Skip to main content

Full text of "Annales de la science agronomique franaise et trangre"

See other formats


cr neeq LS 


, LA < | : . 
PMR TS NN D SUN E ES D À NN TUE EE ES LT NT NE EP SERRES RER Réel RESTE Date Conan cdd IE Er ni s RL RAR LAN SE nee 2 ARRERRS TER UNS 


LES CEE : 
: ENTRE T | NP | 


nn [a | 
SR — 
: M . F 


re. 


ga 


| Ent, 


1 

ES 
L'AD:: 
L'È 


TP ne 
D! + ra 2. 


ANNALES 


SUIENCE AGRONOMIQUE 


FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE 


Comité de rédaction des Annales. 


Rédacteur en chef : 


L. GRANDEAU, directeur de la Station agronomique de l'Est. 


U. Gayou, directeur de la Station agro- 
nomique de Bordeaux. 

Th. Schlæsing, membre de l'Institut. 

M. Th. Schlæsing, fils, membre de l’Ins- 


titut, directeur de l’École des manu- 
factures de l'État, 


E. Risler, directeur honoraire de l’Ins- 
titut national agronomique. 


L. Mangin, docteur ès sciences, pro- 
fesseur au lycée Louis-le-Grand. 

A. Müntz, membre de l'Institut. 

Ed. Henry, professeur à l’acole na- 
tionale forestière. 

E. Reuss, inspecteur des forèts à Fon- 
tainebleau. 

C. Flammarion, directeur de la Station 
de climatologie agricole de Juvisy. 


Correspondants des Annales pour les colonies 
et l'étranger. 


GOLONIES FRANÇAISES. 


H. Lecomte, docteur ès sciences, pro- 
fesseur au lycée Saint-Louis. 

; ALLEMAGNE. 

L. Ebermayer, professeur à l’Univer- 
sité de Munich. 

J. Kônig, directeur de la Station agro- 
nomique de Münster. 

Fr. Nobbe, directeur de la Station 
agronomique de Tharand. 

Tollens, professeur à l'Université de 
Gôttingen. 

0. Kellner, directeur de la Station de 
Môckern. > 
ANGLETERRE. 

R. Warington, à Harpenden (Herts). 
Ed. Kinch, professeur de chimie agri- 
cole au collège royal d'agriculture 

de Cirencester. 


BELGIQUE. 


Grégoire, directeur de l’Institut chi- 
mique et bactériologique de l'État 
(Gembloux). 

Graîftiau, directeur du laboratoire agri- 
cole de Louvain. 


CANADA. 
Dr 0. Trudel, à Ottawa. 


ÉCOSSE, 
T. Jamiesen, directeur de la Station 
agronomique d’Aberdeen. 


ESPAGNE ET PORTUGAL. 
Joâo Motta dâ Prego, à Lisbonne. 


ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 


E. W. Hilgard, professeur à l'Univer- 
sité de Berkeley (Californie). 


HOLLANDE. 


A. Mayer, directeur de la Station agro- 
nomique de Wageningen. 


NORWÈGE ET SUÈDE. 
Dr Al. Atterberg, directeur de la Sta- 
tion agronomique et d'essais de se- 
mences de Kalmar, 


SUISSE. 


E. Schultze, directeur, du laboratoire 
agronomique de l'Ecole polytech- 
nique de Zurich. 


RUSSIE. 


M. Ototzky, conservateur du musée 
minéralogique de l’Université impé- 
riale de Saint-Pétersbourg, rédacteur 
en chef de la Pédologie. 


Nora.— Tous les ouvrages adressés franco à la Rédaction seront annoncés dans 
Le premier fascicule qui paraîtra après leur arrivée. Il sera, en outre, publié, 
s'il y a lieu, une analyse des ouvrages dont la spécialité rentre dans le cadre 
des Annales (chimie, physique, géologie, minéralogie, physiologie végétale et 
animale, agriculture, sylviculture, technologie, etc.). 

Tout ce qui concerne la rédaction des Annales de la Science agronomique 
française et étrangère (manuscrils, épreuves, correspondance, etc.) devra être 
adressé franco à M. L. Grandeau, rédacteur en chef, 48, rue de Lille, à Paris, 


ANNALES 


DE LA 


SCIENCE AGRONONIQUE 


FRANCAISE ET ÉTRANGÈRE 


ORGANE 
DES STATIONS AGRONOMIQUES ET DES LABORATOIRES AGRICOLES 


PUBLIÉES 


Sous les auspices du Ministère de l'Agriculture 


PAR 
Bottes GR ANDEAU 


DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DE L'EST 

MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'AGRICULTURE DE FRANCE 
RÉDACTEUR EN CHEF DU « JOURNAL D'AGRICULTURE PRATIQUE » 

MÉTIERS 


PROFESSEUR AU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET 
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES STATIONS AGRONOMIQUES 


VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D'ENCOURAGEMENT A L'AGRICULTURE 
MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AGRICULTURE 


2: SÉRIE — HUITIÈME ANNÉE — 1902-1903 


Tome Il. 


Avec figures dans le texte. 
BERGER-LEVRAULT ET C*, LIBRAIRES-ÉDITEURS 
NANCY 


PARIS 
18, RUE DES GLACIS 


5, RUE DES BEAUX-ARTS 


1903 


ROYAUME DE BELGIQUE 


MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE 


TRAVAUX DE LA COMMISSION 


CHARGÉE DE 


L'UNIFICATION INTERNATIONALE 


DES 


MÉTHODES D’ANALYSE 


ce 


PROCÉS-VERBAL 


de la sixième assemblée des délégués des Laboratoires belges, des 
Stations agronomiques néerlandaises, de la station agricole du 
grand-duché de Luxembourg et d’un délégué du gouvernement 
français, tenue à Bruxelles les 19, 20 et 21 juin 1902. 


Séance du 19 juin à 14 heures. 


Présents : MM. Petermann, directeur de la station agronomique 
et bactériologique de l’État à Gembloux, représentant la commis- 
sion de surveillance des laboratoires d'analyses de l’État belge, pré- 
sident ; 

Van der Zande, directeur de la station agricole de Hoorn ; 

L. Grandeau, directeur de la station agronomique de l'Est, à Paris, 
inspecteur général des stations agronomiques de la République fran- 
çaise, délégué du gouvernement français ; 

Sjollema, directeur de la station agricole de l'État, à Groningue ; 

Jacqmart, directeur du laboratoire agréé, à Carlsbourg ; 


ANN. SCIENCE AGRON, — 9€ &£RIE. — 1902-1903. — 11. Î 


2 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Swaving, directeur de la station agricole de l’État, à Goes, secré- 
taire ; 

Crispo, directeur du laboratoire d'analyses de l’État, à Anvers, 
secrétaire ; 

Aschman, directeur de la station agricole d’Ettelbrüch, délégué 
du gouvernement du Grand-Duché, est absent pour motif de santé. 


En l’absence de M. le Ministre de l’agriculture, que les soins de sa 
santé retiennent à l'étranger, M. Proost, directeur général, ouvre la 
séance en souhaitant la bienvenue aux membres de la conférence 
et le succès à leurs travaux. 


M. Petermann, président, fait l’éloge de la conférence, et fait res- 
sortir la haute utilité de l’entente internationale sur les méthodes 
d'analyses, intéressant les différents pays liés entre eux par des rap- 
ports commerciaux journaliers et importants ; se félicite des résultats 
acquis et espère que, par l’adhésion d’autres pays, la conférence 
pourra rendre encore de plus grands services. Il est heureux de 
constater à celte assemblée la présence de son ancien maître et ami, 
M. Grandeau, l’un des plus illustres représentants de la science 
agronomique française. Il espère qu’étant tous animés du désir de 
trouver une formule de conciliation, cette nouvelle conférence mar- 
quera un nouveau pas dans la voie de l'entente et du progrès des 
méthodes analytiques. 

M. Grandeau remercie M. Petermann en particulier et les membres 
de l’assemblée de l'excellent accueil qu’on lui témoigne et lit la lettre 
par laquelle M. le Ministre de l’agriculture, en le chargeant de le 
représenter à la conférence, déclare que celle-ci n’ayant pas un ca- 
ractère diplomatique, son représentant ne peut engager le gouverne- 
ment français, et son adhésion aux résolutions de la conférence ne 
pourra avoir, pour le moment, qu’un caractère personnel, le gou- 
vernement se réservant de statuer, le cas échéant, après le rapport 
de son représentant, et l'avis du comité consultatif des stations agro- 
nomiques françaises. 

On entame l’ordre du jour en suivant le programme annexé à la 
convocation. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 3 


a) Revision de la rédaction des méthodes de convention. 


(Imprimé n° 6, janvier 1901.) 


L'imprimé est examiné page par page. Les modifications de 
rédaction et les compléments aux méthodes analytiques sont indiqués 
dans l’imprimé ci-joint. Des changements ont été apportés aux pages 
suivantes : pages 9, 12, 13, 14, 15. 

Au sujet du dosage de la potasse dans les sels bruts de Stassfurt, 
M. Sjollema propose de remplacer le chlorure de baryum par le 
carbonate de baryte dans l’analyse des sels bruts contenant du sulfate 
et chlorure de magnésium. (Voir méthodes proposées.) 

Des changements sont aussi apportés aux pages 17, 19, 20. 

A la page 21, on complète l’article relatif à l’analyse des substan- 
ces alimentaires du bétail par un paragraphe spécialement réservé à 
l'analyse des aliments mélassés. 


La séance est levée à 17 heures. 


Séance du 20 juin à 10 heures. 


On reprend l’examen de l’imprimé à la page 21 : Préparation des 
réactifs. 

En présence des différences entre les formules indiquées pour la 
préparation du nitro-molybdate d’ammoniaque, on adopte la propo- 
sition de M. Van der Zande ainsi formulée : On peut préparer le nitro- 
molybdate soit par l’acide molybdique, soit par le molybdate d’am- 
moniaque, en ayant soin que le réactif préparé contienne par litre : 
oo grammes d’acide molybdique, 20 grammes d’ammoniaque et 
250 grammes d’anhydride azotique. En partant de l’acide molybdique, 
la formule est celle-ci : 110 grammes d’acide molybdique sont dissous 
dans 400 centimètres cubes d’ammoniaque à 0,96, et versés lente- 
ment dans 1 500 centimètres cubes d’acide nitrique à 1,20. Le mo- 
lybdate d’ammoniaque n’a pas une composition constante (AzH“O, 
Mo0* ou 3AzZH*0, 7Mo* + 4aq), et perd peu à peu de l’ammonia- 
que. Sa composition doit donc être vérifiée à chaque préparation. 


4 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


On dissout le molybdate d’ammoniaque cristallisé dans l’eau chaude, 
on neutralise la solution par de l’ammoniaque et on la verse dans 
l’acide nitrique. 


b) Demande des chimistes belges d'ajouter le dosage du perchlorate 
dans le ratrale et celui du fer et alumine dans les phosphates. 


M. Petermann, sur une proposition des chimistes belges, demande 
à l'assemblée si elle ne serait pas d’avis de faire suivre les méthodes 
conventionnelles officielles d’autres méthodes de dosages complé- 
mentaires, indispensables dans l’état actuel du marché des engrais, 
telles que : la recherche et le dosage du perchlorate dans le nitrate, 
le dosage du fer et de l’alumine dans les phosphates, la méthode 
ütrimétrique pour la vérification du dosage de l’acide phospho- 
rique. 

Ces méthodes ne feraient pas partie du texte de la convention, 
mais lui seraient annexées comme méthodes proposées, que chacun 
aurait le loisir de vérifier avant de les faire entrer parmi les métho- 
des officielles. 

L'assemblée adhère à cette proposition, et on soumet à la discus- 
sion le dosage du perchlorate. 

Le dosage du perchlorate, dit M. Petermann, est devenu indispen- 
sable depuis que sa nocuité a été bien établie et que les gouverne- 
ments européens envisagent les mesures de protection à prendre 
pour empêcher l'introduction des nitrates perchloratés. Ses expé- 
riences sur les céréales ont porté la tolérance à environ 1 p. 100, 
limite généralement admise aujourd’hui. 

Il fait connaître qu’à la station agronomique de Gembloux, on 
emploie la méthode Breukeleveen, au chlorure de rubidium, pour la 
recherche microscopique du perchlorate, et la méthode Brasseur 
pour son dosage. 

M. Sjollema fait ressortir le peu d'utilité du dosage du perchlorate. 
Ce sel toxique ne se rencontre pas uniformément dans un charge- 
ment, mais il est accidentel dans le nitrate de certaines fabriques 
mal outillées, et souvent il est concentré dans quelques sacs seule- 
ment : tel sac ne contiendra rien, tel autre donnera 1, 2 et même 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’'ANALYSE. 5 


15 p. 100, tandis que l’analyse moyenne de la cargaison n’indiquera 
généralement que des traces non dosables de perchlorate. Il croit, 
en somme, qu'il est préférable d’agir par voie diplomatique. 

M. L. Grandeau donne connaissance dés démarches faites par le 
gouvernement français auprès du gouvernement chilien, qui est le 
premier intéressé dans la question, ainsi que des mesures de défense 
que le gouvernement français se propose d’adopter. 

C’est à l’origine, en contrôlant la fabrication, qu’il sera possible 
de prendre des mesures efficaces ; et il faut croire que quelque chose 
a été fait à ce sujet, si on peut en juger par les dosages en perchlo- 
rate des cargaisons de ces dernières années, dosages qui sont tombés 
en dessous de 1/2 p. 100. 

M. Sjollema décrit son procédé de dosage, fondé sur le fait qu'il 
n’y a pas de différence entre la température de décomposition du 
perchlorate et celle de volatilisation du chlorure de potassium, ce 
qui oblige le chimiste à prendre certaines précautions pour éviter 
des erreurs. 

L'assemblée convient de proposer la méthode Breukeleveen pour 
la recherche, et la méthode Sjollema pour le dosage du perchlo- 
rate. 


Dosage du peroxyde de fer et de l’alumine. — Cette question 
avait été écartée Jusqu'ici parce que le phosphate n'avait pas encore 
été considéré par lui-même comme un engrais, mais seulement 
comme une matière première pour la fabrication des superphospha- 
tes ; et pour les pays où l’achat de cet engrais a lieu au titre d’acide 
phosphorique soluble dans le citrate d’ammoniaque, la teneur du 
phosphate en fer et alumine ne présente pas un réel intérêt. Mais à 
la suite des expériences très concluantes de M. Grandeau, le phos- 
phate brut devant être considéré aujourd’hui, dans certaines condi- 
tions, comme un véritable engrais, il y a lieu de doser dans les 
phosphates le fer et l’alumine. 

M. Crispo déclare qu’une méthode de précision pour ce dosage 
n'existe pas encore, qu'il a essayé toutes les méthodes proposées et 
qu'il a reconnu que celles où le dosage a lieu sous forme de phosphate 
de fer et d’alumine doivent être écartées comme ne méritant pas 


6 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


assez de confiance. Il a cherché et publié un procédé qui a été suc- 
cessivement perfectionné, et tout récemment le professeur Gillet de 
Verviers a appelé son attention sur l'influence du fluor dans le dosage 
de l’alumine. Cette influence a été vérifiée et le procédé a subi un 
dernier perfectionnement. L'assemblée décide que la méthode de 
M. Crispo sera insérée parmi les méthodes proposées. 


c) Dosage de l'azote total d'aprés Forster. 
(Rapporteur : M. Cnisro.) 


M. Crispo donne lecture du résultat de ses expériences. 

Description du procédé : 1 gramme de matière enveloppé dans un 
papier de soie est introduit dans le ballon à désagrégation, on ajoute 
15 centimètres cubes d’acide sulfurique à 66° B. contenant 6 gram- 
mes de phénol pour 100 centimètres cubes. On agite jusqu’à dis- 
solution complète, en chauffant doucement au besoin. On ajoute 
ensuite à grammes d’hyposulfite de soude, agite, chauffe dix minu- 
tes, et, après complète décomposition, on additionne encore de 
10 centimètres cubes d’acide sulfurique, et à ce moment on ajoute 
le mercure ou le bioxyde de mercure. On termine comme dans la 
méthode Kjeldhal. 


Gr. C. M. RE Gu. Ru. 
Nitrate de potasse dosant 13,66 Ex on + 


D'AZODE LENS EL RON RUE MEET PISTE ES SOS DL OMES OEM SONORE 
Mélange en parties égales de nitrate 

de potasse et poudre de corne à 

19, 591 'AZOÏG" 3%. ses AAA 20 LAN 20 19,20 19 20 TE TN 


Cette méthode donne de bons résultats, elle est un peu plus expé- 
ditive que la méthode Kjeldhal-Jodlbauer. 

M. Swaving ajoute que ce procédé a été aussi essayé à Goes sur 
des guanos et il a constaté que, pour des dosages ordinaires, il donne 
de bons résultats; mais au-dessus de 7 p. 100, il y a de sensibles 
différences. Il a aussi observé que la distillation a lieu plus réguliè- 
rement. 

Ce procédé donne lieu à un fort dégagement d’acide sulfureux 
et comme, somme toute, il ne réalise pas un grand progrès sur le 
procédé ordinaire, il n’est pas adopté. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 7 


d) Appréciation de la purelé des tourteaux 


(Rapporteurs : MM. Swavine et Crisro.) 


M. Swaving a reçu M. Crispo à Goes, où un mélange de farine de 
lin et de colza fut examiné par la méthode hollandaise. Les résultats 
ont été satisfaisants; cependant M. Crispo ne croit pas à la nécessité 
d'employer une formule, et il estime qu’en appréciant pour chaque 
champ microscopique exploré le pour cent de pelures étrangères par 
rapport au lin, on arrive au même résultat. Au laboratoire d'Anvers, 
on se sert à cette fin d’un quadrillé de 5 millimètres carrés divisé 
en cent cases. La farine de lin est séchée à 100 degrés et finement 
broyée. Sur une prise d’essai colorée par l’iode, on apprécie le pour 
cent d’amidon. On extrait la cellulose d’une autre prise d’essai, et on 
l’examine sur le quadrillé. 

La technique hollandaise est plus méthodique et consiste à explo- 
rer un grand nombre de champs sur trois lignes parallèles de la pré- 
paration, au moyen du chariot. On compte le nombre de pellicules 
extérieures du lin et les pellicules étrangères. Une formule donne le 
pourcentage. 

MM. Swaving et Crispo continueront à étudier cette importante 
question, intéressant particulièrement Goes et Anvers, et en présen- 
teront un rapport à la prochaine réunion, afin d’arriver à une me- 
sure définitive. 

On décide d'introduire la description de la méthode hollandaise 
parmi les procédés à l’étude. 


La séance est levée à 13 heures. 


Séance du 20 juin, à 15 heures. 


e) Titration du phospho-molybdate, d’après Pemberlon, comme 
contrôle rapide des dosages obtenus par la méthode officielle. 


M. de Molinari, directeur du laboratoire de l’État à Liège, a étudié 
et perfectionné ce procédé. Il a invité ses collègues pour aller le voir 
pratiquer dans son laboratoire, M. Petermann y a délégué son pré- 


8 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


parateur, M. Grégoire, qui a eu des résultats d’une concordance très 
remarquable consignés ci-après : 


22 janvier 4901. — Solutions différentes. 


NATURE DE L'ÉCHANTILLON. PESÉE. MA 
Superphosphate . . . . . 14,13—14,08 14,00 
SODTIPS RAS AUS MT 17,13 16,95 
SD HAENBCMNNS. NATS 18,48 18,35 
OPA A PPS RE 13,34 13,35 
RP AE pe DNA era 15,74 15,73 
PR Pc ANR ART IRREE 4 Le 17,64 17,60 
ES EE ENTER LT He 17,46 17,47 
PER NU EM ATÉE 16,44 16,35 
RS NL AN DA TS PA 19,61 19,50 
ET SN STADE RTE 19,66 19,60 
PhOSPha le Eee RE 21,56 21,60 
== RMS TPE 24,06 24,00 


Durée d’un dosage la solution étant faite : 20 minutes. 

M. Petermann croit que le titrage du phospho-molybdate n’est 
pas en défaut, mais bien la composition du précipité lui-même, qui 
parfois est impur ; toutefois, en opérant la précipitation à froid, on 
obtient un phospho-molybdate très pur, donnant des résultats exacts 
et concordants. Ce procédé est beaucoup employé en Belgique. 

MM. Van der Zande, Sjollema et Swaving le pratiquent aussi pour 
l'analyse des scories, mais pas pour celle des superphosphates. Pour 
contrôler celles-ci, ils emploient la méthode Gréte *. M. Sjollema l’a 
appliquée à 193 analyses de scories, avec la modification de M. Nys- 
sens (précipitation à froid en présence de citrate d’ammoniaque et 
lavage avec de l’eau saturée de phospho-molybdate). 


Ïl à eu : 
55 résultats supérieurs à la pesée, 
77 résultats inférieurs à la pesée, 
61 résultats égaux à la pesée. 


193 


M. Jacqmart n’a pas toujours eu de bons résultats, et parfois le 


1. Voir Kônig, Die Untersuchung landwirtschaftliche Stoffe, 2° édition, P. Parey, 
Berlin, 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 9 


liquide étant bleu, la titration était très difficile. Il communique les 
résultats ci-dessous : 


NATURE DE L'ÉCHANTILLON. PESÉE. TITRE. 
Scories DAS Ter à 16,05 15,90 
— LA MERE 17,92 17,55 
— 18 RATE Le 17,66 17,40 
— TL on Hé  l 10,68 9,80 
— DOPHÉRMRE ETES Fe 15,61 15,90 
_ D FT ANA NES 16,84 16,60 
— SE) SOMRERCERANE 14,66 12,90 
— PH ARE AR 14,43 14,40 
— RADAR re 4e 15,20 15,00 
Phosphate bisodique. . . . 50,12 50,00 
_— précipité 7,77. 34,66 35,00 
PURITEM OS EN TS 23,86 25,00 
Phosphale Ciply. . . . . . 10,17 10,10 
— Diéges at rt 217,23 26,80 
EY PÉTER PR de ESA 12,60 
Superphosphate. . . . . . 12,68 12,70 
— Foie 14,76 16,30 

Fe LAELL Prat 12,86 12,80 

= Ce 15,88 16,30 


Les expériences de M. Crispo ont été publiées dans le compte rendu 
précédent. L'assemblée décide que le texte de de Molinari sera inséré 
dans les méthodes proposées. 

M. L. Grandeau donne communication de la méthode française par 
pesée du phospho-molybdate. 


La séance est levée à 17 heures et demie. 


Séance du 21 juin, à 10 heures. 


Î) Objets divers. — Analyse des aliments mélassés. 


M. Crispo fait remarquer que le dosage par polarisation directe 
n’est applicable qu'aux aliments fraîchement préparés. Peu à peu le 
sucre s’inverüt, et, au bout de quelque temps, on trouve plus d’in- 
verti que de saccharose. Cette transformation a lieu rapidement si 
l'aliment contient des radicelles de brasserie, ou pas assez de sucre, 


10 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


ou trop d’eau. Au laboratoire d'Anvers, on invertit toujours lout le 
sucre, on le dose par le cuivre et on le calcule en saccharose. Ce pro- 
cédé, très exact, qui présente aussi l’avantage de renseigner sur la 
quantité exacte de sucre employé dans la fabrication, offre l’incon- 
vénient d’être trop long. 

M. Van der Zande expose le procédé employé en Hollande, procédé 
plus expéditif, qui consiste à opérer d’abord la double polarisation, 
et c’est seulement dans le cas où la différence dépasse 3 p. 100 que 
l’on dose le sucre par le cuivre. Ce procédé est adopté. On convient 
donc de supprimer les nota bene des pages 19 et 20, et de compléter 
le paragraphe relatif à l’analyse des aliments du bétail par l’analyse 
des aliments mélassés. 

À la demande de M. Swaving, appuyée par M. Grandeau qui 
apporte l'autorité de ses expériences personnelles et celles de 
M. Kellner, il est convenu qu’à l'avenir on ne dosera plus l'azote dans 
la tourbe-mélasse. 


L'ordre du jour étant épuisé, M. Grandeau lit la déclaration sui- 
vante : 

M. L. Grandeau a pris part, avec grand intérêt, aux discussions de 
la conférence. 

Il à fait connaître les méthodes officielles adoptées par le Comité 
consultatif des stations agronomiques et des laboratoires agricoles ; 
il a constaté avec satisfaction que les méthodes, sanctionnées jusqu'ici 
par la conférence, concordent, à certains détails près, avec les mé- 
thodes françaises. 

Le délégué du ministère de l’agriculture s’empressera de commu- 
niquer à l’administration de l’agriculture les résolutions adoptées par 
la conférence de Bruxelles. L’entente, si désirable au point de vue 
des intérêts du commerce international, sur les méthodes propres à 
fixer la valeur des matières fertilisantes et des denrées alimentaires 
du bétail, semble facile à réaliser. ‘ 

Cependant, la mission dont il a été chargé par le gouvernement 
français n’autorise pas M. Grandeau à prendre d’engagement ; il en 
référera au Ministre de l’agriculture, et rendra compte de la décision 
du ministère à la prochaine conférence internationale. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. {1 


Avant de se séparer, l'assemblée charge le bureau de vouloir faire 
les démarches nécessaires auprès du gouvernement grand-ducal pour 
que la prochaine assemblée ait lieu à Luxembourg. 


Les secrélaires, 
SWAVING ET CRISPO. 


MÉTHODES DE CONVENTION 


POUR L’ANALYSE DES MATIÈRES FERTILISANTES ET DES SUBSTANCES 
ALIMENTAIRES DU BÉTAIL 


Janvier 1903. 


Les transactions commerciales entre les Pays-Bas et la Belgique, 
particulièrement le commerce des phosphates, superphosphates et 
tourteaux, ont pris depuis quelques années un développement im- 
portant. 

Afin d'amener une entente sur les procédés analytiques à suivre 
pour fixer les titres en principes actifs des produits passant la fron- 
tière, le gouvernement néerlandais et le gouvernement belge, de 
commun accord, ont réuni, en 1897, en deux conférences, des délé- 
gués des deux pays. 


Assistaient à la réunion de La Haye : 

M. Hoogewerff, professeur de chimie à l’École polytechnique de 
Delft, représentant la Commission de surveillance des Stations agri- 
coles hollandaises ; 

M. Holleman, professeur de chimie à l’université de Groningue ; 

M. Van der Zande, directeur de la Station agricole, à Hoorn ; 

M. Swaving, directeur de la Station agricole à Goes, représentant 
les Stations agricoles néerlandaises ; 

M. Petermann, directeur de la Station agronomique de Gembloux, 
représentant la Commission de surveillance des Laboratoires d’ana- 
lyses de l’État belge ; 

M. Crispo, directeur du Laboratoire de l'État, à Anvers, représen- 
tant les Laboratoires de l’État belge ; 


12 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

M. de Ridder, chimiste à Bruges, représentant les chimistes agréés 
par l’État belge. 

La réunion de Bruxelles comptait les mêmes chimistes délégués, 
sauf M. Hoogewerff, remplacé par M. Wysnann, professeur de chi- 
mie à l’Université de Leyde. 

M. Holleman présidait la conférence de La Haye, M. Petermann 
celle de Bruxelles. 

MM. Swaving et Crispo ont rempli les fonctions de secrétaire-rap- 
porteur. 

La discussion détaillée des méthodes analytiques et les essais com- 
paratifs faits par les chimistes des deux pays ont donné lieu à l’adop- 
tion définitive de la présente convention. 

On remarquera que, pour la plupart des dosages, un seul procédé 
d'opération est renseigné. Lorsque deux méthodes sont décrites pour 
la détermination du même principe fertilisant ou du même principe 
alimentaire, le chimiste peut choisir, à sa convenance, entre les deux 
procédés, ceux-ci ayant été reconnus comme fournissant les mêmes 
résultats. 

Les délégués des deux pays sont convenus, en outre, de soumettre 
les méthodes adoptées à une revision, chaque fois que les progrès de 
la chimie analytique le rendront nécessaire. 


La première revision de la présente convention a eu lieu dans une 
conférence tenue en janvier 1899, à Goes. 

Y assistaient : MM. Holleman, Van der Zande, Swaving, Peter- 
mann, Crispo et de Ridder, prénommés, ainsi que M. le D° C. 
Aschman, directeur de la Station agricole d’Ettelbrück, délégué du 
souvernement du grand-duché de Luxembourg. La conférence de 
Goes était présidée par M. Holleman, les fonctions de secrétaire 
étaient remplies par MM. Swaving et Crispo. 

En octobre 1899, les mêmes délégués se sont réunis à nouveau à 
Luxembourg, sous la présidence de M. Aschman. M. Holleman était 
remplacé par M. le professeur Wysman; secrétaires-rapporteurs : 
MM. Swaving et Crispo. 

La réunion annuelle de 1900 a eu lieu les 5 et 6 octobre 
La Haye. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 13 


Étaient présents : MM. Van der Zande, Swaving, Wysman, Asch- 
man, Petermann et Crispo prénommés, Jacqmart, directeur du labo- 
ratoire agréé de Carlsbourg, remplaçant M. de Ridder, et Sjollema, 
directeur de la Station agricole de Groningue ; président : M. Van der 
Lande ; secrétaires-rapporteurs : MM. Crispo et Swaving. 

Une sixième réunion a été jugée nécessaire en 1902. Elle eut lieu 
à Bruxelles, au mois de juin, sous la présidence de M. Petermann. 


Y assistaient : 

MM. Van der Zande, Sjollema, Swaving, Crispo, Jacqmart. M. Asch- 
man était absent pour motifs de santé. Le gouvernement français v 
avait délégué M. L. Grandeau, inspecteur général des stations agro- 
nomiques françaises, directeur de la station agronomique de l'Est. 

La présente publication annule celle de janvier 1901, n° 6, des 
documents officiels concernant le service des laboratoires d’analyses 
de l’État et des laboratoires agréés par l’État. 


MATIÈRES FERTILISANTES 


I. — Azote. 


Azole ammoniucal (sulfate d’ammoniaque). 


Peser 10 grammes. Introduire avec de l’eau distillée dans un 
ballon d’un litre. Porter au volume. Filtrer s’il v a lieu. Distiller 
90 centimètres cubes avec environ 3 grammes de magnésie calcinée. 
Recueillir l’ammoniaque dans 20 centimètres cubes d’acide sulfu- 
rique titré demi-normal. Titrer l’excès d’acide par une solution alca- 
line, de préférence de l’eau de baryte un quart normale. 


Azole nilrique. 
A) Méthode Schlæsing-Grandeau. 


a) Nitrate de soude. — Peser 16£,5. Introduire avec de l’eau 
bouillie dans un ballon d’un demi-litre. Porter au volume. Traiter 
10 centimètres cubes dans l'appareil Schlæsing avec 50 centimètres 
cubes d’une solution de chlorure ferreux saturée à froid et le même 


14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


volume d’acide chlorhydrique concentré. Rincer l’entonnoir avec de 
l'acide chlorhydrique demi-dilué. Comparer le volume obtenu avec 
celui produit dans les mêmes conditions par 10 centimètres cubes 
d’une solution type de 33 grammes de nitrate de soude pur et sec 
par litre. Avoir soin de ne remplir les tubes gradués qu’avec de 
l’eau distillée froide, fraîchement bouillie ; chasser l'air de l’appa- 
reil en introduisant un peu de nitrate ; en cas de plusieurs dosages, 
prendre le titre au milieu de la série. 


b) Nitrate de potasse. — Peser 20 grammes. Introduire avec de 
l’eau bouillie dans un ballon d’un demi-litre. Porter au volume. 
Opérer sur 10 centimètres cubes. Liqueur type : 40 grammes de 
nitrate de potasse pur et sec par litre. 


B) Méthode Ulsch. 


Cette méthode n’est pas applicable en présence des sels ammo- 
nlacaux. 

Peser 10 grammes. Introduire avec de l’eau distillée dans un 
ballon d’un demi-litre. Porter au volume. Introduire 25 centimètres 
cubes de la solution dans un ballon, ajouter 5 grammes de fer 
réduit par l'hydrogène et 10 centimètres cubes d’acide sulfurique 
dilué (un volume d’acide concentré sur deux volumes d’eau distillée). 
Placer le bouchon avec déflegmateur, chauffer à petit feu, écarter la 
flamme pendant le dégagement des gaz, chauffer encore légèrement 
pendant cinq minutes. Introduire le contenu du déflegmateur dans 
le ballon, puis encore 100 centimètres cubes d’eau distillée. 

Distiller avec environ trois grammes de magnésie calcinée (ou 30 
centimètres cubes d’une solution de soude caustique densité 1,25), 
continuer comme le dosage de l’azote ammoniacal. 


Azole organique. 

A) Méthode Kjeldahl. 
Quantités à peser : 
Sang, Corne . 


Cuir, laine, tourteaux, engrais de poissons. 
Poudre d'os . 


gramme 


D Ten 


1 = 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 1) 


Introduire la pesée dans un ballon. Ajouter, suivant l'importance 
de la prise d'essai, 10 à 20 centimètres cubes d’acide sulfurique à 
66° B., renfermant 10 p. 100 d'acide phosphorique anhydre, puis 
une goutte de mercure (environ 05,5) ou 05,5 à 1 gramme de 
bioxyde de mercure. Chauffer au moins une heure après la décolo- 
ration complète. Laïi$ser refroidir et diluer. Ajouter de la lessive de 
soude (390 grammes hydrate de soude dans un litre d’eau) jusqu’à 
presque neutralisation ; introduire 40 centimètres cubes d’une solu- 
tion contenant par litre 50 grammes de soude caustique et 20 grammes 
de sulfure de sodium et un peu de pierre ponce. Rincer le col, agiter 
et adapter à l’appareil à distiller. Toutes ces opérations doivent se 
faire rapidement. Recueillir les vapeurs dans 20 centimètres cubes 
d'acide sulfurique un demi-normal. Titrer l'excès d’acide par de l’eau 
de baryte un quart normale. Faire bouillir et refroidir avant de tirer. 


B) Méthode Gunning modifiée. 


Pesées comme ci-dessus. 

Ajouter 20 centimètres cubes d’acide sulfurique à 66° B., 1 gramme 
de mercure, 1 gramme de sulfate de cuivre anhydre ; agiter pour 
empêcher la formation de grumeaux ; chauffer. 

Quand la matière est charbonnée, ajouter 10 à 15 grammes de 
sulfate de potasse en cristaux. Chauffer sur de forts brûleurs. L’at- 
taque est finie en une demi-heure. Continuer comme ci-dessus. 


Azote nilrique el azote ammoniacal. 


Engrais composés : 
Peser 10 grammes à 500 centimètres cubes. Opérer sur 25 ou 
90 centimètres cubes. 
Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau, 
Azote ammoniacal : Distillation avec la magnésie. 


Azole organique et azole ammoniacal. 


Poudrette, Engrais composés : 


Azote total : 2 grammes. Procédé Kjeldahl. 
Azote ammoniacal : 5 grammes distillés avec la magnésie. 


16 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Azole organique et azole nitrique. 


Engrais composés : 

Azote total : 1 à 2 grammes. Procédé Kjeldahl-Jodlbauer. 

Employer 20 à 30 centimètres cubes d’acide sulfophénique conte- 
nant par litre 60 à 100 grammes d’acide phénique cristallisé. Pour 
faciliter la dissolution, il est recommandable de chauffer lentement 
jusqu’à 40° centigrades, refroidir et ajouter par petites portions 
{ gramme de poudre de zinc. Laisser digérer à froid pendant deux 
heures au moins. Continuer comme le procédé Kjeldahl ordinaire. 

Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau. 


Azole organique, azole ammoniacal et azole nitrique. 


Guanos, Engrais composés : 
Azote total : Procédé Kjeldahl-Jodlbauer. 
Azote ammoniacal : Distillation de l’engrais avec la magnésie. 
Azote nitrique : Procédé Schlæsing-Grandeau. 
Azote organique — Azote total —— (Azote ammoniacal + Azote 
nitrique). 


N. B. — Pour les deux cas précédents, on peut aussi opérer de la 
manière suivan(e : 

Chasser l’azote nitrique par une ébullition avec l’acide chlor- 
hydrique et le chlorure ferreux. On revient alors au cas de l’azote or- 
ganique seul ou à celui de l’azote organique et de l’azote ammoniacal. 

L’azote nitrique est dosé sur une prise d’essai spéciale par le 
procédé Schlæsing-Grandeau. 


II. — Acide phosphorique. 


Acide phosphorique soluble dans les acides minéraux. 
A) Méthode générale. 


D grammes + 90 centimètres cubes d’acide nitrique (D. 1,20) ou 
d’eau régale + 150 centimètres cubes d’eau. Bouillir une demi- 
heure, faire volume de 500 centimètres cubes et filtrer. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE, 17 


Prendre : 


Pour phosphale riche, phosphate précipité et scories au- 
dessus de 20 p. 100 . CARPE HR RARES CURE 
Pour phosphate pauvre, superphosphate et scories de 
DOS D OUPPPNSRESSURS A, RL AR EST ann 100 — 


25 centimètres cubes. 


Neutraliser par l’ammoniaque la plus grande partie de l’acid 
libre. 

Précipiter à chaud par 100 centimètres cubes d’une solution de 
nitro-molybdate ammoniaque ; fare bouillir et filtrer à chaud ou 
bien chauffer au bain-marie à 80° centigrades pendant une demi- 
heure. On peut aussi précipiter à froid par agitation mécanique. 
Laver avec 100 centimètres cubes d’acide nitrique à 1 p. 100. Redis- 
soudre avec le moins possible d’ammoniaque concentrée, laver avec 
ammoniaque à à p. 100 (0,98) et filtrer au besoin. Saturer la plus 
grande partie de l’ammoniaque par lacide chlorhydrique. 

Précipiter à froid par 10 centimètres cubes de mixture magné- 
sienne (voir annexe). Ajouter d’abord deux à trois gouttes de mixture. 
Agiter jusqu'à l’apparition d’un trouble, ajouter le restant goutte 
à goutte. Ajouter encore de l’ammoniaque si nécessaire. Laisser dé- 
poser au moins deux heures ou agiter mécaniquement une demi- 
heure, filtrer, laver avec ammoniaque à 5 p. 100, calciner, peser. 
Facteur : 0,64. 


N. B.—Matières fertilisantes organiques : les guanos, poudre d’os, 
poudrette, peuvent être directement dissous dans l’acide nitrique ou 
l’eau régale , les tourteaux et éngrais de poissons doivent être désa- 
grégés par l’acide sulfurique pur suivant Kjeldahl. 

Le dosage de l’acide phosphorique dans les matières incinérées 
n’est plus admissible. 


B) Méthode spéciale {dite citro-mécanique). 


25 centimètres cubes de la solution précédente de phosphate, 
guano, poudre d’os dans l’acide nitrique ou l’eau régale sont à peu 
près neutralisés par de l’ammoniaque. On ajoute 30 centimètres 
cubes de citrate Petermann (voir annexe) et 10 centimètres cubes 
d’ammoniaque à 20 p. 100 (0,92) ; on place sous l’agitateur et pen- 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 2 


Ta ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


dant le mouvement on verse, goutte à goutte, 25 centimètres cubes 
de mixture. On agite pendant une demi-heure. Laisser déposer pen- 
dant deux heures, filtrer, laver et calciner. 


Lo] 


Acide phosphorique soluble dans l'eau (par digestion). 


Peser 20 grammes. 

La prise d’essai, introduite dans un mortier en verre ou en porce- 
laine, est triturée en additionnant 20 à 25 centimtres cubes d’eau 
distillée froide. — Cette opération est renouvelée plusieurs fois en 
versant chaque fois le liquide trouble dans un ballon d’un litre. A 
la fin, le tout étant amené dans le ballon, on porte le volume à envi- 
ron 900 centimètres cubes et agite pendant une demi-heure dans un 
appareil spécial. 

A défaut d’un appareil de rotation, pour les superphosphates 
simples, on laisse digérer pendant deux heures en agitant quelques 
fois. 

Pour les superphosphates doubles (22 p. 100), une digestion de 
vingt-quatre heures, en agitant de temps en temps, est nécessaire. 

On porte au volume, filtre, prélève 50 centimètres cubes (soit 
1 gramme de matière) ou 25 centimètres cubes (soit 05,5 de ma- 
tière) selon la richesse. 

On dose l’acide phosphorique par la méthode au molybdate. 


Acide phosphorique soluble dans l’eau et le citrale d'ammoniaque 
alcalin. 


(Méthode générale applicable à tous les superphosphates desséchés ou non, 
organiques ou minéraux.) 


Peser : 

Superphosphate riche et phosphate précipité . Lt 1 gramme. 
— ordinaire (10 à 20 p. 100 Ph*0°). . . . 1 
ee pauvre el engrais composés à moins de 

10 pe 100 PDA eee 1e) SE 4 — 


Allaque : La prise d'essai, introduite dans un petit mortier en 
verre, est d’abord broyée à sec, puis additionnée de 20 à 25 centi- 
mètres cubes d’eau et triturée à nouveau jusqu’à délayage complet 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D’ANALYSE. 19 


de la matière. On décante sur un filtre et recueille la solution filtrée 
dans un ballon jaugé de 250 centimètres cubes. On répète trois fois 
l’opération, puis on amène le tout sur le filtre. On continue à laver 
sur le filtre, jusqu’à volume de 200 centimètres cubes environ. On 
ajoute quelques gouttes d'acide nitrique, si l’on opère la précipita- 
tion par le nitro-molybdate ammonique; on ajoute de l'acide chlor- 
hydrique, si l’on emploie la méthode citro-mécanique et on met au 
trait. Le filtre contenant tout le résidu insoluble est introduit dans 
un ballon jaugé de 250 centimètres cubes avec 100 centimètres cubes 
de citrate d’ammoniaque alcalin et on agite fortement pour déchirer 
le filtre et délayer le contenu. Le phosphate précipité est traité direc- 
tement par le citrate. 

L'action à froid sur le résidu insoluble sera prolongée pendant 
quinze heures et facilitée par l’agitation. Puis cette action sera suivie 
d’une digestion à 40° centigrades pendant une heure, comptée à 
partir du moment où le thermomètre du bain-marie indique cette 
température. 

Précipitation : De la solution citrique refroidie, portée à 200 cen- 
ümètres cubes et filtrée, on prélève 50 centimètres cubes auxquels 
on ajoute 90 centimètres cubes de la solution aqueuse. Les 100 cen- 
timètres cubes du mélange sont additionnés de 10 centimètres cubes 
d'acide chlorhydrique de 1,10 ou 15 centimètres cubes d’acide ni- 
trique de 1,20 et maintenus à l’ébullition pendant cinq minutes 
(transformation du non-ortho en ortho). On dose finalement l'acide 
phosphorique par la méthode citro-mécanique en ajoutant encore 
10 centimètres cubes de citrate Petermann après avoir à peu près 
neutralisé par de l’ammoniaque. 

Si on précipite par le molybdate, l’ébullition préalable avec les 
acides minéraux est inutile. 


III. — Potasse. 


A) Méthode générale (Dosage à l'état de chloroplatinate de potassium). 
Sels de potasse : 


Peser 10 grammes. Introduire dans un ballon de 1 litre. Porter à 
mi-volume, faire bouillir. Précipiter exactement l’acide sulfurique 


20 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


par le chlorure de baryum. Porter au volume, filtrer. Prélever 
20 centimètres cubes (chlorure et sulfate) ou 90 centimètres cubes 
(kaïnite). Ajouter 10 centimètres cubes de chlorure de platine à 
10 p. 100. Évaporer à consistance sirupeuse. Reprendre par l'alcool 
à 89° G.-L., écraser avec soin les cristaux et laver à lalcool à 
89° G.-L. sur filtre taré ou dans le creuset de Gooch. Sécher à 125° 
à l’étuve à air ou à xylol. Coefficient : 0,194. 


B) Méthode spéciale. 


On met sur le même pied la méthode néerlandaise et celle de Co- 
renwinder et Contamine. 


a) Méthode néerlandaise. — Superphosphate potassique. Engrais 
composés : 

Peser 20 grammes, faire bouillir avec de l’eau pendant une demi- 
heure, refroidir, porter à 500 centimètres cubes, mesurer à 50 cen- 
timètres cubes de la liqueur filtrée, ajouter du chlorure de barvum 
à l’ébullition pour précipiter exactement l’acide sulfurique. Ajouter 
de l’hydrate de baryum en excès, refroidir, porter à 100 centimètres 
cubes, ajouter à 50 centimètres cubes du filtrat, à l’ébullition, du 
carbonate d’ammoniaque et de l’ammoniaque jusqu’à ce qu’il ne se 
produise plus de précipité; refroidir ; porter à 100 centimètres cubes, 
évaporer à 20 centimètres cubes du filtrat, chasser les sels ammo- 
niacaux, reprendre par l’eau, filtrer. Continuer comme dans la mé- 
thode générale. 


b) Méthode Corenwinder et Gontamine. — 10 grammes à 1 litre. 
Prendre 50 centimètres cubes, ajouter 1 centimètre cube d’acide 
chlorhydrique, évaporer à sec, chasser les sels ammoniacaux et les 
matières organiques, s’il y a lieu, sans toutefois porter au rouge. 
Reprendre par l’eau acidulée d’acide chlorhydrique. Évaporer, ajou- 
ter 40 centimètres cubes de chlorure de platine à 10 p. 100. Éva- 
porer à consistance sirupeuse, épuiser par l'alcool à 85° G.-L. Redis- 
soudre par l’eau chaude, recevoir la dissolution dans 50 centimètres 
cubes de formiate de soude à 10 p. 100 portés à l’ébulition. Chauffer 
jusqu’à réduction complète. Aciduler par l'acide chlorhydrique en 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE, 21 


évitant une quantité trop forte d’acide. Filtrer, laver à l’eau froide, 


calciner. 
Platine X 0,4837 — Potasse anhydre. 


La réduction peut se faire aussi à l’ébullition en solution neutre 
par 2? grammes de calomel, ajouter ensuite 2 centimètres cubes 
d’acide chlorhydrique, faire bouillir et filtrer (d’après Mercier). 

y ) P 


IV.— Préparation de l'échantillon de scories et détermination 
de la finesse de mouture. 


Tamis n° I avec des trous ronds d’un diamètre de 1"",50. 

Tamis n° IT d’un diamètre de 26 centimètres, à fils écartés de 
0"",17, soit une grandeur de mailles de 0"®?,0280. 

L’échantillon entier est tamisé au tamis n° [; le résidu est consi- 
déré comme non-valeur, mais on le pèse pour la correction des 
dosages suivants : 

Une partie de la scorie passée par le Lamis n° I (50 grammes) est 
soumise pendant un quart d'heure au tamisage dans le tamis n° If. 

On pèse le résidu et on calcule la finesse que l’on corrige d’après 
le refus éliminé. 

Une autre partie de la scorie passée par le tamis n° T sert, sans 
autre préparation, pour le dosage de l’acide phosphorique et on cor- 
rige le dosage d’après le refus éliminé au n° I. 


SUBSTANCES ALIMENTAIRES DU BÉTAIL 


Préparation de la substance à analyser. — Les tourteaux, sons, 
etc., sont réduits à l’aide d’un moulin à un degré de finesse suffisant 
pour passer au tamis de 1 millimètre. 

Si l’emploi du moulin n’est pas possible on broie l’échantillon avec 
du gros sable épuisé et calciné. 


Dosage de l’eau. — 5 grammes sont desséchés dans l’étuve à air 
à la température de 100 à 105° centigrades jusqu’à poids constant. 


22 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Dosage des cendres. — 5 grammes sont incinérés, sans être re- 
mués, à douce chaleur, de préférence dans un moufile, jusqu’à ce 
que les cendres soient blanches ou faiblement grisätres. 


N.B. — Tolérance, d’après la loi belge, dans le taux des matières 
minérales insolubles dans les acides minéraux : la proportion tolé- 
rable des substances minérales étrangères insolubles dans l’eau 
chaude renfermant environ 10 p. 100 d’acide chlorhydrique (sable, 
terre, etc., adhérents aux grains ou introduits par la mouture indus- 
trielle, substances qui ne font pas partie des cendres physiologiques) 
est fixée à 2 p. 100. 


Dosage de la matière albuminoïde brute. — 1 à 2 grammes (sui- 
vant la richesse) : de substance sont traités, d’après Kjeldahl, comme 
cela est décrit dans l’analyse des matières fertilisantes renfermant de 
l'azote organique (page 14). 


Azote X 6,25 — Matière albuminoïde brute. 


Dosage de la matière albuminoïde pure, d’après Stutzer (éven- 
tuellement). — 1 gramme est additionné de 100 centimètres cubes 
d’eau et porté à l’ébullition. On ajoute ensuite 2 à 3 centimètres 
cubes d’une solution saturée d’alun pour empêcher la production 
d’alcali libre par l’action de l’hydrate de cuivre sur les phosphates 
alcalins. On verse ensuite, avec une pipette, une quantité d'hydrate 
de cuivre, correspondant à environ 06,4 d'oxyde de cuivre (voir plus 
loin la préparation du réactif Stutzer). Après refroidissement, on 
amène le résidu quantitativement sur le filtre, on lave d’abord à 
l’eau, ensuite à l'alcool et dose l'azote, dans la substance + filtre, 
d’après Kjeldabl, sans dessiccation préalable. 


Azote X 6,25 — Matière albuminoïde pure. 


Si la substance contient un alcaloïde, on enlève d’abord celui-ci 
en faisant bouillir la matière au bain de sable avec 100 centimètres 
cubes d’alcool additionnés de 1 centimètre cube d'acide acétique. 
Après dépôt, on décante l'alcool sur le filtre qui doit servir dans la 
suite à la filtration du précipité cuivrique. 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 23 


Dosage de la matière grasse. —3 à 9 grammes de substance sont 
épuisés dans un des extracteurs connus, par le tétrachlorure de car- 
bone ou par l’éther. L’éther du commerce doit être traité par le 
sodium et redistillé, et lorsqu'on emploie ce dissolvant, la substance 
doit être préalablement desséchée à 100° centigrades. 

La matière grasse réunie dans un ballon de 100 à 150 centimètres 
cubes est, après avoir chassé le dissolvant, desséchée pendant deux 
heures dans l’étuve de Gay-Lussac (98 à 100° centigrades) et pesée. 

Pour l’analyse des substances contenant des matières solubles dans 
l’éther, autres que la graisse (telles que pulpes, drèches, vinasses), 
le produit de l’extraction est redissous dans l’éther. On ajoute de Pal- 
cool en volume égal à l’éther, neutralise exactement par de la soude 
étendue, évapore à siccité, reprend la graisse par l’éther, filtre dans 
un ballon taré, sèche pendant deux heures comme ci-dessus et pêse 
la graisse pure. 


Dosage de la cellulose brute. — 3 grammes de substance sont 
additionnés de 200 centimètres cubes d'acide sulfurique à 1,25 
p. 100. On fait bouillir une demi-heure en maintenant constant le 
niveau du liquide. On laisse déposer et on décante. On extrait ensuite 
deux fois dans les mêmes conditions, avec 200 centimètres cubes 
d’eau. Les liquides de décantation sont réunis dans un verre à pied 
et agités ; après dépôt ils sont siphonés. Le résidu est réuni à la 
masse principale de la substance et le tout est traité comme ci-dessus, 
d’abord avec 200 centimètres cubes de lessive de potasse à 1,25 
p. 100, puis deux fois avec 200 centimètres cubes d’eau. Les liquides 
de décantation sont réunis, agités, additionnés d’eau bouillante et 
siphonés après dépôt. La matière est réunie au résidu contenu dans 
le verre à pied, le tout est lavé par décantation deux ou trois fois 
avec de l’eau bouillante et amené sur un filtre taré. Laver à l'alcool 
chaud et à l’éther, sécher à 100° centigrades et peser. 

On détermine la cendre dans le produit obtenu et on la déduit. 

La poire de Holdefleiss facilite ces différentes opérations. En em- 
ployant la poire de Holdefleiss, on procède comme suit : 3 grammes 
de matière + 200 centimètres cubes acide sulfurique à 1,25 p. 100; 
porter à l’ébullition pendant une demi-heure par injection de vapeur, 


24 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


filtrer sur lampon en asbeste, laver à l’eau chaude jusqu’à dispari- 
tion de la réaction acide. Le résidu + 200 centimètres cubes lessive 
de potasse à 1,25 p. 100 est porté à l’ébullition pendant une demi- 
heure comme ci-dessus. Lavage jusqu’à disparition de la réaction 
alcaline. Laver à l’alcool et à l’éther, sécher et peser. Incinérer, pe- 
ser à nouveau. Différence de poids — Cellulose brute. 


ANALYSE DES ALIMENTS MÉLASSÉS 


Dosage de la matière albuminoïde pure. — On opère d’après 
Stulzer. 


Dosage de la matière grasse. — On place la prise d’essai sur un 
filtre et on l’épuise à l’eau froide. On sèche le résidu à 100° et on 
extrait la graisse comme précédemment. 


Dosage du sucre. — On peut opérer de deux façons : 


a) On fait un essai préalable en procédant à un dosage approximatif 
du sucre inverti. S'il y a moins de 2 p. 100 de sucre inverti, on fait 
la polarisation directe, et on dose le sucre total par inversion et pesée 
du cuivre. Si l’écart est plus considérable, la polarisation directe ne 
compte pas. 


b) On dose le sucre total par inversion et pesée du cuivre, sans 
examen préalable. 


1° Examen préalable. — On dissout le poids normal à 200 centi- 
mètres cubes. 

30 centimètres cubes de la solution clarifiée par le sous-acétate, 
soit donc 3€,9072 de matière pour le polarimètre allemand ou 
4#,86 de matière pour le polarimètre français sont ’additionnés 
de carbonate de soude pour éliminer le plomb, filtrés et traités par 
16 ou 20 centimètres cubes de liqueur de Fehling, à l’ébullition. 
Si le cuivre n’est pas entièrement réduit, c’est qu’il y à moins 
de 2 p. 100 d’inverti. 

®% Polarisation directe. — Le poids normal est épuisé sur filtre 
avec de l’eau tiède d’environ 50° centigrades, sur un matras de 200 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 29 


centimètres cubes. On clarifie avec 10 centimètres cubes de sous- 
acétate et quelques gouttes d’hydrate d’alumine, parfait le volume 
et filtre. On polarise au tube de 20 centimètres. 


3 Dosage du sucre lotal par pesée du cuivre réduit. 

20 grammes de matières sont épuisés sur filtre avec de l’eau tiède 
d'environ 50° centigrades, sur un matras de 250 centimètres cubes. 
Après refroidissement on clarifie avec du sous-acétate, parfait le vo- 
lume et filtre. Dans 100 centimètres cubes du filtrat on élimine l’excès 
de plomb par du carbonate de soude, porte à 200 centimètres cubes 
avec de l’eau, et filtre. 100 centimètres cubes du filtrat sont neu- 
tralisés avec de l’acide chlorhydrique (indicateur méthylorange) et 
chauffés dans un matras de 200 centimètres cubes pendant une demi- 
heure, dans un bain-marie bouillant, avec 80 centimètres cubes 


; É N De 
d’acide chlorhydrique 10 Après refroidissement, on neutralise avec 


30 centimètres cubes de soude e et porte au trait. Comme la quan- 
tité de liquide sur laquelle on opère en dernier lieu ne doit pas contenir 
plus de 06,245 de sucre inverti, on n’en prend que 25 ou 50 centi- 
mètres cubes selon la teneur en sucre, qu’on verse dans une quantité 
suffisante et bouillante d’une solution de Fehling. On fait bouillir un 
instant, filtre de suite d’après Allihn et pèse le cuivre. Le sucre est 
exprimé en saccharose (inverti X 0,95 — saccharose). 

Dans la tourbe-mélasse on ne dose que le sucre. 


ANNEXES 


I. — Préparatif des réactifs spéciaux. 


4° Nitro-molybdate d'ammoniaque : 

On peut préparer le nitro-molybdate soit par l'acide molybdique, 
soit par le molybdate d’ammoniaque, en ayant soin que le réactif pré- 
paré contienne par litre 95 grammes d’acide molybdique, 20 grammes 
d’ammoniaque et 250 grammes d’anhydride azotique. 


26 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


En partant de l’acide molybdique, la formule est celle-ci : 
110 grammes d’acide molybdique sont dissous dans 400 centimètres 
cubes d’ammoniaque à 0,96 et versés lentement dans 1 500 centi- 
mètres cubes d’acide nitrique à 1,20. 

Le molybdate d’ammoniaque n’a pas une composition constante 
(AzH‘0, Mo0 ou 3AzH*0, 7 Mo0° + 4aq) et perd peu à peu de 
l’ammoniaque. Sa composition doit donc être vérifiée à chaque pré- 
paration. On dissout le molybdate cristallisé dans l'eau chaude, on 
neutralise la solution par l’ammoniaque et on le verse dans l’acide 
nitrique. 


2° Mixture magnésienne : 


Chlorure de magnésium eristallisé. . , . . . . | 80 grammes. 
Chlorure d’ammonium cristallisé . . . . . . . 160 — 
Ammoniaque à 10 p. 100 (0,96). . . . . . . 320 — 


Faire un volume de 1 000 centimètres cubes avec de l’eau dis- 
üllée, laisser déposer quarante-huit heures, filtrer. 


3° Citrate d'ammoniaque alcalin (Formule Petermann) : 

900 grammes d'acide citrique pur sont dissous dans l’ammoniaque 
à 20 p. 100 (0,92) jusqu’à réaction neutre. (1 faut environ 700 cen- 
timèlres cubes.) 

On amène la concentration du liquide refroidi à la densité de 
1,09 à 15° centigrades en ajoutant de l’eau. On ajoute par litre 
90 centimètres cubes d'ammoniaque à 20 p.100 (0,92), agite, laisse 
reposer quarante-huit heures et on filtre. (La densité du réactif 
achevé est de 1,082 à 1,083.) Volume total environ 1 500 centi- 
mètres cubes. 


4° Préparation du réactif de Stutzer : 

On dissout 100 grammes de sulfate de cuivre cristallisé dans 9 litres 
d’eau, ajoute environ 2 grammes de glycérine et précipite l’oxyde 
hydraté par une lessive de soude étendue, ajoutée jusqu’à réaction 
alcaline, On filtre et délaie le précipité dans de Peau renfermant 
9 grammes de glycérine par litre. Par des décantations et des filtra- 
tions, on débarrasse complètement le précipité de son excès d’alcali 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 27 


et finalement on le triture avec de l’eau glycérinée pour le trans- 
former en bouillie pouvant être aspirée par une pipette, bouillie 
qui se conserve parfaitement à l'obscurité dans des flacons bien 
bouchés. 

L’évaporation et l’incinération de 10 centimètres cubes de la 
bouillie cuivrique fournissent la quantité de l’oxyde de cuivre con- 
tenu dans le réactif. 


II. — Méthodes proposées. 


1° Recherche microscopique du perchlorate de potasse dans le 
nitrate de soude (Breukeleveen) : 

Dissoudre 10 grammes de nitrate dans 10 centimètres cubes d’eau 
chaude, ajouter 50 centimètres cubes d’alcool à 95 p. 100, chauffer 
jusqu’à commencement d’ébullition, laisser refroidir une à deux 
heures, décanter la solution alcoolique, l’évaporer au bain-marie, 
dissoudre le résidu dans le moins d’eau possible, en mettre une 
goutte sous le microscope, ajouter une goutte de chlorure de rubi- 
dium concentré. En présence du perchlorate il se forme après 
quelque temps des cristaux de perchlorate de rubidium, et en ajou- 
tant, après leur formalion, une goutte de permanganate dilué, ils se 
colorent en rouge violacé. Gette réaction découvre jusqu’à 0,2 p. 100 
de perchlorate. 


2° Dosage du perchlorate (Sjollema) : 

On dose d’abord dans le nitrate le chlore existant comme chlorure. 

D grammes de nitrate sont introduits dans un creuset en cuivre de 
5,0 centimètres de diamètre et 8 de haut, et calcinés doucement 
durant une dizaine de minutes. Dissoudre dans l’eau, neutraliser par 
l'acide azotique exempt de chlore, faire bouillir, titrer le chlore 
total. La différence représente le chlore du perchlorate, qui X 3,90 
— perchlorate de potasse. 


Observations. — Pour que le haut du creuset reste relativement 
froid on le place sur une plaque en cuivre percée d’un trou. Ge 
procédé ne peut être appliqué au caliche qu'après destruction des 
iodates par l’acide sulfureux ou l'hydrogène sulfuré. 


28 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


3° Dosage du peroxyde de fer et de l'alumine dans les phos- 
phates (Crispo) : 
- Peser dans une capsule en platine 5 grammes de phosphate, faire 
une masse demi-fluide avec de l’acide sulfurique, chauffer deux 
heures en remuant souvent pour chasser le fluor, dissoudre dans 
l’eau régale, porter à 500 centimètres cubes. Prélever 50 centimë- 
tres cubes, neutraliser par quelques gouttes d’ammoniaque, ajouter 
90 centimètres cubes de chlorure d’ammonium demi-saturé, faire 
bouillir ; si le liquide se trouble, redissoudre dans acide azotique 
goutte à goutte. Ajouter 10 centimètres cubes d’acétate d’ammo- 
niaque saturé, faire bouillir quelques instants, laisser complètement 
refroidir, pour redissoudre le manganèse, filtrer, laver deux ou trois 
fois avec une solution de chlorure d’ammonium (un dixième) froide. 
Étendre le filtre sur un verre de montre et faire tomber le précipité 
dans un verre de Bohême, le dissoudre dans 2 centimètres cubes 
d’acide nitrique et éliminer l'acide phosphorique par 50 centimètres 
cubes de nitro-molvbdate. Filtrer et laver avec acide nitrique à 
1 p. 100. Au filtrat ajouter 50 centimètres cubes de chlorure d’am- 
monium demi-saturé, précipiter le fer et l’alumine par l’ammoniaque 
goutte à goutte à l’ébullition, filtrer, laver à l’eau bouillante. Redis- 
soudre le précipité dans l’acide nitrique et le reprécipiter dans les 
mêmes conditions. Calciner, peser. 

Pour doser le fer séparément on dissout les oxydes pesés dans 
l’eau régale et on les sépare par la potasse pure. 


4° Dosage de l'acide phosphorique : 
Méthode de Pemberton-de Molinari modifiée et adaptée aux phos- 
phates, scories de déphosphoration, superphosphates, engrais, ete. 


Réactifs. 


4° Molyhdate d’ammoniaque : On dissout 90 grammes de molyb- 
date d’ammoniaque cristallisé dans un peu moins d’un litre d’eau, 
on ajoute quelques gouttes d’ammoniaque, complète le volume, 
laisse déposer douze heures et filtre ; 

2 Nitrate d’ammoniaque : On emploie une solution saturée et 
prend 10 centimètres cubes pour chaque essai ; 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 29 


3° Acide nitrique : Densité voisine de 1,4; 

4 Acide sulfurique : Il doit avoir le même titre, volume à volume, 
que la potasse caustique. On le prépare en étendant 326°%,5 d’acide 
normal à 4 litre ; 

5° Potasse caustique : Celte solution s'obtient en étendant 326°%,5 
de potasse normale (bien débarrassée de toute trace de carbonate 
par l’eau de baryte) à 1 litre. 1 centimètre cube correspond à 1 mil- 
ligramme de P°0° ; 

6° Indicateur : On dissout 1 gramme de phénolphtaléine dans 
100 centimètres cubes d’alcool à 60 p. 100 et on emploie au moins 
0,5 de cette solution pour chaque titration. 


Methodes. 


Superphosphate. — Prise d'essai 12°%,9 de chaque solution. On 
ajoute 10 centimètres cubes acide nitrique pur additionné de son 
volume d’eau, 15 centimètres cubes de nitrate ammonique et on 
dilue de manière à obtenir un volume de 70 centimètres cubes en- 
viron. On fait bouillir dix minutes, relire du feu et précipite l'acide 
phosphorique à une température voisine de 95° par 20 centimètres 
cubes de molybdate d’ammoniaque ajouté en deux fois par fraction 
de 10 centimètres cubes. On laisse déposer une dizaine de minutes, 
filtre, lave deux à trois fois par décantation au moyen d’eau distillée. 
On jette le précipité sur le filtre et continue à laver jusqu’à ce que 
le filtrat n’ait plus de réaction acide. 

On place ensuite le filtre et son contenu dans le verre qui a servi 
à la précipitation et on verse la solution alcaline (potasse caustique) 
Jusqu'à ce que le précipité soit totalement dissous. On délaie parfai- 
tement le filtre avec un peu d’eau, ajoute douze gouttes de phénol- 
phtaléine et titre au moyen de l’acide sulfurique en laissant couler 
celui-ci goutte à goutte. On retranche le volume d’acide employé du 
volume de potasse : la différence donne directement la teneur en 
acide phosphorique, chaque centimètre cube représentant 1 p. 100 
d’anhydride phosphorique lorsqu’on opère sur 0£,1 de matière. 


Scories de déphosphoration. — On prélève 10 centimètres cubes 
de la solution préparée comme d’habitude (5 grammes à 500 centi- 


30 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


mètres cubes), neutralise par l’ammoniaque jusqu’à formation d’un 
précipité constant, ajoute 10 centimètres cubes d’acide nitrique addi- 
lionné de son volume d’eau, 15 centimètres cubes de nitrate d’am- 
moniaque et une quantité suffisante d’eau pour avoir un volume de 
70 centimètres cubes environ. On chauffe jusqu’à ébullition, relire 
du feu et, après quelques minutes (vers 95°), on ajoute 5 centimètres 
cubes de solution molybdique, agite légèrement, laisse déposer en- 
viron une minute et verse de nouveau 10 centimètres cubes de 
molvbdate, on agite, laisse déposer une dizaine de minutes et con- 
ünue comme précédemment. 


Phosphate. — La précipitation se fait dans les mêmes conditions 
que pour les scories. On ajoute en plus 10 centimètres cubes de 
citrate d’ammoniaque (formule Petermann) et précipite l’acide phos- 
phorique au moyen de 40 centimètres cubes de molybdate d’ammo- 
niaque par fraction de 20 centimètres cubes. 

Superphosphate (acide phosphorique soluble dans l’eau). — La 
précipitation se fait dans les mêmes conditions que pour les phos- 
phates. 


Engrais composés. — Même méthode que pour les superphos- 
phates. 
Observalion. — Cette méthode donne des résultats plus sûrs en 


précipitant à froid par agitation mécanique et en lavant le précipité 
avec de l’eau saturée de phosphomolybdate (Nyssens). 


5° Détermination approximative de la pureté des tourteaux et 
farines de lin (Méthode néerlandaise) : 


Préparation de la cellulose. — L’échantillon est broyé et passé 
par un tamis à trous ronds de 1 millimètre. 2 grammes de farine 
tamisée placés dans une capsule sont bouillis une minute avec 25 cen- 
timètres cubes d'acide nitrique à 10 p. 100. On passe sur une gaze 
n° 80, on lave à grande eau et on répète la même opération avec 
une solution de soude caustique à 2,5 p. 100. On mélange bien la 
cellulose dans un peu d’eau glycérinée. 


Observation. — On place un peu de cellulose entre deux porte- 
objets, de sorte que 5 à 10 morceaux de graine se trouvent en vue 


UNIFICATION INTERNATIONALE DES MÉTHODES D'ANALYSE. 31 


sous un grossissement de 52 D. (objectif A, oculaire 2 Zeiss). Au 
moyen du chariot, on explore trois lignes parallèles de 5 centimètres 
de long, distantes de 5 millimètres. On compte les pelures qu’on 
observe (au moins 500) ; les paillettes indéterminables ne comptent 
que par moitié, la sous-enveloppe est négligée. Le dosage est fait en 
double. On calcule le pour cent de graines étrangères par la for- 


mule suivante : 
Impuretés X< 0,6 


- 109. 
(graine de lin + impuretés) — (impuretés X< 0,4) 2 
EXEMPLE : Farine de lin. — 1* examen : 

Farine den RAR NT 017 

BTASSICA SRE 2 TA REV 40 \ 

RTE FRERE LE Te 4/2 

SOICUIE STEP ELEMENT TES Î 

Polygonum. . . SPC ER E PE DN7058 

GHADIRÉES PME NN nt. MM Ds ET. 6 

XE 3 

Cameline . . Î 

58 X 0,6 


(517-558) — (58x04) 100 — 6,3 p. 109 impuretés. 


2e examen : 


DEMO SC 0 LS du Le 350 

BRAS SCA RAA ne A tie 36 

PSE ES ANS TE, Pr Re LR 6/2 

Xe 2 } 44 

Polygonum 2 

Cameline . ne 1 
44 X 0,6 


roses ET p. 100. 


Cette autre formule donne directement le pour cent de pureté : 


100 X graine de lin 
graine de lin + (0.6 X pelures étrangères). 


D'après la loi belge, les crucifères sont estimées à part. 
Si l’on veut déterminer le pour cent d’une graine seulement, la 
brassica, par exemple, la formule devient : 


36 X 0,6 


Bo 1) — (6x 0,9 10 7 


32 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Cette formule a été déduite de l'expérience, en tenant compte des 
pertes subies par la cellulose du lin, et celle des autres graines par 
suite de la préparation. 

Si les impuretés sont de nature tout à fait étrangère au lin, la ma- 
tière est regardée comme falsifiée, et on ne donne pas le pour cent 
d’impuretés. 


6° Dans l’analyse des sels bruts de Stassfurt contenant du chlo- 
rure et sulfate de magnésium, il est conseillé par M. Sjollema de 
remplacer le chlorure de baryum par le carbonate de baryte fraiche- 
ment précipité. On opère ainsi : 5 grammes de sel brut sont mis à 
bouillir pendant un quart d'heure avec 300 centimètres cubes d’eau 
dans un matras de 500 centimètres cubes. On ajoute environ 5 gram- 
mes de carbonate de baryte fraichement précipité, et on continue 
l’ébullition durant une demi-heure, en maintenant le volume. On 
laisse refroidir, parfait le volume et filtre. 50 centimètres cubes du 
filirat sont acidulés avec quelques gouttes d'acide chlorhydrique, el 
on continue le dosage comme d’ordinaire. 


CONTRIBUTION À L'ÉTUDE 


L'ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES 
DU SOL 


EACE "LEÉSCELANTES 


PAR 


J. CROCHETELLE 


DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DU LÉZARDEAU 


PREMIÈRE PARTIE 


RECHERCHES DE LA PBASICITÉ DES SOLS 


Depuis longtemps la connaissance parfaite du sol a été considérée 
comme l’idéal vers lequel devaient tendre tous ceux qui s’occupent 
d’agronomie et les efforts des chimistes se sont surtout portés vers 
l'analyse de la terre arable. 

La première étape a été marquée par la recherche des moyens 
propres à doser la totalité des divers éléments des terrains, en s’atta- 
chant principalement à ceux dont le rôle dans la vie du végétal est 
le plus important. 

On s’est vite aperçu qu'il ne suffisait pas qu’il existât dans nos sols 
une quantité connue de chacun de ces éléments pour les rendre fer- 
tiles; il faut que toutes ou partie de ces substances soient assimila- 
bles, c’est-à-dire susceptibles de passer dans le végétal pour que lon 
obtienne la fertilité désirée. 

Lorsque les corps considérés sont solubles dans l’eau et dialysa- 
bles, nous pouvons être fixés sur leur assimilabilité par un simple 
dosage ; il n’en est plus de même lorsque nous avons affaire à des 
produits peu ou pas solubles. 


ANN. SCIENCE AGRON,. — 2° SÉRIE, — 1902-1903. — 11. 3 


34 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


M. Schlæsing fils a indiqué récemment que les eaux confinées 
dans le sol renferment un certain taux d'acide phosphorique soluble 
et que les plantes pouvaient vivre dans des solutions très pauvres en 
cet élément. Lorsque le titre du liquide qui baigne le sol vient à 
baisser, une certaine quantité d’acide phosphorique se dissout pour 
maintenir une richesse à peu près constante pour une terre donnée. 

Le même auteur a démontré que ces constatations s’étendaient 
aussi à un autre élément essentiel du sol, la potasse. Il ne faut pas 
en conclure, cependant, que les récoltes ne puisent leur nourriture 
minérale qu’à cette seule source; les végétaux, comme on le pense 
généralement, sont obligés d'attaquer les substances insolubles du 
sol pour les rendre assimilables; ces dernières peuvent être modi- 
fiées, dans ce but, de trois façons principales : 

1° Par les actions chimiques, en particulier par celle des amende- 
ments : plâtre, chaux, etc. ; 

2° Par les actions mécaniques, qui peuvent rendre les éléments du 
sol plus ténus, renouveler les surfaces d’attaque ; elles sont dues au 
travail du sol et aux agents atmosphériques; 

3° Par les actions physiologiques qui résident surtout dans l’at- 
laque des sols par les racines elles-mêmes, soit par un processus 
chimique, soit mécaniquement, comme le donnait à entendre au 
Congrès international des stations agronomiques un savant étranger. 

Il est certain que ces trois sortes de causes interviennent pour 
métamorphoser les éléments du sol; dans quelle mesure ? Il serait 
assez difficile de le dire à l’heure actuelle; ce que l’on a surtout re- 
cherché, ce sont les procédés à employer pour connaître la quantité 
d'éléments susceptibles de devenir assimilables que renferment nos 
terres. 

À ce propos, il a semblé que l’on devait surtout tenir compte des 
actions physiologiques, et, en général, on s’est servi de l’attaque par 
des acides organiques ou par des acides étendus pour arriver au but. 
Pour l’acide phosphorique, notre regretté maître, M. Dehérain, em- 
ployait avec succès l’acide acétique; son procédé, très connu, est en 
usage dans beaucoup de laboratoires. 

M. Bernard Dyer a cherché à représenter le plus fidèlement pos- 
sible ce qui se passe dans la nature, et, en étudiant le suc des racines 


ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 3) 


de différentes plantes, il a montré que lon peut le remplacer par une 
solution au centième d’acide citrique. Le point critiquable est que 
la présence de l’acide citrique n’a pas été démontrée pour toutes les 
plantes, les unes renferment de l’acide oxalique, les autres de l’acide 
tartrique, très probablement un mélange de différents acides orga- 
niques. M. Bernard Dyer a donc recherché l’action de l’acide citrique 
au centième sur différents sols. Il a montré que sa méthode de do- 
sage de l’acide phosphorique donnait des résultats conformes à ceux 
qui étaient fournis par l'expérience en grande culture et que la valeur 
des récoltes obtenues était sensiblement proportionnelle à la quan- 
lité d'éléments assimilables trouvée dans les sols par son procédé. 

De nombreux agronomes ont employé immédiatement la méthode 
de M. Bernard Dyer, d’autres font à son sujet certaines réserves après 
avoir constaté, comme l’a fait M. Dehérain, qu’elle ne rend pas 
compte de tous les faits d'observations. Très partisan au premier 
jour de ce moyen d'investigation, qui se rapproche le mieux de ce qui 
se passe dans la nature, j’ai cherché à l'appliquer, à le compléter de 
manière à le rendre plus acceptable encore. 

Les expériences dont je vais tâcher de donner ici un résumé ont 
été commencées au laboratoire de l’École d'agriculture de Grignon, 
alors que j'avais encore le bonheur d’avoir les bons conseils de 
M. Dehérain. Elles apportent quelques faits nouveaux que je dévelop- 
perai dans mes conclusions qui pourront être de quelque utilité aux 
agronomes. 

Considérons deux sols renfermant une même quantité d’acide phos- 
phorique soluble dans l’acide citrique au centième et examinons le 
travail exécuté par deux plantes de même espèce, croissant dans ces 
deux sols, pour s’assimiler cet élément. 

Le végétal, dans chaque cas, va envoyer ses racines dans toutes 
les directions; par une sécrétion de suc acide, ces organes souter- 
rains vont attaquer lentement le sol contre lequel ils sont pressés. 
Les acides vont dissoudre une portion attaquable de la terre arable 
en se neutralisant. 

Supposons que l’un de ces sols est calcaire, tandis que l’autre, 
d’origine granitique, ne renferme que peu de chaux. Il est bien cer- 
tain qu’une partie des acides, fournis par la plante croissant dans le 


36 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


premier sol, va être employée purement et simplement à dissoudre 
le calcaire ténu que les racines rencontrent. Par ce fait, pour satu- 
rer, pour explorer complètement une certaine quantité du sol, il 
faudra une émission d’acides d'autant plus considérable que la terre 
sera plus riche en carbonate de chaux. 

Dans le second cas, au contraire, le suc, ne rencontrant que peu 
d'éléments capables de le neutraliser, pourra effectuer un travail de 
dissolution beaucoup plus utile à la plante. 

Je suis persuadé que, parallèlement à la quantité d'acide phospho- 
rique assimilable trouvée dans une analyse au moyen d’acide citrique 
au centième, l'indicateur de ce que je puis appeler le degré d’alca- 
linité du sol pourrait apporter un précieux renseignement à l’agri- 
culteur. Celui-ci connaîtrait non seulement la quantité d’aliment 
mise à la disposition de la plante, mais il aurait encore une idée de 
l'effort ou plutôt de la dépense que celle-ci devra faire pour parvenir 
à se l’assimiler. J'ai imaginé un procédé très simple pour me rendre 
compte de l’action qu’exerce le sol sur le sue acide des plantes sup- 
posé représenté par le réactif de M. Bernard Dyer. Cette recherche 
du degré d’alcalinité, comme nous pourrions l'appeler, s’effectue de 
la façon suivante : 

On met en contact, dans un flacon bouché, 10 grammes de la terre 
à essayer avec 200 centimètres cubes d’acide citrique au centième. 
Cet acide est préalablement titré avec de l’eau de chaux ou de la 
soude étendue en employant la phénolphtaléine comme indicateur 
et en opérant à chaud. On agite fréquemment la fiole renfermant Ja 
terre et l’acide en examinant de temps à autre si la liqueur est en- 
core acide; au cas contraire, on ajouterait 100 centimètres cubes 
d'acide citrique, et l’on noterait avec soin cet apport. Au bout de 
sept jours, terme adopté par M. Bernard Dyer dans ses dosages, on 
dose l'acide libre restant en filtrant la liqueur et en opérant sur le 
même nombre de centimètres cubes que dans le titrage primitif. Un 
calcul très simple indique la quantité d’acide restant dans la liqueur. 
En retranchant ce chiffre de celui qui indique la quantité d’acide 
employée, on obtient l'acide neutralisé par 10 grammes de sol. Il est 
facile, ensuite, de rapporter à 100 grammes ou au kilogramme. 
La température agit pour augmenter l'intensité de l’attaque, mais 


ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 34 


je pense qu'il est préférable, pour se rapprocher autant que possible 
de ce qui se passe dans la nature, de pratiquer les essais à la tempé- 
rature ordinaire, c’est-à-dire à 19 degrés dans tous les cas. La fré- 
quence de l’agitation a une certaine importance; en opérant sur la 
terre fine, telle que nous la préparons ordinairement pour l'analyse, 
l'agitation n’a pour effet que de renouveler les surfaces de contact ; 
pour se rapprocher encore de la réalité, je pense qu’il convient de 
w’agiter qu’une ou deux fois par jour légèrement, et une fois d’une 
façon plus complète, avant la filtration qui précède le titrage. 


Application du procédé à différentes terres. 


Le procédé de dosage élant établi, je lai expérimenté sur un cer- 
tain nombre de terres que j'avais à ma disposition. J'ai, dans plu- 
sieurs essais, toujours obtenu des nombres concordants avec la 
même terre. Avec les sols calcaires, le délai de sept jours est juste 
suffisant, tandis que l’on peut ne faire durer l’opération que pendant 
trois ou quatre Jours pour les sols dépourvus de chaux. Le tableau 
ci-dessous rend compte des chiffres obtenus avec des sols de difié- 
rentes natures. 

TABLEAU 1 


Saturation de l'acide citrique au centième par différentes terres. 


ACIDE CITRIQUE 
NUMÉROS. DÉSIGNATION DES TERRES. NATURE DES TERRES, saturé 

par kilogr. 

Grammes. 
Vienne (sol) . . . . . .|Galcaro-siliceuse . 
Vienne (sous-sol). . . . Id. 
Guadeloupe . . . . . .|Granitique. . 
Saint-Nom (Seine-et-Oise). |Silico-argileuse. 


Rambouillet. 2 CSS. Id. 


[les Açores . . . . . .|Volcanique. 
Mattes de la Gironde. . .|Argileuse . . 
Fresnes (Loiret). . . . .|Argilo-siliceuse . 
Grignon... . 7.1.1, .|Argilo-calcaire . 
Grignon (prairie) . . . .|Ancien marais . 
Vallée d'Auge. . . . . .|Humifère . 
Grignon (jardin) . . . .|Calcaro-siliceuse 


Ë | à . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


L'examen de ce tableau nous montre que les quantités d’acide 
citrique saturé par un kilogramme de divers sols mis en expérience 
sont très différentes les unes des autres. 

Le minimum est obtenu avec une terre silico-argileuse de Ram- 
bouillet qui ne renferme que 6 grammes de chaux totale pour 1 000. 

Le maximum m'a été fourni par un sous-sol provenant de terrain 
du département de la Vienne, où la vigne est très chlorotique. Le 
so] lui-rême sature une quantité presque aussi forte d’acide citrique. 

Il importait de savoir si la neutralisation que j’observais était due 
à la présence de la chaux, ou si, comme je le pensais, d’autres corps 
intervenaient dans l’attaque; j’ai donc calculé à quelle quantité de 
chaux correspondait l'acide citrique neutralisé; d’autre part, j'ai 
dosé la chaux qui se trouvait solubilisée dans la liqueur d’attaque, 
et J'ai dressé le tableau suivant, en indiquant la dose de chaux totale 
renfermée dans chacun des sols. 


TABLEAU II. 


CHAUX 


2 — TT —| 
correspondant 


totale 
NUMÉROS. DÉSIGNATION DES TERRES. renfermée 


à retrouvée 
5 Sie 1 solutio 

l’acide citrique Re ce Ê 

dans saturé 1 


par pour 
100 grammes 100 grammes 100 grammes 


de terre. de terre. de terre. 
ns 


Grammes. Grammes. Grammes. 
Vienne (sol), vignes chlorotiques.| 27,4 15,7 5.40 
Vienne |SONSSSOIN ES RE CNE 978 15,93 5,68 
Guadeloupe (granitique). . . . . 0,35 0,94 0,28 
Saint-Nom (Seine-et-Oise). . . . 0,80 0,80 
RamhomHet 47 2570 A TA L0860 0,34 
Hés-Acores. re 1,40 ? 0,20 
Mattes de la Gironde. . . . . . 2232 ë EAN! 
Fresnes(Loiret)- LE mSRRE 2,34 1,04 
Grignon (station) 5." rc re 9,68 2,1? 
srignon (praitie)25 220020 9,52 1,6? 
Vallée d'Augé Enr Re ES 2,30 
Grignon (jardin) 20", 0 e11002 3,04 


Nous voyons dans ce tableau des résultats intéressants dont nous 


ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 94 


pourrons tirer des conclusions importantes. Dans les terrains très 
calcaires, la totalité de la chaux n’a pas été dissoute par la soluticn 
citrique après sept jours d’attaque, et la portion soluble ne repré- 
sente pas celle qui correspond à l’acide citrique saturé. Dans les 
autres cas, nous observons des faits dignes de remarque. On voit en 
effet que, en général, il n’y a pas de relation définie entre la chaux 
totale, obtenue en attaquant les terres par les acides forts, et celle 
qui est obtenue par la dissolution d’acide citrique au centième dans 
les conditions de l’expérience. 

C’est surtout à la ténuité différente qui existe entre les calcaires 
des terres employées qu'est due la diversité des résultats; dans la 
terre de Saint-Nom, qui recevait des écumes de défécation, la tota- 
lité de la chaux se retrouve dans la liqueur citrique. Mais nous sa- 
vons aussi que l’on aurait tort de considérer, comme on le fait trop 
souvent, la chaux de nos sols comme combinée uniquement à l’acide 
carbonique. 

On passe trop aisément du calcaire d’un sol à la chaux qu’il ren- 
ferme et réciproquement. En examinant, en effet, ce qui se passe 
dans le cas des terres granitiques, on voit que l’on trouve comme 
chaux correspondant à l’acide citrique disparu une quantité supé- 
rieure à celle qui existe dans le sol, c’est ce qui arrive pour la terre 
de la Guadeloupe. Dans cette attaque par un acide étendu, nous 
avons dissous non seulement des composés à base de chaux, mais 
nous retrouvons dans les liqueurs filtrées de la potasse, de la magné- 
sie, de l’oxyde de fer, de l’alumine, etc., et nous avons donc amsi 
obtenu un renseignement sur la présence dans le sol de composés 
basiques qui jouent vis-à-vis du suc acide des plantes le même rôle 
que du calcaire attaquable. C’est ce que j'ai essayé de voir en atta- 
quant du kaolin par des solutions étendues d’acides organiques 
préalablement titrées à l’eau dans les conditions suivantes. Le kaolin 
à la dose de 20 grammes était placé dans un manchon fermé à sa 
partie inférieure par un parchemin de façon à former un dyaliseur. 
L'appareil était plongé dans une solution d’acide étendu, 400 centi- 
mètres cubes. Je fis une série de trois appareils renfermant du kaolin 
et une deuxième série dans laquelle je ne mis rien. Cette série té- 
moin devait m'indiquer si le verre des appareils était attaqué et par 


40 . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


son alcalinité interviendrait pour fausser les résultats. Les acides 
employés furent l'acide citrique, l'acide tartrique et l'acide oxalique. 
Le tableau suivant nous indique, comme l’expérience nous la donnée, 
la marche de la saturation après un mois. J'ai pris, avant l'expé- 
rience, 10 centimètres cubes de solution acide, que j'ai üitrée à l’eau 
de chaux. Après un mois, j'ai agité la liqueur de chaque vase et j’ai 
opéré un nouveau tilrage. 


Acidité en centimètres cubes d'eau de chaux de 10 centimètres cubes 
de liqueur. 


APRÈS UN MOIS. 


’ TE  ———— —— 
AU DEBUT. 


rémoiss Ar MARS 
Acide cilrique . . . 14,7 14,9 »,0 8,9 
Acide oxalique . . . 33,1 33, D 17/4 16,3 
Acide tartrique. . . 2150 22 14,7 [ie 


Ces résultats démontrent nettement l’attaquë du kaolin par les 
acides organiques; si nous calculons, en ce qui concerne l’acide ci- 
trique, la quantité qui a disparu en un mois, nous trouvons le chiffre 
assez élevé de 08°,107 pour 20 grammes de kaolin. Dans un mémoire 
très intéressant, M. H. Snyder avait publié, en 1895, ses recherches 
sur l’action qu’exercent les acides organiques et minéraux sur les 
sols. L'auteur dit en résumé : « L’acide citrique exerce la plus 
grande action dissolvante sur la chaux, la magnésie, les acides phos- 
phorique et sulfurique. » 

Il est à peu près certain que les feldspaths qui sont facilement 
attaqués par les eaux chargées d'acide carbonique doivent saturer 
des quantités d’acide citrique encore supérieures à celles que J'ai 
observées pour un kaolin. 

En résumé : 

1° Lorsqu'une plante attaque, par le suc de ses racines, un sol 
quelconque, on ne peut pas savoir, & priori, par le dosage du cal- 
caire seul, quelle sera la dépense d’acide que devra faire le végétal 
pour exploiter la terre qui se trouve contre ses organes souterrains ; 


1. H. Synder, Journ. amer. chem. soc., 1895, n° 2, pp. 148-151. 


_ 


ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 41 


2° Lorsque l’on dose le calcaire par des méthodes dites rapides, en 
se basant sur les quantités d’acides étendus saturées par un échan- 
üllon de terre, on obtient des erreurs qui peuvent être considérables 
si l’on s’occupe de sols granitiques ; 

3° C’est à tort que l’on qualifie certains sols granitiques de l’ex- 
pression acides; en Bretagne, des terres qui ont cette réputation 
sont capables de saturer, quoique ne renfermant que des traces de 
chaux, des doses relativement considérables d’acide citrique étendu ; 
les études que je poursuis à ce sujet feront l’objet d’un mémoire 
spécial ; 

4° Dans l’étude des sols chlorotiques, l'indication de l'acide citri- 
que saturé dans des conditions déterminées par les échantillons, 
pourra être d’une très grande utilité, comme Jje l’établirai dans l’é- 
tude qui va suivre. 


DEUXIÈME PARTIE 


ASSIMILATION DE L’ACIDE PHOSPHORIQUE PAR DES VÉGÉTAUX 
CHLOROTIQUES 


Dans la première partie, j'ai indiqué sommairement comment on 
peut rechercher le degré d’alcalinité d’un sol ou plutôt le pouvoir 
que possèdent les terres de saturer des quantités plus ou moins no- 
tables d'acide citrique. 

J'ai pensé reprendre, à ce propos, les études que j'avais entre- 
prises au sujet de la chlorose des végétaux et publiées dans un 
mémoire présenté au Congrès international d’horticulture, en 1895. 
Dans ce travail, j'indiquai que la chlorose apparaît en terrains cal- 
caires parce que l’acide des racines était employé surtout à saturer 
le carbonate de chaux du sol ; je disais que le sulfate de fer agissait 
pour créer autour des racines une zone moins alcaline, dans laquelle 
le végétal trouvait sa nourriture minérale plus facilement si l’on sup- 
posait son émission de suc acide constante. 

Comme conclusion, j'indiquai comme remède qu'il fallait, en 
effet, pour combattre la chlorose, soit diminuer lPalcalinité du sol, 


42 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


soit enrichir ce dernier en éléments assimilables au moyen d’un ap- 
port d'engrais. Et, à l’appui de ces allégations, je puis dire que, dans 
un certain nombre de cas, la maladie a cédé par l’application d’en- 
grais suivant des formules bien comprises, comme celles de M. Gran- 
deau, universellement connues aujourd’hui. 

Ï s’agissait d'aller plus avant dans mes investigations, c’est alors 
que le hasard me vint en aide de la façon suivante. 

Ayant fait l’analyse d’un grand nombre de sols de la Vienne pro- 
venant tous d’une même propriété, il s’est trouvé que deux échantil- 
lons, les n° 13 et 14, de parcelles voisines avaient exactement les 
mêmes Compositions en ce qui concerne la chaux totale, la potasse, 
l'acide phosphorique, l’oxyde de fer. Or, le propriétaire, M. Du- 
chesne, s’étonna fort du résultat, car, sur la parcelle n° 13, la vigne 
était plus chlorosante que sur la parcelle 14. J’eus alors l’idée de 
rechercher le degré d'alcalinité par le procédé que j'ai indiqué. Sur 
2 grammes d’acide citrique mis en présence des deux échantillons de 
10 grammes, le n° 13 en a saturé 18,72 en douze heures, le n° 14 
en a saturé 15,46 pendant la même période. Dans plusieurs essais, 
les différences ont été du même ordre. Ces observations confirment, 
du reste, celles de M. Houdaille, qui, au moyen de son appareil ingé- 
nieux, mesure la vitesse d'attaque des carbonates renfermés dans 
les sols et en a tiré des renseignements très utiles pour nos viti- 
culteurs. I] s’agissait, toutefois, de bien montrer qu’en augmentant 
l’alcalinité du sol, on entravait l’assimilation d’un élément, c’est ce 
que Jj’essayai de faire par l'expérience suivante. Dans quatre pots à 
fleurs susceptibles de contenir 2 kilogrammes de terre, je créai un 
milieu artificiel dans lequel la quantité de calcaire très fin allait en 
proportion croissante. Dans chaque pot j'incorporai, le plus uni- 
formément possible, 10 grammes de cendres d’os qui fournissaient 
l'acide phosphorique à l’état insoluble. L'alimentation azotée fut ap- 
portée par du nitrate de potasse à la dose de 2 grammes ajoutés en 
solution, après la levée des plantes. Je choisis comme plante d’expé- 
rience le colza, dont les graines très petites renferment peu de ré- 
serves, et dont la végétation est assez rapide. Dix graines furent 
semées, mais Je ne laissai que cinq plants semblables dans chaque 
pot après la levée. 


ASSIMILATION DES MATIÈRES MINÉRALES DU SOL PAR LES PLANTES. 43 


Le tableau suivant indique la disposition de l’expérience et les 
résultats obtenus : 


COMPOSITION DU SOL. RÉCOLTE VERTE MATIÈRE SÈCHE 
NUMÉROS Sable calcaire. obtenue. obtenue. 

© +, A 
RENTE Tiges. Racines. Tiges. Racines. 

Kilogr. Kilogr. Gr. Gr. Gr. Gr. 
De 2 » 0 » 50,900 15,330 5,292 3,500 
5. 1,150 0,250 . 50,690 12,190 5,520 4,600 
8 . 1,500 0,500 40,500 2,900 4,150 0,800 
PL LR 1 De 19,580 3,010 1,900 0,900 


Nous voyons immédiatement l'effet qu’exerce la présence d’une 
forte dose de calcaire sur le développement du colza. Les plantes 
du pot n° { étaient d’un vert superbe, celles des pots n° 3 d’un vert 
jaune, celles du pot n° 4 totalement blanches. 

J'ai complété l'expérience en faisant les dosages de la matière 
minérale, de l’acide phosphorique et de la chaux dans les récoltes 
obtenues. On remarquera quelques à-coups dans les chiffres présen- 
tés, je ne puis les expliquer, mais je tiens absolument à la publi- 
cation sincère des résultats que j'ai cherchés avec la plus grande 
minutie. 


Analyse de la matière sèche obtenue. 


NUMÉROS CENDRES TOTALES. ACIDE PHOSPHORIQUE. cHaAux (en calcaire). 
HESUOÉ: Tiges. Racines. Tiges. Rires. ee Bains 
Grammes. Grammes. Myr. Myr. Myr. Myr. 
t:. 1,163 1,850 66,4 49,2 325 330 
Fri 1,350 3,211 50,8 47,2 235 530 
ge 0,511 0,552 21,6 6,6 100 145 
&. 0,223 0,073 10,3 4,8 30 12,50 


Les résultats contenus dans ce tableau sont tout à fait concluants ; 
l'assimilation de l’acide phosphorique a été entravée par la présence 
du calcaire. Dans le pot n° 1, qui ne renferme pas de calcaire, les 
cendres renferment 5,70 p. 100 d’acide phosphorique pour les tiges, 
dans le pot n° 3 et dans le n° 4 on n’a plus que 4,22 et 4,68 p. 100 
de cet élément. Lorsqu'il y à dans le sol des masses de calcaire ténu, 
la quantité de chaux n’augmente pas dans le végétal proportion 
nellement à celle du sol, au contraire. Ge résultat vient confirmer 


44 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


les analyses comparées de MM. Degrully et Gastyne exécutées sur des 
vignes chlorotiques et sur des vignes bien portantes; d’autre part, 
celles que j'ai faites dans le même but, consignées dans un mémoire 
sur la chlorose du poirier en comparant des feuilles d'arbres chloro- 
sées avec des feuilles de la même variété bien portante. Ma conclu- 
sion serait donc celle-ci : on aurait, au point de vue de la chlorose 
surtout, en général pour l'étude de l'assimilation des éléments ferti- 
lisants de nos terres, acide phosphorique et potasse, des renseigne- 
ments précieux en recherchant, d’une part, comme l'indique M. Ber- 
nard Dyer, la quantité de ces éléments solubles dans l'acide citrique 
au centième renfermé dans un sol; d’autre part, la quantité d’acide 
citrique qui serait dépensée par la plante pour explorer ce sol. 

La méthode est très susceptible de perfection, elle serait applicable 
le jour où l’on trouverait un liquide d’attaque autre que celui indi- 
qué par M. Bernard Dyer, mais je serais très heureux si, apportant 
une modeste part à la solution d’une question très complexe, quel- 
ques savants, plus autorisés que moi, voulaient se lancer dans cette 
voie : doser les éléments solubles dans le réactif de M. Bernard Dyer 
ou un autre et rechercher en même temps l'effort nécessité par cette 
dissolution, en se rapprochant ainsi le plus possible de ce qui existe 
dans la nature. 


GLYCOGENIE 


ET 


ALIMENTATION RATIONNELLE 
AU SUCRE 


PAR MM. 


J. ALQUIER 


INGÉNIEUR-AGRONOME 
CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DA LA SEINE 
ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES 
A PARIS 


D' A. DROUINEAU 


MÉDECIN-MAJOR DE 2° CLASSE AU 123 RÉGIMENT D'INFANTERIE 


(Suile‘.) 


II, — SOURCES ET MODES DE FORMATION DES HYDRATES DE CARBONE 
DE L'ÉCONOMIE ANIMALE. UTILISATION ET MODES D'UTILISATION PAR 
L'ORGANISME DES DIVERSES MATIÈRES SUCRÉES. 


Classification des aliments. 


Il est un fait physiologique qui résume tout ce que nous venons 
d'exposer au cours du précédent chapitre, c'est la persistance de la 
matière sucrée dans l’économie animale. L'organisme utilise pour- 
tant cette matière sucrée. La disparition du glycogène dans le foie 
et les muscles, la diminution du glucose dans le sang veineux qui 
revient des différents tissus et organes, nous permettent d’être affir- 


1. Voir ces Annales, t, 1, 1902-1903. 


46 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


matif à ce sujet, en attendant qu’il nous soit donné de contrôler, au 
sein même de l’organisme, celte consommation du sucre. Aux dé- 
penses qui se font incessamment, il faut maintenant opposer des 
recettes. 

Comment s'opère ce renouvellement de la matière sucrée? Les 
faits généraux d’observation et les résultats expérimentaux ont déjà 
répondu à la question. Ils sont d'accord pour démontrer qu’elle 
trouve sa source dans l'alimentation, sans qu’il y ait lieu de se 
préoccuper des particularités du régime alimentaire. 

Tout d’abord, comme la matière sucrée existe dans l'organisme sous 
deux formes principales, le glycogène et le glucose, est-il nécessaire de 
rechercher séparément l’origine de chacune d'elles? La chimie nous 
en dispenserait presque. Par sa composition le glycogène ne se rat- 
tache-t-il pas, en effet, très étroitement au glucose ? Malgré cela, 
ces deux substances se montrent au fond assez différentes. Le glyco- 
gène est insoluble, incapable de subir l'osmose au travers des mem- 
branes animales. Il demeure inutilisable sans transformations préa- 
lables, ce qui ne l'empêche pas, du reste, d’être un aliment de premier 
ordre, car, lorsqu'il existe dans les cellules où il est essentiellement 
localisé, il en disparait parfois très rapidement. Le glycogène, pour 
nous résumer, quoique essentiellement mobile, est dans l’économie la 
forme de dépôt et de réserve de la matière hydrocarbonée. Nous lui 
avons opposé le sucre de tous les liquides de l’organisme, le glucose 
directement assimilable, susceptible par diffusion de traverser rapi- 
dement les parois cellulaires et de se répandre dans les tissus, Le 
glucose qui, normalement, se retrouve toujours dans le sang en 
quantité constante, et constitue, en un mot, la forme de transport de 
la malière sucrée physiologique. | 

Le glycogène et le glucose sont donc en somme deux termes 
assez distincts, auxquels aboutit dans l’économie animale, la synthèse 
de la matière sucrée. Aux dépens de quels matériaux s’effectuent 
ces deux productions, qu’il nous faut dorénavant étudier séparément? 
C’est à quoi nous allons tàcher de répondre. On peut réunir tous ces 
matériaux sous la dénomination d'aliments, si l’on convient ainsi 
que nous avons déjà fait de désigner, par ce terme générique, toutes 
les matières premières, quelle que.soit leur nature, qui servent habi- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 47 


tuellement, ou sont susceptibles de servir à l’édification, à l'entretien 
et aux besoins des tissus. Devant cette définition de l’aliment, c’est 
même à la physiologie seule que nous devrions demander la classifi- 
cation de toutes les sources possibles, de glycogène et de glucose. 
Il faut cependant songer que le rôle physiologique des aliments, ainsi 
compris, est essentiellement variable. Non seulement l’utilisation 
d’un même principe assimilable change suivant les individus, mais 
elle varie suivant l’état du sujet considéré. C’est ainsi, pour donner 
de suite un exemple de circonstance, qu’un même organisme, pris 
à des jours différents et cependant dans les mêmes conditions appa- 
rentes, ne consomme pas dans le même temps les mêmes quantités 
d’une même solution d’un même sucre”. Il est donc nécessaire de 
chercher à faire rentrer les principes nutritifs dans des cadres un 
peu moins élastiques. On y arrive en se bornant à les énumérer 
dans un ordre plutôt chimique que physiologique. 

Nous avons déjà indiqué, dans le premier chapitre, les grandes 
lignes de la division chimique couramment adoptée. Les éléments 
inorganiques comme l’eau et les sels minéraux étant mis à part, on 
sépare en deux les principes organiques, c’est-à-dire ceux qui subis- 
sent, plus ou moins longtemps après leur ingestion, des modifications 
telles qu'il n’est souvent plus possible de les retrouver en nature 
dans les excreta solides, liquides ou gazeux *. 

Une première catégorie comprend les matières azolées ; on range 
dans une seconde les principes non azotés. 

Dans les substances azolées, il faut tenir compte des différentes 
formes sous lesqueiles l’azote se trouve engagé. En plus de l’ammo- 
niaque et des nitrates qui doivent être classés parmi les principes 
inorganiques, l’analyse, aidée par la physiologie, nous oblige à dis- 
Unguer les matières albuminoïdes des matières non albuminoïdes. 
Les premières, appelées également matières proléiques (de rswrasw, 
Je suis le premier) à cause de leur rôle prépondérant dans la nutri- 


1. D' Brocard, Utilisation des sucres (en collaboration avec Charrin), Loc. cit., 
p. 29. — Comples rendus, 1902, t. I, p. 48 et 188. 

2. Pour l'énumération et le dosage des différents principes que l’on rencontre dans 
les aliments complexes, voir: Alquier, Analyse immédiale des aliments du bétail, 
Masson, Gauthier-Villars, 1901. 


48 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tion, sont des substances fort complexes, dont on ne peut donner 
une définition simple. Mais, bien que différentes par leur origine, 
leurs propriétés et leur composition, elles peuvent être rangées dans 
une même famille naturelle. L’albumine du blanc d'œuf, la caséine 
du lait, la myosine des muscles, la fibrine du sang, le gluten de la 
farine, sont des exemples de matières protéiques naturelles. Par 
hydratation, sous l'influence, par exemple, des acides et des alcalis 
dilués ou des ferments, ces substances subissent des modifications et 
se dédoublent en différents produits artificiels qui conservent encore 
les caractères généraux des albuminoïdes. C’est ainsi que l’on obtient 
les synlonines et les protéoses parmi lesquelles se rangent les pep- 
tones résultant de l’action digestive des ferments analogues aux 
sucs gastriques ou pancréatiques. On compte également comme 
albuminoïdes certains principes que ces derniers ferments ne peu- 
vent attaquer. Les nucléines sont justement de ces résidus protéiques 
insolubles de la digestion. 

Les matières azolées non albuminoïdes comprennent tous les 
composés organiques, dérivés par hydratation ou oxydation des 
albuminoïdes proprement dits, qui se distinguent de ces derniers 
par leurs réactions générales. On compte dans ce groupe un grand 
nombre de composés basiques, les alcaloides entre autres, puis les 
amides et les acides amidés doués à la fois de propriétés acides et 
basiques, tels que l’asparagine, la leucine, la tyrosine, le glyco- 
colle. Ce sont des produits de décomposition avancée que lon re- 
trouve toujours lorsque l’on traite les albuminoïdes par les acides 
ou les alcalis à l’ébullition ou après action des ferments de la putré- 
faction. 

A la suite des principes quaternaires, il faut enfin citer les ma- 
tières dites collagènes qui, insolubles à froid, se transforment à 
l’ébullition en isomères solubles, telles que la gélatine, l'osséine, la 
chitine, la chondrine, susceptibles parfois de fournir à l’hydrolyse 
des matières sucrées réductrices. Ces corps, nous nous sommes déjà 
suffisamment étendus à ce sujet, forment une liaison toute naturelle 
entre les principes azotés et les principes non azotés. 

Quant à ces derniers, nous n’avons rien à ajouter à ce que nous 
en avons dit au début de ce travail. Rappelons seulement d’une ma- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 49 


nière très générale que, parmi les substances ternaires, l’on trouve 
d’abord les matières grasses et les corps analogues solubles dans 
les mêmes dissolvants que les graisses, puis le groupe, on ne peut 
plus étendu et complexe, des hydrocarbonés. Nous nous souvenons 
que les corps gras neutres sont des éthers de la glycérine, alcool 
triatomique. Nous savons également que, dans le langage courant, 
la dénomination d’hydrate de carbone s’applique à un grand nombre 
de principes à fonctions alcooliques et non pas seulement aux sucres 
vulgaires à 6 atomes de carbone, où l'hydrogène et l'oxygène se 
trouvent combinés dans les mêmes proportions que dans l’eau. 
Cette division classique des aliments, on le sent bien, nous est im- 
posée bien plus par l’état actuel et l’imperfection de nos connaissances 
que par l’ordre naturel et véritable des choses. Il serait imprudent 
de supposer, en effet, que les aliments complexes naturels, tels que 
les animaux les consomment, et qui suffisent à entretenir la vie ne 
sont uniquement conslitués que par le mélange des trois catégories 
d'aliments chimiques simples que l’analyse vient de nous révéler: la 
matière albuminoïde, la graisse et la substance hydrocarbonée. Il y a 
quelque chose de plus dans la forme, l’état physique ou chimique de 
la matière alimentaire naturelle. Et sur ce quelque chose, la chimie 
ne nous apprend rien. Cela nous démontre en passant que sa classi- 
fication n’est pas parfaite. Malgré ses défauts, elle va nous être 
cependant un guide bien précieux. Comment sans elle pourrions- 
nous étudier méthodiquement les différentes sources auxquelles 
puise l'organisme pour élaborer son glycogène et son glucose ? 


Étude générale de la formation du glycogène. 


Commençons par le glycogène. Nous l’avons localisé principale- 
ment dans le foie et dans les muscles. Mais celui qui se trouve 1m- 
prégner le foie n’est-il pas formé dans un autre organe puis amené 
à la glande hépatique, par le sang, où l’on constate presque tou- 
jours sa présence ? N'est-ce pas le sang qui transporterait de même 
le glycogène du foie dans les muscles? Voilà deux questions aux- 
quelles nous devons tout d’abord répondre, car avant de s'inquiéter 
de la qualité des matériaux aux dépens desquels va se former le 


ANN. SCIENCE AGRON. — % SÉRIE. — 1902-1903, — 11. 4 


50 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


glycogène, il faut être sûr que les divers tissus qui en contiennent 
sont bien le siège de cette production hydrocarbonée. Sans cela, 
l'observation limitée seulement au foie et aux muscles n’aurait au- 
cune valeur. Les propriétés physiques du glycogène nous permettent 
de répondre brièvement : ce corps est incapable, ou à peu près, de 
traverser les parois cellulaires; quand ii existe dans une cellule, c’est 
donc qu'il y a été créé sur place. D'autre part, étant donnée la très 
fable quantité de glycogène incluse dans les éléments figurés du 
plasma sanguin, il semble peu probable que le sang puisse suffire à 
apporter aux muscles la réserve hydrocarbonée qu'ils contiennent. 

On compte beaucoup de travaux sur la formation du glycogène 
dans le foie. Les recherches ont été presque toutes faites sur des 
animaux soumis à l’inanilion, c’est-à-dire chez qui le jeûne prolongé 
avait, ainsi que nous le savons, entièrement ou presque entièrement 
privé la glande du glycogène qui y existe habituellement, ou bien 
encore sur des animaux auxquels on avait antérieurement admi- 
nistré de la phloridzine, c’est-à-dire chez lesquels le glycogène avait 
également disparu du foie. L'animal d'expérience ainsi préparé, l’on 
faisait ingérer l'aliment protéique ou la matière grasse ou l’hydro- 
carboné que l’on voulait étudier en tant que source de glycogène ; 
puis, après digestion, on sacrifiait l’animal pour y rechercher dans 
le foie qualitativement ou quantitativement ce dernier corps. Suivant 
que cel organe en contenait ou n’en confenait pas, on considérait 
l’aliment en question comme une source de glycogène, ou comme 
inapte à servir de matière première, lors de la formation de cette 
réserve sucrée. 

Devant les seuls faits sur lesquels on se base pour Pétablir, que 
vaut celte dernière conclusion ? Elle n’est rien moins que fort avan- 
turée, car l’apport alimentaire n’est pas la seule cause qui puisse 
influer sur la présence du glycogène en plus ou moins grande quan- 
üté dans les tissus. Nous savons que le glycogène est un élément es- 
sentiellement mobile, qui diminue et augmente sans cesse. Aliment 
de réserve par excellence et inutilisable sous sa propre forme, il a 
besoin d’être transformé pour devenir directement assimilable. Cette 
transformation s’opère sous l'influence de ferments hydrolysants. 
Or, l’un des caractères des diastases, c’est justement de n’apparaitre 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. D1 


que lorsqu'elles sont utiles, c’est-à-dire lorsque le besoin d’entamer 
les réserves se fait sentir. D’après cela, il n’y a plus lieu de consi- 
dérer la présence du glycogène dans la cellule que comme la résul- 
tante de deux fonctions contraires, la dépense et la recette que 
l'organisme fait de ce principe. Qu’elles soient nulles ou très actives, 
qu'elles s’équilibrent, ou que la seconde n’arrive pas à balancer la 
première, il peut y avoir dans tous les cas absence complète de 
glycogène. Lorsque l’on constate par contre la présence de ce corps, 
cela ne peut et ne doit signifier qu’une seule chose, c’est que la 
production dépasse la consommation. Les expériences tenant compte 
à la fois de la présence ou de l’absence du glycogène dans les cel- 
lules observées et de la production ou de la consommation générale 
du sucre par l'organisme sont donc les seules qui puissent rester à 
l'abri des critiques et permettent de conclure sur la formation du 
glycogène aux dépens de tel ou de tel aliment. 

Effectivement, les quelques exemples qui suivent vont nous montrer 
que, en dehors de tout apport alimentaire, le glycogène des tissus 
est fonction à la fois et de la production et de la consommation de la 
matière sucrée par l'organisme entier. Toutes les fois qu’il y a exci- 
tation de la glycolyse, c’est-à-dire augmentation de dépense, ou bien 
modération de la glycozénie, c’est-à-dire diminution de la formation 
du sucre, la répercussion de ces phénomènes généraux de la nutri- 
tion se fait nettement sentir sur le glycogène. 

Les alcalins à forte dose agissent, paraît-il, sur la glycogénie. C’est 
pour cela que la thérapeutique les emploie. Les expériences de 
Dufourt * établissent qu’ils ont également de l'influence sur la réserve 
sucrée du foie. On prend deux chiens de même poids (6 kilogr.) et 
aussi semblables que possible. Après un jeûne absolu d’une durée de 
quatre jours, on les nourrit durant quinze jours avec exactement la 
même quantité de viande. L'un des sujets reçoit en outre, mélangés 
dans sa ration, de 2 à 5 grammes de bicarbonate de soude. Lorsque, 
par section du bulbe, on sacrifie simultanément les deux animaux 
d'expérience, on trouve que le foie du chien au bicarbonate ren- 


1. Dufourt, Arch. de méd. expér. et d'anal. pathol., mai 1890, p. 424. — 
Comples rendus, Soc. biol., 1890, p. 146. 


52 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


ferme une quantité de glycogène double de celle qui est contenue 
dans le foie du chien témoin. 


POIDS SUCRE : 

du foie. préexistant. SELON Re 
- Gr. Gr. Gr. 
Chien au bicarbonate . . . . . 229 3,01 3,18 
Ghien témoins Ant. 0 ER 192 2,49 0,15 


Cet excès de glycogène hépatique vient-il d’une production plus 
abondante de glycogène ou d’une destruction moins abondante de 
cette matière sucrée ? Il est permis de pencher pour la seconde hy- 
pothèse, car le bicarbonate in vitro empêche, dans une certaine 
limite, la transformation du glycogène en sucre par les diastases hy- 
drolysantes”. L’arsenic, qui, comme les alcalins, doit également comp- 
ter parmi les convoyeurs d'oxygène, favorise la glvcolyse lorsqu'il est 
absorbé à petites doses. A fortes doses, 1l diminue au contraire la 
olycogénie, et, dans ce cas, le foie des animaux est toujours très 
pauvre en glycogène *. Voici encore d’autres exemples : les subs- 
tances connues sous le nom d’antipyrétiques*, ainsi que la quinine * 
et la morphine * empêchent la formation du sucre. Quelquefois, ils 
ralentissent en même temps la destruction du glycogène, et la con- 
sommation générale de la matière sucrée, et cela, au point que les 
eneurs en glucose des sangs artériels et veineux, chez les sujets 
ayant ingéré de l’antipyrine, présentent moins d'écart qu'à Pétat 
normal °. 

L’ingestion de bicarbonate, d’arsenic, d’antipyrine, de quinine, 
etc, provoque en un mot l'apparition du glycogène dans le foie, 
et pourtant il n’est venu à l'esprit de personne de considérer les corps 
conime suceptibles dans ce cas de servir de matières premières ali- 


1. Gans, Semaine médic., 1896, p. 168. 
2, Saikowsky, Centr. BI. f. d. med. Wissensch., 11 novembre 1865. 

3. Lépine et Porteret, Comples rendus, 1888, t, 1, p. 1023 ; t. Il, p. 416. 

4. Martz, Circulalions artificielles à travers le foie et le pancréas. (Thèse de 
Lyon, 1897.) 

5. Richter, Zeëlsch. f. klin. Med., 1598, t. XXXVI, p. 1. 

6. Lépine, Arch. de Méd. exp. et d'Anal. pathol., janvier 1889, p. 45. — Semaine 
méd., 1889, p. 261. 


EPST Te 


2 


LS dt LOR 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. bp] 


mentaires. Mais, nous dira-t-on, ce sont là des substances médica- 
menteuses qui agissent directement sur la cellule hépatique et ses 
ferments ‘ ou qui exercent incontestablement leur action par l’inter- 
médiaire du système nerveux général, Sans doute, mais en quoi les 
médicaments se distinguent-ils donc des aliments ? Parmi ceux-ci il 
en est qui servent à l'assimilation et réparent les pertes que cause 
la désassimilation ; il en est aussi qui, en même temps, favorisent 
ou règlent ces deux grandes fonctions. N'est-ce pas là justement le 
rôle de certains médicaments, et, pour ne pas être exclusif, il faut 
alors reconnaitre que médicaments et aliments ne différent souvent 
au fond que par la proportion dans laquelle ils sont couramment 
employés. L'alcool, nous le verrons, est un très médiocre aliment, ce 
qui n'empêche pas que, pris à doses même modérées, il provoque 
une notable excitation des cellules hépatiques qu’il irrite. Autre fait : 
le pancréas sécrète un ferment, la trypsine, qui dissout et transforme 
les matières protéiques. Les peptones et autres produits de cette diges- 
tion tryptique passent normalement dans l’économie ; or, les recher- 
ches expérimentales viennent démontrer qu’ils favorisent assez acti- 
vement la destruction du sucre par les cellules vivantes. La levure 
de bière * en effet mise en présence d’un morceau de pancréas qui, 
après excitation des nerfs, est fortement imprégné des produits de 
sa sécrétion physiologique et notamment des peptones, fait fermenter 
le sucre beaucoup plus vite qu’en présence d’un morceau de pan- 
créas non excité. Mais, d'autre part, ainsi que l'ont démontré Gilbert 
et Carnot”, les peptones ont une action considérable sur les cellules 
hépatiques dont elles semblent exciter le fonctionnement. C’est ainsi 
qu’elles augmentent notamment le pouvoir d'arrêt du foie vis-à-vis 
du sucre. On ne peut cependant considérer les produits normaux de 
la digestion des albuminoïdes comme de nature médicamenteuse, et 
pourtant, selon toute vraisemblance, ces peptones naturelles peuvent 
avoir la propriété d'augmenter in vivo tantôt la mise en réserve du 
sucre dans le foie tantôt sa consommation par les divers tissus. 


1. Lépine, Arch. de Méd. exp. et d’Anat. pathol., janvier 1889, p. 55. 
2. Lépine et Martz, Comptes rendus, 1899, t. I, p. 904. 
3. Gilbert et Carnot, Fonctions hépatiques, C. Naud, 1902, p. 136. 


54 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


C’est ainsi que l’on découvre peu à peu mille faits susceptibles 
d’influencer la glycolyse et la glycogénie générales et par suite de 
changer dans les cellules la provision de glycogène. Ces critiques, 
précisées par la science moderne, ont été du reste pressenties par 
certains expérimentateurs qui, des premiers, ont abordé l'étude de 
l’origine du glycogène. Alors que les uns comme Pavy, Dock, Luch- 
singer considèrent l’apparition du glycogène, consécutive à l’inges- 
tion d’une substance alimentaire comme le résultat de la {rans- 
formation directe de cette substance en glycogène, les autres au 
contraire, et ils sont nombreux (Tscherinoff, Tieffenbach, Ogle, 
Weiss, Salomon, Pink, de Méring, Wolffberg, Finn, Kulz, Nebelthau, 
F. Voit, etc.), admettent que certains aliments, tout en ne servant 
pas de matière première, lors de l'élaboration du glycogène, peuvent 
cependant opérer par épargne ou proleclion et provoquer une aug- 
mentation de glycogène dans le foie’. Ces aliments, par suite de 
leur utilisation, permettraient l'accumulation d’une réserve de sucre 
qu'elles protégeraient en subvenant aux besoins de l'organisme. 
Malheureusement aucune donnée expérimentale ne permet de se pro- 
noncer nettement en faveur de la théorie de la formation directe ou 
de la théorie de l’épargne. Peut-être sont-elles vraies toutes les 
deux ? Sans vouloir trancher cette question, toute théorique au fond, 
cherchons plutôt s’il n’est pas possible d'indiquer parmi les divers 
aliments de notre classification ceux que la cellule utilise de préfé- 
rence pour former ou épargner son glycogène. 

Dans la très nombreuse bibliographie de la question, mettons de 
côté les recherches auxquelles les observations précédentes laissent 
moins de valeur, et adressons-nous seulement aux quelques expé- 


1. À propos de la théorie de la formation directe et de la théorie de l'épargne, voir : 
Dock, Arch. f. Physiol., 1872, p. 571. — Luchsinger, Dissert, Zurich, 1875. — 
Tscherinoff, Sélz. d. Wien. Akad., t. LI, deuxième partie, p. 412. — Arch. f. path. 


Anal., t. XLVIT, p. 102. — Méd. Centralb., 1865, n° 43. — Ogle, Saint-George 
Hospilal Reports, t. II, 1868, p. 149. — Weiss, Wiener. akad. Silzungsb., t. LXIV, 
1871; t. LXVIL, 1873. — Salomon, Méd. Centralbl., 1874, n° 12. — Pink, Dis- 


sert, Kænigsberg, 1874. — De Méring, PAluger's Arch., t. XIV, p. 281. — Wolf- 
berg, Zeilsch. f. Biol., 1876, t. XIL. — Finn, Déssert. Erlangen, 1877. — Külz, 
Festschrift, p. 27-35. — F. Voit, Zeilsch. f. Biol., t. XXNIIT, p. 353; t. XXIX, 
p. 146. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. DD 


riences qui peuvent être probantes. Et, à notre avis, il v en a. Ce 
sont par exemple celles où l’auteur a opéré par comparaison sur 
des lots d'animaux, assez nombreux pour que lon soit sûr d’être 
mis à l’abri des variations individuelles et où il a été possible de 
prouver que le foie des sujets mis au régime spécial renfermait plus 
de glycogène que le foie des témoins. 


Formation du glycogène aux dépens des matières azotées. 


En reconnaissant que la présence de la matière sucrée dans l’éco- 
nomie est indépendante du genre d'alimentation, nous avons déjà 
implicitement admis que tous les aliments sont aptes à se transfor- 
mer en sucre physiologique. Passons-les successivement en revue. 
Le glycogène peut-il se former aux dépens des matières azotées ? 

Dès ses premiers travaux, Claude Bernard avait reconnu que le 
foie et les muscles des animaux, nourris exclusivement avec de la 
viande dégraissée, contenaient une notable quantité de glycogène. 
Naunyn’ refit l’expérience sur des poules, en écartant toutes les 
causes d'erreur possibles. Il débarrassa entièrement les animaux de 
leur glycogène par un jeûne de six jours, ce dont il s’assura sur quel- 
ques-uns d’entre eux, puis il les nourrit exclusivement, durant 
quelques jours, avec de la viande maigre bouillie, abandonnée en- 
suite à une légère fermentation, pressée enfin, et cela pour être sûr 
qu’elle ne contenait ni glycogène, ni sucre, ni inosite. Les poules une 
fois sacrifiées, on trouva de 2 à 3 p. 100 de glycogène dans leur foie. 
De Mering laissa jeùner deux gros chiens durant 21 jours; l’un d’eux 
reçut de la fibrine pure, et, 6 heures après ce repas, on le tua. Son 
foie contenait alors 15 grammes de glycogène et celui du témoin 0,5 
seulement. Ce glycogène n’existait pas au début de l'expérience et ne 
provenait sûrement pas des hydrates de carbone qui, auparavant, 
avaient été extraits de l'aliment. Il pouvait donc y avoir eu formation 
de glycogène aux dépens des matières protéiques dont la viande était 
presque exclusivement composée. 

Dans les cas de régimes mixtes, le glycogène augmente, du reste, 


1. Naunyn, Arch. f. exper. Pathol. u. Phar., t. I, 1875, p. 94. 


56 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


toujours avec les quantités d’albuminoïdes absorbées. Voici, à ce 
sujet, quelques chiffres empruntés à Wolffberg : 


RATION DES POULES D'EXPÉRIENCE GLYCOGÈNE 

’ par vingt-quatre heures. p.100de foie. 
600 grammes de sucre + S grammes d'albumine. , , . 05,474 
GLOBE DUR — RER 0 ,821 
(ELIDEN ne — +50 . — — RATS: 1 ,840 


IL est avec cela expressément reconnu * que la quantité de viande 
ingérée augmente l'hyperglycémie et la glycosurie des-diabétiques. 
En 1881-1882, Seegen compléta ces premières données sur le rôle 
des protéiques et arriva à cette conclusion que, dans le foie, il y a 
formation directe de glycogène aux dépens des peptones provenant 
de Ja digestion de ces albuminoïdes. L'opinion de Seegen s’appuvait 
sur l'expérience suivante: des chiens, préalablement soumis à un jeûne 
de un à quatre jours, reçoivent de 45 à 28 grammes de peptones de 
Darby en dissolution dans une certaine quantité d’eau ; on les sacrifie 
une heure après environ, et l’on dose le glycogène dans leur foie. On 
en trouve 2,88 p. 100 (moyenne de dix expériences) tandis que chez 
des chiens pris comme termes de comparaison et privés de pep- 
tones, la quantité de glycogène ne dépassait jamais 1,50 à 2 p. 100. 

Au sujet de la transformation des nucléines que nous avons encore 
citées parmi les albuminoïdes, de Renzi et Reale* s’exprimaient ainsi 
au 8" Congrès de la Société italienne de médecine interne : «On sait 
que Kossel* a démontré in vitro que si l’on traite la nucléine par 
un acide dilué, il se sépare des hydrates de carbone. Nous avons 
cherché à nous rendre compte si ce dédoublement a lieu au sein des 
üssus. Nos expériences nous ont prouvé que cette substance doit être 
considérée comme une source d’hydrocarbonés dans l'organisme. » 
C’est ainsi que chez des diabétiques présentant une amélioration, on 
fait réapparaître la glycosurie par imjection de nucléine. Par les 
courants de haute fréquence qui augmentent la désassimilation de 
la nucléine on peut provoquer également de la glycosurie en même 


1. Külz, Arch. f. exper. Pathol. u. Phar., t. NE, 1876, p. 140. — Naunyn, Der 
Diabetes mellilus. Vienne, 1898, p. 137. 
2. Semaine médicale, 1897, p. 405. 


3. Kossel, Chimie des albuminoides (Revue générale des Sciences), 30 mai 1902. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 51 


temps que l’azote augmente dans les urines, signe d’une plus grande 
consommation de matières azotées par l'organisme. 

Tous les protéiques semblent donc agir très nettement sur l’appa- 
rition du glycogène dans le foie, mais il faut reconnaître qu’il en est 
de même de bien d’autres substances azotées. Les amidés qui ne sont 
pas de nature albuminoïde interviennent presque aussi efficacement. 
Rohmann! a dosé le glycogène contenu dans le foie de deux séries 
de lapins, dont l'alimentation ne différait que par quelques grammes 
d’asparagine ou de glycocolle donnés en plus à l’une des deux séries ; 
l'analyse a trouvé : 

GLYCOGÈNE 


p- 100 de foie. 
a 


Témoins. 
Quand on ajoutait dé l'asparagine . L 2,88 1A3T 
Quand on ajoutait du glycocolle. . . . . . 2,46 1,99 


Cela se comprend si l’on songe que lasparagine est consommée 
comme les protéiques puisque l’on retrouve son azote dans l’urine à 
l’état d’urée? et de plus qu’elle semble pouvoir remplacer en partie 
les matières albuminoïdes. Kohn° a établi récemment par des expé- 
riences effectuées sur le chien que l’ingestion de leucine est de 
même suivie d’une notable augmentation du glycogène hépatique. 

Pour finir de passer en revue toutes les matières azotées que nous 
avons nommées, il ne nous reste plus qu’à rechercher s’il y a aug- 
mentation du glycogène dans le foie après ingestion de gélatine. De 
Méring * fit jeüner des chiens durant dix-huit jours ; après quoi il les 
nourrit quatre jours de suite, avec la ration quotidienne suivante : 
195 grammes de gélatine et 3 grammes d'extrait de viande pour 
rendre l’alimentation plus appétissante. A l’examen du foie, on trouva 
dans cet organe 4,45 de glycogène. 

Tels sont les résultats brutaux de l'expérience ! Mais comment le 
olycogène, matière ternaire, se forme-t-il aux dépens des matières 


. Rohmann, Pfluger’s Arch., t. XXXIX, 1886. 

. Seegen, Cenlralbl. f. d. med. Wissensch., 1876, p. 849. 

. Voir D'J. Kuhn, 7raduc., Raquet, Paris, Asselin, 1901. 

. Kohn, Zeëtsch. f. Paysiol. Chem., t. XXVIIL,p. 211. 

5. De Méring, Arch. f. d. gesam. Physiol., t. XIV, 1877, p. 282. 


CO 12 


58 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


azotées quaternaires ? Aucun des faits que nous venons d’énoncer 
ne nous renseigne à ce sujet. Nous y reviendrons En attendant, 
toute réponse à celte question serait forcément hypothétique. Ce que 
l’on sait de positif, c’est que les principes quaternaires pénètrent dans 
l’économie par voie sanguine, en suivant les capillaires intestinaux, 
les veines mésentériques, la veine porte et les capillaires du foie, et 
que cet organe peut les arrêter au passage. Claude Bernard avant in- 
Jjecté de lalbumine d’œuf dans la jugulaire d’un lapin la retrouva 
dans Purine, ce qui n’arrivait pas lorsqu'il l’introduisait par la veine 
porte. Bouchard a constaté la même action d’arrêt du foie sur la ca- 
séine et les peptones, même injectées à doses massives. Plotz et Gyer- 
gvai ont établi en outre, par des circulations artificielles, que les 
peptones disparaissaient en traversant certains tissus et notamment le 
foie. Lehmann avait, avant eux, aussi constaté que le sang de la 
veine porte contenait plus de fibrine que celui de la veine hépatique. 
Les substances, une fois arrêtées, servent-elles alors de matières pre- 
mières au foie pour former son glycogène ? ne font-elles seulement 
que préserver de la destruction la réserve sucrée qui se serait peut- 
être aussi bien formée aux dépens des autres matériaux du sang, 
mais qui, sans leur intervention, aurait peut-être aussi été consom- 
mée ? Rien ne nous permet encore de choisir entre l’une ou Pautre 
hypothèse ; le résultat de ces recherches, au point de vue pratique, 
n’en est pas moins évident : après l’ingestion des matières azolées les 
plus diverses, on peut nettement constater l'apparition du glycogène 
dans le foie. 


Formation du glycogène aux dépens des graisses. 


Voyons maintenant, en suivant toujours la même méthode, s'il 
peut se former du glycogène aux dépens des matières grasses ali- 
mentaires ? [l semble très nettement prouvé que sous l’influence des 
corps gras ingérés seuls, non seulement la quantité de glycogène 
n'augmente pas dans le foie, mais qu’elle tend plutôt à baisser‘. Le 


1. De Méring, Arch. Pfluger's, t. XIV, 1877, p. 282. — Kumagawa et Miura, 4rca. 
f. Physiol., 1898, p. 431-454. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, D9 


résultat était-il donc tant de nature à étonner pour que les expéri- 
mentateurs aient renouvelé maintes fois leurs recherches à ce sujet ? 
La première condition, nous semble-t-il, pour qu’un organe puisse 
élaborer un principe aux dépens de matériaux quelconques, c’est que 
ces matériaux arrivent à portée de cet organe et que ce dernier 
puisse exercer sur eux son activité. Or, que deviennent les graisses 
ingérées ? Si, sans nous occuper de la nature même des changements 
qu’elles subissent, avant d’être absorbées ou pendant qu’elles sont 
absorbées, nous suivons la voie qu’elles prennent pour pénétrer dans 
l’économie, nous les voyons (figure 9), dans les villosités intestinales, 
passer des vaisseaux sanguins dans les chylifères, arriver ensuite 
dans le canal thoracique et se déverser enfin dans le système veineux 
général, sans passer par la veine porte et le foie. Voilà qui nous 
permettrait de ne pas tenir compte des quelques expériences où l’in- 
gestion de graisses a été suivie presque immédiatement d’une aug- 
mentation de glycogène hépatique, si les faits ne nous engageaient pas 
d'autre part, avec une certaine insistance, à ne pas restreindre autant 
le rôle du foie vis-à-vis des corps gras. 

En premier lieu, il ne faut pas perdre de vue que la glande hépa- 
tique est capable d’arrêter ce dernier principe lorsqu'il arrive en 
contact avec elle. Drosdoff, puis Gilbert et Carnot’ ont constaté cette 
action d'arrêt, Les savons sont également bien retenus en masse 
par le foie, et lorsque l'alimentation devient excessive, on sait quelles 
quantités énormes de graisses cet organe est capable d’accumuler. On 
connait aussi à l’état pathologique la dégénérescence graisseuse du 
foie des alcooliques, des tuberculeux et des intoxiqués. Mais si d’une 
part la cellule hépatique arrête et accumule la graisse, on peut cons- 
tater d'autre part qu’elle l’élimine, et qu’il est possible, quelques jours 
après son absorption, de voir disparaître histologiquement les corps 
gras”. Ceux-ci sont-ils alors transformés et en quoi sont-ils trans- 
formés ? Lorsque, après leur introduction et leur localisation dans 


1. Gilbert et Carnot, Loc. cit. 


2. Il faut remarquer à ce sujet que les histologistes ont coutume de considérer 
comme de la graisse toutes les gouttes transparentes des cellules qui noircissent par 
l'acide osmique. Or, il semble que cette réaction n'offre pas grande sécurité. (Siegert, 
Beilr. r. chem. Physiol. u. Palhol., t. 1, p. 114.) 


60 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


le foie, ils cessent d’y rester en nature, on n'a pas remarqué, jus- 
qu'à présent, que leur disparition ait alors été suivie d’une aug- 
mentation du glycogène. Un fait cependant serait peut-être de nature 
à démontrer la transformation de la graisse en glycogène. Nattan- 
Larrier a observé chez le nouveau-né que la graisse avait une topo- 
oraphie péri-portale, etle glycogène une topographie péri-sus-hépa- 
tique. Durant les premiers jours qui suivent la naissance il est possible 
de constater que la graisse diminue très brusquement et qu’elle est 
alors remplacée sur place par des dépôts de glycogène. Voilà la seule 
observation précise que nous puissions enregistrer en faveur du rôle 
que le foie jouerait dans ce cas. | 

Les fibres musculaires, où le glycogène se dépose également, 
se comportent-elles consécutivement à l’ingestion de corps gras, 
comme Îles cellules de la glande hépatique ? Les expériences du pro- 
fesseur Bouchard et du docteur Desgrez ‘ répondent à la question. 
Elles ont été faites sur le chien. Les auteurs ont tout d’abord déter- 
miné la proportion de glycogène contenue dans le foie et les muscles 
de chiens nourris avec un mélange de pommes de terre et de viande, 
c’est-à-dire recevant une alimentation mixte. Ils ont renouvelé le 
même dosage sur les foies et les muscles de chiens soumis à une ina- 
nition de deux à quatre jours. Ces animaux étaient séparés en deux 
séries, les uns jouant le rôle de témoins, et les autres ingérant de 
300 à 1100 grammes de graisse, sous forme de lard, privé avec 
soin de toutes les parties maigres. Sur les animaux, sacrifiés par hé- 
morragie, On pratiquait immédiatement le dosage du glycogène dans 
40 ou 50 grammes de foie ou de muscle de la cuisse. Voici quels 
furent les résultats comparatifs obtenus : | 

GLYCOGÈNE 


par kilogramme 
© 


de de 

foie. muscles. 
1° Alimentalion mixte (viande et pommes de terre). . . . 66.30 4,20 
2° Témoins à l'inanilion (ne recevant que de l'eau). . . . 2,04 2,29 
3° Régime exclusif de la graisse après inanition .. . . . . 1,67 3,13 


Les conclusions qui se dégagent de ces expériences sont bien 


1. Bouchard et Desgrez, Comptes rendus, 1900, t. I, p. 816. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 61 


nettes : l’alimentation copieuse par la graisse succédant à l’inanition 
n’augmente pas le glycogène dans le foie, alors qu’elle relève le 
chiffre du glycogène musculaire de 25,29 à 35,15. Il nous reste 
maintenant à interpréter. 

Faut-il considérer la graisse comme une source réelle de glycogène 
musculaire? Le professeur Bouchard se montre très affirmatif à ce 
sujet, et voici, d’après lui, comment il a été amené à vérifier, ainsi 
que nous venons de le voir, la réalité de l’origine du glvcogène aux 
dépens des corps gras. Des personnes ne recevant d’autres ingesta 
que les gaz atmosphériques et n’éliminant que les matières de la 
perspiration cutanée et de l’exhalation pulmonaire, les autres 
excreta étant retenus dans la vessie et l’intestin, peuvent, dans les- 
pace de une heure, présenter des augmentations de poids atteignant 
106,20 et même 40 grammes, augmentations nettement enregis- 
trées à plusieurs reprises sur une bascule sensible". Les augmenta- 
tions réelles sont encore supérieures, car les sujets en question 
éliminaient certainement de Peau et de l'acide carbonique. Quelle est 
la matière empruntée à l’air et fixée par les tissus, capable de pro- 
duire cette augmentation de poids? Est-ce la vapeur d’eau, l'acide 
carbonique, l’azote ou l'oxygène, pour ne parler que des principaux 
gaz de l’atmosphère? Ce ne peut être la vapeur d’eau, puisqu’il est 
reconnu que l’air expiré en est toujours saturé ; le corps perd plus 
d’eau par l'expiration qu’il n’en gagne par l'inspiration. Comme il est 
évident que de telles augmentations de poids ne peuvent s’expliquer 
par fixation d’acide carbonique ou d’azote, e’est à l'oxygène seul qu'il 
faut imputer le phénomène. Ce gaz n'étant de nature à produire des 
variations de poids importantes ni par dissolution ni par combinaison 
avec l’hémoglobine, il fallait alors admettre qu’il s'agissait, dans ce 
cas, d’une oxydation incomplète survenue au cours de la destruction 
des albuminoïdes, des graisses ou des hydrocarbonés. Le professeur 
Bouchard écarta, par le raisonnement, toute intervention des pro- 
téiques et des sucres, et, s'étant aperçu que la souris et le chien aug- 
mentaient de poids, presque à volonté, lorsqu'une alimentation 
copieuse à la graisse succédait à un jeùne prolongé, il en arriva à con- 


1. Bouchard, Comptes rendus, 1898, t. IT, p. 464. 


62 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


clure que de telles variations positives de poids n’étaient certainement 
dues qu’à une oxydation incomplète des graisses. L’oxydation complète 
n’expliquerait en effet qu’une augmentation très minime de poids. En 
transformant la graisse en glycogène d’après l’équation suivante : 
G55 H104 06 + 60 O — 12 (H?0) + 7 (CO?) + 8 (GS H'° 0°) 
Graisse, Oxygène. Eau. Acide carb. Glycogène. 

pour une partie de graisse ainsi oxydée, il peut, au contraire, y avoir 
augmentation de poids de 0,758. Telle est l'hypothèse formulée par 
le professeur Bouchard. Sans faire sortir la discussion du domaine 
de la théorie pure, on peut lui répondre, en chimiste, avec M. Ber- 
thelot ‘ que les albuminoïdes de l'économie animale ne peuvent être 
mis hors de cause et sont susceptibles de fixer momentanément 20 
et même 40 grammes d'oxygène. Quant à la transformation de la 
graisse en glycogène, 1l existe évidemment un nombre illimité d’é- 
quations qui résolvent le problème. M. Berthelot les a toutes étu- 
diées et parmi celles qui sont possibles? en théorie, on retrouve la 
formule du professeur Bouchard ; mais pourquoi l’adopter plutôt 
qu’une autre? Dans les sciences positives on n’admet la réalité d’une 
réaction, qu'autant que l’on peut en fournir la démonstration. Or, 
les réactions confirment non pas la formation des hydrates de car- 
bone aux dépens des corps gras, mais bien le contraire, la trans- 
formation des matières sucrées en graisses. Hanriot® a cherché à 
provoquer l'oxydation de la graisse à l’air, soit en la mélangeant avec 
du noir de platine, soit en l’additionnant d’un de ces ferments oxy- 
dants dont l’existence dans les tissus animaux n’est plus douteuse 
depuis les recherches de Jacquet et Abelous, de Conhstein et Mi- 
chaelis, d’Abelous et Gérard; jamais il n’a pu former du sucre, ou 
du glycogène, ou un corps réducteur quelconque. L'action de lo- 
zone n’est pas plus efficace ; dans ce cas la graisse fixe une quantité 
relativement considérable d’exygène, ce qui vient à l’appui de l'hy- 
pothèse par laquelle le professeur Bouchard explique les augmen- 


1. Berthelot, Comptes rendus, 1898, t. II, p. 491, et Chaleur animale (Encyclo- 
pédie Léauté), p. 150. 


2. Berthelot, Annal, de Chim. el de Phys., 7° série, t. XII, p. 557. 


3. Hanriot, Comples rendus, 1898, L. II, p. 561. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 63 


tations de poids signalées, mais en revanche il n’est pas possible 
de découvrir dans les produits de cette oxydation un corps ayant 
des propriétés réductrices, ou réagissant comme l’amidon, les dex- 
trines, la cellulose. Le seul fait, purement chimique, susceptible 
d'expliquer le changement de la graisse en glycogène nous est fourni 
par M. Berthelot‘. Il a observé le changement en sucre du dixième 
du poids d'un corps gras neutre susceptible, après dédoublement, de 
four#ir de la glycérine et nous verrons que l’ingestion de cet alcool 
triatomique occasionne une augmentation réelle de glycogène. Dans 
les expériences de Bouchard et Desgrez, la formation d’une réserve 
musculaire sucrée, sous l'influence de la glycérine est donc plau- 
sible, mais elle ne satisfait pas ces auteurs. Il faut du reste recon- 
naître que la formule indiquée par le professeur Bouchard et son 
école ne s’accorde pas davantage avec les faits d'expérience. Les 
chiffres fournis par le raisonnement et ceux que l’on observe en 
réalité ne s’approchent jamais en résumé les uns des autres. 
Devons-nous qualifier d’empiriques les formules de chimie pure 
imaginées à ce sujet, et l’expérience ne peut-elle pas nous fournir 
une interprétation démonstrative des phénomènes consécutifs à lin- 
gestion des matières grasses? Ne prolongeons pas cette discussion, 
car nous y reviendrons à propos de la formation du glucose, et con- 
tentons-nous de résumer les différentes solutions que comporte le 
problème. Les graisses peuvent préserver d’une destruction active le 
glycogène qui, sans leur intervention, aurait peut-être été consommé 
aussitôt sa formation. Il est encore admissible que sous l'influence 
des actes de la digestion, elles se dédoublent et régénèrent de la gly- 
cérme, mais alors celle-ci intervient-elle comme matière première 
aux dépens de laquelle les muscles savent élaborer le surcroit de 
olycogène observé, ou bien seulement comme élément d'épargne ? 
Il est enfin permis de supposer que le carbone des acides gras, qui 
sont comme la glycérine un des produits de dédoublement des 
graisses, entre également en jeu! Les points d'interrogation abon- 
dent, on le voit. Tout en nous basant, parmi les faits de science pure, 
uniquement sur Ceux qui peuvent nous donner un résultat pratique, 


1. Berthelot. Annal. de Chim. el de Pays., 3° série, t. L, p. 369. 


64 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


nous sommes en droit cependant de conclure que l’ingeslion d’une 
grande quantité de graisse provoque l'apparition d'une très minime 
quantilé de glycogène musculaire. 


