. — Tous les 
cytologistes qui jetteront un coup d'œil sur les planches de L., se convaincront 
du bien fondé de nos critiques. 


812 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sorte que, quand on a affaire aux premiers stades de la transfor- 
mation, on ne peut pas reconnaître le sort ultérieur de la cellule ;. 
mais nous ne pensons nullement qu’il ne soit pas déterminé 
d'avance. 


EM 


DÉBUT DE LA TRANSFORMATION DE LA KLOSSIA ADULTE 


Les premiers changements consistent en un bourgeonnement 
du karyosome primaire. D'abord le karyosome secondaire aug- 
mente de volume,comme si une certaine quantité de la substance 
du gros karyosome avait pénétré à son intérieur, en suivant le 
pédoneule. Et en fait, c'est ce qui se produit. La substance 
chromatique du petit karyosome devient plus lâche, se répartit 
sur une boule creuse, dans laquelle pénètre la masse granuleuse 
amenée par le pédoncule. Le bourgeon grossit ainsi de plus en 
plus, et peut arriver au même volume que le karyosome primaire; 
il a aussi exactement la même structure. 

À ce stade, nous avons donc 2 karyosomes reliés entre eux 
par une mince bride de substance granuleuse, et dont les orifi- 
ces des membranes chromatiques se font vis-à-vis. Ils peuvent 
se séparer complètement par la rupture du ligament qui les 
unit; et alors on aperçoit, aux points où lesrestes de celigament 
sont en contact avec les karyosomes, deux petites sphères for- 
tement chromatiques. 

Mais, la plupart du temps, ils restent unis ; et alors on voit, 
sur le trait d'union, une petite sphère chromatique qui s'accroît, 
en même temps que son contact avec le filament devient de plus 
en plus fragile, étant bientôt réduit à un fil de la même substance 
granuleuse. Le troisième karyosome ainsi formé ressemble com- 
plètement aux deux premiers et peut, ou bien leur rester uni, ou 
se détacher. 

Les karyosomes, unis entre eux ou libres, donnent, par le 
même processus que nous venons de décrire, naissance à d’au- 
tres semblables. — Naturellement, les nouveaux karyosomes 
formés sont d’un volume moindre que les premiers, et ce volume 
va constamment en diminuant, de sorte que les derniers (il s’en 
produit souvent plus de 20) se présentent sous la forme de 
petites sphères où l’on peut difficilement reconnaître leur struc- 
ture formée de deux couches, 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 813 


Pendant ce temps, ces deux couches restent presque exacte- 
ment de même structure dans le karyosome primaire ; pour- 
tant, la couche chromatique externe devient relativement plus 
mince. Nous avons une explication satisfaisante de ce fait 
en considérant le mode de dérivation des karyosomes secon- 
daires du karyosome primaire. Une partie de la chromatine de 
la couche corticale de ce dernier se transforme dans la masse 
granuleuse centrale ; à cet état semi-fluide, de suspension, elle 
suit le filament qui unit les deux sphères et vient tapisser inté- 
rieurement la zone corticale du karyosome secondaire. Les 
ligaments unissant les karyosomes prennent toujours assez bien 
les couleurs basiques, ce qui indique qu'ils sont formés de 
chromatine à l’état de très fines particules. 

Les zones corticaies des karyosomes des autres générations se 
constituent de la même façon, et le résultat est la diminution 
d'épaisseur de la membrane chromatique du karyosome pri- 
maire ; par conséquent, la zone centrale du karyosome, présentant 
les réactions de l’'oxychromatine, devient plus volumineuse et par 
suite plus visible qu'au début du processus. C’est probablement 
cette observation dernière qui a fait dire à Labbé qu'il y avait 
transformation de la basichromatine ordinaire du karyosome en 
oxychromatine. 

Le bourgeonnement du karyosome a été constaté par 
Schneider et par Mingazzini, qui le considèrent comme un stade 
précédant la sporulation. Schneider a mème remarqué que le 
Le" bourgeon, «nucléolite », se forme au-dessus du «canal micro- 
pylaire » et «semble s'être échappé du centre du premier». Labbé, 
au contraire, voit dans la formation des bourgeons le signe de 
la dégénérescence du karyosome. D’après lui (p. 580), le karyo- 
some de ÆKlossia est «une sorte d'organoïde qui, au début, 
n'est qu'une réserve de chromatine, mais qui s'accroît peu à peu 
de tous les éléments excrétoires du noyau. En s’accroissant, il 
bourgeonne continuellement d’autres karyosomes, qui jouent 
le même rôle et se dissolvent ensuite, pour la plupart, dans le 


1. Labbé, en traitant cette partie de la bibliographie, et parlant de la des- 
cription du bourgeonnement par Schneider, dit (page 571): « Phénomène que 
l’auteur assure avoir suivi de visu.» Dans le travail de Schneider sur la sporula- 
tion de ÆXVossia octopiana, nous trouvons au contraire la phrase suivante : 
«… Je ne viens pas dire: j'ai suivi de visu /a marche du phénomène, mais l’inter- 
prétation que je suggère se présentera certainement la première à la pensée de 
tous. » 


814 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


suc nucléaire ». La chromatine ainsi transformée se trouve, 
d'après le mème auteur, remplacée par de nouveaux karyosomes 
et filaments chromatiques qui apparaissent près de la parot du 
noyau après la dissolution des karyosomes primaires. Nous 
avons, d’après l'examen attentif de nos préparations, montré 
quelle était la marche du phénomène de bourgeonnement, et il 
nous parait impossible de concevoir ce phénomème comme une 
dégénérescence, mème «normale». Notons également combien 
est énigmatique l'apparition de nouveaux karyosomes, d’après 
Labbé ; il ne dit rien en effet pour expliquer leur provenance. 

A partir du stade où le karyosome primaire a donné plu- 
sieurs bourgeons, commencent à se produire des changements 
nucléaires qui permettent de différencier les stades ultérieurs en 
stades mâle et femelle. 

Nous allons d’abord nous occuper de la formation des élé- 
ments mâles, des microgamètes. 


v 


FORMATION DES MICROGAMÈTES (FIG. 4-14). 


Quand la division des karyosomes est déjà assez avancée, le 
noyau entier change aussi d'aspect. Son réseau chromatique 
ne reste plus uniquement superficiel ; ses bätonnets et ses gra- 
nules commencent à se réunir en filaments allongés. 

Les petits karyosomes qui se trouvent près du réseau chro- 
matique viennent se confondre avec lui, et leur chromatine ren- 
force les filaments. Les autres karyosomes secondaires se dis- 
solvent dans le suc nucléaire qui prend plus fortement lhéma- 
toxyline (fig, #). A la suite de la transformation du réseau chro- 
matique, la membrane nucléaire devient de plus en plus mince, 
sa chromatine entrant dans la constitution de nouveaux filaments, 
et finalement elle disparaît complètement. Le noyau conserve 
encore un certain temps sa forme ronde, mais peu à peu ses 
limites deviennent peu distinctes ; il y a une certaine fusion avec 
le cytoplasme (fig. 5). Ce dernier subit aussi quelques change- 
ments consistant surtout en ce que les parois alvéolaires se dis- 
posent de façon à former des trainées radiaires allant du noyau à 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 815 


Ja périphérie de la cellule. La structure alvéolaire du cyto- 
plasme n'est bientôt plus reconnaissable par suite de l’accroisse- 
ment du nombre des granules ; cette structure granuleuse est 
de plus en plus accentuée, surtout au voisinage du noyau et à la 
périphérie de la cellule. 

La fusion du noyau et du protoplasme devient de plus en 
plus intime. La substance nucléaire, suc et filaments de chro- 
matine, pénètre dans les espaces intervacuolaires et se dirige 
vers la surface de la Coccidie (fig. 6). On voit encore quelques 
grands karyosomes au centre de la cellule, tandis que les petits 
suivent les filaments chromatiques par les voies radiaires qui 
existent tout autour du noyau. Les karyosomes restants se 
divisent et se dissolvent dans le reste du suc nucléaire ; toute la 
chromatine se porte ainsi vers la périphérie de la cellule (fig. 7) 
où elle constitue des amas ; au centre, ce qui reste du noyau se 
présente sous forme d’une masse granuleuse se colorant assez 
fortement. Peu après, les tractus qui unissent le noyau à la 
périphérie deviennent plus minces ; ce qui reste de chromatine 
au centre se dirige vers la surface et on la voit comme des gra- 
nules fortement colorés répartis dans les filaments plasmiques 
qui rayonnent vers la périphérie. A la place occupée par le 
noyau, apparaissent des vacuoles. 

La chromatine, située maintenant à la périphérie dela Coccrdie, 
y est réunie en petits amas formés de filaments toujours accom- 
pagnés de très petits karyosomes. 

La Coccidie, durant ces changements, prend une forme de 
plus en plus sphérique. Si l’on examine sa surface, on voit 
(fig. 8) qu’elle est couverte d’une sorte de réseau chromatique 
irrégulier, plus condensé en quelques points, et renfermant dans 
ses mailles de petites sphères se colorant très fortement (karyo- 
somes). Il y a condensation de plus en plus grande du réseau 
en certains points; les amas constitués ainsi sont de grosseur 
inégale et renferment un nombre variable de karyosomes. Par 
un phénomène de simple étirement, ces amas se divisent en 
deux ou plusieurs fragments qui se condensent à leur tour en 
affectant de plus en plus un aspect nucléaire. Division et con- 
densation continuent, et nous arrivons à un stade tel que celui 
figuré en 9, où toute la surface est recouverte de noyaux à con- 
tours un peu irréguliers, espacés assez régulièrement. 


816 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Quelques noyaux se divisent encore amitotiquement. Dans 
le centre de ceux qui sont arrivés au terme de leur division, on 
peut apercevoir un petit corpuscule fortement chromatique qui, 
à notre avis, correspond à un petit karyosome. A cause de la 
difficulté de l'observation et de la petitesse des objets, il nous a 
été impossible de constater l'existence d’un tel karyosome dans 
chaque noyau. Mais nous pensons que leur présence est cons- 
tante. Vus de la surface, les noyaux semblent être ronds ; mais 
dans une coupe de la sphère, où ils sont vus de côté, ils se pré- 
sentent sous forme de petits sacs (fig. 10) qui touchent la surface 
du corps de la Coccidie par leur partie fermée. Les parois de ces 
noyaux sont formées par un réseau chromatique très compact 
au milieu duquel on aperçoit un corps fortement coloré, le 
karyosome. Par sa partie ouverte, le noyau semble communiquer 
avec le protoplasme de l’intérieur de la Coccidie. 

Au stade suivant, on constate que les noyaux deviennent 
plus compacts ; autour de chacun d’eux se différencie une 
couche de cytoplasme plus condensé ; par suite, on aperçoit des 
lignes claires séparant les champs des divers noyaux (fig. 11). 
Bientôt, il va se constituer sur toute la surface de la sphère des 
excroissances, chacune d'elles étant occupée à son extrémité 
distale par un noyau. Ces excroissances s’allongent par une 
sorte d’étirement de la masse plasmique granuleuse centrale, en 
même temps que les noyaux se condensent et prennent la forme 
d'un ovale très allongé (fig. 12 et 13). Le réseau chromatique 
nucléaire n'est alors presque plus reconnaissable. La coloration 
à l’hématoxyline, par la méthode d'Heidenhain, montre une 
structure tout à fait compacte ; en revanche elle décèle la pré- 
sence, dans la partie protoplasmique qui sert de pédoncule aux 
noyaux, de filaments très ténus qui se colorent en noir intense 
(fig. 13). Ils semblent former des filaments axiaux allant du 
noyau à la masse granuleuse centrale. 

Les filaments protoplasmiques qui servent de pédoncules 
aux noyaux s’étirent de plus en plus, et ceux-ci deviennent aigus 
à leur extrémité (fig. 14). Une partie du protoplasme des pédon- 
cules pénètre dans les noyaux; la partie chromatique de ces 
corps s’allonge en effet de plus en plus, tandis que la partie 
cyloplasmique diminue graduellement. Dans l’intérieur des 
filaments chromatiques ainsi formés, on aperçoit, en employant 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 817 


de très forts grossissements, quelques alvéoles, remplies de cyto- 
plasme, disposées en file. L'’étirement de la chromatine conti- 
nuant, elle arrive à occuper toute la longueur des filaments qui 
recouvrent la sphère centrale; ces éléments se détachent alors 
de la masse granuleuse restante; en même temps, la partie 
par où ils prenaient insertion s’étire à son tour et se termine en 
une pointe fine. 

Nous avons donc, à ce stade, une masse sphérique granu- 
leuse centrale', avec quelques vacuoles, et tout autour des fila- 
ments fortementchromatiques orientés dans toutes les directions. 
Ces filaments sont formés de chromatine à l'exclusion de quel- 
ques espaces centraux plus clairs, formés de cytoplasme; ils ont 
ainsi un aspect moniliforme (fig. 16); ils sont pointus aux deux 
extrémités et ne possèdent pas de cils. Leur mobilité est très grande. 
Alors qu’ils sont encore attachés à la sphère de reliquat, ils peu- 
vent se mouvoir en se pliant dans diverses directions. Dès 
qu'ils sont libres, ils sont animés de vifs mouvements ser- 
pentiformes. Nous désignons ces éléments sous le nom de micro- 
GAMÈTES. Chez la X lossia de la seiche, ils ont déjà été vus par divers 
savants. Eberth les a le premier signalés, mais ce sont surtout 
Schneider, Mingazzini et Labbé qui en donnent de longues des- 
criptions. Mingazzini qui, d'une façon générale, les a bien 
observés et a même vu certains stades de division nucléaire pré- 
paratoires à leur formation, pense qu’ils sont homologues des 
sporozoïtes qui, chez les autres Coccidies, se forment direc- 
tement en dehors des kystes (sporozoïtes eimériens). 

Des deux autres savants, Schneider les considère comme des 
formations cadavériques, tandis que Labbé prétend (p. 645) que : 
Q1ln'y a aucun doute pour que ces pseudo-sporozoïtes.. soient 
des formations tératologiques.… » ; il n’a pas vu leurs mouve- 
ments, car il décrit seulement des états non adultes où, en effet, 
ils sont immobiles. Le même auteur donne un dessin et décrit 
(p. 615) un cas où il a trouvé, dans la même enveloppe kystique, 
des spores, chacune avec 3 noyaux, et (une masse granuleuse 
avec une couronne superficielle de noyaux, et ces noyaux sont 
Juste égaux à ceux des sporozoïtes des spores. Ces noyaux for- 
meront autant de pseudosporozoïtes, qui... auront la valeur de 

1. Il arrive parfois que cette masse, au lieu de rester unique, se fragmente 


en deux ou trois morceaux. 
p2 


818 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


sporozoïtes de spores, mais... ne seront pas des sporozoïtes ». 
D’après le dessin fort schématique de Labbé (fig. 11 du texte), 
nous pensons qu’il s’agit, dans le cas décrit par lui, d’une simple 
juxtaposition de deux formations distinctes ; et la membrane 
qu'il représente autour des deux corps est peut-être une por- 
tion de la couche muqueuse intestinale ou des restes de cellules 
qui se sont contractées par suite de l’action des liquides fixa- 
teurs; mais, même si les 2 formations sont bien dans le même 
kyste, — ce qui nous semble peu probable, — la seule compa- 
raison de la grandeur des novaux n’est pas suffisante pour 
induire de là que, morphologiquement et cytologiquement, les 
sporozoïtes des sporocystes etles microgamètes sont équivalents. 

On à déjà signalé, chez plusieurs Coccidies, un stade à mi- 
crogamètes : Podwyssotzki, Clarke et surtout Simond, chez le 
Coccidium oviforme ; Schuberg, chez la Coccidie de la souris ; Labbé, 
Simond et nous-même, chez la Coccidie des tritons ; Simond 
chez C. salamandræ; Léger et Hagenmüller, dans les genres 
Diplospora et Barroussia ; Schaudinn et nous, chez Coccidium 
Schneideri du Lithobius. La plupart de ces savants ont décrit les 
microgamètes, comme desfilaments formés en majeure partie de 
chromatine, à la surface d'une grande sphère. Tout récemment, 
Léger' et Wasielewski* ont trouvé que, chez certaines Coccidies, 
Barroussia, Echinospora (Léger), C. oviforme et une Coccidie des 
Myriapodes(Wasielewski), —les microgamètes ont une structure 
particulière : leur corps, en forme de virgule ou de massue allongée, 
porte deux cils attachés à l'extrémité antérieure, qui est toujours plus 
développée; les microgamètes se meuvent grâce à leurs cils. 
Nous pouvons certifier l'exactitude de ces observations pour 
C. proprium*. Mais, chez la seiche, nous n'avons noté aucune 
disposition semblable ; les mouvements sont d’ailleurs faciles à 
comprendre, étant donnée la longueur du corps desmicrogamètes 
(30 à 40 &). Léger a d’ailleurs fait déjà cette remarque. 

La division nucléaire que nous venons de décrire, et qui 
aboutit à la formation des microgamètes, présente un intérêt 
tout particulier, car elle ne ressemble ni à la karyokinèse, ni 


1. Lécer, C. R. Soc. Biologie, 11 juin 1898, et C. 2. Ac, Sciences, août 1898. 

2, WasreLzewski, Centralbl. f. Bakt., 1 Abth. Bd. xx1v, 1898. 

3. Dans une note que nous avons publiée sur l’évalution de cette Coccidie 
(C. R. Soc, Biol., 18 juin 1898), nous n’avons pas signalé ces cils. Notre dessin 
était fait d’après des préparations colorées où il est impossible de les distinguer. 


Q] 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 819 


à la division directe, amitotique. Seul, Mingazzini, qui a suivi, 
dans leurs grandes lignes, ces divisions nucléaires, reconnaît 
qu’elles diffèrent des modes connus; mais cet auteur les a 
aussi confondues avec celles qui précèdent la sporulation. 
Schneider et Labbé n'ont pas parlé de ce mode de division chez 
Klossia. Cest probablement divers stades de ces phénomènes 
de division que Labbé a décrits sous le nom de phénomènes 
prémitotiques ou d'épuration nucléaire. La division nucléaire 
de Klossia, d’après lui, n’a lieu que par mitose. 

C'est pour la première fois, chez C. Salamandre, que nous 
trouvons indiqué, dans le travail de Simond, ce mode de divi- 
sion que nous venons de décrire chez Klossia. L’auteur a vu la 
division des nucléoles jusqu’à un stade où elles sont d’un «volume 
n’excédant pas celui d’un coceus... Au moment, dit Simond 
(p- 556), où cesse leur division, elles se portent à la périphérie 
de la Coccidie et commencent à subir un allongement qui les 
fait ressembler... enfin à des cils effilés, » etc. Le même 
auteur donne une description à peu près semblable pour 
C. proprium et C. oviforme. 

