Skip to main content

Full text of "Annales des sciences naturelles"

See other formats


ve. PET Go Der ee or 


4 as fu 
e D rh dr ep AP 
PE Den éotétgre 5 
éd 5 Er y 


3 a PL 
pre - 


&R NN { Ÿ 4 


Library of the Museum 


OF 


COMPARATIVE ZOOLOGY, 
AT HARVARD COLLEGE, CAMBRIDGE, MAS. 


HFounded bp private subscription, {n 1861. 


Deposited by ALEX. AGASSIZ. 


NOM eS 


ANNALES 


SCIENCES NATURELLES 


ZLOOLOGIE 


PALÉONTOLOGIE 


PARIS. .— 


IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, Q 


ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 


ZOOLOGIE 


PALÉONTOLOGIE 


COMPRENANT 


L’ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION 
ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX 


PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE 


MM. H. er ALPH. MILNE EDWARDS 


TOME VII 


PARIS 
G, MASSON, ÉDITEUR 


LiBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE DE PARIS 


Boulevard Saint-Germain, en face de l'École de médecine 


"1878 


AMEN QU 


BURAWGN AAA 


ALAN CRT 


RECHERCHES 
POUR SERVIR 


A L'HISTOIRE DU BATONNET OPTIQUE 
CHEZ LES CRUSTACÉS ET LES VERS 


Par M. JOANNES CHATIN. 


[Suite (1)] 


CHAPITRE VI. 


ÉTUDE DU BATONNET OPTIQUE CHEZ DIVERS TYPES DE LA CLASSE 
DES CRUSTACÉS (2). 


ASTACUS FLUVIATILIS, Latr. (3). 


De tous les Crustacés, celui-er a été le plus fréquemment 
étudié, aussi doit-on s'étonner de trouver son histoire anato- 
mique encore si peu avancée, malgré le nombre et la valeur 
des travaux qui lui ont été consacrés. Pour s’en convaincre, 
il suffit de se reporter aux notions acquises aujourd’hui sur 
la constitution de ses bâtonnets optiques. 

On sait comment, sous les noms de « cônes » et de « fila- 
ments du nerf optique », Müller (4) a décrit nos cônes et bâton- 
nets actuels, s’attachant bien plus à la comparaison des 
diverses variétés de pigment qu'aux caractères propres des 
éléments. Gottsche (5), Leydig (6) même, ne sont guère moins 

(1) Voyez tome V, article n° 9. 

(2) L'ordre dans lequel ces espèces seront examinées ici est celui qui permet 
de saisir le mieux la succession des divers états sous lesquels se présente le 
bàâtonnet. 

(2) Fig. 1-4. 

(4) Müller, loc. cit. 

(5) Gottsche, Beitrag Zur Anatomie und Physiologie des Auges der Krebse 
und Eliegen (Müller’s Archiv, 1852, p. 483). 

(6) Leydig, loc. cit. 

ANN. SC. NAT., JANVIER 1878. VII. 1, — ART. N° 1. 


2 J. CHATIX. 
complet, semble encore trop exclusivement guidé par les 
mêmes préoccupations que ses devanciers. 

Que les facettes cornéennes soient réellement quadrilatères 
ou hexagonales, que telle partie mérite le nom de cristallin 
ou celui de corps vitré, que les teintes du pigment soient insen- 
siblement graduées ou qu’elles passent brusquement de l’une 
à l’autre, ce sont autant de questions d’une importance fort 
secondaire et d’une discussion bien stérile; ce qui importe 
davantage, c’est d'établir avec précision les caractères et les 
relations du corps bacillaire. 

Au-dessous de la cornée sont les cônes de forme ovalaire, et 
dans lesquels certains observateurs, dominés par les résultats 
constatés (?) chez les Insectes, ont voulu retrouver deux zones 
représentant, lune le corps vitré, l'autre le cristallin. 

À ces cônes (2) succèdent des bâtonnets assez allongés et 
que les auteurs s'accordent à décrire comme de simples fila- 
ments brunâtres, sans leur attribuer aucune de ces tuniques 
musculeuses dont ils ont pourvu si généreusement les bâtonnets 
de la plupart des Arthropodes, et sans y mentionner même 
aucune trace de stries. De fait, une observation rapide, l'emploi 
trop exclusif et trop précipité de la glycérine, expliquent ce 
silence ; il S’impose surtout lorsqu'on opère sur des animaux 
morts depuis quelque temps et chez lesquels le pigment, dif- 
fluant de toutes parts, ne permet plus de reconnaitre nettement 
la structure des bâtonnets. 

On y parvient au contraire de la manière suivante : Sur un 
animal vivant, on ampute l'œil d’un coup de ciseaux, puis on 
isole rapidement les bâtonnets dans une goutte d'eau distillée, 
ou mieux dans une goutte de liquide cavitaire obtenu en ponc- 
tionnant un des anneaux abdominaux de lEcrevisse. On dis- 

300 400 


tingue alors, avec un grossissement de = à —, d'élégants 


vagues. M. Lemoine (1), dans son travail, plus récent et plus 


(1) Lemoine, loc. cit. 

(2) On peut assez facilement reconnaître les quatre pièces, sensiblement 
piriformes, qui entrent dans leur constitution. (Voy. Leydig, Zum feincren Bau 
der Arthropoden, in Archiv. für Anatomie, 1855, pl. {T, ete.) 

ARTICLE N° !. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 3 
bâtonnets colorés en rose pâle, striés en travers et séparés par 
leurs gaines pigmentaires. [Il y à donc loin de cet état à celui 
que je rappelais précédemment d’après les auteurs. Si l’obser- 
vation se prolonge ou si l’on ajoute un excès de liquide, on voit 
les bâtonnets se séparer en segments discoïdaux, répondant 
aux stries transversales. 

L’acide osmique peut également ici, comme pour les autres 
types qui vont être étudiés, rendre d'excellents services, soit 
que l’on désire constater la nature propre du bâtonnet, soit 
qu'on veuille corroborer ainsi les résultats relatifs à la signi- 
fication des stries bacillaires. Pour cette dernière recherche, 
J'ai suivi la méthode suivante, peu différente de celle qui avait 
été adoptée, dans des cas fort analogues, par Schultze et par 
M. le professeur Ranvier : Sur un œil qui vient d’être enlevé 
à l’animal vivant, Je pratique une coupe parallèle au grand 
axe; puis, sur la masse des bâtonnets ainsi mis à nu, et 
prenant toutes les précautions nécessaires, je porte une goutte 
de la solution concentrée d'acide hyperosmique ; la lame porte- 
objet est ensuite recouverte par une petite cloche de verre 
pouvant s’y appliquer exactement. Quelques instants après, la 
préparation est lavée avec de l’eau disüllée pour enlever l'excès 
d'acide ; la masse des corps bacillaires est dilacérée lente- 
ment dans la glycérime étendue d’un tiers d’eau distillée; le tout 
est recouvert avec une lamelle mince. Observant alors avec l’ob- 
jectif n° 7 de Verick (l'objectif n° 6 est même parfois suffisant), 
on constate de la manière la plus nette, sur ces bâtonnets de 
l’Écrevisse, des stries noires également distancées et séparant 
le filament bacillaire en une suite de petits disques empilés qui 
répondent aux segments que l'emploi de l’eau ou du liquide cavi- 
taire permet de séparer si rapidement (1). 

Je crois inutile d’insister sur limportance de ces résultats, 


(1) Ces faits, communiqués l’an dernier à la Société philomathique (séances 
des 8 avril et 27 mai 1876) et à la Société de biologie (séances des 6 et 13 mai 
1876), ont été récemment confirmés par Boll (voy. in Monatsbericht, 1876, note 
présentée à l’Académie des sciences de Berlin par Dubois-Reymond, au nom 
de Boll, dans la séance du 23 novembre). 


4 J. CHATIN. 

qui déterminent la valeur réelle des stries du bâtonnet et per- 
mettent de distinguer nettement les diverses parties que nous 
allons retrouver dans les Crustacés dont l’étude va suivre. 


Homarus vuzGaris, Edw. (1). 


L'examen de ce type fournit des résultats tellement compara- 
bles à ceux de l’Ecrevisse, que je dois me borner à les mdiquer, 
sous peine de retracer ici les mêmes particularités qui vien- 
nent d’être énoncées. 

Les bâtonnets offrent encore une coloration propre, mais 
répondant à une teinte plus pâle que dans lAstacus fluviutilis ; 
ils possèdent des stries assez faciles à distinguer et se trouvent 
entourés par des gaines pigmentaires d’un brun foncé. 

Lorsque ces corps ont été placés dans l’eau distillée, le 
liquide cavitaire ou liodosérum, on les voit se décomposer en 
segments empilés ; une compression légère et convenablement 
oraduée hâte le phénomène dans des proportions notables (2). 

L'emploi de la glycérine pure doit être encore évité, car il 
détermine une rétraction du bâtonnet, qui se recroqueville sur 
lui-même, entouré de sa gaine pigmentaire, de sorte qu’on 
se trouve dans l'impossibilité d'apprécier ses caractères pro- 
pres. 

SQUILLA DESMARESTIT, Risso (3). 


Les Squilles peuvent être comptées au nombre des rares Crus- 
tacés chez lesquels, en dehors de l'Écrevisse, on ait cherché à 
examiner la structure de l'œil; la plupart des espèces se prêtent 
effectivement fort bien à de semblables études et traduisent 
un type d'organisation supérieure, Comme on va pouvoir en 
juger par les détails suivants empruntés à lune des Squilles les 
plus communes de la Méditerranée. 

Sur une coupe verticale de l'œil durei dans Palcool, Pacide 

(1) Fig. 5. 

(2) Il convient de faire usage du grossissement déjà indiqué (ocul. n° 1, 
object. n° 6 de Verick). 
(3) Fig. 6-9. 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. D 
chromique, ete., on voit (1) d’abord la cornée (2) formée de 
deux zones (3), l'une extérieure et presque anhiste (4), l’autre 
interne et formée de lamelles superposées qui donnent à ce 
segment un aspect stratifié (9); des bandes sombres s'élèvent 
perpendiculairement à ces lamelles et les traversent dans Îles 
intervalles correspondant aux bords des bâtonnets sous-jacents. 

Le cône, situé au-dessous de cette zone cornéenne, affecte 
une forme cylindro-conique assez constante (6). Les cellules de 
Semper perdent de bonne heure tout caractère distinct et pour- 
raient être aisément méconnues, si l’on se bornait à étude de 
l'animal adulte. — Sur les bords du cône se prolongent les cel- 
lules de la gaine pigmentaire (7) dont les caractères spéciaux 
persistent ici plus longtemps que dans la plupart des cas. 

Le bâtonnet proprement dit (8), assez mince dans sa portion 
inférieure (9) ou initiale, ne tarde pas à se renfler lorsqu'il 
arrive dans le voisinage du cène (10), mais on ne trouve pas chez 
le S. Desmarestii de renflement débutant brusquement comme 
dans plusieurs autres Crustacés; le bâtonnet y augmente pro- 
eressivement de volume, de façon à entourer largement, par sa 
portion ainsi dilatée, la base du cône qui lui est superposé (11). 
J'ai pu constater souvent, mais non constamment, une subdivi- 
sion du bâtonnet en « fibres », lesquelles étaient moims grèles 
que dans les types où j'aurai bientôt l’occasion de les décrire. 

Dans cette espèce, comme chezles Astacus, ete., on remarque 
de nombreuses variations dans le mode de coloration du pig- 

(1) Fig. 6. 

(2) Fig. 6 a, 0. 

(2) Id. 

(4) Fig. 6 a. 

(5) Fig. 6 b. Les Squilles, et surtout le S. Desmareslii, permettent de re- 
connaître très-facilement cette structure, indiquée du reste chez les Crustacés 
décapodes par divers auteurs (voy. Lemoine, loc. cit., etc.). 

(6) Fig, 7 a. 

(7) Fig. T c. 

(8) Fig. 7 b. 

(9) Fig. 7. Le bâtonnet devient même parfois filiforme vers son extrémité 
inférieure, mais le fait est rare chez le S. Desmarestir. 

(10) Fig. 7. 

(11) Id. 


6 J. CHATIN. 


ment, qui se montre tantôt avec une teinte rouge éclatante, 
tantôt avec une couleur brune fort sombre, abstraction faite de 
Paspect particulier du bâtonnet proprement dit. 


GALATEA STRIGOSA (1). 


Par le volume de leurs yeux, par la complication de ces 
organes et la différenciation des éléments qui les composent, 
les Galatées doivent être rangées au nombre des types les plus 
intéressants de la série (2). 

Chez le Galatea strigosa, que je décris plus spécialement 
en raison des dispositions caractéristiques de ses bâtonnets, 
on observe, sur la coupe verticale de l'œil, au-dessous d’une 
cornée assez épaisse et lamelleuse, une couche de cellules 
analogues à celles qu'on rencontre, avec la même situation, 
dans les types voisins et que l’on reconnait aisément pour les 
cellules de Semper (3). [ci donc, comme en un certain nombre 
d'autres espèces, ces éléments persistent, encore distincts, 
alors que les facettes cornéennes d’une part, et les cônes ré- 
fringents d’un autre côté, sont déjà nettement constitués et 
différenciés. 

Au-dessous de cette zone cellulaire qui se distingue faci- 
lement par son aspect réfringent et hyalin, se trouvent les 
cônes (4), dont les dimensions sont assez considérables ; leurs 
faces supérieures, sensiblement planes, sont limitées par les 
cellules de Semper avec lesquelles ces parties présentent 
d’étroites connexions. Vers le centre du cône, dans son axe, si 
Je puis m’exprimer ainsi, on peut facilement, par une variation 
convenable de l’éclairage, apercevoir la ligne d’intersection des 
pièces constituantes. Une observation rapide pourrait induire 
en erreur sur l'interprétation de cette ligne et la faire considérer 


(1) Fig. 10-13. 
(2) Voy. Gottsche, Beitrag zur Anatomie und Physiologie des Auges der 
Krebse und Fliegen (Müller’s Archiv., 1852, t. XI, p. 483 et suiv.). 
(3) Fig. 10 a. 
(4) Fig. 10 b. 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 7 
comme un filament central, mdépendant du cône; un examen 
attentif ne permet pas de conserver une semblable opinion. La 
partie inférieure du cône est sensiblement effilée et se trouve 
reçue dans la portion voisine du bâtonnet. 

Ge dernier (1), fort grêle en général dans sa portion initiale 
ou inférieure (2), ne tarde pas à augmenter rapidement. 
de volume et à prendre une forme plus ou moins prisma- 
tique (3); il offre parfois un ou deux renflements terminaux (4), 
et Jai toujours vu le corps bacillaire se séparer, dans cette 
région, en un certain nombre de lacimiations (5) qui répondent 
aux «fibres » de quelques auteurs allemands et sont le plus 
souvent représentées par quatre ou cinq bandelettes très- 
minces qui accompagnent le cône jusque vers le tiers de sa 
portion inférieure. 

Tout le bâtonnet montre des stries régulièrement espacées 
et qui sembleraient, au premier abord, indiquer l'existence de 
cette tunique musculeuse qu’on s'attend à rencontrer chez tous 
les Arthropodes, lorsqu'on se reporte à la lecture de certains 
mémoires ; mais 161, pas plus qu’en aucun autre des types que 
j'ai examinés, je n'ai pu constater le moindre caractère qui fût 
favorable à cette manière de voir. 

Le pigment est brunâtre et présente, soit dans sa constitution 
propre, soit dans son mode de localisation, des détails fort 
semblables à ceux que j'ai signalés dans les Squilles et les Pa- 
guriens ; 1l est donc inutile d’y insister. 

Je ne saurais trop recommander l’étude des Galatées aux 
observateurs désireux d'apprécier les rapports et la valeur des 
diverses parties du bâtonnet optique, et je leur conseille de 
s’aider dans leurs recherches du secours des réactifs colorants 
et particulièrement du picrocarminate d’ammoniaque, sous l’in- 
fluence duquel les différentes zones (cornée, cellules de Semper, 


(1) Fig. 10 c, etc. 
(2) Id. 

(3) Fig. 10 et 12. 
(4) Id. 

(5) Fig. 13, 


8 J. CHATIN. 


cône, ete.) prennent des teintes particulières et capables de les 
faire distinguer aisément (1). 


PAGuRuSs STRIATUS, Latr. (2). 


Dans ce genre, comme dans les deux suivants, les bâtonnets 
optiques se présentent avec une organisation suffisamment 
compliquée pour qu'on puisse ranger à ce point de vue les 
Paguriens parmi les Crustacés supérieurs, 

Au-dessous d’une cornée assez épaisse et dont les facettes 
répondent généralement à la forme hexagonale, se trouve la 
zone des cellules de Semper, demeurant distinctes durant assez 
longtemps, surtout si l’on se rappelle les résultats fournis par 
l'examen de divers autres types. Il est aisé de distinguer ces 
cellules de la couche cornéenne par l'emploi de certains réactifs, 
comme le picrocarminate d’ammoniaque; celui-ci colore effec- 
tivement en rose les éléments de Semper, tandis que les facettes 
cornéennes prennent une teinte jaune très-prononcée. Exa- 
minées à un fort grossissement et suivies aux divers âges, 
ces cellules se présentent avec des caractères très-semblables 
à ceux que les histologistes allemands ont reconnus chez les 
Insectes (3). 

Ensuite, viennent les cônes (4), réfractant fortement la lumière 
et de forme assez variable, tantôt ovoides, tantôt prismatiques. 
Ces corps se colorent en rose par le picrocarminate. Vers leur 
centre se voit souvent une ligne qu'on ne saurait nullement 
assimiler au filament de Ritter : elle doit être rapportée au 


(1) Au sujet de ces détails de préparation, je rappellerai que chez les Gala- 
tées, comme dans les Paguriens, et mieux encore que chez la plupart de ces 
derniers, on peut, en opérant avec précaution, séparer la cornée des cellules 
de Semper qui demeurent accolées à la face supérieure du cône réfringent. 
Gette préparation n'est pas sans quelque importance, car elle permet d'apprécier 
avec exactitude l'épaisseur des facettes cornéennes, auxquelles on pourrait être 
tenté d'ajouter la zone de Semper; l'usage du picrocarminate doit d’ailleurs 
mettre en garde contre une semblable interprétation. 

(2) Fig. 15-16. 

(3) Voy. Claparède, loc. cit. — Landois, Loc. cit., etc. 

(4) Fig. 15 a. 

ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 9 
plan d’intersection des pièces constituantes du cône qui, 
distinctes dans l’origine, se sont réunies pour former ce dernier. 

Au-dessous du cône se trouve le bâtonnet (4) proprement dit, 
lequel se colore en brun par le picrocarminate. Il présente des 
stries fort régulières (2) et dont la symétrie même s’opposerait 
déjà à l’hypothèse d’une tunique formée de faisceaux muscu- 
laires, si observation, convenablement variée, ne permettait de 
rejeter cette interprétation. Le bâtonnet s’amincit peu à peu 
jusqu à son extrémité inférieure, presque toujours assez effilée. 

Une gaine pigmentaire, colorée en marron très-foncé, en- 
toure ce bâtonnet et se prolonge avec ses laciniations supé- 
rieures jusque sur les bords du cône; cette disposition rappelle 
beaucoup celle que Claparède a décrite chez le Sphinx 
Euphorbie (3). 


EupAGurRus PRIDEAUXI, Leach (4). 


On retrouve dans ce genre des dispositions presque iden- 
tiques à celles que le Pagurus striatus vient de nous présenter. 

La cornée, à facettes hexagonales, recouvre des bâtonnets 
dont la zone supérieure est formée par les cellules de Semper 
aussi faciles à reconnaître dans ce type que dans lespèce pré- 
cédente (3). 

Les cônes (6), de forme constamment ovoïde, sont assez volu- 
mineux et montrent ce filament axile sur la discussion duquel 
je crois imutile de revenir. — Les bâtonnets (7) qui supportent 
ces corps réfringents se divisent dans leur voisinage en plu- 
sieurs « fibres » ou laciniations, tandis que leur portion infé- 
rieure est fort amineie (8); des stries régulièrement espacées 


(1) Fig. 15 b. 

(2) Fig. 15. 

(3) Claparède, loc. cit. 
(4) Fig. 14. 

(5) Fig. 14 a. 

(6) Fig. 14 b. 

OT) Te 

(8) Id. 


10 J. CHATIN. 


décorent ces bâtonnets colorés en brun par d’abondants gra- 
nules pigmentaires. 


PAGURISTES MACULATUS, Heller (1). 


Je ne saurais m'étendre longuement sur ce type, sous peine 
de répéter les détails qui viennent d’être donnés au sujet des 
- deux Crustacés précédents; aussi crois-je devoir me borner à 
quelques indications générales. 

Au-dessous de la cornée et de la couche de Semper (2), se 
trouvent des cônes elliptiques dont les bords sont recouverts 
par la gaîne pigmentaire. 

Les bâtonnets (3), beaucoup plus allongés que dans les 
Eupagurus et Paqurus, sont de même plus grêles à leur extré- 
mité inférieure qu'à leur terminaison et sont striés transver- 
salement (4). 

Le pigment, fort abondant, est brunâtre. 


APUS CANCRIFORMIS, Schälf (5). 


On sait à quelles discussions ont donné lieu les yeux de ce 
curieux Crustacé, considérés au point de vue morphologique ; 
je n’ai pas à les examiner ici sous ce rapport, et dois me borner 
à l'étude de leurs bâtonnets. 

Le segment supérieur ou cône est de forme ovoide ou ellip- 
tique (6); ses pièces constituantes demeurent 1c1 plus longtemps 
distinctes que dans la plupart des types, et l’on remarque autour 
du cène une abondance de granules pigmentaires qui n’est pas 
fréquente dans la série des Crustacés et rapproche ce type de 
certains Insectes tels que le Sphinx Euphorbiæ, si bien étudié 
par Claparède (7). 


(OBS TE UT TT CE 

(2) Ges cellules sont distinctes durant moins longtemps que chez les types 
Voisins. 

(3) Fig. 17a, 176. 

(4) Id. 

(5) Fig. 18-19. 

(6) Fig. 18 a. 

(7) Claparède, loc. cit. 

ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 11 


Le bâtonnet (1) répond au contraire au type le plus commun 
chez les animaux qui m’occupent : il est grêle dans sa portion 
inférieure, notablement renflé dans sa région terminale et pré- 
sente des stries régulièrement espacées, mais qu'il est parfois 
difficile de reconnaitre en raison du pigment qui les entoure. 
Ce dernier est formé de granules arrondis et d’un brun très- 
foncé. 


EURYNOME AsPERA, Leach (2). 


Dans ce type, d’une réelle importauce puisqu'il établit en 
quelque sorte le passage entre les Parthénopes et les Mau, 
on observe des yeux petits et enfoncés dont la structure pré- 
sente essentiellement les mêmes caractères que chez les espèces 
voisines : au-dessous d’une cornée dont l'épaisseur est assez fai- 
ble et dont les facettes sont régulières etsymétriques, se trouvent 
des bâtonnets dont les portions initiales et terminales sont pro- 
fondément différentes l’une de l’autre ; la première, augmentant 
peu à peu de diamètre, se montre régulièrement striée, tandis 
que la seconde, fort réduite, est presque sphérique. 

Les éléments bacillaires sont séparés les uns des autres par 
un pigment rouge brunâtre. 


CYPRIDINA MESSINENSIS, Cls (3). 


Cette espèce si curieuse par son mode de vie, et étudiée par 
divers zoologistes (4), est assez abondante dans le solfe de Mar- 
seille, comme l’a montré M. le prefesseur Marion, à qui je dois 
d’en avoir pu étudier plusieurs individus. 

Les yeux sont volumineux, mais le pigment y est tellement 
abondant, qu’il constituerait un grave obstacle pour les obser- 
vations, si la potasse et les autres réactifs analogues ne per- 


(1) Fig. 17 a. 

(2) Fig. 19 b. 

(3) Fig. 20-22. 

(4) Costa, Fauna del regno di Napoli, pl. 1v, ete. — Claus, Ueber die Orga- 
nisation der Cypridinen (Zeitschrift für wiss. Zoologie, 1865, t. XV, p. 148 
et suiv.). 


19 | J. CHATIN. 


mettaient d’y obvier dans une certaine mesure. Avec leur 
secours et par une dissociation convenable, on arrive à isoler 
les bâtonnets, qui se présentent alors avec les caractères sui- 
vanis : 

Les cellules de Semper ne conservent que durant fort peu de 
temps leur autonomie, et l'animal est encore à un âge peu 
avancé, qu'il est déjà fort difficile d'y distinguer ces éléments. 
Le cône réfringent est tantôt ovalaire, tantôt plus ou moins pris- 
matique (1), différences imputables principalement à des varia- 
tions dans le contour extérieur, car sa structure intime ne change 
pas, et l’on y retrouve toujours la ligne d’intersection des pièces 
constituantes : cette disposition est mème assez évidente pour 
qu’en regardant le cène par sa face supérieure, on croie voir 
deux lentilles plan-convexes réunies selon leurs faces planes. 

Le bâtonnet proprement dit est effilé imférieurement, paral- 
lélipipédique dans sa région terminale, où il présente parfois 
un renflement notable et, plus souvent, une subdivision en 
fibres assez analogue à celle qui s’observe chez le Galatea 
strigosa ; il offre des stries régulièrement espacées et qui ne sau- 
raient être rapportées à une gaine musculaire. 

On voit souvent dans la portion inférieure de ce bätonnet une 
sorte de filament central que l’on pourrait être tenté de pro- 
longer jusqu'à la terminaison du cône et qui n’est réellement 
que la ligne d’intersection des pièces originelles. Ce filament 
est-il, en effet, indépendant et central dans le bâtonnet, ou bien 
n'y représente-t-1l, comme dans le cône, qu'un plan répondant 
aux faces contiguës des pièces constituantes? Ges deux opinions 
sembleraient tout d'abord pouvoir se soutenir également, et je 
dois avouer que la situation de ce fil s’arrêtant à l’union des 
deux tiers inférieurs du bâtonnet avec le tiers supérieur (2), 
la coloration rouge vif que lui donne le picrocarminate, seraient 


() Mila 
(2) Le rapport indiqué ici a été obtenu en comparant entre elles les diverses 
observations et prenant la moyenne de leurs résultats ; il varie effectivement en 
de certaines limites, et souvent on voit le filament se prolonger jusqu'à l'union 
des trois quarts inférieurs du bâtonnet avec son quart supérieur ; dans d’autres 
cas 1l répondra aux quatre cinquièmes inférieurs, etc. 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 13 
autant de motfs pour reconnaitre dans le Cypridina messi- 
nensis un des rares types qui permettraient de croire à l’exis- 
tence d’une fibre de Ritter chez les Arthropodes, si les détails 
rappelés précédemment n’obligeaient, sous ce rapport, aux plus 
orandes réserves. 

Le pigment est d’un brun noirâtre; 1l se présente sous forme 
de petits grains arrondis et contenus dans les cellules qui ac- 
compagnent le bätonnet durant tout son parcours. 

Les relations générales du bâtonnet avec le nerf optique et la 
cornée diffèrent peu de ce qu’elles sont dans la plupart des types 
étudiés précédemment; pour ce qui regarde ce dernier rapport, 
je crois devoir relever une disposition assez curieuse de la 
cornée, qui forme, non pas de simples facettes, mais plutôt des 
sortes de revêtements convexes extérieurement et concaves 
intérieurement, c’est-à-dire sur celle de leurs faces qui con- 
fine au cône réfrimgent (1). 


TYPTON SPONGICOLA, Costa (2). 


Celte espèce, parasite de diverses Éponges, présente, en 
raison même de son genre de vie, un Intérêt tout particulier. 

Au-dessous d’une cornée se traduisant extérieurement par 
des facettes hexagonales, bien que son épaisseur soit des plus 
minimes et sa constitution des plus simples, se trouvent des élé- 
ments dont la structure peu compliquée imdique une organi- 
sation assez dégradée. 

Le cône est représenté par un corps réfrmgent qui pourrait 
être figuré par deux pyramides accolées suivant leurs bases et à 
sommets mousses. Il est reçu dans la portion supérieure d’un 
bâtonnet sur lequel on ne trouve plus trace de stries, et vers le 
centre duquel on voit une ligne (3) qui s’avance à une hauteur 

(1) En faisant usage d’un assez fort grossissement (ocul. n°2 object..n2.6 
de Verick), on peut reconnaitre dans le revêtement cornéen une stracture réel 
lement feuilletée. 

(2) Fig. 93. 

(3) Id. 


14 J. CHATIN. 


variable et doit évidemment être considérée comme le plan d’in- 
tersection des pièces constitutives du corps bacillaire. 

Une gaine pigmentaire, colorée en brun médiocrement foncé, 
entoure le bâtonnet et se maintient, avec les mêmes carac- 
tères, jusque sur les bords du cône. 

La composition de ces bâtonnets est, on le voit, des plus 
rudimentaires ; on y retrouve bien encore les parties essenüelles, 
mais l'absence de stries, la différenciation presque nulle de la 
cornée comparée au tégument général, tout indique que l'on 
se trouve en présence d’une des formes les plus simples de la 
série carcinologique, au moins pour ce qui regarde lorgane 
sisuel. 


LYSIANASSA SPINICORNIS, Costa (1). 


Tout enrentrant, par l’ensemble de leurs caractères, dans le 
tracé général des bâtonnets étudiés déjà chez différents types, 
ceux du Lysianassa spinicornis semblent se rapprocher surtout 
des mêmes éléments examinés dans l’{sæa nicea; la description 
suivante permettra d’en juger. 

Au-dessous d’une cornée qui n’est, en réalité, qu'un tégu- 
ment à peine modifié, se trouvent des cônes de forme varia- 
ble (2), tantôt et généralement pyramidaux, tantôt irrégulière- 
ment ovoides. On découvre bientôt la ligne qui correspond aux 
faces internes des corps primitivement séparés et plus tard réunis 
pour former le cône. Non-seulement cette ligne est des plus visi- 
bles, mais souvent même on aperçoit vers son mulieu une por- 
tion renflée et d'aspect foncé. Est-ce le «bouton terminal » d’un 
filament de Ritter qui traverserait ensemble du corps bacil- 
laire et s’y terminerait ainsi? Si l’on s’en tient à l'observation de 
certains états, on serait assez facilement entrainé vers une sem- 
blable hypothèse; mais la comparaison des divers bâtonnets 
représentés montre qu'il existe ici une disposition analogue 


(1) Fig. 24. 
(2) Id. 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 15 
à celle que Claparède (4) et Landois (2) ont signalée chez 
les Insectes et que j'ai précédement mdiquée dans divers Crus- 
tacés. 

Pour ce qui est du bâtonnet proprement dit, il est sensible- 
ment renflé dans sa portion supérieure (3), cylindrique ou pris- 
matique sur le reste de son étendue. Vers son centre, on 
retrouve la ligne axile sur laquelle je viens d’insister, et dont il 
est par conséquent inutile de discuter de nouveau la signifi- 
cation. 

Une gaine pigmentaire remplie de grains brunâtres entoure 
le bâtonnet. Ici, comme chez quelques autres types, la teinte 
de ces granules n’est pas absolument uniforme et varie entre le 
brun noirûtre et le rouge faiblement foncé. 

Ainsi que je le disais au début de cette description, le Lysia- 
nassa spimicornis, par la forme et les relations de son bâtonnet, 
par l’existence d’une ligne axile semblant se terminer par un 
renfiement supérieur, mérite d’être rapproché de l’{sæa niceu, 
et l'étude de ce dernier permet d'expliquer des dispositions 
qui pourraient donner lieu à des hypothèses bien diverses. 


IsæA NIcEA, Thor. (4). 


Chez ce Gammaride que l’on trouve abondamment dans 
le port de la Joliette, les yeux sont d’un volume médiocre et 
pourvus d'un pigment brun noirâtre; leur aspect extérieur 
ne fait rien prévoir qui soit particulièrement remarquable, et 
cependant je connais peu de types dont l'étude histologique 
soit aussi intéressante et aussi fructueuse. 

Au-dessous du tégument cornéen se trouvent des bâtonnets 
d’une forme assez particulière, mais rentrant néanmoins, 
comme on va le voir, dans le tracé général. La portion basilaire, 
arèle et effilée, montre vers son centre une sorte de filament 


(1) Claparède, loc. cit. 
(2) Landois, loc. cit. 
(3) Fig. 24. 

(4) Fig. 25-26. 


16 J. CHATIN. 

qui, parvenu à l’extrémité de la colonnette bacillaire, s’épanouit 
en un corps renflé et ovalaire (1). Au-dessus de cette dilatation 
se trouve le cône (2), dont la forme est celle d’un prisme trian- 
gulaire à sommet tronqué et dans lequel on retrouve les lignes 
d’intersection sur lesquelles jai précédemment, et à diverses 
reprises, appelé lattention. La moimdre traction suffit pour 
détacher ici le cône du bâtonnet, comme dans la plupart des 
Arthropodes. Les bâtonnets sont revêtus de gaines pigmen- 
taires qui leur donnent une teinte brune-noirâtre et dont on 
peut étudier assez facilement les cellules propres. 

Voici donc un Crustacé qui paraît présenter au centre de ses 
bâtonnets un filament central, et chez lequel certains zoolo- 
oistes ne manqueraient pas, en conséquence, de décrire une 
fibre de Ritter, si l’on se reporte à quelques publications ré- 
centes sur les Insectes. Mais cette apparence d’une ligne axile 
ne subsiste que dans la portion inférieure du bàtonnet, et 
bientôt on la voit s’élargir rapidement ; il n’y à donc rien 11 
qui soit semblable à ce qu'a figuré Ritter, et l’on a simple- 
merit sous les veux une des quatre pièces qui se sont réunies 
pour former le bâtonnet : seulement, cette pièce apparaît de 
champ et dans son ensemble, tandis que les autres pièces se 
montrent de profil. Que l’on compare cette disposition à celle 
que Claparède à signalée chez certains Insectes, particulière- 
ment dans le Dytiscus marginalis (3), et lon constatera la plus 
complète analogie entre l’une et l’autre. 

Ceci prouve une fois encore combien il est indispensable de 
mulüplier et de varier les observations, et combien il est inutile 
de recourir à des rapprochements fort discutables pour expli- 
quer des faits que l'examen histologique et histogénique suffit 
amplement à élucider. 


(1) Fig. 25: 

(2) Fig. 25 a. — La forme de ces cônes est très-variable, comme j'ai pu le 
constater maintes fois, et ainsi que M. Catta l’a remarqué également dans une 
série de recherches taxinomiques dont il a bien voulu me communiquer les ré- 
sultats. 

3) Claparède, loc. cit. 

ARTICLE N° |. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 47 


NOTOPTEROPHORUS ELONGATUS, Kr. (1). 


Cette espèce, à laquelle le bourgeonnement des zoonites de la 
femelle donne un aspect si particulier, se rencontre à l’état de 
parasite, ou tout au moins de commensal, dans l’Ascèdia mamil- 
lata. Elle présente dans la constitution de son œil des disposi- 
tions aussi rudimentaires qu’on peut les imaginer, mais on y re- 
trouveles caractères essentiels signalés dansles types précédents. 

Chaque œil se résume en un bâtonnet et un cône recouverts 
par une cornée que l’on ne saurait distinguer réellement du 
tégument ambiant. Le cône, de forme ovoïde, offre, d’une part 
le corps réfringent (corps cristallinien, Kristallkorper, ete.), et 
d'autre part, entourant celui-ci, une gaine pigmentaire assez 
développée (2); les lignes d’intersection des pièces, originaire- 
ment séparées, n’y sont plus distinctes dès un âge peu avancé; 
mais 1l en est autrement pour le bâtonnet proprement dit, où 
l’on découvre une ligne axile des plus nettes (3). 

Si l’on ne considérait cet œ1l qu'à certaines périodes de son 
développement, on serait tenté d'y admettre la présence d’une 
sorte de cylindre-axe se terminant par une extrémité dilatée ; 
un examen plus méthodique et convenablement varié montre 
qu'il existe simplement ici la même disposition que chez les 
Articulés étudiés par Claparède (4) et par Landois (5) : l’obser- 
vation directe, comme l'application des réactifs, se trouve 
en complet désaccord avec l'hypothèse qui voudrait retrouver 
chez ces êtres le filament de Ritter. 

Le Notopterophorus elongatus offre donc un réel intérèt ; 
cest, au point de vue où je dois me placer, un type bien 
dégradé, plus dégradé même que P{sæa nice«, et pourtant on 
retrouve 1c1 les mêmes caractères fondamentaux indiqués chez 


(L) ie 27 a et 218: 
(2) 
(3) Id. 
(4) Claparède, loc. cit. 
(o) Landois, loc. cit. 
ANN. SC, NAT., JANVIER 1878. VII. 2, — ART. NA 1, 


18 J. CHATIEN. 


les Crustacés supérieurs, qu'on se borne à de simples études 
anatomiques, ou qu’on cherche, méthode mfiniment plus scien- 
tifique et plus sûre, à les corroborer par Pobservation organo- 
génique. Évidemment certains détails manquent, les stries, 
par exemple; mais, outre que leur absence peut nous les faire 
considérer comme indiquant une différenciation plus complète 
de la substance bacillaire, et comme témoignant d’une supé- 
riorité morphologique du bâtonnet, nous voyons qu’elles n’in- 
fluent pas sensiblement sur la constitution générale de ce der- 
nier. Ces faits sont importants à relever; car, avec les Epimeria, 
les Lichomolqus, nous allons assister à une rapide simplification 
organique, et nous aurions quelque peine à rattacher ces types 
aux Crustacés supérieurs, si des formes telles que les Zsæa ou 
les Notopterophorus ne venaient nous présenter des états inter- 
médiaires et capables de relier en une sorte de série contmue 
des types qui sembleraient parfois très-différents si lon se 
bornait à les étudier séparément. 


CAPRELLA ACANTHIFERA, Leach (1). 


Les yeux, petits et de forme presque circulaire, renferment 
de nombreux bâtonnets dans lesquels il est aisé de reconnaitre 
deux parties : l’une inférieure ou basilaire, véritable bâtonnet, 
l’autre supérieure ou terminale, qui représente le cône ré- 
fringent (2). 

La première, presque constamment cylindrique, offre en 
outre un filament qui peut être considéré comme l’analogue 
de celui que M. Künckel a décrit chez les Volucelles (3) et sur 
l'interprétation duquel je crois inutile de revenir. Quant à la 
portion supérieure, elle forme une sorte de calotte bombée et 
dont la convexité semble varier avec les éléments que lon 
examine. 

Les bâtonnets sont entourés par des gaines pigmentares 
d'un brun assez intense. 

(1) Fig. 28, 29. 

(@) Fo 281c, 2014. 


(3) Künckel, loc. cit , = 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 19 
L’œil du Gaprella acanthifera pourrait se prêter à de nom- 
breuses considérations et à des rapprochements intéressants : 
lorsqu'on l’observe dans son ensemble, après avoir diminué par 
les réacüfs convenables l'intensité du pigment, on lui recon- 
naît une réelle analogie avec l’organe visuel de certains Vers, 
tels que les Dasychone ; lorsqu'on examine, au contraire, non 
plus Poœil étudié dans la totalité de ses éléments, mais un 
bâtonnet isolé, on ne peut s'empêcher de lui accorder une affi- 
mté morphologique des plus évidentes avec les bâtonnets de 
certains Crustacés supérieurs (As{acus, Homarus, etc.). Qu’on 
supprime, chez ces derniers, quelques légers caractères exté- 
rieurs, et l’on aura un élément fort semblable à celui des 
Caprelles. Geci suffit à montrer, d’une part combien les appré- 
cations peuvent varier sur un même point, et d’un autre côté 
combien il est indispensable de multiplier les observations, 
soit en elles-mêmes, soit dans leurs sujets, si l’on veut être 
assuré d'obtenir des résultats aussi précis qu'il est possible. 


EpimErtA nov. sp., Catta (1). 


L'espèce de ce genre que j'ai surtout étudiée, et dontlétude 
fournit de très-mtéressants résultats, n’a pas encore été déter- 
minée exactement au point de vue zoologique; toutefois cette 
lacune sera bientôt comblée par M. Catta, qui en poursuit l'étude 
descriptive. J'ajoute qu’elle vit en parasite sur le Suberites 
domuncula, Nardo, ce qui en permettra facilement la recherche 
aux anatomistes désireux de lexaminer. 

Avec ce petit Amphipode, nous arrivons à une simplification 
organique dépassant considérablement celle qui s’'indiquait 
déja chez les Typton, Isœa, Notopterophorus, etc. Au-dessous 
d’une mince couche cornéenne distincte par sa situation plutôt 
que par ses caractères propres, on trouve une série de pièces 
accolées les unes aux autres et se terminant inférieurement au 
nerf optique. Au premier abord, on ne découvre qu’un amas, 
d’alleurs peu considérable, de pièces brillantes; mais en les 


(1) Fig. 30-34. 


90 J. CHATIN. 


examinant plus attentivement, on constate que chacune d'elles 
présente une forme particulière (généralement ovoide) et se 
trouve recue dans une sorte de gaine qui s'élève à une hauteur 
variable sur les flancs du cône, puis s’amincit en arrière pour 
se relier au ganglion (toujours fort réduit ici) du nerf optique : 
celte gaine est colorée par un pigment rouge vif (4). 

Ces dispositions ne sauraient évidemment être séparées de 
celles qui ont été indiquées chez les types précédents : sans 
s'arrêter aux variations dans la structure de la cornée, varia- 
tions relevées depuis longtemps, on doit remarquer la com- 
plète similitude qui existe entre ces corps réfrimgents et les 
« cônes » des autres Crustacés. La gaine pigmentaire entoure 
bien réellement encore un véritable bâtonnet dans sa portion 
inférieure, et si lon examine des individus peu développés, 
si l’on atténue l'intensité du pigment par l'emploi des alealis, 
on voit une ligne centrale parcourant une étendue plus ou 
moins grande dans la région inférieure. Cette ligne est la 
même qui a été décrite plus haut chez diverses espèces, et 
nous voyons que le bâtonnet de ces dernières se retrouve 
encore ici, mais considérablement simplifié. On ne distingue 
effectivement plus, chez lÆpimeria, les stries bacillaires; le 
renflement terminal du bâtonnet manque complétement, et le 
cône n'offre ni tache centrale, ni rien qui rappelle (au moins 
chez l'adulte) les pièces décrites par Landois et Claparède dans 
les Insectes, retrouvées chez les Crustacés, comme on l’a vu 
précédemment. Je me borne à mentionner en ce moment ces 
faits sur lesquels j'aurai à revenir dans les chapitres consacrés 
à l’étude des Vers. 

D’autres espèces d’'Epimeria, tout en offrant des dispositions 
semblables, présentent un pigment brunâtre et non plus rou- 
ocûtre; chez d’autres 1l est presque noir. Aussi crois-je devoir 
signaler de pareilles dissemblances aux taxinomistes, lorsqu'ils 
entreprendront l’étude de ce genre qui appelle une complète 
révision zoologique. 


(1) Fig. 30-54. 
ARTICLE N° À. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 91 


LICHOMOLGUS ELONGATUS, Thor. (1). 


Sur le manteau de l’Ascidia mamillata, on distingue sou- 
vent de petits points blanes dus à la présence d’une espèce de 
Copépode (Lichomolqus elongatus) qui y vit en parasite, et doit 
prendre place à la suite des Æpimeria, en raison du mode de 
constitution de ses bâtonnets optiques. 

La peau s’incurve simplement au-dessus de l'œil (2), sv 
différenciant d’nne facon presque mappréciable et offrant ainsi 
un très-bon exemple de forme intermédiaire entre une cornée 
véritable et un tégument non modifié. 

Au-dessous de ce revêtement bien simple, comme on le voit, 
se trouvent deux pièces (3) de forme prismatique et réfractant 
fortement la lumière (4) ; chacune d'elles est reçue dans une 
sorte de gaîne qui va s’amincissant à mesure qu’elle approche 
de son extrémité initiale et inférieure (5). Les caractères de 
cette portion vaginale obligent à la considérer comme lana- 
logue du bâtonnet proprement dit (6); un pigment jaune, à 
orains assez volumineux, entoure le bâtonnet et s'élève à une 
hauteur variable sur la périphérie du cône. 

La structure des yeux du Lichomolqus elongatus est, on le 
voit, fort semblable à celle que nous avions rencontrée chez 
l’Epimeria ; elle est même plus rudimentaire, comme le prouve 
le nombre très-réduit des bâtonnets. À ce point de vue, les 
Notopterophorus pourraient être placés auprès des Lichomolqus ; 
mais ils s’en écartent par la constitution propre du bâtonnet, 
qui y présente une différenciation assez semblable à celle qu’on 
observe dans certains types supérieurs. Les rapports des bâton- 


(1) Fig. 55. 

(2) Id. 

3) Très-rarement il y en a plus de deux. 
(4) Fig. 35 a. 

(o) Fig. 35. Ne 


(6) Id. 


99 3. CHATIN. 


nets avec la gaine pigmentaire, qui leur est inférieurement 
commune, rapprochent les Lichomolqus des Ampelisca (1). 
En résumé, les espèces qui viennent d’être étudiées nous 
montrent de la manière la plus évidente une réelle dégradation 
pour tout ce qui concerne l’organisation du corps bacillaire et 
de ses annexes. Ces détails méritent une attention d'autant 
plus grande que nous allons les retrouver identiques ou fort 
comparables dans certains types du groupe des Vers. 


SECONDE PARTIE. 


VERS. 


CHAPITRE VIT. 


INTRODUCTION. — HISTORIQUE. 


En assignant au groupe des Vers les limites les plus étendues 
qu’on puisse lui accorder, en y comprenant les Annélides, 
les Helminthes, les Turbellariés mêmes, il est aisé de constater 
combien sont élémentaires les notions que l’on possède tou- 
chant l’existence et l’organisation de leurs organes visuels. 

Cuvier (2) n’en fait nulle mention; de Blainville (3) les in- 
dique seulement dans des lignes tellement vagues, qu’on ne sau- 
rait en tirer aucune conclusion profitable. Pourtant, dès le début 
du xix° siècle, quelques observateurs avaient porté leur atten- 
tion sur ce sujet. Ainsi Ranzoni étudie les yeux du PAyllodoce 
maxillosa (4), et Otto fait connaître les mêmes organes dans 
l’'Aphrodita heptacera (5). 

Carus (6) leur consacre un court prssage se rapportant 


(1) Voy. Spence Pate and Westwood, History of the British Crustacea, 
t. I, p. 128. 

(2) Cuvier, Leçons d'anatomie comparée, 17° et 2e édit. 

(3) De Blainville, loc. cit. 

(4) Ranzoni, Opuscoli scientif., t. T. Bologne, 1817. 

(») Otto, Conspectus Animalium, etc., p. 16. Vrastilaviæ, 1817. 

(6) Carus, loc. cit. 

ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 29 
moins à leur structure qu'à leur situation. Ehrenberg (1) et 
Focke (2) publient, à la même époque, des mémoires relatifs 
aux Planariens, ete., mémoires dans lesquels se trouvent 
quelques détails bien observés. Mais ce sont surtout les points 
oculiformes qui préoccupent alors les zoologistes et les en- 
traînent vers de longues recherches généralement peu fruc- 
tueuses (3). 

Gruithuisen déerit plus complétement les veux du Naïs pro- 
boscidea (4) et les représente comme des particules de pigment 
enveloppées d’un « parenchyme sensible », description trop 
vague pour être acceptée, et qui, de fait, se trouve bientôt com- 
battue par Müller (5). Ce dernier commence par rappeler les 
rares travaux publiés sur le même sujet, puis déerit très-exacte- 
ment les connexions des yeux et du nerf optique. La même 
précision ne se retrouve malheureusement plus dans l'étude 
particulière des yeux : Müller s'y méprenant étrangement et 
semblant uniquement soucieux d'établir une analogie com- 
plète entre les organes visuels des Vertébrés et ceux des Inver- 
tébrés. 

Un mémoire de Dujardin (6) indique la situation des yeux 
chez quelques Annélides, mais ne saurait être placé que bien 
au-dessous des autres travaux dus à cet habile observateur. 

Pour trouver des faits minutieusement observés et méthodi- 
quement interprétés, 11 faut arriver aux travaux de M. de Qua- 


(1) Ehrenberg, Mittheil. aus d. Verhandl. d. Gesselsch. naturf. Freunde zu 
Berlin, 1836, p. 2. 

(2) Focke, Ueber Planaria Ehrenbergii (Annalen des Wiener Museums, 
1830-01, p.193): 

(3) Weber, in Meckels Archiv, 1827, p. 901, pl. 1171. — Brandt, Medicin. 
Zoologie, t. 1, p. 251, pl. 29 A et B. — Wagner, Lehrbuch d. Vergl. Anatomie» 
1835, p. 498. — Idem, Lehrbuch d. spec. Physiologie, 1843, p. 383. — Idem, 
Icones Physiol., 1839, p. 28. 

(4) Gruithuisen, in Nov. Act. Acad. nat. curios, t, XI, p. 242. 

(5) Müller, loc. cit. 

(6) Dujardin, Observations sur quelques Annélides marins (Annales des 
sciences naturelles, Loovoaie, 2° série, 1839, p. 292, ete.). Voy. sur le même 
sujet, Rathke (De Bopyro et Nereide, p. 44), et Wagner (Lehrbuch d. Physiol., 
p. 289). 


2% J. CHATIN. 


trefages (1). Soumettant au contrôle d’une juste critique les 
résultats obtenus par ses devanciers, cet éminent zoologiste 
montre quelle à été leur erreur, lorsque, voulant sans cesse 
retrouver un appareil comparable dans tous ses détails à l'œil 
des Vertébrés, ils ont oublié que « lorgane visuel, comme tous 
» les appareils organiques, peut se simplifier, se dégrader, et 
» que c’est dans cet état que nous le retrouvons, même chez 
» les représentants élevés des types inférieurs (2). » 

Examinant ensuite quelles pièces essentielles doit comprendre 
un œil capable de remplir sa fonction physiologique, M. de Qua- 
trefages établit que ces « parties fondamentales sont toujours un 
ccristallin (3) et une rétine (4) ». Tels sont en effet les résultats 
fournis par l'observation, et les conclusions formulées dans cet 
important travail s'accordent entièrement avec celles auxquelles 
je me suis trouvé conduit par les présentes recherches. 

Si l’on rapproche les divers types étudiés par M. de Quatre- 
fages (5) et d’autres auteurs (6), on voit que, chez les Vers, 
il peut exister trois formes bien distinctes d'organes visuels. 

4° L’oœil, comme dans le Torrea vitrea, est remarquablement 
perfectionné et comprend une cornée, une sclérotique, une cho- 


(1) De Quatrefages, Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1844, t. XIX» 
p. 195. — Idem, Etudes sur les types inférieurs de l'embranchement des 
Annelés : Mémoire sur les organes des sens des Annélides (Annales des sciences 
naturelles, 3° série, ZOOLOGIE, t. XII, p. 25). 

(2) De Quatrefages, loc. cit., p. 81. 

(3) M. de Quatrefages a prévenu toute interprétation erronée en déclarant 
qu'il prenait « le mot de cristallin dans une acception générale et comme dési- 
» gnant l’ensemble de l'appareil réfringent, appareil qui peut être plus ou 
» moins compliqué ». 

(4) De Quatrefages, loc. cit., p. 31. 

(5) De Quatrefages, p. 34 et suiv. 

(6) Krohn, Zoologische und anatomische Bemerkungen über die Alciopen, ete. 
(Archiv. für Naturwiss, 1845, t. T, p. 179). — Kroyer, Bidrag til Kundskab. 
on Sabellerne (Kgl. Videnskab. Selskab. Forhandl., 1856). — Kôlliker, Ueber 
Kopfkiemer mit Augen an den Kiemen (Zeitschrift für wissensch. Zoologie, 
1858, t. I, p. 536). — Leydig, Die Augen und neue Sinnesorgane der Egel 
(Archiv. für Anatomie und Physiologie, 1868, p. 588). — Idem, Traité d'histo- 
logie comparée. — Claparède, Annélides chétopodes du golfe de Naples, 1868, 
et Supplément, 1870. 

ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS: ET DES VERS. 95 
roïde, un corps vitré et une véritable rétine formée par lépa- 
nouissement du nerf optique (1). 

2 Chez divers Serpuliens, etc., on rencontre des yeux con- 
stitués par une ou plusieurs pièces réfringentes reçues dans une 
portion inférieure ou vaginale généralement allongée. 

3° Dans les Polyophthalmes, les Amphicorines, etc., l’or- 
ane se résume en une ou plusieurs pièces analogues, mais 
entourées par une masse pigmentaire dont les contours sont 
indécis (2). 

J'ai pu vérifier, à plusieurs reprises, combien étaient exactes 
ces dispositions que les beaux travaux de M. de Quatrefages 
nous ont, les premiers, fait connaître. Reprenant leur examen 
à un autre point de vue, j'ai recherché si, parmi ces types, il ne 
s’en rencontrerait pas qui offrissent, dans l’organisation de leurs 
organes visuels, des détails comparables à ceux qui viennent 
d’être fournis par l'étude des Crustacés. Je n’ai pas tardé à 
reconnaître que c'était dans la seconde des formes énumérées 
plus haut qu’il convenait de chercher une semblable ana- 
logie (3) ; c’est done sur les Serpuliens et les animaux voisins 
qu'ont porté les observations dont je résume 1c1 les principaux 
résultats. 


CHAPITRE VIT. 


CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU BATONNET ET DU CÔNE DANS LES ESPÈCES 
EXAMINÉES. 


Une constitution de plus en plus simple, une tendance mar- 
quée vers la dégradation organique, tels sont les caractères 
généraux et constants que présentent les yeux des Vers lors- 


4 


qu’on les compare à ceux des Crustacés. Leur imfériorité 


(1) De Quatrefages, loc. ct., Histoire naturelle des Annelés marins et d’eau 
douce, 1865, t. I, p. 91. 

(2) Je néglige, à dessein, les taches simplement pigmentaires. 

(3) Joannes Chatin, Sur les bâtonnets optiques des Crustacés et des Vers 
(Mémoires de la Société de biologie, 1876). —- Idem, Des relations qui existent 
entre les bâlonnets des Arthropodes et les éléments optiques de certains Vers 
(Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences, 1876). 


96 . J. CHATIN. 


morphologique est même tellement connue, que bien des 
zoologistes s’étonneront d’un pareil rapprochement, qui ne 
saurait être admis si l’on se bornait à la considération des 
Crustacés supérieurs, tandis qu'il est plemement légitimé 
lorsqu'on se reporte aux caractères présentés par lEpimeria 
el les types voisins. 

Chez les Arthropodes dégradés, le bâtonnet renferme bien 

encore un cône réfringent et un bâtonnet proprement dit, 
mais l’un et l’autre sont, en quelque sorte, réduits à leurs 
parties essentielles; les «fibres », les « renflements termi- 
naux », toutes ces dispositions qui témoignent d’une évidente 
supériorité fonctionnelle se traduisant par d'importantes diffé- 
renciations morphologiques, seraient vainement cherchées ici. 
Or, que l’on compare ces éléments des Epimeria ou des 
Lichomolqus avec les mêmes pièces empruntées aux Sabelliens, 
Serpuliens, etc., et l’on constatera des caractères identiques : 
chez les uns et les autres, le cône, de forme généralement 
ovoide, rarement prismatique (Dasychone lucullana), est sup- 
porté par un filament plus ou moins allongé, auquel on doit 
conserver encore, et d’une manière plus spéciale, le nom de 
bâtonnet. Celui-ci sera généralement effilé dans sa portion 
inférieure, et ce détail anatomique, reconnu dans la plupart 
des Arthropodes étudiés précédemment, sera surtout marqué 
chez les Vermilies (Vermilia clavigera, etc.). 

Une gaine pigmentaire, colorée de teintes diverses suivant les 
types (nolrâtre, brun, rouge, jaunâtre, etc.), entourera ce bâton- 
net et s’élèvera à des hauteurs variables sur les bords du cône 
réfringent. — Les relations du corps bacillaire avec le tégument 
fort peu différencié qui représente la cornée seront les mêmes 
que chez les Crustacés inférieurs; quant aux rapports de ces 
éléments avec les nerfs optiques, on sait avec quelle précision 
M. de Quatrefages les a décrits autrefois ; mes recherches ayant 
constamment et pleinement confirmé ses propres résultats, 
je crois inutile d’insister sur ce point. 


ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 97 


PSYGMOBRANCHUS PROTENSUS, Phil. (1). 


Ii suffirait d'étudier ce type pour se convaincre de lanalogie 
réelle qui existe entre les yeux de certains Vers et les éléments 
bacillaires des Arthropodes. Les yeux brancliïaux de cette 
Serpule sont effectivement formés par une pièce dans laquelle il 
est aisé de reconnaître deux portions, l’une supérieure, réfrin- 
sente (2), répondant au « cristallin » des auteurs, et que nous 
ne pouvons décrire que par le même nom qui à été pré- 
cédemment assigné à la même partie chez les Crustacés ; l’autre, 
inférieure, allongée, colorée par une gaine pigmentaire d’un 
rouge orangé, et s’amincissant par son extrémité initiale (3). 
Ne doit-on pas considérer cette partie inférieure comme lana- 
logue du bâtonnet? Le doute semble difficile lorsqu'on rap- 
proche ces dispositions de celles qui nous ont été offertes 


par les bâtonnets des Crustacés et, en particulier, des Epi- 
meria, etc. (4). 


PROTULA INTESTINUM, Lamk (5). 


Ce Serpulien offre la plus grande ressemblance avec le Psyg- 
mobranchus protensus, en présentant toutefois une complication 
notable : l’œil n’est plus formé par un seul bâtonnet, mais par 
deux de ces pièces, et présente ainsi une disposition fort analo- 
gue à celle qui a été présentée par le Lichomolqus elongatus. 

Le cône (6), de forme oblongue, est reçu dans la portion supé- 
rieure et légèrement renflée du bâtonnet vrai, lequel s’'amineit 
vers son extrémité opposée, et est enveloppé d’une gaine pig- 
mentaire colorée en rouge éclatant (7). 


(1) Fig. 36-38. 

C)'Hig 30614, 371 4, 38. 

(3) Fig. 36 b,.37 b. 

(4) Voy. Joannes Chatin, Sur les bâtonnets optiques des Crustacés et des Vers 
(Mémoires de la Société de biologie, 1876). 

(5) Fig. 39. 

(6) Fig. 39 à. 

(7) Fig. 39 b. 


98 J. CHATIN. 


Ces pièces bacillaires, qui se montrent ici généralement au 
nombre de deux, se retrouvent avec les mêmes caractères, mais 
souvent en bien plus grand nombre dans le genre Eupomalus, 
où diverses espèces m'ont présenté parfois dix ou douze de ces 
bâtonnets juxtaposés. 

Ce nombre est encore plus élevé chez les Branchiomma étu- 
diés par Claparède (1), et dont l'examen histologique fournit 
des résultats analogues à ceux qui viennent d’être indiqués. 


Dasvcnone Bomeyx, Dalyell (2). 


Ce type est un des plus intéressants pour l’étude comparée 
des bâtonnets optiques chez les Crustacés et les Vers; 1l est 
propre aux grands fonds, et les mdividus que j'ai recueillis avec 
M. le professeur Marion se rencontraient par 40 mètres de pro- 
fondeur sur les blancs coralligènes du golfe de Marseille (3). 

Tandis que dans certains Serpuliens l'œil ne comprenait 
qu'une seule pièce bacillaire, tandis que chez les Eupomalus 1] 
en existe un grand nombre, ici au contraire l’organe pré- 
sente trois ou quatre de ces éléments, dont la différenciation 
semble être portée plus loin que dans les types étudiés précé- 
demment : les cônes (4), fortement convexes sur leur face anté- 
rieure ou externe, sont presque plans à leur face postérieure ou 
interne, et offrent ainsi la plus grande analogie avec les mêmes 
parties examinées chez certains Arthropodes. 

La portion basilaire, que je désignerai ici, comme dans ces 
derniers, par le nom de bâtonnet, est élargie supérieurement, 
amincie intérieurement; un épais pigment brun la colore d’une 
manière intense et s’avance même sur les bords du cône (9). 

Telle est la structure des veux branchiaux de ce Dasychone ; 
pour ce qui est des points situés sur les segments du corps et 


(1) Claparède, Annélides chétopodes du golfe de Naples, supplément, 1870, 
pl'exiwyerete; 
(2) Fig. 40-42. 
(3) Travers de l’ile de Ratonneau. 
(4) Fig. 40-a, 42 b. 
(5) Fig. 40, 42 b. 
ARTICLE N° 1. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 29 
quelquefois décrits comme des veux par certains observateurs 
qui pensaient y avoir découvert des «eristallins », je rappellera 
que Claparède (1) s'était élevé déjà contre cette interprétation. 
Reprenant, à mon tour, leur étude histologique, jai pu m’as- 
surer qu'il n’y avait dans ces taches aucune pièce réfringente 
qui fût comparable au « cône » des yeux véritables. Ge sont de 
simples taches pigmentaires entre lesquelles se trouvent des 
olandes hypodermiques. Dans les préparations exécutées trop 
bâtivement, la matière colorante se répand sur ces dernières, 
qui apparaissent alors comme des taches brillantes entourées 
de pigment, ce qui a fait croire à l’existence en ces points d’ap- 
pareils visuels notablement perfectionnés. 


DASYCHONE LUCULELANA, Della Chiaje (2). 


Il est assez Intéressant de rapprocher de l'espèce précédente 
le Dasychone lucullana dont les zoonites possèdent des yeux 
normalement constitués. 

Je mentionnais, à l’occasion du D. Bombyx, les détails histo- 
logiques qui s'opposent à ce qu’on accorde aux taches pigmen- 
taires des segments une semblable valeur; aussi n’est-ce pas 
sans surprise que l’on constate sur les anneaux du Dasychone 
lucullana des organes dont il suffit de rappeler quelques carac- 
tères pour indiquer le rôle physiologique. 

Sur chaque zoonite on trouve deux points facilement recon- 
naissables à l’abondance du pigment qu'ils renferment ; en les 
examinant avec som, et surtout en les traitant par le picro- 
carminate d’ammoniaque, on constate qu'ils comprennent, au- 
dessous d’un tégument sensiblement différencié, un certam 
nombre de pièces se composant chacune d’une partie réfrin- 
sente et prismatique, reçue dans une gaine que colore Île 
pigment et qui s’effile progressivement dans sa partie infé- 
rieure. 

Est-il possible de refuser à ces éléments une réelle analogie 


(1) Claparède, Annélides du golfe de Naples, 1868, p. 428. 
(2) Fig. 43-44. 


30 J. CHATIN. 


avec les bâtonnets des Crustacés”? Je ne le pense pas, et je 
crois que la comparaison des pièces bacillaires du D. lucullana 
et des mêmes parties chez certains Paguriens suffira pour légi- 
timer ce rapprochement. 


VERMILIA CLAVIGERA, Phil. (1). 


Dans les différentes espèces de Vermilies qu'on rencontre 
sur les côtes de France, et qui se ressemblent assez constam- 
ment pour que je pense pouvoir me borner à la description de 
l’une d’entre elles, les veux offrent une structure très-compa- 
rable à celle qui a été présentée par les Vers étudiés précé- 
demment, et dans laquelle on retrouve également de nom- 
breuses analogies avec les organes examinés chez les Crustacés. 

Les veux du Vermilia clavigera se reconnaissent surtout à 
la présence des corps réfringents qu’ils renferment et qui les 
font paraître comme autant de taches brillantes (2); lorsqu'on 
les examine attentivement et qu’on les compare entre eux, on 
constate qu'ils possèdent tantôt deux, et tantôt une seule de 
ces pièces qui, par leur situation, leurs caractères propres, etc., 
se rapprochent complétement des « cônes » des Crustacés, ete. 
Chacune d'elles est reçue dans une sorte de filament court et 
renflé vers Sa terminaison, tandis qu'il s’allonge dans sa région 
opposée, où il acquiert même une ténuité supérieure à celle qui 
s’observe dans les types voisins ; un abondant pigment rouge 
orangé entoure ce bàâtonnet. 

Il suffit de comparer les éléments optiques de ce Ver avec 
les mêmes pièces étudiées chez les Crustacés inférieurs, pour 
constater leur étroite affinité. Celle-ci se trouve même accentuée 
dans cette espèce par différentes particularités, le bâtonnet s’effi- 
lant dans sa portion initiale, tandis que sa région supérieure 
offre généralemerit des dilatations analogues à celles que j'ai eu 


(1) Fig. 45-48. 

@) Fig. 45 4, 46 à, 47 à, 8 à. IS offfeñt mème un miroitement analogue 

à celui que présentent, à l’état vivant, lés yeux dés Pecten. 
ARTICLE N° 1 


BATONNET® OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 91 
l’occasion de signaler chez plusieurs Crustacés et que divers 
auteurs ont précédemment indiquées chez les Insectes (1). 


CONCLUSIONS. 


Si l’on cherche à résumer les principaux résultats consignés 
dans les chapitres précédents, on voit que le bâtonnet optique 
des Crustacés présente des caractères généraux qui demeurent 
constants dans l’ensemble de la classe, et des dispositions parti- 
culières ou d'importance variable, qui différent selon les types 
examinés. Ceci suffirait déjà à montrer le danger de la méthode 
trop souvent suivie, et suivant laquelle l’observation de quel- 
ques Insectes pourrait fournir des résultats capables d’être 
étendus tout de suite à l’universalité des Arthropodes. 

Limité extérieurement par la « cornée », confinant imtérieu- 
rement au ganglion du nerf optique, le bätonnet nous a pré- 
senté deux parties bien distinctes et dont les caractères, ainsi 
que la valeur, diffèrent notablement : lune, interne et plus 
ou moins grêle, mérite de recevoir plus spécialement le nom 
de bätonnet; l’autre, externe, courte, renflée, mais de forme 
variable, est le cône. 

Ïl est inuule de rappeler ier les caractères généraux de ce der- 
ter, et la signification de la ligne centrale dans laquelle on a 
voulu voir Panalogue du filament de Ritter; mais pour ce qui 
regarde le bâtonnet, j'insiste particulièrement sur la valeur 
qu'il convient d’aitribuer à ses stries transversales, lesquelles 
n'indiquent nullement une tunique contractile, mais sont pro- 
pres au bâtonnet qui peut être séparé en un certain nombre de 
disques ainsi délimités. Cette disposition établit une étroite 
parenté entre le bâtonnet optique des Articulés et le bâtonnet 
des Vertébrés (2). 

Telle est, en résumé, la structure du bâtonnet considéré dans 


(1) Straus-Durckheim, loc. cit. — Gegenbaur, loc. cit. — Leuckart, Loc. cit: 
(in Handbuch von Graefe und Sæmisch, t. I, 1875). 

(2) On sait comment les recherches de Boll (Monatsbericht, 1876 et 1877) 
sont venues récemment confirmer nies propres obsérvations: 


92 3. CHATIN. 

la généralité de la classe; si l’on se reporte aux divers types 
étudiés, on pourra aisément reconstituer les principales formes 
qu'il y présente. Chez les Astacus, les Squillu, les Pagurus, 
Eupagqurus et Paguristes, on rencontre des bâtonnets dont la 
conslitution est réellement supérieure, comme le montrent plu- 
sieurs détails. Les Cypridine offrent des dispositions analogues, 
mais semblent tendre pourtant vers une prochaine simplifi- 
cation histologique ; celle-ci accentue surtout chez les Typton, 
et plus nettement encore dans les Lysianassa, dont le bàtonnet 
n'offre pas de stries transversales et dont les cellules de Semper 
ne sont plus représentées, dès une période peu avancée du dé- 
veloppement, que par une tache sombre. 

Les Notopterophorus, les Caprellu, ne diffèrent guère des types 
étudiés en dernier lieu, mais on ne saurait en dire autant des 
Epimeria, chez lesquels ia dégradation organique s’accentue 
dans des proportions considérables, et conduit à des formes 
extrèmement simples qui, chez les Lichomolqus, deviennent 
encore plus rudimentaires. 

Cette rapide esquisse rappelle comment létude des Crusta- 
cés nous a progressivement conduit à des éléments bacillaires 
de plus en plus simples. Or, et sans vouloir entrer ici dans la dis- 
cussion des théories auxquelles je fais allusion, on connait le 
rôle considérable que plusieurs zoologistes contemporains ac- 
cordentà la série actuelle et trop hétérogène des Vers, dont l’en- 
semble constituerait une sorte de « groupe de départ » lié par 
une étroite parenté aux autres embranchements. Cette opinion 
paraît tout particulièrement défendable, lorsqu'on examine 
l'organe visuel, qui peut revêtir, dans ces espèces, des formes 
bien distinctes, et dont certames rappellent les yeux des Mol- 
lusques ou des Vertébrés, tandis que d’autres sont comparables 
aux points oculformes des animaux inférieurs. Ces considé- 
rations m'ont naturellement porté à rechercher si dans ce groupe 
des Vers 1l ne se rencontrerait pas quelques types possédant 
des bâtonnets analogues à ceux des Crustacés. 

On connait les résultats qui sont venus justifier cette hypo- 


thèse. Chez les Vermilia, nous avons rencontré des veux tout- 
ARTICLE N° f. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 39 


à fait comparables à ceux des Lichomolqus etse réduisant à deux 
éléments tellement semblables aux bâtonnets des Crustacés, 
qu’on ne saurait leur refuser le même nom. Chez les Protula, 
les Psygmobranchus, etc., un seul de ces corps suffit à consti- 
tuer l'organe, tandis que l'étude des Dasychone rappelle une 
forme plus élevée, celle des Epimeria, par exemple. 

Souvent chez les Crustacés, ainsi que je lai mentionné à 
propos des Lichomolqus, etc., les bâtonnets peuvent naître 
d’une base pigmentifère commune. Or, qu'est-ce qu’une sem- 
blable disposition, simon l’exacte représentation de ce qui nous 
est offert par différents Vers (Protula intestinum, Vermilia cla- 
vigera, etc.). Les analogies vont se multipliant de la sorte, à 
mesure qu'on avance dans cette étude, et démontrent ainsi, 
avec la dernière évidence, l’étroite relation qui existe entre les 
éléments optiques de ces divers animaux. 


Tels sont les principaux résultats de mes recherches ; celles- 
ei ne sauraient être d’ailleurs regardées comme formant une 
histoire complète du bâtonnet optique, à l'étude duquel je me 
suis seulement efforcé d'apporter quelques faits nouveaux. 
J'espère pouvoir les compléter bientôt par une nouvelle série 
d'observations et d'expériences instituées en vue d'étudier le 
développement du bâtonnet, et de déterminer quels caractères 
et quelles relations il peut présenter dans les différentes formes 
oculaires. 


EXPLICATION DES FIGURES. 
Fig. 1-4. Astacus fluviatilis, Latr. 
. Bâtonnet entouré de sa gaîne pigmentaire : 4, cône. 
2. Bâtonnet privé de sa gaîne pigmentaire et du cône; il se présente avec 
sa coloration propre et ses stries transversales. 
3. Le même se décomposant en disques superposés. 
4. Bâtonnet traité par l’acide hyperosmique. 


de 
_— 


Fig. 5. Homarus vulgaris, Edw.— Fragment du bâtonnet se séparant en disques. 


Fig. 6-9. Squilla Desmarestii, Risso. 
ANN. SC. NAT., JANVIER 1878. VII. 3. — ART. N° 1. 


34 : J. CHATIN. 


6. Segment de l’œil : a, zone extérieure ou anhiste de la cornée ; b, zone 
interne ou lamellaire de la cornée ; c, cônes ; d, la masse des bâtonnets 
entourés de pigment. 

7. Un bâtonnet : &, cône : b, le bâtonnet proprement dit, avec sa colora- 
tion propre et ses stries; €, gaîne pigmentaire du bâtonnet. 

8 a et 8 b. Cône (formes très-fréquentes). 

9. Cône (forme rare). 

Hg. 10-13. Galatea strigosa. 

10. Ensemble d’un bâtonnet : à, cellules de Semper ; b, cône ; €, bâtonnet 
proprement dit coloré en brun par le pigment. 

11. Bâtonnet plus grossi et débarrassé de sa gaîne pigmentaire pour mon- 
trer ses stries transversales ; mêmes let(res qu’à la figure 10. 

12. Un cône avec les cellules de Semper et la portion adjacente du bâtonnet ; 
la ligne intersectionnelle n’est visible que dans sa portion inférieure, et 
pourrait ainsi faire admettre l'existence d’un filament central. Mêmes 
lettres qu'aux figures 10 et 11. 

13. Portion supérieure d’un bâtonnet présentant les laciniations qui montent 
sur les bords du cône (ce dernier a été enlevé). 


Fig. 14. Eupagurus Prideauxii, Leach. — Ensemble d’un bätonnet : 4, cellules 
de Semper ; b, cône; c, bâtonnet. 


Fig. 15-16. Pagurus striatus, Latr. 
15. Quatre cônes (a) avec les bâtonnets (b) qui leur font suite et se séparent 
supérieurement en fibres ou laciniations. 
16 a, 16 b. Cellules de Semper. 


Fig. 17 a. Paguristes maculatus, Hell. — Bâtonnet entouré de pigment. 

Fig. 17 b. Paguristes maculatus. — Détails du bâtonnet :.a, cône ; b, bâtonnet 
proprement dit (il est strié transversalement) ; c, sa gaîne pigmentaire. 

Fig. 17 c. Id.—Bâtonnets vus par leur face supérieure et montrant les noyaux 
de Semper. 


Fig. 17 d. Un de ces bâtonnets plus amplifié. 


Fig. 18-19. Apus cancriformis, Schäff. 

18. Bâtonnet (b) renflé supérieurement et supportant un cône (a) dans 
lequel on aperçoit nettement la ligne d’intersection des pièces consti- 
tuantes. 

19. Un cône isolé et montrant ses quatre pièces constituantes. 

Fig. 19 b. Eurynome aspera, Leach. — Bâtonnet et cône. 
Fig. 20-22. Cypridina messinensis, Claus. 

20. Un bâtonnet enveloppé de sa gaîne pigmentaire : &, cône ; b, bâtonnet 
proprement dit. 

21. Différentes parties du bâtonnet : a, cône; b, bâtonnet proprement dit ; 
C, Sa gaîne pigmentaire. 

22. Cône vu par sa face supérieure et montrant, en son milieu, une ligne 
intersectionnelle ; la gaine pigmentaire l'entoure extérieurement. 


= 
VE 


9. Typton spongicola, Costa. —- Bâtonnet et cône. 
ARTICLE N° f. 


BATONNET OPTIQUE DES CRUSTACÉS ET DES VERS. 04 


Fig. 24. Lysianassa spinicornis, Costa.— a, cône dans lequel se voit une sem- 
blable disposition ; b, bâtonnet entouré de sa gaine pigmentaire et montrant, 
en son milieu, une ligne qui ne saurait être regardée comme un filament 
rittérien, mais indique seulement le plan suivant lequel se sont réunies les 
pièces constituantes. 


Fig. 24 b. Cône du bâtonnet précédent, isolé. 


Fig. 25-26. IsϾa nicea. 

25. a, cône ; b, bâtonnet proprement dit, coloré en brun par un abondant 
pigment. 

26. Un bâtonnet débarrassé du pigment : à première vue, on pourrait être 
tenté d’y reconnaître un filament central s’épanouissant en un large ren- 
flement, tandis que c’est simplement une des pièces originairement 
distinctes, puis réunies pour former le bâtonnet, qui, se présentant ici de 
face, produit cette apparence. 


Fig. 27 a. Notopterophorus elongatus. — a, le cône ; le bâtonnet (b) entouré de 
sa gaine pigmentaire (c), montre en son centre une ligne qui s’explique par 
la même considération et ne saurait être décrite comme un filament de Ritter. 


Fig. 27 b. Cône du bâtonnet précédent, isolé. 


Fig. 28-29. Caprella acanthifera, Leach. 
28. Vue générale de l’œil : c, les cônes émergeant de l’épaisse masse pig- 
mentaire qui enveloppe les bâtonnets. 
29. Ensemble d’un bâtonnet : a, cône; b, bâtonnet proprement dit; c, gaîne 
pigmentaire. 


Fig. 30-34. Epimeria, nov. sp., Gatta. 
90. Segment de l’œil montrant les cônes (a) plongés dans le pigment qui 
entoure les bâtonnets. 
91, 32, 99. Divers types de bâtonnets : a, le cône; b, le bätonnet pro- 
prement dit. 
34. Un cône isolé. 
Fig. 35. Lichomolqus elongatus, Buch. — Les deux cônes (a) entourés par le 
pigment jaunâtre des bâtonnets. 


Fig. 36-38. Psygmobranchus protensus, Phil. 
36. Bâtonnet (forme ordinaire) : a, cône; b, bâtonnet proprement dit, à 
pigment rouge orange. 
31. Bâtonnet (forme rare) : mêmes lettres qu’à la figure 36. 
38. Un cône isolé. 


Fig. 39. Protula intestinum, Lamk. — Les deux cônes (a) y sont portés par 
deux bâtonnets (b) confondus par leurs gaînes pigmentaires dans la presque 
totalité de leur étendue. 


Fig. 40-42. Dasychone Bombyx, Dal. 
40. Les cônes réfringents (a) enveloppés dans la masse pigmentaire. 
41. Les mêmes, en partie dégagés de la masse pigmentaire. 
42. Un bâtonnet isolé : a, cône ; b, bâtonnet proprement dit. 


36 J. CHATIN. 


Fig. 43-44. Dasychone lucullana, Della Chiaje. 
43. L’œil avec ses cônes réfringents (a) plongés dans le pigment baallaire. 
44. Un bâtonnet isolé : 4, cône ; b, bâtonnet vrai. 


Fig. 45-48. Vermilia clavigera, Phil. 
45, 46. Bâtonnets simples : à, cône ; b, bâtonnet vrai. 
47, 48. Bâtonnets doubles : mêmes lettres qu'aux figures 45 et 46. 


ARTICLE N° i. ; 


OBSERVATIONS 


SUR 


LE NOTOMMATE DE WERNECK 


ET SUR 


SON PARASITISME DANS LES TUBES DES VAUCHÉRIES 


Par M. BALBIANI. 


HISTORIQUE. 


Dans le discours préliminaire de sa belle Histoire des Con- 
ferves d’eau douce, après avoir déerit les excroissances en forme 
de cornes ou de tubercules qui naissent sur le côté des fila- 
ments des Ectospermes (Vauchéries) et constituent les organes 
de reproduction mâles et femelles de ces Algues unicellulaires, 
Vaucher ajoute : « I ne faut pas confondre les cornes ou les 
renflements dont nous parlons avec un autre corpuscule que 
l’on rencontre assez fréquemment sur les Ectospermes et dont 
l'usage nous a longtemps été inconnu. [Il diffère des graines 
proprement dites non-seulement parce qu'il est beaucoup plus 
gros, Mais encore parce que sa forme est variée, soit dans la 
mème plante, soit surtout dans les espèces différentes; mais, 
quelle que soit cette forme, 1l porte toujours dans son intérieur 
un point noir arrondi, qui quelquefois m'a paru double. Ce 
grain noir, que J'avais d’abord cru appartenir à la fructification, 
ne m'avait ensuite fourni aucun développement. Cependant, 
en continuant d'observer, j’aperçus enfin ce point noir se mou- 
vant en tout sens dans l’intérieur du grain, et, après l'avoir 
dégagé de sa demeure, je le reconnus pour l’Insecte auquel 

ANN. SC. NAT. — ART. N° 2. 


2 | BALBRIANT. 

Müller donne le nom de Cyclops lupula. Apparemment qu'il 
dépose ses œufs sur le tube de la Conferve, et que sa piqüre 
y fait naître un développement semblable à ceux qu'on observe 
sur les végétaux et auxquels on donne le nom de bédégar ou 
de galle. L’Insecte n’en sort naturellement qu'après avoir con- 
sumé toute la matière contenue dans l'enveloppe, qui alors 
ressemble assez bien à une gaze. Cette excroissance singulière, 
qui se trouve sur la plupart des espèces de ce genre, lui est 
particulière, et les autres familles ne m'ont rien offert de sem- 
blable (1). » 

Plus loin, à la description de l’Ectosperme à bouquet (Vau- 
cheria racemosa), Vaucher dit : € On remarque principalement 
sur cette espèce un grand nombre de ces gros grains qui portent 
un point noir à leur intérieur (2) ». Enfin, 1l revient encore sur 
ces productions à propos de l’Ectosperme à appendices (V. ap- 
pendiculata), qu'il rencontra dans les eaux des salines de Lons- 
le-Saulnier. Dans l’explication de ses figures, Vaucher désigne 
partout ces grains sous le nom de « galles ou excroissances 
habitées par le Cyclops lupula ». 

Après Vaucher, le botaniste danois Lyngbye aperçut des 
excroissances semblables sur le Vaucheria dichotoma, mais il 
ne vit pas le parasite à leur imtérieur (3). 

C'est également sur le V. dichotoma que les renflements 
parasitiques furent observés, en 1827, par Unger, professeur 
de botanique à Vienne. Il les décrit et les figure assez exacte- 
ment, vus à un faible grossissement, et représente par un pomt 
noir lhabitant de l’intérieur de la poche (4). Au bout de quel- 
ques jours, celle«1 perdit peu à peu sa couleur verte et l’'animal- 
cule mourut dans son intérieur ; bientôt après il se détruisit, en 
même temps que les autres parties de la Conferve. Unger re- 
marque que les formes décrites par Roth (5) sous le nom de 

(1) Vaucher, Histoire des Conferves d’eau douce, 1803, p. 18. 

(2) Op. cit., p. 32. 

(3) Lyngbye, Tentamen hydrophytologiæ danicæ, 1819, p. 82. 

(4) Unger, Die Metamorphose der Ectosperma clavata, Vauch., Bonn, 1827, 
et Ann. des sc. nat., 1898, t. XIII, p. 498, pl. 16, fig. 8-12. 


(5) Roth, Catalecta botanica, fase. I, p. 194, et fase. IT, p. 183 et 184. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 3 
Conferva dilatata var. clavata Rih, et C. dilatata var. bursata 
Rth, ne sont autre chose que l£ctosperma clavata attaqué par 
le mème parasite. 

En 1833, Wimmer, secrétaire de la Société nationale de 
Silésie (4), montra à celle-ci des animalcules renfermés dans 
desexcroissances d’une Vauchérie d'espèce indéterminée trouvée 
en septembre à Gräbschen, près de Breslau. Les mouvements 
de l’animaleule étaient déjà bien visibles à la loupe; près de 
lui se trouvaient quelques corps elliptiques plus petits et immo- 
biles. En divisant les capsules, Wimmer en vit sortir l’ani- 
malcule, mais il ne réussit pas à en reconnaitre la nature et se 
contenta de le désigner sous le nom d’Entozoaire. Le docteur 
Valentin, qui en entreprit l'étude microscopique, ne fut pas 
plus heureux ; 1l reconnut seulement que les petits corps im- 
mobiles qui se trouvaient avec le parasite dans l’intérieur des 
capsules étaient des œufs dont le contenu présentait un 
mouvement de rotation bien manifeste. Wimmer rappelle, à 
cette occasion, observation faite autrefois par Vaucher sur ces 
mêmes Conferves, et partage l’opinion de son devancier sur la 
nature de leurs excroissances, qu'il assimile aux galles des 
végétaux SUpÉrIeUrs. 

Au prmtemps de 1854, le docteur Werneck (de Salzbourg) 
reçut, du professeur Unger, des filaments du Vaucheria cespi- 
tosa recueillis à Kitzbühel, dans le Tyrol, et qui portaient des 
excroissances renfermant des animalcules. Werneck étudia 
ceux-c1 avec soin, et en exécuta un dessin assez parfait pour 
permettre à Ehrenberg, auquel il le communiqua, de recon- 
naître non-seulement la classe, mais encore le genre, et même 
certains caractères spécifiques du parasite, dont la véritable 
nature fut ainsi révélée pour la première fois depuis l’époque 
où Vaucher en avait fait connaître l’existence dans les tubes 
des Ectospermes. Ehrenberg reconnut que ce parasite n’était 
autre qu'un Rotateur de son genre Notommata, et lui attribua 
le nom spécifique de N. Werneckü, en l'honneur de lobser- 


(1) Uebersicht der Arbeiten der schles. Ges. für vaterl. Cullur, 1833 (1834) 
Da w(iLe 


À | BALBIANE. 
vateur qui avait permis de lui assigner définitivement sa position 
dans le cadre zoologique. Ehrenberg donna de cette espèce 
une courte description qui put être encore publiée dans la troi- 
sième partie, alors sous presse (1834), de son Organisation in 
der Richtung des kleinsten Raumes (1). 

Quelques années plus tard, en 1836, Ehrenberg, ainsi qu'il 
nous l’apprend dans son grand ouvrage sur les Infusoires (2), 
eut l’occasion d'observer lui-même les excroissances parasi- 
tiques sur des exemplaires de V. dichotoma et racemosa, qui lui 
avaient été envoyés de Zerbst par la duchesse d’Anhalt-Dessau ; 
malheureusement les capsules ne contenaient que des œufs. 
Ceux-ci, au nombre de 20 à 30 dans quelques capsules, ren- 
fermaient un embryon bien développé, parfois mobile. Les 
œufs moururent successivement avant d’éclore; néanmoins 
Ehrenberg réussit, par la rupture de la coque, à faire sortir 
l'embryon, dont il reconnut plusieurs caractères, entre autres 
l'œil placé à la nuque et les mâchoires à une seule dent. On 
ne peut que regretter qu'à défaut de figure origmale, Ehrenberg 
wait pas du moins publié celle de Werneck, qui lui avait servi 
de guide pour sa description. 

Quoique, par ses travaux célèbres, Ehrenberg eût appelé à la 
fois l’intérêt des zoologistes et des botamistes sur le Nofommata 
Wernecku et les curieuses altérations qu'il détermine sur les 
Vauchéries, nous ne trouvons, pendant la longue période de 
près de quarante ans écoulés depuis cette époque, qu'un petit 
nombre de renseignements relatifs au sujet qui nous occupe. 
En 1839, le naturaliste belge Morren retrouva les excroissances 
en massue sur ie Vaucheria clavata, où elles avaient été obser- 
vées dix ans auparavant par Unger. El vit, dans leur intérieur, 
le parasite et ses œufs, assista à l’éclosion de ces derniers, mais 
ne constala point la sortie des jeunes hors des kystes para- 
sitiques, Après avoir ouvert un de ceux-ci, Morren vit l’animal- 


(1) Ehrenberg, Yrganisation in der Richtung des kleinsten Raumes, dritter 
Beitrag, 1834, p. 72. 
(2) Ehrenberg, Die Infusionsthierchen als vollkonmene Organismen, 1838, 
p. 429. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 5 


cule, au lieu d'en sortir, s’enfoncer plus profondément, péné- 
trer dans le tube de la plante, et se nicher au milieu d’une 
masse de matière verte. N'ayant réussi à constater aucune so- 
lution de continuité n1 dans les tubes, n1 dans les massues, il 
se demande comment les animalcules s’y prennent pour y pé- 
nétrer. Quant à la nature du parasite, Morren, qui ne parait 
pas avoir eu connaissance des travaux alors récents d'Ehren- 
berg, le prend pour le Rotifer vulgaris, et pense que c’est éga- 
lement à cette espèce que Unger avait affaire dans ses observa- 
tions sur le Vaucheria clavata (À). 

Dans son rapport de 1840 sur les travaux de botanique phy- 
siologique publiés l’année précédente, Meyen, conduit à parler 
de ces faits de parasitisme dans une Algue, trouve non moins 
inexplicable que Morren lintroduction des animaleules dans 
les tubes de la plante, et constate la lacune existant à cet égard 
chez tous les observateurs (2). 

C’est encore à un botaniste, feu le professeur Hofmeister, 
que nous devons le renseignement suivant, malheureusement 
trop sommaire, relatifa une observation faite par lui en commun 
avec un savant qui a publié, sur les Rotateurs, des travaux 
importants que j'aurai fréquemment l’occasion de citer dans la 
suite de ce mémoire, M. le professeur Cohn (de Breslau). Hof- 
meister raconte qu'en 1853, Cohn et lui observèrent les fila- 
ments d’un Vaucheria qui avait poussé de courtes branches 
latérales en forme de massue, et dont chacune logeait un Rota- 
teur qui agitait vivement ses cils vibratiles. Hofmeister suppose 
que les animalcules avaient pu pénétrer dans les tubes du 
Vaucheria en perçant la membrane de cellulose, sans aucun 
dommage pour la plante, qui continuait à végéter parfaite- 
ment (3). 

Enfin, pour clore la liste des renseignements que j'ai pu re- 


(1) Morren, De l'existence des Infusoires dans les plantes (Bull. de l'Acad. 
de Bruxelles, 1839, t. VI, p. 298). 

(2) Wiegmann’s Archiv für Naturgesch., 1840, t. IT, p. 79. 

(3) Handbuch der physiol. Botanik, X. Band, Die Lehre von der Pflanzen- 
Zelle von Wilh. Hofmeister, 1869, p. 77. 


6 BALBIANI. 

cueillir sur le sujet qui nous intéresse, il ne me reste plus qu'à 
mentionner une communication faite par le docteur Magnus 
à l'Association botanique de la province de Brandebourg, dans 
sa séance du 25 août 1876 (1). La plante observée était le Vau- 
cheria geminata, dont les filaments furent trouvés flottants 
dans l’eau d’un des étangs du parc (Thiergarten) de Berlin. Ces 
filaments portaient des galles nombreuses presque toujours 
placées latéralement; rarement elles occupaient une position 
terminale. Dans chaque galle se trouvait une femelle du No- 
iommata Werneckii entourée d'œufs arrivés à tous les états de 
développement, et de jeunes éclos dont la forme différait beau- 
coup de celle de la mère. Les galles elles-mêmes étaient con- 
stituées par des excroissances des filaments qui allaient en 
s’élargissant un peu de la base au sommet et présentaient, pour 
la plupart, deux expansions en forme de cornes, plus rarement 
une seule, d’autres fois trois et même quatre. Chez quelques 
salles âgées et vides, une ou plusieurs de ces cornes étaient 
perforées au sommet, ce qui fait supposer à Magnus que les 
jeunes s’échappent par ces extrémités ouvertes, tandis que la 
mère reste à l’intérieur de la galle, où elle meurt bientôt épuisée 
par ses pontes nombreuses. Quant à la manière dont les ani- 
malcules s’introduisent dans les tubes de la plante, la façon 
dont ils provoquent la formation de nouvelles galles, Pétat 
dans lequel ils hivernent, ce sont autant de points qu'il laisse 
aux observateurs futurs le soin de décider. 

Nous avons parlé plus haut de l'erreur de Roth, qui a décrit 
comme une espèce nouvelle, présentant deux variétés, des exem- 
plaires du Vaucheria clavata garnis de vésicules parasitiques. 
Magnus relève une méprise du même genre commise par 
Kützmg. Dans ses Tabulæ phycologicæ, Kützing décrit et figure, 
sous le nom de Vaucheria sacculifera, une espèce qui n’est 
autre que le V. geminata, dont les filaments portent des galles 
parasitiques. Mais ce qu'il y a de plus curieux, c’est qu’une des 
figures de Kützing montre, dans une dilatation sacciforme de 


(1) Verhandlungen des botanischen Vereins der Provinz Brandenburg. 
Achtzehnter Jahrgang, 1876, p. 195. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 7 
l'extrémité d’un tube, des corps ronds qu’il regarde comme des 
zoospores, et qui ne sont autre chose que les œufs du N. Wer- 
nechkii (4). 

Si nous récapitulons les faits consignés dans cette revue 
historique des observations faites depuis Vaucher, au commen- 
cement de ce siècle, sur le parasitisme du N. Wernecki dans 
les Vauchéries, nous voyons que nos connaissances se réduisent, 
en définitive, à peu de chose. En dehors du fait essentiel de la 
détermination spécifique du parasite, que nous devons à Ehren- 
berg, nous ignorons presque complétement ses mœurs, son mode 
de reproduction, les détails de son organisation. La raison de 
cette ignorance est d’ailleurs facile à indiquer. Gomme on devait 
s’y attendre, ce sont presque toujours des botanistes qui ont eu 
l’occasion d'observer le N. Werneckü, et naturellement ils se 
sont plus préoccupés de la plante que de son parasite. Mais, 
même au point de vue purement botanique, la question pré- 
sente encore des obscurités. Les altérations produites sur les 
tubes des Vaucheria par l’action du parasite n’ont été l’objet 
d'aucune étude approfondie de la part des savants éminents 
dont nous avons rapporté les observations. Ils se sont con- 
tentés de les assimiler vaguement aux galles produites par les 
Insectes sur les végétaux supérieurs, sans chercher à démontrer 
cette analogie par des preuves tirées de l’étude anatomique et 
du mode de formation de ces productions. 


J'arrive maintenant aux observations qui me sont person- 
nelles, et dont l’occasion m'a été obligeamment offerte par 
M. Maxime Cornu, bien connu par d'importants travaux sur 
les plantes cryptogames. 

Dans les premiers jours d'avril 1874, M. Cornu recueillit, 
dans l’eau d’un fossé, aux environs de Bordeaux, une assez 
grande quantité de filaments du V. ferrestris, sur lesquels il 
observa de nombreux renflements renfermant un animalcule 
qu'il reconnut très-bien pour un Rotateur. Il constata aussi 


(1) Kützing, Tabulæ phycologice, t. VE, p. 292, p., 63, fig. 3. 


) BALBIANT. 

dans ces poches des œufs avec un embryon parlois mobile et 
muni d’un œil rouge. M. Cornu ayant bien voulu m'envoyer sa 
trouvaille, je vis que j'avais affaire au Nofommata Wernecki 
d'Ehrenberg, et je saisis avec empressement l’occasion qui se 
présentait à moi d'étudier ce curieux Rotateur, encore si rare- 
ment observé et si mal connu au point de vue de son organi- 
sation et de ses rapports avec la plante à laquelle le rattache sa 
vie parasitique. 


Il 


ORGANISATION DU Notommata Werneckii. 


En examinant à l'œil nu, et mieux à la loupe, les tubes du 
Vaucheria terrestris, on distinguait sur la plupart d’entre eux 
deux sortes d’excroissances placées sur le côté des filaments. 
Les unes étaient facilement reconnaissables à leur forme carac- 
téristique chez toutes les plantes de ce groupe pour les organes 
de la reproduction (pl. 00, fig. 4, 0, o, fig. 14). Les autres pré- 
sentaient un aspect plus insolite. Beaucoup-plus volumineuses 
et en aussi grand nombre que les précédentes, elles repré- 
sentaient des sortes de poches ou de capsules allongées qui 
avaient généralement la forme d’une massue s’élevant presque 
perpendiculairement sur le filament principal et présentant la 
même couleur verte que celui-ci (fig. 1, €, e) (1). Me proposant 
de revenir avec détail sur ces productions lorsque je m’occu- 
perai de leur mode de formation, je n’en dirai rien de plus pour 
le moment, sinon qu’au centre de presque toutes les capsules 
on distinguait le point noir signalé d’abord par Vaucher et 
aperçu aussi par la plupart de ses successeurs. Ce point noir 
indique la présence du parasite; nous verrons tout à l’heure 
par quoi 1l est constitué. Décrivons d’abord l'habitant de la 
poche, qu'il est facile d'isoler et d'observer en liberté après 
avoir incisé transversalement le réceptacle qui le contient. 

À la première poche que j’ouvris de la sorte, je vis se dégager 

(1) Wimmer les compare, d'une manière assez exacte, aux capsules des 


Mousses.du genre Barbula. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 9 
peu à peu de la matière verte un être dont j’eus d’abord quelque 
peme à reconnaître la véritable nature. C'était un corps noi- 
râtre, d’une extrème mollesse, en proie à des contractions con- 
tinuelles qui en modifiaient à chaque instant la forme. On eùt 
dit une petite Planaire microscopique noire, ramassée sur elle- 
même, et, ce qui ajoutait encore à la ressemblance, je n°v 
distinguai d’abord aucun organe, pas même une extrémité an- 
térieure ou postérieure. Lorsque ce corps se fut complétement 
dégagé de la chlorophylle qui l’entourait dans l’intérieur de la 
poche, je pus l’examiner plus à loisir et avec plus d'attention. 
À son centre se voyait une large tache arrondie, mal délimitée 
sur ses bords, noire etopaque à la lumière transmise (fig. 9,7). 
Composée uniquement de fines granulations d’un brun violet 
foncé, cette tache représentait, comme je le reconnus plus tard, 
le contenu du tube digestif : c’est le point noir observé par 
Vaucher à l’intérieur des capsules des Ectospermes. Cette 
tache centrale noire était entourée d’un cercle de globules in- 
colores et réfringents, inégaux, ayant tous les caractères de 
gouttelettes graisseuses (fig. 9, gr). Nous verrons plus loin 
quelle en est l’origine. Enfin, plus en dehors, et formant la 
couche périphérique de l’animal, existait une large zone gra- 
nuleuse grisâtre, dont le contour onduleux se modifiait à cha- 
cune des contractions du corps. Gette couche corticale qui, vue 
à la loupe, paraissait homogène, se montrait, sous le micro- 
scope, composée de nombreux corps elliptiques, très-mous, se 
comprimant mutuellement, qu'il était facile de reconnaitre 
pour des œufs arrivés presque à maturité (fig. 9, 0). Ces œufs 
paraissaient libres dans la cavité du corps et placés immédiate- 
ment sous l'enveloppe externe, formée d’une mince cuticule 
transparente, laquelle, en s’enfonçant dans leurs intervalles, 
déterminait l'apparence mamelonnée de la surface extérieure 
de l’animal. 

En même temps que ces divers détails devenaient graduelle- 
ment perceplbles, mais sans m'éclairer cependant encore sur 
la classe à laquelle appartenait cet être singulier, on voyait par 
moments apparaître, sur deux points opposés du corps, deux 


10 | BALBIANI. 

courts prolongements qui alternativement faisaient saillie au 
dehors ou rentraient dans la masse générale. L'un de ces pro- 
longements portait antérieurement des cils vibratiles, l’autre 
se terminait par une petite queue à deux pointes triangulaires 
(fig. 9). Ces derniers caractères décelaient un animal de la 
classe des Rotateurs ; enfin, le point oculaire rouge (1) et sa 
rencontre dans les tubes d'un Vaucheria m'apprirent que j'avais 
affaire au Nofommata Wernechii d'Ehrenberg. 

La description sommaire que je viens de présenter s'applique 
à l’animal âgé et se disposant à pondre. À cette phase de son 
existence, le corps a subi une déformation prononcée : il s’est 
transformé en une sorte de poche pleine d'œufs plus ou moins 
mürs, et les organes internes eux-mêmes ont éprouvé des mo- 
difications qui les rendent presque méconnaissables. Pour nous 
former une idée exacte de son organisation, il convient d’étu- 
dier des animalcules adultes, mais dont l'ovaire ne renferme 
pas encore d'œufs mûrs. De pareils individus n'étaient pas 
rares dans les capsules du V. ferrestris, d'où je les extrayais 
par le procédé indiqué plus haut pour pouvoir les examiner 
ensuite. 

Le Notommata Wernechii n’est pas du nombre des Rotateurs 
de grande taille. Sa longueur n'excède pas 0,30 dans l’état 
d'extension complète ; 1l est loin, par conséquent, de pouvoir 
se mesurer avec quelques autres espèces, telles que les N. cen- 
lrura, copeus, etc., qui atteignent jusqu'à 0"",795 de long. 
Dans l’état d’allongement, le corps est fusiforme, mais la por- 
tion renflée est plus rapprochée de l’extrémité antérieure que 
de l’extrémité postérieure, et celle-ci plus amincie que la pre- 
mière. [l est plus ou moins distinctement divisé, suivant l’âge 
des individus, en sept segments formés par des plis transversaux 
de la cuticule et susceptibles de rentrer les uns dans les autres 
pendant la contraction (fig. 2). Le segment antérieur ou cé- 
phalique est le plus long de tous, puis viennent les trois seg- 
ments, à peu près égaux, qui forment la portion renflée ou 

(1) Cest probablement cet œil rouge unique qui avait fait prendre à Vaucher 


notre parasite pour le Cyclops lupula d’0. Fr. Müller. 
ARTICLE N° 2» 


NOTOMMATE DE WERNECK. 11 
moyenne du corps, et enfin ceux de l'extrémité postérieure, au 
nombre de trois également, et d'autant plus courts qu’ils sont 
plus reculés. Le dernier segment se termine, comme chez tous 
les véritables Notommates à corps allongé et tubulaire (1), par 
un pied fourchu, ou queue formée de deux petites pointes 
triangulares, courtes et étroites, pouvant se rapprocher ou 
s'écarter à volonté. Cette segmentation du corps, bien pro- 
noncée chez les mdividus jeunes, devient de moins en moins 
évidente avec l’âge, par suite de la distension que le corps 
éprouve à mesure que les œufs mürs s'accumulent dans son 
intérieur. [1 finit ainsi par se transformer en une sorte de sac 
arrondi d’où émergent deux petits prolongements formés par la 
tête et la queue, comme nous l'avons vu plus haut (fig. 9). Le 
tégument ne présente aucune trace de plis longitudinaux, si 
marqués, par exemple, chez les N. collaris et tardigrada. 

Vu latéralement ou de profil, le corps paraît, dans sa partie 
antérieure, obliquement coupé en biseau aux dépens de la face 
ventrale. Il en résulte que la face dorsale se prolonge en avant 
sous la forme d’une lèvre saillante et protractile (fig. 3). De la 
racine de cette lèvre supérieure descend, de chaque côté, un 
repli du tégument externe garni de cils vibratiles sur son bord, 
et qui se réunit Inférieurement avec celui du côté opposé pour 
circonscrire l’ouverture généralement décrite sous le nom de 
bouche, mais qu'il est plus exact d’appeler orifice vestibulaire, 
car elle donne accès dans une cavité au fond de laquelle se 
trouve la véritable bouche et qui loge en outre l’organe rota- 
toire. J’assignerai à cette cavité le nom de vestibule buccul 
(a2; 6, 7, vb). 


