Full text of "Annales"
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ANNALES
DE LA SOCIETE
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
iN-
ANNALES
DE LA SOCIÉTÉ
Jean-Jacques Rousseau
TOME SIXIEME
1910
A GENÈVE
CHEZ A. JULLIEN, ÉDITEUR
Au BoURG-DE-FoUR, 32
PARIS I LEIPZIG
Honoré Champion Karl W. Hiersemann
Quais Malaquais, 5 Konigsstrasse, 3
^9
[mprimerie Pache-Varidel & Bron
Lausanne, Pré-du-Marché, 9.
LE SÉJOUR
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU
EN ANGLETERRE (1766-1767)
Lettres et documents inédits
QÂVANT-PROPOS
UR le conseil de notre maîb^e, M. Bernard
Bouvier, président de la Société J. J. Rous-
seau, nous proclames de quelques semaines
passées à Londres dans l'hiver igoS-igo6,
pour instituer des recher-ches sur le sujet traité ici. Il
nous avait aussi signalé un recueil de lettres inédites de
Rousseau à Daveîiport cofiservé au British Muséum ^ ; à
peine en avions-nous pris une copie, que le comité de la
Société J. J. Rousseau nous pria d'en collationner une
autre des mêmes textes, qu'elle venait d'acquéi^ir à Paris.
Depuis lors notre dossier s'accrut des correspondances
de Davenport et de Hume ^ ainsi que de nombreuses
lettres du trésor rousseauiste de Neuchâtel.
A la lumière de ces documents, dont nous donnons une
> Burton déplorait la disparition des lettres échangées entre Rous-
seau et Davenport, perdues, selon lui, dans la banqueroute d'un notaire
infidèle. Life c.nd Correspondence of David Hume, Edinburgh, 1846,
,: vol. H", t. II, ]). 319, note.
2 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
édition cri tique \ nous referons l'histoire du séjour de
Rousseau en Angleten^e^ du mois de janvier i jôô au
mois de mai i jô']^ nous îx'serrant d'insister sur les
poifits nouveaux ou peu connus et d'abréger les parties
traitées aj'ec ampleur par d'autres auteurs'.
Si l'on devait nous f^eprocher quelque disproportion
entre les divers chapitres, on voudra bien se souvenir
qu'il s'agit d'une œuvre documentaire plutôt que d'une
(cuvre littéraire, dont l'hatvnonieuse ordonnance risque-
rait de faire seule le prix'^.
1 Cette édition constitue les parties II et III de ce travail; la II* partie
renferme les lettres (subdivisions A-E), la III« partie les documents. Les
références s'y rapportant seront désignées respectivement de la manière
suivante: Lettres, Appendices. Une table détaillée, à la fin de l'ouvrage,
permettra de trouver rapidement les lettres de chaque correspondant ;
ce système nous est imposé par l'impossibilité d'obtenir un tirage
unique.
- Nous publierons quelque jour les originaux anglais des lettres de
Hume à Rousseau, dont Streckeisen-Moultou n'a donné que la traduc-
tion ; et peut-être traiterons-nous alors de la querelle en un travail spé-
cial.
■ Ce qui justifie l'abondance des références et leur longueur; l'expé-
rience nous a montré la nécessité d'indiquer chaque fois le nom des cor-
respondants et la date.
Première partie
SÉJOUR bE .1, .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE D
CHAPITRE PREMIER
Voyage en Angleterre.
I. Les préliminaires.
«J'ai cent fois désiré voir l'Angleterre^)); à peine éloi-
gné de Montmorency, Rousseau eut pu réaliser ce vœu-;
pourtant, avant qu'il aborde dans la grande île, trois
ans et demi s'écouleront, pendant lesquels ce désir s'ac-
centue, fortifié par la réflexion et par les conseils d'a-
mis ; il est intéressant d'en noter les progrès et les dé-
faillances.
Le 24 juin 1762, M'^*^ de La Marck mettait à la dis-
position du fugitif le château de Schleyden •'', près
d'Aix-la-Chapelle^; son intermédiaire, M"^'^ de Bouf-
flers, avait aussi décidé le philosophe Hume à préparer
le séjour éventuel de Rousseau en Angleterre '' et le
prince de Conti offrait Trye ° : Jean-Jacques refusa
tout' et le Val de Travers le gardera longtemps sans
• Œuvres, édition Hachette, t. X, p. 362, à Mme de Boiifflers,
août 1762.
'-' Streckeisen-Moultou. J. J. Rousseau, ses amis et ses ennemis, t. 11,
p. 40, de Mme de Bonfflers, 24 juin 1762, XIII.
'■ Id., t. II, p. 41, id.
* Id., t. II, p. 46, de Mme de Boiifflers, 3i juillet 1762, XV.
s Burton, 0. c, t. II, p. 107, Mme de Boiifjlers à Hume, 16 juin 1762.
Réponse de Hume, p. 108. Streckeisen, o. c, t. II, p. 44, Mme de
Boufjlevs, 21 juillet 1762, XIV; p. 5o, 22 octobre, XVII. Le 27 août,
Rousseau consulta son cousin de Londres, Jean Rousseau, sur les condi-
tions de la vie en Angleterre et sur l'opportunité d'y aller habiter ; la
réponse, calculée pour décourager Jean-Jacques, est véritablement pro-
phétique; Lettres, C, Jean Rousseau à Rousseau, 3o sept. 1762, I.
« Streckeisen, o. c, t. II, p. 46, 3i juillet 1762, XV.
' Œuvres, t. X, p. 344, à Mme de Boufjlers, 4 juillet 1762; p. 362,
août. Burton, 0. c, t. II, p. m, Mme de Boufjlers à Hume, 3o juillet.
D ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
qu'il oublie jamais le pays lointain où sa renommée gran-
dissait chaque jour'.
Peu après son installation, Milord Maréchal lui pré-
senta un portrait de Hume^ et. dès lors, un projet ori-
ginal remplit pendant onze mois"' les lettres de George
Keith à «son fils); : vivre en Ecosse avec Hume et Rous-
seau; celui-ci accepta*; les gazettes anglaises publièrent
la nouvelle^, le départ fut fixé au printemps (i 7(54 ■■'. Mais,
voici le Maréchal dans son pays, dans ses terres : du
coup il s'en lasse et Rousseau renonce à Vy rejoindre';
rétablissement du noble lord à Berlin'' — • décidé au
printemps — détruit définitivement le beau rêve de
l'ermitage philosophique.
A la longue, la vie à Métiers cessa d'être idyllique et
Jean-Jacques prit « en dégoût ce pa3's et ses arrogans
ministres»^; avec ses correspondants il discute ^"^ des
' Œuvres, t. XI, p. 340, à Maleshevbes, 10 mai 1766.
" Streckeisen, o. c, t. II, p. 67, de Keith, sept. 1762, VI.
'^ Id., o. c, pp. 67-93, de Keith, du 2 oct. 1762 au 23 août 1763, VII-
XXXVl. — Burcon, o. c, t. II, p. 104, Keith à Hume, 29 avril 1762;
p. io5, 2 oct.
* Œuvres, t, XI, p. 3i, à Keith, 21 mars 1763; p. 71, à Mme Latour,
17 juin.
= Streckeisen, 0. c, t. II, p. 91, de Keith, i5 juin 1763, XXXIII.
6 Id., 0. c, t. II, p. 93, de Keith, 23 août 1763, XXXVI. Bosscha, Let-
tres inédites, p. 199, i" oct. 1763. Usteri, P. et Ritter, E., Correspon-
dance de J. J. Rousseau avec Léonard Usteri, Zurich et Genève, 1910,
in- 16, p. 85, à Usteri, 3 oct. 1763.
7 Œuvres, t. Xl, p. 1 10, à Mme de Boufjlers, 28 déc. 1763. Usteri décon-
seilla l'Ecosse; Usteri et Ritter, 0. c, p. 80, i3 sept. 1763.
8 Streckeisen, 0. c. t. II, p. 96, de Keith, 2 fév. 1764, XXXIX;
p. 100, 26 mars, XLI. Œuvres, t. XI, p. 124, à Keith. 2b mars; p. i 2<S,
avril.
^ Streckeisen, Œuvres et Correspondance inédites de ./. J. Rousseau,
p. 399, au prince de Wirtemberg, 11 mars 1763, XVIII,; il faut lire 176?,
cf. Bosscha, o. c, p. 25o, du 18 mars 1765, n° i32.
^*' Œuvres, t. XI, p. 204,0 Keith, 26 janvier 1765; p. 219, à Deleyre,
II fév.; p. 220, à Dastier, 17 fév. ; p. 23o, à Moultou, 9 mars; p. 239,
à Keith, 6 avril.
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EX ANGLETERRE 7
mérites de Venise, qu'il aime, de Berlin, où on le flatte,
de la Corse, qu'il redoute \ de l'Angleterre, qu'il admire,
sans en chérir les habitants-, et où il ira^, cédant aux
avis de Milord Maréchal ^ de M""" de Boufflers ^, de
M'"^ de Verdelin ''•, mais non sans avoir tenté de rester en
Suisse en s'établissant dans l'île de Saint-Pierre'.
Chassé, il partit de l'ile Saint-Pierre le vendredi 2 3
octobre, en y laissant Thérèse ^ ; l'aimable accueil de
Bienne lui fit songer à hiverner dans cette ville ^ : une
prompte déception l'en dissuada ; il la quitta le mardi 29^**
pour Berlin", arriva à Bàle le lendemain, en pleine
foire, dut son logement à la prévoyance de M. de Luze^^,
1 Œuvres, t. IX, pp. 77, 78, Confessions, II, xii.
- Id., t. IX, p. 28, Confessions, II, xi ; «Je n'ai jamais aimé l'Angle-
terre ni les Anglois » risque fort de n'être qu'une expression de dépit
qu'affaiblissent singulièrement d'autres déclarations, soit antérieure
(Œuvres, t. X, p. 3 12, à IVl"" de Boufflers, août 1762), soit postérieure
(Œuvres, t. IX, Rousseau juge de Jean-Jacques, /"' Dialogue, p. i33,
note); ne pas oublier non plus combien lui est sympathique Edouard
Bomston.
^ Id.. t- XI, p. -2S(3, à Du Peyrou, 17 oct. 1765 ; Bosscha, 0. c, p. 267.
3i déc, n» 140.
* Streckeisen, ./. J. R.. ses amis, etc., t. II, p. ii3, de Keitli, 8 fév.
i7'')5, L: p. ii5. lofév., LI ; p. 118, 27 mars, LUI; p. 121, 20 avril,
LVI ; p. 123.22 mai, LXI;p. i36, 7 sept., LXX ; p. 139, 19 nov., LXXII ;
p. 140, 2 déc, LXXIII.
5 Œuvres, t. IX, pp. 2?, 28, Confessions, II, xi ; 63, 81, II, xii.
° Jd., t. IX, pp. 62, 63, 81 ; Confessions, II; xii. Streckeisen, 0. c, t. II,
p. 529. de Mme de Verdelin. 18 mars 1765, XXXIII; p. 53o, 3i mars,
XXXIV.
' Œuvres, t. IX, p. 67, Confessions. Il, xii.
« Bosscha, 0. c, p. 264, 18 oct. 1763, n° i36. Œuvres, t. XI, p. 288,
à Du Peyrou, 27 oct.
" Œuvres, t. XI, p. 289, à Guy, 27 oct. 1765; Streckeisen, o.c, t. II,
p. 137, de Keith, nov., LXXI ; CEuvres, t. IX, pp. 79-81. Confessions, II,
XII.
'" Œuvres, t. XI, p. 289, à Du Peyrou, 28 oct. 1765; t. IX, pp. 79-81.
Confessions, II, xii.
'• /rf., t. XI, p. 289, à Guy, 27 oct. 1763; p. 339, à Malesherbes,
10 mai 1766; t. IX, p. 81. Confessions, II, xii.
'- Id.. t. XI, p. 290, à Du Peyrou, 3o oct. 1763.
8 ANNALES DE LA SOCIETE .1. ,1. ROUSSEAU
s'y reprit des fatigues de la traversée du Jura, mais fut
en proie à une violente hésitation : sa santé est débile,
l'hiver rigoureux, où ira-t-iP? Différant la solution, le
voici de nouveau sur les grands chemins et le samedi
2 novembre, il entrait à Strasbourg-; sur les rensei-
gnements de M. de Luze ^ il descendit, à demi-malade *,
rue de la Douane, à l'auberge de la Fleur, chez Konig'^;
depuis Soleure il avait cheminé avec Barth, secrétaire
de l'ambassade de France en Suisse'"'.
Pour le coup, il respire ; il attendra le printemps dans
cette cité hospitalière^: hôte choyé ^ il y resta cinq
semaines, ayant ses petites et grandes entrées à l'Opéra
où l'on joua le Dei'in du Village'\ dînant en ville, rece-
vant force visites ^'^; souvent aussi il ferma sa porte et s'a-
donna à l'histoire de la botanique ", science dont il ac-
quit alors plusieurs manuels classiques ^-.
Restait néanmoins un parti à prendre ^^ un but à fixer
' Œuvres, t. XI, p. 2go, à Du Peyroii 3o oct. 1765,
■-' Id., t. XI, p. 292, à Du Peyrou. 5 nov. 1765.
■ Id., t. XI, p. 288, à Du Peyrou. 25 oct. 1765; p. 290, à de Lu^e,
4 nov.
* Id., p. 292, à Du Peyrou, 5 nov. 1765.
^ Id., t. XI, p. 292, à Guy, 4 nov. 1765. Il avait d'abord songé à
loger à l'Esprit, chez Weiss; id., p. 290, à Du Peyrou, 3o oct.
* Archives littéraires de l'Europe, 1807, t. XIV, pp. 364,365.
''Œuvres, t. XI, p. 292, à Du Peyrou, 10 nov. 1765'; p. 293, 17 nov. ;
Streckeisen, Œuvres et Corr. inéd., p. 433, à M. de Villeneuve, 8 déc,
XL; Mutterer, M'., ./. J. Rousseau à Strasbourg. Revue alsacienne
illustrée, 1904,4", vol. VI, n» II, pp. 63-67.
'^ Streckeisen, J. J. R., ses amis, etc., t. II, p. 55i, de Mme de Ver-
dclin,2i nov. 1763, XLVIII.
■'Le 10 novembre. Mutterer, M., o. c, p. 65.
'" Œuvres, t. XI, p. 295, à Du Peyrou, 25 nov. 1765. .
" Jansen, Alb., Rousseau als Botaniker. Berlin, i885, 8», p. 93.
'2 Œuvres, t. XI. p. 3o6, à Guy, 20 janv. 1766; Lettres, A, à Guy, fév.
J767, XXXIV, ^7! " • .
1' Id., p. 282, à Du Peyrou, 5 nov. 1765; p. 293, 17 nov. ; p. 294, à
Guy, 20 nov. ; p. 295, à Du Peyrou, 2 5 nov.
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 9
au voyage entrepris de force ; que d'heures d'ardue ré-
flexion il y passa ! Il ne voulut pas des retraites propo-
sées : en Normandie par Saint-Lambert, en Lorraine
par M'"^ d'HoudetotS et ne pensa guère à la Horburg,
près de Colmar'': par contre, Tancien projet de rejoin-
dre Milord Maréchal à Berlin ^ reprit vie' ; il y renonça,
surtout à cause des instances de M""" de Verdelin qui
redoutait ce « repaire ))\ vantait l'Angleterre", et unissait
ainsi sa voix amicale aux pressantes exhortations de
Milord Maréchal \
A tant d'eftorts s'ajouta le souvenir de l'obligeante
lettre de Hume- qui donnait alors de nouveaux gages
de sympathie pour Rousseau''; à la requête de M"''= de
Verdelin il fit faire des recherches en Angleterre et
oîfrit au fugitif plusieurs habitations ; l'une appartenait
' Streckeisen, o. c t. II, p. 354, '^'■' -^-^'"f ''^t' Verdelin, 28 nov. 1765,
XLIX.
- Archives littéraires de l'Europe, 1807, t. XIV, pp. 364, 365. Streck-
eisen, 0. c, t. II, p. 552, de Mme de Verdelin, 21 nov. 1765, XLVIII.
■Œuvres, t. XI, p. 242, à d'Ivernois, 8 avril 1765.
* Streckeisen, CFînTCi' inédites, etc., p. 43o, à Coindet, 10 nov. 1765,
XXXVI.
^ Streckeisen, J. J. R., ses amis, etc., t. II, p. 546, i" nov. 1765, XLV;
p. 552, 21 nov., XLVIII.
6 Id., pp. 546-554, I, 4,9, 21, 28 nov. 1765, XLV-XLIX.
' Id., p. i36, 7 sept. 1765, LXX; p. iSg, 19 nov. LXXII ; p. 140, 2 déc,
LXXIII ; l'Angleterre « où la loi écrite commande et non les hommes. »
» Id., p. 275, 2 juillet 1762, I. Rousseau y répondit le 19 fév. i 763, Œn-
)'res, t. XI, p. 38. Son cousin Jean Rousseau, établi à Londres, accepta
de la transmettre. «Londres, le 29 juillet 1763. Votre lettre, mon cher
cousin, m'est bien parvenue; l'incluse pour M"' Hume fut envoyée par
M' le libraire Beckett en Ecosse.» (Lettres inéd., Bibliothèque de Neti-
chàtcl.l Le 28 février 1763, Rousseau pria Rey d'envoyer à Hume un
exemplaire de la Réponse à V Archevêque de Paris. Bosscha, 0. c, p. 192,
n" 107.
•^ Hume était tenu en haleine à cet égard, de divers côtés à la fois;
voir la lettre du Colonel J. Edmondstoune qui lui recommandait, de Ge-
nève, le 26 mars 1764, de se montrer le bienfaiteur de Rousseau. Bur-
ton, 0. c, t. II p. 187.
10 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
à Horace Walpole ; l'itinéraire était établi ^, et cette fidèle
amie se déclarait toujours prête à couvrir la dépense
du voyage^; déjà, lors de son passage à Môtiers, en
septembre^, elle avait vivement dépeint la sécurité de
cet asile insulaire ; Jean-Jacques, à demi-convaincu,
sans donner de consentement formel, l'avait autorisée
à agir selon son cœur.
La persuasion de tant d'amis devint lentement la
sienne ; l'espoir, puis la certitude de ne pas cheminer
seul et de jouir de la compagnie de Hume^ et de M. de
Luze^ le décida irrévocablement — le 3o novembre —
à passer outre-Manche*'.
Deux routes sont possibles ; celle de Hollande fut
rejetée, vu l'hiver^ ; malgré son désir d'embrasser sa
filleule^ et en dépit du commis de Re}^ venu le cher-
cher à Strasbourg^, il ira par Paris où il séjournera
quelque temps ^'^, Hume Ta conquis ; sa bienveillance
lui fait prendre avec confiance la voie douloureuse de
ce lointain exil ^^.
1 Streckeisen, o. c, t. II. p. 544, de Mme de Verdeliu, 10 oct. ijùb,
XLIV; p. 547, 4 nov., XLVI.
■^Id., p. 53o, 18 mars lyôè, XXXIII.
'■'■ Œuvres, t. IX, pp. 62-66, Confessions, II, xii.
1 Streckeisen, o. c, t. II, p. 546, de Mme de Verdelin, i" nov. 1765,
XLV; p. 55-3, 28 nov., XLIX.
'" Œuvres, t. XI, p. 2g5, à de Lii^e, 27 nov. 17G5.
« Id., t. XI, p. 2.96, à Du Peyrou, 3o nov, 1765.
• Bosscha, o. -c., p. 262, 18 oct. 1765, n« i36. Rousseau annonçait sa
visite probable à Amsterdam.
« Id., p. 265, 25 nov. 1765, n" i38.
'•^ Id., p. 266, ï" déc. 1765, n" iSg.
^" Id., p. 276, I"' déc. 1765:, «une partie de l'hiver»; Œuvres, t. XI,
p. 297, à divernois, 2 déc. «quinze joujs ou trois semaines»; p. 298,
à Guy, 7 déc. : « huit à dix jours»; Bosscha, o. c., p. 267, i" déc,
n° i3g: «une partie de l'hiver»; Rothschild, H. de, Lettres inédites
jdeJ.J. Rousseau, Paris, 1892, 8°, p. ii5, 4 déc: «quinze )Ours ou
trois semaines ».
" Œuvres, t. XI, p. 297, à Hume, 4 déc. 1765.
SEJOUR DK J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE
II. Le Voyage.
Le lundi 9 décembre^, une chaise de poste- sortie par
la porte de Saverne s'éloignait de Strasbourg sur la
route de Paris, roulant vers la capitale, à travers les
Vosges, par Phalsbourg, Lunéville, Nancy, Toul, Bar-
le-Duc. Vitr3^ Chàlons^, Epernay, — où Rousseau, en
proie à des douleurs que les cahots avaient éveillées,
eut une nuit d'insomnie', — Meaux, Bondy"^; dans la
soirée du lundi 16, la chaise s'arrêtait devant la librai-
rie Duchesne'^ d'où le voyageur déménageait le ven-
dredi 20 pour s'installer chez le prince de Conti, au
Temple"; harcelé de visites^, il hâtait les préparatifs
du départ, pressait Hume et de Luze et prenait congé
de ses amis ".
Entre temps, son caftan éga3^ait les badauds du
Luxembourg^"; à paraître en public, quoique décrété
' Œuvres, t. XI, p. 298, à Guy, 7 Jcic. ijbS.
- Id., t. XI, p. 29g, à Du PeyroJi. 17 déc. 1765. L'intervention de M"'« de
Verdelin permit à Rousseau d'en user à sa guise à l'égard du monopole
des Messageries ; voir le détail des démarches dans Streckeisen, o. c,
t. II, p. 548, de Mme de Verdelin, 4 nov. 1765, XLVI; p. 552, 21 nov.,
XLVIII ; p. 554, 3 déc. L, et Œuvres, t. XI, p. 291, à Guy, 4 nov.
=> Carte des Duchés de Lorraine et de Bar... dédiée à Ms"' le Comte de
Maurepas, par... le Rouge. Paris, 1766.
* Œuvres, t. XI, p. 2g(), à Du Peyrou, 17 déc. 1765.
5 Id., t. XI, p. 298, à Guy, 7 déc. 1765.
^ Id., t. XI, p. 298, à de Lu:[e, 16 déc. 17G5. Le i" déc. il avait écrit à
Rey : « Vous pourrez me l'adresser chez la veuve Duchesne à Paris
où je compte passer une partie de l'hiver. » Bosscha, 0. c, p. 267, n° iSy.
' Id., t. XI, p. 3oo, à d'Ivernois, 20 déc. 1765. Le prince voulait expier
son refus de solliciter le passeport. Streckeisen, o. c, t. II, p. 555, de
Mme de Verdelin, 3 déc. 1765, L.
8 Œuvres, t. XI, p. 3o2, à de Lu^e, 26 déc. 1765. M""' de Genlis l'em-
mena à la Comédie française. Mémoires, t. II, p. 12.
9 Lettres, A, à Mme de Créqui, 3 janv. 1766, I. Streckeisen, o. c,
X. II, p. 556, de Mme de Verdelin, 2 janv. 1766, LI.
'" Burton. o. c, p. II, p. 2()(), Hume à Blair, 28 déc. 1765.
12 ANNALES DE LA SOCIKTK .1. J. ROUSSEAU
d'arrestation par le Parlement en 17G2, Rousseau ne
risquait rien, preuve en soit le passeport qu'il reçut à
Strasbourg déjà ^, passeport dû à la faveur royale à la-
quelle M"'^ de Verdelin avait recouru-.
Enfin, le samedi 4 janvier"' lybô, les trois voyageurs
galopaient sur la route de Saint-Denis ; ce soir-là ils
couchèrent à Senlis\ Deux chaises de poste compo-
saient Téquipage, et Ton changeait de voiture pour va-
rier la compagnie-'.
L'étape du dimanche ?. Roye". vit une scènt' dont
les conséquences funestes devaient produire tant de
tapage quelques mois après. Poursuivant vers le nord,
avec nuitées à Arras^, le lundi (3. et à Aire, le mardi 7.
ils arrivèrent à Calais, le mercredi S : mer démontée;
1 II refusa de Taccepter sous un faux nom ; Burton, o. c. t. II. p. 297,
Hume à Blair, 28 déc. 1763.
2 Streckeisen, 0. c, t. Il, p. 532, de Mme de Verdelin, i3 avril 1763,
XXXV; p. 546, I" nov., XLV ; p. 552, 21 nov., XLVIII. — Œuvres,
t. XI, p. 33g, à Malesherbes, 10 mai 1766. — Voici le début d'une lettre
inédite de Du Peyrou, son n" 6, auquel Rousseau répondit le 17 nov.
1765, Œuvres, t. XI, p. 293 : — «Samedi 9 novembre 1765. Etes-vous
encore à Strasbourg, mon Cher Citoyen ? Dieu le veuille et que ce
paquet vous y trouve sans douleurs, sans tracasseries ! Vous y trouverez
un passeport de la Cour de France, et une lettre de Madame la Marquise
de Verdelin, qui vous marque sans doute, que si vous n'en faites pas
usage, il faut n'en point parler, afin que dans l'occasion, il soit aisé de
vous en procurer un autre.» (Lettre inéd., Bibl. de Neuçhâtel.i
" Œuvres, t. XI, p-. -SoS, à Du Peyrou, 1" janvier 1766.
^ L'itinéraire de Paris à Londres, et les nuitées, sont mentionnés dans
la lettre n" 35 de Du Peyrou, datée du 23 oct. 1766; il tenait ces ren-
seignements de M. de Luze et du domestique de celui-ci, Giroux. (Let-
tre inéd., Bibl. de Neuchâiel.i
• Œuvres, t. XI, p. 3o2. à de Lu^c, 26 déc. 1765.
s Dutens signale deux auberges : Au Soieil d'Or. A la Grosse Tète.
— Itinéraire des Routes les plus fî-cqueiitées... 1768-1791. Paris, 1791,
in- 12.
'•Œuvres, t. XI, p. 3g6, à Du Peyrou, 4 cet. 1766. Le texte original,
à Neuchàtel, est illustré du plan de la chambre, dessiné à la plume.
* Auberge : A l'Ecu d'Artois; Dutens, 0. c.
SÉJOUR DE .1. J. ROUSSEAU EX ANGLETERRE 1 -•>
ils attendirent^ jusqu'au vendredi soir, lo janvier, pour
s'embarquer-. La traversée prit douze heures que Rous-
seau passa sur le pont, au milieu des paquets d'eau et
des hurlements du vent^, essa3'ant peut-être de conju-
rer les nausées par le grand air^ En abordant à Dou-
vres, sur cette terre de liberté % il étreignit Hume dans
une muette effusion de joie (samedi ii janvier.)"
Après quelques heures de repos ils repartirent, dans
Taprès-midi. Peu pressés', ils purent, grâce à la dou-
ceur du roulement sur la chaussée ferrée^, jouir du
spectacle si apaisant de la campagne aux cultures soi-
gnées entrecoupées de prairies vert tendre. Pour la
^Œuvres, i. XI, p. 407, à Du Peyrou, 8 janv. 1767. Auberge: C/r'.^
Dessain; Dutens, o. c. — Les bagages de Rousseau l'y rejoignirent, un
mois après avoir quitte Strasbourg {Œuvres, t. XI, p. 3o6, à Guy y
20 janv. 1766; p. 298, à Guy, 7 déc. 1765), mais ils s'égarèrent et il ne
les avait pas encore en mars. Lettres, C, de Morel-Disque, 3 mars 1766.
' Nous calculons ces dates d'après celles connues du départ de Paris
et de l'arrivée à Londres.
''Œuvres, t. XI, p. 32\, à Coindet. 29 mars 1766; p. 325, à Mme de
Boujfflers, 5 avril. — Du Peyrou à Rousseau, n° 17: « Lundi 27 jan-
vier 1766... J'ai été informé [par M"" de Luze] de vôtre petit séjour à
Calais, de vôtre traversée nocturne, longue et pénible. » (Lettre inéd.,
Bibl. de Neuchàteli. — Hume parle de 10 heures: Priv. Corr., p. i25,
à Mme de Boucliers, 19 janv. 1766. — 0 Un bon passage est de 3, 4
ou 5 heures. J'ai fait ce trajet vingt fois, • et n'ai jamais été plus de
12 heures. Six heures est le plus ordinaire.» Dutens, o. c, p. 7.
* Œuvres, t. XI, p. 325 : « Je fus moins malade que M. Hume.»
= Id., t. XI, p. 339, à MalesJierbes, 10 mai 1766.
'' « On Saturday landed Mons. J. J. Rousseau, w London Clironiclc,
n° 1415, January 11-14, 176O.
'• En avril 1765, Grosley et ses compagnons firent le même trajet
«dans deux voitures qu'ils appellent Machines originales ou Volantes.
Ces voitures à six chevaux font en un jour les 28 lieues de Douvres à
Londres, pour le prix d'une guinée. Les domestiques ont leur place à
moitié prix, ou sur l'impériale ou sur le siège du cocher, qui est à trois
places. Un vaste magasin ménagé sous ce siège très élevé, porte les
hardes, qui se paient à part.» Londres, 2'- éd. Neuchâtel, 1770- 1771,
t. 1, p. 29.
^ Nouveauté inconnue sur le continent. Grosley, 0. c., t. I, p. 39.
14 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
nuit, ils restèrent à Cantorbery ^ (samedi iij: le di-
manche soir les trouva à Dartford. Enfin, le lundi i3
ils effectuèrent leur dernière étape, sans que nul routier
les attaquât^. Mais l'entrée de la capitale dut affecter
lugubrement Rousseau : les cadavres grimaçants aux
gibets^ semblaient accueillir ironiquement cet affamé
de justice et, plus tard, il songea peut-être à la menace
de leur rictus.
Les voyageurs traversèrent toute la métropole, de
l'est à l'ouest, et descendirent vers midi ', à Buckingham
Street^, York Buildings, chez John Stewart", ami de
Hume et son agent, en automne 1765, pour la recher-
che d'une habitation destinée à Jean-Jacques^; c'est
même le désir de connaître personnellement l'exilé
qui le poussa à inviter Hume*, lequel possédait de-
puis longtemps son pied-à-terre, dans Lisle Street,
Leicester Fields''. De Luze alla loger ailleurs; Rous-
1 Auberge : Kings Head. Dutens, o. c.
* Ils abondaient dans ces parages de grande circulation. Grosley, o. c.
t. I, p. 3i. Voici la recommandation donnée aux voyageurs, aussi avant
dans le XIX<= siècle que l'année i8i5, par llie Pictiire of Loudoii, 16*''
Ed., p. 85 : « Travellers, who are unable to enter London bcfore dark,
are subject to two evils during the last stage, that of being robbed by
highwaymen or footpads, or having their luggage eut from behind
their carriage.»
•' Grosley, 0. c., t. I, p. 3 1 .
1 La dernière étape, peu considérable (24 km.), ne prit guère que la
matinée.
s Dans le voisinage de Charing-Cross.
« Ou Stuart.
' Burton, o. c, t. II, p. 3ii, note, Stewart à Hume, s. d. — Stre-
ckeisen, 0. c, t. II, p. 547, de Mme de Verdelin, 4 nov. 1763, XLVI.
^ Lettres, C, Stuart à Rousseau, s. d.
" Burton, 0. c, t. II, p. go. Hume à Adam Smith, 29 juin 1761:
n] shall lodge in Miss Elliot's, Lisle Street, Leicester Fields.» Lettres,
C, Jean Rousseau à Rousseau, 17 nov. 1766, V, g i.
SK.IOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE \2
seau et son protecteur furent quinze jours chez Ste-
wart^
^ \\ hen Rousseau first came to Lornion, he was much pleased with
seeing the footways in our streets, and said, a Par ces trottoirs je vois
qu'on respecte le peuple. ^> Eiiropean Magasine, for February 1791,
vol. ig, p. 96.
l6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
CHAPITRE II
Séjour en Angleterre.
I. De Londres a Wootton.
Sans retard, Hume se prodigue pour l'installation
définitive de son protégé, qui s'est nettement prononcé
pour la campagne ^
Le vendredi 17, ils sont à Fulham, chez le jardinier
français que Stewart avait découvert en automne ; la
saleté de la chaumière rebuta Rousseau-. Une autre
ressource se présente : l'offre d'un ancien couvent gal-
lois^; l'imprévu du logis dans un paysage suisse ravit
Jean-Jacques, et le projet, accepté d'emblée^, resta en
faveur plusieurs semaines, jusqu'au jour où l'on ap-
prend que le monastère a tous les défauts des masures
en même temps que le pittoresque des vieux édifices^.
La veille seulement, jeudi iG, la London Chronicîe
avait signalé la présence de Rousseau -, en taisant qu'il
' Œuvres, t. X, p. 363, à Mme de Boufflers, août 1762.
- Id., t. XI, p. 3o5, à Mme de Boufflers, 18 janv. 1766.
■'• Id. t. XI, p. 3o6j à Mme de Boufflers, 18 janv. 176$.
^ Id., p. 3o8, à Du Peyrou, 27 janv. 1766; p. Sog, à d'Ivernois, 29 janv.,
p. 3 10, à Du Peyrou, i5 février. Du Peyrou recommandait le séjour dans
cotte région. « 27 fév. 1766. n" 19... M"' Vautravers dont la femme a
vécu 9 ans au Sud de ce pays de Galles, dit que le peuple de ces mon
tagnes est gay, robuste et hospitalier, que la vie y est à grand jnarché,
que le climat en est, sain, qu'on y trouve la Liberté et point de consis-
toire. », (Lettre inéd., Bibl. de Neuchàtel.j '
■^Œuvres, t. XI, p. 3i5, ^ Du Peyrou, 2 mars.
6 «Jan. 14. Yesterday [Monday] David Hume Esq., arrived in London
from Paris.» p. 48. — «Jan. 16. Monday last arrived in town the cele-
brated Jean-Jacques Rousseau.» p. 5o. Cité par G. Birbeck Hill. Let-
ters nf David Hume to William Strahan. O.xford, 1888; p. 73, note i.
SEJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE
'7
avait voyagé avec Hume^ Les curieux d'affluer à Buck-
ingham Street; simples particuliers, parlementaires*,
gentilshommes, tous s'y pressent à l'envi : le prince
héritier, le duc d'York^, lord Nuneham *, le colonel en
retraite Richmond Webb^, le Révérend Penneck'"', atta-
ché au Musée britannique, un parent enfin, son cousin
Jean Rousseau ^. Les admirateurs retenus par la distance
écrivent, et de la province arrivent maints témoignages
de dévouement enthousiaste, qui se renouvelleront à
intervalles, jusqu'à cette voix lointaine d'un colon afri-
cain^; témoignages touchants, quoiqu'on ne puisse
1 Silence imputable à Hume, en tout ou en partie; l'imprimeur du
journal était son excellent ami Strahan. Il est étonnant que Rousseau,
■dans son réquisitoire du lo juillet 1766, n'ait pas reproché cette atti-
tude à Hume.
- «His [Rousseau's] vanity was so great, that a friend of his used to
say, that he helieved Rousseau was displeased at not being sent for
by our House of Gommons to give his opinion on some point of légis-
lature.» Etiropean Magasine, for February 1791, vol. 19, p. 96. L'a-
necdote paraît d'une authenticité douteuse.
^Œuvres, t. XI, p. 3o8, à Du Peyroii, 27 janv. 1766; pp. 339, 340,
À Malesherbes, 10 mai. Burton, 0. c, t. II, p. 3 10, Hume à son frère, 2 fév.
■• Lettres, C, Nuneham à Rousseau, [mars 1767], V. Œuvres, t. XI, p. 329,
à Mme de Boufflers, 9 avril 1766. — Il s'agit de Georges Simon Har-
court, vicomte Nuneham (1736-1809), second earl Harcourt depuis 1777.
Rousseau lui-même le désigne par son titre : Œuvres, t. XI, p. 403, à
Lord vicomte Nuneliam, déc. 1766, et l'identité du personnage est assu-
rée par le manuscrit n" 7903 de Neuchâiel : Copies de lettres de Rous-
seau à George Simon de Harcourt, lord vicomte de Nuneham, aujour-
d'hui comte de Harcourt.
» Lettres, C, Malthus à Rousseau, 26 fév. 1766, IV. R. Webb (i7i5-
1785) enseveli à Westminster-Abbey. — Sauf indication contraire, nos
renseignements biographiques sur les personnages anglais qui figurent
dans ce travail proviennent du Dictionaty of National Biography. edited
by Leslie Stephen.
6 Œuvres, t. XI, p. 358, à Hume, 10 juillet 1766.
• /d., t. XI, p. 33o, à F. H. Rousseau, 10 avril 1766. M. Eugène Ritter
a depuis longtemps corrigé ces initiales ; cf. Alliance libérale, Genève,
23 août 1884. Jean R., 1 724-1795; Galiffe, Notices généalogiques.
^ Capdeville à Rousseau, Le Cap, 20 oct. 1766. (Lettre inéd., Bibl.
de Neuchàtel.j
l8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .(. .1. ROUSSEAU
s'empêcher de sourire à la rhétorique du dragon John
HalP et de trouver fastidieuses les considérations du
docte Gregor}-.
Sans aucun doute, le concert n'est pas tout harmo-
nie ; le vieux D'' Samuel Johnson verrait avec joie Rous-
seau arrêté sur l'heure et déporté avec les pires scélé-
rats^, et Burke se dispose à étudier sur le vif le «grand
professeur et fondateur de la philosophie de la vanité ^ »
Néanmoins, encore que Rousseau ne rendît aucune
visite^ et que son ajustement oriental effarouchât les
Londoniens", il devint Thomme du jour'. Ainsi, Gar-
rick, directeur du Théâtre Royal de Drury-Lane* lui
accorda l'honneur insigne d'une soirée de gala, don-
née le jeudi 23 janvier^, par ordre du roi, curieux de
voir le philosophe genevois. Un peu plus et cette at-
tente eût été déçue... pour un chien: Sultan, en veine
de vagabondage, faillit retenir à la maison son maitre
qui craignait de le perdre ''\
1 Lettres, C, 3i janv. 1766.
- Lettres, C, 1" fév. 1766.
:' Boswell. Life of Johnson. Ed. by G. Birbeck HilL Oxford, 1887,
t. II, p. I I . Ce propos fut tenu à la Mitre, le samedi i5 fév. 1766. —
Hume. Priv. Corr., pp. i25, 145.
■» Burke. Works. Ed. Bohn, t, II. p. 536: Rejlections on French Ré-
volution.
s Œuvres, t. XI,- p. 3o8, à Du Peyrou. 27 janv. 1766.
'' Memoirs af tlie Earl of Cliarlemont, t. I, p. 23o : « When Rousseau
lirst arrived in London, he and his Armenian dress were followed by
crowds. . . »
' Burton trouve un exemple probant de l'engouement général : c'est
que Lady Aylesbury ait consenti à recevoir Thérèse à sa table. O. c;
t. II, note 2, p. 3o5.
* David Garrick fut à sa tête de 1747 à 1776.
9 «Jean Jacques Rousseau, who arrived at London Jan. i3. was at ihe
play on the 23d, and presented himself in the upper box, frontig his
Majesty. » The Scots Maga:iine, 1766, vol. 28, p. 53.
'"Burton, 0. c, t. Il, pp. 3o8-3io, Hume à son frère, 2 fév. 1766;.
Hume. Priv. Corr., p. 144, à Mme de Barbantane, 16 fév. 1766.
SÉJOUR DE .1. ,1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE l (j
Au programme figuraient la tragédie de Zara, par
Aaron HilP, et la comédie satirique du LetheK Leurs
Majestés s'occupèrent plus du philosophe, placé en face
d'elles, que de la scène. Quant à Rousseau, son excita-
tion fut telle qu'il fallut toute la sollicitude de sa voi-
sine, M- Garrick, responsable de l'invitation, pour
prévenir sa chute de la loge au parterre ^ Le jeu des
acteurs le charma, bien qu'il ne comprît pas les paro-
les ; certainement il suivit sans difficulté les péripéties
de Zara. Au Lethe il rit et pleura K seul compliment -
mais combien sincère - à Garrick, . l'auteur% qui te-
^ J Cradock. Joseph. LUerary M^scenaneoJ Me^Zirl London, ,8=8,
1 ^^''l'J' """/■ J' P- '°^- ^^^ '^°"^'"^' •'"hn Forster, Life and Tune ufOli
eau tr' ' '^°"'"^' ''"'' '■ "'P- 6,caricatûre l'attitude d 10?:
eau, qui aurait recompensé Tamabilité de son hôte « by laugh ngat
mmÊmmm
London, iSsJ^ p 3,4 ^ ' "^^ of Dar^d Garnck. New Ed.
20 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
riciit ce soir-là le premier rôle^. La soirée terminée, une
réception chez le directeur, aux Adelphi, mit peut-être
en présence Rousseau et Goldsmith, célèbre déjà par
le Traveller et que le Vicaire de Wakefield allait illus-
trer deux mois plus tard -.
Fatigué de tant de mouvement^, Jean-Jacques s'éta-
blit provisoirement, le mardi 28 janvier'*, à Chiswick,
village situé à 5 milles à l'ouest de Londres, sur la Ta-
mise ; il se fixa chez un épicier^, nommé Pullein''. Seul,
ou à peu près, à parler le français, il sentit la nécessite
de poursuivre avec zèle l'étude de l'anglais qu'un pre-
mier essai malencontreux n'avait pu interrompre : à peine
arrivé en Angleterre, docile au conseil que Hume lui
avait donné en cours de route, il imagina de com-
parer à l'original une traduction de V Emile'' . Cette fois-
ci, il adopta la méthode directe et. fréquemment assis
Fifth Edition. By David .Garrick. London : Printed forand sold by Paul
Vaillant, facing Southampton-Street, in the Strand. MDCCLVII.
' Cf. p. 19, note 2; les deux éditions du Lethe que nous avons con-
sultées, celles de 1757 et de 1767, indiquent Garrick au rôle de Chalk-
stone. Cradock, 0. c, t. 1, p. 2^^b, confirme ce fait. Pourquoi J. Chur-
ton Collins, dans Voltaire, Montesquieu, and Rousseau in England,
■London, 1908, S", p. 2o3, prétend-il que Garrick tint, ce soir-là, un
triple rôle, ceux du Poète, du Français, de l'Ivrogne ? 11 est évident,
d'après nos sources, que ces trois personnages n'eurent jamais l'hon-
neur d'être interprétés par le grand artiste.
2 Forster, o. c, t. II, p. 6. — Le Vicaire parut le 27, mars.
^Œuvres, t. XIj p'. 3o8, à Du Peyrou, 27 janv. 1766; Bosscha, o. c,
p. 268, 3 mars, n" 141. Des tambours de la garde devaient, prétend-il,
battre devant sa porte. Œuvres, t. IX, p. 1^7, Rousseau juge de Jean-
Jacques, I" Dialogue, note.
■* Ou le mercredi 29. Le 27 janvier il date une lettre de Londres, le 29
une autre de Chiswick. Œuvres, t. XI, p. Î07, à Du Peyrou, 27 janv. i76i'>;
p. 3o8, à d'Ivernois, 29 janv.
* Œuvres, t. Xl, p. 3i7, ^ Guy, 18 mars 1766. Morley, John. Rousseau,
1873, t. II, p. 287, et Churton Collins, o. c., p. 207, disent im fermier.
^Lettres, C, Morel-Disque à Rousseau, 3 mars 176G. Streckeisen, Œu-
vres inédites, p. 439, à Rose, 16 avril 1766, XLIV.
' Burton, o. c, t. II, pp. 3i5, 3i6, Hume à Blair, 23 mars 1766.
SKJOUR DE .1. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 2 1
dans la boutique, étudiait le vocabulaire que les clients
— jamais on n'en vit tant ! — enrichissaient à l'envia Son
ardeur se ralentit pourtant ; s'il ne parle pas l'anglais,
il parvint à le lire aisément^ et plus d'un correspondant
britannique employa sa langue maternelle'.
Rousseau était alors anxieux du retard de Thérèse'' ;
restée dans l'ile de Saint-Pierre^, sous la protection de
Du Peyrou '', elle attendait que le fugitif eût trouvé un
1 « He sits iii the shop », says a writer iu the Cadwell Papers, «and
learns Eiiglish words, which brings many customers to the shop. >,
Old and New London, vol. VI. by Edw. Walford. Edit. 1887-1893.
2 En 1762 déjà, M">« de Boufflers lui écrivait: « vous savez assez d'an-
glais pour Tentendre » (le P. S. de Hume); Streckeisen, Rousseau, ses
amis, etc., t. II, p. 4<:), 10 sept. 1762, XVI. En janvier 1766, Hume vante
ses progrès rapides dans l'étude de cette langue. Priv. Con., p. 120,
à Mme de Boufflers, 19 janv. — Rousseau lui-même déclare savoir un
peu d'anglais: Œuvres, t. XI, p. .124, à d'Iveriiois, 3i mars 1766;
p. 35o, à Du Peyrou, 21 juin 1766; mais il ne le posséda pas au point
de goiiter le style: id.,t. VI, p. 7S, à la £)«"• de Portland, 19 mai
1772. — Sur cette ignorance absolue, puis relative, voir encore Stre-
ckeisen, 0. c, t. II, p. 73, de Keith, 3o nov. 1762, XIV; p. 91, i5 juin
J763, XXXIII; p. g5, 14 sept., XXXVIII. Œuvres, t. XI, p. 128, à Keith,
avril 1764; p. 204, 25 janv. 1765; Lettres, A, Rousseau à Davenport,
déc. 1766, XXV.
s Davenport, Hume, la duchesse de Portland, miss Dewes, Kenrick
Gregory.
■* Streckeisen. Œuvres inédites, p. 436, à de Lu:^e, 6 fév. 1766, XLIl.
Œuvres, t. XI, p. 3og, à Mme de Boufflers, 6 fév. 1766; p. 3 10, à
Guy, 6 fév.
» Œuvres, t. XI, p. 288, à Du Peyrou, 27 oct. 1765; p. 299, 17 déc;
p. 294, à Guy, 20 nov. ; t. IX, p. 79, Confessions, II, xii.
« Id., t. XI, p. 289, à Du Peyrou, 28 oct. 1765. — Du Peyrou à Rous-
seau. « Samedi 14. Xbre 1765, n. 12... J'ay écrit à M"' le Vasseur pour
lui faire part de votre résolution [de passer en Angleterre, cf. Œuvres,
t. XI, p. 296, à Du Peyrou, 3o nov. 1765] et la tranquilliser. Je lui ay
aussi envoyé une petite tabatière d'argent achetée à Berne pour i 5 francs
valeur de Suisse... Ainsi voilà vos commissions remplies p' l'Isle
S< Pierre.» (Lettre inéd., Bibl. de Seuchàteli. — «Mardi 24. Xbre 1765,
n. i3... M"' de Vau travers m'a marqué encore avoir écrit de la part de
sa femme à M"« le Vasseur pour le presser de venir passer l'hyver chez
'eux [à Rockhall, près de Bienne] et s'y distraire un peu, sur quoi ils
n'ont point encore de réponse. Pour moi je pense que le séjour de l'île
est ce qui peut le mieux convenir à cette pauvre affligée. » {Id.) Vau-
22 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
asile où la recevoir ^ Or depuis un mois elle était en
voyage pour le rejoindre; elle avait quitté l'île le di-
manche 5 janvier 1766^ et séjourné chez Du Peyrou jus-
qu'au mardi matin où elle partit dans sa chaise ; les
neiges la bloquèrent deux jours à Couvet^; le jeudi 9
l'état des routes lui permit d'atteindre Pontarlier dont
rhonnête ' directeur des postes, Junet^, lui remit le
brouillon du Lévite d'Ephràim expédié en hâte" par Du
Peyrou. Elle s'arrêta quelques jours à Besançon, ren-
voya la chaise de l'aimable Du Peyrou et fut à Paris
le jeudi 23 janvier; elle passa une semaine dans sa fa-
mille. Dirigée par Guy', elle reprit son voyage le 3o^,
en compagnie de BoswelP, et arriva enfin à Chiswick
travers communiqua cette invitation à Rousseau en regrettant qu'elle
eût été refusée (12 fév. 1766, Id.i.
' Œuvres, t. XI, p. 294, à Guy, 20 nov. 1765; p. 2g3, à Du Peyrou,
25 nov.; p. 297, à d'Iveniois, 2 déc. ; p. 3oi, à Du Peyrou, 24 déc.
- Elle y oublia le manuscrit du Contrat social et celui du Diction-
naire de Musique; ils furent retrouvés en avril 1767 iDu Peyrou à
Rousseau, 26 avril 1867, n" 44. Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.i —
Les détails, jusqu'à l'arrivée à Paris, sont empruntés aux lettres inédi-
tes de Du Peyrou, des 7, i 3, 27 janvier 1766, n»* i5, 16, 17.
•' Elle demeura chez Borel.
* ...«car je suis très sûr de M. Junct.» Œuvres, t. XI, p. i 84, à Dii-
cjiesne, 16 déc. 1764.
5 Œuvres, t. XI, pp. 88, i63, 178. 2 cet. 1763 — 2 déc. 17O4.
6 Rousseau le demandait expressément; Œuvies, t. XI, p. 3o2, à
Du Peyrou, 24 déc. 1765.
'' Id., t. XI, p. 3o6, à Guy, 20 janv. 1766.
8 «M"« leVasseur-fte m'a point apporté la petite caisse, qui n"a dû arri-
ver à Paris que lé jour qu'elle en est partie. » Œuvres, t. XI, p. 3 10, à
Du Peyrou, i5 fév. 1766. Celui-ci avait annoncé, dans son n" 17, du
27 janv. 1766, que la caisse serait à Paris le 3o janvier. (Lettre inéd.,
Bibl. de Xeuchàtel.i
8 Streckeisen. Rousiseau, ses amis, etc., t. II, p. 144, de Kcith., mars
1766, LXXVII. — Hume se permit une lourde plaisanterie; publiée, elle
eût couvert Rousseau de ridicule. Le voyage de Thérèse et de Boswell
lui rappelle Térentia qui, après avoir été la femme de Cicéron, puis de
Salluste, épousa un jeune homme épris de' littérature. Priv. Corr.,
p. 128, à Mme de Boufflers, 12 fév. 1766.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 23
vers le lo février ^ Ce fut une joie pour Jean-Jacques,
qui retrouvait sinon le foyer familial, au moins son
intérieur habituel.
De tous les papiers laissés chez Du Peyrou^, Thé-
rèse lui apportait^ la copie de Pygmalion, la copie des
Quatre Lettres à M. de MalesJierbes*, celle de la Réponse
à Rameau^" et celle de la Réponse à M. d'Off'reviîle^\ plus
le Lévite d'Ephrdim ; mais ce à quoi il tenait très par-
ticulièrement, savoir les brouillons et mémoires des
années 1738 à 1762, documents essentiels pour la ré-
daction des Confessions"^, tout cela était encore à Neu-
chàtel, Thérèse ayant refusé de s'en charger, par ter-
reur de la douane. Ces pièces firent l'objet d'un en-
voi spécial consigné au nom de M. de Garville, direc-
teur général des Entrées de Paris ^; M™^ de Faugnes,
* Le trajet de Paris à Londres ne dut pas lui prendre plus d'une dizaine
de jours ; elle avait un guide expérimenté. Morcl-Disque lui facilita le
passage de la Manche. Lettres, C, Movel-Disque à Rousseau, 3 mars
1766. Le i3 février, en tous cas, elle était arrivée ; Œuvres, t. XI, p. 3 10,
à Du Peyrou , i5 fév. 176b.
- Œuvres, t. IX, pp. ("19, 79, ('.uiifcssions, II, xii.
■ Id., t. XI, p. 3i5, li: Du Peyrou, 2 mars 1766. — Le contenu de ce
paquet lui était connu d'avance par les lettres de Du Peyrou, des 7 et
i3 janv., W" i5 et 16. (Inédites, Bibl. de Neuchâtel.l
* Quatre Lettres à M. le Président de Maleslierbes, contenant le vrai
tableau de mon caractère et les vrais motifs de toute ma conduite. L'édi-
tion Hachette les publie dispersées: Œuvres, t. X, p. 297, 4 janv. 1762;
p. 3oo, 12 janv.; p. 304, 26 janv.; p. 307, 28 janv. — Cette copie fut
faite à Métiers; Id. p. 373, à Maleslierbes, 26 oct. 1762.
3 Œuvres, t. VI, p. 2o3, Examen de deux principes avancés par M. Ra-
meau. Cf., Jansen, A. Rousseau als Musiker, Berlin 1884, 8°, p. 201, et
Anhang, G a.
6 Œuvres, t. X, p. 2 05, 4 oct. 1761.
' Id., t. XI, p. 3o3, à Du Peyrou, i" janv. 1766.
* «Son départ avant la réception de votre dernière lettre du \" jan-
vier, ne m'a pas permis de lui rernettre les papiers que vous attendiez
par elle. Les paquets étoient faits, mais la crainte des visittes dans les
Bureaux lui faisoit peur, et n'ayant pas reçu votre ordre j'ay cédé à sa
frayeur. Mais me mettant à votre place, et comprenant le besoin que
24 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
« partisan à brûler» de Jean-Jacques ^ surveilla la mar-
che de la caisse qui parvint à destination à la fin de
mai ou au début de juin*.
Quelle impression Thérèse fit-elle sur leurs hôtes?
Apparemment elle ne leur causa pas d'ennui. Rousseau
les déclara charmants » et recommanda à Guy leur fils
partant pour Paris ^ Une des relations du philosophe
— la seule peut-être qu'il eût à Chiswick — était le
D*" William Rose, aussi obligeant * que savant \ auquel
le liait la communauté des idées. Voisins immédiats,
ils se virent fréquemment, et Thérèse elle-même trouva
bon accueil au logis de Chiswick-Lane, dont Mrs Rose
et sa sœur lui faisaient les honneurs ^ Dans ce cercle
intime, Jean-Jaques ne manqua pas sans doute de ren-
vous avez de vos papiers, j'ay pris le parti d'encaisser les n»' 7, 8, i3
et 14 ces deux derniers contenant des chiftbns qui peuvent vous servir.
J'ay rempli les vuidfs de la Caisse avec quelques-uns de vos petits
livres en vélin [la plupart en blanc et contenant quelques plantes, cf.
n" 17], et brochant sur le tout j'ay mis un mouchoir bleu que M'i« le
Vasseur avoit oublié dans sa chambre. La dite caisse emballée d'une
serpillière et marquée n" i. G. D. G. partira au premier jour pour Be-
sançon, d'où elle continuera route par le Carosse après avoir été enre-
gistrée au Bureau comme renfermant des Titres et papiers. Le port
payé elle sera adressée à M. Gigot de Garville, Directeur général des
Entrées de Paris, à l'Hôtel de Bretonvilliers, à Paris. Cette voye me vient
de M' de Faugnes, et Madame est chargée d'en prévenir M. de Garville,
son parent, de retirer la Caisse, et de la remettre à M"« le Vasseur, et
à son départ s'il avoit eu lieu avant l'arrivée de la Caisse, de la tenir à
votre disposition, ou à vos ordres.» Du Peyrou à Ro'iisscaii, i3 janv.
1766, n° 19. (Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.j
> Du Peyrou à Rousseau, 27 janv. 1766, n" 17 fid.i
- Œuvres, t. XI, p. 337, à Du Peyrou, 10 mai 1766.
•'• Streckeisen. Œuvres inédites, p. 439, à Rose, 16 avril 1766, XLIV.
*^ Œuvres, t. XI, p. 317, 18 rnars 1766.
^ Streckeisen, o. c; p. 435, à de Lu^^e, 6 fév. 1766, XblI; p. 437, à
Rose, 16 avril, XLIV.
6 Traducteur connu de Salluste.
' Rose (1719-1786) dirigeait un internat; Johnson lui reprochait de ne
pas donner assez sévèrement la verge à ses élèves : « What the boys
gain at one end they lose at the othcr. »
SÉJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 2b
contrer Téditeur anglais de son Héloïse, le fameux
libraire Ralph Griffiths, voisin et ami intime du doc-
teur dont il devint peu après le beau-frère ^
Après la forte gelée des premiers jours*, qui ne le
confina pas à la maison sans répit — preuve en soit la
plaisanterie de son cousin Jean sur la «froideur» d'une
réception qui se fit près des rives glacées du fleuve^,
— Rousseau profita davantage du grand air et le
D"" Rose dut être un cicérone averti ; n'avait-il pas à
lui montrer la fameuse résidence du duc de Devon-
shire, Chiswick House, ses jardins modèles et son pu-
lais splendide? Peut-être aussi conduisit-il son protégé
dans la vieille auberge pour y déchiffrer Tinscription
fruste d'une pierre à aiguiser — c'était la curiosité lo-
cale — où l'allitération se combine à l'homonj^mie :
ivhet without^ wet ivithin\
Parfois Rousseau se bornait à jeter un coup d'œil
amical à la maison hospitalière et, continuant seul de
descendre la ruelle, débouchait sur le Mail : il y domi-
nait la Tamise et ses bords reverdissants. Sa fantaisie
le menait souvent plus loin et il rentrait de sa prome-
nade « suant et fatigué »^.
* 1 720-1803. Faulkner, Th. The History and Antiquities of Brentfovd,
Ealing and Chiswick. London, 1845, 8», p. 352 ; p. 355, note.
2 Œuvres, t. XI, p. 3 10, à Du Peyrou, i5 fév. 1766.
» Lettres, C, Jean Rousseau à Rousseau, 17 nov, 1766, V, § i.
* «Tranchante au-dehors, humide au-dedans. » Conservée aujourd'hui
au Red Lion. Old and New London, etc., t. Vi.
5 Burton, o. c, t. II, p. 3o5, note 2. C'est un billet de Rousseau à
Hume, sans date, mais portant: Le Lundi soir: il s'agit du lundi
17 mars 1766; nous le donnons en note p. 33, note 3. — Il y a une
gravure, sans mérite artistique, de l'église de Chiswick et du rivage
de la Tamise en 1760, dans Thorbury, W., Old and New London,
t. VI, by Edw. Walford, p. 5 59.
2(5 ANNAI,i;s hiv I.A SOCIKTK .1. .1, ROUSSKAC
Il lui arriva mcmc, en pareille occuience. une aven-
tuie dont son imagination fit tout le tragique. Il lon-
geait la rivière en quèle de plantes ; soudain, d'un ca-
not débarque une compagnie de Londoniens, jeunes
gens costumés en marins ; avisant un gazon ombragé
propice au pique-nique projeté, ils s'avancent vers Jean-
Jacques ; celui-ci de se croire menacé ; c'est au moins
la déportation imminente; de terreur il s'enfuit; son
guide bénévole, le professeui' Walker, responsable de-
vant son patron. Lord r>ute\ de la sécurité de Rous-
seau, sV'lança à sa poursuite; la chasse se prolonge quel-
ques minutes, W'alkei' prend l'avance... et ce fut tout-.
Un autre jour, la désolation règne au logis de l'épi-
cier : Sultan s'est enfui! Survient Lord Stralford-'^; il
partage la peine de Rousseau, et, de retour à Londres,
léclame le chien par la voie des journaux ; Sultan revint
de lui-même'. .Miracle de la sympathie! Rousseau ac-
corda sa confiance au gentilhomme et s'adressa à lui
dans une circonstance autrement grave"'.
D'autres visiteurs de rang présentèrent leurs hom-
mages au philosophe: Loi-d et Lad\- Cathcart '■. Mrs Bos-
' .\ncicii ministre de C'icorj;cs III.
- Burton, o. c, t. Il, p. 334, note ' •
' William, 4™» earl Sirafford (i 722-1 791), fils du iicgociateur du traité
d'Utrccht, Thomas, ;>• earl ; sa femme était parente de Lady Aylesbury,
toutes deux appartenant aux Campbell. Strafl'ord possédait une maison
de campagne à Twickenham, non loin de Chiswick. Waipole, Corrcs-
yondencc, t. I, i-j3b-\jbi), pp. .^35; 340, note i. London, 1837.'— Il avait
aussi une résidence plus lointaine, Wentworth Castle, à Stainborough,
près de Barnsley, Yorkshire (173 milles de Londres); les héritiers en
changèrent le nom en Stainborough Hall.
■* Lellrcs, C. Strafford à Rousseau, 2i:'> mars 1766, 1.
» Œuvres, t. ,X1, p. 32-j, a MilorJ \Stmfford], 7 avril 1-G6. Lettres,
C, Straffoi-d à Rousseau, 10 et 24 avril 1766, II, III.
'i Lettres, C, .Ualthus à Rousseau. 26 fév. 1766, IV, P. S. — Charles.
«)"'• baron Cathcart (17^1-1776), épousa en 1753 Jean, fille de l'amiral
SÉJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 27
•cawen, veuve de l'amiral \ et combien encore dont nous
ne savons rien^ Mentionnons les entrevues plus inti-
mes avec M. de Luze^, avec Jean Rousseau^ avec le
pasteur suisse Antoine-Jacques Roustan^; Bruhl s'at-
tira un accueil très froid*'.
De son côté, Rousseau retourna quelquefois à Lon-
dres, chez Allan Ramsay^ qui peignait son fameux por-
trait en costume arménien^.
Chiswick n'était acceptable qu'à titre passager, aussi
Hume continuait-il ses recherches. Longtemps, milord
Maréchal proposa la Cornouaille et plus spécialement
Falmouth ; puis il vanta l'établissement chez le baron
Wolf, près de Plymouth'', tandis qu'un certain Stan-
Lord Archibald Hamilton et sœur du fameux ambassadeur anglais près
la cour de Naples. Lord Cathcart vint d'Ecosse à Londres, en l'/GG, pour
■conduire à Eton son fils William Shaw (1755-1843).
' Streckeisen, 0. c, t. II, p. 278, de Ilnyne, fév. 1766, II. — Elle habi-
tait alors, à Richmond, Rosedale, l'ancienne villa du poète Thomson.
-Œuvres, t. XI, p. 3i8, à Guy, 29 mars 1766. Churton Collins rc-
tîiarque que Rousseau dut souffrir dans sa vanité de recevoir dans le
bel appartement de Stewart et qu'il aurait estimé plus flatteur que, dif-
férées, ces visites le trouvassent dans sa sordide demeure deChiswick;
two squalid rooms in a farmer's cottage, o. c, p. 207. On voit ce que
vaut cette observation d'un auteur qui n'ai nie pas son héros.
•' Œuvres, t. XI, p. Sog, à Mme de Boiifflers, 6 fév. 1766.
* Id., t. XI, p. 33o, à F. H. Rousseau, 10 avril 1766; et, Lettres, C,
Jean Rousseau à Rousseau, 17 nov. 1766, V, § i.
s Lettres, C, Roustan à Rousseau, 28 août 1766, 1. Roustan (1734- 1808),
adjoint le iS avril 1764 à Antoine Bugnion, pasteur de l'Eglise helvé-
tique à Londres. Roustan est l'auteur de l'Offrande aux autels et à la
patrie, Amsterdam, 1764, 8°, en réponse au chapitre VIII du V'"" livre
du Contrat social. Rousseau le tenait en singulière estime; Œuvres,
t. XI, p. 388, à Roustan, 7 sept. 1766.
0 Œuvres, t. XI, p. 409, à Du Peyrou, 8 janv. i7r)7.
7 Harley Street, 67.
« Œuvres, t. IX, p. 179, Rousseau juge, etc., i""« Dialogue. Streckeisen,
■CI. c, t. II. p. 279, de Hume, fév. -mars 1766, IV. Ramsay avait pour
patron Lord Bute qui, nous l'avons vu, s'intéressait à Rousseau.
s Streckeisen, o. c, t. II, p. 141, 17 déc. 176D, LXXIV; p. 142, 6 janv.
1766, LXXV; p. 142, 26 fév., LXXVI.
28 ANNAI.KS 1)K l.A SOCU'TK .1. .1. ROUSSEAU
ley renouvelait les oifres faites en 1762 de sa propriété
dans l"ile de Wight*. La Cornouaille n'entra pas en
considération, Tile de Wight déboisée et balayée par
les vents, fut écartée. Cependant les offres de résiden-
ces aflluaient ^ : il se trouva une foule de propriétaires
désireux de posséder cet homme illustre et de tirer
gloire de sa présence, ou anxieux de réparer les injus-
tices du sort envers lui. De là une correspondance ac-
tive — dont nous présentons un échantillon nouveau* —
et force discussions sur les mérites et les désavantages des
demeures proposées; s'agissait-il de localités voisines? on
les visitait^ avant de vouloir s'engager et ce nouvel em-
barras^ rendait plus opportune une prompte solution.
A ce moment. Hume fut pressenti par un fort hon-
nête homme, d'ailleurs riche, Davenport, qui disposait
d'une ou deux propriétés et consentait à les louer à
des conditions excellentes : la démarche provenait d'une
affectueuse admiration". Davenport profita de la séance
de peinture chez Ramsay pour y rencontrer Rousseau,
déjà averti, et le presser d'accéder à son désir (samedi
1*'' mars'. Rousseau réserva sa réponse, car il devait
1 Streckeiseii, p. c, t. II, p. 5o, de Mme de Boufjlers, 22 oct. 17132,.
XVII. — Œiivj-es, t. XI, p. SoQ, à Mme de Boiifflers, 6 fév. 1766.
2 Œuvres, t. XI, p. 355, <^ Hume, 10 juillet 1766.
■'■Lettres, C, Malthus à Rousseau, 24-27 fév. 1766, III-V.
* Œuvres, t. XI, p. 3i6, à Du Peyrou, 14 mars 1766.
* Jd., t. XI, 355, à Hume, 1,0 juillet 1766.
" Id., t. XI, p. 356, à Hume, 10 juille.t 1766. '
' Sftreckeisen, o. c, t. II, p. 278, de Hume, fév.-mars 1766, IV. —
Ce billet nous semble du 26 iéwinr; Lettres, C. Malthus à Rousseau,
3(3 fév., IV. La date du i"' mars se déduit -aisément ; les propositions de
Davenport, s'ajoutant à celles de Malthus, causèrent quelque perplexité
a Rousseau, dont la lettre du 2 mars, à Du Peyrou, fournit un écho:
« chacun me tiraille de son côté ; et, quand je prends une résolution^
tous conspirent à m'en faire changer. Je compte pourtant être absolu-
ment déterminé dans -moins de quinze jours.» Œuvres, t. XI, p. 3i5.
SEJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 2g
aller huit jours plus tard constater sur place le résultat
des recherches de Malthus en Surrey.
Dès le i6 janvier, le Révérend Daniel Malthus ^ avait
mis sa maison au service de Jean-Jacques, par manière
de reconnaissance pour Taccueil rencontré à Môtiers, en
1764^. Ainsi débuta une correspondance, peu active,
qui se prolongea jusqu'en février 1768^ et dont l'An-
glais fit presque tous les frais ; animé d'un vif esprit
d'indépendance, il lui fallut parfois, devant le silence
du maître, violenter son amour-propre avant de re-
prendre la plume ; il ne s'en cache point et définit net-
tement leur situation respective, qu'il qualifie d'unique:
il sera un fils respecteux*, Rousseau doit être un père,
dont l'honneur est engagé à dispenser à son enfant son
affection protectrice.
Encore que le 17 février lui fût né un garçon, Tho-
mas Robert^, Malthus déploya une activité considéra-
ble durant tout ce mois-là, parcourant sa province,
pénétrant dans les fermes, observant, questionnant,
furetant, écrivant'*; muni d'une liste d'habitations bien
fournie, il invita Rousseau à séjourner chez lui^ et à
rayonner aux environs- jusqu'à ce qu'on rencontrât
l'abri idéal. Cette expédition occupa les journées du
1 lySo-iSoo.
'- Lettres, C, Malthus à Rousseau, 16 janv. 1766, I, g i .
■■ Nous verrons qu'elle dut reprendre plus tard, en 1770; ces derniè-
res lettres nous sont inconnues.
■• On trouvera un exemple de sa sensiblerie et même de son caractère
faible dans des extraits de lettres à son fils Thomas, publiés p^vVEdin-
burg Review, 1837, vol. LXIV, pp. 475, 476.
^ Le futur économiste du Traité sur le Principe de la Population.
" Lettres, C, Malthus à Rousseau, 24, 26, 27 fév. 1766, III- V.
' Id., 27 fév., IV.
« Id., 29 mars, VIII, g i : i-- avril, IX, g 2.
3o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
samedi 8 et du dimanche 9 mars ^ ; Thérèse était de la
partie, ainsi que Hume-. On passa la nuit chez le colo-
nel Webb^; le site plut tant que Rousseau pensa ache-
ter cette propriété*, voisine du bourg de Dorking\
Le lendemain la promenade reprit dans cette admira-
ble région de collines et de vallons gracieux, boisés et
verdoyants, toute peuplée de villas ; on visita divers
domaines et l'agrément de ceux appartenant à M. J03'
et à M. Constable attira Tattention de Jean-Jacques, qui
autorisa l'ouverture de négociations en vue d'un bail •■•.
Il accorda la même permission à l'égard de ^^'ootton
Place, propriété de Sir John Evelyn. baronnet, sise
* Nous déduisons ces dates du billet suivant de Hume k Strahan.
Birbeck Hill, o. c, p. -j3, letterXXIV:
[London, early in 1766.]
Dear Strahan,
Is it not strange that you and I hâve net yet met ? I hâve been so
hurry'd both with my own AfFairs and with Mon"- Rousseau's, that I
can excuse myself: But I own that I hopd your Leizure would allow
you to corne hither. I go out of town to morrow and Sunday : As soon
as I corne back I propose to beat up your Quarters. My compliments ta
M" Strahan. Vours sincerely David Hume.
Buckingham Street, York Buildings, M" Adam's. Friday.
Donc Humc'sera absent de Londres un samedi et un dimanche ; s'il
s'agit de la visite à Malthus — comme le croit Birbeck Hill — rien de
plus aisé que de dater ce billet et cette visite. En effet, Rousseau en
parle le vendredi 14 mai comme d'une chose passée : Œuvres, t. XI,
p. 3 16; d'autre part il n'en dit rien dans les lettres précédentes, en par-
ticulier dans celle du dimanche 2 mars*; id., t. XI, p. 314; force est
de la placer entre le 2 et le 14 et, nécessairement, au samedi 8 et au
dimanche 9. — Le billet de Hume serait donc du 7 mars.
'- Lettres, C, Malthus à Rousseau, 18 juillet 1766, X.
■' Cf. p. 17, note 5.
■• A Concise Account of the Dispute between M' Hume and M' Rousseau.
p. II.
■^ A. 23 milles au sud' de Londres.
^Lettres, C, Malthus a Rousseau, 12 mars 1766.
SEJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE ?\
près de Wooton, à deux milles de Dorking, sur la route
de Guildford^
La journe'e fut gâtée par une véritable suite d'impor-
tuns-, et, tard dans l'après-midi, on arriva à la cure
de Rookery, maison isolée dans le vallon de Mereden,
à un mille au sud de Wooton, et entourée d'un parc
charmant dû à l'industrie de Malthus lui-même qui n'y
avait trouvé qu'une ferme ^, sept ans plus tôt, mais avait
habilement utilisé le relief du sol et les eaux courantes
pour se créer une retraite paisible et gaie tout à la fois.
En dépit des instances de Malthus et de sa femme, qui
tentèrent de faire agréer leur demeure et d'être les «fer-
miers » tant vantés dans les lettres ^ Rousseau repartit
le soir même pour Chiswick.
De cette expédition il emportait surtout l'impression
des beautés du Peak de Derb3^shire que Malthus lui avait
signalées avec l'orgueil d'un enfant du pays^; le nom
du village de Wooton que Ton avait traversé fut pour
Rousseau un prétexte naturel à mentionner les avan-
ces de Davenport et sa résidence de Wootton en Staf-
fordshire, dans le Peak ; son hôte s'était alors lancé
dans la description de sa contrée natale avec d'autant
plus d'entrain que Rousseau lui parut peu favorable au
séjour en Surrey, à cause de la proximité de la capi-
1 « Died yesterday, at his Seat at Wooton in Surrey, Sir John Evelyn,
Bart., First Commissioner ofthe BoardofGreen Cloth. » The S^ James' s
Chronicle, n» 970, May 19-21, 1767. — Paterson, D. A New and Accu-
rate Description of ail tlie Direct and Principal Cross Roads in Great
Britain. i8"> éd. London, 1829, 8°, p. 524.
- Lettres, C, Malthus à Rousseau, 29 mars 1766, VII; i*'' avril, IX.
•^ Chert-gate. Malthus habita la Rookery de 1759 à 1768, époque à
laquelle il se fixa à Dorking. Timbs, .1. A Picturesqtte Promenade round
Dorking. London^ 1822, in- 16, pp. 172, 173.
* Lettres, C, Malthus à Thérèse Le Vasseur, i3 mars 1766, VII.
•' Lettres, C, Malthus à Rousseau, i" avril 1766, IX.
32 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
tale^ Hume dut faire la grimace; une fois déjà, dans
les tout premiers jours passés à Londres, un plan com-
mode avait échoué par le refus catégorique de Town-
send, l'hôte en vue, de recevoir, à sa table de famille,
Thérèse, que Rousseau, y voulait absolument avec lui ;
cette obstination — tout à Thonneur de Jean-Jacques
— devint une gêne réelle dans les projets d'établis-
sement, à mesure que les renseignements, réels ou
fictifs, sur Thérèse, croissaient en nombre et en vo-
lume*.
Pourtant, Malthus gardait quelque espoir: un mot
de Rousseau, du lomars, l'anéantit^ : celui-ci se déci-
dait définitivement pour une maison solitaire, située
dans une région écartée, au centre de l'Angleterre, pour
la maison de Davenport, en un mot, pour Wootton ;
une entrevue décisive avait eu lieu chez Davenport lui-
même, en Piccadilly^
Dans les quatre derniers jours, sur la recommanda-
tion de Hume, il accorda une séance d'une demi-heure
à Gosset, qui modela à la cire son portrait pour un relief
en plâtre^; Jean-Jacques, charmé de la fidélité de l'œu-
vre, en destina un exemplaire à Du Peyrou *.
1 Œuvres, t. XI, p. 3i6, à Du Peyrou, 14 mars 176G.
'■^ Hume, Priv. Corr., p. 127, à Mme de Boufflers, 19 janv. 1766.
^ Lettres, C, Malthus à Rousseau, 12 mars 1766, VI.
* Lettres, B, Davenport à Rousseau, 3i octobre 1767, XLIII, g 2 : « a
much, larger house than the smaU one ybu saw me in. » Or, Rousseau
ne put aller chez Davenport qu'au moment des pourparlers ; plus tôt,
il ne le connaissait pas ; plus tard, il se rendit directement de Chiswick
chez Hume puis à Wootton, et lors du retour en France ne s'arrêta pas à
Londres.
5 Streckeisen, 0. c, t. II, p. 279, de Hume, mars 1766, V. Isaac Gosset,
l'Ancien (171 3-1799), rnodeleur de cire.
6 Œuvres, t. XI, p. 32o^à Du Peyrou, 29 mars 1766. Streckeisen, o. c,
X. II, p. 281, de Hume, 22 mars 1766, Vil ; 27 mars, VIII.
SÉJOUR DE f. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 33
Enfin, le mardi i8 mars, Rousseau, Thérèse, Sul-
tan, les bagages, partaient l'après-midi* pour Londres
dans la voiture de Davenport-; ayant décliné l'invita-
tion à dîner du général Gonwa}^ et de Lady Ayles-
bury — bien que Thérèse y fût priée ' — ils se ren-
dirent directement chez Hume pour y passer la nuit.
Cette soirée, la seule et unique^ que Rousseau vécut à
Lisle Street^, fut émouvante pour les deux philosophes,
et. à plusieurs égards, détermina leurs rapports futurs;
' Œuvres, t. XI, p. 3i8, à Guy, i8 mars 17Ô6.
- Streckeisen, 0. c, t. II, p. 280, de Hume, [17] mars, VI.
• Voici la lettre de Rousseau à Hume, publiée par Burton, o. c, t. Il,
p. 3n5, note 2, sans date: elle est du 17 mars.
Le Lundi Soir [17 mars 1766.]
Je vous supplie, mon très cher patron, de vouloir bien m'excuser au-
près de Myladi Ailesbury et de Mr. Le Général Conway. Je suis malade,
et hors d'état de me présenter, et Mademoiselle Le Vasseur, très bonne,
et très estimable personne, n'est point laite pour paroître dans les
grandes compagnies. Trouvez bon, mon très cher patron, que nous
nous en tenions au premier arrangement et que j'attende dans l'après-
midi le carosse que M. Davenport veut bien envoyer. J'arrive suant et
fatigué d'une longue promenade ; c'est pourquoi je ne prolonge pas ma
lettre : vous m'avez si bien acquis et je suis à vous de tant de maniè-
res que cela même ne doit plus être dit. Je vous embrasse de toute la
tendresse de mon cœur.
J. J. ROUSSKAL .
* Rousseau a varié sur la durée de cette hospitalité. Œuvres, t. XI,
p. 328, à Mme de Boufflers. 9 avril 1766 : «J'ai eu le malheur de loger
deux jours chez M'' Hume, venant de la campagne à Londres. » Id.,
t. XI, p. 341, â Malesherbes, 10 mai: «J'ai logé deux ou trois nuits
avec ma gouvernante dans cette même maison, chez M"^ Hume. »
Id., t. XI, p. 358, à Hume, 10 juillet: «J'ai logé quelques nuits dans
cette maison, chez M"^ Hume avec ma gouvernante. » La date d'arrivée
à Wootton, 22 mars, après 4 jours de voyage (Id., t. XI, p. 38o, à
Mme de Verdelin, août 1766), désigne irréfutablement le 19 comme
jour de départ de Londres, ce que lui-même dit ailleurs: Id., t. XI,
p. 3g5, à Du Peyrou, 4 oct. 1766.
^ Une ou deux dates de lettres nous permettent d'affirmer que Hume
habitait bien alors Lisle Street. Hume, Priv. Corr., p. 142, à la M"' de
Barbantane, 16 fév. 1766. — Streckeisen., 0. c, t. II, p. 280, de Hume,
Lisle Street, 22 mars 1766, VII.
34 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
après avoir soupçonné Hume de vouloir l'humilier,
Jean-Jacques se jeta à son cou dans un accès de repen-
tir ', mais le cœur blesse' à jamais par l'accueil froid
des gens de la maison et l'esprit terrifié du voisinage
immédiat de Tronchin, le fils du «jongleur»-'.
Le lendemain', mercredi 19 mars*, Rousseau s'éloi-
gnait de Londres, dans la fameuse chaise de retour que
son nouvel hôte. Davenport, mettait à sa disposition
avec une générosité discrète qui lui fut amèrement re-
prochée '. Quoique nous n'ayons pas dans la correspon-
dance l'indication de l'itinéraire, nous pouvons sans
crainte admettre que la voiture emprunta la grande
route de Holyhead par Barnett, S^ Albans, Dunstable
jusqu'à HocklitF 011 elle s'engagea sur le Manchester
Road '', en traversant Woburn, Northampton. Har-
borough. Loughborough : à Derby ^ elle prit l'em-
branchement^ de i3 milles qui conduisait à Ashbourne
» Burton, u. c, t. II, p. 3i2. Hume à Blair, 25 mars 1760. Hume,
Priv. Corr., p. i 5o, à Mme de Boufflers, 25 mars.
=• Lettres, CjJean Rousseau à Rousseau, 17 nov. 1766 ; \', ? i. — Œu-
vres, t. .XI, pp. 358, 359, 1^ Hume, 10 juillet 1766.
•'■ Œuvres, t. XI, p. 359, à Hume, 10 juillet 1766: « je sens que mou
cœur se resserre; nous allons nous coucher, et. je pars le lendemain
pour la province, n
* Œuvres', \.. XI, p. 395, à Du Peyrou, 4 oct. 1766 : « Or, au commen-
cement de mars, j'étois encore à Londres, d'où je ne suis parti que le 19
pour ce pays. »
* Lettres, A, Rousseau à Davenport, 22 mars 1766, II, P. 6.
6 Paterson, D.. A New and Accurate Description of ail the Direct and
Pvincipal Cross Roads in Grc(it Britâin, London, 1771, 80.
'' Depuis 1760, la rivière Derwent avait été rendue navigable jusqu'à
la Trent : le mouvement de batellerie ne pouvait déplaire à un enfant
de Genève, élevé au bord du lac.
s De Derby le Manchester Road poursuivait vers le nord par Weston
IJnderwood, Brassington, Buxton, Distley et Manchester, laissant ainsi
Ashbourn sur la gajiche. Paterson, 0. c, 1771, P- 60.
L'atlas de Kitchen (1773) marque nettement cette situation d'Ashbourne
hors de la grande voie Londres-Manchester, et un passage d'une lettre
SÉJOUR DE .1. i. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 35
qu'un chemin vicinal de 4 Y2 milles reliait à Wootton.
Rousseau employa 4 jours à ce trajet de 144 milles ^
dont il garda un bon souvenir^; les nuitées probables
sont Dunstable (84 milles), Northampton ^ (32 milles),
Loughborough (44 milles), enfin Wootton i'ib milles)
dans le comté de Staiford^.
II. Wootton.
D'Ashbourne la route se dirige vers la Dove, la fran-
chit à Mayfield et, longeant en une ascension graduelle
le versant de la colline, s'approche de Calwich Abbey,
redescend et traverse le village d'Ellastone, chef-lieu de
la paroisse dont Wootton est un hameau. Près de l'é-
glise gothique et de son cimetière antique, un chemin
creux, fort en pente, passe sous de hauts arbres, et bien-
tôt, gravissant la pente, borde le parc de Wootton Hall :
de vastes prairies en contre-bas s'animent à peine par
de Rousseau confirme que de ce fait les relations postales étaient com-
pliquées, et peu fréquentes. Œuvres, t. XI, p. 32o, à Du Peyrou,
29 mars 1766; p. 32 2, ii Coiudet, 29 mars.
1 Œuvres, t. XI, p. 38o, à Mme de Verdelin, août 1766.
'^ Lettres, A, Rousseau à Davenport, 22 mars 1766, 11^ g i .
'• L'hôtellerie principale était 0 The George, which looks more like a
Palace than an Inn. » Paterson, o. c , 18*'' Ed., 1829, p. 417.
■i Tous les historiens — même anglais — de Rousseau placent Woot-
ton en Derbyshire, ou alors ne précisent point sa position géographi-
que. Nous nous sommes assurés, sur des cartes de l'époque, qu'aucun
changement de limites n"était survenu depuis le XVIII« siècle. M. Théo-
phile Dufour a évité cette erreur f Annales de la Société J. ./. Rousseau.
t. IV, Introduction, p. \iv.) D'où provient-elle ? Vraisemblablement
de ce que toute cette région montueuse se nomme Peak of Derbyslnre,
quoiqu'elle franchisse les frontières du Derby ; elle a été perpétuée par
Rousseau lui-même qui date plusieurs lettres de Wootton en Derbyshire
(Œuvres, t. XI, pp. 3i6, 319, 32i) ou indique à ses correspondants l'a-
dresse suivante : Wootton. Ashbournbag, Derbyshire. Id., t. XI. p. 348:
Bosscha, 0. c, p. 273, 20 déc. 1766, n" 143) c'est-à-dire Wootton,
sac [postal] d'Ashbourn, comté de Derby; il faut comprendre: Wootton
[Staffordshire] par Ashbourn [Derbyshire.]
!î(S ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
la marche indolente des vaches rousses que l'herbe
abondante et les bosquets e'pars retiennent, dociles,
dans leur pâturage ; le chemin se divise, une branche
pénètre dans le domaine.
D'abord en palier, l'allée s'accidente : ici, deux bancs
de rocher s'entrouvent pour elle ; là, elle enjambe, sur
l'arche moussue d'un vieux pont de pierre, l'entrée du
vallon qui s'élargit et se creuse au nord-ouest: elle de-
vient avenue et s'élève en tournant sur le flanc boisé
de la vallée minuscule : chênes, noyers et sapins alter-
nent. Soudain, haut sur le ciel, entre les branches
éclaircies, apparaît la maison; un pas encore et la vi-
sion s'efface : nouveaux taillis et prairies nouvelles. Le
groupe des dépendances surgit par dessus la haie et la
façade italienne du Hall illumine de sa grâce les gazons
ras et sombres. A droite un jet-d'eau égaie la pelouse
et le rideau sylvestre qui domine le ravin profond se
déroule jusqu'au lointain mur de pierres sèches qui sé-
pare le parc du hameau.
C'est sous un ciel maussade que Rousseau arriva k
Wootton avec tout son équipage ^ le samedi 22 mars,
dans le cou-rant de l'après-midi ; cérérnonieusement sa-
lué par 'le concierge, il s'empressa de connaître les
êtres delà maison: un instant de repos et il parcourt,
par un vent violent, les alentours immédi-ats qu'un
premier coiip d'œil au passage lui avait révélés pitto-
resques et romantiques.
Le lendemain, dimanche 23, une clarté, étrange à pa-
reille heure, l'éveilla : les derniers flocons d'une épaisse
chute de neige tombaient encore : elle ne retint pas le
' Œuvres, t. XF, p. Sai.à Du Peyinii, 29 mars 1766.
38 ANNALES DE I.A SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
voiturier qui partit dans raprès-midi pour Londres.
Il n'emportait pas qu'un pourboire : sa sacoche conte-
nait deux lettres, une à Hume' et l'autre à Davenport*,
écrites dès l'arrivée : Rousseau se félicite de sa de-
meure, jure d'y mourir. A Davenport il exprime avec
émotion sa reconnaissance ; mais dans le post-scriptum,
poli, il déplore énergiquement la libéralité importune
de la chaise soi-disant de retour, qu'il refuse d'accepter
et qu'il remboursera ; la franchise par-dessus tout :
Vitam impendere ifer^o^. Trait caractéristique ; sans plus
attendre, Rousseau règle les questions de ménage :
Stewart devra établir la facture des dépenses faites
pour lui * ; puis il précise son sj'stème de défense con-
tre les indiscrétions de la poste, et d'économie au cha-
pitre des affranchissements : Davenport retiendra à Lon-
dres toutes les lettres à lui adressées et les lui appor-
tera quelques semaines plus tard, en personne ^, Hume
subissant cette mesure comme tout le inonde". Telles
furent les premières heures à Wootton.
• Œuvres, t. Xi, p. 3iS, 22 mars 176Ô.
^Lettres, A, 22 mars 1766, II.
■'• Davenport. s'excusa avec bonté de cette supercherie; Lettres, B,
:•' avril 1766. I. A comparer avec ce passage de D'Escherny, Œuvres
philosophiques, historiques, etc., Paris, 1814, t. I, p. 83 : «Je [Rousseau]
n'aime pas qu'on me trompe, même pour mon bien. »
* Stewart l'avait présentée le 20, à Hume, qui l'acquitta. ^Streckeisen,
o. c, t. II, p. 280, 22 mars 1766, VII. — Burton. 0. c, t. II, p. 321,
note 4, publie la réponse de Rousseau, qui serait urte partie inédite de
la'lettredu 29 mars publiée dans Œuvres, t. XI, p. 3iS, à Hume :
« Je vous suis obligé d'avoir bien voulu solder le mémoire de M. Stuart.
Jy trouve deux articles qui ne sont pas de ma connaissance. L'un de
Lst. 1 . 14 pour du café, et l'autre de 5 sh. pour un moulin. Il est vrai
que M. Stuait avoit bien voulu se charger de ces commissions, mais je
ne les ai point reçues ni avec mon bagage ni autrement, et n'en ai aucun
avis que par son mémoire. »
'• Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3i mars 1766, III.
« Œuvres, t. XI, p. 3i8, à Hume, 22 mars 1766.
SÉJOUR DK .1. .1. ROUSSEAU EN ANGF.ETERRE 3y
La maison, très isolée, élève sur une pente gazon-
née sa triple masse : un corps central flanqué de deux
ailes ; actuellement, elle comporte un rez-de-chaus-
sée et un étage, sauf une aile qui en a deux ; le toit,
plat, s'orne d'une balustrade et quelques cheminées
cubiques le surmoment ^ Sur la façade principale se
projette un avant-corps percé de fenêtres des trois cô-
tés : au rez-de-chaussée se trouvait la chambre à cou-
cher de Davenport. au premier celle de Rousseau, dont
Fappartement à l'étage se complétait d'une deuxième
chambre contiguë et dun salon inoccupé, situé sur le
derrière de la maison, de l'autre côté d'un vestibule
qu'éclairait un plafond vitré".
L'ameublement de Rousseau était simple : un lit à
paillasse '. une table, des chaises, et, luxe indispensa-
ble, une épinette* : la chambre de Thérèse, la plus pe-
tite, renfermait deux lits^. une commode et une ar-
moire servant de bibliothèque'*.
De leurs fenêtres, ils voient à leurs pieds la terrasse
qui surplombe le vallon boisé au ruisseau bruyant et,
plus loin, un immense panorama de prés bordés d'ar-
' Churton Collins en publie deux vues modernes, o. c, pp. 221, 248.
Neaie, J. P. Views of the Seats of Noblemen and Gentlemen of England,
Wales, Scotland, and Ireland. London, 1821, t. IV, donne une gravure
reproduite par le Bookman, vol. XXXI, n» 184, Janv. 1907, p. 172,
avec la légende : Wootton Hall ; le texte parle du séjour de Rousseau.
Or cette planche ne saurait représenter la demeure de Davenport ; en
réalité, — nous l'avons vérifié sur place, — il y a eu confusion avec
Wootton Lodge, résidence située à 2 milles au sud-ouest du hameau
de Wootton.
- Δirres, t. XI, p. 334, ^ Mme de Lu:[e, 10 mai 1766.
■ Lettres, B, Davenport à Rousseau, 1" avril 1766, I» § 3.
* Œuvres, t. XI. p. 32 1, à Du Peyrou, 29 mars 1766. Burton, o. c,
t. Il, p. 324. Davenport à Hume, 14 mai 1766.
* Lettres, A, Rousseau à Davenport, 19 avril 1760, VI, g 2.
'■■ Id., Rousseau à Davenport, 3o avril 1767. XXXVIII, P. S.
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
bres et de cultures, qu'égayent plusieurs nobles rési-
dences et des chaumières paysannes ; au nord, le sa-
lon donne sur une pelouse qui meurt à la lisière de la
forêt dominée par le dôme herbeux de Weaver Hills.
C'est dans cette contrée, aux lignes arrondies, aux
horizons étendus et paisibles, aux ombrages touffus vi-
vifiés par les ruisseaux limpides, que vécurent Adam
Bede et Dinah, là que la pauvre Hetty vit naître et
mourir son amour ^
Les domestiques s'empressèrent "^ autour d'un maître
si splendidement accoutré de fourrures et de satin \
encore qu'ils eussent appris sa venue de mauvaise grâce,
car, en l'absence de Davenport — onze mois par an* —
ils étaient les seuls habitants de Wootton HalP.
La surveillance générale appartenait à l'intendant
Benjamin Walton®, chargé dès lors de tenir les comp-
tes de Davenport avec Rousseau ', pour qui il faisait
emplette à Ashbourne de diverses denrées, par exemple
le sucre, les raisins^, et à qui il fournissait le vin, comme
en témoigne le Li7>re de Dépenses de Jean-Jacques'*.
' Dans le roman de George Eliot, Ellastone s'appelle Hayslope, Ash-
bourne, Oakbourne; le comté de Stafford s'y nomme Loamshire et celui
de Derby, Stonyshire; cf. Firth, J. B., Highways and Byways in Der-
byshire. London, igoS, 8% pp. 6i, 62. — Le chapitre II AWdam Bede
contient une magnifique description du paysage que Jean-Jacques eut
sous les yeux durant son exil.
- Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3i mars 1766, III.
^ Rothschild, o. c. lettres n»^ II-V (1762], XI. XIV-XVL ii76:^>. XXIX
déc. 1765.)
* Lettres, B, Davenport à Rousseau, 24 mars 1767, XXX.
'" Burton, o. c, t. II, p. 3i3, Hume à Blair, 2 5 mars 1766.
6 Lettres, A, Rousseau à Davenport, n" VII, XXVIII, XXXVI ; Livre de
Dépenses, XLVI. Lettres, B, Davenport à Rousseau, n»' I. II, VIÎI,
XXXVI.
' Lettres, B, DavenporJ à Rousseau, aS juillet 1767, XLI.
»* Lettres,. A, Rousseau à Davenport, 9 fév. 1767, XXXIII.
* Lettres, A, Livre de Dépenses, août-octobre 1766. XLVI.
SÉJOUR DH J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 41
En sous-ordre, un couple d'âge mùr\ John Cowper
et sa femme ^*, dont les démêlés conjugaux arrachèrent
à Thérèse les quelques mots d'anglais qu'elle sut ja-
mais-'; quasi-indépendante, la nourrice nonagénaire et
à demi-aveugle de Davenport, que Thérèse ne craignit
pas de bousculer'; le jardinier^, le garde Samuel Fin-
ney'' et enfin une femme de charge vaguement désignée
sous le nom de mère de Peggy ^ Finney et Jean^ John
Cowper), hommes discrets et actifs, sont les messagers
ordinaires de la maison. Jean porte au bureau d'Ash-
bourne^ les multiples lettres de Rousseau et transmet à
Calwich d'atfectueux messages^*; en 1767, c'est lui que
l'on avertira de Paris du départ probable de Jean-Jac-
ques *\ Au garde étaient réservées les commissions plus
lointaines en Cheshire*'^: Jean le remplaça à l'occa-
sion^^.
' Howiit, William. Visites to remarkable Places, uld Halls, Battle-
Jields, and Scènes illustrativc of striking Passages in English History-
and Poetty. London, 1840, 8*, p. 5ii.
- Lettres, D, Cowper à Davenport, 6 juin 1 767.
■^ Howitt, o. c, p. 5i I.
* Burton, o. c, t. II, p. 370, Davenport à Hume, 6 juillet 1767.
'■-Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVI, 14 sept. 1766.
•^ Jd., i5 sept. 1766; B, Davenport à Rousseau, 14 sept. 1766, X.
^ Id., A, Livre de Dépenses, XLVI, 18 sept. 1766; 1" et 12 oct.
* Id., A, Rousseau à Davenport, 4 oct. 1766, XX ; Livre de Dépenses,
9 août 1766, 8 oct.
^Œuvres, t. XI, p. 424, à Granville. Il faut y ajouter le P. S. suivant
publié, avec toute la lettre, par Lady Lanover, Autobiography and Cor-
respondence of Mary Granville, Mrs Delany, London, 1862, 2"^ séries,
t. I, p. 77 : « Je remets à Jean, qui va à Ashburn, une réponse pour Lin-
colnshire, sans savoir pourtant si ma lettre peut aller par la poste d'Ash-
hurn, ou s'il faut l'envoyer par quelque autre voye, et s'il y a quelque
chose à payer. Je vous prie de vouloir bien lui donner là-dessus les ins-
tructions nécessaires. »
"• Lettres, A, Livre des Dépenses, XLVI, 9 août 1706.
" Lettres, D, Cowper à Davenport, 6 juin 1767.
12 Cf., note 6.
" Cf., note 8.
42 ANN'ALKS OE I.A SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
Tout ce monde ignorait le français et ne parlait guère
que le dialecte du Staffordshire^ aussi les rapports en-
tre les domestiques et les nouveaux maîtres manquè-
rent-ils de commodité: la mimique de Thérèse ne suffit
point toujours '. Après tout. Jean-Jacques se sentait
disposé à jouer Termite et. par surcroît, il était accou-
tumé à se servir lui-même ; un pas au dehors et, tout ce
menu tracas domestique oublié, il se trouvait dans une
contrée aux ressources inépuisables pour un esprit
observateur.
Le temps froid de l'arrivée dura le printemps entier
et Rousseau déplora la rigueur de ce climat aux neiges
précoces et persistantes, aux pluies abondantes, aux
vents violents, dont la désagréable surprise " aurait pu
le convaincre quil était sûrement à
Wootton under Weever
Where God came nevcr*.
Dans cette région solitaire et sauvage des Moorlands
du Stafford. il retrouvait quelques aspects du Jura:
forêts touffues, taillis épais, pentes herbeuses, rocs
abrupts, rivières murmurantes et parfois souterraines,
' Georges Eliot en fournit d'abondants échantillons àdius Adam Bede ;
encore y perd-il de sa rudesse (Cross, J. W., G. Eliot's Life.Eàxnhuvgh
and London, [1884], 3 vol. 8% t. III, p. 269); on comprend la remarque
désolée de Jean-Jacques: « leur terrible baragouin est indéchiffrable à
mon oreille» (Œuvres, t. XI, p. 35o, à Du Peyrou, 21 juin 17G6); dès
lors, elle ne s'applique point à la langue de Shakespeare ni de Milton,
comme le lui reproche Collins, o. c. p. 268.
-Œuvres, t. XI, p. 319, à Hume. 29 mars 1766; p. 342, à Ma-
lesherbes, 10 mai.
" Id., t. XI, p. 335, à Aime de Lu:{e, 10 mai 1766 ; p. 372, à Keitli,
20 juillet.
* The Beaiities of England and Wales... by John Britton. \'ol. XIII,
part II, p. loio, by the Rev. J. Nightingalc, London, i8t3.
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGEETERRE 4^
vallons encaissés, cavernes profondes. Les beaux jours
lui donnèrent la liberté d'aller et de venir chère au
promeneur enthousiaste qu'il fut toujours ; ces petits
voyages de découverte comptent parmi ses joies les
plus certaines et ses passe-temps les plus goûtés. Il
parcourut la contrée en tous sens avec une prédilection
décidée pour la merveille du Peak.
Souvent donc, il s'achemina dès le petit jour dans la
direction du nord ; une marche de 4 ou 5 milles rame-
nait à Dove-dale ^ Restauré frugalement à la vieille au-
berge qui surveille Pentrée du vallon, il atteignait
bientôt la Dove capricieuse qui se glisse entre les deux
collines tristement gazonnées du Bunster et du Thorpc
Cloud"-; un gué de pierres plates à passer et Jean-Jac-
ques s'appartenait pour la journée, ravi de la solitude
et du calme à peine interrompus par les rares oiseaux
chanteurs. Les arbres se serrent au pied des parois et
1 Au cours d'une excursion que nous avons faite dans ce district en
septembre 1910, nous avons constate que la vallée de la Dove répond
encore aux descriptions qu'en firent au XYIII* siècle divers auteurs an-
glais : De Foe, Daniel, A Tour through tlie whole Ishvtd of Great Bri-
taiii... 7"' éd. London. 1769, vol. III. — Gilpin, William. Voyages en
différentes parties de l'Angleterre. Trad. de l'anglais sur la 3""= éd., par
M. Guédon de Berchere. Paris, Londres, 178c), t. II. ch . XXIX. La pré-
face date le Voyage des alentours de 1772. — The Beauties of Eugland,
London, 1767. — Dove-dale occupe un rang honorable dans l'histoire
littéraire ; c'est Happy Valley du Rasselas de Johnson, c'est Eagle-dale
d'Adam Bede. Cette vallée a inspire les théoriciens des jardins natu-
rels ; ainsi Whatcly. Thomas, Observations on Modem Gardening, illus-
trated by Descriptions, London, 1770, lui consacre son chapitre XXXVIII,
intitulé: Of Rocks cliaracterised by Fancy. Description of Dove- Date.
— M. Alexis François a noté très exactement dans quelle mesvire Dove-
dale appartient à l'histoire de l'introduction, dans la langue fran-
çaise, de Va.d)eci\{ )omantiqiie ; cf. Romantiques, Annales de la Société
./. J. Rousseau, t. V, Genève, 1909.
- La Dove sépare le comté de Stafl'ord. où se trouve le liunster
(1000 pieds), du comte de Derby, où s'élève le Thorpe Cloud
(942 pieds.)
44 ANNALES l)H LA SOCIÉTÉ .1. 1. ROUSSEAU
les escaladent de ci de là, tandis que la paroi occiden-
tale se couronne d'un bois en surplomb que percent,
ici, une aiguille rocheuse ' de plusieurs dizaines de mè-
tres aux flancs tapissés de lierre, là, de farouches mas-
ses de calcaire grisâtre ; l'ombre des feuillages appro-
fondit les eaux de la rivière, prisonnière durant 3 mil-
les du vallon étroit. Coulant à la rencontre du solitaire,
la Dove brise son courant rapide en multiples casca-
telles. ou étale en des bassins de mousse frangés dt
roseaux ses ondes bleues et limpides où s'ébat la truite
si chère au parfait pécheur, Izaak Walton, qui vanta
ces parages, et à son ami Charles Cotton, qui les
chanta-: un ressaut du sol, Teau rebondit et toute la
gorge s'égaye.
Le sentier s'allonge paresseusement à travers les
gazons qui l'envahissent après les crues d'avril': puis
il s'élève subitement sur un éperon rocheux, en dévale,
passe sous une arche naturelle qu'assombrit un re-
paire caverneux, se rapproche de l'eau, se faufile au
pied des roches du défilé menaçant, s'y creuse un sil-
lon et débouche dans le cirque charmant du vallon
soudain élargi. H serpente encore quelque temps devant
les grottes et bientôt court en plein champ vers le nord.
1 Elisée Reclus donne la vue de l'une d'elles: Ilani Rock XaiD'ellc
géographie universelle, Paris, 1879, t. IV, p. 579.) .
- Izaak Walton (i 593-1 683) écrivit, le fameux ouvrage: The compleat
Angler, HJ.S3. 11 en existe une traduction fragmentaire et peu fidèle de
Charles de Massas, sous le titre : Le Pécheur à la mouche artificielle.
<.harles Cotton <i 630-1687) a chanté la Dove dans son beau poème :
The Retirement ; il fut un traducteur acharné; il présenta au public
anglais tour à tour Du Vair, Corneille, Montluc, Montaigne.
•' La Dove mesure 10 à 20 pieds de largeur, 3 à 4 de profondeur. \l\\
avril ellea des crues subites de 12 heures; ses eaux, tout imprégnée-
de chaux, fertilisent les rives qui conservent de l'herbe verte même en
hiver.
SKJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU K.\ ANGLETERRE ^0
Choisissant les recoins abrités, Rousseau, l'herbo-
riste, prit plaisir à semer Dove-daie d'espèces nouvel-
les ' ; maintes fois il refit le trajet pour se réjouir l'âme
aux progrès des humbles fleurettes qui, plus fidèles
que le souvenir des hommes, racontent encore son pas-
sage dans ce vallon retiré.
Sans cesse par monts et par vaux. Rousseau variait
le but de ses excursions. Après la prairie qui limite au
nord le hameau de Wootton, le sentier pénètre dans
une forêt de chênes et aboutit à un amphithéâtre ro-
cheux et boisé où jaillissent de leur course souterraine
de mystérieuses rivières dont les cascades creusent un
lit parsemé de pétrifications: là s'ouvre la pittoresque
vallée du Manifold. Au milieu du cirque se blottit Ilam,
et son parc admirable qu'embellit encore une église
gothique, et ses gaies maisonnettes ; leurs tuiles ver-
nissées et leurs enclos fleuris aux murs de pierre rap-
pelaient à Jean-Jacques les villages, plus opulents en-
core, du pays neuchâtelois. Pour le retour, nulle obli-
gation de suivre la même routé. Des sentes courent
dans la campagne, et de Thorpe dégringolent la côte,
longent la Dove. traversent les pâturages, franchissent
tantôt une clôture, tantôt une planche jetée sur un ruis-
seau et arrivent aux ombrages du parc seigneurial
d'Okeover -. On aime à se représenter Jean-Jacques
faisant halte sous quelque arbre séculaire : tranquille, il
laisse venir à lui les daims privés : bientôt, ils l'entou-
rent: il les caresse et les quitte à regret, se retourne pour
voir encore leur troupe confiante errer sous la conduite
du vieux chef dont le bramement expire dans les taillis.
* Howitt, 0. c, p. 5 14.
- Il appartient à la même famille depuis l'époque saxonne.
46 ANNALES DE LA SOCIÉTK .1. .1. ROUSSEAU
Au sud de Wootton. autres aspects, autres plaisirs:
c'est la vallée du Ghurnett et. depuis Cheadle et Oaka-
moore, les High Shut Ranges que continuent les Alvc-
ton Gommons, plateau crevassé de ravines sablonneu-
ses aux rochers étrangement contournés. Les ruines
féodales d'Alton ^ relevaient le paysage d'une note que
l'exilé sentait parfois gracieuse, parfois mélancolique :
bien souvent la silhouette troublante des vieilles mu-
railles hantées lui apparut découpée sur le ciel serein,
lorsque par une soirée de lune il escaladait solitaire les
hauteurs verdo3'antes des Weaver Hills, ce sanctuaire
des fées redoutées du villageois attardé -.
La plupart des promenades de Rousseau se rattachent
à l'étude patiemment poursuivie de la botanique ; sa
distraction principale fut l'inventaire systématique des
richesses végétales du canton'': que de plantes incon-
nues 'î que de mousses variées "' ! quelle émotion à cha-
que trouvaille*': des années plus tard il en gardait le
souvenir ému ' ; quelle joie, aussi, de compléter cer-
taine Sj'iiopsis de réputation justement établie -. Il réser-
vait volontiers pour les jours humides Therborisation
du vallon du parc de Wootton où les arbres pressés et
les rochers l'abritaient suffisamment ■'; retraite d'ailleurs
ravissante, toute de mystère : le roc, à nu de ci de
^ Forme moderne d'Alveion.
- How'itt^ o. c, p. 514. Ces collines culminent à i25o pieds.
^ Lettres, B, Davenport à Rousseau, 8 sept. 1766, VII. En mai 1766,
il commanda un microscope; Œuvres, t. -XI, p. 347, à d'Ivertiois,
3i mai 1766.
* Œuvres, t. VI, p. 69, a la D"" de Portlami, 28 fév. 1767.
'=> Id., t. VI, p. 63, à Malesherbes, 19 déc. 1771.
* Id., t, XI, p. 390, à Davenport, 11 sept. 1766.
' Id., t. Vr, p. 85, à La Tourette, 26 janv. 1770 ; p. 88, 4 juillet.
« Id., t. VI, p. 102, Notes sur la Botanique de Regnault.
*• Id., t. XI, p. 334, à Mme de Lu^e, 10 mai 1766.
SÉJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 47
là, nuance d'une gaie note rouge-brun la parure verte
et sombre du ravin ; les chênes qui le surplombent
forment par endroits une voûte, épaissie par le lierre,
enjolivée par les frondaisons du chèvre-feuille sus-
pendu.
Au reste il avait trois endroits préférés: Dove-dale^
les jours où son vieil instinct des courses pédestres le
prenait fortement \' la grotte de la terrasse du Hall, aux
moments de loisir trop courts pour faire une pro-
menade ^' ; enfin, halte intermédiaire, un groupe de chê-
nes où les paysans l'aperçurent souvent en train d'é-
crire": l'arbre favori de sa jeunesse l'était aussi de son
âge mûr'.
' Howitt, 0. c, p. 5i3.
- Churton CoUins, 0. c, p. 248. Le hors-texte donne l'entrée de la
grotte ménagée dans le mur de la terrasse.
3 Le groupe des Twenty Oaks, célébré par John Gisborne, dans ses
Vales of Weevei- : A loco-descriptive Poem, London, 1797, 4».
(( Lo ! where thèse oaks encircling meet,
There Genius formed his rural seat :
Oft in calm solitude the sage
Composed his fascinating page ;
Or, bending on the turf, surveyed
With nue regard each flower and blade;
Or marked gay Nature's libéral smile,
Admired Britannia's temperate isle ;
Yet thought on Gallia's lovelier vales^
Her brighter fonts, her softer gales,
Thought on her chains with Freedom's sigh,
And ail the Patriot kindled in his eye. »
Canto I, vers 79-90.
Gisborne annote ainsi les vers 79, 80 : « In a field, at a small distance
of Northwood, stands a cluster of oaks, commonly called the Twenty
oaks. They form a circle, disclosing between their trunks a beautiful
prospect. To this silent retreat Rousseau used frequently to retire,
during his résidence at Wootton, and some of the stones may still be
seen which tormed his seat. »
* Œuvres, t. VIII, p. i66_, Confessions, \, vi : « Quand vous me verrez
prêt à mourir, portez-moi à l'ombre d'un chêne, je vous promets que
j'en reviendrai. »
48 ANNALFS DE LA SOCIÉTÉ .1. .1, ROITSSEAU
Que de fois la pluie, puis la neige, le confinèrent au
logis; c'étaient alors de longs remaniements des Con-
fessions, et la rédaction de chapitres nouveaux *, la
mise à jour de sa volumineuse correspondance*, les
laborieuses corrections des épreuves du Dictionnaire
de Musique qui pérégrinaient avec lui*: il se délassait
en jouant du clavecin et sa mélancolie disparaissait
aux douces mélodies italiennes. S'il lui fallait déci-
dément une bouffée de plein air, il étalait sur sa table
ses chères plantes, moisson des jours ensoleillés, il les
observait et enrichissait son herbier de trésors humbles
et charmants, évocateurs d'après-midi de liberté, de
griserie matinale parmi les corolles où perle encore la
rosée.
Tant de variété. dans la distraction et dans l'étude ne
•chassait pas toujours les pensées sombres dont le nom-
bre et la gravité allaient croissant ; elles se ramènent à
deux causes principales : défiance à Tégard de Hume,
puis guerre ouverte, d'une part, dissensions dans sa
patrie, d'autre part.
Rousseau, citoyen de Genève, entendait la voix de
son peuple, bouleversé par les Lettres de la Montagne,
et que cherchaient à bâillonner les magistrats et les
puissances médiatrices * : solidaire des horlogers de
' Cpiwres, t. XI, p. Mo, à Du Peyrou,' 21 juin 1766 ; p. 372, à Keitit,
20 juillet; t. VIII, p. 196, Confessions, U, vu. — M. Théophile Dufour
en a publié le texte primitif: La première rédaction des Confessions,
Annales de la Société J. J. Rousseau, t. IV, Genève. 190S. Voir en par-
ticulier V Introduction, pour les dates.