Avec Schaudinn, nous avons, dans une note sur les 
Coccidies des Lithobius, décrit une division nucléaire semblable 
conduisant à la formation des macrogamètes chez Adelea ovata, et 
des microgamètes chez Coccidium Schneideri : nous avons indiqué 
que ce n’est pas une division mitotique, mais qu’elle ressemble 
à celle décrite par Schaudinn, chez certains Foraminifères, 
sous le nom de division multiple (multiple Kerntheilung). Chez 
Calcituba polymorpha, un Foraminifère, la division a lieu de telle 
façon que le noyau, d’abord compact, devient alvéolaire; puis 
sa chromatine se divise, en une fois, en plusieurs fractions qui 
vont dans des directions diverses, toutes radiales d’ailleurs. 
La différence principale entre la division multiple de Schaudinn 
et celle du noyau de ÆKlossia, dans les stades aboutissant à la 
formation des microgamètes, est la suivante : chez les Forami- 


4. Mixcazzi (Contributo alla conoscenza degli Coccidi. — Æendic. di Acad. 
di Lincei, 1892, 1) dit (p. 180) : « Infine noi dobbiano riconoscere, che la divisione 
per cariocinesi in questi fenomeni non esiste e nemmeno quella che va col nome 
dei divisione diretta per strorramento... » ; et plus loin il exprime l’idée que ce 
mode de division est intermédiaire entre la mitose et la division directe, Labbé 
a mal compris ses idées puisqu'il dit, dans le résumé du travail de Mingazzini 
(£. ce. p. 572) : « Il n’y à pas de karyokynèse, dit Ming., mais une division directe 
« per strorramento », 


820 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


nifères, la division multiple se produit dans le même noyau, et ce 
n’est qu'après leur formation que les noyaux secondaires vont. 
dans le cytoplasme ; chez les Coccidies, la membrane nucléaire 
disparait d’abord, et les nouveaux noyaux se forment dans le 
protoplasme, à la surface de la cellule. 

Un fait mérite encore d’attirer l’attention, c’est le rôle des 
karyosomes dans la division multiple que nous avons décrite. 
Au début, leur substance sert à renforcer le réseau chroma- 
tique ; puis ils se rendent à la surface de la cellule et là servent 
de centres de formation de nouveaux noyaux; ils montrent en 
général une grande indépendance et paraissent même exercer 
une sorte d'action sur diverses parties du corps de la Coccidie. 
Il est difficile de les comparer à quelque élément des cellules 
des métazoaires ou des végétaux. Ils possèdent certaines 
qualités des nueléoles, puisqu'ils servent à renforcer la chroma- 
tine pendant la division nucléaire, comme c’est le cas pour 
certaines nucléoles de métazoaires'; d'autre part, ils possèdent 
une indépendance semblable à celle des nucléoles des plantes ?, 
qui peuvent rester dans le protoplasme de la cellule. Mais il 
est certain que les karyosomes représentent un élément bien 
spécial, possédant des propriétés diverses, et remplaçant 
plusieurs organes des cellules des êtres pluricellulaires, à l’état 
de repos ou pendant la division. 


La formation des microgamètes, à partir du stade où les 
noyaux sont disposés à la surface d’une sphère, ressemble 
beaucoup à celle des spermatozoïdes des métazoaires. Nos 
figures montrent que le noyau, qui a d’abord une forme de 
capuchon, prend une forme de plus en plus allongée en entrai- 
nant à son intérieur de petites masses de cytoplasme. 

IL se développe porté sur un mince pédoncule qui montre, : 
en son milieu, un filament axial se colorant fortement. Ce mode 
de développement correspond tout à fait à celui des sperma- 
tuzoïdes, et, en particulier, les jolies figures que Godlewski 

4. Korscnecr, Ueber Kerntheilung, Eireifung, und Befruchtung bei Ophrio- 
trocha puerilis. — Zeitschr. f. wiss. sool. Bd. 60, 1895. 


2. ZiMMERMANN, Die Morphologie und Physiologie des pflanslichen Zellker- 
nes. — [éna, 1896. 


ETUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE, 821 


junior ! a publiées sur ce processus chez Helir pomatia ressem- 
blent, jusqu'à un certain point, aux nôtres (fig. 13). 

Schneider et Labbé n’ont assigné aucun rôle aux microga- 
mètes de Ælossia, puisqu'ils ne les considèrent pas comme des 
stades normaux. Mingazzini croit voir dans ces éléments des 
sortes de germes spéciaux qui correspondent aux sporozoiïtes 
issus des kystes. 

Le premier *, Schuberg a émis l'idée que les microgamètes, 
nommés par lui kleinen sporozoïten, peuvent servir pour la copu- 
lation, en disant : « .. Namentlich künnte man daran denken 
dass die Formen eventuell eine Copulation vermitteln müchten. » 

Dans son mémoire, Simond a exposé très clairement que, à 
cause de leur mobilité, de leur structure chromatique, les micro- 
gamètes (ses chromatozoïtes) étaient probablement des éléments 
mâles. Il n’a pas observé l’acte même de la fécondation, mais il 
a parfaitement compris qu'il devait précéder la reproduction par 
sporocystes et terminer ainsi le cycle évolutif de la Coccidie. 

En même temps que Simond publiait ses recherches, Schau- 
dinn et nous communiquions à la réunion annuelle de la Société 
des zoologistes allemands le résultat de nos observations sur 
deux Coccidies du Lithobius; nous montrions, chez ces deux 
espèces, l'existence d'éléments mâles et femelles et décrivions 
rapidement les phénomènes de la copulation. 

En 1898, nous avons publié deux notes étendant ces pre- 
mières observations à la Coccidie de la seiche et à celle des 


4. Goncewsk: Junior, C. À. Acad. sciences Cracotie, t. XXXIV (en polonais). 

2. Labbé, dans des articles de critique parus récemment dans l’Année Biolo- 
gique pour 1896, déclare à deux reprises (p. 47 et 91) qu'il a prévu le premier, 
et dès 1892, la reproduction sexuée des coccidies. Nous trouvons, dans une note 
de lui de 14891 (C. A. Ac. sciences, t. 113, p. 479-481) cette phrase : « Je fais 
remarquer combien il serait, intéressant de rechercher si, chez les corpuscules 
falciformes des coccidies, ii n’y aurait point une conjugaison analogue à celle des 
Drepanidium, conjugaison qui diffère absolument de l'apposision des Zygocystis 
et autres Grégarines. » Cette idée purement hypothétique n’a pas été confirmée, 
puisque la copulation des coccidies diffère complètement de celle observée par 
Labbé chez les Hémosporidies, et que d’ailleurs Laveran a été incapable de 
retrouver. Dans son mémoire sur les coccidies paru en 1896-1897, Labbé parle, 
après Schuberg, de reproduction sexuée à propos du dimorphisme des sporozoïtes 
desa Pfeifferia tritonis (en réalité, macro et microgamètes de Coccidium proprium) ; 
mais il n’a observé aucun fait qui vienne confirmer son idée. Même, nous croyons 
pouvoir dire qu’il n'a pas compris quelles étaient les données du problème à 
résoudre, ni quelle en était la généralité, puisque, se trouvant en présence d’élé- 
ments mâles tout à fait typiques, ceux des Ælossia Eberthi, il les a pris pour des 


formes tératologiques. 


822 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Tritons. Par conséquent, à l'heure actuelle, il est hors de doute. 
que les Coccidies ont une reproduction sexuée et que les microgamètes 
sont les éléments males 


NI 


DIFFÉRENCIATION DES MACROGAMÈTES 


La formation de l'élément femelle est des plus simples. 

Revenons à la Coccidie adulte encore indifférenciée (fig. 3). 
Il y a d’abord bourgeonnement du karyosome, comme dans les 
stades à microgamètes. Mais, à partir d'un certain moment, le 
noyau et le protoplasme de la Coccidie prennent un aspect qui 
caractérise l'élément femelle. Une grande partie des karyosomes 
bourgeonnent un grand nombre de fois et se transforment en 
petits granules qui, finalement, se dissolvent dans le suc 
nucléaire (fig. 17). Il ne reste donc que quelques gros karyo- 
somes qui présentent, eux aussi, une tendance à la dissolution: 
ils deviennent plus pâles; leur couche corticale est plus mince 
et souvent ils montrent quelques alvéoles claires dans leur inté- 
rieur. Le réseau chromatique devient si faiblement colorable 
qu'il n’est visible que sous forme de petits granules ou de très 
courts filaments faiblement colorés. La membrane nucléaire est 
très mince et à peine visible (fig. 17). Au contraire, le suc 
nucléaire se colore maintenant très fortement avec l'hématoxy- 
line et se présente sous l’aspect d'une masse remplie de gros 
granules. Le cytoplasme — qui ne renferme ni granules plas- 
tiques ni granules chromatiques — ne montre plus de couches 
périphérique et périnucléaire différenciées. Il a l’aspect d’une 
masse creusée d’alvéoles toutes à peu près égales, les parois 
alvéolaires étant formées de granules qui pénètrent même à 
l’intérieur des alvéoles. Cette structure du protoplasme ne varie 
pas pendant la copulation que nous allons décrire et même jus- 
qu'à certains stades ultérieurs assez avancés. 

Ainsi formée, la cellule femelle est prête à être fécondée par 
les microgamètes. Notons que Schneider semble avoir représenté 
ce stade dans la fig. 1 de sa planche VIII. 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 823 


NUE 


LA REPRODUCTION SEXUÉE 


C’est dans la couche sous-muqueuse de l’intestin de la seiche 
qu'on rencontre des macrogamètes et des microgamètes mûrs. Il y 
a là des espaces lymphatiques très développés où la fécondation 
peut s'effectuer très facilement. Sur des coupes de l'intestin, on voit 
des microgamètes mürs, qui ont abandonné la sphère de reliquat 
et qui se trouvent dans les espaces libres au milieu du tissu 
conjonctif, au contact de cellules femelles. À un moment donné, 
les microgamètes se meuvent autour des macrogamètes qui sont 
également libres, complètement débarrassés des restes de la 
cellule hôte. On voit alors quelques microgamètes accolés à la 
surface d’un macrogamète (fig. 18). Le noyau de ce dernier se 
porte vers la surface et son contenu se dispose de telle façon que 
la plupart des karyosomes et les filaments de chromatine se 
trouvent dans la partie la plus éloignée de la périphérie de la 
cellule. La cellule s’arrondit, devient presque sphérique. Une 
partie de son noyau se trouve au contact de la surface de la 
cellule, au point où se trouvent accolés les microgamètes. C’est 
à ce moment qu'il y a pénétration de l'élément mâle à l'intérieur de 
la vésicule nucléaire femelle. Immédiatement après, le noyau 
femelle abandonne le voisinage immédiat de la surface de la 
cellule. En même temps, la couche protoplasmique périphérique 
du macrogamète fécondé devient réfringente; mince au début, 
elle s’épaissit lentement, et à sa surface restent accolés les micro- 
gamètes qui n'ont pas servi à la fécondation; on les aperçoit là 
souvent très longtemps en voie de dégénérescence. La membrane 
de l’œuf est ainsi constituée ”. 

Le noyau femelle contenant à son intérieur le microgamète 
se retire lentement vers le milieu de la cellule et prend une forme 
allongée. Son réseau chromatique, de plus en plus visible, occupe 
la partie opposée à celle par où a pénétré l'élément mâle. La 
chromatine de ce dernier se dissout en un spirème de filaments 
chromatiques qui se rapproche, en s’étirant, de la chromatine 


4. Sur les figures, nous avons représenté la membrane comme on l’aperçoit 
sur les préparations fixées, c’est-à-dire plissée. Mais le corps cellulaire n’est 
jamais contracté; il garde toujours une forme bien sphérique. 


824 - ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


femelle (fig. 19). On peut parfois distinguer dans son milieu un 
ou deux corpuscules ronds qui sont peut-être des karyosomes. Le 
réseau chromatique de la cellule femelle s’accroit; le reste des 
karyosomes se fragmente. En même temps, le suc nucléaire 
devient moins colorable; nous pensons que la chromatine qu'il 
contenait en dissolution est fixée sur le réseau chromatique. 

Le noyau entier s’allonge et, du côté opposé à celui où a 
pénétré le microgamète, on observe une sorte de trace granu- 
leuse qui pénètre dans le protoplasme et va jusqu’à sa surface 
(fig. 49 et 20). Dans cette région terminale, les contours du 
noyau ne sont pas visibles, tandis que tout le reste est parfaite- 
ment limité. Les réseaux chromatiques mâle et femelle se rap- 
prochent et arrivent au contact. On voit encore, pendant un 
certain temps (fig. 20), la chromatine màle plus fortement colorée 
et condensée. Mais finalement, il y a mélange intime. Les fila- 
ments du réseau chromatique sont disposés parallèlement à 
l'allongement du noyau. La chromatine commence à former un 
fuseau qui va d’un bout à l’autre du noyau, et par suite de la 
cellule; en même temps les karyosomes restent au centre. Nous 
avons représenté (fig. 6 de notre note préliminaire) ce stade. 
Le réseau chromatique se présente sous la forme d’un long 
filament replié en deux et tordu légèrement, qui atteint, par sa 
partie coudée, la surface de la cellule opposée à celle par où s’est 
faite la pénétration du microgamète; vers le milieu du noyau, le 
filament porte un spirème de chromatine assez condensé (fig. 21). 
Ce stade est tout à fait caractéristique. 

Plus tard, les contours du noyau deviennent plus nets et il 
revient à la forme ronde. On voit encore le filament chroma- 
tique et même le prolongement nucléaire allant jusqu’à la sur- 
face de la cellule ; mais le réseau du centre du noyau (fig. 21) a 
acquis une importance prépondérante. Les karyosomes 
s’émiettent de plus en plus, et le cordon chromatique se trans- 
forme en un réseau irrégulier. Encore quelques divisions de 
karyosomes, un arrondissement du noyau, et ce dernier est prêt 
à se diviser en deux pour entrer dans la phase de formation des 
sporocystes et des sporozoïtes. Les phénomènes sexués sont 
terminés. 

Les stades que nous venons de décrire ont été signalés dans 
notre note préliminaire, pour la première fois, chez la Ælossia de 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE BE LA SEICHE. 825 


la seiche. Mais chez d’autres Coccidies, nous avons fait connaître 
des phénomènes semblables, aussi bien chez Coccidium Schneider: 
et Adelea ovata de l'intestin des Lithobius que chez C. proprium des 
tritons. Il y a, dans tous les cas, pénétralion d’un élément mâle, 
de petite taille, et fortement chromatique, dans une grande 
cellule ayant les caractères d'un œuf. Chez C. proprium et 
C. Schneideri. les microgamètes se forment, comme chez Klossia 
octopiana, à la surface de gros reliquats de différenciation qu'ils 
abandonnent à la maturité pour aller à la recherche des macro- 
gamètes. 

Chez Adelea ovata, la formation des éléments mâles défini- 
üfs a lieu en deux temps ; dans le premier, la cellule coccidienne 
indifférenciée se divise en un petit nombre de croissants (8 à 12) 
qui vont.se coller à la surface des cellules femelles. Là, s’accom- 
plit la seconde étape, chaque croissant donne naissance à quatre 
éléments tout à fait identiques aux microgamètes des Coccidium, 
et qui se forment aussi à la surface d’un reliquat de différencia- 
tion. La seule différence consiste donc en ce que, chez Adelea, 
ce reliquat est subdivisé, avant la formation des microgamètes, 
en autant de fragments qu'il y a de croissants. 

Au point de vue des phénomènes de la fécondation, le genre 
Coccidium ressemble moins à Ælossix que Adelea ovata. Chez 
C. Schneideri et C. Proprium, le noyau femelle, avant la copula- 
tion, perd sa membrane et entre en contact direct avec le 
protoplasme. Ses contours ne sont pas réguliers; la plus grande 
partie de sa masse reste au centre de la cellule, pendant qu’un 
prolongement seul atteint la surface. Les microgamètes se 
dirigent vers ce point qui, chez C. Schneideri, représente une 
sorte de micropyle existant, en réalité, chez C. proprium. 

Chez Adelea ovata, le noyau, avec un réseau où la chromatine 
est en partie dissoute, se porte tout entier, comme chez Ælossia, 
à la surface de la cellule, vient à son contact, et un des quatre 
microgamètes formés sur le croissant accolé au macrogamète y 
pénètre. Ultérieurement, le noyau résultant de l'union des 
parties mâle et femelle prend la forme d’un fuseau traversant 
la cellule fécondée dans toute sa longueur ; il y à encore là un 
phénomène beaucoup plus comparable à ce que nous avons décrit 
chez Klossia que chez les autres Coccidies. 

Les autres savants qui ont parlé de phénomènes sexués chez 


826 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


les Coccidies ont émis des idées diverses sur les circonstances 
dans lesquelles ils se produisent; mais aucun d'eux ne les a° 
observés. Labbé constate la présence de deux sortes de germes 
endogènes chez la Coccidie des tritons (sa Pfeifferia tritonis) : 
les uns de grande taille, qu’il appelle macrosporozoîtes (stade 
eimérien), les autres de petite taille, les microsporozoïtes ; il 
pense qu'une copulation est possible entre ces deux sortes d’élé- 
ments, {els qu'ils existent au moment de leur formation. On sait, 
après les observations de Simond et les nôtres, que cette inter- 
prétation est erronée. Simond, dans son excellent mémoire, a 
bien indiqué que « il est à supposer que c’est un mérozoïte des 
formes de reproduction asporulée qui subit la fécondation par 
conjugaison avec ie chromatozoïte ». Chez le C. oviforme, Simond 
remarque, à la surface du noyau de formes jeunes, arrondies, 
une sorte de croissant de chromatine qui se soude peu à peu avec 
le karyosome sphérique central; et il regarde le croissant 
comme le noyau d’un chromatozoïte qui avait fécondé la jeune 
Coccidie. Il nous est impossible de partager la manière de voir 
de Simond; ce croissant ne représente, suivant nous, qu’une 
partie du réseau nucléaire, un peu plus condensée. Nous sommes 
convaincu, en effet, que la fécondation, chez C. oviforme, doit 
se faire dans des circonstances identiques à celles que nous 
avons décrites chez la Coccidie des tritons. 


Il est très difficile de se rendre compte, chez la Alossia de la 
seiche, si seulement un microgamète pénètre dans la cellule 
femelle. Nous sommes bien persuadé qu'il n’y en à qu’un. On 
peut en effet remarquer que le réseau mâle, visible peu après la 
copulation, ne représente pas une quantité de chromatine supé- 
rieure à celle d’un microgamète. La comparaison avec Adelea 
ovala confirme notre opinion; dans ce cas, où quatre éléments 
mâles pourraient pénétrer, il n’en entre sûrement qu'un, 
puisqu'on aperçoit les trois autres à côté de la cellule fécondée. 

Se 

Les phénomènes que nous avons décrits ont beaucoup d’ana- 

logie avec ceux de la fécondation des œufs des métazoaires. Là 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 827 


aussi, il y à association de deux individus, dont l’un renferme 
seul du protoplasme et des matières de réserve, dont l’autre 
apporte de la chromatine et semble être le déterminant de 
l’évolution de la cellule femelle. Le spermatozoïde pénètre dans 
l'œuf, se transforme en un réseau chromatique indépendant, 
accompagné de deux centrosomes qui deviennent les centres des 
asters du premier fuseau de division. Il se produit un mélange 
des chromatines et des systèmes cytoplasmiques, et l'œuf fécondé 
est susceptible de toute une évolution cellulaire. 

Il est certain que, chez Alossia, c'est le microgamète qui est 
comparable au spermatozoïde et le macrogamète à l'œuf. Le 
mélange des chromatines de ces deux éléments est aussi net que 
possible; on voit aussi une transformation du microgamète en 
un réseau chromatique indépendant et semblable à celui de la 
cellule femelle. Il y a donc ressemblance entre les noyaux mâle 
et femelle, comme dans les œufs fécondés des métazoaires. Y 
a-t-il aussi mélange de systèmes cytoplasmiques, chez Alossia ? 
Cette question est très difficile à résoudre ; nous pensons pour- 
tant que le microgamète emporte avec lui une petite quantité 
de protoplasme, de sorte qu’il contient tous les éléments princi- 
paux d’une cellule, aussi bien que les spermatozoïdes, Nous 
avons souvent observé, au centre du réseau chromatique 
provenant d’un microgamète qui a pénétré dans le noyau d’un 
macrogamète, de petits corpuscules ayant tous les caractères de 
karyosomes (fig. 19). Ils proviennent certainement du micro- 
samète, et nous pensons que ce sont de véritables karyosomes 
introduits dans la cellule femelle, comme un élément essentiel 
de la cellule mâle. 