(1) Composant seuls aujourd’hui le genre Notommata. Quant aux espèces 
à corps dilaté, sacciforme, dépourvues d’un intestin et d’un anus, à pied nul ou 
rudimentaire, qu'Ehrenberg comprenait aussi dans son genre Notommata, elles 
en ont été distraites avec raison par M. Ferd. Cobn, qui proposa d’en former le 
genre nouveau Asplanchna (Zeitschr. für wiss. Zool., 1858, L. IX, p. 284). Cette 
séparation est aujourd’hui consacrée dans les modernes traités de zoologie, où 
le genre Asplanchna est même devenu le type d’une nouvelle famille de 
Rotateurs, celle des Asplanchnides. (Voy. V. Carus et Gerstäcker, Handbuch 
der Zool., 1863, t. IL, p. 421 ; G. Claus, Grundzüge der Zool., 8° édit., 1876, 
p. 987.) 


19 | BALBIANI. 


La lèvre supérieure et les lèvres latérales, qui forment ainsi 
le contour de lorifice vestibulaire, sont molles et charnues et 
douées d’une merveilleuse contractilité. La lèvre supérieure 
surtout est d’une agilité surprenante ; elle ne reste pas un seul 
instant en repos et change constamment de forme. Tantôt elle 
s’allonge en une sorte de museau creusé inférieurement en 
gouttière, et dont l'extrémité, pointue ou échancrée, se relève 
ou s’abaisse alternativement (fig. 2-7, /); tantôt elle se retire 
en arrière et se cache entre les lèvres latérales. Celles-ci jouissent 
aussi d'une grande mobilité, s’étirent de mamière à allonger 
l'ouverture du vestibule ou se contractent pour la rétrécir plus 
ou moins. D’autres fois l’angle à concavité antérieure qu’elles 
forment par leur jonction à la face ventrale (fig. 6) est rem- 
placée par une languette simple ou bilobée qui s’avance comme 
une mentonmière (fig. 7) pour reprendre, l’instant d’après, sa 
première forme. Toutes ces contractions continuelles de l’extré- 
mité antérieure du corps sont évidemment des mouvements 
tactiles par lesquels les différents points des replis labiaux avec 
les cils vibratiles qui les garnissent sont successivement mis en 
contact avec les objets extérieurs. En parlant plus loi des 
mœurs de l’animal, nous verrons comment ses habitudes 
expliquent ces mouvements. 

Dans le vestibule buccal, au-dessous de la sullie formée par 
la lèvre supérieure, on remarque un organe impair et médian 
composé d’une partie antérieure élargie en forme de disque, 
sur laquelle s’'implantent de nombreux cils vibratiles assez 
longs et forts, et d’une portion pédoneulaire plus étroite qui se 
confond postérieurement avec les parois de la cavité vestibu- 
laire : c’est l’organe rotatoire (fig. 2-7, or). Appareil de loco- 
motion et organe du tact, il participe à l’excessive mobilité des 
parties environnantes. Tantôt largement saillant à travers l’ou- 
verture du vestibule, 1l fait vibrer au dehors ses cils déployés 
en un faisceau divergent (fig. 3, or), ou les promène à la sur- 
face des corps extérieurs comme pour les palper (fig. #, or). 
D’autres fois 1l se retire au fond de la cavité vestibulaire, cesse 


de vibrer, et rassemble ses cils en un faisceau serré (fig. 5). 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 13 

Ehrenberg, interprétant la figure de Werneck (1), décrit 
l'appareil rotatoire comme formé de trois lobes, suivant le type 
qu'il suppose exister chez tous ses Rotatoria polytrocha, où cet 
appareil serait formé d’un nombre variable de faisceaux ou de 
rangées de cils vibratiles constituant autant d'organes rotatoires 
indépendants. [l y a déjà longtemps que Leydig à critiqué cet 
appareil polytroque d’Ehrenberg dans le classique mémoire 
qu'il a consacré à l’étude de l’organisation générale des Rota- 
teurs (2). Suivant Leydig, les cils formeraient, chez tous ces 
animaux, une série non interrompue qui part d’un côté de la 
bouche pour se terminer du côté opposé, et nulle part, sauf 
peut-être chez quelques Floseulariens, on n’observe ces paquets 
ou ces rangées isolées de cils décrits et figurés par Ehrenberg. 
Nous n’examinerons pas 1c1 la question de savoir si, d’une ma- 
mère générale, Leydig a tort ou raison contre Ehrenberg, mais 
il est positif que, chez le Notommata Werneckii tout au moins, 
les cils forment bien, comme nous l’avons décrit plus haut, à la 
surface du disque rotatoire, un faisceau isolé, complétement 
indépendant des autres cils de cette région. 

Quant aux deux longues soies qu'Ehrenberg, toujours d’après 
Werneck, dit exister sur les côtés de la bouche, chez l'adulte, 
et qui manqueraient aux Jeunes, je n'ai Jamais rien observé de 
semblable, quel que füt l’âge des mdividus examinés. 

C’est seulement pendant le très-jeune âge que l’animal se 
sert de son appareil rotatoire pour sa progression dans le liquide 
ambiant. De bonne heure 1l abandonne la vie errante pour 
commencer son existence parasitique dans les tubes de Vau- 
cheria, et cet appareil cesse dès lors de lui être d'aucun secours 
pour sa locomotion au milieu du plasma dense qui remplit ces 
tubes. Ses déplacements ne s’exécutent alors qu’à l’aide des 
mouvements généraux dus aux contractions des muscles du 
corps. Il suffit, pour s’en convaincre, d'isoler le parasite dans 
l’eau ambiante après avoir divisé la capsule qui le renferme. 


(1) Voyez la partie historique. 
(2) Leydig, Ueber den Bau und die systematische Stellung der Räderthiere 
(Zeilschr. für wiss. Zool., 1855, t. VE, p. 68). 
ANN. SC. NAT., JANVIER 1878. VIL. 4. — ART. N° 2. 


14 BALBIANI. 


Devenu incapable de marcher ou de nager, il reste devant la 
poche ouverte et se livre sur place à des mouvements désor- 
donnés de tout le corps. À plus forte raison en est-il ainsi des 
individus âgés, gonflés et alourdis par leurs œufs, dont il a été 
question plus haut (1). 

Mais il en est tout autrement des jeunes Notommates dans la 
période libre de leur existence. Ceux-ci s’avancent avec rapidité 
dans l’eau en glissant d’un mouvement uniforme ou en arpen- 
tant, à la manière des Rotifères, c’est-à-dire en s'appuyant 
alternativement sur les deux extrémités opposées du corps. 
Parfois, se fixant par leur queue, ils s’allongent autant que pos- 
sible en décrivant un mouvement de rotation autour du point 
d'appui. On peut les observer souvent à l’état de liberté en 
égouttant sur le porte-objet quelques touffes de Vaucheria. 1] 
n’est pas rare non plus de les rencontrer se promenant dans 
l’intérieur des tubes vides de ces Algues ou s’ébattant parmi la 
matière verte qui les remplit. 

Les contractions si énergiques et si variées que l'animal peut 
faire exécuter à toutes les parties de son corps impliquent un 
développement prononcé du système musculaire; toutefois, 
soit à raison de sa petite taille ou de la grande transparence 
des muscles, j'ai réussi à apercevoir ceux-ci d’une manière trop 
imparfaite pour essayer de les décrire 1er. [ls m'ont paru former, 
comme chez les autres Rotateurs, deux systèmes de bandes 
longitudinales et transversales qui s’insèrent à la face interne 
des segments de la cuticule. 

Quant aux filaments déliés et ramifiés qui, chez un grand 
nombre d'animaux de cette classe, traversent dans différentes 
directions la cavité périviscérale et tiennent les organes internes 
comme suspendus dans cette cavité, je n’en ai aperçu aucune 
trace chez le N. Wernechüi, probablement pour les raisons Im- 
diquées plus haut. Les auteurs ne sont d’ailleurs pas d'accord 


(1) Wimmer (loc. cit.) a très-exactement décrit les mouvements de l’ani- 
malcule extrait de la poche et isolé dans l’eau, ses changements de forme con- 
tinuels dus à ses contractions incessantes, la disparition momentanée de la tête 
et de la queue sous la masse du corps, etc. 

ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 15 
sur la signification de ces filaments internes. Khrenberg les 
décrivait comme des vaisseaux; Leydig les regarde comme les 
fibres d’un système musculaire viscéral, tandis que Cohn laisse 
indécise la question de savoir si ce sont des filaments élastiques, 
des fibres contractiles, ou peut-être même des nerfs. 

Les organes digestifs se composent de la cavité buccale, 
du bulbe pharyneïen, des glandes salivaires, de l’œsophage, de 
l'estomac, des glandes gastriques et de l’intestin. 

Sur la ligne médiane du vestibule buccal, entre l'organe 
rotatoire et le bulbe pharyngien, mais plus rapproché de celui- 
ei que de celui-là, existe une fente longitudinale dont les bords 
sont d'ordinaire si exactement en contact, qu'il faut la plus 
grande attention pour la découvrir. Cette fente s’observe aussi 
chez les autres Notommates, où elle est même plus facile à 
apercevoir, surtout chez les espèces de grande taille. Elle re- 
présente proprement l'ouverture buccale (fig. 6, Lo). Son 
existence à passé complétement maperçue jusqu'ici de tous les 
observateurs, qui décrivent généralement comme la bouche, 
chez les Notommates, la cavité que nous avons désignée sous 
le nom de vestibule buccal. Lorsque le vestibule est plus ou 
moins fermé, la bouche est cachée par les lèvres qui le bordent 
et qui s'étendent comme un voile membraneux au devant de 
cette cavité (fig. 7, /) ; dans l’état d'ouverture, au contraire, la 
bouche est mise à découvert par la rétraction des lèvres du ves- 
tibule vers les parties latérale et postérieure (fig. 6, bo). Chez 
quelques grandes espèces de Notommates (N. centrura, tardi- 
grada, etc.) on peut reconnaître que la fente buccale conduit 
dans une petite cavité placée au devant du pharynx et qui 
représente la cavité de la bouche. À défaut de l'observation 
directe, que la petite taille de notre animal rend à peu près 
impossible, l’analogie nous autorise à admettre aussi chez lui 
l'existence de cette cavité. Je dois, du reste, faire iei cette 
remarque générale que tous ces détails de la région céphalique 
sont d’une observation fort délicate chez toutes les espèces 
de ce groupe, et n’ont été que très-imparfaitement décrits, 
mème par les plus récents observateurs. 


16 BALBIANE. 

Le bulbe pharyngien, où mastax des naturalistes anglais, est 
une masse arrondie, pâle et claire, en apparence homogène et 
sans trace des stries déterminées par les fibrilles musculaires, 
si visibles chez plusieurs autres Notommates (fig. 3, 6, 7, ph). 
Cette absence de striation, qui parait être l’imdice d’un fable 
développement des éléments contractiles, est en rapport avec 
l’état presque rudimentaire des mâchoires que les muscles 
pharyngiens sont destinés à mettre en mouvement. L'appareil 
masticateur renfermé dans le pharynx est loin, en effet, de pré- 
senter la complication que nous y observons chez la plupart des 
autres espèces du même genre. Si nous nous en rapportons 
à la figure de Dujardin, c’est avec celui du Nofommuata vermi- 
cularis de cet auteur qu'il présente le plus de ressemblance (1). 
Chaque mâchoire se compose de la petite branche latérale, 
à laquelle Dujardin a donné le nom de füt (scapus) (2), et celle- 
ci s'articule à son extrémité avec une petite tige horizontale 
coudée en dedans, qui constitue la dent proprement dite 
(acies, Duj.). Enfin, cette dent simple s'appuie sur une pièce 
impaire et médiane, bifurquée antérieurement, qui forme le 
support (/ulcrum) de Dujardin (3). 

Cette simplicité extrême de lappareil masticateur du Nor. 
Werneckii n'avait pas échappé à Ehrenberg, ou plutôt à Wer- 
neck, puisque ce sont ses dessins qui ont servi à la description 
du savant de Berlin. Ehrenberg dit en effet que la mâchoire 
n’est munie que d’une seule dent, ce qu'il a pu vérifier sur 
l'embryon mür extrait de l'œuf par compression, comme nous 
Pavons vu dans la partie historique de ce travail. Ge faible 
développement de Pappareil maxillaire chez notre animaleule 
a vraisemblablement été acquis secondairement par la vie pa- 
rasite et le mode d'alimentation consistant en une nourriture 
molle et facile à diviser (le plasma végétal), de même que les 
mâchoires plus robustes et plus compliquées des espèces à vie 


(1) Dujardin, Histoire naturelle des Infusoires, 1841, pl. 21, fig. 7. 
(2) Ces pièces constituent les marteaux (mallei) d'Ehrenberg. 
(9) C'est l’enclume (incus) d'Ehrenberg. 

ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 17 
libre sont adaptées pour saisir et broyer une proie plus ou moins 
dure et résistante (1). ë 

À la partie postérieure du pharynx on remarque une paire de 
petits organes glandulaires ovoides, disposés symétriquement, 
qui se fixent par une extrémité effilée au bord postérieur du 
bulbe pharyngien. Ils se composent de petites cellules rondes 
et pâles, qui s’accusent avec une grande netteté sous lPaction 
de l'acide acétique. Leur position avancée sur le trajet du tube 
digestif me les fait considérer comme des glandes salivaires 
s'ouvrant dans la cavité du pharynx par la partie effilée qui 
représente le conduit excréteur. Ghez l'individu jeune, ces 
organes sont relativement volumineux (fig. 2, gs); chez Panimal 
àgé, ils sont au contraire fort petits, presque atrophiés, et 
refoulés dans l’intérieur de la tête par la masse des œufs mûrs 
que renferme le corps (fig. 9, gs). 

En arrière du bulbe pharyngien, le canal alimentaire eon- 
stitue une poche fusiforme simple, qui traverse presque en ligne 
droite la cavité du corps (fig. 2). Ge canal ne laisse reconnaitre, 
ni dans sa disposition anatomique, ni dans sa structure histo- 
logique, les différentes divisions qu'il présente d'ordinaire chez 
les autres animaux et même chez un grand nombre de Ro- 
tateurs. Cependant on peut considérer comme un œsophage 
la partie antérieure rétrécie qui fait suite au pharynx (fig. 2, æ), 
comme un estomac la région moyenne dilatée (fig. 2, e), et 
comme un intestin la portion terminale, étroite et allongée, qui 
aboutit à l’anus, ou plutôt au cloaque, suivant la disposition 
commune à tous les Rotateurs (fig. 2, 22). Dans toute son éten- 
due, le tube digestif présente des parois minces et transpa- 
rentes, où je nai pas réussi à mettre en évidence les grosses 
cellules qui les composent d'ordinaire chez les Rotateurs, no- 
tamment dans la portion stomacale, où elles sont si faciles à 
apercevoir, même sur le vivant, chez les grandes espèces. 

Sur toute sa surface interne, depuis et y compris l’æsophage 


(1) Chez presque tous les autres Notommates les mâchoires sont garnies de 
trois à cinq dents supportées par une charpente plus compliquée et plus solide 
que chez le N. Werneckii. 


18 BALBIANI. 
jusqu’à l’anus, le tube digestif est revêtu de cils vibratiles très-. 
fins et longs, qui déterminent un courant dirigé vers la partie 
postérieure (1). J’ai eu l'occasion de faire quelques remarques 
physiologiques intéressantes sur ce revêtement ciliaire. Jai 
observé d’abord que, lorsqu'on tuait l’animal par écrasement, 
le mouvement des cils se continuait encore assez longtemps 
après la mort, tandis que celui des cils du vestibule buccal et 
de l’organe rotatoire s’arrêtait immédiatement, preuve de lin- 
fluence que la volonté exerce sur le mouvement de ces derniers. 
Une seconde remarque est relative à l’action des cils du tube 
digestif sur la progression des aliments. Chez tous les mdividus 
adultes, lestomac (fig. 2, e) renferme une masse pulvérulente 
noire formée par le résidu de la digestion. Cette masse est dans 
un état de rotation lente et continue sous l’action des cils vi- 
bratiles. Sa quantité augmente avec l’âge, et sa couleur trahit 
la présence du parasite dans les tubes du Vaucheria. Ken a été 
déjà précédemment question, et nous avons vu que c’est elle 
qui forme le point noir observé par Vaucher dans les excrois- 
sances en massue de ces végétaux. De petites parcelles se dé- 
tachent de temps en temps de cette masse noire et sont charriées 
par le mouvement ciliaire jusqu’à extrémité de l’intestin, d’où 
elles sont expulsées au dehors. J'ai pu observer que, mème 
chez l'animal récemment mort, la sortie de ces masses excré- 
mentitielles s’effectuait encore sous la seule influence des cils 
vibratiles de l'intestin (2). 


(1) Leydig (Zeitschr. für wiss. Zool., t. NI, p. 76, et Müller’s Archiv, 1851) 
assure que l’œsophage ne porte jamais de cils vibratiles chez les Rotateurs. 
Cette assertion de l’éminent observateur, vraie en général, comporte cependant 
un assez grand nombre d’exceptions. Je puis la confirmer pour toutes les espèces 
de Notommates que j'ai observées (sauf celle dont il est question ici), où je n’ai 
vu effectivement à l’intérieur de ce canal que les plis transversaux formés par 
la cuticule interne, comme Leydig le décrit. Cohn a vu des cils vibratiles dans 
l’æsophage chez le Brachionus urceolaris et le Lindia torulosa (Zeitschr. für 
wiss. Zool., t. VIT, p. 465, et t. IX, p. 286). Mübius les a observés chez le Bra- 
chionus militaris (ibid., t. XXV, p. 110}. Enfin, je les ai constatés moi-même 
chez le Melicerta ringens et le Limnias Ceratophylli. 

(2) L'absence d’un épithélium vibratile dans l'estomac et l'intestin constitue 


un fait très-rare chez les Rotateurs. Leydig ne l’a constatée que chez une seule 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 19 


Sur les parties latérales de l’estomac on remarque les deux 
organes glandulaires dont l’existence est si répandue et la forme 
si variable chez les différentes espèces de Rotateurs. Ce sont les 
cœæcums pancréatiques d'Ehrenberg; mais la dénomination de 
glandes ou appendices gastriques, que leur donne Leydig, leur 
convient mieux à raison des rapports constants qu'ils affectent 
avec l’estomac. Chez le N. Werneckii (fig. ®, gg), ces glandes 
ont un volume relativement beaucoup plus considérable que 
chez les autres espèces du même genre, où elles forment d’or- 
dinaire deux petites masses arrondies fixées sur les côtés de la 
partie antérieure de l’estomac par une base plus ou moins large 
ou une partie amincie en forme de pédoneule. Chez notre ani- 
malcule, elles constituent deux corps convexes à leur surface 
externe, qui est en outre légèrement mamelonnée, aplatis à 
leur surface interne, qui s'applique largement sur les côtés de 
l’estomac, depuis la terminaison de l’œsophage jusque vers le 
milieu de la poche gastrique. Je n’ai pas réussi à voir le conduit 
excréteur par lequel ces glandes débouchent dans l'estomac. 

L'âge amène des modifications intéressantes dans les glandes 
gastriques. Des gouttelettes graisseuses incolores, de plus en 
plus abondantes, commencent par se déposer au sein de leur 
substance. En même temps leur communication avec l’esto- 
mac devient de plus en plus large, et la saillie qu’elles forment 
sur les côtés de cette poche diminue graduellement pour dispa- 
raitre enfin tout à fait vers les derniers temps de la vie. Le 
résultat final de ce processus est la rentrée complète des deux 
masses glandulaires dans la cavité gastrique, où elles se con- 
fondent en une masse unique, de forme circulaire, entourant 
l’amas granuleux noir placé au centre de cette cavité. C’est cet 
aspect que j'ai essayé de décrire plus haut chez les individus 
âgés près de pondre. On se rendra aisément compte de ces 
changements en considérant que les glandes gastriques sont 


espèce, le Notommata tardigrada (Ueber den Bau, etc., p. 39). Je puis con- 
firmer l’exactitude de lobservation de Leydig sur cette remarquable espèce, 
trouvée par lui dans la vase du Main, et que J'ai rencontrée récemment en assez 
grand nombre dans un ruisseau, à Fécamp. 


920 BRALBIANTI. 


placées dans deux duplicatures de la paroi de Pestomac, et 
qu'il suffit du déplissement graduel de cette paroi avec l’âge 
pour amener les modifications que je viens de décrire. Lorsque 
l'animal s’est débarrassé de ses œufs, 1l n’y a plus vestige des 
glandes gastriques, qui ont disparu par résorpton avec les glo- 
bules graisseux qu'elles renfermaient, et le centre du corps 
n’est plus occupé que par la masse stomacale noire. La mort 
ne tarde généralement pas à suivre de près Pexpulsion com- 
plète des œufs. 

Je n'ai malheureusement que peu de détails à présenter sur 
les autres systèmes organiques du N. Werneckii. Les organes 
d'excrétion, considérés quelquefois aussi comme un appareil 
de respiration aquatique, se composent, comme d'ordinaire, 
d’une vésicule contractile, placée à la partie postérieure du 
corps (fig. 2, 8, ve), et de deux canaux sinueux qui débouchent 
latéralement dans cette vésieule (fig. 2, 8, os). Gelle-e1 prend, 
pendant sa dilatation, la forme d’une ampoule parfaitement 
sphérique (fig. 2, ve) et ressemble à un petit sac plissé pendant 
sa contraction. Les deux canaux latéraux ou organes segmen- 
taires m'ont paru se ramifier dans épaisseur de la paroi de la 
vésicule contractile avant de S'y ouvrir (fig. 8, ve). Je mai pu 
les suivre que jusqu’à une petite distance vers la partie anté- 
rieure, car bientôt ils se perdaient entre les organes et dispa- 
raissaient à la vue. Je ne saurais rien dire, par conséquent, du 
nombre et de la disposition des petits entonnoirs vibratiles par 
lesquels les canaux segmentaires s'ouvrent d'ordinaire dans la 
cavité du corps chez les Rotateurs. 

Mes observations sur le système nerveux ne sont pas moims 
incomplètes que les précédentes. À la face dorsale du corps, 
au-dessus du bulbe pharvngien, j'ai distingué une masse ar- 
rondie, pâle, finement granuleuse, qui représente évidemment 
l'organe nerveux central ou le ganglion cérébroïde (fig. 2, en), 
mais Je n’ai pu discerner aucun des nerfs périphériques qui en 
partent et que Leydig a si bien vus et figurés, par exemple chez 
le Notommata (Asplanchna) Sieboldii (1). 


(1) Leydig, Ueber den Bau, ete., p. 24, pl. 6, fig. 16 et 17. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 91 


L’œil impair et médian est placé à la nuque, comme chez 
tous les Notommates, et correspond au bord postérieur du cer- 
veau (fig. 2, æ). Il se compose d’un petit cristallin sphérique, 
réfringent, enchàssé dans un petit amas de matière pigmen- 
taire rouge. Chez certains Notommates (par exemple, N. fripus, 
aurita, tardigrada, ete.), l'œil est fixé à la partie antérieure 
d’une vésicule remplie de corpuscules opaques (caleaires?), et 
qui, à la lumière transmise, apparait comme une tache noire 
dans la région de la nuque, en arrière de la masse cérébrale, à 
laquelle elle paraît être adhérente. C’est le sacculus cerebralrs 
ou poche calcaire (Kalkbeutel) d'Ehrenberg. Ses fonctions sont 
entièrement inconnues. Nous ne mentionnons ici cet organe 
que pour signaler son absence totale chez le N. Wernecku ; il 
manque du reste aussi chez beaucoup d’autres Notommates. 

Il ne faut pas confondre avec l’organe précédent une petite 
cavité placée à la face dorsale, en avant de l'œil, dont elle est 
séparée par toute la largeur du cerveau (fig. 2, cc). Cette cavité 
parait bifide dans sa moitié antérieure; elle est revêtue, imté- 
rieurement, de cils vibratiles très-fins, et renferme un liquide 
clair et transparent, sans aucun corps solide. Ses usages me 
paraissent aussi obscurs que ceux du sacculus cerebralis dont 1l 
vient d’être question. Ces organes problématiques ne sont, du 
reste, pas rares chez les Rotateurs. En raison des connexions 
qu'ils présentent quelquefois d’une manière plus ou moins 
visible avec le centre nerveux, quelques auteurs ont cru pouvoir 
les considérer comme des organes sensitifs (1). Telle est encore 
la poche claire placée au-dessus du cerveau et S'ouvrant à la 
surface de la cuticule, que Leydig a découverte chez divers 
Rotateurs (2). On peut ranger encore dans cette catégorie 
d'organes le ciliated sac décrit par Huxley chez le Lacinularia 


(1) C’est ainsi que Leuckart est tenté de voir un appareil auditif dans le 
saccus cerebralis, à cause des corpuscules solides intérieurs et des rapports 
intimes que cet organe affecte avec le ganglion cérébral. (Leuckart’s Bericht 
über die niederen Thiere, in Arch. für Naturgesch., 1859, t. IN, p. 189.) 

(2) Chez le Stephanoceros Eichhorni, VEuchlanis triquetra, le Notommala 
centrura, Leydig, loc. cit., p. 86. 


99 BALBIANI. 


socialis (1), et qu’à raison de ses connexions avec le centre 
nerveux, il compare à la fossette ciliée des Ascidies ou des Né- 
mertes, ou bien encore à la vésicule garnie de cils vibratiles 
qui représente l’organe olfactif chez l'Amphioxus. 

Dans la partie postérieure du corps, en avant de la fourche 
caudale, se trouvent les deux organes allongés qui existent si 
sénéralement chez les Rotateurs et qu’en raison de leur forme 
la plus habituelle, Leydig a désignés sous le nom d'organes en 
massue (kolbenfürmige Organe). Chez notre espèce, ils sont 
courts et fusiformes, et ne remontent guère en avant du dernier 
segment du corps (fig. 2, 8, ge). Ehrenberg les décrivait comme 
les muscles rétracteurs du pied. Nous savons aujourd’hui, 
grace aux observations de Leydig (2), Cohn (3), Grenacher (4) 
et Môbius (5), que ce sont des organes glandulaires chargés de 
produire la substance agglutinative qui permet à animal de se 
fixer par son pied sur les corps solides environnants. 


TT 


REPRODUCTION. 


Tous les individus du Notommata Wernechü que ja 
observés étaient femelles. L’ovaire a la forme d’un sac allongé 
qui s'élève, dans la cavité du corps, à côté du tube digestif, Jus- 
qu'au niveau du bord inférieur des glandes gastriques (fig. 2, 
ov). Par sa partie postérieure rétrécie en forme de col ou ovi- 
ducte (fig. 8, od), il s'ouvre, comme chez tous les Rotateurs, 
dans le canal eloacal, terminaison commune de l'intestin, de 
l'appareil excréteur et des organes de la reproduction. La struc- 


(1) Huxley, On Lacinularia socialis (Transact. of the Microsc. Soc. of 
London, new ser., 1855, t. I, p. 9. 

(2) Leydig, Müller’s Archiv, 1857, p. 410. 

(3) Cobn, Ueber die Fortpflanzung der Räderthiere (Zeitschr. für wiss. Zool., 
1856, t. VIL, p. 439). 

(4) Grenacher, Einige Beobachtungen über Räderthiere (eiere, für wiss. 
Zool., 1869, t. IX, p-194). 

(o) Môbius, Ein Beiïtrag zur Anatomie des Brachionus plicatilis (Zeitschr. 
für wiss. Zool., 1874; t. XXV, p. 111). 

ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 93 


ture de l’ovaire est des plus simples. Au milieu d’une sorte de 
stroma granuleux sont plongés de nombreux ovules qui pré- 
sentent pour la plupart le même état de développement chez 
un même individu, et arrivent, par suite, presque simultané- 
ment au moment où ils doivent être évacués par la ponte. Le 
vitellus, d’abord homogène et incolore, renferme à son centre 
une vésicule germinative claire, munie elle-même d’une tache 
de Wagner volumineuse. Plus tard 1l devient granuleux et 
jaunâtre, la vésicule germinative y forme une tache claire et 
arrondie qui apparaît comme un noyau solide et brillant après 
le traitement par l’acide acétique. À mesure que les œufs appro- 
chent de leur maturation complète, ils s’empilent les uns sur 
les autres dans l'ovaire en s’aplatissant mutuellement. La dis- 
tension qu'ils font éprouver au sac ovarien finit probablement 
par déterminer la rupture ou la résorption de ses parois, Car on 
trouve plus tard les œufs libres dans la cavité du corps et pla- 
cés immédiatement sous le tégument externe. L'animal, litté- 
ralement bondé d’œufs mürs, présente alors la forme d’une 
outre arrondie, bosselée à sa surface, d’où émergent deux courts 
prolongements formés, l’un par la tête, l’autre par la queue 
(fig. 9). R 

De même que plusieurs autres Rotateurs, le N. Wernechu 
produit deux sortes d'œufs, dits œufs d'été et œufs d'hiver, les 
premiers étant destinés à une éclosion immédiate, tandis que 
les seconds passent la saison froide et n’éclosent que Pannée 
suivante. Comme cela a lieu aussi d'ordinaire chez ces animaux, 
les œufs d'été et les œufs d'hiver se différencient entre eux dès 
le moment où ils sont pondus. Leur forme est toujours ovoïde 
ou elliptique, mais les œufs d’été ont des dimensions moindres 
que les œufs d'hiver : dans notre espèce, ils ne mesurent que 
0**,056 de long sur 0"",042 de large, tandis que les derniers 
atteignent une longueur de 0"",062 sur 0"",050 de large. 
D’autres différences se font remarquer dans le contenu, dans le 
nombre et les caractères des enveloppes. L’œuf d'été présente 
un vitellus clair et transparent, uniformément granuleux; un 
chorion mince en constitue la seule enveloppe (fig. 11). Dans 


24 BALIBEANT. 

l'œuf d'hiver, le vitellus est brun et opaque; il présente à son 
centre une tache diffuse, claire et arrondie, due probablement 
à la persistance de la vésicule germinative (fig. 13). Les enve- 
loppes sont au nombre de deux, séparées lune de l’autre par 
un espace rempli d'un liquide clair : une externe, plus épaisse 
(fig. 13, ch), formant une coque assez solide ; l’autre, interne, 
mince et membraneuse, étroitement appliquée sur le vitellus 
(ch). Dans les deux sortes d'œufs la surface extérieure est lisse ; 
chez les autres Rotateurs, elle est, comme on sait, lisse seule- 
ment dans les œufs d'été, tandis que dans les œufs d'hiver elle 
est chagrinée ou facettée, quelquefois hérissée de pointes molles 
plus ou moins longues et nombreuses, comme chez les Notom- 
mala (ripus, parasila, etc. 

Depuis la découverte, faite d’abord par Dalrymple (1) chez 
le Notommata (Asplanchna) anglica, de l’existence de petits 
individus mâles, retrouvés aussi depuis chez d’autres Rota- 
teurs, deux opinions diamétralement opposées et défendues 
chacune par un savant autorisé ont cours dans la science sur 
le mode de développement des œufs d’été et des œufs d'hiver. 
Les uns soutiennent en effet, avec Huxley, que les œufs d'été 
seuls exigent, pour leur développement, le concours de lélé- 
ment mâle, tandis que les œufs d'hiver sont produits sans 
fécondation préalable; les autres, se ralliant à la manière de 
voir de Cohn, pensent au contraire que ce sont ces dermiers 
qui ont besoin de l’imprégnation sexuelle, tandis que les pre- 
miers se développent en vertu d’une fécondité propre (parthé- 
nogenèse). Comme principal argument en faveur de son opinion, 
Cohn invoque ce fait que chez toutes les espèces de Rotateurs 
où des œufs d'hiver ont été rencontrés, leur apparition coïncide 
toujours avec celle des individus mâles : ainsi chez de nom- 
breux Hydatinides et Brachionides, tandis que dans toute la 
famille des Philodinides, où ces œufs sont inconnus, on n’a pas 
observé non plus des mâles (2). 

(1 Dalrymple, Description of an Infusory Animalcule allied to the genus 
Notommata of Ehrenberg (Philos. Trans., 1849). 

(2) Cohn, Ueber die Fortpflanzung der Räderthiere (Zeitschr. für wiss. 


Zool., 1856, t. VIT, p. 483; 1858, t. XI, p. 293). 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNEUK. D) 

Mes observations personnelles faites sur le N. Werneckii ne 
donnent raison, n1 à la manière de voir de Cohn, ni à celle de 
Huxley. J'ai déjà dit que sur un grand nombre d'individus de 
cette espèce qui ont passé sous mes yeux pendant les mois 
d'avril et de mai, tous étaient femelles. Je n'en veux pas con- 
clure pour cela à l’absence absolue des mâles, car ceux-ci pour- 
raient n'apparaitre qu'en automne, comme cela a lieu chez 
plusieurs Rotateurs. Au début de mes observations, c'étaient 
d’abord exclusivement des œufs à coque mince et à vitellus 
clair, ou œufs d'été, qui étaient produits. Dans certaines cap- 
suüles jai compté Jusqu'à trente ou quarante de ces œufs 
pondus par une même femelle; d’autres n’en contenaient que 
de dix à vingt. Plus tard, à ces œufs était mêlée une proportion 
de plus en plus considérable d'œufs à coque épaisse et à vitellus 
foncé, ou œufs d'hiver. Enfin, dans les derniers jours d'avril et 
au commencement de mai, presque tous les œufs n'étaient plus 
que de cette dernière sorte. Non-seulement la production des 
œufs d'été avait considérablement diminué, mais, chose remar- 
quable, un grand nombre restaient stériles, ou, si un embryon 
s'était formé à leur intérieur, il mourait sans éclore, alors 
même qu'il état déjà arrivé à un développementavancé, comme 
indiquait le point oculaire rouge visible à travers l'enveloppe 
de l'œuf. Ges faits démontrent Pépuisement graduel de la vita- 
lité du germe dans les œufs d'été pondus sans fécondation. 
Quant aux œufs d'hiver, ils ne m'ont pas paru davantage né- 
cessiter le concours du sexe mâle, ni pour leur production, ni 
pour leur développement, comme nous le verrons par la suite. 
Je üre cette conclusion non-seulement de ce que, comme je lai 
déjà dit, jamais aucun individu mâle ne s’est présenté à mon 
observation, mais aussi de l'absence de corpuscules séminaux 
chez les femelles extraites de capsules contenant des œufs 
d'hiver et que j'ai examinées à cet effet avec le plus grand soin. 
Enfin une dernière preuve de l'absence de mâles résultait de 
l'identité complète que présentaient entre eux tous les œufs 
d'été. Nous savons en effet, par les recherches de Dalrymple, 
Leydig, Cohn, Gosse et d’autres observateurs, que chez les 


26 | BALBIANI. 

Rotateurs, le sexe du futur embryon est déjà accusé dans œuf 
par divers caractères, tels que la forme, la grandeur et la colo- 
ration différente des œufs mâles et femelles. Or je n'ai rien 
remarqué de semblable dans l'espèce quej'observais, où tous 
les œufs d’été se ressemblaient jusque dans leurs moindres 
détails. 

Dans son mémoire souvent cité dans ce travail (1), Cohn a 
soulevé la question de savoir si une même femelle peut pro- 
duire, soit à la même époque, soit à des époques différentes, 
des œufs d’été et des œufs d'hiver, et il a cru pouvoir la ré- 
soudre par la négative, en admettant que chaque femelle ne 
pond jamais, sa vie durant, que des œufs d’une seule sorte. 
Cohn va même jusqu'à prétendre que, lorsque dans une espèce, 
ilyaen outre des œufs mâles, là production des trois sortes 
d'œufs est dévolue à autant de catégories différentes de femelles, 
comme il dit l'avoir observé chez les Brachonus militaris et 
urceolaris. En restreignant la question à la formation des œufs 
d'été et des œufs d'hiver, puisque, ainsi que je l'ai dit, je n’a 
pas vu d'œufs mâles chez le N. Werneckii, mes observations 
sur cette espèce ne confirment pas celles de Cohn. Par son 
mode de ponte, le N. Wernecki permet mème de trancher 
facilement ce point de la physiologie des Rotateurs, les femelles 
s’enfermant d’elles-mêmes dans des capsules distinctes où elles 
déposent leurs œufs, et dont chacune, sauf de rares exceptions, 
ne contient qu'un seul individu (2). Or j'ai pu m'assurer qu'à 
l’époque où les œufs d'hiver commencent à être produits, on 
trouve dans beaucoup de capsules les deux sortes d'œufs mé- 
langés en proportion variable, comme je l'ai déjà dit plus haut ; 
d’où je crois pouvoir conclure, contrairement à l’assertion de 
Cohn, qu'une même femelle possède la faculté d’engendrer les 
deux sortes d'œufs. Mais il n’en est pas moins constant que les 


(1) Loc. cit., p. 491. 

(2) Vaucher avait déjà observé quelquefois, cotnme nous l'avons vu dans 
l'introduction historique, un double point noir dans certaines excroissances des 
Vauchéries, ce qui indique la présence de deux animaleules dans une même 
capsule: 

ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. O7 


premières pontes de Pannée se composent presque exclusive- 
ment d'œufs d'été, tandis que ce sont au contraire les œufs 
d'hiver qui prédomment dans les dernières. 

Malgré le nom sous lequel ils sont généralement désignés, 
la ponte des œufs d'hiver peut déja commencer dès le premier 
printemps, ainsi que Gohn l’a constaté chez Hydalina senta et 
le Brachionus urceolaris, etmoi-même chez le Notommata Wer- 
neck. Le choix de cette appellation a été motivé par la cir- 
constance que les œufs en question passent l'hiver pour n’éclore 
que le printemps suivant; toutefois nous pensons avec Cohn 
que le nom d'œufs durables (Dauereier) leur conviendrait mieux 
en ce qu'il exprime leur principal caractère physiologique, qui 
est de n’éclore qu'après une période de repos prolongée (1). 

Je n'ai pas porté une attention spéciale sur le développement 
des œufs du N. Werneckü. La segmentation m'a paru se faire 
comme chez les autres Rotateurs. Jai déjà signalé la différence 
qui existe entre les œufs d’été et les œufs d'hiver touchant 
l’époque de la disparition de la vésicule germinative, dont on ne 
trouve plus aucune trace chez les premiers, dans l'œuf frais 
pondu (fig. 11), tandis qu’elle est encore bien visible chez les 
derniers (fig. 13). 

Plusieurs jours avant l’éclosion on peut déjà distinguer dans 
œuf un embryon bien formé et reconnaitre la plupart des 
organes, tels que le point oculaire rouge, les cils buccaux, 
l'appareil maxillaire, la vésicule contractile, les glandes gas- 
triques, etc. L’embryon est repli sur lui-même, la tête et la 
queue recourbées sur la face ventrale et en contact l’une avec 
l’autre (fig. 12). Aux approches de l’éclosion, 1l s’agite vive- 
ment et se retourne brusquement dans tous les sens en faisant 
vibrer ses cils buccaux. Ces mouvements ont pour but de faire 
éclater la coque de l'œuf, et le jeune sort à travers la fente. 
Aussitôt après sa sortie, les bords de cette fente se rejoignent si 
exactement, que la coque parait intacte. Cette coque est abso- 


(1) C’est ainsi que les botanistes appellent spores durables, ou chronizoospores, 
les corps reproducteurs de certaines Algues qui ne se développent qu'après un 
temps de repos plus ou moins long. 


928 BALBRBIANIE. 


lument vide, tout le vitellus ayant passé dans la cavité du corps 
de l'embryon sans laisser de résidu. Le jeune éclos est vermi- 
forme, long de 0",10 à 0"",12 (fig. 10). Dès son entrée dans 
le monde il cherche à s'échapper de la poche où il est né pour 
commencer sa vie vagabonde. Mais avant de parler des mœurs 
du jeune animal, il est nécessaire d'examiner de plus près les 
excroissances ou galles des Vaucheria, dans lesquelles ces Rota- 
teurs passent la majeure partie de leur existence et où ils 
trouvent à la fois le vivre et le couvert, et un berceau pour leur 
progéniture. 


ÉTUDE DES GALLES DU Vaucheria terrestris. 


J'ai décrit plus haut d’une manière sommaire les excrois- 
sances du Vaucheria terrestris habitées par le Notommata Wer- 
meckii. Le moment est venu de les étudier plus attentivement, 
afin de chercher à nous faire une idée de l’origine et de la véri- 
table nature de ces productions. Doit-on réellement les assi- 
miler, ainsi que le pensent quelques auteurs, aux galles pro- 
duites par l'action des Insectes sur les végétaux phanérogames, 
ou bien sont-elles des formations d’une autre nature? Pour 
tâcher d'élucider cette question, nous devons examiner briève- 
ment notre Aloue au point de vue de ses caractères botaniques. 

Comme toutes les autres Vauchéries, le V. ferrestris se com- 
pose de filaments tubuleux sans cloisons intérieures (1) et 
remplis de matière verte. Les organes de la fructification, c’est- 
à-dire l'anthéridie et le sporange, sont portés sur une petite 
. branche secondaire qui s'élève perpendiculairement sur le côté 
du filament principal (fig. 14, 15, b). Cette branche commune 
très-courte se divise elle-même en deux rameaux, l’un inférieur, 
l'autre supérieur. Le rameau inférieur, plus grêle, se recourbe 
en dessous en forme de corne et porte à son extrémité la cellule 
anthéridienne. Le rameau supérieur, continuation de la bran- 


(1) Nous verrons plus loin à quoi tient l’apparence de cloisonnement que pré- 
sentent ces filaments dans plusieurs de nos figures. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 29 
che secondaire, se renfle en massue à son sommet, et cette 
partie renflée se délimite du reste par une cloison transversale 
pour former l'oogone ou sporange (1). Au début de mes obser- 
vations dans les premiers jours d'avril, le temps dela reproduc- 
tion sexuelle était déja passé, mais depuis peu. L’anthéridie 
vidée formait un tube transparent et plissé, ouvert à son extré- 
mité libre (fig. 14, 15, ca). La plupart des sporanges renfer- 
maient une spore bien développée, d'un beau vert foncé 
(fig. 14, sp); d'autres s'étaient déja détachés de la branche 
fructifère, qui se terminait alors par une extrémité arrondie et 
renflée (fig. 15, rs). Toute cette branche était remplie d’une 
chlorophylle abondante, qui se continuait sans interruption 
avec celle du filament principal. 

Si des organes de la reproduction nous passons maintenant 
aux excroissances habitées par le N. Werneckii, une simple 
comparaison suffira pour nous convaincre de l'identité mor- 
phologique complète des deux sortes de productions. Les kystes 
parasitiques ne sont en effet autre chose que les branches per- 
sistantes qui portaient les organes de la reproduction, branches 
qui, sous l'influence du parasite, ont pris un accroissement 
considérable accompagné d'une modification plus ou moins 
prononcée dans leur forme. Gependant on reconnait encore 
parfaitement, chez la plupart, l’apparence de massue qu’elles 
présentent à l'état normal, et presque toujours aussi la partie 
rétrécie, ou manche de la massue, donne naissance à un petit 
tube recourbé dans lequel on reconnait sans peine le rameau 
anthéridien ou cornicule (fig. 17, ra). Enfin, ce qui lève les der- 
uiers doutes sur la nature de ces productions, on trouve parfois 
de jeunes Rotateurs logés dans des capsules qui, pour la forme 
et le volume, ne diffèrent en rien des branches sporifères nor- 
males, telles qu’on les observe à l’époque de la reproduction de 
la plante (fig. 15, rs). 

À mesure que le parasite grossit, la capsule qui l’héberge 
grandit en même temps que lui, et finit par acquérir un volume 

(1) Jai observé quelquefois, mais rarement, deux anthéridies et deux spo- 


ranges portés sur une même branche latérale. 
ANN. SC. NAT., FÉVRIER 1878. VII. D. — ART. N° 2. 


90 | BALBIANI. 

qui dépasse quelquefois du quintuple son volume primitif 
(fig. 16, 47, 18). J'en ai mesuré qui avaient près d’un milli- 
mètre de long sur un tiers de millimètre de large. Pendant 
l'accroissement de la poche, la chlorophylle augmente d’une 
manière proportionnelle et forme une masse compacte, d’un 
vert sombre, qui la remplit entièrement. En même temps, la 
paroi de cellulose s’épaissit sur toute la périphérie de la 
capsule, qui présente en outre d’autres phénomènes sur lesquels 
je reviendrai bientôt. Dans les capsules bien vertes et à végé- 
tation vigoureuse, la paroi est incolore et transparente comme 
dans le reste de la plante, mais elle prend avec l’âge une colo- 
ration brune qui coïncide avec laltération de la chlorophylle 
intérieure. Ces vieilles capsules renferment quelquefois des 
œufs et de jeunes Rotateurs provenant de l’éclosion de ceux-ci, 
mais jamais des femelles adultes venues dans l’intention de 
pondre. 

C'est toujours à un àge très-jeune que le parasite s’introduit 
dans la plante pour y passer le reste de son existence, s’ac- 
croître et se reproduire. [l se nourrit du contenu de la capsule ; 
mais, chose curieuse, quoique plongé au sein de la matière 
verte, c'est exclusivement le plasma incolore qu'il ingère, ce 
que l’on reconnait facilement à l'absence de toute coloration 
verte du contenu du tube digestif. Ce fait est une confirmation 
remarquable des observations de M. Chautard, qui prouvent 
que la chlorophylle n’est pas une substance assimilable (1). 
Dans ses belles recherches sur la digestion chez les Insectes, 
M. Félix Plateau (2) à constaté également que cette substance 
résiste au travail digestif et se retrouve dans les excréments 
chez les espèces qui se nourrissent de végétaux (3). 


(1) On sait, en effet, que M. Chautard a retrouvé par le spectroscope la chlo- 
rophylle dans les résidus de Ja digestion des Vertébrés herbivores et omnivores. 
(Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1873, t. LXXVI, p. 103; 1873, 
t. LXXVII, p. 591). 

(2) Félix Plateau, Recherches sur les phénomènes de la digestion chez les 
Insectes, 1874, p. 56, 119. 

(3) D’après Cohn, l'estomac du Notommata parasita, qui vit dans les sphères 
du Volvox, dont il dévore les globules intérieurs, contient de la matière verte 

ARTICLE N° 2; 


NOTOMMATE DE WERNECK. ce) 

Arrivé au moment de la reproduction, le corps gonflé d’œuls 
mürs (fig. 9), notre animalcule commence à déposer ceux-ci 
dans l’intérieur de la capsule. Il les pond un à un, sans régula- 
rité, isolément ou par groupes, au sem de la matière verte. 
Après avoir pourvu aux soims de sa reproduction, la femelle 
meurt, son corps se détruit, et 1l n’en reste bientôt d'autre 
vestige que la masse pulvérulente noire qui forme le résidu de 
la digestion stomacale (fig. 18, #5). Dans le temps qui s’écoule 
entre la ponte et l’éclosion des œufs, la capsule commence à 
présenter des signes de décomposition : la chlorophylle inté- 
rieure perd sa distribution homogène (fig. 18), sa belle couleur 
verte; elle disparaît par places, forme des amas irréguliers, 
floconneux, en partie décolorés. Dix à quinze jours après la 
ponte, les œufs éclosent successivement. Jai décrit plus haut 
les caractères des jeunes Notommates à leur sortie de l’œuf. 
À peine éelos, 1ls parcourent avec une sorte d'inquiétude la 
poche où ils sont nés, en explorent dans tous les sens la paroi, 
cherchant une issue au dehors. Geci m'amène à parler de cer- 
taines particularités de l’évolution des capsules que j'ai passées 
jusqu'ici sous silence. 

Nous avons vu que, sous l'influence du parasite, les petites 
branches latérales du Vaucheria, qui portent les organes de la 
reproduction, au lieu de s’atrophier et de disparaître après que 
ceux-ci ont terminé leur rôle, s’hypertrophient au point d’ac- 
quérir un volume quatre ou cimq fois plus considérable qu’à 
l’état normal. Cette exagération des fonctions végétatives n’est 
pas, nous le croyons du moins, le résultat d’une simple irrita- 
tion mécanique du plasma produite par le contact du parasite 
agissant comme corps étranger. Nous pensons qu'il s’agit ici 
d’une stimulation déterminée par la sécrétion d’une liqueur 
âcre, par conséquent de même nature que celle qui donne lieu 


(Zeitschr. für wiss. Zool., t.. IX, p. 291). On conçoit qu'il est difficile, dans ce 
cas, pour l'animal, d’ingérer le plasma à l'exclusion de la chlorophylle que 
renferment ces globules. Îl en est de même des Rotateurs qui se nourrissent 


de détritus de plantes aquatiques, et dont l'intestin est également souvent coloré 
en vert: 


32 BALBIANI. 

à la formation des galles chez les plantes phanérogames, sous 
l'influence de la piqûre d’un grand nombre d’Insectes. Cette 
ressemblance nous paraît exister surtout avec ceux de ces ani- 
maux qui, tels que certains Aphidiens, déterminent sur les 
végétaux le développement de galles, dans lesquelles ils habi- 
tent et se multiplient, par l'introduction dans le tissu de la 
plante d’un liquide sécrêté par les glandes salivaires. Ces 
glandes existent aussi chez notre Rotateur, du moins avons- 
nous cru pouvoir caractériser comme telles les annexes du tube 
digestif qui débouchent dans le pharynx (fig. 2, gs). Leur vo- 
lume relativement considérable, comparé à celui des organes 
auxquels quelques auteurs ont attribué une signification ana- 
logue chez d’autres Rotateurs (1), paraît indiquer qu’elles sont 
destinées à remplir des fonctions spéciales et importantes chez 
le N. Wernecku. Remarquons que les glandes salivaires ac- 
quièrent aussi un grand développement chez les Insectes galli- 
coles dont il est question plus haut. 

_ Pour en revenir aux excroissances parasitiques des Vau- 
cheria, spécialement de l'espèce qui fait le sujet de notre étude, 
elles présentent encore cette analogie avec certaines galles des 
végétaux supérieurs, d'être fréquemment le siége d’un déve- 
loppement végétatif qui donne lieu à la formation, sur divers 
points de leur surface, de filaments plus ou moms longs et 
nombreux, simples ou rameux, remplis de matière verte. 
Il suffit de rappeler ici les bédégars du Rosier, les erimeum 
déterminés par les Acariens, les galles formées sur les feuilles 
de la Vigne par le Phylloxera vastatrix, ete. Dans les capsules 
ou galles du Vaucheria terrestris produites par le N. Werneckü, 
ces excroissances filamenteuses se développent généralement 
au sommet, plus rarement à la base de ces poches vésiculeuses. 
Lorsqu’elles se forment au sommet, celui-ci commence par 
s’aplatir et par prendre une forme anguleuse; puis, de chacun 
des angles, disposés ordinairement comme ceux d’un quadri- 
latère, d’autres fois d’un point de la paroi placé immédiatement 


(4) Leydig, Zeitschr. für wiss. Zool., t. VI, p. 73; Cohn, ibid., t. VIE, p. 475; 
Môbius, tbid., t. XXV, p. 110. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 39 


au-dessous de chaque angle, nait une protubérance dans 
laquelle pénètre la matière plasmique (fig. 16, x, x). La paroi 
capsulaire s’amincit considérablement au point culminant de 
la protubérance, laquelle, continuant à s’allonger, se trans- 
forme bientôt en un filament vert, plus grêle ou du même 
calibre que le filament principal de la plante (fig. 17, ba). Ges 
branches adventives atteignent souvent plusieurs fois la lon- 
sueur de la capsule qui leur à donné naissance. Les unes res- 
tent simples, d’autres se bifurquent à une distance variable de 
leur point d’origine ; tantôt elles se recourbent vers le haut en 
forme de cornes (fig. 17), tantôt elles prennent une direction 
plus ou moins horizontale ou oblique. 

Mais il arrive fréquemment qu’au lieu de s’allonger et de 
former une branche, comme nous venons de le décrire, la pro- 
tubérance initiale se perfore à son sommet, où, nous l’avons dit, 
lamembrane capsulaire présente une minceur remarquable. Par 
suite de cette perforation, une communication s'établit entre l’in- 
térieur de la capsule et le liquide ambiant (fig. 18, z'). Souvent 
les jeunes Notommates profitent de cette voie pour s'échapper 
au dehors. Plus ou moins longtemps avant la formation de cette 
ouverture, et comme en prévision de sa production prochaine, 
on les voit pénétrer fréquemment dans la cavité de la protubé- 
rance et en explorer la paroi avec les cils de la partie antérieure 
du corps. On pourrait être tenté de croire que la perforation est 
l'œuvre des jeunes parasites eux-mêmes, qui la produiraient 
soit en entamant la paroi du kyste à l’aide de leurs mâchoires, 
soit en la ramollissant au moyen d’un liquide sécrété par eux. 
Ce qui prouve qu'il n’en est pas ainsi, c’est qu’on rencontre 
souvent des capsules perforées qui ne contiennent encore que 
des œufs non éclos, voire même des œufs d'hiver dont l’éclosion 
n’a lieu que l’année suivante. 

Les branches adventives qui se forment à la base de la cap- 
sule, comme cela a lieu aussi quelquefois, ainsi que Je Fai dit, 
se produisent d’une manière analogue à celles naissant au 
sommet. Sur un point de la surface du kyste, la paroi est re- 
poussée en dehors sous la forme d’un mamelon creux dan 


34 | BALBIANI. 

lequel pénètre le plasma (fig. 16, 17, ba’). Ge mamelon forme 
ensuite en s’accroissant une branche plus ou moins longue. 
Il arrive aussi fréquemment, comme au sommet du kyste, que 
la membrane amincie de l'extrémité du mamelon se détruit 
avant qu’il ait commencé à s’allonger. Il se produit ainsi une 
ouverture qui constitue une nouvelle porte de sortie pour les 
jeunes Notommates emprisonnés dans l'intérieur du kyste 
(fig. 18, x/). Enfin, le tube anthéridien lui-même, persistant 
à la base de la poche parasitique avec son extrémité ouverte, 
peut leur servir aussi d’issue pour s’élancer dans le monde 
extérieur (fig. 17, ra) (1). 

I n’est pas rare qu’au lieu de sortir par une des ouvertures 
dont nous venons de parler, les jeunes Rotateurs pénètrent 
dans le filament principal en traversant le col de la capsule. 

En cheminant dans son intérieur, ils arrivent sans peine, 
surtout lorsque cette portion du tube est vide, à une autre cap- 
sule qui leur présente des facilités pour sorür. Mais il n’en est 
pas toujours ainsi; des obstacles sérieux leur barrent quelque- 
fois le passage à droite et à gauche, et les obligent à rétrograder 
vers la poche qu’ils viennent d'abandonner. Ces obstacles ne 
proviennent pas de la présence de la chlorophylle dans le tube, 
car ils peuvent assez facilement se frayer un chemin à travers 
cette substance molle. Je veux parler des fausses cloisons 
(fig. 15, 16, 18, /c) qui se forment avec une si grande facilité 
dans les filaments des Vauchéries sur tous les points où ceux-ci 
ont subi une lésion, soit par suite d’une blessure de la paroi 
du tube ou d’une altération locale du plasma intérieur. Par la 
formation d’une cloison de cellulose de chaque côté de la partie 


(1) Les filaments adventifs des galles des Vauchéries ont été aperçus d’abord 
par Unger, en 1827. « J’observai, dit-il, que l’extrémité de la capsule, au bout 
de quelques jours, prit une forme anguleuse et donna plus tard naissance à deux 
expansions en forme de cornes ; elle resta dans cet état tandis que l’animaleule 
devint plus foncé et mourut, et plus tard il finit par se détruire en même temps 
que les autres parties de la Conferve.» (Ann. des sc. nat., 1898, t. XIIT, p. 438.) 
Après Unger, ces filaments ont été observés par Kützing, qui en faisait un 
caractère normal de son prétendu Vaucheriu sacculifera, et plus récemment, 
enfin, par le docteur Magnus, dont nous avons rapporté les observations dans 
la partie historique de ce travail. 

ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 99 
malade, celle-ci est comme séquestrée du reste du tube, et 
l’altération ne peut s'étendre à la portion restée saine (1). 

Peu à peu, à mesure des éclosions, la capsule se vide des 
animalcules qu’elle renfermait. Les coques abandonnées des 
œufs et la masse intestinale noire de la mère sont les seuls ves- 
tiges du mouvement et de la vie qui l’animaient naguère (2). 
Des Infusoires divers, des Chytridinées (3), envahissent la cap- 
sule et achèvent de faire disparaître ce qui restait de la matière 
verte 

Parvenus dans le liquide ambiant, les jeunes Notommates 
s’y ébattent en toute liberté, nageant et rampant alternative- 
ment avec beaucoup de vivacité. [ls ne prennent aucune nour- 
riture pendant toute cette période de vie libre; aussi ont-ils hâte 
de rentrer dans la plante pour ne plus la quitter désormais. 
Cette rentrée s'effectue par toutes les ouvertures des capsules 
dont j’ai décrit plus haut le mode de formation, et de là ils 
passent dans les branches jeunes.et vertes, où ils grossissent et 
se reproduisent à leur tour. C’est ainsi que s'explique lintro- 
duction des animalcules dans les tubes de Vaucheria, imtro- 
duction qui, pour tous les observateurs, était une énigme, car, 
à l’exception du docteur Magnus, qui a aperçu récemment les 
ouvertures se formant à l’extrémité des branches adventives, 
aucun d'eux n'avait réussi à constater de solution de continuité 
ni dans la paroi des tubes, ni dans celle des capsules. 

Il me reste enfin à parler de la destinée des œufs d'hiver 
pondus dans les galles. Nous avons vu que ces œufs commen- 
cent déja à être produits dès le mois d'avril, d’abord mêlés 
à des œufs d'été, puis seuls. Vers le milieu de mai, la ponte des 
œufs d'été avait complétement cessé, et les capsules ne renfer- 


(1) Voy. Hofmeister, Handbuch der physiol. Bot., t. 1, p. 76, et Hanstein, 
Lebenszähigkeit der Vaucheriazellen (Niederrh. Ges., Sitz. V, 4 nov. 1872, et 
Bot. Zeit., 1873, p. 697). 

(2) « Au bout de huit jours, dit Wimmer, je n’en rencontrai plus aucun 
vivant, tous s'étaient résous en une masse pulvérulente noire. » (Arb. schles. 
Ges. vaterl. Cultur, 1833 (1834), p. 71.) 

(6) Entre autres, une petite espèce de Rhizidiwm, dont les prolongements 
forment un réseau délié autour des petits amas de chlorophylle altérée. 


36 BALBIANE. 


maient plus que des œufs d'hiver. Ceux-ci étaient en nombre 
beaucoup moins considérable que les œufs d'été, de cinq à 
douze au plus dans chaque capsule, tandis que l’on comptait 
parfois trente à quarante des derniers. Malgré le soin avec lequel 
je cultivais mes filaments de Vaucheria, en renouvelant chaque 
jour l’eau qui les baignait, 1ls ne tardèrent pas à se détruire. 
Mais les œufs restèrent inaltérés dans les capsules dépourvues 
de chlorophylle et dont la membrane avait pris une teinte 
brune, ainsi que les tubes de la plante. Pendant toute la durée 
de l’été et de l’automne et la première moitié de l'hiver, les 
œufs ont continué à ne présenter aucun signe de développe- 
ment embryonnaire, mais le vitellus conservait toujours son 
aspect frais. Malheureusement une interruption assez longue 
étant survenue dans mes observations, J'ai trouvé, à la fin de 
mars, tous les œufs vides de leur contenu, les coques seules 
étaient restées dans les capsules. L’éclosion a dù avoir lieu vers 
la fin de l’hiver ou au commencement du printemps, et les 
jeunes avaient probablement 'péri faute de nourriture, car je 
n’en vis aucun, n1 dans l’eau qui baignait les filaments, ni 
dans l’intérieur de ceux-ci. Depuis cette époque, le Notommata 
Wernechi ne s’est plus représenté à mon observation. 


L’intéressant animalcule dont j'ai essayé d'écrire l’histoire 
dans les pages qui précèdent n’est pas la seule espèce du genre 
Notommata qui vive en parasite dans une Algue. Ehrenberg 
nous à fait connaître le N. parasita, qui habite solitairement ou 
à plusieurs dans les sphères du Volvox globator, qui le pro- 
mène comme « dans une nacelle » (1). Il se nourrit des jeunes 
colonies filles et dépose ses œufs dans la masse gélatineuse du 
Volvox. Lorsqu'il veut entrer ou sortir, il dévore, suivant 
Ehrenberg, quelques-uns des globules intérieurs jusqu’à ce 
que le trou soit assez grand pour lui livrer passage. Une autre 
espèce, le N. Petromyzon, vit aussi dans les sphères de Volvox, 
souvent en compagnie de la précédente (2). 


(1) Ehrenberg, Die Infusionsthierchen, 1838, p. 426, pl. 50, fig. 1. 
(2) Idem, op. cit, p. 427, pl. 50, fig. 7. 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 37 
: Après Ehrenberg, le N. parasita a été l’objet d'observations 
intéressantes de la part de John Williams (1), de Gosse (2) et 
surtout de Ferdinand Cohn (3), qui a découvert le mâle, plus 
petit que la femelle et dépourvu d’organes digestifs, comme tous 
les mâles des Rotateurs. Cohn a constaté en outre que le N. pa- 
rasita produit trois sortes d'œufs, savoir : 1° des œufs d'été, 
nombreux, à coque lisse, qui donnent naissance aux femelles ; 
2° des œufs semblables aux précédents, mais plus petits, d’où 
sortent les mâles ; et 3° des œufs d'hiver, peu nombreux, plus 
volumineux, et dont la coque est hérissée de courtes épines, 
comme Ehrenberg l'avait déjà figuré sur un œuf renfermé dans 
loviduete de la femelle. 


Je terminerai ce travail en résumant dans les propositions 
suivantes les principaux résultats de mes recherches : 

Le Notommata Wernecki présente dans son existence deux 
périodes, l’une de vie libre, l’autre de parasitisme dans les tubes 
des Vauchéries. Dans chacune de ces deux phases de son exis- 
tence, il affecte une forme très-différente : dans la première, 
il est allongé, vermiforme, divisé extérieurement en segments 
bien distincts ; dans la seconde, où 1l atteint l’âge de maturité, 
il est dilaté, sacciforme, très-contractile et sans trace de seg- 
mentation. 

À ces changements extérieurs correspondent des modifica- 
tions importantes dans les organes internes, caractérisées sur- 
tout par l'énorme développement de lovaire et l’atrophie des 
annexes du tube digestif (glandes salivaires et gastriques). 

De même que plusieurs autres Rotateurs, le N. Werneckii 
pond deux sortes d'œufs dits œufs d'été et œufs d’hiver, qui se 
distinguent entre eux par leur structure non moins que par leur 
mode de développement. 


(1) 3. Williams, On the occurrence of parasitic Rotifera in Volvox globator 
(Transact. of the Microsc. Soc., 1852, t. IT, p. 129). 

(2) Gosse, On the Notommata parasita inhabiting the spheres of Volvox 
globator (4bid., p. 143). 

(3) F. Cohn, Bemerkungen über Räderthiere (Zeitschr. für wiss. Zool, 1858, 
t. IX, p. 291). 


Be , BALBIANE. 

Une mème femelle peutproduire, soit exclusivement des œufs 
d'été ou des œufs d'hiver, soit les deux sortes d'œufs mélangés 
dans une même galle de Vaucherix. 

Les œufs d'hiver sont déjà produits dès le printemps; leur 
ponte commence plus tard et se prolonge plus longtemps que 
celle des œufs d'été; ceux-ci se développent immédiatement, 
tandis que les premiers hivernent et n’éclosent que l’année sui- 
vante. 

Je n'ai pas observé d'individus mâles, et d'autre part je n’ai 
jamais trouvé de spermatozoïdes chez les femelles, d’où je con- 
clus que les œufs d'hiver comme les œufs d'été se développent 
sans fécondation préalable. 

Les galles des Vaucheria, dans lesquelles le N. Werneckii vit 
en parasite et se reproduit, sont dues à une hypertrophie des 
branches de la plante qui portent les organes de la fructifica- 
tion. Elles diffèrent des galles proprement dites, développées 
sur les végétaux supérieurs, en ce qu’elles sont des parties 
préexistantes qui ont simplement subi un accroissement de 
volume sous l’action du parasite. Cette exagération des fonc- 
tions végétatives se manifeste aussi souvent par la formation de 
branches adventives sur divers points de la surface de la galle. 

La sortie des jeunes Notommates nés dans les galles, et leur 
rentrée dans les tubes de Vaucheria pour la formation de galles 
nouvelles, s'effectuent par des ouvertures qui se produisent 
spontanément au sommet des branches adventives; ils se ser- 
vent aussi quelquefois, dans le même but, de la cornicule ou 
organe mâle de la reproduction, qui persiste à la base de la 
capsule sous la forme d’un tube ouvert à ses deux extrémités. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 4. 


Lettres désignant les parties de l'animal. 


bo, bouche. 

cc, cavité ciliée. 

Ch, centre nerveux. 

e, estomac. 

gc, glandes caudales. 
gg, glandes gastriques 
ARTICLE N° 2. 


NOTOMMATE DE WERNECK. 939 


gr, globules graisseux provenant de la destruction des glandes 
gastriques. 

gs, glandes salivaires. 

in, intestin. 

l, lèvre supérieure du vestibule buccal. 

l', lèvres latérales. : 

ms, masse stomacale. 

o, œufs d'été. 

0’, leurs coques vides. 

0”, œufs d'hiver. 

od, oviducte. 

æ, œil. 

æs, œsophage. 

os, organes segmentaires. 

ov, ovaire. 

ph, pharynx. 

lt, tégument externe avec la couche cellulaire sous-jacente. 

vb, vestibule buccal. 

ve, vésicule contractile. 


Leitres désignant les parties de la plante. 


b, branche portant les organes de la reproduction. 

ba, branches adventives formées au sommet de la galle. 

ba', branches adventives de la base. 

ca, cellule anthéridienne vide et ouverte. 

fc, fausse cloison. 

g, galles formées par le parasite. 

0, organes de la reproduction sexuelle. 

ra, rameau anthéridien. 

rs, rameau sporangifère. 

Sp, sporange. 

æ, æ', æ'', points où se produisent les ouvertures des poches para- 
sitiques. 


Fig. 1. Tubes du Vaucheria terrestris vus à un faible grossissement. Ils pré- 

5 s P 
sentent, en 0, 0, les organes de la reproduction, et en g, g, les capsules ou 
galles habitées par le Notommata Werneckii, dont la présence est indiquée 
par le point noir intérieur. 

Fig. 2. Notommata Werneckii adulte, vu par la face dorsale. 


Fig. 3, 4, 5. Extrémité céphalique, vue de profil. Ces figures sont destinées 
à montrer quelques-unes des variations de forme dues aux contractions de 
cette partie. 

Fig. 6 et 7. Même extrémité, vue par la face ventrale. Dans la figure 6, le 
vestibule buccal est représenté largement ouvert; dans la figure 7, il est vu 
à demi-fermé ; bo, fente buccale. 


Fig. 8. Extrémité postérieure du corps. ve, vésicule contractile ; os, les deux 


40 BALBIANI. 


canaux qui y débouchent ; gc, glandes caudales. Un œuf d'été est engagé dans 
l’oviducte, od. 


Fig. 9. Individu âgé, dont le corps est distendu par des œufs presque mürs. Au 
centre du corps on voit la masse stomacale noire, ms, entourée d’un cercle 
de globules graisseux provenant de la destruction des glandes gastriques. 


Fig. 10. Jeune individu pendant la période libre de son existence. 

Fig. 11. Œuf d'été venant d’être pondu. 

Fig. 12. Œuf d’été renfermant un embryon près d’éclore. 

Fig. 13. Œuf d'hiver récemment pondu. ch, chorion externe; ch', chorion 
interne ; vg, vésicule germinative. 

Fig. 14. Organes de la reproduction du Vaucheria terrestris après la fécon- 
dation. 


Fig. 15. Les mêmes organes après la chute de la spore. Un jeune Notommate 
est logé à l’intérieur du rameau sporangifère, rs. Une fausse cloison, fe, s’est 
produite dans le tube de la plante, non loin de la branche qui porte les 
organes de la reproduction. 


Fig. 16. Poche parasitique ou galle du V. terrestris, renfermant une femelle 
en train de pondre des œufs d'été. 


Fig. 17. Galle contenant une femelle qui a achevé de pondre ses œufs d’hiver 0". 
ba, branches adventives simples ou ramifiées, développées au sommet de la 
galle; une branche semblable, ba', commence à naître vers la base. Un peu 
plus bas on voit le rameau anthéridien (cornicule), ra, persistant et euntière- 
ment vide de son contenu. 


Fig. 18. Vieille capsule parasitique formée à l’extrémité d’un filament et ren- 
fermant un grand nombre d'œufs d'été en train d’éclore. Dans le bas de la 
capsule, trois jeunes Notommates, récemment éclos, cherchent une issue au 
dehors. Üne ouverture, #, s’est formée à sa partie supérieure, et une autre, 4”, 
est sur le point de se produire; enfin, tout à fait dans le bas, on voit une 
troisième ouverture z''. Le corps de la femelle s’est détruit, et il ne reste 
que la masse stomacale noire, ms ; fe, fausse cloison dans le tube de la plante, 
fermant, de ce côté, le passage aux jeunes parasites. 


ARTICLE N° 9. 


DESCRIPTION 


DES 


CRUSTACÉS RARES OU NOUVEAUX 
DES COTES DE FRANCE 


Par M. HESSEX. 


(Vingt-septième article.) 


Description de deux nouveaux Crustacés parasites formant les deux genres 
nouveaux Pachynesthus et Polyoon (1). 


Les Crustacés qui font l’objet de ce mémoire appartiennent 
aux espèces déjà assez nombreuses, quoique récemment dé- 
couvertes, des parasites qui vivent renfermés dans l’intérieur 
de diverses espèces d’Ascidies. 

Cette communauté d'existence à dù nécessairement exercer 
sur leurs habitudes et sur leurs formes extérieures une grande 
influence, qui, dans l’ensemble, les rapproche plus ou moins 
les uns des autres, mais qui cependant, dans les détails, n’est 
pas assez complète pour qu’il ne soit pas possible de saisir entre 
eux des différences qui servent à les distinguer. Ce sont ces 
caractères, dont j'ai dû nécessairement tenir compte, qui m'ont 
permis d'établir les deux nouveaux genres dont Je vais donner 
ci-après la description. 


B. — Espèces dont l'extrémité de l’abdomen est terminée par des lames plates 
et divergentes. 


PACHYNESTHE VIOLET. 
(Pachynesthus violaceus, Nobis). 
Le mâle m'est mconnu. 
La fenielle (2) est de très-petite taille, elle a un millimètre 


(1) De rayveohat, devenu gras; et de mods, beaucoup, ocv, œuf. 
(2) Planche 5, fig. 1 et 35. 
ANN. SC. NAT. — ART. N° 3. 


2 HESSE. 
de long. Vue en dessus, sa tête, qui est petite et plus étroite 
que le corps, offre sur sa partie antérieure et médiane un seul 
œil qui est relativement assez gros. Le bord frontal est légère- 
ment arrondi au milieu et échancré sur les côtés ; la base de la 
tête est plus large que son sommet. 

Le {horax, qui occupe les trois quarts de la longueur du 
corps, est allongé ; il va en s’élargissant de la base au sommet ; 
ses côtés, qui sont tuméfiés et arrondis, forment au milieu 
une gouttière assez profonde, qui parcourt verticalement toute 
l'étendue du corps, de l’occiput à la base de l’abdomen. 

Celui-ei est infiniment plus étroit que le thorax; il n’est 
formé que de deux articles, dont le premier, qui touche au 
thorax, est bien plus plat que celui-ci et est de forme légère- 
ment bombée et arrondie, terminée par un appendice plat, 
bifurqué, dont les pointes divergentes se terminent en queue 
d’aronde, armées à leur extrémité de deux fortes pointes. On 
remarque aussi, de chaque côté du premier anneau abdominal, 
une sorte de membrane mince et transparente légèrement 
plissée longitudimalement et qui forme une marge assez large 
en bas du thorax (1). 

Vue en dessous (2), la tête présente, de chaque côté du bord 
frontal, une paire d'antennes grosses, courtes et coniformes, 
réunies à leur base par un même pédoncule, dont la première, 
qui est la plus courte, présente deux ou trois articles armés de 
pointes et de poils, et la deuxième, qui est plus longue et qui 
en à aussi quatre ou cinq, lui ressemble pour la forme, et est 
aussi, comme elle, garnie de pointes et de poils (3). 

À la base et au-dessous de ces antennes, on aperçoit, fixées 
à une petite protubérance médiane, arrondie, une paire de 
pattes très-longues et très-grêles, formées d’un article fémoral 
assez long et de deux autres articles d’un calibre plus étroit, 
terminés par une griffe aiguë (4). 


(1) Fig. 1, 3 et 10. 
(2) Fig. 2 et 4. 
(Ge ts; 
(4) Fig. 6. 

ARTICLE N° 3. 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 3 

: Un peu plus bas, et aussi sur la ligne médiane, on aperçoit le 

bulbe buccal, qui est arrondi et plus large à sa partie supérieure, 

et dont l’extrémité inférieure se termime par l’orifice de la 

bouche, de chaque côté duquel se voient des mandibules den- 
ticulées et d’une petitesse extrême. 

On aperçoit en outre, en dehors, de chaque côté de celle-ci, 
deux petites pattes-mâchoires qui descendent verticalement, 
et dont les pointes dépassent légèrement le bord inférieur de 
la bouche, et en dehors et attenantes à ces petites pattes, deux 
autres plus larges et plus plates, qui sont placées de chaque 
côté. 

Plus bas que celles-er et à la base de la tête, se trouve une 
autre pare de pattes infiniment plus robustes, composées d’un 
article fémoraltrès-fort, suivi de deux autres articles également 
très-solides et terminés par une griffe puissante et crochue dont 
la pointe peut se rabattre sur les deux derniers articles de ces 
pattes. 

Celles-e1 sont suivies de quatre paires de pattes thora- 
ciques (1) placées de chaque côté des anneaux de cette partie 
du corps, et qui sont toutes uniformément composées d’une 
sorte d'article basilaire charnu et creux qui forme une cupule 
assez profonde pour pouvoir recevoir la partie antérieure de 
ces pattes, composées de deux ou trois articles grêles et eylin- 
driques, terminés par une griffe arquée et pointue. 

Les bords latéraux du thorax sont, de ce côté, comme du 
côté de la face supérieure, très-tuméfiés et arrondis (2), for- 
mant des bourrelets sur lesquelson n’aperçoitquetrès-faiblement 
les divisions des articles thoraciques. Cette élévation des parties 
latérales contribue à former au milieu, comme cela a lieu en 
dehors, une gouttière dont j'ai parlé en décrivant la face supé- 
rieure, et qui est, de ce côté, un peu moins profonde, mais 
beaucoup plus large. 

Enfin, le dernier appendice abdominal présente, en dessous 


(1) Fig. 7 et 8. 
(2) Fig, 2 et 4. 


4 HESSE. 
de ces pointes divergentes, deux autres qui sont plus courtes 
et arrondies et très-aiguës (1). 

Vu de profil (2), ce Crustacé, qui, comme beaucoup de ceux 
que l’on rencontre dans les Ascidies et qui ont à peu près sa 
forme, a l'habitude de se cambrer en se renversant en arrière 
et forme ainsi un demi-cerele. 

Dans cette position, on aperçoit bien plus évidemment l’effet 
de la tuméfaction occasionnée, Je pense, par les œufs accu- 
mulés dans les parties latérales du thorax. Les plis formés par 
la contraction du corps s’accentuent visiblement du côté du 
profil dorsal, et l’on voit que le dermier article thoracique se 
termine par une sorte de protubérance arrondie qui s'élève 
considérablement au-dessus de la région abdominale. 

Coloration. — Ge petit Crustacé a la tête blanche, ce qui la 
fait parfaitement ressortir et se distinguer du thorax, qui est de 
couleur violette hortensia d’une teinte très-agréable. Le milieu 
du corps est d’une teinte rouille très-foncée, et l'abdomen est 
blanc comme la tête, dont l’œil est rouge vif. La coloration en 
dessous est exactement la même qu’en dessus. Les œufs me 
sont inconnus, mais on les apercevait entassés de chaque côté 
du thorax à travers la peau, qui est très-mince et très-transpa- 
rente. 

Habitat. — Trouvé deux exemplaires seulement le 2 mai 
1871, au port de Postrein, près de Brest, dans une Ascidie 
composée. 


A. — Espèces dont l'extrémité de l’abdomen est terminé 
par des pointes aiguës. 


POLYOONE JAUNE. 
(Polyoon luteum, Nobis). 


Mâle mconnu. 
Femelle (3). — Elle est un peu moins tuméfiée, mais plus 


(A) Fig. 11. 
(2) Fig. 3. 
(3) Fig. 12 et 13. 


La) 


ARTICLE N° 0. 


A 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 5) 
grande que celle de l’autre espèce, dont elle a deux fois la 
taille, c’est-à-dire 2 millimètres. 

Son corps est gros et cylindrique, un peu plus étroit à ses 
deux extrémités qu’au milieu. La peau qui le recouvre est lisse 
et bien tendue, laissant apercevoir assez distinctement les divi- 
sions dont il est formé. 

Vue en dessus, la tête est petite et bien distincte ; elle est plus 
étroite à son extrémité supérieure qu’à sa base ; son bord frontal 
est arrondi, et l’on aperçoit, non loin de celui-ci et sur la ligne 
médiane, un œil unique de moyenne grosseur. 

Le thorax est divisé en cinq articles, qui forment à eux seuls 
la presque totalité du corps. Le premier est le plus petit, et le 
dernier est le plus grand. Les quatre premiers sont légèrement 
échancrés au milieu, sur les côtés, et ils sont tous bordés d’un 
limbe blanc étroit. | 

L’abdomen est formé de trois articles à peu près de la même 
longueur, mais de largeur différente, allant en diminuant de 
dimension de la base à l’extrémité inférieure, qui est terminée 
par deux appendices divergents armés de pointes aiguës et re- 
courbées, pouvant au besoin faire fonction de griffes préhensiles. 

Vu en dessous, on aperçoit de chaque côté du bord frontal 
une pare d'antennes doubles, courtes (1), divergentes et cylin- 
driques, d’inégale longueur, composées de trois ou quatre 
articles hérissés de soies et de pointes rigides. 

Un peu plus bas, et aussi de chaque côté, on voit une patte 
grêle, cylindrique, formée de trois articles, et terminée par 
une griffe légèrement recourbée (2). 

Au milieu de la tête s'aperçoit le bulbe buccal, dont la con- 
formation a beaucoup de rapport avec celle que je viens de 
décrire dans l’espèce précédente. 

Enfin, au-dessous de celle-ci et latéralement, on voit une 
paire de pattes robustes, formées de trois ou quatre articles 
terminés par une forte griffe crochue (3). 


(1) Fig. 14. 
(2) Fig. 45. 
(3) Fig. 16. 

ANN. SC. NAT., FÉVRIER 1878. VII, 6. — ART. N° 9. 


6 HESSE. 


Les pattes thoraciques (1) sont au nombre de quatre paires, 
qui sont toutes conformées de la mème manière. Elles sont 
fixées latéralement au milieu d’une sorte de cupule mem- 
braneuse, de laquelle émerge une capsule triangulaire terminée 
en pointe, et qui est destinée à recouvrir la base de ces pattes 
grèles et plates qui peuvent en sorür ou y rentrer à volonté. 

Ces pattes sont formées de deux ou trois articles. Elles sont 
terminées par deux petites griffes, et leur bord mférieur est 
garni de petites pointes placées l’une à côté de l’autre, comme 
les dents d’un peigne. 

Vu de profil, le corps parait cylindrique (2) et un peu 
ballonné. La peau est lisse, et les anneaux sont assez distinete- 
ment indiqués. On aperçoit aussi, à l'extrémité de l’abdomen, 
les griffes recourbées qui le terminent. 

Les œufs sont placés de chaque côté de l’abdomen, à la base 
du thorax, dans des tubes fusiformes dont la longueur et la 
erosseur égalent presque celle du corps entier; 1ls sont de 
rosseur moyenne, et par conséquent ils sont en nombre con- 
sidérable (3). 

Coloration. — La tête, ainsi que le corps et l'abdomen, sont 
de couleur jaune d’or très-vive. Une ligne étroite, violette, par- 
court tout le corps verticalement, de la base de la tête à P'extré- 
mité de l'abdomen. Deux raies rouges carmin, onduleuses, 
suivent aussi le même trajet de chaque côté de la ligne médiane. 
L'œil est également rouge, et les œufs sont d’une couleur 
violette très-foncée. 

Habitat. — Trouvé dans le port marchand de Brest deux 
individus femelles renfermés dans une Ascidie composée, glo- 
buleuse, de couleur jaune vif, ponctués de petits points 
rouges (4). 


(A) Fig. 17 et 18. 
(2) Fig. 13. 
(2) Fig. 12. 
(4) Fig. 21. 


ARTICLE N° 3. 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 7 


BIOLOGIE. 


L'existence complétement sédentaire, et pour ainsi dire de 
réclusion, à laquelle se trouvent condamnés les Crustacés que 
je viens de décrire, n’exige pas, comme pour ceux qui vivent en 
hberté, des moyens de locomotion perfectionnés, dont ils n’au- 
raient du reste aucun emploi ; aussi ceux qu’ils possèdent sont- 
ils plutôt destinés à leur servir à la reptation qu’à la navigation. 

Renfermés constamment dans une enceinte extrêmement 
limitée, formée par un test de cellulose plus ou moins ré- 
sistants, ils sont réduits, pour se mouvoir dans ces étroites 
demeures, à se frayer de vive force un passage, et, comme Pa 
très-bien observé M. le professeur Giard dans son remarquable 
travail sur les Synacidies (1), ils sont forcés de se tracer des 
galeries à l’aide desquelles ils s’introduisent dans les viscères ; 
ils pénètrent dans les ovaires, et produisent des désordres tels 
que souvent ils occasionnent la mort de toute la colonie, et 
pourraient fre croire à l’existence d’une nouvelle espèce, alors 
que ces modifications ne sont que le résultat des perturbations 
qu'elles ont produites dans des individus déjà déerits. 

Ce travail de fouissement, que je comparerai à celui de la 
Taupe srillon, de la Courtilière (Gryllotalpa vulquris), a pour 
résultat de faire disparaître les cloaques communs et de les 
remplacer par de petites ouvertures très-rapprochées, dont il 
est facile de concevoir l'utilité pour ces Crustacés. Sans ces 
issues, en effet, les jeunes embryons ne pourraient sortir de 
cette enceinte ni se disséminer, et conséquemment contribuer 
à la dispersion de leur espèce, et les mâles, qui, si jen juge par 
les Crustacés très-voisins de ceux-ci, que Je connais, et qui 
sont extrêmement agiles et pourvus de tout ce qu'il faut pour 
nager avec facilité, seraient emprisonnés et réduits à un état 
de captivité qui est évidemment contraire au rôle qu’ils ont 
à remplir. 


(1) Thèses présentées à la Faculté des sciences de Paris pour le doctorat des 
sciences naturelles. Coulommiers, 1872, p. 55 et 56. 


8 HESSE. 

Cette liberté, d’ailleurs, dont jouissent les mâles, explique 
facilement leur rareté, ou plutôt la difficulté qu’il y a de s’en 
procurer. Îls ne sont que rarement sédentaires. C’est néces- 
sairement pour ce motif qu'on les rencontre moins que les 
femelles, qui sont condamnées à vivre toujours renfermées. 
Celles-ci sont d’ailleurs assez difficiles à apercevoir, à raison 
de leur extrême petitesse; et si ce n'étaient les œufs, qui sont 
généralement d’une couleur très-tranchante et qui dénotent 
leur présence, on ne les verrait souvent pas. 

Les moyens de locomotion accordés à ces Crustacés pour 
surmonter les obstacles qui s'opposent à leur passage au milieu 
des viscères des Synacidiens se composent des pattes thora- 
ciques, qui sont assez longues et grêles, et sont terminées, soit 
par une seule griffe crochue, comme dans le Polyoone, soit par 
plusieurs, comme dans le Pachynesthe. On remarque en outre, 
dans l’un et l’autre, les cupules placées à la base des pattes, 
desquelles elles émergent, qui, par leurs contractions et la 
facilité qu’elles ont de prendre plusieurs formes, peuvent s’ap- 
pliquer comme des ventouses sur les surfaces et s’y fixer (1), 
ou, s’allongeant en pointe, servir de moyen de propulsion (2). 

Enfin, il n’est pas sans intérêt de fixer son attention sur la 
manière dont se termine l’extrémité abdominale chez ces deux 
Crustacés. | 

Chez l’un, le Pachynesthe violet (3), il présente un appendice 
armé de deux pointes divergentes, en forme de queue d’aronde, 
en dessous desquelles sont deux autres pointes dirigées perpen- 
diculairement, combinaison qui me semble destinée à attirer 
ou repousser les objets, ainsi que cela a lieu au moyen de la 
gaffe employée par les marins dans le même but. 

Le Polyoone a également l'extrémité de l'abdomen armée de 
deux griffes qui, au lieu d’être plates, sont arrondies, courtes, 
crochues, et terminées par une pointe aiguë. 

Elles peuvent aussi se relever, et alors servir à la propulsion, 


(1) Fig. 7 et 8. 

(2) Fig. 17 et 18. 

(3) Fig. 1, 2, 3, 10 et 11. 
ARTICLE N° 9. 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 9 


ou s’abaisser, et en se rapprochant, saisir les objets de manière 
à les attirer et à fournir un point d'appui pour un mouvement 
rétrograde (1). 

Relativement à l’alimentation de ces animaux, je suis néces- 
sairement réduit aux conjectures ; mais 1l ne me paraît pas pos- 
sible qu'ils ne vivent pas aux dépens de leurs hôtes, soit de 
leur substance, de leurs sécrétions ou de leurs œufs. 

Par ce qu’elle enseigne sur son usage, la forme de la 
bouche (2), qui fournit généralement des indications précieuses 
à cet égard, n’en donne pas ici de précises, attendu qu’elle 
peut servir aussi bien à la succion qu’à la mastication; il y a 
donc lieu de présumer qu’elle est employée dans les deux cas. 
Il paraît d’ailleurs évident qu’il y a nécessité qu’il en soit ainsi, 
car sans cela les Crustacés, qui sont dans l'impossibilité d'aller 
chercher leur nourriture au dehors, périraient infailiblement 


s'ils ne trouvaient pas à leur portée tout ce qui leur est néces- 
saire. 


SYSTÉMATISATION. 


Les deux Crustacés que je viens de décrire se rattachent 
évidemment, par leurs formes ainsi que par leur manière de 
vivre, à ceux que j'ai décrits précédemment, et que j'ai, comme 
ceux-ci, trouvés dans l’intérieur des Synacidies; il me reste 
done à faire valoir les caractères qui les en rapprochent ou qui 
les en éloignent, afin de pouvoir les placer dans la position qu’il 
convient de leur assigner. L 

Une difficulté, cependant, se présente : c’est celle qui ré- 
sulte de la différence qui, d’après ce que J'ai déjà constaté 
dans des espèces semblables, doit exister entre le mâle et la 
femelle, et, dans ce cas, de savoir quel est le type qui doit pré- 
valoir. Dans mon opinion, ce serait celui du mâle, car il n’est 
pas, comme les femelles, à raison de leurs fonctions géné- 
siques, soumis à des déformations qui sont souvent si complètes, 


(1) Il est particulièrement remarquable que la plupart des Crustacés para- 
sites qui vivent dans l’intérieur des Ascidies offrent des dispositions semblables. 
(2) Fig. 4. 


10 HESSE. 


qu’elles font disparaître entièrement les formes primitives en 
en substituant d’autres qui n’ont, avec les premiers, que de 
très-faibles ressemblances. 

Je dois éependant dire que, chez ces Crustacés, laltération 
dans les formes des femelles ne provient généralement pas, 
comme cela a lieu dans beaucoup d'espèces, de la présence des 
œufs dans les capacités thoraciques et abdominales qu’ils en- 
vahissent en entier. Chez celles-ci, ils sont presque toujours 
placés en dehors, dans des tubes ovifères (1); aussi n'est-ce 
pas à cette cause qu'il faut attribuer cette différence dans les 
formes, mais bien au genre de vie, qui n’est plus le même. 

Les femelles, en effet, sont destinées à rester constamment 
captives dans le réduit qu’elles habitent ; elles n’ont alors besoin 
que de faibles moyens de progression pour y circuler, tandis 
que le mâle, ainsi que les embryons, dont le rôle est de dissé- 
miner leur espèce, ont au contraire des organes qui leur per- 
mettent d'accomplir leur mission. C’est donc pour ce mouf, 
par suite de la vie errante qu’ils mènent, que les mâles, comme 
je l'ai déjà dit, sont plus difficiles à se procurer que les femelles. 
Mais, comme le mâle et la femelle doivent, dans tous les cas, 
être décrits, peu importe que lon commence par l’un ou par 
l’autre, puisque, en définitive, ils doivent l’être tous deux. 

Parmi les espèces déjà assez nombreuses que J'ai décrites 
précédemment, et qui ont toutes la même origine et les mêmes 
mœurs, il y en a bien, et ce serait très-étonnant qu'il en füt 
autrement, quelques-unes qui, vues de profil particulièrement, 
offrent avec nos nouveaux Crustacés une certaine ressem- 
blance de forme : telles que le P{éropode rouge (t. E, pl. 1, 
fig. 14 des Annales des sciences, 186%), ainsi que le Platipode 
rouge (même planche, n° 15, même volume et même année). 
Mais, en les comparant, on voit aussitôt que les pattes n’ont 
pas la même conformation, que l'extrémité de l’abdomen n’a 
pas la même désinence, et qu’enfin le corps est imfiniment 
plus étroit. 


(1) Fig. 12. 
ARTICLE N° 9. 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 11 


Les mêmes rapprochements peuvent être aussi faits en ce 
qui concerne le Mychophile rose (t. IV, 4865, des Annales 
des sciences, pl. 6, fig. 1), le Narcode rose macrostème (mème 
planche et même volume, fig. 4 À), et les Biocryptes rose et 
jaune (même ouvrage, même volume et même planche, fig. 1 B 
et 1 C). Mais encore ici trouve-t-on des différences manifestes 
dans la forme des pattes, qui, dans lès premiers, sont simples 
et n’ont pas la même conformation, ainsi que l'extrémité de 
l'abdomen, mais qui, dans les deux Crustacés que j'ai dési- 
gnés sous le nom de Biocryptes rose et jaune,-ont au contraire 
beaucoup de ressemblance quant à la forme des pattes, 
et cependant s’en distinguent visiblement par celle des an- 
tennes, qui, au lieu d’être courtes et arrondies, sont longues, 
plates, et surtout par le prolongement membraneux, cupu- 
liforme qui termine le thorax et sert, en les abritant, à pro- 
téger à leur base les tubes ovifères. Ainsi il est évident que, 
malgré certains points de ressemblance, nos deux nouvelles 
espèces sont parfaitement distinctes de celles que nous avons 
décrites précédemment. Par ces motifs, je les elasserai done 
parmi elles, en tenant compte nécessairement des caractères 
particuliers qui les distinguent, et à eet effet J'aurai recours 
au tableau synoptique que j'avais adopté pour la classification 
des espèces que j'ai publiées précédemment (1) et auxquelles 
celles-ci se rapportent. 


GENRES. 
| 1. Adranesius. 
. De 2. Mychophile. 
A. des pointes aiguëés....... Fer 
L \ | 3. Narcode. 
4. Polyoone (). 
Extrémité de 5. Byocrypte. 
l'abdomen divergentes... E Hypnode. 
terminée par : | B. des lames plates... 7. Pachynesthe (*) 
convergentes.. 8. Lygephile. 
C. un prolongement plat, épaté, à pointes 
réunies, mais divergentes....... 9. Cryptopode. 
Nora. — Les espèces indiquées par un astérisque (*) sont nouvelles. 


(1) Voy. le tome IV, 5° série, 1865, des Annales des sciences, p. 254. 


19 HESSE. 


TABLEAU synoptique dans lequel figurent deux nouvelles espèces de Crustacés 
parasites que j'ai ajoutées à celles que j'ai déjà découvertes dans les 
Synacidies. 


GENRES. 
| onguiculées et pla-\ June seule pièce 4 
tes; antennes Cour- | cupuliforme....... PRET 
tes et arrondies; Mychophile. 
appendices ovitec- Narcode. 
TEUTS Re nt /nuls........... - Polyoone (‘). 
nd Pachynesthe(*) 
simples plates et longues; 
inermes et cylin- \ appendices  ovitec- | F  . 
driques.......,.. ) teurs bilobés, plats 
CPMATETAUX ee 
Pattes nulles ;  appendices 
\ Rien entiers, | 
ANTENNES LEE EREE ne de vue ea 
IOEMES EME 
doubles; antennes longues et cylindriques; appen- ( Hypnode. 
\  dices ovitecteurs doubles, plats et latéraux... .. | Lygéphile. 


Nora. — Les astérisques (‘) indiquent les nouvelles espèces. 


Voici la caractérisation des deux nouveaux genres : 


1e genre. — PACHYNESTHE. 


Mäle mconnu. 

Femelle. — Tête petite, ovale, plus étroite à la partie supé- 
rieure qu'à sa base, pourvue, de chaque côté, d’une paire 
d'antennes doubles, courtes, cylindriques, dont les deux tiges, 
de longueur inégale, sont divergentes et partent d’un même 
pédoncule. Œil médian, petit. Corps cylindrique, allongé et 
tuméfié, déprimé au milieu, composé de cinq anneaux peu 
distincts qui vont en s’élargissant de la tête à l’extrémité infé- 
rieure du corps, et dont le plus grand, qui est le dernier, égale 
à peu près la longueur des autres. Bords inférieurs de celui-ci 
présentant de chaque côté une membrane mince, arrondie, 
plissée, formant une sorte de marge. Abdomen très-court, 
formé d’un seul anneau, arrondi, terminé par des appendices 
plats, pointus au bout et divergents, échancrés au milieu, en 

ARTICLE N° 9. 


CRUSTACÉS DES COTES DE FRANCE. 15 
queue d’aronde, munis en outre de deux pointes aiguës et 
légèrement recourbées. Bouche cylindrique, terminée par deux 
petites mâchoires et précédée de deux pattes longues et grèles, 
composées de deux articles terminés par une griffe. En dessous 
de la bouche, deux pattes larges et plates, et plus bas, de 
chaque côté du thorax, quatre paires de pattes, grêles et plates, 
terminées par plusieurs petites griffes : ces pattes émergeant 
d’une cupule placée à leur base et étant de plus protégées 
par un prolongement membraneux triangulaire qui en recouvre 
les trois quarts. 

Œufs inconnus. 


2e genre. — POLYOONE. 


Mûle mconnu. 

Femelle. — Tête petite, triangulaire, pourvue d’une paire 
d'antennes doubles, grosses, courtes et cylindriques, composées 
de deux tiges inégales et divergentes, formées de deux ou trois 
anneaux partant d’un même pédoncule. Œil petit et médian. 
Corps allongé, cylindrique, allant en s’élargissant de la tête 
à l’extrémité thoracique. Anneaux thoraciques au nombre de 
cinq, dont les quatre premiers sont d’égale grandeur, et le 
dernier presque aussi grand que les autres. Abdomen très-étroit 
et court, cylindrique, formé de trois anneaux et terminé par 
deux pointes aiguës. Bouche cylindrique, terminée par de 
petites mâchoires. Pattes, les deux premières longues et grèêles, 
formées de trois articles, suivies des autres, larges, courtes et 
plates, et de quatre autres paires longues, grèles, terminées 
par une griffe pointue : ces pattes étant rétractiles, ou du moins 
émergeant d’une sorte de cupule placée à leur base. Tubes 
ovifères fusiformes, aussi longs que le corps et presque de sa 
grosseur. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 5. 


Fig. 1. Pachynesthe violet femelle, amplifié 70 fois, vu en dessus, montrant la 
quantité considérable d’œufs qui tuméfie les deux côtés du thorax, au milieu 
desquels se trouve une dépression longitudinale en forme de gonttière. 


1% HESSE. 


Fig. 2. Le même, vu en dessous, au même grossissement, chez lequel les bords 

latéraux sont plus écartés et laissent au milieu une dépression plus large 
8 
qu’elle ne l’est en dessus. 

Fig. 5. Le même, vu de profil. 

Fig. 4. La tête du même, vue en dessous, fortement grossie. 

Fig. 5. Ses antennes, très-amplifiées. 

Fig. 6. Première patte, très-grossie. 

Fig. 7 et 8. Deux pattes thoraciques très-amplifiées, vues l’une de face et 
l’autre de protil, montrant la cupule ou la cavité basilaire de laquelle elles 
émergent et la griffe qui les termine. 

Fig. 9. Portion très-grossie du tissu cellulaire, montrant, à travers la peau, les 
divisions irrégulières produites par l’entassement des œufs. 

Fig. 10 et 11. Extrémités très-grossies de l’abdomen du même, vues de face 
et de profil. 

Fig. 12. Polyoone jaune femelle, vu en dessus, amplifié 70 fois. 

Fig. 13. Le même, vu de profil et au même grossissement. 

Fig. 14. Les antennes du même, très-grossies. 

D ? o 

Fig. 15 et 16. Deux premières pattes, lrès-grossies. 

Fig. 17 et 18. Deux pattes thoraciques, très-amplifiées, vues de profil et de 
face, montrant la cupule basilaire de laquelle sort la patte, qui est plate et 
terminée par plusieurs petites griffes pectinées, et qui est garnie, du côté 
intérieur, de petits poils rigides. On voit aussi au-dessus de ces pattes un 
appendice membraneux triangulaire, qui émerge de cette même cupule et 
qui couvre la base de ces pattes. 

Fig. 19 et 20. Extrémité de l'abdomen, très-grossie, montrant les appendices 
qui le terminent, qui sont armés de griffes qui peuvent devenir préhensiles 
ou se relever en sens inverse. 

Fig. 21. Synacidie globuleuse, de grandeur naturelle, dans laquelle j'ai ren- 
contré ce Crustacé. 


a 


ARTICLE N° ». 


NOTE 


SUR 


UN NOUVEAU GENRE D'ORTHOPTÈRE FONSILE DE LA FAMILLE DES PHASMIENS 


PROVENANT DES TERRAINS SUPRA-HOUILLERS DE COMMENTRY (ALLIER) 
(PROTOPHASMA DUMASII) 


Par M. Charles BRONGNIART. 


Nous ne possédons que de rares éléments relatifs à l’ento- 
mologie des terrains carbonifères. Les Articulés sont peu nom- 
breux dans ces couches, et ce n’est qu'après des recherches 
longues et suivies que l’on peut réunir un ensemble d’échan- 
tillons assez considérable pour former le sujet d’un travail 
spécial. 

M. Goldenberg nous à fait connaître la faune houillère de 
Saarbruck, et vient de publier tout récemment (1877) le second 
fascicule de son ouvrage intitulé : Fauna Saræpontana fossilis, 
où 1l décrit des ailes fort bien conservées, appartenant à des 
Névroptères et à des Orthoptères, dont l’un de ces Insectes 
(Eugerion Beckingii) présente encore une partie de son corps. 
En Amérique, M. Samuel H. Scudder étudie avec ardeur les 
Articulés des dépôts houillers des États-Unis. Enfin, M. Henry 
Woodward, du British Museum, a publié plusieurs travaux sur 
les Articulés fossiles, et entre autres, en 1876, une note fort 
intéressante relative à un Orthoptère assez complet provenant 
des terrains carbonifères d'Écosse (Lithomantis carbonarius). 

Les insectes que l’on trouve dans les terrains houillers sont 
principalement des Orthoptères coureurs, tels que des Blattes, 
des sortes de Mantes, et des Névroptères tels que des Termes 
et des Émerobes. M. Goldenberg donne le nom de Fulgorina 
à certains Insectes, ce qui indiquerait la présence d'Hémiptères 
à l’époque houillère (4). 

(1) Je possède des ailes d’Insectes presque semblables à celles que déerit et 

ANN. SC. NAT. — ART: N° 4. 


9 CH. BRONGNIART, 


Je puis ajouter un genre nouveau aux Orthoptères coureurs 
décrits jusqu’à ce jour. C’est à mon ami M. Grand’Eury que 
je le dois (1). Il provient des couches supra-houillères de Com- 
mentry (Allier). Je devais le décrire avec d’autres Articulés fos- 
siles de Saint-Étienne, que ce savant paléontologiste m'a pro- 
curés, mais le parfait état d’intégrité de cet Insecte et l'intérêt 
de ses affinités zoologiques m'ont engagé à le faire connaitre 
immédiatement. 

Il est assez bien conservé pour qu’on puisse le voir sans le 
secours d’une loupe, tel qu'il est représenté, et l’on reconnait 
tout de suite un Orthoptère voisin des Phasmes, dont il diffère 
cependant par certains caractères sur lesquels je reviendrai 
plus tard. C’est le premier Imdividu de cette famille que lon 
ait trouvé à l’état fossile. Il reste sur empreinte une matière 
brunâtre qui est plus foncée en certains endroits, et présente 
ainsi l’aspect d’un tégument (2). 

Ce magnifique Orthoptère se montre de profil, couché sur le 
côté droit, et toutes les parties de son corps, sauf l’abdomen, 
sont conservées. On peut observer, même à l'œil nu, les pattes 
complètes, qui sont toutes dentelées en scie; on en peut étudier 
la tête, un des yeux, les antennes et les palpes, enfin les élvtres, 
dont l’un est encore très-net, et les grandes ailes (ou ailes 
de la seconde paire), toutes deux à peu près intactes. 

Les Phasmiens ont été l’objet de travaux approfondis de 
MM. Audinet-Serville, Westwood et Gray. Ge dernier auteur 
divise les Spectres en deux grands groupes : les Apterophas- 


figure M. Goldenberg, plus complètes, et montrant des réticulations qui n’ont 
aucun rapport avec celles des Hémiptères. Ge sont, à mon avis, des ailes de 
Névroptères qui ont sans doute appartenu à des Insectes voisins des Chauliodes 
de Westwood. — Voyez Westwood, Oriental Entomology (Chauliodes sub- 
fasciatus), p. 70, pl. 34, fig. o. 