Digestion et transformations chimiques du saccharose 
et des hydrocarbonés. 


La formation du glycogène aux dépens des hydrocarbonés en gé- 
néral et surtout des diverses matières sucrées que l’on retrouve dans 
les aliments habituels de lomnivore et de l’herbivore, nous retien- 
dra un peu plus longtemps. Cette étude, on le conçoit, se trouve à 
la base de notre programme. 

Reprenant notre classification du début, nous devons tout d’abord 
mettre à part les hydrates de carbone qui se distinguent par leur 
orande solubilité et leur aptitude à subir l’osmose. Lors de leur in- 
gestion, ces substances sont en effet de suite dissoutes par les hi- 
quides du tube digestif, tels que la salive, les sues gastriques et in- 
testinaux. Aussitôt après leur contact avec les muqueuses elles 
peuvent donc être absorbées. Cette absorption commence, mais fai- 
blement, dans la bouche ; elle se continue, sans beaucoup plus d’in- 
tensité dans l’estomac, pour n’atteindre seulement son maximum 
que dans l’intestin et surtout dans l’intestin grêle ; c’est donc là que 
la presque totalité des hydrates solubles pénètre dans l’économie. 
Comme cette absorption se fait uniquement par la voie sanguine, 
c’est-à-dire par les capillaires intestinaux et le système de la veme 
porte, on comprend de suite l'importance alimentaire, de ces subs- 
tances, susceptibles, nous allons le voir, d'apporter à la glande 
hépatique la matière sucrée toute formée. Parmi ces hydrocarbonés 
solubles on trouve : 

1° Les composés à fonction alcoolique comme le glycol, alcool dia- 
tomique, la glycérine, alcool triatomique, l’érythrite, quatre fois 
alcool, les pentites à cinq atomes de carbone, enfin les hexites ana- 
logues à la sorbite, à la mannite, à la dulcite; 

2 Les sucres réducteurs, correspondant aux alcools précédents, 
sucres à cinq atomes de carbone comme les pentoses ou à six atomes 
comme les hexoses, parmi lesquels figurent le glucose aldéhyde de la 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 65 


sorbite, puis le mannose et le fructose, le premier aldéhyde et le se- 
cond acétone de la mannite, enfin le galactose aldéhyde de la dulcite ; 

3° Les sucres hydrolysables souvent désignés sous le nom de bi- 
hexoses, tels que le lactose, le maltose et le saccharose, issus de la 
condensation, avec perte d’eau, des sucres réducteurs précédents 
auxquels ils redonnent du reste si facilement naissance. 

Pour être complet, il faudrait ajouter les produits à fonction acide, 
tels que les acides acétique, butyrique, lactique, oxalique, malique, 
tartrique, citrique, etc., tels encore que les acides galactonique, glu- 
conique, glycuronique, mucique, saccharique, qui, par oxydation, 
peuvent dériver des trois catégories précédentes. 

La possibilité pour tous ces corps d’arriver facilement et rapide- 
ment au foie étant admise, voilà le moment de nous préoccuper de 
leur utilisation par la cellule animale. Voilà également le moment de 
nous souvenir que les propriétés biologiques de la molécule sucrée 
sont solidaires du nombre et de la disposition des atomes qui com- 
po-ent celte molécule. Que deviennent donc ces hydrocarbonés so- 
lubles après leur absorption? Sont-ils utilisés en nature dans les 
échanges nutritifs ou bien, indirectement assimilables, l’organisme 
peut-il s’en servir quand même et comment s’en sert-il ? 

Diverses méthodes expérimentales permettent à la physiologie de 
résoudre ces problèmes. La première, la plus facile, consiste à re- 
chercher si la substance en question, une fois injectée dans le sang, 
n’y perd pas son individualité physique et chimique, ou bien si elle 
n’est pas au contraire, substance inerte et inutile, rejetée par les 
émonctoires et le rein en particulier. C’est au génie de Claude Ber- 
nard que l’on doit cette définition rationnelle et pratique de l « Ali- 
ment », ce terme désignant non pas les substances comestibles qui 
font journellement partie de l’alimentation, mais bien la matière 
première, utilisable sous sa propre forme, aux dépens de laquelle la 
cellule s’édifie, répare ses pertes, entretient en un mot sa vitalité. 
Le signe distinctif de « l’Aliment » c’est donc, après avoir été intro- 
duit directement et en nature dans le sang, d’y disparaître complète- 
ment durant son transit forcé à travers tous les tissus. Cet aliment 
s’élèvera alors à un niveau d’organisation supérieure et plus com- 
plexe et deviendra de la matière vivante ou bien il servira au fonc- 


ANN. SCIENCE AGRON. — % SERIE. — 1902-1903. — 71. 5 


66 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tionnement de la cellule et celle-ci, en le détruisant, l’acheminera 
vers l’état de matière morte pour libérer l'énergie dont elle a besoin. 
Dans le cas présent, le travail intime et intérieur de la cellule abou- 
tira toujours aux déchets normaux de la destruction de toute matière 
organique ternaire. [ y aura production d’eau et d'acide carbo- 
nique, qui seront éliminés en partie par le poumon, ou bien il res- 
tera un résidu alimentaire inattaquable par la cellule, quand bien 
même celle-ci en serait gorgée, et qui sera éliminé par le rein ou 
par le tube digestif. 

Un second procédé consiste à faire circuler artificiellement dans un 
organe quelconque un sérum ou du sang tenant en solution le corps 
que l’on veut étudier. Par l’analyse répétée à plusieurs reprises du 
liquide qui circule, il est facile de se rendre compte s’il y a consom- 
mation ou inutilisation de la substance. On peut encore rechercher 
si l'introduction dans l’économie de l’un des principes que nous 
avons à étudier n’en modifie pas ce que l’on nomme les échanges 
respiratoires, c’est-à-dire la production, par exemple, de lacide car- 
bonique, terme résiduaire inévitable de la destruction ou, pour 
parler le langage de la chimie, de la combustion de tout principe 
organique. Nous ne ferons que mentionner la méthode par laquelle 
on recherche si une cellule quelconque, microbe ou moisissure, peut 
consommer directement la substance, sans lui faire subir de transfor- 
mations préalables. Elle est du domaine de la physiologie végétale 
et, dans le premier chapitre, nous avons indiqué les principales ma- 
tières sucrées qui fermentent directement sous l’action de la levure. 

Tels sont les différents procédés que nous allons utiliser tour à 
tour. Il est un certain nombre d’hexoses, de la catégorie des sucres 
réducteurs, qui répondent à la définition donnée par Claude Ber- 
nard, du véritable aliment physiologique. La démonstration en a 
été faite. Lorsque l’on injecte dans les veines d’un animal une solu- 
tion de d. glucose, ou de d. lévulose, ou de d. mannose ou enfin de 
d. galactose”, et cela assez lentement pour ne pas provoquer brusque- 


1. On est convenu d'affecter de la lettre d les sucres qui dérivent des alcools polya- 
tomiques dextrogyres ; c'est ainsi que le lévulose ordinaire, dont nous parlons ici, est, 
bien que lévogyre, précédé de la lettre d parce qu'il dérive de la mannite d ou dex- 
trogyre. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 67 


ment de l’hyperglycémie, et par conséquent de la glycosurie, on ne 
retrouve trace de ces sucres, ni dans les fèces ni dans les urines. 
Par contre, les alcools polyatomiques tels que la glycérine, la sorbite, 
la mannite, la dulcite, les bihexoses solubles, c’est-à-dire le saccha- 
rose, le maltose et le lactose, injectés en nature dans le sang, sont 
éliminés comme déchets par le rein. Les pentoses à cinq atomes de 
carbone rangés à côté des hexoses parmi les sucres réducteurs, 
subissent le même sort: l’arabinose et le xylose, administrés à des 
hommes sains ou malades, passent rapidement et en grande partie 
dans l'urine *. 

Ces constatations d'ordre général nous obligent donc à rechercher 
sommairement quelles sont dans les conditions ordinaires de Pali- 
mentation et de la digestion, les transformations que subissent ces 
matières sucrées, inassimilables en nature, avant de pénétrer dans 
le sang et d’arriver à la cellule. 

Comment les alcools polyatomiques deviennent-ils des aliments 
physiologiques ? La question n’a encore été que très peu suivie et 
étudiée. La glycérine se modifie-t-elle sous l'influence des ferments 
oxydants et fournit-elle, comme en présence de l’acide azotique ou 
du noir de platine ou du brome, un mélange de corps divers parmi 
lesquels se trouve l'aldéhyde glycérique qui est un sucre réducteur ? 
Cet aldéhyde ne paraît pas, il est vrai, pouvoir être directement uti- 
lisé, mais Emmerling * a montré qu’il devient cependant assimilable 
pour la levure, après s’être condensé en un sucre en C°, qui a été 
étudié dans les laboratoires de Fischer * et de Berthelot‘. La glycé- 
rine peut encore, sous l'influence des ferments, se changer en un 
hydrocarboné lévogyre, à moins qu’elle ne fournisse d’autres alcools 
plus ou moins complexes et des acides variés comme lors de sa fer- 
mentation sous l'influence du Bacillus subtilis des infusions de 
foin, ou du Bacillus boocopricus du purin ou encore du Bacillus - 


1. Ebstein, Vérchow's Arch., t. CXXIX, p. 401. — Cremer, Habilitationsschrift. 
Munich, p. 63. — Salkowski, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XXVI, p. 896. 


2. Emmerling, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XXXII, p. 542. 
. Fischer et Tafel, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XX, p. 3384. 
. Berthelot, Chémie organique fondée sur la Synthèse, t. I, p. 649. 


FF O2 


68 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


butylicus de Fitz'. Ge qu'il est permis de supposer, c’est que la gly- 
cérine ne peut conserver sa forme dans l’économie animale. Sa con- 
sistance sirupeuse pourrait nuire mécaniquement, et de plus elle 
semble assez toxique ?. En injection dans le sang, à la dose de 105°,7 
par kilogramme d’animal, elle tue le lapin, alors que la survie est de 
règle chez le même animal, nous l’avons vu, après injection de 18 à 
20 grammes de glucose, de lactose ou de saccharose. Quels que soient 
du reste les changements subis in vivo par la glycérine, qu’elle se 
transforme en sucre ou que les villosités intestinales aient, ainsi que 
le prouve l'observation, la propriété de régénérer des corps gras à 
ses dépens, il n’en reste pas moins nettement prouvé qu’elle possède 
des propriétés nutritives. Dès qu’elle pénètre dans l’économie, elle 
active la respiration et augmente l’élimination de l’acide carbonique ; 
cela prouve, d’après ce que nous savons déjà, qu’il y a consomma- 
tion de cet alcool par les cellules de l’organisme. 

La dulcite, la mannite que l’on trouve dans les betteraves, dans 
les carottes, dans le pain lui-même, la sorbite toujours présente dans 
la plupart des fruits (pommes, poires, cerises, prunes, pêches, etc.), 
doivent subir des modifications analogues à celles de la glycérine *. 

Tous ces alcools ne nous intéressent au fond que peu. Il n’en est 
pas de même des bihexoses, comme le saccharose et le lactose, dont 
on fait très largement usage dans l’alimentation journalière. Que 
deviennent ces substances après leur ingestion ? La réponse à cette 
question, posée à propos du sucre de canne, est, on le comprend, 
capitale dans cette étude. Nous avons vu, avec Claude Bernard, que 
le saccharose, injecté sous la peau ou dans le système sanguin, passe 


1. Fitz, Ber. d. Deuls. chem. Gesell., t. IX, p. 1348; t. X, p. 2226 et 2276: 
t. XI, p. 18925 t. XIL p. 480: t. XIL:1p. 1311. 

?. La glycérine existe bien normalement dans le sang, mais en quantité fort petite. 
(2 milligr. environ dans le sang du chien à jeun depuis quarante heures: 4"s,5 dans le 
sang de lapin nourri à volonté. Lorsqu'on l'y injecte elle disparaît avec une très grande 
rapidité ; elle est éliminée par l'urine en proportion notable et cela en un temps rela- 
tivement court. (Nicloux, Comptes rendus. 1903, t. 1. p. 559 et 764; —t. Il, p. 70.) 

3. Arnschink, Zeëlschr. f. Biol., t. XXIIL, p. 413, et J. Münk, Arch. f. d. Gesell. 
Physiol., t. XLVI. p. 303. 

4. Fitz, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., t. XNI, p. 844. — Berthelot, Ann. de Chim. 
et Phys., t. L, p. 322 et 369. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 69 


rapidement en nature dans l’urine. Lorsqu'il pénètre au contraire 
par l’une ou l’autre des extrémités du tube digestif, c’est-à-dire lors- 
qu’il est ingéré normalement ou introduit dans l'intestin par voie 
rectale, il s’inverlit, et se transforme en un mélange directement 
utilisable de glucose et de lévulose. Ce dédoublement est l’œuvre 
d’un ou de plusieurs ferments, très voisins les uns des autres par 
leur mode d’action, et que l’on dénomme ordinairement sucrases ou 
invertines. Si l’on recherche ces sucrases parmi les sécrétions nor- 
males des tissus animaux, on trouve qu’elles y existent parfois, mais 
que, néanmoins, elles semblent bien moins répandues que les autres 
ferments digestifs. La salive privée par une filtration de germes mi- 
crobiens et de cellules animales, n’intervertit pas, paraît-il *. Parfois, 
on n'obtient pas davantage d’hydrocarbonés réducteurs en faisant 
agir sur le sucre une macération de muqueuse intestinale toujours 
filtrée, pour se maintenir à l'abri des germes”. Ces quelques faits 
pourraient faire mettre en doute l’existence des invertines animales, 
mais on peut leur objecter que les diastases sont retenues par les 
filtres ou que les cellules peuvent, durant la macération, ne pas 
laisser exsuder leurs ferments. On connait beaucoup de levures qui 
n'opèrent l’interversion qu’à l’intérieur de leur protoplasma et lais- 
sent ensuite diffuser les hexoses auxquels aboutit le dédoublement 
du saccharose. Il est cependant des auteurs* qui, après Claude Ber- 
nard, ont trouvé une propriété inversive réelle au suc intestinal pur 
du chien, du lapin, des oiseaux, des poissons, des insectes même. On 
doit donc accorder aux glandes digestives la faculté d'élaborer ce 
ferment spécial, mais on n’en est pas moins conduit, de par les faits, 
à supposer que l’invertine peut avoir, à côté, une autre origine. Parmi 
les agents formateurs de cette diastase, les micro-organismes tien- 


1. Goldschmidt, Zeëlschr. f. phys. Chem., t. X, 1886, p. 273. 

2. Bourquelot, Comptes rendus, 1883, t. Il, p. 1000. 

3. Paschutin, Arch. de Reichert, 1871, p. 305. — Eichhorst, Pfläger's Arch., 
t. IV, p. 570. — Demant, Vérchow's Arch., t. LXXV, p. 419. — Brown et Héron. 
Licbig's Ann. t. CGIV, p. 228. — Vella, Moleschott's Untersu., t. XII, p. 40. — 
Lehmann, P/üuger's Arch., 1. XXXIIT, p. 180. — Ellenberger et Hofmeister, Jahresb. 
J. Thie. Chem., 1884, p. 308. — Grünert, Centralblat. f. Physiol., L. V, p. 28. —- 
Pregl, Pflüger's Arch., t. LXI, p. 359. 


70 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


nent une place importante ; aussi nous paraît-il nécessaire de rap- 
peler ici rapidement l'existence et le fonctionnement des infiniment 
petits dans le tube digestif, où ils pullulent. 

Ces micro-organismes appartiennent aux catégories les plus va- 
riées : champignons, moisissures, levures et surtout microbes (bac- 
téries, etc.). Les uns proviennent des aliments, les autres de l’atmo- 
sphère d’où ils passent facilement dans la bouche. Une fois introduits 
et déglutis avec la salive, ils se développent plus ou moins dans le 
tube digestif. Une infinité de causes, on le pressent, causes qu'il 
serait superflu d'examiner dans ce travail, influent sur la germina- 
tion de ce monde microscopique. Il ne rentre pas davantage dans 
notre programme d’énumérer toutes les espèces de cette flore mi- 
crobienne qui du reste n’est encore que très imparfaitement déter- 
minée *. Ce qu'il nous faut seulement prendre ici en considération 
d’une manière générale, c’est la quantité très élevée de ces microbes, 
c’est leur répartition suivant les régions dans le tube digestif, c’est 
enfin et surtout leur influence possible sur les phénomènes de la di- 
gestion. Il est peu probable que l’action des bactéries sur les diffé- 
rentes substances alimentaires soit bien marquée dans l'estomac où 
les aliments ne séjournent que très peu. Mais, par contre, les mi- 
crobes ont tout le temps d’agir dans l'intestin ; ils semblent y trouver 
en tous cas les conditions les plus favorables à leur développement, 
puisque c’est là et particulièrement dans le jéjunum et l’iléon que 
leur nombre atteint son maximum. 

Y a-t-1l lieu d'établir un rapprochement entre les actes de la di- 
gestion et la présence abondante des bactéries dans le tube diges- 
tif? Deux théories sont en présence : la première esquissée, par Claude 
Bernard et depuis soutenue avec tant d’ardeur par Pasteur, Duclaux?, 

Vignal, Nencki, Kuhne et Nothnagel, trouve que les diastases de 
tous ces ie suffisent pour expliquer, sans avoir recours aux 
sécrétions physiologiques, la transformation du bol alimentaire. 


1. Voir résumé sur les parasites du tube digestif et leurs propriétés, dans Charrin 
(Encyc. Léaulé), Poisons du lube digestif. 

2. Duclaux, Comptes rendus, 1882, L. I, p. 736, 808, 877, 976, et Annales agro- 
nom., 1881. — Ferments el maladies, 1882. — Traëilé de microbiologie [première 
édition). 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 71 


L'école adverse * admet également que les sécrétions dérivées de 
nos propres cellules et de celle des micro-organismes présentent de 
grandes analogies, que leur action est évidente, puisque l’on n’a pas 
encore trouvé de sécrétions glandulaires capables d’engendrer aux 
dépens des aliments quelques-uns des produits trouvés normalement 
dans l’intestin, mais par contre elle n’ose reconnaitre que l’interven- 
tion microbienne est indispensable à l’accomplissement des digestions. 

Pour trancher la question, il faudrait pouvoir comparer la nutri- 
tion d’un sujet dont l'intestin est normal, puis ensuite privé de mi- 
croorganismes. Il faudrait voir comment se comporte, sans microbes 
dans le tube digestif, le nouveau-né, par exemple, qui n’a pas de pa- 
rasites intestinaux (toutes les observations sont d'accord sur ce 
point). Bien des expériences ont été tentées, mais sont-elles toutes à 
l’abri des causes possibles d’erreur *, et n’a-t-on pas souvent conclu 
d’après des digestions supposées stériles, et qui cependant étaient 
faites en présence de bactéries ? Les résultats en tout cas sont contra- 
dictoires, et les interprétations que l’on en donne, souvent encore 
plus opposées. 

En ce qui concerne plus spécialement les sucrases de l'intestin, 
quels sont les faits mis en avant par les deux théories ? Suivant Du- 
claux, Landois, Hoppe-Seyler, Schottelius, il faut admettre qu’elles 
sont surtout sécrétées par les microbes. Ceux-ci pullulent dans le 
tube digestif et principalement dans l’intestin ; ce sont le plus sou- 
vent des ferments du sucre, mais comme cet aliment n’est pas direc- 
tement utilisable, pas plus pour eux que pour les cellules animales, 
il doit tout d’abord subir un dédoublement. Cela revient à dire que 
lon est en droit de considérer les microbes comme d’actifs produc- 
teurs d’invertne. Et, en eflet, si l’on vient à faire macérer une por- 
tion de l'intestin grêle d’un lapin, tué en pleine digestion, et si après 
filtration grossière de la liqueur sur coton, on l’additionne de sucre, 
celui-ci, au bout de douze heures à l’étuve à 38°, est entièrement in- 


1. Voir M. Arthus, Éléments de physiologie, p. 210. — Levin, Ann. de l'Inst. 
Pasteur, 1899. 

2. Sur les expériences de Nuttal et Thierfelder et de Schottelius, voir : Duclaux, 
Ann. de l’Inst. Pasteur, 1895, p. 896 ; 1896, p. 411; 1899, p. 77. — M" Met- 
chnikoff, Ann. de l’Inst. Pasteur, 1901, p. 631. 


72 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

terverti, à moins qu'il n’ait été ajouté en trop grande quantité. La s0- 
lution est alors peuplée d'innombrables bactéries. Nous avons vu, au 
contraire, qu’en opérant asepliquement on peut souvent ne pas cons- 
tater d'action sur le sucre. L’interversion se fait encore plus vite si 
l’on introduit un liquide sucré dans une anse d’in‘estin, serrée entre 
deux ligatures chez l'animal vivant. La solution au bout de très peu 
d’instants réduit la liqueur cupro-potassique. «11 semble, dit M. Du- 
claux*, que ce soient seulement les microbes qui interviennent avec 
leurs diastases ou celles dont ils ont fini par imprégner la muqueuse 
et le contenu du canal digestif. » L'opinion peut être acceptée, mais 
elle ne doit pas être acceptée à l'exclusion de toute autre. L’invertine 
physiologique, c’est-à-dire sécrétée par les cellules animales, existe 
certainement. Miura° l’a trouvée dans lintestin grêle d’enfants 
mort-nés, où les microbes et les aliments n’avaient pas encore pé- 
nétré. 

La question de savoir si la sucrase intestinale est d’origine animale 
ou microbienne nous passionnerait davantage s’il était prouvé que 
ce ferment constitue le seul agent d’inversion dont disposent les êtres 
vivants supérieurs pour dédoubler le saccharose. Or, le sucre est très 
peu stable et, ainsi que l’a démontré Bourquelot*, son dédoublement 
peut s’accomplir sous l’action des divers acides que l’on rencontre 
dans l’économie, ceux-ci étant employés, en solution, dans des pro- 
portions physiologiques et à la température du corps. Addition- 
nons une solution à 1 p. 100 de saccharose de 0,20 p. 100 d’acide 
chlorhydrique ou d’acide lactique, acides dont la présence dans l’es- 
tomac est sinon constante du moins très fréquente, et maintenons-la 
à 38°, voici ce que l’on constate : avec l'acide chlorhydrique, 
70 p. 100 du saccharose sont intervertis au bout de six heures, 90 
au bout de douze heures. L’acide lactique dédouble 33 p. 100 du 
même sucre en trente-six heures. L’acide carbonique agit de même 
et, au bout de cinq jours, intervertit 3,20 p. 100 de sucre à la pres- 
sion ordinaire et toujours à la température du corps. « Il est donc 


1. Duclaux, Trailé de microbiologie, t. II, 1899, p. 501. 
2. Miura, Zeilsch. f. Biol., t. XXII, p. 266. 
3. Bourquelot, Comples rendus, 1883, t. Il, p. 1002. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 75 


difficile de soutenir, conclut M. Bourquelot, que le sucre de canne 
soit dédoublé seulement dans l'intestin grêle et de ne pas admettre 
que les acides de l’économie soient des facteurs importants de sa di- 
gestion. Il y a plus : si de petites quantités de sucre de canne passent 
dans les vaisseaux sanguins, on peut supposer que l’acide carbonique, 
dont la présence est constante dans le sang, suffit pour provoquer 
l’interversion ». On pourrait objecter à celte thèse que l'acidité du 
suc gastrique n’est pas entièrement due à l’acide chlorhydrique ou à 
l’acide lactique, et en outre, que chez quelques animaux, les herbi- 
vores par exemple, l'acidité totale des sécrétions de l'estomac n’est 
pas équivalente à 0,20 p. 100 d'acide chlorhydrique. Mais Béchamp, 
reprenant des expériences de Claude Bernard‘, avait déjà démontré 
bien avant les travaux de Bourquelot que le suc gastrique, même 
étendu de son volume d’eau, intervertit rapidement le sucre de canne. 
Celui-ci reste au contraire inaltéré lorsque l'acidité du sue gastrique 
est exactement neutralisée avec du carbonate de soude. 

Nous savons maintenant comment le saccharose s’intervertit du- 
rant la digestion. Que devient dans les mêmes conditions le lactose ? 
Inutile de nous attarder à l’étude du rôle nutritif de ce sucre. Elle 
peut être entièrement calquée sur celle qui précède. Le lactose ou 
sucre de lait, élément important de l'alimentation de l’enfant et de 
tous les jeunes mammifères, n’est pas utilisé en nature par l’orga- 
nisme. Injecté dans les veines en solution chaude, il repasse à peu 
près en totalité dans les urines. Quelles transformations subit donc ce 
sucre avant de pénétrer dans le sang ? Pour suivre l’évolution du lac- 
tose dans l’économie, M. Dastre?, des premiers, a recherché d’une ma- 
nière comparative l’action qu’exerçaient sur lui les différents liquides 
digestifs de l’adulte et du jeune. Le lactose résiste à la salive, au suc 
gastrique, aux sécrétions du foie et du pancréas. Le suc intestinal et 
encore seulement celui qui provient de l'intestin grêle d'animaux 
jeunes ou d’enfants nouveau-nés se montre assez actif. Il attaque le 


1. Béchamp, Les mécrozymas, p. 314. — CI. Bernard, Lecons de physiol. expé- 
rimentale, t. Il, p. 314. — Ferré, Journ. de méd. de Bordeaux, 1890, t. XX, 
p. 326. 

2. Dastre, Mémoire à l'Acad. des Sciences (Comptes rendus, 1883, t. I, p. 932). 
— Arch. d. Physiol., 1889, p. 718; 1890, p. 103. 


14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


lactose et le transforme nettement en un mélange de d. glucose et 
de d. galactose, capables tous les deux d’entretenir les échanges ma- 
tériels de la nutrition. Le ferment qui dédouble ainsi le lactose et 
que l’on dénomme lactase ne semble donc exister uniquement que 
dans le suc intestinal, et encore n’y est-il pas constant, puisque les 
macérations d’intestin provenant seulement des jeunes animaux peu- 
vent agir a vitro sur le sucre’. Certains auteurs ont imaginé que la 
transformation du lactose avait lieu lors de son passage à travers la 
muqueuse intestinale, Mais nous savons, et nous reviendrons du reste 
sur ce sujet, que le propre des diastases est de n’apparaitre que lorsque 
leur présence est nécessaire. Les expérimentateurs ont peut-être alors 
recherché la lactase là où elle n’existait pas et n'avait nul besoin 
d'exister. Il semble en outre, ainsi que Fischer * l’a démontré, que ce 
ferment n’est que très peu diffusible en dehors de la cellule. 

Le maltose est le dernier des bihexoses solubles dont le rôle phy- 
siologique mérite de fixer notre attention. Il n’existe pas tout formé 
dans la nature, mais nous le retrouverons tout à l'heure comme l’un 
des termes auxquels aboutit forcément l’évolution dans le tube di- 
geslif des amylacés et en général de toutes les matières sucrées de la 
famille des dextrines. Le maltose diffère du sucre de canne ou du 
sucre de lait, en ce que, après dédoublement, il ne donne unique- 
ment naissance qu'à du d. glucose. Il était donc rationnel de sup- 
poser que son utilisation, comme celle du saccharose ou du lactose, 
dont il est si voisin, nécessitait son dédoublement préalable sous l’ac- 
tion d’une diastase appropriée. Brown et Héron ? furent les premiers 
à constater que le maltose est transformé au contact du suc pancréa- 
atique et intestinal du porc. Leurs observations se trouvèrent confir- 
mées par de Méring ‘. Lorsque Bourquelot* reprit la question, 1l 


1. Pautz et Vogel, Zeitsch. f. Biol., t. XXXIT, p. 304. — Portier, Bull. de la 
Soc. de Biol., 2 avril 1898, — Rôhmann et Lappe, Ber. d. Deuts. chem. Gesell., 
. XXVIII, p. 2506. 


2. Fischer, Ber. d. Deuts. chem. Gesell, t. XXVII, 1894, p. 2481. 
3. Brown et Héron, Ann. d. chim. et de pharmac., 1880, p. 228. 
4. De Méring, Zeitschr. f. physiol. Chem., 1881. 


5. Bourquelot, Comptes rendus, 1881, t. Il, p. 978; 1883, {. Il, p. 1000 et 1322. 
— Journ. Anal. et Physiol., 1886, p. 183. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 75 


trouva cependant que le maltose n’était modifié par aucun des fer- 
ments digestifs pris à l’état pur, c’est-à-dire séparés par filtration 
des microorganismes. En présence au contraire des bactéries nor- 
males du tube digestif ou de l’atmosphère, le liquide de macération 
de la portion moyenne de l'intestin grêle d’un lapin tué en pleine di- 
gestion dédoublait en dix-huit heures 70 p. 100 du maltose mis en 
expérience. Si l’on écarte l'intervention des ferments d’origine mi- 
crobienne, il en résulte que ce bihexose, contrairement aux autres 
sucres similaires, doit pénétrer en nature dans le sang. Mais inter- 
vient-il alors quand même dans les échanges organiques ? Pour 
s’en rendre compte Dastre et Bourquelot* pratiquèrent sous la peau 
de divers animaux des injections de maltose et constatèrent que de 
75 à 90 p.100 du sucre introduit était manifestement consommé dans 
l'organisme. Cela ne prouvait pas que le maltose était assimilé en 
nature. Les recherches de Dubourg”?, succédant à celles de Bé- 
champ”, tranchent la question. Elles démontrent l'existence dans le 
sang et dans l’urine des animaux d’un ferment, connu généralement 
sous le nom de mallase, capable en agissant sur le maltose de don- 
ner naissance à du glucose. Le maltose injecté serait donc lui aussi 
réellement dédoublé avant son utilisation. É 

Nous en avons fini avec les principaux hydrocarbonés solubles : 
abordons maintenant l’étude de la digestion des polysaccharides. 
L'homme et les animaux utilisent, en effet, très volontiers toutes ces 
matières sucrées que les végétaux savent mettre en réserve si abon- 
damment. À côté des amylacés et de l’inuline nous avons rangé dans 
cette vaste catégorie les principes qui, dans les substances végétales, 
forment souvent la majeure partie des corps non azotés : ce sont les 
celluloses saccharifiables, gommes ou mucilages, pentosanes, man- 
nanes ou galactanes, lévulosanes, etc. Ces dernières incrustent la 
cellulose, c’est-à-dire l’hydrate de carbone qui constitue à propre- 
ment parler la charpente des végétaux et qui, à un autre point de 
vue, est le seul principe capable de donner aux aliments le volume 


. Dastre et Bourquelot, Comptes rendus, 1884, t, I, p. 1604. 
. Dubourg, Ann. de l'Inst. Pasteur, 1889. 
. Béchamp, Comptes rendus, t. LIX, p. 496. 


CIO re 


76 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


suffisant pour remplir l'estomac des animaux. Notre intention étant 
de n’emprunter à la physiologie de la digestion que ce qui peut inté- 
resser le sujet tout particulier d'alimentation que nous avons choisi, 
nous laisserons de côté le rôle propre à chacun de ces corps dans la 
nutrition animale. Il nous suffit de savoir qu’il faut séparer en pre- 
mier lieu de cet ensemble l’amidon et l’inuline par exemple dont la 
disparition dans l'organisme est complète et dont on ne retrouve le 
plus souvent pas trace dans les excreta. Les celluloses sacchari- 
fiables, pentosanes, mannanes et autres, méritent ensuite de fixer 
notre attention, car si, d’après Aimé Girard, l’homme ne les assimile 
qu'excessivement peu, il en est autrement des animaux. La cellulose 
enfin, elle aussi, est partiellement digérée dans leur appareil digestif; 
cela ne fait aucun doute aujourd’hui, depuis les belles recherches 
d’'Henneberg et Stohmann. 

Que deviennent amidons, inulines, celluloses saccharifiables et 
celluloses à la suite de leur mgestion ? Les changements doivent tout 
d’abord porter sur leurs propriétés physiques. L'insolubilité, le plus 
souvent complète, de ces principes, est en effet incompatible avec 
leur absorption et leur assimilation par les cellules animales. La né- 
cessité de les voir se modifier chimiquement n’est pas moins évi- 
dente, car, même après avoir admis que ces hydrates de carbone de- 
viennent solubles et dialysables, on ne peut concevoir qu’ils soient 
directement utilisés. Claude Bernard’ ayant injecté dans le sang de 
lapins des solutions de dextrines et d’amidon soluble de Béchamp 
constala que ces matières sucrées passaient dans l’urine. En fait, l’on 
ne retrouve jamais trace d’amidon dans le sang de la veine porte, 
même pendant l’absorption intestinale qui suit un repas riche en fécu- 
lents. L’inuline, qui à l’hydrolyse régénère du lévulose, ne peut, une 
fois introduite directement dans la circulation, bien que très soluble 
et facilement dialysable, subvenir aux besoins nutritifs. Dans ces 
conditions, elle passe toujours en nature dans l’urine. Des modifi- 
cations d’ordre physique et chimique sont nécessaires. Voyons rapi- 
dement par quels processus elles s’accomplissent. 

La digestion de l’amidon s’opère certainement in vivo grâce à 


1. CI. Bernard, Leçons sur le Diabèle, p. 539. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 77 


Pintervention d’une diastase analogue à celle du malt (orge germée) 
dont l’action sur la fécule est analogue à celle des acides chauds dilués. 
On a constaté la présence d’amylases [c’est ainsi que l’on baptise les 
ferments doués d’un pouvoir amylolytique, c’est-à-dire saccharifiant 
les amidons] dans la salive mixte, qui représente le mélange de 
diverses sécrétions (glandes parotidiennes, sublinguales et sous-ma- 
xillaires). Mais là, peut-être avec raison, a-t-on le droit de mettre en 
doute son existence. Dans la bouche, il y a, en effet, très probablement 
action simultanée des microbes, et de plus chacune des glandes sali- 
vaires lorsqu'elle agit seule ne se montre pas active‘. Le véritable 
siège de la sécrétion physiologique de l’amylase, et par suite des 
transformations de l’amidon, c’est le pancréas. Le suc pancréatique 
recueilli par fistule et filtré pour écarter toute ingérence des micro- 
bes* manifeste un pouvoir amylolytique énergique. Le résultat ne 
change que peu, lorsque l’on s'adresse au suc intestinal. Tous les 
tissus et les liquides de l’organisme, les muscles, le foie, le sang et 
la lymphe, ainsi que nous l'avons déjà signalé, l’urine même possè- 
dent, du reste, la même propriété. Inutile d’insister sur des faits con- 
nus de tout le monde et que l’on retrouve développés dans les 
traités de physiologie les plus élémentaires. Il existe, par conséquent, 
dans l’économie, un réactif, susceptible de disloquer progressive- 
ment l’amidon, et de le transformer en maltose, sur le sort duquel 
nous sommes déjà fixés. C’est ainsi que l’amidon atteindra peu à peu 
le terme glucose, sous l’influence des maltases qui doivent succéder 
aux amylases et peut-être aux dextrinases, si avec M. Duclaux * l’on 
juge nécessaire l’intervention d’un ferment spécial pour transformer 
les dextrines en maltose. 

A l’action des diastases solubles et purement physiologiques, 
comme lamylase du pancréas, viennent certainement s’en super- 
poser d’autres, encore peu connues, mais qui doivent agir dans le 
même sens sur les polysaccharides, bien que les sucs digestifs des 
animaux supérieurs les plus divers, pris à jeun ou en pleine diges- 


1. Müller, Sem. méd., 1901, t. 141. 
2, Bouchardat et Sandras, Comples rendus, 1845, p. 1885. 
3. Duclaux, Trailé de microbiologie, t, I, 1899, p. 392. 


78 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tion, employés seuls ou en mélange, se montrent inactifs vis-à-vis de 
l'inuline, des gommes, des celluloses saccharifiables, et des cellu- 
loses. Ces hydrocarbonés ne sont pas directement assimilables et ce- 
pendant ils disparaissent en partie dans le tube digestif. 

Que devient par exemple l’inuline ? Biéri et Portier et en même 
temps Richaud*' ont vainement cherché dans le tube digestif des oi- 
seaux, du cobaye, du lapin, du chien, du porc, du bœuf, une dias 
lase spécifique à cet hydrate de carbone, une inulase, analogue à 
celle des tubercules de topinambour en germination*. Comme les sé- 
crétions digestives glandulaires, même sous l'influence d’un régime 
inulacé exclusif, ne produisaient pas d’inulase, ils se sont demandé si 
les acides de Péconomie étaient susceptibles de saccharifier l’anhy- 
dride du lévulose. Effectivement l'acide chlorhydrique, dans des con- 
ditions de dilution et de température aussi voisines que possible de 
celles qui se trouvent réalisées dans l'organisme animal, dédouble 
assez rapidement et presque complètement l’inuline. En conséquence, 
le suc gastrique serait, chez les animaux, l'agent physiologique | 
normal de la transformation de l’inuline. D’après les observations de 
Blondlot, Frerichs, Lehmann, Bauer et Voit*, les gommes, hydrates 
de carbone encore très peu connus au point de vue chimique, 
donneraient également naissance à des sucres réducteurs sous lin- 
fluence des acides dilués et du suc gastrique. 

L’on ne peut expliquer de la même façon la dissolution dans le 
tube digestif des celluloses qui sont plus difficilement hydrolvsables. 
Si l’on sacrifie un porc quelques heures après un repas d’orge, on 
retrouve dans son intestin la plus grande partie de l’enveloppe ex- 
terne et dure des grains ; mais, dans l’amande composée, avant l’in- 
gestion, de grandes cellules bourrées de grains d’amidon, on 
constate que les parois cellulaires ont généralement disparu et que 
celles qui subsistent sont à moitié rompues. Comment se détruisent 
ces parois cellulosiques? Brown se proposa de résoudre le pro- 


1. Biéri et Portier, Bull. Soc. de biol., 5 mai 1900. — D Richaud, Thèse, Paris, 
1900 (Carré et Naud). 

2. Bourquelot, Journ. d. phar. et chim., 5° série, t. XXVIIL, p. o, 1593. 

3. Bauer, Zeilsch. f. Biol., t. 10. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 79 


blème ‘. Il rechercha dans le pancréas et lintestin du porc, du 
cheval, du bœuf, et de la brebis une sécrétion physiologique, ca- 
pable de dissoudre les celluloses. Il n’en trouva point. Après s'être 
rendu compte que l’action mécanique de la mastication et des mou- 
vements péristaltiques de l’estomac n’était pour rien dans le phéno- 
mène, et que les microbes n’intervenaient pas davantage, 1l s’a- 
perçut que la graine apportait avec elle une diastase susceptible de 
dissoudre la cellulose. Le seigle, et surtout l’avoine à l’état de repos 
germinatif, contiennent le ferment. Voilà donc un premier mode de 
digestion de la cellulose. Le réactif qui nous intéresse 1c1, la cylase”, 
pour lui laisser le nom que lui ont donné Brown et Morris, préexiste- 
rait dans certains grains, de sorte que son ingeslion par les animaux 
ne ferait que le mettre dans des conditions de milieu et de tempéra- 
ture assez favorables pour qu’il entre de suite en jeu. On peut attri- 
buer, dans le même ordre d’idées, une action similaire à la sémi- 
nase. Le ferment que l’on trouve dans les graines de légumineuses 
peut généralement solubiliser les anhydrides du galactose et du 
mannose et régénérer ces deux derniers sucres’. Ajoulons à cela 
que le caractère nutritif de l’action de ces cytases d’origine végétale 
n’est pas douteux puisque chez la jeune plante en germination, on 
voit souvent la formation de l’amidon succéder à la liquéfaction des 
parois cellulosiques. 

Mais, ainsi que le fait justement remarquer M. Duclaux*, il ne 
faudrait pas croire que ce processus de la digestion des matières su- 
crées les plus condensées et les moins solubles soit très général. Chez 
les herbivores qui savent le mieux utiliser les fourrages fibreux, le 
séjour très prolongé de leurs aliments dans le tube digestif les expose 
à des influences microbiennes non douteuses. Pour expliquer luti- 
lisation réelle des diverses formes de cellulose, on n’a alors trouvé 
rien de mieux, en l’absence de toute sécrétion physiologique capable 
d'agir, que d’invoquer, avec l’école Pasteurienne, l’intervention des 
microbes. 


1. Brown, Journ. of the chem. Soc., avril 1892. 

2. Duclaux, Trailé de microbiologie, t. IL, 1899, p. 26. 

3. Bourquelot, Comptes rendus, 1899, p. 228 ; 1900, p. 340 et 731. 
4. Duclaux, Ann. d. l'Inst. Pasteur, 1892, p. 283. 


80 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

Parmi les bactéries de l'intestin il en est une voisine, par sa forme, 
du vibrion butyrique, qui appartient au groupe complexe des 
amylobacter. On appelle ainsi ces microbes parce qu'ils jouissent 
de la propriété de se colorer en bleu par l’iode tout comme l’a- 
midon. Il faut certainement voir dans ce bacille un des agents 
digestifs de tous les hydrates de carbone insolubles, de conden- 
sation un peu accentuée. Cela ressort des beaux travaux de Van 
Tieghem (1877-1879) ainsi que des recherches de Tappeiner'. Si 
l'on vient à additionner une cellulose d’un peu du contenu de la 
panse de bœufs nourris au foin, autrement dit si l’on vient à ense- 
mencer un mélange normalement alimentaire pour ces animaux avec 
les microbes qui pullulent habituellement dans leur tube digestif, 
on constate qu'il se développe rapidement une fermentation active. 
La cellulose disparait en même temps qu'il se dégage des produits 
gazeux tels que l’acide carbonique, le formène (CH*) ou gaz des 
marais, et il reste dans les ballons d'expérience de grandes quan- 
tilés d’acide acétique et d’acide butyrique et un peu d’alcools et 
d’aldéhydes. Tappeiner ayant justement observé que les mêmes gaz 
et les mêmes acides se formaient normalement dans l’estomac et l’in- 
testin des bêtes bovines, l'intervention des microbes dans les phéno- 
mênes de la digestion des celluloses et leur mode d’action étaient 
ainsi démontrés. Une question se posait alors : l’animal utilise-t-1l 
ces produits résiduaires de la fermentation cellulosique ? Parmi les 
termes extrêmes auxquels aboutit la transformation de la cellulose, 
il en est comme l’acide carbonique et le formène qui sûrement n’ont 
aucune valeur. Une parie des acides de fermentation échappe en 
outre à l’absorption. On pourrait ainsi mettre en doute l’apport par 
les celluloses de principes véritablement nutritifs, bien qu’une partie 
des acides acétique et butyrique formés puisse cependant disparaitre 
et être utilisée dans l’économie. Mais Ellenberger et Hofmeister?, 
Holdefleisz ensuite, ont reconnu que toutes les matières cellulo- 
siques ne participaient pas à la fermentation forménique et qu'il fal- 
lait considérer non seulement les termes extrêmes, mais les échelons 


1. Tappeiner, Annales de biologie, t. XX et XXI (1885). 
2. Ellenberger, Vergleichende Physiologie, 1*° partie. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 81 


intermédiaires de la transformation de ces corps. On constate alors 
que, dans le tube digestif, la plus grande partie des celluloses se 
transforme en un principe soluble, analogue à la substance æmyloide 
qui prend naissance lorsque l’on fait agir sur les mêmes celluloses 
les acides minéraux concentrés. Ces substances amyloïdes peuvent 
être comparées à l’amidon auquel elles ressemblent en ce qu’elles 
sont susceptibles comme lui de se colorer en bleu sous l’action de 
l’iode, et de régénérer un sucre après hydrolyse; elles constituent 
par cela même une transition évidente et tangible entre les amidons 
et les celluloses. Et il n’est pas douteux en effet que, parmi les sécré- 
tions des microbes du tube digestif, et à côté des cytases capables 
de dissoudre les celluloses, ne se trouve un autre ferment d’hydra- 
tation auquel incombe le rôle d’acheminer peu à peu les celluloses 
solubilisées vers le terme glucose. Ne trouve-t-on pas ce dernier 
hexose dans le jabot des oiseaux avant l'intervention des diastases 
physiologiques saccharifiantes ou amylolytiques ordinaires (Duclaux)? 
D'une façon générale, l’utilisation des celluloses, comme celle de tous 
les glucosides, comporte en résumé deux grandes phases prélimi- 
naires : la solubilisation, à moins qu’elle ne préexiste à l’ingestion, 
et la saccharification. Le sucre une fois formé, l'absorption s’en em- 
pare et le soustrait ainsi à l’action des microbes, de telle sorte que 
la fermentation n’a pas le temps d’être complète et d'aboutir unique- 
ment aux termes qui, comme l’acide carbonique et le gaz des marais, 
sont arrivés ou presque arrivés au maximum de simplification. 


Formation du glycogène aux dépens des hydrocarbonés. 


Nous arrêterons là cet aperçu général sur les principales phases 
de l’absorption digestive des hydrates de carbone, car nous avons en 
main les éléments nécessaires pour étudier simplement et rapide- 
ment toute formation possible de glycogène à leurs dépens. Au point 
de vue chimique, le nombre de ces hydrocarbonés était presque 1lli- 
mité. La biologie et la physiologie viennent de nous démontrer 
qu'il suffit de porter seulement notre attention sur quatre d’entre 
eux, le glucose, le lévulose, le galactose et le mannose. Telles sont, 
en effet, les formes presque exclusives sous lesquelles les diverses 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 6 


82 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


matières sucrées pénètrent généralement dans le sang, car nous 
venons de nommer là les termes inévitables et presque invariables, 
vers lesquels convergent tous les hydrocarbonés dans le mouvement 
que leur imprime l’organisme en vue de satisfaire aux nécessités de 
sa nutrition intime. Du reste, il n’existe pas d’autres sucres que la 
cellule vivante puisse utiliser sans transformations préalables, et 
cette cellule sait fort bien nous témoigner elle-même de sa pré- 
férence pour les hexoses directement assimilables qui, de par leur 
nature, sont des substances alimentaires pour ainsi dire déjà digé- 
rées et transformées. Les leucocytes du sang ne sont pas, on en a 
maintes preuves, de simples corps inertes et passifs transportés 
par le courant sanguin. Ils jouissent d’une sensibilité toute spéciale 
et la manifestent d’une façon différente suivant la composition chi- 
mique du milieu qui les baigne. C’est ce que l’on nomme le chimio- 
Laæisme. Certaines substances les attirent toujours, d’autres au con- 
traire les éloignent invariablement. Comment se comportent ces 
leucocytes vis-à-vis des différents sucres ? Albertoni l’a recherché. Si, 
en prenant des précautions spéciales (asepsie rigoureuse et absence 
de toute hémorragie), on vient à introduire sous la peau de quelques 
animaux des tubes capillaires de verre très fin contenant des solu- 
tions de différents sucres, on constate, vingt-quatre heures après, 
que les leucocytes ont été attirés par exemple par le glucose et ont 
abondamment pénétré dans les tubes qui en contenaient, tandis que 
le saccharose les à laissés presque complètement insensibles. Il 
semble difficile, après cela, de reconnaitre les mêmes propriétés 
nutritives et biologiques aux hexoses pouvant être utilisés sans 
transformations, et aux bihexoses, comme le saccharose, qui, pour 
être mis en œuvre, doivent être dédoublés. Voici, dans un autre 
ordre d'idées une nouvelle preuve de ce que l’organisme ne fait pas 
le même cas des différents sucres : nous avons vu que la teneur du 
sang en glucose diminue rapidement dès la sortie des vaisseaux et 
que le phénomène est dû à l’action des ferments. M. Portier : a re- 
cherché si ces derniers agissaient aussi bien sur tous les sucres 
que sur le glucose. Le galactose et le lévulose ont pu subir la glv- 


1. Portier, Comples rendus, 1900. t. Il, p. 1217. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 83 


colyse en présence du sang de chien ou de lapin et disparaître même 
complètement, alors que le saccharose, le lactose et les pentoses 
étaient intégralement retrouvés après une fermentation glycolytique 
de quarante-huit heures. Il était du reste à prévoir que les cellules 
vivantes et leurs diastases devaient manifester leurs préférences dans 
le même sens. 

Quel que soit donc l’hydrate de carbone ingéré, quelles que soient 
son origine, sa constitution chimique et sa structure moléculaire, v/ 
est loujours amené à fournir comme aliment véritablement physiolo- 
gique du glucose, du lévulose, du galactose ou du mannose. Les al- 
cools polyatomiques subissent pour cela une oxydation ménagée, 
tandis que les hydrocarbonés de condensation sont dédoublés ainsi 
que nous venons de le voir. 

Nous nous étions précédemment posé cette question : Se forme-t-il 
du glycogène aux dépens des hydrates de carbone alimentaires ? 
Nous y répondrons, puisque nous y sommes autorisés, après l'avoir 
ainsi transformée : Le glucose, le lévulose, le galactose et le mannose, 
déterminent-ils l’apparation du glycogène, lorsqu'ils sont offerts 
comme aliments à la cellule animale ? 

Voyons ce qui se passe dans le foie. On doit à Claude Bernard 
d’avoir signalé le premier que cet organe est beaucoup plus riche en 
glycogène lorsqu'il provient d'animaux nourris abondamment et 
presque exclusivement avec des féculents ou des matières sucrées. 
C’est même en constatant que les amylacés et le sucre donnent au foie 
la propriété de fournir une décoction aqueuse d’apparence louche, 
et fort différente de celle des solutions obtenues avec les foies d’ani- 
maux maintenus en inanition, que le grand physiologiste, nous l’avons 
dit, fut amené à découvrir l’existence du glycogène. Si ce corps se 
forme dans les cellules hépatiques aux dépens des sucres amenés 
par le sang de la veine porte, rationnellement on doit constater que la 
glande, quand on les lui offre, retient les sucres en partie et que ces 
derniers ne continuent pas à être emportés par le courant sanguin dans 
la veine sus-hépatique. Schôpfer et Forster? après Claude Bernard , 
ont nettement mis en évidence que le foie arrête les matières su- 


1. Schôpfler, Thèse, Bonn. (872. — Forster, Zeilsch. f. Biol., t. Il. p. 515. 


84 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


crées. On pratique très lentement dans la jugulaire, c’est-à-dire dans 
le système circulatoire général d’un animal à jeun, dont les tissus, 
par conséquent, et le foie principalement sont très pauvres en glyco- 
gène, l'injection d’une solution très étendue de sucre, de glucose. 
Cette substance est susceptible de par sa nature d’être utilisée dans 
les capillaires généraux. Mais nous savons que malgré cela si l’on 
prolonge l'injection, il est possible, après avoir introduit une cer- 
taine quantité de sucre, de provoquer de l’hyperglycémie et par con- 
séquent de la glycosurie. Chez le même animal à jeun, poussons au 
contraire l’injection par la veine porte ou par une branche quel- 
conque de l’une des veines mésentériques, qui, comme le système 
porte, conduisent directement au foie; pour exactement la même 
quantité de sucre injecté, les conditions de l’injection (concentration 
de la solution, vitesse d'injection) restant les mêmes, on ne provoque 
pas trace de glycosurie et par conséquent d’hyperglycémie. Ces faits 
que l’on peut renouveler en employant, au lieu de glucose, le lévu- 
lose, ou le mannose, ou le galactose, démontrent indiscutablement 
que la glande hépatique arrête les sucres au passage. Peut-on invo- 
quer que ces hexoses demeurent immobilisés en nature dans les cel- 
lules hépatiques ? Evidemment non, car, essentiellement solubles, 
ils seraient entraînés par le courant sanguin et retrouvés par consé- 
quent dans la circulation générale. Puisque la formation à leurs 
dépens d’une matière sucrée insoluble s’impose, Pon ne saurait sup- 
poser alors que cette matière néoformée est autre que le glycogène. 
L'économie animale à l’état physiologique, nous le savons, ne donne 
jamais d’autres formes à sa matière sucrée de réserve. En faisant 
circuler artificiellement dans un foie isolé et, suivant la technique 
de Luchsinger, une solution de sucre, de glucose par exemple, on 
assiste du reste pour ainsi dire à l'élaboration du glycogène aux dé- 
pens de l’hexose introduit. On enlève un fragment au foie d’un chien 
soumis à l’inanition depuis quinze jours environ et, cela, pour y 
doser le glycogène subsistant malgré le jeûne ; puis on fait passer 
dans l'organe, une heure durant, un courant de sang défibriné addi- 
tionné de 1,5 p. 100 de glucose. La circulation artificielle interrom- 
pue, on dose de nouveau le glycogène. La proportion atteint alors 
1,3 p. 100 de l'organe, tandis qu’au début il y en avait au maximum 


re 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 89 


0,6 p.100. L'expérience est concluante : le foie peut arréler les 
sucres el les transformer certainement en glycogène. Cette néo-for- 
mation de glycogène se produit toutes les fois que les quatre hexoses 
directement assimilables traversent le foie et arrivent au contact des 
cellules de la glande, et cela que leur introduction dans l’économie 
soit pratiquée artificiellement par injection directe dans la veine 
porte ou les veines mésentériques, ou bien qu’elle se fasse naturel- 
lement à la suite de l’absorption digestive. Külz' a constaté qu’il se 
dépose de notables quantités de glycogène dans le foie de lapins à 
jeun depuis six jours et alimentés ensuite avec du glucose ou du 
lévulose. D’après Crémer et Meyer’, le d. mannose, ainsi du 
reste que tous les mannoses isomères, y compris ceux qui ne sont 
pas fermentescibles, provoquerait la même formation. F. Voït”, 
par contre, a trouvé que le galactose est peut-être moins actif, mais 
ses expériences ont été contredites par Weinland. Après l’étude 
suffisamment détaillée que nous avons faite des divers changements 
subis dans le tube digestif par les bihexoses et les autres anhydrides 
des sucres réducteurs, analogues par leurs formes très condensées à 
linuline et à lamidon, il devient presque inutile de se demander si 
l’ingestion de saccharose, de lactose, de raffinose, de maltose, de 
dextrines et de féculents, etc.…., provoque la formation de glycogène 
hépatique. Les recherches suivies de G. Voit‘ sur ce sujet ont tou- 
jours répondu par laffirmative. Pour suivre le processus de la for- 
mation du glycogène aux dépens des hydrates de carbone, tout en 
se maintenant dans les conditions ordinaires de l’alimentation, ce 
dernier auteur renouvela ses expériences de la façon suivante. Après 
avoir fait jeûner un lot d’oies, suffisamment pour débarrassser à peu 
près complètement leur organisme de tout son glycogène, ce dont il 
était facile de s’assurer, il donna comme nourriture à ces animaux de 


1. Külz, Zeilsch. f. Biol., €. XXII, p. 191. — Pfluger's Arch., t. XXIV, 1881, 
ptreti19; 

2. Cremer, Zeitsch. f. Biol., t. XXIX, p. 484. — Meyer, 20° congrès méd. in- 
terne, Wiesbaden, 1902. À 

3. F. Voït, Zeëlsch. f. Biol., t. XXNIII, p. 353, et t. XXIX, p. 146. 

4. CG. Voit, Ber. d. Deuls: chem, Gesell, t, XXN, p. 914, — Zeitsch. f. Biol., 
t. XXV, 1888, p. 543-552. — Zeilsch. f. Biol., t. XXIX, p. 484. 


86 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, 


la pâtée de riz, aliment très riche en amidon et pauvre en matières 
azotées et en graisses. L’ingestion de ces derniers principes pouvait- 
elle influencer les résultats? I] n’y avait pas lieu de se préoccuper des 
corps gras ; ils ne peuvent que très peu augmenter le glycogène 
hépatique, mais il fallait, nous le savons, tenir compte des protéi- 
ques utilisés par les animaux durant l’expérience. La chose était 
relativement facile. Il suffisait de doser l’azote sous ses différentes 
formes dans l’aliment et ensuite, après digestion, dans les excreta. 
Voit se rendit compte que 32 grammes environ d’albuminoïdes 
avaient disparu en cinq jours dans le tube digestif. Il sacrifia donc 
les oïes au bout de ce temps et rechercha le glycogène dans leurs 
divers tissus. L'analyse trouva en moyenne par tête 44 grammes de 
glycogène de formation nouvelle, lesquels rationnellement ne pou- 
vaient provenir de la décomposition des protéiques. Çe chiffre de 
44 grammes était en effet de beaucoup supérieur à la quantité ma- 
xima de glycogène pouvant provenir d’après les calculs théoriques de 
la matière azotée. L'expérience autorisait toujours à conclure que le 
glycogène total et par conséquent le glycogène hépatique, qui d’après 
l’analyse atteignait presque la moitié du glycogène tolal, avait indu- 
bitablement une origine hydrocarbonée. 

L’expérimentation nous donne des résultats moins nets en ce qui 
concerne la production du glycogène aux dépens des alcools polyato- 
miques, des diverses celluloses de la nature des pentosanes, et des 
acides organiques dérivés par oxydation de ces alcools et des su- 
cres. Külz' a pu observer une légère augmentation de glycogène 
dans le foie d'animaux ayant ingéré de l’érythrite, de la mannite, de 
l’inosite, de la quercite, de la dulcite, des acides dextronique, glycu- 
ronique, saccharique, mucique. A cette liste de substances actives, 
Külz joint encore les tartrates, les lactates, ce qui est en opposition 
du reste avec les expériences de Luchsinger. Les gommes, telles que 
la gomme arabique, produit de la condensation de l’arabinose et 
du galactose, restent sans influence *. Les pentosanes qui sont par 
rapport à l’arabinose et au xylose, sucres à cinq atomes de car- 


1. Külz, Festschrifl,. Marbourg, p. 27-33-35. 
?, Salomon, Arch. f. pathol. Anat., t. LXI, p. 184. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 87 


bone, ce qu'est l’amidon par rapport au glucose ou Pinuline par 
rapport à un autre hexose, le lévulose, devraient durant la digestion 
se transformer avec fixation d’eau en pentoses. Mais, en admettant 
que la digestion les dédouble ainsi, nous savons d’après Crémer” que 
ces derniers sucres en (° ne produisent chez les poules et le lapin 
qu’un fable dépôt de glycogène, et encore le résultat est-1l contesté 
par Frentzel”. Cet auteur, après mgestion de xylose n’est pas arrivé, 
sur le chien, à provoquer la formation de glycogène hépatique. 
N’avons-nous pas dit que l’arabinose et le xylose passent en partie 
inaltérés dans les urines, et qu’on les y retrouve également après 
l'absorption d'aliments riches en pentosanes ? Devant ces faits, il est 
permis de penser que les celluloses peu condensées, analogues à 
ces pentosanes, ont infiniment moins de valeur que les sucres et 
l’'amidon, en tant que sources de glycogène. Toutefois ce n’est pas 
une raison pour refuser toute valeur aux hydrocarbonés facilement 
saccharifiables, pas plus du reste qu'aux celluloses vraies, bien que 
ces dernières ne se laissent dissoudre in vitro que par les acides con- 
centrés. 

En résumé, parmi les diverses matières sucrées ou voisines des 
sucres, énumérées précédemment, les hexoses, les bi-hexoses et les 
amidons se rangent certainement en première ligne comme capables 
d'intervenir efficacement lors de la production du glycogène hépa- 
lique. Les autres glucosides analogues aux celluloses, les acides et 
les alcools d’où dérivent les acides, semblent beaucoup moins inté- 
ressants. Parmi ces alcools, il en est un cependant, la glycérine, 
qui agit aussi nettement que les sucres, pour provoquer l’augmenta- 
tion du glycogène dans les cellules hépatiques. Les expériences de 
Weiss ®, de Luchsinger et de Salomon‘ à ce sujet sont très démons- 
tralives. 


1. Cremer. Habililationsschrift, Munich, 1893, p. 62. — Münchener Gesell. f. 
Morphol. u. Physiol., 1893, n° 1. 


2. Frentzel, Chemiker Zeitung, 1894, p. 105. 
3. Weiss, Wiener, Akad, Zitzungsber., t. LXNIT, 1873. 


4. Luchsinger, PHüger's Arch., 1878. — Salomon, Centralblat. f. d. med, Wis- 
sens., 1874. p. 47. 


88 : ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Formation du glycogène après l’ingestion de saccharose. 


Nous venons d'étudier successivement la production du glycogène 
hépatique aux dépens des divers principes de notre classification 
chimique des hydrates de carbone ; il ne nous reste plus, pour être 
complet, qu’à suivre dans le foie la marche de cette formation des 
réserves sucrées. Les expériences de Praustnitz’, que nous allons ré- 
sumer, vont nous fournir, à ce point de vue, une étude plus appro- 
fondie de l'influence du régime hydrocarboné exclusif sur l’élabora- 
tion du glycogène non seulement dans le foie, mais dans l'organisme 
entier. Tout en terminant ce qui a trait à l’origine du glycogène hé- 
patique nous commencerons ainsi en même temps l’étude du gly- 
cogène musculaire. Prausnitz soumet un certain nombre de poules 
à un Jeûne de quatre jours, afin d'obtenir la destruction à peu près 
complète de leur glyvcogène. L'analyse faite sur les divers tissus de 
quelques-uns des sujets d'expérience lui permettait du reste de déter- 
miner rigoureusement les réserves sucrées, contenues dans le foie, 
dans les muscles, dans les organes différents du foie, dans les os 
enfin. Le lot de poules reçut une quantité à peu près constante de 
saccharose, de 25 à 24 grammes environ, puis on les sacrifia 
plus ou moins longtemps après ce repas. L'analyse permit de 
suivre la quantité de sucre réellement absorbé et de se rendre 
compte du glycogène nouvellement formé, sous l'influence de 
cet aliment, dans le foie, dans les muscles ainsi que dans toutes 
les autres parties du corps. Pour rendre plus facile la lecture 
des chiffres de Prausnitz, nous avons résumé et figuré au moyen 
du graphique suivant (fig. 10) les résultats généraux auxquels il 
est arrivé. Sur la ligne des abscisses est porté l'intervalle, exprimé 
en heures, qui sépare la mort de l'animal du moment où ce der- 
nier à terminé l’ingestion de sa ration de sucre. Les quantités 
de glycogène, trouvées à l’analyse et exprimées en grammes, figu- 
rent en ordonnées. L'auteur a pris le soin de doser séparément 
le glycogène du foie, des muscles, des os et des autres organes, 


1. Prausnitz, Zeëlschr. f. Biol., t. XXNI, 1890, p. 377 et 413. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 89 


mais pour plus de clarté nous avons simplement opposé le glyco- 
gène total du foie, figuré par la courbe à gros trait, au glycogène to- 
tal du reste de l’économie, figuré par le trait pointillé. La figure ne 
fournit aucune indication sur les quantités de sucre réellement ré- 
sorbées, car il nous sera donné de revenir en détail sur l'absorption 
du saccharose dans le tube digestif. Quelles sont les conclusions qui 
découlent de la lecture de ce graphique ? On voit que la matière 
sucrée en pénétrant dans l’économie détermine presque immédiate- 
ment une notable augmentation du glycogène hépatique. Cette aug- 
mentation se maintient progressive et régulière durant les 19-16 
premières heures qui suivent l’ingestion du sucre. Elle atteint son 


Heures # 8 /2 16 20 24 28 32 36 40 44 48 52 
Intervalle du dernier repas 
e /8 mort. 

Fig. 10. 


maximum vers la vingtième heure; mais, au bout de vingt-quatre 
heures, 11 y à diminution tellement rapide du glycogène hépatique, 
qu'à la trente-sixième heure il n’en reste presque plus que des 
traces. Quant au glycogène du reste de l’économie, celui qui, nous 
le savons, est en majeure partie localisé dans les fibres musculaires, 
l’action de l’aliment sucré ne se fait pas de suite sentir sur lui. Il 
n’augmente que lorsque le glycogène hépatique a déjà atteint un 
taux assez élevé, c’est-à-dire six ou huit heures après le repas, Mais 
cette augmentation, au lieu d’être lente comme pour le glycogène 
hépatique, se produit au contraire très rapidement, si bien qu'entre 
la huitième et la vingt et unième heure,il y a beaucoup moins de 
glycogène dans le foie que dans le reste du corps (muscles, os et 


90 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


autres organes ou tissus). C’est seulement 16-20 heures après l’in- 
gestion du sucre que le maximum du glycogène musculaire est 
atteint. À partir de ce moment, on observe une brusque diminution 
de l'accroissement. Celui-ci cesse entre la vingt-quatrième et la 
trente-sixième heure. Enfin au bout de quarante-huit heures, le glyco- 
gène disséminé ailleurs que dans le foie revient à son taux de départ. 

Il serait peut-être imprudent de généraliser ces conclusions sans 
aucune réserve, et de considérer le graphique qui les traduit comme 
l’image absolue et immuable de la formation du glycogène dans 
l’économie. Nous ne devons pas oublier en effet que ce glvcogène 
est sous la dépendance de deux fonctions contraires. Comment les 
poules de Prausnitz avaient-elles établi leur budget de matières su- 
crées, et l’animal règle-t-1l toujours ainsi son bilan ? On peut se le 
demander. La marche générale du phénomène n’est cependant pas 
sans enseignement. L'expérience de Prausnitz nous démontre nette- 
ment que l’augmentation du glycogène n’est pas parallèle dans le 
foie et dans les muscles, c’est-à-dire dans les deux principaux tissus 
où la réserve sucrée s’accumule de préférence. La cellule hépatique 
qui est la première à recevoir les produits de la digestion manifeste 
son activité bien avant les autres, mais cela ne veut pas dire qu’elle 
soit plus apte que la fibre musculaire à élaborer son glycogène aux 
dépens des hydrocarbonés. 


Formation du glycogène musculaire aux dépens 
du sucre du sang. 


Si l’on veut bien songer en effet que tous les tissus du corps sont en 
contact perpétuel avec le glucose du sang, on est en droit de se de- 
mander le rôle que joue ce dernier sucre, en tant que source du gly- 
cogène musculaire par exemple. Cherchons à provoquer directement 
dans le muscle cette transformation du glucose en glycogène. Laves' 
conduit son expérience de la façon suivante : il prend 3 lots de gre- 
nouilles, de même poids à très peu de chose près, et les laisse Jeûner 
une semaine. Sur les membres inférieurs des grenouilles du premier 


1. Laves. Arch. f. exper. Fathol. u. Phar., t. XXII, 1887, p. 139 et 142. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 91 


lot, on dose le glycogène. Aux animaux des groupes n°2 et n° 3 ou en- 
lève le foie, pour être sûr que dans le cas de néoformation de glyco- 
gène musculaire, la glande hépatique n’intervienne en rien. Ces deux 
groupes sans foie sont enfin maintenus à jeun durant quatre jours, 
mais les animaux du lot n° 3 reçoivent 05,5 de glucose, en injection 
sous-cutanée dorsale. À l’analyse on trouve dans les membres in- 
férieurs des trois séries les quantités suivantes de glycogène : 


Groupe n° 1 (témoin) . 1,29 p. 100 
GYOUDENN PE NT ES 1,27 — 
Groupe n° 3 fe éetiqù se Aneose 1,60 — 


Il s’est donc sans l’intervention de la glande hépatique formé du gly- 
cogène musculaire aux dépens du glucose injecté. Les expériences 
de Külz ‘ confirment entièrement celles de Laves. Gomme les muscles 
symétriques, soumis naturellement aux mêmes conditions de travail, 
contiennent des quantités très voisines de glycogène, Külz irrigue 
artificiellement l’une des cuisses d’un chien avec un courant de sang 
défibriné, et l’autre avec le même sang additionné de glucose. L’ana- 
lyse du glycogène des deux membres dénote toujours une différence 
sensible, en faveur des tissus qui reçoivent le sang sucré. Tous les 
faits concordent pour établir que les tissus musculaires reconstituent 
leur réserve de matière sucrée aux seuls dépens du sucre du sang. 
Si ce dernier liquide cesse d'apporter aux cellules les éléments nu- 
tritifs qui leur sont nécessaires, l’on constate de suite une diminution 
du glycogène. Chandelon * a dosé ce corps dans des muscles symé- 
triques, dont les uns étaient irrigués naturellement et dont les autres 
avaient été détournés, par ligature des artères, de la circulation géné- 
rale. Il trouva, pour le lapin, comme moyenne de sept expériences : 


GLYCOGÈNE. 


Dans les muscles irrigués. . . . . . 0,069 p. 100 
Dans les muscles non irrigués . . . . (LA Pres 


On obtient le même résultat lorsque l’on supprime dans le foie 


1. Külz, Pfüger's Arch., t. XXIV, 1880, p. 64. — Zeilsch. f. Biol., t. XXNIT, 
1890, p. 237, 


2. Chandelon, Arch. f. Physiol., t. XIIT, 1876, p. 626. 


92 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


l'irrigation sanguine. La ligature des vaisseaux qui intéressent les 
organes abdominaux et donnent naissance au système porte amène 
de même une notable diminution de la réserve sucrée hépatique *. 
Donnons enfin une dernière preuve que le glycogène prend nais- 
sance dans le muscle aux dépens du sucre sanguin : nous sa- 
vons que le muscle perd son glycogène à la suite du travail, mais 
qu'il sait le reconstituer durant le repos. Or, nous verrons, dans le 
chapitre suivant, que le sang abandonne son glucose aux tissus, sur- 
tout au moment où ces derniers travaillent à refaire le glycogène 
disparu, c’est-à-dire lors du repos qui succède au travail. 


Formation dans l'organisme du glycogène aux dépens 
du glucose. Réversibilité « in vivo ». 


Nous venons d'examiner successivement la transformation des di- 
verses catégories d'aliments en glycogène et l’accumulation de ce 
dernier principe dans la cellule animale. Essayons de pénétrer un 
peu le mécanisme qui, dans l’économie vivante, conduit à l’élabora- 
tion et à l’immobilisation de cette réserve sucrée. Il semble.rationnel 
et conforme aux principes de la chimie ét de la biologie de sup- 
poser qu’il doit tout d’abord y avoir, la chose est nécessaire, trans- 
mutation de l'aliment en glucose, puis ensuite condensation de sucre 
sous forme de glycogène. Soit deux temps principaux. 

Du premier temps, nous n’avons encore dit que fort peu de 
chose, nous étant presque bornés jusqu’à présent à n’enregistrer, 
sans commentaires, que les augmentations certaines de glycogène, 
consécutives à l’ingestion de tel ou tel groupe d’aliments. Mais est-il 
rationnel de voir les protéiques ou les graisses, par exemple, devenir 
des sucres? Connaît-on la théorie de toutes ces transformations ? 
Autant de demandes auxquelles nous répondrons dans la mesure du 
possible, lorsque nous passerons en revue les diverses sources du 
vlucose physiologique. En ce qui concerne le deuxième temps, c’est- 
à-dire l’évolution vers le terme glycogène des quelques formes de 
la matière sucrée, sous lesquelles l'aliment hydrocarboné pénètre 


1. Slosse, Du Bois Raymond's Arch.. 1890, supplément, p. 162. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 93 


presque exclusivement dans le sang, les théories chimiques nous en- 
seignent que pour passer d’un hexose quelconque, glucose, lévulose, 
galactose ou mannose, aux glucosides, comme la matière glycogène, 
il y a là acte de synthèse, doublé forcément de phénomènes de déshy- 
dratation. Et comme nous sommes tout à fait fondés à voir dans 
les ferments les moyens et réactifs si perfectionnés dont dispose la 
cellule vivante pour l’accomplissement de ses fonctions et de sa 
tâche, une question inévitable se pose de suite : Quelle est la diastase 
du foie ou des muscles susceptible de présider à cette synthèse et à 
ces déshydratations ? Cette question, Claude Bernard, Dastre ensuite, 
se la sont successivement posée, ainsi du reste que bien d’autres, car 
l'importance du problème était de nature à attirer les recherches. 
Mais là où l’on croyait pouvoir trouver un ferment, l’on n’a rien dé- 
couvert qui puisse réaliser artificiellement in vitro les synthèses 
opérées par la cellule hépatique et les fibres musculaires. Ge 
que nous savons des diastases nous conduit alors à l’une des deux 
hypothèses suivantes : le protoplasma vivant est si intimement uni 
à ces ferments de synthèse, que la technique moderne ne sait 
pas les extraire, ou bien, parmi les ferments solubles que nous 
savons isoler, parce que la cellule les laisse exsuder naturellement, il 
y en à dont nous ne connaissons pas encore toutes les propriétés, et 
dont le mode d’action est sujet à varier suivant les conditions. Peut- 
être le même ferment est-il capable par exemple de produire des 
phénomènes d’hydratation et des phénomènes de déshydratation. 
Les belles recherches de Croft Hill’ sur la réversibilité des dias- 
tases fournissent de solides arguments en faveur de cette dernière 
hypothèse. L'auteur en faisant agir la maltase sur le maltose, pro- 
duit de la condensation de deux molécules de glucose avec perte de 
une molécule d’eau, s’est rendu compte que le dédoublement du 
maltose en deux molécules de glucose tune molécule d’eau, s’arrè- 
tait lorsque la proportion du glucose régénéré atteignait une cer- 
taine limite. Si la maltase vient à agir sur une solution dont la ri- 
chesse en glucose dépasse cette limite, une partie de ce dernier 
sucre repasse à l’état de maltose. Voilà ce que l’on nomme Îa réver- 


1. Croft Hill, Journal of the chem. Soc., août 1898, p. 654. 


94. ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sibilité. Cette action réversible semble être une propriété commune 
à beaucoup de ferments. On l’observe avec la mallase. On arrête aussi 
bien le dédoublement du sucre de canne sous l’action de l’inver- 
tine, par l'addition d’un certain mélange de glucose et de saccha- 
rose. Hanriot vient d’obtenir le même phénomène avec la lipase, 
le ferment saponifiant des corps gras et agissant sur eux comme les 
acides ou les alcalis’'. Puisque les liquides cellulaires remplissent sou- 
vent des conditions susceptibles de provoquer la réversibilité des fer- 
ments, il se pourrait alors que ce soit l’invertine qui préside à l’édifi- 
cation de la molécule de saccharose, que ce soit la lactase qui forme 
le lactose, la maltase, le maltose et par conséquent l’amidon et le 
glvcogène. Si l’on remarque en outre que cette réversibilité peut 
presque se prolonger indéfiniment dans la cellule, il est possible de 
s'expliquer ainsi la production d’aussi grandes quantités de glycogène 
que celles qui se trouvent accumulées dans les tissus animaux. 
Serait-ce là le secret de la formalion du saccharose dans la bette- 
rave, de l’amidon dans les grains et les tubercules, enfin, ce qui 
nous intéresse davantage, du glycogène dans le foie et les muscles ? 
Le docteur Brocard? à cru utile de s’en préoccuper. I à, suivant 
ses propres termes, € recherché si les phénomènes biologiques sont 
comparables, à cet égard, aux expériences de laboratoire, et si, 
après avoir fait ingérer les mélanges (glucose + galactose), (glucose 
+ lévulose) (glucose + glucose), l’on peut retrouver trace dans 
l’économie de la reconstitution du lactose, du saccharose, et du mal- 
tose ». Voici le résumé des essais de réversibilité in vivo auxquels il 
s’est livré. Il a fait ingérer à une femme enceinte, arrivée au terme 
de sa grossesse, 79 grammes de glucose et autant de galactose. Il a 
pu déceler dans son urine par l’analyse chimique et la méthode 
optique, la présence d’une petite quantité de lactose. Dastre était 
arrivé au même résultat chez le lapin à la suite de l’injection intra- 
veineuse d’un mélange de glucose et de galactose. Mais, ainsi qu'on 
peut le faire remarquer justement, ces observations ne permettent 
pas d'affirmer avec la rigueur scientifique nécessaire qu'il y a èn 


1. Hanriot, C. R., Soc. Biol., 1901, p. 70. 


2. Brocard, Loc. cél., p. S5. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 99 


vivo réversibilité de l’action diastasique due à la lactase. Le sujet 
d'expérience auquel s'était adressé M. Brocard était en effet une 
femme en état de grossesse. Or nous savons que dans ce cas l’orga- 
nisme est prédisposé à une hyperglycémie et à une glycosurie spé- 
ciales, et que la présence du lactose est presque normale dans l’urine 
des femelles pleines, au moment du part. Après ingestion d’une solu- 
tion de glucose ou de glucose et de lévulose à parties égales, à 40 ou 
90 p. 100, les résultats furent négatifs. La coïncidence entre le pou- 
voir réducteur et le pouvoir rotatoire des urines était suffisante pour 
permettre de conclure à l'absence de maltose ou de saccharose, de 
formation nouvelle. Mais, dans ces conditions, la réversibilité des ac- 
tions diastasiques pouvait-elle se réaliser? Le raisonnement démon- 
tra que non. L’irruption même soudaine dans le sang de solutions 
de glucose aussi peu concentrées que celles que l’on donnait, 40 
p. 100, ne pouvait pas provoquer la concentration saccharine, suffi- 
sante pour permettre à la maltase d'agir ?2n vitro et par conséquent 
in vivo comme diastase déshydrolvsante. En recommençant les es- 
sais avec des solutions très concentrées, Brocard se plaça dans des 
conditions plus favorables au phénomène. Il fit prendre à ses sujets 
d'expérience des solutions contenant de 100 à 123 grammes de glu- 
cose pour 100 centimètres cubes d’eau distillée, et l’observation des 
urines le conduisit à formuler nettement la conclusion suivante : 
« L’ingestion de doses élevées de glucose et en solutions très concen- 
trées, est suivie de l’apparition de maltose et permet de rendre évi- 
dente, chez certains sujets, la réversibilité in vivo de l’action diasta- 
sique due à la maltase. » 


Utilisation par l'organisme des sucres 
directement assimilables. 


Les faits, on le voit, viennent appuyer l'hypothèse et l’on conçoit 
combien la découverte de Croft Hill est de nature à nous éclairer sur 
le mécanisme des actions déshydratantes et des synthèses dont la cel- 
lule vivante est le siège. Il faut donc espérer que la chimie et la 
physiologie ont encore beaucoup à apprendre de l’étude à peine 
ébauchée de cette réversibilité in vivo des différentes diastases phy- 


96 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


siologiques. Mais cela ne veut pas dire que nous devions demander 
à ce processus de réversion lexplication de toutes les obscurités que 
soulève la production du glycogène aux dépens des divers hexoses 
assimilables. Que la maltase conduise le glucose au terme maltose et 
que la dextrinase, lui succédant, vienne agir pour acheminer ce mal- 
tose vers le glycogène, il n’y a là rien de contraire à.la théorie de la 
réversibilité. Nous n’assistons, somme toute, qu’à la condensation de 
plus en plus accentuée d’un même sucre, le glucose. Mais lorsque 
l'animal absorbe directement soit du lévulose, soit du galactose, soit 
du mannose, ou, ce qui revient au même, des alcools comme la man- 
nite et la dulcite ou des bihexoses comme le saccharose et le lactose, 
les cellules ne peuvent opérer la mise en réserve de leur matière 
sucrée «par simple conversion directe », suivant l'expression de 
Claude Bernard’. Il se passe autre chose que la condensation et la 
déshydratation partielle de la molécule de ces sucres, sinon le glyco- 
oène changerait de nature suivant l’hexose générateur, or tout ce que 
nous savons, à ce sujet, nous autorise à affirmer que les matières 
sucrées les plus variées ne forment jamais qu’un glycogène unique, 
doué de propriétés chimiques et physiques presque invariables et ne 
révélant par aucun indice, évident du moins, la source ternaire d’où 
il dérive, Forts de cet argument que la constitution de la réserve 
hydrocarbonée des cellules ne se ressent jamais de la qualité de ’ali- 
ment sucré qui pénètre dans l’économie, les partisans de la théorie 
de l’épargne se sont crus autorisés à ne plus considérer le lévulose, 
le galactose et le mannose comme des sources possibles de glyco- 
oène. Suivant eux, ces substances ne feraient que préserver de la des- 
truction le glycogène issu d’une autre origine el élaboré uniquement 
aux dépens du glucose. Ce dernier sucre peut, nous le savons, être 
fourni en nature par le dédoublement des bihexoses ou des fécu- 
lents, ainsi que par la transformation des protéiques. Comme les amy- 
lacés, les sucres et les matières azotées font, les uns ou les autres, 
toujours partie de la ration alimentaire des animaux, y avait-il donc 
lieu de rechercher ailleurs l’origine du glycogène, presque toujours 
présent dans l'organisme. La thèse, pour être admissible, demandait 


1. Cl. Bernard, Leçons sur le Diabète, p. 321. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 97 


tout d’abord la démonstration de ce fait que l'organisme, agissant en 
cela comme les levures, était susceptible de montrer une préférence 
marquée pour les hexoses directement assimilables autres que 
le glucose. Il fallait prouver que si la cellule disposait de lévu- 
lose et de galactose, par exemple, en même temps que de glu- 
cose, elle utilisait d’abord pour satisfaire ses besoins les deux pre- 
miers sucres, le glucose ainsi épargné servant à élaborer du gly- 
cogène. On devait pouvoir s’en assurer facilement, en recherchant 
si, après l'introduction dans l’économie d’un mélange de différents 
sucres, l’un d’eux ne disparaissait pas plus vite que les autres. Le 
point établi, il devenait rationnel d’en déduire que les hexoses uti- 
lisés les premiers répondaient avant les autres aux besoins de la nu- 
trilion hydrocarbonée des cellules. On doit au D Brocard, dont le 
nom, on le voit, reparait si souvent et à Juste raison dans ce travail, 
les recherches les plus récentes et les mieux raisonnées sur Putili- 
sation et l’élymination des hexoses par l’économie. Voici comment 
l’auteur a cru devoir arrêter sa méthode. Nous avons déjà signalé 
que chez les organismes à nutrition ralentie, la richesse des tissus et 
des humeurs en sucre, augmente d’une façon sensible, Une consé- 
quence naturelle de cette saturation de l’économie, c’est que si l’on 
vient à y augmenter artificiellement cet excès déjà notable de ma- 
tières sucrées, celles-ci, ne pouvant plus être retenues, sortent for- 
cément de l’économie par les émonctoires. Leur élimination par les 
voies naturelles se fait alors dans des proportions telles qu’il devient 
relativement plus facile de les enregistrer, et de les comparer entre 
elles. En s'adressant au contraire à des organismes normaux et à nu- 
trition très active, on ne pouvait compter que sur une élimination 
beaucoup moins considérable des sucres introduits artificiellement 
en excès. Voilà pourquoi M. Brocard expérimenta sur des femmes 
enceintes. C’est sur elles qu’il chercha à se rendre compte de l’ordre 
dans lequel organisme utilisait les différents hexoses. Mais fallait-1l 
pour cela, faire ingérer successivement au même sujet tous les sucres 
à comparer? Non, car lexpérience démontrait qu'après quelques 
jours d'intervalle, l'élimination d’un même sucre n’était pas cons- 
tante chez le même individu, le régime alimentaire, entre paren- 
thèses, constituant un des facteurs les plus importants des variations 


ANN. SCIENCE AGROX. — 2° SERIE, — 1902-1903. — 11. f 


98 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

observées. C’était bien là une preuve évidente qu’un organisme, pris 
à des jours différents et cependant dans les mêmes conditions appa- 
rentes, utilisait différemment le même sucre. Pour écarter toute in- 
tervention de ces variations de l’état physiologique, l’auteur songea 
à recourir à la méthode des ingestions simultanées. L'expérience 
consistait à administrer à une économie déterminée el par voie di- 
geslive, pour se rapprocher autant que possible de l'alimentation 
normale, un mélange de deux sucres à comparer. Ces sucres, en 
augmentant l’hyperglycémie préexistante, provoquaient de la glyco- 
surie. J1 fallait alors suivre par l’analyse chimique et les procédés 
optiques les proportions respectives de chacun des sucres éliminés 
par les urines. L’hexose que lurine rejetait en plus petite quantité 
était, inutile de l'expliquer tellement la chose est évidente, celui qui 
avait le meilleur coefficient d'utilisation. Par cette méthode, M. Bro- 
card, dans une première série d'expériences, a pu comparer le glu- 
cose au galactose, au point de vue de leur utilisation au même mo- 
ment, par le même organisme, et cela, tout en tenant compte, puisque 
l'introduction des sucres dans l’économie était simultanée, de l’in- 
fluence possible de l’un d’eux sur la consommation de l’autre. Les 
essais ont été ensuite renouvelés avec un mélange de galactose et de 
lévulose. Nous allons résumer graphiquement les résultats obtenus, 
ce qui nous dispensera de transcrire ici tous les chiffres du mémoire 
original. Disons de suite que la figure 11 ne représente nullement 
les quantités de glucose, de galactose et de lévulose réellement éli- 
minées par un des sujets d'expérience, après ingestion d’un mélange 
à parties égales de ces trois hexoses. L'étude du passage dans l’urine 
de deux sucres, pris en même temps, est déjà par elle-même assez 
compliquée pour que l’auteur n’ait jamais songé à suivre l’élimina- 
tion simultanée de trois sucres. Tout en tenant compte des chiffres 
enregistrés par M. Brocard, nous avons figuré un cas absolument 
fictif. Supposons un sujet, à nutrition ralentie, ingérant à la fois de 
60 à 70 grammes de chacun des sucres suivants : glucose, lévulose, 
galactose. Il va devenir diabétique. De temps en temps nous allons 
recueillir de ses urines, afin de déterminer sur chaque prise, par 
l’analyse chimique et par la méthode optique, la qualité et la quan- 
tité des différents sucres éliminés par le rein. On obtient les courbes 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 99 


d'élimination des trois hexoses à comparer, en portant en abcisses 
les temps écoulés depuis le repas et exprimés en heure, puis en 
ordonnées les teneurs de l'urine en glucose, galactose et lévulose, 
exprimées en grammes. 

On conçoit que l’aire comprise entre l’axe des abcisses et chacune 
des trois courbes représente l’élimination de la substance correspon- 
dante ou qu’elle lui est tout au moins proportionnelle. Il en découle 
que l’utilisation de l’un des hexoses considérés, c’est-à-dire la quan- 


470 “VE 
370 hi 
270 LES 

: C : ever 
1770 : Sa 


tité de ce sucre que l’organisme retient ou consomme doit être in- 
versement proportionnelle à son aire d’élimination. Ces remarques 
admises, le simple aspect de la figure nous montre que l’économie 
rejette le glucose en plus grande quantité que le galactose et que ce 
dernier passe lui-même plus abondamment dans les urines que le 
lévulose. Dans les recherches de Brocard l’écart entre les différentes 
surfaces a toujours été très manifeste ; c’est ainsi, par exemple, que 
l'aire de l’élimination du glucose n’a jamais cessé de dépasser de 
trois ou quatre fois celle du galactose. En faisant dire à ces diverses 


100 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


observations ce qu’elles signifient au fond, l’on en arrive à classer 
rationnellement les hexoses, au point de vue de leur utilisation par 
l’organisme humain, et en commençant par le plus facilement assi- 
milable, dans l’ordre suivant : 

Lévulose. 

Galactose. 

Glucose. 

En d’autres termes, cela tend à reconnaître que Le lévulose 
joue par rapport au galactose le rôle d’aliment d'épargne et 
qu'à son lour le galactose peut agir de méme vis-a-vis du glu- 
cose. | 

Les faits semblent donc d’accord avec la théorie de l'épargne. 
Sans doute, les recherches de Brocard n’ont presque uniquement 
porté que sur l’organisme humain et lors d’un état un peu spécial 
de ce dernier ; sans doute l’utilisation des hexoses est éminemment 
variable et subit les influences les plus diverses, mais rien cependant 
ne laisse entrevoir que les conclusions de ce cas particulier ne soient 
pas générales et conformes aux phénomènes normaux de la nutrition. 
Tout est d'accord pour nous prouver que la cellule animale a des 
préférences, et qu’elle sait protéger parmi ses aliments ceux qui lui 
sont chers. Pourquoi la matière sucrée, qui circule dans l’organisme, 
atfecte-t-elle presque toujours la forme du glucose? Pourquoi le 
glycogène de réserve donne-t-il toujours naissance également à du 
glucose ? N'est-ce pas parce que ce dernier sucre est indispensable, 
et qu’il faut le protéger avant tout ? On ne s’étonne plus alors que le 
sujet à nutrition très active comme le sujet à nutrition ralentie et 
même le diabétique qui n'utilise presque plus sa matière sucrée phy- 
siologique, ne consomme le glucose qu’en dernier lieu, lorsqu'il ne 
dispose d’aucun autre hexose. En passant de état physiologique à 
l’état. pathologique l’organisme n’abandonne même pas ses préfé- 
rences. Le lévulose est moins mal assimilé par les diabétiques que 
le glucose, si bien que certains médecins permettent ce premier sucre 
à petites doses *. Le sucre de lait et par conséquent le galactose qui 
résulle de son dédoublement est, paraît-1l, quelquefois également bien 


1. Lépine, Diabèle, loc. cit. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 101 


supporté par les mêmes malades. Külz' dit avoir fait prendre à un 
diabétique 500 grammes de lactose en trois jours et n’avoir trouvé 
dans les urines que des traces de sucre. Charrin * et Œttinger* par- 
tagent cette conclusion. 


Transmutation dans l'organisme des sucres 
directement assimilables. 


Devant la réalité de cette utilisation « élective » des divers 
hexoses, la théorie de l'épargne sortirait-elle donc intacte de la dis- 
cussion ? Non, car nous avons déjà reconnu à certains tissus la faculté 
de remanier la molécule des différents sucres, afin d’en faire une 
même et unique réserve hydrocarbonée. Nous ne pouvons en effet 
renier maintenant la formation directe du glycogène dans le foie 
isolé de Luchsinger, lorsque l’on venait à injecter dans cet organe 
des solutions de glucose, de galactose, de mannose et de lévulose. 
La question suivante revient alors d'autant plus pressante que nous 
avions pu, un moment, mais à tort, espérer l’éviter : Par quels 
moyens la cellule hépatique change-t-elle en un produit unique de 
condensation du glucose, les divers sucres qui n’ont de commun avec 
ce glucose que le nombre de leurs atomes de carbone, d’hydrogène 
et d'oxygène ? Comment le glycogène, qui ne régénère jamais qu’un 
sucre déviant à droite, peut-il prendre naissance aux dépens du lévu- 
lose par exemple qui est lévogyre ? Puisque nous savons un peu com- 
ment se fait la condensation du glucose, nous sommes naturellement 
entraînés à admettre que tous les sucres générateurs de glycogène 
doivent préalablement passer par le terme glucose. C’est donc la 
transmutation des sucres qu’il nous faut maintenant expliquer ! La 
chose ne semble pas imposgible au chimiste. Représentons côte à 
côte la molécule des quatre hexoses directement assimilables, c’est- 
à-dire les seules formes que semble revêtir la matière sucrée lors- 


1. Külz, Beilrage. 3. Pathologie u. Therapie d. Diabeles mellitus, Marbourg, 
1874-1875. 


2. Charrin, Semaine méd., 1896, p. 236. 
3. Œttinger, Semaine méd., 1897, p. 57. 


102 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


qu’elle se présente, par exemple, à la cellule hépatique. Nous avons 
simplifié la figuration précédemment employée des formules stéréo- 
chimiques de cès sucres, et remplacé par de simples lettres les boules 
blanches ou noires et les bâtons nous ayant précédemment servi 
à matérialiser dans l'espèce les atomes de carbone, d'hydrogène et 
d'oxygène. 

La comparaison de ces formules nous montre de suite que le 


H 

H : H 

| | 
0 0 0 0 0 0 
AU AREN) REUT HE TENUE PORN ZERE —(—*% 
2 € 2 C 2 Ç 2 Érdie Re 

| bas | | 
H —(— 04 ri H—(C— 0H  H0O—(C—H 

12 [2 [2 12 

| | | | 
H0O—T{—# H0O—C— H H0—C—H HO —C—H 

É É 

| | | | 
4H —(C— 0H H—C— 0H  H0—C—# H—C—0# 

É 14 

| | | | 
H—C— où H— (0H H—C— où H—— C0 

| | 

C C C Û 
H— C—H H— (—H H—C—h H— C(—H 

6 * [6 .|6 16 

0 0 0 0 

H H H H 
ec, Ù Em, 0  , 
d.glucose d. lévulose d_galactose d.mannose 


galactose et le mannose ne diffèrent du glucose que par la direction 
des groupes hydroæyles secondaires (0 H), qui, nous le savons, sont 
susceptibles de tourner, à la façon d’une girouette, autour des 
atomes (C) de carbone asymétrique figurés par des lettres grasses. 
La transformation du galactose ou du mannose en glucose ne tient 
donc qu’à fort peu de choses. Le passage du lévulose au glucose 
semble au contraire beaucoup plus compliqué. Pour cette raison 
nous nous y arrêterons un peu et puis aussi parce qu’il nous importe 
de savoir comment l'organisme peut transformer le lévulose issu 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 103 


du dédoublement du sucre de canne. La superposition de la formule 
du lévulose à celle du glucose nous laisse voir que, dans ces deux 
sucres, les groupes de carbone 3, 4, 5, et 6 offrent le même arrange- 
ment dans l’espace. Les deux groupes supérieurs du lévulose seuls 
subissent des changements lorsque l’on passe de ce sucre au glucose. 
En termes de chimie, le premier a été le siège d’une oxydation ; dans 
le second, il y a eu par contre réduction. Le changement consiste 
en un mot en un apport d'oxygène sur le premier et d'hydrogène sur 
le second. 

De semblables transformations sont-elles de l’ordre de celles que 
l’on observe ou que l’on peut observer dans l'organisme ; autrement 
dit, y a-t-il des ferments capables de les effectuer? M. A. Gautier à 
déjà depuis longtemps (1881) * démontré que le protoplasma de la 
plupart des cellules est réducteur et qu’il transforme les iodates 
et les bromates alcalins en iodures et bromures ne contenant 
plus tout l'oxygène des premiers. Le principe qui préside à ces 
phénomènes de réduction, d’après Bokorny, est colloïde, non dia- 
lysable et resté fixé au protoplasma, mais sa présence dans les or- 
ganes el les tissus animaux, n’en est pas moins évidente. Il est facile 
de s’en assurer, comme l’a fait Ehrlich, en injectant dans la cireu- 
lation certains réactifs, le bleu d’alizarine par exemple, susceptibles 
d’être décolorés par l'hydrogène naissant. Binz a de même trouvé 
des propriétés réductrices au sang et au suc intestinal où s’opère 
surtout le dédoublement du saccharose en glucose et lévulose. Tout 
récemment enfin, Abélous et Gérard? sont arrivés à réduire les ni- 
trates en nitrites d’abord, au moyen de la pulpe de divers organes, 
puis ensuite par des extraits aqueux ou glycérinés de ces mêmes 
organes. L’action, n'étant due ni à la présence des microorganismes, 
ni à une influence vitale des cellules, dépendait forcément d’un 
ferment. 

Au cours de leurs recherches, les auteurs s’aperçurent en outre 
qu'à un moment donné de la fermentation, il y avait disparition 


1. À. Gautier, Chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté, p. 86). 


9, Abélous et Gérard, Journ., d. phys. et chim., t. X, 1899, p. 103. — 4° Congres 
de chimie appliquée, 1900, t. Il, p. 626. 


104 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


d’une partie des nitrites précédemment formés aux dépens des ni- 
trates. [ls furent ainsi amenés à se demander si cette diminution 
w’était pas la conséquence d’une oxydation, et à découvrir, dans les 
organes animaux, la coexistence certaine d’un ferment réducteur et 
d’un ferment oxydant. Suivant les conditions, ces diastases agissaient 
seules ou simultanément. Théoriquement elles peuvent donc changer 
le lévulose en glucose. Cette mutation n’a, 1l est vrai, jamais encore 
été observée in vitro, mais la présence simultanée des oxydases et 
des ferments réducteurs dans la cellule animale n’en est pas moins 
susceptible de nous donner de certains phénomènes une explication 
qui, certes, n’est pas une pure conception de l'esprit. La conclu- 
sion est de nature à encourager les recherches. La technique saura 
peut-être un jour conserver aux ferments leurs propriétés et nous 
les verrons transformer sous nos yeux en glucose soit le lévulose, 
soit le mannose ou le galactose. 


Formation comparative du glycogène hépatique aux dépens 
des sucres directement assimilables. 


Après être arrivé à rendre sinon certaine du moins très probable 
l'existence de divers ferments, les uns générateurs de glucose, les 
autres aptes à condenser ce dernier sucre à l’état de glycogène, il nous 
reste à étudier comparativement la résultante à laquelle aboutissent 
leurs activités combinées. Il nous faut, autrement dit, nous rendre 
compte de la rapidité avec laquelle la cellule immobilise, sous la 
forme qu’elle donne habituellement à ses réserves hydrocarbonées, 
les divers hexoses qui lui sont le plus souvent offerts par la circula- 
tion. Il n’est pas, en effet, sans intérêt de savoir, toutes choses égales 
d’ailleurs, quel est du glucose, du lévulose ou du galactose celui qui 
est le plus vite et le plus facilement transformé en glycogène. Les 
expériences de Brocard, résumées dans l’une de ces dernières pages, 
peuvent déjà nous fixer très nettement sur ce point. Reprenons la 
figure 11. Nous y voyons, qu’aussitôt l’ingestion des trois hexoses, 
les urines des femmes enceintes soi-disant observées ne sont que 
très peu sucrées et surtout que leur concentration saccharine n'est 
pas la même pour tous les sucres éliminés. Si l’on veut bien réfléchir 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 


que l’aliment sucré pénètre du tube digestif dans l’économie, en 
passant par le foie, on comprendra facilement qu’au début de la 
digestion, l’un quelconque des sucres arrivera dans la circulation 
générale et par conséquent dans les urines en quantité d’autant plus 
minime qu’il sera mieux retenu par le foie. La glycosurie ne se pro- 
duit en effet que si cel organe laisse passer du sucre dans le sang. 
Les courbes nous montrent, à ce sujet, durant la première heure, 
alors que les sucres n’ont guère encore dépassé le foie, que l'analyse 
décèle dans les urines moins de lévulose que de glucose et moins de 
glucose que de galactose. Il en résulterait donc que sous linfluence 
des ferments de la cellule hépatique, le glucose se transforme moins 
facilement en glycogène que le lévulose, et plus facilement que le 
galactose. Le fait peut être vérifié directement par l'expérience ‘. On 
laisse jeûner, durant quarante-huit heures, plusieurs séries de co- 
bayes, provenant de la même portée, ayant été soumis précédem- 
ment à des régimes identiques, enfin de poids sensiblement égaux. 
Au bout de quarante-huit heures d’inanition, le glycogène chez ces 
animaux a presque entièrement disparu du foie. On les divise en plu- 
sieurs lots et l’on fait ingérer à chaque série, des solutions d’un su- 
cre différent mais de même concentration, 10 pour 250, prises en 
quantités égales ou plutôt proportionneiles aux poids respectifs des 
sujets d'expérience qui ne sont jamais absolument de même taille. 
Quarante-deux heures après le repas, on sacrifie les animaux, on 
extrait leurs foies, on les jette de suite dans l’eau bouillante pour 
enrayer toute action fermentative et l’on procède; suivant les règles, 
au dosage du glycogène. On trouve, par exemple, que l'animal a 
élaboré par kilogramme de foie et par heure : 


17° expérience : 


Lorsqu'il est nourri au galactose . . 07,077 de glycogène 
— au glucose. . . 0 ,108 = 
29 expérience : 
Lorsqu'il est nourri au galactose . . 07,076 de glycogène 
= au lévulose . . (LAN 172 — 


Et c’est sur la considération suivante dont nous verrons plus tard 


1. Brocard, Loc. cit., p. 55. 


106 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


les conséquences pratiques, que nous terminerons l’histoire du gly- 
cogène : les sucres qui, amenés au contact de la glande hépatique, 
y donnent lieu à la production la plus abondante de ce principe, 
sont justement le glucose et le lévulose, c’est-à-dire les hexoses aux- 
quels aboutit forcément le dédoublement du saccharose. 


Localisation de la fonction glycogénique. 


Voilà comment l'organisme emmagasine et reconstitue sans cesse 
sa réserve de malière sucrée. Mais ce n’est là qu’un travail prélimi- 
naire. Nous savons en effet qu’en outre du glycogène, la cellule ani- 
male élabore du glucose et qu’elle déverse ce sucre dans le sang. 
C’est là que tous les tissus, en parasites, viendront le chercher si cet 
aliment leur est nécessaire. Lorsque nous avons suivi la formation du 
glycogène, nous avons porté notre attention sur les cellules où les 
dépôts hydrocarbonés paraissaient se localiser de préférence. Si nous 
procédons de même ici, notre premier soin doit être de rechercher 
les organes ou tissus qui forment le plus facilement et le plus abon- 
damment du glucose. 

La cellule hépatique est évidemment de celles qui jouissent de 
cette fonction spéciale. On peut essayer de le démontrer en compa- 
rant la teneur du sang en glucose à son entrée et à sa sortie du foie. 
Mais la méthode est de nature à donner des résultats essentiellement 
variables. Suivant Claude Bernard, le sang sus-hépatique est toujours 
le plus sucré. Seegen l’affirme également. De Mehring trouve au 
contraire plus de sucre dans la veine porte que dans les veines 
hépatiques, tandis que les analyses de Pavy et d’Abeles concordent 
pour les deux sangs. Ces contradictions tiennent à ce que la compa- 
raison est fort délicate et que la technique qu’elle nécessite entraine 
forcément des erreurs. Avant d'atteindre la veine porte, il faut faire 
une laparotomie, et ligaturer la veine. Pour recueillir le sang hépa- 
tique, on est ensuite obligé de ponctionner la veme, ou d’y arriver en 
guidant une sonde par la jugulaire interne et la veine cave inférieure. 
Or, ces opérations déterminent un traumatisme du foie et des organes 
abdominaux qui, par un mécanisme réflexe, on l’a vérifié, augmente 
certainement l’activité de la glande hépatique et change le débit du 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 107 
sucre. Lorsque Seegen a repris ses premières expériences en évitant 
tout traumatisme abdominal, on à encore constaté sur l'animal à jeun 
un excès de sucre dans le sang sus-hépatique. Malgré cela, il faut 
considérer la méthode comme défectueuse. Elle nous indique seule- 
ment le sens général du phénomène et nous démontre simplement, 
ainsi que le constatent Gilbert et P. Carnot, « que lorsqu'il arrive 
beaucoup de sucre au foie, l'excédent s’y arrête et qu’inversement 
lorsque les dépenses sont exagérées, le foie déverse au profit des 
organes qui dépensent, une plus grande quantité de sucre ». Il est dun 
reste possible de démontrer autrement que le foie sait former du 
glucose et que c’est là une de ses fonctions normales et non pas un 
phénomène cadavérique, ainsi que pourrait le laisser supposer lex- 
périence du foie lavé. Si la glande hépatique fabrique du sucre, son 
tissu doit en contenir davantage que le sang, où se déverse forcément 
le glucose formé. L'analyse faite sur des fragments de foie, détachés 
rapidement d’un coup de ciseaux, après ouverture de la cavité ab- 
dominale, et traités immédiatement de façon à arrêter toute action 
diastasique, le prouve nettement. Le tissu hépatique contient de 2 à 
6 p. 100 de glucose et Le sang 1,5 p. 100 seulement au maximum. 
Autre fait : suivons avec Delprat ‘ les quantités de glucose qui se for- 
ment dans un foie lavé suivant la technique de Claude Bernard, les 
observations se renouvelant à des périodes de plus en plus éloignées 
de lextraction de l'organe. On trouve que 100 grammes de tissu hé- 
patique produisent en une minute : 


Chez Ie lapin : 


2 minutes après l'extraction. 0%,0250 de glucose 
30 minutes à { heure — : 0 ,0030 — 
1 heure à 24 heures — 3 0 ,0005 — 


L’intensité de la glycogenèse diminue donc graduellement après la 
mort, ce qui prouve qu’elle n’est certainement pas la conséquence 
d’une décomposition cadavérique. À ceux qui viennent objecter que 
toutes ces observations ont été faites sur des foies exsangues, dans 
des conditions anormales par conséquent, on peut opposer ce qui se 


1. Delprat, Jahresb. f. Thierchem., t. II, p. 321. 


108 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


passe chez lP’animal vivant, lorsque l’on trouble la circulation hépa- 
lique de façon à la réduire à son minimum, ou lorsque l’on vient à 
lier les vaisseaux afférents et efférents de la glande. On constate 
alors une augmentation rapide et notable du sucre dans les tissus du 
foie (de 2 à 6 p. 100). Cela provient évidemment de ce que le glucose 
formé n’est plus entrainé. Cette évacuation du sucre dans le sang en 
circulation est encore nettement établie par l'expérience suivante due 
à Hoffmann : la ligature de la veine porte chez le lapin ne trouble 
pas la proportion normale du glucose dans le sang, tandis que la li- 
gature de la veine sus-hépatique abaisse tellement le taux du sucre 
qu'au bout de 40 minutes on n’en trouve plus que des traces dans le 
plasma. 

C’est ainsi que nous pouvons conclure à une abondante formation 
du glucose par le foie vivant. Mais, bien que la glycogenèse se mani- 
feste dans la glande hépatique avec une intensité très marquée, ne 
peut-il pas exister, à côlé, d’autres organes ou tissus susceptibles de 
concourir en même temps à la réalisation de cette fonction. Le muscle, 
par exemple, n’est-il pas apte, aussi bien que le foie, à produire du 
glucose? MM. Cadéac et Maignon ‘ se sont attachés à le démontrer. 
Le point de départ de leurs recherches est le suivant : l’asphyxie, de 
même que les lésions musculaires, consécutives à l’écrasement des 
tissus ou à la stase sanguine produite par ligature, de même encore 
que les fractures et les divers traumatismes occasionnent l’élimina- 
tion par l’urine de composés glycuroniques et surtout de glucose. II 
fallait rechercher l’origine de cette glycosurie et par conséquent de 
l’hyperglycémie qui la provoquait. L'étude comparative de muscles 
sains et de muscles altérés permit aux deux auteurs précités de ré- 
pondre à la question d’une façon décisive. Les liquides de macéra- 
tion provenant de muscles sains ne renferment pas de sucre ou n’en 
contiennent que des traces. Les muscles écrasés ou enserrés par une 
ligature donnent au contraire des liqueurs qui réduisent abondam- 
ment le réactif cupro-potassique. Ce sucre pouvait être déposé par 
le sang dans le foyer traumatique ou bien le muscle l’élaborait lui- 


1. Gadéac et Maignon, Comptes rendus, 1902, t. I, p. 1000 et 1443; 1903, t. I, 
p. 120. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 


même sur place. L'expérience démontra la réalité de cette dernière 
hypothèse, car, en se mettant à l'abri de toute action microbienne 
ou de putréfaction, il fut possible de constater que les muscles, 
comme le foie, produisaient toujours du sucre après la mort. Cette 
glycogenèse est exagérée, lorsque l’on modifie la respiration des 
tissus en les soustrayant à l’air par immersion dans l'huile, ou lors- 
que l’on vient à les écraser ou à les comprimer, mais la production 
du glucose n’en est pas moins wne fonction dévolue aux fibres muscu- 
laires striées, de même du reste qu’au cœur et aux muscles lisses. 
Suivant Cadéac, le cœur est en effet l’organe de l’économie qui, après 
le foie, produit les plus grandes quantités de sucre. Ilen élabore no- 
tablement plus que les muscles striés et surtout que les muscles lisses 
(tuniques musculeuses de la vessie, de l'estomac) qui n’en renfer- 
ment que des traces ou en sont le plus généralement dépourvus. 


Formation du glucose aux dépens du glycogène. 


Voilà qui nous engage, en somme, à considérer la glycogenèse non 
pas comme la propriété exclusive de la glande hépatique, mais bien 
comme wne fonclion très générale, commune à la presque totalité 
des cellules de l'organisme animal. Voilà qui nous permet en outre de 
remarquer que les tissus, comme le foie et les muscles, où se locali- 
sent de préférence les dépôts de glycogène sont justement ceux chez 
lesquels, nous venons de le reconnaitre, la faculté de produire le 
glucose se manifeste avec le plus d'intensité. Les faits nous ramènent, 
on le voit, à reparler de la doctrine classique de Claude Bernard qui 
le premier émit cette idée que le sucre du sang se forme aux dépens 
de la matière glycogène. L'expérience nous a déjà appris que cette 
transformation est des plus faciles à réaliser in vitro. Les acides 
étendus dédoublent à l’ébullition le glycogène en glucose. Beaucoup 
plus pratiquement et sans recourir à des températures plus élevées 
que celle du corps, on arrive au même résultat, en faisant agir cer- 
taines diastases saccharifiantes, maltases, dextrinases ou autres, ana- 
logues à celles de l’orge germée. Ces dernières sont-elles répandues 
dans l’économie animale? S'il en était ainsi, on pourrait songer à 
leur attribuer in vivo le même rôle qu’en dehors de lorganisme. 


110 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Nous avons déjà rencontré ces ferments dans la salive, le suc pan- 
créatique et intestinal, dans le sang lui-même, aussi la transformation 
du glycogène en sucre s’opère-t-elle au contact de presque tous les tis- 
sus. Il suffit de mettre un fragment de muscle, de rein, de cerveau, 
dans une solution opalescente de glycogène pour la voir s’éclaireir 
au bout de très peu de temps puis réduire la liqueur de cuivre. 
Wittich et Lépine ont du reste constaté dans l'organisme la présence 
générale de ces ferments saccharifiants et reconnu qu'ils agissaient 
aussi bien dans les tissus vivants ou de récente extraction, qu’in 
vitro. Malgré tant d'arguments la théorie de Claude Bernard, à laquelle 
se rangent du reste nombre d’auteurs comme Boehm et Hoffmann’, 
Chittenden et Lambert*?, Kauffmann*, n’a pas toujours été acceptée 
sans réserves. Seegen et Kratschner ‘, Nasse° et Panormow ne s’y 
rallient pas. On a répondu à leurs objections en montrant que le taux 
de glycogène diminue dans le foie au moment même où celui-ci cède 
le plus de sucre au sang, c’est-à-dire dans l’intervalle des repas. Par 
l'emploi de bonnes méthodes de dosage, on a également toujours 
trouvé que la quantité de glucose formée dans le foie, après la mort, 
est presque rigoureusement égale à celle que l’on aurait obtenu en 
transformant en sucre, par les moyens chimiques, le glycogène qui 
a disparu de l’organe. En ce qui concerne le mécanisme intime de 
cette transformation, il ne semble également plus possible actuelle- 
ment de ne pas l'identifier à une véritable fermentation. Arthus° et 
Huber, opérant sur des foies broyés dans une solution de fluorure 
de sodium, sont arrivés à préparer des liquides doués de propriétés 
saccharifiantes énergiques, et il n’y a pas lieu d’invoquer ici une 
action vitale, ou l'intervention des bactéries et de leurs diastases, 
puisque le fluorure, antiseptique puissant, tue forcément les cellules 


1. Boehm et Hoffmann, Arch. f. exper. Pathol., t. X. 1878. — Pfluger's Arch., 
t. XXIIL, p. 205. 

2. Chittenden et Lambert, Stud. from the Labor. of Yale College, New-Haven, 1885. 

3, Kauffmann, Soc. d. biol., 1890, p. 600. 

4. Seegen et Kratschner, PAuger's Arch., 1877, t. XIV. 

5. Nasse, Maly's Jaresb., 1889, t. XIX, p. 291. 

6. Voir le résumé de la question dans Arthus, Éléments de physiol., p. 391 et 
suivanles. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 111 


vivantes. Enfin, tout récemment, Permilleux en suspendant un frag- 
ment de foie dans un milieu rempli de vapeurs de chloroforme, et 
en recueillant le liquide exsudé, est arrivé à pouvoir saccharifier 
rapidement de l’amidon. Le glycogène, matière première du glucose, 
et les ferments capables de le dédoubler peuvent se trouver en pré- 
sence dans la cellule animale vivante, et c’est ainsi que se trouve 
expliqué le mécanisme de la transformation du glycogène en glucose. 


Formation du glucose aux dépens des matières azotées. 


Le glycogène constitue donc une source importante de glucose, 
mais, lorsqu'il vient à disparaître du foie ou des muscles, ainsi que 
cela arrive parfois, nous le savons, la glycogenèse ne s’en exerce pas 
moins, et, de plus, la fonction ne perd nullement de son intensité. Le 
sang de l’animal qui jeûne, ou se refroidit ou produit encore du tra- 
vail musculaire, conserve en effet sa teneur normale en glucose. 
Afanassieff, observant le foie d’un chien nourri exclusivement avec 
de la viande maigre, a constaté que les cellules hépatiques avaient le 
même aspect que les cellules d’un animal inanitié, c’est-à-dire 
qu’elles étaient volumineuses, à noyau assez gros, et contenaient de 
fines granulations dont aucunes ne se coloraient en brun au contact 
de l’iode : ainsi le glycogène n’existait pas dans l’organe en question, 
et cependant l’analyse décelait dans le sang de ce chien une dose nor- 
male de glucose. Ces observations nous conduisent à penser que 
l'animal peut élaborer son sucre physiologique aux dépens de prin- 
cipes autres que le glycogène, autres encore que les hydrates de car- 
bone alimentaires qui pénélrent dans l’économie. Les recherches 
d’Afanassieff nous démontrent en outre que, contrairement à l’opi- 
nion de Cl. Bernard, il peut y avoir dans l'organisme mutation di- 
recte d’une matière alimentaire quelconque en glucose sans passer 
par le terme transitoire glycogène. Les matières azotées, et les ma- 
tières grasses, nous apparaissent alors forcément comme des sources 
possibles de glucose, puisqu'elles constituent, avec les hydrates de 
carbone, les seuls principes que contienne l’organisme et que la nu- 
trition intime, la respiration et les sécrétions physiologiques puissent 
transformer, 


112 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Peut-il se former du glucose aux dépens des albuminoïdes ? L’hypo- 
thèse sourit fort aux chimistes. Ne trouvent-ils pas tout d’abord, 
dans la classification chimique, des principes constituant, comme 
la chondrine, la tunicine, la chitine,..….. etc., de véritables termes 
de passage entre les matières azotées et les hydrates de carbone ! ? 
Sous l'influence de réactifs purement chimiques, ces corps, nous le 
savons, sont susceptibles, tout comme les matières sucrées dites glu- 
cosides, de régénérer des hydrocarbonés. C’est ainsi que Manasse a 
pu obtenir un sucre absolument identique au glucose par traitement 
de la jécorine, une véritable substance azotée découverte par Dres- 
chel dans les tissus les plus divers et principalement dans le foie. Et 
il n’y a rien là qui soit de nature à nous étonner, car tous ces prin- 
cipes intermédiaires répondent souvent par leur composition à une 
combinaison d’albumine et de glucose à poids égaux. M. Berthelot 
a même fait remarquer à ce sujet que, suivant ses expériences, la 
chaleur de combustion de 1 gramme de chitine est de 46%!,65 alors 
que À gramme du mélange à parties égales de glucose et d’albu- 
mine dégage dans les mêmes conditions 47°%*%!,64. D’après ces faits 
dignes de fixer l’attention, il semble à première vue que l'opinion qui 
fuit dériver le glucose animal des matières azotées n’est pas invraisem- 
blable et qu’elle cesse d’être empirique. Les travaux les plus récents 
sur la constitution intime des albuminoïdes viennent du reste l’établir 
encore plus solidement. Des recherches auxquelles nous faisons allu- 
sion *, il ressort d’une façon très générale, et en termes le plus 
simples possible, que la matière albuminoïde n’est autre chose que la 
combinaison, dans des proportions diverses, d’un dérivé ammoniacal, 
cyanate d’ammoniaque ou encore urée, c’est-à-dire carbonate d’am- 
moniaque déshydraté, et d’un hydrocarboné ou parfois d’un corps 
oras, la chose a été entrevue *. Autrement dit encore, l’albymine est 
une urée composée dans l’édifice de laquelle un ou plusieurs atomes 


1. Voir, à ce sujet, A. Gautier (Encyclopédie Léaulé), Chimie de la cellule vi- 
vante, p. 113. 


2. Voir la question résumée dans Kossel, Loc. cit. 


3. H. Arnaud (Mémoire), Comptes rendus, t. 1, 1891, p. 148. — À. Gautier, Loc. 
CE D. 70: 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 113 


d'hydrogène sont remplacés par le même nombre de radicaux alcoo- 
liques amylacés, analogues par exemple au glycogène. L'on conçoit 
dès lors facilement que le passage d’un albuminoïde quelconque au 
glucose, bien que ce dernier sucre contienne un élément de moins que 
la matière azotée, ne constitue pas une opération aussi compliquée 
qu’on pourrait le croire. Comme résidus de l’assimilation des protéi- 
ques l’on voit justement apparaître à leur place les deux grands 
groupes qui les composaient, c’est-à-dire les dérivés ammoniacaux, 
lesquels, se trouvant en excès, sont éliminés par les émonctoires à l’état 
d’urée déjà préformée en partie dans la molécule albuminoïde, puisles 
radicaux ternaires transformés entre autres en glucose ou en glv- 
cogène, ou bien en graisse. Bien que tout cela paraisse assez net, 
les chimistes physiologistes, pour préciser davantage et jeter un peu 
plus de clarté sur les faits, ont songé à mettre en équation le change- 
ment de la matière protéique en glucose. Ces formules hypothétiques 
ne sont certes pas gratuites, car chaque auteur a soin de faire re- 
poser sa théorie sur les faits qu’il croit avoir le mieux suivis et ana- 
lysés. Elles ont en outre le grand mérite de pouvoir, en vue de l’en- 
seignement, résumer aussi brièvement et simplement que possible ce 
qui peut se passer ; nous ne nous arrêterons cependant pas à les dis- 
cuter. Cela sortirait de notre sujet. La conclusion surtout nous serait 
en outre malaisée à dégager, car 1l nous paraît difficile de choisir 
entre les équations de Berthelot”, de A. Gautier ?, ou de Chauveau*, 
celle qui, dans l’économie animale, rattache véritablement le glucose 
à la famille des albuminoïdes. Comme il existe des preuves maté- 
rielles de cette transformation, c’est plutôt aux faits, toujours plus 
convaincants que les formules, que nous nous adresserons pour en 
démontrer la réalité. 

Bien des recherches ont été tentées afin de découvrir, par voie 
purement chimique, s’il y avait du sucre dans la molécule d’albu- 
mine, comme dans celle de la gélatine, de la chitine, de la mucine, 
de la jécorine, etc. Pavy ‘ est arrivé, le premier, à un résultat positif, 


. Berthelot, Chaleur animale, t. I (Encyclopédie Léaulté), p. 150 et suiv. 

. À. Gautier, Chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté), p. 77 et 94. 
. Chauveau, La vie et l'énergie chez l'animal, p. 54. 

. Pavy, Physiol. of the carbohydrales, Londres, 1894. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SERIE. — 1902-1903. — 11. 8 


C0 19 


114 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


mais sa technique laissait encore planer bien des doutes. Krawkow ! 
et Hofmeister ? observèrent eux aussi le phénomène ; leurs con- 
clusions n'étaient toujours pas absolument probantes. Blumenthal”, 
en soumettant l’albumine du blanc d'œuf à l’action décomposante 
d’une solution concentrée de soude ou d’hydrate de baryte, obtint 
enfin un liquide qui réduisait nettement le réactif cupro-potassique 
et donnait avec la phénylhydrazine acétique un précipité d’osazone 
en cristaux, provenant certainement, de par sa composition élémen- 
taire, d’un hydrocarboné à six atomes de carbone. Ce corps réduc- 
teur, Blumenthal ne put l'identifier ni au galactose ni au mannose, 
ni au lévulose, mais il arriva à prouver sa parenté avec le glucose. 
F. Mueller ‘, Seemann” et Zanetti° réussirent à déterminer avec cer- 
titude la nature de ce sucre inconnu. L’hydrate de carbone, obtenu 
par voie chimique aux dépens de la matière albuminoïde était une 
osamine, c’est-à-dire un hexose dans lequel un oxhydrile alcoolique 
était remplacé par le groupe azoté monovalent AzIF, et qui, en 
perdant son azote, régénérait un véritable sucre réducteur. On 
trouva ainsi une glucosamine donnant, sous l'influence de l’acide 
azoteux par exemple, naissance à du d. glucose selon l'équation 


suivante : 


C5 H'3 Az OL Àz 0? H — C6 H'? 05 + 2 Az + H'0 


a 2 _—— 


D 
Acide 


d. gluco Azote Eau. 
azoteux Ê se E 


Glucosamine 

Une glucosamine semblable fut obtenue par action de lacide 
chlorhydrique sur la cellulose ; cela prouve, disons-le en passant, qu’il 
existe une certaine parenté entre les matières azotées et les produits 
très condensés du glucose et confirme l'opinion déjà émise que chez 
les végétaux le ligneux n’est autre qu’un produit de désassimilation 
des albuminoïdes. Schulz et Ditthorn reconnurent de même lexis- 


. Krawkow, PfAlüger's Arch., 1897. 

. Hofmeister, Zeëlschr. f. physiol. Chem., 1897. 

. Blumenthal, Charilé Annalen, 1898, et Comptes rendus, 1899, t. I, p. 117. 
. F. Mueller, ia Marburg, 1898, p. 11. 

. Seemann, Thèse, Marburg, 1898. 

. Zanetti, Ann. di Clim. e Farmac., 1897, n° 12. 


S © à © 192 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 115 


tence d’une galactosamine, tandis que Kossel, Neumann et Salkowski* 
mettaient nettement en évidence la présence d’un hexose, et même 
d’un pentose dans la molécule de nucléine. Les rapports de la matière 
azotée avec les hydrocarbonés sont, on le voit, multiples, ainsi qu’en 
témoignent ces groupes organiques spéciaux que l’on peut retirer 
directement du protéique originel, puis, ensuite, et si facilement, 
transformer en sucres réducteurs. Aussi, actuellement, depuis les re- 
cherches récentes que nous venons de citer et auxquelles il faut en- 
core ajouter celles de Mayer” et de Salkowski*, la production in vitro 
des matières sucrées aux dépens des matières azotées paraîl-elle 
absolument établie. Il est du reste possible d’opérer cette transfor- 
mation au moyen des réactifs dont se sert la cellule animale, et cela 
même en dehors de l’économie vivante. Seegen en a fourni la preuve. 
Il a découpé dans le foie d’un chien deux fragments de poids égaux. 
L’un a été placé dans du sang peptonisé et l’autre dans le même 
volume du même sang non peptonisé. Celui qui avait reçu de la 
peptone contenait à la fin de l'expérience 3,54 p. 100 de glucose, 
alors que l’on n’en trouvait dans l’autre que 2,506. Au contact de 
la pulpe hépatique, les peptones s'étaient transformées en sucre. 
Schmidt-Mulheim ‘ n’a pu renouveler l'expérience de Seegen. Cela 
provenail sans doute de ce que le sucre se détruisait à mesure de sa 
formation, car Lépine et Barral”, en se tenant par une technique spé- 
ciale à l’abri de la glycolyse, ont toujours, au contraire, constaté la 
néoformation de sucre dans le sang peptonisé. Le sucre produit dans 
ces conditions, et dosé au moyen de la liqueur cupro-potassique, 
correspondait à peu près au dixième du poids de peptones employé. 
Blumenthal, avec 100 grammes d’albumine de blanc d’œuf a pu éga- 
lement obtenir de 8 à 12 grammes de sucre, et, dans ces expériences, 
la matière réductrice régénérée aux dépens des peptones, a tou- 


1. Kossel, Bericht'd. deuts. chem. Gesell., t. XXVIT, 1894, p. 22{5. — Sal- 
kowski, Berliner Klin. Wochenschrft, 1895, n° 17. — Neumann, Arch, f. Anal. 
w. Physiol., 1899, supp., p. 592. 

2. Mayer, Deutsch. med. Woch., t. 25, p. 95. 

. Salkowski, Journ. physiol, Chem., t. XXVII, p. 305. 
. Schmidt-\ulheim, Arch. f. Physiol., 1880, p. 49, 


à C2 


5. Lépine, Comptes rendus, 1892, t. I, p. 304. 


116 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


jours été caractérisée comme étant un véritable sucre susceptible de 
fermenter. Lépine et Metroz * ont poussé plus loin leurs recherches, 
dans le but de découvrir le réactif dont usait lorganisme pour 
opérer ces transformations. En hachant après macération dans de 
l’eau glacée, afin d'éviter toute fermentation, les organes les plus 
divers, ne contenant comme la rate et le rein que très peu de glv- 
cogène ou ne cédant à l’eau que des matières réductrices différentes 
des sucres, ils ont obtenu un liquide doué, suivant leur expression, 
d’un pouvoir pepto-saccharifiant, c’est-à-dire contenant un ferment 
capable de produire aux dépens des peptones un sucre fermentes- 
cible et bien caractérisé. De plus, en comparant l'énergie du pouvoir 
pepto-saccharifiant des divers organes, 1ls se sont rendu compte 
qu'il ne fallait pas attribuer exclusivement au foie la production du 
sucre de l’économie animale. La elycogenèse, avions-nous dit, est une 
fonction générale et commune à presque tous les tissus, en voici 
une nouvelle preuve. Des faits que nous venons de résumer en der- 
nier lieu, il nous faut ürer encore la conclusion suivante, c’est que 
le glycogène n’est pas un intermédiaire nécessaire entre l'aliment el 
le glucose qui résulte de sa transformation. 

Nous n'avions osé précédemment affirmer la production certaine 
du glycogène aux dépens des matières azotées, les plus diverses, 
albumines, nucléines, amides, etc. Les faits nous conduisent dès 
maintenant à ne plus considérer comme une simple hypothèse cette 
transformation des substances quaternaires en hydrates de carbone, 
bien que nous n’ayons pas énoncé toutes les raisons plaidant en 
sa faveur. Les expériences qui viennent encore démontrer la réalité 
de cette transformation, et la possibilité de la voir se passer non 
plus seulement au niveau du foie, mais dans l’organisme enlier, sont 
en effet assez nombreuses. Minkowski et de Méring, en provoquant 
un diabète expérimental par ablation du pancréas ou par injection de 
phlorhidzine, ont constaté que le sucre, éliminé par les urines, ne 
pouvait se former qu’aux dépens des matières azotées de l’organisme*. 


1. Lépine, Comples rendus, 1893, t. I, p. 123 et 419. 


2. De Méring, Congress f. innere Medic., Wiesbaden, 18$S6, p. 185 et 1887. 
p. 349. — Voir le résumé de ces expériences. Arthus. Physiologie, p. 399. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 11? 


Ce dernier transformait en glucose de 45 à 60 p. 100 des albu- 
minoïides qu'il désassimilait, et cela sans lintervention des matières 
grasses, puisque les sujets d’expériences ne fournissaient pas plus 
de sucre qu’ils fussent très gras ou qu’ils aient été au préalable 
presque entièrement dégraissés par un jeûne d’une durée de un 
mois. 


Formation de la graisse aux dépens du glucose. 


Une démonstration indirecte de la transmutation des albuminoïdes 
en sucre peut être enfin donnée par ce fait qu’une notable partie 
des corps gras de l’organisme provient indirectement des albumi- 
noïides. Les expériences d’alimentation de Boussingault, de Tscher1- 
noff, de Szubottin, de Kemmerich et surtout de Voit et Pettenkofer 
ne laissent actuellement aucun doute à ce sujet *. Et cette transforma- 
tion des albuminoïdes en graisse s’explique facilement si l’on veut 
bien songer que la matière azotée fournit du sucre à l’organisme, 
nous venons de le démontrer, et que le glucose ainsi formé, nous 
allons le voir, peut à son tour se transformer en corps gras. C’est à 
Hanriot que l’on doit la démonstration de ce nouveau mode d’utili- 
sation des hydrates de carbone, que nous ne pouvions dans ce tra- 
vail, cela se conçoit, passer sous silence. Pour prouver que l’assimi- 
lation des sucres commence quelquefois par leur transformation en 
graisse, l’auteur s’est basé sur les changements éprouvés par le 
quotient respiratoire d’un même individu lorsqu'on observe ce der- 
nier à jeun ou après un repas de féculents et d’eau. A quoi pouvait 
donc servir en cette occasion l'étude des variations du quotient res- 
piraloire ou quotient de Pflüger, c’est-à-dire du rapport : 


Volume d'acide carbonique exhalé. . (GO2). 
Volume d'oxygène absorbé. . . . . (0?). 


Rappelons que lair qui pénètre dans les poumons, à chaque ins- 
piration, arrive par cela même en contact avec le sang auquel il 


1. Voit et Pettenkofer, Zeëlsch. f. Biol. t. VI, 1870, p. 3773; t. VII, 1871, p. 433 
et 487. — Voit, Zeitsch. f. Biol., t. V, 1869. 


113 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


cède l’oxygène que la circulation se charge de répandre dans toute 
l’économie. Comme l’eau et l'acide carbonique figurent parmi les pro- 
duits résiduaires les plus simples auxquels aboutissent presque tous 
les principes alimentaires, sous l’action des procédés vitaux de méta- 
morphose de la matière, il y a tout lieu de croire que l'animal pro- 
cède à la destruction de ses aliments par voie de combustion, tout 
comme le chimiste qui les brüle, c’est-à-dire en utilisant oxygène 
emprunté à l'air. Mais il ne faudrait pas croire pour cela que les 
tissus consomment d'autant plus d'oxygène qu'ils en reçoivent 
davantage. Que l'animal respire à Pair libre ou dans l'oxygène pur, 
dans les deux cas, il ne retient de ce gaz que ce qui lui est nécessaire 
pour satisfaire aux besoins des éléments cellulaires de ses tissus. 
Autrement dit, les quantités d'oxygène absorbées par un animal, 
à des époques différentes, sont proportionnelles aux intensités des 
réactions chimiques qui s’accomplissent dans toute l’économie au 
moment de l’observation. D’après cette loi, entrevue d’abord par 
Lavoisier, puis nettement mise en lumière ensuite par Regnaull et 
Reiset et surtout par Voit et Pflüger, il serait donc permis de sup- 
poser que la détermination de la quantité d’oxygène absorbée suffit 
à faire connaître le poids de la matière organique, détruite et ut- 
lisée par l'animal dans un temps donné. Le raisonnement serait juste 
en effet si la cellule consommait toujours la même substance. Or, 
nous avons maintes preuves du contraire. La classification aussi 
simplifiée que possible des différents principes alimentaires physiolo- 
giques nous à déjà montré qu’il fallait les répartir en trois grands 
groupes bien distincts les uns des autres, et pour bràler la même 
quantité de chacune de ces trois sortes d’aliments, il faut in vivo 
comme in vitro des volumes différents d'oxygène. L’intensité de 
l'absorption de ce gaz ne peut donc nous fournir aucune donnée 
sur Ja quantité de combustible détruit. Il est cependant un point 
intéressant sur lequel elle nous permet de conclure ; c’est la qualité 
de l'aliment qui disparaît par combustion dans les tissus. Supposons 
que l’on brûle du glucose pur de façon à le transformer totalement 
en eau et en acide carbonique, et fournissons à la réaction le volume 
exact d'oxygène qui est nécessaire, l'équation suivante nous montre 
d’une part les quantités de sucre et de gaz oxydant mis en œuvre, 


GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 


et d’autre part le poids de l’eau et le volume de l'acide carbonique 


produits : 
CSH?06—+ 60? — 6H?0 + 6 CO? 


nf De me 
12 vol, 12 volumes 
Glucose  d’oxy- Eau d'acide 
gène carbonique. 


Donc, pour un volume d’oxygène employé, il y a un volume égal 
d'acide carbonique excrété, et cette équation est immuable, que la 
combustion totale se fasse dans un ballon inerte ou bien dans les 
tissus d’un organisme quelconque. D’après cela, lorsqu'un sujet ne 
consomme que du glucose, son quotient respiratoire doit rigoureu- 
sement être égal à l'unité. Une consommation exclusive de graisse 
aménerait de même le quotient de Pflüger à avoir une valeur infé- 
rieure à l’unité et égale à 0,70. 

Ceci étant admis, suivons avec Richet et Hanriot le quotient respi- 
ratoire d’un homme à jeun. Il est plus petit que l’unité, ce qui nous 
indique qu’il y a consommation de graisses ou d’albuminoides. Lors- 
que le sujet ingère des féculents, non seulement le quotient, durant 
Ja digestion, se rapproche de plus en plus de unité, mais, parfois, 1l 
arrive même à devenir supérieur à ['. Cela indique nettement qu'il se 
passe alors autre chose qu’une simple oxvdation totale du glucose 
résultant de la transformalion des amylacés. L’oxygène rejeté dans les 
molécules de l’acide carbonique (C0?) exhalé étant supérieur à celui 
que lindividu avait absorbé par la respiration, Hanriot en déduisit 
que cet excès d'oxygène ne pouvait provenir que du dédoublement 
du glucose par l’organisme en eau, en acide carbonique et en une 
substance contenant dans sa molécule moins d'oxygène que le sucre. 
Peut-être y avait-il formation partielle de corps gras? Le phénomène 
pourrait alors se traduire par une formule très rationnelle : 

13 Ce H12 05 — C5 HL'04 O5 + 23 CO? + 26H? 0 


md 


Eau. 


à D md 
Oléostéaro- Acidecar- 


It e ne à 
AUECOE palmitine bonique 


Cette équation signifie plus simplement que la transformation de 
100 grammes de glucose en graisse ne laisse qu’un résidu de 21,8 
d'acide carbonique, au lieu des 74,6 trouvés, lorsque l’oxydation du 


1. Richet et Hanriot, Comp'es rendus, 1888, p. 496. 


120 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

sucre est totale. L’expérimentation physiologique vérifia entiè- 
rement l'hypothèse. Hanriot” prit un sujet laissé auparavant à jeûn, 
et dont le tube digestif avait été désinfecté par une ingestion con- 
tinue de naphtol B, afin de se mettre à l'abri de toute fermen- 
falion bactérienne capable de troubler les résultats. Il lui fit boire 
à plusieurs reprises un litre d’eau contenant de 23 à 73 grammes 
de glucose. Chaque fois le coefficient respiratoire s’accrut, et arriva 
au voisinage de 1,25, tandis que l'acide carbonique, .exhalé en 
excès durant l’utilisation du glucose par l’organisme, concordait 
presque exactement avec celui que la formule précédente avait per- 
mis de calculer. La théorie se trouvait ainsi vérifiée. Hanriot en 
observant les variations du coefficient respiratoire chez les diabé- 
tiques? fut par cela même amené à trouver qu’une des caracté- 
ristiques de leur maladie consistait en une diminution notable de 
l'aptitude qu'avait normalement l'organisme à former ses graisses 
aux dépens du sucre. | 


Formation du glucose aux dépens des graisses, 


Rien ne s'oppose plus maintenant à nous voir conclure, sans le 
moindre doute, que lorganisme sait transformer en sucre et par 
suite en glycogène les protéiques et les autres substances alimen- 
taires azotées. Pour en terminer avec l’étude des diverses sources 
qui fournissent à l’économie son sucre physiologique, il nous reste 
un dernier point à éclaircir. La formation du glucose aux dépens 
des graisses est-elle une des fonctions normales de la cellule vivante ? 
Nous nous sommes déjà indirectement posé la question, en cher- 
chant à provoquer l'apparition de glycogène par ingestion de corps 
gras alimentaires. Mais, faute de preuves, nous n’avons pu conclure 
à une transformation certaine des graisses en glycogène pouvant 
par exemple se résumer sous forme de l’équation suivante : 

2 C5? H110 05 67 0° = 16 C° H!? 0° + 18 CO? + 4 H° 0 


TT % mm M 


Glucose Acide car- 


Stéarine > 
gène bonique 


Eau. 