- Rousseau a écrit de Wootton quelque i5o lettres ou-billets ; plusieurs
dentre elles ont une longueur considérable.
' Lettres, A, Rousseau^à Guy, i5 nov. 1766, XXII.
' Œuvres, t. XI, p. 3i3, à Beauteville, 2 3 fév. 1766; Lettres, G, Beauté-
ville à Rousseau, g mai. Œwres,t. XI, p. 3^6, à d'Ivernois,3i mai;p.4i2,
SÉJOUR DE J. .]. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 49
Saint-Gervais et des boutiquiers de la Cité, Jean-Jac-
ques enverra son obole ^ ; Davenport, son mandataire ^
versera i5 louis à la souscription ouverte par les Suis-
ses de Londres en faveur des Genevois affamés». Le
pasteur Roustan accusa réception de ce don en termes
élogieux et sincères^; venant d'un homme aussi esti-
mable, ces paroles durent être un baume sur le cœur
ulcéré du pauvre philosophe^.
IIL Les Amis de Rousseau.
Nous avons jusqu'ici esquissé à grands traits de quelle
manière Rousseau passait son temps à Wootton ;
nous voulons maintenant pénétrer dans le détail de sa
vie et l'accompagner presque au jour le jour.
Tôt après son arrivée à Wootton, il eut une grande
joie; le vendredi 9 mai 1766, il accueillait son hôte,
Davenport», qui venait à lui pour un séjour de trois se-
maines ^ dont l'agrément fut vivement goûté des deux
3i janv. 1767. Lettres, k, Rousseau à Davenport, 3i janv 1767 XXIX
Son cousin Jean l'entretint plusieurs fois des événements qui troûblaien't
la République genevoise: Lettres, C, ^ mai- ii sept. 1766 II-IV • de
même Roustan : Lettres, C, 28 août 1766-5 mai 1767, I-VIlî
1 Œuvres, t. XI, p. 4,4, à Dutens, 5 fév. 1767; p. 419,'à d'Ivernois, 7 fév
- Lettres, k, Rousseau à Davenport, 5 fév. 1767, XXXII.
^Lettres, B, Davenport à Rousseau, 10 fév. 1767, XXIII ; cette lettre
est accompagnée d'un reçu, signé du pasteur Roustan. Les archives de
1 Eglise suisse à Londres sont muettes sur cette collecte et ne mention^
nent nulle part Rousseau, à n'importe quel titre.
* Lettres, C, Roustan à Rousseau, 9 fév. 1767, 'VI.
'•' Cf. p. 2y, note 5.
Va ^''^'^f "^ Friday», écrit Davenport à Hume, le mercredi 14 mai
1766, de V/ootton; Burton, 0. c, t. II, p. 32^.-Œuvres, t. XI, p 337
a Du Peyrou, 10 mai 1766. '
^Œuvres, t. XI, p. 544, à Du Peyrou, 3i mai 1766; p. 348, 14 juin ;
p. :)49, 21 )uin. -t < t ; ,
So ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J, ROUSSEAU
parts ^, sans que se manifestât cette gêne si redoutée de
Saint-Preux ^.
Davenport n'arrivait pas seul ; homme affectueux, ii
ne pouvait se résigner au morne silence de son foyer
de veuf, et, depuis la mort de sa « sainte» femme», il
prodiguait plus d'amour encore aux siens S sa sollicitude
était extrême à l'égard des deux enfants de sa fille cadette^
orphelins de père et de mère, une fillette de lo ans,
Phébé, et son frère Davies, d'un an plus jeune; le pau-
vre enfant, sujet à la fièvre intermittente, était né sous
de tristes auspices, ayant coûté la vie à sa mère^. Phébé
et Davies habitaient chez leur grand'père sous la direc-
tion d'une gouvernante vaudoise, M"^'' Lausanne*, et
de miss Ally, amie de la famille, sinon même parente'.
Mais encore, qu'était exactement l'hôte de Jean-Jac-
ques ? Nous devons ce que nous en savons à un homme
qui le rencontra dans une maison amie ; grand écrivas-
1 De cette époque datent les salutations amicales de Davenport à
Rousseau au nom de sa famille. Probablement Jean-Jacques n'avait
pas rencontré à Londres ces différentes personnes.
2 Lettres, A, Rousseau à Davenport, 19 avril 1766, IV. — « Ce qui me
paraissait le plus agréable dans leur accueil, c'était- de n'y pas trouver
le moindre vestige de gène ni pour eux ni pour moi. Ils vivaient dans
leur maison comme si je n'y eusse pas été, et il ne tenait qu'à moi d'y
être comme si j'y eusse été seul. Ils ne connaissaient point l'incommode
vanité d'en faire les honneurs aux étrangers, comme pour les avertir
de la présence d'un maître dont on dépend au moins en cela. » Œu-
vres, t. IV, p. 52,' Héloise, \, lettre 83.
' Davenport à ***. s. 1. n. d. (Lettre inéd., British Muséum, Add. 29626.
«. 86, 87.)
* Appetidices, Ab: lableau généalogique.
* Davies naquit le 29 août 1757; Phébé Davenport, sa mère, mourut
le 24 septembre.
* .4Zîas; I. Mrs Lauzun, Lauzane, Lauzon, Luzonne; II. Mad"« Lau-
zanne, Lauson. — M. Eugène Ritter nous fait observer qu'il s'agit peut-
être d'une variante du nom vaudois de Liauzun.
7 Lettres, A, Rousseau à Davenport, 27 nov. i 766, XXIII ; B, Daven-
port à Rousseau, 4 mai 1767, XXXVII.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE Si
sier, il consigna ses souvenirs lorsque les événements
eurent rendu intéressant tout ce qui touchait à Rous-
seau, de près ou de loin ^
Richard Davenport, de Davenport et Galveley, né
vers 1705^, descendait d'une famille notable déjà au
temps de Guillaume le Conquérant ; c'était un proprié-
taire foncier, un Squire^ dont le mariage avec Miss
Phébé Bagnal, héritière d'un marchand de la Cité®,
avait porté le revenu annuel à quelque 5 ou 6000 livres
sterling*. De ses études à Cambridge, il conservait le
goût de la littérature et surtout de la philosophie, ne
démentant pas la réputation de déiste qu'il avait jadis
emportée de S^ John's Collège^.
Assez spirituel pour oublier son intirmité — une
jambe trop courte dont un talon élevé corrigeait le dé-
faut — et assez courageux pour résister à une goutte
tenace, Davenport se montrait homme d'agréable com-
merce, causeur enjoué et bien informé. Ses nombreu-
ses lettres témoignent d'un caractère conciliant, scru-
puleux, et par dessus tout, serviable ; c'était un ami
sur et de bon conseil, plus soucieux des intérêts de son
hôte que de sa tranquillité personnelle ; un trait éclaire
sa probité d'une vive lumière : Rousseau l'avait à peine
quitté qu'il songeait à redevenir son locataire ".
1 Appendices, Aa : Souvenirs de \V. Cole ; !e Tableau généalogique en
corrige plusieurs données.
- Nous ignorons la date de la naissance de Davenport et déduisons
celle-ci de diverses circonstances; cf. Tàge de son père, Appendices, Ab ;
l'âge de sa nourrice, nonagénaire en 1767, Burton, 0. c, t. II, p. 370, Da-
venport à Hume, 6 juillet £767 ; Hume, âgé lui-même de 55 ans, le traite
d'« homme àgé^), Streckeisen, 0. c, t. II, p. 27g, février-mars 1766, IV.
' Natif de Roehampton, près de Putney. Cole l'appelle Bagshaw.
* Burton, o. c, t. IJ, p. 3i3, Hume à Blair, 25 mars 1766.
'" là., o. c, t. Il, p. 379, Hume à Adam Smith, 17 oct. 1767.
« Lettres, A, Rousseau à Davenport, 14 mai 1767, XLI.
52 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .f. .1. ROUSSEAU
A Chiswick, puis à Londres, Davenport avait géné-
reusement placé à la disposition de l'étranger ses pro-
priétés de Calveley ^ et de Wootton; cette dernière était
une acquisition récente^. Vivant les deux tiers de l'an-
née à la campagne ^ — non pas à Wootton dont la so-
litude sauvage lui déplaisait^, mais à Davenport Hall
en Cheshire — il s'intéressait à l'agriculture et cela
non seulement par mode ou par devoir de landlord,;
mais en agronome intelligent et réfléchi, observateur
et ingénieux ; ainsi il inventa une charrue propre à ni-
veler les hiWons (7'idges)'^. Il est de ces gentishommes
campagnards qui rénovèrent les méthodes de culture
au début du règne de Georges III.
En pareille société, le temps s'écoula d'autant plus
paisiblement que les distractions variaient beaucoup ;
aux heures chaudes de l'après-midi et durant les soi-
rées on avait recours aux échecs ; Davenport, bon
joueur, perdait galamment sa partie"; ou bien, une
séance de musique ranimait l'àme juvénile de Jean-
Jacques et lui valait les applaudissements d'un cercle,
bienveillant qui s'agrandissait parfois des voisins de
Galwich'^;, c'étaient aussi des promenades dans le parc,
de. longues causeries en face de l'admirable campagne,
> Streckeisen, o. c, t. II, p. 280, de Hume, 22 mars 1766, VII. L'offre se
renouvela plus tard : Lettres, B, Davenport à Rousseau, 24 mars 1767,
XXX. ' ■ '
2 Burton, 0. c, t, II, p. 3ig.
3 De mai à Noël; le reste de l'année il vivait à Londres; Œuvres,
t. XI, p. 402, à Davenport, 12 déc. 1766 ; Lettres, A, Rousseau à Daven-
port, 6 avril 1767, XXXVI.
* Œuvres, t. XI, p. 335, à Mme de Lti^e, 10 mai 1766.
* Lettres, D, Hume à Davenport, juin 1766, III ; E, Davenport à Hume,
[3o juin 1766J.
^Lettres, A, Rousseau à Davenport, i5 déc. 1767, XLIII.
^ Burton, 0. c, t. II, p. 324, Davenport à Hume, 14 juillet 1766. Let-
tres, B, Davenport à Rousseau, 25 juillet 1767, XLI.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 53
et d'interminables spéculations philosophiques, com-
mentaires de VEmile et compléments destinés au gar-
çonnet, le petit Davies, qui égayait la vieille mai-
son^; ou bien le sujet mettait plus encore, si possible,
Davenport en veine de bonne humeur : Rousseau n'ex-
posait-il pas ses idées sur la disposition des jardins ?
On projeta force plantations pour le printemps suivant
et le philosophe en fut promu l'architecte ^.
Certains jours, Thérèse interrompait de si doctes
entretiens ; nouvellement décorée du titre de « cuisi-
nière » de M. Davenport^, elle avait à lui offrir des
mets à la française, et, régal pour Jean-Jacques, un
ragoût d'escargots^ ou quelque soupe au fromage dont
le fumet lui rappelait sa chère montagne de Salève^;
ou c'était une truite, à la sauce mœlleuse qui en re-
levait encore la saveur; le philosophe se prenait alors
à déplorer l'absence des melons sucrés du Dauphiné'';
on goûtait du fromage blanc préparé par la petite
Phébé'', on s'attardait au dessert. Thérèse, toute glo-
* Si paradoxale que paraisse la chose, c'est à cette éducation que nous
devons le peu d'intérêt pour Jean-Jacques manifesté par les propriétai-
res successifs de Wootton; écoutons Howitt : «I hâve... learned from
the Rev. Walther Davenport Bromley, the présent worthy proprietor of
Wootton, thatno mémorial of Rousseau remained atthe Hall, and that
Httle is known of his acts or habits while there, more than has been
made public ; for his father, having been educated on Rousseau's Sys-
tem, and feeling the deficiencies of it, never liked to hear him mentio-
ned.» 0. c, p. 514. Faut-il rapporter à cette époque l'idée ou même l'en-
treprise de la nouvelle édition de l'Emile, que Rousseau aurait brûlée
au moment de quitter Wootton ? Cf. Corancez, De J. J. Rousseau, p. 48-
- Lettres, A, Rousseau à Davenport, 11 sept. 1766, XVII.
•■• Id., A, Rousseau à Davenport, i5 déc. 1767, XLIII.
1 Un voyage en Suisse e)i 1823. Extraits d'une correspondance iné-
dite de Bellot. Jvurnal de Genève, 20 août igio.
* C'est la « fondue » à laquelle Rousseau conviait Coindet; Streckeisen,
Oeuvres inéd., p. 472, déc. 1767, LXII.
6 Lettres, B, Davenport à Rousseau, 1" janv. 1769, XLVII.
^ Streckeisen, Œuvres inéd., p. 439, à Mlle Davenport, 1766, XLV.
54 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. .1. ROUSSEAIT
rieuse de ses talents de ménagère, ne proposa-t-elle
pas une fois à cet excellent Davenport de lui tricoter
une paire de bas? Il accepta le cadeau, pour inattendu
qu'il fùt^.
Souvent, la rêverie de Rousseau " arracha à Daven-
port une parole d'intérêt qui entraîna l'exilé à faire le
récit de sa vie, à donner même lecture de quelques cha-
pitres de ses Confessions^; ce fut le début d'une con-
fiance intime entre ces deux hommes par ailleurs si
dissemblables ; la remise à Davenport du testament de
Rousseau en marque le couronnement *. Que de sym-
pathie Davenport eut à déployer pour n'être jamais sus-
pect à son hôte dont l'humeur défiante — non tout à
fait sans raison^ — s'aigrissait déjà à l'ouïe des rumeurs
qui circulaient à Londres sur son compte et du ridicule
que jetait sur lui la fameuse lettres du roi de Prusse".
1 Lettres, A, Rousseau à Davenport, [juillet 1766J, VIII; B, Daven-
port à Rousseau, 1" août, VI ; 25 juillet 1767, XLI.
2 Œuvres, t. XI, p. 343, à Malesherbes, 10 mai 1766.
•'■ Burton, o. c^, t. II, p. "i-jo, Davenport à Hume, 6 juillet 1767 : '(...What
he [Rousseau] was writing, is the same he mentioned to you, will
be a large work, containing at least twelve volumes. I am positively
certain that when I left him, he had not entirely finished one. » P. 379,
Hume à Adam Smith, 17 oct. 1767 : « I askcd Mr Davenport about those
Memoirs, which Rousseau said he was writing, and whether he had ever
seen them. He said, yes, he had ; it was projected to be a work in twelve
volumes; but he had as yet gone no farther than the first volume,
which he had entirely composed at Wootton. It was charmingly wrote,
and concluded with a very particular and interesting accountofhis first
love, the object of which was a person-whose first lovfe it also was. Da-
venport, who is no bad judge, says, that thèse Memoirs will be the most
taking of ail his works ; ... »
* Le 27 mai 1766; Lettres, A, Testament, XLVII. M. Théophile Du-
four a publié un important article sur ce sujet dans le Bulletin de la
Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève, 1907, t. III, pp. 39-54.
5 Macdonald, Fr. La légende de Jean-Jacques Rousseau. Trad. par
Georges Roth. Paris, 1909, 16°.
'^Œuvres, t. XI, p. 32o, à Du Peyroii, 29 mars 1766; p. 324, à d'Ivcr-
nois, 3i mars; p. 327, à Milord \Strafford], et à la St-James Chroni-
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 35
Désormais l'angoissante conviction qu'une volonté
occulte s'acharne à le persécuter s'affermira ; puissance
néfaste, elle assombrira et dirigera sa vie. et sera cause
de ses revirements subits et inexplicables ; les Anciens
eussent prononcé à mi-voix le redoutable vocable :
Anagkê !
Avant même le départ de Davenport pour le Cheshire,
dans les premiers jours de juin', Rousseau prit diver-
ses mesures de défense dont la plus notable fut la re-
nonciation à la pension royale obtenue par Hume^, et
la rupture de la correspondance avec ce dernier, ou,
tout au moins, l'intention de rompre', car deux lettres
à Hume sont postérieures à cette date*, lettres pareilles
à l'éclair qui embrase ; elles déchaînèrent véritablement
Torage ; Hume fut violent et actif, Rousseau silencieux,
stoïque ; traîné dans «la fange de l'ignominie^», il
préfère être « l'infortuné Jean-Jacques » que le « triom-
phant David ^.)>
Si nos lettres de l'été i 766 confirment ce que l'on
sait de l'agitation extrême où l'affaire jeta Hume, elles
de, 7 avril; p. 322, au roi de Prusse, 3o mars, qui lui fit répondre :
« S. M. a reçu la lettre que vous lui avez écrite de Wootton. Elle m'or-
donne de vous dire qu'elle est très charmée d'apprendre par vous-
même que vous êtes content et tranquille. Elle espère que vous conti-
nuerez de jouir, dans l'endroit où vous êtes, de ce repos dont les prêtres
fanatiques de son pays acharnés, dit-elle, injustement contre vous, se
sont efforcés de vous privés. « Et en P. S. : « Nous avons lu ici une pré-
tendue lettre de S. M. à vous. Monsieur. On a dit qu'il n'y a pas un
mot de vrai dans tout cela. » Catt à Rousseau, Potsdam, 3o avril 1766
(Lettre inéd., Bibl. de Neuchâteli. — Lettres. A, Rousseau à Davenport,
19 avril, IV.
1 Œuvres, t. XI, p. 344, à Du Peyrou, 3i mai 1766.
^ Id., t. XI, p. 343, à Conway, 22 mai 1766.
•^ Id., t. XI, p. 345, à Du Peyrou, 3i mai 1766.
* Id., t. XI, p. 35o, 23 juin 1766; p. 353, 10 juillet.
^ Lettres, A, Rousseau à [Du Peyrou], XXVI, XXVII.
" Id., A. Rousseau à Davenport, 27 nov. 1766, XXIII.
56 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
sont aussi la preuve certaine de la bonté de Davenport*;
intermédiaire bénévole des deux parties, il inclina à
l'indulgence pour Rousseau et écouta volontiers la re-
quête de Hume de persévérer dans l'œuvre de protec-
tion qu'il avait entreprise, de veiller sur le sort de Jean-
Jacques jusqu'au jour prochain où Bedlam l'hébergera ;
car c'est à la folie qu'il marche : satanique, méchant,
jaloux, voilà Rousseau ; son grand talent rend plus dan-
gereuse sa démence. Hume aurait accepté une lettre
jd'excuses*; elle ne vint jamais, et l'Europe philoso-
phique eut le triste spectacle d'une querelle entre deux
de ses sages.
Dans le même temps où la tristesse déprimait l'exilé
— ce dont ferait foi le portrait de Wright * — une fa-
mille amie, tout entière, vint lui témoigner son affcc-
1 Lettres, D, Hume à Davenport, i5 juillet 1766-2 sept.^ VII-IX.
2 Id., D, Hume à Davenport, 26 juin 1766-2 sept., IV-IX.
3 Nous ne saurions trop remercier Sir Maurice C. Boileau, Bt., dont
l'extrême obligeance a bien mérité des rousseauistes ; il nous a autorisé
à reproduire ce document si intéressant d'après l'original en sa posses-
sion à Ketteringham Park, 'Wymondham, Norfolk.
John Morley, qui en révéla l'existence, trouve que ce portrait trahit,
par sa morbidesse, le manque de volonté de Jean-Jacques, ses luttes
intimes, son imagination désordonnée, et le compare aux passages les
plus répugnants des Confessions (cf. Rousseau, t. II, )>. 282.) Churtoa
Collins, qui a le mérite de l'avoir le premier publié (o.' c, p. 182), y
voit aussi le stigmate hideux de l'abjection et de la misanthropie du
philosophe. M. de Wyzewa y discerne l'expression d'un profond abat-
tement, d'une rude expérience de la vie, bien propres à vafoir toute
notre compassion . au pauvre Jean-Jacques (Revue des. Deux-Mondes,
i5 mai 1908.)
Rousseau aurait donc posé, en Angleterre, à trois reprises (mars-
avril 1766) : devant Ramsay (cf. p. 27), devant Gosset (cf. p. 32), devant
Wright de Derby. La monumentale Iconographie de J. J. Rousseau,
par le C*« de Girardin, ignore ces deux derniers artistes. On retrouve-
rait peut-être à Neuchâtel le relief en plâtre de Gosset'; Rousseau l'en-
voya à Du Peyrou qui Le suspendit dans sa chambre, tout en critiquant
le nez, trop aquilin à sjon goût. Du Peyrou à Rousseau, 9 nov. 1766,
n° 36 (Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.)
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 3 7
tion et lui manifester que les promesses de revoir échan-
gées en Surrey et redites dans les lettres^, n'étaient pas
de vaines politesses; c'est ainsi que, Davenport à peine
parti, le Hall s'anima de nouveau : Malthus, sa femme
et Henriette 2 arrivèrent en juin ^ et logèrent Aux Armes
de Davenport, l'auberge d'EUastone ^. On se retrouvait
le matin, et, huit jours durant, ce furent d'agréables
promenades, en particulier dans les gorges de la Dove,
où Malthus retrouvait des impressions d'enfance^ et
jVime Malthus le souvenir de ses premières années de
mariage". On herborisa, à la joyeuse surprise de Mal-
thus, novice encore, qui se prit d'un beau zèle pour les
plantes et communiqua son ardeur à sa famille' ; aussi
proposa-t-il à son hôte un iter botanicum en Surrey !
De part et d'autre le plaisir fut complet et Malthus put
refaire son rêve d'héberger Rousseau, pour l'hiver au
moins ®,
Si l'espoir de faire les honneurs de sa retraite à d'Iver-
nois se changea en déception^, Rousseau eut chez lui
1 Lettres, C, Malthus à Rousseau, 12 mars 1766, VI; 29 mars, VIII ;
Malthus à Thérèse Le Vasseur, i3 mars, VII.
2 Nièce de Malthus ? Lettres, C, Malthus à Rousseau, 24 janv. 1768.
XIV.
•* Œuvres, t. XI, p. 849, à Du Peyrou, 21 juin 1766 ; Lettres, C, Mal-
thus à Rousseau, 18 juillet 1766, X; i" déc, XI; 24 janv. 1768, XIV.
* Lettres, C, Malthus à Rousseau, 12 mars 1766, VI : « ... un étranger
demande à parler à M. Rousseau au cabaret du voisinage.» Wootton
n'a pas de débit. EUastone, possède une auberge du XVIII" siècle, assez
vaste, à l'enseigne de Bromley Arms, Bromley ayant remplacé Daven-
port au château ; dans Adam Bede, chap. II, elle porte le nom de Don-
nithorne Arms.
'^ Lettres, C, Malthus à Rousseau, i'^' avril 1766, IX.
^Lettres, C, Malthus à Rousseau, 12 mars 1766, VI.
' Id., Malthus à Rousseau, 24 janv. 1768, XIV.
^ Id., Malthus à Rousseau, 18 juillet 1766, X.
^Œuvres, t. XI, p. 375, à Guy, 2 août 1766; p. 402, à d'Ivemois,
I I déc. ; p. 412, 3i janv. 1767 ; p. 418, 7 fév. ; t. XII, p. 12, 6 avril.
58 ANNALES DR LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
un autre Genevois, Lamande, exilé de sa patrie pour
un écrit hostile au gouvernement^; il reçut aussi maints
visiteurs inattendus, qu'une lettre de recommandation
avait enhardis, comme M. Beauclerk^, ou qui se pré-
sentaient sans autre, tel ce M. Brand qui, dans le cer-
cle fashionable de Bath, répétait les louanges du soli-
taire ^ D'autres encore se ménageaient une entrevue
par subterfuge, car Ton commençait à connaître l'hor-
reur de Jean-Jacques pour les entretiens de simple con-
venance ; ainsi, le D' Erasme Darwin obtint audience
sur le bord du chemin en se donnant pour botaniste*;
découvert, il se vit tourner le dos ; mais une réconci-
liation intervint, paraît-iP.
De bonnes et franches relations s'établirent dès le
début du séjour à Wootton entre Rousseau et le pas-
teur, Révérend Hake, venu pour lui souhaiter la bien-
venue dans sa paroisse*' et qui, souvent^, lui amena
ses collègues des alentours^, unis dans cette œuvre
1 Lettres, C, Lamande à Rousseau, 3o oct. 1766. Lamaiide, allant se
réfugier à Neuchâtel, demanda une lettre d'introduction pour Du Pey-
rou : Lettres, C, Roustan à Rousseau, 24 nov. 1766, III.
- Lettres, B, Davenport à Rousseau, 9 déc. 1766," XVI.
'^Lettres, -C, Gi-anville à Rousseau, 9 mars 1767, II. Serait-ce le
même personnage que le Brand chargé de remettre à Rousseau une
lettre de Vautravers ? (Rockhall, près de Bienne, 12 fév. 1766. Lettre
inéd., Bibl. de Neuchâtel.)
* Grand-père de Charles Darwin. HoAvitt, 0. c, p. 5i3.
'" « Er correspondirte auch gelegenUich mit Rousseau,... ohne dass je-
doch einer ihrer Briefe erhalt'en wâre.» Krause, Ernst, Erasmus Dar-
win, Leipzig, 1880, p. 10.
6 Œuvres, t. XI, p. 319, à Hume, 29 mars 1766. Wootton Hall dépen-
dait de la paroisse d'EUastone. C'est le recteur actuel qui nous a donné
le nom de son prédécesseur.
' Œuvres, t. XI, p. 335, à Mme de Lu^c, 10 mai 1766: Lettres, A, Rous-
seau à Davenport, 4' oct. 1766, XX.
s Œuvres, t. XI, p.'336, à de Lu:^e, 10 mai 1766. — Rien nempêchc
de penser que l'un de ces visiteurs fut le Rév. D"" John Taylor (1711-
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 69
justicière des scènes de Môtiers ^ Bien mieux, l'exilé
découvrit dans la noblesse du voisinage^ un homme
déjà rencontré en France, dont l'intimité, assure-t-il,
devait le consoler de toute autre société * ; s'il s'agit de
Brooke Boothby*, leur commerce fut interrompu par
le prompt départ de celui-ci ^ et dix ans s'écoulèrent
avant qu'ils se revissent.
Mais Rousseau n'eut en Angleterre aucun ami plus
cher — non pas même Davenport — que l'excellent
Bernard Granville ; il résidait toute l'année à Calwich
Abbey, château situé à 2 milles de Wootton, dans la
même paroisse, sur la route d'Ashbourne. Descendant
d'une famille noble'', il avait reçu une éducation libé-
1788), «le roi d'Ashbourne» où il résidait fréquemment, attiré plus en-
core par le souci de sa fameuse étable que par les responsabilités de sa
charge de juge de paix,
' Œuvres, t. XI, p. 3i6, à Du Perron, 14 mars 1766: « Le clergé anglois
■me regarde à peu près comme un confesseur de la foi. »
2 Id., t. XI, p. 336, à de Lii^e, 10 mai 1766; p. 345, à Du Peyrou, 3i mai.
" Id., t. XI, p. 326, à Mme de Boufflers, 5 avril 1766.
* Id., t. IX, p. 320. « Un jeune Anglois que j'avois eu pour voisin k
AVootton...» Brooke Boothby, dit une notede l'éditeur. — Brooke Boo-
thly (1743-1824), baronnet depuis 1789; résidence : Ashbourne Hall ;
membre du cercle littéraire des Darwin, Day. Edgeworth, iVIiss Seward.
Fidèle à son amitié, Boothby défendit Rousseau dans ses Observations
un the Appeal from the New to tlie Old Whig, and Mr Paine's Rights
of Man, London, 1792,8".
'" Lettres, C, Boothby à Rousseau, 23 déc. 1766, I. Il ne rentra à Ash-
bourn qu'en mai 1767 ; Id., 24 fév. 1768, II.
t' 1699-1775. Inhumé dans l'église d'EUastone; c'est lui-même qui rédi-
gea son épitaphc, que nous donnons ici, d'après Llanover, o. c, t. II,
p. 141, comme constituant l'unique document biographique que nous
connaissions:
Hère lies interred the body of \ Bernard Granville, \ who trusted in
the mercy of Almighty God \for the forgiveness of his sins \ though the
merits and médiation \ of\ Jésus Christ, the Savioiir and Redeemer | of
mankind. \ Hc was the son of Bernard Granville, | and great grandson of
Sir Beville Granville, \ who was killed in the civil wars, | fighting for
King Charles the First, \ on Landsdown, near Bath, in Somersetshire. \
He died at Calwich, July the i""", ijjS. | Aged 76.
60 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .h ROUSSEAU
raie; les choses de l'esprit continuaient a Tintéresser;
ami de Haendel, la musique lui était plus qu'un passe-
temps : elle lui était indispensable ^
Granville se félicita du voisinage de Jean-Jacques et
lui offrit une amitié que les années n'affaiblirent
pointa Depuis avriP, ce furent d'incessantes promena-
des de Wootton à Calwich, et de Calwich à Wootton;
il fallait une pluie torrentielle '^ ou des neiges profondes*
pour interrompre ces allées et venues; de part et d'au-
tre avait lieu un continuel échange de ces petits cadeaux
dont l'intention décuple la valeur : une truite des tor-
rents*' expédiée de Wootton répond à un succulent din-
don venu de Calwich'; des liqueurs fines envoyées de
Calwich ^ croisent en chemin le chevreuil qu'on apporte
de Wootton^. De temps à autre, pour n'en point perdre
l'habitude, Jean-Jacques gronde contre la fréquence des
dons de Granville^**: mais la délicatesse des procédés le
1 Œuvres, t. XII, p. 02, à Granville, 26 janv. 1768. Une tradition rap-
porte que le fameux musicien vint à Calwich.
2 Le dernier témoignage daté que nous en possédons se trouve dans
une lettre de Rousseau à la D"" de Portland, du 22 oct. 1773 : Œuvres,
t. VI, p. 79.
3 Au retour de Bath, où Granville prenait les eaux chaque année. Œu-
vres, t. XII, p. 1, à Granville, 28 fév. ijôy ; Lettres, C, Granville à
Rousseau, g mars 1767, II; A, Rousseau à Granville, 29 avril, XXXVII.
* Œuvres, t. XI, p. 352, à Granville, [2 août 17G6], DCCXCV.
^ Id., t. XI, p. 352, à Granville, [janv.-fév. 1767], DCCXCIV ; p. 424;
[16 janv.] ; pour la date de ces billets, cf. Appendices, D
8 Cf. note 4. • ~ ■
î Lettres, C, -Granville à Rousseau, 16 janv. 1767, I.
'^ Cf. note 7; Œuvres, t. XI, p. 424, à Granville, [16 janv.J 1767.
9 Cf. note 4. Il faut compléter le billet du P. S. suivant, d'après
Llanover, o. c., t. I, p. 89 : « Le chevreuil vient de loin et ne peut se
garder.» En effet, c'était un don de Davenport alors en Cheshire; Let-
tres, B, Davenport à Rousseau, i" août 1766, VI.
io CÉuvres, t. XI, p. 353, à Granville, DCCXCVU, et le billet publié
par Llanover, 0. c., t. I, p. 82 : Rousseau à Granville:
Ce Dim : après midy.
J'aurois grande envie, Monsieur, d'aller encore vous gronder, quoique
SÉJOUR DE J.J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 6l
touche*. Et puis, Granville n'est-il pas le seul dans le
pays à parler français*? Aux yeux d'un exilé, voilà une
qualité qui rachète beaucoup de fautes !
Maintes fois, Rousseau, cheminant vers Calwich au
gré du sentier qui zigzaguait sur les pentes gazonnées,
traversait un petit troupeau de brebis^ dont « l'aimable
bergère * » venait à la rencontre du piéton et le condui-
sait au foyer du châtelain, son oncle ^.
C'était alors nouveau plaisir pour Jean-Jacques de re-
faire en si gente compagnie le chemin familier à travers
le vaste parc, tout planté de tilleuls, de chênes, de bou-
leaux ; une côte verdoyante s'abaisse jusqu'au large
étang dérivé de la Dove et creusé jadis par les moines";
à mi-hauteur, la grande maison carrée et solennelle du
temps de la reine Anne s'adossait aux cloîtres de l'an-
]e voye combien cela est inutile, mais le temps ni mon état ne me le
permettent pas quant à présent. J'aspire au moment d'aller faire cette
promenade pour reprendre un peu de bonne humeur ; car je vous jure,
Monsieur, en sincérité de cœur, qu'il ne me reste de doux momens que
ceux que je passe auprès de vous.»
t Cf. p. 60, note 4; Œuvres, t. XI, p. 420, fév. 1767 ; p. 425, [16 janv.].
-' Œuvres, t. XI, p. 384, à Du Peyrou, 16 aoiàt 1766.
'• «... the sheep and lambs that Mr Granville gave to his nièce, Miss
Dewes, and of which she had a little flock at Calwich.» Llanover, 0. c,
1. I, p. 97. Cette note commente un passage de la lettre suivante de Rous-
seau à [la û«"« de Portland], s. 1. n. d. « N'ayant plus de correspondance
en Angleterre je suis privé des nouvelles de mon ancien et bon voisin,
Monsieur Granville, dont je regretterai toujours l'aimable société. Que
fait aussi, si j'ose, Madame, vous le demander, son aimable nièce, Miss
Dewes, dont vous avez bien voulu me donner ci-devant des nouvelles.
Elle avoit des brebis si jeunes qu'elle doit avoir trouvé bientôt un ber-
ger qui fit son bonheur. C'est une récompense que méritoit la charité
chrétienne avec laquelle elle supportoit les radotages de son vieux ber-
cer, dont le titre n'étoit pas moins inutile pour elle que n'est pour vous
celui que vous m'avez permis de porter. »
* Œuvres, t. XII, p. 52, à Miss Dewes, 25 janv. 1768.
'=> Lettres, C, Miss Dewes à Rousseau, III.
'5 «...Black canons.» (The Beauties of England... vol. XIII, part. li,
p. ioi5.)
62 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J, ROUSSEAU
tique abbaye ombragés par les hêtres géants ; tout était
là grâce et fraîcheur, fleurs et verdure ^ Quel contraste
d'entendre sous ces voûtes noircies d'encens les échos à
peine oublieux des psalmodies latines s'éveiller à la
voix ardente du Vicaire savoyard !
Cultivée et belle de ses vingt ans, Mary Dewes était
la favorite du philosophe-; paternel, il lui apportait
toujours quelque curiosité : un recueil de planches bo-
taniques-'', un morceau de musique à déchiffrer — il
jugeait mieux de ses compositions sur ce clavecin ami — ;
il lui laissa aussi l'empreinte en cire de son cachet,
talisman précieux pour Mary*: était-ce le gage d'une
partie d'échecs perdue^?
Le brave Sultan, qui, sans doute, réprimait ses gam-
bades à l'approche du troupeau fut récompensé de sa
sagesse : un beau jour il arbora fièrement un collier
brodé, essai timide de la gentille artiste*.
Quelques jours encore, et elle s'éloignait de Calwich
Abbey pour aller passer l'hiver à Welshbourne dans
1 La résidence actuelle de Calwich Abbey date du XIX» siècle ; nous
empruntons nôtre description à George Eliot; il est aisé d'identifier
Donnithorne Chase avec Calwich Abbey; cf. Adam Bede, chap. II, XXII,
XXVII, XXXII, XLIV.
2 Orpheline, depuis le 6 juillet 1 761, de sa mère, Anne Dewes, sœur
cadette de Granville ; chaperonnée par sa marraine, la comtesse Cowper.
Llanaver, 0. c, t. III, p. 633 ; portrait d'Anne Dewes. — L'âge est fourni
par une lettre de sa tante, Mrs Delany, écrite pour son anniversaire :
cf. note 8.
^ Lettres, C, Miss Dewes à Rousseau, 11.
* Œuvres, t. XII, p. 53, à Miss Dewes, 23 janv. 1768; Lettres, C, Miss
Dewes à Rousseau, [6 nov. i 767], V.
* «My dear Mary, Are you really a chess player?» Mrs Delany à Miss
Dewes, i 2 mars 1765 ; Llanover, 0. c, t. I, p. 43.
<5 Lettres, C, Miss Dewes à Rousseau, 29 nov. 1766, I ; 18 déc, IV.
Œuvres, t. XI, p. 401, à Miss Dewes, 9 déc.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 63
le Gomté de Warwick*; au retour, en mai 1767, elle
ne retrouva pas son «vieux berger^. » Une correspon-
dance peu active, mais dont il nous est parvenu un
écho touchant, s'établit entre le « barbon^ » et la ber-
gère; peu d'années après, lorsqu'elle eut rencontré le
« berger qui fit son bonheur* » et qu'elle eut fondé une
famille, elle regretta de n'avoir pas son vieil ami pour
élever ses quatre enfants^; elle les avait allaités elle-
même " : reçut-elle en échange le fameux lacet ^?
^Lettres, C, Miss Dewes à Rousseau, i8 déc. 1766,1V. Il s'agit de
Wellesburne Hastang ; on y trouve encore un Dewes en 1829. Pater-
son, o. c, éd. 1829, p. 173.
'' Lettres, C, Miss Dewes à Rousseau [6 nov. 1767]^ V.
^Œuvres, t. XI, p. 401, à Miss Dewes, 9 déc. 1766.
* John Port, d'Ilam, qu'elle épousa le 4 déc . 1 770 ; ils se connaissaient
depuis longtemps; cf. Granville à Mary Dewes, che^ la comtesse Cow-
per, Cahvich, 18 mai 1766: «Mr. Port called yesterday morning. » En
note: «Mr. Port's name was previously Sparrow, instead of which he
took the name of Port on succeeding to the Ilam property of his uncle
in Derbyshire. » Llanover, o. c. , t. I, p. 3 1 2 ; t. I, p. 58. Cette observation
explique le nom de Sparrow qui étonne d'abord dans les Œuvres, t. VI.
p. 77, à la Z)""= de Portland, 17 avril 1772.
* Llanover, o. c, t, II, p. 272, Mrs Port à Rousseau, 1776. Ces quatre
enfants étaient une fille (1771), et trois garçons (1773, 1774, 1776); le
cadet, Bernard, mourut en janvier 1854, vicaire d'Ilam.
« «Je suis affligé du mauvais état où continue d'être la santé de mon
bon voisin, M. Granville; cela augmente mon regret de n'être plus à
portée de lui rendre des devoirs qui, dans leur inutilité, lui auroient du
moins témoigné combien je m'intéresse à ses maux. Il doit trouver une
grande consolation dans l'heureux mariage de son aimable nièce; je ne
doute pas que le sage parti qu'elle a pris de nourrir ses enfants malgré
sa santé chancellante, ne contribue à l'affermir; je suis plus mortifié
qu'étonné qu'elle ne se souvienne plus de moi au milieu de sa petite fa-
mille naissante. Un jeune mari fait aussi même oublier un vieux berger.
Pour moi je me souviendrai toujours d'elle! Cette manière pleine de
grâce dont elle accompagnait l'accueil caressant que me faisoit son cher
oncle (sic), et je conserve précieusement un joli travail de ses mains
qu'elle destinoit à mon pauvre Sultan et dont je me suis souvent paré
moi-même. » Rousseau à la /)«"• de Portland, s. d. Llanover, o. c, t. I,
p. +19.
^ « Ils ne sont destinés qu'aux Demoiselles de ma connoissance qui
se marient ; à condition qu'elles nourriront leur premier enfant; sans
quoi, point de lacets.» 9 oct. 1762, III. Rothschild, o. c, p. i5.
64 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
En hiver, l'accueil à Calwich était familier : le home
s'ouvrait à l'ami célèbre et modeste ; l'été, quelque
chose de ce charme disparaissait, car le château deve-
nait un centre estimé de vie mondaine et l'on y tenait
gaie compagnie. Rousseau s'y frotta à la société an-
glaise ; Granville le présenta à la vicomtesse Andover*,
à la comtesse Cowper^, à William Fitzherbert, mem-
bre du Parlement^, aux Port qui eurent le plaisir de
l'avoir dans leur résidence d'Ilam^, à Lord Shrewsbury^
seigneur du manoir d'Alton Abbey, d'où Rousseau re-
fusa avec beaucoup de dignité les avances du comte
Grégoire Orloff qui lui offrait une terre près de Péters-
bourg": à d'autres personnes encore^, dont l'une mé-
1 Cf. p. 66, note i .
2 Œuvres, t. XI, p. 353, à Miss Deives, DCCXCIX.
■'' Il résidait à Tissington, à 8 milles de Calwich; ne doit-on pas, en
effet, attribuer pour une part au souvenir agréable d'une rencontre
avec Rousseau la démarche qu'il entreprit en janvier et en février 1767,
dans l'affaire de la douane? Nous y reviendrons.
*Le 21 août, Rousseau gratifia d'un pourboire «les domestiques de
M. Port» ; il ne put en voir plusieurs à la fois que chez leur maître;
Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVI.
* George Talbot (17 19- 1787), iS"* earl Shrewsbury.
« Grégoire II Orloff (i 734-1 783), le fameux favori de la grande Cathe-
rine. Sa lettre du 2 janv., V. S., 1 767, St-Pétersbourg, fut transmise à Rous-
seau le 9 fév., 1767, par Alexandre Baxter, marchand londonien (Lettres
inéd., Bibl. de Neucliâtel). Le millésime de la réponse de Rousseau,
Œuvres, t. XI, p. 3 14, à Orloff, 23 fév. i 766, doit être corrigé en 23 fév.
1767 ; de même il faut Alton, et non Halton.
' Ainsi la dame mentionnée dans la note suivante (qui ét£fit-ce ?) : « In
my brother's possession at Leek are two pictures, for which my father
was more than once offered a very considérable sum of money, and
whose probable painters' names are much desired. The one evidently
by a French artist, is an exquisitôly finished portrait of Rousseau and
was given by the immortal Jean-Jacques himself while residing at
Wootton in 1766 to a great aunt who lived in the neighbourhood, and
for whom he had conceived a more than ordinary amount of regard.
He is represented m Polish or Cossack dress, being habited in a loose-
flowing.-light purplish-brown robe, the deeply furred fringe of which
he holds with his ruffled right-hand. A high fur cap completely con-
ceals his hair, and a white cravat just peeps out from underneath the
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE ()3
rite qu'on fasse plus que de mentionner son nom, !a
duchesse de Portland.
Auparavant, une courte digression : Jean-Jacques
rencontra-t-il la sœur aînée de Granville, Mrs Delany,
illustrée plus tard par l'amitié du roi George et de la
reine Charlotte^? Il ne semble pas-; elle-même ne dé-
sirait pas cette entrevue ; bien plus, elle redoutait l'in-
fluence du philosophe sur son frère ^ et elle mit très
sérieusement sa nièce en garde contre la séduction de
ses idées ^. Elle refusa de le lire, par discipline morale,
et elle blâme sévèrement Lady Kildare "". disposée à
robe. The face i s nearly full, being about three-quarters turned ; aud
the complexionsdark olive. Furrowed brow and cheeks, thickly brushcd
eye brows, dark, deep-set hazel eyes, which abstractedly foUow one
from ail points of view ; and a thin-lipped, sensuous mouth sum up its
other characteristics. » John Sleigh, Noies and Queries, 3'^ Séries,
vol. IV, i863, p. 475. — Ce portrait n'est-il pas une copie de celui de
Ramsay ?
' Depuis 1776,
2 Œuvres, t. XI, p. 352, à Granville, DCCXCV. Llanover, o. c, 1. 1, p. 9>S.
:* Llanover, o. c, t. I, p. 114, note i.
* Miss Delany à Miss Dewes (fragment, 1776; il faut lire 1766, car
10 ans plus tard, l'adresse eût été : à Airs Port.) « Now for a word about
Monsieur Rousseau, who has gained so nluch of your admiration. His
writings are ingénions, no doubt, and were they weeded from the false
and erroneous sentiments that are blended throughout his works (as I
hâve been told), they would be as valuable as they are entertaining.
I own I am not a fair disputant on this subject from my own knowledge
of his works, as I avoid engaging in booksfrom whose subtlety I might
perhaps receive some préjudice, and I always take an alarm whers virUie
in gênerai terms is the idol, without the support of religion, the only
foundation that can be our security to build upon ; that greal plausibi-
lity and pomp of expression is deluding, and requires great accuracy uf
judgement not to be imposed upon by it. I therefore think it the wisest
and safest way to avoid those snares that I may not hâve strength
enough to break when once entangled in them. I remcmber a wise
maxim of my Aunt Stanley's when I lirst came into the great world :
avoid putting yourself in danger, Jly from temptation, for it is ahvays odds
on the tempter's sake. » Llanover, o. c, t. I, p. 80.
» Emilia Mary, fille de Charles, duc de Richmond et Lennox, femme
de James, marquis de Kildare, créé duc de Leinster, le 26 nov.1766.
Llanover, 0. c, t. I, p. 77, note.
66 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
confier Téducation de ses enfants à Rousseau ' — preuve
nouvelle que notre exilé eût trouvé mille portes ouver-
tes dans cette Angleterre inhospitalière-! — Mrs De-
lany redoutait la suprématie de la passion, le jeu effréné
des énergies naturelles, et on lui doit ce mot : « Woot-
ton, bon pour un cynique, est trop austère pour un
philosophe sentimental'' ! »
Dès juillet, Rousseau fit. à Calwich, la connaissance
de la duchesse de Portland^. Lady Margaret Cavendish
1 ^ttre de Mrs Delany à Lady Andovev. « Delville, 4"' sept. 1766... I
am glad you hâve seen the Rousseau; he is a genius and a divinity, and
his Works extremely ingenious, as I am told, but to young and unstable
minds / believe dangerous, as under the guise and potnp of virtue he
does advance very erroueous, and unorthodox sentiments; it is not the
« bons tons » who say this, but I am too near the day of trial, to dis-
turb my mind with fashionable whims. Lady Kildare said she would
ofFer R. an élégant retreat if he would educate lier children ! I own 1
widely difler with her ladyship, and would rather commit that charge
to a downright lionest parson, I mean as far as to religions principles,
but perhaps that was a part that did not fall into her scheme at ail. You
see, my dear Lady Andover, what rust I am gathering by lying by, I
wish it may hâve the merit of an old coin, and be a testimony of somc
real value, tho' I feel too much my own insignifiance to think that can
be the case.» Llanover, 0. c, t. I, p. 67. — Delville est dans le voisi-
nage de Dublin.
- Œuvres, t. IV, p. 147, note i, Héloise, II, ix ; t. XI, p. 326, à Mme de
Boufflers, 5 avrtt 1766.
3 « Delville, 3. July 1766... I hope your neighbour Rousseau enter-
tains you ; is he pleased with his own Hermitage ? it is romantic enough
to satisfy a genius, but not so well suited to a sentimental philosopher
as to a cynic, it is rather too rude, and I should imagiqe Caldwich
much better fitted for that purpose.» Mrs Delany à Granville. Llanover,
o. c, t. I, p. 65. - ■ " '
* Mrs Delany à Lady Andover. — «Delville, i5"' July 1766... Tho
Duchess oi Portland wrote me word that she should be very happy to
meet your ladyship at Caldwich, and I supposed by that it had been
settled between you. My brother also impatiently expects and hopes for
that honour, and is only concerned that he « shall not be able to enter-
tain you as he ought», but he will treat you with a sight of Monsieur
Rousseau, who is in, his neighbourhood. » Llanover, 0. c, t. I, p. 68.
— Œuvres, t. XI, p. 352, a Granville, [i" juillet] 1766, DGCXCIII;
p. 422, à Du Peyrou, 14 fév. 1767.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 67
Harley \ et non point, comme Howitt l'enseigne,
Lady Dorothy Cavendish ^, qui ne devint duchesse de
Portland que le 21 novembre 1766, par son mariage
avec William Henr}' Cavendish Bentinck, 3"^^' du
titre ^
La duchesse et Rousseau herborisèrent dans le jar-
din de Calwich^ et étendirent bientôt leur champ d'ex-
ploration aux collines sablonneuses d'Okeover^, puis
au massif du Peak lui-même ", où la noble dame étonna,
par son agilité et la sûreté de sa marche, le vieux grim-
peur du Chasseron ^. Depuis fin août, sur l'initiative
' 1715-1785. Epousa le ii juin 1734, William, 2™° duc de Portland.
Qu'elle fût la correspondante de Rousseau, le titre de D«"« de Portland
qu'il lui donne en juillet le prouve bien ; de même la qualification de
duchesse douairière qu'il lui applique en 1770 et qui n'irait guère à une
femme de 20 ans ! Œuvres,x. XII, p. 2 10, à Moultou, 28 mars. Et encore
le témoii^nage de Lady Llanover, 0. c, t. I, p. 98, qui relève l'erreur de
Howitt. L'intimité de Mrs Delany et de la duchesse ne s'explique qu'en-
tre femmes de même âge. Enfin, un détail fourni par le Dictioiinary oj
National Biography, montrant l'intérêt pris par la D«"« de Portland,
en 1762, à la botanique, terminera cette liste de preuves: Solauder
« was engaged to arrange the Duchess of Portland's Muséum. »
- Fille de William Cavendish {1720-1764),' 4° duc de Devonshire ; née
le 17 août 1750, morte le 3 juin 1794.
^ 1738- 1809. Deux fois premier ministre.
* OEuvres, t. VI, p. 66, à la D"" de Portland, 20 oct. 1766.
* Llanover, 0. c, t. I, p. 70, Duchesse de Portland à Granville, Buxton,
23 août 1766.
« Howitt, 0. c, p. 5o5. — S'agit-il de promenades répétées dans les
vallons les plus proches de Wootton ou bien y eut-il une excursion de
plusieurs jours ? Nous n'en savons rien ; en tout cas, une absence pro-
longée de Wotton ne pourrait avoir eu lieu que durant la seconde quin-
zaine de juillet ou la première d'août, si du moins les lettres connues
de Rousseau pour ces deux mois sont bien les seules qu'il écrivit ; on
n'en connaît aucune entre le 21 juillet et le i" août, le 5 et le 8 août,
le 17 et le 22. On sait que le 21 août il était à Ilam ; y-passa-t-il au
cours de cette expédition problématique, s'y séparant de la duchesse
qui allait à Buxton (cf. note 5) et, de là, se rendit à BuUstrode? cf. Jan-
sen, Alb., Rousseau als Botaniker, Berlin, i885, p. 3o3: !)•"• de Portland
Rousseau, BuUstrode, 10 sept. 1766.
7 Œuvres, t. XII, p. 43, à Du Peyrou, 17 oct. 1767.
68 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
de la duchesse^, il fallut se borner à correspondre,
Lady Portland habitant Londres ou Bullstrode*; pen-
dant dix ans, ce fut un échange assez régulier de lettres,
de graines, de plantes, de renseignements ; elle pourvut
Jean-Jacques de traités de botanique appréciés^ et tenta
— vainement, hélas! — de renouer les relations entre
son «herboriste^» et milord Maréchal % relations bri-
sées en novembre 1766, du chef de ce dernier''.
Ainsi s'écoula l'été, le seul que Rousseau passa en
Angleterre et qui est plein de contrastes : d'une part le
tourment des attaques de Hume^, de l'autre le charme
des réceptions chez Granville.
Que devenait Davenport? Rentré dans son domaine
familial de Davenport Park en Cheshire*, il communi-
quait fréquemment avec son locataire par l'intermé-
diaire du garde ; à ses nombreux billets s'ajoutèrent
ceux de Phébé, malheureusement perdus, ainsi que les
réponses de Jean-Jacques, à l'exception d'une seule '■'.
» Œuvres, t. VI, p. 65, à la D"" de Portland, 20 oct. 1766, en réponse
à sa lettre du 10 sept.; cf. p. 48, note i.
2 Près de Londres, au sud du Buckinghamshire.
•' Œuvres,}.. VI, pp. 65-.8o, à la D'"' de Portland, 20 oct. 1 766-11 juillet
1776. — J^nsen, A., o. c, pp. 3o3-3o6, Z)"« de Portland à Rousseau,
10 sept. 1766-2 oct. 1767, I-VI.
* Rousseau ne prit ce titre qu'en France, Œuvres, t. VI, p. 70, à la
£)esie Je Portland, 19 juillet 1767.
* Id., t. VI, p. 70, à la D'^'° de Portland, 29 avril 1767.'— Brisées de
fait, car depuis lors Rousseau se plaint de n'avoir .plus de nouvelles de
G. Keith autrement que par. des tiers ; Œuvres, t. XI, p. 401, ^ Keith,
11 déc. 1766 ; p. 410, à Du Peyrou, 8 janv. 1767 ; p. 41g, à Keith, 8 fév. ;
p. 422, à Du Peyrou, 14 fév.; t; XII, p. 5, à Keith, 19 mars.
* Streckeisen, 0. c, t. II, p, i 54, de Keith, 12 nov. 1766, LXXXVI.
' Œuvres, t. XI, p. 373, à Guy, 2 août 1766.
* A un mille de Brereton Green et de Congleton, à vingt milles de
Wootton. Davenport l'avait acheté en 1740, de Sir Matthew Deane ; un
mariage lavait fait- sortir de la famille en 1676; cf. Lysons, D. and
Lysons, S., Alagna Britannia, vol. II, part II, p. 491, London, 1810, 4*.
* Streckeisen, Œ'Hvrt'.s ind., p. 439, à Mlle Davenport, 1766, XLV.
SÉJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN ANGI.ETERRl': 69
L'éloignement des deux localités n'empêcha pas Da-
venport de revenir à Wootton deux fois encore durant
la belle saison; le mardi i^' juillet', ce fut surtout pour
examiner les dispositions de Rousseau, que Hume dé-
sirait connaître^: au début d'août^, il voulut probable-
ment apaiser, par sa sympathie, l'excitation et la mé-
lancolie de son ami*. Jean-Jacques, sensible à cet atta-
chement sincère, profita des derniers jours d'août pour
rendre à son hôte sa politesse et il s'achemina vers le
Cheshire, à pied peut-être^, peut-être aussi dans la
chaise tenue en réserve à Wootton". De cette excursion
nous ne savons rien, tout au plus des dates approxima-
tives. Parti le 25 ou le 2(> dans la matinée', il arriva à
Davenport Park dans l'après-midi.
La rivière Dane courait sous les hauts arbres du
parc, égayait les prairies, envoyant de ci de là un
ruisseau d'irrigation dans les jardins potagers ou d'a-
grément : un projet de rénovation en fut décidé et Rous-
seau promit d'y songer**: quelle joie ce lui eût été de
planter à sa guise, de ménager les eaux et de tracer les
sentiers! A l'instar de Julie, il eût créé quelque îlot
paisible de verdure, quelque solitude bocagère, et se
' Burtou, o. c, t. Il, p. 336, Davoiport à Hume, 6 juillet 1766. Let-
tres, B, Davenport à Rousseau, 3o juin 1766, V ; Œuvres, t. XI, p. 352,
à Granville, [i»' juillet] ; p. 353, à Davettport, 2 juillet.
- Lettres, D, Hume à Davenport, 27 mai 1766-26 juin, 1-I\'.
■^ Id., B, Davenport à Rousseau, i" août 1766, VI.
* Id., A, Rousseau à Davenport, [24-31 juillet 1766], VIll.
'^Œuvres, t. XI, p. 325, à Strafford, 3 avril 1766. La résidence de
Straflbrd ici mentionnée, Wentworth Castle, était à 70 km. de Woot-
ton ; cf. p. 26, note 3.
'■ Lettres, B, Davenport à Rousseau, 4 mai 1767, XXXVII.
' Id., A, Livres de Dépenses, XLVl : «Du 29 [août]. Pour le voyage de
Davenport deux Dînées en route...»
^G'^uvres, t. XI, p. 390, à Davenport, ii sept. 1766.
70 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
fût complu dans cette réalisation splendide d'un rêve
attachant ! Sortant de la propriété, il se rendit au vil-
lage de Davenport ; sa robe lui joua le mauvais tour
habituel : on le crut fou ! ^
Par contre, aux yeux des enfants de la maison, il
grandissait de toute la bonté avec laquelle il contem-
plait leurs jeux, et de tout l'intérêt dont il suivit leurs
études ; lui-même découvrit avec un naïf plaisir qu'il
possédait encore son arithmétique, y compris la règle
de trois et le calcul des réductions que ses petits amis
appliquaient dans leurs problèmes sur l'abominai le
casse-tête de la monnaie anglaise -.
Le vendredi 29 août il rentrait à Wootton ; nous
ignorons si Thérèse l'avait accompagné.
Rousseau n'oubliait jamais le pourboire des domes-
tiques qui lui rendaient service, et il en inscrivait exac-
1 Edgeworth et sa famille passèrent l'été de 1781 à « Davenport Hall
in Cheshire... We rented it from Mr Davenport, to whom it belonged.
He had entertained Rousseau there, when he was brought over from
France by Hume. In one of the rooms there was an excellent picture of
the eccentric philosopher of Geneva. I believe that the print, which is
prefixed to the English translation of his works, was taken from this
picture. The people, in the neighbourhood of Daveçport, who had seen
or spoken to hifn, thought him mad ; perhaps they were not much
mistaken. » Edgeworth, Memoirs, London, 1820, t. I, p.. 382. Cette der-
nière appréciation est bonne à noter chez un homme qui éleva son
fils, de la 3« à la 8« année (i 766-1 771), conformément à V Emile, et en
fit un garçon hardi, endurant, généreux, mais très désobéissant ; 0. c,
p. 179. — A certains égards, le passage est étrange ; en 1781, R. Daven-
port était mort depuis 10 ans, et Daven'port Hall appartenait, de part son
testament, à sa petite fille Phébé (Ormerod, George, The History of tht
County Palatine and City of Chester, 2'"i Ed. by Th. Helsby, London.
1882, 4% t. III, p. 67 ; Lysons, o. c.) De plus Rousseau n'habita pas Da-
venport Hall, sauf durant sa courte visite, sens que peut avoir « enter-
tained. » Ces inexactitudes surpr^nent d'autant plus qu'Edgeworth vint
habiter, en 1770, Lichfield, à 22 milles de Wootton et dut connaître
les traditions locales concernant Rousseau ; aurait-il pu confondre Da-
venport et Wootton ?
2 Œuvres, t. VIII, p. i 27, Confessions, I, v.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 7I
tement le montant dans son agenda^; mais sa généro-
sité native ne se déployait vraiment que dans les cir-
constances où rien, ni coutume ni requête, ne la con-
traignait à s'exercer-. Les paysans de Wootton béné-
ficièrent les premiers de sa bienveillance à l'égard du
prochain.
Sans avoir toujours de lointains buts de promenade,
Jean-Jacques aimait à sortir du parc, à errer aux
alentours, à observer les cultures"', le bétail au pâtu-
rage, les moutons tondant l'herbe grasse des prés soi-
gneusement enclos \ Volontiers il se rendait à Woot-
ton ; du Hall, un petit quart d'heure de marche à tra-
vers la pelouse et par un chemin creux et montant,
ramenait au centre du hameau; toutes de pierres grises,
les maisons, précédées d'un jardinet entouré d'un mur
de pierres — et non de briques comme l'on s'y atten-
drait — s'éparpillent sur un versant déboisé, au carre-
four de trois routes: l'une descend à EUastone en con-
tournant le parc, l'autre se dirige vers les Weaver Hills,
vers Stanton et Ilam. Là, nulle, auberge, nulle bou-
tique ; accompagné de Miss Zell, ou même seul, Ross
HalP pénétrait dans les chaumières et y distribuait
' Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVl ; domestiques de Port, de Da-
venport, le jardinier de Granville, Peggy et sa mère, l'enfant du jardi-
nier de Wootton.
2 Œuvres, t. VIII, p, 369, Confessions, II, x.
' Œuvres, t. VI, Sur la Botanique de Regnanlt : p. 9g, la pomme de
terre; p. 117, le navet. Dufour, Th., Pages inédites de J. J. Rousseau,
Annales J. J. Rousseau, t. II, p. 265, n° 64: «Eglantier ou Rosier sau-
vage. Ce n'est pas le Gratte-cu commun. C'est celui dont les feuilles
sont odorantes et que les Anglois ne dédaignent pas de placer dans
leurs jardins. »
* Id., t. VI, p. 66, à la Z)"^« de Portland, 20 oct. 1766; p. 68, 12 fé-
vrier 1767.
5 Miss Zell 1= Mademoiselle) et Ross Hall : Thérèse et Rousseau dans
k' dialecte local: cf. Howitt, o. c, p. 5 11.
72 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
libéralement son thé suisse composé de simples cueil-
lis dans les vallons et sur les collines, au hasard des
courses champêtres ^
Sa rêverie de solitaire, lui faisant parfois dépasser le
village, le conduisait à la mine de plomb de Stanton" :
captivé d'abord par les travaux d'extraction du minerai,
il reportait bien vite son intérêt sur les mineurs eux-
mêmes, et leur dénuement le touchait fort: que de fois
il regretta d'avoir si peu d'argent pour soulager leur
misère •\'
Si les campagnards lui témoignaient la déférence *
que le vulgaire ne refuse guère aux êtres bons, un peu dé-
rangés d'esprit, et le prenaient pour un roi détrôné, les
enfants, eux, le tenaient pour un être mystérieux et re-
doutable : du plus loin qu'ils apercevaient le bonnet et
le caftan, ils fuyaient, avec un furtif regard de curio-
sité : soixante-quinze ans plus tard, le fermier Burton,
James Robinson. et Miss Sait se souvenaient de leur
émoi d'écoliers apeurés'^.
1 Lettres. C, Malthus à Rousseau, i8 juillet 1766, X.— 11 semblerait
qu'à la longue Rousseau ait pu échanger quelques paroles avec les
campagnards des alentours: « Scavés-vous la différence qu'il y a des
paysans d'Angleterre a ceux de ce pays-ci r Quand j'herborisois, ils
venoient me demander : «A quoi sert cette plante ? » Ceux d'ici [me di-
sent] : « Ah! C'est telle chose; cela sert à tel. » Ceux ci veulent instruire,
ceux la cherchent toujours à s'instruire. » Cf. Saint-Pi£rre, Bernardin
de, Vie et Ouvrages de J. J. Rousseau,' éd. M. Souriau, Paris, 1907,
in-i6, p. i65.
2 Œuvres, t. XI, p. 335, à Mme de Lu^^e, 10 mai i 766. Lewis, Samuel,
J'upographical Dictionaiy of England, London, i83i, 4°.
3 Lettres, A, Livre de Dépenses, 7 août i 766. — En 1769, une famille
de mineurs habitait une grotte, près de Buxton ; interrogée sur le gain
de son mari, la femme- répondit que «if he had good luck, he could
earn his five-pence a day ! » De Foe, 0. c, 7"' éd., t. III, p. 80.
* Œuvres, t. XI, p. 336, à M . de Lu:^e, 10 mai 1766.
^ Howitt, o. c, pp. 5 10-5 II.
SÉJOUR DE .1. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRK y'i
IV. La Bibliothèque et les Estampes de Rousseau.
Nous ne saurions taire deux transactions qui occu-
pèrent Rousseau durant l'hiver et qui sont importantes,
sinon en elles-mêmes, du moins par les pistes sur les-
quelles elles peuvent mettre les investigateurs : nous
entendons la vente de sa bibliothèque et celle de ses
estampes.
En automne 1768, ayant renoncé au métier d'auteur,
Jean-Jacques avait chargé son ami Léonard Usteri de
vendre, en bloc, les 4 ou 5oo volumes de sa « librai-
rie*» ; l'affaire en resta là. Deux ans plus tard, il pos-
sédait un millier de livres- et cherchait à s'en débar-
rassera Au lendemain du départ de l'île Saint-Pierre,
il songea à en établir le catalogue^, ou plutôt à com-
pléter celui qu'il avait commencé pendant l'hiver 17(53-
[764^; de Strasbourg, puis de Paris*, il pria Du Peyrou
de lui préparer l'envoi des plantes suisses reçues de Julie
de Bondeli, en septembre 1765'^, et des ouvrages de
botanique, et de le défaire du reste*; de Wootton, il
1 Usteri, P. et Ritter, Eug., o. c, p. 86, Rousseau à Usteri, 3 octobre
I 763.
- Dutens, Louis, Lettre à M. D[e] Blure], sur la Réfutation du livre
de VEsprit d'Helvétius par J. J. Rousseau. A Londres, 1779, ^°> P- 4-
^ Œuvres, t. XI, p. 229, à Du Peyrou, 7 mars T765 ; Bosscha, 0. c,
p. 253, 18 mars 1765, n" i32.
* Id., t. XI, p. 288, à Du Peyrou, 27 oct. 1765.
'" Usteri, P. et Ritter, Eug. o. c, p. 86, Rousseau à Usteri, 3 oct. 1763 ;
p. 91, 5 janv. 1764.
» Œuvres, t. XI, p. 293, à Du Peyrou, 17 iiov. 1765; p, 3o2, 24 déc,
■ Cf. Usteri, P. et Ritter, Eug., o. c, p. 147, J. de Bondeli à Usteri,
I 7 sept. 1765.
* Thérèse transporta les livres chez Du Peyrou le vendredi 8 nov.
i"765. Cf. Du Peyrou à Rousseau, 9 nov. 1765, n" 6 (Lettre inéd., Bibl. de
Neuchâtel.i
74 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
réitère cet ordre \ et, lorsqu'à son grand déplaisir il
apprend que sa bibliothèque entière est en route pour le
rejoindre -, il s'en tient à son projet dans la mesure du
possible : ce qu'il ne veut pas sera vendu à Londres'.
Après une attente énervante *, il est avisé, le 12 août,
que les libraires Becket et de Hondt ont pour lui, de-
puis le 18 juillet ^ sept caisses marquées I. I. R. du
poids considérable de 1244 livres; le transport coûtait
16 livres sterling et plus", la douane s'élevait à 14 livres
sterling ^ Jean-Jacques s'étonna fort, s'indigna même
d'avoir à payer 3i livres*, et tous ses correspondants
apprirent sa colère de voir taxer 20 shellings un vieux
cistre pourri et brisé ^.
Le 23 août, il recevait de Becket un ballot de traités
' Œuvres, t. XI, p. 321, 29 mars 1766; p. 33;, 10 mai; p. 345,
3i mai.
- Elle quitta Neuchâtel le 24 mai 1766 par le bateau de Thuillard.
Mandrot et Eternod qui s'engagèrent à la remettre, à Londres, aux
libraires Becket et de Hondt. Cf. Du Peyroit à Rousseau, 1^'' juin 1766»
n° 26; avril 1766, n" 23 (Lettres inéd., Bibl. de Neuchâtel. I Ce bateau
partait d'Yverdon chaque année au printemps; Œuvres, t. XI, p. 297, à
d'Ivernois, 2 déc. 1765.
: ■'' Œuvres, t. XI, p. 349, à Du Peyroti, 21 juin 1766.
* Id., t. XI, p. -320, 29 mars 1 766.
'^ Id., t. XI, p. 38i, à Rey, [23] août 1766; Lettres. A, Rousseau à
Becket, 23 août, XIV.
6 Lettres, Yi, Becket à Davenport, 6 sept. 1766. — Le transport, cal-
culé sur la base de 27 livres de France (=; 18 francs de Berne =
26 sols sterling) par quintal, fut majoré de 2 livres 5 sols par quintal
sous le prétexte que les caisses pesaient-seulemént 10 Quintaux et non
les 3o prévus. Cf. Du Peyrou à Rousseau, 14 fév. 1766, n" 18; i"' juin.
n''26; 6 juillet, n" 29 (Lettres inéd., Bibl. de Neuchâtel.)
''Lettres, A, Rousseau à Becket, 23 août 1766, XIV.
^ Id., Rousseau à Lucadou, 11 août 1766, XII; Rousseau à Becket,
(^11 août 1766], XIII. C'est Lucadou, correspondant de Du Peyrou, qui
acquitta cette somme. Œuvres, t. XI. p. 3 12, à d'Ivernois, 25 février
I766.'
^Lettres, A, Rousseau à Becket, 23 août 1766, XIV; Œuvres, t. XI,
p. 38i, à Rey. [23] août; t. XII. p. 2, à Guy, fév. 1767.
SÉJOUR DE .1. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 7 5
botaniques^ contenant aussi plusieurs portefeuilles
vides de leurs estampes ; pour le coup, il se crut volé
et protesta en termes énergiques et amers-; Daven-
port s'informa^; finalement tout se retrouva^.
Subsistait l'énormité des droits de douane ; malgré
une vive correspondance en août et en septembre entre
Rousseau, son hôte et Becket, les choses n'avancèrent
pas jusqu'au retour à Londres de Davenport qui mit
en mouvement son ami William Fitzherbert. député de
Derby et membre du ministère du commerce"'; informé,
le premier commissaire de la Trésorerie, duc de Grafton,
fit rembourser, en janvier 1 767, les droits acquittés en
septembre ; il ajouta qu'il s'agissait là d'une attention
spéciale du roi à l'égard de l'écrivain''. Encore que
flatté^, Rousseau remercia Grafton en une lettre sèche*
où Davenport, qui la transmit ^, retrouva l'écho de celle
' Lettres, A, Rousseau à Davenport, g fév. 1767, XXXIII.
2 Id., A, Livre de Dépenses, XLVI : « 18 août: Port d'un ballot de
livres» ; ce ballot resta en souffrance quelques jours, à Ashbourne pro-
bablement, bureau de poste le plus rapproché, et n'en fut retiré que
le 23; id., A, Rousseau à Becket, 23 août 1766, XIV; Œuvres, t. XI,
p. 38i, à Rey, [23] août.
^Lettres, B, Davenport à Rousseau, 10 sept. 1766, VIII.
* Id., A, Rousseau à Davenport, 11 sept. 1766, XVII.
^ Id., B, Davenport à Rousseau, 20 janv. 1767, XVIII; 3 t'év., XXI :
Œuvres, t. XI, p. 417, à Davenport, 7 fév. — Fitzherbert (cf. p. 5q,
note 3), dont Johnson louait l'amabilité et l'entregent (Boswell, o. c,
i. III» p. 148), était « Commissioner of the Board of Trade, and Mem-
ber for the borough of Derby»; c'est en cette qualité qu'il possédait la
franchise de port : il y a une lettre de lui à Davenport, du 7 août 1766 ;
l'enveloppe, non affranchie, porte la signature : W"» Fitzherbert, Der-
byshire ; elle ne concerne pas Rousseau (Brit. Mus., Add. 29626, f. 26.)
Il se suicida, le 2 janv. 1772.
'^Lettres, B, Davenport à Rousseau, 27 janv. 1767, XX; à comparer
;ivec la missive originale du secrétaire Stonhewer, donnée en note.
7 Œuvres, t. XI, p. 422, à Du Peyrou, 14 fév. 1767; t. XII, p. 5, à Guy,
14 mars.
* Œuvres, t. XI, p. 415, 7 fév. 1767.
* Id., t. XI, p. 417, à Davenport, 7 fév. 1767.
7t> ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
qui lui avait été adressée quelques jours auparavant ^
Entreposées jusqu'alors chez Becket et de Hondt, les
malles passèrent, le 19 janvier 1767, dans la maison de
Davenport-. qui accepta d'en évaluer le contenu'*, mais
se déchargea de ce soin qui dépassait sa compétence^
sur Louis Dutens ■', bibliophile distingué '"'. L'affaire —
compliquée par mille circonstances, dont la plus grave
était la susceptibilité de Jean-Jacques, toujours enclin
à voir partout des bienfaiteurs importuns ou des gens
indélicats^ — se régla en six semaines.
Moyennant deux guinées^, le libraire Lewis^ estima
les volumes après un inventaire délicat^", car — nil novi
sub sole — les douaniers avaient bouleversé les caisses*'.
1 Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3i janv. 1767, XXX.
- Id., B, Davenport à Rousseau, 20 janv. 1767, XVIII ; Davenport em-
ménagea 6 malles : la 7""' était à Wootton depuis l'été ; cf. p. 71, note i.
• Du Peyrou accompagna l'envoi d'un catalogue du contenu spécifi-
que de chaque caisse et répéta dans sa lettre n" 26, du i" juin 1766, les
articles principaux: «caisse n" i: Livres de Botanique, Estampes,
Porte-feuilles ;n° 2 : le Calepin; n» 5 : deux exemplaires des lettres de
Voltaire sur les Miracles ; n* 6 : Musique et Médailles ; n° 7 : Guitare . »
(Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.l
*^ Lettres, B, Davenport à Rousseau, 3 fév. 1767, XXI.
"> Id., C, Dutens à Rousseau, 12 fév. 1767, II; B, Davenport à Rous-
seau, 14 fév., XXiy ; Œuvres, t. XI, p. 423, à Dutens, -16 fév.
•^ Et non librajre, comme le disent MM. Usteri et Ritter, o. c, p. 92,
note. — Louis Dutens (1730-1812), pasteur, historiographe de Geor-
ges III, polygraphe, éditeur de Leibniz.
^ Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3i janv. 1767, XXX ; C, Dutens
à Rousseau, 12 fév., II.
î* Lettres, B, Davenport à Rousseau, 26 mars 1767, XXXII.
'•' Id:, B, Davenport à Rousseau,. 12 mars 1767, XXVIII. Ce Lewis te-
nait boutique dans Russell Street, Covent Garden. Dutens proposait un
certain Baker: id., B, Davenport à Rousseau, 14 fév., XXIV.
w C'est Rousseau qui demanda l'expertise: Lettres, A, Rousseau à Da-
venport, 3i janv. 1767, XXX, et Œuvres t. XI, p. 417, 9 fév. ; ce pro-
cédé était plus rapide que celui de Dutens qui, très honnêtement, vou-
lait établir les prix après consultation des catalogues des différents
libraires londoniens : Lettres, C, Dutens à Rousseau, 26 fév., III ;
3 mars, IV.
''\Lettres, B, Davenport à Rousseau, 23 fév. 1767, XXV.
SÉJOUR DE .1. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 77
Beaucoup d'ouvrages étaient dépareillés ; les tomes
manquants pourrissaient dans quelque haie de Mont-
morency ou de Métiers^; néanmoins le catalogue- qu'a-
vait rédigé ^ ou complété * Du Peyrou permit le con-
trôle. L'opération, honnêtement conduite, permit d'é-
viter l'encan -^ ou la vente en bloc à un libraire qui eût
spéculé sur ces livres, tous revêtus de la signature de
leur illustre possesseur % et n'eût pas manqué de publier
— au grand effroi de Rousseau' — les remarques dont
il avait couvert les marges de certains ouvrages et très
spécialement les observations sur VEsprit d'Helvétius.
Il y eut deux acquéreurs : Davenport retint VEncy-
clopédie qu'il paya 34 livres sterling''; la bibliothèque
devint la propriété de Dutens lui-même qui s'enrichit de
mille volumes^ pour le prix de 65 livres^*'. Il adopta une
manière originale de s'acquitter; abandonnant sa pre-
' Œuvres, t. XII, p. 3, à Dutens, 2 mars 1767.
- Id., t. XI, p. 417, à Davenport, 9 fév. 1767 ; t. XII, p. 3, à Dutens,
1 mars; Lettres, C, Dutens à Rousseau, 26 fév., III.
■^ «Vos Livres sont donc chez moi, et je me suis oublié à vouloir les
■' arranger. Je n"ay réussi qu'en partie, et j'ay laissé cette occupation
« pour venir vous écrire. Quand tout sera fini, je vous envoyerai le Ca-
« talogue pour que vous me marquiez ce que vous voulez garder. >■> Du
Peyrou à Rousseau, n" 6, 9 nov. 1765. (Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.i
■* Cf., p. 69, note b.
'"Lettres, C, Dutens à Rousseau, 12 fév. 1767, II.
* Id, C, Dutens à Rousseau, 26 fév. 1767, III; B, Davenport à Rous-
seau, 3 fév., XXI; Œuvres, t. XI, p. 423, à Dutens, 16 fév. — Cet cx-
//èm autographe : A. J. J. Rousseau, est reproduit par Malassis sur le
titre de sa plaquette, La Querelle des Bouffons, Paris, 1876, 8».
7 Lettres, A, Rousseau à Davenport, 9 fév. 1767, XXXIII; B, Daven-
port à Rousseau, 14 fév., XXIV; C, Dutens à Rousseau, 5 mars, IV.
^ Id., C, Dutens à Rousseau, 26 fév. 1767, III; B, Davenport à Rous-
seau, 12 mais, XXVIII.
9 «Il y a douze ans que j'achetai à Londres les livres de J. J. Rous-
seau, au nombre d'environ mille volumes.» Dutens, L. Lettre à Mon-
sieur D[e] B[ure] sur la Réfutation du livre de l'Esprit d'Helvétius par
./. J. Rousseau. A Londres, 1779, p. 4.
"' Lettres, B, Davenport à Rousseau, 26 mars 1767, XXXII.
7^ ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
mière idée de trois annuités, il décida de servir à Jean-
Jacques une rente viagère annuelle de lo livres cessant
à la mort du prémourant ^, payable par son cousin
Frédéric Dutens, de Londres, et partant du 5 juin 1 767 *.
Avec une délicatesse qui l'honore, Dutens déclara à
Rousseau qu'il tiendrait constamment à sa disposition
les ouvrages annotés de sa main et qu'il ne communi-
querait ces volumes à personne, pas même à titre de
prêt^.
Au moment de l'achat plusieurs volumes étaient à
Wootton"; ils furent transmis à Dutens au début de
1768^. Oii la mort de ce bibliophile dispersa-t-elle tous
ces ouvrages? Nous l'ignorons, avec le regret de ne
pouvoir connaître la composition de la bibliothèque de
Jean-Jacques, bibliothèque de quelque valeur, ainsi
qu'en témoignent et les paroles de Dutens^ et la somme
qu'il consacra à son acquisition^.
A la même époque, Rousseau se défit aussi de sa
collection d'estampes, malgré la passion que les gravures
1 Id., C, Dutens à Rousseau, 26 fév. 1767, III ; 19 mars, V; B, Da-
venport à Rousseau, 1 2 mars, XXVIII.
2 Id., D, Dutens à Davenport, 3o mars 1767, II.
•' Id., C, Dutens à Rousseau, 19 mars 1767, V.
^ Lettres, \, Rousseau à Davenport, 3o avril 1767, XXXVIII. Œuvres,
t. XH, p. 7, à Dutens, 26 mars; p. 42, i'6 oct. ; p. 41, à Guy, 8 oct.
* Lettres, D, Dutens à Davenport, 22 mars 1768,111.
^ Id., E, Davenport à Rousseau, 14 fév. 1767, XXIV.
' Louis Dutens mourut le 23 maii8i2 à Mount Street, Grosvenor
■Square (Genileman's Magai^ine, june 181 2, p. 598.) Sa bibliothèque, riche
en éditions rares, fut vendue aux enchères par Christie, du 8 au 11 fé-
vrier 181 3. Le registre de vente ne mentionne aucun possesseur anté-
rieur des livres, sauf Swift, dont VHomeri Ilias Didymi minor, russia,
élégant, gilt leaves, by Roger Payne, Oxon : lôgS, fut payé liv. st. 1. 17
par Whitmore ; Catalogue, n" 61, p. 39. Le nom de Rousseau n'y figure
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 79
lui inspiraient^, ranimée encore par les donsde Watelet,
en décembre lyôS^, et ceux plus récents de Lord Nu-
neham^. Réclamées dès le début du voyage*, les gravu-
res ne parvinrent en Angleterre qu'en juillet 1766, em-
paquetées par Du Peyrou dans le ballot des livres de
botanique^; on sait déjà que l'incurie de Becket causa
d'inutiles terreurs à Jean-Jacques", qui, bientôt ras-
suré ^ les lui laissa en dépôt jusqu'à l'arrivée à Lon-
dres de Davenport qui les abrita chez lui.
En décembre seulement, Rousseau fit appel aux
lumières de Lord Nuneham pour la vente de sa
collection ' ; le désordre des caisses compliqua le
même pas parmi les auteurs, excepté une fois ; le !«■■ jour, Dulau acheta
i3 sh. le lot n» 70 : Œuvres de Ca:{otte, 7 tomes, 1788; Œuvres choi-
sies de Rousseau, 1766; Poésies de Régnier Desmarais, 2 tomes, 1753. —
Il s'agit de Jean-Baptiste Rousseau. — Dibdin parle de certains ouvra-
ges acquis à cette vente, mais ne fournit pas d'indication sur le fonds
Rousseau; The Bibliographical Decameron,... London, 1817, t. III,
pp. g3, 94.
' « ...j'aime extrêmement les estampes, parce qu'elles laissent quel-
que chose à faire à mon imagination. » Usteri, P. et Ritter, E., o. c, p. 1 57.
- Œuvres, t. XI, p. 304, à Du Peyrou, i'"' janv. 1766.
'• Id., t. XI, p. 4o3, à Nuneham, 24 déc. 1766.
* Id., t. XI, p. 3o2, à Du Peyrou, 24 déc. 1765 ; p. 3o3, 1" jan-
vier 1766.
* Lettres, A, Rousseau à Davenport, 9 fév. 1767, XXXIII.
'5 Id., A, Rousseau à Becket, 23 août 1766, XIV; à Davenport, 6 sept.,
XV; B, Davenport à Rousseau, 8-i3 sept., VII-IX; Œuvres, t. XI, p. 38i,
à Rey, [23] août; p. 418, à Davenport, 9 fév. 1767; cf. note 3.
7 Lettres, A, Rousseau à Davenport, 11 sept. 1766, XVII.
* Id., B, Davenport à Rousseau, b fév. 1767, XXII; C, Nuneham à
Rousseau, 10 fév., II ; B, Davenport à Rousseau, 14 fév., XXIV ; Œuvres,
t. XI, p. 403, à Nuneham, 24 déc. 1766. Lord Nuneham (cf. p. 17,
note 4) était plus qu'un amateur éclairé : il maniait lui-même le burin,
preuve en soit les deux ouvrages suivants : [A Séries of four vietfso/the]
Ruins at Stanton Harconrt in the County of Oxford, drawn and etched...
by Newnham, 4 plates. [London?] 1763, 64, in-fol». — An Account oj
the Church and Remains of the Manor House at Stanton Harconrt in
the County of Oxford, by Georges Simon Harcourt, earl Harcourt,
Oxford. 1808, in- 12.
80 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. J. ROUSSEAU
triage \ Par ordre, Nuneham rentra en possession de ses
cadeaux ^ et enrichit son cabinet des estampes originales
des œuvres de Rousseau^ et des pièces rares de Saint-
Non ^ ; plus tard, il accepta encore celles de Watelet^
que Jean-Jacques, fidèle à son principe de ne pas bat-
tre monnaie des gravures offertes par les auteurs eux-
mêmes'', refusa de mettre en vente ; l'exception qui
frappa celles de Ramsay n'est qu'apparente, car l'ar-
gent en alla aux pauvres par les soins de Nuneham ' ;
la générosité ne parut guère, tant Rousseau s'était
exagéré la valeur marchande'' de ces quelque vingt
portraits •*.
Rousseau conserva les seuls portraits de Milord Ma-
réchal '*^ et de Georges III ^^ : à ces réserves près, il
' Lettres, B, Davenport à Rousseau, 25 fév. 1767, XXV; C, Nuneham
à Rousseau, 28 fév., IV; mars, V.
2 Œuvres, t. XI, p. 403, à Nuneham, 24 déc. 1766.
•' Id., t. XI, p. 421, à Nuneham, 14 fév. 1767.
* Id., t. XII, p. 3, à Nuneham, 5 mars 1767; Lettres, C, Nuneham à
Rousseau, mars, Y.
* A l'origine, Nuneham ne les eut qu'à titre de dépôt, à charge de les
échanger contre un ouvrage de botanique: Œuvres, t. XI, p. 421,.
à Nuneham, 14 fév. 1767 ; Lettres, B, Davenport à Rousseau, 14 fév.,
XXIV ; C, Nuneham à Rousseau, 19 fév., III ; puis il les accepta (id., C,
Nuneham à Rousseau, 22 ']&nv. 1768, IX), bien que les possédant déjà
(id., C, Nuneham à Rousseau, 10 fév. 1767, II.)
« Œuvres, t. XII, p. 3, à Nuneham, 5 mars 1767.
''Œuvres, t. XII, p. 9, à Nuneham, 2 avril 1767; p.^i3, 11 avril;
Lettres, C, Nuneham à Rousseau, 7 avril, VI.
,8 Au lieu de 4 à 5 guinées, ell-e fut dé liv. st. i. i5. Lettres, C,
Nuneham à Rousseau, 7 mai' 1767, VII.
9 Amiral Boscawen, Lord Bute, Duc d'Argyle, etc.: cf. note 7.
1' Œuvres, t. XII, p. 3, à Nuneham, 5 mars i 767 ; Lettres, C, Nuneham
à Rousseau, mars, V.
" Œuvres, t. XII, p. 8, à Nuneham, 2 avril 1767; p. i 3, 11 avril;
Lettres, C, Nuneham à Rousseau, 7 avril, VI. Il ne l'avait pas encore
reçu en mars 1769': Œuvres, t. XII, p. \bi, à Laliaud, 17 mars 1769.
Bernardin de Saint-Pierre vit cette estampe orner la chambre de Rous-
seau, en juin 1772. O. c. pp. 3 i, 33.
SÉJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 8l
trouva acquéreur pour le reste \ sans que son nom fût
prononcé % précaution qui devait interdire toute suren-
chère sur les prix établis par les experts ^ : toujours la
terreur de l'aumône \' La vente eut une belle allure-
la première semaine, elle réalisa 9 guinées et demie ^ èi
le 26 mars toutes les estampes, moins une, étaient
écoulées; le résultat total fut de Lst. 16.11.7, soit
41b fr." Rousseau encaissa cette somme dans le' cou-
rant de l'été ^
On voit que ces deux ventes occupèrent passable-
ment Rousseau durant le premier trimestre de 1767 et
l'obligèrent à une correspondance active qui décèle son
esprit méthodique et sa scrupuleuse honnêteté en ma-
tière dargent, en même temps qu'elle témoigne de la
complaisance de Davenport, de Dutens et de Lord Nu-
neham. Peut-être quelque châtelain anglais pourrait-il
renseigner les rousseauistes sur le sort des livres et des
estampes du maitre.
- Lettres, C. Nxineham à Rousseau, 19 fév. 1767 III
■'■ Le l'^mars. Id., C Nuneham à Rousseau, 28 fév.'i767, IV
nés, t. AJ, p. 421, a isuiieham, i4lév.
s Lettres, C, Nuueham à Rousseau, mars i 767, V.
•^ Id., B, Davenport à Rousseau, 26 mars 116-' XXXTT- r \- ,
Rousse^!- - a^M-;i \n r- jj-- ^ '^7^/, -^^^u . L, ,\ uue/tam a
Œr;frxrp"3sf"/°'^"'^'"-r° '-■ ^-^ paL-RoutSr;
de ^«v ; / ^' ' "^ ^''''' ^""^^ '7b6; la différence proviendrait-elle
de la valeur des estampes de Saint-Non et de Watelet -
ŒttTt. Xl/'^rfr- i^!ï!''": 7 mai : 767, VU;' 27 juillet, VIII
-S a Suneham, 10 juillet; p. 5o, i 7 janv. 1768.
82 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
V. Les dernières semaines a Wootton.
Rousseau devait passer près de deux mois encore en
Angleterre, dont un seul à Wootton ; ces dernières
semaines comptent parmi les plus poignantes, tant leur
histoire est mystérieuse ; elle nous fait remonter de
quelques mois en arrière, car dans cette vie tous les
événements s'enchaînent étroitement, et telle circon-
stance insignifiante à son heure aura une extraordinaire
répercussion sur les événements ultérieurs.
L'automne de 1 766 se passa tranquillement en appa-
rence ; mais Jean-Jacques désirait régler son loyer ^ et
diverses dépenses-: la visite toujours promise et tou-
jours différée^ de Davenport, qui n'était plus revenu à
Wootton depuis août, retenu et par sa goutte et par
une visite prolongée de Mrs Bromle)', sa fille aînée *.
l'avait dérangé dans ses habitudes de régularité''; énervé
de ce délai et voyant approcher Noël, c'est-à-dire le dé-
part pour Londres de Davenport qui y séjournerait qua-
tre mois, craignant d'autre part une nouvelle aumône
déguisée, sous cet éloignement habituel, Rousseau
^Lettres, A, Rousseau à Davenport, 14 oct. 1766, XXI. La location de
Wootton était de 3o liv. st. par an, logement et nourriture pour deux per-
sonnes compris : Burton,. 0. c, t. Il, p. 3i3, Hume à Blair,'2b mars 1766.
, - Ainsi le vin fourni par Walton: Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVI.
" Lettres, A, Rousseau à Davenport, 6 sept. 1766-5 déc, XV, XVI,
XVII, XX, XXI, XXIII, XXIV ; B, Davenport à Rousseau, 8 sept.-5 déc,
VII, XI-XIV.
* Bridget, mariée k John Bromley, de Bagiugton en Warwickshire ;
Lettres, B, Davenport à Rousseau, i3 sept. 1766-16 oct., IX-Xl; Appen-
dices, Ab.
•5 Le premier seTnestre de sa résidence à Wootton échéait le 22 sep-
tembre ; on comprend qu'il ait tenu à le régler au plus tôt, lui qui
aimait à voir clair dans ses comptes et qui les mettait à jour annuelle-
ment en janvier: Œuvres, t. XII, p. 63, à Guy, 17 fév. 1768.
I
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EX ANGLETERRE 83
adressa à son hôte un ultimatum^: il apprendrait sa
situation à Wootton, ou il partirait'
Davenport se rendit à cet appel- l'apaisement se
iit, preuve en soit le ton confiant et familier des lettres
de janvier et de février ; elles parlem des douloureux
événements de Genève, de la vente des livres et des
estampes ; elles accusent réception des provisions qui
présagent un séjour prolongé; elles traitent de la pen-
sion royale ^
Celle-ci, par ses origines, se rattache au récit de la
querelle: toutefois, par la suite, elle eut sa marche in-
dépendante; aussi en dirons-nous deux mots ici en
remontant en arrière.
A Calais déjà. Hume avait pressenti Rousseau au
su,et d'une pension dont le roi pourrait éventuellement
le gratifier; Jean-Jacques s'en était remis, pour l'accep-
ter ou pour la refuser, à la décision de Milord Maré-
chal. Prévoyant une réponse al^lrmative^ Hume pressa
les démarches auprès du général Conway, secrétaire
d btat, et du général Graeme, chambellan de la reine
qui exposèrent Taffaire à Georges HI ; une pension
annuelle de Lst. loo fut accordée à Rousseau, pension
secrète «; la clause vexa Jean-Jacques, mais la me-
sure était commandée par la prudence : beaucoup de dé-
; Œ-m"-'^^, t. XI, p. 402, 22 déc. 1766, et Lettres, A, [22] déc XXV
- Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3o avril lyôi XXXVm- R
04 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
tracteurs du philosophe étaient des hommes considéra-
bles dont les critiques eussent été désagréables au
gouvernement, Rousseau accepta cette faveur, deman-
dant toutefois que le payement fût différé jusqu'au mo-
ment où il ne serait redevable de cette bonté qu'au roi
et à ses ministres ^
Hume lut cette lettre - sans soupçonner qu'elle était
dirigée contre lui^; aussi s'entremit-il de nouveau pour
obtenir le maintien de la pension, d'une part, et de l'au-
tre, l'adhésion formelle de Rousseau au cas où elle se-
rait offerte publiquement '; Davenport resta au cou-
rant de ces transactions ^.
La rupture des deux philosophes, après les 23 juin
et 10 juillet, faillit suspendre à jamais la munificence
royale '' : consulté encore en février i 767, Jean-Jacques
répéta simplement que, venant du roi seul et de ses
ministres, elle serait la bienvenue " ; peu après, ses
vœux étaient exaucés ; Davenport et Dutens l'avisaient
qu'une pension de Lst. 100 lui était accordée « du plein
gré de Sa Majesté et du Secrétaire d'Etat, sans que
la moindre sollicitation y ait eu part^. » Et Rousseau
d'être touché de ces «marques d'une bienveillance que
1 Œuvres, t. XI, p. 343, à Co)tway, 22 mai 1766 (Toriginal donne la
date du 12. Bibl. de Neuchàtel.}
2, Streckeisen, o. c, t. II, p. 284, Hume à Rousseau; 17 mai 1766, XI.
3 Œuvres, t. XI, p. 363, à Hume, 10 juillet 1766; p. 378, à Mme de
Verdelin, août; p. 387, à d'Ivcniois, 3o août.
* Streckeisen, o. c, t. II, p. 286, Hume à Rousseau, 19 juin 1766, XIV.
'= Lettres, D, Hume à Davenport, iq juin 1766, II; E, Davenport à
Hume, juin.
6 Id., D, Hume à Davenport, 2 sept. 1766, IX.
^■Id., A, Rousseafi à Davenport, 9 février 1767, XXXIII.
s Œuvres, t. XII, p7 6, ^ Du Peyrou, 22 mars 17C7, où il cite textuel-
lement la phrase de Dutens : Lettres, C, Dutens à Rousseau, 19 mars, V ;
B, Davenport à Rousseau, 19 mars, XXIX.
SÉJOUR DE J. .(. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 83
Je désirois, dit-il, bien plus que je nosois l'espérera»
Sa lettre d'acceptation à Conway vibre de gratitude
et d'espérance^'; désormais, Georges III ne s'appellera
plus que son bienfaiteur".
Le 5 avril déjà, un trimestre était à sa disposition à
la Trésorerie d'Etat \ mais il attendit jusqu'en août
pour charger Rougemont, banquier à Londres, de le
toucher''. Qu'eùt-il pensé de Davenport, s'il avait su
que son hôte tenait de Hume l'indication de la procé-
dure à suivre pour obtenir le payement", même en l'ab-
sence du bénéficiaire'? Est-ce pour l'avoir appris, qu'un
an ou deux plus tard, il renonça à ce revenu^ et refusa
avec indignation de profiter du résultat heureux des
démarches tentées, à son insu, près du cabinet de
S*-James, parRoguin^ et par le chevalier de Cossé ^*',
pour le maintien de cette pension ? l'audacieux qui osa
lui en présenter les arrérages, connut ce jour-là de quelle
1 Œuvres, t. XII, p. 7, à Dutens, 2(3 mars 1767.
- Œuvres, t. XII, p. 8, 26 mars 1767.
■* Id., t. XII, p. 44, à Guy, 25 nov. 1767; p. 54, à Mirabeau, 28 jan-
vier 1768.
4 Lettres, B, Davenport à Rousseau, 18 mai 1767, XXXVIII.
^ Id., D, Rougemont à Davenport, 20 août 1767.
^ Id., D, Hume à Davenport, i" juillet 1767, X.
^ Id., A, Rousseau à Davenport, i5 déc. 1767, XLIII.
« Godet, Ph. Lettres inédites de J. J. Rousseau. Revue des Deux-Mon-
des, i"sept. 1908, p. 3i. Rousseau à Mme de Lessert, 1770 : «... après
avoir renoncé à ma pension dont je n'ai reçu qu'une année. » Œuvres,
t. XII, p. 80, à d'Ivernois, 26 avril 1768; p. log, à Laliaud, 5 oct.
3 Œuvres, t. XII, p. 221, à Dutens, 8 nov. 1770; Rothschild, o. c,
p. 23o, à Mme Boy de la Tour, 26 nov.
1" Lettres, C, Cossé à Rousseau, 25 juillet 1771 ; Œuvres, t. XII, p. 240,
à Cossé, 25 juillet. Les 6000 francs d'arrérages mentionnés dans cette
lettre, — 6. 336 d'après Corancez, — semblent indiquer que la renoncia-
tion de Rousseau n'eut d'eftet qu'à partir de l'échéance du 5 avril 1769;
en ce cas, sa lettre à M'"* de Lessert, note 7, témoignerait d'un extraor-
dinaire oubli.
86 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
rage un paisible copiste de musique peut s'enflammer ^l
Ainsi donc, à la fin de l'hiver i 766-1767, tout sem-
ble en règle; en mars, pourtant, nouvelle alerte, sé-
rieuse. Que s'est-il passé dans les trois dernières semai-
nes ? les domestiques ont-ils poussé l'indiscrétion jus-
qu'à ouvrir la correspondance de Jean-Jacques -? se sont-
ils montrés grossiers ? ont-ils commis quelque nouveau
larcin^ ? Thérèse, abattue déjà en automne par la mort
de sa mère"*, et s'ennuyant en pays étranger', a-t-elle
cédé à un accès de mauvaise humeur qu'une santé alors
peu prospère expliquerait en partie ' ? a-t-elle eu de
nouveaux démêlés avec la nourrice^? sa mimique a-t-elle
exprimé, mieux encore que ses paroles*, son mépris
pour la femme du concierge, Mrs. Cowper, et cette
1 Corancez, o. c, pp. 8, 9 : « Je sais bien que j'ai une pension ; j'en ai
touché les premières années avec reconnaissance ; et si je ne la touche
plus, c'est parce que je le veux ainsi»; voir aussi B. de Saint-Pierre,
o. c, p. 65.
2 Œuvres, t. XII, p. lo, à Du Peyron, i avril 1767.
■'• Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVI : « compris aussi deux guinées
qui m'ont été volées dans la maison. »
* Id., A, Rousseau à Davenport, 27 nov. 1766, XXIII.
* Streckeisen, 0. c, t. II, p. 324, de Mirabeau, qui oft're un asile à
Rousseau, 27 oct. 1766, l ; Lettres, 0, Malthus à. Rousseau. 18 juil-
let 1766, X. "
^ Lettres, B, Davenport à Rousseau, 24 mars 1767, XXX.
' Burton, o. c, t. II, p. 370. Davenport à Hume, 6 juillet 1767. — Dans
la Lettre à M. Die] B[ure'}, p. 44, Dutens publia la lettre de Rousseau,
datée du 26 mars, à lui adressée, en expliquant ainsi le passage relatif
aux domestiques. anglais : * Il s'agissoit d'une bonne fçmme de 90 ans,
nourrice de M. Davenport, qui n'entendoit pas le françois, et que la ser-
vante de M. Rousseau querelloit du matin jusqu'au soir. »
8 Sur l'humeur cancanière de Thérèse, cf. Streckeisen, o. c, t. II,
p. 564, de Mme de Verdefin, 27 avril 1767, LIV ; Œuvres, t. XI, p. 371,
. 19 juillet 1766, réponse au passage suivant de la lettre de Du Peyrou,
n" 28, 29 juin 1766: « Quand j'ai crû avoir à me plaindre de quelqu'un,
je me suis toujours addressé à lui-même, et jamais au tiers et au quart.
Recommandez cette manière de ma part à M"» le Vasseur. Elle lui sau-
vera souvent des injustices et des tracasseries. » (Lettre inéd., Bibl. de
Neuchâtel.l
SEJOUR DE J. .?. ROUSSEAU EN ANGLETERRE by
dernière a-t-elle abusé de ses fonctions de cuisinière
pour souiller de cendres le potage des deux étrangers ^^
Est-ce que Rousseau, songeant à l'arrivée prochaine et
désirée de Davenport, aurait craint de lui causer de
nouveaux embarras dans son aménagement au Hall ?
Redoutait-il de nouvelles prévenances^? Ou bien un
opiniâtre mal de dents ^ lui fit-il voir plus en noir les
désagréments de cette demeure solitaire, dans un cli-
mat froid et humide'? L'absence de Granville contri-
bua-t-elle à développer cette mélancolie^? La nostalgie
du rossignol de France" et de la pervenche l'étreignit-
1 Llanover, u. c. t. I, p. io6, Granville à Miss Dewes, lo mai 1767:
«... this summer, Mrs Cowper, Mr Davenporî's housekeeper, behavcd
in so brutish a manner towards him [Rousseau], that it occasioned his
sudden departure from this country — a sad loss to me ; I would fain
hâve had him corne and stay at Cahvich, but could not prevail. If
chance should bring you in his way, tell him how I mourn the loss
of such a neighbour, and that I wish ail good and pleasant circumstan-
ces may attend him whenever he is...» — Burton, o. c, t. II, p. 370,
Daveitfort à Hume, 6 juillet 1767: «I hâve heard something of the story
of the kettle and cinders*, but am inclined to believe my philosopher's
resolutions were determined before that fray happened. » * Note de
Burton: [Walpole] says in his narration : x(The chief cause of his dis-
gust has been along quarrel between his housekeeper and Mr. Daven-
port's cook-maid, who. as Rousseau affirmed, had always dressed their
dinner very ill, and at last had sprinkled ashes on their victuals. »
2 Œuvres, t. XI, p. 326, à Mme de Boiifflers, 5 avril 1766.
■' Lettres, C, Nuneham à Rousseau, mars 1767, V; Streckeisen, Œu-
vres incd., p. 463, à Coindet, 21 sept. 1767, LVII.
* Cf. le passage suivant de Howitt : « When I mounted on the ridge
of the Weaver, and saw around this vast, but silent expanse, and in
the nearer scène only moorland wastes, long lines of stone walls, two
or three ancient cairns, and a few grazing cattle, and perceived as the
only sounds, the bleat of a sheep, or the hoarse cry of the carrion
crow, the only cheerful note being that of the lark over-head, I could
not help feeling, for Quiet to quick bosom is a liell, that, the very re-
curring depth of this solitude as Rousseau was pursuing his botanical
rambles, was enough to rouse in his distempered fancy ail the phan-
tasms of his foes and machinations. » o. c, p. Sog.
* Granville ne rentra de Bath que le samedi 25 avril; cf. Lettres, A,
Rousseau à Granville, [29 avril 1767], XXXVII.
« Œuvres, t. XI, p. 335, à M°" de Luze, 10 mai 1766.
88 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
elle irrésistiblement ? Sut-il qu'à Paris on se mêlait de
ses affaires et 5' discerna-t-il une manœuvre souter-
raine^?
Toujours est-il qu'il invoqua solennellement la pro-
messe de son hôte de lui trouver une autre résidence^
et qu'il prévint Dutens de son déménagement^; c'est
sans succès que Granville, arrivant enfin de voyage,
mit Calwich Abbey à son service ^.
Puis, c'est le silence, précurseur de l'orage ; un éclair
encore, la lettre du (5 avril à Davenport^, et c'est le
coup de foudre: le vendredi i^'" mai, Rousseau quittait
pour jamais l'abri où il souhaitait jadis finir son exis-
tence dans la paix d'une parfaite solitude, peuplée de
ses seules pensées et égayée par les humbles fleurs de
la montagne. Les paysans en pleurs'', auxquels il venait
de distribuer ses robes arméniennes, le virent disparaî-
tre sur le chemin d'Ashbourne, vêtu d'un modeste et
vieil habit à la française'.
' Lettres, D, Cowper à Davcnpoit, G juin 1767.
- Id., A, Rousseau à Darenport, mars 1 767, XXXV.
•' Œuvres, t. XII, p. 7, à Duiois. 26 mars 1767.
* Cf. p. 87, note I.
5 Lettres, A,- 'Rousseau à Daveiipoi-t, 6 avril 1767, XXX\I.
" Œuvres^ t. IX, p. 268, Second Dialogue.
' Biirton, 0. c., t. II, p. ?6g, Davenport à Hume, 25 mai 1767. — Ho-
witt. o. c., p. 519, — Un court paragraphe de la Whitehall Evcning
Post du 16 mai 1 767 déclare que Rousseau partit par le, chemin de
Londres. — Cet habit bleti avait été commandé à Strasbourg, si nous
ea jugeons par le relevé de compte stiivant d'emplettes faites dans cette
ville par Rousseau et remboursées par Du Peyrou à de Luze, pour un
total de 80 livres 10 sols: « i Vt aulnes Drap de Louvier cannelle,
1 1/4 aulnes Burat assorti, i "/i aulnes' Drap de Louvier petit bleu,
2 ■'j\ aulnes Burat assorti. » Du Peyrou à Rousseau, n° 25, 12 mai 1766
(Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtelj. — A. de Bougy, qui professe traduire
Howitt, a sur ce départ un paragraphe inventé de toute pièce par lui-
même; cf. Fragments inédits de J. J. Rousseau suivis des Résidences
de Jean-Jacques, Paris, i853, in- 18, p. 2 5o. Maugras prétend que Rous-
seau partit de nuit! cf. Voltaire et Rousseau. Paris, i8Sfi, 8% p. 535.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 89
CHAPITRE III
Retour en France.
La lettre à Davenport, écrite la veille^ et déposée
sur une table-, resta à Wootton inaperçue des domes-
tiques ; le 4 mai encore, Davenport, qui venait d'arri-
ver en Cheshire à l'insu de Jean-Jacques, Tignorait au
point d'inviter son hôte et Thérèse chez lui, où la
goutte l'emprisonnait = ; il répondait ainsi, sans le sa-
voir, au reproche de négligence formulé par Rousseau!
Il fut vexé de cette conduite, d'autant qu'il ne pouvait
être utile à son hôte dont il ne connaissait pas les
projets; un instant on le crut parti pour Chiswick^;
aussi quelle surprise, le 17 avriP, de recevoir une let-
tre du fugitif, expédiée de Spalding, en Lincolnshire,
a la date du i i ^'î
Comment Rousseau s'est-il rendu dans cette localité?
Il est difficile de le dire avec exactitude car nous igno-
rons le temps qu'il mit à effectuer les 140 ou i3o kilo-
mètres, qui, à vol d'oiseau, la séparent de Wootton,
et aussi le mode de vo3ager qu'il adopta. En tout cas
il s'y trouvait déjà le mardi 5 mai " ; la présence de
Thérèse empêcha certainement que les pauvres gens
' Lettres, A, Rousseau à Davenport, 3o avril 1767, XXXVIII.
- Burton, o. c, t. II, p. 375, Hume à Adam Smith, 8 oct. 176-;
•^ Lettres, B;, Davenport à Rousseau, 4 mai 1767, XXXVII.
* Cf. p. 87, note I, Granville à Miss Dewes, 10 mai 1767.
5 Lettres, B, Davenport à Rousseau, 18 mai i 7G7, XXXVIII.
'^ Id., A, Rousseau à Davenport, 14 mai 1767, XLI.
' Id., A, Rousseau au Lord Chancelier, 5 mai 1767, XXXIX.
90 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
s'y rendissent à pied ; d'autre part, il n'existait pas de
service transversal de diligences dans cette région^ et
Rousseau, s'il fut voiture, loua un véhicule à Ashbourne
ou à Derby. Dans cette ville il put fort bien s'arranger
avec quelque roulier retournant aux brasseries de Not-
tingham" et, de là, continuer par ses propres moyens
sur Bingham, Grantham et Donnington.
Mais, s'il allait à Londres et avait fait ce détour à par-
tir de Derby pour dépister les poursuites, pourquoi ne
tourna-t-il pas vers le sud dès Grantham qu'un service
régulier reliait à la capitale ". et pourquoi allongea-t-il
sa route de 40 milles en poursuivant vers Test? Sur-
tout, pourquoi choisit-il Spalding ?
En réalité, il ne quitta pas Wootton pour se cacher à
Spalding ; le but de sa course folle était la ville de
Louth en Lincolnshire ' oii résidait le Suisse de Cer-
jeat% ami de Du Peyrou qui le recommanda expressé-
ment à Rousseau comme un homme sûr"; en janvier
de cette riiême année, de Cerjeat s'était mis à la dis-
position de son malheureux compatriote '. Quoi d'é-
' Paterson, o..c., éd. 1771, n'en cite pas, absnicc confirmée par deux
passages de Lettres, B, Davenport à Rousseau, 24 mars 1767, XXX;
18 mai, XXXVIII; « cross-post» ne paraît désigner que la transmission
des lettres.
- De Foe, o. c, éd. 1769, t. III, p. 63.
•'• 109 milles; route Edimbourg-Londres: cf. Paterson, u. c, éd. 1771,
p. 65. - • '
•» Spalding était un relai de la route postale de Londres à Louth;
cf. Paterson, o. c, éd. 1771, p. 78.
5 Du Peyrou à Rousseau, n" 21, 16 mars 1767 (Lettre inéd., Bibt.
de Neuchâtel), et Œuvres, t. XI, p. SgS, à Du Peyrou, 4 oct. 1766.
^ Du Peyrou à Rousseau, n" 17, 27 janvier 17(16 (Lettre inéd., Bibl. de
Neuchâtel), et Œuvres, t. XI, p. 3 11, à Du Peyrou, i5 fév. 1766; p. 395,
4 oct..; t. XII, p. I 39; à Laliaud, 28 fév. 1769.
7 Œuvres, t. XI, p. 409, à Du Peyrou, 8 janv. 1767. Rousseau lui
répondit le 16 janvier; cf. p. 37, n. 7, le P. S. de la lettre^ Granville
SEJOUR DE .1. .1. ROUSSEAU EN yVNGLETERRE QI
tonnant donc que dans sa détresse Jean-Jacques ait
pensé à lui M Resterait à connaître le motif obscur qui
l'arrêta à Spalding, « l'impossibilité éprouvée d'aller
plus loin» dont il gémit-. Toujours est-il qu'il descen-
dit à l'auberge du White Hart\ Chaque Jour et plu-
sieurs heures, il y reçut avec entrain et politesse le
Révérend D'' Samuel Dinham ^ et une ou deux fois le
tailleur qui lui confectionna un nouvel habit bleu^. Un
chirurgien, Edmond Jessop, lui adressa en un latin aussi
peu cicéronien que possible, de verbeuses et empha-
tiques louanges sur son apostolat philosophique"; Rous-
seau répondit froidement, et déclina toute relation per-
sonnelle, en homme accablé du poids d'un lourd passé
et persuadé, par une douloureuse expérience, de l'ina-
nité de l'opinion publique'.
Spalding n'avait rien de pittoresque ou d'accueillant.
que ne donnent pas les Œuvres, t. XI, p. 424, 16 fév. i-jG-/ ; il faut
lire 16 janv.
' Œuvres, t. XII, p. 9, à Du Peyrou, 2 avril 1767: «...je suis... sous
le piège; il est impossible que je m'en tire si votre ami ne m'en tire
pas... ; il semble que la Providence l'a envoyé dans mon voisinage pour
cette bonne œuvre. »
2 Lettres, A, Rousseau au Lord ClianccUcr, 5 mai 1767, XXXIX.
^ Collins, 0. c, p. 255.