Rappelons que l'œuf fécondé des métazoaires à la valeur 
d'une cellule entière, tandis que, avant la copulation, chacun 
des éléments mâle et femelle était une demi-cellule au point de 
vue du nombre des anses chromatiques. La question de savoir 
s'il y a aussi, chez la Alossia de la seiche, des phénomènes de 
réduction, est difficile à trancher. 

Les figures que donne Labbé, comme illustration de la 
réduction chromatique (pl. XV, fig. 10, 14, 15, 16) nous 
semblent représenter, au contraire, certains stades de la fécon- 


828 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


dation ou de la division cellulaire, altérés par l’action des. 
réactifs (comparer les fig. 5 et 20 de ce mémoire avec la 
fig. 10 de la pl. XV de Labbé). Pour nous, la réduction chroma- 
tique se produit ici de la façon suivante : il y a dissolution de 
chromatine dans le suc nucléaire; puis, aux premiers stades 
qui suivent la fécondation, la membrane nucléaire devient très 
mince et le noyau s’allonge lentement en se confondant avec le 
protoplasme environnant dans ce prolongement; alors une 
partie de la chromatine, dissoute dans le suc nucléaire, peut se 
répandre dans le protoplasme. Celui-ci, en effet, se colore plus 
fortement aux stades que nous venons d'indiquer, et on y aperçoit 
même quelques granules très colorés (fig. 19 et 20) qui ne s’y 
trouvaient pas auparavant. Jamais nous n'avons observé, chez 
Klossia, une réduction comparable à celle que nous avons signa- 
lée, avec Schaudinn, chez Adelea ovata. 

Quant à la réduction de la chromatine chez les microgamètes, 
elle a probablement lieu par le fait de leur formation en 
nombre considérable aux dépens d’une cellule. Leur ressem- 
blance avec des spermatozoïdes confirme d’ailleurs celte manière 
de voir. 


VIII 


LA FORMATION DES SPOROCYSTES 


D’après Schneider, les phénomènes, chez la Ælossia de la 
seiche, se passent ainsi : le noyau se divise par étranglement à 
la surface de la Coccidie, en prenant la forme « en bretelles » 
où « en os de grenouille ». Autour de chaque nouveau 
noyau, se fait une proéminence protoplasmique, et la Coccidie 
entre dans un stade d’Echinosphère. Chaque proéminence s’ar- 
rondit, se détache de l’ensemble, s’entoure d’une membrane, 
et donne naissance à trois ou exceptionnellement quatre 
sporozoïtes. 

Mingazzini a confondu les stades de la division nucléaire, qui 
conduisent à la formation des microgamètes, avec ceux relatifs 
à la formation des sporocystes; il croit que ces derniers résultent 
des noyaux qui, après la division multiple, se trouvent à la 
surface de la Coccidie. 

Labbé pense que, après sa prétendue épuration ou réduction 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 829 


nucléaire, se ‘présentent plusieurs divisions karyokinétiques 
conduisant à la formation d’un certain nombre de noyaux à la 
surface de la Coccidie; la formation « d'archéspores » avec ces 
noyaux se produit de la façon indiquée par Schneider ; mais, 
dans les archéspores, on voit apparaître, à côté du noyau, des 
centrosomes surtout bien visibles au moment où le noyau se 
divise pour produire ceux des sporozoïdes. Nous n'avons jamais 
rencontré de figures semblables à la fig. 6 (pl. XV) de Labbé. 
Étant donné le contour irrégulier de la cellule, peut-être s’agit-il 
d’une disposition artificielle ressemblant à une figure karyoki- 
nétique. Les autres figures de Labbé, relatives soi-disant à la 
division mitotique, correspondent probablement à nos figures 23 
et 24, coupées obliquement. 

Nos observations sur la sporulation de Ælossia s'accordent, 
dans leurstraits généraux, avec celles de Schneider et y ajoutent 
quelques détails nouveaux. 

Le noyau d’une Coccidie fécondée, alors qu’il a abandonné 
la surface de la cellule, montre un réseau chromatique très 
distinct; les karyosomes sont à l’état de petites boules très 
colorées. Le suc nucléaire se colore à peine, et il semble que 
toute la chromatine qu’il contenait en dissolution est maintenant 
fixée sur le réseau. La membrane nucléaire n’est pas aussi 
compacte que dans un noyau au repos. 

A cet état, le noyau commence à s’étrangler et à se diviser 
lentement par traction en deux parties égales (fig. 22). Le 
réseau chromatique se place aux deux extrémités du noyau en 
division, et il semble que le volume de la chromatine dans les 
deux noyaux frères est égal. Les karyosomes se disposent aussi, 
en volumes égaux, de part et d'autre. L’étranglement continue, 
et finalement on a deux noyaux séparés à la surface de la Klossi. 
Ils continuent à se diviser de la même façon que le premier 
noyau, par simple étranglement; il se forme ainsi 4, puis 8, etc., 
nouveaux noyaux. On peut toujours observer une certaine régu- 
larité dans ces divisions de telle façon que la chromatine et les 
karyosomes sont toujours répartis également dans les noyaux 
nouveaux. À mesure que les noyaux se divisent, leur structure 
devient de plusen plusdistincte ;ainsi, au stade quereprésente notre 
figure 23, le réseau des noyaux au repos est formé d’un peloton 
lâche de chromatine et renferme un karyosome, Pendant leur 


830 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


division, les noyaux imitent un peu les figures mitotiques et on 
peut remarquer un corpuscule fort coloré, qui correspond peut- 
être aux « Zwischenkürper » de Flemming et Kostanecki. 

Autour de chaque noyau, se différencie une portion de proto- 
plasme qui fait proéminence à la surface de la Xlossia (fig. 24). 
A ce moment, les noyaux ont déjà pris une structure plus com- 
pacte, et chez ceux qui ont atteint leur structure définitive, on 
ne peut plus distinguer les karyosomes; leur réseau est plus 
condensé du côté externe des proéminences protoplasmiques qui 
les renferment. Les dernières divisions nucléaires ressemblent 
beaucoup à des mitoses, car la membrane nucléaire disparaît et 
on observe une répartition de la chromatine en deux amas, 
comme dans un « dyaster » d’une mitose. 

Lorsque toutes les divisions nucléaires sont terminées, les 
exeroissances protoplasmiques s’arrondissent et enfin se sépa- 
rent les unes des autres après avoir absorbé tout le protoplasme 
de la Xlossia. Elles sont toutes réunies à l’intérieur de la mem- 
brane kystique, chaque boule est un futur sporocyste, d'après la 
terminologie de Léger; elle s’entoure d’une mince membrane 
propre (fig. 25) et le protoplasme y montre une structure alvéo- 
laire. À sa périphérie est situé un noyau très compact. Dans 
son protoplasme, on aperçoit quelques corpuscules, ronds ou 
irréguliers, fortement chromatiques, placés entre ou dans des 
alvéoles plasmiques : ils correspondent peut-être à ce que Labbé 
appelle des centrosomes. 

Le noyau du sporocyste se divise par simple étranglement, 
à l'intérieur de la membrane nucléaire: et, en règle générale, la 
division se fait, du même coup, en 3 parties. C’est une simple 
division amitotique, durant laquelle il est très difficile de voir 
même le réseau chromatique du noyau. 

Après la division nueléaire, le protoplasme se condense 
autour de chaque nouveau noyau (ils ont la forme de bâtonnets 
courts et épais), et les champs plasmiques, en forme de crois- 
sants, se séparent; on a ainsi formation de 3 sporozoiïtes. Leur 
protoplasme est très condensé et montre parfois quelques 
granules chromatiques; les noyaux, qui sont au début allongés, 
prennent ensuite une forme ronde (fig. 25). À cet état, les spo- 
rozoïtes sont complètement mûrs. 

Les ookystes, renfermant des sporocystes et des sporozoîïtes, 


{ 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 831 


sont souvent de si grande taille {jusqu'à 1 millimètre de diamètre), 
qu'ils sont visibles à l'œil nu. Leur formation termine le cycle 
évolutif de la Xlossia de la seiche. 


IX 


INFECTION DE LA SEICHE 


Un sporocyste mûr, arrivé dans l'intestin de la seiche, éclate 
el les sporozoïtes sont mis en liberté. Le tube digestif de la 
seiche est tapissé intérieurement par un épitbélium cilié dans 
lequel sont placées les cellules à sécrétion muqueuse. Les cils 
des cellules épithéliales sont très forts et très longs, et vibrent 
avec une telle force que les petits sporozoïtes, malgré leur 
grande mobilité, ne peuvent arriver au plateau de la cellule. 
Ils pénètrent donc par une autre voie; ils entrent dans l’inté- 
rieur des cellules muqueuses et peuvent ainsi, par cette voie 
détournée, arriver latéralement dans les cellules ciliées. 

Par une de ses extrémités, le sporozoïte appuie contre la 
paroi de la cellule dans laquelle il va pénétrer; il détermine 
ainsi une petite ouverture par où il pénètre en partie; le reste 
de son corps se contracte assez fortement et ainsi tout le petit 
vermicule se trouve projeté dans la cellule épithéliale. Arrivé là, 
il va se placer tout près du noyau; il montre une tendance à 
s’arrondir; son protoplasme ne reste plus aussi compact, mais 
prend une structure alvéolaire, et on aperçoit à son intérieur 
quelques vacuoles claires (fig. 1). 

En même temps, le noyau compact du sporozoïte prend une 
structure plus lâche; l’individualisation du réseau chromatique 
commence, Pendant la même période, a lieu la formation du 
karyosome qui, invisible dans les sporozoïtes, apparaît déjà 
formé dès que la différenciation du réseau chromatique permet 
d'observer l’intérieur du noyau. 

Aux dépens de la cellule infectée, la jeune Klossia s'accroît de 
plus en plus, en même temps que se différencie sa structure. A 
l'intérieur de son cytoplasme apparaissent les diverses sortes de 
granules décrits précédemment, qui, au bout d’un certain temps, 
sont digérés et transformés dans Le corps de la Coccidie. La 
forme du corps est de plus en plus ronde: le noyau prend une 
disposition transversale, et finalement nous arrivons à un stade 


832 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


tel que celui de la fig. 3 qui nous a servi de point de départ. 

Résumons donc le cycle évolutif de la Klossia de la seiche : 

Les sporozoïtes, sortis des sporocystes, pénètrent dans les cellu- 
les de la paroi intestinale et là se transforment en individus 
adultes indifférenciés. Parmi ceux-ci, les uns subissent une division 
nucléaire multiple et se transforment en éléments mâles ou 
microgamètes, tandis que les autres montrent quelques change- 
ments nucléaires et prennent les caractères de cellules femelles 
ou macrogamètes. Après la copulation d’un microgamète avec un 
macrogamète, ce dernier s’entoure d’une membrane, devient un 
ookyste, et son noyau, qui renferme les chromatines mâle et 
femelle, se multiplie dans la surface par un certain nombre de 
divisions égales, rappelant un peu des divisions mitotiques. 
Autour des nouveaux noyaux s’individualise une couche cyto- 
plasmique; les sporocystes se trouvent ainsi constitués. Dans l'inté- 
rieur de chaque sporocyste se forment 3-4 sporozoïtes ; et le cycle 
évolutif est fermé. 

Ce cycle diffère de celui des autres Coccidies par l'absence d'une 
multiplication cellulaire (stade à mérozoïtes de Simond, stade eimé- 
rien de Léger) précédant la formation des macrogamèles. 


X 


LÉSIONS PRODUITES PAR LE PARASITE. — AUTOINFECTION. 


Les sporozoïtes, nous l'avons dit, pénètrent uniquement dans 
les cellules épithéliales ciliées, et, en règle générale, en traver- 
sant les cellules muqueuses. Placé au milieu du cytoplasme de la 
cellule-hôte, le parasite entre en contact direct avec lui, et c’est 
seulement à cause de la différence de réfringence et de colorabi- 
lité des 2 milieux qu’on distingue les contours de la jeune Cocei- 
die. Il ne se forme aucun espace clair, perceptible autour d'elle; 
il n’y a que dans les préparations mal fixées qu'on distingue une 
auréole claire avec des brides protoplasmiques allant de la Cocci- 
die au plasma de la cellule épithéliale; cet aspect tient à une con- 
traction. On n’observe donc aucune trace d’une sécrétion de 
substance quelconque provoquée par la pénétration, comme le 
pense et le figure Labbé. Néanmoins une action réciproque des 
deux cellules en présence est évidente. Tandis que le sporozoïte 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 833 


s'accroît et se transforme en un être adulte, la cellule éprouve 
des changements qui se succèdent dans l’ordre suivant; ily a une 
période d’excitation suivie de dégénérescence. 

Tous les phénomènes d’accroissement de la Coccidie que nous 
avons décrits ne pourraient pas se réaliser sans les matériaux 
fournis par la cellule-hôte; ils pénètrent dans la Coccidie par 
simpleosmose. Les matériaux nutritifs introduits ainsi sont emma- 
gasinés par le parasite sous forme de différents granules, dans 
son protoplasme. La cellule hôte conserve d’abord sa forme (fig. 1) 
et toutes ses propriétés. Les cils vibrent fortement et le noyau 
conserve sa forme ordinaire. Mais la présence et l’accroissement 
du parasite semblent exciter la cellule-hôte; elle commence à 
montrer des vacuoles remplies d’un liquide clair, et sa structure 
entière devient moins compacte. En même temps, son novau 
grossit et commence à se colorer d’une façon très intense, mais 
diffuse. La cellule entière semble s'être gonflée et montre une 
hypertrophie considérable. 

Le parasite s'accroît de plus en plus, et il semble que lhyper- 
trophie de ia cellule-hôte lui fournisse un surcroît de matériaux 
pour son développement. Il arrive à occuper un volume tel que 
la cellule de la seiche est considérablement distendue, réduite à 
ses parois; on ne distingue plus que son noyau aplati par la pres- 
sion du parasite (fig. 10). 

À partir de ce moment commence la dégénérescence de la 
cellule-hôte ; elle devient facilement perméable et des sporozoïtes 
de Xlossia pénètrent qui vont se placer à côté de la grosse Coc- 
cidie; 1l y a alors infection multiple. La Coccidie, continuant à 
s’accroître, assimile le reste du protoplasme de la cellule-hôte, 
de sorte qu'il ne reste qu’une très mince couche périphérique et 
un noyau dégénéré ét aplati à côté. 

A ce stade, la Coccidie est déjà presque adulte, mais possède 
encore les matériaux de réserve accumulés comme granules dans 
son protoplasme. Leur assimilation et l'accroissement qui en 
résulte pour la Coccidie font éclater le reste de la cellule épi- 
théliale et le parasite tombe dans la couche sous-muqueuse de 
l'intestin. Désormais, il n’est plus intracellulaire ; il est intercel- 
lulaire ; le fait a été très bien observé par Labbé. 

Danslesespaceslymphatiques de cette couchesous-muqueuse, 
se passent tous les phénomènes que nous avons décrits et qui 

93 


834 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


aboutissent à la formation des ookystes.. Les gros ookystes, 
qui ont souvent 1/2 ou 1 millimètre de diamètre, provoquent, 
une réaction du tissu conjonctif et sont entourés d’une couche 
cellulaire assez compacte. A cet état, ils peuvent rester très 
longtemps dans la paroi intestinale. 

La destruction des cellules épithéliales de l'intestin par les 
parasites provoque, comme réaction, dans toute la couche mu- 
queuse, la plus active division karyokinétique des cellules infec- 
tées. Nous savons qu’un fait pareil a été remarqué par Simond 
pour l’épithélium intestinal des tritons. L’explication la plus pro- 
bable est qu’il s’agit ici de remplacement des cellules détruites 
par de nouveaux éléments intacts. 

Très souvent, nous avons observé, sur des coupes del'intes- 
tin de la seiche, les sporocystes en dehors de la membrane com- 
mune, disséminés dans les espaces lymphatiques du tissu con- 
jonctif sous-muqueux; en particulier, dans le voisinage de la 
couche épithéliale, on peut apercevoir des groupes de sporocystes, 
qui semblent chercher à s’insinuer entre les cellules épithéliales. 
Dès qu'un espace libre se forme entre elles, les sporocystes, 
probablement par suite de la pression du liquide qui les entoure, 
se placent entre les éléments épithéliaux. Une rupture de la 
couche, souvent produite par une dégénérescence des cellules, 
permet aux sporocystes d'arriver dans la lumière de l'intestin. 
Là, sous l’action du suc digestif, leur membrane éclate; les spo- 
rozoïtes s’échappent, se dirigent vers les cellules épithéliales et 
déterminent une nouvelle poussée infectieuse. 

Ces faits nous expliquent très bien comment, chez Klossia 
octopiana, qui ne possède pas de stades de multiplication endogène 
(stades eimériens), Vautoinfection se produit. Mingazzini a remar- 
qué, avant nous, que les sporocystes peuvent arriver par effrac- 
tion, à travers les parois intestinales, dans la lumière du tube 
digestif. 

Chez la AXlossia de la seiche, par conséquent, un cycle 
évolutif aboutissant à la formation de sporocystes à sporazoïles, 
suffit à fournir des germes à la fois pour l'infection d’autres 
céphalopodes, et pour l’autoinfection. 

Ce fait, que nous croyons avoir bien mis en évidence, n'est 
nullement en opposition avec la théorie du dimorphisme évolutif 
émise par R. Pfeiffer, acceptée et prouvée par Schuberg, Simond, 


ÉTUDE DE LA COCCIDIE DE LA SEICHE. 835 


Léger et la quasi unanimité des savants qui se sont occupés de 
Coccidies. On peut l’énoncer ainsi : [y &, chez les sporozoaires du 
groupe des Coccidies, succession de deux périodes dans l’évolution, 
l’une endogène avec multiplication des germes, produisant l’'autoinfec- 
tion: l'autre, précédée de phénomènes sexués (Simond, Schaudinn et 
Siedlecki), qui donne des individus enkystés, résistants, formant dans 
leur intérieur des sporocystes à sporozoîtes, capables de quitter l'orga- 
nisme hôte pour transporter l'infection chez d'autres individus. A 
est évident que, chez Klossia, la facilité de l'autoinfection rend 
inutile la multiplication endogène des parasites, et la première 
période se trouve réduite à sa plus simple expression : un sporozoîte 
issu d'une spore donne directement un macrogamète. D'après cela, il 
est évident que le cycle évolutif de la Xlossia octopiana rentre 
bien dans le type que l’on avait pu déduire des observations 
faites chez d’autres Coccidies. 

Le stade de multiplication endogène des parasites, qui existe 
chez toutes les Coccidies étudiées avec soin, à l'exception de 
Klossia octopiana, existe aussi chez d’autres sporozoaires. C'est, 
comme le reconnaissent d’ailleurs Simond et Laveran, à cette 
multiplication que correspondent les stades en morula, rosette 
ou marguerite, des hématozoaires de l'homme et des oiseaux, et 
aussi les stades de reproduction que Laveran‘ vient de faire 
connaître chez les parasites du sang de la tortue d’eau et de 
Rana esculentæ. 

Caullery et Mesnil° ont décrit un stade semblable chez une 
Gregarine cœlomique. La théorie de R. Pfeiffer, modifiée par 
les recherches récentes, présente donc une grande généralité. 


1. Laveran, C. 2. Soc. Biolog. (1e", 8 et 22 octobre 1898). 
2. Cauzzery Er Mesniz, C. À. Acad. des sciences (17 janvier 1898). 


836 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


EXPLICATION DES PLANCHES VI, VII & IX 


Tous les dessins ont été faits à la chambre claire de Abbe, avec l'im- 
mersion apochromatique de 1mm,30 d'ouverture et 20m de foyer. 