1. Hanriot, Comples rendus, 1892, t. 1, p. 371. 
2, Hanriot, Comptes rendus, {. I, 1892, p. 432. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 121 


La thèse qui admet que l'oxydation partielle de la graisse aboutit 
dans l’économie au terme glucose a de fort nombreux adeptes. See- 
sen, Chauveau et son école, Bouchard, Bunge, Von Noorden et, tout 
récemment, Rumpf” et Weiss * sont venus successivement s’y rallier 
et la soutenir de leur autorité. La formule n’était-elle pas séduisante ? 
Elle permettait en effet d'expliquer pourquoi certains organismes, 
ainsi que nous l’avons observé avec Bouchard, peuvent augmenter de 
poids en l’absence de tout nouvel apport alimentaire autre que les 
gaz atmosphériques. Elle était en outre susceptible de montrer com- 
ment l’économie, qui dépense parfois ses réserves sucrées avec une 
grande intensité, peut régénérer son glucose par oxydation partielle 
des graisses dont elle s'était auparavant approvisionnée. Voyons donc 
les preuves qui viennent à l'appui de cette thèse, laquelle, il faut bien 
le reconnaître, n’a commencé que par être une simple conception, 
fort ingénieuse du reste, de l'esprit. S'appuyant sur des expériences 
très peu probantes de Nasse, tendant à prouver que la consommation 
et la destruction des graisses se faisaient surtout dans le foie, Seegen 
altribua cette disparition des corps gras non pas à leur combustion 
dans la glande hépatique mais à leur transformation en glycogène. 
Le foie était en effet plus riche en sucre après une alimentation 
grasse prolongée 3 ou 4 jours. La démonstration n’avait pas de 
valeur, Mais, en mettant un fragment de foie en présence de graisse 
et d’un peu de sang, Seegen constata qu'il y avait formation nouvelle 
de sucre dans le mélange. L’argument aurait eu cette fois beaucoup 
de poids, si l’on avait pu renouveler l'expérience. Nous savons main- 
tenant que les faits, bien observés au laboratoire, ne répondent nul- 
lement à la réaction supposée, lorsque l’on cherche à la provoquer, 
ainsi que l’a fait Hanriot, au moyen des réactifs chimiques ou des fer- 
ments. Le sort des corps gras dans l’économie semble être au contraire 
tout autre, puisque l’on démontre qu’ils disparaissent directement 
par combustion, c’est-à-dire, qu’ils sont toujours finalement trans- 
formés en acide carbonique et en eau. C’est ainsi que l’oxygène, en 
se portant sur le carbone et l'hydrogène des graisses fort riches 


{. Rumpf, ÆZrztliches Verein., Hamburg, 15 novembre 1898. 
2. Weiss, Zeëlschr. f. physiol. Chem., 1898, t. XXIV, p. 542. 


122 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


en ces deux élémeñts éminemment combustibles, contribuerait pour 
une grande part à l’entretien de la chaleur animale. Pénétrons un peu 
le mécanisme de la destruction des corps gras dans l'organisme, nous 
voyons que ces derniers commencent par subir une véritable saponi- 
fication sous l’action de diastases spéciales, les lipases, analogues à 
celles qui furent découvertes par Hanriot dans le sang, le pancréas 
et le foie. Le corps gras se dédouble en glycérine et en acides gras. 
Que la glycérine, ainsi mise en liberté, se transforme alors en glyco- 
sène, l’hypothèse ne rencontre pas la moindre opposition. Elle ré- 
pond en effet à des observations suivies de laboratoire. Berthelot a 
vu la glycérine se changer sous l’influence de certains ferments en 
un sucre lévogyre. Elle est de plus conforme à ces expériences de 
physiologie qui permettent, ainsi que nous l’avons signalé, de cons- 
later une formation nouvelle de glycogène à la suite d’ingestions de 
olycérine. Quant aux acides gras, ils s’unissent aux bases du plasma 
sanguin pour former des savons et c’est seulement sur ces savons 
que porte l’action soit de l’oxygène apporté par l’hémoglobine du 
sang, Soil des ferments oxydants très répandus dans les divers tissus. 
Conformément à la loi énoncée par Woehler, cette combustion ne se- 
rait pas instantanée c’est-à-dire qu'il n’y aurait pas transformation 
subite des savons en acide carbonique et en eau. L’oxydation se ferait 
au contraire par degrés successifs, l’acide gras combustible perdant 
peu à peu son carbone et son hydrogène et, commençant par passer à 
l’état d'acide homologue, avec élimination simultanée d’eau et d’acide 
carbonique. Voilà ce que l’on enseigne, parce que tous ces faits n’ont 
rien d’invraisemblable et surtout parce que les corps gras soumis à 
une oxydation lente, sous l'influence de l'air par exemple, subissent 
des changements de l’ordre de ceux que nous venons d’indiquer *. 
Il est essentiel, en effet, conclut M. Berthelot, de tenir compte des 
réactions constatées par les analyses de laboratoire, lors de l’oxyda- 
lon lente des corps gras. On constate alors la formation d’acides 
gras inférieurs à l'acide stéarique, tels que les acides du beurre et 
analogues (caprique, caproïque, valérique, butyrique), acides acéti- 
que et formique et d'acides bibasiques tels que les acides succinique 


1. Berthelot, Chaleur animale (Encyclopédie Léauté), t. 1, p. 139. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 123 


et oxalique; or, tous ces principes existent en fait d'ans les organismes 
animaux. Ajoutons à ces preuves de la combustion complète des 
graisses dans l'organisme que les globules sanguins, d’après Cohn- 
stein et Michaelis, jouissent de propriétés lipolyliques, consistant en 
une oxydation complète des corps gras. Ceux-ci peuvent donc bien 
être transformés uniquement par l’action des ferments, en eau et en 
acide carbonique et il semble dès lors à peu près certain que nous 
venons de nommer quelques-uns des termes véritables par les- 
quels doivent passer les graisses, durant leur combustion progres- 
sive. Il s’ensuit que le changement en sucre d’un acide gras, résul- 
tant du dédoublement des graisses naturelles, est un fait qui, d’après 
les lois et les réactions reconnues, ne se rattache nullement à l’un 
des modes d’oxydation de ces acides admis par les chimistes. 

Bien que les faits n’y encouragent pas, nous savons cependant que 
certains physiologistes persistent à admettre que la graisse subit dans 
l’économie d’autres métamorphoses que celles qui résultent de sa 
combustion complète. Voici les preuves apportées par M. Chauveau 
à appui de la transformation possible, par l’organisme, des graisses 
en glucose *. Nous y joindrons les arguments que l’on est venu de 
toutes parts opposer à sa théorie. Nous avons vu avec Cl. Bernard 
que la nutrition n’est pas directe, c’est-à-dire que l'animal utilise non 
pas les aliments tels qu'il les ingère, mais bien les réserves de toute 
nature qu’il sait se constituer aux dépens de ces aliments. Reprenant 
l’idée du grand physiologiste, M. Chauveau l’a développée dans un 
mémoire devenu classique *, sur lequel nous reviendrons, et s’est 
attaché à démontrer qu’il en est de même chez l’animal, non ali- 
menté, et à jeun, depuis un temps suffisamment long pour qu'il ait 
pu complètement transformer à sa façon, autrement dit assimiler ce 
qu’il avait ingéré à son dernier repas. Or, chez les sujets privés de 
nourriture, comme ceux qui sont par exemple en état de veille ou 
même de sommeil hibernal, on constate une persistance évidente des 
hydrates de carbone et cela, bien que, chez eux, il continue à se 
faire, non moins évidemment, une consommation ininterrompue du 


1. Chauveau, Comptes rendus, 1896, t. I, p. 1098, 1163, 1169, 1244 et 1303. 
2. Chauveau, La vie el l'énergie chez l'animal, 1894. 


124 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


glucose physiologique. Cette reconstitution incessante de la matière 
sucrée ne peut sûrement s’opérer, dans ces conditions, qu'aux dé- 
pens des autres matériaux de l'organisme, c’est-à-dire des graisses 
ou des albuminoïdes. Voilà le dogme qui sert de base à M. Chauveau 
pour établir sa théorie, et s’il s'adresse alors de préférence aux ré- 
serves graisseuses en tant que source de glucose, c’est tout d’abord 
parce que la conservation des hydrates de carbone chez les animaux 
en état de sommeil hibernal se présente dans des conditions toutes 
particulières. À la fin d’un jeûne et d’un engourdissement, d’une 
durée de trois mois, la marmotte endormie a perdu la presque tota- 
lité de sa provision de graisse, alors que son sang contient toujours 
du glucose et que l’analyse décèle encore 2,20 p. 100 de glycogène 
dans son foie et 0,37 dans ses muscles. Il semblerait donc juste d’ad- 
mettre que la graisse disparue s’est transformée en sucre, ou tout au 
moins en un hydrate de carbone quelconque. La chose parait 
encore moins impossible après les expériences de Regnault et 
Reiset sur le sommeil hibernal de la marmotte. Ces auteurs ont 
constaté que, dans ces conditions, l’animal augmente souvent de 
poids par sa seule respiration, dans les périodes où il ne rend ni 
fèces ni urines, et que son coefficient respiratoire descend parfois au- 
dessous de 0,70, chiffre que nous savons correspondre à la combus- 
tion complète des corps gras. Or, si, d’après l'équation proposée par 
M. Chauveau pour rendre compte de la transformation des graisses 
en glucose, on calcule le coefficient respiratoire répondant à cette 
formule, on lui trouve justement une valeur de 0,27, bien inférieure 
à 0,70. Cela permettrait donc de croire que l'oxygène consommé s’est 
fixé sur les graisses pour les oxyder partiellement. M. Chauveau ne 
pense pas que ce soit là un processus spécial aux animaux hiber- 
nants. Lorsque l’on suit, en effet, les variations du coefficient 
respiratoire d’un sujet non alimenté depuis seize heures et soumis à 
un certain travail musculaire, on constate que le rapport % donné 
par les analyses de l’air expiré croit au début jusqu’à avoir une 
valeur très voisine de l'unité et diminue ensuite progressivement à 
mesure que le travail se prolonge. De plus, si l’on veut bien admettre, 
par avance, que le travail musculaire, ainsi que nous le montrera 
le chapitre suivant, se fait principalement, pour ne pas dire exclusi- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 129 


vement, aux dépens des hydrates de carbone de l’organisme, il devient 
aisé de comprendre comment l’abaissement du coefficient respiratoire, 
survenu au bout d’un certain temps de travail, est de nature à démon- 
trer qu'il y a utilisation par l'organisme de matériaux autres que le 
glucose. La diminution du rapport % est la conséquence d’une ab- 
sorption plus grande d'oxygène, il faudrait done voir «dans l’atté- 
nuation de l'accroissement du quotient respiratoire, pendant les der- 
nières parties de la période de travail, indice certain d’une activité 
plus grande imprimée à l’oxydation de la graisse en vue de la recons- 
titution des hydrates de carbone qui se brülent pendant le travail ». 
M. Chauveau retrouve encore de bonnes raisons à l'appui de sa thèse, 
en observant que l’homme qui travaille après l’ingestion et durant la 
digestion d’une ration de beurre n’a pas un coefficient respiratoire 
voisin de celui de 0,70, comme cela devrait avoir lieu s’il ne faisait 
qu’oxyder totalement cette graisse mais bien un coefficient de 0,81. 
Celui-ci est assez rapproché de l’unité pour que l’on puisse supposer 
que là encore il y a combustion par l’organisme d’un hydrate de car- 
bone tel que le glucose. Tout cela constitue des faits éminemment 
suggestifs aux yeux de M. Chauveau, et1l lui semble difficile d'échapper 
à cette déduction que les hydrocarbonés de l’économie, incessamment 
détruits, sont incessamment reconstitués par la transformation des 
graisses en glucose, ou en glycogène. Les arguments que nous venons 
de passer en revue ont cependant une contre-partie non moins sug- 
vestive et non moins bien fondée. Sans doute lors du sommeil des 
animaux hibernants, peut-on dire en développant la thèse contraire 
soutenue par M. Berthelot, il y a disparition de la graisse et persis- 
lance du glucose, tandis qu'il se produit une notable augmentation 
de l'oxygène absorbé! Soil, mais pourquoi l'oxygène en excès irait-l 
se fixer sur les graisses plutôt que sur tout autre principe comme les 
matières albuminoïdes ? Si l’on veut bien songer en outre à la dis- 
proportion énorme qui existe normalement entre le poids des hydra- 
tes de carbone dispersés dans les humeurs ou les tissus et la teneur 
de l’économie en corps gras, on voit qu'il ne suffit plus de constater 
la persistance de la matière sucrée chez les sujets non alimentés, pour 
en conclure que la graisse des animaux se change même partielle- 
ment en glycogène ou en glucose. La teneur relativement élevée 


126 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

des tissus de la marmotte endormie en ces deux derniers principes est 
du reste fort compréhensible, puisque l’on a affaire à des organismes 
dont les échanges sont réduits au minimum. Alors pourquoi le glyco- 
gène retrouvé ne serait-il pas en partie le même que celui qui pré- 
existait tout formé dans le foie au commencement du sommeil ? 
Pourquoi encore ce glycogène ne se serait-il pas formé aux dépens des 
albuminoïdes, dont la destruction dans l’économie est certaine puis- 
que, durant son sommeil, l'animal émet des urines riches en urée ? 
Maintenant en ce qui concerne l’abaissement du quotient respiratoire 
des marmottes on peut observer avec Arthus que de deux choses l’une: 
ou cet abaissement est transitoire, et il perd toute signification, ou 
bien il est constant. Mais alors s’il correspond réellement à la trans- 
formation des graisses en glycogène, on devrait, ainsi que nous 
l'avons déjà remarqué, trouver un enrichissement notable des tissus 
et notamment du foie en glycogène… L'analyse n’en décèle que 2,20 
p. 100, ce qui est une proportion minime. Quant aux arguments 
tirés des variations de ce coefficient respiratoire, on peut leur objec- 
ter que le rapport % n’est au fond que la résultante de phénomènes 
très divers et qu'il peut avoir la même valeur absolue alors que les 
phénomènes changent complètement de sens. Il peut tout aussi bien 
croitre et se rapprocher de lunité lorsqu'il y a combustion de glu- 
cose que lorsque ce dernier sucre vient à se transformer en graisse. 
Son abaissement au-dessous de l’unité jusqu’au chiffre de 0,70, 
s'explique encore très bien par la combustion simultanée des hydro- 
curbonés et des graisses, Enfin l’idée sur laquelle repose toute la 
théorie, c’est-à-dire que la production du travail se fait toujours aux 
dépens du glucose n’est pas aussi exclusive que veut bien le supposer 
M. Chauveau. Nous verrons qu'il peut en être autrement. 

Au milieu de ces contradictions, il semble fort difficile de con- 
clure. D'une part MM. Chauveau et Bouchard proposent une thèse, 
nullement impossible a priori, et multiplient à l'appui de leur 
théorie de nombreuses conjectures qui, confirmées d’une façon gé- 
nérale par les faits, constituent par cela même de fortes présomp- 
tions. Mais d’autre part on ne peut reprocher à leurs contradicteurs 
d'exiger la démonstration, au moyen d’analyses quantitatives exactes 
ou de raisonnements plus serrés, de la transformation des matières 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 127 


grasses en glycogène ou en sucre chez les animaux supérieurs. On 
ne peut non plus s'étonner que ces derniers se tiennent sur la ré- 
serve tant qu'il ne leur sera pas donné de connaître le procédé ins- 
trumental et le mécanisme imtime de cette oxydation incomplète de 
la graisse sur laquelle repose tout le litige. Il n’a encore été fait aucune 
réponse à ce sujet. MM. Bouchard et Desgrez soupçonnent les leu- 
cocytes d’être les agents de cette transformation, mais ils ont ren- 
contré au point de vue du dosage du glycogène dans ces éléments 
des difficultés expérimentales telles qu'après avoir douté de leurs 
méthodes d’analysé ils n’ont pas osé publier leurs résultats. L’op- 
position semblerait donc l'emporter, si la transformation des ma- 
tières grasses en sucre n'avait pas élé constatée chez les végétaux et 
cela d’une façon certaine, ne laissant rien à désirer au point de vue 
de la précision expérimentale. Reprenant les études de Maquenne ‘ 
sur les changements de composition qu’éprouvent les graines oléagi- 
neuses au cours de la germination, Mazé? est arrivé sur ce point à 
des résultats tout à fait probants. Ses expériences sur la graine 
d’arachide ont mis en évidence non seulement un gain certain après 
la germination en matières saccharifiables et en sucres, mais une 
augmentation du poids de la matière sur laquelle portaient les re- 
cherches. « Les substances azotées de réserve, conclut Mazé, ne peu- 
vent fournir un tel accroissement du poids (de 8 à 15 p. 100 du poids 
initial) par voie d'oxydation, au sein même des cellules, car le même 
fait pourrait être observé chez les graines amylacées, riches, comme 
les pois, en azote. » La digestion des matières grasses dans les 
graines, en germination, se fait donc par voie progressive d’oxydation, 
ainsi que le démontre l’analyse élémentaire des matières extraites de 
la graine par l’éther avant puis après la germination, et cette oxydation 
incomplète aboutit en dernière analyse aux sucres. Voilà qui con- 
corde avec les formules et la théorie de Chauveau et de Bouchard. 
Le phénomène serait donc d'ordre général en physiologie, aussi ne 
doit-on pas abandonner tout espoir de voir démontrer un Jour qu’il en 
est réellement ainsi. 


1. Maquenne, Comptes rendus, 1898, t. Il, p. 62 
l 


9. 
2. Mazé, Comptes rendus, 1900, t. I, p. 424 ; 1902, t. |, p. 309. 


128 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Formation du lactose. 


Telle est l’histoire du glycogène et du glucose. Pour en finir avec 
l'étude des sources auxquelles l’économie puise ses hydrocarbonés, 
il nous reste quelques mots à dire sur l'origine du sucre de lait et 
nous allons voir qu’elle n’est autre au fond que celle du glycogène et 
du glucose. Tout le monde sait que pendant la lactation, qui s’établit 
chez la femelle après l’accouchement, le liquide issu de la glande 
mammaire est fortement chargé de lactose. D’où vient ce sucre ? Se 
forme-t-1l dans les tissus de la mamelle aux dépens d’une réserve su- 
crée quelconque, analogue au glycogène ; ou bien est-il fourni en 
nature par le sang, et la glande ne ferait alors que l’excréter ; ou bien 
enfin se forme-t-il au niveau de la mamelle aux dépens des matériaux 
que le sang apporte à cet organe ? Schützembergér a démontré l’im- 
possibilité de la première hypothèse. On arrive bien à extraire de la 
mamelle de vaches ou de chèvres de petites quantités d’une subs- 
tance transformable par l'acide sulfurique en un corps réducteur, mais 
les diastases sont impuissantes à l’hydrolyser. Il ne faut pas croire 
alors à l’existence d’une matière lactogène. Paul Bert’ a établi par 
l'expérience qu’il valait mieux au contraire porter son attention sur 
les deux autres hypothèses. Elles sapposent, ce que nous savons déjà 
être conforme à la réalité, qu’au moment de accouchement, lorsque 
la lactation va commencer, il y a production par l’économie d’un 
excès de sucre. Cette hyperglycémie de la grossesse, nous l’avons si- 
gnalée à la fin du chapitre précédent, se manifeste par une glyco- 
surie maintes fois constatée en clinique et prenant une forme toute 
spéciale, puisque le sucre, éliminé, est du lactose. Suivant Por- 
cher, la présence de ce sucre est en effet constante dans l’urine 
des mères, quelques jours avant la délivrance. On conçoit d’a- 
près cela que la lactation doit être l’un des moyens dont use la 
femelle pour débarrasser son économie de l’excès de matière su- 
crée qu’elle produit au cours de cet état physiologique spécial. 
P. Bert a entrevu le premier que si l’on empêche le lait de sortir, 


1. Paul Bert, Comptes rendus, 1884, t. 1, p. 775. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 129 


ainsi par conséquent que le sucre qu’il tient en dissolution, le lactose 
doit être de suite éliminé par les autres émonctoires et surtout par le 
rein. Effectivement, lorsque l’on enlève les mamelles à une femelle, 
l'expérience a été faite sur des cochons d'Inde et des chèvres, ses 
-urmes deviennent aussitôt susceplibles de réduire la liqueur cupro- 
potassique. Porcher * en arrêtant la traite chez des vaches en état 
de lactation est arrivé d’une autre façon à faire repasser le lactose 
élaboré d’abord dans le sang puis dans l’urine. Il à ensuite net- 
tement constaté que dès l’instant où l’on reprend la traite, le titre du 
lactose baisse rapidement dans l’urine et finit même par s’annuler, 
La conclusion s'impose : le sucre de lait doit être fabriqué par l’or- 
ganisme en grande partie aux dépens du sucre physiologique pro- 
duit en excès après la parturition. Nous avons suivi la formation 
de cette dernière matière sucrée aux dépens des aliments et nous 
avons constaté à plusieurs reprises que la glycogenèse est une fonc- 
tion commune à presque toutes les cellules, bien qu’elle se mani- 
feste avec plus d'intensité dans le foie. Mais durant la lactation, 
l’économie, qui à ce moment est saturée de sucre, fabrique-t-elle di- 
rectement son lactose ou bien continue-t-elle, suivant son habitude, 
à élaborer tout d’abord du glucose, dont la transformation en lactose 
se ferait postérieurement dans la mamelle? C’est là une question 
que la physiologie n’a pas encore résolue | 

Nous venons de détailler un peu longuement, semblera-t-il au 
premier abord, ce qui touche à l’origine du sucre physiologique de 
l’économie animale. Nous l’avons voulu ainsi. Avant d’en arriver à 
démontrer la nécessité et l'utilité d'introduire le sucre ordinaire dans 
la ration de l’homme ou des animaux auxquels ce dernier demande 
la production soit de travail musculaire soit de viande ou de lait, 
n’est-il pas utile en effet de pouvoir comparer cet aliment aux autres 
principes susceptibles de subvenir, comme lui, aux mêmes besoins de 
l'organisme. La théorie de l'alimentation au sucre, telle que l’on doit 
la comprendre et la mettre en pratique, est donc, on le voit, assez 
longue à établir, mais elle n’en est ainsi que plus rationnelle et 
donne d’autant moins prise aux critiques. L’esprit du public, poussé 


1. Porcher, Bull. de la Soc. cent. de méd. vélérinaire, 13 novembre 1902. 
ANN. SCIENCE AGRON. — ?° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 9 


130 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


par l'intérêt de l’un ou de l’autre, n’a déjà que trop tendance à 
défigurer les questions et à faire dire à la science ce qu’elle n’a 
jamais songé à affirmer et encore moins à démontrer. Faisons en 
sorte qu'il n’en soit pas de même ici, car si d’un côté il y va de 
l'avenir des producteurs de sucre c’est-à-dire d’une branche impor- 
tante de l’industrie agricole, il ne faut pas, d’autre part, oublier l’in- 
térêt de la grande masse de consommateurs. C’est au profit du bien- 
être général de ces derniers que l’on cherche surtout à améliorer 
l'hygiène alimentaire ! 


IV. — DÉPENSE PAR L'ORGANISME DE SON SUCRE PHYSIOLOGIQUE. 
LES HYDROCARBONÉS, SOURCE CHIMIQUE DE LA CHALEUR ANIMALE 
ET DE L'ÉNERGIE MUSCULAIRE. 


Preuves de la consommation du glucose par l'organisme. 


En regard des recettes, inscrivons maintenant les dépenses. Lorsque 
les cellules hépatiques et autres, auxquelles est dévolu le soin d’éla- 
borer la matière sucrée, ont terminé, comme nous le savons, ce tra- 
vail si compliqué de synthèse qui aboutit toujours à la production 
du sucre physiologique, le glucose, que devient ce glucose, après 
son passage dans le courant de la circulation”? CI. Bernard n'ayant à 
tort, lors de ses premières recherches, trouvé de propriétés réductri- 
ces qu'au sang pris entre le foie et le poumon, avait cru pouvoir 
conclure que lesuere tenu en dissolution dans le sérum arrivait forcé- 
ment au contact de l'air dans les poumons, où 1] se détruisait alors 
par combustion. Gette assertion fut rectifiée dès 1856 par M. Chau- 
veau. Des nouvelles expériences entreprises à cette époque à Lyon, 
il résulta, en effet, que le foie était bien un foyer de production inces- 
sante de sucre, ainsi que Cl. Bernard n’avait cessé de l’affirmer, mais 
qu'il existait, à côté de ce foyer de production, un foyer de destruc- 
lion tout aussi actif, qu'il fallait localiser, non pas dans le poumon, 
mais bien dans les capillaires de la circulation générale, autrement 
dit dans les tissus. La thèse reposait sur des faits si bien établis que 
CI. Bernard ne tarda pas à l’accepter. Il la vulgarisa même, avec tant 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 131 


de chaleur, que l’on finit par la lui attribuer. Rappelons les faits nou- 
veaux qu’apportait M. Chauveau à l’appui de sa théorie : 1° le sang 
du cœur gauche est aussi sucré que celui du cœur droit, ce qui dé- 
montre d’une façon évidente qu’il n’y a pas de glucose détruit, pen- 
dant la traversée des poumons ; 2° le sang veineux est toujours moins 
riche en sucre que le sang artériel, preuve certaine que c’est bien 
dans les tissus qu'il faut localiser la destruction de la matière sucrée. 
Celle-ci, on le conçoit, ne peut, d’autre part, disparaitre entièrement 
dans le sang lui-même puisque le taux de sucre, ainsi que nous l’a- 
vons constaté, ne change pas ou ne varie que peu dans toute l'étendue 
de l’arbre artériel. | 

A ces preuves, rendues irréfutables par les analyses de M. Chau- 
veau, de la consommation du sucre du sang dans l'organisme, il faut 
en joindre encore d’autres. Lorsque l’on vient à supprimer la circu- 
lation par ligature de l'aorte, on voit la quantité de sucre décroître 
rapidement, durant les quelques heures de survie, dans le sang caro- 
tidien. Il y a donc consommation du glucose. On observe encore que, 
durant l'intervalle des repas, le glycogène diminue dans le foie, sans 
que l’on puisse observer la moindre augmentation du taux de sucre 
dans le sang. Comme nous sommes autorisés à supposer que ce glyco- 
oène hépatique, ainsi disparu, n’a pu qu'être transformé en glucose, 
il faut donc que l’excès de sucre, ainsi mis en circulation, ait été con- 
sommé aussitôt sa production. Du reste, si l’on observe le même sang, 
à plusieurs reprises, et en évitant que sa provision de sucre ne se re- 
nouvelle, on peut avoir une nouvelle preuve, encore plus certaine, de 
l’appauvrissement continuel du plasma en glucose. Pour la démons- 
tration de ce fait, MM. Lépine et Barral se sont servis de l’appareil de 
Jacob; ' qui permet de faire circuler artificiellement du sang défi- 
briné dans le membre ou l’organe que l’on a isolé et choisi pour 
l'expérience. Une simple poire en caoutchouc joue l'office de cœur. 
On peut la presser, soit à la main, soit au moyen d’un moteur, et 
comme elle se trouve comprise entre deux valvules, convenablement 
disposées, à chaque aspiration ou expiration, le liquide passe tou- 


1. Voir la description et le fonctionnement de l'appareil Jacobj dans Barral : Sucre 
du sang, loc. cèl., p. 59. 


132 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Jours dans le même sens. Pour régler la compression de cette poire, 
on se guide du reste sur les indications fournies par deux mano- 
mètres placés, l’un sur le courant artériel, l’autre communiquant 
avec le pseudo-système veineux. Le sang oxygéné, lancé par la poire, 
traverse en cours de route un serpentin, lequel plonge dans un bain- 
marie maintenu, ainsi que l’enceinte où se trouve l'organe à irri- 
guer, à la température physiologique de lanimal vivant. Au sortir 
des tissus, le sang qui s’échappe par la veine est de suite mélangé à 
de oxygène. Il peut donc en fixer une partie et se débarrasser de 
son acide carbonique ; autrement dit, il se transforme en sang arté- 
riel, tout comme s'il traversait les poumons. De cette ‘façon, on 
arrive à faire circuler, durant des heures, de 300 à 320 grammes 
d’un sang défibriné, qu'il est toujours aisé d’analyser au commence- 
ment, puis à la fin de l'expérience. Cette technique simule, on le voit, 
autant que possible, la circulation naturelle. Ainsi que M. Lépine l’a 
constaté *, elle entretient en outre très suffisamment les propriétés des 
tissus et du sang. Les muscles conservent leur 1rritabilité ; le sang 
venant du membre est bien noir et, grâce à l’oxygénation à laquelle 
on le soumet dans l'appareil, il rentre dans l'artère, parfaitement 
rouge ; il est, en un mot, même plusieurs heures après le début 
de l’expérience, aussi normal que peut l’être un sang défibriné et 
privé, durant ce temps, de l’incessante rénovation qui se passe chez 
l'animal vivant. Grâce à ce dispositif, il a été possible d’analyser à 
plusieurs reprises le même sang, au point de vue de sa teneur en 
olucose, soit lorsqu'il circulait € à blanc » dans lappareil sans tra- 
verser de tissus animaux, soit lorsqu'il irriguait un membre ou un 
organe res en expérience. Pour compléter l’observation, on a égale- 
ment en be les changements subis par ce sang, mis en circulation 
dans l'appareil de Jacobj, à ceux qu’il éprouvait lorsque, durant 
l'essai, on l’abandonnait inerte à la même température. Nous avons 
vu (p. 309, t. 1, 2° fasc. 1902-1905) que l’on constate en effet in vitro 
la disparition du glucose dans le sang lui-même, sous l’influence du 
ferment glvcolytique, et que celui-ci, autant qu'il est permis de le 
supposer, car les faits précis manquent à ce sujet, procède effecti- 


1 Lépine et Barral, Comptes rendus, 1891, t. TI, p. 118. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 133 


vement à la destruction du sucre physiologique d’abord par dédou- 
blement, puis ensuite par oxydation. Ce ferment existeräit-il dans le 
sang circulant, et devons-nous voir en lui l’un des modes naturels 
de la consommation du sucre physiologique par l’économie animale ? 
La question a donné lieu à toutes sortes de controverses’. D’un 
côté, l’on doit à Arthus? d’avoir réuni un certain nombre d’argu- 
ments paraissant au premier abord suffisants pour démontrer que le 
ferment ne fonctionne pas durant la vie. Il n’agirait alors que post 
morlem, c’est-à-dire après l’extraction du sang et seulement lorsque 
ce dernier n’est plus dans son milieu naturel. En se plaçant, d'autre 
part, avec M. Lépine, uniquement sur le terrain physiologique, il 
faut reconnaître que les raisons d'ordre purement chimique de 
M. Arthus perdent un peu de leur force. Il sérait hors de sujet d’en- 
trer ici plus avant dans cette discussion. M. Lépine, dans un travail 
actuellement en préparation, doit prochainement régler le différend 
et clore la polémique. Sans attendre les arguments nouveaux que cet 
auteur ne manquera d'apporter, il y a tout lieu de croire qu’en 
principe la glycolyse se poursuit continuellement durant la vie dans 
le sang. Mais il ne faut pas cependant supposer pour cela que le 
phénomène ait alors la même intensité que celle qu'il manifeste 
hors de l’économie. La glycolyse dans le sang en circulation est 
fort atténuée et celle que l’on observe in vitro n’a donc plus d’autre 
intérêt que celui de nous montrer la persistance et l’exagération 
d’un phénomène vital en train de cesser. C’est à cette conclusion 
que nous conduisent du reste les expériences de circulation arti- 
ficielle faites au moyen de l’appareil de Jacobj. Le sang qui circule 
€ à blanc » perd toujours moins de sucre que lorsqu’il reste au repos 
à la même température, mais, par contre, s’il traverse un organe ou 
un membre quelconque, il en perd toujours plus que s’il n’avait pas 
circulé. 300 centimètres cubes de. sang, après la traversée d’un rein 
de chien pesant environ 30 grammes, contiennent, au bout de une 
heure, 16 p. 100 de glucose de moins qu'après un séjour de même 
durée in vitro. Si l’appareil est mis en communication avec l’artère 


1. Voir Duclaux, Trailé de Microbiologie, t. Il, 1899, p. 528. 
2. Arthus, Mém. Soc. d. Biol., 1891, p. 65. 


134 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et la veine fémorale du membre inférieur d’un chien, le sang perd, 
durant la première heure, environ 60 p. 100 de son sucre. Après 
cela, il n’est plus permis de douter que l'organisme dépense son glu- 
cose. Les chiffres de consommation que nous venons de citer ne 
donnent du reste qu’une idée très faible de ce qui à réellement lieu 
chez l'animal vivant, car les tissus de ce dernier sont, par rapport à 
la masse de son sang, comme 14 est à 1, tandis que, dans les expé- 
riences de M. Lépine, le volume du rein irrigué artificiellement n’est 
par exemple que le dixième de celui du sang mis en circulation. 


L'énergie potentielle des aliments. 


, 


L'organisme dépense donc le glucose qu’il élabore. Voyons le bé- 
néfice qu'il retire de la consommation de ce principe ; autrement dit, 
quel est le rôle physiologique du sucre du sang ? 

Jusqu'ici nous n'avons regardé l « aliment », c’est-à-dire, suivant 
l'expression commune, «ce qui nourrit » et, au point de vue particu- 
lier où nous ne cessons de nous placer, ce aux dépens de quoi l’écono- 
mie forme son sucre, uniquement que comme de la « matière ». Cela 
signifie que les protéiques, les graisses et les hydrocarbonés ne sont 
intervenus dans nos raisonnements que comme quelque chose qui se 
voit, se touche, se pèse, réagit sur les sens du goût ou de l’odorat, 
se montre inoffensif ou toxique et surtout comme quelque chose qui 
se transforme. Les mutations des trois principaux groupes organi- 
ques nécessaires au fonctionnement de l’économie animale nous ont 
fourni, disons-le en passant, la preuve certaine que la matière est 
indestructible. En la suivant à travers les voies nombreuses et com- 
pliquées que l'organisme lui fait parcourir, nous l’avons toujours vue 
entrer et sortir des combinaisons en conservant son poids initial, si 
bien que l’étude de la glycogénie pourrait presque passer pour l'un 
des développements les plus beaux et les plus instructifs de la phrase 
célèbre de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, ni dans les 
opérations de Part ni dans celles de la nature. » 

L’ «aliment » nous apporte, cependant, autre chose que la matière. 
Il donne des forces, disons-nous couramment. Il apporte l'énergie, 
dirons-nous, si nous voulons adopter le langage spécial de la science. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 139 
L'énergie, bien qu’elle soit impondérable et intangible, bien qu’elle 
soit, comme la matière du reste, indéfinissable, et se réduise à n’être 
qu’une notion intuitive de l'esprit, n’en existe pas moins. Elle se ré- 
vè'e à nous d’une façon évidente. Tout le monde connaît, par leurs 
manifestations positives, l’énergie chimique, l’énergie mécanique, 
calorifique, électrique, optique, ete. Le mouvement, la chaleur, 
l'électricité, la lumière ne sont en effet que des formes diverses de 
l'énergie transformée. La physique et la mécanique nous l’ensei- 
ognent ; elles nous démontrent en outre que toutes ces transforma- 
tions sont équivalentes. Le travail mécanique se change en chaleur, 
en mouvement, en lumière. etc., et cela, conformément à des règles 
et même à des coefficients numériques bien connus. C’est le dévelop- 
pement de ces notions générales qui ont conduit la science à démon- 
trer que l’énergie inhérente à la matière parcourt, comme cette der- 
nière et dans l'union la plus étroite avec elle, un mouvement circulaire 
sans interruption ni fin. Nous nous trouvons alors en présence de la 
loi qui proclame l’indestructibilité de l'énergie au cours de ses 
transformations. C’est ce nouveau grand principe, base de toutes les 
sciences positives et qui, au fond, ne fait qu’un avec celui de l’indes- 
tructibililé de la matière, que nous allons être amenés à appliquer à 
l'animal vivant. 

Puisque l'énergie n'a ni commencement ni fin, 1 ne faut pas de- 
mander à la vie de la créer. Et pourtant, d’après ce que nous savons 
déjà de l'énergie, nous pouvons affirmer que l'animal vivant en libère ; 
ne serait-ce que parce qu'il se meut. Le mouvement seul nous fait 
souvent deviner la vie et tout mouvement nécessite une dépense de 
force. Où l'organisme se procure-t-il cette force ? N'oublions pas que 
la matière et l'énergie ne sont peut-être que les manifestations d’un 
même fait ; elles ne peuvent en tout cas conserver l’une en face de 
l’autre une existence mdépendante. Il est de plus impossible de les 
séparer ou même .de les concevoir séparément, puisque la matière 
ne se manifeste en réalité à nous que par l'absorption ou l’émission 
d'énergie. On se trouve ainsi amené par ces considérations, et sans 
grand effort de l'esprit, à reconnaître ce que nous avions déjà 
avancé sans preuve, à savoir que les aliments, l’eau, les gaz de Pair, 
elc., en un mot tout ce que l’animal ingère habituellement, consti- 


156 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tuent pour l’organisme une source non seulement de matière, mais 
également d'énergie. Effectivement, l’énergie se trouve accumulée 
dans les aliments organiques les plus divers. Elle y est en repos, et, 
dans ce cas, on la dit potentielle pour la distinguer de l'énergie en 
aclivité que l’on nomme énergie cinétique ou de mouvement ou encore 
force vive. 

Approfondissons la nature de cette énergie potentielle alimentaire. 
On sait que les végétaux édifient leurs tissus et les divers principes 
organiques, azotés, gras ou hydrocarbonés qui les constituent, aux 
dépens de principes inorganiques ou minéraux comme les corps 
inertes du sol et de l'atmosphère. La construction de l’édifice végétal 
exige un certain travail, c’est-à-dire rend nécessaire l'intervention 
d’une certaine quantité d'énergie. La lumière et la chaleur du soleil 
fournissent cet apport d’énergie. Sans cela, la plante ne pourrait 
accomplir ces transformations de la matière qui nous surprennent ; 
l’acide carbonique de l’air, par exemple, ne fournirait pas aux végé- 
taux le carbone que nous avons retrouvé dans les protéiques, les 
graisses etles hydrocarbonés. Mais l'énergie calorifique ou lumineuse, 
présente nécessairement, lors de toutes ces opérations de la cellule 
végétale vivante, ne peut s’anéantir ou disparaitre une fois le travail 
accompli. Sonindestructibilité absolue s’y oppose. Aussi la retrouve- 
t-on intégralement dans la plante. Sans doute, elle échappe alors à 
l'observateur superficiel, car, absorbée par les principes organiques 
à l’élaboration desquels elle a contribué, elle devient latente, c’est-à- 
dire qu’elle cesse momentanément d’être apparente. Elle n’en est 
pas perdue pour cela. Sans changer au fond, elle a modifié sa ma- 
nière d’être et sa forme; elle est, en un mot, passée à l’état de force 
équivalente qui, après maints changements, finira peut-être, nous le 
verrons, par se manifester de nouveau. C’est ce que l’on exprime dans 
le langage courant, en disant que l'énergie calorifique ou lumineuse 
du soleil s’est transformée en énergie chimique potentielle ou plus 
simplement en potentiel. Ces considérations nous représentent donc 
les végétaux sous l’aspect de véritables accumulateurs d’énergie, 
tandis que les animaux ne seraient que des instruments susceptibles 
de restituer au monde extérieur l'énergie solaire momentanément 
fixée par la plante. Tyndall identifiait la vie de la plante à élévation 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 137 


d’un poids et celle de l’animal à la chute du même poids. Sa compa- 
raison, bien que très expressive, ne sépare-t-elle peut-être tout de 
même pas un peu trop nettement les deux grands règnes de la vie? 
Considérons, en effet, l’acide carbonique de l’air. Il ne pourra four- 
nir à la plante le carbone, nécessaire à l’édification de ses tissus, que 
s'il lui arrive imprégné, en quelque sorte, de vibrations lumineuses 
et calorifiques. Cette lumière et cette chaleur pénètrent dans la plante 
avec la matière et, ainsi que nous le disions, on les retrouve forcé- 
ment inhérentes à l’albumine, la graisse et la fécule, principalement 
amassées dans les graines végétales. C’est là que les herbivores vien- 
dront prendre ces forces, pour les emmagasiner, à leur tour, dans 
leur sang et leur chair qui serviront dans la suite à alimenter les 
carnivores. Les animaux, en fin de compte, on le voit, utilisent aussi 
l’énergie du soleil, et s’ils se distinguent des végétaux ce n’est que 
parce qu’ils s'emparent de cette énergie qu'après que le végétal, qui 
l’absorbe directement et en nature, l’a transformée à sa façon. Il 
faut même noter, avec CI. Bernard, que les jeunes plantes qui vivent 
aux dépens des réserves de la graine se comportent comme de véri- 
tables animaux. Voilà comment l’on est conduit à admettre que l’éner- 
gie, de même que la matière, ne peut être utilisée que si elle se pré- 
sente à chaque être vivant sous une forme qui lui soit assimilable. 

Nous venons de trouver, en dernier lieu, que la lumière et la cha- 
leur solaires transformées se retrouvent dans les aliments organiques. 
Elles y constituent ce que nous avons nommé : l'énergie chimique 
potentielle. Cette nouvelle forme de l'énergie n’est pas plus défi- 
nissable que l'énergie elle-même. Il est cependant possible d’en 
comprendre la signification. Choisissons d’abord un exemple aussi 
simple que possible. Si l’on met en présence du mercure et de l’oxy- 
sène à froid, ces deux corps restent isolés et ne se combinent pas 
l’un à l’autre, mais, en chauffant progressivement entre 300 et 600P, 
le mercure s'empare de l'oxygène. Au-dessus de ces températures, le 
composé se défait et l'oxygène se dégage. Raisonnons ce double phé- 
nomèêne. Le mercure, lorsqu'on le chauffe sans oxygène, dans le vide 
si l’on veut, se contente d’emmagasiner de la chaleur. Mais lorsqu'il 
peut s’oxyder à l’air, tout en s’échauffant il dégage au contraire plus 
de chaleur qu’il n’en absorbe. Cela nous explique pourquoi il faut 


138 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


chauffer fortement le mercure oxydé pour le séparer de l'oxygène, 
et il en résulte que le mercure métallique ainsi désoxygéné par la 
chaleur n’est en réalité que le mélange de sa propre matière et d’une 
certaine quantité de travail non réalisé, mais réalisable. C’est ainsi 
que le poids qu’on élève à une certaine hauteur absorbe de l’énergie 
qu'il restitue si l’on vient à le laisser retomber. Un gaz comprimé, 
un ressort bandé contiennent de même de l'énergie qui redevient 
libre au moment de la détente du gaz et du ressort. Ces exemples 
nous indiquent assez nettement ce que c’est que de l’énergie chi- 
mique potentielle ; mais il faut encore préciser davantage cette idée. 

Si nous demandons à la physique qui, parmi les sciences, s’atta- 
che spécialement à l’étude de l’énergie, quelles sont les transforma- 
tions connues de ce grand fait abstrait, elle nous répond qu’elle croit 
pouvoir distinguer huit forces de formes relativement différentes : la 
pesanteur, l'attraction, la chaleur, la lumière, l'électricité, le magné- 
tisme, la cohésion et l’affinité. La dernière, entre toutes, nous inté- 
resse ici spécialement. L’affinité n’est autre, en effet, que ce qui 
pousse les divers corps simples, avec plus ou moins d'intensité, à 
agir réciproquement les uns sur les autres. Nous avons bien affaire 
là à une forme d’énergie potentielle, cela se conçoit. L’affinité est en 
outre de l'énergie chimique, puisque les transformations sans nombre 
de la matière, que l’on étudie sousle nom de chimie, n’en sont, sans 
exception, que les conséquences. L'introduction de l’idée d’affinité va 
nous permettre de définir maintenant ce que l’on entend par satura- 
lion, et en fournissant des explications sur le sens de ce nouveau 
terme nous serons amenés à mieux comprendre la nature de l’éner- 
gie chimique potentielle telle qu’elle existe dans les aliments orga- 
niques complexes qu'ingèrent les animaux. 

Nous nous souvenons que l’atome de carbone présente quatre 
pointes attractives. Lorsque l’on fixe à l’extrémité de chaque aiguille 
un atome monoatomique de chlore ou d'hydrogène, les quatre at- 
tractions sont satisfaites, et l’on dit que la molécule résultante est 
saturée. Elle le sera encore, si l’on garnit simultanément les pointes, 
deux par deux, avec un bâton, atome diatomique, d’oxygène. La 
molécule au contraire n’est pas saturée, s’il lui reste des aiguilles 
libres, c’est-à-dire tant que les quatre attractions ne sont pas satis- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 139 


faites en même temps. Elle possède alors une certaine capacité 
attractive ou, ce qui revient au même, elle peut être saturée. Cette 
notion parfaitement claire de la saturation étant admise, compa- 
rons le carbone du diamant ou du graphite avec le même élément, 
tel que la chlorophylle le met à la disposition des plantes vertes, 
lorsqu'elles édifient leurs protéiques, leurs graisses ou leurs hydro- 
carbonés. Le premier nous rappelle le carbone de la molécule satu- 
rée, celui que l’on retrouve dans la nature dite brute ou inerte, dans 
l'acide carbonique par exemple. Par contre, on se figure très-volon- 
tiers que le carbone, engagé dans la matière organisée ou vivante, 
est tout à fait comparable à celui de la molécule non saturée dont 
certaines attractions et affinités ne sont pas satisfaites. Pouvons-nous, 
en effet, songer à assimiler le carbone qui, sous l’action de la chlo- 
rophylle, se dégage de l'oxygène avec lequel il était si solidement 
uni «ans l’acide carbonique de Pair, à celui qui, sous forme de dia- 
mant, se trouve être réfractaire à toute combinaison compatible avec 
la vie ? Nous sommes autorisés, par ces simples considérations géné- 
rales, à mettre en regard de la matière brute, inorganique, saturée, 
c’est-à-dire tombée dans l’inertie chimique, la matière élaborée par 
les êtres vivants, la matière organique qui se trouve être, nous le 
verrons, si puissamment chargée d'énergie. Maintenant, il nous est 
enfin possible de compléter la définition de l’aliment tel que nous 
l’'ingérons, qu’il soit albumine, graisse, ou fécule : et c’est à quoi 
nous voulions arriver. L’aliment n'est autre que de la malière non 
saturée, qui renferme en elle beaucoup d’afjinités non salisfailes, 
c’est-à-dire beaucoup d'énergie. Il est par conséquent instable et cela 
nous explique la multiplicité et la complexité des mutations récipro- 
ques éprouvées par les différentes catégories de matières alimentaires. 
Il nous reste à voir comment, en salisfaisant leurs affinités chimiques, 
ces dernières vont mettre au jour l'énergie qu’elles tiennent cachée. 


Des transformations que subit l'énergie potentielle 
dans l'organisme. 


Voilà aliment chargé de l'énergie lumineuse ou calorifique que 
la plante a ravie au soleil, puis transformée en énergie chimique 


140 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


potentielle! Le voilà revêtu, en outre, d’une certaine instabilité, 
puisque, non saturé, il a par conséquent des affinités chimiques à 
satisfaire. Etant tel, dès qu’il pénètre dans l’organisme, il s’y trans- 
forme de suite. Nous savons à peu près comment. Le chapitre pré- 
cédent nous a mis au courant de toutes les mutations de la matière 
qui nous intéressent ici : passage des polysaccharides aux sucres, 
formation du glucose aux dépens des protéiques et peut-être des 
corps gras, origine hydrocarbonée des graisses, … etc. À propos de 
chaque mutation observée, nous avons, en même temps, établi sous 
forme d’équation la balance des résultats de la réaction chimique. 
C’est ainsi, pour prendre un exemple abstrait et général, que nous 
avons écrit: 


(a+b+c+d) + (e+f+o+h) = (a+ô+e+f) + (c+d+g+h) 


I I — I" a 


M N 0 P 


(a+b+c+d) et (e+f+ g+1h) représentant des molécules de 
deux composés M et N capables de réagir l’un sur l’autre et de former 
deux nouveaux composés 0 et P, égaux, le premier à (a+b+e+f) 
et le second à (c+ d+g+h). Cela ressemble fort à une équation 
algébrique où le second membre est rigoureusement identique au 
premier. Îl n’en est rien cependant. L’équation nous indique que 
la quantité de matière exactement déterminée par la balance est la 
même de part et d'autre, ou encore que les composés M et N en réa- 
gissant l’un sur l’autre forment ou deviennent d’autres composés 
O et P ; mais cela ne signifie pas qu’il faille donner au signe — toute 
la valeur qu’on lui attribue généralement en algèbre. La preuve 
en est qu’une nouvelle équation formée en intervertissant les deux 
membres de celle que nous avons écrite serait absolument fausse. 
Les corps 0 et P, mis en présence, sont en effet incapables de s’atta- 
cher spontanément l’un à l’autre et de reformer d'eux-mêmes les 
composés primitifs M et N. En développant cette idée on voit que 
les affinités réciproques de M et de N ne sont pas égales à celles 
de O et de P, et que l'instabilité de la matière envisagée dans notre 
équation à gauche du signe — est plus grande que celle des com- 
posés figurés à droite. Plus simplement encore, on voit que O ou P 
s’acheminent de la matière vivante non saturée vers la matière 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 141 


inerte saturée. La suite du raisonnement s'impose d’elle-même. Pour 
que le second membre 0 + P soit rigoureusement identique, en tout, 
au premier M N, il faut lui ajouter quelque chose. Ce quelque 
chose, qui n’a pas de poids, n’est certes point de la matière. Ce ne 
peut être alors qu'une quantité dynamique. C’est donc de l'énergie, 
sous forme de chaleur, de lumière, d'électricité, de magnétisme, 
d'attraction, etc., peu importe, qui s’est dégagée pendant la réac- 
tion. Tout ceci se résume en quelques mots : la matière en traver- 
sant l'organisme y abandonne une partie de son énergie. 

Lorsque l’énergie, par suite des transformations de la matière, se 
dégage de l’aliment ingéré ou des réserves nutritives constituées 
par l’organisme aux dépens de l’apport alimentaire, elle cesse d’être 
potentielle et devient de l'énergie cinétique. Elle passe du repos à 
l’activité, mais cela ne veut pas dire qu’elle devienne immédiatement 
sensible et utile pour nous. Longtemps encore, elle gardera une 
forme qui, maccessible à l'observation, ne la trahira pas au dehors, 
et il en sera ainsi tant qu’elle restera ce que M. Chauveau appelle 
le Travail physiologique’. Des exemples seuls peuvent nous per- 
mettre de définir ce terme. Le travail physiologique, c’est le tra- 
vail intérieur du muscle qui se contracte mais non le travail méca- 
nique extérieur qui résulte de cette contraction, c’est . l’énergie 
mystérieuse consommée par la glande qui sécrète, par le nerf qui 
fonctionne pour transmettre une excitalion, c’est l'effort dépensé 
par la cellule qui se forme, s'organise, assimile pour vivre. C’est, en 
un mot, l’ensemble de ces formes essentiellement variables de l’éner- 
gie qui se trouvent être intermédiaires entre le potentiel chimique 
de l'aliment et les manifestations sensibles et extérieures (travail, 
chaleur, etc.), de l'énergie libérée par l'organisme. On peut encore 
mieux préciser cette idée, en comparant, ainsi que les physiologistes 
aiment souvent à le faire, le muscle à un fil de caoutchouc. Si l’on 
tire sur le muscle contracté ou sur le fil élastique, l’un comme l’au- 
tre s’allongent. La traction venant à cesser, tous les deux reviennent 
à la forme et à la longueur qu'ils avaient avant l’étirement. L'esprit, 


1. Chauveau, Du travail physiologique et de son équivalence. Revue scientifique, 
1558. 


142 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


simplement guidé par ce qui se manifeste extérieurement, serait 
donc tenté de soutenir la comparaison. Mais, si l’on raisonne à fond, 
il devient facile de se rendre compte que l’analogie n’existe pas en 
réalité. L’élasticité, qui est la propriété caractéristique du caoutchouc 
et du muscle, diffère en effet notablement dans les deux cas. Dans le 
caoutchouc, elle est inhérente à la matière et cette dernière la con- 
serve indéfiniment sans la dépenser. Dans la fibre, l’élasticité ne 
subsiste, au contraire, que si les transformations incessantes de 
l'énergie chimique potentielle l’y entretiennent et la renouvellent à 
mesure qu'elle se libère soas une forme quelconque. D’après ce que 
nous savons, les tissus vivants sont traversés d’une façon continue 
par un courant de matière et par conséquent d’énergie, si bien que, 
même au repos, ils sont lom d’être absolument inactifs. Pour ne 
parler que d’un phénomène susceptible d'observation, c’est ainsi 
que le muscle reste toujours dans un état de contraction légère qu’on 
appelle fonicilé. Lorsqu'on coupe le nerf moteur qui se rend à ce 
muscle, ce dernier perd cette tonicité, il est paralysé, devient flasque. 
Telle est la raison qui a conduit M. Chauveau à dire que Le muscle bien 
que ne se contraclant pas travaille cependant physiologiquement. Le 
mot € travaille » n’a pas alors, cela se conçoit, le sens qu’on lui 
donne généralement en mécanique ; il ne signifie pas qu’il y a dépla- 
cement d’une force et, par conséquent, du point où cette force est 
appliquée. Il désigne, alors même qu’elles seraient stériles et inac- 
cessibles à l’observation, toutes les transformations de l’énergie loca- 
lisées dans les tissus vivants et qui y créent et entretiennent ce qui 
deviendra par exemple de la force musculaire. Le muscle travaille 
enfin par cela seul qu'il lutte toujours pour maintenir sa tonicité et 
que ses efforts de résistance sont entretenus par un courant d’é- 
nergie. 

L'expression de M. Chauveau est donc utile à retenir, si elle tend 
à nous indiquer que l'énergie chimique potentielle revêt dans l’or- 
ganisme une forme particulière, une forme vivante peut-on dire. 
Mais elle doit être oubliée, si l’on veut lui donner une signification 
précise. Le travail physiologique est-il de l'électricité, de la chaleur, 
du magnétisme, de l'attraction? La physiologie ne nous renseigne 
pas assez nettement à ce sujet, pour que nous songions à nous Y 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 143 


arrêter. Il paraît du moins certain que, mise en circulation dans 
l'organisme, l’énergie, de même que la matière à laquelle elle est 
inhérente, doit varier continuellement. 


Des formes sous lesquelles l'organisme libère l'énergie. 
Travail musculaire et chaleur animale. 


L'énergie ne peut indéfiniment rester emprisonnée dans l’orga- 
nisme, puisque la vie est aussi incapable de l’anéantir que de la 
créer. De compagnie avec la matière, elle avance toujours, dans son 
mouvement perpétuel, en suivant le cycle fermé d’où elle ne peut 
s’écarter. [l faut donc s'attendre à ce que l’organisme la libère à un 
moment donné, et effectivement c’est ce qui arrive. L'observation 
la plus élémentaire nous apprend que l’animal crée, ainsi qu’on le 
dit à tort, une force nouvelle, la force musculaire, évaluable en kilo- 
grammes, qui elle-même donne naissance à du travail mécanique que 
l’on peut mesurer en kilogrammètres. L'organisme dégage en outre 
constamment de la chaleur qu'il fabrique forcément d’une façon 
continue, puisque la température reste constante chez les animaux 
à sang chaud », tels que la plupart des mammifères et des oiseaux. 
Inutile d’insister sur ce que la chaleur et le travail musculaire cons- 
tituent les formes de dépense les plus importantes et les plus évi- 
dentes de l'énergie. Travail musculaire et Chaleur animale sont 
deux termes qui viennent presque toujours simultanément à l'esprit, 
si bien que l’on finit souvent, mais à tort, ainsi que nous allons le 
voir, par les confondre. 

Depuis que Lavoisier, en effet, a songé à assimiler la respiration 
animale à une oxydation lente, c’est-à-dire à une combustion, il a 
paru séduisant de comparer les machines animales aux machines à 
feu. Ces dernières accomplissent leur énorme travail en utilisant la 
force élastique de la vapeur d’eau, l’eau recevant elle-même sa 
puissance du feu qui la chauffe ou, pour être plus exact, de la com- 
bustion du charbon de terre par exemple. Théoriquement, l’énergie 
dépensée par la machine à vapeur apparait ainsi au début, à l’état 
de chaleur, laquelle se change ensuite en travail, suivant un coeffi- 
cient de transformation fixe. La chaleur nécessaire pour élever de 


144 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


1 degré 1 kilogr. d’eau fournit un travail de 425 kilogrammètres. 
D’après cela, il semblerait rationnel de conclure, en ce qui concerne 
la machine animale, pour laquelle les combustions respiratoires sont 
également une source de chaleur, que là encore l'énergie commence 
par être de la € Chaleur » avant de devenir du € Travail ». Mais non 
seulement l'hypothèse ne se trouve pas vérifiée par les faits, mais 
elle est contraire à la théorie. M. A. Gautier‘ le démontre, en 
appliquant à l'organisme animal le théorème de Sadi-Carnot, relatif 
à la transformation de la chaleur en travail. Carnot, ayant examiné 
avec soin le fonctionnemertt ordinaire des machines à feu, était arrivé 
à conclure qu’un corps ne peut servir à développer, d’une manière 
durable, de la puissance motrice, que s’il éprouve des alternatives 
d’échauffement et de refroidissement, ou autrement dit qu’une quan- 
tité de chaleur ne peut devenir une source de puissance motrice, 
que si elle passe d’un corps à température élevée à un corps à tem- 
pérature plus basse. L'eau, pour devenir force motrice, n’a-t-elle 
pas besoin, elle aussi, de changer de niveau? Le fait se met en 
équation, et la formule de Carnot donne le-travail en fonction de 
quelques coefficients fixes puis de la quantité de chaleur considérée, 
et surtout du refroidissement de la machine, c’est-à-dire de la diffé- 
rence entre sa température avant et après le travail. Si, dans l’équa- 
tion considérée, on admet que la température initiale est égale à 38°, 
température physiologique des muscles avant la contraction, et si 
l’on suppose que le tiers seulement de la chaleur intramusculaire 
se transforme en travail, on voit, d’après M. Gautier, par applica- 
tion de la loi de Sadi-Carnot, que la température finale du muscle, 
après un travail quelconque, devrait être de 40° au-dessousde 0°. La 
chose est évidemment inadmissible. La température du muscle ayant 
travaillé serait encore de — 20° et de — 9° en supposant que le 
quart et le cinquième seulement de la chaleur deviennent du travail. 
On ne saurait mieux démontrer que l'énergie chimique potentielle 
des ingesta fournit de la chaleur d’une part, et du travail muscu- 
laire d’autre part, sans qu’elle passe obligatoirement par l’intermé- 
diaire « Chaleur » avant de devenir du € Travail mécanique ». La 


{. À. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 292. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 149 


chose n’est pas de nature à nous surprendre : dans la pile électrique, 
le potentiel chimique apparait de suite sous forme d'électricité. 

I! nous faut donc dorénavant séparer très nettement le travail mus- 
culaire de la chaleur animale. Ce sont deux formes différentes sous 
lesquelles l’animal dépense l'énergie chimique que lui apporte le 
monde extérieur, et l’une n’est nullement la conséquence de l’autre. 
La conception théorique, généralement adoptée par les mécaniciens, 
qui veut que le travail chimique initial fasse tout d’abord de la cha- 
leur, a aujourd’hui complètement vécu. La calorification n’en cons- 
titue pas moins une des fonctions les plus importantes de l’organisme, 
mais on ne saurait non plus ne pas remarquer avec M. Chauveau 
qu’elle n’existe pas en tant que fonction absolument indépendante, 
puisqu'elle est toujours liée au travail physiologique des tissus avec 
lequel elle varie toujours dans le même sens. La chaleur, en effet, qui 
représente la majeure partie de l'énergie chimique libérée, se trouve 
non pas au commencement, mais à la fin de toutes les transforma- 
tions du potentiel introduit par l'alimentation chez l’animal ; ce der- 
nier la disperse par le rayonnement et par la vaporisation de l’eau à 
la surface de la peau et des poumons, comme un véritable déchet 
résiduaire, Comme un excrelum, ainsi que disent les physiologistes, 
qui accompagne le travail mystérieux de ses tissus. 


De l’utilisation des hydrocarbonés pendant la contraction 
musculaire. — Expériences de M. Chauveau. 


Arrivé à ce point, et tous ces préliminaires une fois compris, il 
va nous être facile de pouvoir nous rendre compte du rôle physio- 
logique du sucre du sang. Souvenons-nous que l'énergie chimique 
potentielle ne se libère qu’autant qu'il se produit une combinaison, 
une mutation de matière, c’est-à-dire une réaction chimique. Nous 
l'avons suffisamment démontré. Il ne nous reste donc plus mainte- 
«nant qu’à rechercher : quelles sont les réactions qui engendrent de 
l'énergie sensible et utile, et sur quelles substances s’exercent ces 
réactions. N’existerait-il pas une relation entre le travail musculaire 


1. Chauveau, La vie et l'énergie, p. 6, Comptes rendus, 1903, €. I, p. 851. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2€ SERIE. — 1902-1903 — 11. 10 


146 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


ou la chaleur animale et les actions chimiques qui portent sur le 
glucose, le plus intéressant à notre point de vue de tous les prin- 
cipes physiologiques élaborés par lorganisme ? 

Considérons par exemple le muscle dont la propriété évidente est, 
en se contractant, de produire de l’énergie cinétique ou de mouve- 
ment, et d’engendrer, par cela même, de la force vive. Supposons que 
ce muscle soit analys avant et après sa contraction, afin de connai- 
tre la nature et la quantité des substances produites ou détruites 
durant l'expérience. Supposons que l’on analyse aussi pendant le re- 
pos, et ensuite pendant le travail, le sang artériel dont le rôle est 
d'apporter à ce muscle les éléments ou mieux les aliments qui lui 
sont utiles, puis le sang veineux chargé d’emporter les déchets et le 
surplus des éléments inutilisés. Nous aurons alors en main toutes 
les données nécessaires pour résoudre le problème. Le programme 
de cette méthode directe, qui consiste à comparer la composition du 
muscle au repos et en activité, est des plus simples. Son exécution 
n’en est pas moins fort délicate. Nous allons voir comment MM. Chau- 
veau et Kaufmann ont su la mener à bien, lors de ces mémorables 
recherches dont les résultats furent communiqués à l’Académie des 
sciences en 1886 et en 1887. 

Les expériences que comportait ce genre d’études n’étaient guère 
praticables sur tous les animaux. Le sujet devait offrir, à la portée 
de l’expérimentateur, un muscle suffisamment volumineux et assez 
facilement accessible pour que l’on pôt, à plusieurs reprises, prélever 
de quoi en effectuer une analyse aussi complète que possible. Il 
fallait que ce muscle eût un symétrique très voisin et astreint à peu 
près aux mêmes mouvements que lui. Il devenait alors possible, 
puisque la composition des muscles symétriques est sensiblement la 
même, d'analyser l’un d’eux au repos, puis l’autre après contraction. 
Autre condition : le muscle devait être irrigué par des vaisseaux 
sanguins, artères et veines, assez larges pour recevoir les canules 
nécessaires à la récolte du sang. Il était utile, enfin, que le muscle 
entrât facilement en repos ou en activité, et cela au moment voulu. 
Ainsi que nous allons nous en rendre compte sur la figure 49, les 
muscles masséler (1) et releveur de la lèvre supérieure (2) réunis- 
sent, chez le cheval, toutes les conditions requises. Ce fut sur 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. [47 


eux que M. Chauveau porta son attention. Le releveur de la lèvre 
supérieure, le plus petit des deux muscles considérés, pèse déjà de 
18 à 25 grammes. Le masséler est irrigué par l’une des branches de 
l'artère maæillo-musculaire(5) qui, issue de Partère carotide externe 
(4), s’épuise complètement dans son sein. De la carotide exlerne part 
également l'artère maxillaire externe (6) que l’on voit se terminer 
dans le releveur de la lèvre supérieure. Le sang, après avoir traversé 
le masséler, ressort par la veine mazxillo-musculaire (9) correspon- 
dant à l’artère (5) du même nom. Une veine (7) émerge également du 
releveur et correspond à l'artère maxillaire externe. Puisque cha- 


Fig. 12. 


cun des deux muscles considérés est pourvu d’une veine superfi- 
cielle et en outre unique, il devient alors relativement facile de 
recueillir tout le sang veineux qui sort du muscle et rien que ce sang 
musculaire à l’exclusion de tout autre. L'étude entreprise dans cette 
région de la tête du cheval présente un autre avantage : c’est, ainsi 
que le montre la figure 12, de permettre la comparaison entre ce 
qui se passe dans un muscle, le masséler, et dans la glande paro- 
tide (3), c’est-à-dire dans un organe dont le rôle physiologique est 
très différent de celui des fibres musculaires. La parotide, comme le 
masséler, reçoit, en effet, son sang de vaisseaux émanés de l’artére 
carotide. Le muscle et la glande ont, par conséquent, une activité cir- 
culatoire équivalente. En recueillant le sang qui sort de la parotide 


148 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


par la veine auriculo-parotidienne, il devient aussi facile que pour 
le muscle de savoir quelles sont les substances qui, en traversant la 
glande, subissent des changements. Si l’on remarque enfin que le 
masséler est par excellence le muscle élévateur de la mâchoire infé- 
rieure et permet seul la mastication, que le releveur de la lèvre supé- 
rieure se contracte en même temps que lui pendant la préhension 
et la mastication des aliments, que les repas provoquent l’activité des 
glandes salivaires et de la parotide par conséquent, on conçoit sans 
peine qu’il suffit d'offrir ou de retirer à l’animal son avoine pour que 
les muscles et la glande se mettent à fonctionner ou restent en repos. 

Avec ces quelques notions d’anatomie, et sans entrer davantage 
dans le détail du manuel opératoire, il va nous être possible de suivre 
facilement MM. Chauveau et Kaufmann dans leurs recherches. Partis 
de ce fait, établi du reste par l’un d’eux : le sucre du sang se détruit 
dans les tissus, les physiologistes lyonnais songèrent, pour expliquer 
la disparition de ce dernier principe, à attribuer la production de la 
chaleur animale à une oxydation possible du glucose. La chaleur, 
forme sensible de l’énergie libérée par l’organisme, ne peut être, 
nous l’avons démontré d’une façon générale, que le résultat de 
réactions chimiques. Si donc il était possible de prouver que les 
üssus où se produisent les réactions chimiques les moins actives sont 
justement ceux où il se détruit le moins de sucre, et réciproque- 
ment, il devenait rationnel de prêter au glucose physiologique un 
rôle prépondérant dans le phénomène de la calorification animale. 
Pour vérifier le fait, Chauveau s’adressa à deux tissus de nature et 
de fonctions fort différentes : la glande parotide, qui préside en par- 
tie à la sécrétion salivaire, et le muscle masséter, à l’activité duquel 
l’on doit presque uniquement l’acte de la mastication ‘. Nous con- 
naissons les raisons qui l’avaient conduit à expérimenter sur ces deux 
organes. Alors que la parotide et le masséter étaient au repos, il ana- 
lysa le sang pris simultanément, autant que possible, à son entrée ou 
à sa sortie du muscle et de la glande. Les dosages ne portaient uni- 
quement que sur le glucose et sur les gaz des différents échantillons. 
Parmi ces gaz, deux surtout, l'oxygène et l’acide carbonique, de- 


1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 974. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 149 


vaient attirer l’attention. Le premier s’introduit sans cesse dans l’éco- 
nomie par les actes respiratoires et sa présence y provoque une série 
fort complexe d’actes chimiques dont un des termes est sûrement 
l'acide carbonique rejeté en abondance par les poumons. D’après les 
quantités d’oxygène absorbé et d’acide carbonique produit, on pou- 
vait se rendre compte de l’intensité, plus ou moins grande, des réac- 
tions chimiques localisées dans l’organe en expérience. 

Voici les résultats des analyses opérées par M. Chauveau dans ces 
conditions : 


I. Pendant la transformation de 1 000 grammes de sang artériel en sang veineux 
durant l'état d'inactivité des deux organes, il disparaît : 


GLUCOSE. MOYENNE DE 
Grammes. 
Dans les capillaires du muscle masséter. . . 0,125 6 expériences 
— de la glande parotide . . 0,022 13 — 


IL. Pendant la transformation de 100 volumes de sang artériel en sang veineux 
durant l'état d'inactivité des deux organes il y a : 
OXYGÈNE ACIDE 


CARBONIQUE MOYENNE D3 


absorbé. produit. 


Volumes. Volumes. 
Dans les capillaires du musele masséter . 96 10,95 2 expériences. 


— de la glande parotide. 3,13 1,36 2 expériences. 


Le muscle est, on le voit, l’organe qui absorbe le plus d'oxygène et 
produit le plus d’acide carbonique. De plus, les réactions chimiques 
et la chaleur causée par ces réactions y sont plus actives que dans la 
glande. Or c’est justement dans le muscle qu’il disparaît le plus de 
sucre. Le but poursuivi par ces analyses comparatives était atteint. 
Il semble y avoir, concluent MM. Chauveau et Kaufmann, propor- 
tionnalilé entre l'intensité des réactions chimiques qui se passent 
dans les tissus et la dispariion du glucose dans le système capil- 
 laire du même tissu. 

Cette relation entre la consommation du glucose et l'intensité des 
phénomènes chimiques semble déjà fort nette lorsque la glande est 
inactive et le muscle au repos. Aussi était-il à prévoir que le sens gé- 
néral du phénomène devait s’accentuer lorsque les deux organes pas- 
saient à l’état d'activité physiologique, c’est-à-dire venaient à exercer 


150 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


leurs fonctions naturelles. Activité est, en effet, synonyme de sur- 
production d'énergie. Or, d’après ce que nous savons, ce surcroît 
d'énergie dépensée, ou mieux libérée, ne peut provenir que d’une 
recrudescence d'intensité des phénomènes chimiques, et, comme 
l'intensité des réactions est fonction de la quantité de matière mise 
en jeu, il était alors permis de supposer que l’organe en activité con- 
sommerait plus de glucose qu’au repos. La comparaison entre léchan- 
tillon de sang pris à l’entrée et à la sortie du muscle et de la glande, 
d’abord lorsque ces organes élaient à l’état de repos, puis ensuite 
lorsqu'ils devenaient actifs, promettait d’être intéressante. Malgré 
les difficultés de la méthode, M. Chauveau réussit, à force d’exercice 
et de patience, à obtenir, dans des conditions de parfaite exactitude, 
tous les faits dont il avait besoin. Il analysa comparativement les sangs 
artériel et veineux du #masséter et de la parotide au repos, puis dix 
minutes après le début d’un repas d’avoine, c’est-à-dire lorsque 
l’insalivation et la mastication étaient en pleine activité. Le cheval se 
prête bien à ces expériences et ne perd pas un coup de dent pendant 
l'extraction des humeurs. Maisles différences de composition des sangs 
ainsi analysés n'étaient pas les seules données à déterminer. Pour se 
représenter l’intensité des réactions chimiques dont les tissus étaient 
le siège il eût été imprudent, en effet, de se baser uniquement sur la 
teneur des divers échantillons en glucose, oxygène et acide carbo- 
nique. Il y avait à rechercher un autre facteur tout aussi important 
et de nature, à première vue, à influer sur les résultats. C'était le 
débit des vaisseaux explorés. La quantité de sang qui, dans un temps 
donné, traversait un organe changeait peut-être lorsque ce dernier 
passait du repos à l’activité, et si l’on voulait comparer entre eux les 
deux états, il fallait tenir exactement compte des différences sur- 
venues dans l’activité circulatoire. M. Chauveau se renseigna à ce 
sujet. Pour ‘cela, il ouvrit une des veines émergentes et enregistra 
les variations de son débit, durant un temps donné suivant l’état de 
l’organe, Il trouva qu’au cours de linsalivation et de la mastication 
provoquées par le repas de l’animal, il passait dans les vaisseaux de 
2,5 à 3 fois plus de sang que pendant l’état de repos. L'observation 
permettait de rectifier les résultats bruts de l'analyse. Il suflisait 
pour cela de multiplier par le coefficient uniforme 3, dit de l’irriga- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 191 


tion sanguine, les quantités de glucose, d'oxygène et d'acide carbo- 
nique trouvées dans le sang des organes en activité. Le tableau sui- 
vant résume les résultats de M. Chauveau ‘: 


Pendant la transformation de 1000 grammes de sang artériel en sang veineux, il 
disparait : GLUCOSE. MOYENNE DE 


Grammes. 


1° Dans les capillaires du muscle masséter : 
A l'état d'inactivité. . . . 0,121 


3 expériences. 
A l'état d'activité . . . . es DR 


29 Dans les capillaires de la glande parotide : 
A l'état d'inactivité. . . . 0,007 RAR 
A l'état d'activité. . . . . (0,003 X 3) = 0,009 Rte 


Pendant la transformation de 100 volumes de sang artériel en sang veineux, il y a : 


: AUIDE 
XYGËN 
CESXEERE CARBONIQUE MOYENNE DE 
absorbé. produit. 
Volumes. Volumes. 


1° Dans les capillaires du musele masséter : 


À l'état d'inactivité. 10,2 10,2 |} 3 expé- 

À l'état d'activité . (13,533) —40,59 (9,65X3)— 28,95 | riences. 
2° Dans les capillaires de la glande parotide : 

À l'état d'inactivité. 2 | 3,9 | 1 expé- 

A l'état d'activité . (71% 3) — 8.1 (0,2%X<3)— 0,6 |} rience. 


Ces chiffres ont une signification bien nette. On voit qu’il existe 
une relation étroite entre la somme de l’oxygène absorbé et de 
l'acide carbonique produit, c’est-à-dire entre les résultantes prinei- 
pales des réactions chimiques des tissus, et la perte du sang en 
glucose lorsqu'il traverse ces mêmes tissus. Prenons les résultats 
concernant le masséter. Au repos, il absorbe et produit en tout 
20,4 volumes de gaz, nombre qui peut dans l’esprit représenter 
l'intensité des réactions chimiques dont il est le siège. Pendant l’é- 
tat d’activité du même muscle, ce nombre devient : 40,59 + 28,95, 
soit 69,54. Autrement dit, l’intensité des réactions est environ 3,9 
fois plus grande pendant l’état d’activité que pendant le repos. 
Or, dans ce dernier cas, il disparaît justement dans le muscle 


1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 1057. 


152 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


3,0 fois moins de sucre que lorsqu'il y a mastication. En résumé, 
dans les glandes où les phénomènes chimiques sont moins impor- 
lLants et où \ ne se libère par conséquent que peu d'énergie, le 
glucose n’est que très faiblement consommé. Dans le muscle, au 
contraire, qui produit une force vive souvent considérable, la 
dépense du glucose devient également considérable. 

Le glucose n’est du reste pas le seul hydrocarboné que le fonction- 
nement normal et naturel des muscles fasse disparaître. Le glyco- 
gène, qui n'est, en réalité, qu'une matière première destinée à fournir 
rapidement et directement du glucose, diminue, lui aussi, sous lin- 
fluence du travail musculaire. Les travaux de Nasse , de Kulz, de 
Wittisch, de Monari, de Weiss entre autres, analysés en partie au début 
de ce travail, nous ont déjà renseignés à ce sujet. Chandelon *, après 
avoir observé que la section des nerfs d’un membre était suivie d’une 
notable augmentation du glycogène de ses muscles, était également 
arrivé à conclure que le même principe diminue indubitablement par 
le fait de l’activité musculaire. Manche *, en 1888, reprit toutes ces 
expériences avec succès. Mais, comme les auteurs précédents, il opéra 
sur des animaux morts, ou sur des organes qui n'étaient plus irrigués 
par le sang, et chez lesquels 1l fallait provoquer artificiellement le 
travail par l’excitation électrique des nerfs moteurs. Peut-être les 
résultats étaient-ils différents dans lés conditions de la vie elle-même ? 
Chauveau y répondit dans une nouvelle note ‘. Il analysa deux frag- 
ments musculaires enlevés, chez le même cheval, l’un au masséter 
gauche, en repos depuis longtemps, l’autre au masséler droit, après 
une demi-heure de mastication. Il trouva : 


Dans 1 000 grammes de muscle au repos. . . . 157,774 de glycogène 
= — mis en action . 1 ,396 — 
Dirénence NL TUE 0%,378 de glycogène. 


Tenant compte de ses propres recherches et de tous les faits que 
nous venons de rappeler, M. Chauveau, sans attendre d’autres preu- 


1. Nasse, Pfluger's Arch., 1869, t. IL. 

2. CGhande'on, PAluger's Arch., 1876. 

3. Manche, Zeitschrift f. Biol., 1888, t. XXW. 

4. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1886, t. Il, p. 1153. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 193 


ves, n'hésita pas à édifier la théorie générale suivante du mode d’uti- 
lisation du glucose : « Le sucre du sang disparu dans les capillaires 
en sort avec l’oxygène pour être transformé, plus ou moins directe- 
ment, au sein des tissus, en eau et en acide carbonique. La produc- 
tion de la chaleur et du travail mécanique est étroitement liée, dans 
l’économie animale, à la combustion de ce sucre. » Telle fut l’idée 
qui ne cessa de guider M. Chauveau et son école dans leurs recherches 
postérieures sur le travail musculaire et l'énergie que représente ce 
travail. Lorsqu'elle fut énoncée pour la première fois, la thèse laissait 
encore prise à la discussion et demandait de nouvelles preuves, mais, 
ainsi que le dit M. Chauveau lui-même : « Dans les sciences expéri- 
mentales, les vues générales sont du plus grand secours pour l’ins- 
piration et l'exécution de recherches nouvelles. Les résultats dépen- 
dent en grande partie de l’idée instigatrice d’après laquelle les plans 
d'étude sont établis à l’avance. » Celui que M. Chauveau s'était tracé 
ne tarda pas à confirmer les faits que nous venons d’énoncer. 

En 1887, les deux collaborateurs entreprirent, dans les laboratoires 
de l’École vétérinaire de Lyon, de nouvelles recherches sur le rapport 
existant entre les phénomènes chimiques dont un muscle est le siège 
et le travail mécanique produit par le même muscle. Étant donné un 
poids bien déterminé de tissu musculaire vivant, ils se proposèrent 
de déterminer, dans diverses conditions physiologiques, normales et 
régulières: 1° la quantité de sang qui le traverse dans un temps dé- 
terminé pour alimenter sa nutrition; 2° l'oxygène qu’absorbe ce tissu 
ainsi que l’acide carbonique excrété dans le même temps, autrement 
dit le poids du gaz qui, par sa présence constante et abondante, est à 
même, dans les tissus, de provoquer des réactions chimiques, et celui 
du principal résidu gazeux de ces phénomènes chimiques ; 3° enfin la 
nature et le poids des substances susceptibles de fournir le carbone 
contenu dans l’acide carbonique rejeté. Le releveur de la lèvre supé- 
rieure se prêtait très bien aux expériences nécessitées par ces déter- 
minations. Les auteurs suivirent, pendant le repos et le travail du 
releveur, les échanges gazeux qui pouvaient les fixer sur les phéno- 
mènes chimiques dont ce muscle était le siège ; ils notèrent les varia- 
tions du débit sanguin ainsi que le poids du sucre disparu au cours 
de la traversée des tissus et, cela, en comparant toujours l’état de 


154 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


repos à l’état d'activité ‘. Le tableau suivant nous donne les résultats 
moyens obtenus par Chauveau à la suite de quatre expériences. L’au- 
teur les a généralement calculés pour À gramme de tissu et 1 minute 
de temps. Afin de grossir les chiffres fractionnaires qu’il obtient ainsi, 
il vaut mieux adopter comme unité de poids le kilogramme, l'heure 
étant l’unité de temps : 


REPOS. TRAVAIL. 
Grammes. Grammes. 
1 kilogr. fs traversé par . 9440,0000 51 000,0000 de sang 
de muscle }prend au sang. . 0,4128 8,4474 d'oxygène 
pendant cède au sang . . 0,4104 14,7462 d'acide carbonique 
une heure has dans le sang. 2,1864 8,4142 de glucose. 


Tels sont les chiffres qui résument cette série de recherches. Ils re- 
présentent la moyenne de quatre expériences ; mais devons-nous, pour 
cela, les considérer comme des coeîficients rigoureusement exacts, 
ou à peu près, et susceptibles de ne varier que dans des limites très 
étroites, quel que soit le muscle considéré, ou l’état de ce muscle, ou 
encore le genre de travail qu’il effectue? M. Chauveau a reconnu, 
tout le premier, qu’il ne fallait pas se méprendre sur leur apparente 
précision, Certains des chiffres ayant servi à établir ces moyennes 
proviennent en effet de documents dont les expérimentateurs eux- 
mêmes ne sont pas sûrs. L'animal, parfois, s’est montré difficile et si 
méchant, que l’on a dû, à plusieurs reprises, suspendre les opéra- 
tions. Parfois aussi, des accidents sont survenus dans la manipulation 
des échantillons, et ont empêché d'utiliser, pour le dosage du sucre, 
le sang artériel recueilli en même temps que le sang veineux. Les 
échantillons de sang artériel pris à nouveau n'étaient peut-être plus 
comparables au sang veineux analysé précédemment. De telles expé- 
riences sont tellement hérissées de difficultés opératoires que le phy- 
siologiste le plus habile et le mieux entrainé se trouve presque forcé- 
ment arrêté en route. Une autre cause laisse aussi planer une certaine 
incertitude sur l’absolue rigueur des chiffres obtenus ; c’est la mobi- 
lité, sans règle bien fixe, du coefficient de l'irrigation sanguine sur 
lequel repose uniquement la comparaison de l’état de travail et de l’état 
de repos. M. Chauveau * a trouvé que, pendant la contraction, lacti- 


ke Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. I, p. de 
. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. I, p. 359. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 


vité circulatoire varie chez les sujets différents avec le poids des mus- 
cles, même lorsque ceux-ci accomplissent un travail identique. Sensi- 
blement égale chez les sujets différents dont les muscles ont le même 
poids et exécutent le même travail, elle s'élève considérablement dans 
le muscle du poids le plus faible. L’on peut alors presque conclure, à 
ce sujet, que, dans l’accomplissement d’un même travail, irrigation 
sanguine tend à être inversement proportionnelle au poids du muscle 
qui exécule le travail. Les données précises manquent encore plus 
lorsque l’on veut déterminer, durant l’état de repos, le véritable coef- 
ficient moyen de l'irrigation sanguine. Il varie non seulement d’un su- 
jet à un autre, mais encore sur le même sujet. De sorte qu’il devient 
impossible d'affirmer, ainsi que cela semblerait nettement ressortir du 
tableau précédent, que la circulation est près de cinq fois (4,6) moins 
active au repos que pendant le travail. Devant ces critiques, on se rend 
parfaitement compte qu’il serait imprudent de croire à la fixité et au 
sens précis des nombres fournis par les expériences de M. Chauveau, 
même si l’on se bornait à ne les appliquer seulement qu’au musele 
releveur du cheval. Ce ne sont pas là des coefficients à retenir et dont 
la valeur soit immuable. La chose est bien entendue. Mais si, au lieu 
de ne voir dans ces expériences que les imperfections du détail, Von 
s'emploie, comme M. Chauveau, à raisonner et à rapprocher les résul- 
tats, on se rend compte que tous les chiffres témoignent dans le même 
sens. Tous tendent à prouver que le travail accroît fortement les 
échanges nutrilifs el gazeux qui se passent dans l’intimilé du tissu 
musculaire. C’est ainsi que, pendant l’état d'inactivité, la consomma- 
tion du glucose n’est que le quart de celle qui se fait dans le cas con- 
traire. Le travail occasionne de même une absorption 20 fois plus 
grande d’oxygène et une production d’acide carbonique bien près 
d’être 86 fois plus élevée que celle que l’on observe au cours du re- 
pos. Cela résulte nettement de l’analyse des gaz du sang, car celle-ci 
suffit à mettre en évidence l’exagération des phénomènes chimiques 
accompagnant le travail musculaire. En interprétant autrement les 
faits, on peut encore conclure que le ou les principes sur lesquels 
portent les réactions chimiques qui libèrent du travail physiologique, 
transformable dans la suite en travail musculaire, sont éminemment 
combustibles. Il ne saurait en être autrement puisque, durant leur 


156 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


activité, les tissus demandent plus d’oxygène au sang et déchargent 
par contre une quantité beaucoup plus grande d’acide carbonique. 

Le glucose disparaît, lui aussi, du sang en plus forte proportion 
pendant le travail : ne serait-ce donc pas lui le principe destiné à ali- 
menter les combustions et par suite l’énergie propre des muscles? S'il 
était possible de déduire des résultats numériques fournis par toutes 
ces expériences que l’oxygène emprunté au sang suffit pour oxyder 
totalement le glucose consommé par les tissus et le transformer en eau 
et en acide carbonique ; s’il était en outre possible de contrôler qu'il 
y a égalité de poids entre l’acide carbonique résultant théoriquement 
de la combustion totale du sucre fourni par le sang et l’acide carbo- 
nique retrouvé par l'analyse dans le sang veineux, il s’ensuivrait que 
c’est bien le glucose comburé pendant la contraction du muscle qui 
fournit à ces tissus et leur chaleur et surtout leur énergie mécanique. 
M. Chauveau a tenté ce rapprochement à la suite de ses expériences 
sur le masséter. Le tableau suivant résume ses calculs : 


REPOS. TRAVAIL. 
Volume de sang ayant traversé le masséter. . . 1 0003 3 000°m$ 
Glucose disparu du sang . . . . . ; AROEIAS 08,388 
Oxygène théoriquement nécessaire pour tee 
complétementiie"elutuse @) Te ES NOR MMENON2S 0 ,414 
Oxygène réellement disparu (b) trouvé par l'analyse. O0 ,145 Oo 
Oxygéne-entropAlben)ers es 7 Pa D etes MM 022 0 ,163 
Sur 100 d'oxygène réellement disparu, il y en a 
de disponible après la combustion théorique 
et intégrale du glucose disparu. . . . . . . 15p. 100 28p. 100 


On voit que, durant le travail, sur 100 d’oxygène emprunté au 
sang par le masséter, 72 de ce gaz suflisent pour oxyder complète- 
ment le glucose perdu par le sang en traversantle muscle. Il resterait 
par conséquent 28 d'oxygène que l’on ne pourrait combiner au sucre. 
L'écart n’est pas négligeable et la remarque serait de nature à ébran- 
ler un peu la théorie. Mais il ne faut pas oublier que le sucre prélevé 
dans le sang n’est pas le seul qui soit à la disposition des tissus. 4 ki- 
logr. de masséter, avons-nous vu, perd au bout d’une demi-heure de 
mastication 08,378 de glycogène ; or, ce dernier principe, que lon 
ne retrouve plus, est évidemment comburé lui aussi, soit avant, soit 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 197 


après sa transformation en glucose, peu importe du reste. Il devient 
alors très naturel, pour oxyder ce glycogène, de faire appel au reste 
d'oxygène disponible. Si donc, conclut M. Chauveau, on considère 
le chiffre de l'oxygène non absorbé par la combustion du glucose, on 
comprend qu’il faille majorer l’excédent que l’on observe durant le 
repos et abaisser au contraire celui de l’état d’activité. L’écart réel 
doit être, d’après cela, singulièrement inférieur à celui que donnent 
les résultats bruts. D'où cette conséquence que l'oxygène employé aux 
combustions organiques s’attaque surtout au carbone du glucose et 
cela aussi bien pendant l’état d’activité des organes que pendant l’état 
contraire, et que celles des combustions qui sont alimentées par des 
matières autres que le sucre physiologique du sang n’éprouvent, au 
moment du travail musculaire, qu’un très faible accroissement. 
Renouvelons la même discussion avec les chiffres trouvés par Chau- 
veau lors de ses expériences sur le muscle releveur de la lèvre supé- 
rieure, nous allons encore arriver à des conclusions fort intéressantes. 
Le tableau suivant expose les calculs utiles auxquels on peut se livrer : 


REPOS, TRAVAIL. 
Gramimnes. Grammes. 
Glucose réellement prélevé par le muscle dans le 
SAR OS He ee RC de Rent Tee ae Corte 2,186 8.414 
1° Oxygène théoriquement nécessaire pour comburer 
complètement le glucose . . . . x 2,331 8,969 
Oxygène réellement cédé au muscle par le sang 
COTE AE te Pre me be ui 0,413 8,447 
Oxygène réellement emporté sous Tone ibid 
carbonique par le sang veineux (B) . . . . . 0,298 10,723 
Différence entre l'oxygène pris el l'oxygène cédé 
paiemusele ER E ST EL. 0 0 115. — 9,976 
2° Acide carbonique réellement emporté par le sang 
à la suite de son passage à travers le muscle. 0,410 14,746 
Glucose réellement prélevé par le muscie dans le 
sang (C) . AE . 2,186 8,414 


Glucose neurones de en boit que 
tout l'acide carbonique fourni au sang par le 
musele ne provient uniquement que d'une com- 
buston de sucre. (D), AURA T, 0,279 9,051 


Différence entre le glucose réellement pris au 
sang et le glucose théoriquement comburé (G-D). + 1,907 — 0,637 


158 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Plusieurs conclusions fort importantes se dégagent de ces chiffres. 
On voit en premier lieu que, durant le repos, l'oxygène fourni au 
muscle n’est pas entièrement utilisé et qu'il n’y a pas combustion 
complète du glucose prélevé dans le sang. Cela tend à prouver que 
l'oxygène s’accumule alors dans les tissus, et comme il ne peut y 
demeurer inactif et à l’état libre, il doit forcément se combiner avec 
les matières azolées, grasses ou hydrocarbonées qu’il rencontre. L’ac- 
tion chimique se bornerait, dans ce cas, à préparer les principes or- 
ganiques en vue d’une combustion facile, rapide et totale, au moment 
où commence le travail. Lorsque l’état d'inactivité cesse, en effet, 
l'oxygène fourni au muscle se transforme entièrement en acide car- 
bonique. Il ne suffit même plus à alimenter les combustions organi- 
ques, réduites à celle du carbone contenu dans l’acide carbonique 
total excrété. Il y a tout lieu de croire que c’est l'oxygène emmaga- 
siné, ainsi que nous le supposions, durant le repos, qui à ce moment 
entre en jeu. Autre constatation : le muscle, pendant le travail, com- 
bure plus de glucose qu’il n’en emprunte au sang, tandis qu’au repos, 
il fixe plus de sucre qu’il n’en dépense réellement. Pour expliquer 
ces faits, il faut admettre, on le pressent, que le sucre du sang se 
met en réserve dans les tissus, lorsque ceux-ci sont inactifs, autre- 
ment dit, qu'il se transforme en glycogène et que c’est aux dépens 
de ce glycogène accumulé que se produit le surcroît énorme de 
combustions qui se manifeste subitement avec le travail. Le calcul 
démontre du reste que les réserves de glycogène formées pendant le 
repos suffisent et peuvent fournir au muscle l’excédent de glucose 
qu’il consomme pendant son activité et qui, sans cela, lui ferait défaut. 

Ces expériences sur le releveur, malgré leur extrême difliculté 
opératoire’, n’en furent pas moins faites dans des conditions de 
simplicité, de précision et de normalité tout à fait spéciales. Aussi 
M. Chauveau semblait-il être en droit d'affirmer que non seulement 
le travail musculaire accroit les phénomènes chimiques des tissus, 
mais que le carbone contenu dans les gaz, résultant des échanges 
respiratoires du muscle en activité, semble ne provenir presque uni- 


1. Pour le détail de la technique et de l'exécution de ces expériences, voir Chau- 
veau, Comptes rendus, 1887, t. I. p. 1409. 


GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 


quement que du glucose prélevé par ce muscle dans le sang. On 
pouvait exprimer ces faits autrement et conclure : le sucre du sang 
el le glycogène sont les principes sur lesquels portent les réac- 
tions chimiques qui libèrent l'énergie potentielle dépensée, après 
maintes transformations, lors de la production de La force muscu- 
laire. 

Avant d’ériger ainsi en loi générale et absolue les résultats de ses 
premières expériences, M. Chauveau chercha à trouver de nou- 
velles relations entre le travail chimique et le travail physiologique 
du tissu musculaire. Cela pouvait lui permettre de suivre la transfor- 
mation de ce travail chimique en travail réellement mécanique tel 
que le fournit le muscle en activité. Le premier se transformait-il 
intégralement en l’autre ? Ou bien une partie du travail chimique 
était-elle destinée à revêtir des formes de l'énergie autres que le 
travail musculaire ? Chauveau et Kaufmann, pour y répondre, son- 
gèrent à supprimer complètement le travail mécanique tout en lais- 
sant subsister cependant les contractions qui l’engendrent '. Ils 
s’adressèrent toujours pour cela aux deux releveurs symétriques 
de la lèvre supérieure, placés, comme l’on sait, chez le cheval, 
de chaque côté du chanfrein. Ces deux muscles ont la propriété, 
pendant la préhension et la mastication des aliments, de se contrac- 
ter «synergiquement », c’est-à-dire que, sous l'influence de la même 
excitation nerveuse centrale, ils entrent au même moment en tension 
puis en relâchement. Si donc l’on vient à couper le tendon qui relie 
l’un des releveurs à la lèvre, ce muscle, ne faisant plus corps avec les 
tissus qu’il était chargé de faire mouvoir, se trouve dans l’impossi- 
bilité d'accomplir ce que les physiciens dénomment du travail méca- 
nique. Il se contracte à vide puisque l’utilisation mécanique de cette 
contraction est supprimée, mais le travail physiologique intérieur des 
muscles est ainsi respecté. D’après cela, en comparant, au moment 
du repas, l’activité de la circulation ainsi que les échanges nutritifs 
et gazeux du releveur avant, puis après la section de son tendon, il 
devait pouvoir être facile de se rendre compte de l'influence de la 
suppression du travail mécanique sur le travail chimique intérieur, 


1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. 1, p. 1763. 


160 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


source du travail physiologique. Une série d'accidents obligèrent les 
expérimentateurs à ne pas remplir jusqu'au bout leur programme. 
Is se crurent autorisés cependant à conclure que si Pactivité de 
l'irrigation sanguine est plus marquée après qu'avant la section du 
tendon, la suppression du travail mécanique du muscle ne diminue 
par contre que très peu l’absorption de l'oxygène par le muscle, c’est- 
à-dire lactivité des phénomènes chimiques intra-musculaires. On 
voit alors d’une manière plus générale : que le travail mécanique n’u- 
tilise qu'une faible partie du surcroît considérable d'énergie que lor- 
oane dégage au moment de sa contraction, ou bien que, dans le 
muscle, machine vivante, comme dans les machines à feu ordinaires, 
la majeure partie de l'énergie résullant des phénomènes chimiques 
intérieurs sert à meltre en tension l'appareil moteur, c’est-à-dire à 
accomplir l’acte même du raccourcissement des fibres musculaires. 
Mais dans l'expérience de Chauveau lénergie chimique du muscle ne 
pouvait plus, par suite de la section du tendon, se transformer en 
travail mécanique. Forcément elle devait donc se manifester exté- 
rieurement sous une forme quelconque. En implantant des aiguilles 
thermo-électriques dans l'épaisseur des deux releveurs, M. Chauveau 
constata que le muscle du côté opéré était plus chaud que l’autre. 
La suppression du travail mécanique dont s'accompagne générale- 
ment la contraction musculaire rendait ainsi disponible une certaine 
quantité d’énergie apparue sous forme de chaleur libre. Y avait-il 
équivalence entre le travail supprimé et cette chaleur libre? Chau- 
veau et Kaufmann se posèrent la question. Nous savons que dans le 
muscle contracté, la section du tendon ne change ni le débit du sang 
ni le travail chimique. La température, dans ce cas, est seulement 
plus forte que lorsqu'il travaille utilement. Pour déterminer léqui- 
valence calorique du travail, 1l suffisait par conséquent de comparer 
l’élévation de température que subissail le releveur, durant le repas 
de l’animal, avant, puis après la section de son tendon. Il n’était guère 
facile cependant de mesurer la quantité de chaleur exactement pro- 
duite par le muscle. Chauveau y arriva en profitant de ce que la cha- 
leur engendrée au sein des organes se déverse en grande partie dans 


1. Chauveau et Kaufmann, Comptes rendus, 1887, t. Il, p. 297. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 161 


le sang, où l’on peut la déterminer. Le poids du liquide sorti des 
tissus étant exactement connu, ainsi que le poids de ces tissus, il ne 
reste plus en effet qu’à enregistrer l’échauffement qu’il subit ; or 
l’on peut identifier cet échauffement à celui du muscle. Deux aiguilles 
thermo-électriques implantées bien symétriquement dans les deux 
releveurs donnent à ce sujet les renseignements nécessaires. En mul- 
tipliant le poids du sang qui traverse le muscle durant un temps donné 
et le poids du muscle par les températures observées et par la chaleur 
spécifique de ce sang et des tissus on peut logiquement obtenir les 
quantités de chaleur répondant aux conditions dans lesquelles ces 
températures ont été prises. Le releveur d’un poids de 225,5 et 
d’une chaleur spécifique de 0,82 est traversé en 10 minutes par 
132,5 de sang, dont la chaleur spécifique est de 0,90. La tempé- 
rature de ce muscle contracté est de 0,42 plus élevée que lorsqu'il 
est paralysé. La quantité de chaleur produite est par conséquent de : 


(132,5 X 0,90 X 0,42) + (22,5 XX 0,82 X 0,42) — 57,83 


Lorsque l’on sectionne le tendon du muscle, sa température aug- 
mente de 0°,47. La quantité de chaleur produite dans ce nouveau cas 
est-de : 


(132,5 X 0,90 X 0,47) + (22,5 X 0,82 X 0,47) — 64,72. 


La différence entre ces deux valeurs 64,72 — 57,83, soit 6,89, 
représente la quantité d'énergie utilisée sous forme de travail, 
c’est-à-dire que 10 p. 100 de l'énergie totale fournissent du travail, el 
90 p. 100 de la chaleur. On peut également en déduire que le travail 
du muscle est représenté, en équivalence calorique, par un chiffre 
variant de 0,000 034 à 0,000 041. De l’avis même de M. Chauveau, 
par suite des erreurs et des pertes de chaleur inhérentes à la méthode, 
ces coefficients ne sont peut-être pas très exacts. Ils suffisent toujours 
cependant à nous fournir une autre démonstration de ce qu’une 
grande quantité d'énergie entre en jeu lorsque le muscle fonctionne, 
mais que le travail réellement mécanique fourni par ce muscle 
n’en absorbe qu’une très minime quanlté. 

Pour ne pas sortir des limites de notre programme, nous allons 
être obligés d'abandonner ici l'exposé, suivi par ordre chronologique, 


ANN. SCIENCE AGRON. — 9° SÉRIE. — 1902-1903. — nu. 1 


162 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de cette série mémorable de recherches sur la contraction muscu- 
laire, poursuivies depuis 1885, presque sans relâche, par les labora- 
toires de l'Ecole vétérinaire de Lyon et du Muséum. Mais toutes ne 
nous intéressent pas au même degré. Les travaux de M. Chauveau 
sur le travail musculaire peuvent en effet se diviser en deux parties 
bien distinctes. La première, dont nous venons de commencer le dé- 
veloppement et que nous ne perdrons plus de vue d’ici la fin de ce 
chapitre, est uniquement consacrée à l’étude des sources chimiques 
de l’énergie musculaire. La nature de ces dernières ne peut nous 
être indifférente, si l’on comprend combien ce côté de la question est 
étroitement lié au problème d’alimentation qui nous occupe. Nous 
avons moins à apprendre de la seconde partie où l’étude du muscle 
devient, au contraire, purement physique et mécanique. L'auteur y 
dissèque le mécanisme intime de la contraction musculaire, et tâche 
de pénétrer la nature même de ce travail physiologique qui consiste 
à créer subitement et à entretenir l’élasticité parfaite sans laquelle le 
muscle ne remplirait pas son but fonctionnel ; il y traite encore de 
la thermodynamique musculaire, c’est-à-dire des relations qui exis- 
tent entre le travail physiologique des tissus e! leur échauffement*. 

Puisque la nature du principe dépensé par le muscle lors de sa con- 
traction nous intéresse avant tout, car elle seule peut nous guider dans 
le choix de l'aliment le plus propre à fournir de l’énergie aux tis- 
sus, revenons donc aux premières expériences de M. Chauveau ou 
plutôt aux faits d’ordre général qui semblent s’en dégager. Nous 
avons vu que les muscles, en activité, consomment plus d’oxy- 
gène, et produisent plus d’acide carbonique qu’au repos. Cela lais- 
serait alors à penser que ce sont des phénomènes d’oxydation qui 
fournissent l’énergie nécessaire à l’accomplissement de cette con- 
traction musculaire. La comparaison de la teneur en glucose 


{. L'étude physique et mécanique du muscle est exposée dans l'ouvrage classique de 
M. Chauveau : Le travail musculaire et l'énergie qu'il représente (Paris, Asselin, 
1891), et dans plusieurs communications du même auteur (Compt. rend. el Ann. de 
Physiol.), qui sont résumés par F. Laulanié, dans son Énergélique musculaire. (En- 
cyclopédie Léaulé.) — Noir aussi : G. Weiss, « Le travail musculaire d'après les 
recherches de M. Chauveau ». (Revue gén. des sciences pures et appliquées, 15 fév. 
1903.) 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 163 


du sang qui traverce un muscle pendant le repos et lors de sa con- 
traction, ainsi que les dosages répétés du glycogène dans ce même 
muscle, nous conduisent en outre à COnCiure, en vénéralisant, que 
ce sont les hydrates de carbone qui sont utilisés pendant le tra- 
vail. Tels sont les faits saillants qui résument cette série de recher- 
ches. Il va nous être facile de les ériger en lois générales et de les 
mettre à l’abri de toute discussion en montrant que l’on peut exploi- 
ter à leur profit presque tous les travaux publiés sur le travail mus- 
culaire, soit par M. Chauveau ou son école, soit par les autres physio- 
logistes. 


Nature des réactions chimiques, sources de la force 
musculaire. 


L'analyse des gaz pris ou rejetés dans le sang par le musséler ou 
le releveur, examinés au repos puis lors de leur contraction, vient 
de nous laisser supposer que l’oxydation est la réaction chimique d’où 
résulte la force musculaire. Ce serait donc par combustion que se 
libérerait l'énergie chimique potentielle inhéreate aux aliments phy- 
siologiques. Cela est parfaitement d’accord avec la théorie classique 
de Lavoisier qui fait du corps de l’animal un foyer dans lequel l’oxy- 
gène de l’air entretient le feu. Il est vrai que la physiologie moderne, 
et avec raison, s’est élevée contre cette comparaison par trop gros- 
sière, et a restreint la part primitivement attribuée aux oxydations. 
Mais s’il est vrai que les réactions d’hydratation et de dédoublement, 
dont nous avons donné des exemples dans le chapitre précédent peu- 
vent, ainsi qu'on l’a établi, fournir des quantités considérables 
d'énergie, et s’il n’est plus permis aujourd’hui de prétendre que 
tous les phénomènes chimiques qui se passent dans l’organisme sont 
des combustions, il ne faut pas non plus abandonner systématique- 
ment la vieille théorie de Lavoisier et perdre complètement de vue le 
sens général des réactions chimiques de la vie?. 

Or, ce sens général ne peut nous échapper, lorsque l’on veut bien 


1. À. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 732-792. 
2. Chauveau, Comples rendus, 1896, t. I, p. 1303. 


164 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


songer que la matière organique pénètre dans l’écouomie sous forme 
de substance azotée, de graisse ox d'hydrocarbonés, et qu’elle en 
ressort à l’état d’urée, d'eau et d'acide carbonique. Après ingestion 
de sels alçalins à acides végétaux, malates, tartrates, etc., ne retrouve- 
t-on pas dans les urines des carbonates alcalins? Les sulfites ne se 
transforment-ils pas dans organisme en sulfates,.… etc.? On n’ob- 
tiendrait pas d’autres termes résiduaires en oxvydant tous ces corps 
dans les appareils inertes du laboratoire. Peu importe alors à celui 
qui néglige le détail pour n’envisager que les résultats brutaux, que 
l'opération se fasse en réalité in vivo par degrés successifs, et sous 
l'influence de phénomènes chimiques différents de la combustion 
théorique. Depuis les recherches de Ludwig et Schmidt’, de Bunge 
et Schmiedeberg?, d’Abelous et de Biarnès*, et surtout de Jacquet, 
le pouvoir oxydant de la cellule animale n'est-il pas du reste un 
fait indéniable? Pourquoi ne pas admettre alors que ce pouvoir oxy- 
dant puisse avoir des effets ? Il se passe certainement dans les tissus de 
véritables combustions, et, ainsi qu’il est facile de s’en assurer, la 
chose devient manifeste lorsque le muscle se contracte. L'expérience 
suivante est à la portée de tout le monde. Si l’on plonge, dans une 
masse musculaire quelconque d’un animal vivant, une aiguille de 
fer bien décapée, on constate qu’elle conserve son poli et son bril- 
lant, tant que le muscle reste au repos. Il est prouvé que, dans ces 
conditions, les tissus manifestent en effet des propriétés réductrices. 
Mais dès que l’on provoque la contraction du muscle, aussitôt l’ai- 
guille se ternit et se rouille. Comment nier, après cela, que le tra- 
vail est incapable de produire des phénomènes d’oxydation ? Car 
rien ne laisse croire que cette action oxydante n'ait pas aussi bien 
prise sur les matières nutritives qui arrivent avec le sang, que sur 
le fer de l’aiguille. De plus cela concorde absolument avec ce que nous 
ont appris les modifications imprimées par le travail aux échanges 


1. Ludwig et Schmidt, Arbeilen a. d. Physiol., Anstalt zu Leipzig, 1868. 

2. Bunge et Schmiedeberg, Arch., f. exper. Pathol. uw. Pharmak., t. VI, 1876, 
p. 233, ett. XIV, 1881, p. 288. 

3. Abelous et Biarnès, Soc, de biol., 1890. 

4. Jacquet, Soc. de biol., 1892, p. 55. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 109 


respiratoires du masséter et du releveur et les résultats sont tout 
aussi évidents lorsque l’on compare les échanges gazeux, non plus 
d’un muscle isolé ainsi que l’on fait GC. Bernard, Sczelkow, Schoffer, 
Frey et Gruber’, puis M. Chauveau, mais de l’animal entier observé 
au repos puis au travail. Nous jugeons inutile de présenter ici les 
expériences faites, à ce sujet, par Prout, Scharling, Vierordt, 
E. Smith, Valentin, Ludwig, Hirn, Hanriot et Richet, Pettenkofer et 
Voit?, Zuntz et Lehmann’, et bien d’autres. On les cite avec suffi- 
samment de détail ‘ dans les Physiologies les plus élémentaires. Leurs 
conclusions seules nous intéressent. Elles ne varient guère, quelle 
que soit la méthode employée, et peuvent se résumer ainsi, en ce 
qui concerne les mammifères: Un animal consomme d'autant plus 
d'oxygène que le travail mécanique qu’il accomplit dans un temps 
donné est plus grand. La moindre dépense d'énergie sous forme de 
travail musculaire réagit en effet avec une sensibilité extrème sur l’ab- 
sorption de l’oxygène. « Si l’on suit, dit von Noorden*, les échanges 
gazeux d’un homme, il est aisé de se rendre compte que de légers 
mouvements, de simples changements de position des membres, des 
contractions involontaires provoquées par des attitudes ncommodes, 
le simple fait d'ouvrir ou de fermer plusieurs fois les mains et même 
des frissonnements à peine sensibles tels que les provoque le refroi- 
dissement suffisent pour augmenter la consommation d’oxygène. » 
Il faut également constater, dans le même ordre d'idées, que les 
tissus où se produit le plus d'énergie sensible, chaleur ou travail 
musculaire, sont justement ceux qui se montrent aptes à absorber 
le plus d'oxygène. On peut en faire la preuve. Plaçons séparément, 
et sous des cloches remplies d’air, afin de pouvoir suivre leurs 
échanges gazeux, des fragments de tissus différents (muscles, peau, 
graisse, sang, os, rein, rate, etc.). L'observation la plus élémentaire 
permet de constater qu’ils respirent tous, c’est-à-dire absorbent 


{. CI. Bernard, Leçons sur les propriélés des tissus vivants, 1886. — M. von 
Frey et M. Gruber, Arch. f. Anat. u. Physiol., 1885, p. 519. 
2, Noir le résumé dans : À. Gautier, Chimie biologique, 1597, p. 475, 


3. Mallèvre, Bull. du minislère de l’agriculture, 1892, p. 111-183. 
4. CG. von Noorden, Pathologie des Sloffwechsels, p. 105.' 


166 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


d’une part l'oxygène de l’air, et produisent d’autre part de l’acide 
carbonique. Si l’on veut comparer qualitativement et quantitative- 
ment les réactions observées dans chacune de ces enceintes closes, 
à celles qui se passent dans les mêmes tissus, alors qu'ils ne sont pas 
isolés du corps, 1l faut ne tenir aucun compte des résullats trouvés 
pour l'acide carbonique. D’après Tissot‘, la quantité totale de ce 
dernier gaz dégagé par les tissus dans ces conditions n’a, en effet, 
‘aucun rapport avec les phénomènes d’activité physiologique dont 
ces tissus sont le siège. Le muscle, tué par la chaleur et mort, pro- 
duit encore de l'acide carbonique; car il en contient une certaine 
quantité, préformée dans son intérieur, et qui s’y trouve pour ainsi 
dire en solution. Mais, par contre, la quantité d’oxygène absorbée est 
en relation étroite avec les phénomènes physiologiques du muscle, 
ce qui découle de ce que cette absorption et l’activité musculaire attei- 
onent en même temps et parallèlement leur maximum et leur mini- 
mum. On peut alors accepter les chiffres obtenus par Quinquand 
lors de ses essais de classification des différents tissus, au point de 
vue de leur puissance respective de consommation de l’oxygène. 


OXYGÈNE. 
les muscles absorbent par kilogramme et par heure. . . Ton 
le cœur == == —= NAT 70 
le foie et le rein — — — LRU 33 
le poumon == = = 2 Le 24 
les tissus adipeux — — — sdacbte 20 
les os = = = EAASEer Ne 16 
le sang TE = = NE 0,26 


On voit que de tous les tissus ce sont les muscles qui consomment 
le plus d'oxygène ; or, c’est justement à eux qu’est dévolu le rôle non 
seulement de produire du travail, mais d'intervenir, pour la plus 
grande part, dans la production de la chaleur animale”. 

” Les faits viennent tour à tour nous confirmer que ce sont bien les 
phénomènes d’oxydation qui libèrent l'énergie nécessaire à la pro- 
duction de la force musculaire. L'idée malgré cela a soulevé quel- 


1. Tissot, Comples rendus, 1895, t. 1, p. 568 et 641. 
2, Consulter : Arthus, Élém, de physiol., p. 448 et 450. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 167 


ques objections. Hermann’, après avoir fait le vide sous une cloche 
contenant un muscle isolé de grenouille, bien exsangue, pour dé- 
barrasser tissus et enceinte de leur oxygène, est venu démontrer 
qu'il était possible, par excitation électrique du nerf, d'obtenir, pen- 
dant un certain temps, la contraction de ce muscle. Le travail mus- 
culaire s’effectue certainement dans ce cas, sans qu'il se produise 
d’oxydations. Bunge* joint l'observation suivante à celle d’Hermann : 
bien que le tube digestif ne contienne pas d’oxygène libre et qu’il 
soit le siège de phénomènes de réduction très actifs, les vers intesti- 
naux n’en continuent pas moins à s’y mouvoir d’une façon continue. 
On peut conserver en vie pendant quatre ou cinq jours des ascarides 
du chat, dans des tubes remplis d’une solution bouillie de 1 °/, de sel 
et de 0,1°/, de carbonate de soude, et renversés sur du mercure éga- 
lement bouilli. Les vers ne cessent durant ce temps de remuer et 
pourtant le milieu où ils se trouvent ne contient pas d'oxygène. C’est 
en se basant sur des faits analogues que certains physiologistes sont 
venus prétendre que l’on devait considérer les phénomènes de dédou- 
blement comme la source essentielle de la force musculaire. Suivant 
eux, les oxydations, qui augmentent durant la contraction, ne produi- 
raient alors que le surcroît de chaleur occasionné par le travail. 
L’oxygène, en un mot, servirait en premier lieu à entretenir la cha- 
leur. L’expérience ne démontre-t-elle pas que, dans l'espèce ani- 
male, chaque individu consomme d’autant plus d'oxygène que sa 
température normale est plus élevée? Les parasites intestinaux qui 
vivent dans un milieu chaud, n’ayant pas besoin par conséquent de 
produire eux-mêmes de la chaleur, se passent eux aussi très bien 
d'oxygène. Mais ces objections n’impliquent nullement que les ani- 
maux supérieurs à sang chaud n’empruntent pas aux oxydations 
l'énergie qu’ils transforment en travail musculaire. Est-il seulement 
bien prouvé que les ascarides, par exemple, se passent entièrement 
d'oxygène? Leurs besoins certainement n’en réclament que peu, mai, 
ce peu, ils le trouvent très probablement dans le sang des parois intes- 
tinales auxquelles ils sont accolés. La preuve en est qu’en présence 


1. Consulter : R. Neumeister, Physiol., Chem., Jena, 1893, p. 14. 
2, Bunge, Zeëschr. f. physiol. Chem., t. NII, 1883, p. 48. 


168 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


d'oxygène, ils survivent dans l’eau de huit à dix jours, alors que dans 
l’eau bouillie ils meurent au bout de quatre ou cinq jours. On peut 
encore répondre à l’objection, en admettant avec Arthus’ que les 
muscles, semblables en cela à la levure de bière, empruntent, lors- 
qu'ils sont aérobies, leur énergie aux oxydations tandis que, devenus 
anaérobies et l’oxygène dans ce cas leur faisant défaut, ils demandent 
cette énergie aux réactions de dédoublement. Bunge* se rend du reste 
bien compte qu’il est imprudent de conclure ici, en ce qui concerne 
les animaux supérieurs, d’après ce qui se passe dans le muscle isolé 
de la grenouille ou chez les ascarides du tube intestinal. Admettant 
que les phénomènes chimiques producteurs de l’énergie dépensée 
sous forme de travail musculaire portent, ainsi que nous allons finir 
de le démontrer, sur les hydrocarbonés de l’économie, c’est-à-dire sur 
le glucose, il arrive à établir que la quantité d’énergie libérée par le 
dédoublement du glucose dépensé est de beaucoup inférieure à celle 
qui est nécessaire pour produire le travail réellement effectué. Voici 
les chiffres sur lesquels il base ses raisonnements : 


TRAVAIL 
en 
CALORIES. kilogrammètres 
déduit du nombre 
de calories, 


1 kilogr. de glucose complètement transformé par 


oxydation en eau et acide carbonique produit. 3,939 1,674,000 
1 kilogr. de glucose complètement dédoublé en 
alcool et acide carbonique produit . . . . . 372 158,000 


1 kilogr. de glucose complètement dédoublé en 
acide butyrique, acide carbonique et eau, 
DROTUIU ed Haine me Utd ee RE Pa PEN nie U es 414 176,000 


L'expérience démontre qu’un homme de 75 kilogr. qui, en six 
heures, fait l’ascension d’une montagne de 2000 mètres produit en 
chiffres ronds un travail de 180 000 kilogrammètres. Si ce travail 
ne provenait exclusivement que du dédoublement du glucose, il 
faudrait qu'il y ait eu destruction de plus de 1000 grammes de 
sucre. La réserve hydrocarbonée de l’économie ne suffirait pas à la 
dépense et de plus il est impossible de retrouver trace dans les 


1. Arthus, Élém. de physiol., p. 417. 
2. Bunge, Chimie biol., traduc. franç., 189{, p. 351. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 169 


excreta urinaires ou respiratoires de produits résultant de ce dédou- 
blement. On voit au contraire que le travail total ainsi effectué 
correspond à peu près à l'énergie mise en liberté par l'oxydation 
complète de 100 grammes de glucose, quantité qui, d’après ce que 
nous savons, est bien inférieure à la réserve hydrocarbonée du sang, 
du foie et des muscles. Il ne peut non plus y avoir dédoublement du 
glucose puis oxydation ultérieure et transformation de ces produits 
de dédoublement en eau et acide carbonique, car il en résulterait un 
surcroît de dégagement de chaleur capable d’occasionner chez le 
sujet une élévation de température bien supérieure à celle que l’on 
observe réellement. D’après cela, la seule conclusion possible, c’est 
que si les phénomènes de dédoublement mettent parfois de la force 
vive en liberté, il n’en reste pas moins nettement établi qu’il faut 
considérer les oxydalions comme les seules réactions chimiques sus- 
ceplhibles de fournir la majeure partie de l'énergie nécessaire à la 
contrachon musculaire. 


Alimentation hydrocarbonée du muscle 
pendant sa contraction. 


Cette loi étant admise, il nous reste maintenant à rechercher quel 
est ou quels sont les principes dont la combustion est utilisée en vue 
de la production du travail musculaire. Les hydrocarbonés, avons- 
nous dit, semblent être les aliments immédiats des oxydations qui 
engendrent la force, et voici les arguments que nous avons déjà 
réunis en faveur de ce fait : Le glycogène du foie et des muscles qui 
contiennent d'autant moins de ce principe qu’ils sont plus actifs dimi- 
nue et peut même du reste disparaître sous l'influence seule du tra- 
val musculaire (page 300, t. I, 2 f., 1902-1903). On trouve toujours 
moins de glycogène dans le muscle au repos, que dans le muscle. 
symétrique qui fonctionne, et cela que la contraction se fasse natu- 
rellement et dans les conditions de la vie, ou qu’elle soit provoquée 
artificiellement et sur des tissus isolés du corps. Les expériences 
faites sur le masséter et le releveur nous démontrent de plus que 
le sang qui traverse le muscle perd plus de glucose pendant la con- 
traction que pendant le repos. 


170 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Les deux mémoires de Chandelon' et les travaux de Morat et 
Dufour“ confirment entièrement les conclusions de M. Chauveau à 
ce sujet. Chandelon constate que le glycogène finit par disparaitre 
entièrement dans les muscles anémiés par la ligature de leurs vais- 
seaux et mis ainsi dans l'impossibilité absolue de recevoir du sang les 
matériaux nécessaires pour reconstituer leurs réserves hydrocarbo- 
nées. C’est là une preuve certaine que le travail physiologique, chargé 
d'entretenir la tonicité du muscle, est déjà une cause très active de 
dépense du glycogène. Par contre, lorsque le muscle est placé dans 
l’état d'inertie par la section de son nerf moteur, sa circulation res- 
tant intacte, on voit augmenter sa provision de glycogène. Dans ces 
conditions, il cesse en effet de la dépenser, tout en continuant à 
recevoir de quoi l’élaborer. Morat et Dufour arrivent de même par 
une tétanisation prolongée à faire perdre aux muscles de la cuisse 
d'un chien jusqu’à 80 °/, de leur glycogène. Ces auteurs opéraient 
sur les deux muscles cruraux symétriques, chez lesquels ils avaient 
déterminé simultanément de l’anémie par ligature de l'aorte et 
de la paralysie par section des nerfs. L'un des muscles était laissé 
inerte, et comme sa provision de glycogène demeurait forcément 
invariable, les causes de dépense et de renouvellement de ce gly- 
cogène étant supprimées, il servait de témoin. L'autre muscle était 
soumis à des excitations électriques que l’on continuait jusqu’à ce 
qu’il perdît toute sensibilité. En opérant dans les mêmes conditions 
mais sans ligature de l'aorte, pour conserver aux tissus leur cir- 
culation, MM. Morat et Dufour trouvèrent que ces muscles consom- 
maient en { minute 08,27 de glucose lorsqu'ils étaient au repos et 
18,62 pendant leur contraction. Mais d’après eux, la quantité de 
sucre que perd le sang en traversant le muscle est sujette à d'assez 
grandes variations. Leur dernière expérience à cet égard est très 
instructive. Elle montre que les muscles anémiés et fatigués, au point 
de devenir inexcitables, retiennent, si l’on vient à y rétablir la circu- 
lation sanguine, une quantité considérable de glucose bien supé- 
rieure à celle que la contraction aurait consommée dans les condi- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 171 


tions ordinaires. Que faisait le muscle de ce glucose ? Conformément 
aux conclusions de MM. Chauveau et Kaufmann, il fut facile de se 
rendre compte que les tissus le mettaient à profit pour reconstituer 
leur provision de glycogène, plus ou moins entamée ou épuisée par 
la contraction. 

En résumé, le muscle qui se contracle consomme d’une façon cer- 
taine du glucose et du glycogène. M. Chauveau, nous Pavons vu, 
s'était en outre avancé à conclure que les échanges gazeux muscu- 
laires inhérents au travail concordent presque avec ceux que l’on 
obtiendrait en comburant dans la bombe calorimétrique, par exemple, 
le glucose et le glycogène disparus. Sile fait était vrai, on devait alors, 
par l’observation suivie du quotient respiratoire, pouvoir obtenir des 
données intéressantes sur la nature du principe utilisé par la contrac- 
tion musculaire. Nous avons déjà défini ce qu'il faut entendre par 
« quotient respiratoire » et montré que sa détermination permet 
de conclure sur la qualité du combustible consommé par les tis- 
sus. Et à ce propos, nous avons établi que, d’après l’équation théo- 
rique de la combustion d’un hydrate de carbone, le glucose par 
exemple, le quotient respiratoire de la réaction est égal à l’unité; 
s’il s’agit de la combustion d’un corps gras, la tripalmitine, il devient 
inférieur à l’unité et prend une valeur voisine de 0,70. L'étude de 
l'influence que pouvait exercer le travail musculaire sur le quotient 
respiratoire s’imposait donc. On l’aborda, en 1896, au laboratoire 
de physiologie du Muséum, mais sur des sujets d’expérience non ali- 
mentés, contrairement donc à ce qui se faisait généralement. 

L’abstinence constituait, en effet, la condition la plus favorable 
que l’on pût trouver pour observer utilement l’animal, lorsqu'il dé- 
pensait son énergie. Cinq ans auparavant, M. Chauveau en avait 
établi théoriquement la raison, dans son mémoire sur « la vie el 
l'énergie chez l'animal ». Lorsqu'on approfondit tant soit peu, disait 
l’auteur en substance, le mécanisme de la digestion, c’est-à-dire de 
l'apport alimentaire, on voit que son intervention n’est pas aussi 
nécessaire à l’accomplissement des transformations de l’énergie que 
la fonction respiraloire par exemple. Que l'oxygène manque, et tout 
mouvement énergétique cesse. L’interruption de la fonction diges- 
tive n’agit pas de même. Sans doute il faut se nourrir, mais l’apport 


172 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de l’aliment n’en apparaît pas moins comme une nécessité que l’on 
peut plus ou moins ajourner. Entre les repas, ou pendant l’état de 
veille, on ne constate aucune modification essentielle de ces trans- 
formations continuelles de l'énergie dont l’ensemble constitue le tra- 
vail physiologique. Si donc ce dernier s’exécute régulièrement en 
dehors de la digestion et de l’assimilation des aliments, c’est que ces 
deux fonctions ne participent pas directement à la création des forces 
d’où dérive l’activité de Panimal. On dit généralement de ce dernier, 
lorsqu'il est en état d’inanition, qu’il vit sur sa propre substance. 
N'est-ce pas la même chose s’il est alimenté? Évidemment si ! Quel 
est le but de la digestion et de l’assimilation? c’est uniquement de 
transformer les principes immédiats introduits dans l’économie en 
des matières nouvelles qui, tout en conservant parfois une composi- 
tion chimique analogue, n’en prennent pas moins une constitution 
spéciale sans laquelle ils ne pourraient être utilisés. Les protéiques 
des aliments, qu'ils proviennent des végétaux ou de la viande, se trans- 
forment toujours en sérine ou en globuline dans le sang de l’animal, 
en caséine dans la mamelle, en osséine dans l'os, etc. Les hydrates de 
carbone produisent de même du glycogène dans le foie ou les mus- 
cles, du glucose dans le sang. Cela revient à dire que l’aliment ne 
devient, à proprement parler, un aliment physiologique, que lors- 
qu'il fait partie de la propre substance de l’animal, si bien que ce 
dernier, même lorsqu'il est alimenté, ne consomme toujours que sa 
propre substance. La conséquence naturelle de ces raisonnements, 
c’est que chez le sujet qui mange, digère, assimile, il se passe non 
seulement les mêmes transformations de l’énergie que lorsqu'il n’est 
pas alimenté, mais en outre celles qui sont provoquées par le travail 
physiologique de la digestion, de l’absorption et de l’assimilation. Ce 
surcroît de dépense énergétique, qu’il est impossible de déduire et de 
distinguer de l’ensemble, ne peut que compliquer la question. Finale- 
ment, il faut donc considérer l’état de jeûne comme la condition dans 
laquelle les mutations de l’énergie se présentent avec les caractères 
de plus grande simplicité. 

L'homme sur lequel M. Chauveau expérimenta en 1896 "était à 


1. Chauveau, Comptes rendus, 1896, t. L., p. 1163. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 113 


jeun depuis seize heures. Il ne pouvait par cela même consommer 
que l'énergie précédemment emmagasinée dans son organisme. Le 
travail qu’on lui fit exécuter consistait dans une succession de montées 
et de descentes de l’escalier principal du laboratoire, ininterrompues 
et accomplies toujours dans le même temps. On l’arrêta lorsque la fa- 
tigue ne lui permit plus de continuer son travail sans le ralentir. L'air 
expiré par le sujet fut recueilli, à six reprises différentes, au moyen 
de l'appareil imaginé à cet effet par MM. Chauveau et Tissot *, L’ana- 
acide carbonique pr te 
oxygène absorbé 


lyse fixa aux quotients respiratoires ( 


valeurs suivantes : 


1° Immédiatement avant le travail. . . . . 6 05°,75 
29 Au début du travail, pendant les cinq eme nee 0 ,84 
3° Au début du travail, entre la dixième et la quinzième minute. 087 
4° De quarante à cinquante minutes après le début du travail. 0 95 
5° À la fin du travail, d'une durée de soixante-cinq minutes . 0 .84 
6° Après une heure de repos. . . . UT 


Avant d'interpréter, finissons de résumer complètement les expé- 
riences faites au Muséum dans le but d’étudier les variations des échan- 
ges respiratoires inhérentes à la production du travail musculaire. 
Dans une nouvelle série de recherches, poursuivies avec la collabora- 
tion de M. Laulanié*, M. Chauveau observa les conséquences de la con- 
traction musculaire, exécutée non plus naturellement comme dans 
l'expérience précédente, mais sous l’influence d’excitations artifi- 
cielles. Peu importait que le travail fût provoqué d’une façon ou 
d’une autre, la source où le tissu musculaire puisait son énergie 
devait toujours être la même. C’est sur le chien et le lapin que por- 
tèrent ces nouvelles expériences. Les animaux étaient observés tantôt 
en état d’abstinence, tantôt après un repas abondant, riche en hydro- 
carbonés, et, dans ce dernier cas, ils pouvaient emprunter de l’éner- 
oie non seulement à leurs réserves mais aux aliments qui venaient 
d’être introduits dans la circulation et étaient en voie d’assimilation. 


1. Voir sa description dans : Laulanié, Éléments de physiol., 1900, t. I, p. 365. 
2. Chauveau et Laulanié, Comptes rendus, t. 1, p. 1244. 


174 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


On sollicitait l’activité des muscles 30 fois environ à la minute par 
des excitations électriques, provenant de deux électrodes, en forme 
d’aiguilles, placées aux deux extrémités du corps, de façon que cha- 
cun des chocs intéressât la totalité de l’appareil musculaire. Pen- 
dant l’expérience Panimal enfin était placé dans une enceinte close, 
que traversait un courant d’air. Un appareil à écoulement réglait et 
enregistrait le débit de l’air dont les altérations, déterminées à la 
sortie, faisaient connaître la mesure des échanges respiratoires. La 
méthode d'exploration du chimisme respiratoire suivie au cours de 
cette série de recherches est décrile par son auteur, M. Laulanié, 
dans un mémoire spécial”. Le tableau suivant donne quelques-uns 
des quotients respiratoires déterminés, ainsi que nous venons de le 
dire, sur un petit épagneul, d’un poids moyen de 3 kilos, lorsqu'on le 
faisait travailler artificiellement dans diverses conditions d’abstinence 
ou après un repas COPIEUX : 


ANIMAL 
ANIMAL A JEUN DEPUIS ayant pris 
3 heures 
avant 
un repas 
copieux 
24 heures. | 48 heures. | 3 jours, jours. de soupe 
au lait. 


Gr. 
| État de repos, immédiatement avant le 
(yat SANTE OS OT 


| Après { heure de travail musculaire. | 0,895 
| Après 2 heures == 0,900 
Après 3 heures — » 
État de repos, { heure après la cessa- 

tion du travail . Dre 
| État de repos, ? heures après la ces- 
sation du travail. . 


— 


Les expériences faites en même temps par M. Chauveau sur le 
lapin à jeun ou soumis à son régime herbivore naturel ne sont pas 


1. Laulanié, Arch. de physiol. expér , 1895 et Loc, cit., p. 359. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 


plus démonstratives, pas plus du reste que les recherches person- 
nelles de M. Laulanié!, que l’auteur résume lui-même ainsi : 


AVANT  PENDANT APRÈS 


<. rene FRE OBSERVATIONS. le le le 
FPROMORANUOR EE DOrIARNER: travail. travail. travail. 
Lapin (7 expériences).  Nourri à discrétion. . . 0,880 0,970 0,799 


( À jeun (l'inanition a duré | 
: : 
ir U On 89N T0 QUES 


Abondamment nourri à 
la soupe au lait, . . 


Chien (5 expériences) . 


Chien (2 expériences). 0160221027 211,083 


Il est aisé de se rendre compte qu’au cours de chacune de ces 
expériences les chiffres, et par conséquent les phénomènes dont ils ne 
sont que la résultante, varient toujours dans le même sens. Si l’on 
prend comme point de départ les résultats de la période initiale de 
repos, on voit que, sous l’influence du travail musculaire, le quo- 
tient respiratoire augmente toujours dès la mise en activité du muscle 
et qu'il tend à se rapprocher peu à peu de l'unité. Le fait est aujour- 
d’hui nettement acquis, car il a été constaté non seulement par Pet- 
tenkofer et Voit, Speck, Richet et Hanriot, mais par Zuntz et Leh- 
mann ?, lors de leurs recherches sur le travail musculaire du cheval. 

Cette marche des échanges respiratoires reste constante et identi- 
que dans tous les cas de travail musculaire, quels que soient l’espèce 
et l’état du sujet d'expérience, quels que soient le régime antérieur 
de ce dernier, l'intensité du travail et la manière dont ce travail est 
provoqué ; elle a donc une signification unique que l’on peut résumer 
ainsi : Le sens des variations du quotient respiratoire démontre tout 
d’abord qu’il n’est pas possible que la combustion des matières 
grasses puisse concourir directement à la dépense d'énergie occa- 
sionnée par le travail musculaire. Les quotients respiratoires des 
périodes initiales de repos ont en effet, dans presque toutes les expé- 
riences, une valeur supérieure à 0,70, celle qui est justement 
atteinte au cours de la combustion théorique de la graisse. Si les 
corps gras étaient utilisés lors de la mise en activité du muscle, on 


{. Laulanié, Arch. de physiol., juillet 1896, 
2, Zuntz et Lehmann, Landw. Jahrbücher, 1889, t. IL. 


176 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


constaterait, contrairement à ce qui a lieu, un abaissement, notable 
dans certains cas, du rapport are COS Le 
. oxygène absorbé 

également demander aux protéiques l'énergie immédiatement con- 
sommée par le travail. Le quotient respiratoire, tiré de équation qui 
rend compte de la combustion théorique des albuminoïdes jusqu’au 
terme urée, est voisin de 0,80. C’est bien là un chiffre que nous 
retrouvons parmi les résultats consignés dans les tableaux précé- 
dents. Malgré cela, il serait illogique de considérer le fait comme 
une preuve certaine et suffisante de l’utilisation de la matière azotée. 
Nous verrons bientôt en effet, d’une façon très nette, que les albu- 
minoïdes ne concourent que dans des cas très particuliers à la dé- 
pense d'énergie qu’entraine le travail physiologique du muscle en 
contraction. Les matières grasses et les matières azotées n’interve- 
nant pas en la circonstance, il faut donc, de par la force des faits 
et du raisonnement, que les hydrocarbonés pourvoient, dans presque 
tous les cas, à cette dépense. La déduction est légitime. Elle con- 
corde parfaitement avec toutes les observations qui constatent l’in- 
fluence du travail musculaire sur la disparition du glucose et du gly- 
cogène. Elle cadre aussi avec ce que nous venons d'établir en dernier 
lieu, à savoir que la contraction est toujours accompagnée d’un ac- 
croissement du quotient respiratoire, lequel tend alors à prendre des 
valeurs voisines de l’unité. Il n’en serait pas autrement si le principe 
brûlé pour fournir l'énergie Source du travail était un hydrate de 
carbone analogue au glucose. Cet accroissement du quotient respi- 
ratoire, il faut le reconnaître, est quelquefois nul ou insignifiant ; 
mais cela n’arrive que si l'observation du sujet est postérieure à un 
repas copieux, riche en principes ternaires, comme la soupe au lait. 
L’absorption digestive, dans ce cas, est en pleine activité et gorge pour 
ainsi dire l’organisme de matières sucrées immédiatement disponi- 
bles. Comment le travail pourrait-il alors accroître notablement le 
quotient respiratoire, puisque celui-ci, avant la mise en jeu du mus- 
cle, se trouve avoir déjà sa valeur maxima ? 

Nous pourrions presque déjà conclure que la consommation des hy- 
drates de carbone par le muscle est inhérente au travail si, après exa- 
men plus détaillé, les résultats des tableaux précédents ne donnaient 


+ On ne peut 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 1117 


pas encore à réfléchir. Nous avons vu et répété maintes fois que le 
quotient respiratoire s'élève an début du travail pour dépasser même 
parfois l’unité. Mais il ne faut pas laisser ignorer qu'il ne garde 
jamais, pendant toute la durée du travail, la valeur élevée à laquelle 
il arrive souvent au début avec une grande rapidité. Si la contrac- 
tion musculaire se prolonge durant deux heures par exemple, le 
quotient respiratoire baisse et, lorsque le travail cesse, il continue 
encore à baisser, si bien qu’il peut descendre au-dessous du chiffre 
obtenu pendant le repos initial. Pourquoi le quotient respiratoire 
dépasse-t-il l'unité ? Pourquoi est-il moins élevé à la fin qu’au début 
du travail? Nous avons déjà répondu à ces deux questions. Les expé- 
riences d’Hanriot (page 117) nous ont déjà démontré que le quo- 
tient respiratoire ne peut s'élever au-dessus de l’unité que s’il y a 
formation de graisse aux dépens des hydrates de carbone. Nous 
voyons effectivement que l’on n’observe ici le fait que dans les expé- 
riences où le sujet vient de prendre un repas riche en hydrocarbonés, 
susceptible, par conséquent, d’apporter à l’organisme un surcroît 
de matières sucrées immédiatement utilisables. Nous l'avons vu éga- 
lement (page 125) comment M. Chauveau explique {la chute consi- 
dérable du quotient respiratoire qui se manifeste à la fin du travail 
et durant la période de repos consécutive au travail. Il y voit l’in- 
dice d’une oxydation rudimentaire capable, suivant lui, nous le 
savons, de transformer la graisse en glycogène et de reconstituer 
ainsi la réserve hydrocarbonée au moment où l'organisme la brûle. 
Les variations du quotient respiratoire, au cours du travail, sem- 
blent donner raison à cette thèse. Lorsque le chien d’expérience 
est en pleine digestion de sa ration de soupe au lait, et qu’il se 
trouve en quelque sorte saturé d’hydrates de carbone, la prolonga- 
tion et la cessation du travail n’ont que peu d'influence. Les deux 
derniers tableaux montrent nettement que la chute du quotient res- 
piratoire est loin d’avoir alors l’importance que l’on constate tou- 
jours chez le même animal en état d’abstinence. C’est que, dans 
ce cas, l’absorption intestinale ne cesse d’introduire dans le torrent 
de la circulation des hydrocarbonés, et par conséquent la force qui 
leur est inhérente. Le travail dépense bien cette force, mais l’énergic 
qui est à la disposition des muscles abonde continuellement sous 
ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 12 


178 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


l'influence de la digestion. L'organisme a ce qu’il lui faut. Il n’a donc 
pas besoin d'élaborer aux dépens de ses graisses le glycogène qui, 
plus que tout autre principe, serait susceptible de lui fournir du 
potentiel. Chez l'animal à jeun, au contraire, les hydrates de carbone 
alimentaires faisant défaut, l'organisme fabrique du glycogène aux 
dépens de ses réserves graisseuses afin, en le brülant, de satisfaire 
au surcroît de dépense d’énergie causé par le travail musculaire. 
M. Chauveau, à la suite de ses expériences sur la nature du potentiel 
consacré à l’exécution du travail musculaire, se croyait ainsi en 
droit d’aflirmer : « que ce potentiel est toujours un hydrate de car- 
bone, soit celui qui est emprunté aux réserves de glycogène de Por- 
oanisme ; soit celui qui provient du glycogène nouvellement formé, 
par oxydation incomplète des réserves graisseuses ; soit enfin celui 
qui est fourni plus ou moins directement aux muscles par l'absorption 
digestive ». Si nous nous souvenons qu’il ne nous a pas été possible 
d'établir bien nettement que l'organisme est capable de transformer 
les graisses en glycogène ou en glucose, nous devons réduire un peu 
les conclusions de M. Chauveau, et les formuler par exemple ainsi : 
L’expérimentation établit : « 1° qu'il y a sûrement, au début du tra- 
vail, consommalion par le muscle des hydrales de carbone mis en 
réserve par l'organisme ou bien introduits en nature dans l'économie 
par l’absorplion intestinale; 2° mais que le muscle doit travailler 
aux dépens de principes autres que les hydrocarbonés, lorsque l'ali- 
mentalion n'apporte plus ces hydrocurbonés en quantité suffisante 
ou lorsque les réserves sucrées de l'organisme lui-même sont par 
trop enlamées. » 


Contribution des aliments hydrocarbonés dans l'apport 
de l'énergie dépensée par le travail musculaire. 