* Recteur de Spalding jusqu'à sa mort (1781); il était plus âgé que
Rousseau de quelque dix ans, car il fut reçu, dès 1725, membre de la
fameuse Geutlemen's Society de la ville. Le John Dinham indiqué par
Collins est le père du pasteur; il pratiquait la médecine; cf. Nichols, J.
An Account of the Litcrary Society at Spalding, vol. 3 de la Bibliotheca
Topographica Britannica, London, 1780-1800, 10 vol. 4". — C'est Hume
qui nous a conservé l'épisode des entretiens journaliers de Rousseau et du
pasteur ; ce dernier en avait parlé à Fitzherbert, ami de Hume ; cf. Bur-
ton, 0. c.,x. II, p. 375, Hume à Adam Smith, 8 oct. 1767. Collins ne
se doute pas que ce Fitzherbert est le député si connu au XVIII' siècle.
* Burton, 0. c, t. II, 36(j, Davenport à Hume, ib mai 1767.
6 Lettres, C, Jessop à Rousseau, mai 17G7.
^ Œuvres, t. XII, p. 18, et Lettres, A, Rousseau à Jessop, i3 mai 1767,
XL.
9'2 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
et l'air en était réputé malsain^; la rivière Welland et
son réseau de drains lui donnaient l'apparence d'une
ville hollandaise ^ moins la coquetterie et l'agrément.
Le mardi 12, Rousseau dut trouver quelque plaisir dans
l'animation du marché : la grande place retentissait des
meuglements du bétail et sur la rive du canal s'amon-
celaient les sacs de céréales déchargés des chalands.
C'étaient là de passagères et très alléatoires distrac-
tions pour un être victime de persécutions constantes
et « souterraines w, menacé dans sa liberté et dans sa
vie, conduit lâchement dans une île étrangère afin d'y
être plus aisément supprimé : seule la bienveillance
particulière du Lord Chancelier du royaume, confirmée
par l'octroi d'un «guide autorisé^ ». pouvait lui per-
mettre d'espérer revoir le continent. La requête an-
goissée que Rousseau adressa à ce magistrat suprême*
fut suivie le 14 d'une lettre à Davenport où, déplorant
en termes résignés et tragiques sa captivité en Angle-
terre, il redisait son goût pour le séjour de Wootton,
dût-il y revenir de France. Et, brusquement, sans
attendre le secours réclamé le 11. il partait, dans la ma-
tinée de ce même jeudi 14 mai, pour Londres^, ayant
habité une- dizaine de jours la petite cité provinciale.
La lettre du 1 \ était parvenue à Davenport le diman-
' '...but, for the Healthiness and Pleasantness of it [Spalding], I
havti no more to say than that 1-was ver)' glad when I got out of it, as
well as of out of the rest of the Fen Country ; for it is an horrid Air
for a Stranger to breathe in. » De Foe, o. -c, t. III, p. i8, éd. 1769.
- The Beautics of Great Britain, éd. 1807, i. IX, p. 740.
•"* Et non pas d'une escorte armée comme on le répète ordinairement.
* Burton, o. c, t. II, p. 375, Hume à Adam Smith, 8 oct. 1767 ; cette
lettre semble dater du 1 1 la supplique de Rousseau ; c'est 6 jours
trop tard-; cf. p. 8g, note 7.
^Lettres, A, Rousseau à Davoiyojt, 14 mai 1767, XLI.
SÉJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 9.->
che 17; le lendemain son postillon (post-boj) partait à
cheval pour Spalding; il n'y trouva plus personne et
rapporta à son maître les 20 guinées destinées à Rous-
seau avec la lettre qui autorisait le fugitif à tirer des
billets de change sur Davenport et le priait instamment
de rentrer à Wootton ^
Véritablement, Davenport était un gentleman au sens
profond du mot! Il ne put néanmoins taire sa stupéfac-
tion extrême devant le m3'stère des démarches de son
hôte et leur déconcertante rapidité; en même temps que
le domestique revenait chez son maître, y arrivait une
lettre de Jean-Jacques, écrite le 18 mai^ à Douvres, où
il était parvenu le 16, ayant franchi cette distance con-
sidérable en deux jours \ Rassuré par le Lord Chance-
lier à l'égard des postillons, qui valaient l'escorte solli-
citée, il utilisa les diligences extra-rapides qui roulaient
régulièrement à travers les Fens, par Crowland, Peter-
borough^ Stilton^ et, de là, à choix, par Huntingdon,
Royston, Ware, Enfield" ou par Alconbury, Stevenage,
Hatfield^, atteignaient Londres. A ces 100 milles* s'a-
joutèrent les 72 de la route vers la côte, qu'il avait par-
courue en sens inverse, dix-sept mois auparavant, le
» Lettres, B, Davenport à Rousseau, 18 mai 1767, XXXVIII; 23 mai.
XXXIX.
- Burton, o. c, t. II, p. Sôg, Davenport à Hume, 25 mai 1767; Let-
tres, A, Rousseau à Davenport, 18 mai, XLII.
* Burton, o. c, t. II, p. 371, Hume à Blair, 27 mai 1767. La lettre à
Conway (Œuvres, t. XII, p. 14) serait alors du 16 mai, quoiqu'en octo-
bre (Burton, 0. c, t. II, p. 377) Hume dise à A. Smith qu'elle partit par
le même courrier que celle destinée à Davenport, c'est-à-dire le 18.
* Route Londres-Louth ; cf. Paterson, 0. c, éd. 1771, p. 78.
* Route Londres-Scarborough ; cf. Id., o. c, p. 7.^.
s Route Londres-Stilton ; cf. Id., o. c, p. 79.
' Route Londres-Edimbourg; cf. Id., o. c, p. 65.
8 Comptés depuis Shoreditch Church.
94 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
cœur gonflé d'espérance, enivré de liberté, fort de l'ami-
tié de David Hume.
Abattu, le spectacle de la mer releva son courage;
mais, à Douvres, le vent soufflait en tempête ; impos-
sible de mettre à la voile. Un notable, pris de pitié, le
pria à dîner; Jean-Jacques ne trouve là qu'embûche
nouvelle tendue par le Secrétaire d'Etat ; il a peine à
rester à table ; à chaque instant il est à la fenêtre : tou-
toujours les vagues déferlent avec fracas ; décidément
il sera prisonnier dans cette grande île ! Ne se possé-
dant plus, il quitte brusquement la maison et court vers
le port de toute la vigueur de son pauvre corps anéanti
par la terreur; le vaisseau est à sec sur la plage, il y
monte, il se barricade dans une cabine. Grand émoi sur
le pont; Thérèse est arrivée: elle discute, elle prie,
peine inutile ; alors elle use du langage violent de la
populace irritée et Jean-Jacques sort en tremblant. La
soirée s'écoula ensuite agréablement dans le cercle de
famille de l'amphitrj^on^
Le répit ne dura pas. La tempête continuait de faire
rage. Alarmé à la vue des éléments coalisés avec ses
ennemis pour .le perdre, Rousseau, voulant « sortir de
l'Angleterre ou de la vie», écrivit le i6 mai — ou le i8
— sa pathétique lettre au général Conway où il réclame
le secours du gouvernement et promet de ne- jamais
parler de son séjour ni de la q-uerellê et, gage sacré de
la sincérité de ce serment, se déclare disposé à jouir de
la pension royale : lié par ce bienfait, pourrait-il être
ingrat^? De plus en plus excité, il harangua la foule
du haut d'une borne et lui exposa, en français, sa ter-
1 Appendices, G.
-' Œuvres, t. XII, p. 14.
SÉJOUR DE J. J. ROUSSEAU EN ANGLETERRE 9 5
rible position de persécuté ; il en était à soupçonner
Thérèse ^
Pourtant la vue constante de la mer le convainquit
de sa liberté, et Wootton et sa solitude lui parurent
désirables ; il allait y retourner; un article de journal
narrant sa fuite l'en détourna-'; dès lors, rien ne pou-
vait plus le retenir en Angleterre ; il faillit néanmoins
y rester définitivement, un jour que l'hôtelier lui servit
une omelette où la ciguë par erreur remplaçait le
persiP. Enfin, payant son écot des derniers fragments
d'une fourchette d'argent^ — son unique numéraire de-
puis Spalding^ — il s'embarqua le 21 mai au soir
et, le vendredi 22, abordait à Calais, « transporté de
joie ^ »
La scène fait pendant à celle de l'arrivée à Douvres,
sur la «terre de liberté», l'année précédente ; en effet,
le continent, n'était-ce pas la liberté ! tout au moins
Tespace illimité où il pourrait fuir indéfiniment, où ses
ennemis ne sauraient l'enserrer, le cerner, comme dans
1 Corancez, o. c, p. 49.
-Lettres, B, Davenport à Rousseau, 23 mai 1767, XXXIX; Burton,
o. c, t. Il, p. 369, Davenport à Hume, 25 mai. Il s'agit probablement
du paragraphe suivant de la Whitehall Evening Post du 16 mai 1767 ;
« Last Friday Sennight the well known M"' Rousseau thought fit, in a
very abrupt manner, to leave his Retreat at M"' Davenport's, at Wootton
in Derbyshire; he hath not since been heard of, but as he took the
Road to London, it is supposed he conceals himself somewhere in this
City. »
■^ Œuvres, t. VI, p. 102, Notes sur la Botanique de Regnault, n" 99.
* Corancez, o. c, p. 48.
5 Rousseau n'avait reçu aucun argent durant tout son séjour à Wot-
ton; cf. Lettres, A, Rousseau à Davenport, 6 avril 1767, XXXVI.
6 Œuvres, t. XII, p. 18, à Mirabeau, 22 mai 1767; p. 19, à Du Pey-
rou, 22 mai. II s'embarqua le iS, selon Hume (Burton, 0. c, t. II,
p. 377), du 20 au 22, selon Morley, o. c, t. II, p. 3o8. Le grand public
anglais apprit le 22 seulement, par The Whitehall Evening Post, la pré-
sence de Rousseau à Spalding !
q6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
l'île d'où il s'échappait à travers d'indicibles terreurs.
Quelques lettres postérieures à cette date et étroite-
ment rattachées au séjour en Angleterre nous enga-
gent à suivre, pour un temps encore, la fortune de
Jean-Jacques.
Le lundi 2 5 mai, il arrivait à Amiens et logeait à
VHotel des Bons Enfants; l'auberge ne désemplissait
pas de visiteurs enthousiastes — ainsi le poète Gresset*
■ — dont plusieurs l'invitaient à leur foyer, soit en ville,
tel le chevalier de Ballet-, soit à la campagne, comme
Pajot de Courcelles^ et Lenormand^ Cette réception
triomphale le fit fuir^; il quitta la ville le mercredi 3 juin
pour atteindre Saint-Denis le jeudi soir ; il s'arrêta à
V Hôtel des Trois Maillets, sous le nom de Jacques '',
premier déguisement et nouvelle crainte ' ; le lende-
main, il devenait l'hôte du marquis de Mirabeau, à
Fleury près de Meudon^^; le 21 il s'installait chez le
prince de Conti, dans le château, jadis dédaigné, de
Trye ; ici, second déguisement: Thérèse était sa sœur*
1 Renouard, Vie de Giessel, p. 7I;, cité par Musset-pathay, Histoire de
la Vie et des Ouvrages de J. J. Rousseau, t. I, p. i58.
* Ballet à Rousseau, 29 mai 1767 (Lettre inéd., Bibl. de Neuchâtel.)
■■ Pajot à Rousseau, 2 lettres, 29 mai 1767 (Lettres inéd., Bibl. de
Neuchdtel.l
* Lenormand à Rousseau, 3 lettres (Lettres inéd., Bibl. de Seiichàtel.j
5 Œuvres, t. XII, p. 19, à Mirabeau, 2 juin 1767; p. 20, à Du Peyrou,
5 juin; t. IX, p. 137, note, Premier Dialogue. Lettres', C, Nuneham à
Rousseau, 27 juillet 1767, VIII.
^Œuvres, t. XI, p. 19, à Mirabeau, 2 juin 1767.
' Premier déguisement : à Calais, il eut k donner son nom, à la douane
vraisemblablement; il signa Rousseau; cf. Th. Dufour, Pages iné-
dites deJ. J. Rousseau, Annales de la Société J. J. Rousseau, 1905, t. I.
p, 239, note.
« Œuvres, t. XII, p.' 20, à Mirabeau, 5 juin 1767.
» Cf. Dùfour, Th., 0. c. et Rousseau à Coindet, i5 juillet 1 767 : « ...ma
sœur vous remercie...» (Lettre inéd., Bibl. de Genève, Mhg. 2o3, n' ^b.)
SEJOUR DE J. .1. ROUSSEAU EN ANGLETERRK 97
et ils s'appelaient Renou ^: un an plus tard, Monsieur et
Mademoiselle Renou partaient pour le Dauphiné, pas-
saient six mois à Bourgoin ^ et s'installaient à Monquin'.
De Meudon, il avait écrit à Davenport*; la réponse
de cet honnête homme rassura Rousseau sur le sort de
ses effets, de son herbier, de ses papiers, de sa musi-
que'', laissés à Wootton enfermés dans trois malles*.
En effet, le 23 juillet, Davenport surveilla sur place
l'expédition de ces coffres, ajouta de sa bibliothèque
quelques ouvrages botaniques — façon ingénieuse de
reconnaître le don du fameux Livre vert à Phébé — ;
il examina les comptes de Walton concernant les dé-
penses faites depuis Noël, se trouva débiteur de Rous-
seau et lui transmit, par Rougemont, banquier à Lon-
dres, un solde de 21 livres sterling et 9 shillings qui
réglait l'achat de V Encyclopédie ; le 25 juillet tout était
en ordre ^ Aux regrets de la famille de trouver Woot-
ton désert, Davenport joignit ceux de Granville poui
qui Jean-Jacques, en pleine fuite, avait eu une pensée
amicale ^ et qu'il salua bientôt directement ^ A partir
de janvier 1768^^, le nom du châtelain hospitalier ne
1 Œuvres, t. XII, p. 22, à Du Peyiou, 21 juin 1767.
2 Id., t. XII, p. 8g, au Comte de Tonnerre, 16 août 1768.
■' Id., t. XII, p. i35, à Du Peyrou, 18 janv. 1769; à Laliaud, 4 fév.
* Lettres, B, Davenport à Rousseau, 3i oct. 1767, XLIII.
* Id., B, Davenport à Rousseau, 4 juillet 1767, XL.
* Id., A, Rousseau à Davenport, 3o avril 1767, XXXVIII.
' Id., B, Davenport à Rousseau, 23 juillet 1767, XLI, et note 3. Rous-
seau rentra en possession de ses bagages le 27 septembre, par l'inter-
médiaire de Coindet qui se chargea de les retirer de Rouen où il étaient
entreposés; cf. Rousseau à Coindet, 6, 8, 14, 27 sept. 1767 (Lettres
inéd., Bibl. de Genève, Mhg. 2o3, pièces 53, 64, 56, 37.)
^ Lettres, A, Rousseau à Davenport, 14 mai 1767, XLI.
* Œuvres, t. XII, p. 27, à Granville, i" août 1767.
^'^ Œuvres, t. XII, p. 52, à Granville, 2b janv. 1768, en réponse k Let-
tres, C, Granville à Rousseau, ù nov. 1767, III; Granville écrivit en-
pS ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
figure que dans des lettres à des tiers, au paragraphe
des salutations à transmettre ^
La correspondance ainsi engagée avec l'Angleterre
se maintint, quelque dix ans encore, diminuant de plus
en plus d'intensité ; voici, en détail, à quoi se réduisi-
rent les relations de Rousseau avec ses amis anglais :
dans les six premiers mois du retour en France deux
billets à Lord Nuneham, à propos de la vente des estam-
pes*, et, en 1772, l'espoir que manifesta Jean-Jacques
d'une rencontre à Paris et qui ne se réalisa pas* ; quel-
ques lettres d'affaires échangées avec Louis Dutens au
sujet du premier terme de la rente viagère, touché à
core deux fois au nioinis, à la fin de 176S et au début de 1769 ; cf. Let-
tres, A, Rousseau à Davenport, 17 mars 1769, XLV.
» La D«"« de Portiànd fut l'ordinaire interprète de Rousseau; Œu-
vres, t. VI, pp. 71-79, à la D"" de Portland, 12 sept. 1767-22 oct. «773.
Granville mourut en 1775 ; cf. p. 55, note i.
* Œuvres, t. XII, p. 22, à Nuneham, 10 juillet 1767; p. 49, i3 jan-
vier 1768. Lettres, C, Nuneham à Rousseau, 27 juillet 1767, VIII;
22 janv. 1768, IX.
3 Œuvres, t. XII, p. 245, à Nuneham, 16 juin 1772. Lord Nuneham
resta un admirateur de Rousseau et ne craignit point de montrer publi-
quement ses sentiments ; voici diverses preuves de son zèle, que nous
empruntons à l'ouvrage: The New Oxford Guide... 7"" éd., Oxford,
1785, in-i2, qui décrit Nuneham-Courtenay, résidence du comte de
Harcourt. Lé portrait de Rousseau par Gogain, d'après Ramsay, orne la
bibliothèque du château, et on a eu soin de le retoucher d'après le
moulage de la face fait sur le cadavre de Jean-Jacques (p. i23). A l'en-
trée du jardin d'agrément, le fronton d'un portique dorique s'orne de
l'inscription suivante : « Si l'auteur de la nature est grand dans les
grandes choses, il est très grand dans les petites» (p". i3i ; cf. Œuvres,
t. IV, p. 336, note, Hélo'ise TV, xi.) Près d'une grotte s'élèvent deux
bustes; celui de Caton d'Utique avec cette inscription: A ce nom saint,
et auguste, tout ami de la vertu | Doit mettre le front dans la poussière,
et honorer | En silence la mémoire du plus grand des hommes, i
J. J. Rousseau (cf. Œuvres, t. IV, p. 273, Héloise, III, xxii); en face,
le buste de Rousseau avec ce quatrain : Say, is thy honest Heart to Virtue
warm ! I Can Genius animate thy feeling Breast! | Approach, behold
this vénérable Form, | Tis Rousseau, let thy Bosom speak the rest. 1
Brooke Boolhby (p. i32.)
SEJOUR DE ,1. .1. ROUSSEAU EN ANGI.E'IERRp: Qq
Trye, en janvier i768\ et, longtemps après, un mot de
remerciement à propos de !a question de la pension
royale - : les reproches de Malthus sur la folle équipée
de Spalding, l'expression de son amitié attristée par le
silence de son «père», ses lectures enivrantes de V Emile ^
son enthousiasme croissant pour l'herborisation et son
plaisir de compléter la bibliothèque botanique de Jean-
Jacques '^ ; elle devint, deux ans après, sa propriété ;
Rousseau compléta cet achat par le don d'une partie de
son herbier'.
De sa lointaine garnison irlandaise. Brooke Boothby
envoya à Jean-Jacques une pensée "^ et, en avril 1776.
lui accorda la joie d'une visite à Paris : Rousseau
mit à profit l'aubaine : il confia au jeune Anglais —
en témoignage d'estime pour sa nation — le manus-
crit du Pi-emier Dialogue de Rousseau Juge de Jean-
Jacques, à condition qu'il ne le publiât pas immédiate-
ment'': par une étrange coïncidence cette apologie,
qui ne parut qu'en 1780, fut imprimée à Lichfield,
dans le même comté que ce Wootton où tout le début
des Confessions avait été récrit ! Boothby emportait
aussi un^ message amical pour Mrs Port, la gracieuse
* Rousseau tira une lettre de change sur Frédéric Dutens, à Tordre
de Guy ; Lettres, C, L. Dtttens à Rousseau, 5 nov. 1767, VI; Œuvres^
t. XII, p. 45, à Guy, 2 5 nov. ; p. 47, 20 déc; 2 janv. 1768; Lettres, C,
L. Dutens à Rousseau, 10 fév., \'II ; Œuvres, t. XII, p. 62, à Guy,
17 fév.
2 Œuvres, t. XII, p. Jii, à Dutens, 8 nov. 1770.
■' Lettres, C, Malthus à Rousseau, 3 août 1767-24 janv. 1708, XI1-X1\ .
* Œuvres, t. IX, p. 216, note. Second Dialogue. Rousseau estimait
très haut la valeur de cette bibliothèque; cf. id., t. XII, p. i65, à Du
Peyrou, ib nov. 1769; p. 16g, 7 janv. 1770.
* Lettres, C, Boothby à Rousseau, 24 fév. 1768, iJ.
* Œuvres, t. IX, p. i33, note, Premier Dialogue ; p. ji2o, Histoire du
précédent écrit.
lOO ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
Mary Dewes d'autrefois ; sensible à cette amitié célèbre
et fidèle, Mrs Port communiqua à son (f vieux berger»
ses joies de famille et ses soucis d'éducatrice; elle lui re-
commanda par la même occasion son frère Court Dewes
qui désirait vivement voir l'illustre hôte de l'oncle Ber-
nard ' : Dewes escalada deux fois les trois étages de la
rue Plàtrière- et rencontra peut-être le «grand herbo-
riseur RousseaLi"'« encore tout malade de sa chute à
Ménilmonianf*.
Nous avons déjà signalé la persistance des relations
' Llanover, o. c, t. II, p. 272, Mrs Port à Rousseau. 1776:
Monsieur,
Je ne puis me refuser le plaisir que cette occasion me présente, de vous
adresser quelques lignes; d'autant plus que j'y suis portée par deux
raisons. La première pour servir d'introduction à mon frère, qui désire
ardemment connoître une personne qu'il a depuis longtemps connue
et admirce dans ses ouvrages. La seconde pour vous marquer ma rc-
connoissance de ce que Mons. Boothby m'a appris que vous m'aviez
honorée de votre souvenir. Il n'est pas possible de vous exprimer les
regrets que je sens de ce que vous avez quitté ce pays; car sans parler
de l'avantage que j'aurois de pouvoir jouir de votre compagnie, et de
votre conversation, ce me seroit une grande consolation, ayant quatre
petits enfants qui se trouveroient trop heureux de pouvoir profiter de
vos sages avis.
Je suis très charmée d'apprendre que vous jouissez d'une bonne santé ;
puissiez-vous en jouir longtems, accompagnée de toute la félicité que
vous communiquez aux autres; et je ne vois pas de bornes à ce souhait.
Je suis, Mons-., votre très obligée et très fidèle servante, Marie.
- Llanover, o. c, t. II, p. 273, Court Dewes à Mrs Delany, Paris,
6nôv. 1776. «...Icalled at his lodgings... I was admitted into a little
kind of antichamber filled with bird cages ; there I saw Madame Rous-
seau (late Vasseur) ; she told me her husband (she repeated mon mari
ten times, I beliéve, in five minutes" conversation) had had a fall, had
hurt himself, and could notsee anybody, but if I would call in a week's
time, I might see him. I left my letter, and about a week after sent t©
know how he did, and if he was well enough to admit me ; but he still
continued too ill to receive visits... I shall call upon him again to mor-
row, and then if I do not succeed shall give the inatter up.»
■• Comme le prince de Ligue eut la diplomatie de l'interpeller. Prince
de Ligne, Œuvres, éd. Alb. Lacroix, Bruxelles, 1860, t. IV, p. 7 : Mex
deux conversations avec J. J. Rousseau.
* Œuvres, t. IX. p. 333, Rêveries. Seconde Promenade.
SÉJOUK' l)H .1. .1. ROUSSEAU EN ANGI.ETERRE lOI
entre la duchesse douairière de Portland et le philoso-
phe, relations qui paraissent s'être maintenues jusqu'à
la mort de celui-ci ^ Ajoutons que la grande dame figure
au nombre des personnages anglais qui accordèrent à
Rousseau l'honneur posthume de souscrire aux Conso-
lations des Misères de ma Vie; à côté de son nom se
lisent ceux de la comtesse Cowper-, de la comtesse
Spencer' et du comte de Harcourt ; celui de Malthus
aussi, ami passiontié jusqu'à l'extravagance dans son
achat de six exemplaires qui lui coûtèrent trente gui-
nées *.
Reste Davenport. Le i3 décembre 1767, Rousseau,
lui accusant réception de deux lettres, reprenait l'idée
émise à Spalding de revoir FAngleterre. en dépit des
calomnies qui circulaient sur son compte dans le pays^ :
les rudes épreuves de sa carrière lui sont un commen-
taire cruel des vanités humaines et il trompe le néant
de la gloire en jouant aux échecs avec Du Peyrou con-
valescent, son visiteur à Trjx. Malgré les exhortations
de Davenport". les Co«/ès5/ows sont probablement inter-
rompues à jamais, la mémoire s'affaiblit, mais le cœur
garde sa sensibilité; de son exil ne lui reste-t-il pas plu-
sieurs vrais biens ? l'amitié de son ancien hôte, la bien-
veillance de Phébé, l'assurance d'être en tout temps le
bienvenu à Wootton.
Cette certitude est telle qu'à la fin de i 768 le projet
' Cf. p. 68.
- L'ancienne tutrice de Miss Dewes, cf. p. 62. note 2.
^ Cf. p. 81, note I.
* Rousseau, J. J. Les Consolations des Misères de ma Vie. ou Recueil
d'Airs, Romances et Duos, Paris, 178 i, 4",
* Lettres, A, Rousseau à Davenport, 1 5 déc. i 767, XLIII.
^Lettres, B, Davenport à Rousseau, 16 fév. 1768, XLIV.
I02 ANNAI.JOS !)(•; I.A SOCIKTli J. .1. KOUSSKA»'
d'établissement en Angleterre a pris corps : Rousseau
a déjà obtenu du duc de Choiseul un passeport pour
sortir de France et a prévenu l'ambassade britannique
à Paris de son départ imminent ^ ; s'il a pleine confiance
dans la bonté du maître, il se défie des domestiques et
réclame des garanties contre leur ressentiment à l'égard
de « deux pauvres étrangers » ; enfin, Tarrangement
devra se conclure au plus vite, car Bourgoin devient
inhabitable.
La question de Rousseau était de pure forme ; de-
puis le départ de Wootton, Davenport ne le pressait-il
pas d'en redevenir l'hôte respecté ? ne se portait-il pas
garant de l'amitié d'une foule de gens distingués ^' ? ne
lui avait-il pas dépeint sa joie de posséder sous son toit
l'auteur de tant -de lettres charmantes qui étaient en-
core sa meilleure consolation^? et s'il lui demanda de
la graine de melon, ne serait-ce point pour lui rappe-
ler les plantations projetées*?
Les graines partirent de Monquin en mars 1769;
avec elles, l'irrévocable décision de Rousseau de ne
jamais revoir l'Angleterre-^.
^Lettres, H, Ruiisseaii à Davenpoii, anov. 1768, XLIV. Œuvres, t. XII,
p. 114, à Laliaud, 1 nov. ; p. 116, à Moultou, 5 nov. De ce passeport, il
n'a « pu ni dû faire usage» ; Id.. p. i53, au Prince de Cojiti, 3i mai
1769.
-i^ettres, B, Davenpurt à Rousseau, »" ianv.'i769, XLVII.
s Id., B, Davenport à Rousseau, iG fév. 1768, XLH'.
* Cf. note 2.
'" Lettres, A, Rousseau à Davenport, 17 mars 1769, XLV. — Davenport
mourut deux ans plus tard, le 7 mai 1771 (The Gentleman's Magapne,
1771, p. 239); se représente-t-on l'effroi de Jean-Jacques s'il se fût alors
trouvé seul en Angleterre ?
Deuxième partie
LETTRES INÉDITES
Observation ciÉNÉRALE
Voici rarrangement adopté pour cette deuxième
partie : classer les lettres par auteur — et chronologi-
quement à l'intérieur de chaque série — selon le
nombre que chacun en a écrit, en commençant toute-
fois par celles de Jean-Jacques. Nous avons hésité à
nous accommoder de ce système, et il nous paraissait
désirable d'intercaler les diverses lettres dans l'ordre
des dates, quel qu'en fût le signataire; on aurait eu
ainsi à la fois, souvent tout au moins, et la demande
et la réponse. Mais ce qui eût été excellent, si nous
avions publié une correspondance complète de Rous-
seau, devenait ici, où il n'j^ a qu'une faible partie des
lettres de cette époque, et où . plusieurs portent la
même date ou celle de lettres déjà connues, devenait,
disons-nous, un grave inconvénient. En effet, la phy-
sionomie de certains correspondants, dessinée à travers
leurs lettres groupées en une masse unique, s'effaçait, par
la dispersion de ces mêmes pièces, en une pâle esquisse.
Quant au mode de reproduction des textes originaux,
nous avons suivi deux méthodes, selon qu'il s'agissait
des lettres de Rousseau ou de celles de ses correspon-
dants.
Dans le premier cas, nous avons scrupuleusement
donné le texte des manuscrits, avec toutes ses particu-
larités.
lOb ANNAI.KS !>[• LA SOCIFiTK J. J. ROUSSEAI'
Dans le second cas, nous avons estimé que nul
intérêt philologique ne s'attachait pour nous à l'exacte
physionomie des fantaisies orthographiques assez nom-
breuses dans les lettres anglaises ; aussi écrivons-nous
inusic au lieu de musick et supprimons-nous les con-
tractions des participes passés, l'usage n'en étant d'ail-
leurs pas systématique : receiped pour rcvd, called pour
call'd. De même nous avons rétabli le nom de Thérèse
que l'on trouve, chez Davenport spécialement, sous lés
formes Vaisseur. Le Vaisseur, même La Vaisseur, et
uniformisé l'abréviation de Mademoiselle dont il y a
une grande variété de graphies.
L'orthographe des lettres en français de personnages
anglais a dû être remise au point ; celle de Miss Dewes
et de Granville défigure la langue jusqu'à la rendre
illisible: mais nous avons respecté le style et la syntaxe.
Les lettres des correspondants français sont repro-
duites telles quelles, avec l'adjonction de l'accent sur
les e qui en sont dépourvus contrairement à Tusage
moderne.
Enfin, sauf pour le texte de Rousseau, nous n'avons
pas craint de suppléer à la ponctuation, notre but
étant de rendre accessibles des documents dont l'unique
raison d'être consiste dans leur apport à la biographie
de Jean-Jacques.
Durant l'été 1910, nous avons procédé à une dernière
collation du texte imprimé avec les originaux (en
septembre pour les manuscrits du British Muséum^ en
juillet et septembre pour ceux de la Bibliothèque de
Neuchâtel.)
LKTTRKS TNKDÏTRS DV. .1. .1. ROUSSEAU lOJ
A. Lettres de Jean- Jacques Rousseau.
à M"'^ de Créqui'K
Au Temple le 3 Janv. 1766-.
Le désir de vous revoir. Madame, formoit un de
ceux qui m'attiroient à Paris, La nécessité, la dure né-
cessité qui gouverne toujours ma vie m'empêche de la
satisfaire. Je pars avec la cruelle certitude de ne vous
revoir jamais : mais mon sort n'a point changé mon
ame. L'attachement, le respect, la reconnoissance, tous
les sentimcns que j'eus pour vous dans des momens
plus heureux * m'accompagneront dans mes misères*
jusqu'à mon dernier soupir.
J. J. Rousseau.
II«
[à Davenport.]
A Wootton le 22 Mars 1766.
J'arrive, Monsieur, dans la maison où vous voulez
bien m'accorder la plus charmante hospitalité et à qui
' Bibliothèque de Genève, Mhg. 232. — Publié dans Œuvres, t. XI,
p. 3o4, avec des variantes.
- A Madame \ Madame la Marquise \ de Créqui. Quai des j quatre
nations \ A Paris. — Nous continuerons de transporter dans les notes
l'adresse originale, cela pour éviter de trop nombreux blancs.
' Hachette : /" janvier.
* Hachette : dans les momens les plus heureux.
* Hachette : richesses.
« British Muséum, Add. Ms. 29626. fl'. 3, 4.
I08 ANNALKS DE F. A SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
je ne trouve d'autre défaut que d'être trop belle : mais
il faut le pardonner à la bonté du maitre et à l'aspect
des lieux, auxquels j'en substituerois difficilement d'au-
tres autant de mon goût. J'3^ vivrai, Monsieur, autant
que je ne vous y serai pas incomode, aux conditions
stipulées entre nous, espérant que l'habitation m'en
sera d'autant plus agréable que j'aurai le bonheur de
vous y voir quelquefois. Recevez en attendant mes vifs
remercimensde^ tous les soins que vous avez pris pour'
m'y faire arriver sans peine et pour m'y procurer le
plus agréable accueil.
Comme il m'importe pour plus d'une raison de ne
recevoir ni lettre ni pacquet par la poste, j'ai à vous
prier, Monsieur, de permettre que je fasse remettre dans
votre maison tout ce qui doit m'être envoyé de Lon-
dres jusqu'au tems de votre départ, et vos domestiques
voudront bien se charger de faire un pacquet du tout,
et de le mettre avec votre bagage ; comme je n'ai nulle
affaire pressée, les lettres peuvent sans inconvénient
demeurer jusqu'à ce tems-là. Après m'être un peu re-
posé, je vais me hâter malgré le vent, de parcourir les
dehors de .votre maison, comme je viens déjà d'en par-
courir les dedans, grâce aux politesse de votre Concierge.
Veuillez, Monsieur, faire remettre à M. Hume la Lettre
ci-jointe^ dont* je prends la liberté de vous charger.
Je vous fais avec respect mes très humbles saluta-
tions.
J. J. Rousseau.
1 I" rédaction : pour.
2 i'.' rédaction : de.'
•' Œuvres, t. XI, p. fiii. 22 mars.
* 1"' rédaction : que.
LETTRES INEDITES DE J. .1. ROUSSEAU
09
J'ai, Monsieur, à vous supplier encore de vouloir
bien rembourser à M. Stewart les fournitures et autres
fraix qu'il peut avoir faits pour moi ^, de même qu'à
M. Hume pour les articles qui le regardent. Ayez la
bonté de faire faire une petite note de tout cela et d'y
joindre Tarticle de la voiture qui m'a transporté ici.
La preuve que ce n'était pas un retour est que par son
vrai retour le voiturier vous remettra cette lettre. Je ne
refuse point, Monsieur, de me prêter à vos générosités
en tout ce qui m'est véritablement utile : mais j'avoue
que je ne vois point où est pour personne l'avantage de
prendre dans votre bourse des bons-marchés pour un
homme qui n'en a pas besoin. La libéralité, sans doute,
est une fort bonne chose, mais je crois que la franchise
vaut encore mieux. Vous voudrez bien, ne pas oublier
non plus les fraix du transport de mon bagage que je
ne puis payer ici, ne sachant ni combien ni à qui.
Depuis hier que cette lettre est écrite, parce que le
voiturier selon vos ordres, ne repart que cet après
midy, il est tombé beaucoup de neige, et la campagne
est blanche comme au mois de Janvier.
III-
[à Davenport .]
A Wootton le 3i Mars 17(56.
Très persuadé. Monsieur, que je suis entré dans la
maison d'un homme d'honneur, j'ai pour de bonnes
' Cf. p. 38, note 4.
- Br. Mus. Add. 29626, f, 5. — Publiée partiellement par Streckei-
sen. Œuvres et Correspondance inédites de J . J. Rousseau, p. 437,
XLIII.
IIO ANNAI.KS DK \.\ SOCIKTK .1. .1. ROUSSEAU
raisons, à vous supplier de vouloir bien ne confier k
qui que ce soit les lettres qu'on pourra vous envoyer
ou vous remettre pour moi, mais de les garder pour
me les donner vous même à votre voyage, ou, si Ton
vous dit qu'elles sont pressées, de les faire mettre di-
rectement à la poste sans qu'elles passent par d'autres
mains que celles de vos gens ; l'essenciei n'est pas que
mes lettres m'arrivent promptement ni franches ^ mais
qu'elles m'arriA^ent sûrement. Je vous demande le se-
cret sui" celle-ci ^.
'Vous aurez vu par celle que j'eus l'honneur de vous
écrire par le retour du voiturier combien dès l'abord
je fus content de l'aspect de^ votre maison, je ne le suis
pas moins de son habitation et des attentions de vos
domestiques. Il ne me manque. Monsieur, que d'y voir
le maitre pour lui faire les remercimens que je lui dois,
et tâcher d'obtenir son amitié pour son hôte, en tra-
vaillant à la mériter. Recevez. Monsieur, mes très
humbles salutations.
.1. .1. Rousseau.
IV»
à Davenport. '''
A Wooton le 19. Avril 1766.
J'apprens, Monsieur, avec le plus grand plaisir que
nous ne tarderons pas d'avoir celui de vous voir ici. et
> Sireckeisen : m'arrivent franches ni promptes.
- Streckeisen ; Je vous demande le secret sur le sujet de celle-ci; quel-
que jour, quand nous nous connaîtrons mieux, je vous en dt rai davantage.
' Ce paragraphe final manque dans Streckeisen.
■• l'aspect de est en surcharge.
i fir. Mus. Add. 29626, ff. 7, 8.
« To I Richard Davenport Esq' \ Next door Lord Egremont's \ Picca-
dilly ! London.
I.K'ITRKS INEDITKS 1)K J. .1. KOUSSEAU I 1 I
)e vous y ferai de bien bon cœur mes remerciemens ou
plustot mes reproches du trop bon traitement qu'on
me fait dans votre maison.
Mais, Monsieur, j'ai quelque inquiétude que le loge-
ment que j'occupe ne soit nécessaire à votre famille.
J'ai deux chambres à coucher que je peux réduire à
une, en me retirant dans celle qu'occupe M"^ le Vas-
seur et où il y a deux lits. D'ailleurs on a garni le lit
où je couche aux dépens du votre, et je ne souffrirai
pas que vous soyez mal couché à cause de moi. Si mon
séjour dans votre maison ne vous est pas desagréable,
ayez la bonté de faire en sorte qu'il ne vous soit pas,
non plus, incomode, autrement il faudra que je prenne
un parti qui vous délivre de cette gêne. J'ai !a plus
grande confiance en vous. Monsieur, le plus grand
plaisir de vous être obligé, mais absolument je ne souf-
frirai pas que vous vous incommodiez pour moi. J'au-
rois voulu vous épargner ces petits détails, et mon des-
sein étoit d'écrire à Madame la Gouvernante^ de vos
enfans, mais ignorant son nom, je suis forcé de m'ad-
dresser à vous même, vous priant toutefois de permet-
tre * que je lui fasse ici les très humbles salutations de
M"® le Vasseur et les miennes.
J'ai vu dans les papiers l'annonce d'une Lettre de
M.de Voltaire à moi addressée'. Je comprends d'avance
ce que c'est que cette lettre et de quelle boutique elle
vient. Mais quoique j'en fasse le cas qu'elle mérite et
que mon dessein ne soit pas même de la lire, je serois
' Cf. p. 5o, n. 6.
''■ de permettre est en surcharge.
3 Lettre de M. de Voltaire au docteur J. J. Pansophe. Londres, 1766,
in-12*.
112 ANNALES DK I.A SOCIitTÉ .!. J. ROUSSEAU
bien aise de l'avoir pour savoir où la prendre en tems
et lieu, et je vous prie de vouloir bien me l'apporter*.
Je sais quels discours on tient sur mon compte à Lon-
dres, je connois ceux qui les répandent avec addresse, et
je sais de quels moyens ils se sont servis pour cela.
Puis que les Anglois veulent être trompés, qu'on les
trompe, peu m'importe. Ils me jugent sans me connoi-
tre, et je me console de la justice qu'il me refusent,
par celle qu'on me rend dans les lieux où j'ai vécu.
Pour vous. Monsieur, si je vis aussi longtemps dans vo-
tre maison que je le désire, vous connoitrez par vous
même mes moeurs et ma conduite, et vous jugerez si ce
sont celles d'un débauché*.
J'attens vôtre arrivée avec impatience et je vous salue,
Monsieur, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
j-^iiej s jg Vasseur vous remercie de l'honneur [de vo-
tre souj^venir et vous prie d'agréer son respect.
à Davenport-\
A Wootton 28; Avril 1766.
Je sens. Monsieur, avec regret combien je vous suis
un hôte embarrassant de toutes manières, mais comme
' Ce membre de phrase est en surcharge.
- Streckeisen. J. J. Rousseau, ses Amis et ses Ennemis, t. II, p. 282,
Hume à Rousseau, 3 mai 1766, X : « Permettez-moi de vous exprimer
en peu de mots mon regret d'un passage d'une de vos lettres à M. Da-
venport. Vous supposez qu'il y a des- calomnies répandues dans
Londres sur vos mœurs et que ces calomnies s'accréditent. » Lettre
inconnue, ajoute l'éditeur; il s'agit de la nôtre.
'' déchirures.
* Br. Mus. Add. 29626, ft". 9, 10.
s To I Richard Davenport Esq'. \ next door Lord EgremonVs \ Picca-
dilly I London.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU Il3
il m'est impossible de vous épargner ces embarras, je
me borne à vous en faire mes excuses. Tout ce qui
m'est addressé chez vous m'est inutile à Londres, ainsi
je vous prie de vouloir bien me le faire parvenir ici par
les voyes qui vous paroitront les plus comodes. A re-
gard des Lettres il suffira, puisque vôtre voyage est si
proche, que vous ayez la bonté de les apporter. Ce
qui m'embarrasse, c'est après votre départ, de trouver
quelqu'un à Londres qui ait pour moi la même bonté
que avez eue et qui prenne la peine de m'envoyer ce
qui m'est addressé.
M"'^ le Vasseur, qui vous remercie de l'honneur de
votre souvenir et vous prie d'agréer son respect, vou-
droit faire venir un jupon piqué. Si vous aviez, Mon-
sieur, quelque Domestique marié dont la femme vou-
lut bien se charger de faire cette emplette je lui en
serois bien obligé. Elle voudroit le jupon de quelque
étoffe de laine fine ou de taffetas verd ou gns ou de
quelque couleur peu vo3-ante, mais non pas noir.
Recevez, Monsieur, mes vœux- sincères pour votre
prompt et bon voyage et pour tout ce qui vous appar-
tient. Je vous salue. Monsieur, de tout mon cœur
J. J. Rousseau.
VP
[à Vaillant.]
[Wootton, avril 1766?]*
Monsieur Vaillant est prié de vouloir bien remettre
à Monsieur Davenport le Livre de Botanique qui lui a
' Br. Mus. Add. 29626, f. 83.
^Œuvres, t. XI, p. 3i8, à Guy, i8 mars 1766. En tout cas ce billet
doit être antérieur au départ de Davenport pour la campagne, en avril.
8
114 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
été addressé par M. Gu\' libraire à Paris pour J. J. Rous-
seau.
VIP
[à Davenport.]
[Wootton] Ce 28 Juin au soir [176Ô.]
L'impossibilité où je suis, Monsieur, de vous faire
parvenir autrement la lettre ci-jointe, m'oblige à vous
envoyer un Exprès dont le vo3'age ne sera pas perdu
pour moi, s'il me rapporte de bonnes nouvelles de
vôtre santé.
La lettre ci-jointe de M. Hume^ a été ouverte en
ma présence par M. Walton, parce que nous étions
persuadés^ l'un et Tautre que le contenu étoitpour moi.
Mais à son ouverture j'ai vu la copie d'une lettre^ que
j'ai écrite la semaine dernière en réponse à M. Hume.
J'ai concki delà que son intention étoit que vous vissiez
le pacquet avant moi, et pour que cette intention ne fut
point trompée j'ai recacheté sur le champ le pacquet^
en présence de M. Walton sans en lire un seul mot, et
je vous renvo3'e.
Il seroit long de vous faire par lettres le récit de ce
qui s'est passé. Nous en causerons quand j'aurai l'hon-
neur de vous voir. En attendant, lisez pesez- et vo3^ez
ce- qu'il vous convient de penser de cette affaire. J'at-
tends de vos nouvelles avec la plus grande impatience.
1 Br. Mus. Add. :-!249i, fF. i8, 19.
"-' Cf. Lettres, D, Hume â Davenport, 26 juin, IV.
■• Rousseau avait commencé à écrire convaincus ; il s'est arrêté après
les deux premières lettres : co.
* Œuvres, t. XI, p.' 35o, 23 juin, ce qui est le lundi de cette même
semaine.
5 Ici trois mots hilTés : sans en lire.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU
I I D
et j'aspire au moment où sans vous incommoder vous
pourrez m'en donner de bouche.
Je Joins ici une autre lettre ^ que J'avois fermée ce
matin croyant la faire partir par la poste, mais on m'a
dit que cela ne se pouvoit pas. Je vous fais, Monsieur,
mes plus tendres salutations
T .t:. . , J. J. Rousseau.
L bxpres est payé.
VHP
à Davenport^.
Jeudi soir [24 ou3i juillet?^ 1766.]
Votre voyage, Monsieur, m'a fait grand bien; que
Dieu vous le rende. Je suis charmé de vous savoir heu-
reusement de retour. J'ai la plus sincère envie de vous
aller voir, mais je ne suis pas encore assez bien. J'at-
tens le moment et je le désire. Mad"^ le Vasseur vous
prie d'agréer son respect, et nous faisons l'un et l'au-
tre nos salutations à Monsieur votre petit fils et à
M'* Lauzane.
On vous a demandé un bas pour modelle ; vous êtes
prié de ne pas l'oublier.
IX 5
à M. Boswell.
[Wootton] le 2. Aoust 1766.
Recevez mes remercimens. Monsieur, de votre bon
souvenir et de l'intérest que vous voulez bien prendre
1 Œuvres, t. XL p. 35 1, à d'Ivernois, 28 juin 1766
2 Br. Mus. Add. 29626, ff., 78, 79.
•' To I Richard Davenport Esq' \ Davenport. \
* Ci. Lettres, B, Davenport à Rousseau, i" août VI
- Bibl. de Neuchâtel. Ms. 7901. - Minute autographe.
Il6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
à ma santé et à celle de M"« le Vasseur. Elle n'a été
incomodée que d'un mal d'yeux depuis son voyage et
je voudrois me porter aussi bien qu'elle. Mon cher
Monsieur Boswell je vous recommande aussi le soin
de votre santé, et surtout de vous faire saigner de tems
à autre. Je crois que cela vous seroit fort bon. Je vous
fais Monsieur mes très humbles salutations.
à M>'^ Liicadoii et Df^ake^.
[^^'oottonJ du 4. Août i 766.
Votre silence, Monsieur', m'inquiète sur vôtre santé.
Je vous prie de m'en donner des nouvelles. Vous m'o-
bligerez aussi de me marquer si vous avez eu la bonté
de faire usage de ma lettre de change. Recevez, Mon-
sieur, mes humbles salutations.
XI*
[à Davenport.]
Voici, Monsieur, une lettre^ que j'ai indiscrettemcnt
ouverte selon vos ordres, je m'apperçois qu'elle n'est
pas pour moi. je vous la renvo3'e sur le champ très
' Br. Mus. Add. 2()C)26, f. 92. — Minute autographe.
2 Banquiers londoniens, correspondants de Du Peyrou /Œuvres, t. XI,
p. ;^i2), chez qui était payable la rente de Rey (Bosscha, o. c,
3 mars 1766, n" 141 .)
» Lucadoit, cf. Lettres, A, Livre de Dépenses, XL\'I, du q août et
Lettres, A, Rousseau à Becket, etc., XIII.
* Br.Mus. Add. 29626, f. 28.
* Probablement la lettre, sans importance pour nous, de William
Fit:;lierbert à R. Daveiifort.-] août 1766 iBr. Mus. Add. 29626, f. 26.)
LETTRES INEDITES DE J. J. ROUSSEAU II7
mortifié de cette méprise, mais en vérité il n'}' a pas de
ma faute. Je fais mille vœux pour vôtre santé et celle
de vôtre chère famille, et vous salue très humblement.
J. J. Rousseau.
Ce samedi 9. Aoust 1760.
A M'* Lucadou et Drake^.
[Wootton] le 11 Aoust [1766.]
Je vois, Monsieur', par la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire le 7 de ce mois que l'argent
de la lettre de change sur lequel j'avois compté, du
moins en partie*, a du passer tout entier entre les mains
de M'"' Becket et de Hondt. Il m'est difficile de conce-
voir en vertu de quoi j'ai pu leur devoir une pareille
somme ou quel usage ils en ont pu faire pour mon
compte. Si mes livres étoient arrivés j'estimerois que
le port et les frais pourroient monter à la moitié de
cette somme. Mais si mes livres étoient arrivés il n'est
pas croyable que ces M'* ne m'eussent rien envoyé ni
rien fait dire et ne m'en eussent pas donné le moindre
avis. Vous m'obligerez Monsieur, si vous voulez bien
prendre la peine de m'expliquer cette énigme. Si après
avoir perdu mon argent il faut que je perde aussi mes
livres, ayez la charité de m'en avertir afin que je sache
à quoi m'en tenir aussi sur ce point. Quoi qu'il m'arrive
et quelques pertes que je puisse faire si j'apprens à
' Br. Mus. Add. 29626, f. 92. — Minute autographe.
^ Dans Toriginal : Aux mêmes.
•^ Lucadou, cf. la lettre suivante.
* Œuvres, t. XI, p. 3i5, à Du Peyrou, 14 mars 1766.
1 l8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
supporter le malheur avec patience, j'aurai toujours
beaucoup gagné. Recevez, Monsieur, mes très hum-
bles salutations.
Je vous prie de vouloir bien m'envoj^er le receu de
ces Messieurs.
XIIP
[à Becket et de Hondl.]
[Wootton, II août 1766?^]
M. Lucadou me marque. Messieurs, vous avoir du
remettre trente-une livre sterling que j'avois entre ses
mains. Vous m'obligerez beaucoup si vous voulez bien
prendre la peine de me marquer comment je pouvois
vous devoir cette somme ou quel usage vous en avez
fait pour mon compte, car c'est ce qui m'est difficile à
concevoir, à moins que mes livres ne soient arrivés, en-
core y auroit-il peu de proportion ce me semble entre
une pareille somme et celle des frais qu'ils pourroient
coûter; et s'ils étoient entre vos mains il n'est pas pro-
bable ^ qu'ils y restassent non-seulement sans que vous
m'en eussiez envoyé aucun, mais sans, que vous m'en
eussiez donné le moindre avis. Je vous demande par-
don, Messieurs, de l'importunité que je vous cause,
mais il me paroit que cela demanderoit quelque éclair-
cissement. Recevez, je vous supplie, mes .très humbles
salutations.
' 5r. Mits. Add. 29626, f, 92. — Minute-autographe.
- Cf. la lettre précédente.
• Première rédaction : apparent que vous me Veussie:{ laissé ignorer.
J'avois compté pouvoir faire usage avant la fin de Vété de mes livres de bo-
tanique, mais je vois qu'il faut me détacher encore de cette petite conso-
lation. La volonté de 'Dieu soit faite. Recevez, Messieurs, je vous
supplie, mes très humbles salutations .
LETTRES INEDITES DE J. J. ROUSSEAU II9
XIV »
à M. Becket.
[Wootton] 23 Aoust 1766.
J'ai receu Monsieur, la caisse et le pacquet que vous
avez eu la bonté de m'expédier et que je n'avois pu '-^
fait rettirer plus tôt faute d'accès. J'ai receu aussi
les deux lettres que vous avez pris la peine de m'écrire^
et par lesquelles Je vois que vous avez receu des le
18 Juillet les livres dont vous ne m'avez annoncé l'arri-
vée que le douse de ce mois. La seconde de ces lettres
loin de diminuer l'étonnement que me cause Ténormité
des frais de Douane ne fait que l'augmenter par le
compte sommaire que vous m'y faite de ces frais et
comment par exemple verrois-je sans surprise qu'un
vieux cistre brisé et pourri qui ne m'a coûté que six
francs de France et que je suis prêt a céder pour le
même prix à qui voudra, que cette patraque dis-je qui
ne peut valoir cinq schelings, ait payé une livre ster-
ling de droit. A Algers un pareil traitement seroit
horrible', croirai-je qu'il est légitime à Londres^.
Quatorze livres sterling de droit sur de vieux livres
qu'un particulier fait venir pour son usage, même en y
comprenant les estampes, est une exaction d'autant
plus dure qu'elle s'exerce non sur un commerçant
mais sur un malheureux étranger. Si les injustices des
' Bi\ Mus. Add. 29626, f. 93. — xMinute autographe.
- 1" rédaction : pas, ce qui explique le participe /a/7.
■■■ Mots bift'és : les 1 2 et 1 4 de ce mois.
* ou possible ?
* I" rédaction : A Algets >nèmc une aussi impudente friponnerie
l'étonneroit jtige^ de ce qu'elle doit faire à Londres.
120 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
hommes m'affectent encore ce n'est assurément pas
leur faute, ils ont bien fait tout ce qu'il faut pour m'y
accoutumer. Mais en me soumettant à cette exaction
puis qu'il le faut, que j'aye au moins aussi les effets
pour lesquels j'ai payé si cher. J'ai cherché inutilement
dans la caisse les estampes qui dévoient y être, je n'ai
trouvé que des portefeuilles vuides. Faites-moi l'amitié,
Monsieur, de me marquer où sont ces estampes et à
qui il faut que je m'addresse pour les avoir. J'attens
là-dessus un mot de réponse et vous fais, Monsieur,
mes très humbles salutations.
à Davenport-,
[Wootton] Ce Samedi soir [6 septembre^ 1766.]
Un petit bonjour à mon bon patron Monsieur Da-
venport, à sa charmante famille, et à tout ce qui lui
appartient. Je le prie de me faire dire un mot de ses
nouvelles, et si j'aurai le plaisir de le voir ici bientôt.
Je n'ai receu aucune réponse de M. Becket, ce qui
me paroit très surprenant. Je suis un peu étonné aussi
que M. Lewis n'ait pu trouver les pièces du St James
Chronicle que vous avez eu la bonté de lui demander.
Il faut qu'il se. passe à Londres relativement à moi des
choses bien extraordinaires, et dont je ne saurai jamais
rien que par vous ; puis qu'il n'y a que vous seul en
» Br. Mus. Add. 29626, ff. 23, 24.
* To I Rich^. Davenport Esq''. \ Davetipott. \
* Cf. Lettres, A, Rousseau à Davenport, 11 sept., XVI, XVII et
Lettres, B, Davenport à Rousseau, lundi 8 sept., VII.
LETTRES INEDITES DE J. .1. ROUSSEAU 121
Angleterre en qui je me confie, et qui prenne un sin-
cère interest à moi.
On m'écrit de Suisse qu'on répand en France et dans
toute TEurope que les amis communs de M. Hume et
de moi en Angleterre ont assoupi la querelle, et que
c'est pour cela qu'il ne publie pas les lettres qu'il avoit
promis de publier, et qui, selon lui, dévoient prouver
avec évidence que je n'étois qu'un scélérat. Au reste
personne au monde n'a entendu parler de la longue
lettre que vous avez vue et que je lui ai écrite le lo de
Juillet. Je n'ajouterai point là-dessus de reflexions. Les
hommes comme vous n'ont pas besoin qu'on les leur
suggère.
Mille salutations à vous, Monsieur, et à tout ce qui
vous est cher. Mad"^ le Vasseur vous prie d'agréer son
respect. Si elle avoit autant de talent que Mademoi-
selle Davenport pour écrire ou que j'eusse actuellement
plus de loisir, elle ou moi tâcherions de lui écrire une
belle lettre ; mais il faut quand à présent qu'elle se
contente de nos homages, et je ne sais pas même si nous
y pourrons ajouter des fleurs.
xvn
à Davenport ''.
Ce Jeudi soir [ii sept.^ 1766.]
Comment se portent Monsieur Davenport et toute
son aimable famille? J'espère que le retour du beau
tems affermira sa santé et que les habitans de Woot-
1 Bi\ Mus. Add. 29626, ff. 80, 81.
- A Monsieur | Monsieur Davenport \ à Davenport.
'■ Cf. Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVI, i5 sept. : an garde revenu
de Davenport ; Lettres, B, Davenport à Rousseau, i3 sept., IX.
122 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
ton en profiteront dans peu. Je ne lui écris point, afin
qu'il ne vole pas à sa bonne compagnie le tems qu'il
mettroit à me répondre. Il suffira qu'il ait la bonté
de me faire dire par le porteur des nouvelles de sa
santé.
XVIP
[à Davenport.]
A Wootton le ii. y^re l'yôô.
Après le départ, Monsieur, de ma précédente lettre^
j'en reçus enfin une de M. Becket-. Il me marque que
les estampes sont dans une des autres Caisses ; ainsi je
n'ai plus rien à dire : mais vous m'avouerez que ne les
trouvant pas dans la caisse où elles dévoient être et
trouvant les portefeuilles vides, il étoit naturel que je
les crusse perdues. Il me reste à vous faire mes excu-
ses de vous avoir donné pour cette affaire bien de
l'embarras mal à propos.
Je vous félicite, Monsieur, du plaisir que vous avez
actuellement de voir autour de vous votre aimable fa-
mille rassemblée ^ Vous goûtez pourtant un peu ce
plaisir à mes -dépens, puis qu'il retarde' vôtre voyage :
mais je sais trop combien vous êtes bon père pour ne
pas préférer en cette occasion votre plaisir au mien*.
Si vous n'étiez pas pressé pour la plantation de vo-
tre jardin, et que vous voulussiez attendre 'jusqu'à l'an-
1 Br. Mus. Add. 29626, f. ■•!4. — Publié dans Œuvres, t. XI, p. Sgo,
avec des variantes.
• - Cf. Lettres, X, Livre de Dépenses, 11 sept.
•' Cf. Lettres, B, Davenport à Rousseau, 8 sept., VII.
* Au lieu de ce paragraphe, Hachette a la phrase suivante : Vmis
recevez si bien vos hôtes,' et votre habitation me paraît si agréable, que
j'ai grande envie de retoitrncr vous y voir l'année prochaine.
LETTRES INÉDITES DE .1. J. ROUSSEAU 123
née prochaine, il me viendroit peut-être ^ des idées
qui se refusent maintenant à un esprit encore trop
rempli de choses tristes. L'azile où je suis et la vie
douce que j'y mène- doivent me rendre enfin des idées
agréables quand rien du dehors ne viendra les troublera
Quoi que vous en disiez, je préfererois et je croirois
faire une chose plus utile ^ de découvrir une seule nou-
velle plante, que de prêcher pendant cent ans^ tout le
genre humain.
Nous avons depuis quelques jours un tems affreux "^
dont je serois moins affligé, si j'espérois qu'il ne s'é-
tendit pas jusqu'à Davenport. J'en salue de tout mon
cœur et avec respect les habitantes et habitans ^. et sur-
tout le bon et aimable maître.
J. J. Rousseau.
M"^ le Vasseur vous prie de vouloir bien agréer son
respect ^.
XVIIP
[à Kenrick.]
Recevez mes remercimens, M. pour vôtre obligeante
atention. J'y suis asurem. très sensible de même qu'à
' Hachette continue : quelques idées ; car, quant à présent, j'ai l'esprit
encore trop rempli de choses tristes pour qu'aucune idée agréable vienne
s'y présenter; mais l'asile.
2 Hachette continue : m'en rendront bientôt quand.
■' Entre cette phrase et la suivante, Hachette en intercale une: Puissé-
je être oublié du public, comme je l'oublie.
* Hachette : cent fois plus utile.
* Hachette : cinquante ans.
■^ Hachette : un bien mauvais temps.
' Hachette : cœur les habitans.
^ Hachette n'a pas cette phrase.
■• Bibl. de Neuchàtel. Ms. 7902.— Brouillon autographe écrit à la troi-
sième page de la lettre de Kenrick, du g sept. 1766 (cf. Lettres, C), reçue
le i3 (cf. Lettres, A, Livre de Dépenses, XLVl), à laquelle il forme réponse.
124 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
l'honneur que vous fait, à mes écrits, mais quant à leur
publication en anglois que vous m'annoncez je n'y
prends d'autre intérest que celui de désirer qu'elle vous
soit avantageuse. Je n'entens gêner vos libraires en au-
cune sorte ils peuvent dire de moi tout ce qu'il leur
plaira ; pour moi je n'ai rien du tout à en dire. Je vous
fais de tout mon cœur M. mes très humbles saluta-
tions.
20. ybre [1766.]
XIX^
[à Jean Rousseau.]
[Septembre? 1766.]
J'espère, mon cher Cousin que vous excuserez com-
me ci-devant mon inexactitude à répondre, et que vous
voudrez bien acquiescer à la résolution que j'ai prise
de ne plus écrire de lettres que pour l'absolue nécessité.
Je voudrois que sur les propos qu'on vous tient à mon
sujet, vous prissiez le parti que j'ai pris moi-même, et
que vous laissassiez dire et penser à chacun ce qu'il lui
plaira. Quant à l'affaire qui vous regarde je n'ai point
perdu le désir de vous être utile; mais vous êtes trop
sensé pour ne pas sentir que sur le pied oia je -suis en
Angleterre, je n'y puis rendre service à qui- que ce soit.
Conservez votre santé, mon cher Cousin. Je vous salue
et vous embrasse de tout mon cœur.
1 Bibl. de Neticliâtel. Ms. 7902. — Minute écrite sur la troisième page
de la lettre de Jean Rousseau, du 11 septembre 1766 (cf. Lettres, C, III),
reçueiei3 (cf. Lettres, -A, Livre de Dépenses, XLVI), à laquelle elle
forme réponse.
LETTRES INEDITES DE J. J. ROUSSEAU 125
XX ^
à Davenport -.
A Wootton le Samedi soir 4. 8 ^rc iy66.
Quoiqu'on ne m'apprenne, iMonsieur, que ce soir
bien tard le départ de Jean pour Davenport demain de
grand matin, je ne veux pas qu'il parte sans un petit
bonjour de ma part, à condition pour cette fois que vous
VOUS contenterez de me faire dire de bouche des nou-
velles de votre santé. J'en suis en peine parce que M. le
Pasteur m'avoit flatté de Tesperance de vous voir jeudi
dernier et que cette espérance a été trompée. Je veux
me flatter pourtant que ce sont vos affaires et non vos
incommodités qui vous ont retenu, mais quand je le
saurai par vous-même je serai plus tranquille. Mille
très humbles salutations, et à tout ce qui vous appar-
tient, tant de la part de M"^le Vasseur que de la mienne.
J. J. Rousseau.
XXI "
à DarenpoiH*.
A Wootton le 14. S^re iy6(S.
Quoiqu'on me promette. Monsieur, le plaisir de vous
voir ici dans peu, j'ai été si souvent frustré dans cette
attente que je n'ose plus y compter, et je prends le
parti de vous écrire ce que j'espérois vous dire de vive
> Br. Mus. Add. 29626, ff., 33, 36.
* A Monsieur \ Monsieur Davenport \ A Davenport. \
•'Br. Mus. Add. 29626, tV., 37, 38.
* A Monsieur \ Monsieur Davenport | A Davenport. \
I2b ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
voix. Je sais que Thospitalité que vous exercez envers
moi est d'un prix inestimable et ne peut s'acquitter
qu'avec les sentimens qui vous sont dus. Mais quant
aux dépenses que j'occasionne dans votre maison, vous
m'avez promis de permettre que je vous en tinsse
compte, et les six mois dont nous sommes convenus
pour cela étant plus qu'écoulés, l'incertitude où je suis
du tems où j'aurai le bonheur de vous revoir me force
à vous prier de vouloir bien me mettre en régie sur
cet article.
Il y a des fournitures de vin et d'autres dépenses qui
doivent se rembourser^ à part et dont je demande aussi
la note, de même que de ce que vous avez pris la peine
de payer pour moi à M. Lewis.
Enfin, Monsieur, comme je sens que mes malheurs
ne finiront qu'avec ma vie, si jamais j'ai celui d'être de
trop dans votre maison je vous prie instamment de m'en
avertir avec franchise, afin que je prévienne au moins
celui que je crains plus que tout au monde, qui est de
vous être importun sans le savoir.
Recevez, Monsieur, avec bonté les assurances de mon
immortelle reconnaissance et de mon plus sincère atta-
ment.
J. J. Rousseau.
^iie \q Vasseur vous prie d'agréer son respect et nous
faisons l'un et l'autre nos salutatfons à vos chers enfants.
Mon incomodité me rendant, très pénible d'écrire, no-
tre aimable correspondante voudra bien excuser mon
silence pour aujourdui.
' [■■' rédaction : j^ajer.
LETTRES INÉDITES DE J. .1. ROUSSEAU I 27
XXIP
à Guy-.
A Wootton le i5 cj^re lyGi^.
J'ai receu, Monsieur, le même jour vos deux derniè-
res lettres, et j'avois aussi receu le paquet dont vous
êtes en peine. Si je vous ai coûté sept francs de port
pour des épreuves vous me l'avez bien rendu, car ce
paquet m'en a coûte quinze. Quinze francs de port pour
deS; vers françois, c'est beaucoup. Quand vous voudrez
désormais me faire des présens à ce prix, que ce ne soit
plus des vers, je vous en prie. A Noël M. Davenport
sera de retour à Londres ; faites remettre chez lui ce
que vous aurez à me faire tenir, next door Lord Egre-
mojit's Piccadillf. M. Dutens^m'a écrit en m'envoyant
un paquet de M. Lalliaud*; mais en m'offrant ses ser-
vices il ne m'a pas envoyé son addresse, ainsi je ne puis
ni me prévaloir de son offre ni l'en remercier. Je n'ai
point oui parler du Livre de Botanique ; il me feroit
pourtant plus de plaisir que des vers françois, pourvu
qu'il ne vint pas par la poste.
Je n'ai aucune nouvelle de l'ami qui devoit venir ^;
1 Bibl. de Genève, Mhg. 232. — Publiée partiellement, et avec de
nombreuses variantes, dans les Œuvres, t. XI, pp., 399, 400. — On
notera plusieurs divergences dans la ponctuation.
2 A Monsieur \ Monsieur Guy \ che:^ Madame la Veuve Duchesne \
Libraire, rue St Jaques | A Paris. |
' Frédéric Dutens, cf. Lettres, C, 3i oct.
* Buste de Rousseau et estampes ; cf. Œuvres, t. XI, p. 376, à Guy,
2 août 1766. Sauttershaim annonça cet envoi dès le i3 août (Lettre
inéd., Bibl. de Neuchâtel.)
5 D'Ivernois. Œuvres, t. XI, p. 324, à d'Ivernois, 3i mars 1766 ; p. 346,
3i mai (où novembre est indiqué comme le mois delà visite); p. 35 1,
28 juin (où il est prié de passer chez Guy).
128 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
je juge qu'il ne viendra qu'au printems, ou qu'il ne
viendra point du tout. A tout événement vous pouvez
toujours tenir prêt ce que vous aurez à m'envoyer ^ en
bonnes feuilles. &c.
Je suis sensible au souvenir de tous mes amis, sur-
tout dans une circonstance qui me les fait si bien con-
noitre. Saluez-les tous affectueusement de ma part. Je
ne nomme personne de peur d'omettre quelqu'un.
Permettez que ce que j'ai à dire à quelques uns d'en-
tre eux se trouve dans cette lettre.
Pour M. de la Roche-.
Je prie Monsieur de la Roche de vouloir bien^ conti-
nuer de payer jusqu'à Noel^ le loyer du logement qu'oc-
cupoit ^Mad^ le Vasseur. Je le prie aussi et Madame
de la Roche de se ressouvenir quelquefois de leur an-
cienne amitié pour moi. Quant à moi je ne les oublie-
rai de ma vie.
Pour M. Lalliaud\
A peine 'nous connoissons-nous. Monsieur, et vous
me rendez les plus vrais services de l'amitié : Ce zèle
est donc moins pour moi que pour la chose, -et m'en
est d'un plus grand prix. Je vois que ce même amour
' Hachetie n'a pas cette fin de !a phrase.
■■' Hachette a M . de Laroche.
'■' En surcharge.
* Ces trois mots sont en surcharge.
* Hachette dit Mlle.^
6 Hachette indique ce billet comme lettre indépendante, t. XI, p. 399^
et écrit Laliaiid.
LETTRES INEDITES DE .1. .1. ROUSSEAU 129
de la justice qui brûla toujours dans mon cœur^ brûle
aussi dans le vôtre : rien ne lie tant les hommes- que
cette conformité. La nature nous fit amis ; nous ne
sommes ni vous ni moi disposés à l'en dédire. J'ai re-
ceu le paquet que vous m'avez envoyé par la voye de
M. Dutens ; c'est à mon avis la plus sure. Le duplicata
m'a pourtant déjà été annoncé et je ne doute pas qu'il
ne me parvienne. J'admire l'intrépidité des auteurs de
cet ouvrage^, surtout s'ils le laissent répandre à Lon-
dres ; ce qui me paroit difficile à empêcher. Du reste,
ils peuvent faire et dire tout à leur aise : pour moi je
n'ai rien à dire de M. Hume, sinon que je le trouve
bien insultant pour un bon homme, et bien bruyant
pour un philosophe. Bon jour, Monsieur ; je vous
aimerai toujours, mais je ne vous écrirai pas, à moins
de nécessité. Cependant je serois bien aise par précau-
tion d'avoir votre addresse. Je ne puis vous écrire par
la même voye dont vous vous êtes servi, parce qu'en
me marquant que je le pouvois M. Dutens a oublié de
m'envoyer son addresse*. Je vous embrasse de tout
mon cœur, et vous prie de dire à^M. de Sautershaim ^^
que je suis sensible à son souvenir et n'ai point ou-
blié notre ancienne amitié. Je suis aussi surpris que fâ-
ché qu'avec de l'esprit, des talens, de la douceur, et une
assez jolie figure il ne trouve rien à faire à Paris. Cela
viendra; mais les commencemens y sont difficiles*.
* Première rédaction : ame. . . la votre.
2 Hachette : âmes.
3 Exposé succinct, etc.
* Hachette n'a pas cette phrase.
* Hachette : Sauttersheim.
^ Sauttevsliaim à Rousseau, 2 avril, i5 juillet, ir août 1766. (Lettres
inéd., Bibl. de Ncuchâtel.j
1 3o ANNALES DE I.A SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Revenons maintenant, Monsieur Guy, à nos affaires.
Ne so3'ez point en peine pour le Dictionnaire de ce que
moi ou d'autres en pouvons dire. Bien ou mal fait, c'est
un livre de débit, parce qu'il est utile et même néces-
saire aux Artistes, en attendant que quelqu'un d'autre'
fasse mieux-. En parcourant celles des Planches tirées
que j'ai avec moi je trouve dans la Planche F une faute
assez petite en elle-même, mais considérable à la place
où elle est, et qui demande absolument d'être corrigée,
sans quoi TAir noté par ces nouveaux caractères étant
indéchiffrable dès son début rebuteroit de poursuivre,
et tout cet exemple qui est essenciel ne serviroit à rien.
C'est à la figure 4 tout au commencement de l'air
noté. Voici ce qu'il y a 53 .42 .
Quando
Il manque sur chacun de ces deux petits traits qui
couvrent deux chiffres, un second^ trait qui couvre
exactement le premier trait et le point qui suit, de cette
manière : .53742^
Quando
Si les Planches n'étoient pas tirées il ne s'agiroit que
d'un coup de burin qui seroit facile à donner. Mais si la
feuille est tirée il faut, mon cher Monsieur Guy, que vous
ayez la complaisance de prendre tous les exemplaires^
1 Hachette : quel qu'autre.
2 Le reste de cette lettre manque dans Hachette, à l'exception de la
phrase: Vous ne m' ave ^ point dit si votre besogne avance je vous
embrasse, etc.
■• Premièi-e rédaction: autre.
■i Œuvres, t. VII, p. 36 1, donne : |= "An
Quando
L'édition revue et corrigée du Dictionnaire de Musique, Londres, 1766,
4", tient compte de la- modification, mais pas l'édition de Rey, Amster-
dam, 1772,8% qui reproduit l'erreur signalée par Rousseau.
5 Première rédaction : toute l'ed\ition'].
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU IJI
de cette feuille-là dans vôtre chambre, et d'y ajouter
ces deux petits traits à vôtre loisir. Si vous voulez char-
ger quelqu'un de ce soin, à la bonne heure; mais recom-
mandez-lui que chacun des deux petits traits qu'il s'agit
d'ajouter ne soit ni plus ni moins long qu'il n'est marqué
ci-dessus, c'est à dire qu'il commence bien exactement
sur le commencement du petit trait qui est au dessous,
et qu'il finisse bien perpendiculairement sur le point
qui suit ; et avant de mettre la main à l'œuvre com-
mencez par vous assurer de m'avoir bien entendu.
J'ai quelques mots à changer à la fin de la Préface ;
je vous prie de m'en transcrire la dernière phrase la
première fois que vous m'écrirez, et de ne l'imprimer
qu'après ma réponse^. Vous ne m'avez point dit si vo-
tre besogne avance, je serois bien aise de savoir à peu
près à quoi vous en êtes, et quand vous comptez être
en état de publier. Bien des salutations à Madame et
Mesdemoiselles Duchesne. Je vous embrasse, Mon-
sieur -, de tout mon cœur.
J. J. Rousseau.
J'oubliois de vous marquer que vous pouvez m'écrire
en droitture sans affranchir.
XXIIP
à Davenport*-.
A Wootton le 27. g^re lygO.
Je suis très sensible. Monsieur, à l'attention que vous
avez de m'envoyer tout ce que vous croyez devoir m'in-
1 Cf. Lettres, A, Rousseau à Guy, fév. 1767, XXXIV, dernier g.
2 Hachette remplace toute cette fin de lettre par un etc.
'■'' Br. Mus. Add. 29626, ft'., 39, 40. — Publiée partiellement dans
Œuvres, t. XI, p. 373, sans date.
* A Monsieur \ Monsieur Davenport | A Davenport. \
l32 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
teresser. Ayant pris mon parti sur l'affaire en question,
je continuerai, quoiqu'il arrive, de laisser M. Hume
faire bien ^ du bruit tout seul, et de garder jusqu'à la
fin le silence que je me suis imposé sur ce chapitre. Au
reste sans aflecter une tranquillité stoïque, j'ose vous
assurer que dans ce déchaînement universel je suis ému
aussi peu qu'il soit ^ possible, et beaucoup moins que je
ne m'y serois attendu^ si d'avance on me l'eut an-
noncée Ce que je vous proteste encore et vous jure
à la face du Ciel, mon respectable hôte, c'est que
j'aime infiniment mieux être l'infortuné Jean Jaques
Rousseau livré à toute la diffamation publique, que le
triomphant David Hume au milieu de toute sa gloire :
mais quittons cet odieux sujet.
J'ai craint pour vous ces mauvais tems passez. J'es-
père que ceux qu'il fait en répareront leff"et ^. Je n'ai pas
été mieux traité que vous et je ne connois plus guéres* de
bon tems ni pour mon cœur ni pour mon corps, excepté^
celui que fe passe auprès de vous. C'est vous dire assez
avec quel empressement je vous attends et vôtre chère
famille que je remercie de toute mon ame* et salue de
1 Manque dans Kachette.
2 Hachette : est.
3 Hachette: que je n'aurais cru l'être.
* Hachette : annoncé; mais ce que je vous proteste et ce que je vous
jure, mon respectable hôte, en vérité et à la face du ciel, c'est que le
bruyant et triomphant David Hume, dans tout .l'éclat 4e sa gloire, me
paroît beaucoup plus â plaindre q\ie l'infortuné J . J. Rousseau, livré à la
diffamation ptiblique . Je ne voudrais pour rien au monde être à sa place,
et j'y préfère de beaucoup la mienne, même avec l'opprobre qu'il lui a
plu d'y attacher.
. J'ai craint, etc.
' Hachette : qu'il fait â présent en répareront le mauvais effet.
« Hachette : guère. ,
' Hachette : f excepte. ,
• Hachette; remercie et salue de toute mon àme. Le reste manque.
LETTRES IXÉOITES DE .1. .1. ROUSSEAU l33
même tant pour moi que pour M"^ le Vasseur. Elle
vient de perdre sa mère et risque de faire une autre
perte dans son pays dont sa présence Teut garantie et
qui me laisse le regret de l'avoir amenée ici. Permettez
que nous fassions ici Tun et l'autre nos remerciemens
et salutations à Mad"^ Lauzanne et à M"^ Ally, et re-
cevez avec bonté ses respects ainsi que les miens.
J. J. Rousseau.
Le pacquet que vous annonce M. Lewis est la chose
la moins pressée ; il devient même inutile par celui que
vous m'avez envoyé, puisque ce n'est qu'un autre exem-
plaire de la même brochure.
XXIV ^
à Davenpori -,
A Wootton le 5 X ^^^ 1 766.
Recevez mes remerciemens, Monsieur, de vos atten-
tions continuelles et de tout ce que vous m'avez en-
voyé. Je me consolerois plus aisément du retard de
votre arrivée si Noël se retardoit à proportion. A sa-
medi donc. Monsieur; je vous souhaite bonne santé
beau tems et bon voyage, et autant de plaisir à venir
dans votre maison que vous en ferez à ceux qui l'ha-
bitent. Permettez que M"*^ Lauson voye ici les saluta-
tions de M^'^ le Vasseur et les miennes et que nous
vous présentions de concert les nôtres, vous suppliant
de les agréer.
J. J. Rousseau.
> Br. Mus. Add. 29626, fF., 41, 42.
' A Monsieur \ Monsieur Davenport | A Davenport . |
l34 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
XXV ^
[à Davejiptwt.]
[Wootton, 22 décembre i-lU) ?] -
Quoique jusqu'ici, Monsieur, malgré mes sollicita-
tions et mes prières je n'aye pu obtenir de vous un
seul mot d'explication ni de réponse sur les choses
qu'il m'importe le plus de savoir, mon extrême con-
fiance en vous m'a fait endurer patiemment ce silence,
bien que très extraordinaire. Mais, Monsieur, il est
tems qu'il cesse ; et vous pouvez juger des inquié-
tudes dont je suis dévoré vous voyant prêt à par-
tir pour Londres sans m'accorder, malgré vos pro-
messes, aucun des éclaircissemens que je vous ai
demandés avec tant d'instances. Chacun a son carac-
tère : je suis ouvert et confiant, plus qu'il ne faudroit
peut-être.. Je ne demande pas que vous le soyez comme
moi ; mais c'est aussi pousser trop loin le mistére, que
de refuser de me dire sur quel pied je suis dans votre
maison, et si j'y suis de trop ou non. Considérez je
vous supplié, ma situation, et jugez de mon^ embar-
ras. Quel parti puis-je prendre si vous refusez de me
parler? Dois-je rester dans votre maison* après que,
vous ayant demandé si mon séjour ne vous y devient
point importun, vous ne m'avez pas répondu un seul
1 Br. Mus. Add. 29626, f. 5b.
- Date indiquée dans les Œuvres, t. XI, p. 402, dont le texte offre
des variantes avec celui-ci.
^ Hachette : mes.
* Hachette: maison malgré vous? La fin de la phrase manque. Ici.
l'original a une surcharge biflée : sans savoir sur quel pied j'y suis, et.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU l35
mot? En dois-je^ sortir sans votre aveu-? Le puis-je
sans votre assistance^? Sans amis, sans connaissances,
enfoncé dans un pays dont j'ignore la langue, je suis
entièrement à la merci de vos gens. C'est à votre invi-
tation que j'y suis venu, et vous m'avez aidé à y venir;
il convient de même, ce me semble, que vous m'aidiez
à en partir,'^ si j'}^ suis de trop. Quand j'y resterois, il
faudroit toujours, malgré toute votre réserve ^. que vous
eussiez la bonté de prendre des arrangemens qui ren-
dissent mon séjour chez vous moins onéreux pour l'un
et pour l'autre. Les honnêtes gens gagnent toujours à
s'expliquer et s'entendre entre eux. Tant d'intermé-
diaires entre vous et moi ne sont bons à rien^'. Si vous
entriez avec moi seul'' dans les détails dont vous vous
fiez à vos gens, vous seriez moins trompé et je serois
mieux traité ; nous y trouverions tous deux notre avan-
tage. Vous avez trop d'esprit pour ne pas voir qu'il y a
des gens à qui mon séjour dans votre maison déplait
fort'', et qui feront tout de leur mieux pour nous en
rebuter l'un et l'autre^. Il ne tient qu'à vous de rendre
leur mauvaise volonté impuissante, et cela sans éclat
et sans bruit ^'\
Que si malgré toutes ces raisons vous continuez à
garder avec moi le silence, cette réponse alors devien-
' Hachette : puis-je.
2 Hachette: assistance.
'■'■ Hachette n'a pas cette phrase.
* Hachette : il convient, ce me semble, que vous m'aidie^ de même à en
partir.
^ Hachette : malgré toutes vos répugnances.
6 Hachette n"a pas cette phrase.
' Manque dans Hachette.
* Hachette : beaucoup.
9 Hachette : feront de leur mieux pour me le rendre désagréable .
'" Hachette n'a pas cette phrase.
I 36 ANNALES OE f,A SOCIÉTÉ .1. J. POUSSEAU
dra très claire, et vous ne trouverez pas mauvais que
sans m'obstiner encore^ inutilement, je pourvo^-e à ma
retraite comme je pourrai sans vous en parler davan-
tage : emportant un souvenir très reconnoissant de
riiospitalitc que vous m'avez offerte, mais ne pouvant
me dissimuler les cruels embarras où je me suis mis
en r acceptant.
XXVI '
[à Du PejTOu^.]
[Wootton, dernier trimestre de 1766?*]
Je vous estime mon cher hôte je vous aime de tout
mon cœur, et je fais de votre amitié tout le cas ima-
ginables [sic] : mais je me crois obligé de vous dire que
si je pensois d'un h:[omme] le quart des choses que
vous m'écrivez de moi, au lieu de m'amuser à tracasser
avec lui sans cesse au lieu de lui aller jettan conti-
nuellement au visage les balayeure des rues : je ces-
serois une bonne fois de lui écrire. C'est ainsi pour
moi que j'en usai avec le bon David sitôt que j'eus
pénétré le profond projet qu'il exécutoit avec autant de
peur que d'adresse et qu'il a le plaisir aujourd'hui
de voir en si plein succès. C'est toujours s'avilir que
de rester volontairement en correspondance avec un
homme qu'on n'estime plus.
1 Hachette : davantage.
2 Br. Mus. Add. 29626, f. 91. — Brouillon autographe.
^ Dans le texte ; mon cher hôte.
4 Octobre? Œuvres, t. XI, p. '}g3, à Du Peyrou, 4 oct.; p. 396, i5 oct.
Il y a conformité de sens entre ces deux lettres et notre fragment ; voir
en particulier, p. 398, l'avant-dernier alinéa.
LETTRES INÉDITES DE .1. .(. ROUSSEAU I Sy
XXVIP
[à Du Perron -.]
[Wootton, i76()?''j
Sitôt que je vis le grand projet de M. Hume et de
sa ligue en pleine exécution et toute l'Europe à ses
pieds me traînant avec délices dans la fange de l'igno-
minie, je pris le seul parti qui me restoit à prendre. Je
renonçai à toute correspondance pour celle de M.[ylord]
M.[areschalj- et la vôtre, je cessai de lire les papiers
publics et je me renfermai en moi-même résolu de finir
du moins en repos mes malheureux jours s'il étoit pos-
sible.
XXVIIP
à Dcivenpori^''.
A Wootton le 23 Janvier 1767.
J'attendois, Monsieur, avec d'autant plus d'impatience
des nouvelles de votre heureuse arrivée à Londres que
les terribles tems qu'il a fait me tenoient doublement
en inquiétude, et sur votre route et sur votre santé.
M. Walton m'a tiré de peine à votre égard. J'espère
que vos chers enfans, que je salue de tout mon cœur,
n'auront pas moins bien soutenu le voyage.
1 Br. Mus. Add. 29626, f. 94. — Brouillon autographe.
- Œuvres, t. XI, p. 372, à Keitli, 20 juillet 1766: «Je cesse désormais
décrire... je ne fais que deux seules exceptions, dont l'une est pour
M. Du Peyrou; je crois superflu de vous dire quelle est l'autre... »
' Eté 1766? cf. Œuvres, t. XI, p. 384, à Du Peyrou, 16 août ; le der-
nier paragraphe.
* Br. Mus. Add. 29626, ff. 4?, 46.
* A Monsieur \ Monsieur Davenport. \ Piccadilly \ à Londres. \
l38 ANNALES DE I.A SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
Voici deux lettres^ que je vous addresse en consé-
quence de la permission que vous m'en avez donnée,
et auxquelles je vous prie de vouloir bien donner cours.
;\jiie \q Vasseur vous supplie d'agréer son respect et de
ne pas l'oublier auprès de sa belle correspondante' et
du cher frère; nous faisons l'un et l'autre nos com-
plimens aux Darnes^ de votre suite, et je vous réitère,
Monsieur, l'assurance de tous les sentimens qui vous
sont acquis.
J. J. Rousseau.
Les neiges menacoient de nous ensevelir tout en vie,
mais le dégel commence fort à propos à nous en dé-
barrasser.
XXIX ^
[à Dai'cuporf.]
A Wootton le 3i, Janvier 1767.
Je vois, Monsieur, avec confusion tous les embarras
que je vous cause, et toutes les peines que vous prenez
pour moi ; mais je ne puis que vous en faire des excu-
ses, n'étant pas en état de vous les éviter. J'ai bien re-
ceu vos trois lettres des i3, 20, et 22 de ce mois, mais
rien encore des envois qu'elles m'annoncent, et cela
n'est pas étonnant à cause de l'état des chemijis. Au
lieu du Dictionnaire in 4'° Grec et Latin «que je desi-
> à Roustan (Œuvres, t. XI, p. 4o3,; à M*** [= Roustan] ; Lettres, C,
Roiistan à Rousseau, 23 dée. 176(5, V), et à Malthus (Œuvres, t. XI.
p. 404, au même [= Malthus] ; Lettres, C, Malthus à Rousseau, i" déc.
1766, XI.)
- Phébé Daveiiport, petite-fille de Davenport.
3 M"" Lausanne, M"«'Ally.
* Br. Mus. Add. 29626; ff. 47, 48.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU 1^9
rois m'être envoyé dans la malle neuve, j'ai pensé qu'il
vaudroit mieux qu'on y mit mon vieux Dictionnaire de
Calepin in folio, qui, étant plus gros, doit tomber plus
aisément sous la main, et qui contient encore plus sû-
rement les noms Grecs de plantes tirés de Dioscoride
et de Theophraste pour lesquels seuls ce Dictionnaire
me fait besoin.
Le petit papier imprimé que vous m'avez envoyé
m'eut bien fait rire s'il m'avait moins indigné. Amuse-
t-on vos compatriotes avec de pareilles folies ? En ce cas
j'en suis fâché pour eux. C'est bien mal connoître le
Peuple de Genève, aussi courageux que le peuple An-
glois, mais moins turbulent. Les malheurs de ce brave,
sage, et infortuné peuple, qu'on laisse périr victime des
intrigues de ses indignes magistrats ne feront pas hon-
neur aux puissances de l'Europe, et surtout à celles qui
disent aimer la liberté. Vous verrez, Monsieur, ce que
je pense de cette affaire par l'incluse *, que je vous en-
voyé ouverte pour que vous la puissiez lire si cela vous
amuse; vous priant de vouloir bien la cachetter ensuite
et lui donner cours.
Je vois le retour du beau tems avec d'autant plus de
plaisir que j'espère que votre santé s'en trouvera bien.
Le dégel a découvert les prairies, mais on ne laisse pas
de trouver encore cinq ou six pieds de neige dans les
chemins. M"^ le Vasseurvous prie d'agréer son respect,
et salue ainsi que moi vos chers enfans et leur compa-
gnie. Recevez, Monsieur, mes très humbles saluta-
tions.
J. J. Rousseau.
' Œuvres, t. XI p. 412, à d'Ivernuis, 3i janv. 1767.
140 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. i. ROUSSEAU
XXX'
[à Davenport .]
\
[Wootton] Ce 3i Janvier [1767] au départ du Courier.
Je reçois en ce moment, Monsieur, vos deux lettres
du 27-. Je suis très touché de l'activité de votre zélé en
ma faveur, mais je trouve que vous avez été un peu vite
en besogne au sujet des droits de douane, qui m'ont
paru exhorbitans, sans doute, mais dont je n'ai jamais
demandé ni désiré la restitution. Cependant comme je
ne veux pas vous en dédire ni manquer au respect dû
à celui qui en a ordonné le remboursement' j'écrirai à
M. le Duc de Graffton comme vous le desirez.
Mais je n'écrirai pas à M. le General Conway, et je
suis surpris, je l'avoue, que vous m'en fassiez la pro-
position. Si la lettre que je lui écrivis* n'étoit pas
claire à ses veux au moment qu'il la receut elle a du
le devenir dans la suite : s'il continue à la trouver ob-
scure, c'est qu'il veut bien la trouver telle, et s'il y voit
toujours un refus, c'est qu'il juge à propos de l'y voir.
Cette lettre, xM-onsieur, décente et respectueuse autant
qu'il est possible est demeurée sans aucune réponse,
et il faut bien que M. le General Conway n'y ait rien
vu qui eut besoin d'explication, puis qu'il ne m'a pas
fait l'honneur de m'en demander. Une lettre telle que
vous me conseillez de l'écrire seroit une véritable de-
1 Br. Mus. Add. 29626, fF. 49, 5o.
2 Celle de Davenport et celle de Stonhewer, secrétaire de Graft on
Lettres, B, Davenport à Jiousseau, 27 janv. 1767, XX.
?• I" rédaction: la restitution.
* Le 22 mai 1766. Œuvres, t. XI, p. ?43.
LETTRES INEDITES DE .1. J. ROUSSEAU I4I
mande, et n'ayant aucun droit de rien prétendre, je
n'ai garde de rien demander.
De peur que le débit de mes livres ne serve de pré-
texte à quelqu'une de ces petites libéralités qu'on est
toujours pressé de faire aux gens qui n'en veulent
point, je vous prie. Monsieur, de bien vouloir faire
faire par un Libraire l'estimation de tout ce qui en
vaudraMa peine, et de ne recevoir de personne un sol
au dessus de l'estimation. A l'égard du plus grand nom-
bre qui sont de vieux bouquins hors de service, ils ne
sont bons qu'à brûler et ne doivent servir qu'à cela. Je
vous demande pardon. Monsieur, de cette petite pré-
caution, mais l'exemple du passé la rend nécessaire.
Quand j'aurai besoin d'aumône je la demanderai ; jus-
qu'alors nul homme n'a droit de me la faire sans mon
aveu.
Je suis inquiet des suites de votre rhume. Donnez-
m'en des nouvelles je vous supplie. Pour moi, je ne
suis point bien non plus ; il m'en coûte extrêmement
d'écrire, et si cela continue je serai forcé de différer de
quelques jours ma lettre pour M. le Duc de Graffton,
mais je vous l'enverrai le plus tôt qu'il sera possible.
Du reste vous savez mes sentimens, ils sont toujours
les mêmes et ne varieront point. Jamais homme ne
poussera plus loin que moi le respect les égards la dé-
férence en choses convenables ; je sais comment je
dois correspondre aux bontés dont on m'honore, et
je ferai toujours mon devoir, car je suis trop fier pour
être insolent ; mais je ne m'avilirai jamais ^ Quand l'a-
mitié dont vous m'honorez vous porte à me rendre de
1 Celte dernière phrase est en surcharge.
142 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
bons offices je les accepte avec reconnaissance ; mais
ne les portez pas jusqu'à me compromettre, car vous
ne seriez pas avoué. Mille très humbles salutations, et
à toute votre maison.
J. J. Rousseau.
Sitôt qu'il me sera possible j'écrirai à Mylord
Neunham. Sa lettre^ m'a fait le plus grand plaisir.
Excusez mon barbouillage, j'écris si à la hâte que je ne
sais ce que je dis.
XXXI '
[à Dai'enport.]
A Wootton, le 2^ Fev"". 1767.
J'ai fait. Monsieur, une étourderie épouvantable en
vous priant de donner cours à ma lettre pour M. d'I-
vernois^ sans penser que la France, a3'ant interdit tout
commerce avec Genève, ma lettre y seroit interceptée.
Si heureusement vous n'avez pas encore fait partir cette
lettre je vous supplie de vouloir bien mp la renvoyer.
J'ai receu la petite caisse, mais non pas l'autre pacquet;
je suis extrêmement incommodé et nullement en état
d'écrire ; j'espère suppléer à cela samedi prochain. Mes
très humbles salutations, à vous, Monsieur,, et à tout ce
qui vous appartient.
J. J. Rousseau.
1 Lettres, C, Nuneham à Rousseau, 27 janv. 1767, I.
2 Br. Mus. Add. 29626, f. 5i.
•' Rousseau avait d'abord écrit: 6.
* Œuvres, t. XI, p. 412, 3i janvier.
À
LETTRES INÉDITES DE J. .1. ROUSSEAU 143
XXXIP
[à Davcnport.]
A Wootton le 5 Fév"'. 1767.
Une bonne œuvre en amène une autre, et voila, Mon-
■sieur, l'honorable emploi que vous avez à remplir. J'ap-
prends que rinterdiction du commerce avec la France
réduit le pauvre peuple de Genève à manquer de pain,
que les aisés s'}- cottisent entre eux pour les aider, et
■qu'on fait pour cet effet une collecte entre les Genevois
qui sont à Londres. Vous m'avez mis en état d'}' con-
tribuer sans m'incomoder, par la restitution des droits
payés pour mes Livres ; faites de grâce la charité toute
entière, en faisant remettre cette petite somme ^ à ceux
qui sont chargés des deniers de la collecte. J'ignore qui
•c'est, mais je ne doute pas que M. Dutens ne le sache,
ou à son défaut, M. Roustan pasteur de l'Eglise Suisse
Meard's Court Dean Street Soho Square le sait infailli-
blement. J'ai bien à Londres un mien Cousin^ qui est
au fait, mais je n'aime pas qu'il se mêle de mes affaires,
parce qu'il veut trop s'en mêler. Je ne saurois vous dire
-combien je suis touché du sort de cet infortuné peu-
ple qui se voit ôter à la fois son pain et sa liberté.
J'attens avec impatience des nouvelles de votre réta-
blissement. Pour moi je continue à être si malade de
corps et d'ame que je n'ai pu jusqu'à présent écrire la
lettre à M. le Duc de Grafton. Ce sera, j'espère, pour
samedi prochain. J'ai receu le second paquet, et je vous
1 Br. Mus. Add. 29626, f. 52.
2 Quinze livres sterling.
'■ Jean Rousseau. Œuvres, t. Xll, p. 9, à Du Peyrou, 2 avril 1767.
144 ANNALES DE LA SOCIETE .T. .1. ROUSSEAU
fais mes remercimens de Tun et de l'autre. Je voulois
plaisanter sur vos envois et sur les provisions qu'ils
contiennent mais je ne fus de ma vie moins en train de
rire. Mille salutations, tant au nom de M"*-' le Vasseur
qu'au mien à vos chers enfans et aux Dames de votre
maison ; permettez aussi qu'elle vous assure de son
respect. Vous savez, Monsieur, combien je vous suis-
acquis.
J. J. Rousseau.
XXXIIP
[à Davenport.]
A ^^'ootton le 9 Fev''. 1 767 -.
Bien loin, Monsieur, qu'il puisse m'être entré jamais
dans l'esprit d'être assez vain, assez sot, et assez mal
appris pour refuser les grâces du Roi, je les ai toujours
regardées et les regarderai toujours comme un très grand
honneur pour moi^: quand je consultai M^iord Ma-
reschal si je les accepterois. ce n'étoit certainement pas
que je fusse là dessus en doute, mais c"est qu'un devoir
particulier et indispensable ne me permettoit pas de le
faire que je Ji'eusse son agrément, et*j'étois bien sur
qu'il ne le refuseroit pas. Je^ voulois bien même avoir
cette obligation à M. Hume, pour qui, sur la foi d'au-
trui, j'avois alors la plus grande estime. La terrible le-
çon qu'il m'a donnée m'a fait changer de façon de pen-
> j5r. Mus. Add. 29626, ff. 53, 54. — Publiée, avec des variantes, dans-
Œuvres, t. XI, p. 417.
2 Hachette: sans quantième.
•• Hachette : comme le plus grand honneur qui me puisse arriver.
* Hachette : manque.
* Hachette donne un tout autre texte pour cette lin du paragraphe.
LETTRES INÉDITES DE J. .1. ROUSSEAU 145
ser à regard des particuliers, et il n'y en à [sic] aucun à
qui je veuille avoir une pareille obligation. Je ne veux
devoir cette grâce qu'au Roi seul et à ses ministres. Si
la pension m'est offerte du propre mouvement de S. M.,
je l'accepterai avec la reconnaissance et le respect con-
venables ; mais si je la dois aux sollicitations de qui que
ce soit, je n'en veux point. Voila ma résolution, Mon-
sieur, et vous pouvez compter qu'elle est inébranlable.
Ne mettez pas, je vous en conjure i, tant de formalités
à l'affaire de mes livres. Ayez la bonté de montrer le
catalogue à un seul- libraire ; qu'il mette ^ les prix à
ceux des livres qui en valent la peine. Sur cette estima-
tion voyez s'il y en a quelqu'un^ dont vous ou vos amis
vouliez" vous accomoder. Brûlez le reste et ne le cédez,
de grâce, à aucun Libraire «, afin qu'il n'aille pas son-
ner la trompette' qu'il a des livres de moi. Il y en a
quelques uns, entre autres le livre de l'Esprit in 4«
de la p'-e édition qui est rare, où« j'ai fait quelques no-
tes aux marges : je voudrois bien que ce livre» ne tom-
bât qu'entre des mains amies. J'espère, mon cher Mon-
sieur, que vous ne me ferez pas le sensible aflront de
refuser le petit cadeau de mes ouvrages.
Les estampes avoient été mises par mon ami^'^ dans
le ballot des Livres de botanique qui m'a été envoyé.
» Hachette: // ne faut pas, mon cher monsieur, je vous en prie, mettre
2 Hachette: manque.
■^ Hachette : note.
* Hachette : qnelqnes-uiis.
* Hachette : puissie^.
« Hachette : ne céde^ rien à aucun libraire.
' Hachette ajoute : par la ville.
* Hachette : et oii.
** Hachette: livre-là.
'" Du Peyrou.
146 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J ROUSSEAU
Elles ne s'3' sont pas trouvées, et les portefeuilles me
sont arrivés vuides ; j'ignore absolument où Becket a
jugé à propos de fourrer ce qui étoit dedans.
Je voulois remettre à des momens plus tranquilles
à ^ vous parler en détail de vos envois ; ce qui m'en ré-
jouit^ le plus est que si je dois rester^ dans votre mai-
son jusqu'à ce que la muscade et la canelle soient con-
sommées, je n'en démarrerai pas d'un bon siècle. Le ta-
bac n'est que trop bon*, puis qu'il s'en consomme d'au-
tant^ plus vite. Je vous remerciede '^ l'emplette mais'''
non pas de la chose, puisque c'est une commission, et
vous savez les régies. L'eau de la Reine de Hongrie
m'a fait grand '^ plaisir et j'y ai reconnu^ un souvenir et
une attention de M""^ Luzonne^*^, à quoi j'ai été fort
sensible. Mais qu'est ce que c'est que des petits quarrés
de savon parfumé? à quoi sert ce savon de toilette *^? Je
veux mourir si j'en sais rien, à moins que ce ne soit à
faire la barbe aux Dames ^'. Le caffé ni le thé n'ont pas
encore été essaj'és.^^ Je me perds au milieu de tout cet
inventaire : j'espère, Monsieur, que vous ne ferez pas
de même, et que vous voudrez bien recueillir ^* les mé-
1 Hachette : de.^ ,
2 Hachette : sS vous etite)ide\ que je reste.
3 Hachette: plait.
* Hachette : Le tabac est trés-bon, et même trop bon.
* Hachette : manque.
6 Hachette : je vous fais mon remercîment.
7 Hachette : et . ' ^ ■ .
8 Hachette: et j'ai reconnu L\. .
9 Hachette : le plus grand.
10 Hachette : M. de Lu:^onne .
" Hachette : A quoi diable sert ce savon ?
>2 Hachette: puces.
13 Hachette : Le café n'a pas encore été essayé, parce que vous en avie:{
laissé,, et qu'ayant été malade il en a fallu suspendre l'usage.
1* Hachette : .J'espère que, pour le coup, voxts ne ferei pas de même, et
que vous recueillerez^.
LETTRES INÉDITES DE J. .1. ROUSSEAU 147
moires des marchands, afin que quand vous serez ici et
qu'il s'agira de savoir ce que tout cela coûte, vous ne me
disiez pas comme à Tordinaire, je n'en sais rien. ^Le
sucre gris que Je préfère au blanc, coûte à Ashburn 8 pence
la livre, ce sont deux sols moins [sic] qu'à Londres, mais
le port doit faire évanouir cette différence et au delà, et à
égalité, il vaut mieux faire gagner les marchands du pays.
N'envoyez pas non plus des raisins ni grands ni petits,
parce qu'on trouve à Ashburn des uns et des autres.
J'ai craint pour vous l'impression de ces tems humi-
des, et je la sens aussi pour ma part. Voici le plus mau-
vais mois de l'année ; il faut espérer que celui qui doit
le suivre ^ nous traitera mieux. Bon jour, Monsieur; mes
honneurs, je vous supplie, à tout ce qui vous appartient,
en en retenant la meilleure part pour vous-même^.
J. J. Rousseau.
XXXIV*
à Guy^.
[février? 1767"]
Je vous écris, Monsieur, sans savoir quand et com-
1 Hachette termine ce paragraphe par un autre texte.
2 Hachette: qui le suivra.
3 Cette phrase est remplacée dans Hachette par la suivante : Ainsi
soit-il. Mademoiselle Le Vasseur et moi faisons nos salutations à tout ce
qui vous appartient, et vous prions d'agréer les nôtres.
* Archives J. J. Rousseau, à Genève, Ms. 40. — Publiée en partie
dans Œuvres, t. XII, p. i, qui date la lettre de février 1767.
5 A Monsieur | Monsieur Guy \ che^ Mad' la Veuve Duchesne \ Li-
braire rue St Jacques \ A Paris. |
Une main autre que celle de Rousseau a ajouté ici une seconde
adresse : M . Coindet, hôtel Le Blanc rue de Clery.
6 Début de février ou fin de janvier; cf. (Èuvres, t. XI, p. 424, à
Granville, 16 janvier 1767; cf. Appendices, D.
148 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
ment ma lettre pourra vous parvenir^; car depuis quinze
jours les neiges sous lesquelles nous sommes ensevelis
coupent tellement les communications qu'on ne peut
sortir de la maison sans peine, et il n'y a plus ni voi-
ture ni poste qui puisse approcher de nos environs. Je
n'éprouvai de ma vie un pareil froid, même en Suisse.
Mon bon ancien ami Lenieps à la Bastille "^ ! Et mon
Dieu, qu'a-t-il donc fait, ou de quoi l'accuse-t-on?
Cela s'appelle bien grêler sur le persiP. Je connois sa
sensibilité ; il est âgé, sa santé est mauvaise : Depuis
la mort de sa fille *, la vie lui étoit à charge ; je crains
bien que ce malheur ne l'en délivre. N'oubliez pas Je
vous prie de me donner de ses nouvelles ; quoique je ne
lui écrivisse point', je lui étois sincèrement attaché, je
suis très inquiet de son état.
Je vois que vous avez tenu compte à M. Kœnig de
cent francs pour les livres qu'il m'a envoyés de Stras-
bourg. La note qu'il me remit lui-même, conforme au
prix marqué sur les livres, et que je vous transcris ci-
après, monte à 54 francs'". D'où peu [sic] donc venir le
1 Rousseau ignorait encore que Guy fût enlermé à la Bastille; Du-
tens le lui apprit ; cf. Leit>-es, C, Dutens à Rousseau, 5 mars 1767, IV.
- Il y resta un an,~cf. Œuvres, t. XII, p. 72, à Lenieps, 28 mars 1768.
''■ Ces trois phrases occupent 2 lignes 1/2 dans l'original et. non i ligne
comme le dit Hachette en la déclarant d'ailleurs illisible. En effet, le
texte a été biffé et bâtonné d'une encre épaisse autre que celle du corps
de la lettre et semblable à celle de la seconde adresse : à M. Cohidet. . .
De la même encre forcée sont soulignés les mots : Lenieps à la Bastille ;
bien grêler sur le. — Nous remercions ici-, pour l'aide pVécieuse qu'il
nous a accordée dans le déchiftVemènt de ce passage, M. Fernand Au-
bert, sous-conservateur des manuscrits, à la Bibliothèque de Genève.
* M"'« Lambert. Consulter sur Lenieps, Musset-Pathay, Œuvres iné-
dites de J. J. R., t. 1, p. 22 : Observations, et, p. 482 : Supplément à
l'histoire de J. J. R.
5 La dernière lettre de Rousseau à Lenieps était du .^ mars 1763,
Œuvres; X.. XI, p. 226.
6 Hachette; livres monte à >4 francs.
LETTRES INEDITES DE J. .1. ROUSSEAU I49
surplus? le poids est trop peu de chose pour avoir pu
coûter 46 francs de port. Il faut qu'il 3^ ait là quelque
erreur que vous m'obligerez de vérifier.
Je trouve avec un extrême déplaisir que les livres de
botanique que vous m'avez fournis sont tous des exem-
plaires de rebut, et plusieurs défectueux. Entre autres
les familles des plantes de M. Adanson ^ où la feuille h du
tome premier manque, au lieu de laquelle g est redou-
blé [sic]. Ces lacunes, très difficiles à remplir dans un
si grand éloignemènt me désolent; Je vous prie de ré-
parer au moins celle-là. S'il paroit quelque chose de-
nouveau sur la botanique, surtout des plantes gravées,
je vous prie de m'en donner avis-. Je ne me soucie
d'aucune autre nouvelle, si ce n'est de mes amis.
Mais pourquoi ne m'en donnez-vous^ plus de l'Hôtel
de Luxembourg? Me croyez-vous devenu indifférent
sur la santé de Mad'' la M.* parce que n'ayant ja-
mais receu depuis mon arrivée ici aucune réponse
ni d'elle ni de sa part j'ai cessé de lui écrire ? Non,
Monsieur, j'ai senti qu'il faloit prendre mon parti
sur ses sentimens, mais les miens sont toujours les
mêmes.
^J'oubliois de vous parler du Dictionnaire. Je ne le
croyois pas aussi avancé. J'ai trouvé beaucoup de fau-
tes dans les bonnes feuilles que j'ai, quoique j'eusse vu
les épreuves. Je juge par là de celles que je n'ai pas
vues. Les errata ne servent à rien, surtout en france,
parce que la vivacité françoise ne permet pas d'y recou-
1 Adanson. Familles des plantes. Paris, 1763. 2 vol. 8°. fig.
- Hachette n'a pas ce début du paragraphe.
" Hachette: ne me parlez-vous.
4 Hachette : Mme la Maréchale .
'=> Hachette n'a pas cet alinéa.
l50 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
rir ; je vous en enverrai pourtant un puisque vous le
souhaitiez quand j'aurai receu les feuilles. M. Daven-
port est présentement à Londres. Vous pouvez lui
faire addresser tout ce que vous avez à m'envoyer.
Je Tai prié de demander à M. Vaillant ce livre de bo-
tanique si difficile à retrouver. Si vous avez quelque
occasion de m'envoyer le livre de M. Guettard ^ sur les
plantes, vous me ferez grand plaisir ; mais de grâce
que l'exemplaire soit bien conditionné. Joignez-y le
prodromiis de Gaspard Bauhin^, s'il vous tombe sous la
main.
Mille salutations de ma part à Mad*' Duchesne et à
ses demoiselles. Je tirerai dans peu sur elle une lettre
de change de deux cents francs comme vous me le
marquez. Après Terreur de M. Kœnig redressée il
se trouvera probablement du surplus en avance sur
les nouvelles fournitures. Je suis occupé à faire ven-
dre mes livres et mes estampes qui m'ont été envoyés
de Suisse bien malgré moi. Excepté ceux de bota-
nique que je garde, je vends tout le reste pour en
payer le port et la douane. Cette douane seule monte
à quinze louis, et un vieux Cistre pourri qui m'a
coûté six francs a payé seul une livre sterling de droit.
Ce n'est pas à Alger que cela se fait, c'est à Londres.
Si tout vendu les fraix sont payés, je ne serai pas mal-
heureux.
1 Guettard, Jean Etienne. Observations sur les plantes. Paris, 1747,
2 vol. in-i2°. 4 pi.
2 Bauhinus, Caspar. Prodromos theatri botanici, in quo plantae supra
sexceniae ab ipso primum descriptae cum plurimis Jlguris proponuntur.
Francofurti ad Moenum,' 1620. in-4». — Idem. Editio altéra emendatior,
Basileae, \6'-j\. in-4».
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU l5l
^Note de M. Kcemg.
Matthiolus Ed. de Bàle 2 i5 L.
Valerius Cordus^ lo
Pinax de G. Bauhin* 4
Theatr: botanic. du même^ 4
Michelius^ 21
total 54 L.
Il n'y a que quelques mots à changer à la fin de la
préface ; voici ce changement qui est seulement aux
deux dernières lignes.
Je n'accuse personne d'avoir pris mes Articles ; mais
je ne veux pas que d'autres m'accusent d'avoir pris les
leurs.
1 La fin de la lettre manque dans Hachette.
2 Matthiolus P. A. Opéra quae exstant omnia, commentarii in Dios-
coridem, a-Casparo Batihino aucti, opusciila et epistolae, éd. G. Baiihin.
Basileae, iSgS, in-fol°. fig. — Idem, 1674.
3 Cordus, Valerius. Pedacii Dioscoridis de medicinali materia libri
sex,... accesserimt V. Cordi Annotationes... Francoforti ad Moenum.
1649, in-fol°., ou l'ouvrage suivant du même auteur: In hoc voliimine con-
tinentnr V. Cordi.... Annotationes in P. Dioscoridis.. de Medica Ma-
teria libros V... ejusdem V. Cordi historia stirpiiim lib. IIII... Sylva...
de artificiosis extractionibus liber. Compositiones médicinales aliquot...