(1) Ge fossile a été rencontré par M. l'ingénieur Fayol dans une argile com- 
pacte, micacée, des terrains supra-houillers de Commentry (Allier), au puits 
Forêts, à 5%,50 du toit de la grande couche. 

(2) Un fait analogue a été constaté chez des végétaux. On a en effet ren- 
contré dans le terrain houiller des empreintes de feuilles, et entre autres, de 
feuilles de Fougères, sur lesquelles l’épiderme subsistant encore, pouvait être 
détaché et étudié séparément. 

ARTICLE N° 4. 


ORTHOPTÈRE FOSSILE DE LA FAMILLE DES PHASMIENS. 3 
mina, où Phasmiens privés d'ailes, et les Pterophasmina, ou 
Phasmiens ailés. 

Les Orthoptères renfermés dans la famille des Phasmiens 
ont des formes très-différentes. Les uns ont les antennes très- 
longues et très-fines (Phasma) ; d’autres les ont au contraire 
courtes et plus robustes (Cyphocrana). 

Les uns ont le prothorax très-court (Phasma) ; chez d’autres, 
il est un peu plus long (Prisopus). Enfin, certains genres ont 
les pattes glabres et dépourvues d’épines (Phasma) ; d’autres 
au contraire les ont très-anguleuses et dentelées en scie (Diura, 
Gray, Cyphocrana). 

Je n'ai pas à parler des autres genres, puisqu'ils n’ont aucun 
point de ressemblance avec notre fossile; je comparerai celui-ci 
aux groupes cités précédemment, avec lesquels il a quelques 
rapports. 

Je dédie ce bel Orthoptère à mon oncle, M.J. B. Dumas, 
membre de lAcadémie française, secrétaire perpétuel de 
l’Académie des sciences. 


PROTOPHASMA nov. gen. (1). 


PROTOPHASMA DUMAsSII. 


Longueur. Largeur. 
Balpes ae tn Eu LE 4 millim. 1/2 
ATEN Co bobo coco bb devope sed ou 21 2/3 
MEL eee eee re de CE PE à 9 6 
PrOUROr A MM RERUTEAN SORTE 12 6,50 
Mésothorax-i. Rae Ant at at, ae 11 10 
Métathoraxss +042 0. 7 11 11 
RDOMENR ee ce here NDS As ere Ur eee 95 ? 8 à la base. 
CUISSON RARE 16 3 
1"° paire : nr DHEA CENT LES 18 2 
TASSE ut te pe te 10 1 
CUISSE 0 16 2 
Pattes. { 2° paire : in Etat bee di 2 
(APSES LOS NAME 8 1 
CUISSE RL CR MERETE PA MR À 
\ 3° paire : | jambe Aa 2) 2,50 
LAPSES "2 MARNE 10 1 
Élytres AÉER RS A RRNt 13 7 
Ales oc MR ne. re VON NAN 89 32 


(1) De spôrev, premier ; géoux, spectre. 


4 CHI. BRONGNIART. 


La tête du Proftophasma, comme le reste du corps, est vue 
de profil et présente une forme ovalaire ; elle devait être plus 
longue que large. Nous ne pouvons voir qu'un des yeux ; il est 
un peu allongé et devait être saillant. Les antennes sont placées 
sur le milieu de la face antérieure de la tête. Elles sont courtes 
(21 millim.) : ce caractère éloigne le fossile des Phasmes pro- 
prement dits, et le rapproche du genre Cyphocrana. Le premier 
article est petit et globuleux; le second est plus gros, allongé 
et s’élargit à sa partie supérieure. Je n’ai pu voir nettement 
tous les autres articles, mais les premiers que l’on peut observer 
à partir du second sont longs, grêles, et paraissent glabres. Les 
deux palpes sont bien conservés ; ils sont composés de quatre 
articles à peu près de la même longueur, mais le dermier est 
plus petit que les autres. On voit le labre supérieur et une 
mâchoire, mais on ne peut en observer que la forme sans se 
rendre compte des détails. La mâchoire gauche, qui seule est 
dégagée de la pierre, est large à sa partie mférieure. 

Chez les Insectes de cette famille, le thorax, ou partie qui 
sépare la tête de l'abdomen, se divise en trois portions, qui 
portent les noms de prothorax, mésothorax et métathorax, et 
sur chacune d'elles est insérée une paire de pattes. Chez les 
vivants, le prothorax est généralement court (Phasma), et en 
tout cas il dépasse rarement la longueur du mésothorax (Pri- 
sopus). Chez le Protophasma, cette section est plus longue que 
le mésothorax, ce qui le rapproche des Prizopus; elle est cylin- 
drique, et présente, près de la tête, une sorte de collerette. 
C’est la seule partie du thorax que l’on puisse voir nettement ; 
les autres sont moins bien conservées. 

L’abdomen, comme nous l'avons dit précédemment, a été 
détruit, mais je peux approximativement en évaluer la lon- 
oueur (1). En effet, pour que ces animaux puissent se tenir en 


(1) Exemple : 


Longueur totale Longueur Longueur 
en millimètres. du thorax. de l'abdomen, 
10 6) 1 
20 6 13,50 

15 4,50 10 
16 5,90 11 


ARTICLE N° 4, 


ORTHOPTÈRE FOSSILE DE LA FAMILLE DES PHASMIENS. D 
équilibre, il faut que le poids de leur abdomen égale au moins 
le poids de leur tête et de leur thorax; cette proportion est 
constante chez les vivants. De plus, l'abdomen dépasse les 
ailes généralement de 1 ou 2 centimètres (1). Je m’appuie sur 
un grand nombre d'exemples. Ainsi un Phasmien, dont la lon- 
gueur totale est de 16 centimètres, aura la partie antérieure 
du corps (tête, thorax) longue de 5 centim. 1/2, et l'abdomen 
long de LT centim. On peut done remarquer que l'abdomen 
a une longueur égale à deux fois celle de la tête et du thorax 
réunis. 

Chez le fossile, cette partie (tête et thorax) mesure # cen- 
timètres 1/2, les ailes ont 8 centim. 1/2; donc, pour que 
l’Insecte füt en équilibre, l'abdomen devait avoir environ 
10 centim. Je n'avance ce fait que sous toutes réserves ; il fau- 
drait la découverte d’un second échantillon de cel snsecte pour 
justifier cette opinion. 

Quant aux pattes, elles sont parfaitement conservées. Les 
deux premières paires sont à peu près de même longueur, 
mais plus courtes que la troisième paire. Les six pattes sont 
anguleuses, dentelées en seie, et par cela ressemblent à celles 
des Cyphocrana, et diffèrent de celles des Phasmes, qui sont 
glabres. Les hanches, dans les trois paires, sont robustes et 
courtes. Aux deux premières paires, les cuisses sont à trois 
angles, sur lesquels sont de fines pointes dirigées en bas. Les 
jambes, également anguleuses et dentelées, sont rétrécies à la 
partie supérieure et présentent deux pointes à la partie infé- 
rieure. 

Dans les trois paires de pattes, les tarses sont semblables. 
Ils se divisent en cinq articles, dont le premier est plus long 
que les autres ; le dernier supporte les crochets, qui sont très- 
écartés l’un de l’autre et séparés par une petite languette ar- 
rondie. Cet article va en s’élargissant vers les crochets. Les 
trois articles intermédiaires sont d’égale longueur. La troisième 
paire de pattes est plus longue que les deux premières. La 


(1) Sauf chez certaines espèces qui ont les ailes très-courtes, 


6 CH. BRONGNIART. 

cuisse, un peu renflée, est moins anguleuse que dans les deux 
autres paires, et présente, à l’arête du bord inférieur, sept dents 
aiguës. La jambe est anguleuse et bordée de fines denticu- 
lations, dont neuf sont plus grandes que les autres et régu- 
lièrement espacées. 

Les élvtres du fossile n’offrent aucun caractère particulier 
et sont de taille moyenne, mesurant un centimètre environ de 
longueur. On y remarque une nervure robuste qui s'étend 
longitudinalement sur la ligne médiane. 

Les véritables ailes, ou de la seconde paire, sont bien dis- 
tinctes, mais aucune des deux n’est complète ; heureusement 
ce qui manque à l’une se retrouve chez l’autre, de sorte que 
j'ai pu les reconstituer, ainsi qu’on peut le voir sur la planche 
annexée à ce mémoire (fig. 2). 

Chez les Phasmiens actuels, les ailes sont pour amsi dire 
divisées en deux parties : l’une, supérieure, soutenue par trois 
ou quatre nervures robustes qui vont aboutir à l'extrémité de 
l'aile, et entre lesquelles sont des réticulations qui ont la forme 
de polygones irréguliers ; l’autre partie, inférieure, parcourue 
par des nervures grèles et droites qui rayonnent autour du point 
d'attache de laile et qui sont reliées entre elles par de fines 
réticulations. 

Les ailes du Protophasma sont différentes de celles des 
vivants. On n'y remarque pas de division aussi nette, et en tout 
cas la partie supérieure de Paile qui, chez les premiers, occupe 
un espace moindre que la portion inférieure, est au contraire 
la plus grande. Cependant, pour faciliter la description des 
nervures, nous diviserons l’aile en deux parties, comme’chez 
les vivants. La longueur totale est de 85 millim., et la largeur 
est de 32 nullim. vers le milieu. 

La nervure marginale supérieure est un peu courbe vers le 
milieu de lPaile (fig. 2, a). 

La sous-marginale supérieure (b) est parallèle à la margi- 
nale (a), mais plus droite, et à l’endroit le plus large en est 
éloignée de 6 millim. L’externo-médiane (c) est à un millim. de 


la sous-marginale supérieure (b), et à l'extrémité de l’aile en 
ARTICLE N° 4. 


ORTHOPTÈÉRE FOSSILE DE LA FAMILLE DES PHASMIENS. 7 


est écartée de 5 millim. La médiane (d) suit la même direction 
que la précédente, mais est plus courbe. Iei on remarque un 
rameau formé par la réunion des réticulations, et qui devient 
une véritable nervure, divisée en deux branches vers l’extré- 
mité de l'aile. 

L'interno-médiure (e) est à un millimètre de la médiane (d), 
et à une distance de 13 mullim. se dichotomise ; la branche su- 
périeure, à 14 millim. du bord de l'aile. se divise aussi en deux 
réseaux. La seconde branche, qui part du tronc principal, 
à 21 nullim. du bord de l'aile, se sépare en deux rameaux, 
dont le supérieur seul se dichotomise. La sous-marginale infé- 
rieure (7), qui est à 2 millim. de la précédente, se partage éga- 
lement en deux branches, dont la supérieure se subdivise en 
deux rameaux. La nervure anale (g) est très-courbe et se divise 
presque tout de suite en deux rameaux; puis, à une distance 
de 7 millim. du pomt d'attache de l'aile, on observe quatorze 
nervures droites et fines, qui, généralement de deux en deux, 
se séparent en deux branches; toutes ces nervures étant reliées 
par des réticulations droites et fines. 

Les Phasmiens de l’époque actuelle ont le plus souvent les 
ailes couvertes de bandes colorées, soit en brun, soit en bleu, 
sur un fond plus clair. [en était amsi chez le Protophasma. 
On remarque en eflet, à l'œil nu, des bandes plus foncées qui 
parcourent l'aile perpendiculairement aux nervures. 

Sous le rapport de la nervation et de la coloration, l’espèce 
fossile se rapproche du Phasma variegatum, Stoll. 

Les mœurs des Phasmes sont peu connues, mais nous savons 
cependant qu'ils sont herbivores, tandis que les Mantiens sont 
très-carnassiers. Ges Insectes se trainent lentement et comme 
avec peine sur les plantes, dans les arbrisseaux et les taillis, 
où ils se nourrissent des Jeunes pousses des arbres résineux, 
et on les rencontre presque toujours isolés. On trouve, dans 
les terrains carbonifères, de nombreux arbres de la famille des 
Conifères, tels que les Sigillaires, les Calamodendron, les 
Arthropitys, les Corduïtes, etc., tous arbres résineux qui de- 
vaient convenir comme nourriture aux Protophasmes. 

ANN. SC. NAT., FÉVRIER 1878, VII. 7. — ART. N° 4. 


8 CH. BRONGNIART. 

Il est à remarquer que les Insectes qui vivaient à l’époque 
carbonifère diffèrent peu, en général, de ceux qui existent 
actuellement à la surface du globe. Mais ce n’est pas en France, 
ni même en Europe, qu'il faudrait chercher des Insectes voi- 
sins de ceux qui habitaient la terre à l’époque du dépôt de la 
houille; c’est dans les régions chaudes de l'Amérique, de 
l'Asie, de l'Afrique et de l'Australie, et l’'Orthoptère dont nous 
venons de nous occuper vient encore ajouter un nouvel exemple 
à l'appui de cette assertion. 

Tout ce que nous connaissons de la flore et de la faune 
houillère nous prouve que la terre, à cette époque, était cou- 
verte d’une nappe d’eau, sans doute de peu de profondeur, 
d'où émergeaient de nombreuses îles dans lesquelles s’étalait 
une végétation luxuriante. Là, dans l’eau, vivaient les Palæo- 
cypris et les Palæoniscus; au bord des eaux, sur les Sigil- 
laires, etc., se tenaient les Spectres et les Mantes, dont on 
a découvert plusieurs espèces; à l’intérieur de ces îles, dans 
le terreau formé par les feuilles, les fruits et les tiges des végé- 
taux, vivaient un grand nombre de Blattes. 

Les connaissances que nous avons sur la période carbonifère, 
c’est-à-dire sur les végétaux et les animaux, concourent à nous 
prouver qu'il y avait à cette époque une température élevée, 
une grande chaleur et une lumière intense. La présence de 
ces Insectes vient aussi à l'appui de cette opinion, puisque 
tous les représentants actuels de ces différents groupes vivent 
en plein soleil dans les régions chaudes et humides du globe. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 6. 


Fig. 1. Protophasma Dumasi, Ch. Brongn. 

a, tête; b, antennes; €, œil; d, palpes; e, prothorax; f, f!, f”', pattes de 
la première paire ; g, g', élytres ; h, h', h, pattes de la seconde paire ; 
j,J!, pattes de la troisième paire; Æ, abdomen reconstitué. 

M, aile de la seconde paire, bord détruit reconstitué. 

N, cette aile est repliée sur elle-même. 

R, R', ailes de la seconde paire. 

ARTICLE N° 4. 


ORTHOPTÈRE FOSSILE DE LA FAMILLE DES PHASMIENS. 9 


Fig. 2. Aïle de la seconde paire, reconstituée. 
a, nervure marginale supérieure. 
b, nervure sous-marginale supérieure. 
c, nervure externo-médiaire. 
d, nervure médiane. 
e, nervure interno-médiaire. 
-f, nervure sous-marginale inférieure. 
g, nervure anale. 
h, nervure marginale inférieure. 
Fig. 3. Portion de la figure précédente prise près du point d'attache de Paile, 
grossie deux fois. 
a, b,C, d, e, f, g, même signification que pour la figure 2. 
Fig. 4. Élytre. 
Fig. 5. Aile et élytre de Diura Japetus, Gray. 
a, portion supérieure de l’aile à nervures droites ; b, portion inférieure de 
Paile à nervures rayonnant autour du point d’aitache de l’ale ; €, élytre. 
Fig. 6. Tête du Protophasma Dumastü, grossie deux fois. 
a, prothorax; b, téte; €, sillon qui sépare les antennes de Pœil; 
d, d', palpes; e, labre; f, œil; g, mâchoire ; L, antennes. 
Fig. 7. Tête de Diura Japetus, Gray. 
a, tête ; b, œil; c, antennes ; d, prothorax; e, patte de la première paire. 
Fig. 8. Moitié de la tête de Diura Japetus, grossie deux fois. 
Fig. 9. Patte de la troisième paire du Protophasma Dumasii, grossie deux fois. 


RECHERCHES ANATOMIQUES ET PHYSIOLOGIQUES 
POUR SERVIR 


A L'HISTOIRE DE LA RESPIRATION CHEZ LES POISSONS 


Par M. JOBERT. 


Il y a quelques mois, j'ai eu l’honneur de communiquer 
à l’Académie des sciences le résultat des recherches que j'avais 
entreprises sur le mode de respiration (1) et l'appareil respi- 
ratoire des Callichthys asper ; je viens aujourd’hui lui apporter 
de nouvelles contributions à l’étude de la respiration chez les 
Poissons, et lui soumettre des observations qu'il n’a été donné 
de faire sur différents Poissons du bas Amazone, dont la 
manière de vivre offre une analogie complète avec celle du 
Callichthys. 

Ce sont : 

1° D’autres espèces de Callichthys ; 

9 Les Doras ; 

3° Les Erythrinus ou Jejus ; 

% Les Hypostomos ou Acarys ; 

o° Le Vastres Cuvieri, Sudis gigas, le Pirarucu des habi- 
tants de l’Amazone. 

Si, à l’époque de la baisse des eaux, l'observateur examine 
avec attention la surface d’un lac ou d’un de ces ruisseaux 
connus sous le nom d’Jquaiapé, 1 la verra couverte de bulles 
de gaz, bouillant pour ainsi dire de temps en temps, à des 
intervalles réguliers; presque toujours au même point, s’élè- 
veront avec bruit d'énormes bulles bien connues des pêcheurs 
qui guettent silencieux, et le harpon à la main, le bouillon du 
Pirarucu. 

Ces phénomènes sont produits par les divers Poissons que 


(1) Voyez tome V, article n°8. 
ANN. SC. NAT. — ART. N° 5. 


DE LA RESPIRATION CHEZ LES POISSONS. 2 
j'ai énumérés plus haut, obligés de vivre dans une eau croupie 
dont la température s'élève à 39 et 41 degrés centigrades; ils 
viennent chercher à la surface de l’eau Pair nécessaire à l’en- 
tretien de la vie, expirant en même temps celui qu'ils avaient 
inspiré auparavant et qui est chargé d'acide carbonique. Si, la 
chaleur augmentant, l’eau vient à manquer, ils émigrent vers 
d’autres cours d’eau, rampant et s’aidant de leurs nageoires 
pectorales. 

Des Callichthys je ne dirai rien de nouveau : c’est toujours 
l'intestin dans sa presque totalité qui, transformé en organe 
respiratoire, permet à ces Poissons de vivre ainsi hors de leur 
élément naturel; j'ai contesté sur les détails de structure dans 
ma précédente communication. Les Hypostomos ou Acarys ne 
possèdent pas un appareil aussi parfait que celui des Callichthys ; 
ils n’expulsent pas l'air qui a servi à l’acte respiratoire par 
l'anus, mais ils le régurgitent, et c’est par l’ouverture buceale 
ou par les fentes operculaires qu’on le voit s'échapper. 

Chez ces animaux, l'intestin mériterait, par sa structure, une 
description minutieuse. Il est d’une longueur qui mesure, 
non, comme l’a dit Valenciennes, huit fois la longueur du corps, 
mais vingt-deux, et même, chez certains individus, vingt-huit 
fois la longueur du corps, comme il nv’a été donné de l’observer 
plusieurs fois. En ce moment, une portion très-courte, située 
immédiatement en arnère de la partie stomacale, doit appeler 
notre attention : elle est dénuée complétement de glandes de 
villosités ; d’une minceur extrême, elle est facile à observer; 
son épithélium est formé d’une couche de cellules ; Immédiate- 
ment au-dessous, rampe un lacis de vaisseaux disposés en 
houppes semblables à celles que j'ai décrites dans ma précé- 
dente communication. Une injection de carmin ou de bleu 
soluble, poussée par le cœur, passe avec une grande facilité par 
les branchies et par l'aorte abdominale, va explorer la paroi 
intestinale, et s’aboucher, par des capillaires, avec d’autres 
vaisseaux de la même nature qui, à leur tour, se réunissent et 
emportent le sang vers le foie, et de là au sinus qui précède 
les oreillettes du cœur. | 


3 JOBERT. 

Ce fait offrirait peu d'importance; mais, comme chez les 
Callichthys, des vaisseaux d’une autre nature viennent se perdre 
dans cette partie de l’intestin et s’y résoudre en capillaires : ce 
sont des veines qui naissent des parois intestinales en divers 
points ; elles ramènent en cette portion du tube intestinal une 
partie du sang désoxygéné, forment ces houppes dont j'ai 
donné la description, et s’anastomosent avec d’autres, qui sont 
chargées de constituer par leur réunion une grosse veine qui 
se rend au cœur en passant par le foie. 

C’est en petit ce que nous avions rencontré chez le Cal- 
lichthys. Chez celui-ci, l'intestin reçoit des branches des veines 
caves, de la veine porte rénale; la circulation se fait dans 
l'étendue presque totale de l'intestin. 

L'appareil respiratoire emprunté à l'intestin Joue un rôle 
notable dans la vie de l’animal, qui peut vivre Jusqu'à vingt- 
quatre heures hors de l’eau avec facilité, tandis que PHypo- 
stome résiste moins et ne vit au maximum que cinq à sept 
heures, avec de minutieuses précautions. Pour expérimenter 
la force de résistance de ces animaux et le degré d'importance 
de la respiration branchiale, je me suis servi des poisons que 
les indigènes emploient pour enivrer le poisson. Plongés dans 
une eau empoisonnée à l’aide du Gunaby (Ichthyothere Cunaby, 
Martins) ou du lait d’Associe (Hura crepitans), les Calhchthys 
résistent, ne meurent pas toujours ; les Hypostomes ne durent 
ouère, et les Loricarias, chez lesquels les dispositions que je 
décrivais plus haut sont au minimum de perfectionnement, 
meurent presque aussi vite que les autres Poissons. 

J'ai voulu confirmer par des analyses de gaz, à l’aide de la 
potasse et l’acide pyrogallique, ce que la disposition anato- 
mique indiquait : tuant rapidement des Hypostomes, ouvrant 
l'abdomen, je trouvais toujours la portion poststomacale gonflée 
de gaz ; à l’aide de deux pinces placées au-dessous et au-dessus 
du renflement, je fermais les issues et pouvais recueillir le 
gaz. Le résultat, tout en étant variable au sujet des proportions 
de l’acide carbonique, a été constant au sujet de la présence 


de ce gaz. J'ai trouvé depuis 1 £ pour 100 à 2,80 sur douze 
ARTICLE N° 5. 


DE LA RESPIRATION CHEZ LES POISSONS. 4 
analyses; dans le mémoire détaillé que je publierai, J'in- 
sisterai sur ces analyses. Les Doras se placent, au point de 
vue de la respiration aérienne, près des Poissons que je viens 
de décrire; je n’insisterai pas ici sur les détails de structure. 
Le réseau intestinal sanguin est d’une extrême richesse, mais 
la partie essentiellement respiratoire apparaît moins que chez 
les Callichthys et les Hypostomes; lintestin a des prolonge- 
ments villiformes dans la partie qu’on trouve toujours gonflée 
de gaz. Il est vrai qu'il n’y existe aucune glande, et l’on y re- 
trouve les mêmes houppes sanguines caractéristiques. Je n’ai 
fait aucune analyse des gaz intestinaux. Hors de l’eau, les 
Doras résistent plus longtemps que les Hypostomes. Au marché 
du Para, elles restent exposées au soleil plusieurs heures très- 
vivantes, et souvent elles ont été pèchées la veille à Pentrée 
de la nuit. 

Il me reste à m'occuper maintenant de Poissons respirant 
par un autre procédé, à savoir : les Érythrins et le Sudis gigas. 
J'ai rencontré au Para trois espèces d’Érythrins : le Trahira 
(Erythr.Trahira, Spix), VE. brasiliensis, Spix, ou Jeju, et PE. 
tæniatus, Spix, ou Aracapury. Les noms vulgaires de ces deux 
dernières espèces ne sont pas mentionnés dans l’ouvrage de 
Spix. De ces trois Poissons, deux seulement vivent hors de 
l’eau. LE. Trahira ne possède pas la faculté de respirer lair 
en nature. 

Placées en aquarium, les deux autres espèces viennent res- 
pirer avec beaucoup de régularité à la surface ; en même temps 
qu'ils ingurgitent une certaine quantité d’air, ils en expulsent 
par les fentes operculaires. 

Si l’on ouvre l’abdomen, on ne trouve dans l’intestin aucune 
disposition spéciale; mais Pattention est attirée immédiatement 
vers la vessie natatoire, divisée du reste, comme on le sait 
déjà, en deux compartiments. Elle apparaît, dans la partie 
antérieure du compartiment postérieur, complétement rouge 
et gonflée de sang. La partie ainsi injectée est d’une structure 
spéciale aréolaire bien connue. M. le professeur Milne Edwards, 


dans son ouvrage, accorde à cette disposition peu d’impor- 


9 : JOBERT. 

tance, et il fait observer que le sang qui arrive à cet organe 
étant fourni par une branche de l’aorte abdominale, le rôle 
de la vessie natatoire, au point de vue de lPhématose, est fort 
douteux. Notons tout d’abord ce premier point que lEry- 
thrinus Trahira, qui possède une vessie natatoire compléte- 
ment lisse, ne jouit aucunement de la propriété de vivre à l'air, 
et que les deux autres espèces au contraire résistent. 

Si nous étudions la disposition des vaisseaux sanguins chez 
ces derniers, uous voyons que cette partie de la vessie nata- 
toire arcolaire reçoit en effet du sang artériel de lartère 
abdominale qui naît de Paorte, mais qu’elle reçoit aussi des 
vaisseaux venant de l’intestin et même des parois abdominales, 
et que ces vaisseaux viennent dans cette portion aréolaire se 
résoudre en capillaires; et que de cette partie aréolaire part 
une grosse veine qui ne tarde pas à se bifurquer, et dont les 
branches viennent aboutir directement au sinus précordial, 
sans passer par le foie, lequel possède cependant une veine 
porte très-remarquable. Il existe done dans la vessie natatoire 
de ces Érythrins une disposition analogue à ce que nous avons 
rencontré dans les intestins des Poissons que nous avons 
décrits; cette vessie pleine d’air se vide et se remplit à des in- 
tervalles réguliers, quand le Poisson est tranquille et bien por- 
tant. La preuve, c’est que si, avec précaution, on jette une liga- 
ture sur le conduit aérien, le Poisson fait des efforts inouïs 
pour respirer ; il monte à la surface de l’eau, s’agite, n’expire 
plus, et ne tarde pas à mourir. La blessure qui est nécessaire 
à l'opération est de peu de gravité, et n’entraine pas la mort si 
le conduit aérien n’est pas oblitéré. L'air expiré recueilli, 
analysé, est, de même que chez les Cullichthys, chargé d'acide 
carbonique, et, chose constante, V’air recueilli dans le second 
compartiment présente toujours un minimum de 4,30 d'acide 
carbonique. Je l'ai trouvé, sur dix-sept analyses, variant de 
1,30 à 2,40, et, je le répète, ces analyses sont approximatives 
et doivent, grâce au procédé employé, obligé que j’ai été d'opérer 
sur l’eau, me donner des chiffres inférieurs à ceux qui existent 


réellement. 
ARTICLE N° 9. 


DE LA RESPIRATION CHEZ LES POISSONS. 6 


Étant données : 

1° La disposition de cette partie de la vessie natatoire des 
Érythrins ; 

90 Sa structure interne ; 

3° La disposition des vaisseaux sanguins dans l’intérieur de 
l'organe et leur origine ; 

% Les expériences et les analyses que jai faites, je n'hésite 
pas à considérer la vessie natatoire comme jouant, chez ces 
Poissons, le rèle d’un véritable poumon, et son importance, 
au point de vue de l’hématose, me paraît incontestable. I ne 
nous reste plus qu'à rechercher maintenant l'explication du 
«bouillon » du Pirarucu (Sudis gigas), et nous serons arrivé 
à la fin de notre tâche. 

Guidé par ces précédentes recherches, l'étude de l'appareil 
respiratoire aérien du Pirarucu me devenait plus facile. Les 
renseignements que j'avais reçus des pêcheurs m'avaient appris 
que ce Poisson est un des plus résistants; aussi je ne fus pas 
étonné de rencontrer chez lui une disposition de la vessie nata- 
toire plus parfaite que chez les Érythrins. 

Chez le Sudis, la vessie natatoire est un long sac qui s'étend 
de l’œsophage à l’ouverture anale : elle ne possède pas ce long 
conduit grêle qui se rencontre chez les autres Poissons ; à peine 
un étranglement près de l’ouverture œsophagienne, et c’est 
tout. Le paquet intestinal repose sur la paroi abdominale de ce 
long sac aérien, et l’on voit naître des parois intestinales, à 
diverses hauteurs, des vaisseaux veineux qui rampent à la sur- 
face abdominale de la vessie, et arrivés à l'angle formé par 
cette paroi et les parties latérales du corps de l'animal, s’en- 
foncent dans la vessie et y disparaissent. 

Ouvrons la vessie natatoire et examinons sa structure. 

À part quelques détails histologiques dans lesquels je ne 
veux pas entrer ici, elle n'offre rien de bien remarquable dans 
sa paroi abdominale, si ce n’est une vascularisation très-riche. 
La partie supérieure, dans toute son étendue, n’a plus l'aspect 
d’une vessie natatoire : c’est un tissu rouge brun, spongieux, 
creusé d’aréoles, friable ; intimement accolé à la paroi dorsale 


7 JOBERT. 


et aux parois latérales du corps, sa couleur rappelle celle du 
poumon des Oiseaux. La trame est constituée par des fibres 
conjonctives et élastiques et un lacis Inextricable de vaisseaux 
capillaires. 

C’est là que viennent se perdre les veines que nous avons 
vues partir de lintestin ; c’est là qu’elles se résolvent en capil- 
laires, et que, en présence de l’air qui pénètre au plus profond 
de ces aréoles, se font l’exhalation de l’acide carbonique et 
l'absorption de l'oxygène. Nées d’un autre système de capil- 
laires qui fait suite au premier, deux énormes veines placées 
de chaque côté de l’aorte reçoivent le sang régénéré et le ra- 
mènent au sinus précordial. 

Ilne m'a pas été donné de faire des expériences directes sur 
le Pirarucu vivant. Les plus petits que j'aie pu posséder me 
sont arrivés morts et mesuraient encore plus d’un mètre. 

Je poursuis du reste cette étude, et j'espère pouvoir avant 
peu envoyer à l’Académie des sciences de nouvelles contri- 
butions, soit à cet égard, soit relativement à d’autres Poissons; 
c’est pourquoi je me borne aujourd’hui à un simple exposé des 
faits observés. 


ARTICLE N° 5. 


REMARQUES 


SUR 


LE GENRE MESITES 


ET SUR 
LA PLACE QU'IL DOIT OCCUPER DANS LA SÉRIE ORNITHOLOGIQUE 


Par M. ALPH. MILNE EDWARDS,. 


Le 9 avril 1838, Is. Geoffroy Saint-Hilaire fit connaitre à 
sm sciences (1) un Oiseau envoyé de Madagascar 
l'Académie des sciences (1 (8) yé de Madagasca 
par Bernier, officier de santé de la marine, et 1l insista sur les 
caractères particuliers qui distinguent cette espèce de tous les 
représentants de la même classe, et qui nécessitent l’établisse- 
ment d’un nouveau genre auquel il donna le nom de Mesites 
pour rappeler ses rapports mixtes. L'année suivante, le savant 
professeur du Muséum publia sur le même sujet un mémoire 
plus étendu, et il fit représenter l’Oiseau dont l’étude l’occu- 
pait (2); malheureusement il n’avait comme guide dans ses 
recherches que les caractères extérieurs de cet animal, et il 
vait se contenter d'étudier les proportions générale - 
devait se contenter d'étudier | portions générales, le plu 
mage et la conformation du bec et des pattes. Pour donner une 
idée de ses hésitations quand il fallut fixer la place des Mesites 
dans la série ornithologique, je ne saurais mieux faire que 
de reproduire les conclusions de son mémoire. « En résumé, 
» dit-il, on peut dire que la Mésite variée, d’après l’ensemble 
(1) Is. Geoffroy Saint-Hilaire, Comptes rendus hebdomadaires des séances de 
l’Académie des sciences, séance du 9 avril 1837, p. 440, et Annales des sciences 
p- 440, 

naturelles, 1838, t. IX, p. 189. 

(2) Notice sur trois nouveaux genres d'Oiseaux de Madagascar (Philépitte, 


Oriolie et Mésite) (Revue et Magasin de zoologie, 1839, Oiseaux, pl. 5 et 6). 
ANN. SC. NAT. — ART. N° 6. 


D | ALPH. MILNE ED WARDS. 


» de ses caractères génériques, et je puis même ajouter de ses 
» caractères spécifiques, se rapproche des Héliornes par sa tête, 
» des Pénélopes et des Catracas par son corps, notamment par 
> ses ailes, des Pigeons par ses pieds. Ces dernières analogies 
» sont évidemment celles auxquelles doit être attribué le plus 
» de valeur, au moins jusqu’à ce que l'étude du squelette per- 
» mette de prononcer à cet égard avec une entière certitude ; et 
» s’il est incontestable que le genre Mésite doit être considéré 
» comme le type d’une famille nouvelle, cette famille parait 
» devoir se placer parmi les Gallinacés passéripèdes, près des 
» Colombidés. » 

Quelques années après, M. 0. P. Desmurs décrivit sous le 
nom de Mesites unicolor un autre Oiseau envoyé en 1838 de 
Madagascar par Goudot; mais cet auteur ne chercha pas à fixer 
la place systématique du genre, et il se borna à donner d’abord, 
dans la Revue zoologique (1), les caractères de l’espèce qu'il 
croyait nouvelle, puis à la faire figurer dans son Jcono- 
graphie (2). 

Presque à la même époque, G. R. Gray, dans un travail 
d'ensemble publié sur les caractères génériques des Oiseaux (3), 
n’adopta pas complétement les opinions d’'Is. Geoffroy Saint- 
Hilaire, et il rangea les Mésites dans la sous-famille des Mega- 
podideæe, à la suite des Leipou. C’est aussi à côté des Mégapodes 
que le prince Ch. Bonaparte place les Mésites, qu'il élève au 
rang de famille (4). 

Ces auteurs, auxquels on doit ajouter Reichenbach (5) et 
Hartlaub (6), tout en modifiant légèrement les conclusions 


(1) O. P. Desmurs, Description de quelques espèces nouvelles d'Oiseaux 
(Revue zoologique, 1845, p. 176). 

(2) Iconographie ornithologique. Paris, 1845-1849, pl. 52. 

(3) G. R. Gray, The Genera of Birds, comprising their generic Cha- 
racters, etc, 1844-1849, t. II, p. 494, pl! 124, 8: 

(4) Ch. Bonaparte, Conspectus systematis Ornithologiæ, 1854 (Annales des 
sciences naturelles, 4° sér., Zoo1., t. I, p. 145), et Tableau parallélique de 
l’ordre des Gallinacés (Comptes rendus de l'Académie, 1856, t. LXIT, p. 876). 

(o) Reichenbach, Tauben VI. 

(6) Hartlaub, Ornithologischen Beitrag zur Fauna Madagascar’s, 1861, 
p. 67. 

ARTICLE N° 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 3 
auxquelles était arrivé [s. Geoffroy, n'étaient donc pas en 
désaccord profond avec lui. 

À partir de cette époque, nous voyons les idées des ornitho- 
logistes se modifier au sujet des affinités zoologiques des Mé- 
sites, et ce revirement, qui n'est basé sur aucun fait nouveau, 
mais sur une appréciation différente des observations déjà 
anciennes, est dû en grande partie à l'influence qu’eut J. Ver- 
reaux sur les naturalistes qui s’occupèrent de cette question. 
J. Verreaux regardait les Mésites comme des Passereaux très- 
voisins des Æupetes, et s'il ne publia pas cette manière de voir, 
il en fit part aux ornithologistes avec lesquels il était en relation. 
Aussi remarquons-nous que dans le Catalogue des genres et 
des espèces d'Oiseaux du Musée britannique, G. R. Gray,-re- 
venant sur sa première opinion, forme pour les Mésites une 
section de la famille des Eupetidæ (1). G. Sundevall reconnait 
l'exactitude de ce rapprochement, en faveur duquel il donne 
de nouveaux arguments (2); et Hartlaub, dans le dernier travail 
qu'il vient de publier sur les Oiseaux de Madagascar, remanie 
son premier mode de classification, et inscrit la famille des 
Mesitidæ à la suite de celle des Motacillidæ, dans la tribu des 
Denurostres (3). 

! Les deux exemplaires de Mésites envoyés par Bernier et par 
Goudot, et appartenant au Muséum d'histoire naturelle de 
Paris, étaient les seuls représentants connus de ce type si singu- 
Ler, et l’on commençait à désespérer d'en voir de nouveaux, 
quand en 1877 on reçut à Londres deux peaux de ces Oiseaux (4). 


(1) G. R. Gray, Handlist of genera and species of Birds, in-8°, 1869, t. I, 
p- 261. 

(2) Carl Sundevall, Methodi naturalis Avium disponendarum tentamen. 
Stockholm, 1872, p. 157. 

Je cite naturellement le passage de cet auteur : « Plerumque cum Columbis 
» et Gallinis consociatum est hoc genus, quibuscum tamen ex nostra sententia 
» mibil communi habet. Melius à G. R. Gray, juxta Eupetem, cum quo similitu- 
» dinem multam præbet, insertum; sed, ut scutelliplantare ab eo differt, In 
» methodo supra exposita non male in familia Scytalopodum post Menuram 
» inseritur. Habitu partibusque præsertim Chamæzosam refert. » 

(3) G. Hartlaub, Die Vôgel Madagascar’s, 1877, p. 195. 

(4) Ces exemplaires font aujourd’hui partie de la collection de M. R.J. Balston ; 


4 ALPH. MILNE EDWARDS. 


Presque en même temps M. Soumagne, consul honoraire à 
Tamatave, envoyait à M. Grandidier deux Mésites conservés 
dans l’esprit-de-vin. Ce sont ces derniers exemplaires qui ont 
servi de base à l'étude que j'ai entreprise, et qui non-seu- 
lement ajoutent beaucoup de faits nouveaux à ce que lon 
savait déjà, mais qui montrent que tous les auteurs s'étaient 
mépris sur la place que ce genre doit occuper parmi les Oiseaux. 
C’est là une nouvelle preuve du peu de valeur que lon doit 
attacher en ornithologie aux particularités extérieures, et Is. 
Geoffroy se rendait bien compte de l’insuffisance des caractères 
qu'il prenait en considération lorsqu'il disait : « [ei même, et 
» surtout pour fixer la place de ce genre dans la série ornitho- 
» logique, l’ignorance où nous sommes des caractères ostéolo- 
» giques du sternum, de l’épaule, du bassin, est extrêmement 
» regrettable, et nous oblige de laisser dans notre travail des 
» lacunes importantes que l'étude du squelette pourra seule 
» permettre de remplir par la suite. » 

Les Mésites ne sont pas des Passereaux, ce ne sont pas des 
Gallinacés ; ils doivent prendre place dans le groupe des Échas- 
siers, où ils forment une famille bien caractérisée et voisine 
de celle des Râles et de celle des Hérons. L'étude que nous 
allons faire du squelette justifie complétement ces rapproche- 
ments zoologiques. 

La cavité crânienne (1) n’est pas, à beaucoup près, aussi 

développée que chez les Passereaux ; elle est surtout beaucoup 
moins large en arrière des orbites, et la protubérance cérébel- 
leuse est fortement marquée sur l’occipital. Les fosses tempo- 
rales sont peu profondes et elles ne s'étendent pas en haut 
jusqu’auprès de la ligne médiane, comme cela a lieu dans le 
oroupe des Ardéides. La face supérieure du eràne est fortement 
bombée, surtout dans le sens antéro-postérieur, tandis que 
chez ces derniers Oiseaux, ainsi que chez les Eurypyga, cette 


ils proviennent de la côte sud-est de Madagascar, et avaient été envoyés 
par M. Th. Waters. (Voy. Proceedings of the Zoological Society of London, 
1877, p. 292.) 
(1) Voy. fig. 1 à 9. 
ARTICLE N° 6. 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 6) 
partie est beaucoup plus aplatie. Les os lacrymaux sont petits, 
leur lame supérieure est arrondie en arrière et en dehors, leur 
branche descendante est très-celluleuse et se prolonge de ma- 
mière à s'appuyer sur l’arcade jugale. Chez les Hérons, elle en 
reste très-éloignée; mais chez quelques Rallides, tels que les 
Jacanas, elle offre la disposition que je viens de signaler, bien 
qu’elle soit moins renflée. L'ouverture externe des narines est 
très-grande ; elle se rétrécit en arrière et se termine par une 
pointe qui s’avance vers l'os frontal; elle se prolonge en avant 
jusqu’à une petite distance de la pointe du bec. On sait que 
cette disposition n'existe pas chez les Passereaux et les Galli- 
nacés, où le bord antérieur de l’os nasal est concave et terminé 
par deux apophyses, dont l’une, interne, s'applique contre 
Pépine nasale de l’intermaxillaire pour clore en dedans la 
narine, et dont l’autre, externe, se joint à l’apophyse posté- 
rieure du maxillaire. M. Garrod a désigné sous le nom de 
Holorhinaux, tous les Oiseaux où les os du nez offrent ce mode 
de conformation; 1l a appelé Schizorhinaux, ceux qui ont, 
comme les Mésites, le bord postérieur des narines osseuses 
constitué par la bifurcation de deux baguettes osseuses dirigées 
en avant et imterceptant un espace triangulaire. Les Parra et 
les Metopidius parmi les Rallides, les Eurypyqa et tous les petits 
Échassiers de rivage que j'ai réunis sous le nom de Totanides, 
présentent ces caractères, auxquels il ne faudrait pas attacher 
une valeur exagérée, car leur existence ou leur absence dépend 
en majeure partie de la puissance plus ou moins grande que 
doit avoir le bec, et par conséquent ils varient souvent dans 
une même famille naturelle : les Spatules et les Jbis, par 
exemple, appartiennent au type schizorhinal, et les Tantales, 
qui leur ressemblent beaucoup, se rattachent au type holo- 
rhinal. Les mêmes différences séparent les Gangas des Galli- 
nacés ou les Jacanas des Rallides. L’ethmoïde des Mésites 
fournit en dehors un prolongement ossifié et très-pneumatique 
qui s'appuie en arrière sur l’os lacrymal et complète en avant 
la clôture de l'orbite. Cette pièce n’est pas représentée chez les 
Ardéides ou chez l’Ewrypyga, où aucune cloison ne sépare 


6 ALPH,. MILNE EDWARDS,. 


l'orbite de la fosse nasale. Les Rallides sont au contraire pourvus 
d’un prolongement ethmoïdal généralement bien développé. 

Les os ptérygoïdiens sont très-courts et très-lamelleux; ils 
ne s’articulent pas avec le basisphénoïde, comme dans le 
oroupe des Totanides, mais se portent directement de los carré 
à l’extrémité postérieure des palatins. Ces derniers os sont 
étroits et ils se prolongent fort loin en arrière, après s'être unis 
l’un à l’autre sur la ligne médiane, au delà des narines posté- 
rieures ; leur corps est creusé d’une gouttière assez profonde 
destinée à l’insertion des muscles. La voûte palatine est incom- 
plète dans presque toute la longueur de la mandibule supé- 
rieure, comme chez les Rallides. 

On compte quinze vertèbres cervicales, comme chez les 
Rèles, tandis que chez les Passereaux et la plupart des Galli- 
nacés elles sont moins nombreuses; elles sont plus fortes et 
plus courtes que chez tous les Ardeide et que chez l'Eurypygu. 
Les vertèbres dorsales sont petites ; leurs apophyses épineuses 
sont très-courtes, et celles des troisième, quatrième, emquième 
et sixième sont soudées. On compte sept paires de côtes. La 
première est très-petite et styliforme ; la seconde est près de 
moitié plus grande, mais elle reste aussi flottante; les troi- 
sième, quatrième, cinquième et sixième s'articulent directe- 
ment avec le sternum et portent des apophyses récurrentes 
très-petites. La septième se joint, par son extrémité, à la 
sixième côte sternale près de son articulation; elle est très- 
grêle et en partie soudée à la lame iliaque du bassin. 

Le sternum (1) est très-remarquable, et il n'indique qu’une 
très-faible puissance alaire. Ses caractères sont tout à fait 
spéciaux, bien qu'ils rappellent un peu ceux des Rallides, 
d’une part, des Tinamous et de quelques Gallinacés, d'autre 
part. Les lames latérales sont extrêmement réduites et enta- 
mées de chaque côté par une échancrure profonde du bord 
postérieur. Les branches hyposternales qui hinitent en dehors 
ces échancrures sont beaucoup plus courtes que la partie 


(1) Voy. fig. 4 et 5. 
ARTICLE N° 6. 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 7 
moyenne du bouclier, et elles s’élargissent un peu à leur extré- 
mité. Le brechet est peu saillant, et il s’abaisse en avant de telle 
sorte que son angle antérieur se trouve placé vers le milieu du 
sternum ; il se continue par une arête saillante avec l’apophyse 
épisternale, qui est très-forte, très-longue, carénée en dessous 
et se bifurque à son sommet pour fournir des points d'attache 
aux ligaments de l'épaule. 

Les rainures coracoïdiennes sont remplacées par de véri- 
tables facettes étroites, mais fort sallantes et très-rapprochées 
de la ligne médiane. Les angles hyosternaux s’avancent sous 
forme d’apophyses lamelleuses qui limitent, en dehors, une 
échancrure profonde bordée en dedans par la saillie épister- 
nale (1). Les bords latéraux sont très-concaves, et ils portent 
dans leur portion antérieure quatre facettes destinées à larti- 
culation des côtes; les deux premières sont placées en avant 
des articulations coracoïdiennes. La table supérieure du sternum 
est criblée, sur la ligne médiane et près des angles hyoster- 
naux, de larges et nombreux orifices pneumatiques. 

La forme du brechet, la longueur des apophyses épisternales 
et hyosternales, et les deux grandes échancrures postérieures 
donnent à cette pièce osseuse une apparence très-particulière 
et qui ne se remarque chez aucun autre Oiseau. Chez les Ral- 
hdes, le sternum est souvent fort étroit et très-échancré en 
arrière, mais la carène médiane est généralement grande, 
excepté dans le genre Ocydrome, et le bord antérieur de l'os 
est presque droit, la saillie épisternale étant ou peu accusée, 
comme chez les Jacanas, ou tout à fait nulle; j'ajouterai que, 
dans ce groupe, les facettes costales sont situées beaucoup plus 
en arrière. La partie antérieure du sternum des Tinamous, et 
surtout des Turnix, rappelle beaucoup, par sa conformation, 
celle des Mésites : petitesse des facettes coracoïdiennes, déve- 
loppement des apophyses médiane et latérale, tous ces carac- 
tères s’y retrouvent, mais le brechet offre une forme tout à fait 
autre. Dans les types ornithologiques voisins, les différences 


(1) Voy. fig. 4 et 5. “oû 
ANN. SC. NAT., FEVRIER 1878. VI, 8, — ART. N° 6. 


8 ALPH. MILNE EDWARDS. 


sont beaucoup plus accentuées, et, à cet égard, les Eurypyga, 
les Ardeide, les Gallinacés véritables et les Pigeons sont orga- 
nisés d'après un type tout à fait différent. 

Il n’y a aucune trace d’os furculaire ; un ligament se détache 
de la tête du coracoïdien et s’attache sur l’apophyse épister- 
nale (1); il n’y a même pas, à sa partie supérieure, de stylet 
osseux comparable à celui qui existe chez certains Oiseaux de 
nuit, chez quelques Perroquets et chez quelques Colombes. 
Dans tous les autres groupes d’Oiseaux ordinaires, les clavi- 
cules furculaires peuvent être faibles, mais elles existent; on 
les trouve même chez les Ocydromes, dont l'appareil alaire est 
tout à fait rudimentaire. 

Les coracoïdiens sont très-grêles et comparativement fort 
allongés (2); leur facette sternale est étroite, aplatie et fort 
épaisse. L’omoplate est large et grande. 

Les ailes sont extrêmement réduites, ainsi qu’on pouvait s’y 
attendre par l’examen du bouclier sternal. L’os du bras est 
assez gros el ses extrémités sont larges (3); la crête, destinée 
à l’insertion du muscle grand pectoral, est élevée, mais elle ne 
se prolonge pas sur la diaphyse. La tête articulaire est épaisse 
et ovalaire. La fosse sous-trochitérienne est peu profonde, et 
l’on yremarque un orifice pneumatique. À l'extrémité imférieure, 
l’épitrochlée se développe beaucoup, et 1l existe une très-petite 
saillie tuberculiforme au-dessus de l’épicondyle. Les os de 
l’avant-bras dépassent à peine l’humérus; l’espace inter- 
osseux qui les sépare est rendu assez large par la courbure 
du cubitus, sur lequel se voient distinctement cinq saillies 
destinées à l'insertion des grandes plumes de l’aile (4). 

La portion terminale du membre antérieur correspondant 
à la main est plus courte que l’avant-bras et même que le 
bras (5); la tête carpienne est grosse et large, mais la saillie 


(1) Voy. fig. 4. 

(2) Voy. fig. 4. 

(3) Voy. fig. 6. 

4) Voy. fig. 7. 

(5) Voy. fig. 8. 
ARTICLE N° 6: 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 9 


radiale ne s’avance que peu. L'’intervalle compris entre les 
deux branches métacarpiennes est étroit, et il n’existe pas 
d’apophyse musculaire intermétacarpienne, comme chez les 
Passereaux et les Gallinacés ; sous ce rapport, cette portion de 
l’aile ressemble à celle des Rallides à vol peu soutenu. Le petit 
doigt est large, aplati, mais très-court; les autres ne présentent 
rien de remarquable à noter. 

Les caractères fournis par les os de l’aile des Mésites ne nous 
fournissent que des indications d’une valeur secondaire, et l’on 
devait s’y attendre, car généralement, quand un organe quel- 
conque se réduit et cesse d’agir d’une manière active, ses 
caractères distinctifs tendent à s’effacer. Or, les ailes des Mésites 
ne sont certainement que de peu de secours à l’animal, et elles 
ne doivent pas lui permettre de s’élever dans les airs, mais 
seulement de voleter çà et là. 

Autant le sternum était faible et étroit, autant le bassin est 
large (1). Le sacrum est à découvert, et la crête médiane ré- 
sultant de la soudure des apophyses épineuses des vertèbres 
sépare deux profondes gouttières où sont logés les muscles des 
lombes. Ces gouttières ne sont pas recouvertes par le prolonge- 
ment des lames iliaques, ainsi que cela a lieu chez les Galli- 
nacés, les Rallides et les Ardéides ; elles ressemblent davantage 
à celles de l’'Eurypyga. Le bassin, fort étroit en avant, s’élargit 
graduellement. La portion précotyloïdienne est plus allongée 
que la portion située en arrière des cavités cotyloïdes, mais 
cette dernière est beaucoup plus large. L’écusson pelvien, au 
lieu d’être aplati, comme chez les Râles et les Hérons, est un 
peu bombé comme dans l’Eurypyga, mais on n’y observe pas 
les nombreux trous sacrés qui existent chez ce dernier. La 
crête sus-ischiatique, qui donne attache au muscle biceps 
crural, est très-saillante et s’avance au-dessus de la fosse 
ischiatique ; après s’être dirigée d’abord en arrière, elle forme 
un angle rentrant presque droit et se porte en dedans, ce qui 
n'existe ni chez les Hérons, ni chez l'Eurypyqa, mais se re- 


(1) Voy. fig. 9 et 10. 


10 ALPH. MILNE EDWARDS. 


marque dans les différents genres de la fanulle des Rallides. 
La fosse cotyloïide est pourvue, en avant, d’une petite apo- 
physe ilio-pectinée qui existe chez ces derniers Oiseaux, mais 
manque chez les premiers. Le trou sciatique est très-petit et 
ovalaire. La tige pubienne est grêle et ne dépasse guère l’angle 
de l’ischion. Si l’on considère le bassin par sa face inférieure, 
on voit que les fosses rénales sont très-développées en longueur 
comme en largeur et nettement limitées en arrière par un 
rebord saillant, moins haut cependant que celui des Ral- 
lides, mais à peu près semblable à celui des Ardéides et des 
Eurypyqa. 

Les vertèbres caudales sont au nombre de six, en comptant 
l’osselet terminal, qui est grand, lamelleux et très-élevé. 

Les os de la jambe sont robustes (1). Le fémur est courbé 
en bas et étroit dans son extrémité, mais élargi dans son arti- 
culation tibiale. Il existe en arrière une fosse poplitée assez 
profonde, et en avant une gorge intercondylienne très-res- 
serrée. Le tibia est droit et rappelle, par sa forme, celui des 
Rallides. Le corps de l'os est beaucoup moins arqué que chez 
les Fulica et les Porphyrio, et il se rapproche plus de celui des 
Râles et des autres espèces marcheuses, mais 1l est facile de 
l'en distinguer par le faible développement du pont osseux qui 
bride le muscle extenseur commun des doigts, et par la hauteur 
moindre des condyles. Chez les Hérons, la gorge intercondy- 
lienne est plus ouverte. Les crêtes de l'extrémité supérieure 
du tibia des Mésites sont fort saillantes; le péroné est grêle et 
se soude à cet os vers le tiers inférieur de celui-ci. 

Le tarso-métatarsien est beaucoup plus court que le tibia (2) ; 
il est très-comprimé d'avant en arrière, comme celui des 
Hérons, et contrairement à ce qui existe chez les Passereaux, 
les Gallinacés et les Rallides, la face antérieure est déprimée 
vers le haut, où s'ouvrent deux pertuis assez larges ; l'empreinte 
d'insertion du muscle tibial antérieur est très-élevée. L’extré- 
mité supérieure porte des facettes glénoïdales excavées et sépa- 

(1) Voy. fig. 11 et 12. 


(2) Voy. fig. 13, 14 et 15. 
ARTICLE N° 6. 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 11 


rées par une saillie assez forte. La partie postérieure de cette 
extrémité, que J'ai appelée le talon, est perforée, comme chez 
les Hérons, par deux gouttières tubulaires livrant passage aux 
tendons des fléchisseurs des doigts (1). Les trochlées digitales 
sont larges, insérées sur le même plan, et elles descendent 
à peu près au même niveau, tandis que chez les Gallinacés et 
tous les Rallides les latérales sont beaucoup plus relevées que 
les médianes (2). Le métatarsien de certains Hérons, les 
Bihoreaux, par exemple, rappelle beaucoup la disposition 
propre aux Mésites. Le métatarsien postérieur est gros, court, 
et il se prolonge autant que les autres poulies digitales. 

Le pouce est grêle et allongé. Le doigt externe est plus court 
que celui du côté interne, qui est notablement dépassé par le 
médius. 

Les muscles des Mésites ressemblent beaucoup, par leur 
disposition, à ceux des Rallides; nous en donnerons une des- 
cription plus détaillée dans la partie ornithologique de l’ou- 
vrage sur Madagascar ; il est cependant utile de faire remarquer 
que certains muscles auxquels M. Garrod attache une grande 
importance au point de vue de la classification existent chez ces 
Oiseaux. Ce sont : 1° le fémoro-caudal, nommé par quelques 
auteurs fémoro-coccygien ou cruro-coccygien ; 2° l'accessoire 
du fémoro-caudal ; 3° le demi-tendineux ; 4° le faisceau acces- 
soire du demi-tendineux ; 5° l'accessoire iliaque du fléchisseur 
perforé, désigné par Sundevall et par Garrod sous le nom d’am- 
biens, qui, partant de l’éminence ilio-pectinée, est logé en 
dedans de la cuisse, puis se porté en dehors, el, s’engageant 
dans un canal au-dessous de la rotule, va s’insérer sur le flé- 
chisseur superficiel des doigts. Tous ces muscles existent chez 
les Râles, tandis que chez les Ardeidæ on ne retrouve ni l’am- 
biens, ni l’accessoire du fémoro-caudal. Il en est de même 
chez les Passereaux. Enfin, l'Eurypyga et le Rhynochetus pos- 
sèdent tous ces muscles, à l'exception du fémoro-caudal. 
J'ajouterai que dans le genre Mésites il existe deux carotides, 

(A) Voy. fig. 14 

(2) Voy. fig. 15. 


19 ._ ALPH, MILNE EDWARDS. 


comme chez les Ralles et la plupart des Ardeidæ, tandis que 
la carotide droite manque chez les Mégapodes et chez tous les 
vrais Passereaux. 

Les Mésites sont remarquables par l'existence de cinq paires 
de plaques duveteuses cachées sous les plumes et occupant, 
sur la face dorsale du corps, la région scapulaire et la région 
illaque, et sur la face ventrale les régions pectorale, costale et 
abdominale. L’attention des naturalistes avait déjà été appelée 
sur ces particularités par E. Edward Bartlett (1). Les Ardéides 
sont, de tous les Oiseaux, ceux où ces plaques duveteuses sont 
le plus développées et où leur disposition rappelle celles des 
Mésites, bien qu’elles soient moins nombreuses et situées un 
peu différemment. 

Les viscères des deux Mésites que j'ai pu étudier avaient 
malheureusement été enlevés, de manière que je ne puis indi- 
quer la disposition du gésier, des cæcums intestinaux, qui 
serait intéressante à connaître. Le contenu de l’estomac m'est 
done inconnu, mais j'ai trouvé dans l’arrière-bouche une grosse 
fourmi qui nous fournit quelques indications sur le mode de 
nourriture du Mesites. 

Les différences de coloration qui avaient paru suffisantes 
à M. Desmurs pour distinguer le Mesites unicolor du Mesites 
variegatus me paraissent dues au sexe. En effet, le Mésite 
femelle que nous possédons est exactement pareil à l’unicolore, 
et le mâle est semblable à l’exemplaire décrit par Is. Geoffroy 
sous le nom de varié; il est cependant plus jeune et plus uni- 
formément roux, ce qui lui donne avec le précédent une res- 
semblance assez grande pour permettre de reconnaitre qu'il 
ne doit pas en être distingué spécifiquement. 


(1) Proceedings of the Zoological Society of London, 1877, p. 292. 


ARTICLE N6 6. 


REMARQUES SUR LE GENRE MESITES. 13 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE #& 7 

Fig. 1. Tête osseuse d’une Mésite femelle (Mesites unicolor, Desmurs), vue 
de profil et de grandeur naturelle, ainsi que les figures suivantes. 

Fig. 2. La même, vue en dessus. 
Fig. 3. La même, vue en dessous. 
Fig. 4. Sternum vu par sa face inférieure 
Fig. 5. Le même, vu de profil. 
Fig. 6. Humérus vu en avant. 
Fig. 7. Os de l’avant-bras. 
Fig. 8. Os de la main. 
Fig. 9. Bassin vu en dessus. 
Fig. 10. Face inférieure du même os. 
Fig. 11. Os de la jambe vus par leur face antérieure 
Fig. 12. Extrémité inférieure du tibia vue de côté. 
Fig. 13. Tarso-métatarsien vu par sa face antérieure. 
Fig. 14. Extrémité supérieure du même os vue en dessus et grossie. 


Fig. 15. Extrémité inférieure du même os vue en dessous et grossie. 


EXPÉRIENCES 


SUR LES 


CONDITIONS DU DÉVELOPPEMENT DES LIGULES 


Par M. DUCHAMP. 
(Extrait.) 

Dans une note présentée à l’Académie des sciences le 
24 décembre 1877, l’auteur montra, par des expériences faites 
sur le Pigeon domestique, que le développement du Liqula 
monogramma, Crep.,en Cestoide complet, n’est pas subordonné 
à l'introduction de ce Ver dans l’organisme d’un animal d’es- 
pèce particulière, mais pouvait s'effectuer dans le tube digestif 
de tout Vertébré à sang chaud. 

Continuant ses recherches relatives à l'influence de la tem- 
pérature sur le développement des Ligules, M. Duchamp essaye 
d’abord d’élever ces animaux dans des milieux artificiels, tels 
que du bouillon de viande, etc., maintenu à une température 
d'environ 38 degrés; mais n’y étant pas parvenu, il intro- 
duisit dans la cavité péritonéale d’un Chien un certain 
nombre de Ligules extraites du corps de deux Tanches. L’opé- 
ration ne détermina aucun symptôme de péritonite, et le Chien 
ayant été tué au bout de quatre jours, par l’autopsie on 
retrouva les Ligules vivantes, et l’on constata que non-seulement 
les organes reproducteurs de ces Vers avaient acquis tout leur 
développement, mais qu'ils élaient en pleine activité fone- 
tionnelle; les testicules étaient gonflés par des cellules sper- 
matiques, et les œufs, déjà formés, étaient entassés dans les 
matrices tubuleuses. Une des Ligules transplantée de la sorte 
de la Tanche sur le Chien avait été divisée en deux parties, et 
chaque fragment s'était développé comme l'avaient fait les 
individus entiers. M. Duchamp se propose de poursuivre ces 
expériences, et d'en présenter l’ensemble dans un mémoire 
qui paraïtra ultérieurement ; mais il a voulu prendre date pour 
cette découverte, par la présentation d’une note adressée 


à l'Académie le 18 février dermier. 
‘ ARTICLE N° 7. 


RECHERCHES EXPÉRIMENTALES 


SUR LES 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES 


ET SUR 


LEUR ROLE DANS LA FORMATION DE LA NOTION DE L'ESPACE 


Par M. E. De CYON. 


CHAPITRE PREMIER 


RECHERCHES ET THÉORIES ANTÉRIEURES. 


& 1°. -— Travaux de Flourens. 


On peut considérer comme une chose rare dans l’histoire des 
sciences qu'une grande découverte reste pendant longtemps 
une complète énigme, et qu’un jour la lumière se fasse subite- 
ment sur la signification de cette découverte et que toute sa 
portée apparaisse devant les savants. Ce cas s’est présenté 
cependant à propos des découvertes faites en 1828 par Flou- 
rens, sur les fonctions des canaux semi-circulaires, fonctious 
qui sont restées jusqu'ici un des points les plus obscurs de la 
physiologie. 

Ce cas est d'autant plus intéressant au point de vue de l’his- 
toire de la science, que les observations de Flourens ont été 
faites d’une manière bien autrement précise que beaucoup de 
celles qui ont dernièrement contribué à l'interprétation des 
fonctions de ces organes. 

On ne s’en rend bien compte qu’en se rappelant qu'une 
découverte ne porte ses fruits que lorsqu'elle a été accompagnée 
ou suivie de travaux préparant l'esprit à la comprendre. Il faut 
que la science soit arrivée à un degré suffisant de développe- 
ment, que certaines questions soient complétement élaborées, 

ANN. SC. NAT. — ART. N° 8. 


2 E. DE CYON. 
pour que la lumière puisse se faire sur des phénomènes connus 
cependant depuis longtemps. 

La première communication faite par ter sur les 
canaux semi-circulaires se ‘trouve dans un mémoire lu à 
l’Académie des sciences Le 11 août 1828. La description qu'il 
donne de ces observations est tellement claire et précise, qu’elle 
répond encore parfaitement aux faits tels que nous les connais- 
sons à présent. L'ouvrage classique de Flourens, se trouvant 
dans les mains de tous les physiologistes, nous nous bornerons 
à reproduire la conclusion qu'il. tire de ses expériences 
(Recherches expérimentales, ete., Paris, 1849, p. 495). 

€ Voilà donc trouvée la chose des singuliers effets des canaux 
» semi-circulaires : D'une part, la section de chaque canal 
» produit un mouvement dont la direction est toujours la même 
» que celle du canal coupé. 

» D'autre part, la direction des mouvements produits par la 
» section des fibres du cervelet et de lencéphale est toujours 
» la même que celles des fibres coupées. 

» Enfin, les filets nerveux du nerf des canaux semi-circulaires 
» ont leur origine dans ces fibres de l’encéphale, lesquelles 
» sont tour à tour transverses ou droites, antérieures ou posté- 
» rieures, et dont les effets sont opposés comme les direc- 
» tions. » 

_ Et page 501 : « Enfin, dans les canaux semi-circulaires et 
». dans les fibres opposées de l’encéphale, résident les forces 
» modératrices des mouvements. » | 

Nous n'avons. pas à rechercher si l'explication qui précède 
était suffisante au moment où elle a été émise, mais nous 
voulons en retenir seulement ce fait: que Flourens regardait les 
canaux semi-circulaires comme des organes périphériques qui 
interviennent directement dans la coordination des mouve- 
ments en les régularisant ou en les modérant. 


8 2. — Observations de Purkinje sur le vertige. 


. Presque en même temps qne Flourens publiait ses recher- 
ches, un autre éminent physiologiste, Purkinje, communiquait 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 3 
une série d'observations sur le vertige, qui, quoique conçues 
dans un ordre d'idées tout à fait différent, ne présentent pas 
moins beaucoup de rapports avec les expériences précédentes 
sur les canaux semi-circulaires. 

Ces rapports n’ont été indiqués que tout récemment par 
M. Mach. Quoique ce dernier observateur en ait considérable- 
ment exagéré l'importance comme pouvant servir de base pour 
l'explication des phénomènes observés par Flourens, nous 
devons néanmoins mentionner 101 les conclusions de Purkinje 
sur l’origine du vertige. Nous verrons plus loin que ces con- 
elusions sont pour la plupart très-exactes, et comme telles elles 
nous seront d’une grande utilité pour la discussion des phéno- 
mènes qui font l’objet principal de notre travail. 

Les expériences qui ont servi d'objet d'étude à Purkinje 
rentrent dans la série d'observations qui sont familières à tous 
les hommes qui sont habitués à s’observer. Quelques mots suf- 
firont done pour en faire ressortir le caractère principal. 

_ Quand nous tournons avec une certaine rapidité plusieurs 
fois sur nous-mêmes (c’est-à-dire quand, étant dans une position 
verticale, nous tournons autour de l’axe longitudinal de notre 
corps), tous les objets qui nous entourent nous apparaissent 
comme tournant dans un sens inverse au mouvement exécuté 
parnous-mèêmes. 

Ce mouvement apparent continue dans le même sens encore 
quelque temps après que nous nous sommes arrêtés. Pendant 
cette rotation apparente de ce qui nous entoure, les objets ie 
nous touchons prennent part au mouvement. 

On ne saurait mieux exprimer la sensation que nous éprou- 
vons, qu'en disant que l’espace visible à nos yeux paraît tourner 
dans un autre espace. Cette sensation, connue dans la science 
sous le nom de vertige visuel et tactile, se prolonge d'autant 
plus que la rotation de notre corps a été plus longue. 

Elle provoque un sentiment de malaise et d'incertitude sur 
la position de notre corps, qui nous force à changer d’attitude et 
à chercher des points d'appui. 

Purkinje, aussi bien que Darwin (aîné), a constaté que 


AE E. DE CYON. 


l'axe de cette rotation imaginaire de l’espace qui nous envi- 
ronne est déterminé par l’axe de la rotation réelle qu’a exécuté 
notre tête. En changeant la position de cette dernière, après 
avoir arrêté le mouvement du corps, nous observons que la 
position de l’axe du mouvement imaginaire est toujours la 
même, c’est-à-dire que quelle que soit la position de notre tête, 
cet axe passe toujours par elle. 

Voici textuellement l'explication que Purkinje a donnée de 
ce phénomène : 

« Pendant la rotation du corps autour de son axe longitu- 
» dinal, le cerveau, en raison de sa consistance molle, doit 
» avoir la tendance à rester un peu en arrière du mouvement de 
» la boîte crânienne. C’est le même phénomène que nous obser- 
» vons sur un liquide dont le vase est mis en rotation. 

» Les parties du liquide conservent leur position dans l’espace 
» extérieur jusqu'à ce que leur adhésion aux parois du vase les 
» entraine dans le mouvement de ce dernier. La cohésion du 
» cerveau est trop forte pour que le même phénomène puisse s’y 
» reproduire exactement; mais, étant donnée sa masse molle et 
» capable jusqu’à un certain point de déplacement intérieur, le 
» cerveau partage par là certaines qualités des liquides ; il faut 
» done nécessairement admettre qu'étant donné un mouvement 
» plus ou moins intense, ses parties doivent se déplacer et se 
» détendre, sans cependant qu'il puisse y avoir une véritable 
» rupture de leur continuité. Des distorsions pareilles doivent 
» amener les mêmes troubles que les véritables lésions méca- 
» niques et n’en différer qu’en degrés. 

» D’après les résultats connus des expériences sur les ani- 
» maux, j'attribuerais ces troubles surtout à l’altération du cer- 
» velet'et des pédoncules cérébraux; l’étourdissement devrait 
» être attribué aux lobes cérébraux. » 

Dans un autre endroit de son remarquable travail, Purkinje 
revient à cette explication et y ajoute de nouveaux détails. Le 
vertige serait produit par le changement des sensations que les 
parties du cerveau éprouvent à l’état normal de leur contact 


mutuel; ce contact changeant pendant le déplacement de ces 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. D 


parties produit par la rotation du corps, ces sensations doivent 
nécessairement se modifier. 

€ Dans l'attitude et les mouvements habituels de notre corps, 
» l'influence de la pesanteur est ressentie dans chaque partie, et 
» cette sensation sert pour régulariser les mouvements et pour 
» compenser l'équilibre du corps. Or, quand la pesanteur 
» change de direction dans une partie quelconque de notre 
» corps, surtout dans sa plus noble partie, dans la tête, qui elle 
» profite de tous les instincts (1) du reste du corps, alors les 
» sensations éprouvées dans toutes les parties de notre corps 
» s'embrouillent, des mouvements Inconscients se produisent, 
» qui servent à rétablir l'attitude normale de la tête et à en 
» arrêter le mouvement apparent. » 

Le vertige tactile est aussi provoqué par le mouvement 
apparent produit par le vertige de la tête. 

D’après Purkinje, ce sont donc les mouvements inconscients 
qu’exécutent les muscles de notre corps et de nos globes ocu- 
laires par tendance de fixation et pour contre-balancer la rota- 
tion apparente, qui provoquent les sensations du vertige. 

En effet, comme nous jugeons sur le mouvement des objets 
d’après le déplacement de leurs images sur notre rétine ou 
d’après les contractions des muscles oculaires que nous faisons 
pour les fixer, il est évident que dans le cas de vertige les objets 
nous paraitront être en mouvement. 

La raison d’être du vertige est donc, d’après Purkinje, dans 
l'acte psychique par lequel nous attribuons l’effet des mouve- 
ments de nos yeux aux objets qui nous entourent. 

L'interprétation des phénomènes observés par Flourens pen- 
dant ses opérations sur les canaux semi-circulaires et de ceux 
du vertige décrits par Purkinje forme l’objet principal de notre 
étude actuelle. 


$ 3. — Expériences sur les canaux semi-circulaires de MM. Vulpian, 
Brown-Séquard et Schif. | 


Nous devons brièvement exposer ici les recherches et expl- 
cations qui ont suivi les travaux de Flourens. 


1) Ce que nous appelons maintenant des sensations inconseientes. 


6 E. DE CYON. 

Les troubles des mouvements produits par les lésions des 
canaux semi-circulaires ont été constatés par beaucoup d’au- 
teurs. Mais si presque tous étaient d'accord avec Flourens 
sur les faits eux-mêmes, l’explication à leur donner a beau- 
coup varié. Ainsi, par exemple, M. Vulpian voit la cause de 
ces troubles dans « un vertige auditif qui retentit sur tout l’or- 
ganisme ». L'observation de M. Brown-Séquard, que les lésions 
des nerfs auditifs produisent des troubles pareils, parait à 
M. Vulpian une confirmation de cette manière de voir. 

M. Brown-Séquard ineline aussi vers l’interprétation de ces 
phénomènes par un vertige auditif, quoiqu'il n’admette pas 
que les canaux semi-circulaires soient directement engaees 
dans la production des mouvements désordonnés. 

M. Schiff, de son côté, mie le fait observé par M. Brown- 
Séquard sur la production des troubles des mouvements après 
les lésions du nerf auditif. 

L'interprétation des phénomènes découverts par Flourens a 
surtout commencé à varier depuis que les observateurs, ne se 
contentant plus d’une simple répétition des expériences de ce 
physiologiste, ont commencé à les modifier dans les directions 
les plus diverses. 


$ 4. — Expériences de M. Loewenberg. 


La série d'expériences sur lescanauxsemi-eirculaires avec des 
modifications profondes des procédés opératoires a été ouverte 
par le travail de M. Loewenberg en 1869. 

Depuis, un grand nombre des recherches exécutées par dif- 
férents physiologistes ont remis l’étude des fonctions de ces 
canaux à l’ordre du jour de la science. 

M. Loewenberg a exécuté un grand nombre d'expériences, 
surtout sur le canal horizontal et le vertical postérieur ; ne se 
bornant pas aux simples lésions de ces canaux, il essayait de les 
exciter tantôt par la voie mécanique, tantôt par des excitants 
chimiques. Dans d’autres expériences, M. Loewenberg produi- 


sait en même temps que les lésions des canaux des lésions des 
LE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 7 
différentes parties du cerveau ; il répétait les mêmes LCENS 
pendant la narcose, etc. 

Voici les principales conclusions de ce travail : | 

4° Les troubles de locomotion produits par la lésion des 
canaux sont dus à une excitation et non à une par alysie. 

d% L’excitation des. canaux produit les mouvements con- 
_vulsifs par voie réflexe, sans aucune participation de la 
conscience. 

3° La transmission de cette excitation réflexe se fait ans les 
couches optiques. 


N 5. — Recherches de M. Goltz. 


Les recherches de M. Goltz ont paru un peu avant la pu- 
blication du travail de M. Loewenberg. Moins variées au 
point de vue expérimental que celles de ce dermer, les recher- 
ches de M. Goltz ont eu la bonne fortune de fixer davantage 
lattention des observateurs, grâce aux conclusions plus hardies 
et à une discussion plus habile et plus large des expériences. 
M. Goltz à été conduit à s'occuper des phénomènes étudiés par 
Flourens à la suite de ses expériences faites sur les grenouilles 
pour étudier les conditions nécessaires au maintien de leur 
équilibre. 

Ses études sur ce dernier point l’ont convaincu que trois 
éléments sont nécessaires pour de les animaux puissent 
maintenir leur équilibre : | 

1° L’organe central coordinateur ; 2 certaines fibres ner- 
veuses centripètes avec leurs terminaisons périphériques, et 
3° les nerfs moteurs avec leurs organes terminaux. 

La lésion d’un de ces trois systèmes suffit pour troubler les 
mouvements combinés et pour rendre impossible le maintien 
de Péquilibre. | 

Les phénomènes de Flourens ne pouvaient évidemment 
trouver leur explication dans ces conclusions , les canaux semi- 
circulaires n’appartenant apparemment à aucun de ces élé- 
ments, M, Goltz voyait ainsi une contradiction apparente qui 
nécessitait avant tout unerépétition de ces expériences: 


8 E. DE CYON. 


Ajoutons pourtant que M. Goltz n’a que très-imparfaitement 
réussi à répéter les expériences de Flourens. Sa manière 
d'opérer consistait simplement dans la destruction à l’aide d’un 
trépan de la partie de l’os occipital qui recouvre les canaux, 
ainsi que des deux canaux horizontaux et verticaux postérieurs. 

Cette opération était toujours accompagnée d’une « perte de 
sang considérable». Peu des pigeons opérés survivaient à l’opé- 
ration. ; 

J'insiste sur cettelméthode défectueuse d'opérer, parce qu'elle 
nous rend compte d’objections qui ont été depuis dirigées 
contre les expériences sur les canaux semi-circulaires par 
M. Bôttcher. Suivant ce savant, tous les troubles de locomotion 
que M. Goltz et autres ont observés après les lésions de ces 
canaux n'étaient dus qu'aux lésions indirectes ou aux excita- 
tions du cervelet et des parties voisines. 

Les conclusions de M. Goltz reposaient du reste en partie sur 
les expériences déjà exécutées par Flourens et d’autres expéri- 
mentateurs. La principale de ces conclusions est conforme à 
celle de Klourens. M. Goltz admet aussi que ces canaux sont 
nécessaires pour le maintien de l'équilibre du corps. Cette con- 
clusion ne contient en réalité qu’une simple constatation du 
fait lui-même, que les pigeons perdent l'équilibre après la sec- 
tion des canaux semi-circulaires. 

Mais M. Goltz a précisé davantage la manière dont ces ca- 
naux peuvent prendre part au maintien de l’équihibre du corps. 
D’après lui, les canaux ne servent à cet équilibre qu'indirec- 
tement, en ayant pour fonction directe de ne maintenir que 
l'équilibre de la tête. 

Ils remplissent cette dernière fonction de la manière sui- 
vante : L’endolymphe qui se trouve dans les canaux exercerait 
une plus forte pression sur les parois des ampoules, quand dans 
les mouvements de la tête ces ampoules se trouvent situées plus 
bas. Cette pression exciterait les nerfs des ampoules, et les sen- 
sations produites par cette excitation serviraient à équilibrer 
la tête. 


Les mouvements désordonnés du corps qui s’observent chez 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. c) 


les pigeons après les lésions de ces canaux devraient, d’après 
cette hypothèse, être regardés comme secondaires, c’est-à-dire 
comme étant provoqués indirectement par la perte de la faculté 
d’équilibrer la tête. 


$ 6. — Premières recherches de l’auteur sur les canaux semi-circulaires. 


Notre première communication sur les canaux semi-circu- 
laires date de l’année 1873, et était basée sur les expériences 
que J'ai exécutées pendant l’hiver 1872, en collaboration avec 
un de mes élèves, le docteur Solucha. 

Mais, bien avant cette communication, mes études m'ont 
portéàa m'occuper de la question de l'équilibre de notre corps 
et de la coordination de nos mouvements. Déjà en 1864, dans 
ma Monographiesur la chorée et sur ses rapports avec les maladies 
du cœur, j'ai dû, à l’occasion de cette maladie, qui est le produit 
pathologique le plus caractéristique de la perte de la faculté de 
coordination, me prononcer sur les théories de la coordination 
en vogue chez les physiologistes et les médecins. Mais ce n’est 
qu'en 1865 et 1866, en préparant mon ouvrage sur l’ataxie 
locomotrice (tabes dorsalis), que j'ai pu instituer des expé- 
riences physiologiques sur les questions qui se rattachent à la 
coordination des mouvements. 

Nous aurons encore l’occasion de revenir sur mes opinions 
à ce sujet, je me bornerai à mentionner ici que mes travaux 
physiologiques, ainsi que mes observations cliniques, m'ont 
amené à la conviction qu'il n'existe pas dans le système nerveux 
d’organe spécial destiné à coordonner tous les mouvements de 
notre corps. 

Avant d'aborder l’expérimentation sur les canaux semi-circu- 
laires, J'ai cru utile de déterminer l'influence qu’une position 
anormale de la tête peut exercer sur la régularité des mouve- 
ments. 

En effet, les mouvements désordonnés de la tête étant le 
symptôme dominant d’une lésion des canaux, il était de pre- 
mière nécessité de décider si la perte de l’équilibre du corps 
n’était qu'une suite indirecte de ces mouvements. Cette néces= 

ANN. SC. NAT., MARS 1878. VII. 9. — ART. N° 8: 


A 


10 EE. DE CYON. 

sité me paraissait d'autant plus indiquée, que déjà les expé- 
riences de Longet sur les troubles des mouvements après la 
section de quelques muscles du cou parlaient très-hautement 
en faveur d’une influence de l'attitude de la tête sur l'équilibre 
de notre corps. 

C’est donc par la répétition des expériences de mon regretté 
maitre et ami que j'ai commencé mes expériences. Je me bor- 
nais à la section de quelques muscles de la nuque (les trois 
muscles droits postérieurs), cette section étant déjà suffisante 
pour provoquer les phénomènes déerits par Longet. En effet, 
aussitôt après cette section, on observe chez la plupart des 
chiens une impossibilité presque complète de se maintenir de- 
bout. Si on les oblige à marcher, ils chancellent à chaque pas, 
avancent leurs pieds avec beaucoup de précaution, en écartant 
les jambes comme s'ils voulaient tâter le sol sur lequel ils 
mettent les pieds. 

Si on les oblige à courir, ils tombent fréquemment et ne 
réussissent à se relever qu'avec beaucoup de peine. Tous ces 
troubles persistent quelques jours, c’est-à-dire aussi longtemps 
que la tête manque de maintien et oscille dans toutes les di- 
rections. 

Aussitôt que les lésions se cicatrisent et que la tête commence 
à reprendre sa position normale, tous ces troubles disparaissent 
peu à peu et la faculté d’équilibrer le corps reparait. 

Pour établir encore davantage que la perte de l’équilibre 
provient uniquement des oscillations de la tête, J'ai essayé de la 
fixer par un collier d’une construction spéciale : cette fixation 
est plus difficile à obtenir qu’on ne le croirait; mais, dans les 
cas où elle réussit, les troubles des mouvements disparaissent 
instantanément (1). 

Dans le même ordre d'idées, je produisais chez les pigeons 
des attitudes anormales de la tête, en la fixant par quelques su- 
tures à la peau, de manière que le bec fût tourné en Pair, 
tandis que l’occiput était dirigé en bas. Dans ce cas où aucune 


(4) Il est nécessaire d’habituer le chien au port de ce collier quelques jours 
avant l'opération. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 11 
lésion des parties importantes n’a été produite, les pigeons se 
comportaient exactement comme après la section des canaux 
semi-circulaires : même difficulté de maintenir l'équilibre, 
mêmes mouvements de manége, mêmes culbutes dans l’un ou 
dans l’autre sens, mêmes efforts pour trouver dans la tête 
ou dans la queue un troisième point d'appui. 

Aussitôt les sutures enlevées, la tête reprend la position nor- 
male, et tous les symptômes décrits s'évanouissent comme par 
enchantement. 

Parmi les autres expériences exécutées dans la même direc- 
tion, je veux attirer l'attention encore sur une dont toute 
l'importance sera mise en évidence dans le courant de ce 
travail. 

Cherchant à expliquer la relation qui existe entre la position 
de la tête et l'équilibre du corps, je m'étais arrêté d’abord à la 
supposition que l'attitude de la tête ne joue 1e1 de rôle qu’autant 
qu'avec les changements de cette position doivent aussi varier 
les notions que l’animal se forme sur la distribution des objets 
qui l’entourent et sur la position de son corps dans l’espace. 
Partant de cette proposition, Je concluais que la production 
subite d’un strabisme devrait, dans les premiers moments, 
amener des troubles dans les mouvements, analogues à ceux 
qu’on observe en donnant à la tête des positions anormales. 

L'expérience semblait en effet confirmer pleinement cette 
conclusion. 

En fixant devant les yeux des pigeons des lunettes à verres 
prismatiques, je provoquais immédiatement les troubles de 
coordination : les mouvements des pigeons devenaient hésitants 
et sans assurance; ils n’osaient plus voler, trébuchaient en 
marchant, etc. Chez quelques-uns, j’ai même observé des oscil- 
lations de la tête et des culbutes. 

La dépendance dans laquelle la faculté de l'équilibre du 
corps se trouve par rapport à la position normale de la tête une 
fois établie, nous avons commencé lexpérimentation sur les 
canaux semi-cireulaires. Ces expériences ont été exécutées sur 
des grenouilles et des pigeons. 


12 E. DE CYON. 

Nous avons pris les plus grands soins pour arriver à opérer 
par des procédés aussi nets et exacts que possible (1). 

Si quelque part en physiologie les résultats à observer varient 
en grande partie avec la précision plus ou moins grande de 
l’expérimentation, c’est certes dans les expériences sur les ca- 
naux semi-Circulaires. 

Le voisinage du cervelet, l’exiguité des parties soumises à 
l'opération, les anastomoses entre les vaisseaux qui entourent 
les canaux et ceux du cerveau, tout ceci exige de grandes pré- 
cautions dans l’opération. L’expérimentateur doit surtout être 
maitre absolu de ses mains et de ses yeux pour ne pas dépasser, 
dans les lésions et les excitations des canaux, les limites posées 
par le but de l’expérience. 

Je donnerai ici un exposé des phénomènes observés. Quoi- 
qu'ils soient dans les points principaux en concordance avec 
ceux décrits par Flourens, Je crois leur reproduction nécessaire 
pour la discussion qui va suivre exposé des faits. 

La section momentanée du canal membraneux horizontal 
provoque chez le pigeon un ou deux mouvements oscillatoires 
de la tête. Ces oscillations se font dans un plan horizontal et 
autour de l’axe vertical de la tête. 

La première oscillation est toujours dirigée du côté opéré au 
côté opposé, comme si l'animal voulait se soustraire par ce 
mouvement à une sensation pénible ou douloureuse. 

Ces oscillations avant cessé, on sectionne de la même ma- 
mière le canal correspondant de l’autre côté. Les oscillations 
reparaissent aussitôt avec une violence excessive et durent cette 
fois beaucoup plus longtemps. L’intensité va toujours en erois- 
sant jusqu'à ce que tout le corps de l'animal soit entrainé dans 
le mouvement. 

Le pigeon perd léquilibre, 1l tombe à chaque pas en avant, 
tourne autour de l’axe vertical de son corps, exécute des mou- 
vements de manége, etc. 


(4) Ces procédés opératoires sont décrits dans mon Traité des méthodes 
physiologiques, p. 542-547. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCOULAIRES. 13 


Il suffit de fixer le bec d’un pigeon se trouvant dans ces con- 
ditions, en l’appuyant par exemple sur un doigt, pour qu'immé- 
diatement tous ces mouvements désordonnés cessent. Aussitôt 
que la tête est immobile, le pigeon se calme. Sans cet appui du 
dehors, l’animal fait de longs efforts pour rattraper l'équilibre 
et arrêter ses mouvements; 1l y réussit habituellement en s’ap- 
puyant sur la queue. 

Ayant ainsi trois points d'appui, le pigeon peut rester long- 
temps tout à fait tranquille; mais la moindre secousse, souvent 
même l’abaissement de la tête sous son propre poids suffit 
pour rompre ce ealme et provoquer de nouveau la série des 
mouvements irréguliers que nous venons de décrire : plus la 
secousse a été forte, moins il a été opposé d'obstacles à ces 
mouvements, plus ils deviennent violents et plus longue est leur 
durée. 

Chez les pigeons qui ont subi ces mutilations, le vol est 
devenu sinon tout à fait impossible, au moins très-difficile; le 
moindre obstacle auquel ils se heurtent les fait tomber à terre 
comme une masse inerte. 

Les premiers jours après l’opération ils éprouvent de grandes 
difficultés à prendre de la nourriture et doivent être nourris 
artificiellement. Ce n’est que peu à peu qu'ils arrivent à être 
suffisamment maîtres des mouvements de leur tête pour pou- 
voir se reposer sans assistance étrangère. 

Huit ou dix jours après l’opération, le pigeon est le plus 
souvent complétement rétabli et, au premier coup d'œil, ne 
peut être distingué d’un pigeon normal. Ce n’est que quand on 
le fait voler, ou quand on l’effraye subitement, qu'on peutencore 
faire revenir quelques-uns des troubles décrits : le pigeon tré- 
buche encore de temps en temps quand il cherche à s'échapper 
et court trop vite. 

Mais ces symptômes eux-mêmes finissent par disparaître, et 
il ne reste de trace de l’opération qu’une certaine maladresse 
dans le vol. 

Cette issue favorable ne s’observe que quand l'opération a été 
exécutée avec beaucoup de soin; quand toute perte de sang 


14 | E. IE CYON. 
pendant l'opération a été évitée, et surtout quand la section des 
deux canaux a été la seule lésion produite. 

La série des phénomènes qui se déroulent chez les pigeons 
après la section des canaux verticaux postérieurs (1) estidentique 
à celle que nous venons de décrire. La différence ne consiste 
que dans la direction des mouvements. Ainsi les mouvements 
de la tête se font de bas en haut et de haut en bas, c’est-à-dire 
dans un plan vertical et autour d'un axe horizontal. Le corps 
aussi, au lieu d'exécuter les mouvements de manége ou de 
tourner autour d’un axe vertical, comme après les lésions des 
canaux horizontaux, fait des culbutes autour de l’axe trans- 
versal de son corps, comme si tout le corps était entrainé par 
le mouvement violent de bas en haut de la tête. 

Ainsi, tandis qu'après la section des canaux horizontaux les 
mouvements de la tête et du corps s’exécutent autour des axes 
qui sont parallèles à la direction du canal vertical postérieur 
resté intact, la section de ce dernier canal provoque des mou- 
vements involontaires autour des axes parallèles à la direction 
du canal horizontal. 

Il reste encore à ajouter qu’en général tous les mouvements 
exécutés après la section des deux canaux verticaux postérieurs 
ont un caractère de violence bien plus prononcé qu'après les 
lésions des canaux horizontaux. 

La marche des perturbations après lopération est la même 
que celle décrite plus haut : après huit à douze Jours, ces per- 
turbations disparaissent presque complétement en ne laissant 
qu'une certaine gêne dans les mouvements brusques et une 
presque impossibilité de voler. 

L’issue de lopération est rarement aussi favorable quand 
elle est accompagnée d’une perte de sang un peu considérable, 
ou quand les parties environnantes ont subi des lésions plus ou 
moins profondes. Quel que soit le canal lésé, on observe dans 


(1) On désigne comme canal vertical postérieur, celui qui est dirigé de haut 
en bas et croise le canal horizontal, et canal vertical supérieur, celui qui est 
dirigé d’arrière en avant. Cette dernière dénomination devrait être remplacée 
par « canal antérieur » pour être applicable aux canaux des Mammifères. 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 15 
ce cas, quelques jours après l’opération, les symptômes d’une 
forte irritation du cervelet : le pigeon est constamment agité; 
la moindre secousse produit chez lui de fortes convulsions mus- 
culaires. Souvent. l'animal succombe après quelques jours, et 
l’autopsie permet de constater une forte hypérémie, quelque- 
fois même une suppuration du cervelet. Dans les cas de gué- 
rison, le pigeon garde habituellement une attitude anormale 
de la tête, et les troubles des mouvements peuvent se produire 
encore longtemps après, presque avec le même caractère 
qu'aussitôt après l'opération. | 

Si l’on sectionne en même temps les deux canaux horizontaux 
et les deux verticaux postérieurs, les mouvements de la tête et 
du corps sont beaucoup plus violents. 

Les mouvements de la tête ne se laissent décrire que très- 
difficilement. Ils se font tantôt de haut en bas et de bas en 
haut, tantôt de droite à gauche et de gauche à droite. Souvent 
on observe aussi un mouvement se faisant dans une direction 
qui est comme la résultante des deux directions que je viens 
de désigner. La tête se dirige, par exemple, de droite et d'en 
haut à gauche et en bas et puis dans le sens opposé; le pigeon 
décrit ainsi avec sa tête une courbe qui ressemble à un æ . 

Si les pigeons survivent à cette opération, 1ls conservent pour 
toujours leur défaut de l’équilibre, ainsi que les autres troubles 
des mouvements. | 

Chez des pigeons ayant les deux canaux coupés de deux côtés, 
j'ai essayé de fixer, à l’aide d’un léger appareil, la tête dans 
l'attitude normale. Malheureusement je n’ai pas réussi à 
trouver une forme de collier qui, tout en fixant la tête, n'ait 
pas un peu gêné le pigeon dans ses mouvements. 

Malgré cette difficulté, jai pu arrêter avec un collier de 
carton les mouvements d’un pigeon au moins pendant qu'il 
restait sur une surface molle ou inégale. Sur un plancher verni 
le maintien de l’équilibre lui était impossible, malgré la fixation 
de la tête. 

N'ayant pas dans ce moment réussi à opérer avec la même 
précision sur le canal vertical supérieur, je me suis abstenu de 


46 E. DE CYON. 


parler dans mon premier mémoire des troubles qui surviennent 
chez les pigeons après les lésions de ce canal. J’y reviendrai 
plus loin. 

Pour pouvoir mieux me rendre compte du mécanisme des 
mouvements qu’on observe chez les pigeons après la lésion des 
canaux semi-Ccirculaires, j'ai divisé ces mouvements en trois 
groupes. 

Dans le premier, J’aimis tous ceux qui dépendent d’une perte 
d'équilibre, comme l'impossibilité de se tenir debout, la flexion 
des jambes (Einknichkung der Beine), la recherche d’un troi- 
sième point d'appui, l’écartement des jambes, ete. 

Le second groupe comprend tous les mouvements involon- 
taires de l’animal qui apparaissent immédiatement après l’opé- 
ration, comme les mouvements oscillatoires de la tête, ceux de 
manége, les culbutes du corps entier, ete. 

Nous avons attribué au troisième groupe les mouvements et 
les convulsions qui ne se présentent que quatre ou cinq Jours 
après l'opération, et qui ne sont que la conséquence de l’in- 
flammation ayant atteint le cervelet ou d’autres suites d’une 
expérience mal exécutée (1). 

Nous avons déclaré pour deux raisons la perte de la faculté de 
maintenir le corps en équilibre comme la conséquence directe 
de la section des canaux : 1° cette perte se manifeste aussitôt 
après l'opération, quels que soient les canaux lésés ; 2° la nature 
des mouvements que nous avons rapportés au second groupe ne 
laisse pas de doute sur ce que les canaux semi-cireulaires jouent 
un grand rôle dans l'orientation de notre corps dans l’espace. 
Ce second point exige un développement spécial. 

La disposition anatomique des trois canaux semi-circulaires, 
dont les directions représentent exactement les coordonnées 
des trois dimensions de l’espace, indique déjà jusqu’à un cer- 
tain point que ces canaux ont une certaine relation avec notre 
faculté de nous orienter dans l’espace. L'analyse détaillée des 


(1) Nous citons ici presque textuellement notre premier mémoire, pour bien 
établir en quoi nous différions déjà alors des autres auteurs. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES GANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 17 
mouvements qui apparaissent après la section de chaque paire 
de canaux prète de nouveaux appuis à cette considération, En 
effet, la lésion des deux canaux horizontaux amène les mouve- 
ments de la tête et du corps entier dans un plan horizontal 
parallèle à la direction des canaux lésés. 

Au contraire, la section de deux canaux verticaux postérieurs 
provoque des mouvements dans un plan vertical parallèle aux 
canaux sectionnés. Enfin, la section des deux paires de canaux 
produit des mouvements dont la direction est la résultante des 
deux directions que je viens de désigner. 

L’explication suivante me paraissait le mieux rendre compte 
de la nature des relations entre les canaux semi-circulaires et 
nos notions sur les trois dimensions de l’espace. 

Les fibres nerveuses des canaux membraneux ou de leurs 
ampoules reçoivent une série d’impressions qui servent à 
former des représentations tout à fait inconscientes sur la 
position de notre tête (et indirectement de notre corps) dans 
l’espace ; de même que les sensations inconscientes des muscles 
oculaires nous instruisent sur la direction de nos axes visuels et, 
par là, sur la disposition des objets qui nous environnent. 

La section d’un seul canal produisant des sensations anor- 
males, 1l est donc inévitable que, par suite du trouble de ces 
sensations, nos notions sur la position de notre tête deviennent 
plus ou moins fausses. 

Quelques mouvements de la tête suffisent d’ ailleurs à 
animal pour qu’à l’aide des sensations normales qu’il reçoit 
du canal correspondant de l’autre côté, il corrige ses notions un 
instant troublées. C’est pour cette raison que les troubles 
causés par la section d’un seul canal disparaissent si vite 
après l'opération. 

Le rétablissement de notions justes sur la position de notre 
corps, et par conséquent le rétablissement de l’équiibre, 
devient bien autrement pénible et laborieux quand, au lieu 
d’un canal, on sectionne deux canaux correspondants. 

Dans ce cas, il se passe souvent des jours, et même des 
semaines, avant que l'animal, à l’aide des canaux restés intacts 


18 7 E. DE CYON. 
et à l’aide desautres organes des sens, parvienne enfin à corriger 
les troubles apportés dans ses notions. 

Comme mes autres expériences ont montré qu'une fausse 
position de la tête produite subitement suffisait déjà pour faire 
perdre aux animaux équilibre de tout le corps, je me suis cru 
autorisé à conclure de mes expériences sur les canaux, qu'ils 
n’agissent sur l’équilbre du corps qu’en nous communiquant 
des notions justes sur la position de notre tête dans l’espace. 

Quant au second groupe de mouvements, dont il a été 
question plus haut, il me paraissait impossible d'expliquer leur 
provenance uniquement par une perte d'équilibre. Ges mouve- 
ments semblaient être de véritables convulsions produites par 
des excitations réflexes très-intenses. 

Les oscillations violentes de la tête, les soubresauts et Îles 
culbutes exécutés par tout le corps devraient donc être attri- 
bués aux excitations des terminaisons nerveuses dans les 
ampoules ou dans les canaux, ekcitations ayant leur origine, ou 
dans l’opération elle-même, où dans l'accès d’air et du sang, 
ou enfin dans les violentes sécousses que subit le corps de 
l'animal pendant qu'il cherche à s'orienter sur la position 
de sa tête. 

Mais cette explication laissait place à une objection fonda- 
mentale: elle ne rendait pas compte pourquoi la section d’un 
seul canal ou celle de deux canaux du même côté ne produisaient 
pas ces mouvements violents de la tête. C’est pour aller à 
l'encontre de cette objection que j'ai admis en outre que la 
section bilatérale des canaux produit un vertige auditif ; sur ce 
dernier point, je me rencontrais donc avec l'opinion émise par 
M. Vulpian et d’autres. 


$ 7. — Les conclusions de mes premières recherches. 


Voici en résumé les résultats de mon premier travail sur les 
canaux semi-cireulaires, tels qu'ils ont été formulés dans mon 
mémoire publié en 1873 dans les Archives de M. Pflüger : 

4° Pour conserver l'équilibre de notre corps, 1l nous est 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 19 
indispensable d’avoir une notion juste sur la position de notre 
tète dans l’espace. 

2 Les fonctions des canaux semi-circulaires consistent à 
nous communiquer, à l’aide de sensations inconscientes, la 
représentation juste de cette position. Chaque canal a une 
relation déterminée avec une des dimensions de l’espace. 

3° Les troubles des mouvements qui apparaissent après la 
section des canaux semi-circulaires se divisent en trois 
groupes : 

a. Troubles de l’équilibre comme suite immédiate de la 
section. 

b. Mouvements involontaires provoqués par des excitations 
qui dépendent des sensations (auditives ?) anormales, etc. 

c. Phénomènes consécutifs qui n'apparaissent que quelques 
jours après l'opération, à la suite de lirritation du cer- 
velet, etc. 


$ 8. — Expériences sur les canaux semi-circulaires des grenouilles. 


Mes expériences sur les canaux semi-ciréulaires des gre- 
nouilles, quoique n’ayant pas donné de nouveaux points de 
vue qui auraient permis de préciser ces conclusions, présen- 
taient néanmoins un certain intérêt, elles démontraient que 
chez ces animaux aussi les mouvements qu’on observe varient 
d’après le canal opéré, mais sont toujours caractérisés par les 
troubles de lPéquilibre. 

Quel que soit le canal opéré, la lésion, pourvu qu’elle soit 
faite de deux côtés, produit toujours une déviation de la tête. 
Cette déviation de la tête consiste dans une rotation autour de 
son axe longitudinal : un œil reste dirigé en haut, tandis que 
l’autre regarde en bas. 

Les sauts exécutés par la grenouille deviennent, après la 
section des canaux horizontaux, très-maladroits. Après chaque 
saut, elle retombe un peu dans une direction latérale, et après 
quelques sauts décrit ainsi un cercle presque régulier. Souvent, 
au lieu de retomber à plat, elle tombe sur un côté et ne 
reprend que péniblement sa situation normale. 


90 E. DE CYOK. 


La natation se modifie d’une manière très-caractéristique : 
la grenouille, en nageant, soulève tantôt une moitié, tantôt 
l’autre moitié de son corps, en oscillant autour de son axe 
longitudinal. 

La section de deux canaux verticaux qui correspondent aux 
verticaux postérieurs des oiseaux provoque des désordres plus 
considérables. La grenouille, en sautant, retombe sur place, 
souvent après avoir exécuté une demi-culbute dans l'air; 
dans ce cas, elle retombe sur le dos; elle nage habituellement 
dans un cercle. 

La section des deux autres canaux verticaux rend tout dépla- 
cement combiné de la grenouille presque impossible ; ses 
sauts en l’air sont très-violents ; elle retombe souvent sur la 
tête ou exécute une culbute complète autour de la tête. 

En retombant, elle roule souvent plusieurs fois autour de 
l'axe longitudinal du corps avant de reprendre son attitude sur 
les quatre pattes. Les grenouilles, avec ces deux canaux verti- 
eaux sectionnés, ont une tendance à rester debout en nageant : 
comme en même temps elles nagent en cercle, leurs mouve- 
ments ressemblent complétement à des mouvements de valse. 
Même en dehors de l’eau, elles gardent une position verticale, 
restant assises presque uniquement sur leurs pattes posté- 
rieures. 


$ 9. — Objections de M. Bôttcher. 


Les premiers travaux sur les canaux semi-circulaires qui ont 
paru bientôt après le mien sont ceux de MM. Mach, Crum 
Brown et Breuer. Mais, avant de passer à l’examen de ces 
travaux, je dois encore mentionner une communication de 
M. le professeur Bôttcher de Dorpat, qui pouvait rendre toute 
nouvelle recherche sur les canaux semi-circulaires mutile. 

Se basant sur le défaut de précision dans les procédés opéra- 
toires de quelques physiologistes qui ont publié des recherches 
sur les phénomènes de Flourens, M. Bôüticher considérait ces 
phénomènes comme étant la suite des lésions du cervelet ou des 


parties voisines du cerveau; une section des canaux semi-eireu- 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 21 
laires qui n'était pas accompagnée de pareilles lésions secon- 
daires devait, d’après lui, rester sans influence aucune sur les 
troubles des mouvements décrits par Flourens. Tout en admet- 
tant que des procédés opératoires, tels que les a employés par 
exemple M. Goltz, ne soient pas exempts du reproche de pro- 
duire des lésions dans les parties avoisinantes, nous ne pouvons 
accepter les reproches de M. Bôttcher, ni pour les expériences 
de Flourens, ni pour celles de MM. Vulpian, Loewenberg ou 
les miennes. 