Ce simple énoncé nous laisse deviner les conséquences pratiques 
qu’il nous sera possible de tirer de toutes ces expériences. Bien avant, 
du reste, que les résultats auxquels nous venons d’être scientifique- 
ment conduits aient été érigés en loi absolue, l'homme et les animaux, 
simplement guidés par l’observation empirique ou par l'instinct, s’é- 
taient rendu compte des bons effets de l’alimentation hydrocarbonée 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 119 


et de son influence sur le travail musculaire. Tout le monde sait que 
pour produire de grands travaux mécaniques l’homme utilise surtout le 
cheval, le bœuf, etc.; or, ces animaux sont tous herbivores, c’est-à-dire 
que leur ration se compose surtout d’hydrates de carbone. De même 
que les bêtes de somme ou de travail, une grande partie de la classe 
ouvrière des pays civilisés produit son travail sans manger de viande. 
Les populations rurales s’en abstiennent également pour ne se nour- 
rir qu'aux dépens d’aliments végétaux. Dans le même ordre d'idées il 
existe des peuples entiers qui, avant même que la civilisation moderne 
n'ait pénétré chez eux, ne se nourrissaient exclusivement que d’ali- 
ments riches en hydrates de carbone et pauvres en albuminoïdes. 
Pour trouver dans leur ration usuelle la quantité d’azote que les phy- 
siologistes jugent indispensable, ils auraient été obligés d’absorber 
des quantités de substances alimentaires tellement considérables que 
la chose leur eùt certainement été impossible. Afin de se procurer 
100 grammes seulement d’albuminoïdes, un Irlandais, par exemple, 
d’après les calculs de M. Cathelineau , devrait manger 9 kilogr. de 
pommes de terre, et un paysan japonais 1 400 grammes de riz, c’est- 
à-dire environ 3 400 grammes de riz cuit. « En fait, conclut cet au- 
teur, ils n’en absorbent pas tant, personne ne l’a jamais soutenu, et 
pourtant il en est beaucoup qui ne prennent aucun autre aliment 
plus riche en azote. Le fait semble surtout bien établi pour les Japo- 
nais qui ont eux-mêmes étudié la question avec soin. Les travaux de 
Botho Scheube, de Y. Mori et Kellner ne laissent pas de doute sur ce 
point. Depuis des siècles les générations successives de Japonais ont 
conservé ce régime alimentaire insuffisant eu égard à la théorie 
classique, et malgré cela ils sont restés de vigoureux et robustes tra- 
vailleurs. » Faut-il en conclure qu’il existe une physiologie spéciale 
pour les Japonais et les Irlandais? Certes non, car ils ne sont pas seuls 
à demander aux hydrates de carbone la majeure partie de l’énergie 
dépensée sous forme de travail. Nous disions précédemment que les 
féculents tiennent une grande place dans l'alimentation de l’ouvrier. 
Ge sont là, sans doute, des aliments peu coûteux et que la nature ne 
cesse de produire en abondance ; mais il paraît fort probable, sinon 


1. Cathelineau et Lebrasseur, Des aliments, Paris, Rueff, 1897, p. 137. 


180 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


certain, qu'il en est ainsi parce que la santé et les muscles y trouvent 
leur compte. L’individu qui se porte bien, sans augmenter ni dimi- 
nuer de poids, est justement en effet celui auquel ses aliments jour- 
naliers apportent l’énergie qu’il dépense. La teneur des aliments 
complexes en albuminoïdes, graisses et hydrocarbonés permet, du 
reste, de se rendre compte que l’homme, simplement guidé par ses 
instincts et soumis aux conditions ordinaires de la vie, ingère, en 
dehors de toute considératicn scientifique par conséquent, des quan- 
tités d’hydrates de carbone croissantes à mesure qu’augmente le 
travail à fournir. Empruntons à Rubner’ le tableau suivant, où se 
trouve calculée l'énergie qu’apportent l’albumine, les graisses et les 
hydrates de carbone contenus dans la ration moyenne des vingt- 
quatre heures aux divers âges de la vie. La comparaison entre tous 
ces chiffres est très significative. Si l’on représente par 100 l’énergie 
totale? fournie en un jour par l'alimentation ordinaire et moyenne 
des sujets observés, l'organisme en trouve : 


Dans Dans ee 

l’albumine. les graisses. CRÉDORE 
(hez leNnOUTTISSON EE 18,7 52,9 ; 28 ,4 
Chez l'enfant de 2 à 3 ans . . . 16,6 31,7 51,5 
Chez: Padulle re EN ENERe ENT 16, 66,9 
Chez lewvieillard er. 17,4 21,8 60,7 


On voit, sur ce tableau, que la proportion relative de consomma- 
tion des hydrocarbonés croît lorsque l’on passe de l’alimentation du 
nouveau-né à celle de l'adulte, pour diminuer ensuite dans la ra- 
tion du vieillard. La dépense de l’énergie, qui chez les bébés esl 
presque nulle et atteint son maximum chez l'adulte, suit donc une 
marche absolument parallèle. Et à ce sujet il est intéressant de faire 
remarquer que si le nourrisson ne produit pour ainsi dire pas de tra- 
vaux mécaniques et ne trouve relativement que peu de sucre dans le 
lait de sa mère, il n’en est pas de même de tous les jeunes animaux. 
Certains, dès leur naissance, dépensent des quantités souvent consi- 


1. Rubner, Zeifsch. f. Biol., t. XXI, 1885, p. 399. 
2. Nous verrons, dans la suite, comment on calcule l'énergie apportée par les ali- 


ments. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 151 


dérables de forces ; les jeunes veaux et les poulains marchent et 
courent par exemple presque. de suite ; aussi les laits de la vache et 
de la jument sont-ils plus riches en matières ternaires que celui de la 
femme. Le lait de la jument et de l’ânesse est particulièrement sucré. 
Il est probable que l’on trouverait des différences analogues dans la 
composition des œufs des divers oiseaux. 

Citons encore, pour multiplier les preuves, le tableau suivant em- 
prunté également à Rubner. Il est calculé d’après l’alimentation 
moyenne de cinq catégories d'individus adultes appartenant à des 
classes sociales de moins en moins élevées et fournissant par consé- 
quent de plus en plus de travail. Si l’on représente toujours par 100 
l'énergie totale apportée dans les vingt-quatre heures aux différents 
sujets comparés, l'organisme en trouve : 


DES D De le En 

Chez les : FARINE 7e EAISS08"  carbonés. 
Jeunes médecins et intendants. . . . . . REZ 29,8 51,0 
Hommes de peine, menuisiers, ouvriers . . 16,7 16,3 66,9 

Ouvriers fournissant un travail moyen plus 

DEN NADIA RU er nee 18,8 17,9 63,5 
Mineurs, briqueliers, ouvriers de ferme . . 13,4 7 Ps 65,3 
POCHE FOR RS as Melon a ae. © à ve 8,3 38,7 52,8 


Telles sont les proportions relatives d’albumine, de graisses et 
d'hydrates de carbone suffisantes pour entretenir l’homme adulte en 
parfait état de santé, lorsqu'il se trouve soumis aux diverses condi- 
tions ordinaires de la vie. La comparaison des exemples judicieuse- 
ment choisis par Rubner nous démontre de nouveau que ce sont bien 
les hydrocarbonés qui fournissent à l’homme la plus grande partie de 
l'énergie qu’il dépense. Ils apportent par exemple au travailleur 
moyen 67 p. 100 du potentiel contenu dans sa ration par vingt-quatre 
heures. Mais ce n’est pas là la seule conclusion intéressante du ta- 
bleau précédent. Il nous démontre en outre que la proportion rela- 
tive d’énergie inhérente aux matières albuminoïdes décroit lorsque 
Von s’adresse aux classes peu aisées. Les travailleurs les moins for- 
tunés, on le sait, ne mangent en effet que fort peu de viande, ce qui 
tendrait à prouver que, la contraction musculaire n’utilisant pas les 
protéiques, ils demandent aux hydrates de carbone le surplus de 


1832 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


force. Ils en ingèrent d'autant plus que la dépense augmente. Cepen- 
dant, lorsque ce travail dépasse la moyenne, et qu’il devient aussi 
considérable que celui qui est fourni par les mineurs, les ouvriers 
de ferme et les bûcherons, les hydrocarbonés ne suffisent plus; sil 
fallait que ce soient eux qui subviennent presque seuls à la dépense 
anormale d’énergie que l’on demande à ces classes ouvrières spé- 
ciales, ils devraient être ingérés en proportions telle que le volume 
de la ration serait exagéré. Pour remédier à cette surcharge du 
tube digestif le travailleur mange moins de féculents, mais l’on voit 
par contre que la proportion des graisses se relève dans sa ration 
au point de dépasser de beaucoup celle des classes aisées. La théorie 
donne, en la circonstance, raison à l'instinct, car les corps gras ap- 
portent, à poids égal, bien plus d’énergie que les autres aliments. 
Voilà donc deux faits qu’il nous faut examiner plus attentivement. 
Est-il vrai que le travail musculaire n’occasionne pas une oxydation 
supplémentaire de matières protéiques, et qu’il utilise parfois les 
graisses ? 


Alimentation azotée du muscle pendant sa contraction. 


De nombreux auteurs sont venus soutenir que le travail musculaire 
est fourni par la combustion des albuminoïdes. « Les muscles, dit 
Liebig (1871), tirent leur énergie des matières azotées qui les com- 
posent ». La théorie était conforme à ce fait d'observation vulgaire 
que celui qui mange beaucoup de viande est plus fort que celui dont 
l'alimentation n’est pas carnée. Il ne paraissait pas non plus irration- 
nel, à première vue, de supposer que le muscle trouvait dans sa 
propre substance (constituée presque en totalité, 96 p. 100, par des 
matières albuminoïdes) ou dans l’albumine du sang l’énergie néces- 
saire au développement de la force musculaire. Pour Playfair, c'était 
le muscle lui-même qui s’usait pendant la contraction, et constituait 
ainsi à la fois et la machine et le combustible. Cette conception sem- 
blait simple. Elle fut admise par Hammond, Schenk, Flint, Bleibtreu, 
Pfüger et même tout récemment par Arguatinski'. Nous allons voir 


1. Argutinski, PAlüger's Arch., 1890, p. 592. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 183 


combien elle est inexacte. Bien avant que Liebig n’ait posé la question, 
le D°J. R. Mayer, celui à qui l’on doit d’avoir le premier nettement éta- 
bli l’équivalence du travail et de la chaleur, avait reconnu qu'il était 
impossible que le travail musculaire utilisât les matières azotées du 
muscle. D’après ses calculs, il faudrait dans ces conditions moins de 
80 jours à un homme de 75 kilogr. pour brûler l’ensemble de ses 
muscles ; le cœur, qui fournit un travail considérable, disparaîtrait de 
même en huit jours. Si l’on s’en tient au raisonnement, il est en effet 
aisé de se rendre compte qu'un adulte, produisant journellement en 
moyenne 300 000 kilogrammètres, devrait, de par la théorie de Lie- 
big, brûler dans le même temps 160 grammes de muscle ou recevoir 
dans sa ration quotidienne la même dose d'albumine. L'homme ne 
se consume pas avec cette rapidité, et comme son alimentation ne 
comporte généralement pas une dose aussi élevée de protéiques, on 
voit que la matière azotée du muscle ou des aliments est insuffisante 
pour répondre au travail réellement produit. 

Lorsque Liebig énonça sa théorie, les recherches faites de côté et 
d'autre sur les modifications chimiques éprouvées par le muscle au 
cours du travail ne lui donnaient ni tort ni raison. Ranke‘ avait 
trouvé la même proportion d'azote dans les muscles tétanisés et au 
repos. Une seule chose les différenciait : le muscle, après contraction, 
cédait à l’eau un peu plus d’albumine soluble que le muscle inactif. 
Le fait fut confirmé plus tard par Nawrocki* et par Danilewski*. 
D’après Sarokin *, le travail provoquait également dans le muscle une 
légère augmentation de la créutinine, un produit basique, voisin des 
alcaloïdes, qui prenait toujours naissance après dédoublement des 
albuminoïdes. Mais les différences constatées étaient faibles et dues 
peut-être aux difficultés du dosage. En tout cas, ces matériaux azotés 
de transformation ne s’accumulaient pas en quantité suffisante pour 
permettre de conclure que le travail se produisait aux dépens des 
protéiques du muscle. La question en était là, lorsque l’on songea à 
rechercher la preuve de la désassimilation possible des protéiques, au 


1. Ranke, Tetanos, physiol. Sludie, Leipzig, 1865. 

2. Nawrocki, Med. Centralbl., 1865, n° 27. 

3. Danilewski, Med. Cen'ralbl., 1874, n° 46. 

4. Sarokin, Arch. f. pathol. Anat., t. XXVII, p. 544. 


184 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


cours du travail, non plus dans les tissus eux-mêmes mais bien dans 
l’urine. C’est là que l’on devait retrouver la totalité des déchets azo- 
tés que le rein éliminait du sang au fur et à mesure de leur produc- 
tion. Les dosages comparatifs de l'azote urinaire d’un même sujet 
observé au repos, puis après exercice musculaire, permirent, en effet, 
de résoudre la question. En 1865, Fick et Wislicenus, étant à jeun, 
fivent par le sentier le plus raide l’ascension du Faulhorn, haute 
montagne des Alpes Bernoises (1956 mètres au-dessus du lac de 
Brienz). Dans les 17 heures qui précédérent l’ascension, ils ne pri- 
rent aucun aliment azoté et ne vécurent exclusivement que de bis- 
cuit marin, de lard, de sucre et d’amidon. Le thé sucré constituait 
leur unique boisson. Ils recueillirent avec soin les urines émises dans 
la nuit qui précéda l’ascension, puis au cours de l’ascension, pendant 
les 6 heures de repos qui suivirent, et enfin dans la nuit qu’ils pas- 
sérent sur la montagne après un repas riche en viande. L'analyse de 
ces divers échantillons ‘ leur permit de constater que l’azote urinaire 
n'avait augmenté ni pendant ni après cet exercice musculaire consi- 
dérable. Les calculs faits à ce sujet par ces deux physiologistes -se 
trouvent consignés en détail dans presque toutes les physiologies : 
résumons-les ? : Fick pesant 66 kilogr. et Wislicenus 76 kilogr., les 
deux ascensionnistes avaient accompli respectivement un travail de 
129 096 et de 148656 kilogrammètres. Ces chiffres ne tiennent 
compte que du travail musculaire servant à soulever le corps et 
négligent toutes les dépenses d'énergie inhérentes aux mouvements 
du cœur, à la respiration, au frottement des pieds contre le sol, etc. 
D’après l’azote de leurs urines Fick et Wislicenus avaient détruit, au 
cours de l'ascension, le premier 205,62 et le second 195°,47 de pro- 
téiques. Or, comme l’oxydation de 1 gramme d’albumine, c’est-à-dire 
la transformation de ce principe en eau, acide carbonique et urée, ne 
peut produire que 2061,25 kilogrammètres, l'énergie maxima four- 
nie aux alpinistes par leurs matières azotées se trouvait donc être 
pour le premier de 42 503 et pour le second de 40 133 kilogrammé- 


1. Fick et Wislicenus, Viertelj. d. Züricher nalurf. Gesellsch., t. X, 1865, 
p- 910 
2, Pour le détail, consulter : À. Gautier, Chém. biol., 1897, p. 289. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 1S9 


tres. En comparant ces chiffres à ceux qui mesuraient le travail total 
fourni au cours de leur ascension, les deux expérimentateurs se ren- 
dirent compte que ce dernier était loin d’être couvert par la combus- 
tion des albumimoïdes. La force musculaire s’alimentait donc aux 
dépens des principes ternaires. L'expérience était démonstrative, 
mais les conditions dans lesquelles les deux ascensionnistes l'avaient 
entreprise ne comportaient pas une précision absolue. Pour lever le 
doute, de nombreux physiologistes tentèrent de résoudre définitive- 
ment la question en observant le phénomène au laboratoire. La mé- 
thode de Fick et Wislicenus était inattaquable. Ce fut donc par la 
détermination de l’azote urinaire et plus spécialement de l’urée, qui 
provient uniquement de la désassimilation des albuminoïdes et des 
corps azotés en général, que tous recherchèrent la part de l’énergie 
musculaire qu'il fallait attribuer à l’oxydation des corps quater- 
naires. Le chien sur lequel opéra Voit * recevait une ration de viande 
(1500 grammes) telle qu’il excrétait au repos, dans ses urines, 
autant d’azote qu’il en recevait. L’urée des vingt-quatre heures 
oscillait alors entre 109 et 110 grammes. On fit ensuite travailler 
animal une heure par jour, et durant 3 jours, sans modifier son 
régime alimentaire; le dosage accusa de 104,4 à 1178°,2 durée. 
L'expérience fut renouvelée sur l’animal à jeun, et l’excrétion d’urée 
qui variait, au repos, entre 105,88 et 148°,03, atteignit au maximum, 
pendant la période de travail, 165,6. Chez l’homme, le travail mus- 
culaire n’influait pas davantage sur la sécrétion azotée. Pettenkofer 
et Voit® s’en rendirent compte, tout en suivant, dans leur chambre 
respiratoire, les échanges gazeux d’un même sujet observé au repos, 
puis au travail. L’urée excrétée durant 24 heures était de : 


REPOS. TRAVAIL. 
Grammies. Grammes. 
Pendant le jeûne . . . . AS LR Ta Te 26,3 25,0 
Avec une alimentation ne D RES EC 37,2 SUR 


Kellner* arriva plus tard aux mêmes conclusions, en analysant les 


1. Voit, Zeitsch. f. Biol., t. Il, 1866, p. 339. 
2. Pettenkofer et Voit, Zeëtsch. f. Biol., t. Il, 1866, p. 488. 
3. Kellner, Landwirth. Jahrbüacher, t. NULL, 1879, p. 701; t. IX, 1880, p. 651. 


186 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


urines d’un cheval qui, attelé à un manège dynamométrique, elfectuait 
chaque jour un travail défini et assez exactement mesuré en kilo- 
ogrammètres. Le tableau suivant nous donne les moyennes de trois 
périodes, de quinze jours chacune, pendant lesquelles le poids de 
l'animal était resté à peu près stationnaire. 


? » EXCÉDENT 
POIDS rs re TRAVAIL PER f 
du cheval e l'urine azote quotidien sur la 
par sur la : 1e piste 
ou 24 heures 1re période en kilo- rte 
kilogrammes. en grammes. en grammes. grammètres. grammètres. 
L 534,1 99,0 » 475 000 » 
2 529,5 109,3 10,3 950 000 475 000 
3 522,5 116,8 17,8 1 425 000 950 000 


Toutes les recherches entreprises depuis, au laboratoire de la 
Compagnie générale des voitures, par M. Grandeau et ses collabora- 
teurs, plaident dans le même sens, en ce qui concerne plus spéciale- 
ment le cheval. En 1888, Burlakow ‘ expérimenta sur lui-même et 
sur trois autres personnes, placées dans des conditions d’alimentation 
et de travail bien déterminées ; il trouva que le travail musculaire 
modéré augmentait l’assimilation des aliments azotés de 5,2 p. 100 
environ. et que, s’il accentuait en même temps la désassimilation de 
l'azote, celle-ci n’augmentait guère que de 12,2 p. 100. Munk*° et 
Hirschfeld* confirmèrent le fait, si bien qu’en 1896, Krummacher *, 
après de nombreuses expériences, n’hésitait plus à conclure : 1° que, 
chez l'animal bien nourri, le travail mécanique détruit une légère 
quantité d’albumine organique, mais que l’augmentation de l’excré- 
tion azotée n’est nullement proportionnée à l'intensité du travail, et 
qu’elle est d’autant plus faible que l'alimentation est plus riche en 
substances non azotées ; 2 que si l’on calcule l'énergie correspondant 
à la combustion du supplément d’albumine consommé les Jours de 
travail, on constate qu’elle ne peut être considérée comme la 
source principale de travail musculaire. 


1. Burlakow, Wratsch, 1888, n® 3 et 4. — Maly's Jahresb., t. XVIII, p. 280. 

2, Munk, Du Bois Raym. Arch., 1890, p. 557. 

3. Hirschfeld, Vérchow’s Arch., 1890, p. 501. 

4. Krummacher, P/uüger's Arch., 1896, p. 454. — Zeilsch. f. Biol., t. X XXII, 
1596. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 187 


Dans les conditions ordinaires de la vie, le combustible musculaire 
ne serait donc pas constitué par les matières albuminoïdes. M. Chau- 
veau et ses élèves voulurent eux aussi apporter des arguments à 
l'appui de cette idée. En 1895, Kaufmann trouva’ que le muscle, en 
activité physiologique, ne déversait pas plus d’urée dans le sang que 
celui qui était au repos. Dans les deux cas, les sangs artériel et 
veineux avaient la même teneur en urée. Le fait n’était pas favorable 
à l'opinion qui voulait que l’énergie musculaire fût directement 
empruntée aux albuminoïdes du muscle ou du sang. Mais toutes ces 
expériences n'ayant pas encore convaincu les derniers partisans de 
la théorie de Liebig, M. Chauveau entreprit de nouvelles recherches”. 
Pour démontrer que le travail musculaire n’empruntait nullement 
l'énergie dépensée aux principes quaternaires des humeurs et des 
tissus, il s’adressa, suivant sa méthode, à un animal maintenu en état 
d’inanition. L’abstinence devait en effet écarter toutes les causes sus- 
ceptibles de compliquer le phénomène. Le travail mécanique qu’on 
demanda à la chienne d’expérience, au bout de trois jours de jeûne, 
consistait dans la montée et la descente répétées d’un des escaliers du 
laboratoire. M. Chauveau estime à 6 000 kilogrammètres environ le 
travail inhérent à cet exercice, prolongé durant une heure. Si ce tra- 
vail surexcitait l’oxydation des albuminoïdes, il devait, conséquence 
toute naturelle, accroître l’excrétion de l’azote urinaire. M. Chau- 
veau ne se borna pas, comme on l'avait toujours fait avant lui, à ne 
faire qu’un dosage d’azote sur l’urine totale des vingt-quatre heures, 
car le travail ne provoquait peut-être qu’une faible augmentation de 
l'excrétion azotée, augmentation qui, en se noyant dans la quantité 
totale de l’azote rendu par jour, pouvait fort bien échapper à l’ob- 
servation. Afin de rendre cette augmentation sensible, il fallait au con- 
traire multiplier les analyses. Cela devait permettre de comparer les 
taux de l’azote oxydé qu’éliminait le rein durant des temps égaux et 
assez courts, toutes les deux heures par exemple, lorsque l’animal 
était au repos, puis au travail. Mais, pour se procurer l’urine à mesure 
que le rein l’excrétait, on ne pouvait compter sur les émissions natu- 


1. Kaufmann, Soc. de Biol., 2? mars 1895. 
2. Chauveau et Contejean, Comptes rendus, 1896, t. I, p. 429. 


183 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


relles de l’animal. Aussi ce dernier était-il sondé toutes les fois et 
aussi souvent que l’exigeaient les nécessités de l'expérience. On re- 
cueillait l'urine, en favorisant son expulsion par des pressions sur le 
ventre, puis on lavait la vessie avec un peu d’eau, afin d’avoir toute 
l'urine et par conséquent tout l'azote excrété. La chienne s’y habi- 
tue très bien, paraît-il, et n’est nullement impressionnée par 6,7 et 
même 12 sondages dans les 24 heures. On analysa les divers échan- 
tillons et il fut facile de se rendre compte que l’excrétion de l'azote 
urinaire ne variait ni au cours de l'exécution du travail ni après. Un 
jour mème, celte excrétion fut notablement diminuée pendant la 
période d’activité du système musculaire. On ne pouvait démontrer 
plus clairement que l’animal ne puise pas l’énergie qui engendre la 
contraction de ses muscles dans les albuminoïdes de sa propre sub- 
stance, incorporés aux tissus où aux humeurs de l’économie. M. Chau- 
veau ne s’en int pas là. Il démontra ensuite qu’il ne l’empruntait pas 
davantage aux protéiques de ses aliments * . La chienne d’expérience 
fut nourrie avec de la viande crue dégraissée. Si le travail exécuté 
pendant la digestion de ce repas provenait du potentiel des albumi- 
noïdes ainsi absorbés, l’excrétion de l’azote urinaire devait se modi- 
fier profondément et ne pouvait manquer de refléter fidèlement la 
marche du phénomène. Les expériences furent réglées de façon à 
faire intervenir le travail, tantôt deux ou trois heures après le repas, 
c’est-à-dire au début de l’assimilation des albuminoïdes de la ration, 
tantôt douze ou treize après, c’est-à-dire en pleine assimilation. 
L'animal exécutait le même travail que dans l'expérience précédente 
et était sondé toutes les deux heures. M. Chauveau, après avoir cons- 
truit la courbe exacte de l’excrétion azotée, se rendit compte que le 
travail n’influait en rien sur la direction de cette courbe et que la 
contraction par conséquent n’exagérait pas la combustion des albu- 
minoïdes alimentaires. L'expérience fut renouvelée, avec le même 
succès, en nourrissant l’animal avec de la gélatine. Puisque ie travail 
musculaire n’emprunte pas plus aux albuminoïdes ingérés qu'aux 
albuminoïdes déjà incorporés, il n’est guère possible de nier que les 
malières azolées ne sont nullement destinées à alimenter la dépense 


{. Ghauveau et Contejean, Comptes rendus, t. 1, 1896, p. 594. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 189 


d'énergie occasionnée par le travail musculaire. La conclusion est 
cependant un peu radicale, car il y a certainement des cas où une 
désassimilation notable des albuminoïdes accompagne la contraction 
musculaire. L’urée augmente lorsque l'alimentation est insuffisante, 
et ne couvre pas la dépense d’énergie, lors par exemple de la pro- 
duction d’un travail excessif. Nous avons déjà vu que le chien de 
Voit, maintenu en état d'inanition, excrétait, par jour de travail, près 
de 2 grammes d’azote de plus qu’au repos. Kellner, en forçant con- 
sidérablement, sans modifier sa ration, le travail de son cheval d’ex- 
périence, constata de même une forte élévation de l’excrétion azotée. 
L’urine contenait alors en plus près de 36 grammes d’azote, pour un 
excédent de travail de 1 616 000 kilogrammètres. Ces 36 grammes 
d'azote correspondent à environ 225 grammes d’albumine sèche ca- 
pable de livrer une énergie égale en chiffres ronds à 264000 kilo- 
grammètres. Le cheval, en tout cas, n’avait donc pu, par conséquent, 
retirer de la combustion des albuminoïdes réellement oxydés tout le 
potentiel libéré pour produire l'excédent de travail constaté ; mais 
cela ne prouvait pas, qu’en la circonstance, les albuminoïdes ne lui 
avaient été d'aucun secours. S'il faut en croire Oddi', le dernier 
qui a étudié la question de près en se servant d’une chambre respi- 
ratoire, l’intervention des substances quaternaires a parfois son uti- 
lité. Cet auteur s’en est rendu compte en suivant les échanges ga- 
zeux de rats observés au repos, puis lorsqu'on les forçait à s’agiter. 
Il constata que, durant la période d’activité, l’acide carbonique était 
excrété en plus grande quantité, ce que nous savons déjà. Il con- 
firma en outre les résultats obtenus par M. Chauveau, relatifs à 
l'élévation du quotient respiratoire dès le commencement du tra- 
vail, puis à sa dépression presque subite lorsque l’on prolongeait un 
peu la période d'activité. La marche du phénomène, déclare Oddi, 
établit que les hydrocarbonés sont la source principale de l’énergie 
musculaire, mais non la source exclusive. Après de nouvelles recher- 
ches faites en collaboration avec Tarulli?, le même auteur fut con- 
duit à formuler les conclusions suivantes : « Le travail habituel ou 


1. Oddi, Arch. italiennes de Biol., t. XV, p. 388. 
2. Oddi et Tarulli, Arch. italiennes de Biol., t. XIX, 1893. 


190 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


normal n’altère pas sensiblement l'élimination de lazote, et par 
conséquent n’augmente pas la consommation des substances azo- 
tées de l'organisme. Quand le travail, au contraire, est intense, au 
point d’épuiser la provision des hydrates de carbone emmagasinés 
dans l’organisme ou introduits en nature par l'alimentation, il pro- 
duit une augmentation dans l’élimination de l’azote total, et par 
conséquent une consommation plus forte de matières azotées. » Les 
phénomènes chimiques qui président à la contraction musculaire 
doivent donc être compris ainsi : Dans les conditions ordinaires, le 
muscle ulilise les substances non azolées que lui apporte le sang, el 
réclame jusle aux albuminoides ce qu'il lui faul pour réparer 
l'usure de ses tissus. La consommation des principes quaternaires 
est alors insignifiante. Dans les conditions anormales, lorsque l’exer- 
cice se prolonge jusqu’à la fatigue ou lorsque lalimentation devient 
insuflisante et que la matière première fait défaut à l'organisme, le 
muscle venant à manquer de substances non azolées el ne pouvant 
plus en élaborer consomme alors des albuminoïdes et fournit des 
produits azolés de déchet. 


De l’utilisation des graisses pendant la contraction 
musculaire. 


L'utilisation des protéiques est donc, pour ainsi dire, anormale et 
encore, lorsqu'elle se produit, est-elle toujours extrêmement faible. 
Le fait, on le voit, n’est pas de nature à modifier notre opinion pre- 
mière sur la participation directe et presque exclusive des hydrocar- 
bonés dans la production du travail musculaire. Avant de l’affirmer 
à nouveau, 1l nous reste quelques mots à dire sur le rôle des graisses 
en tant qu’élément susceptible d’être utilisé comme source d'énergie 
musculaire. Nous connaissons déjà en partie les idées de M. Chauveau 
a ce sujet. Une utilisation directe des corps gras impliquerait un 
abaissement notable du quotient respiratoire primitif pendant la mise 
en activité des muscles ; or, c’est justement le contraire que l’on ob- 
serve même lorsque l'organisme est copieusement alimenté avec des 
graisses. M. Chauveau expérimenta sur un homme de 90 kilogr., au- 
quel il fit monter et descendre, à une allure uniforme et réglée, l’es- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 191 


calier de son laboratoire. L'exercice correspondait à 60 000 kilo- 
orammètres environ par demi-heure d’épreuve. L'air expiré était 
recueilli de temps à autre, au moyen de lappareil Chauveau-Tissot. 
Lorsque l'observation commença, le sujet était à jeun depuis quinze 
heures. Son quotient respiratoire *, après trente minutes de travail, 
passa de 0,706 à 0,812. Le sujet avala alors en plusieurs fois 105 gr. 
de beurre, quantité plus que suffisante pour pourvoir à la dépense 
d'énergie qu'on lui demandait. Lorsqu'on recommença le travail au 
bout de deux heures et demie de repos, la graisse ingérée avait eu 
le temps de pénétrer dans le sang et se trouvait ainsi à la disposition 
des muscles, dans le cas où ils auraient pu l'utiliser directement 
comme source de force. Le quotient respiratoire était avant l’exer- 
cice de 0,666. [1 augmenta progressivement sous linfluence de nou- 
velles montées et descentes, et atteignit 0,809. Sous l'influence du 
travail musculaire le quotient respiratoire restait donc toujours à peu 
près le même, que le sujet füt à jeun ou en pleine digestion d’un re- 
pas exclusif de graisses. Il tendait de plus, dans les deux cas, à se 
rapprocher du chiffre théorique de la combustion des hydrates de 
carbone. Aussi, à la suite de toutes les expériences que nous venons 
de résumer, M. Chauveau n’hésitait-il plus à conclure que, lorsque le 
sang, sous l'effet de la digestion, se trouve saturé de principes gras, 
il n’est pas plus fait emploi de ces aliments par le muscle en contrac- 
tion que des réserves graisseuses qui sont déjà accumulées dans 
l'organisme. M. Chauveau ne nie pas pour cela que les graisses ne 
soient, en la circonstance, d'aucune utilité. Elles ne concourent pas, 
dit-il, sous leur propre forme à la dépense, mais comme elles peuvent 
se transformer en hydrates de carbone et fournir ainsi à l'organisme 
le potentiel qui est la source normale de son activité, on conçoit sans 
peine qu’elles interviennent indirectement, et que leur destination 
immédiate n’est autre que d’entretenir une provision d’énergie pour 
l'organisme. Il n’est guère possible d'admettre, sans réserves, sem- 
blable conclusion avant d’avoir pu démontrer nettement que lorga- 
nisme est capable de transformer ses graisses en sucre. Or, aucune 
expérience n’est suffisamment démonstrative à ce sujet. Nous avions 


{. Chauveau, Tissot et de Warigny, Comp'es rendus, t. 1, 1896, p. 1169. 


192 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


déjà combattu quelques-uns des arguments chers à M. Chauveau 
(page 126). L'étude des variations du quotient respiratoire pendant 
le travail ne nous apporte pas de preuves plus convaincantes. Le 
quolient croit, avons-nous constaté, au début de la contraction, pour 
s’abaisser ensuite. Tous les auteurs sont d'accord sur ce point, mais 
comme il demeure généralement supérieur à 0,70, chiffre théorique 
de Poxydation des graisses, il est tout aussi plausible d'admettre 
qu'il y a combustion simultanée d’hydrocarbonés et de graisses, que 
de conclure à la fixation de l’oxygène sur les graisses et à la trans- 
formation de ces dernières en glycogène ou en sucre. Chez le sujet 
observé par M. Chauveau, alors qu’il se reposait, après l’accomplis- 
sement d’un travail musculaire et l’absorption d’une grande quantité 
de beurre, le quotient respiratoire tombe, il est vrai, à 0,666, mais 
cela ne prouve pas que l'oxygène ainsi consommé en excès soit uni- 
quement retenu par les graisses et serve à transformer ces dernières 
en matières sucrées. MM. Chauveau et Laulanié ont en effet trouvé, 
nous l’avons vu (page 174), chez leur chien d'expérience, après un 
jeûne de trois jours, un quotient respiratoire presque aussi bas 
(0,689, à l’état de repos). Or, dans ce cas, il ne pouvait y avoir 
eu transformation de la graisse en hydrate de carbone, puisque le 
jeûne n’augmente pas le glucose du sang et qu’il épuise très certai- 
nement la réserve de glycogène. Peu importe, du reste, que les 
corps gras se transforment avant d’êlre utilisés par la contraction 
musculaire. L’expérience démontre qu’ils interviennent certaine- 
ment et c’est là le point le plus intéressant de la discussion. Tout le 
monde sait fort bien que la graisse s’accumule d'autant plus facile- 
ment dans les {issus que l'animal reste au repos. Ranke et Danilewski 
ont toujours trouvé un excès de substances grasses dans les membres 
que l’on obligeait à rester immobiles un certain temps. Par contre, la 
tétanisation est toujours cause d’une diminution des mêmes principes 
et, lorsqu'on la prolonge, par exemple, jusqu’à épuisement complet 
el en suspendant dans le muscle toute la circulation sanguine, les 
tissus sont tellement dégraissés qu’ils ne se colorent plus sous l’action 
de l’acide osmique, réactif pourtant assez sensible. Bunge', enfin, a 


1. Bunge, Chim. biol., traduc. franç., 1891, p. 346. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 193 


pu mettre en évidence le rôle des graisses dans le travail musculaire, 
en continuant à faire travailler très activement des chiens à jeun, 
chez lesquels un travail préliminaire de quelques heures avait sûre- 
ment épuisé toute la provision de glycogène. L'augmentation de 
l’azote excrété par les urines dénotait qu’il ne fallait pas demander 
aux albuminoïdes détruits toute la force réellement dépensée. Puis- 
que dans ce cas le glycogène faisait défaut, les graisses seules avaient 
pu fournir la majeure partie de l’énergie transformée en travail par 
les muscles. 


Des matériaux de travail du muscle. 


Tel est le rôle respectif que jouent les hydrocarbonés, les pro- 
téiques et les graisses au cours de la production du travail muscu- 
laire. Il nous reste maintenant à formuler une conclusion sur l’en- 
semble de toutes les expériences et recherches que nous venons de 
rapporter. Si l’on se demande avec laquelle de ces substances orga- 
niques le muscle peut alimenter les oxydations ou, d’une façon plus 
générale, les réactions chimiques qui se passent dans ses tissus et 
sont susceptibles de lui fournir du potentiel, on voit qu’elles peuvent 
être utilisées toutes les trois, mais que cependant les aliments ter- 
naires, hydrates de carbone et graisses, sont tout particulièrement 
. destinés à apporter la majeure partie de l'énergie dépensée par le 
musele en travail. Lorsque l'organisme, à la suite des repas et prin- 
cipalement des repas riches en féculents ou en matières sucrées, se 
trouve gorgé d'hydrates de carbone, c’est même presque exclusive- 
ment aux dépens de ces derniers que le travail s’accomplit. Il en est 
également toujours ainsi, au début du travail, alors que la réserve 
sucrée de l’économie suffit très amplement à renouveler le potentiel 
dépensé. Mais, dès que la provision de glycogène est un peu en- 
lamée, ce qui, vu sa médiocre importance, arrive relativement assez 
vite et aussi bien au cours du travail normal que dans les cas par- 
ticuliers de fatigue excessive ou d’alimentation insuffisante, les 
graisses ne tardent pas à intervenir et à être utilisées en même temps 
que les hydrocarbonés. Quant aux matières azotées, elles n’entrent 
en jeu et ne contribuent à alimenter la dépense qu’après que les 


ANN, SCIENCE AGRON. — 2€ SÉRIE, — 1902-1903. — 11, 13 


194 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


réserves ternaires, sucre ou graisses, ont été déjà fortement mises 
à contribution et ne peuvent plus suflire. Dans ce dernier cas, le tra- 
vail s’accomplit simultanément aux dépens des trois catégories de 
substances organiques de l’économie. On voit d’après cela, en renou- 
velant la comparaison si souvent faite entre les machines animales et 
à vapeur, que dans les conditions ordinaires de travail et d’alimen- 
tation, ce sont les hydrates de carbone qui constituent le charbon, 
normal et usuel, du moteur animé. Us suffisent d'autant plus facile-. 
ment à entretenir les réactions chimiques, sources de l’énergie, que 
les réserves graisseuses sont de nature également à pouvoir servir 
de combustible et qu’elles sont là toujours prêtes à remédier, au 
moment voulu, à une disette partielle et passagère des hydrates de 
carbone. Une autre conclusion non moins importante : c’est que les 
pièces mêmes du moteur vivant, c’est-à-dire la matière albuminoïde 
dont se compose en grande partie le muscle, ne servent à alimenter 
les réactions d’où dérive le travail musculaire que dans des cas 
exceptionnels et très rares, Elles s’usent évidemment comme dans 
toutes les machines, mais leur usure est fort minime. 


Formes d'utilisation des matériaux de travail du muscle. 


Ainsi, les trois grandes catégories connues de substances organi- 
ques peuvent être utilisées dans la contraction musculaire. C’est à 
peu près tout ce que l’on sait de précis ; quant aux procédés suivant 
lesquels les protéiques, les graisses et les hydrocarbonés disparais- 
sent pendant le travail, ils sont fort mal connus. Ces substances sont- 
elles utilisées en nature ou subissent-elles auparavant des transfor- 
mations ? En ce qui concerne les graisses et surtout les protéiques 
dont l’intervention n’est qu'accidentelle, la question ne nous intéresse 
qu'indirectement. Deux théories * sont en présence. Les uns admet- 
tent que ces principes sont transformés en sucre par le foie et que 
le sucre ainsi produit est brülé au niveau du muscle. Cette trans- 
mutation est actuellement bien démontrée pour les protéiques. 
Peut-être se produit-elle aussi pour les graisses ? Beaucoup d’auteurs 


1. Arthus, loc. cit., p. 428. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 199 


la tiennent pour très probable; malgré cela aucun d’eux n’a encore 
pu suffisamment démontrer la transformation des corps gras en 
sucre dans l’organisme. Les autres prétendent au contraire que 
protéiques et graisses sont utilisés sur place dans le muscle, sans 
changer de forme, ou que, s’il se produit des transformations, celles- 
ei doivent se faire dans les tissus eux-mêmes. 

La question de la forme d'utilisation des hydrates de carbone dans 
la contraction musculaire se rattache davantage à notre sujet. Nous 
savons que le sucre est abondamment retenu par le muscle en acti- 
vité et que le glycogène disparait toujours plus ou moins des tissus 
pendant le travail. Seegen ‘ déclare que la combustion, source de 
l'énergie musculaire, est alimentée par le sucre du sang et non par 
le glycogène. L'auteur détermine sur le muscle quadriceps du chien 
le glycogène disparu pendant la tétanisation, et mesure en même 
temps, en kilogrammètres, le travail exécuté. Sous l’influence de la 
contraction, le glycogène détruit dans les tissus est considérable. 
Malgré cela, il n’y a aucun rapport entre son importance et celle 
du travail réellement produit. Ainsi, un chien de 20 kilogr., exécu- 
tant avec son quadriceps un travail fort modéré de 24,5 kilogram- 
mètres, consomme d’après Seegen l'énorme quantité de 4#,6 de 
glycogène. Si l’on évalue la musculature de ce chien à 8 kilogr. et 
son contenu en glycogène à 64 grammes, on voit que ces 64 gram- 
mes de réserve hydrocarbonée permettent à l’animal de n’effectuer 
qu’un travail de 960 kilogrammètres. Or, le travail musculaire que 
peut exécuter un chien de 20 kilogr. représente un grand nombre de 
fois 960 kilogrammètres. Seegen en conclut que le glycogène ne 
saurait être la source de l’énergie musculaire. Mais il faut remarquer 
que les conditions dans lesquelles le chien consomme 15,6 de glyco- 
“ène en ne fournissant que 24£",5 de travail sont fort différentes de 
celles du travail normal et que les contractions volontaires doivent 
s’exécuter sans qu'il y ait un pareil gaspillage de réserves sucrées. 
Il ne faut pas non plus oublier que les 64 grammes de glycogène con- 
tenus dans l’ensemble des muscles du chien peuvent théoriquement 
fournir, par leur combustion, une quantité d'énergie équivalente à 


1, Seegen, Arch, f. Physiol., 1895, p. 243. 


196 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


108800 kilogrammètres. Pour appuyer ses premières conclusions, 
Seegen ‘ dose le glycogène dans des muscles normaux de chien. Il 
en trouve en moyenne de 0,4 à 0,5 p. 100, quantité absolument in- 
suffisante, d’après lui, pour expliquer comment les animaux d’expé- 
rience, d’un poids de 26 et de 38 kilogr., sont capables de produire de 
168 000 à 959 000 kilogrammètres. Les recherches de Seegen ne peu- 
vent être très démonstratives, car il n’y est tenu aucun compte de ce 
que la provision de glycogène des muscles peut se reconstituer au 
fur et à mesure de sa disparition. On ne peut davantage invoquer en 
faveur d’une consommation exclusive de glucose que le muscle con- 
tinue à se contracter fort longtemps après que sa réserve hydrocar- 
bonée est épuisée, ce qui tendrait à prouver en effet que le sucre du 
sang est seul consommé par la contraction. N’avons-nous pas vu que 
les graisses et quelquefois les protéiques entrent en jeu dès que la 
provision de glycogène est entamée ? La thèse adverse n’est du reste 
pas plus conforme à la réalité et l’on ne peut admettre que le muscle 
consomme uniquement du glycogène, le glucose ne servant qu’à re- 
constituer ce glycogène. Sans doute les expériences de Chandelon, 
de Morat et Dufour nous démontrent qu’à la suite du travail le 
muscle retient beaucoup de sucre et qu’on assiste alors au renou- 
vellement de sa provision de glycogène, mais de ce que le glucose 
est la matière première du glycogène, il ne s'ensuit pas que les tis- 
sus, en se contractant, ne l'utilisent pas sous cette forme. 

Toutes ces questions, on le voit, sont entourées d’une certaine obs- 
curité et il ne s’en dégage aucune conclusion qui puisse nous être utile. 
Le mode de décomposition des hydrates de carbone dans les tissus et 
la nature des transformations qu'ils subissent durant leur combus- 
lion ne peuvent également rien nous apprendre qui soit d’un intérêt 
immédiat. CI. Bernard * admettait que le sucre du sang subit la fer- 
mentation lactique. Suivant lui, acide lactique, brûlé dans les tis- 
sus par l’oxygène du sang, se transformait finalement en eau et en 
acide carbonique. L'hypothèse de la destruction du sucre par fer- 
mentation lui paraissait d'autant plus acceptable que, contrairement 


1. Seegen, Arch. f. Physiol., 1896, p. 389. 
2. Cl. Bernard, Lecons sur le diabèle el la glycogénie expérimentale, 1877. . 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 197 


aux recherches plus récentes de Charrin et Brocard, il avait cru 
remarquer que le lévulose disparaissait moins vite du sang que 
le glucose. Or, le glucose était justement le sucre qui se trouvait 
être le plus sensible à l’action des ferments. Marcuse‘ et Berliner- 
blau * ont, depuis, essayé de démontrer qu’il y a une corrélation 
significative entre la disparition du glycogène et la production de 
l'acide lactique dans les muscles, mais il semble difficile d’en con- 
clure que c’est bien du glycogène que provient l’excès d’acidité inhé- 
rent au travail. Monari* a pu, sans peine, établir la thèse contraire 
et il est actuellement bien démontré que l'acide lactique peut pren- 
dre naissance aux dépens de substances autres que le glycogène. 
Faut-il en conclure que les phénomènes de fermentation n’intervien- 
nent jamais au cours de la destruction du glucose par les organismes 
vivants ? D’après de toutes récentes recherches, le sucre fermenterait 
dans les tissus animaux et végétaux absolument comme en présence 
de la levure. Stoklasa et Cerny ont constaté la présence dans les vé- 
gétaux supérieurs d’une diastase alcoolique identique à celle que 
Buchner, Albert et d’autres sont arrivés à extraire de la levure. C’est 
sous l’action de ce ferment que les végétaux, lorsqu'ils vivent anaé- 
robiquement, fabriquent de l’alcool aux dépens de leurs réserves 
hydrocarbonées. A la suite de très belles recherches, Mazé“ a d’abord 
démontré que si lalcool s’accumule dans les plantes lorsqu'il y a 
asphyxie, c’ést que l'oxygène leur manque pour l’oxyder. Il faut done 
le considérer non pas comme un déchet provoqué par la souffrance 
cellulaire, mais bien comme un produit normal, n’existant le plus 
souvent qu’à l’état de traces parce qu'il est brülé aussitôt sa formation. 
Poursuivant ses recherches sur la production de l'alcool par les vé- 
gétaux vivants, Mazé est ensuite arrivé à cette conclusion : que les 
réserves hydrocarbonées ou oléagineuses sont utilisées par la plan- 
tule à la suite d’une série de transformations qui aboutissent toutes à 


1. Mareuse, Pflüger's Arch., t. XXXIX, 1886, p. 425. 
2. Berlinerblau, Arch. f. exp. Pathol. w. Phar., t, XXII, 1887, p. 333. 
3. Monari, Maly's Jahresb., t. XIX, 1889, p. 303. 


4. Mazé, Comptes rendus, 1899, t. I, p. 1608. — Ann. Inst. Pasteur, 1902, 
p. 195, 346, 423. 


198 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


un même composé: l'alcool, destiné à être de suite oxydé. La fermen- 
tation alcoolique serait donc un des modes d'utilisation des aliments 
ternaires par les végétaux supérieurs. Stoklasa et Cerny* viennent 
de démontrer tout dernièrement que le procédé est commun au 
règne végétal et au règne animal. En immergeant dans une solution 
aseptique de glucose à 5 p. 100 un fragment de cœur de chien re- 
cueilli aseptiquement et en conservant le mélange dans une atmo- 
sphère d'hydrogène, ils ont pu recueillir au bout de dix jours près de 
2 grammes d'acide carbonique, et autant d’alcool. Le ferment alcoo- 
lique existe dans les muscles, les poumons, etc., d’où l’on est arrivé 
à l’extraire. Il est en somme, on le voit, engendré par tous les tissus 
vivants. Comment ne pas admettre alors que cette diastase de la chair 
qui se trouve être identique à celle de la levure et des tissus végé- 
taux ne joue pas un rôle réel dans les phénomènes normaux de la 
vie animale? MM. Stoklasa et Cerny bâtissent sur ces faits l’hypo- 
thèse suivante : dans les cellules soustraites à l’action de l’oxygène, 
les réserves hydrocarbonées sont transformées par le ferment alcoo- 
lique en acide carbonique et en alcool. Et effectivement, s’il faut en 
croire Béchamp, le foie contiendrait de l’alcool. Cet alcool doit être 
rapidement entraîné par le sang, puis ensuite brûlé lorsqu'il arrive 
avec ce dernier dans les régions cellulaires pénétrées par l'oxygène. 

L'interprétation est sans doute un peu hardie. En attendant que sa 
valeur soit mieux mise en lumière, songeons plus simplement que 
même hors de l'organisme le glucose, aussi bien du reste que le 
saccharose, s’oxyde très facilement sous l'influence de l’ozone et des 
alcalins, avec formation exclusive d’acide carbonique et d’acide for- 
mique. Ÿ a-t-il donc tant lieu de s’étonner qu’il disparaisse dans le 
muscle par oxydation directe et qu’en se transformant en eau et en 
acide carbonique il libère ainsi son énergie potentielle ? 


1. Stoklasa et Cerny, Centralbl. f. Physiol., février. 1903. 


(A suivre.) 


LE 


NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ 


SES EFFETS SUR LA VÉGÉTATION 


ANALYSE DU NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ 
DOSAGE ET SÉPARATION DES CHLORURES, DES CHLORATES ET DES PERCHLORATES 
QUANTITÉ DE POTASSE CONTENUE DANS LES NITRATES DE SOUDE 


PAR MM. 


H. PELLET et G. FRIBOURG ' 


PREMIÈRE PARTIE 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ 


I. — LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ EN BELGIQUE EN 1896 


Depuis un certain nombre d'années on s’est aperçu que l'emploi 
du nitrate de soude comme engrais pouvait donner lieu à des acci- 
dents causant de véritables désastres. 

M. D. Crispo, directeur du laboratoire d’analyses de l’État à 
Anvers, a fait paraître à ce sujet un remarquable rapport? expliquant 
comment on s’est aperçu des effets funestes du nitrate de soude. 

Il en résulte que c’est surtout pendant l’année 1896, au printemps, 


1. Mémoire présenté au V® Congrès international de chimie appliquée à Berlin, à la 
7° section (chirñie agricole), dans la séance du 4 juin 1903. 

2, Rapport sur les accidents provoqués par l'emploi du nitrate de soude au 
printemps 1896, par D. Crispo, directeur du laboratoire d'analyses de l'État à Anvers. 
Bruxelles, 1896. 1 brochure, 27 pages. Hayez, imprimeur, Bruxelles. 


200 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


que ces effets désastreux ont été signalés par un article agricole pu- 
blié dans le Précurseur d'Anvers, du 30 avril 1896. 

De suite, plusieurs agronomes de l’État belge et directeurs de labo- 
ratoires d'analyses de l’État, se mirent à l'étude à l'effet de rechercher 
les causes de l’action nuisible du nitrate de soude. 

On à d’abord critiqué le mode d'emploi du nitrate de soude, puis 
on à examiné si le nitrate de soude employé dans la région plus par- 
ticulièrement alteinte de la Flandre occidentale et provenant, après 
recherches faites, du chargement du navire Xinross, présentait à l’ana- 
lyse une composition différente de celle du nitrate ordinairement 
employé. 

N'ayant aucune idée à cet égard, MM. les directeurs des laboratoires 
d'analyses de l’État firent des analyses plus ou moins complètes de 
différents échantillons de nitrate de soude. 

M. Crispo, qui avait eu du nitrate de soude incriminé, trouva : 


NiPate 6 SSONUR. AU. NE 2 Re EME eo A 95,75 
Chlorure de sodium ANR 1,40 
NE ee AE ET RE LS LL D 1,52 
Sulfate de soude . 2 PE A CT ES LE 0,97 
Dale TEL PERLE SNDLAOULE Ver NE TE RE SE Re ER 0,36 

109,00 


Étudiant de plus près le nitrate de soude du Xinross, M. Crispo, 
après avoir obtenu un échantillon moyen, a donné la composition ci- 
après : 


Humidité . 2,18 

Matières insolubles . 0.30 | x 

£ PAR 4,90 

Chlorure de sodium, . 2,08 | 

Sulfate de soude. NAN EE 0.34, 

Nitrate de PSOUUE PAL QTTeNCER A CR NE 95,10 
100.00 

AZOTC)CAICUIGS Er TER LCR ON TRS ES TEA PS A 15,66 

AZOLC TOUS EN LENS VU re vous RS TOME Ve DUO ST LASER 15.50 


M. Crispo ajoute que d’après cette analyse 1l n’y a pas beaucoup 
de place pour des matières étrangères en dehors de petites quantités 
de nitrite, d’iodate, de chaux et de magnésie, qui se rencontrent dans 
tous les nitrates. On trouva aussi d’autres nitrates ayant provoqué 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 201 


des dégâts agricoles et M. Crispo analysa neuf échantillons de nitrate 
de soude dans lesquels on dosa non seulement les matières ordinaires, 
mais encore l’iodate de soude et le perchlorate de soude. 

Sur neuf échantillons, six échantillons contenaient de 0,31 à 1,04 
de perchlorate de soude. 

M. Crispo examine alors l'influence de diverses substances miné- 
rales étrangères renfermées dans le nitrate de soude, sur la végéta- 
tion : 1° nitrite de soude; 2° chlorure de magnésium ; 3° chlorure 
de sodium; 4° perchlorate. 

À cette époque on n’était pas fixé sur l’état sous lequel se trouvait 
l’acide perchlorique dans le nitrate de soude. On parlait aussi bien 
du perchlorate de potasse que du perchlorate de soude. 

M. Crispo fait remarquer cependant dans son rapport de 1896 que 
c’est M. le D: Sjollema, directeur de la station agronomique de 
Groningen, qui a le premier signalé la présence du perchlorate 
dans le salpètre du Chili, où 1l en a dosé jusqu’à 6 p. 100. 

Dès cette année M. le D' Sjollema attribue les effets funestes du 
nitrate de soude employé à la présence du perchlorate, sans préciser 
si c'était du perchlorate de soude ou du perchlorate de potasse. 


Il. — SES EFFETS NUISIBLES SUR LA VÉGÉTATION 


«) Essais de M. P. de Caluwe relatifs à l'influence en agri- 
culture de divers chlorates et perchlorates. Influence nui- 
sible spéciale du perchlorate de soude. 


Des expériences furent alors établies et M. de Caluwe, agronome 
de l’État dans la Fiandre occidentale, commença une série de recher- 
ches pratiques dans le jardin d’essais provincial à Gand. Dès 1896, 
M. Sjollema entreprit des essais de son côté ainsi que la station agro- 
nomique de Wiesbaden. 

Sans connaître le résultat de ces recherches expérimentales sur les 
effets des substances étrangères au nitrate de soude en agriculture, 
M. Crispo conseille cependant aux producteurs de nitrate de veiller 
à l’élimination aussi complète que possible de leur nitrate du perchlo- 
rate et de l’iode. « Ce sera autant de gagné pour eux et pour l’agri- 
culture. » 


202 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Dans son exposé des cultures expérimentales instituées au jardin 
d'essais provincial de Gand pendant l’année culturale de 1895-1896, 
M. P. de Caluwe résume les essais entrepris avec des nitrates de 
soude contenant du perchlorate. 

Il profite de ces essais pour expérimenter l’action du perchlorate 
de potasse ajouté directement au nitrate à côté de nitrates plus ou 
moins fortement chargés de perchlorate. Un de ces échantillons ren- 
ferme jusqu'ici 6 p. 100 de perchlorate calculé sous forme de per- 
chlorate de potasse. 

De ses essais M. P. de Caluwe ne peut tirer aucune conclusion, 
les résultats n’étant pas concluants en ce qui concerne le nitrate de 
soude additionné de perchlorate de potasse. Il soupçonne qu'il y a 
peut-être une action particulière du perchlorate mais sous forme de 
perchlorate de soude. 

M. P. de Caluwe continue ses essais et, sur des navets, cet agro- 
nome constate l'influence nuisible du perchlorate de potasse ajouté 
aux engrais azotés. Les racines deviennent malades, une partie entre 
en décomposition, la végétation laisse beaucoup à désirer et les 
rendements sont fortement diminués *. 

Enfin, en 1898-1899, M. P. de Caluwe institue des essais sur divers 
sels et notamment sur le perchlorate de soude. Ces cssais remarqua- 
bles ont lieu sur du seigle et le rapport de 1898-1899 donne tous les 
détails ainsi que des planches photographiées montrant l’action nui- 
sible du perchlorate. 

Les conclusions sont très nettement formulées par M. P. de Ca- 
luwe (Voir la note pages 54 et suivantes de l’exposé des cultures 
expérimentales, pour 4898-1899). 

Nous en extrayons ce qui suit : 


Résumé de plusieurs séries d'essais sur le seigle. 


1° Dans cette expérience le nitrate de soude additionné de 1 p. 100 
de perchlorate de potasse a manifesté une certaine influence défa- 
vorable sur la végétation, mais ce n’est qu’à la teneur de 2 et 


1. Voir pages 43, 44 et 45. Exposé des cullures expérimentales insliluées au 
jardin d'essais provincial de la Flandre occidentale à Gand, 1897-1898. 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 203 


3 p. 100 que ses effets toxiques se sont accentués, surtout au mois 
d'avril. 
Plus tard les traces de l’affection se sont effacées. 
Le perchlorate, employé seul, s’est montré peu nuisible (expé- 
riences sur le seigle). 
% Il résulte de ces observations que les effets toxiques du chlorate 
sont moins prononcés que ceux du perchlorate. 
3° On voit que les effets toxiques du perchlorate de soude sont 
déjà très manifestes à la dose de 0,75 p. 100 du nitrate employé et 
ils s’accentuent rapidement avec les doses croissantes de perchlorate 
appliquées. Les observations faites en avril et les résultats de la 
récolte sont concordants sur ce point. 
4° Il résulte de nouvelles observations que leflet du perchlor ate 
de potasse à été bien faible. 
2° Il résulte des observations comme des résultats qui précèdent 
que le perchlorate de soude appliqué à très faible dose avant l'liver 
est déjà nuisible au seigle. Ainsi le nitrate, à la dose de 0,64 p. 100 de 
perchlorate de soude, a parfaitement produit des effets d’intoxication 
sur la première parcelle. 
A la dose de 1 p. 100 de perchlorate, le nitrate affecte fortement 
le seigle et à la dose de 2-3 p. 100 il est désastreux pour la culture. 
6° La végétation du seigle a été très vigoureuse et les effets du 
perchlorate de soude appliqué aprés l'hiver ont été moins apparents 
que sur la parcelle où le perchlorate avait été mis avant l'hiver. 
Quoique cela, l'influence nuisible du perchlorate de soude n’a pas 
tardé à se manifester. | 
7° Dans cette expérience, l'effet nuisible du perchlorate de potasse 
a été finalement à peu près négligeable. Si l’on compare les eflets 
du perchlorate de soude appliqué dans les mêmes conditions que le 
perchlorate de potasse on voit immédiatement que le premier est 
beaucoup plus toxique et partant plus fatal au seigle que le dernier. 
Ainsi donc les expériences multiples de M. P. de Caluwe démontrent 
“nettement l'influence pernicieuse du perchlorate de soude en agri- 
culture. 


Pour donner une idée des effets désastreux du perchlorate de 


204 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


soude sur la végétation du seigle, nous reproduirons un tableau 
extrait des essais de M. de Caluwe : 


PERCHLORATE DE SOUDE 
_— À — RENDEMENTS 


en p. 100 re proportionnels 
du nitrate. Pre A 


Grammes. 


11e Sans nitrate, . » » 70,2 
2. Nitrate seul. . » Di) 100,0 
3. Nitrate et 0,50 12,45 97,0 
4. = 0,66 16,66 92,5 
5. — 0,83 20,75 88,1 
6. == 1,00 24,90 85,8 
7e — 1,33 33,30 60,4 
8. — 1,67 41,70 61.9 
9. — 2,00 50,00 56,0 
10. == DE 2,68 66,80 0,0 
Lie Sans nitrate. . . . » 50,00 21,5! 
2 == DAS NÉE » 33,30 50,0? 


Déjà à la dose de 0,50 et de 0,66 p. 100 le perchlorate de soude 
occasionne des effets nuisibles sur le seigle et ses effets ne font que 
s’accentuer à mesure qu’on renforce la proportion de ce sel toxique 
dans le nitrate. 

Or, dans un essai avec du perchlorale et du chlorate de potasse, 
la diminution du rendement a été proportionnellement bien moins 
faible, preuve que le perchlorate de soude est bien plus dangereux 
que les deux autres combinaisons considérées. En effet, alors que, 
dans une série de parcelles, le nitrate employé à raison de 3 kilogr. 
à l’are a donné un rendement total en paille et en grain de 100, la 
parcelle sans nitrate 77,8, le nitrate additionné de 1-3 de perchlo- 
rate de potasse a donné des rendements de 74-76, tandis que le 
chlorate de potasse, employé dans les mêmes proportions, a donné 
78-80. Cette dernière combinaison potassique a bien réduit le rende- 
ment, mais dans une mesure plus faible que le perchlorate de potasse 
et ce dernier a moins contrarié la végétation que le perchlorate de 
soude, comme 1l résulte de la comparaison des chiffres ci-dessus. 


1. Même quantité de perchlorate que sur parcelle 7. 
2. Même quantité de perchlorate que sur parcelle 9. 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 205 


Dans la pratique, les effets sont souvent plus évidents que dans 
nos essais, à cause de la répartition moins uniforme des engrais 
dans la grande culture. Partout sur le champ où le nitrate per- 
chloraté tombe en quantité un peu forte, représentant une proportion 
sensiblement plus élevée que celle qui a fait l’objet de nos essais, 
l'effet nuisible est plus accentué. 

Cependant l’effet nuisible du perchlorate de soude ne paraît pas 
être le même sur toutes les plantes. Déjà M. de Caluwe a remarqué 
que l’avoine était moins sujette à cette substance que le seigle. 

Il y aurait donc intérêt à poursuivre des études dans le genre de 
celles de M. de Caluwe, mais en opérant sur différentes plantes et 
notamment le blé, la betterave à sucre, la betterave de distillerie, et 
bien d’autres encore pour lesquelles on fait usage d’une grande 
quantité de nitrate de soude. 


b) Essais de M. Pagnoul. 


Pendant ce temps, M. Pagnoul, directeur de la station agronomi- 
que du Pas-de-Calais, entreprenait des essais dès 1898, sur l'influence 
en agriculture du perchlorate de potasse contenu dans les nitrates 
de soude du commerce. M. Pagnoul avait analysé dix-huit échantil- 
lons de nitrate de soude et rarement la proportion de perchlorate 
de potasse avait dépassé 1 p. 100, en moyenne 0,57 et variant de 
0,17 à0,64. Un échantillon, mais tout à fait normal, avait donné 1,52. 
D’après les expériences de M. Pagnoul, le perchlorate de potasse 
était « un sel nuisible aux plantes, mais sa présence normale dans 
les nitrates ordinaires du commerce ne peut inspirer aucune crainte » 
(Bulletin de la station agronomique du Pas-de-Calais de 1898, 
p. 3). Cela confirme les essais de M. P. de Caluwe dans un sens en 
ce qui concerne le perchlorate de potasse, mais on à vu par ce qui 
précède que le sel nocif est surtout le perchlorate de soude. 

Il n’en est pas moins établi que le nitrate de soude du commerce 
pouvant contenir des doses plus ou moins fortes de perchlorate de 
soude, il y a lieu de compléter l’analyse des nitrates par le dosage 
du perchlorate que l’on calcule tantôt sous forme de perchlorate de 
potasse, lantôt sous forme de perchlorate de soude. D’après ce que 


206 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


M. P. de Caluwe a trouvé, il est nécessaire de calculer maintenant 
l'acide perchlorique sous forme de perchlorate de soude. 

Rappelons en passant que les essais relatifs à l’action des chlorates 
seuls ont démontré que ces sels étaient pour ainsi dire inoffensifs. 


DEUXIÈME PARTIE 


MÉTHODES DIVERSES POUR LE DOSAGE DES PERCHLORATES 
DANS LE NITRATE DE SOUDE 


DOSAGE DU PERCHLORATE DE SOUDE DANS LE NITRATE 
DE SOUDE DU COMMERCE 


Plusieurs méthodes ont été proposées : 


a) Méthode de Pagnoul. 


Nous trouvons d’abord la méthode indiquée par M. Pagnoul dans 
le Bulletin de la station agronomique du Pus-de-Culais de 1898, 
page 3. Nous la reproduisons : 

« Le perchlorate a été déterminé en dosant avec le nitrate d’ar- 
gent et le chromate de potasse le chlore préexistant dans le nitrate 
et en le dosant à nouveau sur 5 grammes de sel chauffé dans un 
creuset de platine, d’abord doucement jusqu’à fusion, ensuite en 
rouge sombre pendant quinze minutes. L’excédent de chlore était 
interprété en perchlorate. On a récemment proposé de mêler le ni- 
trate pour cette calcination avec du carbonate de chaux précipité, ce 
qui doit en eflet rendre l’opération plus facile. » 


b) Méthode officielle suivie en Belgique dans les laboratoires 
d'analyses de l’État. 


Plus tard une note spéciale a paru en Belgique donnant la méthode 
suivie par les laboratoires d'analyses de l'État belge pour la recherche 
et le dosage des perchlorates. 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ, 207 


Nous la transerivons : 


Recherche du perchlorale de potasse dans le nitrate de soude 
par la réaction microscopique du chlorure de rubidium. 


« Peser 10 grammes de nitrate à essayer, le faire dissoudre dans 
2 centimètres cubes d’eau distillée chaude. Agiter pour dissoudre, 
refroidir, filtrer, prendre une goutte de solution concentrée de chlo- 
rure de rubidium. Porter sous le microscope et examiner avec faible 
grossissement. S'il y a du perchlorate on obtient après quelque temps 
de beaux cristaux de perchlorate de rubidium. En ajoutant, après 
qu'ils se sont formés, une goutte de solution de permanganate (di- 
luée) ils se colorent en un beau rouge violacé. 
« En dessous de 1 p.100 en perchlorate, les cristaux n’apparais- 
sent pas ou seulement très lentement. » 


Dosage du perchlorale dans le salpélre du Chili. 


« Doser d’abord dans le nitrate le chlore qui se trouve à l’état de 
chlorure ; d’autre part peser 5 grammes de nitrate sec, fin, pulvérisé 
et mélanger avec 8 grammes de chaux vive ou de chaux hydratée ou 
de carbonate de chaux pur. [ntroduire le mélange dans un creuset 
de platine ou de porcelaine, tasser un peu, couvrir le creuset et 
chauffer sur un bec Bunsen pendant environ quinze minutes. Re- 
froidir, détacher la masse du creuset, la faire tomber dans un vase 
de Berlin et dissoudre par l'acide nitrique exempt de chlore. Du 
chlorure total trouvé dans ce cas on soustrait celui trouvé avant fu- 
sion et l’on a ainsi celui correspondant au perchlorate. » 


TROISIÈME PARTIE 


ÉTUDE DES MÉTHODES DE DOSAGE DES PERCHLORATES 
DANS LE NITRATE DE SOUDE 


Ayant eu à analyser divers échantillons de nitrates de soude repré- 
sentant des quantités importantes de produit fertilisant, nous avons 


208 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


recherché si ces nitrates renfermaient du perchlorate, et nous avons 
constaté que, en suivant la méthode officielle adoptée en Belgique, 
uous avions entre les mains un produit ne renfermant que des traces 
de perchlorate sous une forme quelconque. 

En effet, la quantité de chlore dosée directement représentait 
1,683 p. 100 avant calcination et 1,754 p. 100 après calcimation. 

Cependant, par des expériences spéciales, nous avons étudié la va- 
leur de différentes méthodes de dosage de l’acide perchlorique et, 
dans ce but, nous avons préparé des mélanges de nitrate de soude 
pur et de chlorates. 

4° On a fondu directement 25 grammes de nitrate de soude pur 
en chauffant au rouge sombre pendant deux heures. Après disso- 
lution, pas de chlore. 

2% À 95 grammes de nitrate de soude pur on à ajouté successive- 
ment : 


On a retrouvé 
par le 
chlore dosé. 


0,125 (ou 0.50 p. 100) de chlorate de potasse . . . 05,123 
0 ,625 (ou 2.50 —) = Een 0 ,574 
1 ,250 (ou 5 — ) — FIRE SE 17,158 


Il y a donc une certaine perte. 

En effet, en fondant du chlorate de potasse seul, on n’a retrouvé 
ainsi que 96 p. 100 du sel ajouté. 

3° En ajoutant de la chaux à la masse et en prenant 25 grammes 
de nitrate, 5 grammes de chaux et 15,95 de chlorate de potasse, on 
a retrouvé 1#,25, ce qui est bien suffisamment exact pour ce genre 
de recherche et de dosage. 

4° Successivement on a cherché à réduire à la fois la quantité de 
nitrate employée et la durée du chauffage pour revenir aux quantités 
indiquées dans la note officielle de Belgique, et on a constaté en effet 
qu'il suffisait de quinze minutes de chauffage pour détruire une 
quantité de chlorate correspondant à plus de 10 p. 100 de la matière 
employée. 

Quant à la proportion de chaux à introduire avec le mitrate, elle 
est indiquée par la façon dont se comporte le mélange sous l’in- 
fluence de la chaleur. Si on chauffe le nitrate seul, il fond facilement 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 209 


et les bulles de gaz peuvent entraîner même hors du creuset avec 
couvercle un peu de liquide en fusion. 

La chaux, au contraire, modère la décomposition et maintient la 
masse encore assez pâteuse pour que la chaleur puisse facilement se 
transmettre à travers la masse. Si on met un excès de chaux, la ma- 
tière s’échaulle beaucoup plus difficilement. Des essais nous ont mon- 
tré que la proportion mentionnée dans la note officielle belge était 
bien sensiblement celle qu’il fallait en pratique, c’est-à-dire 8 grammes 
de chaux contre 5 grammes de nitrate, et qu’il est préférable d'en 
mettre plutôt moins que d’en augmenter la quantité. 

Avec un excès de chaux on risque d’avoir une décomposition in- 
complète au centre de la masse où pénètre difficilement la chaleur 
lorsque le mélange reste à l’état de poudre sans entrer en fusion 
plus ou moins pâteuse. 

Relativement à la durée, le chauffage à l’état de pâte, au rouge 
sombre pendant quinze minutes à partir du début de l'opération, est 
également suffisant pour décomposer une forte proportion de per- 
chlorate ou de chlorate et plus qu’il n’en existe ordinairement dans 
les nitrates du commerce. 

Une nouvelle série d’essais a donc été faite : 


1 2 3. 4 

Nitrate de soude pur. , . grammes 410 10 10 10 
Chlorate de potasse pur. . — 0,500 0,500 0,500 0,500 
Chaux en poudre , , . . = 2 2 H] 10 
Durée du chauflage. . . . minutes 15 30 15 15 
Dosage au moyen du nitrate 

d'argent titre en opérant 

sur 50% de 200%: total a 

du chlorate retrouvé. , grammes 0,505 0,505 0,500 0,500 


Naturellement on peut doser le chlore par tous les procédés con- 
nus, directement en pesant le chlorure d'argent séché, ou fondu, ou 
par la méthode volumétrique au nitrate d’argent employée pour les 
monnaies ou enfin par la méthode avec le chromate de potasse comme 
témoin. Il suffit de prendre les précautions d’usage pour assurer 
l'exactitude des résultats et de procéder à des essais de titrage dans 
les conditions où l’on opère pour l'analyse du nitrate (mêmes volumes 


ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 14 


210 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de liquides, dilution, quantités de réactifs, et en s’assurant de la 
pureté des produits employés, notamment de la chaux). 

On peut donc terminer assez rapidement le dosage du perchlorate. 

En effet, après quinze minutes de chauffage, il suffit d’avoir la dis- 
solution complète de la masse et de la compléter à 200 centimètres 
cubes; après avoir employé, saturer sensiblement toute la chaux par 
un léger excès d'acide nitrique et la liqueur aussi froide que pos- 
sible. Compléter à 200 centimètres cubes, agiter. Prendre 50 centi- 
mètres cubes de liquide, v ajouter quelques décigrammes de carbo- 
nate de chaux précipité pour neutraliser, du chromate de potasse et 
titrer avec le nitrate d’argent titre. Retrancher le nombre de dixièmes 
de centimètres cubes nécessaires pour obtenir la coloration de chro- 
mate d’argent mélangée au carbonate de chaux et calculer, d’après 
le nombre de centimètres cubes de nitrate d’argent, la quantité de 
chlore total correspondante. 

De la dose totale de chlore on retranche celle du chlore préexis- 
tant sous forme de chlorure et on a la proportion de chlore qu’on 
calcule ensuite sous forme de perchlorate de soude. 

On complète l'essai avec le traitement spécial au moyen du nitrite 
de plomb pour rechercher et doser le chlorate seul. 

Voulant vérifier à nouveau la méthode générale de dosage des 
perchlorates, nous avons demandé à notre honorable collègue le 
D' Peterman, de Gembloux, de ‘bien vouloir nous faire parvenir un 
nitrate perchloraté et déjà analysé. 

Nous avons reçu un échantillon qui a été analysé et qui nous à 
donné : 


ET CR RE POUR Se MU re Le 1,42 
INSOIUDIe EAN NE NRE E ATNE 0,42 
Sulfate de soude 0,20 
Chlorure de sodium . 0,90 
Perchlorate de potasse . 8,21 
Nitrate de soude et divers . . . . . 93,85 

100,00 
Potasse HoSe CR AR RARE Al 1,38 


M. le D Petcrman nous avait indiqué le nitrate comme contenant 
3,58 de perchlorate de potasse. 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 211 


QUATRIÈME PARTIE 


DOSAGE ET SÉPARATION DES CHLORATES ET DES PERCHLORATES 


I. — PROCÉDÉ EMPLOYÉ AUX POUDRES ET SALPÊTRES 


Îl était intéressant de savoir si le nitrate de soude du commerce 
renferme des chlorates à côté des perchlorates puisque l'influence 
sur la végétation des deux sels est complètement différente, ainsi qu’il 
résulte des expériences de M. P. de Caluwe. 

Nous avons recherché les méthodes déjà employées dans un but 
analogue et nous avons pu obtenir, grâce à l’obligeance de son 
auteur, la note que nous reproduisons ci-après et qui donne la des- 
cription de la méthode employée pour la recherche et le dosage du 
chlorate et du perchlorate dans le salpêtre raffiné destiné à l’artil- 
lerie *. 


Instruction sur le dosage du perchlorate et du chlorate de 
potasse dans le salpêtre raffiné destiné au service de l’ar- 
tillerie. 


Les salpêtres raffinés destinés à être livrés au service de Partil- 
lerie doivent satisfaire aux conditions de pureté ci-dessous indi- 
quées : 

4° Taux de chlorure (limite actuelle) inférieur à 1/10 000 ; 

9 Taux de chlorate de potasse inférieur à 1/10 000 ; 

3° Taux de perchlorate inférieur à 1/1 000. 

Les salpêtres employés à la fabrication des poudres de guerre doi- 
vent satisfaire aux deux premières conditions. En outre, le taux de 
perchlorate de potasse qu’ils renferment doit être inférieur à 3/1 000. 
La vérification du taux de chlorure se fait d’après les procédés déjà 
réglementaires. 


1, Extrait du Mémorial des poudres et salpétres, 1902, Gauthier-Villars, impri- 
meur, Paris. 


212 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Celle des taux de chlorate et de perchlorate exige les opérations 
suivantes : 


Perchlorates. 


a) Calcination du perchlorate. — On pèse 10 grammes de sal- 
pètre sec et on les place dans un creuset de platine muni d’un cou- 
vercle. On leur ajoute 10 grammes environ de carbonate de soude 
exempt de chlore, et l’on mélange les deux matières au moyen d’un 
fil de platine. On couvre ensuite le creuset de son couvercle et l’on 
commence à chauffer très doucement. On augmente le feu progressi- 
vement, de manière à amener et à maintenir la fusion tranquille et 
complète de la masse, et en prenant bien soin de ne jamais décou- 
vrir le creuset. On maintient la fusion pendant un quart d’heure. On 
éteint enfin le feu et on laisse refroidir le creuset toujours muni de 
son couvercle. Le creuset étant refroidi, on vérifie que l’opération a 
été bien conduite. Si l’on a opéré correctement, la matière formera 
une masse compacte adhérant au fond du creuset et il n’y aura sur 
la paroi intérieure, au-dessus de la masse solidifiée, aucun bourrelet 
de matières indiquant un boursouflement qui pourrait soustraire une 
partie de la masse à la calcination. Il peut être utile de faire une pre- 
mière opération dans laquelle on découvrira le creuset de temps en 
temps afin de se rendre compte rapidement de la manière dont il 
faut régler la flamme pour obtenir le résultat énoncé plus haut. 


b) Dosage du chlore provenant du perchlorate. — On vérifie par 
la méthode qualitative réglementaire pour l’analyse des salpêtres 
raffinés que le taux de perchlorate est inférieur à 0,10 p. 100. A cet 
effet, la masse fondue est dissoute dans l’acide nitrique pur, étendu 
de la moitié de son volume d’eau. On évitera les projections en pla- 
çant sur le creuset un verre de montre el en se servant, pour verser 
l’acide, d’une pipette dont on introduit la pointe effilée entre le verre 
de montre et le bord du creuset. On ajoute l'acide peu à peu jus- 
qu'à ce qu'une nouvelle addition ne produise plus d’effervescence. 
Pour plus de sûreté, on vérifie avec un papier bleu de tournesol que 
le liquide du creuset est franchement acide. On transvase ce liquide 
dans un flacon jaugé de 250 centimètres cubes. On lave le verre de 


a 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 215 


montre avec quelques gouttes d’eau distillée. On lave aussi le creuset 
deux ou trois fois à l’eau distillée et l’on verse les eaux de lavage 
dans le flacon jaugé. On complète le volume à 250 centimètres cubes 
et l’on agite pour obtenir un liquide bien homogène. Avec une pipette 
jaugée on prélève 50 centimètres cubes de liqueur, et, au moyen 
d’une pipette graduée en dixièmes de centimètres cubes, on leur 
ajoute un volume de liqueur de nitrate d’argent (ol est commode de 
se servir d'une liqueur dont 1 centimélre cube correspondrait à 
2 milligrammes de perchlorale. Celle liqueur est préparée en dissol- 
vant 15,56 d'argent fin dans quelques centimèlres cubes d'acide ni- 
trique pur et complétant à 1 litre) capable de saturer le chlorure 
qui correspond au taux limite de perchlorate de 0,10 p. 100 (aug- 
menté du taux limite de 1/1 000 de chlorure) ; on agite le liquide et 
l'on filtre (le filtre étant préalablement lavé à acide nitrique) en 
repassant le liquide sur le filtre jusqu’à ce qu'il soit clair. On essaie 
cette liqueur à l'acide chlorhydrique et au nitrate d'argent, afin de 
vérifier si elle contient plus ou moins de chlorure que la quantité 
fixée par le taux limite. 

Le reste de 250 centimètres cubes permet de renouveler l’essai ou, 
si on le juge utile, de fixer le taux de perchlorate du salpêtre exa- 
miné. 


Chlorates. 


Les deux méthodes suivantes permettent : 

4° De vérifier qualitativement la présence des chlorates dans les 
salpêtres raffinés ; 

2 De doser approximativement ces chlorates. 


Première méthode. — Elle est basée sur l’action de l’acide sulfu- 
rique concentré sur les chlorates. Si un salpêtre rafliné renferme des 
chlorates et qu’on le projette dans l’acide sulfurique pur à 66°, 1l se 
développe une coloration jaune d’autant plus intense que le taux de 
chlorate est plus élevé. Afin de mieux juger la coloration et en même 
temps de doser approximativement les chlorates d’un salpêtre raffiné, 
on opère de la manière suivante : 

On prépare des types de salpêtre à 0,1/1 000, 1 10/000 de chlorate 


214 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


en arrosant des poids connus de salpêtre à O0 avec des volumes conve- 
nables d’une dissolution de chlorate de potasse (à 1 gramme par litre 
par exemple), séchant et pulvérisant pour avoir une masse bien homo- 
sène. Dans quatre verres de montre identiques, placés sur une même 
feuille de papier blanc, on verse 4-5 centimètres cubes de SO*FF pur 
à 66°. On projette en 1 le salpêtre type à 0, en 2 le salpêtre à 4/1 000, 
en 3 le salpêtre à 1/10 000, en 4 le salpêtre à essayer. La matière doit 
former une masse conique dont le sommet arrivera à la surface de 
l’acide. On n’agite pas. Au bout d’une demi-mimute, on observe la 


coloration des masses solides. Considérant le verre de montre qui 
renferme le salpêtre à essaver, on regarde d’abord si la coloration 
que présente la matière est d’ordre supérieur au 1/10 000. Si cette 
condition est remplie, l'épreuve est terminée. Si elle ne l’est pas, on 
intercale le salpêtre à essayer entre deux salpêtres types de la série. 
On obtient ainsi deux nombres comprenant entre eux la teneur en 
chlorate du salpêtre à essayer. La présence d’un certain nombre de 
types facilite beaucoup les comparaisons et est très utile, même si le 
salpêtre à analyser renferme moins de 1/10 000 de chlorate. 


Deuxième méthode. — Elle est fondée sur l’action qu’exercent les 
azotites sur les chlorates. On opérera de la manière suivante : 

On pèse 10 grammes du salpêtre à essayer. On les dissout dans 50 
à 60 centimètres cubes d’eau. On ajoute au liquide 4 à 5 gouttes de 
liqueur neutre de nitrate d'argent (à 105,8 par litre), de manière à 
précipiter la totalité des chlorures. On filtre en repassant le liquide 
sur le filtre jusqu’à ce qu’il soit complètement limpide. On vérifie 
qu’une goutte de nitrate d'argent n’y produit plus de trouble. On 
chauffe le liquide limpide vers 90°. On y ajoute alors 15 à 20 centi- 
mêôtres cubes d’une solution dans l’eau d’azotite de plomb. (Il est 
inutile de filtrer cette solution. Pour la préparer on met dans le 
fond d’un verre quelques grammes d’azotite de plomb, on ajoute 
de l’eau. On agite vivement et le liquide obtenu est pris tel quel.) 

On fait disparaitre le trouble produit en ajoutant 5 à 10 centi- 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 219 


mètres cubes d'acide nitrique pur à 36° étendu de son volume 
d’eau. 

Si la liqueur louchit, le salpêtre renfermait des chloraies. Pour 
vérifier que le taux de ces chlorates est <Z 1/1 000, on compare le 
louche produit à celui qu’on obtient en opérant dans les mêmes con- 
ditions que précédemment, non plus avec une liqueur salpétrée, mais 
avec de l’eau distillée additionnée d’un volume convenable d’une 
solution titrée de chlorate de potasse. 

On prendra, dans les deux cas, des verres identiques et des volumes 
de liqueur identiques également. 


Paris, le 16 décembre 1899. 


L'Inspecleur Général, Président, 
Cir. ARNOULD. 


On voit que le procédé indiqué peut être à la fois qualitatif et 
quantitatif par Comparaison. 

Nous avons pensé que la méthode au nitrite de plomb pouvait re- 
cevoir une application générale pour le dosage et la séparation des 
chlorates d’avec les perchlorates, et dans ce but nous avons institué 
une série d'expériences que nous donnons avec quelques détails. 


II. — MÉTHODE GÉNÉRALE DE SÉPARATION ET DE DOSAGE DU CILO- 
RATE ET DU PERCHLORATE DANS LES NITRATES DU COMMERCE, AU 
MOYEN DU NITRITE DE PLOMB. 


Nous avons d’abord reconnu l'exactitude de la réaction indiquée 
par M. Arnaud, mais nous avons également reconnu qu’il fallait em- 
ployer toujours un excès de nitrite de plomb. C’est pourquoi, dans 
les expressions ci-après, nous avons adopté le poids de 10 grammes 
de nitrite de plomb. La méthode au nitrite de plomb est celle connue 
sous le nom de méthode H. Toussaint, pour la décomposition géné- 
rale de tous les acides oxygénés du chlore (sauf l'acide perchlorique). 
{Voir Frésenius, Analyse chimique quantitative 1900, T° édition fran- 
çaise, 1° partie, page 451.) 

Nous avons fait ensuite quelques essais en mélangeant du chlorate 


216 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de potasse pur à du nitrate de soude pur, et nous avons expéri- 
menté : 


1°" MÉLANGE. 2° MÉLANGE. 3° MÉLANGE, 
Nitrate de soude pur .Gr. 12,50 12,50 12,50 
Chlorate de potasse. .Gr. Ô 0,200 0 
Perchlorate de potasse .Gr. 0 0 0,200 
US re UBAU CRD: 100 100 100 
Acide nitrique . Gent. cub, 5 ] 5 
Couche Couche Couche 
très faible. très faible. très faible, 
On ajoute ensuite : 
Nitrite de plomb. Gr. 10 10 10 
Hau6 07e" Gent; CHb: 100 100 100 
Chauffage à l’ébullition. 
Faible Fort Faible 
précipité, précipité. précipité. 


Donc en présence du nitrite de plomb le chlorate seul est réduit et 
donne lieu à la formation du chlorure d'argent. On a pesé les préci- 
pités et on a eu 0,0128, 0,2442, 0,0115, ce qui donne en chlore 
0#,0574 et en chlorate de potasse 05°,1982 retrouvés au lieu de 
06,200 mis. 

Donc la séparation et le dosage des chlorates el des perchlorates 
sont bien nels par le nitrite de plomb employé en quantité suffi- 
sante. 

Après le premier essai on a fait un dosage sur un mélange formé 
avec : 


P. 100 

Nitrite de SOUEDUT EME RENE 1227,500 96.526 
Chlorure de sodium . . . .:. . . . 0 ,190 1,158 
Chorale de polisse let AM Tue 0 ,150 1,158 
Perchlorate de potasse . ©: +, 050 1,158 
100 ,000 


On a dosé : 1° les chlorures directement; 2% le chloraie avec le 
nitrite de plomb ; 3° les perchlorates et chlorates par calcination. 
Voici quelques détails : 


Chlorures. — Pris tout le mélange! + 100 centimètres cubes 


{. Pour chaque essai on a pesé chaque fois les mêmes quantités de matière afin 
d'éviter toute erreur provenant d'un mélange imparfait, 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 217 


eau + à centimètres cubes acide nitrique + 20 centimètres cubes 
solution de nitrate d'argent (1 centimètre cube — 05,010 CI environ) 
chauffé jusqu’à l’ébullition et filtré. 


1er ESSAI, 2e ESSAI. 


CMArARE dr Bent es Lu eo 05,368 057,3695 


Moyenne : 05',3687, ou chlore retrouvé 05',09117, soit en chlorure 
de sodium 1£,161 contre 18,158 mis. 


Chlorates. — Les liquides précédents avec les lavages (environ 
200-2920 centimètres cubes) sont réunis. Y verser directement 
10 grammes de nitrite de plomb qui s’y dissout peu à peu et trans- 
forme le chlorate en chlorure. Chauffer ensuite et filtrer. 


1er ESSAI. 2e ESSAI, 

Poids du chlorure d'argent. . . . . . . 05°,1868 0%7,1858 
A déduire l'insoluble du nitrite de plomb, 0 ,0120 0 ,0120 
RÉSE rTRE À 05",1748 05",1738 


Moyenne : 05°,1743, ou 05°,0431 de chlore retrouvé contre 05°,0434 
de chlore introduit sous forme de chlorate, soit chlorate ajouté pour 
100, 1,158 ; chlorate retrouvé 15,149. 


Perchlorates. — Après fusion générale et en suivant la marche 
indiquée pour ce dosage on a eu : 


1er ESSAI. 2e ESSAI, 

Chlorure d'argent . : . . . à 0%°,6895 0%: ,6852 
A déduire (chlore dans nitrate et couche 0 ,0024 0 ,0024 
Reste Eye UE 0% ,6871 0::,6828 


Moyenne : 0#,68495 chlorure d'argent, soit en chlore 05',1694 
contre 0#,1797 introduit sous forme de chlorure, de chlorates et 
de perchlorates. 


ar 
Chlore total trouvé PRE ET LT 02",1694 
gr 3 
Chlore du chlorure (roûvée RTS 0 me | 0 ,1343 
Chlore du chlorate trouvé. . . . . . . 0 ,0431 À 


DNTÉTENCE RER 057,0351 


218 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


On peut calculer encore ainsi : 


Ch1r6-tOt2L MS 7 ER Lu 05°,1727 
Chlore dosé sous forme de chlorure. . , 01,091? 
Chlore dosé sous forme de chlorate. . . 0 ,0431 

HEIN RER SRE 05r,1343 


Si de 0,1727 on retranche 0,1343, on a 0,0384 qui doit être le 
chlore amené par le chlore de perchlorate et quiest en effet de 0,0584. 
La différence entre 0,0384 et 0,0351 ne provient donc que de ce 
que le dosage total du chlore provenant des trois sels chlorés a donné 
0,1694 au lieu de 0,1727. En tout cas, si on ramène tout à 100, on a : 


MIS. RETROUVÉ. 

Ghiorure-de:Sodium Le RS ere 18°,158 15,161 
GDIORA(EHENPOLASSOE PRE 1 ,158 NT LAS, 
Perchlorate-de-potasse. = 2.0 7% 1 ,158 1 ,057 
Nitrate de soude par différence. . . . 96 ,526 96 ,633 
100%",000 100:",000 


Pour de semblables dosages on ne peut exiger done plus grande 
précision. 

Frésenius a étudié ce procédé également et a reconnu qu’il don- 
nait des résultats très satisfaisants. 


II. — APPLICATION DE LA MÉTHODE DE SÉPARATION DU DOSAGE 
DES CHLORATES ET DES PERCHLORATES DANS LE NITRATE DE 
SOUDE. 


Grâce à l’obligeance de notre distingué collègue M. Crispo, nous 
avons pu nous procurer un échantillon du nitrate de soude prove- 
nant de l’enquête de 1896 et amené par le steamer Kinross, nous 
y avons recherché les chlorates et les perchlorates et nous avons eu 
à l’analyse : 


Dosage des chlorures — direct chlore p. 100 . . . . 03,501 
Dosage du chlore total = FÉES 0 ,763 
Soit chlore à l'état de chlorate et de perchlorate , . . 057,262 


D'autre part, à l’aide de nitrite de plomb on a dosé à l’état de 
chlorure d'argent provenant de chlorates une quantité de chlore de 


0,019. 


LE NITRAIE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 219 


Soit donc à l’état de perchlorate 0,262 — 0,019 ou 05,245 de 
chlore à l’état de perchlorate. 

Si donc on transforme tout sous forme de sels on a : 

Le chlore des chlorures préexistant correspond à 0#,826 de chlo- 
rure de sodium; 

Le chlore des chlorates correspond à 0#,065 de chlorate de potasse; 

Le chlore des perchlorates correspond à 0*,948 de perchlorate de 
potasse. 

Cet essai démontre qu'il peut y avoir intérêt à rechercher et à doser 
dans le nitrate de soude du commerce les chlorales à côté des per- 
chlorates. On pourra exprimer tous ces chiffres en sels sodiques. 

L'analyse du nitrate, datant de 1896, nous a donné en résumé : 


‘Eau . ste 251,030 
Insolubles acides . 0 ,408 
Chlorure de sodium . 0 ,826 
Chlorate de sodium . 00517 
Perchlorate de sodium. 0 ,839 
Sulfate de sodium. . SORA OMRTS 
Nitrate de soude, potasse et non dosé. . 95,462 

100 ,000 


Préparation du nitrite de plomb. 


Le nitrite de plomb se prépare de plusieurs manières. Frésenius 
indique la suivante (1° partie, Analyse quantitative, 1900, 7° édition 
française, p. 45). 

« On se procure d’abord du sous-azotite de plomb en maintenant 
longtemps à l’ébullition une partie d’azotate de plomb dans 50 parties 
d’eau avec une partie et demie de plomb; ce sel se dépose sous forme 
de poudre blanche quand on refroidit brusquement la liqueur qui 
était d’abord jaune et qui s’est ensuite décolorée. On met ce sel en 
suspension dans l’eau et on y fait passer un courant d’acide carboni- 
que jusqu'à sa décomposition complète. La liqueur filtrée peut se 
conserver longtemps dans des flacons complètement remplis. » 


Coeñfficients. 


Dans toutes ces analyses on a donc souvent besoin de transformer : 
le chlore en chlorate ou en perchlorate, soit en sel potassique, soit en 


220 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sel sodique. Nous avons déterminé une série de coefficients pour 
simplifier les calculs : 


1. Chlore X 1,647 — chlorure de sodium. 
2. Chlore XX 3,454 — chlorate de potasse. 
3. CGhlore XX 3,904 — perchlorate de potasse. 
4. Chlore X 3,454 — perchlorate de soude. 
>. Ghlore X 3.002 — chlorate de soude. 

6. Chlorate de potasse XX 0,2903 — chlore. 

7. Perchlorate de potasse X 0,257 — chlore. 

8. Chlorate de soude X 0,333 — chlore. 

9. Perchlorate de soude X< 0,2903 — chlore. 

10, Chlorure d'argent DS 2 AT =ECHIOre; 


| 


CINQUIÈME PARTIE 


DE LA QUANTITÉ DE POTASSE CONTENUE DANS LES NITRATES 
DE SOUDE DU COMMERCE 


Dans son rapport de 1896, M. le D' Crispo ne mentionne pas la 
-potasse comme faisant partie du nitrate de soude. Cependant, il est 
fait mention de perchlorate et M. Crispo en a calculé la proportion à 
l’état de perchlorate de soude. 

M. Pagnoul, en 1898, parle du perchlorate de potasse. 

En 1896, M. P. de Caluwe donne des analyses de nitrates de soude 
dans lesquels le perchlorate est calculé sous forme de perchlorate de 
potasse et dans d’autres sous forme de perchlorate de soude. 

Il nous à paru intéressant de rechercher et doser la potasse dans 
les nitrates de soude du commerce, et nous avons eu : 

Pour 100 grammes de nitrate : 


28 FÉVRIER 7 MARS 17 AVRIL 30 JUILLET 

1901. 1901. 1901. 1901. 
Eau pére UTP ICNT 1,48 1,74 1,02 1,68 
HSpInbles SEE ONE TES 0,40 0,28 0,08 1,39 
Chlorure de sodium . 2,91 210 1,52 1,64 
Sulfate de soude : 0,55 0,83 0,24 1,10 
Pobisse seule, 5:23, 0,58 0,62 0,48 1,30 
Nitrate de soude et non dosé. 94,42 94,43 96,66 92,93 


100.00 100.00 100,00 100,00 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 221 


Dans un autre échantillon du 5 décembre 1901 on a dosé la po- 
tasse et on a eu 0,49 p. 100 : 


P. 100, 
Perchlorate : Ghlore total. . . . . . . . . . . . .. [5502 
CHORERTE SMSIRR 0 re RS UT Re 160 


Sur un autre nitrale essayé en juin 1902, de provenance analogue, 
on a dosé : 


SMIOTÉPDEUS Ayant. CR M nn CT 4 4 € 157,42 
— APRÈS CAICINATION. PEN Dee Lee Ve 1 ,79 
(Pas de perchlorates.) 


À propos de potasse dans le nitrate de soude nous avons pensé un 
instant qu’il pouvait y avoir un certain rapport entre la quantité de 
perchlorates et la dose de potasse renfermée. Cela n’a pas été con- 
firmé, mais la question à étudier reste toujours de savoir si on peut 
trouver du nitrate de soude perchloraté sans potasse ou s’il existe 
toujours de la potasse dans le nitrate de soude perchloraté ou non. 

Nous avons constaté déjà un fait, c’est que les nitrates que nous 
avons eus renfermaient toujours de la potasse, perchloratée ou non. 


SIXIÈME PARTIE 


SOUS QUELLE FORME EXISTE L’ACIDE PERCHLORIQUE 
DANS LE NITRATE DE SOUDE 


On à vu que, suivant les auteurs, l’acide perchlorique dosé dans le 
nitrate de soude était calculé sous forme de perchlorate de potasse, 
tantôt sous forme de perchlorate de soude. D'autre part le perchlo- 
rate de potasse paraît avoir une action sur la végétation beaucoup 
moins nuisible que le perchlorate de soude, d’après les expériences 
agricoles de M. P. de Caluwe. 

Puisque enfin on a réellement constaté les effets désastreux de 
certains nitrates de soude perchloratés sur la végétation de plusieurs 
plantes, il est à supposer que c’est bien à l’état de perchlorate de 


222 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


soude que lacide perchlorique existe dans le nitrate de soude, mal- 
gré Ja présence d’une certaine proportion de potasse. 

Précisément cette proportion de potasse devient une difficulté pour 
extraire directement le perchlorate de soude du nitrate. 

Si on examine les solubilités respectives des deux perchlorates on 
trouve que le perchlorate de soude est un sel déliquescent très solu- 
ble dans l’eau et dans l’alcool. Le perchlorate de potasse au contraire 
est peu soluble dans l’eau froide, presque insoluble dans l’alcool et 
insoluble dans l’alcoo!l contenant un peu d’acétate de potassium. 

En cherchant à éliminer par les dissolvants le perchlorate de 
soude, et en présence de la potasse, 1l peut y avoir une double dé- 
composition amenant la formation du perchlorate de potasse, le sel 
le plus insoluble. 

Il y a de ce côté quelques recherches à faire pour arriver à trou- 
ver une méthode sûre et certaine d'extraire directement le perchlo- 
rate de soude des nitrates commerciaux. Cela pourra avoir une cer- 
taine importance dans le cas où l’on voudrait reconnaître de suite si 
un nitrate renferme ou non du perchlorate de soude et s’il peut être 
employé sans danger en agriculture. 


CONCLUSIONS 


1° Le nitrate de soude du commerce peut contenir des quantités 
non négligeables de sels perchloratés ; 

2° Les proportions trouvées Jusqu'à ce jour ont été comprises 
entre traces et 1,50 p. 100. Cependant certains échantillons conte- 
naient 3,20 p. 100 de perchlorates calculés sous forme de perchlo- 
rate de potasse. D’autres ont, paraît-il, renfermé jusqu’à 6 p. 100 ; 

9° C’est surtout en 1896 qu’on s’est aperçu en Belgique de l'effet 
désastreux de l'application de certains nitrates de soude en agriculture. 

Au début, on n’attribuait aucune influence nuisible aux perchlo- 
rates de potasse ; 

° A la suite de divers essais spéciaux cependant, M. P. de Caluwe 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ,. 223 


a nettement établi que c’est surtout le perchlorate de soude qui es! 
un sel nocif pour la végétation, même à la dose de moins de 1 p. 100. 

Le perchlorate de potasse et le chlorate sont bien moins offensifs 
que le perchlorate de soude. 

C’est pourquoi en essayant directement l’influence du perchlorate 
de potasse on n’a pas obtenu les mêmes résultats désastreux en agri- 
culture qu’en appliquant le nitrate de soude perchloraté ; 

6° Il est facile de doser les perchlorates dans le nitrate de soude 
du commerce ; 

7° Il est également facile de rechercher et de doser les chlorates 
pouvant exister à côté des perchlorates. 

I suffit de doser : a) le chlore préexistant ; b) de doser le chlore total 
fourni par la calcmation complète de la matière. La différence cor- 
respond au chlore à l’état de chlorates et de perchlorates ; c) en trai- 
tant la liqueur après le dosage du chlore préexistant par du nitrite 
de plomb on obtient le chlore correspondant seulement aux chlorates. 
On a donc, par différence avec le chlore des chlorates et perchlorates, 
celui provenant des perchlorates ; 

8° Le nitrate perchloraté paraît contenir peu de chlorate ; 

9° Les nitrates de soude du commerce paraissent toujours contenir 
une certaine quantité de potasse qui n’a pas de rapport, du moims 
jusqu'ici, avec la dose de perchlorate trouvée ; 

10° 11 devrait être stipulé que dans les analyses de nitrate de soude, 
lorsqu'on procède à une analyse détaillée, on recherche : 4° les chlo- 
rates; 2 les perchlorates ; 3° la potasse, et que les deux premiers 
résultats soient exprimés sous forme de sels sodiques. 


NOTE ADDITIONNELLE N° 1 


Séparation et dosage des chlorures, chlorates 
et perchlorates. 


MM. N. Blattner et J. Brasseur ont déjà indiqué une méthode qui 
donne, paraît-il, de bons résultats (Chemische Zeitung, xx1v, 7938-75, 
4900 ; voir aussi le Bulletin de l’associalion des chimistes de sucre- 
rie et de distillerie de France et des colonies, 1900-1901, page 496). 


224 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


1° Détermination des chlorures. — On dissout dans un ballon de 
900 centimètres cubes, 20 ou 40 grammes du nitrate de soude à 
essayer et sur 50 centimètres cubes (soit 5 ou 10 grammes) on titre 
le chlore de la façon connue au moyen du nitrate d'argent. 


2 Détermination des chlorates. — On prend 50 centimètres 
cubes de la liqueur précédente, on traite par un courant d’acide 
sulfureux jusqu’à refus (ou bien on ajoute au liquide une solution 
saturée d’acide sulfureux), on fait bouillir légèrement pour chasser 
l'excès d’acide et à la liqueur encore chaude on ajoute du carbonate 
de chaux précipité pour saturer l’acide sulfurique formé, 

Après refroidissement on titre au moyen de la liqueur argentique 
en bloc le chlore des chlorures et celui des chlorates, d’où le chlore 
des chlorates par différence avec le premier essai, l’acide sulfureux 
réduisant seul les chlorates. 


3° Dosage total du chlore, des chlorures, chlorates et perchlo- 
rates. — On obtient le chlore total en calcinant 5 grammes de ma- 
tière avec une certaine dose de chaux et en suivant les instructions 
connues indiquées dans notre texte. 

On a alors, par différence avec le résultat n° 9, le chlore des per- 
chlorates. 

Les auteurs ont vérifié leur procédé en analysant des produits 
auxquels on avait ajouté des chlorates et on a eu : 


CHLORURE. CHLORATE. CHLORE TOTAL, 

Chlore mis : Grammes. Grammes. Grammes. 

L'Or 0,0224 0,100 0,1224 

CARE À 0,0224 0,060 0,0824 

Su cie 0 ,0224 0,020 0,0424 
Chlore retrouvé : 

ÉRArRrAS 0,0224 0,1020 0,1244 

2 0,0224 0 ,0606 0,0830 

3 0,0224 0,0190 “0,0414 


Ces résultats sont suffisamment précis pour démontrer que la mé- 
thode de séparation des chlorates et des perchlorates par l'acide sul- 


LE NITRATE DE SOUDE PERCHLORATÉ. 225 


fureux de MM. Blattner et J. Brasseur peut être également employée 
pour l'analyse des nitrates de soude du commerce pouvant contenir 
du chlore sous les trois états. 


NOTE ADDITIONNELLE N° 2. 


Recherche des chlorates dans les nitrates. 


Au cinquième Congrès international de chimie appliquée à Berlin 
en 1903, M. Vincente de Laffitte a présenté une nouvelle méthode 
permettant de voir s’il existe des chlorates en présence des nitrates, 
chlorures et perchlorates dans les nitrates de soude du commerce. 
Voici le résumé de cette méthode : 

« La base de mon procédé pour la recherche des chlorates en pré- 
sence des nitrates, chlorures et perchlorates consiste dans l'emploi 
du réactif suivant : { centimètre cube d’aniline pour 40 centimètres 
cubes d’eau. On ajoute à une solution de nitrate quelques gouttes 
du réactif et ensuite l’acide chlorhydrique à 22° B° jusqu’à doubler le 
volume du liquide. Il apparaît une coloration rouge violacée qui 
passe au bleu intense, s’il y a la moindre trace de chlorates. » 


ANN,. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 15 


GLYCOGÉNIE 


ET 


ALIMENTATION RATIONNELLE 
A US TC ESE 


PAR MM. 


J. ALQUIER 


INGÉNIEUR-AGRONOME 
CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DE LA SEINE 
ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES 
A PARIS 


D' À. DROUINEAU 


MÉDECIXN-MAJOR DE 2e CLASSE AU 128° RÉGIMENT D'INFANTERIE 


(Suile'.) 


V. — CONSÉQUENCES PRATIQUES DES DONNÉES PHYSIOLOGIQUES PRÉ- 
CÉDENTES. RÔLE DES ALIMENTS HYDROCARBONÉS. DE L'ACTION DU 
SUCRE DE CANNE SUR L'ORGANISME ET DE SON UTILISATION DANS 
LA NUTRITION ANIMALE. 


Conséquences pratiques du rôle physiologique des hydro- 
carbonés de l’économie animale. 


Arrivés à ce point de notre étude, il n’est pas inutile de résumer 
ce que nous venons d'apprendre sur la glycogénie animale. Un cer- 
tain nombre de faits bien précis se dégagent d’un coup d’œil d’en- 
semble jeté sur la physiologie de cette grande fonction. Ceux-ci 
n'intéressent pas seulement la science pure, car ils comportent de 


1. Voir ces Annales, t. 1, 1902-1903. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 227 


nombreuses conséquences pratiques, fort importantes. Réunissons 
et condensons toutes celles de nos déductions qui peuvent présenter 
un intérêt général; nous allons trouver, sans de grandes explications 
et d’une façon toute logique, de nombreux arguments susceptibles 
de plaider d'eux-mêmes en faveur de lintroduction des matières 
sucrées, et principalement du sucre de canne, dans le régime ali- 
mentaire de l’homme et des animaux. 

Nous avons d’abord constaté que la matière sucrée revêt, dans 
l’économie animale, deux formes principales et presque exclusives : 
une forme de dépôt, c’est-à-dire de réserve fixe, le glycogène, puis 
une forme soluble, le glucose, constituant, au contraire, le terme 
ultime auquel aboutit toujours la provision hydrocarbonée en circu- 
lation dans l’organisme. La persistance continuelle et absolue, 
durant la vie de l’animal, de l’une au moins de ces substances, le 
glucose, nous a conduit à penser que les hydrates de carbone de 
l'économie devaient avoir une importance physiologique capitale. 
Quelle que soit en effet leur origine, ils sont toujours destinés à dis- 
paraître et c’est là une preuve certaine que la cellule vivante les 
utilise. À quoi lui servent-ils donc? Il faut, en premier lieu, consi- 
dérer le glucose et le glycogène comme une source et une provision 
d'énergie, source et provision d'autant plus précieuses que ces prin- 
cipes sont en contact avec les tissus et se trouvent ainsi continuelle- 
ment à leur disposition. C’est pour que le potentiel inhérent aux 
hydrocarbonés physiologiques soit libéré, c’est pour rendre ce po- 
tentiel utilisable et satisfaire ainsi aux besoins énergétiques de l’or- 
ganisme, que le glycogène se transforme en glucose et que le sucre 
du sang est dégradé par les diastases hydrolysantes et oxydantes en 
produits de plus en plus simples, jusqu’au moment où sa transforma- 
tion en eau et en acide carbonique sera complète. Ces phénomènes 
s’exagérent durant le travail musculaire. Le glycogène est alors 
fortement entamé et tend à disparaître des tissus, en même temps 
que le glucose est brûlé dans les capillaires en plus grande quantité. 
Avec les conditions d’existence de la vie normale, qui, au fur et à 
mesure des besoins, renouvellent suffisamment la provision de sucre 
en circulation dans le sang ainsi que les réserves de glycogène, l’é- 
nergie consacrée par les muscles à la production d’un travail de 


228 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


peu de durée a sa source principale et même exclusive dans la com- 
bustion des hydrocarbonés de l'organisme. Nous avons longuement 
énuméré à ce sujet toute cette série de recherches qu’un physiolo- 
giste résumait ainsi : « Pas de glucose, pas de travail intérieur dans 
les muscles, pas de production de chaleur, refroidissement et mort. 
Le glucose est l’aliment indispensable de la vie des muscles. » C’est 
sur la foi de ces mêmes expériences que M. Chauveau, poussant la 
thèse à l’extrême, affirmait que tous les aliments physiologiques ne 
sont utilisés par le muscle en activité qu'après avoir été transformés 
en glucose. Mais peu importe que expérimentation confirme plus ou 
moins complètement cette opinion, il n’en reste pas moins démontré 
que le muscle en contraction consomme avant tout des hydrocarbo- 
nés, et que si le travail est proportionné à la provision de sucre 
immédiatement disponible ou en réserve, c’est ce dernier seul qui 
fournit l'énergie dépensée par la contraction. La production de la 
force musculaire ne réclamant l'intervention des graisses et surtout 
des matières azotées qu’en tout dernier lieu, le sucre physiologique 
constitue, en définitive, le charbon usuel el normal que le muscle 
consomme de préférence, tant qu’il en trouve à sa disposition pour 
alimenter ses réactions intra-organiques, sources de travail et de 
chaleur. D'où cette conclusion d’un intérêt éminemment pratique, 
bien qu’elle concerne la nutrition intime de l’organisme : I faut que 
le muscle et d'une facon générale la machine vivante, à laquelle on 
demande de fournir du travait mécanique, soit le plus abondamment 
possible pourvue des matières sucrées qui lui sont propres. On ne 
peut en effet mieux préparer les organes en vue de l’exécution d’un 
travail long ou pénible, qu’en les imprégnant d’une abondante ré- 
serve de glycogène et en saturant autant que possible de glucose le 
liquide nutritif qui les baigne. 

D’après ce que nous savons déjà, les hydrocarbonés, dans ce cas, 
suffiront presque exclusivement à la dépense d'énergie, épargnant 
ainsi les réserves graisseuses des muscles et à plus forte raison les 
albuminoïdes dont se composent les tissus. Nous avons une autre 
conclusion intéressante à tirer du dernier chapitre. Rappelons-nous 
les expériences de Chandelon, Morat et Dufour. Elles nous ont permis 
de constater que les membres.tétanisés retiennent dans le sang une 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 229 


quantité considérable de sucre, et cela en vue de renouveler leur 
provision de glycogène épuisée par le travail précédent. Le fait 
mérite d'attirer l’attention, car il laisse espérer qu’en fournissant 
abondamment au muscle fatigué et épuisé de quoi se reconstituer 
une réserve hydrocarbonée, on peut, suivant l’expression commune, 
lui redonner rapidement de la force, et le mettre à même ou bien 
de continuer le travail ralenti sinon interrompu par excès de fatigue 
ou bien, s’il y a arrêt, de se charger d’énergie pour plus tard. 

Mais là ne se borne pas le rôle physiologique des hydrates de car- 
bone de l’économie. Quelle que soit encore leur origine, ils peuvent 
également se transformer tout à la fois, d’un côté en corps gras 
emmagasinés par l’organisme dans les cellules de son tissu adipeux, 
et d’un autre côté en acide carbonique et en eau, déchets résiduaires 
inutilisables que le rein et les poumons se chargent d’excréter. Voilà 
du moins ce qui semble résulter non seulement des recherches de 
Richet et Hanriot, de Bleibtreu* et de Pembrey*, car leurs observa- 
tions prises isolément ne seraient pas suffisamment démonstratives, 
mais surtout des nombreux cas d’engraissement bien étudiés, comme 
nous le verrons, où la graisse accumulée dans les tissus, ne pouvait 
avoir qu’une origine hydrocarbonée. Le fait, comme il est facile de 
s’en rendre compte, comporte lui aussi une conséquence pratique et 
ne peut être ignoré de ceux qui veulent exagérer dans l’organisme 
la production normale de la graisse. Celle-ci a par elle-même une 
haute valeur économique. De plus, elle est susceptible de constituer 
une source abondante d'énergie. Lorsque les corps gras disparaissent 
en effet, en subissant, comme le glucose, une oxvdation graduelle, 
ils mettent en liberté du potentiel, et cette force devenue dès lors 
disponible peut être utilisée, par exemple, pour produire du travail 
musculaire. La réserve adipeuse est même encore plus précieuse 
que la réserve hydrocarbonée, puisque, à masse égale, la graisse 
apporte au moins moitié plus d'énergie que les autres catégories 
d’aliments. 

Devant ces considérations, nous ne pouvons échapper à la déduc- 


1. Bleibtreu, Arch. f. d. ges. Physiol., 1901, t. LXXXV, p. 345. 
2. Pembrey, Journ. of Physiol., 1901, t. XXVIL, p. 406. 


28024 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tion générale suivante : I faut faire en sorte que les hydrocarbonés 
physiologiques ne fassent jamais défaut aux animaux utilisés 
comme moleurs ou destinés à l'en yraissement, c'est-à-dire que leur 
organisme soil en quelque sorle toujours saturé de matières sucrées. 
Pour utiliser cette idée, voici le moment de nous souvenir que c’est 
la fonction glycogénique qui assure à l’animal sa provision hydro- 
carbonée, et que cette fonction se trouve sous la dépendance immé- 
diate de l'alimentation. Nous pouvons alors nous demander : que 
faut-il faire ingérer à l’animal pour provoquer, dans son économie, 
sans nuire naturellement à sa santé, la production la plus abon- 
dante possible de glycogène ou de glucose ? 

Nous savons que, d’une façon générale, la cellule animale vivante 
Joue un rôle fort important vis-à-vis des principes assimilables que 
le sang lui apporte après s’en être chargé au niveau de l'intestin. 
D'une part, elle sait les accumuler. D’autre part, elle peut les trans- 
former en opérant les transmutations les plus diverses et les plus 
étonnantes. Cette chimie de la cellule, nous avons tenu à l’étudier en 
détail au cours d’un des chapitres précédents. Peut-être nous at-elle 
souvent paru bien obscure et mystérieuse, mais il nous a presque 
toujours été permis de constater que ses réactions tendaient, entre 
autre but, à fabriquer du sucre, même si cette substance était 
absente de l’alimentation. Quelle que soit en effet la qualité de la 
matière assimilable introduite dans l’économie, que l'animal ingère 
des protéiques sous forme de viande maigre et même des corps 
gras, si l’on se résout à adopter les conclusions de Seegen, de Chau- 
veau et de Rumpf, la cellule, après avoir arrêté les matériaux au 
passage, sait réaliser à leurs dépens la synthèse du sucre du sang et 
du glycogène, si facilement transformable, comme l’on sait, en glu- 
cose. Et 1l devient alors logique de considérer ce dernier sucre comme 
le terme ullime des différentes catégories d'aliments et de leurs trans- 
mulations réciproques dans la cellule vivante. Pouvait-il en être 
autrement? Certes non, puisque nous avons été conduits, en tout 
dernier lieu, à reconnaître que cet hexose est une source indispen- 
sable d'énergie pour les Lissus vivants? Ainsi se trouve résumé aussi 
simplement et exactement que possible ce qui touche au mécanisme 
de l’origine et du caractère de la fonction glycogénique. L'œuvre de 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 231 


CI. Bernard nous en avait déjà laissé entrevoir les conséquences pra- 
tiques et toute la philosophie. Nous comprenons mieux maintenant 
comment la vie cellulaire se trouve soustraite à la variabilité inces- 
sante des conditions et de la qualité de l'alimentation et comment, en 
fin de compte, la nutrition intime conserve cette fixité relative sans 
laquelle elle manquerait son but. 

Mais toutes ces notions du début, c’est-à-dire le fait de savoir que 
la formation des hydrocarbonés dans l’économie animale est une 
réaction nécessaire, nullement localisée et susceptible de s'effectuer 
aux dépens de n'importe quelle catégorie de substances, sont beau- 
coup trop générales et ne peuvent être d’une application pratique 
immédiate. Pour les compléter, il faut maintenant reporter notre 
attention non plus sur la possibilité qu’a toute cellule vivante de 
fabriquer du sucre, mais plus particulièrement sur la glycogénie 
hépatique. Cest elle, en effet, qui pourra le mieux nous renseigner 
sur la qualité du régime alimentaire susceptible, entre tous, de 
reconstituer ou d'entretenir le plus facilement, le plus rapidement et 
surtout le plus abondamment possible cette provision de chaleur et 
d'énergie latentes que constitue la matière sucrée physiologique. 
Nous avons vu que la cellule hépatique est le type de ces éléments à 
utilité générale qui, tout en vivant et assurant comme les autres leur 
propre nutrition, ne travaillent cependant pas toujours dans des 
vues personnelles et égoistes et élaborent des substances que l’asso- 
ciation entière utilise. Par cela même, le foie constitue donc un 
véritable laboratoire, préposé à la transmutation des diverses caté- 
gories d'aliments. Nous savons qu’il joue en outre le rôle de réser- 
voir alimentaire, qu’il est en quelque sorte le grenier de réserve ou 
mieux le garde-manger de l’organisme et voici comment. Lorsque 
le sang lui apporte un excédent de matériaux, ainsi que cela arrive 
après les repas, au cours de la digestion, il l’arrête afin, comme nous 
le savons, d'élaborer à ses dépens une matière sucrée unique, de 
propriétés physiques et chimiques presque invariables et ne révélant 
par aucun indice, apparent du moins, la source d’où elle dérive. 
Cette matière sucrée étant, de par sa composition et sa nature 
physique, un aliment de réserve, inassimilable sous sa propre forme, 
le foie en toute logique la garde et l’emmagasine. Mais ce qui pré- 


232 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sente autant d'intérêt c’est que plus tard, lorsqu'il s’en dessaisit et la 
rend directement utilisable, il ne le fait qu’en proportionnant son 
débit aux besoins de l’organisme. Voilà pourquoi l’une de nos pre- 
mières observations concernant le glycogène a-t-elle été de constater 
Justement que sa proportion variait fréquemment dans les tissus et 
qu'elle semblait dépendre avant tout des dépenses dynamiques et 
calorifiques de l’organisme. Le travail musculaire fait disparaitre 
en quelques heures la plus grande partie du glycogène musculaire 
et la presque totalité du glycogène hépatique. L'entretien de la cha- 
leur animale provoque de même la disparition des réserves glyco- 
géniques, ainsi que Cavazzani a pu le démontrer tout récemment. 
Pour étudier les rapports de la thermogénèse et de la glycogénie 
hépatique, il empoisonna des chiens avec de l’acide prussique. Ayant 
noté dans le foie les variations simultanées de la température et du 
glycogène, il constata que le thermomètre montait tant que le glu- 
cose formé augmentait. Dès qu'il n’y avait plus formation de sucre 
par la glande, il ne se produisait plus de chaleur. Autrement dit la 
quantité de chaleur développée se montra toujours proportionnelle 
à la quantité de glucose excrétée par le foie. Nous comprenons 
maintenant d’une façon très nette pourquoi l'exercice musculaire et 
le refroidissement augmentent les combustions intraorganiques et 
occasionnent forcément la surproduction par le foie du glucose néces- 
saire à l’alimentation de cette suractivité des réactions. Toutes ces 
idées s’enchainent fort bien. 

Puisque la production du travail musculaire et l'accumulation de 
l'énergie sous forme de réserves hydrocarbonées ou graisseuses, 
ainsi du reste que l’entretien continuel et obligatoire de la constante 
thermique, sont aussi intimement liés, dans l’économie animale, à 
la mise en circulation du glucose par le foie, on voit que l’on peut 
ne porter son attention que sur la glycogénie hépatique. En assurant 
au foie une large provision de réserve hydrocarbonée, nous serons 
sûrs, car cet organe est régulateur parfait, qu’il fournira le sucre aux 
différents organes sans le gaspiller, c’est-à-dire en quantité d'autant 
plus grande, que ceux-ci fonctionneront plus activement. 

Comment donc approvisionner ce grenier au mieux des intérêts de 
l'organisme ? Comment « recharger à refus » la cellule hépatique 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 233 


que nous sommes autorisés à considérer comme un véritable accu- 
mulateur d’énergie ? Nous avons eu l’idée de chercher à opérer 
directement cette charge ; pour cela nous avons injecté lentement 
dans le foie, par la veine porte, des solutions étendues de diverses 
substances reconnues auparavant assimilables, qualité sur la significa- 
tion de laquelle les travaux de CI. Bernard ont bien précisé nos idées, 
et appartenant à l’un des trois groupes fondamentaux des albumines, 
des graisses et des hydrates de carbone. L'expérience a été très dé- 
monstrative. Nous avons constaté que, dans ces conditions, les pro- 
téiques et les corps gras étaient arrêtés, puis accumulés et peut-être 
ensuite très probablement transformés, mais nous avons aussi acquis 
la certitude que la cellule hépatique était loin de jouer à leur égard 
un rôle d’arrêt et de transformation aussi net que vis-à-vis de cer- 
tains hydrates de carbone. La circulation artificielle dans le foie d’une 
solution de l’un des quatre hexoses directement utilisables a toujours 
en effet provoqué sous nos yeux une charge glycogénique presque 
immédiate de la glande. Cela signifiait que, lorsque cet organe reçoit 
beaucoup de sucre en nature, une partie tout au moins de cet excédent 
alimentaire s’y arrête et s’y accumule sous la forme réglementaire, 
peut-on dire, des réserves hydrocarbonées de l’économie animale. 


Rôle des hydrocarhbonés alimentaires. — Le besoin 
d’albumine. 


Il nous est possible de résumer maintenant en une conclusion 
générale, toutes les notions que nous avons acquises au cours des 
chapitres précédents et que, dans ces dernières pages, nous avons 
essayé d’enchaîner aussi logiquement que possible. Voici la théorie 
que les observations et expérimentations scientifiques nous autorisent 
à admettre. Nous savons, d’une part, que les capillaires de l’intestin 
sont des voies ouvertes à la pénétration de toutes les substances 
solubles et que, dans ces conditions, l’on ne peut douter de l’ab- 
sorption certaine des quelques sucres assimilables auxquels abou- 
tissent toujours, sous l’effet de la digestion, les divers et nombreux 
hydrates de carbone alimentaires. Nous avons vu d’un autre côté 
que le foie, de par la place qu’il occupe sur le trajet de la circula- 


234 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

tion générale, se trouve forcément traversé par les principes qui, 
résorbés daris l'intestin, pénètrent dans le sang. La glande hépatique 
reçoit ainsi forcément et arrête, comme nous le savons, les sucres 
résultant de la transformation des hydrocarbonés dans le tube diges- 
if. Les utilisant presque directement et en nature elle en fait du 
sucre physiologique. Associons à ces idées tout ce que nous avons 
appris sur le rôle de la matière sucrée propre à l’économie animale 
et nous voici obligés de conclure que les hydrocarbonés (sucres, 
féculents, glucosides et celluloses) doivent constituer l'alimentation 
dynamique par excellence. Plus que les aliments des deux autres 
catégories, 1ls seront capables de fournir à l'organisme de l’énergie 
immédiatement disponible soit pour alimenter le travail mécanique 
soit pour entretenir la constante thermique du corps. Plus que les 
protéiques et les graisses, ils mettront en outre l’animal à même 
d’accumuler de l’énergie, en vue de besoins futurs, sous forme de 
réserves hydrocarbonées ou 2raisseuses. 

Ainsi se trouve justifiée physiologiquement la prédominance des 
aliments hydrocarbonés dans les rations qui, au dire des statistiques, 
sont susceptibles de maintenir les hommes et les animaux en équili- 
bre matériel et énergétique, autrement dit en équilibre nutritif. L’ins- 
ünet guide donc bien l’organisme humain en le poussant, ainsi que 
nous l’observions dans le dernier chapitre, à s’alimenter d'autant plus 
volontiers de féculents que l’âge ou la situation sociale obligent l’in- 
dividu à fournir plus de travail. C’est également parce qu'ils se sont 
toujours inspirés de ces idées que M. Grandeau et ses collaborateurs, 
au cours des essais poursuivis depuis 1880 dans l’écurie du labora- 
toire de recherches de la Compagnie générale des voitures, n’ont 
jamais eu d'échec en cherchant à augmenter le plus possible l'ami- 
don, les celluloses saccharifiables, les celluloses et le sucre de la 
ration du cheval de trait. Le cultivateur enfin a observé juste :en 
constatant l’utile intervention des aliments hydrocarbonés et en les 
faisant entrer, plus abondamment que ne le lui permettait la routine, 
dans l'alimentation des femelles laitières et des animaux de bouche- 
rie à l’engrais. En la circonstance la pratique confirme la théorie. 
Et lorsque l’on songe que le glycogène et le glucose de l’économie 
animale se rattachent directement, par leur composition chimique, 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 239 


aux sucres résultant de l’hydrolyse digestive des aliments hydrocar- 
bonés, toutes ces conclusions semblent, sans démonstration, natu- 
relles et évidentes. C’est donc bien surtout au niveau du foie que 
doivent s’accumuler les sucres ingérés en nature ou sous une forme 
susceptible de régénérer des hexoses assimilables, et si l’apport a été 
copieux on peut compter sur la réserve ainsi formée pour fournir à 
l'organisme son sucre physiologique au moment des disettes alimen- 
taires et des dépenses dynamiques. | 

Voilà pourquoi et comment nous sommes conduits à admettre fina- 
lement que l’animal, en ingérant plus ou moins d’'hydrocarbonés, 
est maitre d'accroître ou de diminuer l'énergie dont son organisme 
peut immédiatement disposer. Mais puisque la vie consiste à un cer- 
tain point de vue en une transmutation continuelle d’énergie, pour- 
quoi la ration alimentaire ne se composerait-elle pas alors exclusi- 
vement d’hydrates de carbone ? Celui qui vivrait ainsi commettrait, 
faute de réflexion, une grosse erreur. Quelle est en effet la desti- 
nation finale de laliment hydrocarboné ? Est-ce d’apporter les maté- 
riaux nécessaires à la réparalion et à l'entretien des organes? Four- 
nit-il des principes essentiellement susceptibles de faire partie 
intégrante des tissus eux-mêmes ? Évidemment non. L'organisme n’é- 
labore guère aux dépens des principes ternaires que des substances 
de passage, destinées, soit qu’elles cireulent dans le sang ou s’accu- 
mulent dans les tissus sous forme de réserves sucrées et de graisses, 
à ne constituer pour l’organisme qu’une source d’énergie, source 
sinon exclusive du moins prépondérante, nous le savons. « Pas plus 
que le charbon, disait Buñge, l'aliment hydrocarboné ne fait partie 
de la machine motrice dans laquelle il est introduit ». Or, celte ma- 
chine s’use. Prenons l’homme comme exemple. La chimie nous 
apprend qu'un adulte perd chaque jour par les urines, les excré- 
ments, l’évaporation cutanée et respiratoire de 2 à 3 litres d’eau dont 
0/6 proviennent de l’eau de boisson et 1/6 de l’eau formée au cours 
des combustions intra-organiques. Par les urines, les excréments, la 
sueur, etc., il élimine encore de 30 à 35 grammes de matières 
minérales. Dans ses excreta (acide carbonique de l’air expiré, excré- 
ments, urine) on trouve avec cela près de 300 grammes de charbon 
et pas loin de 20 grammes d’azote éliminé par le rein sous forme 


236 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

durée, d'acide urique. fl faut couvrir ces pertes. Vu sa composition 
chimique, peut-on demander à l'aliment hydrocarboné de rétablir à 
lui seul l'équilibre matériel? Admettons qu’il puisse suffire à rem- 
placer tout le carbone perdu, la ration de l’homme, en plus natu- 
rellement des 10 mètres cubes d’air qu’il inspire environ par Jour, 
n’en doit pas moins comprendre également une quantité suffisante 
d’eau, de sels inorganiques et enfin d’azote. La sensation de la soif 
pousse l’homme à boire, c’est vrai! De plus les substances orga- 
niques de provenance animale ou végétale ingérées habituellement 
par les animaux contiennent toujours, sous une forme convenable, 
les sels minéraux indispensables à la vie. Aussi, pour abréger le rai- 
sonnement, nous pouvons ne pas tenir compte parmi les aliments 
nécessaires de l’eau et de la matière minérale. Reste l’azote. Nous 
en trouvons dans les principes organiques azotés et nous avons vu 
que parmi ces derniers les albuminoïdes peuvent seuls, ou à peu 
près, fournir cet élément sous une forme réellement assimilable. 
L'organisme a besoin d’albuminoïdes et, quand on l’en prive, même 
s’il reçoit copieusement des aliments ternaires, l’affaiblissement et 
ensuite la mort surviennent toujours finalement. Ce n’est pas le lieu 
de discuter ici les causes de ce besoin d’albumine et de se demander 
pourquoi nous perdons par jour plus d’une centaine de grammes 
de notre propre matière azotée alors que la desquamation de la 
peau, des organes et des tissus est tout à fait minime. La physio- 
logie ne s'explique guère le phénomène. Peu nous importe du 
reste ! Il nous suffit de savoir que toute ration doit contenir une 
certaine dose de protéiques et alors le seul côté intéressant pour 
nous de la question c’est de rechercher dans quelle proportion il 
faut associer l'aliment azoté aux autres principes nutritifs. Tout 
d’abord le régime exclusivement albuminoïde peut-il présenter 
quelques avantages ? Il est des faits qui plaident en sa faveur. On 
sait par expérimentation, du moins en ce qui concerne les carni- 
vores, que l’albumine, ingérée seule, suffit à entretenir la vie. Cet 
aliment peut en effet servir à la fois à la réparation des tissus et à la 
production de l'énergie, c’est-à-dire répondre à tous les besoins 
physiologiques. Rien de cela n’est de nature à nous étonner. Nous 
savons que l'organisme sait élaborer du sucre aux dépens de la ma- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 237 


tière quaternaire et que ce sucre, tout aussi bien que celui qui pro- 
vient des hydrates de carbone, est apte à produire de la chaleur, à 
fournir du travail musculaire ou à se transformer en graisses. Une 
alimentation exclusive à la viande est théoriquemeut suffisante pour 
les carnivores, mais si l’on veut appliquer le raisonnement aux om- 
nivores et aux herbivores, autrement dit à l'homme et aux animaux 
exploités comme moteurs ou comme producteurs de viande, de 
graisse ou de lait, on se rend facilement compte qu’il n’est pas pos- 
sible de toujours accorder à l’aliment azoté une importance aussi 
considérable. Il ne suffit pas que la ration calculée apporte à l’orga- 
nisme la matière et l'énergie nécessaires pour éviter la déchéance 
organique-et satisfaire aux dépenses dynamiques, il faut que cette 
ration théorique soit pratiquement supportée sans accidents par le 
tube digestif. Or, après ingestion à poids égaux, tous les aliments 
organiques ne sont pas tolérés de même. Avec un régime quotidien 
de 1 500 à 2 000 grammes de viande, l'homme, au bout de quelques 
jours, est pris de vomissements et de diarrhée. Que serait-ce s’il 
mangeait 3 kilogrammes de chair musculaire, quantité théorique- 
ment nécessaire pour satisfaire à ses besoins physiologiques nor- 
maux ? Un régime carné exclusif serait à plus forte raison encore 
moins bien supporté par le tube digestif des herbivores. Ceux-ci de 
même que l’homme doivent en somme et de toute nécessité ingérer 
des substances ternaires, graisses ou hydrates de carbone. Pour 
clore cette discussion sur la composition chimique qualitative du 
régime susceptible dans la pratique courante de présenter, entre 
tous, le plus d'avantages, il ne nous reste plus, le minimum néces- 
saire d’azote étant assuré, qu'à savoir mélanger en proportions con- 
venables les aliments gras et les hydrates de carbone. La chose est 
simple, car il est des faits d’observation et de raisonnement suscep- 
tibles de guider en toute sécurité notre choix. L’expérimentation 
nous apprend tout d’abord que les fortes rations de graisses sont 
infiniment moins bien utilisées et supportées par le tube digestif que 
les doses massives d’hydrates de carbone. Il est impossible avec cela 
de ne pas faire entrer en ligne de compte que la plupart des substances 
végétales ligneuses et même amylacées ont une valeur marchande 
bien inférieure à celle des graisses alimentaires. Devant de sem- 


238 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


blablés raisons, du moins en ce qui concerne l’homme et les herbi- 
vores, On ne saurait alors ne pas admettre que pour salisfaire aux 
conditions physiologiques el économiques d’une bonne alimentation 
il faut établir aussi largement que possible la ralion hydrocarbonée. 
De cette conclusion découlent inévitablement les deux corollaires sui- 
vants. Le premier c’est que les graisses ne sont là que pour remplacer 
sous un moindre volume une partie des hydrales de carbone, lorsque 
la quantité à ingérer de ces derniers aliments peut surcharger outre 
mesure le tube digestif. Le second corollaire concerne la matière 
azotée et s’énonce ainsi : Puisque l'albumine ne joue qu'un rôle 
secondaire dans les dépenses énergéliques de l'organisme, elle ne doil 

| plus figurer dans le bilan total des recettes après que l’on a lenu 
comple, en établissant la ration, du besoin impérieux d'un minimum 
d'azote. Gela signifie en termes moins scientifiques que la viande est 
loin de mériter, comme aliment, la faveur surfaite dont elle jouit dans 
l'opinion générale et que ce n’est pas elle qui donne de la force et 
permet d'accomplir le travail le plus considérable, 

C’est là une loi d'hygiène sociale qu'il faut-s’efforcer de répandre 
et cela avec d'autant plus de vigueur qu’elle est encore aujourd’hui 
presque entièrement méconnue du grand public. Depuis Liebig, nom- 
breux en effet ont été les physiologistes et les médecins qui ont vanté 
outre mesure les effets de l'alimentation carnée ; on lui attribuait une 
certaine action excitante sur les principales fonctions de nutrition. 
Sans elle, disait-on, pas d’élan, pas d'énergie physique et morale. Sans 
elle point de salut pour le convalescent. Ce sont là des phrases que 
tout le monde a entendu dire et redire. Dans un autre ordre d'idées, 
c’est en raisonnant de même que Boussingault fut conduit à admettre 
que la valeur nutritive d’un fourrage est proportionnelle à sa teneur 
en azote, et l’alimentation du bétail est encore souvent régie par ces 
conclusions étroites et incomplètes. Les laboratoires de recherches 
continuent à travailler sur la composition et les méthodes analyti- 
ques permettant de doser les diverses matières azotées, alors qu’on 
se contente le plus souvent de déterminer par différence la teneur 
des aliments en principes ternaires. La question de l'azote a trop 
hypnotisé le monde savant et l'hygiène alimentaire s’en ressent. 
Heureusement que les idées changent et cèdent aux bonnes raisons. 


GLYCOGËNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 239 


On commence aujourd’hui à abandonner les premiers errements, 
et les médecins se mettent, d'eux-mêmes, à suivre le mouvement 
imprimé par les physiologistes. Ils comprennent que l'organisme n’a 
rien à craindre de la combustion des substances ternaires, car Peau 
et l’acide carbonique ne peuvent être des déchets dangereux, ce 
dernier gaz n'étant, de par sa volatilité, retenu qu’en très minime 
quantité dans les liquides et les tissus. L’albumine, au contraire, est 
autrement nocive. Son oxydation, toujours incomplète, fournit de 
l’urée, de l’acide urique, des toxines, des corps amidés, des leuco- 
maines, des ptomaines, etc.'. Ce sont là, il est vrai, des résidus que 
les organes d’excrétion entrainent d’une façon régulière, mais qu’un 
état pathologique quelconque vienne à entraver les fonctions d’éli- 
minations, il en est peu parmi ces substances qui n’agissent pas alors 
comme de véritables poisons*. Pour diminuer les chances d’intoxica- 
tion, on doit logiquement commencer tout d’abord par n’ingérer 
qu’en aussi petite quantité que possible la matière première d’où 
dérivent les corps les plus dangereux. Nous n’arrivons parfois même 
pas à détruire où à éliminer ces toxines d’origine interne que les 
tissus ou les organes font naître aux dépens de leur propre substance 
azotée par excès d'activité ou défaut de fonctionnement*. N’aggra- 
vons pas encore l’aulo-intoxication en demandant aux protéiques plus 
que ce qui en est nécessaire pour satisfaire notre besoin d’albumine. 
Passé cette limite, l'aliment azoté ou, pour être plus explicite, la 
viande ne peut que constituer une cause de danger. C’est dans ce 
sens que plaide en ce moment le monde médical et souvent avec tant 
d'ardeur qu'il arrive à ranger l’alimention carnée excessive, à côté de 
l’alcoolisme par exemple, au nombre des plaies sociales. En toutes 
choses, l’exagération n’a jamais raison et il ne faudrait pas en con- 
clure que si nous ne devenons pas tous végétariens c'en est fini 
de l'individu et de la race! De même que les herbivores, gardons 
notre alimentation naturelle. Que l’homme reste omnivore, mais qu’il 


1. À. Gautier, La chimie de la cellule vivante (Encyclopédie Léauté). 

2, Charrin, Poisons de l'urine, poisons du tube digestif. ? volumes (Encyclopédie 
Léauté). 