His accedunt Stocc-liornii et Nessi... montiiim... descriptio B. Arctii...
Item C. Gesneri de Hortis Germaniae liber. Omnia snmmo studio atqtie
indiistria... C. Gesneri... collecta etpraefationibus illustrata. [Strasbourg] ,
i56i, in-fol».
* Bauhinus, Casparus. Pinax theatri botanici, sive index i)i T'heo-
phrasti, Dioscoridis, Plinii et Botanicorum, qui a seciilo scripserunt,
opéra : plantarum circiter sex millium nomina sectindiim gênera et spe-
cies proponens. Basileae Helv.^ 1623, in-4'>. — Idem, 1671, in-4''.
^Bauhinus, Casparus. Theatri botanici sive Historia plantarum ex
vetcrum et recentiortim placitis propriaque observât lone concinnataelJber
primus, ediius opéra et cura J. C. B. Basileae, i658, in-fol».
« Michelius, P. A. Nova Plantarum gênera jiixta Toiirnefortii metho-
dnm disposita. Florentiae, 172g, in-4''.
132 ANNALKS DE LA SOCIETK .1. .1. ROUSSEAU
XXXV 1
[à Darenport.]
[Wootton, mars?- 1767.]
Je suis très fâché, Monsieur, de ce qui s'est passé et
je vous en fais mes excuses ; Je n'entrerai pas dans des
expliquations inutiles ; il me suffit de vous protes-
ter que i'aurois fait le bonheur de ma vie de la passer
auprès de vous : mais puisque cela ne se peut pas, sou-
venez-vous de votre promesse et rendez-moi le bon
office de me chercher dans cette province un logement
chez quelque paysan où je puisse vivre en paix et où je
n'aye pas l'affliction de voir à mon sujet troubler votre
repos.
XXXVP
[à Davenport.]
A Wootton le h. Avril [1767.]
Je vous remercie, Monsieur, de la malle que vous
avez eu la bonté d'envoyer et que j'attends aujourd'hui.
Je ne vois point d'inconvénient à recevoir, si Mylord
Neuneham vous l'offre le produit des estampes, déduc-
tion faite de cinq guinées dont je l'ai prié de faire
l'emploi \ Si vous avez la bonté de m'apporter cet ar-
gent vous m'obligerez ; car depuis mon arrivée à Woot-
ton je n'y ai pas encore receu un sol d'aucun côté.
1 Br. Mus. Add. 29626, f. 82.
~ Cf. Lettres, B, Davenport à Rousseau, 24 mars, XXX, XXXI.
^Br. Mus. Add. 29626, J. 6.
* Don atix pauvres. Œuvr£s, t. XII, p. 9, à Nuneham, 2 avril.
LETTRES INÉDITES DE .1. J. ROUSSEAU 133-
Comment, Monsieur, si quelqu'une de vos lettres à
M. Walton se trouvoit perdue, seroit-ce à moi que
vous vous en prendriez? Cela me paroitroit assez plai-
sant. Eh mon cher Monsieur Davenport, si vous étiez
à ma place, il vous arriveroit bien d'autres choses dont
vous ne diriez mot. et vous feriez bien.
J'apprends avec grand plaisir que votre bonne santé
et celle de toute votre famille nous laisse espérer de
vous voir ici dans une quinzaine de jours. Nos hon-
neurs, je vous prie, à vos chers enfans et à vos Dames.
M"^ le Vasseur vous assure de son respect, et moi. Mon-
sieur, je vous salue très humblement.
J. J. Rousseau.
XXXVII 1
[à Granrille.]
Ce mercredi [29 avril 1767".]
Rousseau fait ses très humbles salutations à Mon-
sieur de Granville et désire apprendre qu'il est bien
remis des fatigues de son voyage ^. Toute communica-
' Collection Edouard Aiidéoiid, à Genève. — Nous exprimons k
M. Audéoud toute notre reconnaissance pour sa complaisance.
■- Cf. les deux notes suivantes.
'■> Granville prit les eaux à Bath pendant les mois de février et mars
1767; Œuvres, t. XII, p. I, à Granville, 28 février 1767; Lettres, C,
Granville à Rousseau, 9 mars, II. Au retour il rencontra Davenport à
Londres où il séjourna quelque temps; Lettres, B, Davenport à Rous-
seau, 16 avril, XXXVI; il arriva à Cahvich Abbey le vendredi 24 avril
ou le samedi 25, si nous en jugeons d'après le billet suivant, publié
par Llanover, 0. c, t. I, p. 82 :
Ce samedi matin.
Rousseau lait ses complimens à Monsieur Granville sur son heureuse
arrivée, et ses remercîmens sur son bon souvenir et sur son envoi. Il
aura l'honneur de le voir le plutôt qu'il lui sera possible, et a en atten-
dant, celui de le saluer très humblement.
1 D4 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
tion directe avec Londres lui étant fermée par sa si-
tuation, il prend la liberté de lui envoyer un petit
carton de plantes sèches et une lettre pour Madame
la Duchesse de Portland qu'il le prie de vouloir bien
lui faire parvenir ^ Il lui renvoyé aussi son Gérard-,
et lui fait bien des excuses d'en avoir abusé si long-
tems.
XXXVIII 3
[à Davenport.]
A Wootton le 3o avril 1767.
Un maitre de maison, Monsieur, est obligé de savoir
ce qui se passe dans la sienne, surtout à Tégard des
étrangers qu'il y reçoit : si vous ignorez ce qui se passe
dans la vôtre à mon égard depuis Noël, vous avez
tort : si vous le savez et que vous le souffriez, vous
avez plus grand tort : mais le tort le moins excusable
est d'avoir oublié votre promesse, et d'être allé tran-
quillement^ vous établir à Davenport, sans vous em-
barrasser si l'homme qui vous attendoit ici sur vôtre
parole y étoit à son aise ou non. En voilà plus qu'il
ne faut pour me faire prendre mon parti. Demain,
Monsieur, je quite vôtre maison. J'y laisse mon petit
équipage et celui de M"'' le Vasseur, et je^ laisse le
' Ce détail date le billet; cf. Œtnnes, t. \'l, pp. 69, 70, à la Ducliesse
de Portland, [mercredij 29 avril 1767.
2 Gérard, John. The Herbal, or gênerai History of plants. London,
in-fol.
^ Br. Mus. Add. 29626, fi. 57, 58. — Publiée, jusqu'à la signature
exclusivement, dans Œuvres, t. Xll, p. 14.
* En surcharge.
s Hachette : j'y. Erreur de fait.
LETTRES INEDITES DE J, J. ROUSSEAU IDD
produit de mes estampes et livres pour sûreté des frais
faits pour ma dépense depuis Noël. Je n'ignore ni les
embûches qui m'attendent ni l'impuissance où je suis
de m'en garantir: mais, Monsieur, j'ai vécu ; il ne me
reste qu'à finir avec courage une carrière passée avec
honneur. II est aisé de m'opprimer, mais difficile de
m'avilir. Voila ce qui me rassure contre les dangers
que je vais courir. Recevez derechef mes vifs et sin-
cères remerciemens de la noble hospitalité que vous
m'avez accordée. Si elle avoit fini comme elle a com-
mencé j'emporterois de vous un souvenir bien tendre
qui ne s'effaceroit jamais dans^ mon cœur. Adieu,
Monsieur; je regretterai souvent la^ demeure que je
quitte, mais je regretterai beaucoup davantage d'avoir
eu un Hôte aussi aimable, et de n'en avoir pu faire ^
mon ami.
J. J. Rousseau.
Je laisse chez vous trois malles pleines, auxquelles
les clefs sont attachées ; je laisse sur la comode de la
petite chambre les livres qui vont à la masse de l'ac-
quisition faite par M. Dutens^. La plus part bouquins
qui ne valent pas le transport, mais dont quelques uns
sont assez bons pour racheter l'inutilité du reste.
Sur la tablette du milieu de l'armoire aux livres qui
est dans la chambre de M"^ le Vasseur sont mes livres
de botanique qui auroient besoin d'une petite caisse,
prise sur leur mesure. Sur la tablette au dessous, dans
• Hachette : de.
2 1" rédaction : l'aimable.
3 Hachette : n'avoir pu en faire.
* Quelques titres sont donnés, Œuvres, t. XII, p. 7, à Dutens^
j6 mars, et Lettres, C, Dutens à Rousseau, 19 mars, V.
1 56 ANXALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
la même armoire est un petit recueil de Musique choi-
sie^, où, SI Mademoiselle Davenport cultive cet art elle
trouvera des choses excellentes, et que je la supplie de
conserver en mémoire de moi.
J'ai remis dans la caisse des livres de Monsieur Da-
venport ceux qu'il avait eu la bonté de me prêter.
XXXIX «
[au Lord Chancelier.]
A Spalding en Lincoshire, le 5^ Ma}' 1767.
Mylord^
Permettes qu'un pauvre étranger, qui doit être ici
sous la protection des loix, se mette aussi sous la vôtre.
Ma situation, très surprenante et très peu connue, me
force à prendre une liberté inusitée et peut être indis-
crette. mais qui est ma seule ressource. Arretté dans
ces lieux par l'impossibilité éprouvée d'aller plus loin
seul et sans danger, j'ai cru que le premier ministre
des loix devoit l'être aussi de l'hospitalité publique, et
j'ose vous supplier de vouloir bien m'accorder, à mes
fraix, un guide autorisé qui me conduise directement et
sûrement au port de Douvre, où j'ai dessein de m'em-
barquer, sans porter aucune plainte contre personne.
J'ai, seulement l'honneur de vous assurer, Mylord,
1 Le Livre vert.
' Publié dans la Revue Rétrospective, t. XVII, p. 482 (iSgS). Le désir
de présenter un dossier complet de ces événements nous fait reproduire
cette lettre, mentionnée partout et qu'on ne lit jamais. Nous en devons
la communication à l'obli'geance de M. Eugène Ritter.
•■* Lord Camden, qui occupa ces hautes fonctions de 1766 à 1770.
LETTRES INÉDITES DE ,1. .1. ROUSSEAU ibj
qu'il n'y a qu'une nécessité bien reconnue qui puisse
m'engager à la démarche que je .fais aujourd'hui, et
cette nécessité ne me permet pas même de sortir d'ici
jusqu'à la réception de vos ordres. Je vous supplie
Mylord, d'aggréer avec ma très humble requête, les-
assurances de mon plus profond respect, Mylord.
J. J. Rousseau.
[à Edmond Jessop. ']
[Spalding, i3 mai 1767^.]
Vous me parlez, Monsieur, dans une langue littéraire
de sujets de littérature, comme à un homme de lettres.
Vous m'accablez d'éloges pompeux * et vous croyez
m'enivrer d'un pareil encens. Vous vous trompez,
Monsieur, sur tous ces points. Je ne suis point homme
de lettres, je le fus pour mon malheur, j'ai^ cessé de
l'être ; rien de ce qui se rapporte à ce métier ne me
convient plus. Les grands éloges ne m'ont jamais flatté
parce que le langage du cœur y manque". C'est comme
si quand vous allez voir un pauvre malade, au lieu de
le panser, vous lui faisiez des complimens.
J'ai livré mes écrits à la censure publique, elle les
traite aussi tendrement^ que ma personne. A la bonne
heure, je ne prétends point avoir eu raison. Je sais seu-
1 Bibl. de Neiichàtel, ms. 7902.
2 Cf., Lettres-, C, Jessop à Rousseau.
^Œuvres, t. XII, p. 18, qui présente des variantes.
* Hachette : si pompeux qu'ils sont ironiques.
* Hachette: depuis longtemps j'ai.
« Hachette arrête la phrase h flatté.
' Hachette : sévèrement .
1 58 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. POUSSEAU
lement que mes intentions étoient assez pures, assez
droites, assez favorables à l'humanité' pour devoir
m'obtenir quelque indulgence. Mes erreurs peuvent
être grandes, mes sentimens auroient dû les racheter.
Je crois qu'il }• a beaucoup de choses sur lesquelles on
n'a point' voulu m'entendre ; telle est^ l'origine du
droit naturel sur laquelle vous me prêtez des senti-
mens qui n'ont jamais été les miens. C'est ainsi qu'on
aggrave mes fautes réelles de toutes celles qu'on juge
à propos de m'attribuer injustement *. Je me tais de-
vant les hommes et je remets ma cause entre les mains
de Dieu qui voit mon cœur.
Je ne répondrai donc, Monsieur, ni à vos reproches,
ni à vos éloges^. Les uns ne sont pas plus mérités que
les autres. Je ne vous en rendrai point", tant parce que
je ne vous connois pas, que parce que j'aime à être
sincère ' et vrai en toute chose. Vous vous dites chi-
rurgien. Si vous m'eussiez parlé de^ botanique et des
plantes que produit votre contrée, vous m'auriez fait
plaisir, et j'en aurois pu causer avec vous. Mais pour
mes livres^, vous m'en parleriez inutilement, parce
que je ne prends plus d'intérêt à tout cels^. Je ne vous
réponds point en latin par la raison ci-devant énoncée.
1 Hachette: mes intentions éloient assc:^ droites, asse:^ salutaires.
- Hachette : pas.
■^ Hachette a]outs:. par exemple.
* Hachette n'a pas cet adverbe.
= Hachette : Je ne répondrai donc point, Monsieur, ni aux reproches
que vous me faites au nom d'autrui, tii aux louanges que vous me donne^
de vous-même.
Hachette : Je ne vous rendrai rien de pareil.
' Hachette: simple.
•* Hachette : parlé botanique.
» Hachette: mais pour Je mes livres, et de toute autre espèce de
livres.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU I D9
Il ne me reste de cette langue qu'autant qu'il en faut
pour entendre les phrases de Linnaeus K
XLF
à Dai'enport.
Tuni at Stilton
A Spalding le 14 May 1767.
Si j'avois, Monsieur, quelque assurance que la lettre
que je vous écrivis Lundi dernier* vous parviendra
fidellement et que la proposition qu'elle contient peut
vous aggréer, j'attendrois certainement ici votre ré-
ponse. Mais comme les lettres que j'écris ici par la
poste ne parviennent point, je n'espère pas un meilleur
sort pour celle-là, et l'incertitude de vôtre résolution
me détermine à partir pour Londres très incertain d'y
pouvoir arriver. Je vous ai parlé sans déguisement
dans ma précédente, je la confirme dans celle-ci, et j'y
ajouterai que s'il m'étoit possible d'avoir chez-vous
mon absolue liberté tant pour ma personne que pour
mes lettres, il n'y a point de séjour sur la terre que je
préférasse à votre maison de Wootton. J'ai un si sin-
cère attachement pour cette habitation et pour le pro-
priétaire que si contre toute attente je viens à m'assu-
rer de ma liberté et à toucher une fois la terre du con-
tinent j'aurai de là une proposition bien singulière à
1 Hachette ajoute : Receve:^, Monsieur, mes très humbles salutations .
2 Br. Mus. Add. 29626, ff. 61, 62.
' Indication de service, de la main de Rousseau ; elle précède l'a-
dresse : To I Rich.i Davenport Esq' \ at Wootton \ Ashburnbag \ Der-
byshire. \
* Lettre inconnue, du 11 mai. Nous avons une idée de son contenu
par le récit de Davenport à Hume, 18 mai. Burton, o. c, t. II, p. 368.
l6o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
VOUS faire. En attendant, Monsieur, je vous prie de
laisser nos malles où elles sont, quand même vous ap-
prendriez que j'ai traversé la manche, car dans cette
supposition je vous écrirai plus au long de Calais, et
j'aurai bien des choses à vous dire : mais comme je
n'espère pas avoir jamais cet avantage, j'aurai le cha-
grin de ne pouvoir jamais vous manifester mes vrais
sentimens qui sont très différens que ce que vous pen-
sez, sans doute, relativement au séjour de l'Angle-
terre et à celui de votre maison. Que ne puis-je être
une fois vraiment libre et nous serions bientôt d'accord.
Recevez les respects de M"^ le Vasseur avec les miens,
et saluez tant en son nom qu'au mien votre famille et
toute votre maison.
J. J. Rousseau.
Permettez que je vous prie de faire mes très humbles
salutations à Monsieur de Granville. J'aspire au mo-
ment de lui écrire sitôt que j'aurai un peu de repos.
XLII *
à Davenport .
Douvres, 18 mai 1767.
XLIII-
" à Dapefiport^.
[Tr^-e-le-Chcàteau] }b. X^^^ 1767.
Il y a quinze jours. Monsieur, que je receus à la fois
1 Maggs Brothers. Autograph Letters, Signed Documents and Manns-
cripts. Catalogue n' 253. Item w ~i2. London, Christmas 1909. —
Prévenu trop tard pour acquérir cette lettre, il nous a d'autre part été
impossible d'obtenir le nom du possesseur actuel.
'- Br. Mus.. kdd. 29626, tî^ 70, 71.
5 A Monsieur \ Monsieur Davenport.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU l6l
les deux lettres dont vous m'avez honoré les 17 et 3i.
gbrei • et j'y aurois répondu sur le champ sans la ma-
ladie d'un ami^ lequel a eu chez moi une attaque de
goûte remontée qui m'a occupé tout entier, et dont
j'ai eu bien de la peine à le tirer. Quoi qu'il ne soit pas
encore en état de reprendre sa route, sa convalescence
me laisse quelque momens à moi, dont j'employe avec
grand plaisir les premiers à vous écrire pour vous
demander des nouvelles de la votre. Vous avez été si
maltraité^ cet été que vous devez naturellement avoir
un peu de relâche cet hiver. Réjouissez-moi le cœur,
mon cher Monsieur Davenport, en m'apprenant qu'en-
fin vous êtes parfaitement rétabli : comme je vous sup-
pose à Londres et dans votre nouvel appartement*,
j'espère avoir delà plus promptement de vos nouvelles,
et si elles sont aussi bonnes que je le désire elles me
feront le plus vrai plaisir. J'en aurois un non moins
sensible à vous y aller embrasser. Il n'est point sur
que cela n'arrivera pas, et je vous jure que si jamais
je retourne en Angleterre vous entrerez pour beaucoup
dans les motifs qui me détermineront à ce retour.
Je ne sais ce que c'est que la lettre imprimée sous
mon nom dans vos nouveaux papiers et addressée à
M. D. et je vous proteste que je n'y ai pas la moindre
part^. Il y a longtemps que j'ai pris mon parti sur tous
1 Lettres, B, Davenport à Rousseau, XLII, XLIII.
- Du Peyrou. Œuvres, t. XII, p. 44, à Guy, 25 nov. 1767.
•' Par la goutte.
* Saint James's Street, cf. Lettres, B, Davenport à Rousseau, i" janv.
1769, XLVII.
* Nous ignorons si cette pièce apocryphe a jamais paru en français ;
nous la connaissons uniquement dans le texte anglais qui prétend être
une traduction : Translation of a letter from Mr. J.-J. Rousseau to M.
D. — The Scois Maga::;ine, vol. XXIX, p. 5.^7, oct. 1767.
11
l62 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
ces bavardages publics. Je laisse le champ libre aux
clabaudeurs, et me soucie tout aussi peu de leurs outra-
ges que de leurs louanges. Celui qui sait être conscius
sui s'embarrasse fort peu des discours des sots.
Vous voulez savoir comment je passe mon tems. A
peu près comme à Wootton. J'habite un séjour fort
agréable où je vis solitaire autant que je puis, et brou-
tant mon foin comme à l'ordinaire sans rien craindre
et sans rien désirer. J'ai trop senti le néant des choses
de la vie pour donner aucun prix à rien de ce qui s'y
passe. Mais il est vrai que je suis encore assez enfant
à mon âge pour regretter quelquefois mes belles années,
et je vous réponds que si elles avoient à renaitre, je ne
serois pas assez sot pour les employer derechef à occu-
per le public de moi. Heureux du moins de ce que mes
fautes passées m'ont rendu sage avant la mort. J'ai ici
mon hôte convalescent avec lequel je joue aux échecs ;
il ne joue pas aussi bien que vous, mais en revanche il
n'a pas la complaisance de se laisser perdre quand il
peut gagnera La paresse me gagne toujours davantage,
la mémoire achève de m'abandonner. Je jouis des jours
qui me restent sans les compter ; sans me rappeler ce-
lui de la veillé et sans projets pour le lendemain. Voila,
Monsieur, en abrégé toute mon histoire. A l'égard de
l'écrit- dont vous me parlez, il est abandonné. Je ne
l'ai pas revu depuis mon départ d'Angleterre, et pro-
bablement je ne le reverrai jamais.
M. Rougemont m'écrit qu'il lui a été payé deux
quartiers de la pension dont le Roi m'a gratifié. La
1 Cf. Grûnberg, l. Rousseau joueur d'échecs, Annales de la Soc. J. J.
Rousseau, 1907, t. III, p.^161.
- Les Confessions.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU l63
bonté qu'a Sa Majesté de vouloir bien me la faire payer
hors de l'Angleterre est une nouvelle grâce que je sens
comme je le dois, et à laquelle je répondrai convena-
blement par ma conduite en tout ce qui dépendra de
moi.
Recevez, mon cher Monsieur, les respects et remer-
cimens de votre ancienne cuisinière. Elle se joint à
moi pour saluer tendrement vos chers enfans. Dites je
vous en prie à ma jolie correspondante, en baisant de
ma part sa petite menote, que je suis très fier qu'elle
veuille encore avoir de mes lettres, que quand j'étois
jeune c'étoit à moi de faire les avances auprès des jeu-
nes personnes à qui je voulois plaire, mais qu'à présent
que je ne suis plus qu'un barbon, c'est leur tour. Je
vous salue, mon cher Monsieur et vous embrasse de
toute mon ame.
L'herboriste de Madame la Duchesse de Portland.
XLIV^
à Davenport^.
A Bourgoin en Dauphiné le 2. ptre iy68.
Monsieur Davenport se souvient-il encore de son an-
cien hôte qui, loin de l'avoir oublié, penseroit à le re-
devenir encore, si Monsieur Davenport conservoit pour
lui les mêmes intentions et la même bonne volonté
qu'il lui a plusieurs fois témoignées par lettres depuis
leur séparation. Je suis bien loin de vous. Monsieur,
> Br. Mus. Add. 29626, ff. 74, yS.
2 A Monsieur \ Monsieur Richard Davenport.
164 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
mais je me sens le courage de m'en rapprocher, pour
peu qu'il soit animé par votre réponse. Il est juste de
penser aux embarras que cela pourra vous donner de-
rechef, il est juste aussi de penser que malgré les
bonnes intentions du maitre, ses gens, s'il n'y veille
pas, peuvent rendre sa maison tout à fait insupporta-
ble à deux pauvres étrangers livrés sans réserve à leur
discrétion. Je voudrois vous prier de conférer un peu
là-dessus avec ma belle correspondante qui devroit bien
vouloir la redevenir. Vous êtes trop éclairé pour ne
pas voir qu'il y a des vexations tout à fait insupporta-
bles, et trop humain pour nous y vouloir encore expo-
ser. Du reste, je me confie à votre générosité, et si vous
m'assurez, que je puis aller passer des jours paisibles
dans votre maison, il ne tiendra pas à moi de les y
finir avec plaisir et reconnaissance : car après avoir
connu le néant de tous les biens de cette vie, je n'en
vois qu'un qui reste à désirer pour moi jusqu'à la mort;
c'est le repos. Si vous m'honorez d'une réponse, je
vous supplie qu'elle soit prompte; car ma situation'
ne me permet pas de l'attendre longtems. Vous pou-
vez me l'addresser ici en droiture sous le nom que vous
trouverez signé. Ma femme ^ et moi nous faisons de
concert. Monsieur, nos salutations très humbles, et vous
supplions de les faire à vos chers enfans.
Renou.
' Affaire Thévenin, humidité du climat, logement défectueux. Œn-
v?-es, t. XII, p. !o8, à Laliand, 5 oct. 1768.
2 Depuis août 1768. Œuvres, t. XU. p. gi, à Laliaud, 3i août 1768.
LETTRES INÉDITES DE J. J. ROUSSEAU l65
XLV^
à Darenport'-.
A Monquin le 17 Mars 1761).
Depuis la réception de votre dernière lettre-'', Mon-
sieur, et de celle de M. de Granville\ un mal d'esto-
mac fort extraordinaire accompagné d'enflure et d'é-
touifement m'a forcé de partir de Bourgoin dont l'air
marécageux et les mauvaises eaux m'étoient très con-
traires ; le mal qui m'empêchoit d'écrire et l'embarras
du déménagement sont causes du retard de cette let-
tre^: mais ils ne le sont pas de ce que vous recevez si
tard la graine de melon que vous m'avez demandée ;
car je n'ai pas perdu un moment pour m'en procurer
de bonne : mais malheureusement je ne suis pas placé
pour cela ; la partie du Dauphiné que j'habite étant
très humide et très froide ne produit point de melon,
et j'ai parlé à toutes les personnes de ma connoissance
qui en avoient dans les cantons où viennent les bons
melons pour m'en procurer de la graine ; tous m'ont
promis des merveilles, et rien n'est venu. Enfin quel-
qu'un qui m'est venu voir et qui a des connoissances
en Angleterre s'est chargé de me procurer de la graine
de Melon d'Ampuis* qui est le lieu de la France oii se
trouvent les meilleurs, et pour gagner du tems je lui ai
1 Br. Mus. Add. 29626, ff., 76, 77.
2 A Monsieur | Monsieur Davenport.
3 Cf. Lettres, B, Davenport à Rousseau, i" janv. 1769, XLVII.
■* Lettre inconnue.
* Œuvres, t. XII, pp. i3i-i34, i5o; 3o décembre 1768-23 mars i-j(
« Près de Lyon.
l66 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
donné l'addres.se de M. Lewis * auquel il fera passer
directement la ditte graine. Que si malgré cette précau-
tion, elle vous arrive trop tard pour être semée cette
année, vous pouvez la réserver ou partie d'icelle pour
Tannée prochaine. Comme on aura soin de la choisir
fraîche, elle ne manquera pas de lever, et vous pouvez
être sur d'avoir d'aussi bonne graine qu'il soit possible
d'en trouver ; mais malheureusement je ne puis pas
vous envoyer le soleil et la terre, sans quoi la graine ne
suffit pas. J'ai du vous faire tout ce détail pour prévenir
l'imputation d'une négligence qu'assurément je n'aurai
jamais pour tout ce qui pourra vous faire le plus petit
plaisir et qui dépendra de moi.
Voici le tems, Monsieur, où vous quittez Londres.
Cette lettre vous trouvera peut être à Wootton. Que
ne puis-je l'y accompagner et vous y trouver bien por-
tant au sein de votre aimable famille : mais il n'est
plus question de cela. Ma femme et moi vous faisons
mille salutations ainsi qu'à vos chers enfans, et vou-
drions bien être à portée l'un et l'autre de baiser la
jolie main, de ma belle correspondante pour les témoi-
gnages qu'elle nous a donnés de son bon souvenir et de
sa bonne amitié".' Lorsque vous me ferez l'honneur de
m'écrire continuez je vous prie d'adresser vos let-
tres tout simplement à Bourgoin dont je suis tout pro-
che, mais ayez la bonté d'y ajouter une enveloppe à
Taddresse de Monsieur le Comte de Tonnerre Lieute-
nant Général des ai^mées du Roj, et Commandant pour
S. M. en Dauphiné. A Grenoble.
' Libraire de Davenport à Londres, Russell sireet, Covent Garden,
cf. Lettres, B', Davenport à'Rousseau, 2? mai 1767, XXXIX.
LETTRES INÉDITES DE J. .!. ROUSSEAU l^-J
J'écris directement à Mylord Nuneham ' pour le re-
mercier de son bon souvenir et pour lui rendre compte
de son envoi.
XLVI-
[LivRE DE Dépenses
tenu par Rousseau durant son séjour à Wootton.]
1766.
Depuis le 23 Mars^ jour de mon arrivée à Wootton
jusqu'au 4 Aoust même anne'e, j'ai dépensé trente sept
guinées en menus frais, compris ceux de mon voyage
de Londres ici et le port de mes hardes, compris aussi
deux guinées qui m'ont été volées dans la maison :
Mais non comprise ma pension qui n'est pas encore ré-
glée, ni le vin qui sera payé à part.
Commencé le 10 Aoust à prendre et payer mon
pain.
M. Walton a fourni le S juin 24 bouteilles de vin.
M. Walton a fourni le 16 Aoust 12 bouteilles de vin.
M. Walton a fourni le 2d. y^'-e 12 bouteilles de vin.
M. Walton a fourni le 3o S^re 12 bouteilles de vin.
M. Walton a fourni le i X^re jo bouteilles*.
Dépense.
1766.
[Lir. st.]
jusqu'au 4 Aoust 37 guinées ci . . . 38 : 17 : —
Du 4 Aoust pour du savon 3 :
* Lettre inconnue.
- Br. Mus. Add. 29626, ff. <S8-(io.
•' Erreur de Rousseau, qui arriva !e 22.
« Ici finit le folio 88.
l68 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
[Lh>. SL]
Dudit port d'un pacquet de M. Coindet 3 :
6. pour menue dépense i
7 aux ouvriers de la mine i :
9 pour envoyer une lettre à la poste ^ . i
dudit port d'une lettre de M. Lu-
cadou 6
dudit à Jean pour avoir été chez
M. Granville 6
10. Pour deux petits pains .... 6
1 1 . Pour postage de deux lettres . . 2
dudit port d'une lettre pour M. Daven-
port^ 6
du 14. Pour deux pains 6
dud^ port d'une lettre de Rey ^ et 2 pos-
tages 8
du 16. un postage et un port de lettre
de M. L* 7
du 18 pour deux pains 6
du dit. lettre de M. Becket .... 6
dudit port d'un ballot de Livres ... 11 6
du 20. pour deux pains _ 6
dudit pour un couteau 4
Du 21. aux Domestiques de M. Porta . 2
Du 23. pour une lettre de M. d'Iver-
nois. ^ 6
Du 25'. postage d'une lettre de M. Mal-
thus ^ , I
1 à Keith ? Œuvres, t. XI, p. 376, 9 août.
2 Lettre inconnue.
'• La lettre du 5 août. Bosscha, 0. c, p. 272, n* 143.
* Lucadou ?
* Lettre inconnue.
LETTRES INÉDITES DE .1. .1. ROUSSEAU iGg
[Lir. .9/.]
dud'. pour deux pains 6
du 29. Pour le voyage de Davenport
deux dindes en route et étrennes de
Domestiques Une guinée cy . . . 1 i
3o. pour la blanchisseuse i
- bre
1'. p"". Deux pains et un port de lettre de
M. Roustan^. ; . i
Id. port de lettre de M. Perrin^ . . . 6
4. port de lettre de xM. Du Peyrou', . i 4
Transport
-bre
4. pour deux pains 6
6. une lettre de Mylord Mareschal* . 2
I 1 . deux lettres une de M. Rougemont
et une de M. Becquet et 2 pains . . '4
i3. deux lettres une de mon cousin^ et
l'autre de M. Kenrick**' ...... 7
14. A Tenfant du Jardinier i
i5. Au garde'' revenu de Davenport . i
dud^ pour trois pains 9
1 Cf. Lettres, C, Rotistan à Rousseau, 28 août, I.
- Jean-Baptiste Perrin à Rousseau, 'io août (Lettre iiiéd., Bibl. de
Neuchâtel.)
^ Ici finit le folio 89.
* La date surprend à relire la lettre du 7 sept, à Keitli. Œuvres,
t. XI, p. 389.
* Cf. Lettres, C, Jean Rousseau à Rousseau, i t sept., IIL
" Cf. Lettres, C, Kenrick à Rousseau. Rousseau avait d'abord écrit:
M^<' de Vartenlesben c.-à.-d. C"= Wartensleben, à Mayence; (cf. War-
tejisleben à Rousseau. Lettre inédite, Bibl. de NeuchâteL)
' Samuel Finney, cf. Lettres, B. Davenport à Rousseau, 1 4 sept. 1 766, X.
2
l'/O ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
J-} • bo'yt^ P.i<s^ u<e/ no f^
';!''^^H/— ^- jW...i
/ C 9a^ U^ Wlù,7^ , 9
/s 5^. U^'tUU^=,^f^ ;~ '
'^f^ - 9^^jy ju^ ^^^^ ^^^^ ' ^
ju 2o. 2^^ ;,^ 7_ ^
^..^ , ^^. p^p ^^ ^
ÛIA-2S ;i^'^^ ^-e*^)^ ^UK^^, /_____ ' ^~ ' o
Fac-similé du Livre de Dépenses
LETTRES INÉDITES DE .1. .1. ROUSSEAU I7I
[Lip. St.]
16. dans le village i
18. dans le village i
dudit à Peggy pour deux verres ... (3
dudit à la femme qui lave i
du 20. Deux postages 2
dud^ pour deux pains 6
du 22. port d'une lettre de Mylord
Mar : ^ 1 5
du 23 pour deux pains 6
du 28 p. une lettre de M. Du Peyrou . 2
du 29. pour deux pains 6
8bre
Du p" à la Mère de Peggy 2 :
du 2. pour deux pains 6
du 3. pour un pacquet de M. Guy par
la poste 8
du 5. pour une lettre de Mylord Ma-
reschal - 2
du 6. Au jardinier de M. Granville . . 2
dud'. au Domestique qui a apporté un
cochon de lait i
du 8. pour 2 pains 6
dud' à Jean revenant de Davenport . . i
du g. pour la femme qui lave, ... i
du 10, pour deux pains 6
du II. pour une lettre de M. du Peyrou 2
du 12 à Peggy pour des souliers-^ . . 26
» Lettre du 5 sept. Streckeisen, o. c, t. II, p. i3i, LXXXIV.
2 Streckeisen, o. c, t. II, p. i53, LXXXV.
3 Ici finit le folio qo. Le papier employé par Rousseau est semblable à
celui des lettres, mais plus étroit ; les trois premiers traits des colonnes
172 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
XLVII '
Testament de J. J. Rousseau.
[Testament.] *
Comme je suis sujet à des attaques d'une maladie
qui peut m'emporter brusquement lorsque j'y penserai
le moins, je demande à Monsieur Davenport de vouloir
bien être le dépositaire de mon testament que j'ai fait il
y a trois ans, en attendant que j'aye le loisir d'en faire
un autre. Je lui demande aussi, au cas que je vinsse à
mourir, s'il voudroit bien être le protecteur de M"^ le
Vasseur ma Gouvernante, et prendre tous les soins né-
cessaires pour la renvoyer en France avec tous ses
effets. Si Monsieur Davenport veut bien se charger de
cette bonne œuvre je lui en serai très obligé, et je
n'aurai plus d'inquiétude sur le sort de cette pauvre
fille, qui seroit fort embarrassée et fort malheureuse
si elle venoit à me perdre dans un pays étranger où
elle ne connoit personne et dont elle ne sait pas la lan-
gue. ...
seuls existent, tracés au crayon ; le bord de la feuille ferme la > colonne.
Dimensions en millimèires : 118X 1B8; marge de gauche : 6 — 8; co-
lonnes: f. 89, 9, -J, 10; f. 90: les colonnes ont une largeur to'tale de
23 au sommet de la page, et de 20, au bas. Cf. le fac-similé, p. 170.
1 Br..Miis. Add. 29627. f. t. — Déjà publié par M. Th. Dufour, cf.
p. 54, n. 4., avec un article très documenté et une discussion serrée.
Notre texte n'apporte rien de nouveau ; toutefois nous le donnons avec
toutes les adjonctions apportées par les intéressés et publions plus loin-
la brève correspondance qui passa, en 1784, entre les exécuteurs testa
mentaires de Davenport /Appendices, B.) M. Dufour s'est borné à citer
ces faits sans fournir les^iièces elles-mêmes.
2 F. I du ms.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 178
[Endorsement^]
The Will of M'' Rousseau given into my hands by
himself Munday 27^'' of May 1766.
Rich'* Davenport.
Opened June 8"' 1771 by M'' Mainwaring & Sir W""
Bagot & Sealed again immediatly.
[Enveloppe '\]
Testament | de Jean Jaques Rousseau | Citoyen de
Genève •\
B. Lettres de Davenport à Rousseau
15
Sir, I am extremely pleased to hear you arrivée! safely at Woot-
ton, and most heartily ask your pardon ibr using any sort of deceipt
in the Chaise., I shall not be easy till, I am perfectly assured of
your full forgiveness, and I promise that hereafter, you shall
never hâve the least reason to accuse me of the smallest degree
of any kind of deceipt whatever.
I will take care of any packet or letters that corne to my
hands, and bring them down v^ith me, and of the other affairs you
mention relating to Mr Stuart, your boxes, hampers, etc.
1 hope I shall hâve the pleasure of hearing that the air agrées
with your health.
>f. 2.
2 f. 3.
•* Ecriture de Rousseau.
* Les origiiîaux de ces lettres sont déposés à la Bibliothèque de Neu-
chàtel, ms. 7902, sauf ceux des n»» XXXVII et XXXVIII, qui sont au
British Muséum.
5 To M' Rousseau.
174 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
You promised to inform me any thing was disagreeable and pray
do, as I may write about it to Benjamin Walton. One thing that
I fear, is you will get nothing to eat, for in the rude, rough country
you are in the markets are but indiffèrent, and more especially
so at this time of the year. — Hâve you got straw to make your
under bed with? I shall be much pleased if you can read this En-
glish and give me leave to say that I am with sincerely [sic] Your
humble servant,
RichJ. Davenport.
April ist 1766. Upper end of Piccadilly.
in
Sir, I receivedyours, and shall (as far as lies in mvpower) observe
persuing your directions. I hâve a letter for you, which was given
me Tuesday by Mi" Hume ; another Avhich came by Penny Post ;
it seems to contain others within it ; thèse I will keep till I hâve
the pleasure of seeing [you], unless you send me word to enclose
them to my man Benjamin Walton, by which method they will
come to your hands, very safe and private.
I am yours with great sincerity,
RiCHd. Davenport.
Piccadilly April S^d 1766.
I beg my compliments to Mademoiselle.
III
Dear Sir, We came hère early, and ail well, except myself, who
hâve little touch of the goût, but hope it will leave me soon.
I send enclosed some Franks ^ ; as many as vou please are
at your service. .- .
My best good wishes attend you ; in a short time I intend
doing myself the pleasure of seeing you ; pray my best com-
pliments to M"e Vasseur.
I am your most obliged humble servant,
R. Davenport.
Davenport June ôth 1766.
My Children send their respects to yo.u and to Mi'e Vasseur,
as do ail this Family.
' To M' Rousseau.
2 Enveloppes revêtues de la signature d'un personnage possédant la
franchisé de .port; cf. p. 73, n. 5.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU lyS
IV i
Dear Sir, I should hâve been at Wootton many days ago, but
the weather bas been so extremelv bad, that I durst not venture ;
it has rained continually every day since I left you. I had a letter
from M' Lewis that a baie is corne to London, which he will
send you to Wootton directed for me, the Paper will also be with
you. I long to kiss your hands and am Yours most sincerely,
R. Davenport.
I beg my best respects to Mademoiselle.
Davenport the longest day in the year [June 21 2.]
This bad weather has not quite agreed with my gouty stomack.
Dear Sir, My dear child* is better, and if he continues so, and
the weather will permit me I purpose waiting on M'" Rousseau on
Tuesday.
It gives me great concern that you should hâve any sort of alter-
cations to cause uneasiness ^; surely they must hâve happened
thro' Mistakes. I protest it would give me the greatest satisfaction
if I could be instrumental in any sort of way in helping to set
matters right again. Towards 3 or 4 I hope to hâve the pleasure
of seeing you on Tuesday and am with great sincerity Your most
humble servant,
RiCHd. Davenport.
Pray my respects to M^e Vasseur, cant omit returning my
acknowledgements for her kind remembrance of my dear girl ®.
Davenport Jvme 3oth 1766.
VI •
Dear Sir, I send some venizon, hope it will prove good, tho' it
is carried a long way.
I give no sort of direction about the dressing ; t'is in our opinion
very good either roasted, or baked, or in ragoût.
My best compliments to M'ie. l'U bring the pattern * myself and
shall be happy if Mr. Rousseau's health will give him leave to
1 To Mr Rousseau.
2 Connaissance des Temps, 1766.
î To Monsieur Rousseau.
* Petit-fils de Davenport, sujet à la fièvre.
* La querelle.
6 Phébé, sa petite-fille.
7 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
8 Modèle de bas.
Ijb ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
return with me. I am sure that I am his most obedient, humble
servant.
R. Davenport.
Augsi i!-t 1766.
My son and Mrs Lauzun send their best respects.
Vin
I am very glad to hear from dear Mi Rousseau, and sorry that
it will not be in my power to see him so soon as I could wish.
My son and daughter Bromley Avith some of my grand chil-
dren come to me on Friday next and stay a fortnight. I am quite
amazed you hear nothing trom Becket ; I expect Lewis's answer
about the stamps on Munday ; he wrote to me that after ail his
search he could not possibly recover the St James Chronicle
which you want. If I hâve any account tVom him I will directly
inform you of it.
Tavo Posts ago, I had a line from M'' Hume -, acquainting me
that he was obliged to go into Scotlandby the Yorkshire road, so
I dont at ail expect him to come this way. I dont hear a syllable
concerning publishing any letters. My grand daughter, grandson,
with ail this Family désire their service to you and M'is Vasseur.
Miss ' says she should hâve been very glad of the pleasure of a
letter : but as you say you hâve no leisure, I hope ail your time
is not employed in searching the fields and woods for plants, but
that some portion of it is dedicated towards the instructing, and
improving mankind.
I hâve little or no correspondence from London, so hâve heard
nothing of what you seem to hint at*; in the Winter, if anything
comes to my ears relating to you, you will be sure to hear of it
from Your most obedient, faithful servant.
... R. Davenport.
Davenport 8th of Sept. 1766.
VIII 5
Dear Sir, I received a letter from Lewis, ail the answer he
could get from Becket was, that he Becket wbuld write to you.
As far as I can learn or understànd the Baies are yet in the Cus-
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
- Lettres, D, 2 sept., IX.
■■ Miss Ally >
* Cf. p. 120, XV : Il faut qu'il se passe à Londres, etc.
^ A Monsieur \ Monsiettr Rousseau.
LETTRES DE DAVEXPORT A ROUSSEAU I 77
tom house. By this time I suppose Becket has fully informed you
Lewis says not a word about the stamps.
In the very last St James Chronicle there 's a long paragraph
relating to Mr Rousseau and M'" Hume. Indeed my dear friend,
not withstanding your indifférence of what passes in the world,
I cant help thinkingyou should look into that paper, to see if there
is any thing relating to you and eut those sentences out that you
mav hâve recourse to them if you want to see them, as vou find
how impossible tis to retrieve them after thev hâve been printed
some time.
Ail this Family désire their compliments to M' Rousseau and to
M>ie Vasseur, pray tell her my daughter longs to hâve a letter
from her. Benjamin Walton sends over to me in three or four
days, and I shall be estremely glad to hear your hâve had a satis-
factory account from Becket. If I can be of any sort of service I
beg you'U be so free to employ me who am, dear Sir, Your most
obedient servant,
RiCHd. Davp:nport.
Davenport Sept. lot'' 1766.
IXi
Dear Sir, It is great pleasure to me that the Stamps are safe, tho'
I could not help thinking it looked odd to find the Case without
them.
My house is quite fuU, which at présent employs my every
moment. Miss, Master, and ail this Family send their respects,
and désire their compliments to M"<^ Vasseur. My dear Phebe
returns many thanks, is so engaged with her little cousins, that
she could not possibly answer Mf Rousseau obliging letter, will
take the first opportunity. I am dear Sir, Your most obedient
humble servant,
RiCHd. Davenport.
Davenport Sept. iS'h 1766.
Ail this Family désire their best respects to M"' Rousseau, and
to M"e Vasseur.
X2
I am excessive glad to hear by Sam' Finney that Mr Rous-
seau is well. My house is quite crowded with Company, which
gives me no time to myself, and my dear grand daughter has so
' A Monsieur | Monsieur Rousseau.
^ A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
12
178 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
miich Company, thas she desires I will make her excuses for not
writing this clay mine and my P'amily's service to >!•" Rousseau
and we ail désire ours to M"e Vasseur.
I am dear Sir, your most obedient servant,
R. Davenport.
Davenport Sept. 14. i7()(").
XP
1 hâve longed impatiently this great while to kiss M' Rousscau's
hands. My house is this instant tull of company ; ifthey leaveme
this day, I hope to hâve that pleasure to morrow : it they stay it
Avill be the beginning of the week before I can come over. AH
this house joins in compliments to Mr. Rousseau and Ml'^ Vas-
seur and in particular my dear Phebe desires her best love to M"*^
and I am most sincerely M"" Rousseaus entirely afTectionate ser-
vant,
R. Davenport.
Davenport Oct. H)''' 1766.
Dear Sir, I am extrême sorry that the dispute between you and
Mr Hume is made public, and one chief reason that gives me so-
much uneasiness is that I fear it disturbs your peace and tran-
quillity.
1 cant help sending the book-' to you, as I am ignorant whc-
ther you bave yet soen it.
Soon after mv bookseller had sent it to me, I received the en-
closed from Hume, desiring (as you see) that I would inform you
of something in it relating to yourself. I thought is right to send
the Avhole. — By last post I received the enclosed- from Lewis. I
bave answered hiin, that if in a parcel of books which he is to
send me next week, he would enclose your foreign Racket I
would take care to deliver it safely into your own hands.
The rough weather we had a week ago, made me very ill ; I am
now got tolerably \yell again,- and intend waiting a you at Woot-
ton as soon as ever I am put my affairs in order, so as to leave
them for the winter. My grand son and my grand daughter, join
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau .
* A Mon^ I Monsieur Rousseau.
2 La lettre de Voltaire à Hume, du 24 oct., ou V Exposé succinct de la
contestation qui s'est élevée entre M. Hume et M. Rousseau; voir la let-
tre de Suard accompagnant l'envoi de VExposé à Hume, dans Burton^
o. c, t. Il, p. 337, 2 nov.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 179
in overy wish for M'' Rousseau's health and happiness, and \ve
désire our best respects to Mii« as do M's Lauzun and AUy.
I am dear Sir, vour most obedient humble servant,
Richd. Davenport.
Davenport Nov. ifith ijGG.
XI IP
Dear Sir, I hope to hâve the pleasure of seeing you next weetc.
The packet Lewis mentioned is not yet corne. I see there are
abstracts of papers written either for or against you. Hume and
Voltaire in every St James' Chronicle I think your curiosity should
make vou look into them, so as you can avoid teazing yourself.
Ail this family send compliments to you and to M'ie Vasseur.
I am vour most obedient servant,
Richd. Davenport.
Davenport December i^' ]jiM).
XIV
Dear Sir, 1 purpose being at Wootton on Saturday next. I bave
sent half a doe. which I shall be glad proves to your liking. Enclo-
sed is the parcel of yours which M"" Lewis sent me. I thought to
hâve sent my dear Phebe with Ally two or three davs before me;
but the fear of the weather changing, and of my dear girl being
caught in snow upon the hills, Avithout her grand papa being near
her, prevente.d me. She, her brother with M's Lauzon and AUv
join in sincère service to M"" Rousseau and to M'ie Vasseur.
I am vour most obedient humble servant,
RichJ. Davlxport.
Davenport December 5''i ijùG.
XV
Dear Sir, I this very morning expected Benj. Walton would hâve
brought me every article, but he begs I will hâve patience till
Tuesday morning, and that then he will hâve every thing readv
which I will instantlv show you.
I am yours with the greatest sinceritv.
R. D.
Sunday Morning [Dec. 7'h? ij66.]
XVI
Dear Sir, Mr Beauclerk^ a gentleman of distinction, a friend of
mine, who is well acquainted with the Prince of Conti and Ma-
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau | Wootton.
~ Peut-être Topham Beauclerk, ami de Johnson (17.19-1780.)
l8o ANNAI.es DK T,A société .1. J. ROUSSEAU
dame Boulïlers, having often heard them speak much in commen-
dation of M'" Rousseau, had a vast désire oï paying his compli-
ments in passing to London and desired I would give him this
little note_of recommendation.
I am your most sincère servant,
Richd. Davenport.
Davenport Dec. q'h 1766.
XVII 1
Dear Sir, I am safely arrived in this town ; ihe \veather as bad as
you can well conceive. Lord Newham is not yet corne up, nor in-
deed scarcely any of our Grand Folks, so hâve not as yet doneany
thing in relation to your books. A gentleman, whose name is Du-
ten (a French clergyman) sent a pretty large packet, just corne
from Paris directed for you. I bave enclosed it in a box, along
with the little things such as the tea, etc. It leaves London Mun-
day next, and will be with you on the Saturday following ; that is
if the snow permits the, waggons to keep theie stages. The man
Avho signs his name D'Yverdun is a writer in some of the Pu-
blic Offices. I hâve not yet unpacked your box, so hâve not yet
sent your letter to M"" Steward. Your old acquaintance M"" Hume
is not in London, and I hear intends staying in Edinborough
ail winter. I this moment saw Vaillant the bookseller, immedia-
tely found your book, he bas had it a long time. Upon my asking
him why he did not send it to you, he protested that he did not
know whose iî -was, tis the same large herbal I saw at Wootton.
l'suppose you would bave it come down to you, when your other
large parcels are sent P
I shall be extrême glad to hear of your health for I fear you
are half buried in snow.
My children, M''*' Lauzon and AUy join in ail sorts of good
wishes to you and to M''^ Vasseur and
I am Avith great sincerity your most obedient servant,
Richd. Davenport.
Piccadilly January iS'h 1767. .
XVIII 2
Dear Sir, Your box went yesterday morning to the inn but when
it will come to you is very uncertain, as the waggons from Ashborn,
which should hâve been in London on Saturday, were not on
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
- A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU loi
Munday Morning arrived; pray let me know when you receive it.
There are in the box two smell samples of sugar, price marked,
if you find them (as I believe you will) cheaper than what you
hâve from Ashborn, I will send you a parcel, together with some
raisins and currants. The same gentleman^ who sent me the packet
which cornes to you in the box, sent this morning a letter^,
which I hâve also this post sent under cover to Benjamin Wal-
lon. Mr Becket gave me a music book for you, tis le Devin du
Village from M" Rey in Holland.
I received yesterday five baies and a small one, in ail six from
Becket. I hâve them in the house, called this day at his shop, to
know if he had anv further demand on account of those baies ;
did not find him at , home ; if there is, when I see him PU pay
him.
I wish with ail my heart they had lain in the Custom House
till I had corne, then vou would hâve had them delivered free
from Duty. I got a friend of mine^ to speak to the Secretary of
State, who immediately with the utmost good nature said, if the
money was not paid, thev would send to hâve them discharged,
as thev were vour own books and for your own reading. — Tis
such a snowy cold weather, that there is scarcely such a thing as
stirring out, and the Town is yet empty. I hope I shall hâve the
pleasure of hearing that vou keep well. My respects to Ml'*, I hope
she'll like the snuff. Ail hère join in senùce, and I am dear Sir,
Your most sincère servant,
Richd. Davenport.
Piccadillv Januarv 2o>'i 1767.
XIX
Dear Sir, Yesterday a servant of the French Ambassador^
brought me a packet directed for you, which he desired might be
sent. Coming from so respectable a person, made me désirons of
getting it to your hands as soon as conveniently I could ; along
with it hâve sent the Music book Becket gave me and a letter.
» Dutens, cf. p. 180, XVII.
- Lettre inconnue.
^ Fitzherbert, cl. p. 182, XX.
* A Monsieur | Monsieur Rousseau.
5 M. de Guerchi. Bontemps, secrétaire de Tambassade, fut l'intermé-
diaire entre Mirabeau et Rousseau, auquel il a adressé trois lettres
(27 nov. 1766: 27 fév., i3 avril 1767) conservées à Neuchâtel.
l8'2 ANNAI.ES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
The !iusl lias jusl left us, and wc are now up to the knees in
dirt.
I a m with greal sincerity, your most obedient servant,
Richd. Davenport.
Piccadilly Jan : 22. 1767.
I hope you'll hâve on Saturday the day this cornes to you the
parcel by the waggon together with this by the machine. Pray
be so kind to make ail our compliments to M"« Vasseur.
XX
Dear Sir, I should hâve wrote and sent this bv the last post,.
but was so ill of a cold I could not, am still so much indisposcd
as to be obliged to keep within doors.
In my last I mentioned that if is not uncommon thing for Gent-
lemen to hâve the duty's remitted for their own private books,
and I told you what the Duke of Grafton (First Commissioner
of the Treasury) was pleased to say upon that occasion. I must
now add that on Friday M'" Fitzherbert shewed me a letter he
had that moment received from M"" Stonewer his Grace's private
secretary, a copy of which I now send.
Grosvenor Square Jan. 22.
« Dear Sir, When I called at your door the other day, I meant
» to acquaint you that the Duke of Grafton had given directions
» for remittingthe duty which M^ Rousseau's books hâve been
H charged with at the Custom House. If the Duke had been
» apprized in time to hâve stopt the charge it would never bave
)) been made, ail he can now do, is to take care Becket shall be
» reimbursed and he bas ordered this to be done immediately
» and he wishes tbat it may be represented to M' Rousseau as a
» compliment intended him by the King in shewing him this little
)> mark of distinction ^ »
1 Voici l'original de Stonhewer ; on notera le chanj^ement imroduit
par Davenport dans la dernière phrase. Br. Mus. Add. 2962G, folio 44:
Grosvenor Square. Jan. 22'' [1767.]
Dear S", When I called atyour door the other day 1 meant to acquaint
you that the Duke of Grafton had given directions for remitting the duty
which Rousseau's Books hâve been charged with at the Custom Housc.
If the Duke had been appriz'd in time to hâve stopt the charge, it
would never hâve been made ; ail hc can do now is to take care that
M' Becket shall be reim-bursed and hc has orderd this to be done im-
mediately. B\it it is to be managed with some attention to Rousseau's
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU l83
On Saturday evening Becket came to my house acquainting me
that the Commissioners had repaid him ; I desired him to draw
up what demand he might hâve for his trouble and warehouse
room, and I would receive the balance for you. This day he sent
me the note and the balance.
I am of opinion that a letter from vou to his Grâce would be
very pleasing, either by the post, or if you please through my
hands. which shall be directly given into his own : his address is
only this
To his Grâce the Duke of Grafton, etc., etc., etc.
I must beg leave to acquaint you, that Mr Fitzherbert has often
asked me the reason why you refused the proffer of the King's fa-
veur. I answered that, 1 was sure that you did not refuse his Ma-
jesty's favour, nor the Secretary's of State, but that I apprehended
vou might avoid it as coming through the channel of M' Hume
and entirely by his sollicitation. M»' Fitzherbert said he had always
understood it otherwise and that your letter to Secretary Conway
implied a refusai. For God's sake dear M'" Rousseau, do me the
favour of writing to M' Conway to explain that letter, the certain
conséquence of which is, that I am sure his Majesty will again
order the Pension. Hère is now in third hand to go through,
none but directly through the Secretary of State, and if you'U
Write I promise I will give it him myself. His address is
to the Right Honble H. S. Conway Secretary of State.
Not being well enough, I sent yours to Lord Newham. Pray let
me know if anv books M'ith them fwo vou set down are to be
bought and sent you.
AU this Family join in compliments to you and to M"e Vasseur.
I am Dear Sir, your most sincère humble servant,
Richd. Davenport.
Piccadilly January 27'h 1767.
XXI 2
Dear Sir, I received the favour of yours with [one] enclosed to
Mr D'Ivernois ^ which I hâve put this night into the Post Office.
delicaly and he wishes, out of regard to that, that you would give it the
turn of a Compliment intended him by the king in showing him this
little mark of distinction, or put it in whatever light you think will be
most agréable to him.
I am with great regard Dear S-- Your most obedient Humble servant,
Rich'* Stonhewer.
- A Monsieur | Monsieur Rousseau.
' Œuvres, t. XI, p. 412, 3i janv.
184 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
Yours did not arrive till this day at 3 o'clock in the afternuon, it
should in the common method hâve come yesterday at noon. I
am quite surprized the box by the waggon is not yet come to
yourhands, with the packet within it sent to me from M'' Du
Tems.
As to the affair of the duty upon the books, tis a respect com-
mon, and I had not the least trouble in it, nor any sollicitation.
I just mentioned it to M"" Fitzherbert, who spoke of it to the Duke
of Grafton, who directed the business to be revised. which was
immediately done, and the letter of which I wrote you a copy,
shewed me I was desired to send you an account of it.
As to the other of his Majesty's favour, I gave it you as my own
opinion, that if it was agreeable to you, it might be transacted
without any person whatever being concerned in it. except the
Minister of State through whose hands it musi pass.
I am at some loss about choice of an honest bookseller, and
I would not hâve you part with them to desadvantage. I must con-
sult somebody Avhose jugement is better than my own.
I am now got much better, and able to go out. AU our compli-
pliments attend you and M'ie Vasseur ; hope the snow is quite
gone.
I am, Dear Sir, yours most sincerelv,
Rich'i. Davenport.
Tuesday feb. 3. 1767.
XXII ».
Dear Sir, I received yours dated 2*1 febr yesterday, unfortunatelv
what I received the day before being foreign post day, was imme-
diately put'into the Office; the Graders tell me the post commu-
nication between Geneva and London is not obstr.ucted and they
still receive their ietters as usual.
I must beg leave to mention one thing and désire to receive
your instructions.
First I propose separately to show your Catalogue to iwo or
three différent booksellers of the best characters and to sel! them
to him who oflfers the most.
The certain conséquence of t'his [is], that as soon as ever the
bookseller bas received the books, .he will directly advertise that
he has purchased M. Rousseau's library of books, which are to be
seen and sold at his shop, so then any person whatever who is dési-
rons of buying any of them will be obliged to give perhaps three
> A Monsieur | Mousieiti-Rousseaii .
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 1(53
times the money the bookseller gave for them and you'U be never
the better for it.
As to the Stamps Lord Newnham has promised to give me his
assistance and will I dare say to the best he can.
I hâve net perhaps expressed myself quite intelligibly in regard
to the King's Favour ; ail I mean is this, that if I myself, (exclusif
of ail the world beside) ask it without mentioning one syllabe
on your part, would you in that case if otlered accept, your ans-
wer to this shall be if you judge proper an entire secret.
I am surprized the parcel, it is a small oak box, directed to Ben-
jamin Walton, has not yet reached you ; hope by your next I shall
hear you hâve received it, and that you are entirely recovered and
well. Pray, can you tell in which baie you stamps are and I would
open that baie to get them out ?
\Ve hâve most excessive dark nasty foggy weather, which bat
ill agrées with my constitution.
Ail this family join in respects to you and to M'>=Vasseur: I
long to know how she likes her snufif. I am Avith the greatest sin-
ceritv vours
R. Davenport.
Piccadilly feb. 5th. 1^67.
XXIII 1
Dear Sir, On Munday I called in Hill Street, Mr Du Tems was
not at Home; I left your letter-' and went to Meards Court, found
Mr Rustan, paid into his hands L. i3 ,, 11,, 6*. He fears that
letters which go by the common Post thro France are stoped ;
gave me the enclosed directions, by way of HoUand ; if you hâve
at any time letters for Geneva. l'il take care they shall be put
into that Post.
I must beg leave to say if ail men had but the tenth part ot
Mr Rousseau's goodness of heart, we should bave a much better
and much more peaceable world. We hear from ail hands that the
poor Genevese are in a very distressed condition. I received yours
last night and this morning sent vours enclosed to the Duke of
1 A AIonsicH)- | Monsieur Rousseau.
'Œuvres, t. XI, p. 4i3, à Dutens, 5 fév.
s Voici le reçu de Roustan, encarté dans la lettre de Davenport:
I bave received of Mr Davenport on account of Mr John James Rousseau
for the distressed people of Geneva the sum of Liv. i3 — i i s. — 6d.
Anthony James Roustan.
London 9' February 1767.
fcd Engen and you shall pay a schelling for everv letter.
8(') ANNALES DK I,\ SOCIÉTK .1.
Gratton*. My Lord Newnham brought me a lettcr ihis day, which
I send in one of his Covert. M'' Rustan brought me another
which I send also in one of his Lordship's^.
I am a little indisposed with the goût, but hope it wili go ofT. AU
this family join in service to you and M'ie Vasseur and I am your
most obedient servant,
Rich*'. Davknport.
feb. lo'h 1767.
XXIV »
Dear Sir, I should have answered the favour of yours by last
posî, but the wet weather made me so gouty, I was unable to
Write.
VVhat you say upon the subject of the King's favour, is certainly
just. I never did sollicit at ail, and after what you have wrote, you
may be fuUv assured I never shall, unless it cornes from his Ma-
jesty's own motion, I shall hear no more of it.
There are many difficulties occur in relation to the books M' Du
Tems and Lord Newnham are both ready to give any assistance
in their power. If I possibly can, will prevent any of them falling
into the hands of a Bookseller, especially those upon whose
margins, you have wrote, and will take strict care of l'Esprit.
ni beg leave to observe what should bethe certain conséquence
of that book, coming to be the property of a bookseller; the
would immediately publish a new translation of L'Esprit de
Helvetius with' note, bv J. J. Rousseau, and so indeed of any
other upon whose margins you had made the least remarks. I am
so cautious.of any tricks of this kind, that I have not unpacked
one single baie ; for this reason I wanted to have known where the
prints were, as I might have delivered them into Ldrd Newnham's
care.
Tis with the most kind and sensible remembrance that I accept
of your présent and will take care that they shall ever remain in
my own possession.
I saw M'' Du Tens Thursday morning who sai^ he would
Write tQ you*; his knowledge in bpoks is'far superior to mine: took
notice your's were verv choice ones and very valuable ; it would
give me a deal of uneasiness to have them thrown away. He re-
' Œuvres, t. XI, p. 41 5, 7 fév.
- Cf. Lettres, C, Nimeham à Rousseau, 10 fév., II.
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
* Cf. Lettres, C, Dutens cr Rousseau, 12 fév., II.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 187
commends one Baker to value them, I know he has been ein-
ployed in some of our most valuable sales.
I hâve set down every article which either myself or M^^ Lau-
zun bought ; if you find hâve too much of any one sort, l'il take
the overplus when I hâve the pleasure of seeing you.
Vour kinsman left a parcel as Lewis' shop I hâve ordered it to
be put in the waggon directed for you at Wootton ; it ought to be
at Ashhorn this day sevennight.
Ail this house join in service to you and M"= Vasseur ; I am,
Jear Sir vours most sincerelv,
R. Davenport.
Saturday feb. 14'h 1767.
XXVI.
Dear Sir, I look care of your letters. This wel season has half
killed me, I can scarce stir. This morning I began to unpack
the baies, but the books are strangely jumbled together as soon
as they are uncovered the boards fall assunder and the books
fall out, because at the Custom House they were ail undone and
very badly put together again. Your music I shall lay ail by
themselves and send them to you with the books you désire, as
soon as I can find them.
A few days ago a smal parcel was left et my house, it seems a
book 8 inches V2 long about 5 wide, very thin, too much for post
rather too sniall for the machine^ directed for me, upon taking
the cover off, I find it is for you; the seal enclosed I send. What
shall I do, send it by the machine or in what manner?
David Hume is made under Secretary to M' Conway in the
place of Mr Bourke who resigned. I hâve not yet seen him. AU
this family joyn in service to you and Mlle Vasseur.
f am dear Sir, vour most sincère humble servant,
R. Davenport.
Feb. 25tii 17Ô7.
XXV P
Dear Sir, I should not have troubled you this post, but Lord
Newnham sent me the enclosed to forward to vour hands*, I this
1 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
- Cf. p. i3, n. 7.
■ A Monsieur | Monsieur Rousseau.
* Cf. Lettres, C, Nimeham à Rousseau, 28 fév., IV.
l88 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
day brought him ail the prints I hâve yet found but indeed ani so
bad with the goût ail over me that I can scarce move.
I désire my compliments together with every one in this house
to you and M'i^ Vasseur. I know you dont at ail interest vour-
self in any change of ministers, but yesterday the administration
lost a question in the Gommons by a Majority of i8, so I suppose
Lord^Chatham's fall is not far off.
I am dear Sir vours most sincerely,
R. Davenport.
feb. 28. 1767.
XXVII '
Dear Sir, I hâve took care of ail your letters which hâve corne
to my hands, gave yours which came last post to Mr Du Tens^,
and a few days hope to dispatch the business of your books.
Lord Newnham desires to bave the pleasure of looking into
your TEsprit, will take care it passes into no other hands, but his
own.
There are sorne medalions : what would you hâve done with
them.
I hope I shall hear you are better in health. I continue very
poorly my compliments to Mii« Vasseur.
I am most sincerely yours,
R. Davenport.
March b. 1767.
XXVIIP
Dear Sir,. Lewis has valued your books, except l'Encyclopédie
which Mr Du Tens has valued, and I buv ; I am in your debt for
them for L. 84. . . .
The other Lewis has valued at somewhat above L. (îo.o.o but as
he has but just finished I cant exactelv tell how much more but
think it will be near L. 3 or L. 4. Mr Du Tens, will either pay the
money at three instalments by equal portions in two years,'or pay
you a rente viagère of ten poûnds as will be m-ost agréable.
And I désire the favour to know, if you would bave what I am
to pay you, paid in this town, or at Wootton. I beg leave to re-
turn you my best acknowledgements for your présent, which I
receive and infinitelv value. Would you hâve you music. gui-
1 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
2 Œuvres, t. XII, p. 2, 2 /év.
* A Monsieur \ Monsieui- Rousse.iu.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU l8q
tare, etc. sent down? I am a little better than I hâve been for
some time. My children and ail this house join in service to you
and Mlle Vasseur.
I am vours most sincerely,
R. Davknport.
March i2th 1767.
I hâve a print to send vou tVom Lord Newnham.
XXIX 1
Dear Sir, I took care to put your Paris letter^ safely into the
foreign Post. Ail vour books except those I gave you account of,
are with M'' Du Tens who called hère this morning.
I believe it will be proper to give Lewis who valued them 2 gui-
neas.
Yesterday M' Secretary Conway, sent me a message, desiring
I would inform you that his Majesty had granted Mr Rousseau a
pension of L. 100 a year and M. Conway said he was much plea-
sed to be employed in what might be in any degree to the satis-
faction of a person of M'' Rousseau's distinguished talents.
This can corne from no one but his Majesty himself and his
immédiate ministers for I took care to let people know what were
your sentiments, and in particular, shewed M'Conwav your own
expressions.
I heartily wish you joy, and if you please to write to any friend
of yours who constantly résides in Town, to désire him to receive
it quarterly for your use, will I believe be sufficient.
ni take care to send the print of Lord Marshal carefully with
your music, etc., etc.
I cant get free from this flying goût ; mv children and ail this
house joyn in service to you and Mlle Vasseur.
I am yours most sincerely.
R. Davenport.
Piccadilly March igth 1^67.
XXX
Dear Sir, I am infinitely concerned to hear of M'i^ Vasseur's ill
State of health and sincerely hope that the return of fine weather will
reestablished it. I do assure you my dear M'' Rousseau that your
use of my house is of no sort of inconvenience either to me or my
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
^ à Guy ? Œuvres, t. XII, p. 4, 14 mars.
100 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
children, as you know that \ve never réside there more than a
fortnight at a time and that not oftenerthan twice a year. Perhaps
the air of Wootton may be too piercing to her constitution ; I hâve
a house called Calvely in Cheshire, which is situated in a remar-
kably soft mild air; tis three times as large as Wootton; I wish
you would make use of it, as I hope it would be a means of reco-
vering her health, and tis at your service as long as cvcr vou
please.
If vou continue in the throughts of coming lo London, I should
beg leave to advise by ail means to stav till the weather is
more favourable and TU send over mv little postilion, and a pair
of horses to take you in the chaise as far as Derby ; then you will
be put in the way of taking Post Chaise from stage to stage till
London, and VU take if you think proper a lodging for you either
in this Town or near it as you judge best. I purpose being in the
Country myself in five Aveeks. I hâve got you a right good malle
and will send it down on Munday nest by the waggon. I will put
your music, books, etc., in it ; it has a good lock to it and will
hold many things. I beg you'U make Avhat use you please of Woot-
ton ; whatever you leave there will be quite safe. But when
iMad'ie''^ health is restored, I beg the pleasure of having your re-
turn to your old Host again, who dépend upon it, will ever be
most ready to do whatever lies in his power to serve you. If you
dislike Wootton, or any other house I hâve, l'il beg to procure
you some place which may be agréable ; pray let me hear by the
r.eturn of Post.
My children and ail this familv désire to join in service to vou
and M"c Va-sseur, I am. dear Sir. vours most sincerelv,
R. D.^VENPORT.
March 24 1767.
This Malle is rather too large to go behind or before a Post
Chaise, which indeed is sure to damage any sort of things which
are carried in that manner, but it is quite proper for a waggon and
then every thing in.it is safe from being spoiled.
XXXI V
Dear Sir, I send this by my Workman on his return to Cheshire».
Ireceived the enclosed on Munday and I send you what was
* A Monsieur | Monsieur'Rousseau .
' Le billet est donc écrit de Londres.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU IQI
wrote to me, that you may see thèse sorts of letters^ dont cost
me one single farthing.
I am your most sincère humble servant,
Richd. Davenport.
Tuesdav evening. [INIarch. 14. 1767?]
XXXII
Dear Sir, I received the favour of yours, will take care to forward
vour letter^ on Fridav which is the nest Foreign Post day.
I this dav saw M'' Du Tens, who leaves London in a few davs,
is going for some time abroad, with the Duchess of Northumber-
land. desired I would make his respects to you. He said he would
leave in my hands his security for the books, which comes to
L. (>3, L. 25 of which is to be paid he tells me 5th of next
June. I saw also Lord Newnham, who sends his compliments ; he
has disposed of ail vour Prints except one, the whole will come
about L. 16. — If you please l'U receive it for you.
Two guineas to Lewis is enough and I know it satisties him.
I believe him to be an honest upright man. and one lit to be
trusted.
I very sincerely wish you jov of the little favour of his Majesty;
if there are anv sort of fées to be paid upon the cashier, VU take
care to discharge them.
Now I beg leave to enquire after M"e Vasseur's health, pray let
me know. I wish to God you would let me send her along with
vou to Calvely, tis an extrême good mild air, and I hâve servants
there to give you assistance. The house is large, there is a many
cows and a large garden, and I hope it would contribute to res-
tore her health. If you do not approve of this and she is better, I
hope you will be so kind as not to quit your own house at Woot-
ton. I purpose being down in about a month. My dear Grandson
you so kindly enquire after is blessed be God entirely recovered,
his sister is also quite well ; they join with me and ail this house
in service to you and M"e Vasseur and in our hearty wishes for
her health and I am your most humble servant, and most sincère
friend,
R. Davenport.
Thursday March 26. 1767.
* S'agit-il d'un pli officiel de Conway, annonçant la continuation de
la pension, en mars 1767? cf. p. 189;, XXIX. — En ce cas, ce billet
serait parti après le n" XXX.
à Du Perron ? Œuvres, t. XII, p 6, 22 mars.
192 ANXALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
Your Malle sets out on Munday. I hâve put into it the large
book from Vaillant and every thing that looked like music.
You'll be pleased to send some person an order to receive your
Pension as it becomes due.
XXXIII
Dear Sir, On Saturday you'll receive your music in your new
malle ; the key is fastened to one of the handles. Lord» is in it,
lapt up as I received it from Lord Newnham. The enclosed- I re-
ceived yesterday from M'' Du Tens, desiring I would forward it
to you. He lets me know that you accept of the rente viagère
instead of the other way, to commence fifth day of June next.
You did not say any thing of your money in Lord Newnham 's
hands. — I intend leaving this town the 18. or 19. of April, and
shall stay about a week at my daughter Bromley's in Warwickshire.
I hope I shall hâve the pleasure of finding you well and that
Mlle Vasseur's health is better. Dépend upon me, Fil give you any
sort of assistance in my power, to contribute to your happiness
and if MH« finds Wootton too keen an air, Fil help you aller
I can to some other place, and as soon as possible will wait on
you at Wootton, to confer with you on that subject.
If you hâve anv commands at this place you'll be so good to
mention them as my stay will be now short.
My children are now very well and I am much better, (indeed
the very thoughts of coming soon into the free air again, contri-
butes to make me sol they and ail this house join in service to
you and MH.e Vasseur. I am, dear Sir, your most obedient faithfui
servant,
R. Davenport.
Piccadilly March ji'st 1767.
P. S. By Benj. Walton's letter I hâve some little sort of suspicion
that one of my letters are lost [sic].
XXXIV î - *
Dear Sir, I am at a great loss, the trunk which you sent to M' Ste-
ward, I make use ofto put your Music books etc. in, till such time
as I had cleared the little room where the books were.
1 Le portrait de Milord Keith.
- Lettre inconnue.
3 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 1^3
You gave me a letter to send to M"" Steward along with the
trunk. I ask pardon but I hâve unfortunately laid by your letter
so carefuUy that for my life I cannot find it. I beg the favour of
you to give yourself the trouble of sendig me another to give to
M' Steward, which will very much oblige
Your most obedient, humble servant,
Rich. Davenport.
April 2nd 1767.
My dear Grandson has another return of his ague, but hope he
will soon get rid of it. We ail join in service to you, and Mii= Vas-
seur and we continue fixed if ail is well leaving this town by the
igth. — The weather hère is hot and rainy. By last Post I wrote
one enclosed from Mr Du Tens.
XXXV
Dear Sir, Just after I was gone to bed, on Thursday night, Ge-
neral Conway sent the enclosed \ which I could not convey to
you till to day.
I hope you hâve safely received your Malle ; shali be glad to
hear you approve of it. In about a week I purpose leaving this
Town, and as soon as I can leave my daughter, intend the
pleasure of seeing you. My Grandson's ague has left him but he
is obliged to take the Bark every week. He, his sister and ail this
house join in service to you and MUe Vasseur.
I am yours most sincerely,
R. Davenport,
April II. 1767.
XXXVI 2
Dear Sir, Benjamin Walton writes me word that at last your
Malle is arrived. I hope you found the Music books safe. Thèse
carriers are certainly the most provoking créatures upon earth.
I saw Mr Granville yesterday, and he will deliver into your
hands the book which I sent you word was left some time ago at
my house for you, and a letter which I fastened to it, which I re-
ceived yesterday with a désire I would take particular care to hâve
it safe delivered.
I called on Lord Newnham a fortnight ago but his Lordship
was from home and this day I called again, and he was gone into
1 Lettre inconnue.
- A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
13
194 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
the country, does not return till Tuesday, which is the day after
I leaver this town, so I hâve not had an opportunity of receiving
your money.
The weather is most severely cold. That or somewhat else has
given me a fresh cold. I hope the country air will soon take it off.
My dear Grandson keeps free from his ague and his sister is per-
fectly well they together with ail this house join with me in our
service to you and Mi'e Vasseur. 1 shall be extrême glad to hear
you and M"e are well.
I am yours most sincerely,
R. Davenport.
April if). 1767.
XXXVIP
Dear Sir, I hâve been returned from Baginton- a week this day,
and intended waiting on Mr Rousseau either Wednesday or Thurs-
day last, but durst not venture, as I Avas apprehen [sic] of falling ill of
the goût, my thoughts proved too true, on Friday I was seized and
at présent am confined to my room. I long to see you, and should
esteem it as a favour if you will do me the great pleasure of let-
ting me send for you, and Mi'^ Vasseur; the roads are quite fine
and I hope it would do her good ; if you'll be so kind to agrée
with my wishes, you'll make us ail very happy. Am glad you
liked your trunk and that the things came safe.
My Children send ail manner of service to you and M'ie Vasseur
as do M'*^ Lauzun and Ally, I joyn with them and long to see you.
Yours most affectionately,
RiCH. Davenport.
Munday 4<h of May 1767.
P.-S. I am well inwardly but in a good deal of pain outwardly..
If you'll let me send, please to name any day when you judge
proper and he shall bring the horses, the 4 wheeled chaise is at
Wootton,
XXXVIIH
Dear Sir, Yours dated the iith*came to me last night;where you
are is so cross the Country that from this place its the surest and
safest way to send by way of London.
* Br. Mus. Add. 29626, f. 59. — A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
2 Warwickshire, résidence de sa fille M" Bromley, cf. p. 192, XXXIII.
» Br. Mus. Add, 29626, ff. 63, 64. — A Monsieur | Monsieur Rousseau..
* De Spalding, cf. p. 159, n. 4.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU I9D
I have been confined to my roomwith the Goût for three weeks,
as I wrote you word in two letters, which are now sent to London,
as I thought that the most likely place to find you in.
I cant help being amazed at your talking of being in Captivity
at Wootton, I have often told you might do exactly as you plea-
sed in that place and I promised you that if you was [sic] at any
time tired of it I would give you any Assistances in my power to
settle you in any other place you should make choice of. Woot-
ton is now entirely at your service. I wrote to you to désire to
see you and M'ic Vasseur at this place as I could not possibly
corne over to you. I sent you word I was between 3o and 40 L. in
your debt and that I had several other matters to mention to you ;
I have sent over this boy of mine, and with him 20 Guineas. I
hope you will receive it safe, if you want any money, draw upon
me. Certainly your best way is to hire a carriage, and come to
VVootton. I shall be glad to send a carriage over to you at
Wootton, as I may have the pleasure of seeing you and M"e hère
because I cant possibly tell when I shall be abïe to stir. I hope
my fit will not be long, but thats quite uncertain. — I never was
at Spalding, but have always understood it to be one of the most
cursed [?J disagreable places in England. I cant conceive what
motion could possibly make you go ihere, and ail that flat Country
is reckoned very unwholesome, especially for those, who are not
natives — for God sake return out of it as soon as vou can.
If any unforseen mischief should happen, M"<^ Vasseur may
dépend upon any thing I can do to Serve her. Indeed you should
Write to any Friend you think proper in London, to authorise
them to receive his Majesty's favour as it becomes due. It commen-
ces from the 5^^ of April, will be paid quarterly the person whom
you Write to receive it must shew your letter to Mr Lownds of the
Treasury. I hope I shall hear you are ready to set out, by the re-
turn of my servant'. I send him because if I had wrote by way of
London you Avould not have receive it till latter end of week — if
by Cross post it might have been a fortnight. My young Folks and
ail this house send their service to you and MHe Vasseur.
Yours with great sincerity,
R. Davenport.
Munday iS'h May 1767.
I hope he (the bearer) will bring you your letters which they
send me word are at Wootton.
Le petit postillon, p. 190, XXX.
ig6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
XXXIX'
Dear Sir, You may be assured I am some what amazed at your
extraordinary proceedings. You hâve never staid long enough in
any one place to receive my letters of which I hâve sent four.
You Write to me from Spalding ii may, that you want to return
to Wootton, désire me to send by a sure way. Accordingly, the
moment I received yours, which was Sunday ly'h, I dispatched a
servant to you at Spalding, to inform you that Wootton was enti-
rely at your service. Instead of staying for an answer which you
Write that you impatiently wait for, you set out on Thursday the
i4th for London, when you must know it was impossible I could
even hâve received yours. Your next is dated Dover 2, in that you
say you had read a paragraph in a News, which hinders you from
coming to Wootton. This my dear M'' Rousseau is surely very
strange ; the paragraph must be inserted very near as soon as I
received vour letter ; however I knew not a syllable of it. Whe-
ther this will find you or not I cant tell ; if it does you'U know
you may be at Wootton if you please. However pray send me
Word how I must return your money, which I am indebted to you
for your books, and give an order to some one of your friends in
London to receive his Majesty's Favour which order your friend
must take to Mr Lownds of the Treasury.
What things you hâve left at Wootton I hâve given strict charge
to be took especial care of as I hâve been now laid up with the
goût at Davenport for above three weeks.
A letter directed for me to Mi Lewis bookseller, Russell street,
Covent Garden, London will most ponctually be forwarded to me.
I am your sincère friend and well wisher.
R. Davenport.
Davenport Satûrday May aS^d 1767.
My best wishes to M"e Vasseur.
XL» - ' '
Dear Sir, It gives me the greatest satisfaction to hear from you
and as you say nothing to the contrary, 'hope you are in perfect
health.
1 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
3 Cf. p. 160, 18 mai 1767, XLII.
•3 A Monsieur 1 Monsieur Rousseau.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU I97
I am still confined to my room with this ugly goût, but as I be-
gin to crawl about the floor, expect to be able to go soon over
to Wootton, and will take care to bave your boxes etc. safely
sent to Mr Rougemont, shall when there see Benjamin Walton's
account, and will return the surplus to that gentleman. Some let-
ters which were directed for you immediately or even before you
left England, sent to me from Wootton, I bave by this post for-
warded to London.
I very sincerelv thank you for wishing to see me in France the
climate there without ail doubt is préférable to this, but was it in
the worst part of Europe I should with pleasure go into any
Country to enjoy any share of Mr Rousseau's conversation.
The only thing I ever took amiss of you was your saying that
I put a paragraph in the news paper concerning your leaving
Wootton, which upon my honour I neither directly nor indi-
rectly did, tho' I must own I was quite surprized to see it there.
If it should so happen that any sort of business invites you to
this land, pray remember that Wootton is and always will be at
your service. I hope that Mn= Le Vasseur bas her health. Ail
this family joins me in service both to you and to her with num-
berless wishes for your happiness. Mv Grand daughter in particu-
lar begs to be remembered to vou with manv thanks for the mu-
sic you bave presented her Avith ; she says she shall abhor Woot-
ton since she knows you are not there, her brother says just the
same.
It will always give me more pleasure than you ever can imagine
to hear from you ; pray dont refuse me that satisfaction and if I
can be of any sort of service, dépend upon me, you may command
me who am with the greatest sinceritv vours,
Richd. Davenport.
Davenport Julv 4>h 1767.
XLP
Dear Sir, On Wednesday last I with some difficuhy got to Wootton
for the first time since I left London and the first time of my going
out of this house. I placed your Bot : books in a spare box which
just fitted them, took the liberty to add the 2 or 3 books of that
sort, which I had sent you from tOAvn ; you must not say I hâve
done amiss, for in the article of books, I am sure I remain greatly
in your debt. I hâve examined with care every account between
us as Benjamin Walton is pretty exact in setting down everv par-
1 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
198 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
ticular ; you had spent very Httle of any of the îhings I sent, and
upon the strictest calculation, I remain in your debt twenty one
pounds nine shillings, which sum I hâve by this Post given
M' Rougemont a draught for upon my hanker. The money due
to you for your prints I never received ; I suppose Lord Newnham
has given you an account of that affair.
Give me leave to say Wooiton looked horrid dull without its
old tenants. I found the collection of dried plants, and intend
carefully to préserve them, not without some distant hopes of
Mr Rousseau's some time returning to make an addition to them.
I quite long to be assured from your own self that you are
happy. I must ask you, if you hâve continued the charming work
you were upon. I hâve a right to ask, because you Avere so kind
to promise I should see more of it.
Can 1 be of any service to you in this Island? If I can, make me
happy in employing me etc.
I sent your compliments to Mr Granville who returns his and is
full of good wishes for your prosperity.
My dear little girl returns a thousand thanks for the accepta-
ble présent * you hâve made her, but says she had much rather
hear you play one of' the pièces yourself than hâve the whole
without having that pleasure.
Her.brother, Mrs Lauzun and Ally join in respects to you and
beg you'll make their best compliments to M'ie Le Vasseur ; pray
tell that lady,.with my service to her, that I am in a particular
manner obliged to her, as I hâve the satisfaction of bearing about
me every day the marks ^ of her favour.
I am dear Sir, your most sincère and most afTectionate servant,
Richd. Davenport.
Davenport Saturday July 25. 1767.
XLIP
My dear M'- Rousseau, Since I had the pleasure of receiving
the last favour of' yours, I bave had the goût worse than ever,
which brought me even to death's door.
Thank God I am now, I hope, quite upon the recovery. Since
you left England, we bave scarce had 20 fair days, nothing but
' Le Livre vert.
- Les bas tricotés par Thérèse.
■^ A Monsieur \ Monsieur R[ousseau]. — Davenport a fortement birt'é
la partie du nom entre parenthèse, s'étant souvenu après coup qu'il eût
fallu écrire Renou.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU I 99
■vv-et cold weather ; nothing has ripened ; theres hardly an apple
to be seen in the whole island. Dear Sir, let me hear of your
health and happiness ; be assured theres no one interests him-
self in both with greater sincerity than I do. Tiiere is something
which you mention in your letter which I beg you would expa-
tiate upon ; be so kind in that to send me your advice.
Your house at Wootton would with great pleasure see you again.
At Xmass I go to London; can I be of any sort of service to you?
you would give me infinité satisfaction in employing me, and
you'll give me great uneasiness if you do not, tho' even in the
smallest trifle.
Hères a letter published in the News papers, which makes a
deal of noise : from M""' Rousseau to his friend in England... is it
y ours ? tis to M. D.
My dear Grand children are well, and désire their respects to
you. Phebe says it Avould give her great joy, if you condescend
to write her a letter from France.
Prav mine and ail our compliments to M'i^ Le Vasseur. It will
vastly add to my recovery to knowvou are well and happy.
I am^ dear Sir with great sincerity yours.
R. Davenport.
Davenport Oct. 17. 1767.
XLiin
Dear Sir, I received the favour of yours dated igih of this month.
You wrote one from Meudon, another beginning August dated from
France ; those 3 are ail I hâve received. I returned an answer to
yours beginning of August^, about a fortnight since, which will
inform you how right you guessed about my goût, which has
been intoUerably severe upon me during thèse last three months.
I apprehend theres very little danger of any letters miscarrying.
When you address any to Lewis, I believe he constantly takes
care to send them to me by the first post. You may be very sure,
I never printed anv letter that you ever sent. There was some
time ago a letter printed (said to be yours) directed for M. D.
The first sight I had of it was by reading the News Papers. I
should be glad to know if it was from your hand, or not.
1 am now growing better everv day, and purpose being at Woot-
ton for a few days, at the beginning of December. Tis your fault
' A Monsieur \ Monsieur R[ousseau].
2 Lettres inconnues ; Davenport reçut celle de Meudon le 3o juin ou
les premiers jours de juillet. Burton, o. c, t. Il, p. Syo, à Hume,
4 juillet.
200 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. J. ROUSSEAU
1 make no longer stay there. Now Mr R. is absent, I hâte the
place ; return and l'il rest there with the greatest satisfaction,
or corne and be with me where I almost constantly réside, you
could net do me greater pleasure. l'U tell you what for three
months after Xmass I shall be in London, where I hâve took a
much larger house ' than the small one you saw me in. I shall
hâve room enough there to accomodate you and a room at
Mad'i^'s service. I beg of you to send me a vast long epistle, and
in the beginning assure me that you will corne. I am impatient to
hear how you employ your time, how far are you got on the sub-
ject, of which you shewed me the first book^. I was charmed and
I remember you promised to let me see as itwent on; I hope you'll
not forget, do for God's sake sit down and write me a swinging
long letter. My children join in ail manner of respect to you, my
family désire the same.
I am, dear Sir, with the greatest affection yours,
R. Davenport.
Davenport 3i Oct. 1767.
XLIV^
Dear Mr Rousseau, I hâve been in this town near six weeks,
and Gol help me, laid up till just now with a most severe fit of
the goût, so that I could not move any part of my body, not able
to return an answer to your kind and obliging letter. I pres-
sed my dear grand daughter to write for me, but she is so very
bashful, she said she durst not, tho' I assured her you would
excuse and make allowances for her mistakes.
Lord Newnham was so kind to come and ask me how I did ;
my Lord said he had lately wrote to you*, indeed ail our dis-
course was about you ; you cant imagine how manv friends you
hâve in this island ; indeed you must come and visit us again.
Our Ministry is a deal altered since you was [sic] hère, and
latter end of next month our New Parliament will be chosen.
I hâve some thoughts of visiting the Continent to hâve a chance
of at least a little altering my gouty habit of body. I had it this
last time so bad in my head and hands that it was quite distrac-
ting. Dont keep your word in what you say, of your thinking to
Avrite no more. Talents such as you are blessed with, were not
given to be laid up.
1 S'Jamess Street. Cf. p. 2o3, XLVII.
- Les Confessions.
3 A Monsieur \ Monsieur Renou.
* Cf. Lettres, C, Nitneham à Rousseau, 26 janvier, IX.
LETTRES DE DAVENPORT A ROUSSEAU 20I
Whilst I was so very ill a writing you left with me sealed up,
which is at Wootton came often into my mind, should it be sent
to you? or will you kindly corne yourself?
This Country generally enjoys pleasing Summer and the west
of our Island is beautifully romantic. I remember you partly pro-
mised me to make some of that Tour with one.
I often entertain myself with reading over any paper you hâve
been so kind to write to me. Pray be so good to let me know
what proposai it was you said you had intentions of telling me of ?
I long to know it.
My young people, and ail this house, join with me in ail man-
ner of wishes for your health, and beg to be kindly remembered
to Mlle Vasseur. I am most sincerely yours,
Richd. Davenport.
London lôth of feb : 1768.
XLV2
Dear Sir, I write another by this same post. Lord Newnham came
in. I assure he is one of your hearty and zealoux friends. Speaking
of Sidbury the seat of Lord Vernon his father in law, which if you
remember I told you was about 10 or 12 mile from Wootton. He
it seems has not been there since you were at Wottoon, or he
should most certainly hâve come and paid his respects to you. He
said he had this day wrote to you, in answ^er to that letter of
yours ^ which I had just sent to him. He desired when I next wrote,
I would mention thèse things ; I told him I would write again
this very evening, upon which he left this cover.
I am your most obedient servant,
Rich. Davenport.
Tuesday [i6th of Feb. 1768.]
1 must beg leave to say that you hâve a multitude of friends
and wishers in this town.
XLVI*
Dear Sir, The last favor of yours î return a thousand thanks for;
it would hâve given me the most sensible satisfaction to hâve found
between any of the pages a letter from your hands, to hâve heard
that you enjoyed your health and was [sic] happy.
' Le Testament, cf. p. 172.
2 A Monsieur | Monsieur Rousseau.
•^ Œuvres, t. XII, p. 49, i3 janv. 1768.
4 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
202 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
Pray do not refuse me that pleasure, as I cant help interesting
myself in whatever concerns you welfare. Lord Ncwnham and
I often meet; you are the chief subject ofour conversation. I hâve
sent a small bock which came to my hands from a Mr Boothby,
to get me to forward it to you. I hâve sent it to Mr Rouge-
mont and desired him to keep it till he received your orders to
convey it to you, as probably you may know what it is. My health
has been mending for the last month, and I begin to feel myseU
much better than I hâve been for this last two years. I think
I want nothing to complète it but the erijoyment of Mr Rousseau's
Company. Our élections are now prettv well over, which I am
heartily glad of.
My children are [wellj and beg of me to présent their most
sincère respects. You would make me quite happy if you could
think of any sort of things this Island affords and let me send it ;
pray tell me, and be so kind to give mine, my young Folks and
ail my familv's compliments to M'ie Le Vasseur. Accept the same
yourself and be assured there's none can be more at your service
than, Dear Sir, your most obliged and obedient servant,
Rich. Davenport.
London April 8. 1768.
P. S. We shall soon go into Cheshire.
XLVII
Dear Sir, I should hâve been excessive happy to hâve had again
the pleasure of seeing once more my dear old friend. However I
do not quite despair but some lucky chance will give me that sa-
tisfaction.
Hère are handed about some sentences said to be wrote by
you, and left in your antichamber at Bourgoin^. Lord New^nham
desires his best respects to you and M"e and desires me to con-
vey his congratulations to you and to Mad"«. His Lordship longs
to know if his Majesty's picture which he sent came safe'to your
hands 2. • ^ • «
I sent your kind remembrance to Mr Granville, am heartily
sorrv this climate is so moist, as to make you fear for your
» Œuvres, t. 5CII, p. 92 : à une dame de Lyon, 3 sept. 1768. Le texte
fut publié pour la première fois en novembre 1779, par Grimm ; cf.
Corr. litt., éd. M. Tourneux, Paris, 1877-1882, t. XIL p. 345.
3 Rousseau ne l'avait pas encore reçu le 17 mars. Œuvres, t. XI[,
p. i5i, à Laliaud.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2o3
health, becausc you hâve almost as many friends as there are
inhabitants, at least those who are friends to truth and virtue are
friends to you.
Give me the smaliest hint that vour pen is employed and I
shall be in some measure casy at the great distance that is bet-
ween us.
My young folks and household send a thousand goodwishes to
you and M"'-- and Phebe thanks you for, and acknowledges your
kind letter * with the utmost sensibility.
Pray do me the favour to send an hundred of Melon seeds, they
will come verv safe in a letter. I remember well your speaking of
the delicious melons in Dauphiné.
Please to direct for me in S' James street, London. I am with
my best respects to Mad""^ vours with great sinceritv,
Rich. Davenport.
S' James Street January i^t 1769=-'.
C. Lettres de divers à Rousseau ^
Malthus '
1 ■'
Monsieur, Il se peut que vous vous souveniez d'un Anglais qui
vous fut adressé par un de vos amis de Genève, dans le printemps de
1764, et à qui vous avez donné l'accueil le plus aimable à Môtiers*.
On vous a dit, je crois, assez ridiculement, que je suis venu exprès
de ma patrie pour vous voir, ce qui certainement n'étoit pas vrai,
mais je serois venu une seconde fois, avec beaucoup de plaisir
dans ce dessein, et la seule raison que je ne vous ai pas écrit, fut
la crainte de vous importuner, ne croyant pas que j'avois acquis
ce droit par une connoissance de six heures. Vous m'avez donné
une petite commission que j'ai exécutée et qui m'a appris que
1 Lettre inconnue.
2 Demeure où Davenport mourut le 7 mai 1771 ; cf. p. 102, n. 5.
" Les originaux de cette série sont tous à la Bibliothèque de Neiichâ-
Ich Ms. 7902.
*Cf. p. 29.
5 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
^ Malthus écrit Moitier.
204 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
VOUS évitiez ces petites correspondances. Je vous ai longtems-
aimé dans vos écrits ; si vous voulez bien me permettre de vous
aimer autrement, ce que j'ai commencé à faire dans le peu de
tems que je vous ai vu, venez me voir à votre tour, dans ma
petite maison de campagne qui ressemble un peu à celle que vous
vous figurez dans votre Emile.
Je ne suis ni milord, ni auteur, ni philosophe ; je ne doute pas
que vous ne soyez parfaitement bien reçu de tous ces Messieurs ;
mais si par hasard vous vous fatiguiez de cette distinction que vos
talens vous ont procurée, vous trouverez dans la maison dont je
vous parle, une liberté entière et des gens qui vous estiment. Je
me ferai l'honneur de vous saluer, quand je saurai que cela ne
vous sera pas incommode.
J'ai l'honneur d'être. Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur. Dan. Malthus.
P. -S. — Une lettre me trouvera adressée at the Rookery
nr Dorking Surrey, ou en ville at Colonel Morrison's, Boiter
Street, Piccadilly.
Janv. i6. 17(56.
IP
Je suis prêt à croire, Monsieur, que vous vous êtes trompé, et
que vous pensez à quelque autre à qui vous avez donné une
commission. Je vous en ai parlé seulement pour vous faire res-
souvenir de nïoi. Il ne s'agissoit pas de l'argent, et je n'ai point
de note à vous envoyer. Je me suis chargé de vos remercîments à
un Anglais qui vous a envoyé un livre qui a pour titre Butler's
Apology, et les Odes de Gray. Je me rappelle que la poste vous a
coûté un Louis, mais vous aviez la bonté de vouloir le remercier
de son intention- J'ai passé la journée avec vous, nous avons dîné
ensemble, nous nous sommes promenés le soir dans les prairies.
De retour, vous m'avez fait voir une lettre de Milord Marshall,
vous m'avez fait voir votre bon cœur. Nous n'avons pas parlé
comme des amis dç six heures : en partant, yous rrj'avez donné
votre petit traité, tiré de Platon 2, vous m'avez prié de vous écrire.
J'aurais été fort honoré de vous avoir rendu ces civilités dans
mon pays, et dans une campagne "située, que je me flattais de
vous faire aimer. Mais je sentais quelque chose de plus. Je vous
' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
2 De l'Imitation théâtrale^ Essai tiré des Dialogues de Platon. Ams-
terdam, 1764, in- 12.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 20 B
avouerai que votre lettre* quoique très polie, ne répond pas à la
disposition dans laquelle je vous ai écrit la mienne. Je suis très
fâché que vous vous trouviez dans un état de santé, qui vous
empêche de faire aucune visite. J'aurois été vous trouver chez
vous avec un plaisir infini, mais je ne vous fatiguerai pas d'une
amitié qui peut vous être incommode. J'ai l'honneur d'être,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Dan. Malthus.
Rookery nr Dorking Surrey. Janv. 24. 1766.
III*
Je ne tarde pas un instant, Monsieur, à répondre à la lettre^ que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je ne vous dirai pas que
vous faites trop bien de vous fier à moi dans le choix de votre
situation, car vous avez tout à craindre du plaisir que j'aurai de
vous voir ici. Mais je ne veux pas être si intéressé que de vous
laisser croire que vous vous fixerez à votre goût, dans une quin-
zaine de jours. Je serai très difficile pour vous et surtout si vous
comptez faire quelque séjour ici, et que nous ayons à combattre
les beautés de Galles. Outre que vous êtes accoutumé, comme je le
sais bien par votre demeure à Môtiers, à des chambres plus grandes
et plus commodes que nous ne les avons dans nos bonnes mai-
sons, quoique celles-là soyent sous l'apparence d'une humble chau-
mière. Songez que j'ai aussi à plaire à votre gouvernante. Vous
me permettrez de lui faire mes compliments. Vous ne me mar-
quez pas, si vous aimeriez mieux être en pension chez un fermier,
ou faire votre ménage ou avoir une maison à vous seul. Enfin je
ne veux pas me charger d'une commission, dans laquelle je tra-
vaillerois de fort bon cœur, mais qui auroit trop de risques. Je
ne veux pas que vous vous serviez des yeux d'un autre ; venez
voir avec vos propres yeux ce qu'il y a à choisir. En attendant,
faites moi le plaisir d'être chez moi, vous et votre gouvernante.
Vous serez absolument à votre aise. Si vous vous trouvez autre-
ment, vous me quitterez sans cérémonie, et il y a des maisons
dans le village qu'on vous apprêtera en 24 heures, où vous serez
mieux que dans un cabaret. Je vous servirai de guide et d'inter-
prète ; en tout ceci vous ne me gênerez pas, et je tâcherai de ne
vous point gêner. J'aurai un plaisir réel et très grand à vous voir,
"mais je ne lui donnerai aucun autre titre que le désir de faire
1 Inconnue.
- A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
* Inconnue.
206 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
quelque peu de retour aux civilités que vous me fîtes à Môtiers.
Peut-être qu'il y entre ce qui est fort naturel — un homme a des
idées singulières ; un autre par la beauté de son génie les met dans
son plus grand jour; le premier ne peut que l'admirer. Je ne suis
pas assez honnête homme moi-même, pour prétendre à chercher
les gens parce qu'ils le sont. Vous me permettrez de vous envoyer
une chaise à deux chevaux de fermier, vous me direz quand, et où
vous le voulez. Réellement je ne doute pas que vous ne trouviez
quelque chose qui vous convint ici. Nous aurons de la place pour
tout. Mon chien attend le vôtre ^ J'ai l'honneur d'être Monsieur
avec la plus parfaite estime,
Votre très humble, etc.
Fév. 24. 1766.
Dan. Malthus.
1V2
Je reçois en ce moment, Monsieur, votre seconde lettre*. Je vous
écrivis hier et je l'adressai à M^ Hume. Je serai charmé d'obéir le
plus précisément qui fut possible à vos ordres. Je vous trouverai
quelque maison de fermier ou de paysan, où vous vous accommo-
derez pour quelque teins, car nous n'avons pas d'autres, si ce n'est
la petite ville de Dorking à deux milles d'ici. Mais je vous répète
que vous ne serez que fort médiocrement et que votre gouvernante
regrettera Môtiers. Consentez d'être chez nous ; nous irons
ensemble voir la campagne, les maisons, parler aux fermiers.
Vous ne serez ici que dans la maison d'un fermier, d'un chasseur
grossier et sans cérémonie. Au moins, abordez chez nous, ma
chaise sera à Chiswick au jour nommé ; si vous avez beaucoup de
bagage, il faut qu'il vienne par Titrners Waggon at tlie S)van in
the Borough DoHiing Carrier ; ou si vous voulez bien le laisser à
Chiswick, je le ferai venir par mon petit chariot. Si vous ne trou-
vez rien qui vous convienne dans ce canton, ou plutôt, si la cam-
pagne et la situation ne vous plaisent pas, nous ferons de petits
voyages de dix à vingt milles à l'entour, et enfin si vous vous
trouvez bien de votre guide, et que vpus souhaitiez- dans le prin-
temps, voir la province de Galles, je pourrois bien vous accom-
pagner pour une affaire de trois semaines. — Mais encore une
fois, je ne vous gênerai point; je vous" dirai même qu'il y a un
très joli cabaret à un demi mille d'ici, que vous croyriez plus tôt
' Sultan.
2 A Monsieur \ Monsiew Rousseau.
' Inconnue.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 207
un hermitage. Soyez seulement satisfait que nous aimerons à vous
voir, et faites comme vous voudrez. Vous trouverez quelqu'un ici
à qui on peut dire que la solitude est une belle chose. Il y a
Mr le Colonel Webb ' que vous avez vu chez Mr Stuart, et Mr Pen-
neck, mais pour notre malheur il est rare ici. J'espère que vous
ne trouverez pas des importuns. Le chasseur et le fermier sera
trop occupé pour l'être quoiqu'il sera toujours disposé à vous
rendre ses petits services. Adieu Monsieur, je vous salue de tout
mon cœur, et je m'en vais battre la campagne pour vous.
Dan. Malthus.
Fév. 26. 1766.
Voulez-vous bien avoir la bonté si vous yoyez My Lady et My
Lord Cathcart-, de leur faire bien des compliments de la part
de Mme Malthus et de moi, et de les assurer combien nous
regrettons pour vous, et pour nous de les voir perdus dans ce
canton.
V3
Je vous rends compte. Monsieur, de mes négociations. Vous ne
vous plaindrez pas que je vous fasse une réponse un peu prompte,
car je vous en ai fait deux ou trois, et je voudrois qu'elles fussent
déterminantes, mais vous avouerez que pour se fixer commodé-
ment et agréablement, il faut quelque peu de considération et
qu'on fait bien de se servir de ses propres yeux. Je me contenterai
de mon poste de guide. Assurément vous ne regardez votre pre-
mier logement que comme un cabaret, d'où vous chercherez à
loisir quelque habitation qui puisse vous convenir. J'en ai à vous-
faire voir cinq ou six, mais il n'y en a pas une qui me contente.
La difficulté est pour trois chambres et pour la pension. Nos
fermiers n'ont pas de grandes fermes dans cette partie de Surrey ;
ils ne sont que des paysans. Si une maison est plus commode,
l'autre est mieux située. Il n'y a pas un grand choix, mais il n'y a
rien qui décide absolument pour une contre les autres. Il y a
mille choses à considérer et à balancer et il faut que chacun ait
goût à soi. Je parle d'un séjour de quelque temps. Si vous êtes
déterminé à ne vouloir pas faire votre cabaret de la Grolline, il y
a deux ou trois maisons, où j'ai été ce soir, et où je crois vous
ménager un logement qui ne sera pas tout à fait mauvais ; un qui
' Cf. p. 17, n. 3.
2 Cf. p. 26. n. 6.
3 A Monsieur | Monsieur Rousseau.
208 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
m'est très proche, et de grâce, ne me donnez pas la peine de vous
être totalement inutile. Je connois une maison de fermier, à cer-
tains égards bien située, nouvellement bâtie, petite mais propre,
elle sera finie et meublée bientôt. Une autre non meublée qu'il
faut avoir à soi. Pour la pension, il y a bien des choses à ajuster,
mais comme partout, vous aurez la liberté de vous servir de la
cuisine, vous ferez mieux votre petit ménage. Il y a une ferme à
deux milles d'ici, dans une belle situation où on vous prendrait
en pension, et où vous ne seriez pas mal logé, mais elle a ses
défauts. Je vous répète qu'il faut venir voir. J'attends vos réponses
et vos ordres, et vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.
Dan. Malthus.
Fév. 27. 1766.
VI >
Je ne puis vous cacher. Monsieur, que votre lettre ^ me donne
une mortification très sensible, mais comme il se peut que vous
soyez mieux en Derbyshire je tâcherai d'approuver cette démar-
che et ne vous troublerai point de mes regrets. J'avois écrit à
Monsr le Chevalier Evelyn, à M"" Joy et à Mr Constable' afin de
vous donner tout le choix qui fut possible, et vous pouvez compter
que rien n'auroit été négligé de ma part, pour vous procurer une
retraite commode et paisible. Vous partez, mais permettez-
moi de vous suivre de mes souhaits. Puissiez-vous trouver toute
la félicité que vous méritez, que l'Angleterre puisse vous dédom-
mager des pays que vous venez de quitter : que les regrets amers
soient changés en douce mélancolie, et que les instants que vous
donnerez aux plaisirs soyent remplis comme vous le souhaitez,
et qu'enfin vous ne disiez plus non c'è la radice. — Au travers
de mille fadaises, mille politesses d'usage, peut-être que vous
découvrirez Pestime réelle, j'ose dire l'affection que je vous
porte. Je n'examinerai point pourquoi je me sens si entraîné vers
vous ; je ne suis pas sujet à faire de nouvelles amitiés avec qui
que se soit, encore moins avec les gens célèbres. Je vis beaucoup
seul et il y a très peu d'hommes que -j'appelle même mes intimes.
Vous' parlez de Milord Marshall comme de votre père, j'aurois
été heureux de vous avoir pris pour le mien. Au moins, je vous
ai cette obligation, que chaque fois que je vous ai vu, il me sem-
ble que je suis devenu meilleur. Ce n'est pas mon style ordinaire
1 A Monsieur | Monsreuv Rousseau.
2 Inconnue.
3 Cf. p. 3 1, n. I.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU
209
ceci; souvenez-vous de l'inscription pour une de vos planches de
rHéloïse. La confidence ^ — vous direz vous même le reste, car
je n'en suis pas digne. Mon cher Monsieur, je ne dois pas si mal
employer votre temps que d'allonger cette lettre. Posons pour
principe que je vous aime, après cette fois, je ne vous le dirai
jamais, mais aussi, je ne vous permets jamais d'en douter. Vous
me ferez plaisir, et vous serez quitte de toute obligation que vous
n'aimez pas, en m'employant à tout ce que je puis faire pour
votre service ou à Londres, ou en Derbyshire, car ne croyez pas
que je tarderais un jour à me trouver chez vous en cas de besoin.
Je ne vous dirai point que je négligerai les soins de ma famille,
de mes anciennes connaissances, mais je trouverai toujours du
tems pour vos petites commissions, et dans la maladie ou quelque
besoin réel, il y a peu de choses qui me retiendroient. Que Dieu
me garde de ces occasions-là de vous prouver mon attachement ;
mais vous entendrez quelque jour peut-être, qu'un étranger
•<iemande à parler à Monsr Rousseau au cabaret du voisinage.
J'aime beaucoup le Derbyshire ; j'ai été souvent à Matlock seul et
avec Madame Malthus, et je ne puis que vous dire que vous le
trouverez charmant. Adieu, Monsr, je ne vous écrirai point, je ne
vous donnerai pas la peine que vous auriez à me négliger, aussi je
suis trop fier de vous le permettre. Vive valeq.
March. 12. 1766.
Malthus.
Mille compliments de la part de nos dames à M'ie Le Vasseur
et à vous.
VIP
à Thérèse Le Vasseur.
Daignez m'excuser. Mademoiselle, si je prends trop d'intérêt au
bonheur de Monsieur Rousseau.
Je vous écris, pour offrir à vous et à lui, toutes sortes de ser-
vices qu'un étranger peut tirer de quelqu'une la ville capitale. J'y
suis souvent, et dans les petites commissions dont vous ne vou-
lez pas charger votre très bon ami Mr Hume, comme c'est \\n
1 Lire : la confiance. Dans l'édition d'Amsterdam, dei762, in-12, 6 tomes
en 3 vol., la planche 7 représente la réception de Saint-Preux par
Wolmar et Julie ; elle porte cette légende : la confiance des belles âmes.
Cf. Œuvres, t. V, p. g5.
- A Mademoiselle \ Mademoiselle Le Vasseur.
210 ANNALES DE LA SOCIlîTE .1. .t. ROUSSEAU
homme affairé, je vous prie de me regarder comme un homme
oisif, et qui certainement ne sera pas mieux employé qu'en vous
assistant. S'il pourra trouver quelque difficulté en Derbyshire, ne
faites pas le moindre scrupule de m'envoyer chercher. Je m'offri-
rais volontiers pour guide et interprète dans la route, car il peut
arriver quelque incommodité à deux étrangers qui n'entendent
que très peu la langue du pays, mais je suppose que Mr Davenport
a pourvu à tout cela. Je souhaiterois de me prouver l'ami de
Ml Rousseau, mais il ne trouvera jamais un ami importun. Je ne
pourrois pas vous en donner un exemple plus frappant qu'en vous
laissant partir ce soir que nous comptions vous faire coucher
chez nous. Je vous avouerai que nous en étions un peu mortifiés,
car je puis vous assurer avec la plus grande sincérité que
Madame Malthus et moi nous eussions été fort heureux d'être Les
fermiers qui dussent vous prendre en pension. Il m'eut donné s'il
avoit voulu ses 3o ou 40 guinées par an, et vous eussiez vu non
pas des paysans il est vrai, mais de bonnes gens qui ne font pas
de façons, au moins si on ne leur donne pas le ton. Adieu,
Mademoiselle, vous allez voir une province charmante ; il y eut
un temps que je pensais y être, je la verrai peut-être encore, elle
ne me sera pas devenue moins chère en vous servant de retraite.