Fig. 1. — Cellule épithéliale de l'intestin d’une seiche avec jeune Alossia. 

Fig. 2. — Jeune Klossia. Le karyosome est uni à la périphérie du noyau 
par un secteur chromatique. 

Fig. 3. — Stade adulte indifférencié. 

Fig. 4-16. — Formation des microgamètes. 

Fig. 4. — Apparition des filaments chromatiques dans le noyau. 

Fig. 5. — Les contours du noyau deviennent irréguliers. 

Fig. 6. — La chromatine nucléaire se rend à la périphérie de la Coccidie, 

Fig. 7. — Même phénomène plus avancé. 

Fig. 8. — Répartition de la chromatine à la surface de la Coccidie. 

Fig. 9. — Condensation de la chromatine préparatoire à la formation 
des noyaux des microgamètes. 

Fig. 10. — Coupe optique d’une Coccidie montrant les noyaux #n sac des 
microgamètes. En bas et à droite, noyau aplati de la cellule hôte. 


Fig. 11. — Division protoplasmique à la surface de la Coccidie. 
Fig. 12. — Stade de l’évolution des microgamètes. 
Fig. 13. — Même stade. — Dans les pédoncules qui supportent les 


noyaux des microgamètes, on distingue des lignes longitudinales plus foncées 
(filaments axiaux). 

Fig. 14. — Stade de l’évolution des microgamètes avec noyaux allongés. 

Fig. 15. — Microgamètes mürs à la surface de la sphère de reliquat. 

Fig. 16. — Aspect des microgamètes mûrs; au centre des renflements, 
on remarque des espaces plus clairs, de nature cytoplasmique. 

Fig. 17-18. — Maturation des macrogamètes. 

Fig. 17. — Bourgeonnement des karyosomes. 

Fig. 18. — Macrogamète mûr, — Le noyau est venu au contact de la 
surface de la cellule; et en ce point, on aperçoit plusieurs microgamètes. 

Fig. 19-21. — Phénomènes seœués. 

Fig. 19. — Le microgamète a pénétré et s’est transformé en un réseau 
chromatique situé à un pôle du noyau femelle qui, à l’autre pôle, se termine 
par une sorte de queue. (A partir de ce stade, on remarque une membrane 
kystique autour de la Coccidie.) 

Fig. 20. — Mélange complet des chromatines mâle et femelle. 


Fig, 21. — Stade plus avancé que le précédent. 

Fig. 22-26. — Formation des sporocystes. 

Fig. 22. — Première division nucléaire. 

Fig. 23. — Divisions nucléaires dans la surface; — z, Zwischenkôrper. 
Fig. 24, — Dernières divisions nucléaires. — Différenciations protoplas- 


miques autour des noyaux. 
Fig. 25. — Sporocystes au stade uninucléé; dans le protoplasme, quelques 
granules chromatiques. 


Fig. 26. — Sporocyste mûr avec 3 sporozoïtes, 


ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ VACCINALE 


Par MM. 
A. BÉCLÈRE CHAMBON et MÉNARD 
Médecin de lhôpital St-Antoine, Directeurs de l'Institut de vaccine animale 


de Paris. 


DEUXIÈME MÉMOIRE 


L'IMMUNITÉ CONSÉCUTIVE A L'INOCULATION SOUS-CUTANÉE DU VACCIN 


L'étude expérimentale du sérum de génisse vaccinée, 
recueilli plusieurs jours ou plusieurs semaines après la dessicca- 
tion des vésicules vaccinales, nous à conduits, dans un premier 
mémoire’, à la conclusion que ce sérum possède, vis-à-vis de 
la vaccine inoculée, des propriétés immunisantes. 

C’est ce qui résulte d’une expérience capitale, plusieurs fois 
répétée avec des résultats constants : le sérum de génisse vac- 
cinée, injecté sous la peau d’un animal de mème espèce, à la 
dose du centième de son poids, immédiatement avant la vacei- 
nation à l’aide de nombreuses inoculations sous-épidermiques 
d'un virus éprouvé, confère à cet animal une immunité encore 
incomplète, mais suffisante cependant pour rendre stériles le 
plus grand nombre des inoculations, pour donner aux rares 
éléments éruptifs un aspect rudimentaire et avorté, et surtout 
pour faire perdre toute virulence appréciable à la lymphe con- 
tenue dans ces éléments, puisqu'elle n’est plus inoculable à des 
sujets non vaccinés, enfants ou génisses. 

Cette injection de sérum immunisant modifie la morphologie 
des éléments éruptifs moins complètement qu’elle ne détruit la 
virulence de leur contenu : des vésicules à peu près normales 
d'apparence renferment cependant une Iymphe qui n’est plus 
inoculable. 


1, Ces Annales, n° du 25 janvier 1896. 


838 ANNALES DE L’INSTITUT PASTEUR. 


L'action immunisante de ce sérum se révèle encore par 
l’insuccès total d’un certain nombre d’inoculations, par l'aspect” 
plus ou moins rudimentaire des éléments éruptifs et surtout par 
l’atténuation plus ou moins complète de la virulence du contenu 
de ces éléments, quand l'injection sous-cutanée de sérum, au lieu 
de précéder les inoculations sous-épidermiques de vaccin, suit 
celles-ci à un intervalle de vingt-quatre et même de quarante- 
huit heures. 

Le sérum de génisse vaccinée possède donc, vis-à-vis de la 
vaccine inoculée, non seulement un pouvoir préventif, mais 
encore un pouvoir curateur, d'autant plus faible il est vrai, 
que l'intervention thérapeutique survient plus tard après lino- 
culation. 

Cette action immunisante, plus ou moins parfaite suivant la 
quantité du sérum injecté et le moment de l'injection, se mani- 
feste toujours très rapidement. 

L'immunité conférée par le virus vaccinal, injecté sous la 
peau, ne se développe au contraire que lentement. Après trois 
jours, rien ne la révèle, et elle ne semble pas encore complète 
avant huit jours écoulés. Un animal, vacciné à l'aide de nom- 
breuses inoculations sous-épidermiques trois jours après avoir 
reçu du vaccin sous la peau, n’en présente pas moins une érup- 
tion d'aspect parfaitement normal; c’est seulement quand l’in- 
tervalle est de huit jours que les inoculations du même vaccin 
sous l’épiderme demeurent stériles sans aucune exception. 

Dans nos premières recherches, nous avions injecté une 
quantité déterminée de vaccin sous la peau d’une série de 
génisses, puis nous les avions inoculées successivement par le 
procédé habituel des incisions multiples aux deux côtés du tronc, 
en mettant entre les deux opérations un intervalle d’un jour 
pour la première génisse, de deux jours pour la seconde, de 
trois jours pour la troisième, et ainsi de suite. Mais nous nous 
étions contentés de noter soigneusement l’aspect de l’éruption 
vaccinale sur chaque animal, sans chercher à mesurer le degré 
de virulence du contenu des éléments éruptifs. Nous avons 
voulu combler cette lacune et nous avons répété quelques-unes 
des expériences (de VI à XVI publiées dans notre premier 
travail, en y ajoutant la recherche de la virulence de la lymphe 
vaccinale. 


ETUDES SUR L'IMMUNITÉ. 839 


EXPÉRIENCE X bis. 


INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE {TOS JOURS LES INOCULATIONS 
SOUS-ÉPIDERMIQUES 


Une génisse, amenée la veille du Limousin à l’étable d'isolement de la 
rue Caulaincourt, reçoit en injection sous la peau du flanc gauche, à l’aide 
de la seringue de Straus, tout le contenu d’un gros tube à vaccin, rempli 
de pulpe glycérinée préparée depuis deux mois (soit environ à centigrammes 
d’eau bouillie, 5 centigrammes de glycérine et 10 centigrammes du produit 
de grattage des vésicules !). 

Trois jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, aux deux 
côtés du tronc, avec du vaccin éprouvé, comme il est de règle à l’établisse- 
ment vaccinal de la rue Ballu, c'est-à-dire par des incisions linéaires de 
2 centimètres, écartées de 3 à 4 centimètres les unes des autres et disposées 
en quinconce, au nombre de 80 à 120 environ sur chaque côté. 

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, 
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin. 

Chez ces deux génisses, l’éruption vaccinale apparait, dans les délais 
habituels, avec ses caractères normaux, et ne présente, de l’une à l’autre, 
que des différences négligeables qui tiennent aux conditions individuelles : 
toutes les inoculations donnent naissance à des vésicules de forme très 
régulière, limitées par des lignes bien droites, parallèles aux incisions. 

Chez la génisse en expérience et chez la génisse témoin, on fait succes- 
sivement, à 24 heures d'intervalle, trois récoltes de lymphe vaccinale : on 
recueille dans les vésicules de chacun des deux animaux et on prépare 
séparément, sous forme de pulpe glycérinée, suivant le mode habituel, du 
vaccin datant de quatre jours. de cinq jours et de six jours après les inocu- 
lations sous-épidermiques. 

Les trois vaccins provenant de la génisse témoin peuvent être consi- 
dérés comme normaux et peuvent servir à mesurer, par comparaison, la 
virulence de chacun des trois vaccins, d'âge correspondant, qui proviennent 
de la génisse en expérience. 

Dans ce but, l’un de nous, médecin d’un dispensaire pour enfants, fait, 
avec les précautions convenables, par trois piqûres à chaque bras, des ino- 
culations à de jeunes enfants non vaccinés : il leur inocule, au bras droit, 
l’un des trois vaccins normaux, et immédiatement leur inocule, au bras 
gauche, le vaccin d'âge correspondant, recueilli sur la génisse en expérience, 
et dont il s’agit de mesurer la virulence. 

Cinq enfants sont inoculés : à droite avec du vaccin normal de quatre 
jours, à gauche avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en 
expérience. 

De même huit autres enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq 
jours et sept autres avec les vaccins de sx jours. 


4. Nous renvoyons à notre premier mémoire pour tous les détails concernant 
le vaccin employé, dans nos expériences, aux inoculations sous-cutanées et sous- 
épidermiques. ! 


840 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles 
vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du * 
bras droit et celles du bras gauche. 

Il n'existe done pas non plus de différence appréciable entre la virulence 
des trois vaccins normaux et celle des trois vaccins, d'âge correspondant, 
recueillis sur la génisse en expérience. 


En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous 
l’épiderme par de multiples incisions, trois jours après avoir 
reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané : 


19 apparaît dans les délais habituels ; 

20 est tout à fait normale d'aspect; 
(ie virulence normale, quatre jours après 

30 contient unelymphe : — — cinq les inoculations 
( — — six sous-épidermiques. 


EXPÉRIENCE XI bas. 


INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE QuU@lre JOURS LES 
INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES 


Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain- 
court, reçoit, en injection sous la peau du flanc gauche, tout le contenu 
d’un gros tube à vaccin, rempli de pulpe glycérinée préparée depuis deux 
mois et demi. 

Quatre jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, au côté 
droit du tronc, par 157 incisions, avec du vaccin éprouvé. 

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, 
est inoculée semblablement sous l’épiderme, aux deux côtés du tronc, par de 
multiples incisions, avec le même vaccin. 

Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé- 
remment. Le 15 janvier, trois jours après les inoculations sous-épider- 
miques, la génisse témoin ne présente, au niveau des incisions, non seule- 
ment aucun soulèvement épidermique, mais encore aucun épaississement 
du derme, aucune rougeur, en un mot aucune réaction; elle est encore à la 
période d'incubation.- 

Au même moment, la génisse en expérience, au contraire, présente une 
éruption manifestement prématurée, plus avancée même en son évolution. 
que ne l’est l'éruption d’un autre animal, vacciné 24 heures plus tôt. Sur la 
génisse en expérience, toutes les incisions sont entourées d'une aréole d'un 
rose très vif, indice d’une forte congestion; le derme sous-jacent est infiltré 
au point de former une saillie très appréciable à la vue et au palper; 
enfin, au pourtour d'un grand nombre d'incisions, l’épiderme est soulevé, 
les vésicules vaccinales commencent à apparaître. 

Six jours après les inoculations sous-épidermiques, l’éruption de la 
génisse en expérience se compose de pustules larges, saillantes, tendues, 
remplies d'un liquide opaque et entourées d’une zone congestive d’un rose 


ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 841 


vif; cependant plusieurs inoculations ont partiellement ou même totalement 
avorté. Ces pustules sont, pour la plupart, remarquables surtout par leurs 
contours festonnés et polycycliques : c’est l'indice certain que beaucoup des 
germes inoculés ne se sont pas développés et que chaque pustule est formée 
par la réunion d’un petit nombre seulement de colonies sous-épidermiques, 
trois ou quatre environ. Sur la génisse témoin, les éléments éruptifs sont: 
bien moins larges, bien moins saillants, remplis pour la plupart d’un 
liquide encore transparent, quelques-uns cependant d'un liquide opaque, 
sans teinte congestive à la périphérie; ils ont des contours réguliers, nette- 
ment rectilignes et ne paraissant pas formés, comme ceux de la génisse en 
expérience, par la confluence de trois ou quatre vésicules primitivement 
arrondies. 

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in- 
tervalle, trois récoltes de Iymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous 
forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours, de cinq jours 
et de six jours après les inoculations sous-épidermiques. 

Pour mesurer la virulence de chacun de ces trois vaccins, on emploie, 
comme terrain de culture, la peau de jeunes enfants non vaccinés qu’on 
inocule par trois piqures à chaque bras et, comme terme de comparaison, un 
vaccin éprouvé, recueilli sur une autre génisse, six jours après la vaccina- 
tion sous-épidermique, comme il est de règle à l'établissement vaccinal de 
la rue Ballu; ce dernier vaccin est désigné sous le nom de vaccin 
normal. 

Six enfants sont inoculés : à droite avec le vaccin normal, à gauche 
avec le vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expérience. 

De même quatre enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours; 
quatre avec les vaccins de six jours. 

Chez tous ces enfants, les inoculations donnent naissance à de belles 
vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vésicules du 
bras droit et celles du bras gauche. 

Il n'existe donc pas non plus de différence appréciable entre la virulence 
du vaccin normal et celle des trois vaccins recueillis sur la génisse en expé- 
rience. 

Tout au plus faut-il noter que, parmi ces trois vaccins, le vaccin de 
quatre jours a donné naissance à des vésicules particulièrement larges et 
saillantes, plus belles que les vésicules provenant, chez les mêmes sujets, 
du vaccin normal. 


En résumé, l’éruption vaccinale d'une génisse inoculée sous 
l'épiderme par de multiples incisions, quatre jours après avoir 
reçu du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané : 


10 apparaît en avance de 24 heures au moins, sur les délais habituels; 
20 est légèrement modifiée dans son aspect extérieur ; 

de virulence très accentuée, EU jours après 
Doi — normale, cinq les inoculations 


— — six sous-épidermiques, 


842 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


EXPÉRIENCE XII bis. 


INOGULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE CN JOURS LES INOCULATIONS 
SOUS-ÉPIDERMIQUES 


Une génisse, qui n’a pas quitté l’étable d'isolement de la rue Caulain- 
court, reçoit, en injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un 
gros tube à vacein, rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois 
et demi, donton vient d'éprouver la virulence, 

Cinq jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par 198 in- 
cisions au côté droit et 87 incisions au côté gauche, avec du vaccin 
éprouvé. 

Ala même heure, une génisse témoin, qui n'a rien reçu sous la peau, 
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin. 

Chez ces deux animaux, l’éruption vaccinale apparaît et évolue très diffé- 
remment. Elle se montre avec l'aspect normal, dans les délais habituels, 
chez la génisse témoin. Sur la génisse en expérience, elle est en avance, 
d'un jour, dans son apparition, et se présente avec un aspect très modifié 
qui témoigne d’un notable arrêt de développement des éléments éruptifs, 
Six jours après les inoculations sous-épidermiques, son aspect est le 
suivant : au côté gauche, sur 87 incisions, 12 n'ont été le siège d'aucun 
soulèvement épidermique, les inoculations y sont demeurées sté- 
riles; 26 seuiement ont donné naissance, en un ou deux points de leur 
étendue, à des vésicules rudimentaires et avortées; pour le reste de l’érup- 
tion, 15 vésicules environ sont normales, les autres sont remarquables par 
leur contour irrégulier et polycyclique; comme le vaccin inoculé n’a cultivé 
qu'en quelques points seulement et non dans toute la longueur de l’incision, 
elles sont en réalité formées par la confluence d’un petit nombre de vési- 
cules arrondies, disposées en chapelet sur une même ligne, Au côté droit, 
l’éruption est encore plus modifiée; sur 128 inoculations, 33 sont demeurées 
tout à fait stériles, 50 n’ont donné naissance qu'à une ou deux pustules 
rudimentaires et avortées, quatre ou cinq vésicules, au plus, sont normales, 
toutes les autres ont un contour nettement polycyclique, indice indirect de 
l'avortement d’un grand nombre des germes inoculés, 

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’in- 
tervalle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare, 
sous forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de cinq jours et de sir 
jours après les inoculations sous-épidermiques. 

Sur la génisse témoin, on recueille seulement du vaccin de six jours, on 
le considère comme du vaccin normal. 

Pour mesurer la virulence des deux vaccins provenant de la génisse en 
expérience, on les inocule, par trois piqûres, au bras gauche de jeunes 
enfants non vaccinés qui reçoivent immédiatement, au bras droit, par trois 
piqûres également, le vaccin normal provenant de la génisse témoin. 

Trois enfants sont inoculés avec les vaccins de cinq jours. 

Chez ces trois enfants, toutes les inoculations donnent naissance à de 
belles vésicules vaccinales, sans différence notable d'aspect entre les vési- 


ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 843 


cules du bras droit et celles du bras gauche. {l n'existe done pas non plus 
de différence appréciable entre la virulence de ces deux vaccins. 

Quatre autres enfants sont inoculés de même avec des vaccins de six jours. 

Chez un seul de ces quatre enfants, il n’existe pas de différence entre les 
vésicules du bras droit et celles du bras gauche; chez les trois autres, au 
contraire, tandis que les inoculations du bras droit donnent naissance à de 
belles vésicules vaccinales, celles du bras gauche engendrent des vésicules moins 
grandes de moitié et qui apparaissent plus tardivement; encore deux de 
ces enfants ne présentent-ils, au bras gauche, que deux vésicules seule- 
ment, la troisième inoculation étant demeurée tout à fait stérile. 

ILexiste donc une notable différence entre la virulence du vaccin normal 
et celle du vaccin de sir jours provenant de la génisse en expérience : ce 
dernier ne possède plus qu’une virulence manifestement atténuée. 

Les différences ainsi constatées, par l'inoculation à de jeunes enfants, 
entre la virulence du vacein de cinq jours et la virulence de vaccin de six 
jours, de même provenance, sont confirmées par l'inoculation de ces deux 
vaccins à des génisses. 

Deux génisses qu'on vient d'inoculer, aux côtés du tronc, par de mul- 
tiples incisions, avec du vaccin normal, sont, aussitôt après, inoculées à la 
région mammaire droite, par 15 incisions, la première avec le vaccin de 
cinq jours provenant de l'animal en expérience, la seconde avec le vaccin de 
six jours, de même provenance. Au bout d'un septenaire, tandis que l'érup- 
tion des côtés du tronc est normale chez les deux génisses, il existe une 
notable différence entre l’éruption de la région mammaire chez l’une et chez 
l'autre : la première, inoculée avec le vaccin de cinq jours, présente des 
vésicules d'aspect normal : la seconde, au contraire, inoculée avec le vaccin 
de six jours, ne porte, au niveau des incisions, que des vésicules partielles, 
rudimentaires, manifestement arrêtées dans leur développement. 