3. Charrin, Poisons des tissus (Encyclopédie Léguté). 


240 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


n'oublie pas que ce sont les classes peu fortunées, celles justement 
dont le régime semble le moins enviable, qui se nourrissent ration- 
nellement et savent se combiner les rations les plus avantageuses, 
alors que l'alimentation carnée dont abusent les classes aisées ne peut 
être pour elles qu’une source de tares, malheureusement en grande 
partie héréditaires. Voilà ce qu'il faut bien faire comprendre et le 
moyen le plus sûr de convaincre tout le monde c’est de prouver que 
dans la pratique comme en théorie les hydrates de carbone consti- 
tuent le meilleur combustible dont l'organisme puisse se servir et 
celui qui se trouve le mieux convenir à la machine animale. 


Combustibilité des divers principes alimentaires. 


Nous sommes déjà suffisamment documentés à ce sujet, car les 
faits accumulés dans le dernier chapitre arguent tous sans exception 
en faveur du rôle énergétique des hydrates de carbone. C’est presque 
exclusivement à leurs dépens, avons-nous conclu, que s’accomplit le 
travail musculaire. Sans doute le muscle peut utiliser pour sa con- 
traction les substances organiques les plus diverses, mais ilne le fait 
pas indistinctement. Il s'adresse en tout premier lieu aux hydrocar- 
bonés et n’emprunte les protéiques et les graisses, dont il dispose du 
reste aussi facilement, que dans les cas d’alimentation insuffisante 
ou d’épuisement trop accentué de sa propre réserve sucrée. Telle 
est la loi dont M. Chauveau a su fournir tant de preuves directes. 
Les expériences suivantes du professeur Mosso’ vont nous confirmer 
d’une façon encore plus frappante ce fait que ia destinée des hydrates 
de carbone est bien d’entretenir, dans l’organisme animal, les réac- 
tions qui se trouvent être les sources les plus avantageuses d'énergie. 

Si l’on compare les combustibles que l’industrie minière ou autre 
nous fournit, on voit qu'ils se comportent très différemment à la 
combustion. Les uns s’échauffent rapidement, puis s’enflamment et 
brûülent presque spontanément. Les autres, au contraire, n’ont aucune 
tendance à l’inflammation spontanée; il faut une forte chaleur pour 
les allumer et pour qu’ils continuent à se consumer. Chez ces derniers 


1. Mosso, Bericht d. K. med. Akad. Genua. 1900. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 241 


la combustibilité est plus faible que chez les autres. Eh bien! repre- 
non$ la comparaison classique entre le moteur animé et la machine 
à feu, et par conséquent entre l'aliment et le charbon, et examinons 
la combustibilité des diverses catégories de substances organiques, 
après leur introduction dans l’organisme-foyer. Gelui des protéi- 
ques, des graisses ou des hydrocarbonés qui, mis dans ce moufle spé- 
cial, sera, suivant l’expression des chimistes, le moins dur, le moins 
long à se brûler, sera évidemment, ce nous semble, l'aliment doué de 
la meilleure combustibilité, le principe qui, par ses propriétés et sa 
composition chimique, mettra le plus vite la machine sous pression 
et semblera prédestiné à être consommé et à produire des effets éner- 
gétiques utiles avant les autres. 

Les expériences de Mosso permettent de comparer à ce point de 
vue les trois grands groupes fondamentaux de substances organi- 
ques. Elles reposent sur ce fait que chez les sujets maintenus à l’état 
d’inanition, les repas sont toujours suivis d’une notable élévation de 
la température du corps, ce qui ne se produit jamais avec un régime 
alimentaire normal. Il est facile de comprendre pourquoi. Dans le: 
cas d’une alimentation suffisante, l’organisme, largement pourvu de 
réserves, dispose d’une riche provision de combustible. En raison de 
cette abondance tout nouvel apport, quelque copieux qu’il soit, doit 
logiquement passer inaperçu et rester sans eflet. Après les repas 
l'absorption de l’oxygène et l'élimination urinaire azotée augmentent 
bien, il est vrai, mais cetle suractivité des réactions intra-organiques 
n'implique pas nécessairement que l’organisme gaspille ce qu'il 
reçoit à ce moment. Il faut en effet que les substances froides ingé- 
rées se mettent au niveau thermique du corps et lui empruntent de 
la chaleur. Le tube digestif ne peut non plus fonctionner et secréter 
sans dépenser de l’énergie. Si donc la consommation croit à ce 
moment, c’est surtout pour satisfaire au travail physiologique de 
la digestion, et de ce fait la température ne peut augmenter. La 
consommation dite de luxe, qui succéderait au repas, ne repose 
sur aucune observation fondée, bien qu’elle ait encore actuellement 
des partisans ? 


1. Ch. Richet, Diclion, de Physiol., art. « Aliments ». 
ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — x. 16 


242 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

À la suite d’une inanition un peu prolongée, les réserves ont au 
contraire disparu; aussi, dès qu’une substance nutritive pénètre 
dans l’économie, elle est consommée le plus vite possible. Dans ce 
cas de disette tout aliment est le bienvenu. L’inanition occasionnant 
en eflet un abaissement de la constante thermique, les éléments 
anatomiques, qui se conduisent en cela comme toutes les machines 
à feu, n’ont plus leur activité normale et sont moins aptes à fonc- 
tionner. Dès qu’un aliment leur arrive, il n’est done pas pour eux 
de meilleure utilisation du potentiel disponible que d’en faire de la 
chaleur et de relever ainsi la température du corps. 

Mosso opéra sur des chiens à jeun seulement depuis trois ou cinq 
jours, afin qu’ils ne soient ni trop épuisés ni trop refroidis par l’ina- 
nition. Tout en les obligeant à rester immobiles sur une table pour 
ne libérer que le moins possible d'énergie en vue de satisfaire aux 
contractions musculaires, il leur fit ingérer diverses substances et, 
au moyen d’un thermomètre, laissé à poste fixe dans le rectum, nota 
presque continuellement la température de l’animal. Avec ces don- 
nées, il lui fut facile de construire des courbes analogues à celles de 
la figure 13. 

Ces trois courbes, extraites du mémoire de Mosso, représentent 
les variations de la température du corps chez des chiens auxquels, 
après un jeûne d’une durée relativement minime, on faisait ingérer 
soit des corps gras sous forme de beurre, soit des albuminoïdes sous 
forme de chair musculaire, soit enfin des hydrocarbonés sous forme 
de sucre ordinaire ou de pain. Les tempéralures ont été comptées 
sur l’axe des ordonnées, le trait horizontal le plus gras indiquant la 
constante thermique normale de 37°, et les heures sur l’axe des 
abscisses. Les flèches verticales marquent le repas et le point noir le 
moment où la température cesse de croître. L’on voit, d’après ces 
données, que les traits horizontaux pointillés représentent sur ces 
graphiques le temps qui s'écoule entre l’imgestion et l'effet ther- 
mique maximum. Dans la comparaison de ces courbes, nous ne 
nous préoccuperons pas du poids d’aliment donné par kilogramme de 
poids vif, pas plus que du potentiel fourni ou utilisé dans les différents 
cas. Nous nous abstiendrons de même de toute discussion relative à 
l'intensité de l’élévation de la température, car, à la fin de ce chapitre, 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 243 


nous verrons avec plus de profit quelle est la quantité brute d’éner- 
gle apportée par chacune des diverses catégories de substances et 


= LES 4 


a) 1 gramme de sucre 
b) 4 grammes de pain 


30 Hydrocarbonés | { par kilogramme de poids vif, 


FIGURE 13, 


comment l’animal utilise cet apport. L'intérêt de la juxtaposition de 
ces courbes, c’est de nous permettre d’embrasser du même coup 


244 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


d’œil l'influence sur la marche du thermomètre des trois alimenta- 
lions expérimentées. Il est impossible de ne pas remarquer de suite 
des différences frappantes. Chaque aliment se comporte à sa façon. 
Les corps gras n’agissent qu’à la longue et ce sont eux qui produi- 
sent le moins rapidement le maximum de chaleur. Dix heures après 
leur ingestion le thermomètre monte encore. Avec la matière azotée 
l'élévation de la température est un peu plus rapide. Le pointillé 
horizontal ne s’étend que sur un intervalle de sept heures et demie. 
Avec les hydrocarbonés, la courbe monte au contraire brusquement. 
L'effet est presque immédiat et la température s'élève même dans un 
cas moins de vingt-cinq minutes après le repas. Aussi les pointillés 
horizontaux ne couvrent-ils qu'une période de trois heures et demie 
pour l’amidon et de une heure quarante minutes seulement pour le 
sucre. La conclusion est facile et d'autant plus certaine que Mosso, 
dans ses nombreux essais, a toujours obtenu des résultats analogues 
à ceux que nous venons de figurer. L'influence comparée des diverses 
catégories d'aliments sur les variations thermiques du corps dé- 
montre nettement que les hydrocarbonés libérent leur énergie et par 
conséquent sont ulilisés bien avant les albuminoïdes el les graisses. 
Cela signifie qu'ils se trouvent doués, vis-à-vis de l’organisme, de la 
plus grande combustibilité, autrement dit que la nature ne met pas à 
notre disposition de charbon se brûlant mieux et plus vite. L’examen 
particulier de la dernière courbe nous suggère une autre remarque 
que nous ne pouvons passer sous silence, puisqu'elle va nous avancer 
vers la conclusion finale que nous visons : c’est que les hydrates de 
carbone, bien que toujours supérieurs aux albuminoïdes et aux graisses 
par leur rapidité d’action, ne se comportent pas tous de même. La 
courbe de température monte beaucoup moins brusquement après un 
repas amylacé de pain qu'après l’ingestion de sucre. Certains hydrates 
de carbone manifestent donc leur effet beaucoup plus vite que les 
autres, et cela nous prouve qu'il faut encore savoir choisir entre eux. 


Rapidité et intensité de l'absorption du sucre. 


D’après les expériences précédentes de Mosso, le sucre ordinaire 
serait préférable à l’amidon, et il ne pouvait en être autrement. Les 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 245 


corps doués d’une grande solubilité, aptes par conséquent à subir 
l’'osmose, pénètrent en effet plus facilement et plus rapidement que 
les autres dans l’économie animale. Mais, comme le sucre de canne 
n’est pas la seule matière sucrée soluble qui, dans les conditions 
normales de l'alimentation, puisse être absorbée par lestomac ou 
- l'intestin, nous ne pouvons, sans de nouvelles recherches, lui accor- 
der dès maintenant la préférence. La quantité et les limites de l’ab- 
sorption du glucose, du maltose ou du lactose sont peut-être aussi 
élevées que celles du saccharose? Devant l’importance toute pratique 
de la question, le professeur Albertoni' a cru devoir déterminer la 
rapidité et l'intensité de cette absorption, après avoir introduit natu- 
rellement dans le tube digestif diverses substances sucrées en solu- 
tions de concentration variée. Le chien, dont le tube gastro-entérique 
se rapproche beaucoup de celui de l’homme, lui parut devoir être 
le meilleur animal d’expérience. Le sucre était administré après un 
jeûne de vingt-quatre heures environ. L'animal l’avaiait spontané- 
ment ou bien on l’introdusait avec la sonde dans l’estomac puis on 
laissait ensuite s’écouler un certain temps avant de sacrifier le sujet 
d'expérience. Le contenu de l’estomac et celui de l’intestin grèle 
étaient recueillis à part, après ligature immédiate du pylore pour 
empêcher tout retour de estomac dans le duodénum. Cette technique 
permettait de déterminer par l'analyse le sucre de ces liquides et 
d'établir la quantité exacte de ce principe qui avait pénétré dans 
Péconomie. Albertoni expérimenta successivement avec les diverses 
matières sucrées solubles dont l’homme ou les animaux absorbent 
normalement de grandes quantités soit comme produits de la diges- 
tion de l’amidon ou des principaux glucosides, soit parce qu’ils les 
imgèrent en nature. Il porta tout d’abord son choix sur le glucose, le 
sucre physiologique du sang, celui que l’on obtient artificiellement 
par la saccharification des amidons et qui constitue toujours un des 
termes du dédoublement chimique ou diastasique des principales 
substances alimentaires sucrées solubles et msolubles. 1 trouva qu’en 
une heure et dans des conditions naturelles, le tube digestif du chien 


1. Albertoni, Manière de se comporter des sucres dans l'organisme, Arch ilalien- 
nes de Biol., t. XN, fase. 2, 1891, p. 321; t. XVIIL, fase. 2, 1892, p. 266. 


246 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


pouvait absorber 60 grammes sur 100 de glucose environ, absorption 
déjà très rapide et très intense, mais que le maltose et surtout le 
saccharose disparaissaient encore plus facilement et rapidement. En 
une heure, sur 100 grammes ingérés il y en avait de 70 à 80 d’ab- 
sorbés. L’absorption, que ne favorisait nullement, au contraire, la 
température élevée de la solution déglutie, était beaucoup plus con- 
sidérable immédiatement après le repas que pendant les heures sui- 
vantes, Ce qui signifiait que lorsque l’organisme est saturé jusqu’à un 
certain point de sucre, celui-ci pénètre moins rapidement. L’absorp- 
tion se faisait du reste aussi bien pour les solutions plus denses que 
le sang que pour celles qui l’étaient moins, et comme la diminution 
de la masse ou la dilution du sang la contrariaient, bien qu’une sous- 
traction même notable de sang (2 p. 100 du poids du corps) n’exerçât 
aucune influence sur la destruction ou sur la transformation des 
sucres dans l’organisme, Albertoni crut pouvoir conclure que le 
phénomène était surtout réglé par des lois physiques et ne subissait 
aucune influence vitale. 

Quant au sucre de lait, il se comportait très différemment. Sur 
100 grammes ingérés on en retrouvait toujours dans le tube digestif 
de 60 à 80. L'expérience établissait en résumé que le saccharose 
est la qualité de sucre qui s'absorbe le plus facilement et le plus 
promptement. Cet argument nous autorise à penser dès maintenant 
que pour répondre aux desiderata formulés plus haut, reconstilu- 
lion rapide et entrelien des forces de l'organisme, mise en réserve 
de la plus grande quantité possible d'énergie, le sucre de canne doit 
prendre la première place parmi les hydrocarbonés. La cause du 
sucre est déjà presque gagnée. Elle le sera d’une façon irréfutable 
lorsque nous aurons mis en lumière l’action bienfaisante de cet ali- 
ment une fois qu’il a pénétré dans l’économie. 

Rappelons auparavant par quelles voies se fait cette absorption. 
Elle commence dans l'estomac. Smith Meade’ put le démontrer sur 
des grenouilles auxquelles il liait le pylore et établir que les solutions 
concentrées de sucre disparaissent dans cet organe plus rapidement 
que les solutions étendues; malgré cela, au bout de vingt-quatre 


1. Smith Meade, Dubois-Reymond's Arch., 1884, et Centralbl., 1885, p. 260. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 247 
heures l’absorption y est presque toujours complète. Anrep * expéri- 
menta sur des chiens à fistulc gastrique, auxquels on fermait le pylore 
au moyen d’un tampon de gomme introduit par la fistule. Sur 
10 grammes de sucre dissous dans 60 centimètres cubes d’eau il 
n’en retrouva plus que 65,4 au bout de une heure et demie. Tap- 
peiner*, en opérant sur le chien et le chat, trouva au contraire que 
l'absorption stomacale était insignifiante, ce qui concordait avec les 
recherches de Cl. Bernard. Il est en ‘effet plus que probable que 
les substances sucrées solubles passent surtout par les capillaires de 
l'intestin et, s’engageant par la veine porte, arrivent ainsi au foie. 
Seegen et de Mering ont toujours du reste constaté une augmenta- 
tion considérable de sucre dans le sang porte au moment de la diges- 
tion des féculents, et la présence du saccharose et de l’inuline v a 
été souvent démontrée après l’ingestion de ces substances. 

Mais peu nous importe que ce soit l'estomac ou l’intestin qui laisse 
pénétrer le saccharose dans l’économie ; les expériences d’Albertoni 
n’en démontrent pas moins que le tube digestif du chien absorbe en 
une heure de 70 à 80 grammes de sucre de canne, c’est-à-dire une 
quantité beaucoup plus grande que de maltose, de glucose ou de 
lactose. Ce fait bien établi, et l’on comprend sans peine toute son 
importance dans la pratique de l'alimentation, il nous reste mainte- 
nant à rechercher dans quelle mesure l’organisme utilise le saccha- 
rose pour satisfaire aux besoins de sa nutrition intime et s’il l’utilise 
mieux ou au moins tout aussi bien que les sucres analogues, le lac- 
tose du lait ou le maltose, qui fait suite aux dextrines dans l’évolu- 
tion digestive normale de l’amidon. 


L'utilisation du sucre et les ferments de l'organisme. 


Nous nous souvenons que pour se rendre compte de l’utilisation 
respective des divers hexoses assimilables (glucose, lévulose, ga- 
lactose) le D° Brocard, s'adressant à des sujets à nutrition ralentie, 
expérimenta sur des femmes enceintes chez lesquelles il était facile 


1. Anrep, Dubois-Reymond’s Arch., 1881. 
2. Tappeiner, Cenfralbl. f. Nied. Wiss., p. 854, 1581. 


248 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de provoquer de la glycosurie. I] leur fit ingérer simultanément et à 
poids égaux deux des sucres à comparer. L’hexose le plus mal assi- 
milé était logiquement celui qui passait dans les urines en plus grande 
quantité. Cette méthode des ingestions simultanées, appliquée aux 
bihexoses solubles, peut-elle ici nous rendre les mêmes services ? Si 
l’on se souvient des propriétés biologiques communes au saccharose, 
au lactose et au maltose, on n’est pas sans remarquer de suite que 
l'élimination urinaire de ces sucres ne peut servir à mesurer leur 
pouvoir d’assimilation et cela pour eette excellente raison qu’ils ne 
sont pas directement assimilables. Injectés sous la peau ou dans les 
veines 1ls sont excrétés en totalité ou à peu près par les urines comme 
des corps inertes et inutilisables, aussi avons-nous été amenés à re- 
connaître que dans les conditions ordinaires de l'alimentation il était 
de toute nécessité qu’ils soient transformés avant de passer dans le 
sang. Pour être utilisés par l'organisme, il faut que les saccharides 
soient préalablement dédoublés. Si donc, afin de les comparer, l’on 
fait ingérer simultanément à un sujet, prédisposé à la glycosurie, 
deux bihexoses, du saccharose et du lactose par exemple, l’élimi- 
nation urinaire de ces sucres ne mesurera en réalité que l'intensité 
d’action des ferments ou, d’une façon générale, des réactifs d’hydra- 
tation propres aux tissus vivants. Lorsque les ferments de dédou- 
blement ne sont pas sécrétés assez abondamment ou ne sont pas assez 
actifs pour agir sur l’un des sucres, avant qu'il ne soit entraîné dans 
la circulation, ce sucre passera en eflet en nature dans les urines. On 
ne ly trouvera pas au contraire si les ferments appropriés sont abon- 
dants et de Eonne qualité, et, sans autre explication, l’on comprend 
facilement que plus un bihexose hydrolysable sera complètement dé- 
doublé en hexoses directement assimilables, plus il sera utilisé, et 
moins par conséquent il sera excrété par le rein. Er suivant l’élimi- 
nation urinaire du saccharose et du lactose ou du saccharose et du 
maltose ingérés simullanément, il est donc possible non pas de mesu- 
rer le pouvoir d’assimilation de ces sucres, mais de comparer l’in- 
tensité d'action des réactifs et ferments capables de dédoubler les 
bihexoses conformément à leurs affinités. La question est du plus 
haut intérêt pour nous, car avant de créer un mouvement d'opinion 
en faveur de Paccroissement de consommation du suere, 1l faut être 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 249 


certain que organisme est à même, par ses propres moyens, d’en 
dédoubler d'assez grandes quantités. S'il n’en était pas ainsi cette 
alimentation serait loin d’être recommandable. Or, en recherchant 
parmi les sécrétions normales des tissus animaux les sucrases ou 
invertines susceptibles d’agir sur le sucre de canne, nous avons 
constaté qu’elles existaient parfois, mais que néanmoins elles sem- 
blaient bien moins répandues dans lorganisme que les autres fer- 
ments digestifs. Nous serions-nous un peu trop avancés en supposant 
que l’mvertine fait partie de tout suc intestinal? Les travaux du 
D° Brocard sur Putilisation des bihexoses sont heureusement de 
nature à nous rassurer à ce sujet. En comparant l'élimination uri- 
naire du saccharose, du lactose et du maltose, après ingestion simul- 
tanée et à poids égaux de deux de ces sucres, l’auteur remarqua que 
c’était tantôt l’un, tantôt l’autre qui dominait dans l’urine, mais que 
le bihexose qui y apparaissait en moins grande quantité était juste- 
ment celüi qui entrait dans le régime alimentaire habituel du sujet 
considéré. L'enfant, après un usage exclusif de lait lactosé, utilisait 
mieux le lactose que le saccharose. Chez le chien habitué au sucre, 
le saccharose était plus activement dédoublé que le lactose. Les sujets 
chez lesquels l’apparition du lactose dans les urines était le plus faci- 
lement obtenue, n’aimaient généralement pas le lait ou prétendaient 
que cet aliment ne leur réussissait pas. Pour provoquer la présence 
du saccharose dans les urines il fallait faire ingérer des quantités de 
ce sucre d'autant plus élevées que les sujets d’expériences étaient, 
par leur régime antérieur, habitués aux sucreries: Chez l’adulte 
omnivore qui use continuellement et en abondance de l’alimentation 
amylacée, le mallose était enfin toujours mieux utilisé que les autres 
sucres. Rapprochant ses propres observations des faits analogues 
signalés de part et d'autre dans le règne animal et dans le règne 
végétal, le D' Brocard se crut autorisé à conclure que d’une manière 
générale la facilité du dédoublement des bihexoses semble intime- 
ment liée au régime antérieur et que la physiologie de la digestion 
repose presque uniquement sur cette formule : c’est l'aliment qui 
fait le ferment’. Ainsi donc l'usage du lait et du lactose ne pourra 


1. D' Brocard, Loc. cil., p. 81. 


290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


manquer de donner naissance à la lactase. L’abondance des amy- 
lacés provoquera de même la production d’amylase et de maltase. 
Quant à l’invertine sans laquelle le saccharose ne peut être dédoublé 
et dont l’activité est peut-être parfois un peu faible, elle apparaîtra, 
ainsi et autant qu’il le faut, dès que le sucre de canne fera partie du 
régime alimentaire quotidien. Le moyen de mettre l’organisme à 
même de dédoubler le sucre est simple et à la portée de tous. En 
admettant que les ferments physiologiques ne puissent suffire à l’in- 
version, nous savons du reste que l’utilisation de cet aliment sera 
quand même complète. Les microbes de l’intestin interviennent avec 
leurs propres diastases et ils sont en outre secondés par les acides 
de l’économie, y compris l’acide carbonique du sang. La digestion 
du saccharose est de toute facon toujours assurée. 

Nous avons reconnu que ce sucre, doué d’un très grand pouvoir 
osmotique, se fait remarquer par la rapidité de son absorption. II 
pénètre très facilement à travers les parois des cellules et passe pres- 
que subitement dans le sang. Ne séjournant que peu dans le tube 
digestif, il est impossible de le retrouver dans les excréments. Sa 
digestibililé par conséquent est complète. Nous venons de démontrer 
en dernier lieu que l’inversion, sans laquelle le sucre serait mutili- 
sable, peut normalement s'effectuer avant qu'il ne pénètre dans la 
circulation et ce dédoublement s’accomplit certainement très vite, 
car le saccharose est la moins stable de toutes les matières ternaires 
saccharifiables. Devant de semblables raisons, et sans pour cela mé- 
connaître que le rôle physiologique des hydrates de carbone est au 
fond uniforme, il n’est plus possible de refuser au sucre la première 
place parmi les aliments dont la combustion intramusculaire engen- 
dre de l’énergie, parmi ceux que l’on doit considérer à juste raison 
non seulement comme le charbon normal du muscle, mais aussi 
comme une source immédiate de réserves énergétiques et nutritives, 
autrement dit comme un actif producteur de poids vif. 


Comment se comporte le sucre dans l'organisme? 


Suivons en effet ce que devient le sucre et quelle est son action et 
son influence générale sur l'organisme, lorsque, très peu de temps 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 291 


après son ingestion, le sang de la veine porte l’amène tout interverti 
ou à peu près à la glande hépatique. Celle-ci, dont nous connaissons 
le rôle prépondérant vis-à-vis des hexoses assimilables, doit immédia- 
tement reconstituer ou compléter sa réserve aux dépens de cet apport 
subit. La chose est d’autant moins douteuse que le lévulose et le glu- 
cose résultant du dédoublement du saccharose sont justement les 
sucres qui donnent lieu à la formation Ja plus abondante de glyco- 
gène hépatique. Mais la totalité du sucre inverti, surtout si l’inges- 
tion en a été copieuse, ne peut entièrement se localiser dans le foie. 
Cet organe, chez l’homme par exemple, renferme au maximum 
150 grammes de glycogène. Après un repas riche en sucre le sang 
porte doit donc avoir vite fait de provoquer la charge glycogénique 
maxima de la glande. Ceci nous conduit à admettre qu’une notable 
partie des hexoses provenant de la digestion du sucre mgéré en 
quantité notable ne fait que traverser le foie et se répand dans la 
circulation générale. C’est en réalité ce qui arrive. CI. Bernard s’en 
est rendu compte par l'analyse. Il résulte aussi des expériences d’Al- 
bertoni‘ que durant l'absorption du sucre, la densité du sang aug- 
mente sensiblement. Cette augmentation est plus grande pour les 
solutions de sucre très concentrées (30 grammes dans 100 d’eau : 
densité du sang 1160) que pour les solutions étendues (60 grammes 
dans 300 d’eau : densité du sang 1 065) ; de plus elle coïncide préci- 
sément avec la période durant laquelle se produit le maximum d’ab- 
sorption, c’est-à-dire, comme nous le savons, pendant l'heure qui 
suit l’ingestion. La densité du sang décroît ensuite et redevient nor- 
male trois heures environ après le repas, au moment donc où tout 
ou du moins presque tout le sucre est absorbé. 

D’après ces dernières remarques l’ingestion du sucre serait suivie 
de deux phases assez distinctes. Durant la première, c’est-à-dire peu 
de temps après le repas, dès que l'absorption commence, la teneur 
du sang en principes sucrés tend à s'élever rapidement. Mais le phé- 
nomène ne dure pas, et durant la deuxième phase, l'absorption une 
fois terminée, le sang de la grande circulation reprend sa richesse 
saccharine normale, c'est-à-dire que l’excès de sucre précédemment 


1. Albertoni, Arch. italiennes de Biol., t. XXX, fasc. 3, 1898. p. 465. 


252 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


répandu dans l’économie se dépense ou se localise, après transfor- 
mation, dans les tissus. Occupons-nous d’abord de lhyperglycémie 
passagère du début. Elle nous intéresse, ne serait-ce que par son 
influence sur les fonctions de nutrition et de désassimilation de 
l'organisme. Albertoni, le premier, a nettement mis en lumière 
qu’elle agit sur la circulation et sur la sécrétion urinaire‘. Chez les 
chiens l’injection intraveineuse d’une solution de saccharose, de glu- 
cose ou de maltose augmente la fréquence du pouls de quinze à 
vingt pulsations par minute. Chez l'homme, l’administration par la 
bouche de 100 grammes de sucre de canne produit de même une 
augmentation de quatre à huit pulsations et l’effet se manifeste sou- 
vent moins d'un quart d'heure après l’ingestion. La pression san- 
ouine s'élève en même temps de quinze à vingt millimètres de mer- 
cure et non pas, comme on pourrait le croire, parce que l’absorption 
d’une solution sucrée augmente la masse sanguine ou parce que le 
sucre attire l’eau des tissus dans le sang. Ce n’est pas en effet le con- 
tenant, c’est-à-dire les vaisseaux, qui s'adapte à l'augmentation du 
contenu. C’est au contraire le fait inverse qui a lieu. Sous l’action 
directe du sucre le contenant change de capacité. Les vaisseaux se 
dilatent, ainsi que le démontrent et l'augmentation du volume des 
organes, vérifiée pour le rein et les membres, et l’augmentation de 
la quantité de sang double de la normale qui s’écoule d’une même 
veine pendant l’unité de temps. C’est ainsi que l'absorption de doses 
de sucre, assez massives pour que le foie ne puisse les retenir entiè- 
rement, élève la pression sanguine et parfois accroît d’un üiers environ 
la rapidité de la circulation. Et si l’on réfléchit que, d’après Chau- 
veau, il passe trois fois plus de sang dans le masséter durant la con- 
traction que lorsqu'il est au repos, n’est-il pas alors permis de sup- 
poser que le travail musculaire n’augmente l'irrigation sanguine que 
parce que les tissus consomment à ce moment plus de sucre etqu'un 
excès nécessaire de glucose est alors versé dans la circulation par les 
muscles et le foie. Autre effet de cette hyperglycémie alimentaire : elle 
tend à augmenter le volume d'urine produit et dans des limites telles 
qu'Arrous, après s'être documenté expérimentalement sur les po- 


1. Albertoni, Arch. italiennes de Biol., t. XXXV, fase. 1, 1901, p. 142. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 293 


lyuries consécutives à l'introduction dans le système veineux de di- 
verses solutions sucrées, en est arrivé à conseiller en thérapeutique 
l'emploi des injections de glucose ou de saccharose dans le but de 
provoquer une diurèse abondante et immédiate’. Ces faits, conclut 
Albertoni, démontrent que le sucre ne doil pas étre seulement consi- 
déré comme un aliment, mais encore comme un ageni modificateur 
el un stimulant de l’élat fonctionnel du syslème circulatoire. 
L’hyperglycémie consécutive à l’ingestion et à l'absorption immé- 
diate du sucre excite donc la circulation au travail et par conséquent 
influence utilement la nutrition générale ; elle constitue d’autant 
moins un trouble morbide qu’elle disparaît peu de temps après la 
fin de la digestion. L'organisme sain sait en effet lutter contre cette 
rupture de l'équilibre physiologique du sang et nous allons voir que 
ce retour à la glycémie normale lui est profitable. Le sucre, après 
avoir traversé le foie, même lorsqu'il ne s’y arrête pas, a perdu sa 
forme et n’est plus qu’un mélange de glucose et de lévulose ; si l’in- 
terversion, en effet, n’a pas été complète au niveau de l'intestin, elle 
s’achèvera certainement, nous le savons, dans le liquide sanguin au 
cours même de la circulation. Or les deux hexoses issus du dédou- 
blement du saccharose sont justement de ceux que la cellule utilise 
directement. Le lévulose est même un aliment de tout premier choix. 
D’après les recherches du D' Brocard, les tissus montrent à son égard 
une avidité particulière et l’assimilent plus volontiers que le glucose, 
bien que ce dernier constitue la réserve hydrocarbonée qui circule 
normalement dans l'organisme. Étant donnée la transformation né- 
cessaire et mvariable du sucre, son utilisation sera donc certaine. Cela 
ne fait aucun doute, mais, suivant les circonstances, cette utilisation 
s’orientera différemment, de façon à satisfaire le plus avantageu- 
sement possible aux besoins immédiats ou futurs de organisme. 


Différents modes d'utilisation du sucre. 


Si l’excès de sucre interverti, non transformé en glycogène hépa- 
tique, dépasse le foie lorsque l’animal produit du travail, c’est lui 
presque exclusivement qui entretiendra les combustions d’où dérive 


1. Arrous, Comptes rendns, 1899, t. Il, p. 781. 


254 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
l'énergie nécessaire à la contraction de la fibre musculaire. Celle-ci 
n'aura qu'à arrêter au passage le mélange sucré, qui Jui est, à ce 
moment, très abondamment offert par le sang. Les albuminoïdes 
pas plus que les graisses ni même que les réserves hydrocarbonées 
fixées dans les tissus ou préexistant dans les liquides de l’organisme 
n'auront à intervenir. Puisque, dès l'intervention du sucre alimen- 
taire, les combustions, sources d'énergie, y trouvent un aliment 
immédiat et que les autres ressources ou réserves deviennent presque 
inutiles, il devient ainsi presque possible d'utiliser à volonté l'up- 
litude de l'organisme animal à la production du travail. Notons 
en passant que cette utilisation presque directe et subite du sucre 
est légèrement en contradiction avec les idées de M. Chauveau. 
D’après la théorie qui admet la permanence chez l’animal alimenté 
Jes procédés de l’imanition, une substance en effet ne serait nutritive 
qu'après avoir fait partie des tissus, c’est-à-dire qu'après avoir re- 
vêtu une forme vivante. Le sucre par exemple ne serait pas brülé 
dès sa pénétralion ; il se transformerait au préalable en glycogène 
ou en graisse et les réserves le restitueraient à leur tour à l’or- 
ganisme par des procédés plus ou moins compliqués. Depuis que 
CI. Bernard nous a donné maintes preuves de ces faits d’emmaga- 
sinement, de cet état de réserve sous lequel les matériaux nutritifs 
peuvent être conservés dans l’organisme, il y a lieu de croire qu'il en 
est souvent ainsi. [l serait néanmoins excessif de soutenir que par- 
fois il ne peut en être autrement. La rapidité avec laquelle le sucre 
intervient après son ingestion ne nous laisse-t-elle pas entièrement 
libre de penser que sa combustion peut être directe et immédiate ? 
C’est même en reconnaissant que tel est le procédé fondamental de 
son ulilisation pendant le travail que l’on voit clairement appa- 
raître la haute valeur énergétique de l'alimentation sucrée. La com- 
bustion possible du sucre, aussitôt son entrée dans l’économie, n’em- 
pêche pas du reste l’intervention certaine de sa mise en réserve dès que 
les dépenses énergétiques de organisme sont réduites au minimum. 
Si l’animal ne produit plus de travail musculaire, l’excès de sucre 
qui traverse le foie sans s’y localiser échappe en grande partie à la 
destruction immédiate. Il se dépose dans les tissus sous les deux 
formes principales que nous savons, le glycogène ou la graisse. Rappe- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 29 


lons-nous les expériences de Prausnitz. Elles nous ont permis de 
nous rendre comple où et comment se dépose le glycogène, sous 
l'influence digestive du sucre. Le foie se charge le premier, mais 
la formation du glycogène ne s’y exerce avec autant d'intensité que 
parce que cet organe est le premier à recevoir les produits de la 
digestion. La réserve hydrocarbonée se forme en effet tout aussi 
bien dans les autres tissus et particulièrement dans le muscle aux 
dépens des sucres que leur amène le sang. Aussi, huit heures après 
l'ingestion du sucre, la quantité de glycogène disséminée dans tout 
l’organisme est-elle beaucoup plus considérable que celle du foie. 
Il est aisé d’en déduire que l’alimentation au sucre peut être d’un 
grand secours, lorsqu'il faut dans la pratique recharger Paccumula- 
teur vivant en vue des dépenses énergétiques futures. Nous avons dit 
que le tissu adipeux, de même que le foie et les muscles, représente 
également un appareil de régulation destiné à modérer l’hyperglycé- 
mie. Il constitue un autre réservoir non moins vaste où ira Inévita- 
blement se jeter l’excès de sucre mis en circulation, car la transfor- 
mation des hydrocarbonés en graisse est l’un des phénomènes les 
mieux établis de la nutrition animale. Mais, il ne faut pas l'oublier, 
elle ne se fait qu'aux dépens du sucre surnuméraire, c’est-à-dire une 
fois seulement que l'organisme est saturé et que ses réserves hydro- 
carbonées sont largement assurées. D’après les recherches si origi- 
nales d'Hanriot, elle se produirait même avec d’autant plus d’inten- 
sité et de facilité que la teneur du sang en glucose est subitement 
supérieure à la normale. Le sucre, qui, mieux que les autres ma- 
vières sucrées, pénètre dans l’économie par doses assez massives, doit 
donc avoir une puissance adipogëne beaucoup plus grande que celle 
des amylacés ou des divers hydrocarbonés alimentaires. Ces derniers, 
vu leur hydrolyse digestive relativement assez lente, ne peuvent cer- 
tainement que déverser progressivement le sucre dans la circulation”. 

Jetons maintenant un coup d’œil d'ensemble sur les différents 
modes d'utilisation du sucre. Nous voyons qu'il n’est pas seulement 


1. D'après des travaux tout récents de Kellner, il semble cependant en être autre- 
ment ee ce qui concerne exclusivement les ruminants. Chez eux 1 kilogr. d’amidon 
produirait 248 grammes de graisse, alors que 1 kilogr. de sucre en fournirait seu- 
lement 188 grammes, soit 24 p. 100 de moins. Le kilogramme de sucre contenant 


256 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de la destinée physiologique de cet aliment d’engendrer par sa com- 
bustion immédiate de la chaleur ou du travail musculaire et de satis- 
faire ainsi à ce que l’on peut appeler les dépenses d'entretien. En 
se transformant en glycogène et surtout en graisse, le sucre est en 
outre la cause directe d’une variation de poids de l’animal. Ou doit 
alors logiquement le classer parmi les matières alimentaires capables 
de faire du tissu vivant. C’est ainsi que le sucre, qui ne produit ni 
chaleur, ni force, ni glycogène, sert à assurer en partie les dépenses 
de construction de l'organisme. Ce n’est que lorsque toutes ces mo- 
dalités de dépense ne sont pas satisfaites que, l'hyperglycémie sub- 
sistant, il peut y avoir consécutivement glycosurie. Le diable est de 
par cela dans la pratique une conséquence presque impossible de 
l'alimentation sucrée. L'homme ou l’animal auquel on fera ingérer du 
sucre comme aliment dynamique aux doses que nous conseillerons, 
le brülera certainement de suite, ou le transformera en glycogène pour 
subvenir à ses besoins futurs. Chez l’animal à l’engrais la glycosurie 
sera de même fort difficile à provoquer. Les expériences du D Bro- 
card démontrent que l'assimilation du sucre diminue au fur et à me- 
sure de la formation des réserves adipeuses, la glycosurie ne doit done 
apparaître qu'après que la mise en réserve de la graisse, poussée à son 
maximum, subit un arrêt; or, à ce moment, les règles économiques les 
plus élémentaires conduisent l’éleveur à livrer l’animal au commerce, 


Rôle d'épargne du sucre. 


Nous voici enfin rationnellement autorisés à donner au sucre une 
large part dans ia ration alimentaire de l’homme et des animaux. 
Loin de l’excréter en partie par les urines comme un déchet imutili- 
sable, l'organisme animal le mettra au contraire toujours à profit, 
à moins naturellement que l’on ne vienne à en abuser. Autre action 
bienfaisante du sucre : quand bien même le reste de la ration ne con- 
tiendrait que le minimum indispensable d’albuminoïdes, par suite de 
cet excédent alimentaire, l'organisme, en utilisant le sucre, saura 


421 grammes de carbone contre 444 dans l'amidon devrait théoriquement provoquer 
la formation de 235 grammes de graisse. Kellner attribue ce faible rendement aux 
fermentations actives qui se produisent dans la panse des ruminants. L'homme, le 
cheval, le porc, utilisent beaucoup mieux le sucre. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 297 


économiser une certaine quantité de la matière azotée que charrie 
son Sang ou qui compose presque en totalité sa propre substance. 
Il épargnera ses muscles et sa chair, et l'usure inévitable de la ma- 
chine diminuera. De nombreuses expériences le démontrent très 
nettement. En 1855, F. Hoppe* s’aperçut qu’en ajoutant du sucre à 
la ration de viande d’un chien, ce dernier éliminait moins d’urée 
que d'habitude. Voit? arriva à mettre encore mieux en évidence cette 
action toute spéciale des hydrates de carbone : son sujet, lorsqu'il 
recevait 2000 grammes de viande, éliminait une quantité d’azote 
correspondant à la destruction de 1 991 grammes de cette viande. 
. En ajoutant à la même ration carnée 200 grammes d’amidon, il 
constata que l’organisme ne détruisait plus que 1 825 grammes de 
viande. Il y avait eu épargne de la matière albuminoïde. En ce qui 
concerne plus spécialement le sucre de canne, il est intéressant de 
citer à ce sujet les recherches entreprises par Deiters*, sous la direc- 
tion de G. von Noorden. Un apport azoté de 195,572 inclus dans la 
ration quotidienne suffisait à entretenir l’homme mis en observation. 
Il y avait alors élimination par l’urine de 105,37 d'azote. On ajouta 
200 grammes de sucre à la ration. L’azote urinaire tomba à 98,01, 
ce qui correspondait à une économie de 85,5 d’albuminoïdes en 
cluffres ronds. Dans un autre essai, l’ingestion de 200 grammes de 
sucre fit tomber la quantité d’albumine détruite de 945,4 à 478,1. 
Les expériences de Zirkounenko et Tchernavkine‘ nous montrent 
encore l'influence du sucre de canne sur l’assimilation de l'azote 
et des graisses et sur les échanges nutritifs de l’homme sain. Dix 
sujets âgés de vingt-deux à vingt-cinq ans reçurent par jour et pen- 
dant cinq jours 795 grammes de sucre, puis de nouveau pendant cinq 
autres jours 150 grammes du mème aliment. Une moitié du lot d’ex- 
périence commençait par la dose la plus faible de sucre. L'autre 
moitié, au contraire, ingérait pendant la première période la dose 
la plus forte. Prenant les moyennes des résultats obtenus, les au- 


1. F. Hoppe, Arch. f. path. Anat., t. X, 1855, p. 144. 

2. Voit, « Physiol. d. allg. Stoffwechsels », in Hermann’'s Handb, d. Physiol., t. VI. 
1° partie ; Leipzig, 1881, p. 140. 

3. G. von Noorden, Beiträge zur Lehre vom Sloffwechsel. Berlin, 1892, p. 7{. 

4. Vracht, 1894, n°° 45 et 46. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 9° SÉRIE, — 1902-1903 — 11. 17 


258 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


teurs trouvèrent que sous l'influence du sucre le taux d'échange des 
matières azotées diminuait de 2,84 p. 100, alors que le taux de l’as- 
similation des graisses augmentait de 1 à 3 p. 100. Ces recherches 
mettent nettement en évidence l’action générale d’épargne des hydro- 
carbonés et du sucre vis-à-vis de l’albumine. Une ration azolée in- 
suffisante pour couvrir les besoins de l'organisme deviendra donc 
suffisante, si on lui ajoule une certaine quantité de sucre. Au con- 
travre, lorsque la ration donnée d'albumine est déjà suffisante par 
elle-même, le sucre contribuera à activer la formution de la substance 
vivante, c’est-à-dire de la chair. Voit, Rubner et Kayser', entre 
autres, ont démontré que les graisses étaient loin d’exercer une in- 
fluence aussi favorable sur l’emmagasinement de Palbumine. La ration 
d’azote restant la même, chaque augmentation de la quantité de sucre 
ingérée diminue toujours de plus en plus et presque proportionnelle- 
ment la décomposition de Palbumine. On n’observe jamais pareil fait 
avec des rations croissantes de graisse. Ce rôle protecteur du sucre 
n’est pas sans avoir des conséquences pratiques fort importantes. Si 
nous voulons écouter les hygiénistes, lorsqu'ils cherchent, avec rai- 
son, à nous détourner de l’alimentation carnée excessive, n’est-ce 
pas, ce nous semble, en mangeant du sucre que nous nous ressen- 
tirons le moins possible du changement de régime et que nous sub- 
viendrons à cette diminution voulue des recettes azotées ? Dans un 
autre ordre d'idées, puisque le sucre prévient la destruction de lal- 
bumine, il ne pourra qu’intervenir utilement au cours des exercices 
musculaires pénibles, alors que l’excès de travail entraîne forcément 
la destruction d’une certaine quantité de matière azotée organisée. La 
machine s’usera moins et cela lui permettra d'accomplir une plus 
orande somme de travail. Si l’animal enfin n’est pas utilisé en vue 
de la production du travail, sous l'influence heureuse du sucre, non 
seulement il fabriquera de la graisse, mais il fixera de l’azote pour 
en faire du muscle, de la chair. Il se développera, deviendra donc un 
outil de transformation de plus en plus puissant et l’éleveur de bétail, 
par exemple, ne pourra que profiter de cet accroissement de poids vif. 


1. Voit, Zeitsch. f. Biol., t. V, 1869, p. 392. — Rubner, Zeifsch. f. Biol. t. XV, 
p. 122, 173. — Consulter : G. von Noorden, Loc, cit., 2° fase., p. 4. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 209 


L'énergie potentielle du sucre comparée à celle 
des autres aliments. 


C’est ainsi que se comporte le sucre dans l’organisme, et, devant 
ses bons effets physiologiques, nous pouvons presque conclure dé- 
finitivement en lui accordant la première place parmi les hydrocar- 
bonés. Il nous faut cependant, pour mieux préciser cette notion, que 
nous venons d'acquérir, de la haute valeur nutritive du sucre, recher- 
cher le rendement utile exact de cet aliment, lorsque lon vient à 
l'introduire dans la machine animale. 

Les produits fournis par les animaux supérieurs sont matériels ou 
dynamiques. Les deux grandes lois de la conservation de la force et 
de la matière, qui régissent tous les phénomènes naturels, veulent 
que les uns comme les autres aient pour source unique les aliments 
ingérés. Parmi les produits matériels, il en est d’utilisables, à cause 
de leur valeur physiologique ou économique, comme la viande, le 
lait, etc. Il en est aussi qui ne sont d’aucun profit pour l'organisme 
et, parmi ces derniers, l’on peut compter tous les ercreta (fèces, urine, 
eau expirée ou perspirée, acide carbonique, etc.). En ne tenant compte 
que des termes extrêmes des diverses transformations opérées par 
l'être vivant, on peut dès lors résumer ainsi en une équation sché- 
matique la transmutation matérielle et dynamique des aliments : 

{ a) Ulilisables renfermant beaucoup 


d'énergie potentielle {albumi- 
noïdes, hydrocarbonés, graisses de 


[ 1° Produits la viande, du lait). 

Matière alimentaire | matériels. . . . { b) De nature excrémentielle renfer- 
renfermant beau - mant peu ou point d'énergie 
coup d'énergie potentielle {fèces, urines, acide 
potentielle (albu- carbonique , excrété par les pou- 
minoides, DRE \  mons, eau). 

; ‘ : Chaleur 
PONS OrASSERL Travail physiolo- ; 
: animale. 
29 Produits gique et ses deux : 
à HS Travail 
\ dynamiques. . résultantes princi - 
muscu- 
pales . ; 
laire. 


Il ressort de la discussion générale de cette équation que les 
échanges matériels et dynamiques, dont l’ensemble constitue les 


260 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


échanges nutritifs de l’économie animale, sont enchaïinés les uns aux 
autres. De lobtention des uns dépend l'obtention des autres. Si un 
aliment fournit en fin de compte beaucoup d’énergie sensible (cha- 
leur, travail mécanique), cette énergie ne pouvant être libérée que 
par des réactions intra-organiques, il en résulte que l’on verra appa- 
raître en grande quantité les résidus excrémentiels, auxquels aboutit 
la destruction ou la transformation de la matière qui provoque la 
libération de l'énergie. Par contre, les produits matériels utiles 
(viande, graisse, lait) seront fort minimes. Ces relations étroites entre 
les échanges matériels ou dynamiques de l’organisme étant admises, 
puisque le sucre, de mème que tous les hydrocarbonés en général, 
se révèle surtout comme un agent producteur d'énergie, cherchons 
à nous rendre compte de la valeur exacte du potentiel contenu dans 
cet aliment. C’est cette valeur que nous ferons figurer dans le pre- 
mier membre de notre équation. Nous évaluerons ensuite successi- 
vement et en prenant la même unité de mesure dynamique les diffé- 
rents termes du second membre, dont la somme évidemment sera 
égale au potentiel total trouvé dans cet aliment. 

Lorsque lon reconnut lutilité de comparer entre elles les quan- 
tités d'énergie contenues dans les divers composés organiques, il 
fallut recourir aux conventions. Malgré son existence et son indes- 
tructibilité indéniables, l'énergie n’était guère susceptible, en effet, 
d’être exprimée numériquement. Ce qui parut alors le plus simple, 
ce fut de prendre comme mesure du potentiel d’une substance, celle- 
ci étant naturellement d’une pureté chimique absolue, la chaleur dé- 
gagée par sa combustion intégrale. La méthode était rationnelle. Si 
lon brûle totalement et instantanément du sucre, par exemple, en 
présence d’un grand excès d’oxygène dans un de ces calorimètres 
spéciaux que l’on appelle une bombe calorimétrique, les produits 
ultimes de cette oxydation, rendue aussi complète que possible, sont 
forcément saturés d'oxygène ; et l’on ne retrouve dans l’appareil que 
des corps inertes, sans affinités, réfractaires par conséquent à toute 
réaction et incapables de fournir dans la suite de l’énergie. Le prin- 
cipe de l’équivalence des transformations dynamiques permet de 
supposer que tout le potentiel du sucre s’est alors converti en cha- 
leur. Il ne reste plus qu’à déterminer directement cette dernière au 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 261 


moyen des méthodes propres à la calorimétrie. C’est ainsi que l’on 
a trouvé les valeurs suivantes aux chaleurs de combustion des prin- 
cipes fondamentaux dont se composent les aliments et les animaux. 
Le pouvoir calorifique y est rapporté, par le calcul, à 1 gramme des 
principes eux-mêmes, l’unité de mesure étant la calorie, c’est-à- 
dire la quantité de chaleur nécessaire pour élever de 1 degré un 
kilogramme d’eau : D'APRÈS 
TT 


BERTHELO'T!. RUBNER. 


Calories. Calories. 
Moyenne pour les corps gras . . 9,5 JD 
=== hydrocarbonés. 4,2 4.1 
= albuminoïdes . Ent 4,1 


Les chiffres de Berthelot et de Rubner concordent, on le voit, 
sauf pour les albuminoïdes, ce qui provient non pas de la détermi- 
nation calorimétrique elle-même, mais des différents modes de calcul 
adoptés par ces auteurs. Rubner fixe à 4*!,1 au lieu de 5°*!,7, chiffre 
proposé par Berthelot, la valeur calorimétrique de 1 gramme d’albu- 
mine, afin de se rapprocher autant que possible de ce qui se passe 
dans lPorganisme. La combustion de la matière albuminoïde n’y est 
en effet jamais complète ; elle laisse comme résidus, en plus de l’eau 
et de l’acide carbonique, une foule de produits azotés, non saturés 
d'oxygène, dont l’urée est le plus important. Le chiffre de Rubner, 
plus conforme à la réalité des faits, est égal en somme à la valeur 
calorifique totale de la matière albuminoïde diminuée de celle des 
produits de transformation physiologique de cette albumine suscep- 
tibles, par une oxydation plus avancée, de fournir encore de la cha- 
leur. Le chiffre 5,7 de Berthelot suppose au contraire que l’oxydation 
est totale et qu’elle ne laisse aucun résidu analogue, par exemple, à 
l’urée. Si l’on voulait modifier, comme l’a fait Rubner, les données 
de Berthelot relatives à l’albumine, il faudrait les diminuer de plus 
d’un sixième. Quant aux matières grasses et hydrocarbonées, elles 
s’oxydent au maximum dans l’organisme comme dans le calorimètre 
et ne donnent uniquement, dans l’un comme dans l’autre, que de Peau 


1. Les chiffres de Berthelot supposent que les principes, avant d'être brûlés, ont 
été privés d'eau par une dessiccation à 120°, que la combustion en est totale et que 
l'acide carbonique qui en résulte reste à l’état gazeux. 


262 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et de l’acide carbonique. Il n’y a pas lieu, en ce qui les concerne, de 
corriger a priori les chiffres directement fournis par la calorimétrie. 

De ces premières données découlent plusieurs déductions qui vont 
être pour nous d’une grande importance. On voit tout d’abord que de 
par leur potentiel les substances nutritives organiques se divisent en 
deux groupes bien distincts. Dans le premier figurent les graisses. 
Sous un poids donné, elles ont la valeur calorifique maxima et doi- 
vent par conséquent dégager le plus d'énergie. Cela tient à ce que 
ces principes sont très riches en carbone, l’élément combustible par 
excellence ; mais par contre, comme il ne rentre que peu d’oxygène 
dans la constitution des corps gras, il leur faut bien plus de gaz com- 
burant qu'aux autres principes pour être brûlés totalement. Les ma- 
üères albuminoïdes et les hydrocarbonés, dont la valeur calorifique, 
à peu près égale, n’atteint pas la moitié de celle des graisses, forment 
le second groupe et cela seul suffit à démontrer combien il est exa- 
géré de supposer, ainsi qu’on le croit si volontiers, que dans les sub- 
slances nutrilives azolées il y a bien plus d'énergie accumulée que 
dans les hydrocarbonés. À ce point de vue, ces derniers les valent 
largement. Il est même facile de démontrer qu’ils leur sont supé- 
rieurs. L’oxygène se trouve contenu dans les hydrates de carbone 
en des proportions telles, qu'il suffit à transformer en eau tout 
l'hydrogène de la combinaison. La dénomination seule d’hydrates de 
carbone ne signifie-t-elle pas que l’on doit, au point de vue empiri- 
que, considérer cette classe de matières ternaires comme du carbone 
uni à de l’eau ? Pour brûler dans ces substances tout ce qui peut 
s’oxyder, il ne faut donc relativement que très peu d'oxygène. Le 
sucre est par cela même un corps qui se consume des plus facile- 
ment. Il est en outre possible de prouver qu’il constitue un accumu- 
lateur plus précieux et mieux chargé d’énergie que les matières 
azotées. Cela tient à ce que sa chaleur de combustion totale est 
supérieure à la chaleur de combustion de son carbone, le seul élé- 
ment combustible, semble-t-il, qui entre dans sa constitution. Pour 
bien faire comprendre limportance pratique de cette remarque, 
raisonnons avec des chiffres. La combustion intégrale et complète de 
| gramme de saccharose dégage, d’après Berthelot, 3 962 calories. 
Ce gramme de sucre contient 08,421 de carbone qui, si on le brûlait 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 263 


seul dans les mêmes conditions, ne dégagerait que 3 317 calories. 
(D’après Berthelot, la chaleur de combustion de 1 gramme de 
carbone est environ de 7,88 calories.) Retranchons 3 317 de 3 962; 
cela fait un écart de 0,645 calories. On voit que le sucre, en brûlant, 
dégage, en plus de la chaleur inhérente à la combustion de son 
propre charbon, une quantité de chaleur égale, à peu près, au 
cinquième de la chaleur de combustion de ce carbone constitutif, 
Cet excédent thermique a son importance, car, d’après nos conven- 
tions, 1l représente forcément une réserve supplémentaire notable 
d'énergie. Il y a donc lieu de distinguer, d’une part, les hydrates de 
carbone, qui accumulent aussi parfaitement le potentiel et le libèrent 
ensuite intégralement, et, d'autre part, les aliments quaternaires, 
accumulateurs beaucoup moins puissants et dont la combustion in- 
parfaite de la partie azotée de leur molécule est forcément cause de 
l'inutilisation partielle de leur énergie. Ge sont là des aliments qui 
ne peuvent être équivalents. 

Les chiffres de Berthelot et de Rubner, sur lesquels nous venons 
de raisonner si utilement, puisqu'ils plaident en faveur du sucre de 
canne, ne sont, nous l'avons dit, que des chiffres moyens. Mais nous 
pouvons admettre qu’ils ne différent guère des chaleurs de combus- 
tion de toutes les substances de mème nature susceptibles de jouer un 
rôle alimentaire. Un examen détaillé nous montrerait, par exemple, 
que les divers hydrates de carbone dégagent des quantités de chaleur 
presque identiques, lorsque l’on en brûle des poids égaux. Voici, 
d’après Berthelot, la valeur calorifique de 1 gramme des principales 
matières sucrées, le calcul les supposant sèches et non dissoutes : 


Galactose 3,7215 calories. Saccharose . . . 53,9620 calories. 
Lévulose, . 3,1500 — Dextrine. : 41180 — 
CICOSCR EEE CCS ST 6201 GINCOSENO MERE EI OO 
Lactose cristallisé . DIR Cellulose. . rio DURE 
Maltose . 3,9490 — AUOT 


D’après cela, les chaleurs de combustion des hydrocarbonés, dont 
on fait le plus largement usage dans l'alimentation journalière de 
l’homme et des animaux, seraient voisines, mais ne sauraient être 
rigoureusement identifiées; le fait s'explique du reste rien qu’en 


264 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


songeant que le glucose, le sucre de canne, le glycogène, la fécule, 
si voisins de formule comme l’on sait, ne contiennent pas tous la 
même quantité d’eau de constitution chimique. Si nous avons cité 
ces chiffres, c’est que, considérés isolément, ils offrent, malgré leurs 
faibles différences, un certain intérêt pratique. Ce sont eux qui ont 
servi à dresser le tableau des poids isodynamiques de toutes les 
substances nutritives. Ce qualificatif d’isodynamique s’applique aux 
différents poids des divers composés organiques qui, en s’oxvdant, 
dégagent sous forme de chaleur des quantités égales d'énergie. Autre- 
ment dit, dans les poids isodynamiques se trouvent accumulées des 
quantités égales de potentiel, et l’on conçoit de suite Pimportance de 
leur détermination. Voici quelques chiffres extraits du tableau calculé 
par Rubner dans cet ordre d'idées ; ils indiquent en grammes les 
poids des composés quaternaires ou ternaires ci-dessous mentionnés, 
ayant la même valeur calorifique que 100 grammes de graisse : 


Graisse. . . . . . . . . .. 100 gr. Substance musculaire (dépour- 
Syntonine (matière albumi- Vue dorerdsse) CE AMIS 5 br: 
noïde pure du muscle). . . 213 — Sucre de canne... . . . 235 — 
AMONT LE SR ES CU APN DIT Lactose NE de te RE 
GCOSÉ ECO MR RDS 


Nous voyons que pour fournir an apport égal de potentiel, il faut, 
par exemple, moins de sucre de canne que de lactose ou de glucose, 
ce qui, entre parenthèses, nous démontre encore la supériorité du 
saccharose sur les autres sucres solubles. Nous voyons en outre que 
dans le sucre il y a autant d’énergie accumulée que dans la substance 
musculaire, celle qui, composée en majeure partie d’albuminoïdes, 
constitue presque la moitié du poids vif des animaux. Sommes-nous 
maintenant entièrement renseignés sur les quantités d'énergie chi- 
mique inhérentes aux divers aliments simples ainsi qu'aux matières 
constituantes du corps animal? Certes non, car il ne suffit pas que le 
principe de l’isodynamie soit, une fois posé, consacré par les recher- 
ches purement physiques de la thermochimie. Il faut l'introduire en 
physiologie et cesser de ne raisonner qu’en physicien. Ces données 
ne peuvent en eflet servir à calculer a priori les quantités d’énergie 
qu’apporte l'alimentation, que si elles sont vérifiables pour un orga- 
nisme en activité normale, Au calorimètre substituons donc, comme 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 269 


appareil de combustion, le corps lui-même de l’animal vivant, autre- 
ment dit démontrons que, lorsque ce dernier produit de la chaleur 
ou du travail, il peut, conformément aux données précédentes, uti- 
liser indistinctement, pour arriver au même but, 235 grammes de 
sucre, par exemple, à la place de 235 grammes de substance muscu- 
laire ou de 100 grammes de graisse. 

La question de lisodynamie physiologique, bien qu’elle nous oblige 
à sortir un peu des limites où le présent résumé devrait demeurer 
contenu, ne doit pas nous laisser indifférents. Mieux que tous les 
autres faits, elle va contribuer à fixer nos idées sur la libération véri- 
tablement physiologique, peut-on dire, du potentiel contenu dans le 
sucre et sur la valeur énergétique de cet aliment. Raisonnons sur des 
expériences faites non plus ?n vitro, mais in vivo. Rubner avait re- 
marqué qu’un jeûne de quatre ou cinq jours ne troublait aucune- 
ment la régularité de la fonction de calorification. Comme l’animal 
privé de nourriture évitait instinctivement toute cause d’excitalion ou 
de dépense, qu'il s’abstenait, par exemple, autant que possible de se 
mouvoir, 1l y avait lieu de croire que l'énergie libérée ne servait alors 
uniquement qu’à entretenir sa chaleur. La température, résultante 
supposée unique de ses dépenses dynamiques, conservant toujours 
la même valeur, il devenait logique d’admettre également que l’or- 
ganisme consommait chaque jour la même quantité d'énergie. D’où 
provenait cette énergie ? Certainement, puisque l’animal était à jeun, 
de réactions ne portant uniquement que sur ses propres tissus. Les 
réserves hydrocarbonées de l’économie ne pouvaient intervenir. Nous 
savons qu’elles atteignent seulement 1 p. 100 environ du poids du 
corps et, de plus, qu’elles disparaissent progressivement avec le 
jeûne. Les matières albuminoïdes et les graisses seules alimentaient 
et entretcnaient la chaleur pendant le jeùne. Il fut facile à Rubner de 
s’en rendre compte en établissant le bilan de l’azote et du carbone 
désassimilés par l’animal et excrétés dans ses urines, ses fèces et les 
produits de sa respiration. L'expérience démontrait que chaque 
gramme d'azote urinaire correspondait à la destruction de 55,321 
d’albumine contenant 5%,28 de carbone. En retranchant le carbone 
de provenance quaternaire ainsi calculé du carbone total des excreta 
et en fixant par le calcul à 15,29 le poids de graisse correspondant à 


266 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

1 gramme de carbone, on avait la possibilité d'établir, après le bilan 
des albuminoïdes, celui des corps gras détruits chaque jour par l’ani- 
mal. Le dosage direct de l'oxygène libre absorbé par la respiration 
permettait du reste le contrôle de ces premières données ; il devait 
fournir un chiffre à peu près égal au poids d'oxygène théoriquement 
nécessaire pour oxyder les quantités d’albuminoïdes et de graisses 
déterminées au moyen des analyses précédentes. Tel est le principe 
de la méthode grâce à laquelle Rubner se rendit compte de la nature 
et de la quantité de substance organique décomposée au cours du 
jeûne. Le bilan nutritif de l’inanition une fois établi, l’animal d’expé- 
rience reçut une quantité de sucre de canne insuffisante pour entre- 
tenir à elle toute seule sa chaleur. Le régime des combustions intra- 
organiques n’en était pas pour cela modifié et Rubner s’assura que 
Panimal continuait à vivre avec le même bilan total de calories. 
Ainsi donc, la consommation d’énergie restait constante et égale à 
ce qu’elle était lors du jeûne absolu, mais malgré cela il était impos- 
sible, après le changement de régime, de reconnaître à cette énergie 
la même origine. L'utilisation du sucre permettait certainement à 
l'organisme de diminuer les emprunts précédemment faits à ses ré- 
serves. Pour comparer la valeur énergétique du saccharose à celles 
des autres principes, il suffisait de déterminer le poids d’albuminoïdes 
et de graisses épargné par l’ingeslion du sucre. Voici les données 
d'une des expériences de Rubner. Un chien désassimila par jour : 


ALBUMINE GRAISSE 

détruite. détruite. 

grammes. grammes. 

PeEndANR A INANITION PR APR ER 10,269 40,673 
Pendant l'alimentation (77,1 de sucre)! . . 6,651 8,075 
DiFPÉRENCES 0.50, 3,618 32,098 


Ces chiffres signifient que 775,1 de sucre permettent à l’animal 
d'économiser : 38,618 d’albumine + 398,598 de graisse, car, mis 
à la disposition de l’organisme, ils fournissent la même quantité de 
chaleur. Des expériences analogues, mais portant sur une alimenta- 
tion azotée à la viande, conduisirent d’autre part Rubner à admettre 


1. On tenait compte évidemment du carbone qui était introduit dans l’économie 
par le sucre. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 267 


que l’albumine épargne, pour chaque gramme d’azote qu’elle ap- 
porte, 2,64 de graisse. Utilisant ici ce facteur, on voit que l’écono- 
mie totale de graisse causée par les 775°,1 de sucre a été de 345,39, 
autrement dit que 234 grammes de sucre ont pu remplacer 100 gram- 
mes de graisse. Or, le calorimètre nous a appris que 235 grammes 
de sucre contiennent sous forme de chaleur la même quantité d’éner- 
gie que 100 grammes de graisse. L'écart entre les deux chiffres, 
obtenus par. des méthodes si différentes, est faible. Dans l’organisme 
soumis au jeûne, les matières organiques constituantes du corps 
ainsi que les principes nutrilifs assimilables introduits dans le cou- 
rant sanguin peuvent done se substituer à quantités calorimétrique- 
ment égales. Que devient le principe lorsque l'animal est dans des 
conditions normales et reçoit de la nourriture ? Rubner a également 
démontré que l’alimentation ne lui fait rien perdre de sa valeur et de 
sa signification. Il semblait difficile qu’il en fût autrement, car lor- 
ganisme, nous l’avons déjà dit, règle toujours l’utilisalion de ses 
aliments non d’après la quantité de principes nutritifs dont :l dis- 
pose, mais bien d’après ses besoins éventuels. Aussi, en recueillant 
dans le calorimètre la chaleur produite par des chiens soumis avec 
changement de régime à la ration d’entretien, Rubner a-t-il trouvé 
que les calories perdues par rayonnement étaient constantes pour 
chaque sujet et égales à la somme des chaleurs de combustion des 
aliments consommés pendant la durée de l'expérience. Le corps de 
l’animal se comportait finalement comme une véritable bombe calo- 
rimétrique, où les hydrocarbonés et les graisses se brülaient jusqu’à 
combustion complète et où l’albumine se transformait en eau, acide 
carbonique et urée. Les chaleurs de combustion des substances ter- 
naires mesurées directement au moyen de la bombe calorimétri- 
que concordaient par conséquent avec les quantités de chaleur, 
c’est-à-dire d'énergie, dégagées par les mêmes principes, lorsqu'ils 
s'oxydaient au maximum dans l’économie animale. Le mode suivant 
lequel s’opérait l’oxydation différait seul dans les deux cas ; les hydro- 
carbonés et les graisses subissent bien dans l’organisme des trans- 
formations multiples, mais celles-ci, conformément au principe de 
thermo-chimie dit de l’état initial et de l'état final, restent sans in- 
fluence. D’après le théorème de Berthelot, la quantité d’énergie po- 


268 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tentielle perdue sous forme de chaleur par une substance organique 
est en effet indépendante de la nature, du nombre et de la suite des 
états intermédiaires revêtus par cette substance, lorsqu'elle s’ache- 
mine progressivement vers les termes auxquels aboutit finalement 
l'oxydation. Le résultat est le même, que l’on passe directement ou 
sans transition de l’état initial à l’état final constaté. Rubner démon- 
trait ainsi en un mot que dans tous les cas les éléments nutritifs se 
substituent entre eux pour les besoins de la nutrition suivant des 
poids capables de libérer, sous forme de chaleur, le même potentiel. 


x 


De l'aptitude du sucre à maintenir l'équilibre nutritif. 


Afin d'évaluer l'énergie contenue dans le sucre, nous pouvons 
profiter de celte notion des valeurs isodynames. Nous voyons alors, 
pour raisonner d’une façon qui frappe davantage lesprit, que les 
deux morceaux de sucre, d’un poids moyen de 8 grammes chacun, 
que l’on met dans sa tasse de café, comme consommation d’agré- 
ment, représentent un apport de 65 à 66 calories. Que vaut compa- 
rativement, par exemple, l'œuf, d’un poids moyen de 40 grammes, 
coquille déduite, que tout le monde considère comme un aliment 
infiniment plus précieux que les sucreries? De par sa teneur en albu- 
mine, en corps gras et en hydrates de carbone, il n’apporte pas tout 
à fait 63 calories, c’est-à-dire fournit 2 calories de moins que les 
deux morceaux de sucre. En supposant que chez l'homme le poten- 
tiel devienne surtout de la chaleur, il est déjà possible de se rendre 
compte que, contrairement aux croyances communes, le sucre repré- 
sente un appoint joliment précieux de calorique. Continuons notre 
comparaison entre l’œuf et le sucre. De ce que le premier est à peu 
près isodyname des deux morceaux du second, s’ensuit-1l que l’un et 
l’autre de ces aliments, ingérés dans des proportions respectives, 
aient la même valeur nutritive, c’est-à-dire apportent à l'organisme 
des quantités de matière et d'énergie physiologiquement égales? Com- 
ment s’en assurer ? S'il en est ainsi, lorsque nous ajouterons à une 
même ration, suffisante pour couvrir largement le besoin d’albumine, 
tantôt du sucre, tantôt autant d'œufs que nous aurons précédem- 
ment donné de fois deux morceaux de sucre, le bilan des échanges 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 269 


matériels et dynamiques ne devant hypothétiquement pas varier, il 
s’ensuivra, en admettant naturellement que ses dépenses soient uni- 
formes, que le sujet ne changera pas de poids. Malgré la simplicité de 
la méthode, la pesée de l’animal est donc un moyen très suffisant 
pour apprécier l'aptitude respective des aliments à maintenir l’équi- 
libre nutritif. Si le poids augmente, c’est l’indice que l'organisme 
trouve dans sa ration plus qu'il ne lui faut pour alimenter ses réac- 
tions et ses travaux intérieurs ; il met l’excédent en réserve. Si le 
poids diminue, l’apport ne suffit plus à couvrir les pertes. L'égalité 
de poids indique enfin qu'il y a équilibre entre les entrées et les sorties, 
c’est-à-dire que les rations produisent identiquement le même ré- 
sultat. Or, si l’on remplace l’œuf et le sucre suivant des poids isody- 
names, l'équilibre de poids ne sera jamais atteint. L'expérience n’a 
peut-être pas été précisément faite avec ces deux aliments, mais on 
a constaté un grand nombre de faits analogues permettant d'affirmer 
a priori qu'il ne peut en être autrement. 

La chienne observée par M. Contejean * était constamment tenue 
à l’état de repos, enfermée dans une cage et placée dans une salle à 
température à peu près constante. L'identité de ses échanges maté- 
riels et dynamiques était ainsi assurée aussi exactement que possible. 
Sa ration, variable, nous allons le voir, lui était donnée en une seule 
fois et toujours à la même heure. L'administration de sa boisson 
avait toujours lieu dans la période la plus éloignée du moment des 
pesées. Celles-ci étaient faites le matin avant le repas et après l’extrac- 
tion de l’urine de la vessie. Les fèces émises élaient toujours pe- 
sées avec l'animal. Le graphique suivant résume les résultats prin- 
cipaux de l’expérience. On y trouve consigné tout ce qui concerne la 
composition de la ration, les poids quotidiens de l’animal, de l'azote 
entrant (courbe à traits pleins), de l’azote sortant (courbe à traits 
pointillés), enfin la valeur calorimétrique de la ration reçue pour 
chaque régime pendant une période consécutive de quatre jours. 

— A. Nous voyons que soumis, pendant la première période du 24 
au 28 décembre, au régime quotidien de 4 000 grammes de viande 
maigre, contenant à peu près 20 grammes de graisse d'infiltration, Le 


1. Contejean, Arch, de Physiol., n° 4, octobre 1896, p. 803. 


2170 


ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sujet augmente de 395 grammes + 147 grammes de fèces. L’azote 
des urines donne la mesure de l’albumine utilisée par l’animal, et 
permet de calculer que la chienne dépense de 3777 à 4547 calories. 
— B. Du 28 décembre au 6 janvier la ration se compose de 500 gram- 
mes de viande additionnés de 40 grammes de saindoux. La ration 


D] x 
ERELRLS 


RTE 
LA 2 A LL + 
CET Name] 


HER 


RES 

NPA RIRE RRRREE ae Il 
STILL MM rates 
RD RSR E FRS 


24:25 26 21 28! 
Décembre 1895. : 


——_—_—_—_ 
2000 gr. de viande. ‘ 
Jour. 


A 


Jr M2 SRE 


Re 
ECRÈTES M 


67 8 9 10/11 12 13 14115 16 17 18:19 20 
1 0 Q 


Janvier 1896. 


8 1 ” 
© © 
, | Scogr de viande * Soo gr deviande Soogr deviande ‘ Soo gr de viande ‘ 
+ éogr de graisse + 609r de graisse +100 gr: de grakrse +100 Te SUCIE 
Par jour. PAT Jour : Par jour: ie 


F1G. 14. 


est insuffisante, l'animal perd 170 grammes et 1l sort légèrement 
plus d’azote qu’il n’en rentre. — C. Avec 300 grammes de viande et 
80 grammes de saindoux, l’équilibre se rétablit : la chienne fixe un 
peu d'azote et gagne environ 50 grammes + 52 grammes de fèces ; 
elle dépense alors de 4950 à 5326 calories. — D. Pendant la qua- 
trième période, la ration est augmentée de 20 grammes de saindoux. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 271 
L'animal gagne beaucoup en poids (335 grammes) à ce régime ; il 
fixe de l’azote dans ses tissus. La dépense atteint 5 486 calories. — 
E. Du 15 au 18 décembre, l’animal reçoit toujours 500 grammes de 
viande, mais la graisse est remplacée par 100 grammes de sucre. 
Cette ration, cela se voit sur le graphique, est à peu près isodyname de 
celle de la deuxième période (B), comportant un régime de 500 gram- 
mes de viande et 40 grammes de saindoux [858 939 calories au lieu 
de 881861], mais alors qu'avec cette dernière le sujet perdait en 
poids, il augmente au contraire ici de 192 grammes + 197 grammes 
de fèces. 

Nous devons alors conclure avec Contejean que des rations alimen- 
taires isodynames contenant, comme l’œuf et les deux morceaux de 
sucre, la même quantité d'énergie potentielle peuvent, appliquées 
dans les mêmes conditions sur le même sujet, donner des résultats 
inégalement avantageux. Avec le sucre 1l y aura très proboblement 
abondance et l'organisme formera des réserves. L’œuf ne couvrira au 
contraire peut-être pas les dépenses journalières ; le poids baissera, 
l’azote sortira des tissus en plus grande quantité qu’il n’y entre. 

Notre comparaison entre les divers aliments qui, d’après des calculs 
basés sur les valeurs isodynames tournait en faveur du sucre, serait- 
elle par cela même erronée et serions-nous autorisés à déclarer, de 
concert avec M. Chauveau, que devant des faits semblables, 1l- ne 
faut plus hésiter à jeter la suspicion sur les théories de Rubner ? 
Celles-ci, prétend la nouvelle école, sont fausses 4 priori, et le pou- 
voir nutritif des substances alimentaires ne peut, de même que leur 
pouvoir énergétique, être identifié à leur pouvoir thermogène, c’est- 
à-dire rester proportionnel à leur chaleur de combustion. Les ali- 
ments, tels qu’ils sont ingérés, sont, en effet, incapables, sans avoir 
subi une transformation préalable, de pouvoir servir à l'entretien 
des fonctions de l’organisme et à l’accomplissement des travaux qui 
s’y effectuent. Or, cette transformation met en jeu une certaine quan- 
iité d'énergie variable avec lu nature de l'aliment considéré; les 
phénomènes dont accompagnent les réactions chimiques qui portent 
sur les aliments pendant leur assimilation ne sauraient par cela 
même être identiques pour les albuminoïdes, les hydrocarbonés et les 
oraisses. [ n’y a rien à objecter à de semblables considérations. Elles 


272 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sont rationnelles et indiscutables, mais elles ne paraissent nullement 
de nature à mettre la notion de l’isodynamie en défaut. Lorsque 
M. Chauveau les sortit de ombre, croyant, suivant ses propres ex- 
pressions, € qu’elles étaient de nature à heurter les habitudes d’esprit 
des partisans systématiques de la théorie des substitutions isodyna- 
mes », Ceux-ci, pour y répondre, n’eurent qu’à se reporter aux pre- 
mières conciusions générales de Rubner. L’éminent physiologiste de 
Munich n’avait pas été sans s’apercevoir que son principe fondamental 
était en réalité le plus souvent masqué par des phénomènes secon- 
daires, que les éléments nutritifs passaient par le tube digestif avant 
de pénétrer dans la cireulation générale et que le travail auquel ils 
étaient alors soumis ne pouvait de toute évidence être identique dans 
tous les cas. Afin de tenir compte des perturbations apportées par le 
travail de la digestion, Rubner spécifia donc en propres termes « que 
la valeur nutritive d'un aliment se trouvait mesurée non pas par 
l'énergie totale qu'il dégage dans l'organisme, mais seulement par la 
parte de celte énergie que ce dernier peut utiliser ». N'est-ce pas là, 
en principe, le sens des rectifications demandées par M. Chauveau ? 


Effet physiologique utile de l'énergie potentielle 
contenue dans le sucre. 


Nous avions fixé aux chiffres suivants le pouvoir calorifique ou 
dynamique de À gramme des diverses substances : 


Pour les matières azotées et hydrocarbonées en moyenne . 4,{ calories. 
POUPHES MANIÉLOS ETASSES EN EE LT TR A AT TN 


Ce ne sont là, d’après ce que nous venons de dire, que des valeurs 
brutes servant à calculer Papport total d'énergie. Il nous faut main- 
tenant les corriger et en déduire l’énergie que l'organisme va réelle- 
ment utiliser. La soustraction opérée, rien ne s’opposera plus alors 
à nous laisser adopter les nouveaux chiffres comme des valeurs nelles, 
susceptibles de nous renseigner sur l'effet physiologique réellement 
utile des divers aliments, valeurs, cela se conçoit, qui auront bien 
au regard de lorganisme la même signification que les anciennes 
au regard du calorimètre. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 213 


La recherche des pertes d’énergie subies par les aliments dans 
l'organisme, et dont ce dernier n’a pas profité, nécessite, pour être 
exécutée avec certitude, l'établissement du bilan complet des échanges 
nutritifs. Il a donc fallu procéder, en vue de cette détermination, à 
des expériences fort compliquées dont il est impossible, dans ce ré- 
sumé, de donner le détail. Les résultats seuls de ces travaux nous 
intéressent du reste ici. Rubner, entre autres, a expérimenté sur 
l'enfant avec l’alimentation lactée, sur l’homme adulte soumis à 
divers régimes, et sur le chien. Le tableau suivant résume celles de 
ses conclusions qu'il est intéressant de connaître d’une manière gé- 
nérale et qui peuvent ici nous servir indirectement. 


PERTE D'ÉNERGIE 
pour EFFET 
100 calories brutes de j 
l'aliment. physiolo - 
MODE D’ALIMENTATION. 
nn . 

| gique 
Par Par les | | 
excré- | Total. utile. 


l'urine. | ments. 


Lait maternel (enfant) . 
Lait de vache (adulte) . 


t 
(7 
© 


Alimentation mixte (jeune garçon) : 
Pain de seigle complet (600 à 800 grammes). 
| Pain de farine de seigle (600 à S00 grammes). . 
Alimentation riche en graisse . Once 
Pommes de tere (25,756 associés à du beurre et 
dussel) est; LE D Mn PA) CRE 
Viande chez l'homme (2 kilogr. associés à du 
pentebsel Sel ne hate es) 0230 
Vnitecher le chiens 95e. : vou 591.240 


Ü 
æ, . 
Æ 19 OT 
Cr 'OMSMCES 


mA 


CS 19 19 19 Qt 


… 


we) 
—1 


Avions-nous assez raison de nous élever contre l'habitude que l’on 
a de dépasser de beaucoup, lors de l’établissement de la ration, la 
dose d’albumine nécessaire au fonctionnement général de l’orga- 
nisme ? Le minimum d’azote salisfait, on ne peut, n’en déplaise à 
opinion que professe le grand public, attendre grand’chose d’an 


1. Rubner, « De la valeur énergétique de l'alimentation &e l'homme » (Zeësch. f, 
Biol., t. XLII, 1901). 


ANN. SCIBNCE AGRON. — 2° SÉRIE, — 1902-1903. — ri. 18 


274 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


excédent de matière azotée. Laissant même de côté le mauvais effet 
sur la santé de tous les produits de combustion incomplète, auxquels 
conduit forcément l’utilisation de l’albumine, nous ne pouvons en 
effet oublier que la combustibilité de ce principe est aussi médiocre 
que celle des corps gras. Mais alors que la graisse, d’après le tableau 
précédent, compense ce défaut de qualité par un coefficient élevé 
d'utilisation physiologique (90,40), la viande est l'aliment qui, au 
point de vue énergétique, laisse le plus grand déchet. Sur 100 calo- 
ries qu’elle apporte, l'organisme n’en utilise guère que 75 environ, 
et cela non seulement chez l’homme omnivore, mais même chez les 
carnivores comme le chien. Les chiffres de Rubner nous confirment, 
par contre, la haute valeur dynamique des hydrocarbonés, et c’est 
pour cela que nous ne pouvions nous dispenser de les citer. Lorsque 
la matière sucrée se trouve condensée à l’état de celluloses plus ou 
moins saccharifiables, elle échappe sans doute en partie chez l’homme 
au travail de la digestion et, ne pouvant être absorbée, passe dans 
les excréments ; il n’y a donc nullement lieu de s’étonner que l'effet 
utile du pain complet de seigle, riche en ligneux non digestible, 
n’atteigne qu'un taux assez bas (73,5) et voisin du coefficient de la 
viande. Mais lorsque la digestibilité des hydrates de carbone est totale 
comme celle de l’amidon de la pomme de terre, dont il est assez rare 
de constater la présence dans les fèces, l’utilisation de l’aliment atteint 
son maximum (92,1). Le rapprochement des chiffres de Rubner parle 
sans restriction aucune en faveur des hydrates de carbone en géné- 
ral. Il ne contient malheureusement pas de renseignements sur la va- 
leur physiologique spéciale du sucre, celui entre tous les hydrocar- 
bonés de digestibilité complète que nous voulons, pour ainsi dire, 
réhabiliter ici, afin d’en rendre l’usage aussi courant que possible. 
Mais il va nous être facile de suppléer à cette lacune en raisonnant, 
au sujet du sucre, d’après ce que Rubner vient de nous apprendre sur 
la fécule de pomme de terre. L'effet physiologique utile de ce der- 
nier aliment est de 92,1 p. 100. Cela porte à 7,9 p. 100 le nombre des 
calories apportées qui, libérées au cours de l'assimilation, ne seront 
pas directement utiles à l’organisme. Voyons quelles sont les fonc- 
tions ou les divers phénomènes susceptibles d’occasionner ce déchet. 

Le travail de la digestion commence par la préhension, la mastica- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 279 


tion buccale, l’insalivation et la déglutition de l'aliment. Ces actes 
. consomment de l’énergie, mais en quelle quantité ? Zuntz et Lehmann 
s’en rendirent compte en suivant les échanges respiratoires du che- 
val au repos, puis lorsqu'il mangeait. Le repas était cause d’un 
supplément de consommation d'oxygène et d’exhalation d’acide car- 
bonique. Des chiffres fournis par l’analyse des gaz de la respiration, 
il résulta que 10 p. 100 du potentiel du foin et 4 p. 100 seulement 
de celui de l’avoine, aliment assez riche en amidon, étaient dépensés 
par la mastication et la déglutition. La perte d’énergie est certaine- 
ment moindre lorsque l’on ingère de la pomme de terre, autrement 
plus facile à mâcher et à digérer que l’avoine. Quant au sucre qui se 
«croque » avec d'autant moins de peine que la salive le dissout de 
suite, sa valeur calorifique, à son entrée dans l’estomac, ne sera que. 
fort peu amoindrie. 
Devons-nous en conclure que le travail de la digestion consécutif 
à l’ingestion de sucre est absolument négligeable ? La physiologie ne 
nous y autorise pas. LϾwv, en introduisant dans le tube digestif des 
substances inertes et nullement alimentaires, a constaté que l’excita- 
tion seule qu’elles produisaient sur les paroïs de l'intestin avait tou- 
jours pour résultat d’accroître le bilan des échanges nutritifs. Pen- 
dant la période des sécrétions salivaires, gastriques et pancréatiques, 
c’est-à-dire souvent bien avant le début de l'absorption digestive, il 
y à toujours en effet plus d'oxygène consommé. Le fait, nous l’avons 
déjà dit au cours de ce chapitre, a même été exploité au profit de la 
théorie qui soutient, bien à tort, que l’organisme gaspille l’énergie 
lorsque les repas lui fournissent des aliments en abondance. Si le 
sucre était directement introduit dans les vaisseaux, il n’y aurait très 
probablement pas exagération de la consommation énergétique, 
mais lorsqu'il passe par le tube digestif, par suite tout d’abord de 
son action gustative et condimentaire, il se produit certainement une 
sécrétion gastrique et intestinale énergique que l’action directe de 
l'aliment sur les muqueuses digestives doit prolonger tant que l’ab- 
sorption n’est pas complète. Or, s’il faut en croire les expériences de 
M. Chauveau sur la parotide du cheval, les réactions chimiques aug- 
mentent avec l’état d'activité de la glande, preuve certaine que les 
sécrétions consomment de l’énergie. Malgré cela, nous sommes auto- 


276 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


risés à admettre que l’influence exercée par la digestion et l’interver- 
sion intestinale du sucre n’occasionnera qu’une inutilisation très 
minime des calories contenues dans cet aliment. 

Comme autre cause importante de perte d'énergie subie par 
l’amidon depuis son ingestion jusqu'à son passage dans le sang, il 
faut citer l’action des microbes. Au cours de leur digestion, les 
hydrocarbonés fermentent, dans l'intestin particulièrement, sous l’in- 
fluence des microbes qui, introduits de l'extérieur, y pullulent. Tap- 
peiner même a montré que la cellulose n’était alimentaire pour les 
herbivores qu'après avoir subi des métamorphoses fort compliquées, 
dues exclusivement aux ferments figurés. Les infiniment petits ont 
ainsi à un certain point de vue une action bienfaisante, mais d’un 
“autre côté comme ils ont besoin d'énergie pour vivre, ils n’opèrent 
ces transformations que pour en profiter. C’est pour cela qu'ils dé- 
composent les hydrocarbonés et plus particulièrement les sucres en 
hydrogène, en acide carbonique, en hydrogène sulfuré, en méthane 
ou gaz des marais (hydrogène carboné), en acides organiques (lac- 
tique, butyrique, acétique, propionique, succinique) et quelquefois 
en alcools divers. Si l’on songe que tous ces dédoublements ne libè- 
rent que peu d'énergie, on voit que les microbes sont obligés, pour 
satisfaire à leurs besoins, d'agir, chacun à sa façon, sur des quan- 
dités considérables de matière perdues désormais pour l’organisme 
animal. Parmi ces résidus de fermentation, il en est un certain 
nombre, comme les gaz, éliminés par animal avec ses fèces, qui ne 
sont que des corps saturés, Imertes, et incapables de constituer une 
source d'énergie. Quant aux composés solubles à fonction acide ou 
alcoolique que nous avons nommés, ils subissent l’absorption et 
pénètrent dans le sang ; Speck, de Mering et Zuntz, Mallèvre, avec 
expériences à l'appui, affirment qu’ils sont ensuite réellement brûlés, 
mais ceci ne doit pas nous faire oublier que leur valeur calorifique 
s'élève à peine à la moitié de celle des hydrates de carbone d’où ils 
proviennent. Les microbes sont done en résumé des parasites coû- 
teux, car ils dépensent pour leur compte personnel, au détriment de 
l'organisme, une notable partie de l'énergie des aliments sucrés. 
Kellner a trouvé, par exemple, que chez le bœuf plus de 10 p.100 du 
potentiel de la fécule ou de l’amidon est consommé rien que par la 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 211 


formation de méthane dans la panse. Le déchet serait-il encore plus 
fort pour le sucre, l’aliment préféré des microbes ? La rapidité et la 
facilité, si grandes nous le savons, avec lesquelles cet aliment tra- 
verse les parois de l'intestin et pénètre dans le sang nous laissent une 
entière sécurité à ce sujet. Le sucre ne demeure que très peu de 
temps dans le tube digestif; il échappera alors presque entièrement 
aux fermentations intestinales et en tout cas bien plus facilement 
que les autres hydrates de carbone dont la solubilisation, la saccha- 
rification, la digestion en un mot, sont difficiles et exigent un séjour 
assez prolongé dans l'intestin. Aussi Kellner a-t-il pu parfois 
constater que la mélasse, et par conséquent le sucre qu’elle contient 
(0 p. 100), ne donne pas lieu dans la panse du bœuf à la même 
formation de méthane. L'analyse des divers phénomènes suscep- 
tibles de diminuer la valeur dynamique du sucre, avant son absorp- 
tion, nous laisse en résumé l'impression que, au moment où cet ali- 
ment pénètre dans l’économie, le travail digestif n'a que fort peu 
entamé La somme d'énergie qu'il contenait avant son ingestion. 
Continuons à suivre ce que devient l'énergie du sucre après sa 
diffusion dans le sang. Par suite du mouvement nutritif, le glucose 
et le lévulose, issus de son dédoublement, subissent certainement 
dans l’organisme de multiples transformations. D’un côté, l’assimila- 
tion sait les utiliser comme matériaux de construction et en faire des 
réserves. La désassimilation d’autre part les détruit, soit de suite, soit 
après leur mise en réserve, pour satisfaire aux dépenses d'entretien. 
Les opérations de construction, transmutation du glucose et du 
lévulose en glycogène ou en graisse, nécessitent toujours un certain 
travail ; elles empruntent alors très probablement du potentiel à une 
réaction inverse, c’est-à-dire à la destruction d’une certaine quan- 
tité de matière organique, à moins cependant qu’elles ne soient l’œu- 
vre des ferments diastasiques. Ceux-ci dégagent de énergie plutôt 
qu'ils n’en consomment. Le bilan exact des pertes inhérentes à la 


1. Malgré cela, s’il faut en croire les dernières recherches de Kellner, certains ani- 
maux, ainsi que nous le disions dans une note précédente, n'utilisent qu'imparfai- 
tement le sucre pur. Ce dernier, malgré la rapidité de son absorption, subil certai- 
nement une fermentation très active dans la panse des ruminants. Il en est autrement 
chez l'homme et, parmi les animaux, chez le cheval, le porc, ete. 


278 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
transformation du sucre en réserves et en tissu vivant est, on le 
conçoit, fort difficile à établir ; voici cependant quelques données 
numériques bien faites pour fixer nos idées sur la part de l’énergie 
totale des divers aliments utilisée par l'animal, soit pour son entretien, 
soit pour son croit, c’est-à-dire pour la formation de sa chair et de 
sa graisse. Les chiffres que nous citons sont empruntés au volumi- 
neux mémoire où Kellner rend compte des expériences poursuivies 
de 1895 à 1899 à la station agronomique de Môckern sur les échanges 
matériels et dynamiques du bœuf”. Le tableau ci-dessous concerne 
le bœuf à l'entretien, c’est-à-dire dont le poids vif est constant : 


Nombre de calories utilisées par l'entretien sur 100 fournies à l'animal. 


EFFET 
physiologique utile. 


Huile araChiTe PEER 100,0 p. 100. 
MÉLASS ETES PAM ES es UeUR 95,1 — 
ADO RES ALU rE Lee MEL Ses 89,9 — 
GellaloSeypnre SRE 86,0 — 
Gluten (matière azotée pure d'ori- 

gine Wégétale) Nora URSS, 80,7 — 


Nous y joignons les chiffres, également donnés par Kellner, qui 
nous indiquent l’utilisation physiologique, pour le bœuf à l’engrais, 
des mêmes substances alimentaires : 


RÉPARTITION DE L'ÉNERGIE ans 
contenue dans la substance organique SR 
digérée et absorbée.’ physiologique | 

ar utile. 

PERTES. = 

ALIMENT. ÉTAPE Énergie 
Dans les Total récouvrée 

urines et par par le 

formation croît. 
de méthane. 


p. 100. p. 100. p. 100. p. 100, 
| Huile d'arachide . . . . 43,7 : . 
MES Li Rat se 39,1 
Cellulose pure . . . . . 31,7 
Amon: RH Au dns 36,9 
CUTED EE END PANNE 44,2 


Fonctions 


des 
diverses. pertes 


1. D° 0. Kellner, Untersuchungen ù. d. Slofÿ- und Energie-Umsatz d. erwachse- 
nen Rindes. Librairie Paul Parey, Berlin, 1900. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 219 

Le rapprochement des chiffres particuliers à la mélasse”, fort riche 
en sucre comme nous l'avons dit, et des autres données nous démon- 
tre, sans plus d'explications, que le sucre est l'un des aliments dont 
l'énergie est le micux utilisée par l'animal, el cela aussi bien pour 
son entretien que pour la production du croit. 

Pour terminer, envisageons maintenant les effets du sucre lorsqu'il 
est appelé à jouer un rôle énergétique ou thermogénique immédiat. 
Nous savons que c’est en brülant le glucose et le lévulose, en les- 
quels cet aliment se décompose, que l'organisme libère de l'énergie 
sous forme de chaleur ou de travail musculaire et mécanique. On 
enseigne avec raison que ces sucres disparaissent par oxydation, 
c’est-à-dire après leur transformation finale en acide carbonique et 
en eau. Mais cette combustion, nous le savons, n’est pas brusque et 
instantanée comme dans la bombe ca'orimétrique. Les sucres sont au 
préalable transformés, et ce n’est seulement que sur les produits de 
leur dédoublement qu’agit, par l'intermédiaire des oxydases, l’oxy- 
gène fixé sur l’hémozlobine. Les transformations de laliment sucré, 
antérieures à la fin de son oxydation, ne seraient-elles pas une cause 
de perte d'énergie? Voilà ce dont il est intéressant de s’assurer. 
MM. Bach et Battelh*® ont étudié tout récemment les mutations que 
l'organisme fait subir au glucose pour mettre en liberté l'énergie 
potentielle de cet aliment physiologique. Leur théorie est loin d’être 
classique; peut-être est-elle même en contradiction avec les idées 
généralement admises, mais elle repose néanmoins sur des bases 
assez sérieuses pour être prise en considération. Suivant ces auteurs, 
la dégradation des hydrocarbonés se ferait grâce à l’action alternante 
de deux sortes de ferments. Les uns ne produiraient que des dédou- 
blements aboutissant, entre autres termes constants, à l’acide car- 
bonique, et laisseraient comme résidus des substances facilement 
oxydables que les autres se chargeraient d’oxyder en produisant de 
l’eau. L’acide carbonique ne résulterait, d’après cette doctrine, que 


1. Pour les ruminants, toujours d'après les travaux les plus récents de Kellner, la 
mélasse est supérieure au sucre : { kilogr. de substance organique de la mélasse (sucre 
et non-sucre ternaire réunis et abstraction faite de la matière azolée) fournit 207 
grammes de graisse, alors que le kilogramme de sucre pur n'en produit que 188 grammes. 


2. Bach et Battelli, Comptes rendus, 1903. n° 22, p. 1351. 


280 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


de dédoublements et non d’oxydations, et l’oxygène se porterait sur 
l'hydrogène et non pas sur le carbone, que l’on considère volontiers 
cependant comme l'élément combustible par excellence. Il en résul- 
terait que la plus grande partie de l'énergie serait ainsi libérée par 
l'oxydation directe de l'hydrogène sous l'influence de l'oxygène du 
sang. Voici quelles seraient les différentes phases de la dégradation 
du glucose : celui-ci serait dédoublé en acide lactique, puis en alcool 
et en acide carbonique grâce à ces deux diastases spéciales, décou- 
vertes dans les tissus animaux par Stoklasa et Cerny et susceptibles 
de produire, l’une la fermentation alcoolique, l’autre la fermentation 
lactique. L'alcool naissant serait ensuite aussitôt oxydé et deviendrait 
de l'acide acétique, lequel serait à son tour dédoublé en méthane et 
en acide carbonique. Le méthane oxydé fournirait de l’acide for- 
mique, dont l'acide carbonique et l'hydrogène sont des produits 
normaux de dédoublement. Finalement lhydrogène se combinerait 
avec l’oxygène pour donner de l’eau. « Ces corps, ainsi que le re- 
marquent MM. Bach et Batelli, se trouvent en plus ou moins grande 
quantité dans l'organisme et d’une manière générale toutes ces réac- 
tions peuvent être accomplies par des diastases. » Ce qui, dans cette 
théorie, va peut-être effrayer, sinon faire réfléchir certains physiolo- 
oistes, c’est la présence de l'alcool parmi les termes auxquels abou- 
irait cette dégradation hypothétique du sucre physiologique du sang. 
L'alcool est un poison ! Comment admettre alors qu’à l’état normal 
l'organisme, par cela même qu’il consomme continuellement du 
glucose, ne soit pour ainsi dire pas constamment imprégné d’alcool ? 
Cela se remarquerait ; bien plus, l’odorat seul permettrait de s’en 
apercevoir. Mais le premier étonnement disparaît assez vite, si l’on 
veut bien se donner la peine de distinguer l'alcool naissant, issu de 
la fermentation intra-organique du glucose, se transformant immé- 
diatement par oxydation et par conséquent incapable de se répandre 
et de porter le trouble, de l'alcool des boissons qui, lui, pénètre subi- 
tement dans le sang et, ne pouvant, comme le sucre par exemple, re- 
vêtir momentanément tout au moins une forme de réserve, se trouve 
ainsi à la disposition de l’organisme et en trop grand excès pour 
pouvoir être brûlé rapidement. Quoi qu'il en soit, voyons rapide- 
ment ce qui va se passer au point de vue thermochimique en admet- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 281 


tant que le glucose subit dans les capillaires des tissus une dégra- 
dation progressive analogue à celle que nous venons d'exposer. La 
formation à ses dépens d’alcool et d’acide lactique se fait théori- 
quement avec dégagement de chaleur, mais les calories ainsi mises 
en liberté seront à très peu de chose près absorbées par les dédou- 
blements qui aboutissent à la formation de méthane et d'hydrogène. 
Il n’y a de ce fait ni dégagement ni absorption d'énergie. Quant aux 
oxydations successives de l'alcool, du méthane et de l'hydrogène, les 
données thermo-chimiques classiques nous montrent qu’elles déga- 
gent exactement le même nombre de calories que la combustion 
totale du glucose. 

Nous sommes ainsi amenés à reconnaitre, et le fait a une grande 
importance pratique, que l'énergie inhérente aux hexoses répandus 
en excès dans le sang, conséculivement à l’ingestion et à l'absorp- 
lion d’une dose assez massive de sucre, sera intégralement libérée 
au profit de l'organisme lorsque celui-ci les utilisera immédiate- 
ment pour salisfaire au surcroit de dépenses occasionnées par le 
travail musculaire. C’est en se basant au fond sur cette idée que 
M. Chauveau propose de substituer aux vues de Rubner, comme 
étant plus rationnelle, sa théorie des poids isoglycosiques *. Le glu- 
cose, dit-il en substance, étant l’aliment nécessaire et exclusif'de la 
force musculaire, le seul qui intervienne au cours de sa production, 
l’énergie seule contenue dans ce principe intéresse la physiologie de 
la nutrition. Toute la partie du potentiel d’un aliment que l’orga- 
nisme utilise en vue de transformer cet aliment en glucose ne doit 
pas en effet rentrer en ligne de compte. C’est un déchet définitive- 
ment perdu pour le muscle. Les quantités des diverses substances, 
équivalentes au point de vue du travail musculaire, ne sont donc pas 
isodynames ou susceptibles de libérer par combustion le même 
nombre de calories, mais bien isoglycosiques, autrement dit, capa- 
bles de fournir à l'économie le même poids de glucose. La thèse de 
M. Chauveau ne fait en réalité que compléter la théorie de Rubner. 
Ce dermier se borne à constaler que la notion des poids isodyna- 


1. Chauveau, Comples rendus, 1897, t. Il, p. 1070 ; 1898, t. I, p. 795, 1072, 
1119. 


282 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

miques n’est vraie qu'autant que l’on tient compte de la portion d’éner- 
gie non utilisée ; M. Chauveau indique le moyen de calculer 4 priori ce 
déchet et voici comment. En résolvant par l'algèbre, car ses chiffres 
ne reposent sur aucune détermination expérimentale, les équations 
de la transformation en glucose des divers principes alimentaires, 
M. Chauveau calcule les rendements suivants : 


GLUCOSE. 
100 grammes de graisse fournissent . . . . . . 16157,0 
100 —  d'amidon fournissent. . . . . . . 110 ,0 
100 — de sucre de canne fournissent . . . 105 ,0 
100 —  d'albumine fournissent . : . . . . 80 ,0 


puis, à l’aide de ces chiffres, 1l établit les poids isoglycosiques des 
mêmes substances, en regard desquels se trouvent placés, pour la 
comparaison, dans le tableau suivant, les poids isodynamiques de 
Rubner : 


POIDS 
2 
isodynamiques. isoglycosiques. 


GRAISSE SN MR TE 100 100 
ANIOONS EMEA TT De 229 146 
SUCER RENTE Nr 235 153 
AIDUMINE EP CNE. 235 201 
GIRCOSE REMPARTS 20) 161 


Les valeurs sont très différentes dans les deux colonnes et l’on n’est 
pas sans remarquer qu’il est plus avantageux d’opérer les substitu- 
tions en partant des équivalents glycosiques qu’en se conformant 
aux équivalents thermiques. 

Si l’on ne considère que la production du glucose dans l’écono- 
mie, la chose semble toute naturelle. Il est évident qu'à valeurs 
énergétiques égales, l’aliment qui apporte le sucre tout formé vaut 
largement celui qu'il faut transformer et « cuisiner », peut-on dire, 
pour en faire de la matière sucrée. Les mutations chimiques se sol- 
dent en effet presque toujours par une dépense d’énergie. Consultons 
le foie dont le rôle est capital lors de la transformation des hydro- 
carbonés, des albuminoïdes et peut-être des graisses en glucose. Get 
organe étant chargé d'élaborer le sucre, le combustible le plus em- 
ployé par l'organisme, il est naturel que son importance soit propor- 
tionnée d’un côté à celle des tissus qui brûlent ce sucre, et qu’elle 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 283 


dépende d’un autre côté des difficultés mhérentes à la production de 
ce charbon physiologique. Effectivement, il y a chez l’animal un rap- 
port constant entre le volume de son foie et l’étendue de sa surface 
cutanée par où les deux tiers des calories dépensées par l'organisme 
rayonnent ct se perdent ; de plus, on remarque que la nature de l’ali- 
mentation est l’une des causes les plus importantes des variations de 
poids du même organe ‘. C’est toujours avec l’alimentation animale 
ou azotée que l’on constate la plus forte proportion de foie par kilo- 
gramme de poids vif (52,8 de foie par kilogramme de chien; 
55 grammes par kilogramme de hérisson). A l'alimentation végé- 
tale, et principalement à l'alimentation par les graines, riches en 
amidon, correspond au contraire la proportion la plus faible (de 
37 à 58 grammes de foie par kilogramme de lapins nourris avec de 
l'herbe — de 28 à 31 grammes chez les granivores comme le poulet 
et le pigeon). Ces chiffres nous démontrent que dans le foie envisagé 
en tant que laboratoire nutritif, 1l y a, pour exécuter le travail, un 
personnel de cellules actives, d’autant moins nombreux que l'organe 
reçoit de l’intestin plus de sucre en nature. 


Preuves expérimentales de la valeur nutritive du sucre. 


Ce sont là des faits qui laissent prévoir la loi de l’équivalence 
glycosique; en voici de nouveaux qui, suivant M. Chauveau, permet- 
tent d’en vérifier exactitude. Pour éprouver expérimentalement les 
deux théories en présence, celle de Rubner et la sienne, M. Chauveau 
se base sur ce que les substitutions faites en partant des poids isogly- 
cosiques, assurent seules l’invariabilité de poids des sujets d’expé- 
rience. La preuve est-elle impeccable? On objecte à la méthode 
qu'équilibre de poids n'est pas synonyme d'équilibre nutritif, que 
l’organisme ne retient pas toujours en outre les mêmes quantités 
d’eau. Mais la critique est loin d’enlever toute signification aux expé- 
riences de M. Chauveau. Nous allons voir qu’elles nous révèlent avec 
une très grande netteté l’aptitude bien spéciale du sucre à remplir 
le rôle d’un aliment parfait, et c’est pour cette raison qu’elles ont 
tout naturellement leur place à la fin de ce chapitre. 


1. Maurel, Comptes rendus, 1902, t. Il, p. 1002; 1903, t. I, p. 310. 


284 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


La chienne d'expérience recevait une ration fondamentale de 
500 grammes de viande, capable de l’entretenir, pendant le repos, 


DOS 5 5 5 5 ë 5 
RATIONS © © e) a O 2 +. e) 
complémentaires + — SN = S = _ 
Gr do G 5 Grise Su. Gr. 

ts Se RE PE 


| 
” AT 
ent 
Ne 
_ “li HAUT 
AD 
NUE 
600 ALL De | 
500 | 4) LUE 
| | 
os LEE 


F1G. 15. 


en équilibre nutritif. Le sucre ou la graisse constituaient la ration 
complémentaire chargée d'alimenter le travail demandé à l'animal. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 285 


Le sujet ne faisait qu’un seul repas le matin, et lorsqu'il était en 
pleine digestion, et toujours à la même heure après le repas, on 
l’obligeait à marcher au trot allongé à l’intérieur d’une roue, ac- 
tionnée par un moteur et munie d’un compteur permettant la mesure 
du travail. Inutile de dire que la chienne était parfaitement dressée 
et entraînée à ce genre d'exercice. Dans les deux séries d’expériences 
(A et B) auxquelles se rapporte le graphique ci-contre (fig. 15), 
le sucre et la graisse étaient administrés alternativement. On voit que 
Panimal conserve un poids stationnaire. durant les périodes de cinq 
jours où 1l reçoit 110 grammes de graisse sous forme de saindoux. 
Cet aliment n'apporte donc aux muscles en activité que l’énergie 
strictement nécessaire à l'exécution des travaux intérieurs accomplis 
par les divers organes. Lorsque l’on remplace le saindoux par 
200 grammes de sucre, bien que l'énergie potentielle contenue dans 
cette nouvelle ration complémentaire soit bien inférieure à celle des 
110 grammes de graisse, l'animal augmente de poids; l’apport dépasse 
par conséquent les exigences de l’organisme. Dans la série d’expé- 
riences B, la dose journalière de sucre étant réduite à 168 grammes, 
le poids oscille autour de la même movenne. Cela signifie que l'animal 
retire un bénéfice égal de 110 grammes de graisse et de 168 grammes 
de sucre, bien que cette dernière ration ait une valeur énergétique 
moindre. La supériorité du sucre sur la graisse est de toute évidence. 
Elle se manifeste toujours et en toute circonstance, conclut M. Chau- 
veau à la suite de nouvelles expériences, aussi bien chez le sujet qui 
travaille que chez le sujet au repos, mais surtout lorsque l’organisme 
épuisé édifie des tissus nouveaux et reconstitue ses éléments anato- 
miques. La valeur nutrilive du sucre résulle en effet non seulement de 
son aptitude à fournir de l'énergie direclement et immédiatement uli- 
hsable,mais aussi de l'influence indirecte qu'il exerce sur l'assimila- 
hon des autres principes alimentaires pris concurremment, ainsi que 
sur le processus de la désassimilation. Nous l'avons démontré en 
mettant en lumière le rôle d'épargne si accentué que joue le sucre. 

M. Chauveau a comparé de même le sucre à la viande crue, Pali- 
ment albuminoide par excellence, et à l’amidon, celui des hydrocar- 
bonés qui entre le plus couramment dans la constitution des rations. 
Le graphique suivant (fig. 16) nous montre l'aptitude respective de 


286 


ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, 


16 9 
R aons 
& 
le 
D 
& 
à 36 0SZ 
9puerl 
S) PUEIA 
(@ 
a 
1S 
SI 


Ra 


| 
| 
| 


F1G. 16. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 287 


ces divers principes à entretenir le sujet pendant le travail. La ration 
fondamentale était toujours de 500 grammes de viande. Chacune des 
trois rations complémentaires indiquées était donnée pendant cinq 
Jours consécutifs. Dans les trois cas, l'identité du travail fut presque 
absolue. Les courbes supérieures sont celles des poids du sujet après 
le repas, les courbes pointillées celles des poids sept heures et demie 
après le travail. Les courbes pleines, les plus intéressantes, donnent 
les poids dix-neuf heures et demie après le travail. Les ordonnées 
renforcées indiquent enfin les pertes de poids subies pendant le tra- 
vail. Sans autres commentaires, on voit que l’animal s’est à peu près 
aussi bien entretenu avec chacune des trois rations complémentaires, 
mais que le sucre semble cependant avoir une légère supériorité sur 
Pamidon et sur la viande. Or, pour remplacer 750 grammes de 
viande, lanimal n'ingérait que 176 grammes de sucre ! 


EU maintenant que nous sommes fixés sur la valeur nutritive du 
sucre, nous pouvons et nous devons conclure, avec M. Chauveau et 
M. Grandeau, que les pouvoirs publics et les consommateurs n’ont 
nullement raison de traiter le sucre comme un aliment de luxe et 
qu'il conviendrait, au contraire, de le mettre à la portée de toutes 
les bourses et d’en étendre considérablement l’usage. Tous ceux 
qui se seront bien pénétrés des faits et des idées que nous venons 
d’accumuler dans ce chapitre sentiront de suite ce qu'il y a d’irra- 
tionnel dans les mesures fiscales et les préjugés qui tendent à res- 
treindre la consommation du sucre. 


(A suivre.) 


SUR LE 


ROLE DES FORÉÊTS 


AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS 


Par HENRY LAFOSSE 


INSPECTEUR DES EAUX ET FORÊTS 


Mille brælerea sunt usus earum sine quis vita 
degi non possil. (PraNE.) 


Les forêts ne sont pas précieuses seulement par le bois, les écorces, 
les résines et les autres produits qu’elles nous donnent; elles jouent 
dans la grande harmonie des forces de la nature un rôle des plus 
importants et des plus utiles. 

C’est de ce rôle des forêts, envisagées au point de vue des services 
indirects, de ceux qui ne peuvent être évalués en argent, que nous 
voulons parler. 

On à beaucoup disserté sur les services indirects des forêts; on 
discutera sans doute encore beaucoup sur ce sujet et nous n’avons 
pas la prétention de faire la lumière sur cette question si complexe ; 
nous nous bornerons à exposer, à grands traits, l’état actuel des con- 
naissances en cette matière. 

Parmi les problèmes variés qui se posent, dans l’ordre d'idées 
où nous nous plaçons, nous devons examiner l’action des grandes 
masses boisées sur le climat, sur le régime des eaux, sur le maintien 
des terres sur les pentes, sur la salubrité publique, ete., etc. 

Voyons d’abord quelle peut être l’action des forêts sur le climat : 

Le climat, d’après la définition de notre illustre maître Parade, 


RÔLE DES FORÈTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 289 


est l’état de l'atmosphère d'un lieu donné du globe, eu égard à sa 
température, à son degré d'humidité et aux courants qui s’y agitent. 

On considère la température comme étant la caractéristique du 
climat; viennent ensuite, parmi les autres éléments qui le cons- 
tituent, la répartition des pluies, le degré d'humidité de Pair, lim- 
tensité de la lumière, les vents dominants, les orages, l'électricité 
atmosphérique, etc. 

La température moyenne de l’ensemble du globe ne paraît pas 
avoir varié d’une manière sensible pendant les temps historiques. 

Les divers arguments que l’on invoque à l'appui de prétendues 
modifications ne sont que des témoignages ou des opinions et n’ont 
pour base aucune observation scientifique rigoureuse. D’ailleurs, 
ils se contredisent, puisque les uns concluent à un refr oidissement, 
les autres à un réchauffement. 

On dit que le Groenland se refroidit. Ses glaciers sont en effet en 
progression et envahissent l’étroite bande côtière de l’ouest. « Mais, 
selon Nordenskjôld, il ne doit pas y avoir bien longtemps que la 
surface de cette bande a été abandonnée par la glace, car aucun des 
petits lacs du Groenland septentrional n’a encore été comblé par 
de la tourbe, même sur 1 mètre d'épaisseur ; et pourtant le climat 
de la contrée est éminemment favorable au développement des 
mousses tourbeuses’. » Il parait donc y avoir au Groenland un 
phénomène d’oscillation dans l’extension des glaciers, analogue à 
ceux que l’on remarque dans d’autres régions, et qui n’est Pi 
l'indice d’un refroidissement permanent du climat. 

On a invoqué comme preuve des modifications survenues dans le 
climat de certaines contrées, le recul de l'habitat de quelques plantes 
cultivées. C’est un argument sans valeur. Une plante cultivée n’est 
pas identique à elle-mème pendant plusieurs siècles successifs ; il se 
produit constamment dans les cultures des variétés, soit plus déli- 
cates, soit plus robustes, qui se substituent au type primitif. Il n’est 
nullement certain que les plantes que nous cultivons actuellement 
ont exactement les mêmes exigences climatologiques que celles qui 
portaient les mêmes noms au moyen âge. Nous avons vu et nous 


1. De Lapparent, Trailé de géologie. 
ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11, 19 


290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


voyons encore disparaitre des plantes cultivées sans que le climat y 
soit pour rien. La vigne française a été, dans les trente dernières 
années, détruite par le phylloxéra et remplacée par une vigne amé- 
ricaine. Le châtaignier est en voie de disparition ; dans deux ou trois 
siècles, on prétendra peut-être que c’est en raison d’un changement 
de climat. L’abandon de certaines cultures se rattache très souvent 
aussi à des causes économiques. La culture de la vigne a cessé d’être 
rémunératrice dans les portions septentrionales de sa zone d’exten- 
sion depuis que l’abaissement du prix des transports permet d’y 
vendre à très bon marché les vins de la région méditerranéenne. 

Si certains prétendent que nos climats se sont refroidis, d’autres 
soutiennent qu'ils se sont adoucis. Ils s’appuient sur le témoignage 
des historiens latins qui décrivent la Gaule comme un pays froid. 
Mais il est évident que ceux-ci jugeaient le climat de la Gaule par 
comparaison avec celui de l’ftalie. 

En examinant les causes qui auraient pu faire varier la température 
moyenne dans le court laps de temps qu’embrassent les archives de 
l'humanité, on n’en voit que deux : 

1° Le refroidissement du globe ; 

2° D'importants événements géologiques qui auraient modifié la 
répartition des mers et des continents ou changé notablement les 
altitudes. 

On a calculé qu'à l’époque actuelle la chaleur émanant de l’inté- 
rieur du globe et traversant son écorce ne contribue que pour un 
trentième de degré à peine à l'entretien de la température extérieure 


et que la chaleur intérieure ne diminue que de 57 OUU de degré par 


siècle. Il s’ensuit que, depuis quatre mille ans, le refroidissement 
de la terre par la perte de la chaleur centrale a été msensible. 

Pendant cette même période de quarante siècles, on n’a signalé 
aucun événement géologique important. Les mers et les continents 
ont, à peu de chose près, conservé leurs emplacements et les mou- 
vements du sol, surélevant ou abaissant certaines régions, ont été 
peu considérables. L’émersion progressive du nord de la péninsule 
scandinave, que l’on cite souvent comme exemple, n’a été que de 
0",915 de 1730 à 1849, soit de 0",77 par siècle. 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 291 


Nous ne parlons pas de l’effet produit par le phénomène de la 
précession des équinoxes. Il doit être extrèmement lent, puisque la 
période de la précession totale est de vingt et un mille ans, et 
d’ailleurs il n’est pas généralement admis que ce phénomène puisse 
avoir toutes les conséquences qui lui ont été attribuées. 

En résumé, il semble que, si la température moyenne du globe 
a subi des variations dans les temps chronologiques, elles ont été 
trés faibles. Toutes les théories que l’on à formulées au sujet de l’in- 
fluence des forêts sur cette température moyenne peuvent donc être 
négligées. 

Si les forêts n’exercent aucune action sensible sur le climat général, 
leur influence, au point de vue local, sur la température est aujour- 
d’hui bien établie. Il nous est agréable d’avoir à constater que les 
démonstrations faites à ce sujet reviennent à des forestiers. C’est, en 
effet, au commencement de l’année 1866, à la suite de l'appel lancé 
par le maréchal Vaillant à Vallès dans une lettre bien connue, que 
notre vénéré maître Mathieu entreprit des recherches à l’École 
forestière de Nancy. Poursuivies et rappelées par nos collègues 
MM. Bartet, Claudot, de Bouville, etc., ces observations ont démontré 
que le climat des forêts est plus froid que celui des terrains non 
boisés. Les recherches postérieures faites en Allemagne ont abouti 
aux mêmes constatations. 

Pour les journées les plus chaudes, il y a entre la température 
sous bois et celle hors bois un écart d’environ 3 degrés. Cette action 
réfrigérante des forêts ne se fait pas sentir seulement dans l’intérieur 
des massifs, elle s’exerce dans l’atmosphère jusqu’à 1 500 mètres de 
hauteur. Le fait a été constaté par les aéronautes ; en passant au- 
dessus des forêts, ils ont éprouvé à maintes reprises un refroidissement 
marqué, entraînant le ballon dans une brusque descente. Ce refroi- 
dissement est dû à la puissance de transpiration des forêts. Les 
arbres pendant la période active de végétation aspirent du sol, pour 
la rejeter ensuite dans l'air, une quantité d’eau considérable. Cette 
énorme évaporation ne peut se faire qu’en empruntant à l’atmosphère 
une grande quantité de chaleur et il en résulte un abaissement 
important de la température. Le travail de la végétation est aussi, 
mais dans une moindre mesure, une cause de refroidissement. Les 


292 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


réactions chimiques qui se produisent dans la chlorophylle pour dé- 
composer l'acide carbonique de Pair, ne s’accomplissent pas sans 
enlever à latmosphère un nombre appréciable de calories. Le car- 
bone accumulé dans les tissus ligneux n’est donc, en somme, que de 
la chaleur solaire emmagasinée que la combustion saura faire re- 
naitre. 

A l'inverse de ce que l’on constate pour les Journées chaudes, il 
fait moins froid dans l’intérieur des forêts que hors bois quand la 
température est basse. Pour les jours les plus froids, la différence 
atteint 1 degré. Gette action réchauffante de la forêt, son pouvoir 
émissif de chaleur, disait Becquerel, est dù au rayonnement. Les 
arbres agissent, en la circonstance, comme tous les corps mauvais 
conducteurs de la chaleur. 

Pour l’ensemble de l’année, il y a abaissement de température ; 
la différence entre les températures moyennes sous bois et hors bois 
est d'environ À demi-degré. 

En résumé, les forêts abaissent la température d’une façon sen- 
sible pendant l'été ; elles l’élèvent un peu pendant l'hiver, et pour 
l’année entière leur imfluence se traduit par un abaissement d’environ 
1 demi-degré de la température moyenne. En déprimant les maxima 
et en relevant les minima, elles exercent une action régulatrice sur 
le climat. Elles agissent comme le feraient les grandes masses liquides 
et si, comme elles, elles s’étendaient sur de très grandes surfaces, 
leur action sur le climat général deviendrait très appréciable. 

Passant à un autre élément du climat, nous allons examiner l’action 
des forêts sur l’état hygrométrique de l'air. 

Les arbres aspirent l’eau du sol à une profondeur que nul autre 
végétal ne peut atteimdre pour la rendre à la circulation générale. 
Les forêts fournissent ainsi à l'atmosphère de la vapeur d’eau d’une 
façon continue, et contribuent à entretenir cette couche d'humidité 
qui nous enveloppe et dont le rôle est si indispensable à la vie. 

À la suite d’observations qu'il a faites dans les massifs forestiers 
des environs de Senlis, notre collègue, M. Fautrat, a reconnu que 
l'air au-dessus des bois contient en dissolution plus de vapeur d’eau 
que dans la plaine et que les forêts résineuses ont sur l’état hygro- 
métrique une plus grande influence que les autres essences : « de 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 293 


sorte, dit M. Fautrat, dans son travail sur les « Observations météo- 
« rologiques », que si les vapeurs dissoutes dans l’air élaient appa- 
rentes comme les brouillards, on verrait les forêts entourées d’un 
vaste écran humide, et chez les résineux, l’enveloppe serait plus 
tranchée que chez les bois feuillus ». 

Les recherches d'Ebermayer l'ont conduit à déclarer que les plantes. 
agricoles évaporent plus que les végétaux forestiers. M. Risler croyait 
que la forêt rejette trois fois moins d’eau que les plantes fourragères ; 
les expériences faites en Russie montrent, au contraire, que la forêt 
évapore plus que la végétation herbacée. M. le professeur Henry, de 
l’École nationale des eaux et forêts, estime ‘également que, « même 
en dehors de la saison de végétation, les forêts, surtout les résineuses, 
doivent projeter plus de vapeur que n'importe quelle culture, en 
raison de la ramification des cimes (et de la présence des aiguilles 
pour les résineux) sur lesquelles s'arrêtent, en partie notable, les 
précipitations ». M. Henry trouve la preuve de son opinion dans ce 
fait que les forêts agissent seules sur les ballons jusqu’à 1 500 mètres 
de hauteur ; il faut donc que leur force d’évaporation soit plus grande 
que celle des autres cultures. Cette puissance de transpiration est, 
comme nous l’avons dit, considérable; mais on n’a, à cet égard, 
aucune donnée précise ; d’après von Hœhnel, un peuplement de 
hêtres de cent quinze ans dégage, pendant la période de végétation, 
une quantité de vapeur d’eau qui représente une lame de 400 milli- 
mètres de hauteur, soit plus de la moitié de l'épaisseur de la couche 
d’eau qui tombe annuellement sur l’Europe centrale. M. le profes- 
seur Buhler, dans ses recherches sur Pinfiltration, faites à la Station 
centrale suisse, a reconnu que l’évaporation était égale au quart 
environ de la lame d’eau d’imbibition. Ses expériences ne portaient, 
il est vrai, que sur de jeunes plants. Quoi qu’il en soit, il est acquis 
que la puissance d’évaporation des végétaux forestiers est très grande : 
c’est à elle qu’est dû le pouvoir desséchant des arbres qui est mis si 
souvent à profit dans les endroits marécageux : c’est aux plantations 
que l’on doit, comme on sait, l'assainissement des Landes, de la 
Sologne, des marais Pontins, etc. 

Les forêts augmentent-elles humidité absolue de l'atmosphère ? 
On peut, à la suite des recherches faites en Allemagne et en Autriche, 


294 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, 

répondre par la négative : l'humidité absolue est la même hors bois 
que sous bois. Ce qui varie, c’est l'humidité relative ; l'atmosphère 
est plus refroidie au-dessus des forêts, la vapeur d’eau se trouve par 
suite plus près de son point de saturation, par conséquent, l'air 
parait plus humide. 

Cette action de la forêt sur l’état hygrométrique agit, comme 
nous allons le voir, sur la formation des pluies. 

La question des pluies, a dit Becquerel, est une des plus complexes 
de la météorologie, à raison des causes nombreuses (latitude, 
altitude, situation, direction des vents, etc.) qui agissent sur leur 
production, On comprend, par suite, que l’action des forêts ait pu, 
à cet égard, être très controversée. 

Arago, de Humboldt, Becquerel, etc., reconnaissaient aux massifs 
boisés une action utile pour la formation des pluies. Vallès ne 
partageail pas cette opinion ; il croyait, au contraire, que les forêts 
contribuent à diminuer la quantité d’eau de pluie annuelle; « le 
déboisement, disait-il, nous donne plus de pluie dans l’année, 
moins d’eaux torrentielles, plus de blé ». Surell ne reconnaissait 
aux forêts qu'un rôle très négligeable, leur action devait, d’après 
lui, être reléguée parmi les infiniment petits de la météorologie. 

La question est aujourd'hui entièrement éclaircie : les forêts 
favorisent la production des pluies. C’est Mathieu qui, le premier, 
l’a établi expérimentalement. A la suite de ses recherches dans les 
forêts voisines de Nancy, notre savant Maître a pu établir, d’une façon 
indiscutable, que la couche de pluie recueillie en forêt est plus haute 
de 15 centimètres que celle obtenue en dehors des massifs. Ainsi 
donc, en Lorraine, où la lame pluviale est de 600 millimètres, la 
pluie tombe, en quantité, un quart en plus sur les forêts que hors 
bois. Les recherches d’Ebermayer, en Bavière ; de Blanford, aux 
Indes; et celles des savants russes, MM. Ototzky, Vynotzky, etc., n'ont 
lait que confirmer les expériences de Mathieu. En Amérique, on a 
reconnu également qu’à mesure que les déboisements s’avançaient, 
la zone des pluies s’éloignait sur les campagnes voisines. 

Comment agit la forêt sur les pluies ? 

Les précipitations atmosphériques proviennent, comme on sait, 
du refroidissement brusque d’une masse d’air saturée de vapeur 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 299 


d’eau. Le mécanisme de la pluie a donné lieu à plusieurs théories 
parmi lesquelles nous citerons celles de Fulton et de Babinet. 

La théorie de Fulton est celle du mélange. Quand deux masses 
d’air de température différente, portées à leur maximum de satura- 
tion, se mélangent, la tension de la nouvelle masse se trouve être 
plus grande que celle qui correspond à sa température ; une partie 
de la vapeur d’eau revient à l’état liquide et donne, en se conden- 
sant, du brouillard, de la pluie ou de la neige. 

Pour Babinet, la pluie est causée par le refroidissement produit 
par la délente. Lorsqu'un gaz se dilate, 1l absorbe de la chaleur, la 
détente abaisse la température ; par contre, quand il y a compression 
d’une masse gazeuse, 1l se produit un dégagement de chaleur; si 
donc une masse d’air chargée de vapeur rencontre un obstacle, elle 
s'élève, se détend, la pression diminue, la température s’abaisse et 
lorsque le point de saturation est atteint, la condensation se pro- 
duit. Si l’obstacle est constitué par une montagne élevée, il se forme, 
à la partie inférieure, du brouillard ; plus haut, des nuages, puis de 
la pluie, puis de la neige. D’après Becquerel, une différence d’alti- 
tude de 200 mètres amène une différence de température de 3° ; 
une hauteur de 30 mètres produit un obstacle capable d’abaisser la 
température de 0°,4. Les forêts peuvent donc agir dans une certaine 
mesure comme les reliefs du sol. 

Cette théorie de Babinet doit être admise dans le plus grand 
nombre de cas ; mais elle ne doit pas faire écarter toutes les autres 
causes qui, amenant un refroidissement des masses d’air, peuvent 
occasionner des précipitations atmosphériques. Comparons, en effet, 
au point de vue de la pluviosité, l’action de deux montagnes de 
même forme, de même allitude et de même situation, recevant les 
vents humides. L’une, dénudée, est surchauffée par le rayonnement 
de ses pentes. L’aulre, couverte de végétation forestière, se trouve 
refroidie par la transpiration des arbres. Quand les vents rencontrent 
la première montagne, ils se réchauffent, le point de saturation 
s'éloigne, Peffet de la détente est amoindri et la condensation peut 
très bien ne pas se produire. Sur l’autre montagne, au contraire, 
les vents subissent l’effet du refroidissement des arbres ; à cette 
action réfrigérante vient s'ajouter celle de la détente, le point de 


296 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

saturation se rapproche et les précipitations se manifestent; ainsi 
donc, comme l’a dit M. Henry, « les montagnes boisées attirent les 
pluies ; les montagnes nues, chauves, n’ont à cet égard qu’une action 
très faible ; c’est ce que montrent, d’une façon frappante, les con- 
trées qui bordent l’Adriatique et une partie de la Méditerranée et 
qui sont connues pour leur sécheresse ». 

Toutes les forêts, même celles de plaine, exercent sur la pluie 
une action bienfaisante. Nous avons vu, d’après Becquerel, qu’un 
obstacle de 30 mètres de hauteur produit un abaissement non négli- 
geable de température sur les masses d’air qui s'élèvent pour les 
dépasser ; d’autre part, la grande exhalaison des arbres, pendant la 
période de végétation, occasionne un refroidissement très sensible 
de la couche atmosphérique qui les enveloppe, et c’est ce refroidis- 
sement qui, s’accusant jusqu'à 1 500 mètres de hauteur, amène la 
condensation et la pluie. Les forêts de plaine constituent done, 
comme l’a dit M. Henry, « des montagnes artificielles de 1 500 mètres 
de hauteur ». 

Actuellement, les Russes mettent à profit cette propriété des 
massifs boisés. Ils sillonnent de bandes de forêts les immenses 
plaines du Tchernozem, non seulement pour former des abris contre 
les vents, mais aussi et surtout pour attirer sur celte « mer de blé » 
le supplément de pluie qui est souvent si nécessaire à sa fécondité. 

Les forêts, nous venons de le voir, atürent la pluie, mais on a dit 
qu'elles gardaient pour elles, au détriment des autres cultures, 
l’eau qu’elles faisaient tomber. Ce reproche est immérité. La forêt 
exerce sur les précipitations atmosphériques une action qui ne 
s’arrête pas à son périmètre, les terres voisines en recueillent aussi 
le bénéfice ; elle a surtout l'avantage d’agir sur la répartition des 
pluies, de les rendre plus fréquentes et principalement d’en régu- 
lariser la distribution par saison. Ce rôle des forêts sur les pluies 
étant établi, voyons quelle peut être leur influence sur l’approvision- 
nement des réservoirs souterrains et sur le débit des sources. 

Par des exemples puisés dans lantiquité, on montre que les 
forêts contribuent à la formation des sources et au régime des cours 
d’eau. L’Euphrate, rapporte Strabon, roulait, au temps de la pros- 
périté de Babylone, un volume d’eau considérable; des travaux 


RÔLE DES FORËTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 297 


importants défendaient la ville contre les crues du fleuve ; de nom- 
breux canaux d’assainissement rejetaient loin de la grande cité les 
eaux que la fonte des neiges amenait près de son enceinte. Ce 
danger des inondations n’existe plus depuis longtemps en Babylonie 
et il faut en voir la cause dans les déboisements exagérés qui ont 
dénudé les montagnes d’Anatolie. « Depuis Sésostris jusqu’à Maho- 
met IF, a dit Becquerel, l’Asie-Mineure a été principalement le 
théâtre de guerres dévastatrices qui ont contribué à la! ruine des 
forêts et à la transformation des pays voisins en désert par le manque 
d’eau. » 

Par des faits qui se rattachent à notre époque, Boussingault nous 

a prouvé l’heureuse influence des forêts sur le régime des eaux : 
rappelons l’exemple connu qu’il a cité du lac de Tacarigua, au 
Venezuela. Ce lac s’asséchait à mesure que les déboisements s’accen- 
tuaient dans son bassin ; à la suite de guerres sanglantes qui déci- 
mérent la population, les forêts, avec la force de végétation des 
tropiques, reprirent bien vite leur place et l’on vit l’eau s’élever dans 
le Jac au-dessus de son ancien niveau et couvrir des terres autrefois 
cultivées. 
. Vallès affirmait que l’action des forêts sur le régime des eaux 
était nuisible : « Au point de vue du mouvement des eaux à Ja 
surface de la terre, a-t-il dit dans son Étude sur les inondations, la 
disparition des forêts a été chose utile et le reboisement ne serait 
qu’une nuisible opération. » Belgrand a également conclu, à la suite 
de ses belles recherches sur l’Hydrographie du bassin de la Seine, 
que les forêts avaient sur les sources une influence négative. Surell, 
lui non plus, ne croyait à l’action hydrologique des forêts qu’en 
montagne pour modérer l’écoulement des eaux et empêcher la for- 
mation des torrents. Mais l'opinion générale est que les forêts 
exercent une influence utile sur les sources ; la législation de tous 
les pays s’inspire de ce sentiment. 

Les sources sont dues, comme on sait, le plus souvent à l’infiltra- 
üon des eaux pluviales qui s’enfoncent dans le sol, jusqu'à ce 
qu’elles Soient arrêtées par une couche imperméable sur laquelle 
elles glissent pour venir couler à la surface du terrain. 

La totalité des eaux pluviales ne parvient pas dans les réservoirs 


298 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

soulerrains, une partie retourne à l'atmosphère par l’évaporalion ; 
une autre s’écoule à la surface du terrain : c’est la perte du ruissel- 
lement; une partie, enfin, après saturation du sol, parvient par 
infiltration, à la nappe phréatique. L'alimentation des sources, 
toutes circonstances étant égales, dépend donc de l’évaporation, du 
ruissellement et de l’infiltration. 

Envisageons successivement ces différents facteurs. 

Le feuillage des arbres retient une certaine quantité des eaux 
atmosphériques qui sont reprises ensuile par l’évaporation ; cette 
quantité varie de 0,1 à 0,3 pour les bois feuillus ; elle est d’environ 
moitié de la tranche pluviale pour les forêts résineuses. Mais les 
forêts augmentent l'importance des précipitations ; il s’ensuit que le 
sol forestier, malgré cette sorte de parapluie que forme au-dessus 
de lui la cime des arbres, est aussi bien arrosé que le sol nu. 

D'autre part, ainsi qu’on le comprend facilement, l’évaporation 
sous bois est moins active qu’à l'air libre. Les expériences de 
Mathieu, qu'a rappelées M. Jolyet, ont établi que lorsque la couche 
d’eau évaporée en forêt est de 1, elle est hors bois de 2 pendant 
l’hiver et de # pendant la saison chaude. Quant à la puissance de 
lévaporation en elle-même, Marié Davy l’a évaluée, pour Paris, à la 
moitié de la couche annuelle de pluie. Gasparin avait trouvé que, 
sous le climat d'Orange, elle atteignait les 4,5 p. 100 de la hauteur 
de la tranche pluviale. 

Les forêts, qui diminuent l’évaporation, agissent aussi d’une façon 
utile pour les sources, en ce qui touche le ruissellement. 

Les eaux tombant sur des terrains dénudés, peu perméables, ne 
sont pas toutes absorbées par le sol; elles coulent à ia surface en 
formant de petits ruisselets qui vont dans les thalwegs augmenter 
le volume des cours d’eau, au détriment des sources. Sur les terrains 
boisés, au contraire, les eaux sont recueillies, comme le ferait une 
éponge, par les feuilles mortes et l’humus ; elles s’infiltrent dans le 
sol, l’imbibent jusqu’à saturation, et vont ensuite alimenter la nappe 
qui donne naissance aux sources. Quand les eaux pluviales se pro- 
duisent en abondance ou quand la fonte des neiges a lieu brusque- 
ment, les eaux peuvent ne pas être absorbées en totalité par le 
feutre de la couverture ; elles glissent alors à la surface du terrain ; 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 299 


mais elles sont constamment entravées dans leur marche par le 
réseau des racines qui les arrêtent, comme le feraient de petits bar- 
rages et les forcent à pénétrer dans le sol. L’infiltration est d’ailleurs 
facilitée par l’action des racines qui, en divisant, en ameublissant le 
sol, le rendent plus perméable. En fait, le ruissellement n’existe pas 
sur les terrains forestiers. 

La perte ainsi évitée pour l’approvisionnement des sources est 
considérable. Les observations de M. l'ingénieur Imbeaux l’ont déter- 
minée exactement ; c’est une économie qui n’est pas moindre du 
tiers et qui peut atteindre la moitié de la hauteur de la pluie tombée. 

Des eaux qui pénètrent dans la terre, une fraction est retenue, 
jusqu’à saturation, par la couverture morte et par le sol; le reste 
s’infiltre jusqu’à la première couche imperméable. Les racines des 
végétaux vont reprendre, par aspiration, à la nappe phréatique l’eau 
nécessaire à leur nourriture et à leur transpiration, et c’est le sur- 
plus qui fôrme l'alimentation des sources. 

Les expériences des savants russes, jetant un jour nouveau sur la 
question, ont pu faire croire un instant que l’action des forêts sur 
les sources était plutôt nuisible qu’utile. Ces expériences, qui sont 
dues à MM. Vermicheff, Kramoff, Ismausky, Vyssotzky, Morosoff, 
Ototzky, etc., ont porté sur le pouvoir d'aspiration des arbres sur 
les eaux du sol. Elles ont établi que, pour les régions de plaine, la 
présence des forêts abaisse d’une manière très sensible, parfois de 
10 mètres, le niveau de la première nappe souterraine. Le fait a été 
constaté en Russie, sous toutes les latitudes, même dans les forêts 
septentrionales; mais, dans ces régions, la forêt n’abaisse plus la 
nappe d’eau que de 0,50 à 1 mètre environ. 

M. Henry à entrepris dans la forêt de Mondon, près de Nancy, 
des expériences qui ont abouti aux mêmes constatations ; mais les 
différences qu’il a reconnues entre le niveau de la nappe phréatique 
hors bois et sous bois sont bien moins importantes, puisqu’elles 
n’oscillent qu'entre 0",15 et 0",75. 

Ces expériences se poursuivent encore ; en Suisse, en Allemagne, 
en Autriche, on en fait aussi d’analogues. 

Doit-on conclure des données actuelles de la question que les 
forêts nuisent à l’alimentation des sources ? 


300 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Nous répondrons sans hésitation par la négative. La végétation, 1l 
est vrai, diminue la proportion des eaux superficielles et supprime 
les eaux stagnantes et peut-être les petites sources qui suintent 
dans les moindres plis de terrains, mais en revanche, en facilitant 
l'infiltration et en diminuant l’évaporation, elles alimentent avec 
abondance les nappes profondes, celles qui donnent lieu à des 
sources à grand débit. A la fonte des neiges, sur un terrain nu en 
pente, les eaux descendront rapidement dans les thalwegs. Si au con- 
traire le terrain est boisé, elles s’infiltreront en grande partie et, en 
raison même de leur abondance et de la saison, elles traverseront la 
région où puisent les racines sans être absorbées par la végétation 
et, s’enfonçant de plus en plus, aboutiront aux couches d’alimenta- 
tion des sources. Il en sera à peu près de même quand tomberont 
de fortes- pluies donnant une lame d’eau supérieure à ce que 
peuvent absorber les racines pendant la durée de linfiltration à 
travers l'épaisseur sur laquelle s’exerce leur action. 

D'ailleurs, ce qui importe surtout pour les sources, c’est la régu- 
larité de leur débit, et il n’est pas nécessaire de rappeler des exem- 
ples connus pour affirmer que les bois seuls peuvent l’assurer. 

Gardons-nous donc de conclure contre l’action des forêts dans la 
question des sources. 