Les symptômes d’une affection du cervelet, qu’on observe de 
temps en temps sur les pigeons, n'apparaissent que plusieurs 
Jours après l'opération et quand celle-ci a été mal exécutée, 
tandis que les phénomènes de Flourens suivent instantanément 
la lésion des canaux membraneux. 

Les plus graves désordres peuvent être observés quand l’opé- 
ration à été faite avec le plus grand som, sans que l’autopsie la 
plus minutieuse puisse découvrir la moindre trace d’une lésion 
ou d'une irritauon quelconque du cerveau ou du cervelet. 

Il y a d’ailleurs une circonstance qui parait avoir échappé 
à l'attention de M. Bôttcher, et qui suffit complétement pour 
mettre à néant toutes ses objections. 

Comme nous l'avons vu plus haut, les troubles des mouve- 
ments diffèrent considérablement entre eux, d’après le canal 
sur lequel opération a été faite. Ceci prouve que ce sont bien 
les canaux eux-mêmes qui produisent les désordres dans les 
mouvements. [l est évident, en effet, que s'ils ne dépendaient 
que d’une lésion du cervelet, 1ls auraient toujours le même 
caractère. ï 

Outre cette objection que J'ai déjà produite contre M, Bütt- 
cher dans une annotation à la publication russe de mon tra- 
vail (4), 1l en existe encore une autre qui ne laisse pas de doute 
sur la question en litige. 

Quand, au lieu de sectionner deux canaux symétriques, on 
opère par exemple d’un côté sur un canal horizontal, de l’autre 


(1) Recueil des recherches physiol., elc., dans le laboratoire de l’auteur; 
à l’Académie de Saint-Pétershourg, 1874. 


99 E. DE CYON. 


sur un canal vertical, on n’observe aucun désordre dans les 
mouvements. Les lésions secondaires du cerveau ou du cer- 
velet ne sont done pour rien dans la production de ces 
désordres. 

Même absence des phénomènes de Flourens quand on sec- 
tionne deux canaux du même côté. Outre les quelques oscilla- 
tions de la tête qui suivent la section de chaque canal, aucun 
autre phénomène ne se produit. 


$ 10. — Recherches de MM. Mach, Crum Brown et Breuer. 


Passons aux travaux de MM. Mach, Crum Brown et Breuer. 
Le premier intérêt de ces travaux consiste en ce que ces trois 
auteurs ont en même temps, et tout à fait indépendamment 
lun de l’autre, émis des hypothèses presque en tous points 
identiques sur les fonctions des canaux semi-cireulaires. 

Cette conformité. des vues s'explique en partie parce que 
tous les trois ont basé leur théorie sur les considérations pu- 
rement théoriques et sur les expériences que d’autres physio- 
logistes ont mstituées sur les phénomènes de Flourens. Néan- 
moims cette conformité donnait à leur théorie une grande 
apparence de vérité : ceci d'autant plus, que cette théorie sem- 
blait rendre compte de toutes les observations qui ont été 
faites sur les fonctions des canaux semi-circulaires. 

Le plus important des trois travaux cités est incontestable- 
ment celui de éminent physicien de Prague, M. Mach. 

Ses considérations théoriques sont développées avec une 
grande hauteur de vues et avec une compétence incontestable. 
Quoique M. Mach se soit également abstenu de l’expérimenta- 
tion directe sur les canaux semi-cireulaires, son ouvrage ne 
contient pas moins un grand nombre d’autres expériences 
pleines d'intérêt; ces expériences gardent toutes leur valeur, 
malgré leur peu d'application à la physiologie des canaux 
semi-circulaires, à laquelle M. Mach a essayé de les rattacher. 

Nous pouvons d'autant plus nous borner à n’analyser que 


les vues de M. Mach, que les deux autres auteurs se sont depuis 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CiRCULAIRES. 93 
rapprochés de ses vues sur presque tous les points par lesquels 
ils différaient au commencement. 

La partie capitale de l’ouvrage de M. Mach consiste dans une 
étude expérimentale très-variée, faite sur le phénomène de 
Purkinje, dont nous avons parlé plus haut. 

Dans les conclusions qu’il üre de ses expériences, M. Mach 
essaye de rattacher ce phénomène aux observations de Klou- 
rens sur les canaux semi-circulaires. 

M. Mach commence par analyser les sensations que nous 
éprouvons pendant le mouvement de notre corps qui amène 
son déplacement total; il cherche à démontrer que nous ne 
sommes capables de percevoir que les accélérations de ce mou- 
vement et non le mouvement uniforme : c’est-à-dire que nos 
sensations sont produites non par la vifesse du mouvement, 
mais par les variations de cette vitesse. 

En voyageant en chemin de fer, dit M. Mach, «nous ne sen- 
tons que les petites secousses qui produisent des accélérations 
ou des ralentissements dans le mouvement de notre corps, 
mais qui se contrebalancent, vu que la vitesse moyenne reste 
constante, que le train avance ou recule. Et en effet, les yeux 
fermés, nous pouvons facilement nous présenter les deux cas et 
passer sans effort (?) d’une représentation à l’autre. Ceci de- 
vient impossible quand le train commence à se mettre en mou- 
vement, ou quand il est sur le point de s'arrêter, ou toutes les 
fois que l'accélération est différente du zéro et a une direction 
déterminée ». 

À l’aide d’un appareil consistant dans un cadre muni d’un 
siége qui tous deux pouvaient être nus en rotation, le premier 
autour d’un axe vertical, le second autour d’un axe horizontal, 
M. Mach a institué sur lui-même une série d'expériences très- 
variées . 

Ces expériences ont eu pour but principal d'étudier d’une 
manière plus exacte les sensations du vertige et celles du mou- 
vement. La conclusion principale à laquelle il est arrivé est 
celle que « nous ne percevons que laccélération angulaire et 
non la vitesse angulaire » . 


94 LE. DE CYON. 


D’autres expériences l’ont convaincu que les sensations pro- 
duites par l’accélération angulaire durent plus longtemps que 
l'accélération elle-même, et que la position de la tête pendant 
ces mouvements a une influence prépondérante sur la nature 
de ces sensations, et sur la possibilité que nous avons d’en dé- 
terminer la direction. 

Variant l’angle que formaient entre eux le siége sur lequel 1l 
se trouvait et le cadre dans lequel était fixé l’axe de rotation de 
ce siége, modifiant les conditions d'éclairage de la chambre 
dans laquelle se trouvait le cadre, c’est-à-dire la rendant tantôt 
obscure, tantôt éclairée, changeant la position de sa tête pen- 
dant la rotation, etc., M. Mach est arrivé, grâce à ses nom- 
breuses recherches, à des résultats très-Intéressants sur la phy- 
siologie du vertige. Il a pu, de cette manière, déterminer 
exactement la nature des sensations, des représentations men- 
tales et des jugements le plus souvent faux que nous basons sur 
ces sensations anormales. 

L’explication mentionnée plus haut, que Purkinje a donnée 
à l’origine de ces sensations du vertige, ne satisfait pas M. Mach. 
Il essaye par conséquent d’en trouver une autre. 

Dans ce but, il passe en revue tous les organes qui pour- 
raient être le siége de ces sensations. Il élimine ainsi les nerfs 
sensibles de la peau, des tissus conjonctifs, des os et des 
muscles. Ajoutons cependant que les raisons que M. Mach 
donne à cette élimination ne sont pas, pour la plupart, déci- 
sives. Get éminent physicien se borne à citer les faits qui rendent 
invraisemblable la dépendance exclusive des sensations en 
question des nerfs que je viens de mentionner. 

M. Mach passe ensuite à l'analyse des déplacements consi- 
dérables que doit subir la masse sanguine pendant la rota- 
tion du corps, et trouve peu probable que les sensations de ces 
déplacements puissent nous permettre de définir le sens et 
la direction de cette rotation. 

Cette dernière exclusion amêne M. Mach à discuter plus 
au long les phénomènes visuels qu’on observe pendant la rota- 


tion de notre corps, et à rechercher si les déplacements des 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 95 


olobes oculaires ne suffiraient pas pour-en rendre compte. 

Nous avons rappelé plus haut que Purkmje attribuait une 
grande importance à ces déplacements : d'après lui, la tendance 
du globe oculaire à fixer les objets pendant la rotation de la 
tête a pour effet que les yeux ne suivent pas ce mouvement avec 
la même vitesse; 1ls s’attardent pour ainsi dire en route, et ne 
reprennent leur position normale dans l'orbite qu'un peu plus 
lard. Le vertige qui nous fait croire que les objets qui nous 
entourent continuent à tourner autour de nous consisterait, 
d’après cette théorie de Purkinje, dans un déplacement du 
champ visuel produit par le mouvement des globes ocu- 
laires et que nous attribuons d’une manière tout à fait incon- 
sciente aux objets eux-mêmes; habitués que nous sommes de 
juger les changements de position des objets environnants par 
les sensations que provoque la contraction des muscles du 
globe oculaire, pendant qu'avec nos yeux nous suivons ces 
objets. 

M. Mach (à tort, selon nous) trouve cette explication si 
simple de Purkinje insuffisante ; 11 penche plutôt vers la modi- 
fication que M. Breuer a apportée à cette explication. Ce ne 
serait plus l’inertie des globes oculaires et la tendance à fixer 
nos yeux qui seraient la cause du retard dans le mouvement des 
globes; ces mouvements auraient au contraire une origine 
réflexe et seraient provoqués par l'excitation des nerfs qui se 
distribuent dans les ampoules. 

Ges mouvements, d’après Breuer, auraient un but compen- 
sateur (?) et seraient dirigés dans une direction opposée à celle 
de la rotation de la tête. Ge n’est que quand le mouvement de 
la tête sera arrêté que les globes oculaires reprendront leur 
position normale dans l'orbite. 

Mais, comme pendant ce retour à la position normale les 
objets extérieurs passeront dans le champ visuel de la rétine 
dans le sens mverse de la rotation de l’œil, nous éprouverons 
la sensation que les objets tournent dans une direction opposée 
au mouvement de notre corps qui a produit le vertige. 


Quelle que soit la valeur de cette modification apportée par 
ANN. SC. NAT., MARS 1878. VII. 10. — ART. N° 8. 


26 E. DE CYON. 
M. Breuer à la théorie du vertige donnée par Purkinje, elle 
aussi ne satisfait pas complétement M. Mach. 

Certaines observations faites pendant ses expériences sur 
lui-même lui ont montré que le mouvement apparent des 
objets extérieurs se produit même quand la rétine reste 
immobile. 

Je reviendrai encore plus tard sur ces observations, qui sont 
d’une importance capitale pour notre manière d'envisager les 
accès de vertige. 

Pour le moment, bornons-nous à indiquer que les théories 
antérieures proposées pour expliquer le vertige sont impuis- 
santes à rendre compte de toutes les observations expérimen- 
tales faites sur cet état. 

M. Mach n'est pas non plus satisfait de la théorie de Purkimje 
qui admet que la cause principale du vertige cérébral se trouve 
dans les perturbations purement mécaniques que la rotation 
de notre corps produit dans le cerveau et dans le cervelet 
(voyez plus haut) ; il donne une théorie nouvelle de ces phéno- 
mènes. 

« Supposons, dit-il, que nous ayons dans un corps B une 
» cavité garnie de terminaisons nerveuses, et que cette cavité 
» contienne un autre Corps solide ou liquide À : grâce à sa 
» pesanteur, Ce dernier corps exercera une pression plus forte 
» sur une partie des parois (de la cavité) que sur les autres ; par 
» là il déterminera la position du corps P relativement à la ver- 
« ticale. À chaque accélération que recevrait B, le corps À exer- 
» cera dans un sens opposé une contre-pression qui s’ajoutera 
» à l’accélération de la pesanteur ; par là l'endroit de la pres- 
» sion, ainsi que son intensité, changera dans la cavité. Enfin, 
» à chaque accélération angulaire communiquée à.B, le corps À 
» cherchera à opposer une rotation dans un sens contraire. 
» Parles deux premières causes, B pourra obtenir connaissance 
» de sa position et de l'accélération progressive en ligne droite ; 
» la troisième lui indiquerait son accélération arigulaire. Le 
» vestibule avec les canaux semi-circulaires serait cet 
» organe (B) dont nous venons de développer le schéma. I est 


o 


ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 97 


» probable que, pour les deux premiers cas, existent des nerfs 
» spéciaux distincts de ceux qui servent au troisième. Quand 
» nous étudions les canaux semi-circulaires, 1ls nous paraissent 
» surtout bien désignés pour satisfaire à ce principe de la con- 
» servation des aires. 

» Pendant chaque accélération angulaire autour d’un axe 
vertical ou dans le plan d’un canal, son contenu doit exercer 
» une traction dans le sens inverse qui se communiquerait 
aux nerfs des ampoules comme signe de cette accélération 
» angulaire. » (Loc. cit., p. 103.) 

D’après la loi des énergies spécifiques donnée par J. Müller, 
« les nerfs des ampoules ont l’énergie spécifique de répondre à 
» chaque excitation, quelle que soit sa nature, par une sensa- 
» tion de rotation... 

» ...Les phénomènes de Flourens seront compris encore 
» plus facilement si, avec M. Loewenberg, nous admettons que 
» la section des canaux semi-cireulaires produit de l’excita- 
» tion et non de la paralysie ! » 

Nous arrêtons là nos citations. Tâchons de résumer les 
opinions de M. Mach. 

I. Ce physicien regarde les phénomènes de Flourens et ceux 
de Purkinje comme étant produits par les mêmes causes. 

Il. Conformément à l'explication que j'ai donnée dans mon 
travail déjà cité, M. Mach aussi attribue une signification fonc- 
tonnelle à la disposition anatomique des trois canaux semi- 
circulaires, qui correspond aux coordonnées des trois dimen- 
sions de l’espace. 

Mais M. Mach diffère de moi en ce qu’il admet que les nerfs 
distribués dans ces canaux puissent nous avertir des accéléra- 
tions angulaires pendant la rotation de la tête. 

IT. M. Mach, d'accord avec M. Goltz, attribue au liquide 
contenu dans les canaux membraneux un rôle prépondérant 
dans leur fonctionnement. Il exprime d’une façon plus scien- 
tifique et plus conforme aux lois physiques l’idée de M. Goltz, 
sur la pression que ce liquide doit exercer sur les parois des 
ampoules pendant les mouvements de la tête. Conformément 


Ÿ 


© 


28 E. DE CYON. 

au principe de la conservation des aires, ce liquide devrait 
exécuter un mouvement dans un sens opposé au mouvement 
du canal osseux. Ce mouvement du liquide, ou plutôt cette 
tendance de mouvement pendant chaque accélération angulaire 
des canaux, produit, d’après M. Mach, les sensations du mou- 
vement qui provoquent le vertige (de Purkinje) et les phéno- 
mènes de Flourens. 

Comme je Pai déja mentionné plus haut, MM. Breuer et 
Crum Brown donnent, sur les fonctions des canaux semi- 
circulaires, des théories complétement conformes à celle de 
M. Mach, quoique moins complètes et moins bien déve- 
loppées. 

C’est surtout le travail de M. Mach qui m'a poussé à 
reprendre mes recherches sur les canaux semi-cireulaires. 
Malgré la concordance des vues des trois auteurs dont chacun 
est arrivé aux mêmes conclusions d’une manière tout à fait 
indépendante, je dois avouer qu’au premier abord les théories 
de MM. Mach, Crum Brown et Breuer ne m'ont pas paru 
complétement satisfaisantes. 

Ces théories sur les fonctions des canaux semi-circulaires 
avaient, à mes yeux, le défaut capital d’être construites sur les 
données observées par d’autres expérimentateurs et sans être 
basées sur des recherches propres à ces auteurs. 

Outre cela, un grand nombre d'observations que J'ai eu 
l’occasion de faire pendant mes expériences sur ces canaux, et 
qui n’ont pas trouvé place dans ma première communication, 
parce que je ne les croyais pas susceptibles d’être formulées 
avec la précision nécessaire, me paraissaient déjà en contradic- 
tion avec ces théories. 

Dans une question aussi délicate que celle des fonctions des 
canaux semi-Girculaires et aussi riche en observations contra- 
dictoires, une théorie qui prétend expliquer tous les phéno- 
mènes sans laisser subsister le moindre point litigieux doit 
déjà, par cela même, inspirer un peu de méfiance. 

Une reprise des recherches sur cette question ne me paraissait 
donc point inutile, et je me suis livré, sur ce point, à de nom- 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 29: 


breuses expériences dont les résultats seront exposés dans la 
suite de ce travail (1). 


$ 11. — Résumé des différentes théories. 


Mais, avant de passer à cet exposé, je crois utile de résumer 
ici les différentes opinions sur les fonctions des canaux semi- 
circulaires qui se sont manifestées dans les travaux dont il a 
été question plus haut. 

Flourens. — Ces canaux sont des organes modérateurs de la 
coordination des mouvements qui, elle, est une fonction du 
cervelet. 

M. Vulpian. — Les désordres des mouvements qui se mani- 
festent après la section des canaux sont dus à un vertige 
auditif. 


M. Loewenberg. — Ges désordres sont d’origine réflexe et 
sont provoqués par une excitation des terminaisons du nerf 
acoustique. 


M. Goltz. — Ces canaux sont les organes de Péquilibre et de 
la coordination des mouvements ; leur fonctionnement est 
provoqué par le changement de pression de l’endolymphe sur 
les ampoules pendant les mouvements de la tête. 

M. E. de Cyon. — Les fonctions des canaux semi-circulaires 
consistent à nous donner une série de sensations Inconscientes 
sur la situation de notre tête dans l’espace ; chaque canal à un 
rapport strictement déterminé à l’une des dimensions de 
l’espace. La perte de l’équilibre et les autres troubles des mou- 
vements ne sont que la suite des perturbations apportées à ces 
sensations par la section des canaux. 


(1) J'avais d’abord chargé un de mes élèves, le docteur Bornhardt, de re- 
prendre ce travail dans mon ancien laboratoire de physiologie à l’Académie de 
médecme de Saint-Pétershourg, mais je l’ai bientôt repris moi-même et con- 
tinué depuis dans les laboratoires de M. Ludwig à Leipzig, Claude Bernard 
à Paris, et dans mon laboratoire privé à Paris. M. Bornhardt a continué les 
recherches que je lui ai conseillées et les a publiées après mon départ de Saint- 
Pétershourg ; le mérite ainsi que la responsabilité du travail qu’il a publié lui 
appartiennent donc en entier. 


30 E. DE CYON. 


MM. Mach, Crum Brown et Breuer. — Les canaux semi- 
circulaires sont les organes des sensations de l'accélération du 
mouvement ou les organes du sens de rotation ; ces sensations 
sont provoquées par la tendance de l’endolymphe à exécuter 
un mouvement dans le sens opposé au mouvement du canal 
membraneux pendant la rotation de la tête : le vertige de 
Purkinje repose sur ces excitations des canaux semi-circu- 
laires (1). 

Dans son second mémoire M. Breuer, en citant textuellement 
mes opinions exprimées ci-dessus, trouve qu’elles diffèrent peu 
de celles de M. Goltz. Afin de faire ressortir avec toute la clarté 
nécessaire le véritable sens des différentes théories et nullement 
dans un but de revendication personnelle, je dois protester 
contre cette assertion. Ne regardant pas mon travail comme 
complétement achevé, j'ai dû m'imposer dans mon premier 
mémoire une grande sobriété dans les conclusions. Mais, même 
formulées comme elles le sont, il est facile d’en comprendre la 
différence capitale avec les vues de M. Goltz. 

Ce dernier physiologiste, qui n’a produit que des lésions 
profondes de quatre canaux à la fois, a été surtout frappé par 
les graves désordres des mouvements et de l'équilibre ; 1l a été 
amené par là à conclure que les canaux semi-circulaires ont 
pour fonction la coordination des mouvements et l’équilibre de 
noire corps. 

MM. Breuer et Mach croient à tort que c’est M. Goltz qui est 
arrivé le premier à cette conclusion : Flourens l’a déjà formulée 
il y à cinquante ans, et, comme nous verrons plus tard, sa 
manière de comprendre l'intervention des canaux semi-circu- 
laires dans la coordination des mouvements se rapproche plus 
de la vérité que celle de M. Goltz. Ce qui fait le principal mé- 
rite du mémoire de M. Goltz, c’est que, le premier, il a essayé 


(1) Parmi les autres auteurs qui ont publié dernièrement des recherches sur 
les canaux semi-cireulaires, il faut surtout citer MM. Curschmann, Barthold et 
Bornhardt. Tous les trois ont exécuté un grand nombre d’expériences très-labo- 
rieuses et souvent très-originales, mais ils se sont abstenus d’en tirer des con- 
elusions assez précises pour que nous puissions les soumettre à une discussion. 

ARTICLE N° 8, 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 31 


de donner une explication scientifique du mécanisme par lequel 
ces canaux accomplissent leur fonction. L'hypothèse sur le rôle 
de l’endolymphe dans ce mécanisme, hypothèse qui a servi de 
base aux raisonnements de MM. Mach, Crum Brown et Breuer, 
fait la partie originale du mémoire de M. Goltz. 

Tout autre à été ma manière d'envisager les fonctions des 
canaux semi-circulaires. Avant tout, je n’admettais pas (et Je 
n’admets pas encore) l'existence d’organes distincts centraux ou 
périphériques ayant pour fonction exclusive la coordination des 
mouvements. 

Déjà, dans mes monographies sur la chorée et l’ataxie loco- 
motrice, je me suis prononcé de la manière la plus formelle 
contre la tendance de quelques physiologistes, et surtout des 
médecins, à vouloir absolument localiser la fonction de la 
coordination dans un organe spécial quelconque. J’ai résumé 
mes opinions sur la coordination des mouvements dans mon 
Traité de physiologie, publié en même temps (en 1873) que mon 
mémoire sur les canaux semi-circulaires. Là aussi, après avoir 
longuement discuté les différentes manières par lesquelles on 
peut produire chez les animaux les troubles dans la coordina- 
tion des mouvements, j'insiste de nouveau sur l’inadmissibihté 
de localiser dans une partie quelconque de notre système ner- 
veux la faculté de coordonner nos mouvements (Traité de phy- 
siologie, vol. IT, p. 90-105). J'étais donc bien loin de con- 
clure de la perte de coordination des mouvements, après la 
section des canaux semi-circulaires, que ces canaux sont des 
organes de coordination. 

Dès que je suis arrivé à bien distinguer les différents carac- 
tères des mouvements qu’on observe après la lésion des diffé- 
rents canaux, mon attention a été surtout attirée sur la dispo- 
sition anatomique des trois canaux qui correspond aux trois 
dimensions de l’espace, et sur les rapports qui peuvent exister 
entre cette disposition et nos notions sur ces dimensions. Dans 
ma communication, j'ai analysé d’après M. Helmholtz la ma- 
nière dont se forme notre jugement sur les objets situés dans 
notre champ visuel, grâce aux sensations inconscientes des mus- 


32 EH. DE CYON. 


cles du globe oculaire ainsi que des muscles de la tête. C’est 
en me plaçant à ce point de vue, que j'ai discuté l’impor- 
tance que nos connaissances sur la position de la tête dans l’es- 
pace peuvent avoir pour l’équilibré de notre corps. L’expé- 
rience mentionnée plus haut concernant la production d’un 
strabisme artificiel, et l’observation des troubles dans léqui- 
libre du corps qui s’en sont suivis, ont été conçues dans le 
même ordre d'idées. Ceci indique par conséquent clairement 
que même sur l’upique point sur lequel je me suis rencontré 
avec M. Goltz, à savoir sur le rôle de la position de la tête par 
rapport à l'équilibre du corps, nos vues étaient au fond bien 
différentes. 

Quant à l’hypothèse de M. Goltzsur le rôle que joue le liquide 
contenu dans les canaux membraneux dans leur fonctionne- 
ment, je me suis abstenu dans mon mémoire de la discuter. 
J'ai pratiqué la même abstention même en publiant une année 
après une traduction russe de mon mémoire, quoique dans 
l'intervalle aient paru les recherches de MM. Mach, Crum 
Brown et Breuer, qui sont basées en plus grande partie sur 
cette hypothèse : tellement elle me paraissait en contradiction 
avec les résultats de expérimentation ! 


CHAPITRE I. 
NOUVELLES RECHERCHES DE L'AUTEUR. 
$ 12. — Expériences sur le rôle de l’endolymphe. 


En passant maintenant à l’exposé de mes nouvelles recher- 
ches, je les communiquerai dans l’ordre des questions spé- 
ciales auxquelles elles se rattachent, et non pas dans l’ordre 
dans lequel elles ont été exécutées. 

Nous commencerons par les expériences sur le rôle que le 
mouvement de l’endolymphe contenue dans les canaux mem- 
braneux peut jouer dans leur fonctionnement. 

Les différents auteurs ne comprennent pas ce rôle de la 


même façon. M. Goltz suppose que les deux ampoules doivent 
ARTICLE N° 8. 


FONGTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 33 


être tendues d’une manière plus ou moins forte, d’après la hau- 
teur de la colonne du liquide qui pèse sur elles. Cette manière 
de voir n’est pas tout à fait exacte, vu que les canaux membra- 
neux eux-mêmes sont plongés dans un liquide d’un poids spé- 
cifique, presque égal à celui de Pendolymphe qui les remplit. 
Dans ces conditions, les pressions sur les surfaces extérieure et 
intérieure des parois devraient se contre-balancer mutuel- 
lement. 

M. Mach, tout en admettant la justesse de cette objection, 
déjà indiquée par M. Breuer, et tout en ne partageant pas Popi- 
nion de M. Goltz, croit néanmoins que les parois des ampoules 
peuvent subir une pression plus intense dans la direction de la 
fenêtre ronde, si la périlymphe se meut dans le même sens. II 
est pourtant évident que, même cette possibilité étant admise, 
on ne saurait en tirer aucune indication utile sur les fonctions 
des canaux semi-circulaires, vu que dans ce cas la pression 
s’exercerait toujours dans la même direction. 

MM. Crum Brown et Breuer ont proposé une autre expli- 
cation de la manière dont l’endolymphe intervient dans les 
fonctions de ces canaux. Malheureusement, leurs explications 
s'accordent encore moins avec des lois physiques bien établies. 
Ces auteurs supposent que le liquide contenu dans chaque 
canal semi-circulaire est mis en mouvement dans une direc- 
tion opposée à celle du canal lui-même, pendant les mouve- 
ments de la tête. Cette supposition pourrait trouver une cer- 
taine application, s’il ne s'agissait pas de canaux d’un diamètre 
capillaire, dans lesquels tout mouvement du liquide serait 
détruit par la résistance des parois et le frottement des cou- 
ches liquides entre elles. Cette dernière source de résistance 
devrait être d'autant plus considérable que nous avons affaire 
ici à un liquide très-visqueux. Cette impossibilité n’a pas 
échappé à la sagacité de M. Mach. Il a donc recours, pour 
expliquer l’action de l’endolymphe comme excitant les termi- 
naisons nerveuses dans les ampoules, à une autre hypothèse : 
il admet que ces terminaisons ne sont excitées que par la pres- 
sion momentanée que le liquide exerce sur les parois des 


34 E. DE CYON. 

canaux dans une direction opposée au mouvement du canal, 
Mais l’hypothèse de M. Mach est aussi inadmissible au point 
de vue physiologique que celle de M. Breuer l’est au point de 
vue physique. Voici pourquoi : 

La théorie des fonctions semi-circulaires proposée par ces 
auteurs exige une durée assez notable de la sensation produite 
par le mouvement du liquide. Cette durée pouvait à la rigueur 
s'expliquer par un véritable mouvement du liquide. Mais com- 
ment l’admettre, si l'excitation des terminaisons nerveuses - 
n’était due qu’à une pression momentanée, se produisant seule- 
ment au début du mouvement du canal? Nos notions physiolo- 
giques sur le rapport de la durée de l’excitation avec celle de 
la sensation s'opposent à une pareille mamière de voir. 
M. Mach essaye de tourner cette difficulté par plusieurs autres 
suppositions qui sont elles-mêmes très-peu admissibles, et, 
malgré tous ses efforts dans ce sens, la difficulté persiste tout 
entière. 

Ainsi toutes les corrections apportées dans ce dernier temps 
à l'hypothèse de M. Goltz, sur le rôle de l’endolymphe, sont en 
contradiction, les unes avec les lois de l’hydrodynamique, les 
autres avec les lois psychophysiques. Nous aurions pu citer en- 
core d’autres objections purement théoriques contre cette hypo- 
thèse, tirées en partie de la position des ampoules pendant les 
mouvements de la tête, en partie de quelques observations 
faites pendant l’expérimentation sur les canaux. Aussi tous 
ceux, parmi les auteurs, qui ont réellement fait un grand nombre 
d'expériences sur ces canaux, comme MM. Curschmann, Bar- 
thold, Bornhardt et d’autres, se sout toujours refusés à adopter 
l'hypothèse de M. Goltz. 

J'ai néanmoins cru nécessaire de faire quelques expériences 
dans le but spécial de vérifier la valeur réelle de cette hypo- 
thèse. Vu l'impossibilité de varier directement la pression inté- 
rieure des canaux membraneux, sans risquer de léser leurs 
parois, J'ai dû me borner à modifier cette pression d’une ma- 
mère indirecte. Il est évident que si le moindre changement de 
pression intérieure suffisait pour produire les phénomènes de 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES, 39 


Flourens, nous devrions observer ces phénomènes chaque fois 
que nous augmentons ou diminuons la pression extérieure sur 
les parois des canaux. Chaque pression extérieure sur les parois 
des canaux membraneux doit déplacer à l’endroit correspon- 
dant une partie de l’endolymphe, et produire par conséquent 
cette « tendance au mouvement » de M. Mach, qui doit exciter 
les terminaisons nerveuses. 

Le moyen le plus simple d'obtenir un pareil changement de 
pression consiste à ouvrir avec précaution les canaux osseux 
dans plusieurs endroits et sur un parcours assez grand, la 
périlymphe s'écoule alors très-facilement et est remplacée par 
de l’air. 

On peut accélérer cet écoulement à l’aide d’une petite éponge 
ou d’un morceau de papier buvard. Il est évident qu'un pareil 
écoulement, qui ne se fait pas d’une manière uniforme, doit 
changer la pression intérieure dans les canaux membraneux, 
dont les parois sont si minces et si faciles à dilater. Eh bien, 
cette expérience répétée un nombre infini de fois m'a toujours 
donné le même résultat : aucun des phénomènes de Flourens 
ne se présente immédiatement après cet écoulement. Ce n’est 
que quelques jours après, quand les parties environnantes com- 
mencent à s’enflammer, et quand le sang ou le pus pénètre 
dans les canaux laissés ouverts, que quelques troubles dans la 
locomotion peuvent être observés. Mais il est facile de prévenir 
même ces accidents, en ayant soin de n’établir l’écoulement que 
par deux petites ouvertures du canal osseux qu’on ferme après 
avec un peu de colle. 

Une autre expérience que j'ai instituée est encore plus con- 
eluante. Au lieu d'ouvrir les canaux osseux eux-mêmes, j'enle- 
vais à l’aide d’une petite pince très-mince, avec beaucoup de pré- 
caution, la lamelle osseuse qui recouvre le vestibule dans l’angle 
extérieur et inférieur formé par le croisement du canal hori- 
zontal avec le vertical postérieur ; après quoi j’ouvrais avec une 
épingle l’utricule ou le saccule. La périlymphe ainsi que l’endo- 
lymphe s’écoulent alors-abondamment, et si après on pratique 
un petit trou dans le canal osseux, il est facile de constater le 


36 EL. DE CON. 


resserrement et l’aplatissement du canal membraneux. Dans 
ce cas, le système des canaux membraneux, dont la pression 
intérieure a beaucoup diminué, se rétrécit d’une manière re- 
lativement assez considérable. Si les hypothèses de MM. Goltz 
et Mach étaient fondées, les phénomènes de Flourens devraient 
se produire dans cette expérience avec une violence excessive : 
pourtant aucun de ces phénomènes ne s’est manifesté. 

Dans d’autres expériences, je laissais la périlymphe s’échapper 
par quelques ouvertures dans le canal osseux et je la remplaçais 
par un liquide qui dureit en refroidissant. J'ai choisi pour ces 
injections une solution tiède de gélatine. La difficulté de faire 
des injections par une ouverture dans un canal osseux est assez 
grande; le liquide s’écoule entre le bout de la seringue à injec- 
tions et les bords de l’ouverture, et ne pénètre qu’en partie dans 
l'intérieur du canal. De l’autre côté, il fallait renoncer à l’em- 
ploi de solutions trop chauffées, vu la grande sensibilité des 
canaux membraneux pour les températures élevées; cette cir- 
constance force souvent d'interrompre l'injection à cause de la 
solidification de la gélatine refroidie. 

Malgré ces difficultés, jai réussi à pratiquer dans plusieurs 
expériences des injections assez complètes pour envelopper les 
canaux membraneux d’un moule inflexible. Cette immobilisa- 
hion des canaux ne produisait par elle-même aucun des phéno- 
mènes de Flourens. Par contre, il suffisait de piquer le canal 
membraneux pour provoquer le mouvement caractéristique de 
la tête. La section des canaux membraneux rendus immobiles 
faisait apparaître tous les troubles de l'équilibre et de la loco- 
motion que nous avons décrits plus haut. 

Il est pourtant inadmissible que dans ces conditions il puisse 
se produire un changement quelconque de la pression intérieure 
dans les canaux membraneux; car toute variation de pression 
est impossible sans une dilatation quelconque des parois du 
canal; or, la gaine solide qui enveloppait ces canaux rendait 
toute extension impossible. 

Dans d’autres expériences, j'introduisais dans le canal osseux 


des bâtonnets très-minces de Laminaria, tout en ayant soin de 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 31 


ne pas blesser les canaux membraneux. L’imbibition et le gon- 
flement de ces bâtonnets comprime d’une manière assez consi- 
dérable les canaux membraneux; mais, grâce à la compression 
très-lente, aucun des phénomènes de Flourens ne s’observe les 
premiers jours après l’expérience. Il suftit, par contre, de sec- 
tionner les canaux membraneux ainsi comprimés, pour provo- 
quer instantanément ces phénomènes. 

Toutes ces expériences ne laissent dans mon esprit aucun 
doute sur le mal fondé de l'hypothèse de M. Goltz, même dans 
la forme que lui a donnée M. Mach. 

Nous voulons, pour terminer, attirer l'attention encore sur 
un fait, qui rend à priori très-improbable le rôle que M. Goltz 
a attribué au liquide contenu dans les canaux : Quand on fait 
une petite ouverture dans un des canaux osseux, sans permettre 
à la périlymphe de s’écouler, on peut, dans certaines conditions 
d'éclairage, observer une pulsation de ce liquide qui est syn- 
chrone avec les pulsations du cœur. Ces pulsations peuvent 
provenir de deux sources : 1° d’une petite artère qui longe le 
canal membraneux ; dans ce cas elles ont une origine identique 
aux pulsations du cerveau qu’on observe quand on ouvre la 
boîte cranienne, et 2° directement des pulsations du cerveau, 
vu qu'il est démontré par MM. Schwalbe et K. E. Weber, que 
le liquide du système des canaux semi-circulaires communique 
par un petit conduit avec le liquide de la cavité arachnoïde. 
Or, si la membrane de la fenêtre ronde est assez flexible pour 
permettre des déplacements de l’endolymphe suffisamment 
considérables pour pouvoir produire des exeitations nerveuses, 
il est évident qu’elle ne pourrait pas non plus empêcher les 
mêmes pulsations de se produire même quand le canal osseux 
reste fermé. L'hypothèse de M. Mach admise, nous devrions 
donc avoir des excitations rhythmiques des terminaisons ner- 
veuses dans les ampoules. 

Tout ce qui précède n'empêche pas naturellement que la 
présence de l’endolymphe ne soit nécessaire pour le fonction- 
nement des canaux semi-circulaires; les expériences que Jje 
viens d'exposer démontrent que ce n’est pas dans les varia- 


38 E. DE CYON. 


tions de pression de ce liquide qu'il faut chercher la cause 
d’excitation des canaux semi-circulaires. 


$ 13. — Section des nerfs'acoustiques. 


En poursuivant la recherche des preuves pour ou contre les 
théories de MM. Mach, Crum Brown et Breuer, j'ai dû exa- 
miner jusqu’à quel point ces auteurs avaient raison, en attri- 
buant aux canaux semi-circulaires les phénomènes du vertige 
décrits par Purkinje. L'expérience nous permet de formuler 
une réponse catégorique à cette question. 

Parmi les nombreuses expériences instituées par M. Mach, il 
s’en trouve plusieurs faites sur des lapins qu'il a soumis à la 
rotation passive sur un excentrique. Cette rotation produit 
chez les lapins un vertige qui se manifeste de la manière sui- 
vante : aussitôt la rotation passive interrompue et les lapins 
laissés libres, ils exécutent encore plusieurs rotations involon- 
taires autour de l’axe longitudinal de leur corps, ou quelques 
mouvements de manége. M. Mach a comparé avec raison ces 
symptômes de vertige avec ceux décrits par Purkinje. Mais, en 
voulant rattacher ces phénomènes aux troubles provoqués dans 
les canaux cireulaires par la rotation du corps, il propose d’en 
chercher la preuve dans l'expérience suivante : 

«Une expérience importante, dit M. Mach (loc. cit., p.196), 
consisterait à imprimer un mouvement de rotation à un animal 
dont le nerf acoustique est sectionné. Ces animaux ne doivent 
plus subir le vertige de rotation... M. Breuer affirme qu’en 
effet il n’a pu observer ce vertige chez les pigeons dont les 
canaux étaient détruits. » 

Cette dernière affirmation de M. Breuer est des plus hasar- 
dées. Comme nous verrons plus loin, les troubles des mouve- 
ments chez les pigeons ainsi opérés sont si intenses, qu'il est 
complétement impossible d’instituer encore sur eux des obser- 
vations sur le vertige. Ce n’est qu’en sectionnant les deux nerfs 
acoustiques qu'on peut élucider cette question. Pour des rai- 
sons faciles à comprendre, les lapins sont préférables aux 
pigeons pour ce genre d'expériences. Mais, même chez Île 

ARTICLE N° 8: 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 39 
lapin, la section isolée des nerfs acoustiques n’est pas une opé- 
ration aisée. 

Nous avons employé trois méthodes différentes pour opérer 
cette section : 

La première consistait à ouvrir (par le procédé déerit 
dans mon Traié des méthodes physiologiques) la cavité cylin- 
drique qui se trouve chez le lapin dans l’apophyse mastoïde et 
qui contient la partie du cervelet appelée le focculus. Après 
quoi, J'introduisais au-dessous du focculus un petit instrument 
tranchant, dont la lame était courbée sous un angle presque 
droit, et qui n'était tranchante qu’au bout. Ge bout était un peu 
plus large que la lame même et pouvait couper le nerf acousti- 
que d’un seul trait, rien que par une forte pression. L’introduc- 
tion de la lame se faisait en glissant sur le plancher de la cavité 
en question, jusqu'à ce que sa pointe touchât son bord inté- 
rieur. On n’a alors qu’à baisser la pointe en l’appuyant sur la 
base du crâne pour couper le nerf acoustique à l’endroit même 
où il entre dans le canal de Fallope. Il est utile, pendant cette 
opération, d’avoir devant soi un crâne de lapin ouvert par en 
haut, pour mieux éviter le nerf facial, qui, dans l'endroit indi- 
qué, touche de très-près le nerf acoustique. 

Dans le second procédé, on fait deux petites ouvertures dans 
los occipital de deux côtés des ligaments occipito-atloïdiens 
postérieurs. Par ces ouvertures, on découvre facilement les 
dernières paires des nerfs crâmiens; guidé par eux, on arrive 
aux deux nerfs acoustiques. Avec ce procédé, on voit les nerfs 
avant de les sectionner. Quand après plusieurs opérations exé- 
cutées selon ce procédé, on est arrivé à être bien orienté dans la 
région en question, alors on peut avoir recours au troisième 
procédé opératoire, qui, lui, dispense de la trépanation du crâne, 
Il n’exige que l'enlèvement d’une partie des ligaments occipito- 
atloïdiens postérieurs. En se servant d’un couteau dans le genre 
de celui que Claude Bernard a indiqué pour la section des 
nerfs crâniens, on peut parvenir Jusqu'au nerf acoustique, en 
rasant la base du crâne et en évitant de blesser les autres nerfs. 

Cest à ce dernier procédé que je donnais la préférence toutes 


40 E. DE CYON. 
les fois que je n'étais pas obligé d'ouvrir la cavité cylindrique 
déjà indiquée pour opérer aussi sur les canaux. Les résultats de 
ces sections sont décrits plus loin; ici il suffit d'indiquer que 
les lapins ayant les deux nerfs acoustiques sectionnés présen- 
tent, après avoir été soumis aux rotations sur l’excentrique, les 
mêmes symptômes de vertige que ceux que M. Mach a observés 
chez le lapin normal. Tout le système de raisonnements par 
lequel MM. Mach et Crum Brown sont arrivés à voir dans cette 
observation la preuve que les canaux semi-circulaires sont des 
organes destinés à indiquer chaque rotation de la tête par une 
sensation spécifique de rotation, sensation destinée à provoquer 
des mouvements compensateurs, tout ce système, dis-je, de- 
vient insoutenable par le fait (1) que les mêmes mouvements 
se produisent quand toute communication entre ces canaux 
et le cerveau est rompue. Les phénomènes de Purkinje ne dé- 
pendent done pas des canaux semi-cireulaires ; l’explication que 
ce physiologiste en a donnée, en lesattribuant aux perturbations 
produites dans le cerveau lui-même par la rotation de la tête 
est donc la seule admissible. Peut-être ces perturbations ne 
sont-elles que la suite des troubles dans les vaisseaux intra-crà- 
niens les plus éloignés de l’axe de rotation. Les observations 
faites sur les derviches, sur les shakers américains ainsi que sur 
certaines sectes religieuses russes, qui pratiquent les mouve- 
ments de rotation avec une grande véhémence pendant des 
heures et même des journées entières, prouvent que les plus 
grands bouleversements psychiques, comme les hallucinations, 
les visions, la perte complète de connaissance, etc., peuvent 
être la suite de ces mouvements violents. C’est donc le cerveau 
lui-même qui, en première ligne, subit l'effet de ces mouve- 
ments. 

Je pourrais 101 discuter encore longuement l’hypothèse qui 
veut voir dans les canaux semi-circulaires les organes d’un 


(1) Ge fait, que j'ai déjà consigné dans un mémoire communiqué à l’Aca- 
démie des sciences, a été depuis confirmé par M. Hermann (de Zurich) dans le 
compte rendu de ce mémoire (Berichte über die Fortschritte der Anatomie 
und Physiologie, 1876). 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. A1 


sens de rotation, ou des sensations d'accélération, et aceu- 
muler de nouvelles preuves contre cette manière de voir. 

Mais je crois que les expériences exposées l’ont déjà suffi- 
samment réfutée. Quelques mots seulement pour mieux faire 
ressortir l’invraisemblance à priori de la théorie de MM. Mach, 
Crum Brown et d’autres. Comment admettre que les canaux 
semi-cireulaires servent à nous informer sur la rotation de la 
tête, quand nous voyons les mêmes organes parfaitement bien 
développés chez les animaux qui, comme les grenouilles ou les 
poissons, ont la tête presque immobile, et qui d’ailleurs, pas 
plus que les autres animaux, n’exécutent pas habituellement 
des mouvements de rotation ? 

Pourquoi justement la présence d’un organe des sens pour 
un mouvement peu habituel et pas pour beaucoup d’autres, 
pour les mouvements que les animaux exécutent continuelle- 
ment? 

Et d’ailleurs est-ce bien certain que nous ne sentons que 
l'accélération du mouvement et non la vitesse elle-même ? Il 
n'est pas difficile de se convaincre du contraire : ainsi, par 
exemple, 1l m'est aussi impossible, ayant les veux fermés, de 
déterminer la direction dans laquelle marche un train, quand 
il change de vitesse, que quand il marche avec une vitesse 
constante. Même impossibilité quand je monte ou descends avec 
une grande vitesse. Par contre, nous pouvons, à l’aide des 
secousses que nous communiquent les chocs des wagons, ete., 
déterminer d’une manière approximative la vitesse d’un train, 
même si elle est constante. Naturellement, quand la vitesse 
change, ces secousses deviennent plus irrégulières et nous sen- 
ions, dans ce cas, l’accélération ou le ralentissement. 

Toutes les preuves que M. Mach cite lui-même en faveur de 
l'opinion que les nerfs de nos articulations, de nos muscles, 
de la peau, des téguments, etc., prennent part à la sensation du 
mouvement sont, malgré ses objections, bien autrement con- 
cluantes que l'hypothèse qui localise ces sensations dans les 
canaux sem-circulaires. 


Nous devons avouer qu'il nous est tout à fait impossible de 
ANN. SC. NAT., MARS 1878. VII 11. — ART. N° 8. 


49 E. DE CYON. 


comprendre comment on peut localiser les sensations conscientes 
qui proviennent de tout notre corps dans un petit organe situé 
dans le crâne, qui lui-même ne nous envoie aucune sensation 
consciente. Je trouve une pareille localisation aussi inadmis- 
sible et aussi irrationnelle que cette autre théorie qui veut 
mettre dans ces mêmes canaux la sensibilité musculaire ! 

Il suffit d’ailleurs de s’observer un peu pendant nos mouve- 
ments habituels pour se convaincre combien sont diverses les 
causes qui déterminent notre appréciation de la vitesse des 
mouvements. Ainsi, par exemple, quand on monte un cheval 
qui à un trot très-long et qui, par conséquent, fait des pas 
grands, mais rares, on éprouve une sensation d’un mouvement 
très-lent; tandis qu’un cheval faisant des pas fréquents, mais 
plus courts, nous donne la sensation de la vitesse, quoique au 
fond le premier avance beaucoup plus rapidement. [ci nous 
jugeons la vitesse d’après le nombre des secousses que chaque 
pas communique à nos articulations, à nos muscles, etc. 

Pour moi, quand je monte à l’anglaise, la sensation de len- 
teur, dans le premier cas, même chez les chevaux les plus 
rapides, est souvent si pénible, que je dois renoncer à les mon- 
ter. On sait qu’en montant à l'anglaise, nous faisons des con- 
tractions musculaires volontaires; la sensibilité musculaire 
joue, par conséquent, un rôle plus important que pendant les 
mouvements passifs. 

Quand nous nous trouvons en chemin de fer, dans un train 
marchant avec une vitesse de 20 à 30 kilomètres, nous éprou- 
vons une sensation de lenteur très-désagréable. Dans une voi- 
ture ou dans des traineaux avançant avec la vitesse de 20 kilo- 
mètres par heure, nous éprouvons au contraire des sensations 
de vitesse et d'accélération. Ici nos sensations proviennent 
d’un raisonnement, souvent inconscient, qui nous dit que, 
dans le premier cas, nous sommes encore loin d’avoir atteint 
le maximum de vitesse possible, tandis que dans le second les 
chevaux font le maximum d’effort. 

Pour les mêmes raisons, je préfère, par exemple, voyager 
sur les lacs suisses en bateau à rames ou à voile qu’en bateau 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 43 


à vapeur; la sensation de lenteur, sur ce dernier, m'étant trop 
intolérable. Il ne serait pas difficile de trouver d’autres exem- 
ples qui démontrent que les sensations provoquées par le mou- 
vement peuvent avoir encore d’autres caractères et d’autres cau- 
ses. Ainsi, par exemple, la descente rapide des montagnes russes 
ne produit aucune sensation d'accélération, mais bien une sen- 
sation d’une légèreté dans tout le corps, accompagnée d’un 
léser étourdissement très-agréable. Ces sensations proviennent 
en grande partie de la diminution de la pression que les parties 
supérieures du corps exercent sur les parties inférieures, et 
surtout de la diminution de la pression que le cerveau exerce 
sur la base crânienne. 


$ 1%. — Nouvelles expériences sur les canaux semi-creulaires des pigeons. 


Passons maintenant à l’exposé de celles de nos expériences 
qui ont une portée plus positive. 

Nous croyons avoir déja mentionné que, d’après notre 
opinion, le fait dominant dans les phénomènes de Flourens 
consiste dans la diversité des mouvements qui se produisent 
après la section des différents canaux semi-circulaires. L’im- 
portance de cette diversité est telle que, sans elle, tous ces 
phénomènes se réduiraient à une simple excitation réflexe 
produite par la lésion de ces canaux, et ne présenteraient aucun 
intérêt fonctionnel. C’est pourquoi M. Loewenberg qui, comme 
M. Goltz, n’a observé que les troubles généraux qui appa- 
raissent après la lésion des canaux, était bien fondé à ne 
vor dans ces désordres que l'effet d’une violente excitation 
réflexe. 

Vu l'importance de cette diversité dans les mouvements, il 
élait, avant tout, nécessaire de compléter mes premières 
recherches par l’analyse des mouvements qui se produisent 
après la section du canal vertical supérieur. Après quelques 
essais, J'ai réussi à opérer sur le canal avec la même sûreté et 
la même précision que sur les deux autres. 

Aussitôt qu’on sectionne ce canal vertical d’un côté, le pigeon 


4 EH. DE CYON. 


exécute un ou deux mouvements de la tête, dirigés d’arrière en 
avant et de droite à gauche, ou vice versé; ces mouvements 
rappellent les oscillations de la tête des pigeons pendant leur 
marche, seulement, au lieu de se faire dans la direction droite 
d’arrière en avant, elles se font dans un plan diagonal. La 
section du canal correspondant de l’autre côté provoque Île 
même mouvement de la tête, mais d’une manière beaucoup plus 
violente et plus continue. La perte de l'équilibre pendant la 
marche est même plus prononcée qu'après la section des autres 
canaux. Le mouvement du corps se fait, de même qu'après 
la section des canaux verticaux postérieurs, autour de lPaxe 
transversal du corps ; mais, au lieu de culbuter autour de la 
queue, le pigeon culbute autour de sa tête. Les désordres dans 
les mouvements sont en général plus violents et ne dispa- 
raissent que très-lentement. La marche ultérieure de ces phé- 
nomènes est presque identique, quant au reste, à celle obtenue 
par la section des deux autres canaux. 

* Ainsi donc les mouvements Involontaires qui se produisent 
après la section de la troisième paire des canaux semi-cireu- 
laires possèdent un caractère tout à fait distinct de celui des 
autres canaux. Si nous voulons déterminer le caractère des 
mouvements de la tête qui sont les plus prononcés chez le 
pigeon, nous dirons que la section des deux canaux semi-circu- 
laires symétriques provoque des oscillations de la têle dans le 
plan des canaux opérés. Cette loi est absolue et n’admet aucune 
exception (1). 

Les mouvements du corps entier ont la même direction, 
mais ils sont un peu plus difficiles à analyser. Nous avons vu 
plus haut qu'après la section des deux canaux horizontaux, le 
pigeon tourne autour de laxe vertical de son corps, soit en 
restant en place, soit en exécutant les mouvements de manége ; 
les mouvements se font donc dans un plan horizontal. 


(4) Il est bien entendu que nous sommes loin de partager l'opinion erronée 
qui regarde la section des canaux comme devant produire leur paralysie. Nous 
revenons encore plus loin sur cette question; disons, en attendant, que pour 
nous l'effet immédiat de la section consiste dans une excitation des canaux. 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 45 

Après la section des canaux verticaux postérieurs, le corps 
entier exécute des culbutes autour de la queue. Si l’on analyse 
bien ces culbutes, on voit facilement qu’elles sont provoquées 
de la manière suivante : Le corps du pigeon subit un élan de 
bas en haut qui le place dans une position presque verticale ; 
le pigeon est comme assis sur la queue; mais comme en même 
temps les mouvements de la tête de bas en haut continuent, le 
corps entier est entrainé en arrière, et le plus souvent le pigeon 
achève la culbute et tombe sur le dos. On voit facilement que 
le mouvement principal du corps se fait dans un plan vertical, 
parallèle au canal vertical postérieur. 

Quant aux suites de la section du canal vertical supérieur 
(ou antérieur), nous avons déjà vu qu'elle a pour effet de faire 
exécuter à la tête des mouvements diagonaux dirigés d’arrière 
et de droite en avant et à gauche, ou vice versä. Le corps a de la 
tendance à tomber en avant; mais, entrainé par les violentes 
oscillations de la tête, 11 dépasse le but et culbute souvent au- 
tour de la tête. En général, le mouvement s'exécute dans un 
plan parallèle à la direction des canaux verticaux supérieurs. 


$ 15. — Destruction des six canaux semi-circulaires. 


Cela établi, j'ai voulu constater l'effet de la section de tous 
les six canaux semi-circulaires. Cette opération peut être 
exécutée également presque sans perte de sang et sans produire 
la moindre lésion dans les organes voisins. Plusieurs fois j'ai 
même enlevé, par de petites ouvertures faites dans les canaux 
osseux, tous les six canaux membraneux avec leurs ampoules. 

L'effet d’une pareille section des canaux semi-circulaires est 
foudroyant : il est impossible de donner une idée du mouve- 
ment perpétuel que présente le pigeon ; il ne peut ni se tenir 
debout n1 rester couché, ni voler, ni en général exécuter un 
mouvement combiné quelconque, ni garder, même pendant un 
instant, l'attitude qu’on lui donne. Tous les muscles de son 
corps se contractent violemment ; il exécute de violentes 
culbutes tantôt en avant, tantôt en arrière ; il roule autour de 


A6 | E. DE CYON. 


son axe longitudinal, saute en l'air, et retombe par terre pour 
recommencer les mêmes mouvements. Si on ne le retenait pas, 
il se briserait bientôt la tête contre le premier obstacle venu. 
Pour le maintenir en repos, 1l faut un effort relativement con- 
sidérable. 

Pour conserver des pigeons ainsi opérés, je les enveloppais 
dans des serviettes de manière à rendre impossible même les 
oscillations de la tête. Ainsi rendus immobiles, je les couchais 
sur un hamac spécialement installé pour des pigeons ayant subi 
des lésions des canaux semi-circulaires. Malgré ces précautions, 
il m'est arrivé plusieurs fois de trouver les pigeons morts dans 
quelque coin du laboratoire ; la section montrait d’abondants 
épanchements de sang, sous les enveloppes du cerveau, prove- 
nant des chocs de la tête contre le plancher. La violence des 
contractions musculaires était telle que, quoique enveloppés 
dans une serviette, les pigeons parvenaient encore à se Jeter 
hors du hamac et à rouler par terre, jusqu’à ce que les lésions 
mortelles du cerveau missent fin à leurs souffrances. 

Une pareille violence de mouvements ne persiste que pendant 
trois ou quatre jours après l’opération. Ge délai passé, on peut 
sans danger délier le pigeon et le laisser libre dans le hamac. 
L’impossibilité de se tenir debout ou de marcher continue, mais 
les convulsions produites par chaque tentative de déplacement 
sont beaucoup moins violentes ; l’animal parvient à se calmer 
sans intervention étrangère. Pendant cet état, qui dure 
dix à quinze jours, le pigeon parvient, après quelques essais 
infructueux, à rester calme dans une position voulue. Avec 
trois points d'appui, 1l peut même se tenir debout. Les mouve- 
ments mvorontaires apparaissent encore chaque fois qu’il veut 
changer de position, mais il parvient beaucoup plus facilement 
à s’en rendre maitre. 

Quand le pigeon est arrivé à ce point, je le laisse se promener 
sur le plancher ; c’est surtout dans cet état qu’il est intéressant 
à observer : l'impression générale que le pigeon produit est 
celle d’un animal qui commence à apprendre à se mouvoir, à se 


tenir debout, etc. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 47 


Pendant cet apprentissage, le pigeon a besoin du concours 
de ses autres organes des sens, surtout de la vue. II suffit de lui 
fermer les yeux à l’aide d’un petit bonnet passé par-dessus sa 
tête, pour qu'il perde instantanément tous les fruits de sa 
nouvelle éducation : il retombe dans l’état dans lequel il était 
gueltnes jours après l'opération. 

Ce n’est que dans l’espace de quelques mois que le pigeon 
revient à un état à peu près normal. Il peut de nouveau mar- 
cher ou se tenir debout, mais il a complétement et pour 
toujours perdu la faculté de voler. Tous ses mouvements 
gardent aussi un certain cachet d'incertitude, un certain 
manque de sûreté. Sa marche est lente ; à chaque pas il 
semble tâter le terrain. Il se tient de préférence immobile 
dans un coim obscur, et se décide difficilement à changer 
de place : on dirait qu'il se méfie de ses propres forces. 
Il suffit d’ailleurs de lui imprimer une petite secousse pour 
provoquer immédiatement un accès de mouvements involon- 
taires dont il ne se rend maître qu'avec plus ou moins de diffi- 
cultés. Obligé, par cette secousse, de fuir ou de se déplacer 
immédiatement, il n’a pas le temps d'exécuter des mouvements 
délibérés; de là l’explosion de mouvements involontaires 
_désordonnés. 

Toutes les sections des six canaux n'’offrent pas la même 
issue relativement favorable. Souvent les pigeons périssent 
quelques jours après l'opération, par l’inflammation et la 
suppuration des tissus environnant les canaux. Dans d’autres 
cas, 1ls survivent à l’opération et à ses suites, mais la vio- 
lence des mouvements persiste beaucoup plus longtemps, et 
les pigeons ne parviennent plus ni à marcher ni à se tenir 
debout. 


$ 16. — Section unilatérale des canaux. 


. Une autre série de mes expériences avait pour but d’étudier 
les effets d’une section unilatérale des canaux semi-circulaires. 
La connaissance de ces effets est d’une importance capitale, 
aussi bien pour notre manière de voir que pour celle de 


48 js E. DE CYON. 

MM. Mach, Breuer et Crum Brown. C’est pourquoi M. Breuer 
a fait plusieurs expériences dans cette direction, dont les ré- 
sultats sont d’ailleurs en contradiction complète avec les nôtres. 
-: La théorie des trois auteurs cités exige que, parmi les canaux 
verticaux, le canal vertical postérieur d’un côté ait pour corol- 
laire de ses fonctions le canal vertical supérieur de l’autre côté. 
C’est pour rendre conforme la position anatomique de ces ca- 
naux à la théorie qui y voit des organes du sens de rotation, 
que M. Crum Brown a le premier émis cette opinion sur la 
corrélation des différents canaux. M. Mach s’est rattaché à cette 
opinion; ce qui au fond équivaudrait à admettre que, parmi les 
extrémités, les paires ne sont pas formées par les extrémités an- 
térieures d’une part et les postérieures de lPautre, mais qu'au 
contraire le bras et la jambe forment, au point de vue du fonc- 
tionnement, une paire de chaque côté du corps. 

M. Breuer s’est chargé de trouver des preuves expérimentales 
à cette manière de voir. I explique les affirmations de M. Bôtt- 
cher et les miennes, à savoir : que la section de deux canaux 
non correspondants n’a pas provoqué les phénomènes de Flou- 
rens, par le hasard que nous avons toujours sectionné le canal 
horizontal d’un côté et le canal vertical postérieur de Pautre. 
Si au contraire on sectionne d’un côté le canal vertical posté- 
rieur et de l’autre le canal supérieur, les mouvements désor- 
donnés de la tête et du corps se produisent instantanément. 

Mes expériences sont en contradiction complète avec celles 
de M. Breuer sur ce point. La section nette de chacun de ces 
canaux ne produit que des phénomènes passagers, décrits plus 
haut, qui appartiennent à leur section unilatérale. Quelque 
temps après la section, tous les mouvements désordonnés dis- 
paraissent. Il ne reste dans quelques cas qu'une légère incerti- 
tude dans la marche; mais, elle aussi, disparait bientôt. 

En effet, quand on coupe chez le pigeon tous les canaux 
semi-cireulaires d’un seul côté, on ne voit que les mou- 
vements passagers de la tête pendant l’opération elle-même, 
quelques mouvements de manége, la tête étant dirigée du côté 


opéré, et des trébuchements pendant la marche trop rapide. 
ARTICLE N° 


\ 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 49 
Ces symptômes disparaissent le plus souvent le second jour; 
après quoi il devient presque impossible de distinguer le 
pigeon opéré d’un pigeon normal. 

C'est sur des pigeons ainsi opérés que j'ai pour la première 
fois observé que les mouvements de manége, ainsi que les 
troubles de l'équilibre, peuvent se manifester même sans aucun 
changement dans l'attitude de la tête. En vue de lPancienne 
opinion de Longet et de M. Goltz, et que je partageais moi- 
même autrefois, à savoir que l'attitude de la tête joue un rèle 
prépondérant dans l'équilibre, cette observation a été pour moi 
d’une grande valeur; elle m'a permis de déterminer la véritable 
nature de l'influence que l’attitude de la tête joue dans le main- 
tien du corps. 

Dans toutes les opérations sur les canaux du même côté ou 
situés des deux côtés de la tête, mais non symétriques, on ob- 
serve un phénomène curieux pendant la marche : à chaque pas 
que le pigeon fait, une de ses jambes plie sous son corps; un 
observateur non prévenu reçoit l’impression que la jambe est 
cassée. Souvent 11 m'a été moi-même difficile de me débar- 
rasser d’un pareil soupçon, et j'étais obligé de constater par 
l'inspection que la jambe était intacte. 

Ces phénomènes rappelleraient au médecin la marche ca- 
ractéristique des atactiques, chez lesquels aussi les jambes flé- 
chissent pendant la marche, grâce aux contractions exagérées. 

Dans le cas de lésions unilatérales, cette flexion de la jambe 
s’observe sur le côté où se trouvent les canaux blessés; dans les 
cas de lésions bilatérales, mais non symétriques, elle se trouve 
du côté où le plus grand nombre de canaux a été blessé; et si 
de chaque côté la lésion n’a porté que sur un seul organe, le 
phénomène se mamfeste du côté où le canal vertical a été 
atteint. 


$ 17. — Excitation électrique des canaux. 


Je vais rapporter encore quelques expériences sur les pigeons, 


où les canaux semi-circulaires ont été soumis à l'excitation 
électrique. 


50 E, DE CYOK. 


Les deux électrodes étaient composées par deux fils d'or 
dont les extrémités, recourbées en forme de crochets, furent 
introduites dans deux petites ouvertures pratiquées dans un : 
des canaux osseux; ces fils aboutissaient de l’autre côté aux 
pôles d’un appareil d'mduction. 

La difficulté de localiser dans ces conditions l’action des cou- 
rants électriques, tout en laissant les pigeons libres dans leurs 
mouvements, empêche d’obtenir des résultats bien décisifs. 
Cependant ces expériences m’autorisent à affirmer que l’exci- 
tation électrique d’un canal semi-cireulaire ne produit d'autre 
effet visible qu’une forte déviation de la tête du côté du canal 
excité. 

Les expériences analogues sont encore à continuer, quoi- 
qu’on aurait tort d’en attendre des résultats importants : les 
fonctions des canaux semi-cireulaires, comme organes des sens, 
étant trop délicates pour se prêter à une étude par ces moyens, 


$ 18. — Expériences sur les canaux semi-circulaires des lapins, 


Les nombreuses expériences que je viens d’exposer ont épuisé 
presque tout ce que l’art expérimental peut fournir en fait d’ex- 
périmentation sur les pigeons. Par conséquent, j'ai cru néces- 
saire de me servir d'animaux supérieurs. C’est surtout dans 
l'espoir d'obtenir des indications précises sur les rapports entre 
les canaux semi-circulaires et les mouvements des globes ocu- 
laires que j'ai eu recours aux lapins. 

Comme Flourens l’a déjà indiqué, il est utile, pour les expé- 
riences sur les canaux, de choisir des jeunes lapins; les parties 
osseuses étant alors pius raciles à enlever, toute l’opération peut 
souvent être exécutée à l’aide d’un scalpel. La région dans la- 
quelle il s’agit d'opérer est la même cavité cylindrique mdiquée 
plus haut qui se trouve dans l’apophyse mastoïde, et qui con- 
tient la partie du cervelet appelée flocculus. 

Le procédé opératoire est décrit dans mon Traité des mé- 
thodes. 


Rappelons seulement ici que l'opérateur inexpérimenté peut 
AR IGLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES, 51 


sans crainte enlever le flocculus, dans le but de se faciliter les 
opérations sur les canaux semi-circulaires, car 1l ne résulte 
de cette ablation aucun trouble dans la locomotion ou dans 
la faculté de maintenir l’équilibre (1). 

Les différences entre les phénomènes qu’on observe chez les 
pigeons et ceux qui accompagnent les lésions des canaux semi- 
circulaires chez les lapins sont les suivantes : 

1° Les désordres dans les mouvements sont très-violents et 
de longue durée chez les lapins, même si l'opération n’a porté 
que sur #n seul canal semi-circulaire. 

2° Ces troubles sont surtout prononcés dans les mouvements 
des muscles du globe oculaire; ils sont moins violents dans les 
muscles du trone et presque nuls dans ceux de la tête. 

Les mouvements du corps consistent principalement dans des 
mouvements de manége, lorsque c’est un canal horizontal qui 
a été lésé; dans des roulements (2) autour de axe longitudinal 
du corps, quand la lésion à porté sur un des canaux verticaux. 
La tête est plus ou moins violemment ramenée de ce côté et 
rapprochée des extrémités postérieures; de sorte que tous les 
mouvements amènent une rotation du corps autour de son axe 
longitudinal. 

Dans les premières heures après la lésion d’un canal semi- 
circulaire, tout mouvement combiné ou tout déplacement 
normal est impossible pour l'animal. Même au repos, le lapin 
est mcapable de se tenir sur ses jambes dans l'attitude normale ; 
il reste à demi couché sur le ventre. 

Parmi tous les mouvements provoqués par les lésions des ca- 
naux semi-circulaires, ceux qui présentent le plus grand intérêt 
et qui sont les plus prononcés, sont les mouvements des globes 
oculaires. 


(1) Les troubles que M. Hitzig a observés en introduisant un morceau de 
glace dans la cavité désignée proviennent d’une forte excitation des canaux 
semi-circulaires situés dansles parois de cette cavité, et nullement d’une action 
sur le flocculus lui-même. 

(2) La description des phénomènes donnée par Flourens comme résultant de 
la section des canaux semi-circulaires chez les lapins est presque en tous points 
inexacle. 


59 E. DE CYON. 


Déja Flourens mentionne en passant le nystagmus qui, 
d’après ses observations, se produit pendant les mouvements 
de la tête et cesse instantanément quand la tête est en repos. Il 
y à là certainement une erreur grave de la part de l’éminent 
physiologiste. 

Il va sans dire que chaque mouvement de la tête est, chez le 
lapin comme chez tout autre animal, même avec des canaux 
intacts, accompagné d’un mouvement du globe oculaire. Comme 
nous l'avons constaté plus haut à l’occasion des expériences de 
Purkinje, le globe oculaire suit toujours le mouvement de la 
tête avec un petit retard. 

Le nystagmus dont nous voulons parler ici ne se rapporte 
aucunement à cette nécessité, pour le globe oculaire, de suivre 
les mouvements de la tête; car 1l apparait surtout, et avec une 
certaine violence, quand la tête est immobilisée. 

Cette violence diminue même sensiblement quand on laisse 
la tête libre, et le nystagmus cesse tout à fait lorsque le lapin, 
détaché, commence les violents mouvements du corps déerits 
plus haut. 

L’excitation la plus légère suffit souvent pour provoquer ces 
oscillations des globes oculaires : on voit survenir un accès 
prolongé de nystagmus à la suite d’une légère pression sur 
le canal osseux, lorsqu'on veut enlever avec une éponge les 
gouttelettes de sang qui se sont accumulées dans Je voisi- 
nage. 

Ces oscillations ont toujours lieu dans les deux yeux, même 
quand l’excitation à porté sur un seul canal. 

Leur direction diffère suivant le canal opéré. Elles se produi- 
sent toujours par séries d’oscillations d’une durée de plusieurs 
secondes, même lorsqu'on a soim de n’exercer qu'une seule et 
faible excitation du canal. 

Une excitation violente, comme par exemple la compression 
du canal membraneux ou sa torsion, produit des accès qui 
durent quelques minutes, souvent même une heure et 
davantage. 


ARTICLE N° 8. 


Un) 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 03 


$ 19. — Oscillations des globes oculaires provoquées par l’excitation 
des canaux. 


La fréquence de ces oscillations varie d’après la force de 
l’irritation exercée ; on peut souvent compter de 20 à 450 oscil- 
lations par minute. Cette fréquence rend l'étude de ces oscilla- 
tions très-difficile, surtout quand on est obligé d'observer 
simultanément les mouvements des deux globes oculaires. 

Les essais pour les fixer à l’aide de la méthode graphique 
ne m'ont pas donné, jusqu’à présent, des résultats satisfaisants. 

Voici la description de ces mouvements, telle que je lai 
donnée dans mon premier Mémoire communiqué à l’Académie 
des sciences : 

« Les mouvements du globe oculaire observés après ces 
» lésionsne sont pas des mouvements compensateurs provoqués 
» par le déplacement de la tête : ils sont la suite immédiate et 
» directe de la lésion des canaux. 

» Chaque canal semi-circulaire influe d’une manière spéciale 
» sur les mouvements du globe oculaire. Par l'excitation du 
» canal horizontal chez le lapin, on produit une rotation de 
» l’œil du même côté, telle que la pupille se trouve dirigée en 
» arrière et en bas ; celle du canal vertical postérieur produit 
une déviation de Pœil avec la pupille dirigée en avant et un peu 
en haut; celle du canal vertical antérieur en arrière et en bas. 

» L’excitation d’un canal produit toujours les mouvements 
oculaires dans les deux yeux ; mais, dans le globe du côté 
opposé au canal atteint, les mouvements ont lieu dans le sens 
contraire à ceux du globe de l’autre côté. La pupille se con- 
tracte du côté où a lieu l’excitation et reste dilatée du côté 
opposé. 

» Au moment même de l'excitation, la contraction des 
muscles moteurs du globe a un caractère fétanique : les yeux 
restent violemment déviés dans les sens indiqués ; immédia- 
tement après, ils commencent à exécuter des mouvements 
oscillatoires dans le sens opposé. Ces oscillations ont une 
» fréquence variable entre 20 et 150 par minute. Leur durée 


ŸT 


D 


D 


4 


) 


A 


) 
D 
D 


CT OC VC 


YO  Y Ÿ 


94 E. DE CYON. 
» dépend de la force de l’excitation, mais dépasse rarement 
» une demi-heure. | 

» Ces mouvements oscillatoires disparaissent lorsqu'on sec- 
» tionne le nerf acoustique du côté opposé. De nouvelles excita- 
» tions d’un canal semi-circulaire ne produisent plus que des 
» contractions tétaniques. » 

Les expériences que j'ai instituées depuis cette communica- 
tion m'amènent à modifier cette description dans quelques 
détails : 

Ainsi, par exemple, on remarque dans plusieurs cas que 
les pupilles sont dilatées des deux côtés, quoique toujours 
davantage sur le côté opposé au canal opéré. 

Mais c’est surtout sur l'effet de l’excitation des canaux 
horizontaux et verticaux postérieurs, que je dois modifier ma 
première indication : L’excitation du canal horizontal produit 
un déplacement du globe oculaire, dans lequel la pupille est 
portée en avant et en bas, celle du canal vertical postérieur 
en arrière et en haut. 

Pour indiquer les trois directions du nystagmus qu’on 
observe pendant l’excitation des trois canaux semi-cireulaires, 
nous dirons donc que celle du canal horizontal produit un mouve- 
ment du globe dirigé en avant et en bas, celle du canal vertical 
postérieur en arrière et en haut, celle du canal vertical anté- 
rieur (ou supérieur) en arrière et en bas. Dans cette indica- 
tion, il s’agit de l’œil se trouvant du même côté que le canal 
excité. Dans l’autre œil, le nystagmus a la direction opposée, 
c’est-à-dire qu'il est dirigé en arrière et en haut pendant l’ex- 
citation du canal horizontal, en avant et en bas pendant l’exci- 
tation du canal vertical postérieur, et en avant et en haut, 
quand on excite le canal vertical antérieur. 

On sait que les ophthalmologistes distinguent quatre genres 
de nystagmus : nystagmus horizontal, vertical, diagonal et rota- 
toire. Dans ces nystagmus, les mouvements des deux globes se 
font toujours dans le même sens. C’est le contraire que nous 
observons chez les lapins pendant l’excitation unilatérale d’un 


canal. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 55 

Ïl ne serait pas difficile de réduire les différents nystagmus, 
produits artificiellement par l'excitation des canaux semi-cir- 
culaires et du nerf acoustique, sur les quatre formes désignées. 
Le nystagmus horizontal correspondrait au mouvement qu’on 
observe pendant l'excitation du canal horizontal ; le nystagmus 
vertical, à l'excitation du vertical postérieur ; le nystagmus 
diagonal, à celle du vertical antérieur ; le nystagmus rotatoire, 
à l'excitation du nerf acoustique. | 

Pour opérer cette réduction, il faudrait, avant tout, tenir 
compte de la situation particulière des globes oculaires chez 
les lapins. Puis il faudrait, dans les oscillations que je viens de 
décrire, déterminer d’une manière plus précise, dans chaque 
mouvement, la part qui revient à chaque direction spéciale, 
afin de pouvoir dire, par exemple, quelle direction prédo- 
mine, celle de haut en bas, ou celle d'avant en arrière, etc. 
Sans une pareille détermination, il est évident que les direc- 
tions « en avant et en bas», et « en arrière et en haut», ne 
sont pas nécessairement absolument opposées. C'est même 
à cause de l’impossibilité dans laquelle je me trouvais de 
faire cette détermination, que je me suis vu forcé de modifier, 
après nouvelles expériences, mes premières indications. 

Je continue encore à étudier ces mouvements, et j'ai l’espoir 
d'arriver à pouvoir les fixer graphiquement; J'aurai donc l’occa- 
sion de revenir encore sur ce sujet. 

Pour le moment, le caractère exact de ces mouvements est 
d’une importance secondaire, Il suffit d’avoir constaté que 
l'excitation de chaque canal semi-circulaire provoque des oscil- 
lations des globes oculaires dont la direction est déterminée par 
le choix du canal excité. 

Pour terminer l’exposé des faits qui résultent de mes expé- 
riences, Je dois ajouter encore ceux observés après la section 
des nerfs acoustiques. 

Chez les lapins, l'excitation d’un nerf acoustique produit de 
violents tournoiements autour de l’axe longitudinal du corps, 
dans la direction du côté opéré. L’excitation des deux nerfs 
acoustiques causé par leur écrasement produit des mouve- 


96 E. DE CYON. 
ments très-irréguliers : l’animal a de la tendance à se rouler, 
tantôt d’un côté, tantôt de l’autre; de ces deux tendances 
opposées résulte, pour l’animal, l’imcapacité complète de se 
mouvoir ou de se tenir debout. Les pigeons chez lesquels on 
extirpe les six canaux membraneux avec leurs ampoules pré- 
sentent, aussitôt après l'opération, les mêmes phénomènes. 
Lorsque la section intracrâänienne de deux acoustiques est 
bien réussie, sans être accompagnée d’un épanchement de 
sang ou d’autres accidents, les animaux survivent à l’opération 
et les mêmes phénomènes décrits plus haut disparaissent peu 
à peu. Après six à dix jours, l’animal se tient debout, il peut 
changer de place, se mouvoir, etc. ; mais il lui reste un certain 
manque d'assurance dans ses mouvements, à la suite duquel 
il ne se déplace que quand on le force à le fre. Il cherche 
toujours un mur ou un coin où il puisse trouver un point 
d'appui. Dans ce déplacement, chaque animal choisit toujours 
la même direction ; l’un marche de préférence en arrière, 
l’autre de côté, etc. 


$ 20. — Discussion des expériences décrites. 


Abordons maintenant la discussion des faits nombreux que 
je viens d'exposer. 

Les expériences que j'ai instituées en 1872 m'ont conduit, 
comme on l’a vu plus haut, à la conclusion que les fonctions 
des canaux semi-cireulaires sont en rapport avec nos notions 
sur l’espace, et que chaque canal à une relation déterminée 
avec des dimensions de l’espace. Je ne connaissais pas encore 
l'influence dominante que les canaux exercent sur Pappareil 
moteur de l'œil, appareil qui Joue un rôle prépondérant dans 
nos représentations de la forme et de la disposition des objets 
dans l’espace. Néanmoins j'ai déjà alors fortement appuyé sur 
le rôle que les sensations inconscientes provenant des muscles 
oculaires eux-mêmes ou de leur centre d’innervation jouent 
dans nos notions sur l’espace, et j'inclinais vers la concep- 
tion que le système des canaux semi-cireulaires a sa part dans 


l’utilisation de ces sensations. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 57 


Les principaux motifs de mon opinion étaient : Le la disposi- 
tion anatomique de ces canaux ; 2° la régularité absolue avec 
laquelle excitation de chaque canal produit des mouvements 
de la tête et du corps dans un plan parallèle à celui du canal ; 
3° l'influence que les positions anormales de la tête exercent 
sur ces mouvements et sur l'équilibre du corps; 4° enfin la 
probabilité que cette dernière influence n’est due qu'aux 
troubles des sensations visuelles. 

Cependant, au moment où j'écrivais mon premier mémoire, 
je ne possédais pas encore de preuves directes pour l’existence 
des relations physiologiques entre les canaux semi-circulaires 
et les centres d’innervation de l'appareil oculo-moteur; c’est 
pourquoi J'ai dû alors m'abstenir d’une analyse plus appro- 
fondie de la manière dont les canaux semi-cireulaires inter- 
viennent dans la formation de nos idées sur l’espace. 


$ 21. — Formation de la notion de l’espace. 


Les résultats de mes expériences nouvelles, et les preuves 
si éclatantes de l'existence de ces rapports qu’elles m'ont four- 
nies, étaient donc d’une grande valeur pour moi. Outre la sa- 
üsfaction que j'ai éprouvée de voir aimsi se confirmer ma 
théorie, j'ai pu aussi entrevoir dès lors la possibilité de péné- 
trer plus loin dans le mécanisme par lequel les canaux semi- 
circulaires prennent part à la formation de nos notions sur 
l’espace. 

Étant donné, d'une part, que nos représentations touchant 
la disposition des objets dans l’espace dépendent surtout des 
sensations inconscientes d'innervation ou de contraction des 
muscles oculo-moteurs; d'autre part, que chaque excitation, 
même minime, des canaux semi-circulaires produit des con- 
tractions et des innervations des mêmes museles, il est incontes- 
table que les centres nerveux dans lesquels aboutissent les 
fibres nerveuses qui se distribuent dans les canaux sont en 
relation physiologique intime avec le centre oculo-moteur, et 


que, par conséquent, leur excitation peut intervenir, d’une ma- 
ANN. SC. NAT., MARS 1878 VII. 12. — ART. N° 8. 


98 E. DE CYON. 
nière déterminante, dans la formation de nos notions sur 
l'espace. | 

Cette conclusion, n’étant au fond que la simple expression 
des faits eux-mêmes, ne contient assurément rien d’arbitraire. 

En la rapprochant des arguments allégués plus haut (voy. 
page précédente), et en y ajoutant le fait acquis que l’irrita- 
tion de chaque canal semi-circulaire provoque des mouvements 
oculaires distincts, on peut arriver à préciser davantage cette 
conclusion et à l’élargir de manière à dire : 

Les canaux semi-circulaires sont les organes périphériques 
du sens de l’espace; c’est-à-dire que les sensations provoquées 
par l'excitation des terminaisons nerveuses dans les ampoules 
de ces canaux servent à former nos notions sur les trois dimen- 
sions de l’espace. Les sensations de chaque canal correspon- 
dent à l’une de ces dimensions. 

À l’aide de ces sensations, 1l peut se former dans notre 
cerveau la représentation d’un espace idéal sur lequel seront 
rapportées toutes les perceptions de nos autres sens qui con- 
cernent la disposition des objets qui nous entourent et la posi- 
tion de notre corps parmi ces objets. 

Cela établi, tèchons maintenant, autant que faire se peut, de 
nous rendre compte du mécanisme à l’aide duquel les canaux 
semi-cireulaires accomplissent leur fonction, et du rôle physio- 
logique que cette fonction leur attribue dans l’économie de l’or- 
ganisme. 

Quelles que soient les préventions du naturaliste contre les 
considérations téléologiques, il ne peut pourtant s’en dispenser, 
surtout lorsqu'il s’agit d'établir la sigmification d’un organe 
dont les fonctions étaient jusqu’à présent méconnues. 

Je ne saurais donc nv'abstenir d'aborder la seconde partie de 
la tâche que je viens d'indiquer. 

L'origine de nos notions sur l’espace n’est pas seulement 
un problème purement physiologique, elle touche à de graves 
problèmes de psychologie et de mathématiques. Elle à donc été 
l’objet d’études approfondies de la part des philosophes et des 


mathématiciens de tous les temps. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 59 


En abordant pour ma part cette question, je tiens à constater 
que je n'ai nullement l’intention de discuter ici toutes les 
opinions philosophiques qui ont été émises à ce sujet (1). Ge 
n’est que le côté purement physiologique de la question dont 
J'aurai à m'occuper, autant du moins que la constatation d’un 
organe spécial pour la formation de nos notions sur l’espace 
doit modifier les théories physiologiques actuellement admises 
sur cette formation. 


$ 22. — Théories nativistes et empiristes de la vision binoculaire. 


Deux théories principales sur la formation de la notion de 
l’espace partagent les physiologistes en deux camps distincts : 
à savoir, la théorie nativiste et la théorie empiriste. 

La première compte, dans ce siècle, parmi ses plus illustres 
représentants, Kant et J. Müller. Elle a été plus récemment 
soutenue et développée d’une façon brillante par M. Hering. 

La seconde a été élevée par M. Helmholtz à la hauteur d’un 
système scientifique complet. L'élaboration psychologique de ces 
deux théories a été basée de préférence sur des preuves tirées 
du sens de la vue. 

« La proposition fondamentale de la théorie empiriste, 
dit M. Helmholtz, c’est que les sensations sont, pour notre 
conscience, des signes dont l'interprétation est livrée à notre 
intelligence. En ce qui concerne les signes fournis par la vision, 
ils diffèrent en intensité et en qualité (en couleur) ; de plus ils 
doivent présenter une troisième différence dépendant de la 
partie qui est excitée sur la rétine et qui porte le nom de signe 
local. Les signes locaux des sensations de l'œil droit sont 
généralement différents de ceux des points correspondants de 
l’œil gauche... Nous sentons, en outre, le degré d’innervation 
que nous transmettons aux nerfs des muscles oculaires. » 

« Les notions d’étendue de ce mouvement ne dépendent pas 
nécessairement des perceptions visuelles, ou tout au moins 


(1) Les modifications que l'existence d’un organe périphérique du sens de 
l’espace doit apporter dans nos idées philosophiques seront traitées par moi 
ailleurs, 


60 EL. DE CYON. 


elles n’en dépendent pas uniquement, puisque les aveugles-nés 
les acquièrent avec une exactitude parfaite par le sens du tou- 
cher; nous pouvons donc, pour notre objet, les considérer 
comme données préalablement... 

» Pour la théorie empiriste, la forme de la rétine, la 
position et la régularité de l’image, pourvu que celle-ci soit 
nettement limitée, sont choses absolument indifférentes. Cette 
théorie ne s'inquiète que de la projection de la rétine en dehors 
par les milieux optiques. .… 

» La position que présentent les objets, par rapport à notre 
corps, est appréciée à l’aide du sentiment d’innervation des 
nerfs oculaires, mais elle est contrôlée à chaque instant d’après 
le résultat, c’est-à-dire d’après le déplacement que les inner- 
vations impriment aux Images. » 

Les notions de la disposition des objets dans l’espace ne se 
forment donc pas directement, mais à l’aide d’un Jugement et 
d’une association d'idées basés sur l’expérience et l’habitude. 

Tout autre est la manière de voir des nativistes : « En ce qui 
concerne les différentes théories nativistes », dit M. Helm- 
holtz, «leur point fondamental, c’est qu’elles attribuent la loca- 
lisation des impressions dans le champ visuel à une disposition 
innée, soit que l’on ait une connaissance directe des dimen- 
sions de la rétine, soit que l'excitation des fibres nerveuses 
déterminées donne lieu à certaines représentations d'espace 
par un mécanisme préétabli et impossible à définir avec plus 
de précision. 

» C'est surtout J. Müller qui a développé cette théorie sous 
la première forme. Il dit : « L'idée d'espace ne peut pas être un 
» produit d'éducation ; au contraire, la notion de l’espace et du 
» temps est nécessaire, et toutes les sensations se soumettent 
» nécessairement à ces notions : aucune sensation ne peut 
» exister en dehors de la notion d'espace et de temps. Mais 
» quant à ce qui remplit l'espace, nous ne sentons rien autre 
» que nous-même dans l’espace, quand nous parlons de sen- 
>» sation ou de sens... Dans chaque champ visuel, la rétine voit 
» sa propre étendue à l’état d'affection ; lorsque nous gardons 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 61 
» le repos le plus absolu et que les yeux sont fermés, elle se 
» perçoit à l’état obscur dans l’espace. » Cette théorie, en 
admettant que la localisation spéciale de chaque impression est 
donnée par une intuition immédiate, est donc une extension de 
l'opinion de Kant, d’après laquelle l’espace et le temps sont 
des formes de nos notions. » 

Kant regardait, en effet, l’espace et le temps comme deux 
formes données de notre intuition. 

« L'espace, dit-1l, est une représentation nécessaire, aprio- 
ristique, qui sert pour base à toutes nos idées... 

» Nous ne pouvons pas nous imaginer qu’il n’existe pas d’es- 
pace, quoique nous pouvons très-bien admettre qu'il n’y ait 
pas d'objets dans l’espace... L'espace est une pure idée... » 
(Loc. cit., p.29.) 

Pour M. Hering, les différents points de la rétine peuvent 
produire non-seulement les sensations des couleurs, mais 
encore les trois sensations de l’espace. 

M. Hering admet qu’à l’état d’excitation, les différents points 
de la rétine provoquent, outre les sensations des couleurs, trois 
sortes de sensations d’étendue : 

La première répond à la position en hauteur de la portion 
de la rétine correspondante, la seconde à sa position en lar- 
geur. Les sensations de hauteur et de largeur dont la réunion 
donne la notion de direction, relativement à la position de 
l’objet dans le champ de vision, sont égales pour les points 
correspondants. Il existe, de plus, une troisième sensation 
d’étendue, d’une nature particulière : c'est la sensation de pro- 
fondeur qui doit avoir des valeurs égales, mais de signe con- 
traire, pour des points rétiniens identiques et des valeurs 
égales et de même signe pour les points situés symétriquement. 

On voit que les deux théories diffèrent entre elles par des 
points essentiels. Les observations physiologiques sur lesquelles 
elles reposent ne sont pas moins contradictoires, bien qu’elles 
puissent être mises en harmonie beaucoup plus aisément queles 
théories elles-mêmes. 1183 

Dans une science exacte et basée sur l'observation, lorsque 


* 62h: E. DE CYON. 


deux théories aussi contradictoires peuvent exister simultané- 
ment, sans qu'aucune d'elles parvienne àrallier toutes les opi- 
nions, c’est presque toujours une preuve que toutesles deux ont 
certains côtés défectueux, qu'aucune n’est absolument satisfai- 
sante. M. Helmholtz admet lui-même que « notre connaissance 
des phénomènes se rapportant à celte question est encore trop 
incomplète pour ne permettre qu’une seule théorie et exclure 
toute autre ». | 

Nous ne voulons indiquer ici que quelques-unes des objec- 
tions faites à chacune des deux théories dont nous venons d’in- 
diquer les traits principaux. Ces objections, bien qu’en partie 
d'un caractère purement métaphysique, suffisent néanmoins 
pour en faire ressortir les points faibles. 

La théorie de M. Hering, outre qu’elle ne s’accorde que diffi- 
cilement avec un grand nombre d'observations, a un point faible 
fondamental, déjà mdiqué par M. Helmholtz. 

« La première objection, dit-il, que je ferai et qui est tout 
à fait insurmontable pour moi, c’est que je ne peux pas me 
figurer comment une seule excitation nerveuse, sans aucune 
expérience préalable, peut donner lieu à une représentation 
d'espace complète. » 

À cette objection déjà bien grave s’ajoute encore la difficulté 
d'admettre que la même fibre nerveuse qui produit la sensa- 
tion de lumière sert en même temps pour celle de l’espace. 

Les lois de la physiologie générale du système nerveux, etsur- 
tout la loi des énergies spécifiques, qui à si puissamment 
contribué au développement de la physiologie des sens, s’oppo- 
sent à l’admission d’une pareille possibilité. 

La théorie empiriste, tout en s’accordant mieux avec nos 
notions physiologiques et avec un grand nombre d’observations, 
ne présente pas moins une grande lacune. 

Si les notions sur l’espace sont la conséquence des sensations 
de mouvement (Bewequngsempfindungen) ou d’innervation 
musculaire associées à la reconnaissance des signes locaux, 
elles doivent créer par elles-mêmes la représentation d’un 
espace à trois dimensions. ; 

ARTICLE N° 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 63 


L’insuffisance de cette hypothèse saute aux veux. Les sensa- 
tions produites par les contractions et les innervations des mus- 
cles des yeux ou du corps en général ne pourraient en dernier 
lieu nous instruire que sur les résultats de ces contractions. Par 
exemple, la contraction du muscle droit supérieur nous ren- 
seigne sur la direction donnée à notre œil dans le but de rece- 
voir l’image nette d’un objet sur lequel notre attention s’est 
portée. 

Ou, si c’est à l’aide du toucher que nous voulons reconnaître 
la forme complète d’un objet, les sensations ne sont pas autres 
que celles produites par les contractions des muscles ou des 
groupes musculaires, mis en mouvement dans un ordre déter- 
miné pour mettre nos doigts en rapport avec l’objet à recon- 
naitre. 

Tout cela ne contient pas encore la momdre indication de la 
relation de ces sensations et d’un espace, et encore bien moins 
une notion de cet espace même. 

La difficulté reste absolument la même si nous ajoutons à ces 
sensations les indications fournies à notre esprit par les signes 
locaux (1). 


$ 23. — Opinion de M. Lotze sur la formation de la notion de l’espace. 


Cette difficulté est très-bien exprimée dans une remarquable 
étude de M. Lotze (un des vétérans de la philosophie alle- 
mande) Sur la formation de la notion de l'espace, publiée 
dans la Revue philosophique en 1877 (n° 10). 

Nous nous permettons de citer textuellement cette exposi- 


(1) «Cette théorie empiriste, disais-je en 1873 dans mon Traité de physiologie, 
vol. IT, p. 330, ainsi que sa modification, la théorie des associations de Herbar, 
a ce défaut qu’elle est incapable de nous fournir une explication satisfaisante 
de l’origine des représentations primitives à l’aide desquelles se forment nos 
conclusions sur la forme et la disposition des objets dans l’espace. » 

L’acquisition de ces notions à travers les siècles, par l’exercice et l’habitude, 
ne peut être admise qu'à la condition d'admettre en même temps que l'exercice 
ait pu créer un organe spécial. Dans ce dernier cas, on reviendrait à la théorie 
nativiste, qui suppose l'existence de pareils organes d'espace. 


64 E. DE CYOX. 
tion lumineuse qui exprime en partie notre propre manière de 
Voir: 

« Comment se faitil done que pour localiser les sensations 
r Où x, l'âme soit déterminée par la seule addition des signes 
« où 6, qui ne sont pas moins étrangers eux-mêmes à toute 
notion de lieu ? Que l’addition de ces signes nous force à distin- 
guer les sensations 7 etx, nous le comprenons; mais qu’elle nous 
force à les distinguer dans l’espace, comment l’admettre ? 
Il semble qu’on ne le puisse en effet; mais ce n’est pas une 
raison pour regarder notre hypothèse comme inutile ou infruc- 
tueuse. On se tromperait grossièrement au contraire si l’on 
voulait qu'il en füt autrement, que les signes «& et 6 fussent 
de nature à nous forcer de distinguer dans l’espace les sensa- 
tions 7 et x. » 

QI y a, en effet, deux questions qu’il ne faut pas confondre. 
L'une est de savoir pourquoi l’âme arrange la multitudede ses 
sensations dans ce cadre de relations géométriques et non dans 
tel ou tel autre ordre tout à fait différent, mais dont, par suite de 
cette habitude merveilleuse d’intuition géométrique, nous 
n'avons pas la moindre idée. 

» L'autre question, supposant comme données, dans la nature 
de l’âme, et la faculté et la détermination de cette disposition 
des sensations, est simplement de savoir comment fait l’âme 
pour assigner dans cette intuition de l’espace, qui lui est néces- 
saire, à chacune de ces sensations, sa place déterminée, en cor- 

respondance avec l’objet qui en est la cause. C'est à cette 
seconde question seulement que nous prétendons répondre par 
notre théorie des signes locaux, et, loin de vouloir satisfaire à 
la première, nous condamnons comme impossible toute tenta- 
tive de répondre à ce problème insoluble. Non-seulement ce 
n’est pas un problème de psychologie physiologique, mais 
encore tous les efforts que la spéculation philosophique pour- 
rait faire pour en donner la solution demeureraient stériles 
comme ils l’ont été jusqu’à ce jour. On connaît, sous le nom de 
déduction de l’espace, ces entreprises téméraires qui, à l’aide 
d’une dialectique mystérieuse, se flattent de construire l’espace 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 65 


avec ce qui n’est pas l’espace ; elles ont toutes échoué : ce n’est 
en effet que par des pétitions de principes qu’el'es introduisent 
subrepticement la notion d’étendue, en prétendant l'avoir créée 
de toutes pièces. Des théoriciens d'aujourd'hui font profes- 
sion de mépriser toute spéculation, mais ils ne sont pas moins 
désorientés que leurs devanciers : comptant, comme sur le plus 
puissant talisman, sur la seule expérience, ils s'efforcent de 
faire produire l’intuition d’étendue et d'espace à une pure asso- 
ciation de sensations ; 1ls échoueront comme les autres. Il ne 
sera jamais possible d'augmenter un nombre de zéros jusqu’à 
ce qu'il représente une quantité réelle ; 1l sera tout aussi im- 
possible de tirer d’une association d'éléments un caractère tout 
à fait nouveau, dont aucun germe ne puisse se rencontrer dans 
ces éléments eux-mêmes. Il est difficile d’ailleurs de compren- 
dre l’obstmation avec laquelle, sans se lasser, on recommence 
toujours cette tentative. A-t-on jamais songé à se demander 
pourquoi les ondes lumineuses se perçoivent sous la forme de 
couleurs, et non sous celle d’odeurs ou de sons ?... c’est une 
simple donnée de l’expérience que l’on prend comme telle. 
Pourquoi ne pas avouer qu’il en est de même de l'intuition de 
l’espace ? Elle est la forme donnée sous laquelle nous perce- 
vons les relations de certaines multitudes de sensations simul- 
tanées ; nous n'avons absolument qu'à déterminer les règles 
suivant lesquelles nous faisons un usage indéfiniment varié de 
cette forme générale toujours la même. » 

Et plus loin : « Nous avons déjà vu, et nous le répétons ici, 
que rien au monde ne pourrait nous faire comprendre pourquoi 
ce système de sensations, qui n'implique encore aucune notion 
d'espace, devrait nécessairement être perçu sous la forme de 
l’espace, comme un système de relations dans l'étendue. Mais 
si l’on suppose dans la nature de l’ämeune faculté, une tendance 
à percevoir les impressions sous la forme de l’espace, voilà les 
conditions que l’on ne saurait imaginer sans s'attendre à ce 
qu'elles provoquent l'exercice de cette tendance. En répétant 
ces rotations du globe de l'œil, en les dirigeant de droite à 
gauche ou de gauche à droite, en retrouvant toujours la même 


66 E. DE CYON. 


liaison des 1mpressions, en apercevant la persistance d’un 
groupe central par rapport aux termes qui vont et viennent, 
nous nous persuadons que la précision n’est qu’en nous-mêmes, 
que la coexistence est dans les choses, et que ce qui cause le 
changement de nos sensations ne consiste que dans la diversité 
de nos relations par rapport à des objets permanents du monde 
extérieur. C’est en ces termes que l’on peut exprimer la notion, 
pour ainsi dire abstraite, de ce que l’espace est sous forme 
intuitive. Ajoutons enfin qu’il y a aussi, pour les sensations de 
la peau, quelque chose qui ressemble à ces conditions favorables 
à la localisation des sensations. Elle aussi possède d’innom- 
brables points sensibles; mais les mouvements nécessaires pour 
en apprécier les positions ne sont pas possibles à ces points 
immédiatement, comme ils le sont à ceux de la rétime, etil 


faut que le concours d’organes mobiles supplée à ce défaut. » 
(Loc. cit., p. 363.) 


$ 24. — Théorie de l’auteur sur la formation de la notion de l’espace. 


Le lecteur qui a suivi attentivement l’exposé de mes expé- 
riences a déjà deviné dans quel but j'ai insisté si longuement 
sur les difficultés que rencontrent les deux théories en présence, 
sur la formation de nos notions sur l’espace. 

Ces difficultés disparaissent complétement, si l’on admet que 
nous possédons un organe des sens spécialement destiné à nous 
envoyer des sensations qui servent à former la notion d'un 
espace à trois dimensions. 

Cet organe, nous le plaçons, d’après nos expériences, dans 
le système des canaux semi-cireulaires. 

Les objections présentées plus haut à la possibilité de placer 
ces sensations dans les fibres nerveuses, qui servent en même 
temps au sens de la lumière, n'existent plus ici. En effet, s'il 
nous est impossible d'admettre qu'une seule fibre nerveuse 
puisse nous donner la représentation de l’espace, nous pouvons 
par contre très-bien comprendre comment toute une série de 


fibres disposées dans une des directions de l’espace nous com- 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 67 


muniquent, lorsqu'elles sont excitées, des sensations incon- 
scientes d’une étendue ayant la même direction. 

D'autre part, la lacune que nous avons signalée dans la 
théorie empiriste disparaît par la constatation d’un organe spé- 
cial pour le sens de l’espace. 

La disposition des nerfs dans trois plans perpendiculaires 
l’un à l’autre, se prête à merveille pour une pareille fonction. 
Nous pouvons très-bien nous figurer comment les sensations 
détendue dans trois plans, dont la disposition, chez tous 
les Vertébrés, répond exactement aux trois coordonnées de 
l’espace, peuvent être utilisées par notre intelligence pour la 
construction d’une notion de l’espace. 

Je dirais plus : aucun autre sens ne présente une relation 
aussi facile à saisir entre la représentation et la sensation, que 
le sens d'espace, d’après ma manière de voir. 

Cette partie de la question, que M. Lotze pose comme inso- 
luble par voie psycho-physiologique, reçoit ainsi une solution 
complétement satisfaisante. Les sensations d’innervation et des 
mouvements musculaires peuvent très-bien, à l’aide des signes 
locaux, être rapportées sur un espace à trois dimensions, du 
moment qu'il existe un organe spécial destiné à nous donner des 
notions d'un pareil espace. 

La théorie empiriste reçoit, de cette manière, une nouvelle 
extension, vu que la notion de l’espace cesse d’être une forme 
préexistante de notre intuition, mais devient comme les notions 
des couleurs, des sons, etc., une acquisition de notre intelli- 
gence due aux sensations spéciales d’un organe périphérique 
des sens. 

Nous comprenons à présent pourquoi c’est justement un 
espace des trois dimensions qui sert de base à notre géométrie 
euclidéenne. Les axiomes géométriques nous apparaissent 
ainsi comme étant imposés par les limites de nos organes 
des sens. 

En un mot, l'existence d’un organe des sens de l’espace 
permet de résoudre les questions en litige entre la théorie 
empiriste et la théorie nativiste. 


68 E. BE CYON. 

La seconde de ces théories était pleinement en droit d’ad- 
mettre que les notions d'espace nous sont données par lex- 
citation des fibres nerveuses déterminée à l’aide d’un méca- 
nisme encore inconnu (voy. plus haut). 

D'un autre côté, la théorie empiriste a raison d'attribuer aux 
signes locaux et aux sensations d’innervation et des contrac- 
tions musculaires, nos représentations sur la forme des objets 
extérieurs et sur leur disposition dans l’espace. 

L'espace idéal à trois dimensions, dont la notion se forme à 
laide des sensations que nous recevons des trois canaux semi- 
circulaires, sert naturellement aussi bien à la détermination 
de la disposition des objets, dans le monde extérieur, par le 
toucher. 

Dans une étude récente sur la notion de l’espace, M. Del- 
bœuf discute la question de savoir si les autres sens peuvent 
être utilisés pour une pareille détermination, aussi bien que la 
vue et le toucher. 

Citant l’exemple d’un aveugle-né, M. Delbœuf dit entre 
autres (Formation de l’espace visuel, in Revue philos., 1877, 
p.182) : « I distinguait le son des cloches de toutes les paroisses 
environnantes et les désignait avec la plus grande sûreté. Le 
bruit le guidait avec une précision comparable à celle de la 
vue. Je me demande si, pour lui, les sensations de l’ouie n’im- 
pliquaient pas la notion de l'étendue suivant les trois dimen- 
sions, et je ne sais pas sur quoi on se fonderait pour se refuser 
à l’admettre. J’ai vu des aveugles jouer aux barres, courir l’un 
après l’autre dans un Jardin, éviter de fouler les plates-bandes 
et saisir la barre au moment d’être atteints. » 

Évidemment une pareille faculté ne pourrait être attribuée 
au sens de l’ouie qu’en admettant préalablement l'existence 
d’un organe capable de former les notions générales d’un 
espace à trois dimensions. 


$ 25. — Observations sur le vertige visuel. 


Ce n’est pas le moment de pousser plus loin la discussion 


des modifications que la connaissance d’un organe spécial de 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 69 


l’espace doit apporter à la théorie de la vision binoculaire, et 
en général à l'étude des localisations de nos impressions. 

Je me permettrai seulement de citer encore quelques obser- 
vations qui me paraissent de nature à éclaircir davantage les 
rapports qui existent entre les sensations visuelles et celles que 
nous envole l'organe dont nous étudions ici les fonctions. 

Lorsque, après quelques mouvements de rotation autour 
de l’axe longitudinal de notre corps, comme par exemple en 
valsant, nous nous arrêtons subitement, ous éprouvons une 
sensation de vertige dans lequel tout l’espace nous parait tourner 
dans un autre espace imaginaire en sens opposé à la direction 
du mouvement de notre corps. 