En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous 
l’épiderme par de multiples incisions, cinq jours après avoir 
reçu du vacein dans le tissu cellulaire sous-cutané : 


10 apparaît en avance de 24 heures au moins sur les délais habituels; 
20 est notablement modifiée dans son aspect extérieur et arrêtée dans 
son développement ; 
jours après 
les inoculations 
sous-épidermiques. 


Û de virulence normale, cinq 
30 contient une lymphe : : : On 
| de virul. très atténuée, six 


EXPÉRIENCE XIII bis. 


INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE S22 JOURS LES 
INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES 


Une génisse reçoit, à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt. en 
injection sous la peau du flanc droit, tout le contenu d’un gros tube à vaccin 
rempli de pulpe glyeérinée, préparée depuis deux mois. 


844 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Six jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme par de multiples 
incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à l'ino- 
culation sous-cutanée. 

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, 
est inoculée semblablement sous l’épiderme avec le même vaccin. 

Tandis que chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les 
délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans 
son apparition sur la génisse en expérience et s'arrête aussi beaucoup plus 
rapidement : cinq jours après les inoculations sous-épidermiques, les vési- 
cules vaccinales, très incomplètement développées, commencent à se dessé- 
cher ; le lendemain eiles sont remplacées par des croûtes qui recouvrent les 
incisions dans toute leur longueur ou seulement en quelques points de leur 
étendue, car en beaucoup d’autres points les inoculations ont avorté, un 
grand nombre d'incisions est même demeuré tout à fait stérile. 

Sur la génisse en expérience, on fait successivement, à 24 heures d’inter- 
valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare sous 
forme de pulpe glycérinée du vaccin datant de quatre jours et de céng jours 
après les inoculations sous-épidermiques. 

Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois 
piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé- 
diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal. 

Quatre enfants sont ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours. 

Chez ces quatre enfants, toutes les inoculations du bras droit faites avec 
le vaccin normal donnent naissance à de très belles vésicules vaccinales. 
Par contre, deux enfants ne présentent, au bras gauche, aucune réaction, si 
légère soit-elle ; le troisième porte, au bras gauche, une seule petite vésicule 
qui, en se desséchant, forme une croûte d’un diamètre moitié moindre que 
les eroûtes du bras droit: enfin le quatrième porte, au bras gauche, deux 
petites vésicules, le diamètre des croûtes qu’elles forment en se desséchant 
atteint pour l’une 5 millimètres, et pour l’autre 2 millimètres seulement, 
tandis que le diamètre des croûtes du bras droit mesure au moins un centi- 
mètre. 

Il existe donc une très grande différence entre la virulence d'un vaccin 
normal et celle du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expe- 
rience : ce dernier ne possède plus qu’une virulence presque nulle. 

Trois autres enfants sont inoculés de même avec les vaccins de cinq 
jours. 

Un de ces enfants n’est pas revu, les deux autres présentent au bras 
droit chacun trois belles vésicules vaccinales et n'offrent au bras gauche 
aucune réaction, si légère soit-elle. 

La virulence du vaccin de cing jours provenant de la génisse en expé- 
rience semble donc tout à fait nulle. - 


En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous 
l’épiderme par de multiples incisions, six jours après avoir reçu 
du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané : 


ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ. 845 


19 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ; 
20 est très modifiée dans son aspect extérieur, rapidement et notablement 
arrêtée dans son développement; 


de vir. presque nulle, qua- jours après 
30 contient unelymphe{ tre les inoculations 
We virulence nulle, cinq | sous-épidermiques. 


EXPÉRIENCE XIV bis. 


INOCULATION VACCINALE SOUS-CUTANÉE PRÉCÉDANT DE Sepl JOURS 
LES INOCULATIONS SOUS-ÉPIDERMIQUES 


Une génisse reçoit à l’étable d'isolement de la rue Caulaincourt, en injec- 
tion sous la peau du flanc droit, tout le contenu d'un gros tube à vaccin 
rempli de pulpe glycérinée, préparée depuis deux mois. 

Sept Jours après, cette génisse est inoculée sous l’épiderme, par de mul- 
tiples incisions, avec du vaccin de même provenance que celui qui a servi à 
l'inoculation sous-cutanée, 

A la même heure, une génisse témoin, qui n’a rien reçu sous la peau, 
est inoculée semblablement sous l’épiderme, avec le même vaccin. 

Tandis que, chez la génisse témoin, l’éruption vaccinale apparaît dans les 
délais habituels et suit son cours normal, elle se montre plus précoce dans 
son apparition sur la génisse en expérience, au moins au niveau de quelques 
incisions, car le plus grand nombre demeure stérile et les éléments éruptifs 
incomplets, partiels, rudimentaires se dessèchent encore plus rapidement 
que dans l'expérience précédente. 

Sur la génisse en expérience on fait successivement, à 24 heures d’inter- 
valle, deux récoltes de lymphe vaccinale : on recueille et on prépare, sous 
forme de pulpe glycérinée, du vaccin datant de quatre jours et de cinq jours 
après les inoculations sous-épidermiques. 

Pour mesurer la virulence de ces deux vaccins, on les inocule par trois 
piqûres au bras gauche de jeunes enfants non vaccinés qui reçoivent immé- 
diatement, au bras droit, par trois piqûres également, du vaccin normal. 

Chez quatre enfants, ainsi inoculés avec les vaccins de quatre jours, 
toutes les inoculations du bras droit donnent naissance à de très belles 
vésicules vaccinales. L'un des enfants présente, au bras gauche, trois petites 
taches qui disparaissent rapidement, sans avoir abouti à la formation de 
vésicules ; les trois autres enfants n’offrent, au bras gauche, aucune réaction 
appréciable. 

La virulence du vaccin de quatre jours provenant de la génisse en expé- 
rience est donc pour ainsi dire nulle. 

Trois autres enfants, inoculés de même avec les vaccins de cinq jours 
présentent, au bras droit, de très belles vésicules vaccinales tandis que leur 
bras gauche n’est le siège d'aucune réaction. 

La virulence du vaccin de cinq jours provenant de la génisse en expé- 
rience est donc tout à fait nulle. 


846 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


En résumé, l’éruption vaccinale d’une génisse inoculée sous 
l’épiderme par de multiples incisions sept jours après avoir reçu 
du vaccin dans le tissu cellulaire sous-cutané : 


10 apparaît en avance de 24 heures environ sur les délais habituels ; 
20 est très modifiée dans son aspect extérieur, très rapidement arrêlée 
dans son développement, en un mot avortée ; 
‘ de vir. quasi nulle, quatre ) jours après 
30 contient une lymphe | les inoculations 
. de vir.tout à fait nulle, cinq ) sous-épidermiques. 


Ces nouvelles recherches confirment, on le voit, complète- 
ment les expériences antérieures dont elles sont la répétition : 
l'immunité consécutive à la vaccination sous-cutanée, dans sa 
période de développement graduel du quatrième au huitième 
jour, se manifeste extérieurement par un arrêt de développe- 
ment plus ou moins prononcé des éléments éruptifs; la propor- 
tion des inoculations stériles ou presque stériles grandit avec 
le progrès journalier de l’immunité et permet d’en mesurer, à 
vue d'œil, le degré croissant. 

En outre, ces nouvelles recherches montrent qu’à l'arrêt de 
développement plus ou moins prononcé des éléments éruptifs 
correspond une atténuation plus ou moins complète de la viru- 
lence de leur contenu. A ces deux signes se révèle donc et se 
mesure, avant d'atteindre son entière perfection, limmunité 
graduellement croissante des jours qui suivent l’inoculation 
sous-cutanée du virus vaceinal. 

Nous avons fait voir qu'à ces deux signes se révèle et se 
mesure aussi l’action immunisante, préventive ou curative, du 
sérum de génisse vaccinée : cette action n’est pas une, mais 
comporte toute une série de degrés variables avec Les doses du 
sérum injecté et avec le moment de l'injection. 

Ces nouvelles recherches font cependant ressortir entre l’ac- 
tion immunisante du sérum de génisse vaccinée et celle du virus 
vaccinal un caractère différentiel qui complète ceux que nous 
avons déjà signalés. 

Le sérum de génisse vaccinée, avons-nous écrit plus haut, 
modifie la morphologie des éléments éruptifs moins complète- 
ment qu'il ne détruit la virulence de leur contenu : chez un ani- 
mal traité par les injections sous-cutanées de sérum immuni- 
sant, des vésicules à peu près normales d'apparence peuvent 


ÉTUDES SUR L'IMMUNITÉ 847 


renfermer une lymphe qui n’est plus inoculable. Tout au con- 
traire, le virus vaccinal, préventivement inoculé sur la peau, 
agit sur la morphologie des éléments éruptifs d’une façon plus 
précoce que sur la virulence de leur contenu : des vésicules 
d'aspect rudimentaire et comme avorté peuvent renfermer une 
lymphe de virulence encore normale. 

Le fait principal mis en lumière par ces nouvelles recherches, 
c'est que, chez les génisses successivement inoculées sous la 
peau et sous l’épiderme avec du virus vaccinal, il s'écoule, 
entre la vaccination sous-cutanée et la complète disparition de 
la virulence du vaccin sous-épidermique, un intervalle d’au 
moins onze à douze jours. 

Nous avons répété ces expériences sur une autre espèce ani- 
male, sensible à l’inoculation du vaccin, sur le cochon. Six 
jeunes cochons ont reçu, sous la peau, chacun tout le contenu 
d’un gros tube à vaccin; 24 heures après, un de ces animaux a 
été inoculé sous l’épiderme par de multiples incisions, le lende- 
main un autre a été semblablement inoculé; le surlendemain un 
troisième etainsi de suite jusqu’au dernier, de telle sorte que nous 
avons pu observer les résultats de l’inoculation vaccinale sous- 
épidermique, précédée, à un, deux, trois, quatre, cinq et six 
jours d'intervalle, par une inoculation sous-cutanée. 

Nous ne rapporterons pas ces expériences en détail : les 
résultats furent très analogues à ceux que nous avions observés 
chez la génisse, avec cette différence toutefois que, chez le 
cochon, six jours après la vaccination sous-cutanée (au lieu de 
huit jours chez la génisse), toutes les inoculations sous-épider- 
miques demeurèrent stériles, et qu'il s’écoula entre la vaccina- 
tion sous-cutanée et la complète disparition de la virulence du 
vaccin sous-épidermique un intervalle de neuf à dix jours seule- 
ment (au lieu de onze à douze jours chez la génisse). 

En résumé, chez le cochon, ces deux phénomènes, l’immu- 
mité caractérisée par la résistance de la peau à de nouvelles 
inoculations d’une part, et la disparition de la virulence du con- 
tenu des éléments éruptifs d'autre part, apparaissent environ 
deux jours plutôt que chez la génisse. 

Ce sont des faits sur lesquels nous aurons, dans un prochain 
mémoire, occasion de revenir. 


NOTE SUR LA CONTAGOSTÉ DE LA PESTE BONE AU PORC 


Par MM. CARRE er FRAIMBAULT 


Études faites à l'Institut Pasteur de Nha-Trang. 


Au cours de nos recherches sur la peste bovine en Indo- 
Chine, on nous avait signalé à plusieurs reprises une assez 
grande mortalité des pores, dans les régions contaminées. 

Toutefois, nous n'avions pas attaché une grosse importance 
à ce renseignement, la peste bovine ayant toujours été consi- 
dérée comme une maladie absolument spéciale aux ruminants. 
D'autre part, les maladies contagieuses du porc sont fré- 
quentes et souvent difficiles à différencier ; nous avions pensé 
qu'il s'agissait de deux affections simplement concomitantes. 
Enfin, à en croire les Annamites, pendant les épizooties de 
peste bovine, tous les animaux domestiques : chiens, chats, 
poules, seraient atteints, ce qui est peu vraisemblable. Nous 
avons pu maintes fois nous convaincre du contraire. 

Plusieurs missionnaires cependant nous avaient déclaré que 
la mortalité des pores et des bœufs coïncidait absolument avec 
les fréquentes invasions de la peste bovine en Indo-Chine. 

Au cours de l’épizootie de 1897-98, qui fit de si grands 
ravages au Tonkin et dans le nord de l'Annam, notre cama- 
rade Camboulives nous signala de son côté la mortalité énorme 
des porcs dans les régions infectées par la peste bovine; il 
croyait à la réceptivité du pore pour cette maladie. 

D'autre part, la constatation de la peste bovine chez le pécart, 
en 1866, par M. Leblanc, pouvait préparer l'esprit à admettre la 
possibilité de la contamination du porc, le pécari se trouvant en 
quelque sorte le trait d'union entre les bovins et les porcins. En 
relisant Friedberger et Frühner, nous remarquons aussi que 
Penning aurait signalé la transmission de la peste bovine au 
sanglier, mais nous ignorons les détails de cette observation. 


CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 849 


Dès notre retour à Nha-Trang, nous avons institué une série 
d'expériences qui nous permettent d'affirmer la contagiosité de 
la peste bovine au porc. 

Nous nous bornerons à relater une de nos séries d’expé- 
riences : elle montre de la façon la plus évidente la transmissi- 
bilité de la maladie du bœuf au porc, du porc au porc et du pore 
au bœuf. 

Trois porcelets de 3 mois environ (n° 6, 7et 8) reçoivent en 
injection sous-cutanée chacun 2 c. c. du sang frais, défibriné, 
d’un veau atteint de peste et réagissant thermiquement depuis 
deux jours. 


tite 
leu LA 
BEI 

| 


m'yS)v" SN REE 
LE) 
E 3 
SES 


= 
FE 


Porcelet n° 6. — 2 avril, inj. sous-cutanée. — 8, mange peu. — 9, triste, 
tremblements. — 12, mange bien, état normal. Maladie bénigne. 


Tous trois présententle 4° jour une hyperthermie considérable 
(419,3, 400,8, 400,7) ; ils cessent de manger, deviennent tristes, 
sont pris de frissons, leurs yeux sont chàässieux, ils vomissent 
souvent et ont une abondante diarrhée jaune très liquide. Le 
6° jour on sacrifie l’un d'eux (le n°8) pour obtenir une quantité 
de sang assez notable, destinée aux expériences ultérieures. Les 
deux autres guérissent après avoir été malades huit à dix jours. 

D4 


850 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Trois autres porcelets, achetés en même temps, étaient 
conservés comme témoins ; leur température était prise journel- . 
lement. Ils servirent aux inoculations ultérieures. Il va sans dire 
qu'ils ne présentèrent rien d’anormal avant leur inoculation. 

Le sang du porc sacrifié sert à inoculer un autre pore (n° 10, 
2° passage) et un veau (n° 55). Tons deux contractent une 
maladie assez rapidement mortelle. Le veau succombe à une peste 
absolument typique treize jours après l’inoculation. Le pore, 


Avril 
Dates 
1 | 813110! 11|12|113 141516 | 17|18|19 Ki 


Éreboe 


AA AE 
Han VE 
4 O2 er 1 ES ru En | AN EE Ve En LE 


LE 
Lo 


Veau n° 55. — 7 avril, inoc. sous-cut. de 5 c. e. de sang frais. — 12, ne mange 
pas. — 17, diarrhée. — 18, maigrit. — 20, mort. — Autopsie : Eëmphysème pul- 
monaire, épanchement de sérosité citrine dans l'abdomen; péritoine injecté; 
iléon t. enflammé, couvert de membranes diphtéritiques grisätres; cæcum 
et gros côlon t. enflammés, ecchymoses d’un rouge sombre sur le côlon 
flottant. 


qui commence à réagir thermiquement le 4° jour après l'ino- 
culation, de même que le veau meurt le 7° jour et présente à 
l’autopsie des lésions assez caractéristiques sur lesquelles 
nous reviendrons plus loin. 

Ce porc sert à deux séries d'inoculations : 1° il est saigné — 
par la section de la queue — le 2° jour de sa réaction thermique, 
Avec les quelques gouttes de sang obtenues, on inocule un porc 
(n° 9, 3° passage), qui commence le 5° jour à réagir thermique- 
ment, et meurt le 9° jour sans avoir présenté des températures 


LA 


CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 8541 


très élevées, mais avec les symptômes cliniques des précédents. 

Du sang recueilli une heure après la mort du n° 9 permet 
d’inoculer le n° 15 (4° passage) qui prend une maladie mortelle 
et dont le sang donne une peste grave au n° 18 (5° passage). 

20 Au moment de la mort du pore n° 10, on recueille dans 
le cœur un demi-centimètre cube de sang qui, après dilution 
dans 5 c. c. d’eau stérilisée, est injecté sous la peau du porc 
n° 11 (3° passage). La réaction thermique apparaît le 6° jour 


ARRBREERRNE 


| 


Porcelet n° 10, — 7 avril, inj. sous-Cutanée au-pli de l’aine. — 11, saignée. — 
* 12, diarrhée Jaune, vomissements. — 13, mort. — Autopsie : ulcér, Sup. Sur 
les lèvres. Forte inflammation de l'estomac et des parties moy, et terminale 
de l'intestin grêle, avec ulcér., sup. Desquammations épithéliales étendues 
sur le cæcum et le côlon. Foie congestionné par places, bleuâtre par places. 


après l'injection ; l'animal est très malade pendant une dizaine 
de jours, puis se rétablit. 

Le 5° jour de sa réaction thermique, on obtient, par la 
section de la queue, une dizaine de gouttes de sang que l’on 
injecte au porc n° 16 (4° passage). | 

La réaction thermique se manifeste, chez ce dernier, le 
6e jour, la maladie évolue lentement, et l'animal guérit au bout 
d’une vingtaine de jours. 

Le pore n°16, saigné le 3° jour de sa réaction thermique, 

donne 6 gouttes de sang qui servent à inoculer dans la trachée 


D2 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


le veau n° 72: il prend une peste caractéristique dont il meurt 
au bout de 16 jours. 

En résumé, 2 centimètres cubes de sang virulent d'un veau ont 
donné une maladie qui a été transmise pendant 5 passages successifs 
dans l'organisme du porc, et qui, après le premier et le 4° passages, 
donne une peste mortelle pour le veau, à la dose de 6 gouttes dans 
le dernier cas. 

De nombreuses expériences nous ont en outre montré la 
contagiosité de la maladie par contact de porc à porc. L’infection 


Avril 
DONNE NON A0 MAMA AS TA MAN ANATOLE 


Ps pause 


Porcelet n° 9. — Le 11 avril, inj. sous-cut. de 3 g. de sang du porcelet ne 10. — 
17, vomissements. — 18, frissons, diarrhée. — 19, mort. Autopste : Cong. t. 
acc. du poumon; vive inflammation de la muq. stomacale et de l'intestin 
gréle, du cæcum, du gros côlon et de la 1° p. du côlon flottant; congestion 
des plaques de Peyer ; foie congestionné, presque noir. 


semble être d’un jour ou deux plus tardive par ce mode de 
contamination que par l'injection sous-cutanée. 

Nous aurions voulu également établir expérimentalement la 
transmissibilité par contact de la maladie du veau au porc et du 
pore au veau. Des difficultés matérielles, provenant de notre 
installation, nous ont fait remettre à une date ultérieure ces 
recherches complémentaires. 

Symptômes de la peste bovine chez le porc. — Hs ne sont pas très 
caractéristiques, et ressemblent un peu à ceux que l’on observe 
dans la plupart des septicémies hémorragiques. 


CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC. 893 


Dès le début, l'animal est triste, mange à peine et vomit 
souvent; très rapidement les matières vomies sont teintées en 
jaune verdàtre par la bile. 

Des frissons apparaissent à peu près constamment à cette 
période. 

Les yeux deviennent chässieux. 