Les forêts exercent une action efficace contre les vents : elles en 
brisent la violence, elles amoindrissent ou annulent leur pouvoir 
desséchant. Personne n’ignore que derrière les rideaux d’arbres ou 
même derrière de simples haies, des cultures s’établissent et pros- 
pèrent qui n'auraient pu exister sans ces abris. Cette action protec- 
trice s'étend à une zone qui varie de 5 à 10 fois la hauteur des 
arbres. 

D'autre part, les forêts, par l'obstacle qu’elles opposent aux vents 
qui soufflent près de terre, contribuent à en ralentir la marche; 
elles occasionnent ainsi des remous qui, se faisant sentir dans les 
couches d’air supérieures, peuvent amener une diversion dans les 
mouvements de l'atmosphère et dévenir un préservatif contre les 
orages. 

Cette influence des forêts sur les orages et notamment sur les 
orages de grêle n’est pas encore exactement connue. 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 301 


Ce serait sortir des limites de cet exposé que de reprendre toutes 
les théories émises sur la formation des orages de grêle ; il n’est pas 
besoin de se référer aux travauxde Volta, d’Arago, de Becquerel, etc., 
pour affirmer que la grêle a une origine électrique ; personne n’en 
a Jamais douté ; aussi de tout temps l’idée est-elle venue de soutirer 
la « matière fulminante » pour empêcher la grêle de naître et pour 
lui substituer de la pluie ou du grésil inoffensif. 

Arago avait eu, pour cela, l’idée de lancer à de grandes hauteurs 
des ballons captifs qui, en permettant l’écoulement de l’électricité 
dans le sol, auraient déchargé les nuages orageux. Actuellement, 
dans le même ordre d'idées, on fait, dans différents pays et notam- 
ment en Italie, des expériences de tir au canon et mieux encore de 
fusées paragrêle contre les nuages de grêle; on cherche ainsi à 
provoquer dans les masses nuageuses des ébranlements violents 
qui, modifiant leur état moléculaire et amenant la diffusion dans 
l'atmosphère des éléments électriques, ont pour effet de transformer 
les nuages orageux en nuages ordinaires. Les nuages de grêle, 
comme on sait, sont de couleur cendrée ou noirâtre, à bords frangés 
et à protubérances irrégulières. Sous l’action des tirs ou des fusées 
dont nous parlons, on à vu ces nuages s’étirer dans leur longueur, 
passer de la couleur foncée à la teinte blanchâtre et prendre l’aspect 
des nuages ordinaires; à la suite de cette transformation, de la 
neige et non plus de la grêle s’est parfois produite en plus ou moins 
grande abondance. Malgré les observations des professeurs Marconi, 
Tamaro et Sandri, 1l semble qu’on doive se montrer encore réservé 
sur l'efficacité des tirs contre la grêle. 

Les arbres, à la façon des paratonnerres, peuvent enlever aux 
orages l'électricité dont ils sont chargés ; cette décharge des nuages 
s'explique par la différence de tension des éléments électriques. 
D'autre part, la puissance de transpiration des arbres se fait sentir 
dans l’atmosphère à une hauteur certainement plus grande que celle 
où se tiennent d'habitude les orages qui, en général, ne sont pas 
trés élevés. La colonne d’humidité lancée dans l’atmosphère permet 
amsi un écoulement dans le sol de la matière électrique contenue 
dans les nuages. Ce qui permet de donner créance à cette hypothèse, 
c'est que, comme l’a reconnu M. l'inspecteur des forêts suisses 


302 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Rinicker, les forêts résineuses et les futaies pleines, mieux que les 
simples taillis, ont le plus d'action sur les orages de grêle. Or, les 
forêts résineuses sont entourées de plus d’humidité que les forêts 
feuillues (expériences Fautrat) et les massifs pleins et âgés transpirent 
plus que les jeunes peuplements. 

On a cherché aussi à expliquer la déviation que subissent les 
orages de grêle à l’approche des forêts par les courants d’air laté- 
raux qui se produisent le long des lisières et qui sont dus à la 
différence de température des arbres des bordures et de ceux de 
l’intérieur des massifs. 

On a voulu voir encore dans les cartes des orages de grêle, une. 
preuve de l'efficacité des bois contre leurs ravages. Mais ces obser- 
vations ne sauraient être bien concluantes ; elles reposent surtout 
sur les données des compagnies d’assurances. Or, on n’assure jamais 
les forêts contre la grêle; on manque donc de faits précis à leur 
sujet et on ne peut conclure sûrement de ces statistiques qu’il tombe 
moins de grêle en forêt que hors bois. Quoi qu'il en soit, il est très 
probable que les forêts agissent sur les orages; mais ces phénomènes 
sont fort complexes et on ignore encore aussi bien les causes de leur 
formation que les circonstances locales qui peuvent les influencer. 

C’est par un ensemble de recherches, embrassant une longue 
période et s'appliquant à des régions différentes, qu’on pourra 
connaître l’action que les forêts peuvent exercer sur eux. Des expé- 
riences, dont nos collègues MM. Claudot et Jolyet ont rendu compte, 
sont poursuivies à l’École forestière de Nancy; elles s'étendent 
aujourd’hui à toutes les formations orageuses. Nous ne doutons pas 
qu’elles aboutissent à apporter la lumière sur cette question. 

En dehors de leur influence sur les éléments constitutifs du climat, 
les forêts agissent puissamment comme agents mécaniques de résis- 
tance contre l’action des eaux, contre les éboulements des terres et 
des rochers. 

Nous laisserons de côté les effets produits par la végétation fores- 
tière pour empêcher l’érosion, éteindre les torrents et remédier aux 
désastres des inondations. Ce vaste sujet ne rentre pas dans le cadre 
de cette étude. Nous ne nous occuperons que de la question du 
maintien des terres sur les pentes. 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 303 


Par leur enchevêtrement, les racines des arbres forment un 
réseau serré et puissant qui retient dans ses mailles les terres et les 
rochers. A cette force mécanique des racines, agissant simplement 
contre la pesanteur, s’en ajoute une autre, celle de lattraction 
moléculaire. La puissance d’adhérence des molécules de terre aux 
racines est, comme on sait, très grande et à qui voudrait en douter, 
il suffirait de rappeler l'effort qu'il est nécessaire de développer 
pour arracher du sol un simple arbrisseau. Ce pouvoir qu'ont les 
végétaux ligneux de consolider et de fixer les terrains en pente, est 
utilisé non seulement dans les montagnes, il sert encore à arrêter 
les mouvements des sables sur les rivages de la mer et à défendre 
l’envahissement des oasis. On a ainsi procédé en France à la fixation 
des dunes de l'Océan. 

Ces dunes, qu'on a si justement comparé à des vagues gigan- 
tesques de sable, ont été arrêtées dans leurs mouvements destruc- 
teurs par des plantations de gourbet et de pin maritime. Le succès 
obtenu est trop considérable pour que nous ne citions pas de chiffres. 
Pour ne parler que des dunes de Gascogne, nous rappellerons que 
derrière la digue de protection établie par les travaux de fixation, 
on à pu créer, en moins d’un siècle, une immense forêt aujourd’hui 
en plein rapport qui s'étend sur 800 000 hectares. Les forêts d’avant- 
garde qui protègent cette masse énorme n’ont que 70 000 hectares. 

Au point de vue de la salubrité et de la santé publiques, le rôle 
des bois est très important. 

Élisée Reclus a vu dans le déboisement la cause de la propagation 
des maladies épidémiques ; c’est une opinion aussi exagérée que 
celle qui affirme que lPexistence des forêts est une cause d’insalu- 
brité ; à ce dernier point de vue, il est cependant prouvé que sous 
certaines latitudes, la présence de trop grandes masses boisées, 
entretenant dans l’air une humidité constante, ne procure pas le 
climat rêvé par des hygiénistes. 

Mais dans nos contrées, si l'équilibre est rompu, c’est aux dépens 
de la propriété forestière ; les surfaces boisées n’y sont pas trop 
étendues pour compromettre la salubrité et la santé publiques. 

À cet égard et d’une manière générale, les masses boisées agissent 
comme nous l'avons dit, en régularisant la température moyenne 


304 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


des saisons, en agissant sur la répartition des pluies, en assainissant 
les terrains trop humides et en brisant la violence des vents. Elles 
ont d’autres effets utiles. Les forêts purifient l'air; elles agissent, 
comme le ferait un immense filtre, pour en retenir les impuretés, 
Les poussières en suspension, avec les germes morbides qu’elles 
transportent, sont arrêtées par le réseau des tiges, des branches et 
des feuilles. Sous l’action de la lumière et de la dessiccation, les 
bactéries perdent leur virulence et, quand elles sont reprises de 
nouveau par le vent, elles ne constituent plus que des corps sans 
nocuité. 

C’est surtout à proximité des marais que la forêt joue, à ce 
point de vue, un rôle utile. Un simple rideau d’arbres suffit pour 
préserver des atteintes du paludisme. Le fait avait déjà été constaté 
pour les marais Pontins ; il a été confirmé par les observations pré- 
cises qu'a faites, il y a quelques années, dans le Loiret, notre collè- 
gue, M. l'inspecteur des forêts Chancerel, docteur en médecine, etc. 

Les forêts ne nous protègent pas seulement contre le microbe des 
lèvres paludéennes, elles tamisent aussi les autres micro-organismes 
pathogènes et peuvent exercer une protection efficace contre les 
atteintes du choléra, de la fièvre jaune, etc. Des expériences 
récentes ont prouvé ce qu'avait avancé Becquerel à ce sujet. Ajou- 
tons que la végétation ligneuse ne purifie pas seulement l’air ; elle 
le vivifie, en décomposant l'acide carbonique et en produisant de 
l'oxygène et de l’azote. 

Certains végétaux dégagent des essences aromatiques qui sont 
quelquefois toxiques, mais qui, presque toujours, agissent avec efli- 
cacité sur les maladies infectieuses. Personne n’ignore l’action 
salutaire des émanations balsamiques des conifères sur les affections 
des voies respiratoires. La propriété que possède l’eucalyptus de 
détruire le microbe du paludisme est également très connue. La 
croyance populaire dans certaines régions, comme en Lorraine, 
prête encore au tilleul le pouvoir de chasser le choléra, etc. 

Mais tous les végétaux ligneux ne sont pas utiles au point de vue 
de la salubrité et de la santé. Sans rappeler les exhalaisons d’acide 
carbonique dans l’obscurité, sans parler des arbres qui, comme le 
mancenillier, peuvent, au moment de la floraison, émettre des efluves 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 309 


nuisibles, il en est dont il serait avantageux d'éviter la plantation, au 
moins dans certaines circonstances. Le platane, par exemple, au 
moment où se fait le développement de ses feuilles, a l’inconvénient 
de disséminer des poils rameux, qui se détachent du dessous des 
feuilles et des nervures. Ces poils se fixent aux muqueuses de la 
gorge et peuvent occasionner des irritations et des inflammations ; 
certains pays en ont interdit la plantation dans les cours des collèges, 
et 1l serait bon de généraliser celte mesure. L’ailante, au drageon- 
nement si puissant, est aussi à éviter à proximité des puits, car ses 
racines émettent des sécrétions plus ou moins toxiques qui commu- 
niquent aux eaux non courantes une odeur nauséabonde. L’eucalyp- 
tus, cette essence si précieuse, dont la grande puissance de transpi- 
ration est utilisée pour assécher les marais et dont les émanations 
garantissent de la fièvre, n'aurait peut-être pas toujours l'efficacité 
qu'on lui prête vis-à-vis de la malaria ; il n’est notamment pas cer- 
tain qu’il puisse empêcher la multiplication des moustiques, qui, on 
le sait, sont les plus sûrs propagateurs des maladies contagieuses ; 
mais le fait reste controversé. Arrêtons là cette nomenclature, qui ne 
vise d’ailleurs que des cas particuliers. 

Les forêts ont aussi un rôle des plus utiles au point de vue de 
l'alimentation en eaux potables. Nous avons vu qu’elles favorisent 
l’approvisionnement des sources et qu’elles en régularisent le débit ; 
elles contribuent également à maintenir la pureté de leurs eaux et à 
en empêcher la contamination. Dans les pays déboisés, les eaux, 
avant d'arriver aux sources, ruissellent à la surface du sol; passant 
souvent sur des terrains couverts d'engrais, elles peuvent parvenir 
aux réservoirs souterrains chargées de matières nocives, par suite 
d’un filtrage insuffisant ; alors c’est la mort que les sources déversent 
avec le microbe de la fièvre typhoïde. Au contraire, quand le bassin 
de réception des sources est boisé, les eaux arrivent à la nappe phréa- 
tique, entièrement débarrassées des matières organiques qu’elles 
avaient pu entraîner avant d’imbiber le sol. Leur pureté est assurée, 
non seulement par un filtrage complet à travers des terrains que la 
végétation forestière rend très perméables, mais aussi par l’action des 
acides de Phumus qui attaquent et détruisent les germes morbides. 

Le rôle utile des forêts s’étend encore à d’autres objets. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 1. 20 


306 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

L’arbre est lié à la vie de loiseau ; il porte son nid, il lui sert 
d'asile et d’abri. La forêl, avec ses fourrés, est donc nécessaire pour 
conserver les petits oiseaux, ces auxiliaires si précieux de l’homme, 
sans le concours desquels il ne pourrait jamais se défendre contre 
les atteintes des insectes, ni lutter contre les maladies parasitaires 
dont le développement devient inquiétant pour l’agriculture. 

Le Congrès international d’agriculture à eu le premier l’honneur 
de faire entendre un appel en faveur des petits oiseaux ; le vœu émis 
par le Congrès de La Haye en 1891 a été entendu ; une convention 
internationale, récemment signée, à la demande de la France, qui 
ne comprend peut-être pas tous les États qu’on eût désiré voir par- 
liciper à cette entente, assurera aux petits oiseaux la protection 
qu'ils méritent à tant de titres. 

Si les forêts sont, à ce point de vue, utiles pour l’agriculture, nous 
ne chercherons pas à dissimuler que leur voisinage est parfois nui- 
sible. Les forêts servent de repaire aux grands carnassiers; elles 
abritent et protègent aussi les espèces qui s’attaquent à l’homme, 
aux troupeaux, aux basses-cours et aux récoltes. Mais, si l’agricul- 
teur peut charger la forêt d’anathèmes, le chasseur viendra chanter 
ses louanges et la remercier de lui procurer les plus belles chasses 
en lui ménageant les plus beaux gibiers. 

Voyons, dans un autre ordre d’idées, le rôle des forêts. 

De tout temps leur présence a agi sur l’humanité. « N'est-ce pas, 
a dit un penseur, la grandeur mystérieuse de la forêt qui, la pre- 
mière, jeta l’homme dans ce recueillement où il sentit se faire l'essor 
de sa pensée, et où il eut conscience du vrai lui-même, en face du 
grand être dont il comprit l’incompréhensibilité ? » Chateaubriand 
nous à dit aussi que « les forêts ont été les premiers temples de la 
divinité ». Hæc fuere numinum templa, avait écrit Pline avant lui. 
Écoutons encore sur ce même sujet les vers du poète des Méditations : 


Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, 
Dans tout ce qui m’entoure et me touche à la fois, 
Dans votre solitude où Je rentre en moi-mème, 

Je sens quelqu'un de grand qui m’écoute et qui m’aime. 


Les anciens nous ont montré leur culte pour les bois en consacrant 


RÔLE DES FORËTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 307 


des arbres aux divinités. Nous voyons de nos jours revivre cet amour 
des forêts : aux États-Unis, c’est l’Arbor Day; en Italie, c’est la Fête 
des Arbres, érigée en institution nationale. 

La forêt mérite en effet qu’on l’aime ; elle nous offre de merveil- 
leux spectacles qui élèvent la pensée et l’âme et nous imvitent à l’ad- 
miration et au respect. 

Quels sentiments n’éveillent pas la beauté changeante de ses fron- 
daisons courant de colline en colline, la majesté de ses grands arbres 
menaçant les nuées et les douces rumeurs et les délicieuses chansons 
que nous apportent ses échos! Les poètes, les peintres, les musiciens, 
tous ceux qui ont le culte du beau trouvent, dans les grandes har- 
monies de la forêt, les plus purs modèles et les plus grands ensei- 
onemenis. 

Ce n’est pas seulement sur la grandeur morale des peuples qu’agit 
la conservation des forêts, c’est sur leur prospérité même. « La des- 
truction des forêts, a déclaré M. de Martignac, en présentant le pro- 
jet de Code forestier, est souvent devenue pour les pays qui en furent 
frappés, une véritable calamité et une cause prochaine de décadence 
et de ruine. » 

« Les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent », a dit 
encore Chateaubriand. 

L'histoire nous offre, à ce sujet, les plus grands exemples ; elle 
nous montre tous les phénomènes de détresse, de désolation et de 
misère qui ont suivi la ruine des forêts : c’est l’Asie-Mineure, qui 
était justement fière de sa fécondité, qui a vu le désert prendre la 
place de ses riches cultures ; c’est la Palestine, la plus belle contrée 
de l'univers, la terre de Chanaan de la Bible, qui nous donne le spec- 
tacle de ses plaines désolées et stériles; c’est la Grèce, autrefois si 
florissante, la Grèce, patrie des arts et des lettres, qui ne nous montre 
plus que des ruines et des tombeaux. C’est, avec bien d’autres pays 
encore, l'Afrique romaine qui a perdu sa prospérité d’autrefois. 
Mais, pour cette dernière région, les avis sont divergents sur les 
causes de sa décadence. 

L'opinion générale est que la disparition des forêts est la cause du 
desséchement de l’Afrique du Nord ; mais des esprits très distingués, 
très au courant des choses africaines, ont avancé que les déboise- 


308 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


ments n’ont agi, ni sur le régime des eaux, ni sur les conditions 
économiques de l’Afrique romaine. 

Du temps de l’occupation de Rome, a-t-on dit, cette contrée était 
ce qu’elle est aujourd’hui. Les forêts n’y étaient pas plus nom- 
breuses, la sécheresse y était aussi grande ; les eaux n’existaient pas 
en plus grande abondance. On à cité, à l'appui de cette affirmation, 
le témoignage de Salluste qui, comme on sait, a fait campagne en 
Afrique avec César, et qui a résumé ses impressions dans une phrase 
connue : « Ager frugum fertilis, bonus pecori, arbore infecondus, 
cœlo terraque penuria aquarum » (de Bello Jugurthino, Sall.). 

Les grands travaux d'aménagement et de retenue des eaux, a-t-on 
ajouté, les canaux d'irrigation, les aquedues, les citernes, dont on 
voit encore les traces, auraient-ils existé, si les eaux avaient été 
abondantes ? Ces puissants ouvrages témoignent au contraire que 
l’eau était rare et qu’on cherchait, à l’époque, à recueillir et à mé- 
nager, au prix de grandes peines, une chose que les seules forces de 
la nature ne procuraient pas en suffisance. 

La condition favorable de l'Afrique du Nord, en somme, a été le 
résultat des efforts des hommes ; la grande œuvre de colonisation, 
commencée par les Phéniciens, continuée par Carthage, a été déve- 
loppée et complétée par Rome ; elle est tombée sous les coups des 
Vandales et des Arabes. Ce que les hommes ont créé, puis anéanti, 
ils peuvent le reconstituer : c’est donc par le {ravail qu’on rendra à 
cette contrée, si belle autrefois, sa prospérité d’antan. Cette thèse 
est celle qu’a soutenue M. le général Faure-Biguet dans son discours 
de réception à l’Académie du Dauphiné ; c’est également celle qu'a 
développée M. de la Blanchère, dans son travail sur « l'aménagement 
des eaux et l'installation rurale dans l'Afrique ancienne ». 

On à avancé aussi une autre opinion sur la cause des modifica- 
tions économiques survenues dans l’Afrique du Nord. Nous allons 
l’'exposer sommairement. 

Il est indéniable que la sécheresse s’accentue dans cette région et 
que la zone des déserts se rapproche de plus en plus de l'Algérie et 
de la Tunisie, pour ne parler que de nos possessions. Le Nord du 
Sahara a été, à une époque qui n’est pas loin de nous, une immense 
jungle marécageuse ; de grands fleuves y ont coulé, dont les larges 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 309 
lits asséchés témoignent encore la puissance ; de grands végétaux y 
ont prospéré, la race nègre y étendait son habitat. L’éléphant, la 
girafe, le crocodile, y vivaient en compagnie d’une faune aujourd’hui 
repoussée vers les régions équatoriales. Cette situation s’est main- 
tenue relativement récente ; Hannon la mentionne ; Pline nous ap- 
prend que léléphant se trouvait dans la Mauritanie et au delà des 
Syrtes : «€ Élephantes fert Africa ullra syrlicas solitudines et in Mau- 
rilania. » 

Les grands fleuves n'existent plus ; la jungle a disparu avec l’hu- 
midité qui l’entretenait ; l’éléphant a suivi le recul de la végétation 
puissante sans laquelle il ne peut vivre, et c’est le désert qui s’étend 
aujourd’hui au pied même de l’Atlas saharien. Dans le sud de l’an- 
cienne Afrique romaine, le desséchement s’accentue, les sources y 
ont tari, le niveau des puits y a parfois baissé de plusieurs mètres, et 
si l’on restaurait les ouvrages hydrauliques des Romains, ou bien ils 
ne seraient plus aujourd’hui d'aucune utilité, ou bien ils se trouve- 
raient hors de proportion avec le faible volume des eaux qu'ils ser- 
viraient à recueillir et à conduire. . 

Notre collègue, M. Tellier, a fait dans le sud de la Tunisie des 
vbservations qui confirment les progrès du desséchement dans cette 
région. Après avoir fait réparer, entre Gafsa et Fériana, sur un pla- 
teau où il n’y a pas de trace de sources, des citernes romaines, il a 
constaté que l’une d’elles, qui restait exposée à l'air libre et dans 
laquelle on ne puisait pas, perdait par évaporation une hauteur d’eau 
égale à celle qu’elle recevait annuellement. Cette situation ne devait 
certainement pas exister à l’époque romaine ; si elle se füt produite, 
les Romains n'auraient pas manqué, comme à Carthage, de protéger 
par des voûtes leurs réserves d’eau contre les ardeurs du climat. 

L’explication de ce phénomène de desséchement progressif, qu’on 
connaissait déjà du temps de Byzance, ne saurait être trouvée dans 
la seule intervention humaine. Sans doute les déboisements et d’au- 
tres causes ont pu aggraver la situation ; mais il faut, pour expliquer 
un phénomène de cette importance, une raison plus forte que celle 
du fait des hommes. 

On a dit que la modification constatée dans le régime des eaux de 
l'Afrique du Nord, de l'Arabie, de la Perse, etc., était le résultat de 


310 ! ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

mouvements géologiques qui, depuis le Maroc jusqu’à l’Asie centrale, 
avaient bouleversé les assises du sol et avaient changé le régime 
hydrologique de cette partie du globe. C’est une hypothèse que rien 
n’est venu confirmer. On a avancé une opinion plus hypothétique 
encore d’après laquelle la sécheresse du Sahara tirerait son origine 
dans la formation du continent saharien. On a parlé aussi de phé- 
nomênes astronomiques : des oscillations des cycles cosmiques. Mais 
ce ne sont là que des conjectures. On ignore encore la plus grande 
cause de ce desséchement progressif. Il n’est pas d’ailleurs spécial à 
l'Afrique ; le Sahara, comme on sait, est le dernier anneau d’une 
chaine de déserts, qui s'étend de la Sibérie à l'Atlantique, pour ne 
parler que de l’ancien continent, et dont la condition désertique 
tend toujours à s’aggraver. 

Nous ne conclurons pas que l’homme doit rester impassible 
devant cette situation ; autant vaudrait dire que nous n'avons plus 
qu’à allendre la fin du monde, parce que la terre se refroïdit par le 
rayonnement céleste. Le desséchement de l'Algérie et de la Tunisie, 
bien qu'il s’accentue, se trouve enrayé dans ses effets par la barrière 
que dressent devant lui les hauteurs de l'Atlas; il n’a d’ailleurs, 
pour ainsi dire, pas encore affecté sensiblement la région de l'Afrique 
romaine où la colonisation était autrefois très intense. Nous sommes, 
au contraire, convaincus que c’est par des efforts persévérants qu’on 
rendra meilleure la condition de Afrique du Nord. Mais, pour être 
certain de recueillir le prix de son labeur, l’homme doit se rappeler 
les enseignements de la nature, et notamment ne pas oublier qu’elle 
sait toujours corriger les inégalités qu’accidentellement elle peut 
présenter. L'œuvre de colonisation, proprement dite, dans l’Afrique 
du Nord ne doit donc pas être seule entreprise. Pour être parfaite, 
elle a besoin d’être complétée par des travaux dirigés de façon à 
corriger ce qu’il y a d’excessif dans le climat et tendant à retarder 
la marche du phénomène de desséchement. 

C’est par le reboisement entrepris d’abord en dehors de la zone 
de sécheresse qu’on arrivera au but ; à côté des terrains à mettre 
en valeur par les cultures agricoles et arbustives, 1l y a place encore, 
là où l'humidité est suffisante, pour créer, sur les sommets et les. 
plateaux notamment, de grandes forêts qui viendront agir effica- 


RÔLE DES FORÊTS AU POINT DE VUE DES SERVICES INDIRECTS. 311 


cement sur les vents brülants du sud, sur la formation des pluies et 
sur le régime hydrologique, et qui assureront ainsi, pour ORRÉRDS 
encore à ces belles contrées, la vie et la fertilité. 

Nous venons de voir que les forêts exercent une influence des plus 
heureuses sur l’état moral et matériel de l'humanité. Mais, nous ne le 
dissimulons pas, ce résultat est moins l’œuvre des forêts elles-mêmes 
que la conséquence de l’action merveilleuse qu’elles exercent pour 
le maintien de l’équilibre des énergies naturelles, sans lesquelles 
les forces vives d’un pays ne peuvent se produire, ni se développer. 

En dehors de leur valeur économique, les bois sont souvent une 
cause de richesse. La végétation forestière donne aux pays, dont 
elle est une des plus belles parures, un charme et un attrait tout 
particuliers. 

« Nobis placent ante omnia sylveæ », à dit Virgile. 

Mas les beaux arbres n’agissent pas seulement sur l'idéal de 
beauté pure ; ils ont un domaine plus positif. Ils attirent et retiennent 
les visiteurs et sont ainsi une source de profits pour les contrées 
dont ils sont le plus bel ornement. 

Nous pourrions aussi envisager sous d’autres aspects, au point de 
vue des services mdirects, l’influence des forêts, parler notamment 
de leur action à l’égard de la défense nationale, de la protection 
contre les avalanches, etc., nous verrions que partout et toujours, 
leur action est utile et bienfaisante. Et après avoir rappelé leur très 
grand rôle économique que notre éminent collègue, M. Mélard, 
a mis en lumière d’une façon si éclatante dans son beau travail sur 
« l'insuffisance des bois d’œuvre dans le monde », nous serions 
heureux si nous avions réussi à montrer tous les titres qu'ont les 
forêts à notre protection. 

Conservons-les donc précieusement, entourons-les de vénération 
et de respect. Sachons nous. souvenir des enseignements.de notre 
illustre maître M. Tassy. 

« Dans ce laboratoire, disait-il, d’où tout sort et où tout rentre, 
qu’on appelle la terre, il y a un élément essentiel surtout pour ses 
services immatériels, qui mérite avant tout qu’on s’en occupe : c’est 
la forêt. Rien ne saurait être négligé de ce qui la concerne, puisque 
jusqu’à présent, les hommes n’ont point réussi à se passer d'elle, 


512 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et que, un peu plus tôt ou un peu plus tard, ils ont dû quitter tous 
les lieux d’où ils Pavaient chassée. 

« Ce fait incontestable est peut-être celui qui, dans l'histoire des 
nations, marque de la manière la plus saisissante les funestes con- 
séquences de l’imprévoyance humaine. Parmi les contrées rendues 
désertes, stériles et inhabitables par cette imprévoyance, il y en a 
cependant où la nature, usant de sa force éternelle, a ramené la 
fertilité et la vie. Les forêts v ont repris leur ancien empire, elles 
ont regarni peu à peu les montagnes et rempli les vallées de leur 
épaisse végétation ; et alors, quand des hommes nouveaux viennent 
explorer ces régions régénérées, 1ls sont étonnés de rencontrer, 
dans les profondeurs silencieuses des bois, de vastes espaces jon- 
chés de pierres tumulaires, où sont gravées des inscriptions en 
langue inconnue, dernier vestige de la civilisation disparue. 

« Si nous ne voulons pas que nos tombes montrent, à leur tour, 
ce qu’il en coûte à l'humanité, quand elle prétend maîtriser la nature 
au gré de ses désirs, faisons à nos forêts la place nécessaire pour 
la protection de nos cultures, l’alimentation de nos cours d’eau, la 
purification de l’air que nous respirons, la satisfaction et les besoins 
de notre outillage et rétablissons entre elles et les terrains cultivés 
un équilibre qui est plus désirable pour ces terrains, au profit des- 
quels il a été rompu, que pour les forêts elles-mêmes. » 


FIXATION 


DE 


L'AZOTE ATMOSPHÉRIQUE 


PAR LES 


FEUILLES MORTES EN FORÊT 


NOUVELELEMS EXPÉRIENCES 


Par E. HENRY 


++ 


Dans un mémoire précédent, après avoir rappelé quels sont les 
sains et les pertes d’azote éprouvés par les sols forestiers, je disais 
que les causes de gain l’emportaient de beaucoup en culture fores- 
tière sur la déperdition, puisque l’on voit des sols de sable pur sans 
matière organique ni azote (dunes et landes de Gascogne par{exemple) 
supporter de magnifiques futaies de pin maritime — qui représentent 
déjà un chiffre important de matière azotée — et s'enrichir constam- 
ment en azote comme le montrent les analyses. 

Outre les sources d’azote combiné déjà connues, j'en signalais une 
nouvelle, sur laquelle on n’avait pas encore appelé l'attention ; c’est 
la ficalion de l'azote utmosphérique par les feuilles mortes. 

« En résumé, disais-je à la fin de ce mémoire, d’après ces pre- 
miers résullats d'essais que Je poursuis en variant le matériel et les 


1. L'Azote et la végétation forestière (Annales de la Science agronomique fran- 
caise el étrangère, 1897, t. If, p. 359-381), 


314 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

conditions d'expérience, je crois avoir montré l’une des raisons, la 
plus importante peut-être et, en tout cas, la plus générale, pour les- 
quelles la forêt enrichit le sol en azote. » 

En décembre 1895, après un an d'exposition à l'air dans le jardin 
de l'École forestière de Nancy, les feuilles mortes de chêne placées 
sur une plaque de calcaire qui garnissait le fond d’une caisse en zinc 
recouverte d’un filet, renfermaient 1,993 p. 100 d’azote et les feuilles 
mortes de charme placées sur une plaque de grès bigarré conte- 
naient 2,246 p. 100 d’azote, les feuilles étant supposées desséchées 
à 100°. 

Comme les taux initiaux étaient de 1,108 pour le chêne et de 0,947 
pour le charme, le gain a été de 08,815 d’azote par 100 grammes 
de feuilles de chêne et de 18,299 par 100 grammes de feuilles de 
charme. 

Mais, pendant celte année, les feuilles de chêne ont perdu 
21,62 p. 100 de leur poids primitif à 100° et les feuilles de charme 
23,01 p. 100. 

Si nous rapportons les chiffres d’azote trouvés après un an d’expo- 
sition à l'air, non plus aux feuilles déjà décomposées qui ont perdu 
le cinquième de leur poids, mais aux feuilles mortes prises au début 
de l’expérience, le taux de 1,993 devient 1,508 pour le chêne, accu- 
sant un gain d’azote de 18,508 — 18,108 —05",400 pour 100 gram- 
mes de feuilles mortes pesées au moment de l’installation. 

Quant aux feuilles de charme, le taux de 2,246 devient 1,727 avec 
un gain d'azote de 15°,727 — 08,947 — 05,780 pour 100 grammes 
de feuilles fraichement mortes. 

Ces gains sont très importants, puisqu'ils s'élèvent à la moitié ou 
aux deux tiers du taux primitif. 

En admettant que le sol de la forêt reçoive à chaque automne 
3 000 kilogr. de feuilles mortes (desséchées à 100°), c’est un poids de 
23*,4 d'azote pour le peuplement de charme et de 12 kilogr. pour 
la futaie de chêne que l’atmosphère fournit à la couverture, c’est-à- 
dire presque le quantum absorbé par la fabrication du bois. 

Les feuilles de deux autres caisses identiques (chêne sur plaque de 
grès bigarré, charme sur plaque de calcaire) furent laissées deux 
ans à l’air, de décembre 1894 à décembre 1896. De plus, en mai 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 315 
1896, j'ai ajouté à chaque caisse 90 grammes de terre fine de la forêt 
de Haye (près Nancy) dont j'avais préalablement dosé l’eau et les ma- 
tüières organiques. Les dosages d’azote donnèrent des résultats abso- 
lument concordants avec les précédents : 1,73 p. 100 de feuilles 
mortes séchées à 100° pour le chêne sur grès bigarré ; 2,15 p. 100 
pour le charme sur calcaire, c’est-à-dire un peu moins (0,1 à 
0,2 p. 100) que le chiffre trouvé à la fin de la prernière année ; mais 
ces chiffres sont toujours, on le voit, très supérieurs aux taux pri- 
mitifs. 

Pendant ces deux ans, les feuilles de chêne ont perdu 29,64 p. 100 
de leur poids à 100° et les feuilles de charme 28,61 p. 100. 

En tenant compte des 28 à 29 p. 100 disparus, c’est-à-dire en rap- 
portant ces taux aux feuilles initiales, on constate néanmoins un en- 
richissement absolu de 05,11 d'azote p. 100 du poids primitif des 
feuilles de chêne et de 08,58 pour le charme. 

Ainsi donc, si les choses se passent dans la nature comme dans les 
essais dont je viens de parler, les 3 300 kilogr. de feuilles mortes 
reçues annuellement par un hectare contiennent, au moment de leur 
chute, 1 p.100 d’azote, soit 33 kilogr. d’azote ou 206 kilogr. de ma- 
tières albumimoïdes. | 

Un an après, ces 3 300 kilogr. se sont réduits à 2 640 kïogr. à 
2 p. 100 d’azote en moyenne, ce qui équivaut à 53 kilogr. d'azote ou 
391 kilogr. de matières azotées du type albuminoïde par hectare. 
Le gain d'azote par hectare s’élève donc à 20 kilogr. 

Au bout de deux ans, les feuilles de chêne et de charme qui avaient 
subi comme en forêt toutes les influences atmosphériques et qui 
reposaient sur une dalle calcaire ou gréseuse horizontale de façon 
que l'humidité s’y maintint le plus longtemps possible, étaient com- 
plètement noires, mais parfaitement reconnaissables, les feuilles de 
charme aussi bien que celles de chêne, malgré ce que l’on dit de 
leur plus grande altérabhilité. Elles étaient loin d’être réduites à l’état 
d’humus. 

Les dalles de calcaire ou de grès, très propres au début, s'étaient 
peu à peu recouvertes d’un enduit verdâtre (algues et même petites 
mousses). Grâce à l’horizontalité, à l’épaisseur et à la porosité du 
substratum, l’humidité s’y était maintenue presque à toutes les sai- 


316 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sons, favorisant le développement de cette végétation chlorophyllienne 
qui, s’installant sans doute aussi sur les feuilles, à peut-être un peu 
contribué à l'augmentation de leur teneur en azote. 

Il était intéressant de voir ce que deviendraient, au point de vue 
de la captation d’azote, les feuilles mortes, soit placées à même sur le 
sol en forêt, soit disposées sur un substratum tel que le sable siliceux 
pur (sable de verrerie) qui se dessèche complètement avec une si 
grande facilité. I était à prévoir que, dans ces conditions, les bac- 
téries fixatrices d'azote seraient tout aussi entravées dans leur déve- 
loppement que les bactéries de l’érémacausis. 

On sait que Wollny à prouvé que les matières organiques se décom- 
posaient d'autant plus vite c’est-à-dire étaient d'autant plus 
envahies par les bactéries — qu’elles étaient plus humides, à condition 
pourtant (cela va de soi) que l’eau n'obstrue pas les pores au point 
d'empêcher l'accès de air. 

D'autre part, Müller a montré que des feuilles de charme, des 
aiguilles de pin noir d'Autriche desséchées au soleil et mélangées à 
du sable quartzeux desséché de la même façon ne donnaient pas 
d'acide carbonique ; dès qu’on eut ajouté de l’eau, le gaz se produisit 
abondamment. 


Expériences de 1897. — Au moment de la chute des feuilles, j'ms- 
tallai le 1% novembre 1897, en pleine forêt de Haye (massif doma- 
nial de 6 000 hectares situé entre Nancy et Toul), à la pépinière de 
Bellefontaine, dans le petit enclos sous bois où se trouve l’évaporo- 
mètre, quatre cadres en bois de 0",50 sur 0,50 renfermant ‘chacun 
100 grammes de feuilles de chêne, hêtre, charme, tremble et recou- 
verts d’un filet. Quatre autres, garnis de même, furent placés en plein 
air dans le jardin du brigadier. J'avais eu soin de faire balayer 
longtemps à l’avance les emplacements pour voir si des vers de terre 
ou des larves d'insectes ne viendraient pas bouleverser le sol, ce qui 
arriva au début ; mais au bout de trois semaines les places balayées 
restèrent bien nettes et je pus croire le sol complètement nettoyé de 
rongeurs souterrains. 

Ces feuilles avaient été cueillies le 17 octobre 1897 par un temps très 
chaud et leur dessiccation à 100° donne le taux d’eau des feuilles au 


FIXATION DE L'AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 2 DK | 


moment de leur chute, taux inscrit avec celui de l'azote dans le ta- 
bleau ci-dessous !: 


CHARME. CHÊNE. HÊTRE. TREMBLE. 
AU HAE 51509 53,3 HONTE 26,2 
AZULBTTO LAINE EME 1,152 1,402 1227 0.876 


Au mois de mai, les jeunes feuilles renferment 70 à 78 p. 100 
d’eau, puis ce taux s’abaisse et reste sensiblement constant de juin à 
la fin de la période de végétation, oscillant entre 50 et 60 p. 100. 
Étalées sur une surface sèche dans un endroit chaud et aéré, les 
feuilles perdent encore de l’eau et leur teneur tombe invariablement, 
comme on le voit plus loin, entre 14 et 16 p. 100. 

Mais lorsque les feuilles furent mises en place, les vers de terre, 
attirés par cette nourriture, revinrent visiter les emplacements qu’ils 
avaient abandonnés et, après l’hiver, le 10 mars 1898, il y avait des 
trous de ver dans les cadres de l’enclos de l’évaporomètre et plus 
encore dans ceux placés en plein air. Dès cette époque il ne restait 
. presque plus rien des feuilles de charme. Donc les vers avaient tra- 
vaillé activement pendant l’hiver, peu rigoureux, il est vrai, et 1l 
leur avait suffi de ces cinq mois d'hiver pour détruire les quatre 
cinquièmes environ des feuilles de charme. Le 17 juillet, il n’y avait 
plus trace de feuilles de charme, soit sous bois, soit en pleim air, 
tandis que les feuilles de chêne, hêtre, tremble, plus ou moins ron- 
oées, rassemblées en autant de tas qu'il y avait de gros vers (Lum- 
bricus Lerrestris), présentaient encore quelques débris. 

Cet accident m’a amené à faire des recherches sur les préférences 
qu'ont les vers de terre pour les feuilles de certaines espèces. Il m'a 
permis de démontrer que, si les feuilles de charme disparaissent dès 
le printemps qui suit leur chute, ainsi que tous les forestiers le cons- 
tatent, ce n’est pas du tout parce qu’elles se décomposent plus vite 
que celles des autres essences (ce que montrent du reste les essais 
décrits ci-après), c’est parce que les vers de terre les recherchent de 
préférence et ainsi se trouve expliquée l’apparente contradiction qu’il 


1. Les feuilles de charme et de chêne ont été cueillies sur de jeunes rejets, tandis 
que celles de hêtre provenaient d'un baliveau; les feuilles de tremble étaient à la 
veille de leur chute et se détachaient au moindre effort. 


318 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


y avait entre mes recherches sur la décomposition des feuilles mises 
dans des caisses en zinc et les faits naturels”. 

Rapportons brièvement l’une de ces expériences. 

Le 1% août 1898, je remplis une petite caisse en bois de 0,50 sur 
les trois côtés avec de la terre du jardin de l'École forestière qui 
abonde en gros vers, mais qui en avait été débarrassée en l’émiettant 
et la séchant au soleil, J’y mis cinq gros vers et je disséminai à la sur- 
face : 


50 feuilles de charme pesant (à 100°). . . . . . . 38,295 
50 feuilles de chêne — ART TT RES 10 .500 
20 feuilles de hêtre = HSE el 5 ,120 

187,915 


Le 5 août déjà les vers avaient travaillé et, le 7 octobre, soit 
soixante-six Jours après, on retrouve : 


7 feuilles de charme pesant (à 1002). . . . . . . 057,330 
46 feuilles de chêne = DÉS De 7 ,470 
45 feuilles de hêtre — RÉEL HER 3 .7170 

115,570 


Dans ces soixante-six jours, les vers ont mangé 65,475 de feuilles, 
soit plus du tiers de la matière organique qui leur à été fournie, mais 
tandis qu’ils ont laissé sur le sol 71 à 73 p. 100 des feuilles de hêtre 
ou de chêne, ils n’ont rebuté que la dixième partie des feuilles de 
charme ; il ne restait guère que les nervures. Chaque ver a détruit en 
deux mois 1#,53 de matière organique desséchée à 100°. Il serait 
facile, en installant aussitôt après la chute des feuilles sur divers 
points d’une forêt des cadres d’une surface connue et recouverts d’un 
filet, de déterminer le poids de feuilles mortes absorbées annuelle- 
ment par les vers et rendues au sol sous forme d’humus et la répar- 
tition, suivant les sols et les régions, de ces obscurs, mais si utiles, 
travailleurs du sol. Sur chacune de ces places préalablement nettoyées 
de toute matière organique et bien limitées par ces cadres, on dispo- 


1. Voir : Les vers de terre en forêt (Bulletin des séances de la Société des 
Sciences de Nancy, 1900). 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. : 319 


serait un poids et un nombre connus des feuilles des diverses essences 
du peuplement; en les recueillant au bout d’un an, on verrait d’abord 
quelles sont les préférences des vers et la différence de poids donne- 
rail la somme des décompositions par les microbes et par les vers de 
terres: 

En installant une autre série d’expériences où l’on se mettrait à 
l'abri des vers de terre, on ferait la part exacte de chacun des deux 
facteurs dans l’ensemble du phénomène. 

En tout cas cet essai, mfructueux au point de vue de la recherche 
de la fixation de l’azote atmosphérique par les feuilles mortes in silu, 
cet essai et plusieurs autres qui ont eu le même résultat m'ont con- 
vaincu qu'il était impossible, dans ces conditions, de se mettre à 
l'abri des vers de terre, tant ils sentent de loin la nourriture qu'ils 
aiment. Il faut opérer, comme je l’ai fait l’année suivante, dans des 
caisses placées en forêt, mais au-dessus du sol et il n’est pas encore 
facile d'empêcher les vers de s’y rendre. 

Si les vers n’ont jamais été considérés comme des animaux fixa- 
teurs d'azote, ils ne jouent pas moins, sous le rapport de l’assimila- 
bilité des matières azotées, un rôle des plus utiles dans le sol fo- 
reslier. | 

Déjà Wollny avait montré que la quantité de matières azotées 
solubles et de principes minéraux solubles est plus grande dans la 
terre garnie de vers. Tout récemment M. Duserre, directeur de 
l'établissement fédéral de chimie agricole à Lausanne, s’occupant à 
nouveau de cette question, vient de déterminer d’une façon précise 
l'influence des lombrics sur les matières azotées et minérales du sol”. 
Il ressort de ses analyses que, pour l'azote, la transformation en pro- 
duits ammoniacaux et la nitrification finale sont activées par le pas- 
sage de la matière azotée dans le corps du ver*. 

En même temps que j'installais les essais de Bellefontaine, je dis- 
posais (3 novembre 1897) dans le jardin de l’École forestière quatre 


1. Voir Journal d’agricullure pratique, t. HI, 1902, p. 700. 

2, Je me suis assuré qu'à Nancy et dans la forêt de Haye les vers de terre tra- 
vaillent pendant tout l'hiver, du moins quand il n’est pas rigoureux et que la neige 
ne couvre pas le sol. 


320 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
caisses en Zinc garnies de dalles calcaires ou gréseuses et recouvertes 
d’un treillis métallique et deux caisses en bois remplies, l’une de sable 
pur, l’autre de craie, et couvertes d’un filet en ficelle. 

Voyons ce que sont devenues ces feuilles au bout d’un an (9 octobre 
1898) au point de vue du taux d’azote. 

De 50 grammes de feuilles de hêtre, contenant 215,65 de matière 
sèche, disposées dans une caisse en zinc garnie d’une dalle calcaire 
on n’a plus retrouvé que 164,78, ce qui accuse une perte de 
22,5 p. 100. 

Le taux d’azole, qui était primitivement de 1,227, s’est élevé à 
1,783, ce qui correspond à une fixation d’azote de 0,200, puisque, en 
tenant toujours compte des 22,5 p. 100 disparus, le taux nouveau ne 
devrait être que 1,583. 

Les feuilles de tremble de la caisse remplie de craie pesaient à la 
fin de l'expérience 24 grammes, tandis que leur poids primitif à 100° 
était de 455,8. Il à disparu 19#,8, soit 45,2 p. 100 du poids 
initial. 

Le taux d'azote a doublé; il s’est élevé de 0,876 à 1,701, tandis 
qu'en tenant compte des 45,2 p. 100 disparus, il ne devrait s’élever 
qu'à 1,598, Le gain d’azote a donc été ici de 4,791 — 1,598—0,158. 

Un même poids de ces feuilles de tremble a été disposé dans une 
caisse en zinc garnie d’une dalle de grès bigarré. A la fin de l’expé- 
rience, elles pesaient 30,5, tandis que leur poids primitif à 100° était 
de 43%°,8. Il a disparu 135,3, soit 30,36 p. 100 du poids initial. Les 
deux taux d'azote, au début et à la fin, sont les mêmes que pour les 
feuilles sur craie, c’est-à-dire 0,876 et 1,791. Au lieu de ce dernier 
taux, on n'aurait dû trouver, en rapportant toujours le chiffre d’azote 
au poids primilif, que 1,258. 

La fixation d'azote a donc été de 1,751 — 1,258 — 0,493 p. 100 
de feuilles de tremble desséchées à 100°. 

Dans les deux cas suivants, feuilles de chêne sur calcaire et feuilles 
de charme sur grès bigarré, on a soumis à plusieurs lavages les 
feuilles noircies pour les débarrasser de cet enduit et voir ce que 
donnerait l'analyse faite dans de telles conditions. Ces lavages ont 
certainement enlevé des matières azotées qui constituaient une partie 
du résidu noir dont l’eau s'était chargée. Aussi n°y a-t-il rien d’éton- 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 221 


nant à voir le taux d’azote devenir pour les feuilles de charme quel- 
que peu inférieur au taux primitif. Ce taux de 1,752 est devenu 
2,860 et le poids s’est abaissé de 485,1 à 24 grammes, accusant une 
perte en matière sèche de 49,9 p. 100. 

Avec une disparition si considérable, le taux final aurait dù s'élever 
à 3,497 pour qu’il n’y eût point de perte en azote. 

Les feuilles tendres et minces du charme ont plus perdu dans ces 
lavages, comme on devait s’y attendre, que les feuilles plus épaisses 
et plus coriaces du chêne, iesquelles accusent encore, malgré ce trai- 
tement, une légère augmentation d’azote. 

Les 465,7 du début se sont réduits à 285,5, ce qui correspond à 
une perte de 38,54 p. 100. Le taux d’azote passe de 1,155 à 1,991. 


D’après la proportion es a on devrait trouver pour & 


Ho 
L'analyse donne 1,991 ; il y a donc eu gain très faible de 1,991 
— 1,879— 0,112 p. 100 d’azote. 


Expériences de 1898. — Le 20 octobre 1898, on a cueilli des 
aiguilles à la veille de leur chute sur de jeunes pins noirs d’Au- 
triche de la pépinière de Bellefontaine (forêt domaniale de Haye). 
Le 25 octobre, on a pris sur le même arbre que l’année précédente 
des feuilles de hétre prêtes à tomber. En secouant l'arbre, bon nom- 
bre de feuilles se détachaient et la plupart des hêtres voisins étaient 
déjà défeuillés. Ce même jour, on a cueilli des feuilles de peuplier- 
tremble, de chêne, de charme, d’épicéa se détachant au moindre effort. 
Les feuilles de charme, cueillies sur de jeunes rejets, sont celles qui 
par leur teinte et leur aspect ressemblent le plus à des feuilles vi- 
vantes. Séchées à l’air au laboratoire, elles deviennent d’un beau jaune. 
Après viennent celles de hêtre, puis celles de tremble, jaunes, par- 
semées de taches brunes. Les feuilles de chêne, pin d'Autriche, épi- 
céa, ont tout à fait l'aspect de feuilles mortes. On a ensuite pesé trois 
ou quatre lots de 30 grammes ou de 50 grammes de ces diverses 
feuilles, munies encore de l’eau qu’elles renfermaient sur l'arbre. 
L’un des lots a servi à la détermination de l’eau et de l'azote ; les 
autres ont été mis en expérience dans des conditions diverses. 

ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903, — 11. 21 


322 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Le tableau suivant donne les taux d’eau et d’azote des feuilles 
mortes de différentes essences, cueillies sur l'arbre el desséchées à 
l'air au laboratoire : 


CHARME. CHÊNE. HÊTRE. TREMBLE.  ÉPICOÉA. PAR 
EAU 14,81 15,47 15,00 16,00 13,89 14,00 
Azote total. . 1,389 0,987 0,884 0,821 0,821 0,442 


Donc les feuilles des arbres feuillus ou résineux, cueillies sur 
l'arbre par un temps sec à la veille de leur chute et desséchées à 
l'air autant que possible, contiennent invariablement 14 à 16 p. 100 
d'eau qui ne disparaît qu'après dessiccation à 100°-110°. Nous venons 
de voir que, si on les pèse aussitôt après la cueillette, on y trouve 
92 à 56 p. 100 d’eau. Quant au taux d’azote que renferment les 
feuilles à leur mort, il varie pour celles qui ont été analysées du 
simple au triple. Le pin d'Autriche, essence peu exigeante aussi bien 
au point de vue de l’azote que des principes minéraux, présente, on 
devait s’y attendre, le taux le plus faible. Ses aiguilles ne contiennent 
que la moitié des matières azotées que l’on trouve dans celles de 
l'épicéa et dans les feuilles des autres arbres, à l’exceplion du charme 
qui est trois fois plus riche que le pin d’Autriche, ce qui tient en 
partie à l’état jeune des tiges qui portaient les feuilles. Car ces or- 
ganes, analysés en 1894, n’ont donné que 0,947 p. 100 d’azote. 

I est superflu d’ajouter que ces chiffres n’ont qu’une valeur rela- 
tive ; ils montrent ce qu'est la teneur en azote des feuilles à leur 
chute pour une essence, un âge, une région, un sol, une année 
donnés ; mais il est certain qu'ils varient avec ces divers facteurs et 
d’autres encore’. En novembre 1898, les lots de feuilles, exactement 
pesés, furent mis en expérience dans le jardin du brigadier de Belle- 
fontaine, en pleine forêt, de la façon suivante : 

On a pris de la terre de la pépinière qu’on a purgée avec le plus 
grand soin des vers et larves qu’elle pouvait contenir, afin d'éviter 


Là 


1. Nos analyses le montrent nettement, puisque, suivant les années et les tiges qui 
ont été défeuillées, on a trouvé, pour les feuilles de chêne à leur chute, des taux 
d'azote de 15,108, 1%,402, 0%,987; pour le charme, 05,947, 1%,752, 15,589 : 
pour le hêtre, 1*,227 el 0,884; pour le tremble, 0*°,876 et Ofr,821. 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 323 


l'intervention de toute pâture animale qui avait fait manquer les 
expériences de 1897. Cette terre a été placée dans des caisses en 
zinc ou en bois, bien arrosée, puis recouverte d’une couche de 
9 centimètres de sable blanc pur, sur lequel on a disséminé les 
feuilles. Ce revêtement de sable avait un double but : 

Il s'agissait de voir si, sur un sol si filtrant, si sec, si pauvre, si 
peu favorable à la pullulation des bactéries, la captation d’azote 
aurait lieu néanmoins. En outre, sur le sable blanc les galeries des 
vers ou larves souterraines, s'il y en avait encore ou s’il s’en intro- 
duisait, devaient se voir nettement. Les caisses, au nombre de douze, 
furent recouvertes de filets à mailles serrées et abandonnées à l’air 
libre. 

Le 30 juillet 1899, il n’y en a déjà plus que quatre en bon état. 
Les vers ont senti les feuilles de charme et se sont introduits dans 
les quatre caisses où elles se trouvaient, les entraînant dans leurs 
galeries et gâtant par suite les résultats relatifs à cette essence ‘. 
Certaines caisses contenant des feuilles de chêne, de tremble et de 
hêtre ont été aussi envahies par les vers, si bien que, le 22 octobre 
1899, quand on mit fin à l'expérience, il n’y avait plus que trois 
caisses intactes dont l’une était garnie de feuilles de hêtre, l’autre 
d’aiguilles d’épicéa, et la troisième d’aiguilles de pin noir. 

Il résulte de ces constatations qu’il est très difficile, sinon impos- 
sible, de se mettre à l'abri des vers si l’on veut placer les feuilles 
dans des conditions semblables à celles de la nature, c’est-à-dire en 
forêt, sur du sol, füt-1l de sable pur, et presque à ras terre. 

On récolta avec le plus grand soin les feuilles de pin, d’épicéa et 
de hêtre. On vérifia, en passant la terre au crible, s’il ne restait pas 
de débris de feuilles dans le sol et s’il n’y avait pas de vers dans les 
caisses : On n’en trouva pas. 

Voici les résultats des analyses : 


Hêtre. — Les feuilles de hêtre pesaient au début de l'expérience 


1. Bien que les feuilles de charme placées dans une caisse en zinc dont l’eau ne 
pouvait s'écouler aient été immergées dès la première pluie, les vers aiment tellement 
cet aliment, que j'en ai trouvé, au mois d'octobre, une quarantaine noyés dans l'eau 
de la caisse. 


324 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
30 grammes, ce qui équivaut à 256,5 à 100°, puisqu'elles conte- 
naient 15 p. 100 d’eau. 

Au bout de onze mois, ces 254,5 sont réduits par l’érémacausis à 
178,9 : donc 32,55 p. 100 de matière organique desséchée à 100° 
ont été enlevés par les actions microbiennes et chimiques. Le taux 
d’azole sur cette lerre recouverte de sable pur n'a pas varié. Car le 
taux trouvé a été de 1,314 d'azote p.100 de feuilles de hêtre prises 
à la fin de l'expérience, ce qui correspond à 675,45 des feuilles imi- 
tiales, puisque 32,55 p. 100 ont disparu. En calculant le taux d'azote 
67,45 100 
(82 on 
trouve pour æ 1,310, c’est-à-dire le chiffre donné par l’analyse. 


æ dans les feuilles laissées à l’air d’après la formule 


Pins d'Autriche. — Les 50 grammes mis en expérience corres- 
pondent à 43 grammes à 100°, puisqu'il ÿ a 14 p. 100 d’eau. Ces 
43 grammes sont devenus 386,5 par l’érémacausis ; il a disparu 
seulement 10,46 p. 100. On sait que ce sont les aiguilles de pin, 
riches en résine, qui résistent le mieux à la décomposition. 

Le taux d'azote primitif était de 0,442. Au bout d’un an, 1l s'élève 
à 0,611 ; mais les 100 grammes primitifs sont devenus 895°,54. Donc 
= — ee d'où x, le Laux d'azote qui devrait exister en tenant 

é z 
compte de l’érémacausis, — 0,495. — Le chiffre donné par l’ana- 
lyse est 0,611. Il y a donc eu un faible gain d’azote de 0,611 
— 0,493 — 0: 118 p. 100 de la matière primitive. Autrement dit, 
100 grammes d’aiguilles de pin d’Autriche ont gagné 118 milli- 
grammes d'azote équivalant à 740 milligrammes de principes albu- 
minoïdes. 


Épicéa. — Les 50 grammes mis en expérience correspondent à 
438,05 à 100°, puisqu'il y a 138,9 p. 100 d’eau. Ces 435,05 sont 
devenus 39 grammes par l’érémacausis ; il a disparu 18,6 p. 100. 

Le taux d’azote primitif était de 0,821. Au bout d’un an, il s'élève à 
1,162 ; mais les 100 grammes primitifs sont devenus 815,4. Donc 
_. —= po ; d’où +, le taux d’azote qui devrait exister en tenant 


U 


compte de l’érémacausis et en supposant que celle-ci n’ait altéré en 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. 325 


rien les matières azotées, — 1,008. Le chiffre donné par l'analyse est 
1,162. Il y a donc eu un faible gan d'azote de 1,162 — 1,108 
— 08,154 p. 100 de la matière primitive. 


Conclusions. — En s'appuyant sur les trois séries d'expériences 
précédentes, il semble qu’on soit en droit de conclure que : 

1° Les feuilles mortes (chêne, hêtre, charme, tremble, pin d'Au- 
triche, épicéa), soit seules, soit mélangées à de la térre, ont la pro- 
priélé, surtout quand elles sont sur des substratums humides (lerre 
argileuse, plaques de grès ou de calcaire), de fixer en proportions 
nolables l’azole de l'air’ ; 

2 Les feuilles mortes (hétre, pin, épicéa) placées en forél sur du 
sable siliceux pur, constituant un substratum très pauvre el très 
sec, ou bien ne s’enrichissent pas en azote (hélre), ou bien s'enri- 
chissent dans une proportion insignifiante (pin, épicéa). En tout 
cas, Ù n'y a jamais perte d’azole ; 

3° Il est trés difficile de faire des expériences de ce genre en forét 
à cause de la quasi-impossibilité où l’on se trouve de se meltre a 
l'abri des vers de terre ; 

4 Ceux-ci s’altaquent à toutes les feuilles, mais ont des préfé- 
rences manifestes pour certaines espêces, el c'est bien cerlainement à 
eux que doit étre attribuée la disparilhion si prompte dans la cou- 
verlure morle des feuilles de charme, méme quand le peuplement est 
en majeure parlie conslilué pur celle essence. 

Dans mon premier mémoire’ je citais, à l’appui de mes conclu- 
sions, outre les expériences de M. Berthelot sur la fixation de Pazote 
par les sables argileux, le kaolin, la terre végétale, la découverte 
récente faite par M. Vinogradsky d’un microorganisme fixateur d’a- 
z0te, le Clostridium pasteurianum et l'opinion de M. Kossowitch, 
celle de M. Bouilhac sur la fixation de l'azote par l’association de 
certaines algues et de bactéries. 

Depuis, les hactériologistes ont fait avancer la question. M. Neu- 
mann* a recherché si les bactéries qui se trouvent dans le sol en 


1. Annales de la Science agronomique française et étrangère, €. Il, 1897. 
?. Annales agronomiques, 1902, p. 378. 


326 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


contact direct avec les nodosités ou les microorganismes existant sur 
les organes aériens sont capables d’assimiler l'azote libre de l’atmos- 
phère. Il a utilisé dans ces essais la terre adhérente aux nodosités du 
Vicia faba. — Il y eut, dans tous les cas, assimilation d'azole. 

D'autre part, MM. Beijerinck et Van Delden viennent de démon- 
trer* que les cultures pures d’Azotobacter chroococcum assimilent 
réellement l'azote libre de atmosphère. Le maximum de gain d'azote 
observé a été de 7 milligrammes pour 1 gramme de sucre con- 
sommé. Le mécanisme de l’assimilation de l'azote par ces associa- 
tions serait, d’après Beïjerinck, le suivant : les organismes assimila- 
teurs de l’azote libre (Granulobacter, Aerobacter) sont symbiotiques 
de l’Azotobacter. Celui-ci accumule l’azote mis en combinaison par 
d’autres bactéries (telles que Granulobacter) et, comme les essais 
l'ont montré, sous une forme facilement transformable en ammo- 
niaque et qui peut alors être nitrifiée. 

En somme, ce fait de la fixation de l’azote par les feuilles mortes 
des forêts, fait sur lequel j'ai appelé le premier lattention, devient 
de jour en jour moins surprenant à mesure que s’élargit le champ 
des découvertes en bactériologie. Sur une trentaine d’essais, ins- 
tallés dans des conditions diverses, onze seulement n’ont pas été 
troublés par des causes d'erreur (vers de terre, excès d’eau) et ont 
pu être utilisés. Neuf ont accusé une captation d'azote plus ou 
moins intense ; un autre (hêtre sur sable pur) n’a pas varié dans son 
taux d'azote ; dans le dernier, il y a eu diminution; mais on se rap- 
pelle qu'il s'agissait de feuilles de charme qui, à la fin de l’expé- 
rience, ont été soumises à plusieurs lavages. 

En présence de ces résultats”, je considère comme démontré le 


{. Voir le Centralblatt fur Bacteriologie, t. Il, 1902 (Analysé dans Bolanische 
Zeitung, numéro du 1° janvier 1903, p. {{). 


2, Pour plus de sûreté, la plupart des analyses ont été faites à la fois au labora- 
toire de l'École forestière, à la Station agronomique de l'Est, à Paris (43, rue de 
Lille), et à la Stalion agronomique de Nancy. 

La critique qu'Ebermayer a faite des conclusions de mon travail (voir Fortslich- 
Naturwissenschaftliche Zeilschrift, 1898, p. 180-182) u’a aucune valeur, puisqu'elle 
ne s'inspire que d'idées théoriques, d'opinions a priori, sans fondement, telles que 
celle-ci : « Un enrichissement en azote ne serait possible que si les nombreuses bac- 
téries participant à la décomposition avaient, à l'état isolé, la propriété d'assimiler 


fédidur … 


FIXATION DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE. SEAT 


fait de la fixation de l’azote de l'air par les feuilles mortes de nos 
arbres forestiers. Par quel mode, par quels intermédiaires s’opère 
celte captation? C’est ce que je ne puis préciser. Il est probable 
qu'outre les bactéries fixatrices d’azote, dont nous ne connaissons 
encore qu’un très petit nombre (Clostridium pasteurianum, Granu- 
lobacter, Azolobacter), les végétaux inférieurs (algues, hyphomycètes, 
lichens, mousses) qui se développent si aisément sur les substratums 
les plus divers, surtout en présence de l'humidité, interviennent 
dans une certaine mesure. 


l'azote, ce qui est très invraisemblable, d’après tout ce que l’on sait jusqu'ici des con- 
ditions biologiques des bactéries et ce dont il faudrait d’abord fournir la preuve expé- 
rimentale. » Or, on sait que cette preuve vient d'être fournie par les savants cités plus 
haut. Ebermayer ajoute : « Jusqu'ici nous ne connaissons que les algues vertes du sol 
qui aient le pouvoir de transformer de faibles quantités d'azote libre. » Je crois aussi 
que certains végétaux inférieurs autres que les bactéries jouent un rôle dans le phé- 
nomène. « Les algues pourvues de chlorophylle, dit M. Dehérain (Chimie agricole, 
1902, p. 465), créent de la matière organique et peuvent dès lors nourrir les bacté- 
ries fixatrices d'azote. » 

Voir, au surplus, pour la fixation de l'azote dans le sol par l'action microbienne et 
par les algues, le Trailé de chimie agricole, par P. P. Dehérain. Paris, Masson, 190?, 
p. 458-465. 


SUR LA 


DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES 


EN FORÊT 


PARLE: HENRY 


Pendant longtemps on n’a attribué qu’à des réactions chimiques 
(combustion, dissolution) l’altération progressive de ce tapis de 
feuilles mortes qui recouvre le sol des forêts et que les forestiers 
appellent la couverture morte. Ces feuilles mortes se désorganisent 
peu à peu el finissent par se transformer en grumeaux pulvérulents, 
noirs où bruns, qu’on appelle terreau ou humus et qui s’incorporent 
bientôt intimement à la terre minérale. € Ce terreau ou humus a 
une composition complexe incessamment variable et ne peut être 
nettement défini. » (Schlæsing.) En forêt on n’a qu’à examiner atten- 
tiverment les feuillets successifs dont se compose la couverture pour 
se rendre compte des diverses phases de la décomposition, depuis 
les feuilles récemment tombées jusqu'aux grumeaux noirs d'humus 
qu’on voit en soulevant la couverture et chez lesquels toute trace 
de structure organisée a disparu. La matière végétale perd du car- 
bone à l’état d'acide carbonique, mais elle perd beaucoup plus 
d'oxygène et d'hydrogène’, de sorte que le taux du carbone s'élève. 
Celui de l'azote s’augmente aussi et atteint souvent 9 p. 100, quel- 


1. Rappelons que les feuilles mortes renferment à peu près 45 p. 100 de carbone, 
48 p. 100 d'oxygène et d'hydrogène, { à 2 p. 100 d'azote et 5 à 10 p. 100 de cendres, 


SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. 329 


quefois 10 et 15 p. 100. Mais c’est surtout la proportion des cendres . 
qui s’exagère. Des aiguilles mortes d’épicéa et de pin sylvestre prises 
à la surface de la couverture’ contenaient 8,7 p. 100 de cendres, 
tandis que l’humus sous-jacent en renfermait 33 p. 100. Le tiers de 
l’humus était constitué par des substances minérales dont près de la 
moitié (46,3 p.100), formée par des silicates et phosphates, était inso- 
luble dans l'acide nitrique. Dans les aiguilles de la surface, 21 p. 100 
seulement du poids des cendres ne se sont pas dissous dans l'acide. 

Bien qu’une portion des matières minérales, entre autres la po- 
tasse, se dissolve en notable quantité, la volatilisation des matières 
organiques est si rapide, que les cendres finissent par former le tiers 
et quelquefois les quatre cinquièmes du grumeau d’humus. 

Pendant longtemps, disions-nous, cette humification (qu’on appelle 
maintenant érémacausis) était assimilée à une combustion lente. 
Mais on sait — depuis une trentaine d’années — que c’est un fait 
biologique exigeant l’intervention d'organismes vivants, spécialement 
de bactéries. En 1883, au laboratoire de l’École forestière, on mit 
des feuilles mortes dans quatre cristallisoirs placés chacun sous une 
cloche tenant le vide et renfermant de la potasse. Deux de ces clo- 
ches contenaient de l'air ordinaire, les deux autres de Pair mélangé 
de vapeurs d’éther ou de chloroforme dans le but d’anesthésier les 
ferments organisés. Au bout de sept jours, sous les cloches avec 
air ordinaire, il s'était fixé 3#,115 et 5,304 d’acide carbonique et 
moins d’un demi-gramme dans chacune des cloches avec éther ou 
chloroforme. 

L'intervention des ferments organisés dans la décomposition des 
feuilles mortes était évidente. 

Dans le but de constater avec quelle vitesse se fait cette décompo- 
sition quand les feuilles mortes sont exposées à l’air et quelle est 
Pinfluence du substratum, je mis, le 7 mars 1894, dans une caisse 
en zinc de À mêtre carré placée horizontalement sur un toit en face 
du laboratoire, 2 kilogr. de feuilles mortes (presque toutes de hêtre) 
provenant de la forêt de Haye. Le fond de la caisse était garni de 
pierres calcaires sur lesquelles reposait le lit de feuilles. 


1. Plantations de Dommartemont, près Naney (février 1900). 


330 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Ces feuilles contenaient 12,70 p. 100 d’eau et équivalaient à 
1746 grammes de feuilles séchées à 100°. 

Pendant six mois elles sont restées exposées aux intempéries ; l’eau 
de pluie s’écoulait par un tube de dégagement. 

Au bout des six mois de printemps et d’été pendant lesquels se fait 
surtout la décomposition microbieune, ces feuilles (pesées le 18 sep- 
tembre) avaient perdu 221 grammes, soit 12,6 p. 100 du poids pri- 
mitif à 100. 

Dans une caisse identique, voisine de la précédente, mais dont le 
fond était garni de cailloux de quurtz et de granit, on disposa égale- 
ment ? kilogr. des mêmes feuilles. Six mois après, ces feuilles avaient 
perdu 205,4, soit 11,8 p. 100 de leur poids primitif à 100°, c’est- 
à-dire sensiblement autant que les feuilles sur substratum ealcaire. 

Pendant l’automne et l'hiver qui suivirent, du 18 septembre au 
18 mars, la neige a couvert le sol sans interruption du 28 décembre 
au 12 mars. 

Durant ces six mois, la décomposition fut insignifiante : 3,14 p.100. 

Enfin dans la seconde période de chaleur (printemps et été de 
1895, du 18 mars au 18 octobre), la perte en matière organique a 
été de 12,92 p. 100. 

Donc, dans un an et demi, du 7 mars 1894 au 18 octobre 1895, 
les feuilles mortes exposées à l’air dans une caisse métallique garnie 
de pierres, soil calcaires, soit siliceuses, ont perdu 28,71 p. 100 de 
leur poids à 100°, soit moins du tiers de leur poids primitif. 

Dans la première année, du 7 mars 1894 au 18 mars 1895, la dé- 
composition microbienne (érémacausis) a détruit 12,65 + 3,14 
— 15,79 p. 100 du poids primitif des feuilles mortes. 

Ces chiffres sont très inférieurs à ceux qui ont été obtenus par le 
D° Ramann et par Kostytcheff. 

Le premier, après avoir étalé sur un pluviomètre 500 grammes 
de feuilles de chêne fraichement tombées, puis desséchées, a cons- 
taté qu’au bout d’un été ce poids s’était réduit à 225 grammes et à 
135 grammes après deux ans. La perte de poids avait été de 99 p. 100 
pour la première année et de 18 p. 100 pour la deuxième, ce qui 
donne 73 p. 100 de perte en deux ans. 

Kostytcheff a trouvé que des feuilles de bouleau avaient perdu 


SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. el 
après six mois 37,6 p. 100 de leur poids primitif, dans les six mois 
suivants 24,6 p. 100 de ce même poids, et dans les six mois suivants 
13,9 p. 100, soit pour les dix-huit mois 76,1 p. 100 de perte totale, 
soit plus des trois quarts du poids initial. 

I y a loin de là aux 28,7 p. 100 obtenus à Nancy. 

Il est vrai que, dans les deux essais précédents, il s’agit de feuilles 
fraichement tombées, tandis que j'ai opéré sur la couverture morte 
où se trouvaient avec les feuilles de l'automne précédent des débris 
plus anciens. Or on sait, et l’on voit par les chiffres ci-dessus, que la 
marche de la décomposition est d’abord rapide (il y a au début une 
sorte d’explosion), puis lente, puis de plus en plus lente, jusqu’à la 
formation de l’humus à peu près inaltérable. 

En tout cas, puisque les feuilles placées, soit sur du calcaire, soit 
. sur du granit étaient absolument comparables, on peut déduire des 
chiffres rapportés plus haut que la nature du substratum a fort peu 
d’action sur la vitesse de décomposition, et c’est ce point qu’il s’agis- 
sait d’éclaircir. 

Dans une autre série d'expériences, on exposa à l’air libre, dans des 
caisses en zinc munies d’une dalle soit de calcaire, soit de grès bi- 
garré, des feuilles mortes d’une même essence et cueillies sur de 
jeunes arbres, en novembre 189%, un peu avant l’époque de leur 
chute naturelle. 

Un an après (15 décembre 1895), les feuilles de chêne sur le cal- 
caire ont perdu 21,62 p. 100 de leur poids primitif à 100° et au bout 
de deux ans, 29,64 p. 100. Les feuilles de charme sur le grès bigarré 
ont perdu dans le même laps de temps 23 p. 100 et en deux ans 
(15 décembre 1894-28 décembre 1896), 28,61 p. 100 du poids pri- 
mitif à 100°. 

Ce sont des chiffres encore sensiblement inférieurs à ceux que 
donnent le D° Ramann et M. Kostytcheff. 

Est-ce à la présence du zinc qu'il faut attribuer cette différence, 
ou à des périodes de dessiccation pendant lesquelles, comme on sait, 
toute décomposition est suspendue *? 


1. Trois caisses en bois remplies d'un poids déterminé de feuilles mortes séchées à 
1002 restèrent deux ans et demi à l'obscurité au laboratoire. Deux furent arrosées de 


332 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Pour déterminer l'influence des sels de zinc, je disposai en no- 
vembre 4897 des feuilles dans des caisses en bois remplies, l’une de 
sable pur, l’autre de craie et recouvertes d’un filet en ficelle, par 
conséquent sans aucun contact métallique, et d’autres dans les caisses 
en zinc des essais précédents. 

Je voulais, en comparant la décomposition dans les deux genres 
de caisses, déterminer l'influence de l'enveloppe métallique. 

Onze mois après, le 9 octobre 1898, les 100 grammes de feuilles 
de tremble étalées sur le sable et sur la craie ont perdu sur le sable 
52,05 p. 100 de leur poids primitif et 45,20 sur la craie. 

Ces mêmes feuilles placées dans une caisse en zinc avec dalle de 
grès bigarré n’ont perdu que 30,36 p. 100 du poids primitif. 

Il est done hors de doute que l’action nocive des sels de zinc sur 
les bactéries de l’érémacausis est la cause dominante du peu d’inten- 
sité de la décomposition. 

De mème, des feuilles de hêtre placées dans une caisse en Zinc 
n’ont volatilisé en un an que 22,5'p. 100 de leur poids primitif, chiffre 
très voisin de ceux (21,62 et 23,02) trouvés en 1895 pour le chêne 
et le charme, tandis que le poids de feuilles de ces deux essences 
restant un an en plein air en dehors de tout contact métallique a di- 
minué de 38,54 p. 100 pour le chêne et de 49,9 pour le charme. 

Ces derniers résultats : 45,20 p. 100 de diminution de poids en un 
an pour les feuilles de tremble ; 38,54 pour celles de chêne ; 49,90 
pour celles de charme, se rapprochent beaucoup de ceux qui ont été 
obtenus par les autres expérimentateurs. 


Conclusions. -— 1° L'action des sels de zinc entrave dans une 
large mesure l’activilé des bactéries de l’érémacuusis : landis que lu 
décomposition s'élève à 40 ou 50 p. 100 dans la premiere année 


temps en temps, l'autre ne reçut jamais d'eau ; dans cette dernière, le poids des feuilles 
resta le même, tandis que les deux autres caisses perdirent, l'une 9 p. 100, l'autre 
10,5 p. 100 du poids primitif des feuilles. 

1. Malheureusement, un ver s'est introduit dans la caisse de sable, si bien que le 


chifre 52,05 p. 100 est trop fort de ce que le ver a dévoré. On ne peut faire état que 
du second nombre. 


SUR LA DÉCOMPOSITION DES FEUILLES MORTES EN FORÊT. 933 


en dehors de tout contact métallique, elle s'abaisse à 15-23 p. 100 
— soil moins de moitié — dans les caisses en zinc. 

2 Confirmant un fuit bien connu, nos essais montrent que la dé- 
composilion, intense en été, est à peu près nulle en hiver. 

3° Les feuilles de charme (Carpinus betulus, L.), beaucoup moins 
coriaces et lannifères pourtant que celles du chéne (Quercus robur, 
L.), ne se délruisent pas plus vile qu’elles, si elles ne sont soumises 
qu'aux aclions chimiques el microbiennes. 


Les chiffres donnés ci-dessus le prouvent ainsi que des recherches 
encore inédites de M. Fliche, qui, voulant déterminer le poids de 
matière organique se volatilisant dans des feuilles soumises in vitro 
aux mêmes conditions, a trouvé 45,2 p. 100 pour les feuilles de 
charme et 49,1 pour celles de chêne: 

Si les feuilles de charme disparaissent si vite de la couverture 
morte et se transforment si rapidement en humus, c’est uniquement 
dû, je viens de le montrer, aux vers de terre. 


GLYCOGÉNIE 


ET 


ALIMENTATION RATIONNELLE 
AU SUCRE 


PAR MM. 


J. ALQUIER 


INGÉNIEUR-AGRONOME 
CHIMISTE-EXPERT PRÈS LES TRIBUNAUX DE LA SEINE 
ATTACHÉ AU LABORATOIRE DE RECHERCHES DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES VOITURES 
A PARIS 


D' A. DROUINEAU 


MÉDECIN-MAJOR DE 2€ CLASSE AU 123° RÉGIMENT D’INFANVERIE 
(Suile*.) 


RE 


DEUXIÈME PARTIE 


EFFETS DE L'INTRODUCTION DU SUCRE DANS LA RATION 
DE L'HOMME ET DES ANIMAUX 


I. — OBSERVATIONS EMPIRIQUES SUR LE RÔLE ALIMENTAIRE 
ET DYNAMIQUE DU SUCRE, ET SUR SES PROPRIÉTÉS. 


Nous venons, dans la première partie de ce travail, de passer en 
revue toute une série de données physiologiques, établissant que les 
substances hydrocarbonées en général et le sucre en particulier ont 
une influence marquée sur le travail musculaire, le croît et l’engrais- 
sement. Si ces données sont véritablement exactes, il est à prévoir 


1. Voir ces Annales, t. 1, 1902-1903. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 99D 
qu’elles doivent être corroborées par des faits d'observation journa-. 
lière, relevés en dehors de toute préoccupation scientifique. Ges faits 
existent, en effet, nombreux, et c’est à leur réunion que nous consa- 
crons ce chapitre. 

La faculté nutritive du sucre est connue depuis fort longtemps. 
Elle remonterait même à la plus haute antiquité, s’il faut en croire 
l’article suivant extrait d’un dictionnaire des sciences médicales du 
commencement du xix° siècle’. 


Sans prétendre décider si le céxyagou des Grecs et le saccharum des 
Latins étaient identiques avec notre sucre, et alléguer en faveur de ses 
propriétés le témoignage de Dioscoride, de Pline, de Galien, ete., ne voit- 
on pas, au x° siècle, Ali-Abbas, lun des médecins arabes les plus célèbres, 
parler de son utilité comme aliment des nouveau-nés ? Il serait sans doute 
exagéré de dire aujourd’hui avec Rouelle l'aîné que le sucre est le plus 
parfait des aliments, ou même avec Cullen qu'il est le principe nourris- 
sant par excellence, mais il ne le serait pas moins de lui refuser, comme 
on l’a fait aussi, toute propriété nutritive, et surtout de lui attribuer une 
action vraiment nuisible. L'expérience a prononcé. Sans rapporter ici les 
exemples souvent cités de Costerus, jurisconsulte célèbre, qui vécut 
quatre-vingt-dix ans, quoiqu'il fût grand mangeur de sucre,fdu due de 
Beaufort, mort plus que septuagénaire après avoir pendant quarante ans 
de sa vie pris au delà d’une livre de sucre par jour, et ceux dont parlent 
Fr. Hoffmann, Bergerius et Leyser (voyez J. A. Murray (Appar. medic.), 
nous dirons qu’il n’est peut-être point de médecin qui, dans sa propre 
pratique, n’ait eu l’occasion d'observer des faits plus ou mois sem- 
blables. 


L'article date de 1821! Comme nouvelle preuve de ce que lutilité 
du sucre n’est pas de récente découverte, nous pouvons encore invo- 
quer le témoignage de M. M. F. Le Breton, inspecteur général des 
remises des capitaineries royales. Dans la préface de son traité Sur 
les propriétés et les effets du sucre (1789)°, il préconise tout d’abord 
le sucrage des vins comme un des meilleurs correctifs, lorsque ceux-ci 
sont âpres et verts; puis, après avoir désigné cet «aliment » (le terme 

1. Dictionnaire des He médicales. par une société de médecins et de chirur- 
giens. Art. Sucre, t. LIT. 


2, Communiqué par M. Hélot. 13° congrès de l'Alimentation rationnelle du bétail, 
1903. 


390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

existe dans l'ouvrage) sous le nom de panacée des vieillards, il le 
recommande dans nombre de maladies et tout particulièrement dans 
les affections de poitrine comme le stimulant le plus efficace et 
comme le meilleur adoucissant que l’on possède. Le Breton cite entre 
autres l’exemple de F. Hare, dont l'habitude était de mettre du sucre 
dans la nourriture des poulets pour les faire engraisser plus rapide- 
ment. « Je connais, dit-il, un autre fermier des environs de Londres, 
qui ajoutait du sucre blanc dans le lait donné aux cochons de lait; il 
les vendait beaucoup plus cher que les autres et leur chair était plus 
délicate que celle des animaux de la même espèce nourris de la ma- 
nière ordinaire. Scaliger assure également que la chair des cochons 
nourris des parties les plus épaisses du sucre (avec de la mélasse 
très probablement) n’est pas inférieure à celle du poulet. » Aprés 
avoir raconté l’étonnement des Indiens, surpris que les Européens 
n’emploient pas plus de sucre dans leurs aliments, le même auteur 
ajoute qu'il tent de source certaine que « les gardes de l’empereur 
de Cochinchine ont chacun trois livres de sucre dans la ration de la 
Journée, comme ce qui peut le mieux les nourrir ». 

Nos pères avaient donc notion de la valeur du sucre. Pourquoi ce 
précieux aliment n’a-t-il pas toujours eu la place qui doit lui appar- 
tenir dans le régime de l’homme et des animaux ? Question de pré- 
jugés populaires ! Il est encore fort difficile, actuellement, de faire 
comprendre, même aux personnes relativement instruites, que le 
sucre n’est pas seulement un condiment agréable au goût, analogue 
au sel, au poivre et à la moutarde, mais qu'il constitue avant tout un 
aliment de premier ordre. En dépit de ce qu’ils entendent répéter 
fréquemment, les enfants et les vieillards, seuls, ont su, de tout 
temps, échapper à ces errements. L'instinct chez eux est de force à 
lutter contre la routine, et ce que nous savons sur le rôle physiolo- 
gique du sucre suffit à nous expliquer pourquoi l'enfant qui dépense 
beaucoup en mouvements inutiles et qui, par le fait de sa croissance, 
a également besoin d’assimiler beaucoup, manifeste quelquefois très 
énergiquement son penchant pour les sucreries. Celles-ci sont égale- 
ment une excellente nourriture pour les vieillards, et s’ils les aiment, 
c’est qu’elles les réchauffent et combattent le refroidissement auquel 
ils sont enclins. Il ne faut pas non plus oublier que le sucre est com- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9331 


plètement oxydé dans le corps, et ne peut par conséquent charger 
de déchets le système rénal fort usé des vieilles gens. Aussi, dans un 
travail sur la manière de vivre des centenaires, le D° Javal s’expri- 
mait-il ainsi : « Quelques-uns des sujets examinés appellent particuliè- 
rement l’attention par un usage excessif du sucre. Ils en prennent 
sous toutes les formes : aliments sucrés, boissons sucrées, sucre en 
morceaux. Contrairement à la croyance populaire, le sucre parait 
donc être pour eux un aliment de premier ordre ‘! » 

Le D° d'Hôtel, de Charleville, nous signalait dernièrement le cas 
d’une vieille femme qu’il avait soignée pendant fort longtemps et dont 
le sucre formait la nourriture presque exclusive. Atteinte par la cata- 
racte, elle avait été contrainte, peu de temps après le début de son 
infirmité, à ne plus sortir de chez elle et c’est alors qu’elle prit goût 
aux sucreries, Nous tenons de la bouche mème de ses enfants qu’elle 
mangeait, par semaine, 2 kilogr. environ de sucre cassé par tout 
petits morceaux. Elle en avait toujours à portée une boîte que son 
entourage remplissait au fur et à mesure. Le goût de cette femme 
pour le sucre était tel, que la nuit où, par caprice de vieillard, elle 
avait habitude de boire du sirop de gomme, jamais elle ne manquait 
d'ajouter encore quelques morceaux de sucre à cette boisson pourtant 
déjà très sucrée par elle-même. En plus de ces 200 à 300 grammes 
de sucre, elle ne prenait uniquement par jour que trois petites 
tablettes de chocolat, semblables à celles du goûter des enfants, puis 
quelquefois des biscuits à la cuiller et des gâteaux d’œufs et de 
farme qu’elle se faisait préparer toujours fortement sucrés. Le 
D° d'Hôtel avait été appelé à donner ses soins à cette femme que ses 
enfants n’osaient laisser à un pareil régime. 1 les engagea au con- 
traire à respecter les goûts de la malade. Celle-ci vécut ainsi encore 
au moins trois ans, sans autre nourriture que son sucre et son cho- 
colat. Lorsqu'elle mourut, elle avait 82 ans. Ce qui ajoute encore de 
l'intérêt à cette observation, c’est que cette femme, du jour où elle 
adopta l’alimentation sucrée, cessa d’être éprouvée par les coliques 
hépatiques, dont elle souffrait depuis longtemps. 

Parmi les individus qui, dans notre vieille Europe, se sont égale- 


1. D' Javal, Inlerméd. des biol. et des médec., 20 avril 1899. 
ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — x. 


t& 
tr) 


338 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
ment peu souciés de l’influence néfaste prêtée au sucre, maux de 
dents et d’estomac, augmentation de la soif, il faut citer les ouvriers 
des ports, des usines ou des entrepôts, dont le travail consiste juste- 
ment à manutentionner le sucre. Lorsque les hommes en déchargent 
sur les docks, ils en mangent généralement beaucoup, et il est notoire 
qu'ils se développent alors au point de vue musculaire et que leur 
santé s’améliore. Vaughan Harley, à qui l’on doit d’avoir réuni à ce 
sujet un certain nombre d'observations, cite le cas suivant. L’équi- 
page d’un navire rapportant du sucre des tropiques, ayant épuisé 
ses provisions à cause du mauvais temps, eut recours à la cargaison 
pour s’alimenter. Non seulement les hommes purent se soulenir, 
mais le scorbut dont ils souffraient s’améliora sensiblement. Autre 
fait : L’un de nous ayant eu dernièrement à faire vider un magasin 
rempli de sacs de sucre en litige constata avec plaisir, il faut l'avouer, 
que les ouvriers, fort peu nombreux pour exécuter le travail et pres- 
sés par les experts, désireux de terminer leurs opérations dans la 
journée, mangeaient continuellement le sucre qui s’écoulait des sacs 
percés. Ces manœuvres étaient ruisselants de sueur et sur l’obser- 
vation, conforme à la croyance commune, que le sucre allait les 
altérer, l’un d’eux répondit : « C’est le meilleur petit coup que l’on 
puisse boire. » Nous savons que le sucre soutient les organismes 
épuisés et que le travail s’alimente presque exclusivement à ses 
dépens. Nous verrons au cours de cette étude qu’il calme la soif. 
De semblables faits sont encore ignorés du public, aussi n’est-il 
pas étonnant de voir combien le sucre est peu prisé de ceux qui pei- 
nent et fatiguent. M. Cagny, vétérinaire à Senlis, prétend cependant 
avoir connu dans son enfance, où l’on allait beaucoup plus à pied 
que maintenant, des personnes âgées marchant vite et longtemps 
et ne consommant en cours de route que du sucre. « Elles en 
emportaient toujours, dit-il, une petite provision, la chose m’avait 
frappé, et cependant, comme elles avaient connu les rigueurs du 
blocus continental, le sucre était resté pour elles une denrée de 
luxe. Cela ne m'étonne plus, continue M. Cagny?, maintenant que je 


1. Vaughan Harley, British. med. Journ., 1895, t. Il, p. 128?. 
2. Gagny, Compt. rend. Congrès Tuberculose, 1898, p. 301. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 999 


sais personnellement qu'avec un peu de sucre un homme peut rester 
longtemps sans manger, tout en faisant une dépense musculaire 
manifeste : 


« En 1887, j'ai déjeuné comme d'habitude un jour à midi, je suis parti 
de Paris sans dîner pour Albi. À cette époque, il n’y avait pas de wagons- 
lits, je n'ai donc pas pu dormir aussi bien qu’on le fait maintenant. Parti 
à 8 heures du soir de Paris, je suis arrivé à Albi vers 10 heures du matin. 
Mon confrère S. m’attendait pour visiter une écurie de chevaux morveux, 
et faire des autopsies, ete.; de 10 heures à { heure et demie, j'ai cireulé avec 
lui à pied, allant de l’écurie infectée au clos d’équarrissage. Je suis donc 
resté vingt-cinq heures sans consommer autre chose que quelques mor- 
ceaux de sucre. Ce que je trouve intéressant, c’est que je ne me sentais 
ni fatigué, ni affaibli, et que je n’avais pas une faim exagérée. Depuis j'ai 
fait des expériences analogues qui m'ont toujours donné le même résultat. 
Elles prouvent non pas que l’homme peut vivre uniquement avec du sucre, 
mais qu’il peut, tout en fatiguant, suppléer momentanément à l'absence 
d'aliments au moyer de sucre.» 


C’est aux sports et principalement au sport nautique que l'on doit 
d’avoir, dans ces dernières années, contribué à faire un peu apprécier 
le sucre par ceux qui fournissent du travail musculaire, et cela en 
dehors de toute considération scientifique. D’après Leitenstorfer ‘, le 
sportsman et physiologiste G. Kolb relatait déjà en 1890 cette obser- 
vation que les gens entraînés à un haut degré avaient un penchant 
spécial pour les hydrates de carbone ; nous l’avons nous-mêmes 
bien souvent constaté. Au cours de ses explorations sur le territoire du 
Kenia, il avait été également frappé de la sobriété et de l’endurance 
de ses porteurs noirs. Ceux-ci emportaient à peine de provisions et 
pouvaient vivre d’une poignée de miel sauvage qu’avec un flair infail- 
lible ils savaient trouver dans les forêts. Kolb songea donc à com- 
battre l'opinion généralement admise que l’usage des hydrocarbonés 
est nuisible à l'entrainement des gens de sport et le premier, en Alle- 
magne, conseilla, pour prévenir le surmenage, l'entrainement avec le 
sucre. Son conseil fut suivi à Mayence, dont la société nautique sou- 
leva bientôt une curiosité générale par la constance de ses succès. 


{. Leitenstorter, Deutsch. milil. Zeilsch., 189$, p. 505 


340 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Presque en même temps, le Club des rameurs de Deventer remporta 
victoires sur victoires et l’on fit connaître qu'il le devait à l'usage du 
sucre. € Le Hollandais Birnie, raconte à ce sujet Steinitzer, avait 
observé à Java que les bateliers ne prenaient comme seule nourri- 
ture que des morceaux de sucre et que cela leur suffisait pour exercer 
leur métier très pénible de rameur. Dans certaines contrées de Java, 
les gens n’entreprennent Jamais de longs voyages sans se munir 
également de sucre contre la faim. Les cochers, dans leurs courses 
à travers la montagne, l’emploient aussi, sous forme de mélasse, 
pour nourrir leurs chevaux. » Birnie, pour ces raisons, persuada à 
un cerlain nombre de jeunes gens, cultivant le sport de la rame, de 
se servir de sucre. Ils remportèrent des prix aux concours de Leyds, 
Amsterdam, Ostende, sans que l’entrainement amenât chez eux du 
surmenage, aussi leur conduite fut-elle imitée en particulier par le 
towing-Club de Berlin. Birnie fit même une expérience : deux jeunes 
gens, lun de dix-sept et l’autre de dix-neuf ans, s’entraînèrent au 
sport de l’aviron, l’un avec de la viande, Pautre avec du sucre. Au bout 
de trois semaines, le premier dut abandonner son régime parce qu’il 
avait des lourdeurs de tête, de l’inappétence et une incapacité totale 
pour le travail intellectuel. Il se mit au sucre et, en trois jours, tous 
les symptômes morbides furent dissipés. Le médecin inspecteur Vin- 
cent rappelle également que les rameurs de Palembang se donnent 
des forces en absorbant du sucre. 

Parmi les rares sportsmen qui, d'eux-mêmes, sont venus au sucre, 
il faut encore citer les alpinistes. Lhomme ‘ rappelle qu’ils mächent 
souvent des pruneaux secs, fort riches en sucre, et, en fait, Lout le 
monde peut se rendre compte qu’on les voit, en cas de fatigue, aban- 
donner de plus en plus Palcool comme stimulant et restauratif et 
prendre à la place des sucreries et principalement du chocolat ou des 
fruits confits. Bonnette * signale que Jansen, dans son observatoire du 
Mont-Blanc, offrait toujours à ses visiteurs des infusions chaudes très 
sucrées, afin, disait-il, de leur « donner des jambes à la descente ». 
Le comte Russel et Spont ont, eux aussi, noté l’heureuse influence du 


1. Lhomme, Bulletin médical, 1899, n° 29. 
2, Bonnelte, Hygèène des sports (Quinzaine médicale, depuis le 1 décembre 1898). 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 941 


sucre au cours de leurs ascensions dans les Pyrénées. Les chasseurs 
suisses de chamois en font, paraît-il, également usage. 

On lit dans le Bulletin pyrénéen de maï-juin 1905, l'article suivant, 
extrait de la Saison médicale du Midi et approuvé par le Journal 
des alpinistes des Pyrénées : « Pour combattre la fatigue des mon- 
tagnes, il faut s'arrêter et absorber une infusion de thé très chaude 
et très sucrée. A la fin des rudes étapes, comme il est quelquefois 
utile de recourir à l’ingestion de substances toniques stimulantes, 
dites accélératrices, on pourra prendre de la kola, de l’arsenic et 
surtout du sucre ». Après avoir rappelé les qualités de la kola et de 
l’arsenic, l’auteur ajoute : « Mais le véritable viatique des alpinistes 
est réellement le sucre, dont la haute valeur nutritive a été bien 
mise en relief par les expériences si concluantes des Chauveau, des 
Kaufmann et des Laulanié. En raison de sa prompte assimilation, 
cette substance constitue un moyen rapide de combattre l’épuise- 
ment, de faire disparaître la sensation de fatigue, de relever le po- 
tentiel nerveux et de favoriser de nouveaux efforts. » 

Pagès' prétend avoir assez souvent trouvé, parmi les vainqueurs 
des grandes épreuves de courses pédestres, des individus qui con- 
sommaient du sucre. « En ce qui concerne cet aliment, dit-il, les 
coureurs de vitesse et ceux qui pratiquent des exercices deman- 
dant un effort brusque mais non prolongé l’évitent en général”. Par 
contre, nous avons vu un coureur de fond, tel que Touquet, le vain- 
queur du prix de Marathon (40 kilomètres), en user largement au 
contraire pendant l'entrainement ; il en prenait en nature jusqu’à 
160 grammes par jour, sans compter les autres aliments sucrés. » 
Citons enfin, d’après le D” Jaensch”, l'exemple de cette famille qui se 
suralimentait avec du sucre à l’époque du patinage ; les enfants, 
dont l’âge variait entre 12 et 14 ans, restaient huit heures de suite 
sur la glace sans être Jamais fatigués. 

Les propriétés nutritives du sucre sont donc bien connues et depuis 


{. Pagès, Correspondant méd., 1903. 
2. Nous verrons, dans la suite, ce qu'il y a de vrai dans cette assertion. 


3. D' Jaenseh, der Zucker in seiner Bedeulung fir die Votksernährung. Berlin, 
1900, 


342 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

fort longtemps, et s’il n’est pas encore entré dans nos habitudes d’en 
user comme d’un aliment courant, c’esLuniquement à cause de son prix 
élevé. Lorsque le sucre, originaire des Indes, pénétra en Grèce à la 
suite des expéditions d'Alexandre, pour de là se répandre dans les 
autres pays de l’Europe, il était rare. On ne l’emplova alors que 
comme médicament antidéperditeur. Les malades et particulièrement 
les fiévreux ont toujours eu une grande affinité pour le sucre. Les 
tisanes sucrées, préparées religieusement suivant la recette de la 
orand’mère, font du reste encore partie de l’arsenal thérapeutique de la 
famille. Lorsque les plantations de cannes des Antilles permirent 
d'amener d’assez grandes quantités de sucre sur les marchés de PEu- 
rope, on se décida à en usér pour sucrer. Depuis, industrie sucrière 
s’est créée en Allemagne, en France, en Russie, en Autriche ; elle n’a 
cessé de progresser, grâce à l'amélioration des variétés de betteraves 
et aux perfectionnements sans cesse apportés à la fabrication, mais le 
sucre n’en est pas moins resté un condiment. Son prix, surélevé par 
les impôts qui n’ont cessé de le frapper dans presque tous les pays, est 
certainement le seul obstacle qui se soit opposé au développement 
de sa consommation. Afin de mieux lutter contre son instinct el 
contre le penchant naturel qui, en lui faisant aimer cet aliment, l’en- 
traînaient à la dépense, l’homme peu à peu en est arrivé à découvrir 
au sucre mille défauts cachés. Voilà pourquoi l’esprit, par intérêt, 
n'a presque cessé chez nous de lui refuser une valeur nutritive, et de 
le considérer toujours comme une denrée de luxe. 

Dans les pays chauds, là où, sans être contrariés par des considé- 
rations économiques, les habitants ont pu largement profiter pour 
leurs besoins de la canne et des fruits mis avec tant de prodigalité 
par la nature à leur disposition, le sucre au contraire a été presque 
toujours apprécié à sa juste valeur. À l’ile de Java, on à remarqué 
que les ouvriers des sucreries en absorbaïient beaucoup au moment 
des grands travaux, et jouissaient alors d’une santé florissante. Le 
D° Holwerda, médecin de l’armée hollandaise, note que dans ce 
même pays les soldats supportent bien les fatigues des marches et 
évitent les coups de chaleur parce qu'ils prennent du sucre à leur 
œuise. 


Au cours de la dernière guerre des Philippines, les chevaux amé- 


 GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 343 
ricains, d’après le D° L. Seainan , devinrent éliques et refusèrent 
de manger. Se conformant au mode d’alimentation adopté par les 
indigènes, on arrosa le foin ou l’herbe fraiche avec de l’eau addi- 
tionnée d’une forte quantité de mélasse. La cavalerie fut ainsi très 
vite remise en état. Les soldats, de même que les chevaux, ajoute 
le D° Seainan, eurent besoin de recourir au sucre pour se soutenir. 

Le sucre est également une nourrilure très populaire parmi les 
nègres des plantations de canne des Indes occidentales. Le laboureur 
s’alimente, pendant son travail, en suçant un morceau de canne; une 
fois sa Journée finie, il rapporte des tiges chez lui et cela suffit pour 
le repas du soir de toute la famille. Vaughan Harley ajoute à ces 
détails que c’est pendant la moisson de canne que le nègre, homme, 
femme ou enfant, est le plus gras et le mieux portant. Dans l'Inde, 
les animaux reçoivent souvent du sucre : on cite le cas de l’empereur 
Azbar qui donnait par Jour à ses chevaux une livre et demie anglaise 
de sucre. Lorsque les chameaux ont de longs voyages à faire, on 
leur composerait, paraît-il, aussi une espèce de pâte avec de la mé- 
lasse, de l’alun et de l’opium. 

En Amérique, vu le voisinage des Antilles, le sucre est d’un usage 
encore plus courant qu'aux Indes. Les coolies et les travailleurs en 
sont tellement avides à Cuba, que les planteurs se sont vus obligés 
de limiter leur consommation ; ils en reçoivent près de 200 grammes 
par Jour. La valeur du sucre est alors très visible, car, la moisson 
terminée, et bien que le travail des champs soit excessivement pé- 
nible, les nègres faibles et d'aspect chétif sont devenus sans excep- 
üons gros et forts. 

D’après Vaughan Harley, les coupeurs de bois du Canada, tous 
de beaux hommes très musclés, mangent abondamment du sucre 
sous forme de mélasse. Ils en mettent dans leur thé; ils en font des 
gâteaux et même l’ajoutent, en guise d’extra, à leur rôti de porc salé, 
la seule viande qu’ils puissent conserver dans les bois, où ils passent la 
moitié de l’année. Leur nourriture à la maison ne diffère guère, et 
les Indiens civilisés de l'Amérique du Nord, grands chasseurs comme 


1. D' Livingstone Seainan, major et surgeon, 1° W. S, Vol. Engineers, 13° con- 
grès méd. (Méd. navale.) Paris, 1900. 


344 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


eux, adoptent la même nourriture. Au point de vue de la solidité et 
de l’endurance, il y en a pourtant peu qui puissent les égaler. 

Dans l’Amérique du Sud, le sucre fait régulièrement partie de l’ali- 
mentation de l’homme et des chevaux. M. Enfantin donne à ce sujet 
les détails suivants *. De temps immémorial on administre aux che- 
vaux la panéla toutes les fois qu’ils vont fournir une longue course. 
Cette panéla n’est autre chose que du jus de canne à sucre, évaporé 
à feu nu jusqu’à consistance sirupeuse, puis coulé sous forme de bri- 
quettes assez consistantes pour pouvoir être transportées. On donne 
aussi parfois aux chevaux des tiges et des feuilles de cannes fraiches, 
mais, en voyage et surtout dans la région montagneuse des Andes, on 
n'emporte pour les montures uniquement que de la panéla (5 kilogr. 
par Jour). Les indigènes sont même assez friands de ce sucre brut 
dont Parome est un peu plus prononcé que celui de la cassonade. 

Depuis longtemps, on a du reste cessé, dans ces pays, de brüler les 
mélasses issues de la fabrication du sucre. On les mélange, à parties 
égales, avec du maïs ou de l’avoine, puis, après dessiccation, on com- 
prime le tout pour en former une sorte de gâteau. Les neuf dixièmes 
des animaux sont nourris dans la Louisiane avec ces tourteaux. Les 
mulets en reçoivent plus particulièrement et ils forment, dit-on°, un 
type spécial à ce pays et très recherché. Le prix aux États-Unis des 
€ mulets à sucre » — c’est ainsi qu’on les dénomme — est supérieur 
de 25 à 30 p. 100 à celui de leurs congénères. Cela tiendrait aux 
aptitudes spéciales, à la plus grande vigueur, à l'endurance com- 
muniquées à ces animaux par l'alimentation sucrée. 

En Afrique le sucre est encore plus prisé. Les races nègres l’aiment 
et en consomment dès qu’elles peuvent s’en procurer, ce qui expli- 
querait leur aptitude spéciale à supporter les fatigues prolongées. 
Les Arabes, de même que tous les Orientaux, boivent le café et le 
thé très sucrés. Serait-ce là le secret de leur proverbiale sobriété ? 
Tout le monde sait qu'ils s’alimentent souvent de figues et principa- 
lement de dattes pressées sous forme de gâteaux, contenant jusqu’à 
60 p. 100 de sucre ; cette nourriture est commune aux hommes, 


1. Grandeau, feuilleton du journal Le Temps, 25 octobre 1902, 
2. H. d'Anchald, Journ. Agr. pral., 29 janvier 1903. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 345 


aux femmes, aux enfants, aux chevaux, aux ânes et aux chameaux 
pendant les longs voyages que les indigènes effectuent dans l’extrème 
Sud algérien, et il y a déjà longtemps que Morin proposait les dattes 
comme susceptibles de devenir une ressource précieuse pour nos 
troupes dans les expéditions lointaines. En Afrique, le sucre à du reste 
fort souvent été d’un grand secours aux Européens. Le célèbre ex- 
plorateur Stanley déclare, dans son journal de voyage, qu'un mor- 
ceau de sucre, fondant lentement dans la bouche, soutient les forces 
lorsqu'il faut marcher sous le soleil brûlant. M. Neuville, sous-offi- 
cier de la mission Foureau-Lamvy, à pu également, dans des circons- 
tances on ne peut plus dramatiques, apprécier l’heureuse influence du 
sucre pour calmer la faim et surtout la soif. Voier un extrait de son 
journal de route‘: 


Vendredi 11 août 1899. — Réveil à 11 heures du soir ; départ à minuit. 
Nous quittons le camp de Tebalat à 25 kilomètres au sud d’Agadez. Nous 
marchons toute la nuit sur un terrain assez facile; la marche, quoique 
sans arrêt, est très lente à cause de l'obscurité. Quand le jour paraît, nous 
nous trouvons toujours sur le même plateau désert qui s'étend à perte de 
vue ; beaucoup de pâturages cependant. Vers 7 heures du matin, on aper- 
çoit une montagne au loin, c’est au pied de cette montagne que se trouve 
le point d’eau. À partir de ce moment, la colonne commence à s’éche- 
lonner, les bourriquots ne peuvent plus suivre. L’allongement devient si 
considérable, que ce n’est plus une colonne qui marche, c’est une troupe 
en débandade. Du reste, vers 8 heures, la soif commence à se faire sentir 
pour les hommes et pour les animaux qui n’ont pas bu hier. Les hommes 
sont partis depuis minuit avec un bidon d’eau. Or, à cette époque, dès que le 
soleil se lève, à 6 heures, on est très altéré dans ce pays de malheur! 
Aussi, à 8 heures et demie, personne n’a plus une goutte d’eau. Le com- 
mandant Lamy part en avant avec M. Dorian pour découvrir l’eau; des 
hommes de l’avant-varde et des flanqueurs les suivent. Les moutons et 
les bœuls, devinant l’eau, prennent les devants; on sent que la situation 
va devenir inquiétante. Je commence à « crever » de soif ; sur seize 
hommes que j'avais comme flanqueurs, cinq me suivent encore. Je prends 
également les devants et finalement j'arrive seul vers 11 heures à l'endroit 
où le commandant s’est arrêté et où les puits sont à sec; c’est terrifiant. 


. 


1. Nous adressons nos bien sincères remerciements à M. Neuville pour avoir mis si 
obligeamment à notre disposition son journal de route, ainsi qu'à M. le lieutenant 
de Maistre qui a bien voulu être notre intermédiaire en cette circonstance, 


346 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Le commandant demande aux rares hommes qui sont déjà là, s’il ne 
s’en trouve pas deux de bonne volonté pour creuser le sol et trouver de 
l'eau ; il leur promet, à chacun, 10 fr. s'ils ramènent un quart d'eau, Deux 
tirailleurs sahariens et deux spahis sahariens se mettent à l'œuvre, mais 
en vain: l’eau ne paraît pas. Le commandant recommande à tous ceux 
qui sont là de se mettre à l'ombre et d'attendre l’arrivée des animaux : il 
a l'intention d’envoyer vingt des meilleurs méharistes chercher de leau ; 
la situation n’est pas du tout brillante. Pour tromper la soif qui me dévore, 
je me mets à grignoter mon sucre de réserve (douze morceaux ordinaires); 
j'éprouve immédiatement un grand soulagement. Je suis heureux d'avoir 
découvert ce moyen de calmer ma soif, et je ménage mon sucre; je mets 
à peu près deux heures à le consommer, et je me sens tout ragaillardi. 


Nore. — J'ai su par la suite que beaucoup de mes camarades avaient 
fait la mème chose que moi. Du reste, il nous est arrivé très fréquemment 
en route, lorsque nous avions faim, de grignoter du sucre, et à chaque 
fois nous avons éprouvé un grand soulagement. 


Ainsi que nous allons le voir, le sucre s’est fait en Afrique de nom- 
breux amis. Voici une observation inédite que M. le médecin princi- 
pal Lepage, directeur du service de santé du 9 corps, a bien voulu 
rédiger à notre intention : 


En 4884, à Gafsa, dans le Sud tunisien, région où la température 
moyenne est fort élevée pendant la période des grandes chaleurs, tout Île 
personnel de l’hôpital éprouvait le matin, au réveil, une impression mar- 
quée de vide cérébral avec sensation de faim que calmait momentané- 
ment l’ingestion d'aliments légers, mais qui se reproduisait assez rapide- 
ment. On chercha le moyen de faire cesser cette sensation de besoin, et, 
après différents essais, M. le pharmacien-major D' Gessard fit préparer 
une boisson vineuse (vin — 100 à 150 grammes, eau — 850) sucrée plus 
ou moins suivant les goûts individuels et dont l'usage fit disparaître chez 
tous la sensation désagréable précédemment constatée. 

En raison de la faible quantité de vin destinée surtout à masquer le 
uoût d’une eau légèrement saumâtre, je crois qu’on peut attribuer au 
sucre l'effet utile obtenu. Plus récemment, en 1895, à Madagascar, obser- 
vant les mêmes sensations de faim, je conseillai l’usage de la boisson 
sucrée et le résultat fut également satisfaisant. 


Le capitaine Bourke, du 10° régiment des Indes occidentales, est 
devenu, lui aussi, tout naturellement un partisan très convaincu du 
sucre. Lorsqu'il était en Afrique, il remarqua, au cours des marches 


GLYCOGÉNIE. ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. :47 


longues et fatigantes, que ses soldats, tous nègres, estimaient leur 
ration de sucre autant que leur ration de viande. « Lorsque, dit-il, 
mes hommes n’avaient ni thé, ni cacao dans lequel ils pussent mettre 
leur sucre, ils le mélangeaient avec de l’eau et le buvaient ainsi. Ils 
mâchaient également de la canne à sucre, toutes les fois qu’ils en 
'ouvaient sur leur route. » 

Le D’ Gardner” signalait enfin assez récemment que les Boers, dont 
le courage et l’énergie ont fait, pendant la guerre du Transvaal, 
Padmiration du monde entier, aiment lout particulièrement le sucre. 
Grands buveurs de café, avant de le verser dans leur tasse, ils ont 
l’habitude de remplir celle-ci de sucre. On en voit beaucoup qui, tout 
en buvant ce sucre au café, mangent encore du sucre candi. M. Gran- 
deau cite le cas d’un malheureux ingénieur-géologue qui, se trouvant 
bloqué, au cours de la guerre du Transvaal, entre les lignes boers et 
anglaises sans pouvoir bouger sous peine d’essuyer des coups de 
fusil, vécut blotti pendant six semaines, en compagnie de six lapins 
auxquels il attachait un grand prix, sans autre nourriture que du 
sucre mêlé à de la sciure de bois. Ce dernier aliment est très cellu- 
losique et fort pauvre en matières azotées assimilables. Le besoin 
d’albumine ne devait donc être que fort imparfaitement satisfait chez 
cet ingénieur et ses six lapins, mais ils ne s’en trouvèrent pas plus 
mal pour cela, paraît-il. Cette petite expérience contrainte d’alimen- 
tation ne nous étonne qu’à demi, car nous avons suffisamment mis 
en lumière dans le précédent chapitre l’action énergique d'épargne 
du sucre vis-à-vis de l’albumine désassimilée par l'organisme. 

Pour clore cette série d’observations empiriques sur la valeur 
alimentaire et dynamique du sucre, il faut signaler que certains au- 
teurs ont attribué la supériorité des Anglo-Saxons sur les autres 
races à l’usage fréquent qu'ils faisaient de cet aliment. La théorie 
est tout au moins assez originale pour que nous la citions ici. 

Déjà dans le travail de Schumburg nous avions remarqué ce pas- 
sage : « Hirschberg, après avoir établi la statistique de la consomma- 
on du sucre en 1892, note qu’en Allemagne la consommation est de 
10 kilogr. par tête et en Angleterre de 398,95. Il se pourrait que la 


1. D' Gardner, British Med. Journ., 27 avril 1901, p. 1010. 


348 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


puissance de travail et l'endurance des Anglais viennent de cette con- 
sommation très forte de sucre et non pas des albuminoïdes, comme 
on le pense en général. » Gardner a repris avec plus de développe- 
ment la même idée. Il note d’abord l'augmentation de la consom- 
mation de sucre en Grande-Bretagne. De 30 livres par tête en 1863, 
elle se trouve être de 86 livres en 1890. « On peut prétendre, dit-il, 
que celte augmentation constante de la consommation du sucre est 
la cause principale de l’accroissement de taille, de poids, de la santé 
meilleure et de la vigueur plus grande que le peuple anglais a pré- 
senté d’une manière si remarquable pendant ces trente ou quarante 
dernières années. » Dans cet ordre d’idées, il devenait intéressant de 
comparer la consommation du sucre dans les divers pays. 
Gardner cite les chiffres suivants pour l’année 1896 : 


Consommation moyenne par tête en livres anglaises. 


En Grande-Bretagne . . 86,50 En Hollande . 25,90 
Aux États-Unis . . . . 65,50 — Belgique . . . . . 22 00 
En Danemark. . . . . 43,60 — Autriche 16.80 
MOSS APS ANS 42,90 — Russie . ue 11,25 
= OPA Ce MER Le 28, 14 — Italie et Espagne . 1400 
— Allemagne. . . . . 27,14 


On voit que les Américains sont, avec les Anglais, le seul peuple 
qui mange réellement du sucre dans toutes choses et en assez grande 
quantité. 


En fait, conelut Gardner, les Anglo-Saxons peuvent être regardés comme 
la race mangeant du sucre. Les caractéristiques de cette race ! sont : son 
énergie, sa robustesse, sa vigueur, sa force et sa puissance d'endurance ; 
el encore nous devons noter que c’est surtout durant la dernière moitié 
du siècle que celte race s’est multipliée énormément et à envahi tout le 
globe; or nous venons de voir que c’est durant cetle même moitié de 
siècle que sa consommation en sucre a tant augmenté. En regardant la 
liste, nous notons que les Allemands ne consomment que peu de sucre; 
nous ne devons pas oublier cependant qu'ils boivent une grande quan- 
tité de bière qui contient un sucre similaire, le maltose. Tout près de 
la fin de la liste nous trouvons les Russes. Il y a quelque temps, 


1. Il faut remarquer que c’est un Anglais qui parle, 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9349 


le Spectalor donnait un article sur les caractéristiques slaves, dans 
lequel il était dit : « Un de leurs défauts est un certain manque d'énergie. 
Le Russe a de l’énergie, il est vrai, mais pas comme les Occidentaux qui 
vont malgré les obstacles, déterminés à ne s’arrêter qu'après les avoir 
franchis. L'énergie du Russe est celle d’un homme d’une vitalité infé- 
rieure qui ne sait ni s'arrêter, ni modifier son plan, mais qui avance tou- 
jours avec de nombreux arrêts et très lentement, au risque de mourir 
avant d’avoir achevé son œuvre. Les armées russes hors de leurs frontières 
se fondent peu à peu sans que leurs propres généraux puissent en donner 
la raison. La cause en est à ce qu’ils ne possèdent pas une réserve sufli- 
sante d'énergie plutôt qu’au manque de bonne alimentation. 


Cette grande vitalité, cette même énergie possédée par les Anglo- 
Saxons et qui manque aux Russes, ce serait donc le sucre qui la 
donnerait ! 


LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DE L'HOMME 


II. — INFLUENCE DU SUCRE SUR LA PRODUCTION ET L'ENTRETIEN 
DE L'ÉNERGIE MUSCULAIRE 


A) ERGOGRAPHIE. 


Différents auteurs ont cherché à mesurer expérimentalement Pac- 
lion du sucre sur l'énergie musculaire. Pour effectuer ces mesures, ils 
ont choisi l’étude des contractions et des relàchements successifs des 
muscles fléchisseurs d’un des doigts de la main et se sont servis dans 
ce but de l'appareil appelé ergographe, imaginé par le professeur 
Ugolino Mosso, de l’Université de Gênes. Avec cet appareil on enre- 
gistre sur une feuille de papier les hauteurs auxquelles le sujet d’ex- 
périence peut élever, au moyen soit du second doigt, soit du médius, 
un poids qui diminue d’autant plus la facilité de traction que la fati- 
gue musculaire va en augmentant. 

La figure 17 nous montre le dispositif de l’ergographe Dubois ana- 
logue du reste à celui de Mosso*. L’avant-bras repose naturellement 


1. D' Schnyder et Dubois, Archives de Pfluger, 1903, t. IG. — L'ergographe de 
Mosso se compose de même d'un appareil contenseur de la main et d’un enregistreur 


290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sur la surface cubitale. Une armature fixe (M) l'empêche de faire les 
mouvements latéraux. La main est immobilisée par le taquet H. Dans 
le doigt indicateur se trouve engagé, à la hauteur de la phalange inter- 
médiaire, un anneau auquel est reliée une corde de boyau. Celle-ci 
passe sur une petite poulie folle (R) et supporte un poids. Le doigt 
conservant Ja liberté de ses mouvements, les contractions volontaires 
des muscles fléchisseurs élèvent ce poids à des hauteurs variables 
suivant les conditions de lexpérience ; le relâchement des mêmes 


F1G. 17. 


muscles abaisse ensuite progressivement le poids, dans des inter- 
valles de temps mesurés, et la course du doigt s'inscrit à laide d’un 
crayon (B) sur une plaque (T) qui se meut automatiquement à 
chaque traction. Le travail du muscle et sa durée sont exprimés par 
le tracé de l'élévation et les abaissements successifs d’un poids connu, 
9, 6, 7 kilogr., suivant les cas. | 


des contractions : seulement la main et l'avant-bras sont posés sur le dos, et c’est Le 
médius qui travaille. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 391 


Expériences de Vaughan Harley. 


Les premières expériences ergographiques furent faites à Turin 
en septembre et octobre 1892 par Vaughan Harley. En voici les 
détails* : ; 

Les contractions avaient lieu toutes les deux secondes. Le poids 
utilisé était de 3 Kilogr. pour le médius gauche et de 4 kilogr. pour 
le médius droit, capable de soulever un poids plus fort. Afin que les 
résultats fussent aussi exacts que possible, on caleulait en kilogram- 
mètres d’abord la quantité totale de travail, puis la quantité de tra- 
vail accompli pendant trente contractions musculaires. 

Il est intéressant de reproduire ici in extenso les conclusions de ce 
travail : 

Les périodes de la digestion de même que la nature des aliments 
ont une influence marquée sur l'énergie musculaire volontaire. En 
dehors de l'influence de l'alimentation, il y a dans le pouvoir muscu- 
laire un maximum et un minimum diurnes. L’aptitude au travail est 
plus grande dans la seconde moitié du Jour ; le minimum est Île 
matin vers 9 heures, le maximum vers 3 heures de l’après-midi. 
L'exercice régulier retarde le moment de la fatigue. La consomma- 
lion de grandes quantités de sucre accroît le pouvoir musculaire de 
26 à 33 p. 100, et, en tenant compte du retard apporté à la fatigue, 
cet accroissement peut atteindre pour la journée de 61 à 76 p. 100. 
Lors de l’addition de sucre au régime ordinaire, le pouvoir museu- 
laire augmente de 9 à 21 p.100 et le travail total, de 6 à 39 p. 100. 
L’addition de sucre à un régime mixte abondant donne encore des 
accroissements du pouvoir musculaire de 2 à 7 p. 100, et de 8 à 16 
p. 100 pour le travail total. L’addition de 250 gramines de sucre 
au régime normal suffit pour accroître le travail quotidien. L’acerois- 
sement est alors de 6 à 28 p. 100 pour le travail de trente contrac- 
lions musculaires, et pour la journée entière de 9 à 36 p. 100. Le 
sucre pris tard dans la soirée peut enfin faire disparaître la chute 
diurne et augmente la résistance à la fatigue. 


1. Vaughan Harley, The Journ. of Physiol., 1594, t. XNI, p. 97 


352 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Expériences de Mosso. 


En 18953, le professeur Ugolino Mosso, au cours de ses études sur 
l’action des principes actifs de Ja noix de kola vis-à-vis des contractions 
musculaires *, trouva à la caféine, au glucose et à l’amidon une action 
marquée sur la contraction, influence qui se faisait sentir sur les 
muscles, sans le concours du système nerveux central. Le glucose 
et l’amidon, ces deux composants de la noix de kola, concluait-il, 
unissent leurs effets à ceux de la caféme pour rendre les muscles 
plus résistants à la fatigue. Le fait était conforme aux expériences 
d’Albertoni tendant à démontrer que le glucose, le maltose et le 
saccharose agissaient d’une façon marquée sur la circulation. 

Ces premières recherches incitèrent Mosso à entreprendre soil 
seul, soit avec son élève, le D' Paoletti, de nouvelles expériences sur 
l’action du sucre vis-à-vis de l'énergie musculaire, au triple point de 
vue des quantités de sucre à ingérer, du degré de concentration des 
solutions et de l’influence du fractionnement des doses, c’est-à-dire 
de l’espacement de l’ingestion du liquide sucré. Il avait choisi pour 
effectuer ces mesures l'étude des contractions et des relächements 
successifs des muscles fléchisseurs du doigt du milieu de la main. 
Les expériences étaient faites sur des individus complètement à jeun 
ou assez longtemps après le repas pour que les phénomènes de la diges- 
ton n’influencent plus le système musculaire. Après avoir introduit 
son doigt (le médius) dans l’ergographe, le sujet soulevait un poids 
(toujours le même pour le même observateur durant l'expérience). 
Lorsque deux minutes s'étaient écoulées, il le laissait retomber pour 
le soulever de nouveau une minute après. Un métronome servait à 
mesurer la durée de ces intervalles. La hauteur d’élévation du poids 
diminuait forcément avec chaque contraction jusqu'au moment où 
le doigt ne pouvait plus soulever la charge. On obtenait ainsi un 
groupe de contractions rythmiques décroissantes susceptibles d’ex- 
primer la courbe de fatigue. Toutes les dix minutes, on recommençait 
une nouvelle courbe, jusqu’à ce que, après dix ou quinze semblables, 


1. Mosso, Archives ilalienves de Biol., 1893, (. XIX. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 393 


le doigt devint incapable de fournir du travail. À ce moment même, 
le sujet absorbait une solution sucrée, et continuait, sans interrup- 
tion, à tracer de dix minutes en dix minutes de nouvelles courbes. 
Le travail produit, on l’exprimait en kilogrammètres en multipliant 
la hauteur de chaque élévation par le poids du corps soulevé à cha- 
cune de ces hauteurs *. 

Mosso fit une première série d’expériences avec de fortes doses de 
sucre : 100 grammes dans 50 centimètres cubes d’eau, ce qui cons- 
titue un véritable sirop, — Le 21 août 1893, à 1" 5, il commence 
à soulever, toutes les dix secondes, un poids de 6 kilogr. Le travail 
tombe de 1*#",950, chiffre du début de l’expérience, à 0%",702. 
À 495, il prend le sirop et recommence le travail. La courbe repart 

de 0*s",804, mais elle décroît très vite jusqu’à atteindre 0%8",462. A 
2"15, Mosso boit 300 centimètres cubes d’eau pure ; le travail dé- 
croit toujours et passe de 08%,490 à 0%" 319. Voici les courbes 
tracées par le crayon au cours de cette expérience. La flèche indique 
le moment où le sirop est ingéré. 


I IL 


Influence d’un sirop concentré Influence de 300 centimètres cubes d’eau. 
(100 grammes de sucre dans 50 centimètres cubes d’eau). 
| | 
il | 


, L y 
AA à 


| 1 1) (IN 
il ll | 


Heure 315 425 


” la. LH. ja La. sd (M li 


Fi&, 18, 


On peut en conclure que le sucre ingéré en une fois, à doses 
massives, n’influence pas sensiblement l'énergie musculaire et que 
l’eau prise seule reste sans action. Toutes les expériences analogues 
que firent Mosso et Paoletti confirmèrent ces résultats. 


1. Mosso. Der Einfluss des Zuckers auf die Muskelarbeit, Berlin, 1901, Thor- 
mann et Goetsch. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2% SÉRIE — 1902-1903. — 11. 93 


394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Le graphique suivant (fig. 19) nous montre l'influence des doses 
moyennes de sucre. 


il 


} 
1945 1955 


| il 


Heure 1125 35 45 


F1G. 19. 


Influence de doses moyennes de suere (60 grammes dans 60) centimètres cubes d’eau), 


Le 6 août 1893, Paoletti, à jeun, place dans l’ergographe à 10"35 
son médius droit, supportant un poids de # kilogr. Le travail passe 
de 1*5%,984 à 055,104. À midi cinq minutes, il ingère 60 grammes 
de sucre dissous dans 600 centimètres cubes d’eau. Le travail re- 
monte, atteint 1*#",900, puis décroit assez lentement, en prenant 
successivement les valeurs suivantes : 1,968 ; 1,476 ; 1,490 ; 1,194; 
0,616 pour atteindre 0,044. 

A la suite d’expériences analogues, Mosso conclut que les doses 
de 30 à 60 grammes de sucre, prises en une fois, restituent l’énergie 
du muscle fatigué beaucoup mieux que des doses plus considérables. 
La dilution du sucre dans six à dix fois son poids d’eau produit l'effet 
le plus sensible. L'influence maxima du sucre se manifeste alors de 
trente à quarante minutes après l’ingestion; quelquefois même elle 
se produit au bout de dix minutes. 

Les faibles doses (de 5 à 20 grammes de sucre) sont particulière- 
ment favorables ainsi qu’en témoigne l’expérience suivante, l’une de 
celles que Mosso cite dans son mémoire : 

Le 4 août 1893, le travail commence à l’ergographe à 830. Sa 
valeur passe successivement de 1,244 à 0K",044. À 100, le 
sujet prend 15 grammes de sucre dissous dans 120 centimètres cubes 
d’eau. La courbe partie de 0%®,040 atteint de suite 1%",924. 

Pour contrôler ces premières expériences et répondre à ceux qui 
mettaient sur le compte de la suggestion la suractivité musculaire 
observée consécutivement à l’ingestion de doses minimes de sucre, 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 


Mosso, à l’insu du sujet, substitua de la saccharine au sucre de canne. 
Ilen mettait juste ce qu’il fallait pour donner à la boisson une saveur 
sucrée comparable à celle des autres dissolutions d'expérience. Jamais 
l'énergie musculaire ne s’accrut après l’ingeslion de saccharine. 

Après s'être rendu compte de l'influence des diverses doses de 
sucre et après avoir déterminé les dilutions les plus favorables dans 
le cas où la dose de sucre était ingérée en une seule fois, Mosso en- 
treprit une nouvelle série d’essais pour voir ce qui se passait lorsque, 
à l’aide du sucre, l’on restiluait petit à petit au muscle l'énergie pré- 
cédemment dépensée par le travail. Il fit donc prendre successivement 
de faibles quantités de sucre dans des volumes variables d’eau, et mit 
ainsi en évidence ce fait: qu'il fallait fractionner l'absorption pour 
oblenir les meilleurs résullals. 

Voici, par exemple, le graphique de l’expérience 51 : 


E——— 
= 
(Eee ruse 
= 


F1G. 20. 


Influence de petites doses de sucre ingérées toutes les dix minutes (10 grammes dans 30 centimètres cubes d’eau). 


Les données de cette expérience sont les suivantes : 

Le 1% septembre, Mosso se met au travail et commence, à 150 
à soulever, avec sa main gauche, un poids de 5 kilogr. La courbe 
du travail, partie de 1*#",620, tombe à 0*5",379. À 3"10, il prend 
10 grammes de sucre dans 80 centimètres cubes d’eau. Le travail 
remonte à 0*%,930. II continue, à partir de ce moment, à absorber la 
même dose de dix en dix minutes; les chiffres successivement trouvés 
sont : 4*%,110 ; 4%5%,660 ; 2: 665. A partir de 3"40, Mosso cesse 
de prendre du sucre ; la courbe redescend de 1,080 à 0,195. 

Voici, textuellement traduites, les conclusions de Mosso sur l’en- 
semble de ses recherches. 

« Les doses minimes et moyennes de sucre (de 5 à 60 grammes) 


396 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


prises en une seule fois développent dans le muscle fatigué le maxi- 
mum d'énergie. Si les doses sont supérieures à 60 grammes, la pro- 
duction du travail diminue dès que la quantité de sucre ingéré aug- 
mente. Avec les doses moyennes, le muscle est capable d’un effort 
plus considérable. 

« Le sucre à la dose de 5 grammes, poids moyen des petits mor- 
ceaux cubiques que l’on emploie dans les ménages, est déjà capable 
de communiquer au muscle fatigué une activité notable, mais de 
courte durée. De la quantité d’eau qui sert de véhicule au sucre 
dépend l'influence heureuse de ce dernier sur le muscle. On obtient 
les meilleurs effets en dissolvant le sucre dans six à dix fois son 
poids d’eau. Avec les solutions concentrées, le résultat est médiocre ; 
l’action baisse de même avec les solutions trop étendues. Le muscle 
produit le maximum de travail mécanique quand le sucre est pris à 
petites doses, 5 à 15 grammes, de dix en dix minutes. C’est là le 
meilleur moyen de restituer au muscle l’énergie que lui a fait perdre 
le travail. La rapidité du phénomène est remarquable. Cinq ou dix 
minutes après l’ingestion du sucre, l’état du muscle est déjà amélioré. 

« L'influence est donc maxima après l’emploi de doses moyennes. 
L'énergie musculaire ne persiste que très peu de temps après l’in- 
gestion de petites doses ; elle dure une heure et plus après emploi 
de doses moyennes. Avec les petites doses qui agissent dans un court 
intervalle, on peut, durant un temps assez long, garder au muscle en 
activité son énergie primitive. Il en résulte que tous ceux qui font 
travailler les muscles de leurs jambes, comme les soldats, les alpi- 
nistes et les cyclistes, et dont les forces commencent à manquer, 
doivent trouver dans le sucre une nouvelle source d'énergie. Cette 
beureuse influence se manifestera, nous l’espérons, dans le domaine 
de la thérapeutique pour stimuler, par exemple, les contractions de 
l'utérus au cours de l’accouchement. » 


Expériences de Langemeyer et Lechensen. 


Les conclusions de Mosso ne furent pas admises par tout le monde. 
Le D' Stokvis', d'Amsterdam, leur opposa les expériences entreprises, 


1. Stokvis, British Med, Journ., 1895, t. Il, p. 1280. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9397 


à son instigation, par les D‘ Langemeyer et Lechensen, expériences 
qui prouvent, disait-il, que l’effet bienfaisant du sucre n'existe pas 
ou que, s’il existe réellement un peu, il est impossible de s’en rendre 
compte au moyen de l’ergographe. Dans une de leurs séries d’expé- 
riences, les médecins hollandais firent ingérer, avant le travail ergo- 
graphique, tantôt différentes espèces de sucres (glucose, saccharose, 
lactose), tantôt des substances de saveur sucrée n’appartenant pas au 
groupe des hydrocarbonés (saccharine, dulcine). Ils ne purent mettre 
en évidence l’effet bienfaisant du sucre ct n’y arrivèrent du reste pas 
davantage pour l’une quelconque des substances sucrées expéri- 
mentées. La quantité de travail ergographique était parfois plus 
grande après l’ingestion de sucre, ou de lactose, ou de saccharine, 
mais les résultais variaient suivant que l’on considérait une seule 
expérience ou la moyenne d’une série de recherches prolongées pen- 
dant quarante jours. L’entrainement, variabie pour les deux mains, 
était de nature, par exemple, à fausser les résultats, car 1l pouvait 
augmenter la quantité totale de travail sans que les substances ingé- 
rées interviennent en quoi que ce Soit. 

Langemeyer el Lechensen recherchèrent tout particulièrement 
l'effet du sucre sur les muscles presque épuisés. Leurs expériences 
durèrent cinq à six semaines et furent faites par quatre individus dif- 
férents. L’un d’eux, un grand garçon, bien venu, de seize ans, ne 
comprenant pas du tout la signification de ce qu'on lui demandait, 
fut le seul qui montra au début tous les signes d’une réelle fatigue. 
Après seize ou dix-sept expériences, il ne pouvait plus faire de 
travail ergographique. C’était donc un sujet parfait pour démontrer 
l'effet du sucre sur les muscles fatigués. Dans son cas, cependant, 
comme dans tous les autres, cet effet bienfaisant manqua complète- 
ment, tout au moins pendant les premières semaines, car, dans les 
dernières, l’entrainement ayant continué, il arriva que ce garçon fil 
preuve de temps en temps d’un grand gain de travail musculaire. 
Une fois on observa un gain de 3 kilogrammètres sans qu’il n’eût rien 
mangé, une autre fois un gain de 2 kilogrammèires après l’usage du 
sucre, puis un gain extraordinaire de 18 kilogrammètres après avoir 
bu un verre d’eau fraîche. 

Une nouvelle série d'expériences permit d'examiner l'influence de 


398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


grandes doses de sucre sur des muscles non fatigués. Le D' Lange- 
mever compara le travail ergographique de la matinée à celui de 
l'après-midi, après avoir pris à son déjeuner de midi 100 
200 grammes de sucre en plus de son repas ordinaire. Les expé- 
riences avec 100 grammes de sucre durèrent pendant dix-sept jours, 
celles avec 200 grammes onze jours. Le tableau suivant en résume 
les résultats : 

TEMPS MOYEN 

pendant lequel TRAVAIL 

le poids 


est soulevé. 


total moyen 


secondes. kilogrammètres. 


Matin (pas de sucre) . . . : 226 13,200 
Après-midi (100 grammes de real 235 12,612 
Matin (pas de sucre) . . . 2 261 13,322 
Après-midi (200 grammes de es) ) 266 12,483 


D’après ces chiffres, 1l ne pouvait plus être question d’une in- 
fluence marquée de l'usage du sucre sur le travail musculaire. 

Dans une expérience finale, Langemeyer nota la quantité journa- 
lière de travail ergographique prise toutes les heures de 930 à 
530 ; on effectuait un tracé séparé pour chaque main. Certains 
jours, le sujet prenait 250 grammes de sucre en quatre portions 
égales à 9 heures, 11 heures, 1 heure et 5 heures, ajoutés à sa nour- 
riture ordinaire, toutes les autres conditions restant les mêmes. En 
comparant la quantité totale de travail des jours à sucre avec celle 
obtenue les Jours où l’on n’en prenait pas, on trouva, pour les pre- 
miers, comme temps total pendant lequel le poids était soulevé 148 
avec un travail de 302 kilogrammètres, pour les jours sans sucre 
918 avec un travail de 394*#",98. Cela faisait une différence de 
28 minutes et 52 kilogrammètres en faveur des jours sans sucre. 
Chaque jour séparé et chaque main séparée montraient des écarts 
analogues. 

Le professeur Stokvis n’hésita plus à conclure que l’on n’avait 
jamais pu donner de preuves expérimentales satisfaisantes de l’heu- 
reuse influence du sucre sur le travail musculaire. « Chez les 
personnes sames, dit-l, la fatigue et l'épuisement ne sont jamais 
causés par un manque de nourriture, mais seulement et exclusive- 
ment par un manque de repos. Bien que l’on ne puisse contester que 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9399 


l'énergie chimique produite par la combustion du sucre est une des 
principales sources du travail musculaire, il n’y à cependant pas de 
raison plausible pour ajouter du sucre à la ration journalière afin 
d'augmenter le travail musculaire. Tout autre hydrate de carbone 
servira aussi bien à approvisionner le muscle de la quantité néces- 
saire d'énergie chimique. » 

Le professeur Mosso protesta contre les assertions de Stokvis. Les 
expériences de Langemeyer ne démontraient en effet qu’une seule 
chose, c’est que l’on obtient des résultats positifs de l'usage du sucre 
chez les sujets entraînés, tandis qu’il n’y à aucun effet quand le sujet 
est au début de l'expérience. Ce fait, involontairement démontré par 
les physiologistes hollandais, n’est pas sans intérêt pratique. I signifie 
qu’un muscle non entrainé peut fort bien élre faliqué, alors même 
qu’il dispose d’une quantité considérable d'énergie potentielle. L'in- 
fluence du système nerveux que l’on doit considérer comme l’un des 
principaux facteurs de la nutrition et de la contraction musculaire en 
est très probablement cause. Dans ce cas, le sucre n’a pas d'effets évi- 
dents. Si le sujet, au contraire, est bien entrainé au travail, lorsque 
la fatigue survient, le sucre, ainsi que le prouvent nettement les expé- 
riences de Mosso, ne tarde pas à fournir de l'énergie dynamique et 
donne au muscle la force qu’il a perdue. 


Expériences de Schumburg. 


Pour lever le doute soulevé par les objections de Stokvis et de Lan- 
gemeyer, de nouvelles expériences ergographiques furent entreprises, 
au printemps de 4895, dans le laboratoire de physiologie de l’École 
impériale d’agronomie de Berlin. La section médicale du ministère 
de la guerre chargea Schumburg de rechercher si réellement le 
muscle fatigué pouvait être rendu apte à un nouveau travail par 
l'usage de petites doses de sucre. L’expérimentateur prit de grandes 
précaulions pour éviter toute influence de la volonté du sujet d’expé- 
rience. « Je fis mes recherches, dit-il, non seulement sur moi, mais 
sur un autre sujet qui, chaque fois, devait rester ignorant de la suite 


1, Deutsch. milit. Zeilsch., août 1896. 


360 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

de celles-ci. Par principe, aucun mot sur l'expérience n’était prononcé 
en présence de la personne mise en expérience. Celle-ci avait à boire, 
pour chaque série d’essais, 200 centimètres cubes d’une solution 
sucrée ; seulement cette solution contenait un jour 30 grammes de 
sucre, un autre Jour de la dulcine ou un corps sucré quelconque 
de la série aromatique, en quantité telle que la saveur était à peine 
différente de celle de la solution de sucre. De cette façon, le sujet 
pouvait avoir deviné l’expérience, ce qui n’était pas trop difficile à la 
longue, mais il croyait ne prendre que du sucre et se figurait que 
le travail à fournir devait être constamment plus considérable qu’au 
début où il ne prenait aucune boisson. -» 

Les résultats furent concluants et démontrérent que, pour atteindre 
un travail musculaire considérable, l’usage du sucre, ingéré même en 
quantité relativement minime (30 grammes) est particulièrement in- 
diqué. « Gomme confirmation de ces résultats, ajoutait Schumburg, 
des expériences pratiques pourraient être faites sur une grande 
échelle, dans lesquelles, un quart d'heure ou une demi-heure avant 
le grand effort musculaire à produire, ou dès que les premiers signes 
de fatigue se montreraient, on absorberait 30 grammes de sucre, soit 
en solution rafraichissante avec du citron, soit en nature ou sous une 
autre forme convenable. » Étant donné le travail minime fourni avec 
l’ergographe, il semblait en effet assez difficile de conclure sur la 
valeur énergétique que pouvait avoir le sucre dans la pratique. Le 
D° Hirschberg s’avançait peut-être trop en se basant sur les expé- 
riences ergographiques pour recommander d'ajouter à la ration des 
soldats allemands, pour les jours de marche, de 400 à 150 grammes 
de sucre. 