Agréez s'il vous plait mes salutations et les salutations de nos
dames et les faites agréer à Monsr Rousseau.
Malthus.
Mars. i3. 1766.
L'adresse To M' xMalthus near Dorking Surrev.
VIII
Je ne vous dirai point. Monsieur, comme les comédiens de la
foire, que celle-ci sera absolument la dernière fois que je vous
écrirai, mais je ferai. tout ce que je puis faire pour vous, je vous
dispenserai de lire ma lettre à moins que M^e Le Vasseur ne vous
la croie bonne après souper: vous ne voyagez pas avec' des His-
toriens et des Métaphysiciens in folio, et cependant il faut dor-
mir.'J'allai le vendredi à Chiswick, je croyois vous trouver; je ne
pouTois résister au désir de vous, voir encore une fois, vous étiez
parti le Mercredi*. Il me semble que je ne vous ai point vu en
Surrey — vous étiez si entouré, si obsédé de sages conseillers, je
crois avoir droit de parler ainsi, comme j'en faisois un des plus
sages. Il n'y eut que-votre excellent ami M'' Hume qui vous laissât
1 Parti de Londres; le départ de Chis\\ick est du mardi.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2 I I
un peu tranquille. Vous ne savez pas comme je fus blessé de tout
cela, quoique j'y aie mis ma part. Je m'étois flatté de vous avoir
fait passer quelques jours au moins, vous et M^e Le Vasseur,
dans ma famille, où ce n'est pas moi seul qui prétend vous esti-
mer, je vous aurois proposé deux ou trois demeures qui deman-
doient seulement un peu de tems pour les arranger, et où vous
auriez été seuls, je vous aurois proposé la mienne, je vous
l'avouerai, mais aussi je ne vous l'aurois jamais conseillé, à moins
que vous n'eussiez été aussi absolument sans gêne que dans la
maison d'un véritable fermier et que vous ne m'eussiez plus
d'obligations. Je ne prétendois pas même vous imposer celles de
l'amitié, jamais vous ne m'estimerez assez pour cela et je n'en
serai digne peut être que d'un seul côté. J'avois aussi mon parti à
prendre ; je suis trop fier d'être \q fidus Achates, l'humble ami de
votre génie, de votre nom, encore moins il est vrai, de vos
richesses, ou de vos titres, si vous les aviez. Mais^ pour écarter
de mes yeux tout ce qui pourroit m'avoir fourni les idées de
l'inégalité, si contraire, si fatale à l'amitié, je m'imaginois le titre
de votre fils. Je ne sentois pas que du côté de l'affection j'eusse
trouvé de difficulté à remplir cette relation. Faut-il qu'il ne
s'agisse plus de tout cela, et que j'en parle seulement pour servir
d'introduction à ce que je vais dire.
Quelque convenance de caractère, quelque sentiment qu'il est
inutile de développer, m'a tiré de ma retenue ordinaire et des
manières assez froides de mon pays, et m'a fait parler à un
homme que je ne connois que très peu, d'un ton que je suis
prêt à me reprocher. Mais il me semble, que j'aime mieux dans
cette occasion que vous me preniez pour toute autre chose plutôt
que pour un faiseur de complimens. Je souhaiterois beaucoup de
fixer notre langage, si jamais nous nous parlions l'un à l'autre. Ce
que je vous dis est dans la plus exacte vérité, et les termes dont
je me sers ont précisément la signification que je leur trouve dans
mon bon dictionnaire de Richelet. Ce n'est pas que la langue de
la politesse ne soit fort utile, elle est faite pour éloigner et non
pour approcher les gens, et vous vous en servirez si vous voulez
que je ne pense plus à votre amitié.
Je me propose bientôt de voir votre vallon de Dovedale ; j'y
passerai quelques jours, je ne serai pas loin de vous, je vous
joindrai quelque fois dans vos promenades (je me qualifie de
guide dans ce pays-là) si, par hasard, je vous gêne, et que vous
me le disiez, je le prendrai pour l'augure de notre amitié, mais si
jamais vous me le faites apercevoir au travers de la politesse, je
saurai à quoi m'en tenir. Si je puis vous être de quelque service,
2 12 ANNALES DK LA SOCIKTI;: .). J. ROUSSEAU
VOUS m'indiquerez le tems de mon voyage, et je tâcherai d'accom-
moder mes affaires aux vôtres. En quelque occasion que ce soit
(comme par exemple, si vous m'aviez voulu dans le voyage du
Derbvshire) parlez franchement votre volonté, et je ferai que ce
qui me paroit le plus agréable, — voilà un tils qui n'a pas des de-
voirs fort pénibles au moins. Une délicatesse que je sens fortement
et l'appréhension de vous gêner, me prépareroit mille difficultés
dans votre commerce, mais vous êtes le maître de les ôter.
J'ai été chez M'- Hume, il n'a pas de vos nouvelles. Je crains
que vous n'ayez trouvé un peu trop la ressemblance de vos chères
Alpes en Derbyshire, au moins par rapport à la neige. Si vous me
marquez mais seulement en deux mots, que vous êtes arrivés en
santé, vous et Mi'e Le Vasseur, et que vous vous trouvez bien de
votre demeure vous me ferez un vrai plaisir, et ce n'est pas une
phrase celle-là, mais ce que je sens. Si Mll« Le Vasseur en vous
lisant cette lettre, parvient jusqu'à la fin, elle verra que je lui fais
bien mes compliments. Adieu.
Malthus.
Le 2Q de Mars i-jGb.
IX
Monsieur, Monsieur Hume a eu la bonté de me mander que vous
lui avez écvih, que vous êtes arrivé à Wootton, que vous vous portez
bien et que votre demeure vous paroit agréable. Je suis fâché que
je ne puisse vous exprimer ma satisfaction là dessus que dans des
termes usés et qui ont servi mille fois à dire précisément rien.
J'allai chez M^- Hume Vendredi passé pour avoir de vos nouvel-
les, il n'en avoit point, je vous écrivis ce même jour par la poste,
mais Mr Hume me dit qu'en habile général vous avez eu la pré-
caution d'empêcher toute communication de ce- côté-là, et comme
votre situation entre les montagnes vous favorise assez, il faut être
un peu habile pour vous attaquer. On vous trahit pourtant, mais
j'espère que ce n'est pas absolument sans permission, et je vais
me rappeler un peu ma lettre afin de l'envoyer à Mr Davenport
quand je serai en ville. Si par malheur vous en recevez deux je ne
puis rien faire que d'étendre la permission que je vous ai donnée
dans la première, c'étoit de rie la pas lire. Mais je me suis réserve
toujours la préférence, au cas que Mad''^ le Vasseur vous fasse
quelque lecture après souper. Vous ne voyagez pas avec des his-
toriens et métaphysiciens in folio, et cependant on ne ronfle pas
comme M'' Hume à peu de fraisa
' Introduction à parr; cette lettre n'est que la duplique de la précé-
dente.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 21 3
Après avoir répondu à votre lettre, je ne pouvois me contenter
sans aller à Chiswick — je voulois vous voir encore une fois, —
vous étiez parti. Je ne puis me persuader que je vous ai vu en
Surrey. Vous étiez si entouré, si obsédé de sages conseillers, — je
crois avoir le droit de parler ainsi, comme j'en faisois un des plus
sages. Il n'y eut que votre excellent ami Monsr Hume qui vous
laissât un peu tranquille. Vous ne savez pas comme je fus blessé
de tout cela ; je vous voyois souffrir, et je m'accusois d'être cent
fois plus importun qu'aucun autre. Que n'aurois-je pas donné de
vous avoir mis par un coup de baguette dans la plus jolie chau-
mière du monde à 5o lieues de toute compagnie. Je m'étois flatté
de vous avoir fait passer quelques jours au moins vous et Mad'i^
Le Vasseur, dans ma famille, où ce n'est pas moi seul qui prétend
vous estimer. J'avois deux ou trois maisons à vous proposer, qui
demandoient seulement un peu de tems pour les faire arranger.
J'avois la mienne à vous offrir, mais jamais je ne vous l'aurois
conseillé, à moins que vous n'y fussiez aussi peu gêné que dans la
maison d'un véritable fermier, et que vous m'eussiez aussi peu
d'obligation.
Je ne prétendois pas même vous imposer celle de l'amitié. Ja-
mais vous ne m'estimerez assez pour cela, et je ne le mériterois
qu'à un seul égard. J'avois aussi mon parti à prendre je suis trop
fier d'être \e fidiis Achates, l'humble ami de votre génie, ou de
votre nom, encore moins il est vrai, de vos richesses, ou de vos
titres si vous les aviez. Mais pour écarter de mes yeux tout ce qui
pourroit m'avoir fourni les idées de l'inégalité, si contraires, si
fatales à l'amitié, je m'imaginois le titre, de votre fils. Je ne sen-
tois pas que du côté de l'affection j'eusse trouvé de la difficulté à
remplir cette relation. Faut-il qu'il ne s'agisse plus de tout cela,
et que je n'en parle que pour vous préparer à ce que je vais dire.
Quelque convenance de caractère, quelque penchant naturel, m'a
tiré de ma réserve ordinaire, et m'a fait parler à un homme que
je ne connois que très peu, d'un ton que je suis prêt à me repro-
cher; mais il me semble, que j'aime mieux dans cette occasion
que vous me preniez pour toute autre chose, plutôt que pour un
faiseur de compliments. Permettez-moi de fixer la langue que
nous parlons, — ce que je vous dis est dans la plus exacte vérité,
et les termes dont je me sers ont précisément la signification que
je leur trouve dans mon bon dictionnaire de Richelet. Ce n'est
pas que la langue de la politesse ne soit très utile, elle est faite
pour éloigner non pour rapprocher les gens et vous vous en ser-
virez, si vous voulez que je ne pense plus à votre amitié. Je verrai
bientôt votre vallon du Dovedale, c'est le mien aussi, j'y ai passé
214 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
quelques heureux jours de ma jeunesse, (j'étois le premier je crois
qui vous a parlé de Derbyshire, je vous en ai parlé même ici ; je
m'efforçois de ne vous pas trop persuader à notre canton, je n'ai
que trop bien réussi.) Je vous joindrai quelque fois dans vos pro-
menades, si par hasard je vous gêne et que vous me le disiez, je
le prendrai pour l'augure de votre amitié, mais si jamais vous me
le faites voir au travers de la politesse, je saurai à quoi m'en te-
nir. Si je puis vous être utile en quelque chose, vous m'indique-
rez le tems de mon voyage, vous me donnerez vos commissions
si vous en avez, — vos ordres, je ne ferai que ce qui me paroîtra
le plus agréable voilà un fils qui n'a pas des devoirs fort pénibles
à remplir. Je ne cherche pas à vous offrir mes petits services ;
mais si jamais vous parvenez à me dire « J'ai besoin de vous pour
une telle chose, faites la si vous pouvez », concevez le plaisir que
j'en aurai. Adieu, si vous avez le courage, Mad^e Le Vasseur de
lire jusqu'à la fin, vous verrez que je vous fais bien mes compli-
ments, et que, je vous souhaite toutes sortes de commodités et
d'agrémens en Derbyshire.
C'est la dernière, point de réponse sans commission.
Malthus.
Le isr d'Avril 1766.
X
A Dorking le 18 de Juillet 1766.
Je romps notre accord, Monsieur; vous m'avez promis de m'e-
crire si quelque affaire d'importance vous arrivoit, moi, je veux
positivement vous écrire sur des bagatelles. Ne voyez-vous pas que
pendant que vous êtes employé à examiner un cryptogame, vous
laissez passer toutes les révolutions de la terre sans daigner les
regarder. Vous vous brouillez avec un grand philosophe, et vous
vous consolez en trouvant une plante de serpyllum pour votre
thé suisse. Nous laissons là Mons. Pitt et son ministère, pour
parler de votre lettre, à la Lacédémonienne ', et vous même après
avoir employé deux minutes à l'écrire, vous n'y songez plus. Ah !
Mqnsieur, je me trompe, je prétends connaître un peu votre cœur,
et vous ne pouvez estimer quelqu'un pour un instant, et cesser de
l'estimer sans sentir de la peine. Je vous plains si vous avez dé-
cidé trop vite. De la manière dont on m'a conté cette histoire, je
-n'avois qu'à en faire remarquer l'absurdité. Quand vous étiez tous
dans ce canton, Mr H. a pris occasion de me parler de vous, ce
qu'il a fait d'un ton de l'amitié la plus réelle. Pour vous dire la
' La lettre à Hume, du 23 juin. Œuvres, t. XI, p. 35o.
LK'ITRKS DK DIVERS A ROUSSEAU 21 3
vérité, il m"a paru qu'il ne vous connoissoit pas, mais il est très
certain que je le croyois votre bon ami, selon ses idées. Je me
rappelle qu'en vous parlant de l'intérêt qu'il prenoit à vous, je mis
par hasard le nom de Stewart, et je croyois qu'il valoit la peine
de vous le faire remarquer. Le caractère de Mr H. est en gé-
néral très favorable. Oui, Monsr, cherchez partout, soyez sûr
qu'il ne peut y avoir nulle méprise, ne pensez pas aux noirceurs
des hommes, mais sentez dans votre propre cœur, comme il est
difficile d'être traître. Il a été chez moi son ami, Mr Wilkes, fort
aimable homme, qui m'a parlé de cette affaire plus raisonnable-
ment e^ue les autres, mais toujours en ami de Monsr H. Quant à
moi, mes idées une fois fixes, on ne vient plus me dire que qua-
tre et quatre font neuf, — mais je vous avouerai que je ne puis
vous entendre blâmer et être absolument tranquille. Ne me con-
tez rien vous même, j'aurois la faiblesse de vous défendre et mon
Dieu, que je vous sens au dessus de tout cela. N'en parlons plus.
Quand voulez-vous faire un Iter Botanicum en Surrey? Si vous
vous trouvez l'inclination de passer quelques mois de votre hiver
à deux degrés plus au Sud, venez faire une expérience chez nous.
J'évite soigneusement quelque chose que ce soit de vos ouvrages;
je prenois par hasard VEmile en main, et j'ai senti une si violente
inclination d'aller vous trouver, que je le quittois tout de suite.
Vous ne concevez pas l'agréable impression que nous avons em-
portée de Wootton. Vous ne connoissez pas ces deux femmes et
comme elles sont capables de vous estimer. Je vous ai vu bien
autrement qu'en Surrey 1 Ma femme vous fait mille compliments
et à Mad"« Le Vasseur. Vous me permettrez de lui faire les miens
et de lui souhaiter des idées plus favorables à notre Angleterre.
Les hommes travaillent-ils donc avec le climat pour l'en dégoû-
ter! Adieu !
Malthus.
J'ouvre cette lettre pour vous dire que, par la méprise d'vin do-
mestique, il n'a été chez Mr Davenport que quinze jours après sa
date.
XI».
Je vous ai prie Monsieur, de ne pas répondre ii la lettre que je
n'ai pu m'empècher de vous écrire, il y a trois ou quatre mois,
après avoir entendu parler pour la première fois de votre rupture
avec Monsr H. Et c'est la cause que je me suis tourmenté depuis
longtemps d'une idée cruelle — serait-il possible que quelque
1 A Monsieur | Monsieur Rousseau.
2l6 AWAI.ES DE LA SOCIÉTÉ ,J. .1. ROUSSEAU
expression dans ma lettre fut si contraire à la situation de mon
cœur, quelle put vous offenser.
Je vous ai prié de me pas m'écrire, j'ai toujours évite de vous
être importum, mais je ne me trouve pas tranquille, et j'ai le droit
de demander que vous me le rendiez. Tout foibles que soient mes
titres à votre amitié, je me connois et j'ose vous parler ainsi. Cette
vive et tendre sympathie qui m'a toujours entraîné vers vous, ne
peut pas s'affoiblir — prévenu dans les soins, les attentions, les
services qui m'auroient été si doux, ne m' étalant pas en profes-
sions, mon amitié s'est retirée dans mon cœur, mais elle n'en est
pas moins forte. A Dieu ne plaise que je porte envie à l'honnête
homme qui vous a fourni votre retraite. N'ayant autre connois-
sance de lui, je m'en sens disposé à l'aimer. G'étoit précisément
ce que j"ai senti pour M^ H., de qui je n'aurois jamais brigué la
visite comme David H., mais comme l'ami de J. J. Rousseau. Il
est vrai que je le croyois votre ami, je le croyois quand je vous ai
écrit ma dernière lettre, mais je ne le crois plus après son infâme
publication. — Vivant à la campagne, où je ne lis que rarement
les papiers publics, ne voyant que très peu de monde, je n'ai pres-
que rien entendu de cette affaire, qu'après que M"" H. me fit dire
par M'' W'ilkes qu'il étoit surpris de ne m'avoir pas vu à mon re-
tour de Derbyshire ; ce qui fut absolument sans dessein de ma part ;
mais comme je ne suis nullement avide de connoissances illus-
tres, je ne croyois pas devoir importuner Mr H. de visites dont
l'objet avoit cessé. Je n'attendois pas à voir développer avec tant
d'éclat quelques idées vagues que j'avois dans la tête. Oui Mon-
sieur, j'ai lu l'exposé succinct, et quoiqu'il en soit de cette malheu-
reuse affaire, je ne demanderais que ces lettres pour en aim.er
l'auteur, que leur publication pour en détester les éditeurs. — Je
pense que vis à. vis de tout homme qui a le moindre sentiment
dans le cœur,- l'effet en doit être le même. Pour les autres, je pren-
drai la liberté de vous dire avec la dame de votre Emile : « Tais-
toi Jean Jacques, ils ne t'entendront pas. » Ce n'est que depuis peu
que les Anglois ont appris à rire, on le fait assez gauchement et
comme il arrive toujours, on n'en est que plus vain. Contez qu'une
mauvaise plaisanterie d'un Aristophane perdrait un Socrate ici,
mais ce n'est que pour un instant. Quand vous parlez de ceux
qui vous ont recherché pour vous même. Ah 1 Monsieur, puis-je
me flatter qu'entre tant d'autres, vous avez pensé à moi — moi
qui ne vous attendois pas avec un cortège, et dont le cœur en
étoit refroidi qui vous auroit reçu, vous et Mad''^ Le Vasseur,
dans le sein d'une farnille qui alloit vous prodiguer toutes leurs
tendresses, — moi qui aurois mis mes délices à procurer votre
LiniRKS DE DIVERS A ROUSSEAU 21 7
tranquillité, à vous rendre toutes les attentions, tous les devoirs
de l'amitié. Mon cher Monsieur, j'écris dans une langue dont je
n'ai absolument nulle habitude ; je peux faire mille bévues, mais
vous y distinguerez toujours le langage du cœur. Comment se
porte Mad'ie Le Vasseur ? Agréez les tendres salutations de
Madme Malthus et les miennes, et les faites agréera Mademoiselle.
A Dorking, Surrey le i'?r Dec. 1766.
Dan. Malthus.
Vous savez les difficultés que vous avez mis à vous écrire,
mais enfin j'envoie ce paquet à M'' Davenport, qui à ce qu'on m'a
dit est à Wootton. Quand il n'y est pas, si vous avez besoin d'un
interprète, ou d'un ami, pour quelque chose que ce soit, j'y se-
rois en trois jours. Ah ! que ne puis-je trouver des mots qui n'ont
pas servi mille fois a des compliments ineptes ^ 1
Dorking en Surrey le 6 d'Août 1767.
Vous partez de l'Angleterre, sans m'écrire un seul mot. Ah !
Monsieur, je l'avoue, c'étoitune folie de croire que parce que je
me sentois porté vers vous, par un mouvement de sympathie et
de tendresse, dont je ne fus pas le maître, que vous pussiez en
sentir la moindre chose pour moi. Je devois me connaître et sa-
voir qu'entre mille autres qui vous demanderoient votre amitié,
j'en étois peut-être le moins digne. Il est vrai que je ne me disois
pas cela, et même je ne me le dis pas à cet instant, mais qu'il est
loin de la vanité le sentiment qui me fait croire, que si vous m'a-
viez connu, vous m'eussiez aimé.
Je ne fais que repasser dans mon esprit nos promenades dans
ce canton, où tant de choses contribuoient à me faire perdre le
bonheur que j'avois espéré. Je pense à l'aimable réception en
Derbyshire, où vous avez tâché avec tant d'empressement à m'oter
la crainte de vous importuner. Si je prends dans la main un de
vos ouvrages, je me sens le cœur si serré, que je suis obligé de le
quitter. Je trouvois dans la botanique, je ne sais quel plaisir au-
dessus de la chose même, parce que c'étoit la vôtre — je ne le
trouve plus. — Après avoir balancé quelque temps, je me détermine
' La réponse de Rousseau est de janvier 1767. Œuvres, t. XI, p. 404.
On doit donc remplacer la mention à M*** par à Malthus. A la fin
de la lettre, corriger M. Malthus en Mme Malthus.
- A Mons" I Monsieur Rousseau; au \ soin de Monsieur Coindet che^
Messrs I Thelusson Necker et Co, \ Paris.
2l8 ANNAI.HS DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
à VOUS écrire. J'étois dans la province de Galles au mois de Mai^
quand je vis par hasard dans un papier public que vous veniez de
quitter la maison de M"" Davenport, que vous aviez écrit au Chan-
celier d'Angleterre, etc., etc. Je me doutois bien de tout ceci,
mais comme je comptois vous faire une visite en Derbyshire, et
que cet article avoit quelque impression sur mon esprit, je ne
tardai pas à mon retour d'aller chez Mr Davenport, il étoit en
Yorkshire. Je me rappelai le nom d'un libraire qui vous faisoit
avoir vos paquets quelquefois ^ Il ne me dit rien, sinon que vous
étiez en France. Mais enfin, je trouvai votre banquier^, un de ses
commis car je ne l'ai pas vu lui-même, me fit espérer que je pour-
rois vous adresser une lettre, mais il n'en savoit pas précisément le
moyen. — Je viens de recevoir une lettre du Colonel Morrisson,
qui est à Compiègne avec le Duc d'York et qui me dit que vous
êtes actuellement chez le Prince de Condé. J'ai été deux fois chez
votre banquier, sans avoir votre adresse et sans me déterminer à
vous écrire si on me la donnoit. Croyez moi, Monsieur, je ne
manque pas de fierté, mais souvenez-vous d'une expression très
forte, dont vous vous êtes servi en parlant de l'Archevêque de
Cambrai I C'est ce que je sens pour vous ^.
Je ne connois rien des raisons de votre voyage, je suis très loin
d'en exiger le détail. Dites moi seulement si vous trouvez que
vous n'êtes pas malade, que vous n'êtes pas malheureux et que
vous croyez que je vous aime. Ma dernière lettre vous demandoit
une tranquillité sur votre compte que j'avois perdu, vous me la
donnâtes. Je la demande encore une fois ; une pareille occasion
ne se retrouvera pas, et vous n'entendrez plus parler d'un homme
qui étoit fait pour vous aimer, qui auroit mis ses délices à vous
donner quelque preuve de son amitié, et qui vous poursuivra jus-
qu'à son dernier soupir, avec les plus ardents souhaits pour votre
bonheur. Adieu Monsieur.
Dan. Malthus.
Je n'oublie pas Madi'i^ Levasseur, je ne puis que l'estimer, mais
dans l'humeur où je suis, je ne sais pas lui adresser un froid com-
pliment. Il y a dès expressions dans -cette lettre quî me choquent,
et dès autres qui ne disent pas ce que je veux dire. C'est ce que
je trouve en la relisant. J'écris dans une langue dont je n'entends
pas la force, mais si le cœur peut parler vous m'entendrez.
1 Lewis.
- Ro.ugemom. Cf. p. '219, XIII.
Cf. Œuvres, t. IV, p.' "178.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU îïg
XIIP.
Le 141^"^ Décembre 1767.
Est-il possible, Monsieur, que vous ayez reçu ma lettre, et que
vous me refusiez les deux mots que je vous demandois. Je ne
veux pas le croire. Je ne donne pas une fausse importance à mon
amitié. Ne me respectez pas, mais respectez vous vous même.
Vous laissez dans le cœur d'un être semblable au votre une idée
affligeante que vous pouvez ôter. Ce cœur qui vous aime si ten-
drement ne sait pas vous accuser. J'adressais cette lettre aux soins
de Mf Coindet. Si j'ét.ois bien assuré qu'elle vous fut parvenue, je
ne puis croire que je vous en eusse écrit une autre. Que je voie
ces deux mots de votre main et vous m'oublierez à jamais. Adieu
Monsieur!
Malthus.
Monsi" Rougemont me remettra une lettre : j'ai conservé une
copie de la lettre dont je parle et je vous l'envoie.
XI Y 2
24 Janvier 1768.
Je vous écris à la hâte, Monsieur, parce que je ne veux pas vous
faire attendre vos livres. J'espérois beaucoup de la bibliothèque
du fameux Osborne^, mais on vient de me dire qu'elle ne se ven-
dra qu'à deux mois d'ici. Je vous envoie Raii Methodus emendata
etaucta, et Morrison de plantis umbelliferis, ce qui est assez rare;
les deux derniers tomes ne le sont pas. Je ne sais pas si vous vou-
lez dire par Gérard emaciilatus, le titre du livre, car vous l'avez
souligné comme les autres; nos libraires ne connoissent pas ce
titre, et la seule bonne édition que nous ayons du Gérard, est
Johnson sur Gérard. Je n'ai pas pu la trouver, mais M"e Dalton
qui l'a, (sans aucun ménagement pour votre fierté) veut positive-
ment que vous l'acceptiez.
Cette édition moderne de Dillenius, qui n'a que les estampes
et la table, et qui se vend ici à 25 shillings, n'étoit pas faite, je
crois, dans le dessein d'y ajouter les descriptions, et ce sera peut-
être impossible de les avoir séparément. L'édition d'Oxford qui
1 A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
î A Monsieur \ Monsieur Renou.
^ Le principal libraire londonien de cette époque, mort le 21 août
1767.
220 ANNALKS DK I.A SOCIETE .(. .1. ROUSSEAU
est la meilleure comme vous savez bien se vend ici quatre gui-
nées, mais on ne la voit pas souvent chez les libraires. On a donné
depuis peu le Petivenus complet en deux volumes in-folio ; le
prix est de six guinées. Je mets dans le paquet un petit in-douze,
qui pourra vous servir à quelque chose, et qui se vendoit autre-
fois avec les deux in-folio de la vieille édition, et pour ceux-là,
vous pouvez les avoir à meilleur marché, mais la différence ne
sera pas très grande, et vous perdrez quelques additions. Les cent
planches, (mais n'y en a-t-il pas plus?) étoient faites pour le sys-
tème de Ray, et cependant tout est entremêlé de façon que je ne
puis pas trouver votre affaire, commie vous la voulez, quoique
j'aie bien feuilleté Miller, qui a acheté tout ce qu'il y avoit de Pe-
tivenus, pour le refondre dans cette nouvelle édition. J'attends
vos ordres touchant ces difficultés. Nous avons dans le genre des
planches, Miller à lo guinées, 25o plantes, les plus rares ou les
plus belles. Blackwell à 12 guinées, 5oo, celles dont on se sert
dans la médecine. Tous les deux enluminés. Il y a aussi Hills
British Herbal, avec des planches à dix guinées enluminées,
45 shil : simple toutes les plantes de la Grande Bretagne, et les
espèces étrangères. Il combat à chaque page le système de Lin-
née : il l'a approuvé avant, et depuis. Il vient de publier un Sys-
tema naturae, ouvrage magnifique, qui est entre les mains de très
peu de personnes. Je compte voir l'exemplaire du Duc de Nor- .
thumberland ; il n'y a que celui là, et un dans la bibliothèque du
Roi d'enluminés.
Ahl Monsieur, quel bonheur pour moi que cette lettre^ dont
vous parlez, ne fut pas mise à la poste. J'étois dans la Province
de Galles, je n'aurois pas volé à votre secours, vous offrir tous
mes faibles services, et vous soulager avec une tendresse que vous
n'eussiez pas refusée peut-être d'une amitié réelle. L'idée d'avoir
trouvé cette lettre à mon retour, me fait frissonner, et je sais bien
que j'en aurois le cœur rempli à cet instant.
Cette peinture flatteuse que je me suis faite autrefois de votre
séjour en Surrey, ne convenoit pas à moi, ni à un monde si peu
fait pour réaliser les tableaux de l'imagination. En. quelque par-
tie du monde que vous soyez, vous né pouvez jamais vous éloi-
gner de mon amitié. Rien ne sera plus doux pour moi que d'ap-
prendre de vos nouvelles, mais je vous .prie très sincèrement de
ne point vous gêner pour m'écrire. Je suis si loin de vouloir em-
1 Allusion à un passage inconnu de la correspondance. Probablement
Jean-Jacques, au moment de quitter Wootton, pensa se prévaloir des
offres de service réitérées-de Malthus en lui demandant son assistance
pour s'installer ailleurs.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 221
ployer vos instants à une futile correspondance, que je suis fâché
d'avoir occasionné l'apologie que vous daignez me faire. Mais non,
je ne mépriserai pas tant de croire que vous eussiez été tranquille,
sans m'avoir donné le repos que je vous demandois. Je suis cer-
tain que vous pensiez à moi, et que je vous ai fait sentir quelque
douceur, en le cherchant en moi-même.
J'aime plus vos commissions que tous les compliments du
monde, et à moins de 5 je ne vous aurois pas pardonné le mot
d'honneur. Madame Malthus est très flattée de vos souvenirs et
parle souvent de la journée en Derbyshire, elle a une impression
moins aimable de celle en Surrey. Je vous prie d'accepter de sa
part quelque chose de plus que des compliments.
L'Eté passé, je commençois à herboriser tout de bon, et comme
je n'avois qu'un peu de théorie, et quelques noms vulgaires, ne
voyant autour de moi que mon ignorance, je m'impatientois, et
pour quelques semaines, c'étoit une vraie fureur. Mais peu à peu
mes promenades devenoient plus calmes. La petite cousine qui
est botaniste à toute outrance, m'a aidé dans mes recherches, ma
chère Henriette et ses enfants en prenoient leur part, et nous fû-
mes quelque fois une famille herborisante, couchée sur la pente,
de cette colline que peut être vous vous rappelez. Enfin, j'ai re-
cueilli une grande partie des plantes de ce canton. Je ne suis pas
entré dans le labyrinthe des mousses, et les graminées que je
désirerois comme fermier de bien connaître, me sont d'une diffi-
culté horrible, Je me suis servi de Hudson's Flora Anglica, Lin-
naei gênera, Morison et quelques autres livres de planches.
L'hiver un peu de lecture (je sens déjà l'efl^et de votre lettre, car
je me suis saisi de l'Emile). Je fais de' grandes promenades avec
mes enfants. Je passe plus de temps dans les chaumières que dans
les châteaux du voisinage. Il y a toujours à s'employer dans une
ferme et à faire des petites expériences. Je chasse le renard, ce
que je fais en partie par habitude, et en partie de ce que cela
amuse mon imagination de quelque idée de vie sauvage. Cela me
fait parcourir une vaste étendue de pays charmant, et je n'ai pres-
que point de goût plus vif que celui-là. Je n'ai rien à faire dans
cette chasse aux exécrables querelles des seigneurs et des bracon-
niers et des seigneurs entre eux mêmes. Et je donne le change,
assez misérablement, je l'avoue à ma compassion, en ne voyant
presque point la pauvre bête que nous poursuivons et en la croyant
aussi malfaisante que nous. Je ne laisse pas d"y trouver toujours
quelque chose qui me blesse.
Vous voulez que je vous parle de moi et vous ne me dites pres-
que rien de vous même. Il y a des lettres sous votre nom qui pa-
222 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
roissent dans les papiers publics. Je ne parle jamais de vous
qu'aux deux aimables femmes que vous avez vues en Derbyshire,
et par la même raison je me ferois un crime de montrer une de
vos lettres. Il me seroit dur de croire qu'il n'entre que delà vanité
dans ce que je sens pour vous. — Cependant si jamais je suis
connu ce seroit sous le nom de Tami de Rousseau.
Il est bien tems de vous laisser à votre repos, mais je n'oublie-
rai pas de vous dire que je prends part très sincèrement à la joie
que vous avez de la convalescence de votre ami *.
s d
Morison L. o « lo « 6
[Petivenus 3 'J
Ray 4^^
14 « 6
Adieu Monsieur, — Ne vous reverrai-je jamais ?
Je compte d'aller à Dijon cet été, avec une partie de ma famille,
voir mon beau-frère et sa femme qui y sont.
En regardant de plus près le petit tome de Petivenus, je crois
qu'il ne vous servira de rien. Je ne viens pas à bout de compren-
dre vos cent planches ; il y en a bien plus si vous les prenez tou-
tes. Pour ce qui regarde Ray seulement, il y en a 72, 5o qui sont
peut être celles que vous avez, et 22 de nouvelles. J'ai mis dans le
Ray un avis de Millan qui vous éclaircira sur ce qu'il y a dans
l'édition complette. Il vient de me dire qu'il pense quelquefois à
donner des descriptions, etc. de Dillenius, — c'est lui qui a pu-
blié l'édition moderne que vous avez.
Lord Nuneham^.
I
A Londres ce 27 Janvier [1767.]
Je viens de recevoir votre lettre* dans l'instant Monsieur, et
je me rendrai incessamment chez Monsr Davenport. Pour preuve
Monsr de ma façon de penser à votre égard, permettez que je
1 Du Peyrou. Œuvres, t. XII, p. 44, à Guy, 2 5 déc. 1767
2 Biffé.
3 Cf. p. 17, n. 4.
* Œuvres,, t. XI, p. 40 3-, 24 déc. 1766. Nuneham était alors absent
de Londres; cf. p. 180, XVII.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 223
VOUS envoie une lettre que j'ai commencée il y a quelques jours,
mais que je n'avois pas finie ; je ne sais pas si vous l'entendrez,
mais je me flatte que vous me pardonnerez. S'il y a quelque chose
pour votre service ici, ne me ménagez pas ; recevez Monsieur,
les assurances de mon respect et de mon estime.
NUNEHAM.
A Londres ce lo Février 1767.
Selon votre désir, Monsieur, je me hâte de répondre à votre let-
tre, que j'ai reçue hier au soir et qui m'a fait un sensible plaisir ^
J'allois chez Mons' Wattelet, à Moulin-Joli,, quelques jours après
la publication de vos lettres et celles de Mr Hume, nous parlâmes
beaucoup de vous et d'elles, et il témoigna beaucoup de tendresse
et d'amitié pour vous ; je crois même pouvoir répondre que ses
sentiments pour vous ne sont point du tout changés et que son
attachement est véritable, car il m'en a parlé de façon à n'en point
douter.
Ne jugez pas Monsieur, de tous mes compatriotes d'après quel-
ques personnes de ce qu'on appelle bonne compagnie, gens qui ne
jugent jamais par eux-mêmes, et qui, n'ayant pour eux que le pré-
jugé des hommes en faveur des grandeurs et des richesses, ne
peuvent pas manquer de décrier celui qui méprise les seules cho-
ses dont ils tirent tout leur mérite ; vous avez beaucoup d'amis ici,
malgré tout ce qu'on a fait pour vous les ôter et parmi ce nombre
quelques-uns de la première distinction pour le génie et les talents.
Dans votre première lettre. Monsieur^ vous m'avez donné la per-
mission d'aider au détail de vos livres et de vos estampes. Si vous
le trouvez bon je me chargerai des dernières, car je connois beau-
coup d'artistes, et M'- Davenport n'en connoît aucun ; le meilleur
moyen à ce qui me paroit seroit de les faire évaluer par un artiste
et un vendeur d'estampes, afin de ne pas être trompé. Il y a aussi
une autre façon de les vendre. Il y a presque tous les soirs une
vente à l'encan, où sans qu'on sache à qui elles appartiennent, on
peut les ajouter au catalogue ; je ne veux cependant rien faire
avant d'avoir appris votre décision là-dessus. Mandez-moi, je vous
prie, Monsieur, si vous voulez que vous soyez nommé en cas que
je vende les estampes ; en tous cas, je ne veux pas m'en défaire
ni pour moins, ni pour plus que leur valeur réelle.
Je vous remercie, Monsieur, de l'offre obligeante que vous m'a-
vez fait, et j'accepterai avec plaisir les gravures de Mons'- Watte-
» Œuvres, t. VI, p. 416, 7 lévrier 1767.
2 24 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
let,'s"il ne me les avait pas données lui-même, si Madi'e Le Vas-
seur ne m'a pas oublié, faites-lui je vous prie mes compliments.
Agréez je vous prie, mes compliments et l'assurance de ma très
sincère estime.
NUNEHAM.
III >
A Londres ce 19 Février 1767.
Je suis charmé Monsieur que ma lettre vous ait fait plaisir, j'en
aurai toujours un très grand à vous être utile à quelque chose. Je
vous remercie. Monsieur, du présent que vous voulez bien me
faire ^ ; je l'accepte avec beaucoup de plaisir et de reconnoissance
et venant de vous, il me sera cher. Je garderai avec soin les gra-
vures de Monsi" Wattelet ; j'aurai souvent l'occasion de les l'ur
renvoyer si vous le voulez ; ou si je pouvois savoir quel livre de
botanique vous souhaitez peut-être pourrois-je trouver le moyen
de faire l'échange avec quelqu'un qui aime mieux les estampes
rares que des livres de cette espèce. J'ai vu votre ami Mr Daven-
port ce matin, qui m'enverra vos portefeuilles aussitôt qu'il les
aura dépaquetés ; vous pouvez compter Monsieur qu'en les ven-
dant, je ne consulterai que votre goût et que si je choisis quel-
ques-unes des gravures, je ne les paierai que le prix marqué,
j'espère que vous me rendrez la justice, de ne pas m.e croire capa-
ble de l'impertinence de faire autrement.
Dans toute cette affaire, il ne sera pas du tout question de vous,.
Monsieur. Je crains d'être trop tard pour la poste, sans cela j'au-
rois envoyé cette lettre à Mr Davenport pour vous la faire tenir,
ainsi je vous prie de m'excuser. Mes compliments je vous prie à
Mlle Le Vasseur ; s'il y a quelque chose pour son service ici,
j'exécuterai ses commissions avec plaisir. Agréez je vous prie,
Monsieur, les assurances de mon respect et de mon estime.
NuNEHAM.
A Londres ce 28 Mars* [Février 1767.]
Monsieur Davenport vient de m'apporter Mons"" vos portefeuilles*,
mais les estampes sont dans, un désordre affreux ; les bonnes et
> To I Monsieur Rousseau.
2 Estampes originales des œuvres de "Rousseau. Œuvres, t. XI. p,
421, 14 fév.
3 To I Monsieur Rousseau.
♦ Erreur; lire : février; cf. Œuvres, t. XII, p. 3, à Harcourt, 5 mars,
qui est la réponse de Rousseau à cette lettre.
5 Cf. p. 188, XXVI.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 22 D
les mauvaises impressions sont mêlées ensemble, et malgré mes
recherches je ne trouve pas une seule gravure de notre ami
iMons' Wattelet ; il faut que les officiers de la douane les aient
perdues ou prises. Heureusement il n'y a rien de gâté, ce qui
m'étonne voyant combien tout est dérangé. Demain des artistes
viendront les apprécier. Mes compliments je vous prie à M'ie Le
Vasseur. Agréez, Monsieur, les assurances de ma très parfaite
estime. Nuneham.
Le papier ci-joint est tombé d'un des portefeuilles. J'ai aussi
trouvé une découpure de Mons'' Hubert de Genève, je crois quelle
est de Mons'' de Voltaire, la figure est habillée en guerrier
Romain. Que voulez-vous Monsieur que j'en fasse ?
[du 7 au 12 mars 1767.] -
Monsieur Davenport, Monsieur, m'apporta Samedi encore
deux portefeuilles d'estampes, parmi lesquelles j'ai trouvé celles
de Mons'' Wattelet, que j'ai mises à part selon votre intention.
J'ai trouvé un grand nombre de gravures de Monsr l'Abbé St-Non,
je ne les avois pas, car elles sont rares, et puisque vous ne vou-
lez pas qu'elles soient vendues parmi les autres, je les garderai
pour moi, c'est un cadeau qui m'est fort agréable, et je vous en
fais Monsieur mes remerciements. Je suis charmé d'avoir trouvé
le portrait de Milord Maréchal ; je l'ai envoyé tout de suite chez
Monsr Davenport en le priant en même temps de vous l'envoyer à
la première occasion, et j'eSpère qu'il arrivera chez vous sans
accident. J'ai vendu déjà. Monsieur pour près de 9 guinées et
demi d'estampes. On ne m'aurait pas payé la moitié de leur
valeur, si je les avois cédé tout ensemble à un marchand aussi
j'ai pris le parti de m"en défaire à différentes personnes après
avoir marque le prix sur chacune, selon que ceux que j'ai employé
pour les évaluer, m"ont dit quelles valoient. Vous pouvez être
persuadé. Monsieur que je n'en ai pas vendu une seule, un sol
au-delà du prix qu'on payeroit dans une boutique ; pour toute
chose au monde, je ne voudrois pas abuser de la confiance que
vous avez la bonté de me marquer. J'en suis trop glorieux pour
v(.uiloir risquer de la perdre, et je vous fais mes très sincères
1 To I Monsieni- Rousseau.
2 Cf. Œuvres, t. XII, p. 3, â Havcouit, 5 mars 17Ô7; supra, p- 189,
12 mars. XXVII!.
2 2b ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
remerciments de ce que vous voulez m'employer, car comme je
connois tous les artistes, ce n'est qu'un amusement pour moi. Je
suis très fâché d'apprendre Monsieur que vous avez eu mal aux
dents, mais j'espère d'ailleurs que votre santé est bonne et pas
plus mauvaise que quand je vous ai vu à Londres, et que l'air de
ce pays ne vous est pas contraire. Agréez je vous prie, Monsieur,
les assurances de mon respect et de mon estime.
NUNEHAM.
Mes compliments à MH^ Le Vasseur.
VI
A Londres le 7 d'Avril 1767.
L'estampe qui me restoit, Monsieur, quand je reçus votre
lettre, ^ étoit le portrait de Mlle Clairon d'après le tableau de Carie
Wanloo mais par bonheur, j'ai encore celui du roi,' c'est de tout
ceux qu'on a fait le plus ressemblant et le mieux gravé, et il est
si rare que, malgré mes recherches pendant plus d'un an, je
n'avois pas pu le trouver pour un ami que j'ai en France qui me
l'avoit demandé ; ainsi j'avois acheté le vôtre pour le lui envoyer,
mais depuis que j'ai reçu votre lettre, j'ai repris l'argent que
j'avois payé et je garderai avec soin l'estampe jusqu'à ce que vous
me la demandiez. Vous avez évalué Monsr les gravures que vous
avez reçues de Monsr Ramsay beaucoup au-dessus de leur prix ;
le portrait du roi ne vaut que 5 shillings, et j'ai vendu celui de
l'amiral Bo'scawen 0:7:6 Lord Bath o : 2 : 6 Duke ofArgyle 0:2:0
Lord Bute o: 10:6. Quand Milady Spencer reviendra à Londres,
je vous dirai au juste Monsr pour combien j'ai vendu les autres
gravures anglaises, car c'est elle qui les a toutes achetées. C'é-
toient des portraits gravés par Houbraker dont la plupart se
vendent i shil. et les bonnes impressions dont il v en avoit
quelques-unes deux shil. chacune.
Parmi toute votre collection d'estampes, il n'y en eut qu'une
que je ne pus pas vendre aisément, c'étoit le portrait de Lord
Bute ; celui même qui l'a-voit gravé me disoit qu'il lui en restoit
encore 200 impressions et un autre marchand 'me disoit qu'il
avoit eu la folie d'en prendre plusieurs dans le tems qu'elles
paraissoient et qu'il n'avoit jamais pu se défaire que d'une seule.
La gravure cependant est belle. Je distribuerai l'argent que vous
avez destiné aux pauvres, quand j'aurai appris si vous voulez ou
non que je fasse une évaluation exacte du produit de la vente des
' Œuvres, t. XII, p. 8, 2 avril-
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 227
estampes que vous avez eues de Monsr Ramsay ; mais sachant,
Monsieur, que vous aviez mis trop haut la valeur, j'ai cru qu'il
me serait permis de prendre la liberté de vous avertir avant de
répondre à vos intentions charitables. J'ai été charmé d'appren-
dre par Monsr Davenport que vous aviez accepté la pension du
roi ; la façon dont elle a été donnée est digne de celui qui la reçoit.
Vous ne m'avez jamais mandé Monsieur dans quel état est votre
santé, ni comment vous vous trouvez de l'air du pays. J'apprends
que Mlle Le Vasseur ne se porte pas bien, et quel a dessein de
venir consulter quelque médecin de Londres. J'espère que je
saurai à peu près le tems de son arrivée, car qu'elle vienne seule
ou que vous l'accompagniez je serois fâché d'être absent. — A
qui voulez-vous que je paie l'argent qui vous- appartient? le tout
est de Lst. 16: 11 : 7, Agréez je vous prie Monsieur mes sincères
salutations. Nuneham.
VII 1
A Londres ce 7 Mai [1767.] ^
J'ai vu aujourd'hui, Monsieur, les gravures que j'ai vendues à
Milady Spencer ; elle a été à la Campagne, ce qui m'a empêché
de répondre plus tôt à votre lettre, et de vous payer l'argent que je
vous dois. Le prix des estampes que vous avez reçues de Mr Ram-
say, (le portrait du roi compris) ne monte qu'à Lst. i: i5:o;
je tâcherai de distribuer cette somme à ceux qui auront le plus
besoin d'argent et qui sont d'honnêtes gens. Je viens d'envoyer
chez votre digne ami Mr Davenport, pour savoir s'il étoit en ville,
et pour demander la permission d'aller chez lui demain ; mais on
me mande qu'il y a quinze jours qu'il est parti pour la campagne,
et comme je ne reste ici que jusqu'à mercredi je payerai l'argent à
mon banquier, et je vous envoie Monsieur, un billet^ que vous
pouvez changer en argent quand vous jugerez à propos en écrivant
votre nom sur le billet, ce sera alors comme un billet de banque.
C'est moi, Monsieur, qui vous dois des remercîments ; en me
témoignant de la confiance, vous m'avez fait le plus vrai plaisir et
je suis bien sensible à cet honneur. Recevez, je vous prie. Mon-
sieur mes très sincères salutations et mon respect.
Nuneham.
Si Monsieur Davenport est chez vous Monsieur, faites lui je vous
prie mes compliments ainsi bien qu'à Mlle Le Vasseur.
1 To I Monsieur Rousseau.
2 Rousseau n'était déjà plus à Wootton.
3 Rousseau le négocia en France, Œuvres, t. XII, p. 49, i3 janv. 1768.
ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
vm
A Nuneham ce 27 Juillet [17Ô7.J
Je me hâte Monsieur, de répondre à votre lettre^, que j'ai reçue
hier au soir, car je suis trop sensible à l'honneur que vous m'avez
fait, pour tarder d'un moment à vous en taire mes remcrciments.
Je ne saurois Monsieur, vous exprimer combien je suis touché
des marques que vous me donnez de votre amitié ; conservez la
moi toujours, elle me sera toujours chère, et je tâcherai de m'en
rendre digne.
Ayant été à la campagne depuis longtemps, et ne sachant pas
le lieu de votre retraite, j'ai été fort inquiet sur votre compte ;
mais j'ai appris depuis peu, la réception qu'on vous fit à Amiens
et cela me rassure un peu. Partout où vous serez je ferai des
vœux pour votre bonheur, et il me sera doux d'apprendre que
vous l'ayez trouvé.
Je crois, Monsieur, que le billet que je vous ai envoyé ne pour-
roit servir de rien dans le pays où vous êtes ; mais si vous le trou-
vez bon, je pourrois écrire à mon banquier à Londres pour payer
la somme à un de ses correspondants à Paris, qui vous fera tou-
cher l'argent, et je ne crois pas que Mr Foley qui est mon ban-
quier à Paris et qui connoît mon écriture, fasse la moindre diffi-
culté de le payer à vue, si vous voulez prendre la peine de l'en-
voyer chez lui.
Agréez je vous prie, Monsieur les assurances de mon attache-
ment et de mon respect.
Nuneham.
Que voulez-vous que je fasse Mons' des gravures de Monr Wat-
telet et du portrait du roi ? des occasions pour vous les envoyer
ne me mariqueront pas, en cas que vous souhaitiez les avoir.
Pourrois-je vous être bon à quelque chose dans ce pays-ci?
A Londres ce 22 Janvier 17Ô8.
Comme dans votre dernière lettre Monsieur, vous m'aviez
donné l'espérance de recevoir de tems en tems de vos nouvelles,
et qu'il y a bien longtems que je n'en ai point reçu, votre silence
m'inquiète trop pour que je puisse résister davantage à l'envie que
j'ai de vous écrire, et je ct)mpte Monsieur sur les bontés que vous
1 Œufvcs, t. XII, p.' 23, 10 juillet.
î A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 229
m'avez toujours témoigné, pour mon pardon, de ce que j'ai pris
cette liberté, sans en avoir reçu la permission. Ne sachant ni où
vous êtes, ni l'état de votre santé, je vous prie instamment Monsr
de ne plus me laisser dans l'ignorance sur ce qui m'intéresse si
véritablement. N'ayant pas trouvé M'" Davenport chez lui, et ne
l'ayant pas vu chez moi de tout l'hiver je n'ai pu apprendre les
motifs de votre départ ; si c'étoit le mauvais traitement que vous
avez reçu en Angleterre, qui vous obligea de quitter ce pavs, je
trouve que ma patrie est encore plus à plaindre que vous.
Faites bien mes compliments à MH'^ Le Vasseur et agréez je vous
prie Monsieur les assurances du plus sincère respect.
NUNEHAM.
ce 26 Janvier.
Cette lettre étoit déjà écrite et prête à envoyer à la poste ven-
dredi passé, quand on m'apporta celle que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'écrire en dernier lieu'; je ne pourrai trop vous remer-
cier Mons' des marques que vous m'avez donné de votre souvenir,
mais mon mauvais français ne me permet pas d'exprimer les sen-
timents de mon cœur. J'aurai soin de vous envoyer le portrait du
Roi à la première occasion qui se présentera pour vous l'envoyer
sans risque d'être perdu, et je crois que ce sera au départ de
Mons' Durand ministre de France'. J'accepte avec plaisir et re-
connoissance Mons'' les belles gravures de Monsr Wattelet, que
vous avez bien voulu m'offrir ; je les joindrai aux autres que vous
m'avez données, et je vous laisse à juger Monsieur si celui de mes
portefeuilles qui contiendra les estampes que je tiens de vous sera
celui dont je ferai le moins de cas. Permettez Monsieur que je
vous réitère les assurances de mon respectueux attachement.
Roustan'.
Monsieur, Il y a longtemps que j'aurois eu l'honneur de vous
écrire, si j'avois eu à vous apprendre quelque nouvelle intéres-
1 Œuvres, t. XII, p. 49, i3 janvier.
- Chargé d'affaires en l'absence de l'ambassadeur, comte de Guerchy
(The London Chroniclc. vol. XXI, n" 1627, May 7-0, 1767.}
^ Cf. p. 27, n. 5.
* To I M^ John James Rousseau \ at Wotto)i near Asbuiii in \ Der-
by shire.
23o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
santé que je pusse croire nouvelle pour vous, ou si j'avois pu pré-
sumer qu'une correspondance ecclésiastique put encor vous
plaire ; mais je sens avec douleur que mon ordre a eu de trop
grands torts avec vous, et moi trop peu d'occasions de me distin-
guer d'eux pour que j'aie droit que vous fassiés pour moi une
classe à part. Cependant la conscience secrette de mes senti-
mens pour vous, et le souvenir de l'accueil amical que vous nous
fîtes à Chesick, m'enhardissent à surmonter cette crainte pour
vous demander une grâce tant en mon nom qu'à celui de tous vos
amis de Genève : Vous n'ignorés pas sans doute les horreurs que
Mr Hume a eu la bassesse d'écrire de vous à Paris, la gazette de
cette capitale les a répétées, et par ce moien Genève en a été
imbue : Assurément nous ne mériterions guère que vous vous
donnassiés la peine de nous instruire, si nous vous soupçonnions
capable ue mériter les noms qu'il vous donne : sa conduite même
dépose contre lui, car quand vous lui auriés fourni de réels sujets
de plainte, tant que ces torts étoient entre lui et vous, un vérita-
ble ami, un bon cœur, un philosophe enfin, |si la philosophie
est quelque chose), ne se presse point de diffamer son ami dans
toute l'Europe ; c'est par son triste silence qu'il l'accuse plutôt
que par ses discours: Mais sans ajouter foi à ces viles imputations,
nous serions charmés de savoir quel en est le prétexte, et le res-
pectable Mr Abauzit m'a fait dire en particulier par Beau Château
qu'il espéroit en être instruit par mon moien : J'espère donc que
vous voudrés bien considérer que tous les coups qu'on vous porte,
sont autant de soufflets pour nous, et qu'en bonne équité vous
nous devés un bouclier pour les repousser : "Vous avés vu sans
doute la déclaration des Médiateurs en faveur du P. C* Elle vous
aura plus affligé que surpris ; il s'en est falu de fort peu que la
Bourgeoisie ne protestât contre, et pendant plusieurs jours on en-
voioit au Ei[iable] les commissaires et autres qui combattoient cet
avis; à la fin pourtant ils l'ont fait prévaloir, et leurs amis en Suisse
les ont assurés que cette modération leur faisoit beaucoup d'hon-
neur dans les deux Cantons^; mais un des Représentans m'écrit
qu'ils sont bien déterminés à rejetter, quoi qu'il, en coûte, le pro-
noncé final des Méd[iateurs,] s'il n'est pas équitable : Beau Château
me marque que quand on parle en Suisse, surtout à Zurich, d'em-
1 Le Petit Conseil, ou Conseil ordinaire, ou Conseil étroit, ou Conseil
des XXV. On trouvera la signification de tous les termes politiques de
ces lettres, dans les Œuvres, t. III, pp. 267-272 : Note sur la Constitu-
tion de Genève, analyse des ouvrages de d'Ivernois et de Picot, due à
Petitain.
2 Zurich et Berne.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 23 I
ploier des moiens violens, les Officiers disent publiquement qu'ils
ne marcheront pas contre leurs alliés, et qu'ils le sont non du XXV
ni du ce. mais du Conseil général. Usteri ^ me mande aussi que
les 2 Cantons se sont bien promis de ne pas permettre qu'on portât
atteinte aux droits du peuple : J'attens avec une mortelle impa-
tience ce que tout ceci deviendra, car franchement je crains plus
encore que je n'espère ; si vous souhaités que je vous communi-
que ce que j'apprendrai, vous n'avés qu'à me dire un mot : Pré-
sentés, je vous prie, mes respects à Mi'e Le Vasseur, donnés-moi
des nouvelles de votre santé, et agréés de nouveau les assuran-
ces du tendre attachement et de la parfaite estime avec lesquels
j'ai rhonneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéis-
sant serviteur,
A. J. ROUSTAN.
London Meard's Court Dean Street Soho ce 28^ Aoust 1766.
112
Londres ce ii« octobre 1766.
Monsieur, Au hazard même de vous être opportun, je n'aurois
pas différé si longtems à vous témoigner le plaisir extrême que
m'a causé votre dernière lettre ^ si je n'avois été bien aise de
pouvoir vous satisfaire en même temps sur la lettre que vous écri-
vîtes le 3o= Aoust dernier à Mr d'Yvernois*. Je ne manquai pas
de prier Mr Beau Château de s'en informer, et voici ce qu'il me
répond: « Mr D'Yvernois étoit parti pour un voiage ordinaire de
» commerce, lorsque j'ai reçu votre 1-ettre, il me communiqua la
» veille de son départ la lettre de M"" R. du 3oe Aoust, et je ne
" doute pas qu'il ne lui ait écrit, je ne sai rien de la lettre par Ami :
)' Aussitôt la votre reçue, j'allai en lire au respectable Mr Abauzit
» le morceau qui concernoit M"" Rousseau ; après l'avoir ouï, vous
* m'avés mis, me dit-il, du baume dans le sang ; faites mes com-
» plimens à M. Roustan, et priez-le de saluer très affectuevisement
» Mr Rousseau de ma part. » Mr Deluc Père me fait prier par le
même canal de vous dire qu'il espère que tout ira bien, qu'outre
son entière confiance à la Providence il voit dans les causes se-
condes plusieurs raisons de bien augurer, qu'il est bien aise que
1 Léonard Usteri, le correspondant de Rousseau; cf. p. 6, n. G.
^ To I M^ John James Rousseau \ at \ M^ootton in Derbysliire \ neav
Asbiirn.
" Œuvres, t. XI, p. 388, 7 sept.
* Œuvres, t. XI, p. 386.
232 ANNALES DP. LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
les choses aillent lentement, parce que les calomnies répandues
depuis fort longtems sur le compte de la Bourgeoisie, et qui lui
ont fait beaucoup de tort, ne se dissipent qu'à la longue, et avec
effort, et que la vérité se faisant jour, tout est gagné. Beau Châ-
teau finit en me chargeant de vous dire pour lui mille choses, que
son cœur vous suit en tous lieux et se trouve associé à toutes vos
peines ; je puis bien vous assurer aussi que je ne connois per-
sonne qui vous honore et vous chérisse plus que lui ; mais c'est
assés vous parler des autres, venons à moi.
Votre lettre m'a donné la joie la plus vive que j"eusse ressentie
depuis longtems, et par les assurances que vous m'y donnés de
votre estime qui me sera toujours infiniment chère, et par la dé-
monstration qu'elle m'a fournie du calme et de la paix intérieure
dont vous jouisses, en dépit de tous les orages par lesquels on a
voulu la troubler : Nous autres hommes vulgaires qui nous échauf-
fons si souvent pour des bagatelles, n'imaginons pas même qu'on
puisse tenir aux assauts que vous avés soutenus ; mais, grâces en
soient rendues à Dieu, je ne vous connoissois encore que pour un
grand homme, je vous connois maintenant pour un sage, et je
me console un peu de vos longues infortunes en pensant qu'elles
n'ont servi qu'à vous faire déploier toute l'excellence de vos ver-
tus. Non. jamais vous n'avés mieux montré la malice de vos en-
nemis qu'en me parlant d'eux comme vous l'avés fait, et la plus
amère satyre qu'on put faire d'eux seroit d'assurer qu'ils pour-
roient lire le morceau qui les regarde, sans rougir de confusion de
leurs procédés avec vous. Je voudrois pouvoir me juger capable de
la tâche que vous m'invites à prendre, mais j'en doute extrême-
ment; il y a bien de la distance, Monsieur, entre vous admirer et
vous imiter, et je penche fort à croire que l'Auteur d'un tel plan
est seul capable de l'exécuter ; non que je n'eusse grande envie
d'essaier au moins, puisqu'au contraire j'écrivois à Usteri il y a
quelques mois, que si, comme il n'y avoit que trop d'apparence,
la Médiation opprimoit la liberté à G[enève] je vengerois l'inno-
cence asservie, et crierois au voleur de toutes mes forces ; mais
vous verres trop, par ces expressions que ma tête, est encor bien
jeune pour suivre des conseils aussi' sages que les vôtres, je sens
qu'une histoire ne doit point être une philippique, et que crier est
le moien de n'être pas écouté ni cru; mais combien de fois en
voiant le meilleur parti, prend-on le mauvais ?
Je ne puis finir, Monsieur, sans vous communiquer une idée
qui, si elle est vraie, est bien propre à consoler un ami de la vé-
rité tel que vous : VcJus avés été persécuté ainsi que la plupart des
grands hommes ; mais' pourquoi? Parce que quand vous avés paru
LETTRES hi: DIVERS A ROUSSEAU 233
■dans le monde, le public régnant, les Docteurs, les Lettrés avoient
leur [siège] ' tout fait, et le moien qu'après avoir mis 40 ou 5o ans
à le former et renseig[ner ils] l'abandonnassent: Mais pour avoir
harcelé le Docteur, il ne s'ensuit nullement qu'ils étouffent sa
doctrine et vos écrits resteront. Monsieur, la postérité arriverii,
et libre des préjugés de ses pères, elle examinera impartialement
les pièces du procès, et vous rendra la justice que vous refusent
vos contemporains: Je n'ai pas la cruauté de souhaiter que vous
viviés assés pour le voir, vous avés mieux à espérer que de vains
éloges, mais je vous félicite de bien bon cœur du parti que vous
avés pris de laisser crier les sots et les fripons, et de ne vivre
plus que pour vous, en vous souvenant pourtant quelquefois d'un
disciple qui vous porte toujours dans son cœur.
A. J. ROUSTAN.
III2
Londres le 24e Novembre 1766.
Monsieur, J'aurois eu beaucoup plutôt l'honneur de vous ré-
pondre^ sans une espèce d'épuisement dont je fus surpris il y a
quinze jours, et qui m'ôtoit absolument le courage d'écrire : Grâ-
ces à Dieu, je me trouve actuellement beaucoup mieux, et je me
hâte d'en profiter pour vous témoigner combien votre confiance
nie touche, et avec quel plaisir je ferai tout mon possible pour
qu'elle ne vous soit pas absolument inutile ; ou pour mieux dire,
ce n'est pas tant à vous que je pense en cette occasion comme au
public et à moi ; je présume en effet que vous ne serés point fâché
que j'aie compris qu'il s'agit d'un ouvrage que vous ne voulés pas
dégner publier vous-même, et pour la publication duquel vous voulés
cependant prendre des mesures; or quand l'Auteur ne me seroit
pas aussi cher qu'il l'est, la nature seule de ses écrits me feroit
un devoir de contribuer de mon mieux à leur conservation : Je
suis sur que mon ami Ustéri non seulement s'y prêtera avec joie,
mais qu'il fera tous ses efl'orts pour inspirer les mêmes sentimens
à ceux dont besoin sera. Si la chose étoit pressée, je lui écrirois
tout de suite, mais comme vous me marqués qu'elle ne l'est pas,
j'attendrai sa réponse à ma dernière lettre du commencement
d'Octobre, et je vous manderai au plutôt ensuite ce qu'il m'aura
marqué.
Je vai maintenant vous demander un service que votre huma-
nité et votre patriotisme ne me permettent pas de croire que vous
' Déchirure.
' To I Af"' Rousseau at \ Wootton in Derbysltire neav | Asburn.
•' Allusion à une lettre inconnue.
234 ANNAF.es de la société J. J. ROUSSEAU
refusiés, c'est pour M"" Lamande, auteur du Dictionnaire des Né-
gatifs, dont vous avés sans doute entendu parler', et pour lequel
il a été condamné par contumace le 3« de ce mois à faire amende
honorable par toute la ville, cassé de la bourgeoisie, et banni à
perpétuité: Je n'ai point lu l'ouvrage, mais si j'en puis juger d'a-
près un grand nombre de traits qu'on m'en a cités, il ne méritoit
assurément pas un jugement si sévère : L'article de M"" de Beauté-
ville dont on a fait un si grand monstre, porte seulement que s'il
veut prendre avec un peuple libre et souverain un ton qu'on ne
soufTriroit pas à S^ Omer (dont il est Gouverneur) il pouvoit se
retirer ; mais il a osé dire que Rousseau avoit été sacrifié à la plus
indigne politique, et prouver que parmi ces Négatifs qu"on pei-
gnoit aux Médiateurs comme la fleur de la Bourgeoisie, il y avoit
bien des banqueroutiers, et autres canailles; vous comprenés que
le P. C. a été charmé d'avoir cette occasion de satisfaire toutes
ses petites passions en faisant sa cour à la France et à ses propres
suppôts : Mr Lamande est actuellement à Londres : mais quoi-
qu'il n'ait pas d'enfans, il n'est pas assés riche pour y vivre avec
M= son épouse, il se retire donc dans le Comté de Neuchatel, et
me charge de vous prier instamment de lui accorder une lettre de
recommandation pour Mr Du Peyrou, et de dire un mot en sa
faveur au Maréchal Keith la première fois que vous lui écrirés,
pour qu'il ait la complaisance d'en faire autant auprès de Mon-
sieur MicheP. Pardon, Monsieur, du petit embarras que je vous
cause, mais j'ai cru que rien n'étoit plus propre à adoucir vos
malheurs, que de vous fournir l'occasion de servir un Genevois
dont l'infortune a tant de raports avec les vôtres : J'ai l'honneur
d'être bien cordialement. Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur,
A. J.ROUSTAN Pr.
P. S. Comme M"" Lam. compte partir dans peu, si vous jugés
à propos de lui accorder la grâce qu'il vous demande, vous l'obli-
geriés doublement de la lui accorder le plutôt que vous pourrés.
Au reste, j'ai lu votre correspondance avec M^ Hume, et je trouve
que vous aviés bien raison de m'y penvoier.
> Par Lamande lui-même ; cf. Lettrés, C, Lamande à Rousseau,
3 oct. 1766.
2 Abraham Louis Michel succéda à Milonl Maréchal en qualité de
gouverneur de la Principauté de Neuchatel.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 233
IV'
Monsieur, Je suis chargé par commission de vous demander si
vous avés reçu les lettres de Genève passées par Paris en datte
du 25<=. 8bre et 7e. gbre en réponse à la vôtre du 16'= 7bre2. On me
prie aussi de ne vous pas laisser ignorer la détention de Mr Le-
nieps conduit à la Bastille le 20e. gbre à 10 h. du soir et qu'on a
mis le scellé sur tous ses papiers. Forcé de sortir je n'ai que le
tems d'ajouter que le nouveau règlement des Médiateurs doit
avoir été communiqué au Cons[eil] Gén[éral] avant hier ii^ Xbre,
qu'on s'attend fort à la rejection, et que je suis bien cordialement,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
J. A. ROUSTAN Pr.
Londres, ce iS^ Xbre 1766.
V3
Londres ce 20^ Xbre 1766.
Monsieur, J'ai été voir aujourd'hui M'' Voullaire* pour lui com-
muniquer ce que vous me marqués au sujet des lettres, il étoit
parti dès le matin pour Douvres, d'où pourtant son hôte m'a fort
assuré qu'il reviendroit dans peu, moiennant quoi je ne tarderai
pas de le voir.
Je partage d'autant plus le chagrin que vous cause la détention
de M'' Lenieps que je me regarde comme à la veille d'avoir à gé-
mir sur les malheurs de bien d'autres : Heureusement ou malheu-
sement tous mes amis sont Représentans, et je voi comme vous
les choses sous une face qui ne laisse guère lieu à l'espérance.
Non que si les Citoyens vouloient user de toutes leurs ressources,
ils ne fussent encore en état d'embarrasser fort leurs ennemis,
mais ils en font assés pour se faire écraser, et pas assés pour res-
ter libres.
Au lieu de s'attacher à tout prix les Natifs, ils ont vu et témoi-
gné qu'ils voioient de mauvois œil les démarches que quelques-
uns ont faites pour rentrer dans les droits qu'on leur avoit accor-
dés en 1788, et se faciliter l'entrée à la bourgeoisie ; heureusement
pour eux la Médiation a accordé si peu de chose aux Natifs qu'ils
sont en général aussi peu contens d'un parti que de l'autre, et ne
1 To \ M' John James Rousseciii at \ Wootton near Asbiirn in \ Dei-
byshire.
- Lettre inconnue.
^ To I A/' John James Rousseau \ at \ Wootton near Asburn in Der-
byshire.
* Cf. Lettres, C, Jean Rousseau à Rousseau, ?o sept. 1762, L
236 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. .1. ROUSSEAU
désirent que la fin d'un procès dont ils paient les frais en grande
partie sans pouvoir espérer d'y gagner rien.
Je puis d'autant mieux vous donner sur Mr D'Eyverdun les lu-
mières que vous désirés qu'il a vécu six mois de cette année chés
moi^ C'est un homme aimable, d'un caractère bon et facile, il a
la réputation d'homme d'esprit, et la mérite d'autant plus qu'il
n'y prétend point ; il est capable d'écrire médiocrement une feuille
volante, mais je le crois incapable de tout ouvrage qui demande-
roit de la profondeur ou de la force. C'est moins encore un sa-
vant que toute autre chose, il sait outre sa langue maternelle,
l'Allemand, le Latin, et assés d'Italien et d'Anglois pour pouvoir
lire et converser en ces deux langues-. Il a actuellement un petit
poste de Clerc dans le Bureau de M' le Général Conway. et dési-
reroit fort trouver un gentilhomme avec qui voiager. Il a eu été
Précepteur du fils du Margrave de Schweit, et a été obligé de
quitter cette place pour des raisons de santé. Au reste, Monsieur,
vous ne pouvés en efllét m'obliger plus sensiblement qu'en me
fournissant quelque petite occasion de vous témoigner mon atta-
chement, qui seul égale l'estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être
votre très humble et très obéissant serviteur,
A. J. ROLSTAN.
VF-
Londres le gf Février 1767.
Monsieur, Je ne croiois pas que mon respect pour vous put
s'accroître, M"" Davenport vient de me prouver le contraire; je
vous remercie mille et mille fois pour mes pauvres compatriotes
du riche don que vous leur faites* et qui, s'il étoit proportion-
nellement imité- par tous ceux qui le pourroiènt, les mettroit
dans une abondance égale à la misère à laquelle leurs barbares
ennemis s'efforcent de les réduire. Il y a près de quatre semaines
que de concert avec quelques autres Genevois je commençai ici
une collecte en leur faveur ; tout ce que nous avons pu ramasser
1 Cette enquête permet de substituer le nom de Roiistan aux***,
Œuvres, t. XI, p. 403.
- De retour en Suisse, Jacques-Georges Deyverdun (1734- 1789) joua
un rôle en vue dans le monde littéraire vaudois ; cf. Reynold, G. de,
Histoire littéraire de la Suisse au XVIII' siècle. I" vol. Le Doyen Bri-
del. Lausanne, 190Q, 8", p. 98.
s To. I M^ John Jamî!s Rousseau | at Wootton in Derbysliire near
Ashbiirn. \' Therc.
* Cf. p. 143, XXXII; p. i85, XXXIII et n. 3.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2.->7
encore se réduit à 5o Liv. st. Le malheur est que nos riches Négo-
cians sont tous Négatifs, et sont bien aises la plupart de se cou-
vrir de ce nom contre nos prières ; je me faisois une sorte de
scrupule de vous en écrire, sachant qu'indépendamment de la
cherté de toutes choses en ce pays, le port de vos livres vous
avoit coûté un prix exorbitant, et que cependant vous aimeriés
mieux vous incommoder que de manquer une occasion si noble
de faire du bien ; je n'ai point regret à mon silence, puisqu'il n"a
servi qu'à montrer mieux la richesse de la bonté de votre cœur.
J'ai donné ma pite aussi, bien inférieure à la vôtre, mais je puis
dire au moins que je n'ai jamais reçu argent avec autant de plai-
sir que j'en ai eu à donner celui-là. Hélas ! si les pauvres n'ai-
doient pas les pauvres, que deviendroient ces derniers ? J'ai aussi
essaie de plaider la cause de la République auprès d'un Ministre,
le malheur est que le Ministère est foible et qu'en général les An-
glois regardent de trop loin ou de trop haut les affaires du Conti-
nent. On recrute à force en Savoye, 12.000 fusils ont été transpor-
tés à Chambéry; Usteri m'a écrit que selon toute apparence les
Médiateurs, par leur futur prononcé, laisseroient au P. C. le droit
négatif, et ôteroient au peuple la ligne de N.[ouvelle] Elect.[ion|
dans le cas exposé dans leur dernier projet. Les Natifs même et
habitans ne peuvent mettre le pié sur terre de France qu'après
avoir été signer en P. C. qu'ils sont contens du gouvernement;
200 ont fait à la fois cette démarche, et quelques égrenés ont
suivi.
Je finis cette lettre par où j'aurois du la commencer, en vous
faisant mes excuses d'avoir tant tardé de répondre à votre der-
nière du 2Qe Xbre 1766'; je lus la 2e avec autant d'indignation
que de surprise; je ne suis pas moins convaincu que vous que
M. D'Ey Verdun ne fait que prêter son nom, et je garderoi pré-
cieusement cette pièce comme un moien de dévoiler, tôt ou tard,
vos honnêtes ennemis. Comme j'attendois des nouvelles de mon
ami de Zurich je ne lui ai pas encor écrit sur votre affaire, mais
comptant lui écrire dans une quinzaine de jours, je ne manquerai
pas de lui en parler, si je ne reçois de vous un contr'ordre :
M. Abauzit a mandé à Beau Château que Voltaire avoit eu ordre
de sortir des terres de France sur quelques nouveaux ouvrages
que l'on a saisis. J'ai l'honneur d'être bien cordialement, Mon-
sieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
A. J. ROUSTAN.
' Lettre inconnue.
238 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
VII 1
Monsieur, Pardon, je vous prie, si je vous fatigue si fréquem-
ment de mes lettres, heureusement celle-ci n'exige point de ré-
ponse, elle est uniquement destinée à vous apprendre que le désir
de faire connoissance avec vous, et s'il le pouvait, de vous être
utile, me procura la semaine dernière la visite de Mr le Général
Oglethorp^; la manière dont il me parla de vous, de Mr Hume,
du gouvernement, du triste état de Genève, de la Religion, auroient
suffi à me persuader qu'il étoit digne de mon respect et de votre
amitié, mais j'ai de plus en sa faveur le suffrage d'un Mr Hutton,
Anglois que j'avois connu beaucoup à Genève, que j'ai beaucoup
vu ici, et que je regarde comme un très-bon connoisseur en gens
de mérite, qui m'en a dit mille biens. Sur quoi je ne balançai pas
à lui donner votre adresse qu'il me demandoit ; il se propose, je
croi, de vous écrire et peut-être de vous aller voir. Je me suis
cru obligé de vous en prévenir, et j'espère que vous n'aurés pas
lieu de vous repentir de l'avoir vu. Beau Château m.e charge de
vous dire pour lui mille choses ; il m'apprend que les vivres sont
à un prix modéré : Mr Moultou pense à se retirer ici. Je vous salue,
Monsieur, et suis avec un vrai respect, votre très humble et très
obéissant serviteur,
A. J. ROCSTAN.
Londres ce lo^ Mars 1767.
VHP
Monsieur, J'ai l'honneur de vous écrire pour vous apprendre la
mort du vénérable M^ Abauzit, arrivée à Genève il y a près d'un
mois; elle a été- comme sa vie douce et paisible." Mr Moultou qui
l'avoit donne'e pour parrain au dernier fils qu'il a eu, se dispose à
en faire l'éloge ; on, imprime aussi de lui trois dissertations, la
première sur l'Apocalypse, les deux autres sur l'idolâtrie. Je le
trouve bien heureux d'avoir terminé sa carrière au moment où sa
patrie adoptive ' court un si grand danger de perdre sa liberté.
Permettes aussi que je vous félicite de la pension que le Roi vient
de vous accorder, elle l'honore, ainsi que vous, mais en particu-
' 7b I M' John James Rousseau \ at \ Wootton in Derbyshire near |
Ashburne .
-'James Edward Oglethorpe (i 696-1785), fameux philanthrope chanté
par Popej ami de Wàlpole, de Goldsmith, de Boswell, de Burke.
3 To I M' John James Rousseau \ at \ Wootton in Derbyshire near \
Asburn.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 239
lier elle justifie votre sagesse de ce caractère sauvage que vos en-
nemis se plaisoient à lui donner; vous n'avés rien voulu recevoir
de ceux qui prennent à leurs peuples, vous avés accepté de celui
qui n'a que ce que ses peuples lui donnent volontairement. Je
vous dirai aussi que le Petit Conseil a remis à M'" Vernes pour moi
mon exemplaire de l'Histoire de Genève, qu'il m'avoit demandé
à voir il y a six ans. Je ne sai comment expliquer cet événement,
et l'unique solution que j'y puisse donner, c'est qu'on veut me
piquer d'honneur. Beau Château me charge toujours de vous dire
pour lui mille choses. Je ne vous en dirai pour moi qu'une seule,
c'est que je suis bien cordialement, Monsieur, votre très humble
et très affectionné serviteur,
A. J. ROUSTAN.
Londres ce 5= May 1767.
P. S. — Etant l'autre jour chés M'' Maty^, M'' Hume y vint, y
parla beaucoup de vous, et avec beaucoup de modération ; il pa-
roit n'être pas à se repentir d'avoir poussé les choses si loin.
Mr Lucadou a reçu aussi quelques livres pour vous, et vous
prie de lui faire savoir à qui vous souhaités qu'il les remette ou
par quelle voie il doit vous les faire tenir. Il soupçonne que vous
avés quelque mécontentement contre lui, il en est fâché, et n'ima-
gine pas comment il y pourroit avoir donné lieu, pénétré, comme
il est, pour vous d'esti[me et] d'attachement.
Louis Dutens".
I
A Londres 12 Janvier 1767.
Monsieur, J'ai reçu le paquet ci-inclus de Mr Laliaud de Paris ^, et
saisis la première occasion de vous le faire parvenir par M'' Daven-
port, et comme Mr Laliaud et Mr Guy me donnent à entendre
qu'ils pourront m'adresser d'autres paquets pour vous, je vous
prie de m'informer si je devrai vous les faire passer par la même
voie, ou bien si (dans le cas que leurs paquets ne fussent pas
tout à fait si gros que celui-ci) vous voudriez par préférence les
» Le D"- Matthieu Maty (171S-1776), sous-bibliothécaire du British
Muséum, fondateur du Journal britannique, La Haye, 1 750-1753.
- Cf. p. 76, n. 6.
'^Précis pour Jean-Jacques; cf. Œuvres, t. XI, p. 414, à Dutens,
5 fév.
240 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
recevoir par la poste. Je puis taire affranchir toutes lettres ou pa-
quets au dessous de deux onces.
Je prie aussi M. Davenport de vous envoyer un ouvrage que
j'ai publié l'été dernier^ et que je ne regarde que comme un essai
sur le sujet que j'ai traité, susceptible d'être augmenté et perfec-
tionné. Je vous prie de le recevoir avec indulgence, malgré son
imperfection et comme un témoignage du respect et du dévoue-
ment avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très hum-
ble et très obéissant serviteur,
L. DUTENS.
Mon adresse est: A Monsieur Dutens, chez Monsieur Stuart de
Mackensie, Hill Street Berkeley Square, London.
II
a Londres ce 12 Février 1767.
Monsieur, M' Davenport m"a remis l'honneur de votre lettre*, et
je me conformerai exactement à la manière dont vous désirez que je
vous fasse parvenir les lettres ou paquets qui me seront envoyés
pour vous. Je ne manquerai pas aussi de communiquer à Mr La-
liaud, les raisons de votre silence à son égard, quoique je sois
convaincu que, sachant la résolution que vous avez prise de n'é-
crire que le moins que vous pouvez, il ne trouve pas mauvais que
vous ne l'exceptiez pas de la règle générale que vous vous êtes
faite.
Monsi" Davenport m"a commvmiqué le dessein que vous avez,
Monsieur, de vous défaire de vos livres et sachant que je suis un
peu bouquiniste, il m'a consulté sur la manière de s'y prendre,
afin de suivre.vps intentions à cet égard. 11 lutseroit impraticable
de les vendre en détail, sur l'estimation d'un libraire sans tomber
dans l'inconvénient que vous voulez éviter. Il n'a pas selon moi
d'autre moyen que de former une vente en règle, en cachant votre
nom, et je me suis offert à prêter le mien. Si Mr Daveijport paroit
en ceci, sa liaison avec Vous, et la nature des livres formeront un
soupçon que ces livres sont .les vôt'res, qui seroit très avantageux
à la vente, mais il me semble que vous craignez que cela ne dégé-
nérât en un abus trop favorable à votre bourse ; sur quoi je vous
avouerai que si l'on savoit que ce fussent vos livres qui seroient
exposés en vente, je ne doute pas que l'empressement d'acheter ne
fut jusqu'à l'enthousiasme.
' Recherches sur l'origine des découvertes attribuées nux modernes,
'■i Œuvres, t. XI, p. 41;!, 5 fév. 17(17.
, LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 24 1
Je ne vois pas au reste, que dans ce cas, vous eussiez la moin-
dre délicatesse à concevoir, et je n'envisagerois le bon effet que
cet empressement du Public produiroit pour vos intérêts, que
comme un témoignage évident de son estime, que l'on ne peut dé-
daigner ; cependant je ne fais que proposer humblement mon
avis, comme étant au fait du pays et de ces sortes d'affaires, et je
ne trouve rien de plus naturel, (après avoir dit ce que je pense)
que d'approuver fort que chacun voie par ses propres yeux; tout
ce qui m'importe. Monsieur, est de vous convaincre du plaisir
que j'aurois à vous être de la moindre utilité en toutes occasions,
et du zèle avec lequel je me porterai à vous prouver combien je
suis parfaitement Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur,
L. DUTENS.
Je VOUS prie de remarquer que la vente de vos livres peut se
faire sans que l'on sache à qui ils appartiennent; l'autre moyen
sera plus avantageux ; si vous voulez marquer ceux que vous dé-
sirez tomber en mains amies, je les prendrai moi-même sur l'es-
timation du Libraire, et vous serez toujours le maître de les re-
tirer.
III
à Londres ce 26 Février 1767.
Monsieur, Je n'ai pas répondu plus tôt à l'honneur de votre der-
nière lettre*, voulant avoir quelques chose de satisfaisant à vous
dire ; j'ai sondé quelques libraires et quelques amis sur l'achat de
vos livres, sans éclat et dans le dessein que le débouché s'en fit de
la manière que vous désirez. Je vois qu'il ne faut plus penser aux
premiers ; outre que votre nom paroît écrit sur le Frontispice de la
plupart de vos livres (ce qui frusteroit votre intention de garder
l'incognito en cette affaire) le plus honnête libraire est un vrai
Juif quand on lui propose d'acheter ; restent nos amis ; mais ceux
à qui Mr Davenport et moi parlons de prendre quelques livres,
sont seulement d'accord à en prendre une demi-douzaine etc., ce
qui rendroit la vente d'un détail très long. Ce que vous suggérez
dans votre dernière lettre à Mr Davenport, de les mettre dans un
coin de sa maison, seroit le meilleur parti, s'il restoit quelque
tems en ville. Pour moi, je n'ai point de maison; je suis chez
Monsieur de Mackensie, frère de My Lord Bute, mon protecteur et
mon ami, et j'ai une chambre dans sa maison qui ne pourroit pas
* Œuvres, t. XI, p. 423, à Dutens, 16 fév.
242 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
suffire à contenir tout ce que j'ai à y fourrer. Cependant il est
très possible de lever toutes difficultés. J'ai proposé à Mr Daven-
port une idée qu'il approuve fort. Il y a plusieurs livres sur votre
catalogue qu'il prendroit volontiers pour son compte; je me
chargerai de tout le reste aux conditions que je suis en état de
proposer, et qui s'accorderont avec votre délicatesse et la mienne.
Le choix de Mr Davenport une fois fait, nous évaluerons les livres
sur l'estimation de ces mêmes livres, tirée des diff"érents catalo-
gues des libraires avec les prix marqués. Tout libraire ici étant
dans l'usage de publier une fois l'an le catalogue de son fonds,
avec les prix, il n'y aura de différence à faire que pour l'état bon
ou mauvais dans lequel se trouvera tel ou tel livre. L'évaluatioa
se trouvera ainsi faite avec la plus exacte impartialité, ce qui vous
importe, et je suis résolu de ne pas insister à vous être utile de
toute autre manière que celle que vous choisissez vous-même.
()uelque soit la somme à laquelle se montent les livres, je prévois
que je me dérangerois à la payer comptant, mais si cela vous
accommode, je vous en ferai la rente viagère, pour laquelle je
vous donnerai les sécurités nécessaires, et ceci s'arrangera de fa-
çon que vous n'aurez aucun embarras ; il suffira que vous char-
giez Mr Davenport ou toute autre personne ici, d'en traiter avec
moi. La raison pour faire cette proposition est que je n'ai moi-
même que des effets mobiles et pensions et autres revenus (qui
meurent avec moi) pour environ 4 ou 5 cents Livres sterling par
an. J'ai d'autant moins de répugnance de vous parler à cet égard
avec ma franchise ordinaire, que je m'attends que vous en mon-
trerez une semblable à accepter, ou à refuser, suivant que la
chose vous conviendra plus ou moins. Le désir que j'ai de vous
témoigner mon zèle à vous servir, ne peut pas vous paroître in-
discret, lorsque je prend soin de le témoigner avec les circons-
tances qui me conviennent, et je vous en préviens afin que vous
n'ayez aucune difficulté à accepter en cas que la chose vous ar-
range.
Les livres ne sont pas encore déballés.J'ai promis à M"" Daven-
port d'aller les examiner ce matin chez lui, s'il vouloit les faire
défaire. Il seroit bon de savoir si les deux premières pages du ca-
talogue qui se trouvent rayées doivent être exclues dans l'esti-
mation et la vente des livres ^ Sur ce que Monsr Davenport m"a
tiit, l'Encyclopédie, qui étoit incomplète sur le catalogue, se
trouve completté.e depuis ; en ce cas c'est un article de plus de
« Liste des ouvrages de botanique que gardait Rousseau, cf. Œuvres^
t. XII, p. 3, 2 mars.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 248
3o Louis qu'il prendra pour lui-même. Nous vous prions Mon-
sieur, de nous faire savoir vos intentions sur le sujet de votre let-
tre, et de nous dire aussi ce qu'il faudra faire de tous les articles
incomplets qui se trouvent sur le catalogue ; il se pourroit que
vous eussiez eu avec vous les volumes qui paroissent manquer,
auquel cas il serait bon de les envoyer >.
Après tout de ce que je viens de dire, il se peut que vous puis-
siez nous suggérer quelque amélioration de l'idée qui nous est
venue, et j'attendrai avec impatience que vous vouliez bien nous
la communiquer, n'ayant rien de plus à cœur que de vous témoi-
gner avec combien de zèle et de respect, j'ai l'honneur d'être.
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
L. DUTENS.
IV 2
à Londres ce 3 Mars 1767.
Monsieur, Je viens de voir M. Davenport, et nous sommes enten-
dus ; je lui ai fait voir votre lettre : nous avons conclu après avoir mis
à part l'Encyclopédie pour lui-même, et ceux de vos ouvrages que
vous lui présentez, et retiré les livres que vous vous êtes réservés.
Le libraire Louis fera le triage des livres incomplets, sur le sort
desquels on décidera de manière ou d'autre ; et je me charge de
tout le reste ; j'en ferai (de concert avec Mr Davenport) l'évalua-
tion de la manière dont je vous ai fait mention dans ma dernière,
et avant la quinzaine vous serez informé du résultat de nos con-
férences ; en attendant vous pouvez regarder votre Bibliothèque
comme vendue entre M>- Davenport et moi, et Mr Davenport sera
débarrassé des livres en trois ou quatre jours d'ici, parce que de-
main j'empaquette une partie des miens pour la campagne afin de
faire place aux vôtres. J ai Thonneur de vous répéter qu'aucun de
ceux qui ont des notes en marge ne sortira de mes mains, pas
même pour les prêter, et lorsque vous voudrez en réclamer quel-
qu'un vous serez le maître. S'il s"en trouve quelques uns qui ne
soient pas dans ce cas, et qui soient des doubles de ma Biblio-
thèque, je me propose d'en effacer votre nom, s'il est écrit sur les
livres, et je me permettrai alors de les changer avec quelque
libraire qui ignore entièrement que le livre vous ait appartenu,
de sorte qu'il ne paroisse pas une lettre de votre écriture hors
dans mes mains.
' C'était le cas, cf. Œuvres, t. XII, p. 7, 26 mars.
' To I M' Rousseau | at Wotton \ Ashbornbag \ Derbyshire.
244 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
Le plaisir d'avoir quelques-uns de vos livres iqui me convien-
nent) est tellement confondu avec celui de vous être bon à quel-
que chose, que je ne puis pas les démêler bien précisément ; et si
le dernier motif entroit pour quelque chose dans ma résolution,
vous conviendrez, mon cher Monsieur, que je l'ai bien corrigé
par la liberté que j'ai prise de prescrire, pour ainsi dire, moi-
même, la manière dont je dois faire cette acquisition. Je suis
extrêmement sensible à l'opinion obligeante que vous voulez bien
concevoir de moi, et voilà déjà une obligation 'que je vous ai,
avant que vous me fournissiez quelques occasions de la recon-
noitre.
Notre pauvre ami Guy a été mis pour quelque tems à la Bas-
tille ; j'ai reçu une lettre de Paris par la dernière poste dans la-
quelle on me dit que c'est pour avoir introduit quelques mémoi-
res de Mr De La Chalotais ; ce qu'il y a de singulier, c'est que je
reçois aussi par la même poste une lettre de Guy datée de Paris,
dans laquelle il dit qu'une légère indisposition le retient à la
campagne; et oubliant qu'il a daté de Paris, il répète deux ou
trois fois dans sa lettre qu'il ne sera pas longtemps retenu à la
campagne. Ses affaires n'en vont pas moins leur train, et il n'en
paroît pas moins gay, de sorte que je prévois qu'il ne compte pas
rester longtems dans son nouveau gîte ; je ne vous en aurois pas
parlé, car je n'aime pas annoncer de mauvaises nouvelles, mais
j'ai craint que les gazettes ou quelque personne moins au fait,
ne vous l'apprit d'une manière moins satisfaisante.
Je finis à la hâte, étant interrompu ; je vous prie d'être persuadé
que personne n'est plus sincèrement et avec plus de zélé et d'at-
tachement que moi, Monsieur, votre très humble et affectionné
serviteur, .
L. DUTENS.
à Londres ce ig iyiars 1767.
Monsieur, Je ne sais si Mons'- Davenport vous aura écrit que nous
avions conclu l'affaire de votre Bibliothèque car j'ai été si fort oc-
cupé que je ne l'ai pas vu depuis huit jours, mais je passerai chez lui
avant de cacheter ma lettre. La dernière fois que je le vis, je re-
çus de lui le catalogue de vos livres avec les prix marqués par un
libraire, sur le pied qu'ils se devroient trouver marqués sur son
catalogue ; le tout (excepté ceux dont M^ Davenport se charge) se
montoit à 62 Livres sterling et quelques shillings, et j'y ai ajouté
3 Livres sterling pour le Platon que j'avois chez moi. Le livre de
VEsprit^ et tous les livres et papiers de rebut que le libraire avoit
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 24D
condamné à être vendus au poids, mais que j'ai voulu avoir, tant
à cause de plusieurs journaux et ouvrages périodiques qui s'y
trouvoient, que parce qu'ils y en avoit plusieurs qui avoient votre
nom en tête, ou des notes marginales de votre main. Il me reste
à vous proposer la manière du payement que je dois vous faire ;
et je vous prie de vouloir bien choisir l'une des deux suivantes.
Ou bien je vous payerai en trois fois les 65 Livres sterling, le pre-
mier payement à faire le 5e de Juin prochain de cette année, le 2d le
même jour de l'année 1768 et le 3^ aux derniers jours de Décem-
bre 1768. Ou bien je vous ferai une rente viagère de 10 Livres
sterling pour votre vie, ou la mienne. Je suis si peu au fait des
affaires d'intérêt, que quoi que je croye qu'un calculateur apper-
cevroit peut-être une différence sensible entre ces deux proposi-
tions, je n'y vois rien pour moi que mon arrangement qui se
trouve également dans l'une ou dans l'autre et je vous prie de me
dire ce qui vous fait plus de plaisir. Si vous acceptez le dernier,
je payerai la première année dès à présent à M. Davenport. Si
aucun de ces deux moyens ne vous plaît, vous me ferez un sensi-
ble plaisir de me le dire tout ingenuëment, et me suggérer votre
idée, qui pourroit peut être me convenir tout aussi bien que les
miennes.
Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien m'honorer de votre ré-
ponse au plutôt, car je dois partir pour Paris dans quinze jours
avec Madame la Duchesse de Northumberland, et je dois rester
quatre ou cinq mois en France avec son fils. Pendant ce tems je
vous offre la voie de mon ami, Mr Frédéric Dutens, pour recevoir
ici vos paquets de Paris, et vous les transmettre. Les craintes qvie
vous avez témoignées sur l'interception de quelques unes de vos
lettres me font prendre la liberté de vous offrir ce canal que je
regarde comme aussi sur que le mien propre. Je verrai à Paris
Mr Guy et Mr Lalliaud, et ceux de vos amis que vous souhaiterez
d'instruire de vos intentions, pour peu que vous vouliez me char-
ger de quelque commission pour eux; je vous prie d'être persuadé
que je me ferai un vrai plaisir, et pour eux, et particulièrement
pour vous, de pouvoir vous être de la moindre utilité. Je suis avec
la plus grande sincérité et le zèle le plus respectueux, Monsieur,
votre très humble et très dévoué serviteur,
L. Dutens.
J'ai apporté ma lettre, avant de la cachetter, chez M. Daven-
port qui m'a fait le plaisir de vous communiquer la nouvelle agréa-
ble que le Roi vous avoit accordé une pension de 100 Livres
sterling. La manière dont le Roi vous donne cette marque de son
estime m'a fait autant de plaisir que la chose même, et je vous
246 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
félicite de tout mon cœur de ce que ce bienfait est conféré du
plein gré de Sa Majesté et du Secrétaire d'Etat, sans que la moin-
dre sollicitation y ait eu part.
VI
à Londres ce 5 Nov. 1767.
Mr Frederick Dutens est prévenu ' sur l'omission du lieu de la
date qui sera observée dans les lettres de change que Monsr Rous-
seau tirera sur lui, cela ne formera aucun inconvénient, et
Mr Guy pourra faciliter le passage de ces lettres. Mr Dutens *
souhaite fort se conformer à tout ce qui pourroit faire le plus de
plaisir à Monsieur Rousseau, pour lequel il ne cessera point
d'avoir un zèle toujours prêt à se manifester dans les occasions
où il le jugera propre à le servir.
VII
A Newcastle ce to Février 1768.
Mon cher Monsieur, J'ai reçu ici votre billet obligeant ' et j'ai ap-
pris que mon cousin *avoit payé à Londres votre petite lettre de
change. J"étois surpris de n'en point avoir de nouvelles, et suis fâché
que la raison de ce retardement de votre part tourne à votre désavan-
tage ; ainsi je vous prie de bien vouloir en tirer une autre semblable
au mois de mars prochain ; la suivante sera, si vous le trouvez bon
ensuite, au mois de Janvier de 1769. Il me flatte que vous vous
apercevrez par la suite qu'il vous sera plus commode d'avoir un
lieu sûr, où vous puissiez recevoir cette petite rente, parce que de
quelque endroit que ce soit vous pouvez tirer sur Londres, au
lieu que je suis errant, et le serai probablement encore quelques
années, avant de me fixer ici à Newcastle, qui m'a fort l'air d'être
un jour mon domicile. Je pense à aller en Italie à la fin de cette
année, et je passerai à Genève, où je m'arrêterai quelque tems.
J'y fais imprimer une édition complète des Œuvres deLeibnitz en
6 vol. in-40, dont cinq sont déjà imprimés, 'c'étoit une chose
désirée depuis fort longtemps. Je me propose de rester une quin-
zaine de jours en cette ville (Genève) que je n'ai jamais vue. J'y
verrai des gens prévenus contre moi, parce que lorsque j'avois
» Œuvres, t. XIII, p. 42, à F. Dutens, 16 oct. 1767.
-. Louis Dutens; Ce billet est de son écriture.
■'Inconnu.
* Frédéric Dutens, cf. la lettre suivante.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 247
l'honneur d'être chargé des affaires du Roi d'Angleterre à la Cour
de Turin ', je refusai de servir vos ennemis auprès du roi de Sar-
daigne, dans quelques affaires qu'ils avoient à solliciter auprès de
lui ; peut-être que l'occasion pourroit exiger de moi de renouve-
ler quelques discours sur ce sujet, mais je ne serois pas fâché de
savoir jusqu'à quel point il vous seroit agréable qu'un homme qui
vous aime parlât sur un sujet aussi délicat dans un public tel que
celui de Genève. Si je retourne heureusement de ce voyage, qui
durera environ deux ans, je compte me fixer en cette ville qui est
le pays de la liberté, la bonne foi, la bonté de cœur et l'hospitalité.
On ne peut en dire trop de bien, et je suis sûr que si vous aviez
premièrement débarqué ici, vous y seriez encore. — J'ai reçu der-
nièrement une lettre de Mr Davenport qui. m'a fait espérer que
vous pourriez bien revenir en Angleterre. Savez-vous bien, mon
cher Monsieur, que Newcastle est le lieu qui vous convient, et
que s'il se trouvoit que Mr Davenport eut bien prévu, et que vous
fussiez sur le point de partir, je serois, (jusqu'au mois de Septem-
bre) à tems de vous faire les honneurs de cette ville et de vous y
bien établir? Cette idée me plaît très fort, et vous me direz ce que
vous en pensez.
Adieu, mon cher Monsieur, je croyois ne vous écrire que deux
mots, et voilà une lettre de trois pages. Je vous prie de me conti-
nuer votre amitié, de compter sur la mienne et de me croire tout
à vous.
L. DUTENS.
Frédéric Dutens.
Voici Monsieur un paquet que j'ai reçu pour vous de Paris,
sous le couvert de Mr Valete, qui me prévient qu'il pourra con-
tinuer à m'en faire passer. Je me servirai pour vous les acheminer
de la même voie que celle par laquelle la présente vous par-
viendra.
C'est un vrai plaisir pour moi, Monsieur, d'avoir la moindre
petite occasion d'être utile à une personne de votre mérite, et si
vous souhaitez me faire passer vos réponses pour France, je les
enverrai au dit Mr Valete qui aura soin de les remettre.
J'ai l'honneur d'être, avec une vraie considération, Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur
Fred. Dutens.
Londres 3i. 8bre. i-jGG.
' 1760- 1762; 1763-176C).
248 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Mary Dewes^
C'est ici Monsieur la première fois que je me suis mise à bro-
der, aussi je me doute bien que mon coup d'essai soit digne d'être
présenté à un chien du mérite de Sultan, auquel je destine ce pe-
tit collier qui m'a tant de fois amusé avec plus d'adresse et d'es-
prit que plusieurs d'une espèce qui se piquent de leur raison. Je
lui aurois adressé peut-être ce billet, mais je ne me souviens point
de l'avoir jamais vu se soucier beaucoup de lire, et si les écrits
de son maître ne lui ont suscité cette envie puis-je espérer qu'il
daignera jeter les yeux sur les miens. Ayez donc la bonté, Mon-
sieur, en lui mettant sur le col ce petit ornement, de lui faire
comprendre combien je suis reconnoissante des soins qu'il a pris
de me divertir à Cahvich, et acceptez vous même mes plus sin-
cères compliments.
Je suis Monsieur votre très humble servante.
Mary Dewes.
Novembre 29 1766.
IP
Mademoiselle Dewes fut extrêmement mortifiée qu'elle étoit sor-
tie quand Monsieur Rousseau eut la bonté de passer ici ; elle se
flatte que c'est seulement le mauvais tems qui l'empêche d'avoir
le plaisir de le voir à Calwich. Mon oncle me dit que vous me fites
la grâce de mettre dans votre poche le livre des Plantes pour me
le monter; mais quoique j'aie perdu cet amusement, je suis très
sensible à votre attention et je vous en rends mille grâces. Mon
oncle m'ordonne de vous faire bien des complimens de sa part.
Je ne tâcherai point d'excuser mon mauvais François, car je sais
que les savans sont toujours favorables aux ignorans.
IIP
Mademoiselle Dewes fait ses complimens à Monsieur Rous-
seau et elle espère qu'il n'a pas souffert par le voyage qu'il entre-
prit hier pour elle ; le chemin lui a semblé trop court par l'agréa-
ble conversation de Monsieur Rousseau. Madame la Comtesse
' Cf. p. 62, n. 2.
- A Monsieur \ Monsieur Rousseau. — Page encadrée de guirlandes
de fl£urs stylisées rouges avec feuillage vert.
■' A Monsieur \ Monsieur Rousseau.
* A Monsieur | Monsieur Rousseau.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 249
Cowper et mon oncle m'ordonnent de vous faire bien des com-
plimens de leur part.
Je suis votre très humble servante.
Ce Samedy *.
IV 2.
M. Dewks.
A Welsbourn le 18 Xbre 1766.
Votre billet^ Monsieur demande mes plus sincères remercî-
ments ; il m'est doublement agréable et par son propre mérite et
parce qu'il me flatte la vanité d'en recevoir de Monsieur Rous-
seau. Vous dites trop sur le petit collier qu'il ne mérite. Je n'avois
pas assez de vanité à me croire capable à travailler à quelque
chose qui seroit digne de votre acceptance, c'est pourquoi je le
destinois à Sultan.
Je vais toujours à Cahvich avec beaucoup de plaisir mais il sera
extrêmement augmenté par l'espérance de vous y voir. Je dois
vous demander pardon pour mes bévues dans une langue à la-
quelle je ne suis pas accoutumée. Je ne vous écris point en bon
François, mais je le fais de bon cœur ; il me donne moins de
peine à montrer mon ignorance qu'à paroître ingrate, mais je ne
veux pas abuser de votre patience plus longtems qu'à vous assu-
rer de la sincérité avec laquelle je suis. Monsieur, votre très hum-
ble servante.
Mary Dewes.
V*
[Cahvich, 6 of Nov. 1767.] ^
Sir, I think I may with truth accuse you of injustice, when you
challenged me to show you this year the impression of your seal
which you gave me last. What then must hâve been mv dissap-
pointment at finding you were gone, just as I was flattering mv-
self with the pleasing expectation that I should hâve it in my po-
wer to convince you I was not totally unworthy of the notice you
were so good as to honor me with, by showing you that there
was no impression of Monsieur Rousseau however slight, that
'6 décembre 1766? Cf. la réponse de Rousseau: Œuvres, t. XI,
p. 353.
- A Monsieur | Monsieur Rousseau.
''' Œuvres, t. XI, p. 401, q déc.
* A Monsieur J. J. Rousseau \ at Af"" Josua Rougemont \ Banker in
Green Lattice \ Lane near Cannon Street \ London.
s Cf. Lettres, C. Granville à Rousseau, 6 nov. 1767, III, P. S., p. 25i.
2 DO ANNALKS DE LA SOCIHTE .1. .1. ROUSSEAU
would not with me prove a lasting one ; I call my Uncle to bear
witness of my having your seal, which I would send you, but
that I value it too much to part with it*. I will only add my sincère
wishes for your health, and that you may receive as much happi-
ness as you bestow on others.
I am, Sir, your most obedient servant
Mary Dewk;
Gran ville ^.
Calwich i6 Janv. 1767.
Monsieur Granville est impatient de savoir comment se portent
ses amis à Wooton, et espère que ce terrible tems ne leur fait pas
beaucoup de mal, car il faut que tout le monde souffre un peu.
Il envoyé un dindon et deux bouteilles, une d'Arrack des Indes
Orientales, l'autre de Rhum de Barbades, il ne faut pas gronder,
car il ne faut pas laisser un étranger et voisin périr, dans un gel
russien qui n'attendoit pas un tel neige. Si vous avez aucune
bienveillance pour Mr Granville, sans cérémonie, envoyez pour
aucune chose qu'il a pour votre service. Il tue demain un mouton,
si vous voulez avoir une partie, envoyez chercher, vous lui don-
nerez le plus grand plaisir du monde. Ses meilleurs souhaits
attend M'' Rousseau, et il sera fort heureux si M' Rousseau a la
bonté de pardonner toutes ses impertinences. La neige est d'une
profondeur incroyable entre nous, autrement je n'aurois pas été
si longtemps sans une promenade à Wooton ^.
II«
A Bath 9 mars 1767.
11 m'est autant difficile d'exprimer mes reconnoissances, que le
plaisir que votre lettre ' m'a donné ; quelle bonté, de vous souve-
nir d'une personne qui n'a d'autres prétentions que les plus vifs
ressentiments de tous les avantages que j'ai eu ayant yn tel ami.
Entre plusieqrs de vos amis qui sont icy, qui vous sont incon-
nus, il y a un Mr Brand qui étoit fcfrt réjoui de savoir de vos nou-
velles. Il m'a dit qu'il avoit le bonheur de vous voir en revenant
1 Réponse de Rousseau, Œuvres, t. XII, p. 53, 25 janv. 1768.
- Voir aussi sa lettre de 1776, p. 100, n. i .
3 Cf. p. 59, n. 6.
* A Monsieur | Monsieur Rousseau.
s Réponse de Rousseau, Œuvres, t. XI, p. 424, 16 janv. [fév.]
6 A Monsieur \ Monsieur Rousseau | A Wooton.
7 Œuvres, t. XII, p. i, 28 fév.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 25 l
de Scarbrough. Je dois quitter Baih dans trois semaines et après
un séjour à Londres de huit jours au plus, j'espère avoir le plaisir
de vous voir en bonne santé et Mad"<^ Vasseur à qui je présente
mes compliments et mes remerciements.
Permettez-moi d'ajouter mes plus sincères souhaits.
Bernard Granville.
m
Calwich, 6 of November lyô/.
Non Monsieur, je ne suis point ingrat pour l'honneur de votre
souvenance, mais depuis que j'ai reçu ce cher témoignage de vo-
tre amité*, j'ai été fort malade du rhumatisme dans mes mains,
que je ne pouvois manier la plume, et qui est la raison que je suis
51 tard avec mes remercimens.
J'étois bien convaincu de la sincérité de votre cœur, mais com-
me je ne croyois pas mériter un tel bonheur, je ne pouvois me
flatter de recevoir une telle consolation, la seule qui peut en au-
cune manière adoucir la peine que me donnoit votre éloigne-
ment.
J'espère que vous avez trouvé un azile tranquille et selon votre
goût 2. Quoique je me trouve un peu rétabli dans ma santé, mes
mains sont encore trop faibles pour écrire davantage à présent,
que les plus ardents souhaits et respects vous attendent tou-
jours de
Bernard Gr.\.\ville.
Ma nièce veut vous parler aussi.
Jean Rousseau '.
I
Dans le courant d"Aoust j"ai reçu enfin, mon très cher cousin,
• Œuvres, t. XII, p. 27, i" août 1767.
2 Réponse de Rousseau, Œwres, t. XII, p. 52, à Granville, 25 janv.
1768.
3 Cf. p. 17, n. 7. Son adresse était : 5^)»'*' Coffee Hoitse, Exchange
Alley. iJean R. à J. ./. Rousseau. Lettres inéd., 18 oct. 1761. Bibl. de
Neuchâtelj, et depuis la fin de 1764:^^ M' Colombie's Négociant {id.
7 déc. 1764; 10 oct. 1765; id.), in Bishopgatc Walk Old Bioad Street
(Dastier à J. J. Rousseau, 16 sept. 1766. Lettre inéd., Bibl. de Neu-
châtelj. Cette lettre est la quatrième de celles écrites par Jean Rousseau
à son cousin. Nous la donnons à cause des appréciations sur l'Angle-
terre, dont on retrouve maints échos dans la correspondance de Jean-
Jacques.
202 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
votre lettre du 24 Fév. dernier. ' Par la description que vous me
faites de votre état, il me paroft être d'autant plus fâcheux, que je
crains fort qu'on ne puisse vous procurer le soulagement néces-
saire. Avez-vous essayé les bougies ? Je connois des gens à qui
elles ont fait beaucoup de bien. — Vous me marquez en même
temps que Messes Voullaire ^ ne vous avoient pas alors encore
remis la copie des lettres au Consistoire^; vous les aurez reçues
depuis sans doute, sinon je vous en enverrai une autre copie.
Quant aux fables de La Fontaine, traduites en vers latins, j'en
ai parlé à M"" le Dr Maty, au libraire Becket et à d'autres, en leur
montrant l'échantillon; ils m'ont tous répondu également que
cela ne convenoit absolument point pour ce pays, où la littérature
latine est encore plus hors de mode qu'en France ; l'Allemagne je
pense sera le pays propre pour cet ouvrage, dans lequel je doute
fort qu'on ait pu imiter les beautés naturelles de l'original.
J'ai reçu avec bien des remerciments et lu avec applaudissement
et admiration votre Contrat social ; qu'il me seroit agréable de
pouvoir m'étendre sur nombre de passages qui m'ont vivement
frappé, mais une lettre n'est pas propre pour cela. Je suis très
charmé que mon cousin Rousseau ait fait à la face de l'Europe
un si bel éloge de Calvin, dont des âmes basses et vénales ont
osé insulter à la mémoire. Qu'il est flatteur pour moi d'avoir dans
mes lettres au Consistoire pensé de même au sujet du plus grand
homme qu'il y ait eu dans l'église depuis la Réformation, et dont
le vaste génie métamorphosa nos ancêtres, de débauchés et de
courtisans qu'ils étoient en bons chrétiens et en dignes citoyens.
Je suis Calviniste, mon cher cousin, malgré les faiblesses de ce
grand homme, je ne cesse de l'admirer ; j'ai adopté ses principes
en général jusqu'à ce qu'un autre, par des efforts encore plus
merveilleux que ceux qu'il opéra chez nous me prouve qu'il étoit
dans l'erreur.. — Vous avez vu les détails que je vous donne de
notre famille. Depuis j'ai appris avec la plus vive joye, que par un
effet des derniers ressorts que nous avions fait jouer, les affaires
se remettent sur un meilleur pied, et on se flatte dit-on- que cela
continuera. Dieu le veuille. Le tems vous avoit-il. permis d'écrire
à Genève pour cet effet ; en ce cas je' serois charmée de connaître
' Lettre inconnue.
2 Antoine Voullaire et fils, rue Quincampoix, Paris, cousins des
Rousseau (Jean R. à Rousseau, 3i janvier 1762; mai 1764. Lettres inéd.,
Bitl. de Neuchàtel.)
3 Jean y combattait l'établissement du théâtre de Châtelaine, en
s'inspirarit des principes' de son cousin. {Id. i3 oct. 1 761. Lettre inéd.,
id).