Aoril ee 
£7| 28|\ 29| 30 | 1 FAN EUNON AO ZIN ZT 


BEEN 
Éie 
Re 
y Dis 

"| ER 1Ee 


NE 
po 


A 


ROPRTRE 
DNS ME AE ne 
39" AA Een ne 
Dauer 

A ei en pra) 


rs] 
9 
+ FERA RE GA Le 


Veau n° 72. — 27 avril, inj. dans la trachée de 6 gouttes de sang du porce le 
n° 16 (4° passage). — 3 mai, mange peu. — 5, diarrhée, maigrit. — 10, étique. 


reste couché, — 12, mort. — Autopsie : feuillet très dur, nomb. pétéchies sur 
lre p. de la caillette et ulcérations sur la partie pylorique: follicules clos in- 
durés, volumineux. Plaques de Pever peu altérées. Ouverture iléo-cæcale 
noire; trainées noirätres sur la muqueuse du cæcum et du côlon flottant. 
Poumon emphysémateux. 


Très souvent aussi, on remarque de la salivation, de l’écume 
sur les lèvres, et l'examen de la bouche fait constater des desqua- 
mations sur les muqueuses labiale et linguale. 

La diarrhée survient ordinairement le deuxième jour de l’hy- 
perthermie. Elle est jaune, de plus en plus liquide. Jamais nous 
ne l’avons trouvée striée de sang. 

Dans les cas rapidement mortels, tous les symptômes évo- 
luent très vite, et lanimal ne tarde pas à refuser toute nourri- 


854 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ture et à être épuisé par les vomissements et abondance dela 
diarrhée. 

Si l’animal doit guérir, on voit d’abord les vomissements 
cesser, l'appétit revenir : la à est le symptôme le plus 
persistant, et dure parfois 10 à 12 jours. 

Diagnostic différentiel. — symptômes pourraient, à la 
rigueur, suffire pour diagnostiquer la maladie Ge une région 
atteinte de peste bovine. 

Nous devons avouer toutefois qu'ils sont assez peu signifi- 
catifs. — La nb Eh te l'évolution de la maladie pourraient 
la faire confondre avec le rouget ou la@neumo-entérite. 

A l’autopsie, on ne retrouve pas les altérations des séreuses 
qui accompagnent presque toujours la pneumo-entérite; d'autre 
part, les lésions intestinales sont plus nettes que dans Île rou- 
get. 

L'examen bactériologique, les cultures permettront aussi de 
les différencier : lexamen microscopique, les divers moyens de 
culture actuellement connus ne donnent pas de résultats positifs 
pour la peste bovine. 

Mais c’est surtout l’inoculation simultanée au pigeon, au 
lapin et au cobaye qui permettra de voir à laquelle des affections 
contagieuses du pore on a affaire. Si c’est du rouget, le pigeon 
mourra en 3 ou à jours, lé lapin du 4° au 8° jour; si c’est de la 
paeumo-entérite, le pigeon restera indemne; le cobaye et le lapin 
succomberont en # ou 8 jours (Nocard et Leclainche). 

Enfin, l’inoculation de quelques gouttes de sang au veau 
permettra de constater de lhyperthermie le 4° jour et les symp- 
tômes cliniques de la peste bovine vers le 7° ou le 8° jour. 

Lésions. — Souvent, la rapidité d'évolution de la maladie ne 
laisse pas au sujet le temps de maigrir, mais dès que l'affection 
se prolonge, l’'émaciation ne tarde pas à se produire et l'animal 
«fond » très vite. 

Au moment de la mort, on peut constater des taches ecchy- 
motiques sous-cutanées sur le groin, l'extrémité des membres 
et la paroi pectoro-abdominale. Dans deux cas nous avons pu 
constater une sorte d’éruption pustuleuse. 

C'est sur l'appareil digestif que les lésions sont les plus 
accusées. 

Presque constamment, on trouve une desquamation épi- 


CONTAGIOSITÉ DE LA PESTE BOVINE AU PORC 855 


théliale de la muqueuse buccale, et même des ulcérations an 
niveau des gencives et des lèvres. 

L'arrière-bouche est parfois enflammée, mais ce n’est pas la 
règle. 

L'estomac est toujours le siège de lésions très intenses : sou- 
vent l'inflammation s'étend à toute la muqueuse stomacale, 
mais toujours la partie pylorique présente des ulcérations plus 
ou moins profondes, allant du diamètre d’une pièce de 50 centi- 
mes à celui d’une pièce de cinq francs. Suivant l’âgé de la lésion, 
tantôt il y a une simple mortification de la muqueuse, assez 
superficielle ; tantôt et plus souvent la muqueuse a disparu com- 
plètement, laissant le derme recouvert d’une sorte de fausse 
membrane diphtéritique. Le contenu de l’estomac est liquide, 
souvent teinté en jaune par la bile qui reflue dans cet organe 
pendant les efforts de vomissement. 

L'inflammation de l'intestin grêle n’est pas constante; elle est 
presque toujours beaucoup moins intense que celles de l’es- 
tomac et du gros intestin. Les lésions sont plus accusées sur la 
portion terminale de l’iléon; la plaque de Peyer très étendue, 
qui se trouve dans cette région, est très enflammée, parfois 
ulcérée, et donne à cette partie du tube intestinal une rigidité 
particulière. 

Le cæcum surtout et le gros intestin, d’une manière générale, 
sont le siège d’une vive inflammation. Souvent même on voit 
sur le cæcum des ulcérations aussi accusées au moins que celles 
de l'estomac. 

Le foie a parfois une teinte assez foncée; d’autres fois 1l est 
décoloré. — La bile est généralement épaisse, souvent grume- 
leuse ; les reins sont rouges, congestionnés, l'urine fortement 
teintée par des globules sanguins. 

Le péritoine est souvent un peu rouge, sans présenter d'ex- 
sudat. 

Les ganglions mésentériques sont presque toujours volumi- 
neux et parfois noirs, violacés. 

L'appareil respiratoire est fréquemment atteint. Les pre- 
mières voies sont généralement indemnes. Une fois ou deux 
seulement, nous avons noté un peu d’inflammation du larynx. 
La congestion pulmonaire, au contraire, existe assez régulière- 
ment et souvent nous avons observé des îlots de pneumonie. 


856 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


L’emphysème pulmonaire est fréquent, mais non presque cons- 


tant comme chez le bœuf. Jamais nous n’avons constaté d’exsu- * 


dat pleural. 

L'examen du sang, du foie, de la rate ne nous à jamais 
montré aucun microorganisme spécifique. Nous avons eu le 
même résultat négatif avec nos cultures. 

Ces premières recherches nous ont paru présenter un cer- 
tain intérêt, en raison du danger, d'autant plus grand qu’il est 
ignoré, de l'introduction possible de la peste bovine par les por- 
cins. 

Par des études ultérieures, nous nous eflorcerons de déter- 
miner, aussi exactement que possible, la durée de la virulence 
soit chez les pores convalescents de peste bovine, soit dans la 
viande conservée par les divers procédés. 

De précédentes observations nous permettent de croire que 
l'agent du contage se conserve pendant un laps de temps assez 
court, qui ne dépasserait pas une quinzaine de jours, au moins 
dans nos possessions d’extrème-Orient. 

Nous tenons à déclarer aussi que nos expériences ont été 
faites sur des pores annamites, et que nous ignorons si la récep- 
tivité des porcs de race celtique pour la peste bovine est moindre 
ou plus grande. 

N. B. — Depuis la rédaction de cette note, une lettre de 
M. le D' Delay, en mission en Chine, nous apprend que les Chi- 
nois sont également convaincus de la contagiosité de la peste 
bovine au porc, d’après un missionnaire, le P. Kircher, qui lui 
indique comme susceptible de contracter la peste, après les 
bovidés : 4° le porc, 2° le mouton, 3° la chèvre. 

Nos essais de contamination de la chèvre et du mouton nous 
ont donné des résultats presque négatifs qui feront l’objet d’une 
note ultérieure. 


nétRÉé-tés ons nc 


ÉTUDE SUR L'AGGLUTINATION COMPARÉE 
DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES MICROBES VOISINS 


Par le sérum spéciñique et par les substances chimiques, 


Par J. BOSSAERT. 


Le phénomène de l’agglutination des microbes, étudié 
d’abord au point de vue de son rôle dans l’immunité, a reçu ses 
plus importantes applications dans la diagnose des espèces mi- 
crobiennes. Il semble même qu’à l'heure actuelle, le critérium le 
plus sûr’ que l’on puisse invoquer en faveur de la nature 
typhique d’un bacille soit sa sensibilité agglutinative au typhus- 
sérum convenablement dilué. 

En bactériologie.pratique, c'est le sérum d’un animal forte- 
ment immunisé, soit contre la fièvre typhoïde, soit contre le 
choléra, que l’on emploie couramment pour la diagnose des 
microbes correspondants, dont la détermination est si impor- 
tante dans une foule de recherches. 

Mais l’agglutination des bacilles, au sein de leurs émulsions, 
peut être provoquée par d’autres moyens. M. Malvoz® a montré 
que certaines substances coagulantes, — la formaline, l’eau 
oxygénée, le sublimé, par exemple, — jouissaient de la propriété 
de provoquer, dans les émulsions en eau distillée de bacilles 
typhiques. la formation de beaux amas, comparables, par leur 
aspect, à ceux du typhus-sérum. La safranine et la vésuvine sont 
douées des mêmes propriétés. Blachstein*, de son côté, emploie 
la chrysoïdine, matière colorante diazoïque, comme agglutinant 
du vibrion cholérique. Certaines substances, telles que le sulfate 


1. Vax pe Veuve, Valeur de l’agglutination dans la séro-diagnose de Widal 
et dans l'identification des bacilles éberthiformes. — Centralblatt für Bakterio- 
logie, n° 42, 25 mars 1898. 

2. Mazvoz, Recherches sur l’agglutination du bacillus typhosus par les 
substances chimiques, Annales Pasteur, juillet 1897.1 

3, Centralblatt für Bakteriologie, n° 3, vol, XXI, 1897, 


858 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


ammonique', sont encore de bons agglutinants de certains 
microbes. 

De plus, comme M. Malvoz l’a vu?, l’agglutination des 
microbes se produit encore quand onles entraîne dans certains 
précipités : après émulsion du bacillus typhosus dans de leau 
riche en bicarbonate calcique, si l’on ajoute de la soude, les 
microbes se retrouvent en grands amas dans le précipité de 
carbonate calcique qui se forme dans ces conditions. Citons 
encore un récent travail de Nicolle* : si l’on ajoute, non plus à 
une émulsion de microbes, mais au produit de la filtration d’une 
culture, une trace du sérum spécifique, il se forme dans le 
liquide des amas rappelant beaucoup les agglutinats ordi- 
naires. 

Les divers moyens de provoquer l'agglutination, autres que les 
procédés basés sur l'emploi des sérums spécifiques, peuvent-ils être 
utilisés en bactériologie analytique? En d’autres termes, donnent- 
ils des différences assez grandes pour servir au diagnostic? 

En collaboration avec M. Lambotte‘, j'ai montré que la for- 
maline, une des substances étudiées par M. Malvoz, pouvait 
parfaitement servir au diagnostic du bacille typhique, en ce 
sens que ce dernier, dans certaines conditions déterminées, est for- 
tement agglutiné par l’aldéhyde formique, tandis qu'un bon 
nombre d’échantillons de coli-bacilles, de microbes pseudo- 
typhiques, ne sont pas agglutinés. Certes, il ne s’agit pas 
d'identifier comme bacille typhique tout microbe en bâtonnet 
qui agglutine par la formaline; mais, tout au moins, un bacille 
qui ne subit pas cette action particulière de la formaline peut 
être considéré comme non typhique. 

Je me suis proposé, dans le présent travail, de rechercher 
si, au point de vue du vibrion cholérique et des autres microbes 
qui peuvent être confondus avec lui, il n'existe pas d'agents 
d'agglutination, autres que le sérum, utilisables en pratique. 

Ces recherches sont devenues ainsi une étude comparée sur 
l’agglutination, par les sérums et les substances chimiques, 


4. Travail inédit de M. Malvoz. 

2. Annales Pasteur, juillet 4897, page 586. 

3. Nicoze, Recherches sur la substance agglutinée, Annales Pasteur, 
mars 1898. | 

4, Recherches sur le diagnostic pratique de quelques microbes par les sub- 


stances chimiques agglutinantes, Bulletin de l'Acad. royale de médecine de 
Belgique, 1847. 


VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 859 


des spirilles cholériques et des microbes de la même famille 
naturelle. 

J'ai utilisé, pour mes recherches, un microbe type du cho- 
léra, au moyen duquel j'ai immunisé fortement un animal. Le 
sérum de cet animal, recueilli au bout d’un certain temps, s’est 
montré doué de propriétés agglutinantes prononcées vis-à-vis 
du microbe cholérique. 

J'ai étudié, pendant tout le cours de l’immunisation et à la 
fin de celle-ci, les propriétés de ce sérum, au point de vue de 
ses propriétés agglutinantes, sur le microbe lui-même ayant 
servi aux inoculations, sur d’autres microbes du choléra de 
diverses provenances, et sur les spirilles de Metchnikoff, de 
Finkler et de Deneke. J'ai recherché également les propriétés 
agglutinantes du lait, des organes et du sang du fœtus. 

J'ai de même étudié la facon dont se comportent le vibrion 
du choléra vrai, et ceux de Metchnikoff, de Finkler, et de 
Deneke, vis-à-vis des agglutinants physico-chimiques. 


$ 1. AGGLUTINATION PAR LE SÉRUM SPÉCIFIQUE 


Je me suis servi, dans mes expériences, du sérum du sang 
d'une chèvre à laquelle j'injectais du bacille cholérique, en 
émulsion, sous la peau des flancs. Le microbe choléra-Angleur, 
qui à servi aux inoculations, est un microbe type du choléra dit 
asiatique ; il a été isolé par M. Malvoz en 1894, lors de l'épidémie 
de Liége et environs. 

Il est inutile, pour étudier le phénomène de l’agelutination, 
de se servir d’un microbe à virulence exaltée; Pfeiffer! le dit 
expressément dans son dernier travail. 

Dans le but d'étudier les propriétés du sérum chez le fœtus 
ou le nouveau-né, on fit saillir la chèvre le 21 novembre 1897. — 
Du 26 novembre 1897 au 1° avril 1898, la chèvre reçut environ 
34 centimètres cubes d’émulsion dans l’eau de vibrions choléri- 
ques, tués soit par une température de 609, soit par le chloro- 
forme ; ces émulsions étaient de plus en plus fortes, de sorte 
que, vers le mois de mars, la chèvre recevait, en une injection 
d’un centimètre cube, la valeur de 3 à 4 cultures sur gélose de 
choléra ensemencé depuis 2, 3, au maximum 4 jours. 


1. Prerrrer et Marx, Die Bildungstätte der Choleraschutzstoffe, Zeit. fur 
Hygiène, 21 avril 1898, page 275. 


860 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


La chèvre avorta le 14 mars et donna un fœtus màle d’en- 
viron quatre mois. À partir de ce jour, la sécrétion lactée s’éta- 
blit et le lait fut également mis en expérience. 

La façon dont j'ai opéré a toujours été la suivante : les 
émulsions de microbes sont faites dans l’eau distillée et non 
dans l’eau salée, car la présence de sels minéraux peut modifier 
les propriétés agglutinantes'; des cultures, sur gélose inclinée, 
âgées de 24 heures environ, servent à faire ces émulsions. de 
délaie une anse de l’enduit mierobien dans un centimètre cube 
d’eau distillée. On s’assure, à chaque essai, de l'absence d’amas 
spontanés de vibrions dans ces émulsions. 

Le sérum est également dilué avec de l’eau distillée. 

Les préparations sont faites sur porte-objet à raison d’une 
anse &'émulsion pour une anse de sérum dilué. On les met sous 
cloche, en chambre humide, en attendant le moment où la 
réaction se produit. 

Je considère comme ne donnant plus le phénomène de lag- 
glutination toute préparation dans laquelle il ne s’est même 
pas formé de commencement d’agglutination au bout de 
trois quarts d'heure. 

J'appelle limite de l'agglutination la dilution pour laquelle 
le sérum ne donne plus qu’une très légère agglutination au bout 
du même temps. 


I. — Sérum maternel. 


Avant le commencement des inoculations, le sérum de la 
chèvre agglutinait le bacille cholérique à raison d’une partie de 
sérum pour 50 p. d’émulsion microbienne. Il avait done un 
pouvoir agglutinant assez considérable vis-à-vis du vibrion du 
choléra. 1l en est de même, aux mêmes doses, vis-à-vis de divers 
bacilles cholériques vrais (choléra-Brest, choléra-Tunis, choléra- 
Guilvinec, choléra-Tilff, choléra-Vaux, choléra-Liège), et pour 
les vibrions de la famille naturelle du choléra (vibrions de 
Metchnikoff, de Finkler et de Deneke). 

A la suite des inoculations sous-cutanées d’émulsions stéri- 
lisées de bacilles cholériques d’Angleur, le pouvoir agglutinant 
du sérum normal se mit à augmenter: j'ai fini par obtenir un 


4, Mazvoz, Loc. cit., Annales Pasteur, 1897; 


VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 861 


sérum agglutinant le vibrion servant aux injections à la dose 
de 1 p. 1500, 

Je n'ai pas poussé plus loin limmunisation. Il m’a fallu pour 
cela injecter environ une ceutaine de cultures sur gélose dans 
l’espace de 4 mois. À ce moment, seul l’échantillon de bacille- 
virgule servant aux injections était agglutiné à 1 p. 1500. 
Pour les autres échantillons de choléra vrai, les proportions 
étaient différentes : de 1 p. 500, par exemple, pour le choléra- 
Tunis, de 1 p. 1000 pour le choléra-Guilvinec et le choléra- 
Tilfr. 

Quant aux vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke, 
le chiffre était le mème que pour le sérum normal, c’est-à-dire 
voisin de 1 p. 50. 

En résumé, ces expériences confirment les faits connus que 
le sérum d’un animal fortement immunisé contre le choléra, 
quand il est suffisamment dilué, n’agglutine plus que le vibrion 
de Koch et même, à une dilution plus forte encore, que l’échan- 
tillon de choléra ayant servi aux inoculations". 


IL, — Sérum du fœtus. 


J'ai étudié le sérum du fœtus de cette chèvre au point de vue 
des propriétés agglutinantes. Je l’ai emprunté au sang de la 
veine ombilicale, du foie, du cœur, des poumons. 

Tandis qu’au moment de l’avortement le sérum maternel 
agglutinait à la dilution de 4 p. 1000 environ, le sérum des 


1. Comme Besredka! l’a fait pour la toxine diphtérique, j’ai noté avant et après 
les injections vibrioniennes le nombre des globules blancs polynucléaires (colora- 
teur du sang séché sur lamelle à l’éosine et au bleu de méthylène. Après chaque 
injection, le nombre de ces globules augmente notablement dès le lendemain, 
atteint son maximum après deux ou trois jours, puis diminue. 

Exemple : 


Avant l'injection, sur 400 leucocytes, il y a 4 polynucléaires : on injecte 1 c. c. 
d'émulsion de vibrions cholériques tués par le chloroforme : 


Morés Aou Sur A00Eslonules FPE PET NETECE 11 polynucléaires. 
A DID UT Se ele Se ASUS abs die PÉTER ec 62 — 
SJ OULS ER LT IRAN Mr SU 2e ADN A2 10 — 
Nouvelle injection : 
BEC MRIQURE NES RM ER en Mel 2e Hate JO 43 — 
182) OUTRE 241 A CREME LE IRLE RL RAR PANNS NA AA RUE 58 — 
ed JOUER Le eine onde Ut PARTIR LL D3 — 
es D JOUR Ra QT ET ET PA Rae Les ER Di — 
= MSN TOURSE 2 U IR RATE SANCIS ee PE Sr an 15 — 


1. Annales Pasteur, Leucocytose dans la diphtérie, n° 5, 1898. 


862 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


diverses parties du fœtus présentait la même propriété à la dose 


de 1 p. 100 seulement. Si on se rappelle que le sérum normal: 


de la chèvre n’agglutinait pas à plus de 1 p. 50, on peut affirmer 
qu'il y a un faible passage de la mère au fœtus des substances 
agglutinantes formées au cours de l’immunisation, On n’a pas 
trouvé de différence d’un organe à l’autre. 