B) EXPERIENCES COLLECTIVES 


Expériences faites dans l’armée allemande. 


La demande que nous venons de voir formulée par Schumburg fut 
favorablement accueillie par lautorité militaire allemande. Il fut 
décidé que des expériences en grand sur l'influence du sucre seraient 
faites dans l’armée. 

Ges essais commencèrent en automne 1897 sous la direction du 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 361 


D' Leitenstorfer. En voici les détails : « Pour étudier la question de 
l'introduction du sucre dans alimentation de la troupe, on ne pouvait, 
nous dit Leitenstorfer ', se servir des méthodes ergographiques; il ne 
fallait pas non plus songer à faire œuvre de chimie biologique, ni à 
suivre les différentes transformations de l'aliment essayé. » On se 
donna done comme règle « de reconnaitre la différence de capacité 
de travail et d'endurance des hommes entrainés avec le sucre et des 
hommes témoins prenant la nourriture ordinaire, par la comparaison 
du poids, du pouls et de la respiration ; d'établir ensuite pratiquement 
si l’on possédait dans le sucre un moyen de donner rapidement et 
nettement de la force aux soldats commençant à être épuisés par la 
marche ». 

Dans une compagnie de chacun des trois bataillons, dix hommes 
furent désignés pour manger du sucre et dix autres servirent de 
témoins. Comme hommes d'expérience, on prit les malingres afin de 
mieux voir les bienfaits du sucre. Les sujets d'observation étaient 
tous de bonne volonté. On nota, avant l’expérience, le poids, le 
pouls pendant le repos et après le travail, puis la respiration des 
deux lots placés dans les mêmes conditions. Le pouls de travail fut 
établi, comme on l'avait fait déjà précédemment dans l’armée pour 
d’autres recherches, par dix flexions très profondes des genoux. 
Après ce mouvement de gymnastique, ainsi que Leitenstorfer l'avait 
élabli, les hommes forts dont le pouls au repos est inférieur à 80 
ont une augmentation de huit à quinze pulsations ; les gens moins 
forts, bien que sains, dont le pouls est au repos de 90, 100 et plus, 
ont une augmentation minima de trente pulsations. 

L'expérience commença le 4 août 1897 en garnison et finit le 
10 septembre, dernier jour des manœuvres. Cet intervalle de trente- 
huit jours comprit des manœuvres de régiment, de brigade, puis les 
grandes manœuvres d'automne et enfin les manœuvres impériales de 
Wetteravie. Les opérations ne furent pas en général extraordinaire- 
ment fatigantes. Il v eut cependant quatre jours pendant lesquels le 
podomètre indiqua, pour le régiment, des marches de 40, 57, 65 et 


1. D' Leitenstorfer, médecin de l'État-major à Metz. Deutsch. milit. Zeitsch., 
1898, p. 305. 


362 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et 67 kilomètres. Le temps fut ordinairement favorable, un peu plu- 
vieux et frais à la fin; du 23 au 31 août, chaleur et orages surtout 
dans les régions des forêts de Hassberg et de Mainthal. 

Les morceaux de sucre cubiques employés pesaient environ 5 
grammes. On devait commencer avec sept morceaux par jour, mon- 
ter rapidement à huit et neuf et arriver en moyenne à dix ou douze, 
donc 50 et 60 grammes, dans quelques cas 70 et plus. Voici quels 
furent les résultats : 

Le poids des hommes en expérience augmenta en moyenne pendant 
l'expérience de 1,95, celui des témoins de 1*,10. Cette petite diffé- 
rence n’est pas aussi insignifiante qu'elle paraît l’être à première 
vue. On ne pouvait l’attribuer qu’au suere ; les hommes d'expérience, 
étant fort nécessiteux, n'avaient pu en effet dans aucun cas améliorer, 
de leur poche, l'ordinaire réglementaire. 

Le nombre des pulsations, après un même nombre de kilomètres, 
était de 92,27 par minute chez les hommes mangeant du sucre, 
de 95,09 par minute chez les témoins. Cette différence de trois pul- 
sations par minute est également digne d’attirer l'attention si l’on 
songe qu’au début de l’expérience les hommes du groupe au sucre 
avaient 2,5 pulsations de plus que les témoins, 98,8 contre 96,3 
chez les derniers. Après trois journées fatigantes de manœuvre, la 
moyenne des pulsations fut de 92,8 chez les hommes en expérience, 
et de 96,6 chez les témoins. Le travail du cœur avait donc une plus 
grande force chez les gens entraînés avec du sucre. 

Le nombre des respirations après le travail, donnée qui n’est pas 
sans importance, parle également en faveur du sucre : 21,6 respi- 
rations contre 22,9, soit une différence de 0,6 en moins par minute. 

I n'y eut pas de différence appréciable dans la température du 
co ps . 

Le résullat pratique de ces expériences, conclut Leitenstorfer, peut 
se résumer en ces quelques mots : « Elles établissent scientifique- 
ment l’heureux effet d’une addition journalière de 50 à 60 grammes 
de sucre à la nourriture des soldats, sur la capacité de travail des 
hommes, sur le nombre des pulsations et des respirations, moindre, 
après le travail, chez les soldats qui prennent du sucre, enfin sur 
l’augmentation du poids du corps. Cette influence favorable du sucre 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 363 


sur les organes de travail, muscles et cœur, est tout à fait remar- 
quable. » 

En 1898, pendant les manœuvres d'automne, de nouvelles expé- 
riences furent entreprises au 145° régiment d'infanterie par le D’ Leis- 
tikow *, de la garnison de Metz. Les hommes devaient prendre, comme 
ration des premiers jours, six morceaux, soit o0 grammes de sucre ; 
mais, par suite d’une erreur, ils ingérérent dès le début huit mor- 
ceaux, soit 66%",5 ; le dernier jour on leur distribua dix morceaux, 
soit 83 grammes. Le sucre était mangé quand l’ordre en était donné, 
une heure et demie à deux heures avant la fin présumée de la 
marche, et pendant une pause ou même en marchant. 

Voici les résultats obtenus : 


4o Poids du corps : 


Le groupe témoin perdit en moyenne. . . . 0k3,780 
Le groupe d'expérience perdit en moyenne. . OK 800 


2° Nombre de pulsations pendant le repos : 
PULSATIONS 
par minute. 
a 
GROUPE GROUPE 
TÉMOIN. D'EXPÉRIENCE. 


SURESNES ENS 60,8 61.0 
ADD SEPÉCMIDER.. "200 A ERP NNEN 635% 63,5 
SOIAEILDIUS 02 PUS DENT DS 


3° Nombre de pulsations aprés le même travail : 


AE SeDIeMBTE MIE CR LC 1209 AE eT 
AT E SOIENT EN LME io 119,6 
Donc en moins . . . . dE 4,1 


Ces chiffres ne permettent pas de conclusions bien fermes. Le 
D’ Leistikow trouvait du reste que l'introduction du sucre dans l’armée 
était a prioriimpralicable, parsuite de limpossibilité d’accroitreencore 
la charge de la tenue de campagne, par suite également du prix de 
revient trop élevé de cet aliment. Aussi n’hésita--il pas à conclure 
que linfluence favorable du sucre sur l’accomplissement dés marches 


1. D Leistikow, Deutsch. milil, Zeilsch., mars 1899. 


364 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et le poids des soldats n'était pas aussi nette qu’on avait bien voulu 
le dire. Ces affirmations, il faut le reconnaître, ne concordaient guère 
avec les impressions des sujets d'expérience, qui, presque tous, firent 
l'éloge de l’alimentation sucrée et trouvèrent qu’elle leur donnait un 
regain d'activité. 

En mars 1900, le ministre de la guerre allemand ordonna de nou- 
veaux essais. Mais les résultats n’étant pas encore concluants, le 
D° Letz, médecin-major à Metz’, entreprit de comparer à nouveau 
deux lots d'hommes, dont l’un servait de témoin et dont l’autre rece- 
vait du sucre une fois par semaine pendant les marches-manœuvres 
de plus de 20 kilomètres. On constata une diminution de poids des 
deux groupes, mais elle fut plus grande chez les soldats qui recevaient 
du sucre. Il ne faut pas en conclure, nous dit le médecin allemand, 
que le sucre fait maigrir et favorise la désassimilation. La petite 
quantité de sucre prise une fois par semaine ne saurait en effet avoir 
de l'influence sur le poids. En outre, la répartition de la nourriture 
à la cantine offre inévitablement de grandes fluctuations journalières, 
et l’on ne peut contrôler si les hommes mangent tout ce qui leur est 
donné. Il faut également tenir compte de l’appétit de chacun en par- 
ticulier. Aussi les expériences faites au cours des manœuvres donnè- 
rent-elles des résultats tout opposés. Les hommes ne fréquentaient 
alors presque pas la cantine et élaient complètement séparés de l’élé- 
ment civil. Le groupe d'expérience auquel on ne donnait que 30 
grammes de sucre par jour engraissa ; les soldats témoins perdirent 
de leur poids. On observa en outre une diminution de l'intensité des 
pulsations chez les premiers, tandis que pour les hommes de con- 
trôle les pulsations avaient augmenté considérablement. « Mes obser- 
vations, conclut le D° Letz, constituent donc de sérieux arguments 
en faveur de la distribution du sucre en temps de grande fatigue. » 


Expériences faites dans l’armée française. 


Les premières expériences tentées dans l’armée allemande furent 
suivies en France avec intérêt par le ministère de la guerre. En 1899, 


1. Voir : Caducée, 1901, n° 3. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 369 


le général de Galliffet communiqua aux 9° et 9° corps d’armée le pro- 
gramme qui devait guider leurs chefs au cours des essais d’ali- 
mentation au sucre, ordonnés par la dépêche ministérielle du 6 août 
1899. Dans chaque régiment, quinze hommes de bonne volonté 
étaient soumis au nouveau régime ; quinze autres hommes du même 
bataillon ou escadron et de conditions identiques aux premiers consti- 
tuaient le groupe témoin. La quantité de sucre à administrer attei- 
gnait au début 40 grammes par jour ; on pouvait ensuite la porter 
rapidement à 60 grammes et même au delà, mais sans toutefois 
dépasser la dose de 100 grammes. Les hommes restaient libres de 
choisir la forme sous laquelle ils préféraient ingérer le sucre et de 
le prendre soit dans le café du matin, soit en solution dans les 
bidons, soit de le manger sec ou légèrement humecté d’eau. Les es- 
sais devaient durer quinze jours sous la surveillance directe des 
officiers, des sous-officiers et surtout du médecin. A ce dernier reve- 
nait le soin d'enregistrer les variations journalières de poids, le nom- 
bre des respirations et des pulsations. 

Les résultats de ces expériences n'étant guère connus, nous croyons 
ulile de transerire ici textuellement et sans aucun parti pris, on le 
verra, les conclusions de quelques-uns des rapports fournis à ce sujet 
par les médecins des régiments où eurent lieu les essais. 

À part quelques maux de dents chez les sujets à mauvaise denti- 
lion, on ne constata, dans aucun corps, de troubles de la santé géné- 
rale. La recherche du sucre dans les urines fut toujours négative, 
même lorsque la dose atteignait 100 grammes. Le sucre naturelle- 
ment fut toujours consommé avec plaisir. 


68° Régiment d'infanterie ({ssoudun). — Pas de changements appré- 
ciables du poids, du pouls et de la respiration. L'effet du sucre sur l’endu- 
rance à la fatigue n’a pas été constaté. 


90e Régiment d'infanterie (Châteauroux). — Le sucre a déterminé chez 
quelques-uns une augmentation de vigueur et de poids; la respiration est 
plus calme. Le médecin se déclare partisan du sucre. 


114 régiment d'infanterie(Parthenay).— Pas de conclusions fermes pos- 
sibles ; il faudrait des fatigues sérieuses pour voir les résultats. Le sucre 
a fait légèrement augmenter le poids. Pas d'influence sur la vigueur. 
Pouls, respiration : invariables. 


366 ANNALES DE LA SUIENCE AGRONOMIQUE. 


32° régiment d'infanterie (Châtellerault).— À la dose de 59 à 75 grammes, 
le sucre a diminué la perte de poids. Sous son effet, les pulsations ont 
paru plus nettes et mieux timbrées. La respiration est plus aisée. Dimi- 
nution de fatigue notée. L'expérience demanderait à être continuée pour 
permettre de conclure. 


06° régiment d'infanterie (Tours). — Augmentation du poids ou plu- 
tôt diminution moindre avec le sucre. Peut donner de l’endurance à la 
fatigue. 

11° régiment d'infanterie (Cholet). — Dose de 40 à 100 grammes. 
D'une façon générale, augmentation du poids sous l'influence du sucre. 
Quelques hommes au sucre ont cependant perdu ou peu varié. 


135° régiment d'infanterie (Angers). — Quelques hommes seulement 
ont accusé plus d'énergie, mais en général pas de modification de la 
vigueur. 

31° régiment d'infanterie (Romorantin). — Aucun phénomène particu- 
lier après quinze jours d'expérience, à la dose de 60 à 80 grammes par jour. 
L'emploi du sucre n’a présenté que des avantages, mais ceux-ci n’ont pas 
été suffisamment considérables pour modifier le poids, la respiration, la 
circulation et augmenter beaucoup la vigueur musculaire. 


46° régiment d'infanterie (Auxerre). — Les hommes ont été incapables 
de traduire leurs impressions et de se rendre compte de ce qu’ils ont 
éprouvé à la suite de l’ingestion de 100 grammes de sucrè. Les hommes 
qui ont consommé du sucre ont sensiblement augmenté de poids. 


76° régiment d'infanterie (Orléans). — Le sucre a peu agi sur la fatigue 
et cela s’explique par la somme minime de travail qui a été demandée. II 
æ semblé avoir eu une influence d'épargne assez marquée, car la déperdi- 
Lion de poids constatée a été moindre et moins fréquente chez les hommes 
au sucre que chez les témoins. Les expériences ont été trop courtes, trop 
irrégulières pour qu’elles aient permis d'aboutir à une conclusion autre 
que le désir de les voir reprendre d’une façon plus sérieuse. 


82 régiment d'infanterie (Paris). — L'absence d'exercices pénibles n’a 
pas permis de mesurer l'endurance des hommes soumis à l'alimentation 
sucrée. Au détachement de Nogent-sur-Marne, le sucre a semblé produire 
chez un certain nombre d'hommes une diminution de la fatigue. C'est le 
résultat le plus net qui ait été constalé; mais le nombre des cas où cet 
heureux effet s’est fait sentir a été insuffisant pour qu'on ait pu le donner 
comme une règle. Le pouls et la respiration ont semblé diminuer, ce 
qui laisse supposer que le sucre serait capable de prévenir les accidents 
d’adynamie cardio-pulmonaire classés sous le vocable de « coup de cha- 
leur ». 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 367% 


89° régiment d'infanterie (Montargis). — Regrets de n’avoir pu faire l’ex- 
périence au cours des manœuvres ou d’une période active. Il n’est pas pos- 
sible d'admettre d’une facon précise et ferme que les augmentations de 
poids constatées chez l’immense majorité des hommes soumis à l’expé- 
rience soient exclusivement dues au sucre, car au moment où l’ordre a 
été donné de commencer les essais, le travail intense avait cessé. Il n'y a 
eu que deux jours de manœuvres de garnison peu fatigantes, séparés par. 
plusieurs jours de travail fort modéré. Néanmoins, les chiffres recueillis 
el les réponses des hommes soumis à l'alimentation au sucre montrent 
que cet aliment a favorisé la fonction digestive et a augmenté dans une 
mesure appréciable la vigueur du soldat. 

Sous l'influence du sucre, il y a certainement eu stimulation de l’or- 
ganisme et peut-être augmentation du poids du corps. 


113° régiment d'infanterie (Paris). — Il y a peu à conclure : le 
poids a peut-être eu une tendance à augmenter par suite de l’usage du 
sucre. Le pouls était nettement diminué de fréquence. Beaucoup d'hommes 
ont trouvé, en consommant du sucre, un accroissement de vigueur et une 
plus grande résistance à la fatigue. Le sucre est certainement un stimu- 
lant qui donne des effets très rapides. 


131° régiment d'infanterie (Paris).— Le rôle réparateur du sucren’est pas 
du tout nettement ressorti de la consultation de ceux qui en ont consommé 
pendant quinze jours à doses assez massives. L'expérience, incomplète 
à vrai dire, à paru dans son ensemble peu favorable au sucre alimentaire 
et réparateur. 


4° régiment de hussards (Meaux). — L'expérience, très peu rigoureuse 
du reste, a montré que l'alimentation sucrée semblait soutenir les forces 
el permettait aux hommes de n'être pas fatigués lors de marches et de 
manœuvres qui dans d’autres circonstances les auraient un peu éprouvés. 


90° régiment d'artillerie (Orléans). — La consommation du sucre a 
augmenté le poids des hommes. Une augmentation de la vigueur générale 
et d'endurance à la fatigue a été éprouvée par plusieurs hommes prenant 
du sucre. 


32° régiment d'artillerie (Orléans). — La sensation de vigueur donnée 
par le sucre n’a guère pu être appréciée par les hommes eux-mêmes. Le 
seul qui, par son emploi de forgeron, était appelé à exécuter un travail 
un peu fatigant, a trouvé un très réel bénéfice dans la consommation du 
sucre. L'influence de ce dernier aliment sur le poids, la respiration, la 
circulation n'a pu donner lieu à une appréciation bien nette, étant donné 
que, pendant les expériences, il n’y a pas eu de travail ou de surcroît de 
travail. Les résultats obtenus ont été excessivement variés. 


368 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Les divers rapports des médecins, chefs de service dans les régi- 
ments qui ont concouru à l’expérience, nous laissent, on le voit, cette 
impression bien nette que l'introduction du sucre pendant quinze 
jours dans le régime du soldat n’a donné lieu, à part une ou deux ex- 
ceptions, à aucune remarque désavantageuse. C’est là un point bien 
acquis et il a son importance si l’on songe combien sont rares les 
nouveautés qui reçoivent d'emblée un accueil aussi favorable. Malgré 
cela, il ne ressort pas du tout nettement des avis formulés par le 
service de santé, que le sucre à donné tout ce que l’on était en droit 
d'attendre de lui, à la suite des expériences de Chauveau, d’Alber- 
toni, de Harley, de Mosso, de Paoletti, et l’on sent très bien qu’il 
serait imprudent de baser sur ces rapports le C. Q. F. D. demandé. 
Les uns n’ont rien observé de bien particulier, les hommes ne 
sachant guère manifester ce qu’ils ressentent exactement ct les chif- 
fres concernant les poids, le pouls et la respiration ne donnant que 
peu de différences. Les autres constatent que les expériences sont 
incomplètes, critiquables et peu susceptibles de démontrer grand’- 
chose. Beaucoup enfin demandent à recommencer et dans d’autres 
conditions. C’est, en un mot, ce que l’on peut appeler de hésitation. 
A ceux qui ne savent qui croire, puisque les essais officiels n’ont 
fourni aucun résultat probant ou même digne d’un intérêt pratique, 
à ceux qui, n'ayant vu relater nulle part les conclusions des expé- 
riences faites en 1899 dans deux corps d'armée, en concluent qu’elles 
n’ont pas donné satisfaction à leurs promoteurs, nous allons pré- 
senter nos observations personnelles. 


Observations personnelles. 


Voici le résumé des divers essais tentés par l’un de nous au bataillon 
du 193° régiment d'infanterie tenant garnison à l’île de Ré. 

Le 11 avril 4909, au cours d’une manœuvre, un peloton, com- 
posé de : un officier, deux sous-officiers et trente-neuf hommes, part 
de la caserne à 5"30 du matin. Pour se rendre à l’endroit qui 
lui est assigné, il parcourt 19 kilomètres à une allure de 4,750 
à l'heure. Un quart d’heure après son arrivée, ce peloton reçoit 
l’ordre de venir occuper de suite un nouvel emplacement ; pour 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 3069 


s’y rendre, les hommes sont obligés de traverser des marais par 
des chemins très difficiles ; ils franchissent ainsi 5 kilomètres en cin- 
quante minutes et sans s’arrêter, soit à une allure de 6 kilomètres 
à l'heure. Arrivés à leur nouveau poste au moment de l’action, les 
hommes y prennent part et ne mettent sac à terre pour la halte qu'à 
11°45, ne s'étant donc reposés qu'un quart d'heure depuis le ma- 
tin. Les soldats étaient exténués et le commandement se préoccupait 
de les faire revenir en chemin de fer. A la demande du D’ Drouineau, 
on distribua, par homme, 40 grammes environ de sucre, que chacun 
fit fondre dans un quart d’eau et but après le repas froid consommé 
sur le terrain. Quand, deux heures après, le bataillon se remit en 
route, ces soldats firent les 14 kilomètres qui les séparaient de leur 
garnison sans laisser un trainard, et se sentant, disaient-ils, plus frais 
et plus dispos qu’à l'aller. 

C'était là une indication en faveur du sucre plutôt qu’une preuve 
très convaincante de la valeur énergétique de cet aliment. L’expé- 
rience pouvait, en effet, laisser croire au premier abord que le 
repas froid, pris sur le terrain de manœuvre par le peloton en ques- 
tion, devait entrer en ligne de compte, mais nous en appelons aux 
souvenirs de ceux qui « ont porté le sac ». Un repas ne « retape » 
guère, suivant l’expression commune et ne relève généralement pas 
les forces d’une façon immédiate et appréciable, surtout lorsqu'il 
faut se remettre en marche après une heure et demie ou deux 
heures de grand’halte. L'un de nous, un des derniers conditionnels 
d’un an, se souvient encore combien il était pénible, au cours des 
manœuvres, après le repas qui succède à l’action et au commen- 
cement de l'après-midi, de regagner ses cantonnements en pleine 
digestion. 

Pour opérer avec un peu plus de précision, le D° Droumeau expé- 
rimenta, en octobre 1902, sur des hommes de l’armée territoriale, 
l’action d’une petite quantité de sucre ajoutée quotidiennement à la 
ration, Quinze hommes étaient en expérience, quinze autres servant 
de témoins. L’âge des sujets variait entre trente-trois et trente-six 
ans. Comme profession, presque tous étaient cultivateurs ; il y avait 
seulement un forgeron, un boucher, un tonnelier, un boulanger, 
un arpenteur, un épicier. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE, — 1902-1803, — 11. 24 


310 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Les quantités de sucre distribuées furent les suivantes : 


40 grammes les 1°, 2°, 5°, 4° jours ; 
50 grammes les 5°, 6°, 7°, 8° jours; 
60 grammes les 9° et 10° jours. 


Il n'y eut en effet que dix jours de présence effective, les territo- 
riaux étant arrivés un lundi à midi et étant partis un samedi matin ; 
le dimanche, ils ne venaient pas à la caserne. 

Le sucre fut pris avec une certaine hésitation ; quelques hommes 
gardèrent même une partie de la première distribution pour la don- 
ner le soir à leurs enfants ; aussi, les jours suivants, fut-on obligé de 
faire consommer toute la ration prescrite en présence des officiers ; 
en raison de cela, on ne put varier la manière de l’ingérer. Le sucre 
fut toujours pris en morceaux. La première moitié de la dose était 
absorbée le matin avant le commencement des exercices, l’autre moïi- 
tié l’après-midi, une demi-heure environ avant la manœuvre du soir. 

Les hommes furent incapables de dire s'ils avaient remarqué une 
différence quelconque au point de vue de la faim ou de la soif, et 
s’ils avaient supporté la fatigue mieux que dans les conditions ordi- 
naires. 

Pour apprécier l'influence de l’alimentation sucrée, on nota, le 
premier et le dernier jour de l’expérience, le poids, puis le nombre 
des pulsations et des respirations de chaque homme, après lui avoir 
fait effectuer un certain travail, le même pour tous, environ 600 mè- 
tres au pas gymnastique. Le sujet était pesé mdividuellement, puis 1l 
allait faire son tour de pas gymnastique et revenait se faire examiner. 

Le tableau de la page suivante résume toutes les données de nos 
observations. 

Nous avions cru bien faire en les complétant par la détermination 
de l’urée, mais l’analyse des urines ne pouvait a priori permettre de 
conclusions sérieuses. Les territoriaux avaient chez eux une nourri- 
ture variable et en tout cas fort différente de celle du régiment. Les 
dosages du premier jour montrèrent, en effet, que le taux d’urée 
variait d’un sujet à l’autre dans d’assez fortes proportions. La pré- 
sence à la caserne égalisa le taux d’urée; il y eut même une légère 
diminution chez les hommes soumis au régime du sucre, ce qui était, 


AVEC SUCRE. 


I. Poids. 


_ Ont augmenté de 2 kilogr.. 
Ont augmenté de 1K5,500 . 
Ont augmenté de 1 kilogr. 
Ont augmenté de 0k5,500 . 
Sont restés stationnaires. 

Ont diminué de 0k3,500. . 

| Ont diminué de { kilogr. . 

| Ont diminué de 145,500. 


Soit en totalisant les résultats : 


19 mt mé Q2 Re 19 — 


Ont augmenté. 7,69 p. 100) 


Nana CHARS RATS TM ET 4 M AT se 9 (69,23 p. 100) 
| Ont diminué 3.(< 


3 07 p: 100; 


II, Puls tions. 


Ont diminué de 28 pulsations par minute aprèsle travail. 
Ont diminué de 24 pulsations par minute . . 
Ont diminué de 20 pulsations par minute . 
Ont diminué de 16 pulsations par minute . 
Ont diminué de 12 pulsations par minute . 
Ont diminué de 8 pulsations par minute . . 
| Ont diminué de 4 pulsations par minute . . 
: N'ont pas changé : 
| Ont augmenté de 4 pulsations par minuts 
| Ont augmenté de 8 pulsations par minute . 
| Ont augmenté de 12 pulsations par minute . 
Ont augmenté de 16 pulsations par minute 


O OV OM mm mm mé 19 19 KO 19 


Soit en totalisant les résultats : 


CRAQUER DE Na eu Po mn eue p. 100)! 4 (30,76 p. 100) 
NIINAS ERANRÉS AS TT RL RTL UE T LTE, £ 3 (23,07 p. 400) 
| Ont augmenté. 6 (46,15 p. 100) 


III. Respirations. 


Ont diminué de 8 respirations par minute après le travail. 
| Ont diminué de 4 respirations par minute. 

| N'ont pas changé Rs : 

| Ont augmenté de 4 respirations par minute. 

| Ont augmenté de 8 respirations par minute. 

Ont augmenté de 12 respirations par minute. 


ei mt C2 en À 


Soit en totalisant les résultats : 


DORE MINT 5 E-.cH e ME NQI, LR + 7 5 . 4001! 4 (30,76 p. ! 00) 
RÉDHIPDAS CHANGE AT A NE EX | 6 (46,15 p.100). 
AAA SH UTE L  EreR N nENn Ee T ! 3 (23,07 p. 100) 


ot ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


du reste, conforme au rôle d'épargne que joue cet aliment vis-à-vis 
de l’albumine détruite dans l’organisme. Voici les chiffres moyens 
concernant ces dosages d’urée, opérés avec l’uréomètre de Molmert : 


HOMMES AU SUCRE. TÉMOINS. 
Taux d'urée diminués chez. . 9 (69,23 p. 100) 7 (53,84 p. 100) 
Taux d'urée augmentés chez. 4 (30,76 p. 400) 6 (46,15 p.100) 


L'expérience, bien qu’en faveur du sucre, n’était pas encore des 
plus probantes, et ne permettait guère de conclusions fermes. Mais 
alors, de deux choses l’une : ou l’action du sucre n’était pas nette, 
ou la méthode était défectueuse. 

Si l’on raisonne sur la plupart des expériences que nous venons 
de rapporter, ainsi que sur celles des 5° et 9° corps d'armée et sur 
nos essais concernant les territoriaux, on se rend de suite compte 
qu’elles ne pouvaient répondre catégoriquement aux questions sui- 
vantes, intéressantes entre toutes : L'énergie musculaire est-elle 
notablement accrue par l’ingestion du sucre ? Cet aliment recule- 
t-il la fatigue en rétablissant promptement l'énergie normale de lor- 
ganisme ? Lorsque l’on essaye un remède, on ne l’expérimente géné- 
ralement que sur des malades atteints du mal que l’on veut soulager, 
sinon guérir, Ici nous voulions lutter contre l'épuisement musculaire, 
et devions, par conséquent, provoquer des conditions d'expérience 
susceptibles de causer de la fatigue, et même une fatigue anormale. 
Autrement dit, les hommes que l’on voulait soumettre au régime du 
sucre devaient, avant tout, fournir un travail sinon excessif, du moins 
particulièrement fatigant. C’est ce que l’on n’a pas toujours fait en 
Allemagne. C’est également une condition que l’on n’a pas suffisam- 
ment réalisée dans les régiments des 5° et 9° corps d’armée. Les mé- 
decins-majors le reconnaissent eux-mêmes. Nos territoriaux étaient, 
eux aussi, trop ménagés. Une marche-manœuvre par semaine ou 
même tous les deux jours passe inaperçue pour des troupes entrai- 
nées. Il fallait, au contraire, opérer ainsi que nous allons le voir au 
cours, par exemple, des marches d’épreuve se succédant sans inter- 
ruption durant quatre jours. Mais comment reconnaitre alors que le 
sucre atténuait réellement la fatigue ? On se contente généralement 
pour cela de comparer lout d’abord les variations de poids des 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9313 


hommes en expérience à celles d’un lot témoin. L’indication est pré- 
cieuse, si les sujets mangent réellement leur sucre et à la dose indi- 
quée, ce dont on ne peut être sûr qu’en le faisant ingérer en sa pré- 
sence ; elle n’a également de valeur que si les deux lots sont soumis 
au même régime alimentaire, observés longtemps avant l’expérience 
et de plus et surtout si les hommes ne fréquentent pas la cantine. La 
surveillance doit être longue et continuelle. On note aussi, en même 
temps, les pulsations et les respirations. Lorsque les observations 
sont faites dans les mêmes conditions pour les deux groupes, ce qui 
n’est pas toujours facile, elles ont en effet une signification. Mais 
tout cela ne permet pas encore de distinguer, à la fin du travail im- 
posé, celui qui se trouve fatigué de celui qui reste dispos. Pour y 
arriver, voici comment nous avons réglé le protocole de notre expé- 
rience : le lot témoin recevait de la saccharine, à l’insu de tout le 
monde ; les deux groupes et surtout leur entourage immédiat, offi- 
ciers et sous-officiers, croyaient donc que les vingt hommes, mis en 
observation, ingéraient du sucre. Au cours de chaque marche, et 
tout particulièrement à la fin, le médecin ainsi que les gradés qui en 
avaient été priés, observaient les hommes paraissant, à leur idée, se 
fatiguer davantage, et cela sans naturellement se préoccuper si le 
sujet était au sucre ou à la saccharine. La chose, d’après ce que 
nous avons dit, eût été du reste impossible aux officiers et aux sous- 
oñiciers. Les marches se faisant dans la matinée, les hommes, tout 
en ne quittant pas la caserne, restaient libres de leur après-midi. Les 
gradés pouvaient donc les surveiller, sans éveiller leur attention, et 
notaient l’emploi exact de leur temps. Les uns ne sortaient pas de la 
chambrée, demeuraient, par exemple, étendus sur leur lit, se cou- 
chaïent de bonne heure, avaient en un mot cette allure trainarde si 
particulière à l’homme fatigué ; les autres au contraire étaient dis- 
pos. La délimitation entre un homme fatigué ou dispos ne semble 
pas à première vue très nelte. Malgré cela, lorsque l’on réunit les 
impressions ressenties à ce sujet par des observateurs différents, il 
est rare (le ne pas les voir concorder. C’est ainsi qu’il nous fut per- 
mis de classer nos hommes d’expérience en deux groupes : 4° celui 
des hommes paraissant fatigués ; 2° celui des hommes paraissant dis- 
pos. La suggestion n’a pu influencer les observateurs, ceux-ei étant 


314 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
persuadés que le sucre faisait partie du régime spécial à tous ceux 
qui avaient été mis en expérience. De plus, comme l’on rangeait un 
sujet dans l’une ou l’autre catégorie en tenant compte de toutes les 
observations le concernant et en en prenant la moyenne, notre clas- 
sification, bien qu’artificielle, était au fond très exacte. 

Voici maintenant les détails et les résultats de cette expérience : 
Nous avons pris dans une compagnie dix hommes d’expérience et 
dix hommes témoins. Il n’y en a eu en réalité que neuf par groupe, 
un de ceux au sucre étant tombé malade le jour de la première 
marche et l’un des témoins ayant été incapable de continuer après la 
deuxième. Dans la semaine précédant la première marche, on pesa 
les hommes tous les matins et à la même heure ; la pesée était faite 
avec la même bascule, par le même aide, l’homme pesé étant nu. 
On avait soin de faire uriner les hommes auparavant et de noter les 
émissions de fèces produites entre le réveil et la pesée. On comp- 
tait en outre au même moment les pulsations et les respirations. 

Les marches eurent lieu le matin, quatre jours de suite ; on re- 
nouvelle les mêmes observations chaque jour au départ, puis à l’ar- 
rivée de la marche. La veille au soir, les bidons étaient envoyés à 
l'infirmerie et préparés par le médecin. Celui-ci mettait une boisson 
sucrée dans les uns et une boisson saccharinée dans les autres, si 
bien que tous les hommes pouvaient se croire en expérience. Le 
médecin seul connaissait les noms des témoins. Le D' Drouineau fit 
toutes les marches de façon à pouvoir surveiller lui-même la prise 
de la boisson. Il nota comment les hommes se comportaient en cours 
de route. Dès leur rentrée à la caserne, témoins et sujets d’expé- 
rience furent enfin, sans s’en douter, ainsi que nous l’avons dit, 
l’objet d’une surveillance sérieuse de la part de leurs sous-officiers. 

Les quantités de sucre données furent les suivantes : 1° jour, 50 gr. 
dissous dans 300 grammes d’eau; 2° jour, 70 grammes dissous dans 
420 grammes d’eau; 5° jour, 80 grammes dissous dans 480 grammes 
d’eau ; 4 jour, 100 grammes dissous dans 500 grammes d’eau, le 
bidon ne contenant pas davantage. Cette boisson était prise par 
quarts de façon à ce que la dose totale füt absorbée avant les deux 
tiers de la marche et qu’à chaque dose la quantité de sucre absorbée 
fût de 20 à 30 grammes. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9349 


Voici les résultats que nous avons obtenus : 


a) Poips 


4° Différence de poids entre le poids moyen de l'homme obtenu à l’aide de 
toutes les pesées antérieures à la première marche et le poids noté après 
la quatrième marche. 


Gain . 


Équilibre. . 


Perte . 


SUCRE. SACCHA- 

RINE. 
+ 0,250 Î » 
0 1 1 
: — 0,100 » 1 
— — 0,250 1 » 
= — 0,300 1 » 
— — 0,400 Î { 
= — 0,500 3 » 
== — 0,600 l » 
— 0,700 »” 9 
— — 1,000 » 2 
— — 1,500 » l 
— — 2,250 » Î 


2° Différence pour chaque marche entre le poids de départ 


Gain . 
Équilibre . 
Perte. 


et le poids d'arrivée. 


1re MARCHE. 2e MARCHE. 3° MARCHE. 4e MARCHE. 
a TT RE  — RE — 
_ q Saccha- { . Saccha- Saccha- & Saccha- 
Kilogr. Sucre, : Sucre. re Sucre. : Sucre. née 
— 0, 5 » » » » Î » » » 
0,0 2 » » » 3 2 2 2. 
ETS 1 2 3 1 1 3 4 3 
1,0 3 4 3 6 3 2 2 3 
ME ee PEER. 1 1 2 1 1 
0 Î Î { il » » » » 


e 


3° Différence entre le poids à l’arrivée d'une marche et le poids au départ 


Perte , 
Équilibre. 
Gain . 


de la marche suivante. 


ENTRE 


EEE 
1re et 2e marche. 2e et 3e marche. 3e et 4e marche. 
ne CO = — a 2 — 


G Saccha- & Saccha- &.. Saccha- 
Sucre. re Sucre ne Sucre. ne. 
AE 2 » » ” » » 

0 ,0 { » » Î 2 » 
0 9 4 3 i , 9 
HURU 2 3 3 4 4 À 
9 1 1 9 9 3 
SERA 2 fl ° 1 1 » 


316 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


b) Différence entre le nombre moyen de pulsations obtenu à l'aide de toutes 
les numérations antérieures à la première marche et celui des pulsations 


constatées à la fin de la quatrième marche. 
BUCRE. SACCHARINE. 


4 pulsations . . . il » 

5 — Î » 

6 — Î » 

11 — 1 » 
13 — » 1 
14 — Î » 
Ont augmeuté par minute de © 16 — 2 Il 
17 == » Î 
18 — Î Î 
19 — » l 
21 —- l » 
28 — » 3 

| 33 = » Î 


c) Différence entre le nombre moyen de respirations obtenu à l’aide de toutes 
les numérations antérieures à la première marche et celui des respirations 


constatées à la fin de la quatrième marche. 
SUCRE. SACCHARINH. 


Ont diminué par minute de — 4  respirations . . » L 
== =.) — 1 » 
— — 2 — 2e 1 n 
— — 1,5 — ee 1 1 
— | — 2 » 
Sont restés en équilibre 0 — 3 Î 
Ont augmenté par minute de 0,4 — » Î 
— + 2 — » 1 
— + 3 — 1 2 
Ps SL — » 2 


a) Les hommes ont, en outre, subi un petit interrogatoire qui à 
donné les résultats suivants : 


SUCRE. SACCHARINK. 


augmentée ?. . . . . » { oui 
La sensation de soif est-elle { diminuée? . Ye 7 Oui 3 oui 
Fran à l'ordinaire ?. 2 oui o oui 
Rene : 5 oui 2 oui 
La sensation de faim est-elle { diminuée ? . ee 2 oui ) 
re à l'ordinaire ?. 2 oui 7 oui 
augmentée ?. 3 oui 1 oui 
La sensation de fatigue est-elle ‘ diminuée ? , . . . . à oui ? oui 
comme à l'ordinaire ?. { oui 6 oui 


La boisson est-elle bue avec plaisir ?. , . , . , . . 9 oui 9 oui 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 3717 


e) Résultats de l'observation des sous-officiers. 


SUCRE. SACCHARINE, 


“ 


Hommes paraissant fatigués une fois à la caserne . . 1 oui 8 oui 
Hommes paraissant très dispos. . .. . . : . . . . 8 oui 1 oui 


Ces derniers résultats sont d’autant plus concluants que les ser- 
sents, ainsi que nous l’avons répété à maintes reprises, ignoraient 
complètement ceux d’entre ces hommes qui n'étaient pas soumis à 
l’expérience et croyaient que tous ingéraient du sucre. Leurs obser- 
vations concordèrent d’ailleurs complètement avec celles que le mé- 
deein-major avait personnellement faites au cours des marches. 

Comme observations complémentaires, il faut ajouter celle du 
médecin lui-même. Celui-ci fit à pied, ces quatre marches de 20, 
22, 24 et 26 kilomètres sans être nullement entrainé, et en prenant 
chaque matin, avant le départ, sept à huit morceaux de sucre dans 
une tasse de café au lait; il put surtout les faire sans ressentir aucune 
fatigue. En outre, un lieutenant du bataillon, nullement convaincu 
d'avance, au contraire, vint, de lui-même, avouer au D° Drouineau 
que le sucre empêchait nettement la sensation de soif. « Jamais, dit-il, 
je n’avais eu la bouche aussi peu sèche que pendant ces marches. » 

Ces essais personnels ne laissent, on le voit, dans leur ensemble, 
aucun doute sur la haute valeur énergétique du sucre, et lorsque cette 
dernière ne se manifeste pas nettement, il ne faut pas en accuser le 
sucre lui-même, mais bien les conditions défectueuses de l'expérience. 

Lors de la discussion à la Chambre du budget de la guerre de 
1904, M. le ministre de la guerre, pressenti sur lutilité d’augmenter 
le sucre de la ration du soldat, a déclaré qu'il avait l’intention de 
faire procéder à de nouvelles expériences sur les hommes, dès que 
les essais d'alimentation mélassée, tentés actuellement dans la cava- 
lerie, seraient terminés. Nous espérons que les expériences seront 
cette fois bien faites et qu’elles permettront enfin des conclusions 
définitives. 


C) EXPÉRIENCES INDIVIDUELLES 


Lorsque les recherches ergographiques de Mosso et de Paoletti 
vinrent confirmer vers 1893-1894 l’idée maitresse des premiers 


3178 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


travaux de M. Chauveau sur l’énergétique musculaire, quelques 
médecins allemands, Hirschberg entre autres, classèrent le sucre 
comme un aliment de force. En France, l'opinion publique suivit le 
mouvement, mais avec beaucoup plus de lenteur et surtout d’hési- 
tation. Il est très probable que beaucoup de jeunes gens qui, dans 
les écoles, avaient entendu parler du rôle dynamique des hydrocar- 
bonés el du sucre en particulier, s’essayèrent, leurs études termi- 
nées, à en manger pour combattre les fatigues de la vie journalière. 
Quels furent au juste les résultats de ces petites expériences imdivi- 
duelles? La théorie était nouvelle; chacun garda ses impressions 
pour soi et n’osa ouvertement rompre la lance contre les préjugés 
populaires, en affirmant la haute valeur du sucre. M. A., médecin- 
vétérinaire à la Compagnie générale des voitures, nous racontait que, 
lorsqu'il arriva en 1897 à Oran pour y faire dans l'artillerie son 
année de service militaire, il ne pouvait au début fournir de pas 
gymnastique. L’essoufflement et la fatigue arrivaient vite et le para- 
lysaient complètement. Fraîchement sorti de l’École d’Alfort, il se 
souvint des recherches de Chauveau et de Kaufmann, l’un de ses 
maîtres, et songea à manger deux ou trois morceaux de sucre 
quelquesinstants avant de commencer le pas gymnastique. L’essai lui 
réussit. Dans la suite, M. A. remplaça le sucre en morceaux par des 
figues sèches, fort riches en sucre comme l’on sait; il en mangeait 
100 grammes environ, le matin, avant l’exercice et autant l’après- 
midi, et M. A. se souvient très bien avoir pu parfaitement supporter, 
peu de temps après, vingt-cinq minutes consécutives de pas gym- 
nastique. 

Combien d’essais analogues ont dû être tentés dans l’armée, sans 
que personne n’en ait rien su ! Il fallait que l’expérimentateur s’in- 
téressât particulièrement à l’industrie sucrière pour oser faire con- 
naître son opinion. M. Lambert, chimiste à la sucrerie de Toury, 
communiqua, par exemple, au Journal des Fabricants de sucre les 
essais personnels qu’il entreprit au cours des manœuvres de Beauce 
en septembre 1898. La température, véritablement sénégalienne, en- 
levait toute résistance aux hommes. M. Lambert avait perdu l'appétit 
dès les premières marches. I] absorba le matin, au départ, puis pen- 
dant les haltes quelques morceaux de sucre trempés dans du café noir. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 319 


Le résultat fut excellent et M. Lambert arriva à manger par jour ses 
trente morceaux, soit au moins 240 grammes de sucre. Il put ainsi 
amoindrir, dit-il, considérablement la sensation douloureuse bien 
connue qu’occasionne dans tout le thorax et dans les muscles du cou 
et des bras le port du sac et du fusil à la bretelle. 

Parmi les essais tentés individuellement, il en est qui ont été suivis 
avec beaucoup plus de soin et de précision que ceux que nous venons 
de citer. Quelques observations ont même été si bien prises, comme 
l’on dit à l'hôpital, que le public en a compris de suite la sincérité 
et, il faut bien le dire aussi, l'importance pratique. 

Nous trouvons tout d’abord dans cet ordre d’idées les expériences 
poursuivies en décembre 1898 par Prantner, médecin de régiment, 
et Stowasser, de Gratz', pour étudier l'influence de la consommation 
d’une certaine quantité de sucre. Ils ont examiné méthodiquement 
leur force musculaire en faisant des exercices avec des haltères en 
fer. Bien entendu, toutes les précautions furent prises pour exclure 
l'influence de l’autosuggestion. Les deux expérimentateurs faisaient 
des essais de contrôle et tenaient compte du surcroît d'énergie dû à 
l'entrainement. Les quantités d’albumine désassimilées étaient égale- 
ment enregistrées en regard du sucre consommé et du travail mé- 
canique fourni. Ces essais prouvèrent qu’une addition relativement 
petite de sucre à la nourriture ordinaire a pour effet d'économiser 
de l’albumine, même lorsque le travail peut être cause d’une désassi- 
milation anormale d’azote. 

En 1902 parut à Berlin une brochure * du capitaine A. Steinitzer, 
dans laquelle ce dernier relatait une série d'expériences fort pro- 
bantes qu’il avait faites lui-même. Nous y trouvons d’abord rapporté 
le fait suivant : 

Un médecin français, le D' Coulton, a entrepris de mettre prati- 
quement à l’épreuve la valeur du sucre. Avec deux de ses amis, il fit 
un voyage à bicyclette de cinq jours en emportant un bagage, assez 
lourd, d'environ 50 kilogrammes. Il régnait alors une forte chaleur 
et le pays présentait de nombreuses montagnes à pentes raides et 


1. Centralb. f. inn. Medic., 18 février 1899. 
2, Steinitzer, Die Bedeutuny des Zuckers als Kraftstoff. Berlin, 1902, Paul Parey. 


380 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


élevées. Coulton prit alternativement une nourriture ordinaire et 
une nourriture sucrée; cette dernière consistait en 400 grammes 
de pain et 250 grammes de sucre. Les jours de nourriture sucrée, 
il pouvait faire, pour ainsi dire sans fatigue, 60 kilomètres par 
jour, malgré des circonstances pénibles, alors que les autres jours, 
dans le même pays et avec la mème vitesse, il était profondément 
exténué. 

Voici maintenant les expériences de Steinitzer. Elles sont de nature 
à intéresser et surtout à convaincre l’opinion publique. Aussi n’hési- 
tons-nous pas, malgré la longueur de la citation, à les traduire ici 
textuellement et en entier : 


[. — Le 31 mars 1898, avec mon ami le lieutenant (Godin, j'ai fait l’as- 
cension du Hirzer (2 785 mètres) près Méran (Tyrol). Nous sommes partis de 
la halte du Hirzer à 6 heures du matin pour arriver au sommet à 11"30. 
Après un repos de quarante minutes, nous redescendimes pour arriver à 
Méran à 930 du soir. A la descente, nous n'avons pu nous arrêter à la 
halte que juste le temps nécessaire pour nous restaurer et faire le thé ; 
nous n'avons donc pas eu la possibilité de nous asseoir ; aussi le repos 
pris au sommet fut-il le seul! La neige, que nous avons seulement quittée 
à 6"30 du soir, était dans la matinée très pulvérulente, puis plus tard 
très molle, si bien que, pendant des heures entières, 1l nous arriva d’en- 
foncer jusqu'aux hanches; cela rendait l’ascension extraordinairement pé- 
nible. Godin, le plus affamé (c'était vendredi-saint), ne mangea dans toute 
sa Journée que 250 grammes de chocolat et 200 grammes de sucre; je pris 
la même chose avec, en plus, 400 grammes de lard. Cette nourriture fut 
tellement suffisante qu’elle nous permit d'atteindre Méran sans la moindre 
fatigue. Le lendemain, nous pouvions faire l'ascension du Riltnerhorn. 


IL — Le 23 octobre 1893, j'ai fait l’ascension du pie d'Ackerl (2335 
mètres). Par suite de l’état de la montagne, le chemin habituel, le plus 
court, m'était pas praticable, et je dus aller de Gasteig au pie Mauk et 
du pic Mauk à Saint-Jean. Je pris une heure et demie de repos à la mon- 
tée vers 4 900 mètres. La veille à midi, j'avais mangé un peu de viande; 
je pris, comme nourriture : 250 grammes de sucre le soir, 250 grammes le 
matin et 500 grammes pendant la route avec un peu de pain. Grâce à cette 
abondance d'hydrocarbonés (en trente heures j'avais ingéré 1000 grammes 
de sucre et 300 grammes de pain), je me sentis notablement plus apte à 
développer de l'énergie musculaire qu'avec une alimentation mixte à la 
viande. Le soir, je pris un repas de farineux, et le troisième jour à midi 
de la viande. C’était la première fois que j’en mangeais depuis quarante- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9381 


huit heures. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que, contre toule altente, je 
n'ai nullement souffert de la faim. 


IT. — Le 6 septembre 1899, par une matinée orageuse, sous un soleil 
torride et par une chaleur accablante, je suis parti, avec un sac de touriste 
assez chargé, pour aller de Nebelhornhaus (dans l’Allgau) à Luitpoldhaus. 
Jy arrivai à 1 heure de l'après-midi, passablement fatigué. Mon ami se 
déelara incapable, avec la chaleur du Jour, de monter encore jusqu'au 
Hochvogel. J'ai alors pris 200 grammes de sucre et me suis reposé pendant 
une demi-heure. Toute sensation de fatigue disparut si bien, que je me 
sentis plus dispos et plus apte à faire l'ascension que le matin. Le chemin 
m'était inconnu, et je dus employer pas mal de temps à tailler des marches 
dans la glace; malgré cela, j’arrivai en deux heures au sommet, alors que, 
d'après les guides, il en faut trois. L'action du sucre se continua assez 
longtemps pour me permettre de revenir à la halte sans la moindre trace 
de fatigue. 


IV. — Dans une autre ascension, je fus surpris à Holzgau par une 
chute d’eau qui causa de grands ravages. Comme tout espoir d’ascension 
était évanoui, je résolus d'aller sur l’Obermädelejoch par Oberstdorf, 
la plus proche station de chemin de fer. Après trois jours d'attente à Holz- 
gau, je me mis en route le 10 septembre, à 9 heures du matin, n'ayant pris 
exclusivement que de la viande comme nourriture. Après un court trajet, 
je rencontrai de la neige jusqu'aux genoux; elle atteignait même parfois 
une telle épaisseur (jusqu’à 2 mètres), que mon guide et moi nous devions, 
toutes les dix minutes, changer de chemin. Une avalanche vint encore aug- 
menter les difficultés de l'ascension. Arrivé à la halte de l’autre côté de 
la cime, mon guide jugea le retour vers Oberstdorf impossible, à cause 
de l’avalanche. Je rebroussai chemin et arrivai à Holzgau à 3 heures du 
matin, très fatigué. Comme la diligence de Reutte ne partait que le lende- 
main matin et mettait neuf heures pour faire les 47 kilomètres de route, 
je résolus d'aller ce même jour de Holzgau à Reutte sur une bicyclette de 
louage. Cette machine, toute rouillée, fut un véritable instrument de sup- 
plice. La route neuve était sans fond, empierrée fraîchement sur 8 kilomè- 
tres et non passée au rouleau ; en outre, il pleuvait à torrents. À T heures 
du soir, à Rauth, il me fut impossible de faire un kilomètre de plus. Après 
avoir absorbé 200 grammes de sucre et m'être reposé vingt minutes, je 
pus reprendre ma route et, à mon arrivée à Reutte, à 10 heures du soir, je 
ne sentais plus la moindre fatigue. 


V.— En été 1900, j'entrepris deux excursions à peu près analogues que 
je pouvais faire dans cette saison. Le 28 juillet, j’allai du village Künigssee 
à la hutte du Münchner sur le Watzmann et je fis l'ascension du pic moyen 
et du pie sud du Wimbachtal ; l'après-midi, je revins à Kônigssee. Le 


382 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


10 août, j'allai au Zugspitz à travers le Hollental en passant par Eibsee. La 
première excursion fut faite en prenant du repos et avec une nourriture 
mixte ordinaire. La deuxième me démontra la rapidité de l’action forlifiante 
du sucre sur un organisme très fatigué et surtout son influence excitante sur 
l’activité du cœur. Dans ces deux ascensions, la différence de hauteur du 
point de départ à la cime est la même. L’ascension du Watzmann est vrai- 
semblablement moins pénible que celle du Zugspitz, car la hutte du Münch- 
ner est à 4000 mètres, celle du Hollental à 1 381mètres. En outre, cette 
dernière ascension est réputée pour n'être pas toujours aisée. La route du 
Wimbachtal est cependant beaucoup plus longue et moins facile que celle 
d'Eibsee. En fait, les deux ascensions se valent. 

Pour lPascension du Watzmann, de la hutte de Münchner à Hocheck, 
par un chemin très facile, je mis une heure vingt minutes pour une diffé- 
rence de hauteur de 750 mètres, soit donc 450 mètres à l'heure ; je ne 
pus aller aussi vite que j'aurais voulu, car le brouillard cachait la vue. 

Poar l'ascension du Zugspitz, je me suis entraîné d’une façon toute spé- 
ciale. Couché très tard et levé de bonne heure, je fis quelques heures de 
marche, puis après 500 flexions du genou; pendant le voyage de Münich à 
Partenkirchen (quatre heures), je restai debout sur la plate-forme, me ba- 
lançant d’une jambe sur l'autre jusqu’à fatigue complète. À Partenkirchen, 
je bus deux verres de bière, puis je pris la route de la hutte du Hollental 
(quatre heures d’après Purtscheller) en courant tant que cela me fut pos- 
sible, Grâce à cela, j'arrivai à la hutte à 8 heures et demie du soir, mort 
de fatigue dans toute l’acception du mot. Je pensais avec une secrète 
appréhension au lendemain. Après une mauvaise nuit, je partis à 2 heures 
du matin. Je pris, à ce moment-là, 100 grammes de sucre et la même 
dose à 2 heures et demie. À 3 heures, toute sensation de fatigue avait dis- 
paru ; les muscles des jambes seuls étaient encore douloureux. De la hutte 
du Hollental, qui est à 1381 mètres, jusqu'au Brett (1620 mètres), je mis 
cinquante minutes. Les douleurs musculaires avaient disparu. Là, et une 
seconde fois un peu plus loin, je me reposai dix minutes et ingérai chaque 
fois 60 grammes de sucre. De Brett j’allai au pic Est en deux heures vingt 
minutes ; ce qui fait en tout, avec vingt minutes de repos, trois heures dix, 
alors que Purtscheller indique six heures pour la durée du trajet. Comme 
la différence de hauteur de Brett au pic Est est de 1342 mètres, je faisais 
donc 530 mètres par heure. Ce résultat est remarquable, car Baedeker : 
donne 320 mètres comme moyenne pour les ascensions faciles. 

La respiration, le pouls et le cœur à mon arrivée au sommet n'étaient 
pas plus accélérés qu’en temps ordinaire dans les ascensions faciles ; 
toute trace de douleur musculaire était effacée et je ne ressentais pas le 
moindre signe de fatigue. Comme il y avait du brouillard, je visitai sans 
prendre de repos la guérite d'observations météorologiques; je pris encore 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 383 


100 grammes de sucre avant de repartir. Je n'éprouvais aucune fatigue à 
la descente, à peine quelques douleurs musculaires dans le haut des 
cuisses. 

VI. — En été 1901, j'entrepris comme première excursion de l’année 
d'aller de Galtür à Paznauntale et de faire de suite, en six jours, les ascen- 
sions du pic Buin (3912 mètres), du Gamshorn (3 080 mètres), du Fluch- 
thorn (3408 mètres), du pie Corvatseh (3458 mètres), du pic Bernina 
(4052 mètres) et du mont Pers (3211 mètres). Pendant cette excursion, 
commencée à Galtür et finie le septième jour à Saint-Moritz, je n’usai 
seulement de la voiture qu'entre Ardetz et Samaden (dans l’Engadine). 
Tant que dura mon voyage, sauf un repas de table d’hôte que je fus invité 
à partager à Ponteresina, Je pris chaque jour 50 grammes de viande pour 
me mettre en goût et tout le reste du temps rien que des hydrates de car- 
bone. Le matin, j'ingérais du cacao et 150 grammes de sucre, 250 grammes 
pour quelques ascensions, et rien de plus ; au principal repas, pris à la fin 
de l’ascension de la journée, un mets de farineux, quelquefois une soupe 
aux pois, environ 290 grammes de pain el de beurre et 250 grammes de 
sucre. Pour l'ascension du pic Bernina, ma nourriture, en plus des 250 
grammes de pain et de beurre, se composa de 1750 grammes de sucre, 
dont 750 grammes la veille au soir, 500 grammes le matin et 500 grammes 
pendant l’ascension. Je peux dire que je n'ai jamais été si gai et si dispos 
pour monter que pendant cette excursion qu'il me fallut interrompre par 
suite du mauvais temps. 

Les avantages de l'alimentation sucrée se déduisent mathémathique- 
ment de la comparaison du temps de mes ascensions avec celui que je 
mettais pour des excursions analogues les jours où je ne prenais pas de 
sucre et avec celui que les guides indiquaient. Il n’y a pas à se demander 
si un alpiniste plus jeune que moi (j'ai quarante ans). plus expérimenté, 
est capable de faire en montagne les mêmes marches dans un temps plus 
court ; il faut simplement considérer si la capacité de travail d’un même 
individu est augmentée par le sucre. Dans toutes les ascensions que j'ai 
décrites, je suis toujours monté juste assez vite pour ne pas m'incommoder 
ni me gêner ; 1l n°v eut qu’une exception, pour l’ascension du Watzmann, 
où je ne pris pas de sucre. J’ai enfin remarqué que l’activité du cœur, du 
poumon et du pouls n’était pas plus accélérée que cela arrive d'habitude 
au cours d’une ascension de montagne tout à fait facile ou d’une longue 
montée. 

La comparaison des chiffres concernant mes ascensions donne les ré- 
sultats suivants : 


Expérience 5 : 


Ascension courte et facile du Watzmann. Montée accélérée Le plus pos- 


384 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


sible à cause d’un brouillard imprévu. Différence d'altitude de Pabri au 
pie nord: 750 mètres. Temps de l'ascension : 1"40, Donc 450 mètres 
par heure. Je fis cette ascension dispos et sans prendre de sucre. 

Ascension longue et difficile du Zugspitz. Montée commode. Différence 
d'altitude : 1581 mètres. Temps de l’ascension : 3"10. Donc, 498 mètres 
par heure. Temps de l'ascension d’après les guides : 5 heures et demie. 
Différence du point 1 620 au sommet: 1 342 mètres. Temps de l’ascen- 
sion : 220, Donc 530 mètres par heure. Nourriture sucrée. 

Expérience 6 : 
Temps de mon ascension du pic Buin: 25; d’après les guides : de 
à 4 heures; 
Temps de mon ascension du Fluchthorn : 3"15 ; d’après les guides : 
430 ; 

Temps de mon ascension du pic Bernina : 5" 20 ; d’après les guides : 
de 6 à 7 heures. 

Si je note les différences d'altitude et le temps employé pour les ascen- 
sions suivantes : Wiesbadener Hutte au pic Buin, Jamtalhutlte au Gams- 
born, Jamtalhutte au Fluchthorn, Fourela Surlej au pic Corvatsch, Boval- 
hutle au pic Bernina, je trouve que je suis monté en moyenne de 450 
mètres par heure. Or, à l'exception du Gamshorn, ces ascensions se firent 
dans la glace ; le pic Bernina passe pour un des plus difficiles. Au Flucht- 
horn, je dus tailler environ 1950 marches dans la glace. Aussi, en compa- 
rant ces ascensions avec celles que je fis sans sucre, je constate une aug- 
mentalion de travail de 20 à 30 p. 100, toutes les fois que je prenais une 
alimentation sucrée ! ! 


— 


Et lorsque l’on songe au nombre incalculable des observations 
plus ou moins empiriques qui viennent confirmer les expériences 
ergographiques et les autres données scientifiques, il devient impos- 
sible de nier que le sucre augmente notablement l'énergie musculaire 
et qu'il empêche la fatigue. 


II. — LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION GÉNÉRALE DE L'HOMME 


Nous estimons avoir suffisamment établi, dans les chapitres précé- 
dents, l’utilité de l'introduction du sucre dans la ration alimentaire 
de l’homme. Nous nous proposons maintenant de spécifier les cas 
particuliers où l'alimentation sucrée se trouve plus spécialement 
indiquée. 


GLYCOGÉNIE EL ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 389 


A) LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DU SOLDAT 


Les considérations précédentes sur la valeur nutritive et énergé- 
tique du sucre font de suite songer à la place importante que cet 
aliment devrait occuper dans la ration du soldat, et cela pour les 
raisons suivantes : 

On sait qu’en ajoutant du sucre au régime réglementaire quotidien, 
il y aura épargne d’albumine, et la ration ne s’en trouvera que mieux 
utilisée. L'homme par conséquent sera rendu plus apte au travail. 
En outre, comme le soldat doit parfois, à certains moments, donner 
un grand effort, il est nécessaire de savoir s’il peut, et comment, dis- 
poser, le cas échéant, d’un moyen rapide de ranimer momentanément 
ses forces épuisées et de poursuivre son élan. Enfin, dans l’éven- 
tualité d’une guerre, 1l y aura forcément concentration d’un très 
grand nombre d'hommes dans un endroit restreint et peut-être déjà 
dévasté. Combien, dans ces cas-là, l'alimentation de ces troupes 
sera chose difficile ! C’est un problème dont la solution n’est pas en- 
core trouvée, bien que l’on étudie depuis longtemps le moyen de trans- 
porter des substances alimentaires sous un petit volume. Là encore 
on devra se rappeler que le sucre peut, pendant un certain temps, 
remplacer d’autres aliments. Voilà en somme trois raisons qui rendent 
indiscutable le principe de l'introduction du sucre dans les rations du 
temps de paix et du temps de guerre. 


Le sucre dans la ration du temps de paix. 


L’adjonction du sucre à la ration du temps de paix a plus d’im- 
portance au point de vue économique qu’au point de vue militaire 
proprement dit. Théoriquement, en effet, la ration actuelle du soldat 
est suffisante, à la condition toutefois qu’elle soit ingérée en totalité, 
ce qui n’est pas toujours le cas’. Le rapport relatif qui y existe entre 
les albuminoïdes, les graisses et les hydrocarbonés est conforme aux 


1. Voir à ce sujet les articles du D' Drouineau (Caducée, 21 mars et 6 mai 1903) 
relatifs aux nombreux déchets de pain et d'aliments qui restent après les repas de la 
troupe et aux moyens de les éviter. 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 25 


386 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


données d’une bonne hygiène alimentaire, mais s’ensuit-il que cette 
ration ne puisse être remaniée au fur et à mesure des progrès de 
la science ? Cela est une tout autre chose, et dans ce cas, comme 
l’un de nous l’a déjà dit ailleurs ?, il faut accepter complètement la 
manière de voir de M.le médecin-major Ricoux * : « Si l’on propose, 
dit ce dernier, de remplacer, dans la ration du temps de paix, une 
partie des hydrates de carbone insolubles que le soldat trouve dans 
le pain et les légumes sous forme d’amidon et de fécule, par un 
hydrate de carbone soluble, agréable au goût et rapidement assimi- 
lable comme le sucre de canne, nous répondrons que cette substitu- 
tion ne peut avoir que des avantages. » Or, le sucre ne fait partie 
constituante de la ration du soldat que dans peu d’armées. 

En France, le soldat touche : dans la ration forte de campagne, 
31 grammes ; dans la ration normale de campagne, 21 grammes ; 
dans la ration du temps de paix, à à 10 grammes de sucre; 

Le marin français touche 25 grammes de sucre (cassonade) dans 
la ration dite de journalier aussi bien que dans la ration de campagne ; 

En Angleterre, la ration comporte 385,7 de sucre. Lors de la cam- 
pagne d'Égypte en 1882, elle était de 64 grammes®. Aux colonies, en 
temps de guerre, le soldat anglais reçoil en outre une ration journa- 
lière de confitures enfermée dans une petite boîte de fer-blanc, d’un 
poids variant entre 100 et 250 grammes, susceptible donc de se placer 
facilement dans le sac ; 

Le règlement allemand indique pour les expéditions dans les con- 
trées tropicales une ration de 50 grammes de sucre * ; 

En Suède, dans la ration de réserve, on trouve 33 grammes de 
chocolat ; 

Enfin, la ration de l’armée russe en campagne renferme du sucre 
au taux journalier de 1928°,80. 

Nous pensons qu’en France la quantité de sucre allouée par jour 


1. D' Drouineau, Gazette des hôpitaux, 9 septembre 1899. 

2. Revue d'hygiène, mars 1899. 

3. Archives de médecine mililaire, 1885, p. 233. 

4. D'après Braune, Marine Stabsartzt, (Archives de médecine militaire, 1883. 
28.) 


{ 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 38 
au soldat pourrait être augmentée avec avantage dans certaines cir- 
constances, comme, par exemple, les jours de marche ou de ma- 
nœuvre. Cette conclusion a élé adoptée par les différents médecins 
militaires qui se sont déjà occupés de cette question. 

En admettant que le suere prenne ainsi place dans la ration du 
soldat, à quel moment ce dernier doit-il le consommer ? Leistikow 
demande que ce soit dans le café du matin; c’est aussi l'avis de Lei- 
tenstorfer, mais ce dernier fait une restriction, fort rationnelle si l’on 
s’en rapporte aux expériences de Mosso. Les Jours de fatigue, pense- 
t-il, il vaudrait mieux donner le sucre pendant le travail à exécuter. 
Dans ses recherches, il avait divisé les hommes, sur qui portait l’ex- 
périence, en deux groupes. Le groupe A prenait son sucre dans le 
café du matin ou au début de la marche, le groupe B pendant la 
marche, l'estomac étant sensiblement vide, ou au début de la fatigue. 
Or, dit Leitenstorfer, l’influence du sucre chez les gens du groupe A 
étail plus-latente et moins évidente que chez le groupe B; cela con- 
corde avec les recherches de Schumburg. Ce dernier fut amené à 
conclure que c’est après un travail musculaire fatigant que la capa- 
cité de travail se trouve manifestement accrue par l’ingestion de 
30 grammes de sucre. 

Pour compléter et appuyer ces quelques remarques générales sur 
l’atilité qu'il y aurait, même en temps de paix, à augmenter considé- 
rablement la ration de sucre du soldat, citons la lettre suivante que 

l’un de nous recevait tout dernièrement (octobre 1903) du capitaine 
_ Proteau (123° régiment d'infanterie). Elle nous montre, malgré ses 
conclusions parfois quelque peu hésitantes, que le jour où, rompant 
avec les préjugés, lon voudra bien tenter de semblables essais, les 
hommes et les chefs reconnaîtront d'eux-mêmes les précieux avan- 
tages de l'alimentation sucrée et la considéreront presque comme 
indispensable au métier des armes. 


C’est avec beaucoup de plaisir que je vous adresse les renseignements 
que vous voulez bien me demander sur l'introduction du sucre dans Pali 
mentation de ma compagnie au cours des manœuvres que nous venons 
d'accomplir. Ainsi que je vous en avais prévenu avant notre départ, mon 
intention, en augmentant la ration journalière de sucre allouée aux 
hommes, n’était nullement de faire une expérience. La nécessité où je 


388 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


me trouvais de ne pas rompre l’homogénéité de ma compagnie ne me 
permettait guère de prendre comme témoins un certain nombre d'hommes 
qui n'auraient reçu qu’une ration réduite. 

Les résultats des premiers essais d'alimentation sucrée ont été, tant à 
l'étranger qu’en France, je ne dis pas assez concluants, mais cependant 
assez satisfaisants pour que j’eusse depuis longtemps l'envie d’entrer dans 
celte voie. Les renseignements que vous m'avez communiqués ne pou- 
vaient que m’encourager. La diminution récente des droits établis sur le 
sucre et l’abaissement de son prix ‘ m'ont enfin, pour la première fois, 
permis d'augmenter pendant les manœuvres, d’une façon très sensible, 
la ration journalière de sucre accordée par les règlements. 

Ainsi qu'il ressort du tableau ci-annexé, la ration réglementaire de 
21 grammes à élé presque quadruplée pour chaque journée de manœuvre, 
plus que quintuplée même les 14 et 17 septembre. Le sucre a été, selon 
mes instructions, consommée de la façon suivante : 1° un quart de la 
ration dans le café pris le matin avant le départ du cantonnement ; 2° un 
quart dans les bidons individuels qui, avant le départ, étaient remplis de 
café léger ; 3° le reste (moitié de la ration) dans le café fait et pris sur le 
terrain à la grand’halte qui suivait la manœuvre. Chaque caporal d’escouade 
était en outre constamment pourvu de 100 à 150 grammes de sucre en 
morceaux, qu'il distribuait au cours de la marche ou de la manœuvre à 
ceux de ses hommes qui se sentaient le plus fatigués. Il résulte de cette 
dernière disposition que les hommes les moins résistants, sur mes indi- 
cations, ont vu certains jours leur ration s’augmenter encore de 50 grammes 
et même davantage. Quelques hommes même se sont munis à leurs frais 
d’une petite provision de sucre qu’ils consommèrent en supplément. 

Faute, comme je vous l’ai dit, de pouvoir prendre dans ma compagnie 
des témoins d'expérience, il ne m'est pas permis de tirer de cet essai 
d'alimentation au sucre des conclusions réellement scientifiques. Il m’a 
été donné cependant de suivre quelques hommes que j'avais trouvés moins 
robustes que leurs camarades et que j'étais loin de considérer au départ 
comme capables de pouvoir accomplir intégralement les manœuvres. Ils 
l'ont fait cependant, ainsi qu’il ressort du tableau ci-joint, d’après lequel 
l'effectif de ma compagnie n’a diminué dans le cours des manœuvres que 
d’une unité (à la suite d’un accident d'arme à feu). 


{. Au cours de l'impression de notre travail, la loi du 28 janvier 1903 est en effet 
venue réduire à 25 fr, par quintal l'impôt de 64 fr. qui pesait encore en France 
sur le sucre rafliné, au moment où nous écrivions notre avant-propos et réclamions 
avec M. Grandeau la suppression de toute entrave fiscale à la consommation de cette 
denrée de première nécessité. Gette loi a reçu sa première application en septembre 
1903, et le capitaine Proteau a certainement été le premier qui, dans l’armée, en ail 
profité aussi largement. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 989 


L'énergie dont les quelques hommes, moins vigoureux, ont fait preuve 
et leur résistance un peu inespérée doivent-elles être attribuées à l’usage 
du sucre ? Il ne m'est pas permis de Paffirmer, mais le sucre en tout cas 
ne leur à certainement pas nui. 

Plusieurs de mes sous-officiers avaient également adopté l'alimentation 
sucrée intensive. L'effet qu’ils ont le plus généralement constaté est la 
diminution de la soif, etc. 


2 , MALAD 
DÉPART ARRIVÉE SUCRE DES 
FIN autorisés 


du au consommé | à monter 
de la EFFECTIF. en voiture! ÉVACUÉS. 
cantonne- cantonne- par au cours 
manœutre. de 
ment. ment, homme, el 
marche, 


Septembre, | Heures. Heures. Heures. | Hommes. | Grammes. 
4 40 10 05 EATE 129 
4 30 9 00 A0, 129 
5 30 9 45 83, 40 129 
5 30 11 30 45 129 
REPOS 129 

30 9 50 D 129 
14! 30 Midi 


©S © © © © mm © 


(Accident) 
15 45 10 35 
16 REPOS 2 2 
172 5 30 | în | 1 i 


1. La Compagnie prend les avant-postes jusqu’au lendemain matin. — 2. Étape de 32 kilomètres. 


Bien que ces manœuvres aient été fort peu pénibles, les observa- 
tions du capitaine Proteau n’en sont pas moins intéressantes et ins- 
tructives. 

Espérons que lexemple sera suivi. 


Le sucre dans la ration normale de campagne. 


Tout ceci nous démontre que le sucre est encore plus nécessaire 
en temps de guerre qu’en temps de paix. Il constitue en effet un 
moyen temporaire de relever les forces des hommes fatigués. Les 
auteurs sont d'accord sur ce point. L’un de nous s’en est rendu 
compte par lui-même et a pu vérifier ce fait allégué par le D'Schum- 
burg : que 30 grammes de sucre suffisent pour redonner pendant 


9390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

plusieurs heures, à des soldats exténués de fatigue, une énergie sufi- 
sante pour continuer la manœuvre. De Moltke ne prétendait-il pas 
que si les Poméraniens, à Gravelotte, avaient pu avoir du sucre, ils 
seraient entrés en ligne une demi-heure plus tôt. 

Mais ce n’est pas là le seul point de vue à considérer : Le sucre 
peut momentanément suppléer à l'absence d’autres aliments. Au 
cours de la guerre de 1870, on vit souvent, dans des villages complè- 
tement dépourvus de vivres, des bataillons entiers se rassasier avec 
des réserves de sucre qu’ils avaient découvertes. Souvenons-nous 
également des expériences faites par Steinitzer sur lui-même et du 
cas de cet ingémeur boer qui, ainsi qu'il écrivait à M. Grandeau, 
put s’entretenir pendant six semaines sans perdre de vigueur ni 
d’embonpoint, en ne mangeant presque exclusivement que du sucre. 
Le fait est important, car le ravitaillement des troupes est une des 
grosses questions de la guerre. Quand, après la bataille, un grand 
nombre d'hommes se trouvera rassemblé dans une contrée forcément 
dévastée, on se demande avec anxiété comment les transports de 
vivres pourront arriver assez nombreux et assez vite. Ne serait-il pas 
à désirer que les troupes puissent alors disposer d’une forte ration 
de sucre ? 

lei se pose la question de savoir comment et sous quelle forme il 
faut transporter le sucre en campagne et de quelle manière il est 
préférable de le faire absorber aux hommes. Dans les expériences de 
Leitenstorfer, les morceaux de sucre avaient la forme de dés pesant 
environ 9 grammes et le caporal du groupe en faisait, chaque jour, le 
partage. L’empaquetage en marche était très primitif. Peu d'hommes 
prenaient, avant le départ, le temps et la peine de faire dans leur 
bidon une solution sucrée. Quelques-uns dissolvaient le sucre dans 
leur quart pendant la marche, au moment où ils en avaient besoin. 
Mais la plupart préféraient mouiller le morceau, ou même le manger 
sec puis le faire glisser dans l’estomac avec une gorgée d’eau du 
bidon. Leitenstorfer interrogea les hommes sur leurs préférences. 
En marche, les deux tiers aimaient mieux croquer le sucre et boire 
ensuite une gorgée d’eau; un tiers emportait de l’eau sucrée dans 
le bidon. La plupart, les officiers spécialement, réelamaient même 
pour cela des morceaux de sucre de forme allongée, susceptibles 


0 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 391 


d'entrer facilement dans le bidon. La boîte de métal, surtout celle 
qui était en aluminium, mise dans le sac à pain, constituait, au dire 
des hommes, la meilleure manière d’empaqueter le sucre. Dans les 
expériences de Leistikow, ces boîtes, munies d’un couvercle mobile à 
charnières, avaient à centimètres de long, 4°",6 de large et 4 cen- 
ümètres de hauteur; elles pesaient vides 435,5. Leur prix était de 
28 pfennigs l’une. Elles renfermaient juste huit morceaux de sucre 
dits dominos, et comme chaque morceau pèse 8#°,3, l’homme dispo- 
sait de 66,5 de sucre. Les commandants de compagnie préféraient 
faire porter les boîtes dans les cartouchières plutôt que dans le sac 
à pain. Ces récipients métalliques se conservèrent bien. Par contre, 
l’empaquetage en caisse de 25 kilogr. se montra défectueux. Lors- 
qu'une partie de la caisse était consommée, de nombreux morceaux 
s’émieltaient pendant le transport. Il faut done recommander d’em- 
baller le sucre par petits paquets. On fera peut-être valoir contre 
Pintroduction de cet aliment dans l’armée que l’homme aura, de ce 
fait, à porter en plus une pièce d'équipement d’un poids minimum 
de 100 grammes. En temps de paix, la boîte à sucre trouve facile- 
ment sa place dans les cartouchières, mais où la mettre en cam- 
pagne ? Dans une poche spéciale de la musette, par exemple, où elle 
ne constituera pas plus une gêne, nous semble-t-1l, que le pain. 


Action du sucre sur la faim et la soif. 


Le soldat ne songera du reste pas à se plaindre, du jour où il saura, 
par expérience, que non seulement le sucre donne de l'énergie, mais 
qu'il apaise momentanément la faim, calme la soif et prévient le 
coup de chaleur. Tels sont, en effet, les avantages principaux re- 
connus au sucre. Ils sont trop importants pour que le médecin mili- 
taire et l'officier ne songent pas à en profiter. 

Leitenstorfer chercha à se rendre compte de l’impression produite 
par le sucre e+ l’estomac à jeun. Presque tous les hommes d’expé- 
rience lui répondirent que son usage calmait la sensation de faim. Un 
sergent-major l’informa même qu’à la rentrée à la caserne les hom- 
mes au sucre avaient peu d’appétit. Leistikow est aussi du même 
avis, Nos observations personnelles, jointes aux essais des 9° et 9° 


392 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


corps, ne nous permettent pas d’être aussi affirmatifs en ce qui con- 
cerne l'efficacité absolue du sucre sur la faim. Cet aliment, croyons- 
nous, n’enlévera pas complètement aux hommes l’idée du repas subs- 
tantiel qui succédera à l'exercice pénible ; mais, pris même à petites 
doses, il fera disparaître dans l'estomac à jeun l’impression de vide. 
Il permettra, en un mot, de reculer le moment où la faim devient 
une véritable gène et impressionne péniblement le moral de celui qui 
fatigue. 

Par contre, le sucre calme réellement et indubitablement la soif. 
Tous les hommes, d’après Leistikow, louent ses propriétés stimulantes 
et désaltérantes. « Une des observations les plus extraordinaires de 
mes expériences, lisons-nous également dans le mémoire de Leiten- 
storfer, est la suivante : Lorsque l’on mâche ou avale plusieurs mor- 
ceaux de sucre, de deux à dix, non seulement cela n’augmente pas du 
tout la soif, mais la chose.est agréable, même pendant les chaleurs 
et au moment de l'effort, et, de plus, enlève l’envie de boire. » La 
cavité buccale, par suite de l'augmentation de la sécrétion salivaire 
due à l’ingestion du sucre, est rapidement désempâtée ; la langue et 
le voile du palais sont de nouveau humides, et presque immédiate- 
ment, il part de l’estomac une sensation apaisante de rassasiement. 
On ne sent plus le besoin de boire de l’eau. Nos expériences person- 
nelles nous ont montré que les hommes ingérant du sucre accusaient 
le plus souvent une diminution de la sensation de soif, alors que la 
plupart des sujets à la saccharine ne trouvaient de ce côté aucun 
changement à ce qu’ils éprouvaient d'habitude au cours des longues 
marches. Cela concorde avec les observations faites dans la com- 
pagnie du capitaine Proteau, au cours des dernières manœuvres. 
Nous serons également conduits aux mêmes résultats en expérimen- 
tant sur les animaux. À la plus forte ration de sucre correspond 
généralement le minimum d’eau de boisson prise par l'animal. Les 
recherches rigoureuses de Werechtchaguine et Nosenko', déjà 
cilées, témoignent enfin dans le même sens. Ces auteurs ont trouvé 
que, chez l’homme, sous l’influence de l'alimentation sucrée, léli- 
mination de l’eau était notablement plus restreinte. Nous verrons 


1. Vratch, 1894, n° 45. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 9393 


que la sudation a alors tendance à diminuer considérablement et 
comme la sensation de soif n’apparaît que si l’organisme perd plus 
d’eau qu’il n’en reçoit, il en résulte logiquement que le sucre ne 
peut que retarder le moment où l’on sent le besoin de boire. C’est, 
en effet, ce qui arrive contrairement aux préjugés. Nous lavons 
suffisamment démontré ; nous y reviendrons du reste. 


Le sucre et les coups de chaleur. 


Le sucre prévient enfin le « coup de chaleur », la € Hungerneu- 
rasthénie » des Allemands qui, même sous nos climats tempérés, fait 
malheureusement trop de victimes dans les rangs, pendant les longues 
marches d'été, lorsque le temps est orageux, couvert, et que l'air 
manque. 4 

Pour lutter contre l’échauffement résultant du travail et de Paug- 
mentation de température du milieu ambiant, l’organisme dispose 
de divers procédés. La peau présente tout d’abord une vaso-dilata- 
tion, nettement visible à sa rougeur et destinée à rapprocher la 
température de l’épiderme de celle de l’air. L'intensité des com- 
bustions intra-organiques décroit en même temps pour diminuer 
la quantité de chaleur produite. Mais ces deux modes de lutte de- 
viennent insuffisants dès que la température ambiante dépasse celle 
du corps et que ce dernier ne rayonne plus que faiblement. C’est 
alors que l'organisme fait intervenir l'augmentation de Pévaporation 
de l’eau soit à la surface de la peau, comme chez l’homme ou le 
cheval qui suent abondamment, soit dans les voies respiratoires, 
comme chez le chien qui ouvre la gueule, tire la langue et fait par 
minute de 300 à 400 respirations courtes, précipitées et peu pro- 
fondes. Si l’on muselle un de ces chiens haletants, la température du 
corps augmente progressivement et la mort ne tarde pas à survenir. 
Le fantassin qui marche en rangs serrés, par cela même encore 
que sa lourde charge gène sa respiration et entrave l’évaporation 
de la sueur, a bien vite fait, lui aussi, tout comme le chien, d’altein- 
dre la limite de la résistance à l’échauffement. Il tombe. Le cheval 
ne résiste guère mieux que lui. Le D° Bonnette ‘ préconise contre ces 


1. D' Bonnette, Quénsaine médicale, depuis 15 décembre 1898. 


394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


accidents thermiques, souvent mortels, une infusion fortement sucrée 
de café chaud à donner au moment où la troupe commence à fléchir. 
En 1898, il accompagnait en Algérie un détachement de 400 légion- 
naires envoyé de Bel-Abbès à Saïda. Le deuxième jour de marche, 
après la quatrième pause, vers 9 heures du matin, la chaleur aug- 
menta; il n’y avait plus d'air. Les hommes, congestionnés, baignés de 
sueur, ralentissaient la marche ; les trainards devenaient nombreux 
et tombaient sur le bord de la route. Trois d’entre eux furent même 
pris de malaises sérieux, et il fallut employer les injections d’éther, 
les frictions, la réfrigération et la respiration artificielle. On arrêta 
la colonne et, sur les conseils du D' Bonnette, on fit le café pendant 
que l’on réquisitionnait tout le sucre du village voisin. Chaque homme 
en reçut, dans son quart de café, 35 grammes environ. Après une 
halte d’une demi-heure, la colonne put finir sans essoufflement et 
sans souffrance les sept derniers kilomètres de l'étape. 

Il faut aussi ne pas oublier, à ce propos, que la sudation produite 
sous l'influence de la température extérieure ou du travail muscu- 
laire est une cause de perte d'énergie, car la quantité de chaleur 
nécessaire pour évaporer la sueur, même supposée vaporisée à 37° 
(la température du corps), n’est pas négligeable. Un homme, par 
exemple, qui produit, par heure, près de 30 grammes de sueur, en 
exécutant en plein soleil d’été des mouvements violents, consomme 
dans le même temps pour évaporer cette sueur plus de 16 calories. 
Ainsi donc, le sucre ingéré au cours des périodes de sudation géné- 
ralisée préserve du coup de chaleur, et de plus, en diminuant l’éva- 
poration cutanée, empêche l’organisme de s’affablir et de dépenser 
de Pénergie qui pourrait dans la suite lui faire défaut. 


Rôle du sucre dans les expéditions et explorations 
des pays chauds. 


À côté du rôle que le sucre doit jouer, sous nos climats tempérés, 
dans Palimentation du soldat, il nous faut envisager, comme ques- 
lion connexe, s'il peut être de quelque utilité pendant les expé- 
ditions coloniales et les explorations dans les pays chauds. Tous les 
auteurs compétents sont unanimes dans leurs appréciations. Consul- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 


tons le D' Holwerda, médecin en chef de l’armée hollandaise des 
Indes orientales, qui a une pratique de plus de vingt années à Java 
et à Sumatra. 

« Pendant l'expédition militaire dans la contrée de Pidié, nous dit- 
il‘, on ne fit pas, à proprement parler, d'expériences, mais mes ob- 
servalions parlèrent en faveur du sucre. Je ne cherchai tout d’abord 
qu’à savoir si le soldat en marche aime le sucre, s’il en profite, el 
quelle est la préparation qu'il préfère. Chacun était libre de prendre 
du sucre ou de le refuser, et pouvait le consommer de la façon qui 
lui convenait le mieux ; or, en général, on en prenait plus que je ne 
l'aurais cru. Beaucoup louaient cet aliment avec chaleur, et c'était 
généralement ceux qui ne buvaient que peu ou pas d'alcool. Ils attes- 
aient qu’ils supportaient mieux les fatigues de la marche en prenant 
du sucre. [ls le préféraient dissous dans le thé froid et en mgéraient 
une grande quantité dès que la soif les tourmentait. Généralement, 
pendant la journée ils n’en buvaient que quelques gorgées entre les 
repas. De cette manière, ils n'avaient jamais soif, se sentaient plus 
résistants, n'étaient pas atteints par la fièvre de marche, demeuraient 
toujours éveillés et bons pour le travail, même lorsque les repas se 
faisaient attendre. Les soldats indigènes aimaient, eux aussi, à mâcher 
de la canne à sucre pendant la marche, surtout lorsqu'il faisait très 
chaud. Aussi le coup de chaleur fut-il très rare pendant l'expédition… 
Je n’hésite donc pas à recommander, aussi bien pour les expéditions 
que pour les explorations dans les pays chauds, d’ajouter à une bonne 
alimentation 100 à 150 grammes de sucre de canne par tête et par 
jour. Je n’ai jamais entendu dire que cette pratique ait eu un désa- 
vantage quelconque. Le sucre est en outre facile à transporter et, ce 
qui est très important pour les expéditions tropicales, ne se gâle pas 
lorsqu'on le met, dans des boites, à abri des insectes. » 

Le D' Vincent *, médecin inspecteur de l’armée coloniale, partage 
entièrement les conclusions du D' Holwerda. Au Congrès interna- 
tional d'hygiène tenu à Bruxelles en septembre 1903, MM. Van der 
Barg, officier de santé des Indes néerlandaises, et Reynaud, médecin 


1. D' Holwerda. Congrès d'hygiène, 1900, VI section. 
2. D' Vincent, Caducée, 6 juillet 1901. 


396 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


en chef du corps de santé des colonies, dans leurs rapports respectifs 
sur l’alimentation des Européens et des travailleurs indigènes dans 
les pays chauds, se sont nettement prononcés pour l'introduction du 
sucre dans la ration. Ges données pourraient même nous servir d’ar- 
euments en faveur de l’usage du sucre dans nos climats tempérés, 
car, au fond, pendant certaines marches où manœuvres de lété et 
de l’automne, il faut bien se dire qu'on dépense son énergie dans 
des conditions presque identiques à celles des pays chauds. 

Nous voici, en tout cas, à même de conclure que l’on peul et que 
l’on doit, sous tous les climats, enrichir son alimentation par l’adjonc- 
tion de sucre. Nombre d’auteurs compétents viennent de nous prou- 
ver, par l’expérience, que cet aliment était des plus utiles en Afrique, 
dans les Indes et aux Antilles. Le sucre est du reste tout aussi précieux 
dans les pays froids, et Nansen, pendant son fameux voyage, n’hésita 
pas à remplacer le brandy par des fruits et diverses espèces de sucre- 
ries dont il s'était largement approvisionné à bord du Fram. Sans 
remonter au Pôle nord, ne voit-on pas les Anglais consommer le sucre 
en très grande quantité sous forme de cristallisés, de bonbons, de con- 
Hilures, ou même de «sirop d’or » qui n’est autre chose que le résidu 
des mélasses désucrées. Sous cette gourmandise apparente se cache 
certainement un besoin instinctif de prendre à bon marché le calo- 
rique nécessaire pour lutter contre le froid malsain des brouillards. 


B) LE SUCRE DANS L'ALIMENTATION DES DIVERSES CLASSES SOCIALES. 


Le sucre dans la ration journalière de l’ouvrier. 
Les véhicules du sucre dans l'alimentation courante. 


L'alimentation au sucre est également bien indiquée dans toute 
une série de métiers et de professions qu’il serait trop long de passer 
en revue, ce qu'on ne pourrait faire, d’ailleurs, sans s’exposer à 
de nombreuses redites. Il suffira de réfléchir à ceci : toutes les fois 
qu'un individu accomplit, par métier ou par plaisir, des exercices 
musculaires où des travaux mécaniques plus ou moins pénibles, 1l 
a avantage à prendre du sucre. 

Dans cet ordre d'idées, nous devons envisager deux cas : ou bien 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 5397 


l'effort se reproduit chaque jour, ou bien il n’est qu’accidentel ou du 
moins n’a lieu que de temps à autre. Dans le premier cas, celui de l’ou- 
vrier obligé de gagner sa vie, et par conséquent le plus intéressant, 
le sucre doit être régulièrement ajouté à la nourriture quotidienne, 
car il est aisé, en raisonnant, de se rendre compte que cet aliment 
doit faire partie constituante de la ration de tous ceux qui se livrent 
journellement à un travail fatigant. 

M. Gautier ‘ a calculé, en tenant compte des observations fournies 
par les statistiques, que l’homme adulte moyen, au repos ou du moins 
ne fournissant qu’un travail très modéré, ingêre, instinctivement, 
peut-on dire, et par Jour, les quantités suivantes de principes ali- 
mentaires organiques : 


PRINCIPES NUTRITIFS. 


AIDUMINOIUES EE Venensn er MOUTUE: 108 gr. 

(RAÏSS ES RE RER LEE MM 49 

HNALOCATDONÉS SE PTE MERS ETS 403 
SOIR SPA TOR NES 560 


Le même auteur Lrouve dans la ration moyenne et Journahère des 
travailleurs de diverses catégories et de pays différents : 


PRINCIPES NUTRITIFS. 


AIDEMIROI ESA EAN EEE RAA E7 150 gr. 

GRAS SN MI En re EU 2e 60 

HYUrOCATDONÉS EME ENT 7 263 
SD be EMA ANR tue 


D’après ces chiffres nullement théoriques, puisqu'ils sont tels que 
les a fournis l'observation pure et simple, 1l est aisé, en se servant 
des coefficients de Rubner, de calculer, dans les deux cas considérés, 
l’apport total de calories fourni en vingt-quatre heures par l’alimen- 
tation à l’organisme humain. L'énergie de la ration quotidienne est 


équivalente à : 
3 481,3 calories dans le cas de l'homme qui travaille ; 
2 550,8 = —= au repos. 


Différence . 930,5 
Pour subvenir uniquement au travail, il faut introduire en plus 


1. A. Gautier, Chimie biologique, 1897, p. 795. 


398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

dans l’économie 930,5 calories. Au moyen de quelles quantités d’ali- 
ments simples, albuminoïdes, graisses et hydrocarbonés, l’homme 
couvre-t-1l ce surcroît de dépense ? Si l’on examine attentivement 
les chiffres donnés par M. Gautier, on voit que pour 100 d’albumi- 
noides contenus dans la ration moyenne de l’homme, il y a: 


: :C 1 Tel J rer HYDROCAR- 
DANS LK CAS DE L ALIMENTAMXION ÜRAISSES. BOXÉS. 
DIETODOS SR RETIRE re 45,4 373 
Durtra va PET PE TE Der 40,0 375 


Cela signifie que les rapports entre les albuminoïdes, les graisses et 
les hydrates de carbone de la ration ne changent pas sensiblement, que 
l’homme soit au repos ou qu'il fournisse un travail un peu fatigant. 
D'après cela, l’ouvrier et, en général, le travailleur ne s’adresseraient 
pas de préférence à l’une des trois catégories fondamentales de prin- 
cipes alimentaires pour trouver le surcroît d'énergie dont ils ont 
besoin. Quand ils travaillent, ils ne modifient guère leur régime et se 
contentent de manger, en supplément, un peu moins de la moitié des 
matières alimentaires dont ils se contentent au repos. Nos raisonne- 
ments, il faut bien le spécifier, ne s’appliquent qu’à ouvrier moyen. 
Lorsque le travail devient considérable et au-dessus de la moyenne, 
comme cela a lieu pour les mineurs, les bûcherons, nous savons, en 
effet, qu’afin d'éviter une surcharge exagérée du tube digestif, l'aliment 
gras intervient toujours en plus grande quantité, puisqu'il est sus- 
ceptible d'apporter sous un volume moindre autant d'énergie que les 
autres aliments. Cette alimentation de l’ouvrier est-elle rationnelle ? 

Le surplus de potentiel que réclame le travail à fournir est équiva- 
lent, avons-nous dit, à 930 calories en chiffre rond. Mais c’est là la 
valeur calorifique totale du supplément de ration ingéré et non point 
celle de la partie de cette ration additionnelle qui est réellement 
absorbée et utilisée. De cette valeur de 930 calories, il faut tout au 
moins déduire l'énergie de la portion non digérée de chaque aliment. 
Il est dès lors facile de comprendre que l'apport brut pourra être 
d'autant moins élevé que les substances alimentaires qui le fourniront 
seront mieux utilisées. Or, toutes les expériences de digestibilité nous 
démontrent d’abord que le déchet est toujours plus fort pour les albu- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 399 
minoïdes que pour les deux autres catégories d'aliments. Nous savons 
également que l'effet physiologique utile de l’albumine réellement 
absorbée, est fort peu élevé. Les protéiques ne servent à alimenter 
les réactions intra-organiques qu'après maintes transformations. 
Celles-ci nécessitent un travail chimique, nullement négligeable, et 
qui ne peut se réaliser sans un emprunt d'énergie fail aux autres 
principes immédiats. Le travailleur n’est donc pas alors bien inspiré, 
en continuant à faire figurer les albuminoïdes dans son supplément 
de ration en aussi grande proportion que dans sa ralion d'entretien 
au repos. Le travail musculaire normal n'augmente Jamais loxy- 
dation des protéiques, et ne demande qu’exceptionnellement de 
l'énergie aux matières quaternaires. Lorsque l’on a tenu compte du 
besoin d’un minimum d'azote, l’albumine n’a, en somme, qu’un rôle 
fort secondaire à jouer. C’est là une loi dont la physiologie moderne 
a donné assez de preuves imdiscutables pour qu'il ne soit plus permis 
de la perdre volontairement de vue. 

De ce qui précède il découle, par conséquent, que, pour parfure 
la somme totale de calories nécessaires à l’accomplissement de son 
travail, l’ouvrier doit s'adresser avant tout aux aliments ternaires. 
Tout supplément de viande, ou du moins tout supplément notable 
ne pouvant être d’une grande utlité, il reste, comme nous venons de 
le dire, à choisir entre les corps gras et les hydrates de carbone. Si 
l’ouvrier écoute son goût, il n’hésitera pas à les associer, car les fari- 
neux et les légumes, rehaussés de beurre, d'huile, de graisse, se prè- 
tent à des formes culinaires appétissantes et assez variées. Mais il est 
évident que les hydrates de carbone vont dominer dans le mélange. 
L'organisme supporte mal, tout d’abord, les fortes doses de graisses 
et, de plus, ces dernières sont d’un prix trop élevé pour les bourses 
modestes. Aussi, trouve-t-on d'ordinaire dans l’alimentation des pau- 
vres 1 de corps gras pour 10 d'hydrocarbonés. Nous en arrivons alors, 
par déduction, à demander aux hydrates de carbone la presque tota- 
lité des 930 calories à parfaire dans le cas de travail. Est-ce con- 
forme à ce qui a heu dans la pratique courante ? Les statistiques et 
les observations nous apprennent que ce sont bien effectivement les 
hydrocarbonés, si abondamment représentés dans les aliments végé- 
taux, les moins coûteux entre tous, qui fournissent à l’ouvrier la 


400 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 
plus grande partie de l'énergie supplémentaire dont il a besoin. La 
théorie est satisfaite dans ses grandes lignes et, en principe, l'on n’a 
rien à demander de plus au travailleur qui se gorge d’hydrocarbonés. 
Nous savons qu'il n’est pas de meilleur aliment pour les muscles en 
activité. Malgré cela, il nous faut encore intervenir ici, car l’ouvrier 
se trouvera bien d’être guidé dans le choix de ses aliments ternaires. 
Pour tout le monde, l'alimentation hydrocarbonée, c’est l’alimen- 
tation purement végétale. Bien que l’estomac la supporte assez facile- 
ment et à doses relativement élevées, il faut reconnaitre cependant 
qu’elle augmente considérablement le volume de la ration. Les ali- 
ments végétaux tiennent, en effet, beaucoup.de place, pèsent, comme 
l'on dit, sur l'estomac et nuisent par cela même imdirectement, 
pendant toute la digestion, à la puissance du travail musculaire. Ce 
dernier et le travail digestif s’excluent en quelque sorte l’un l'autre. 
Qui ne s’en est pas rendu compte nombre de fois? Une autre carac- 
téristique de l'alimentation végétale, les expériences de digestibilité 
nous l’apprennent, c’est d’exposer à des déchets souvent considérables. 
Les protéiques qu’elle apporte ne sont que très imparfaitement 
absorbés. De plus, chez l'homme, les celluloses passent en grande 
partie inaltérées dans les excréments, et augmentent encore de ce fait 
la proportion des matériaux réfractaires à la digestion”. Or, l’expé- 
rimentation nous apprend qu’une mauvaise digestibilité générale fait 
baisser, d’une façon très sensible, l’utilisation de tous les principes 
nutritifs et particulièrement de l’albumine. Remarques qui nous amè- 
nent à conclure que si, d’un côté, louvrier a raison de préférer à 
une ration carnée surabondante, doublée d’une quantité insuffisante 
d'aliments ternaires, une alimentation ne renfermant que la dose 
nécessaire d’albumine, mais couvrant largement par ses hydrocar- 
bonés le besoin total de calories, d’un autre côté, il ne saurait trop 
abuser des végétaux dont l'effet physiologique utile peut alors parfois 
être inférieur. L'alimentation végétale est cause d’une augmentation 
de volume de la ration et, prise en très grande quantité, n’est que 


{. Le poids des excréments devient alors énorme. Dans les expériences de Rubner 
sur l'alimentation exclusive par les pois et par les carottes, il s'est élevé respeclive- 
ment à 927 grammes et { 092 grammes (à l'état humide) par 24 heures. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 401 


tout juste tolérée. D’un coefficient de digestibilité souvent faible, 
elle impose en outre au tube digestif un travail considérable qui entre 
pour une grosse part dans le bilan des dépenses. L'usage du sucre 
ne paraît-il pas alors naturellement indiqué pour permettre au tra- 
vailleur de ne pas demander tous les hydrocarbonés de sa ration 
supplémentaire à l'alimentation dite végétale? En même temps qu'il 
augmenterait la saveur des mets et permettrait de restreindre le 
volume de la ration, le sucre, dont la digestibilité est intégrale, agi- 
rait encore par épargne, ainsi que nous le savons, vis-à-vis des autres 
principes nutritifs. De plus, il mettrait immédiatement de énergie à 
la disposition de celui qui, par métier, doit en dépenser continuel- 
lement. 

Il faut que la classe ouvrière consomme chaque jour une cer- 
laine quantité de sucre, et sous la dénomination générique d'ouvriers 
nous comprenons les travailleurs de tous genres, ceux dont le gagne- 
pain consiste à produire de l’énergie mécanique. Leur énuméra- 
tion ne servirait ici à rien. Disons cependant, car on les oublierait 
peut-être, qu'il faut ranger dans cette catégorie les ruraux et en 
général tous les travailleurs de la terre, puis les marins des côtes et 
les pêcheurs du large dont l'alimentation est, sinon insuffisante, du 
moins fort défectueuse. Le sucre à bord présente ces deux grands 
avantages: de se conserver facilement et indéfiniment et, ce qui est 
encore plus précieux, de n’occuper que peu de place. Aussi nous 
demandons, avec le D' Bonafy”, que l’on pousse les gens du large à 
prendre du café fortement sucré. N'est-ce pas effectivement le meil- 
leur moyen de faire entrer dans le régime courant des gros travail- 
leurs l'aliment qui influera le mieux et le plus vite sur leur énergie, 
tout en permellant de diminuer le volume de leur ration? Il est un 
proverbe qui dit « que l’on doit sortir de table ayant encore faim ». 
Ce dicton ne conseille pas de pousser la sobriété au point de ne pas 
couvrir largement le besoin total d'énergie ; l'organisme ne peut, de 
toute évidence, être mis en déficit. Il signifie encore qu'il faut éviter 
les rations massives susceptibles, par leur volume et leur poids, de 


1. D Bonafy, Assistance sur mer à nos marins des grandes pêches. (Médecine mo- 
derne, 26 février 1902.) 


ANN. SCIENCE AGRON. — %° SÉRIE. — 1902-1903. — 11 26 


402 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


constituer une lourde charge, un véritable impedimentum et de gêner 
pendant leur digestion celui qui travaille. L’ouvrier a tendance à 
trop « se lester », suivant son expression imagée. Grâce au sucre, il 
lui sera possible d'améliorer son hygiène alimentaire, légèrement 
défectueuse ainsi que nous venons de le démontrer. « J’observe de- 
puis 1884, nous dit M. Bardet*, un homme qui a aujourd’hui 70 ans 
et que j'ai toujours vu jouir de la santé la plus égale ; ce sujet m’af- 
firme n'avoir, depuis qu'il est adulte, jamais varié sa ration, et il 
attribue à sa sobriété la bonne santé dont 1] jouit et grâce à laquelle 
il peut suffire à un labeur écrasant, dix heures par Jour environ de 
travail intellectuel ou physique. Cette ration est ainsi constituée : à 
7 heures du matin, une tasse de thé avec trois morceaux de sucre, 
un nuage de lait et un croissant. À midi, 60 à 75 grammes de viande, 
100 grammes de légumes farineux ou verts, un morceau de fromage 
de 15 à 20 grammes, 100 grammes de pain, une tasse de café noir 
avec trois morceaux de sucre. Enfin, à 7 heures du soir, même repas 
qu'à midi avec en plus un peu de potage. Or, le sujet est un homme 
de 1°,65, du poids de 80 kiïlogr., c’est-à-dire qu'il penche vers 
l'obésité. » Voilà une ration qui a permis à l'organisme de faire des 
réserves, malgré la faiblesse apparente du régime. Elle contenait 
régulièrement de 9 à 10 morceaux de sucre. 

Souhaitons, pour le bien-être général, que la consommation quo- 
tidienne atteigne chez nous cette dose pourtant minime de 70 à 80 
grammes par tête. Dans la classe aisée, c’est à peine si l’on arrive à 
prendre régulièrement dans sa journée cinq ou six morceaux de 
sucre ! Quant à la population ouvrière, tout le monde sait qu'actuel- 
lement cette denrée est presque entièrement bannie de son alimenta- 
tion courante. Il est vrai que son prix élevé ne l’a pas encore mise 
à la portée des petites bourses. Il y a donc tout lieu de croire que le 
chiffre de la consommation du sucre se relèvera déjà notablement, dès 
que la loi ratifiera la réduction des droits, demandée par M. Rouvier, 
ministre des finances, dans son projet de budget de 1903. Malgré cela, 
sans nous faire illusion, ne comptons pas uniquement sur le simple 


{. D' Bardet, Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 10 décembre 1902, 
p. 907. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 403 


abaissement du prix du sucre à 60 centimes le kilo, pour lutter contre 
les vieux errements et orienter différemment les idées. Au début de 
la réforme fiscale, le bon marché pourra peut-être attirer le consom- 
mateur, mais la nouveauté du régime à venir ne dispense nullement 
d’instruire les classes pauvres et de les convaincre de la haute valeur 
énergétique et nutritive de l’alimentation sucrée. Or, tant qu’il res- 
tera un doute à ce sujet dans l'esprit du public, la consommation ne 
pourra s’élever autant qu’il faut le désirer pour le bien général. Les 
Chambres ne tarderont pas à approuver la proposition de M. le Ministre 
des finances'. Pourquoi alors ne pas faire dès maintenant l’éducation 
de la société sur ce point particulier d’hygiène alimentaire ? Pourquoi 
ne pas mettre de suite tout le monde à même de connaitre les raisons 
pour lesquelles il faut profiter des avantages du dégrèvement futur ? 
La leçon à faire aux diverses classes sociales et surtout aux classes 
les moins élevées n’est ni longue mi difficile. « Vous connaissez le 
sucre, doit-on dire en substance aux ouvriers des villes, aux ruraux 
ct aux travailleurs agricoles. Pour des raisons économiques, vous en 
avez été privés jusqu’à ce Jour, mais dorénavant il ne coûtera que 
deux fois plus que le pain. Par contre, pour trouver l’équivalent ali- 
mentaire et énergétique du litre de vin à 50 centimes, il suffira 
de 10 à 15 centimes de sucre. Ce dernier est donc un aliment à 
bon marché. Il présente en outre cet avantage bien connu qu’on le 
consomme avec plaisir, à de rares exceptions près, et qu'il peut s’ab- 
sorber de mille façons variées toutes plus agréables les unes que les 
autres. En vous le recommandant, nous ne sommes nullement pous- 
sés par les producteurs de sucre, en quête d’un débouché capable 
de les aider à traverser la crise actuelle. Nous n’avons en vue que 
l'intérêt seul de la classe ouvrière, et si, aujourd’hui, nous vous en- 
gageons avec autant d’insistance à faire entrer le plus possible le 
sucre dans votre alimentation courante, au même titre que le pain, 
le vin, par exemple, c’est qu'il n’est pas de meilleure nourriture 
pour le muscle en activité, de source plus immédiate, plus active et 


1. La loi relative au régime des sucres, ramenant à 25 fr. par quintal de sucre 
raffiné les droits sur les sucres de toute origine livrés à la consommation, a élé pro- 
mulguée le 28 janvier 1903 et est entrée en vigueur le 1° septembre de la même 
année. 


404 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


plus économique d'énergie, c’est que rien ne peut mieux entretenir 
le corps lui-même, réparer les forces et, par conséquent, convenir 
davantage à celui qui, tout en travaillant beaucoup, veut ménager sa 
santé ou à celui qui, pendant ou après le surmenage inhérent aux 
conditions modernes de l'existence et de la lutte pour la vie, a besoin 
d'un tonique et d’un réconfortant. » 

Supposons maintenant qu’aussilôt l’abaissement des droits, la con- 
sommation du sucre ne tarde pas à se développer, demandons-nous 
alors comment les ouvriers des villes et les travailleurs de la terre vont 
introduire cet aliment de premier ordre dans leur nourriture de 
tous les jours ? Bien que la majorité des consommateurs en soit très 
friande, on sait que le sucre ne peut s’absorber seul en assez grande 
quantité. On lutilise beaucoup mieux en le faisant dissoudre dans la 
boisson ou en le mélangeant aux divers aliments bien connus qui 
gagnent à lui être associés. La population ouvrière a la déplorable 
habitude de commencer le plus souvent la journée par « tuer le 
verre ». Cela signifie que le premier repas du matin comporte de 
l’alcool, sous forme de cognac, d’eau-de-vie, de rhum, de mare, soit 
pur, soit coupé d’autres spiritueux qualifiés de cassis, de curaçao, etc. 
Nous savons ce que vaut l’alcoo! comme source d’énergie et comme 
aliment. Quelques-uns, ceux-là plus soucieux, sans le savoir, de leur 
santé, se contentent d’un verre de vin. Mais combien ce verre de vin 
leur serait autrement profitable, si, suivant un vieil usage des Cha- 
rentes, ils y mettaient six ou sept morceaux de sucre. Une bonne 
tartine de pain trempée dans un bol de ce vin fortement sucré, un 
bon « mijot », comme l’on dit en Saintonge, et l’ouvrier partirait à 
son travail muni d’une forte provision de calorique et de force pour 
la journée. La recette est simple ; elle a lavantage, au point de vue 
de l’économie générale du pays, de profiter à la fois au vigneron, au 
producteur de betterave et au fabricant de sucre, et si elle était 
connue, on y prendrait certainement vite goût, car elle est excellente. 
Pendant les manœuvres du Sud-Ouest, combien de fois avons-nous vu 
les hommes se confectionner d'eux-mêmes le fameux « mijot », dès 
l’arrivée au cantonnement. Il n’y a rien de tel pour faire oublier la 
fatigue, remonter le moral et redonner une certaine pointe d’entrain 
et de saine gaieté. Qui ne connaît du reste et n’apprécie le vin 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 405 


sucré ? Qui, pour combattre le frisson par les journées froides, n’a 
Jamais eu recours au même vin sucré, mais bu chaud et débarrassé en 
partie de son alcool par l’ébullition ? Le matin, l’ouvrier à jeun ne 
saurait rien prendre de plus profitable et de moins nuisible à sa santé. 
L’après-midi, à la collation qui coupe la journée, aucune nourriture, 
mieux que le « mijot » des Charentes, ne réparera ses forces, ne fera 
disparaître chez lui la fatigue et ne lui permettra de se remettre au 
travail dans de meilleures conditions. 

En ce qui concerne les femmes et les enfants, ces derniers pren- 
dront avec le même profit, au premier repas du matin comme au 
soûter de l’après-midi, du lait largement sucré et coupé, si le mélange 
leur plait davantage, soit de café, soit de chicorée. Pour encourager 
la consommation du sucre, l’on ne saurait trop, en effet, pousser les 
ménages ouvriers à faire entrer de plus en plus les laitages dans leur 
alimentation courante. La soupe au lait très sucrée est un mets excel- 
lent et les enfants, surtout, ne peuvent trouver une nourriture plus 
appropriée aux exigences de leur croissance. Le riz au lait, les 
bouillies au lait, sont encore des aliments recommandables au même 
titre ;ilsne coûtent pas cher et, bien que leur saveur propre soit peu 
prononcée, lorsqu’ils ont été sucrés copieusement, ils n’en constituent 
pas moins des plats que tout le monde accepte volontiers. Il ne faut 
pas non plus oublier les œufs au lait et les crèmes classiques à la 
vanille, au café, au caramel, le parfum le plus économique et peut- 
être l’un des plus agréables. Nous considérions autrefois ces entre- 
mets comme un dessert de luxe, mais l’abaissement du prix du sucre 
leur permettra certainement, dans un avenir prochain, de figurer de 
temps à autre sur les tables les plus modestes. Tout d’abord le prix 
de revient de la crème ou des œufs au lait est loin de dépasser, à poids 
égal, le prix de la viande de qualité moyenne ; de plus, 1l est aisé de 
se rendre comple que ces plats sucrés fournissent, toujours à poids 
égal, bien près de deux fois plus de calories brutes que la viande 
crue. Est-il donc alors si irrationnel de conseiller à l’ouvrier et au 
paysan de remplacer parfois la viande de son repas principal par 
une bonne assiette de crème et d’y tremper son pain comme dans la 
sauce d’un ragoût? 

Parmi les boissons ou aliments qui s’associent le mieux au sucre 


406 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


et sont susceptibles d’en développer la consommation, nous ne pou- 
vons oublier de citer le chocolat, le café et le thé. Le chocolat 
s'obtient, on le sait, en broyant avec du sucre des semences de 
cacao décortiquées et torréfiées, et en aromatisant la pâte avec de 
la vanille ou de la cannelle. Il est de règle que le bon chocolat con- 
tienne parties égales de sucre et de cacao, mais on en fabrique de 
qualité plus inférieure où le sucre peut atteindre la proportion de 
70 p. 100. Les analyses suivantes vont du reste fixer nos idées sur 
la composition des différentes sortes de cacao du commerce et du 
chocolat bien préparé : 


CACAO 
He Re CHOCOLAT. 
par- 
tiellement. 

p.100. p. 100. p- 100. 
JDE PNR APE AR EUE 4,16 4,54 1,89 
Alcaloiïde (théobromine) . . 1,96 1,74 0,67 
Autres malières azotées. . 13,97 19,66 6,18 
Matières grasses. , . . . 23,03 31,60 21:02 
GÉDTOS ER NSE 3,40 5,59 1,39 
Autres matières non azotées 

et indéterminées. . . . ‘20,25 28,13 67,00 (dont sucre : 54,40 

DÉMOS TENTE AU LEE 3.63 8,48 1,89 


On voit que le chocolat vendu en tablettes, de même que celui que 
l’on prépare soi-même avec du cacao en poudre, n’est pas seule- 
ment une friandise dont l’arome agréable plait à tout le monde; 
c’est un aliment véritable et même un des plus précieux que l’on 
connaisse, puisque, sous un faible volume, il contient une forte pro- 
portion de graisses et de sucre et que sa teneur en matières azotées 
est loin d’être négligeable. Le chocolat, par l’alcaloïde (la théobro- 
mine) que lui apportent les semences de cacao, est en outre un exci- 
tant capable d’agir sur le tissu musculaire et le système nerveux. En 
se servant des chiffres que nous venons de donner, il est facile de 
se rendre compte que les aliments simples fournis par une ration 
moyenne de chocolat — c’est-à-dire 40 grammes environ — simple- 
ment cuit à l’eau, constituent presque à eux seuls un véritable petit 
repas. Voici, comparé à la teneur en principes nutritifs d’un œuf 
moyen, pesant lui aussi 40 grammes, sans la coquille, ce que nous 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 407 
apporte une bonne tasse de chocolat à l’eau. L'avantage est nette- 


ment en faveur du chocolat, qui fournit 38 grammes de principes 
organiques contre 10 seulement contenus dans l’œuf. 


CHOCOLAT. ŒUF. 

grammes. grammes. 
Alcaloïde (théobromine) . . . . . . 0,28 » 
MAtIreStarOLÉ SE ME SAUCE 2,47 5,4 
MATICTES TASSE TRE ENS Ne 8,40 4,7 
SCT RAM EU Ne meurs! 21276 » 
HNArOCANDONÉS "2 LS MN RTE 5,00 0,1 
ancre nee Lt RE 2 09 29,8 

40,00 40,0 


Ces chiffres nous montrent que le cacao est réellement par lui- 
même un excellent aliment, et que, étant donnée la commodité de 
son emploi, l’on ne peut guère trouver de meilleur véhicule pour le 
sucre. Il serait donc à désirer que son usage, ainsi que celui du cho- 
colat, se répandit dans les ménages pauvres. Mais les cacaos sont 
frappés, à leur entrée en France, de droits de douane! tels, qu’ils ne 
peuvent figurer dans l’alimentation courante autrement que comme 
une denrée de luxe. Lorsque le prix du sucre sera diminué, les mé- 
langes à base de .cacao ne bénéficieront que très peu de la mesure ; 
ils se vendront de 10 à 15 centimes de moins la livre, ce qui n’em- 
pêche que le kilogramme de chocolat le plus ordinaire du com- 
merce, de chocolat dit de santé, ne descendra guère au-dessous de 
2 fr. le kilogramme. Aussi, quoique relativement assez riche en 
principes nutritifs, la ration de 40 grammes de chocolat ne vaut-elle 
pas en réalité les 7 ou 8 centimes qu’elle va coûter au budget si 
restreint de l’ouvrier. 

Les infusions de café et de thé sont loin d’être aussi nourrissantes, 


1. Le tarif général des douanes comprend un droit de : 

10i fr. par 100 kilogr. nets de cacao en fèves ou en pellicules ; 

150 fr. par 100 kilogr. nets de cacao broyé en pâte, en tablettes ou en poudre. 

Lorsque le chocolat est bon marché, c'est done que le cacao employé à sa pré- 
paration à été imparfaitement décortiqué et que l'on introduit avec l'amande dans le 
melange une certaine proportion de coques. La proportion de ces débris non diges- 
tibles ne doit jamais dépasser 10 à {2 p. 100 dans les chocolats de bonne qualité. 


403 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


dans le sens vrai du mot, que le cacao. Voici la composition de 
l'extrait abandonné à l’eau chaude par 19 grammes de café torréfié, 
c’est-à-dire la dose moyenne employée pour une grande tasse, ou par 
> grammes de thé, ce qu’il faut environ pour préparer deux tasses 
d’une infusion assez forte. 


EXTRAIT DE 
A — 


15 grammes 5 grammes 
: de À de thé 

café torréfié. 4 

grammes. grammes. 
Gale (alcaloïide) EST EM RE ne 0,26 0,07 
Autres matières organiques azotées . . . . . . » 0,47 
COTPSINUHEUXTATOMALIQUES EMMA 0,78 ” 
Matières organiques non azotées et indéterminées. 217 0,96 
CENATÉS RARE ET PES CE PER NS 0,61 0,18 
ERPRAIDA SE ete ve leu 3,82 1,68 


L'apport, on le voit, est minime, mais l’on ne peut conseiller, pour 
l’augmenter, de doubler et de tripler les doses. Le café et le thé, si 
l’on en abuse, déterminent des troubles gastriques et surexcitent 
l'énergie cérébrale, mais pour la diminuer ensuite. L'on ne saurait 
cependant ne pas reconnaitre que, pris à doses modérées, 1ls sti- 
mulent la digestion et l’influencent favorablement. Il est donc permis 
de recommander l’usage du café et du thé à ceux qui produisent du 
lravail musculaire, ne serait-ce, comme nous le disions précédem- 
nent, que parce qu’ils constituent des véhicules du sucre fort appré- 
ciés de la grande masse des consommateurs. Malheureusement, le 
café et le thé sont frappés, à leur entrée en France, de droits de 
douane? autrement plus élevés que ceux du cacao. Ce sont la des 
tarifs que le législateur doit abaisser autant que le permettent les 
exigences du Trésor *; la mesure contribuerait certainement à accroi- 
tre la consommation du sucre. 


1. Les tarifs des douanes comportent un droit de : 

300 fr. par 100 kilogr. nets (tarif général) de &afé en fèves et pellicules ; 

136 fr. par 100 kilogr. nets (tarif minimum) de café en fèves et pellicules : 

400 fr. par 100 kilogr. nets (tarif général) de café Lorréfié et moulu. 

?, La commission des douanes à combattu à l'unanimité moins une voix Particle 5 
de la loi de finances du budget de 1904 portant le relèvemeut à 156 fr. du droit 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 409 


Il existe encore un excellent moyen de faire manger du sucre toute 
l’année aux ouvriers des villes et des campagnes. Bien que ce moyen 
ne date pas d'aujourd'hui, il mérite cependant que nous en parlions 
un peu longuement. C’est d'apprendre aux ménagères qu’elles ne 
doivent plus considérer les confitures comme un dessert, une denrée 
de luxe, et qu’elles seraient bien inspirées en les faisant figurer plus 
souvent sur la table. Nous allons voir que les confitures n’ont pas en 
effet pour seule qualité de plaire au goût. Par leur composition, elles 
constituent une nourriture concentrée et sont susceptibles, à poids 
égal, de remplacer, même avec avantage, la plupart des aliments qui, 
par suite de leur bas prix relatif, forment la base du régime courant 
de l’ouvrier. Mais pour que la classe pauvre consente à substituer de 
temps en temps aux pommes de terre et aux autres farineux communs 
les non moins saines et savoureuses confitures, il faut avant tout que 
ces dernières soient à la portée de toutes les bourses et, ainsi que le 
fait remarquer M. Hélot dans son rapport sur les confitureries', que 
cette nouvelle alimentation s'impose par l’économie qu’elle apportera 
dans le budget des ménages peu fortunés, la qualité des confitures à 
bon marché restant au moins égale à celle des produits soi-disant de 
luxe que nous mangeons actuellement. 

Que l’on se serve du seul jus des fruits afin d'obtenir l’une de ces 
gelées que tout le monde connaît (gelées de groseille, de cerise, de 
framboise, de pomme, de coing), ou bien que les fruits soient écrasés 
comme dans les marmelades ou simplement divisés en fragments ou 
même conservés entiers, comme dans la plupart des confitures pro- 
prement dites, personne n’ignore que d’une façon générale toutes 
ces préparations culinaires se font en chauffant dans une bassine le 
Jus passé à travers un tamis de crin ou les fruits eux-mêmes addi- 
tionnés des trois quarts de leur poids ou même de leur poids de sucre 
blanc. Pour les gelées, on fait cuire rapidement en ayant soin d’écu- 
mer jusqu’à ce que le mélange sirupeux, mis sur une assiette, se 


de douane sur les cafés. Il est, en effet, tout à fait illogique de vouloir compenser par 
de nouveaux impôts sur le café la moins-value occasionnée par la suppression des 
droits sur le sucre. Plus on prendra de café, plus on consommera de sucre ! 


1. Hélot, Congrès des fabricants de sucre, mai 1903. 


410 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


prenne par le refroidissement. Cette prise est due à la présence dans 
les fruits de pectines et d’autres matières gélatineuses qui perdraient 
en partie la propriété de donner de la consistance si le suc n’était pas 
employé de suite après son extraction. Quant aux confitures pro- 
prement dites, elles sont plus cuites que les gelées, mais chaque mé- 
nagère, chaque confiturerie a sa recette. Les uns laissent le fruit en 
contact avec le sucre avant de porter le mélange au feu, les autres 
jettent le fruit dans le sirop bouillant ; le point de cuisson varie éga- 
lement et il y a mille tours de main d’où dépendent la qualité du sirop 
et sa conservation future. Mais peu nous importe ; il nous suffit de 
savoir que tous ces aliments, qu'ils soient sous forme de gelée, de 
marmelade ou de confitures, se composent finalement de sucres et 
des divers principes contenus dans les fruits employés, c’est-à-dire de 
matières azotées et de matières grasses en faible quantité, puis de 
sucres préexistants dans la pulpe, de corps pectiques, de celluloses 
et enfin d’acides organiques végétaux. Cette acidité naturelle, rela- 
tivement assez élevée dans les groseilles et les cerises (0,90 p. 200) 
par exemple, n’est pas sans agir sur la composition finale du produit. 
Sous son influence, jointe à celle de la chaleur, le sucre ajouté s’in- 
tervertit, pendant et après la fabrication, c’est-à-dire se transforme 
en un mélange à parties égales de glucose et de lévulose. L’inter- 
version peut même à la longue devenir complète, mais la transfor- 
mation ne nuit guère à la qualité du produit et surtout à sa saveur, 
car si, d’une part, le glucose sucre moins à poids égal que le saccha- 
rose, il faut, d'autre part, plus de ce dernier sucre que de lévulose 
pour impressionner également le goût; au fond, le résultat est le 
même. Malgré cela, on cherche souvent, en confiturerie, à réduire 
le plus possible la quantité de sucre cristallisable et l’on ajoute au 
besoin de l'acide tartrique, lorsque l’acidité des fruits n’est pas par 
elle-même assez inversive. C’est là une question d’œil et non de goût, 
car l’on ne cherche de la sorte uniquement qu’à éviter les eristallisa- 
tions désagréables qui, on le sait, se produisent inévitablement à la 
longue dans les pots de confiture. Théoriquement, il semblerait pour- 
tant préférable que le sucre restât autant que possible en nature, 
puisque le sucre interverti semble se comporter vis-à-vis de l’orga- 
nisme autrement que le saccharose. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 411 


Voici, à titre d'exemples, l’analyse détaillée des sucres libres con- 
tenus dans diverses confitures préparées avec du sucre pur: : 


POUR 100. 
— 
Cerise. Fraise. Groseille. Framboise. 
Saccharose 25,46 18592 UE | del 
Glucose. . 23,39 2256 18,13 14,89 
Lévulose 23,33 22,64 17699 15,21 
Toraz des sucres. T2 ALS 64,12 63,93 62,87 


On voit que les poids de glucose et de lévulose étant sensiblement 
égaux, les sucres libres sont à l’état de saccharose et de sucre inter- 
verti. Si, pour être mieux fixés sur la valeur des confitures de bonne 
qualité, nous nous inquiétons d’en déterminer la composition centé- 
simale moyenne, voici des chiffres qui vont nous renseigner à ce sujet : 


POUR 100. 
PORT EM PS SR Te I 2 M) Re de 18,0 à 20,0 
Cendres . . DRE AE LES EST RE LES LE RUN PORN YVES Se À der0;21a056 
Sucres libres : Saccharose et sucre interverti. . . de 50,0 à 65,0 
Mahèrestazotées totaless. 07 20 TN EE: de 2,0 a3:0 
MAMÉRES RTS SES en dents Mare dt tee de0 6 rad 0 
GeMMescibrnte ns UPPER TE UE de 2,0ù 4,0 
Indéterminés (matières pectiques, acides, ete.). . den10: 012250 


Ils nous montrent qu’il est absolument rationnel de considérer la 
confiture non plus seulement comme une nourriture saine et savou- 
reuse, mais bien comme un aliment de premier ordre valant très 
largement par ses hydrocarbonés son poids de pain. Nous parlons, 
bien entendu, de la confiture de bonne qualité, de la confiture de 
ménage pur sucre et pur fruit, et non pas de ces mélanges de fan- 
taisie que l'on voit dans les quartiers pauvres exposés à l’élalage des 
épiceries. Ce sont là des produits qui séduisent, il est vrai, le petit 
consommateur par leur aspect engageant, leur belle coloration et 
surtout leur prix minime, mais qui n’ont de la confiture et du fruit 
indiqué que le nom. Quand les mélanges sont à base de glucose, de 


1. Villiers, Analyse des substances alimentaires, Doin, 1900, p. 826, 


412 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


mélasse, ou sont fabriqués avec les déchets des produits fins, il n’y a 
encore que demi-mal; mais, fort souvent et cela pour le malheur des 
enfants et des malades auxquels on les donne dans le peuple comme 
aliments journaliers, le fruit employé pour la fabrication de ces con- 
fitures inférieures est vert, piqué et sans arome, quand il ne manque 
pas totalement. Il existe, en effet, des confitures artificielles, cons- 
tituées par un mélange de glucose, d'acide tartrique, de colorants 
divers, que l’on fait prendre en gelée en y ajoutant de la gélatine ou 
de la gélose, substances qui ne peuvent entretenir les forces et sont 
loin, comme la bonne confiture, de favoriser la digestion. 

Lorsque le sucre sera à bon marché, il faut espérer que toutes les 
officines où se fabriquent de pareilles « cuisines » verront peu à peu 
leur clientèle disparaître et seront rapidement remplacées par de 
véritables usines ne livrant que des produits naturels exempts de 
toute falsification. Il y a donc une industrie qu’il serait des plus inté- 
ressants de voir prospérer en France, c’est celle de la confiturerie. 
Elle existe, mais n’est pas ce qu’elle devrait être, puisque des raisons 
multiples, nous allons le voir, tendent aujourd’hur à lui donner de 
l’essort et nous poussent à la faire bénéficier d’une nouvelle activité. 
Remarquons tout d’abord que, pour un même poids de produits 
livrés à la consommation, la confiturerie emploie une quantité de 
sucre autrement considérable que les industries analogues, comme 
la chocolaterie et la biscuiterie, c’est-à-dire qu’elle ne peut qu’in- 
fluencer favorablement l’accroissement de la consommation du sucre 
en France. Par cela même, elle mérite que tous ceux qui sont inté- 
ressés à la vente du sucre ne lui ménagent pas leurs capitaux et, 
surtout, que l’État, par une réglementation des plus libérales, assure 
une tranquillité et une sécurité bien légitimes à exploitation de deux 
de nos plus importantes richesses nationales : le sucre et les fruits. 
Ne sont-ce pas là des matières premières fort intéressantes à tra- 
vailler ? Tout d’abord elles n’ont, l’une dans l’autre, que très peu de 
charges fiscales à supporter. L’abaissement du prix du sucre est déjà 
chose faite, on peut le dire sans crainte de trop s’avancer. Quant aux 
fruits, ils ne paient pas d'impôt. Or la France tient une des premières 
places dans le monde par sa culture fruitière. 

Nous trouvons chez nous tout ce qu’il faut pour approvisionner les 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 413 


confitureries, car en admettant même que la mode réclame l’intro- 
duction dans le sirop de fruits exotiques, couramment employés au- 
jourd’hui en Angleterre, nos colonies sont là pour faire face à la 
demande. Comment ne pas reconnaitre que la France jouit à cet 
égard d’une situation absolument privilégiée, qu’il en a toujours été 
ainsi, quoi qu’on ait dit’, et que nous allons nous trouver on ne 
peut mieux placés, lors de l’abaissement prochain du prix du sucre, 
pour concurrencer dans le monde entier les pays producteurs de 
confitures? Notre production, conclut M. Hélot dans son rapport, ne 
doit pas avoir plus de limite dans Pexportation ? que dans la production 
pour la consommation indigène. C’est ce dernier point surtout qui 
doit fixer ici notre attention, car l'établissement en France de grandes 


1. On parle à chaque instant du sucre et des fruits que nous envoyons se faire 
confiturer en Angleterre et qui reviennent ensuite sur nos tables où leur supériorité 
défierait toute concurrence. Il y a heureusement du vrai là-dedans, car nous ne pou- 
vous que souhaiter le maintien du chiffre de nos exportations de sucre et de fruits. 
Quant à l'excellence des confitures anglaises, nous dit M. Hélot, seuls les admirateurs 
de tout ce qui n'est pas national ou les gourmets de friandises exotiques persistent a 
consommer les produits d'outre-Manche; nous faisons aussi bien en France et nos 
confitures de luxe atteignent une perfection rare ou du moins suffisante, puisque les 
importations sont actuellement infiniment moins élevées que les exportations. Le 
tableau suivant suffit à nous le démontrer. 


IMPORTATIONS EXPORTATIONS 
FRA EE CORRE en milliers de francs. en milliers de francs. à 
EE TT 
1900. 1901. 1902. 1900. 1901. 1902. 
Fruits confis au sucre. . . . . . . 4 10 18 4 666 3 357 3 932 
Confitures au sucre et au miel. . . 194 176 159 936 8357 787 


2. L'article 4 de la loi des finances (budget de 1903) fixant le régime des sucres est 
ainsi conçu : « Les sucres destinés à entrer dans la préparation des produits alimen- 
taires en vue de l'exportation, pourront être reçus et travaillés en franchise des 
droits dans les établissements spéciaux affectés à cette fabrication. Ges établissements, 
érigés en entrepôls réels, seront soumis à la surveillance permanente des employés 
des contributions indirectes ; les frais seront à la charge des ‘fabricants. Des décrets 
détermineront les conditions d'agencement des fabriques, les obligations à remplir par 
les fabricants et d'une manière générale toutes les mesures d'application du présent 
article. » 

Quels seront ces décrets ! Espérons qu'ils tiendront compte de ce que la même 
confitureric doit travailler aussi bien pour l'intérieur que pour l'exportation et qu'il est 
indispensable que la confiture en magasin puisse aller indifféremment au consom- 
mateur français ou à l'étranger. Le compte d'exportation ne sera-t-il pas alors bien 
diflicile à établir ? Voir à ce sujet le rapport déjà cité de M. Hélot. 


414 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

usines, analogues aux confitureries anglaises si souvent citées, à Juste 
raison, comme des modèles, à cause de la variété infinie, de la per- 
fection et du prix de vente si peu élevé des produits qui en sortent, 
ne peut que contribuer à l'accroissement de la consommation du sucre 
et par conséquent à l’amélioration de l'hygiène alimentaire générale. 
Nous avons déjà fait observer que la confiture, considérée jusqu’à pré- 
sent comme un dessert de luxe, n’arrivera à conquérir les tables mo- 
destes que du Jour où elle sera mise à la portée de toutes les bourses. 
Or, les usines importantes, seules, peuvent maintenir la bonne qualité 
tout en vendant moins cher. Seules, en effet, elles ont la possibilité 
de réduire leurs frais généraux, et les économies réalisées de ce chef 
dans leur exploitation auront certainement une répereussion sur le 
prix de revient, autrement avantageuse pour le consommateur que la 
réduction même des droits sur le sucre”. Les confitureries s’établiront, 
par exemple, dans les régions de culture fruitière, de façon à réduire 
au minimum les avaries et les frais inhérents au transport. Placées 
en plein pays de production, il leur faudra s'organiser pour faire des 
conserves de fruits, ce qui leur permettra de s’approvisionner les 
années d’abondance et de ne pas ralentir le travail lorsque la récolte 
sera mauvaise. Le fruit pasteurisé se garde très bien deux ou trois 
ans, et les réserves confiturées au fur et à mesure des besoins, tout 
en permettant de ne livrer au commerce que des produits de fabri- 
cation récente, rendront possible, grâce au travail continu, la répar- 
tion des frais généraux non plus sur quelques mois, mais sur l’année 
entière ?. M. Hélot, dans son rapport sur l'installation des confitu- 
reries, croyait pouvoir affirmer au dernier congrès des fabricants de 
sucre, qu'une grande affaire bien menée devait, tout en fabriquant 
honnêtement et en vendant bon marché, procurer d’une façon régu- 


1. Le dégrèvement promis du sucre ne peut abaisser les cours actuels que de 20 à 
25 p. 100 au maximum. 


2. Il faut cependant faire observer que la conservation des fruits par le procédé 
Appert ou tout autre procédé analogue ne peut rendre de grands services aux indus- 
triels qui préparent des gelées. Le jus de fruits qui a le plus souvent fermenté avant 
qu'on ne l’extraie et le pasteurise, est privé des matières pectiques susceptibles juste- 
ment de lui donner la propriété de se prendre en gelée. Les fabricants savent remédier 
à cet inconvénient en mélangeant au suc conservé une proportion plus ou moins consi- 
dérable de mucilages végétanx quelconques. Ces derniers sont loin d'avoir la saveur et a 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 415 


lière un bénéfice de #0 p. 100 environ de son capital. Souhaitons 
donc que l'État facilite le développement de cette industrie par une 
réglementation libérale, bien faite pour lui assurer les facilités dési- 
rables. Il le faut pour le bien-être des classes les moins aisées, car 
la confiture, par cela même qu’elle est une nourriture saine, savou- 
reuse et de plus économique, si l’on sait la fabriquer rationnelle- 
ment, doit cesser de compler parmi les denrées de Lure. L’ouvrier 
ne peut comme les gens de la campagne se procurer les fruits à bon 
marché; vivant au jour le jour, de son travail de la veille, il ne peut 
non plus faire de provisions et garnir, à la saison des fruits, les 
rayons de la traditionnelle armoire à confiture ; il n’adoptera défini- 
tivement l'aliment confiture, qui lui est aujourd’hui presque interdit, 
que si le commerce le Lui ivre tout préparé et à bon compte. On ne 
saurait dès lors trop encourager ceux qui s’efforceront de donner 
une nouvelle impulsion à l’industrie dont nous parlons. 

Puisque nous savons maintenant pourquoi celui qui dépense de 
l'énergie musculaire doit apprécier le sucre et sous quelle forme il 
peut user de cet aliment dans la vie courante, nous ne saurions 
mieux terminer ce Chapitre qu’en donnant un exemple de ration 
journalière fortement sucrée mais sans excès cependant. 

Utilisant ce que nous venons de dire, voici quelle pourrait être la 
composition des quatre repas que l’ouvrier prend généralement 
dans sa journée, sans tenir compte de l’eau de boisson, du sel et des 
autres condiments habituels : 


BOISSONS. ALIMENTS. 
litres, grammes. 
AMIS NUE EURE ET ETS 0.150 » 
mier repas s é à 4 
P Vin sucré. { Sucre (cinq morceaux). . . » 40,00 
du matin. | e 
PÉTITION UT ON RON RARE LRER » 100,00 


qualité des principes gélatineux naturels du fruit. De plus, comme le jus conservé en 
bouteille perd à la longue sa belle couleur, il faut avoir recours aux colorants, lors de 
la fabrication de la confiture. Sans méconnaitre les services que peut rendre la pasteu- 
risation, on devra donc pousser la confiturerie moderne à travailler comme dans les 
ménages au moment de la saison des fruits et à éviter ainsi l'introduction dans ses 
produits d'un tas d'ingrédients qui appartiennent plutôt au commerce de la droguerie 
qu'à celui de l'alimentation. Sans doute, le mode normal de préparation immobilise, 
sans que l'on en tire bénéfice de suite, une grande quantité de sucre, mais il faut 
savoir faire des sacrifices pour respecter la qualité et la saveur de la vraie confiture, 


416 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


BOISSONS. ALIMENTS. 


litres. grammes. 