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2 53
l'honnête homme dont vous vous seriez servi, pour lui témoigner
comme je le dois ma juste reconnaissance.
J'étois au comptoir, lorsqu'on m'annonça le coup fatal qui
venoit de vous frapper ^ Incertain, si vous aviez pu échapper au
danger qui vous menaçoit, la foudre qui seroit tombée à deux pas
de moi n'auroit pas pu faire sur moi une plus vive impression :
ce furent les gazettes mensongères d'ailleurs qui me tirèrent de la
situation ou je me trouvois pendant quelque tems. Elles m'annon-
cèrent votre arrivée à Genève et ensuite avec vérité dans le comté
où vous êtes maintenant. Tout le monde me demandoit de vos
nouvelles, je ne savois que répondre et ce ne fut qu'en consé-
quence d'uhe lettre aséez vive que j'écrivis-à mon frère, qu'il dai-
gna m'en donner à la fin. J'allois vous écrire lorsque Mr Petitpierre
qui vient d'arriver m'a fait le plaisir de me remettre votre lettre
du 27 passé 2 ; les nouvelles publiques n'avoient annoncé ses
malheurs. Il v a une certaine satisfaction de s'intéresser pour les
honnêtes gens persécutés, ainsi ferois-je suivant mon pouvoir
borné ce qui dépendra de moi pour lui être utile.
Nous ignorons ici la cause secrète de vos disgrâces ; si vous
pouvez me la communiquer sous le sceau du secret, je n'en
parlerai à âme vivante, à moins que votis ne me releviez vous
même de mon silence. Si cette cause n'est pas de nature à être
révélée, je ne voudrois pas pour tout au monde commettre une
indiscrétion. Je pense à peu près d'où le coup est parti, c'est ce
que je craignois depuis longtems.
La démarche que vous avez faite auprès de Mr le Pasteur de
MontmoUin est d'autant plus de mon goût ainsi que la copie d'une
lettre que vous lui aviez écrite, qu'on m'a envoyée de Paris, que
j'étois dans le dessein de vous prier de faire une semblable dé-
marche. Dieu veuille quelle produise un bon effet chez nous, et
que l'acharnement qu'on a témoigné, se change en une hono-
rable invitation de rentrer dans le sein de notre commune patrie.
A l'égard d'Emile que je lis et que je relirai, ainsi que tous les
ouvrages de mon cher Cousin, voici deux opinions qu'on en a
conçu dans ce pays.
Emile est aussi goûté qu'aucun autre ouvrage que M"" Rousseau
ait fait, preuve de cela c'est qu'actuellement il s'en fait deux diffé-
rentes traductions en Anglois, on y trouve des beautés partout,
mille chose très utiles, des traits admirables, des leçons excel-
1 L'arrêt du Parlement do Paris décrétant l'arrestation de Jean-
Jacques.
2 Lettre inconnue.
254 ANNALES DK LA SOCIlh'K .1. .1. ROUSSEAU
lentes ; mais quant au plan général d'éducation, nos gens ne
l'approuveront ni ne l'adopteront, par la raison qu'un étranger en
est l'auteur, prévention qui va ici plus loin qu'on ne pense et qui
ternit leurs meilleures qualités.
Ceci nous mène insensiblement à l'azile qu'on vous presse de
chercher dans ce pays. Quel bonheur et quel plaisir ne seroit-ce
pas pour moi d'embrasser mon cher cousin, de le voir et de pro-
fiter de ses avis et de ses leçons. Mais quelque flatteur et quelque
agréable que fut pour moi un tel événement, puisque vous me
demandez mon opinion, je vais vous la donner telle qu'en cons-
cience je crois devoir le faire.
Je ne parlerai point de la fatigue d'un si long voyage, du pas-
sage de la mer, ni du changement de climat, à votre âge, avec
les incommodités que vous avez. Je ne m'étendrai pas non plus
sur la différence de la langue, sur la nécessité où vous seriez de
demeurer à quelque distance de la ville, pour ne pas être suffoqué
de la fumée, et pour être à l'abri des importuns et des fâcheux ;
du peu de secours par conséquent que vous retireriez de votre
garde ou gouvernante à qui vous seriez obligé de donner un
adjoint qui parlât les deux langues. Tout cela augmente la dé-
pense, ainsi il faut que pour venir vous établir ici vous puissiez
compter sur L. 200 ou tout au moins cent et cinquante livres ster-
ling par an de fixe et assuré et encore vous feriez bien maigre
chère svir ce pied là, en comparaison du lieu où vous êtes. Je ne
parlerai point non plus de la perte que notre patrie feroit, ainsi
que notre famille et les bons amis que vous avez encore en France
qui ne verroient pas cela de bon œil. Mais je viens à ce que vous
me marquez que des gens de distinction vous pressent et sollici-
tent. Je sais un nombre infini d'exemples que ces gens-là, svir
leur fumier n'ont pas tenu parole, se piquant généralement d'avoir
un mépris singulier pour les rares étrangers; ainsi je vous prie de
ne pas faire fond sur la parole seule de ces gens-là. Quant au
corps de la nation dont vous voudriez savoir si vous seriez vu de
bon œil, je vous dirai naturellement que pour être souffert, il
faut se plier en tout et partout à leur humeur et 'façon de penser
et d'agir sans cela on risque d'être non seulement méprisé et
regardé de mauvais œil, mais même insulté en public et en parti-
culier. Il faut applaudir à tout, et même à ce qui mériteroit cen-
. sure et indignation. M'- le Dr M^ n'a pu éviter l'écueil, il suit la
foule des étrangers. Ceux-ci sont de deux ordres ou classes : les
prerniers sont gens-qui viennent pour faire fortune ; ils employent
' Matthieu Maty. cf. p. iSq, n. i.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 255
tout pour cela, bassesses, courbettes, flatteries, et les autres s'y
retirent pour des affaires qui les obligent de sortir de chez eux, la
plupart pour des mauvais cas. C'est pourtant sur le rapport de ces
étrangers que Mi Petitpierre juge que ce pays vous conviendroit ;
il a même combattu mon avis devant le Dr M. à qui je ne pus
m'empêcher de dire librement ma pensée. Là-dessus M'' Petitpierre
dit que nous étions singuliers dans notre famille ; cela pourroit
être vrai quant à moi, mais je me suis toujours fait un devoir de
sacrifier tout au plaisir de parler vrai. Si vous veniez, vous seriez
reçu avec honneur, distinction et à bras ouverts. Insensiblement,
voyant que vous oseriez être d'avis différents, de sentimens
opposés aux leurs, que vous ne joueriez pas le rôle bas de
flatteur, on vous laisseroit, on vous abandonneroit et vous vous
trouveriez enfin presque seul vis-à-vis de vous même ; si même il
ne vous arrivoit quelque chose de pis, non de la part du gouver-
nement, qui ne vous chagrineroit en aucune façon, mais de
etc., etc. Ainsi, mon très cher cousin si on vous laisse tranquille
où vous êtes, je vous conseille très fort de rester; le climat est
excellent, les vivres bons et à bon marché et les gens je crois très
sociables et affables.
Quant à moi, dans mon poste de commis, je me borne à une
très petite dépense, pour être en état d'avoir quelque épargne au
bout de Tan. Cette épargne je la mets à Genève etc.
On me fait espérer dans quatre ou cinq ans d'ici que mon sort
sera meilleur, c'est-à-dire que je pourrai retourner auprès de mes
chers parents sans que je leur sois à charge ; rien ne manquera
alors que de vous posséder également.'
Je crois aussi qu'il est de mon devoir de vous faire remarquer
sur ce qui est dit dans Emile que les chinu-giens et bouchers ne
sont point reçus en témoignage. Leur témoignage est reçu en jus-
tice pour toute sorte de cas, mais ils ne font jamais nombre parmi
les douze jurats ou jurés qui décident du sort, de la vie des crimi-
nels. Les premiers en sont exemptés ainsi que les médecins et
apothicaires, par des privilèges qui les exemptent de plusieurs
offices onéreux. Quant aux bouchers, il n'y a point de loi qui les
exclue, mais l'usage l'a établie.
Cette lettre est déjà bien longue ; il est tems de la finir par les
vœux que je fais au Ciel pour votre chère santé, votre tranquillité
et votre bien être. J. Rousseau.
Londres le 3o. 7bre 1762.
Dans ce moment nous apprenons la prise de la Havane et d'une
douzaine de vaisseaux de ligne dans le port, etc.
2b6 AXXALKS DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Il est tems, mon cher cousin que je réponde à votre obligeante
lettre ^ : des occupations extraordinaires m'ont empêché de le faire
plus tôt. Avant toutes choses, je viens vous renouveller mon
entier dévouement. Quoique je soie et que je doive être très irrité
de la vilaine conduite de l'homme en question', cependant, il est
bien que vous avez appris à le connoître pour être sur vos gardes.
Il est triste pour l'humanité que dans ce siècle, l'on ne sache
presque pas à qui se fier, l'intérêt est l'unique ressort qui fasse
agir nos modernes. Notre personnage ne s'est trémoussé que
dans la vue de tirer des lumières de vous, ou si vous continuez à
écrire qu'il en put faire le profit. Apprenant le contraire de votre
résolution, non seulement il vous tourne le dos, mais s'y joint
même à vos ennemis, avec qui il espère de gaspiller. Quant aux
sottises que les malheureux ont fait mettre dans les papiers
publics, je vous prie de n'y pas faire la moindre attention, ce
serait une guerre perpétuelle ; il est vrai qu'ils publient des men-
songes, mais la vérité tôt ou tard se découvre ; sinon, on saisit
une occasion favorable pour les confondre en gros, sans les atta-
quer en détail ; votre repos, votre santé l'exigent quoique votre
cœur sensible en doit souffrir beaucoup.
J'ai vu séparément de Hondt et Beckett au sujet des lettres de
Mr Du Peyrou* : ils se sont accordés de me dire et apparemment
ils en étoient convenus, que le traducteur étoit tombé malade et
que d'autres accidents l'avoient empêché de travailler à la tra-
duction, mais qu'étant mieux maintenant, on alloit continuer, et
que dans peu l'ouvrage devoit paraître ; nous verrons s'ils disent
vrai. A travers tout cela, je m'aperçois qu'avec_ des promesses ou
autrement, on les avoit engagés de ne pas continuer cet ouvrage.
Mais qu'à présent, voyant que l'autre doit aller en France, qu'un
autre libraire peut faire imprimer cet ouvrage et dans l'idée que
vous pouvez encore lui être plus utile que l'absent, ils ont pris la
généreuse résolution de continuer l'ouvrage, uniquement pour
leur profit et rien autre.
J'ai eu un entretien avec notre Monsieur ; il m'a dit que dans
peu il régleroit mon compte et que vu la nouvelle société, j'aurois
1 Cette lettre est la quatorzième du recueil. Nous donnons la suite
de la correspondance sans omettre aucune pièce.
- Œuvres, t. XI, p.,33o, à M. F. H. Rousseau, lo avril 1766.
- Hume.
* Œuvres, t. XI, p. Soj, à Du Peyrou, 27 janv. 1766; p. 3ï5, 2 mars;
p. 3 16, 14 mars; p. 320, 29 mars; p. 33o, à Becket et de Hondt, 9 avril.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2 57
lieu d'être content. Comme je le connois lui, pour être véridique
et un homme juste et droit je suis tranquille à cet égard; mais
malgré cela, je ne vois pas que je puisse économiser, à l'exception
des rentes de Paris auxquelles je suis résolu de ne pas toucher.
Par là, vous pouvez à peu près juger de ma situation et voir s'il y
a lieu d'améliorer mon sort ; je vous en laisse entièrement le maî-
tre, résolu de suivre en tout vos conseils, vous priant uniquement
de faire en sorte que les Messieurs où je suis ignorent entièrement
vos intentions, parce que vous pensez bien que cela me feroit un
tort infini vis-à-vis d'eux. Je vous prie donc, si vous avez la bonté
de me répondre de le faire sous couvert de Monsr Lucadou et de
lui recommander de me remettre toujours vos lettres en mains
propres, car notre jeune homme est très curieux et indiscret. Voici
par exemple une ouverture dont je crois vous avoir parlé cy de-
vant. Les fermiers généraux en France donnent icy des commis-
sions considérables pour leurs achats de tabac. Si par vos amis
en France on pouvait les engager à diviser leurs ordres pour m'en
donner je pourrois alors ou travailler seul ou être reçu en société
avec nos Messieurs pour servir de sûreté et de caution aux sus-
dits fermiers. Mais je m'abuse, je crains que le sieur Tronchin ne
soit encore du nombre et en ce cas il n'y aura rien à faire.
A Genève, on a nommé iS Citoyens ou Bourgeois pour repré-
senter la Bourgeoisie. Mess" De Luc père et De Luc fils aîné,
deux très excellents sujets, sont du nombre.
Mes Cousins Marchand et Mouchon ont refusé de se charger de
ma procure ; ils m'ont écrit nettement qu'ils ne se soucient pas
d'avoir rien à démêler avec les Bouët (nom de la famille dans
laquelle Mr Théodore Rousseau ^ a eu le bonheur d'entrer). Mille
compliments à Mlle Le Vasseur. Je vous souhaite bien de la santé
et suis toujours très cordialement tout à vous.
Jean Rousseau.
Londres le 4 May 1766.
III
C'est par le canal de M. Lucadoux que j'apprends des nouvel-
les de vous, mon très cher cousin. Je sais néanmoins que vous
ne m'oubliez pas quoiqu'il y ait longtemps que je n'ai pas eu de
vos lettres. J'espère que vous avez bien voulu vous souvenir de
l'affaire d'Italie. Plût à Dieu que la chose fut achevée pour plu-
sieurs bonnes raisons.
Peut-on savoir, mon cher cousin, les motifs de la désunion entre
vous et le sieur H[ume]. Mr Laliaud de Paris m'a écrit à ce sujet;
' 1729-1807; le frère de Jean.
2d8 annales de la SOCIETE J, J. ROUSSEAU
il me paroît vous affectionner infiniment. Je lui ai répondu uni-
quement que cet homme-là avoit cherché à vous déshonorer de
concert avec vos ennemis ; il vous a écrit lui-même, avez la bonté
de lui répondre et si vous jugez à propos de m'instruire là-dessus,
ce seroit une grande satisfaction pour moi. Le sieur H. a fait de-
mander mon adresse à des gens que je connois qui la lui ont
donnée, mais je n'ai pas entendu parler de lui. Il s'imaginoit
peut-être qu'aussitôt que je saurois qu'il s'informoit de ma de-
meure, je ne manquerois pas de lui aller faire une révérence ; il
se trompoit fort si le cas est ainsi; s'il avoit à me parler, il devoit
venir lui-même: je l'attendois de pied ferme.
Il me paroît que Mess. Beckett et de Hondt ont tenu parole,
ayant publié enfin l'ouvrage en question ; ils vous l'auront envoyé
sans doute. Quant, à moi, je ne l'ai pas vu, quoiqu'ils eussent dû
me l'envoyer, par rapport à leur promesse.
Les Médiateurs ont remis aux Citoyens et Bourgeois une dé-
claration où la conduite du magistrat est en tout approuvée et où
ils disent que vos Lettres de la Montagne sont remplies de calom-
nies attroces et écrites par un esprit de vengeance, etc. — Comme
j'écris la présente, j'apprends que non seulement icy, mais encore
à Paris et ailleurs, vos différents avec Mr Hume font plus de bruit
que jamais, et comme vos adversaires profitent de votre silence et
absence pour vous calomnier, il sera bien en peu de mots de les
écraser, à Paris surtout. Répondez donc je vous prie à M'' Laliaud
à cet effet. J'attends de vos nouvelles, s. v. p. par le canal de
Mr Lucadou, en lui recommandant de me remettre votre lettre en
mains propres. Mille compliments à M'ie Le Vasseur. Comptez
sur ma' discrétion et suis tout à vous pour vous servir contre
Hume et quelqu'autre que ce soit. Je vous souhaite bien de la
santé et suis avec un entier dévouement votre affectionné cousin.
J. Rousseau.
IV
Londres ii ybre 1766.
J'espère mon très cher cousin que vous. avez hien reçu ma pré-
cédente lettre dans laquelle, je vous mandois que Mesg" les Mé-
diateurs à Genève avoient déclaré que les Lettres de la Montagne
étoient remplies de calomnies, etc. Je viens de recevoir une lettre
de mon frère qui s'est avisé de m'écrire, suivant laquelle je suis
aussi un calomniateur. Dieu merci, j'ai la conscience nette et la
bourse aussi, grâce à ce généreux frère. Les papiers Anglois ont
traduit exactement un article de Paris qui dit que vous avez écrit
à des personnes de cette ville là, que vous défiez Mr Hume de
pviblier votre correspondance, qu'il y a de quoi confondre le phi-
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 2^9
losophe Anglois. Cet article est-il vrai ? Au nom de Dieu, fournis-
sez-moi de quoy répondre à ceux qui me font des questions sur
votre dispute à quoy je réponds en homme qui vous est et sera
toujours dévoué. Vous avez reçu sans doute la lettre de M. La-
liaud à qui je donnai cours par le moyen de Mi- Lucadoux. Vous
savez que ce Mons'- lui a fait faire votre buste en marbre, dont il
avoit envoyé ici un modèle en plâtre qui s'est gâté en chemin. Il
est extrêmement de vos amis, à ce qu'il me paroît. Répondez-lui
je vous prie si vous n'avez pas pu le faire encore ; Mr Lucadoux
vous fait ses compliments, il ne vous écrit pas, n'ayant rien d'es-
sentiel à vous marquer. Avez-vous songé à moi, mon cher cou-
sin, écrivez-moi, je vous en conjure, mettez-moi à même de con-
vaincre un chacun et de vous assurer de la cordialité avec laquelle
je suis votre très affectionné cousin. Mille compliment a Mlle Le-
vasseur. Pardonnez le griffonnage.
J. Rousseau.
Avec un couvert chez M'- Lucadoux pour remettre en mains
propres.
En conséquence mon cher cousin, de ce que vous m'avez écrit
le 8 courant', j'ai remis chez Mr Lewis le petit paquet en question
qu'on aura bien soin de vous faire parvenir. Il paroît depuis peu
chez Beckett une brochure, qui contient un narré vrai ou faux de
vos démêlés avec M' Hume. Je ne l'ai pas lue, mais un ami me
lut en passant un article qui me regardoit, et où l'on dit que
Mr Hume avoit répandu que vous m'aviez reçu froidement, et je
ne sais quoy encore ; que là-dessus vous répondiez que mon état
ne me permettoit point de discourir avec les gens de lettres, que
j'étois un honnête homme et un bon parent, mais que peut-être
on m'aurait fait jaser, ce qui ne seroit pas difficile. — Mr Lenieps
de Paris, m'a écrit deux lignes également dans laquelle il me dit
que Ml Hume a parlé de moi contre vous, et qu'il faut que je me
justifie. Il se peut que Mr Hume auroit bien eu envie de me faire
parler lorsqu'il demanda mon adresse ; je ne fus point chez lui, et
lui ne m'est point venu chercher non plus. S'il a répandu des
bruits, il les a tirés de sa tête ou de celle de quelqu'autre mali-
cieuse personne, car je jure n'avoir jamais parlé de vous à qui que
ce soit, qu'avec tous les égards que je vous dois, avec le respect
qui vous est dû, l'amitié que je vous porte et mon entier dévoue-
ment pour vous. J'ai même été plus loin, car un chacun peut le
1 Lettre inconnue.
2bO ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
dire et le témoigner que j"ai parlé de vous avec enthousiasme
même, si on peut se servir de cette expression vis à vis d'un pa-
rent comme vous, que je regarde comme mon père. Cela étant,
comment aurois-je pu parler contre vous à Mr Hume que je croyois
alors votre meilleur ami, que j'avois même intérêt de ménager
pour l'affaire que vous savez * ; d'ailleurs je ne sache pas l'avoir
jamais vu sans vous excepté peut-être une fois pour lui remettre
une lettre pour vous, et à peine m'arrêtois-je. Si d'ailleurs je l'a-
vois vu souvent et que j'eusse voulu lui parler, que lui aurois-je
dit. Sur mon Dieu, je ne suis pas plus informé de votre vie, de
vos secrets que ce que j'en ai lu dans vos écrits ; vous savez que
je n'ai jamais été assez indiscret pour vous faire aucune question
sur vos affaires. Et quand quelqu'un m'en a fait (parmi ces quel-
qu'uns Mr Hume n'est pas compris, car il ne m'en a jamais fait
de questions) j'ai toujours répondu qu'il fallait s'adresser à vous.
Au reste quoique vif et gay et assez libre en parlant, je ne divul-
gue point les secrets qu'on me confie, encore moins ceux qu'on
ne me confie pas ; je me pique d'être vrai, jamais calomniateur et
le moins médisant que je puis, car il m'est arrivé de m'emporter
contre des personnages qui étant connus par moi pour des co-
quins, je n'ai pu m'empêcher de les faire connoître pour tels à
d'autres. En voilà assez je pense ; encore deux mots cependant et
pardonnez-moi le badinage. Un ami vrai, qui me connaît bien et
qui sait le zèle que je vous porte, me parla de cette froideur de
réception. Je ferois, dit-il cette gageure que ceci ne vient pas de
vous. Ah ! lui dis-je en riant ; ma foy, la réception fut froide, car
c'étoit en hyver, sur le bord de la Tamise et par un jour qui fai-
soit bien froid; cependant je n'en ai point eu de rhume, grâce au
bon dîner, au bon feu et à l'amitié de mon pousin qui se faisoit
toujours sentir, malgré les chagrins dont il étoit tourmenté. Je
suis bien aise que ce soit moi qui vous ait averti que le jeune
Tronchin logeoit chez Mrs EUiot, logement usité de Mr Hume.
Dans votre chère lettre, vous avez omis le mot de cousin tan-
dis que d'un autre côté, vous me traitez plus polirhent c'est-à-
dire à ce que je crois, avec plus réserve. Boh Dieu, est-ce une
illusion, ou seroit-on parvenu à me calomnier dans votre esprit.
Ecrivez-moi, je vous prie, le ■ plus tôt que vous pourrez. Si j'ai
commis un crime, faites le moi connoître ; quoi qu'il en soit,
pardonnez moi, mais ne m'ôtez point votre amitié. Je la prise si
fort, je suis si délicat sur ce point, que je ne serai pas tranquille
jusqu'à ce que vous m'ayez répondu et assuré de votre bonne
1 L'affaire des tabacs; cf. 257, II.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 26 I
amitié. Et pour me la prouver ne m'épargnez pas, chargez moi
de vos commissions, et regardez moi comme un infâme si jamais
je déroge de mon devoir envers vous.
J'ai fait votre commission auprès de Mr Lucadou il aura soin
de vous écrire ; recevez en attendant ses compliments et mille
compliments à M"e Le Vasseur ; je la remercie de son souvenir. Je
vous souhaite bien de la santé étant toujours tout à vous.
Jean Rousseau.
Londres, le 17. qbre 1766.
Lord Strafford^
London S' James's Square
le 28 de Mars 1766.
Monsieur, J'aime mieux vous écrire en mauvais françois que de
vous donner lieu de croire que je ne m'intéresse plus pour votre
bonheur. J'ai été à votre maison à Chiswick, le Vendredy après le
Mardy que vous l'avois quittée. J'espère que votre voyage a été très
agréable et que votre séjour d'aprésent répond parfaitement à vos
souhaits. Pendant l'Eté je demeure dans la province de York,
environ quinze lieues de la place où vous êtes et je serai tou-
jours heureux de vous voir (et Mademoiselle) si votre inclination
ou commodité peut vous le faire agréable, étant très sincèrement
Monsieur, votre obéissant serviteur.
Strafford.
J'étois bien aise d'entendre que vous avez retrouvé votre chien
qui est revenu de lui-même. Je n'avois pas oublié de le mettre
dans les gazettes.
II
Monsieur, Je vous assure que votre obligeante réponse- à ma
lettre m'a fait grand plaisir, et je suis réjoui d'avoir reçu votre se-
conde lettre' hier pour vous marquer la véritable satisfaction que
j'ai de vous être utile en aucune manière. J'ai eu mon libraire avec
moi ce matin, et je lui ai donné votre lettre pour être remise à ceux
» Cf. p. 26, n. 3.
2 Œuvres, t. XI, p. 325, 3 avril.
" Œuvres, t. XI, p. 327, 7 avril. On voit qui est \lilord*** .
2b2 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
qui sont employés sur le S' James's Chronicle et l'ai chargé de la
remettre à eux et de la faire inserrer dans leur papier, et dans un
autre. Il m'a demandé si elle devoit être traduite; je lui ai dit d'a-
voir l'original mis en François et une traduction après, car il y a
toujours danger de changer le sens par un autre langage. J'espère
que cela se fera comme vous le souhaitez. Je suis obligé d'aller à
la campagne demain pour douze jours, mais à mon retour je ne
manquerai pas de vous informer de ce qui s'est passé dans cette
affaire. Je serai toujours réjoui de vous voir chez moi et ne man-
querai pas de venir à vous, si je suis proche de votre demeure.
Je vous ferois toutes les offres en mon pouvoir si je n'étois assuré
que c'est ce que vous évitez d'entendre. Permettez moi de vous
prier d'être tranquille sur le sujet qui vous a fait de la peine, car
ordinairement en ce pays, le public rend justice après avoir essayé
de s'amuser avec ce qui est nouveau. Je suis si désaccoutumé
d'écrire en François depuis plusieurs années, que j'espère que
vous aurez la bonté de pardonner les fautes de langage et d'ortho-
graphe, comme cette lettre est écrite par quelqu'un qui souhaite
très sincèrement votre santé et bonheur.
J'ai le plaisir d'être votre très obéissant serviteur,
Strafford.
Londres le lo d'Avril 1766.
III
Monsieur, Je vous assure très sincèrement que votre obligeante
lettre * m'a donné beaucoup de plaisir et quoi qu'elle me donne
de la peine que vous avez ressenti tant d'inquiétude sur la lettre
qui a été publiée dans la St James's Chronicle, qui certainement
n'est pas capable à ce qui me paroît de vous faire aucun tort dans
l'opinion qu'on doit avoir très justement de votre grand mérite.
Je suis venu hier à Londres de la campagne, et m'informai d'a-
bord de mon libraire s'il avoit exécuté ce que je lui avois dit. Il
m'a montré le papier avec votre lettre et la traduction inserrée,
qu,i j'espère a été exécutée selon- vos souhaits*. Votre santé et
bonheur est avec grande vérité souhaitée par Monsieur votre très
obéissant serviteur.
Strafford.
Œuvres, t. XI, p. 33 1, 19 avril.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 263
Boothby ^
Marseilles Dec. 23. 1766,
Mon cher Monsieur, Je viens de lire les pièces justificatives de
Hume, je ne puis pas vous exprimer la peine que m'en a fait la
lecture. Ah Monsieur, que vous avez bien dit, qu'une âme trop
sensible étoit un funeste don^ du ciel ! votre vie n'en a été qu'un
frappant exemple. — J'ai relu les pièces de Hume a plusieurs de
mes compatriotes qui se trouvent ici ; ils étoient tous d'avis que
si vous aviez tort, c'étoit le tort d'une grande et belle âme, peu
faite pour se lier avec ce cœur insensible et froid qui semble me-
surer ses idées de l'amitié par les règles de la mathématique.
Quant à moi, je n'ai pas hésité de crier :
« Absentem qui rodit amicum.
Qui non défendit, alio culpante; solutos
Qui caput risus hominum famamque dicacis ;
Fingere qui non visa potest ; commissa tacere
Qui nequit. Hic niger est, hune tu, Romane, caveto'. »
Je vous félicite pourtant d'être dans un pays où il faut que les
envieux se bornent à vous médire; vous y êtes en sûreté, Mon-
sieur. Appuyez vous donc sur la postérité pour vous honorer
comme le bienfaiteur du genre humain et assurez-vous qu'il ne
manque pas même aujourd'hui de gens qui ont assez de lumières
pour sentir toute la force de vos vérités et qui ne sont nullement
blasées par la supériorité de vos talents. Quant au rôle que joue
Voltaire dans cette affaire c'est digne d'un homme qu'on doit re-
garder comme le fléau du siècle, et pour le caractère duquel j'ai
toujours eu le mépris le plus profond. Au reste souvenez-vous
que Socrate avoit son Aristophane*.
Ce beau climat convient assez à l'état foible de ma santé. Je
crois pourtant que je serai obligé de revisiter l'Angleterre dans le
mois de Mai. Je me promets une sincère satisfaction en vous assu-
rant en personne du respect avec lequel je suis votre vrai admi-
rateur et serviteur très humble
B. BoOTHBY.
1 Cf. p. 59, n. 4.
2 Œuvres, t. IV, p. 58, Nouvelle Héloise : S* Preux à Julie, I, xxvi.
^ Horace, Satires, I, 4, vers 80-84.
* Malthus y avait déjà songé ; cf. p. 216.
264 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Ayez la bonté Monsieur de faire bien mes compliments à
Mad'ie Le Vasseur. Je n'ai pas pu trouver encore aucun de ces
livres botanique, mais comme je compte de passer par Paris en m'en
retournant en Angleterre, j'espère vous en apporter quelques uns.
Oserois-je vous prier de me donner de vos nouvelles ? Il me don-
nefoit une satisfaction sensible d'entendre que vous jouissiez d'un
repos si nécessaire à votre santé. Je ne vous dis rien des affaires
de votre ancienne république, quoi qu'elles m'ont assez occupé
depuis que je suis dans ce pays ci: sachant que si vous y prenez
quelque intérêt encore, vous avez des amis sur le lieu, beaucoup
plus capables que moi de vous en donner vine juste idée, surtout
dans une langue dont je ne connois guères la force. Mes lettres
me sont adressées chez Monsieur Birbeck Consul Anglois à Mar-
seilles.
II
Bethisbet Fév. 24 1768.
Monsieur,
Selon les directions que vous me donnâtes il y a quelques mois,
dans une lettre' que vous me fîtes l'honneur de m'écrire à Mar-
seilles, j'ai reçu de Mad^ du Chesne un paquet pour vous. — J'a-
vois le malheur de ne vous plus trouver dans le Comté de Derby,
d'où vous étiez parti le jour même avant mon arrivée à Ashborn.
Depuis ce temps là j'ai cherché une occasion de vous le renvoyer,
et ce n'est qu'aujourd'hui que Milord Nuneham me mande qu'il
croit pouvoir vous le remettre. J'avois trouvé quelques-uns de
ces livres botaniques dont vous me fîtes une note, j'ai pris la
liberté de vous en envoyer deux ; je voudrois qu'ils fussent plus
dignes de vous présenter. Si je pouvois croire qu'ils vous occu-
peront agréablement pour un moment, cela me feroit un vrai
plaisir.
Je sentis bien du chagrin de ne vous plus trouver à la campa-
gne ; je m'étois formé tant de petits projets de vous voir de tems
en tems, surtout de vous amener dans des certains vallons où
vous' eussiez trouvé de quoi vous fournir bien des spéculations
botaniques, et où vous eussiez vu tout ce que la simple nature a
de plus beau.
Pardonnez moi, Monsieur, s'il faut que je m'intéresse à ce que
vous aimez. Je ne vous connois guère que dans vos écrits : c'est
eux seuls parmi les, modernes qui semblent faits pour inspirer
* Inconnue.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 205
J'amour de la vertu comme un sentiment, qui savent y intéresser
à la fois le cœur et l'esprit.
Je sens que je ne pourrois jamais former une amitié avec l'hom-
me qui pourroit lire de tels écrits sans en aimer l'auteur. Je crois
voir dans une maxime de Pascal la cause pourquoi presque tous
les auteurs vos contemporains s'acharnent contre vous. « Quand
» tous vont vers le dérèglement, dit-il, nul ne semble y aller. Qui
» s'arrête fait remarquer l'emportement des autres comme un point
» fixe. » Il est bien naturel que les hommes s'occupent de détruire
une telle marque.
Ma pauvre patrie se trouve à présent dans un cas vraiment dé-
plorable. Le tiers du peuple manque du pain ; cette nation sem-
ble être attaquée d'une des plus dangereuses maladies qui puisse
arriver à un Etat, /. e., la pauvreté publique et la richesse im-
mense des particuliers : le public doit à ces individus près de
i5ooooooo livres sterling.
Tout ce qui est nécessaire à la vie est taxé au dernier point
pour payer l'intérêt de cette dette. D'où il arrive qu'il n'y a que
ces mêmes gens riches qui puissent vivre. En un mot, nos succès
et nos conquêtes nous ont inondés.
Il y a six mois que je me trouve chez mon régiment au Nord de
l'Irlande. J'ai peur qu'une vie militaire ne me conviendroit guère.
J'ai le tempéramment bien délicat, faute d'une mauvaise éduca-
tion, car j'ai les stamina vitx bons. Je ne sais pas s'il me reste
assez de force pour corriger un tel mal.
Si Madi'e Le Vasseur est avec vous, je vous prie de lui faire mes
compliments. Un mot de vos nouvelles, me feroil bien du plaisir.
Mon adresse est sous enveloppe à Milord vicomte Nuneham, Ca-
vendish Square, London. Je suis, Monsieur, avec du vrai respect,
votre très humble et très obéissant serviteur.
B. BOOTHBY.
Vous saurez pardonner mille bévues que j'ai fais dans une lan-
gue que je n'entends pas.
John Hall
A Gisborough le 3i Janv. 1766.
Je ne saurois me refuser au plaisir Monsieur de vous féliciter
sur votre arrivée en Angleterre, et je partage la joie de mes
compatriotes dans un événement qui leur fait tant d'honneur.
Déjà nous vous devions vos divins ouvrages, vous comblez notre
bonheur en nous donnant leur aimable auteur. Je n'oserois pas
-266 ANNAI.KS DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
VOUS faire offre de mes foibles services, ce seroit insulter à l'huma-
nité et surtout à mon pays, que de supposer que vous pourriez
manquer d'amis ; vous en avez autant que d'admirateurs, mais
vous connoissez trop les charmes de la liberté, pour qu'on puisse
se flatter de vous imposer le joug d'une obligation. En attendant
que je sois assez riche pour vous ériger des statues et des temples,
vous aurez dans mon cœur un autel où je ferai mes éternels
hommages. Les devoirs de mon abominable métier qui m'appel-
lent en Irlande m'empêchent pour à présent de vous rendre mes
respects. J'espère que votre séjour ici sera assez long pour m'en
fournir l'occasion. Inconnu de vous, je vous connois trop, Mon-
sieur, pour ne pas vouloir me souscrire avec beaucoup de consi-
dération et d'estime, votre admirateur, votre ami et votre serviteur
très humble.
John Hall
Colonel des Dragons légers.
John Gregory^
Sir, Permit a Etranger, who admires and loves you, to break a
little into your Retirement. When I consider how unworthily the
World has treated you, the Friend of Virtue and Mankind, the
Apertor of their most valuable Privilèges, I am ashamed to think
I am a Man. Tho you may hâve a Magnanimity that renders you
superior to Misfortunes, yet, I am afraid you hâve a Heart too
delicately sensible not to feel the Stings of Ingratitude.
I take the Liberty to présent you with a little Work- in which
you will find many of your own Sentiments, but nothing of that
irresistably conîmending Eloquence which eminently distinguishes
your Writings. — It is carelessly and loosely wrote, as the Occa-
sion on which it was composed did not require that Accuracy and
Elégance of Expression which may be proper in a Worl> intended
to be offered to the Public. — If it has any merit, it consists in
being the genuine Effusions of the Heart — pêrhaps in many
places it is too much so. — Grief, occasioned by the loss of a Be-
loved Object, naturally gives that Tiricture of Melancholy to the
Sentiments, which a gay and thoughtless Heart, never softened by
1 John Gregory (i 724-1773), professeur à l'Université d'Edimbourg,
médçcin du roi, ami mtime de Hume, de Blair, etc.
- A Comparative viejû of the State and Faculties of Man with those
of the Animal World. 2°'' Ed. London, 1766, 8*.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 267
past Endearments of Love, is ready to consider as the Enthu-
siasm of a weak Mind.
In a future Edition, I propose to make many Additions, parti-
cularly to the first Part. I shall then he able to avail myself of
many of your writings to which I was a Stranger when the Dis-
courses were composed. — I may, perhaps, be able to express
some of your Sentiments in a way more suited to the capacity of
the bulk of Mankind, because I myself am nearer their Level. —
There is a Strenth [sic] of Conception and Brilliancy of Expression
possessed by a Writer of Genius which confounds Vulgar Minds
who yet wish to be thought above the common Rank. As they
are incapable of entering into his extensive Views, and feel his Su-
periority while they are ashamed to acknowledge it, thev endea-
vour to lessen his Réputation by representing him as an Infidel
and a Lover of Paradoxes I Without examining the gênerai Spirit
-and Tendency of his Principles, they wrest his particular expres-
sions to a Meaninghe never dreamt of, with that meanness and want
of Candor so peculiar to Little Minds. — The Exubérances of a
warm heart and Elevated Genius, and thèse enlarged and uncom-
mon Sentiments, which they are apt to express with ail the boldness
of conscious Innocence, seem to be the natural Prey of Dulness
and Envy.
I congratulate you on your arrivai in this Land of Freedom.
Hère at least your Person will be secure from Insuit. You will find
Us hastening to that Period which Nature has assigned to great
States as well as to Individuals. But tho ail those Virtues, which
alone give Stability to public Liberty décline among us apace,
yet they are still respected ; of which I hope your réception in
England will be a sufficient Proof.
If Mr Hume is with you I beg you will présent mv affectionate
Compliments to him. You and he are of very différent Tempers,
and in some points of very différent Sentiments. But there seems to
be a secret Sympathy which always unités people of Good Hearts
and extensive Genius together. — If this Observation is just, surely
the Friendship between vou Two must be very perfect.
I hâve the Honor to be with the most perfect Esteem, Sir, your
most obedient humble servant,
Jo. Gregory.
Edinburgh February ist ijG6^
1 Au crayon, à la suite de cette ligne : To \ M'^ Gregory at M'^ Arbur
tons I Brown Buildings \ Edinburgh.
268 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Morel-Disque.
Monsieur', J'ai receu la lettre dont vous m"avés honoré-, par
laquelle je vois, que vous n'avés pas encore receu la malle, qui
a été embarqué a votre addresse, sur le navire du Capne Clara-
butt. L'usage est dans le commerce, que le Capitaine de navire,
qui reçoit des effets dans son bord, signe toujours trois connois-
sements dont un pour le chargeur, un pour lui et un pour la
personne à laquelle les effets sont addressés. Je vous envoie le
mien pour remplacer celui qui se trouve égarré ! il faut que votre
ami s'addresse à M"" Twyman, courtier, ou au Capne Wme Gillbé,
sur la Bourse, l'un ou l'autre vous aideront à trouver cette
malle, sur laquelle est votre addresse écritte sur un morceau de
parchemin ; laquelle malle est sûrement en dépôt à la Douane de
Londres. Si vous eussiés chargé quelque marchand de la Bourse,
vous eussiés eu votre malle dans l'instant, dont le Capitaine de
navire est garant. Vous ne devés en avoir nulle inquiétude, il faut
qu'elle se retrouve. Un grand Philosophe, comme Mons. Jean
Jacques Rousseau, n'est pas obligé de sçavoir des choses si sim-
ples, que le moindre commis d'un négociant vous eut expliqué.
La présente arrivera après le départ du Capne Clarabutt, que
l'on attend icy, auquel je parlerai de votre malle, quoy que je sois
certain qu'elle est resté à la Douane de Londres.
Je voudrois pouvoir méritter les remercîments que vous me
faite au sujet de Mlle Le Vasseur, à laquelle j'ay rendu les ser-
vices qui ont dépendu de moy. Je me suis fais un honneur, tant
par raport à vous, que par raport à elle, de tenir la parole que je
vous avois donné, de l'aider pour son passage,, en tout ce qui
auroit été en moh pouvoir, trop heureux si j'ay pu vous convain-
cre des sentim'ents parfaits avec lesquels j'ay l'honneur de vous
reitérer l'offre de mes services en ce pays, ayant celui d'être
bien sincèrement. Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur,
MoREL-DlSQUE.
Je prie Mlle Le Vasseur, de recevoir icy les assurances de mes
obéissances très humbles.
à Calais le 3 mars 1766.
1 To\ Jean- Jaques Rousseau, Esq' \ at M' Pullein's, Grocer \ Cliis-
>!ck I near London.
2 Lettre inconnue.
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 269
Mon principal commerce est en vin de France, tant Claret de
Bordeaux que Bourgogne et Champagne ; j'en envoie beaucoup
en Angleterre ; oserais-je vous supplier de les annoncer à vos
amis, et de leur donner mon addresse.
Lucadou et Drake^
Union Court mercredi [5 mars 1766] à 5 heures.
Nous avons bien reçu. Monsieur, votre paquet du 2 et. et vos
incluses eurent cours par le courier d'hyer.
Ce matin nous sont aussi parvenues nos. trois lettres pour Pa-
ris 2, Amsterdam* et Dorking*; celle cy partira ce soir et après
demain nous mettrons à la poste les deux autres.
Nous sentons parfaitement bien, Monsieur, que vous devés être
fort occupé et quoi que le plaisir de recevoir de vos lettres nous
fîatte infiniment, nous serions très fâché que nous vous gênassiés
pour nous le procurer. Envoyés nous donc sans façon vos lettres
lorsque vous n'aurés pas de nécessité à nous écrire, nous en au-
rons soin.
Lucadou est très sensible à votre période obligeante et il usera
discrètement de la permission que vous voulés bien lui donner et
il vous présente ses respects.
Nous avons l'honneur d'être véritablement. Monsieur, vos très
humbles obéissans serviteurs.
Lucadou & Drake.
Le Chevalier de Beauteville^
A Genève le 9e may 1766.
Vous me rappeliez®. Monsieur, un nom dont je ne sçaurois me
souvenir sans regret et sans attendrissement. La mémoire de feu
M. le Maréchal de Luxembourg me sera toujours chère, ses sen-
timens me seront précieux, et je n'oublieray jamais son amitié
pour vous. Il vous connoissait, et il se plaisoit à vous rendre jus-
' Lettre écrite en 3" page de la lettre de Morel-Disque.
- à Du Peyrou? Cf. Œuvres, t. XI, p. 314, 2 mars 1766.
3 à Rey, 3 mars; Bosscha, 0. c, p. 268.
* à Malthus ; lettre inconnue.
» Représentant de la France à Genève, lors de l'intervention des puis-
sances médiatrices.
6 Œ livres, t. XI, p. 3i3, à Beauteville, 2 3 février 1766.
270 ANNALES DE LA SOCIKTl': J. .1. ROUSSEAU
tice. Croyez aussi, Monsieur, que personne ne joint avec plus de
plaisir que moy son suffrage aux applaudissemens de l'Europe,
qui depuis le moment que vous vous êtes déterminé à paroître,
s"est empressée d'honorer vos talens et vôtre génie. Plut à Dieu
que vous ne les eussiez jamais employés que pour le bien de vo-
tre patrie ! vous l'aimez sans doute, et c'est à force de l'aimer que
vous avez peut être contribué à son malheur. Je répète souvent
ce que vous en avez écrit vous même ; que son bonheur étoittout
fait, qu'il ne falloit qu'en jouir, et qu'elle n'avoit plus besoin,
pour devenir parfaitement heureuse, que de sçavoir se contenter
de l'être ; mais la part que vous avez eue aux tristes dissenssions
qui agitent aujourd'huy cet Etat, m'interdit de m'en entretenir
avec vous. Au reste tous les Genevois sans distinction trouvent
auprès de moy l'accès le plus facile et je serai fort aise de faire
connoitre à M'" d'Yvernois en particulier, l'envie que j'ay d'être
utile à un homme que vous me présentez comme vôtre amy.
J'ay l'honneur d'être bien sincèrement, Monsieur, votre très
humble et très obéissant serviteur.
le chler de Beauteville'.
Kenrick '.
Hammersmith Sept, gih 1766.
Sir, The translator of Eloïsa*, Emilius*, etc. having finishedan
English version of your other pièces*, with a view to the publica-
tion of an uniform and complète édition of your works, the pro-
prietors are very naturally désirons to pretîx some account of the
life of the Author. As such an account, however, can be but im-
perfectly drawn up, and may be subject to some misrepresenta-
tion, from unauthenticated materials, I take this liberty to inform
you of their design, and at the saine time of their wishes that you
1 Cette signature seule est autographe,
^ fo I M' J. J. Rousseau | afWootton near | Ashborn \ Derbysliire.
:' 4 vol. in-i2% Dublin, 1 761, traduction qui lui valut le doctorat en
droit de St. Andrews.
* 3 vol. in-i2», Edinbourgh, 1763.
^ This Day were published in 5 vols. Duodecimo, Price i5 s. bound,
(now first translated into English) Mr. Rousseau's J//5ce//^Heows Works,
containing, voL I... voF. V... Printed for T. Becket and P. A. De Hondt,
near Surry-street in the Strand (The London Chronicle, vol. XM,
n» 1624, from Thursday, May 14, to Saturday, May 16, 1767.)
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 27 I
would please to favour them with such anecdotes, or sketch of
Personal history, as you may think proper, for that purpose : in
which case your may be assured of their being made use of
in a manner agreeable to the regard, which is entertained for
the very respectable character of Mr Rousseau by his humble ser-
vant,
W. Kenrick.
P. S. If Ml" Rousseau hath any new pièce, corrections, orother
communications to confer on this new édition of his works, they
shall be disposed in such a manner as he shall please to direct, and
will be acknowledged as an additional favour in what method he
shall think proper. — The work being at press, the favour of a
speedy answer is requested, under the address of Mess""* Becket
and de Hondt Booksellers in the Strand.
Lamande ^
Monsieur et cher Compatriote^, Les soupçons que l'on a eu
que je pouvois être l'auteur du Dictionnaire Négatif et Tapas que
l'on a donné de deux mille Ecus, m'ont tout fait craindre du côté
des faux témoignages, dont nôtre ville dans les circonstances ac-
tuelles est assés susceptible. Dans cet état critique plusieurs amis
et parens me conseillèrent de gagner l'Angleterre, ou je suis de-
puis environ six semaines dans le Château de Mr Hall', chez
lequel j'ai goûté les agrémens de la bonne Compagnie et de la
Chasse, en attendant inutilement des nouvelles de chez moi —
d'où après avoir longtems combattu contre l'impatience de cette
privation, j'ai enfin succombé, dans l'idée que mes lettres ont
été interceptées. Tous ces motifs m'en gagent à repasser la mer
pour pouvoir éclaircir mes craintes, comme de sçavoir à Lon-
dres par Messis Trembley et Pictet les suittes des soupçons que
l'on a contre moi, je dis soupçons, par ce que l'on ne peut point
avoir de preuve. Vous n'ignorez pas mon cher Concitoien que le
premier de ces Messieurs est venu en Angleterre pour lui deman-
der sa protection contre l'injustice criante à lui faite, et que la
Cour ne paroit pas inclinée à l'accorder. Ce refus seroit d'autant
plus fâcheux, qu'il éloigneroit le retour du calme et de la tran-
> Cf. p. 234, in.
- To I M' John James Rousseau \ at M' Davenports \ in | Derbyshiie .
•' Château de Skelton, à 3 milles de Guisborough (Yorkshire), près de
Whitby; il s'agit sans doute du colonel Hall, qui fut des premiers à
saluer la venue de Jean-Jacques sur le sol britannique. Cf. p. 265.
272 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
quillité, puisque les citoyens ne peuvent plus douter de l'extrême
partialité des Médiateurs, par leur déclaration justificative du
25 juillet.
Au reste, mon cher Monsieur, je croirai manquer à ce que je
vous dois en qualité de Citoyen représentant, à celui qui nous a
si bien éclairé, à celui qui a toujours fait des vœux pour notre
bonheur, à celui qui fait l'honneur de notre République, si je
m'en retournai sans avoir le doux plaisir de vous voir, de man-
ger la soupe et le bouly' de celui que j'ai toujours admiré dans
ses écrits et dans sa conduitte, et d'aprendre par son canal des
nouvelles de notre bon ami commun Dyvernois : Et désirant ac-
cellérer ces agrémens je partirai demain.
Quand je n'aurai eu que la qualité de véritable citoyen de Ge-
nève j'aurai de même pris la liberté de vous écrire et celle de vous
aller voir; mais à ce motif se joint celui d'avoir profité plusieurs
fois de vos entretiens à Paris en compagnie de Mr Delaire.
J'ay l'honneur d'être avec la considération la plus distinguée,
Monsieur et cher concitoien votre très humble et très obéissant
serviteur,
Lamande Jaquet.
Du Château de Skelton Comté de York le 3me 8bre 1766.
[Stewart^]
[Début de 1767.2J
Il y a longtemps que j'ai balancé si je vous écrirois ou non,
Monsieur. Mon ignorance de votre langue, m'a retenu jusqu'ici ;
c'étoit une sotte vanité dont je me suis à la fin" défait, car sûre-
ment Jean-Jacques aimera mieux une lettre mal écrite, mais qui
part du cœur et que dicte l'amour de la vertu, que le plus beau
style où l'esprit seul parleroit. Dans une des notes sur votre lettre
à Mr Hume', il est parlé de moi. J'étois à Paris quand ces pièces
parurent, et j'ai cru qu'il me serait permis de vous écrire, mais
malgré l'envie que j'en avois, je ne l'osais pas, quoique l'idée d'être
regardé par vous au nombre de vos ennemis, m'a toujours fait la
plus sensible peine. Il y a d'autres parties dans votre lettre où je
1 Bœuf bouilli : le pot-au-feu.
2 Cf. p. 193, XXXIVr La lettre égarée par Davenport était probablement
la réponse de Rousseau à la lettre de Stewart. Voir aussi la note sui-
vante.
^ Exposé, etc., p. 59, n. 5, ou Œuvres, t. XI, à Hume, p. 357, ri- '•
LETTRES DE DIVERS A ROUSSEAU 273
me reconnois, sans cependant être nommé, et vous me traitez
toujours en ami de Mr Hume, avec qui je n'avois nulle liaison
avant votre arrivée en Angleterre ; je ne l'avois même jamais vu
qu'une seule fois auparavant. Mais l'envie extrême de voir un
homme comme vous, Monsieur, célèbre par son génie, par ses
malheurs, m'avoit fait lier connaissance avec lui, comme le seul
moyen de vous voir. C'étoit un plaisir que j'ai brigué avec plus
d'ardeur que la plupart du monde brigueroit un emploi à la cour,
et c'est une véritable obligation que je dois à Mr Hume, de m'a-
voir procuré cette connoissance. Je ne veux pas vous faire des
compliments, vous ne les aimez pas. Monsieur, et j'ai trop étudié
vos ouvrages pour aimer en faire, mais permettez que je vous re-
mercie du profit que j'ai tiré de vos écrits, car si j'ai une façon de
penser un peu au-dessus du vulgaire, et si j"ai le courage, quoique
homme de qualité, de me déclarer hautement votre ami, au milieu
de vos ennemis, c'est à vous, Monsieur que je le dois.
Edmond Jessop\
Die quarto Nonarum^ Maii 1767.
Edmundus Jessop J. J. Rousseau. S.
Gratulor mihi. Domine maxime Colende, occasionem esse da-
tam epistolae hujus, et quamvis ab ignoto, spero tamen te non
aegre laturum ; Et scriptis Vestris in ipsà Veritate fundatis, nescio
quo desiderio flagravi, ut notum tibi fieret, quanto autorem pretio
habuissem ; postponatur, quaeso, criticum judiciuni tuum, dum,
pro more hodiernae Doctrinse, idioma Anglicanum Romanis ver-
bis commisceo ; Me maxime et saepissimè dolet, te maximum,
et pro meâ sententiâ Unicum hujus .^vi philosophum a tyran-
nis politicis, et sacris, nil nisi injurias accipere ; minime vero
tu culpandus, te potius consolator quasi Veritatis fratem ; Hu-
jus Sasculi mores, omnium pessimorum tenaces, optimis aver-
santur, libéra nolunt, servilia optant; Tentamini politico a te
conscripto dant terga insipientes, et affirmanti maie militare
Christianos veros, uno animo conviciantur; tibi asserenti, et pro-
prio damno propugnanti, jura hominum naturalia, non gratias, non
bénéficia, non commodata tribuuntur, sed ingrata, sed malefacta ;
Salvum te jubeo heroem Veritatis ! omnigenae doctrinœ peritum !
' Ad I Dominum J. J. Rousseau.
- lo mai.
274 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
humani generis amicum ! A Gonsortio humano seclusus, omnia
utilia meditaris, et tempore opportune digesta expromis, proh !
vero cruda ingénia legenlium, nihil sapiunt, nihil intelligunt ; Ins-
titutionibus Vestris nil dignius novi, Quintilianis certissime pre-
ferendis; Tuuna est decretum hisce scriptis Veritatem et Usum
simul conjungere, ostentationes verborum in exilium mittere, fal-
sas et fictitias Doctrinas supprimere, et in sœcula sœculorum ve-
neranda substituere; Rationes propositae de modo educandi pro-
cul dubio utiliter valent, sed lucro pr^eceptorum et academiarum
nimis adversantur, et quoad politica qviaedam tua, tyrannidi cum
regum, tum clericorum oppugnant : salve iterum tutamen liberta-
tis ! et crede me gavisum esse te in tantis militare, te audacem esse
pro his perpeti, et privato publicum commodum proponere; Tarn
profunde de scientiis, sicut hodie nominatis, cogitàsti ut abstractum
quid et abstrusum laborare primo videaris, sed perpendenti mani-
festum, te solum puérile ingenium nôsse, te solum posse expiscari.
et iter brevius ad Usum te solum evoluisse : Musaeo deditus, et
omne pecuniarium magnanimiter contemneas, rerum interiora
sagacius speculatus es, et non visus, (quasi spiritus quidam Ange-
licus) bono hominum invigilâsti ; haec vero forte dicta rimis pœ-
tice arbitraris, et sol^olem esse ingenii magis quam simplicitatis ;
liceat vero, vir colendissime, aliquid philosophari, probe namque
nôsti mentem passive parientem ex naturâ quasi ruere in diclum
figuratum ; Quid Reges, quid Proceres, quid Papae ad te? si justi,
si humiles, si legi Christianas vere obedientes, tu diligis, si non,
contemnis. — Haec sunt certe aestimanda, et a te aestimantur. cui
tanta cura est publica Salus. Quasso igitur, Vir doctissime, ut
hanc Epistolam accipias quasi monumentum pusillum meae Ob-
servantiœ erga te, et recorderis Ghirurgum quendam Spaldinen-
sem in agro 'Lincolniensi voluisse haec tecum deponere, sicut
Philosopho'maximo hujus yEtatis, et simul optantem rescriptam
habere, quod votum respondendum humillime quajrit
Edmondus Jessop.
Vale.
Le chevalier de Cossé\
A Paris, le 23 juillet 1771.
Je suis, Monsieur, dans le plus grand embarras où jamais hom-
me ait été ; vous seul pouvez m'en tirer, et je serai le plus heureux
1 A Monsieui- I Monsieur Rousseau, che^ un \ Marchand de l'ableaux,
vis-à-vis I VHotel des Postes, rue Plâtrière \ A Paris. — Cf. Œuvres^
t. IX, p. i35, note, Premier Dialogue.
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 27D
possible, des le moment que vous y consentirez. Je connois votre
extrême délicatesse, la noblesse, l'élévation de vos sentiments ;
en respectant vos vertus je les crains. J'ai une proposition à vous
faire ; c'est au nom des sentiments que vous m'avez inspirés, au
nom de tous mes concitoyens sensibles, que je vous supplie de
ne pas vous refuser à mes désirs, et de décider par votre aveu un
projet qui m'occupe depuis longtems. Le Roy d'Angleterre vous à
fait une pension qui depuis vous a été retirée. Aujourd'hui, Mon-
sieur, tous mes moyens sont prêts pour vous taire ravoir cette
pension. Les bienfaits d'un souverain ne peuvent vous humilier.
Quand on a dans l'âme le désir de faire du bien à tous les hom-
mes, qu'on leur en a fait un sensible en éclairant leur esprit et leur
cœur, on a des droits bien réels à leur reconnoissance, et un ser-
vice rendu d'homme à homme me paroit, non un bienfait, mais
une justice, un plaisir qui doit être égal pour celui qui donne et
pour celui qui reçoit. Je n'ai point voulu. Monsieur, vous parler
de mes projets avant d'avoir préparé mes moyens. J'agirai dès que
vous le voudrez, et si le succès répond à mes espérances, je me
croirai le plus heureux des hommes ; je le serai réellement, et
vous, Monsieur, vous recevrez de ma part mille remercîments de
m'avoir abandonné une occasion de vous prouver que je suis diffi-
cile en plaisir et que je connois les véritables. J'attends votre ré-
ponse. Monsieur*; conservez moi un peu d'amitié et recevez l'hom-
mage bien sincère de tous les sentiments que je vous ai voués, et
avec lesquels j'ai l'honneur d'être votre très humble et très obéis-
sant serviteur.
Le Chevalier de Cossé
en son Hôtel rue St Honore.
D. Lettres de divers à Davenport.
Hume.
Dear Sir, About ten days ago, I wrote both to you*and Monsieur
Rousseau*; tho 1 fancv my Letters hâve miscarried. The Reason
' Œuvres, t. XII, p. 240, Rousseau à Cossé, 2 5 juillet 1771.
2 Br. Mus. Add. 32491, ff. 11, 12. — To Richard Davenport, Esq'.
' Lettre inconnue.
* Streckeisen, o. c, t. II, p. 284, 17 mai, XI.
•276 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
of my suspicion, that some of the Covers, you left me, are wrong
directed by mistake ; and I am afraid I might thro inadvertance
hâve made use of one of them. If so, be so good as to inform me,
that I may correct the Mistake, and write him again on the same
subject. I am with great sincerity, Dear Sir, Your most obedient
and most humble servant,
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields 27 of May 1766.
Dear Sir, Your Guest is not a little whimsical. He made me no
Reply, when I endeavoured to persuade him to accept His Majes-
ty's Bounty, even tho a Secret : Upon which I made a new Applica-
tion to General Conway, that he woud prevail on His Majesty to
départ from this condition. The General only requires, as is rea-
sonable, that Mr Rousseau should promise to accept, in case of
the king be pleased to bestow on him a Pension publicly. I hâve
wrote him the enclosed for that Purpose, in case he be with you
at Davenport. I hâve also wrote to Wooton under Direction to
your Steward, in case he be at that Place. If he be at Wooton,
you may open and read and burn the enclosed.
1 am Dear Sir your most obedient and most humble servant.
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields 19 June 176(3.
III -'
Dear Sir, I hâve a Friend, who bas a considérable Estate in the
County of Suffolk, and who is esteemed one 0/ the most judicious
Farmers and Improvers in that part of England.. I gave him an
Accout of your Machine for levelling the Ridges ; and as he tells
me, that high Ridges abound very much in Suffolk, and are as
destructive there as elsewhere, he has a great Désire of having
that Machine both for his own Benefit and that of his Neigh-
bours. He asked me whether I could use the Freedom of desiring
you to order one to be made for him, and hâve it sent up to Lon-
don, with some gênerai Directions foT using it. I said, that I knew
enough of your bénéficient Disposition to be certain you would
do every thing to promote so useful an Art as Agriculture : I beg,
^'Br.-Mus. Add. 33491, f. i3.
2 Br. Mus. Add. 32491, fF. 14, i5. — To Richard Davenport Esq'. \
ai Davenport, Brereton Grenn | Cheshire. (
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 277
therefore, the Favour of y ou, that you would order your Trades-
man to make a Machine similar to yours, and to send it up by
the Waggon, directed to Mr Mure in Nicholas Lane Lombard
Street. He will order the carriage and the Price to be paid on re-
ceiving it. He is a Gentleman of a very mechanical Head ; so that
the Machine itself and a short Description of its Use will be
sufïicient for his understanding it. Lord Holdnernesse told me,
that, towards the End of Autumn, he intended to send his steward
across the Country, in order to learn the Use of this Machine.
I doubt not but you will give your People Orders to communicate
to him ail the Instruction possible.
I am very anxious that I hâve received no Answ^er from your
Guest to my second Letter, containing the offer of which I gave
you an Account. Were he not the most unaccountable Man in
ihe World, I should be very much scandalized and very much
offended at this long silence. After his Arrivai at Wooton, I re-
ceived a Letter MVom him full of thehighest Expressions ofEsteem
and Affection ; and as there has been since no Intercourse bet-
ween us, except in this Affair, where he sees the strongest Proof
of my Friendship, it is impossible for me to imagine, that he
can be any way disgusted with me. Yet perhaps something
has struck his Fancy, which I shall never be able to guess
ov imagine. Did you ever hear from him any surmises of that
kind? Or bave you ever discovered what deep Affliction was,
which he said overwhelmed him about the time of your arrivai at
Wooton? Could your People ever discover it from Mademoiselle?
Or was there reallv any Affliction at ail? Your Letters about that
time assured me that he was in the best humour and the best
Health in the World ; and he is not surely a Man who can cover
with a fair Appearance his Spleen and Peevishness. If he be with
you at Davenport, be so good as to tell him, that I, having occa-
sion to Write to you of another Affair, had expressed my surprise
at not hearing from him. He would not choose, I fancy, that you
should enter farther into His Matter. I am Dear Sir, with great
Regard, Your most obedient and most humble servant,
David Hume.
[Lisle StrJ^eet Leicester Fields [....|^ June 1796.
1 Œuvres, t. XI, p. 3i8, 22 mars.
^ Déchirure.
278 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .f. J. ROUSSEAU
JV
My Dear Sir*, You and you alone can aid me in the most critical
Affair, which, during the Course of my whole Life, I hâve been en-
gaged in. I send you a Gopy of Rousseau's Answer to that friendly
Letter, which I wrote him, and of which I sent a Duplicate to you
at Davenport. You will be astonished, as I was, at the monstrous
Ingratitude, Ferocity, and Frenzy of the Man. I send you also en-
closed my Answer, which I beg you to peruse before you deliver
it. You must certainly think, that, after this Provocation, I hâve
treated him with sufficient Temper, and that my Demand is extre-
mely reasonable. I can insist on no less, than that he specify
the Points of which I am accused and name the Accuser. If it
were necessary, I should conjure you by ail your Regards to Truth
and Justice to second my Demand, and make him sensible of the
Necessity he lies under of agreeing to it. He must him.self pass for
the Lyar and Galumniator, if he does not comply. Be so good,
therefore, since Matters hâve corne to this Extremity, to deliver
to him this Letter, and tell me his Behaviour on perusing it. You
will hère hâve occasion to become acquainted with the Morals
and Character of your Guest.
I am Dear Sir, Your most obedient and most humble servant,
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields 26 of June 1766.
P. S. Prav observe in what manner he disguises the story,
which I told you preceded the day of his Departure from London.
I should be very unhappy were I engaged Avith a man of less Pro-
bity and Morals than yourself.
Mr Rousseau's Letter to M"" Hume. A Wooto'n 23^ of June 1766.
[Vient la 'copie de la lettre publiée dans l'édition Hachette,
tome XI, p. 35o : Je croyois que mon silence, interprété par votre
conscience, en diroit assez; etc.]
V» . .
My Dear Sir, I write you both to Davenport and to Wooton; but
my chief Letter goes to Wooton ; because, from your Account, I hâve
^ Br. Mus. Add. 32491, ff. 16, 17.
3 Cette lettre fut envoyée à Wootton et Rousseau Touvrit par erreur ;
et. p. 114, 28 juin, VII. La lettre suivante fut adressée en Cheshire; la
combinaison de Hume" se trouva dérangée.
a Br. Mus. Add. 29626, if. i3, 14. — To \ Richard Davenport Esq^. |
at Davenport | Brereton Green \ Cheshire.
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 279
best Reason to think you are there. I beseech you keep the Duplicata
of my last Letterto Rousseau, which I desired you to open and to
read at Davenport ; and I wish you would either send it to me or
a Copy of it by the first Post. I shall not hâve Peace of Mind till
you hâve met with this Man, and hâve given me an Account of
your Conférence with him. Hâve Compassion, I beseech you, on
the most signal Beneficence, exposed to the blackest Ingratitude.
You hâve a heart formed for feeling that cruel situation.
I am Dear Sir Your most obedient humble servant,
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields 26 of June 1766.
VP
Dear Sir, I conjecture from your Letter, that Rousseau hadsent
you the Copies ofsome of my Letters to him, since he wenttoWoot-
ton. I wish heartily you could get Copies of ail them, and would send
them to me. You would find every one of them extrême friendly
and even wrote with the greatest Discrétion as well as Civility. It
would be of no conséquence for me to hâve Copies of them, were
he not the most dangerous Man in the World, on account of his
Malice and his Talents. I cannot take too many Précautions
against him. I doubt not but you hâve long ago delivered to him
my Letter, which I sent you open ; and that you hâve carefully
remarked the Effects of it. I pray heartily on ail account that
your Grandson may be thoroughly recovered. You see how inno-
cent I am ; yet I assure you I feel Uneasyness from the Pain
which you must feel on this occasion.
If he dénies, that he ever gave his Consent to the solliciting
this Pension, tell him of the Letter to Lord MareschaP, and
his thanking General Conway' and General Greeme* for their
Friendship in this Aflfair.
1 am, Dear Sir your most obedient and most humble servant,
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields 4 of July 1766.
' Br. Mus. Add. 29626, ff. 17, 18. — To \ Richard Davenport Esq' |
at Wootton \ Ashborue | Derbyshire. — Cette adresse est biflFée et rem-
placée par la suivante, d'une autre écriture: To \ Richard Davenport
Esq' at Davenport | near Holmes Chaple Cheshire | To be left at Bre-
reton Green. |
2 Lettre inconnue.
' Œuvres, t. XI, p. 343, 22 mai.
* Lettre inconnue.
'iSo ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
VIP
Dear Sir, 1 received to day a Letter^ from Rousseau, which is as
long as would make a two shillings Pamphlet, and I fancy he in-
tends to publish it. It is perfect Frenzy. He says that M. d'Alembert,
Horace Walpole and I had entered into a Conspiracy to ruin him,
and hâve ruined him. He says, that his first suspicions arose in
France, while we lay in two beds in the same room of an Inn.
There I talked in my sleep, and betrayed my bad Intentions against
him. He says, that young Tronchin of Geneva, son to the Phy-
sician of that name, his mortal Enemy, lodged in the same house
with me at London : and he adds, that my Landlady looked cold
on him, as he went by lier in the Passage. He says, that I am in
a close Confederary with Lord Lyttleton, his mortal Enemy, and
that tho the English Nation were fond of him on his first arrivai,
Mr Walpole and I had totally alienated this Affections from him.
He allows, however, that his Belief of my Treachery went no
farther than suspicion, till he arrived at Wootton, but then it rose
to Certainty. For there were several Publications in the Papers
against him, which would proceed from no body but me or my
Confederate, M"" Walpole. I am really sorry for him; so that, tho
I intended to be very severe on him in my Answer, I hâve been
very sparing, as vou may see. I would not, however hâve you
imagine that he has such an extrême sensibility as he prétends.
He wrote tô General Conway, that he was oppressed with such a
grievous Calamity as deprived him of the Use of his Sensés and
Understanding. This was about the time of your first arrivai at
Wootton, when you Avrote to me, that he was perfectly gay, good-
humoured and sociable : So that thèse Complaints of his Misery
and sufferings are a mère Artifice. I find in many other Respects
that he lies like the Devil. You cannot imagine what a false and ma-
licious Account he has the Assurance to give me of the Transaction
between him and me the last Evening he was in Town which I rela-
ted to you. I am afraid indeed you hâve a very bad Pennyworth
of him ; but if I may venture to give my Advice,' it is, that you
would continue the charitable Work you hâve begun till he be
shut up altogether in Bedlam or till he quarrel with you and run
away from you. If he show any Disposition to write me a peni-
tential Letter, you rnay encourage it, not that I think it of any
Conséquence to me, but because it will ease his mind and set
' Br.Mus. Add. jt/bo, ri'. 21, 2J.
- Œuvres, t. XI, p. 353, 10 iuillei.
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 28 I
him at rest. I write you in some hurry, as I set out to day for the
Duke of Bedford's. I shall if possible pay my Respects to you in
my way North. I am Dear Sir, Your most obedient humble ser-
vant,
David Hume.
i5 of July 1766.
P. S. The grievous Calamity, vvhich he spoke of to General
Conway, he now tells me was his Discovery of my Treachery.
I thought to hâve wrote to him by this Post ; but really hâve
not Leizure and scarce Patience : I shall perhaps write him some
time after.
VHP
Dear Sir, I must beg you to take the trouble of sending the enclo-
sed^ to your Guest, after having read it. It is the last Trouble of the
kind, which I shall ever give you ; so I hope for your Excuse. As he
will receive no Letters by the Post, this is the only method by
which I could reach him ; and I am besides well pleased that you
should be acquainted Avith every step of my Behaviour, in hope
of your Approbation. This Man's Conduct is such a Composition
of Wickedness and Frenzy, that one does not know whether they
are to be angry at him for the one or to pity him for the other ;
I flatter myself, that vou will think my Letter sufficiently tempe-
rate and décent.
I propose soon to be at your Fire-side or rather in your shady
Grove, for I think the Weather more suitable to the latter than
the former. You will allow me to bring my Friend along with
me : It is Dr Armstrong, Author of the Art of preserving Health,
and of many other fine Pièces : He is besides a very worthy man.
I shall use the Freedom to inform you some time before we set
out. I am, Dear Sir. Your most obedient and most humble ser-
vant.
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields, 22of Julv 1766.
IX ^
Dear Sir, I hâve been detained so long in London, that Dr Arms-
trong has left me above a Fortnight ago ; and now I am hurried down
' Br. Mus. Add. 29626, f. 25.
- Streckeisen, o. c, t. II, p. 289^ 22 juillet, XVI.
Br. Mus. Add. 29626, ff. 3o, 3i.
282 ANNALES \m I.A SOCIÉTÉ J. .(. ROUSSEAU
to Scotland, and by another Road and in another Company ; so that
it will be impossible for me to pay you a visit at Davenport. I assure
you, that I regreat this Accident very sincerely ; I proposedto my-
self a great deal of Pleasure in passing some days with you in your
Country Seat ; and I wanted very much to show you the whole
Train of correspondence between your Guest and me. I am sorry,
that that Affair has made so great a Noise ail over Europe : But
i found myself obliged to make the Rupture public in order to
prevent ihe Effects of his Malice against me : He is writing his
Memoirs, and intends to blacken me as much as possible: He
threatens me in a Letter with this vengeance ; and I forsaw, that
thèse Memoirs might be published either after my Death or after
his. In the former Case, there would be no body to tell the Story
or to vindicate my Memory. In the second Case, myApology, being
vvrote against a dead Man.. woud lose much of its Authenticity.
For this Reason, I hâve drawn a Narrative of the whole Transac-
tion, inserting ail the Letters on both Sides, which indeed com-
pose the far greatest Part of the Pièce : Among the rest, I insert
that long Letter of Rousseau, which contains a full Détail of his
•Grievances against me, and which I hâve already mentioned to
vou. I intended to hâve shown you the whole Narrative, I hâve
made one Copy, which I hâve deposited in a sure hand at Paris :
I hâve given another to Lord Hertford, and I keep another to
myself. Thèse will remain in Reserve, till Rousseau attacks me,
which I expect every day ; and I wonder indeed he has delaid it
so long. 1 know not whether so much Précaution on my part be
not superfluous ; tho the Malignity and Talents of your Guest
render him very dangerous. There is scarce, however, a Person
in Europe, who does not look upon him, at présent as very mad
or very wicked OT-as both: and if the public Voice were not apt
to be soon obtiterated, I might safely rest my Defence upon it.
When I say, that he is a very dangerous Man, I do not mean,
that he is likely to prove so to you : As you hâve been so happy
as never to make yourself known to the Public as an Aiîthor, he
is less likely to entertain any Jealous.y against you ; and he may
submît Avith the less Répugnance to the great Obligation which
he owes you. Your living at such, a Distance from him will also
serve not a little to préserve your mutual Friendship. For thèse
Reasons, I shall use the Freedom to repeat my Exhortations to
you, that you continue, as long as possible, the same good Offices
towards him, which you hâve so charitably begun. NotAvithstand-
ing his atrocious Condvict towards me, I should be sorry to see
him abandoned by ail the World : vour knowledge of his Cha-
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 285
racter will only serve you to use the greater Précautions against
him : And he is now a better Object of your generous Humanity,
that he bas been, in this Instance, so unfortunate in his Beha-
viour.
He must now expect to live altogether on his own Funds, without
any Pension. Unhappy Man ! to deprive me so cruelly of the de-
licious Pleasure I felt in serving him ; and at the same time to
oppose se violently his own Interest. I was obliged to show the
whole train of the Correspondance to General Conway, which
cuts oflf ail his hopes from that Quarter. But what is more, the
King has heard of the Affair, and expressed a great Guriosity to
know the whole of it; so that I was obliged to send my Narrative
to His Majesty. Rousseau needs not complain, that only one Side
is shown : For as his long Letter is inserted, his Pleading is very
fully heard against me.
If you do me the Favour to write me, please to direct to me
as usual. For I shall not probably be long in Scotland ; and my
Landladies bave Directions to send my Letters after me. I am
Dear Sir with great sincerity Your most obedient humble servant,
David Hume.
Lisle Street Leicester Fields, 2 Sept' 1766.
X>
Dear Sir, You seemed désirons of knowing what may hâve be-
come of your old Ouest, the wild Philosopher: I heard by a Letter
yesterday from Paris, that he had appeared at Meudon, in the neigh-
bourhood of that City, and had there shown himself in a pretty
public manner : my Friend adds, that, from the late Transactions,
ail the World looks on him as absolutely mad ; yet it was to
be feared if he continued to appear publicly he would either
be put in arrest, or banished the kingdom. However, if you bave
any thing to write to him, 1 believe I could find the meansofcon-
veying it ; and you will, therefore be so good as to send it to me.
He is much to be pitied, particularly from the strange unhappy
Turn that his Madness has taken : and I doubt he may remain
long in his présent melancholy situation, too wise to be confined,
toc mad to govern himself. Some People will even question, whe-
ther he ever was otherwise, notwithstanding the great Genius and
Talent that appear in his Writings.
I know not, what can be done with regard to his Pension : It
has passed ail the Forms in the Treasury ; but unless he appoint
' Br. Mus. Add . 2()626, f. G7.
■284 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
some Person to receive it, it never can be paid. Be so good as tcv
mention that matter to him, and désire him to write a Letter to
Charles Lowndes Esqr Secretary to the Treasury, appointing
him to pay the Money to some Person. whom he, Rousseau, shall
choose.
I shall be glad to hâve a Copy of his Letter to vou on leaving
you. I do not know, if you heard, that he said to a gentleman in
Lincolnshire, that your Housekeeper had quarrelled with his Gou-
vernante, and that the former threw Cinders and ashes into his
Pot, which was the Reason of his leaving you. By ail Accounts
ihe same Demoiselle is a very mischievous Créature : I hâve been
assured, that she was the cause of ail the Frav ht-tween him
and me.
We shall, no doubt, hâve his Memoirs soon published, which
will be a curious Performance. But you think his chief occupa-
tion while at Wootton was of a différent Nature. Hâve vou any
Notion what it was?
Lord Holdernesse has thanked me much for your Civility to
his steward who is much satisfyed with your Machine. Yesterday,
I was giving to Charles Turner of Yorkshire an Account of its
opération : He stands much in need of such a Machine in his part
of the World ; and I may perhaps hâve occasion to give you the
same Trouble with regard to him. But I know that you do
not regard the Propagation of Improvements in Husbandry as a
Trouble.
You will probably see in a few Posts an Account of General
Comvay's Résignation : However, I shall not immediately leave
London ; and shall be glad to hear from you. I am Dear Sir. Your
most obedient and most humble servant.
- ■ David HiMK.
London i of-July 1767.
P. S. Please direct to me at Miss Elliot's in Brewer-Street.
Louis Dutens.
I' ■
Mr Dutens présents his respects to Mr Davenport, cannot posi-
tively say whether the paquet he has the honor of sending him
for Mr Rousseau contains any thing essentiel, and which should
Br. Mus. Add. 39626, f. 43.
LETTRES DK DIVERS A DAVENl'ORT 285
require its being sent immediately ; he only knows it cornes from
one of his most intimate friands of Paris, and shall be much obli-
ged to Mr Davenport for the trouble the will be so kind as to take
in order to forward it as he will think most adviseable.
Hill Street. Saturday iit'' Jany [1767].
II'
Mr Dutens présents his respects to Mi Davenport, and begs he
will be so good as to forward the enclosed to Mr Rousseau, from
whom he had a Letter^ Saturday night in which he gives him
leave to choose which manner he liked best to make the Payment
of the Library ; Mr Dutens has chosen the annuity of Lst. 10 a
year, to commence the 5th June next ; he has wrote it in enclo-
sed which will serve to Mr Rousseau as an acknowledgement or
Bond. He will endeavor to wait on Mr Davenport before Wed-
nesday the Day fixed for his Departure ; but if he has not the hon-
or of seeing him, he begs leave to express to him hère, how
sensible he is of Mr Davenport's civilities, and how much he
congratulâtes himself that he had the advantage of knowning so
respectable and worthy a Gentleman.
3oth March [1767].
IIF
Newcastle 22tl March 176S.
Dear Sir, I received in due time the honor of your Letter of
the ôth past, as well as the Books * you were so kind as to send
me, and I return you my best Thanks for the trouble which you
hâve been so good as to take about this. I hâve had also a Letter
from Mr Rousseau who says nothing to me of his coming to En-
gland.
My not having your Direction makes me doubt whether this
will reach you, and be shorter than othervise I should be.
I hâve the honor to be with the greatest Respect, Sir, Your
most obedient and most humble servant,
L. Dutens.
' Br. Mus. Add. 29626, f. 35.
-' Œuvres, t. XII, p. 7, 26 mars.
3 Br. Mus. Add. 29626, ff. 72, -jy.^-To \ Richard Davenport Esq' \ Lon-
don. I —Dune autre écriture: Try Pall Mail. \ —De l'écriture de Da-
venport : Pall Mail \ apened by me in Norfolk Street. | R. Davenport.
* Restés à Wootton. Œuvres, t. XII. pp. 7, 42.
286 ANNAI.es IjE I.A société .1. J. kOUSSKAlJ
Dempster .
Sir, The enclosed Letters were sent me by a friendof M"" Rous-
seau's to be some how conveyed to him as it seems he will take
no Letter directed to him in the post office. May I beg there-
fore that you will deliver the enclosed to him. He will know the
hand upon the Back of the Letters and may either receive
îhem or not as he thinks proper. I beg pardon for this trouble
and I hâve the honour to be, Sir, Your most Obedient Humble
Servant,
George Dempstek -.
Scarbrt). 21. 1766.
Becket'.
London Sept. 6. [1766.]
Sir, 1 hâve received a Letter* from Mf Rousseau expressing his
concern at the enormous expense of his cases from Switzerland,
and seems to be very much vexed at it. I sent M^ R. some time
ago the particulars of the charge just as I paid it ; but his
astonishment at it is strongly expressed in a Letter lately recei-
ved, an Answer to which is enclosed.
I am sorry he was unacquinted with the Customary duties hère
but it is what every one is liable to, and what I pay very often —
and no redress can be had, for they reckon so much on every
hundred weight. — The 7 cases weighed 1224 pounds — and the
freight from Switzerland hère came to above Lst., 16. —
The part I hâve taken in this affair was purely to serve him
for I hâve paid every farthing I hâve charged him as per Receipts
by me.
I could wish Mr R. would reconcile himself to what is unavoi-
dable — for if it was in my power to redress this griévance I
would not lose a moment in doing it^
1 am Sir your Most Obedient Humble Servant.
T. Becket.
.1 Br. Mus. Add. 29626^ f. 29.
2 1732-1818.. agriculteur, membre du parlement; taisait partie du
Poker Club.
s Br.' Mus. Add. 29626^1!". 32, 33. — To \ Rich. Davenport Esq\
* du 23 août, p. 119, XIV.
1-ETTRES DE DIVERS A DAVENFORl' 287
Cowper^
The pleasure of your's, Dear Sir, with your Apology (for which
there was little occasion) was duly received. I was sorry that you
had an Attack of the Goûte ; but if it is to do you good I cannot
be so. î was affraid that Rs peevish letter was a prélude to some
further extravagance. I must let you know that before I had
your's on this subject I received a letter from Paris from a well
wisher^ of Rousseau's in which they ask me the question vizt :
Whether he had not quarelled and left his best friend and benefac-
tor Mr Davenport, at which I was greatly surprised. However this
serves to shew that either Madm la Vasseur or he, had imparted
this to their friends in Paris before it happened. I hâve read se-
veral things in the newspapers since concerning that very singu-
lar being and if I am to crédit common report he is actually gone
to France ; but know nothing further. The pleasure of one from
you will clear it up, and in the meantime I am, Dear Sir, with
Mrs Cowper's best respects to you and family, wishing you soon
restored to good health, Your most humble and most Obedient
Servant.
J. COWPER '■
June the 6<h. 1767.
Rougemont K
Sir, On my return home from Tunbridgewell hâve found the letter
you hâve favoured me with the 25. July, agréable to which hâve
received Mr Rousseau's 3 trunks and a box of books, which I hâve
forwarded to him according to his order, and I hâve acquainted
him with the Lst. 21.9 you hâve remitted me on his account.
As to Lord Newnham hâve heared nothing of, perhaps his
Lordship knows not the money owing to M. Rousseau is to go
thro' my hands; if you think well of it shall write to this noble-
man about it, in that case be pleased to favour me with the direc-
tion.
1 Br. Mus. Add. 29626, ff. 65, 66. — To \ Ricli^ Davenport, Esq. \
3 Mirabeau ? Œuvres, t. XII, p. i3, 8 avril 1767.
' Concierge de Wootton.
* Br. Mus. Add. 29626, ff. 68, 69. — To \ Richard Davenport Esq'. \
at Wootton \ near Ashburn . Derbyshire. |
2S8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
No one else has been with me concerning the said M. Rousseau,
so I suppose the Gentleman' who inquired of vou after him has
not been found out by M"" Lewis.
I had a letter from Mr Rousseau a few days ago, with an inclo-
sed to M. Loundes concerning the pension^ which he accepts of.
I was at the Treasury this morning, when I found M. Loundes
gone from that office, and one ^ M'- Breadshaw filling up the
place ; he has put me off to Tuesday next.
If you favour me with an answer, pray let it be per retourn
of the post, otherwise it wont find me in this place, for next Sa-
turday sennight I intend to set out for Bath, where my physician
sends me for the recovery of my Health, which has been for
some time and still now is much out of repair, and really without
it this life is a sad burthen.
I very respectfully remain, Sir, vour mosi obedient humble
servant,
Joshua ROUGEMONT.
London the 2oth Augt. 1767.
Your inclosed was duly forwarded to M. Rousseau*.
E. Lettres de divers à Hume.
Du Peyrou^
Monsieur, Rien ne pouvoit m'intéresser plus vivement et d'une
manière plus agréable que la lettre que je viens de recevoir de vous.
Les détails satisfaisans que vous m'y donnez, Monsieur, sur un
homme qui m^est aussi cher que Mr Rousseau, achèvent de me tran-
quilliser sur son sort, et deviennent pour moi de nouveaux mo-
tifs d'aimer et de respecter en vous l'Ami de mon Ami. Je sens
Monsieur combien vous avez du influer sur les arrangem-ens qu'il
a pris avec Mr Davenport, cet Anglois si digne de sa Nation, et
dont 'le seul trait d'avoir accepté une pension de Mr Rousseau le
caractérise si avantageusement, et peint la générosité et la bonté
de ''.)n ame. Notre Ami a grand besoin de trouver de ces âmes
' Malthus? cf. p. 218, 6 août, XII.
- Lettres inconnues.
•' Mot illisible.
■• Cf. p. 197, XLi.
^ Br. Mus. .\dd. 29626, ft". 11, 12.
LETTRES DE DIVERS A DAVEXPORT 289
honnêtes et privilégiées qui pour l'arranger, sachent mettre des
bornes à leur propre penchant, et contraindre leur générosité na-
turelle, ou pour mieux dire, les effets ordinaires de cette vertu.
La délicatesse du procédé de Mr Davenport me le rendroit bien
respectable, quand même je ne le connoitrois que par ce trait ;
mais l'éloge que vous en faites, Monsieur, et celui que M^ Rous-
seau m'en a fait lui-même, me sont garands que mon Ami dont
je devois être l'Hote s'il fut resté en Suisse, m'a remplacé bien
avantageusement pour lui. Je ne suis point inquiet sur l'emploi
de son tems dans cette solitude. Je suis sur que l'ennuy n'en ap-
prochera qu'avec les visittans inconnus. La saison va lui offrir le
spectacle de la campagne, tel qu'il aime à la trouver, et son goût
pour la Botanique lui offre des ressources et des plaisirs sans sa-
tiété, et qui tous les jours deviennent plus piquans. J'espère qu'à
l'approche de l'Hyver, il aura reçu les papiers et les livres dont je
dois au premier jour lui faire l'envoy. Je ne lui désire que de la
santé, et l'oubli de ses ennemis. Les amis qu'il a trouvés en An-
gleterre, l'accueil qu'il y a reçu, la bienveillance des habitans de
la province où il s'est retiré, voilà, Monsieur, de quoi satisfaire
une ame aussi sensible et aussi active que celle de Mr Rousseau.
Comme homme, il a des foiblesses, et je range parmis [sic] les
siennes, son excessive délicatesse, et son goût décide pour la re-
traite, deux choses qui doivent affliger ses amis d'autant plus
qu'il aime lui-même à donner, et qu'il est fait pour la société, par
ses moeurs, et par son ton ; mais la connoissance des hommes,
l'amour de la liberté, et sa confiance souvent trahie doivent le
justifier de ces petites taches qu'il achève d'effacer par tant d'au-
tres endroits. Je ne prétends point, Monsieur, faire l'éloge de cet
homme intéressant par tant de cotés. Vôtre estime et vôtre ami-
tié pour lui en disent plus que je ne pourrois en dire.
Je vous serai fort obligé. Monsieur, de bien recommander à
Mess. Guinand et Hankey Banquiers à Londres, le modèle que
vous m'annoncez \ et qui par sa ressemblance devient à mes yeux
d'un prix infini. Malgré mon impatience de le recevoir, j'aime
mieux qu'on en diffère l'envoy que de le confier en des mains peu
sûres.
Il a paru ici une petite pièce que je vous envoyé cy incluse.
C'est la réponse du Roy de Prusse à son cher clergé de Neufchà-
îel, qui s'étoit plaint des arrêts du Conseil d'Etat relatif à l'affaire
de M' Rousseau^. Vous comprenez bien, Monsieur, que ce ne sont
1 Le plâtre de Gosset. Œuvres, t. XI, p. 3 19, à Hume, 29 mars 1766.
2 Milord Maréchal en donna copie à Rousseau; Streckeisen, 0. c.»
t. II, p. 147, 8 mai, LXXX.
290
ANNALKS ni-: LA SOCIKTI': J. J. ROUSSEAU
pas nos Prcircs qui ont publié cette réponse. On en attribue l'im-
pression à leur adversaire le plus redoutable, M^ de Voltaire. La
pièce est bien conforme à l'original, excepté à la ligne 14 de la
page 2 où au lieu de à un hoinnie, etoit au ^> Rousseju. Je vous
en envoyé cy inclus un exemplaire.
Mr de Luze qui a eu le bonheur d'être votre compagnon de
voyage est bien sensible à votre souvenir, et me charge, Monsieur,
de vous en assurer ainsi que de ses très humbles obéissances.
Il est encore ici un homme qui conserve le souvenir le plus re-
connoissant de vos bontés pour lui ; c'est M"" de Meuron qui se
dispose à repasser en Angleterre dans peu de temps.
11 est tems de vous laisser respirer ; ma lettre s'est allongée au
delà de mes intentions. Je vous en demande pardon, et de tout
l'ennuy qu'elle pourra vous donner, et recevez avec bonté les
assurances de la considération très respectueuse avec laquelle j'ay
l'honneur d'être. Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur,
Dr Pkvrou.
Neufchatel 4 May ijOû.
Je vous demande pardon si dans l'ignorance de la langue An-
gloise je ne fais pas votre addresse comme je le devois.
Davenport^
[Davenport, June 3o, 17ÔÔ.]
Dear Sir, I hâve not yet been at Wootton being prevented.
by my dear Grandson's having a wom [?] fever; he is now a good
deal better, so if weather permits I intend going over ou tuesday.
that.is to morrow^.
The receipt of you two last gives me great Concerna, which was
augmented vesterday, by some letters I received from M. R.*t()ge-
therwith vours directed l'or me at Wootton^; surely there must be
some unacountable mistaUes,. for it'appears to me an heap of
Confusion, of which I can make neither head nor tail. M' R. seems
» Br. Mus. Add. 29626, ff. 84, 85. C'est le brouillon de la lettre pu-
bliée dans Burton, 0. c, t. II, p. 335.
- Ce paragraphe manque dans Burton. 11 y a plusieurs autres va-
riantes, la lettre de Bu'rton étant au total plus complète.
■ Cf. p. "278, IV, V. '
* Cf. p. 114, VII.
^ Cf. p. 278, V.
LETTRES DE DIVERS A DAVENPORT 29 1
to promise to explain it to me when he sees me, and till then can
not possibly answer your queries nor even guess at what he can
hâve possibly took amiss.
Good God! he must be excessively out of the Avay, about this
pension, in short hâve not patience to add one word more till I
hâve seen him, as soon as ever I hâve I will vvrite as fuUv to vou as
I can.
One of the duplicates you desired me to read and burn, but 1
hâve now the fellow to it and will send it, at my return.
Immediately gave orders for the plough ^ ; as soon as made will
send it according to your directions.
I shall certainly write by Saturdays post.
» Cf. p. 276, III.
Appendices
AI'PKN'DICEï
293
APPENDICES
A. Richard Davenport et sa famille.
a. SOUVENIRS 1>]-: COI.K sur nAVEXPORT^
Mv l'riend. M"" Allen ofTorpolev in Cheshire having been on a
visit for a Fortnight to Mr Robinson at Cransley. in Northamp-
tonshire, came to me on ^^'edn. 24. sept. 1766. and staid a week
with me : while he was with me he told me several Particulars of
ihe greai and wonderful Mr Rousseau, which he had from Richard
Davenport of Davenport and (3alvelev, Ksq', a most intimaie Friend
of M' Allen as well as of Mr Hume and M' Rousseau, who lives in
an House at Wootton under Edge in StafTordshire belonging
to M"" Davenport. Before I saw Mr Allen I did not know where
the Wootton was that he dated his Lettcr from atp. Mp-: so that
the Proverb relating to the Parish whcre this singularitv has
chosen his Retreat. of where God comes never, was ne\er more
litterally verified than in its présent state. M^ Davenport was
educated at S' John's Collège in Cambridge, was alwavs deistic-
ally disposed, and so it is no wonder he has harboured an Apos-
tle of his own way of thinking. He has one Leg much shorter
than the other and has a very high Heel to his Shoe : I hâve
formerly, some 10 years ago. met .him at M'' Allen's House in
Cheshire, when I thought him an agréable cheerful man. He has
a very large Estate and has lately made a Purchase of the original
Family Estate at Davenport in Cheshire or Stafforshire. He mar-
ried a Eady of the Name of Bagshaw, Daughter of a great Dealer
in London. with whom he had a verv large Fortune, and has se-
veral Children by her, who are educated under one Madame de
Lausanne, a French Governess who came from the Town of that
Name : one of his Daughters of about S vears of Age keeps a re-
gular Correspondence with M" Rousseau : so that. no Doubt, she
1 Br. Ms. Add. 5824, fi'. 201, verso. (Journal de \\'illia>7i Cale, l'an-
tiquaire, 1714-1782, Tami de Horace Walpole). De par sa situation dans
le Journal, ce morceau est de fin septembre ou du début d'octobre 1766.
- A la page 19? de son Journal, Cole donne copie de la lettre de Rous-
seau à l'auteur du Saint-James Chronicle : Œuvres, t. XI. p. 327, 7 avril
1766.
296 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1 ROUSSEAU
will be as accomplished as the Author ol' ^i^ m ili us can make her.
Mr Rousseau, when he first came into England, was at the House
of Mr Hume, with his great fat Wife or Mistress, who is the onlv
Person who has any Influence over him : as he came in an East-
ern Dress and talked not a Word of English, it is probable that
People were apt to look upon him in the Light of many of vour
mumping Eastern Princes and Prelates, who often impose upon the
(jenerosity of the English : however, certain it is, that he thought
Mr Hume's servants did not shew him Respect enough ; and quar-
relled with him about it: and in the Country where he résides, he
is looked upon to be extremely jealous and peevish ; and is not desi-
rous of being in Company. By what I could learn, his own Friends
were tired and ashasmed of him. But it is to be hoped we shall hear
more of his private Aflfairs, if Mr Hume's Publication goes on :
when we may give a guess, how far mère Moralitv will enable
Philosophers to stifie Resentments and behave to one another with
common Decencv.
b. TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA FAMILLE DAVENPORT *
(Voir le tableau hurs-iexte ci-contre. I
B. Correspondance relative au Testament
de Rousseau.
I
[Ed. Mainwaring to J. Davenport.-]
Sir, Being at Blithfield^ the other day, I was requested by Lord
Hagot* to inquire of you what you hâve done with the Will of the
late J. J. Rousseau. I do remember on looking over Papers be-
' Etabli d'après : Ormerod, George. The History of the County Pa-
latine and City of Chester. 2^^ Ed. by Thomas Helsby. Lpndon, 18S2.
:i vol. 4«. Vol. II, p. 286. — Earwaker, J. P. East Cheshire ; Past and
Présent. London, 1877- 1880, 2 vol. '4°. — Lysons, D. and Lysons, S.
Magna Br'itannia. London, 1810. 2 vol.. 4». Vol. II, part II, p. 491.—
Burke, B. A genealogical and heraldic History of the landcd Gentry uf
Great Britain. 11"' Ed. London, 1906, 8".
2 Br. Mîis. Add. 29627, f. 4. — M' Davenport \ Bail Haye \ ncar Leek \
.Staffordshire.
■■ Près de Abbots Bromley, en Staffordshire.
* Baron William Bagot (1728-1798).
Tableau généalogique
George Davenport ^ (1682-1722) __ Bri
Richard Davenport
Bridget (1732- . . . .) = John Bromley
Bridget Mary Lucy William Davenport Bp
Phœbe ' (1756-1814) _ Eusebius Horton
Davies Davenport" (1757-18371
filles
Edward Davies (1778-18531 Henry (-f- i833l Harr
Arthur Henry" (1832-1867)
» De Calveley, en Cheshire. — - Fille d'Edward M., de Whitmore, en Staffordshi
Bagington, en Warwickshire. — « De Woodford, Marton et Capesthorne, en Cheshire. — '
et Calveley. — » Le Rév. Walther D. modifia son nom en 1822. — i» Mort sans enfant; C:
"-Propriétaire actuel de Capesthorne, de Wootton Hall, de Bagington Hall.
e la famille Davenport.
;t Mainwaring -
{- 1771) = Phœbe Bagnal
Phœbe (1735-1757) -- Davies Davenport» (1723-1758)
EY (+ 1810)
Charlotte Sneyd
Walther Davenport Bromley» (+ 1862) _ Caroline Gooch
William Bromley Davenport (1821-1884)" _ Augusta Campbell
William Bromley Davenport ^- (i863)
— ■■ De Calveley. — ^ Fille de Joseph B., de Roehampton, près de Putney, Londres. — '■> De
itière de Davenport Hall, co-héritière de Manon, avec John Davenport. — s De Capesthorne
borne passa à William Bromley D. — » Prit ce nouveau nom patronymique en 1868. —
APPENDICES
297
longing to Mr Davenport deceased, \ve found the above mentioned
Will, it was read, and as it contained nothing relative to either of
our Wards we put each our Seals to it and delivered it to you ; as
Rosseau is now dead, his Lordship is desirous to hâve it. You
will be pleased to let me hear from you that I may know what
ansAver to give on any further inquiry. Yours most sincerely,
,,„ . , Ed. Mainwaring.
VVhitmore' August the iS'h 1784.
II
[/. Davenport to Ed. Mainwaring-].
Sir, Your favour of the 18. last month I found on mv return of a
journey last Friday ; I recollected the circumstance about Rousseaus
will but its not being a paper of any conséquence relative to the
afTairs of the Family I could not find it amongst the vouchery etc.
However on persevering in my search I hâve the pleasure of inform-
ing you that I hâve now found it; you will be so good to send
me a Line by the post authorizing me to transmit it to Lord Ba-
got, which, with his Lordship's Acknowledgement to meofthe
rec[eipt] of it will be a sufficient justification to me in case of
any enquiries by the friends of the deceased Rousseau. I hâve the
honour to be Sir Your iMost Oblidged and Obedient servant.
Bail Haye, S sep. 1784.
III
[Ed. Maimvaring to J. Davenport*].
Sir, As Lord Bagot seemed so very desirous to see Rosseau's Will,
I am extremly glad to hear you hâve been so lucky to find it. I
cannot suppose it will ever be of any conséquence, therefore am very
willing you should let his Lordship hâve it. There is no doubt,
but he will be sure to acknowledge the receipt of it, which will be
a sufficient justification both to you, and myself, whatever may
chance to happen hereafter. Yours sincerely.
,,,, . , Ed. Mainwaring.
Whitmore. .Sept, the i3th 1784.
' En Staffordshire, à 20 milles de Wootton
2 Br. Mus. Add. 29627, f. 5.
" John Davenport, co-héritier de Marton, avec Phébé, petite-fille de
R. Davenport ; cf. Appendices, Aa, n. 7.
* Br. Mus. Add. 29627, tf. 6, 7. - M' Davenport \ Bail Haye I near
Leek \ Staifhrdshire.
298 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
IV
[./. Davenport to Lord Ba^ol.^
My Lord, I hâve by the direction oCM. Mainwaring of Whitmore
inclosed to your Lordship the will of the late J. J. Rousseau toge-
ther with a paper to which it refers. When your Lordship consi-
ders that there is a possibility of an enquiry after thèse papers by
the représentatives of the testator and that they were given into
my hands in trust to take care of, and that consequently I may be
answerable for them, I believe you Lordship will not be offended
at my presuming to désire the faveur of literal copies of them
together with your Lordship's acknowledgement to me that the
originals are in your possession. I hâve the honour to be, My
Lord, Your Lordship's obliged servant
J. 1).
Bail Hâve, 26 Sep. 1784.
C. Anecdote sur Rousseau à Douvres (1767)
To the Philological Society.
DoVER.
Gentlemen,
The following Anecdote may be depended on as a fact. Its inser-
tion in the European Magazine will further oblige your corres-
pondent RUSTICUS.
Anecdote of J. J. Rousseau.
In the year -1767, Rousseau, piqued at the neglect with which he
found himself treated in this kingdom after his ridiculous char-
ges against his friend David Hume, quitted Wooton in Derbyshire
very abruptly — even without acknowledging the many ,civilities
he had received .from M' Davenport. to whom the house he had
resided in belonged, and for the use'of which he was indebted to
that gentleman's friendship for Mr Hume. On his arrivai at Dover,
in Kent, as the wind or tide did not serve for the passage-boats
to sail immediately, he received an invitation to dine with P
F , Esq. a respectable character of that place. Whilst at ta-
ble, he expressed the greatest impatience to be at sea. and could
> Bt: Mus. Add. 29627, f. 8.
AiM>KNnicit:s 299
not be persuaded but Mr F. — had been requested by General
Conwax . then Secretary of State, to detain him. In this belief he
arose l'rom table repeatedly, ran to the window, and eagerly loo-
ked if the wind was fair. Ât last, in spite of every assurance from
his kind entertainer, that he was at liberty to do as he pleased,
his fears so overcame his reason, that he hastened on board the
boat, which then lav drv in the harbour, and shut himself up in
the cabin. At this want ot" confidence in John James, Mr F
asked his gouvernante, an elderly lady who resided with him
under that appellation, what method it would be most eligiblc
to pursue to bring the eccentric philosopher from his hiding-
place. She, well acquainted with ail his extravagancies, and with
herown power over him, went, at Mr F 's request, after the run-
away. She began with displaying the very impolite manner in
which he had returned the attentions of that gentleman, and how
much beneath a man of sensé it was to act as he had done. Every
one who knows anv thing of Rousseau, knows the opinion he
enteriained that every individual, every nation combined to render
him an object of contempt and misery. He supposedthat every one
knew his person and his historv, and thence became suspicious
of everv one. With this idea ever in his mind, he was apprehen-
sive that the account of the wind's not being fair, was only a
pretext to detain him in this kingdom. What could induce him to
suppose the English wished to hinder his return to France, it
would be difficult, I believe, to ascertain. Be that as it rnay, the
good lady's rhetoric was ail given to the wind. At last, vexed at
the obstinacy of John James, she began to menace and abuse
him most unmercifuUy, with ail the Avarmth of female indigna-
tion. This had the desired effect : the poor philosopher, ever
wishing to live in peace, and vielding more to the violence of her
rage than the force of her arguments, foUowed the good lady,
trembling, to the shore.
He returned to Mr F *s house, and conversed sociably
with that gentleman and his family till late in the evening. Among
other things he expressed a fear that there might be in his wri-
tings some sentiments which the vulgar misunderstanding, and
his enemies misrepresenting, would prove prejudicial to the inte-
rests of religion. He said he wrote to men of sensé and feeling
only — ahvavs from the heart, and with the purest intentions. —
'. I am not ignorant of the human mind, (continued he) I know
what influence the writings of a man even so little known to some
as I am, may hâve upon the thoughtless part of mankind. Hence I
tremble to think of the effect which the Confessions of Faith of a
300 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Savoyard Vicar, published in my Treatise on Education, mav
produce in the minds of the weak and undiscerning! I am thc
most misérable of men ! Before I commenced author, no one en-
joyed life with greater delight than I did! At the âge of forty, a
question posed by the Academy of Sciences at Dijon in Burgundy,
raised my ambition to become an author. Success made me fool-
ish enough to continue one, and from that period hâve I been
the most persecuted, banished, and unhappy of the human race.
Every circumstance of my life has been maliciouslv held forth to
the public view, and ahvays in a false light. »
I hâve, somewhere, a copy of French verses written by Rous-
seau on his wife, which a gentleman, just returned from France,
put into my hands a few weeks since. As I hâve not seen them
in print, thev shall be at your service very soon, being at présent
mislaid.
European Magasine and Londun Review. Oct. 17S7, pp. 295, 2q(') '.
D. Rectifications et adjonctions.
(Edition Hachette.)
Plusieurs des lettres publiées par Hachette qui se rapportent
aux années 1766 et 1767 ne sont pas datées ou le sont incomplète-
ment ou même faussement ; parfois, le destinataire est inconnu.
A l'aide de nos documents et d'autres sources, nous essayerons
de corriger ou de compléter quelques-unes d'entre elles-.
I. Œuvres, t. XI.
p. .S04, DCCXL'VIII, à la M'^e de Créqui, 3^ janvier 1766.
p. 314, DGGLIX, à M. le Comte OrlofT, Alton, 23 fév. ijhj*.
p. .118, DCCLXV, à Hume, 29 mars 1766-^
p. 327, DCCLXXHI, à Miiord Strafffird^ 7 avril i-^bù.
' La traduction qu'en a publiée le Journal de Genève du 8 novembre
17SS — et que M. Eugène Ritter nous a indiquée — est fragmentaire.
- Nous soulignons les mots en discussion.
s Cf. p. 107, I.
^ Cf. p. 64, note 6.
^ Il faut compléter cette lettre des lignes publiées par Burton, 0. c,
t. JI. p. 32 1.' que nous don'nons d'ailleurs p. 38, note 4.
« Cf. p. 261, II.
APl'ENpICES :)OI
p. 33i, DCGLXXVIII, à Lord Strafford\ 19 avril 1766.
p. 343, DCGLXXVI, au Général Gonway, le /2-mai 1766.
p. 352, DCGXGIII, a Granville, ce mardi après-midi^ i^'- juillet
1766*.
p. 352, DGGXGIV, à Granville, lundi matin" janvier ou début
de février ij6~'^.
p. 352, DGGXGV, à Granville, ce samedi matin"' 2 août ijliô^.
p. 352, DGGXGVI, à Granville, ce samedi 3^ mai i-jCif)^" ou
3 janvier lyOy^K
p. 353, DCGXGVII, à Granville, ce samedi soir ^-.
p. 353, DCGXGIX, a Miss Dewes, ce samedi^^ 6 décembre^*" 176»").
p. 363, DCCCII, à Du Peyrou, 19 juillet 1766 '^
p. 373, DCCGIV, à Davenport, 27 novembre^^ 1760.
' Cf. p. 262, III.
2 et non le 23. Original de Neuchâtel, Ms. 7901.
3 Ci. LIanover, 0. c, t. I, p. 89.
* Cf. « Voilà M. Davenport qui m'arrive^K Or, il vint le i" juillet.
cf. Burton, 0. c, t. II, p. 336, Davenport à Hume, 6 juillet [dimanche]:
« / went over to Wootto)i on Tuesday. »
= Cf. LIanover, 0. c, t. I, p. 77.
6 Les souhaits de bon voyage s'adressent au prochain départ de Gran-
ville pour Bath, où il était dès le milieu de février; cf. Œuvres, t. XI,
pp. 420, 424.
' Cf. LIanover, 0. c, t. I, p. 81.
8 L'envoi du gibier reçu de Davenport, qui l'envoya le i" août;
cf. p. 175, VI. Mention en est faite dans le P. S.; cf. p. 60, note 9. La
recommandation de cuire aussitôt le chevreuil prouve que l'on était en
été; à ce détail près, on eût pu dater ce billet du 6 déc. 1766; cf. p, 179,
XIV.
^ Cf. LIanover, 0. c, t. I, p. 81.
'" Il n'y a que ce samedi 3, en 1766.
" Des deux samedis 3 de 1767, 3 janvier et 3 octobre, le premier seul
entre en ligne de compte.
'2 Cf. LIanover, o. c, t. I, p. 98.
" Cf. p. 248, III.
1* Le samedi suivant, i3 déc, miss Dewes n'était plus à Cahvich;
Rousseau prit congé d'elle le mardi 9 ; Œuvres, t. XI, p. 401.
15 Hachette a omis le premier paragraphe, que voici : « J'a/ reçu, mon
cher Hôte, à très peu d'intervalles vos deux n°' 2j et 28. Vous faites
bien de vous en tenir à l'addresse de la dernière ; n'en change^ point
jusqu'à nouvel avis. Mais si vous pouve^ employer de plus grand papier
et ne point faire d'enveloppe vous me fere^ plaisir, parce que la plus pe-
tite enveloppe paye beaucoup plus que la plus grosse lettre simple. »
(Bibl. de Neuchâtel, Ms. 7901.)
'S Cf. p. i3i, XXIII.
302 ANXALHS DE LA SOCIKIH .1. .1. ROUSSEAU
p. 38o, DCCCVIII, à Rey, 23' août 176»').
p. 391, DCCCXVIII, à Madame de Wartensleben-.
p. 403, DCCCXXIX, à M. Roustan\ 23* janvier 1707.
p. 404, DCCCXXX, à Malthus-', janvier 1767.
p. 420, DCCCXLIV, à Granville, ce mardi matin^. février 17Ô7.
p. 414, DCGCXLX, à Granville, te vendredi soir 1 h janvier''
.767.
2. Œuvres, t. XII,
p. 27, DCGGLXXXII, a Granville, i^r août 1767^
1 Cf. Bosscha, o. c, p. 271, 23 août 1766, n° 142. — Lettres, A, p. 119,
Rousseau à Becket, 2'i août, XIV.
- Cf. p. 169, i3 sept. 1766, note 6.
s Cf. p. 236, note i, 23 déc. 1766, \ .
«Cf. p. i38, note i, 23 janv. 1767, XXVIII.
* Cf. p. 208; le détail de la. ferme solitaire réunit ces 2 lettres.
«Cf. Llanover, o. c, t. I, p. 71, où est aussi indiqué comme P. 5.
le dernier paragraphe dé Hachette.
' Llanover, 0. c, t. I, p. 77; Lettres, C, p. 25o, I.
«Llanover, 0. c, t. I, p. 121, cite la lettre avec le P. S. suivant:
« Vous pouve\, Moyisieur, si vous me faites l'honneur de m'écrire, ad-
dresser votre lettre à M. Josué Rougemont, banquier, GREES LET-
] ICE LAXE, Cannon Street à Londres. Il me la fera parvenir .^)
3o3
TABLES
Table de la Correspondance inédite ^
I. Destinataires".
Becket, ii août 1766 (XIII, 1 181 — 23 août (XIV, 119).
Boswell, 2 août 17(36 (IX,ii5).
Chancelier ilord), 5 mai 1767 iXXXIX, i5ô|.
Créqiii (marquise de), 3 janv. 1766 |I, 107.
Davenport, 11 mars 1766 (II, 107) — 3i mars iIII, loq) — 19 avril
(IV, iioi — 28 avril (V, 112) — 27 mai (XLVII, 172) — 28 juin
(VII, 114) — 24 ou 3i juillet (VIII, ii5) — 9 août (XI, 116) —
6 sept. iXV, 1201 — II sept. (XVI, 121 ; XVII,"i22) — 4oct. (XX,
125) — 14 oct. (XXI, 125) — 27 nov. (XXIII, i3i) — 5 déc.