IL. — Lait de la chèvre immunisée. 


Tandis que l'urine de la chèvre fortement immunisée ne 
présentait le pouvoir agglutinatif qu'à un très faible degré, 
environ 1/50, le lait présentait ce pouvoir à un haut degré, 
voisin de celui du sérum du sang de l'animal : la réaction se 
montrait encore à 1/1000 et au delà, au moment des dernières 
injections. 

A la différence du sang normal, le lait normal de chèvre n’a 
pas d'action agglutinante sur le vibrion cholérique, pas plus que 
sur les spirilles de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke. 

Le lait de la chèvre immunisée ne se montra pas plus actif vis- 
à-vis de ces spirilles pseudo-cholériques. À 1/10 de lait de la 
chèvre immunisée, plus la moindre trace d’agglutination de ces 
derniers microbes. Remarquons, en passant, que la propriété 
agglutinante qui existe à l’état normal dans le sang de la chèvre 
ne se transmet pas aussi abondamment au lait que la propriété 
acquise par les injections cholériques. 

Quant à la transmission du pouvoir agglutinatif aux petits 
par l’allaitement, cette question est encore controversée. 

À défaut de chevreau, je pris comme sujets d'expérience un 
chien et une chatte. Les résultats peuvent avoir été contrariés 
par le fait que ces animaux supportaient très mal le lait de la 
chèvre immunisée ; ilséprouvaient un dégoût profond à l’absorber 
et l'ingestion était suivie d’une forte diarrhée, Il y eut certaine- 
ment transmission, mais dans une faible mesure, du pouvoir 
agglutinant au sang du chien en lui faisant prendre, par la voie 
gastro-intestinale, du lait agglutinant fortement. Le sang de 
chien normal donnait une très faible réaction agglutinante à 1/50 ; 
après l’ingestion de lait pendant un mois, on obtint une réaction 
des plus nettes à cette même dilution, mais rien à 1/100. 

Chez la chatte, Paugmentation du pouvoir agglutinatif du 
sang fut plus sensible : le sérum du sang normal de la chatte 


dit Ent 


VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 863 


agglutinait légèrement les vibrions du choléra Angleur à 1/40; 
le sérum de la chatte qui avait pris du lait pendant environ 
20 jours provoquait encore le même phénomène à raison 
de 1/100. 

En présence de cette transmission, si faible qu’elle soit, du 
pouvoir agglutinant par le tube digestif, il faut rappeler les 
expériences de Ransom ‘qui a conclu à l'absence totale de 
résorption des toxines par l'intestin (toxine tétanique tout au 
moins). Il semblerait donc, si d’autres faits semblables aux 
miens sont établis, que les substances agglutinantes des humeurs 
sont mieux absorbées par le tube digestif que les toxines. Il y 
a lieu également de se demander si le pouvoir agglutinant, si 
considérable parfois, que Stern * vient de signaler pour le sang 
normal vis-à-vis du bactérium coli, agglutination beaucoup plus 
grande que vis-à-vis du bacillus typhosus, ne serait pas dû à une 
résorption des substances provenant des bacilles du côlon si 
abondants dans le tube digestif à l’état de santé. 

Nous résumerons comme il suit les principales propriétés du 
sérum et des humeurs d’un animal fortement immunisé contre 
le choléra : 

1° Par l’immunisation anticholérique, on obtient, quand 
celle-ci est poussée assez loin, un sérum et un lait qui, à une cer- 
taine dilution, n'agglutinent plus que le microbe spécifique lui- 
même, à l'exclusion des microbes même d'espèces voisines. 

Si les injections immunisantes sont continuées, on obtient 
un sérum qui, très dilué, n’agglutine plus que le microbe ayant 
servi aux inoculations, à l’exelusion des bacilles cholériques de 
même espèce mais d’autres provenances. 

20 Le sérum de certains animaux (chèvre), à l’état normal, 
agglutine, même assez dilué (1/50 dans les conditions d’expé- 
rience où je me suis placé), les microbes du choléra etles espèces 
pseudo-cholériques (vibrions de Metchnikoff, üe Finkler et de 
Deneke). Si on soumet ces animaux à des injections immuni- 
santes contre le choléra asiatique, le pouvoir agglutinant normal 
vis-à-vis des microbres pseudo-cholériques n’est en rien modifié. 

1. Ransom, Das Schiksal des Tetanusgiftes nach seiner intestinalen Einver- 
leibung in den Meerschweinchen-organismus, Deutsche med. Wochenschrift, 
24 février 1898, 


2. Stern, Typhusserum und Colibacillen, Centralblatt für Bakteriologie, 
mars 1898. 


864 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


3° Le pouvoir agglutinant résultant des injections immuni- 
santes se transmet au fœtus, mais faiblement. — Les substances 
agglutinantes paraissent réparties uniformément dans les 
organes du fœtus. 

4° La propriété agglutinante, obtenue par les injections 
anticholériques, se transmet fortement à la secrétion lactée, 
tandis que le pouvoir agglutinant du sérum normal se retrouve 
très faiblement dans le lait. 

5° Le pouvoir agglutinant du lait peut être transmis, mais 
faiblement, par l’alimentation. 


S 2. AGGLUTINATION DU VIBRION CHOLÉRIQUE ET DES SPIRILLES DE 
METCHNIKOFF, DE FINKLER ET DE DENEKE PAR LES SUBSTANCES CHI- 
MIQUES PROPREMENT DITES. 


M. Malvoz a signalé surtout comme bons agglutinants du 
bacillus typhosus la formaline (aldéhyde formique à 40 0/0 dans 
l’eau), le sublimé, la safranine, la vésuvine. Depuis la publication 
de son travail en juillet 1897, il a découvert d’autres substances 
agglutinantes : l'acide acétique à certaines dilutions, la fuchsine 
en solution saturée dans l’eau et bien filtrée (on n’emploie pas la 
solution alcoolique pour éviter l’action agglutinante de l’alcool). 

Toutes mes expériences ont été faites de la même façon : on 
prenait des cultures fraiches, sur gélose inclinée, des vibrions à 
étudier; ces cultures avaient séjourné 24 heures à 37°. Une anse 
de la couche microbienne était délayée dans un centimètre cube 
d'eau distillée; on s’assurait que l’émulsion était parfaite, que 
les microbes étaient bien divisés et nullement agglomérés. A 
une anse de cette émulsion on äjoutait, sur porte-objet, en mé- 
langeant convenablement, une anse du réactif à étudier. On ne 
peut, pour ces expériences, utiliser les cultures en bouillon ou 
en eau-peptone, car ces liquides, même stérilisés, forment sou- 
vent des coagulats albumineux avec les réactifs. Il est très 
important de se placer toujours dans les mêmes conditions, sinon 
les résultats ne sont nullement comparables. Ainsi, une eulture 
âgée, par exemple, ne se comporte pas vis-à-vis de la formaline 
comme une culture jeune : les produits formés au sein d’une 
vieille culture modifient les conditions du phénomène. Nous 
avons successivement fait agirsurle choléra-Angleur, sur d’autres 


4 


VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 865 


microbes du choléra etsurles vibrions de Metchnikoff, de Finkler 
et de Deneke, les substances suivantes, à divers degrés de dilu- 
tion dans l’eau distillée : la formaline, le sublimé, la safranine, 
la vésuvine, la fuchsine, le sulfate ammonique, l'acide acétique, 
l’alcool et la soude. 


IL — Action de la formaline 


40 Anse pour anse d’émulsion et de formaline non diluée, 

Choléra-Angleur donne instantanément de petits amas formés de bacilles 
très nettement agglutinés. 

Vibrions de Metchnikoff, de Finkler et de Deneke donnent immédiatement 
de gros amas serrés. 

Je me suis assuré, par des colorations ultérieures, que les amas, 
observés au microscope, dans tous les essais qui vont suivre, étaient 
bien formés de bacilles nettement agglutinés et non de simples coagulations 
albumineuses. Le mot amas désigne toujours des vibrions bien agglutinés. 

20 Anse pour anse d'émulsion et de formaline diluée à moitié, 


Choléra-Angieur. — Les amas se forment plus leniement (2 à 3 minutes). 

ere Fi a " | Agglutination également plus tardive; amas 
L i i choléra. 
ENT plus petits que ceux du vraic 

3° Anse pour anse d’émulsion et de formaline diluée au 1/4, 

Choléra- IE — Les amas sont plus rares et plus petits ; ils ne se 

forment qu'après quelques minutes. 
Vibrions de Meichnakof. — Les amas sont plus rares et plus petits; ils 


ne se forment qu'après quelques minutes. 


Vibrions de Finkler., — Agglutination plus faible que pour les 2 hddies 
précédents. 


Vibrions de Deneke. — Pas d'agglutination. 


IL. — Action du Sublime, 


40 Solution à 10 0/0 dans l’eau distillée, 
Choléra-Angleur. 
Vibrions de Metchnikoff. 
Vibrions de Finkler. 
Vibrions de Deneke. 
20 Solution à 5 0/0 dans l’eau distillée, 
Choléra-Angleur. 
-Vibrions de Metchnikoff. 
Vibrions de Finkler. 
Vibrions de Deneke, 
30 Solution à 2 0/0 dans l’eau distillée. 

Résultats à peu près semblables, 

49 Solution à 1 0/00 dans l’eau distillée. 

Choléra-Angleur, choléra-Guilvinec, choléra-Brest : pas d'amas. 


58 


Grands amas. 


Amas énormes (tout le champ du microscope). 


Petits amas. 


Grands amas. 


866 . ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Vibrions de Metchnikoff et de Finkler : petits amas de quelques individus 
seulement. 


Vibrions de Deneke : grands amas formés de centaines de microbés 


agglutinés. 


IT. — Action de la Safranine. 


40 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 4 0/00. 

Choléra-Angleur et les 3 vibrions : amas nombreux et volumineux se 
formant immédiatement. 

20 Anse pour anse d'émulsion et de safranine à 0,5 0/00. 

Agglutination des 4 espèces microbiennes, mais la réaction n'est plus 
aussi rapide. 

30 Anse pour anse d’émulsion et de safranine à 0,25 0/00. 

Gholéra-Angleur, vibrions de Metchnikoff et de Finkler : pas d'agglutina- 
tion. Vibrions de Deneke : petits amas, peu nombreux. 


IV. — Action de la Vésuvine. 


Anse pour anse d’émulsion et de vésuvine à 1/500. 

Les 4 microbes donnent une agglutination très nette; les amas sont 
énormes. 

On peut pousser la dilution de la vésuvine jusque 41/5000 et on a encore 
de l’agglutination pour les # microbes, avec des différences peu prononcées 
de l’un à l’autre. 


V. — Action de la Fuchsine en solution aqueuse. 


Agglutination très nette pour les 4 microbes, même avec des solutions de 
1/5000. 


VI, — Action du Sulfate ammonique. 


Les 4 microbes agglutinent sensiblement de la même façon à raison 
d’une anse d’émulsion pour une anse de sulfate ammonique en solution 
saturée. l 

Pour peu que l’on dilue la solution de sulfate dont 4 ils finissent 
par ne plus agglutiner. 


VII. — Action de l'acide acétique pur. et dilué. 


Une anse d’émulsion pour une anse d'acide acétique pur ou dilué de 
moitié : les 4 microbes n'agglutinent pas. 

Avec de l'acide acétique dilué au 1/3, le choléra-Angleur agglutine seul 
légèrement. | 

L’acide acétique au 1/4 donne une agglutination nette pour le cholera- 
Angleur, légère pour les 3 autres microbes. | 

Au 1/5; agglutination nette pour choléra-Angleur et Le vibrion de Deneke ; 
agglutination légère pour les deux autres microbes. 

Au 1/10, au 1/20 et au 1/100, l'acide acétique donne une agglutination 
très nette avec les 4 microbes. 


le tt ti <di 


VIBRION CHOLÉRIQUE ET MICROBES VOISINS. 867. 


A 1/500, le phénomène de l’agglutination est moins net pour les 4 
microbes, 


A 1/1000, il ne se produit plus d’agglutination pour aucune des 4 espèces 
microbiennes. 


VIII. — Action de l'alcool à 950 et de la soude normale décime 
sur des émulsions de microbes dans l’eau calcaire 
et dans l’eau dislillee. 


Ce que M. Malvoz! a démontré pour le bac. typhosus, à savoir l’entraîne- 
ment des microbes dans des précipités formés au séin d’une émulsion de 
microbes, se vérifie également si l’on se sert d’émulsions de microbes 
cholériques ou des autres vibrions. 

Si à une eau alimentaire comme celle de Liège, assez riche en bicarbo- 
nate calcique, on ajoute de la soude, on produit un précipité de carbonate 
calcique qui entraîne les vibrions primitivement émulsionnés dans cette eau : 
le$ amas ressemblent aux agglutinations provoquées par le sérum, 

De même si l’on ajoute à une eau semblable de j'alcool à 950, celui-ci 
amène également la précipitation de evrtains sels et en même temps celle 
des microbes que l’on a émulsionnés dans cette eau et qui se rassemblent 
‘en amas sous l'effet de cette précipitation. 

Si l’on opère avec des émulsions en eau distillée, l’adjonction de ces 
deux substances ne provoque pas d'agglutination. 


Il résulte de ces recherches que l’on peut provoquer le phé- 
nomène de l’agglutination au sein des émulsions de bacilles du 
choléra et des microbes de cette famille naturelle, non seule- 
ment au moyen des sérums spécifiques, mais également de cer- 
taines substances chimiques de composition relativement simple, 
On observe, d’un vibrion à l’autre, des différences parfois assez 
considérables dans la production du phénomène, pour certaines 
dilutions des réactifs. Ainsi, le sublimé à 1 0/00, la formaline 
au 1/4, la safranine à 0,25 0/00, n’agglutinent que certaines 
espèces à l’exclusion d’autres. Mais le phénomène n’a pas la 
sensibilité ni la netteté qui se révèlent quand on étudie l’action 
du sérum spécifique. Il est vrai que ce dernier doit aussi être 
convenablement dilué pour être utilisé pour le diagnostic; mais, 
à cette dilution déterminée, l’agglutination du bacille spécifique 
est très nette et aucun autre microbe ne la subit. I n'en est pas 
de même pour les agglutinants physico-chimiques vis-à-vis du 
choléra et des espèces de ce groupe. Nous ne sommes pas en 
possession d’une substance chimique qui,à une dose déterminée, 


4. Mazvoz. Loc. cit. Annales Pasteur, 1897, 


868 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


agglutinerait exclusivement le vibrion cholérique et pourrait 
servir ainsi, à elle seule, au diagnostic précis de ce microbe. 

Néanmoins, je crois que l’on peut, au besoin, utiliser les 
données précédentes dans les recherches analytiques, comme je 
l'ai proposé, avec M. Lambotte, dans les analyses concernant le 
bacille typhique. 

En présence de colonies présentant les caractères du choléra, 
on fait des cultures sur gélose québon, laisse 24 heures à 37°; on 
obtient rapidement des émulsions et, à une anse d’émulsion, on 
ajoute une anse de sublimé à 1 0/00, par exemple. Tous les 
échantillons qui fourniraient de grands amas seraient consi- 
dérés comme n’appartenant pas au choléra, et éliminés pour les 
recherches ultérieures; mais les microbes n’ayant pas subi 
l’agglutination seraient conservés pour les recherches. Ce 
moyen d'investigation rendra des services quand on ne sera 
pas en possession d'animaux fortement immunisés contre le 
choléra : ce qui est fréquent. En dehors de leur intérêt théo- 
rique qui permet de creuser davantage le phénomène mystérieux 
de l’agglutination, nos recherches peuvent aussi avoir une 
utilité pratique. Le meilleur moyen de déterminer la nature 
cholérique d’un microbe donné par les caractères tirés du 
phénomène de l’agglutination, sera toujours l’emploi d’un sé- 
rum convenable. Mais à défaut d’un tel sérum, certains agglu- 
tinants chimiques peuvent être utilisés pour la séparation et un 
premier triage des cultures. 

En tout cas, il conviendra dans l'avenir, pour la caractéri- 
sation des espèces microbiennes, de noter, à côté des autres 
signes classiques, les particularités de l’agglutination chimique. 


Institut d'anatomie pathologique et de bactériologie de l'Université de 
Liège. Août 1898. 


Errarum. Dans l’article de M. Besredka, les premières lignes 
de la page 609 ont sauté sous presse. Les voici rétablies : 

Dans ses nombreux mémoires et ceux de ses élèves, il cher- 
chait à déterminer la nature chimique de cette substance qui 
confère au sérum sa propriété microbicide, substance qu'il a 
désignée sous le. 


TABLE DES MATIÈRES 


Les microbes des nodosités des légumineuses, par 
UE MARS RUES tt es 
Production de la toxine diphtérique, par M. le D' Mann. 
Contribution à l'étude de la fermentation lactique, par 

DEP EG 6, GALL DER ROARTAMNTES 
Fermentation lactique des corps sucrés, par M. PéRé. . . . 


Rapport au sujèt du monopole de l'alcool, par M. Ducraux. . .. 


Recherches sur l'influence de l’organisme sur les toxines, 
HAE PCEMIERGENIRONr.. 47,15 0 044 URSS 
Recherches sur les proprietés antitétaniques des centres 
nerveux de l’animal sain, par M. Mae . . . . . . . .. 
Lois générales de l’action des diastases, par M. Duccaux. . 
Les microbes des nodosités des légumineuses, par M. Maé 
AE TENNIS) M OS RRRAIAEIRQUERE PRE LASER EL SNL LOU IL Liane 


Que savons-nous de l’origine des saccharomyces ? par MM. KLoc- 
RNCS CAIONNINES CS See ere tte DOS MONO NMENIEERE 


Recherches sur la substance agglutinée, par M. Cu. Ni- 
GAL OS SARA SP RTE RAA Qu 
La destruction des microbes dans le tissu sous-cutané des 
animaux hypervaccinés, par M. SALIMBENT. . . . . . .. 
Action de la toxine diphtérique sur les muqueuses, par 
MM MoRAE RE ÉLMASS ANA ICE ETAT PA OMAN S 
Tétanos cérébral et immunité contre le tétanos, par 
MM Roux: ets Borret.: 2008 Me PO A AAA NARNIA 
Le microbe de la péripneumonie, par MM. Nocarp et Roux. 
Recherches sur l'influence de l'organisme sur les toxines 


128 


156 


870 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


(3° mémoire : toxine tétanique et leucocytes), par 
NL. E:, METCENKOPP EEE Ar ee RAS 
Nouvelles recherches sur le mode de destruction des 
vibrions dans l'organisme, par M. J. CaNTAGuzÈNE. . . . 
Les vaccinations antirabiques à l’Institut Pasteur en 1897, 
par M. H. Porrevn . . . . ARE à 
De la leucocytose dans la des UE M. de Dr a 
Sur le mécanisme de l’immunisation contre les venins, par 
MEME DEA ACACMENDE MS RERO AT Re 
Premières expériences sur l'emploi du sérum préventif et 
curatif de la fièvre jaune, par M. le D' J. Saxarezrr . . 


Des nucléines, par M. le Dr Nozr . . 


Étude expérimentale des altérations pathologiques pro- 
duites par les venins des serpents venimeux et des 
scorpions, par M. le D' Nowak . . , 

Recherches sur la production oo in bi SO DAS 
Dar MG: BERTRAND 20e AMAR PAR AT DER ur Re 

Sur la maturation des fromages, par M. Scamokicu. . . . . 