Toute personne qui voudra analyser le caractère de sa sensa- 
tion de vertige dans les conditions indiquées reconnaitra faci- 
lement la parfaite exactitude de cette définition (1). 

La raison en est facile à donner. 

Quelle que soit la nature des troubles provoqués par la rota- 
üon de notre corps, il est évident qu'une fois les rapports 
normaux entre les impressions reçues par l'appareil visuel et les 
notions fournies par les canaux semi-circulaires, pervertis, il 
se produira une impossibilité passagère de mettre d'accord l’es- 
pace vu avec l’espace idéal, constamment présent à notre esprit. 

Je voudrais rappeler 1ci une des observations nombreuses et 
très-instructives de M. Mach, parce qu’elle est d’une grande 
valeur pour la manière de voir que nous venons d'exposer, et 
que J'ai eu très-souvent l’occasion de la vérifier moi-même ; je 
dois ajouter aussi que, loin d’être une exception comme chez 
M. Mach, cette observation s’est toujours renouvelée chez moi 
pendant mes expériences sur le vertige. 

Lorsqu'on exécute quelques mouvements passifs ou acufs 
autour de l'axe vertical de son corps et qu’on produit en même 


(1) Nous laissons ici complétement de côté les deux autres vertiges produits 
par une pareille rotation : le vertige cérébral et le vertige tactile. Sur le pre- 
mier, nous partageons en entier l'opinion de Purkinje, c’est-à-dire que nous 
aussi, nous en voyons la cause dans les perturbations mécaniques produites dans 
le cerveau lui-même. Quant au second, le lecteur n’aura pas de difficulté à 
reporter sur lui les explications que nous donnons ici sur le vertige visuel. 


70 E. DE CYON. 

temps un phosphène, on constate que celui-ci prend part à la 
rotation, quand même on maintiendrait l'œil dans limpossi- 
bilité d'exécuter un mouvement. 

Dans cette expérience, l'œil étant resté immobile, le mouve- 
ment apparent du phosphène doit avoir une autre origine qu’un 
déplacement de la rétine. 

M. Mach, tout en s’abstenant de donner une explication de 
ce phénomène, le décrit d’une manière très-saisissante : on 
dirait que « l’espace optique est projeté sur un autre espace 
» que nous construisons à l’aide de nos sensations des mou- 
» vements » (1). 

En répétant souvent les expériences se rapportant à cette 
question, J'ai avant tout constaté que le mouvement des globes 
oculaires se produit chez moi seulement quand la rotation du 
corps est lente et encore uniquement à son début. Si la rota- 
tion du corps est plus rapide et exécutée plusieurs fois de suite, 
je peux me convaincre, en appuyant le doigt contre l'œil, que 
les globes oculaires restent immobiles. Si dans ces circon- 
stances je produis chez moi un phosphène, Je le vois toujours 
se mouvoir avec moi aussi longtemps que je suis en mouvement 
moi-même; quand je m'arrête brusquement, le phosphène 
continue un instant le même mouvement, puis exécute un 
déplacement en sens inverse avant de devenir immobile et de 
disparaitre. 

Contrairement à l’opinion de plusieurs auteurs (2) qui affir- 
ment que le vertige visuel s’affaiblit, sinon disparait com- 
plétement, quand on fixe subitement les yeux sur un objet 
quelconque, par exemple le doigt placé à courte distance de 
l’œil, j'ai toujours observé le phénomène contraire. Chez mot, 
tous les symptômes du vertige augmentent par le fait d’une 
pareille fixation. 


(1) Il est intéressant de constater ici jusqu’à quel point M. Mach était près de 
la manière d'envisager le vertige visuel que j’expose ici : on n’a, dans la der- 
nière ligne, qu’à remplacer le mot « mouvement » par celui « d’étendue » ou 
de « direction », pour concilier ma comparaison avec ma théorie. ù 

(2) M. Mach fait exception parmi ces auteurs. 

ARTICLE N° 8, 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 71 

Ce qui a pu induire en erreur quelques auteurs, c’est qu’au 
moment où nous regardons fixement le doigt, notre attention 
se détourne des autres objets : leur mouvement apparent ne 
nous frappe plus aussi distinctement, parce qu’ils se trouvent 
dans le champ visuel indirect. 

Mais, en revanche, l’immobilisation de nos globes oculaires, 
en nous empêchant de rétablir l'accord normal de nos impres- 
sions, augmente encore le malaise du vertige. Il m’est plusieurs 
fois arrivé, pendant ces expériences, d’augmenter par une subite 
fixation des yeux ce vertige, jusqu'a produire des nausées et 
même des vomissements. 

Quant à la tendance de mon corps à exécuter des mouve- 
ments involontaires, elle m’oblige, au moment où j’immobilise 
les yeux, de m'asseoir immédiatement; sans cela, je tom- 
berais. 

L'expérience de M. Mach citée plus haut ne me paraitrait 
pas encore concluante en elle-même, si je n’avais pas eu l’occa- 
sion d'observer, encore dans d’autres conditions, un vertige 
visuel avec les globes oculaires immobiles. 

En effet, quand on immobilise le globe avec le doigt, comme 
M. Mach le fait, et qu'on observe encore le mouvement du 
phosphène, on pourrait très-bien expliquer ce mouvement 
apparent par les sensations d’innervation, lors même que 
cette dernière n’aboutirait pas à un déplacement du globe 
oculaire. 

M. Mach mentionne cette explication, mais pour la repousser 
aussitôt, tandis qu'elle me paraït absolument imattaquable. 
M. Breuer, qui a aussi eu l’occasion de vérifier l’observation 
de M. Mach, s'arrête en effet à ces sensations pour l'expliquer. 

Mais où cette explication devient tout à fait inadmissible, 
c’est quand nous voyons les phosphènes se déplacer, lorsqu’au 
lieu d'immobiliser l'œil par le doigt (procédé très-incertain), 
nous le faisons en fixant les deux yeux sur un objet très- 
rapproché (1). | 


(1) On peut jusqu'à un certain point immobiliser les yeux, même fermés, en 
regardant fixement, avant de les fermer, Le doigt situé près de l’œil ; avec un 


79 LE. DE CYON. 


Dans ce cas, il est évident que les sensations d'innervation 
ne nous donneront que la notion d’immobilité des globes 
oculaires. 

Si donc même alors le phosphène continue à se déplacer, 1l est 
hors de doute que le vertige visuel peut se produire sans aucun 
concours de l'appareil moteur de œil, c’est-à-dire qu'il peut 
avoir une autre origine psychologique. 

Cette manière d'envisager le vertige visuel n’est pas nouvelle. 
Déjà, en 1860, le célèbre astronome M. Zôüllner expliquait les 
phénomènes de mouvement de M. Plateau et de M. Oppel, 
ainsi que le cas de pseudoscopie observé par lui-même, par de 
fausses conclusions inconscientes tout à fait indépendantes des 
mouvements de l’œil. Dans une réimpression de ce travail, 
M. Züllner relate de nombreuses expériences sur les mêmes 
phénomènes pseudoscopiques, faites pendant le passage instan- 
tané d’une étincelle électrique. Dans ces conditions, des mou- 
vements oculaires n’ont pas eu le temps de se produire : 
malgré cela, les phénomènes en question se présentaient avec 
une précision encore plus grande que lorsqu'il exécutait cette 
expérierce pendant un éclairage contmu. 


$ 26. — Théorie du vertige visuel de l’auteur. 


Bien d’autres considérations mulitent encore contre la 
dépendance exclusive du vertige visuel, des sensations d’inner- 
vation des muscles oculo-moteurs. Je ne veux en indiquer que 
quelques-unes. D’après la théorie généralement adoptée, le ver- 
tige visuel dépendrait de ce que les globes oculaires se dépla- 
cent en l'absence des sensations d’innervation habituelles. 

Nous attribuerons alors le mouvement des images rétiniennes 
à un mouvement des objets eux-mêmes. 

Cette explication est admissible pour le vertige visuel au 
moment de son apparition; mais aussitôt que les sensations 


certain effort on arrive, en gardant le doigt dans la même position, à conserver 
les yeux dans l’attitude prise. Souvent, dans ces expériences, je les maintiens 
fixes sur le bout de mon nez. 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 75 
des contractions musculaires ‘ont eu le temps de prendre part 
à la formation du jugement inconscient, l’erreur devrait immé- 
diatement être corrigée. 

En effet, les cas où l’on voit ainsi le vertige cesser sont très- 
fréquents; je ne veux rappeler que les personnes atteimtes d'un 
nystagmus chronique n’ont souvent aucun vertige visuel. 
Même dans le nystagmus des mineurs, qui apparait assez 
subitement, le vertige, quand il accompagne les accès, est 
un des symptômes que les malades arrivent à maitriser le 
. plus vite. 

Je veux encore citer deux exemples de vertige, dans lesquels 
les mouvements des muscles du globe oculaire servent tantôt 
à en diminuer, tantôt à en augmenter l'effet. 

C’est un fait connu que le vertige produit par l’intoxication 
alcoolique augmente quand on ferme les yeux, et qu'au con- 
traire l’occlusion des paupières diminue le vertige qui accom- 
pagne le mal de mer. 

Dans ces deux cas de vertige, on éprouve la sensation de rota- 
ton du cerveau ainsi que la sensation du mouvement des 
objets qui paraissent tourner autour de nous. L'effet contraire 
produit par l’occlusion des yeux s'explique de la manière sui- 
vante : L'homme ivre, aussi longtemps qu'il a les yeux ouverts, 
peut lutter contre son vertige en regardant fixement autour de 
lui des objets qui, en réalité, sont invmobiles : les sensations 
d'innervation musculaire sont, dans ce cas, un puissant cor- 
rectif de son vertige. 

Chez une personne atteinte du mal de mer, les yeux ouverts 
n’ont devant eux que des objets mobiles changeant continuelle- 
ment de position : les sensations d’innervation musculaire 
ajouteront done au trouble de ses perceptions, parce qu’elle 
n'a aucun moyen de détermimer la direction de la. verticale. 

Dans le mal de mer, le vertige est ainsi produit par deux 
causes, premièrement par le mouvement continuel des objets 
dans le champ visuel et par les déplacements que subit le cer- 
veau du malade. 


Supposons qu'un homme disposé au vertige se trouve sur 
ANN. SC. NAT., AVRIL 1878. VII. 193. — ART. N° 8. 


74 E. DE CYON. 

un navire dans une position dans laquelle les mouvements 
du navire ne Patteignent pas; il serait pris néanmoins du 
vertige en regardant autour de lui les objets qui se trouvent 
dans un mouvement continuel, comme nous éprouvons du 
vertige en regardant d’un pont très-bas l’eau couler avec 
une grande vitesse. Aussi bien dans ce cas que pendant le 
mal de mer, on élimine une des causes du vertige en fermant 
les yeux. 

Par contre, Île vertige produit par la rotation du corps 
augmente lorsqu'on ferme les yeux, et même, comme nous 
l'avons déjà dit, lorsqu'on les fixe subitement sur un objet 
situé tout près de soi, parce qu'ici les sensations d’innervation, 
loin d'augmenter le vertige, servent, au contraire, à le com- 
battre. 

De même, un malade atteint du vertige par une cause cen- 
trale, par exemple une affection du cervelet, se trouve d’habi- 
tude plus à son aise quand il a les yeux ouverts. Mais qu’on le 
place par exemple à Laufen, au-dessus de la chute du Rhin, 
et immédiatement son vertige augmentera considérablement, 
s’il ne ferme pas les yeux ou s’il ne les fixe pas sur un objet 
immobile quelconque (1). | 

Les exemples multiples que nous venons de citer ont eu 
pour objet de démontrer que le vertige visuel est lom d’avoir 
pour cause unique les troubles des innervations des muscles 
oculaires. 

L’illusion d’un mouvement apparent doit se produire toutes 
les fois qu'il y a désaccord entre notre perception et notre 
représentation de l’espace idéal. Que ce désaccord soit produit 
par un nystagmus subit, par des mouvements passifs des globes 
oculaires, au début des paralysies des muscles bulbaires, par 
des perturbations mécaniques dans le cerveau (comme pendant 
la rotation prolongée de notre corps autour de son axe longitu- 
dinal), ou enfin par des lésions des canaux semi-circulaires, le 


(1) Dans ma Menographie sur l’ataxie locomotrice (p: 28), j'ai déjà insisté 
sur ces différences. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMÏ-CIRCULAIRES. 79 


résultat sera toujours le mème : nous verrons du mouvement 
là où en réalité il n’y a que le repos. 

Quand le vertige produit par ce désaccord attemdraun degré 
supérieur, nous en subirons toutes les conséquences, comme 
les nausées, les vomissements, l'impossibilité de maintenir 
l'équilibre, la tendance aux mouvements involontaires, etc. 

Pour rendre bien claire ma manière d'envisager le mécanisme 
du vertige, je me servirai de l’image suivante qui, tout en étant 
un peu grossière, comparée à la finesse remarquable des fonc- 
tions nerveuses qui nous occupent, pourra pourtant le mieux 
faire saisir mon idée. 

Supposons un système de coordonnées réprésentant les trois 
dimensions de l’espace... Sur ce système, nous transportons 
un dessin qui représente l’espace vu, c’est-à-dire l’image de 
notre champ visuel. Chaque fois que ce dessin changera sa 
position par rapport à ce système de coordonnées, nous éprou- 
verons la sensation du mouvement ; que ce changement soit 
produit par un véritable mouvement de l’espace extérieur ou 
seulement par un mouvement passif de la rétine, l’effet sera le 
même : nous verrons les objets se mouvoir. Quand le mouve- 
ment de la rétine est produit par les contractions musculaires 
volontaires, les sensations d’innervation de ces muscles nous 
préservent d’une illusion, en nous avertissant que le déplace- 
ment du dessin est produit par nous-même. 

Il est évident que les mêmes sensations du mouvement doi- 
vent se produire quand c’est le système de coordonnées qui 
change sa position par rapport à l’image. [ci aussi les sen- 
sations d’innervation peuvent corriger notre Jugement et nous 
préserver des illusions, mais dans un degré bien mférieur. 

Dans les cas qui nous intéressent, ce déplacement du système 
des coordonnées peut se produire tantôt par les perturbations 
du cerveau entier (vertige par rotation), tantôt par les pertur- 
bations dans les sensations des canaux semi-circulaires à laide 
desquelles se construit le système des coordonnées. 

On comprendra sans aucune difficulté que dans ce dernier 
cas les sensations du vertige ou du mouvement illusoire seront 


76 EL. DE CYON. 


bien plus violentes que dans les autres cas. En outre, elles 
seront plus persistantes, parce qu’elles continueront jusqu'à 
ce que cesseront les excitations extérieures qui Îles pro- 
duisent. Les mouvements des globes oculaires seraient à peine 
capables de diminuer les symptômes du vertige. Il est aussi 
facile de se rendre compte des changements des directions 
dans le mouvement apparent pendant les différentes phases du 
vertige. 

Tous les auteurs qui ont expérimenté sur les canaux semi- 
circulaires ont eu occasion de faire une observation qui est 
pleine d'intérêt, pour la théorie du vertige visuel, telle que je 
viens de la développer. 

Aussitôt que le pigeon, après la section des canaux semi- 
circulaires parvient à pouvoir marcher sans difficulté, 1l va 
se réfugier dans quelque coin obscur et y reste immobile, 
à moins qu'une cause étrangère ne le force à abandonner 
sa retraite. 

De prime abord on pourrait supposer que l'animal, dont la 
faculté de se maintenir en équilibre est profondément troublée, 
ne cherche qu'un point d'appui contre le mur. Il est facile de 
se convaincre que tel n’est pas le cas ; au lieu de s'appuyer 
contre le mur, le pigeon se contente de diriger la tête vers le 
coin obscur et de rester dans cette position. Si une chambre 
plus sombre est voisine de celle dans laquelle l'opération a été 
faite, on peut être sûr que le pigeon préférera s’y installer. 

Même quand l'opération n’a porté que sur deux canaux, 
surtout quand ces canaux ne sont pas symétriques et que la 
section des canaux membraneux a été exécutée avec beaucoup 
de soin, on voit le pigeon courir en trébuchant vers un com 
obscur aussitôt qu'on lui a rendu la liberté. 

La même prédilection se mamifeste chez les lapins ayant les 
canaux sectionnés, aussitôt qu'ils ont repris la faculté de 
changer de place. Souvent même on trouve les lapins dans un 
coin sombre, et ayant en outre les yeux fermés. 

Quand, aussitôt après avoir pratiqué une opération sur les 
canaux, on ferme aux pigeons les yeux à l’aide d’un petit 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 7 


bonnet, ils restent sur place immobiles, ou s'ils se déplacent, 
on ne leur voit pas la moindre tendance à chercher un coin ou 
Pappui d’un mur. 

Il est facile de se rendre compte de cette crainte de la 
lumière dans les cas très-rares où l’opération a provoqué chez 
le pigeon un nystagmus, ou de fortes oscillations de la tête ; 
dans ce cas, le vertige visuel qui pousse le pigeon à re- 
chercher l'obscurité est produit par les mouvements im- 
primés à la rétine. 

Mais le même symptôme de vertige visuel se présente aussi 
là où il n'existe pas le moindre mouvement, soit du globe 
oculaire, soit de la tête. 

Dans ce cas, le vertige ne peut être produit que par le désac- 
cord entre l’espace vu et l’espace formé par les sensations dues 
aux canaux semi-Cireulaires. Ces dernières sont profondé- 
ment altérées à la suite de l'opération : les animaux, supposant 
que la cause de ce désaccord se trouve dans leur champ visuel, 
cherchent à s’y soustraire en se mettant dans l'obscurité. 

Voici encore un autre exemple qui démontre jusqu'à quel 
point les désordres dans la locomotion qu’on observe après la 
section des canaux semi-circulaires sont intimement liés à des 
fausses représentations sur l’espace, ou, pour miçux dire, à un 
désaccord entre l’espace vu et l’espace formé à l’aide des sen- 
sations provenant de ces canaux. 

Tous les observateurs ont pu constater cet étrange phéno- 
mène que les pigeons ayant les canaux lésés (surtout quand 
l'opération a porté sur les verticaux postérieurs seuls, ou en 
même temps sur une autre paire) ne peuvent souvent con- 
server leur équilibre que quand ils renversent complétement 
la position de la tête, c’est-à-dire quand leur tête est placée de 
manière que le bec est dirigé en haut et l’occiput en bas. Dans 
cette position, l’œil droit se trouve à gauche, l’œil gauche à 
droite, les parties supérieures de la rétine deviennent les parties 
inférieures, etc. | 

Aussitôt que le pigeon arrive à être un peu maitre de ses 
mouvements, il choisit cette attitude qu'il garde aussi longtemps 


78 E. DE CYON. 


qu'une impulsion de dehors ne le force pas de l’abandonner. [I 
suffit de lui remettre la tête dans Pattitude normale pour, 
immédiatement, provoquer un accès de mouvements involon- 
taires. 

On dirait que par la position renversée de la tête le pigeon 
parvient à rétablir, en partie, l'accord entre les deux espaces, 
et à maitriser ainsi son vertige. 


$ 27. — Position de la tête. 


Dans notre premier mémoire, nous avons déjà insisté sur 
l'importance qu’a la position de la tête pour le maintien de 
l'équilibre. 

D'accord sur ce point avec M. Goltz, je regardais alors les 
troubles de la coordination qu’on observe chez les pigeons, 
après la section des canaux semi-circulaires, comme étant 
provoqués par les attitudes anormales de la tête. La perte de 
l'équilibre du corps n’était donc, pour moi comme pour 
M. Goltz, qu'une conséquence indirecte de la lésion des 
Canaux. | | 

L’insuffisance de cette manière de voir aurait dû me frapper 
déjà au moment où je rédigeais mon premier mémoire. À cette 
époque déjà, j'ai pu en effet observer chez les grenouilles les 
mouvements les plus violents et les plus divers du corps tout 
entier, se manifestant pendant que la tête ne subissait qu’une 
légère déviation, toujours la même, quel que fût le canal lésé. 

J'aurais d'autant plus dû remarquer que la présence des 
mouvements de la tête n’est pas d’une nécessité absolue pour 
provoquer la perte de l'équilibre, que déjà dans mon premier 
mémoire, J'ai plusieurs fois insisté sur le rôle que jouent, par 
rapport au maintien de l’équilibre, les fausses représentations 
de la disposition des objets dans le champ visuel. 

Ce n’est pourtant qu'après avoir, pour la première fois, 
observé chez le pigeon les troubles de l’équibre les plus 
prononcés sans la moindre oscillation de la tête, que je suis 
revenu de ma première manière de voir. 

ARTICLE N° 8, 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 79 


Les observations sur le nystagmus provoqué chez les lapins 
par lexcitation des canaux semi-circulaires m'ont enfin 
permis de me rendre compte du véritable mécanisme des 
désordres de la locomotion : si les oscillations de la tête jouent 
un rôle dans la production de ces désordres, ce n’est en tant 
qu'elles augmentent encore le vertige visuel. 

Les pigeons peuvent présenter les symptômes d’une perte 
d'équilibre, même étant libres de ces oscillations, vu que le ver- 
tige, quoique dans un degré moindre, apparaît chez eux aussi 
par suite des perturbations dans la notion de l’espace idéal. 

Il m'est arrivé deux ou troisfois d'observer chez les pigeons un 
violent nystagmus sans aucune oscillation de la tête et accom- 
pagné de troubles considérables dans la locomotion. Ici le 
vertige devait évidemment être plus violent, puisque le pigeon 
était hors d'état de corriger par les mouvements de ses yeux 
les fausses représentations sur l’espace vu. 

Pourtant, dans ces cas comme dans tous ceux où les oscilla- 
tions de la tête manquent, les troubles des mouvements se 
bornent à des difficultés de maintenir l’équilibre et de mar- 
cher ; jamais on n'observe chez eux les violents mouvements de 
rotation et de culbute dont nous sommes habituellement 
témoins chez les pigeons ayant les canaux lésés ; la violence de 
leur vertige est donc moindre. 

En un mot, dans les cas où 1l y a immobilité de la tête, le 
vertige est encore produit par les troubles dans les sensations 
de l’espace. Ce vertige est plus intense quand il s’y ajoute un 
vertige visuel produit par les oscillations de la tête ou des yeux. 

Il ressort de l’ensemble des observations sur les lésions des 
canaux semi-Circulaires chez les différents animaux, encore un 
autre fait que je regarde comme des plus importants pour ma 
théorie de leurs fonctions. 

Par l’exposé des expériences, le lecteur a pu se convainere 
que chez divers animaux les suites de ces lésions diffèrent sen- 
siblement : chez les pigeons, les troubles se concentrent princi- 
palement dans les muscles de la tête ; chez la grenouille, c’est 
presque exclusivement le tronc qui est atteint, tandis que chez 


80 E. DE CYON. 
le lapin ce sont surtout les muscles du globe oculaire qui sont 
pris. | 

Or, l’excessive mobilité de la tête des pigeons leur sert, à 
l’état normal, comme moyen principal d'orientation ; Pappa- 
reil moteur des yeux est très-peu développé chez eux. 

Les grenouilles, grâce à la presque immobilité de leur tête 
et à la situation particulière de leurs yeux, s’orientent par le 
déplacement du corps entier. 

Les lapins, par contre, ayant un appareil moteur de lϾil 
très-complet, peuvent parfaitement s'orienter à l’aide des mou- 
vements des globes oculaires. 

Nous constatons done ce phénomène remarquable, que 
les troubles que produisent les opérations pratiquées sur 
les canaux semi-circulaires portent principalement sur les 
groupes des #uscles dont les animaux se servent de préférence 
pour s'orienter dans l'espace. 

Chez le lapin, on peut en outre constater que, quand le 
corps et la tête sont laissés libres, les oscillations des yeux 
deviennent de beaucoup moins violentes (1). Il suffit d’immo- 
biliser leur tête pour que les oscillations des globes oculaires 
reprennent avec une violence excessive. 

On peut faire la même remarque chez les pigeons, dans les 
cas, d’ailleurs rares, où le nystagmus apparaît après la lésion 
des canaux. Il est prononcé surtout quand la tête est fixée, et 1l 
s’affaiblit souvent jusqu’à disparaître complétement quand on 
rend la liberté à la tête. 

Inutile d’insister encore davantage sur l'appui que les 
observations communiquées en dernier lieu prêtent à ma 
manière d'envisager les fonctions des canaux semi-circulaires. 


$ 28. — Explication des phénomènes de Flourens. 


Nous devons maintenant discuter encore une question de 
grande importance, celle du rapport entre les divers troubles 


(4) M. Exner a constaté un fait analogue dans un cas de maladie de Méniére 
chez un lapin. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 81 


de locomotion qu’on observe et la section des canaux semi- 
circulaires. 

L’exposé de nos vues sur la fonction de ces organes mdique 
clairement que nous regardons la perte de l'équilibre comme 
une conséquence du trouble psychique dans la notion de 
l’espace, produit par la lésion de ces canaux. 

Il est moinsfacile d'établir, lesquels des mouvements involon- 
taires sont dus à une forte excitation, lesquels à une paralysie 
des canaux ; le plus souvent ces deux phénomènes agissent 
simultanément. Sur ce point, je me suis d’ailleurs expliqué 
d’une manière détaillée dans mon premier travail; je crois done 
inutile d'y revenir plus au long dans ce moment. 

Je rappellerai seulement que la plupart des mouvements in- 
volontaires qu’on observe aussitôt après la section des canaux 
est due à une forte excitation des terminaisons nerveuses. Ces 
excitations produisent un vertige violent qui se manifeste dans 
la tendance de l’animal à exécuter des mouvements involon- 
taires. 

Chacun de nous à eu occasion de constater sur hu-même 
comment cette tendance est souvent irrésistible. M. Helmholtz 
raconte que, se trouvant à Laufen dans un endroit où il n'avait 
devant lui que le courant violent de la chute du Rhin, il éprou- 
vait une tendance à tomber à la renverse. Au même endroit, 
J'ai éprouvé une sen$ation analogue. Si au contraire je me 
trouve à une grande hauteur et que je ne voie devant moi qu'un 
souffre béant, mais mobile, l'impulsion pour tomber en avant 
est si forte, que je suis obligé de quitter immédiatement l’en- 
droit dangereux (1). 

Nous pouvons donc parfaitement admettre qu’un vertige in- 
tense produit par la lésion des canaux amène lanimal à exé- 
cuter des mouvements involontaires. 

Le caractère un peu étrange de ces mouvements chez le 
pigeon ne doit pas trop nous surprendre. Les culbutes sont des 


(1) Je crois qu’une partie des soi-disant suicides arrivés à la suite de chutes 
du haut des tours ou des colonnes est due à des vertiges pareils. 


892 E. DE CYON. 


mouvements qu'on apprend très-facilement aux pigeons ; il 
suffit de se rappeler les pigeons culbuteurs, qui exécutent ces 
mouvements même à l’état normal. 

D'un autre côté, nous n’avons qu’à nous rappeler l'impulsion 
irrésistible à la culbute que nous éprouvons, quand nous nous 
mettons sur la tête ayant les pieds en l'air, pour pouvoir nous 
rendre compte pourquoi un pigeon une fois amené à se mettre 
verticalement sur la tête ou sur la queue éprouve une tendance 
à culbuter. 

Il y a pourtant un côté de cette question que je voudrais 
discuter ici, parce qu'il nous amène à un point de vue tout 
nouveau sur le caractère général de tous ces troubles de la 
locomotion. Tous les observateurs ont été frappés dela violence 
excessive des mouvements produits par la section des canaux. 
On n’a qu’à essayer de s'opposer à ces mouvements pour ap- 
précier leur force extraordinaire. 

Même chez le pigeon on a souvent bien de la peine à retenir 
les mouvements, surtout quand tousles canaux semi-circulaires 
ont été détruits. 

Flourens, avec cette finesse d'observation qui lui était propre, 
a été amené par la violence de ces mouvements à la conclusion 
que « dans les canaux semi-circulaires.. résident les forces 
modératrices des mouvements » (loc. cit., p. 901). 

Cette conclusion, qui, à l’état des connaissances physiolo- 
giques à cette époque, ne pouvait pas être plus approfondie, 
contient le germe de la vérité; tâchons de l’établir. 

Dans les mouvements que nous exécutons, la force de l’inner- 
vation de chaque muscle participant à ce mouvement est d’une 
importance capitale. 

La force de la contraction musculaire dépendant directement 
de la force d’innervation, on comprend aisément que dans la 
plupart des mouvements combinés, c’est cette dernière force 
qui en détermine le caractère et le but. 

La distribution ou, pour mieux dire, la graduation de la 
force d’innervation décide seule quel groupe de muscles pro- 


duira le mouvement principal, quel autre ne servira qu’à fixer 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 89 
d’autres parties du corps ou modérera par le jeu des antago- 
nistes le mouvement projeté, ete. 

Cette graduation troublée, tout mouvement combiné devient 
aussi impossible que si, à la place des muscles qui devaient en- 
trer en contraction, c’étaient d’autres qui dussent se contracter. 

Déjà, il y a dix ans, j'ai insisté plusieurs fois sur la nécessité 
de déterminer dans chaque cas d’ataxie musculaire si l’incoordi- 
nation des mouvements dépend de ce que d’autres muscles que 
ceux qui devaient participer au mouvement projeté entrent en 
contraction, ou si ce n’est que la graduation de la force d’inner- 
vation qui est troublée. (C’est même à cette occasion que j'ai cru 
devoir faire ressortir que le mot ataxie ne devrait être appliqué 
qu'au premier genre des troubles locomoteurs qui se présente, 
par exemple, dans la chorée, tandis que les défauts de gradua- 
tion dans l’imnervation, qu'on observe par exemple dans le 
tabes dorsalis, devraient en être strictement exclus.) 

En étudiant soigneusement les mouvements des animaux 
ayant les canaux semi-circulaires coupés, on constate facilement 
que leurs troubles de locomotion tiennent en grande partie 
à des innervations excessives des muscles. 

Tous les muscles qui doivent prendre part à un mouvement 
projeté se contractent avec le maximum d'intensité. Le résultat 
de la contraction est par conséquent exagéré et même souvent 
tout opposé au but projeté. 

L’impossibilité de maintenir l'équilibre après la section des 
canaux semi-cireulaires est en grande partie due à cette per- 
turbation de l’imnervation. 

La difficulté de s’orienter aussitôt après l'opération et 
le vertige visuel lui-même ne peuvent pas expliquer cette 
folie musculaire qu’on observe après l’ablation de tous les 
Canaux. 

Même en mettant une partie de ces mouvements sur le 
compte de l’excitation réflexe produite par la lésion des canaux, 
on ne comprendrait pas le caractère de violence excessive de 
ces mouvements, à moins de supposer que le régulateur de la 
force d’innervation est lui-même mis hors d'action. 


84 EÉ. DE CYON. 


Cette exagération dans les contractions est tellement frap- 
pante que plusieurs auteurs qui se sont occupés des lésions des 
canaux semi-circulaires, n'ayant en vue que ce fait, en ont con- 
clu que les canaux règlent la sensibilité musculaire, et que c’est 
la perte de cette sensibilité qui provoque les troubles de la 
locomotion (M. Bornhardt et d’autres). 

Je ne veux citer ici qu'un seul phénomène qu’on observe 
chez les pigeons, presque toujours dans le cas de section des 
canaux semi-circulaires. Îl s’agit de la flexion des jambes. Ce 
phénomène persiste souvent bien longtemps après la disparition 
de toute autre conséquence de l’opération. 

En étudiant attentivement la marche d’un pigeon dans ces 
conditions, on croit à première vue que la jambe est cassée. Et 
cette impression est souvent si nette, qu’on est obligé dese con- 
vaincre par un examen spécial que tel n’est pas le cas. 

D’habitude ce phénomène ne se présente que d’un seul côté. 
Il rappelle de très-près la marche caractéristique des atac- 
tiques. Te nous n'avons affaire qu’à une innervation excessive 
des muscles mis en mouvement, le défaut d'orientation et 
l'excitation réflexe étant évidemment exelus. La violence des 
mouvements des globes oculaires de la tête et du corps entier 
doit ainsi être attribuée à l’absence du pouvoir régulateur de 
leur innervation. 

Comme cette absence coïncide avec les lésions des canaux 
semi-circulaires, on doit en conclure que les centres nerveux 
auxquels aboutissent les sensations transmises par ces canaux 
interviennent d'une manière quelconque dans la distribution de 
la force d'innervation. 

À priori, une telle participation de ces centres à la régulari- 
sation de la force d’innervation est de plus justifiée. Il est en 
effet évident que la force d’innervation doit se régler, avant tout, 
d’après l’intensité du mouvement projeté, c’est-à-dire d’après 
l'intensité du déplacement projeté d’une partie de notre corps 
par rapport au monde extérieur. | 

Pour combiner un tel déplacement, l’exacte appréciation des 


distances est de première nécessité. L’organe où se concentrent 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 89 
touLes les notions sur l’espace et sur la position de notre corps 
dans l’espace extérieur est donc le plus à même de se charger 
de cette combinaison. 

En résumé, les troubles qui se manifestent pu les lésions 
des canaux semi-cireulaires sont dus : 

«. À un vertige visuel produit par le désaccord entre l’espace 
vu et l’espace idéal ; 

b. Aux fausses notions qui en résultent sur la position de 
notre corps dans l’espace ; 

c. Aux désordres dans la distribution de la force d’inner- 
vation aux muscles. 


$ 29. — L’excitant normal des canaux semi-circulaires. 


Il nous reste à traiter encore une question très-délicate et 
dont la solution n’est pas sans présenter quelques difficultés. 
Étant admis que les canaux semi-circulaires sont les organes 
périphériques du sens de l’espace, quel est l’excitant dorer qui 
agit sur les terminaisons périphériques des nerfs se distribuant 
dans ces canaux, et qui provoque des sensations qui servent à la 
construction de la notion de l’espace ? 

Avant d'aborder cette question, il me faut répondre à à une 
objection à priori quise présente contre notre manière d’envi- 
sager les fonctions des canaux semi-circulaires. 

Nous sommes habitués, chaque fois qu’il s’agit d’un organe 
des sens, de rechercher quel est l’agentréel du monde extérieur 
qui, agissant sur la partie périphérique de cet organe, provoque 
chez nous les sensations qui, perçues par notre intelligence, 
nous servent à former le jugement sur les propriétés de cet 
agent extérieur. Or, quel peut être l’agent extérieur agissant 
sur les nerfs d’un canal membraneux qui peut nous amener 
à la représentation d’un espace à trois dimensions? Nous ver- 
rons tout de suite qu’il n’est pas impossible de donner à cette 
question une réponse assez satisfaisante. 

Mais je tiens à constater auparavant que même, si nous étions 
incapables de donner une pareille réponse, ceci ne prouverait 


86 | E. DE CYON. 
encore rien contre la justesse de notre théorie des fonctions des 
canaux semi-cireulaires. 

En effet y a-t-il longtemps que nous avons des notions scien- 
tifiques sur la nature des excitants qui provoquent nos percep- 
tions des couleurs ou des sons? 

Et encore à présent savons-nous quelque chose sur les pro- 
priétés des matières qui produisent nos sensations du goût et de 
l’odorat? 

Cette ignorance nous autorise-t-elle à contester l’existence 
des organes destinés à ces sensations ? 

Mais, comme je l’ai dit, nous pouvons nous faire une idée très- 
satisfaisante de la manière dont sont excitées les terminaisons 
nerveuses dans les ampoules et peut-être même dans les canaux 
membraneux. 

L'hypothèse de M. Goltz, dans la forme plus scientifique que 
lui a donnée M. Mach, aurait pu nous rendre parfaitement 
compte de la cause excitante. 

Chaque mouvement de la tête, produisant des tendances au 
mouvement dans l’endolymphe, exciterait les terminaisons 
des ampoules nerveuses. Cette hypothèse aurait pu encore 
mieux s'adapter à notre manière d’envisager les canaux semi- 
circulaires comme des organes de l’espace qu'à celle de 
M. Mach. | 

En effet, étant donné que l'excitation de ces canaux doit nous 
procurer des représentations sur l’espace, les sensations pro- 
voquées par les changements de position de la tête par rapport 
à l’espace extérieur pourraient très-bien servir à la formation 
de cette représentation. Aussi n'est-ce qu’à regret que J'ai 
dû renoncer à l'hypothèse de MM. Goltz et Mach, en vue du 
résultat des expériences mentionnées plus haut; ce résultat 
prouvant que même dès changements assez notables de pression 
dans les canaux membraneux ne produisent aucun des phéno- 
mènes de Flourens. 

Mais la nécessité d'abandonner l'hypothèse de M. Goltz est 
loin de nous ôter tout moyen de rattacher les excitations des 


canaux membraneux aux déplacements de là tête; 1l suffit de 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 87 
fixer l'attention par la structure des terminaisons nerveuses 
dans les ampoules et dans les canaux semi-cireulaires pour 
trouver plusieurs conditions favorables à leur excitation méca- 
nique. 

Comme de raison, la première est donnée par les otolithes 
contenus non-seulement dans les saccules, mais aussi dans les 
ampoules et même dans les canaux. Chaque déplacement de la 
tête, soit actif, soit passif, doit produire un ébranlement de ces 
otolithes, qui amènera une excitation mécanique des terminai- 
sons nerveuses. 

ÏT n’est pas impossible qu'outre ces otolithes d’autres parties 
encore prennent part à l'excitation qui conduit aux sensations 
de l’espace. En effet, les nombreuses cellules épithéliales qu’on 
trouve dans ces canaux, et qui ont une structure et une dispo- 
sition Si étranges, par rapport aux terminaisons nerveuses, 
peuvent très-bien, lorsqu'elles sont ébranlées, communiquer 
une excitation aux fibres nerveuses qui oscillent dans le liquide. 

La cause de cet ébranlement peut être fournie, en dehors 
des déplacements de la tête, par les ondes qui se propagent 
dans l’endolymphe remplissant les canaux membraneux. 

Non-seulement les ondes sonores de l'air, c’est-à-dire celles 
dont le nombre par seconde est suffisant pour produire des 
sensations auditives, mais toutes les autres, aussi bien celles 
qui se trouvent au-dessus qu’au-dessous de l’audibilité, étant 
communiquées à l’endolymphe, peuvent produire un déplace- 
ment des otolithes ou des cellules épithéliales dont il a été 
question. 

La faculté de reconnaitre la direction du son, faculté si dé- 
veloppée chez l’homme à l’état sauvage et chez quelques ani- 
maux, serait peut-être aussi en rapport avec la fonction de la 
huitième paire, que nous venons d'établir. | 

Nos connaissances anatomiques sur les parties en question 
sont, malgré leur variété, encore trop incomplètes pour qu’on 
puisse pénétrer plus avant dans le mécanisme de l'excitation 
des terminaisons nerveuses. Ainsi 1l serait, par exemple, impor- 
tant de connaître le poids spécifique des otolithes, par rapport 


88 Æ, DE CYON. 
à celui de l’endolymphe, pour pouvoir bien préciser les condi- 
lions dans lesquelles un otolithe peut entrer en vibration. 

Il se pourrait même que le mouvement de lotolithe dans 
l'utriculus ou le succulus communiquât une série de secousses 
aux fibres nerveuses, tantôt d’un canal membraneux, tantôt 
d’un autre, selon la position que prend ce canal membraneux 
par le déplacement de la tête. 

Je ne veux pas me laisser entrainer plus loin dans des hypo- 
thèses sur le mécanisme intime de l'excitation des canaux. 
Mais ce qui précède suffit pour Indiquer que nous ne rencon- 
trons aucune difficulté msurmontable en voulant trouver une 
cause l'excitation. 

Quant à la nature de la sensation que cette excitation pro- 
voque, il est évident, du moment qu'il s’agit d’une sensation 
inconsciente, que nous ne pouvons l'indiquer avec quelque 
certitude. Nous nous trouvons ici dans le même cas que pour 
toutes les autres sensations Inconscientes, comme par exemple 
pour les sensations d’innervation. 

Il faut pourtant toujours garder en vue que les sensations 
ne sont pour notre intelligence que des signes distincts à l’aide 
desquels nous formons nos représentations. 

Pour que les sensations provoquées par l'excitation des ca- 
naux semi-circulaires puissent servir à la formation de nos 
notions de l’espace, il n’est nullement nécessaire que la nature 
de ces sensations contienne déjà en elle-même l’idée d’une 
étendue. ; 

Cependant nous pouvons formuler sur la nature de la sensa- 
tion inconsciente à laquelle donne lieu l'excitation d’un canal 
membraneux, des suppositions qui, outre une grande proba- 
bilité, ont encore l’immense avantage qu’elles nous permettent 
de comprendre en partie, comment ces sensations peuvent servir 
à la formation des notions sur un espace à trois dimensions. 

Nous avons déjà indiqué plus haut la disposition anatomique 
des terminaisons nerveuses dans des plans perpendiculaires 
l’un à l’autre, comme favorisant considérablement le fonction- 


nement des canaux semi-cireulaires. 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 89 

En effet, nous pouvons très-bien nous représenter que l’ex- 
culation des terminaisons nerveuses d'un canal membraneux 
produit des sensations d'étendue (Empfindung einer räumlichen 
Ausdehnung) dans un plan perpendiculaire aux plans des deux 
auires CANAUX. 

Quelle que soit la nature de l’excitant qui met en activité la 
fibre nerveuse du nerf optique, la sensation résultant de cette 
activité serait toujours une sensation lumineuse. La même 
chose doit avoir lieu dans les sensations des organes qui font 
l’objet de notre étude. Quel que soit l’excitant qui fait fonc- 
tionner les fibres nerveuses distribuées dans les canaux mem- 
braneux, le résultat de leur excitation sera toujours une 
sensation détendue dans un plan perpendiculaire aux plans 
d’étendue des deux autres canaux. 

Les excitations des trois canaux nous donnent de cette ma- 
mère des sensations d'étendue dans trois plans perpendiculaires 
lun à l'autre, et ces sensations inconscientes servent à la for- 
mation de la représentation d'un espace à trois dimensions. 

Chaque physiologiste avouera que dans aucun autre sens 
nous n'avons une pareille facilité de déduire la formation de la 
représentation de la nature des sensations. 

Voici encore un point sur lequel Je désire attirer l’attention, 
et qui ne plaide pas moims éloquemment en faveur de notre 

thèse. Nous avons vu plus haut que des relations des plus 
intimes existent entre les canaux semi-cireulaires, l'appareil 
moteur de l’œil et les centres d’innervation de tous les muscles 
de notre corps. Les observations les plus diverses ont toutes 
d’une manière irréfutable établi ces relations. 

Nous n'avons pas insisté dans ce travail sur les nombreuses 
recherches faites par MM. Nagel, Skrebitzky, Aubert et d’autres 
sur les mouvements des globes oculaires qui suivent les diffé- 
rentes inclinaisons de la tête, et les variations dans le jugement 
sur la position de la verticale qui résultent de ces mouvements. 

Mais après les observations sur les relations entre les canaux 
semi-cireulaires et les centres d’innervation des muscles des 


yeux, on peut à peine douter que le mécanisme par lequel les 
ANN. SC. NAT., AVRIL 1878. VII. 144. — ART. N° 8. 


90 EH. DE CYON. 
globes oculaires suivent les changements d’attitude de la tête 
ne soit donné par les relations indiquées. 

Notre hypothèse que les déplacements de la tête donnent la 
première impulsion à l’excitation des terminaisons nerveuses 
dans les canaux trouve ainsi un nouvel appui. 

Nous voyons ainsi que les organes qui nous servent à dis- 
cerner la disposition des objets dans l’espace, ainsi qu'à déter- 
miner les rapports de notre corps avec ces objets, doivent être 
en rapport fonctionnel avec l'organe auquel nous attribuons 
comme fonction la formation de nos notions sur l’espace. 


$ 90. — Rapports entre les canaux semi-circulaires et le sens de louie. 


Après avoir démontré que la section des canaux semi-circu- 
laires ne détruit pas l’ouie chez le Pigeon, Flourens est arrivé 
à la conclusion que ces canaux ne servent pas à l’audition, et 
que, par conséquent, les nerfs qui s’y rendent ne peuvent pas 
être regardés comme des nerfs auditifs. Flourens a même pro- 
posé de diviser la huitième paire en deux nerfs distincts indé- 
pendants l’un de l’autre. 

Les affirmations de Flourens, quoique étant trop absolues, 
contiennent néanmoins les germes de la vérité. 

Comme beaucoup d’autres auteurs qui ont travaillé sur Îles 
canaux semi-circulaires, Flourens est tombé dans l'erreur, de 
regarder la section des canaux membraneux comme équiva- 
lente à leur paralysie. La persistance de l’ouie, après cette 
section, lui à donc paru comme une preuve de ce que ces 
canaux ne jouent aucun rôle dans l’audition. 

Or, il est évident que la section d’un canal membraneux ne 
peut, en aucune façon, être comparée à la section d’un nerf, et 
rien n'autorise à Croire qu'après une pareille section, les fonc- 
tions du canal soient complétement supprimées. La disparition 
immédiate des troubles moteurs, lorsqu'un seul canal est sec- 
lionné, ainsi que le rétablissement des pigeons, même après la 
section des deux éanaux, indiquent qu'au contraire le fonction- 
nement des canaux peut persister encore après leur section. 

ARTICLE N° &. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 91 


Ceci se comprend : vu la disposition des éléments anatomiques 
dans ces canaux, la section ne peut que troubler leurs fonc- 
tions ou en détruire une partie, celle, par exemple, qui dépend 
des terminaisons nerveuses séparées, par la section, du tronc 
nerveux. | 

Il s'ensuit donc que pour déterminer si l’ouie persiste après 
l’ablation des canaux semi-cireulaires, il ne suffit pas de les 
sectionner; il faut les détruire complétement. Ce que j'ai fait 
plusieurs fois, en retirant les canaux membraneux avec les am- 
poules par les ouvertures faites dans les canaux osseux. 

Les pigeons ainsi opérés, une fois qu'ils se sont calmés, 
montrent des réactions très-vives contre tous les bruits. 

La présence de ces canaux n’est donc pas nécessaire pour la 
persistance de louie. Leur fonctionnement comme organes 
périphériques du sens de l’espace étant en outre établi, il est 
nécessaire de distinguer dans la huitième paire deux nerfs 
ayant deux fonctions physiologiques parfaitement distinctes. 

Toutefois la proposition de Klourens d'ajouter ainsi une 
treizième paire de nerfs crâäniens ne me parait pas admissible, 
vu que, parmi les autres paires, nous avons aussi des réunions 
de nerfs ayant les fonctions les plus diverses. 

Il suffirait de renoncer à appeler la huitième paire le nerf 
acoustique, et de lui substituer la désignation de nerf vestibulo- 
cochléaire. 

À partir du pomt où le nerf se divise, on peut attribuer 
à chacune de ses deux branches une dénomination physiolo- 
oique : celle de «nerf auditif ou acoustique » à la branche qui se 
rend au limaçon, et celle de «nerf d'espace » ou d'orientation 
à la branche qui se distribue dans les canaux et leurs ampoules. 

Cette division de la huitième paire en deux nerfs distincts est 
loin d’être basée uniquement sur des considérations physiolo- 
giques ; au contraire, bien avant que les fonctions des canaux 
semi-circulaires aient été reconnues, les anatomustes attri- 
buaient à la huitième paire deux origines différentes, comme 
également deux genres de fibres distincts. 

C'est surtout le professeur Stieda, de Dorpat, qui a décrit avec 


99 E. DE CYON. 


beaucoup de détails cette double origine de la huitième paire. 
Une de ses races prend son origine dans un noyau de petites 
cellules ganglionnaires situé au plancher du quatrième ventri- 
cule. La seconde racine, composée de cylindres-axes, les plus 
forts qu'on rencontre dans le corps, a son origine dans un 
noyau de grandes cellules situé dans les pédoncules cérébel- 
leux. Gette dernière racine porte, à l’instar des racines posté- 
rieures de la moelle, un petit ganglion aussitôt après sa sortie 
de la moelle. 

Réunies, ces deux racines forment la huitième paire; elle se 

“divise de nouveau dans le conduit auditif interne en deux bran- 
ches : la branche vestibulaire et la branche cochléaire ou lima- 
cienne (1). | | 

D'après ma manière de voir, ce n’est que cette dernière 
branche qui sert à l’audition; la première préside à l’orienta- 
tion du corps dans l’espace chez les animaux, ainsi qu’à la for- 
mation des notions de l’espace chez l’homme. 

Jusqu'à présent les zoologistes ont eu l'habitude de décrire 
comme organe de audition tout organe terminal d’un nerf cor- 
respondant à la huitième paire. Je ne connais pourtant aucune 
obsérvation (2) qui démontre la faculté auditive chez des ani- 
maux inférieurs. 

Ils ne réagissent d'habitude contre aucun bruit; un organe 
auditif serait d’ailleurs pour ces animaux d’une utilité très- 
problématique. ; 

Par contre, un organe d'orientation serait de première 
nécessité pour tous les animaux capables de se déplacer; et si 
nous étudions la structure des organes appelés auditifs en des- 
cendant dans l’échelle des animaux, nous pouvons constater 
que c’est le limaçon qui disparait le premier, tandis que les 


(1) Pour’plus amples détails anatomiques, voyez le travail de M. Stieda. 

(2) L'observation de M. Hensen sur les Crustacés me parait bien peu con- 
cluante pour les facultés auditives de ces animaux ; il ne serait pas difficile de 
produire à l’aide des vibrations de l'air des oscillations de toute autre fibre 
nerveuse, sans que ces oscillations indiquent un rapport quelconque de ces 
fibres avec l’audition. 

ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 93 


canaux semi-circulaires, et surtout les saccules, persistent 
encore. 


$ 31.— Expériences sur les canaux des Lamproies. 


À ce point de vue, il m'a paru intéressant d'étudier l’organe 
auditif des Lamproies. Ces animaux, qui occupent avec Îles 
Myxinoïdes la dernière échelle de la classe des Vertébrés, 
n’ont, comme on sait, pour organe auditif qu'un saccule avec 
deux canaux semi-circulaires. 

«La disposition anatomique de cet organe est très-défavorable 
pour un organe acoustique : en effet, le saccule, avec Îles ca- 
naux, est enfermé dans une petite caisse cartilagimeuse, n'ayant 
qu'une seule ouverture pour l'entrée du nerf, et recouverte d'une 
forte couche musculaire. 

On voit qu'il est difficile de trouver des conditions plus défa- 
vorables, pour la propagation des sons aux terminaisons ner- 
veuses, que celles que je viens d'indiquer. En effet, il m’a été 
impossible de provoquer chez les lamproies la moindre réaction 
contre les bruits. 

Très-sensibles aux rayons lumineux, elles s’enfuient aussitôt 
qu'une lumière vive frappe leurs yeux; par contre, les bruits 
les plus forts sont incapables de les faire changer de place. 

J’ai gardé les lamproies dans le même aquarium avec des 
grenouilles, et la différence dans la réaction de ces animaux 
contre les bruits était frappante au plus haut degré ; 1l suffi- 
sait d'ouvrir la porte de la chambre dans laquelle se trouvait 
l'aquarium, pour voir les grenouilles s'enfuir dans toutes les 
directions, tandis que les lamproies restaient immobiles et 
ae aient ventouse. | 

Pour vérifier ma manière d'envisager les fonctions des 
canaux semi-circulaires, je les ai détruits chez quelques lam- 
proies. Les résultats de cette opération sont venus, on ne peut 
mieux, confirmer mes prévisions : les mêmes organes qui se 
sont montrés si réfractaires à toute excitation sonore ont réagi 
contre cette destruction de la manière la plus frappante par 
les troubles dans la locomotion. 


94 E. DE CYON. 


L'opération elle-même est très-facile à exécuter : on trouve 
la caisse cartilagineuse, qui s'appuie contre le crâne, à 2 mil- 
limètres de l'œil, dans une direction diagonale allant de l'œil 
vers la partie postérieure du dos. Après avoir enlevé les couches 
musculaires, on découvre la petite caisse, qu’on ouvre à l’aide 
de la pomte d’un scalpel; après quoi on retire le labyrinthe 
membraneux avec une pince à branches allongées. 

Si l’opération n’est faite que d’un côté, on observe immédia- 
tement chez la lamproie des mouvements de manége et des 
tournoiements autour de l'axe longitudinal du corps. La lam- 
proie nage dans un cercle plus ou moins grand, et exécute sou- 
vent pendant ce mouvement des rotations entières de tout son 
corps autour de l'axe longitudinal. Ge mouvement est des plus 
gracieux, surtout quand l’animal ne tourne pas d’une pièce, 
mais en spirale prolongée. 

Aussitôt après l’extirpation des deux canaux, la lamproie 
reste quelque temps tout à fait sans mouvement; elle ne s’at- 
tache même pas avec sa ventouse, ce qu’elle ne manque 
pas de faire dans toute autre occasion, aussitôt qu'elle se tient 
immobile. Si on la force à se déplacer, elle tourne en cercle 
et roule autour de l’axe long de son corps; pendant ce roule- 
ment, 1] lui arrive souvent de rester couchée sur le dos; alors 
elle continue de tourner dans cette position et ne parvient 
qu'avec beaucoup de peine à reprendre son attitude normale, 

On observe le même phénomène quand on la retourne sur le 
dos; elle nage alors pendant quelque temps dans cette position, 
Quand elle s'arrête, elle cherche à s'attacher par la partie dor- 
sale de sa ventouse, et ce n’est qu'après plusieurs efforts inu- 
iles qu'elle reprend sa position normale. Souvent ce mouve- 
ment de manège est exécuté dans un plan vertical, toute la 
lamproie ne formant qu’un cercle, grâce à ce que la tête touche 
la queue. 

Que les canaux semi-circulaires soient détruits d’un côté ou 
des deux côtés, la paresse habituelle des lamproies en est con- 
sidérablement augmentée. Elles restent des journées entières 


attachées avec leurs ventouses à la même place, et ne se dé- 
ARTICLE N° 8. 


FONCTIONS DES CANAUX SEMI-CIRCULAIRES. 95 
placent que quand elles y sont forcées par une influence exté: 
rieure. Au moment où j'écris ces lignes, je conserve des lam- 
proies ainsi opérées depuis sept semaines, et les troubles de 
leurs mouvements sont restés les mêmes. Si je ferme leurs 
yeux au moyen d’un petit bonnet, elles se débattent sur place 
et wagent en arrière. Une lamproie ayant ses canaux Imtacts, 
quand on la place dans les mêmes conditions, fait avec sa 
queue des efforts pour arracher le bonnet jusqu’à ce qu'elle 
y ait réussi. 

J'ai eu un trop petit nombre de lamproies à ma disposition 
pour pouvoir m’exercer à opérer sur chaque canal séparément ; 
mais, d’après les désordres des mouvements que J'ai observés 
chez les lamproies à la suite de la destruction de leurs canaux, 
je dirai que ceux-ci correspondent au canal horizontal et ver- 
tical supérieur des autres Vertébrés. 

Je me propose de pousser encore plus loin mes études sur les 
mouvements des lamproies. On sait que ces animaux ne se 
déplacent en général que très-difficilement. Leur manière de se 
transporter d’une place à une autre consiste à s'attacher au 
moyen de leurs ventouses à un bateau ou à la queue d’un autre 
poisson. Quand elles nagent, elles se dirigent toujours en avant, 
en arrière, en haut ou en bas. Jamais je n’ai vu une lamproie 
prendre à droite ou à gauche, ou choisir une ligne diagonale. I] 
est très-probable que ce défaut de mobilité tient à l’absence 
d'un troisième canal semi-circulaire. Leur unique nageoire, 
se trouvant près de la queue, indique aussi que leurs facultés 
de mouvement sont très-limitées. 

Quoi qu'il en soit, il ressort des expériences insutuées par 
moi, que chez les lamproies chez lesquelles le limaçon est 
absent, l’organe appelé auditif ne sert probablement que comme 
organe d'orientation dans l’espace. Serait-1l bien osé de con- 
clure après cela que chez les animaux non vertébrés, les organes 
dits de l’ouïe ne sont que des organes du sens de l espace, ou 
tout au moins des organes d’ Onena lon” 

Je me permettrai encore d’aturer l'attention sur un ui 
qu'il ne faut pas perdre de vue. Je suis arrivé plus haut à voir 


96 | E. DE CYON. 
dans les mouvements des otolithes la cause de l'excitation des 
terminaisons périphériques de notre organe des sens. Or, il est 
constaté que les otolithes se trouvent chez tous les animaux qui 
possèdent un organe auditif, même dans l’état Le plus rudi- 
mentaire. | 
Inutile d’insister davantage sur l'appui que ce fait prête 
à ma manière d'envisager le fonctionnement des canaux semi- 
circulaires. 


ARTICLE N° 


MÉMOIRE 
SUR 


L'ENDOSMOSE DES GAZ A: TRAVERS LES POUMONS DÉTACHÉES 


Par N. GEMEIANT, 
Aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle (1). 


Lorsque deux gaz sont séparés par une membrane végétale 
ou animale, ou par un diaphragme poreux, il se produit un 
double courant ; chacun des gaz traverse la membrane avec une 
vitesse différente. D’après Graham, le rapport des vitesses de 
diffusion des gaz est égal au rapport inverse des racines carrées 
des densités des gaz: ainsi l’hydrogène, qui est seize fois plus 
léger que l’oxygène, traverse une membrane quatre fois plus 
vite que ce dernier gaz. | 

La propriété physique que possèdent les membranes de se 
laisser traverser par les gaz a été étudiée sur les membranes 
animales par Boulland, qui, dans un mémoire publié dans le 
Journal d'anatomie et de physiologie de M. Robin (1873), décrit 
un grand nombre d'expériences sur l’endosmose des gaz et des 
vapeurs faites à l’aide d’une membrane fibreuse très-mince 
empruntée à l'estomac de la grenouille. 

Des expériences de mesure du volume des poumons, faites 
chez des animaux par le procédé que j’ai publié en 1864, m'ont 
conduit à reconnaître dans les poumons entiers et détachés du 
corps l'existence d’une propriété semblable à celle que pré- 
sente le réservoir membraneux employé par Boulland; de sorte 
que le poumon détaché se comporte comme une somme de 


(1) Ce travail a été fait dans le laboratoire de physiologie générale du Muséum 
d'histoire naturelle, dirigé par M. Claude Bernard. 
ANN: SC. NAT. — ART. N° 9. 


? N. GRÉHANT. 


petits réservoirs membraneux, agissant chacun isolément et se 
laissant traverser par les gaz, bien que les vésicules pulmonaires 
soient séparées de l’extérieur par une partie du parenchyme 
pulmonaire et par le feuillet viscéral de la plèvre. 


I. — Passage de l'hydrogène à travers les poumons isolés dans l'air. 


Chez un chien sacrifié par la section du bulbe rachidien, on 
découvre la trachée ; on introduit dans ce conduit un tube de 
verre rétréci à l'extrémité, qui est revêtue d’un bout de tubede 
caoutchouc ; on applique sur la trachée et sur le tube de verre 
plusieurs ligatures de fil ciré et une bande de caoutchouc; puis 
le thorax est ouvert avec beaucoup de précaution afin d'éviter 
la blessure des poumons. Ces organes sont détachés avec la 
trachée, et introduits dans une cloche de verre tubulée d’une 
capacité de 9 litres environ, remplie d'air ; le tube de verre 
fixé dans la trachée passe à travers un bouchon de caoutchouc 
qui ferme la tubulure de la cloche et reçoit à son extrémité 
libre un robinet de métal qui permet d'ouvrir ou de fermer la 
trachée. 

Pour reconnaître si les poumons sontintactsetne présentent 
aucune lésion, on insuffle de l’air par le robinet dela trachée, à 
l’aide d’un soufflet : les poumons se dilatent et restent gonflés 
quand le robinet est fermé ; si les poumons se dégonflent, on 
cherche sous l’eau l’ouverture par laquelle l’air s'échappe, on 
applique une ligature sur le lobe lésé, et lon peut encore uti- 
liser la partie qui est intacte. 

Au lieu d'employer de lair, j'ai insufflé les poumons avec de 
l'hydrogène. Pour cela j'ai mtroduit un litre d'hydrogène dans 
la cloche tubulée munie d’un robinet à trois voies dont je me 
sers pour mesurer le volume des poumons ; j'ai laissé les pou- 
mons s’affaisser complétement dans Pair par suite de leur 
élasticité, et J'ai mis en communication l'arbre aérien avec 
l'hydrogène contenu dans la cloche ; en abaissant et en soulevant 
cette cloche dans l’eau, j'ai obtenu un mélange homogène de 
l'air qui était resté dans les poumons avec l’hydrogène employé : 

ARTICLE N° 9. 


ENDOSMOSE PULMONAIRE. 3 


ce mélange contenait 83,6 d'hydrogène pour 100. Le robinet 
de la trachée étant fermé et les poumons étant enveloppés d'air, 
on fit, 48 minutes après le début de l’expérience, une prise de 
gaz dans la trachée. Ce gaz, analysé dans l’eudiomètre, ne con- 
tenait plus que 75 pour 100 d'hydrogène ; 35 minutes après le 
début de l’expérience, on ne trouva plus dans les poumons que 
67,5 pour 100 d'hydrogène. Ainsi le gaz combustible traverse 
le parenchyme pulmonaire et se dégage dans l’air qui enveloppe 
les poumons détachés. 

J'ai renversé les conditions de l’expérience précédente en 
gonflant les poumons avec de l’air et en remplissant d’hydro- 
gène la cloche d’abord pleine d’eau qui renfermait ces organes ; 
un tube abducteur se rendant dans une cuve à eau fut ajouté 
au-dessus du robinet fixé dans la trachée. On vit alors se déga- 
ger du gaz par le tube abducteur ; en même temps les poumons 
se gonflèrent de plus en plus ; le gaz recueilli dans des cloches 
successives était un mélange d’air et d'hydrogène dont la ri- 
chesse en gaz combustible allait toujours en augmentant. 


Il. — Endosmose de l’acide carbonique vers l’air. 


Les poumons détachés conservent plusieurs jours la pro- 
priété de se laisser traverser par les gaz lorsque la température 
est voisine de 10 degrés ; il est donc facile de faire sur les mêmes 
poumons une série d'expériences, et de chercher ce qui arrive 
lorsqu'on fait varier la nature des gaz mis en présence. Ainsi, 
les poumons étant gonflés avec de Pair, J'ai rempli d'acide 
carbonique la cloche pleine d’eau ; le passage de ce dernier gaz 
à travers le parenchyme pulmonaire s’est montré très-actif, les 
poumons se gonflèrent beaucoup, et l’on recueillit par un tube 
abducteur un mélange d’air et d'acide carbonique dans lequel 
la proportion centésimale du gaz acide augmentait progres- 
sivement. 

Lorsque ies poumons étaient fortement gonflés, j'ai fermé le 
robinet de la trachée et j'ai soulevé la cloche pour remplacer 
l'acide carbonique par l'air extérieur ; je vis alors les poumons 


4 N. GRÉHANT, 


se dégonfier rapidement, l'acide carbonique passant en sens 
inverse de dedans en dehors. 


II. — Endosmose de l’acide carbonique vers l’azote et vers l'hydrogène, 


Au lieu de laisser de l'air dans les poumons, j'ai introduit 
successivement de l’azote et de l'hydrogène dans ces organes, 
qui ont été enveloppés chaque fois d’une atmosphère dacide 
carbonique. Pour faire cette expérience comparative, J'ai 
extrait de la cavité thoracique les poumons affaissés qui furent 
placés dans l’intérieur de la cloche de 5 litres, furentimmergés 
dans l’eau et reçurent d’abord un litre d'azote, puis je fis sortir 
ce gaz; un nouveau litre d'azote fut introduit et chassé ensuite. 
Après ce lavage fait avec l'azote, destiné à expulser l'air que les 
poumons affaissés contiennent encore, J'ai injecté dans ces 
organes 500 centimètres cubes d'azote pur. En une minute 
la cloche fut remplie d’acide carbonique en retournant dans 
la cuve à eau un grand flacon plein de ce gaz; aussitôt Je vis 
la pression augmenter dans le tube abducteur fixé à la trachée 
se rendant sous l’eau, et je recueillis dans eimq cloches placées 
successivement 410 centimètres cubes d'acide carbonique et 
49 centimètres cubes d’azote en un temps égal à 51 mi- 
nutes. L'expérience fut arrêtée par le soulèvement de la cloche; 
les poumons, abandonnés à leur élasticité, furent imsufflés 
à plusieurs reprises avec de l’air, afin de chasser les gaz qu'ils 
contenaient. On répéta ensuite avec l’hydrogène les mêmes 
manœuvres -en se plaçant dans des conditions identiques ; les 
poumons furent lavés avec 2 litres d'hydrogène, puis on fit 
passer dans ces organes affaissés et enveloppés d'eau 300 
centimètres cubes d'hydrogène, etautour des poumons la cloche 
futremplie d'acide carbonique. Les poumons se gonflèrent ra- 
pidement, et l’on put recueillir dans cinq cloches placées suc- 
cessivement 583 centimètres cubes d'acide carbonique et 495 
centimètres cubes d'hydrogène en un temps égal à 34 minutes, 
en un temps plus court que dans lexpérience précédente. 
L’endosmose de l’acide carbonique vers l'hydrogène a donc lieu 
plus rapidement que vers l’azote. 

ARTICLE N° 9. 


ENDOSMOSE PULMONAIRE. 5 


IV. — Double courant gazeux. 


Dans ces expériences, l'attention se porte d’abord sur le pas- 
sage du gaz qui détermine le gonflement des poumons : par 
exemple, dans l’endosmose de Pacide carbonique vers l’hydro- 
gène, nous voyons que Île premier gaz pénètre en grande quan- 
uté dans les poumons, où 1l se mélange avec l'hydrogène, mais 
en même temps une certaine quantité d'hydrogène sort à 
travers les membranes et se répand dans le gaz acide carbonique 
extérieur, comme 1l est facile de le reconnaitre par l'expérience 
suivante. On introduit dans les poumons affaissés etenveloppés 
d’eau 250 centimètres cubes d'hydrogène, puis on injecte de 
l'acide carbonique dans la cloche ; 7 minutes après, les pou- 
mons sont déjà très-gonflés. On réunit la trachée avec. une 
cloche à robinet pleine d’eau dans laquelle on fait passer le 
gaz qui distendles poumons, gaz dont le volume égal à 500 
centimètres cubes renferme 35,2 d'hydrogène pour 400, ou en 
totalité 476,3 d'hydrogène. En second lieu, on introduit dans 
la cloche, au milieu du gaz qui enveloppe les poumons, le 
tube d’un flacon aspirateur, dans lequel on fait passer un 
litre de gaz, que l’on agite avec une dissolution de potasse 
pour absorber l'acide carbonique. Il reste 54 centimètres 
cubes de gaz, auxquels on ajoute de l’oxygène et du gaz de 
la pile et que l’on fait détoner dans l’eudiomètre. La dimi- 
nution de volume après l’étincelle est égale à 6,7, dont le tiers 
est 2,93 et dont les deux tiers sont 4,46, représentant l’hydro- 
gène ; ce qui fait, pour 100 centimètres cubes de gaz pris en 
dehors des poumons 0,45 d'hydrogène ou environ un demi 
pour 100. Ainsi l'acide carbonique entre dans les poumons et 
se mélange avec l’hydrogène : 1l y a endosmose; mais, en même 
temps, un certain volume d'hydrogène sort à travers les pou- 
mons et se répand dans le gazextérieur : 1l y a exosmose. Seule- 
ment, ce second courant est beaucoup moins intense que le 
premier, lorsque les poumons sont plongés dans un volume 
d'acide carbonique égal à5 litres environ et lorsque ces organes 
contiennent de l'air, de l'oxygène, de l'azote ou de l’hydrogène. 


6 N. GRÉMANT, 


V. — Endosmose de l’acide carbonique dissous dans Peau vers l'air 
contenu dans les poumons. 


Des poumons de chien conservés depuis huit jours dans eau 
phéniquée à 4 pour 1000 furent insufflés à plusieurs reprises 
avec de l’air, puis furent abandonnés à leur élasticité ; on in- 
jecta dans ces poumons un demi-litre d'air, et le robinet fixé 
à la trachée fut fermé; on remplit alors d'acide carbonique 
gazeux la cloche pleme d’eau qui contenait les poumons ; ces 
organes se gonflèrent rapidement, etl’onrecueillit en 40 min., 
par un tube abducteur, 578 centimètres cubes d'acide carbo- 
nique et 371centimètres cubes d'air; en outre, les poumons 
étaient encore moyennement gonflés. On reconnut par cette 
épreuve que les poumons avaient parfaitement conservé leur 
pouvoir endosmotique pour les gaz, et lon put essayer une 
autre expérience. Les poumons, lavés cinq fois avec de Pair et 
affaissés, reçurent un demi-litre d'air ; le robinet de la trachée fut 
fermé ; la cloche qui contenait les poumons, retournée sur 
un trépied, fut remplie complétement d’eau saturée d'acide 
carbonique à une température de 10 degrés environ, dont le 
volume était 3 litres et demi. Les poumons flottèrent au milieu 
de l’eau, la trachée était tendue verticalement, et toute la sur- 
face du parenchyme pulmonaire revêtue par la plèvre était 
enveloppée d’eau saturée d'acide carbonique, mais non agitée. 
Un tube abducteur se rendant sous l’eau fut attaché au robinet 
de la trachée ; on recueillit dans les dix premières minutes, 
sous la pression de 18 centim. d’eau, 204 centimètres cubes de 
gaz, qui contenaient 185 centimètres cubes d'air et 19 centim. 
cubes d'acide carbonique, ou 9,3 pour 100 d'acide carbo- 
nique. La seconde cloche recueillie contenait 170 centimètres 
cubes d'air et 29 centimètres cubes d’acide carbonique, ou 
14,6 pour 100 de ce gaz. Enfin la troisième cloche ren- 
fermait 147 centimètres cubes d'air et 35 centimètres cubes 
d'acide carbonique, ou 19,2 pour 100 de ce gaz; l'expérience 
dura 30 nunutes, et l’on obtint en somme 502 centimètres 


cubes d'air et 83 centimètres cubes d'acide carbonique. Ainsi 
ARTICLE N° 9. 


ENDOSMOSE PULMONAIRE. 7 
ce dernier gaz, qui était dissous dans l’eau, traversa les mem- 
branes qui séparaient l'air introduit dans les poumons de 
l’eau ambiante. 

Il ya une analogie frappante entre ce phénomène et celui 
qui se passe dans la respiration normale, lorsque le sang vei- 
neux chargé d'acide carbonique circule dans les vaisseaux des 
poumons et se trouve seulement séparé par des membranes 
minces de l'air contenu dans les bronches et dans Les vésicules 
pulmonaires. Ainsi les phénomènes d’endosmose des gaz à 
travers les poumons détachés, dont je viens de donner un court 
exposé, peuvent conduire à lexplication de certains faits 
physiques de la respiration. 


PUBLICATIONS NOUVELLES 


ADRESSÉES AU BUREAU DE LA RÉDACTION. 


A Monograph of the Buacerotidæ, by G. D. ELLior. — Chez M. Porter, 
6, Tenlenden street, London. 


Les magnifiques publications iconographiques de M. Elliot sont depuis 
longtemps connues de tous les ornithologistes , et le nouveau travail de cet 
auteur sur la famille des Calaos est non moins bien exécuté que les 
précédents. Le format est petit in-folio, et chaque livraison contient 
6 planches coloriées avec le plus grand soin. — La 5° livraison vient de 
paraitre. 


Matériaux pour servir à l’étude de la faune malacologique ter- 
restre e6 fluviatile de lEtalie et de ses îles, par M"° PAULUCCI, 1878. 
— Savy, éditeur. 


À l’occasion de l'Exposition universelle, où M°° la marquise Paulucei a 
placé une fort belle collection des coquilles terrestres et fluviatiles de 
l'Italie, cette dame a publié un travail considérable sur la distribution 
géographique des Mollusques dans les diverses parties de ce pays et une 
série de notes sur divers points de l’histoire naturelle de ces animaux. 


Contributions pour servir à l’histoire de deux genres de Poissons 
de la famille des Baudroies, imantolophus et Caratias, habitant les 
profondeurs des mers arctiques, par M. Ch. LüTKkEN. 


Ce mémoire, extrait des Actes de l'Académie des sciences de Copen- 
hague, est écrit en danois, mais accompagné d’un extrait fort étendu en 
français, qui permellra à tous les ichthyologistes d'en profiter. Dans la 
première partie de ce travail, l’auteur donne la description d’un Poisson 
irès-remarquable, appartenant au genre Himantolophus, établi en 1837 
par M. Reenhard d’après un imdividu unique jeté sur la plage du Groen- 
land par la tempête, et tellement détérioré, qu'il ne fut possible d'en 
conserver que quelques fragments. En 1876, un second représentant de 
ce genre fut trouvé mort, flottant à la surface de Ia mer dans la même 
région ; il était intact, et c'est cet individu dont M. Lütken a fait une 
étude très-complète et a donné d'excellentes figures. Il décrit aussi deux 
petits Poissons trouvés dans l’estomac dun Scombéroïde, à mi-distance 
entre l'Afrique et le Brésil, et paraissant être de jeunes individus de la 
méme espèce. 

Dans la seconde partie de son travail, Pauteur fait connaitre l’ostéologie 
d’un autre Lophioïde curieux et extrèmement rare, le Caratius Holbolli 
de Krüyer. 

ARTICLE N° 10. 


DESCRIPTION 
D'UNE 
NOUVELLE ESPÈCE DE PERAMELES 


PROVENANT DE LA NOUVELLE-GUINÉE 


Par M. ALP. MILNE EDwWwARDS. 


Plusieurs espèces du genre Perameles habitent les iles des 
Papous. Déjà Quoy et Gaimard en firent connaitre une sous 
le nom de Perameles Doreyana et en donnèrent la figure dans 
la partie zoologique du Voyage de l’Astrolabe (4). Plus tard 
Lesson l’a pris comme type de son genre Echinipera (2), en 
faisant remarquer que les poils des parties supérieures du corps 
constituent de véritables piquants, ce qui n’a pas lieu chez les 
représentants australiens du même genre.Ce Péramèle, d’abord 
découvert à la baie de Dorey, sur la côte de la Nouvelle-Gui- 
née, par les naturalistes de l’Astrolabe, à été ensuite trouvé 
par Wallace à l'ile Arou (3), et dernièrement M. G. Brown 
a constaté qu'il existait aussi à l’île du Duc d’'York, située 
entre la Nouvelle-frlande et la Nouvelle-Bretagne. M. Beccari 
rapporta de Pile Kee une espèce très-voisine de la précé- 
dente et n’en différant que par ses pattes et ses ongles beau- 
coup plus forts, par les squames plus grandes qui revêtent la 
face inférieure des pieds ou de la queue, et par ses teintes 
plus brillantes. MM. Peters et Doria lui ont donné le nom de 
Perameles rufescens (4). Les mêmes naturalistes ont appelé 


(1) Quoy et Gaimard, Voyage de l'Astrolabe, Z001., t. TI, p. 100, pl. 16, 
fig. 1-5), 

(2) Lesson, Règne animal, p. 192. 

(3) Gray, Catalogue of the Mammalia and Birds of New-Guinea, 1859, p. 9. 
— Alston, Proceed. Zool. Soc., 1877, p. 125. 

(4) Peters et Doria, Annali del Museo civico di storia naturale di Genova, 
1870, t..NIT, p. 541. 


ANN. SC. NAT., AVRIL 1878. VII, 9, — ART. N° 11. 


2 ALHPEZ. MIBENE EH V9 ACeHS 

P. Aruensis un autre Péramèle trouvé par M. Beccari à l'ile 
Arou et se distinguant de celui de Pile Kee par ses oreilles plus 
grandes et par quelques caractères tirés de la disposition des 
dents (1); enfin 1ls ont réservé le nom de Perameles longi- 
caudata (2) pour une espèce des monts Arfak, remarquable 
par le développement de la queue, dont la longueur égale celle 
du corps. Je puis ajouter à cette courte liste des représentants 
néo-guinéens du genre Perameles une autre espèce décou- 
verte à Amberbaki par M. Raffray, et que j’appellerai P. Raj- 
frayana, pour rappeler le nom du voyageur aux recherches 
duquel la science en est redevable. Elle se distingue du 
P. Doreyana par ses poils doux et nullement spiniformes ; 
leur couleur est foncée et varie suivant l'incidence des rayons 
lumineux, chaque poil étant annelé de brun et terminé par une 
extrémité noire sur toutes les parties supérieures du corps. 
Les parties inférieures sont d’un gris fauve, sans mélange de 
noir. Le museau est très-long et très-fin. Les oreilles sont plus 
grandes que celles du P. obesulu, mais beaucoup plus courtes 
que chez le P. Gunnu. Les pattes sont longues et les pieds pos- 
térieurs presque glabres. La queue est beaucoup plus courte 
que chez le P. longicaudata, mais plus développée que chez le 
P. Doreyanu, le P. rufescens et le P. Aruensis; elle a un peu 
plus de la moitié de la longueur totale du corps. 


Longueur du corps d'un mâle adulte... 0,33. Id. d’une femelle adulte. 0",54 


Longueur de la queue............... CAO Id Aderlarqueuc 2 -CerE 0,16 

Long. de la tête(de l'oreille au museau). 0",09. Id. de la tête......... 0.09 

Long. du pied postér. (mesurée dutalon). 0,08. Id. du pied postér..... 0,08 
PLANCHE 6. 


Perameles Raffrayana. 


(1) Peters et Doria, op. cit., p. 542. 
(2) Peters et Doria, op, cit., t. VII, p. 534 


ARCUE KO A 


NOTE 


SUR LE TUBE DIGESTIF 
DU CARPOPHAGE GOLIATH 


Par NE. Hi. WEALEANKE. 


Le tube digestif des Colombides varie beaucoup avec leur 
régime alimentaire. Le représentant de cette famille le plus 
D bee à cet égard est, sans contredit, le Carpophaga 
Goliath de la Nouvelles Calédonie, dont on à fait un genre par- 
ticulier sous le nom de Phœnoi os 

Jules Verreaux (1), le premier, signala la présence de 
sortes de dents armant le gésier de cet oiseau, qui se nourrit 
exclusivement de fruits durs. Après lui, M. Garrod (9) fit con- 
naître une disposition semblable chez le Carpophaga latrans, 
et appela l’attention des naturalistes sur quelques particula- 
rités de l’intestin. 

M. le professeur Alph. Milne Edwards ayant bien voulu 
mettre à ma disposition un Carpophaga Goliath, j'ai pensé qu'il 
ne serait pas sans intérêt d’en décrire et d’en figurer le tube 
digestif avec quelques détails. 

L'œæsophage de cet oiseau, après un court trajet, se dilate 
en un Jabot (3) très-volumineux, puis, s'étant rétréci, s'ouvre 
dans le ventricule succenturié (4). Ce dernier présente des pa- 
rois fort épaisses, renfermant un grand nombre de glandes, 
assez grosses pour être visibles à l’œil nu. La muqueuse du ven- 
tricule, d’une couleur blanchâtre, présente un grand nombre 
de plis longitudinaux irréguliers. En haut, elle se continue 


(1) Jules Verreaux et O. des Murs, Rev. et Mag. de zool., 1862, p. 168. 
(2) À. A. Garrod,, Proceed. of the Zool. Societ. of Rob STS A DAIODE 
(3) Fig. 1 a. 
(E) Fig. 1 b. 


AR LS 2 SNS ANA NUS Te 


9 Hi. VIALLANE. 


sans distinction avec celle de l’æsophage; c’est au contraire 
une ligne de démarcation bien nette qui sépare le ventricule 
succenturié du gésier (1). 

Ce dernier ne présente extérieurement rien de bien remar- 
quable. Ainsi que cela s’observe souvent, l’oritice d'entrée et 
l'orifice de sortie sont opposés ; c’est seulement à gauche de la 
ligne qui les réunit que le gésier se trouve développé. Le bord 
droit ou interne du gésier est revêtu de fibres musculaires lon- 
gitudinales qui ne sont que la continuité de celles de l’œso- 
phage. Les faces antérieure et postérieure sont revêtues cha- 
cune d’un muscle dont les fibres sont parallèles et contiguës à 
celles du bord interne. Les bords supérieur, inférieur et externe, 
tous assez larges, sont dépourvus de muscles, et présentent un 
aspect aponévrotique. Jules Verreaux décrit le gésier du Car- 
pophage comme étant entièrement musculeux; les muscles 
étaient au contraire très-fables chez l'individu que j'ai pu 
observer. Cette différence tient sans doute à ce que l'individu 
que j'ai eu entre les mains avait vécu quelque temps en capti- 
vité : on sait en effet combien le régime peut modifier la puis- 
sance des muscles du gésier des Oiseaux (2). 

Intérieurement, le gésier du Carpophage présente les dispo- 
sitions les plus remarquables. Son revêtement corné porte en 
effet des sortes de dents ou d’épines disposées en quatre grou- 
pes assez distincts : un antérieur et un postérieur, répondant 
aux museles antérieur et postérieur; un supérieur et un infé- 
rieur. 

Intérieurement, le gésier est, dans toute son étendue, tapissé 
d’un revêtement corné, jaunâtre, présentant une série de re- 
plis longitudinaux profonds et assez irréguliers; c'est sur eux 
que se développeront les espèces de dents dont nous parlerons 
bientôt. La surface étendue de l’orifice d'entrée à l’orifice de 
sortie, et qui par conséquent répond au bord interne du gésier, 
constitue une sorte de gouttière ; elle est sillonnée de plis lon- 

(1) Fig. 1 c. 

(2) Milne Edwards, Lecons sur la physiol. et l'anat. comp., t. VI, p. 300, 


note 1. 
ARTICLE N° 12. 


TUBE DIGESTIF DU CARPOPHAGE, 3 


gitudinaux, et ne présente pas de dents. Les surfaces antérieure 
et postérieure répondant aux muscles, font distinctement 
saillie à l’intérieur du gésier. La surface postérieure présente 
quatre plis longitudinaux fréquemment interrompus par des 
sillons transversaux peu profonds. Le premier pli, en comptant 
de droite à gauche, présente une rangée de trois dents ; le deu- 
xième, une de deux; le troisième, une de trois; le quatrième 
enfin, une de deux. La surface antérieure, répondant au musele 
antérieur, est disposée à peu près comme la postérieure : elle 
présente trois replis longitudinaux ; les deux premiers portent 
chacun deux dents, le troisième en porte trois. La couche cor- 
née revêtant la face supérieure du gésier est marquée de sil- 
lons profonds; elle porte trois dents à sa partie moyenne. In- 
férieurement, on retrouve la même disposition. Le revêtement 
intérieur de la face externe du gésier présente encore des replis, 
mais il est dépourvu de dents. 

Nous voyons donc que le gésier du Carpophage Goliath 
présente imtérieurement deux surfaces garnies de dents et mo- 
biles l’une sur l’autre, grâce aux muscles qui les doublent : ce 
sont les parois antérieure et postérieure ; deux surfaces garnies 
de dents et immobiles : ce sont les parois supérieure et infé- 
rieure. 

Les dents, dont nous avons parlé jusqu'ici sans les décrire, 
sont de petits cônes mesurant 0,003 à leur base, hauts de 
0",003 ; ils sont aplatis, légèrement recourbés, et leur forme 
rappelle un peu celle des aiguillons du Rosier. La couleur des 
dents est plus claire que celle du revêtement corné adjacent ; 
leur dureté est comparable à celle de la corne du bœuf. 

Une coupe du gésier (1), examinée au microscope, nous 
montre la couche cornée (2) et les dents comme formées 
d’une substance sans structure et disposée en lits stratifiés. Les 
dents ne sont qu’un épaississement du revêtement corné, aussi 
sont-elles formées de la même substance que lui. Les couches 
stratifiées qui forment ce dernier, étant toutes parallèles entre 

(1) Fig. 2. 
(2) Id. « et b. 


4 HE. VIALLANT, 

elles et à la surface sous-jacente, sont perpendiculaires à l’axe 
des dents et affleurent à la surface de ces dernières. On conçoit 
que, grâce à cette disposition, les dents puissent par la dessicea- 
tion se détacher d’une seule pièce, ou se diviser en rondelles 
superposées. Au-dessous du revêtement corné, nous trouvons 
une couche glandulaire (1) plus épaisse au-dessous des dents, 
bien que ne pénétrant jamais dans l’intérieur de ces dernières. 
Au-dessous des glandes nous rencontrons une couche (2) for- 
mée de fibres tendineuses ; puis tout à fait en dehors, l’enve- 
loppe péritonéale (3), dans laquelle cheminent les vaisseaux. 
C’est entre cette dernière membrane et la couche tendineuse, 
que se montrent les muscles à fibres lisses, dans les points du 
gésier où ces organes sont développés. 

Au gésier fait suite un intestin extrêmement court par rap- 
port au corps; ilne mesure en effet que 0,20. Son calibre est 
à peu près uniforme et mesure 0,01. Dans tout son trajet il 
conserve la même apparence; aussi ne peut-on le diviser en in- 
testin grêle et gros intestin. Le tube digestif étant ouvert, on 
observe qu’il présente la même apparence depuis le pylore jus- 
qu'au cloaque. 

La muqueuse (4) se plisse transversalement, de façon à for- 
mer un grand nombre de valvules conniventes très-épaisses, et 
si développées, qu'elles obstruent presque le calibre de l’intes- 
tin. Toute la muqueuse est couverte de villosités (5) longues 
et nombreuses, mais bien plus développées à la surface des 
valvules conniventes qu'au fond des sillons qui séparent ces 
dernières entre elles. 

Dans la couche celluleuse sous-jacente à la couche mu- 
queuse (6), on observe de petits corps attachés par une extrémité 
renflée à la couche muqueuse, se terminant d'autre part par 


(1) PI 9, fig. 2c. 
(2) Id. d. 

(3) Id. f. 

(4) Fig. 3 et fig. 4. 
(5) Fig. 4 à. 

(6) Id. €. 


ARTICITANCA D: 


TUBE DIGESTIF DU CARPOPHAGE. D 


un filament allongé. Dans les valvules conniventes, ces corps 
présentent un développement considérable ; ailleurs, au con- 
traire, ils sont fort petits. Malheureusement, le mauvais état 
de la pièce que j'avais entre les mains ne nva pas permis de 
déterminer la nature de ces organes. Au-dessous de la couche 
celluleuse vient la couche musculaire (1), assez mince, puis 
enfin l'enveloppe péritonéale (2). 

Il semble étrange, au premier abord, qu’un Oiseau qui se 
nourrit uniquement de fruits possède un tube digestif aussi 
court, plus court même que celui d'aucun Oiseau carnivore. 
Mais cette brièveté de l’intestin me semble bien compensée par 
le développement si considérable des valvules conniventes et 
des villosités. 

Le foie, qui n’a rien de remarquable, est pourvu d’une vési- 
cule bilaire, d’un canal cholédoque et d’un canal cystique. 

Le pancréas, très-petit, est lobé et ne présente pas la forme si 
allongée qu’on observe en général chez les Oiseaux. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 9. 


Fig, 4. Tube digestif du Carpophaga Goliath, grandeur naturelle. - : &, jabot ; 
b, ventricule succenturié ouvert; c, gésier ouvert; d, intestin. 

Fig. 2. Coupe du gésier à un faible grossissement. — a, coupe d’une dent sto- 
macale; b, revêtement corné; c, couche glandulaire; d, couche tendineuse; 
e, couche musculaire; f, enveloppe péritonéale. 

Fig. 3. Muqueuse de l'intestin un peu grossie. 

Fig. 4. Coupe longitudinale de l'intestin. — a@, villosités; b, couche muqueuse; 
ce, couche celluleuse; d, couche musculaire; e, enveloppe péritonéale. 


(1) Fig. 4e. 
(2) Fig. 4 f. 


NOTE 


SUR LES MUSCLES PEAUCIERS 


DU 


LOPHORINA SUPERBA 


Par M. H. VIAEHANE. 


Ayant en à ma disposition, grâce à lobligeance de M. le pro- 
fesseur Alph. Milne Edwards, plusieurs Lophorina superba 
conservés dans l’alcool, j'ai pensé qu'il ne serait pas sans inté- 
rêt d'étudier les muscles peauciers de ces Oiseaux, dont les 
plumes de l’occiput et de la gorge exécutent, comme on le 
sait, des mouvements si étendus. 

Mon attente n'a pas été trompée, j'ai trouvé en effet une dis- 
position tout à fait curieuse. 

Le cou est de toutes les régions celle qui possède les muscles 
peauciers les plus puissants et les plus nombreux. On peut y 
compter quatre muscles pairs et bien distincts les uns des 
autres. 

. Le premier (1) est long, plat, entièrement charnu ; 1l s’in- 
sère en haut à l’angle externe et supérieur du cartilage thy- 
roïde. Il se dirige directement en bas en longeant la trachée, 
mais sans y adhérer. À la base du cou, il s'attache à la peau, 
s’élargit beaucoup et devient plus épais. La surface sur laquelle 
ce muscle s'étale ainsi est nettement circonscrite, et donne 
insertion aux longues plumes de la base du cou. Ces plumes, 
implantées très-profondément, peuvent exécuter des mouve- 
ments étendus, grâce aux contractions du muscle. Ce dernier 
se rétrécit au niveau de l’épaule, puis abandonne la peau pour 
aller s’insérer tout à fait sur la ligne médiane à l’angle de la 
fourchette. 


(nie No 
ARTICLE N° 18. 


MUSCLES PEAUCIERS DU LOPHORINA. 7 


J'ai observé un peaucier tout à fait analogue chez le Goëland. 
On doit évidemment assimiler Le musele que je viens de décrire 
à un s{erno-hyoidien, dont les fibres de la portion moyenne 
seraient venues s’accoler à la peau. Cette assimilation est 
d'autant plus légitime, que chez le Lophorina et le Goëland 
nous voyons manquer le clédo-trachéen : ce muscle, comme on 
sait, représente le sterno-hyoïdien des Mammifères. 

Chez le Lophorina, les plumes de la région latérale du cou 
sont mises en mouvement par un muscle présentant les dis- 
positions les plus curieuses. J'ai cru devoir désigner ce peau- 
cler, dont Je n'ai trouvé nulle part l’analogue, sous le nom de 
temporo-alaire. 

Le temporo-alaire (1) s’insère en haut sur la portion écail- 
leuse du temporal (squamosal), suivant une ligne un peu con- 
cave en bas, horizontalement étendue d’arrière en avant, longue 
de 2 millimètres environ et située au-dessus des insertions 
supérieures du muscle temporal. Le temporo-alaire, jusqu’à 
quelque distance de son point d’origine, reste libre de toute 
adhérence avec la peau : c’est une mince bandelette charnue 
qui se dirige en bas et en arrière. Bientôt le muscle s’élargit et 
devient adhérent à la peau de la région latérale et supérieure 
du cou, puis il se rétrécit et se dirige verticalement en bas. Le 
bord postérieur de la portion élargie du muscle est en conti- 
guité avec le bord antérieur de la portion élargie d’un muscle 
que nous décrirons plus loin sous le nom de fronto-iliaque (2). 
Un peu au-dessus de la base du cou, le temporo-alaire, qui 
s’est rétréci, ainsi que nous l'avons vu, abandonne la peau et 
se porte vers l'épaule; là il devient tendineux et se continue di- 
rectement avec le ligament tenseur marginal de la membrane 
alaire. Ge ligament, qui semble être le tendon d'insertion du 
temporo-alaire, est, comme chez tous les Oiseaux, formé en par- 
tie de fibres élastiques, et va s’insérer à la base du métacarpe. 
Chemin faisant, il fournit une série de petites brides tendineuses 


) Fig. 2 b, fig. 3 b, fig. 4 b. 
) Fig. 2 e, fig. %c 


8 H. VIALLANE. 


qui s’attachent aux bulbes d’une rangée de plumes plus profon- 
dément implantées que les autres, et disposées directement en 
arrière de lui. 

Le cléido-métacarpien (1) qui, chez la plupart des autres 
Oiseaux, fournit à lui seul le ligament tenseur marginal, est ici 
bien peu développé. C’est un faisceau musculaire fusiforme, 
très-grêle et très-court : d’une part il s’insère à l’extrémité 
d’une longue apophyse que la clavicule présente en haut et en 
arrière; d'autre part il se réunit au temporo-alaire pour con- 
courir avec lui à former le ligament tenseur marginal (2). 
Comme ce ligament est chez le Lophorina fourni principa- 
lement par le peaucier, J'ai été tenté de désigner ce muscle 
sous le nom de femporo-métacarpien, la dénomination de 
temporo-alaire me semble toutefois plus convenable, si l’on 
considère que, chez tous les autres oiseaux, le ligament tenseur 
est fourni par le système deltoïdien. 

Si chez le Lophorina le cléido-métacarpien (3) est peu déve- 
loppé, le cléido-épicondylien (4) Vest au contraire beaucoup. 
Toutefois le tendon de ce muscle ne contracte aucune adhé- 
rence avec lamembrane alaire et ne lui envoie aucune expan- 
sion fibreuse. Il est évident qu'ici ce muscle mérite mal le nom 
de tenseur de la membrane antérieure de l’aile, sous lequel 
on le désigne souvent. 

Chez le Kakatoës, le ligament tenseur marginal de l’aile pré- 
sente une disposition qui rappelle celle que nous venons de 
décrire chez le Lophorina. De l'extrémité proximale du liga- 
ment se détache un tendon qui se porte en haut et fournit 
quelques faisceaux charnus disposés en éventail et insérés sur 
la peau de la région latérale du cou. 

Ce peaucier représente un temporo-alaire dont la partie 
inférieure seule serait développée. 

Nous pouvons rapprocher ces dispositions de ce qui s’ob- 


(1) Fig. 4 d. 
(2) Fig. 4e. 
(3) Fig. 4 f. 
(4) Fig. 4 g. 
ARTICLE N° 19, 


MUSCLES PEAUCIERS DU LOPHORINA. 9 


serve chez la Chauve-Souris, dont tous les faisceaux charnus 
tenseurs de la membrane antérieure de l'aile sont fournis par 
le peaucier du cou. 

Les plumes de la région postérieure du cou sont mises en 
mouvement par un muscle que l’on retrouve chez un grand 
nombre d’Oiseaux, mais qui ne présente son entier dévelop- 
pement que chez le Lophorina. 

Ce muscle, que nous décrirons sous le nom de fronto-ilia- 
que (1), s'insère en haut sur tout le bord antérieur de l’apo- 
physe postorbitaire, formée, comme on sait, par l’os postfron- 
tal. L’étendue de cette insertion est d'environ 0",003 ; les fibres 
antérieures descendent verticalement en bas, les postérieures 
se dirigent en arrière vers la ligne médiane. Le musele, qui est 
resté, jusqu'à quelque distance de son point d’origme, libre 
de toute adhérence avec les téguments, s’élargit beaucoup en 
s’épaississant et s’accole à la peau ; ses fibres postérieures se 
contondent avec celles de son congénère,; les antérieures sont 
en contiguité avec les fibres postérieures du temporo-alaire. 
Cette portion élargie du fronto-iliaque sert à faire mouvoir les 
longues plumes qui, naissant de la nuque, vont recouvrir le 
dos comme d’un camail. Ces plumes sont profondément im- 
plantées sur un espace circulaire très-nettement circonscrit, 
situé en arrière de la tête. Après s'être élargi comme nous ve- 
nons de le voir, le fronto-iliaque se rétrécit brusquement et 
perd de son épaisseur ; il ne forme plus alors qu’une mince 
bandelette charnue, située près de la ligne médiane et descen- 
dant verticalement en bas, pour aller s’insérer à la moitié du 
bord interne de l'os iliaque, sur une étendue de 0",001 en- 
viron. 

Dans presque tout son parcours, la portion étroite du muscle 
est adhérente à la peau et sert à faire mouvoir des plumes plus 
profondément implantées que leurs voisines et insérées un peu 
en dehors de la ligne médiane, sur une seule rangée médiane 
depuis la nuque jusqu’à la région sacrée. C’est seulement au 


(1) Fig. 2 et3 c. 


10 H. VIALLANE. 


niveau du bord supérieur du bassin que le fronto-1liaque aban- 
donne la peau pour aller prendre son insertion inférieure. 

Chez le Goëland, on n’observe plus que les parties inférieures 
et supérieures du fronto-iliaque. La portion intermédiaire du 
muscle n'existe plus. 

Chez le Kakatoës, le Coq de Padoue et la plupart des autres 
Oiseaux, nous ne trouvons que la portion supérieure du fronto- 
illaque. 

Pour en finir avec les peauciers du cou chez le Lophorina, 
il nous reste encore à étudier un muscle (1), signalé depuis 
longtemps chez plusieurs Oiseaux et assimilé par quelques ana- 
tomistes à la portion inférieure du séerno-cléido-mastoidien 
des Mammifères. 

De la moitié de la face interne de la elavicule part un mince 
faisceau charnu qui se dirige directement en arrière, passe 
entre l’épaule et la base du cou pour s’insérer à la peau par 
quelques digitations situées en avant du fronto-iliaque. Ges 
faisceaux d'insertion s’entrecroisent presque sur la ligne mé- 
diane. Ce muscle ne me semble pas avoir pour rôle principal 
d'agir sur les téguments ; étant dans presque toute son étendue 
intimement appliqué contre la surface du sac aérien clavicu- 
laire, il doit par ses contractions agir sur ce réservoir. 

. Chez le Goëland, ce muscle naît de la face interne de la cla- 
vicule par cinq ou six faisceaux dont les plus inférieurs s’entre- 
croisent sur la ligne médiane et se confondent avec les fibres 
supérieures du trapèze. Cette disposition m'engagerait à voir 
dans le peaucier qui nous occupe un analogue du trapèze ela- 
viculaire. 

Le Kakatoës, le Coq de Padoue et beaucoup d’autres Oiseaux 
offrent un muscle semblable à celui que nous venons de décrire 
chez le Lophorina, mais dont les fibres sont dirigées bien plus 
verticalement. C’est en considération de cette direction que les 
anatomistes ont regardé ce muscle comme l’homologue du 
sterno-cléido-mastoïdien des Mammifères. 


ARTICLE N° 13, 


MUSCLES PEAUCIERS DU LOPHORINA. 11 

Sur la partie antérieure et latérale du thorax, on observe 
une rangée de plumes plus longues et plus profondément im- 
plantées que les autres (les parures). 

Ces plumes sont mises en mouvement par un peaucier dé- 
erit depuis longtemps sous le nom de #uscle des parures. 

C'est un faisceau charnu prenant naissance sur le bord 
externe du grand pectoral, au voisinage de l’insertion humérale 
de ce muscle, descendant verticalement en bas jusqu’au niveau 
du bord inférieur du sternum. Pendant tout ce trajet, lemuscle 
qui nous occupe est accolé à la peau et sert à faire mouvoir les 
parures. | 

Il nous reste encore à signaler chez le Lophorina la présence 
d’un peaucier bien connu sous le nom de tenseur de la mem- 
brane axillaire. Ge musele s'attache immédiatement au-dessous 
du faisceau postérieur du grand dentelé, à la face externe des 
trois dermères côtes sternales ; son tendon terminal va se con- 
fondre près du coude avec le grand ligament commun des 
pennes cubitales. Le tenseur de la membrane axillaire à été 
considéré par Vicq d’Azyr comme un faisceau costal du grand 
dorsal. 

Ni le muscle des parures, ni le tenseur de la membrane 
axillaire, ne présentent un développement remarquable chez 
le Lophorina. 

Nous voyons que chez l'Oiseau qui a fait l’objet de cette 
étude, les plumes sont mises en mouvement par des peauciers 
puissants. Deux de ces muscles que j'ai décrits, lun sous lenom 
de fronto-iliaque, l'autre sous celui de femporo-alaire, pré- 
sentent chez le Lophorina des dispositions fort remarquables. 
Chez les autres Oiseaux, ces muscles ne sont qu'incompléte- 
ment représentés. 


19 H. VIALLANE. 


EXPLICATION DES FIGURES 


PLANCHES 10 ET 11 A. 


Fig. 1. Cou du Lophorina vu par sa face antérieure. 
a, muscle sterno-thyroïdien. 
Fig. 2. La peau a été incisée sur la ligne médiane postérieure et rejetée sur 
les côtés. 
b, muscle temporo-alaire ; 
ce, muscle fronto-iliaque ; 
d, muscle peaucier assimilé au sterno-cléido-mastoïdien. 
Fig. 3. Figure destinée à montrer les insertions et les rapports des muscles 
fronto-iliaque et temporo-alaire. 
b, muscle temporo-alaire ; 
c, muscle fronto-iliaque. 
Fig. 4. Préparation montrant le muscle temporo-alaire dans toute son étendue, 
d, muscle temporo-alaire ; 
e, ligament tenseur marginal ; 
f, muscle cléido-métacarpien ; 
g, muscle cléido-épicondylien. 


ARTICLE N° 13. 


NOTE 


SUR 


CERTAINES POCHES CONTRACTILES EXCRÉTOIRES 


CHEZ DES TORTUES FLUVIALES DE CHINE 


Par le Père RATYHOUIS. 


Le R. P. Heude et moi avons rencontré ces poches sur les 
Trionyx de ce pays et sur l’Emys Reevesii. 1° Chez les Trionyx, 
elles sont au nombre de six, trois de chaque côté, deux laté- 
rales et une antérieure, appuyées contre la paroi interne du 
bouclier. — Les deux latérales sont en partie couvertes (la 
bête étant mise sur le dos) par un petit muscle mince et plat 
qui va du bord du plastron à l’angle du coracoïde, puis entiè- 
rement par le muscle rétracteur de l'épaule, et enfin par la 
paire double (épisternale et hyosternale) du plastron (1). — 
Le canal excréteur de chacune d'elles, long d’un centimètre, 
plus ou moins, suivant l’âge de la bête, se dirige en dehors, se 
courbe brusquement, pénètre dans un petit canal de l'os et se 
termine au dehors par un trou généralement très-petit, situé 
à l'angle de bifurcation des deux apophyses antérieures et pos- 
térieures de la paire double. — Celle de devant est située sous 
l’omoplate ; il suffit de relever celle-ci en la tirant vers la tête 
pour apercevoir la poche dont il s’agit. Son canal, qui n’a au 
cun os à traverser, s’ouvre sur le bord même du bouclier entre 
le cou et le membre antérieur. 