(XXIV. i33i — 22 déc. (XXV, 134) — 23 janv. 1767 (XXVIII,
r37i — 3i janv. iXXIX, i38 ; XXX, 140) — 2 fév. (XXXI, 142)
— 5 fév. (XXXII, 143) — 9 fév. (XXXIII, 144) — mars (XXXV,
i52) — 0 avril (XXXVI, 02) — 3o avril (XXXVIII, 154) — 14
maiiXLI, 159) — 18 mai (XLII, 160) — i5 déc. (XLIII. 160) —
2 nov. 1768 (XLIV, i63) — 17 mars 1769 (XLV, i65).
Du Peyroii, 171)6 (XXVI, i36; XXVII, 137).
Granville, 2 août 1766 (60 n. 9) — 1766 (60 n. 101 — 16 janv. 1767
(41 n. (Il — 29 avril (XXXVII, i53).
Guy, i? nov. i7("j6 (XXII, 127) — fév. 1767 (XXXIV, 147I.
Hume, 17 mars 1766 (33 n. 3) — 29 mars (38 n. 4).
Jessop, i3 mai 1767 (XL, 157).
Kenrick, 20 sept. 1766 (XVIII, i23|.
Lucadou et Drake, 4 août 17(36 (X, 116) — 11 août (XII, 117).
Portland 1 duchesse de), (61 n. 3 ; (33 n. 6).
Rousseau, Jean, sept. 1766 (XIX, 124).
Vaillant, avril i7(36 (VI, 11 3).
1 Les chiflres romains entre parenthèse indiquent le numéro de la
série, les chiffres arabes désignent la page.
' Il s'agit uniquement des destinataires des lettres écrites par Rous-
seau .
304 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
II. Expéditeurs \
Beauteville, g mai 1766 (2(59).
Becket la Davenport), 6 sept. 176(3 I286).
Boothby, ïi déc. 1766 (I, 263) — 24 fév. 17(38 ill. 2(341.
Cossé, 25 juillet 1771 (274).
Cowper (à Davenport), 6 juin 1767 (287).
Davenport, ï" avril 1766 (I, 173) — 3 avril (11, 1741 — 6 juin iIII,
174) — 21 juin (IV, 175) — 3o juin iV, 173) — là Humel 3o juin
(290) — ler août (VI, 175) — 8 sept. (VII, 1761 — 10 sept. (VIII,
1761 — i3 sept. lIX, 177) — 14 sept. |X, 177) — 16 oct. (XI, 178)
— 26 nov. (XII, 178) — ^r déc. (XIII, 170) — 5 déc. (XIV, 179)
— 7 déc. IXV, 1791 — 9 dec. (XVI, 179) — i5 janv. 1767 (XVII,
180) — 20 janv. (XVIII, 1801 — 22 janv. (XIX, 181) — 27 janv.
(XX, 182) — 3 fév. (XXI, i83) — 5 fév. (XXII, 1841 — 10 fév.
(XXIII, i85l — 14 fév. (XXIV, 186) — 25 fév. (XXV, 187) — 28
fév. (XXVI, 187) — 5 mars (XXVII, 188) — 12 mars (XXVIII,
]88) — 19 mars (XXIX, 189I — 24 mars (XXX, 189 ; XXXI, 190)
— 26 mars (XXXII, 191) — 3i mars (XXXIII, 192) — 2 avril
(XXXIV, 192) — II avril (XXXV, 193) — 16 avril (XXXVI, 193)
— 4 mai (XXXVII. 194) — 18 mai (XXXVIII, 194) — 23 mai
(XXXIX, 196) — 4 juillet (XL, 196) — 25 juillet (XLI, 197) —
17 oct. (XLII, 198) — 3i oct. (XLIII, 1991 — 16 fév. 1768 (XLIV,
200; XLV, 201) — 8 avril (XLVI, 201) — !«■■ janv. 1769 (XLVII,
■ 2021.
Dempster la Davenport) — 21 août 17G6 (286)-.
Dewes, Mary, 29 nov. 1766 (I, 248) — nov. -déc. (II, 248) — 6 déc.
lili, 248) — 18 déc. (IV, 249) — 6 nov. 1767 (V, 249) — 1776 (100
n. I).
Du Peyrou (à Hume), 4 mai 176(3 1288).
Duiens, F., 3i oct. 1766 (247).
Dutens, L. (à Davenport), 11 janv. 1767 |I, 284) — 12 janv. (I, 239)
— 12 fév. (II, 240) — 26 féy. (III, 241) — 5 mars (IV, 24?) — 19
mars (V, 244) — ^ (à Davenport) 3o mars (II,' 285) -=- 5 nov. (VI,
246) — 10 fév. 1768 (VII, 246) -^ (à Davenport) 22 mars (III, 285|.
Granville, 16 janv. 1767 (I, 25o) — 9 mars (II, 25o) — 6 nov. (III,
25 II.
Gregory, i^r fév. 1766 (266).
Hall, 3i janv. 1766 (265).
' Expéditeurs des lettres- adressées à Rousseau et à divers.
— .\ la page 286, le nom du mois est tombé pendant l'impression du
texte.
TABLES 3o5
Hnme (à Davenport) 27 mai 1766 (I, 275) — (à Davenport) 19 juin
(II, 276) — (à Davenport) juin (III, 276) — (à Davenport) 26 juin
(IV, V, 278) — (à Davenport) 4 juillet (VI, 279) — (à Davenport)
i5 juillet (VII, 280) — (à Davenport) 22 juillet (VIII, 281) — (à Da-
venport) 2 sept. (IX, 281) — (à Davenport) ler juillet 1767 (X, 283).
Jeasop, 10 mai 1767 (273).
Kenrick, g sept. 1766 (270).
Lamande, 3 oct. 1766 (271).
Lucadou et Drake, 5 mars 1766 (269).
Malthus, 16 janv. 1766 (I, 2o3) — 24 janv. (II, 2041 — 24 fév. (III,
2o3l — 26 fév. (IV, 206) — 27 fév. (V, 207) — 12 mars (VI, 208)
— (à Thérèse Le Vasseur) i3 mars (VII, 209) — 29 mars (VIII,
210) — ler avril (IX, 212) — 18 juillet (X, 214) — ler déc. (XI,
2i5) — 6 août 1767 (XII, 217) — 14 déc. (XIII, 219) — 24 janv.
1768 (XIV, 219).
Morel-Disque, 3 mars 1766 (268).
Nnneham, 27 janv. 1767 (I, 222) — 10 fév. (II, 223) — 19 fév. (III,
224) — 28 fév. (IV, 224) — 7-12 mars (V, 225) — 7 avril (VI, 229)
— 7 mai (VII, 227)— 27 juillet(VIII,228) — 22 janv. 1768 (IX, 228).
Rongemont (à Davenport), 20 août 1767 (287).
Rotisseau, Jean, 3o sept. 1762 (I, 25i) — 4 mai 1766 (II, 256) —
s. d. (III, 257) — II sept. (IV, 258) — 17 nov. (V, 259).
Roustan, 28 août 1766 (I, 229) — 11 oct. (II, 23i) — 24 nov. (III,
2331. — i3 déc. (IV, 235) — 23 déc. (V, 233) — 9 fév. 1767 (VI,
236) — 10 mars (VII, 2381 — 5 mai (VIII, 238).
Stewart, 1767 (272).
Stonhewer (à Davenport), 22 janv. 1767 (182 n. i).
Sfrafford, 28 mars 1766 (I, 261) — 10 avril (II, 261) — 24 avril (III,
262).
Index des noms cités ^
Abauzit (Firmin ; 1679-1767), Allen (of Tarpoley), 293.
23o, 23i, 237, 238. Ally (Miss), 5o, i33, i38 n. 3,
Achates, 211, 2i3. 139, 144, 176 n. 3, 177, 179,
Adam (Mrs.), 3o n. i. 180, 194, 198.
Adanson (Michel; 1727-1806), Ami, 23i.
149. Andover (viconitesse), 64, 66
Alembert (Jean Le Rond d'; 1717- n. i.
1783), 280. Arburton, 267 n. i.
» Par l'adjonction des prénoms et des dates, nous avons tenté de faire
de cet index un utile complément biographique à notre mémoire.
20
3o6
ANNAI,ES DE LA SOCIETE .1.
ROUSSEAU
Argyle (Archibald Campbell,
duc d'; 1682-1761), Son. 9, 226.
Aristophane, 216, 263.
Armstrong (Dr John; 1709-
17791,281.
Ame (Thomas Augustine; 1710-
1778), 19 n. I.
Aylesburv (comtesse Caroline),
18 n. 7.' 20 n. 3. 33.
B*agnal (Phébéi. 5i et n. 3.
Bagot (baron William : 1728-
1798), 173, 296 et n. 4, 297.
Bagshaw (Josephi, 5i n. 3, 295.
Baker, 76 n. 9, 187.
Ballet (chevaHer de), (»(>•
Barth, 8.
Bath (William Pultenev, earl
of ; i()84-i7()4), 226.
Bauhin (Gaspard; 1560-1624),
i5o, i5i.
Baxter (Alexandre), 64 n. G.
Beauclerk ( Topham; 1 73()- i 780) ,
38, 179.
Beauchàteau, 23o-232, 237-239.
Beauteville (Pierre de Buisson,
chevalier de; 1703-1790), 234.
Becket(Thomas),9n.8, 74 et n. 2,
75, 76,79, U7-120, 122, 146, 168,
i6û, 176, 177, 181, i82etn.3,
i83, 252, 256, 258, 259. 271.
Bedford (John Russel,'duc de;
1710-1771), 281.
Birbeck, 2(54.
Blackwell (Elizabeth : /7. 1737),
220.
Blair (Hugh; 1718-1800). 266
n. I.
Blanchisseuse là Woottou), 169,
171-
Bondeli (Juhedc; 1731-17781,73.
Bontemps. 181 n. 5.
Boothby (Brooke ; 1743-18241,
59 et n. 4, 98 n. 3, 99, 100 n.
I. 202.
Borel, 22 n. 3.
Boscawen (Edward; 1711-176^,
80 n. 9, 226.
Boscawen (P>ancesi. 26.
Boswell (James; 1740-17951,22
et n. 9. 1 1(), 238 n. 2.
Bouèt ("famille Louis), 257.
Boutflers-Rouvel (Marie Char-
lotte Hippolyte, comtesse de;
1724-1800), 5, 7, 180.
Brand. 38 et n. 3, 25o.
Brandebourg-Schwedt ( Frédéric
Guillaume, margrave de), 236.
Breadshaw, 288.
Bromlev (Bridget; 1732-?)
82, 176, 192, 194 n. 2.
Bromley (John), 176, 192.
Bromley(Rév. Walther Daven-
port ;'?- 18Ô21, 33 n. i,37n. 4.
Bruhl (comte Jean-Maurice de:
17 36- 1809), 27.
Brunswick - Lunebourg (duc
Charles Guillaume Fe'rdinand
de: le prince héréditaire^);
1733-1803), 17.
Bugnion (Antoine), 27 n. 5.
Burke (Edmond: 1720-1707), 18,
238 n. 2.
Burke (William ; ? - 1798), 187.
Burton, 72.
Bute (John Stuart; earl of; 17 1 3-
1792), 26, 80 n. 0, 22(), 241.
Butler I Joseph; 1692-1732), 204-.
Calvin iJean ; i3o9-i3()4), 232.
Camden (Charles Pratt. baron:
1714-1704). 92, o3. i3(") n. 3.
Capdevillè, 17" n. 8.
Cathcart (baron Charles; 1721-
1776), 2() et n. h, 207.
Cathcart (baronne Jean). 2() et
n. 6, 20-7.
Cathcart (Sir W'illiam Shaw ;
1 735-1843), 16 n. (").
Catherine II (tzarine ; 1729-
i79(')), ()4 n. ().
Caton d'Utique, 98 n. 3.
* E^ non pas : prince héritier, ainsi que l'indique, par erreur, le texte.
2 Le texte porte Apolegy : c'est une erreur de xMalthus ; il s'agit du
fameux ouvrage : The Analogy of Religion Natural and Revealed, to llie
Constitution and Course of Nature. London, i7?6. 4*.
INDEX DES NOMS CITÉS
Catt (de), 54 n. 6.
Cerjeat (de), 90.
Chancelier d'Angleterre ; v.
Camden.
Charles I"^: (roi d'Angleterre ;
1 600-1 6491, 39 n. ().
(^larles-Emmanuel III (roi de
Sardaigne ; 1701-17731, 247.
Chatham 1 William Pitt, vicom-
te ; 1708-1778), 188, 214.
Choiseul (duc Etienne François
de ; 17 19- 1785), I02.
Christie (îames ; i773-i83n, 78
n. 9.
Cicéfon, 22 n. 9.
Clairon (Claire Joséphine Hip-
polyte Legris de Latude, dite
Mlle; 1723-18031, 226.
Clarabutt, 268.
Clermont-Tonnerre (comte Ju-
les Charles Henri de ; 1720-
1794!, 166.
Clive (Catherine; 1711-1785),
19 n. 2.
Coindet (François; i734-i8o8),53
n. 5, 97 n. 7, 168, 217 n. 2, 219.
Cole (William ; 1714-1782), 295
et n. I.
Colombie, 25 r.
Concierge ià Wuotton), 108.
Condë (Louis Joseph de Bour-
bon, prince de ; I73r)-i8i8),
218.
Constable, 3o, 208.
Conti (Louis François de Bour-
bon, prince de; 1717-1776), 5,
II et n. 7. 96, 179.
Conway | Henry Seymour ; 1 72 1-
1795), 33, 83-85, 94, 140, 181,
i83, 187, 189, i()i n. I, 193,
•236, 246, 276, 279-281, 283,
284, 298, 3oi.
Cordus "(Valerius ; i5i5-i544),
i5i.
Cossé (chevalier de), 85.
(^otton (Charles ; i(i3o- 1(1871, 44
et n. 2.
(^ourcelles (Pajot de). 96.
Cowper ( Georgina Caroline Car-
teret. comtesse), 62 n. 2, 64.
loi, 249.
Ccwper (John), 41 et n. 9, i25
168, 171, 287 n. 3.
Cowper (Mrs John), 41, 86, 87
et n. I. 287.
Créqui ( Renée Caroline de Frou-
lay, marquise de ; 1714-1803),
i()'7. 3oo.
Dalton (Miss), 219.
Darwin (Charles Robert ; 1809-
1882), 58 n. 4.
Darwin (Dr Erasme; 1731-1802),
58, 59 n. 4.
Davenport (Davies ; 1757- 1837),
5o et n. 5, 53 et n. i, 70, ii5,
i38, 139, 144, 175 n. 4, 177.
Davenport (John), 297 et n. 3.
Davenport (Phébé ; 1756-1814),
5o et n. 5, 53, 68, 70 n. i, 97,
loi, 121, i38 n. 2, 139, 144,
i56, 175 n. 6, 177-170, 199, 2o3,
297 n. 3.
Davenport (Richard ; 1705 f-
1771), 21 n. 3, 28, 3 1-34, 38-
41. 49, 5o et n. I, 5i ef n. 2,
52, 53, 54 et n. 4, 55, 57
et n. 4, 59, 68, 6q, 70 n. i, 75,
71") et n. 2", 77, 79", 81, 82, 83 et
n. 2, 84, 85, 87-89, 92, 95 n.
2, 93, 97, loi, 102, "et n. 5, 112
n.. 2, ii3, 120, 121, 127, 140 n.
2, i5o, i53 et n. 3, i56, 161,
i63, 166 n. I, 168, 172, 173,
i85 n. 3, 2o3 n. 2, 210, 212,
215, 217, 218, 222-225, 227,
229, 236, 239-245, 247, 272 n. 2,
287,288, 289, 295-298, 3oi.
Day (Thomas; 1748-1789), 59
h. 4.
Deane (Sir Matihew), 68 n. 8.
Delany (Mary; 1700-1788), 65,
66, 6- n. I.'
Deleyre (Alexandre ; 1726- 1797),
272.
Deluc (Jean André; 1727-1817).
257.
Deluc (Jean François; 1698-
1780), 23 1, 257.
Dempster (George ; 1732-1818),
286 n. 2.
3o8
ANNAI.KS DE LA SOCIKTK
ROUSSEAU
J)evonshire (William Caven-
dish, duc de ; 1720-17G4), 67
n. 2.
Dewes, 63 n. i.
Dewes (Court), 100 et n. i, 2.
Dewes (Mary), 21 n. 3, 61 et n.
3, 62, 63, 6'5 et n. 4, 99, loo et
n. 1. 248, 3oi et n. 14.
Dey Verdun (Jacques Georges ;
1734-1789I, 180, 236 et n. 2, 237.
Dillenius (John James; 1687-
1747), 219, 222.
Dinham (John). 91 n. 4.
Dinham (Rév. ' Dr Samuel ;
? - X781), 91 et n. 4.
Dodd (James William; 1740?-
1796), u) n. 2.
Domestiques {à Wootton), 36,
40, 41, 70, 71 n. I, 86 et n. 3,
7, 8g, 102, 108, iio, ii3-ii5,
i35, 164, 168, 169. 171, 190,
195 et n. 196.
Drake, 116, 117.
Duchesne (Mme), u, i3i. i5o,
264.
Duchesne (Mlles), i3i, i5o.
iJulau, 78 n. 9.
Du Pevrou (Pierre Alexandre ;
I729-I794), J2 n. 2, 21-23, 32,
. 56 n. 'f. 73 et n. 8, 74 n, 8, 76
n. 3, 77 et n. 5, 79, 88 n. 7,
90, loi, 1 16 n. 2, i36, i37, 161
n. 2, 169, 171, 234, 25(), 3oi.
Durand de Distroff (François
Marie : 1714-1778)-, 229 et n. 2.
Dutens (Frédépic), 78, 99 n. i,
127 et n. 3, 245, 246.
Dutens (Louis ; 1730-1812), 76
et n. 6 et 10, 77, 78 et n. 9,
81, 84et n, 8, 86 n. 7, 88,98,
129, 143, 148 n; I, i33, 180,
18Î -n. I, 184-186, 188, 189,,
191-193, 240. 246.
Edgeworih (Richard Lovell ;
1744-1817), 59 n. 4, 70 n. I.
Edmondstoune (colonel J.), 9
n. 9.
Eliot (Marian Evans, dite Geor-
ge ; 1819-1880), 40 n. 1, 42 n.
I, 43 n. "i.
Elliot iMiss), 14 n. 9, 260, 284.
Eternod, 74 n. 2.
Evelyn (Sir John ; > - 1767),
3o, 3i n. I. 20S.
F. iP.), 298, 299.
Faugnes (dei, 24 n.
P'augnes (Mme de). 23, 24 n.
Fénelon I François de Salignac
de la Mothe (î63i-i7i5|, 218.
Finney (Samuel). 41, 68, 169 n,
1, ni-
Fitzherbert 1 William ; ?-i772),
64, 75 et n. 5. gi n. 4, i 16
n. 5, 181 n. 3. 182-184.
Foley, 228.
Frédéric II (roi de Prusse; 1712-
1786). 54 et n. (), 289.
Garrick (David: 1717-1779), i(S,
H) et n. 2, 20 n. i.
Garrick (Mrs David), 19.
Garville (Gigot de), 23.
Genevois, 49, i39. i43, i85 et n.
3, 234, 236.
Genlis (Stéphanie Félicité Du-
crest de Saint-Auhin, comtesse
de ; 1746-1830), II n. 8.
Georges III (roi d'Angleterre;
1738-1820), 18, 19, 80, 83-85,
144, 145, 162, 182-186, 189,
191, 195, 196, 220, 227-229,
238, 245-247, 266 n. I, 275,
276, 283.
Gérard (John; i545-i6(2), i54,
2iq.
Gillbe (William), 268.
Giroux, 12 n. 4.
Gogain, ()8 n. 3.
Goldsmith (Olivief ; 1728-1774),
20, 238 n. 2.
Gosset l'Ancien (Isaac ; 1713-
1799), 32 et n. 5, 56 n. 3, 289
n. I.
Graeme, 83, 279.
Grafton (August Henry Fitzroy,
duc de; 1 735- 181 1), 75, 140,
141, 143, 182 et n. I, i83, 184
INDEX DES NOMS CITÉS
309
Granville (Bernard; 1699-1775),
59 et n. 6, 60 et n. 3. 61 et n.
3, 63 n. 6, 64, 65, 66 n. 4, 68,
87 et n. 5, 88, 97 et n. \u, 100,
i53 et n. 3, 160, i65, [()8, 171,
193, 198, 2U2. 25o, 3oi, 3o2,
Granville (Sir Beville), 59 n. 6.
Gray (Thomas; 1716-1771'), 204.
Gregory (Dr John; 1724-1773),
18, 21 n. 3. 2Ô6 n. I.
Gresset (Jean Baptiste; i7n9-
1777), 96.
Griffiths (Ralph; 1 720-1803), 25.
Grosley, i3 n. 7.
Guercny (Claude François
Louis Régnier, comte de ;
1715-1767), 181 n. 5, 22(| n. 2.
Guinand, 289.
Guy, 22, 24, 99 n. 1, 114, 127 n. 5,
i3o, 148 n. I. 171, 239, 244-
246.
Haendel (Georges Frédéric ;
i685-i75()|, 60 et n. r.
Hake (RévV), 58.
Hall (colonel Johni. 18. 27 j et
n. 3.
Hamilton 1 amiral Archibald),
26 n. 6.
Hankey, 289.
Harcourt; v. Nuneham.
Helvétius (Claude Adrien; 1715-
1771), 186.
Henriette, ^7, 221.
Hertford (Francis Seymour
Conwav, marquis de; 171g-
1794), 282.
Hill (Aaron ; id85-i75o), 19.
Hill (John; I7i6?-i775|, 220.
Holderness (Robert d'Arcy, earl
of; 17 18- 1778), 284.
Holland (Charles; 1733-1769),
19 n. 2.
Hondt (Peter Abraham de), 74
et n. 2, 117, 118, 256, 258, 271.
Horace, 263 n. 3.
Hôtelier (à Douvres), qb.
Houbraken ' (Jacques; 1698-
1790), 226.
Houdetot (Elisabeth Sophie
Françoise de Lalive de Belle-
garde, comtesse d'; i73o-i8r3i.
9-
Huber iJean ; 1721-1786), 225.
Hudson (William ; 1730?- 17931.
221.
Hume (David; 171 1-1776), 5, 6. <\
et n. S et 9. 10, r r, [3-t7, 2<i.
21 n. 3, 22 n. q, 27, 28, 3o et
n. I. 32-34. 38. '55, 56, 68,t69.
70 n. I, 83-85. 91 n. 4,94, 108.
loi). 114, 121. I2()_, l32, l3('),
137, .144, (74. 176-iSo. i83.
187, 20(>, 2()(|. 2!(), 212-21(1.
223, 23o, 234, 238, 23(). 251")
n. 3, 257-260, 2()3. 26(r n. 1.
267, 272, 273, 27S n. 2. 295.
296, 298, 3oo.
Hutton f James ; [7i5-i7()5), 238.
Ivernois (P'rançois Henri d' :
1722-1778), 57. 127 n. 5, 142.
168, i83, 23 1. 270, 272.
Jacques (= J.-J. Rousseaui, ()(i.
Jardinier (i ]'\'ootloiii, 41.
Jardinier français (à FiillianiL
16.
Jean; v. (Jowper (John).
Jessop (Edmondi, ()i.
Johnson (D"' Samuel; 1709- [7841,
r8, 24 n. 7. 43 n. r, 75 n. 5.
Joy, 3o, 208.
Junet, 22.
Keith; v. Marshall.
Kenrick iWilliam; 1725 ?-i77()),
21 n. 3. 123 n. (), i6().
Kildare (Emilia Mary Fitzge-
rald, marquise de). 65 et n. 5.
66 n. 1.
Kildare (James Fitzgerald, mar-
quis de; 1722-17731, "65 n. 5.
King (Thomas; I73o-i8o5), 19
n. 2.
Konig, 8, 148. i5o.
La Chalotais i Louis René de
Caradeuc de; 1701-1785). 24-I .
Et non pas: Houhraker, donné, par erreur, dans le texte.
ANNALES DE LA SOCIETE J, .1, ROUSSEAU
I-aliaud, 127. 128, 23<), 240,245,
257-i5o.
Lamande (.laquotK 58 et n. i,
234.
La Marck (comtesse de), ?.
Lambert (Marie : 1728 - ? ),
148 n. 4.
La Roche (M. et Mme dei. 128.
Lausanne (Mme), 5o et n. 6, 1 1 1 ,
II 5, i33, i38 n. 3, i3c), 144,
146, 176. i7(). 180. 187, i()4,
198, 205.
Lee (John ; •' - 1781), uj n. 2.
Leibniz (Godefroy Guillaume ;
1646-1716), 76 n'. 6, 246.
Lenieps (Toussaint Pierre: i6()7-
1774I, 148, 235. 25o.
Lenormand, qG.
Le Vasseur (Mme), 128, i33.
Le Vasseur (Marie Thérèse:
1721-1801), 7, 18 n. 7, 21, 22
et n. 9, 23 et n. 8, 24, 3o, 32,
33, 39, 41, 42, 53, 70, 71, 73
n. 8, 86 et n. 7, 89, 94-97. lo"
n. 2, iii-ii3, ii"5, 116, 121,
123, 125, 126, i33, i38, i3q,
144, i53-i55, 160, 172, 174-203,
209-218, 224-227, 229, 23l, 25l,
257-259, 261-, 264." 265, 268,
■ 277, 284, 287. V. Zell.
Lewis, 76. 120, 126, i33, 166,
175-179, .187-189, 191, 196,
199, 218 n. I, 243, 259, 288.'
Linné (Charles; 1707-1778I, ix»,
220, 221. ' " '
Lowndes (Charles), iq5. 196,
284,288.
Lucadou, 74 n. 8. 1 16-1 18, 168
et n. 4. 239, 257-259, 261, 269.
Luxembourg (Madeleine Angé-
liquÉ; de Neuville Villeroi,
maréchale duchesse de ; 1707-
1787), 149. 269.
Luze (de),' 7, 8^ 10, n, 12 n. 4,
14, 27, 88 n. 7, 290.
Luze (Mme de) i3 n. 3.
Lvttelton (baron George; 170Q-
'1773), 280.
Mackenzie (Stuart), 240, 241.
Mainwaring (Edward), 173,298.
Malthus (Rév. Daniel; i-j'io-
1800), 28 n. 7, 29-32, 57 et n. 2,
9(), 10 1, 168, 220 n. I, 3o2.
Mâlthus (Mme Daniel), 3i, 57,
207, 209, 210. 217, 221.
Malthus ("Thomas Robert; 1766-
1834), 29.
Mandrot, 74 n. 2.
Marchand, 257.
Marshall (George Keith. earl ;
1686-1778), 6, 7, 9, 27, 68 et
n. 5, 80, 83, 137,144, 168 n.
I, 169, 171, 189, 192 n. I, 204,
208, 225, 234, 279,' 289 n. 2.
Mattioli (Pietro Andréa; i5on-
1577). i5i.
Maty (D'- Matthieu : 171S-1776),
239 et n. I, 252, 254, 255.
Médiateurs {à Genève). 23o, 232,
234, 235. 237, 258.
Meuron (de), 290,
Michel (Abraham Louis ; 1712-
1782), 234 et n. 2.
Micheli (Pietro Antonio : i67()-
17371, i3i.
Millan. 222.
Miller (Philip: 1691-1771), 22(j.
Mineurs {à Stantoh), 72 et n. 3,
168.
Mirabeau (Victor Riquetti, mar-
quis de; 1716-1789), 287 n. 2.
MontmoUin (Frédéric Guillau-
me de ; 1709-1783), 253.
Moody (John Cochran, dit ;
i727?-i8i2), lO n. 2.
Morel-Disque, 23 n. i .
Morison (Robert; i62o-i683),
219, 221. 222.
Morrison (colonel), 204, 218.
Mouchon, 257.
Moultou (Paul: 1725-1785*, ^38.
Mur'e, 277.
Notable (à Douvres), 94.
Nourrice (de Davenpôrt), 41,86
et n. 7.
Northumberland (Elizabeth
Percy, duchesse de), 245.
Northumberland (Hugh Percy,
duc de; 17 15-1786), 220.
Nuneham (George Simon Har-
court, vicomte: 1736-1809), 17
INDEX DES NOMS CITES
3ll
et n. 4, 79 et n. 8, 8o et n. 5.
8i, 98 etn. 3, loi, 142, i52,
167," i8<i. i83, 185-189/ 191-
I()3, 1()8. 2o(.--2()2. 2(34, 205,
287.
Oglethorpe (James Edward :
"i()9()- 17851, 238 et n. 2.
Orloff (comte Grégoire; 1734-
1783), (34 et n. 6, 3()o.
Osborne (Thomas: ? -1767), 219.
Parsons (William : 1 731")- 1 7951,
19 n. 2.
Pascal (Biaise : ir)23-i(J62). 265.
Paysans. 71. 72 et n. i, 88. i52.
Peggy. 171.
Peggy (mère del, 41. 171.
Penneck (rév.), 17, 207.
Perrin (Jean-Baptiste). 1Ô9.
Petitpierre (Ferdinand Olivier ;
1722-179(11. 253. 255.
Petiver (James : 161)3 - 1718),
220. 222.
Pictet. 271.
Pitt ; V. Chatham.
Platon, 204.
Pope (Alexandre ; 1G88-1744),
238 n. 2.
Port {of Ilam), 64, 1Ô8.
Port (Bernard ; 1776-18541. 63
n. 5.
Port (John), (33 n. 4.
Port (Mrs John ; = Mary De-
wes), uni et n. i.
Portland (Dorothy Cavendish
Bentinck. duchesse de: 1751)-
1794), ()7 et n. 3.
Portland (Margaret Cavendish
Harley, duchesse de: i7i5-
1785).' 21 n. 3, 65, 66 et n. 4.
67 et n. I. 68, <)8 n. i. loi.
i54, i<'.3.
Portland (William Henry Ca-
vendish Bentinck. duc de :
1738-1809I, 67 et n. 3.
Pratt; v. Camden.
Prince héréditaire ; voir Bruns-
wick-Lunebourg.
Pullein, 2n et n. 5. 24, 268 n. i.
Quintilien, 274.
Ramsay (AUan : 1713-1784), 27,
28, 5'6 n. 3. 80. 81 n. 6, 221),
227.
Ray (John: i()27-i7o5), 219, 220,
Renou (=J.-J. Rousseau), 97.
Rey (Marc Michel ; P-iySo),
(.) n. 8. in, 1 1 n. 6, 168, 181,
302.
Richelet (César Pierre; i63i-
1698), 211, 2l3.
Richmond et Lennox (Charles,
duc de; 1701-1750), 65 n. 5.
Robinson, 295.
Robinson (James), 72.
Roguin (colonel Augustin Ga-
briel ; 1714-1796), 85.
Rose (D-- William; 1719-1786),
24. 25.
Rose (Mrs Willian), 24.
Ross Hall (=J. J. Rousseau),
71 et n. 5.
Rougemont (Joshua), 85, 97,
162. 169, 197, 198, 202, 218 n.
2, 219. 249 n. 4, 3o2 n. 8.
Rousseau (Jean; 1724-1795), 5
n. 5, 9 n. 8, 17 et n. 7, 25, 27,
48 n. 4, 124 n. I, 143 n. 3, 169,
25 I n. 3, 252 n. 3.
Rousseau (Jean Baptiste ; 1671-
1.741), 78 n.9.
Rousseau (Jean Jacques ; 1712-
1778), V. Jacques, Renou, Ross
Hall. — Portraits: 27, 32, 56
et n. 3, 64 n. 7, 70 n. i, 98
n. 3.
Rousseau (Théodore : i7'^9-
1807), 257.
Roustan( Antoine Jacques; 1734-
1808), 27 et n. 5, 48 n. 4, 40 et
n. 3, 143. 160. i85 etn. 3, 186,
23l,302.
Saint-Lambert ( marquis Jean
François de ; 1716-1803), 9.
Saint-Non (l'abbé Jean Claude
Richard de ; 1727-1791), 80,
81 n. 6, 225.
Salluste, 22 n. 9.
Sait (Miss), 72.'
3l2
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .). J. ROUSSEAU
Sauttershaim (baron de; ? - Tronchin (P>ançois ; 1743- ? ),
1768), 127 n. 4, 129. 34, 260, 280.
Schweit ; v. Brandebourg- Tronchin (Jean Robert; 1702-
Schwedt. 17881, 257.
Seward (Anna; 1747-1809), 5q Turner (Charles), 284.
n. 4.
Twvman, 268.
Shrewsbury (George Talbot,
earl; 1719-1787), 64.
Socrate, 216, 263.
Solander (Daniel Charles; 1736-
1782), 67 n. I.
Sophie Charlotte (reine d'An-
gleterre; 1744-1818), 19.
Sparrow (= John Port), 63
n. 4.
Spencer (comtesse Margaret
Georgiana), 81 n. i, loi, 226,
227.
Stanley, 27.
Stewart (Steward; Stuart; John),
14-16, 27 n. 2, 38 et n. 4, 109,
173, 180, 192, 193, 207, 2l5,
272 n. 2.
Stonhewer (Richard;?- 1809),
75 n. ("). 140 n. 2, 182 et n. i,
i83 n.
Straflbrd (earl William; 1722-
1791), 26 et n. 3, 69 n. 5,
3oo, 3oi.
Strahan (William: 171 3-1785),
17 n. I, 3o n. I.
Suard (Jean Baptiste Antoine;
1734-1817), 178 n. 3.
Suisses (à Londres), 49.
Sultan (le chien de Rousseau),
18, 26, 32, 62,' 206 n. I, 248,
249.
Swift (Jonathan; 1667-1745), 78
n. 9.
Taylor ,(Rév. Dr John ;
1788), 58 n. 8.
Terentia, 22 n. 9.
Thévenin, 164 n. i.
Thuillard, 74 n. 2.
Tonnerre ; v. (>lermont.
Townsend, 32.
Trembley (Jean Pierre'?
i8o5), 271;
[711-
Usteri (Léonard; 1741-1789), 6
n. 7, 73, 23i-233, 237.
Vaillant (Paul),
1()2.
Valete,
Vanloo ((^arle ; 1705-17651,226.
Vautra vers (de), 16 n. 4, 21 n. 6,
58 n. 3.
Verdelin (marquise de), 7. 9. ii
n. 2, 12 et n. 2.
Vernes (Jacob; 1728-1790), 239.
Vernon (George V., baron de
Kinderton ; ? - 1780). 201.
Voiturier, 109, no.
Voltaire (François Marie Arouet
de; 1694-1778), III, 178 n. 3,
179, 225, 237, 263, 290.
Voullaire (Antoine), 235, 252 et
n. 2.
Walker (John: J73i-i8o3), 26.
Walpole (Horace: 17 17- 1797),
10, 87 n. I, 280, 295 n. I.
Walton (Benjamin), 40, 82 n. 2,
114, i37, i53. 167, 174, 177,
179, 181, i85, 192, 193, 197.
Walton (Izaak : -1593-1683), 44
et n. 2.
Wartensleben (comtesse de),
i6() n. 6. 3o2.
Watelet (Claude Henri: 1718-
1786), 79, 80, 81 n. 6, 2->3-225,
228. 229.
Webb ("colonel Richmond ;
1715-1785), 17 et n. 5. 3<), 207.
Weiss, 8 n. 5.
Whitmore, 78 n. 9.
Wilkes (John: i727-i7()7), 2i5,
216.
Wolf (baron Jacob: ?- 1809), 27.
Wright (Joseph ; i734-i7()7), 56
et n. 3.
LISTE DES NOMS CITÉS 3l3
Yates (Mary Ann : 17-28-1787), York (Edward August, duc d' ;
19 n.
739-1767), 17, 21J
Yates (Richard; 1706:-- 1796), ZqW (Miss; =Thérèse Le Vas-
19 n. 2. seuri, 71 et n. 5.
Louis-J. Courtois.
Les lettres de Rousseau à Richard Davenport étaient
inédites au moment oit M. Louis-J. Courtois^ après avoir
soumis son manuscrit à la Commission des publications,
le remit à notre imprimeur, dans l'été igio. Qitelques
mois plus tard, dans les premiers jours de décembre,
elles ont été publiées par AI. Th. Dufour da7is une bro-
chure intitulée: Quelques lettres de J. J. Rousseau
(1766- 1769).
Le Comité de notre Société n'a pas vu sans regret cette
publication parallèle des mêmes documents . Le travail
de notre collaborateur, M. Louis-J. Courtois., est de-
meuré entièremejit indépendant de celui de M. Th. Du-
four.
La Commission des publications.
BIBLIOGRAPHIE
COMPLÉMENT POUR LA BIBLIOGRAPHIE
DE L'ANNÉE 1908
ÉTATS-UNIS d'aMKRIQUE
Irving Babbitt. Literature and the American Collège, Essqys in
Défense of the Humanities, Boston and New-York, Houghton,
Mifflin and Company édit., 1908, in-8, vii-262 pp.
P. 32-71: II, Tn'O Types of Humanitarians : Bacon and Rous-
seau. Nous aurons l'occasion de revenir sur cet ouvrage de M. B.
à propos d'autres publications du même auteur, parues ou en
préparation.
Louis DucRos, doyen de la Faculté des Lettres d'Aix. Jean-Jac-
ques Rousseau. De Genève a rHennitage, ( 1 j 1 2-i-5'j ), Paris,
Fontemoing; édit.. 1908, grand in-8, 418 pp.
M. Ducros, professeur à la Faculté des lettres d'Aix, prépare
ses cours de littérature avec assez de talent et de soin pour être
en mesure de tirer de ses cahiers de notes la matière de bons
livres : ainsi celui qu'il a publié en 1900 sur les Encyclopédistes,
ainsi celui dont nous avons à parler.
A vrai dire, l'exposé de M. Ducros est trop domine par une
idée exclusive : « Rousseau est rusé )\ dit-il, page 415. Il faut en
conséquence lire les Confessions avec des yeux de lynx, être sans
cesse en garde contre Jean-Jacques, et s'ingénier à déjouer les
pièges qu'il tend aux lecteurs. — Je ne partage pas cette manière
de voir.
D'une manière générale, si en lisant un texte, au lieu d'entrer
dans le sens de l'auteur, on s'efforce toujours de le prendre en
défaut, cette méthode peut conduire à des résultats piquants ;
mais elle est bien dangereuse. Par exemple, quand Diderot écrit
une phrase que relèvera Rousseau : « Il n'y a que le méchant qui
soit seul ». au lieu d'y voir un de ces apophtegmes plus brillants
que solides, qu'on ne doit prendre qu'à moitié au sérieux, M. Du-
cros (page 364) estime que Rousseau aurait bien fait de « remar-
3lÔ ANNALES 1)1-: LA SOCIKTH .1. .1. ROUSSHAU
» quer tout simplement que, prise à la lettre, la phrase de l'auteur
» du Fils naturel ne s'appliquait à personne, puisque, pour être
» méchant, cest-à-dire pour nuire à quelqu'un, il ne faut pas
» vivre tout seul », en sorte que k cette sentence ne signifiait rien
du tout ». — Mais c'est aller trop loin : les malfaiteurs contre les-
quels la police est le plus impuissante, que ce soient des assassins
comme Caserio et Luccheni, ou de simples voleurs, ne sont-ils
pas ceux qu'on appelle des solitaires r
S'efforcer de vérifier ce que Rousseau raconte dans les Confes-
sions, et. quand on le peut, comparer ses récits avec les docu-
ments de Tépoque : c'est le premier devoir du commentateur.
Mais ces documents manquent le plus souvent, et alors le plus
sage est de laisser courir le récit de Jean-Jacques, et le doute
planer sur tout ce qui peut y prêter.
J'avoue que M. Ducros me semble trop prodigue de points d'in-
terrogation : il en place à tout bout de champ.
Rousseau a raconté ce qui lui arriva le dimanche 14 mars 1728 :
son récit est absolument vraisemblable : les portes de la ville
étaient fermées au moment où il s'y présenta. Que voulez-vous
de plus simple ? — Prenez garde, son récit est dramatique,
observe (paqe 35) M. Ducros, qui se demande s'il v faut ajouter
foi.
Dramatique, je le veux bien. « Dans le premier transport de ma
douleur, dit Jean-Jacques, je me jetai sur le glacis et mordis la
terre. » Mais cela encore est vraisemblable. Une fois le malheur
arrivé, et après qu'il en eut pris son parti, que Rousseau s'en soit
consolé avec l'imprévoyance d'un jeune étourdi, c'est ce qu'il
nous dit lui-même ; tandis que je ne puis me persuader qu'avant
l'événement, il n'ait attendu que l'occasion de sortir de la ville et
de s'abandonner à tous les hasards.
M. Ducros prodigue aussi les conseils, qui sont aujourd'hui
bien tardifs. Page 354 '• « Rousseau aurait dû garder pour lui... »
— Page 364 : « Rousseau aurait mieux fait de remarquer tout
simplement... » — Page 368 : « Les amis de Rousseau auraient
dû parfois... — Pourquoi Diderot n'a-t-il pas -tout simplement
répondu que... > » . '
Mais c'est trop s'attarder à des critiqués trop aisées en un sujet
si toutTu. M. Ducros a semé dans sori commentaire des Confes-
sions bien des remarques justes, et dont quelques-unes ont une
grande portée. Page 160, il montre que les idées du premier
Discoi(7-s se rattachent à celles que, longtemps auparavant, Rous-
seau exposait dans son mémoire à M. de Mably sur l'éducation
de son fils. — Page 355 : « Il me paraît tout naturel que madame
UIBLIOCRAPHIR '5\']
d'Epinay ne vît pas sans une jalousie très légitime sa belle-sœur
accaparer un homme qu'elle avait logé près d'elle pour jouir de
sa société. » C'est très bien indiquer qu'en acceptant un logement
à l'Ermitage, Rousseau avait aliéné une partie de sa liberté. Si
dans ses lettres, il parle de son esclavage, c'est une forte exagéra-
tion, et non pas une contre-vérité. — Page 363. M. Ducros ana-
lyse avec perspicacité le sentiment des amis de Rousseau sur sa
retraite à la campagne : « On sent, dit-il, et qu'on me pardonne
le mot, que pour eux Rousseau est un poseur. »
Je pourrais continuer longtemps, en signalant ainsi les passages
où M. Ducros caractérise avec justesse les événements et les
hommes; mais le lecteur saura les trouver lui-même. Ce livre est
un de ceux auxquels devra faire beaucoup d'emprunts celui qui
donnera quelque jour une édition des Confessions avec des notes
variorum. [E. R.]
BIBLIOGRAPHIE DE L'ANNEE 1909
ALLEMAGNE
Georg Brandes. Voltaire in seineni Verhâllnis ^u Friedrich dem
Grossen und Jean Jacques Rousseau, Marquardt édit., Berlin,
s. d. [1909], in-S, 78 pp.
Un grand nom peut couvrir parfois une médiocre marchandise.
C'est le cas de cet opuscule de M. Georg Brandès, que l'éditeur a
illustré d'une douzaine de bonnes reproductions de portraits et
d'estampes allégoriques à la gloire de Voltaire et de Rousseau.
Des deux monographies qui le composent, nous nous arrêtons
seulement à la seconde. Dans la première, qui décrit avec verve,
et dans un sentiment plus sympathique au poète qu'au prince,
les relations de V^oltaire avec Frédéric II, on pourra relever cette
affirmation stupéfiante que le petit jeu des définitions philoso-
phiques qvi'on jouait à la table royale de Postdam, fut l'origine
d'une encyclopédie, « ce Dictionnaire philosophique, la grande
œuvre de Voltaire, Diderot et d'Alembert » (p. 3o). M. Georg
Brandès a dû être bien distrait pour confondre V Encyclopédie
avec le Dictionnaire philosophique, ou pour écrire (p. 40) que Vol-
taire, établi à Ferney, se trouvait « dans la libre Suisse ». Avoir
placé, en tête de l'étude sur J. J. Rousseau, un portrait de « Jean-
Bapt* Rousseau, né à Paris en 167 1 », est une distraction encore,
mais imputable celle-là sans doute à l'éditeur.
3l8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Ce tableau des relations de Voltaire avec J. J. Rousseau est
faux dans l'ensemble, parce qu'il prête à Rousseau une conduite
haineuse, concertée et machiavélique, et il présente de nom-
breuses erreurs dans le détail de ses trente-trois pages. Ainsi,
après avoir redit après tant d'autres, à la suite de iVlarmontel, que
c'est Diderot qui souffla à son ami l'idée nouvelle du Discours sur
les sciences et les arts, M. Georg Brandès ajoute (p. 46) : « (>ette
opinion poussa Rousseau à devenir ce qu'il devint, c'est par elle
que ce plébéien à l'âme révolutionnaire et religieuse prit cons-
cience de son être. » Une vie et une œuvre dont l'action fut si
puissante quelle dure encore aujourd'hui, seraient donc fondées,
aux yeux de l'illustre critique danois, sur une idée d'emprunt i-
Rousseau nous est présenté, en 1733, comme « un pauvre homme
maladif, souffrant d'artério-sclérose, d'un mal de vessie et d'autres
maux » ip. 46) ; Thérèse a été une servante de cabaret ip. 48);
l'émotion soulevée dans Genève par la Lettre sur les spectacles
obligea Voltaire à acheter la résidence de Ferney (p. 5y) ; la
Nouvelle Héloïse, V Emile et le Contrat social ont paru tous trois
en 1761 (p. 65) ; en dénonçant Voltaire comme l'auteur du Sermon
des ciriquantes, Rousseau l'exposait sciemment à de grands dangers
(P-71).
M. Georg Brandès tiendrait peut-être pour vétilles ces alléga-
tions hasardeuses, jetées dans une publication de librairie indus-
trielle, mais ce qui engage plus sérieusement un nom aussi con-
sidérable que le, sien, c'est la thèse qui doit faire l'unité de ce petit
livre : Rousseau, depuis l'éveil de sa personnalité intellectuelle, a
eu Voltaire devant les yeux (p. 55) ; après l'avoir imité, harcelé,
il a voulu le provoquer — exemple : la Lettre a d'Alembert — à un
combat public, auquel Voltaire, par indulgence, puis par dédain,
et aussi pour sauvegarder aux yeux du public l'harmonie entre phi-
losophes, s"est tovijours dérobé. Rousseau enviait la gloire et les
richesses de Voltaire : cette jalousie prend le masque de la vertu
dans « l'attaque contre le théâtre à Genève », et le masque de la
religion dans « l'attaque contre l'ode sur Lisbonne ». M. Georg
Brandès ne voit donc qu'une œuvre d'hypocrisie dan-s la Lettre
sur la Providence, comme dans la Lettre sur les spectacles ! S'il
est difficile de présenter les faits avec plus de légèreté et d'inexac-
titude, il serait difficile aussi de se montrer moins clairvoyant
dans l'interprétation des caractères et des sentiments. Que
M. Georg Brandès se trompe dans les faits, il semble en avoir
pris d'avance son parti assez allègrement, mais que l'historien du
romantisme . européen appuie de son autorité des jugements
inventes par une critique ignorante et par une science de parti-
BIBLIOGRAPHIE SlQ
pris, c'est vraiment fâcheux pour ceux qui font confiance à sa
signature. [B. B.]
Joseph FussEDER, aus Schôffau, Oberbayern. Beitràge fwr Kennt-
nis der Sprache Rousseaus {Thèse de doctorat de l'Université de
Leipzig). Borna-Leipzig, Buchdruckerei Robert Noske, 1909,
in-8, 62 pp.
Travail sans intérêt. Simple exercice d'école, comme le sont
trop souvent les thèses allemandes, extrait inintelligent de Gohin
dans sa première partie, adaptation médiocre de Plattner dans sa
seconde partie. L'auteur n'a évidemment aucune idée de ce que
devrait être une bonne étude de la langue de Rousseau. [A. F.]
Edwin KauiMann, aus Berlin. Johann A7)ios Comeniits und Jean
Jacques Rousseau, ihre verschiedenartige Wertung des Kindli-
chen Lehens. (Eine pàdagogisch-philosophische Untersuchung)
(Thèse de doctorat de l'Université d'Erlangen). Borna-Leipzig,
Buchdruckerei Robert Noske, 1909, in-8, 5o pp.
Trois parties dans ce parallèle prolongé entre le célèbre péda-
gogue morave, auteur de la Didactica magna, et le philosophe
de VEviile: 1° le rapport de l'éducation privée à l'éducation publi-
que ; -i"^ l'éducation physique et intellectuelle ; 3» l'éducation mo-
rale et religieuse. Au bout du compte, M. K. reconnaît entre les
deux pédagogues la distance qui sépare l'idéal de l'homme cultivé
(Kulturmensch) et celui de l'homme naturel {Naturmensch) [A. F.]
Wilhelm Mûnch. Kultur und Erpehung, vermischte Betrachtun-
gen, Munich, Oskar Beck édir., 1909, in-8, 283 pp.
P. io3-i20 : Aus einem unvergesslichen Bûche. Comparaison de
la pédagogie de Jean-Paul Richter avec celle de Rousseau, à
propos de son livre « inoubliable », Levana oder Er^iehlehre
(1807), dans un article que l'auteur aurait pu intituler, comme il
le reconnaît en terminant : Rousseau, Jean-Paul et le temps
présent. On y constate le chemin parcouru dans le sens d'une
maturation originale par l'humoriste allemand, depuis son roman
pédagogique, sorte de parodie de l'Emile, Die unsichtbare Loge
(1793), par qui fut mis en lumière d'ailleurs le fameux couple de
prénoms Jean-Paul, rival de Jean-Jacques. Le lecteur de M. M.
ne manquera pas d'évoquer à cette place la dissertation de
M. Hermann Plath, An welchen Punklen kann Jean Pauls « Le-
vana » von Rousseau beeinjlusst erscheinen (thèse de TUniversité
d'Erlangen soutenue en 1903). [A. F.]
320 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
Geschlecht iind Gesellschaft, Berlin, Leipzig, Vienne, IV Band,
Heft 4, avril 1909, p. 152-170 : Dr Otto Adler, Berlin, Ge-
schlechtstrieb und Verfolgungswahnsinn. Psychologische Betrach-
tungen iiber das sexuelle Leben J. J. Rousseau's (zugleich eine
Erwiderung an Dr Gaston Vorberg).
Sexualreform, Beiblatt zu « Geschlecht und Gesellschaft », IV Band,
Heft I, janvier 1909, p. 5-6 : Dr Gaston Vorberg in Hannover,
Rousseau's Leiden.
Geschlecht und Gesellschaft, IV Band, Heft 6, juin 1909, p. 284-
286 : D> Gaston Vorberg in Hannover, Nuch einmal Rousseau's
Zeugungsfàhigkeit (Schlusswort zu dem Aufsatze Geschlechts-
strieb und Verfolgungswahnsinn, von Dr Otto Adleri.
Une phrase est le point de départ de cette polémique sur le
sujet scabreux de l'impuissance de Rousseau. Elle se trouve dans
le compte rendu de l'article du Dr Vorberg, Neue Betrachtungen
iiber Rousseau's Leiden (cf. Annales, 1909, p. 284) paru dans
Geschlecht und Gesellschaft, 1908, p. 263, sous la signature O. R. :
.. L'hypothèse de l'impuissance de Rousseau, dont l'auteur ne
fournit aucune preuve, paraît peu vraisemblable ». Le Dr A. a
reconnu la paternité de cette phrase, d'où suit une discussion à
laquelle il nous est difficile de nous mêler. Nous y renvoyons le
lecteur que cela pourrait intéresser. On nous permettra seulement
de signaler en passant le cas tout à fait curieux du Dr O. Adler,
spécialiste de la « psychologie sexuelle », attiré, comme il le dit,
vers cette spécialité par la lecture des Confessions. Son premier
travail en ce genre, une monographie estimée : Die mangelhafte
Geschlechtsempfindung des Weibes, Berlin, igo^ {cî Am^ales, 1909,
p. 284), aurait eu pour point de départ le cas de Mme de Warens.
[A. F.]
Protestantenblatt,' Wochenschrift fur den deutschen Protestan-
tismus, 42. Jahrgang, no i3, 3i mars 1909: F. Bock (Bremen),
Rousseaus Stellung pir Religion.
Rousseau, réformateur incomplet, plus grand dans son rôle
négatif que dans son rôle positif, — sa distinction entre l'église
et la religion, — son déisme, — position par rapport à la révéla-
tion, — la Bible subordonnée au « livre de la nature », — reven-
dication d'un christianisme authentique, opposé au christianisme
sacerdotal, — intervention capitale dans la révélation du senti-
ment intime, de la lumière intérieure, la conscience (par quoi
Rousseau devance Kant et Schleiermacher), accord nécessaire du
cœur et de la raison, — agnosticisme partiel : l'existence de Dieu
seul, non sa nature, sensible à la conscience humaine, — liberté
BIBLIOGRAPHIE 321
et responsabilité de l'homme, ouvrier de son propre bonheur, —
immortalité de l'àme déduite du postulat de la justice immanente,
— la conduite de l'homme fondée sur l'autorité infaillible de sa
conscience, considérée comme la voix même de la Nature, et non
point comme celle de l'expérience (distinction nécessaire à ce
sujet « des idées acquises » et des « sentiments naturels «, seuls
interprètes de la conscience), — efficacité problématique, contre-
dite en tous cas par l'expérience, de la « religion naturelle »,
ainsi prêchée par Rousseau, — tels sont les principaux points
passés rapidement en revue dans cet article qui part de la donnée
de r c( actualité » de Rousseau, insiste en terminant sur l'action
profonde de cette philosophie, non point en France, mais en
Allemagne, et conclut par ce jugement : « Par son individualisme
résolu, Rousseau est encore aujourd'hui tout à fait moderne, dans
le meilleur sens du mot. » [A. F.]
ANGLETERRE
The Contemporary Review, février 1909 : Havelock Ellis, The
Love of wild Nature.
Relever toutes les traces de l'amour de la nature sauvage
(l'amour de la montagne en particulier), de l'antiquité jusqu'au
XVIIIc siècle, chez les Grecs et chez les Romains, dans la civilisa-
tion chrétienne des premiers siècles et du moyen-âge, chez les
hommes de la Renaissance, chez les' écrivains et les voyageurs
suisses, espagnols, français et surtout anglais des temps modernes,
— puis montrer comment ces germes qui ont existé de tout temps,
se développent soudain avec une extraordinaire vigueur dans
l'œuvre d'un Rousseau, lequel, unissant dans un même culte la
nature dans la montagne et la nature dans l'homme primitif,
« trouve une raison pour son amour de la nature », prédisposé
d'ailleurs par son origine suisse, par son tempérament névropa-
thique et antisociable à éprouver le sentiment nouveau d'une ma-
nière intense, et l'exprimant pour la première fois dans un langage
émouvant, digne de son sujet, — donner enfin à ce prophète
initiateur, comme disciples immédiats, propagateurs de la religion
nouvelle, un Gœthe pour l'Allemagne, un Byron et un Words-
worth pour l'Angleterre, telle est la riche, presque trop riche
matière de l'article intéressant, mais nécessairement condensé de
M. H. E. [A. F.]
322 ANNALK.> 1)E LA SOCIÉTÉ .1. J. KOUSSEAL'
The humant' Review, Londres, janvier 1909, p. 193-210 : Frederika
Macdonald, The legend of Rousseau' s children.
En reprenant la thcse qu'elle a déjà soutenue en 1895 (Studics
in the France of Voltaire and Rousseau, p. ibil, en 1900 (La
Revue, octobre, Légende des enfants de J. J. Rousseau) et en
1906 {New Criticism of J. J. Rousseau, 1, p. 146), Mme Macdonald
discute ici les objections que lui a opposées M. Edouard Rod
(Revue des Deux-Mondes, mai 1907) sur la question de fait. Mais
elle distingue heureusement et avec plus de force qu'elle ne l'avait
fait jusqu'ici, entre la réalité des cinq naissances que racontent
les Confessions, suivies cinq fois de la livraison, par la sage-femme,
des enfants à l'Hospice des Enfants-Trouvés, et « la question de
première importance qui est celle de la responsabilité morale de
Rousseau». Elle s'attache par une analyse pénétrante de ses
intentions et de leur sincérité, à montrer combien sont diffé-
rentes, en 1746 et en 1750, la pensée et la volonté de l'obscur
compositeur de musique et de l'auteur brusquement célèbre du
premier Discours. Cette méthode historique et psychologique
permet à Mme Macdonald de démontrer l'accord vrai que Rous-
seau établit, par un effort constant et des sacrifices réels, entre sa
conduite et ses principes. Quel caractère nouveau prenait à ses
yeux son union libre avec Thérèse, dans la réforme intérieure et
extérieure qui suivit son premier grand succès d'écrivain, tel est
le point particulier qu'analyse Mme Macdonald. C'est bien ainsi
qu'il faut traiter le grave problème des enfants de Rousseau.
Nous pensons que, pour être complète, son étude demande l'ap-
plication de la même méthode psychologique au Rousseau de
1746 et au Rousseau de 1762. Mme Macdonald donne elle-même
cette indication. -En lui, autour de lui, tout est 'changé. Le fier
raisonnement 'de la lettre à Mme de Francueil a fait place au sen-
timent de la faute commise et à des regrets toujours plus profonds.
[B. B.]
BELGIQUE
Gustave Charlier. Mme d'Epinay et J. J. Rousseau, Bruxelles,
M. Weissenbruch, imprimeur du Ror, édit., 1909, in-8, 28 pp.
(Extrait de la Revue de Belgique).
Intéressante discussion des conclusions de Mme Macdonald
dans son ouvrage L^a légende de J. J. Rousseau (cf. plus loin,
p. 339). On en retiendra surtout la partie qui a trait au « second
complot » contre Jean-Jacques, dont Barbier, Brunet, Suard et
BIBLIOGRAPHIK 32^
Michaud auraient été les principaux conjurés. M. Ch. explique
ingénieusement leur rôle, non par une hostilité préconçue contre
Rousseau, mais par les mœurs littéraires de l'époque, la faveur
des mémoires apocryphes, l'infidélité quasi ingénue des éditeurs
et des libraires d'alors à l'égard des textes originaux. En ce qui
concerne Barbier notamment, représenté comme le chef de ce se-
cond complot, M. Ch. a été assez heureux pour mettre la main
sur ses papiers tant cherchés par Mme Macdonald et qui sont tout
simplement à la Bibliothèque Nationale. Il y a trouyé : lo la mi-
nute autographe de l'analyse des Mémoires de Mme d'Epinay faite
par Barbier avant la. publication, analyse qui n'est qu'«un résumé
sommaire, mais exact, des neufs volumes utilisés par Brunet» ; —
20 une note autographe de Barbier où transparaît la parfaite bonne
foi de son jugement défavorable à Rousseau; — 3° un vieinento
d'une conversation de Barbier avec Mme de Vandeul, attestant que
Mme d'Epinay avait bien, en effet, lu son fameux roman à des amis,
au nombre desquels se trouvait la fille de Diderot. Ainsi s'éva-
nouissent les principaux éléments du réquisitoire de Mme Mac-
donald contre l'auteur du Supplément au cours de La Harpe.
[A. F.]
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
Albert Schinz. Jean-Jacques Rousseau, A Forerunner of Pragma-
tisme, Chicago, The Open Court Publishing Company, 190g,
in-8, 39 pp.
Dans son livre intitule Anti-Pragmatisme (voyez plus loin),
M. Schinz déclarait que le plus grand « pragmatiste » de tous les
temps est J. J. Rousseau. C'est pour expliquer cette assertion que
la présente brochure a été écrite.
M. Schinz définit le pragmatisme : une philosophie qui juge de
la valeur des théories et des idées par les conséquences qui en
résultent au point de vue de la conduite morale. Et il prétend
démontrer que le pragmatisme est le terme auquel aboutit l'évo-
lution de la pensée de Rousseau. Selon lui, Rousseau a com-
mencé par une période scientifique : enthousiasme pour les
mathématiques, la physique, la chimie, l'astronomie, sans parler
de la botanique, à laquelle Rousseau s'est adonné jusqu'à la fin.
A cette période scientifique a succédé une période « psycho-
physiologique ». Rousseau subit l'influence de Locke, devient
1 Reprinted, with additions, from The Monist, October 1909.
024 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
l'ami de Condillac, et écrit un ouvrage qui n'a pas été imprimé et
dont le manuscrit est perdu : La morale sensitive ou le maléria-
lisme du sage. Enfin ce développement se termine dans la période
« pragmatique». Rousseau se place au point de vue de la conduite
morale. S'il repousse le sensualisme, qui fait l'esprit humain
passif, il repousse aussi le rationalisme, qui ne s'inspire pas de
considérations morales. Pour employer les expressions de Kant,
il préfère la raison pratique à la raison théorique. Il identifie la
vérité avec l'utilité pratique, en entendant que l'utilité pratique
n'est autre que l'utilité morale.
Telle est la thèse de M. Schinz. On ne niera pas qu'elle ne soit
fort intéressante, qu'elle ne mette en lumière, de façon piquante,
un aspect bien caractéristique de la pensée de Rousseau, et l'on
se plaira à suivre l'auteur dans son argumentation savante et
ingénieuse.
On se demandera pourtant, croyons-nous, s'il n'y a pas quelque
exagération dans cette thèse, et dans la manière dont elle est
soutenue. Qu'il v ait dans Rousseau plusieurs affirmations qui
font penser aux théories des pragmatistes d'aujourd'hui, c'est là
ce dont on ne saurait douter après avoir lu M. Schinz ^ Mais con-
venait-il d'insister autant sur ces affirmations et d'y voir l'expres-
sion d'une doctrine philosophique ? Nous ne le pensons pas. On
est d'emblée mis en défiance contre la méthode de M. Schinz,
lorsqu'on le voit s'attacher à faire correspondre une à une les
phases de la pensée de Rousseau aux phases de la pensée de
M. William James. Il y a dans ce rapprochement, établi minu-
tieusementj quelque chose de singulièrement artificiel. La même
impression subsiste ensuite, lorsque M. Schinz pousuit dans le
domaine des idées le parallèle qu'il institue d'un bout à l'autre de
son travail entre Rousseau et M. James. Nous avouons que, plus
d'une fois, les textes cités par M. Schinz ne nous semblent pas
revêtir la signification « pragmatique » qu'il leur attribue. Ainsi,
dans le texte de V Emile cité à la page 21, le mot t7-uth (je garde
le terme anglais de la traduction) ne nous paraît pas du tout,
comme à M. Schinz, être l'équivalent du terme «' cash-value »
dont M. James aime à se servir." De même, lorsque M. Schinz, à
la fin de son travail, énumère trois- applications que Rousseau et
M. James ont faites de leurs théories pragmatiques, on ne voit pas
bien en quoi ces prétendues applications portent le cachet du prag-
matisme. Prenons un exemple. M. Schinz cite le passage bien
connu.de la Psychology dans lequel M. James nous recommande
> Cf. Annales, IV, 328, le même point de vue soutenu par NL Roure
[A. F.]
BIBLIOGRAPHIE
325
de développer en nous la capacité de l'effort en faisant chaque
jour un petit exercice sans autre but que de vaincre notre répu-
gnance à l'action. Et il rapproche de cette exhortation certains
passages de la Nouvelle Héloise dans lesquels on nous dit que
Julie avait l'habitude de se priver des choses qu'elle aimait pour
en jouir davantage dans les rares occasions où elle se les accor-
dait. Encore ici, le rapprochement nous paraît bien artificiel. Et
surtout nous ne voyons pas, malgré les explications de M. Schinz,
comment tout cela se rattache à la philosophie pragmatique.
Ajoutons que nous ne saurions être d'accord avec M. Schinz
lorsqu'il assigne au pragmatisme de Rousseau et au pragmatisme
de M. James des causes identiques. Ce qui, selon nous, a été pré-
pondérant dans la formation du pragmatisme d'aujourd'hui, c'est
l'influence de Kant. Dira-t-on que Kant, à son tour, a subi l'in-
fluence de Rousseau? Nous répondrons qu'il serait téméraire de
vouloir faire dériver de Rousseau ce qu'il y a de profondément
original dans la pensée de Kant. Or c'est de cet élément nouveau
apporté par Kant que procède directement le pragmatisme de
M. James. C'est pourquoi sans doute il mérite d'être appelé une
philosophie. [Ch. W.]
Politkal Science Qiiartely, New-York, vol. XXIV, no 3, septem-
bre 1909 : W. A. DuNNiNG, U. D., professor of History and
Political Philosophy, Rousseau's Political théories.
Cet article commence par un dénigrement de la personne de
Rousseau. On y réchaufle les vieilles et classiques attaques de
« l'enfant gâté », du mauvais caractère qui ignorait Taffection, sauf
seulement celle d' « une grossière et détestable femme avec
laquelle, pour un tiers de siècle, il vécut dans des relations do-
mestiques sordides et irrégulières. « Les rapports du ménage de
Rousseau avec les théories politiques de Rousseau ne sont pas
expliquées. L'auteur affirme bien que les idées de Rousseau s'ex-
pliquent par la réaction de son individualité contre les conditions
sociales existantes, mais la démonstration qu'il cherche de faire
est que Rousseau manque d'originalité de pensée, qu'il n'a qu'une
conception superficielle de Grotius et Hobbes, ne « se soucie
pas d'être conséquent » (p. 382) et n'a qu'une « logique de salon »
inimble logic, p. 38i).
Le mot «nature» est pris dans différents sens par Rousseau,
entre autres dans un sens historique de sauvages des forêts primi-
tives (2^ Discours) et dans vm sens philosophique {Emile et Con-
trat social), auquel l'auteur avoue du reste ne pas comprendre
326 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
grand chose: « essayer de comprendre cette conception de nature,
c'est comme essayer de visualiser la faune de l'apocalypse » |385).
Cela n'empêche du reste nullement M. D. de critiquer abondam-
ment. On retrouve certaines objections souvent formulées ,
quoique pas souvent avec des commentaires d'une si rare suffi-
sance : « mélange extraordinaire de mauvaise logique et de la
plus grande puérilité » (SSp) ; « sa démonstration de la liberté
contient autant de sophismes que de phrases » (Sgo) ; son appli-
cation du Contrat «ne vaut pas mieux»; quand Rousseau cherche
à imiter la méthode de Hobbes, il est «ridicule » (Sgi); ailleurs il
est « burlesque » (402), etc. On accorde pourtant à Rousseau d'avoir
« malgré sa fatigante métaphysique >■ esquissé d'avance l'idée du
vote populaire des lois et des élections de magistrats. D'autre part,
Rousseau n'a pas montré que la liberté individuelle fut mieux
sauvegardée par la souveraineté de la commune que par celle de.
Toligarchie ou de la monarchie; il eût fallu pour cela (pense
l'auteur) retourner à la théorie d'Aristote : l'homme est un animal
social, thèse que le XYIII^ siècle avait rejetée [à moins que la
théorie de Rousseau de la bonté originelle de l'homme ne soit
cette même théorie dans une autre forme.] Enfin l'auteur affirme
qu'après la mort de Rousseau les F'rançais observèrent les institu-
tions de l'Amérique libérée de l'Angleterre, et qui précisément
rappelaient certaines idées de Rousseau. « Cette coïncidence,
quoique fortuite, ne manqua pas d'avoir une influence fort grande
sur le mouvement révolutionnaire qui se préparait. «
Voici un bien petit Rousseau devant un bien grand professeur 1
[A. S.]
FRANCE
J. J. Rousseau-. Les Rêveries du promeneur solitaire, librairie
Nilsson, 7, rue de Lille, Paris, s. d. [janvier 1909], in-i6, i25 pp.
(Collection Les cent chefs-d'œuvre qu'il faut lire.)
J. J. Rousseau. Du Contrat social ou Principes du Droit politique.
Lettre à M. d^ Alembert sur les Spectacles, Paris, Érnest Flam-
marion édit., s. d. [1909], in-1'2, 3i3 pp. (Les meilleurs auteurs
classiques français et étrangers.)
AvESNES. En face du soleil levant, Paris. Plon-Nourrit edit., 1909,
in-8, xii-296 pp.
P. 11,-19. ^(^^ idées -de Jean-Jacques Rousseau en Chine. Phi-
lanthropie verbale et phraséologie des journaux chinois ; la copie
de Rousseau est flagrante. Sensibilité; culte de la raison et de la
BIBLIOGRAPHIE 327
nature ; condamnation de l'absolutisme ; nationalisme. — 96.
Déisme, aspiration nouvelle. |L. P.|
J. Barbey d'Aurevilly. Critiques diverses, Paris, Alphonse Le-
merre édit., 1909, gr. in-i8, 364 pp.
P. i5i-i59 : Jean-Jacques Rousseau (article paru dans le Réveil
du 14 août i858 sous ce titre : Jean-Jacques Rousseau et son
clapier. Cf. Annales V, 33-2). II ne faut pas attendre de l'écrivain
catholique et conservateur, que les passions du jour remettent à
la mode, un jugement de sang-froid sur le père de tous les indi-
vidualistes et de tous les révolutionnaires du XIX<: siècle. Aussi
bien, ce qui est curieux, dans ce morceau, c'est la langue ; comme
virulence, on en trouverait difficilement l'équivalent aujourd'hui,
même dans le journalisme d'extrême-droite, où se distini^uent
un Charles Maurras, un Léon Daudet, un Edouard Drumont.
Ainsi, pour B. d'A., la postérité de Rousseau c'est son « clapier»,
« son ignoble clapier », où l'on distingue la « grande portée » des
purs philosophes, la « portée pesante » des Saint-Simon, des
Charles Fourier, des Proud'hon, des P. Leroux, — puis 1' « affreuse
ventrée » des économistes, Sismondi, L. Blanc, Blanqui, — et la
« non moins horrible » des hommes politiques, Ledru-Rollin,
Mazzini, — enfin la « portée des vrais brouteurs de thym », les
artistes, comme G. Sand, tous « bâtards » du génie de Jean-
Jacques. Le début du Contrat social, avec le passage sur le « roi
Adam » et 1' « empereur Noé » est un « texte ricaneur « ; on y
perçoit « le rire de Voltaire, avec des dents noires ». Pour ce qui
est du génie de Rousseau, si sublime qu'il soit, « les mœurs ne
manquent jamais de lui passer au cou ce collier de cuivre que
Walter Scott met au cou de Gurth, le gardeur de pourceaux ».
Qu'attendre de cet être « d'origine indécise », lequel « vida ses
petits dans le trou creusé par Saint-Vincent de Paul, qui lui épar-
gna l'assassinat...»? etc., etc. Heureusement que ces grosses voix,
qu'on écoute par divertissement pour savoir jusqu'où ira leur
violence injurieuse, n'ont jamais effrayé personne ! [A. F.]
Alcanter de Brahm. La peinture au Musée Carnavalet, Paris,
1909, Sansot édit., in-i6, xx-238 pp.
P. 86. Mention de deux portraits de Rousseau qui figurent au
Musée. [L. P.]
Hippolyte Buffenoir. Le prestige de Jean-Jacques Rousseau, sou-
venirs, documents, anecdotes, avec neuf portraits et illustrations,
Paris, Emile-Paul éditeur, 1909, in-8, xv-476 pp., 9 planches
hors-texte.
328 ANNALMS DE I,A SOCIKTj': .1. .1. ROUSSKAU
Les lecteurs de M. B., parmi lesquels il faut compter tous les
amis de Rousseau, retrouveront avec plaisir dans ce volume,
destiné a les grouper, un certain nombre d'études ou d'articles
dispersés jusqu'ici de droite et de gauche et qu'il était par consé-
quent assez difficile d'atteindre. Le tout est précédé d'une pré-
face, où l'auteur invoque en faveur de l'opportunité de sa publi-
cation le prestige renaissant du philosophe de Genève, le « retour
à J. J. Rousseau. » On sait de quel accent spécial, où l'enthou-
siasme du disciple ne cesse de renforcer le lyrisme naturel de
l'écrivain, est marqué tout ce qu'écrit M. B. sur son auteur favori.
A le lire, on se croirait encore tout près du grand philosophe,
dans ces temps qui ont immédiatement suivi sa mort, et où l'on
ne pouvait parler de lui sans s'attendrir et sans s'exclamer. Mais,
lyrique et sentimentale, la critique de M. B. n'en est pas moins,
comme il convient à notre époque, érudite et documentaire
(alliage singulier, pour le dire en passant, qui fait penser à Léon
Gautier, l'historien de la chevalerie). Elle circule à travers les
vieux papiers, lettres inédites, mémoires, pièces d'archives, au
contact desquels elle s'exalte et qu'elle ne se lasse pas de citer et
de commenter avec émotion. Joignez à cela l'instinct du collec-
tionneur, le geste complaisant de l'amateur qui sait la valeur de
ses bibelots, et qui les aime pour la peine qu'il s'est donnée de
les découvrir, et qui n'a pas de plus grand plaisir que de les faire
« mousser « : vous aurez achevé de saisir dans quel esprit M. B.
fait les honneurs de ce que j'appellerai son musée; aussi bien,
pour apprécier la richesse de ce musée, suffira-t-il d'en reproduire
les étiquettes, à l'usage des historiens de Rousseau, qui ne man-
queront pas de recourir aux pièces :
Les Charmettes et J. J. Rousseau. — J. J. Rousseau et les
femmes. — J. J. Rousseau et ses correspondantes (Mme de Warens,
Mme d'Epinay, Mme d'Houdetot, la Maie de Luxembourg, la du-
chesse de Montmorency, la comtesse de Boufflers, la Mise de
Crequi, Mme ^ie Verdelin, la duchesse de Saxe-Gotha). — Juge-
ment d'une Parisienne de nos jours sur J. J. Rousseau. — Ulie fille
de J. J. Rousseau (Mme Roland). — Une amie incoimue de J. J.
Rousseau (Julie Bondeli). — J. J-. Rousseau et ses visiteurs (Cham-
pagneux, le prince de Crôy-Sobre, le prince de Ligne, B. de S'-
Pierre, Mme Roland, O. de Corancez, Goldoni, Mme de Genlis,
Eymar, le comte de Zinzendorf, J, Dussaulx). — J. J. Rousseau
lisant ses Confessions. — J. J. Rousseau et le comte d' Escherny
(cf. Annales, IV, p. 333.) — Les derniers jours de J. J. Rousseau.
— Les cendres de J. J. Rousseau ramenées d'Ermenonville à Paris.
— J. J. Rousseau jugé par Grétry (cf. Annales, I, p. 3 14). — J. J.
BIBLIOGRAPHIE 329
Rousseau jugé par Chateaubriand (cf. Annales, III, p. 293). —
Une question littéraire au sujet de Rousseau (le testament Schulz-
Gora). — /. J. Rousseau, Grimm et Diderot, documents nouveaux
(ceux de Mme Macdonald). — Les enfants de J. J. Rousseau (à
propos du rapport Ranson sur le dossier de l'Assistance publique.
Cf. Annales, II, p. 290). — Rousseau et Robespierre se sont-ils
vus ? — Les portraits de A/me Je Warens (beaucoup moins res-
trictif que l'article de M. Ritter, Annales, I, p. 269). En « appen-
dices » : Rousseau et la comtesse d'Egmont (auditrice de la lecture
des Confessions). — Le dernier herbier de J. J. Rousseau (celui de
la famille Girardin). — Un souvenir sur Thérèse Levasseur (celui
de V. OfTroy; cf. Annales, III, 3o2). — Poésies (de M. B.) en
l'honneur de Rousseau, Extraits de mes mémoires inédits. —
Procès-verbal d'ouverture des sarcophages et cercueils de Voltaire
et de Rousseau au Panthéon. — Un ossement de J. J. Rousseau
dans le monument d Ermenonville. Dans l'illustration de ce nou-
veau volume de M. B., tout à fait remarquable comme celle des
précédents, il faut mettre hors de pair l'admirable buste et l'ex-
quise statuette de Houdon. Citons encore les portraits de
M'ie Lard, de Mme Boy de La Tour, de la comtesse d'Egmont, et
le médaillon de Rousseau par Lesueur, toutes pièces fort inté-
ressantes, — et louons encore une fois M. B de n'être pas un
collectionneur égoïste, mais au contraire toujours disposé à faire
profiter le public des bonnes fortunes d'un homme de goût'.
[A. F.i
Docteur CABANiis. Les indiscrétions de IHistoire, sixième série,
Paris, Albin Michel édit., s. d. [1909], in-8, xxv-408 pp.
P. 163-226: J.J. Rousseau s'est-il suicidé ? [avec une reproduction
du masque de J. J. Rousseau, d'après une photographie de l'original
déposé au Musée de Montmorency). Forme définitive de l'article
paru sous le pseudonyme du Dr Fernel dans la Revue thérapeu-
tique des alcaloïdes (cf. Annales, V, p. 309). On y a joint en appen-
dice une consultation du professeur Achard, de la Faculté de
médecine de Paris, sur « les causes de la mort de J. J. Rousseau »,
ï On pourrait chicaner M. B., d'abord sur son penchant à se servir de
documents notoirement apocryphes (voyez p. G et 28), puis sur sa façon
un peu imprudente de rectifier les dates. Ainsi, on peut à la rigueur
justifier le changement de la date du dessin d'Houel (planche IV, 1761
au lieu de 1764), mais nullement celui de la date de la lettre à Bernar-
din de Saint-Pierre, p. 212 (1772 au lieu de 1771, cf. Annales, 1908,
p. 319).
33o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
consultation qui, sans être affirmative, admet la vraisemblance de
l'opinion exprimée par le procès-verbal d'autopsie. [A. F.]
Edme Champion. J. J. Rousseau et la Révolution française, Paris,
Armand Colin édit., 190g, in-i8 jésus, vin-276 pp.
En ce petit volume bien documenté, finement déduit, nouveau
sur plus d'un point, M. Edme Champion étudie l'influence
exercée par Rousseau sur la Révolution. L'auteur s'insurge contre
le jugement de ceux qui, incarnant en vm seul homme une révo-
lution pareille, montrent en Rousseau, mal lu, mal interprété, le
précurseur des terroristes et le mauvais génie de la Révolution.
Ni dévot, ni enthousiaste, ni simplement ami de Rousseau,
M. Edme Champion veut « écarter de cet homme paisible l'auréole
sanglante qui l'enveloppe », sans autre souci que d'être exact, de
voir clair, d'atteindre et de garder la juste mesure. Il nous semble
qu'il y a réussi.
Sans remonter môme jusqu'au bûcher du Contrat social, brûle a
Genève en juin 1762, l'accusation est ancienne. Des la Révolution,
les monarchistes font de J. J. Rousseau l'auteur principal et res-
ponsable de la chute de la monarchie. Morellet, La Harpe, Nisard
répètent cette accusation et, dans la conclusion de son Ancien ré-
gime, Taine n'hésite pas à placer Rousseau en tête du « bataillon
carré des socialistes conjurés contre la société. » On sait assez sous
quelle forme cette accusation a été reprise et développée de nos
jours par les Jules Lemaître et autres néo-royalistes. A l'autre
bout de l'horizon politique, Edgard Quinet voyait en Rousseau
le mauvais génie de la Révolution française qui lui emprunte non
seulement ses idées mais son fâcheux tempérament. C'est Rous-
seau qui règne et tdomphe en 1793 et la Terreur sort directement
du Contrat social. Les panégyristes de Rousseau ont. beaucoup
contribué à répandre la même erreur en attribuant à leur dieu tous
les heureux effets de la Révolution.
Repoussant le jugement banal, et revisant le procès, M. 'Edme
Champion montre .sans peiné qu'on a imputé à Rousseau une
foule c( d'innovations » vieilles de plusieurs siècles, et que toute
une série de publicistes avaient proclamées, de Grégoire de Tours
à l'abbé de Saint-Pierre. D'autres que lui ont prophétisé, avec
plus de clarté et de précision, la Révolution. D'autres influences.
Voltaire, Mably, Raynal, Montesquieu, l'ont préparée. Tout cela
est très juste, mais il serait très juste aussi de dire que chez
Rousseau l'accent est autre, et la passion, et la voix forte qui
ébranle l'âme populaire et remue ses fibres les plus profondes.
BIRI.IOGRAPHIE
33 I
Rousseau a été, en outre, mal lu, mal cité, mal interprété, un
peu par sa faute, par son intempérance de langage, par sa balour-
dise dans la boutade, par ses figures de rhétorique enflammées
qu'on a pu exploiter contre lui, en les séparant du texte souvent
judicieux et modéré qu'elles illuminent violemment comme des
éclairs.
Etudiant ensuite les idées politiques et sociales de Rousseau dans
son œuvre même, M. Edme Champion met en lumière, mieux qu'on
ne l'avait fait avant lui, le fonds traditionnaliste et presque conser-
vateur de plusieurs écrits de Rousseau entre VEpitre à Parisot et la
Lettre sur les spectacles. Le Contrat'social lui-même, qui marque
une rupture de continuité dans l'œuvre et dans la pensée de Rous-
seau, est loin d'avoir toute la portée subversive et tout le sens ré-
volutionnaire qu'on est convenu de lui attribuer. La condamnation
de l'esclavage et de la tvrannie, qui fait le fond du livre, n'est pas
chose neuve en elle-même, mais bien le ton passionné, la vigueur
condensée, l'accent concentré qui illumine et renouvelle la thèse.
Si thèse il y a, car rien n'est plus incertain, contradictoire et
incohérent que les idées politiqvies du Contrat social. Rousseau
n'a jamais eu de système politique et son livre n'exprime le plus
souvent, avec lucidité, précision et force, que des pensées sans
suite et sans cohésion.
Dans les Lettres de la Montagne, comme dans les Dialogues,
Trousseau conteste avec violence qu'il ait jamais voulu renverser
aucune forme de gouvernement, pousser les opprimés à la révolte
ou même sacrifier la liberté de l'individu à l'omnipotence du
peuple souverain.
Dans ses Considérations sur le gouvernement de la Pologne et
dans son Projet de Constitution pour la Corse, il s'affirme respec-
tueux de la tradition, patriote jusqu'au nationalisme, ennemi
résolu de tout bouleversement rapide et violent des institutions,
en un mot aussi peu révolutionnaire que possible. Voilà pour son
œuvre.
Cette œuvre, dont on n'avait pas encore travesti les idées, les
sentiments ou les déclarations les plus catégoriques, ne parut ni
dangereuse, ni subversive aux contemporains qui, comme les
Luxembourg ou Malesherbes, protégèrent Jean-Jacques, ni, à la
veille de la Révolution, aux modérés comme Monnier, ,Necker,
Mme (le Staël qui virent en Rousseau un novateur bienfaisant
dans la parole duquel le royaume pouvait trouver son salut. Entre
1789 et 1792, c'est Mirabeau, qui ne passe pas pour un terroriste,
qui rend à Rousseau le plus magnifique hommage. Ce sont les cons-
tituants qui le citent constamment et invoquent son autorité dans
332 ANXALIiS DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
le sens de la sagesse et des moyens modérés. Quelques-uns déjà
le jugent trop peu révolutionnaire, mais la Constituante considère
son œuvre comme le fruit du Contrat social, et les Mercier, les
d'Evmar, les Rabaut-Saint-Etienne, tous les modérés sont una-
nimes à réclamer pour Rousseau les honneurs du Panthéon. Quoi
qu'en aient dit Louis Blanc et Quinet, c'est bien entre 1789 et 1792,
et non après, que l'influence de Rousseau règne en maîtresse. Ce
n'est pas lui qui a détruit la monarchie et fait surgir la républi-
que, c'est la force des choses, plus forte que toutes les théories et
tous les livres.
De ce que plus d'un terroriste a nommé Rousseau son maître,
il n'en résulte nullement que la Terreur découle du Contrat social.
Bien mieux, les contemporains ennemis de Robespierre lui repro-
chent constamment de violer en tout point les idées et les précep-
tes de Rousseau, et c'est sur l'autorité de Rousseau qu'on se fonde
pour combattre les excès sanglants de la Terreur, dont une si
grande part revient d'ailleurs à la contre-révolution et aux émigrés.
Que Marat ait lu et commenté en public le Contrat social, ce dont
Taine triomphe, cela n'empêche pas que la commune souveraine,
rêvée par Marat, ne soit à l'antipode du principe sacro-saint de
Rousseau, la souveraineté indivisible.
Après avoir établi sans peine, dans les chapitres suivants, que
Rousseau ne peut être justem.ent tenu pour l'auteur responsable ou
pour l'instigateur même indirect des attentats de la Terreur contre
la religion, la propriété et la vie humaine, M. Edme Champion exa-
mine la part certaine d'influence que son œuvre a pu avoir pour
préparer la Révolution. Comme Lakanal, rapportant le 28 fructidor
an II sur le transfert des cendres de Rousseau au Panthéon, notre
auteur pense que c'est par V Emile et l'enthousiasme moral, mieux
que parle Contrat, SQcial et sa théorie politique confuse, que Rous-
seau a ouvert les voies à la Révolution de 1789, non à la guillo-
tine de 1793.
Dans un dernier chapitre, M. Edme Champion se demande ce
que Rousseau, octogénaire en 1792, aurait fait et pensé, s'il avait
encore vécu. Aurait-il été guillotiné? Serait-il mort.de douleur ?
Aurait-il approuvé la violence, et le sang versé ? Qu'aurait-il
approuvé des actes et des résultats de la Révolution, dont les
débuts généreux furent favorisés par la flamme d'idéal qu'il avait
rallumée dans les âmes ? Ces questions, ces hypothèses surtout,
nous paraissent, avouons-le, bien oiseuses, mais ce n'est pas une
raison suffisante pour taire l'intérêt et le plaisir intellectuel que
nous avons goûtés à lire la partie historique et critique de ce
livre vif, élégant et solide. [G. V.]
BIBLIOGRAPHIE 333
Arthur Chuquet, membre de Flnstitut, professeur au Collège de
France. Littérature allemande, Paris, A. Colin édit., igoq, in-8,
485 pp.
P. 195. Lessing, dans la Dramaturgie, défend le Misanthrope
contre Rousseau. — 210. Engouement de l'école appelée Sturm
tind Drang, au XVIIIe siècle, pour J. J. Rousseau. — 216. Herder
prétend retrouver chez les sauvages une poésie supérieure à celle
des peuples civilisés, comme Rousseau cherchait chez eux le mo-
dèle du contrat social. — 232. Influence de Rousseau sur Schiller.
— 256, 264-5. Influence sur Gœthe. Werther est un autre Saint-
Preux. Différences cependant entre Werther et la Nouvelle
Héloïse. [L. P.]
René Doumic, de l'Académie française. Georges Sand, dix confé-
rences sur sa vie et son œuvre, avec quatre portraits et un fac-
similé d'autographe, Paris, Perrin et C'»^ édit., 1909, in-8, 362 pp.
L'intérêt pour nous de cette série de « conférences >', c'est
qu'elle fait suite en quelque sorte aux conférences de M. Jules
Lemaître sur J. J. Rousseau, prononcées dans le même local et
devant le même auditoire deux ans auparavant (cf. Annales, IV,
p. 304). Le point de contact est établi par le chapitre I, intitulé
Aurore Dupin, psychologie d'une fille de Jean-Jacques (reproduit
dans la Revue hebdomadaire, 6 février 1909). L'idéal nouveau issu
de la prédication de Rousseau et que personnifie Georges Sand,
« comment se comportera-t-il en présence de la vie, aux prises
avec les réalités familiales et sociales ? C'est tout le sujet de ce
cours... » Est-il besoin d'ajouter que la réponse est donnée dans
le même esprit, sous l'empire des mêmes préoccupations, je dirais
volontiers des mêmes préjugés, que la solution de l'énigme Rous-
seau par M. J. Lemaître. La vie d'Aurore Dupin est étudiée ici
de beaucoup plus près que son œuvre, avec l'intention assez évi-
dente de rendre manifeste l'échec de l'idéal de Rousseau chez ses
disciples les plus authentiques. [A. F.]
Emile Faguet, de l'Académie française. Z)/5fî/55îo»5^o//f/^Me5, Paris"
Société française d'imprimerie et de librairie, 1909, in- 16, 421 pp.
P. 167-176 : J. J. Rousseau scolaire. Reproduction de l'article
signalé dans nos Annales, I, p. 3ii.
D'' Fabien Girardet. La mort de Jean-Jacques Rousseau, étude
médicale, Lyon et Paris, A. Maloine édit., 1909, in-8, 262 pp.
La mode médicale actuelle est aux diagnostics rétrospectifs, et
les médecins voient éclore, depuis quelques années, toute une
334 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
littérature destinée à établir, suivant les vues de la science con-
temporaine, le « bilan pathologique » d'une quantité de person-
nages historiques.
Mais quand on songe — et M. Girardet le rappelle lui-même
en passant — aux difficultés qu'éprouvent quelquefois les clini-
ciens et les médecins légistes à préciser les causes de la mort,
pour des cas dont ils ont vu évoluer la dernière maladie, et dont
ils ont les pièces anatomiques sous les yeux, on se demande
quelle valeur peuvent avoir des conclusions basées sur des
témoignages anciens, toujours incomplets, souvent contradic-
toires.
Seules les maladies mentales peuvent, et seulement dans une
certaine mesure, être, dans le temps et dans l'espace, diagnosti-
quées à distance ; quant aux autres, de loin les plus nombreuses,
il est le plus souvent impossible de faire autre chose que des
hypothèses hasardées ; bien rares sont les cas où les recherches
rétrospectives entraînent une conviction nette et absolue.
Aussi est-ce avec scepticisme que j'ai abordé la lecture du
mémoire sur la mort de J. J. Rousseau que M. Fabien Girardet a
présenté, comme thèse de doctorat en médecine, l'année passée, à
l'Université de Lyon et qu'il offre maintenant au public.
Disons tout de suite que M. le D"" Girardet ne nous apporte rien
d'inédit et, comme il l'avoue modestement lui-même : « Que
« restait-il à glaner dans ce champ immense, où d'habiles travail-
« leurs avaient depuis longtemps cueilli les plus belles gerbes ?
« Tout était pris, tout était dit, je n'ai recueilli que les restes. »
Mais il a l'art de fort bien les accommoder et il nous présente
une étude très complète et très fouillée de son sujet.
Pourquoi s'est-il attelé après tant d'autres à étudier les états
pathologiques de Rousseau et les causes de sa mort? La réponse
en est simple : Très rousseauiste dès son jeune âge, il souffre,
comme en a souffert Rousseau lui-même, comme en ont souffert
ses admirateurs après lui, des calomnies, des mensonges dont on
a essayé de ternir sa réputation.
Malgré les témoignages des personnes dignes de* foi qui ont
assisté' au drame, malgré l'autopsie, malgré l'exhumation, la
légende a toujours cours. Et à côté, des témoins oculaires comme
Girardin, Le Bègue de Presle, Castérès, Chenu, Bouvet, Houdon,
Ernest Hamel, Poussin, Castellant, Georges Berger, Grand-Car-
teret, qui ont, les uns assisté aux derniers moments de Jean-
Jacques, les autres autopsié son corps, crâne compris, ou qui ont
assisté à son exhumation et qui tous ont certifié une mort natu-
relle sans aucune lésion du crâne par arme à feu, il s'est toujours
BIBLIOGRAPHIE 335
trouvé des personnes comme Grimm, Corancez, Min= de Staël,
Musset-Pathay, jusqu'à M. Jules Lemaître, qui, sans avoir rien
vu, ont conclu au suicide du philosophe ou l'ont admis comme
possible.
M. Girardet, dans une première partie, étudie à nouveau les
diverses maladies du philosophe. Après avoir rappelé son hérédité,
il fait une analyse fort détaillée de son état mental et des diffé-
rents ressorts de ce cerveau complexe, pour conclure que Rous-
seau fut un persécuté mélancolique et un psychasthénique.
Dans sa jeunesse, il avait été un dromomane et ses fugues si
fréquentes sont certainement pathologiques ; mais à ce propos je
ferai remarquer, après d'autres, l'étonnement des étrangers s'oc-
cupant des familles genevoises, quand ils constatent le nombre de
leurs membres qui ont été courir le monde. M. Girardet considère
comme des antécédents héréditaires pathologiques les nombreux
voyages accomplis par les ancêtres de Rousseau. A ce taux-là
peu de Genevois seraient indemnes de cette tare ; jamais ils
n'ont été des casaniers ; venus de partout, ils ont toujours
essaimé en grand nombre. Et la chose s'explique tout naturelle-
ment : les ressources restreintes offertes par une petite ville à une
population très instruite en empêchaient plusieurs d'utiliser leurs
talents chez eux; ils étaient bien obligés d'aller gagner leur pain
ailleurs, partout où pouvaient s'offrir à eux une carrière et un
avenir.
Dans la deuxième partie, consacrée à la mort de Rousseau,
M. Girardet met sous nos yeux toutes les pièces officielles, les
récits des contemporains, les pièces ultérieures et il en discute la
valeur en médecin-légiste, reprenant la question comme un
expert chargé de conclure dans une affaire criminelle.
L'hypothèse du suicide par arme à feu est devenue insoutenable
depuis l'exhumation de 1897. Mais on a avancé la possibilité d'un
suicide par empoisonnement ; là, la preuve directe du contraire
existe également, car, à moins de taxer de faux témoignage le
proces-verbal d'autopsie, la présence du café au lait dans l'esto-
mac au moment de l'ouverture du corps, prouve que Rousseau n'a
pas vomi avant sa mort ; et le vomissement est un symptôme
presque constant de l'empoisonnement par n'importe quel toxique
parmi ceux qu'il aurait pu se procurer.
M. Girardet nous annonce qu'un des assistants à l'exhumation,
M. Castellant, va faire paraître un travail destiné à montrer que
la mort est la résultante des mauvais traitements infligés à Rous-
seau par Thérèse. Attendons pour en juger que ce travail ait
paru ; d'ores et déjà la chose paraît bien peu probable. M. Girardet
336 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
estime que la mort rapide de Rousseau et la grande quantité de
sérosité trouvée dans ses méninges s'expliquent fort bien par une
attaque d'urémie. Mais là, nous sommes obligés de constater que
c'est une simple hypothèse; la néphrite chronique, qui est la
cause de l'urémie, était encore insoupçonnée au XVIIIe siècle et
les médecins n'ont pu donner de détails sur la structure intime
des reins tels qu'ils les ont trouvés à l'autopsie.
L'auteur étaie son opinion de différents faits connus (cystite
par sondages répétés, besoin de transpirer pour se sentir à son
aise, étouffements et suffocations, etc.), mais, encore ime fois, ces
faits ne sont pas des preuves.
Cependant, que les hommes de lettres, qu'une mort aussi rapide
pourrait encore étonner, se reportent à la mort récente d'E-
douard Rod, et ils se souviendront de la soudaineté d'apparition
des symptômes de l'urémie et de leur aboutissement rapide à la
mort, avec ces mêmes angoisses, ces troubles vagues, ces suffo-
cations et surtout ce mal de tête dont parlent de Girardin et Le
Bègue de Presle à propos des dernières heures de Rousseau.
L'hypothèse d'urémie, tout en étant personnelle à M. Girardet,
a déjà été émise sans qu'il en sût rien, par le professeur Achard
de Paris, dans un mémoire du Dr Cabanes paru peu auparavant.
En résumé, M. Girardet veut nous démontrer — et, sauf les
réserves que j'ai faites au début de cet article, la chose paraît
plausible — que Rousseau était un persécuté mélancolique et un
psychasthénique, et qu'il est mort d'une attaque d'urémie, phéno-
mène terminal du mal de Bright ou sclérose des reins.
Nous pouvons adopter les conclusions de cette expertise, car
elle est fort bien faite et ne laisse dans l'ombre aucun fait ni au-
cune pièce, se terminant par une excellente bibliographie de tous
les travaux antérieurs sur les maladies et l'état hiental de J. J.
Rousseau!. [Dr,H. M.]
1 P. 41, 1. 14: Yverdun, Z/^e^ Yverdon (orthographe actuelle du mot).—
43, note, 1. I : Boudeli, lise:[ Bondeli. — 69, 1. i3. Il n'y a pas de pastel
de Latour représentant Rousseau en Arménien, à moins de croire à
rauthenticité de celui qui appartient au niarquis de Girardin. Ce n'est
en tout' cas pas celui qui fait autorité pour la physionomie de Rous-
seau, mais bien plutôt le Rousseau en perruque, du même artiste.
— i3i, 1. 21. Cette notice (le terme,' comme le texte, est emprunté à
Morin, p. 413), est en réalité la Lettre à Sophie, comtesse de Vassv,
publiée par Stanislas de Girardin en 1824, en appendice de sa corres-
pondance avec Musset-Pathay. — 140, 1. 12 : 1773, lise{ 1778. —
148, note, 1. I en rem. : t-. XXI, lise^ t. XXII (Supplément). — 162, 1. 10:
une relation des derniers moments. C'est la première impression
(Iragmentaire) de la Lettre à Sophie, comtesse de Vassv, citée plus
BIBLIOGRAPHIE SSy
Dr Pierre Janet, professeur de psychologie au Collège de France.
Les Névroses, Paris, Ernest Flammarion édit., 1909, in- [2,
397 pp.
P. 5o : M. J. cite un passage bien connu du livre VI des Con-
fessions comme exemple de la « manie du présage » ou de « l'in-
terrogation du sort » (dans le chapitre sur Les Doutes psychasté-
niques). C'est celui où Rousseau raconte qu'il jetait des pierres
dans les arbres pour savoir s'il était damné. [A. F]
Gustave Lanson. L'art de la prose, Paris, librairie des Annales
politiques et littéraires, 3^ édition, Paris,. 190g, in- 12, 3o3 pp.
Chapitre XIV : Deux phrases artistiques du XVI 11^ siècle : La
phrase musicale de Jean-Jacques Rousseau, la phrase pittoresque
de Bernardin de Saint-Pierre. Cette étude, véritablement initia-
trice, a été signalée en son temps dans nos Annales, III, p. 286.
Ernest Lavisse. Histoire de France depuis les origines jusqu'à la
Révolution, tome huitième, II, Le règne de Louis XV {i y 1 5-
1/74), par H. Carré, professeur à l'Université de Poitiers,
Paris, Hachette édit., 1909, grand in-8, 427 pp.
Chapitre III: La propagande philosophique ; III, Rousseau
(p. 3o5-3i8). Le ton général de cet important paragraphe est
plutôt sévère, malgré l'effort d'impartialité de l'historien. Cette
sécheresse du résumé, réduit aux faits essentiels, convient moins
qu'à personne à Rousseau qui a tant besoin de l'atmosphère
morale ou psychologique de ses actes. On n'y suit point la courbe
de son caractère, mais on a dans la main une barre de fer toute
droite. Le danger de semblables raccourcis dans l'appréciation
de faits qui sont tout de nuances, éclate dans ces quelques lignes
destinées à rendre compte de la querelle avec M^e d'Epinay :
« Mais il finit par se brouiller avec M^e d'Epinay. Elle devait
aller à Genève, et souhaitait qu'il y allât avec elle. Rousseau vit
dans ce désir une atteinte à son indépendance, et comme Grimm,
Diderot et d'Hobach se permirent de le désapprouver, il rompit
avec eux et, finalement, avec le parti encyclopédique... »
Il fallait au moins dire ce que Mme d'Epinay allait faire à
Genève, et quel rôle Rousseau refusait d'assumer, sans cela point
de justice. On appréciera davantage des remarques comme celle^
haut, p. i3i. Il n'y a pas lieu de l'en distinguer. — i65, 1. i en rem. :
Baruel-Bouvert, /wef Baruel-Beauvert. — 211, 1. 6 et 12: 1810, //scf
1820 [A. F.]
22
338 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
ei, à propos des Discours: <> Il n'était pas dupe de ses utopies,
mais il n'en faisait pas la critique. » [A. F.]
Marius-Ary Leblond. L'Idéal du X/A> siècle. Le rêve du bonheur
d'après Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. Les théories
frimitivistes et Vidéal artistique du socialisme, Paris, F. Alcan
édit., 1909, in-8, x-328 pp.
P. 37-120 : Le rêve du bonheur dans Rousseau et Bernardin,
éducateurs du XIX^ siècle.
P. 39-54. J. J. Rousseau : le caractère de son œuvre; le monde,
les lettres et la science; le culte de la patrie. — 55-63. Les réfor-
mes. Le communisme ; Eloge de l'agriculture ; La petite pro-
priété ; Visions agrestes. D'après MM. Leblond, Rousseau ne fut
point l'individualiste antisocial, l'anarchiste que voient en lui
ses détracteurs. Ce n'est pas, en réalité, le retour à la nature qu'il
a préconisé, mais le retour à l'agriculture. Est-il une thèse plus
juste ? Son am.our de la nature était l'amour des champs, sa
méfiance de la société n'était que l'horreur des grandes villes, de
ce que la littérature d'hier appelait pittoresquement « les villes
tentaculaires ». — '34-72. La nature chez Rousseau. Le sens exact
du mot de » nature w : le citadinisme et la raison. — 79-86. L'âge
d'or. La vertu; La force physique ; L'éducation ; Le travail;
L'amour ; La Société. Rousseau ne demandait pas le retour au
pur état de nature. — 87-91. L'utopie et le sens pratique. Rousseau
est un esprit constructeur : son bon-sens positif; sa croyance au
progrès; ses constitutions; ses rêves de l'avenir. Rousseau n'était
pas un utopiste. « Le bon-sens, contrairement à ce que l'on a
toujours dit, est sa qualité fondamentale. » Les auteurs ne font
de réserves quepour sa vieillesse, et encore disent-ils que cette
vieillesse mafadive le conduisit à « des excès de bon-sens qui
touchent à la folie. «(Ne serait-ce pas le cas de dire avec Mon-
tesquieu que l'excès de la raison n'est pas désirable?) Cf., sur
l'esprit pratique de Rousseau, p. 293. — 92-94. Conclusion. Chris-
tianisme : Rousseau, quelque paradçxal que semble ce rappro-
chement, est M le successeur de Bossuet. » Républicanisme;
sentiment social de la nature. — 95-120. Bernardin de Saint-
Pierre disciple de Rousseau. L'esthétique, science du bonheur.
L'edénisme exotique.
P. 125-126, 129. Le retour à la nature, dans le romantisme, est
le rêve d'une vie sauvage, et non pas, comme chez Rousseau, le
rêve d'un-e vie agreste.- Causes historiques de cette diflerence. Le
romantisme n'est pas intégralement dans Rousseau, comme l'a
cru M. Lasserre. — 157. Rousseau et le primitivisme mystique du
BIBLIOGRAPHIE 33g
XIX* siècle. — 244. Rousseau père du primitivisme, ou retour
réfléchi et mesuré à la nature. [L. P.]
C. Lecigne, docteur es lettres, professeur aux Facultés libres de
Lille. Le Fléau Romantique, Paris, P. Lethielleux édit., s. d,
[décembre 1909], in-8, 3i6 pp.
L'assaut donné par le catholicisme nationaliste contre le roman-
tisme (ce pelé, ce galeux...), continue. Après l'abbé L.-Ch. Del-
four (Catholicisme et Romantisme, Paris, 1905), après J. Lemaître,
E. Seillière, et P. Lasserre, voici l'abbé Lecigne, professeur de
Faculté libre, qui, lui aussi, laisse tomber son pavé dans la mare.
Et naturellement J. J. Rousseau est le premier atteint: Les ori-
gines étrangères, Le Mal de Jean-Jacques Rousseau, Les Déséqui-
librés du Romantisme..., il suffit de mentionner ces titres des trois
premiers chapitres, pour déterminer Tesprit du livre, qui n'ajoute
à ses devanciers qu'un peu plus de passion fanatique, et ne vaut
que comme un curieux témoignage de plus sur cette campagne
antiromantique, moitié littéraire, moitié politique, l'un des symptô-
mes significatifs de l'état des esprits, en ce début du XX^ siècle.
[A. F.l
Frederika Macdonalo. La légende de Jean-Jacques Rousseau
rectifiée d'après une nouvelle critique et des documents nouveaux
(traduit de l'anglais par Georges Roth), ouvrage renfermant
3 fac-similés du manuscrit de l'Arsenal, Paris, Hachette et G'*
édit., 1909, in-8, vi-287 pp.
G'est la traduction de l'ouvrage dont il a été rendu compte
dans nos Annales, t. III, p. 256-267. Nous n'y revenons que pour
nous féliciter de pouvoir lire désormais dans la langue de Rous-
seau un ouvrage consacré à sa mémoire, qui fait époque.
Salomon Reinach. Orpheus, Histoire générale des religions, Paris,
Alcide Picard, 1909, pet. in-i6, xxi-625 pp.
P. 14. Rousseau, ennemi de Voltaire, n'a pas, comme on le
croit souvent, soutenu contre lui les droits du sentiment religieux.
(Gette assertion de l'auteur peut sembler hasardeuse. Il l'infère
dxi Discours sur l'origine et les fondements de Vinégalité parmi les
hommes. Mais, à supposer exacte l'interprétation qu'il en donne,
on n'a jamais considéré que la pensée de Rousseau, en matière
religieuse, soit dans le Discours de lySS, et il est même certain
qu'elle est tout entière ailleurs !) — 16. Rousseau, qui parle volon-
tiers des sauvages, les connaissait fort mal. Gf. p. 3i. — 20. L'idée
340 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
du Contrat social est aujourd'hui abandonnée. — 5o6. Fénelon
ancêtre intellectuel de Rousseau. — Si;, Rousseau ennemi de la
raison par orgueil. — Sig. Rousseau mauvais inspirateur de la
Révolution française. [L. P.]
Auguste Rey. Jean-Jacques Rousseau dans la vallée de Montmo-
rency. Avec deux phototypies et une carte, Paris, Plon-Nourrit
édit., s. d. [1909], in-8, iv-2g4 pp.
M. Rey avait publié en igo3 le Château de la Chevrette et
Madame d'Epinay ; grâce à sa connaissance des localités, et de
l'histoire du pays, il avait réussi à bien « situer » les récits que
Mme d'Epinay a faits dans ses Mémoires; mais il avait, de propos
délibéré, laissé de côté ce qui touchait à J. J. Rousseau. On le
lui a reproché, dit-il ; c'est pour répondre à ce reproche (qui était
aimable et flatteur) qu'il publie le volume que nous annonçons.
Ce consciencieux travail a été publié d'abord dans une revue,
et nous en avons parlé alors : Annales, III, 213-217. Nous ne
voulons pas revenir aujourd'hui sur la longue étude que nous
avons donnée dans le tome second des Annales. Comme nous
l'avons dit en 1907 déjà, M. Rey est arrivé sur quelques points à
d'intéressants résultats ; malheureusement, le document essentiel
manque toujours. On vient de retrouver le Nouveau Dédale; je
suis persuadé (cf. Annales, III, 217, noté) qu'un chercheur heu-
reux retrouvera un beau matin les lettres que Mme d'Epinay écri-
vait à Grimm pendant le printemps et l'été de 1757 : alors la
romanesque histoire qui s'est déroulée pendant ces mois si rem-
plis, se trouvera éclairée du jour le plus lumineux. [E. R.]
Henri Rodet, antien avocat à la Cour d'appel, docteur en droit.
Le Contrat social et les Idées politiques de J. J. Rousseau, Paris,
Arthur Rousseau édit., 1909, in-8, xiii-443 pp.
Après un Avant-propos (p. v-xiii) où l'auteur expose son plan,
et une Introduction (p. 1-29) destinée à présenter un aperçu gé-
néral'de l'état politique en France au' moment où parut le Contrat
social, il nous est parlé dans une première partie (p. 3i-3i3) de
la Politique intérieure, et,. dans une deuxième partie (p. 314-422),
de la Politique extérieure de Rousseau. Chacune de ces parties
est elle-même divisée très clairement en livres et en chapitres, et
l'ouvrage se termine par une Conclusion (p. 423-430) et une
Bibliographie (p. 431-437).
Pour la politique intérieure, l'auteur étudie d'abord les deux
grandes idées maîtresses de Rousseau, qui sont la base de tout
BIBLIOGRAPHIE 341
son système, à savoir sa théorie de l'état de nature, vieille idée
seulement rajeunie par Rousseau, qui s'en croyait le père, et sa
théorie du pacte social, où il trouve le fondement des droits
civils et politiques des citoyens, la notion juridique de l'Etat,
l'essence, le caractère et l'étendue de la souveraineté. Cette sou-
veraineté, on sait de quoi elle est faite : aliénation totale de tout
droit personnel des sujets, omnipotence de l'Etat, mais omnipo-
tence non tyrannique, d'après Rousseau, puisque (conception
bien étrangement subtile) cet asservissement même à la volonté
générale sera un gage de liberté pour le citoyen, « forcé d'être
libre. » La liberté, c'est de faire partie d'un peuple souverain,
c'est-à-dire libre. Et vainement Rousseau se contredira-t-il et
parlera-t-il, dans le Contrat social, « des bornes du pouvoir sou-
verain ». Il se contredira encore dans sa contradiction même, ses
prétendues concessions au libéralisme, ou ne comptant pas, ou
étant retirées tout de suite, et c'est bien le plus effroyable abso-
lutisme que sa souveraineté indivisible, inaliénable et imprescrip-
tible de la collectivité. Bien entendu, ce despotisme démocratique
aura pour corollaire le suffrage universel dans toute sa rigueur,
c'est-à-dire sans égard aux droits des minorités, mais non pas, si
l'on veut, dans toute sa plénitude, car M. Rodet note en passant
que Rousseau n'a pas dit un mot du vote ni des droits politiques
de la femme : le féminisme ne peut pas se réclamer d'un écrivain
qui est généralement si cher aux femmes. Bien entendu encore,
la théorie de la propriété sera fortement teintée de socialisme.
Non pas trop, il est vrai, pour la condition des biens envisagée
dans les rapports de personnes à personnes : le droit de propriété
individuelle est formellement reconnu ; il dérive, lui aussi, du
contrat social ; c'est le fait du premier occupant, consacré et con-
solidé par la loi. Mais dans les rapports de l'Etat avec les indi-
vidus, il faut tenir compte de la théorie de la souveraineté, chère
à Rousseau, et du droit éminent de l'Etat sur les terres, et voilà
Rousseau qui rejoint Bossuet, ce qui avait déjà été noté par
M. Emile Faguet. (P. i8r, M. Rodet fait cette remarque intéres-
sante que, pour connaître la pensée de Rousseau sur la propriété,
il ne suffit pas de s'en tenir au Contrat social, et qu'il faut s'en
référer à d'autres écrits de Rousseau, quelques-uns peu connus,
notamment le Projet de constitution pour la Corse). Socialisme,
avons-nous dit. M. Rodet tient à s'expliquer et s'explique longue-
ment sur ce point. C'est un mot bien compréhensif et bien vague.