Note sur une petite épidémie de fièvre typhoïde d’origine 
hydrique, par M. le D'G. Scnnemer. . ,. *.. .. ... 

Statistique de l’Institut Pasteur hellénique d'Athènes, par 
M6 DE PAMPOURIS.174"0) 178 700 AMENER SA EES 


* 
SURLES p'oénzymes, par M° DUCLAUX 0 Re 


Recherches sur l’action sporicide du sérum, par M. le 
Dr Jos. Hazsan. . à ; 

Contribution à l’étude de He de VIs-à-VIs sn Late 
subiilis, par M. le D' PODBELSKT CAN SEE DRE AR 

Du pouvoir pénétrant de l’aldéhyde formique, ME M. le 
D' pe RECHTER . . 

Sur la conservation du Pate iphique dite le AE 7. 
M. le D' Bonn. : 

Sur l’immunité naturelle He organismes CR LEE 
contre les toxines, par M. le D' GENGou. . *. . . . . . 


Des albumines, par M. le D'P!Nogr.. 00 mn ee 


Sur le mode d'action du sérum préventif contre le rouget 
des porcs, par M. Fxéux MESNIL . . - . . . 


TABLE DES MATIÈRES. 


Contribution à l’étude de la plasmolyse chez les bactéries, 
par MM. Porwyssorsky et B. TARANOUKHINE. . . . . . . . 

Contribution à l'étude du venin des serpents, par M. 1 
D: WEHRMANN . . . . LEA 

Contribution à l’étude de Fos TA fee) Fa vin, Fe 
M. J. LaBorpe. 

L'Institut Pasteur de Fra Fe ace. etais Er 
nale, par M. le D' Errrerma pos Santos . . . . . . . . . 


Pesalbuinoides par MAP Nom 0, 2. Us 0 


Sur les relations qui existent entre la tuberculose humäine 
et la tuberculose aviaire, par M. Nocarp. . . . . . .. 

Une épidémie de paralysie ascendante chez les aliénés, 
rappelant le Béribéri, par MM. Cnanreuesse et Ramoxn. 

Note sur la bactériologie de la verruga du Pérou, par 
M. Cu. Nicozre . 

Le bacille de la diphtérie te Fe il + le Este 
DIU AU ONE EE EE PC RE e 

L’épidémie de peste de Djeddah en 1898, par M. Novury- 
LIRE 248 ROC ER A RSR POI RRRERECTE TT 


Du pouvoir bactéricide des leucocytes, par M. BESREDKA. . . . .. 


La Propagation de la peste, par M. P. Simonn . . . . . .. 
Sur l’agglutination et la dissolution des globules rouges 
paniesénuEn par MAJ BORDER... à: . . : 
Influence. favorable du chauffage du sérum antidiphté- 
rique sur les accidents post-sérothérapiques, par 
PR LES LI SR ONG RAR EL... 0, 
Préparation de la toxine diphtérique : suppression de 
l'emploi de la viande, par M. C. H. H. SrroNGK . . . . . 
La propagation de la peste, par M. le D' Hanxin. . . . .. 
Sur la reproduction de la substance antitoxique après de 
fortes saignées, par MM. C. Sacomowsen et T. Mans . 
Statistique de l’Institut antirabique municipal de Turin et 
notes de labd@htoire, Par Mile D: Fr, Asa. . . 1.0" 
Sur les aptitudes pathogènes des microbes saprophytes, 
NP ERENDE Se EME | . 0 à US 
Étude cytologique et cycle évolutif de la coccidie de la 
DEP Dan MEUSIEDERCRI 0/7... + . 5 1: UN 


991 


872 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


Études sur l'immunité vaccinale, par MM. Bécière, CHAMBON 


CtMÉNARD 2 AP UENIESRNE EL RENE RP CNE 
Note sur la contagiosité de la peste bovine au porc, par 
MM CARRE Li PR AIME AUDE EN ESRI AR RTE TR 848. 


Étude sur l’agglutination comparée du vibrion cholérique 

et des microbes voisins par le sérum spécifique et 

par les substances chimiques, par M. BossarrT. . . . . . 857 
Table des matières 08 ANR TM RER APNTE RENE 813 


TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS 


TRAVAUX ORIGINAUX 


FL SINES ERA PA EME Institut antirabique municipal de Turin. . 
BÉCLÈRE,  (CHAMBON et 
MRNARD REUTERS Immunitéivaceinale. 200, Au. Loue 
BERTRAND (G.). . .& . .. Production biochimique du sorbose. . . . 
ÉRBRRDIEA. un 2e releiene Leucocytose dans la diphtérie . . . . . .. 
BODINPE eme Vies ARC Bacille typhique dans le cidre. . . . . . ; 
BORDEL (JS) EL Agglutination et dissolution des globules 
ROUE SA ARE Pa nie msleet 1e ait Voie al 
RARRRRS te ete mp) ce 0 Voir Roux. 
BOSS ARR RARE A ques Agglutination des microbes. . . ....... 
CAMERA LUN Immunisation contre les venins. . . . . . 
CANTAGUZÈNE. 0-41... 1 Destruction des vibrions dans l'organisme. 
CARRÉ et FrArmBAULT. . |: Peste bovine chez le porc. . . .. ". . 4.1. 
CHANTEMESSE et RAMOND. . Paralysie ascendante chez les aliénés . . 
CHAMBUN 1 ee le Voir BÉCLÈRE. 
DUCLAUX. ot. Se Lois générales de l’action des diastases. . 
BRMASSEANS 6e ceci Voir Morax. 
FERREIRA DOS SANTOS. . . Institut Pasteur de Rio-Janeiro . ... .... 
FRAIMBAULT . . . . . . . .  VOir CARRÉ. 
ÉRNGOU LS 1e due Immunité des organismes cellulaires. . . 
RAR Nr el à Action sporicide du sérum . ........ 
ÉPAN TEE RE Eden air Propagation de la peste. . . . . . - : .… 
IPABOBDE 2 LUN. Asutecontenu/dans/le vin EE 
MANSEN ER Ces 4 Voir SALOMONSEN. 
RARE Re Sole. Propriétés antitétaniques des centres ner- 
TOUR :2}1, RD RS 62 102 RL MER ORESRRRERRRTr2 
MARINS PS CRC. Production de la toxine diphtérique. . . . 
MA ENT ..... Microbes des nodosités des légumineuses . 
— Mémestiee eus REA (e- 
MENARDE 4 .-. Voir BÉCLÈRE. 
MPTCENIROEr ee ee Influence de l'organisme sur les toxines . 


—- Même sujet (3e mém.) . .. 


ù K © & © +-e 


714 
837 
385 


305 
458 


688 


851 
343 
273 
848 
974 


96 
DA 
465 
417 


705 
917 


81 
263 


874 ANNALES DE L'INSTITUT PASTEUR. 


DIESNUL- Sp: LCR Sérum préventif contre le rouget. . . . .. 
MIN Re) (RAMÈNE Bacille de la diphtérie dans les organes . 
Morax et ELMassrAN. . . . Toxine diphtérique sur les muqueuses. . 
INICOLLE (CE) EME Recherches sur la substance agglutinée . . 

— Bactériologie de la verruga du Pérou , . . 
NocaRD.. . ... . .". . . Tuberculosehumaineet tuberculose aviaire. 

st EL ROUX PEUR Microbe de la péripneumonie . . . . .. ‘ 
NOURY-BEYA NEC Épidémie de-peste à Djeddah . ...... 
NOWAIG NES SENS Er, Altérations pathologiques produites par 

LS, SeNINSS NN RE PACS NT MENU EE 

PAMPODRIS ES EEE Institut Pasteur hellénique d'Athènes . . . 

LUE 1 ORPI VE ACTES Fermentation lactique des corps sucrés. . 

PoDBRLSE TA A AE 7e Immunité vis-à-vis du bacillus sublilis. . . 
Popwyssorsky et Tara- c 

NOURBINE 02 6 MORE Me Plasmolyse chez les bactéries, . . . . . …. 

DOPTEVINENE ANR E . Fermentation lactique...-.::..+. .:.-.-..,. 

— Vaccinations à l'Institut Pasteur en 1897. . 
RAMOND 4-2 tite -. Voir CHANTEMESSE. 

REGATER (DE) LEE UTN Pouvoir pénétrant du formol. . . ..... 
Roux et BorREz. . . . . . Tétañ pe CéTÉbre le PERS ECURIES NRA 
— vs ce Voir Nocarp. « 
DATIMBANT I TE MUR Destruction des microbes sous la peau des 
AUX animaux hypervaccinés . . . . . . . . . 
SALOMONSEN et MADSsEN . . Reproduction de l’antitoxine. . . . . .. .. 
DANARELLT), ob etes à dE Sérum préventif et curatif dela fièvre jaune. 
SCRIROKICH.- .. . , . : . . Maturation des fromages. . . . . . . . .. 
DCANEIDER 10 eu UE IE N Fièvre typhoïde d'origine hydrique . 
SIEDLECKI +... 0.0.2. à Chccidiede taserthe mire Te 
DIMOND ee RASE RATE Propasation de peste EEE MEAAREE 
SBRONCE PES lle Chauffage du sérum antidiphtérique . 

—. Préparation de la toxine PAS 
TARANOUKHINE* 224 0. Voir Popwyssorsky. ; 
NINCENT A USE RUILESE Microbes saprophytes et pathogènes. . . . 
NVEHRMANN. 1.0. 0e. Menin'des serpents #0 RSR ne 


REVUES ET ANALYSES 


BESREDRA? 0110 0 LIU 64 Pouvoir bactéricide des leucocytes . . . . . 
DucLaux. ... ... ..... …. Rapport au sujet du monopole de l'alcool. 
—, ,4 Sur l’origine des saccharomyces . . . . .. 

= Sur des proengymés..}. 1 14 REC 
None (Pl) 2. 27e SUL les Nucléinen "fee PEN ET Net 
— Sur les aÏbumines, "40 0e 
ne Sur les albuminoïdes . . . . « « , . . 0 
BRSREDEA | a 404 Pouvoir bactéricide des leucocytes. . . : . 


TABLE DES MATIÈRES. 875 


PLANCHES HORS TEXTE 


Planches Pete Mémoire de MMÉMAZES CR 128 
Planches III et IV. . . . . — NOWAKS SUPER RTE 369 
Planche VE Er R TR RNE = PODWYSSOTSKY. . . . . . 501 
PlanchenNi etes... — CHANTEMESSE. - - 0 574 
Planches VII, VIII et IX. - SIEDÉECKI. 228. eee 799 


Le Gérant : G. Masson. 


Sceaux, — Imprimerie E, Charaire, 


} 


(I N de. 
Ro pe on dy 74 AU APE port dry pue 5 ro 


k 
one fre 4 datant EU me 
Y 


A TAN 


Me ides de l'Institut Pasteur Pie 


| 
; 
d 


…VRoussel, del. & lith. Imp.A Lafontaine & Fils, Paris. 


L'INSTITUT PASTEUR. 


ANNALES DE 


Tirage LARGER, Paris. 


D: BURAIS, Ph. 


Annales de l'Insütut Pasteur 


Nowak del. V Roussel, lith 


Imp. À. Lafontaine & Fils, Paris 


de 


(2 
°9 


@ 
& 


3 


L 
2 


Es 


&} 


Annales de l Insutut Pasteur. 


V Koussel lith 


Nowak del 


Paris 


Imp. À. Lafontaine & Fils, 


— Annales de l'Institut Pasteur. i PLV 


Lun nt Œuœus— je \ 
case S — 

cs? | \ 

æ " 


V. Poussel, th. 


Imp. À. Lafontaine & Fils, Paris. 


ral “ L Cas 


AVIS 


= 
pme) 
Û 


ec LE ù + En 


Annales de l'Institut Pasteur. 


Imp.A Lafontaine & Fils, Paris 


V. Roussel, del & lith. 


PS PR EE 


LR. 


Annales de l'Institut Pasteur 


M. Siedlecki, del 


Imp.A.lLafontaine & Fils, Paris. 


FIVE 


V. Roussel, lith. 


Annales de l'Institut Pasteur PATES 


17 18 


M. Siedlechi, del. V. Roussel.lith. 


Inp . À. Lafontaine & Fils, Paris. 


UE 


Annales de l’Institut Pasteur 


V Roussel, lith. 


M.Siedlech, del. 


Imp. A. Lafontane & Hls, Paris. 


(JOURNAL DE MiCROBIOLOGIE) 


RONDÉES SOUS LE PATRONAGE DB M. PASTEUR 
ET PUBLIÉES 


PAR 


M DO CHAUX 


go . MEMBRE DE L'INSTITUT 
À NM ATEN UE PROFESSEUR À LA SORBONNE 
DIRECTEUR DE L'INSTITUT PASTEUR 


Assisté d’un Comité de rédaction composé de 


MM. CHAMBERLAND, chef de service à l'Institut Pasteur; 

D' GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine; 
METCHNIKOFF, chef de service à l’Institut Pasteur ; 

NOCARD, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort ; 

‘Dr ROUX, sous-directeur de l'Institut Pasteur; 

VD VAILLARD,; professeur au Val-de-Grâce, 


TOME DOUZIÈME 
1898 
AVEC NEUF PLANCHES 


PARIS 


MASSON ET cr, ÉDITEURS 
| LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 
F 120, BOULEVARD SAINT- -GERMAIN 


7 
Ÿ 
Î 
À 

île 
(A 


AE = 


ne. 


A ‘LA MÊME ne 


ae générale. 1 fort vol. dr. in £e avec da se 
Tome IL: Diastases, toxines et venins. 1 fort vol, ser. 
HEUTOS LILI A ML ns Sa AE RE RU Ts Ernie ALU DATE NS 
Pasteur. Histoire d’un ceurie par E. DubLiUR: Honie dé r Institut. 
fesseur à la Sorbonne, directeur de l’Institut Pasteur. 1 voluine gr. i 
400 pages avec 22 figures dans le texte. MSA ARE 


Les Maladies microbiennes des animaux, par Ep. NOCARD, profe 
l'Ecole d’Alfort, membre de l’Académie de médecine, et E. LEc 
professeur à l'Ecole vétérinaire de Toulouse. Deuxièine édition, Cr 
r'efondue. 1 fort Vol..gr. 1n-80% re Le ue Po 

Traité du Paludisme. par A, rar membre de l'Académie de m d 
membre correspondant de l’Institut de France et de l'Académie de méd 
de Saint-Pétersbourg, 1 vol, grand in-$, avec 27 figures dans le te 
une planche en couleurs. .,.,,......... fe CURE RE Re APE 

Leçons sur les Bactéries pathogènes faites à Hôte Dieu Ann 
P. DurLoce. 1 vol. in-& de 686 pages... NE AU L'ACPANT LOTUS 

Précis de Microbie : Technique et Che pathogènes, par MM. L.-H 
ue professeur agrégé à la Faculté de médecine, médecin des hôpit 

E.-J. MAssELIN, médecin-vétérinaire. Ouvrage couronné par la Fa 


médecine (Prix Jeunesse). 3° édition revue “et augmentée. 1 volume 


FOUPES LT, dre: AE ire LATuS HS HR tee OT DS EUR DC Re 
Précis de Bactériologie clinique, ae R+ WURTZ, professeur ao 
médecin des hôpitaux. Deusième édition, revue et augmentée. 1 vol. 
diamant avec tableaux synoptiques et figures dans le texte, ca 
toile... RCE OT A NE HU A A Manet. 
Technique bactériologique, par le Dr R: W URTZ, professeur Eu 
Faculté de médecine de Paris, médecin des hôpitaux. Deuxième & 
revue et corrigée. 1 vol. petit in-8° de l'Encyclopédie des Aide-M ému 
avec figures dans le texte RAA Stars ERA AN PE AT NUE ASTON 
Traité de Médecine, deuxième édition, publiée sous la tal 
MM, BouonaRp, profesceur de patholagie générale à la Faculté GS 
membre de l'Institut, et BRISSAUD, professeur agrégé à la Faculté de 
se de Paris, médecin de l'hôpital Saint- Antoine, par BaBinski, B 


Me Dur, GILBERT, GUIGNARD, L. GUINON, GEORGES GUINON, HAL 
Lamy, LE GENDRE, MARFAN, MARIE, MATHIEU, NETTER, ŒTTINGER, A) 
PETIT, RICHARDIÈRE, ROGER, RUAULT, SOUQUES, THOINOT, THIBIER 
FERNAND WipaL. 10 volumes grand in-8° avec figures dans le texte. 
sousCription.......... sas din es le a ets QUE BAe SAR NON MECS ARR 
Traité de Pathologie générale, publié par CH. BoucHarp, membre | 
V’'Institut, AE al à la Faculté de médecine de Paris. Ses de | 
des hôpitaux, 6 volumes grand in- _&e d'environ 900 pages, avec nomb 
figures daus le texte. Prix en’ Souscription. .4:,.:.,,4127. 44e 000 
Traité des Maladies de l'enfance, asie sous la FAT de MN. 
GRANCHER, professeur à la Faculté de médecine de Paris, membre. | 
l'Académie de médecine, médecin de l'hôpital ‘des Enfants: Mal 


médecin des hôpitaux. 5 forts vol. grand in-&e, avec figures d 
SABRE Ci SA 0 AA RU OR D DA DO to PALAU D pe A RER ST 


Sceaux — Imp. f Charaire, 


4 


caen 
ms CR 
LP TEA AN 


IBRARY 


BL 


Ï 


1 + 


olnititigh t RIRE 
H +! tale 

terite Saut 
Hal . ON tt, 
ARARNTE LEE IR TERMES ES CN NII N 
Hs RE Me 
ï Sun | NE 
FE | HU 
RICte sl siotetl ensgie 


est atetitst ? 
tnt | qu PT UTE 
fee L 
“ SN Fe 


‘ 
À 
1 
: 


mn 


+ 


2e 


HE 


_” 


ze: 
2: 


LL 


HIDE 


Tres 
3er 


3: 


a 


Pre 
F 


nl 
{2 Lotélolélelshele 
(gl. RAA ES 
HT UNE 
LÉ Ha HAUTE 
Te me 


E- 


525 


» nn E 
Hi 


HET 
22 
25 


7: 


#4 
Ole TETE PIE 
NARAHAAMRE 
MAR N 
1h Cr 
Preleteren ter 
4844 
HiHMMHHE 


— 4 
ess 
HIT 
RésSs sers 
. 2e 
Fee =: 


z 
2 


AT 


. 


+212 


THERE 
steleeiee 


iel 
Hélélelete 

RAA 

Hoteiel 


* 


M: 
pa 


2 
+ 


24 
+ 
pe 


622 ei 
PTE è à et 
M pas VE 4 E4 24 Had 4sl 
: + stat TS Ta Loto lel 
tele eieit à loiste AA 

AMI 4 £ s le 


holelolételetats 


” 


ki 


Ion 
{ 


22 
” 
F 


fs 
ii: 


+4 hs. 
lélelots 


2 


PRISE 


rater: AA, 
létetets HAT AA 


325 


HA: 


Tite 
hit 


titielrls 
k qu 


23! 


HRHAT 
ipitletrtes 


ie * 
F1 ù 
rt 


ire i Tete TETE fs IDE { triely 


4h 
init 


(pie 
ME rer 4 ai 
tele) 
StoleritiTiPEes { étetl } | | À ei eie era 
piotpistetelitete e 4 
tel 


tin 
MAR ER 
fist 
pe 
setstetel tes s'étale) 
RSI)! # 
Itiririee aieierniel 
ik 
nletét:1i71elel 


He lerel 
16 rit dit 


% 
FR 
1006 


jte