Ces poches sont sésamoïdes, un peu aplaties, de couleur 
chair. Le canal est fortement taché de pigment. Le grand dia- 


(1) N'ayant point Le livre de Bojanus, je ne sais point le nom de ces muscles. 


(D 


ANN. 8C. Nil. — ANT. N° 14. 


D) RATHOUIS. 
mètre de celle de devant est dans l’axe du canal ; chez les deux 
latérales 11 est perpendiculaire à l’axe du canal. 

Elles sont un peu bosselées. La paroi, épaisse, est composée 
de gros faisceaux de fibres musculaires striées disposées dans 
le sens de l’axe du canal. Le tissu conjonctif leur forme une 
enveloppe externe très-làche ; à l’intérieur la paroi est tapissée 
par une membrane de nature conjonctive, blanche, mince et 
molle, émettant des replis perpendiculaires à laxe du canal 
excréteur. — Ces replis forment des cloisons incomplètes. — 
On voit à la loupe les ramifications des vaisseaux pénétrer obli- 
quement dans la paroi et venir former sous la membrane in- 
terne des pinceaux très-fins. — 11 m'a semblé que plusieurs 
s’ouvraient directement dans la cavité, mais rien n’a pu m'en 
donner la preuve positive. 

Les poches m'ont toujours apparu entièrement vides, mais 
4° il est facile de les remplir de liquide en injectant leur canal; 
2% quand l'animal est vivant, il en sort par les petits trous 
extérieurs un liquide transparent, parfois un peu Jaune, fran- 
chement alcalin et contenant un grand nombre de cellules 
adipogènes. Quand l'animal est depuis longtemps hors de l’eau, 
le liquide se colore en brun, et en séchant, devient visqueux et 
filant. — Les relations vasculaires de ces poches sont les sui- 
vanies : 

1° Le tissu conjoncuf qui les entoure est très-riche en capil- 
laires et le plus souvent chargé de graisse. 

® Elles reçoivent le sang d’une branche de la sous-clavière 
qui, après avoir fourni des rameaux aux muscles scapulaires, se 
recourbe en dehors, passe derrière la poche antérieure à la- 
quelle elle envoie un rameau, et va gagner le bord en restant 
tangente aux deux latérales ; elle se termine insensiblement un 
peu au delà de la poche latérale postérieure, après avoir donné 
de nombreux rameaux à droite et à gauche. Leurs veines vont 
tomber, pour l’antérieure, dans le système des veines des bras 
(cependant je n’en suis pas absolument sûr), et pour les deux 
autres dans un grand canal qui reçoit le sang de toute la ré- 
sion dorso-latérale en dehors du péritoine. Cette grande veine 

ARTICLE N° 14. 


POCHES EXCRÉTOIRES DES TORTUES. 3 
perce la paroi abdominale dans la région de la hanche 
ou inguinale postérieure, et va se terminer par plusieurs 
petits rameaux dans le corps surrénal. L’injection, poussée 
par la veine porte rénale, passe sans difficulté dans la veine 
susdite. 

Notons en passant que les veines de la queue et du bassin se 
réunissent en un tronc qui, se dirigeant un peu en dehors, va 
former avec une veine iliaque, confluent des veines de la jambe, 
un tronc qui se dirige en haut, gagne l’angle inférieur de l'os 
coracoïde et de là plonge par une petite scissure à droite dans 
la veine porte du lobe descendant droit du foie, et à gauche 
dans celle du petit lobe gauche dudit foie et non point dans le 
système porte rénal. 

3° Chez l'Emys Reevest, les poches sont au nombre de quatre 
seulement; les deux antérieures manquent, ou du moins je ne 
les ai pas trouvées. On les rencontre fortement adhérentes au 
périoste dans de petites logettes situées dans les angles ren- 
trants du plastron, à l’endroit où 1l s'appuie sur le bouclier. 
Une forte plaque de graisse grise et molle les masque d’ordi- 
naire et les dérobe à la vue. 

Les poches sont de couleur grise, multilobées et de forme 
allongée. La postérieure est plus grosse que l’antérieure. La 
membrane interne est fortement pointillée de pigment. Le ca- 
nal excréteur est en entier plongé dans le canal osseux; sa di- 
rection est d’abord fortement oblique en haut et en dedans 
(lanimal étant sur Le dos), puis à peu près normale à la surface 
externe. 

Le trou d'ouverture, en général plus large en arrière qu’en 
avant et souvent obstrué de matières épithéliales, se voit très- 
près de la ligne où s'arrête la peau et sur le bord .de la plaque 
inguimale en arrière, de la plaque axillaire en avant. 

Quel est le rôle physiologique de cette exerétion? Je ne sau- 
rais le dire, et j’en laisse l'interprétation aux savants. Chez l’É- 
myde, qui passe souvent un temps assez long hors de l’eau, 
l'humeur sécrétée peut très-bien servir à entretenir l'humidité 
de la peau, ce qui a lieu eu effet. Mais chez la Trionyx, ce 

ANN. SC. NAT., AVRIL 1878. VII. 16*. — ART. N° 13. 


4 | RATHOUIS. 

n’est guère admissible, et absence d’odeur spéciale écarte 
l’idée d’un rôle génésique (1), et cependant limportance 
de lappareil fait soupçonner une valeur assez grande de la 
fonction. 


(1) Mon collègue, qui a observé pendant les chaleurs, affirme que ce liquide 
a une odeur sui generis et très-forte. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHE 11, B. 


Fig. 1. Ensemble de l'appareil. — €, c', c”, poches avec leur canal excréteur ; 
ar, branche de l'artère sous-clavière; v, veine; vaisseau collatéral de toute 
la région dorsale et latérale, situé en dehors du péritoine ; rr, les reins; 
vp, veine porte rénale. 

Fig. 2 et 3. Coupes des poches, faisant voir les plis de la membrane interne, 

ou cloisons. 

lig. 4. Schéma (l'animal étant renversé sur le dos). — a, poche; b, le bouclier 
dorsal; p, le plastron; v, le ventre; », muscle rétracteur de l’épaule coupé. 


ARTICLE N° 15. 


DESCRIPTION 


DES CRUSTACÉS RARES OU NOUVEAUX 


DES COTES DE FRANCE 


DÉCRITS ET PEINTS SUR DES INDIVIDUS VIVANTS 


Par Ré. MESSE. 


(Vingt-huitième article.) 


Description de nouveaux Crustacés de la légion des Branchiopades, de l'ordre 
des Cladocères, formant la nouvelle famille des Copéchétiens (1) et le 
nouveau genre Copechæte, Nobis. 


Les Crustacés qui font l’objet de ce mémoire se rapprochent 
considérablement, par leurs formes et par leurs manières de 
vivre, des Entomostracéens. Gomme eux ils ont le corps entiè- 
rement renfermé entre les valves d’une carapace conchiforme ; 
ils ne s’en distinguent que par une séparation plus ou moins 
profonde, qui divise celle-ci en deux parties : l’une antérieure, 
qui est la plus petite, qui protège la tête et recouvre la base des 
antennes; l’autre, la plus grande, qui renferme tout le reste 
du corps, particularité qui les range dans la catégorie des 
Daphnoïdiens. 

D'une très-petite taille, comme celle des Ostracodes, et 
cependant plus grands que ceux-ci, ils sont néanmoins très- 
difficiles à découvrir, probablement parce qu’au lieu de vivre 


(1) De xwrn, rame, et de zairn, crin. 


AMN. SC. NAT. — ART. N° 14, 


9 HESSE. 


dans les eaux douces, calmes et peu profondes, des mares, des 
lacs, des étangs et des canaux, ils habitent la mer, où l’espace 
est infini. 


$ 1. — Description. 


Les débuts embryonnaires de ces Crustacés me sont abso- 
lument inconnus; j'ai pu seulement me procurer les œufs de 
deux d’entre eux, et encore n’étaient-ils pas parvenus au même 
degré d’incubation, car ils n’avaient pas le même aspect. 

Les uns sont remarquables par leur forme ovale et 
très-allongée ; ils paraissent renfermés dans une enveloppe 
épaisse (1) qui se fend longitudinalement au moment de leur 
éclosion. (2) L'autre, que j'ai figuré isolément (3), avait aban- 
donné l’enceinte incubatoire et était tombé au fond du vase 
dans lequel se trouvait la femelle qui l'avait perdu, et n’avait 
pas encore atteint tout son développement. 

La forme de cet œuf est sphérique; son enveloppe est trans- 
parente et permet de voir les globules qu’elle contient et qui 
sont d’égale grosseur; mais cette extrême ténuité de l’en- 
veloppe démontrait évidemment qu’il était sorti prématuré- 
ment, et par une cause violente, du lieu d’incubation et avant 
qu’elle eût acquis l’épaisseur habituelle. 

Voici maintenant la description de quatre espèces qui font 
l'objet de ce mémoire. 


1. COPÉCHÈTE ALLONGÉE. — Copechæte elongata, Nobis (4). 


Elle à environ 4 millimètres de long sur 2 de large. Sa 
coquille est oblongue et aussi grosse à ses deux extrémités, 
qui se terminent en pointes arrondies. 

On remarque à sa parlie antérieure, des deux côtés, une 
fente symétrique horizontale, qui partage en deux parties à peu 
près égales son extrémité, de manière à simuler des mandi- 


(1) Fig. 1 et 7. 
(2) Fig. 1. 
(3) Fig. 1 et 7. 
(4) Fig. 17. 
ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 3 


bules, dont la supérieure, qui est un peu plus longue, est 
recourbée et dépasse l’inférieure, qui est arrondie. 

On aperçoit aussi, non loin de là et du bord dorsal, à travers 
la coquille, les yeux, qui sont très-gros, de forme ovale, et qui 
sont placés latéralement à une certaine distance les uns des 
autres. 

Au-dessus du bord supérieur, on voit une paire d'antennes 
assez grêles, terminées à leur extrémité par un fouet divisé en 
sept ou huit articles moniliformes. 

Un peu plus bas et en avant, se trouve une paire de pattes 
larges et plates, qui sont garnies de fortes épines recourbées 
et de poils pennés. 

Le bord inférieur de la carapace est garni de petites pointes 
aiguës el recourbées. 

À l’extrémité postérieure de la coquille et en dessous du 
bord inférieur, on aperçoit la queue de ce Crustacé, qui est 
tronquée au bout et entourée d’un bourrelet en fer à cheval, 
dans lequel sont implantées de fortes griffes crochues, au 
nombre de vingt-deux, et qui sont serrées l’une contre l’autre 
à la base comme les dents d’un peigne, et dont les pointes sont 
divergentes (1). 

Ces griffes sont fortifiées au milieu par une nervure qui les 
parcourt dans toute leur étendue (2). 

Un peu plus au milieu de l’appendice caudal et à son bord 
supérieur, tourné du côté de la coquille, on aperçoit l'abdomen, 
surmonté d’une petite protubérance charnue, qui semble per- 
lorée à son sommet et qui doit être l’orifice anal. 

On aperçoit encore à l’extrémité inférieure de la coquille, et 
derrière l'abdomen, des œufs (3) dont il ne reste plus que les 
enveloppes ; celles-ci paraissent avoir laissé échapper leur con- 
tenu par une ouverture longitudinale. 

Coloration. — La coquille est d’un jaune pâle uniforme, 


(1) Fig. 1. Le Crustacé étant vu de profil, on n’aperçoit qu'environ la moitié 
de ses griffes. 

(2) Fig. 2. 

(3) Fig. 1. 


4 HESSE. 


teinté de rouge carminé au milieu, qui est probablement dû 
à la présence du corps de ce Crustacé que l’on aperçoit par 
transparence, à travers les valves de la coquille. Le corps, 
légèrement affaissé et descendu vers le bord inférieur, laisse 
voir son extrémité postérieure et plusieurs enveloppes d'œufs 
qui lui sont encore adhérentes et paraissent vides. Les yeux 
sont noirs. 

Habitat. — Individu trouvé le 17 juin 1857 sous les pierres 
d’une jetée en mer,'près du port de Brest. 


2, COPÉCHÈTE VOISINE. — Copechæte affinis (1). 


Elle est un peu plus grande que la précédente, et, comme 
son nom l'indique, elle s’en rapproche beaucoup. 

Son enveloppe conchiforme est un peu moins allongée et 
plus large, et son extrémité postérieure est plus pointue. 

La partie antérieure de sa coquille est séparée en deux, 
comme dans l’autre espèce, par une fente ou une déhiscence 
latérale légèrement arquée; mais dans celle-e1 la partie infé- 
rieure est plus arrondie et beaucoup plus courte que la supé- 
rieure. 

Les antennes sont terminées par une tige moniliforme com- 
posée de sept ou huit articles. 

La première patte thoracique est garnie à son extrémité de 
plusieurs soies rigides et flabelliformes dont la longueur dé- 
passe de beaucoup l'extrémité postérieure de la coquille (2). 

On aperçoit aussi une paire de pattes qui suit celle-ci, qui 
sont plates et garnies de fortes griffes pointues, légèrement 
recourbées. 

Les yeux (3), qui sont placés à la partie antérieure et supé- 
rieure de la tête, sont très-gros et formés de petits cristallins 
à facettes enchâssées dans un pigment noir, et recouverts en 
entier d’une tunique commune transparente et aplatie. On les 
aperçoit à travers l'enveloppe conchylioïde. 

(1) Fig. 3. 

(2) Fig. 3 et 6. 

(3) Fig. 6. 

ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 9 


Comme dans l’autre espèce, le corps est terminé par une 
queue très-robuste, tronquée à son extrémité et entourée d’un 
fort bourrelet en relief, dans lequel sont implantées trente 
fortes griffes articulées à leur base, qui vont en diminuant 
de grosseur et de longueur en partant du centre aux extré- 
mités. 

Elles sont serrées l’une contre l’autre à leur base, mais elles 
sont écartées à leur sommet, à raison de ce qu’elles sont diver- 
gentes et qu’elles vont toujours en diminuant de grosseur. Elles 
sont également, comme dans l’autre espèce, renforcées dans 
toute leur étendue d’une nervure destinée à les consolider. 

On voit aussi, au-dessus de cette queue (1), l'abdomen, qui 
est assez long, arrondi et charnu, recourbé en haut et terminé 
par trois pointes mousses (2). 

Coloration. — La coquille est d’un jaune-citron très-vif; 
elle présente au centre une très-large tache ovale, d’un rouge 
vermillon éclatant, qui est due à la présence du corps de ce 
Crustacé que l’on aperçoit par transparence. 

Les yeux sont noirs au milieu et blancs autour. 

Habitat. — Trouvé le 14 septembre 1866, à 4 kilomètres 
de Brest, à l'endroit dit Quatre-Pompes, dans l’intérieur de 
la caviié digestive d’un Acalèphe, qui l'avait probablement 
recueilli en nageant à la surface de l’eau ou contre les parois 
d’une chaussée qui se trouve à cet endroit. 


3. COPÉCHÈTE FENDUE. — Copechæte fissa, Nobis (3). 


Elle peut avoir 4 millimètres de longueur sur 2 de largeur. 
La coquille dans laquelle elle est renfermée est de forme 
ovoïde allongée, et les extrémités en sont arrondies et à peu 
près de la même largeur. 

Elle présente à sa partie antérieure une fente profonde, 
ovale, remontant vers le bord supérieur et simulant une sorte 


6 HESSE. 


de mandibule; celle qui est en dessous est échancrée en sens 
inverse et est également arrondie, et par suite de cette com- 
binaison ressemblerait à une mâchoire inférieure. 

Les yeux sont très-gros, de forme ovale, et, comme ceux de 
l’autre espèce, formés d’un grand nombre de eristallins qui 
sont blancs autour et enchâssés dans une matière pigmen- 
taire noire au milieu. Ils sont placés de chaque côté de la tête 
et s’aperçoivent à travers la coquille. 

On voit à la partie antérieure et supérieure de celle-ei une 
paire de pattes très-larges et très-plates (1), qui est armée de 
griffes puissantes et garnie de cils nombreux et pennés, et 
généralement dirigées en haut. 

Les pattes inférieures ressemblent presque à celles-ci, mais 
elles sont tournées en sens inverse, c’est-à-dire en bas. 

En dessous des pattes supérieures, on aperçoit les antennes, 
qui sont cylindriques longues et grêles, terminées par un 
fouet moniliforme, composé de huit articles. 

Le corps, qu'on n’aperçoit dans la partie supérieure de la 
coquille qu’à travers ses valves, paraît très-gros. Dans mon 
dessin on voit une partie de son abdomen en dessous des bords 
de celle-ci; il fait saillie et est placé en dessus et en avant de 
l’appendice caudal, qui est conformé de la même manière que 
ceux que j'ai décrits dans les espèces précédentes. On remarque 
également au milieu du bord supérieur une petite ouverture, 
qui est probablement l’orifice intestinal ou vaginal. 

On voit aussi, comme dans la Copéchète allongée, entre la 
tête et l’abdomen, une sorte de membrane qui dépasse le bord 
inférieur de la coquille et qui est bordée de petits piquants en 
forme de crochets (2). 

On remarque en outre à l’extrémité inférieure trois œufs, 
qui paraissent entiers et qui sont remarquables par leur 
forme ovale très-allongée. 

On aperçoit à la partie antérieure de la coquille deux paires 


(1) Fig. 5. 
(2) Fig. 7. 


ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 7 


de pattes, bordées de poils articulés et pourvues d’épines 
robustes (1). 

Coloration. — La coquille est d’une couleur blanc sale, 
à travers laquelle on aperçoit les yeux, qui sont très-gros et 
ovales et de couleur noire. Le corps, qui est jaune-soufre, est 
teinté à sa partie inférieure de vermillon. Les pattes et les 
autres parties du corps sont blanchâtres. On voit, à travers 
la peau qui recouvre l'extrémité du corps, des granulations 
d’une couleur un peu plus foncée. 

Habitat. — Trouvé la première fois le 8 octobre 1857, sous 
les pierres d’une chaussée près du port de Brest, et le 10 juil- 
let 1862 dans l’œsophage d’un Surmulet (Mullus Surmuletus). 
Celui que j'ai recueilli sous les pierres était vivant, et ses 
mouvements étaient extrêmement lents, probablement parce 
qu’il était resté quelque temps hors de l’eau, attendu que je 
l'ai rencontré dans une partie assez élevée du rivage. 


4. COPÉCHÈTE ARMORICAINE. — Copechæte armoricana, Nobis (2). 


Elle a à peu près 4 millimètres de longueur sur 2 de largeur. 
Son corps est plus ramassé et moins ovale que celui des espèces 
précédentes, et la partie antérieure de sa coquille est beau- 
coup plus étroite que la postérieure, qui est aussi plus arrondie 
et légèrement rétrécie au milieu. 

Comme ses congénères, elle présente à la partie antérieure 
de la coquille une /ente latérale qui la contourne et en forme 
une sorte d’opercule ou de bouclier triangulaire qui, en 
recouvrant la tête, semble s'adapter à l’ouverture placée 
en dessous (3). 

On aperçoit, sortant du bord supérieur et antérieur de la 
coquille, plusieurs pointes et des poils articulés et pennés, pré- 
cédant les antennes, qui sont longues, cylindriques et grêles, et 
terminées par des articulations au nombre de sept ou huit, 

(1) Fig. 15. 


(2) Fig. 9. 
(3) Fig. 9, 10, 12 et 15. 


re HESSE. 


garnies de soies (1); puis viennent les pattes thoraciques, qui 
sont, comme dans les autres espèces, plates, larges, garnies 
de fortes griffes et de poils pennés. 

Un peu plus bas on voit la seconde paire de pattes, égale- 
ment terminée par des griffes puissantes et de longues soies 
très-rigides, très-longues et flabelliformes, qui dépassent de 
beaucoup l'extrémité postérieure de la coquille (2). 

Les bords inférieurs des valves sont également garnis de 
petites pointes crochues (3); et un peu plus loin, en arrière, on 
aperçoit la queue de ce Crustacé, qui est absolument conformée 
comme celle que j'ai décrite dans les autres espèces. Elle est 
aussi garnie de vingt-six griffes disposées en fer à cheval 
autour de son extrémité inférieure. 

Les yeux sont grands et conformés comme ceux que j'ai dé- 
crits ; ils sont placés près de l’ouverture latérale de la fissure 
antérieure des valves et sont portés sur des pédoncules assez 
longs et mobiles qui leur permettent de se mouvoir dans 
diverses directions. 

Les branchies sont longues, plates et flabelliformes; elles 
sont placées à la partie latérale et centrale du corps, et sont 
agitées d’un mouvement très-actif et flexueux, qui se manifeste 
de la base au sommet et est dirigé d’arrière en avant. Elles 
se meuvent horizontalement et viennent battre à plat contre la 
partie latérale du corps. 

Les œufs (4) sont très-nombreux. Toute la partie supérieure 
et postérieure abdominale en est remplie, et ils sont polygonaux 
à raison de la compression qu'ils ont éprouvée par suite de 
leur tassement dans l’espace où ils étaient renfermés. Mais ils 
reprennent leur forme sphérique dès qu'ils n’éprouvent plus 
de compression. 

Coloration. — La coquille est d’un jaune d’or vif, flambé de 
longues taches brisées de couleur vermillon. On aperçoit au 
milieu, sur la ligne dorsale, une tache carrée, de couleur 


(1) Fig. 9 et 14. 

(2) Fig. 9 et 10. 

(3) Fig. 9 et 8. 

(4) Fig. 17 et 9. 
ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 9 


rouille qui est séparée en deux par les bords supérieurs de la 
coquille. Les yeux sont noirs. 

Habitat. — Trouvé un seul exemplaire le 10 décembre1869, 
dans un tas d’Algues et de Melobesia dragués dans la rade de 
Brest. J’ai pu le conserver vivant jusqu’au 3 février 1870, c’est- 
à-dire cinquante-quatre jours. 


$ 2. -— Physiologie. 


Les quatre Crustacés que je viens de décrire étant les seuls 
que j'aie pu me procurer, J'ai cru, dans la crainte de ne pouvoir 
les remplacer, ne pas devoir les sacrifier pour en faire l’ana- 
iomie. Je me suis donc borné à ne parler que de ce que j'ai 
aperçu, soit à travers leur enveloppe conchiforme, soit en 
dehors des valves de leurs coquilles. 

Comme on a pu le voir par la description que j’en ai donnée, 
ils ont beaucoup de rapport avec les Bosminidiens (1), genre 
créé par Baird, près desquels je me propose de les placer, et à 
cet effet j ai établi une nouvelle famille à laquelle j'ai donné le 
nom de Copéchétiens, et au genre celui de Copechæte. 

Ainsi que les Bosminidiens, les Copéchétiens ont les an- 
tennes très-minces (2) et d’une longueur assez grande, surtout 
si on les compare à celles des Lyncéidés, qui les ont courtes et 
garnies à leur extrémité, d’une touffe de poils. Chez les fe- 
melles des Copéchétiens, elles sont mobiles dans toute leur éten- 
due, mais il paraît qu'il n’en est pas de même chez celles des 
Lyncéidiens (3). 

(1) Jai eu recours, pour cette classification, au mémoire très-complet et 
très-utile, surtout à raison de la synonymie qu'il présente, de MM. Norman 
et Brady : À Monograph on the British, Entomostraca belonging to lhe fami- 
lies Bosmininx, MacROTRICHIDÆ and LYNCEIDÆ. London, 1867, pages 5, 6 et 7, 
planches xx11, fig. 1, 2, 8 et 4. 

(2) Fig. 1, 5, 7,9 et 10 de ma planche. 

(3) En effet, les savants naturalistes anglais que je viens de nommer, MM. Nor- 
man et Brady, prétendent que les antennes supérieures, qui se trouvent préci 
sément faire suite au prolongement frontal, n’ont pas d’articulation à leur base 
et sont soudées à cet endroit chez les femelles seulement : « to which are 


affixed immovably, in the female, the anterior antennæ ». Tandis que chez le 
mâle, c’est le contraire qui a lieu : « In the male, and the antrieor antennæ are 


40 HESSE. 


Je n’ai pas aperçu dans les Copéchétiens une deuxième paire 
d'antennes. En ont-ils ou n’en ont-ils pas? c’est ce que je ne 
saurais affirmer. Toutefois je ne crois pas pouvoir donner ce 
nom aux pattes largesetplates, garniesde pointes aiguës, de poils 
pennés ou de longues soies flabelliformes, que l’on remarque 
à la partie antérieure de la coquille et qui s’avancent au devant 
d'elle (1) ; car, dans mon opinion, ce sont les premières pattes 
thoraciques, et, comme je les ai vues à l’œuvre, je ne saurais 
admettre qu’elles soient employées à d’autres fonctions qu’à la 
locomotion ou à la natation, comme pattes ou comme rames. 

C’est aussi au même usage que me semble consacrées les pre- 
mières et larges pattes plates des Copéchètes allongée, voisine et 
armoricaine, qui, suivant l’âge et le sexe, peuvent changer les 
pointes aiguës et les poils pennés qui les garnissent en longues 
soies flabelliformes, comme on le voit dans les Copéchètes 
voisine et armoricaine (2). 


» movable, being articulated at the point of junction with the head. » Cette re- 
marquable singularité est sans doute spéciale à cette seule espèce de Crustacés, 
car je doute qu’on puisse en rencontrer d’autres exemples ches les Crustacés ou 
chez les Insectes. Les antennes sont en effet toujours placées près des organes 
visuels et d’acoustique, pour leur servir de vigie et les prévenir à temps, par 
les vibrations de l’air ou de l’eau qu’elles perçoivent et qu’elles transmettent, des 
dangers qui peuvent se présenter. Elles ont donc besoin, pour exercer utilement 
leurs fonctions, d’une grande liberté d’action et de se mouvoir dans tous les 
sens. Du reste, ces messieurs paraissent considérer les premières antennes 
comme le prolongement du rostre, ainsi que le prouverait le nom qu'ils ont 
donné de longirostris à la Bosminie représentée à la planche xxI, fig. 4, et 
cependant ce prolongement n’est pas dû au bord frontal, mais bien aux 
antennes. 

(1) Fig. 1, 3, 7, 9, 5, 6 et 15. Je suis du nombre des naturalistes qui ne 
reconnaissent pas aux Entomostracés une deuxième paire d'antennes. Dans 
mon opinion, celles que l’on désigne sous ce nom sont les premières pattes 
thoraciques ; elles en ont toute la forme, elles sont garnies à leur extrémité de 
griffes préhensiles dont ils se servent pour saisir les objets et pour progresser. 
Je n’ai pas étudié les Ostracodes d’eau douce, mais beaucoup ceux qui habitent 
la mer, et je crois pouvoir affirmer que lorsqu'on les a vus fonctionner, il ne 
saurait exister de doute à cet égard. 

(2) Les Copéchètes ne sont pas les seuls Crustacés chez lesquels j'aie constaté 
la présence de ces longues soies ou crins. J'ai donné, dans les Annales des 
sciences naturelles en 1862 (tome XVIII, pages 343, 355, pl. 18), sous le nom 
de Cœliacole sétigère, la description d’un singulier Crustacé qui a quatre paires 

ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 11 


L’abdomen est infiniment plus court que le prolongement 
caudal, en dessous duquel il se trouve placé; son extrémité est 
arrondie et relevée du côté de la surface thoracique (1). 

L’appendice caudal (2) est extrêmement remarquable, et 
c’est sa conformation toute particulière qui me semble être 
un des principaux motifs qui nécessitent la séparation de la fa- 
mille des Bosminidés de celle des Copéchètes. 

En effet, au lieu de se terminer en pointe, comme cela a lieu 
dans les premiers Crustacés, son extrémité est au contraire 
tronquée au bout, et celle-ci est très-large et entourée d’un 
bourrelet saillant en forme de fer à cheval, garni de longues 
griffes pointues articulées à leur base, et serrées l’une contre 
autre et allant en diminuant de longueur du centre aux 
extrémités. 

Cette partie du corps paraît remarquable par sa force; elle 
est pourvue de deux muscles très-robustes, l’un fléchisseur 
et l’autre extenseur, qui, en se contractant ou en se déten- 
dant, doivent, lorsqu'elle trouve un point d'appui, contribuer 
puissamment à la propulsion de ces Crustacés (3) ou à sa fixa- 
tion sur un objet saisi. 

N'ayant pu, comme Je l’ai déjà dit, apercevoir que très- 
imparfaitement les parties du corps recouvertes par les valves 
de la coquille, je n’ai pu suivre les effets de la circulation, ni 


de pattes thoraciques garnies aussi de longues soies rigides; mais comme il vit 
renfermé dans l’intérieur des Ascidies, il lui serait impossible, à raison du peu 
d’espace dont il dispose, de s’en servir pour nager, mais seulement pour se 
pousser. Ainsi, chez les Copéchètes, elles servent de rames, et chez les Cœliacoles 
de gaffes. Je dois ajouter que M. Thorell, professeur de zoologie à Upsal, ayant 
décrit ce Crustacé en 1859, sous le nom d’Ascidicola rosea (pages 56, 61, 
planche 1x, fig. 13), dans un très-remarquable mémoire intitulé : Bidrag till 
Kännedomen om Krustaceer som lefva à arter af Slägtet Ascidia, doit avoir la 
priorité. 

(1) Fig. 4. 

(2) Fig. 4, 1, 3, 7 et 9. 

(3) Les Bosminidies Corégonie et longirostris de MM. Norman et Brady 
(pl. xx11, fig. 3), semblent aussi avoir l’extrémité de l’appendice caudal tron- 
quée; mais comme elles ne sont armées que de deux petites griffes, ce ne 
serait qu'un caractère de plus qui servirait à justifier le rapprochement de ces 
deux familles. 


19 HESSE. 


me fixer sur la conformation de la bouche ; mais J'ai vu cepen- 
dant, par transparence, s’agiter avec beaucoup de vivacité les 
branchies, qui sont longues, étroites et flexueuses et placées 
au centre du corps et viennent battre contre sa partie latérale. 
J’ai également pu suivre le trajet du tube digestif, qui se rend 
directement de la bouche à l'extrémité imférieure du corps (1). 

Jai été plus favorisé pour les yeux (2), qui sont moins cachés 
que les autres organes. Ils sont portés sur un pédoncule gros 
et assez court, mais mobile. [ls sont relativement assez grands; 
leur surface antérieure est large et aplatie. Ils se composent 
d’une quantité de eristallins blancs qui environnent ceux du 
milieu, qui sont enchässés dans un pigment noir et recouverts 
d’une enveloppe unique, mince et transparente. Ges yeux sont 
mobiles en ce sens qu'ils peuvent se diriger à droite ou à 
gauche, s’avancer ou se retirer, maisils n’ont pas de mouve- 
ment de rotation sur eux-mêmes (5). 

Comme les Bosminidies, les Copéchètes n’ont pas de taches 
oculiformes qui précèdent les yeux ordinaires ; c’est encore un 
caractère qui les rapproche de ces premiers Crustacés. 

Il me reste, pour terminer la description de ces Crustacés, 
à parler de la conformation de leur enveloppe conchiforme. 
Elle a généralement une forme ovoide-allongée, du moins 
c’est celle des Copéchètes allongée, voisine et fendue ; la qua- 
trième, l’armoricaine, est plus courte et plus arrondie, surtout à 
son extrémité posiérieure, qui est plus large que lantérieure. 

La manière dont les valves sont fendues à leur partie anté- 
rieure varie aussi beaucoup, pour la forme et pour l'étendue. 
Ainsi, dans les Copechètes allongée et voisine, les incisions ont 
beaucoup de rapport eñtre elles, mais elles sont bien difté- 


(1) Fig. 1 et 9. 

(2) Chose étrange, la conformaton de ces yeux a le plus grand rapport avec 
celle des larves des Cirripèdes, précisément durant le temps où celles-ci habitent 
aussi une coquille bivalve, avec cette différence toutefois que les yeux des 
Cirripèdes, étant braqués comme à une meurtrière, à une ouverture circulaire 
pratiquée ad hoc, au milieu des valves de la coquille, ne peuvent que regarder en 
face et jouissent seulement d’un mouvement de rotation sur place. 

(3) Fig. 1 et 5. 

ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 15 
rentes chez la Copéchète fendue (1) et surtout chez l’armori- 
caine (2). Dans lavant-dernière, cette incision remonte de 
chaque côté, mais n’atteint pas la ligne dorsale, tandis que dans 
la dernière la partie antérieure et supérieure de la coquille 
paraît articulée et mobile ; elle se soulève et s’abaisse à volonté, 
pour laisser passer les antennes et les pattes antérieures; elle 
protége la tête, et ferme l'ouverture ovale placée en dessous 
et qui est formée par l’échancrure des valves (3). 

Les œufs ne paraissent pas avoir la même forme mi les 
mèmes dimensions chez les individus que J'ai déerits : en effet, 
chez les Copéchètes allongée et fendue, ils sont relativement 
très-oros et d’une forme ovale très-allongée, tandis que dans 
l'armoricaine ils sont petits et arrondis. Mais ces derniers 
n'étaient probablement pas encore arrivés à leur état de matu- 
rité ; ils remplissaient toute la cavité antéro-postérieure de la 
coquille et étaient tellement entassés, qu'ils avaient pris une 
forme hexagonale. 


S 3. — Biologie. 

La difficulté extrème de se procurer des Crustacés d’une 
aussi petite taille, et celle non moins grande de les conserver 
vivants lorsqu'ils sont placés dans des conditions si différentes 
de celles qu'ils occupent en liberté, sont autant d'obstacles 
que l’on à à surmonter pour étudier leurs mœurs, et encore 
cet état de captivité ne saurait nécessairement en donner 
une idée complète. Je me bornerai done à rendre compte de 
ce que j'ai pu voir chez un de ces Crustacés que j'ai eu lavan- 
tage de conserver assez longtemps vivant. 

Tous les Crustacés que j'ai décrits habitent la mer, et sous ce 
rapport se distinguent des autres espèces décrites précédem- 


(Bio er 

(2) Big:9,10; 12:et 13: 

(3) Une échancrure de ce genre a aussi été signalée chez des Cypris d’eau 
douce décrits par M. Piateau dans ses Recherches sur les Crustacés d’eau douce 
de la Belgique, qu'il a publiées à Bruxelles en 1867, et dont, pour ce motif, il a 
établi une subdivision dans laquelle figurent quatre espèces. 


14 RESSE. 
ment, lesquelles, au contraire, vivent dans les eaux douces 
courantes ou stagnantes. 

Parmi ceux dont je m'occupe, j'en ai trouvé un sous les 
pierres du rivage, l’autre dans l’estomac d’un Poisson, un autre 
dans les cavités digestives d’un Acalèphe, et enfin le dernier 
dans un tas de Fucus et de Melobesia rapportés du fond de la 
mer par la drague. Ges divers lieux d’origine fournissent quel- 
ques indications sur leur manière de vivre. On voit en effet 
que s'ils se réfugient sous les pierres du rivage, ils se hasardent 
aussi à le quitter. pour se lancer en pleine eau. Je sais d’ailleurs 
par lParmoricaine, que j'ai pu étudier plus que les autres, 
qu'elle nage avec une grande rapidité, ce qui est le contraire 
chez les autres Entomostracés, et qu’elle se tenait aisément à la 
surface de l’eau, où ils sont recueillis, soit par des Discophores, 
soit par des Poissons, tels que les Surmulets (1). 

Les Copéchètes ne manquent pas de moyens de propulsion ; 
car, outre les pattes plus courtes garnies de soies pennées qui 
leur servent, en les agitant, à les soutenir dans l’eau, elles ont 
en outre celles qui sont armées de longues soïes criniformes et 
divergentes, qui ressemblent aux nageoires pectorales des Pois- 
sons et remplissent les fonctions de rames natatoires. La dis- 
position de ces pattes garnies de soies pennées doit nécessaire- 
ment servir à retenir et à saisir les plus petits objets, et les pointes 
robustes dont elles sont armées, ainsi que celles qui garnissent 


(1) Les Mulets ou Surmulets sont d’habiles chercheurs de petits Crustacés, 
d’Annélides et de Mollusques, dont ils font habituellement leur nourriture. Ils 
ont été dotés, à cet effet, de barbillons placés de chaque côté de la bouche, 
avec lesquels ils fouillent la vase, le sable et les fentes des rochers pour en 
extraire les petits animaux. 

Quant aux Acalèphes, 1ls sont aussi des explorateurs très-adroits, et j'ai eu 
fréquemment l’occasion de les voir visiter avec le plus grand soin et une intel- 
ligence remarquable, à l’aide des appendices ou des tentacules qui bordent leur 
disque, les parois des rochers, les murs des chaussées, les carènes des navires, 
les cordages submergés et les amas de Goëmon flottants, dans le but de se 
procurer les petits animaux dont ils se nourrissent. À les voir se diriger direc- 
tement et avec précision vers les objets qu'ils veulent explorer, éviter les ob- 
stacles qui se trouvent sur leur passage, se mouvoir dans un sens ou dans un 
autre, et se renverser sens dessus dessous pour saisir leur proie, quelque petite 

ARTICLE N° 14. 


e 


CRUSTACÉS DES CÔLES DE FRANCE. 45 
l'extrémité caudale, doivent leur fournir des moyens de pré- 
hension et leur servir aussi d'armes de défense. 

Voici, du reste, pour terminer les observations particulières 
et quotidiennes que j'ai faites sur l’ermoricana pendant cin- 
quante-quatre jours que j'ai pu la conserver. 

Afin de pouvoir l’examiner plus facilement, je l’avais placée 
dans un tube de verre rempli d’eau, d’une assez petite Capa- 
cité et d’un faible diamètre, pour que, de cette manière, aucun 
de ses mouvements ne puisse m'échapper. 

Elle se maintenait d'habitude à 2 ou 3 millimètres de la 
surface de l’eau, soutenue probablement par l'air qu’elle 
emmagasinait dans les valves de sa coquille ou à l’aide de petits 
corps flottants auxquels elle s’accrochait avant de se mettre en 
mouvement (1). Elle faisait une évolution sur elle-même, dans 
laquelle ouverture de ses valves était tantôt en dessus, tantôt en 
dessous ; puis elle prenait son essor et nageait par saccades avec 
une grande rapidité, et l’on pouvait alors apercevoir facilement 
l’action latérale de ses pattes pourvues de longues soies dont elle 
se servait comme de rames. Quelquefois elle s’appuyait contre 
les parois du tube ; mais comme elles étaient lisses et n’offraient 
aucune prise, elle les enduisait d’une matière mucilagmeuse, 


qu’elle soit, il est évident que ce n’est pas le hasard qui les guide, mais bien 
le raisonnement et aussi la volonté. Ils sont d’ailleurs munis d'organes très- 
complets de vision, et c’est grâce à eux qu'ils aperçoivent les objets qu’ils cher- 
chent et se dirigent sur eux. Je ne saurais donc, malgré le profond respect et 
l'admiration que je professe pour les travaux du célèbre professeur Dujardin 
admettre avec lui que les points colorés en noir ou en rouge, qui sont au nom- 
bre de 4, de 6 ou de 8, disposés symétriquement au bord de l’ombrelle, et aux- 
quels on attribue un cristallin et un pigment comme à de vrais yeux, et un 
ganglion nerveux, au lieu de ce cristallin comparable à ceux des autres animaux, 
me soient que des cristaux hexæagones de matière inorganique. Car, s’il en était 
ainsi, il faudrait alors, pour expliquer les faits dont j’ai été témoin, qu'ils fussent 
doués d’autres organes de vision pour remplacer ceux-ci, et je ne crois pas qu’on 
leur en ait attribué d’autres. 

(1) J'ai remarqué que plusieurs Crustacés jouissaient de ce privilége. On les 
voit, sans faire le moindre mouvement, rester à la surface de l’eau indéfiniment. 
Certains Amphipodes sont dans ce cas; les Cypridiens surtout ont cet avantage, 
leur corps paraissanti gras et luisant. Sont-ils plus légers que l’eau, ou cela 
tient-il à l’air qu'ils ont en réserve dans les valves de leur coquille ? 

ANN. SC. NAT., MAI 1878. VIL 17. — ART, N° 14. 


46 HESSE. 


contre laquelle elle paraissait s’accrocher, ou à l’aide d’une cer- 
taine adhérence qu’elle provoquait par l application her métique 
de ses valves minces et flexibles, elle parvenait ainsi à se main- 
tenir à la même place. On apercevait l'effet de cette contraction 
par la présence d’une cavité d’une assez grande étendue, qui 
se produisait au centre de la coquille et qui disparaissait dès 
qu'e son action cessait, à raison de leur élasticité qui leur per- 
mettait de reprendre leur forme primitive. Par suite de cette 
grande flexibilité, la carapace éprouve souvent des modifica- 
tions dans ses formes, dans lesquelles on voit alternativement 
le bord supérieur de la partie antérieure de la coquille, à l’en- 
droit qui recouvre la tête, dépasser tantôt le bord inférieur, 

tantôt au contraire le bord supérieur le déborder (1). Mais 
ces effets ne sauraient se produire chez les Ostracodes, dont les 
coquilles cornéo-crétacées se rapprochent, pour la consistance 
de celles des Mollusques, et se briseraient plutôt que de ployer. 

L'ouverture longitudinale inférieure qui sépare les deux 
valves de la coquille sert à la sortie des antennes, des pattes et 
de l’extrémité caudale de ces Crustacés mais les fentes laté- 
rales et antérieures paraissent plus particulièrement réservées 
à favoriser l’action des pattes thoraciques garnies de longues 
soies qui remplissent les fonctions de rames natatoires, et que 
du reste j'ai vues fonctionner de cette manière. 

C’est aussi probablement pour faciliter les mouvements de 
la tête, qui, dans ces Crustacés, est très-distincte du corps, que 
ces échancrures latérales existent, et que, notamment dans 
l’armoricana, Vopereule qui lui recouvre cette partie du corps 
paraît muni d'une charnière. 


$ 4. — Systématisation, 


On a vu, par la description que j'ai donnée et par les dessins 
que j'y aijoints, que les quatre espèces de Crustacés qui font 
l’objet de ce mémoire, bien qu'appartenant au même genre, 
présentent néanmoins des caractères individuels assez différents 


(1) Fig. 1, 3, 7 , 9, 19 ét 13 
ARTICLE No 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 17 
pour que lon soit embarrassé de choisir parmi eux un type sur 
lequel on puisse s’appuyer pour établir leur détermination ; 
mais il paraît évident, à raison de la forme de la coquille qu’ils 
habitent, qu'ils appartiennent à la légion des Branchiopodes et 
à l’ordre des Daphnoïdiens; et comme il existe encore, entre les 
Crustacés qui font partie de cet ordre et ceux que j'ai décrits, 
des différences assez notables, j’ai cru devoir créer pour eux 
une nouvelle famille à laquelle j'ai donné le nom de Copé- 
chétiens et un nouveau genre des Copecheætes. 

En effet, cette nouvelle famille, d’après les caractères sur 
lesquels je m’appuie, aurait beaucoup de rapport avec celle 
des Bosminidés, créée par Baird, et cependant s’en éloignerait 
par d’autres que je vais signaler et qui me semblent justifier la 
séparation de ces deux genres. 

Comme dans les Bosminidiens, chez les Copéchètes, la partie 
antérieure de la coquille forme en avant une sorte de visière 
ou de capuchon (hood-like) qui proiége et recouvre la tête à la 
base des premières antennes ; celles-ci sont grèles, simples et 
contiennent une dizaine d’articulations. Elles ont aussi, comme 
les premiers, les yeux très-gros, portés sur un pédoncule, 
mais elles n’ont pas, comme les Lyncéens, les Monospiliens, les 
Drépanotrichiens, une tache oculiforme (eye-spot) précédant 
ceux-ci. Les pattes thoraciques dans les Copéchètes sont larges 
et plates, armées de griffes robustes, de pointes de poils ciliés 
et garnies de longues soies eriniformes divergentes et remplis- 
sant les fonctions de rames natatoires, qui n'existent pas chez 
les Bosminidiens. Chez les Copéchèles, la coquille est ovale- 
allongée ou arrondie postérieurement, mais jamais tronquée. 
Elle est unie ou rugueuse et ne présente pas d'épines fortes et 
saillantes à l'extrémité postérieure. 

Mais ce qui distingue particulièrement les Copechètes des 
Bosminidiens, c’est la terminaison de l’extrémité abdominale, 
qui est brusquement tronquée au bout et est entourée d’un 
bourrelet circulaire armé d’une rangée de griftes longues et lé- 
sèrement recourbées. C’est donc, par suite des considérations 
qui précèdent, que Je crois utlle de créer en faveur des Crus- 


18 HESSE. 
tacés que je viens de décrire, un nouveau genre que je carac- 
térise comme suit. 


Genre COPECHÆTES. 


MALE. — Inconnu. 

Carapace conchiforme, bivalve, cornéo-testacée, mince, 
flexible, transparente; valves unies ou rugueuses, de forme 
ovale et arrondie; les deux extrémités étant d’égale longueur, 
ou l’antérieure plus étroite en avant, et beaucoup plus large 
et arrondie en arrière, mais sans épines postérieures; partagées 
en deux parties par une fente latérale plus ou moins profonde, 
la première partie destinée à protéger la tête et la base des 
antennes, l’autre à recouvrir le reste du corps. 

Antennes formées d’une seule paire, grêles, longues et multi- 
articulées, suivies de pattes thoraciques biramées, larges, 
plates, au nombre de cinq, garnies de fortes épines, de soies 
pennées ou de très-longs crins divergents et ramifiés. Branchies 
longues, flabelliformes, très-actives, et placées de chaque côté 
au milieu du corps. Tube intestinal simple, un peu infléchi, 
se rendant directement à l’extrémité de l'abdomen. Celui-ci 
gros et fort, terminé à son extrémité, qui est tronquée et élar- 
gie, par un bourrelet implanté circulairement de griffes longues 
et pointues, légèrement recourbées, serrées à la base, diver- 
gentes à leur extrémité. 

Habitat. — Ces Crustacés exclusivement ont été recueillis 
sous les pierres du rivage, parmi les Fucus ou dans l’estomac 
des Poissons et des Acalèphes. 


Classification. 


Ces Crustacés se rapprochent beaucoup, par les différents 
caractères que j'ai fait ressortir, des Bosminidiens ; je pense 
qu’il y a lieu de les placer près d’eux dans la nomenclature car- 
cinologique; et comme la monographie publiée par MM. Nor- 
man et Brady sur les Entomostracés d'Angleterre est, je crois, 
le travail le plus récent sur ce sujet, je leur emprunte leur clas- 
sification, dont je donne ci-après le tableau : 

ARTICLE N° 14. 


CRUSTACÉS DES CÔTES DE FRANCE. 19 


LÉGion -bEs BRANCHIOPODES. 


Sous-ordre des CLADOCÈRES. 
Division des CALYPTOMÈRES. 
Tribu des ANOMOPODES. 


Famille des COPÉCHÉTIENS........ Genre Copechæte, Nobis. 
Famille des BOSMINIDIENS......... Genre Bosminidies, Baird. 


Macrothrix, Baird. 
Drepanothrix, Sars. 
Famille des MACROTRICHIDIENS.... Genres(Lathonure, Lillejeborg. 
Acantholeberis, Lillejeborg. 
\Hyocryptus, Sars. 


Lynceus, Müller. 
Eurycercus, Baird. 
Monospilus, Sars. 


Famille des LYNCÉIDIENS, .,..... War] 
Anchistropus, Sars. 


EXPLICATION DE LA PLANCHE XII. 


Fig. 1. Copéchète allongée femelle. — Vue de profil et amplifiée cinquante fois, 
laisse apercevoir hors de sa coquille ses antennes, l'extrémité de deux 
pattes thoraciques, celle de son abdomen et de son appendice caudal, armée 
d’une rangée de griffes serrées à leur base et écartées au sommet, et à 
l'extrémité inférieure et postérieure plusieurs enveloppes d’œufs vides. 

Fig. 2. Pointes très-grossies de celles qui garnissent l'extrémité caudale de 
ce Crustacé. 

Fig. 3. Autre individu, Copéchète voisine. — Vue également de profil et au 
même grossissement que la première, montrant par la fente antérieure de la 
coquille ses premières pattes thoraciques, plates, armées de pointes aiguës 
et de poils ciliés; et celle qui est plus bas, garnie à son extrémité de soies 
rigides et flabelliformes dont la longueur excède celle de la coquille, et près de 
l'extrémité inférieure de celle-ci celle de l'abdomen, qui est exactement ter- 
minée comme dans l’autre espèce. 

Fig. 4. Les deux extrémités du corps représentées isolément et plus for- 
tement grossies. 


20 HESSE. 

Fig. 5. Extrémité inférieure d'une patte de la même, très-grossie, armée de 
pointes pennées et d’autres pointes plus fortes. 

Fig. 6. Partie antérieure du corps de la même, vue de profil à un très-fort 
grossissement et sortie de sa coquille montrant un œil placé sur son pédon- 
cule, ainsi que les antennes, les pattes antérieures et celle garnie de soies 
flabelliformes. 

Fe. 7. Copéchète fendue, amplifiée 60 fois, montrant à la partie antérieure 
de sa coquille une paire de pattes plates et larges, garnies d’épines pennées 
et de griffes crochues, et près de celle-ci une paire d’antennes, minces, cylin- 
driques, terminées par huit articles; puis à l’extrémité inférieure des valves, 
l'abdomen et l'extrémité caudale garnie de griffes divergentes, et derrière 
trois œufs qui paraissent entiers. 

Fig. 8. Petites pointes très-grossies, qui garnissent le bord inférieur des valves. 

Fig. 9. Copéchète armoricaine, amplifiée 60 fois, vue de profil, montrant la 
partie antérieure de la coquille qui recouvre la tête, légèrement soulevée; les 
antennes, qui sont grêles ; deux pattes thoraciques dont l’une est garnie de 
longues soies flabelliformes,; le bord inférieur de la coquille garni de petites 
épines; l’extrémité caudale garnie de longues griffes divergentes; l'œil placé 
dans un enfoncement au bord de la fente supérieure de la coquille, le tube 
intestinal et les œufs, qui apparaissent à travers celui-ci. 

Fig. 10. La même, à un grossissement moindre et vue en dessus. 

Fig. 11. Partie antérieure de la coquille de la même, vue en dessous. 

Fig. 12 et 13. Partie antérieure de la coquille de la même, vue de profil. 

Fig. 144. Extrémité de l’antenne de la même, très-grossie. 

Fig. 15. Extrémité d’une patte antérieure thoracique de la même, à un fort 
grossissement. 

Fig. 16. Extrémité encore plus amplifiée d’une patte. 

Fig. 17. Œuf de la même avant son incubation. 


ARTICLE N° Îa. 


ÉTUDE 


SUR LE 


MEMBRE ANTÉRIEUR DU PSEUDOPE DE PALLAS 


Par M. H,-E. SAUVAGE. 


La famille des Sauriens chalcidiens ou Gyclosauriens com- 
prend des animaux que l’on peut, avec Duméril et Bibron, 
séparer en deux groupes : les Glyptodermes, dont la peau est 
une et revêtue seulement de tubercules quadnillés; et les 
Ptychopleures, chez lesquels la peau est garnie d’écailles. 
Tandis que presque tous les Reptiles qui font partie du premier 
groupe sont dépourvus de pattes (Amphisbène, Lépidosterne, 
Trogonophide) ou n’ont que des membres antérieurs (Ghirote), 
la plupart des Gyclosauriens du second groupe sont pourvus de 
membres. Toutes les transitions existent du reste entre les ani- 
maux chez lesquels les quatre pattes sont bien développées 
(Zonure, Gerrhosaure, Gerrhonote, etc.), et ceux qui, comme 
les Ophisaures, sont totalement privés de membres: tantôt, en 
effet, les pattes sont très-courtes, ainsi qu’on le voit chez les 
Chalcides, les Chamésaures; tantôt un petit tubercule repré- 
sente seul la patte postérieure, comme chez le Pseudope de 
Pallas. 

La même gradation se remarque dans la sous-famille des 
Scincoïdiens saurophthalmes, et l’on a tantôt quatre pattes 
bien distinetes, comme chez les Gyclodes, les Scinques, les 
Gongyles, les Hétéropes; tantôt deux pattes seulement, ainsi 
qu'on les constate chez les Scélotes et les Ophiodes; tandis que 
chez les Orvets, les Acontias, les Ophiomores, les membres font 
complétement défaut. Il en est de même chez les Scincoïdiens 

ANN. SC. NAT. — ART. N° 15. 


% E. SAUVAGE. 


typhlophthalmes, chez lesquels les pattes sont tantôt nulles 
(Typhlines), tandis que l’on voit deux pattes courtes et aplaties 
à l’arrière du corps chez les Dibames. 

Que l’on vienne toutefois à disséquer les animaux qui parais- 
sent manquer totalement de membres, et l’on trouvera chez eux 
un rudiment de membre caché par les parties molles. En règle, 
les Gyclosauriens privés de membres n’ont qu’une épaule rudi- 
mentaire, et chez eux le sternum fait défaut: tels sont, suivant 
M. Kitchen Parker (1), les Amphisbènes, les Trogonophides, 
les Lépidosternes, c’est-à-dire les Chalcidiens que Duméril et 
Bibron nomment Glyptodermes. Cela est si vrai, qu'un autre 
Reptile faisant partie du même groupe, mais pourvu de pattes 
antérieures, le Ghirote, possède à la fois un sternum et une 
épaule. Il ne faut toutefois point trop généraliser le fait: 
l’Acontias, l’Ophisaure, parmi les Cyclosauriens; l’Orvet 
parmi les Seincoïdiens, bien qu’absolument privés de mem- 
bres, ont une épaule et un sternum : lPappareil sternal est 
toutefois bien plus développé chez l’Orvet que chez l’Acontias; 
méconnu chez l’Orvet et chez l’Ophisaure par Heusinger (2), 
par J. Müller (3) et par Stannius (4), le sternum avait été par- 
faitement vu par Guvier (5). 

Nous avons dit plus haut que chez le Pseudope de Pallas, les 
membres antérieurs font entièrement défaut; cet animal pos- 
sède toutefois un sternum et une épaule rudimentaire, ainsi 
que l’ont constaté Rathke (6), J. Müller et R. Wagner (7), qui 
se sont contentés d'indiquer brièvement la présence de ces 
deux parties. 

Chez le Pseudope, la région cervicale étant très-courte et 
composée seulement de trois vertèbres, comme chez beaucoup 


(1) À Monograph on the Structure and Development of the Shoulder-girdle 
and Sternum in the Vertebrata (Ray Society, 1868). 

(2) Zeitschr. für organisch. Physik., t. I, p. 496. 

(3) Zeitschr. für Physiol. v. Tiedemann und Treviranus, t. [V, p. 227. 

(4) Lehrbuch der vergleich. Anat., t. IX, p. 139. 

(5) Leçons d'anat. compar., t. I, p. 255. 

(6) Ueber den Bau und die Entwickelung des Brustbeins der Saurier. 

(7) Icones zootom. 

ARTICLE N° 15. 


PSEUDOPE DE PALLAS. 3 
de Sauriens du reste (Lacerta ocellata, Uromastix spinipes, 
Draco lineatus, Phrynosomu cornutum, Plestiodon Aldrovandi, 
Agama colonorum, etc.), l'appareil sternal est rapproché de la 
tête; la région dorsale est, par contre, fort longue : 51 ver- 
tèbres; la région lombaire ne se compose que d’une seule 
vertèbre ; la région sacrée est formée de deux os. Le nombre 
des vertèbres caudales est considérable et s'élève jusqu’à 122, 
ce qui fait que la colonne vertébrale comprend 179 ver- 
tèbres. | 

D’après Geoffroy Saint-Hilaire (1), chez les Sauriens qu'avec 
M. Parker nous pourrions appeler typiques (Sauria squamata 
typica), et le Lézard vert en serait un exemple, Pappareil 
sternal se compose de huit pièces : deux impaires, le furculaire 
(os allongé et en forme de flèche, de Guvier) et lentosternal 
(cartilage rhomboïdal, Cuvier), et trois pièces placées symé- 
triquement : l’acromion (clavicule de Cuvier), épisternal et le 
coracoide (os coracoïdien, Guvier). Suivant la nomenclature 
adoptée par M. R. Owen, ces pièces doivent porter les noms 
- d’épisternum, de manubrium, de clavicule, d’urohyal et de 
coracoïde ; pour M. Kitchen Parker, ces pièces seraient l’mter- 
elavicule, le sternum, la clavicule, le précoracoïde et le cora- 
coide. 

Au premier abord, l’appareil sternal du Pseudope de Pallas 
ne paraît être formé que de trois pièces : une pièce anté- 
rieure mince et costiforme, la clavicule ou acromion, une 
pièce médiane qui représente l'os furculaire ou interclavicule, 
et une pièce postérieure, sternum ou entosternal. Ces pièces 
seules sont indiquées par Müller et par Rathke. 

Suivant ce dernier auteur, «le sternum est, chezle Pseudope, 
composé de deux pièces azygos ou asymétriques, très-diffé- 
rentes de forme et de grandeur. La plus petite (interclavicule) 
est placée en dessous de l’autre pièce et intimement unie à elle 
par du tissu fibreux. La plus grande (présternum) est une pièce 
assez longue, mais mince, dont le diamètre transverse est le 


(1) Des organes respiratoires sous le rapport de la détermination et de 
l'identité de leurs pièces osseuses. 


4 E. SAUVAGE. 


plus considérable; faiblement concave transversalement à sa 
face supérieure, cette pièce est un peu convexe à sa face infé- 
rieure ; elle a la forme d’une olive coupée en long, c’est-à-dire 
qu'elle est faiblement convexe à ses bords antérieur et pos- 
térieur, arrondie aux extrémités les plus étroites. La forme de 
la plaque parait varier : J. Müller a trouvé le bord de la plaque 
convexe, tandis que suivant R. Wagner ce bord est concave. 

» La pièce extérieure du sternum (interclavicule) consiste 
en une bande mince, courbée, médiocrement large en son mi- 
lieu, appointée aux extrémités, à bord convexe dirigé en avant, 
tandis qu’un prolongement peu long et pointu se détache du 
milieu du bord concave. En proportion des autres pièces 
du sternum, cette pièce est plus petite chez l’Orvet que chez 
le Pseudope. » 

Bien que l'appareil sternal soit chez lePseudope plus simple 
en apparence que chez l’Orvet, on y retrouve cependant les 
mêmes pièces, c’est-à-dire, suivant la nomenclature adoptée par 
M. K. Parker, deux pièces impaires, une énéerclavicule et un 
sternum; et six pièces paires, les clavicules, les scapulaires, les 
supra-scapulaires, les coracoïdiens, les épicoracoïdiens et les 
précoracoidiens, ce qui porte à quatorze le nombre de pièces 
dont se compose cet appareil sternal. 

À la partie la plus antérieure se trouvent les deux clavicules, 
unies entre elles sur la ligne médiane par une extrémité non 
dilatée, ainsi qu’on le voit chez l'Agame (Agama colonorum), 
le Proctotrète (Proctotretus chilensis), le Dragon (Druco 
lineatus), ete.; tandis que chez l’Orvet, si l’on s’en rapporte à 
la figure donnée par M. K. Parker, les deux os ne se réunis- 
sent pas sur la ligne médiane, et cela à cause du grand déve- 
loppement du précoracoïde; chez d’autres Sauriens, cette union 
n’a pas lieu par l’interposition de l’interelavicule, ainsi que 
cela se constate chez les Fouette-queue (Uromastix acanthi- 
nurus), chez le Gyclode (Cyclodus nigroluteus) et chez d’autres 
Reptiles étudiés par M. K. Parker. 

La clavicule (fig. 13) est un os mince, costiforme, arqué 
dans son ensemble, coudé dans son tiers externe et un peu 

ARTICLE N° 15. 


PSEUDOPE DE PALLAS, Gi) 
relevé ; le coude que fait l'os à l'union des deux tiers internes 
et du tiers externe est prononcé, presque aussi fort que chez 
les Fouette-queue, les Proctotrètes, les Plestiodons (Plesto- 
don Aldrovandi) ; le coude est nul chez les Agames (Agama 
colonorum), les Dragons (Draco lineatus). 

En arrière du tiers externe de l’os précédemment déerit, se 
trouve une pièce très-mince et étroite, débordant la clavicule 
en arrière et s'étendant jusqu’à l’angle que forme cette pièce 
osseuse. Cette pièce est assez difficile à distinguer du cora- 
coïde; on voit toutefois à la face cutanée une suture qui limite 
l’os que nous considérons comme l’analogue d’un scapulaire, 
dont il occupe la place. Cette pièce osseuse est légèrement 
concave de haut en bas. De même que chez l’Orvet, la clavicule 
s’étend presque jusqu'à son extrémité postérieure, contrai- 
rement à ce que l’on observe chez les Sauriens pourvus 
de membres; elle se termine par une pièce allongée, tout à 
fait cartilagineuse, que l’on doit regarder comme un supra- 
scapulaire. 

L’interclavicule se présente sous la forme d’une bande peu 
large, allant en s’élargissant de son extrémité externe à la 
partie médiane, qui donne un faible prolongement dirigé en 
arrière ; de telle sorte que, détachée, cette pièce ressemble à une 
ancre dont la branche médiane serait fort courte. Los est 
convexe à son bord inférieur, un peu concave à la face pro- 
fonde. De même que chez l’Orvet, la branche antérieure que 
lon voit chez beaucoup de Sauriens n’existe pas ; la forme de 
la plaque est toutefois bien différente chez l’Orvet et chez le 
Pseudope, chez lequel le coracoïdien est beaucoup mois 
étendu. La branche postérieure n'arrive qu’au bord du ster- 
num, au lieu de pénétrer profondément en coin dans cette 
pièce osseuse, ainsi qu’on le remarque chez la plupart des 
autres Sauriens. L’interclavicule se place dans la moitié envi- 
ron de sa longueur, sur la face superficielle du sternum, auquel 
elle est unie par une membrane fibreuse qui s'attache le long 
du rebord saillant que l’on voit à la face profonde de lPinter- 
clavicule (fig. 12). 


6 E. SAUVAGE. 


Entre l'angle que, dans son tiers externe, forme la clavicule 
et l’angle interne de l’interclavicule, se trouve une petite pièce 
osseuse que l’on doit regarder comme un coracoide. Get os est 
allongé dans le sens de la hauteur, un peu bombé transver- 
salement; de l’extrémité externe de l’interclavicule à l’angle 
inférieur que présente l’appareil sternal pris dans son ensem- 
ble, se voit une faible crête qui limite l’os en bas; le niveau 
antérieur est tracé par une ligne qui partirait à peu près de 
l'extrémité de l’interclavicule. Le coracoïde est aplati et diffère 
par sa forme de ce que l’on voit chez les autres Sauriens, Orvet 
compris. Ghez ce dernier, existe un foramen coracoïdal entre la 
elavicule et le coracoïde, percé aux dépens du précoracoïde. 
Chez le Pseudope de Pallas, ce foramen est ovalaire et placé 
dans le sens de la longueur, tandis qu'il est transversalement 
allongé chez l’Anguis fragilis; de plus, ce foramen semble 
plutôt creusé aux dépens du coracoïde. L’os envoie en dehors 
un large prolongement qui forme le bord extèrne du foramen, 
et un autre prolongement qui limite la plus grande partie 
interne de ce même foramen. Une disposition à peu près sem- 
blable se voit chez un Reptile d’un tout autre groupe, le 
Læmanctus longipes. Le long du bord externe du coracoïde 
on remarque un tubercule peu saillant qui limite une fable 
échancrure, échancrure que l’on peut regarder comme le ves- 
tige d’une cavité glénoïde, et cela d'autant plus, que le scapu- 
laire se termine au niveau de l’échancrure mentionnée. 

Entre la clavicule, l’interclavicule et le foramen coracoïdal, 
s’étend une bande étroite qui occupe la position d’un précora- 
coïde. Get os, sur lequel repose dans une partie de son étendue 
la elavicule, ferme en avant le trou coracoïdien par une mince 
languette qui s'étend en dehors jusqu’au prolongement externe 
que donne le coracoïde, et se continue jusqu’au sternum. Entre 
la précoracoïde et le coracoïde se trouve l’épicoracoide. 

Le sternum se présente sous forme d’une bandelette étroite, 
allongée transversalement, fortement courbée dans le sens du 
diamètre bitransversal, réunissant entre eux les coracoïdiens ; 


la largeur de cette bandelette n’est pas supérieure à celle que 
ARTICLE N° 9. 


PSEUDOPE DE PALLAS. 7 
l'interclavicule présente dans sa partie médiane. Il n'existe pas 
de fontanelle sternale, de même que chez l’Orvet et que chez 
quelques autres Sauriens (Plestiodon Aldrovandi, Tupinambis 
Dracæna, Lœemanctus longipes) ; tandis que le plus souvent 
on remarque tantôt une fontanelle (Phrynosoma cornutum, 
Proctotretus chilensis), tantôt deux fontanelles (Grammatophora 
barbata, Stellio vulgaris, Agama colonorum, Draco lineatus, 
Seps chalcides), entre lesquelles peut se placer la branche pos- 
térieure de l’interelavicule (Uromastix acanthinurus) . 

Nous devons faire remarquer que parmi les différentes pièces 
qui composent l’appareil sterno-brachial du Pseudope de 
Pallas, la clavicule et l’interclavicule seules sont osseuses; le 
coracoïde est à demi osseux; les autres pièces restent à l’état 
cartilagineux. 

Chez les Chalcidiens, aussi bien que chez les Seincoïdiens 
pourvus de membres, la forme et la disposition des diverses 
pièces qui composent l’appareil sternal sont tout autres que 
chez l’Orvet et que chez le Pseudope. 

On peut dire, en règle générale, que plus les membres 
sont développés, plus appareil est lui-même développé, et 
cela se conçoit. Le fait est si vrai, que chez les Chalcidiens 
olyptodermes dépourvus de pattes, tels que l’Amphisbène 
(Amphisbæna alba, À. fuliginosa), le Lépidosterne (Lepido- 
sternum microcephalum), le Trogonophide (Trogonophis Wieq- 
manmi), le sternum n'existe pas, et que l’on ne voit qu'une 
ceinture scapulaire. Le Pseudope de Pallas, avec son appareil 
sternal relativement bien développé, doit être regardé comme 
un animal qui a perdu le membre antérieur; tandis que l’Am- 
phisbène et les deux autres genres qui se groupent autour de 
lui peuvent être considérés comme des animaux ayant perdu 
depuis longtemps le membre antérieur. Le Pseudope, à 
cause de son absence de membre, ne possède toutefois, de 
nême que l’Orvet, que le sternum proprement dit; il manque 
de mésosternum et de xiphisternum. 

Chez un autre Chalcidien glyptoderme, le Chirote (Chirotes 
canaliculatus) , tandis que les membres postérieurs font dé- 


ô E. SAUVAGE. 

. faut, le membre antérieur, situé à la face inférieure du corps 
et très-près de la tête, est bien développé; aussi le sternum 
est-il lui-même développé. Fait intéressant que M. Kitchen 
Parker a mis en lumière, on retrouve chez l'animal du Mexique 
les trois divisions du sternum en présternum, en mésoster- 
num, en xiphisternum, parfaitement distinctes; les prolon- 
gements du xiphisternal sont libres comme chez les embryons 
des Mammifères, et comme à l’état adulte on le remarque chez 
quelques Pangolins, tels que les Manis longicauda et Pholi- 
dotus africanus que cite M. K. Parker. Le coracoïde repose 
directement sur le présternal; le supra-scapulaire est petit. 

Le sternum est grand chez un autre Chalcidien appar- 
tenant, celui-ci, au groupe des Ptychopleures, c’est-à-dire au 
même type que le Pseudope, le Zonure (Zonurus griseus). A 
l'inverse de ce que l’on voit chez les Iguaniens (Sfellio vul- 
garis, Læmanclus longipes, Lquana tuberculata, Uromastix 
spinipes, Phrynosoma cornuta), 11 existe un mésosternal; de 
même que chez les Varaniens (Varanus arenarius), ce méso- 
sternal est très-peu développé et ne porte pas de côtes, fait que 
l’on remarque chez certains Scincoïdiens, comme les Cyclodes 
(Cyclodus nigroluieus). Ghez le Zonure, Pinterclavicule n’est 
pas coudée, elle est mince; linterclavicule se présente sous la 
forme d’une croix à branches étroites, pénétrant assez loin dans 
le sternum; largement séparée de la elavicule, la branche 
latérale se trouve en rapport avec le précoracoïdien, qui limite 
deux trous creusés aux dépens du scapulaire et du coracoïde. 
Ce dernier est bien développé; le scapulaire est mince 
(fig. 17). 

Chez un autre Chaleidien, le Gerrhonote de Morelet, le 
sternum et l'appareil scapulaire sont semblables à ce que nous 
avons pu noter chez le Zonure, à cette exception qu'il n'existe 
pas de mésosternal. 

En prenant pour type des Scincoïdiens le Gongyle ocellé, 
nous verrons que la disposition générale est la même que chez 
les Chaleidiens. Le présternal est grand et à une forme losan- 
gique; le mésosternal, au lieu d’être presque entièrement soudé 

ARTICLE N° 19. 


PSEUDOPE DE PALLAS. 9 
au présternal, est bien distinct; le xiphisternal existe. Les cla- 
vicules sont larges et pourvues d’un foramen près de leur 
Jonction médiane; le bord postérieur est dentelé, comme 
on le voit chez le Trachydromus rugosus. L’interclavicule, en 
forme de croix dont les branches antérieure et postérieure ont 
même longueur, pénètre en com dans le présternal; les bran- 
ches latérales, largement séparées des clavicules, s'appuient 
sur l’épicoracoïde, qui est très-développé, ainsi que cela existe 
chez le Trachydrosaurus rugosus et surtout chez le Cyclodus 
myroluteus ; tandis que cet os est fort réduit chez les Iguaniens 
(fig. 18). 

Pour en revenir au Pseudope de Pallas, aux diverses pièces 
osseuses décrites plus haut s’insèrent des muscles; ces mus- 
cles s’attachant d'autre part à l’appareil hyoïdien, il faut que 
celui-ci soit fixé pour que les muscles sternaux puissent agir: 
il nous a semblé, dès lors, utile d'étudier concurremment les 
muscles hyoïdiens. 

Chez certains Sauriens, les Iguaniens par exemple (Séellio 
vulgaris), l'appareil hyoïdien se compose d’une partie centrale 
bien développée, qui donne naissance à quatre prolongements, 
deux antérieurs et deux postérieurs, qui sont les cornes de 
lhyoïde. L’hyoïde lui-même consiste en une partie un peu 
élargie et repliée bilatéralement, de telle sorte que la partie 
convexe soit à la face profonde; de cette portion élargie diver- 
went les cornes; une portion effilée,se prolongeant en avant, 
supporte la langue et doit être regardée comme un entoglossal; 
à la partie postérieure se voient deux minces languettes 
accolées et un peu plus longues que le prolongement anté- 
rieur; ces prolongements constituent la queue de l’hyoïde ou 
urohyal (fig. 3, 4). 

Certains Seincoïdiens (Gongyle ocellé) ont les deux prolon- 
gements postérieurs largement séparés; le corps de l’hyoïde 
est peu développé; les cornes antérieures sont courtes, 
tandis que les cornes postérieures se prolongent latéra- 
lement (fig. 7). Semblable disposition se voit chez des 
Cyclosauriens (Zonurus griseus) : chez ceux-ci l’entoglossal est 


10 E. SAUVAGE. 


allongé ; les deux cornes antérieures sont courtes, les cornes 
postérieures sont longues et arquées; l’urohyal est composé de 
deux parties séparées par un large intervalle (fig. 6). 

Un Cyclosaurien, le Gerrhonote (Gerrhonotus Moreleti, 
Boct.), nous présente une simplification de l’appareil hyoïdien : 
l’urohyal à disparu; l’entoglossal est réduit à une petite lan- 
guette cartilagineuse de peu de longueur, moins prolongée que 
les cornes antérieures; le corps même de l’hyoide consiste en 
une portion peu étendue, tandis que les cornes postérieures 
sont plus longues (fig. 5). 

Que l’on supprime les cornes antérieures si réduites chez le 
Gerrhonote, et l’on aura la disposition que l’on constate chez 
le Pseudope de Pallas; lhyoïde est réduit à une partie trian- 
gulaire donnant un grêle etcourt prolongement antérieur, et à 
deux cornes longues et arquées, divergeant sous un angle pro- 
noncé du corps de l’hyoïde, auquel elles sont réunies par une 
articulation assez lâche (fig. 8). 

Semblable disposition se remarque chez deux autres Sau- 
riens dépourvus de membres, l’Acontias Meleagris et l'Amplus- 
bæna Darwinii (fig. 9): chez ceux-ci, les cornes postérieures 
sont plus courtes que l’entoglosse, tandis que c’est l’inverse 
qui se voit chez le Pseudope. 

Muscles hyoidiens. — De l'angle de la mandibule et de la 
symphyse part un mince faisceau musculaire qui, dans sa 
partie antérieure, recouvre l’origine du muscle mylo-hyoïdien, 
puis longe le bord interne de ce muscle, par rapport auquel 
il est sur un plan plus superficiel. Un peu avant la pointe de 
l'hyoïde, ce muscle, analogue du muscle géni-hyoglosse, dé- 
erit par M. Sanders chez le Phrynosome cornu (1), est à son 
tour recouvert par le maxillo-hyoïdien; 1l s’insère depuis la 
pointe jusqu’à l’angle que forme la corne postérieure, tout le 
long du bord supérieu” de celle-ci, à la lèvre profonde, située 
un peu en arrière de la lèvre superficielle (fig. 4, n° 1). 

Chez un autre Saurien dépourvu de membres, l’Ophiodes 


(4) Proceed. Zool. Soc., 1874, p. 71. 
ARTICLE N° 15. | de 


PSEUDOPEËDE PALLAS. 11 
striatus, il en est de même; peu après son origine, le muscle 
est recouvert par le muscle maxillo-hyoïdien, longe la trachée 
et s’insère à la partie profonde du bord antérieur de l’hyoïde 
(fig. 2). | 

Le muscle mylo-hyoïdien naît en arrière du muscle précé- 
demment décrit, dans une faible étendue de la mâchoire infé- 
rieure. Presque immédiatement après son origine, il est recou- 
vert par le muscle maxillo-hyoïdien; arrivées au niveau de 
l'angle antérieur de l’hyoïde, les fibres de ce musele s’insèrent 
sur une membrane dont les fibres sont dirigées obliquement 
d'avant en arrière et de dehors en dedans, membrane qui 
s'attache à tout le bord de los hyoïde, le muscle lui-même, 
dont les fibres sont restées longitudinales, s’insérant depuis 
l'angle externe et postérieur de l’appareil hyoïdien jusqu’à une 
faible distance de cet angle (fig. 1, n° 2). 

Le musele maxillo-hyoidien est le plus puissant des trois; il 
s'insère, d’une part,obliquement, près de l'angle de la man- 
dibule, dans ses deux tiers postérieurs environ, en avant du 
temporal ; d'autre part, à la lèvre superficielle du bord de 
l’hyoïde et dans toute l'étendue de ce bord (fig. 1, n° 3). 

Chez l'Ophiodes striatus, que nous avons déjà pris comme 
point de comparaison, ce muscle maxillo-hyoïdien se compose 
de deux portions : l’une, antérieure, plus épaisse, et dont les 
fibres se dirigent en arrière, s’insère au corps de lhyoïde; 
l’autre, dont les fibres sont d'autant plus horizontales qu’elles 
sont plus postérieures, s'attache sur la face superficielle de la 
corne de l’hyoïde. La disposition des muscles est la même chez 
l’Acontias Meleagris. 

Muscles sternaux. — Les muscles qui s’'insèrent à l'appareil 
sternal sont au nombre de cinq. 

De la partie la plus superficielle du bord postérieur de 
l’hyoïde nait un muscle, le plus superficiel de tous; renforcé 
par des fibres du peaucier, il forme une masse charnue qui 
revêt superficiellement tout l'appareil sternal et vient s’insérer 
le long du bord postérieur du sternum. Ce muscle doit être 


ANN. SC. NAT., MAI 1878. VII. 18. — ART. N° 15. 


12 E. SAUVAGE. 
regardé comme l’analogue du sterno-hyoidien, signalé par 
M. A. Sanders chez le Phrynosome cornu (fig. 1, n° #4). 

Un autre muscle croisant la veine jugulaire, qu’il recouvre, 
s’insérant le long de la pièce que l’on doit assimiler au cora- 
coidien, est en partie uni au sterno-hyoïdien par une mem- 
brane fibreuse; ce muscle coraco-hyoidien peut être assimilé 
à l’omo-hyoidien (fig. 4, n° 6). 

À l'angle de la clavicule vient s'attacher un muscle dont 
l'insertion antérieure est à l’apophyse mastoïde ; ce muscle est 
le cléido-mastoidien (fig. 4, n° 7). 

Plus profondément situé, un muscle prend ses attaches en 
avant tout Le long du bord postérieur de l’hyoïde, puis longeant 
la trachée, qu'il recouvre, s’insère à la fois sur le scapulaire et 
sur le coracoïde. Nous désignons ce muscle sous le nom de 
scapulo-hyoïdien (fig. 4, n° 5). 

Un muscle, enfin, s’insérant à la partie interne et près des 
bords des 2°, 3°, 4 côtes, vient revêtir, en s’y imsérant, la face 
profonde du sternum et se terminer le long du bord postérieur 
de linterclavicule. Ce muscle costo-claviculaire parait ètre 
l’analogue d’un sous-clavier (fig. 4, n° 8). 

Quoique ne faisant pas partie de l'appareil sternal, nous 
devons signaler la présence d’un muscle long et de forme pyra- 
midale, étendu de chaque côté de la colonne vertébrale et 
profondément situé; s'étendant de la partie postérieure de la 
tête à la troisième vertèbre, 1l s’insère le long du bord posté- 
rieur et inférieur de l’occiput jusqu'aux gouttières que forment 
latéralement les vertèbres cervicales et sur le corps de chaque 
vertèbre. 

Le membre antérieur manquant, du moims à l'extérieur, 
chez le Pseudope de Pallas, le plexus brachial n'existe pas. Les 
deux premières paires cervicales innervent les muscles qui s’in- 
sèrent à l'appareil hyoïdien, c’est-à-dire les muscles géni-hyo- 
closse, mylohyoïdien et maxillo-hyoïdien; la seconde paire 
cervicale envoie un filet à la troisième : ce sont ces deux paires 
cervicales qui se rendent dans les muscles qui s'étendent de 
appareil sternal à l'appareil hyoïdien. 

ARTICLE N° 15. 


PSEUDOPE DE PALLAS. 13 


EXPLICATION DE LA PLANCHE 20. 


Fig. 1. Pseudopus Pallasii, Cuv. — Museles hyoïdiens et sternaux. 
1, géni-hyoglosse ; 2, mylo-hyoïdien; 3, maxillo-hyoïdien ;[4, sterno-hyoïdien ; 
9, Scapulo-hyoïdien; 6, omo-hyoïdien ou coraco-hyoïdien; 7, cléido- 
mastoïdien; 8, costo-claviculaire. 
Fig. 2. Ophiodes striatus, Wagl. — Muscles hyoïdiens et sternaux. 
Fig. 3, 4. Hyoïde de Stellio vulgaris, Daud., vu par la face profonde et par la 
face superficielle. 
Fig. 5. Hyoïde de Gerrhonotus Moreleti, Boc. 
Wg. 6. Hyoïde de Zonurus griseus, Guv. 
Mig. 7. Hyoïde de Gongylus ocellatus, Gmel. 
Fig. 8. Hyoïde de Pseudope de Pallas. 
Fig. 9. Hyoïde d’Amphisbæna Pretrei, DB. a, corps de l’hyoide ; b, entoglosse : 
c, d, cornes de l’hyoïde ou cérato-hyal; e, queue de l’hyoïde ou uro-hyal. 
Fig, 10, 11. Pseudope de Pallas. — Appareil sternal grossi deux fois, vu de 
côté et par la face cutanée. 


GO =3 © 


Fig. 12. Même espèce. — [nterelavicule isolée, grossie deux fois. 
Fig. 13. Même espèce. — Clavicule isolée, grossie deux fois. 
Fig. 14. Même espèce. — Coracoïde, épicoracoïde, précoracoïde, scapulaire 


et supra-scapulaire isolés et grossis deux fois. 
Fig. 15. Anguis fragilis, Lin. — Appareil sternal grossi trois fois, d’après 
M. Kitchen Parker (1). 
Fig. 16. Zonurus griseus. -— Coracoïde, épicoracoïde, préscapulaire, scapulaire, 
supra-scapulaire grossis deux fois. 
Fig. 17. Zonurus griseus. — Clavicule, interclavicule, sternum et xiphisternal, 
grossis une fois et demie. 
Fig. 18. Gongylus ocellatus. — Mêmes pièces osseuses, grossies deux fois. 
cr, coracoïde; ecr, épicoracoïde; crf, foramen coracoïdal :; pcr, préco- 
racoïde; sc, scapulaire; ssc, supra-scapulaire; psc, préscapulaire; 
gl, cavité glénoïde; cl, clavicule; icl, interclavicule; st, sternum:; 
æst, xiphisternum (2). 


(1) Op. cit., pl. vin, fig. 6. 
(2) Cette notation est celle employée par M. Kitchen Parker. 


PUBLICATIONS NOUVELLES. 


Observations sur le développement des Lépidostées, par M. A. AGASsIz. 


Ce travail, présenté à l’Académie américaine en octobre dernier, et publié par 
extrait dans les Proceedings de cette société savante (t. XIII, p. 65 et suiv.), 
est de nature à intéresser beaucoup les zoologistes, car le Lépidostée est un de 
ces types de transition qui paraissent relier entre eux les Poissons ordinaires , 
les Lépidosiriens et les Bratraciens, et l’on ne savait rien au sujet de son déve- 
loppement. M. Alexandre Agassiz, ayant obtenu un certain nombre d'œufs de 
Lépidostée déjà fécondés, a étudié avec beaucoup de soin la conformation du 
jeune au moment de l’éclosion et les changements qu’il subit pendant le jeune 
âge. En naissant, le petit animal porte sous la région abdominale un énorme sac 
vitellin, et par sa structure générale il ne diffère que peu de l’embryon des Pois- 
sons Téléostéens, si ce n’est que la corde dorsale est remarquablement grande 
et que la région buccale constitue un suçoir très-saillant, qui est garni d’une 
couronne de tubercules, et qui ressemble un peu à celui des Cyclostomes. Pen- 
dant le premier jour on n’aperçoit, dans la nageoire longitudinale, aucune trace 
de rayons et la portion postérieure du système rachidien est droite; mais dès le 
second jour elle commence à s’incurver, et pendant le troisième jour on voit 
apparaître les premiers vestiges des nageoires pectorales; néanmoins, pendant 
quelque temps encore, le jeune Lépidostée, quoique ayant la faculté de nager, 
reste presque toujours suspendu aux parois du vase par son suçoir buccal. Au 
cinquième jour, quatre taches de substance pigmentaire marquent les places 
où vont se développer les nageoires dorsales et anales. Il est aussi à noter que, 
pendant toute cette première période de la vie, les lobes olfactifs sont relati- 
vement très-grands, et que l’encéphale ressemble, sous certains rapports, à celui 
des Sélaciens. Plus tard, le caractère hétérocerque de la queue se prononce 
davantage ; la vésicule vitelline s’amoindrit de plus en plus, le système cutané 
se garnit de pigment et l'appareil dentaire commence à se montrer; puis les 
mâchoires s’allongent, et enfin le sucoir ne constitue plus que le renflement 
charnu dont le bout de la mâächoire supérieure est garni chez l'adulte. Mal- 
heureusement M. Agassiz n’a pu conserver en vie ces jeunes Lépidostées qu’en- 
viron trois semaines. 


Manuel du voyageur, par D. KALTBRUNNER, membre de la Société de géo- 
graphie de Genève. —1 vol. in-8°, chez J. Wurster, à Zurich. 


M. Vivien de Saint-Martin, l’un de nos géographes les plus érudits, s’exprime 
dans les termes suivants à l’occasion de cette publication : « Le travail de 
M. Kaltbrunner est, selon mon jugement, un ouvrage excellent et des plus 
remarquables; c’est beaucoup plus qu'un manuel, c’est un traité complet de 
l’art de voyager, traité logique, bien exposé, très-savant et très-lucide à la fois, 
infiniment supérieur à tout ce qui a été fait jusqu’à présent en ce genre. » La 
partie relative à la zoologie a été rédigée pour l’usage des voyageurs qui, sans 
être naturalistes, veulent rendre service aux sciences naturelles. 

ARTICLE N° 15 bis 


NOTE 


SUR QUELQUES SCINCOIDIENS NOUVEAUX 


Par M, F. BOCOURT. 


Parmi les Sauriens scincoides que M. le docteur Fischer 
a bien voulu nous communiquer, se trouvent deux espèces 
nouvelles appartenant à la faune américaine. La première, que 
nous désignons sous le nom de Æumeces Fischeri, ressemble 
par son écaillure lisse, par l’ensemble de ses proportions et par 
la disposition des plaques céphaliques, à PE. punctatus Lin. 
(Riopa punctata Gray), qui est originaire des [ndes orien- 
tales. Le corps est allongé, de forme subeylindrique et entouré 
de vingt-huit séries longitudinales d’écailles. Les membres sont 
courts et les doigts inégaux. La queue est forte dans sa pre- 
mière moitié et effilée à son extrémité. La tête est large au 
niveau des tempes; sa longueur, du bout du museau au bord 
postérieur des pariétales, égale neuf à dix écailles dorsales et 
se trouve comprise six ou sept fois dans l’espace situé entre le 
menton et l’anus. Il y a deux supéro-nasales. L’internasale est 
plus large que longue. Les deux fronto-nasales sont séparées 
l’une de l’autre. Chacune des régions suroculaires est protégée 
par quatre plaques : la frontale est bien développée dans le 
sens de la longeur ; les fronto-pariétales sont en contact par 
leur côté interne; l’interpariétale est enclavée entre les pré- 
cédentes et les pariétales. Derrière ces dernières plaques, on 
voit une paire d’écailles nuchales dilatées en travers. La 
nasale est rectangulaire et percée au milieu ; elle est suivie de 
deux frénales et de deux petites fréno-orbitraires. On compte 
de chaque côté huit sus-labiales ; la cmquième, la plus allongée, 
forme le contour inférieur de l'orbite. La paupière inférieure 

ANN. SC. NAT. — ART. N° 16. 


2 F. BOCOURT. 

est très-mince, relativement peu développée, et recouverte 
d’écailles polygonales. L'ouverture auriculaire est de médiocre 
grandeur. La postmentale précède trois paires de plaques 
sous-maxillaires, toutes en rapport avec les labiales inférieures. 
— Longueur totale, 0,104; queue, 0,057. 

Les régions supérieures du corps offrent une teinte d’un 
brun jaunàtre sur laquelle se détachent six lignes longitu- 
dinales plus foncées. Les parties latérales, bien séparées des 
supérieures, sont sur le cou et les flancs fortement pointillées 
de noir. Les sus-labiales sont blanches supérieurement et 
tachetées de brun inférieurement. 

L’'Eumeces (Riopa) Fischeri, dont l’habitat est Puerto- 
Cabello, se distingue de lPÆuin. punctatus par les caractères 
suivants : Paupière inférieure garnie de petites scutelles 
polygonales et non munie d’un disque transparent; scutelles 
préanales non subégales, mais une fois plus grandes que celles 
qui les précèdent. 


M. le docteur Vesco à rapporté de Whampoa cmq Scin- 
coïdiens appartenant au genre Lygosome, qui offrent par l’en- 
semble de leurs caractères des similitudes avec le Lyg. late- 
rale, Say (Mocoa lateralis, Gray) et le L. Gemmaingeri (4), Cope, 
tous deux originaires de l'Amérique du Nord, mais ils en diffè- 
rent assez pour devenir les types d’une espèce nouvelle que 
nous désignons sous le nom de Lyg. nigropunctatum. La pau- 
pière inférieure est munie d’un disque transparent. L'internaso- 
frontale est pentagonale; les fronto-nasales sont plus ou moins 
en rapport entre elles; les fronto-pariétales sont largement 
réunies par une suture médiane. Chacune des régions sur- 
oculaires est protégée par quatre plaques, extérieurement 
bordées par six sourcilières. La nasale est suivie de deux fré- 
nales et de trois fréno-orbitaires, les deux postérieures fort 
petites; la cinquième et la sixième sus-labiale sont placées 
au-dessous de l’œil. L'ouverture auriculaire est grande. La 


(1) Oligosoma Gemmingeri (Cope, Proc. Acad. nat. sc. Philad., 1864, p. 180). 
ARTICLE N° 16. 


SCINCOIDIENS NOUVEAUX. 9 
longueur de la tête, prise du bout du museau au bord posté- 
rieur des pariétales, égale treize à quatorze écailles dorsales 
el correspond au sixième de l’espace situé entre le menton et 
l'anus. Le tronc est entouré de trente à trente et une 
séries longitudinales d’écailles. L’anus est bordé de squames 
beaucoup plus grandes que celles qui les précèdent. La queue 
est longue et effilée à l'extrémité. Les membres sont un peu 
plus longs que chez les espèces précitées. — Longueur totale, 
0,119; longueur de la queue, 0",072. 

Les régions supérieures sont teintées de fauve, faiblement 
pomtillées de noir. Les côtés du cou, du tronc et d’une grande 
partie de la queue sont fortement marqués de points noirs. 
La tête est parcourue latéralement par une ligne de même 
couleur. Parties inférieures d’un blanc jaunâtre. 

Le Lygosoma mgropunctatum ne peut être confondu avec 
le Lyg. fallax (4), également originaire des Indes orientales, 
à raison des caractères suivants : Paupière inférieure garnie 
d'un disque transparent; séries longitudinales d’écailles qui 
entourent le tronc plus nombreuses; scutelles du cloaque plus 
grandes. 

L'autre espèce est un Æuprepes (2), auquel nous imposons 
le nom spécifique de Æupr. ocellatus. Elle à les régions supé- 
rieures du corps garmes d’écalles surmontées de trois carènes 
très-prononcées, sur les reins et sur la première partie de la 
queue. Les membres sont bien développés. Les plaques fronto- 
nasales sont en contact par leur côté Interne. La frontale et 
l’interpariétale sont relativement courtes, tandis que les fronto- 
pariétales sont bien développées dans le sens longitudinal. Les 
pariétales sont suivies d’une paire d’écailles dilatées en travers. 
Sur les côtés du museau, on voit une nasale percée à son bord 


(À) Lygosoma fallaæ Peters (Monatsb. Berlin. Acad., 1860, p. 184). 

(2) Les Euprepes sont plus rares en Amérique que dans l’ancien continent. 
Duméril et Bibron, lors de la publication du 5° volume de l’Erpétologie générale, 
n'en connaissaient aucun de cette partie du monde. Gray (Cat. spec. Lyg. Brit. 
Mus., 1845, p.11) n’en signale que deux espèces : lEupr.maculatus, de Demerary, 
et lEupr. punctatus, de l'ile de Fernando Noronha, située sur la côte du Brésil. 


4 F. BOCOURT. 


postérieur; ensuite une petite naso-frénale, deux frénales 
et deux petites fréno-orbitaires. On compte à droite comme 
à gauche sept sus-labiales; la cinquième bien développée dans 
le sens de la longueur, forme le contour inférieur de l'orbite. 
La paupière inférieure est garnie à sa partie centrale de 
trois écailles transparentes de forme polygonale. L’oreille, 
de médiocre grandeur, est bordée en avant par trois petites 
écailles subconiques. La longueur de la tête, prise du bout 
du museau au bord postérieur des pariétales, égale neuf 
à dix écailles dorsales, et se trouve comprise cinq fois et demie 
dans l’espace situé entre le menton et lanus. Le tronc est 
entouré de trente-deux séries longitudinales d’écailles. La 
queue est cyclotétragone à la naissance, un peu comprimée 
et effilée à son extrémité. — Longueur totale, 0",174 ; longueur 
de la queue, 0",117. 

Les régions supérieures du corps sont d’un Jaune fauve, fai- 
blement maculé de points bruns. Les côtés de la tête, du 
cou, du tronc et de la première partie de la queue sont ornés 
de petits ocelles blancs, cernés de brun, formant des séries 
verticales wrégulières, éloignées les unes des autres par la 
largeur de deux ou trois écailles. Une teinte d’un blanc jau- 
nâtre est répandue sur les parties inférieures. 

Cette petite espèce, originaire de PAmérique septentrionale, 
offre de grands rapports de ressemblance avec lP£Eupr. cari- 
natus, Scheiner (Eupr. Sebæ, Dum. et Bibr.). 


ART. N° 16. 


ÉTUDES 


SUR 


LA LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON DU POULET 


Par le Docteur MATHIAS DUVAH.. 


PREMIÈRE PARTIE. 


DÉFINITION DU SUJET. — PROCÉDÉS D'ÉTUDE. 


On désigne, en embryologie, sous le nom de ligne prinntive, 
un épaississement plus ou moins linéaire (blanc par la lumière 
réfléchie, sombre par la lumière transmise), qui apparaît sur 
le blastoderme dès les premières heures du développement, 
et qui prend bientôt la forme d’une légère gouttière (gouttière 
primitive) ; peu après on constate la présence d’une gouttière 
plus large et plus profonde (gouttière médullaire), dont l’invo- 
lution donnera naissance au système nerveux central (canal 
cérébro-spinal). 

La gouttière primitive et la gouttière médullaire ne sont- 
elles qu'une seule et même formation, observée à des stades 
divers de son développement? Cest la conclusion à laquelle 
arrivent tous nos traités classiques, et, pour ne donner 1c1 
qu'une seule citation, nous reproduirons les lignes suivantes 
des Leçons du professeur Milne Edwards (1) : 

«.…. L'espace plus ou moins translucide ainsi produit a 
reçu le nom d’aire germinative (ou area pellucida), parce que 
c'est dans son intérieur que se montreront bientôt les premiers 
linéaments du jeune animal en voie de formation (vers la 


(1) Milne Edwards, Leg. sur la physiol. et l’anat. comparée, t. IX, p. 454, 


ANN. SC. NAT. — ART, N° 13. 


2 MATHIAS DUVAL., 


sixième ou huitième heure de l’incubation dans l’œuf de 
Poule). Effectivement, on ne tarde pas à y apercevoir une tache 
blanchâtre étroite et allongée, que les embryologistes appellent 
Ja ligne primitive. Elle divise en deux moitiés la portion cen- 
trale du blastoderme, et celles-ci, s’épaississant ensuite de 
chaque côté du trait médian ainsi marqué, donnent naissance 
à une bandelette blanchâtre, qui est, pour ainsi dire, le rudi- 
ment de lembryon futur. Cette tache longitudinale mérite 
donc le nom de bande primitive, et, par l'effet de son épais- 
sissement de chaque côté de la ligne médiane, elle ne tarde 
pas à y être creusée d’un sillon étroit qui indique la place où 
se formeront, plus tard non-seulement le cerveau et la moelle 
épinière, mais aussi toute la portion rachidienne du jeune 
animal. Cette gouttière, que j'appellerai done éérébro-spi- 
nale, se montre de la même manière chez tous les animaux 
vertébrés... » 

Cependant, en consultant le traité d’embryologie de Forster 
et Balfour, dont une traduction à paru dernièrement en 
France (1), on voit que ces auteurs considèrent la gouttière 
primitive et la gouttière médullaire comme deux choses abso- 
lument distinetes : © En avant du sillon primitif se forme 
rapidement, vers la dix-septième heure de l’incubation, un nou- 
veau sillon étroit à sa partie antérieure, et qui va s’élargissant 
beaucoup en arrière, de sorte qu’il embrasse entre ses parois 
divergentes l’extrémité antérieure du sillon primitif. Ce nou- 
veau sillon, dont la transformation en un tube donnera lieu 
au canal médullaire, est connu sous le nom de sillon médul- 
laire. » — Cette description est accompagnée d’une figure 
(op. cit., fig. 11) trop schématique pour avoir une grande 
valeur démonstrative; mais, en consultant quelques récents 
mémoires allemands auxquels Forster et Balfour renvoient 
pour l'historique de cette question, et en remontant de ceux-ci 
aux auteurs antérieurs qui ont plus ou moins heureusement 


(1) Forster et Balfour, Éléments d’embryologie, trad. fr. par E. Rochefort. 
Paris M877;p55Mette 41") 


ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 3 
interprété les rapports de la gouttière primitive avec la 
soutlière médullaire, on constate que cette question à été 
l’objet de nombreux travaux, peu connus en France, et dont 
la nouvelle édition de l’'Embryoloqie de Kôlliker ne donnerait 
pas une idée suffisante, cet auteur s’attachant plus spéciale- 
ment, dans létude de la gouttière primitive, à Pexposé des 
doctrines qui ont cours sur lorigine du mésoderme ou feuillet 
moyen du blastoderme. On constate, d'autre part, que Îles 
différents auteurs, dont nous analyserons plus loin les travaux, 
se sont plus spécialement attachés, les uns à l’étude de Paire 
embryonnaire examinée en surface, lesautres à l'interprétation 
de coupes microscopiques, sans s'inquiéter assez d'établir les 
rapprochements nécessaires entre les images données par ces 
deux modes d'examen. 

Ayant repris ces études, nous croyons être parvenu à con- 
firmer nombre de faits indiqués par les auteurs en question, à 
expliquer et faire disparaître certaines contradictions entre les 
résultats énoncés par chacun d’eux, et enfin à constater quel- 
ques faits nouveaux, intéressants non-seulement par leur 
valeur propre, mais encore par les recherches dontils pourront 
être le point de départ : c’est ainsi que l’étude de la gouttière 
primitive et de la gouttière médullaire nous à amené à nous 
occuper de l’origine du feuillet moyen du blastoderme, et plus 
spécialement de la formation de la corde dorsale. 

Quant aux procédés techniques que nous avons mis en 
usage, nous devons insister ici sur ce qu'ils présentent de 
particulier au point de vue de la facture et de la conservation 
de préparations en surface et en coupe. 

Les œufs de Poule sur lesquels nous avons fait nos obser- 
vations étaient toujours retirés de la couveuse dans les deux 
premiers jours de Pincubation, puisque nos études n'avaient 
pas à porter au delà de la quarante-huitième ou cmquantième 
heure. L’œuf était ouvert à sa partie supérieure sur l’éten- 
due circulaire d’une pièce de deux francs ou un peu plus; sur 
le jaune ainsi mis à nu, se présente l'aire transparente entourée 
de son auréole opaque : on pouvait alors, soit détacher avec 


4 MATHIAS DUVAL. 


précaution, dans une cuvette pleine d’eau à la température 
de 39 degrés, ce disque blastodermique, pour lPexaminer en 
surface au microscope, soit faire durer le jaune en masse dans 
l'acide chromique, pour pratiquer ensuite des coupes du 
disque blastodermique. Ce mode de procéder, employé par la 
plupart des embryologistes, a l'inconvénient de ne fournir 
aucun repère certain pour la comparaison entre les pré- 
parations en surface et les préparations en coupe, de trop 
donner ainsi à l'interprétation et pas assez à l’observation 
rigoureuse. 

Dans un ordre de recherches aussi délicates, l'idéal devrait 
être, comme nous l'avons fait pressentir, de conserver, s’il était 
possible, le même embryon à la fois sous forme de préparations 
en coupe et sous forme de préparations en surface. Nous 
sornmes arrivé à peu près exactement à ce résultat en pro- 
cédant de la manière suivante. Dans tous les cas, au moment 
où l’œuf vient d’être ouvert, sur le disque blastode-mique (qui 
à cette époque n’est pas fixe et vient toujours se présenter au 
point où l’on ouvre l’œuf) nous déposions quelques gouttes 
d’une solution concentrée d'acide osmique, selon le procédé 
indiqué par G. Pouchet (1); aussitôt que laire touchée par 
cette solution commençait à virer légèrement au noir, ce qui 
avait lieu au bout de trente à soixante secondes, nous lavions 
en projetant avec une pipette quelques gouttes d’eau distillée, 
puis, l'œuf étant plongé dans un eristallisoir pleim d’eau, avec 
de fins ciseaux nous découpions cireulairement le disque blasto- 
dermique, opération très-facile : car, par l’action de lacide 
osmique, le blastoderme est devenu ferme et se laisse couper 
aux ciseaux comme une feuille de papier; de plus, 1l s’enlève 
sans entraîner à sa face inférieure aucune des granulations du 
jaune, de telle sorte qu’on obtient en définitive un disque bien 
transparent. Pour amener ce mince disque à Pétat de dur- 
cissement et de fixation nécessaire, nous le placions aussitôt 


(1) G. Pouchet, De l’emplor de l'acide osmique en solutions concentrées 
(Journal de lanat. et de la physiol., 1876, numéro de sept.) 


ARTICLE N° 17; 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. ) 
dans lalcool à 40 degrés, où il pouvait séjourner vingt-quatre 
heures ou plus; sorti de l'alcool, il était lavé à l’eau, puis 
déposé dans une solution de picro-carmin, qui pénètre et colore 
en vingt-quatre heures le blastoderme et l'embryon dans toute 
son épaisseur (il s’agit toujours de blastoderme n'ayant pas 
dépassé quarante-huit à cinquante heures d’mcubation). Enfin, 
après avoir subi cette coloration, la pièce était transportée sur 
une lame de verre, arrosée d’une goutte de glycérine et recou- 
verte d'une lamelle dont le pourtour était provisoirement luté 
à la paraffine. 

Nous avons ainsi réuni une abondante collecuon de blasto- 
dermes recueillis à toutes les heures des deux premiers jours 
de l’incubation; ces préparations transparentes nous per- 
mettaient de suivre stade par stade l'aspect que présente l'aire 
transparente, puis l’embryon apparu dans sa portion centrale, 
en eXaminant au microscope ces parties vues en surface. Ces 
mêmes préparations nous servaient à pratiquer des coupes dans 
les conditions que nous allons préciser, et qui sont le point 
important de ces détails techniques. 