MIRE NT ER Re Te 0,400 » 
PALERME dE NU ROR UR LOT PRO PC » 250,00 
Bifteck. \ Viande de bœur crue. . , . » 100,00 
|'RéuEre tube 4 l'A ee » 15.00 

Déjeuner. { 

Pommessde: terre fntes re MER ne n 200,00 
CONTE EM RENE TR ARR AE PRES » 60,00 

Ê | Extrait de 15 gr. de café. . 0,200 » 

Café sucré. { : 

Sucre (cinq morceaux). . . ” 40,00 

RUE | NL STRESS er PC ES 0,150 ” 
Vin sucré. « Sucre (cinq morceaux). . . » 10,00 
or -midi. | pain SU SUPER EE PP Te » 100,00 

| Soupe LEE FRS TMES AL 0,500 » 
au ait Panier LAURE » 50,00 
sucrée. RE (cinq FAT A n » 40,00 
œuf (sans coquille) AMEN » 40,00 
Diner.n:: Benne AFS NÉE TR RU TeNTER » 15,00 
Paint ten EURE ele Lt pe) EME » 200,00 

VDO AS US IE CAUE EAGLE 90 Fvr TR D er 0,300 » 

; , (Extrait de 15 gr. de café. . 0,200 » 

| Café sucré. s 

Sucre (cinq morceaux}. . . » 140,00 


La ration quotidienne, ainsi composée, conlient les éléments sim- 


ples suivants : 


: : SUCRE 
; MATIÈRES AÉTTÉRES ORGANIQUES MESURE 
DÉSIGNATION ET POIDS NON AZOTÉES rose) ALCOOL 
HAUSSE Hydrocarbonés Line CENDRES. 
de l’aliment ou de la boisson, différents du sucre ex du vin, | 
AZOTÉES, | GRASSES. et indéterminés. ; | 
nature. | 
ee | | CREER | ns | CREME | OEEEE | ns 
gr. gr. gr. gr. gr. gr. gr. 
Rain FEU . 100 gr.| 231,0 47,0 3,0 410,6 » » 8,4 
| Viande de Sr (one 100 —| 72,0 19,5 6,8 0,5 » » 1,2 
Pommes de terre frites. 200 —| 76,0 8,0 13,0 93,9 » » 4,5 
DICO MRC . +. +200 — 0,8 » » » 197,8 » 1,4 
Sucres libres di-| 
| Confitu 60 ii SAN 0 HAL AUARERS » 0,3 
COUSSINS — ‘ < } E » 
APE TES ? 3 7" Jautres hydrocar-| D è 
| bonés . 13,3 
| 1 œuf (sans coquille). . 40 —| 29,4 5,4 4,7 0,1 » » 0,4 
BOUETET. enr OU 4,1 0,2 25,3 0,2 » » 0,2 
| Vin de coupage . . . . 1litre| 892,0 2,0 5 21,5 » 80,0 2,5 
RESORT RME 1/2—| 447,3 | 18,6 | 20,7 25,8 (lactose) » » 3,6 
| Extrait de 30 gr. Le caté ie » 0,6 1,6 4,4 » » 1,2 
DOTAT SL: UE STE » 102,8 80,6 602,9 197,8 80,0 23,7 


Voilà qui nous fixe sur l'apport matériel. [l nous est facile mainte- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 411 


nant de déduire de ce tableau ce que sera l'apport énergétique. li 
suffit d'utiliser les chiffres de Rubner concernant la valeur moyenne 
du pouvoir calorifique des divers aliments simples. La ration contient : 


GRAMMES,. CATORIES. 
Albuminoïdes. . . . . . . 102,8 fournissant (102,8 X4,1 )]— 421,48 
RMS Te At ue O0 6 — CSC 9,35 V7 749,58 
Sucre (en nature). . . . . 197,8 197,841) —=1tr 810,98 
Hydrocarbonés autres que le 
SUBRE A ea B02,9 —  (602,9%X4,1 )}—2471,89 
On UE est 8010 —  (S0,0X7,054)— 564,32 
FOR een pet 25 018525 


Ce n’est là évidemment qu’une détermination approximative, car, 
pour ne pas compliquer, nous avons, contrairement à la réalité, 
classé toutes les matières azotées des aliments et des boissons parmi 
les albuminoïdes, et considéré l’ensemble des matières organiques 
non azotées comme identique aux hydrocarbonés. Malgré cela, l’er- 
reur est négligeable et nous pouvons admettre qu’un semblable 
régime apportera en nombre rond 5 000 calories. Or, au début de 
ce chapitre, nous avons estimé, en dehors de toute considération 
scientifique et en tenant compte seulement des observations fournies 
par les statistiques, que la nourriture habituelle des travailleurs de 
diverses catégories et de pays différents contenait par jour 3481,3 ca- 
lories brutes. La conclusion est nette. Notre ration fournit 1 500 calo- 
ries environ de plus que celle qui, dans des conditions normales de 
vie et de travail, suffit largement à l’ouvrier. Pourquoi alors ce der- 
nier ne l'adopterait-il pas‘? Le sucre, nous l'avons maintes fois 
répété, est l’aliment énergétique par excellence, célui qui agit avec le 
plus d’activité et de rapidité pour entretenir ou réparer les forces. 
En prenant 200 grammes de sucre par jour, l’ouvrier dispose d’un 
peu plus de 810 calories et nous savons que cetle énergie est inté- 
gralement libérée au profit de l’organisme, quand celui-ci l'utilise 
pour satisfaire au surcroît de dépense occasionné par le travail mus- 
culaire. Ce dernier, d’après nos précédents calculs, exige toujours, 


{. Le prix de cette ration quotidienne serait à Paris de 2 fr. 50 c. À la campagne, il 
ne dépasserait guère 2? fr. 


12 
En | 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2° SüRië. — 1902-1903. — 11, 


418 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


en dehors de toute considéralion scientifique, l'introduction dans 
l’économie de 900 calories brutes supplémentaires environ, mais il 
ne faut pas perdre de vue que, si l’on demande, comme cela a 
toujours lieu, cet apport aux aliments ordinaires d’origine animale 
ou végétale, quelle que soit du reste leur qualité, du fait seul de 
leur absorption imparfaite dans le tube digestif, il se produit un 
déchet énergétique d'environ 10 p. 100 de la chaleur de combus- 
Lion totale de ces aliments. La valeur nette des calories suffisantes, 
dans la vie courante, pour subvenir entièrement au travail n’est 
donc en réalité que de 900 — 90, soit de 810, c’est-à-dire exac- 
tement le potentiel réellement utile de 200 grammes de sucre, et 
c’est là l’une des particularités les plus intéressantes de notre ration : 
le sucre qu’elle contient suffit à lui seul à entretenir le travail que 
produit habituellement l’ouvrier. 


Le sucre dans la ration des sportsmen. 


Il est une autre catégorie d'individus qui, d’après ce que nous sa- 
vons, est à même de ressentir les effets bienfaisants de l'alimentation 
sucrée. C’est celle des sportsmen, bicyclistes, alpinistes, nageurs, ra- 
meurs, joueurs de tennis et de foot-ball, etc. Le lieutenant Deremetz, 
l’un des vainqueurs du raid Bruxelles-Ostende, nous écrivait derniè- 
rement à ce sujet : € J’emploie le sucre pour l'alimentation de mon 
cheval, parce que j'en use moi-même depuis environ six à sept ans. Je 
montais autrefois beaucoup en course et, comme je suis assez grand, 
je pesais quelquefois trop. Aussi je me faisais maigrir par l’exercice, 
le pas gymnastique, la natation, la bicyclette. Je faisais couramment 
à bicyclette des courses de 200 à 250 kilomètres. Pendant l’entraine- 
ment, je prenais toujours du sucre sous forme d’eau sucrée, de café 
ou de thé sucré. J’y suis arrivé naturellement sans avoir le conseil 
de personne. Lorsque j'élais faliqué, le sucre était pour moi un be- 
soin. » 

Le lieutenant Bausil, du 28° dragons (Sedan), s’est également mis 
au sucre avec le même succès. Homme de sport par excellence et 
recordman par tempérament, son témoignage nous semble non moins 
précieux. Nous parlerons, à propos de l'introduction du sucre dans 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 419 


la ration des animaux, du régime auquel M. Bausil avait soumis son 
cheval Midas, lorsqu'il gagna si brillamment avec lui en août 1903 le 
raid militaire Paris-Deauville. Nous ne nous occuperons ici que du 
cavalier. Dans ces sortes d'épreuves, il doit montrer tout autant de 
courage et d'énergie et être auparavant aussi bien entrainé que sa 
monture, surtout si, pour soulager cette dernière, 1l met, comme le 
lieutenant Bausil, souvent pied à terre et marche ou court aux côtés 
du cheval en le tenant par la bride. Le vainqueur de Paris-Deauville 
soigna done sa préparation non moins énergiquement que celle de 
Midas. En plus de sept ou huit heures de cheval, son programme 
d'entrainement comportait chaque jour de la course à pied, de les- 
crime et des mouvements d’assouplissement. Le lieutenant Bausil 
suçait alors ou croquait de temps en temps quelques morceaux de 
sucre, mais sans méthode, sans s’astreindre à une certaine dose et 
simplement pour ne pas avoir soif. En employant le sucre de la 
même façon en juin 1903, pendant le raid Sedan-Bruxelles, 400 kilo- 
mètres en quarante-sept heures, dont 80 environ faits à pied, il était 
déjà arrivé à ne boire que très peu. Satisfait de la recette et peul- 
être également encouragé par les conseils de l’un de nous, il en usa 
largement au cours du raid Paris-Deauville. Sur les 130 kilomètres 
composant la première partie de l'épreuve, de Paris à Rouen, le lieu- 
tenant Bausil en fit à pied, moitié au pas, moitié au pas gymnastique, 
Jo environ, c'est-à-dire presque la moitié. Et quand nous parlons de 
pas gymnastique, pour être exact nous devrions dire pas de course, 
car toutes les côtes étaient montées à la vitesse de 200 mètres à 
la minute, et l’allure portée à 220 mètres en palier et à 240 et 
même souvent 260 aux descentes. Cela fait de 12-15 kilomètres à 
l’heure. Le pas était non moins rapide, car la marche atteignait 
facilement aux côtes la vitesse de 7,5 à l’heure. Pendant le trajet, 
M. Bausil absorba avec du café ou croqua la valeur de quarante- 
cinq à cinquante morceaux de sucre, soit environ de 350 à 400 
grammes. Ce fut là, avec trois œufs crus, la seule nourriture qu’il 
prit en route. A l’arrivée à Rouen, malgré l'effort fourni, nous retrou- 
vons le cavalier de Midas on ne peut plus dispos. En compagnie de ses 
concurrents et camarades du 28° dragons, le capitaine Branca et le 
leutenant Allut, qui suivant son exemple et confiants dans son expé- 


420 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

rience, s’élaient mis eux aussi au sucre *, M. Bausil soigne lui-même 
son cheval, alors que la plupart des autres officiers s’empressent de 
profiter de suite des quelques heures de repos prévues par le pro- 
gramme. La seconde étape, Rouen-Deauville, comportait 85 kilo- 
mètres à faire à toute allure. Le vainqueur de l'épreuve ne mit pied 
à Lerre que sur 7 ou 8 kilomètres, et seulement aux descentes, de 
façon à pouvoir courir le plus vite possible. I prit alors deux œufs 
crus et au moins vingt-cinq ou trente morceaux de sucre, ce qui 
fait environ 200 grammes. Nous verrons comment Midas, également 
alimenté au sucre, arriva à couvrir ces 82 kilomètres en 4"14 soit 
à une vitesse soutenue de plus de 20 kilomètres à l’heure, mais, au 
dire de ses concurrents, la solidité des jarrets de M. Bausil fit pour 
sa victoire autant que celle des membres du cheval. 

Ces derniers exempies joints aux expériences du capitaine Stei- 
nitzer, Joints également aux diverses observations faites sur le soldat, 
nous montrent nettement et en dehors de toute considération scien- 
tifique, que le sucre tient une place prépondérante comme source 
immédiate d'énergie, comme producteur actif de réserves de forces 
et qu’il empêche en même temps, ou du moins diminue, la fatigue, 
la soif et peut-être la faim. N'est-ce pas là le rêve pour l’homme de 
sport, professionnel ou amateur ? 

Les hygiénistes et les économistes se plaignent de ce que le Français 
ne mange guère dans son année que 14 kilogr. de sucre. En pous- 
sant le monde sportif à adopter l’alimentation sucrée, on contri- 
buerait certainement à accroître de beaucoup cette consommation 
par trop minime. Les sports sont à l'heure actuelle plus en honneur 
que jamais. Le peuple commence à leur consacrer les quelques 
heures de liberté que lui laisse son travail ; 1l les aime, suit assidü- 
ment les réunions, se passionne pour ses coureurs favoris. Un pareil 
engouement laisse dès lors à penser que le jour où les recordmen et 
les équipes, connus par leur succès dans les vélodromes ou sur les 


1. Le capitaine Branca et les lieutenants Bausil et Allut avaient résolu de toujours 
marcher ensemble. Il a fallu pour les séparer un accident survenu à Rouen au cheval 
du capitaine Branea et. à Deauville, une distraction du lieutenant Allut, qui n'a passé le 
but que troisième. Sans cela les trois cavaliers du 28° dragons seraient arrivés hotte à 
botte. Ge double dead-heat est bien à regretter ! 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 421 
pistes, adopteront l'alimentation sucrée, toute la galerie suivra l’exem- 
ple. Le public préfère ce genre de leçons à celui des conférenciers et 
des écrivains les plus autorisés. Mais pour provoquer ce mouvement 
d'opinion, si désirable à tous les points de vue, il faut logiquement 
commencer par convaincre les sportsmen eux-mêmes. Or, les argu- 
ments qu'on leur sert d'habitude, nous nous en sommes rendu 
compte, sont insuffisants pour retenir utilement leur attention. « Le 
sucre, leur dit-on, est l’aliment d'énergie par excellence ; consultez 
plutôt Steinitzer, Bausil, les soldats sur lesquels on a expérimenté. » 
Presque tous vous répondent que ce sont là des cas particuliers qui 
sortent des conditions normales de la pratique des divers sports, et 
il faut, en effet, convenir finalement que Palpiniste ou l’homme de 
troupe ne travaille pas comme le eyeliste de nos vélodromes ni comme 
les spécialistes des courses ou des marches à pied. «€ Nous vous croi- 
rons, concluent les sportsmen, lorsque vous nous aurez démontré 
que l’action du sucre est susceptible d’avantager visiblement celui qui 
use régulièrement de cet aliment, lorsque vous nous aurez affirmé, 
après essai, que le sucre convient aussi bien aux « coureurs de vi- 
tesse » qu’à ceux qui, comme l’ascensionniste et le soldat, entrent dans 
la catégorie des « hommes de fond » et mettent plusieurs heures et 
même plusieurs jours pour dépenser leurs réserves d'énergie. Nous 
ne consentirons à essayer le régime que si vous nous dites enfin 
comment nous devons employer le sucre. Suffit-il d’en manger dans 
la période d’entrainement, ou seulement avant ou pendant l'épreuve, 
et à quelles doses ? » Le monde sportif se méfiait en un mot de nos 
déductions plus ou moins théoriques. Il voulait voir *. 

De telles considérations ne pouvaient que nous encourager à la 
formation d’une équipe de bonne volonté, acceptant en toute con- 
fiance de représenter dans une ou deux épreuves les couleurs du 
sucre. Nous avons tout d’abord songé à nous adresser au monde 
cycliste, mais on nous a laissé comprendre qu’il ne pouvait & priori 
nous être de la moindre utilité. Le grand coureur de vélodrome 


1. Les observations concernant les sociétés nautiques de Berlin, de Mayence, de 
Deventer, qui, nous l'avons déjà signalé, du jour où leurs équipes ont adopté l'alimen- 
tation sucrée, n'ont cessé. paraît-il, de remporter des succès, ne sont encore que peu 
connues en France. On n'a du reste aucun détail précis à leur sujet. 


422 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


appartient, en effet, surtout à la marque de sa ‘machine; abdiquant 
presque toute volonté, il est en outre sous la coupe sévère de ses 
entraîneurs et de son € manager ». Allez donc faire entendre raison 
à tous les satellites qui, pendant l’entraînement et les courses, gravi- 
tent autour de l’homme aveuglément confié à leurs soins plus ou 
moins routiniers! Jamais nous n’aurions pu réunir un lot suffisant de 
«bonnes pédales » et les avoir assez en mains pour les guider à notre 
idée, pour leur inculquer un certain esprit de corps et pour savoir ce 
qui se faisait exactement. Assuré par avance d’un échec, nous avons 
alors cherché à recruter nos hommes parmi les « racers », c’est-à- 
dire parmi ceux qui pratiquent le sport de la course à pied. Le jour- 
nal le Vélo faisait justement courir, sur la distance de 40 kilomètres, 
l'épreuve annuelle de Marathon (2 août 1903). L'un de nous fit appel 
à l’obligeance de la presse sportive, et, dans deux articles de tête’, 
encouragea les concurrents à user de l'alimentation sucrée. Le résultat 
fut absolument négatif. Des centaines cependant s’étaient mis en ligne ! 
Peut-être quelques-uns avaient-ils profité des conseils, mais, en dépit 
de enquête la plus mnutieuse, il ne nous fut pas possible de recueillir 
une seule observation, tant soit peu précise, favorable au sucre. Il 
est du reste de règle que le coureur se cache toujours de ce qu'il fait, 
et aime à laisser croire qu’il possède la formule secrète d’une boisson 
soi-disant réconfortante, conduisant infailliblement à la victoire. 

Nos articles du Vélo nous amenèrent cependant, mais ce fut le 
seul, un homme de bonne volonté, un cycliste d'Orléans qui se 
déclara prêt à nous écouter. Il avait l’intention de participer le 
9 août à une épreuve de fond, 100 kilomètres sur route, et de s’en- 
gager, pour le dimanche suivant, dans la course de vingt-quatre 
heures organisée par le vélodrome de Roubaix. Laissons-le nous 
raconter lui-même comment les circonstances récompensèrent mal 
la confiance qu’il avait dans le sucre. Voici quelques passages extraits 
d’une lettre assez détaillée qu’il adressa à l’un de nous : 


Après avoir lu les articles du Vélo, j'ai commencé par absorber régu- 
lièrement sept ou huit morceaux de sucre ; mais, dès réception de votre 


1. Alquier, « Aux coureurs de Marathon », journal /e Vélo (n° des 29 juillet 
et 1° août), 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 423 


lettre, j'ai augmenté la dose. Je me suis mis à prendre deux fois par jour, 
le matin et le soir, environ de douze à quinze morceaux, soit avec un peu 
de pain, soit fondus dans un demi-verre d’eau. La veille de la course de 
100 kilomètres, j’ai augmenté encore la dose d’une dizaine de morceaux, 
pris à midi dans mon café ou eroqués à mon bureau. Le lendemain, le 
départ de la course ayant lieu à 7 heures, vers 6"35, j'ai fait fondre 
douze morceaux de sucre dans ma tasse de café... 

J'avais mis sur mon guidon, dans mon sac, trois tablettes de chocolat, 
vingt-cinq morceaux de sucre et une demi-livre de pruneaux. J'ai tout 
mangé et ai croqué le sucre sec; je dois vous dire, cependant, que je ne 
l'ai fait que vers le soixantième kilomètre et tout d’un coup. Certes, j'ai 
eu lort, mais la pluie nous accompagnait depuis le départ. Vêtu légère- 
ment en maillot de coton, je grelottais, et quand en course on a l’esprit 
tendu, les muscles fatigués et l’eau qui vous coule dans le dos, on ne 
pense guère à se régler ; on ne réfléchit pas. Au soixante-quinzième kilo- 
mètre, je ne pus résister à un démarrage du groupe de tête. Là j'eus 
une véritable défaillance, plutôt morale que physique... Je n’en ai pas 
moins couvert les 400 kilomètres en trois heures quarante et une mi- 
nutes (27 kilomètres à l’heure), sans aides ni soins, et j'étais si peu fatigué, 
à l’arrivée, que je suis revenu sur ma machine à moyenne allure jusqu'à 
Orléans, soit 200 kilomètres dans un peu plus de la demi-journée... 

Le sucre ne m'ayant fait aucun mal et n'ayant rien changé à mes habi- 
tudes, j'ai continué, en vue de la course de Roubaix, à prendre en trois 
fois par jour une quarantaine de morceaux quand je m’entrainais, el vingt- 
cinq seulement quand je ne pouvais sortir avec ma machine. J’arrivai donc 
aux vingt-quatre heures de Roubaix en bonne forme, mais avec une forte 
bronchite prise le dimanche précédent. La veille, j'absorbais cinquante 
morceaux de sucre dans ma journée. A la fatigue du voyage d'Orléans à 
Roubaix s’ajouta une insomnie complète ; je toussais continuellement et 
me présentai donc en mauvaise condition... 

J'avais montré votre lettre à mon soigneur qui, n'étant pas convaincu, 
se refusa presque d'avance à me donner du sucre. Néanmoins, je lui don- 
nai l’ordre de s’en procurer. ]l ne le fit pas, si bien qu’au bout de deux 
heures, quand je demandai du sucre, il n’en avait pas et me passa du pou- 
let et de l’eau de Vichy. Le découragement m’a pris... 

Voilà, aussi détaillées que possible, les deux courses où, suivant vos con- 
seils, j'ai pris du sucre. Vous voyez que ce dernier n’est pour rien dans 
mes échecs, et que ce sont plutôt les circonstances qui ont été contre 
moi. 

J’ai dix-neuf ans et ne suis pas coureur de profession, car Je travaille de 
7 heures du matin à 8 heures du soir dans un bureau, ce qui ne me per- 
met de m’entraîner que le soir à 9 heures, ou bien le matin à 5 heures. 


424 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Mais revenons aux coureurs de Marathon. En écrivant pour eux, 
uous ne nous élions presque uniquement adressés qu’à la catégorie 
des « professionnels », c’est-à-dire à ceux qui vivent du sport et dont 
c’est presque toujours l’unique métier. Or, si nous avions été tant 
soit peu renseignés sur l’état d'esprit des sportsmen spéciaux que 
nous voulions convaincre, nous n’aurions même pas tenté de les ral- 
lier à la cause du sucre. Le professionnel, qu’il soit cycliste ou racer, 
n’écoute par principe que ses soigneurs et entraîneurs. La lettre du 
Jeune cycliste d'Orléans vient de nous montrer d’une façon frappante 
combien il est difficile de lutter contre l’inertie routinière de tous ces 
aides, pourtant indispensables. Instruits donc par notre non-réussite, 
il ne nous restait plus qu’à nous adresser aux sportsmen que l’on 
qualifie à juste raison «€ d’amateurs », car il en est heureusement qui 
considèrent uniquement le sport comme un art d’agrément et comme 
un moyen de recueillir des lauriers, le plus souvent honorifiques, 
sans sacrifier pour cela leur métier, leur profession ou leur santé. 
Chez ces derniers, d’un niveau intellectuel nullement comparable à 
celui des professionnels, nous avions peut-être chance de trouver 
enfin un peu de bonne volonté. Il nous fallait chercher une occasion 
favorable de renouveler utilement notre appel ; elle ne se fit pas trop 
attendre. 

La presse venait de remettre en honneur le sport, absolument 
délaissé depuis longtemps, de la marche : une marche nullement 
naturelle et semblable à celle du soldat par exemple, mais une 
marche toute sportive, nécessitant un certain apprentissage et grâce 
à laquelle, sans courir, faute d’être disqualifié, les bras aidant à la 
rapidité du mouvement des jambes, le buste restant presque immo- 
bile et les membres seuls fonctionnant, on arrive à soutenir, nous 
allons le voir, pendant plusieurs heures consécutives la vitesse sur- 
prenante de 10 kilomètres à l'heure, c’est-à-dire celle d’un cheval au 
trot”. Notre attention se porta de suite sur deux des épreuves annon- 


1. Le record de l'heure sur piste est de 11K",410.- Telle est la distance que vient 
de couvrir dernièrement, dans l'heure, un marcheur du « Sport athlétique de Mont- 
rouge », C’est donc là le maximum de vitesse atteint, mais il faut remarquer que 
cette allure n'a été soutenue que pendant une heure et sur une piste d'un parcours 
autrement moins pénible qu'une route ordinaire. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 425 
cées pour le mois d’octobre et qui, bien qu’organisées par des jour- 
naux différents, étaient cependant ouvertes à des coureurs de même 
profession. Le 18 octobre 1905, le Vélo faisait marcher « les em- 
ployés des chemins de fer » sur 25 kilomètres, de la Porte-Maillot 
à Maisons-Laffitte, en passant par Suresnes, Rueil, Chatou, Le Vési- 
net, Le Pecq et Saint-Germain. De son côté, le journal le Matin pré- 
parait pour le dimanche suivant, 25 octobre, une marche dite « des 
transports » où pouvait figurer également le personnel des diverses 
compagnies de chemins de fer. La distance de cette seconde épreuve 
était de 40 kilomètres environ, le départ ayant lieu à l'hôtel du Matin 
et l’arrivée au Raincy en passant par la place de la République, la 
place de la Basülle, la porte de Charenton, le bois de Vincennes, 
Joinville-le-Pont, Bry, Neuilly, Chelles, Le Pin, Courtry, Coubron et 
Clichy. L'occasion était peut-être unique de pouvoir comparer les 
effets du sucre chez des coureurs mesurant leurs forces, à une 
semaine d'intervalle, sur 25 puis 40 kilomètres, la première marche 
étant plus favorable aux champions de vitesse, les hommes de fond 
étant forcément en meilleure condition dans la seconde. Les listes 
d'engagement se couvrirent très rapidement, et il fut aisé de se 
rendre compte que, le Midi et les petites compagnies de chemins de 
fer mises à part, le Nord, l'Ouest, l'Orléans, le Paris-Lyon et PEst 
fournissaient dans les deux épreuves autant de concurrents les unes 
que les autres. Profitant donc de l’accueil particulièrement obligeant 
que la Compagnie du Nord avait bien voulu faire à notre idée et à 
notre programme, nous nous sommes employés à y recruter la pre- 
mière équipe française au sucre. Notre tâche, disons-le de suite, a 
été considérablement simplifiée grâce à M. Stehlin, chef du bureau 
des services électriques, qui s’est on ne peut plus heureusement 
chargé de l’exécution de notre plan. L'un de nous est heureux d’asso- 
cler 101 à son nom celui de ce nouveau collaborateur, à qui revient 
seul honneur de l’organisation et de la réussite de l’essai. Sportsman 
accompli et de longue date et, comme tel, président de l'Union cycliste 
de la Compagnie du Nord et de l'Association sportive des grandes 
compagnies de chemins de fer, très au courant des habitudes et sur- 
tout de la tournure d’esprit des amateurs de sport, à même par con- 
séquent d’aplanir les mille difficultés que soulève toujours la mise au 


426 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


point d’une expérience comme celle que nous voulions tenter. 
M. Stehlin nous a permis de suivre, heure par heure, on peut 
presque le dire, et aussi bien pendant leur entrainement qu’au 
cours même des épreuves, un lot d’une dizaine de marcheurs, sou- 
mis au régime de la suralimentation par le sucre, toutes les autres 
conditions de ces sujets en observation étant exactement les mêmes 
que si nous n’étions pas intervenus. En nous adressant au Nord, 
nous avons du reste élé bien inspirés à tous les points de vue, car 
les idées que nous apportions étaient loin d'être une nouveauté 
pour le groupe sportif de cette compagnie”. Non seulement PU. C. N. 
(Union cycliste du Nord) était au courant de ce que l’on avait écrit 
et dit sur le sucre, mais elle avait mis ce dernier à l'épreuve en 
maintes circonstances. Tout dernièrement encore, vingt-trois de ses 
membres, profitant des congés du 14 juillet, avaient pu, grâce au 
sucre, accomplir à bicyclette une randonnée hors de proportion avec 
le temps dont ils disposaient. Voici sur cette excursion quelques dé- 
tails qui méritent d’être connus. Partie de Paris le 11 juillet au soir, 
la petite troupe était le 12, à 7 heures du matin, à Luxembourg, 
après une nuit passée en chemin de fer. Une heure après, tout le 
monde prenait, sur sa bicyclette, le chemin d’Ettelbrück et de Die- 
kirch par la vallée de l’Alzette. Le déjeuner et la sieste arrêtèrent 
nos cyclistes deux heures à peine dans cette dernière ville. On mar- 
cha le reste de la journée pour arriver à 8 heures du soir à Echter- 
nach sur la frontière allemande, soit un parcours d'environ 84 kilo- 
mètres dans un pays assez fortement accidenté. La caravane dans la 
matinée du lendemain remonta la vallée de la Sure et se dirigea sur 
Trèves qu’elle put atteindre avant le déjeuner, ayant fait ainsi une 


1. À vrai dire, il faut reconnaître que les propriétés du sucre ne sont pas entiè- 
rement méconnues du monde sportif. Depuis deux ou trois ans, les masseurs et soi- 
gneurs sont les premiers à recommander le sucre, mais à petites doses, trois ou quatre 
morceaux, pour combattre les défaillances. Dans diverses épreuves, il nous a été 
donné d'entendre à chaque instant des concurrents demander du sucre à leurs entrai- 
neurs. M. Stehlin estime que sur les 3 S00 éngagés de la marche des corporations, 
organisée le 8 novembre 1903 par le Monde sportif, un bon tiers avait une provision 
de sucre pour la route. Nous avons du reste déjà constaté que depuis quelques années 
les touristes, les alpinistes ont abandonné l'alcool comme stimulant, et se sont mis 
aux sucreries (sucre en nature, fruits confits, fruits secs, chocolat), 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 427 


quarantaine de kilomètres. L’après-midi du 15 fut consacré à la vi- 
site de Trèves. Le lendemain l’U. C. N. se mit en route à 4 heures 
et demie du matin et arriva à Luxembourg dans la soirée, assez à 
temps pour reprendre le train et rentrer à Paris. La distance parcou- 
rue dans cette dernière journée fut d'environ 98 kilomètres. Pendant 
ces trois jours, les excursionnistes consommèrent régulièrement par 
jour une moyenne de vingt-cinq à trente morceaux de sucre. Pas un 
ne resla en route et tous arrivèrent au but, absolument frais, sans 
s'être plaints une seule fois de la fatigue. Ce qui fait l'intérêt de l’ob- 
servation, c’est que les membres de PU. C. N., presque tous em- 
plovés dans les bureaux de la Compagnie, mènent forcément une 
vie sédentaire, et sont loin de pouvoir s'entraîner rationnellement et 
d’une façon continue comme le font d'habitude les gens uniquement 
adonnés aux sports. 

Dans ces conditions, étant donné qu'il est toujours dangereux de 
vouloir faire la leçon à des gens convaincus par avance, sans plus de 
préliminaires, nous avons rédigé avec M. Stehlin, en termes aussi 
simples que possible, la petite note suivante et l'avons communiquée 
à un certain nombre d'employés de la Compagnie du Nord, engagés 
dans les marches des 18 et 25 octobre. Nous croyons devoir repro- 
duire ici textuellement cette note, d’abord parce qu’elle nous résume 
le programme de l’expérience et surtout parce qu’elle permet de se 
rendre compte avec quel soin nous avons évité de changer en quoi 
que ce soit le mode d’entrainement et le genre de vie des concur- 
rents mis en observation. Il n'existait du reste pas d’autre moyen 
acceptable de rechercher si, dans la pratique courante des sports, 
l'alimentation sucrée avait réellement l'heureuse influence sur la- 
quelle on était en droit de compter. 


AUX ENGAGÉS DES MARCHES DES CHEMINS DE FER ET DES TRANSPORTS 
(18-25 octobre 1903). 

Pour accomplir dans de bonnes conditions une longue marche, il ne 
suffit pas de se préparer par un entraînement sérieux et méthodique, il 
faut encore suivre une hygiène sévère, permettant de se prémunir contre 
la fâcheuse défaillance, lessoufflement et ia soif. 

Nous croyons être utiles à nos camarades engagés dans les épreuves de 


428 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


marche organisées pour les 48 et 25 octobre, en leur donnant les conseils 
qui suivent : 

Pendant la période d'entrainement, éviter la consommation exagérée de 
viandes, dont il ne faut attendre aucun surcroît d'énergie ; forcer, au con- 
traire, lalimentalion en farineux (pain, pommes de terre, etc.). Ne pas 
boire d'alcool, sous quelque forme que ce soit, vin compris. 

Si la suralimentation par les féculents esl à recommander, il faut cepen- 
dant lui en préférer une autre, meilleure encore, et qui a fait ses preuves 
depuis quelques années : c’est la suralimentalion par le sucre. Les socié- 
taires de l'U. C. N, la pratiquent couramment et elle leur a toujours fort 
bien réussi; au cours de leurs excursions, le sucre leur a infailliblement 
donné des forces et leur a permis d'accomplir de longues étapes sans fatigue. 

Nos marcheurs se trouveront fort bien de suivre le régime dont voici 
les conditions : : 

Un sportsman qui, en vue d'une épreuve, a besoin d’accumuler de 
l'énergie, doit porter à 200 grammes sa consommation quotidienne de 
sucre ; chaque morceau de sucre pesant environ $ grammes", il doit donc 
en absorber vingt-cinq environ dans le courant d’une Journée. 

Ce chiffre peut être atteint facilement de la manière suivante : 

Une demi-heure avant la séance d'entraînement, prendre une boisson 
chaude quelconque, thé ou lait, déjà fortement sucrée, puis y tremper 
huit ou dix morceaux de sucre et les croquer. Pendant l'entrainement, 
s’habituer également à manger, sans interrompre son travail, des morceaux 
de sucre humectés d’eau, et ceci en vue d'éviter que, le jour de l'épreuve, 
le sucre ne provoque de malaise pendant sa déglutition. 

Après l’entrainement et le massage, croquer encore de temps en temps 
du sucre, de façon à finir de manger, dans le courant de la journée, ses 
vingt-cinq morceaux. 

Ce nombre peut être augmenté sans aucun danger ; en progressant gra- 
duellement, on arrive à absorber facilement et utilement jusqu'à 300 gram- 
mes de sucre par jour, et même 500 grammes la veille de lépreuve. 

Le jour de la marche, prendre, quelques heures avant le départ, de 100 
à 120 grammes de sucre, puis au cours de l'épreuve, absorber au plus, 
toutes les demi-heures, quatre morceaux de sucre humectés ; un peu 
d’eau, le contenu d’une cuiller à café, sera donné en même temps au 
marcheur par ses entraîneurs. 

Nous avons la certitude qu’en suivant ce régime vous verrez vos forces 
s’accroitre sensiblement, et que vous vous classerez honorablement dans 
les épreuves qui vous sont ouvertes. 


Tels sont les conseils qu'ont reçus les marcheurs de la Compagnie 


1. Les morceaux de sucre employés pour l'expérience pesaient, en réalité, 87,6. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 429 


du Nord. Ils sont bornés, on le voit, aux seules indications indispen- 
sables. Pour être à même de présenter un certain nombre d’obser- 
vations bien suivies et de conclure sur les effets réels du sucre dans 
la pratique des sports, nous avons en outre cherché à faciliter Pexé- 
cution de cette note à quelques-uns, tout au moins, de ceux qui 
se déclaraient prêts à suivre strictement le régime indiqué. Le Syn- 
dicat des fabricants de sucre, informé sur ces entrefaites de nos es- 
sais par son directeur de laboratoire, M. Saillard, que nous sommes 
heureux de remercier ici de son obligeance, s’empressa de mettre 
généreusement à notre disposition le sucre dont nous pouvions avoir 
besoin. Rien ne s’opposait plus dès lors à la formation d’une équipe 
telle que nous la désirions. Le 7 octobre, M. Stehlin nous présenta, 
mais sur le vapier seulement, car nous ne voulions pas intervenir 
afin d'éviter toute influence morale, un lot de douze agents, différant 
autant que possible nar leur tempérament, leur structure physique, 
leur profession et disposés, de leur propre volonté, à nous servir de 
sujets d'observation. 

Le 9 octobre eut lieu la première distribution de sucre, et, à parür 
de ce jour, tous les marcheurs « de l’équipe au sucre », comme on 
les appelait à la Compagnie du Nord, furent individuellement suivis 
d’aussi près que possible. La plupart de ces agents travaillaient dans 
des bureaux ou des ateliers voisins de celui de M. Stehlin. Ce dernier, 
tant que dura l’expérience, en profita pour rester en relation cons- 
tante avec eux, recueillant régulièrement et au jour le jour les im- 
pressions de l’un, ce que l’autre avait dit et fait pendant les séances 
quotidiennes d’entraînement. Le Jour de l’épreuve, chaque marcheur 
était flanqué de quatre camarades appartenant à l'Union eyeliste de 
la Compagnie et chargés à tour de rôle de l’entrainer à pied, de le 
soigner ou de porter à bicyclette les provisions de route. Ces auxi- 
liaires notèrent, eux aussi, exactement et avec détails tous les inci- 
dents de la course, et le point du parcours où ils s'étaient produits, 
puis la consommation de sucre ou de tout autre aliment ou boisson, 
faite par celui qu’ils escortaient. Les observations individuelles sui- 
vantes résument les points intéressants des nos notes. L’équipe com- 
prenait au début douze marcheurs, mais l’un d’eux crut constater, 
au bout de trois Jours, qu'une addition quotidienne à son régime 


430 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


normal de vingt-cinq morceaux de sucre, augmentait chez lui la 
constipation à laquelle il était sujet depuis longtemps. Ce réfractaire, 
le seul, « déclara alors forfait » dans les deux épreuves et se con- 
tenta de servir d’entraineur à son frère, enrôlé comme lui dans 
l’équipe au sucre. 

1. — M. P..., trente ans, taille 1,7, buste très peu développé, jambes 
fortement musclées et très longues. 

À fait son service militaire dans l'artillerie, ne pratiquait avant aucun 
sport et ne s’est préparé à faire les marches des 18 et 25 octobre que 
dans les premiers jours du même mois ; n’avait donc à la première course 
que quinze jours environ d'entrainement, consistant à accomplir quoti- 
diennement, sans méthode ni conseils et en deux fois, un parcours de 15 
à 46 kilomètres, soit 7 à 8 kilomètres le matin et autant le soir. 

Commence seulement l’alimentation au sucre le 9 octobre et suit exac- 
tement les indications de la note remise aux coureurs, c’est-à-dire ingère 
par jour régulièrement de 200 à 250 grammes de sucre, pris moitié le 
matin avant la séance d’entraînement et laprès-midi pour se préparer à 
la marche du soir ; n’a ressenti aucune gêne du fait de cette consomma- 
tion de sucre ; l’appétit est resté le même ; aucune tendance à la soif. La 
sudation à l’entrainement diminue beaucoup dès le premier jour de la 
mise au régime sucré ; le 16 octobre, c’est-à-dire une semaine après, elle 
est presque nulle ; n’a aucune répugnance à prendre le sucre en nature ; 
préfère le croquer et boire un peu d’eau ensuite, plutôt que d’absorber 
des boissons fortement sucrées. 

Le 17 octobre, veille de la marche de 25 kilomètres, porte sa ration de 
sucre à 360 grammes; prend, le matin de l'épreuve, du thé et environ 
130 grammes de sucre qu'il croque; quelques instants avant le départ, 
mange encore huit morceaux, soit 69 grammes, et boit une gorgée d’eau; 
part, dans le peloton de tête, ayant pris en tout 200 grammes de sucre, el se 
maintient dans les cinq premiers jusqu’à Rueil (9 kilomètres), où il passe 
second malgré un petit effort du tendon qui le gêne au début. Ne pouvant 
raltraper le concurrent qui le précède, maintient sans forcer l'avance 
le 200 mètres qu'il à sur le reste du peloton de tète et arrive second à 
Maisons-Laffitte, très frais, ne ressentant aucune fatigue, bien qu’il ail 
marché en moyenne à la vitesse de 10*",6 à l’heure', sous la pluie, tantôt 
sur une route détrempée, tantôt sur des pavés gras; n’a pris dans toul 
le parcours que quelques gorgées de thé et 170 grainmes de sucre, soil 
à peu près un morceau tous les kilomètres. N'ayant jamais participé à 


1. Nous avons dit que le record sur piste de l'heure était de 11Xm,410. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 431 


une épreuve de ce genre, ne peut faire de comparaison, mais son impres- 
sion personnelle est que le sucre lui a fort bien réussi et donné de l’en- 
durance ; lui attribue d’ailleurs nettement l’effet précieux d’avoir sup- 
primé la sudation. 

Prend part le dimanche suivant à la marche de 40 kilomètres. Déjeune 
à 6 heures et demie du matin avec du bouillon, deux œufs à la coque, une 
côtelette, et boit, dissous dans deux tasses de thé, dix morceaux, soit 
86 grammes, de sucre; croque, en plus, une demi-heure avant le départ 
(8 heures), la valeur de 34 grammes de sucre (quatre morceaux). Se joint 
immédiatement au peloton de tête, bien que son effort du tendon le gêne 
toujours au départ, mais laisse échapper un concurrent qui prend une 
avance de plus de 100 mètres ; passe neuvième à la barrière de Charen- 
ton (6“",200), trente-six minutes après le départ, et prend à ce moment 
trois morceaux de sucre (26 grammes) humectés d’eau; à Joinville 
(12 kilomètres) profite d’un arrêt forcé, au passage à niveau du chemin de 
fer, pour avaler un verre de bouillon mélangé à un jaune d’œuf, puis se 
met à la poursuite du peloton de tête, rejoint plusieurs concurrents et 
marche à partir de Bry (16 kilomètres), à la hauteur du futur vainqueur 
de l'épreuve, arrivé du reste également premier le dimanche précédent ; 
le suit dans son effort pour dépasser le concurrent qui tient la tête de- 
puis le départ et auquel ses entraîneurs font prendre du champagne, de 
la kola, de la caféine, du thé, ce qui ne l’empêche pas de s’effondrer en 
traversant le Perreux (18 kilomètres) ; abat 7 ou 8 kilomètres sans inci- 
dent, en croquant de temps en temps un morceau de sucre, est rejoint à 
Chelles (27 kilomètres) par un concurrent qui marche dans ses foulées 
et donne alors un très grand effort pour se maintenir second, car le futur 
vainqueur de la course est arrivé à le devancer dans une montée. Prend 
un second verre de bouillon avec jaunes d'œuf et poursuit courageuse- 
ment ; passe au Pin, voit l’heure, doute de pouvoir tenir jusqu’au bout 
et est pris de suite d’une défaillance morale que ses entraîneurs ont mille 
peines à combattre. Se laisse devancer mais marche cependant dans les 
pas de son concurrent passé second et entame la lutte avec lui; donne à 
ce moment des signes complets de détresse et ralentit son allure en abor- 
dant une côte après Courtry (35 kilomètres). Ses camarades lui font 
prendre 26 grammes de sucre (trois morceaux); les forces lui reviennent. 
Repris par ses entraîneurs, suit très facilement leur train et, rejoignant 
à Coubron (36 kilomètres) le concurrent qui l'avait dépassé au Pin, se 
louve avoir à ce moment 1 200 mètres d'avance sur le quatrième ; est 
deuxième après Clichy (38 kilomètres), mange deux morceaux de sucre 
el boit un premier verre de champagne, puis un second dès qu’il arrive 
en vue du Raincy (42“",500), où se trouve le contrôle d'arrivée; se classe 
second, précédant le troisième de onze minutes et à trois minutes du 


432 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


premier, alors que ce dernier l'avait battu le dimanche précédent de dix 
minutes sur 25 kilomètres. 

En résumé, a marché à la vitesse de 9*,77 à l’heure pendant 435 et 
a pris en tout 155 grammes (dix-huit morceaux) de sucre, plus un demi- 
litre de bouillon avec deux jaunes d’œuf et deux verres de champagne 
dans les trois derniers kilomètres; arrive au but très frais, a bien un 
moment de faiblesse lorsqu'il s’arrête, mais, aussitôt massé, il n’y parait 
pas ; dix minutes après, va déjeuner n’éprouvant déjà plus aucune lassi- 
tude des jambes. 


2. — M. Q.., vingt-six ans, laille moyenne, bien proportionné, trois ans 
de service militaire, faisait auparavant de la bicyclette et a même participé 
avec succès à des courses d'amateurs, a pris part également à des courses 
à pied ; depuis son retour du régiment, ne s’est soumis à aucun entraîne- 
ment et n’a jamais couru ; est à même, malgré cela, de comparer son an- 
cienne méthode à la suralimentation par le sucre. 

Est convaincu, vu son manque de préparation, qu'il ne figurera pas 
honorablement dans une épreuve de marche; ne se serait pas engagé 
dans la course des 25 kilomètres si on ne lui avait pas certifié que le 
sucre pouvait le mettre rapidement en forme. S’entraîne régulièrement 
chaque jour sur 10 kilomètres, sauf deux fois où il couvre sans fatigue 
14 kilomètres en 1"32 et 126 ; consomme de vingt-cinq à trente morceaux 
de sucre (soit de 200 à 250 grammes) qu'il croque peu à peu dans sa 
journée, étant absolument rebelle aux boissons sucrées ; ne ressent, sous 
l’effet de ce régime, aucun malaise ; n’est nullement altéré, mais voit son 
appétit diminuer considérablement ; est, il est vrai, en temps normal fort 
petit mangeur ; d’un tempérament très sec, n’est pas sujet à la transpi- 
ration. 

Le 17 octobre, veille de la marche de 25 kilomètres, prend dans sa 
journée quarante morceaux de sucre, soit 340 grammes, et, n'habilant pas 
Paris, couche près du lieu de départ de la course, dans un bôtel de Neuilly 
où il ne peut dormir par suite du bruit que lon y fait. Est très fatigué le 
matin de l'épreuve ; mange deux œufs sur le plat et boit deux tasses de 
thé, avec huit morceaux de sucre par tasse, soit 137 grammes environ de 
sucre absorbé, croque encore trois morceaux (26 grammes) avant le dé- 
part. S'est refusé à prendre du sucre en cours de roule et n'a mangé dans 
tout le parcours qu’une livre de raisin et une tablette de chocolat. Part en 
tête, mais en arrivant à la Cascade (4 kilomètres) est pris d’un point de côté 
qu'il attribue à l’insomnie de la nuit précédente ; suit péniblement, monte 
cependant la côte de Suresnes en conservant son rang, mais est dépassé 
par de nombreux concurrents sur la route stratégique. Signe qualre-vinglt- 
douzième à Rueil (9 kilomètres) et, à partir de ce moment, sent peu à peu 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE, 433 


disparaître son point de côté, reprend de suite avance qu’il a perdue ; a 
regagné vingt places avant Chatou, en reprend vingt autres avant le Vési- 
net, dépasse dans la côte du Pecq tous les marcheurs qui le précèdent de 
près et passe dix-huitième à Saint-Germain (18“",200). À maintenant af- 
faire aux meilleurs marcheurs du lot, mais, stimulé par ses entraîneurs, 
pousse à fond ; laisse dix concurrents derrière lui et signe huitième au 
contrôle d'arrivée de Maisons-Laffite ; arrivé excessivement frais, se fait 
masser puis revient de suite à Paris. 

Est étonné lui-même de la performance qu’il vient d'accomplir après 
avoir été si fortement handicapé au départ par son point de côté ; attri- 
bue sincèrement au sucre l'énergie qu’il a montrée sur la fin du parcours 
et dit n’avoir jamais donné d’effort semblable et ne s’être jamais trouvé 
aussi peu fatigué après une course ; a fait preuve en outre d’un grand cou- 
rage et de volonté, car il est arrivé les pieds complètement écorchés et 
en sang; ne s’est enfin nullement ressenti de cette suralimentalion au 
sucre qu’il a cessée le 19 octobre, ne devant pas prendre part à la course 
de 40 kilomètres. 


3. — M. Le..., vingt ans, taille moyenne, plutôt petite, constitution peu 
robuste, nerveux, pratique comme sports la bicyclette et le foot-ball. 

Commence à s’entraîner dès les premiers jours d'octobre et ne s'engage 
que pour la course de 40 kilomètres ; se met au régime à partir du 10 octo- 
bre et consomme régulièrement vingt-cinq morceaux de sucre, soil 
215 grammes par jour ; aime le sucre sous toutes ses formes el s’accom- 
mode facilement de ce régime ; prend le matin du thé ou du chocolat for- 
tement sucré, et croque le reste de sa ration dans le courant de la jour- 
née ; n’a rien constaté d’anormal à partir du jour où il s’est soumis à cette 
suralimentation ; appétit resté le même; n’a jamais souffert de la soif; 
accomplissait chaque matin, comme entraînement, un parcours de 10 à 
12 kilomètres, et a fait deux marches d’essai huit jours puis cinq jours 
avant l'épreuve, de Pontoise à Paris (30 kilomètres); est arrivé ces deux 
fois à son bureau sans la moindre transpiration et, aussitôt changé, à pu 
se mettre au travail dans des conditions normales d’esprit. 

Prend trente morceaux (258 grammes) de sucre la veille de la course ; 
le matin, déjeune avec deux œufs à la coque, du chocolat et du thé très 
sucré ; ayant remarqué une certaine gêne de respiration quand il man- 
veait du sucre en plein train de course, s’abstient d’en croquer au dé- 
part; se maintient jusqu’à Neuilly (22 kilomètres) le trentième environ, en 
prenant de temps à autre un peu de sucre; croit bien faire, à ce moment, 
en gobant deux œufs complets ; ressent aussitôt un empâtement dans la 
bouche et demande à boire ; prend plusieurs gorgées de café très sucré, 
puis du thé et du lait malheureusement caillé, ce dont on s’apercoit trop 


ANN. SCIENCE AGRON. — 2® SÉRIE. — 1902-1903. — 1. 2S 


434 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


tard, perd une vingtaine de rangs entre Neuilly et Le Pin (31 kilomètres); 
se sentant mieux à partir du Pin, accélère lallure et regagne plusieurs 
places dans la montée de Coubron; rejoint encore cinq concurrents, sur 
la fin du parcours, entre Choisy et Le Raincy et arrive trente-cinquième. 

À l’arrivée, a très faim, ne ressent aucune fatigué et est très peu en 
sueur; d’un tempérament déjà nerveux, a pourtant donné sur tout le par- 
cours des signes évidents d’énervement, causant beaucoup et se dépensant 
en mouvements inutiles et saccadés des bras et du buste. 


4. — M. B..., vingt ans, taille au-dessus de la moyenne, bien découplé, 
nature exubérante, se dépense beaucoup, pendant la marche, en mouve- 
ments désordonnés, pratique le foot-ball d’une manière assidue. 

S’est mis au régime du sucre le 10 octobre, mais s’entrainait depuis le 
commencement du mois en accomplissant chaque soir douze fois environ 
le tour de l'hôpital Lariboisière (928 mètres); prend donc tous les matins 
de 100 à 120 grammes de sucre dans son thé et croque, l'après-midi, des 
morceaux préalablement humectés d’eau ; arrive ainsi très facilement à 
manger 250 grammes de sucre par jour ; n’en est nullement incommodé ; 
conserve son appétit et ses habitudes. 

Prend seulement part à la course de 40 kilomètres ; déjeune le matin 
avec du chocolat, du café, des œufs sur le plat ; absorbe, une heure avant 
le départ, dix morceaux, soit 86 grammes de sucre ; en croque encore 
trois morceaux un quart d'heure avant de se mettre en ligne ; se place de 
suite dans le peloton de tête, car il a une forte pointe de vitesse sur les 
petites distances et reste huitième jusqu’à Joinville (12 kilomètres); perd 
alors plusieurs rangs dans la traversée du Perreux et est pris d’un point 
de côté en marchant sur le pavé gras à l'entrée de Neuilly (22 kilomètres) ; 
doit ralentir l'allure et monter sur le trottoir, ce qui le fait rétrograder à 
la cinquantième place ; commence à boire du chocolat au lait et finit d’en 
absorber une petite bouteille en arrivant à Chelles (27“*,200) ; croque 
ensuite quatre morceaux de sucre et, à partir du Pin (32 kilomètres), 
boit du madère, un demi-litre environ dans les dix derniers kilomètres ; 
signe vingt-sixième au contrôle d'arrivée. 

N'est nullement fatigué et se serait certainement mieux classé sans le 
point de côté qui l’a gêné sur près de 10 kilomètres ; le lendemain, n’a 
ressenti qu'un peu de raideur dans les jambes. 


9. — M. G..., vingt ans, taille moyenne, maigre, aspect plutôt maladif'; 
n’a jamais pratiqué aucun sport; se croit bon marcheur et s'engage dans la 
marche de 40 kilomètres sans songer à se préparer en vue de cette épreuve. 

Entend dire qu’il est nécessaire de s’entraîner, demande des renseigne- 
ments et accepte, sans grande conviction du reste, de se mettre au régime ; 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 439 


manifeste de suite la crainte de voir le sucre lui causer des troubles intes- 
tinaux et lui donner le diabète ; se rend peu à peu à l'assurance qu'il n’a 
rien à craindre, étant absolument libre de cesser l’alimentation indiquée 
dès qu'il en sentira les mauvais effets. 

Suit cependant très ponctuellement les instructions de la note et mange 
ses vingt-cinq morceaux (215 grammes) de sucre chaque jour ; est tout 
étonné de ne pas tomber malade et de ne pas, tout au moins, ressentir 
les effets de la soif; fait tous les jours, comme entrainement, deux mar- 
ches de 9 kilomètres, l’une le matin pour venir à son bureau, l’autre le 
soir pour rentrer chez lui. 

La veille de la course, se repose complètement et lui, qui était si scep- 
tique au début, prend dans sa journée, sans en être aucunement incom- 
modé, le chiffre énorme de cinquante-huit morceaux de sucre, soit à peu 
près une demi-livre. Le jour de l'épreuve, déjeune d’abord avec du café, 
qu’il qualifie de sirop, y ayant mis vingt morceaux de sucre (170 gram- 
mes), mais a la mauvaise idée d'écouter sa mère, qui croit bien faire en 
lui faisant manger une omelette au lard. 

Ressent au départ un violent mal d'estomac; se maintient quand même 
dans les premiers et passe quarante-huitième à la porte de Charenton 
(6:%,5); est pris de vomissements dans le bois de Vincennes ; essaye de 
continuer, mais, épuisé par une soif intolérable, demande à s’arrèêter à 
Joinville ; boit du café sucré et se remet en route en croquant régulière- 
ment toutes les demi-heures deux morceaux de sucre humectés d’eau. 

Passe au Perreux (18 kilomètres) soixante-troisième à 10 heures, ayant 
done, malgré son indisposition, marché à la vitesse moyenne de 9 kilo- 
mètres à l'heure. Trouve son père qui lui passe des pastilles de kola; en 
croque quelques-unes avec le sucre qu’il continue à prendre régulière- 
ment. À partir de ce moment, l’énergie lui revient ; regagne des places et, 
après Chelles (27 kilomètres), aperçoit la tête de la colonne au moment 
où elle prend le tournant du Pin; reprend courage et gagne plusieurs 
places dans la côte qui précède le Pin (32 kilomètres), où il passe trente- 
troisième ; dépasse encore lrois ou quatre concurrents et aborde franche- 
ment la côte de Coubron (36 kilomètres); ne prend toujours que son sucre 
humecté et quelques pastilles de kola ; ne souffre plus de la soif et finit 
pas se classer vingt et unième, ayant ingéré dans les trois dernières heures 
plus de 1450 grammes de sucre. 

Arrive assez épuisé, les traits tirés, et se ressent toute la journée de 

_son indisposition. 


6. — M. V..., vingt et un ans, 1",80, forte ossature, n’a jamais pratiqué 
de sport; utilise quelquefois la bicyclette, mais pour faire des parcours 
n’excédant pas 10 kilomètres. 


436 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Sollicité par un de ses camarades de prendre part avec lui à la marche 
de 40 kilomètres, commence à s’entraîner le 10 octobre et adopte de suite 
le régime au sucre dès qu’il a connaissance de la note ; accomplit chaque 
jour des marches variant entre 6 et 14 kilomètres et prend régulièrement 
vingt-cinq morceaux (215 grammes) de sucre; n’en éprouve aucun trouble, 
garde son appétit et ne souffre nullement de la soif. 

La veille de la marche, porte sa dose de sucre à 500 grammes et la 
consomme facilement sans en être incommodé. Le matin de l'épreuve, 
prend du café au lait dans lequel il met douze morceaux de sucre (103 
grammes), puis une tartine de pain et de beurre ; part à lallure de 8“",5- 
9 kilomètres à l'heure et ne s'inquiète pas des nombreux concurrents qui 
le dépassent; maintient régulièrement cette marche ; croque au début, 
toules les cinq minutes, un morceau de sucre sec et boit de temps en 
temps une gorgée de kola liquide ; est cent-dix-septième au contrôle du 
Perreux, mais, à partir de Neuilly, commence à dépasser ceux qu’il atteint 
et se classe soixante-douzième au Pin (32 kilomètres); continuant à une 
allure mécanique de 8“",5 à l'heure, traverse Courtry et Coubron (36 kilo- 
mètres), en laisse plusieurs derrière lui, n’est plus que quarante-neu- 
vième à Clichy et, dans les trois derniers kilomètres, gagne encore quinze 
places. 

Se classe trente-quatrième au contrôle d'arrivée, ne présentant pas la 
moindre trace de fatigue, causant très librement sans essoufflement, 
n'ayant ni faim ni soif; est certainement un des concurrents les plus frais 
et donne l'impression de quelqu'un qui vient de faire un petit tour de 
promenade ; n’ayant pas trace de transpiration, prend à peine le temps de 
se faire masser avant de quitter le Rainey; aurait pu se classer dans les 
premiers sans son ignorance complète de la tactique à adopter, mais, d’un 
tempérament par trop calme, n’a même pas voulu faire le moindre effort 
dans les derniers kilomètres. 


7. — M. J.., vingt ans, taille moyenne, plutôt râblé, ne s’adonne à 
aucun sport. 

Ne s’est entraîné que pour accompagner l’un de ses camarade, mais con- 
sent à s'engager dans les deux courses. Prend du sucre à partir du 10 oc- 
tobre et en consomme en moyenne, par jour, de 150 à 160 grammes, dont 
plus de la moitié est pris dans le thé du matin. 

La veille de la première course, absorbe dans sa journée soixante-deux 
morceaux de sucre (933 grammes). Déjeune le matin de l’épreuve avec 
trois œufs crus et du thé sucré; n’a consommé pendant toute la marche 
que six morceaux de sucre et, après chaque morceau, a bu une gorgée 
de café fortement sucré ; s’est maintenu, dès le départ, dans le peloton 
de tête comprenant environ cinquante coureurs, gagne cinq places à la 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4317 


montée de Rueil sur un parcours de 300 mètres et maintient son ran2 
jusqu’au pont du Pecq; fait son effort en abordant la côte, dépasse en- 
core huit marcheurs et se classe onzième au contrôle de Saint-Germain : 
vagne de nouveau trois places dans le trajet de la forêt, se fait dépasser 
par son camarade (.... de l’équipe au sucre, et signe neuvième à l’ar- 
rivée. 

Devant courir le dimanche suivant, se repose un jour puis recommence 
les marches d'entrainement pendant trois jours et, l’avant-veille ainsi que 
la veille, n'effectue que de simples promenades ; mange toujours réguliè- 
rement par jour les mêmes doses de sucre que précédemment. 

Le matin de la course de 40 kilomètres, gobe, pour son premier 
déjeuner, trois œufs crus et en mange trois à la coque, puis boit du thé 
fortement sucré ; part avec le groupe de tête et se maintient tout d’abord 
dans les trente premiers ; ne mange que quelques morceaux de sucre et 
boit la valeur d’un verre de café sucré. 

Avant de traverser Chelles (27 kilomètres), un de ses entraîneurs lui 
passe un flacon de caféine dont il prend inconsciemment six cuillerées à 
café environ ; ressent peu de temps a près de violentes douleurs d’entrailles 
et ne marche plus qu'avec peine. 

Se classe, malgré cela, cinquante-sixième, mais doit le jour même s’aliter 
et garder la chambre quatre jours durant, pour attendre d’être ocmplète- 
ment remis de son empoisonnement. 


8. — M. M.…., vingt-sept ans, taille moyenne, bien charpenté, ajusteur 
de son métier, n’a que peu de temps pour faire de l'entrainement ; profite 
de l’heure de son déjeuner et marche le long du quai de la Seine à Saint- 
Ouen ; prend part aux deux courses. 

Adopte le régime le 12 octobre et prend régulièrement de dix-huit à 
vingt morceaux de sucre (172 grammes) qu’il croque dans le courant de 
la journée. 

Le matin de la première épreuve, déjeune avec deux œufs sur le plat, 
un bifteck et du thé très sucré ; ne peut suivre au départ le train du pe- 
loton de tête et passe cent onzième au pont de Suresnes (4*",5), maintient 
ce rang jusqu’à Rueil, où il commence à dépasser quelques concurrents ; 
n’est plus que soixante-dix-huitième au Vésinet et cinquante-seplième à 
Saint-Germain ; prend pendant tout le parcours du café, du bouillon, et 
croque du sucre ; en maintenant son allure, arrive à dépasser trente-trois 
concurrents dans la forêt de Saint-Germain sur une distance de 8 kilo- 
mètres et signe vingt-troisième au contrôle d'arrivée ; est légèrement en 
sueur, mais sans essoufflement ni fatigue. 

Augmente sa ration de sucre la semaine suivante en vue de la course 
de 40 kilomètres, prend 160 grammes le matin et 80 l’après-midi, le plus 


438 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


souvent dissous dans du café ou du thé ; prend aussi quelques morceaux 
humectés d’eau. 

Déjeune le malin de la seconde marche avec du bouillon, des œufs et 
du thé sucré ; ne peut toujours pas suivre au départ les coureurs de tête 
dont le train est trop sévère pour lui; est cent soixante-deuxième à la porte 
de Charenton et ne commence à regagner des places qu'à partir du Perreux 
(48 kilomètres), point où beaucoup de marcheurs sont à bout de forces ; 
est quatre-vingt-treizième à Neuilly (22 kilomètres); prend quatre morceaux 
de sucre et un demi-litre de bouillon ; rejoint de nombreux marcheurs 
dans la montée de Chelles au Pin (32 kilomètres), n’est plus que cin- 
quante et unième à ce dernier contrôle ; dépasse de nombreux concur- 
rents entre Courtry et Coubron (36 kilomètres), rejoint deux de ses cama- 
rades de l’équipe au sucre et signe trente-troisième au contrôle d'arrivée 
du Raincy. À donc fourni au fond une meilleure performance que pour la 
première épreuve. 

Arrive très frais ; se fait frotter, étant quelque peu en moiteur, prend 
un bouillon puis un verre de vin et, s’étant mis de suite à table, déjeune 
avec son appétit normal. 


9. — M. Lu.., dix-huit ans, petit, maigre, nerveux, fait de la bicyclette 
et, sans avoir suivi d'entrainement régulier, a eu l’occasion de se rendre 
compte qu'il pouvait marcher longtemps à l'allure de 8 kilomètres à 
l'heure ; travaillant dans un atelier d’ajustage avec le coureur dont l’ob- 
servation précède, s’entraîne avec lui tous les jours, après son déjeuner, 
entre midi et une heure. 

Commence à prendre du sucre le 12 octobre; en consomme chaque 
jour de 100 à 120 grammes, dont il prend la plus grande partie, le matin, 
dans son café au lait. 

Déjeune, avant la marche de 25 kilomètres, avec du café au lait sucré, 
des œufs brouillés et du café également sucré; part dans le deuxième 
peloton et reste quarantième environ jusqu’au Vésinet ; à partir de ce mo- 
ment, gagne des rangs, passe vingt-sixième à Saint-Germain et signe dix- 
septième au contrôle d'arrivée de Maisons-Laffitte. S'habille aussitôt sans 
éprouver le besoin de se faire soigner et de se reposer, et revient à Paris. 

Encouragé par le résultat, se prépare plus sérieusement et porte sa 
consommation de sucre à 200 grammes par jour, remarque alors que son 
appétit augmente mais que, par contre, il boit moins. S’entraine jusqu’au 
dernier jour. 

Le matin de la course de 40 kilomètres, ne prend que des œufs et du 
café ; se trouve distancé au début, comme dans la course précédente, et 
reste dans le groupe du milieu avec lequel il marche jusqu'à Chelles (27 ki- 
lomètres) ; boit du café sucré, du thé el du bouillon; lâche alors son 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4239 


peloton, améliore peu à peu son rang et arrive vingt et unième au Rainey 
après avoir fourni un violent effort dans les dix derniers kilomètres ; prend 
du thé sucré, se repose une demi-heure puis déjeune. 

Est très satisfait de sa course, car il a regagné beaucoup de places à la 
fin ; a le mérite d’avoir su résister aux instances de ses parents qui élaient 
effrayés de le voir consommer autant de sucre. 


10. — M. Br..., dix-neuf ans, grand, bien découplé, tempérament fou- 
gueux et nerveux, pratique le sport du foot-ball. 

S’est entraîné au commencement d'octobre ; faisait tous les matins une 
dizaine de kilomètres suivis d’une course de 400 à 500 mètres ; se met le 
10 octobre, mais sans conviction, au régime du sucre et en mange néan- 
moins régulièrement par jour de seize à dix-huit morceaux (146 gram- 
mes); est tout étonné de ne pas boire davantage ; conserve son appétit et 
ne change en rien ses habitudes. 

Part en tête dans la marche de 25 kilomètres et mène ainsi jusqu’à 
Rueil; prend à partir de ce moment soit du sucre, soit des œufs, du café 
ou du thé ; se laisse dépasser par quelques concurrents, s’énerve beau- 
coup, perd encore trois places en traversant la forêt de Saint-Germain et 
n'arrive que vingt-quatrième à Maisons-Laffitte. 


11. — M. P..., trente-six ans, vétéran, petit, très maigre, a l’habitude 
de marcher longtemps à allure modérée. 

Commence à s’alimenter au sucre en vue de la course de 25 kilomètres, 
mais, deux jours après, souffre des dents (abcès dentaire); attribuant son 
mal au sucre, ne continue pas le régime et fait la marche sans préparation 
spéciale ; se classe quatre-vingt-treizième (huitième de la catégorie des 
vétérans). 

Voyant le résultat obtenu par ses camarades soumis au régime de la note, 
se remet dès le lendemain au sucre; en prend par jour de dix à quinze 
morceaux (100 grammes); le matin de la course de 40 kilomètres, déjeune 
avec des œufs et du thé, part en emportant vingt morceaux de sucre 
(172 grammes) qu’il croque en route, prend également dans les derniers 
kilomètres un verre de vin blanc sucré ; se trouve trois centième à la bar- 
rière de Chirenton et garde son rang jusqu’à Joinville ; à partir de Bry, 
commence à gagner régulièrement des places, arrive quatre-vingt-troi- 
sième, cinquième de la catégorie des vétérans dont le premier a le n° 49 
dans le classement général. 


À ces quelques observations nous pouvons joindre celle qui con- 
cerne M. Stehlin lui-même. 
Il comptait prendre part, comme vétéran, à la course de 40 kilo- 


410 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


mètres, et s’'entrainait pour cela depuis le commencement d'octobre, 
mais, au dernier moment, «il a déclaré forfait », parce qu’on lui de- 
mandait, avec instance, d'être Juge-arbitre, et surtout parce qu'il 
désirait suivre de près tous les marcheurs de l’équipe au sucre. 


Prenait le matin, tant qu'il s’entraina, un demi-litre de lait avec huit 
morceaux de sucre ; une demi-heure après, marchait, pendant une heure, 
à vive allure, se faisait masser et déjeunait avec des viandes blanches, 
du fromage et en buvant du thé sucré ; croquait à midi quatre morceaux 
de sucre et en mettait six autres dans son café ; mangeait de nouveau à 
4 heures six morceaux de sucre et s’entraînait de 5 heures et demie à 
1 heures et demie ; absorbait encore, pendant l'exercice, de quatre à six 
morceaux, soit donc 300 grammes environ dans la journée ; est arrivé à 
couvrir 28%,800 (huit tours de Longchamp) en 3"20, ce qui représente 
une allure soutenue de 8,6 à l’heure ; n’a jamais rien ressenti d’anor- 
mal ; déjeunant avant d'aller à son bureau, avait l'habitude de ne boire 
dans le courant de la journée qu’une tasse de café à midi; ne voit nuile- 
ment la soif augmenter, a plutôt meilleur appétit. 

Le jour de la che de 40 kilomètres, prend le matin un demi- litre 
de lait après y avoir râpé une tablette de chocolat et mis huit morceaux 
de sucre, en croque encore huit autres avant le départ, monte à bicyclette 
à 8"5 et suit lentement la colonne dont il rejoint la tête à la barrière de 
Charenton ; descend de machine et, étant juge-arbitre, pointe les deux 
cents premiers marcheurs, mange deux morceaux de sucre et remonte à 
vive allure la colonne jusqu’à Neuilly, procède à un nouveau pointage, et 
à partir de ce moment, surveille les coureurs de tête en allant et revenant 
continuellement sur ses pas, descend souvent de machine et fait ainsi de 
10 à 12 kilomètres à pied ; arrive au Rainey avec le premier et reste au 
contrôle jusqu'à 4 heures sans prendre autre chose que deux verres de 
café; a donc absorbé dans toute sa journée jusqu’à 7 heures du soir, heure 
de son dîner : un demi-litre de lait, une tablette de chocolat, deux verres 
de café et trente-deux morceaux de sucre (275 grammes); n’a pas eu la 
moindre défaillance et n’a éprouvé le besoin ni de boire ni de manger. 


Bien que ces observations, dont nous pouvons, en toute conscience, 
affirmer la sincérité, soient déjà par elles-mêmes des plus sugges- 
üves, 1l nest pas inutile cependant, au | moment de conclure, de les 
résumer en quelques lignes. 

L'équipe que nous avons suivie, comme on vient de le voir, se 
composait de onze agents de la Compagnie du Nord, choisis d’âge, 
de tempérament, de structure physique et de profession différents 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 441 


autant que possible, nous l’avons déjà dit. La plupart faisaient, 
comme tout le monde, de la bicvelette en touriste ou pour aller à 
leurs affaires. Tous, en tout cas, sauf un, n'avaient aucune notion et 
aucune pratique de la marche sportive ou même de la course à pied, 
et, de plus, l’entrainement ne leur était pas chose facile. Ceux qui 
élaient employés dans les bureaux se sont vus obligés, en effet, de 
vaincre leurs habitudes sédentaires ; il leur a fallu se lever de très 
bonne heure pour s’entraîner avant de venir à la Compagnie, car, en 
cette saison, les soirées n'étaient pas assez longues ni très propices à 
ce genre d'exercice. Le temps manquait encore plus aux agents des 
services actifs et aux ouvriers, car leur Journée commence très tôt 
ou finit très tard; mais nos sujets étaient, à ce point de vue, dans la 
même situation que leurs camarades des compagnies de chemins de 
fer. Ils n’ont, en tout cas, il faut également bien le faire observer, 
été l’objet d’aucune faveur spéciale leur donnant le temps et les 
moyens de se préparer mieux que les autres aux diverses épreuves 
qu’ils voulaient aborder. 

Voilà donc notre équipe soumise au régime du sucre conformé- 
ment aux indications de la note. Nos onze sujets d'observation pren- 
nent chaque jour et régulièrement, peu importe du reste comment 
et à quel moment de la journée, de 200 à 500 grammes de sucre. 
Quelques-uns portent celte consommation à 400, 500 et même 553 
grammes la veille des épreuves. 

Bien que cette réelle suralimentation sucrée ait duré dix-sept 
jours, aucun des hommes mis en observation n’est obligé de chan- 
ger en quoi que ce soit ses habitudes ou son service ; l'appétit se 
maintient normal chez la plupart ; pas un seul ne souffre de la soif. 
Quant aux troubles pathologiques, intestinaux ou autres, nous ne les 
voyons signalés nulle part dans les douze observations individuelles 
précédentes. Il paraît même que le service médical de la Compagnie 
du Nord a eu la curiosité de faire analyser les urines de l’un des 
agents soumis depuis une semaine au régime ; les réactifs n’ont pu 
y déceler la moindre trace de sucre. 

Envisageons maintenant les résultats des deux épreuves de marche 
où les membres de l’équipe, entraînés comme nous le savons, se sont 
mesurés avec leurs camarades du Nord et des autres compagnies de 


449 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


chemins de fer, après avoir au moins absorbé, avant le départ, une 
centaine de grammes de sucre. Le tableau suivant nous indique l’âge 
et le classement de chacun de nos onze sujets dans les courses des 
18 et 25 octobre. 


RANG OBTENU DANS LE CLASSEMENT GÉNÉRAL. 
| NOM DU MARCHEUR. L, ER TL UT Re 


Marche de 26 kilomètres. Marche de 43 kilomètres. 


MM: P'0:0e 228120 ansts Lr|22, 2e. 
IN'a pas couru. 
56° (empoisonné par de la caféine) | 
N'a pas couru. 20°, | 
(7E: 2 4: 
N'a pas couru. 26° 
23°. 

N'a pas couru. 
INA VASTES N'a pas couru. 


Brie route 248, N'a pas couru. 


P. vétéran .|: 93° (8° des vétérans). 183€ (5° des vétérans). 
[Ne prend pas de sucre.] [Prend du sucre.] 


Il n’est pas besoin de se livrer à de bien longs commentaires 
pour démontrer que, d’une façon générale, les résultats sont des plus 
satisfaisants. Nous parlons, bien entendu, de l’ensemble des résultats, 
car nous aurions hésité à conclure de même si les succès s’élaient 
réduits, par exemple, aux prix remportés par M. P..., arrivé second 
dans l’une et l’autre épreuves. Mais l’ensemble, il faut bien le re- 
connaître, se tient on ne peut mieux. Dans la première course, sur 
six partants, notre vétéran étant mis à part, le dernier arrivé de 
l’équipe se classe vingt-quatrième dans un lot de trois cent trente- 
huit concurrents. Lors de l'épreuve de 40 kilomètres, quatre cent 
soixante-deux marcheurs se mettent en ligne; M. J..., qui signe 
bien après ses camarades au sucre, est cinquante-sixième dans le clas- 
sement général. Nous avons vu, il est vrai, qu'ayant abusé incons- 
ciemment de la caféine, il a subi un commencement sérieux d’em- 
poisonnement. Tout le reste de l’équipe figure avant le trente-sixième, 
et l’on peut dire sans crainte d’être démenti que notre petite pha- 
lange marche et arrive comme un seul homme. D’après les chiffres 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 443 


du chronométrage officiel, il n’y a eu, dans la marche de 40 kilo- 
mètres, que à minutes d'écart entre le temps du vingtième et celui 
du trente-cinquième. 

Tous nos hommes, pour cette épreuve, étaient au régime depuis 
dix-sept jours. Est-ce la suralimentation par le sucre de la période 
d'entraînement ou de la matinée de l’épreuve qui leur à permis de 
toujours figurer en tête du classement, ou bien se sont-ils tous, sans 
exception, aussi bien maintenus, grâce au sucre pris au cours même 
de l’épreuve ? Ceux de l’équipe qui ont consommé régulièrement 
50 grammes de sucre par heure de marche ne semblent pas avoir 
toujours été supérieurs à leurs camarades n’ayant croqué que quel- 
ques morceaux dans toute leur route. Le contraire serait même plu- 
tôt vrai. Il faudrait donc admettre que le sucre agit plutôt lorsqu'il 
est pris d’avance et en tant que source de réserves d'énergie, mais 
que lon doit, dans le cas présent, attendre de lui de moins bons 
effets lorsqu'il est utilisé immédiatement après son ingestion. Et ce 
qui nous confirme cette opinion, c’est que, dans les deux épreuves, 
la marche a été aussi régulière chez ceux qui ont absorbé du sucre 
tout le long du chemin que chez ceux qui se sont montrés réfrac- 
taires à l'alimentation sucrée prise en cours de route. Au départ, 
nos hommes n’ont généralement pas eu de ces excès de vitesse qui 
ne servent que sur les toutes petites distances et ne dépendent, 
croyons-nous, uniquement que de l'aptitude spéciale de l'individu. 
Presque tous se sont même laissé tout d’abord dépasser, puis sont 
revenus peu à peu et ont graduellement regagné des rangs, témoi- 
onant ainsi que leur provision d'énergie était sinon intacte du moins 
à peine entamée, alors que les autres concurrents avaient depuis 
longtemps déjà complètement épuisé la leur. 

En consultant les notes individuelles, nous voyons, et cela vient 
toujours à l’appui de la même idée, que les marcheurs de notre 
équipe qui ont forcé leur consommation de sucre soit entre les deux 
épreuves, soit la veille ou le matin de l’épreuve, déclarent avoir très 
facilement et sans fatigue fourni un effort bien plus grand et beau- 
coup plus soutenu. Prenons l'exemple de M. G... La veille de la 
course du 25 octobre, il a consommé sa demi-livre de sucre et est 
parti ayant absorbé près de 200 grammes de sucre dans sa matinée, 


444 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Il se classe vingtième, quoique très fortement handicapé au début 
par une indigestion... nullement occasionnée, du reste, par cette 
forte consommation de sucre. En résumé, il semble que ce qu'il faut 
surtout demander au sucre c’est de constituer des réserves et d’accu- 
muler par conséquent de l’énergie. Autre fait : le vétéran de notre 
équipe n’use pas du sucre en s’entraînant pour la première épreuve ; 
il arrive quatre-vingt-treizième du classement général et huitième de 
sa série. À peu près convaincu par les succès de ses camarades de 
l'utilité du sucre, il en prend régulièrement, à la dose pourtant mi- 
nime de 100 grammes par jour. Il signe quatre-vingt-troisième au 
contrôle d'arrivée de la marche de 40 kilomètres et se trouve être 
ainsi le cinquième de la catégorie des vétérans, bien que cette se- 
conde épreuve ait été beaucoup plus dure, à tous les points de vue, 
que la première. Nous voici en droit d'affirmer que Le sucre esl sus- 
ceplible d'avantager nettement et d'une facon évidente celui qui en 
use pendant l'entrainement et quelques heures avant l'épreuve. 

L'observation des onze marcheurs de la Compagnie du Nord nous 
démontre en outre que le sucre combat très énergiquement la 
fatigue et la dépression fâcheuse qui résultent inévitablement de 
l'effort accompli. Cette heureuse influence ne saurait passer ina- 
perçue. L'état de fraîcheur indiscutable des hommes de l’équipe au 
sucre a été très remarqué à l’arrivée des deux épreuves de marche, 
tellement il contrastait avec l’aspect lamentable des adversaires qu’ils 
avaient dépassés sur la fin du parcours. Il nous à été donné d’as- 
sister maintes fois à des épreuves sportives du même genre, et nous 
avons constaté que, le plus souvent, les vainqueurs eux-mêmes 
arrivent, « complètement vidés », suivant l'expression très justement 
consacrée. [l n’est pas rare d’en voir qui ne tiennent littéralement 
plus debout et, la feuille de contrôle signée, tombent dans les bras 
de leurs soigneurs. Ces malheureux sont à bout de forces et de 
souffle et l’on serait presque tenté de ne pas applaudir à leur succès, 
tellement ils font pitié. 

Quelle peut être l'utilité du sport ainsi compris et ne faisons-nous 
pas fausse route, lorsque nous encourageons la jeunesse à sacrifier 
sa santé en échange de quelques branches de lauriers? La surali- 
mentation par le sucre est certainement un remède tout trouvé à 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 445 


cet état de choses. Nos hommes, avons-nous dit, sont arrivés dans 
un état de fraicheur remarquable ; deux seulement faisaient excep- 
tion à la règle, mais nous savons que l’un d’eux était sous l'influence 
d’une digestion pénible et que l’autre s’était empoisonné avec de la 
caféine. Ce ne sont là que des accidents. Les autres marcheurs de 
l’équipe, à part une légère raideur dans les jambes, avaient oublié, 
le soir même, la fatigue de la journée et, dès le lendemain, ont pu 
reprendre leur service à la Compagnie. A les voir aussi dispos, on 
ne se serait jamais douté de l'effort qu'ils s'étaient imposé la veille. 

Pour compléter cette discussion, il nous reste encore à comparer 
nos sujets d'expériences, d’abord avec leurs camarades de la Compa- 
gnie du Nord et ensuite avec les agents des autres compagnies enga- 
sés comme eux dans les épreuves des 18 et 25 octobre. Le tableau 
suivant indique le rang d’arrivée des dix coureurs de la Compagnie 
dû Nord qui se sont le mieux classés : 


MARCHE DE 26 KILOMÈTRES. MARCHE DE 43 KILOMÈWVRES. 
(18 octobre.) (25 octobre.) 
A — ©" —— — — 
Rang Rang 
. du £ d 
Nom: classement Nom. a 
général. général. 
LOU SES 54 Core EN EM Le 2° MMM RARE RE 2° 
Pie Nr ae C 4e® 
QE Re 8° G 20° 
JR mer Es Ce 9e ÉTAT EL 
Pere Re rer 10°* BH AMAST+E 26° 
1 MOYEN? TES 47° H 1 
DEN ads M 33° 
BU ne LV LE M MEME APPEL" DE 
1 PRE ANNEES 2 Hein Ts at 35° 
S'ÉNDSEREEREe net 39° IDE QYRRCES EAST AE 392 


Les coureurs dont la lettre initiale du nom et le rang d'arrivée 
sont en caractères gras appartenaient à l’équipe au sucre. Ce sont 
ceux qui font l’objet des observations précédentes. 

Les coureurs dont le numéro de classement est doublé d’un asté- 
risque ont eu en mains la note distribuée à leurs camarades ; nous 
avons la certitude qu'ils s’v sont à peu près conformés, mais nous les 
classons à part, car nous ne les avons pas suivis et ne sommes nulle- 
ment fixés sur leur régime. 


446 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 

Au simple aspect du tableau, nous voyons que parmi les dix agents 
de la Compagnie du Nord qui se sont ie mieux classés, deux seule- 
ment dans chacune des épreuves n’ont pas, à notre connaissance, usé 
du sucre pendant l’entrainement. En admettant donc, et nous nous 
demandons pourquoi il n’en serait pas ainsi, que tous les agents 
d’une même compagnie sont comparables, nous sommes obligés de 
conclure que les marcheurs soumis à la suralimentalion par le 
sucre se sont beaucoup mieux classés que leurs camarades qui 
s'élaient entraënés et avaient couru sans conseils. 

Pour comparer, enfin, entre elles les différentes compagnies de 
chemins dé fer, additionnons, suivant les règles du sport, le rang 
d'arrivée des six, puis des dix premiers marcheurs classés de cha- 
cune d'elles, l'avantage restant naturellement à la compagnie dont 
le nombre de points est inférieur à celui des autres. Nous arrivons 
aux résultats suivants : 


MARCHE 


de 26 kilomètres. de 43 kilomètres. 


1'eNord : 49 points. 1° Ouest: 98 points. 
2e Ouest : 73 points. 2° Nord : 104 points. 
"3° Est : 108 points. 3° Est : 123 points. 


En tenant compte des six pre- \ 
miers classés . 


En tenant compte des dix pre- { 1*°Nord : 167 points. 1 Nord : 245 points. 
miers classés . . . . .{12° Ouest: 199 points. 2° Ouest: 357 points. 


Comme il est d’usage de ne faire compter que les six premiers 
classés, le Nord à donc perdu dans la marche de 40 kilomètres le 
challenge qu’il avait gagné à l'épreuve précédente, mais 1l ne l’a 
perdu que de six points, alors qu'il avait eu le dimanche précédent 
une avance de vingt-quatre points. Malgré cette petite, mais très 
honorable défaite !, ainsi qu’il est facile de s’en rendre compte sur le 
tableau précédent, la Compagnie du Nord n’en a pas moins conservé, 


1. Si l’un des meilleurs coureurs de l'équipe, M. J..., n'avait pas été mis hors de 
course par son empoisonnement, il se serait certainement classé dans les vingt pre- 
miers et le Nord n'aurait pas perdu le challenge dans la course de 40 kilomètres. 
Cette défaite est donc le résultat d'un accident. Il faut également faire remarquer que 
les coureurs de l'Ouest qui se sont mis en ligne le 25 octobre n'avaient pas couru le 
dimanche précédent et se trouvaient ainsi forcément en meilleure forme que l'équipe 
au sucre du Nord. Cette dernière a figuré daus les deux épreuves. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 447 


dans les deux épreuves, une supériorité très marquée sur ses collè- 
gues. Est-il dès lors possible de ne pas reconnaitre l’heureuse 
influence du sucre ? S’il reste encore des incrédules, c’est qu'ils 
veulent bien ne pas se rendre à l’évidence, car on ne peut nous 
reprocher de nous être éloignés, lors de nos expériences, des con- 
ditions usuelles et normales de la pratique des sports. 

Tout essai comportant un enseignement pour l'avenir, 1l nous 
reste maintenant à faire profiter le monde sportif de nos obser- 
vations, autrement dit, à lui indiquer comment il faut se servir du 
sucre. 

A celui qui désire se mettre en bonnes conditions pour résister à 
la fatigue et au surcroît de dépense d'énergie que doit lui imposer 
soit une course à pied ou à bicyclette, soit une marche forcée, soit 
une excursion, soit une partie de chasse dure ou prolongée plusieurs 
jours de suite, nous recommanderons de prendre tous les jours, et 
au moins une semaine avant l’épreuve, de 150 à 200 grammes de 
sucre. Le mode d’absorption nous a paru indifférent. Les uns accep- 
tent les sirops les plus écœurants, ils n'auront alors qu’à boire trois 
ou quatre fois dans la journée du thé ou du café sucré à raison de 
six à huit morceaux par tasse. Si l'estomac s’accommode mal de ce 
genre de boissons, il suffit de croquer peu à peu la ration de sucre, 
en humectant chaque morceau, au moment de le mettre dans la bou- 
che, soit avec du thé ou du café, soit plus simplement avec de l’eau. 
Lorsque le sujet, et c’est là le cas de tous les vrais sportsmen, se 
soumet chaque jour à un entraînement physique de même nature que 
l'épreuve qu'il va subir, une heure où une demi-heure, dernière 
limite, avant la séance d'entraînement, il doit absorber la valeur de 
50 à 100 grammes de sucre suivant les cas et, selon son goût, soit 
en nature, soit en dissolution dans un peu de liquide. Il devra se 
munir également de sucre afin de pouvoir en consommer pendant le 
travail et prévenir ainsi les défaillances. 

Le jour de l’effort, on usera différemment du sucre suivant qu'il 
s'agira d’une épreuve athlétique ou d’un exercice quelconque : 
marche, excursion à bicyclette, partie de canot, de chasse, etc. 

Dans le premier cas, le cycliste ou le racer, nons l’avons nette- 
ment observé, a tout intérêt à prendre le moins d'aliments possible. 


448 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Le travail musculaire et le travail de la digestion s’excluent l’un l’au- 
tre. Trois heures au moins avant la course, il déjeunera avec du 
bouillon, des œufs, un peu de pain et du café fortement sucré. Une 
heure avant l’épreuve, il pourra en prendre encore un peu et pous- 
sera sa Consommation de façon à avoir absorbé, au moment du dé- 
part, la valeur de 150 à 200 grammes de sucre. L’approvisionnement 
et la mise en réserve de toute l'énergie nécessaire seront ainsi large- 
ment assurés. Pendant l’épreuve, à moins naturellement que celle-ci 
ne dure plus de sept ou huit heures, le sujet ne doit plus ressentir ni 
même manifester le moindre besoin. Quand ille fait, c’est smplement 
le moral qui agit. Nous avons constaté que toute ingestion de bouil- 
lon, d’œufs gobés', amène de suite une dépression et une diminution 
de vitesse, et ne sert qu’à réveiller l’estomac, c’est-à-dire à troubler 
le sujet. Que le coureur se contente donc de màcher, par exemple, 
des pruneaux ou de manger quelques grains de raisin s’il a besoin de 
s'occuper la bouche, mais, moins il prendra, mieux il s’en trouvera. 
Ses entraîneurs seront seuls juges de ses besoins. S'ils sentent venir 
la défaillance, ou s'ils peuvent prévoir le moment où leur homme 
devra fournir un effort anormal (côte, mauvaise route, etc.), ou bien 
encore s'ils veulent tenter un démarrage, mais seulement dans ce 
cas, ils se trouveront bien de faire prendre un peu d’avance à celui 
qu'ils accompagnent trois ou quatre morceaux de sucre bien humec- 
tés d’eau. Quant aux médicaments stimulants, tels que la caféine, la 
théobromine, les extraits de kola, il ne faudra s’en servir qu’à la 
dernière extrémité et à très petites doses, 15 centigrammes au maxi- 
mum dans toute l'épreuve. Lorsque le sujet, grâce à la suralimenta- 
tion par le sucre, dispose d’abondantes réserves d'énergie, la caféine, 
par exemple, qui diminue réellement la sensation de fatigue, peut en 
effet rendre quelques services el n’est pas à condamner en principe. 

S'il s’agit d’un exercice ordinaire, excursion, chasse, dont les con- 
ditions sont absolument différentes de celles des courses et des 
épreuves sportives où chacun donne ce qu’il peut, le sujet, loin d'en 
ètre incommodé, se trouvera au contraire très bien d’emporter une 
petite provision de sucre et d'y puiser régulièrement de temps à 


1, Surtout lorsque l'on conserve les blancs. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 449 


autre. Le meilleur moyen de manger son sucre — c’est également 
le plus pratique — consiste à l’humecter avec un peu d’eau avant de 
le croquer, puis de boire ensuite une bonne gorgée d’eau. L’'in- 
fluence favorable du sucre se manifestera surtout dans ce cas, lors- 
qu'on renouvellera souvent les ingestions ; la bonne dose est d’envi- 
ron trois à quatre morceaux toutes les quarante minutes. Nous avons 
donné la recette à de nombreux chasseurs. Tous l'ont trouvée des plus 
efficaces, surtout au moment des grandes chaleurs, et le sucre a tel- 
lement fait la conquête de certains d’entre eux qu'ils en donnent, 
dès le matin, à leurs chiens 100 grammes environ, toutes les fois que 
la journée promet d’être dure. Bêtes et gens s’en trouvent, paraît-il, 
fort bien et nous connaissons maintenant des chasseurs qui se sont 
fait faire, à portée de la maim, de petites poches spéciales pour y 
mettre leur sucre de route. Espérons qu’ils feront école, ainsi que 
les vaillants marcheurs de l’équipe du Nord. 


Le sucre et l'alcool. 


Malgré toutes les bonnes raisons qui plaident en faveur de lali- 
mentation sucrée, les statistiques les plus récentes nous apprennent 
que de 1899 à 1902 le Français n’a consommé par an que 16%,7 de 
sucre. Cela ne fait pas tout à fait six morceaux ordinaires par tête el 
par Jour. Il serait pourtant facile de faire doubler et même tripler 
cette minime consommation, si seulement chacun voulait bien con- 
sentir à subslituer les boissons savoureuses_ fortement sucrées aux 
breuvages alcooliques que l’on absorbe, sous le fallacieux prétexte 
qu'ils sont toniques. Le sucre ne paraît-il pas, en effet, tout indiqué 
pour remplacer l'alcool dans les diverses circonstances où l’on sent 
le besoin de stimuler l'organisme ? Pour l’ouvrier, le soldat’ et pour 


1. Le troupier s’est de tout temps imaginé ne pouvoir bien marcher qu'après avoir 
pris son petit verre d’alcool, qu'il considère comme faisant presque partie de sa ra- 
tion réglementaire. Ce préjugé existait bien avant que l'industrie ne répandit dans le 
commerce tous les spiritueux qualifiés d'hygiéniques que l’on y trouve actuellement. 
Voici à ce sujet un document assez curieux. Il date du commencement du xix° siècle. 
C'était en Belgique, en 1814, alors que Bruxelles était occupée par les troupes prus- 
siennes. Le commandant de place, exerçant ses réquisitions, demanda, par procla- 
mation, aux Bruxellois, de nourrir de la sorte les soldats de Sa Majesté le roi de 


ANN. SCIENCE AGRON, — 2° SÉRIE. — 1902-1903. — 11. 29 


450 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


la majorité de ceux qui produisent du travail musculaire, l’alcool 
réconforte, autrement dit donne des forces. Il est temps de s’atta- 
quer à ce préjugé, l’un de ceux qui a le plus activé l’alcoolisme. 

Les physiologistes se plaisent à travailler encore sur la valeur ali- 
mentaire de l’alcool. Ils ont raison, puisqu'ils ne sont pas fixés. Mais, 
comme leurs réponses dépendent surtout du sens que chacun attache 
au mot « aliment » lui-même, il est permis de se demander s'ils arri- 
veront jamais à s'entendre. Quoi qu'il en soit, leurs discussions sont 
de celles qui doivent se passer à huis-clos et entre gens capables de 
se comprendre. Lorsque le public intervient, il a vite fait de déna- 
turer les conclusions les plus modérées et c’est le parti du marchand 
de vin qui s’arroge toujours la victoire, en sachant découper dans 
les travaux scientifiques les phrases qui peuvent servir ses intérêts. 
Quand il y a des restrictions, le ciseau a vite fait de les laisser dans 
le mémoire. Aussi est-il fort imprudent de croire que l’on parle 
toujours entre collègues. Il y a des choses que l’on ne doit pas énon- 
cer sans réticences immédiates, et entre autres « qu'il est permis de 
dire aujourd’hui que non seulement l'alcool n’est pas un poison, mais 
qu'il doit être placé à côté de l’amidon et du sucre, qu’il les dépasse 
même par sa valeur alimentaire puisque, à poids égal, il contient 
plus d'énergie‘ ». La phrase a été malheureusement et à maintes 
reprises livrée au public. Elle est, à l'heure actuelle, imprimée en 
gros caractères sur les murs des cafés de province. On s’étonnerait 
de ne pas y trouver réponse dans ce travail. 

Notre but n’est pas de trancher ici cette question tant agitée de 
la valeur alimentaire de l’alcool, mais simplement, ainsi que nous 
y invitent entre autres les conclusions de M. Duclaux, de comparer 
le sucre à l'alcool. Puisque l’un dérive de l'autre, il est naturel 
que l’on s'inquiète avant tout, en consultant le bilan de la fermen- 


Prusse : « Le matin, une soupe ou un verre de schnaps, c'est-à-dire d'alcool, plus une 
demi-livre de pain et du beurre. — À midi, une soupe aux légumes, une demi-livre de 
viande, une livre de pain et un verre de schnaps. — Le soir, une soupe et encore du 
schnaps. » La fourniture de l'alcool semblait donc être alors de première nécessité, toul 
comme le pain et la viande. 

1. Duclaux, Ann. Inst. Pasteur, 25 novembre 1902, p. 858. — Hedon et Roos, 
Revue générale des sciences pures el appliquées, 30 juin 1903, p. 671. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 491 
tation alcoolique, de ce que l’on peut gagner ou perdre à l’opéra- 
ion. Raisonnons par exemple, sur 100 grammes de sucre. Qu'ils 
soient livrés à l’organisme animal ou à la levure, ils vont être tout 
d’abord dédoublés par les ferments. Dans les deux cas, ils donneront 
1055",26 de sucre interverti, c’est-à-dire d’un mélange à parties égales 
de glucose et de lévulose. Comme l’inversion du saccharose est exo- 
thermique, on voit, en premier lieu, que la chaleur ainsi produite est 
récupérée par les tissus animaux, tandis que dans la cuve elle ne sert 
qu’à amorcer la fermentation. Continuons à suivre parallèlement ce 
qui touche aux transmutations matérielles. D’après ce que nous sa- 
vons, ces 1095°,26 de sucre interverti ont vite fait de pénétrer dans 
l’économie animale où ils vont être totalement et directement utilisés 
sans que le travail digestif ou l’action des microbes ne les entame 
par trop. Soumis à l’action de la levure, le mélange sucré au lieu de 
servir, tout au moins, à la nourriture de cette dernière, c’est-à-dire 
de rester entièrement alimentaire, au sens propre du mot, va au 
contraire se comburer en partie pour dégager la chaleur, sans la- 
quelle la fermentation n'aurait pas lieu. Le Groënlandais brûlant, 
pour chauffer sa hutte, une partie de la graisse dont il se nourrit est, 
d’après M. Duclaux, l’image fidèle de la cellule de levure, vivant 
d’une vie anaérobie. La partie du sucre servant au chauffage n'est 
pas du reste la seule qui soit soustraite à la fermentation alcoolique. 
La création de la levure en multiplication ainsi que la formation de 
matières organiques analogues à la glycérine, à l’acide suceinique, 
empruntent aussi du carbone à la matière première, si bien que les 
105,26 de sucre interverti qui figurent dans la colonne des entrées 
ne livrent finalement comme produits utilisables que 51 grammes 
d'alcool. Les 49 grammes d’acide carbonique dégagés pendant la 
fermentation ne peuvent, en effet, compter dans le bilan terminal 
parmi les résidus utiles ou utilisables de l'opération. Celle-ci nous 
laisse en résumé un déchet matériel sans valeur intrinsèque alimen- 
taire, dont le total atteint au minimum 49 grammes pour 400 gram- 
mes de sucre mis en œuvre. 

Afin de nous rendre compte dans les deux cas considérés du résultat 
des échanges dynamiques, évaluons maintenant les quantités de cha- 
leur résultant, d’un côté, de la combustion complète du sucre inter- 


452 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


verti el de l’autre de la transformation de ce sucre en alcool et en 
acide carbonique. La chaleur de combustion complète de 1 gramme 
du glucose dissous, qui, après l’interversion, compose la moitié du 
mélange sucré, est, dans le calorimètre, de 3,762 calories. Lorsque 
ce glucose se dégrade dans l’organisme animal, nous savons que 
l’énergie qu'il met en liberté est exactement équivalente au même 
nombre de calories. Pendant la fermentation, le même gramme de 
glucose ne dégage que 0,183 calories. Il en résulte, suivant la re- 
marque de M. Duclaux, que la valeur, comme force vive alimen- 
taire, du sucre consommé aérobiquement par l'organisme animal est 
plus de vingt fois supérieure à ce qu’elle est dans la vie anaérobie de 
la levure. Il est vrai que, dans ce dernier cas, il y a production d’al- 
cool, lequel à une valeur thermique fort élevée, un peu plus de 7 ca- 
lories par gramme. Oubliant alors au prix de quels sacrifices de ma- 
tière et d'énergie on fait fermenter le sucre, certains n'hésitent pas à 
proclamer, par exemple, que le litre de vin, à 10° d’alcool, apporte, 
rien que par son alcool, 568 calories, c'est-à-dire le quart environ de 
la quantilé totale d'énergie que dépense journellement l’organisme 
humain soumis aux conditions moyennes de la vie. Ce qu’il faudrait 
faire savoir en même temps, c’est, qu'en ingérant directement 
185 grammes de sucre, on fournirait à l’organisme au moins autant 
d'énergie qu’en buvant 102 grammes d’alcool, dont la production 
nécessite la mise en œuvre de 200 grammes de saccharose. La sous- 
traction nous montre que l’ingestion directe du sucre économiserait 
17 grammes de cet aliment. Nous venons de raisonner sur l’alcool 
fourni par un litre de vin, mais il n’entre nullement dans nos inten- 
tions de déclarer la guerre à ce produit national. Le progrès, en 
hygiène alimentaire, ne tend pas à prendre dans la poche du vigne- 
ron ce que l’on va donner au cultivateur du Nord et au fabricant de 
sucre, La vigne et la betterave ont droit toutes les deux à avoir leur 
place au soleil. Il faut même qu’il en soit ainsi, pour l’économie géné- 
vale du pays. Nous désirions seulement bien spécifier que le passage 
du sucre à l'alcool entraine une perle de matière et d'énergie. Si le 
sucre est consommé directement, son potentiel, nous le savons, se 
transforme en chaleur, en force ou se fixe dans le corps. S'il sert de. 
malière première pour la fabrication de l'alcool, à poids égal et après 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 493 


transformation en ce dernier principe, il ne peut forcément libérer, 
en se comburant, qu'infiniment moins d'énergie. Nous allons voir 
qu'il est également moins bien utilisé lors de la rénovation des tis- 
sus. On ne trouvera donc jamais de meilleure destination pour le 
sucre que d’entrer en nature dans l'alimentation. 

Ce premier point admis, comparons le sucre à l’alcool au point de 
vue de leur effet physiologique utile. Comment se comporte l’orga- 
nisme suivant qu'il reçoit sous l’une ou l’autre forme la même quan- 
tité d'énergie ? L'alcool et le sucre pénètrent facilement dans l’éco- 
nomie et arrivent également vite au contact des tissus. Cette grande 
rapidité d'absorption, nous l’avons démontré, présente pour le sucre 
de grands avantages. Avec l'alcool elle a ses inconvénients. Si l’acti- 
vité musculaire a besoin d’une source immédiate d'énergie, la matière 
sucrée est là, toute prête, pour la lui fournir. Lorsque la dépense 
n’est pas immédiate, nous assistons à la mise en réserve du sucre, 
sous forme de glycogène ou de graisse. Toute perte ou gaspillage 
est impossible, car la matière ternaire, ainsi mise en dépôt, n’inter- 
vient ensuite que s’il y a lieu. Avec l'alcool le mode d'utilisation 
change. La mise en réserve de ce principe étant impossible, la dé- 
pense commence dès qu'il pénètre dans le sang et ne cesse qu'avec sa 
disparition. Cela seul suffit à expliquer la rapidité avec laquelle l’al- 
cool disparait de l’organisme. Tout d’abord une partie du spiritueux 
ingéré, un dixième environ, prétend-on, et encore dans les cas où 
l’organisme n’en reçoit pas de grandes quantités, passe inaltérée par 
le poumon ou dans les urines. Ce premier déchet n’attire même pas 
l'attention du consommateur, alors qu'il se garde bien dé manger 
beaucoup de sucre, le préjugé réclamant qu’il devienne immédiate- 
ment diabétique. Les neuf dixièmes de l'alcool restant sont brülés, 
et c’est ici qu’il s’agit de bien préciser ce que l'organisme retire de 
leur combustion et de l’énergie qu’elle libère. Se substituent-ils aux 
combustibles normaux de l’économie? Paul Bjerre, Strassmann ‘ nous 
ont déjà montré depuis longtemps, expériences à l’appui, que l’al- 
cool, ajouté à une ration suffisante, provoque l’engraissement et l’on 
a maintes fois signalé l’obésité de certaines catégories de buveurs. 


1. Strassmann, Pflüger's Arch., t. XLIX, 1891, p. 329. 


454 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


Plus récemment, A. Clopatt’ a trouvé que lalcool économise les 
substances ternaires ainsi que l’albumine, mais, car il y a une res- 
triction qu’il ne faut pas oublier, le phénomène ne se produit qu’une 
fois que l’organisme s’est habitué à cet agent. Le dernier travail 
de Benedict et Atwater*, celui qui, par suite des commentaires de 
M. Duclaux, a si violemment ému l’opinion publique au commence- 
ment de l’année 1903, nous apprend encore que l’on peut, sans incon- 
vénient, remplacer dans le régime alimentaire de trois hommes va- 
lides et aussi bien lorsqu'ils sont au repos que lorsqu'ils travaillent, 
le beurre, l’amidon, le sucre et autres aliments analogues par de 
l'alcool sous forme de vin, d’eau-de-vie de grain ou de wisky. Il suffit 
que les substitutions soient faites suivant des poids isodynames, 
795,5 d'alcool prenant, par exemple, la place de 37 grammes de 
corps gras associés à 45 grammes d’hydrocarbonés, et que la dose 
journalière soit de 72 à 73 grammes environ, administrés en plusieurs 
fois et en solutions étendues. Mais sont-ce là des raisons suffisantes 
pour permettre que l’on fasse à l’alcool toutes ses excuses sur la 
façon par trop légère dont les physiologistes le traitent d'habitude ? 

Écoutons à leur tour les adversaires de tout procès de revision en 
faveur de l’alcool. L'expérience de Miura* est déjà ancienne ; nous 
la citons, car elle comporte justement l’entrée en lice successive du 
sucre et de l'alcool. Dans une première période, le sujet, un Japonais, 
nullement habitué, il est vrai, à l'alcool, reçoit une ration d’entre- 
tien, d’une valeur d’environ 41 calories par jour et par kilogramme, 
déterminée par tâtonnements, et capable de réaliser un léger emma- 
gasinement d'azote. Dans la période suivante la ration est légère- 
ment modifiée. On substitue 65 grammes d'alcool à une fraction ca- 
lorifiquement équivalente de sucre. Le bénéfice d’azote est de suite 
remplacé par une perte qui, le quatrième jour d’expérience, atteint 
déjà 26,7 par vingt-quatre heures. On revient au régime primitif et 
la statique de l’azote se solde par un bénéfice, comme durant la pre- 


1. Clopatt, Skandin. arch. f. Physiol., t. XI, 1901, p. 354. 
2, Benedict et Atwater, Mémoires Académie des sciences, t. VII, Washington, 1902. 


3. Miura, dans C. von Noorden, Beträge zur Lehre vom Sloflwechsel, 1° fasci- 
cule, Berlin, 1892. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 499 


mière période. Dans une quatrième période, on supprime enfin le 
sucre sans le remplacer par de l’alcool. La perte journalière d’azote 
reprend la valeur qu’elle avait au cours de la période à alcool. 

L'expérience, quoi qu’on ait dit, parle toujours dans le même sens, 
et aussi bien avec des rations pauvres qu'avec des rations riches en 
albumine. Cela nous prouve, on ne peut plus nettement, que l'alcool 
n'a pas vis-a-vis de la matière azotée la même action d'épargne que 
le sucre; comme ce dernier, il ne peut intervenir ni au cours de la 
rénovation des tissus ni pour enrayer la désassimilation inhérente à 
tout excès de travail musculaire. L'expérience de Miura se trouve 
confirmée par les conclusions de Rosemann'. « 90 p. 100 de Pal- 
cool, nous dit ce dernier, sont brûlés dans l'organisme ; ils épargnent 
alors certainement de l’albumine, du moins après un usage de quel- 
ques jours, mais, en même temps, l’alcool non brûlé exerce une 
action destruclive sur les tissus. » Rappelons-nous maintenant que 
la réparation et l’accroissement des réserves du corps constituent, au 
contraire, un des rôles fondamentaux dévolus à la matière sucrée 
dans la vie animale. 

Passons à la partie la plus intéressante de la comparaison du sucre 
et de l’alcool. L'énergie dégagée par la combustion intra-organique 
de ce dernier est-elle de quelque utilité lors de la production du 
travail musculaire ? Suivant la réponse, l'usage si répandu des spiri- 
tueux comme source de forces, comme réconfortant, sera plus ou 
moins rationnel. Le D° Schnyder et le professeur Dubois * ont tout 
dernièrement songé à utiliser l’ergographie pour se rendre compte 
de l'influence, sur l'énergie musculaire, du vin, c’est-à-dire de Ja 
meilleure et de la plus hygiénique des boissons alcooliques. Nous 
connaissons la méthode. Elle nous a servi à mesurer avec Harley, 
Mosso, Paoletti et Langenmever le travail réel du muscle chez 
l’homme, placé dans diverses conditions, alors qu'il était soumis au 
régime du sucre. Voyons ce qu’elle donne dans le cas où le sujet 
d'expérience ingère de lalcool, sous forme d’un verre, 150 centi- 
mètres cubes, d’un vin de Bordeaux titrant 9,8, c’est-à-dire à la 


1. Rosemann, Arch. f. d. ges. Physiologie, t. LXXXVI, 1901, p. 307. 
?, Schnyder et Dubois, Archives de Pflüger, 1903, t. LXXXIX. 


456 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


dose de 145,7. Les conclusions des deux physiologistes suisses sont 
fort nettes. Les voici réduites à leur plus simple expression. Lorsque 
le sujet est à jeun, l'alcool, ingéré sous forme de vin et en petite 
quantité, a certainement une influence favorable sur l’activité mus- 
culaire. C’est, en effet, ce qui résulte des chiffres suivants, fournis 
par l’expérience : 


ÉNE HAUTEURS 
AsoRS ns : x Pa moyennes 
kilogram- d'élévations Géléyations 
mètres. du poids. du poids. 
alcool. 39,566 172 39.85 
Dr Schnyder (poids de 8 kilogr. de H 4 
LA Ë Es alcool. 37,534 155 36,60 
alcool. 30.146 253 38,15 
D' Dubois (poids de 5 kilogr.). s 2 4 ? 
(P gr) | éns aleoolt .: 21,378 232 37,15 


Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut que l’ingestion de l'alcool pré- 
cède immédiatement le (travail ; sinon, lorsqu’elle n’a lieu ne serait-ce 
que trente minutes avant, l'accroissement de la force musculaire 
n'existe déjà plus. Autre fait fort intéressant : un mélange farineux, 
pris quinze minutes avant le début du travail et en quantité telle qu'il 
est calorifiquement égal à la dose uniforme de 145,7 d'alcool, agit 
d’une façon bien plus eflicace que le vin et son alcool. Pour le 
D' Schnyder, par exemple, le travail, après ingestion d'alcool, ne 
dépassait seulement que de 0,77 p. 100 les kilogrammètres fournis 
lors de l’abstinence complète. Avec le mélange farineux en question, 
le travail excédait de 5,9 p. 100 celui qui était fourni sans l’inter- 
vention de l’alcool. Avec le même mélange, l’expérimentateur put 
élever le poids vingt-six fois de plus que lorsqu'il ne prenait rien, 
au lieu de dix seulement de plus avec l’alcool. Dans une autre série 
d'expériences, lingestion du vin, absorbé quinze minutes avant le 
début du travail, produisit un accroissement de force musculaire de 
3,6 p. 100. La même dose, prise une demi-heure avant de placer le 
doigt dans l’anneau de l’ergographe, resta sans effet, alors que la fa- 
rine, ingérée dans les mêmes conditions, agissait encore d’une façon 
fort nette et conservait toujours une grande supériorité sur Palcool 
pris immédiatement avant le travail. Le D° Schnyder remarqua même 
que lorsque l'alcool n'était pas utilisé, aussilôt son ingestion, par la 
conlruction musculaire, il avait de suile une action déprimunte tres 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4517 


nelle. Nous venons de dire que le verre de vin pris trente minutes 
avant le travail n’augmentait pas le nombre de kilogrammètres four- 
nis; dans ce cas, la fatigue survenait après 184 élévalions successives 
du poids, alors que, sans alcool, le sujet exécutait facilement 191 élé- 
vations et même 218 après ingestion du mélange farineux. Ce dernier, 
bien que d’un potentiel égal à celui de l’alcool seul du vin, permet- 
tait au muscle de fournir un travail bien supérieur, 45“",5 environ 
au lieu de 42“",7 lorsque l’absorption de l'alcool avait lieu une 
demi-heure avant le travail. Le vin consommé au moment des repas, 
la ration étant plus que suffisante pour l’entretien, n’augmentait pas 
enfin davantage l'énergie musculaire et continuait à manifester son 
action déprimante. Voici le nombre moyen de kilogrammètres effec- 
tués par les deux médecins bernois : 


DUBOIS. SOHNYDER. 
Sans VIMtaux repas a ini ee, 37,580 26,613 
AVEC AUX TEpAS LL eee 35,344 25,729 


Quand l'organisme est saturé de potentiel, le vin n’est d’au- 
cune valeur énergétique ; il nuit même au travail. L'alcool n’a donc 
d'utilité que s’il est pris à jeun, et encore, dans ce dernier cas, se 
montre-t-il inférieur, à valeur calorifique égale, aux aliments fécu- 
lents el a fortiori au sucre. Est-il dès lors possible de ne pas déjà 
s'opposer formellement aux cenclusions de M. Duclaux et de sou- 
tenir que la physiologie assigne à l’alcool et au sucre des valeurs ali- 
mentaires et dynamiques voisines ? 

La comparaison entre le sucre et l’alcool a d’ailleurs été poursui- 
vie scientifiquement pendant plus d’une année (389 jours), et sans la 
moindre discontinuité, par M. Chauveau. L'auteur rechercha, tout 
d’abord’, non pas si l’ingestion de l'alcool était, d’une manière 
vague et générale, de quelque profit, mais si le sujet qui travaille 
lorsque son sang est saturé de cette substance, fait contracter ses 
muscles en puisant dans la combustion de l’alcool l'énergie néces- 
saire à ce fonctionnement. Pour s’en rendre compte, il enregistra, 
après les avoir déterminés, les quotients respiratoires d’un chien 


1. Ghauveau, Comples rendus, 1901, t. IT, p. 65. 


458 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


soumis à un certain travail et absorbant alternativement une nourri- 
ture normale composée de viande et de sucre, puis une nouvelle 
ration semblable à la précédente, mais dans laquelle on avait substi- 
tué 48 grammes d'alcool à 84 grammes de sucre, quantités déga- 
œeant dans la bombe le même nombre de calories. Le rapport du 
volume d’acide carbonique excrété à celui de l'oxygène absorbé de- 
vait donner des renseignements précieux. Le quotient théorique de 
combustion du sucre est en effet de 1, tandis que celui de alcool 
atteint seulement 0,666. Si l’animal brülait de l'alcool, on devait 
s’en apercevoir à ses échanges respiratoires. Avec la première ali- 
mentation, le quotient respiratoire fut en moyenne de 0,963; pen- 
dant la période d’alcoolisation, il ne tomba qu’à 0,922. Or, même en 
admettant que les combustions aient porté simultanément sur lal- 
cool et le sucre pris au cours du repas et cela proportionnellement 
aux poids respectifs des deux aliments ingérés, le quotient respira- 
toire n'aurait jamais dù être supérieur à 0,765. M. Chauveau se crut, 
d’après cela, autorisé à conclure que l'alcool absorbé, dont l’orga- 
nisme s’imprègne si rapidement, ne participe que très peu, si tou- 
tefois il y participe, aux combustions d’où le système musculaire 
puise de l'énergie pour fonctionner, qu'il n’est donc pas un aliment 
de force et que son introduction dans une ration de travail se pré- 
sente avec toutes les apparences d’un contresens physiologique. De 
plus, les observations renouvelées sur lanimal au repos ne chan- 
œeant pas le sens des chiffres, l'alcool ne semblait pas devoir être 
mieux utilisé pour satisfaire aux dépenses physiologiques ordinaires. 
C'était nier en quelque sorte sa combustion dans l’organisme. L'idée 
ne nous arrêlera pas, Car nous savons qu'elle est en opposition for- 
melle avec les résultats de toutes les expériences entreprises jusqu'à 
ce jour. L'alcool est réellement brûlé dans le corps et les quotients 
respiratoires théoriques qui servent de bases aux raisonnements de 
M. Chauveau prêtent à la critique. Les recherches du Muséum n’en 
sont pas moins intéressantes, car elles ont permis à M. Chauveau de 
constater que le chien d'expérience qui fournissait, pendant la période 
sans alcool, une moyenne journalière de 23**,924 en deux heures, 
ne put, avec l'alcool, faire par jour et dans le même temps que 
18:",666. Avec le régime viande et sucre, il gagna en cinquante- 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 459 
quatre jours 1,245. Pendant les vingt-sept jours où l'alcool fit 
partie de la ration, le poids baissa de 115 grammes. M. Chauveau', 
dans une nouvelle série d'expériences, fit alterner semaine par 
semaine les deux régimes adoptés, viande et sucre, puis viande, 
sucre et alcool; les résultats de cette double comparaison sont 
résumés dans le tableau suivant : 


4e semaine, | 


3e semaine, 


Âre semaine. 2e semaine, 


Viande : 500 gr. 
Sucre :168 gr. 
Alcool : 48 gr. 


Viande : 500 gr. 
Sucre :168 gr. 
Alcool : 48gr. 


Viande : 500 gr. 


Viande : 500 gr. 
Sucre : 252 gr. 


Sucre :252 gr. 


14, 
152,456 


14 
110,244 | 


| Temps consacré au travail . heures. 10,416| 


81,186 


10,833 


, Parcours total dans la semaine, kilom. 74,892 | 


} 
Parcours moyen en une heure de 
VEAVALL ENS SE Le petite . kilom. 


Différence entre le poids initial et 
| le poids final kilogr. 


10,888 


Gain + 0,400 


7.874 


Perte — 0,800 


7,794 


Gain + 0,780 


po 
l 


Perte — 0,425 


Les chiffres sont des plus significatifs. Ils nous démontrent nette- 
ment que la substituhion de l'alcool au sucre dans l’alimentation 
constitue, suivant l'expression même de M. Chauveau, une opération 
désavantageuse. Elle a, en effet, pour conséquence certaine de dimi- 
nuer la valeur du travail fourni par le sujet, lequel, d'autre part, 
est loin de s'entrelenir aussi bien. 

Si tout le monde était sensé, on s’en tiendrait à cette conclasion 
fort raisonnable. Pour lutter avec succès contre l'alcoolisme, et cela 
sans trop brusquer les vieilles convictions, il ne faut pas faire afficher 
que lalcool est un poison ou bien qu’il n’a aucune valeur énergétique, 
qu'il ne nourrit pas, qu’il réchauffe encore moins. Ce sont là des 
raisons brutales que l’on n’admettra jamais d'emblée. On arrivera à 
un bien meilleur résultat en conseillant aux travailleurs de tenter 
l'expérience de M. Chauveau. Peu à peu ils se convaincront d’eux- 
mêmes que l'aptitude au travail faiblit dès que ie régime contient de 
l'alcool et qu’elle augmente avec le sucre. 

Mais les sujets dangereux qui ont une mauvaise presse trouvent 


1. Chauveau. Comptes rendus, 1901, t. [%, p. 110. 


460 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


généralement de bons avocats. MM. Hédon et Roos' sont venus sou- 
tenir encore, tout dernièrement, que l’alcoo!l à une action protectrice 
fort nette vis-à-vis des tissus organiques. Ils se basent sur les expé- 
riences de Strassman et sur leurs propres recherches. Roos* soumet 
six couples de cobayes au même régime alimentaire, et donne à 
quatre d’entre eux une notable quantité de vin, 30 centimètres 
cubes par kilogramme de poids, ce qui correspond à une ration 
journalière de deux litres pour un homme de 70 kilogr. Après trois 
mois de ce régime, l'augmentation de poids, les fonctions de repro- 
duction, la force musculaire étaient en faveur des animaux ayant 
reçu du vin. Autre fait : des poissons, cyprins, ombres, perdent 
moins de poids dans de l’eau alcoolisée à 0,4 0,45 p. 100 que dans 
l’eau pure et, de plus, l'analyse ne peut retrouver dans le premier 
milieu artificiel tout l'acide carbonique résultant de la combustion 
théorique de l’alcoo! disparu. Une partie de celui-ci n’aurait-elle pas 
alors, avant de se comburer, revêtu dans l’organisme une forme de 
réserve, tout comme le sucre? L'hypothèse est émise. Altendons 
qu’elle soit démontrée. Et s’il est vrai que des animaux soumis à un 
régime alimentaire insuffisant maigrissent moins si l’on ajoute à ce 
régime du vin, nous ne disons pas de l'alcool, d'autre part les expé- 
riences de Miura, de Rosemann, que nous avons citées, mais qui, 
dans l’article de MM. Hédon et Roos, n’entrent pas en ligne de compte, 
nous démontrent encore plus nettement qu'il ne faut attendre de 
l’alcool aucune action spéciale d'épargne vis-à-vis de l’albumine, 
c’est-à-dire de la véritable matière vivante. Comment maintenant 
défend-on l'alcool en tant que source d'énergie, comparable aux 
aliments dont se composent nos rations ordinaires? Les conclusions 
de M. Chauveau sont l’objet d’une critique serrée dans l’article que 
nous visons. M. Chauveau n’a pas tenu compte, paraît-il, de ce que 
l'alcool, à certaines doses, est un véritable poison et agit défavo- 
rablement sur le système nerveux général. En effet, dès qu'il y a, 
par suite d’un excès d’ingestion, action nocive évidente d’une subs- 
tance, celle-ci cesse d’avoir des propriétés alimentaires avérées. 


1. Hédon et Roos, loc. cit. 
2. Roos, Comples rendus, 1901, t. [°*, p. 428. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 461 


C'est pour avoir méconnu le sens véritable du mot « aliment », nous 
dit-on, que M. Chauveau aboutit à des conclusions forcément inac- 
ceptables. MM. Hédon et Roos lui reprochent donc, tout d’abord, 
d’avoir introduit dans la ration du chien d’expérience 25,5 d’ai- 
cool par kilogramme de poids vif. L’animal était chaque jour, du- 
rant quelques heures, dans un léger état d’ébriété. Soit, mais en 
somme il ne prenait que 48 grammes d’alcool pour un poids de 
20 kilogr. Or, l’homme moyen de 70 kilogr. qui boit par jour deux 
litres de vin, lui apportant environ 160 grammes d’alcool, se trouve 
dans des conditions à peu près analogues. Cette ration journalière 
de deux litres de vin est-elle donc si anormale ? Sans doute, l’opinion 
médicale dominante n’accorde qu’une consommation quotidienne de 
un litre de vin ou l'équivalent d'alcool, mais pourquoi M. Roos ou- 
blie-t-1l que ses cobayes, recevant une ration correspondante à celle 
de deux litres de vin pour l’homme d’un poids moyen de 70 kilogr., 
se sont fort bien trouvés du régime ? Ces raisonnements et ces expé- 
riences ne sont pas faciles à concilier. Admettons, malgré cela, que 
M. Chauveau raisonne à tort sur une dose toxique de 28°,5 d’alcool 
administrés en une seule fois par kilogramme de poids vif et pre- 
nons les expériences d’Atwater et Benediet. La dose est ici deux fois 
et demie moindre, elle n’est pas toxique et n’est ingérée qu’en plu- 
sieurs fois ; autrement dit les conditions se rapprochent beaucoup de 
la normale, puisque les expérimentateurs ne donnent, par jour, que 
73 grammes d'alcool, c’est-à-dire la quantité habituellement conte- 
nue dans une bouteille de vin de Bordeaux. Transcrivons textuelle- 
ment leurs conclusions : « Qu’une partie de l'énergie potentielle de 
l'alcool ait été transformée en énergie cinétique de travail muscu- 
laire, nous disent-ils, nos expériences ne le prouvent pas, bien qu’elles 
le rendent très probable. Elles impliquent qu’en ce qui concerne l’uti- 
lisation de l'énergie totale de la ration, il y avait un léger avantage, 
en économie, en faveur du régime ordinaire, comparé avec celui de 
l’alcool, spécialement quand les sujets étaient soumis à un travail 
musculaire pémible. Mais la diflérence était comprise dans les limites 
des erreurs d'expérience et trop petite pour être d’une conséquence 
pratique. » N'est-ce pas là, au fond, ce que veut nous démontrer 
M. Chauveau. Dans ses expériences, celte petite différence en faveur 


462 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


du régime sans alcool que nous signalent Atwater et Benedict ne fait 
que s’accentuer, parce que, en augmentant la dose d'alcool, l’action 
déprimante de cette substance re se fait que mieux sentir. Les re- 
cherches ergographiques de Schnyder et Dubois parlent encore dans 
le même sens, alors que ces derniers auteurs n’expérimentaient 
qu'avec un seul verre de vin. On aura beau discuter, et renouveler 
l'essai de mille façons, l'alcool interviendra toujours avec un coefficient 
négatif et par conséquent nuira à la production du travail musculaire. 

Passons, pour terminer, aux considérations empiriques qui chan- 
tent les louanges de l'alcool. « La notion si générale du réconfort 
apporté à l’organisme par les boissons alcooliques, nous disent Hé- 
don et Roos, n’a évidemment pas la valeur d’un fait expérimental 
précis : cependant c’est de l'observation, et celte opinion eût eu 
beaucoup de peine à se transmettre d’âge en âge si elle eût élé radi- 
calement fausse. » Voilà bien le préjugé dans toute sa force bru- 
tale et irraisonnée ! Consultons pourtant le monde militaire, offi- 
ciers et médecins! Tous nous diront qu'il est un fait que les marches 
et les manœuvres ont, de tous temps, mis en évidence : c’est que les 
bommes qui arrivent à pénétrer dans les débits, ou se procurent 
autrement de l'alcool ou même des boissons naturelles fermentées, 
sont justement ceux qui sont incapables de suivre la colonne Jjus- 
qu'au bout et se montrent le plus prédisposés aux coups de chaleur. 
Consultons encore le monde sportif. Quel est le coureur de vélo- 
drome, le « racer » qui, au moment de l’épreuve, consentirait, pour 
se donner des forces, à boire la plus petite gorgée de boissons fer- 
mentées ou de spiritueux. Tous les sportsmen, sans exception, vous 
diront en propres termes que « l'alcool coupe les jambes ». C’est un 
fait bien connu. Pourquoi s’entêter à le nier. 

Laissant tout à fait de côté la question générale de la nocivité ou 
de l'utilité de l’alcool, souhaitons pour conclure que le consomma- 
teur comprenne dorénavant tout ce qu’il peut retirer de la substitu- 
lion du sucre à lalcool, lorsqu'il a besoin de produire du travail 
musculaire. Cela permettrait à l'humanité de reconnaitre à l’alimen- 
tation sucrée un nouvel avantage, autrement important et élevé que 
tous les autres, celui de contribuer avec une certaine chance de suc- 
cès à la prophylaxie de l’alcoolisme. 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 463 


Le sucre, l'enfant et les vieillards. 


Après avoir essayé de convaincre les grandes personnes sur l'utilité 
de l'introduction du sucre dans l’alimentation générale, occupons- 
nous maintenant de l’enfant. Tout le monde connaît le penchant 
instinctif qui le pousse à aimer les sucreries. Par contre, combien 
de fois n’entend-on pas répéter que « le sucre ne lui vaut rien »? 
On sermonne de même vertement les vieillards sur leur soi-disant 
sourmandise, mais, alors que ceux-ci peuvent ne pas tenir compte du 
conseil, l'enfant, au contraire, est obligé d’obéir..... au préjugé. Le 
sucre est-il done véritablement nuisible à la santé de l’enfant, ou 
bien n'est-il mauvais que pour le porte-monnaie des parents ? 

Certes, il est peu de médecins, de pères, de mères qui ne connais- 
sent, pour en avoir soigné fréquemment, les indigestions causées chez 
les enfants par l’abus des bonbons. La maladie devient épidémique 
au moment des fêtes du jour de l'an. Mais, ce sont là des faits parti- 
culiers, accidentels que l’on ne peut faire entrer en ligne de compte. 
Qui ne sait en effet, sans qu'il soit besoin d’insister, qu’il est mauvais 
de manger du sucre, comme de toute chose du reste, plus qu'on ne 
le doit? Ingéré en grandes quantités, l'absorption ne peut se faire assez 
rapidement pour empêcher les phénomènes de fermentation. La 
digestion devient forcément anormale. Tout le monde est d'accord 
là-dessus. Le point qui reste en litige est alors celui-ci: le sucre, oui 
ou non, est-il utile à l’enfant ? Quelle est la conduite que doivent tenir 
à ce sujet les parents? Faut-il qu’ils continuent à se montrer aussi 
sévères, ou bien est-il de l’intérêt même de l'enfant qu’on lui laisse 
manger raisonnablement du sucre ? 

Le D° Gardner raconte que dans une école publique le maitre 
s’avisa un jour d'interdire les sucreries et fit fermer la petite bou- 
tique de confiseries où s’approvisionnaient ses élèves. Les résultats 
furent tellement désastreux pour la santé des enfants que ie médecin 
intervint et l’on fut obligé de rappeler le marchand de friandises. 
€ Pour les garçons et les filles, ajoute Gardner, le sucre est très re- 
commandé et leur nutrition se trouve souvent en souffrance à cause 
du préjugé populaire qui met cet aliment à l'index. » Il est, en effet, 


464 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


facile de démontrer que l'enfant n’a rien à craindre de l’alimentation 
sucrée. Nous savons que le sucre est un aliment de tout premier 
ordre. Par sa combustion immédiate, il engendre de la chaleur et du 
travail musculaire, c’est-à-dire satisfait à ce que l’on peut appeler 
les dépenses d'entretien. Or celles-ci sont très élevées chez l’enfant ; 
Rubner a trouvé que ce dernier consommait par kilogramme de 
poids vif et par Jour: 


91,3 calories +. à 1 mois 
2 RONDE NO URENA à 2ans 1/2? 
AU ART AT à 5 ans 
DO D UMR DR à 10 ans 
CD ANS CON a LOL AREA à 12 ans 1/2 
DAS A Ne Ne à 14 ans {1/2 
Au lieu de 42-13 —  . .. chez l'homme adulte. 


La dépense énergétique varie, on le voit, avec la taille, ce qui ne 
lempèche pas de rester sensiblement proportionnelle à la surface 
cutanée par où se perd, sous forme de chaleur, la majeure partie de 
l'énergie libérée. Chez les jeunes, la surface du corps est, relative- 
ment à lear poids, plus étendue et il en est forcément de même de 
la radiation cutanée. La presque totalité du calorique ainsi dégagé 
provient très vraisemblablement de la combustion du glucose san- 
guin el la preuve en est, que la grosseur du foie, dont le rôle est si 
important lors de la formation du sucre physiologique et par consé- 
quent de l'élaboration du combustible le plus employé par lorga- 
nisme, varie avec la surface cutanée qui, par rayonnement, . dépense 
une erande partie de ce combustible. Le foie est Loujours propor- 
tionnellement plus volumineux chez les jeunes. On comprend alors 
facilement que le sucre doit, tout d’abord, intervenir comme source 
de chaleur pour alimenter les réactions intraorganiques. Celles-ct, 
chez l’enfant, ne peuvent être que très actives. Il interviendra en 
outre et encore plus utilement lors de la production du travail mus- 
culaire et ce ne sera pas là le moindre de ses bienfaits, car l'enfant 
ne peut, suivant l'expression courante, tenir en place du matin au 
soir et excelle, le plus souvent sans raison, à dépenser son énergie. 

Nous avons reconnu précédemment que la valeur nutritive du 
sucre atteignait son maximum dans certains cas particuliers comme, 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 4695 


par exemple, lors de l’édification de tissus nouveaux. Ces conditions 
physiologiques sont, par excellence, celles de l'enfance. En épar- 
gnant les autres aliments et particulièrement l’albumine, en se trans- 
formant en glycogène et surtout en graisse, le sucre fait du tissu 
vivant et est la cause directe d’une augmentation de poids vif. 1! 
serait donc illogique de ne pas le ranger parmi les substances ali- 
mentaires capables de salisfaire en partie aux dépenses de construc- 
lion et de croissance du premier äge. 

Le sucre, enfin, peut être d’une grande utilité, en permettant de 
diminuer, dans une certaine mesure, le volume de la ration de l’en- 
fant. D’après Rubner, le régime quotidien normal, pris en dehors 
de toute considération scientifique, apporle : 


131 grammes d'hydrocarbonés à l'enfant de 2 ans 1/2. 


165  — — — 5 ans. 
215 — — —— {0 ans. 
LAN ES — << 12 ans {/?. 
271 — — — 14 ans {/?. 


Dans la seconde enfance, les calories fournies par les féculents aug- 
mentent, on le voit, assez rapidement et atteignent d’assez fortes pro- 
portions. À quatorze ans et demi, l’enfant ingère 271 grammes d'hy- 
drates de carbone, alors que, toujours d’après Rubner, l'homme adulte 
de condition aisée et ne fournissant qu’un faible travail mécanique se 
contente pour son entretien de 300 grammes des mêmes principes. 
N’est-il pas alors tout indiqué de faire intervenir le sucre, puisqu'il 
nous permet de ne plus bourrer et gaver les pauvres petits, ainsi 
qu'on a le tort de le faire si souvent. 

Les vieillards se trouveront de même fort bien, et pour les mêmes 
raisons, de la substitution du sucre à une parc des 300 grammes 
d’hydrates de carbone qu’ils ingèrent, à peu près, par jour, car elle 
leur fournira l’alimentation légère et facilement digestible qui con- 
vient aussi bien aux personnes âgées qu'aux enfants. Au début comme 
au déclin de la vie, l’organisme doit être ménagé et toute dépense inu- 
tile d'énergie ne peut que lui nuire. Il devient donc rationnel de con- 
seiller de préférence aux âges extrêmes les aliments dont l'effet phy- 
siologique utile est maximum. Le sucre est certainement de ceux-là. 


ANN. SGIENCE AGRON, — 2° SERIE. — 1902-1993. — 11. 30 


466 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


D'aussi bonnes raisons ne peuvent que satisfaire l'opinion pu- 
blique. En lout cas, elles sont complètement en désaccord avec le 
préjugé vulgaire qui veut que le sucre rende les enfants anémiques. 
Von Bunge : fait remarquer à ce propos que le sucre est un aliment 
simple et non complet et que, livré par l’industrie à l’état de pureté 
absolue, il ne contient que peu de cendres et, entre autres, de fer et 
de chaux, si utiles à enfant. Si ce dernier consomme beaucoup de 
sucre, conclut Bunge, 1l mangera moins des autres aliments, seuls 
susceptibles de l’approvisionner en matières minérales. Sa nutrition 
de croissance en souffrira et il en sera de même, ajoule-il, pour l’ado- 
lescent qui grandit, pour la femme enceinte, pour la nourrice, pour 
l’homme adulte même. L’objeclion n’est pas sérieuse, car en pré- 
conisant d'augmenter la ration journalière de sucre, il n’est dans l’es- 
prit de personne de conseiller aux travailleurs, aux enfants et à l’hu- 
manité entière de s’en saturer au point de dédaigner toute autre 
nourriture. De plus, comme le fait Justement remarquer le D° Lépine ?, 
il est inadmissible que quelques morceaux de sucre puissent empêcher 
l'enfant de boire le lait qui lui apporte la chaux nécessaire, d’ingérer 
les quelques jaunes d’œuf qui lui fournissent le fer dont il a besoin. 
Les craintes de voir le rachilisme et lanémie se développer avec la 
consommation du sucre sont, on le voit, légèrement arbitraires. Ce 
qu'il y a de certain, c’est que les enfants peuvent ingérer régulière- 
ment cet sans le moindre inconvénient des doses de sucre relative- 
ment fortes. L'un de nous a introduit le sucre dans le régime de son 
bébé, qui, à trois ans, prenait déjà de 56 à 60 grammes de sucre par 
jour*. En admettant qu’on n’augmente pas sa ration sucrée avec l’âge, 
cela porte sa consommation annuelle à près de 22 kilogr., alors que 
celle du Français, de 1899 à 1909, n’est que de 16*8,7. L'enfant doit 
être considéré comme un consommateur sérieux de sucre et, ce 
qui à une importance au moins égale, comme un consommateur sus- 

1. D' von Bunge, Zeëlschrift f. Bilogie, 1901, t. XLE, p. 155. 

2. D' Lépine, Semaine médicale, 26 juin 1901. 

3. D'après le D' Barbier, médecin des hôpitaux de Paris, un enfant de huit mois, 
pesant plus de S kilogr., pourrait être nourri ainsi : lait de vache, 300 grammes: 


eau, 400 grammes ; crème, 50 grammes: sucre, 50 grammes, un jaune d'œuf. (Socié!'é 
de lhérap., {1 novembre 1903.) 


GLYCOGÉNIE ET ALIMENTATION RATIONNELLE AU SUCRE. 467 


ceplible de très bien se trouver de ce genre d’alimentation. Depuis 
cinq mois environ que dure notre observation personnelle, l’enfant 
ne s’est jamais mieux porté et pourtant, de deux à trois ans, il avait 
élé assez fatigué par des troubles gastro-entériques. Il est toujours 
resté un « petit estomac », ne connaissant jamais la faim, assez difli- 
cile sur la nourriture, mais, malgré cela, le sucre a pu être ajouté 
progressivement à sa ralion, sans que l’on ait été obligé de dimi- 
nuer cette dernière. L’enfant, en somme, prend un supplément de 
60 grammes de sucre, qu’il serait impossible de remplacer par une 
quantité équivalente de pain ou de pommes de terre ou d'œufs ou 
de soupe, et ce nouvel apport n’est pas à dédaigner lorsque le 
manque relatif d’appétit oblige à restreindre le plus possible le vo- 
lume de la ration. On ne réfléchit pas assez souvent que, pour four- 
nir à l’économie le même nombre de calories que celui qui est con- 
tenu dans ces 60 grammes de sucre, il faut ingérer, à la place, près 
de 100 grammes de pain ou bien quatre œufs complets, ou encore 
une demi-assielle à soupe d’un bon potage au tapioca. Dès que le 
sucre entre dans une préparation culinaire quelconque, la valeur 
énergétique de cette dernière est de suite accrue dans des propor- 
tions qui ne sont pas sans étonner lorsqu'on s’en rend compte pour 
la première fois. 100 grammes, autrement dit sept ou huit bonnes 
cuillerées à bouche de la crème elassique à la vanille, contenant pour 
un litre de lait: huit jaunes d’œuf et 200 orammes de sucre, apportent 
autant de calories (150 environ) que 180 grammes de viande crue 
ou 440 grammes de viande rôtie maigre. Tout ceci nous démontre 
combien il est rationnel d'ajouter au régime quotidien des enfants 
de trois ans par exemple, puisque nous avons expérimenté sur cet 
âge, de sept à huit morceaux de sucre ordinaire ainsi distribués : un 
morceau et demi dans la soupe du matin, autant dans le lait bu au 
déjeuner, un morceau dans un peu d’eau à la fin du même repas de 
midi, encore un morceau et demi dans le lait du goûter, vuis dans 
le lait du diner, plus un morceau à la fin du dernier repas. Les 
60 grammes sont, de la sorte, très facilement ingérés. Quand l'enfant 
orandit, rien n’est plus simple que d'augmenter cette dose ; sans 
doute le lait, qui était un véhicule tout trouvé pour le sucre, cesse de 
constituer la boisson principale, mais il est possible de sucrer assez 


468 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 


fortement le chocolat ou le café au lait du matin. La confiture peut 
également figurer sur la table à tous les repas. A la fin de chacun 
d'eux, Penfant ne dédaignera pas non plus un demi-verre de vin plus 
ou moins étendu d’eau suivant son âge et bien sucré ; il se fera enfin 
toujours une fête de prendre au café le traditionnel « canard », mais, 
alors que celui-ci ne dépasse guère ordinairement la grosseur d’un 
demi-morceau, cette ration pourra être même quadruplée sans aucun 
inconvénient. Il faut pousser les enfants à user du sucre à tous leurs 
repas, mais Jamais en dehors, car c’est là ce qui les empèche le plus 
souvent de manger à table comme il convient. Le sucre ingéré dans 
ces conditions constituera alors un supplément de nourriture qu’il 
eûL été assez difficile de leur faire prendre sous une autre forme. 
EL c’est ainsi qu’en l'habituant au sucre dès le jeune âge, on obtien- 
dra que l'homme adulte, et surtout celui qui travaille, trouve tout na- 
turel de consommer par jour ses 20 ou 25 morceaux, c’est-à-dire de 
160 à 200 grammes. 


(À suivre.) 


Le Directeur-Gérant : L. GRANDEAU. 


TABLE DES MATIÈRES 


DU TOME DEUXIÈME (1902-1490) 


= 


Travaux de la commission chargée de l'unification internationale 
des méthodes d'analyse. | 

J. Crochetelle. — Contribution à l'étude “ ter Ha ma- 
tières minérales du sol par les plantes. 

J. Alquier et D' A. Drouineau. — Glycogénie et cent ra- 
tionnelle au sucre (suile) . : 

H. Pellet et G. Fribourg. — ne nitrate de soude crehlrate se 
effets sur la végétation . ; 

J. Alquier et D' A. Drouineau. — the ogénie a nn in ra- 
tionnelle au sucre (suite) . 


Henry Lafosse. — Sur le rôle des forêts au point de vue des : ser- 
vices indirects. 
E. Heury. — Fixation de l'azote aunosphérique par les feuilles 


mortes en forêt. 

— Sur la décomposition des iles mortes en forèt. 

J. Alquier et D' A. Drouineau. — Glycogénie et alimentation ra- 
tionnelle au sucre (suile) . . 


Nancy, impr. Berger-Levrault et Cie, 


4 


ae 


«ve 


are