L'idée socialiste, au temps de Rousseau, ne pouvait pas ressem-
bler à celle de nos jours. Violent dans la critique des institutions ,
modéré et peu exigeant dans ses desiderata de réformes pratiques,
342 ANNAI.liS DE LA SOCIÉTl': J. .1. ROUSSEAU
déclamateur et non révolutionnaire, socialiste, si l'on veut, de
tendances et d'aspirations, mais socialiste théorique, Rousseau
ne saurait être revendiqué comme un ancêtre par nos modernes
collectivistes. Républicain, voilà ce qu'il tut, et « jusque dans les
moelles », dit M. Rodet. Mais ici encore, il faut s'entendre. L'in-
térêt public, la 1-es publica avant tout, tel est son idéal de gouver-
nement. « Un Etat régi par des lois », c'est pour lui la Répu-
blique, et peu importe l'étiquette, monarchique ou aristocratique.
(Au fond, on voit facilement que c'est au gouvernement aristo-
cratique que vont ses préférences ; il n'est pas pour rien citoven
de Genève.)
Reste une question dont aucune société ne saurait se désinté-
resser, la question religieuse. Déiste intellectuel et sentimental,
Rousseau tient à admettre la religion dans son organisme social.
Mais quelle religion ? Des confessions connues, dont il fait l'âpre
critique, aucune ne saurait convenir à sa cité. La religion légitime
et bienfaisante, ce sera la « religion civile » réglementée par le
souverain, qui en exigera le respect en respectant lui-même le for
intérieur des citoyens. Mais, il faut bien en convenir, le respecter
de cette manière, en imposant adhésion et pratiques, c'est le res-
pecter dans la mesure "où l'on ne peut pas faire autrement ! Pau-
vre for intérieur, que deviendra-t-il en présence d'un credo dé-
crété par le pouvoir, c'est-à-dire du jacobinisme religieux ? Le
catéchisme officiel, dont Rousseau trace une esquisse, est au fond
un règlement, de police, et les sanctions en cas de délit — que
dis-je ? en cas de soupçon — ne sont pas minces : l'exil et la
mort. Et ceci doit se concilier avec la haine de l'Inquisition et
l'amour delà tolérance. — Aujourd'hui, cette conception théo-
cratique d'un dogme d'Etat est tout-à-fait surannée, et la sépara-
tion des Eglises et de l'Etat, récemment accomplie en France, en
marquerait, s'il était besoin, le complet délaissement..
Voilà povir le gouvernement intérieur de la cité, c'est-à-dire
pour le droit international privé. Passons aux rapports des Etats
entre eux, c'est-à-dire au droit international public. M. Rodet se
flatte avec raison' de coordonner et_ de présenter, ici les idées
d'« un' Rousseau encore bien peu connu. >> Et voici donc, en trois
parties, le programme d'un cours dé droit des gens professé par
le philosophe de Genève : le droit de la-guerre; — le système fé-
dératif; — le pacifisme. Le droit de la guerre! M. Rodet nous
convie à son sujet à saluer un Rousseau «que tous les partis peu-
vent respecter, en lui rendant le juste hommage de leur gratitude
et de leur admiration. «-C'est un bref chapitre du Contrat social
qui contient « sa géniale découverte. » (Le chap. IV du livre 1er,
BIBLIOGRAPHIE 343
dont il faut rapprocher quelques pages éparses dans toute l'œu-
vre de Rousseau et quelques fragments publiés par M. Dreyfus-
Brisac.) Rousseau y établit en principe que la guerre est une rela-
tion d'Etat à Etat, qu'elle doit avoir une cause légitime et se faire
avec le moins d'effusion de sang possible, attendu qu'«ellene
donne aucun droit qui ne soit nécessaire à sa fin. » Aujourd'hui
cela peut paraître tout naturel ; mais c'était une grande nouveauté,
et Montesquieu lui-même n'avait qu'entrevu le principe. La
guerre se faisait par surprise, à tous les individus, et au dommage
de tous les biens: guerre sans pitié. Désormais, elle devra être
déclarée ; elle se fera aux seuls combattants et ne pourra alfecter
que les biens publics ; on respectera (en théorie ; car, hélas ! dans
la pratique il y a eu de tristes défaillances), les non combattants,
les prisonniers de guerre, les blessés et les biens privés (sauf sur
mer.) Telle est la doctrine de l'Ecole continentale, à laquelle ne
s'oppose plus que l'Ecole anglaise, dont l'influence décline chaque
jour. Et cette doctrine, consacrée par les auteurs et par les déci-
sions des Congrès, M. Rodet nous assure qu'elle est issue de
Rousseau et découle de la théorie de la souveraineté. En formu-
lant une idée nouvelle sur la nature de la guerre, Rousseau a
humanisé la guerre et renouvelé le droit des gens. — Qu'importe,
après cela, si son système fédéraliste (né de sa prédilection pour
les petits Etats, que M. Rodet appelle très heureusement son par-
vulisme, sentiment naturel à un citoyen de Genève), si son projet
de république confédérative, autant qu'on peut conjecturer ce
qu'il devait être puisqu'il est perdu, eût été impraticable ? —
Quant à son pacifisme, il est un corollaire de sa théorie sur la
nature de la guerre, mal accidentel et guérissable de l'humanité.
Il ne procède ni de l'antipatriotisme, tant s'en faut, ni du cos-
mopolitisme, mais des idées de justice et d'humanité, trop sou-
vent foulées aux pieds dans les guerres du temps. — Quel dom-
mage que Rousseau n'ait pas écrit un ouvrage d'ensemble sur le
droit des gens, comme il en avait, à diverses reprises, manifesté
l'intention !
Dans son avant-propos, l'auteur promettait d'être impartial. Il
a tenu parole : rare mérite. Impossible d'examiner avec plus de
calme qu'il ne le fait des théories dont il est visible que quelques-
unes sont loin de lui plaire. Sur le droit des gens, il s'appesantit
avec plaisir parce que, ici, les conceptions de Rousseau n'auraient
été que bienfaisantes; mais n'en exagère-t-il pas quelque peu l'in-
fluence positive ? Quant au Contrat social, véritable arsenal des
« idées politiques » du philosophe, son commentateur ne croit de-
voir fulminer ni contre la faiblesse de certains paradoxes, ni con-
344 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
tre les si nombreuses et si graves contradictions. Celles-ci même
semblent avoir du bon à ses yeux, en ce qu'elles permettent de
ne pas rendre Rousseau responsable des applications pratiques
que certains logiciens, quelquefois un peu rudes, ont faites des
principes par lui posés. Que voulez-vous? C'était un poète, c'était
un musicien ! « Toutes proportions gardées, le Contrat social doit
être lu un peu comme on étudierait les quelques productions mu-
sicales que nous a laissées le même auteur... » (p. 424). Rien de
plus exact d'ailleurs. Oui, c'était avant tout un artiste, toujours
épris de sa propre harmonie et toujours sincère en écrivant,
même quand sa sincérité du jour ne s'accordait pas bien avec
celle de la veille. Maintenant faut-il, ô Platon, admettre les poè-
tes et les musiciens dans la République? Une contradiction est
une fausse note, et que Dieu nous garde, en politique et en droit
des gens, des virtuoses de la dissonance !
Pour finir, et puisque nous parlons de style, il faut louer la
forme littéraire de ce consciencieux et solide ouvrage, qui a été
une thèse pour le doctorat en droit, et qui est écrit dans une lan-
gue aisée, élégante, soutenue, digne du sujet. [L. P.]
Comte P.-L. Rœderer, ministre et conseiller d'Etat. Journal, no-
tes intimes et politiques d'un familier des Tuileries, introduction
et notes par Maurice Vitrac, de la Bibliothèque Nationale, Pa-
ris (1X«), H. Daragon édit., mdccccix [1909], in-8, xiii-356 pp.
P. 20: Visite de Bonaparte à Ermenonville (lo fructidor, an
VIII, 28 août 1800) : « On l'a conduit à la chambre qu'occupait
Rousseau et où il est mort». Bonaparte a dit à Stanislas (Girar-
din) : « C'est un fou, votre Rousseau ; c'est lui qui nous a menés
où nous sommes. « — « Mais nous ne sommes pas mal », a répondu
Girardin. (Cf. la version de. Stanislas Girardin, dans ses Mémoi-
res, I, p. 189).^ i65 : 21 nivôse, an xi (11 janvier i8o31, conversa-
tion de Rœderer avec Bonaparte, où celui-ci s'exprime ainsi sur
Rousseau : « Jusqu'à seize ans, je me serais battu pour Rousseau
contre tous les amis de Voltaire. Aujourd'hui, c'est le contraire.
Je suis surtout dégoûté de Rousseau depuis que j'a.i vu l'Orient.
L'homnie sauvage est un chien... La 'Nouvelle Hé loïse est pour-
tant un ouvrage écrit avec bien de la chaleur, il sera éternelle-
ment le livre des jeunes gens. Je l'ai lu à neuf ans. Il m'a tourné
la tête... » [A. F.]
Roland et Marie Phlipon. Lettres d'amour ( i jjj à ij8o/, pu-
bliées avec introduction, commentaire explicatif et notes par
Claude Perroud (deux-fac-similés d'écritures et un plan), Paris,
Alphonse Picard et fils édit., 1909, in-8, 408 pp.
BIBLIOGRAPHIE 343
Ces lettres, dit VAi'ant-propos, « offrent aussi cet intérêt parti-
culier de nous apprendre comment on sentait et exprimait l'a-
mour vingt ans après la Nouvelle Héloïsen. Dans quelle mesure,
c'est ce que nous nous permettons de demander à un très remar-
quable compte-rendu de M. Gustave Lanson, paru dans la Revue
d'histoire littéraire de la France, t. XVII, 1910, p. 189: «Voilà,
dit-il, voilà, en effet, pour l'histoire littéraire, l'importance de
cette correspondance. Elle ne prendra pas place parmi les chefs-
d'œuvre épistolaires de la France ; ni l'agrément de l'esprit ni la
poésie de la passion ne s'y trouvent. Ces deux amants sont lourds,
diffus, verbeux, déclamateurs : ils s'expliquent et dissertent sans
mesure, ergoteurs, pointilleux, infatigables tireurs d'éclaircisse-
ments, se détaillant l'un l'autre leurs torts avec minutie, et
ne sachant point avoir raison sans en étaler copieusement les
preuves.
» Mais est-ce la Nouvelle-Héloïse qui les a faits tels ? C'est la na-
ture, assurément. Et c'est un peu légèrement que l'on assigne à
l'origine genevoise de Rousseau la lourdeur et la diffusion des
lettres de Julie et de Saint-Preux, puisque ces deux amoureux-ci,
ni moins verbeux ni moins lourds, sont deux français authenti-
ques, lui du Beaujolais, et elle du quai de l'Horloge. Mais ils
sont, comme Rousseau, plébéiens, sensibles, sérieux, point du tout
mondains d'esprit ni de culture, et sans peur d'ennuyer par ce qui
les intéresse. Ce dont ils sont redevables à Rousseau, ce n'est pas
la forme de leurs sentiments : c'est plutôt l'assurance de les pro-
duire tels qu'ils les éprouvent, sans effort et sans sacrifice ; c'est
cette persuasion tranquille de n'avoir pas besoin, à l'égard l'un
de l'autre, de rendre agréables leur mérite, leur passion et leurs
lettres. Le modèle de Rousseau les a dispensés de chercher d'au-
tres modèles qui les eussent obligés davantage à se déguiser. Le
sérieux, la pesanteur, la diffusion, le besoin de raisonner, de
disserter, d'épiloguer sont à eux : ce qu'ils empruntent à la
mode, et surtout à la mode lancée par Rousseau, c'est le ton sen-
timental et le transport d'enthousiasme ou de fièvre. Ils ont ap-
pris à exagérer le sentiment de leur cœur, non à le contenir ;
ils l'agitent comme le torero sa muleta, au lieu de le laisser de-
viner.
» De Rousseau peut-être aussi ils tiennent, non pas la simplicité
bourgeoise qui leur fait remplir leurs lettres d'amour de prévi-
sions de budget ou de ménage fort terre à terre, mais l'absence
de timidité et de fausse délicatesse à cet égard : la Nouvelle Hé-
loïse a répandu la poésie du sentiment sur tout le détail de la vie
domestique.
346 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
» Mais ce couple est d'ailleurs très différent de Julie et de Saint-
Preux. Leur amour est chaste, et aussi peu sensuel que possible.
Manon Phlipon est plus sévère que Julie, Roland tient plus de
Wolmar que de Saint Preux... Au total, l'influence de la Nou-
velle Héloïse paraît ici surtout superficielle. Il n'y a rien de
romanesque dans les amours de Roland et de Manon Phlipon. Ils
demeurent d'un bout à l'autre de leur correspondance deux bour-
geois honnêtes et sensés dont le but est constamment le mariage
et le ménage, l'association pour une vie régulière et confortable,
selon les lois et les principes de la société établie. >' [A. F.]
Le Président Richard de Ruffey. Histoire secrète de l'Académie
de Dijon (de 1^41 à ly'jo}, extraits publiés avec une introduc-
tion, des notes, et un index alphabétique, par Maurice Lange,
professeur au lycée de Dijon, docteur es lettres, Paris, Hachette
et C'c édit., 1909, in-8, 192 pp.
Le président Richard de Ruffey, le correspondant bien connu
de Voltaire, n'est entré à l'Académie de Dijon qu'en 1759. Il n'est
donc point de ceux qui ont couronné Rousseau ; mais il l'a vu
couronner et il s'en souvient... sans plaisir. Rousseau, dit-il,
« employa de mauvaise foi, à soutenir le mensonge, une plume
qu'il aurait dû consacrer à la vérité, etc. » (p. qS). Le jugement de
l'Académie « révolta tous les gens de lettres de l'Europe, etc. »
(p. 97) ; non seulement contre Rousseau, mais encore contre l'Aca-
démie elle-même: «Les sarcasmes les plus injurieux l'accablèrent
de toutes parts, et cette querelle se renouvelle encore tous les
jours, lorsque l'occasion s'en présente. » Après cela, « on a jugé
l'Académie trop sévèrement... Il y avait en effet dans sa conduite
de l'ignorance, de la gaucherie, de l'imprudence, de l'inconsé-
quence, mais sûrement aucune prétention, aucune mauvaise foi,
ni aucune malice. » (p. 44). Le président Ruffey tient ferme en
effet pour l'imbécillité des juges de Rousseau : c< Aucun n'était ca-
pable d'apercevoir les paradoxes dont le discours était rempli, de
les développer, et de prévoir les conséquences de leur juge-
ment. » Le sujet du concours d'ailleurs avait été proposé par «un
esprit 'faux» adopté «sans réflexions» (ibid.) «L'esprit faux»,
Ruffey nous le fait connaître, c'est l'avocat Claude Gelot (1717-
1779) — le même, soit dit en passant, qui fut chargé de rapporter
en réunion publique et de lire le discours de Rousseau, le
23 août 1750. Cf. Cornereau, Deux lauréats de l'Académie de Di-
jon, 1905, p. II. — Ce Gelot est joliment habillé dans la longue
note que le digne président lui consacre et où il est représenté
comme « un bavard insupportable, qui abuse de sa mémoire et
lîiiii.ioGRAPHir'; 347
encore plus de la vérité, un homme impérieux et grossier, qui
manque de principes, ne respecte aucun rang et ne connaît aucun
égard et d'autre loi que sa volonté, etc. » (p. 96.) Sur le caractère
des autres juges de Rousseau, notamment sur Lantin (p. <S4-85),
Derepas (p. 89), Léauté (p. 90), Fromageot (p. 94), Guyot (p. 122),
Perret (p. 94), qui furent, comme on sait, chargés de rapporter de-
vant l'Académie, les notes passionnées du président Ruffey (ac-
compagnées des notes «objectives» de son moderne éditeur),
fournissent également des renseignements précieux, mais généra-
lement peu flatteurs. On lira avec fruit sur la situation de l'Aca-
démie de Dijon à l'époque du Discours de Rousseau, l'introduc-
tion de M. M. Lange ; de même, la note i de la page 97 peut être
utile à consulter sur la polémique suscitée par le même discours.
Enfin la note 2 de la page 11 donne, d'après les Registres de l'A-
cadéviie, le texte de la délibération du i(î juin 1732 désavouant la
Réfutation de Le Cat. [A. F.|
Albert Schinz, professeur à l'Université de Bryn-Mawr (Pensyl-
vanie). Anti-pragmatisme^ Paris, F. Alcan édit., 1909, in-S.
P. 162-168 de ce suggestif ouvrage, l'auteur fait à J. J. Rous-
seau une place, faut-il dire d'honneur ou de honte? en tout cas
une place importante puisqu'il l'appelle « le plus grand pragma-
tiste », et ajoute que la Profession de foi du Vicaire savoyard
« restera la profession de foi du pragmatiste de tous les temps. »
Rousseau, qui personnellement savait apprécier les sciences et
les arts, redoutait leur influence sur la masse des hommes, et plus
il avance dans la vie, plus, dans son œuvre sa préoccupation mo-
rale, sociale, pratique, l'emporta sur la préoccupation intellec-
tuelle. En cela consiste son pragmatisme [Ad. N.]
Léon Skché. Le roman de Lamartine, Paris, Fayard edit., s. d.
[1909], in-32 carré, 290 pp.
Pp. 1 32- 159. Les Charmettes. Une visite de Lamartine et d'» El-
vire» à la maison de Mme de Warens. (Vue des Charmettes d'a-
près une lithographie de Wurner.) [L. P.]
P. Sérieux et J. Capgras, médecins des asiles d'aliénés de la
Seine. Les Folies raisonnantes, le délire d'interprétation, Paris,
Félix Alcan édit., 1909, in-8, 392 pp.
P. 182-206 : Le délire d'interprétation de Jean-Jacques Rousseau.
Le cas de Rousseau- est étudié ici par les distingués aliénistes
comme le type d'une variété de l'interprétation délirante (raison-
348 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
nement faux ayant pour point de départ une sensation réelle, un
fait exact, lequel, en vertu d'associations d'idées liées aux ten-
dances, à l'affectivité, prend, à l'aide d'inductions ou de déduc-
tions erronées, une signification personnelle pour le malade, in-
vinciblement poussé à tout rapporter à lui), la variété résignée :
« Les idées de persécution qui se développèrent chez Rousseau
entre 40 et 5o ans et durèrent jusqu'à sa mort, relèvent en effet
du délire d'interprétation. Il en a présenté tous les symptômes :
multiplicité des interprétations, vraisemblables au début, fantai-
sistes à la fin ; absence de troubles sensoriels; évolution progres-
sive (de l'inimitié réelle des Encyclopédistes il arrive peu à peu à
la conviction d'une ligue universelle) ; persistance de la puissance
intellectuelle (ses chefs-d'œuvre datent les uns de la période ini-
tiale, les autres de la période terminale de la psychose). Mais ce
délire ne s'accompagna jamais de réaction agressive : la fuite, la
recherche de la solitude étaient ses moyens habituels de défense ;
il ne protestait que par des lettres parfois acerbes, ou des « billets
circulaires » contre les accusations dont il se croyait l'objet. C'est
pour se justifier qu'il écrivit les Confessions. Il eut, par interval-
les, des paroxysmes d'affollement et des idées de suicide ; il finit
dans une résignation complète, désespérant même du jugement
de la postérité. » Le diagnostic des docteurs S. et C. s'écarte donc
quelque peu de celui du D'' Régis, qui fait de Jean-Jacques un
persécuté mélancolique. Nous assistons avec intérêt à ces dis-
cussions entre spécialistes, sans pouvoir y prendre part. Elles
prouvent au rfioins jusqu'à quel point la folie de Rousseau est en-
core une notion vague [A. F.]
Casimir Stryienski. L'Histoire de France racontée à tous (pu-
bliée sous la direction de Fr. Funck-Brentano.) Le Dix-huiticine
siècle, Paris,' 1909, Hachette et C'^ édit., in-8, SyS pp.
Pp. 357-358 (dans le chapitre Les Lettres): J. J. Rousseau.
F. ViAL et L. Denise. Idées et doctrines littéraires du<di.x-huiti'eme
siècle. Extraits des préfaces, traités et autres écrits théoriques,
Paris, s. d. I1909), in-12, vni-430 pp.
S'il est un titre qui promettrait sur Rousseau un développe-
ment abondant et critique, c'est bien celui-là. P. 842-343, un
extrait d'une lettre à Huber, du 24 décembre 1761, opinion sur
Gessner; — p. 401-404,' quelques extraits, opinions sur le roman :
voilà pour Rousseau. [L'. P.].
BIBLIOGRAPHIE 849
Maurice Wilmotte, professeur à l'Université de Liège. Etudes
critiques sur la tradition littéraire en France, Paris, Librairie
ancienne Honoré Champion édit., 1909, in-8, xiv-322 pp.
P. 215-282 : VIII, /. J. Rousseau et les origines du romantisme.
Discussion pressante et nourrie des récents réquisitoires de
MM. J. Lemaître, P. Lasserre et E. Seiliière. — En somme, c'est
M. Seiliière qui a le mieux analysé l'esprit romantique, étudié
dans ses sources, et les traits caractéristiques qu'il distingue peu-
vent se réduire à un seul élément: l'individualisme exaspéré,
dont Rousseau fournit un si frappant exemple. [L. P.]
La Révolution française, janvier 1909, p. S-iy: Edme Champion,
J. J. Rousseau et la propriété.
Revue bleue, 20 février 1909: Edme Champion, J. J. Rousseau et
la Déclaration des droits de Vhomme.
Chapitres détachés du livre signalé plus haut, p. 33o.
Fermes et châteaux, i^r février 1909: Paul d'EsxRÉE, Le château
et les jardins d'Ermenonville (9 illustrations.)
Revue des Cours et Conférences, 4, 11 février, n, 18, 25 mars,
1 5 avril, G, 20 mai, 3, 17, 24 juin, 8 juillet, 2, 9, 16, 3o décembre 1909 :
Emile Faguet, de l'Académie française, Origines françaises du
romantisme.
Voici en attendant le livre qui, sans doute, en résultera, les princi-
pales rubriques de ce cours important transcrit et résumé par M.W :
Caractères généraux du romantisme — l'imagination romantique
— le sentiment de la nature — la religiosité, l'exotisme — l'égo-
tisme de J. J. Rousseau (2 leçons) — la folie de J. J. Rousseau —
le sentiment de la nature chez J. J. Rousseau (3 leçons) — le sen -
timent de la solitude avant et après Rousseau (2 leçons) — le
pessimisme chez Rousseau (2 leçons) — Rousseau directeur de
conscience — l'optimisme de Rousseau. [A. F.].
Revue des Deux-Mondes, i3 septembre 1909: Emile Faguet, de
l'Académie française, La politique de Jean-Jacques Rousseau.
« Introduction » au livre de M. Rodet sur les Idées politiques de
Jean-Jacques Rousseau, analysé d'autre part (p. 340). Avec l'auteur,
M. F. étudie Rousseau en sa sociologie générale (anti-progres-
siste, anti-civilisationniste, anti-« politique »), Rousseau démo-
350 ANNAI.HS DE LA SOCIÉTÉ .1. .T. ROUSSEAU
crate (partisan de la souveraineté du peuple absolue, doctrine du
droit divin retourné selon la tradition protestante, mais adversaire
de la démocratie à l'antique, où les pouvoirs, législatif et exécutif,
sont confondus), Rousseau socialiste (collectiviste en principe,
mais partagiste p7-o tempore, de telle manière qu'il n'y ait ni riches
ni pauvres!, Rousseau théocrate (partisan d'une religion d'Etat,
minimum d'unité morale par quoi l'individu soit fidèle au peuple
et soit tenu comme faisant partie du peuple». M. F. insiste sur
l'opposition foncière du Contrat social étatiste avec la sociologie
générale de Rousseau, anarchiste, ultra-libertaire, et tente de
l'expliquer à son tour par un double Rousseau, dont l'un, celui
du Contrat social, a forgé son système, avant que l'autre, le plus
naturel des deux, celui des Discours, de la Lettre à d'Alembert, et
de la Nouvelle Héloïse, ne fût apparu en pleine lumière, et qui ne
se sont pas peu gênés l'un l'autre. |A. F.]
Bulletin du Bibliophile et du Bibliothécaire, i3 décembre igoy:
Comte de Girardin, Le Comte de Wielhorski et J. J. Rousseau.
Lettres inédites au sujet de la publication des Considérations
sur le Gouvernement de Pologne.
Nous savions par les lettres de Rousseau, publiées par M. S.
Askenazy dans la revue polonaise Biblioteka Wars^awska
(mars 1898) l'intérêt qu'avaient Rousseau et Wielhorski à ce
que les Cojisidéralions ne fussent jamais imprimées et mises dans
le commerce. Rousseau les a écrites en 1772 comme consulta-
tion politique pour le comte et pour ses amis politiques, contre
le roi Stanislas Auguste Poniatowski et contre la Russie ; la pu-
blication du texte intégral pouvait compromettre le comte, dont
Rousseau tenait ses informations sur la Pologne. C'est à la de-
mande du comte que la police parisienne a empêché la publica-
tion du texte intégral des Considérations. La question revint sur le
tapis après la mort de Rousseau. Le comte de Girardin a trouvé
dans ses archives plusieurs lettres intéressantes à ce sujet. Nous
apprenons par là que l'édition des Considérations par Du Peyrou
(Genève 1782) a été faite sur un manuscrit prêté par Wielhorski qui
y a fait des coupures nécessaires. Le marquis René de Girardin qui
servait d'intermédiaire entre le comte et -les imprimeurs genevois
a promis à Wielhorski de lui renvoyer le précieux manuscrit ;
a-t-il accompli sa promesse ^ le manuscrit original se trouve-t-il
encore en Pologne ? C^est le grand mérite de l'auteur de V Icono-
graphie de Rousseau de, poser ces questions auxquelles nous tâ-
cherons de répondre dans ces Annales. [V. O.]
BIBLIOGRAPHIE 35l
Revue hebdomadaire, g et i6 janvier igog : Jean Izoulet, profes-
seur de philosophie sociale au Collège de France, Jean-Jacques
Rousseau aristocrate {l, Si Rousseau eût été membre de la Consti-
tuante; II, Si Rousseau eiit été ministre de Louis XVI.)
Exhumation et analyse de l'ouvrage anonyme du notaire Orléa-
nais Le Normant (révélons-en l'auteur à M. I. qui l'ignore), paru
sous ce titre sensationnel en 1790, le tout pour répondre au
souhait de M. J. Lemaître : « Il serait possible et intéressant de
composer tout un volume de maximes et de pensées conserva-
trices et traditionnalistes tirées du «libertaire» J. J. Rousseau.
[A. F.l.
Daniel Mornet. Les admirateurs inconnus de la « Nouvelle Hé-
loiseï), Paris, édition de la Revue du mois [extrait], igoq, 24 pp.
in-8.
Ce sont les admirateurs que nous révèle la fameuse liasse de
lettres conservée à la Bibliothèque de Neuchâtel, et dont Rous-
seau, comme on sait, avait songé à publier le recueil. M. M. a
fait le plus heureux emploi de ces documents dans un article
plein de faits, d'idées et d'esprit, où apparaît très nettement le
retentissement profond de la Nouvelle-Héloïse dans la société
contemporaine. Rousseau, sur ce point, n'a rien exagéré dans ses
Confessions. A noter comme tout à fait remarquable l'influence
moralisatrice que le roman a exercée sur ses lecteurs. M. M. s'est
attaché, avec raison, à la mettre particulièrement en lumière.
[A. F.l
Musica, no 76, janvier 1909: Edmond Pilon, J. J. Rousseau, mu-
sicien (avec 6 reproductions de portraits ou d'estampes.)
HONGRIE
Rousseau, J. J. Kisebb Milveibol [Petits traités], francziâbôl fordi-
totta BoGDANFY Odon, Budapest, Franklin-Târsulat édit., 1909,
in-i6, 117 pp. (Collection Olcsô Kônyvtâr, nos i5i6-i5i8.)
Contient, outre une introduction du traducteur, la tradviction
(annotée de diverses mains): 10 du Discours sur les sciences;
2" des quatres grandes lettres à Malesherbes ; 3° du Lévite
d'Ephraïm.
352 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
ITALIE
G. Chinni. Le font i deli Emile di J. J. Rousseau, Naples, Biscotti,
in-8, 76 pp.
Il nous a été impossible de nous procurer ce travail signalé par
la Revue d'histoire littéraire de la France, 1909, p. 844. En parti-
culier tous nos appels à nos membres napolitains sont demeurés
sans réponse.
Bianca Violani-Cambi. Le idée di J. J. Rousseau sulla donna,
Firenze, tipografia di M. Ricci, 1909, in-8, j5 pp.
Revue rapide, à travers les âges, des idées sur la femme, son
rôle, son éducation. Par Rabelais, Montaigne, MUe de Gournay,
Mme de Maintenon, Fénelon, etc., on est acheminé vers Rous-
seau, qui donne aux idées de ses devanciers une force et un éclat
qu'elles avaient eus rarement. Etude du Ve livre de VEmile (sans
négliger VHéloïse et les Confessions.) La femme n'est considérée
par Rousseau que dans ses rapports avec l'homme, comme un
complément indispensable de son bonheur. Elle recevra une édu-
cation pratique tendant à développer ses dons naturels. Son in-
telligence n'est pas faite pour le domaine de la pensée abstraite,
mais se limite au champ de l'observation directe. Ses connaissan-
ces devront avant tout lui donner une idée plus nette, avec un
amour plus vif, de ses devoirs d'épouse et de mère. Comment
Rousseau est-il parvenu à cette conception ? Rôle et influence
de « ses » femmes,, de Mme Basile à Mme Latoùr-Franqueville.
Par forme de -conclusion, procès du féminisme devenu néces-
sité sociale à vrai dire, mais qui n'en détourne pas moins la
femme de sa vraie fonction d'épouse et de mère. — Le sujet de
ce petit travail n'est pas bien nouveau (voir pour l'Itali'e seule,
entre autres, les travaux de Stoppoloni et d'Esther Sacerdote),
ni traité par un esprit très mûr et une main rompue à nos études,
mais on y trouve un accent d'honnêteté, de simplicité, de candeur
même, qui gagne la sympathie du lecteur, et l'auteur, qui a de la
lecture, est exact dans ses citations, vertu rare en Italie. [A. F.]
BIBLIOGRAPHIE 353
Rivista filosofica, Pavia, vol. XI, fasc. V (novembre-décembre
1908), p. 645-666, et supplément au fasc. V (1909), p. 758-779 :
Domenico Rodari, Gian Giacomo Burlamacchi e G. G. Rousseau
(Una fonte trascurata del Contralto Sociale).
L'idée d'étudier l'influence de Burlamaqui sur Rousseau était
excellente. Il est seulement regrettable que l'auteur du présent
mémoire se soit montré si inférieur à sa tâche.
Rousseau se réfère explicitement aux doctrines de Burlamaqui
dans la préface de son Discours sur Vinégalité, et il est hors de
doute qu'il les a parfaitement connues. Jean-Jaques Burlamaqui
est né, comme on sait, en 1694, à Genève, d'une famille de réfugiés
protestants italiens, originaire de Lucques. Le nom primitif de
cette famille était, selon l'orthographe italienne, Burlamachi (et
non Burlamacchi, comme l'écrit M. Rodari). A 26 ans, Burlamaqui
est nommé professeur de droit naturel et civil dans sa ville na-
tale; puis il est élu membre du Conseil souverain, dont il fait partie
jusqu'à sa mort survenue le 3 avril 1748. Le bibliothécaire Bau-
lacre écrivit la même année sur sa vie, qui mériterait cependant
quelques recherches complémentaires, une notice détaillée en
forme de lettre à Formey, secrétaire de l'Académie royale de
Berlin. Cette notice, insérée dans la Bibliothèque germanique de
1750, t. VI, P. Il, a échappé à M. Rodari, auquel elle aurait permis
d'éviter quelques incertitudes et inexactitudes. Dans les œuvres
de Burlamaqui, dont les plus importantes sont les Principes du
Droit naturel, Genève, 1747, et les Principes du Droit politique,
Genève, 1751, on chercherait en vain une vraie et profonde origi-
nalité de vues ; ces œuvres sont cependant remarquables par le
jugement généralement sain et équilibré, et surtout par l'ordon-
nance et la clarté, qualités peu communes en pareilles matiè-
res. Ces qualités expliquent assez la grande faveur avec laquelle
elles furent accueillies. Burlamaqui n'a pas été et n'a pas voulu
être un novateur dans la philosophie du droit, mais plutôt un
vulgarisateur et un commentateur de la doctrine du droit naturel
prédominante à son époque.
Ceci posé, il est clair qu'il faut être très prudent quand on
parle de l'influence exercée par Burlamaqui. Ses œuvres furent
sans aucun doute, aussi pour Rousseau, un moyen d'information ;
l'auteur du Contrat social y trouva comme une synthèse, claire et
bien ordonnée, des théories élaborées par les écoles, touchant le
droit naturel et politique. Mais pour découvrir les sources des idées
de Rousseau, c'est-à-dire ses vrais précurseurs dans l'ordre spécu-
latif, nous devons remonter plus haut et nous arrêter à des pen-
seurs bien plus originaux et plus profonds que Burlamaqui, en
23
354 ANNALES DE LA SOCIÉIÉ .1. .1. ROUSSEAU
particulier Hobbes, Sidney et surtout Locke. De son concitoyen
Burlamaqui, Rousseau a pris beaucoup de formes extérieures, beau-
coup d'éléments accessoires dans la composition du Contrat social ;
cela suffit à rendre intéressante une comparaison des deux théori-
ciens, mais n'autorise certes pas à attribuer au premier une part
essentielle et prépondérante dans la formation de la pensée incom-
parablement plus élevée du second. Telle est précisément l'erreur
que commet, à notre avis, M. Rodari.
Autant il est habile à confronter ses deux auteurs dans le détail,
autant il est maladroit lorsqu'il apprécie leur position et leur
importance historique respectives. A le lire, il semblerait presque
que la philosophie politique date de Burlamaqui. Les antécédents
historiques si nombreux et si remarquables pourtant des doctrines
contractualistes ne sont pas du tout pris en considération. Si l'au-
teur eût été suffisamment éclairé sur ce sujet, il aurait nécessaire-
ment élargi le champ de ses recherches, et il aurait évité l'erreur
constante d'attribuer sans autre à Burlamaqui ce qui, bien qu'im-
primé dans ses ouvrages, était le patrimoine commun de son épo-
que ; de la sorte, il aurait considéré d'une manière moins unilaté-
rale et plus exacte la genèse des théories de Rousseau.
Il ne faut pas perdre de vue non plus qu'a côté de leurs
rapports évidents, surtout dans le détail, les traités des deux phi-
losophes genevois présentent aussi des différences non moins
remarquables, qui mettent en lumière précisément l'originalité de
Rousseau, sa plus grande force spéculative et les caractères
propres de son génie. La structure logique du pacte social et la
notion correspondante de la souverameté sont conçues par lui de
toute autre façon que par Burlamaqui. Il suffira de rappeler que
pour celui-ci la souveraineté n'est pas immanence au peuple, mais
peut être déféré'eà un conseil, ou même à un seul homme * ; en
général, quarid il détermine la teneur du contrat et la constitution
des états, Burlamaqui obéit encore à cet empirisme auquel avait
déjà cédé Grotius, et qui ne fut définitivement dépassé que par
Rousseau.
Ces différences doctrinales que M. Rodari mentionne à peine et
dont il ne comprend pas la décisive importance, expliquent suffi-
samment le jugement assez peu, favorable que Rousseau devait
porter sur l'œuvre de Burlamaqui. Il y a sans aucun doute une
allusion, pour le moins implicite, à celui-ci dans ce passage
de VEmile, livre V : « Le droit politique est encore à naître... Le
seul moderne en état de créer cette grande science eût été... Mon-
» Principes du Droit politique, P. 1, ch. V.
BIBLIOGRAPHIE 355
tesquieu. » Ainsi s'explique également que Rousseau ne parle pas
de Burlamaqui là-même où il mentionne ceux qu'il considère
comme ses vrais prédécesseurs, en particulier vers la fin de la VI»
Lettre de la Montagne.
La comparaison instituée par M. Rodari avec un soin minu-
tieux, tout en étant instructive sur quelques points de détail,
est donc bien loin d'avoir la signification que l'auteur lui attri-
bue, c'est-à-dire de rendre manifeste l'absence d'originalité de
Rousseau (p. 648, 779). Au total, il est impossible de ne pas
déplorer la légèreté avec laquelle l'auteur se prononce sur le
grand sujet qu'il traite. Il ose affirmer que Rousseau « ne peut
plus désormais être regardé comme une autorité, soit en qualité
de penseur, soit en qualité de philosophe et qu'il ne faut l'estimer
que com.me un incomparable artiste » (p. 665). Adoptant certains
préjugés vulgaires, qui ont été rejetés pour toujours par la critique
la plus récente, il prétend « ranger Rousseavi parmi les demi-
fous, pour ne pas dire parmi les fous » (p. 778). Quelle autorité
peut avoir sur ce point « le bon sens observateur des contempo-
rains » et « l'opinion populaire » auxquels l'auteur se réfère pour
appuyer ses assertions, c'est ce que montre suffisamment le livre
de Mme F. Macdonald, analysé ici même, en 1907, p. 256. Pour
nier de plus l'importance de Rousseau comme philosophe et
comme écrivain politique, il faut simplement ignorer, outre l'es-
prit de ses oeuvres, la genèse de l'éthique kantienne et celle des
constitutions modernes. Mais inutile de réfuter des jugements
qui se condamnent eux-mêmes par leur fausseté et leur superfi-
cialité manifestes [Giorgio Del Vecchio].
SUISSE
Danielle Plan. Un Genevois d'autrefois, Henri-Albert Gosse (1753-
1816), d'après des lettres et des documents inédits, avec 14 fac-
similés et 7 planches hors-texte, Paris, Fischbacher, Genève,
Kundig, édit., 1909, in-8, 522-cix pp. *
Biographie copieuse d'un Genevois de la fin du XVIIIe siècle,
type de « représentant » (quoique natif, fils d'habitant) : « homme
instruit, homme d'action, citoyen dévoué, imbu des idées philoso-
phiques et républicaines de Rousseau », intransigeant sur tout ce
qui porte atteinte à l'indépendance de sa pensée ou de sa liberté.
> A paru comme t. XXXIX du Bulletin de l'Institut national genevois.
356 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
D'une façon générale, les historiens de Rousseau consulteront avec
fruit tout ce qui concerne La vie bourgeoise à Genève, ij53-
ij8i, mœurs, particularités, troubles, (ire partie); ils s'intéresse-
ront à la biographie de ce disciple exalté de Jean-Jacques, et ils
recueilleront ici et là une foule de menus renseignements plus ou
moins inédits : sur le monument de l'horloger Argand (p. 70) —
l'édition de Genève des Œuvres de Rousseau, in-40, in-8, in- 12
(p. 71) — la préférence accordée à Voltaire sur Rousseau par Jean
Gosse, père d'Henri-Albert, et l'emploi qu'il fait dans un sens
méprisant du mot rousseauiste (premier exemple connu, je crois,
année 1779) (p. gS) — un projet d'Henri-Albert concernant la fon-
dation à St-Domingue d'une république selon Rousseau (p. 116) —
ses relations avec Mme Roland qui « s'enthousiasme à entendre
parler l'enfant de Genève, le concitoyen de Jean-Jacques » (p. 118)
— l'étonnement de Mme Roland en 1787, de ne trouver à Genève
aucune statue de Rousseau (récit du Conservateur de Delandine,
1788) (p. 190) — la fête anniversaire de Rousseau, à Genève, le
28 juin 1793 (p. 263-205, et pièces annexes, n» XIV, p. xxxviii)
— les relations d'Henri-Albert avec Bonaparte en 1797-1798, leurs
conversations sur Rousseau, et l'offre que le premier fait au se-
cond d'une médaille à l'effigie du citoyen de Genève (p. 359-36i)
405-406), — son installation àr« hermitage» du « mont Gosse», près
Mornex (où s'écouleront les dernières années de ce digne fils de
Rousseau') (chap. XV et suiv.), les lectures de Rousseau que l'er-
mite y fait (p. 461), le costume d'Arménien, à la Rousseau, qu'il y
endosse (p. 467), les «fêtes de la Nature» qu'il y célèbre (p. 474 et
suiv.), le Temple de la Nature qu'il y élève, avec divers bustes,
dont celui de Rousseau (p. 484), lequel buste est couronné de per-
venches pour la réception de la Société helvétique des sciences
naturelles, le 6 octobre 181 5 (p. 514), etc., etc. [A. P.]
Amilda A. Pons. Jean-Jacques Rousseau et le Théâtre, Genève,
A. Jullien édit. 1909, in-80, xvi-255 pp.
L'ouvrage est écrit avec goût. Il témoigne d'une active curio-
sité et, d'une intelligence avisée. Il nous promène à travers le
XVIIIe siècle par des chemins pittoresques. Nul doute que
M'ie Pons ne puisse écrire sur Rousseau quelque « Essai» agréa-
ble ou quelques articles solides. Seulement ce travail se donne
pour un travail d'histoire littéraire ; il s'essaie aux méthodes dites
1 M. Gaspard Vallette a montré dans un article du Journal de Ge-
nève, 27 janvier 1910, tout ce. qu'il y a de Rousseau dans ce « Solitaire
de Mornex. »
BIBLIOGRAPHIE SBy
scientifiques. Et ce n'est pas de la bonne histoire, pas plus que
les méthodes n'en sont sûres.
Les erreurs de fait témoignent d'une certaine inexpérience de
l'histoire littéraire du XVIIIe siècle. Fautes d'impression trop
nombreuses (Fernex, Adèle et Théodose, Méha=Métra^ etc., etc.)
Confusions trop fréquentes et bibliographie incertaine : La Chaus-
sée (théâtre: 1734-1747) ne peut avoir subi l'influence de Vau-
venargues (premier ouvrage publié : 1746). Rousseau n'a pas mis à
la mode la bergère en sabots ; la réforme du costume de l'opéra-
comique pastoral ne date que de Bastien et Bastieune, « parodie »
du Devin, etc., etc. Nous pourrions allonger la liste. Elle ne juge-
rait pas l'ouvrage sans, appel. Vingt erreurs — et celles de Mi'e Pons
sont en somme secondaires — ne ruinent pas toujours un livre.
Disons plutôt que le dessein même de MH^ Pons la condamnait
à la confusion et au labeur sans portée.
Il n'est pas sans intérêt — en apparence — d'écrire un J. J. Rous-
seau et le théâtre, comme un J. J. Rousseau als Botaniker. Mais
cela soulève des problèmes très divers. Les œuvres dramatiques
de Rousseau sont médiocres : l'histoire littéraire ne peut s'y inté-
resser que pour préciser les influences subies. Or M'ie Pons se
promène à travers tout le XVIIIe siècle, italien ou français, de la
Motte à la Harpe, de la Chaussée à Gœthe, sans qu'aucun rappro-
chement précis ne nous dise avec exactitude que Jean-Jacques a
imité celui-ci, obéi à cette doctrine, résisté à cette autre. Auteur
dramatique, Rousseau est encore un musicien dramatique, et cette
question ne se lie nullement à celle qui précède. Le Devin du
Village n'y importe guère. Pygmalion a plus d'intérêt, et par
lui-même et par ce qu'ont dit les contemporains. MUe Pons nous
dit bien, d'après MM. Istel et Schiff", quelle en fut l'influence en
Italie et en Allemagne. Mais en France ? Je ne cite que cet
Henri IV « drame lyrique en trois actes et en prose » de Mr de
Rozoy (1774) où la musique d'entr'actes se propose de préparer
l'acte qui va suivre. M'" de Rozoy doit-il quelque chose à Rous-
seau ?
Dramaturge et musicien, Rousseau est encore théoricien du
théâtre. On sait que sa théorie ne s'accordait guère avec sa prati-
que. Les contemporains s'en égayèrent. Mais cette théorie est
d'importance. Il y a toute une querelle du théâtre au XVII I« siè-
cle, violente, acharnée, indécise. Mi'e Pons en dit quelques mots
pour le XVIIe siècle, quelques autres pour le XVIIIe. C'est insuf-
fisant. Nous avons dans nos fiches plus de soixante titres de livres,
brochures, articles pour ou contre le théâtre, au XVIIIe siècle.
Et ces querelles de théologiens retentissaient incessamment dans
358 ANNALES DK LA SOCIÉTÉ .[. J. ROUSSEAU
la vie pratique. Il y eut abondamment des prêtres et des bonnes
âmes pour affirmer et pour croire que Racine ou Molière étaient
des empoisonneurs d'âmes et que le théâtre était un péché mortel.
L'opinion publique est tenue en haleine par des affaires retentis-
santes, la lettre de Gresset qui abjure ses péchés dramatiques, les
histoires Ramponneau, Huerne de la Motte, Clairon, Dubois et
Blainville, du censeur Marin, du mariage Mole et d'Epinay. La
Lettre à d' Alembert allie Rousseau à tout un parti fanatique et
tenace. Elle prend par là un sens et une portée que Mii= Pons
n'a fait qu'entrevoir.
En un mot, il n'y avait pas de livre à écrire sur Rousseau et le
théâtre. Il y avait, si l'on voulait, à mettre au point le J. J. Rous-
seau als Miisiker — à étudier la Lettre à d' Alembert — à écrire
une brochure sur Rousseau auteur dramatique. C'était chose
vaine que de lier ces sujets disparates. Et il y fallait dans tous
les cas une précision qui n'est pas la règle dans ce livre.
Signalons d'ailleurs deux bonnes bibliographies des éditions du
Devin du Village et de Pygmalion, qui sont commodes et nous
semblent à peu près complètes; la réimpression des textes du
Devin et de Pj'gnialion, excellents... sans doute. Mais M"e Pons
n'a oublié qu'une chose: nous indiquer selon quels principes ils
sont édités. Il ne suffit pas de savoir qu'elle a travaillé diligem-
ment à Neuchâtel, Genève et à la Bibliothèque de la Chambre
des Députés, à Paris. [D. M.]
G. de Reynold, docteur de l'Université de Paris. Le doyen Bridel
I ij5-j-i845} et les origines de la littérature suisse romande,
Lausanne, Georges Bridel et Cie édit., 1909, in-8, ap-55o-
Lviii pp., 12 planches hors-texte.
II y a dans le- doyen Bridel, auteur médiocre, mais très repré-
sentatif, auquel, pour cette raison, notre confrère, le comte de
Reynold, vient de consacrer une monumentale biographie, deux
aspects qui nous intéressent particulièrement : un témoin de l'in-
fluence de Rousseau sur la littérature de la. Suisse romande au
XVIII';- siècle, et un représentant émihent de r« helvétisme » lit-
téraire. L'influence, comme on peut s'y attendre, est beaucoup
moins celle du Rousseau « philosophe », du théoricien politique,
que celle du Rousseau peintre de la nature romantique et idylli-
que, de l'homme qui célébra le Léman, les Alpes, le i^a/if des
Vaches. Mais elle est décisive : Rousseau « dévoila aux yeux des
habitants la beauté de l^eur propre pays, beauté qui, jusqu'alors,
n'était point à la mode et laissait les lettrés indifférents et inatten-
i;il,IOGRAPHIE 259
tifs. De ce jour, la poésie romande fut créée et Bridel exista. Car, ce
que Rousseau a célébré : la beauté des lacs et du Léman, la pro-
menade à pied, la course de montagne, c'est l'œuvre entière du
doyen... Ce que Bodmer n'avait pu obtenir, Jean-Jacques l'accom-
plit dans le Pays de Vaud. Son œuvre affermit l'existence d'une
race, d'une pensée, d'une poésie étrangères à la mode parisienne.
Avec lui, la Suisse, l'Allemagne, l'Angleterre, opposèrent à la France
leur influence, jusqu'alors latente et incertaine. Sans annihiler les
éléments de la culture française, Rousseau donna à la Suisse ro-
mande et à la société lausannoise l'originalité qui leur manquait
encore» (p. 86; cf. p. 119, la même idée vérifiée à propos de
Frossard de Saugy.)
Cette influence de Rousseau sur les lettres romandes est d'au-
tant plus profonde qu'elle n'est point isolée : elle se combine avec
celle des écrivains de la Suisse allemande. A ce point de vue, le
nom de Rousseau est étroitement lié à ceux d'un Gessner et d'un
Haller. Tous trois, écrivains d'inégale envergure, mais également
fameux à leur époque, sont les auteurs responsables et les ancê-
tres de ce que M. de Reynold appelle d'un mot fort heureux «l'hel-
vétisme littéraire» qu'il définit ainsi (p. 484): «une conception
idéale, «philosophique», de la Suisse, de ses Alpes, de ses habi-
tants, de ses institutions et de son histoire», en d'autres termes,
« une doctrine qui tend à représenter aux yeux du monde les
hautes montagnes comme le berceau de l'âge d'or, des vertus
champêtres, de la vie rustique. » Cette doctrine qui « rentre dans
l'histoire du sentiment de la nature», n'est d'ailleurs pas unique-
ment propre aux écrivains suisses : elle se répand au dehors et
rayonne sur la littérature européenne ; mais ce sont, à n'en pas
douter, les écrivains suisses, un Haller, un Gessner, un Rousseau
en tête, qui en sont tout à la fois les inventeurs et les propaga-
teurs.
Comme on le voit, l'ouvrage de M. de Reynold, et cela n'est
pas son moindre intérêt, constitue une tentative indirecte de rat-
tacher Rousseau à la littérature suisse d'expression soit française,
soit allemande. Fréquemment reviennent sous la plume de l'au-
teur des formules de ce genre : « L'esprit de Rousseau, c'est l'es-
prit romand développé jusqu'au génie» ; La Nouvelle Héloïse
« ce roman vaudois » ; « J. J. Rousseau est un poète romand par
son esprit, par sa langue...» etc. M. de Reynold va même, dans
sa conclusion (p. 487), jusqu'à proposer d'appliquer « au Premier
Discours, à Vlnégalité, à La Nouvelle Héloïse, au Contrat social,
à Y Emile, à Rousseau enfin » la méthode que lui-même vient
d'expérimenter sur le doyen Bridel, en traitant «un écrivain
36o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
suisse, non pas comme un auteur qui appartient à la France ou a
l'Allemagne, mais plutôt comme un étranger qui exprime en alle-
mand ou en français un idéal particulier. » Pareille thèse ne laisse
pas d'être séduisante à première vue ; mais le présent ouvrage où
Rousseau n'intervient qu'au second plan, n'en peut être aux yeux
de la critique une justification suffisante. Pour en mieux juger,
nous aimerions que M. de Reynold réalisât lui-même son vœu.
Que si l'entreprise, à laquelle semblent le préparer merveilleuse-
ment ses longs travaux, ses dons exceptionnels de critique et d'é-
crivain, lui paraît encore prématurée, qu'il nous donne au moins,
en attendant, cette étude de l'influence des écrivains zurichois
sur Rousseau dont il signale l'intérêt dans une note (p. 72). Pour
aujourd'hui nous le féliciterons d'avoir si bien préparé le théâtre,
évoqué le décor, recréé l'athmosphère de la « culture » suisse au
XVIIIe siècle, où il nous invitera tôt ou tard à voir évoluer en
pleine lumière l'auteur de La Nouvelle Héloïse. Signalons encore
dans ce beau volume, outre de nombreuses mentions d'écrits con-
temporains sur Rousseau, vers ou prose, les reproductions de
deux frontispices des Etrennes helvéliennes représentant l'un
(p. 88): U Hameau de Clarens (sic), le château du Châtelard et la
campagne de Mme de Warens, l'autre (200) : Village de Montreux,
près de Vevex (Nouvelle Héloïse, Partie V, lettre 2); et p. 864,
une note de la Course de Bâle à Bienne (178g) où Bridel donne
son témoignage de demi-contemporain sur la lapidation de Mô-
tiers, à laquelle il ne croit pas. Le doyen a bien raison du reste
de ne voir dans la planche des Tableaux de Zurlauben qu'une fan-
taisie issue de toutes pièces de l'imagination du dessinateur.
[A. F.]
Jean-Jacques Rousseau. La première rédaction des Confessions
(livres MV), publiée d'après le manuscrit autographe, par Théo-
phile DuFouR, docteur es lettres, directeur honoraire des Archi-
ves et de la Bibliothèque de Genève, Genève, A. Jullien, libraire-
éditeur, novembre 1909, in-8, xii-276 pp. (Extrait du tome IV
des 'Annales de la Société Jeah-Jacques Rousseau.)
Bibliothèque universelle, juillet 1909: Paul Seippel, Genève et la
tradition de la liberté.
Dans cet article de circonstance, écrit à l'occasion du jubilé de
la naissance de Calvin, M. S. rappelle incidemment l'origine cal-
vinienne, à travers les juristes réformés, Burlamaqui, Jurieu, etc.,
BIBLIOGRAPHIE 36 1
de la théorie du contrat social qu'un des principaux écrits de
Rousseau transmet à la Révolution française : « Par ses contra-
dictions même, le Contrat social [de Rousseau] est un livre essen-
tiellement calviniste. Il est le Coran à la fois du principe démo-
cratique, issu de la Réforme, et du principe théocratique issu de
Calvin. Et il concilie ces principes contraires en divinisant le
peuple souverain, en lui donnant le droit d'instituer une religion
civile obligatoire et le pouvoir de punir de mort les réfractaires.
C'est ainsi que le Genevois Rousseau fut à la fois le plus éloquent
apôtre de la liberté et le prophète des énergumènes qui établirent
par la terreur, la pire des tyrannies, celle des foules inconscientes. »
[A. F.]
Bibliothèque universelle, Lausanne, avril 1909: Gaspard Vallette,
La folie de J. J. Rousseau.
Ibid., novembre 1909: Gaspard Vallette, Rousseau intime.
Chapitres détachés d'un ouvrage important qui a paru depuis
et dont nous rendrons compte en son temps.
REVUE DES BIBLIOGRAPHIES
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nov.-déc. 1909 (E. Spenlé). — La Révolution française, 14 juil.
(E. Champion). — Revue de Fribourg, juil. 1909 (P. -M. M[asson]).
— Bulletin critique, ib-25 nov. (M. Souriau.) — Literarisches
Zentralblatt, 25 sept, (N. S.)
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Heraldo de Madrid, 29 oct. (A, P.)
1 Compléter la revue des années précédentes par les références sui-
vantes :
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Padoue, 1906, p. 6ô6 (L. L.). — Rivista pénale, octobre 1906, p. 53o.
— La Scuola positiva, septembre 1906, p. 558 (B. Franchi). — Rivista
di Cultura, décembre 1906, p. 167 (E. Carpani). — Mitteilungen aus
der historischen Literatur, XXXV Jahrg., 2 Heft, 1907, p. 200 (R. Mah-
renholtz). — Bulletin mensuel de la Société de Législation comparée,
avril-mai 1907, p. 3i4 (C.-A, Prêt.) — Archivio storico . italiano, t. 3g,
1907, p. 179 (B. Donati). — La Çritica', Naples, 20 mai 1907, p. 224
(B. Croce). — Journal des Economistes, i5 août 1907, p. 3o6. — Der
Gerichtsaal, Bd. LXXI, 1907, p. 472 (A. Teichmann).— Kei-z/e générale
du droit, de la législation et de la jurisprudence, mai-juin 1907, p. 263
(J. Ducros). — Revue internationale de sociologie, i5* année, 1907, n. i,
p. 68 (G.-L. Duprat). — Archiv fiir systematische Philosophie, Bd. XIII,
1907, p. i37 (F. Berolzheimer). — Rivista internationale di scien:(e so-
ciali e discipline ausiliairi_e, février 1907, p. 3oi. — La Scien^a sociale,
novembre 1908, p. 53 (F. Gosentini).
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(A. Brausewetter). — Monatschrift fur christliche Sopalrefonn,
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Berliner Tageblatt, 12 juil. (Prof. Th. Achelis, Zum Verstàndnis
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Bibliothèque universelle, janv. igog (Chronique suisse.)
J. J. Rousseau, Emil, (trad. Salhvùrk).
Schn'ei:^. Lehrer^eitung, Zurich, 20 mars.
J. J. Rousseau, Briefe (trad. Kircheisen) (suite).
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Journal de Genève, 3i déc. (G. Vallette, Notes du jour). — Tri-
bune de Genève, 28 déc. — Galette de Lausanne, '2S déc. (Chroni-
que genevoi$e\. — Neue Ziircher Zeitung, 29 déc. (Bg.) — ZUr-
cherische Freitags^eitung, 3i déc. (Dr B.)
Vallette, Rousseau intime.
La Vita, Rome^ 19 nov.
Vallette, Folie de J. J, Rousseau.
Corriere délia Sera, Milan, 11 avril. — Minerva, Rome, 16 mai.
Violani Gambi, Idée di G. G. Rousseau sulla donna.
Il nuovo Giornale, Florence, 11 sept.
CHRONIQUE
Extrait des procès-verbaux des séances du Comité
Séance du 21 juin igio. — Demandes diverses d'appui matériel
pour des travaux concernant Rousseau, l'un sur l'influence de
Rousseau au XXe siècle,' l'autre sur la bibliographie allemande de
Rousseau.
Don par MM. P. Usteri et E. Ritter du solde de leur édition de la
Correspondance de Rousseau avec L. Usteri, soit 25o exemplaires.
Avec le consentement des donateurs, le Comité décide d'attribuer
ces exemplaires aux membres de la Société qui sont éloignés de
Genève et des Archives Rousseau.
Le Comité se félicite de posséder un nouveau correspondant
très actif à l'étranger, en la personne de M. V. Olscewicz, de
Varsovie.
Puis le trésorier soumet ses comptes au Comité, ce qui donne
lieu à un échange de vues sur la manière de réaliser des écono-
mies ou d'accroître nos ressources.
Un autre échange de vues, très actif, a lieu au sujet de la pro-
chaine célébration du second centenaire de la naissance de Rous-
seau, en 1912, Parmi les projets caressés, citons :
— une assemblée générale solennelle de la Société avec des
conférences ;
— une représentation champêtre du Devin et de Pygmalion ;
— un volume qui donnerait un tableau complet de l'état des
études sur Rousseau, au début du XX^ siècle, le tout s'adressant
au grand public cultivé, et rédigé par des plumes autorisées;
— une exposition iconographique de Rousseau.
La célébration du centenaire par la Société sera essentiellement
littéraire et internationale, et distincte de celle de l'Etat de Ge-
nève, avec lequel il convient toutefois de s'entendre. En consé-
quence, on convient de se mettre en rapport au plus tôt avec
M. Henry Fazy, à la fois membre du Comité, et membre du Con-
seil d'Etat, qui servira de trait d'union entre les deux organes.
Le président verra également M. le conseiller administratif
Imer-Schneider pour s'entendre avec lui au sujet de la réfection
nécessaire de l'Ile Rousseau.
366 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Assemblée générale du 2'-> juin lyio.
Le rapport présidentiel passe en revue l'activité de la Société
durant l'année écoulée, ses publications, les acquisitions des
Archives, les gains et les pertes en membres (les gains dépassant
un peu les pertes). Il signale en particulier le décès de MM. Adol-
phe Tobler et Edouard Rod. Il montre enfin que l'activité des
études rousseauistes est loin de se ralentir dans le monde, et il fait
appel au concours de tous pour la célébration du centenaire de
1912, dont s'occupe déjà le Comité.
La situation financière au 3i décembre 1909, dont le rapport du
trésorier rend compte, peut être résumée parles chiffres suivants:
Recettes. . , . . . Fr. 9046,85
Dépenses » 4824,75
Solde créancier . . . Fr. 4722,10
Si l'on tient compte des dépenses importantes prévues pour les
premiers mois de 1910, observe le trésorier, cette situation finan-
cière n'est pas brillante. Elle appelle un examen sérieux, si nous
ne voulons pas dépasser nos ressources, ou renoncer à des dépen-
ses essentielles, comme celles que nécessitent l'accroissement et
l'entretien des Archives. Il faudra voir à réaliser des économies,
à accroître le recrutement des membres, mais surtout à obtenir que
les membres inscrits veuillent bien payer leur cotisation régulière-
ment, ce qui est loin d'être le cas, et entraîne un supplément con-
sidérable de dépenses et de peine pour le Comité.
Sur la proposition de MM. Chapuisat et Fatio, vérificateurs des
comptes, décharge est donnée au trésorier pour sa gestion. L'as-
semblée y joint ses remerciements.
Puis le Comité sortant est réélu à l'unanimité, pour la période
1910-1912, soit: MM. Bernard Bouvier, Eugène Ritter, Alfred
Cartier, Philippe Godet, Théophile Dufour, Gaspard Vallette,
L.-J. Courtois, Henri Fazy, Henri Morf, Lucien Pinvert, Alexis
François. "
M. Eugène Ritter fait une .communication sur la famille
Rousseau et ses représentants actuels. 11 en résulte que cette fa-
mille est encore représentée aujourd'hui par le baron Alfred
Rousseau, ministre plénipotentiaire en retraite, à Paris, descen-
dant de Noé Rousseau (le grand oncle de Jean-Jacques), et père
de deux fils et de deux- filles, dont l'aînée a épousé le prince Lanza
di Scalea.
CHRONIQUE 367
M. Gaspard Vallette donne à l'assemblée la primeur d'un chapi-
tre de son ouvrage J. J. Rousseau, Genevois, qui verra bientôt le
jour: il s'agit en l'espèce des rapports du Contrat social avec la
politique genevoise du XVIIIe siècle.
Séance du 23 juin igio (à l'issue de l'Assemblée générale). —
Le Comité réélit son précédent bureau et ses précédentes com-
missions des Publications et des Archives:
Bureau: MM. Bernard-Bouvier, président. — Eugène Ritter,
vice-président. — Alfred Cartier, trésorier. — Alexis François,
secrétaire. — Louis-J.. Courtois, secrétaire-adjoint.
Commission des publications : MM. Ritter, Vallette, et le pré-
sident.
Commission des archives : MM. Cartier, Frédéric Gardy, Alexis
François, et le président.
Le président a vu M. le conseiller administratif Imer-Schneider,
qui s'est montré d'autant plus disposé à procéder à l'aménage-
ment de l'Ile Rousseau, que la veille même, il avait été interpellé
sur ce sujet au Conseil municipal.
Etat des Archives J. J. Rousseau au 3i décembre 1909: 842 nu-
méros ; augmentation de l'année: m, dont 64 acquis par la So-
ciété J. J. Rousseau, le reste dû aux dons de MM. Alex. JuUien,
G. de Seigneux, L. Braschoss, F. Falk, F. Raisin, Alexis François,
E. Muret, à Genève ; Mme p. Macdonald, M. H. Buffenoir, à
Paris; MM. L. Aurenche, à Coutance (Manche); D. Mornet, à
Toulouse ; L. Ducros, à Aix en Provence ; Ernst Zabel, à
Quedlinburg ; MUe A. Pons, à Rome; les éditeurs Eugen Diede-
rich, à lena ; F. G. L. Gressler, à Langensalza ; Hachette, à Paris;
la Bibliothèque publique et universitaire de Genève.
Parmi les plus importantes acquisitions, signalons une lettre
autographe à la marquise de Créqui, 21 juillet 1764, accompagnée
de l'original de la romance : Je l'aimais d'un amour si tendre; des
copies d'actes notariés concernant Thérèse Levasseur et émanant
de l'étude de M. Charles Baudon au Plessis-Belleville ; une par-
tition gravée ancienne du Devin du Village, Paris, chez Le Clerc,
s. d.j in-40 ; des éditions anciennes des Confessions, de l'Emile,
de La Nouvelle-Héloïse, etc. ; le Pygmalion mis en vers par Ber-
368 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
quin et illustré par Moreau le Jeune (édit. orig., 1775) ; enfin tout un
lot d'estampes provenant de la succession de feu P.-Gh. Strœhlin,
à Genève ;
Pendant l'année 1909, les Archives J. J. Rousseau ont été fré-
quentées par 70 personnes différentes, représentant 3i6 présences
de lecteurs et 1687 volumes et documents communiqués (statisti-
que de M. Fernand Aubert, sous-conservateur.)
— Nous avons à déplorer le décès de cinq de nos membres :
Adolphe ToBLER, professeur à l'Université de Berlin;
Léopold MicHELi, conservateur de la Bibliothèque publique, à
Genève, décédé accidentellement le 23 juin 1910;
Alexandre Passauvert, avocat, à Saint-Pétersbourg ;
Gustave Moynier, président du Comité international de la
Croix-Rouge, membre correspondant de l'Institut de France, à
Genève.
Adolphe DoMiNicÉ, également à Genève.
— Au nombre des nouveaux docteurs honoris causa créés par
la Faculté des lettres de l'Université de Genève, à l'occasion du
35orae anniversaire de la fondation de l'Académie de Calvin, en
juillet 1909, nous relevons avec plaisir les trois noms suivants dé-
signés comme ayant bien mérité des études rousseauistes: Mme F.
Macdonald, le comte F. de Girardin et le professeur H. Hœffding,
tous trois membres de notre association.
— La carte de- membre annuel pour 1910 reproduit le portrait
de Rousseau dessiné par Mayer, ' gravé par Naudet, qui figure
également en tête du tome V des Annales.
— Dans la vente de la collection A. Forgeron (Révolution fran-
çaise), 3 et 4 décembre 1909, à l'Hôtel, de la rue Drouot, à Paris,
ont pa:ssé les pièces suivantes intéressant l'iconographie de Rous-
seau (catalogue A. Geoffroy frères,, in-40, 66 pp.) :
No 12: Alix, J. J. Rousseau, d'après Garneray, ovale, in-folio,
imprimé en couleurs, cadre ancien;
No loi : Taunay, Saint-Preux au tombeau de Julie, jolie pein-
ture, très fraîche, dans son cadre doré, toile i3Xio;
No 2ô3:. Buste de J.-J. Rousseau âgé, cire, ébauche signée :
Pigalle, haut. 0,14;
CHRONIQUE 369
No 227: Fauteuil bergère en bois sculpté, recouvert de toile de
Jouy avec pochettes de côtés. Ce fauteuil servit à J. J. Rousseau
au château de Chenonceaux. A figuré à la Centennale en 1900
(ne 376), provient de la vente Pelouze, au château de Chenon-
ceaux (vendu 410 fr.)
No 271 : Jeu de 32 cartes avec figures en pied; dans ce jeu,
J. J. Rousseau est sous la figure du roi de trèfle. Conservé dans
son étui vert à filets dorés (vendu i35 fr.)
— Dans la vente de la collection Victorien Sardou, 24 mai
1909, a passé l'original de la lettre de Rousseau au libraire Du-
chesne, datée de Môtiers, 11 août 1765, et reproduite dans l'édi-
tion Hachette, no 697 (Catalogue Noël Charavay, no i36.)
— Dans les Nouvelles littéraires, supplément hebdomadaire du
Nouvelliste de Lyon, du i3 juin 1909, sous ce titre: L' ne grève de
Lyon en ij44, un correspondant occasionnel, qui signe A. L.,
donne quelques détails sur un personnage mentionné par Rous-
seau, au livre III de ses Confessions, l'abbé Dortan, comte de
Lyon : « Jean-François de Dortan, nous fait connaître M. l'abbé
Vachet, dans son savant volume sur les Chanoines-Comtes de Lyon,
issu d'une ancienne famille dauphinoise, dont la race s'éteignit
avec lui, à Sermerieu (Isère), le 4 septembre 1682, fut nommé
chanoine de l'Eglise de Lyon, le 23 mars 1713, et installé le
1 1 novembre de la même année, après avoir fourni ses preuves de
noblesse le 6 et le 7 de ce mois ; Chantre du i3 mai 1727, il mou-
rut à Lyon, le 7 novembre 1751, et fut inhumé dans la chapelle de
l'Annonciade, à la Primatiale. » M. A. L. ajoute que l'influence
de M. de Dortan sur le populaire, qui voulut le demander pour
échevin, eut pour origine son intervention favorable aux ouvriers
dans la fameuse «grève» de 1744 (voir à ce sujet le travail de
M. le chanoine Sachet sur La Croix des Chanoines- Comtes de
Lyon.)
— J. J. Rousseau, jugé par le dauphin fils de Louis XV, sous
ce titre, notre savant confrère, M. C. Stryienski, a publié dans les
Feuilles d'histoire du XVIh au XX= siècle, ler décembre 1909, la
lettre suivante adressée par Louis, dauphin, à M. A. de Nicolay,
évèque de Verdun, qu'il veut bien nous autoriser à reproduire :
« A Versailles, ce 23 juin 1762.
Je ne sais s'il vous sera tombé entre les mains un livre nouveau
de Jean-Jacques, intitulé De l'Education. C'est bien le livre le
plus infernal qui ait été fait pour les gens qui ont quelque tein-
SyO ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
ture de la philosophie. L'auteur y renferme en ySo pages tout
ce qu'il est possible de dire de plus fort pour prouver l'existence
de Dieu, l'immatérialité de l'âme et la liberté de l'homme et pour
détruire toute espèce de révélation, la divinité de Jésus-Christ,
l'évidence des miracles. D'après ce principe, il détruit tout culte
extérieur, même la prière, et n'admet qu'une sorte de contempla-
tion où il veut que l'âme soit devant le Tout-Puissant. Il finit par
exalter la morale de l'Evangile et la déclarer presque impossible,
ainsi que tous nos mystères, qui impliquent, dit-il, contradiction,
et qui, s'ils eussent dû être crus, eussent bien valu la peine que
Dieu les eût, non pas expliqués, mais assurés plus positivement,
et, je crois, à chaque homme en particulier, par une révélation
indubitable. Jusque-là, il faut s'en tenir à la religion naturelle.
Ensuite, il déclame avec véhémence contre les athées et les ma-
térialistes. Il traite la matière très sérieusement et très philosophi-
quement, et mérite la peine qu'une aussi bonne plume que la
sienne, et plus savante, le réfute méthodiquement ; cela ne sera
pas bien difficile, car il est plein de contradictions. »
— Sous le titre : Un document inédit sur Jean-Jacques Rousseau,
M. Hippolyte Buflfenoir a mis au jour, dans 1'^. B. C. de Genève
des 21 et 24 décembre 1909, un document fort curieux, dont il né-
glige d'ailleurs de nous dire la provenance et le caractère exact.
C'est le compte-rendu détaillé d'un procès de Thérèse Levasseur
avec le libraire Lemarchand qui fut chargé tout d'abord d'éditer
les Consolations des Misères de ma Vie. Le libraire ayant pensé
faire une trop bonne affaire, Thérèse, après bien des démarches,
obtint un arrêt du Conseil qui la rendait de nouveau seule maî-
tresse de l'entreprise, laquelle, comme on sait, finit par aboutir
sous la direction intelligente et désintéressée de M. Benoist, an-
cien Contrôleur général des Domaines.
— A propos d'un passage de l'article de M. Mornet, paru l'année
dernière dans nos Annales, p. 87, 1. 27 : « Les éditeurs [de l'édition
de Genève, 1782] n'ont prévenu nulle part qu'ils avaient à leur
disposition un exemplaire corrigé par Rousseau », M. P. -M. Mas-
son nous envoie l'intéressante rectification suivante :
« Du Peyrou l'indique dans une lettre du 3 février 1789, adres-
sée au comte de Barruel-Beauvert, qui l'a insérée dans sa Vie de
J. J. Rousseau, Paris-Londres, 1789, in-80, p. i32 : «Je n'ai con-
)i couru qu'en tierce-part à la collection des ouvrages de Rous-
» seau, imprimés à Genève, au profit de sa veuve : ma part, à cette
» contribution, s'est bornée à ce que l'auteur lui-même avait pré-
» paré, pour son édition projetée en 1764, (laquelle ne put avoir
CHRONIQUE 371
» son effet par une suite de circonstances malheureuses) ; maté-
» riauxqu'à son départ pour l'Angleterre, il laissa entre mes mains.
» En les livrant à l'impression, tels qu'il les avait disposés lui-
» même, j'ai rempli ses intentions. » L'importance de ce texte mé-
rite, je crois, d'être soulignée; et cette importance est double.
» La lettre de Du Peyrou nous montre d'abord quelle confiance
on peut accorder aux leçons nouvelles de l'édition 17S0-1782,
même quand nous ne les retrouvons pas dans des exemplaires
corrigés par Rousseau, comme dans La Nouvelle-Héloïse du Pa-
lais-Bourbon ou dans VEmile de Genève, qui ont visiblement
servi à Du Peyrou. Peut-être donc existe-t-il encore, pour d'au-
tres œuvres de Rousseau, en particulier pour le Discours de l'Iné-
galité, le Devin du Village, la Lettre à d'Alembert, des exemplai-
res avec notes autographes. Nous sommes en droit, du moins, de
supposer leur existence d'après les leçons nouvelles de l'édition
de Genève. — La lettre de Du Peyrou nous fournit en même
temps la date de ces additions ou corrections: 1 764- 1765. »
[P. -M. Masson].
— Dans un article intitulé Die Ursprung der Erklàrung der
Menschenrechte, un collaborateur de la Frankfurter Zeitung ap-
précie, le 17 mars igog, la part d'influence de Rousseau dans la
rédaction de la Déclaration des droits de l'homme, conformément
aux points de vue de Jellinek et plus récemment d'Edme Cham-
pion, c'est-à-dire en réduisant cette part à fort peu de chose.
— Dans // Ticino illustrato, de Bellinzone, du 23 janvier 1909, le
professeur Giuseppe Maramotti a publié une chronique intitulée
La voce délia Natura in G. G. Rousseau, où il montre qu'en effet
toute l'œuvre de Rousseau n'est qu'un magnifique écho de cette
voix de la Nature.
— L'Espana Nueva, de Madrid, du i5 mai 1909, a publie, dans
un but de vulgarisation, une biographie sommaire de Juan Jacobo
Rousseau.
— Le Savoyard de Paris, du 3o janvier 1909, a publié un article
du poète Fabre des Essarts sur la Myopie de Jean-Jacques, qui
peut être rangé parmi les nombreuses tentatives d'expliquer le
caractère de Rousseau par ses infirmités physiques.
— Le même journal, 23 janvier 1909, a publié un article d
M. Géo Mamby, intitulé Le Léman, berceau de la Révolution, où
Rousseau prend naturellement la place d'honneur parmi les rêvé-
372 AN'XALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
lateurs de la nature alpestre, en tête de ceux qui ont fait du lac
Léman l'un des centres de la vie intellectuelle française au XVII !«
siècle.
— Dans le Salut public, de Lyon, n"' des 29 janvier et 5 février
1909, M. Benoît Faugier a publié deux articles sur Le Paradoxe
de Rousseau, le premier intitulé: Les lois économiques, le second;
De la liberté. Le « paradoxe » de Rousseau que, bien entendu,
M. Faugier combat en montrant qu'il a faussé la législation écono-
mique de la France, c'est celui qui est inscrit dans cette double
formule : « L'homme est né libre », et « Tous les hommes sont
égaux. »
— Dans un article de fond du Salut public, de Lyon, 23 février
1909, M. Victor Bresse nous apprend, sans enthousiasme, qu'il est
question d'élever à Lyon un monument à Rousseau, en souvenir
de la fameuse nuit qu'il passa à la belle étoile sur les bords de la
Saône. Il en discute l'emplacement prévu, aux balmes du clos
Saint-Georges, à l'extrémité ouest du pont d'Ainay, entre le quai
Fulchiron et la partie supérieure de la colline de Saint- Just. Nous
ne savons ce qu'il est advenu de ce projet.
— Il a paru dans le Spettacolo de Milan, du ler avril 1909, une
chronique d'Eugenio Ercoli sur Jean-Jacques Rousseau musicista.
— // Giorno, de Naples, 22-23 août 1909, dans un article intitulé
Presso i Celesti (signature : Glaudius), et la Ga^etta del Popolo,
de Turin, 23 novembre 1909, dans un article intitulé: // Fenomeno
Rousseau nelV Estremo Oriente (signature : Ernesto Cauda), ont
signalé presqu'en- même temps l'influence de Rousseau sur le ré-
veil actuel du peuple chinois. Ne serait-ce qu'un écho du livre
d'Avesnes que nous analysons d'autre part, p. 326 ?
— Dans un article du Corriere d'Italia, de Rome, 20 septembre
1909, intitulé: La grande utopia deiGiovani Turchi, Il « Contrat
socidl » di Rousseau nel paese del Corano, G. d'Apricorta raconte
qu'il a voyagé de Belgrade à Gonstantinople en compagnie d'un
Jeune-Turc qui lisait le Contrat social-. Ce lui fut une révélation,
dit-il, qui lui servit par la suite et lui sert encore à expliquer
beaucoup d'aspects de cette étrange révolution turque, et l'état
d'esprit, pour ainsi, dire, aprioristique, ouvert à toutes les illu-
sions'et à toutes les hallucinations, de beaucoup de ses fauteurs
et de ses agents.
CHRONIQUE 373
— Dans une chronique intitulée: Rousseau a-t-il supplanté Cal-
vin?, le Signal de Genève, du 17 juillet 1907, a traduit et com-
menté en le discutant, un article du Manchester Guardian, du
26 juin 1907, sur la séparation des Eglises et de l'Etat de Genève,
où l'on oppose l'œuvre de Calvin et celle de Rousseau — le Rous-
seau des Lettres de la Montagne, postérieur au Rousseau du Con-
trat social — dans la cité calviniste, et où l'on s'efforce de prou-
ver que l'esprit du second l'emporte décidément sur celui du pre-
mier.
— Décrivant dans son Guide historique et pittoresque de Vélran-
ger à Genève, s. d. (1909), in-16, p. 9, la statue de Rousseau par
Pradier, M. Emile Doumergue, l'historien bien connu de Calvin,
juge ainsi Jean-Jacques : « A la fois Français et Genevois, il fut
un produit aussi logique que contradictoire de l'esprit calviniste,
qu'il ne cessa de combattre en le manifestant et de manifester en
le combattant, soit en religion, soit en morale, soit en politique. »
Hans \q Protestant , dt Paris, 11 septembre 1909, sous ce titre:
Rousseau et la tradition calviniste, M. J. -Emile Roberty explique
et justifie ce paradoxe — sur la forme duquel, au moins, il y au-
rait, en effet, beaucoup à dire — au moyen de l'article de M. Paul
Seippel, Genève et la tradition de la liberté, analvsé d'autre part,
p. 36o.
— Le 4 février 1909, à Genève, dans une réunion de la Société
de chant du Conservatoire, salle des Amis de l'Instruction, a été
jouée pour la première fois une comédie en un acte, inédite, de
Mlle Berthe Gaillard, intitulée Le Verger de Tonne. Cette comé-
die met en scène Jean-Jacques et ses deux amies, M"«s Galley et
de Graffenried (voir le Journal de Genève du 6 février.)
— Le Devin du Village a été intégralement représenté : à Ge-
nève, le 6 (Soirée de l'Art social. Casino de Saint-Pierre) et le 10
(Soirée de bienfaisance française, également au Casino de Saint-
Pierre) mai 1909, par une troupe d'amateurs. La première de ces
représentations a été précédée d'une conférence de M. Jules Carrara
sur Rousseau musicien. Comptes-rendus dans \q Journal de Genève
des II et i3 mai (la fin du second compte-rendu fait allusion
à une partition du Devin couverte d'annotations de Hugo de Sen-
ger, et qui servit sans doute à une audition de concert);
à Neuchâtel, dans le courant de février 1909, par la Société
d'étudiants de Belles-Lettres (voyez Academia, Zurich, 19 février.
1909) ;
374 AWAI.KS DE I.A SOC I ÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
à Vienne enfin, dans le cabaret artistique « Fledermaus », au
commencement de mars de la même année, par une troupe d'a-
mateurs distingués. Ces représentations du cabaret « Fledermaus »
semblent avoir été l'un des événements de la saison mondaine
dans la capitale autrichienne. Voyez la Neue Freie Presse des
26 février, 5, 6 et 10 mars, et le Neuer Wiener Journal dn 8 mars.
Elles ont fait couler beaucoup d'encre au sujet de l'opéra pastoral
de Rousseau. Signalons, comme particulièrement intéressante,
l'appréciation parue sous la signature de Franz Servaes dans le
journal Der Tag, de Berlin, 10 mars iqoq.
Toujours à propos de ces représentations, un correspondant
anonyme de la Neue Freie Presse, 7 mars iQog, mentionne une
lettre de Chopin, écrite de Chenonceaux en décembre 1845, d'a-
près laquelle le Devin aurait été représenté pour la première fois
sur le théâtre des Dupin, avant de paraître sur la scène de Fon-
tainebleau ; et son ouverture serait l'œuvre du fameux fermier
général, patron de Rousseau. La même lettre « inédite » de Cho-
pin est donnée par la Revue de Paris, i^r avril 1909, comme ayant
été (( publiée récemment ». Les renseignements qu'elle renferme
résulteraient d'une correspondance de Rousseau avec M. Dupin,
retrouvée par Georges Sand. Qu'est-ce que cette correspondance?
Où a paru la lettre de Chopin ?
— Au Congres des aliénistes et neurologistes, qui s'est ouvert à
Nantes le 2 août 1909, notre confrère, le professeur E. Régis,
a fait une communication sur le cas de J. J. Rousseau, considéré
comme maniaque ambulatoire. Vovez la Chronique médicale du
i<^>' septembre 1909, p. 554.
— A la réunion de la British Association, à Winnipeg (Canada), le
26 août 1909, le président de la section d'anthropologie, professeur
John L. Myres, a traité^ dans son discours d'ouverture, de r« In-
fluence de l'anthropologie sur le développement de la science poli-
tique. » A ce propos, il a fait observer que Rousseau aborda le sujet
de « l'état de nature » surtout en réformateur et en philosophe poli-
tique ; qu'il n'eut, recours a l'ethnologie que. dans 1^ mesure où il
sentit la nécessité d'étayer par .des faits et surtout d'illustrer son
hypothèse; que d'ailleurs il écrivit trop tôt pour profiter de la
confirmation qu'aux yeux des contemporains, Cook, Bougainville
et La Pérouse durent fournir à sa thèse en révélant l'existence
d'un Eden polynésien'. Voltaire, dans son attitude diamétrale-
' Rappelons à ce propos que les récits de La Pérouse firent un tout
autre effetsur un lecteur tel que Charles de Villers. Voyez Annales, V,
p. 3i5.
CHRONIQUE ,•>-":>
ment opposée a celle de Rousseau, fut au contraire soutenu par
l'admiration que les récits des missionnaires jésuites suscitèrent
pour la vieille civilisation chinoise au XVIIIe siècle. Voir le
Times, Londres. n° du 27 août 1909.
— Le professeur A. Schinz, de Bryn Mawr Collège, a donné
lecture d'un travail sur J. /. Rousseau, précurseur du pragmatisme
moderne, a la réunion de VAmerican Philosoilcal Society, tenue à
Philadelphie, en avril 1909.
— Le pasteur Doutrebande, secrétaire-archiviste communal à
Neuchàtel, a fait à l'Aula de l'Académie, dans le courant de jan-
vier 1909. une conférence sur ce sujet: Que pense J. J. Rousseau
de la femme ?
— Le 18 novembre 1908, dans une soirée conférence-concert
donnée par la Ligue des Libres-Penseurs spiritualistes, à son
siège, boulevard Sébastopol, à Paris, M. Sennelier a fait une
conférence sur J. J. Rousseau. Cette conférence, au témoignage
de M. Cheri-Vinet, qui en a rendu compte dans Le Radical de la
Seine, du 28 novembre {Jean-Jacques Rousseau réhabilité par la
Ligue des Libres-Penseurs spiritualistes), « atteignit, par instant,
au faîte des hauteurs philosophiques. »
— M. Jayet, professeur de langues au Collège de Thonon et
aux écoles d'Evian, a fait, le 27 novembre 1909, au Cercle de l'A-
micale des anciens élèves des écoles laïques d'Evian-les-Bains,
une conférence sur Jean-Jacques Rousseau, sa vie, son oeuvre.
— M. Jules Carrara a fait au Nouveau-Collège de Montreux, le
27 octobre 1909, une conférence sur J. J. Rousseau ancêtre du
Romantisme.
— Le professeur Sirven, de l'Université de Lausanne, a fait les
vendredis 10 et 17 décembre 1909, dans la grande salle de la Mai-
son du Peuple, à Lausanne, deux conférences sur La Querelle
de Voltaire et de Rousseau.
— Le Cri de Paris, du 7 mars 1909, a fait allusion à une série
de conférences sur J. J. Rousseau qui ont eu lieu dans la Répu-
blique Argentine, au printemps 1909, et pour lesquelles l'orateur,
J. J. Brousson, secrétaire d'Anatole France, devait toucher la
coquette somme de dix mille francs.
— A Genève, ont été faites, sous le patronage de l'Association
de VArt social, les 14, 21, et 28 avril 1909, trois conférences sur la
376 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J, ROUSSEAU
Vie de Rousseau, Rousseau penseur et philosophe, Rousseau écri-
vain. Les orateurs ont été respectivement pour ces trois confé
rences, MM. Jean Debrit, Charles Werner, et Albert Malsch.
— M. Philippe Godet a fait à Neuchàtel, à partir du 29 septem-
bre 1909 et pendant tout l'hiver, un cours libre sur ce sujet: Le
siècle de Voltaire et de Rousseau.
— Les 14 et 18 février 1909, M. Philippe Godet, professeur a
l'Académie de Neuchàtel, a fait à Paris, sous le patronage de la
revue Foi et Vie, deux conférences sur ce sujet : Le bien et le
mal qu'a faits J. J. Rousseau (analyse dans le Témoignage, de Pa-
ris, 26 février 1909, et dans le Journal des Débats des 16 et 20 fé-
vrier). Ces conférences ont été répétées à Neuchàtel, dans l'Aula
de l'Académie, les 9 et 10 mars 1909.
— Dans un article contre le duel, intitulé Combats singuliers,
un chroniqueur de la Meuse, de Liège, 17 décembre 1909, qui si-
gne Rémy, a cité une fois de plus la fameuse page de La Nouvelle-
Héloïse où se trouve condamnée en termes inoubliables cette bar-
bare coutume,
— Rousseau als Vorlaïtfer der Aviatiker, sous ce titre sensa-
tionnel, un correspondant de la Frankfurter Zeitung, 19 novem-
bre 1909, signale un passage de la Correspondance de Grimm,
i5 juin 1762, d'après lequel Rousseau, entre beaucoup d'autres
occupations dé son oisiveté, à son retour d'Italie, en 1745, aurait
travaillé à une machine à voler. Même après son échec inévitable,
il aurait conservé une inébranlable confiance en l'avenir de l'avia-
tion. Le correspondant de la Ga:^ette de Francfort observe à ce
propos qu'il n'existe nulle part ailleurs des traces 'de la tentative
de Rousseau.
— A propos du tremblement de terre de Messine, en janvier
1909, on a rappelé les traces laissées dans la littérature par le
fameux tremblement de terre de Lisbonne, grâce à Voltaire et
Rousseau. Voyez par exemple dans la Schwei^erische freie Presse
de Badén, 10 janvier 1909, l'article intitulé : Voltaire iind Rousseau
ïtber das Erdbeben Lissahon.
— La cure d'altitude préconisée par J. J. Rousseau, sous ce titre
piquant, M. De Beaurepaire-Froment transcrit, inexactement d'ail-
leurs, dans la Chronique médicale du ler décembre 1909, ce pas-
sage extrait- de La Nouvelle-Héloïse, I, 23 : « C'est une impression
CHRONIQUE 377
générale qu'éprouvent tous les hommes, [quoiqu'ils ne l'obser-
vent pas tous], que sur les hautes montagnes, où l'air est pur et
subtil, on [se] sent plus de facilité pour [dans] la respiration, plus
de légèreté dans le corps, plus de sérénité dans l'esprit. [...] Je
suis surpris que des bains pris dans [de] l'air salutaire et bien-
faisant des montagnes ne soient pas un des grands remèdes de la
médecine et de la morale. »
— La littérature des pèlerinages aux Gharmettes est représentée
cette année par deux articles d'une inspiration bien différente :
une fort malveillante Causerie de la semaine de Philinte, alias
Auguste Dide, dans VExpress, de Mulhouse, 18 octobre 1909 : et
un «pèlerinage d'amour» d'Andréa Felice Oxilia, Les Charmettes
di J. J. Rousseau, dans la Ga^^^etta del Popolo, de Turin, 16 octo-
bre 1909. Le second donne un flagrant démenti au premier, lors-
que celui-ci prétend que les Charmettes sont un peu «délaissées
aujourd'hui » et que « Rousseau est en baisse. »
Témoigneraient également du contraire, au besoin, les stances
du poète Fabre des Essarts à Jean-Jacques Rousseau, l'homme des
Charmettes, publiées par le Savoyard de Paris, du i3 mars 190g,
avec une vignette représentant l'habitation de Mme de Warens
dans son état ancien.
— Poursuivant la série de ses Promenades genevoises, M. Ph.
Jamin a publié dans la Tribune de Genève, du 8 mai 1909, un ar-
ticle sur /. /. Rousseau à Grange-Canal. Dans un autre article
de la même série, le i5 juin 1909, intitulé: Le Château de Saint-
Gervais, il a fait allusion à l'installation pour deux ans (1720-
1722), dans une maison voisine du « Château », d'Isaac Rousseau
et de son fils ; l'appartement se trouvait « au no 78 de la rue de
Coutance, au 3^^, sur le devant. » C'est là que vécut également
la nourrice de Jean-Jacques, sa « mie « Jaqueline (1768.)
— Dans la même catégorie de « flâneries archéologiques », il
faut ranger un article de M. Emile Gaidan, sur le Bosquet de Julie,
voisin du château des Crêtes sur Clarens, publié par la Tribune
de Genève, du i^r septembre 1909.
— Dans un article intitulé : Aux bords du lac bleu, publié (ou
reproduit) par la Tribune de Genève du 29 octobre 1909, M. Léon
Séché a cité une lettre de Sainte-Beuve à son ami Charles Labitte,
datée de Lucerne, 3o juillet 1837, où il évoque, après une série
de pèlerinages, tous les grands souvenirs littéraires du lac de Ge-
SyS ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .T. ROUSSEAU
nève : «...J'ai vu Vevey et j'ai parlé à Claire, à Julie ; j'ai salué le
coteau charmant au bas duquel est Clarence. J'ai vu au rivage
d'en face les rocs de Meillerie...» Dans le même article, M, Séché
proteste contre la mutilation des rochers de Meillerie par les en-
trepreneurs de carrières, et il rappelle la mémorable navigation de
lord Byron visitant, la Nouvelle- Heloïse en main, au mois de
juin 1816, Meillerie, Glarens et Vevey, «tout le pays de Rous-
seau. »
— Dans le Journal des Débats, du 22 octobre 1909, M. André
Hallays qui s'est fait une spécialité de la protection des monu-
ments et des sites, comme en Suisse M. Ph. Godet, a de nouveau
jeté le cri d'alarme en faveur de l'île Saint-Pierre (d'une ma-
nière également désobligeante, d'ailleurs, pour les Bernois proprié-
taires de l'île et pour Rousseau qu'il traite d'« étrange et pitoyable
personnage». Quand donc nous habituerons-nous à parler de
Jean-Jacques sans recourir aux grands mots?) Il paraît que les
choses ne sont pas aussi avancées, ni aussi favorablement arrêtées
que nous l'avions dit dans notre Chronique, t. III, p. 3o6. La
bourgeoisie de Berne n'a point encore déchargé Thôpital de son
lourd fardeau, ainsi qu'il résulte des renseignements puisés à
bonne source par le correspondant du Journal de Genève, 7 no-
vembre 1909. Pour être sûr de ne plus nous tromper, nous allons
reproduire tels quels ces renseignements qui inspirent toute con-
fiance :
«L'île Saint-Pierre appartient depuis i536 à l'Hôpital bourgeois
de Berne, qui, tout en faisant partie de la bourgeoisie et en étant
soumis à son contrôle, a cependant une administration spéciale
et des biens particuliers. Au XYh siècle, l'île était d'un bon rap-
port et avait été attribuée à l'Hôpital pour compenser d'autres
terres qui lui avaient été enlevées. Le produit était destiné à cou-
vrir certaines dépenses.
» Au cours des siècles la rente de ce domaine a diminué, et ces
dernières années, par suite de l'apparition du phylloxéra.S qui a
1 Deux jours après, le 9 novenibre, lé correspondant du Journal de
Genève, a modifié comme suit son information : « On me demande de
faire une petite rectification, sur un point de détail, à l'article qui a
paru dimanche sur l'île Saint-Pierre. Les vignes de l'île n'ont pas été
détruites par le phylloxéra. Elles ont souftert du mildiou et d'autres
maladies. Et surtout l'administration a beaucoup de peine à trouver de
bons vignerons. Mais il c'y a jamais eu de phylloxéra dans l'ile. A part
cela, tous les renseignements que je vous ai envoyés m'ont été encore
confirmés.
CHRONIQUE 379
ravagé les vignes, le bénéfice s'est changé en un déficit assez im-
portant. D'autre part, les dépenses générales de l'Hôpital augmen-
taient continuellement. Ses administrateurs, estimant qu'il n'a-
vaient pas trop de toutes leurs ressources pour faire face aux œu-
vres de bienfaisance qui leur incombent, se sont demandé s'il n'y
aurait pas moyen de trouver une combinaison qui leur permît
d'obtenir un capital productif égal au montant de la valeur de l'île.
» Hâtons-nous d'ajouter que dans leur idée cette combinaison
n'a jamais consisté dans la vente de l'île à des spéculateurs qui y
construiraient de vastes hôtels et des routes pour automobiles.
Le Jean-Jacques Palace, et le Thérèse Bar n'existent jusqu'à
présent. Dieu merci, que dans l'imagination de M. Hallays. Ce
que les administrateurs de l'île auraient voulu, c'est que, ou bien
la Confédération rachetât l'île pour en faire un de ces parcs ré-
servés que le Heimatschutz et les savants suisses appellent de
leurs vœux, ou bien tout simplement que la bourgeoisie bernoise
dans son ensemble consentît à faire rentrer l'île dans la masse de
ses biens et donnât à l'Hôpital, en échange, des terres d'un bon
rapport, des forêts, par exemple, à l'abri du phylloxéra.
» Jusqu'à présent, aucune de ces combinaisons n'a pu aboutir, la
bourgeoisie de Berne ayant eu ces dernières années des charges
très lourdes par suite des généreuses allocations qu'elle a faites à
des œuvres d'utilité publique, le théâtre, le casino, etc. Mais
lorsque ces grosses dépenses seront amorties, il est fort possible
que les pourparlers soient repris. Et si la bourgeoisie se charge de
l'île, son sort est assuré. Messieurs de Berne ne sont pas des mar-
chands de campagnes et n'ont pas l'habitude de vendre à des
bandes noires les terres qui leur appartiennent.
» Cette solution satisferait à la fois l'Hôpital bourgeois, qui re-
trouverait les ressources dont l'abominable phylloxéra l'a privé,
et les amateurs de la nature, qui pourraient continuer à lire, sans
être dérangés, les Rêveries d'un promeneur solitaire sur les bords
du lac de Bienne. Il faut donc très vivement souhaiter qu'elle
aboutisse. Les Rousseauistes et le Heimatschutz pourraient peut-
être y contribuer en créant un mouvement d'opinion et en provo-
quant un pétitionnement pour la conservation de l'île. Il est très
possible que la bourgeoisie de Berne, très accessible aux consi-
dérations artistiques et aux souvenirs nationaux, tienne compte
de leurs vœux. »
A bon entendeur, salut ! — Pour compléter ces renseignements,
nous reproduirons encore la note suivante parue dans la Galette
de Lausanne, du 20 août iQO(j, sous ce titre: L'île de Saint-Pierre,
parc national :
380 ANNALES DE LA SOCIIiTÉ .1. J. ROUSSEAU
M Le bruit ayant couru en 1907 que l'Hôpital de l'Ile, à Berne,
propriétaire de Tile Saint-Pierre dans le lac de Bienne, songeait
à se défaire de ce capital improductif, M. Paul Sarasin, de Bâle,
président de la commission pour la préservation des richesses
naturelles de la Suisse, s'en émut. Le colonel de Tscharner, pré-
sident de la commission bernoise pour la préservation des riches-
ses naturelles, put le rassurer au sujet de l'éventualité d'une vente,
très peu probable à ce qu'il paraît. Si cette éventualité paraissait
devoir se réaliser, on peut espérer que la bourgeoisie de Berne
achèterait l'île pour son compte, à seule fin de lui conserver son
aspect actuel.
» Une étude entreprise au sujet des avantages que pourrait offrir
l'île comme territoire réservé n'a pas donné un résultat bien en-
courageant. Sauf en ce qui concerne la bande marécageuse reliant
rîle à la terre ferme par les basses eaux, laquelle constituerait un
excellent terrain de reproduction pour les oiseaux aquatiques,
l'île Saint-Pierre est de tous points inférieure, comme faune et
comme flore, à la rive occidentale du lac.
» Par contre, au point de vue pittoresque, poétique et histori-
que, elle présente un intérêt très réel et il importe d'empêcher
qu'elle ne soit défigurée par la spéculation ou simplement fermée
au public. Seulement, ce point de vue intéresse la Ligue de la
beauté plus que la Société pour la préservation des richesses na-
turelles et c'est au président de cette ligue, M. Burckhardt-Finsler,
à Bâle, qu'il appartient de prendre en mains la défense de l'île
Saint-Pierre. La Société pour la préservation des richesses natu-
relles se déclare disposée à l'appuyer de toutes ses forces et cher-
chera à obtenir que les terrains marécageux au sud de Tîle soient
constitués en réserve pour les oiseaux aquatiques.
» Le reste de Lîle, avec les superbes ombrages qu'aimait J. J.
Rousseau, ferais un très beau parc national, si la Confédération
consentait à l'acquérir dans ce but. »
— Le dimanche 3 octobre 1909, on a inauguré solennellement
dans la propriété de notre confrère, M., Aug. Castellant, Les Char-
mettes' s. Largny (Aisne), un nouveau monument à J. J. Rous-
seau (cf. Annales, I, p. 32 1.) Le président de la Société J. J. Rous-
seau, convié, avait dû se faire excuser. Discours de MM. Castel-
lant, G. Laguerre, P. Lafargue. Compte-rendu dans VEcho répu-
blicain de Senlis, du 10 octobre suivant. Le monument nouveau
est une reproduction ,en plâtre du monument d'Ermenonville,
abritée sous un monoptè-re, ou » temple de la Nature.»
CHRONIQUE 38 1
— Le Cri de Paris, du 12 décembre 1909, annonce que le
sculpteur Bartholomé vient de terminer les trois figures principa-
les du tombeau de Rousseau qui doit prendre place au Panthéon.
Ce trio représente la Philosophie entourée de la Nature et de la
Vérité. La Philosophie est grave: elle tient un livre d'une main
et lève l'autre pour enseigner. La Nature est câline et voluptueuse.
La Vérité est aimable et souriante. Toutes trois veillent sur la
tombe placée à leurs pieds.
Ajoutons que cette partie du monument de Bartholomé a été
exposée au Salon de 1910 (Société nationale des Beaux-Arts, voir
Catalogue illustré, p. 180.)
— Comme nous l'avons dit Tannée dernière, un comité s'est
formé, sous la présidence de M. F. Bouffandeau, député, pour
ériger, dans la commune de Trie-Château, un monument à J. J.
Rousseau. L'appel pour la souscription publique a paru dans la
Republique de l'Oise, du 4 décembre et a été reproduit par VEcho
républicain, de Senlis, du 12 décembre 1909.
— Le 3i mai 1909, jour de la Pentecôte, a été célébré le
123= anniversaire de la fondation de la maison d'éducation de
Schnepfenthal, en Saxe, créée en 1784 par le « philanthrope »
Christian Gotthelf Salzmann (voyez Annales, IH, p. 255). C'est,
paraît-il, le seul des établissements de ce genre fondés au XV!!!"--
siècle qui subsiste à l'heure qu'il est; il est encore dirigé par un
descendant direct du fondateur. La notice consacrée à cet événe-
ment par le journal berlinois Die Woche, 29 mai 1909 (A. Triniûs,
Zum Jubelfest des Erp'ehungs-anstalt Schnepfenthal) est accom-
pagnée d'un certain nombre de vues photographiques dont quel-
ques-unes, comme celles qui représentent la promenade dans la
forêt, l'atelier de menuiserie ou l'herbier, évoquent irrésistible-
ment le souvenir de Rousseau, premier inspirateur de Basedow
et de son école.
— Dans le même ordre d'idées, nous signalerons la récente
réédition de V Elementarwerk , de Basedow, avec les estampes de
Chodowiecki, parue chez l'éditeur Ernest Wiegandt, à Leipzig,
par les soins de M. Theodor Fritzsch, Cet ouvrage célèbre, dont
le succès a rivalisé avec celui d'Emile, dès son apparition en
1774, était devenu introuvable. On sait que Basedow s'y trouve
d'accord avec Rousseau, notamment pour proclamer la nécessité
d'une éducation « indépendante de toute église. »
ERRATA DU TOME V (1909)
P. 10, 1. 10: Confessions, lisez Correspondance.
P. 32,1. 5: commencer par lui imprimer une édition, lise:^: com-
mencer par lui l'impression d'une édition.
P. 116 : dans les dérivées de l'exemplaire A, au lieu de 29-XXVIII-
XXV, lise:{: 29-XXVIIl-XXX.
P. 198, n. 1,1. 8, 9 : intervertir les deux lignes.
P. 2i5, 1. 7 : bocages, ajoiite^^ (numéro de la note correspondante.)
P. 225, 1. 17 à p. 229, 1. 20: En outre à deux reprises... un nouvel
usage caractéristique, supprime^ tout ce passage et rédige:^ ainsi la der-
nière phrase : Très peu après la Composition des paysages, Girardin
taisait un nouvel usage caractéristique du mot romantique. [La Com-
position est sûrement de 1777. Le Journal de politique et de littérature
en rend compte à cette date, t. II, p. 182, comme veut bien nous en
informer M. F. Baldensperger. Le «monument philosophique» du
premier passage équivoque, consacré à un philosophe «persécuté»,
est le temple de la philosophie dédié à Montaigne (Itinéraire d'Erme-
nonville, p. 38. Cf. le tableau de Châtelet dans Girardin, Iconographie, l,
planche VIII) ; le « philosophe » du second passage doit s'entendre
dun personnage fictif ou anonyme.]
P. 247, 1. 14.: Du jus dont le poison enyvre tant de cœurs, lise:[ : Des
joies dont le poison... [conjecture de M. P. -M. Masson ; le texte de la
copie est cependant parfaitement lisible, mais le sens est si peu satis-
faisant qu'on peut soupçonner une erreur du copiste dans la lecture de
l'original.]
P. 252, n. I, 1. 2:, points, lise^ : point.
P. 3o6, 1. 18: ^<>,lise:[ : 4^
P. 3o8, 1. 8: comme le précédent, lise:^ : comme le suivant.
P. 339, 1. 18: Dans VEclair du 19 octobre 1908..., ajoute^: Ce n'est
pas la première fois que M. G. Montorgueil entretient ses lectei^rs des
sabots de Rousseau. Voyez Yljitermédiaire, XXIII, 1890, p. 365, et
d'autres notes du mêilie périodique, XXIII, ,1890, p. 23o et 465, XXIV,
1891, p.'ii5, signées en particulier d'Aug. Castellant et d'H. Beaudoin,
sur le même sujet.
P. 332, 1. 24 et suiv. : L'anecdote est empruntée au livre de Gaberel,
Rousseau et les Genevois, i858, p. i33. Sur son origine et son authen-
ticité, M. E. Ritter a recueilli par correspondance l'avis de plusieurs
personnes compétentes. Ce dossier est aujourd'hui déposé aux Archives
J. J. Rousseau.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Le Séjour de Jean-Jacques Rousseau en Angleterre (1766-
1767), lettres et documents inédits, par Louis-J. Cour-
tois I
Avant-propos i
Pi-emière partie: Le Séjour de J. J. Rousseau en Angleterre 3
Chapitre premier : Voyage en Angleterre .... 5
Chapitre II : Séjour en Angleterre 16
Chapitre III : Retour en France 89
Deuxième partie : Lettres inédites io3
Observation générale io5
A. Lettres de Jean-Jacques Rousseau 107
B. Lettres de Davenport à Rousseau 178
C. Lettres de divers à Rousseau 2o3
D. Lettres de divers à Davenport 275
E. Lettres de divers à Hume 288
Appendices 293
A. Richard Davenport et sa famille 2q5
B. Correspondance relative au testament de Rousseau 296
C. Anecdote sur Rousseau à Douvies (1767) , . . 298
D. Rectifications et adjonctions (édition Hachette) . 3oo
Tables 3o3
Table de la correspondance inédite 3o3
Index des noms cités 3o5
BIBLIOGRAPHIE
Complément pour la bibliographie de 1908 3i5
Bibliographie de l'année 1909 317
Allemagne, p. 317 — Angleterre, p. 32i — Belgique,
p. 322 — Etats-Unis d'Amérique, p. 323 — France,
p. 326 — Hongrie, p. 35i — Italie, p. 352 — Suisse,
p. 355.
Par B[ernard] B[ouvier], Giorgio Del Vecchio,
A[lexis] F[rançois], D''H[ector] M[aillart],D[aniel]
M[ornet], Ad[rien] N[aville], V(enceslas] 0[lsze-
wicz], L[ucien] P[invert],E[ugène] R[itter],A[lbert]
S[cHiNz], G[aspard] V|allette], Ch[ARLEs] W[erner.]
II est parlé des ouvrages de O. Adler, 320 — Aves-
nes, 326 — I. Babbitt, 3i5 — J. Barbey d'Aurevilly,
327 — F. Bock, 320 — O. Bogdânfy, 35i — Al. de
Brahm, 327 — G. Brandes, 317 — H. Buffenoir, 327 —
Dr Cabanes, 329 — Ed. Champion, 33o, 349 — G.
Charlier, 322 — G. Chinni, 352 — A. Chuquet, 333 —
J. Capgras, 347 — H. Carré, 337 — L. Denise, 348 —
R. Doumic, 333 — L. Ducros, 3i5 — Th. Dufour, 36o
384 TABLE DES MATIÈRES
— W. A. Dunning, 325 — H. Ellis, 32r — P. d'Es-
trée, 349 — E. Faguet, 333, 349 — J. Fusseder, 319 —
Dr F. Girardet. 333 — Comtede Girardin, 35o — J. Izou-
let, 35i — P. Janet, 337 — Ed. Kaumann, 319 — M.
Lange, 346 — G. Lanson,337 — E. Lavisse, 337— M.-A.
Leblond, 338 — G. Lecigne, 33q — F. Macdonald, 322,
339 — D. Mornet, 35i — W. Mûnch, 319 — G. Per-
roud, 344 — Marie Phlipon, 344 — Ed. Pilon, 35i —
D. Plan, 355 — A. Pons, 356 — S. Reinach, 339 —
A. Rey, 340 — G. de Reynold, 358 — D. Rodan,"353
— H. Rodet, 340 — P.-L. Rœderer, 344 — Roland,
344 — R. de Ruffey, 346 — A. Schinz, 323, 347 —
L. Séché, 347 — P. Seippel, 36o — P. Sérieux, 347 —
G. Stryienski, 348 — G. Vallette, 36 1 — F. Vial, 348
— B. Violani-Gambi, 352 — M. Vitrac, 344 — G. Vor-
berg, 320 — M. Wilmotte, 349.
Revue des bibliographies 36i
CHRONIQUE
Extrait des procès-verbaux des séances du Comité . . . 365
Archives Jean-Jacques Rousseau 367
Chronique générale 368
Auteurs, orateurs, artistes cités : Alix, 368 — G. d'A-
pricorta, 372 — Bartholomé, 38i — Basedow, 38i —
de Beaurepaire-Froment, 376 — V. Bresse, 372 —
J. J. Brousson, 375 — H. BulTenoir, 370 — J. Carrara,
373, 375 — A.Castellant, 38o— E.Cauda, 372 — Chéri-
Vinet, 375 — Chopin, 374 — Claudius, 372 — J. Debrit,
376 — A. Dide, 377 — E. Doumergue, 373 — Doutre-
bande, 375 — E. Ercoli, 372 — Fabre des Essarts,
371, 377 — B. Faugier, 372 — Th. Fritzsch, 38i — E.
Gaidan, 377 — B. Gaillard, 373 — Garneray, 368 —
Ph. Godet, 376 — A. Hallays, 378 — Ph. Jamin, 377 —
Jayet, 375 — A. L., 369 — Louis, dauphin, 369 — A.
Malsch, 376 — G. Manîby, 371 — G. Maramotti, 371
— P. -M. Masson, 370 — Mayer, 368 — J. L.'Myres,
'374 — Naudet, 368 — A.' F. Oxilia, 377 — Philinte,
voyez Dide — Pigalle, 368 — E. Régis, 374 — Rémy,
376 — J.-E. Roberty, 373 — chanoine Sachet, 369 —
Ch. G. Salzmann, 38i — A. Schinz, 375 — L. Séché,
377 — Sennelier, 375 — F. Servaes, 374 — Sirven, 375
-:- C. Stryienski, 369 — Taunay, 368 — A. Trinius,
38 r -^ abbé Vachêt, 369 — Ch. Werner, 376.
Errata du tome v (1909) 382
»
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A2S6
t. 6
Société Jean-Jacques
Rousseau, Geneva
Annales
CIRCULATE AS MONOGRAPH
PLEASE DO NOT REMOVE
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UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
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