Tous les embryologistes ont remarqué depuis longtemps que, 
surtout pendant les premiers jours de lincubation, deux œufs 
examinés après un séjour exactement égal dans la couveuse, 
peuvent présenter des degrés de développement très-différents, 
et qu'inversement on peut constater le même degré de déve- 
loppement sur des œufs qui ont été soumis pendant des durées 
inégales à l’incubation. C’est pourquoi, lorsqu'on étudie des 
phénomènes de formation qui se succèdent à court intervalle, 
comme l'apparition de la gouttière primitive et celle de la gout- 
fière médulluire, 1 serait illusoire de croire que deux blasto- 
dermes sont arrivés exactement au même degré d'évolution 
parce que tous deux ont été retirés après un séjour égal à la 
température de 39 degrés. Pour établir lidentité de deux 
embryons, dans les deux premiers jours du développement, il 
faut constater directement cet état identique; et lorsque la 
comparaison de deux blastodermes, par lexamen microsco- 
pique de leur préparation en surface, aura autorisé à les 


6 MATHIAS DUVAL. 

regarder comme arrivés au même point de formation, 1l se 
trouvera, par exemple, que Pun a été incubé pendant dix-huit 
heures et l’autre pendant treize à quinze heures seulement. 
C’est pour éviter les erreurs inséparables de toute étude dans 
laquelle on ne tient compte que de la durée de lincubation, 
que nous avons disposé tous nos blastodermes en collection de 
préparations (provisoires) en surface. Sur ces préparations nous 
faisions une série d'examens préalables qui nous permettaient 
de trouver, pour chaque stade du développement, deux blasto- 
dermes exactement identiques. 

Supposons le blastoderme représenté fig. 2 (pl. 13). Lorsque 
nous avions trouvé deux préparations en surface présentant 
identiquement les aspects représentés dans cette figure, blasto- 
dermes dont l’un pouvait du reste porter la note de dix-sept 
heures, et l’autre celle de vingt et une (en moyenne dix-neuf 
heures), nous faisions subir à ces deux pièces un sort tout 
différent : 4° L'une restait sous la forme de préparation en 
surface, seulement la plaque et la lamelle entre lesquelles elle 
était renfermée étaient fixées par un lutage définitif au bitume 
de Judée ou à la cire, et demeurait désormais comme pré- 
paration (définitive) en surface, devant servir de repère aux 
préparations en coupe. 2 L'autre, destinée à subir ces 
coupes, était retirée de la glycérine (1), plongée quelques 
heures dans l’alcool à 40 degrés, ou même dans l'alcool absolu, 
puis montée dans un des mélanges bien connus pour la pra- 
tique de coupes sur de petits organes (par exemple, cire et 

(1) Nous avons eu, dans d’autres recherches, l’occasion d'apprécier l'influence 
du séjour des pièces de ce genre dans la glycérine; à propos de recherches sur 
l’origine de l’allantoïde, nous disions : «Nous devons faire remarquer que si, 
après coloration en masse par le carmin, on ne pouvait procéder immédiate- 
ment aux coupes, il faudrait, pour que la pièce ne devienne pas friable et im- 
praticable, la conserver dans la glycérine ; par ce procédé nous avons pu faire 
nos coupes sur des embryons qui avaient subi un mois auparavant le durcisse- 
ment par l’acide osmique. Ce détail est précieux, car tous les auteurs (voy 
Pouchet, 0p. cit.) déplorent que l’usage de l’acide osmique rende nécessaire la 
pratique immédiate des coupes, vu l'extrême friabilité que prennent par le 
temps les pièces ainsi durcies. » (Etude sur l'origine de l'allantoïde. — Revue 
des sciences naturelles, sept. 1877.) 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 7 
huile). Dans ce montage nous avions soin de bien orienter la 
ligne primitive, avec points de repère, de façon à être en 
mesure de faire les coupes bien perpendiculairement à cette 
ligne, c’est-à-dire, d’une manière générale, à Paxe même de 
l'embryon. 

Toutes les coupes faites sur une préparation de ce genre, 
coupes qui allaient successivement de la région antérieure vers 
la région postérieure, étaient montées entre lames et lamelles 
numérotées et conservées. Nous pouvions ainsi feuilleter 
ensuite, coupe par coupe, Pembryon dont nous avions la pré- 
paration en surface, et, par une attentive comparaison, déter- 
miner exactement à quelle région de cet embryon correspondait 
telle coupe. 

C'est ce que nous nous sommes efforcé de préciser égale- 
ment sur nos dessins. Comme le montrera un coup d'œil jeté 
sur les six planches qui accompagnent ce mémoire, nous 
n'avons pas voulu représenter des coupes en leur donnant pour 
explication, par exemple, la légende : «Coupe faite dans le tiers 
antérieur de la ligne primitive d’un blastoderme de dix-neuf 
heures d’incubation. » Une telle indication serait absolument 
insuffisante pour des recherches aussi délicates, qui ont un 
but à la fois descriptif et critique, et doivent elles-mêmes pro- 
voquer des recherches critiques. D’abord ce blastoderme de 
dix-neuf heures a été représenté(pl. 13, fig. 2), et sert de type à 
un stade de développement qui peut se présenter, nous l’a- 
vons déjà dit, après dix-sept heures ou seulement après vingt 
heures ou plus d’incubation; ensuite nous avons choisi, parmi 
les coupes pratiquées sur un blastoderme identique, celles 
qui nous ont paru devoir être reproduites par le dessin, et 
nous en avons donné la figure à côté de celle du blastoderme 
vu en surface, indiquant par des lignes et des lettres de renvoi 
les niveaux correspondant à chacune de ces coupes. 

On voit que si cette manière de procéder est, quant aux 
préparations, longue et minutieuse, elle est du moins de 
nature à nous donner des résultats empreints d’un grand 
caractère de certitude. On voit de plus que, quant à la repré- 


8 MATHIAS DUVAL. 


sentation de ces résultats par le dessin, elle permet de dis- 
poser des planches qui se lisent pour ainsi dire par elles- 
mêmes, et qui permettent de parcourir des yeux, presque sans 
avoir recours au texte explicatif, la série des phases du 
développement telles que les donnent parallèlement les pré- 
parations en surface et les préparations en coupe. 


DEUXIÈME PARTIE. 


EXPOSÉ DES FAITS : TROIS PÉRIODES DANS L'ÉVOLUTION DE LA GOUTTIÈRE 
PRIMITIVE. 


x 


Pour arriver à une expression plus nette des faits, nous 
croyons devoir diviser en trois périodes les phénomènes d’évo- 
lution que nous allons étudier. Quoique l'indication des frac- 
tions de jour ne soit pas à ce point de vue d’une grande rigueur, 
ainsi que nous l’avons fait remarquer précédemment, nous 
pouvons dire que la première période s'étend ex moyenne de 
la quatorzième à la vingt-deuxième heure de lincubation ; la 
seconde, de la vingt-troisième à la trente-deuxième heure; et 
la troisième, de la trente-troisième heure à la fin du second jour 
ou même jusqu’à la cinquantième heure. 


PREMIÈRE PÉRIODE. — Apparition et développement de la ligne et de la gouttière 
primitives; ligne épiaxiale et globules épiaxiaux. 


Les phénomènes successifs du développement sont intime- 
ment liés les uns aux autres, de telle sorte qu’on peut dire que 
celui qui se présente à un moment donné est dans un rapport 
direct aussi bien avec celui qui le précède qu'avec celui qui va 
le suivre immédiatement. Aussi l'étude de Papparition de la 
ligne primitive devrait-elle être précédée de celle de la forma- 
tion des deux feuillets primitifs du blastoderme, en remontant 
ainsi jusqu’à l’époque plus primitive encore de la segmentation 
de la cicatricule. Cependant, comme nous ne sommes pas en 
mesure de fournir des renseignements nouveaux sur ces actes 
primordiaux ; comme les procédés de préparation propres à 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 9 


cette étude doivent différer de ceux que nous avons employés 
pour notre but spécial, nous renvoyons aux traités classiques 
pour tout ce qui regarde ces premières phases, et entrant brus- 
quement dans l’histoire de l’embryon par une sorte de brèche 
artificielle, nous abordons directement lPétude d’un blasto- 
derme de quatorze heures d’incubation, qui est représenté 
dans la figure 4 de la planche 13. 

On voit que sur ce blastoderme l'aire transparente présente 
dans son centre une partie plus foncée, légèrement ovale ,à bords 
mal définis : e’est la fache embryonnaire. 

En avant de cette tache embryonnaire, dans la partie de 
l'aire transparente qui lui confine immédiatement, on voit une 
ligne courbe à aspect peu homogène, une sorte de croissant à 
concavité postérieure (au niveau de la ligne 4), formé de taches 
irrégulièrement opaques et claires; nous donnerons à cette 
ligne le nom de croissant antérieur, dénomination qui ne 
préjuge en rien sa nature, et qui, par suite, convient mieux que 
celle de pli antérieur, employée par His, d'autant qu’il ne s’agit 
pas 1e1 réellement d’un pli. 

Sur la ligne médiane des trois quarts postérieurs de la tache 
embryonnaire, on voit une bande antéro-postérieure plus 
sombre : c’estla ligne primitive; sa partie antérieure (au niveau 
de la ligne e) est un peu plus large et plus sombre (tête de la 
hyne primitive, futur renflement caudal) ; son extrémité posté- 
rieure est moins foncée et un peu effilée (queue de la ligne pri- 
milive). 

Entre la fête de la ligne primitive et Le croissant antérieur 
(entre & et c), se trouve une région de la tache embryonnaire 
(en b) qui ne présente rien de particulier; comme cependant 
nous verrons bientôt que c’est dans cette zone, et en elle seule- 
ment, que se forme le dos de l'embryon, nous donnerons à cette 
partie le nom de zone tergale (le mot dorsale pourrait prêter 
à confusion). 

Ces distinctions étant bien établies entre le croissant anté- 
rieur d’une part, et d'autre part la tache embryonnaire avec sa 
zone dorsale, et Sa partie parcourue par la ligne primitive, 

ANN. SC. NAT., MAI 1878. VII, (9. — ART. N° 17. 


10 MATHIAS DUVAL. 
voyons ce que nous enseigne l'examen de coupes pratiquées 
à ces différents niveaux. 

Une coupe pratiquée à la partie moyenne de la ligne primi- 
tive (fig. À e), suivant la ligne 6, nous montre que sur toute sa 
partie périphérique le blastoderme n’est composé que de deux 
feuillets, le feuillet interne, ou endoderme, formé d’une seule 
couche de cellules aplaties (en fuseau sur lacoupe), etle feuillet 
externe, ou exoderme, formé de cellules cubiques ou cylin- 
driques. Ges dernières, vers les parties centrales, se disposent 
surdeux couches, produisant ainsi un épaississement qui cor- 
respond à la tache embryonnaire. Les couches sont encore plus 
nombreuses dans la partie qui correspond à la coupe de la ligne 
primitive : ici le feuillet externe forme un épaississement, 
convexe et bien limité vers la face externe, convexe également, 
mais mal limité, vers la face interne, vers celle qui regarde 
l’endoderme. On voit en effet que, sur ce point, les cellules du 
feuillet externe paraissent se multiplier et s’insinuer de chaque 
côté de la ligne médiane, entre le feuillet externe et le feuillet 
interne, pour donner naissance au feuillet moyen. 

Une coupe portant sur une partie un peu plus antérieure 
(fig. 1 d) montre les mêmes dispositions, sauf quant au pomt 
suivant, à savoir, qu'au niveau de la ligne primitive la surface 
externe de l’exoderme n’est plus convexe, mais légèrement 
concave; &’est-à-dire que la ligne primitive commence à se 
creuser en goutlière prumilive. 

Cependant, en examinant une coupe faite à l'extrémité tout 
antérieure de la ligne primitive, au niveau de la fête de cette 
ligne (fig. 1 e), le feuillet externe, ou exoderme, a de nouveau 
repris sa forme convexe vers la superficie : ici cette portion de 
la ligne primitive se présente comme un renflement déjà consi- 
dérable, au niveau duquel les cellules exodermiques sont 
disposées en stratifications multiples et donnent, à la face 
profonde du feuillet, naissance aux éléments du mésoderme 
d’une manière plus prononcée qu’au niveau des coupes précé- 
dentes. il semble de plus qu'eu ce point les éléments de la 
portion de l’endoderme immédiatement sous-acente àla ligne 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 11 
primitive ne sont plus aussi régulièrement configurés que dans 
les parties périphériques de cette même coupe et que dans les 
parties centrales mêmes des coupes précédentes : à côté d’élé- 
ments aplatis et régulièrement fusiformes, on en trouve de plus 
ou moins sphériques, qui se distinguent peu, par leur forme, 
de ceux qui prennent part à la constitution du feuillet moyen : 
il semble, de plus, qu'ici laséparation n’est pas biennette entre 
l’endoderme et le mésoderme, auquel donne naissance Pexo- 
derme. Ce sont là des caractères que nous verrons s’accentuer 
de plus en plus en étudiant bientôt des blastodermes plus 
avancés dans leur développement ; la région de la tte de la 
ligne primitive méritera donc tout particulièrement de fixer 
notre attention. 

Ces trois coupes (e, d, c,) se rapportent à la région de la 
tache embryonnaire parcourue par la ligne primitive. Si nous 
examinons de même les coupes portant sur la zone lergale et 
sur le croissant antérieur, nous observons les faits suivants : 

Sur la coupe qui porte sur la partie moyenne de la zone 
tergale (fig. 1 b), nous constatons que le feuillet externe est, 
à sa face interne comme à sa face externe, très-nettement 
limité ; 11 se compose, dans ses parties centrales, de deux ou 
trois couches de cellules plus ou moins cubiques ou cylindri- 
ques, et le léger épaississement qu'il présente ainsi correspond 
à là tache embryonnaire; mais sa partie tout à fait centrale 
(axiale) ne présente plus cette disposition de cellules s’en déta- 
chant, comme dans les régions précédentes, pour donner nais- 
sance aux éléments du feuillet moyen. — Au contraire, le 
feuillet interne est ici moins bien défini : il se compose bien 
encore de cellules à aspect fusiforme, mais, entre ces cellules 
et au-dessus d'elles, on trouve des éléments plus arrondis, 
irréguliers, qui semblentse détacher de ce feuillet interne pour 
aller former les premiers rudiments du feuillet moyen de la 
zone tergale. Cependant, d'après l'examen d’un grand nombre 
de préparations, en dehors de celles que nous avons repré- 
sentées, nous croyons devoir donner à ee processus une expres- 
sion un peu différente, en disant qu'ici le feuillet interne et le 


19 MATHIAS DUVAE. 


feuillet moyen se forment aux dépens d’une même masse de 
sphères de segmentation, qui se divisent de manière à former 
une couche inférieure plus uniforme, le feuillet interne, et une 
couche supérieure, en connexion avec la précédente, mais 
formées d'éléments irrégulhièrement épars, et qui ne se dispose- 
ront qu'ultérieurement, après s'être multiphiés, en feuillet 
moyen du blastoderme. Gette origine du feuillet moyen et du 
feuillet interne aux dépens d’une masse primitivement Imdiffé- 
rente de sphères de segmentation, et alors que le feuillet externe 
est parfaitement constitué, est d’ailleurs évidente sur les coupes 
qui nous montrent la constitution du blastoderme au niveau 
du croissant antérieur. 

En effet, sur cette coupe (fig. 1 «), dont la partie moyenne 
correspond précisément à la région la plus large du croissant 
(voy. la ligne a), nous constatons que dans cette portion du 
croissant il n'y a pas encore réellement de feuillet interne, 
mais seulement une série de masses irrégulières de petites 
sphères résultant des derniers processus de segmentation. 
Nous pouvons donc en conelure que le croissant antérieur, avec 
ses aspects particuliers de taches irrégulières alternativement 
claires et foncées, nous représente une région où se poursui- 
vent encore les phénomènes de segmentation de sphères vitel- 
lines servant à l'accroissement du feuillet interne et à la 
formation du feuillet moyen dans la partie antérieure de la 
zone tergale de l'embryon. 

Cette question de la signification du croissant antérieur est 
ici accessoire ; elle n’a que des rapports indirects avec la ligne 
primitive : e’est pourquoi nous devons indiquer rapidement 
ce qu'il devient ultérieurement, afin de ne plus avoir à revenir 
sur cette étude. On voit sur la fig. 2 (pl. 15) que ce croissant 
est situé très en avant de l’aire embryonnaire; sur la figure 5 
(pl. 14), nous le retrouvons encore, placé toujours en avant 
de la zone tergale, ce quimontre bien qu'il wa rien à faire avec 
l'apparition de la gouttière nerveuse et de la corde dorsale 
(voy. plus loin) apparues dans cette Zone. Sur des blastodermes 
plus âgés il a parfois complétement disparu; mais parfois, 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 13 


alors même que le blastoderme s’est recourbé en avant et en 
bas pour constituer le capuchon intestinal antérieur, ce crois- 
sant est encore visible en avant de ce capuchon et bien distinet 
d'avec lui (voy. fig. 5, pl. 15); ce qui prouve encore que le 
croissant antérieur n’a rien à faire avec le capuchon intestinal. 
Dans la région qu'il occupe (fig. 3 et fig. 5) va se former le 
capuchon céphalique de Pamnios; mais comme ce capuchon 
se forme ici uniquement par une duplicature du feuilletexterne, 
tandis que le croissant antérieur appartientau feuillet interne, 
il est également impossible de chercher à voir dans ce croissant 
aucun rapport avec ce capuchon. Nous pouvons donc dire que 
le croissant antérieur ne répond à aucun des plis par lesquels 
se circonscriront les parties antérieures du corps de Pembryon 
ou de son enveloppe amniotique, mais qu’il représente seule- 
ment une masse de sphères de segmentation irrégulièrement 
différenciées en éléments du feuillet interne, et servant à l’ac- 
croissement en surface de ce feuillet mterne. Ges petites masses 
de segmentation sont plus ou moins vite épuisées,et c’est pour- 
quoi lecroissant disparait plus ou moins vite,et montre en tout 
cas de grandes variétés d’étendue, sur les blastodermes en voie 
de développement. 

Revenant à l'objet plus spécial de nos études, c’est-à-dire 
à la zone tergale et à la ligne primitive, nous allons examiner 
les changements de ces parties sur un blastoderme de dix-neuf 
heures. 

Pour ce qui est de la zone tergale, nous voyons (fig. 2, pl. 15) 
que cette partie n’a subi aucune modification. D'abord, exa- 
minée en surface (fig. ?, selon laligne a), elle ne montre aucun 
accroissement, el il semblerait plutôt que la ligne primitive 
a un peu empiété sur elle. Quant à sa constitution, la coupe 
pratiquée à ce niveau (fig. 2 a) montre qu'ici encore aucun 
changement ne s’est produit : nous trouvons toujours un feuillet 
interne mal délimité et confondu avec les éléments cellulaires 
qui vont constituer le feuillet moyen, et au-dessus de cette 
double couche endo-mésodermique nous voyons un feuillet 
externe toujours aussi nettement délimité à sa surface externe 


14 MATHIAS DUVAL. 


qu’à sa surface interne. Il faut cependant remarquer que ce 
feuillet externe présente un notable épaississement en rapport 
avec la formation de la gouttière nerveuse ou médullaire, que 
nous verrons bientôt apparaître en ce point (voy. 2° période). 

Au contraire, la région de la ligne primitive a subi, de la 
quatorzième à la dix-neuvième heure, un développement et des 
modifications considérables. 

D'abord la ligne primitive a beaucoup augmenté de longueur : 
elle a en effet, dans ce sens, des dimensions presque triples que 
précédemment. En même temps son aspect à changé: sur le 
blastoderme de quatorze heures elle se présentait, vue en sur- 
face, comme une bandelette à peu près homogène ; c’est à peine 
si à sa partie antérieure (fig. 1, au niveau de la ligne W) on dis- 
tinguait comme une petite fossette, qu'une coupe (fig. 1 d) 
faisait reconnaître pour un commencement de gouttière. Sur 
le blastoderme de dix-neuf heures, cette fossette s’est étendue 
sur toute la longueur de la bandelette primitive, qui se pré- 
sente maintenant comme une longue gouttière (voy. la coupe, 
fig. 2c), c’est-à-dire qu’elle a, vue en surface, l’aspect d’une 
double ligne sombre, avec une ligne claire médiane. Aux deux 
extrémités, mais surtout à l’extrémité antérieure, ces deux 
lignes sombres se rejoignent et forment en avant une tache plus 
obscure, qui mérite toujours le nom de téfe de la ligne prinn- 
tive. On voit, en effet, qu'une coupe pratiquée à ce niveau 
(fig. 2 &) nous montre les caractères précédemment indiqués 
pour cette tête, c’est-à-dire, d’une part un énorme épaississe- 
ment du feuillet externe, donnant, par sa face profonde, nais- 
sance à denombreux éléments du feuillet moyen, et d’autre 
part une adhérence imtime entre ce feuillet moyen en voie de 
formation et le feuillet interne, de sorte qu'à ce niveau l’exo- 
derme, le mésoderme et l’endoderme nesont pas séparés et sont 
directement unis. Ajoutons que sur les autres coupes de cette 
même ligne primitive (fig. ? c), on voit, comme sur le blasto- 
derme de quatorze heures, le feuillet interne parfaitement 
constitué et partant bien délimité, et le feuillet externe, au 


niveau de la ligne primitive, épaissi et donnant naissance aux 
ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMPBRYON. 15 


éléments qui s'étendent déjà très-loin entre l’exoderme et 
l’endoderme pour constituer le feuillet moyen. 

Mais outre ces dispositions, qui ne sont que le développe- 
ment ou la modification de celles qu'il offrait déjà à la quator- 
zième heure, le blastoderme de dix-neuf heures présente, dans 
sa ligne primitive, un aspect tout nouveau : nous voulons 
parler du mince filament obscure (fig. 2) qui, sous forme 
d’un trait noir un peu tremblé et irrégulièrement interrompu, 
parcourt le centre de la partie claire de la ligne primitive, ou, 
pour le dire en un mot, le fond de la gouttière primitive, 
puisque désormais une gouttière a succédé à la bandelette. 
Pour des raisons qui ressortiront de la description qui va suivre, 
nous donnerons à ce trait noir d’un aspect si particulier lenom 
de ligne ou de filament épiaxial; et comme, tout en étant par- 
venu à déterminer parfaitement la nature de ce filament, nous 
ne sommes pas encore en état d'indiquer ni son origine, ni de 
préciser parfaitement ses transformations ultérieures, si toute- 
fois il en subit qui lui assignent une véritable signification, 
nous donnerons immédiatement l’histoire complète de ce fila- 
ment épiaxial, sur l'interprétation duquel nous n’aurons que 
peu à revenir dans nos conclusions générales. 

Si pour le moment nous laissons de côté les auteurs qui ont 
confondu le filament épiaxial avec la corde dorsale, nous 
pouvons dire qu’un seul embryologiste a bien aperçu ce fila- 
ment et s’est particulièrement occupé d’en déterminer la 
nature et les connexions. Le mémoire de Dursy, auquel nous 
faisons allusion, contient à ce sujet une page assezremarquable 
pour que nous en reproduisions 1c1 la traduction à peu près tex- 
tuelle. « Dans les premiers jours de lincubation, dit Dursy, 
on aperçoit, dans le fond transparent de la gouttière de la ligne 
primitive, un filament très-ténu, noir à la lumière transmise, 
blanc à la lumière réfléchie : ce filament parait constitué par 
une traînée souvent interrompue de petites sphères finement 
granulées, placées à la suite les unes des autres. Son trajet 
n'est pas rectiligne, mais on le voit souvent se porter à droite 
ou à gauche, et disparaitre sous les parties latérales sombres 


16 MATHIAS DUVAL. 
de la gouttière primitive. Son extrémité postérieure estondulée 
et souvent même tortillée comme en tire-bouchon. [1 m'a été 
donné une fois, sur un blastoderne examiné dans Peau par sa 
face supérieure, de voir ce filament se détacher et flotter hbre- 
ment dans le liquide. Jamais je n’ai pu lui découvrir d’enve- 
loppe particulière; jamais non plus Je n’ai pu, sur des coupes 
de la ligne primitive, retrouver des traces de ce filament, ce 
qui tient sans doute à son extrême ténuité. Souvent ce n’est 
qu'après avoir fait agir l’acide acétique qu’on aperçoit nette- 
ment sur les préparations en surface... Baer a observé ce fila- 
ment, et l’a considéré comme la corde dorsale. Pour le dis- 
tinguer de la corde dorsale, je le nommerai filament axial 
(Axenfaden) de la ligne primitive; mais Je ne puis donner de 
renseignements précis sur ses rapports exacts avec les parties 
qui forment le fond de la gouttière primitive, parce que je n'ai 
pu parvenir à l’étudier sur des coupes transversales (1). » 
Nous sommes en mesure de rectifier et de compléter sur ce 
dernier point la description de Dursy. D'abord ce filament ne 
s’est jamais présenté à nous aussi onduleux ou entortillé que le 
décrit Dursy à son extrémité postérieure ; c’est que sans doute 
l'emploi de l’acide osmique, qui fixe si exactement et si instan- 
tanément les éléments anatomiques dans leurs formes et leurs 
rapports, a empêché sur nos préparations ce filament de 
devenir mobile, comme il le devenait sans doute sur les pièces 
de Dursy, puisque une fois cet auteur à vu le filament en ques- 
tion se détacher complétement et flotter dans le hquide. Nous 
devons ajouter que, par contre, sur les préparations en sur- 
face, l'acide osmique ne rend pas toujours ce filament très- 
visible, de sorte qu'on trouve un certain nombre de prépara- 
tions où il est à peine apparent; mais nous avons vérifié l’asser- 
tion de Dursy, à savoir, que par l'emploi de l'acide acétique il 
n'arrive jamais de ne pas constater la présence de ce filament. 
Le fait le plus important, c’est que nous avons retrouvé 
les éléments de ce filament sur les coupes transversales : 


(1) E. Dursy, Der Primitivstreif des Hühchens. Lahr, 1867, p. 35 et 36. 
ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 47 


l'usage de l'acide osmique, puis l'emploi d’an mélange homo- 
gène (voy. ci-dessus, p. 4), dans lequel étaient pratiquées les 
coupes, nous expliquent dans ce cas la conservation de ee fila- 
ment. Comme le montrent les figures 2e (pl. 13),3d et3e 
(pl. 414), et la figure 4e (pl. 15), on trouve dans la partie la 
plus concave de la gouttière primitive un ou deux globules 
irréguliers et de dimensions variables : tantôt 1ls sont disposés 
côte à côte, tantôt 1ls sont superposés, tantôt enfin ils font 
complétement défaut; toutes dispositions qui dépendent de ce 
que la coupe a porté, soit sur une partie épaisse, soit sur une 
partie mince, soit enfin sur une des interruptions de la traînée 
pointillée qui forme ce filament épiaxial. Ces globules paraissent 
entourés d'une légère couche d’afbumine transparente qui les 
réunit entre eux et les fixe à la surface de [a gouttière primi- 
tive : ils se colorent peu par le carmin; ils ne paraissent pas 
renfermer de noyaux. Comme ils sont situés en dehors du 
blastoderme, c’est-à-dire au-dessus de sa surface externe, au- 
dessus de l’axe de la gouttière primitive, et nullement compris 
dans son épaisseur, nous proposons de leur donner le nom de 
globules épiaxiaux ; c’est pourquoi nous avons appelé filament 
épiaxial la trainée sombre pomtllée qu'ils forment par leur 
ensemble. 

Nous ne pouvons rien dire de l’origine de ces éléments. A 
mesure que la gouttière primitive subit les modifications que 
nous allons décrire dans les périodes suivantes, le filament 
épiaxial devient de moins en moins visible; cela tient en 
partie à l’aspect foncé des préparations en surface, c’est-à- 
dire à l’épaisseur croissante du blastoderme; car, sur les 
coupes, on retrouve encore, mais de plus en plus rarement, des 
globules épiaxiaux, souvent déformés, plissés. Tous ces faits, 
joints à cette considération que ces éléments ne présentent pas 
de noyaux, doit porter à les considérer comme ne jouant qu’un 
rôle peu important dans le développement : l’embryologie 
comparée apportera sans doute des éclaircissements à cette 
question; tout au plus peut-on, pour le moment, émettre 
l’hypothèse que ces globules épiaxiaux représentent une sorte 


18 MATIIIAS DUVAL. 

d’excretum, une matière rejetée au niveau de la gouttière pri- 
milive et en rapport avec les phénomènes actifs de prolifération 
qui se passent au niveau de cette gouttière. 

Nous pouvons résumer les phénomènes qui caractérisent la 
première période (de la quatorzième à la vingt-deuxième heure 
de l’incubation) en disant : 

La tache embryonnaire se compose à cette époque de deux 
parties : l° une partie antérieure, zone terqale, relativement 
très-étroite, qui n'augmente pas d’étendue pendant cette 
période ; 2° une partie postérieure, occupée par la ligne primi- 
live, puis par la gouttière primitive, partie relativement consi- 
dérable et dont l'étendue devient, dans cet espace de sept 
ou huit heures, triple ou quadruple de ce qu’elle était primi- 
tivement. Quant à la constitution du blastoderme, elle est 
différente dans ces deux régions. Dans la zone tergale, on 
trouve un feuillet externe bien limité à ses deux surfaces, et 
un feuillet interne mal limité, en voie de formation, paraissant 
donner naissance aux éléments du feuillet moyen du blasto- 
derme, ou tout au moins partager avec ces éléments une 
origine commune dans des sphères de segmentation. Dans la 
région de la ligne primitive au contraire, on trouve un feuillet 
interne bien limité, tandis que le feuillet externe présente à la 
face profonde de la ligne primitive une active prolifération 
donnant naissance aux éléments du feuillet moyen. Le feuillet 
moyen se présente donc, à son origine, comme une dépendance 
du feuillet interne dans la zone tergale, et comme une dépen- 
dance du feuillet externe dans la région de la ligne primitive; 
au niveau de la tête de la ligne primitive, point de jonction des 
deux régions sus-indiquées, le feuillet moyen présente sous ce 
rapport des caractères mixtes, en ce qu’il paraît provenir à la 
lois du feuillet externe et du feuillet interne, c’est-à-dire que 
dans le renflement relativement volumineux qu’on observe à 
ce niveau (fig. 1 cet fig. 2 b), les trois feuillets sont mtimement 
unis et confondus. Ce renflement, ou tête de la ligne primitive, 
peut être désigné sous le nom de renflement caudal en raison 
de son évolution ultérieure (voy. 3° période). 

ARTICLE N° 17 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 19 


DEUXIÈME PÉRIODE. — État stationnaire de la goutlière primitive; apparition 
de la gouttière médullaire et de la corde dorsale (dans la zone lergale). 
Quand la gouttière primitive a pris le développement qu’elle 

présente sur un blastoderme de dix-neuf heures environ (fig. 2), 
elle reste un certain temps dans cet état, sans présenter 
de modification notable, environ jusqu’à la trente-deuxième 
heure de l’incubation. Get état stationnaire de la gouttière pri- 
mitive caractérise ce que nous appelons la deuxième période, 
pendant laquelle se produisent, en avant de la région de la 
oouttière primitive, dans la zone tergale, des modifications 
particulières qui vont donner lieu à la formation de la gouttière 
médullaire et de la corde dorsale. 

Pour ce qui est de l’état stationnaire de la gouttière primi- 
tive, il est rendu évident par la plus simple inspection des 
figures 3, 4 et 5. Dans la figure 3, la gouttière (vingt-quatre 
heures) paraît au premier abord un peu plus longue que celle 
de la figure 2 (dix-neuf. heures) ; mais cette différence n’est 
qu'apparente, la figure 3 ayant été dessinée à un grossisse- 
ment de 26 diamètres, et la figure 2 à un grossissement de 
20 seulement. C’est à peine si vers la vingt-neuvième heure 
(fig. 5) la longueur de cette gouttière a augmenté d’une faible 
fraction. Nous pouvons donc la considérer comme stationnaire 
pendant toute cette période au point de vue de ses dimensions. 
Il en est de même au point de vue de son aspect général, 
puisque sur les figures 3, # et 5 on constate que cette gouttière, 
examinée en surface, se présente toujours comme formée de 
deux traînées sombres, séparées par une ligne claire, dans 
laquelle apparaît le filament épiaxial. On peut cependant remar- 
quer que la ligne claire est devenue un peu plus large, c’est-à- 
dire que la gouttière est un peu plus évasée, en même temps 
que la tête de la ligne primitive présente un aspect plus foncé, 
c’est-à-dire que le renflement caudal s’est notablement épaissi. 
C’est ce que confirme l'examen des coupes pratiquées sur les 
gouttières primitives de vingt-quatre heures (fig. 3 €, 3 d,5 e), 
et de vingt-six heures (fig. 4d, 4e), et les figures auxquelles nous 


90 MATHEIAS DUVAL. 


renvoyons le lecteur parlent assez elles-mêmes, en raison de 
leur disposition, pour que nous puissions nous dispenser d’in- 
sister ici sur leur interprétation. 

Par contre, les formations qui apparaissent en avant de la 
région de la ligne primitive, dans ce que nous avons appelé la 
zone tergale, méritent de nous arrêter plus longtemps, puisque 
l'étude de ces parties, comparativement aux précédentes, 
forme un des points essentiels du présent mémoire, la distine- 
Lion de la gouitière primitive d'avec la gouttière médullaire. 

Nous devons d’abord remarquer laccroissement de cette 
zone tergale. Sur le blastoderme précédemment étudié, entre 
la dix-neuvième et la vingtième heure de lincubation, cette 
zone égalait à peine, dans son étendue antéro-postérieure 
(fig. 2, de la ligne a à la ligne b), le sixième ou le septième de 
la longueur de la gouttière primitive; à la vingt-quatrième 
heure (fig. 3), cette étendue (de la ligne a à la ligne 6, fig. 5) 
est égale à la moitié de fa longueur de la ligne primitive; à la 
vingt-sixième heure, ces deux parties sont égales (fig. 4), et 
enfin à la vingt-neuvième heure (fig. 5) une nouvelle imégalité 
apparait, mais cette fois en faveur de la zone tergale. 

En même temps que se produit cet accroissement, des for- 
mations nouvelles apparaissent dans cette région. La figure 3 
(blastoderme de vingt-quatre heures) nous y montre en effet, 
d’abord une ligne sombre qui, partant de la tête de la gouttière 
primitive, se dirige directement en avant : c’est la corde dor- 
sale; puis, embrassant lextrémité antérieure de la corde 
dorsale, nous voyons une sorte de figure en V renversé (4), à 
sommet antérieur, à concavité postérieure : les deux branches 
de ce À ne sont autre chose que les laines médullaires, et 
l’espace compris entre leur écartement représente la gouttière 
médullaire, au fond et dans la partie centrale de laquelle repose 
la corde dorsale. L’inspection des figures 4 et 5 montre d’une 
manière assez évidente, par l’évolution de ces parties, que leur 
interprétation est bien telle que nous venons de lindiquer par 
avance, d’après la figure 3 ; mais avant de passer à l'étude de 
ces formes plus avancées, nous devons examiner ce que nous 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 91 
apprend l’étude de coupes faites sur le blastoderme dès les 
premiers instants de Papparition de la corde dorsale, des lames 
et de la gouttière médullaire. 

Une coupe portant sur la gouttière médullaire (pl. 14, fig. 3 0), 
el spécialement sur la partie antérieure de cette gouttière 
(selon la ligne #de la fig. 3), nous présente cette gouttière comme 
une dépression très-large, mais très-peu profonde, du feuillet 
externe; la partie correspondante de ce feuillet est très- 
épaissie (mes médullaires), formée de plusieurs couches stra- 
litiées, mais très-nettement limitée à la face interne comme à 
la face externe : ce sont là les caractères déjà signalés de lexo- 
derme dans la zone dorsale. Quant au feuillet mterne situé 
au-dessous de la gouttière médullaire, reproduisant à son 
tour les caractères sus-indiqués de lendoderme de la zone 
dorsale, 1} se présente comme une couche de cellules, à la face 
supérieure de laquelle sont disposés, en adhérence intime avec 
elle, les éléments du feuillet moyen. Ces derniers éléments, 
comparativement à Ce que nous avons vu sur un blastoderme 
de dix-neuf heures (fig. 2 et 2 b), se sont d’une part étendus au 
loin vers les parties latérales, en même temps que, d’autre part, 
vers la partie centrale, 1ls se sont condensés en un amas 
sombre, placé précisément au niveau du fond de la gouttière 
médullaire et qui n’est autre chose que la corde dorsale. 

Sur la coupe (fig. 3 a) qui passe par le sommet du À que 
figurent les lames dorsales (suivant la ligne « de la fig. 3), les 
dispositions sont les mêmes : seulement il n’y a pas ici de 
dépression figurant la gouttière médullaire, mais au contraire 
un épaississement central de lPexoderme correspondant à la 
jonction des lames médullaires, et les éléments du feuillet 
moyen, toujours adhérents à ceux du feuillet interne, ne sont 
encore que vaguement groupés en une masse représentant la 
coupe de la corde dorsale. 

Enfin, sur une coupe qui passe au miveau du lieu de Jonction 
entre la zone tergale et la région de la gouttière primitive, 
c’est-à-dire au niveau de la tête de la ligne primitive (fig. 8 6, 
selon la ligne € de la fig. 3), nous retrouvons les caractères 


92 MATHIAS DUVAL. 


mixtes de cette région, le feuillet externe et le feuillet interne 
étant réunis par le feuillet moyen, qui adhère également à l’un 
et à l’autre. Quoiqu'il n’y ait pas ici, à proprement parler, de 
véritable gouttière médullaire, mais bien Pépaississement que 
nous avons appelé renflement caudal, le feuillet externe forme 
encore de véritables lames médullaires composées de plusieurs 
couches de cellules ; et nous verrons en effet plus loin que sur 
le renflement caudal vient se former ultérieurement l’extrémité 
postérieure de la gouttière médullaire. 

Après avoir ainsi étudié minutieusement, en surface et en 
coupes, la première apparition de la corde dorsale et de la 
oouttière médullaire, 1l nous suffira, pour suivre l’évolution de 
ces parties, de fixer notre attention sur quelques-uns des détails 
des figures 4 et 5. 

Dans la figure 4 (blastoderme de vingt-six heures), la corde 
dorsale, sur la pièce vue en surface, est bien caractérisée ; le 
A précédemment décrit comme premier rudiment de la gout- 
tüière médullaire à pris maintenant l'aspect bien réel d’une 
oouttière à bords plus ou moins parallèles. Les coupes nous 
montrent que cette gouttière est profonde à sa partie anté- 
rieure (fig. 4 a), les lames médullaires s'étant 1e1 fortement 
soulevées de façon à circonscrire déjà un demi-canal; qu’elle 
est peu profonde à sa partie moyenne (fig. # b), les lames 
médullaires s'étant iei fortement épaissies, mais peu soulevées; 
enfin qu'asa partie postérieure elle est encore tout à fait évasée 
(fig. 4 c), les lames médullaires présentant encore ie1 la dispo- 
sition qu'elles avaient dans toute leur étendue sur un blasto- 
derme de vingt-quatre heures (fig. 3 et 3 b). Au niveau de la 
tête de la gouttière primitive ou renflement caudal, les dispo- 
sitions sont sensiblement les mêmes que dans la même région 
à vingt-quatre heures; il y a bien, vu l’épaississement du 
feuillet externe, de véritables lames médullaires, mais aucun 
soulèvement de ces lames en gouttière; et nous verrons en effet 
que la formation de la gouttière médullaire jusque sur le ren- 
flement caudal ne se produit que beaucoup plus tard, et 
devient Pun des phénomènes caractéristiques de la troisième 

ARTICLE N° 17, 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 28 
période. Quant au feuillet moyen et à la corde dorsale sur ce 
blastoderme de vingt-six heures, les coupes que nous venons 
de passer en revue (fig. # «, #b, 4 c) nous montrent que la 
corde dorsale s’est nettement constituée dans le pont précé- 
demment indiqué, et que les parties latérales du feuillet 
moyen, s’isolant nettement du feuillet interne, se sont étendues 
au loin, et se sont même, dans les régions tout à fait péri- 
phériques, divisées en somatopleure, splanchnopleure (voyez, 
pour ces expressions et les descriptions qui s’y rattachent, les 
traités récents d’embryologie, et notamment celui de Fôrster 
et Balfour, ainsi que le 4° volume de l'Anatomie du professeur 
Sappey). 

La figure 5 (pl. 16) nous montre la gouttière médullaire 
très-étendue, un peu dilatée en avant (future ampoule céré- 
brale), déja presque fermée vers la jonction de son tiers anté- 
rieur avec son tiers moyen. La corde dorsale est maintenant 
très-longue, mais n’atteimt pas cependant jusqu'à l'extrémité 
céphalique de la gouttière médullaire; déja deux masses 
protovertébrales se sont dessinées de chaque côté de la partie 
postérieure de la corde dorsale, bien en avant de la tête de 
la gouttière primitive. Nous voyons, en somme, d’après ce 
blastoderme de vingt-neuf heures, dont l’état de développe- 
ment clôt la seconde période, que la gouttière primitive est ici 
à peu près comme elle était à dix-neuf heures, alors que 
maintenant sont déjà apparus en avant d'elle les principaux 
linéaments du corps de l'embryon, et les parties caractéris- 
tiques de sa région dorsale (zone tergale), la gouttière médul- 
laire déjà transformée par places en canal, la corde dorsale, et 
inème les premières protovertèbres. 

En résumé, la seconde période est caractérisée par un état 
stationnaire de la gouttière primitive, et par des phénomènes 
de développement très-actif en avant de cette gouttière, dans 
la zone tergale; c’est en effet dans cette zone, et uniquement 
en elle, que se forment la gouttière et les lames médullaires, 
la corde dorsale et les protovertèbres. 


94 MATHIAS DUVAL.. 


TROISIÈME PÉRIODE. — Régression de la goutlière primilive; arrivée el fer- 
melure de la gouttière médullaire sur la lèle de la gouttière primitive 
(renflement caudal). 


La troisième période est caractérisée par des phénomènes 
de développement particuliers au niveau de la tête de la gout- 
lière primitive, région qui était demeurée relativement mdiffé- 
rente dans la période précédente. Ces phénomènes de dévelop- 
pement ne sont que la suite et le complément de ceux qui sont 
précédemment apparus dans la zone tergale, car ils ont pour 
effet la formation de l’extrémité postérieure du corps de lem- 
bryon, dont l'extrémité antérieure ou céphalique était déjà bien 
circonscrite vers la vingt-neuvième heure. En mème temps la 
goutüère primitive diminue de longueur, et subit diverses mo- 
difications, sans disparaitre cependant tout à fait; c’est pourquoi 
nous avons désigné ce dernier phénomène sous le nom de ré- 
gression plutôt que sous celui d’atrophie de la gouttière primi- 
tive. En même temps se produisent des parties dont l’étude est 
ici accessoire, mais dontnous devons cependant dire un mot, vu 
leurs rapports de contiguité avec les régions dont nous exami- 
nons les métamorphoses : tels sont le sinus rhomboïdal de la 
moelle et Porigine de l’allantoide. 

L'étude détaillée de cette série complexe de phénomènes ne 
saurait être faite autrement que par la description raisonnée 
des figures 6 (pl. 16), 7,8 et 9 (pl. 17), 10, 11 et 12 (pl: 18), 
et des diverses coupes pratiquées sur les embryons représentés 
dans ces figures. 

Fig. 6 (pl.16).— Portons d’abord notre attention sur la gout- 
ère primitive. Nous voyons que cette gouttière, sur ce blasto- 
derme de trente-trois heures, a déjà diminué de longueur 
relativement à ce qu’elle était à vingt-neuf heures (fig. 5). On 
dirait que la gouttière primitive est refoulée en masse, parallè- 
lement à son axe, par le corps de l’embryon qui se développe 
si activementau devant d'elle, et que, sa diminution de longueur 
ne suffisant pas à faire place à embryon, elle est, pendant ce 
refoulement, comprimée en quelque sorte et obligée de se 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 25 
courber. Cette manière figurée d'exprimer des choses est assez 
en rapport avec l’aspect brisé que présente souvent à cette 
époque l'extrémité postérieure de la gouttière primitive (voy. 
fig. 6); mais ce n’est pas là un fait constant, et tout ce que nous 
pouvons dire, c’est que la diminution de longueur de la gouttière 
primitive se fait principalement aux dépens de son extrémité 
postérieure, qui devient moins visible, à bords moins foncés, 
à limites sombres et claires moins nettement distincte . Sur sa 
partie moyenne (suivant la ligne e, fig. 6), la gouttière primi- 
tive est demeurée ce qu'elle était précédemment, et les coupes 
pratiquées en cette région (fig. 6 e) montrent que sa constitution 
n'a pas non plus subi de modifications notables. 

Mais en arrivant au niveau de la tête de la ligne primitive, 
tout en constatant sur une coupe qu'ici encore, comme précé- 
demment, ce renflement caudal est toujours constitué par une 
nodosité au niveau de laqueliele feuillet moyen fait corps d’une 
part avec le feuillet externe, et d'autre part avec le feuillet 
interne, nous observons: 1° que ce feuillet moyen est notable- 
ment épaissi; 2° que la partie correspondante du feuillet ex- 
terne, qui, déjà à la vingt-sixième heure, présentait par son 
épaississement et sa straüfication (fig. #4 d, pl. 15) le caractère 
de lames médullaires, présente bien maintenant, par le fait 
d’un léger soulèvement latéral de ces lames, le caractère de 
souttière médullaire (Hg. 6 d, pl. 16). Nous pouvons donc dire 
que dès maintenant (trente-troisième heure) la gouttière mé- 
dullaire s'est étendue en arrière de la zone tergale jusque sur 
l’extrémité antérieure de la gouttière primitive, jusque sur le 
renflement caudal. 

C’est ce que confirme l'examen en surface (fig. 6) d’un blasto- 
derme de cet âge, sur lequel on peut suivre jusqu’au niveau de 
la tête de la gouttière primitive (au niveau de la ligne d) les bandes 
obscures qui représentent les lames médullaires. Quant aux 
autres parlies de ces lames médullares, nous voyons sur cette 
même figure que dans la portion postérieure de la zone tergale, 
elles sont très-nettement soulevées en gouttière (fig. 6 c), qu’au 
niveau des protovertèbres elles forment un demi-canal (fig. 6 b), 

ANN. SC. NAT., MAI 1878. VII, 20, =— ART, N° 17. 


26 MATHIAS DUVAL. 

et qu’enfin, au niveau de la région cervicale (fig. 6 4) et de la 
région céphalique, la gouttière, par le rapprochement de ses 
bords, s’est à peu près complétement fermée en canal encé- 
phalo-médullaire. La corde dorsale est partout nettement con- 
stituée, les masses protovertébrales sont au nombre de six ou 
sept de chaque côté. Nous n’avons pas à nous arrêter 161 à la 
description de ces parties. 

Fig. 7 (pl. 17). — Cet embryon, dont les parties antérieures 
n’ontpas été représentées, nous montre qu’à la trente-neuvième 
heure, les faits caractéristiques, que nous venons d'étudier au 
début de cette période, se sont de plus en plus nettement 
accentués : la longueur totale de la gouttière primitive est ré- 
duite de plus de moitié (en comparant le blastoderme de la 
fig. 7 avec celui de la fig. 5, 1l faut tenir compte que le premier 
est dessiné à un grossissement de 24 diam., et le second à un 
grossissement de 20 seulement); son extrémité postérieure est 
particulièrement vague et comme diffuse ; son extrémité anté- 
rieure est au contraire de plus en plus sombre (épaisse), et sur 
elle les lamesmédullaires viennent très-nettement serépandre. 
Ces lames médullaires sont du reste arrivées au contact réci- 
proque, et ont nettement transformé la gouttière nerveuse en 
canal, sur toute la région dorsale où se trouvent des masses 
protovertébrales (au nombre de 11 ou 12); entre la dernière 
protovertèbre et la tête de la gouttière primitive elles sont encore 
écartées, circonscrivant ainsi, à la partie postérieure du canal 
encéphalo-médullaire, une ouverture ovale ou losangique, le 
sinus rhomboïdal, au fond duquel on aperçoit la corde dorsale. 
Les autres parties de cette figure n’ont pas à être étudiées 1e1; 
elles ont été représentées pour bien établir l’état de développe- 
ment de l'embryon servant à notre étude, d’après le principe 
précédemment établi de fixer l’âge bien moins selon les heures 
d’incubation que selon l’état de formation des organes et de 
l'embryon en général. (On voit ici la dernière vésicule cérébrale, 
et, dans la concavité du repli intestinal antérieur, l'apparition 
des deux veines omphalo-mésentériques.) 

Fig. 8 et 9 (pl. 17): — Conformément au principe que nous 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. À 27 
venons de rappeler, la figure 8 nous donne, à un faible grossis- 
sement, l’ensemble des parties qui constituent embryon et le 
blastoderme, sur lequel nous allons étudier un état plus avancé 
encore de régression de la gouttière primitive et d’occlusion 
de la gouttière médullare. Get état correspond du reste en 
moyenne à la quarante-troisième heure de l’'incubation. On voit 
qu'à cette époque (fig. 8, pl. 17) les premiers vaisseaux sont 
apparus dans l’aire opaque, où ils sont circonscrits par Le sinus 
terminal, et dans l’aire transparente, où ils convergent vers les 
veines omphalo-mésentériques, c’est-à-dire vers le cœur; on 
aperçoit les premiers rudiments de celui-ci, par transparence, 
au niveau de l'entrée de l'intestin antérieur; enfin la vésicule 
cérébrale antérieure primitive est déjà élargie transversalement, 
donnant naissance, par ses parties latérales, aux prolongements 
creux qui vont aller constituer les vésicules oculaires primi- 
tives, c’est-à-dire les rétines (voy. pour ces parties les traités 
classiques auxquels nous avons précédemment renvoyé). 

Pour étudier l’état de la gouttière primitive, du renflement 
caudal, et du sinus rhomboïdal sur cet embryon de quarante- 
trois heures, il faut en examiner la partie postérieure à un gros- 
sissement plus considérable, et sur une préparation en surface, 
et sur des coupes faites en cette région. C’est ce que nous 
voyons sur la figure 9. Iei la gouttière primitive est encore plus 
réduite que précédemment (voy. en cet d); de la trente-neu- 
vième à la quarante-troisième heure elle a encore diminué de 
moitié, quant à sa longueur (comparez fig. 9, grossissement de 
26 diamètres, et fig. 7, grossissement de 24 diamètres). La coupe 
(fig. 9 d) montre que, quoique très-réduite, cette gouttière 
quant à la disposition des feuillets à son niveau, a conservé la 
même constitution que précédemment. La tête de la gouttière 
primitive forme une partie relativement très-étendue (du 
niveau de la ligne ec au niveau de la ligne a), très-obscure 
(épaisse), et sur la constitution de laquelle l’examen de la pièce 
en surface ne peut nous fournir que peu d’éclaircissements ; 
mais l'étude de coupes pratiquées dans les diverses régions de 
ce renflement nous montre que, toujours constitué à sa partie 


28 MATHIAS DUVAL. 
moyenne (fig. 9 b) par les trois feuillets non séparés du blasto- 
derme , il présente maintenant un énorme épaississement du 
feuillet moyen, dans lequel vient se terminer (fig. 9 b) Pextré- 
mité postérieure du canal médullaire. Tout en avant du ren- 
flement caudal, le canal médullaire (fig. 9 a) est fermé ou à 
peu près; tout en arrière, la masse du renflement caudal prend 
les caractères que le feuillet moyen présente au niveau de la 
goutière primitive elle-mème, c’est-à-dire que les éléments de 
ce feuillet, bien distincts de ceux du feuillet interne, ne sont 
séparés par aucune limite distincte de ceux du feuillet externe. 
La tête de la ligne primitive, ou renflement caudal, s’est con- 
sidérablement accrue, non-seulement dans son épaisseur, mais 
encore dans ses dimensions transversales et antéro-posté- 
rieures. 

Ajoutons que la gouttière médullaire est maintenant en voie 
de se fermer sur toute son étendue, c’est-à-dire que les bords 
même du sinus rhomboïdal (ci-dessus fig. 7) se sont rap- 
prochés et sont arrivés au contact (voy. fig. 9, selon la ligne & 
et dans les parties situées au-dessus de cette ligne). Nous avons 
insisté ailleurs sur l’étude de l’ocelusion du sinus rhomboïdal 
de l'embryon, et sur la confusion longtemps classique entre lui 
et le prétendu sinus rhomboïdal de la moelle lombo-sacrée de 


l’Oiseau adulte (1). 


(1) Voy. Recherches sur le sinus rhomboïdal des Oiseaux, sur son déve- 
loppement et sur la névroglie périependymaire (Journal de l’'anat. el de la 
physiol., janvier 1877). Nous avons démontré dans ce mémoire que dès le com- 
mencement du troisième jour de l’incubation, la gouttière médullaire est com- 
plétement transformée en canal dans toute son étendue, c'est-à-dire aussi bien 
dans les régions du quatrième ventricule (ventricule du bulbe ou du cervelet) 
que dans celles de la moelle lombaire ; puis, étudiant l’évolution comparée du 
quatrième ventricule et du prétendu sinus rhomboïdal de la moelle lombo- 
sacrée des Oiseaux, nous sommes arrivés, aux conclusions suivantes (0p. cil., 
page 92) : 

1° La gouttière nerveuse primitive se ferme dans toute son étendue dès les 
premières époques de la vie embryonnaire (fin du second ou commencement du 
troisième jour). 

90 Le quatrième ventricule, aussi bien que le prétendu sinus rhomboida 
proviennent de transformations particulières du canal central. 

3 Tandis que le quatrième ventricule (bulbe) provient d’une dilatation par- 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 29 

Fig. 410 et 14 (pl. 18). — Toujours conformément au prin- 
cipe de ne pas nous contenter de l'indication de la durée 
de l’incubation, mais de bien préciser, par la représentation 
même de l’embryon, l’état de développement auquel se rapporte 
chaque stade étudié, nous avons représenté ici (fig. 10) la 
totalité du blastoderme d’après lequel doivent être décrits les 
derniers phénomènes qui caractérisent la fin de la troisième 
période. On voit que cet embryon, âgé d'environ cinquante 
heures, est déjà tordu sur son axe, dans sa moitié antérieure, 
de sorte que cette région du corps se présente non plus par sa 
face dorsale, mais par son côté droit (l’embryon se couchant 
peu à peu sur le côté gauche). Au-dessous de la concavité de 
la tête recourbée en crochet, on aperçoitle cœur, tordu en huit 
de chiffre. L’aire opaque et l’aire transparente sont parcourues 
de nombreux vaisseaux, non-seulement veineux, mais encore 
artériels, et l’on voit notamment les artères omphalo-mésen- 
tériques se détacher des deux aortes à la partie moyenne de la 
région parcourue par la série des masses protovertébrales. Si 
nous examinons à un plus fort grossissement l’extrémité pos- 
térieure du corps de cet embryon (fig. 11), en nous contentant 
de nous arrêter sur les détails que présente la ligne médiane, 
nous voyons, en allant d'avant en arrière : 1° la gouttière 
médullaire entièrement transformée en canal; une mince ligne 
pâle, plus ou moins ondulée, marque la soudure des bords 


tielle et d’une occlusion (soudure) partielle du canal central, le prétendu sinus 
rhomboïdal se forme par une oblitération presque complète, ne laissant sub- 
sister dans le renflement lombo-sacré qu’un mince canal identique avec celui qui 
règne dans les parties dorsale et cervicale de la moelle. Il n’y a donc plus 
à parler de sinus rbomboïdal, de ventricule lombaire chez les Oiseaux; il y a 
seulement à étudier chez ces animaux, dans la partie postérieure (supérieure) 
du renflement lombo-sacré, une masse considérable d’un tissu transparent 
gélatiniforme, en apparence réticulé à un premier examen microscopique, mais 
formé en réalité de grandes cellules vésiculeuses, provenant de la transformation 
des éléments cellulaires qui constituent chez l'embryon les parois du tube médul- 
laire. Ce tissu occupe l’espace qui sépare les cornes postérieures et les cordons 
et racines postérieures. Dans la partie la plus large du renflement lombo-sacr, 
le canal central de la moelle existe parfaitement limité et creusé au milieu 
même de ce tissu. (Op. cit., p. 33.) 


30 MATHIAS DUVAL. 

supérieurs des deux lames médullaires ; 2° la ligne primitive, 
très-réduite comme dimension et plus ou moins visible, selon 
qu’elle répond à des parties sous-jacentes plus claires ou plus 
foncées (plus épaisses ou plus minces). L'étude de ces parties 
sous-jacentes et l’interprétation de leurs aspects sont ici de la 
plus haute importance, car elles renferment des formations 
nouvelles (origine de l’allantoide). Cette interprétation nous sera 
facile par lexamen comparé de la région vue en surface et 
d’une coupe longitudinale (fig. 12) passant aussi exactement 
que possible par Paxe; il ne nous restera plus alors qu’à passer 
en rêévue les coupes transversales pratiquées sur cette même 
région. 

Sur la pièce vue en surface (fig. 11), la portion la plus anté- 
rieure de la gouttière primitive se projette sur une partie très- 
foncée (très-épaisse), qui occupe de plus l’espace entre l’extré- 
mité antérieure de la gouttière primitive et l’extrémité 
postérieure du canal médullaire. La coupe longitudinale 
(fig. 12) nous montre que cette région épaisse est en effet con- 
stituée par un renflement considérable (en a, fig. 12), appar- 
tenant au feuillet moyen et représentant ce que nous avons 
appelé la féte de la qouttière primitive ou renflement caudal; 
car la masse qui forme cette partie du feuillet moyen est en 
continuité aussi bien avec le feuillet externe qu'avec le feuillet 
interne. Nous voyons ici, en coupe longitudinale, que le ren- 
flement caudal commence à proéminer en haut et en arrière, 
et qu'il représente bien réellement le bourgeon de la partie 
caudale de l’embryon. Il est évident que lorsque toutes les 
parties situées au-dessous (ou en arrière) de ce bourgeon (en 
b, e, d, fig. 19) subiront, par suite des phénomènes particuliers 
d’involution ou d’enveloppement qui circonserivent en arrière, 
de même que sur les côtés et en avant, le corps de l'embryon ; 
il est évident que lorsque ces parties subiront, disons-nous, 
le mouvement de révolution qui doit les amener en avant et 
en haut, pour constituer la paroi antérieure de la région pel- 
vienne du tronc, le bourgeon caudal se trouvera, par ce simple 


fait, dans la position et les rapports qui justifient le nom que 
ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 31 


nous lui avons donné par anticipation dès le début de cette 
étude. 

La portion moyenne de la ligne primitive (fig. 11) se dé- 
tache sur une partie claire, c’est-à-dire mince, et la coupe 
longitudinale (fig. 12, en b) nous montre qu’en effet cette 
partie est constituée, outre le feuillet externe et le feuillet 
interne, par un feuillet moyen relativement mince; de sorte 
qu’on trouve ici, au-dessous du renflement caudal, une véri- 
table dépression (en b) à laquelle, dans un travail précédent, 
nous avions donné le non de dépression sous-caudale (1). Les 
détails dans lesquels nous venons d'entrer relativement au 
bourgeon caudal montrent que cette dénomination est parfai- 
tement justifiée. 

Enfin, la portion toute postérieure de la gouttière primitive 
se détache en partie sur un fond clair, ayant l’aspect d’une 
demi-lune transparente, à concavité antérieure (ou supé- 
rieure). C’est l'interprétation de cette demi-lune transparente 
qui nous aurait offert le plus de difficulté, si nous n'avions été 
préparé à son étude par nos recherches antérieures sur lPori- 
gine de l’allantoïde (op. cit.). Gomme le montre la coupe lon- 
gitudinale (au niveau de la ligne c), l'aspect en question est 
produit par un bourgeon creux du feuillet interne, bourgeon 
qui se dirige dans l'épaisseur de la somatopleure, et n’est 
autre chose que le premier rudiment de la vésicule allan- 
toïdienne ; et nous avons en effet montré, dans le mémoire cité 
et auquel nous renvoyons pour plus de détails, que lallan- 
toïde se forme par une involution (bourgeon creux) du feuillet 
interne, ou hypoblaste, dès la fin du second jour de lincu- 
bation, alors que rien encore ne circonscrit le futur Intestin. 

Nous avons donc, d’après cette étude des portions anté- 
rieure, moyenne et postérieure de la gouttière primitive d’un 
embryon de cinquante heures environ, à distinguer, dans le 
rudiment de gouttière primitive qui subsiste encore à cet âge, 
trois portions qui, d’après les parties sous-jacentes auxquelles 

(1) Étude sur l'origine de l'allantoide chez le Poulet (Revue des sciences 
naturelles, t. VI, septembre 1877). 


3) MATHIAS DUVAL. 


elles correspondent, peuvent être désignées sous les noms de : 
portion du bourgeon candal, portion de lu dépression sous- 
caudale, portion allantoïdienne. Les coupes transversales 
pratiquées au niveau de ces diverses portions vont nous 
fournir une nouvelle série de renseignements sur leur consti- 
tution et leurs rapports. 

La portion du bourgeon caudal (fig. 12 4) nous présente 
toujours les caractères connus de la tête de la gouttière primi- 
tive ou renflement caudal : feuillet moyen très-épais, en conti- 
nuité d’une part avec les éléments du feuillet externe, et d’autre 
part avec ceux du feuillet interne. La partie en continuité avec 
le feuillet externe va former une sorte de masse indifférente 
aux dépens de laquelle se développeront les divers éléments 
anatomiques de la queue. La portion en continuité avec Île 
feuillet interne semble déjà indiquer le lieu où viendront 
s'ouvrir dans ce feuillet interne, c’est-à-dire dans l’extrémité 
postérieure de lintestin, les divers appareils glandulaires 
constitués ultérieurement aux dépens du feuillet moyen, ou, 
pour parler d’une façon plus conforme aux notions nouvel- 
lement acquises, aux dépens de la cavité pleuro-péritonéale du 
feuillet moyen (canal de Wolff, canal de Müller, et en général 
appareil génito-urinaire) ; et nous voyons en effet (fig. 12 a), 
sur le feuillet interne, de chaque côtè du renflement médian, 
deux dépressions qui sont sans doute en rapport avec la for- 
mation ou plutôt l’abouchement des canaux sus-nommés. Mais 
ce sont là des questions qui sortent de notre sujet et sur 
lesquelles nous nous proposons de revenir dans un autre 
travail. 

La portion de la dépression sous-caudale nous présente les 
caractères connus de la ligne primitive et de la gouttière pri- 
mitive depuis leur apparition. Le feuillet externe (fig. 12 b) 
forme ici une gouttière au niveau de laquelle ses éléments sont 
disposés sur plusieurs couches ; les plus profonds de ces élé- 
ments, les plus internes, se continuent sans ligne de démarca- 
tion avec ceux du feuillet moyen.Quant au feuillet mterne, il est 


bien distinct, bien nettement isolé des autres parties ; mais ses 
ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMPRYON. 39 


éléments (fig. 19 b) présentent ici une forme un peu différente 
de celle qu’ils ont offerte aux âges précédents : de plats ou fusi- 
formes, ils sont devenus polyédriques, cubiques, et ne tarderont 
pas àreprésenter de véritables cellules cylindriques. C'est qu'ici 
ils commencent déjà à revêtir les caractères de l’épithélium 
intestinal, et en effet cette région de l’endoderme commence, 
par deux replis latéraux (fig. 12 b), à se séparer de la cavité 
ombilicale générale, pour former une gouttière intestinale, et 
s’isoler ultérieurement en intestin postérieur. Nous sommes 
donc iei, au niveau de la dépression sous-caudale, dans la région 
de l’extrémité postérieure du futur cul-de-sac postérieur de 
l'intestin, c’est-à-dire dans la région où se formera l'anus. Or 
nous avons précisément ici le reste le plus net de la gouttière 
primitive, au niveau de laquelle les éléments de l’exoderme 
sont confondus avec ceux du mésoderme (comparez fig. 12 b, 
et figure 12 selon la ligne b et au-dessus). Pouvons-nous con- 
sidérer cette continuité de l’exoderme et du mésoderme au 
niveau de la ligne primitive comme un premier degré de lévo-, 
lution par laquelle le feuillet externe doit aller à la rencontre 
du feuillet interne pour donner naissance à l’orifice anal ou 
cloacal? La chose paraît probable; mais alors la partie moyenne 
de la ligne primitive serait, on peut le dire, destinée à former 
l’orifice cloacal, de telle sorte que cette orifice serait, du moins 
dans ses premiers rudiments, une formation des plus primi- 
tives, précédant l'apparition de n'importe quelle autre partie 
du corps de l'embryon. Ge sont là des considérations que nous 
nous proposons de reprendre bientôt et d’élucider par des 
recherches dont nous n'avons pu encore réunir tous les élé- 
ments : l’embryologie comparée doit former la source princi- 
pale où seront puisés ces renseignements, et peut-être la ligne 
ou gouttière primitive du Poulet n'est-elle pas sans analogie 
avec ce qui a été désigné sous le nom d’anus de Rusconi sur le 
blastoderme des Batraciens. Un travail qui a été publié tout ré- 
cemment en Allemagne parait tendre vers quelques conclusions 
de ce genre, quoique l’auteur parte d’un point de vue tout dif- 
férent du nôtre, et qu’il n’insiste que peu sur la morphologie 


34 MATHIAS DUVAL. 

des différentes parties de la gouttière primitive, telle que nous 
avons essayé de l’établir ici (41). Mais, pour le moment, nous 
ne voulons pas le suivre dans les hypothèses qu’inspire un 
transformisme ardent, et, pour nous borner à résumer les faits 
positifs devant servir pour nous de point de départ à de nou- 
velles recherches, nous dirons simplement qu’en définitive la 
ligne primitive correspond comme place et comme disposition 
au point où se formera bientôt l'anus ou dépression cloacale, 

Nous arrivons enfin à extrémité toute postérieure de la 
ligne primitive de l'embryon de cinquante heures, à laquelle 
nous avons donné par abréviation le nom de portion allantoi- 
dhienne (ci-dessus, p.32). Sur cette portion allantoïdienne, étu- 
diée sur des coupes transversales, nous n’avons pas à insister 
longuement : la figure 12 c (selon la ligne c de la fig. 12) 
montre suffisamment que tout ici est disposé comme en général 
à n'importe quel âge de la gouttière primitive ; seulement le 
bourgeon creux allantoïdien est venu s’insinuer dans le feuillet 
moyen du blastoderme. Ce bourgeon ereux est, nous Pavons 
rappelé, une dépendance du feuillet interne, et comme à ce 
niveau le feuillet interne est toujours, à tout âge, bien distinct du 
feuillet moyen, il est naturel de constater, comme le montre la 
figure, que le bourgeon allantoïdien n’a aucune connexion de 
continuité avec les éléments du feuillet moyen, ni par suite 
avec ceux du feuillet externe. Quoique ce détail ne soit pas d’un 
intérêt primordial au point de vue de notre sujet actuel, il 
n'était pas inutile d’yinsister 1e1, puisque divers auteurs on cru 
voir dans le bourgeon allantoiïdien une dépendance, soit du 
feuilletmoyen, soit mème du feuillet externe. 

Nous avons représenté une dernière coupe portant au delà 
(au-dessous) du point jusqu’au niveau duquel s'étend le bour- 
geon allantoïdien de l'embryon de cinquante heures. À ce 
niveau (celui de la ligne d de la fig. 12), le feuillet moyen 
est déjà divisé en somatopleure et en splanchnopleure ; dans 
l'épaisseur de cette dernière sont développés de nombreux 


(1) A. Rauber, Primitivstreifen und Neurula der Wirbelthiere. Leipzig, 1871. 


ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 39 


vaisseaux (vaisseaux de la vésicule ombilicale). La coupe trans- 
versale (fig. 12 d) reproduit ces dispositions, en les représen- 
tant d’une manière plus complète, mais sans détails nou- 
veaux. Nous devons cependant remarquer qu'ici la dépres- 
sion de la gouttière primitive est peu prononcée (elle a été 
un peu exagérée sur le dessin; mais en consultant toute 
la série de coupes dont nous n’avons représenté ici qu’un 
échantillon, nous nous sommes assuré qu'ici la gouttière pri- 
mitive est très-peu profonde). Si nous tenons compte de ce fait 
précédemment établi, à savoir, que l’atrophie de la gouttière 
primitive marche de son extrémité postérieure vers l’antérieure, 
nous sommes porté à penser que dans les phases du développe- 
ment qui succèdent à la cinquantième heure, la trace de gout- 
tière primitive représentée dans la figure 12 d doit disparaître 
à son tour, ainsi que bientôt toute la portion dite portion 
allantoidienne. Nous avons cherché à vérifier directement le 
fait que nous supposons ici; mais, comme après la cinquantième 
heure la moitié imférieure de la figure 42 subit le mouvement 
de révolution que nous avons précédemment rappelé (voy. Re- 
cherches sur lallantoïide) et vient se placer en avant eten dedans 
pour former la paroi antérieure de la région pelvienne, il en 
résulte que les coupes propres à élucider cette question, por- 
tant, d’une manière plus ou moins oblique, sur des parties 
alternativement convexes et concaves, sont très-difficiles à 
recueillir et à interpréter. C’est pourquoi nous avons dû arrêter 
à la cinquantième heure l'exposé des faits positifs qu’il nous 
a été donné d'observer. Au delà de cette époque commence 
pour la gouttière primitive une quatrième période, qu’il y aura 
lieu d'étudier par des combinaisons nouvelles de coupes et de 
vues en surface, époque pour laquelle nous nous contentons 
d'émettre l'hypothèse, d’ailleurs très-vraisemblable, que la 
portion dite allantoïdienne de la gouttière primitive disparaît 
à son tour, de sorte qu’il ne reste en définitive de cette gout- 
tière que la portion dite de la dépression sous-caudale, corres- 
pondant à la formation de l’anus. On voit donc que tout ce qui 
se rapporte à cette quatrième période, qui doit faire l’objet de 


30 MATHIAS DUVAr. 

recherches spéciales, se rapporte en même temps à la forma- 
tion cloacale, dans l’étude de laquelle nous ne voulons pas 
nous engager pour le moment. 

Nous pouvons résumer les phénomènes nombreux qui ca- 
ractérisent la troisième période, en disant que, tandis que le 
corps (dos) de l’embryon, qui s’est formé dans la zone ter- 
gale, se développe de plus en plus, la gouttière primitive subit 
une régression de plus en plus prononcée, dont il est difficile 
de préciser les limites, car ce n’est que d’une manière hypo- 
thétique qu’on peut la considérer comme se réduisant en 
définitive à marquer la place et le commencement de la for- 
mation de la dépression ou gouttière cloacale. Par contre, 
l’évolution de la tête de la gouttière primitive, ou renflement 
caudal, peut être précisée d’une manière certaine : après que 
la gouttière médullaire et le sinus rhomboïdal se sont fermés 
au-dessus de lui, ce renflement constitue un bourgeon 
volumineux, remarquable surtout par le développement du 
feuillet moyen et aux dépens duquel se développe la formation 
caudale. 


TROISIÈME PARTIE. 
CONCLUSIONS GÉNÉRALES. — HISTORIQUE ET CRITIQUE. 


Première conclusion. 


La ligne primitive et la gouttière primitive qui lui suc- 
cède doivent être absolument distinguées de la gouttière me- 
dullaire : ces deux ordres de formations ne se développent ni 
à la même époque, ni dans la même partie du blastoderme. 
La gouttière primitive se développe dans la région postérieure 
de l’aire embryonnaire, et, apparue environ à à la quatorzième 
heure de lincubation, elle a atteint tout son développement 
à la dix-neuvième heure, c’est-à-dire avant la fin du premier 
Jour. La gouttière médullaire, au contraire, ne commence à ap- 
paraitre qu'après la vingtième heure, et seulement dans la partie 
antérieure de l'aire embryonnaire; tandis que la gouttière 

ARTICLE N° 17, 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 37 
médullaire poursuit son évolution pour donner lieu à la for- 
mation du tube encéphalo-rachidien, la gouttière primitive 
commence dès lors à s’atrophier. 

Cette conclusion générale résulte tellement des descriptions 
détaillées qui précèdent, et s'impose si nettement à la plus 
simple imspection de nos planches, qu'il est inutile d'entrer 
à ce sujet dans aucun nouveau développement. Mais pour 
montrer l'importance de cette question et la manière dont elle 
a été longtemps interprétée, nous devons entrer dans quelques 
détails historiques et critiques. 

Malpighi, faisant ses observations au mois d'août, par une 
orande chaleur, parait avoir observé la ligne primitive sur 
des œufs pondus depuis vingt-quatre heures et non incubés; 
il nomme ce premier rudiment de embryon la quille ou curène 
(pull carina) (1). Gest cette quille, dit-il, qui donne naissance 
au système nerveux central, c’est-à-dire à la moelle épinière 
et à l’encéphale, et Malpighi observe tres-nettement la forma- 
ion des vésicules cérébrales (interea progrediente incubatu, 
carina tumores circum caput multiplicabat). Aussi de Baer 
désigne-t-il quelquefois la gouttière médullaire (Ruchkenfurche 
oder Ruchkenspalte) sous le nom de Malpighis spatium curi- 
nalum. 

Comme on le voit, la confusion entre la gouttière médul- 
lire et la gouttière primitive remonte à Malpighi; il serait 
plus vrai de dire encore qu'avec ces premières tentatives, si 
mémorables, des premiers embryologistes, 1l n°y avait réel- 
lement pas de notion exacte de la gouttière médullaire, puis- 
que dans la bande obscure observée dans l'œuf non incube, 
Malpighi lui-même voyait un rudiment du corps de lem- 
bryon, ce qui l’amenait à croire à l'inclusion, à la préexis- 
tence de l'embryon dans lœuf, et que d’autres anato- 
mistes se livraient à ce sujet à des hypothèses plus bizarres 
encore (2). 

(1) Malpighi, De formatione Pulli in ovo (Opera, Leyde, 1687, t. II, p. 54). 


— De ovo incubato appendix (ibid., p. 78). 
(2) Voyez au sujet de ces interprétations, Milne Edwards, Leçons de physio- 


ste) MATHIAS DUVAL. 

De Baer (1) le premier décrivit avec soin la ligne primitive, 
la gouttière primitive, qui se montre pendant le premier jour 
de l’incubation, mais il ne distingua pas cette gouttère et le 
filament épiaxial qu'elle renferme, de la gouttière médullaire 
et de la corde dorsale, qui n'apparaissent qu'à la fn du premier 
jour. « Jusqu'au delà du milieu du premier jour, dit-il, aucune 
partie de l’embryon n’a commencé à se former, c’est seulement 
vers la quatorzième ou quinzième heure qu’on en aperçoit le 
premier rudiment. Celui-e1 consiste dans ce que j'appelle la ban- 
delette primitive (Primitivstreifen) (2), qui est le précurseur de 
la colonne vertébrale. Gette bandelette ne subsiste que peu 
de temps : elle se divise bientôt en deux moitiés latérales, les 
lames dorsales et une bandelette médiane, la corde dorsale. 
Cette corde dorsale se compose d’abord d’une simple série 
de globules foncés en couleur, qui sont plus serrés du côté 
de l'extrémité antérieure. Cette extrémité antérieure prend 
de très-bonne heure la forme d’un bouton arrondi, beaucoup 
plus épais, de sorte que, dès la fin du premier jour, la corde 
dorsale ressemble à une épingle très-déliée, munie d’une 
petite tête. » 

Cependant, comme [a gouttière primitive ne s’atrophie pas 
dès Papparition de la gouttière nerveuse, il était difficile que 


logie, etc., t. IX, en note : « Les apparences produites par cette ligne primi- 
tive, ou par le sillon qui y correspond bientôt après, ont été diversement ex- 
pliquées par les embryologistes. Aïnsi, les uns ont cru voir dans la figure 
ainsi dessinée le corps d’un spermatozoïde, et ont été conduits de la sorte à 
penser que ce corpuscule fécondateur pourrait bien être le système nerveux 
cérébro-spinal à l’état d'ébauche. On a supposé ensuite que la ligne primitive 
et le sillon qui se développe au-dessus étaient le résultat de la division primitive 
du disque proligère en deux sacs germinateurs, destinés à former chacun l’une 
des moitiés de l’organisme de l’animal futur (Serres, Des lois de l’embryologie, 
dans Arch. du Muséum, 1844, t. IV, p. 269 et suiv., pl. 13, fig. 3 et 4). » 

(1) De Baer, Ucber Entwickelungsgeschichte der Thiere (t. 1, Entwickelungs- 
geschichte des Hühnchens im Elie, Kœnigsherg, 1828, p. 12). — Traité de 
physiologie de Burdach, trad. par Jourdan, t. IT, 1838, p. 203. 

(2) C'est seulement dans le tome II, publié en 1837, que de Baer emploie l’ex- 
pression de nota primitiva devenue depuis classique (p. 70) : « Das erste was 
» in 1hm erkannber wird, ist ein der Axe des Schildes sich erhebender Wulst, 
» der Pfimitivstreifen (nota pr'imitiva). » 

ARTICLE N° 17, 


LIGNE PRIMITIVE DE L' EMBRYON. 39 
des observateurs soigneux ne réussissent pas bientôt à aperce- 
voir les deux formations existant simultanément, comme Île 
montre par exemple notre fig. 3 (pl. 14). Mais telle est la force 
des idées préconçues, que Erdl, qui le premier à étudié avec 
soin et représenté un blastoderme arrivé à ce stade de son dé- 
veloppement, considéra cet aspect comme une forme anormale, 
dans laquelle la corde dorsale «serait bifurquée dans ses trois 
quarts postérieurs (1). » 

Parmi les travaux publiés sur l’embryologie à partir de 
cette époque, surtout en Allemagne, nous ne trouvons, n1 dans 
ceux de Reichert (1840), ni dans ceux de Remak (1855), m 
dans la première édition de Kôlliker (1861), aucune mdica- 
tion qui puisse amener à distinguer la gouttière primitive 
d'avec la gouttière médullaire. Ainsi Remak parle aussi, 
comme Erdl, de corde dorsale bifurquée dans sa partie posté- 
rieure plus large (2), Kôlliker (3), dans une figure purement 
schématique, reproduit les idées de Remak sur la gouttière 
médullaire. Reichert (4) non-seulement ne distingue pas les 
deux formations en question, mais il s'attache à réfuter de 
Baer, qui avait si bien décrit une ligne primitive à laquelle 
succédait tout aussitôt la goutiière primitive : pour Reichert, 
la gouttière, avec ses bords et son fond, apparaîtrait d’em- 
blée. Dans une publication postérieure (5), le même auteur 
prend manifestement pour une corde dorsale la trainée som- 
bre et mince que nous avons décrite précédemment sous le 
nom de filament épiaxial (voy. ci-dessus, p.15). Nous ne cite- 
rons que pour mémoire le travail de Hensen (6), qui à paru en 
1864, travail très-court, accompagné de figures représentant 
les origines du système nerveux central examinées à de trop 


(1) Erdl, Entwickelung des Menschen und des Hühnchens, 1845. 

(2) Remak, Untersuchungen über die Entwickelung der Wirbelthiere, 1855. 

(3) Kôlliker, (1° édition, 1861, p. 4%. 

(4) Reichert, Das Entwicklungsleben im Wirbelthier-Reich. Berlin, 1810 
(voy. p. 105 et pl. 5, fig. 1 et 2). 

(5) Reichert, Bau des menschl. Gehirns, 1861. 

(6) Hensen, Zur Entwickelung des Nervensystems (Virchow’s Arch., 1864, 
t. XXX, p. 176); 


40 MATHIAS DUVAL. 

faibles grossissements (dans la fig. 13, la seule qui soit à un 
fort grossissement, lPauteur ne représente pas le feuillet in- 
terne, dont, du reste, 1l avoue (p. 180), n'avoir pu constater 
l'existence à ce moment de l’évolution). Au reste, la lecture de 
ce mémoire, souvent cité par des auteurs classiques, ne montre 
pas d’une façon nette si Hensen a distingué la gouttière pri- 
mitive d'avec la gouttière médullaire, et quelle est en réalité 
celle de ces deux gouttières qu'il considère comme étant l’ori- 
oine du système nerveux central. 

En 1866 parut le beau mémoire de Dursy (1), déjà si souvent 
cité et auquel nous avons dû faire de si nombreux emprunts 
(voy. notamment ci-dessus la description du filament épiaxial). 
Dans ce travail, la distinction entre la gouttière médullaire et 
la gouttière primitive est définitivement établie ; de même la 
distinction entre lacorde dorsale et le filament épiaxial (Ache- 
senfaden des Primitivstreifes). Malheureusement ce travail est 
incomplet sur bien des points : ainsi l’auteur n’a pu, dès le 
début, constater la présence d’un feuillet interne (Darm- 
drüsenblatt) nettement individualisé (voy. Dursy, p. 15). Cette 
indication suffit déjà à faire comprendre qu’il n’a guère étudié 
que des blastodermes examinés en surface et peu de bonnes 
coupes ; en effet, les quelques coupes qu'il donne dans ses 
planches représentent plutôt les choses telles qu’elles doivent 
être à son idée dans des sections transversales, et non toujours 
telles qu’elles sont en réalité. 

Malgré ces quelques imperfections, le mémoire de Dursy 
fait époque: la distinction qu'il établit entre les gouttières 
primitive et médullaire est bientôt confirmée par His (2), qui 
décrit la ligne primitive sous le nom de Axenstreif (op. ct., 
p. 62), attire l'attention sur le renflement de l’extrémité anté- 
rieure de lagouttière primitive, etinsiste sur l’atrophiede cette 
souttière, et son espèce de mouvement de recul en arrière, à 


(1) Em. Dursv, Der Primitivstreif des Hühnchens. Lahr 1866 (avec 3 plan- 
ches). 

(2) His, Unlersuchungen über die erste Anlage des Virbelthierleibes. Leip- 
zig, 1868. 


ARTICLE N° 17, 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. | 


partir du second jour de l’incubation (1). Viennent alors les 
travaux de Waldeyer (2), lequel, dans un excellent mémoire 
(1869), confirme les résultats obtenus par Dursy en les com- 
plétant par l’étude de coupes transversales, qui, malheureu- 
sement, n'ont porté que sur de très-jeunes blastodermes et ne 
nous donnent par suite aucun renseignement sur les rapports 
de la gouttière primitive avec les formations qui n'apparaissent 
que vers la fin du second jour (allantoïde, dépression sous- 
caudale, bourgeon caudal); puis un important travail de 
Gœtte (1874), qui insiste beaucoup sur la constitution de la 
tête de la gouttière primitive (Kop/ende vom Primitivstreifes), 
observe très-bien la disposition des feuillets du blastoderme 
dans la région antérieure de l'aire embryonnaire (dans ce que 
nous avons appelé le zone tergale), mais qui se refuse à re- 
connaître, au niveau de la ligne primitive, toute adhérence 
entre le feuillet externe et le feuillet moyen (3). Mais s’il mé- 
connaît ce fait essentiel, 11 semble au contraire se complaire 
à insister sur un détail secondaire et qui n’a rien de constant; 
il décrit en effet le sillon médullaire comme apparaissant 
toujours à gauche du sillon primitif, et par suite la corde dor- 
sale comme se continuant avec le bord gauche de la gouttière 
primitive. Gomme la tête de la ligne primitive présente souvent 
une forme irrégulière et asymétrique, on rencontre en effet 
assez souvent des chevauchements semblables à celui déerit 
par Gætte, et il est certainement remarquable que le plus 
souvent €’est à gauche que la gouttière médullaire chevauche 
sur axe de la gouttière primitive; mais ces dispositions n’ont 
rien de constant, et par suite rien d’essentiel. Ainsi, en exami- 


(1) « Die Primitivrinne ist küzer als in den vorangegangen Stadium, und ihr 
vorderes Ende hat sich nach hinten verschoben, wieman leicht durch Messung 
constatiren kann. » (His, op. cit., p. 80.) 

(2) Waldeyer, Bemerkungen über die Keiïmblatter und den Primitivstreifen 
bei der Entwickelung des Hühnerembryo (Zeitschrift für rationelle Medicin, 
1869, t. XXXIV, p. 159). 

(3) Alex. Gœtte, Beiträge zur Entwicklungsgeschichte des Wirbelthiere : die 
Bildung der Keimblatter und des Blutes in Hühnerei (Arch. für mikr. Anat., 
1874, p. 145). 

ANN. SC. NAT., JUIN 1878. VII, 21, —= ART: N° 17. 


49 MATHIAS DUVAL. 


nant notre figure 4 (pl. 15), on verra que sur ce blastoderme 
de vingt-six heures la corde dorsale fait suite à la paroi droite 
de la gouttière primitive, et que, par suite, le chevauchement 
se ferait ici vers la droite; de même sur la figure 5 (pl. 16), 
représentant un embryon de vingt-neuf heures. Sur toutes nos 
autres figures on ne voit nulle trace de chevauchement sem- 
blable ou autre. 

Quoique les travaux que nousvenons de citer eussent rendu 
incontestable la distinction de la gouttière médullaire et de la 
gouttière primitive, il est facile dese convaincre que les traités 
classiquesles plus récents n’onttenu que peu ou pas de compte 
de ces résultats. (Nous faisons abstraction du Traité d'em- 
bryologie de Külliker actuellement en voie de publication, et 
que nous avons cité dans les pages qui servent d'introduction 
à ce mémoire.) On n’en trouve en effet mention, n1 dans le 
Traité de physiologie de Longet (1), m dans la publication 
de Carl Vogt (2), si bien au courant des travaux récents sur 
la plupart des autres questions. 


Deuxième conclusion. 


Les connexions des trois feuillets du blastoderme sont 
très-différentes dans la zone tergale et dans la région de 
la ligne primitive : dans la zone tergale, le feuillet externe 
est nettement délimité, sans connexions avec le feuillet moyen, 
tandis que le feuillet interne et le feuillet moyen sont plus 


(1) Longet, t. IT, p. 879: « Dans la partie moyenne de l’area lucida apparait 
une gouttière, un sillon creusé pour ainsi dire dans le feuillet séreux, qui pré- 
sente en ce point une transparence et une ténuité extrêmes. Cette gouttiére 
marque l’axe même de la tache germinative ; elle porte le nom de ligne primi- 
tive. Les deux bords, devenant de plus en plus marqués, décrivent, du côté large 
de Paire lucide, un petit arc pour se confondre l’un avec l’autre, tandis qu'à 
l’autre extrémité ils se réunissent à angle aigu. Ils embrassent ainsi entre eux, 
en haut, un sinus un peu arrondi, qui est l'extrémité céphalique: en bas, un 
espace lancéolé, qui est l’extrémité caudale du futur embryon. » 

(2) Carl Vogt, Lettres physiologiques, trad. franc., Paris, 1875, p. 591. Con- 
fusion comme tous les auteurs classiques : « Aussitôt que le sillon primitif est 
ébauché, il s’élargit, surtout à sa partie antérieure, et forme plusieurs diver- 
ticules latéraux... » 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L'EMBRYON. 43 


ou moins confondus; dans la région de la ligne primitive, 
c'est au contraire le feuillet interne qui est nettement limité, 
tandis que le feuillet moyen adhère au feuillet externe dans 
toute la longueur du fond de la gouttière primitive. Cette dis- 
position permet de penser que le feuillet moyen se forme par 
des processus différents dans chacune de ces régions : dans la 
zone tergale il proviendrait du feuillet interne; dans la région 
de la ligne primitive il proviendrait du feuillet externe ; ou tout 
au moins peut-on dire qu'il se forme dans la première zone 
aux dépens d’une masse primitive qui lui est commune avec le 
feuillet interne, et dans la seconde région aux dépens d’une 
masse primitive qui lui est commune avec le feuillet externe. 

Cette disposition différente, el jusqu'à un certain point 
inverse, du feuillet moyen dans les deux régions que nous nous 
sommes attaché à distinguer, a dù faire commettre bien des 
confusions aux auteurs qui, s’occupant de l’histologie du 
blastoderme, au lieu d'examiner une série de coupes, s’en sont 
tenus à quelques préparations, ou du moins à des coupes dont 
le niveau (goutlière primitive ou gouttière médullaire) n’était 
pas précisé. Nous n’en citerons que deux exemples assez frap- 
pants, empruntés l’un à Ranvier, l’autre à Pouchet et Tourneux. 

Dans son Traité de technique histologique, exposant, comme 
introduction à l'étude des épithélums, la constitution du 
blastoderme du Poulet, Ranvier s'exprime ainsi (p.230) : « Dans 
les heures qui suivent les vingt-quatre premières, embryon 
prend une forme définie. [apparait un sillon que l’on appelle 
le sillon dorsal. K est formé aux dépens du feuillet externe, 
mais en son milieu les deux feuillets externe et moyen sont 
confondus. » Comme quelques lignes plus bas l’auteur dit que 
le sillon dorsal se ferme et devient canal vertébral, il est évi- 
dent que par sillon dorsal il entend le sillon médullare; or la 
coupe d'après laquelle il a fait la description rapportée plus 
haut n’intéressait nullement la gouttière médullaire, au niveau 
de laquelle il n’y a nulle adhérence entre l’exoderme et le 
mésoderme, mais bien la goultière primitive, au niveau de 
laquelle les deux feuillets sont en effet confondus. 


44 MATHIAS DUVAL. 

Même remarque à propos des observations de Pouchet et 
Tourneux, avec ceci en plus, que ces auteurs ayant observé la 
différence de constitution de la gouttière primitive et de la 
gouttière médullaire, mais pensant que ces deux formations 
se succèdent l’une à l’autre sur un seul et même point du 
blastodermie, émettent une hypothèse pour expl'quer les deux 
dispositions constatées relativement aux rapports du feuillet 
moyen avec le feuillet externe : « Le corps du futur PÈRE 
disent-ils (Précis d'histologie et d’ hislogénie, 1878, p. 86, 8 
88), s'annonce d’abord par une ligne qui suit l’axe de Paire 
germinative; cette ligne est la nofa prumitiva de Pander, 
ou ruban axile de Reichert. Quand on pratique sur l’embryon 
de Poulet des coupes à ce niveau, on constate que la division 
en trois feuillets n’y existe plus; l’interne a gardé son indivi- 
dualité, mais les éléments des deux autres sont mêlés, enche- 
vêtrés. Toute ligne de démarcation a disparu entre les cellules 
de l’une et l’autre provenance, en sorte qu'on peut dire avec 
raison que les éléments des organes qui prendront naissance 
à ce niveau (moelle épinière, cerveau, corde dorsale) dérivent 
également et autant du feuillet moyen du blastoderme que du 
feuillet externe. À peine cette confusion s’est-elle opérée sur 
la ligne Hétee entre les éléments du feuillet moyen el du 
stllet superficiel, qu'il se refait entre eux un groupement 
nouveau pour constituer deux organes nettement distincts : 
d’un côté, l’axe nerveux cérébro-spinal ; de l’autre, en contact 
avec lui et au-dessous de lui, la corde dorsale, qui est comme 
le centre d'évolution du squelette. » | 

Il est également facile de comprendre que, selon que tel 
embryologiste aura étudié plus spécialement des coupes de la 
zone tergale ou de la région de la ligne primitive, il sera porté 
à attribuer au mésoderme une origine exclusivement exoder- 
mique ou exclusivement endodermique. Nous ne saurions 
présenter 101 l'étude critique complète de ces opinions : les 
travaux entrepris sur l'origine du feuillet moyen et des 
vaisseaux sont si nombreux, qu'une revue, même incomplète, 
des théories émises nous entrainerait trop loin. C’est une 

ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L’EMBRYON. 45 


question que nous nous proposons de reprendre à l’aide de 
recherches nouvelles empruntées surtout à lembryologie com- 
parée ; on en trouvera du reste un excellent résumé dans la 
nouvelle édition de Kôlliker. Pour montrer seulement comment 
les divergences à ce sujet cadrent parfaitement avec ce que nous 
avons signalé, c’est-à-dire avec la nécessité de ne passe former 
exclusivement une opinion d’après des coupes portant sur une 
seule région, nous rappellerons que Remak, Waldeyer (ouvrages 
cités ci-dessus), Gœtte, Balfour, Durante, font provenir le 
feuillet moyen du feuillet interne; Kôlliker au contraire lui 
assigne une origine exclusivement exodermique; enfin His le 
faisait provenir à la fois du feuillet externe et du feuillet 
interne. 


Troisième conclusion. 


La corde dorsale se forme uniquement dans la zone ter- 
gale, en avant de la gouttière primitive : comme le feuillet 
moyen de cette zone, mais plus nettement encore que les 
parties adjacentes de ce feuillet moyen, elle provient du feuillet 
interne, ou tout au moins partage-t-elle avec. ce feuillet moyen 
une origine Commune. 

De même que la conclusion précédente, nous ne donnons 
celle-ci que comme introduction à de nouvelles recherches. 
Nous ferons seulement remarquer que ce qui est très-probable 
sur le blastoderme du Poulet, relativement à l’origine endoder- 
mique de la corde dorsale, paraît plus vraisemblable encore 
sur le blastoderme du Lapin, d’après les recherches de Hensen. 
Il est vrai que Kôlliker a cherché à réfuter les opinions de 
Hensen, mais nous devons avouer que les arguments qu'il 
fournit et les dessins qu’il donne à l'appui nous paraissent pré- 
cisément parler contre sa thèse : c’est une manière de voir 
qu’inspire la plus simple Inspection de ses figures 190, 196 et 
197 (1). Enfin, les nombreux travaux qui ont paru dans ces 


ù ! 

(1) Hensen, Beobachtungen über die Entwicklung des Kaninchens(Zeïtschr. 

für Anatomie und Entwicklungsgesch., von His et Braun, 1876, p. 366). — 
Külliker, op. cit., 1876, p. 272. 


A6 MATHIAS DUVAL. 


dernières années sur l’embryologie des Poissons (1)nous mon- 
trent la corde dorsale de ces Vertébrés comme provenant d’une 
véritable involution du feuillet interne : Balfour notamment 
décrit la formation de la corde dorsale par une sorte d'in- 
vagination longitudinale de lhypobluste (endoderme), d’où 
résulte un cordon d’abord en connexion avec le feuillet interne, 
et qui s’en isole ensuite. Quoi qu'ilen soit, l’évolution primaire 
de la corde dorsale est imtimement liée à celle du feuillet 
moyen, et c’est une double question dont nous reprendrons 
prochainement l'étude d’une manière aussi complète que 
possible. 


EXPLICATION DES FIGURES. 


PLANCHES 13 à 18. 


Les figures des six planches qui accompagnent ce mémoire ont été dessinées 
à la chambre claire. Les unes, représentant des blastodermes vus en surface, 
toujours par la région dorsale (la surface externe du blastoderme), sont dessi- 
nées à des grossissements divers (de 5 à 26 diamètres), et porten tdes numéros 
d'ordre qui sont reproduits pour toutes les coupes correspondantes. Les autres, 
représentant ces coupes, sont dessinées à peu près toutes au même grossisse- 
ment (environ 120 diamètres), et ont partout, comme numéro, celui du blasto- 
derme auquel elles appartiennent, avec indication, par une lettre, de la ligne 
suivant laquelle a été pratiquée la coupe. 


Fig. 1. Blastoderme de quatorze heures. — Gross. 18 diam. 


a, coupe de ce blastoderme selon la ligne a, c’est-à-dire au niveau de la con- 
vexité du croissant antérieur (voy. p. 12). 

b, coupe selon la ligne b, c’est-à-dire dans la partie moyenne de la zone ter- 
gale (p. 9). 

c, coupe selon la ligne c, c’est-à-dire dans la téte de la ligne primitive 
(ou renflement caudal). 

d, coupe selon la ligne d, c’est-à-dire dans la partie antérieure de la ligne 
primitive, déjà légèrement creusée en gouttière à ce niveau. 

e, coupe selon la ligne e, c’est-à-dire dans la partie moyenne de la ligne pri- 
mitive. 


(1) Balfour, The Development of Elasmobranch Fishes (Journ. of Anatomy 
and Physiology, April 1876, p. 538). 
E. Calberla, Zur Entwicklung des Medullarrohres und der Gorda dorsalis 
der Teleostier und der Petromyzonten (Morphologisch Jahrbüch, 1877). 
ARTICLE N° 17. 


LIGNE PRIMITIVE DE L’EMBRYON. 47 


Fig. 2. Blastoderme de dix-neuf heures. — Gross. 20. 


a, coupe de ce blastoderme selon la ligne @, c’est-à-dire la partie antérieure 
de la zone tergale. 

b, coupe selon la ligne b, c’est-à-dire un peu en arrière de la tête de la ligne 
primitive. 

c, coupe selon la ligne €, c’est-à-dire à la partie moyenne de la ligne pri- 
mitive. 


Fig. 3. Blastoderme de vingt-quatre heures. — Gross. 26. 


a, coupe de ce blastoderme selon la ligne a, c’est-à-dire à l'extrémité anté- 
rieure de la gouttière médullaire. 

b, coupe selon fa ligne b, c’est-à-dire dansla moitié antérieure de la gouttière 
médullaire. 

ce, coupe selon la ligne c, au niveau de la tête de la gouttière primitive. 

d, coupe selon la ligne d, dans la moitié antérieure de la gouttière primi- 
live. 

e, coupe selon la ligne e, dans la moitié postérieure de la ligne primitive. 


Fig. 4. Blastoderme de vingt-six heures. — Gross. 24. 


a, coupe de ce blastoderme selon la ligne &, à la partie antérieure de la gout- 
tière médullaire. 

b, coupe selon le ligne b, à la partie moyenne de la gouttière médullaire. 

e, coupe selon la ligne €, à la partie postérieure de la gouttière médul- 
laire. 

d, coupe selon la ligne d, sur la tête de la ligne primitive. 

e, coupe selon la ligne e, à la partie postérieure de la ïigne primitive. 

Fig. 5. Blastoderme de vingt-neuf heures. — Gross. 20. — II n’a pas été repré- 

senté de coupes de ce blastoderme, dont la figure a été donnée surtout 
pour montrer la transition entre la figure 4 et la figure 6. 


Fig. 6. Blastoderme de trente-trois heures. — Gross. 18. 


a, coupe de ce blastoderme selon la ligne a, c’est-à-dire au niveau de la ré- 
ion cervicale du canal médullaire. 
b, coupe selon la ligne b, entre la troisième et la quatrième protover- 


tébre. 

c, coupe selon la ligne €, dans la partie postérieure de la gouttière médul- 
laire. 

d, coupe selon la ligne 4, sur la partie postérieure de la tête de la gouttière 
primitive. 

e coupe selon la ligne e, sur la partie postérieure de la gouttière primi- 
tive. 


Fig. 7. Blastoderme (embryon) de trente-neuf heures. — Gross. 24.— Il n’a pas 
été représenté de coupes de cet embryon, dont la figure a été donnée pour 
montrer la transition entre la figure 6 et la figure 8. 


Fig. 8. Blastoderme de quarante-trois heures. — Gross. 10 


48 MATHIAS DUVAL. 


Fig. 9. Partie postérieure de embryon du blastoderme précédent. -— Gross. 26. 


a, coupe de l’extrémité postérieure de cet embryon selon la ligne a, c’est-à- 
dire au niveau de la partie moyenne du sinus rhkomboïdal déjà fermé 
(voy. p. 28). 

b, coupe selon la ligne b, à la partie antérieure de la tête de la gouttière pri- 
mitive. 

£, coupe selon la ligne c, à la partie postérieure de la tête de la gouttière 
primitive. 

d, coupe selon la ligne d, sur le rudiment de gouttière primitive. 


Fig. 10. Blastoderme de cinquante heures. — Gross. 5. 


Fig. 11. Partie postérieure du corps de l'embryon du blastoderme précédent. 
— Gross. 24. 


Fig. 12. Coupe longitudinale médiane de cette partie postérieure du corps d’un 
embryon de cinquante heures : l’exoderme est à droite, l’endoderme à 
gauche; &, renflement caudal; b, dépression sous-caudale; €, région de 
lallantoide. 

a, coupe transversale selon la ligne 4, au niveau du renflement ou bourgeon 
caudal. 
b, coupe selon la ligne b, dans la région de la dépression sous-caudale. 
c, coupe selon la ligne c, dans la région où le bourgeon creux allantoïdien 
s'enfonce dans le mésoderme. 
d, coupe selon la ligne d, au delà du sommet du bourgeon allantoïdien. 


ARTICLE N° 17. 


MÉMOIRE 
SUR LA PONTE DE L’ABEILLE REINE 


ET LA THÉORIE DE DZIERZON 


Par J. PEREZ 


Professeur à la Faculté des sciences de Bordeaux. 


On sait que, d’après une théorie classique née en Alle- 
magne, et qui ne souffre plus ajourd’hui de contestation 
sérieuse, tout œuf fécondé de l’Abeille reine est un œuf de 
femelle (ouvrière ou reine); tout œuf non fécondé, un œuf 
de faux-bourdon. L’Abeille mère peut même, dit-on. à volonté, 
pondre un œuf de mâle ou un œuf de femelle. 

Lorsque Dzierzon, l’apiculteur distingué que cette théorie 
a rendu célèbre, la produisit dans le public apicole, elle y 
suscita de vifs débats. Elle triompha néanmoins de toutes les 
objections et vainquit toutes les résistances, grâce non-seule- 
ment à l’habile défense de son auteur, mais surtout aux expé- 
riences et aux confirmations anatomiques de praticiens exercés, 
ou de naturalistes éminents, tels que Berlepsch, Leuckart, von 
Siebold. 

Si je viens ici combattre une théorie quia depuis longtemps 
acquis droit de cité dans la science, et qui est devenue le credo 
de tout apiculteur instruit, c’est que j'ai, sans les chercher, 
rencontré des faits qui me paraissent l’infirmer d’une manière 
absolue. 


fe 


Je ferai tout d’abord une remarque qui me parait être essen- 
telle. L'hypothèse de Dzierzon, il ne faut point l’oublier, attri- 
bue à l’Abeille une faculté dont aucun autre animal ne parait 


être doué, celle de pouvoir, à volonté, procréer des individus 
ANN. SC. NAT. — ART. N° 18. 


9 J. PEREZ. 


de Pun ou de Pautre sexe. Pour expliquer cette faculté excep- 
tionnelle, on admet, il est vrai, que Abeille mère peut à son 
gré féconder ou non, à leur passage dans l’oviducte, les œufs 
qui descendent des gaines ovigères, en laissant ou non se ré- 
pandre sur eux une certaine quantité du sperme contenu dans 
le réservoir séminal. Ce pouvoir si étrange est-il, au moins chez 
l’Abeille, la conséquence d’une organisatiou anatomique parti- 
culière? La conformation bien connue de son appareil génital 
ne se distingue par rien d’essentiel de celle de la généralité des 
femelles d'insectes. Or, on n’a jamais songé à attribuer à au- 
cun autre insecte qu'à l’Abeille le pouvoir d'agir volontaire- 
mentsur des phénomènes qui, par leur essence même, sem- 
blent absolument soustraits à l’influence de la volonté. 

L'hypothèse de Dzierzon a donc tout d’abord contre elle une 
présomption dont la force ne peut échapper à personne. 

Elle naquit dans l’esprit de son auteur du besoin d'expliquer 
certains faits que présente la génération des Abeilles, et aussi 
de considérations peu conformes, il faut avouer, aux données 
physiologiques positives (1). Ces faits, elle en rendait compte 
avec une ingénieuse facilité, qui séduisit des savants habitués 
à la rigueur des méthodes scientifiques plus encore peut-être 
que les éleveurs d’Abeilles. [ls pouvaient cependant recevoir 
une autre explication, et d’ailleurs ils n'avaient pas tous été 
observés avec une précision suffisante. Je n’ai point l'intention 
de passer tous ces faits en revue, je me bornerai à en relever 
un seul. 

La preuve la plus considérable que l’on ait fournie de lin- 
tervention d'un acte volontaire de Abeille dans la procréation 
des sexes, est la suivante. Ce sont les ouvrières, on le sait, qui 
construisent les cellules; elles leur donnent une grandeur et 
une forme déterminées, suivant qu’elles les destinent à loger 
soit des reines, soit des ouvrières, soit des faux-bourdons. Or 
l’Abeille mère ne s’y méprend jamais, dit-on ; et, sauf les cas 


(1) Voy. Siebold, Die wahre Parthenogenesis bei Schmetterlingen und Bie- 
nen (Leipzig, 1856). Analysé dans les Ann. des. sc. nat., 4 série, t. VI, 1856. 


ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 3 
de non-fécondation, chaque sorte de cellule reçoit l'œuf qui 
lui convient. — Il y à plus : que l’on porte dans une ruche des 
cellules de reines ou d’ouvrières, ou des cellules de faux-bour- 
dons, l’Abeille mère pondra toujours des œufs de femelles dans 
les premières, des œufs de mâles dans les secondes. L’expéri- 
mentateur obtient amsi, selon son bon plaisir, des femelles ou 
des mâles. Telle est la preuve principale que l’on ait produite 
de la faculté élective de la pondeuse. 

Mais, pour être concluante, l’expérience devrait toujours don- 
ner le même résultat, ce qui n’a point lieu. On essayerait en 
vain, par ce procédé, d'obtenir des mâles en dehors de la sai- 
son où ils sont normalement produits. Il n’est pas un apicul- 
teur qui ne sache que l’Abeille mère se garde de pondre toute 
l’année des œufs de mâles, alors même que toute l’année elle 
peut avoir des cellules de mâles à sa disposition. Tout ce que 
l’on est autorisé à admettre, c’est que d'ordinaire la pondeuse 
a l'instinct de déposer dans chaque sorte de cellules un œuf 
approprié ; encore cet instinct est-il souvent en défaut. Il n’est 
pas de ruche, en effet, qui ne puisse montrer à un moment ou 
à un autre des larves ou des nymphes de faux-bourdons occu- 
pant des cellules d’ouvrières. Une curieuse expérience a même 
été faite ‘à Bordeaux, il y a peu d'années, par un apiculteur 
aussi habile qu'instruit, M. Drory (1). Un essaim ayant été 
logé dans une ruche entièrement garnie de rayons ne conte- 
nant que des cellules de mâles, la mère pondit dans ces cel- 
lules des ouvrières, rien que des ouvrières. L'expérience se 
faisait en septembre, époque où la ponte des mâles a cessé 
depuis longtemps. La présence exelusive de grandes cellules ne 
put déterminer la reine à pondre des œufs d’un autre sexe que 
ceux qu'elle produit naturellement en cette saison. 

Il ne suffit done point de fournir, à n'importe quel moment, 
à la pondeuse des cellules d’une sorte, pour qu’elle y ponde 
des œufs du sexe correspondant. Et l’expérimentateur est bien 


(1) Voy. Le Rucher, journal d’apiculture rationnelle, dirigé par M. E. Drory, 
3° année. Bordeaux, 1875, p. 290. 


4 J. PEREZ. 
loin de gouverner, comme on l’a dit, au gré de son caprice, la 
ponte de la reine. 

Se fiant à des conseils déduits d'idées théoriques que nul ne 
songe à mettre en suspicion, les apiculteurs s’imaginent, en 
supprimant les cellules à faux-bourdons, diminuer la ponte 
des mâles, qui constituent un déchet pour la récolte. L’expé- 
rience devrait pourtant leur apprendre qu’on n’obtient ainsi 
d'autre résultat que d’obliger la mère à pondre des mâles dans 
des cellules d’ouvrières. 

Il y aurait un moyen plus efficace de supprimer les mâles à 
peu près complétement. Ce serait de n'avoir dans la ruche, à la 
fin de l'hiver, que des rayons exclusivement formés de cellules 
d’ouvrières. Si, dans une ruche ainsi composée, on plaçait, 
avant la ponte des mâles, un rayon uniquement formé de 
grandes cellules, la mère viendrait y pondre des œufs de mâles 
quand le moment serait venu. [Il suffirait alors d'enlever ce 
rayon dès qu’il contiendrait un assez grand nombre d'œufs et 
de larves, et de le remplacer par un autre semblable, qu’on 
supprimerait à son tour au bout de quelques jours, et amsi de 
suite jusqu’à la cessation de la ponte des œufs de faux-bour- 
dons. 

C'est normalement au printemps, et à une époque précise, 
que les mâles commencent à se montrer dans les ruches ; c’est 
done à une époque précise que furent pondus les œufs d’où 1ls 
sont nés. Les apiculteurs savent que les essaims arrivés à la fin 
de l’hiver avec des provisions encore abondantes sont ceux où 
les mâles se montrent le plus tôt. Et souvent 1l suffit de nourrir 
artificiellement une ruche au début du printemps pour y hâter 
l'apparition des mâles. La production des œufs de l’un ou de 
l’autre sexe parait être une nécessité physiologique étroitement 
liée à des conditions particulières de température et d’alimen- 
tation, et sans aucun rapport avec la volonté de l’Abeille. Ne 
voyons-nous pas aussi chez les Pucerons la production des 
sexes, tout en suivant une autre loi, se régler avec une remar- 
quable ponctualité sur les changements des saisons? Nous ne 


pouvons méconnaître que ce ne soient là des faits de même 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 5 


ordre, bien que, dans un cas comme dans l’autre, nous igno- 
rions absolument la relation immédiate qui peut exister entre 
la production des sexes et les conditions dont elle parait dé- 
pendre. 

On peut donc considérer comme démontré, je crois, que 
l'hypothèse suivant laquelle Abeille reine produirait à volonté 
des œufs de l’un ou de l’autre sexe ne repose sur aucune base 
solide, et se trouve au contraire en désaccord formel avec l’ob- 
servation. 


LL. 


Examinons maintenant cette autre proposition, que tout œuf 
qui a subi le contact du fluide séminal est un œuf de femelle ; 
tout œuf qui n'a pas subi ce contact est un œuf de mâle. 

Dans cette hypothèse, un œuf de femelle, ouvrière ou reine, 
recevant seul le baptème séminal, procéderait du père aussi 
bien que de la mère. Un œuf de mâle ne tiendrait que de la 
mère. Un faux-bourdon n'aurait point de père. 

Qu’une mère mal conformée, mcapable pour une cause quel- 
conque de prendre ses ébats hors de la ruche, et astreinte par- 
tant à une virginité forcée, ne ponde que des mâles; que ces 
mâles soient tous de sa race, c’est là un fait que l’on ne saurait 
mettre en doute. Qu'il en soit de même encore de ces ouvrières 
qui, exceptionnellement, deviennent aptes à pondre, mais non 
à être fécondées, cela ne fait non plus aucune difficulté. 

Mais le fait important, celui qui sert de fondement à toute la 
théorie, et pour l’explication duquel la théorie a été tout exprès 
faite, est le suivant : Une reine de race italienne, fécondée par 
un mâle de race allemande, donne des ouvrières et des reines, 
c'est-à-dire des femelles, métisses, et des mâles purs italiens. 
Inversement, une femelle allemande et un mâle italien donne- 
ront encore des femelles mêlées, mais des mâles purs alle- 
mands. | 

Produits par des femelles fécondées, les mâles ne ressem- 
blent done jamais qu’à leur mère, comme s'ils provenaient de 


6 J. PEREZ. 


femelles vierges. D'où l’on a été conduit à admettre que la nais- 
sance des mâles n’est en rien influencée par la fécondation de 
la mère. 

Je ne sache pas qu'aujourd'hui la vérité de cette lor, posée 
par Dzierzon, soit révoquée en doute. C’est tout fortuitement 
que j'ai été conduit à en reconnaitre l’inexactitude. 


Avant fait venir d'Italie, au printemps de 1877, en vue 
d’autres observations à faire, un essaim d’Abeilles ligu- 
riennes, Jai voulu, au printemps de 4878, italianiser trois 
ruches d'Abeilles françaises, en substituant à leurs reines des 
jeunes reines filles de celle qui n’était venue fécondée d'Italie. 
Malgré le soin que j'ai pu mettre à supprimer autant que pos- 
sible les mâles français dans toutes les ruches, en conservant 
tous les mâles de la ruche italienne, afin d'augmenter les 
chances de voir mes jeunes reines fécondées par ces derniers, 
il est arrivé que toutes trois ont été fécondées par des mâles du 
pays, car les ruches que je voulais italianiser sont devenues 
métisses. Leur population, une fois renouvelée, s’est montrée 
composée d’ouvrières, les unes jaunes comme les italiennes, les 
autres noires comme les françaises, les autres enfin présentant 
le mélange, à proportions diverses, des caractères des deux 
races. Pareil résultat est du reste fort ordinaire; peut-être 
trouve-t-1l son explication dans ce fait, que les mâles français, 
généralement plus gros et plus robustes que les mâles italiens, 
doivent avoir l’avantage sur ces derniers dans la sélection 
sexuelle naturelle. 

Quoi qu'il en soit, une seule des ruches métisses a donné des 
mâles. Il est généralement assez rare qu'une reine nouvelle 
ponde des mâles dès l’année même où elle est née. Surpris de 
voir que quelques-uns de ces faux-bourdons ressemblaient 
singulièrement aux mäles français, alors que tous devaient 
être, d’après la théorie, italiens comme leur mère, je crus 
devoir examiner attentivement la population mâle de cette 
ruche. 


Il est essentiel de dire comment je dus procéder à cet 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L’ABEILLE REINE. 7 
examen ; et je suis obligé d'entrer, à ce propos, dans des détails 
minutieux, que le lecteur voudra bien excuser: 1ls sont Imdis- 
pensables. 

Afin de déterminer avec sûreté à quelle race appartenait un 
individu donné, 1l m'a fallu tout d’abord chercher les carac- 
tères qui distinguent un mâle italien d’un mâle français. Les 
auteurs qui ont écrit sur les Abeilles sont en général fort peu 
précis à ce sujet. J'ai dù suppléer à leur iusuffisance par une 
comparaison attentive des mâles de l’une et de l’autre race par- 
faitement pures. 

Ainsi que nous l'avons déjà dit, les mâles italiens sont ordi- 
nairement un peu plus petits queles mâles français. Mais nous 
ne prendrons point en considération ce caractère beaucoup trop 
vague. Les différences de coloration sont plus sensibles et plus 
cénéralement appréciées des éleveurs d'Abeilles, qui voient 
même dans la couleur plus ou moms jaune le signe d’une plus 
ou moins grande pureté de race italienne. 

Cette couleur jaune se manifeste dans le fond du tégument 
des segments abdominaux. Nous négligerons, pour plus de 
commodité, le premier segment, quiest très-court, n’empié- 
tant point sur la face dorsale de l’abdomen, et peu commode 
à observer. 

Les segments suivants, du deuxième au cinquième, pré- 
sentent, dans les mâles des deux races, une bordure claire, 
tranchant sur le fond noir du reste du tégument, et quiestjaune 
roussâtre chez les mâles français, jaune fauve plus ou moins 
vif chez les mâles italiens. Cette bordure, de largeur variable, 
peut manquer au cinquième segment du mâle français. Elle 
estnotablement plus large chez litalien, dont l'abdomen parait, 
à première vue, rayé de jaune en travers, tandis que l'abdomen 
du male français parait presque entièrement noir. De plus, 
chez le mâle italien, le deuxième segment, souvent le troi- 
sième et parfois aussi le quatrième, portent vers leur base une 
bande plus ou moins large et plus où moins mal limitée, de ja 
même couleur jaune. Il n'est pas rare de voir cette bande, 
sur le deuxième segment, confluer avec la bordure, et l'anneau 


8 J. PEREZ. 


peut alors devenir entièrement jaune. Le troisième segment a 
toujours moins de jaune que le deuxième, le quatrième moins 
que letroisième. — Chez des mdividus mois colorés, les bandes 
basilaires s’oblitèrent et peuvent se réduire à une simple tache 
de chaque côté du segment. Je n’ai jamais vu de mâle italien 
qui n’eùt au moins ce rudiment de la bande basilaire sur le 
second segment. 

Un mâle français, au contraire, autant que j'en ai pu obser- 
ver, ne présente jamais la moindre trace de cette bande basi- 
laire sur les côtés de Pabdomen. Cela joint à l’étroitesse et à la 
coloration peu vive de ces bandes marginales, il en résulte que 
le faux-bourdon français a un aspect général noirâtre caracté- 
ristique, tandis que le faux-bourdon italien se reconnait tout de 
suite à sa coloration plus ou moins fauve. 

Ces différences entre les mâles des deux races ne sont en 
somme que des différences de degré. Elles n'ont évidemment 
rien d'absolu (1). Elles sont néanmoins très-faciles à apprécier, 
et par conséquent préférables, dans la pratique, à tels autres 
caractères qu'on pourrait trouver encore pour distinguer les 
mâles des deux races, comme par exemple la poilure, en géné- 
ral plus fauve chez le mâle italien, plus sombre chez le mâle 
français. 

L'étude comparative que je viens d'indiquer m’ayant donné 
le moyen de déterminer sûrement la race d’un faux-bourdon, 
j'ai pris d’abord 100 mâles d’une ruche française. De ces mâles 
j'ai choisi le moins noir, celui dont les segments abdominaux 
avaient les bordures le plus larges, celui qui, partant, se rap- 
prochait te plus des italiens. Ge mâle m'a servi de terme de com- 


(1) I existe, m'a-t-on dit, en Provence, une race d’Abeilles se rapprochant 
un peu par sa coloration de la race ligurienne. Les conditions climatiques qui 
ont fait en Italie la race italienne, se trouvant en partie reproduites dans notre 
Midi méditerranéen, on conçoit que l’Abeille ait pu y revêtir une livrée qui la 
fasse ressembler plus ou moins à l’Abeille italienne. Il se pourrait donc qu'il se 
trouvät en Provence des faux-bourdons présentant sur les côtés du 2° segment 
la tache vestige de la bande basilaire. Je n’ai heureusement pas eu affaire, à 
Bordeaux, à une sous-race pareille, qui eût rendu fort difficile, sinon impossible, 
l'observation délicate que j'avais en vue d'accomplir. 

ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 9 
paraison, et je lui ai successivement confronté un à un des 
mâles pris dans la ruche métisse. 

Tout mâle de cette ruche dont les bandes marginales étaient 
plus étroites que celles du mâle français choisi à été considéré 
comme français. 

Tout mâle ayant au moins un vestige de bande basilaire au 
deuxième segment, füt-elle réduite au plus petit point jaune, 
a été compté pour italien. 

J'ai enfin classé comme intermédiaire aux deux races, 
comme sang mêlé, tout mdividu qui, bien qu'ayant les bandes 
marginales plus larges que le français choisi, ne portait 
cependant aucune trace de bande basilaire au deuxième seg- 
ment. 

300 mâles de la ruche métisse se sont ainsi répartis de la 
manière suivante : 

151 italiens ; 

66 métis à des degrés divers; 

83 français. 

Ces mâles présentaient donc dans leur ensemble, comme 
les ouvrières, le caractère bien évident du métissage. Il s'ensuit 
naturellement que, chez l’Abeille comme chez les autres ani- 
maux, les mâles participent des caractères du père aussi bien 
que de ceux de la mère; queles œufs de faux-bourdons, comme 
ceux de femelles, reçoivent par conséquent le contact du fluide 
sémimal, et que la théorie de Dzierzon, créée pour expliquer 
un fait mal observé, devient inutile, puisque ce fait est con- 
trouvé. 

Le terme de comparaison auquel Jai eru devoir n’arrêter 
pour établir la statistique qui précède, est sans doute arbi- 
traire. Mais il est évident qu’en prenant tout autre moyen 
artificiel pour le classement de mes faux-bourdons, j'aurais 
obtenu un résultat sinon absolument identique, tout au moins 
analogue. Et s’il y a exagération en quelque sens, ce n’est pas 
assurément dans le chiffre des français, ce qui est l'essentiel. 
Quelques unités de plus d’un côté ou de l’autre ne chan- 


geraient rien d’ailleurs au fond de la question. 
ANN. SC. NAT., JUIN 1878. VII. 22. — ART. N9 18. 


10 J. PEREZ. 

Moins pour achever de me convaincre, — car les détermi- 
nations que j'avais faites ne laissaient pas l'ombre d’un doute 
dans mon esprit, — que pour répondre par avance à certaines 
objections qui ne manqueraient pas de me venir de la part des 
_apiculteurs, j'ai soumis à deux apiculteurs distingués, M. Drory 
et M. Gatter, de Vienne, un lot de faux-bourdons pris dans les 
trois catégories que je viens d'indiquer, en les priant de me dire 
ce qu'ils en pensaient, sans les prévenir d’ailleurs de Porigine 
de ces Abeilles. J’ai obtenu cette réponse, que ces mâles leur 
paraissaient avoir plus ou moins de sang italien, et étaient sans 
doute fils d’une mère elle-même de sang mêlé. Le métissage 
était donc évident pour ces praticiens expérimentés. Quant 
à linterprétation qu'ils en donnaient, elle était bien naturelle 
à des partisans convaincus de la théorie de Dzierzon. Au sur- 
plus, je reviendrai plus loin sur cette opinion pour en montrer 
le peu de fondement. 


L'influence de l'élément séminal est manifeste dans les 
83 mâles français ainsi que dans les 66 métis, c’est-à-dire dans 
la moitié du nombre total des individus observés. Mais il est 
certain que cette influence n’a pas été restreinte à cette étroite 
limite. Nous n’avons en effet tenu compte que d’un caractère 
unique, la coloration du tégument. Il est évident que la consi- 
dération d’un autre caractère nous aurait conduit à recon- 
naître les traces du sang français dans un certain nombre des 
sujets classés parmi les italiens, surtout si lon songe que la 
ressemblance avec l’un ou l’autre des progéniteurs peut se tra- 
duire dans les organes internes, où elle est difficile à saisir. Les 
150 mâles français ou métis sont done loin de représenter la 
totalité des germes sur lesquels l’action du fluide séminal s’est 
fait sentir. Il se peut même que pas un seul n’y ait échappé 
entièrement. Il ne faut donc point prendre à la lettre les dési- 
gnations de français et d’italien, qui, dans le classement donné 
plus haut, ne s'appliquent qu’à l’apparence extérieure. Il en 
est, en un mot, de ces mâles, comme des femelles venues d’une 
origine semblable, et qu'on ne saurait considérer comme de 

ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 11 
race pure, pour tant que leur extérieur en püt offrir Pappa- 
rence : leur progéniture en fournirait d’ailleurs la preuve. 


III. 


J'aurai maintenant à prévenir certaines objections que lon 
pourrait me faire, et à répondre à d’autres que plusieurs api- 
culteurs m'ont déjà opposées. 

1. Levons d’abord une première difficulté. Tout ce qui pré- 
cède serait absolument dénué de valeur, sila reine dont les fils 
ont été soumis à l'observation n’était point une italienne de race 
pure. Les éleveurs d’Abeilles qui jadis firent une si vive oppo- 
sition à la théorie de Dzierzon, ne peuvent souffrir aujourd’hui 
qu'on élève contre elle le moindre soupcon. Ne pouvant croire 
qu'une mère de race pure n’ait pas des fils appartenant exelu- 
sivement à sa propre race, ils affirment que la mère de produits 
mâles métis doit être elle-même métisse. Telle est l’objection 
de M. Drory et de nombre d’autres apiculteurs. Un zootechni- 
cien bien connu, M. Sanson, par suite également d'idées théo- 
riques préconçues, n’a pas hésité à me prêter cette grossière 
erreur (1). À cela je n'ai que deux mots à répondre. La mère 
de l’Abeille qui a pondu les faux-bourdons examinés par moi 
m'est venue fécondée de l’établissement apicole de M. Joseph 
Fiorini, de Monselice (Vénétie). Cette mère, encore vivante au 
moment où J'écris ces lignes, n’a cessé, depuis queje la possède, 
c’est-à-dire durant deux saisons, de donner des ouvrières, 
toutes italiennes magnifiques. Il n’y a donc pas de raison pour 
que les reines qu’elle a fournies ne soient pas italiennes comme 
leurs sœurs. Je ne saurais admettre, avec M. Drory, que, pour 
avoir des italiennes absolument pures, il faille les demander 
non point à des apiculteurs italiens, mais à M. Dzierzon lui- 
même, à Karlsmarkt (Silésie), ou à M. Dathe, à Eystrup 
(Hanovre), ou à M. Günther, à Gispersleben près d’Erfurth. 
Que certains apiculteurs allemands, M. Dzierzon surtout, aient 


(1) Comptes rendus de l'Académie des sciences du 28 octobre 1878. 


12 J. PEREZ. 
réussi à produire par sélection des Abeilles plus jaunes que les 
Abeilles d'Italie, c’est là un fait bien connu, et qui n’a rien 
d'étonnant, pas plus que le fait inverse, tout aussi facile à 
obtenir si on l’eût cherché, et qui consisterait à ürer par sélec- 
tion de la race italienne des Abeilles aussi noires que celles de 
France ou d'Allemagne. On aurait tort d'admettre que les 
Abeilles les plus jaunes soient les plus pures de race, comme 
c’est trop la tendance des apiculteurs. Je persiste done à croire 
que la vraie race italienne doit se chercher en Italie et non en 
Allemagne. Et si l’expérience que J'ai rapportée eût été faite 
sur une Ædelküniqgin, ou reine noble, pour employer le nom 
pompeux qui sert à désigner ces reines, d’ailleurs fort belles, 
obtenues par sélection, le résultat au fond eût été absolument 
le même. La couleur plus jaune, la teinte plus claire de la 
pondeuse auraient pu seulement avoir pour effet d’éclareir 
encore davantage celle de sa progéniture, et diminuer peut- 
ôtre de quelques unités le nombre des individus se rapportant 
à l’autre race. 

2. Quelques apiculteurs croient que les faux-bourdons pas- 
sent sans difficulté d’une ruche dans une autre, en sorte que 
des faux-bourdons venus de ruches françaises auraient pu s’in- 
troduire dans ma ruche métisse. Mais si les mâles étaient si peu 
fidèles à leur berceau, on ne verrait pomt certaines ruches 
précoces posséder seules des mâles, alors qu’on n’en voit aucun 
dans les ruches voisines; ou au contraire telle ruche pré- 
senter encore des mâles, quand il n’en existe plus depuis 
longtemps dans les autres. On ne voit pas davantage des mâles 
français dans des ruches italiennes pures, n1 des mâles italiens 
dans des ruches françaises, pour tant qu'un rucher puisse con- 
tenir des essaims des deux races. 

Je me suis cependant assuré, par une expérience directe, que 
des mâles d’une ruche ne s’introduisent pas volontiers d’ordi- 
naire dans une ruche étrangère; ils s’envolent le plus souvent 
quand on les dépose sur le tablier de celle-ci. Si quelquefois ils 
y entrent, ce qui peut arriver quand ils ont peu de vivacité ou 
que la capture les a un peu maltraités, on les voit bientôt après 

ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 13 
expulsés par les ouvrières, qui toutefois ne les mettent point à 
mort, comme elles font des ouvrières intruses, et se contentent 
de les jeter à la porte. 

Les mâles, comme les ouvrières, reconnaissent leur domi- 
cile et y retournent après avoir pris leurs ébats au dehors. 

La présence de mâles noirs dans la ruche métisse ne peut 
done s'expliquer par lintrusion de mâles étrangers. Quoi qu’il 
en püt être d’ailleurs, les 66 métis ne pouvaient venir du dehors. 
Is sont là pour témoigner que les mâles sont dans le cas des 
ouvrières, et de sang mêlé comme elles. 

3. L'existence de ces métis rend tout aussi inacceptable une 
autre explication, qui consisterait à admettre que les faux- 
bourdons français étaient fils de l’ancienne reine française 
supprimée. Si à la rigueur cette reine eùt pu avoir engendré 
les 83 mâles noirs, elle ne pouvait évidemment être la mère 
des métis. Et puis enfin cette population mâle hétérogène con- 
tinuait encore à naître dans la ruche, alors que toute la des- 
cendance de l’ancienne reine avait disparu depuis quelques 
semaines. Cette reme noire avait donné des mâles nombreux, 
dont il ne restait plus un seul, quand elle fut remplacée par 
une reine italienne à l’état de nymphe dans une cellule oper- 
culée. Ils avaient tous été sacrifiés par les ouvrières à la suite 
du prélèvement de toutes les butineuses, qui furent ajoutées 
à un essaim pour le renforcer. Il y avait donc eu un intervalle 
notable entre la disparition des mâles anciens et l'apparition 
des mâles nouveaux. 

4. Le fait que je signale, a-t-on dit, peut n'être qu’une 
exception, la non-participation des mâles aux caractères du 
père étant le fait normal. — N’aurais-je été témoin que d’une 
exception, Pobservation ne perdrait rien de son importance 
théorique, et la nécessité d’une explication ne serait nullement 
supprimée pour cela. 

Je suis convaincu qu’on ne parlera plus d'exception quand 
on regardera de près, plus qu'on ne l’a fait jusqu'ici, la popu- 
lation mâle des ruches métisses. En effet, mes observations 
étaient déjà faites et communiquées à la Société Linnéenne et 


14 J. PEREZ. 

à la Société d’apiculture de Bordeaux, quand parut dans l Api- 
culteur (1), journal de M. Hamet, professeur dapiculture à 
Paris, une note de M. Arviset, annonçant qu'il à trouvé dans 
une ruche métisse « des bourdons des deux sortes » (italiens 
et français). M. Hamet lui-même, à l’occasion de cette com- 
munication, rappelle qu'il a déja fait antérieurement des 
observations pareilles. M. Matter, de Payerne (Suisse), aurait 
observé aussi des mâles noirs (300) dans une ruche métisse, 
dont la mère italienne avait été fécondée par un mâle de la 
race noire d'Afrique (2). Le fait n’est donc point isolé. Seule- 
ment il était bon, et j'ai fait mon possible pour ne rien laisser 
à désirer à cet égard, de l’établir par des constatations rigou- 
reuses. Trop souvent, en effet, les apiculteurs se bornent à de 
simples affirmations, que des affirmations contraires peuvent 
détruire. Et il ne suffirait point, par exemple, de regarder 
passer sur ie tablier de la ruche les mâles qui sortent et qui 
rentrent, pour déterminer leur race à leur simple aspect. 

». C’est ainsi que des apiculteurs ont pu soutenir que sou- 
vent des reines italiennes de race pure donnaient des mâles 
noirs. Il n’y aurait dès lors rien d'étonnant que des reines 
italiennes fécondées par des mâles noirs fissent de même. Mais 
s'il en était ainsi, si des faux-bourdons véritablement italiens 
par la naissance pouvaient être allemands ou français par le 
vêtement, comment, lorsque la mère a forligné, peut-on dire 
que dans tel cas tous les mâles sont italiens, dans tel autre 
tous allemands ou français? La théorie de Dzierzon suppose 
que les faux-bourdons des deux races se distinguent aisément, 
ce qui n'aurait point lieu si des mâles italiens pouvaient être 
aussi noirs que des mâles français ou allemands. Une telle 
opinion résulte évidemment d'observations superficielles. 

Elle est fort répandue parmi les apiculteurs. Pour me montrer 
les grandes différences que peuvent présenter les mâles d’une 
même ruche italienne pur sang, et infirmer par là même les 


(1) Numéro d'août 1878. ù 
(2) L’Apiculteur, numéro de janvier 1879. 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L’ABEILLE REINE. 45 


conclusions que J'ai tirées de la dissemblance des miens, 
M. Drory m'a envoyé des faux-bourdons provenant d’une mère 
italienne, « la plus belle qu'il eût jamais vue ». [ls étaient en 
effet fortdifférents les uns des autres ; mais, d’après le critérium 
qui m'a servi plus haut, j'ai déterminé tous ces mâles comme 
italiens. La pureté de la race n'implique nullement la simi- 
litude parfaite de tous les produits, exacte ressemblance de 
tous les membres d’une même famille. 

6. Il est aisé de concevoir comment une observation insuf- 
fisante a pu faire croire que les faux-bourdons, fils d’une mère 
italienne fécondée par un mâle d’une autre race, étaient tous 
italiens. Sur les 300 mâles que j'ai examinés, 83 seulement 
paraissaient rigoureusement français, tandis que 151 + 66, ou 
217, c'est-à-dire la grande majorité, plus jaunes que les fran- 
çais, pouvaient très-bien passer pour italiens purs. On com- 
prend donc que, dans des cas semblables, si l’on n’a pas exa- 
miné très-attentivement un à un, comme Je l’ai fait, un grand 
nombre de mâles d’une ruche métisse, on ait pu croire que 
tous appartenaient exclusivement à la race de leur mère. Et 
cela d'autant mieux que la mère aura été de plus belle race, 
de couleur plus jaune, la teinte générale de la progéniture 
étant, ainsi que nous l’avons dit plus haut, proportionnée 
à celle de la mère elle-même. 


IV. 


Après avoir examiné toutes les difficultés que pouvaient 
présenter les faits eux-mêmes, et dissipé, je l'espère du moins, 
tous les doutes qui pouvaient en résulter, 1l me reste à justifier 
l'explication que j'en ai donnée, afin d'en légitimer par là 
même les conséquences théoriques. 

Il est à remarquer tout d’abord que la parthénogenèse n’est 
point en cause ici. Le fait de la ponte d'œufs fertiles par une 
reine non fécondée ou par des ouvrières ne saurait être mis en 
doute. Les produits, dans ces deux cas, étant exclusivement 
mâles, il est démontré que ce sexe peut s’engendrer sans inter- 


16 J. PEREZ. 

vention aucune de l'élément séminal. De là à penser qu'il en 
est encore de même quand la mère à subi les approches du 
mâle, que même alors les faux-bourdons ne procèdent point 
de lui, il n’y avait qu'un pas, et Dzierzon l’a franchi. Tout en 
signalant son erreur, je ne puis cependant ne pas l’excuser. 
L'induction était si naturelle ! et puis les faits semblaient la 
vérifier. 

Si la fécondation n’est point nécessaire pour que des germes 
mâles se développent, cela ne veut point dire que la fécondation 
n'ait sur ces germes aucune influence. Ils n’en subissent pas 
moins l’action du fluide séminal, qui leur transmet, à des 
degrés divers, la ressemblance paternelle. Les faux-bourdons 
peuvent naître sans père; mais si un père Imtervient, 1l leur 
imprime plus ou moins fortement le cachet de sa race. 

La parthénogenèse n’est qu’un côté, et le moins caractéris- 
tique de la théorie de Dzierzon, dont le point fondamental est 
dans le rôle qu’elle attribue à la fécondation. Ge sont là deux 
questions absolument distinctes, et lon a eu tort de les con- 
fondre l’une avec l’autre dans quelques critiques qui m'ont été 
adressées (L). 

Cette distinction posée nous dispensera de passer en revue 
plusieurs objections faites par des apiculteurs à qui elle à 
échappé, et réduira à un petit nombre celles dont l'examen me 
paraît nécessaire. 

1. Nous avons vu que les faux-bourdons de la ruche métisse 
se trouvaient absolument dans le même cas que les ouvrières, 
et présentaient un mélange de trois sortes d'individus, des 
français, des italiens, des italo-français. D’où la conclusion 
que les faux-bourdons, comme les ouvrières, procédaient du 
père aussi bien que de la mère. 

Un apiculteur distingué de Bordeaux, M. Sourbé (2), a pro- 
posé du fait une autre explication. Je n’aurais été témoin, 


(1) Voyez, par exemple, une note de M. Sanson, dans les Compt. rend. de 
V’Acad. des sciences du 28 octobre 1878. 


(2) Journal d’agricult.et d'hortic. de la Gironde, numéro du 10 août 1878. 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L’ABEILLE REINE. 17 
d’après lui, que d’un eas exceptionnel, résultant d’une fécon- 
dation incomplète des germes de ces mâles. La fécondation de 
l'œuf, pour être complète, exigeant une certaine dose minimum 
de substance séminale, si ce minimum ne lui est pas départi, 
la quantité plus faible de matière fécondante agit néanmoins 
sur le germe, et lui imprime une somme proportionnée de res- 
semblance avec le progéniteur mâle. Ainsi s’expliquerait Pal- 
tération plus ou moins profonde du type italien dans les mâles 
que j'ai observés. 

Mais cette explication est absolument indépendante de la 
théorie qu’elle à pour but de défendre ; elle omet le point 
essentiel, le fond même de cette théorie. Suivant Dzierzon, le 
rôle du sperme ne se réduit point simplement à transmetlre aux 
produits la ressemblance paternelle; le sperme a encore pour 
effet de transformer le sexe du germe. Originarement tout œuf 
serait mâle. Pondu sans être fécondé, il reste mâle; fécondé, 
de mâle il devient femelle, suivant la volonté, le caprice de la 
mère. Si donc l'œuf ne reçoit point la quantité de sperme suffi- 
sante pour que sa fécondation soit complète, non-seulement le 
produit recevra une somme diminuée de ressemblance pater- 
nelle, mais en outre le sexe de ce produit subira une transfor- 
mation partielle. Ce n’est donc point un mâle qui en naitra, 
comme dans le cas de non-fécondation, mais un hermaphrodite. 
Telle est la conséquence naturelle de l’hypothèse de Dzierzon. 
Si naturelle, que von Siebold, dans une étude qu'il à faite 
d'Abeilles hermaphrodites (1), n’a pas hésité à expliquer leur 
état sexuel par une fécondation incomplète de l’œuf, et Pémi- 
nant zoolooiste voit même avec une satisfaction marquée qu'au- 
cune difficulté ne résulte ainsi, pour la théorie de Dzierzon, 
des anomalies qu’il décrit. 

2. M. Sourhé (2) a proposé encore une autre explication, 
produite aussi depuis par M. Sanson (3). Les mâles noirs et 


(1) Ueber Zwitterbienen, von G. Th. von Siebold, in Zeitschr. für wiss.Zool., 
Band XIV, 1864. 

(2) Loc. cit. 

(3) Loc. cit. 


18 3. PEREZ. 

métis pourraient être un résultat de réversion atavique. Mais 
qui peut dire ce qu'était la souche commune des races d’Abeilles 
actuellement existantes? Était-elle noire? était-elle jaune ? On 
l’ignore, et l’on ne saurait par suite affirmer qu’une coloration 
plus noire dans la race jaune soit un effet d’atavisme, 

Il se rencontre dans nos contrées, et J'en ai observé jusque 
dans les Pyrénées, des Abeilles noires dont le deuxième segment 
a la base largement jaune. On pourrait tout aussi légitimement 
mettre sur le compte de l’atavisme cette coloration accidentelle 
dans notre race française. 

Je n'ai pas été seul, on l’a vu, à observer ces faux-bourdons 
mélangés. Et ce serait un hasard bien étrange que l’atavisme 
eût été exercer son influence sur les mâles de ruches métisses 
précisément. Ces coïncidences ne semblent-elles pas plutôt 
indiquer un fait constant et régulier ? Il ne sera plus question 
d’atavisme, on peut l’espérer, quand les observations de ce 
genre se seront multipliées, quand on aura mieux étudié la 
population mâle des ruches métisses. 

3. M. Arviset, dont j'ai parlé plus haut, propose une troi- 
sième explication. Le mélange des caractères des deux races, 
accusé dans les mâles comme il l’est dans les ouvrières, a con- 
duit cet apiculteur à admettre que les œufs de faux-bourdons 
sont pondus, non point par la reine, mais par des ouvrières. 
La diversité des mâles s’expliquerait ainsi par la diversité de 
leurs mères. M. Maurice Girard (1)admet la même explication, 
et suppose que les ouvrières pondeuses sont plus communes 
dans les ruches qu’on ne l’a cru jusqu'ici. d’ignore sur quels 
faits repose cette opinion de M. Girard. Je suis tout au contraire 
persuadé que ces pondeuses sont fort rares. Si certaines ruches 
peuvent parfois montrer des mâles jusqu’en automne, il est plus 
habituel que tous les individus de ce sexe soient sacrifiés de 
bonne heure, et nombre de ruches n’en présentent pas un seul 
pendant la plus grande partie de la belle saison. Celles notam- 


(1) Annales de la Soc.entom. de France, Bulletin de la séance du 23 octobre 


1878. 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L’ABEILLE REINE. 19 


ment qui possèdent une jeune reine de l’année ne produisent 
qu'exceptionnellement des faux-bourdons. Ces faits, bien con- 
nus des apiculteurs, sont peu favorables à l'hypothèse de l’exis- 
tence fréquente d’ouvrières pondeuses. 

M. Hamet (1) professe la même opinion que MM. Arviset et 
Girard, avec une nuance cependant. Il ne doute point que mes 
151 mâles italiens n’aient été pondus parla mère italienne, mais 
il se refuse à l’admettre pour les métis et les noirs. Ceux-ci ont 
été pondus par des ouvrières. Mais, ainsi qu'on l’a vu plus haut, 
le critérium qui a servi pour le classement de ces mâles est 
tout arbitraire : il a fallu, pour les séparer en trois catégories, 
imaginer entre elles des lignes de démarcation purement 
idéales. Les moins jaunes des faux-bourdons italiens différaient 
à peine des métis les plus jaunes; les plus sombres de ces der- 
niers étaient, d'autre part, tout aussi voisins des français les 
moins noirs. Les trois catégories, en un mot, se fondaient l’une 
dans l’autre par des transitions graduelles, comme il convient 
à des fils d’une même mère. 

Quoi qu'il en soit d’ailleurs de la ponte des ouvrières, qu’elle 
soit rare ou fréquente, il me semble impossible d'attribuer à 
ces Abeilles la production des mâles que j'ai observés. Les pre- 
miers, en effet, commencèrent à se montrer dans la ruche 
presque en même temps que les premières ouvrières, filles de 
la reine nouvelle, beaucoup trop tôt par conséquent pour que 
celles-ci, alors même qu’elles se fussent mises à pondre dès la 
sortie de leur berceau de nymphe, eussent eu le temps de don- 
ner naissance à des faux-bourdons en état de voler. Ges derniers 
ne pouvaient donc être que leurs frères. 

M. Hamet annonçait encore, le 12 juin 1878, à la Société 
centrale d'apiculture et d'insectologie, qu'une colonie d’Abeilles 
noires, à laquelle il avait donné, au commencement d'octobre 
précédent, une mère italienne, avait des faux-bourdons qui, 
« à quelquesrares exceptions près», étaient de la race indigène. 
M. Hamet attribue ces mâles noirs à quelques ouvrières, der- 


(1) L’Apiculteur, numéro de novembre 1878, p. 345. 


20 J. PEREZ. 
nier reste de l’ancienne population, et âgées par conséquent 
de sept à huit mois. 

Il y aurait peut-être quelques réserves à faire au sujet de 
cette longue existence que M. Hamet prête à ces ouvrières, 
même en tenant compte des mois d'inactivité hivernale. Quoi 
qu’il en soit à cet égard, la grande majorité de ces mâles, les 
mâles noirs, auraient été pondus par l’infime minorité des 
ouvrières, les noires, qui ne se trouvaient plus, à la date du 
12 juin, que « dans la proportion de À à 50 italiennes ». Par 
contre, les rares mâles jaunes ne pouvaient provenir que de 
la mère ou des ouvrières jaunes, cinquante fois plus nom- 
breuses que les noires. Et si, comme on l’a dit, et comme cela 
est très-possible, 1l est des ruches métisses dont tous les faux- 
bourdons sont noirs, il faudra de même les attribuer tous aux 
Abeilles noires, et pas un ne restera, que l’on puisse rapporter 
à la mère et aux ouvrières jaunes. Voilà les singularités 
où conduit l'hypothèse de la ponte fréquente des ouvrières. 
On ne voit guère le bénéfice que peut en retirer la théorie 
de Dzierzon. 

Nous nous bornerons à cette remarque, sans examiner de 
plus près l’observation de M. Hamet, bien qu'elle püt prêter à 
des considérations intéressantes, mais sans rapport direct avec 
la démonstration qui fait l’objet de ce travail. 

Aucun des apiculteurs ou naturalistes que nous avons cités 
ne conteste l’existence de mâles non italiens dans une ruche 
métisse dont la mère est italienne. Ce fait est formellement 
contraire aux affirmations de Dzierzon, et sa conséquence natu- 
relle est la négation de la loi qui, d’après lui, régirait, chez 
l’Abeille, la production des sexes. Au lieu d’en tirer cette con- 
clusion, on croit sauver une théorie que l’on regretterait, et 
dont la singularité même avait séduit, par des hypothèses 
diverses, qui parfois la défigurent entièrement, ou même abou- 
ussent, en fin de compte, à cette négation que l’on avait à cœur 
d'éviter. 


Je n'ai pas eu l’occasion, et je le regrette, de faire des 
ARTICLE N° 18. 


PONTE DE L'ABEILLE REINE. 91 
observations sur la progéniture d’une reine noire fécondée par 
un faux-bourdon jaune. Mais cette lacune, que j'espère com- 
bler au printemps prochain, ne peut rien ôter à la valeur des 
faits que J'ai rapportés. J’ai pris aussi les mesures nécessaires 
pour étudier les mâles qui seront produits par une de ces 
reines si haut prisées, une Edelkünigin, fécondée par un mâle 
noir. Plusieurs apiculteurs n'affirment qu'il n’en sera point de 
celle-ci comme de celle dont j'ai étudié les produits. J’ignore 
Jusqu'à quel degré peut s’accuser dans sa progéniture l'influence 
de la couleur jaune de la mère, exagérée par la sélection. I se 
pourrait, quoique à priori cela me semble peu probable, que 
les faux-bourdons les plus sombres issus de ce mariage, 
exagérés eux-mêmes dans leur coloration, présentassent quel- 
que rudiment de bande basilaire au deuxième segment. Mais 
au lieu de se hâter d’en conclure que tous sont italiens, il sera 
nécessaire de constater si ces màles ne sont pas, malgré tout, 
plus sombres en somme que les fils d’une reine noble fécondée 
par un faux-bourdon d’une égale noblesse. Si la teinte géné- 
rale de ces mâles est sensiblement plus obscure que celle des 
produits de l'union consanguine, il faudra bien reconnaitre 
dans ce fait la preuve de la paternité effective du mâle noir, 
alors même qu'il ne se trouverait dans sa lignée aucun fils 
aussi noir que lui. 


Je crois devoir, en terminant, dire ma pensée sur une des 
preuves qui firent le plus d'impression sur les apiculteurs et les 
zoologistes, et contribuèrent le plus à fonder la croyance à la 
théorie de Dzierzon. 

On sait que Leuckart se livra à la recherche des spermato- 
zoïdes sur la région micropylaire d’un certain nombre d'œufs 
d’Abeille. Il aurait réussi 2 fois sur 50 à en trouver sur des œufs 
d'ouvrières, et jamais sur des œufs de faux-bourdons. 

Siebold rechercha les spermatozoïdes dans l'intérieur même 
de lPœuf. Il parvint à en découvrir dans 30 œufs d’ouvrières 
sur 92 qu'il examina. Il aurait même constaté dans quelques 
cas la mobilité des filaments séminaux. Par contre, 27 œufs de 


22 J. PEREZ. 

mâles ne lui montrèrent aucun spermatozoide, et l’auteur 
pense qu'ils n'auraient pu toujours lui échapper, si réellement 
il y en avait eu. 

On comprend Leuckart avouant la difficulté des recherches 
qu’il a faites. Celles de Siebold paraissent encore plus déli- 
cates. Les données les plus récentes sur la fécondation, four- 
nies par des œufs d’autres espèces, où l’observation est relative- 
ment plus facile, les interprétations auxquelles ils ont donné 
lieu, doivent faire planer quelques doutes sur des recherches 
de cette nature remontant à plus de vingt ans. Parmi les 
auteurs qui, de nos Jours, disent avoir observé la pénétration 
du spermatozoïde dans l’œuf, il n’en est pas un qui n’admette 
sa prompte disparition : aucun observateur récent n’a vu de 
spermatozoide mobile dans le vitellus. Prises en elles-mêmes, 
et en dehors de toute autre considération, les recherches de 
Siebold ne sauraient avoir aujourd’hui la valeur qu’on leur 
prêta jadis. 


ARTICLE N° 18. 


NOTE 
SUR 


LA PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES 


Par M. ANDRE SANSON 


Professeur de zoologie et de zootechnie à l’École nationale de Grignon 


et à l’Institut national agronomique. 


La reproduction de l’espèce par des œufs non imprégnés de 
l'élément mâle, ou reproduction parthénogénésique, chez les 
Insectes, a été maintenant observée de la manière la plus nette 
dans un nombre assez considérable de genres. C’est un fait 
qui pouvait être considéré comme incontestable scientifi- 
quement, bien qu'il soit venu troubler les anciennes notions 
générales sur le développement des êtres animés. Ce fait ne 
prouve pas toutefois, ainsi que quelques personnes semblent 
le croire, que l’œuf peut donner naissance à l'embryon sans 
avoir été fécondé. Il peut tout aussi bien établir que nous ne 
connaissons pas encore tous les modes de fécondation. Ge qui 
est certain seulement, c’est que chez les Insectes où la parthé- 
nogenèse a été constatée, l’accouplement sexuel de la femelle 
avec un individu mâle de son espèce n’est pas nécessaire pour 
que cette femelle soit apte à pondre des œufs féconds, des œufs 
capables de manifester la segmentation, de subir l’évolution 
embryonnaire, finalement de donner naissance à un individu 
nouveau. 

Chez les Abeilles, en particulier, la reproduction parthéno- 
génésique présente cette singularité, que d'œufs non impré- 
onés de spermatozoïdes ne naissent Jamais que des individus 
mâles ou faux-bourdons. Chez ces mêmes Abeilles une autre 
particularité non moins curieuse, mais qui ne leur est pas 

ANN. $C, NAT. — ART. N° 19. 


2 A. SANSONX. 

cependant exclusive, est celle des grandes différences morpho- 
logiques qui existent entre la femelle et le mâle. Celui-ci n’est 
pas seulement une sorte d'amplification des formes de sa mère. 
Dans les pattes, notamment, il n’a pas le même nombre d’ar- 
ticles. Et il y a là, soit dit en passant, un phénomène d’héré- 
dité que nous sommes encore impuissants à expliquer. Tandis 
que les formes à la création desquelles concourent ensemble 
le mâle et la femelle, par les éléments anatomiques qu'ils 
fournissent à l'embryon, reproduisent exactement celles de la 
mère ou de la femelle, et pas du tout celles du père, au 
contraire les formes qui dérivent exclusivement de lovaire 
maternel reproduisent celles de l'individu mâle, qui nv à 
pris directement aucune part, qui ne leur à fourni aucun 
élément. 

On sait que l’Abeille femelle possède, à côté de son oviducte, 
et reliée avec lui par un peut conduit, une vésicule sphérique, 
pourvue de fibres musculaires lisses et contenant normalement 
un liquide transparent. C’est son réservoir séminal, encore 
appelé spermatheca. Lorsqu'elle s’est accouplée, le liquide 
est devenu trouble, d’un blanc laiteux, et le microscope y fait 
reconnaitre la présence des spermatozoïdes en abondance. 

Tous les observateurs qui ont étudié scientifiquement la 
physiologie de lAbeille sont d'accord pour reconnaître que le 
réservoir séminal se contracte dans des conditions déter- 
minées, lors du passage de l’œuf dans l’oviducte, pour y fre 
parvenir les spermatozoïdes nécessaires à son imprégnation. 
Le doute n’existant point à l’égard de l’inaction du réservoir, 
au moment du passage de l'œuf qui doit donner naissance à un 
mâle, les interprétations varient pour ce qui concerne la con- 
diion déterminante de sa contraction. Les uns y ont voulu 
voir un acte de volonté ou de discernement de la part de la 
mère en occupation de pondre ses œufs dans Les diverses sortes 
de cellules ou alvéoles mis à sa disposition par les ouvrières. 
Les autres, répugnant à accorder lintelligence à un chétif 
insecte, ont cru trouver la raison du fait dans la différence de 
capacité des alvéoles. 

ARTICLE N° 19. 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. 9 

Comme PAbeille, pour pondre, introduit son abdomen 
presque jusqu'au fond de ces alvéoles, 1ls out pensé que dans 
les alvéoles d’ouvrières, plus petits, Pabdomen serait pressé 
et le réservoir séminal aussi, par conséquent ce qui enverrait 
du sperme dans loviducte par une action purement méca- 
nique; tandis que dans les alvéoles de mâles, plus grands, la 
pression ne se produirait pas. 

Gette interprétation mécanique ne supporte pas l'examen, 
en présence du fait bien connu du développement de faux- 
bourdons dans les alvéoles d’ouvrières, et CON AUUONNENTS de 
la ponte d'œufs mâles dans ces alvéoles. Toujours est-il qu’en 
observant l'Abeille dans l'exercice de sa fonetion de pondeuse, 
sur un rayon ou gâteau pourvu à la fois des deux sortes d’al- 
véoles, on la voit déposer activement ses œufs au fond de ces 
alvéoles sans jamius se tromper. Le plus probable, dans Pétat 
actuel de la science, c’est que le réservoir séminal, lorsque la 
ponte a lieu dans une grande cellule maternelle ou dans une 
petite cellule d’ouvrière, se contracte par une action réflexe 
dont le point de départ nous reste encore meonnu. Il me parait 
sage, en de telles matières, de laisser de côté toute disser- 
tation psychologique sur la volonté, et de s’en tenir aux faits 
Nous ne saurons a D cts jamais si Abeille a ou 
non conscience de ses actes. Nous savons seulement qu’elle 
agit en cela, comme en toute chose, avec une rare précision, 
conformément au but déterminé de ses actions. Nous savons 
aussi que ses œufs, tels qu’ils se trouvent à l’état de maturité 
dans les ovaires, sont aptes à évoluer sans lintervention du 
spermatozoïde, mais que, dans ce cas, de leur évolution résul- 
tent invariablement des individus ae Dans les ovaires, 1ls 
sont donc tous mâles. Pour devenir femelles, il leur faut abso- 
lument limprégnation par le spermatozoiïde. 

Tel est Le fait solidement acquis que M. J. Perez (1) a tenté 
récemment de remettre en doute. « On sait, dit-il, que, 
d’après une théorie classique née en Allemagne, et que per- 


(1) Comptes rendus, t. LXXXVIL, p. 408. 


ANN. SC. NAT., JUIN, 18178. VII. 293. — ART, N° 19. 


ui A. SANSON. 

sonne aujourd’hui ne conteste, un œuf fécondé de l’Abeille 
reine est un œuf defemelle; tout œuf non fécondé est un œuf de 
mâle. L’Abeille mère peut même, dit-on, pondre à volonté un 
œuf de l’un ou de l’autre sexe. Et l’on explique cette faculté, 
exceptionnelle dans le règne animal, en admettant que 
l’Abeille peut, au moment du passage de l'œuf dans l’oviducte, 
répandre ou non sur lui une certaine quantité du sperme con- 
tenu dans le réservoir séminal. L'organisation de l’appareil 
génital de l’Abeille ne diffère cependant par rien d’essentiel de 
celle de la majorité des femelles d'insectes, à qui l’on n’a 
jamais songé à attribuer le pouvoir d'agir à leur gré sur des 
phénomènes qui semblent absolument soustraits à l'influence 
de la volonté. 

» L'hypothèse a été imaginée surtout en vue d'expliquer ce 
fait, jusqu'ici non contesté, qu’une reime italienne fécondée 
par un mâle allemand donne des femelles (ouvrières et reines) 
métisses et des mâles purs allemands. L’inverse aurait lieu si 
une reine allemande était fécondée par un mâle italien; en 
sorte qu'un œuf de mâle ne recevrait Jamais le baptème 
séminal ; un faux-bourdon n’aurait point de père. » 

D’après cet énoncé, 1l semblerait que la parthénogenèse de 
l’Abeille fùt encore à l’état d’hypothèse explicative, comme au 
moment où Dzierzon la présenta pour la première fois, afin 
d'interpréter les faits mcontestables dont il vient d’être parlé. 
L'état de la science n’autorise cependant pas à la considérer 
ainsi. Depuis lors, en effet, de nombreux expérimentateurs, 
parmi lesquels Siebold, Leuckart, Berlepsch, l’ont vérifiée et 
confirmée un grand nombre de fois. La vérification expéri- 
mentale directe est on ne peut plus facile, par des moyens 
très-divers. Îl suffit, par exemple, de refroidir une jeune mère 
fécondée, jusqu’à la température à laquelle les spermatozoïdes 
perdent définitivement leur activité, puis de la remettre dans 
sa ruche, où les ouvrières la réchauffent, pour qu’ensuite elle 
ne ponde plus que des œufs mâles. Une jeune mère vigou- 
reuse, dont l’accouplement à été empêché par un artifice qui 
s'oppose à sa sortie de la ruche durant un nombre suffisant de 

ARTICLE N° 19. 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. ) 
jours après qu’elle a acquis son développement complet, en 
vient néanmoins à pondre lorsque ses ovaires se sont remplis 
d'œufs. Geux-e1 non plus ne donnent naissance qu’à des faux- 
bourdons. 

Lorsque, par suite de la mort accidentelle de leur mère, les 
ouvrières de la ruche deviennent orphelines, elles s’'empres- 
sent de faire le nécessaire pour se procurer une nouvelle pon- 
deuse, sans laquelle la population s’éteimdrait bientôt fata- 
lement. Dans le cas de l'existence de couvain (œufs ou jeunes 
larves dans les alvéoles d’ouvrières), cela consiste à détruire, 
autour de plusieurs des alvéoles ainsi pourvus, les parois de 
cire pour agrandir le local, puis à édifier des cellules mater- 
nelles et à les pourvoir de lPalimentation spéciale. S'il s’agit 
d'œufs, le but est facilement atteint. Geux qui auraient donné 
naissance à des ouvrières dans les alvéoles où ils avaient été 
déposés par la mère, deviennent des femelles complètes dans 
leur cellule maternelle, et l’une d’elles remplace la mère 
perdue. Dans le cas des larves, iken est de même, si celles-ci, 
sont encore assez Jeunes, si elles n’ont pas encore cessé de 
recevoir leur première alimentation; dans le cas contraire, la 
cellule spacieuse et lPalimentation spéciale restent impuis- 
santes. Les organes sexuels ne se développent qu'imparfai- 
tement. Le réservoir séminal, notamment, reste rudimentaire, 
ainsi que le vagin. Toutefois 1l arrive parfois que les ovaires 
acquièrent un développement à peu près complet et que la 
ponte a lieu. Mais lespoir des ouvrières est déçu: il ne sort 
des alvéoles que des faux-bourdons. La mortalité des ouvrières 
continue de sévir, et pour elles la natalité est nulle. La popu- 
lation des consommateurs à augmenté, celle des travailleuses 
va sans cesse diminuant. La société est vouée à une perte cer- 
taine et prochaine. [ei la fécondation par le sperme a été 
rendue impossible par les dispositions anatomiques mêmes. 

En 1868 (1), j'ai mis sous les yeux de l’Académie des 
sciences un fragment de gâteau contenant dans des alvéoles 


(1) Comptes rendus, t. LXVIX, p. 51. 


6 A. SANSON. 

d'ouvrières des faux-bourdons provenant d'œufs pondus ainsi 
par une ouvrière. En même temps J'en présentais d’autres, en 
plus grand nombre, trouvés dans une ruche dont la mère, déjà 
vieille, avait épuisé sa provision de spermatozoïdes. Examiné 
au microscope, son réservoir séminal s'était montré demi- 
transparent. 

Ces pièces n'avaient point pour objet de prouver la réalité de 
la parthénogenèse. Nous les avions recueillies dans le rucher 
du pasteur Bastian, à Wissembourg, au cours des expériences 
que nous faisions en collaboration pour vérifier l’assertion de 
Landois, relative aux conditions déterminantes du sexe chez 
les Abeilles. Je présentais aussi de nombreuses cellules de 
mâles remplies par des ouvrières, qui s'y étaient développées 
par l’éclosion d'œufs pondus par une jeune mère très-féconde, 
que nous avions forcée à les y déposer, en ne mettant point 
d’autres cellules à sa disposition. La démonstration de lindif- 
férence de la forme de l’alvéole et de la qualité de l’alimen- 
lation sur le déterminisme sexuel était ainsi complète; mais en 
même temps il est clair que, pour ce qui concerne les œufs 
mâles, celle de la réalité de la parthénogenèse ne l’était pas 
moins. 

Pour tous ces motifs et bien d’autres que je néglige de 
signaler, et que l’état de la science met à la disposition de tous 
ceux qui veulent aborder le sujet, on est en droit de s'étonner, 
en voyant qualifier d'hypothèse un fait tellement mis en évi- 
dence à la fois par l’expérience et par l'observation. Sa dé- 
monstration est bien évidemment indépendante du fait relatif 
aux effets du croisement de l’Abeille italienne avec le mâle 
d’une autre race, ou inversement, fait qui est d’ailleurs incon- 
testable. Quand même l'observation d’abord signalée par 
Dzierzon ne serait pas exacte, la théorie parthénogénésique n’en 
resterait pas moins inébranlable chez les Abeilles comme chez 
les autres insectes, où elle a été constatée depuis. 

Mais examinons l’argumentation que M. J. Perez lui oppose, 
et auparavant reproduisons-la textuellement, pour ne pas 
risquer de laffaiblir. 

ARTICLE N° 19. 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. 7 
Après l'énoncé cité plus haut, il poursuit : « Or je possède 
en ce moment une ruche dont la reine, fille d’une italienne de 
race pure, a été fécondée par un mâle français. Les ouvrières, 
en effet, sont, les unes véritablement italiennes, d’autres fran- 
çaises; d’autres enfin présentent le mélange, à proportions 
diverses, des caractères des deux races. 
>» Surpris de voir dans cette ruche certains faux-bourdons, 
entre autres, aussi noirs que des mâles français, alors que tous 
devaient être, d’après la théorie, italiens comme leur mère, je 
crus devoir examiner ces divers mâles de plus près. Jen re- 
cueillis donc 300 qui furent examinés avec un som scrupuleux, 
d’où il est résulté la statistique suivante : 


151 étaient italiens purs(1) ; 
66 métis à des degrés divers; 
83 français. 


» D'où il suit évidemment que les œufs de faux-bourdons, 
comme les œufs de femelles, reçoivent le contact du sperme 
déposé par le mâle dans les organes de la reime, et que la 
théorie de Dzierzon, créée pour expliquer un fait mal constaté, 
devient inutile si ce fait est controuvé. 

» Il est aisé de concevoir comment une observation insuf- 
fisante a pu faire croire que les faux-bourdons, fils d’une mère 
italienne fécondée par un mâle d’une autre race, étaient tous 
italiens. Sur 300 mâles, 83 seulement m'ont paru être rigou- 
reusement français, tandis que 151 + 66, ou 217, c’est-à-dire 
la grande majorité, plus jaunes que les français, pouvaient 
très-bien passer pour italiens purs. On comprend donc que, 
dans des cas semblables, si l’on n’a pas examiné très-attenti- 
vement un à un, comme Je lai fait, un grand nombre de mâles 
d’une ruche métisse, on ait pu croire que tous appartenaient 
exclusivement à la race de leur mère. Et cela d'autant mieux 
que la mère aura été de plus belle race, de couleur plus jaune, 
la teinte plus claire de la pondeuse devant éclaircir encore 


(1) Le texte des Comptes rendus porte 161, mais il y a là évidemment une 
faute d'impression. (A. S.) 


8 A. SANSON. 


davantage celle de sa progéniture, et diminuer de quelques 
unités le nombre des individus se rapportant à l’autre race. » 

Les faits observés par M. J. Perez se présentent fréquemment 
dans les ruchers de l’Europe centrale, dont on se propose de 
transformer la population par l'introduction de mères 1ta- 
liennes. Je les ai constatés moi-même dans celui du pasteur 
Bastian, à Wissembourg, dont il a été parlé plus haut, et étudiés 
avec grand soin par l'examen attentif de plusieurs milliers 
d'individus des deux sexes. Mais j'étais placé à un tout autre 
point de vue, qui donne la clef de leur exacte interprétation. 
Je me proposais de vérifier sur les insectes, à l’aide de ce ma- 
tériel si abondant et vraiment commode, la réalité de l’une des 
lois de l’hérédité dont la recherche m'a le plus occupé. Il s’agit 
de la loi de réversion au type naturel, dérivant du phénomène 
de l’atavisme, à l’appui de laquelle j'ai accumulé, depuis une 
quinzaine d'années, de nombreuses preuves tirées de l’obser- 
vation des animaux domestiques. Le fonctionnement de cette 
loi fournit une des démonstrations les plus saisissantes de la 
fixité des caractères spécifiques. 

Dans le cas particulier du rucher de Wissembourg, l’obser- 
vation pouvait être complète, l’origine des mères italiennes 
nous étant parfaitement connue, ce qui n’existe pas préci- 
sément pour la ruche de M. J. Perez. Il se borne à nous 
apprendre, en effet, que « la reine, fille d’une italienne de 
race pure, a été fécondée par un mâle français ». De sorte 
qu’en admettant même la pureté certaine de la mère italienne, 
rien ne garantit celle de la fille fécondée par un mâle français. 
On ne nous dit pas d’où elles viennent. Or, ceux qui sont au 
courant de ces choses savent fort bien que la pureté des mères 
Abeilles italiennes livrées par le commerce est sujette à 
caution. 

Celle de leurs caractères extérieurs n’est pas à cet égard une 
garantie suffisante, ainsi du reste que le montre le texte même 
de notre auteur. Il a soin de nous signaler que dans la descen- 
dance immédiate de la mère issue d’une italienne de race pure 
et fécondée par un mâle français, il y avait des ouvrières « véri- 

ARTICLE N° 19, 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. 9 


tablement italiennes ». Si les œufs qui ont donné naissance 
a ces ouvrières véritablement italiennes avaient fait leur évo- 
lution dans des cellules maternelles, il en fût résulté des 
mères non moins € véritablement italiennes » pour l’auteur, 
quoiqu’elles eussent été cependant véritablement métisses. 
Bon nombre de mères qui passent pour des italiennes de race 
pure sont dans ce cas. Les faits observés par M. J. Perez, et 
dont il n’y a aucun motif de mettre en doute la parfaite exac- 
titude, nous autorisent à affirmer qu’il en était de même de 
l'italienne qui les lui a fournis. La raison péremptoire est qu’il 
n'en peut pas être autrement. L’évidence n’est point du côté 
où 1l s’est tourné, elle est là. Entre une interprétation con- 
traire à la science expérimentale et une autre conforme à tous 
les faits connus, il n’y a pas à hésiter. 

L’Abeille italienne ou ligurienne (Apis ligurica) diffère, à 
première vue, de celle de l’Europe centrale par sa couleur plus 
claire. Elle a les trois premiers anneaux de l’abdomen d’une 
nuance jaune orangé très-vive. Mais elle en diffère en outre 
par ses formes, qui sont plus allongées, plus élégantes. La tête 
et le corselet ne peuvent pas être confondus par un observateur 
attentif. Dans les recherches dont j'ai déjà parlé, et qui ont 
porté sur plusieurs milliers d'individus métis, ouvrières et 
faux-bourdons à l’état de cadavres, examinés attentivement 
un par un et classés en catégories d’après le nombre et la 
nuance de leurs anneaux jaunes, il m’est arrivé très-souvent 
de constater, avec les trois anneaux complétement jaunes de 
litalienne, les formes typiques de l’Abeiïlle brune; avec les 
formes de celle-ci, les anneaux jaunes. D’autres individus pré- 
sentaient le tout réuni, formes et couleur des anneaux de l’un 
ou de l’autre des deux types naturels. 

Le rucher de Wissembourg était conduit en vue d’une substi- 
tution progressive des Abeilles jaunes aux Abeilles brunes, par 
la méthode du croisement continu. Si une telle opération se 
pratiquait dans un rucher situé à une distance suffisante de 
tout autre du même genre pour qu’il n’y eût point de relations 
possibles entre ses jeunes mères et les mâles bruns d’un rucher 


10 A. SANSOX. 

étranger, elle serait aussi prompte que facile à réaliser. Il 
suffirait pour cela de remplacer en même temps toutes les 
mères brunes par des mères Jaunes d’une pureté de race cer- 
taine et fécondées par des mâles de leur race. Alors, toutes les 
ouvrières, tous les mâles et toutes les femelles complètes qui 
naîtraient dans chaque ruche seraient sûrement de la race 
italienne. C’est ce qui a toujours été observé. Mais outre que 
de telles conditions d'isolement se trouvent bien rarement réa- 
lisées, dans un rucher un peu nombreux l'achat des mères 
italiennes entraine à une dépense devant laquelle les apicul- 
teurs reculent ordinairement. Ils préfèrent y mettre le temps, 
n'introduire qu’une ou deux de ces mères, et choisir ensuite, 
parmi celles qui se développent dans la ruche ou dans les 
ruches croisées, les sujets dont les caractères se rapprochent 
le plus de ceux propres à la race italienne. Il arrive que ces 
mères nouvelles, nées dans le rucher, soient pures, leur propre 
mère s'étant accouplée avec un mâle jaune. Mais il arrive aussi 
qu’elles soient métisses, par le fait d’un accouplement avec un 
mâle brun, comme dans le cas rapporté par M. J. Perez. Gela 
n'empêche pas qu'un certain nombre des femelles qui naissent 
de cet accouplement reproduisent les caractères italiens, ainsi 
qu’on l’a vu dans ce cas. C’est conforme aux lois de lhérédité 
croisée. Et alors elles retardent la transformation, car d’elles 
naissent, quel que soit leur mâle, en même temps des indi- 
vidus des deux sexes complétement jaunes, ou complétement 
bruns, ou à la fois, et dans des proportions très-diverses, jaunes 
et bruns. 

Aïnsi se passaient les choses dans le rucher du pasteur Bas- 
tian, dont les mères étaient toutes au moins de deuxième géné- 
ration. Parmi les ruches, les unes étaient plus uniformément 
de caractère italien, les autres moins. Elles s’acheminaient, à 
des allures différentes, vers la pureté par la sélection attentive 
qui était faite des mères, grâce à la grande habileté de l’api- 
culteur de Wissembourg et à la facilité que donnent, pour de 
telles opérations, les ruches à rayons mobiles dont 1il a été en 


France le principal promoteur. Elles facilitent aussi gran- 
ARTICLE N° 19. 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. 11 


dement les observations comme celles qui nous occupent. Pour 
mieux dire, elles les rendent seules possibles. Aussi ai-je pu 
voir, dans ces ruches dont l’origine métisse nous était connue, 
se produire le fait de mères dont les caractères de forme et de 
couleur étaient exactement ceux de lAbeille ligurienne et 
donnant naissance à des ouvrières et à des mâles complétement 
ou presque complétement de la race brune par leurs formes et 
leur couleur, bien qu’elles se fussent accouplées avec les mâles 
du rucher chez lesquels dominaient déjà les caractères 
italiens. 

L'interprétation de ce fait ne présente pour nous aucune 
difficulté. Il est l'expression d’une loi solidement établie, 
comme je l’ai déjà dit. Gette loi régit la reproduction des métis 
de tous les genres dans les divers embranchements du règne 
animal. M. Naudin a montré qu’elle s'étend au règne végétal : 
elle est donc absolument générale. C’est la loi fondamentale 
de l'espèce organisée. Ceux-la mêmes qui ment que l'espèce 
soit une réalité naturelle, admettent sa puissance. Ils recon- 
naissent l’influence ancestrale, Patavisme, la réversion à des 
caractères non existants chez les parents immédiats. [ls s’en 
font un argument en faveur de leurs propres conceptions. 

Cette loi de réversion, indéniable, des milliers de fois véri- 
fiée, fournit si facilement et d’une manière si satisfaisante 
l'interprétation des faits observés par M. J. Perez, qu'il y a 
vraiment lieu d’être surpris de le voir, en présence de ces faits, 
s'inscrire contre une notion physiologique expérimentalement 
acquise, plutôt que de douter de la pureté d’une mère Abeille 
dont l’origine précise ne lui est peut-être pas connue, et de les 
attribuer à son atavisme multiple. 

En vérité, cette mère Abeille a manifesté les phénomènes 
d’hérédité qui se font observer chez toutes les métisses. Elle 
avait elle-même les caractères extérieurs de l'italienne pure, du 
moins les caractères de couleur (car nous ne savons point cc 
qu’il en est au sujet des formes). Accouplée avec un mâle brun, 
les œufs qu’elle a pondus, imprégnés par le sperme de ce mâle, 
ont donné naissance à des ouvrières de caractères variés, 


12 A. SANSON. 

comme le sont ceux de toutes les populations métisses. Il eùt 
été intéressant d’en avoir une statistique, pour la comparer 
avec celle qui est donnée au sujet des faux-bourdons produits 
par la même mère. Ceux-c1, elle les a engendrés toute seule, 
sans le concours du mâle. Sur 500 examinés, 151 (un peu plus 
de la moitié) sont notés comme italiens purs, 83 comme fran- 
cais et 66 comme participant à des degrés divers des caractères 
de l’une et de l’autre race. 

Faisons pour un instant l'hypothèse gratuite de linter- 
vention de l’élément mâle dans la procréation des faux-bour- 
dons. D’après les lois connues de l’hérédité, trois cas pourraient 
se présenter : 1° l’hérédité maternelle serait prédominante; 
% ce serait au contraire l’hérédité paternelle qui prédomi- 
nerait; 3° les deux hérédités seraient équivalentes. Dans le 
premier cas, tous les descendants auraient les caractères 1ta- 
liens, dans le deuxième, ils auraient tous les caractères français; 
dans le troisième, leurs caractères seraient toujours mélangés 
en proportions variables. 

Au lieu de cela, que voyons-nous ? Les deux atavismes ita- 
lien et français se partagent l'influence, avec prédominance 
très-sensible de l'italien: 151 faux-bourdons sur 500 ont 
hérité de la couleur italienne pure, qui était celle de leur mère; 
66 en ont hérité pour une partie plus ou moins forte; 83 seu- 
lement n’en ont pas hérité du tout. En somme, l’atavisme 
italien s’est fait sentir dans 191 + 66 = 917 cas sur 300: 
l’atavisme français dans 83 + 66 — 149 seulement. En admet- 
tant que dans les 66 cas mixtes la part des deux atavismes ait 
êté égale, il y a donc eu, sur le total de 300, en faveur de Pita- 
lien, 151 + 33— 184; en faveur du français, 83 +33 —116. 
Le rapport entre les deux réversions à été ainsi —184 : 116 ou 
sensiblement = 1,5 : 4. 

Il suffit, pour expliquer théoriquement le rapport qui vient 
d’être constaté, d'admettre que la mère italienne, supposée 
de race pure, qui à fourni ces résultats, était fille d’une 
métisse accouplée avec un mâle pur, ce qu'on appelle plus ou 


moins exactement 3/4 de sang, el ce que nous nommons une 
ARTICLE N° 19. 


PARTHÉNOGENÈSE CHEZ LES ABEILLES. 43 


deuxième métisse, en admettant aussi (comme cela est permis) 
que les puissances héréditaires primitives ou les atavismes 
fussent écaux. En ce cas, en effet, l’atavisme italien serait in- 
tervenu une fois et demie contre une fois seulement le français. 
La première métisse aurait représenté, en nombres, pour une 
valeur égale à 100, la moitié de Patavisme paternel — 50 et la 
moitié de l’atavisme maternel — 50. La deuxième métisse 
représenterait 90 + 25 = 75 de la race de son père italien, et 
seulement 25 de celle de son grand-père français ; or 50 + 25 
—Ha)00= 1,541 

D'où il suit évidemment que les faits observés par M. J. Pe- 
rez sont des faits de réversion déterminée par latavisme ou 
hérédité ancestrale, et non point, comme il la avancé, « que 
les œufs de faux-bourdons comme les œufs de femelles reçoi- 
vent le contact du sperme déposé par le mâle dans les organes 
de la reine ». Dans l’état de la science, ces faits autorisent à 
affirmer sans aucune hésitation l’origine métisse de PAbeille 
mère qui les a fournis. Il n’y a certes point là de quoi justifier 
le jugement porté sur la valeur des premières observations de 
Dzierzon, tant de fois confirmées par des observateurs et des 
expérimentateurs aussi attentifs qu'on puisse le désirer. 

La théorie parthénogénésique n’est en outre point acceptée 
dans la science seulement en raison de son utilité pour expli- 
quer le fait relatif aux Abeilles italiennes. Elle est, comme je 
lai montré en commençant, appuyée sur des expériences inat- 
taquables, sans parler de ce qui concerne les autres genres 
d'insectes, et notamment les Pucerons. Ce fait eüt-il été mal 
constaté, füt-1il controuvé, comme cela est avancé, elle n’en 
subsisterait pas moins. Il nous resterait seulement à recon- 
naitre, ainsi que l’occasion nous en est souvent fournie, qu'il y 
a là des phénomènes dont la condition déterminante ne nous 
est pas encore connue. 

Mais il est clair maintenant, je pense, que M. J. Perez s’est 
beaucoup trop avancé en qualifiant d’insuffisante l’observation 
de Dzierzon, et qu'il n’a pas donné de la sienne propre l’inter- 
prétation la plus exacte. En la faisant rentrer dans l’ordre des 


14 A. SANSON. 

faits d’hérédité bien connus des zootechnistes expérimen- 
tateurs, nous avons montré que la parthénogenèse des Abeilles 
n’en subit aucune attente, qu'elle reste un fait acquis expé- 
rimentalement, et non pas une pure hypothèse explicative, ima- 
ginée à plaisir par le curé silésien. 

Que le phénomène fût ou non exceptionnel dans le règne 
animal, ce n’est pas là ce qui pourrait nous émouvoir. En 
science, on doit être prêt à accepter toutes les réalités. Il con- 
vient de se montrer très-sévère sur la validité des preuves. Mais 
il importe peu que les faits nouveaux dérangent nos connais- 
sauces ou nos idées générales. Ainsi que l’a écrit M. Chevreul, 
Qanomulie est un mot impropre en matière de science, dont 
l'équivalent véritable est notre ignorance » ; et, ainsi qu'il Va 
ajouté excellemment, cquand une proposition a été établie 
comme /ot de la nature, des faits surviennent et la contre- 
disent, la vérité exige qu’elle soit réformée, ou au moins mo- 
difiée, si la proposition n’est pas entièrement erronée. » 

M. Maurice Girard (1) a proposé de son côté une imterpréta- 
ton des faits constatés par M. J. Perez, qui consiste à admettre 
que dans Ja ruche où ces faits se sont produits, il y avait des 
ouvrières pondeuses. Je ne pense pas que l'existence simulta- 
née de celles-ci et d’une mère ait été dans aucun cas mise hors 
de doute par une observation rigoureuse. Dans Pétat de la 
science à cet égard, l'opinion de M. Maurice Girard ne me 
parait donc pas pouvoir être acceptée, en présence de l’argu- 
mentation que Je viens de développer. 


(4) Comptes rendus, t. LXXXVIE, p. 755. 


FIN DU SEPTIÈME VOLUME. 


ARTICLE N° 14, 


TABLE DES ARTICLES 


CONTENUS DANS LE TOME VII. 


Observations pour servir à l'histoire du bâtonnet optique 
chez les Crustacés et les Vers, par M. J. CHATIN........ 


Observations sur, le Notommate de Werneck et sur son 
parasitisme dans les tubes des Vauchéries, par 
We. TATIANA se À te 


Description des Crustacés rares ou nouveaux des côtes de 
France, par M. HESSsE (Vingt-septième article). ........ 


Note sur un nouveau genre d’'Orthoptère fossile de la 
famille des Phasmiens, provenant des terrains supra- 
houillers de Commentry (Protophasma Dumasii), par 
MANGA BRONGNAREEE RCE LUE DR an. 


Recherches anatomiques et physiologiques pour servir à 
lhistoire de la respiration chez les Poissons, par 
ll, Joss ao MTL 1 | Li TRS 

Remarques sur le genre Mesites et sur la place qu'il doit 
occuper dans la série ornithologique, par M. Alph. MILNxE 
EDWARDS 4.5.2 à. LE de Mate ur 


Expériences sur les conditions du développement des Liqules, 
DATEMEADEUCHEME AP A MTONRRMNNE LEURS SRE PRO. 


Recherches sur les fonctions des canaux semi-circulaires, 
et sur leur rôle dans la formation de la notion de l’es- 
MAC RDAMENdelCYON EC ENECA UE |. 


Mémoire sur l’endosmose des gaz à travers les poumons 
détachés ADAM ACRÉHANTAS ARE UT. SUR TRE 


Eublications nouvelles ere PAPE PE LCR REC ERCRE Rss 


Description d’une nouvelle espèce de Perameles provenant 
de la Nouvelle-Guinée, par M. Alph. MILNE EDWARDS... 


Note sur le tube digestif du Carpophage Goliath, par 


MoN TNTLANMseLLIER Nine A TU LE LENS 


Note sur les muscles peauciers du Lophorina superba, 
DA MITA RSR CCR RER EU NEneEE 


ANN. SC. NAT., JUIN 1878. 


ARTICLE N° {. 


ARTICLE N° 9. 


co 


ARTICLE N° 


ES 


ARTICLE N° 


ARTICLE N° 5. 


ARTICLE N° 06. 


ARTICLE N° {. 


ARTICLE N° 8. 


ARTICLE N° 9. 


ARTICLE N° 10. 


ARTICLE N° 11. 


ARTICLE N° 12. 


ARTICLE N° 45. 


VII.-24. 


TABLE DES ARTICLES. 


Notes sur certaines poches contractiles excrétoires chez 


des Tortues fluviatiles de Chine, par M. RATHOUIS..... ARTICLE N° 14. 
Description des Crustacés rares ou nouveaux des côtes de 

France, par M. Hesse (Vingt-huitième article). ........ ARTICLE N° 15. 
Études sur les membres antérieurs du Pseudope de Pallus, 

DATIMCSAUVAGES ECC EEEPPECCEEECTCCTECTS CC" ARTICLE N° 16. 
Publications Mmouve les EE PC ARTICLE N° 16 bus. 
Note sur quelques Scincoïdiens nouveaux, par M. BOCOURT. ARTICLE N° 16 ter. 
Études sur la ligne primautive de l'embryon du Poulet, 

par MMA TDIAS DIN TERP PRE EEE EEE ET EC EERECEEPETE ARTICLE N° 17. 
Mémoire sur la ponte de l’Abeille reine et la théorie de 

Dada nl Re lé botoidiante d'hipiolotowptonole 0 vi oé ee ARTICLE N° 18. 
Note sur la parthénogenèse chezles Abeilles, par M. SANSON. ARTICLE N° 19. 

h 
TABLE DES ARTICLES 
PAR NOMS D AUTEURS. 
ART. ART. 
BALBIANI. — Observations sur le formation de la notion de l’es- 

Notommate de Werneck, et sur pace . ss TOC EMERELS 

son parasitisme dans les tubes DucHaAmp. — Dares sur Les 

des Vauchéries. to eRrcondtionside FE RRRRRENERSS 
BocourT. — Note sur quelques Ligules . . 7 

Scincoïdiens nouveaux. . . . 16 fer. | Duvar (Mathias). — RUES sur ja 
BRONGNIART (Ch.). — Note sur un ligne primitive de l'embryon du 

nouveau genre d'Orthoptèresfos- Poulet. : 17 

siles de la famille des Phasmiens, EpwaRps (Alph. Mie) Be 

provenant des terrains supra- ques sur le genre Mesites, et sur 
houillers de Commentry. 4! la place qu'il doit occuper dans 
CHATIN (J.). — Observations pour la série ornithologique. 6 
servir à l’histoire du bâtonnet GRÉHANT. — Mémoire sur l’endos- 
optique chez les Crustacés et les mose desgaz à travers les pou- 

ES 4 . 1}  mons détachés. à re) 
CYON. — Fooiorohe :S Sur LS He Hesse. — Description des Ge 

tions des canaux semi-circu- cés rares ou nouveaux des côtes 

laires, et sur leur rôle dans Ja He MITANCE RE PRO LE CE 


de Dzierzon.. 


TABLE DES ARTICLES. 
ART. 
PEREZ. — Mémoire sur la ponte genèse chez les Abeilles. . 
de l’Abeiïlle reine et la théorie SAUVAGE. -— Étude sur le membre 
US à 18| antérieur du Pseudopus Pallasii. 
Rarouts. — Note sur certaines VIALLANE. — Note sur le tube 
poches contractiles excrétoires digestif du Carpophage Goliath. 
chez des Tortues de Chine. 14! — Note sur les muscles peauciers 
SANSON. — Note sur la parthéno- du Lophorina superba. 


ART. 


19 


TABLE DES PLANCHES 


RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 


Planches ! 0) S 


Ée n 


PARIS, -— IMPRIMERIE E MARTINET, RUE MIGNON, 


Structure des yeux des Crustacés ct des Vers. 


Pachynesthe violet; Polyoone jaune. 
Protophasma Dumasii. 

Ostéologie du genre Mesites. 

Perameles Raffrayan«. 

Appareil digestif du Carpophage Goliath. 
Muscles peauciers du Lophorina superba. 


. Muscles peauciers du Lophorina superba. 
. Poches contractiles des Trionyr. 

. Copechætes. 

. Ligne primitive de l’embryon du Poulet. 

. Membre antérieur du Pseudope de Pallas. 


FIN DES TABLES. 


. Notommata Wernecki et ses gallessurles Vauchéries terrestres. 


ue ape aslers ent ‘its 6/0 = 


| pudpit oct dns #6 Vegibe eh 
“ ja. 


È ME hi n° 


Je) 
Fr 


Mel Wes 


air: L'Lass y) 9 


An FuA # ÿ 


Vite pee moins eux ML re Pa 


i an Es # Tai 2 ÉD MT af ur $ 1 EE 
bottes agit hr APTE que da Phare sinaamolo b. PAT YU 
mini aantadolh + talois ation à ne Fan E 


R rent HALL geo ze 
crabe SE s'taox ah argoluètett .F: : 
2. promet ete à, 
Hstod restyoqueX nh-egeh ta h E” 
pbs root his aatreiif ne Ÿ 
sé ki ee LEE CA tr: grains ts star mbti PA (7 
ju EUR QUE UE LEE ri fsf0") emlaot ft: 


: Pa jt te Life DU. EL Qu Durée j { T7 4 it Viréo , PTT po É 


1 


sa tuto togtdändhiotin in sngübipht ‘A L 
AR: Re a EN A mohused Dicreceh bte 9 rot et” , 
fa 4 ' 5 PAT 13e de £! rl AA & 
re ds à 
‘À ’ il À 
Ù À , a $ 4 A L 
k E ra laig à st r 
{ ja ty + 
Û ie . 
Préc Ur 
fe 1 . ñ 
} HR NN 
7. | \ 
ALU ñ 1e È AE M, L 
D MON EE QUE RNA A ADARNER MALE TEEN 
) ai. 
ñ 2 1 


HE 


4 # 


Zoo Tome 


» 


Anr des Seiene. nat. CCS 22722 


Ets D . Ace be re ee mure 
ARR, # AL AA A er AA 25 


J'ructuire. des Yyeu2 des Annéldes ré des Crustacés . 


Zop. A S'alnon r Vieille Brtanade 15 Paris. 


(24 


Z 


Zool. 


J'erce., 


Ann, des Jetene. nat V' 


ME 7, VOLE 


74 


Ro me rt Le 
È E PSP SALE re œ 


Lu 
PUIPL AN TETE TEtnere agp v 


LR PIS PRE SAME, 


S a. Er #7 ete: 
ses HET KE EOCE 
MITA CE Û 


ù 


JS) 
EP ere OC ce 


A, 


EVE Le 


Re 


ras 


RELEASES 


te 


N 


À 


É 


J'ructure des yeur des Annélides el des Crustacés. 
Znp._ A. Sabnon,r Vreulle Brkrapade 


Parts, 


ZA, 


RIT 
ae 


Ann. des Seene.nat. 6 “Jers , Zoot. Tome 7,71, 


ES 
rs 


à 
fs 


ste 
its 


L2 


J'œucture des yeur ds Annrelides et des Crurlaces. 


Lnp. A J'alnon r. Melle Ertrapade.17, Parts. 


Ann. des d'etre. nat. CL Serte. … Zool Tome 7 T0 W, 


EC. Palbianr del, ZLagesre re. 


WNotommate Wernecktt el ses galles ur le Vaucherix lerreslris 


ll 


Ann des Jeine. nat 6° Jérte Zool. Tome 7, VAN) 


L'evse del, Lagesrse re. 


NO achy reste violet — 12 & 20 L. olyoone Jaurñe., 


mp, À Salmon, r Veille Æstrapadels. Lars. 


“Ann des J'eiwne, nat 6 J'erte . | Tool Jome CT. b! 


Er 


Ce Bronghiart de. 


LE Zrolophasmna Dunasti., 


Lrp. AS. abnon r lille Frtipade, 15 Parir. A 


(FR 


ere. 


2 


S 


e 


Mnm.des Sc nat. 0 


Becquet, Paris. 


in IP 


= 


Louveau lth. 


Ostéologie du genre lfesites 


Cmpr v) snuvAeuey soeur 


É sue enboe g du “y zen 


© 7 4 1097 AU 59 JEU OÇ op UV 


Me 


} 4, ? 
LA sn art #7 
? 


1 fe 


4 


Zool, Jome 7, ?1, 7. 
L 


/ 


A) N 
IR 


F: 


ÿ Le. Apparel CAACIA DANCE zrrophage 70 lath , 


A 


} 


Pouie 


Arr, des Jetenc, rat, 6 Serre. 


Qi 


\ 


Museles Peautetersr dit Lophortra 


mp. A Salmon, ñ Veille Estrapade,15 Paris, 


ZLool, Tome 7 OL 


Zool, Tome 7% DONR, 


DOTE, 


_. 


CLIS, 
272 


. 

S 

à 

ee. 
is < 

- À 

N 

a9 


PE Jeene rab ee Jd'erce. Zoot. Tome 7, PL, 12, 


EEE 


Copechates 


| Imp. A. Salnon. r Veille Lrtrapede,15, Lars. 


4 SIQUOTT 241pun.4tl our a DTA 


CEE EE 2 


ï? 


DE bi 


77 


LOU SPL Ÿ 004 duty ; 


47 Sue . 2AIPULIU oubr 


ne ÉD r ME 
 Pénee SÉRSSONE 


ee 


. 


Sue) 7 2141 oubry 


2222077: 


= à Sea = : 
= Se > AS ES . 
SSSR ER ARULNRCSR0S 


Secret Sons 


6, 
002%000c0 88 
Bo R0000 Does 


PRRARE SAISIR ARCS 


Soc 


o°3 


9099020 EÇ0 
De 


© SR RO) 
RnB 


TERRE 


Sue spy + weog du 


24240 oubry È COTE 


22 à 
marron Eto SE 
: LFRSESSSEE Ses 


DU TEE EX 
E) Se 5 
RSR EL 


ie 
ES 


Fécoswoe, 0e 
2220 
QE 
RS © 
RS UTC 
So ce ce osent 


(ST at ., 


RE Fo 


| De 


207 ‘7007 


>” 


jdjuogr spi + wyeog dy 


WP PAR CTIN 


REC re 


a4purtl oubr7 


. Ë 
ci 
D à 
900) Go, P 
90 20 
2 0 1 d 
29 (10 
090 Q0) 
où 
DA QE 
De 
à] bon © 
À 500 0 


©. 


o) 


O 
(s} 

(e} 
80° 


} 


©, 
ol 


te 


g 
rs] 
Q: 
Le} 


LE 


O2 
Greysye 


Oo 
ro) 


ro 
FEU 
AAA 


is 


17) 


[7 
(res 


[7] 
1? 


De 


GE: 
(NE 


SOpÙ 
de 


0) 


Ann. des J'ecene., nat, 6° J'erre, Zoo, Tome 7,71, 19 


PPT ZEL, 


Membre. anterieure du freudope de l'allar, 


Zmp, A, J'almon, r. hedle Lstrapade, 15, Paris, 


LAUR 
nt} 


Ne 


M 
av, 


M 


49° ANNÉE. — VI° SÉRIE. 


Le à il 


TOME VIT. — 1, 


ANNALES 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 


ZOOLOGIE 


PALÉONTOLOGIE 


COMPRENANT 


L’'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION 
ET L’HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX 


PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE 


MM. H. £T ALPH. MILNE ED WARDS 


TOME VII — A1 


PARIS 
G. MASSON, ÉDITEUR 


LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE DE PARIS 


10, rue Hautefeuille (installation provisoire) 


Paris, 25 FR. — DÉPARTEMENTS, 26 Fr 
Publié le 20 mars 1878. 


CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION 


ANNALES DES SCIENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 


Zoologie, publiée sous la direction de MM. H. et Azru. MizNE Enwanps. 


Il paraît chaque année 2 vol. gr. in-8°, avec les planches correspon- 
dant aux Mémoires. Chaque volume est publié en six cahiers paraissant 
mensuellement. 


Prix de l’abonnement annuel : 25 fr. 
Botanique, publiée sous la direction de MM. A. BRoONGNIART et 
J. DECAISNE. 


J1 paraît chaque année 2 vol. gr. in-8°, avec les planches correspon- 
dant aux Mémoires. Chaque volume est publié en six cahiers paraissant 
mensuellement. 


Prix de l’abonnement annuel : 25: fr. 


Prix des collections : 


PREMIÈRE SÉRIE (Zoologie et Botanique réunies), 30 vol. (AÆare.) 


DEUXIÈME SÉRIE (1834-1843). Chaque partie 20 vol. 250 fr. 
TROISIÈME SÉRIE (1844-1853). Chaque partie 20 vol. 250 fr. 
QUATRIÈME SÉRIE (1854-1863). Chaque partie 20 vol. 250 fr. 
CINQUIÈME SÉRIE (1864-1873). Chaque partie 20 vol. 250 fr. 


ANNALES DES SCIENCES GÉOLOGIQUES 


Dirigées, pour la partie géologique, par M. Héserr, et pour la partie 
paléontologique, par M. Azpnonse Mine Epwanps. 
Il est publié chaque année, à partir de janvier 1870, 1 vol, gr. in-8°, 
avec les planches et figures dans Le texte correspondant aux Mémoires. 
Le volume paraît en quatre fascicules trimestriels. 


Prix de l’abonnement annuel : : 15/1t, 
Nota. — Il est accepté des abonnements aux Annales des sciences naturelles et aux 


Annales des sciences géologiques, en tout cinq volumes annuellement, au prix de 
60 francs au lieu de 65 francs. - 


G. MASSON, ÉDITEUR 


LES 


OISEAUX DE LA CHINE 


PAR 


M. l'abbé Armand DAVID, M. C. 


Ancien missionnaire en Chine 
Correspondant de l’Institut, du Muséum d’histoire naturelle, etc. 


ET 


M. E. OUSTALET 


Docteur ès sciences 
Aide-naturaliste au Muséum 
Membre correspondant de la Société zoologique de Londres 


1 vol. de texte de vr-573 pages 
et un atlas de 124 planches dessinées par M. Arnould 
et coloriées avec soin au pinceau 


2 vol. gr. in-8° 
RELIURE DE LUXE, FERS SPÉCIAUX . 


Prix : 150 franes 


PRESSION BAROMÉTRIQUE 


RECHE RCHES 
DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE 


PAR 


M. Paul BERT 


Professeur à la Faculté des sciences, lauréat de l'Institut 
À vol. or. in-8° de vur-1168 pages, avec 89 figures dans le texte 


Cartonné à l'anglaise : 2% franes 


————————————— 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUËS DANS CE CAHIER 


Observations pour servir à l’histoire du hâtonnet optique chez les Crustacés 


et les Vers, par M. Joannes CHATIN . . . . . . . . . . ARTICLE n° 4 


. Observations sur le Notommate de Werneck et sur son parasitisme 


dans les tubes des Vauchéries, par M. BALBIANI. . 


Planches contenues dans ce cahier. 


Planches 1, 2 et 3. Structure des yeux des Crustacés et des Vers 


LI 
FARIS, — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 9 


ARTICLE N° 2 


49° ANNÉE. — VI° SÉRIE. TOME VII. — 2. à 4 


ANNALES 


DES 


DULENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 


De OUTE 


PALÉONTOLOGIE 


L ° * COMPRENANT 


DR NN em di. 

| 

| 

| 

| 

| 

| 

(! 

__ L'ANA ATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION 
| ET L'HISTOIRÉ NATURELLE DES ANIMAUX 
| 

| 


PUBLIÉES Sous LA DIRECTION DE 


MM. H. ET ALPH. MILNE EDWARDS 


TOME VII — N° 2—4 


PARIS 
G. MASSON, ÉDITEUR 


LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE DE PARIS 


Boulevard Saint-Germain, 120, en face de l’École de Médecine 


Paris, 25 FR. — DÉPARTEMENTS, 26 FR 
Publié le 5 août 1878. 


TABLE DES MATIÈRES 


CONTENUES DANS CE CAHIER 


Description des crustacés rares ou nouveaux des côtes de France, 

par M. Hesse. (Vingt-septième article.) Suite. . . . . : . . .. ARTICLE N° 3 
Note sur un nouveau genre d’Orthoptère fossile de la famille des 

Phasmiens provenant des terrains supra-houillers de Com- 

mentry (Allier) (Protophasma Dumasii), parM.{Ch. BRONGNIART. ARTICLE N° 4 
Recherches anatomiques et physiologiques pour servir à l’his- 

toire de la respiration chez les Poissons, par M. JOBERT.. . . . ARTICLE N° 5 
Remarques sur le genre Mesites et sur la place qu’il doit occuper 

dans la série ornithologique, par M. Alph. MILNE EDWARDS.. . ARTICLE N° 6 
Expériences sur les conditions du développement des Ligules, par 

MADÉSCHAMP. QE MR Le EAN AR RE en ARTICLE N° 7 


leur rôle dans la formation de la notion de l’espace, par 
MÉOEAUC ONON NE RENE A US LS 0 ARTICLE N° 8 


Planches contenues dans les cahiers 2, 3 et 4. 


Planches 4 Notommata Werneckü et ses galles sur le Vaucheria terrestris. 
— 5 Pachyneste violet, Polyoone violet. 
— 6 Protophasma Dumasii. 

— 1 Ostiologie du genre Mesites. 


FARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2 


49° ANNÉE. — VI: SÉRIE. TOME VIT. — 5 et 6, 


Lt ANNALES, 


DES 


SCIENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 
 ZOOLOGIE 
$ ET à 
PALÉONTOLOGIE 


COMPRENANT 


L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE, LA CLASSIFICATION 
ET L'HISTOIRE NATURELLE DES ANIMAUX 


PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION DE 


MM. H. er ALPH. MILNE EDWARDS 


TOME VII, N° 5—6 


PARIS 
G. MASSON, ÉDITEUR 


LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE DE MÉDECINE DE PARIS 


Boulevard Saint-Germain, en face de l'École de médecine 


PE ARR RE ne RS ge RE —— 


PARIS, 25 FR. — DÉPARTEMENTS, 26 FR. 


CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION 


ANNALES DES SCIENCES NATURELLES 


SIXIÈME SÉRIE 


Zoologie, publiée sous la direction de MM. H. et Azvu. MIzNE Enwanps. 


Il paraît chaque année 2 vol. gr. in-8, avec les planches correspon- 
dant aux Mémoires. Chaque volume est publié en six cahicrs paraissant 
mensuellement. 


Prix de l’abonnement annuel : 25 1x 
Botanique, publiée sous la direction de MM. A. BRONGNIART el 
J. DECAISNE. 


J1 paraît chaque année 2 vol. gr. in-8°, avec les planches correspon- 
dant aux Mémoires. Chaque volume est publié en six cahiers paraïssant 
mensuellement. 


Prix de l’abonnement annuel : 25 Tr: 


Prix des collections : 


PREMIÈRE SÉRIE (Zoologie et Botanique réunies), 30 vol. (Aare.) 


DEUXIÈME SÉRIE (1834-1843). Chaque partie, 20 vol. 250 fr. 
TROISIÈME SÉRIE (1844-1853). Chaque partie, 20 vol. 250 fr. 
QUATRIÈME SÉRIE (1854-1863). Chaque partie, 20 vol. 250 fr. 


CINQUIÈME SÉRIE (1864-1873). Chaque partie, 20 vol. 250 fr. 


ANNALES DES SCIENCES GÉOLOGIQUES 


Dirigées, pour la partie géologique, par M. Héeerr, et pour la partie 
paléontologique, par M. Azrnonse MILNE Epwanps. 
Il est publié chaque année, à partir de janvier 1870, 1 vol. gr. in-8°, 
avec les planches et figures dans le texte correspondant aux Mémoires. 
Le volume paraît en quatre fascicules trimestriels. 


Prix de l'abonnement annuel : OST 
NoTA. — Il est accepté des abonnements aux Annales des sciences naturelles et aux 


Annales des sciences géologiques, en tout cinq volumes annuellement, au prix de 
60 francs au lieu de 65 francs. 


G. MASSON, EDITEUR 
LIBRAIRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 


Boulevard Saint-Germain ct rue de l’'Eperon 
EN FACE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE 


L'ART DES JARDINS 


TRAITÉ GÉNÉRAL 


DE LA COMPOSITION 


PARCS ET JARDINS 


PAR ÉDpouarb ANDRE 
ARCHITECTE-PAYSAGISTE 


ANCIEN CHEF DE SERVICE DES PLANTATIONS SUBURBAINES DE LA VILLE DE PARIS 
RÉDACTEUR EN CHEF DE L'{lustralion horticole, Erc. 


Un volume très-grand in-8° de 886 pages 
Avec 11 planches en chromolithographie et 52) figures dans le texte. 


Prix : 2» francs 


LE TRAITÉ DES PARCS ET JARDINS est divisé en DOUZE chapitres 
dont les titres indiqueront sommairement le plan et l'esprit de 
ouvrage. 


* PREMIÈRE PARTIE. — L'ART. Les Jardins dans l’antiquité. — Les Jardins depuis 
la chute de l’empire romain jusqu’au xvir siècle. — Les Jardins paysagers. — 
Esthétique. — Du sentiment de la nature. — Principes généraux de la com- 
position des Jardins. — Division et classement des Parcs et Jardins. 


DEUXIÈME PARTIE. — LA PRATIQUE. Examen du terrain, plan, devis. — Travaux 
d'exécution: Tracés. — Travaux d'exécution : Vues, allées, terrassements, 
eaux, rochers, plantations, gazons, fleurs. — Exemples et descriptions de 
Pares et Jardins classés suivant leur destination. — Constructions et accessoires 
d'utilité et d’ornement. Coup d'œil sur les Jardins actuels. : 


TABLE DES ARTICLES 


CONTENUS DANS CE CAHIER 


Mémoire sur l’endosmose des gaz à travers les poumons déta- 
chés, par M. GRÉHANT 

Description d’une nouvelle espèce de Perameles, par M. Alph. 
MizxE EpwarDs 

Note sur le tube digestif du Carpophage Goliath, par M. VraL- 


Note sur les muscles peauciers du Lophorina superba, 
par M. VIALLANE 

Notes sur certaines poches contractiles excrétoires chez les 
Tortues fluviatiles de Chine, par M. RATHOUIS 

Description des Crustacés rares ou nouveaux des côtes de 
France, par M. HESSsE 

Étude sur le membre antérieur du Pseudope de Pallas, par 
M. SAUVAGE 

Publications nouvelles 

Note sur quelques Scincoïdiens nouveaux, par M. Bocourr.. 

Étude sur la ligne primitive de l'embryon du Poulet, par 
M. Mathias DUuvaL 

Mémoire sur la ponte de l’Abeille reine et É iéoie de Dzierzon, 
par M. PÉRÈS 

Note sur la parthénogenèse che les Abeilles, par M. SANSON.. 

Tables 


PLANCHES 


Planches 8. Perameles Raffreaynus. 
— 9. Appareil digestif du Carpophage Goliath. 
—. 10. Muscles peauciers du Eophorina superba. 


ARTICLE 


ARTICLE 


ARTICLE 


ARTICLE 


ARTICLE 
ARTICLE 
ARTICLE 
ARTICLE 
ARTICLE 


ARTICLE 


ARTICLE 
ARTICLE 


N°9 
N° 10 
NAT] 
N°12 
: 13 
N° 14 
N° 15 
15 bis 
N° 16 
No AY 


N° 18 
N° 149 


11. A. Muscles peauciers du Lophorina. — B. Poches contractiles du 


Trionyx. 
12. Copechætes. 
13-18. Ligne primitive. 
19. Membre antérieur du Pseudope de Pallas. 


PARIS. — JMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, > 


Nr 


3 2044 093 338 580 


rap me 2 


LES 
ose 


me 


RÉ ee